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GOD. GUIL. LEIBNITII
OPERA PHILOSOPHICA
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GOD. GUIL. LEIBNITII
OPERA PHILOSOPHICA
QUAE EXSTANT
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PARS PRIOR.
CU M LEIBNITII EFFIGIE.
BEROLINI
SUMTIBUS G. EICHLERI.
MDCCCXL.
FAVORI AC PATROCINIO
IMMORTALIS VIRI
EDITIONEM
G. E I C II L E R.
L. B.
Cuique Leibnitii pliilosophiam indagaluro primum quod obslct hoc est, quod scripla
ejus laiu rara sunt, tamque ad inveniendum difficilia. Constat Philosophiae Germanicae
gerùlorem in Germania editorem operum nondum invenisse, cuin unica quae extel col-
lectio instituta sit a Gallo, in Brilannia degenle, Ludovico Dutensio.*) Quum vcro Du-
tensii editio non omnia conlineat quae pliilosophiam spectent Leibnitii opéra , adsumcndn
eticini sunt Poslhuma quae Raspius edidit **) Utramque vero operum Leibnitii collectio-
nem frustra a bibiiopolis quaercs, imo in publias bibliolhecis desiderabis et magni apud
antiquarios tanlum quos vocanl cmes. Âccodil, quod sane dolendum, ut in Dulensii
uditione uulla pars tara negligenter composita sit, quain quac opéra pliilososophica conli-
neL Legunlur haec in voluminis secundi parte priore. Equidem cuni non asscntiar us
qui dicant, in colleclione operum philosopliicorum Leibnitii collocanda esse omnia quac
Leibnitius unquain ipse invenerit, quippe quum non poluerit non pliilosophice scribcrc,
editorem laudo, quod philosophica a mathematicis et pliilologicis aliisque operibus scpa-
i.ivil J '••ii H le, i nui non ignorem quam difficile persaepe sit dijudicatu, utrum scriptio
iiliqua philosophicae indolis sit an non sit, non objurgem edilorcm quod unum aut al-
terum opus inler philosophica non numeraveril, mca senlentia ex iis non excludendum.
Id vero in Dutensio jure vituperari polcst quod in dislribuendis Lcibnilii operibus sibi
ipse non consentit. Documente sil inscriptio voluminis quarti. Quod cuni reapse con-
tineat opuscula philosophica, quin ilidcm philosopliiae litulo instrueretur, fieri non po-
iuit — Majoris momcnli hoc csl, quod Dutensius quem in ceteris voluminibus serva-
verat ordinem in hoc plane neglexiL Exempta afferam: Cum Dutensius nesciret, disser-
taùonem de principio individu! adliuc exslare, in Ludovicii vero biographia Leibnitii, thè
ses inveniret ei disserlationi adnexas, has recepit, easdemque tamquam reliquias non in
fronte operum philosophicorum posuit, sed iis subnexuit. Eslo. Sed cur quacso intro-
duclionem quam Thomasius Leibnitii dissertation! praemiserat, a thesibus segregalam in
ipso vohuninis secundi initio collocavit? — Alterum exemplum hoc sit: Fouchero, Leib-
nitium refulare conunti nosler respondet. Eam responsionem p. G7, refutationcm Fou-
chéri posthac legimus p. 102. — Si denique adsumis, quod uua eademque scriptio di-
*) Prodiit haec editio Genevae anno MDCCLXVIII, sex voluminibus coinptexa opéra Leibohii
omnia, theologica, philosopbica , matheroatica , philotogica. '— Qnodsi editio citatur Colouiao
Allobrog. et Berolini anno MDCCLXXXIX. foras data, notaudum est, kanc csso eam
•• un editionem uovo tantum titulo instructaïu. Id quod facile patebit duin modo ntrauiquo
edttionem coiuparaveris et in ntraque casdein inveneris nieudas tyi>ograpliicas.
**) Oeavres philosophiques de fcn Mr. Leibiiiz publiées par Mr. Rud. Eric Raspe avec âne pré
face de Mr. Kiistner. Amst. et Leips. 1765. 4.
VIII PRAEFATIO.
verso lilulo bis recepla est, mecum L. B. optabis, ut edilorem sicul in Malhematicis
Mathematicus, ita in Pliilosophicis edendis vir adjuvisset philosophia qualilercumque im-
butus. Haec est illius edilionis indoles. Quae utruni effecerit ut Leibnitii philosophia us-
que ad noslrum tempus adeo negligeretur, an hac negligentia factum sit ut Leibniliï
opéra philosophica tara mâle edi poluerint, equidem non dijudicem. Hoc cerle scio, in
edilione Ula multa posse desiderari, et (si novissimum exemeris lustrum) Leibniiii
pliilosophiam plus justo negligi.
Cum ante quatuor annos cum ad scholas acedemicas habendas, lum ad cornponen-
dam raeam Pliilosopliiae recentioris hisloriam, in opéra Leibniiii accuratius inquirerem,
omnia illa quae innui mihi obvenere impedimenta. Quae ut amoverentur primum erat,
opéra Leibniiii in certum ordinem redigere. Qua in re elaboranli valde placuit quod
proposuit Eichlerus bibliopola, ut in officina sua omnia Leibniiii opéra philosophica de-
nuo ederem. Erunt qui rideant si de editione critica loquar, cum de auctore agalur
seculum abhinc defuncto, cujus opéra dum ipse viveret typis expressa sint. At crescunt
errores eliamsi in seculorum pulvere non radicentur. Vel apud eos, qui primi de Leib
niiii operibus menlionem faciunt, multos reperire licet errores, qui inde ab eo tempore
non correcli persaepe hodieque repeluntur. ISIam, ut unum moneam, neque Jaucourlo ne-
que Ludovicio neque Dulensio Cdes habenda, cum de lempore agilur qua scriptio ali-
qua primum edila sit. Ilaque necesse erat ut quodque opus, priusquam cum colleclione
mea concorporarem, eo loco invesligarem quo primo vulgatum, et cum Dutensiana
edilione conferrem.
Duo praecipue erant, quae in insliluenda mea editione observanda putavi. Pri
mum, ut in cerlum ordinem opéra philosophica Leibniiii redigerenlur, e temporum ra-
tionibus disponenda ea judicavi. Qua in re eam seculus sum rationem, ut e libeUis, quos
ipse Lcibnilius divulgavit, quemque ei anno adscriberem, quo primum typis excusus esl-
In operibus autem, aut post Leibnitii obilum aut nondum adhuc editis, ratiocinando temptts
inveniendum erat quo conscripla esse veri simillimum esset. Adferam poslliac argumenta,
quae ut unumquodque opus huic potissimum lempori tribuerem, mihi suasere. Alterum,
cum curarem ut, quanlum possem, omnia congererem Leibniiii opéra quae Philosophiam
speclant, non solum multa quae in edilione Dulensiana aliis classibus adscripta eranl,
sed eliam opéra poslhuma a Raspio edila edilioni meae inserenda censui. Cum vero
Raspius post Leibniiii obilum lam multa reperisset ingenii ejus monumenta, cur non
speraverim fore ut, fonle illo non plane exhauslo , Hanoverae in bibliolheca Regia opéra
Leibniiii invenirem nondum edila et digna quae foras darenlur. Quaerenli mihi per li-
tcras, summus Regii tabularii et bibliothccae praefeclus, cl. Perlzius, ea cum benignilale
respondit, quam amici anlea jam laudaverant, quam poslea ipse experlus sum. Scripsil
cnim, mulla in bibliolheca illa esse Leibniiii MSS. nondum édita eliam ad philosophiam
perlinenlia. Simul auxilium dum venerim promisit. Neque me fefellil vir generosus.
Quippe cum aulumno anni MDCCCXXXVI. Hanoveram me contulissem, mox mihi aperla
sunt illa scrinia quorum me desiderium allexerat. Quum in bibliolheca Regia schedac
Leibnilianae secundum argumenta el indolem jam sinl disposilae, primo oblulu vidi, me
non fruslra vcnisse. Nam praeler illa quae edidit Raspius, duodecim ibi asservanlur
PRAEFATIO. IX
fhsciculi qui aulographa Leibnitii conlincnl philosophici argutnenli, quorum nuilla non-
duni édita sunl. Plurima quiilem non nisi fragmenta sunt, opcrum sola cxordia, née,
cum saepe unam eandcmquc coniinenlalionem 1er quaterve inchoaverit, rcpeliliones de-
sunt, ila ut edilorein eligere oporleat quae gravissima et maxime perfccla, resecare quae
minus confecta videanlur aut nihil conlincant qunm, quod in edilis jam melius diclum
est Ilaque ex illis schedis viginti 1res elegi edilioni mené inserendas. Quae scriplio-
nes maxima ex parle nd illam pertinent scicnliam quam Leibnitius modo mnlliesin
universalem , modo scienliam generalcm, modo calculum ratiocinalorium appellavil, de
qua juvenis jam somniaverat quamque senex curare non desiil. Quum Raspius duas
(antum commenlaliones ediderit easdemque breviores quam quae scienliae illius naturam
perspicue1 monstrent, equidem e nmllis fragmenlis quae perlegi ça concinnarc studui,
quae miJù visa sunt et gravissima et ad pennagni illius moliminis naluram perspicien-
dam aplissima. Et cum in his schedis una sit, quae tolius operis oeconomiam conlineat,
spero Jeclori idem eventurum esse quod mihi, ut quodam modo inlrospiciat acdificium,
cujus singulae tanluni columnae eaeque mancae nobis restant.
Anlequam ad enumerandas singulas commenlaliones Leibnilii transcam, et singulis
litulis, quae annotanda censeo, addam, una res non est praetermillenda , ne de opéra
mea severius judicelur. Finilus erat colligendi labor abbinc très annos et dimidium, et
eodem lempore chartae bibliopolae tradilac sunl ul slalim prelo subjicerenlur. Mea non
accidit culpa, ut dilata sil impressio in mens. Febr. anni MDCCCXXXVHI. indeque
tara tarde progrcderelur ut amplius biennium consumlum sit. Ex quo lempore libii
prodiere, inedita Leibniliana continentes (dico prae céleris cl. Cousini fragmenta philoso-
phica Parisiïs edila), quae nunc, ne leinporum ordinem lurbarem, aul plane omillcre de-
bui, aul non eo quo convenit loco inserere polui.
Commenlaliones Leibnilii, quae in edilionem meam recepi, hae sunl:
I. Dissertatio mctaphysica de principio individui, quam Leibnilius anno
MDCLX1U. edilam publiée défendit. Quam dissertalionem in Ludovicii manibus fuisse
ex opère ejus (Âusfuhrlicher Entwurf einer vollsliindigen Hislorie der Leibnilziscben Phi
losophie. Leipzig 1737 p. 37.) apparet. E quo Dulensius, ipsam Dissertalionem deper-
dilani radis, thèses a nostro defensas exscripsil. Unicum ni fallor hujus disserlalionis
exemplar iii Bibliolheca Regia Hanoverana exstal. Cujus vidcndae cum mulli quorum
interesl occasionem non habcant, bene mcruit de hisloria Pliilosophiae docl. Guhrauerus,
cum aille très annos denuo eam eclerel, et inlroduclione inslruerel.*) Cui edilioni
quod mea non ad verbum respondet ne mireris quaeso, quippe cum nimis
feslinanti calamo edilor dissertalionem Leibnilii transscripserit, ita ut, quod valde
dolendum est, ei non paucae mendae, eaeque gravissimae , excidcrint. — Haec
nostri disscrlalio non solum ideo mcmoratu digna est, quod primum spécimen
est ejus ingenii, scd eliam quia ex oa apparet quam accurale versalus fuerit in ea
aiolaslica philosophia , quam hodie Leibnitii adtniralores quo magis ignorant
') Leibnitz's Dissertation de principio individui, hcransgegeben und kritisch cingeleitet von
Dr. G. E. Guhrauer. Berlin 1S37.
B
X PBAEFATIO.
co magis dctcstanlur. Sunt qui magni itl acslimcnt momcnli, quod Lcibnilius scholasli-
cus Nominalium polius quam Realinm parles seculus sit. Sed, clsi non ignoro in ea
quam poslca professas csl pliilosophia plus cognalionis esse cum Nominalismo quam
cuin Réalisme, tamen quod scholaslizans Nominalium parles lenuit, nihil portendit. Sci-
licet omnes qui hoc ternpore scholaslicae philosophiae adhaerebant Nominalium secta-
lores fuisse constat. Majoris mihi videlur momcnli argumenlum hujus disserlalionis;
quod lanlum cnim abest, ut casu sibi sumserit, ut mullos post annos eum videa-
mus candem rem pensilanlem. Exslat enim Hanoverae fragmenlum aulographum anno
MDCLXXVI. conscriplum, inilium continens commenlationis inscriptac: Medilalio de prin-
cipio individui. Quae, etsi ita comparata erat, ut recipi a nie non posset, lamen, quam
grave Leibnilio hoc argumenlum visum fuerit, salis docel. Et cum tola cjus philoso-
]>hia in eo posita sit ut singulorum enlium subslanlia ac valor (conlra Spinozam polissi-
muni) defendatur, Fr. Henr. Jacobio assenlior, qui notalu id dignum censuit, quod prima
Leibnilii scriplio de principio individu! egerit.
H. Disserta lio de arte combinatoria, quae anno MDCLXVI. primum édita
apud Dutcnsium legitur Vol. II, P. 1. p. 341. — Cum haec disserlalio non solum arilh-
inetica sit, sed in ea calculiis combinalorius ad argumenla eliam logica atlliibealur, cum
porro in inagno illo de scienlia gcnerali opère, quod poslca nosler molirelur, ars com
binatoria sur un tcnere debcret locum, adnumerandam eam esse Hbris philosophicis cen-
sui. Primas hujus dissertalionis plagulas sub lilulo disseiialionis arilhmeticae antea jam,
pro loco in facultate philosophica oblinendo, ediderat Leibnilius. V. quae de hac re no-
tavimus in noslra edilione p. 11.
III. Confessio nalurae conlra Alheistas, conlinet spécimen demonstrandi exi-
stenliam Dei animique immorlalilalem. Quam confessionem , anno MDCLXVIII. con-
scriptam, Dutcnsius opcribus theologicis adnumerat; quare in volumine I. ejus edilionis
legilur. Quum vero theologiae ralionalis et philosophiae regnum difficile sit disjunclu,
cumque ipse Leibnilius in subjccta cpislola ad Thoinasimn hanc demonslrnlionem lam-
quam solilis accuraliorcm cilel, inserendam eam colleclioni slalui. Elsi Leibnilius ipse
dolel, >quod mcndosissime illud schedion impressum est. Inprimis soriles ille, quo de-
• monslrare conalus sum immorlalilalem animi, mulalis linearum inilialibus mire perlur-
«balus esl,« — tamen non polui quin exhiberem siculi in Spizelii Epislola ad Anl. Rei-
serum de cradicando Alheismo Aug. Vindel. 1GG9. legilur. Sequilur
IV. Epislola ad Thomasium, anno MDCLXIX. conscripla et scqucnli anno
cum Leibnilii edilione Nizolii primum édita. Dulensius ci locum dedil in Vol. IV. p. 7. scqq.
At quis dubilcl quin locum hic merila sit, cum tam clare quid de historia Philosophiae,
quid de Philosophis anliquis nosler senserit, doceal.
V. Dissertatio de stylo philosophico Nizolii, quam una cum epislola modo
laudata in praefatione operis legimus anno MDCLXX. edili: Marii Nizolii de veris
principiis et vera ratione philosophandi conlra Pseudophilosophos libri IV, inscripti illu-
slrissimo Baroni a Boincburg ab edilore G. G. L. L. Francof. 1670. 4. — Tilulus quem
Jaucourlus cilal: Anlibarbarus philosophicus elc., quo liber Nizolii inslruclus erat quum
PRAEFATIO. XI
primum foras darelur, poslea alteri edilioni Leibnilianac (Francof. 1674.) ilerum in-
scriplus est.
VI. De vila béai a. Quo nomine conservalur Hanoverae commentalio , laline et
gcrmanice conscripla. Lalina alia manu, nescio an Leibnilii jussu, clinin Iranscripta cx-
.-l.il. Quant ut huic circiter lempori adscribain mulla sunt quac suadcant Impriiuis
magna cum Cartesio et Spinoza cognalio. Ipse Leibnilius conlilelur se juvenem Carle-
sianisinum, imo Spiuozismum redoluisse; quod lubenter credes si inlcr schedas Leibni-
tianas Hanoverae videris exccrpla facta e Spinozae Ethica tain accurata ut e libro I.
cl libro IV. ne una quidem proposilio oiuissa sit, et excerplis haec verba inscripla:
h. HT parliin mea, partim aliéna, aliéna vero corrigenda. « Constat mature noslrum ab
illis discessisse. Cum vero hanc inspexeris commenlalionem, inlegrum invenies Carlc-
sinnum: invunies in prima parle lolidem verbis illud Cartesii, quod haud ila inullo posl
Lvibnilius taniquam minus firmum reprobavil, -ut nihil unquam veluli verum admilla-
• mu-, nisi quod laiu clare et distincte rationi noslrae palet, ut nullo modo in dubium
•possit revocari,« — invenies in allera parle Carlesii illam senlenliain qua judicare est
velle, — obveniet libi cum de affeclibus Leibnilius loquilur, eosque Carlesiano modo
laïuquam liberlalis inimicos traclal, Irilum illud Carlesii: >quod fides non babenda sit ci
»a quo aliquolies deccpli fuimus,- — vidcbis eum Carlesii more faclum a consilio se-
paranlein, illud huic poslponcnlem, — leges eum medilandi ordinem laudalum, quem
iisdein fere verbis Spinoza in traclalu de inlellcclus emendalione commendaverat. —
Quodsi vero expeclaveris cum de ofliciis erga alios homincs agalur, illam libi obvenilu-
i.ini esse amoris definilionem quam poslea ipse lamquam Elhiccs fundamenlum laudal,
frustra eam quaeres; quem hoc loco laudal Dei amorem (p. 74.) idem est ac Spi-
uozae amor iiilelleclualis ; — non minus spes le fallcl, si (piaesieris liarmoiùae praesla-
bilitae menlionem, nam loquilur quidem de arda inter animam cl corpus uriione, sed ut
Carlesiani loqui solenl, quippe quod »cogitationes cor[>oris molus ab ineunle aelate coini-
• latae sunl,« — quaerenli, nuiu Leibnilius jam, sicul poslea, animam numquam sine cor-
pore existere ideoque loluin animal immorlale esse statuât, haec commentalio responde-
bil: -consideranda est mentis noslrae (hoc est subslanliae quae in nobis conscia est) na-
• iiiu, qualcnus absque corporc consislil alque illo longe nobilior esl elc. Hinc enim nos
•immortaJcs esse, illinc caducis corporibus brevi periluris conjunclos.» — Denique si
rogaveris num Leibnilius, cum hoc scriberel schedion, jam inveneril illud argumenli on-
tologici quod dicunt vilium, quod anno 1MDLXXV1II. jam vitupéraveril (cf. INr. VIII.
huj. éd.), cl cui poslea mcderi sluduil, respondcndum eril negando, nam in hac ipsa
conunentationc illud argumenlum iisdem fere verbis proponilur quibus Carlesius et Spi
noza ulunlur. Quac cum ila sinl, argumenlis inlcrnis adduclum me conûteor, ul liane
commenlalionem ci adsignem lempori, quo Leibnilius a Carlesii et Spinozae aulorilale
non plane sese liberaveral. Accedil, quod duclus lilcrarum, quibus hoc schedion con-
i, hnii. idem est, quem in fragmcnlis quibusdam Elhicis Hanoverae vidi, quibus Leib-
nilius lilulum dédit: De affeclibus, et cui inscriptum est: d. d. 12. Apr. 1669. Haec
fragmenta quinque plagulas continent cl cum Carlesii de hac re senlenliis mire concinunt.
XII PRAEFATIO.
VII. Dialogus de connexione inter res et verba et veritatis rcalitale,
quem Raspius primus edidil, sccundum ipsius Leibiûlii teslinionium anno MDCLXXVII.
conscriplus est.
VIII. Epislola ad Conringium de Cartesii demonslralione existenliae Dei pri-
mum a Rilmeiero édita, anno MDCLXXVIII. conscripla apud Dutensium legilur Tom II.
P. I. p. 264.
IX. Meditaliones de cognilione veritate et ideis, quae anno IV1DCLXXXIV.
aclis Erudilorum Lipsiensium inscrtae in edilione Dulensii Tom. II. P. I. p. 14. legun-
lur. Adjeci huic tractalui locum ex epislola ad Bernoullium scripta excerptum, quo
axioma, parlent minorent esse tolo, demonslrare sludet.
X. Epistola ad Seckendorffium, quam in SeckendorfQi libro: Chrislcnslaat
Lpz. 1685. priinum edilam Dulensius edilioni inscruit 1. c. p. 164.
Sequuntur (XI—XXII.) duodecim fragmenta Leibnitiana nonduin antchac edila.
Quae diversis lemporibus conscripla esse bene scio. Tamen ut, ralione lemporum pospo-
sila, omnia hoc uno loco insérèrent, hacc sunl quae suaserunt. Omnia haec schedia il-
lud Leibnitii consilium speclant, melhodum philosophicam ad calculum quendant redu-
cendi. In Dulensii edilione, si nonnullas exceperis epislolas quibus de amicis conque-
rilur, scilicet quod chimaericum id consilium exislintent, de hac re plane non fit menlio.
Raspius in poslhumis Leibnilii operibus duas quidem edidit commenlaliones , quae hue
pertinent e quibus me quidem conjicere non potuisse, qualis fueril ille calculus et quo
modo perficiendus Leibnilii arbilrio, lubentur confiteor. In autographis Leibnilianis ntul-
tae reperiunlur schedae, quae, diversis lemporibus conscriplae, de hac ipsa scienlia gcne-
rali (raclant. Quae etsi mancae sint, et exordia tantunt exhibeant, tamen manifestant
reddunt, quomodo ipsc Leibnilius illam sibi finxerit. Âliae enint cur desideranda sit haec
scienlia doccnt, aliae non metuendunt esse monenl ne ipsae cogitalio in nudum calculum
vertalur, aliac denique tabulant exhibent eapilum in tali opère Iractandorum. His indi-
ciis nisus ila singula fragnienla concinnavi, ut minus temporis ralionem consulerem quam
eo ordine disponerem, quem ipse in occonomia operis lamquam legilimum indicavit.
Restât vero ul probem, cur, etiainsi in eundem locum congrcgari debuerint, hune po-
tissimum his fragments dederim. Quodsi rcspondero maxitna ex parle circa hoc lem-
pus ea conscripla esse, unde hoc sciani dicendum eril. Quum ccrtiora deessent indicia
uni confidendum cral, quod elsi firmissimum non putent, lamen plane despiciendum
non censeo, dico literamnt ductum et formant scripturae. Memor quidem eram senlen-
liae quam cclebcrrimus Galliae juris consultus in diffamala illius temporis causa (ulii,
eos qui de chirographis judicenl sicul haruspices scse invicem videre non posse quin
ridèrent. Atlamen hoc ullimo ulcndum cral refugio. Comparant! Leibnilii autographa
1res diversae se praebcnt literarum forntac. Vidi aulographa literis mmusculis conscripla
iisque cliam in vocibus lalinis talibus, quae inlcr scripluram galhcam et gcrmanicam
médium tenent, ejus fere fonnae, qua mulli docli Saeculi XVII. et XVIII. uli solebanl.
Talent scripluram c. gr. in autographe quodam invcnies, quod senlenlias accademica
dispulatione dcfendendas conlinel, quibus, ab alio ut mihi videtur proposais, Leibnilius
opponendas suas senlenlias adscripsil. Pcrpaucae sunt schedae in quibus hoc pingcndi
PRAEFATIO. XIII
gcnus inveni, eaeque omnes aetate juvenili conscriplae. Mutalur deinde Lcibnilii scri-
bendi modus quum literis majoribus tracluque lilerarum prneserlim finalium tain ele-
ganti scribat, ut sibi placuissc videatur in pingendo. Vidi quidcm hanc lilerarum specicm
in autograpliis anno MDCCX. conscriplis, sed laineu rarior est post saeculi XVII. finem.
Ex eo tempore lilerae minores apparent, et negligenlius ac manu elsi non Iremenle la-
men minus (Irma, saepe calamo mâle lemperalo pictae, saepe leclu difficiles sunl. (Ca-
dit hoc e. gr. in spécimen contra Lockium anno MDCCIV. conscriplum, qiiod Raspius
edidit). Haec indicia quam ambigua sint, haud ignoro, sed aliis signis carentem incerlis
conlenlum esse oporleL Ilaque stalui, ut onmia scripla in quibus eleganliorem illam li-
lerarum specfem invenirem, nisi certa argumenta conlrarium suadcrenl, iis admunerai cm,
quae ante saeculi finem conscripla essent. Atqui de maxima parle tractatuum subse-
quenlium hoc valet. Itaque, cum supra dictum sit cur omnes de scicntia gencrali scriplos
in eundem locum congregandos putaverim, spero leclorem de loco iis assignalo non
fore ira lui n. Pergam in enumerandis libellis:
XI. De scienlia universali seu calculo philosophico. Hanc comuientalio-
nem, cui ego tilulum indidi, cum scheda Leibniliana inscriplione carcal, in fronle horum
fragmenloruin posui, quia quid sibi velil ille calculas deliueat, alque rejicit absurdam
consequentiam , quasi per illum calculum novae veri talcs creari possint sine labore et
omnis ingeniorum diversitas tolli debeat Citât arlem conibinaloriam tamquam olim
coinposilam, citât eliam Meditaliones anno 1684. actis Erudilorum Lipsiensium inserlas,
sed non indicat quantum lemporis exinde effluxeril, ila ut vix quidquam conjici possit.
Ex illis quae de meritis suis in analysi dicil, conjecerim hoc fragmenlum paulo seiius
scriptum esse quam sequenlium nonnulla.
XII. Initia scienliae generalis de nova ralione inslauralionis et aug-
menlalionis scienliarum, ita ut exiguo tempore et negolio, si modo ve-
lint homines, magna praestari possint ad felicilalis humanae incre-
menlum. — Tilulum hune longiorcm ipse Leibnilius fragmento indidil, quod lam-
quam indicem conlinel vel promissionem eorum quae, scienlia generalis praeslare debeat
aut queat.
XIII De natura et usu scienliae generalis. Inscricriplio mea est. Haec
conunenlalio praefalionis speciem habel aul introduclionis.
XIV. Synopsis libri, cui tilulus eril: Scienlia noya generalis pro in-
slauralione et augmentis scienliarum ad publicam felicitatem. Inscrui hoc
fragmenlum, cui ipse noster titulum inscripsit, quia inde apparet, quam imaginem universi
literarum orbis Leibnilius (provectiore ni fallor aclale) animo conceperil, quoque modo
in unum redigere conalus sil scienliae summam. Praelerea hoc fragmenlum ostendil,
Lcibnitium quae in malhcmalicis cl physicis eo tempore jam praeslileral seinpcr refe-
renda putasse ad molimina philosophica.
XV. Guilielmi Pacidii Plus ultra, sive initia et specimina scientiae
generalis de instauratione et augmentis scientiarum ac de perficienda
mente rerumque invenlionibus ad publicam felicitatem. — Oeconomia
«péris. Inscriplio Leibniliana. In synopsi modo laudala jam innuerat autor nominis
XIV P R A E F A T I O.
disshnulalionem ; uliutn Iiïc atquc in illa indicat disciplinarum sericin, melaphysicam, ibi
omissam, introducit eandeinque cum theologia conjungit. Cum mentionem etiam facial
Matheseos suae generalis, equidem c:uin Hanoverae legerim autographuin idemque tran-
scriptum possideam quod, octo complcctcns folia, inscriptum csl: >Idea libri, cui tiiulus
• erit Eleiucnta nova mathcseos universalis, - — diu haesitavi ulrum insercreiu an non.
Sed cum sil fragmentant mancum, praesertim vero cum tota cjus indoles sit malhema-
tica, omisi. Sunt Hanoverae tain multa autographa matheinatica nondum édita, ut non
possim quin sperem fore ut mathematicum éditèrent reperianl, cui hoc etiam eden-
dtini rclinquatur.
XVI. Guilielmi Pacidii initia et specimina scientiae generalis. Pro-
dit exordiuin autorciu juvenilem. Inscriptionein ego fragmente indidi, quo operis pro-
missi initia auctor lectoribus oiïert.
XVII. In specimina Pacidii introductio historica. Hanc dedi inscriptio-
ncm fragmento Leibnitiano, quo aliter ac supra exorditur. Mulla praeter hoc vidi sche-
dia, quibus iisdem fere verbis cadem quae hic narranlur, ila ut credam, Leibnitium si-
quidem opus illud edidisset, hoc fere modo exorsurum fuisse. Ceteruin hoc fragmentuin
mea opinione multo post ea conscriptum est, quae supra altulimus. Suadet hoc non
solum scripturae species, suadent iuipriniis hae juvenlulis mcnioriae, quibus aetas pro-
vectior delectari solet. Nescio an e fine hujus fragment! conjiciam, Leibnilium cum
scriberct jam hausisse regiae aulae aërem. H
XVIII. Fundamenta calculi ratiocinatoris, fragmcntum ab ipso Leibnilio ita
inscriptum. Ostenditur lue quomodo scienlia universalis cum usu signorum seu linguae
charactericae cohaerere ipsi visa sit.
XIX. Non inelegans spécimen demonstrandi in abstraclis. Tiiulus ab
ipso Leibnitio inscriptus, postea obliteratus, juvenilem prodit aetateui. Quanti ipse autor
hanc coinmentalionem aesliniaverit e correclionibus palet, quibus "diversis tcinporibus
(ut literarum species prodit) eam casligavit.
XX. Addenda ad spécimen calculi universalis, codem fere tempore quo
spécimen illud conscripta esse literarum species lestalur. Neque argumenlum répugnai.
XXI De verilatibus primis. Hanc commenlalionem clsi seriore lcmj)ore con-
scriplam pulo lamen ob argumenli simililudinein hoc loco posui. Eandein seculus sum
ralionem in edendis
XXII. Definitionibus logicis, quae nondum antehac lypis exprcssae erant.
Quibus
XXIII. Difficullates quasdam logicas, a Raspio jam éditas, subjunxi. —
XXIV. Extrait d'une lettre à Mr. Bayle. Hanc epistolam, anno MDCLXXXV1I.
conscriptam , quam ipsc Lcibnilius memorat, scribens: »La loi de continuilé, que j'ai intro-
• duile , et dont j'ai fait la première mention dans les nouvelles de la république des lettres,» —
Dulensii cdilio non exhibct. Equidem cahi iitserui cum illa lex nalurac de qua lamquam a se
inventa saepius sibi gratulutur nosler, hic primum cxposila sil. Accedil ut dcmonslralio-
nibus mathemalicis abslineal ad virum scribens elsi sagacissimum, malhcscos lamen im-
peritum.
P R A E F A T I 0. XV
XXV. Lettre à Mr. Arnauld. MDCXC. — Hanc epislolam niaximi ccnsco mo-
menli esse, quippc in qtia tain accurale metaphysicam suam exposuerit Leibiiitius, et quae
cum aliis ad eumlem Amaldmn epistolis philosopliiam ejus primum in notitiam doclo-
rum protulerit. Quare doleo, quod quonam lempore prinunn typis expressa sit défaire
non possum. Dutensius, qui ipsum autograplnim Lcibnilii ab Herissanlio acceperal, Lu-
dovicii narrationcm secutus, cam jam iinpressam dicit in Diariis doclorum Gallorum
(Journal des Savons) anni MDCCXXX. In his tamen frustra cam quaercs. Reperitur
quidem in aliis memoriis gallicis haec cpislola, quac inscribunlur: «Continuation des mé
moires de litéralure et d'histoire Tom. VIII. Partie I. Paris 1729 p. 211. seq.« sed non
dubito, quin jnm antea hacc epistola édita fuerit. lil.i quidem verba, quae in literis legi-
mus d. d. T*j- OcL a. 1695. Magliabeccliio missis: «Curavi nonnulla diario Gallico in-
••si'iï, quae mihi olim de altiorc quadam philosophia cum Antonio Amaldo, Thcologo et
• Philosophe insigni fuere agitata. — Hacc diu pressa magnorum in ipsa Gallia virorum
• hortalionibus impulsus dissimulato licct nominc tandem publias jiuliciis sulnm'si- — de
hac epistola non sunl intelligcnda, sed de »novo ejus syslemalc,« quod in editionc nostra
(un mi Ni. XXXVI tenet. Gravions sunt momenti, quae in epistola quadam ad Bur-
nelum data (^ Maji 1697) legimus, quibus illam ad Arnaldum cpistolam aut jam im-
pressam aut saltem pluribiis doclis viris notam fuisse patet. — Praeter quam plures ex-
lilissc Leibnitii ad Arnaldum epistolas, casque non conlcmnendas c lilcris palet au* Bi-
gnonium anno MDCCVIH missis, quas cL Federus in: Commercii epislolici Lcibnitiani
typis nondum vulgali SelecUs spcciminibus, Hanov. 1805 p. 275 — 278, vulgavit. In qui-
bus haec leguntur Leibnitii verba: »J'ai eu autre fois un commerce de lettres avec l'il-
• luslrc Mr. Arnaud sur certains points de philosophie et de théologie naturelle, que je
• suis prêt à revoir et à mettre en ordre à la prière de quelques amis.» Quod coin-
mercium epistolicum editor epistolamm Ârnaldi in manibus se hnbuisse ipse teslalur.
Ita enim dicit »En cherchant des Manuscrits de M. Arnauld, il nous est tombé
•entre les mains un certain nombre de lettres originales du célèbre I. cil mil/, à ce Doc-
•teur,.... On voit par ces lettres que Lcibnitz a été en correspondance avec M. Ar-
•nauld pendant huit ou neuf ans depuis 1683 jusqu'en 1691; — Les lettres de Leib-
• nifz dont il s'agit n'ont jamais été imprimées. Elles roulent sur les différons objets qui
•ont toujours occupé ce philosophe. Plusieurs entrent dans la plus grande discution
•sur des questions de Métaphysique extrêmement subtiles et relatives au système de
• Leibnitz sur les Monades. Nous ne connoissons aucun ouvrage de Lcibnitz où il ail
• traité ces questions avec autant de profondeur. « Dédit quidem editor ille fragmenta
quaedam ex epistolis Lcibnitianis (p. 186 — 203), sed quodnam in excerpendo secutus sit
consilium, ipsa ejus verba lectori bencvolo indiccnt: «Nous n'hésiterions pas de donner
• toutes ces lettres au Public, si nous avions pu en même teins lui donner les réponses
•de M. Arnauld. Mais celles-ci nous manquent Nous croyons devoir laisser aux éditeurs
Hacc sunt quae Ubi offert, L. B., mea edilio opéra Lcibnitii philosophica, hae erant
causae quae me moverunl ut ea potissimum reciperem, hae raliones quae ul ila dis-
ponerem me adduxerunt Quas fusius tibi proposui non ut ad omiûa quae protuli as-
sensio tua extorqueatur — procul absit tam arrogans exspectatio — sed ut libi ostendam
non plane inconsidcrate lui tic institutam esse cditionem, quae si modo ad pliilosophiae
Leibnitianae cognilioncni et existimationem adjuvandam coulaient, ab eo quem sibi pro-
posuit fine non aberravit.
Restai ut pauca adjiciam de externa hujus editionis specie. Ornata est effigie chalco-
graphica Leibnitii, quae descripta est ab imagine quam amicus meus carissimus Krauk-
lingius, musaei liistorici Dresdensis praefeclus ac rector, possidet. Quam effigiem,
coloribus oleariis ab Andréa Scheitsio, artifice haud ignolo, piclam, ante annura
MDCC'IV. delinealam esse non solum ex eo conjicias quod noslrum fere juvencm re-
pracscnlct, sed cliam ex epistola qnadam Eleclricis Sophiae palet. Quippc quae cum
de icône Lcibnilii conqucralur, de tabula chalcographica loquilur a Bcrnigerotho
facla, quam hanc ipsam Scheitsii picturam imitasse qui ulrainquc viderinl, lubenter con
cèdent. (A Beniigcrothi sculplura reliquac omnes quae cxstanl Lcibnitii icônes, una semper
altéra delerior, dcscriptae videntur.) Quare asscnlicndum videtur amico meo doclissimo,
qui egrcgiam suam pulchramque labulam iuler annos MDCXC. et MDCC. dclûicalaiii
PRAEFATIO. XXXI
iitumet. Tenet nos spes brevi ipsum qtiae ad historiam iconum Lcibnitii spectent,
evulgalurum esse, cum quac de liac re apud Bohmcrum (Magazin fur Kirchenrecht etc.
Bd. I. St. 2. S. 315 — 321.) congcssa sint, minime salisfacianl.
Tituli singularum scripnonum Dulcnsiani sunt, si in Dutensii cditionc commenlalio
legilur, Leibniliani si in autographo ipse lilulum praescripserat, mei in iis quae ex aulo-
graphis inscriptione carentibus exscripsi. I'raeter tilulum cuique commenlalioni inscriplus
est anime, quo aut confecla est, nul confecta esse milii videbatur. Dcnique praescripsi
cuique libello ubinam primum cditus sit, et iis quac in Dutensii editione cxstant etiain
loci quem ibi lenenl notalioncm adjcci.
Poslremo confessione comprobarc oportet, quod leclorcm etsi vellem celarc non
possem. Dico errorum typographicorum numerum. Cum non eo degerem loco quo
haec editio typis excuderctur, ipse unius tanlum plagularum revisionis, quam vocare
soient, copiam habui, undc fieri non potuit quin intcrdum menda remancrct, quac rc-
visione altéra détecta foret. Quod tamen minoris momenli est quam quac nunc monebo.
Decrcveram ut in excudcndis iis quac gallicc conscripla sunt orthographiac hodieruac usus
induceretur, (id quod ante me jam Federus curaverat in edendis Lcibnitianis) idcoque
vel in eis plagulis quae laïuquam cxcmplaria typothelae proponerentur, vel in plagulis
excusis, ca quac iisum antiquatum sequerentur mutavi. Quare quum ante annuin et
dimidium palriam mcam Livoniam visitaturus et per très menscs abfuturus essem, primum
decrevi ut per hoc tempus cessarent typographi ; sed cum bibhopola, qui oplarct, ne duni
abessem prela feriarcnlur, mihi confirmasset, sibi Gallum quendam praesto esse cui cor-
rigendi negolium commiltcrct, bis confisus non amplius sum reluctatus. Quod nunc doleo
me fecisse. Nam redux factus non solum euin commissum inveni errorcm quem supra
indicavi ad art. XL. b., sed, quod sanc magis dolcndum, in quindecim plagulis quac
interea typis excusac crant, tam midtas mendas conspexi ut hodic ctiam me pudeat.
id ne iterum eveniret, dum aliud iler facercm, amicus carissimus, collcga honoratisshnus
Blanc us, ecclcsiae calhedralis sacerdos, ingratum laborem plagulas revidendi consueta
humanitale in se recepit, cumque tanta sustinuit diligenlia ut ea quam ipse recognovil
hujus editionis pars, tam cmendate excusa sit quam vix ficri solct in gallicis libris apud
nostrates expressis. Confessa haec volui ne amici honorem mihi arrogarc videar, neve
ei mendae imputentur, quarum ratio a mé solo est reposcenda.
Quarum eas quae ipsum sensum pervertunt ut ante legendum corrigantur indicavi,
caeteras, inprimis eas quae circa accentuum signa et orthograpliiam gallicam versantur
ignoscas quaeso bcncvolc lector. Denique hoc abs te peto, ut si tibi non placeat
olilivione delere hujus edilionis mendas, tamen sallcm magis quid praesliterim quam quid
reliqucriin praeslandum respicias. Vale mihique in posterum fave.
Vol. II. ,
ix. Considérations sur le principe de vie. 1705 429
LXI. Observationes ad recensionem libri a Jaqueloto editi. 1705 433
LXH. Ad rev. Patrem Des Bosses epistolae octo. 1706 et 1707 434
Lxm. De modo distinguendi phaenomena realia ab imaginariis 443
LXTV. Epistola ad Hanschium de Philosophia Platonica. 1707 445
LXV- Lettre à Mr. Coste. 1707 447
LXVI. Remarque sur le sentiment du P. Malebranche. 1708 450
LXVH. Remarques sur un endroit des Mémoires des Trévoux. 1708 452
Lxvm. Ad rev. Patrem des Bosses epistolae quatuor 1708 et 1709 454
LXK. Réponse aux objections du P. Lami. 1709 458
LXX. Ad. rev. Patrem Des Bosses epistolae duae. 1709 461
LXXI. Commentalio de anima brutorum. 1710 463
Lxxn. Epistola ad Wagnerum de vi activa corporis. 1710 465
xLxxra. Essai de Théodicée. 1710 468 "
LXXIV. Ad rev. Patrem Des Bosses epistolae très 1710 et 1711 666
LXXV. Remarques philosophiques sur la Théodicée. 1711 668
LXXVI. De libertate 669
ucxvn. Definitiones ethicae 670
uxvni. Von der Gliickseligkeit 671
LXXIX. De la sagesse ' • • 673
LXXX. Lettre à Mr. Des Maizcaux. 1711. 675
E
XXXIV TABULA OPERUM.
p»«.
LXXXI. Epistola ad Bierlingium. 1711. . . '. . ' : ;'.'.' • .• . . . . •. . . 677
LXXII. Ad rev. Patrem Des Bosses epistolae très. 1712 . . . . 679
LXXXIII. Remarque sur la sixième lettre philosophique imprimée à Trévoux. 1712. 683
LXXXIV. Ad rev. Patrem Des Bosses epislolae très. 1712. 1713 » . . 685
LXXXV. Examen des Principes du R. P. Malebranche. 1712. . . 690
LXXXVI. Lettre à un ami en France. 1714. ; •. . . •. 698
txxxvw. Trois lettres à Mr. Remond de Montmort. 1714. . i . 701
ixxxvju. La Monadologie. 1714.- . . .-.-., . . . . . . . . : •< . j 702"
LXXXIX. Epistola ad rev. Patrem Des Bosses. 1714. . . .•' . '. 713
xc. Principes de la nature et de la grâce, c. 1714. . . • . . ... . . '. . 714^
xci. Trois lettres à Mr. Bourguet. 1714. . . .-.-.-. . . . .... . 715
xcu. Extrait d'une lettre à Mr. Remond de Montmort. 1715. ••. . 724
xcm. Ad rev. Patrem Des Bosses epistolae très. 1715. ... . ... . . . 726
xciv. Deux lettres à Mr. Bourguet. 1715 • • 731
xcv. Lettre à Mr. Remond de Montmort. 1715. . . .''.',". . . . : . . 735
xcvi. Ad rev. Patrem Des Bosses epistolae duae. 1716. . . . " 738
xcvu. Deux lettres à Mr. Bourget. 1716 : : 743
xcvm. Extrait d'une lettre à Mr. Dangicourt. 1716. ...'........ 745
-xcix. Recueil des lettres entre Leibniz et Clarke. 1715 et 171C 746,
Appendix.
c. Sentiment sur l'amour de Dieu désintéressé. 1697 789
ci. Lettre à Mr. l'abbé Niçoise sur l'amour divin. 1698. ......... 791
I •• /
ERRORES TYPOGRAPHICI
Quorum qui scnsuin pcrvcrtuut, ut auto legcndum corrigantor, indicavit cditor. Omisses accvutus,
Hterarum commutatioucs, ortbographiae vitia aperta cuotarc supcrscdit.
Vol. I.
Praefat. pg. XV. I. 16 pro Anialdi lege ArniUdi») | p. 999 B. 1. 17£18 delendura cal: à l'enlour du
la terre.
p. 45 D. 1. X3 pro patebuntur 1. fatebuntor. - 212 A. - 14 font I. fond.
&0 A. - 1» - vexata 1. vexatae. - X49 H. - 3 dépuilles 1. dépouillf».
. 90 A. - 37 - vlritatis 1. verltatis. - — . - 16 rougueur I. rougeur.
- — - - 39 - angetur 1. augetar. - X4X A. - 14 est I. cl.
- 105 B. - 13 - au 1. on. - 253 A. - 26 tourture I. torture.
- 107 11. - 8 - your 1. vous. - 168 A. - 22 rlgenr 1. rigueur.
- 111 B. - 6 - at 1. et. - — - - 13 on I. «m.
- 113 B. - 10 - referme 1. renferme. - 260 A. - 47 certaine I. entrain».
- 115 B. - 6 - partlque 1. pratique. - 263 A. - 5 prévalante 1. prévalence.
- 133 B. - 14 - pour 1. par. - 265 B. - 54 ou 1. lege sans.
- 140 A. - 3X - pas 1. par. - 166 B. - 32 das 1. dans.
- 14X A. - 22 - public 1. publie. - 169 A. delendiini est: comme tl y H . .
• 147 U. - X7 - essentiam L exislentiam. mouvement.
- 161 U. - 6 - définir! 1. deflnlre. - 271 A. - X9 Hardie 1. Hardi.
- 178 A. - X3 - au dehors L de dehors. - 181 A. - 15 réfléchit 1. réfléchir.
- 187 A. - 12 - conférence 1. circonférence. - — . - 16 réfléchir 1. réfléchit.
- 191. - 15 - p. 15X 1. p. 125. - 292 A. • 2X regardant 1. rcganlfiil.
. — n. - X4 - ou bien L au bien. - 198 1! - 4. si 1. a'y.
- 19X A. - 44 - continent 1. contient. - 299 ». - X9 Germaine 1. Germani*.
- 194 - 5 - 1703 1. 1701. - 302 B. - 2 pan I. paon.
- 199 H. - 16 . immoralité 1. immortalité. - — • - 14 eu 1. ce.
- X03 H. - 26 - cl 1. est. - — - - 41 qu'où I. qu'on.
- X06 n. - 50 - adéquante 1. adéquate. - 306 B. - 35 de la parallélisme I. du paral
- X06 A. - 51 * 53 annolatio delenda est. lélisme.
- X06 B. - 37 pro vous 1. nous. - 307 H. - 3 prs 1. pris.
- X08 B. - il - m'empêche 1. n'empêche. - 313 B. - 50 c'est 1. (c'est.
. — - - 3X - entendues 1. étendues. - 314 v. - 32 participier I. participer.
- X10 B. - 5 - S- 10 1. 8- <8. - 320 A. - 48 ses I. le».
- XI* A. - X2 - s'expérience 1. l'expérience. . 336 A. - U a ous 1. no as.
. X13 A. - 43 - élevé I. moins élevé. - 351 B. - 43 des I. de-
. 2X0 B - 5 - tela I. telle. - — - - 41 >"o 1. No*.
- XXI A. . X9 • l'âme 1. dans l'âme. - 366 A. - 36 tours 1. leurs.
- X27 B. - 30 - qualiés 1. qualités. - — • - 60 où 1. Cou.
- 2X8 B. - 41 - considération 1. conden - 377 A. - 42 d'Euigne 1' d'énigme.
sation. - 398 A. - 37 ou 1. où.
- X19 A - 34 - animaut 1. aimant. - — B. - 10 post Maître adde: ,,St. Pierre a
- 13X A. - 10 - au 1. ou. été disciple, donc quel
• 283 A. - 6 - Chapitre XI. 1. Chapitre IX. que disciple a renié son
- X34 A. . * - jugons I. Jugeons. Maître.
- — - - 39 - convenais 1. convaincus. - 111 A. • 27
17 pro la perte 1. la nouvelle de
- 189 A . 15 - ut 1. cal. 1* perle.
Vol. II.
p. 434 A. I. S pro sonsensus I. consensus. p. 707 A. 1. 19 pro attachement 1. attouche
- 447 A. - 11 - libero 1. libro. ment.
- 458 - 1 - LXV. L I SIX. . 731 - 3 - 1714 1. 1715.
- 474 B. - 25 - eu L en. « 7S8 A. - 5S - inslancs 1. instant*.
- 475 B. - 55 - es 1. et. . 741 H. - 7 - modns 1. modu»?
- 541 A. - l.'.v-n; delendnm est: pg. 84. 86. 140. . 742 A. - 47 - Kluxu 1. Ilimi.
- 544 B. - 43 pro Zenebog lege Zernebog. - — H. - 9 - cinisiiiii 1. con.stiluit.
- 591 B. - 31 - réfléchlsfent 1. réfléch'msent. . 745 A - SI - queues 1. queues..
- 695 B. - 28 - novelle I. nouvelle. - — - nli. - substanliam I. aubstantia-
- 598 B. - 48 - 223 1. 323. tum.
- 599 B. - 18 - quelques I. quelque. . 746 II. - 14 - actue I. actuel.
- 611 B. - 46 - intitulé. 1. iotilulé: . 750 II. - 17 - maniméeg 1. inauimées.
- 683 B. - 17 - Lebiniliua I. I.eibnliius. - 754 A. - 36 - uniquemeot 1. uniquement.
_ _ - - 23 - 4703 1. 1703. . 758 B. - 17 - nne 1. que.
- 690 - 5 - 1711 1. 1712. . 768 A. • S8 - copti 1. corps.
- 695 A. - 26 - vuide I. fluide. - 773 B. - 41 - sens 1. sent.
- 696 B. - 1S - accorda 1. accordera. . IT8 A. - 9» - semblent 1. semblant.
. — - - 24 - infinie 1. finie. . 784 B. - 13 - les toutes 1. toutes le*.
- 702 A. - 20 - des me I. de mes. . 788 B. - 83 - Augeni 1. Agens, . . ,
I.
DISPUTATIO METAPHYSICA
D E
PRINCIPIO INDIVIDU I.
G 6 3.
C Disputât!» melftphygica de principio individu'), quant Deo 0. M. annucnie et indnllu iihlyi.i. Philosopb.
facullatls In illusiii Academia Llptiientii, Pracside Viro exeollc'iitlssimo et clarlusimo l)n. M. Jacobo Tho-
manlo, eloquenliae P. P. Min. Princ. Colles. Collégiale, praeceptore et foutore HUO maximo, puhlke venll-
landam proponlt Goltfredus Gullielmii» I.elfonuzius, I.ipx, Philos, et B. A. liaccal. Aut. et He.sp.
3O. Majl Amil HDCLX11I. — LIpKiae lypis riduae Heiiningi Coleri. 4.)
G U M DEO.
§. 1. Quanto latius argumentum nostrum difiu- non tota. Non totam aut ncgatio exprùnit(2), ant
MMII est, verba vero pauciora cssc delwnt, taiito aliquid positivuiu ^ Positivuin hoc aut jwrs ph>'sica
magis al>stineiHluiu nobis a pracfationc esset, nisi est, essentiam terniinans, cxistentia (3), aut ine-
admoneret Divino Numini débita invocatio. Dcuni taphysica, speciem teriuinans, haecceitas (4).
igitur, priinuin Actiini Foiitemque secundonun, ora- §. 4. Prima opinio, quoniam et gravissimis vi
mos obtestamurque, utcujus in re ipsa causa est, ejus ns defenditur et diflicultatcs omnes tollit, a nobis
quoqne in nostra cognitione suscitator esse velit, ne quoque recipietur, cuius confirmatio velut générale
quicquani cuiqiuun , iiisi ipsi, boiiitatis debcanms. argumentai» contra reliquas suppeditabit Pono. igi
§. 2. Ante otnnia autcui statum quaestionis excu- tur: oiniu; individuum sua tota eutitate individua-
tiemus. Âcturi igitur suinus de principio individu!, tur. Et tenet Petrus Aureolus apud Joli.
nbi et principium et individuutu varie aecipitur. Capreolum, qui emn nondum cditum diligen-
Et iiun.i ad individunm attinet, quenmdinoduui uni- ter confutavit, 2. sent. d. 3. q. 2 Hervcus,
versale, sic ipsuiu quoquc vel logicum est in ordine quodlib. 3. q. 9. DicitqucSoncinas, quod luiec.
ad praedicationem, rel metaphysicum in ordine ad opiuio sit Tenninistarum seu Nominalium, 7. M et.
rem. Atque sic rursum aut prout in re est, aut, q. 31. Et teuent saneGregor. Ariminicnsis 1.
prout in conceptu, seu ut alii expriinuiit, formali- sent. d. 17. q. 4. Gabriel Biel in 2. sent d. 3.
ter aut fuudaïuentaliter: £t formalitcr, vel de indi- q. 1. QuosadducitrccentiorNoininalisSchauthect
viduo omni, vel creato tantuni, vel substantia tan- 1.2. Contr. 5. artic. 1. Tenet idemDurandus 2.
tijin. vel substantia matcriali. Principii quoquc vox d. 3. q. 2., citantibus sic pie-risque, quamvis, ut no
notai tuni cognoscendi i>riiicipiuin, 1 mu CSSCIK li. Es- tât Murcia, dis]). 7. in 1. 1. Physic. Ar.
sendi intenium et exteruum. Quare , ut haec colli- q. 1., citari solcat pro sola forma, quum ta-
gain: agemus de aliquo rcali et, ut loquuntur, prin men n. 15. expresse hanc materiaui et hanc for-
cipio physico, quod rationis ûulividui funnalis, seu mam afferat Mâle autein Ramoneda eos, qui di-
individuationis, seu differentiae nuinericae in intel- cunt, iiulividuuin se ipsum individnare, et qui
lectu sit fundanientum, idque in individais praecipue dicunt, uiateriam et foriuani id ]>raestare, divellit,
creatis, substantialibus. ut sibi contradistinctos, quum sint potins subordi-
§.3. Quoniain vero, ut attritusilicisscintilkeemi- jiati, ut spéciales generalibus. Quid cniin est mate-
cant, ît.i commissionc sententiaruui veritas detcgi- ria et forma unitae, nisi tota eittitascompositi l Adde
tur, âge primum cas digeremus. Sunt autein duo quod nos liic abstraltimus a cor])oribus et Angelis;
gênera opinionum: alii hypothèses habaere ad otn potius ijiitur termino totius entitatis, quain niate-
nia individua applicabiles , ut Scotus; alii -secus, ut riae et formae utinuir. Idem igitur tenet Fr. Mur
Thomas, qui in corporibus inateriam si minium, in cia, 1. c, Fr. Suarez, disp. Met. 5, Zimara
Ângelis eorum eutitatem, principium posuit. Nos apud Mercenar. disp. de. P. I. P. 1. c. 9, Percr.
quoniam hic abstralieinus a substantia inateriali 1. 6. c. 12. Ac nupcrrime PL Révérend. Calov.Met.
et iimuateriali, spéciales opimones alio terapore con- Part. Spec. tr. 1. art. 1. c. 3. n. 2. et B. Stahl.
siileraturi, nunc générales tantuni excutiemus. Quas Comp. Met. c. 35.
praecipue quatuor nuiuerarc licct. Aut ejiiin princi §. 5. Argumenta pro liac scntentia haec fcre sunt :
pium individuationis ponitur cntitas to ta (1) aut 1. Per quod quid est, per id unum numéro est. Sed
l
I. DE PRINC1PIO IXDIVIDUI.
res quaclibet fer suain entitatrtu est: E. — Maior extra intcllc-ctuin, et si wgarct, daretur contra Tlio-
probatur, quia uiiiiin supra eus nihil addit reale. mistas universale coinplctuin in rébus. Imo etiam
LIsi sunt lu n- argumente omnes hujus sententiac de- dicit Bassolius Scotista, quod cletur soluin in re
fensores. Kespomlet Bassolius Scotista negando universale in potentia, nempe natura singularis
majorent: ac dicit, naturain seu ontiiafem rei dif- in rrspectn ad intellectutn, qui cuiu similibns com-
ferro fornialiter, non rcaliter. Et sic limitât: per parare potest. Ulterius datunie etiam natura in-
quod i|iiid est, i»-!1 idem rcalitcr uiiuin numcro est, diffcrens in Socratc! Si nul la, jam jKitet, quod se
et sic conceditur: si per idem formaliter, ncgatur. ipsam individuel natura Socratis; sin aliqua, clabi-
Et ad i)robationem dieere potest, quod iiiiuiu ali- tur simul differens et indifférais natura liumana in
quid supra ens addat formaliter diversum. Sed Soerate. Née effugit Soncinas diccas, qnod diffé
haec profligabimtur infra in refutationc Scoti. rons et iudifferens différât ratione. Nain sic {Kitet,
§. 6. Mcrcenarius negat majorera, et ad pro- quod natura sit déterminât» in re per se ipsam, non
bationem dicit, non quidem u i mm specie, sed tamen per aliquid additum.
unuin iHiinero addere aliquid supra ens. Sed con §. 9. 5. Essentia aliqua, humanitas v. g. Soera-
tra: ici quod addit, quuin sit aliquid reale, erit i|>Mim tis, aut differt numéro ab Inimauitate Platonis in
quoquc ens, E. addet aliquid supra se ipsuin. Si trinsece, si ncmpe praescindamus ici, quod natur.ie
vero dicat, non loqui se clé omni ente, quod etiam extra ipsam superacklitum est, aut non. Si diffcrt
modos includat, urgeo : ici, supra quod imitas nuinerira numéro intringGce, individuat se ipsam. Sin minas,
aliquid addit, est eus. Si igitur est unuiu numéro prae- seqnitur, quod in se humanitas Platonis et Socratis sint
i isiiin nl> adclito, niliil addit imitas numerica; sin mi idem numéro. Et ut i natuni cum al ia natura, ita posset
nus, dabitur quoddam ens mile, quod non sit singu- i|iiui|iir cum addito comparari. Sc»l mine mitto.
lare, de quo infra. Taceo, quodMercenarius more §. 10. Argumenta in contrarium pauca sunt et
Scotistico resix>ndit , quum faveat Tliomae. pan'i momenti. I. Quicquid coiL^tituit individinuu
§. 7. Ramoneda respondet: nnum et ens materialiter, non constituit formaliter. Sed entitas
formaliter differre, quamvis materialiter sint idem. individiniin constituitijisiiin materialiter : E. — Resp.
Per TÔ formaliter intelligit: differre ratione. E. negando maiorem, quia materialc et formate incli-
ctiam principia unius numéro et entis, ratione diffé vidui, seu specics et individunm, non différant reali
rant. Soncinas ait, Àrist. IV. Met. 2, unde ter. IL Si esscntia in se caret existentia, née Kim
hoc argninentiim sumunt, non loqui de uiiitate nume- implicat, seqtiitur, quod sit in se indifférera. Secl ve-
rali, sed transrendentali. Veruni et illa est traascen- nim prius; (juia quod sul) opposito alicuius esse et
clens, et non datur imitas realis speciei, praeter nu- concipi potest, id istucl non includit. Sed sine exi
meralem. Posset quoque aliquis pro omnibus sen- stentia essentia esse ac concipi potest : E. — Rcsp. :
tcntiis advenus ex eo fundamento, quo a nohis Essentia vel snmitur ut est in intcllcctii , et pro con-
différant, responclere, fieri unuiu numéro per suain «ceptu quidditativo : sic non est existentia de ratione
'entitatem, sed nontotam. Venini obstat, quod al essentiae; vel prout est in re : Sic ncgo, esse ]x>sse
téra quoque pars intrinsece est una numéro, et se- sine existentia. 111. Essentiae propria imita>, nimi-
querctur, si principia interna «nius et entis diffé ruiu formalis, seu specifica, est minor nnitate nnme-
rant uttotumet IKIPS, iinnni et eus quoque ut to- rali : E. ista non compctit ei per se, qunm ipsi ejns
tnm et part» -m differre, inio ens aliquid addere opposituin per se competat — Rcsp. neg. antec.
supra unuiu. Atque haec de boc argumenta fusius, de unit, extra intcllectum. — Sunt luire argumenta
ut melius vidcatnr, qiiac quisquc efïuda quiicrat pleraqueSoucinatis 1. 7. Mct.q. 31. Quietoh-
§. 7. 2. Quac sont principia entis in universali jicit de accidc-ntibus, qnae, solo numéro differentia,
universalia, ea sunt ejus ]>rincipia in singulari sin- non po&sint esse in eodem subjecto simul, quod ta
gularia. Sed tota entitas est ]>rincipium entis uni- men falsuin; item de partibus continu! divulsis.
versale in universali: E. — Major probatur probabi- Verum nos accidentia et entia incompleta reinovi-
litrr al) analogia 2, quia principia universalia nullo mus a nostra traotatione.
alio différant a singulari, nisi quod a inultis singula- §.11. Sornnda opinio est, quae negationes fo-
ribus similibus abstrahuntur. Est hoc arguinentum nit principium individuationis. An vero qnem-
Stuhlii. 3. Durandus: universale et singulare quam habuerit, ' qui défendent, vakle dubito, nisi
non différant realiter: E. liabent eadem princi|)ia: forte aliquem Nominalium obscuriorem. Tanto
E. entitas tota, quae est ]>rinci|>ium universalitatis, inagis autem suspectum est, quod Bassolius re-
erit singularitatis. fert quosdam, qui principiuiu individui dixisscnt
§. 8. 4. Datur v. g. in Soerate natnra intrinsece cxistentiam cum duplici negatione, quod satis im-
ad ipsum cletenninata, quod couceclit Soncinas, probiibile, née ullani convenieiitiam habet. Pi-ae
I. DE PRINC'IPIO 1ND1VIDUI.
terca alii, qui meminere, non adjunxore existen- studio observauduin. q. 43. Breviar. Metapli.
tiaiu. Bassolius quoque ipso, ac si cluac sen- Kustachii de S. Paulo.
tcntiae essent, sc)>anitiiii cxistentiam et uegatio- §. 14. N'obis igitur cuin prioribus potissiinuin
nes réfutât Vix tainen potuit esse ex toto Nomi- agendum est, quos refutat Scot sent 2. d. 3.
iialis, qui hoc défendit ; nain il li praesupponenduin, q. 3. et ejusseetatorBassol. ib. q. 4. art. 1. f. 179.
universale magis esse eus, qiiam singularc. Quicquid Argumenter auteni: I. Si cssontia et cxistrntiu
auteni sit de autore, sententia ita concipi jwtest, ut a sunt idem a jwrte rci, scquitur, qufnl existentiu
sainnto génère, per differcntias dctermiiiato, ad sub- sensu adversariorum non sit priiicipimn indivi
altcnia, iiuleinnniatn speriem, dcscendas : ibiveroul- duationis. Sed veruin jn-iiis : E. et (Misterius. — Mi-
terius ncque as, et negatioulterioris dc.sccnsus -il in- norem sic fundamentaliter probo: Quaerum<|ue rea-
triiisecmn forniale individu!. Kt esset haec de iudi- liU-r difFemut, ]M>ssunt a se inviceni scpanui. Sed
v ii lui i sei lient ia. qucniadinoduin Dec a in i de puucto, esseiitia et existentia non pussunt se|wrari : E. —
qui in Logic, praedic. quant, et tr. de l'.u- Quae ad majorem respondent Cap r col. 1. d. 8.
charistia dixit, refcrente Pererio 1. 10. c. 5, q. 1., etCajetanusdeEnte etEssentia, q. 11.
superncicm esse nihil aliud, quani cor]>us cuiu ne- nullius sunt momenti. Minor probatur, ]>artim quod
gatioue extensionis in profuiiditato ulterioris, li- esscntia non possit auferri, partiin existentia.
ueam in latifudine, punrtuni in longitudine. Porro §. 15. lllud probo: Oinne, quod aufertur, exi-
lirior negatio divisionis, est quasi generalis iiuli- stit, {H-acciso eo, a quo aufertor; ablatio enim
vidui, altéra vero negtitio identitatis cuin alio, faciet tauiijiiani actio ad id, a quo aufertur, termina-
hoc indivhluuin ab alio vcre distim-tum. tur. E. csseutia existit, pntccisa existentia, quod
§. 12. De hac sententia Mercenar. Dilu- implicat. Hoc, quod existentia non possit auferri
cid. de Princip. Ind. Part. 1. c. 2. et fuse ab csseutia, negatit adversarii, quoivui lon^aiu se-
de. Bassolis 1. 2. Sent. d. 12. q. 4. artic. 1. riem vide apud Petrum de Posnania Scotistam,
l 'ni ii lai in -nt uni eoruiu est, quod j>ersuasi fuere, 1. 1. sent dist 36. q. unie. pag. 976. Sed ar-
iiulluin positivuin posse statui. Sed non videre, guuientor contra: Essentia, ablata existentia, aut
quod natura possit individuare se ipsam. ()ppu- est eus realc aut iiihil. Si nihil, aut non fuit
•j na ri possuiit facile: Individiiuiu aut extra intcl- in creatiiris, quod ahsurdiun, aut non distincta
lectuin a negationibus coastituitur, aut in iutel- ab existentia fuit, quod intendo. Sin eus reale,
Icctu. Si hoc, connu msponsio nihil facit ad rein ; fuit aut pure potentiale, aut eus actu. Sine dubio
si illud: qnoinodo eus positivuin constitui ]>otcst illud; nain non potest esse actu, nisi pcr exi-
a négative.' Praeterea nejsitio non potist produ- stcutiain, quam taiiien se]>aratam esse pratwuppo-
cere accidentia iudividualia ; deinde: onuiis nega- suiiuus. Si igitur cssentia est pure potentialis, om-
tio est alicuius ]M)sitivi, alioqui erit soluin verbo nes cssentiae sunt nmteria prima. Nain duo pure
tonus iiegatio. Sint iftitur duo iudividua Socra- potentialia non diirenmt, ne relation» ad actum
tcs etPlato: principiuni Socratis erit negatio Pla- (juidem, quia liaec relatio, quum sit ad eus in po-
tonis, et principiuni l'IatonLs negatio Socratis, erit tentia, non est rcalis. Si igitur essentiae non
igitur neutrubi aliquid positivuin, et in quo pos- différant a materia, sequitur, quod sola materia
sis ]>edem sistere. Àcuta alia arguinentu apud sit pars csscntialis, et res non différant s]>eeie,
Dassolium vide. v. g. esscntia bruti ab cssentia hominis. Nain neu-
§. 13. Tertia sententia est, existentiam e^sse tra forniam includit, quae est principium distin-
|iriiK-i|>ium individuationis. Hune Fr. Murcia cui- ctionis specificae, et duo pure potentialia non dif-
dam Carthusiano in 2. sent. d. 3., qui an sit fcruut. Et si dicas, diiferre per relationes ad
Dioiiysius Rikelius (sano hune in sententias Ideas: non est relatio rcalis, esset eiiiiu acridcns
srripsis.se certuin est), dirent non liabeo, Fon- in DEO. De discrimine essentiae et cxistentiae
scea Nicolao Boneto 8. Met. c. 1. id de- vide Posnaniensem 1. c. Soncin. 1. 4. Met.
fcndenti triboit, V. Met c. 6. q. 2. §• 1. Dupli- q. 12. et 1. 9. M. q. 3. Fonsec. IV. Met q. 4.
dfar auteni capi jwtest, partiin, ut existeutia rea- Per. 1. 6. c. 14. Existentiam oppugnat Bas-sol.
)is aliquis sit inodus rvm intrinsere indi^'iduaus, Le. Soncin. 7. Met q. 32. Kamoned. inTho-
ab ejtis ess<'iitia a parte rei distinctus; (juod si ita mam, de Ent. et. Esscnt p. 399.
est, defcndi ininiine potest, ut inox piitebit Sin ab §. 16. IVto et ultimo loco Scoti haercci-
••ssentia soluin ratiouediffert,nobiscumegregie coin- tas offert se rertamini, quam is attulit 2. sent
ridit et exprimit praeterea, quo respectu esscntia d. 3. q. 6. et teste Zabarella lih. de Consti-
sit prinripiuiu individnatioiiis. Atquc ita iutclligo tut Individ., c. 8. Quodlibet. q. 2. art. 3. et
.\"-ll. Schurzcruiii, Pi accepterai! incuiii suiniiio Coin m eu t. in V. Met. t. 12, ac dh-cipuli pro
1*
I. DE PR1NCIPIO INDIVIDUI.
juranicnto suo (ut meminit Merccnar. in re- distinctum. At ultima verba nubcm hanc facile
sponsione ad cujusdam Scotistae impugna- disjiciunt. Plerique enim conceduut, quod per ope
tioncmsuae sente ntiac) certatiin clefeiulerunt : rationem mentis detur differcntia individualis: an
in quibus satis vetustus est, et unde audacter ejus igitur Fr. Oviedo et similes propterea Scoti
seiisum rimeris, Joh. <lc Basse lis, ipsiusScoti stae eruntî Primum auteni Scoti fundamenta po-
auclitor, Occaino tainen fortasse prior, quia ejus 11:1111 et solvam, inde adductis marhinis opiHignabo.
contra Scotnin plaoita nullibi réfutât. §.20. Primum pro Scoto arguinentuni ab ipso
§. 17. Notum auteni est, Scotuni fuisse Roa- allatum, recensente Pererio 1. 6. c. 10., est:
liniii cxtremum, quia univcrsalia veram extra mi'n- Uinuis unitas aliquani entitatcm consequitur, EL 'et
tem realitatcni liabcrc statuit, quurn Thomas for- numerica; illa autcm cutitas non est id, quod in
nialc <>oruin proficisei ab intellectu vellet. Ne ta- s| « H-;C includitur. EL aliquid ci superadditum, iiempe
men ia sententiam vergeret, tributam ab Aristo- clifferentia individualis. — Resp. : Unitas cntitatem
tele Plutoni, distinctiouem formaleni com secjuitur in conceptu, in re idem est Née entitas
mentas est jMdliando errori, quae esset qnidem ante numerica diifert a s(«-<-iii< a realitcr. IL Sj H-.-Î.S
operationem intelloctus , diceret tanien respectum non j)er formant vel materiam vel accidontia etc.
ad euin. Hac credidit gémis distingui a differen- contraliitur : E. relin<|uitur liaecceitas. -— Resp. : per
tia, et consequenter differentiam numericam a spe- nihil contrahitur, quia extra mentem nulla est
cie: quoniain enim universalia realia esse prae- III. Quae différant, per aliqua primo diversa clif-
supposuerat, vol contradicendi studio, vel quod ferunt K. Socrates et Plato per ultimam diffe-
Thoinae sententiam inexplieabilem putaret, No- rentiain, nonipe haecceitatem. — Kmsp. : quae <liffe-
niinalium incredibilem, necesse fuit, singularia ex runt, limito: nisi sint iiwa primo diversa, et se
umversali et aliquo superaddito oriri; ut autem ipsis différant, per aliqua etc. sic iicg. min.
est proportio inter genus et speciem, ita inter spe- §.21. IV. Species per differeutiam sp«tificain
cieni et individuum, quare uti illic diflVrcntia spéci contrahit genus. E. individnum }>er diifereiitiani
fiez est, ita hic individuificam esse concludebat numericam si)ecieni. — Ke;p. : neg. anteccdens extra
§. 18. Haiic, eludendae Aristotelis autoritati, mimtoin. V. Fonseca 1. c.: Individua sub aliqua
appollabat materiam totius. Nam, inquiebat, iKiim .1 univoca sunt E. quaedam primo diversa
est forma totius, v. g. humanitas, tanquam ab- includunt — Resp. : ut prius. — VI. item : per diffe-
stractum hominis, cui opponitur materia totius, rentiam individuum speciem exccdit E. est talis dif-
iieiui)e haecceitas, et forma partis, anima fort-ntia. Rosp. ut prius. VIL Bassolius: Natiira
ratioiialis, cui corpus, ut materia partis, op- si » •(•! lien habet j » T se unitatem minorem nuinerali,
poititur. Sed id nihil est; uam haecceitas, si est et al ia 1 1 1 ab ea realiter : E. — Resp. : neg. Anteced.
materia totius, deln't cum hiiinanitate concretnm De probatione infra. Argumcntum III. praecipoe
constituiTe hoininem. At illa constituit hune ho- torsit Suessanum, Dilucid. 1. 5., Zimaraui
nrinem, dcberct igitur alia vera materia totius dari, etMercenarium, apud quein vide l.c.c. 5. Nul-
quae homiiiein inuniversali constituent Taeeo quod lus tamen in hanc inentem resixindit, quia ah'is
illa ha-.'cceitas esset potius forma, contrahit enim fundamentis nitcbantur.
et distinguit; praeterea, si, ut volunt pleriquc ve- §.22. Argumenter contra Scotum : I. Si genus
tustiorum, v. Perer. 1. 6. c. 6., quidditas rei se- et differcntia tantum ratione distinguuntur, 11011 da-
runduin Aristotelem sola fonna continetur, ut ma tur differeutia individualis. Swl verum prius : EL —
teria sit soluin vehiculum, forma totius et par Major patet; nam ctiam si)ccies et differentia nu-
tis apud Aristotelem suut idem; v. M ère en 1. iiK'rica solum ratione distinguentur. Minor pro-
c. c. 5. et pcr Apologiam totam, ac Zab. batur : 1 . Quae ante operationem mentis differunt,
1. c. c. 8 et 10. separabilia sunt Sed genus et differentiae non
§. 19. Existentiam Scotus non admitit, quam- possunt separari. Quamvis enim sint loca i|nar-
vis eam formalitcr distinguât ab essentia; nam dam Scoti, quibus asserat, posse fortasse Deum
apud eum species, praecisa haecceitate, cxistit Dé facere, ut universalia sint extra singularia, et si-
fendit Scotum ex recentioribus Petrus Fon- niiliter genus extra speciem, tamen id ahsurdum
seca, quamvis a Murcia pro nostra scutentia probo, quia nulla daretur divisio adaequata: da-
citetur, v. Met. c. 6. q. 5. et Eustachius a St. retiir animal iu« rationale, née irrationale. Et
Paulo 1. c. Vice versa, quod mireris, sunt qui daretur motio noquc directa, nequc oblitiua. 2. Dif-
Suaresium ad Scotum trahant, quod asserat, fereutiae sujieriores praedicantur de inferioribus.
Disp. Met. 5., scct. 11. N. 16., individuum ad- v. g. hacc rationalitas est rationalitas. E. diffe
dere aliquid supra conimunem naturam, ratione rentia specifica iucludit in se differentiam gcneris.
L DE PREMCIPIO INDIVIDU!
E. a génère non differt. Nain gcnus ad differen- utrumque. Dcinde ratio illa intelligibilitatis esset
tiain suain additarn Iiabct dilTercntiani generis sui, vel ad conceptum divinum siveldeas, sed hic illa
«in. ir et ipsa includitur a sua. Et ita ad usque relatio non esset realis; non cnim cadit in DEUM
summum. Et quia aliquando sistcndum est, dixit accidens. E. Nihil su|>eressct distinctioni a parle
Aristoteles: Ens praedicari de differentiis. Vide rei: vel ad verbum mentis, ut vocaut, creatum.
quaedam apud Soucin. 1. 7. q. 36 et 37. Sed si oinnis intellectus creatus tolleretur, illa rela
§.23. IL Si non sunt universalia ante men tio periret, et tamen res individuarentur, E. tune
tis opcrationem, non datur compositio aute mentis se ipsis. Adde, quod relatio illa, si cssct rea
operationem ex uuiversali et individualité. Non lis, haberet suam haecceitatem, esset enim sin-
est cnim realis coinpositio, cujas non omnia mem- gularis, et sic in infinitum. Praeterea est ad eus
bra sint realia. Sed verum prius: E. — Min. in potentia, seu conceptum formalem, qui esse potest,
prob.: Omne quod ante mentis opcrationem rea et si dicas, illam relationem fonnaliter differre a
liter ab altéra ita diffèrt, ut neutrum sit pars termine, quaero similiter de relatione hujus rela-
altcrius vel ex toto, vel ex parte, potest ah al- tionis in infinitum. Nam et ipsa relatione ad in
tero scparari. Nain in adaequate differentibus neu- tellectum indigeret.
truin altero ad suum esse indiget. V.. potest se- §. 26. IV. Inexplicabile est, quo modo acci-
parari per potentiam Dei absolutam, et solum dentia individualia ab haecccitate oriantur ; ex no-
pars a toto, ita ut id permaneat, est simpliciter stra enim sententia facile explicari |x>test, quia
inseparabilis. Min. prosyll. probatur : daretur enim dantur dis]x>sitiones materiac ad formam, nullae
linea realiter neque recta, neque cun*a, quod absur- vero speciei ad haecceitatem. Vid. Herveum,
dissùnuni. v. Ruv. log. de universal q. 4. quodlib. 3. q. 9. contra Scotuin, apud Perer.
§.24. III, Si non datur distinctio forma lis, 1. c., et Scaliger Exerc. 307 ad Cardan.
mit liaecceitas. Sed verum prius: E. — Ante- N. 17. Âtque ita, Divina ope adjuti, sententias
quam probemus, de hac distinctione aliquu disse- générales absolvimus.
renda sunt Videri auteru possunt Stahl. Comp.
Metaph. c. 23. Soncin. 1. 7. q. 35. Posna- COROLLARIA !).
niensis 1. sent. d. 34. dubio 64. Tribuitur I. Materia habct de se actum eutitativum.
oommuniter Scoto, ut média inter realem et ra- IL Non omnino improbabile est, materiam et
tionis, onde ejus sectatores dicti Formalistae. quantitatem esse realitcr idem.
Hac putat distingui attributa inDivinis, et rela- UL Essentiae rerum sunt Q) sicuti numeri.
tioncs personales ab esscntia, quidditates reruin IV. Essentiae rerum non sunt aeternae nisi ut suut
inter se et a Deo in esse cognito, praedicata in Deo.
superiora ab inferioribus, gcnus a dinerentia, es- V. Possibilis est penetratio dimensionum.
sentiain ab cxistentia : cxplicat eam R h a d a , quod VI. Hominis solum una est anùna, quae vegetati-
sit inter duas realitates seu formalitates, in sub- vam et sensitivam virtualiter includat.
jecto identificatas, diversa* vero in ordine ad in- Vil. Epistolas, T>Taimo Plialaridi adscriptas, supjx)-
tellectum; differre a rationis distinctione, quod sitias crediderim. Nam Siculi Don-s erant,
haec requirat ante se operationem mentis in actu. hic genus dicendi Atticum. Adde quoil Atti-
Sed mire pcrplexi sunt et inconstantes, ubi liaec cisuius illo teuipore dunor, ut Thncydidis, sed
in .H tu exercito applicanda sunt Nam si liaec- hae sapiunt actatem Luciani. Ccrte ubi com-
ceitas a specie solum differt, quod apta est di bustionem IVrilli dépendit, declamatoreui se
stincte inovere intellectum , quam mâle ad prin- prodit autor.
cipiuin individui affcrtur, quod pracciso intellcctu T a n t u m.
quacri débet? Quare necesse est majus quiddam
sub eonun verbis latere. Sed id absurdiun est,
quodcumque sit, simulatque enim, praedso intel- 1 ) Haec corollariareperiuntur «llam in Kililione Ope-
fcctu, diffenmt, non sunt sibi identificata. riini omnium Leibnitli, qnam Ludovlcus Uutens
§.25. Posnauiensis illas formalitates inter- curavit Genev. 1768, VI. Vol. 4. Qulppe qui, cum
ip.sam disgertationem deperditam oplnaretur, corollaria
(iretatur: conceptus objectives, et rationes intel- vero invenlret in: I.udovici Ausfûhrlicher Entwurf
ligibiles, seu rem cum relatione ad conceptus in ciner voUsiandigen Historié ilrr l.rilmii /.isrlirn Plii-
mente formales. Sed id niliil est; nam conceptus losophie, Lpz. 1737, — sub lilulo ,,8eplem propOKitio-
num e disputalione metap uysica" ediiioni suae ea in -
potïus fonnalis fundatur in objective, si igitur SITU il Tnin. II. P. 1. p. 400.
etiam objectivus in fonnali, daretur circulas, ac 2 1 Mendosu Dutena 1. c. scribit: aeternae sicut
<lum utnunque, fundarctur neutruui, et evaneseret numeri.
II.
DISSERTATIO
DE ARTE COMBINATORIA,
CUM APPENDICE.
1666.
(Gottfredl Gulllelml I.ollinii y.li Mpslen.si* Ars combinaloria, In qiiii ex Arllhmelicae fundamenlis Com-
plirallonum et TraiispoHilianuni doclrina novi» praerepiM exylrultu.-, et U.SIIH ambarum per iiniviTsiiin ncieii-
liarum orhnm osleriditur, nova eliam arlis Meditandi svu l. «cirai- Invention).* xeinlna xpariiunlur. Praefixa
«si SynopHin tulius Traclalu» et addiiamenli loco Uemonutraiio ExUlenliae l)ci ad Malheniallcam ciTlitudi-
nem exacia. J.ips 1666. 4lo. — Lelbu. Opp. éd. Dutena Toiu. 11. P. 1. p. 341).
SYNOPSIS.
S«lcs iloctrinae istias Àritlunctica. Hnjus origo. sunt 5 1 2.juxia H o sj) i n i a n u m, utiles 88juxta nos.
Complexioiies autcm suiit Aritluucticac purac, si- Novi Modi figuntrnm ex 1 1 o s p i n i a n o : Barlwri, Cc-
tns figuratae. Definitiones novorum terminonim. laro, Cesaro, Caniestros ; et nostri figurae IVtac Ga-
Quid aliis debcauius. l'roblcuia I. dato numéro et lenicae: Fi-esismo, Ditabis, Celanto, Colanto. Stur-
cxponcnte complexioncs et in spccie couihinatio- mii modi novi ex terininis influitis, Daropti. Uu-
nes iiivenirc. Probleina U. dato numéro comple uionstratio conversionum. De complicationibus figu-
xioncs simpliciter iuveiiirc. Horum «sus 1) in raruni in Geometria, congruis, hiantibus, tcxturis.
divisionis invenicndis speciebus: v. g. maudati, Ars casus formandi in Jurisprudentia. Thcologia
Eleinentorum, Nunieri, Registroruni Organi Musici, autcm quasi spt-cies est Jurisprudentiac, de jure
i nui loi ii ni syllogismi cutcgorici, qui in luiivcrsuiu neiiipe publico in republica DEI super houiiucs:
II. DE ARTE COMBINATORLA.
2) iii inveniendis datarum spccierum gencribus geri (Virgilii Casualis). Bauhusii (Ovidii Ca-
subaltcrnis, de modo probandi suflieientiam datae sualîs). Kleppisii (praxis computandi Variationes
divisionis. 3) Usus in iuvenienclis propositionibus inutiles et utiles), Caroli a Goldstein, Rei-
et arguiuentis. De arte conibinatoria Lullii, meri. CL. Daunii 4, quvrum ultimi duo plus-
Athanasii Kircheri, uostra, de qua soquentia: qtiam Protei. Additamentum : Demonstratio Exi-
Duae sunt copulae in propositionibus : Rêvera, et stentiae DEI.
Non, seu -f- et — De fonnandis praedicamentis ar-
tis con2natoriae. Invenire: dato definito vel ter DEMONSTRATIO
mine, definitiones , vel tenninos aequijmllentes : EXISTENTIAE DEI.
Dato subjecto praedicata in propositione UA. item
PRAECOGNITA:
l'A. item N. Nuincruiu Classium, Numerum Ter-
niinoruni in Classibus : Dato capite complexiones : 1. I M'u lit ii > 1. De us est Substantia incorporca in-
dato praedicato subjecta in propositione U A, PA, finitae virtutis.
et N. Datis duobus terminis in propositione iieces- 2. Def. 2. Substantiain autem voco, quicquid
saria UA et UN argumenta sou modios termines movet aut movetur.
invenire. De Loris Topicis seu modo efficiendi et 3. Def. 3. Virtus infinita est Potentia
probandi propositions contingentes. Spécimen mi- prineipalis movcndi infini tum. Virtus
rabile praedicamentorum artis con2uatoriae ex Geo- mini idem est quod potentia principaliR, hinc
metria. Porisma de Scriptura nniversali cuiciuique dicimus causas secuudas operari in virtute
It'genti cujuscunque linguae jierito intelligibili. prinme.
Dni de Breissac spécimen artis con2natoriae seu 4 . Postulahim. Liceat quotcunque res si-
mwlitamli in re bellica, cujus bénéficie omnia con mul sumere, et tanquam unum to-
sidération* digna Imperatori in mentem reniant. tum supponere. Si quis praefractus hoc
De Usu rotarum concentricanim chartacearum in neget, ostendo. Conceptus partium est,
arte liac. Serae hac arte constructae sine clavi- ut sint entia plura, de quihns omnibus si
l>us aperiendae, Mahl-Schlosser, Mixturae colorum. quid intelligi potest, quoniam sem|K>r omnes
Probl. 1IL Dato numéro classium et renim in sin- nominare vel incommodum vel impossibile
gnlis, eomplexiones classium invenire. Divisionem est, excogitatur uni un nomen, quod in ra-
in divisionem ducere, de vulgari Conscientiae divi- tiocinationem pro omnibus partibus adhihitum
sione. Numéros sectarum de sumnio bono e Var- conipmdii sermonis causa, appellatur To-
rone apud Aagustinntn. Fjus examen. In dato tum. Cuniqne datis quotcunque rébus, etiam
pradu consanjniiriitatis numerus 1) cognationum inflnitis, intellifri possit, quod de omnibus ve-
juxta 1. 1 et 3.D. de Grad. etAff. 2) personarum rum est; quia omnes jjarticulatim enumerare
juxta 1. 10: D. eod. singwlari artificio inventais. infimto demum tempore possibile est, licebit
Pmblema IV. Dato numéro reruiu variationes or- u nui u nomen in rationes ponere loco omnium:
dinis invenire. Uti hospitum in mensa 6. Drexe- quotl ipsum erit Totum.
lio, 7. Harsdorffero, 12. Henischio. Versus 5. Axioma 1. Si quid movetur, datur aliud mo-
Protei, v. g. Bauhusii,Lausii, Ebelii, Ric- vens.
cioli, Harsdorfferi. Variationes literarum AI- 6. Ax. 2. Omnc corpus movcns movetur.
jihabeti, comparatarum atomis; Tesserae gramma- 7. Ax. 3. Motis omnibus ]wrtibus movetur toi uni.
ticae. Probl. V. Dato numéro rerum variationem 8. Ax. 4. Cujiiscunque eorporis infînitae sunt par
vifinitatis ïnvenire. Locus honoratissimus in ro- tes, seu ut vulgo loquuntur, Continuum est di-
tundo. Circulas Syllogisticus. Probl. VI. Dato visihile in infinitum.
numéro roruin variandamin, qnaruin aliqna vel ali- 9. Observatio. Aliquo<l corjius movetur.
quae repetuntur, variationem ordinis invenire. He-
^anietroruin Kpecies 76. Hexametri 26. quorum sc- "Ex^rtcriç.
f&ns antecedcntem litera exceclit P u b 1 i i P o r p h y- 1) Corpus amovetur per praecog. 9. 2) R da
r ii 0 pt a t i a n i : quis iIle. Diphtongi a e scriptura. tur aliud inovens per 5. 3) et vel incorporeum,
ProbL Vil. Reixrire dato capite variatioues. 4) quod infinitae virtutis est [per 3. 5) quia A ab
Probl. VIII. Variationes alteri dato capiti commu- eo mot mu tiabet infinitas partes per 8.] 6) et Sub
Ws. Probl. IX. Capita variationes communes ba- stantia per 2. 7) E. DECS per 1. q. e. d. 8) vel
Wntia. Probl. X. Capita variationum utilium et Corpus, 9) quod diramus B. 10) ici ipsutn et mo
riliiiin. Prolil. XI. Variationes inutiles. XII. vetur per 6. 11) et recurret quod de corjwre A
l'tiles. Optatiani Proteus versus. J. C. Scali- deinoiiRtravimus, atque ita vel nliquando dabi
H. DE ARTE COMBINATORIA.
tur incorporenm movons, 1 2) nempe ut in A osten- ' quia [oinnia corpora in induit uni rétro, jani com-
cliiuus ab tx,&. 1. ad 7. DECS q. e. d. 13) vel in prehciuliinus in C. per ix$. 14. nos autan requi-
oinne infinitum existent corpora continue se mo- riinns aliud a C. per sx,$. 17.] 19) iniùiitae vir-
ventia 14) ea omnia siinul, velut uni un totuin li- tutis | per 3. quia quod ab eo inovetur, neinpc C.
ceat apellare C. per 4. 15) Cunique hujus oinnes est inlinituiu per ÈX>. 13. y 14.] 20) Substantia
partes moveantur per tx$-. 13. 16) movebitur per 2. 21) Ergo UEO per 1. Du tur igitur Dous.
ipsum per 6. 17) ab alio per 5. 18) incorporée, Q. E. D.
P R O O E M I U M.
1 Mctaphysica, ni altissime ordiar, agit corporea applicari ]x>sse. Est enim numo-
tuin de ente, tum de entis affbctionibus : ut au- rus quasi figura quaodain incorporea, orta ex
tem corporis naturalis affectiones non sunt cor- unione entiui» quorumcunque , v. g. DEI, An-
2 pora, itii entis affectiones non sunt cntia. Est geli, Hominis, Motus, qui simul suut quatuor.
antem entis aifectio (seu modus), alla absoluta Cum igitur numcrus sit quiddani universallssi-
quae dicitur Q u a 1 i t a s, alia respectiva, eaque vel niuni, uierito ad Metaphysicam pertinet Si Me
reiad partent suain,si habet,Quantitas$ vel rei taphysicam accipias pro doctrina eoruin quae
ad aliam remRelatio, etsi accuratius loquendo, i ii 1 1 n i entium generi sunt communia. Mathcsis
supponendo partcin quasi a toto diversaiu, otiain enim, (ut nunc nomen illud accipitur) accurato
3 quantitas rei <id parteiu relatio est. Manifestum loquendo non est una disciplina, sed ex variis
igitur neque qualitatem, neque quantitatem, ne- disciplinis decerptae particulae quantitatem sub-
que relationem entia esse: Earuin vero tracta- jecti in unaquaque tractantes, quae in unuoi'
tionein in actu signato ad Metaphysicam perti- propter cognationem nierito coaluerunt Nani
4 nere. Porro oinnis relatio aut est Unio aut uti Arithmetica atque Analysis agimt de quan
Convcnientia. In unione autemres,interquas titate entium; ita Geometria de quantitate cor-
haec relatio est, dieuntur partes, suintai- cum poruin, aut spatii quod corporibus coextensum
unione, Tôt uni. Hoc contingit quotics plura est. l'olitieani vero disciplinarum in profes-sio-
siinul tanquain Unum suppoiu'mus. Unu ni au- nes (livisionem , qnae conunoditatem docendi
tem esse intelligitur quicquid uno actu intelle- potius, quam ordinem naturae secuta est. absit
ctus, s. siinul, cogitanius, v. g. queinadmodum ut convellamus. Caeterum totuin ipsum (et ita 8
numcrum aliqucm quantuinlibet magnum, saepe numerus vel totalitas) dLscerpi in partes tan-
Caeca quadam cogitatione siinul apprehcndi- quam minora tota potest, id fundaincntum est
mus, cyplirasnempe in charta legeiulo cui explicate Complexionum, dununodo intelligas dari in
intnendo ne Mathusalae quidem aetas suffe- ipsis diversis minoribus totis partes commuiu\s7
5 ctura si t. Àbstractum autcm ah uno est Uni tas, v.g. Totum sit A. B. C. erunt minora tota, ixirtes
ipsumque totuin abstraction ex unitatibus, seu illius, AB. BC. AC: Et ipsa ininimarum jwr-
totalitas dicitur Numer us. Quantitas igitur t iiin i, seu pro minimis suppositarum (neuipe uni-
est numeruspartium. HLnc inanifestuin in re ipsa tatum) dispositio, inter se et cum toto, quuc
quantitatein et nunieruiu coineidere. Hlam ta- appcllatur situs, potest variari. Ita oriuntur duo
men interduin quasi extrinsece, relatione seu ra- Variationum gênera, Complexionis et Si
tione ad aliud, in subsidium nenipe quamdiu tus. Et tumComplexio tuin situs ad Metaphy
C numéros partium eognitus non est, exponi. Et sicam pertinet, nempe ad doctrinain de toto et par-
haec origo est ingeniosae Analyticae speciosae, tibus, si in se spectentur: Si vero intueamur Va-
quam excoluit inprimis Cartesius, postea in ri ab i 1 i tate m , idest quantitatem variationis, ad
praeccpta collegere Franc. Schottenius, et nuinerosetArithmeticain deveniendum est. Com
Erasmins Bartholinus, liic elementis plexionis autein doctrinam magis ad Aritluneti-
Matheseos universalis, ut vocat. Est igi cam purain , situs ad figuratam ])ertinerc credi-
tur Anal y sis doctrina de rationibus et pro- dcrini, sic enim imitâtes lineam efficere intelli-
ix)rtionibus,seuquautitate non exposita; Arith- guntur. Quanquam lue obiter notare volo, uni-
metica de quantitate exposita seu numcris: tates vel per modum lineae. rectae vel circuli
falso autein scholastici credidere numeram aut altcrius linoae linearumve in se rcdeu.ntium
ex sola divisiono continui oriri, née ad in- aut figuram claudentiuiu disponi posse, priori
II. DE ARTE COMBINATORIA.
modo in situ ahsoluto sou p;n tinin eum toto, totnm dividendum est in |»rtes aeqiiales sn|>-
Ordine; posteriori in situ rolato sou piufiiiiii |)ositas ut ininimas, (id est quac nunc quidom
ad partes, Vicinitate, quae quoinodo différant non ulterius dividantur) ex quibus coni|M>nitur
infra dicoinus def. 4 et 5. Haec prooemii loco et quarum variationo variatur romplexio sou
sufficiant, ut qua in disciplina luateriae hujus totnm minus; quia igitur toturn ipsum minus,
si 'dos sit, fiât inauifcstuiu. majus minusve est, prout pluros partes una vice
injrredhmtur; niimeruin simul acsemcl conjun-
DEFINITIONES. gcndarum partium, son unitatnm. dicomus Ex
po nente m, exemple progreasionis geometri-
1. Variatio h. 1. est mntatio relationis. Mutatio cae, v. g. sit totum ABCD. Si tota minora con-
i-niiii alia sul)stantiao est. alia quantitatif, alia stare debcnt ex 2. partibus, v. g. AB. AC. AD.
qualitatis ; alia nihil in rc mutât, sed soluin re- BC. BD. CD. cxponons erit 2. sin ex tribus,
spectuin, situm, conjunctionem cum alio aliquo. v.g. ABC. ABD. ACD. BCD. exponens eritS.
2. Variab ilitas est ipsaqiiantitas omnium varia- 11. Dato exponente complexiones ita scribomiis:
tionutn. TYrmini enini potentiarum in abstraoto si expoiiens est 2. Com2nationem (com-
suinti quantitatcm caram donotant, ita onim in liinatioiii'in): si 3. ConSnationem (con-
Mcrlianicis fréquenter loquuntur, potentias ma- tcrnationem) ; si 4. Con4nationem, etc.
chinarutn duaruin duplas esse invicem. 12. Complexiones simpliciter sunt omnes
3. Si tus est localitas partium. complexiones onuiium exponentium computa-
4. Situs est vol absolutus vol rolatus: illc ]>artium tae, v. g. 15. (de 4. Numéro) quae cnmponun-
cum toto, hic partium ad partes. In illo spc- tur ex 4. (Uniono) G. (coin2natione) 4. (con-
rtatur numerus locorum et distantia ab initie Snatione) 1. (con4nationr).
et fine, in hoc ncqiie initium neque finis intel- 13. Variatio utilis (inutilis), est quae pro-
ligitur, sed spectatur tantuin distantia partis a pter inatcriam subjoctam locum liabere non
data parte. Hinc ille oxpriniitur linea aut li- potest; v. g. 4. Elementa coni2nari p<issunt G.
neis figuram non claudentibus nequo in se rcd- modis; sed duae eom2nationos sunt inutiles,
euntibus , et optime linea recta ; hic linoa aut iieinpe quilius contrariac Ignis, aqua, aor, terra
lineis figuram claudentihus, et optime eiroulo. com2naritur.
In illo prioritatis et posterioritatis ratio habe- 14. Classis rerum est totum minus, constans ex
tur tnaxima, in hoc nulla. lllum igitur optime rébus convenientibus in certo tertio, tanquam
Ordiuem dixeris; partibus; sic tanion ut. roliquao classes conti-
5. Hune viciiiitatom, illum dispositioncm, hune neant res rontradistinctas. v. g. infra probl. 3.
compositionom. Igitur ratione ordinis différant ubi de classibus opinionum circa summum bo-
situs sequentcs: abcd. bcda. cdab. dabc. num ex B. Augustino agenius.
At in Vicinitate nulla variatio, sed unus 6 15. Caput Variationisest positio certarum |iar-
situs esse intelligitur, hic nompe : a c tiurn-, Forma variationis, omnium, quae
UnclefestivissimiisT a u b m a n n u s, cum d in pluribns variationibus obtinet. v. infra
Decanus Facultatis pliilosophicae essot, dicitur probl. 7.
Wifebergae in publiée programmât^ seriem ean- 16. Variationes commune^ sunt in quibus
didatorum Magisterii circulari dispositione conr- plura capita concurrunt, v. infr. probl. 8 et 9.
plexos, ne avidi leetores intelligerent, quis suil- 17. Res homogenea est quae est aeque dato
hiin li>< mu teneret. loco ponibilis salvo capite. M on a et ira autem
6. Variabilitatem ordinis intelligemus fcre, quando quae non habet homogeneam. v. probl. 7.
ponemus Variationes XO.T È^O^V v. g. 18. Caput multiplicabile dicetur, cujus partes
Res TV. possunt transponi modis 24. possunt variari.
7. \ .irial. iiit.it. 'in complexiouis dicimus Coin- 19. Res repetita est quae in eadem variatione
plexîones. v. g. Res IV. modis diversis saepius ponitur. v. probl. 6.
15. invicem «onjnnpi possunt. 20. Signo -J- designamns additionem, •— subtractio-
8. \umerum rerum variandarum dicemns simpH- nem, n multiplicationem, u divisionem, f. fa-
citer, Numerum, v. g. IV. in casu propo- rit, seo smnmam, s aequalitatem. In priori-
sito. bns daobns et ultime eonvenimtts cnm Car-
9. Complexio, est unio minons totius inmajori, tesio, Algebraistis, aliiscjoc: Alia signa ha1-
uti in prooemio declaravimus. bet Isaacus Barrowius in sua editione
10. Ut autem certa complcxio determinetur, majus Euclidis, Gintabrig. 8vo, anno 1655.
2
10 11. DE ARTE COMBINATORIA.
•denti, productuin erout eomplexiones qnaesi-
PROBLEMATA. • tai':- v. g. esto nuinerus datas 4, exponens
Tria sunt quae spectari dctent: Probleinata, datus 3. adilantur de numéro antécédente 3.
Theoremata, usus: in sincjulis problomatLs asum com2nationos 3. et con3natio 1. (3. f 1. f. 4.)
; id.ji Tii n us; sicuhi operae pretiuni videbatur, et thoo- productuin 4. crit quaesitum. Sed cuin prae- 3
reiuata. Problematuin autcm quibusdaiu rationcin requirantur eomplexiones numeri antecedentis,
solutionLs addidimus. Ex iis partout posteriorem construenda est tabula I. in qua linea suprcma a
primi, secundum et quartuni aliis debemiu, rcliqua sinistra dextrorsum continet Numéros, a 0 us-
ipsi eruiiuus. Quis illa priinus detexerit ignoramus. que ad 12. utrimque inclusive, satis enim esse
Schwenterus IX'lic. 1. 1. Sect. 1. prop. 32. apud duximus hue usque progredi, quant facile est
Hieronymum Cardanum, Jolianueiu Bu- continuare : linea extrcina sinistra a .summo de-
teoncm et Nicolaum Tartaleaiu extare dicit. orsum contiuet Exponentes aO. ad 12. linea
In Carda ni tainen practica Aritfametica quac pro- intima a sinistra dextrorsum continet Comple-
diit Mcdiolitui anno 1539. nihil reperiinus. Inpri- xiones simpliciter. Reliquae inter bas H- 4
mis dilucide, quicquid diidum habetur, i)roposuit neae continent eomplexiones dato numéro qui
Christoph. Clavius in ('nui. supra Joh. de sibi in verticc directe respondet, et exponentc
Sacro Bosco Sphaer. edit Roinae forma lia anno qui e regionc sinistra. Ratio solutionis, et
1785 p. 33. seqq. fundamentuin tabulae patebit, si deinonstraveri-
nms, Complexioncs dati numeri et rx-
PROBL. I. ponentis oriri ex summa coraplexio-
DATO NUMERO ET EXPONENTE num de numeropraecedenti exponentis
COMPLEXIONES INVENIRE. et praecedentis et dati. Sit mini mimeras
datus 5, exponens dutus 3. Erit nuinerus an-
1 Solutionis duo sunt niodi, unus de omnibus tccedens 4. is liabet con3nationes 4, per Tabu-
coinplexionibus, alter de coni2nationibus soliun : lam I. coiu2nationcs 6. Jam nuinerus 5. habet
ille quidem est goncralior, hic voro pauciora rc- onmes con3natioues quas praeeedens (in toto
quirit data, nempe nuineruiu soluin et exponen- enim et pars continetur) nempe 4. et praeterea
tem; cuin ille etiam praesuppoiiat inventas com- tôt quoi praemlens lialict com2nationes, nova
2 plexioues antécédentes. Generaliorem modiun enim res qua numcrus 5. excedit 4. addita sin-
nos deteximus, specialis est vulgatus. Solutio gulis com2 nationibus hujus, facit totidem no-
il lins talis est: «addantur eomplexiones expo- vas con3nationes nempe 6. -j- 4. f. 10. E. Coin -
«nentis antecedentis et dati de numéro antece- plexiones dati numeri etc. Q. E. D.
TABULA L
0 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
1 0 1 2 3 4 5 6 7 n 8 u 9 m 10 e 11 r 12 i
2 0 0 1 3 6 10 15 21 28 36 45 55 66
3 0 0 0 1 4 10 20 35 56 84 120 165 220
4 0 0 0 0 1 15 35 70 126 210 330 495 »
5
5 0 0 0 0 0 1 6 21 56 126 252 462 792 a
g
H 6 0 0 0 0 0 0 1 7 28 84 210 462 924 e
7 0 0 0 0 0 0 0 1 8, 36 120 330 792
P 8 0 0 0 0 0 0 001 9 45 165 495 0
9 0 0 0 0 0 0 000 1 10 55 220 a.
u 10 0 0 0 0 0 0 000 0 1 11 66 a
IL 0 0 0 0 0 0 000 0 0 1 12 9
12 0 0 0 0 0 0 000 0 0 0 1
* 0 1 3 7 15 31 63 127 255 511 1023 2047 4095
3. Proavi 4 2. 1. 1. 2. 32 Pronepos . 3
Patro Con- Patru-
ns Ma sobri- elis-
gnus nus parvus
4. Abavi 5 3. 1. 2. 2. 1. 3. 80 Abnepos . 4
Pro- Subpa- Sub- Pro-
pa- truus COI1SO- patru-
trous Magnus briuus elis
5. Atavi 6 4. 1. 3. 2. 2. 3. 1. 4. 192 Atnepos . 5
Ab- Sub- Prosub- Prosub- Ab-
pa- propa- patrans conso- patru-
truus truus Magnus vel * brinns élis
6 Tritavi 7 5. 1. 4. 2. 3. 3. 2. 4. 1. 5. 448 Trinepos . 6
Cousobrin. secundus.
32 IL DE ARTE COMBINATORIA.
20 Sunt in hoc schemate iiitinita properaodum di- hic non solum complexionis, sed et situs ha-
gna observatione. Nos pauca striiigeinus. Per- benda ratio sit, v. g. alia cognatio est 5, 1.
sonae eo loco intelligantur, nbi puucta suut. iieinpc Abpatrui, quain 1. 5. neinpe abpatrue-
Numeri puncta includentes, désignant tcrmiiios, lis, hinc cum 2. rcs situin varient 2 vieibus.
seu grailus liueae rectae (autecedcns ascenden- Ergo duplicentur discerptiones, redibit numerus
tis, sequeiis descendentie) ex quibus datus gra- datus si par fuerat; sed cum in ejus diseerptio-
clus transvcrsalis coniponitur. In eadem liuea nibus detur uua homogenea, v. g. 3. 3. in qua
transversa directa sunt ejusdem grados cogna- niliil dispositio mutât, hinc subtrahatur de iiu-
tioncs : oblique a summo, ad imum dextrorsum mero dato, seu duplo discerptiouuin , iteruin:
ordinem generationis ; at sinistrorsnm comple- 1. si vero numerus datus fuerat impar, redibit
ctuntur cognationes homogeneas gradu differen- numerus unitate minor. Ex hoc manifestum
tes. Linea perpendicularis unica a vertice ad est generaliter: (1). Subtrahatur de numéro 2 4
linsin. trianguluin dividwis, continet cognationes gradus unitas, productum erit numerus cogna-
quarnin terminus et asccndeas et descendens tionum trausversalium. (2.) duo iiuineri qui
sont ejusdem gradus; taies voco aequilibres, sibi sunt complemcnto ad datuin, seu quorum
et dantur solum in gradibus pari numéro signa- unus tantum distat ab 1. quantum alter a dato,
2 1 tis, in i nu i non iiisi anus. Nain si libra esse complicati dabunt speciem cognationis, si
fingatur, cnjns trutina sit linea gradus primi; quidem praecedens intelligatur signiticare ascen
brachia vero sint: dextrum quideni, linea per- dentem, sequens descendentem sui gradns. Hac25
pendicularis a surnma persona descendentium; occasione obiter explicandiim est, quae sint dati
sinistnmi vero, perpendicularis a sunima ascen- numeri discerptiones, Scrfâdliligcil, possibiles.
dentium ducta ad terminum vel ascendentem Nam omnes quidem discerptiones sunt comple-
vel desceudentem datam cognatiouem compo- xiones, sed complcxiouum eae tantum discerp
nenteui; tum bracliiis aequalibus, si ntrinque tiones sunt, quae simul toti sunt aequales. In-
3. 3. aut 2. 2. etc. cognatio erit aequilibris et stigari similiter possunt tnm coni2nationes, tum
ponenda in medio trianguli ; in inaequalibus, co conSnationes, tum discerptiones simpliciter, tum
gnatio talis ponenda in eo latere quod lineae re datoexponente. Quot factures, vel divisores exa-
ctae vel ascendeiiti vel descendent! ex qua bra- ctos numerus aliquis datus habeat, scio solutum
22 chium longius sumtum est, est vicinum. Hic vulgo. Et hinc est quod Plato numerum civium
jam complexionum vis apertissimc relucet. Com- voluitesse 5040. quia hic numerus plurimas re-
ponuntur enim omnes ]>ersonae transvcrsae ex cipit divisiones civium pro ofriciorum generibus,
2 terminis, una cognatione recta ascendenti, nemiic 60. lib. 5. de Legib. fol. 845. Et hoc
altéra descendenti : semper autem sic, ut ascen- quidem in multiplicatione et divisione, sed qui
dens in casu obliquo, descendens in casu recto additione datum numerum producendi varieta-
conjungantnr, v. g. frater, id est patris filius. tes, et subtractione discerpendi colle gerit, quod
At si contra, redibit persona data, nain qui utumque eodem recidit, mihi notus non est.
23 patrem filii sui nominat se nomiuat. Quia Viam autem colligendi com2nationes disccrj)tio-
unus pater plures filios habere potest, non con nuni ostencUuius proxime. At ubi plures par
tra. Ex his jam datur proposito quocun- tes admittuntur, iugens panditur abyssus discer-
que gradu cognationnui tum numerum, ptionum. In qna videmur nobis aliquod fun-
tum species reperire: numerus transver- damentum computandi agnoscere, nain semper
salium semper erit unitate minor gradu, (nume discerptiones in 3. partes oriuntur ex discer-
rus omnium semper unitate major, quia addi ptiouibus in 2. praeposita una; exsequi vero
debent duae cognationes lineae rectae, una sur- hujus loci fortasse, temporis autem non est.
sum, altéra deorsum) cujus ratio ex inventione Caeterum antequam in arbore nostra a compu- 2 6
specierum patebit. »Nam com2nationes par- tatione generali ad specialem veniamus, unum
»tium, cbcr Scrfâlfungcn in jrod îhcifc, dati hoc admonendum est. Definitiones cognationum
«numeri cujuscunque sunt tôt quot imitâtes ha- a uobis assignatas in populari usu non esse.
»bct nnmeri dati paris dimidium, imparis Nam v. g. Patruum nemo définit avi lilium, sed
H Imita unitate dimidium. v. g. 6. habet has: potins patris fratrem. Quicunque igitur has de-
»5, 1. 4, 2. 3, 3. ejusque rei ratio manifesta finitiones ad popularem eflbrmare morem velit,
• est, quia semper nnrnerus antecedens proximus si quidem persona transversalis ascendit, in ter-
-dato cum remotissimo, paenc proximus ciim mino descendenti loco filii substituât, fratrem;
-paene remotissimo complicatur, etc.* Sed cum nepotis patruum etc. loco descendentem ponat
II. DE ARTK COMBIXATOR1A. 33
uno gradu minorcm. Sin descendit, contra. in d. 1. lO.excepto graduS.Gr.1. 2 n 2.f. 4. con
27 Nunc igitur cuni osteiulimus cognationes iu quo sentit Paulus cl. 1. 10. §. 12. Gr. II. 2 n 2. f.
libet gratin, gradus numéro unitate majores 4 n 3. f. 12. §. 13/ Gr. III. 2. 2. 2. « f. 8.
esse : âge et personas cognationuni nuniereinus. 0 4. f. 32. §. 14. Gr. IV. 2. 2. 2. 2. « f.
Quae est Spéciales Eiiumeratio. dixiinus 16. « 5. f. 80. §. 15. Gr. V. 2. 2. 2. 2. 2. «
auteni in caclem cognatione diversitatcin faccrc f. 32. « 6. f. 192. dissentit Pau lus §. 16. et
tuni srxuin cognatac, tuni intennediaruin inter ponit: 184. cujus tamen calculo errorcm iiiesse
cognatain et datam personarum. Sexus autem necesse est. Gr. VI. 2. 2. 2. 2. 2. 2. ° f. 64.
duplex est. Igitur senijier continue numerus 0 7. £ 448. consentit Paulus §. 17. Gr. VII.
personarum est duplicandus v. g. non solum et 2. 2. 2. 2. 2. 2. 2. ° f. 128. « 8. f. 1024.
pater et mater sexu variant, 2. sed itcrum pa- §. fia. 18.
ter hahet patrem vel niatrem. Et mater quo-
que. Hinc 4. Avus quoque a pâtre habet, pa PROBL. IV.
trem vel niatrem, et avia a pâtre, et avus a DATO NUMERO RERUM VARIATIO-
matre aviaque similiter: hinc 8. etc. »Igitur NES ORDINIS INVENIRE.
-regulam colligo: 2. ducatur totios in se, quo-
»tus est gradus cujus personae quaeruntur, vel •Solutio: Ponantur omnes numeri ab uni- 1
»quod idem est, quaeratur numerus progressio- »tate usque ad Numerum rerum, inclusive, in
•• nis georaetricae duplae, cujus exponens sit nu- «série uaturali: factus ex omnibus continue, erit
• merus gradus. Is ducatur in numeiinn cogna- .quaesitum. ut: esto tabula IV. quam ad 24.
-tionum dati gradus: Productuni erit numerus usque coutimiavimns.« Lattis dextnim liabot
- personarum dati gradus. Et Iiac mctliodo eundem exponcntes, seu numéros rerum, qui hic coinri-
>nnmernin personarum erui. qucin Paulus ICtus ;; in
Tab. IV.
1 1
2 2
6 3
24 4
120 5
720 6
5040 7
40320 a
362880 9
3628800 10
39916800 11
479001600 12
6227020800 13
87178291200 14
1307874368000 15
20922789888000 16
355687428096000 17
6402373705728000 18
121645100408832000 19
2432902008176640000 20
51090942171709440000 21
1124000727777607680000 22
25852016738884976640000 23
620448401733239439360000 24
raedio sunt ipsac variationes. Ad sinistrwn nis erit manifesta, si demonstraverimus Expo-
posita est ^lifferentia variationum duarum ncutis dati variationcm, esse, factum
proximarum, inter quas est posita. Quemad- ex ductu ipsius in variationem cx-
inoduni exponens in latere dextro est ratio va- ponentis antecedcntis, quocl est fna-
riatioiiis datac ad antecedenteni. Ratio solutio- damentum Tabulae IV. In hune fuipin esto
34 IL DE ARTE COMBINATORIA.
aliud Schéma V. In oo 4. rcrum ABCD. 24. variationes ordinis,
Tab. V. oculariter expressimus. Puncta significant rem praccedentis liueac directe
1) C (1 supra' positam. Methodnin disjwnendi secuti sumus, ut priintun quam
<1 c minimum variaretur, douce paulatim omnia. Caeterum quasi limiti-
biis dLstinximus variationes exponeiitis antecedentis ab iis quas super-
c 1) (1 addit sequens. Breviter igitur: Quotieseunque varieutur res datac, v. g. très
(1 b G. liwli: addita una praeterea poni poterit servatis variationibus prio
ns numeri jam initio, jam 2do, jam 3tio, jam ultimo seu 4to loco;
<l 1) c scu toties |K)terit prioribus varie adjuugi, quot liabet unitates: Et quotiescun
- e b que prioribus adjungetur priores variationes oumes ponet. Vel sic: quaelibet
res aliquetn locuin tenebit semcl, cum intérim reliquae habent variationem
;i C (1 antecedentem inter se, conf. problem. 7. Patet igitur variationes priores in
d c exponentein sequentem ducendas esse. Tlieorcmata hic observo sequentia:
i (1.) omnes in ii m -ri variationum sunt pares; (2.) un mus vero quorum expo-
c. a d nens est supra 5 in cypliram desinunt, imo in tôt cyphras, quoties
d a exponens 5narium continct (3.) Omnes summac variationum (ici est aggre-
gata variationum ab 1. aliquousque) suiit impares; et desinunt in 3 ab ex-
d a c |K>nente 4 in inmùtum (4.) quaecunque variatio antecedens, ut et expo
c a nens ejus, omnes sequentes variationes metitur. (5.) Numeri variationum
conducunt ad conversioiiem progressionis arithmeticac in harmonicam. Este
b a d enim progressio arithmetica 1. 2. 3. 4. 5. converteuda in harmonicam; Ma-
. ri a ximi nunicri, h. 1. 5. quaeratur variatio: 120. ea dividatur per singulos, pro-
dibunt: 120. GO. 40. 30. 24. termini harmonicae progressionis. Per quos
a b (I si dividatur idem numerus: 120. numeri progressionis illius aritlimeticae
cl b redibunt. ( 6. ) Si data quaecunque variatio duplicetur, a producto subtra-
hatur factus ex ductu proxime antecedentis in suum exponentem ; residuum
(1 b a erit sumina utriusque variationis. v. g. 24. ° 2. f. 48. — 6 n 3, 18. f.
a b 30. = G f 24. f. 30. (7.) variatio data ducatur in se", factus dividatur per
antecedentem, prodibit diucrentia inter datam et sequentem v. g. 6 ° 6. f.
I) b c a 36. u 2. f. 18. = 24 — 6. f. 18. Inprirnis autem duo liaec postrema
a c theoremata non facile obvia crediderim. Usns etsi multiplex est, nobis
tamen danda opéra, ne caeteris problematibus omnia praeripiainus. Cumque
c 1) a sérias in primis applicationes complexionum doctriuae miscuerimus, (saepe
a b enim necesse erat ordinis varietates in eomplexiones duci) erunt liic pleraque
inagis jucunda, quam utilia. Igitur quaerunt quoties datae quotcunque perso-
n b c nae uni niensae alio atque alio ordine accuinbcrc possint. Drexclius in
c b in PliaiHhonte orbis, seu de vitiis linguae p. 3. c. 1. ubi de lingua otiosa, ita
— fabulam narrât : Paterfamilias nescio quis 6 ad coenam hospites invitaverat,
hos cum accumbendi tempus esset, arposojiiaa' sibi mutuo déférentes, ita in-
crepat: quid? an stantes cibum capiemus? imo | anni 14. septimanac. At Georg. Henischius
ne sic quidem, quia et staiitiuiii necessarius ordo Medicus Augustanus Arithmeticae perfectac lib.
est Nisi desinitis, tum vero ego vos, ne con- 7. pag. 399. hospites vel convictores punit 12.
queri possitis, toties ad coenam vocabo, quo variationes, coenae, dies prodeunt 479001600.
ties variari ordo vester potest. Hic antequam ita absunicntur anni 1312333. et dies 5. imo
locjueretur, ad calculos profecto non sederat, ita si quis in hoc exponente tentare vcllet, quod
enim comperisset ad 720. variationes (tôt enim Drexelius in dimidio ejus effecit, nempe va
sunt de 6. exponente, uti Dr exe lins illic 12. riationes oculariter experiri, annos insumeret
paginis, et in qualibet pagina 3 columnis, et in 110. demto quadrante, et si singulis diebus 12.
qualibet columna 20 variationibus oculariter horis laboraret et hora qualibet 1000. varia
monstravit) totidem cœnis opus esse ; quae etsi tiones efflngeret. Pi-etium operae si Diis pla-
continuarentur, 720. dies id est 10. supra bien- cet! Alii, ut cruditatem nudac contemplationis
6 niuin absument. Harsdorf férus délie. Matli. quasi condirent, versus elaborarunt, qui salvo
p. 2. sect. 1. prop. 32. hospites ]»nit 7. ita et sensu et métro, et verbis variis modis ordi-
variationes, coenao, dies erunt 5040. id est nari ijossunt. Taies prunus Jul. Caes. Scali-
II. DE ARTË COMBINATOR1A. 35
ger lib. 2. Poëtices Proteos ap|>ellat. Horuni Dux mihi tu, tnihi tu Lux, tu Lex, Jesule,
ulii minus ;irlis kilinif, plus variationis, ii neui]>e tu Rex:
quorum i uni ils est a monosyllabis variatio; alii Jesule tu Pax, tu Fax milii, tu mihi Vox.
coutra, in quibus température est inonosyllabo- Variationes ita computabimus : tituli Salvatoris
rum cackTorunique. Et quouiaiu in h i s pluri- ^LovotruA/Xûtjiot, suiit 7. hi iuter se variautur
inae esse soient inutiles variationes, de quibus 5040 vicibus. Cutnquc singulis adjecta sit vox
probleinate 11. et 12. erit conteuiplaiuli locus, Tu, quae cuui titulo suo variatur 2. vicibus,
8 (le illis solis nunc dicemus. Bcrnhardus quia jam ante, jam post poni potest, idque con-
Bauhusius Societatis Jesu, Epigrainuiatuiu in- tingat vicibus septeui, ducatur 2narius septies
signis artifex, tali Hcxauietro Salvatoris nostri in se. 2. 2. 2. 2. 2. 2. « 2. f. 128. seu Bis-
velut titulos fiovocnMuxfiovi; complcxus est: surdesolidum de 2. factus ducatur in 5040 °
Rex, Dus, Sol, Les, Lux, Fons, Spes, Pax, 128. f. 645120. Productum erit Quacsituni.
Mous, Petra CHRISTUS. Hos ii il ri noiuen suuiu voluit et Joh. Bapt.
Hune Eryc. Putcanus Thaumat. Pietat. Y. Ricciolus legi, ut alieniori in opère Poëtica
pag. 107i aliique ajunt variari posse vici facultas professorls quoudam sui tanto clarius
bus 362880. scilicet monosyllabas tautuin rclucerct. Symbola ejus Ahuagest. nov. P. 1.12
respicientes, quae 9; ego nuincruin prop. lib. 6. c. 6. Scholio 1. fol. 413. talis:
tlecies majorem esse arbitrer, ncinpc hune: Hoc metri tibi me en ni me hic, Tliety, Pro-
3628800. Nam accédons décima vox CHRI tea sacro :
STUS etiain ubique potest poni, duminodo Suni Stryx, Glis, Gras, Sphynx, Mus, Lynx,
Pctra maneat inimota, et post petrain vel vox Sus, Bos, Caper et Hydrus.
Christus vel 2. monosyllaba ponantur. Erunt Cujus 9. monosyllabiic variautur 262880. vici
igitur variationes inutiles, quibus post pctrara bus. Si loco postremaraui vocum : e t H y d r u s,
ponitur 1 monosyllaba proxime antécédente substituisset monosyllabas, v. g. Lar, Grex,
pctram Oiristo, id contingit quoties caeterae 8. asccndisset ad Lansianas varietates. Hic admo-
nionosyllabae sont variabilcs neinpe 40320. ncre cogor, ne me quoque contagio criminls
modis. Cutu ultiina possit esse quaeeunque ex corripiat, primam in Tliety correptam non legi.
illis 9. 40320 « 9. f. 362880 — 3628800. Et succurrit opportune Virgilianus ille, Georg.
f. 3265920. Qui est numéros utilium versus lib. 1. v. 31.
'.i îiiiju- Bauhusiani variationum. Thomas Lan- Teque sibi gciicruui Thctys emat omnibus
sius vero amplius progressus praefationc con- midis.
sultationum talc quid molitus est: Nam alia Thctys, Oceaui Regina, Nerei con-
jux; alia Thetis, nympha marina vilis, Peleo
Lex, Rex, Grex, Iles, Spes, Jus, Thus, Sal, uiortali nupta, Achillis parons, noc digna cui
Sol (boua) Lux, Laus. se Protcus sacret. Ka siiue con-ipitur:
Mars, Mors, Sors, Lis, Vis, Styx, Pus, Nox, Vecta est frcnato caerula pisce Thetis.
Fex (mala) Crux, Fraus. Caeterum Ricciolus Scaligerum imitari
10 Hic singuli versus, quia 11. monosyllabis voluit, utriusque enim de Proteo F rote us
constant, variari possunt vicibus 39916800. est. Hujus autem iste :
Horuni exemple Joh. Phi lippus Ebelius Perfide s]>eraiiti divas te fallcre P rot eu.
Giessensis Scholae Ulmensis quondain Rector, De cujus variationibus infra probl. fin. Ne vero
primum hexametrum , dciude elegiacuui disti- Gernuini inferiores viderentur, elaboraiulum sibi
chou coiumeutus est. lllc cxstat praefat. n. 8. Harsdorfferus esse duxit, cujus délie/ Math.
hoc, quia et retrocurrit, in ipso opère pag. 2. j P. 3. scct. 1. prop. 14. distichon cxstat:
Versuuui Palindroinorum, quos in uniuu fasci- j C?^r, Jîuii(î, fôclb, (9utb, L'ob,
coluiu collcctos, Ulinae aimo 1623. in 12nio unb dltub
cdidit Hcxameter ita habet : 9Kan ttiit, fu^t, fcblt, f»offt, nnb i»cr=
Dis, Vis, Lis, LaVs, fraVs, stlrps, frons,
Mars, régnât In orbe. 11. monosyllalm hâtant variationes
Ubi eadem opéra annus quo et composites est, 39916800. Tautuin île versibus. Quanquam
et verissimus erat, a Christo nato 1620mus, auteui et Anagrauiniata hue pertinent, quae
exprimitur. Ca.jus cuni nionosyllabae siut 8. nihil sunt aliud, quain variationes utiles litera-
40320 variatioues neeesse est uasci. At Disti- rum datae orationis; noluinns tamen vulgi scri-
1 1 chou ad Salvatorein talc est: nia compilarc. Uuuui e literuria re vel dissensu 1 1
5»
36 II. DE ARTE COMB1NATORIA.
computuutium qiuicri dignum est : qaoties situs (Juin etiam rcfort nostris in versibus ipsis
literarum in alphabeto sit variabilis. Cl av. Cuin quibus (complexiones) et quali
Coui. in Sphaer. Joh. de Sacro Bosco cap. 1. sint ordine (variatio
pag. 36. 23. literarum linguae latinae ilicit va- situs) quae(jue locata
riationes esse 25852016738884976640000. Nainque eadeui coelum, mare, terras, flumina,
ciii nostra assentitur computatio. 24. literarutn Soient
Gennanicae linguae variationes Laurcmber- Signifîcaut : eadcni fnigus, arbusta, animantes :
giusassignavit620448397827051993. Ery- Si non onuiia sint, at niulto niaxima pitrs est
cius Puteanus dicto libelle, 62044801733- Consûnilis; vcruin ]x>situra discrepitant hîiec.
239439360000. At Henricus ab Etten: Sic ipsis in rébus itein jam materiai
620448593438860613360000 onmes juste Intervalla, viae, connexus, pondéra, plagac,
pauciores. Numerus verus, ut in tabula IV. ma- Concursus, motus, ordo, iwsiturd, figura
nifestnm, est hic: 6204484017332394393- Cum permutantur, inutari res quoque debent
60000. Oinnes in eo conveniunt, quod nu- Et Lactant. Divin. Inst. lib. 3. c. 19. pag. m.
meri initiales suit: 620448. Putcaneae coin- 163. Vario, inquit (Epicurus) ordine ac
putationis error non mentis sed calami vel ty- positione conveniunt atomi sicut litc-
porum esse videtur, nihil aliud enim, quam loco rae, quae cum sint paucae, varie ta
15 7 nui numerus 4. est omissus. (Aliud autem men collocatae innumerabilia verba
smit variationes, aliud numerus vocum ex datis couficiunt. Add. Pet. Gassend. Com. in
litcris componibilium. Quac enim vox 23. lite- lib. 10. Laërtii éd. Lugduni anno 1649. fol. 227.
raruiu cstî Imo quantacunque sit, inveniantur et Joh. Chrysost. Magnen. Democrit. re-
onnips complexiones 23. rerum, in singulas du- divivo Disp. 2. de Atomis c. 4. prop. 32.
cantur variationes snac juxta probl. 2. num. 59. p. 269. Denique ad hanc literarum transposi- 18
procluctuin erit numerus omnium vocum nullain tionem pcrtinet ludicruni illud docendi genus,
literam repotitam habentiuiu. At habentes re- cujus mcminit Hieronymus ad Paulinam,
pcrirc docebit problema 6.) POITO tantus hic tesscrdrain usu literas syllabasque puerulis im-
numerus est, ut, etsi totus globus terraqueus primens. Ici Harsdorfferus ita ordinal Dé
solidus circumquaque essct, et cuilibet spatiolo lie. Math. P. 2. sect. 13. prop. 3. sunt 6. cubi,
hoino iiLsisteret, et quotannis, imo singulis ho- quilibet cubus ses laterum est, eruntque inscri-
ris morfiTutur omnes surrogatis novis; sumnia benda 36. haec. iieinpe: I. a. e. i. 0. II. t).
omnium ab initio mundi ad fmein usque nuil- il. b. c. b. f. g. \). m. 1. 1 m. n. p. q. iv. r.
tinn ahfiitura sit: ut ait Harsdorff. d. 1. He- e. g. t. ». r. v. P. j. e. r. &. 6. vi. ff. ff. g.
16 giain Olynthium Graerum dmlum censuisse. His fd\ d\ J. Alphabetum autem lusus uiiius tcsse-
contemplationibus cuin imper ainicus quidam rae, syllabas duarum docebit: inde paulatûn
objiceret, ita sequi, ut liber esse possit in quo voces orientur.
onmia scripta scribendaquc inveniantur : Tum
ego : et fateor, iiiquam, sed legenti grandi om- PROBL. V.
nino fukro opus est, ac vereor ne orbein terra- DATO NUMERO RERUM VARIAT10-
rum opprimât. Pulpitum tamen commodius NEM SITUS MERE RELATI SEU
non invcneris cornibus animalis illius, quo
Muliamcd in coelum vectus arcana re VICINITATIS LNVENIRE.
rum exploravit, quorum magnitudinem et di- •Quaeratur Variatio situs absoluti, seu or- 1
stantiam Alcorani oracula dudum tradidcruut. «dinis, de numéro rerum unitate minori quam
1 7 Vocum omnium ex paucis literis orientium «est datus, juxta probl. 4. quod invenietur in
exemple ad declarandam originem rerum ex -Tab. IV. erit quacsitum. Ratio solutionis ma- 2
atomis usus est ex doctrina Dcmocriti ipso »nifesta est ex sehemata V. quo rationcm solu-
Aristot. 1. de Gen. et Corr. text. 5. et illu- ..11111 lis problematis praecedentis dabamus.* v.g.
strius lib. 1. Metaph. c. 4. ubi ait ex Deino- in variationibus vicinitatis, variationes hac:
crito; Atomos differre ayr\/iia.TL id est figura, Abcd. Bcda. Cdab. Dabc, habentur pro una,
uti literas A et N ; PMSI id est situ, uti literas velut in circulo scripta. Et ita similiter de caeteris,
N et Z. si eniin a latere aspicias altéra in al- omnes igiturillae24. variationes dividendae sunt
teram cotnmutabitur , T«4« id est ordine v. g. per numerum rciiim, qui hoc loco est 4. prodibit
Syllabae AN, et NA. Lucrct. quoque lib. 2. variatio ordinis de numéro rerum antccedcnti,
ita canit : uempc 6. Fingc tibi hypocanstum rotundum in 3
II. DE ARTE COMBINATOKIA. 37
omnes 4. plagas jannas habens, et in incdio «unitate miuoris; productum erit quaesifum,
positam mensam; (quo casu qais sit locus ho- >v. g. sint sex: a. b. c. c. d. e. suut simplices
noratissimus disputât Schwenter, et pro ja- »4. f 1. (duo illa c. habentur pro 1.) f. 5 °
nua orientem spectante decidit, e cujus regione 120. (120 autem sunt variatio numeri 5 ante-
collocaiulus sit honoratissimus hospes. Délie. cedentis datuui 6) f. 600. Ratio manifesta est, 2
Math. sect. VII. prop. 28.) atquc ita hospi- si quis intucatur schéma V. corruent enim om
tum situni variari cogita prioritatis posteriorita- nes variationes quibus data res pro se ipsa po-
4 tisque consideratione remota. Hic obiter aliquid nitur. Usum nuac monstrabimus. Esto propo- 3
de circulo in demonstrationc perfecta dicemus. situai: dato textu omnes melodias possibiles
Ejus cnm omnes propositiones suit convertibi- iiivenire. Id Harsdorfférus quoquc Délie,
les, prodibunt syllogismi sex, circuli très. Ut Math, sect 4. prop. 7. tentavit. Sed ille in
csto demonstratio : I. O. rationale est docile. textu 5. syllabarum melodias possibiles non
O. Homo est rationalisé E. O. homo est doci- nisi 120 esse putat, solas variationes ordinis
lis. II. O. homo est docilis. O. rationale est intuitus. At nobis necessarium videtur ctiam
homo. E. O. rationale est docile. 2. III. O. homo complexiones adhibere, ut nunc apparebit. Sed 4
est rationalis. 0. docile est homo. E. O. docile altius ordiemur: Textus est vel simplex, vel
est rationale. IV. O. docile est rationale. compositus. Compositum voco in lincas, Mù'iui;
O. homo est docilis. E. O. homo est rationalis. îrilcn, distinctum. Et com]x>siti textus varia-
3. V. O. homo est docilis. O. rationale est tionem discemus mclodiis siinpliciuiu in se con
Homo. E. O. rationale est docile. VI. O. ra tinue ductis pcr probl. 3. Textus simplex vel
tionale est docile. O. homo est rationalis. excedit 6 syllabas, vel non excedit. Ea diffe-
E. O. homo est docilis. rentia propterea necessaria est, quia 6 sunt vo-
ces: Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La. (ut oinittatn
PROBL. VI. 7mam: Si, quam addidit Eryc. Puteanus in
DATO NUMERO RERUM VARIANDA- Musatliena). Si non excedit, aut sex syllaba
RUM, QUARUM ALIQUA VEL ALI- rum, aut minor est. Nos in excmplutn de Textu 5
QUAE REPETUNTUR VARIATIOINEM hexasyllabico ratioeinabiraur, poterit haram
reruin intelligens idem in quocunque prae-
ORDINIS INVENIRE. stare. Caeterum in oumibus plusquam hcxasyl-
1 .Nnmerentur res simplices et ex iisdem re- labicis necessc est vocum repetitionem esse.
-petitis semper una tantuin; Et ducantur in Porro in textu hexasyllabico capita variatio-
• variationein numeri numéro variatiomun dato uum sunt haec:
L ut, re, mi, fa, sol, la. Variatio ordinis est . . 720
II. ut, ut, re, mi fa sol. Variatio ordinis est
720-120. f. 600. Non solum autem ut, sed et quae-
libet 6. voeum potest repeti 2. mod. E. 6 ° 600. f.
3600. Et reliquarum 5 vociuu semper 5. mod. ïiliae
4. possunt poni post ut ut; nempe: re mi fa sol. re
mi fa la. re mi sol la. iv fa sol la. mi fa sol la. seu 5
res habent 5 con4nationes : 5 ° 3600. f. 18000
III. ut ut re re mi fa. 480 ° 15. f. 7200. n 6. f. . . . . 43200
IV. ut ut re re mi mi. 360 n 20. f. 7200
V. ut ut nt re mi fa. 360 ° 6. f. 2160 n 20. f. .... 43200
VI. ut ut ut re re ini. 360 ° 6. ° 5 ° 4. f. 43200
VII. ut ut ut re re re. 240 « 15. f. 3600
VIII. ut ut nt nt re mi. 360 ° 6. n 10. f. 21600
IX. ut ut ut ut re re. 240 ° 6. ° 5. f. 7200
Summa 187920
GQuid vero si septimaui vocern Puteani Si, si mare melodiarum, quarum pleraeque aliquo casu
pansas, si inaequalitatcm celeritatis iri notis, si utiles esse possintî Admonet nos vicinitas re-
alios characteres musicos adliilioamus compu- ruin posse cujuslibet gencris carmiiiuin ]iossil)i-
tationi : si ad textus plurium syllabarum quam 6. les species seu flcxus, et quasi melodias inve-
si ad composites progrediamur , quantum crit niri, quae nescio an cuiquaiu hactcnus vel ten-
38 II. DE ARTE COMBINATORIA.
tare in mcntem venerit. Age in hexamètre co- hostc, Cacsar Barouius coufudit) ad Cou
8 uemur. Cutn hexamètre sex siiit pcdcs, in cae- stuiiti IHIIII Magnum 26. versibus hcroicis
tcris quidem dactylus spondaeusque prouiiscue coustans, quorum ]>rimus est 25. literaruui, cae-
habitarc jwssuut, at penultimus non lûsi da teri continue uua litera crescunt, usque ad2f>tum
ctylo, ultiinus spondaeo aut trochaeo gaudet. qui liabct 50. ita ouuies organi Musici speciem
Quod igitur 4 priores attinet, erunt vel nieri cxprimimt. MemincreHieron. ad Paulinam,
dactyli, 1. vel nieri spondaei, 1. vel très dactyli Firmicus in myth. Rab. Maurus, Beda do
unus spondacus, vel contra: 2. vel 2. dactyli re metriea. Edidit Velscrus ex Bibliothccu
2. spondaei, 1. et ubique variatio situs 12. 2 f sua Augustae cum figuris An. 1591. Addc du
1. f. 3 « 12. f. 36. f 1 f 1. f. 38. In siii- eo Eric. Pute a nu m in Thauui. Pietatis lit.
gulis autem lus generil)us ultiinus versus vel N. qui ait hoc carminé revocari ab exilio me-
spondaeus vel trocliaeus est 2 n 38. f. 76. Tôt ruisse; Gerh. Joli. Vossium syutag. de Poët.
sunt gênera hexarnetri si tantum metniui spe- Latiuis v. Uptatianus, item de Historicis Grac-
9 ctes. Ut taccam varietates quae ex vocibus ve- cis, I. Cas p. Ha rt lu mu Commentariolo du
niunt, v.g. quod vel ex monosyllabis vel dissy- Latina Lui«rua, et Aug. Buchnerum Notis iu
labis etc. vel liis inter se mixtis constat; quod Hymnum Venantii Fortunati, (qui vulgo
vox modo cuiu jKxle finitur, modo facit caesu- Lactantio ascribitur) de Resurrect. ad v. 29.
ram conique varii generis; quod crebrae inter- pag. 27. Qui observât Hexamètres tistulis, ver-
lOcedunt elisiones aut aliquac aut nullae. C'aete- sum pcr médium ductum: Augusto victore,
rum et multitudinc literarum hexametri diffe- etc. regulae organi, jambos anacrconticos dimc-
runt, quatu in rem exstat caruien Publilii tros onmes 18. literarum, epitoniis resjwndcre.
PorpliyriiOptatiani (queui imilecum Por- Versus ijwos quia ubiquo obvii non suut ex-
phyrio Graeco, philosopho, Quistianoruiu pressimus.
25 Os i diviso Metiri Limite Clio
26 UnaLege Sui UnaManatia Fonte
27 Aonio Versus Heroi Jure Manente
28 Ausuro Douct Mctri Felicia Texta
29 AugeriLongo Patieus Exordia Fine
30 Exiguo Cursu Panro Crescentia Motu
31 Ultima Postremo Doncc Vestigia Toto
32 AscensusJugi Cumulato Limite Clndat
33 Uiio Bis Spatio Versus Elementa Prions
34 Dinumeraus Cogens Ae<|uali Lege Retenta
35 Pan-aNiuiisLongisEt Visu Dissona Multum
36 Tempore Sub Parili Metri ll:itionil)us bdein
37 Dimidiuui Numéro MusisTamen Aequiparanteiu
38 Haec Erit In Varios S})ecies Ajitissinui Cautus
39 Perque Modos Gradibus Surget Fecunda SonorÎ!»
40 Aère Cavo Et Tercti Calaniis Crescentibus Aurta
11 Quis Beue Su])]X)sitis Quadratis Ordine Plectris
42 Artificis Manus Innumeros Clauditqiie A|irritc]iUT
43 Spiramenta Probans Placitis Bene Consona Rythmis
44 Sub Quihus Unda Latens ProïK-rantibus Licita Ventis
45 Quas Vicibus Crehris Juvenum Labor Haud Sibi Discor»
46 Hinc Atquc llinc Animacque Agifciut Augetque Relurtans
47 Compositum AdNumcros l^opriumque AdCannina l'raestat
48 QuodqueQueat Minimum AdmotiiinlutremefactaFrequcntci'
49 Plectra Adaperta SiHjui Aut Plaritos Benc Claudere Cantus
50 Jamque Métro Et Rytlimis Praostringere Qiiictjuid Ubique Est
Ex quibus multa circa scripturain Veicruni ob- litera esse débet. Sed de hoc Optatiano vel
sen'ari jK)ssunt imprimis Di]ihthonguni AE clua- propterea fusius dixinins, ut infra diceuda prac-
bus literis expriini solitam; qui tainen uios non occuiarcmus; ubi versus Protêt» ab eo roin[»o-
est cur rationem vincat, luiius euim soni una sitos allegabimus.
II. DE ARTE COMBINATOKIA. 38
25 Post martios laboros,
26 Et Cacsarum parantes PROBL. VII.
27 Virtutibus, JKT orboin DATO CAPITE VARIATION ES REPERIRE.
28 Tôt laureas virentes,
29 Et Principis trophaea; Hoc in complexionibus solvimus supra. Oc situs variationibus 1
30 Felicibns triumphis nnnc: Sunt autem divers! casus. Caput euim variationis hujus aut
31 Exsultat omnis aetas, constat una re, aut pluribus: si una, ea vel monadica est, vel dan-
32 Urbesque flore grato, tur intcr res (variandas) alia aut aliae ipsi homogeneae. Sin plu
33 Et froiulibus dccoris ribus constat, tuiu vel iutra caput dantur inviceni homogeneae vel
34 Totis virent plateis. non, item extrinsecae quaedam intrinsccis homogeneae sunt vel
35 IIuic ordo veste clara non. .Primum igitur capite variationis fixo manente unmerentur 2
36 Li purpnris hononiin »res extrinsecae; et quaeratur variatio earutn inter se (et si sint
37 Fausto precantur or?, • discontiguae sou caput inter eas ponatar) praeciso capite, per
38 Fenintqne doua laoti. »prob. 4. productum vocetur A. Si caput multiplicabile non est,
39 Jain Koma culmen orbis »sen neqnc pluribus rébus constat, et una ejus res non habet ho-
4 0 Dat mimera et coronas •mogeneam, productum À erit quaesituin. Sin caput est 3
4 1 AUTO ferens coruscas •mnltiplicabile, et constat 1. re liabcnte homogeneam, productum
42 Victorias triumphis, »A multiplicetnr numéro homogenearum aeque in illo capite poiù-
4 3 Votaque jam theatris -bilium, et factus erit quaesitum. Si vero caput constat plu- 4
44 Redduntur et Choreis. •ribus rébus quaeratur variatio earum inter se, (etsi sint discon-
45 Me sors iniqua laetis •tiguae seu res extrinsecae interponantur) per probl. 4. ea duca-
46 Soleninibus remotum • un- in productum A, quodque ita producitur diccmus B. Jam si
47 Vix hacc sonare sivit • re,s capitis nullam habet homogeneam extra caput, productum
48 Tôt vota fronte Phoebi •Bcritquaesitum. Si res capitis liabet homogeneam tantum
49 Vt'rsnque comta sola, «extra caput, non vero intra, productum B. multiplicetur numéro
50 Augusta rite seclis. »rerum homogenearnm, et si saepius sunt homogeueac, iactus ex
"numéro homogenearum priorum multiplicetur numéro homoge-
•nearum posteriorum continue, et factus erit •componti per probl. 10. productum erit
G »quaesihim. Sin res capitis liabet homogeneam »quaesitum.«
• intra caput et extra, nurnerciitur primo res
«hoinogeneae intrinsecae et extrinsecae siinul, PROBL. IX.
»et siipponantur pro numéro complicando ; CAP1TA VARIATIONES COMMUNES
• deindc res datae homogeneae tnntuin intra ca- HABENT1A REPERIRE.
»put supponantur pro cxponcnte. Dato igitur
•numéro et exponente, quaeratur complexio |ier -Si plura capita in variatione ordinis in ean- 0
•probl. 1. et si saepius contingat homogeneitas, »dem locum incidunt vel ex toto vel ex parte,
•ducantur complexiones iii se invicem continue. •non liabcnt variationes communes. 2. Si ea-
• Complexio vel factus ex complcxionibus duca- >dem res monadica in plura capita iucidit, ea
»tur in productum B. l;.t factus erit quaesi* -non habent variationes communes. Caetera
7 .. i mu." Hoc problema casuum nniltittido ojx:- • onmia habent vaiiationes communes.
rosissimum efficit, ejusque nobis solutio inulto
et labore et tempore constitit. Sed aliter se- PROBL. X.
quentia problemata ex artis principiis nemo sol- CAPITA VARIATIONUM UTILIUM
vet. In illis igitur osas hujus apparebit. AU11 INUTILIUM REPERIRE.
PROBL. VIII. Capita in universum reperirc expe- 10
dituin est. Nain quaelibet res per se, aut in
VARIATIONES ALTERI DATO CA- quocunque loco per se, aut cum quacunque alia
P1TI COMMUNES REPERIHE. aliisve, quocunque item loco cum alia aliisve,
brevitcr omnis complexio aut variatio proposita
8 «Utrumqne capnt ponatur in eandemvariatio- minor et earnndem rerum, seu qnae tota in al
.11. ni quasi csset unum caput compositum (etsi téra continetur, e.st caput. Metliodus autcm in
-interdum res capitis compositi sint disconti- disponeiuiis capitibus utilis, ut a minoribus ad
• guae) et indagentur variatioues unius capitis majora progrediamur, quando v. g. propositum
40 II. DE ARTE COMBINATORIA.
nobis est omnes variationcs oculariter propo- rum vel déçus patitur omnes variationes possi-
ncrc, quod Drexelius looo citato Puteanus biles, utiles esse. Cujns spécimen in argu-
et Klcppisius et Reinerus citaudis factita- mcnto minus fortassc fructuoso, in cxeuiplum
1 1 runt Caeteruni ut Capita utilia vel inuti- tamen maxime illustri daturi suinus. Diximus 1 5
lia reperiantur, adhibenda disciplina est ad supra Proteos versus esse pure protcos, id
quaiu res variaiidae, aut totum ex iis composi- est in quibus plcraeque variationes possibiles
ium portinet. Regulae ejus inutilia quidem eli- utiles sunt, ii nimirum qui toti pro|>emoduin
dent, utilia vero relinquent. Ibi vidcndum quae monosyllabis constant; vel mixtos, in quibus
cum quibus et quo loco conjungi non possiut, plurimae iucidunt inutiles, quales sunt qui po-
item quae simplicitcr quo loco poiii non possint lysyllaba, eaque brevia coutinet In hoc génère 1 6
v. g. primo, tertio, etc. Iinprimis autrm priino inter veteres, qui milii notus sit tentavit taie
et ultimo. Deinde videndum quae res potissi- quiddam idem ille de quo probl. 6. Publilius
iiniiii causa sit anomaliae (T. g. in versibus hex- Porphyrius Optatianus. Et Erycius
ametris protêts syllabae brèves). Ea ducenda Puteanus Thaumat. Piet lit N. pag. 92. ex
est IHT omnes cacteras, omnia item loca, si aliis ejus de Constantino versibus hos refert:
quando autem de pluribus idem judieium est, Qucm divus genuit Coustantius Induperator
satis crit iu uno tentasse. Aurea Romanis propagans secula nato.
Ex illis j)rimus est Torpalius, vocibus continue
PROBL. XI. syllaba erescentibus constant alter est Proteus
VARIATIONES INUTILES REPERIRE. sexiformis, si ita loqui fas est.
Aurea Romanis propagans secula nato
12 >Duae sunt viae (1.) per probl. 12. hoc Aurea propagans Romanis secula nato
«nu H In: inventa sumina variationum utilium et Secula Romanis propagans aurea nato
-imitilium per probl. 4. subtrahatur sutnma Secula propagans Romanis aurea nato
••iitiliiiiu per probl. 12. viam secundum; Resi- Propagans Romanis aurea secula nato
• duum crit quaesitum (2.) absolute hoc modo: Romanis propagans aurea secula nato.
-Inveniantur capita variationum inutiliiim per Venini plures habet primus ille Virgilianus: 17
«probl. 10. quaerantur singulorum capituin va- Tityre tu patulae recubans sub tegmine fagi
• riationes per probl. 7. si qna capita coimnu- quem usus propemodum in jocuni vertit. Ejus
»nes habeut variationes per probl. 9. numcrus variationes sunt hae: pro tu sub 2. pro patu
•earuin inveniatur per probl. 8. et in uno so- lae reçu bans 2. etTityrejam initio, utnunc;
• lum capitum variationes communes habcntiuni jam tegmine initio: jam Tityre tegmine,
«relinquatur, de caeterorum variationibus sub- fine; jam tegmine Tityre, fine. 4. ° 2 °
-trahatur; aut si hune laboran subtrahendi 2. f. 16. Veruni in Porphyrianaeis non singuli
•subterfugere velis, initio statim capita quam Protei, sed omnes, neque unus versus, sed car-
• maxime composita pone, conf. probl. 8. Ag- men totum talibus ]>lenum adniirandum est.
•gregatum omnium variationum de omnibus Ejnsmodi versus com]X)situro danda opéra, ut
«complexionibns, subtractis subtraliendis, erit voces consonis aut incipiant, aut fimant Alter
»quaesitum.« qui et nomen Protei indidit, est Jul. Caes.
Scaliger, vir si ingcnii ferocia absit, plane 18
PROBL. XII. incomparibilis, Poët. lib. 2. c. 30. pag. 185.
VARIATIONES UTILES REPERIRE. is hune composuit, formarum, ut i|)se dicit, iu-
numcrabilium, ut nos 64 :
13 Solutio est ut in proxime antécédent!, si haec Perfide sperasti divos te fallere Proteu.
saltem mutes, in via 1. loco problem. 12. pone Plures non esse facile inveniet, qui vestigia hu-
11. etc. et subtrahatur surama inutilium per jus nostrae computationis leget. Pro Perfide
probl. 1 1 . viam seeundam. In via 2. invenian- fallere 2. n pro Proteus divos 2. a 2.
tur capita variationum utilium; caetera ut in f. 4. Sperasti divos te, habet variation»!,
probl. proxinio. 6. ° 4. f. 24. Divos perfide Te spera
sti, habet var. 2. Divos Te sperasti per
UsusProblem. 7. 8. 9. 10. 11. 12. fide, habet, 6. f 2 f 2 f. 10 ° 4. f. 40. f
14 Si cui liaec problemata aut obvia aut inutilia 24. f. 64. observaviinus ex Virgilio, aequc,
videntur, cum ad praxin superiorum descende imo plus variabilem, Aen. lib. 1. v. 282.
nt alind dicct. Rarissime enim vel natura re- Queis (pro: His) ego ncc metas rerum née
II. DE ARTE COMBINATORIA. 41
t. >ii i| » nu pono. Nain perfide una vox est; Bauhnsiani Puteanuiu autorein pracdicavit his
19quciscgoiii duas diseerpi potest. Veuio a<l in- verbis: quoniam vero vêtus erat opinio
geniosum illumBcrnhardi Bauhusii Jesuitae a Ptolemaeo usque propagata, stellas om
Lovanicnsis, qui inter Epigrammata ejus exstat; nes esse 1022. Erycius Puteanus pietatis
utque superior, v. probl. 4. de Christo, ita hic et iugenii sui inonuinentum postcris
de Maria est: rcliquit, illo artificiosissimo carminé,
Tôt tibi sunt dotes virgo, quot sidéra coelo. Tôt tibi, etc. qui tameii non autor sed com-
Dignuin hune peculiari opéra, esse duxit vir do- meutator, conuuendatorque est. Deuique simi- 22
rtissiuius Erycius Puteanus libelle, qucin lem prorsus vcrsum inOvidio, levissima mu-
Thaumata Pictatis inscripsit, edito Aiitver- i: u ii me observavimus hune, Metam. XII. fab. 7.
]>iae anno 1617. forma 4 ta. ejusquc variatio- v. 594:
nes utiles omnes euuinerat a pag. 3. usque ad Det mihi se, faxo triplici quid cuspidc
50. inclusive, quas autor, ctsi longius porri- possiiu
gantur, intra cajicellos nuineri 1022. continuit, Sentiat etc. Is talis fiet:
tiuu quod totidem vulgo stellas nuuierant Astro- Det ni i ii i se faxo trina quid cuspide possim.
nonii, i])sius autem institntum est ostenderc do N.-nii etiam ultima in mihi et faxo anccps est 23
tes non esse pauciores quatn stellae sont; tum Exstat in eodem génère Georg. Kleppisii
quod nituia propeinodum cura onuies illos evi- nostratis Poëtae laureati versus hic:
tavit, qui dicere videntur, tôt sidéra coelo, quot Daiit tria jaiu Dresdae, ceu sol dat, lumina
Mariac dotes esse, nain Mariae dotes esse luccm.
inulto plures. Eas igitur variationes si assum- cn.jus variationes pcriiliari libro enumeravit
sisset, (v. g. Quot tibi sunt dotes virgo, tôt si 1 6 1 7 : occasionem dedere très soles qui anno
déra coelo) totidem, neinpe 1022. alios versus 1617. in coelo fulsere, quo tempore Dre-sdac
ponendo tôt pro quot, et contra, emersuros convenerant très soles terrestres ex Aiutriaca
fuisse uianifestum est. Hoc vcro etiam in prae- donio: Matthias Imperator, Ferdiuandus
fatione Puteanus annotât pag. 12. interduiu Rex Bohcmiae, et Maximilianus Archidux,
non sidéra tantum, sed et dotes coelo adhaerere, supremus ordiuis Téutonici Magister. Libellum
ut ooelestes esse intellipanui.s, v. g. illis dcdicatum titulo Protei poëtici eodein anno
Tôt tibi sunt coelo dotes, quot sidéra virgo. edidit, quem variationum numéros signât. Oin- 24
Praeterea ad vaiïationeni multmn facit, quod nino vero plures sunt variationes quam 1617.
ultiniac in Virgo, et Tibi ambigui quasi cen- quod ipse tacite confitetur autor dum in fine
sus et coi"ripi et produci patiuntur, quod arti- inter errata ita se praemunit: fieri j)otuisse, ut
ficium quoque infra in Daumiano illo singu- in (auta inultitudinealiquembisjx)suerit,supplen-
20 lari observabimus. Mcnùnit porro Thauinatuin dis igitur lacunis novos aliquot ponit quos certus
suornin et Protei Bauhnsiani aliquoties Putea sit nondum habuis.se. Nos nt aliquain praxin
nus in apparatus epistolarum cent. I. cp. 49. proximornm problematum exhibeamiis, varia
et 57. ad (fisbertum Bauhusiuni Ber- tiones omnes utiles computabinius. Id sic fict,
nardi Patrem; add. et ep. 51. 52. 53. 56. si inveniemus omnes inutiles. Capita variatio
ibid. Editionem autem harum epistolarum ha- nuni expressimus notis quantitatis, sic tamen
beo in 12. Amstelodami aiiuo 1647. nain in ut pro | il M vil ii H transpositis imum assumseri-
editione rpistolannn in 4to quia jani anno mus, v. g. . — . — . u ^ . etiam eonti-
21 1612. prodiit, frustra quaeres. Caeteruni Joli. net lioe : — . . — . o u etc. Punctis de-
Bapt. Ricciol. Almag. nov. P. 1. lil>. 6. c. 6. signamus et includimtis uuam voceni.
sehol. 1. f. 413. peccato ^u'^uoi'txû) Versus
Suitima Omnium variationum utilium et imitilimn 30288025
Catalogus Variationum inutilium.
.v.g. tria dant jam Dresdae ceii sol dat lumina lucem. 40320
2, • o O • Dresdae tria dant jam ecu sol etc. 10080
3. , . dant jam tria. 14400
4. • u O • Dresdae dant jam tria. 28800
5. '•ou . Dresdae lucem tria. 1440
6. . dant jam ceu sol tria. 2880
7. « . —. r-, . Dresdae luccm ccn sol tria. 28800
42 IL DE ARTE C0MB1NAT0RIA.
8. -< m< .m.**.* .*■> -oo- Dresdae dant jam ceu sol tria. 7200
9. — M.t-i —i . —< . -h . -i .-h , u u . Dresdae lucem dant jam ceu sol tria 7200
10. in fine u y . v.g. tria. 40320
26 Sumnia Variationura ob vooein Tria inutilium, quae exacte
constituit dimidiuiu sumniac Yariationuin
possibilium. 181440
11. ab initio: ** . -h y q . dant liunina. 18000
12. *-".-* — .— y 0 . dant Dresdae lumina. 9600
13. f< . — . — . — u jj . dant jain ceu lumina. 4320
14. -> . -> . — . — . -1 . — - -^ . dant jam ceu sol dat lumina. 240
Ij. — .-h — .— -" . ~> -w ^ . dant Dresdae lucem lumina. 2100
111.—(. — .— .— — . — ^ u . dant jam ceu lucem lumina. 57CO
17. —.— . — .— . — . — —.— , ■ . dant ceu jain sol dat lucem lumina. 0
15. ph ,_<.-<. —i -. . -< •—i . «—i u y . dant ceu jam Dresdae lucem lumina 1200
19, ,_,,_,,_,_._.—i -(.-i ,-..,* ^ u . liant ceu jam sol dat lucem
Dresdae lumina 0
20. fine - U y ■ e. lui 11620
27 Suinma Variationuin ob solam vocum lumina inutilium 52900
21. ubicunque: -1 u y • o 0. lumina tria. 40320
22. o o• lumina Dresdae tria, 1444Ô
23. '•o lumina ceu jam tria. 4800
24. o o• ^ y . lumina ceu jam sol dat tria, 1440
25. u o- •OU' lumina Dresdae lucem tria, 480
26. u u■ lumina ceu jam Dresdae tria. 4800
27 ._,.— .-< m ,« «.y „. lumina ceu jam Dresdae lucem tria. 4080
28 . -h . _i . -- . -h . —i rt.u u . lumina ceu jam dat sol lucem tria. 532
o
29 . — .-<.-H.-H.-t i-i u u. lumina ceu jam dat sol lucem
Dresdae tria. 2978
28 Sumnia Variationum inut. ob complicationem Lumina et Tria,
illo praeposito. 59870
30. —i
u o ^"* • u 0 . dant tria jam lumina. 2400
31, -H
a u ^H , •h.i-< 0 u . dant tria jam Dresdae lumina. 3840
32. 1-1
a o •■* . o o ceu sol. 1440
?>:<,. FH
u o ~l . y —. <l;uit tria j a m ceu sol lucem lu min; 5760
■a. PH
u u ^. — . -< o q . dant tria jam ceu sol lucem
Dresdae lumina 9360
Sumnia Variationum inut. ob complic. Tria et Lumina illo praeposito 22800
59870
52900
181440
Sumnia summarum Var. inut. 317010
subtrahatur de sumnia universali 362880
Rcmanet :
29 Summautilium variationum versus Klcppisii admissis spondaicis. 45870
Spondaicos reliquimus ne laborem computandi augeremus, quot tamen inter omnes
variationes utiles et inutiles existant spondaici, sic invenio.
si in fine ponitur *+ . -h f-i . v. g. dant lucem 100800
_ *« . _■ M . y. g. Dresdae lucem 1 0080
-■ . ** . -i . v. g. dant ceu sol 43200
Sumnia omnium spondaicorum util, et inut. 154080
II. DE ARTE COMBIXATOHIA. 43
SOExstat praeterea versus uobilissiiui herois Ca- gno, quem mcrito plus quam Protea diras,
i ni j a Goldstein: neque eniin in idoni tantuin, scd ivlia ]>luriina
Ars non est taies beue structos scribere carniinis gênera couvertitur. Verba rniiu harc:
versus, O aime (se. Deus) mactus Petrus (SJKHI-
in artc sibi neganda artificiosus, qui 1644. va- sus) sit lucro duplo: varie transposita dant
riationes continere dieitur. Aemulationo homin, Alcaicos 8. Plialeucios 8. Sapphicos 14. Arclû-
Klcppisii inprimis, prodiit Heur. Keinie- locliios 42. in quibus omnibus iutercedit clisio.
rus Liïneburgensis, Scholae |>atriac ad D. Jo At vero sine elisioue facit )>entauietros 32. lain-
li a uni s Collega Proteo instructus tali : bicos senarios tantum 20. Scazontcs tantuin
Da pic Chrlste VrbI bona paX slt teMpore 22. Scazontcs et lambos simul 44. (et ita lam-
iiostro. Ixw omnes 64. Scazontra onincs 66.) si sylla-
qui idem annum 1619. quo onuics ejus variû- bam addas fit Hcxameter, v. g.
t ic mis iino libelle in 12. Hamburgi cdito, iii- Fac dnplo Petnis lucro sit inactus, o aime!
3 1 clusi prodienuit, continet. Laboriosissimus quo- variabilis wrsibus 480. Caetenim artificii ma- 33
quc Da ii mi 11 s, vir in oiniû génère poeinatuiu gna pars iu eo consistit, quod pluriniae syl-
cxcrcitatus, née hoc quidein intentatmn voluit a labac, ut prima iu duplo, Petrus, lucro, sunt
se relinqui. Nihil de ejus copia dirain qua idem ancipites. Elisio autcm efficit ut cadem verba,
terinillies aliter carminé dixit (hic enitn non diversa gênera canninis syllabis se excedentia,
alia vcrba, sed eonindem verboruin alius ordo officiant. Alium jam ante anno 1655. dede-
esse débet) quod in liac sententia: fiât justitia rat, sed variationum partion-m , nempc Alcai-
aut perçât mu in lus. Vertumno poëtico Cy- i-iiin hune:
gneae aiuio 1646. 8. cdito praestitit Hoc sal- Faustum aima s]y>nsis da Trias o tomm!
tem adverto, quod et autori aiiDotatuin, in mil- convcrtibilem in Phaleucios 4. Sapphicos 5.
lenario 1. nuni. 219. et 220. versus Proteos Pentamètres 8. Arclùlochios 8. lanibicos sena
rsse. Hi sunt igitur : rios 14. .Scazontes 16.
v. 219. Aut absint vis, fraus, ac jus ades, Sed jam tcmpus n p mm spumantia solvere 3 1
aut cadat aether. colla.
v. 220. Vis, fraus, lis absint, aequum gérât, Si quis tamen prolixitatem nostrain damnât, is
aut ruât orbis. vcreor. ne cum ad ])nixin ventum crit, idem
32 Nacti vero nupcr sunuis, ipso communicante, versa fortuna de brcvitate couqueratur.
alium ejus versuin invento sanc publice Irgi di-
APPENDIX,
CONTINENS COROLLARIA DISPUTATIONIS ARITHMETICAE ')•
I. LOGICA. 1. Duae sunt propositioncs pri- inerito jn-acticac XO.T t4°Xnv dicuntur. 4. Me-
mae, un:i. priucipium omnium theorcmatum seu thodus ctsi in omni disciplina omnis adhiheri
propositionum necessarium : Quod est (taie) ici jwtest; ut vel vestigia inquisitionis nostrae, vel
est, seu non est (taie) vcl contra; altéra om producentis naturae in tradendo sequamur; ta
nium obstTvationum seu propositionum contin- men in practicis fit ut coïncidât et na-
gentium: Aliquid existit. 2. Dantur demon- naturac et cognitionis ordo, quia in iis
strationes jierfectac in omnibus discipb'nis. ipsa rei natura a cogitationc et proHu-
3. Si disciplinas in se spectrmus, omnes sunt ctione nostra oritur. Nam finis et nos
theoreticae; si usum, omnes practicae. Eae ta
men, ex quibus osus magis immédiate nuit, ') Cf. quae supra nolavimus p. 11.
G»
44 II. DE ARTE COMBINATORIA.
movet atl inalia producenda, et ducit ad co- moduin et fcrruni ipsuin. 3. Viiu Magnetis ab
gnoscenda; quod in iis quac cognoscere tan- Àdamante sisti tictuin est.
tuni, non etiam efticere possumus sccus est. IV. PRACT1CA: 1. Justitia (particularis)
Praeterea etsi onuiis methodus licita est, 11011 est virtus servans ini'diocritateui circa aQectus
tanicn omnis expedit. 5. Syllogismus non est hoininis erga hoinineni, juvandi et uocendi, seu
finis Logicae, sed contemplatio shnplex; propo- fevorem et odiuin régula mediocritatis est: li-
sitio vero est inodiiun ad hauc, syllogismu.s ad cere eo usquc alteriini (nie) juvare, quo usque
propositionem. (alteri) tertio non nocutur. Hoc observare ne-
cesse est, ut tucamur Aristotclem contra ca-
U. METAPHYSICA. 1. Infinitum aliud villuin Grotii, qui de J. B. et P. Prolegom.
alio majus est. Cardan. Aritlimet. Pract. ** 4. fac. a. ita dicit: »Non rectc autem uui-
c. 66. ii. 165. et 260. Dissoitire dicitur Se- • versaliter positum hoc fundainciituni (quod
thus Wardus in Aritlunetica iufinitoruin. » virtus posita sit in mediocritato) velex justitia
2. Deus est substantia, Crcatura accidens. • apparet, cui oppositiini nimium et ])aruni cuin
3. Neccsse est dari disciplinait! de creatura in »in affectibus et sequentibus cas actionibus in-
génère, scd ça fere hodie in Mctaphysica com- • venire non posset (Aristoteles), in rébus
prehenditur. 4. Vix est probabilo tcrniinum «ipsis circa quius justitia vorsjitur utrumquc
causae uuivocuin conceptuni dicerc, ad cfficien- • quaesivit, quod ipsuin primuin est desilire do
tem, inatcrialem, fonnalein, fùialem. Nain vox •gonore in gémis alterum quod in aliis inerito
iiilInMis itidein quid nui vox est! »cul[>at.« Vult ncmpc Grotius incongrue iii
III. PHYSICA. 1. Quuni observandum sit speciebus divisionis alicujus aliquain intei^seri,
alia uiundi corpora moveri circa propriuiu quae ex alio prorsiis divideJidi fnndainento de-
axein, idem de terra absurdum non est qtiem- rivetur; (quod vocat minus Philosophiez, f.ifTU-
adnioduin noc contrariuni. 2. Quuni rorporuin palvetv flç a^vXo yèvoç) et certe aliud pror-
sumina differcntia sit dcnsuin et raruin, inani- sus est mediocritas affectuum; aliud, rcruin.
festuin est quatuor primas qualitates, ita illu- Virtutes quoque non rorum setl aniinorum lia-
strari posse: Huinidum est rarum, Siecuni est bitus sunt. Quare ostendiinus justitiam et
dcnsuin, Calidum est rarefactivuni, Siccum con- ipsam in affectuum moderatioue esse posi-
densativuni. Omnc autem raruin facile alicnis tam. 2. Non inepte dicit Trasymachus
terininis continetur, difficulter suis; densuni con apud Platoneiu de Rcpubl. lib. 1. fol. 379.
tra: Et omne rareiaciens copiam facit in raro Justum esse potcntiori utile. Nam Deus pro
liomogencis ad se invicein properandi, et hete- prie et simpliciter est caeteris potentior, (hoino
rogeneis se separandi; quibus in denso via in- enini homine absolute potentior non est, quum
terclusa est. Unde definitionum Aristotelicarum liri-i possit, ut quantuuicunquc robustus ab in-
ratio reddihir. Neque ignis, qui rarus esse vi- flrmo occidatur). Caeterum Dei utilitas non in
detur, i|iiiuii tanien siccus esse debeat, obstat. lucro, sed honore cousistit. Igitur Gloriaiu Dci
Nain respondeo: Aliud diccndum de igné i>er inensuram omnis juris esse manifestuin est Et
se, alind de igné alii corpori inhaerente, nam qui Theologos moralistas et casuum conscieutiae
ejus naturam sequitur. Ita patct, flaiiiinain, scriptorcs consulet, vidcbit eo plerumque discur
quac nihil aliud est quani aër ignitus, fluidam sus suos in hac fundare. Constitnto igitur cer-
esse debere, quaeniadinodum et aër ipse: contra to principio, doctrina de justo scicntificc con-
ignem in ferro ignito consistentem, qucniad- scribi poterit. Quod Imctenus iactuiii non est.
III.
CONFESSIO NATURAE CONTRA ATHEISTAS.
1668.
(Spi/.elii Kpi.slola ad Anl. Ueiseriiui de eradicaudo alheismo. Aug. Vindcl. 1669. — L«lbn. Opii. ed.Uu-
n- il--. Tom. I. p. 5.)
JACOBUM THOMASIUM.
1669.
(Maril Ni/.oli! de veris princlpiis et vera ralione philnsophandi ronlra Pseudophilosophos I.ibri IV, in-
s.ii|iu IIIUHliïssiinu Baruni a Boineborg ab edilore G. G. !.. !.. Francof. 1670. 4. — i, ri lui. Opp. éd. lin-
lens Tom. IV. P. 1. p. 7 — 19.)
I. Tuum illud liistoriae ])hilosoj)hicac yc\jfia. profitctur) qui statuunt fonuas e<luri, non e potentia
ilii-i non (intr.si . quain oiiuiihus sulivani moverit, materiae passiva, sed c potentia efficicntis activa.
apparet ciiiin, quantum inter uudas noiiiinuiu re- Quare consequeus est, ut Deum potins sua jxj-
ccnsioues et profuuclas illas de seutciitianun conne- teiitia activa, quain ex nihili jx>tentia olijecti\-a,
xionilms rationes intersit. Kt certe quotquot rerum et quasi passiva, erratums producere vredant.. Doits
intelligentes de specimine tuo loqui audio (sels me igitur, ex eoiiiin sententia, res ex se ))rodncet, et
njhil auribus dare) ii unanhuiter assenierant, a ne- ideo ]>riina rcrum materia, quodannnodo reruin
mine uno intcgnun historiae philosophicuc corpus materia erit: setl de eo tu rectius arbitralxiris.
potins exspcctari posse. Plerique alii antiquitatis III. De Cartesio et Claubcrgio ])rorsus te-
inagis quain artis poriti, vitas potins quain sentcn- cuin sentio, discipuluui Magistro cluriorcm esse,
tias nobis dederunt. Tu non Pliilosophoruin, sed lllud tmneiï nirsus dicere ausim, niillum fere Car-
irfiilosophiae historiam dabis. Narrant in Anglia tcsianis inveutis addidissc. G?rte Claubergius,
sub praelo esse José phi Glanvilli Historiain llaeus, Spinoza, Clerselier, Heerbord,
cresccJitium indo ab Aristotele scientiaruin. Sed Tobias Andreae, Henricus Kegius, nihil
illum arbitrer ferc inatheiuaticcs, et inechanices, et aliud, quaui Ducis sui para])lirastas cgcruni. Car-
physices illius curiosioris tantum periodos srquntu- tesianos vero eoj tantum appelle, qui Cartesii
ruin, ita tibi, opiuor, praeripuit nibil. Utinam j>ri]ici]>ia sequuntiir, ex quo numéro magni illi viri
vero ad recentiorem liane aotatcm styluin flluinque Verulamius, Gasseudus, Hobbins, Di<;-
producas, et adinoneas inconsultaui juventutem bacus, Cornélius ab Hoglielande etc. prw-
nostrani, neque nibil novatoribus tribacnda esse: sus eximi debout, quos vulgus Cartesiaiiis confiin-
Bageniinus non solus est, cui censor dcbearc; dit, quuni tainen vol Cartesio aequalcs vel etiain
sunt Patricii, Telcsii, Cainpanellae, Bo- snpcriores aetate et ingciiio fucrint; me fateorniliil
dini, Nizolii, Fracastorii, Cardaui, Ga- minus quam Cartesianum esse. Keg^ilnm illaiu
lilei, Verulamii, Gassendi, Hobbii, Car- onuiibus istis pliilosophiac restauratoribus comniu-
tesii, Bassones, Digbaei, Sennerti, Sper- nem teneo, nihil explicandum in coqioribiis , nisi
lingii, Dcrodoues, Deusingii, et milita alia per magnitudinem, (iguram et motnin. In Carto-
noiuina, in quae philosophiae ])alliuin distraliitur. sio ejus methodi tantum propositum amo; nain
De his adinoncrc orbeni, tibi Indus, publico frn- quum in rein praesentem vcntum est, ab illa sevo-
ctus erit ritate prorsus remisit, et ad Hypothèses quasdain
II. Judicio tuo de Bagcinino quis non assen- mii-as ex abrupto delapsus est, qnorl n>etc etiain
tiatur? Nulla in hypothesihus ejus conrinnitas, deprehendit in eo Vossius in libro de Lure.
nulla rationum connexio, sententiac vero prorsus IV. Quarc dicere non vereor plura me probaro
monstrosae, certe nisi aliqua in physica sjicciali in libris Aristotclis, ctfpi (jn-H/tx ^ ctxjio-
observatio utilja liabct, rectius silcbit. Caeterum acrecuç, quam in meditationibus Cartesii; tan
mihi videntur scutcntiae illius de Dco, prima re- tum ahest, ut Cartesianus sim. Imo ausim addere
rum materia ]«rentcs esse Scaliger, Scnncr- totos illos octo libres, salva philosophia reformata
tus, et Sperlingius (nani et ejus discipuluin se ferri jwsse. Qua ratioiie illis ipso facto oecurretur.
IV. EPISTOLA AD THOMASIUM. 49
qnac tu Vir clarissime, de Aristotele irreconci- exi)licari non solum posse, sed et deborc, imo ex
liabili mine disputas. Qime Aristoteles «uni Aristotelicis ]>rinci])iis fhieni oa ij)sa quae a recen-
de materia, fonua, privatione, natura, loco, infi- tioribus tanta pom]>a jactantur. l'riorc via ]x>ssi-
nito, tempore, motu ratiocinatur, pleraque wrta. bilitas, postcriore nécessitas conoiliationis conficJtur,
et deiiionstrata suut, hoc «no fere demto, quae de quatnquam eo ij>so si jmssibihs conciliatioostenditiir,
impossibilitate vaeui, et motus in vacuo asserit confecta res est. Nain etsi utraquc explicatio et
Mihi enim iicque variunu ncque plénum necessa- scholasticorum et recentionim esset ]x>ssibilis, ex
rimn esse, utroque modo rerum natura cxplicari duabus tamen ]K>ssibilibus Hy|)otlicsibus semper
posse videtur. Pro vaciio pugnant Gilbert us, eligenda est clarior et intelligibilior, qualis haud
Gassendus, Gcrickins; pro pleno Cartesius, dubie est hyjwthesis recentiomni, qnae nnlla entm
Dighaeus, Thomas Anglus, Clerk in libre incor]x>ralia in mediis corjwribus sibi fingit, s<\!
de plenitudine mwuli. Pro possibilitatc utriusque ]>raeter magnitudinem, figuram et motum assumit
Thomas Hobbes, et Robertus Boyle: Kt nihil. Nam possibilitatem conciliationis non ]x>s-
fateor, difliculter quidem, possc tamen sine vaouo, sum melius ostendere, qnain si petam dari mihi
rerum rarefactiones explicari. Vidi impur Johan- aliquod ]>rincij)ium Aristotelis qnod non \vr
n i.s Baptistae Du Haincl, eruditi Galli, librum magnitudinem, figuram, et motum explicari ]x>ssit.
de consensn veteris et novae philosophiae, Parisiis VII. Materia prima est ijxsa massa, in qua ni-
non ita pridem editum, ubi celeberrimoruin aliquot liil aliud quam extensio et <xvTtnmia} scu ini]Xi-
veternm et rccentiovum hypothèses et cxponit ele- ni;trabilitas; exteasionem a spatio habet, quod
ganter, et saepe acute dijudicat. Is quoque de di- replet; natura ii^sa materiae in eo consistit, quwl
vortiis circa vacuum non i«uca nabot. De eaetero crassum quiddam est, et impenetrabile, et per con-
reliqua pleraque Aristotelis disputata in l.il>. sequens alio oecurrente (dum altcrum cedere dé
VIII. Physices, et tota Metaphysiea, Logiea, et bet) mobile. Haec jam massa continua mimdiim
Ethica neino fere sanus in dubium vocabit. For replens, dum omnes ejus ijartes quiescunt, materia
mant quoque substaiitialem, neinpe id quo substan- prima est, ex qua omnia ]x>r motum fiunt, et in
tia cor)x)ris unius a substantia alterius corporis dif- quem per qiiietem resolvuntur, est enim in ea in se
fert, quis non admittatî Materia prima nihil ve spet-tata nnlla diversitas, mera homogeneitas, nisi
nus. Hoc niiiiin in quacstionc est, an quae Ari por motum. Hinc jam omnes Scholasticorum nodi
stoteles de materia, forma, et mutatione abstra- solvuntur. Primiini de actn ejus cntitativo ante
cte disputavit, ea cxpliranda sint i>er magnitudi- omnom formam, quaerunt. Et respondendum est,
in-iii. flgurani et motum. Id Scholastici negant, esse eam ens ante omncm fonnam, quum habeat
Reformatores affirmant. Keformatorum sententia existentiam suam. Illud omne enim existit, quod
mihi non solum verior, sed et Aristoteli uiagis in aliquo spatio est, quod de massa illa, omni lieet
conscntanea videtur: de utroque breviter dicam. motU et discontinuitatc carcnte, negari non potest.
V. Âc primum de Aristotele. Nain Schola- Essentia autem materiae, seu ipsa forma eorporei-
sticos cjus sonsum mire dépravasse cui magis est ] tatis consistit in aiTtrujrta, seu impenetrahilitate:
cognitimi, qtiam tibi, vir clarissime, qui Ixmain quantitatem quoque habet materia, sed intennina-
partem Inijus peneris crromin primus produxisti? tam, ut vocant Averroistae, seu indefinitam,
l<t quum tecum in Meta])hysicis Sonerus et dum enim continua est, in partes secta non est,
Dreierus, in Logicis Viottus, Zabarella, ergo née termini in ea actu dantur, (non de intrin-
Jungius; in Civilibus Jason Dcnores, Pic- secis enim mundi seu totius massae, sed intrinseois
rartus, Conringius, Feldenus, Durrius, partium terminis loquor) extensio tamen seu qnan-
inultique alii fateantur; eur obsecro non cadem aut titas in ea datur.
détériora, in Physicis sus])irabimur, cujus scientiae VIII. A materia transcamus ad formam, j>or
|>rae5idia a sensu et experientia et Mathesi petenda dispositiones. Hic si formam siipponamns nihil
sunt, quibus instrumentis scholastioi Monachalihus aliud esse quam figuram, rursus omnia mire con-
Haustris cohihiti, fere prorsus caruernnt. Satis cinent. Nam quum figura sit terminus corporis,
igitur probabile est in physicis eos deceptos esse, ad figuras materiae imlncendas, o|ius erit termino.
qnid si hoc amplius, niiuis id certum esse, Ut igitur varii in materia termini oriantur, opus
ostendam? est discontiniiitate partium. Eo ipso enim dum
VI. Qna in re duplici rursus ratione versari H- discoutinuae simt iwrtes, liabet qnaelil>pt termines
cet. Nain vel ostenditur Pliilasophiam Rrforma- sej)aratos (nam continua définit Aristoteles
i.nii Aristotelirao conciliari posso, et adversam non WVTO. ïV.) disoontinuitas autem in massa
esse; vel ulterius ostenditur alteram fer nlteram illa prius continua duplici modo induci potest,
50 IV. EPISTOLA AD THOMAS1UM.
uno modo, ut tollatur ctiain simul contiguitas, partiuni motum potcst, v. g. quum album sit, quod
i|iiod fit, quuiulo ita divclluntur a se, ut relin- luccin plurimam rcflcctit, nigrum, quod parrain,
quatur vacuuni, vcl sic, ut inancat contiguitas, cnint ea alba, quorum superficies multa parva spe-
quod fit, quaiulo, quac sibi inmiediata mai ici il. ta- c-ula continct; haec ratio est cur aqua spumescens
iiicn in divcrsa moveiitur, v. g. duae spliatTac, qua- sit allia, quia innuineris bullulis constat, quot au-
i uni uua altcrani includit, possuut in diversa mo- tem bullulae, tôt spécula : quum antc tota fere aqua
veri, ut tainen mancant contiguae, licct deshuuit non nisi uuum spéculum fuerit; quemadmodum
esse contimiae. Ex liis patet siquidein ab initio specnlo vitreo fhicto quot ]>artes tôt spécula fiunt:
niassa discontinua seu vacuitatibus intcrrupta crcata quac etiam causa est, cur vitrum contusum sit al-
sil, formas uliquas statim tiiateriae coucretas esse; bius integro. SimiliUT igitur aqua per bullulas in
si vero ab initio continua est, necesse esse, ut distincta relut spéculai fracta albcdo oritur, quae
fonnae oriantur pcr niotuni. (Nain de auniliila- ratio ctiain est, cur nix sit albior glacie, et glacies
tione certaruru partiuni ad vacuitatcs in niateria aqua. Falsum cnim est nivem esse aquam conden-
procurandas, quia supra naturam est, non loquor) satam, quum sit rarefacta potins unde et levior
quia a motu divisio, a divisione termini partiuni; aqua est et plus spatii occupât Qua ratione so-
a terminis partium figurae caruiu, a figuris fonuae, pliisma Anaxagorae de nivc nigra dilnitur. Et
ergo a motu fonnae. Ex quo patet, omnem dis]x>- liinc .jam j>atet sola figurai! et situs in superficie
sitiouein ad fonnain esse niotum, patet quoquo so- mutatioi ic colores oriri, idem de luce, calore et
lutio vexata de origine forinanim eontroversiac. omnibus qualitatibus, si locus patcretnr, facile expli
Cui vir Cl. Herm. Conringius peculiari disser- cari posset. Jam vero, si qualitatcs pcr solum motum
tatione non aliter occurrit, quam concedendo for mutantur, eo ipso et substantia mutabitur : mutât is
mas ex uiliilo oriri, sed meditationes istae compen- enim omnibus, imo et quibusdam, requisitis, res ipsa
diosiorem viam monstrant, ut illuc confugerc ne- tollitur: v.g.sivellucem velcalorem sustuleris, ignem
cesse non sit. Diciinus enim formas oriri ex po- sustuleris; utrumque motu inlûbito eifeceris, quao
tcntia materiae, non aliquid novum producendo, ratio est cur ignis clausus pabulo aëiis déficiente
sed tantum vêtus tollendo, et per divisionem par moriatur, ut taceam essentiam a qualitatibus suis
tium tenninos causaudo, quemadmodum qui co- non nisi relatione ad sensum differre. Uti enim
lumnam facit, niliil aliud facit, quam quo<l inutilia eadein civitas aliam sui fticiem offert, si a Antri in
tollit, residuuni caeteris sublatis eo ipso eam figu- média urlie despicias, (inGrund gelegt) quod
ram nanciscitur, quam vocamus columnam, scilicct ]>erinde est, ac si essentiam ipsain intueare; aliter
oiuncs figurac seu fonnae in ipsa massa continen- apparct, si extrinsecus accédas, quod perinde est ac
tur, indigent tantum determinatione, et actuali ab si coqwris qualitates j)ercipias: et ut ipse civitatis
aliis adliaerentibus separatione. Hac explicatione externus aspcctus variât, prout a latere orientali
admissa ludus et jocus sunt quaecunqtie contra ori- vel occidental!, dis-aceedis, ita similiter pro varie-
ginem forniarum ex potentiu inatcriac monentiir. tate organoruin variant qualitates. Ex his jam fa
IX. Rêstatnuncutadmutationesveniamus. Muta- cile patet, omncs mutationes per motum explicari
tioues enumerantur vulgoetrecte : generatio, cormp- posse. Née obstat, quod generatio fit in iustanti,
tio,augmentatio,diminutio, alteratio et mutatio loca- motus est successivus, nain geueratio non est mo
lis seu motus. Has ouiues putant recentiores per mo- tus, sed finis motus, jam motus finis est in instanti,
tum localcm solum explicari possc. Et primuin de aug- nain figura aliqua ultimo demum instanti motus
mentatione et diminutione manifesta res est; mu prodticitur seu generatur, uti circulus cxtremo de
tatio euiin quantitatis in toto fit, dum pars locuin mum momento circumgyrationis producitur. Ex
mutât, et vel accedit vel decedit. Restât ut gene- his etiam patet, cur forma substantialis consistât in
rationem et corruptionem et alterationem explice- indivisibili, liée recipiat majus aut minus. Nain et
mus per motum, et praenoto eandem innuero mu- figura non rccipit majus aut minus. Etsi euim
tationem esse simul generationemct alterationem di- circulus sit circule major, non tamcu est circulus
versoruni,nam exempli causa vernm est, pntredinom altero magis circulus, 11:1111 circuli esscntia consistit
consistere in vermibus illis nudo visu insensibilibus, in awjualitate linearum a centro ad circumferentiam
erit infectio aliqua putrida alteratio hominis, generatio ductanim,jain aefjuitasconsistit in indivisibili, née re-
vennis. Similitcr H o o k i u s in micrograj)liia ostendit, cipit majus aut minus. Née veroobjici débet figuram
rubiginem in ferro esse subtilem sylvularu enatam; aut magnitudinem esse accidentia, neque enim semper
rubiginescere igitur erit alteratio ferri, geueratio sunt accidentia, nain etsiv.g.fluxus sitaccideusplum-
parvoruin (Vu tien m. Caeterum tam generatio et bi, Huit enim non nisi in igné ; est tamen de essentia
corruptio, quam alteratio explicari per subtilem Hydrargyri; jam causa fluxusest haud dubie partiuni
IV. EPISTOLA AD THOMAS1UM.
ctirviliueitas lil>era, sive globis, sive cylimlris, sive rationem acris ad statuae figurant, quac materiac
ovalibus, sive aliis sphaeroeideis constct: curvili- ad forinam. Caeterum fîgaraut esse substantiam,
neitas igitur subtilium partium est accidens plumbi, aut jx)tius spatinm esse substantiam, figurant esse
Hydrargyro vero cssontialis. Ratio quia omnia quiddam substantiale, probaveram, quia omnis
inetalla oriuntur ex hydrargyro per salia fixo, sa- scientia sit de substantia, Geometria autel» quùt
lium autem natura consistit in figuris rcctilineis ad scientia sit negari non possit. Fuere qui resixinde-
quictcm aptis, hinc si salia in aqua soluta, sponte rent citius locum afftrri a se posse, quo Arist.
rccongelascere sinamus, alia nti chymicis notiiiu Gcometriam esse scientiam negaverit, quam ego
est, tetraedrica, alia hoxaedrica, octaedrica etc. producturus sim, quo dixerit. Ego vero non du-
nulla rotunda aut curvilinea appareant. Hiuc sa bito, esse aliqua loca Aristotelis, quac hue tralii
lia sunt causa fixitatis; salia igitnr illa acida in torquerive jjossint, sed tatnen ça infinitis aliis ejus
terrae visceribus hydrargyro quasi ycr miniina confessionibus obrui puto. Quid enim omnibus
mixta impediunt curvilineorum libertatem interser- Analyticorum libris Geometrarum exemplis frc-
tione, et constituunt inctiilluin. In igné vero me- quentius, ut videatur demonstrationes Geomctricas
tallum redit ad naturam Hydrargyri, ignis enim velut nteusurant caeterarum esse voluisse. Jam
se intcrserens subtilibus partibus, partes curvilineas inepte ignobilius nobilioris mensura constituitur.
hydrargyrinas a plani lateris salinis libérât, hinc in Et vero tant abjecte de Mathcmaticis scholastici
igné floxns. Ita patet vix quicquam in physica primum senserunt, omni conatu id agentcs, nt ex
Aristotelica esse, quod ex reformata non commode perfectaram scientiaruni numéro Mathesin exclude-
explicetur et illustretur. rent. Contra manifestiim tcxtunt Aritotelis in
X. Et haec quidem exempla mihi de meo inter libro 1. posterioruni, text 31. Figuranun maxime
soribenduin succurrcrunt, innumera alia ab aliis ]xr scientialis est prima, quia Mathematieae ea faciiint
totam philosophiam naturalem congcruntur. Hue demonstrationem, nt Arithmetica, Geomehia et
ivit Clarissimus Raeus in Clavi pliilosophiae natu- Perspectiva et omnes quae ipsias propter quid de
ralis, ut Aristotelem recentioribus coneiliaret, monstrationem faciunt. Utuntur eo praecipue ar-
qui tamen ad inanus non fuit. Neque Raeus con- gumento, quod non semper ex causis demonstret.
riliatomm inter Aristotelem et recentiores pri- Sed si rem cogitemus curatius, apparebit demon-
inus solusque est, ut quidam ei objieiunt. Priiiceps strare eam ex causis. Demonstrat enim figurant ex
Scaliger mihi viam stravisse videtur ; nostris tem- mol», v. g. ex motu puncti oritur linea, ex motu
}K>ribas Kenelmus Digbaeus et ejus assecla lineae superficies, ex motu superficiel corpus. Ex
Thomas Anglus, ille in libro de animac immor- motu rectae super recta oritur rectilineum. Ex
talitate. hic in institiitionibus ]>eri])atetiris, idem motu rectae circa punctnin iiniiiotuiii oritur
ex professe egere. Née abluduut turn Abdias circnlus, etc. Constnictiones figiirarum sunt motus ;
Trew, tum inpriiuis Erhardus Wcigelius. jam ex constructionibus afiectionee de fignris de-
Hacteuns posse tantnm conciliari ostensum est, su- monstrautur. Ergo ex motn, et per consecjuens a
perest ut monstremus et de-liere. Scilieet Arist o- priori, et ex causa. Geometria igitur vera scientia
teles in 8 phys. Auditus libris, quid uliud tractât est. Ergo non invito Aristotele objectum ejus,
quant figurant, inagmtudinein, inotum, locum, tem nempe spatium, substantia erit. Nequc vero adeo
pos? si ergo corporis in génère natura his' ab- absurdum est, Geontetriam agere de forma siihstan-
Bolvitur, corporis in specie natura tali figura, tiali corjwriim. VÂXK enim locum Aristotelis
tali magnitudine etc. absolvetnr. Et vero ait i]>so 13. Met. text. 3. quo expresse dicit, Geometras
lib. 3. text. 24. phys. Arist. onincm natiira- abstrahere a matcria, fine et efficiente; quo suppo-
lem scientiam esse circa magnitudinem (cui scilieet sito seqnitur, ut vel de forma substantiali vel ac-
ronnexa figura) nu il uni >'t tcmpus. Idem Aristo- cidentali agat Sed non agit de accidentali , quia
toles ])assim ait, Ens mobile physicae subjectum forma accidentalis in sua definitiono reali involvit
esse, naturalem scientiam agere matcria et niotu : subjectum in quo est, seu materiam, quum tamen
Ipee quoque omnium quae iu sublunaribus fiunt Aristoteles dicat Goometriam a materia abstra
causant facit coelum. Jam coelum, ait, non agere here: Ergo Geometria agit de forma substantiali.
in inferiora nisi per motuin. Motus autem non Hinc mihi haec scribenti sub manibns nascitiir pul-
producit nisi inotum aut terminos motus, nempe chra qnaedam scientiaruni harmonia, nemi>e re
magnitudinem et figuram, et ex his resultantcm si- exacte pcqiensa : Theologia seu Metaphysica agit de
: M m. distantiam etc. l'A his igitur omnia cxplicari rornm efficiente, nempe mente, Philosoplria moralis
debcnt in naturalibus. Idem Aristoteles passim (seu practica vel civilis, nam, ut a te didici, una
ait, C"» lib- 1- de phys. aud. text. 69.) cain esse cadcntquc scientia est) agit de rcrum fine, nempe
7*
52 IV. EPISTOLA AD THOMASIUM.
hono: Mathesis (puram intelligo, nain rcliqna phy- \ tur causam, cur corpus aliquod iu hauc jwtius,
sicac pars est) agit île rerum foruia, netnpe figura: quam illam plagam moveatur. Epicuro igitur,
Physica agit de rerum inateria, et ex eis cuni cae- neganti quicquid movetur ab alio extra se movcri,
tcris causis complcxu résultante unica atTecticne, facile occuremus et laborantem cxistentiae Dci cer-
neiupe inotu. Mens enim ut bonuin, gratainque . titudinem vindicabiinus. Alterum objicies: Ari
sibi rerum figuram et statuai obtincat, materiae stotelem videri non tum ex hoc axiomate, quod
motum praebet. Nam Materia per se inotus expers omnis motus principium sit extra corpus motum,
est. Motus oiunis principium, Mens, quod et Ari- quaui ex alio: non dari processum iu iafiiiituiii,
stoteli rccte visnin. ratiociuatum esse, at vero qaaeso, Vir Amplissime,
XI. Nam, ut hue quoque veuiam, nnllibi Ari- to hujus coutroversiae judicein appelle ]wtoque, at
sto télés formas quasclam substautiales cjusinoili tente cogites, an non iitimsque coiuunctioue opus
sibi imaginatus videtur, quae per se sint causa mo sit. Nam nisi admittatur (|iiod movetur ab extra-
tus in coqioribus, queinadmo<lum Scliolastici ca- neo moveri, plane ad million processum devenie-
piunt, di'iinii quidem naturam, principinm uiotus IHIIS. nedum ad inlinitum; nam adversarius statim
et quietis, et formain iiiateriamquc vocat naturam, ab initio resistet, et datum aliquod corpus sibi
formam autem magis quam matcriam, scd hinc ipsi ad motum prodnccuduni ]>cr formam sumn
quod scholastici volunt non sequitur, formaui esse substantialeni sufticere, nullo igitur motorc nediuu
({iioddam iucorporale, brutu m taiiieu in corpori- primo, opus esse, respondebit Concidet ergo scala
!ws, quod ipsum sua spontc sine cxternae rei con- illa primo statim gradu et velut fimdainento sub-
sensu motum corjx>ri, verbi gratia lapicli, dcorsum tracto. Deinde etiam Epicurus processum in in-
praebeat. Nam forma quidem est causa et prin- li ii it ni ii admittebat, ergo non tam quid Epicurus
cipium inotus, sed non primum. Neque enim cor uilmittiit. vel non admittat, quam quid demonstrari
pus movetur, nisi ab cxtrinseco moveatur, ut recte certo possit, videndum est Aristotelicam j)liiloso-
Aristoteles non dicit tantum, sed et cleuton- pliiam reformatae ipsius pliilosophiae inevitabilis
strat, verbi gratia, sit globus in piano, is si semel eventus breviter attiugenda est T). Scilicet quocl
quicscat per se in aeternum non movebitur, nisi Theologis, idem et Philosophis agendum est. Scri-
acccdente extrinseco impulsore, verbi gratia, alio ]>turam sacram sancti Patres optimis interpretatio-
corpore. Eo jam allabente, altcrum corpus princi- nibus illustrarunt, inox Moiuichi obseurai-unt su-
pium motus impressi est, figura vero, neinpe globo- perstitionibus : Orta luce animoitim Tlieologia re
sitas, est principium inotus suscepti, nam si globo- formata triplex est, alia haeretica, quae ipsas scri-
sitas abfuisset, forte pro re iiata, corpus alteri cor- pturas rejicit, ut fanâticorum ; alia schismatica,
pori tam facile non ccssisset. Ex hoc patet con- quae priscos j^atits ecclesiae tloctoifs cum scri-
ceptuiu formao scholasticum ex detinitione natnrae ptura s; !r!.-i, et primitiva ccclesia conciliât, ut
Aristotelica non seqni. Forma igitur est princi Evangelicomm 2) similitcr Aristotelem Patres
pium inotus in suo corpore et corpus ipsum est Graeci illustrarunt, scholastici obscurarunt nugis.
principium motus in alio corpore fatcor; sed pri- (h'ta luce, philosophia reformata triplex est: alia
inmn principium motus est prima et realiter a ma- stolida qualis Paracclsi, Helmontii, alioruiu-
tcria abstracta forma, (quae simul est etficiens) que, Aristotelem prorsus rejicientium; alia au-
nempe Mens. Hinc in solas mentes cadit libertas dax, quae exiinia veterum cura iniino contemptu eo-
et spontaneum. Absurdum ergo non est, unicain rum palam hal>ito, bonas etiam mcditationes suas
ex l'ormis substantialibus mentem principium mo suspectas reddunt, talis Cartesii; alia vera, .qui-
tus primum dici, caetcras a meute motum habere. bus Aristoteles, vir magnus, et in plerisque ve-
Et hoc arguniento adscendit ad primum motorem. rus cognoscitur.
Huic objectioni dupliciter respondes; primum, hoc XII. Nunc conciliata jam cnm Aristotclo
argumcntuin nihil possc apud Epi eu ru m, qui philosopliia refoimata, restât i|>sius ]x;r se veritas
suis atomis largiatur per se motum deorsum. l'a- ostendatur, prorsus quemadmodum religio Cliri-
teor apud eum nihil posse hoc argumentum, nisi ci stiana, tum ex ratione et historia, tum ex scri-
pracdeJHonstrctur, hoc ipsum absurdum et ini|>ossi-
bile esse, quod corpus habeat motum a seipso. ') Observ. Thomasil. Sic scriplum «rat a li-
* .Vu ni et jam tum Cicero, ni fallor, in libris de brario, aed hiat alla» liacc perioilus: née lecliouem
ejus consliluo.
natura Deorum facit, eleganter Epicurum irridens,
*) Ob.scrv. Thomasii. Kliam hic aliquiil liées! ;
qnod quiddam sine causa et rationc in suis hypo- il.inir enim pro Iriplid Iheologia tanlum duplex. Scri-
tlicsibus hoc modo introdurat. Nam in rerum na psiHtie pulo: alia schismalicM, alia vera, quae priscoii
tura nihil esse deorsum, sed quoad nos, nei]ue igi Patres etc. Confer aequenlem.
IV. KPLSTOLA AD THOMASIUM. 53
l>tura sacra probari potest. Probaudiun autem teusionis expertes ponerei licctius igitur Campa-
est, mil ht dari Entia in imiiulo, praeter Mentem, nella in libro de .sensu reruui et magia, et Mar-
Spatiurn, Materiam, Mutuiii. Mentem voco eus cus Marci in ideis opcratricibus, falso quidiun,
cogitans. Spatiuni est I MIS primo extensum, seu congruenter tainen suis hy|K>thesibus fortuis Lstis
corpus niathcuiaticum, quod sdlicet nihil aliud con- suhstautialibus rerum inanimatarum, exteasioiie
tinct quaui très dimensiones, estque locus ille uni- carentibus, scusum, scientiam, imaginationeiu, vo-
versalis onmiuiu reruui. Materia est cns secundo- luntatcm tribucre. N'ec abludit Agrippae occulta
extensum, seu quod praeter cxteiisionem vel cor philosophia, Aligelum euilibet rei ascribentis quasi
pus matlicmaticum Iiabct et corpus physicum, id obstetricatorem, née quae Scaliger de pla-
«•st, resistcntiam , crassitiem, spatii-replctivitatem, sticis ejusque sapientia disseruit Ita reditur ad
iinpeueirabilitatt*iu, <(iiae consistât in eo, ut alio tali tôt deunculos, quot formas substantiales, et Genti-
onte advenieute cedere, aut qui<«cere altcrutruin lem propc )x>lytheisuiuin. Et certe omiies, qui do
cogatur; a qua igitur iinpenetrabilitatis natura Huit substantiis illis incorporalibus i'or]>orum lo<{uuntur,
motus. Materia igitur est eus, quod est ia spatio, non ix>ssunt mentem suam explicare nisi transla-
seu eus spatio coextensum. Motus est inutatio tionc a Mentibus suinta. Hinc eniin atlributus
>)«itîi. Figura autein, magiiitudo, situs, numerus illis nppetitus vel instinctifs illc naturalis, ex quo et
etc. non sont entia a spatio, materia, et motn rea sequitur cognitio naturalis, liinc il lin I axioma: Na-
liter distiucta, sed tantuni liabitudines inter spa- tura niliil facit frustra, omnis res fugit sui destru-
tium, niateriain, niotum et eanun i>artas a mente ctiouem: similia simih'bus gaudent; matoria ap|H'tit
superveniente factae. Figuram autein definio ter- formum nobilioreni, et alia itl gémis. Qiium tamen
inininn extensi: Magnitudiuem numcrum partium rêvera in natura nulla sit sapientia, nullus apputi-
in extenso. Numerum definio un uni, et un uni, tus, ordo vero pulcher ex oo oriatui-, quia est ho-
et uiHiui etc. seu imitâtes. Situs ad figuram redu- rologium Dei. Ex his patet, hypothèses philoso-
citur, est euim plurium configuratio. Tempus ni phiae reformatae byjwthesibus scholasticis eopraeva-
hil alind est quam uiagnitudo motus. Quumquc lere, quod non supcrfluao, contra taineu clarae sunt.
omnis magnitudo sit numerus pnrtiuiu. quid mi- XI11. llestat, ut subtiliore mtiociuio ))rol>etur,
rum Aristotelcm définisse Tempas numerum ne ]>osse quidem alia lùitia assiimi in cxplieanda
imitas ! Sed ita termini tantum explicati sunt, ex- corponun natura, quam (|uae dixi: Id sic !'»•! :
j>osituinque. quo sensu ils utamur, nihil probatum. Corpus omnes id voeant, quod aliqua sensibili qua-
Nunc ostendenduin est nullis aliis rébus ad expli- litate praeditum est, porro ex scusibilihus qualitati-
randa mnndi phaenomcna et causas eorum possibi- bus pleraeqiie eorpori adimi |K>ssunt, ita ut tamen
les reddendas opus esse, imo uec alias res esse niiineat corpus. Nain et-si ali(|iiod corpus ouuii co
posse; quanquam .si ostendimus aliis rébus praeter lore, odore, sapore cai-eat, tamen dicitur essi^ Cor
utentem, niateriain, spatium et niotum opus non pus. Coucedunt eniin aërem v. g. esse cori>us, etsi
esse, eo ipso satis confectum erit, Hypothèses re- sit perspicuus, et careat saepe colore, odore, sa
vcntiorum, qui his solis rébus ad reddenda pbae- pore; similiter aër est cor]>us, etiam <|uando caret
nomena utuntur, esse meliores. Vitium cnim Hy- sono. Rejiciantur igitur qualitates visihiles, audi-
l>othc$cos est, non neoessaria assumere. Jain vero biles, gustabiles, odorabiles, tatuniam minime con-
explicari omnes totius Mundi res ex his solis jiosse, stitutivae naturae corporis. Ad tactiles ergo res
satis lectio reccntiorum philosophorum docet, et ex omnis retliit. Et quidem primae illae: ealor, bu-
his patet, quae panlo ante posui, ([iiinn possihilita- miditas, siccitîis, frigus, siugulac abesse possunt,
tem conciliationis Aristotelicao ostenderern. Deindc calor jiotest abesse ab aqua, humiditas a tenix, sic-
qiroque notandum est, eas Hypothèses esse melio- citas al) aëre, frigus ab igné, et tamen qnodlibet
rcs, qnac sunt clariores. Jam vero mens humana horum potest esse corpus. Caeterae qualitates ta
nihil aliud imaginari potest, quam mentem (quando ctiles v.g. glabrities, levitas, tenacitas etc. non esse
scllicet cogitât seipsam) sp;i(iuiu, materiaui, mo- naturae corporis constitutivae etiam vulgo agnoscun-
iinii. et quae ex his intcr se comparatis resulfauit, tnr, eo ipso quia secuudae appellantur, et ita ortac
quidquid superaddideris , verba sunt tantuin, quae ex aliis quae potins sunt constitutivae, et praeterea,
nominari, et inter se varie combinari possunt, ex- quia nulla carum <;st, quac non abesse possit a cor-
plicari et intclUgi non possunt. Quis eniin ima- pore, llestat igitur indagniida aliqua qualitas sen-
ginari sibi |x>test Ens quod nequc cxtcnsionis ne- sibilLs, quae omnibus et solis corporibus coui|K'tat,
que cogitationis sit particepsï quid opus igitur et ex qua velut sijrno homiiies corpus a non corpore
animas bnitonim, plantanimquc inconwreas for dignoscant. Ea nimiruin est Crassities seu oèi'ri-
mas elementorum metallorumque subsfcmtiales, cx- cuin extensione sumta. Quidquid nimirum
54 IV. EPISTOLA AD THOMAS1UM.
hommes scntiunt extensum csso, sou vident tantum Epistolam ejus de hoc argmucnto his imudinis
(quamquain rêvera semper sit corpus et liabcat cmissain videris opinor. Accipe, quid inihi cuni eo
dirrervition', licet nobis insensibilem , perccptibi- contigerit Conscripseram aliquando per otium,
lem tameii intellcctu : ) ici non statim vocant cor tninultuaria tainen opéra in diversorio duas circiter
pus, putant ciiim nonnunquam cssc meram .specicin plagulas, quibus de demonstranda, solito accuratius,
et <pa.vTacf{Lia. Quicquid vero non vicient tantuiu, immortalitate auimac, et existentia Dei agebain.
setl et tangunt, id est, in quo cJvrtruitiav re|>c- Has communieaverani amico. Per hune vénère in
rlunt, id vocant corpus, quiclquid vero dvriTtMiq, inanus pi. Revercndi Speneri, Pastoris Franco-
caret, id negant esse corpus. In duobus igitur ho- furtensium auctore tameu inerito dissimulato. Spe-
mines tain sapientes quain Idiotac naturaui corpo- uerus Spizelio transinittit ; Spizelius suae
ris collocant iu extensionc et cèaTiruittot, sinuil illi epistolac ad An t. Reiserum, de eradicando
similis, illain sumimus a visu, hiinc a tactu, unclc atlieismo nuperac fini adjecit, snb titulo: Confes-
ex conjunctione utriusquc scnsus certificari de ré sio uaturae contra Atheistas. Sed ego non
bus soient, quod non sint phantasmata. Extensum iinprobo, vertun doleo, quod inciidosissinie illud
ai il ou esse nihil aliud est, quani esse in spatio; schedion impressum est. Liprimis sorites ille quo
d-i'TiTuitta est, non possc cum alio esse in codcin demonstrare conatus sum imniortalitatem animae,
spatio, sed altenitrum iiioveri aut quiescere debere. mutatis linearuni initialibus, mire perturbatus est.
Ex his patet, iiaturam Corjwris constitui per Ex- Spizelius fatetur, se auctorein ignoran;. De ipsa
tensionem et Antitypiain, quumque niliil sit in ré dcinonstrandi rationc judicium exspecto. Nequc
bus sine causa, nihil etiain poni débet in coqwri- vero landein, sed examen peto, (juando religionis
bus, cujus causa redcli non possit ex priinis eonini interest, non |ierfunctorie defcndi, quanc]uam inté
constitutivis. Jain causa ex iis midi non potest, rim in utraque longe altius pénétrasse milii videor.
nisi per eoruin clefinitiones. Nihil igitur jxjnen- Neqiic eniin cjuae de perpétua creatione in motu,
clum est in coqioribus, quod ex clefinitione Exten- et intima entis cogitantis seu mentis natura ab eo
sionis et A nt il \ | liai- non Un.it. Fluunt mit cm tant uni tempore erui, illis leguntur. Scripseram aliquando
ex ea, magnitudo, figura, situs, numéros, mobili- tibi de Societate, quam quidam Gerinani moliantur.
tas etc. (Motus ipse ex iis non fluit, unde ncc cor- Ita esse doccbit schcda germanioa alicjuot plagula-
pora inotum habent nisi ab incorporels). Ex his rum, titulo Collegii Philadelpliici a Goezio biblio-
jam patet, oinuiuni qualitatum et niutatioiiuin ex- pola édita, sed inilii suave somnium videtur, vclut
))licationem ex magnituclino, figura, motu etc. su- socictas roseae crucis. Séhurzfleisehius ille,
n ici n la m. Et calorem, colorera, etc. non nisi sub qui apyd vos est, minim, quantum in Parnasse sc-
tiles motus et figuras esse. Quod superest illud ditionem excitaverit. Pervellem seire, quid magni
ronfirmarc ausiin: Atlieis, Soeinianis, Scepticis, viri apucl vos de hoc specirnine sentiant, a (juibus
Naturalistis, nunqnain nisi constituta hac philoso- ille provehi sperat. Boeclerus illi ab aula nu'ni-
phia solide orcnrsiiiu iri : quani ego profecto munus tatur. Itincrarii politici, quod nunc prodit, auctor
Dei credo senectae iiiundi clatum velut unicaui ta- est liaud clubie Burgoldensis ille commentator
bulani, qna se viri pii ac prudentes in incumbentis in instrumentuin pacis. Obstupesco andaciam viri.
nunc Atheismi naufragio servaturi siuit. Ego qiian- XIV. Quod superest, Vir clarissinie, ideo de toto
tulacunque inihi fuit ab exiguo teni]>ore viromm hoc negotio fusius ad Te disserui, C(uod judicem lui-
doctoruin notitia, borresco tamen qnoties cogito, in rum rcrum et scientiorem et aecjuiorern iinlliiiii ha-
quot simul et ingeniosos, et prorsus atheos incide- berem. Quando et onines vetenim recessus lastra-
rim. Et \nlital per inanus hominum Bodini liber sti, et recentiorum inventa, quando mereaitur, non
ineditus, (atque utinam, ut cnm Naudaco opto, aspernaris: atque illos illustrare, hos examinare,
nunqiiam edcnclus), grandis ccrte, quein ille vocat, unus omnium optime jx>tes. Rocte enim judicas,
arcana subliinium, in quo professus hostis est reli- etsi novae sententiae profcrantur, earumque veritas
gionis Christianae. Vanini dialogi ludus sunt evidentissimc ostendatur, a receptis tamen j>ublice
si comparentur. Legi non perftactorie, et Deo ex vocibus vix unquam esse abeundum, quod si fecis-
animo cratias ago, quod iis nie praesidiis philoso- sent Scholastici, non laborarenuis. Vale, jjatriae
phiae, (in qua ingratus sim, si tibi milita del>ere déçus, et tua praeclare cogitota non absolve, (ple-
negein) instruxcrit, quibus ejus tela nullo negotio raquc enim et coepta simul et jtcrfecta sunt rara
repuli. Laudandus est Cl. Spizulii labor, quem ingenii felicitate) sed ede: Dabam d. -*$ April.
ille eradicando atlicisiuo nunc rursus iuipcndit. 1669.
V.
DISSERTATIO
Dl
VI.
DE VITA BEATA.
(Aulographum Leibnitii nondam edilam, qnod in scriniis Bibliolhecae Regiae Hanoveranae reperitor.)
Vita boa ta est, animo perfeete contente ac hoc ratione ipsis non cupiendis assuescat: breviter:
tranquillo fnii; ad quain acquirendam nec«sse est nt . assecutus cognita et cum ratioue expedita et in
ut quilibct: potestate existentia, nulla de re conquereudo acqui
1. Conetur ingem'o suo qnain poterit optime uti esçât; hinc A n inii tranquillitas.
ad ea, quac in vitae casibus facere vel fugere de-
beat, cognoscenda ; breviter: ut assidue quid di- PARS I.
ctet ratio cognosrat. Hinc Sapientia. DE SAPIENTIA.
2. Sit semper in firnio ac constanti propos!to ea
omnia faciendi, quac sua ratio ipsi suadebit, née Sapientia est perfecta earum rerum, qnas
passionibus aut appetitibus ab hoc abduci se per- homo novisse potest, scientia, quae et vitae ipsius
nnttat : breviter: ut cognitnni quod in sua potestate régula sit et valetudini conservandae artibusque
est, quicquid ut contrarium aficctus suadeat, asse- omnibus inveniencUs inserviat. Ut vero discauius
quatur; hinc Virtus. recte agere rationem ad detegendas veritates quas
3. Attendat quod, quamdiu ex rationo quantum ignoramus, sequentes observationes prodenmt:
fieri potest se gerit, boiia illa, quibus tune caret, 1. Ut iiiliil unqnam veluti verum admittamus
omnia sint absolute extra snam potestatem, atque nisi quod tam clare et tam distincte rationi no
72 VI. DE VITA BEATA.
strae patet, ut nullo modo in dubium ix>ssit re- intellectu exhibetur tanquam bonum rel malum,
vocari. sufficiet, si semper recte judicemns, ut recte sem
2. Ut omncm praecipitantiam atque anticipatio- per faciamus.
nem in judicando quum diligcntissime vitemns, 2. Quoties circa aliquid, quid rêvera sit opti
nihilque complectamur in conclusione ainplius quant mum, agnoscere non ]M)ssumus, illud debemus se-
quod in praemissis continetur. qui quod optimum videtur, vel certe etsi e duobus
3. Ut difficultates, quos examinaturi suiims in uiiHiii altero verisimilius non appareat, alterutrum
tôt partes dividamus, quot expedit ad illas com- tan K 'ii eligere. Née vero est, cur poenitentia duca-
modius resolvendas. tur, qui illud fecit, quod optimum esse judicavit,
4. Ut cogitationes omnes, quas veritati inipen- eo tempore quo se ad actionein determinare de-
dimus, certo semper ordine promoveantur, inci- huit, quamquam idem postea cum otio secum re-
piendo scilieet a rébus simplicissimis et cognitu putans se errasse judicet, imo si res felicem non
facillimis, ut sic paulatim, et quasi per gradus, ad sortiatur successum. Nostrarum enim duntaxat
difficiliorum et magis compositorum cognitiouem cogitationum rei peragi }X)ssumus, neque porro
ascendamus. natura hominis ea est, ut on min sciât, praeterea
5. Ut in aliquein etiam ordinem mente ea dispo- etiam optima consilia non semper felicissima sunt.
namus, quae se mutuo ex natura sua non prae- 3. Ut abstineamus a judicio ferendo de quacun-
cedunt. que re quae nobis exhibetur, quamdiu passionibus
6. Ut tum in quaerendis mediis, tum in diffieul- et maxime ira agitamur, vel si hoc non fieri possit,
tatum pai films percurrendis tam perfecte siugula ut sequamur rationes contrarias illis, quas passio
enumeremus, et ad oinnia circumspiciamus, ut ni- suggerit, etsi minus validae appareaut. Quoniam
hil a nobis omitti certi simus. affectus bona, quae nobis offerunt, semper majora
Cum autem usus harum cbservationum ab exer- repraesentant, quae postea a nobis spe minora de-
citatione maxime pendeat, consultum est, ut ad bas preheudi soient. Cum igitur nullam amplius fidem
régulas in usuin referendas diu nos in facilibus habeamus ei, a quo aliquoties decepti fuimus, licet
simplicibusque qnaestiouibus, cujusmodi sunt ma- quam blandissime nobiscum agat, sic nulla tutior
thematicae, exerceamus, cui fini utilis Algebra contra affectus cautio, quam ut, ubi seutitur eii
est. Et postquam in veritate liarum quaestiouum sanguinis commotio, praemoneri ac meminisse opor-
detegenda, aliquam facilitatem nacti erimus, serio teat, omnia quae se imaginationi offwunt, non
nos applicabimus verae philosophiae, hoc est stu alio spectare, quam ad animae deceptionem augen-
dio sapientiae. Porro haec philosophia velut ar- dasque niminm rationes, quae objectum aifectus
bor est, cujus radiées metaphysica, truncus phy- comméndant, aut contrarias debilitandas.
sica, rami ex eo pullulantes omnes aliae stientiae, 4. Quod, quamvis quivis nostrum personam con-
quae ad très praecipue revocantur, Mechanicam, stituit aliis divcrsam, nihilominus cogitare debe
Medicinam et Ethicam. Utile autem erit hune mus, non posse quempiam per se solum consisteve,
observare in studiis modum, ut paucas horas iis sed concipi unumquemque debere velut partem uni-
studiis demus, quae imaginationem exercent, pau- versi et hujus reipublicae, societatis, familiue, qui-
cissimas illis, quae solo intellectu percipiuntur, re- cum ortu, domicilie sacramento conjuncti sumus.
liquum tempus vitae et relaxandis sens! bus et cor- Hiiic enim voluptas nobis erit, omnibus prodesso,
poris exercitiis et animi quieti demus; tantum quia totius, cujus pars sumus, bonum privato bono
enim abest, ut ingenium nostrum nimio. studio débet anteponi. Quin et hoc nostra quoque inter-
perpoliatur, ut contra ab eo obtundatur. erit; certum est enim eos, qui officiosi habentur,
multa etiam ab aliis, etiam quibus non profuerunt,
PARS II. arnica officiacia accipere, laboresque quos in aliorum
DE VIRTUTE. gratiam suscipiant, minores esse quam commoda
quae ex eorum araicitia percipiunt. Non enim
Virtus est vigor quidam mentis, quo ad ea exspectantur a nobis nisi officia ea, quae commode
quae bona esse credimus facienda ferimur. possumus prae-stare, neque alia ab aliis exspecta-
Ut vero discamus certo firmare voluntatem no- mus; saepe tamen fieri potest, ut quod aliis ini-
stram ad dirigendas actiones nostras in eo vitae nimo constat, nobis maxime prosit, imo et vitam
génère, quod profitemur, sequentes observationes servare possit.
observandae : 5. Sunt quaedam res in quibus vulgi exemplo
1. Cum volnntas non determinetur ad aliquid potius et consuetodine, quam nlla certa ratione
persequendura vel fugiendum, nisi quatenus ei ab ducimur, unde fit, ut illnd idem quod nobis ma
VI. DE V1TA BEATA. 73
ximc plaçait mite deccin aunos, et forte post de- bis veritatem suaserunt, mox tamen falsis specie-
cem annos rursum placcbit, nunc clispliceat, et bus ab ea credenda abdiicamur, nisi crebra medi-
hinc quicqnid ab lioniiiuun moribus abludat, statim tationc in habitum couverterimus.
pro ridiculo atque inepto habeatur. Erunt proinde
examinant!! sigillatiin locorum, in quibus degi- PARS m.
inus, mores, ut exploratuiu liabeamns quousque suut DE ANIMI TRANQUILLITATE.
imitandi, ne cum agendum erit unquam dubii si-
mus; sola eniin dubitatio aegritudinem et poeniten- Animi tranquillitas est mentis gandium et
tiani pari t. Vklcmlum autcin, ut nos gnbernemus satisfactio interna, producens in nobis summam ac
juxta opiuiones quam maxime mo<leratas et ab solidissirnam vitae nostrae voluptatem. Ut autem
omni extremitate remotas. Unde aliis quoque in- discamus bene dirigere cupiditatcm, ut ad ea pa-
dicabimus non optima in se ac perfectissiraa, ratam se extendat, quae efficiunt, ut ex omnibus
sed ipsis utilissima, ac captai audientium accomo- lactitia percipiatur, sequentes annotationes erunt
data, ne nosmet ipsos prostituamus. Nostra enim observandae :
maxime interest (ad aliquos certe usus) a vulgo, 1. Inter res quas desiderare possumus, suut
sine quo vivere non possimus, aestiniari. Cavendum quae omnino a nobis pendent, quae si exvera
etiam, ne promissionibus facile nobis libertatem boni cognitione procédant et ad nos perfectiores
mutandae postea voluntatis adimamus, omnia euim reddendos faciant, non possunt nimis fcrvide desi-
in nuiiulo vicissitudinibus obnoxia sunt, ita ut, derari, eo quod ea, quae ad bonum tantum ten-
quod hodie optimum, brevi, mutato rerum statu, dunt, quo vehementiora eo meliora; quae vero
pessimuni censcri possit. Née denique in publicis nullo modo a nobis pendent quantumvis
aliquid reformare tentemus, mhil enim a vulgo ae- bona queant esse, numquam fervide appetcnda sunt,
grius fertur, quam conim mntatio qui bus assuevit. non solum quia possunt non inveniri et eo magis
Caeterum certo nobis persuasum esse débet, vias cruciare quo vehementius ea concupiverimus , ve-
justas et honestas esse omnium tutissimas et utilis- rmn praecipue quia, occupaudo nostras cogitatio
simas, maximamqne omnium esse astutiam, nulla nes, mentem studiumque nostrum abducant ab illis
astutia nti. rébus, qaaruni acquisitio pendet a nobis; proderit
6) Tain arctam esse unionem inter animam et quoque hic, si nobiscum reputemus, quod, exceptis
corpus, ut cogitationes illae, qnae aliquos corporis illis rébus, quas Deus por suum deoretum a nostro
motus ah ineunte aetate comitatae sunt, illos ctiam libero arbitrio dependere voluerit, impossibile sit, -
nunc comitentur. Itaque cosdem motns, ab externa aliquid provenire alio modo, quam ab aeterno de-
qnacunque causa in corpore iternin excitâtes eas- terminavit haec providentia, idque quod sic evenit,
dem ctiam in anima cogitationes reducere, et vicis- ideo optimum ac justissimum esse, adeo ut non
sim easdem cogitatioues récurrentes eosdem etiam absque gravi errore cupere possimus, ut aliter eve-
motus denuo producere : prodest tamen scire, quod niat, née cum ita accidat tristari, multo minus
licet hi motus animi et corporis uatura et consue- querimonias hinc instituere. Verum quia major
tudine sic juncti suit, posse tamen per habitum se- pars cupiditatum nostrarurn se extendit ad res,
parari et jungi aliis valde differentibus. Unde evi- qnae totae a nobis non pendent, ncc totao ab aliis,
dens est, etiam eos ipsos, qui imbecilliores animas di'bcmus exacte distinguerc in illis id, quod non
habent, posse acquirere imperium absolutissimum nisi a nobis pendet, ut ad id solum nostram cupi-
in omnes suas passiones, si satis industriae adhi- ditatem protendamus. Et quoad residuum, etsi
|'I-:MII, Quae licet initio molestissima videantur, ejus successnm censere debeamus fatalem et immu-
consuetudino tamen fiunt dulcissima. Utile autcm tabilem, née circa illud se occupet nostra cupicli-
erit, quam diu nullis passionibus agitamur, ut nos tas; considerandae tamen sunt rationes, ex quibus
ipsos exerceamus in considerandis bonis et malis, plus vel minus sperari possit ut inserviant dirigeu-
qnae toto vitae nostrae cursu nobis obtingere pos- dis nostris actionibus; atque sic fit, ut, quoniam
sant, justumque eorum pretium ponderemus, ut desideriorum nostrorum impletio non nisi a nobis
deinceps de illis solida judicia formemus, firmiter- pendet, semper nobis plenam satisfactionem dare
:que statuamus haec fugere et illa quaerere, non possint.
obstantibus cogitationibus aut rationibus novis, 2. Sapientis esse, se fortunae imperio ita
quas passiones nobis suggerere ix>ssunt. Quia subducere ut, licet illis quae sese oflerunt com-
enim non possumus ad unum et idem animum modis amplectendis non desit, tamen putet mini
jxrpetuo advertere, hinc fit ut quantumcunque me se iufecilcm si dencgentur, atque iis rcsisteudo
clarae et évidentes fiant rationes quae aliquam no aut permittendo duplici fruetur voluptate magisque
10
74 VI. DE VITA BEATA.
gustabit hujus vitae dulcedines, in quibus alius, non ! consideratio liominein eorum probe guarani tanto
recte adhibitis, acerbissima jx>test ac ainara quaeque gaudio perfundet, ut jam satis se vixisse arbitratu-
experiri. | rus sit, ex quo taies ei cogitationes Deus Lndulse-
3. Consideranda est mentis nostrae (hoc est , rit. Et quoniam verum amoris objectum est per-
substantiae quae in nobis conscia est) natura, qua- ', fectio, si quaudo inentem suam ad naturam ejus
tenus absque corpus consiste! atqae illo longe no- speculaudam élevât, se ad ejus amorem naturaliter
bilior est et innumerarum quac in liac vita non tam proclivem deprehendit, ut ex suis etiam affli-
occurrunt volnptatum capax. Hinc enim nos nt ctionibus gaudium percipiat, reputans voluntatem
imiuortales consideramlo suinmarunique volnptatum ejus hoc ipso impleri, seque cum illo voluntate sua
capaces, inde autem nos inortalibus et caducis cor- conjungens tam perfecte eum ainat, ut nihil prius
poribus, inultis infirmitatibus obnoxiis, et paucos ] habeat in votis, quam ut Dei voluntas fiât]. Inde
intra annos perituris, conjunctos esse, equidem ni- fit, ut talia considerans mortem, dolores, aerumnas
hil omittemus quo nobis fortunam in hac vita ae- metuere desinat, cum sciât nihil posse sibi accidere,
quam reddamus, de caetcro tamen, coinparatione quod non Deus decreverit divinumque illud decre-
aeternitatis, hac vita non magis afiiri debemus tum tam justum ac necessarium existimet . tamque
quain si comoediarum exitum spectemus. se illi subjici debere perspectum habeat, ut etiam
. 4. Deum esse cogitemus, hoc est ens sunune cum ab illo mortem aut aliquid mali exs]>ectat,
perfectum, a quo renim oinniuin cxistentia singulis etiainsi (quod impossibile est) supponeretur posse,
momeutis dependct, qui uua cogitatione quicquid tamen nollct immutarc. Sed si mala calamitates-
fuit, est, erit, aut esse potest tuetur, cujus perfec- que non refugit, quippe quae sibi a providentia im-
tiones suut infinitae, potestas inuncnsa, décréta in- mittuutur,certe longe minus bona répudiât licitasque
fallibilia; a hac enim ratione docemur, casus no- volu])tates, qnibus in hac vita frui potest, cum ab
stros aequo animo accipere utpote a Deo nobis eadem providentia proficiscantur, atque ita dum
liaud temere immissos, et quia veruni ainoris obje- bona laetus amplectitur, malorum omnium metu
ctum est perfectio, si quando mentem nostram ad vacuus, suo in Deum amore beatur.
ty'us naturam spectandam elevamus, nos ad ejus 5) Ut accurate constet quanti sit quidlibet ad
amorem tam naturaliter proclives depreliendirnus, beatitudinem nostram, attend en dum est, ex
ut ex nostris etiani afflirtionilius gaudium percipia- quibusnam causis voluptas nostra oria-
mus, reputantes voluntatein ejus iiuplcri hoc ipso tur: hujus enim potissùnum rei cognitio virtutis
quod in illas incidamus. [Deum consideremus ut exercitiurn farilius efficere potest. Sciendum est
Eus sumino perfectum, hoc est cujus perfectiones itaque, omnes animae nostrae actiones, quae ali
nullum terminum involvunt, hiuc enim clanini fiet, quid nobis perfectionis acquirunt, secundum virtu-
non minus repugnare cogitare Deum (h. e. ens tem esse, totam autem voluptatem nostram posi-
summe perfectum) oui desit existcntia (hoc est cui tam esse in perfectionis alicujus nostrae conscien-
desit aliqua perfectio), quam cogitare montem cui tia, quo posito sequitur, nullam unquam virtutem
desit vaUis. Ex hoc enim solo, absque ullo dis- exerceri posse, hoc. est numquam fieri posse a no
cursu, cognoscemus Deum existere, eritque nobis bis quod ratio dictât, quin id nos voluptate pro-
non minus per se notum, tam necessaiïo ad ideain fundat. Unde possibile est ex labore et cura mul*o
Entis summe perfecti pertinere existentiam, quam majorent quam ex risu et quiète voluptatem per-
ad ideain alicujus numeri aut figurae pertinere, cipi. Sic etiam quo difficiliores superatu sunt af-
quod in ea clare percipimus. Unde simul, quis- fectus nostri, hoc majore animum voluptate im-
nam Deus sit, quantum naturae nostrae fert infir- plent, est enim menti maximo oblectamento, suas
mitas agnoscenius, ad ideam enim ejus ingenitam ita vires e\]>eriri. Sic denique generatitn oblecta-
tantum respicientes invenicmus providcntiae tur mens perscntiscentlo alFectus in se qualescunque
ejus incircuinscriptam extensionem, per quam una commoveri, modo maneat ejus in illos imperium.
cogitatione quicquid fuit, est, erit aut esse poterit Nulli quoque hinc cventus adeo tristes sunt, et
intuetur, decretorum infallibilem certitu- vulgi judicio absolute mali, ex quibus non rationis
dinem, quae nequaquam inutari possunt, poten- 01» aliquid utilitatis percipi jxîssit, quique ullam
tiae immensas vires, quas perspectas habebi- halwre possint noccndi animae nostrae vim, modo
mns, si de Dci operibus digne statuamus vastamque satis scmperque habeat apud se unde contenta sit,
illam de idea universi ideam liabeamus, quam prae- sed potius augere ejus laetitiam, si observet, se ab
stantes philosophi vetercs novique animo concepere, illis laedi non posse, quod facit ut magis agnoscat
rogitemusque tantae molis existentiam singulis mo- perfectionem suam. Verum cum voluptates corpo-
mentis ab eo de|>ondpre. Horum itaque omnium ris sint quae. imagination! se confuse oifercntes, ap
VI. DEVITABEATA. 75
parent saepe longe majores quam rêvera sunt, prae- vitia, non ideo tatneu oderuut eos, quos illis vident
sertim antequain possideantur , quae maloruin om obnoxios, sed solum eorum miserentur. Âc prout
nium omniumque in vita errorum origo est, obser- non se putant multo inferiores lis, qui pluru bona
vandum (ne specie illarum decipiamur) voluntatem aut honores possident, aut qui ingenio, eruditione,
ex magiiitudine perfectionis illatu producentis esse fonnave praepollent, vel alios caeteros superant
aestimandam. Ut itaque anima nostra perfecte in aliis quibusdam perfectionibus, ita née se multo
contenta sit, nihil aliud débet quam virtutem exacte superiores existimant iis, quos si militer in his prae-
sectari ; quicuuque enim ita agit, ut conscientia sua celluut, quod haec omnia illis videantur haucl ma
exprobrare ei nequeat, ipsuin unquam neglexisse ea gna consideratione digna prae bona illa voluntate,
facere, quae meliora judicavit (quod est sectari vir ex qua sola se aestimant.
tutem), inde habet satisfactionem, quae tain potens Ac sic generosiores soient humiliores quoque
est ad efficiendam felicitatem, ut violentiores etiam esse; bumilitas autem coasistit in ea reflexione,
affectuum motus nunquam sat liabeant viriuni ad quam facimus supra intinnitatem nostrac naturae,
turbandam animi tranquillitatem. et errores quas olim potuimus et deinceps possu-
mus committere, qui non minores sunt iis qui ab
E P I L 0 G U S. aliis committi possunt, efftcitque, ut nos neniiui
Haec in habitum conversa générant generosi- praeferamus, reputantes caeteros qui pollent nobis-
tatem, quae efficit, ut homo se existimet quan cum suo libero arbitrio aeque bene ac nos eo posse
tum potest légitime. Haec autem in eo consistit, uti. Qui hoc modo generosi sunt, naturalitcr ad
partira ut norit nihil rêvera suum esse excepta hac magna patranda feruntur, sic tamen, ut nihil susci-
libéra dispositione suarum voluntatum, née se lau- piant, cujns se non capaees sentiant, et quoniam
dari aut vituperari clebere nisi quod illa bene aut nihil magis reputant quam bene facere aliis homi-
mâle utatur, partimque quod sentiat in se ipso fir- nibus proprio saepe romniodo contento, hic per
miini ac constans propositum ea bene utendi, id est fecte humam, affabiles, officiosi erga
numquam carendi voluntate, suscipiendi et exe- unumquemqiie sunt. Affectibus autem suis, sed
quendi omnia quae judicaverit meliora esse, quod inprimis invidiae ac zelotypiae dominantur, quod
est perfecte sequi virtutem. Qui hoc de se norunt reputent nihil cujus acquisitio a se non pendeat
et sentiunt, illi sibi facile persuadent, singulos alios tanti esse, ut multum debeat exoptari, et odio
homines idem de se ipsis sentire aut sentire posse, erga homines quia omnes aestimant, et m étui,
quoniam in eo nihil est, quod ab alio et non ab quod fiducia propriae virtutis sint securi, et irae,
ipsis pendeat. Idcirco neminem umquam contem- quod parvi pendentes quaccunque pendent ex aliis,
nent et etsi videant alios admittere sphalmata, quae numquam tantum concédant suis adversariis, ut se
ostendunt eonun imbecillitatein, sunt tamen pro- ab illis laesos agnoscaut Denique numquam quae-
niores ad eos excusandos, quam carpendos, et ad relas ducunt neque enim perfecte contentus est,
credendum, eos potius ex notitiae quam bonae vo- qui habet adhuc, de quo conqucratur.
luntatis defectu peccare, et quamris odio habeant
10*
VII.
DIALOGUS
DE
1677.
COeuvrcs philosophiques latines et françaises de feu Mr. de Leibniz tirées de ses manuscrils, qui se con
servent dans la bibliothèque Royale à Hanovre et publiées par Mr. il ml. Eric Ilaspe. Août, et !.. HP/,.
1765. 4. p. 505.).
A. Si filum Tibi daretur, quod ita flectere dcbetis, A. Tentanda tamen conciliatio est. Putasne om-
ut in se redeat et quautuni pluriiuuin spatii nes cogitationes, quae fieri possent, ro^ipse for-
comprehendat, quomodo id flecteresî mari, vel ut clarius jam dicam, |>utasnu oinucs
B. In orbem. Ostendunt enim Geometrae circu- propositioues cogitarii
luin cssc capacissmium tigurarum ejusdem am- B. Non puto.
bitus: et si duae sint Liisulae, una orbieularis, A. Vides ergo veritatem cssc propositionum seu
altéra quailrata, quae aequali tempore circum- cogitatiouum, sed possibilinm, ita ut illud sal-
iri possint, orbicularem plus agri continere. tem certum sit, si quis hoc aut contrario modo
A. Hoccine verum esse putas, etiaiusi a Te non cogitet, cogitatioueui ejus veram aut falsiim
cogitetur ? fore?
B. Iino, antequain vel Geometrae id demonstras- B. Recto nos expediisse videris ex lubrico loco.
scnt, vcl hotnines observassent. A. Sed quoniam caussam aliquain adesse neccsse
A. Krgo in rébus non in cogitatiouibus vcritatem est, cur cogitatio aliqua vera aut falsa fut uni
ac falsitatem esse putas? sit, haiio ubi quaeso quaeremus .'
B. Ita saiie. B. lu uatura rcriim puto.
A. Au res aliqua falsa est? A. <iuid si ea oriatur ex natura Tua.'
B. Non res puto, sed cogitatio vel propositio B. Certe non ex sola; nam necesse est et mcani
de re. et rerum, de quibus cogito, naturam talem esse,
A. Itaque falsitas est cogitationum, non reruiii ! ut, quaudo methodo légitima procède, propo-
B. Cogor fateri. sitioncm, de qua agitur, seu veram seu falsain
A. Nonne ergo et veritasï concludam.
B. Videtur; subdubito tanieii an valeat conse- A. Pulcre respondes. Sunt tamen difïïcultatcs?
qucntia. B. Quaenam obsecro?
A. Nonne pro|K>sita quacstionc, autequain senten- A. Quidam viri docti putant veritatem oriri ab
tiae certus sis, dubitas verumne aliquid vel fal- arbitrio humano et ex nominibus seu characte-
siun sit? ribusJ
B. Certe. B. Valde paradoxa haec sententia est.
A. Agnoscis ergo idem cssc subjectuni vcritatis et A. Setl eam ita probant. Nonne defmitio est priii-
falsitatis eapax, doncc alterutrum ex particulari cipium demonstrationis?
quaestionis uatura constetî B. Fateor, nain ex solis deniûtionibus inter se
B. Agnosco et fatcor, si falsitas sit cogitationum juuctis propositioncs alicpae demonstrari pos-
etiam vcritatern esse cogitationum non rerum. sunt.
A. Sed hoc illi contradicit, quod supra dixisti, ve- A. Talium ergo propositionum veritas peudct a de-
nim esse ctiam quod a nemino cogitaturl finitiouibus? .
B. Perplexum me rcddidistl B. Concetlo.
VII. DE CONNEXIONS RERUM ET VERBORUM. 77
A. At definitioucs pendent ab arbitrio nostroï terc, saltem in Iiis elcinentis nulla opus esse
B. Quiil ita? similitudine. Exempli causa inlucis aut fc-
A. Nonne vides in arbitrio esse Matlieniaticorum rendi vocabulo, tametsi couipositum Lucifer
uti voce Ellypseos ut siguifiect figurant quan- relationem ad lucis et ferendi vocabula habcat
damï Et in arbitrio Latinorum fuit, voci Cir- ei respondentem, quam habet res, Lucifero
culus imponere significationem, quaui exprimit significata, ad rem vocabulis lucis et ferendi
dcfinitio ï signincatamî
B. Quid tum? Cogitatioues fieri possunt sine vo- B. At Graecum <pu!<y<popoç eandem habet relatio
cabulis. nem ad çtùç et cpéyui.
A. At non sine aliis signis. Tenta quaeso an ul- A. Poterant Graeci non hac sed alia voce uti.
lum arithmeticum calculuin institucre ]x>ssis B. lia est; sed hoc tamen animadverto, si charae
sine signis numeralibusi (Cum Deus calculât et teres ad ratiocinandum adhiberi possiut, m il-
cogitationem exercet fit niuiidus). lis aliquem esse situm complexum ordinem, qui
B. Valde nie perturbas, neque enim putabani cha- rébus convcnit, si non in siugulis vocibus(quam-
racteres vel signa ad ratiociiianduin tam neces- quam et hoc melius foret) saltem in carum eou-
saria esse. juuctioue et flexu, et hune ordinem, variation
A. Ergo veritates Arithmeticae aliqua signa scu quidem in omnibus liuguis, quodammodo re-
charaeteres supponuuU spondere. Atquc hoc inilii spem facit exeuudi
B. Fatenduni est. e diflicultate. Nain etsi charactercs sint arbi-
A. Ergo pendent ab hoininum arbitrio 1 trarii, corum tamen usus et connexio habet
B. Videris me quasi pracstigiis quibusdani circum- quiddam, quod non est arbitrarium, scilicet pro-
venire. portionem quandam inter characteres et res di-
A. Non mea haec sunt, sed ingeniosi admodutn versorum characterum, easdem res exprimen-
scriptoris. tiiim, relationes inter se. FA haec proportio
B. Adeone quisquam a bona mente discedere pot- sive relatio est fundainentum veritatis. Efficit
est, ut sibi persuadeat veritateni esse arbitra- enim ut sive hos sive alios characteres adhibea-
riam et a nominibus pendere, cum tamen con mus, idem semper sive aequivalens seu propor-
stat eandem esse Graecorunj, Latinorum, Ger- j tioue rgspondens prodeat, tametsi forte ali-
luanorum Geometriam? quos semper charaeteres adliiberi neccsse sit ad
A. Recte ais. Interea difficultati satisfaciendum est. cogitaudum.
B. Hoc unum me mâle habet, quod nuuqtiam a A. Euge: praeclare admodum Te cxpediisti. Id-
me nllam veritatem agnosci, inveniri, probari que confirmât calculus analyticus arithmoticusve.
animadverto nisi vocabulis vel aliis signis in Nain in nntncris eodem semper modo res suc-
animo adhibitis. cedet, sive deuaria sive, ut quidam fecerc, duo-
A. Imo si charaeteres abessent, nunquam quic- ! deuaria progrcssione utaris et postea quod di-
(|uaiu distincte cogitaremus, neque ratiocina- ! versimodo calculis explicasti, in granulis aliavc
reniur. | materia nurnerabili exsequaris; semper enim
B. At quando figuras Geometriae inspicimus, saepe idem provcuit. Et in Analysi, etsi diversis
ex accurata earum meditatione veritates eruimus. characteribus facilius appareant diversae rcrum
A. l'a est; sed sciendum etiam lias figuras haben- habitudincs, semper tamen basis veritatis est in
das pro caractcribus , neque enim circulus in ! ipsa connexione atque collocatione cliaracterum ;
charta descriptus verus est circulus, neque id ut si quadratum ab a dicas a 2 pro a ponendo
opus est sed sufficit eum a nobis pro circulo -t-i1
b+c habebis quadratum ., + 2 6c; vel
haberi. T~ £
B. Habet tamen similitudinem quaudam cum cir pro a poneudo d — e quadratum liabebis
culo, eaque certe arbitraria non est.
. i — 2 de. Priori modo exprimitur re-
A. Fateor, ideoque utilissimi charactcrum sunt figu- ~i~ e
rae. Sed quam similitudinem esse putas inter ! latio totius a ad snas partes bc. Posteriorc
denarium et charactarem 101 motlo partis a ad totuin d ejusquc supra par-
B. Est aliqua relatio seu ordo in characteribus, qui in ; tem a excessum e. Rem autcm semper eodem
rébus, iuiprimis si charaeteres sint bene invcnti. redire apparet substituendo. Nam in formula
A. Esto, sed quam similitudinem cum rébus ha- dî-4-eï — 2 de in locum ipsius d substitua-
bent ipsa prima elcmenta, verbi gratia o. cum mus eius valorem a-\-e tune pro d1 habcbi-
nihilo, vel a. cum liuea! Cogcris ergo admit- tur a 2 + e * + 2 ae et pro — 2 de habcbi-
78 VIII. EPISTOLA AD CONRIXG1UM.
tur — 2 a * — 2e*. Ergo in unuin ad- racteribus loquaiitur (ut Theoremata de abje-
dendo: •+• rfz aequal.o'*+ e2+'2ae ctione noverarii agentia) non tamen in eo,
-f- e " aequal. + e * quod in iis est arbitrarium, sed in eo, quod
— 2 Je aequal. — 2e* — 2ae est perpetuum, relatione nempe ad res, con-
sistunt, seniperque veruin est sine ullo arbi-
prodibit summa - - - a 2 trio nostro, quod positis talibus characteribus
Vides iitcunque pro avbitrio sninantur charac- talis ratiocinatio sit proveiitura, et ]x>sitis aliis,
teres, modo tamen in eorum usu certus ordo quamquatn nota ad priores relatio sit alia qui-
et n H » lus servetur, semper omnia consentire. dem, sed etiain relationem servans ad priores,
Quanquam ergo veritates necessario supponant ex characterum relatione resultantem, quae sub-
aliquos characteres, iiuo aliquando de ipsis cha- stituemlo vel comparando
vm.
EPISTOLA AD HERMANNUM COlSfRINGIUM
DE
CARTESIANA DEMONSTRATIONE
EXISTENÏIAE DEL
1678.
(Theod. cuil. Rlttmeierl disserlal. de praeclpols errorum causis in prima philosopbia. Uelrost. 1727.
ti. Ï'J. annol. a. — Leibn. Opp. éd. Dutens Tom. II. P. 1. p. 264).
Renatus Cartesius adgressus est denionstrare ! esse ponatur. Sed hoc dudum ostenderunt et scho-
cxistentiamDei, et immaterialitatem nostrae mentis, lastici, et hinc tantutn praesuintio, non vero certi-
ejusque ratiocinationes in formam mathematicam tudo existentiae divinae haberi potest. Carte
redegit Benedictus Spinosa, idem ille, qui sius autem sophismate quodam vel probare hanc
TractatumTheologico-politicum deliber- existentiae divinae possibilitatem, vel ab ea pro-
tate philosophandi, passim refutatum, scri- bauda se liberare conatus est. Et tamen sophisma
psii Examinavi diligenter Cartesiana ratiocinia. illud six^iosum et Cartesium pariter ac sectato-
Detectum est tandem a me, hoc saltem ex ratioci- res ejus dccepit, quia rigorem demoiistraudi cocptum
nationibus illis iidcurata deinonstratioue cvinri. quidem, non tamen ad finem perduxere.
quod Deus necessario existât, si modo possibilis
IX.
MEBITATIONES
DE
Quoniam hodie inter viros egregios de veris, et resolvi posse, quippe cum causas suas habeant.
falsis ideis controversiae agitantur, caque res ma- Similiter videmus pictores aliosque artifices probe
gni ad veritatem cogiioscendam inomenti est, in oognoscere, quid recte, quid vitiose factum sit, at
qoa née ipse Cartesius usquequaque satisfecit; judicii sui rationem reddere saepe non posse, et
placet quid mihi de discrimiiiibus atque criteriis quaerenti dicere, so in re, quae displicet, deside-
idearum et cognitionutn statuendum videatur, ex- rare nescio quid. Ât distincta notio est
plicare paucis. Est ergo cognitio vel obscura, vel qualem de auro habent Docimastac per notas scili
rlara; et clara rursus vel confusa vel distincta; cet et examina sufficientia ad rem ab aliis omni
et distiucta, vel inadaequata, vel adaequata: bus coqwribus siinilibus discernendam: taies ha-
item vel symbolica, vel intuitiva: et quideni si bere solemus circa notiones pluribus sensibus com
simul adaeqoata, et intuitiva sit. perfectissima est. munes, ut numeri, magnitudinis, figurae, item circa
Obscura est notio, quae non sufficit ad rem multos affectus animi, ut spem, metum, verbo,
repraesentatam agnoscendam , vcluti si utcuuque circa omnia, quorum habemus défini tione m uo-
meminerim alicujus floris, aut auimalis oliin visi, minalem, quae nihil aliud est, quam enumeratio
non tamen quantum satis est, ant oblatum recogno- notarum sufncientium. Datur tamen et cognitio
scere, et ab aliquo vicino discernere possim; vel si distincta notionis indefinibilis, quando ea est pri-
considerem aliquem terminum in scholis parum ex- mitiva, sive nota sui ipsius, hoc est, cum est irre-
plicatum, utentelechiam Aristotelis, ant causam solubilis, ac non nisi per se iutelligitur, atque adeo
prout communis est materiae, formae, efficienti, et caret requisitis. In notionibus autem compositis,
fini, aliaqun ejusmodi, de quibus uullam certain de- quia rursus notae singulae coinponentes interdum
finitionem habemus: unde propositio quoque ob clare quidem, sed tamen confuse cognitae sunt, ut
scura fit, quam notio talis ingreditur. Clara ergo gravitas, color, aqua fortis, aliaque quae auri
cognitio est, cum liabeo unde rem repraesentatam notas ingrediuntur, liinc talis cognitio auri licet di
agnoscere |K>ssim, eaque rursum est vel confusa, stincta sit, inadaequata est tainuii. Cum vero
vel distinrta. Confusa, cum scilicet non possum id omne quod notitiam distinctam ingreditur, mr-
notas ad rem ab aliis discernendam sufficientes se- sus distincte cognitum est, seu cum analysis ad
]>aratim euumerare, licet res illa taies notas, atque l'un 'in usque producta habetur, cognitio est adae
requisita rêvera habeat, in quae notio ejus resolvi quata, cujus exemplum perfectum nescio an ho-
possit: ita colores, odores, sapores, aliaque peculia- i M ii il -; dare possint; valde tamen ad eam accedit
ria sensuum objecta satis clare quidem agnoscimus, notitia numerorum. Plerumque autem, praesertim
et a se invitera discernimus, sed simplici seusuum in analysi longiore, non totam simul naturam rei
testimonio, .non vero notis enuntiabilibus; ideo née intuemur, sed rerum loco signis utimur, quorum
caeco explicare possumus, qnid sit nibrum, née aliis explicationem in praesenti aliqua cogitatione com-
declarare talia possumus, nisi eos in rem praesen- pendii causa solemus practcrmittcre, scientes, aut
tem ducendo, utque ut idem videant, olfaciant, aut credentes nos cam haberc in potestate: ita cum
gustent efficiendo, aut saltem praeteritae alicujus cliiliogonum, seu polygonum mille aequalium late-
perceptionis similis eos admonendo: licet certain rum cogito, non semper naturam lateri' , et aequa-
sit, notiones harum qualitatum composites esse, et litatis, et millenaiii (seu cubi a dimario) considère.
80 IX. MEDITATIONES DE COGN1TIONE etc.
scd vocabulis istis (quorum sensus obscure saltcni, bere; intclligimus enim utique quid dirai uns. et ta
atque imperfecte menti obversatur) iii anitno utor men nullam utique habemus ideam rernm impossi-
loco idearum, quas de iis habeo, qnoniaui meinini bilium. Eodem igitur modo non sufficit nos cogi
me significationem istornm vocabuloruin habere, tare de Ente perfectissimo, ut asseramus nos ejus
explicationeui autem nnnc judicio necessariam non ideam haberc, et in hac allata paulo ante demon-
esse; qualem cogitationeui caecam, vel etiani stratione possibilitas Eutis perfectissimi aut osten-
symbolicam appellare soleo, qua et in Algebra, et dcnda, aut snpponcnda est, ut recte coiicludamus.
in Arithmetica utimur, imo fere ubique. Et certe Intérim nihil venus est, quam et nos Dei liahere
ciun notio valde composita est, non possumus oui- ideam, et Eus perfectissimum esse possibile, imo
nés ingredientes eam notiones simul cogitare : ubi necessarium; argumentum tameu non satis conclu
tamen hoc licet, vel saltem in quantum licet, cogni- dit, et jam ab Aquinate rejectum est.
tionem voco intuitivam. Notionis distinctae Atque ita hahemus quoque discrimen inter de-
primitivae non alia datur cognitio, quani intuitiva, finitiones nominales, quae notas tantum rei
ut coiripositarum plerumque cogitatio non nisi sym- ab aliis discernendae continent, et reaies, ex qui
bolica est. bus constat rem esse possibilein, et liac ratione sa
Ex bis jam patet, nos eorum quoque, quae di tisfit Hobbio, qui veritates volebat esse arbitra-
stincte cognoscimus, ideas non percipere, nisi qua- rias, quia ex definitionibus nominalibus penderent,
tenus cogitatione intuitiva utimur. Et sane eon- non considérons realitatcm definitionis in arbitrio
tingit, ut nos saepe faJso credainus Iiaberc in animo non esse, née quaslibet notiones inter se posse con-
ideas rerum, coin falso supponimns aliquos termi jungi. Née definitioncs nominales sufticiuut ad
nes, quibus utimur, jam a nobis fuisse explicàtos: perfectani scientiam, nisi quando aliunde con
née verum, aut certe ambiguitati obuoxium est, stat rem definitam esse possibilein. Patet etiam,
quod ajunt aliqui, non posse nos de re aliqna di- quae tandem sit idea ver a, qnae fa 1s a, vcra sci-
cere, intelligendo qnod dicimus, quin ejus habea- licet cum notio est possihilis, falsa cum contradic
inus ideam. Saepe enim vocabula ista singula tionem involvit. Possibilitatem antem rei vel
ntcunque intelligimus, aut nos antea intellexisse a priori cognoscimus, vel a posteriori. Et quidem
meminimus, quia tamen hac cogitatione caeca con- a priori, cum notionem resolvimus in sua requi-
tenti MU nus, et resolutionem notionum non satis sita, seu in alias notiones cognitae possibilitatis,
prosequimur, fit ut lateat nos contradictio, quam nihilque in illis incompatibile esse scimus; idque
forte notio composita involvit. Haec ut considera- fit inter alia, cum intelligimus modum, quo res
rem distinctius, fecit olim argumentum, dudutn possit prodnci, unde prae caeteris utiles snnt De-
inter scholasticos célèbre, et a Cartesio rcnova- finitiones causales: a posteriori vero, cnm
tum, pro existentia Dei , quod ita habet : Quicquid rem actu existere cxpcrimur; quod eniin actu exti-
ex alicujus rei idea, sive defiuitione sequitur, id de tit, id utique possibile est. Et quidem quando-
re potest praedicari. Existentia ex Dei (sivc En- cunque habetur cognitio adaequata, habetur et co
tis perfectissimi, vel qno inajus cogitari non potest) gnitio possibilitatis a priori; perducta enim ana-
idea sequitur. (Ejis enim perfectissimum involvit lysi ad finem, si nulla apparet contradictio, utique
omnes perfeetiones, in quarurn numéro est etiam notio possibilis est. An vero unquam ab honiini-
existentia). Ergo existentia de Deo potest prae bus perfecta institui possit analysis notionum, sive
dicari. Verum sciendutn est, inde hoc tautum con- an ad prima possibilia, ac notiones irresolnbi-
fici, si Deus est possibilis, sequitur quod existât; les, sive (quod eodcm redit) ipsa absoluta attributa
nam definitionibus non possumus tuto uti ad con- Dei, nempe causas primas, atque ultimam rerum
cludendum, antequam sciamus eas esse reaies, aut rationem, cogitationes suas reducere possint, nnnc
nullam involvere contradictionem. Cujus ratio quidem definire non ausim. Plerumque contenti
est, quia de notionibns contradictionem involven- sumus, notionum quanmdam realitatem exj>erien-
tibus simul possent concludi opposita, quod absnr- tia didicisse, unde postea alias roinpoiiimus ad
dum est. Soleo autem ad hoc declarandum uti exemplnm naturae.
exemple motus celerrimi, qui absnrdum implicat; Hinc ergo tandem puto intelligi ]»sse, non sem-
ponamus enim rotam aliquam celerrimo motu ro- per tuto provocari ad ideas, et multos specioso illo
tari, qnis non videt, productum aliqnem rotae ra titulo ad imaginationcs quasdam suas stabiliendas
dium extremo suo celerius- motum iri, quam in ro abuti; neque enim statini ideam habemus rei, de
tae circumferentia clavnin; hujus ergo motus non qua nos cogitare sumus conscii, quod exemple ma-
est celerrimus, contra hypotliesin. Intérim prima ximac velocitatis paulo ante ostendi. Née minus
fronte videri posât nos ideam motus celerrimi ha- abuti video nostri temporis homines jactato illo
IX. MED1TATIONES DE COGN1TIONE etc. 81
principio: quicquicl clare, et distincte de re aliqua nôtio ant euuntiatio non amplius parumper
aliqua percipio, id est verum, seu de ea oi)scura, aut dubia est. Veruntamen quid conve-
enuntiabile. Saepc enim clara,et tlistmcta viden- niat ex attenta eorum, quae lue diximus, considera-
tur houiinibus temere {udicautibus, quae obscura et tione erui potest, nunc enim brevitati studcmus.
confusa sunt. Inutile ergo axioma est, nisi clari et Quod ad controversiam attinet, utrum omnia vi-
distincti criteria adhibeantur, quae irailidinnis, et deamus in Dec, (quae «tique vêtus est sententia,
nisi constet de veritate idcaram. De caetera lion con- et si sano sensu intelligatur, non omuino sper-
temnenda veritatis enuntiationum criteria suut regu- nenda) an vero proprias ideas liabeamus, sciendum
lae communis Logicae, quibus et Geometrae est, etsi omnia in Deo videremus, neccsse tamen
1 1 1 1 1 n i i il-, ut scilicet niliil ad mittatur pro certo, nisi ac- esse ut liabeamus et ideas proprias, ici est non quasi
curata experientia, vel finna demonstratioue proba- icmvulas quasdam, sed affectiones sive modificatio-
tum ') ; firma autem demonstratio est. quae praescri- nes mentis nostrae, respondentes ad id ipsum, quod
ptam aLogica forniam servat, non quasi sempcr ordi- in Deo perciperemus : utique enim aliis cogitatio-
natis scholarum more syllogisimis opus sit (quales nibus subeuntibus aliqua in mente nostra mutatio
ChristianusHerlinus, et ConradusDasypo- fit ; reruin vero actu a nobis non cogitatorum ideae
ditis in sex prioresEuclidis libres exhibuerunt) sunt in mente nostra, ut figura Herculis in rudi
sed ita saltem ut argumentatio condudat vi forraae, marmore. At in Deo non tantnm necesse est actn
qnalis argumentationis in forma débita con- esse ideam extensionis absolutae, atque infinitae,
ceptae exemplum etiam calculinn aliquem legitimum sed et cujusque figurae, quae nihil aliud est, quam
esse dixeiïs; itaque née praetermittenda est aliqua extensionis absolutae modificatio. Caeterum eum co
praemissa necessaria, et omnes praemissae jam ante, lores, aut odores percipimus, utique nullam aliam ha-
vel demonstratae esse debent, vel saltem instar bemus, quam figurarum et motuum perceptionem,
hypotheseos assumtae, quo easu et conclusio hypo- sed tam multiplicium, et exiguorum, ut mens no
thetica est. Haec qui obscrvabunt diligenter, facile stra singulis distincte considerandis in hoc prae-
ab ideis deceptricibus sibi cavebunt. His autem satis senti suo statu non sufficiat, et proinde non ani-
congruenter ingeniosissimusPascalius inpraeclara madvertat perceptionem suain ex solis figurarum,
dissertatione de ingeiiio Geometrico (cujus fragmen- et motuum minutissimorum perceptionibus compo-
tum extat in egregio Libre celeberrimi Viri Anto- sitam esse; quemadmodum confusis flavi et cae-
tonii Arnaldi de arte bene cogitandi) Geometrae rulei pulvisculis viridem colorem percipiendo, nil
esse ait definire omnes termines parumper ob- nisi flavum et caeruleum minutissime mixta sen-
scuros, et comprobare omnes veritates parumper timus, licet non animadvertentes, potius novum
dubias. Sed vellem definiisset limites, quos ultra aliquod Ens nobis fingentes.
1 I Saepissime eos Leibnilius laudal, qni axiomata demonslrare conanlur. Prae céleris locum nota-
mus e Commerclo eplstolico cnm Jo. Bernoullio excerplum. Cui a. MDCXO'VI. m. Ang. lia Leibnillus
scriblt: lv. Virr. cet. G. G. Leibn. et Jo. Bern. Commère, philos, et math. Lansannae e( Genevae 1745.
TMIII, [. p. !lfi. |: ..(.mini ilixi, omnis Axiomalis a nie demonslrationem desiderari, non temere diclum est: idquo
animadverlis opinor, si quando vacabil inspicere medlialiones quasdam meas de ideis, quae extanl in Lipsien-
siumActis. Excipio tamen Axiomaia illa, qnae sunt indemonstrabllla, Ipsas scllicet Idenlicas propositloneg. Cae;era
omnia, qnae gcilicet possunl demonslrarl, etiam utile est demonslrari,cum aliqnainagmmomeniiTheoreinaia in ilsfun-
dantnr. Idque etiam vetere» viderunl. Unde Apolloniuii (in scrlptls deperdiiis) et Proclns et alii Axiomala ab Euclide
aasumla demonstrare sunl conali. Eamque rem frnctu non carere facile opinor concède», quem tamen nun vident, qui
icienliarum ntililatem vu!:.';if i modiilo meliunlur. Intérim vides, ea limitatione, quam addidi et quam addendam «sue
praevideri poterat, non esse cur progiessum In infinitum vereare in demonslrando. Unum addo: multum apud me
interesse inter haec duo, in duhiiim vocare propositionem, et demonstralionem ejus expeterej qnod dum a le
hic pro eodem habetur, hinc Jam video, cur quae dlxeram de Axiomalibus dcmonstrandis mira tibl sint visa.
Si Cartesius hoc lanlum voluissci, cum de omnibus dubitandum dlxit, qnod ego desidero, nullo jnre reprehen-
derelur; sed ille dupliciter peccavil nimis dubilando et nimls facile a dnbitalione discedcndo. Illud ipsum quod
objicis Axioma: Totum esse majus parle, opporlune a Te offerlur. Id ccrte numquam in dubium vocavl et ta
men aliquando demonflralioncm ejus expelii, imo inveni uno syllogismo comprehensam, innixo demiitionl mino
ns et majorls etAxiomati Identlco: Minus enim définie, quud allerius (majoris) parti aequale est. Axioma
antem identicum quod adhibeo est: Vnumquodque aequale esse slbl ipsi, seu a=a. Hoc enim tanuiuam itidu-
mouMrabile sumo. Sic ergo argumenter in syllogismo primae figurae:
Quidquid est aequale parti totius, id loto minus est (per Delnitionem Minoris).
Pars lolius est aequalis parti totitis, (nenipe sibi ipsi per Axioma idenlicum).
Krgo pars totius loto mlnor est. Quod erat demoiislrandum. Ita vides quomodo omnium demonsiraiio-
num a priori duo sint principia ullima, definilioncs et Proposiliones idcnlicac, qnod eliam alibi a me notaftim
est. Alquc haec paulo lalius deducere operae prelium pulavi ut pro «eqaltale Tua facilius me absolvas in
posfenim, si qua forte dicam obiler, quae primo aspectn insibidiora videbuntur, aul speclem suterfugii habe-
bont, cum nlbil slnt minus.
11
X.
EPISTOLA AD LUDOVICUM DE SECKENDORFF
DE
Praeclarus est locus Aristotelis in cundem in omnibus hominibus idem, post mortem saperait,
c. 14. quem citas, et rccte ab illo dictum est, esse quam sententiain renovarunt Averroistae. Sed
aliquid in nobis agens ratioue praestantius imo di- oinisso î H ii • pcssimo additamento, ipsa sententia per
vinum: quanquam rationes, quas affert de Enthu- se pulclierrima est et rationi ac Scripturae confor-
siasmis et successibus iniperitorum parum validae mis. Deus est euim lumen illud, quod illuminât
sint. Idem, et multo potiorîbus argumcntis, de- omnem hominem venientem in hune mundum. Et
monstrari potest ex ipsa nientium natura. Aristo- veritas quae intus nobis loquitur, cum aeternae cer-
teles autem vereor ne hic in animo habuerit sen- titudinis theoremata intclligiiuus, ipsa Dei vox est,
tentiam perniciosam, cujus sese alibi suspectum red- quod etiam notavit D. Angustinus.
didit : de intellectu agente universali, qui solus et
XI.
DE SCIENTIA UNIVERSALI
SEU
CALCULO PHILOSOPHICO.
CE schedis Lelbnitlanls nondum edilis, quae Hanoverac in bibliollieca Régi» as*ervantur.)
Omnia quae certe cognoscimus, vel demonstra- quaeri ab hominibus soleant, nulla alia est, qnam
tionibus, vel experimentis constant et in utroque quod characteres tractabiles notionibus
dominatur ratio. Nam ipsa ars instituendi expé rcspoudentes extra numéros non liabentur.
rimenta, iisque utendi certis rationibus nititur, qua- Quae causa est etiam, cnr ne Geometria quidem
tenus scilicet a casu sive fortuna non pendet. hactenus analytice tractata sit, nisi quatenus ad nu
Missis nunc experimentis, quippe quae sumti- méros revocatur jxn- analysin siieciosam, in qua
bos et apparatu indigent, quin et fortuna adjuvan- numeri générales literis designantur. Datur tamen
tur, dicamus tant un î de perficieudis scientiis, quate- alia analysis geoinetriae sublimior per pro-
nus ratione nitnntur. prios characteres, qua multa pnlchrius breviusque
Progressus artis inventoriae rationalis pro ma- quam per Algebram praestantur, cujus et specimina
pna parte pendet a perfectione artis characteristicae. liabeo.
Causa, cur non nisi in solis numeris et lineis, et Et dari demonstrationes etiam extra magnitudi-
rebos quae his repraesentantur, dcmonstrationcs nes, vel Logicorum formae documenta esse
XI. DE CALCU10 PHILOSOPHK'O. 83
possuiit, quin et ICti in Digcstis quaedam exhibent detenninatae contingentium vcritati, et nietamor-
vere demonstrata, cujus rei specimina produxi dis- phosis pro metempsychosi.
sertatione de Conditionibus, et Joli. Suis Duobus utor in demonstrando principiis,
se t, dictus Calculâtor, aliique post ipsuiu, etiam quorum unum est: falsum esse quod implicat con-
in Metaphysicis, declere deinonstrationes de tradictioneni ; altenun est: omnis veritatis (quae
gradibus iutensionibusque formarnm; et quaedam immediata sive ideutica non est) reckli posse ra
a Platonicis et Aristotelicis dicuntur, quae non dif- tio ne m, hoc est, notionem praedicati scmper no-
iii'iiitir demonstratioiiis forma indui possunt. Si tioni sui subjeoti vel expresse vel implicite inesse,
daretur vel lingua quaedam exacte (qualem qui idque non minus in denomiuatioinbus extrinse-
dam Adam ic a m voeant, vel saltem genus scri- cis quam intrinsecis, non minus in veritatibus con-
pturae vere philosophicae , qua iiotioncs tingentilnis quam necessariis locum liabere.
revocarentur ad Alphabethnm quoddam co- Discrimen inter veritates necessarias et
gitationum humanarum, omnia, quae ex da- contingentes vere idem est, quod inter numé
tis ratione assequi, inreniri )>ossent quodam gé ros commeiisurabiles et incommensurabiles : ut enim
nère caluuli, pt'rinde ac resolvuntur problemata
in numeris conunciisurabilibns resolutio fieri pot-
aritiunetica aut geometrica.
est in commuuem mcnsurani, ita in veritatibus ne
Atque ea vera foret sive Cabbala vocabulo-
cessariis demoastratio, sive reductio ad veritates
nim mysticornm, sive Aritlimctica numerorum
identicas locum habet. At quemadmodum in sur-
Pythagoricorum, sive Characteristica Mago-
dis rationibus resolutio procedit iu iiinnitum, et ac-
rnm, hoc est Sapientuni.
ceditur quidem utcunque ad coinniuncm mensuram,
Rei tantae suspicionem aliquam hausi paeue ad-
ac séries quaedam obtinetur, sed interminata, ita
huc puer, et qualemcunque descriptiouem obiter in-
eodem pariter processu veritates contingentes infi-
serui libelle ab adolescente olim edito de arte
nita aualysi indigent, quam solus Deus transiro
Combinatoria.
potest. Unde ab ipso solo a priori ac certe co-
Possibile esse, imo facile, et intra aliquot annos
gnoscuntur. Etsi enim semper ratio reddi posset
ab aliquot intelligcntibus, conspirantibusque pro
j status posterioris ex priore: hujus tamen rursus
suo primo gradu absolvendum, geometrica sane cer-
ratio reddi potest, nequc adeo ad ultimam ratio-
titudine possum deinoiistrare.
Verissima pulcherrimaque compendia Analy- neni in série pervenitur. Sed ipse progressas in
tices hujus gcneralissimae humanarum i innnitnm habet rationis locum, quod, suo quodain
cogitât ionum exhibuit mihi inspectio Analysées I modo, extra seriem, in Deo, rerum autore poterat
| statim ab iuitio intclligi, a quo priora aeque ac
inatliematicae, cui tanto studio incubui, ut nescio
posteriora, et magis quam a se invicem dépendent.
an sint hodic multi, qui plus in ea operae po-
Quaccnnque igitur veritas analysées est iucapax,
snerint.
demonstrarique ex rationibus suis non potest, sed
Certo abdita quaedam in Matliesi a me primum ex sola divina meute ratioucm ultimam ac certi-
fuisse evicta cum applausu summorum Mathema- tuclinem capit, necessaria non est. Talesque sont
ticorum, constat intcr eos qui studiis istis impeu- omnes, quas voco veritates facti. Atque haec
sius delectantur. est radix contingentiae, nescio au hactenus explica-
Loco axiomatum et theorematum Eucli-
tae a quoquam.
daeorum de magnitudine et proportione inveni ego
alia multo majoris mouienti, ususquc generalioris, Discrimen inter notionem obscuram et cla-
de coiucidentibus, congruis, similibus, Vam, confusam et distinctam, adaequatam et inad-
determinatis, de causa et effectu, sive de acquatam, suppositivam et intuitivam jam in sche-
potentia, de relationibus in universum, diasmate quodam Actis Lipsiansibus inserto a me
de continente et contento, de eo qnod per est explicatum.
se et per accidens fit, de generali natura substau- Sed ut redeain ad expressionem cogitatiouum
tiae, deque perfecta spontaneitate et ingene- per characteres, ita seutio numquam controversias
rabilitate et incorruptibilitate substantia- finiri, neque sectis silentinm impoui posse, nisi a
rnm, deque unione rerum et conspiratione ratiocinationibus complicatis ad calcules simpli-
substantiorum, inter se. Unde et arcanum unio- ces, a vocabulis vagae incertaeqne significationis ad
nis inter aniinum et corpus interceden- characteres déterminâtes, revocemur.
tis in lucem prodit, modusquc quo o]>craiitur Id scilicet efficiendum est, ut omnis paralogis-
substantiae, et concursus Dei, et causa inali et mus nihil aliud sit qnam error calcul!, et ut
libellas conciliata providentiae ccrtitudinique sou 1 sophisma, in hoc nova scripturac génère expres
11*
84 XI. DE CALCULO PH1LOSOPHICO.
M » ii. rêvera nihil aliud sit qaam soloecismus niiin, conjecturarum, iiidicioruni. Possum etiam
vel barbarismus, ex ipsis grammatices hujus ostendere, quomodo non minus in calculo geuerali
philosophicae legibus facile revincendus. quam in calculo numerico examina sive indicia
Quo facto, quando orientur contreversiae, non veritatis excogitari possint objection! novenariae,
magis disputatione opus erit inter duos philosophes, talibusque aliis similibus respondentia , prorsus
quain inter duos Computistas. Sufficiet euim, ca- quemadmodum objectio haec per me a numeris
lamos in manus sumere, sedcreque ad abacos, et communibus ad Algebram translata est.
sibi mutuo (accito si placet ainico) dicere: calcu- In hoc tamen semper discrimen manebit inter
leinus. ingénia etiam post inventam et vulgatam liane ana-
Ne quis autem a me impossibilia jactari aut spe- lysin, ut alii aliis promtius et majori extemporali-
rari putct, sciendum est, liac arte ea tantum (con- tate ratiocinentur. Quemadmodum, reperta licet
veuienti studio adhibito) posse obtineri, quaecun- Aritlnnetica et eo perfcctionis redacta, ut pro com
que ex datis quantocunque ingénie pos- muni usu niliil magnopcrc requiratur, uihilo minus
sint elici, sive quae ex datis sunt determinata; sunt quidam, qui pêne sine calculis aut calamo sola
prorsus ut in problematibus Geoinetriae, quae vere vi mentis maximas operationes promtissime absol
facti sunt, et a fortuna vel casu pendent, eate- vant. Atque in his etiam dominai»tur semper ex-
nns ad artem invcniendi non pertinere manife- perientia, et homines in usu versati etiam tune,
stuni est. cum haec ars prostabit, prae aliis, minus exercita-
Et ne quis porro post hanc limitationein existi- tis, ingénie et scientia jwribus, valebunt. Ut cniin,
met, exigui igitur usus hanc artem fore in illis om qui saepe calculavit certo quodam modo (excmpli
nibus, ubi opus est conjecturis, ut in indagationi- gratia per florenos et solides) is memoria teneus
bus historiarum civilium vel naturalium, in arte proventus quos saejx! expertus est, multo promtius
cxaminandi corpora naturalia vel personas intelli computos taies absolvct, quam qui in aliis monetis
gentes, adeoque in vita communi, in medicina, magis quam in hac sunt versati ; ita qui multa in
jure, militaribus et reipnblieae gubernatione, — aliquo génère experti sunt, illi, memoria eveiito-
sciendum est : quantum in illis omnibus valet ratio rum, saepc ratiociuandi necessitatem praevenire
(valet autem plurimum) tantum et multo magis possuut, atque adeo extemporalitate praepollent.
l>osse liane artem, quae nihil aliud est, quam Intérim certum est, si liaec ars analytica generalis
sununa quaedam exaltatio, et compendiosis- vera aliquando absoluta et in consuetudinem tra-
simus per symbola notasve usus buuiauae ducta haberetur, homines ejus intelligentes atque
rationis. exercitatos tautum aliis praostituros, caeteris pari-
Itaque, quando ex datis quaesitum non est de- bus, quantum sciens ignare, doctus rudi, geometra
termiuatum aut exprimibile, tune alterutrum hac praestans tironi, Algebrista insignis vulgari calcu-
analysi praestabimus, ut vel in infinitum appro- latori : ita enim débita intelligeutia adliibita possunt
pinqucmus, vel, quando conjecturis agendum tandem reperiri omnia a quovis et methodo certa,
est, demonstrativa saltem ratione determinc- quantum ratione ex datis a maximo etiam ingenio
mus ipsum gradum probabilitatis, qui ex atque exercitatissimo obtineri possent, solo prointi-
datis haberi potest; sciamusque quomodo datae tudiuis discrimine manente, cujus magis in agendo
circumstantiae in rationes rcferri debeant, et quasi quam in meditaudo inveniendoque momcntum est.
in bilancem, acceptis expensisque similem, redigi Plerumquc enim, praesertim cum de scientiis au-
queant, ut quod maxime rationi conscntaneum sit gendis agitur, rcs meditandi moram feriint. Quin
eligamus. In quo etsi fallamur aliquando, ut is et in agendo saepe homines festinatioiie peccant
qui perfectissinie etiam mistos rationi aleae ludos culpa sua, et, ut fit, mora priore festinandi necessi
novit, agemus tamen quicquid ratio jubet, et ple- tatem sibi imponentes, ut proverbio etiain incre-
rumque optatum consequcnmr, quemadmodum boni buerit, pigros semper festinare. Nempe qui rébus
lusores, fortunaeque ipsius fabri, quos, ut proverbio agendis vacant, nimia meditationis dilatione in ul-
dicitur, pilae talique quaerunt. Et hoc ipsuin ju- timos agcudi articules, qua si ex re capturi consi-
dicabimus quod non tautum verisimilius sed et lium praecipitando deiiide cleliberationis necessita
tutius sit, et qnatenus conveniat spem pretio tem incousultam sibi imponunt.
emere, periculoTe. Quibus sane nihil majus ab Et ut finiam, si inventio Telescopiorum et Micro-
humana ratione postulari potest. Itaque inter cae scopiomm tantum cognitioni naturae lucis attulit,
tera molior ego Ixigicae partem quaudam, hactenus facile intelligi potest, quantum pracstarc debeat no-
prope intactam, de aestimandis gradibus pro vum hoc organon, quo ipsc mentis oculus, quan
babilitatis et statera probatiouum, pracsumtio- tum in hunuiiia potestate est, instruetur.
XII. INITIA SCIENTIAE CENERALLS. 85
Equidcm tenierarium foret promittere a primis aeris humaui, frue tus quoque artis unius major
aggressionibus postreraain tantae artis perfectio- sentietur.
nem, quae crcscet cum ipsa hominum expcrientia, Intérim lioc consequemur ut semper certa sé
prout (ipsa hac arte nianudacente) plura semper et rie progredi valeamus quantum in potestate
potiora Data eruentur. Quemadmodum tamen est, et, quod hactenus minime factum est, ex datis,
apud Sinenses ferunt, qui aliquot characterum mil- quicquid fieri potest, elieicntes, thesauris jam reper-
leiia norit, ému potissima scribcre posse, caetcris* tis ac divinis beneficiis ad sanitatem corporis ac
magis rcconditis vol cuique pro])rio artifici, vel ma- perfectionem mentis, utamuretfruamur, quan
jori Magistro servatis, ita hic quoque, proportione tum fas est.
progrcssuum sive huiuinis cujusque, sive totius ge-
XII.
INITIA
SCIENTIAE GENERALIS
DE NOVA RATIONE INSTAURATIONS ET AUGMENTATION» SCIENTIARUM, ITA UT EXI-
GUO TEMPORE ET NEGOTIO, SI MODO VELINT HOM1NES, MAGNA PRAESTARI POSSINT
AD FELIC1TATIS HUMANAE INCREMENTUM.
Ostcnditur magnam partent miseriae nobis cou- deuionstrandam vcritatem, poterimus tamcn sem
tingerc, aut felicitatis abesse, non defectu virium, per deuionstrare probabilitatem majorem, an quid
sed vd scientiae vel bonae voluntatis, et ipsant ex duobus oppositis rationi sit probabilius et se
scieutiam nobis déesse solere culpa nostra; ccrte cundum pnuleutiae régulas in praxi tenendum. At-
plerasque veritatcs, ad vitani utiles, esse in humana que ita rcctam ratiouem semper quantum possu-
potestate, et ex datis sive notis certa coustantique mus sequemur. Et cum secus agamus, erit id vel
méthode posse deduci, si modo hommes viribus negligeutiae nostrac, vel intcrdum nccessariae festi-
notitiisquc a Dco concessis, secundum rectae ratio- nationi distractionibusque imputaudum. Quibus
iiis methodum, ici est secundum praecepta scientiae tameu post hauc artem constitutam rarius quam
generalis lue traditae, uti vulint. ante ingrediemur, quia multo promtius faciliusque
Scieutia geueralis duas continet partes, quarum veritatuui aut probabilitatis gradum asscqui dabi-
prior pertinet ad instaurationem scieutiarum, judi- tur, postquam mcditatioues nostrae non casu setl
camluiuque de jam inventis, ne praejudiciis deci- constant! loge ac calculi ritu procèdent. Quanti
I lin ii mi': postevior destinatur ad augeudas scicntias, hoc sit non tautiun in scientiis sed et in communû
invenieudaque, quae nobis desunt. vitae delil)cratiouibus, manifestum est, quando
Prior ergo tradit Elementa veritatis, sive notas utrimque multa magnaquc staut incommoda, spcs-
quasdam iudisputabiles, quarum ope in omnibus que et inetus, quae velut in statcra expcnderc in
materiLs haberi jwssunt deiuoiistrationes évidentes, hune usque diem docuit uemo. Cum tamen facile
mathematicis pares, quaniiu certitudo velut manu osteudi queat, omnes errores humanae prudeutiao
tangi, oculisque usuq>ari posait, ita ut ornne argu- vitabilcs ab hujus scicntke ignoratione vel ncglectu
mentum légitima forma procédât ad instar calculi proiicisci.
numeroruin. et si quis error subreixsit, non diflici- Pars altéra est Ars inveniendi, non quidem
lius deprchcndi aliisquc ostendi possit, quam error ut in priore parte, utrum propositio vel ratiocinatio
calculi solet. Quali forma argumentandi introduc'ta, oblata sit vera, sed, quod est difficilius, (malis ipsa
controversiae in ratiocinando non posspjit non ces- sit formanda, seu quomodo resolvi possit aliquod
sarc. Quando autem non sunt sufficientia data ad problema, quod contiuet propositiouem iuipi>rfe
86 XIU. DE USU SCIENTIAE GENERALIS.
ctain, a solvente supplendaïu. Jta dcfiiiire «tnim liquo corpore separata, si opus est, solvcnda i>erti-
Machina proposita effectum propositum praestare nere. Ustuuditur ergo, qua méthode onmia pro-
queat, tantum judicii est, at comminisci proposito blemata solvi possint, siquidum ea Immano ingenio
effectu, excogitare machiiiain, non tantum judicii possibile est solvi ex datis, aut posse demoustrari
est, sed inventionis. Hujus duae sunt ]>artes, iusolubilitatem. Quomodo possint institut exactae
prior synthetica seu combinatoria, posterior aua- enumerationes, quomodo difficultas dividi possit in
lytica. Ostenditur, quae sint artis combinato- partes, non quomodo libet, sed quaruni singnla
riae loges, et ea quae vulgo analytica censen- minus habcat diflicultatis, quain autea totuin, seu
tur, saepe combinatoria esse; combiiiatoriam id quomodo problema possit deduci ad aliud problema
quod quaerit, inter caetera invenire, et aliis no- facilius, unum vol plura. De régula, quae inco-
titiis uti, analyticain otunia ex solo probleinate gnitum considérât instar cogniti. De modo iu-
euiere, illarn ad intégras scientias earumve por- veniendi pluriuin datorum proprietateiu comiuu-
tioucs constitucndas, hauc ad problemata, a re- nem etc.
xia.
DE NATURA
ET
Scientiam generalem dico, quae modum doeet, scimus, sero licet, nos jani duduin praevidere malum
mime s ab'as scientias ex datis sufficientibus inve- et praecavere potuisse.
niendi et demonstraudi ; itaque illae cognitionesquae Data, suffitientia ad veritates inveniendas, sunt
casu tantum invcniri potuerunt, ab hac scientia non principia quae jain sunt in promtu, et ex quibns
pendent, exempli causa quod lapillus aliquis, Ma- solis sive aliis assunitis concludi potest id, de quo
gnetis nomine notus, sese ad polos Telluris conver- agitur. Sint très veritates A. B. C. ex quibus con
tat; hoc cnim nullo ùigenio potuit praevideri, licet cludi possit quarta D., dico: si très illae veritates
usus et consequentiae hujusmodi quoque cognitio- sint priucipia , id est, quae non ratiocinatione sed
num a scientia generali pendeant. Nam liabita se- observatioue discere opus fuit, et quae proinde tum
mel ista Magnetis proprietate, statim et pyxidis a se invicem, tum ab aliis, saltem quoad praesen-
nauticae constructio et usus in navigando patere tem nostram cognitionem, independentia sunt,
debuit; aut si homines, cognita veritate, usum ejus deiude si nulla liarum veritatum, caeteris manenti-
nauticumdiuignoravere, hoc non nisi ignorantiae Ar bus, omitti possit salva ratiocinatione, denique si
tis inveuiendaetribuenduin est. Quemadmodumeidem nullam aliam hujusmodi vcritatem ad integrandani
tribuendumest, quod Telescopium et Microscopium ratiocinationem tribus illis adjici iiecesse sit; —
nostro demain saeculo prodiere, cum tamen prin- liis inquam positis dico, très illas veritates A. B. C.
cipia duduin habuerint homines, ex quibus haec esse data sufficieutia ad inveniendam quartam D.
instrumenta facile poterant duci, si vera methodo Habemus autem indicium, cujus ope praevideri
nsi fuissent. Ignorantia etiam hujus artis, aut sal- potest quaenam data sint sufHcientia, ita : si rcs ta-
tem meditandi impotientia, plerique errores in lem inter se connexionem habeant, ut uno vel duo-
communi vita contingunt, quae sive circa sanitatem bus vel tribus plmïbusvc deteriuinatis, aliud quid-
sive circa fortuuas hoininum committuntur, plennn- dam etiam sit detenninatum sive unicuni, sequitur,
que enim cum eventus nobis oculos opérait, agno- in prioribus illis data esse suflicientia. Exempli
XIII. DE USU SCIENTIAE GENERALIS. 87
gratia, quia non nisi unicus circulas per tria puncta tiae possessione secuturas. Nam qui liane scientiam
A. B. C. cluci potest, sequitur illis tribus punctis tenebit, ante oinuia sibi certis demonstratiouibus
datis, quaesiti circuli centrum, seu punctum quod satisfaciet circa ea, quae de Deo atque anima repe-
fodem modo se haberet ail puncta A et B et C, de- riri possunt; ad hoc enim data sufficientia nos jam
tenninate posse reperiri, quod liet si tain ex medio habere necesse est; idem Deum amabit super omnia,
ipsius A B educatur perpendicnlaris F G, (hujus cum ejus pulchritudinein intelligat, et non contentus
enim quodlibet punctum ae- tantum, sed et totus erit eventis omnibus, cum pro
que respiciet tain punctum demonstrato habeat omnia optime esse ordinata, et
A, quam punctum B) et ex in ii!); ii n ii cedere Deum amanti; itaque liber et so-
mcdio ipsius BC educatur lutus erit illis anxietatibus futurorum, quibus infir-
perpendicularis HK, cujus miores animae, servili metu Dcnm colentes, misère
iterum quodlibet punctum terrentur. Iiitellecta etiam Dei perfectione et har-
eodem modo respiciet pun mouia rerum, non ignorabit quid Deus a se exigat
cta B et C, ergo si duo pcr- et quae sint officia vitae; deprehendetque maxima
pendiculares se secent in D, (quod fit si non siut sua voluptate nihil esse jugo Dei suavius, et quod
parallelac, seu si A. B. C. non sint in eadem recta) nobis ipsis maxime utile est, id Deo maxime gra-
punctum commune (in quo solo se secare possunt), tuin esse. Unde jam conciliatio egregia sequitur
ae<jue respiciet puncta A. et B. et G. et proinde erit justitiae et prudentiae, divinique et proprii amoris,
centrum. Idem exemple artis cryptographicae in- honesti deniquc atque utilis, quae sola homiuum
tclligi potest. Aliquando euim tam pauca verba ignorantia atque errore sibi opponuntur. Et con-
alphabeto incognito scripta habentur, ut prorsus scieutia a scrupulis liberabitur, quibus fit, ut saepe
impossibile sit, bumano ingenio clavem reperiri, homines, cum justa aguut, agant injuste, ignari,
imo ut fieri possit eadem verba occulte scripta mo- quomodo actiones recta intentione capiant bonita-
dis innumeris secundum diversas claves recte posse tem. Nihil autem homini homine est utilius, nihil
explicari: interdum vero contra non tantum suffi- amicitia suavius, nihil anima rationali apud Deum
cientia, sed etiam plus quam sufficientia sunt data, pretiosius, atque amare omnes, etiam nobis inimi-
quo facto idem diversis viis invenire, et non tantum cos, odisse neminem, etiam cui cogimur nocere,
veritatem sed et Probain quam voeant sive examen non Christi magis quam supremae rationis praecep-
veritatis, habere possnmus. turn est. Qui vero ita animatus est, cum semper
Dari autem scientiam hujusmodi, demonstran- candide agat, cumque ob rerum singularium scien
dnm est a priori, quanquam sciam vulgus hominum tiam, quam possessione scientiae generalis sibi pe-
in talibus non nisi deinonstrationes a posteriori, id perit, inultis prodesse possit, et amicos facile et
est ab eventu, capere. Dico igitur, si qua veritas fortunas parabit Nam tanta res est candor anùni,
aut si quod artificium etiam ab angelo nobis possit ut ncmo etiam eorum, qui maxime callidi sunt,
demonstrari ex illis solis principiis quae jani habe- non candiclum sibi amicum malit. Fortunis autem
mus, idem invenire nos potnisse per nos ipsos ope carere non potest qui amicos habet, et seposito
hujus scientiae generalis, si modo nobis aut verita amicorum favore, qui egregia artificia invenire pot-
tis hujusmodi inquisitioneni, aut artificii talis mo- est, quibus humana vita sublevetur, etiam apud
duin quaerendum proposuissemus. Cujus rei ratio Turcos et Sinos in honore erit, et modo inter illos
brevis est, quod de re aliqua niliil nobis demon agat a quibus intelligatur, et qui non egent ipsi,
strari potest, ne ab angelo quidem, nisi quatenus nunqiiam non illis rébus abundabit, quibus opus
requisita ejus rei intelligimus; jam in omni veritate est ad bene beateque vivendum. Deuique cum ea,
omnia requisita praedicati contineutur in requisitis quae corpus nostrum bene maleve afficiunt, liujus
snbjecti, et requisita effectus,qui quaeritur, continent scientiae generalis admiuiculo tam accurate cognos-
artificia necessaria ad eum producendum. Qua de- cantur, quam ex datis jam experimentis fieri potest,
monstratione cuin totum hujus scientiae artificium modusque etiam appareat nova expérimenta non
contineatur, quae sequentur omnia iuservient ad casu tantum sed et, quoad licet, consilio inve-
eam explicandam. niendi, née sanitas caeteraque vitae suavis boaa
Quodsi talis srientia absoluta haberetur, non deerunt quousque snnt in humana potestate, aut
pnto quicquam post pictatem et justitiam et ami- quousque sapienti placebit demittere animam ad
citiam et sanitatem ea reperiri melius et ad felici- corporis curam.
tatem efficacius in rébus humanis, quanquam ausim Haec scientia generalis, fateor, nonduin a quo-
dicere, ipsam pietatem et justitiam semper, amici- quam tradita est, neque etiam credo possessa, ne-
tiam autem et saiûtatem plerumquc ex hujns scien que a me nisi ejus initia traduntur, hoc est prae
88 XIV. SYNOPSIS LIBRI: SCIENTIA GENERALIS.
cepta elementaria, ex quibus certum sit arc;mas pcritorum, solis Geometricis et nieclianicis rationi-
régulas non usquc adeo difficulter invenire posse. bus contincatur, non puto me temere oinnos viros
Quod cum in sequentibus demonstraverim et ope rerum intelligentes appellare posse, ut in eandeni
solorum initiorum specimina ediderim, quae huraa- curam mocum conspirent, qno genus hunianum tan-
nam cognitionem in rébus Geometricis et mechani- tae felicitatis, saltem ex insigni parte, ipsis potius
cis in immensum provehant ultra ea quae hactenus vivis quam extractis, compos fiât.
faere in potestate, physica autem vera, consensu
XIV.
SYNOPSIS LIBRI, GUI TITULS ERIT:
I. Rationes quae autorem ad scribendum impu- 15. De Mathesi generali ex duabus praecedenti-
lerunt, ubi et, cur nomen dissimulait. Magno- bus eomposita.
rum principinm familiaritas ob cogitationes con 16. De Aritlinietica.
cordes. 17. De Algèbre.
'2. Historia litereria. 18. De Geometria.
3. Da statu praeseuti eruditionis, seu reipublicac 19. De optica.
literariae. 20. De phorographia (cujus species Tornatoria)
4. De malis, quibus homiuis laborant sua culpa. seu de motuuni vestigiis.
De his quae utiliter inventa sunt ad vitam huma- 21. Dynamica seu de motuuni causa, sive de
nam sublevaiidam. causa et etfcctu, ac potentia et actu.
5. De procuranda liominuni folicitate. 22. De consistentia solidorum.
6. De scholarum emendatione et ratione studio- 23. De motihus fluidorum.
rum, ubi et de ludis. 24. Mcclianica ex praecedentium com])lexu et
7. De scientiaruin instauratione, nbi de syste- usu. (Nautica ubi rhoniborum legis novae. 3îcd);
matibus et Repei toriis, et de Encyclopaedia démon- nuilfl Bon Lamae So^iff).
strativa condenda. De linguis et Grammatica ra- 25. Elementa physices de causis-quab'tatum et
tionali. modo seutiendi.
8. Elementa veritatis aeternae, et de arte de- 26. Astronomia physica de systemate muudi,
monstraudi in omnibus discipliuis ut in Mathesi. seu corporum principiis.
9. De novo quodain calciilo generali cujus ope 27. Physica spccialis de rébus quae -civca nos
tollantur omnes disputationes intcr eos qui in ipsuin sunt.
conseaserint, et Cabbala sapicnturn. 28. De Metcoris.
10. De arte inveniendi. 29. De terris et re minerali.
II. De Synthesi seu arte combinatoria. 30. De plantis.
12. De Analysi. 31. De animalibus.
13. De cornbinatione spécial!, seu scientia for- 32. De medicina. Medicina prnvisionalis.
marum, sive qualitatum in génère sive de simili et De variis opificiis:
dissimili. De characteristicis. De n;itnr:t mentis et de passionibus animi.
14. De Analysi spécial! seu scientia quantita- Politica seu de revendis hominibus.
tum in génère, seu de magno et parvo. De sufficientia rerum, et corameiviis ac manufi
XV. GUIUELMI PACIDII PLUS ULTRA.
des seu Oeconomica. (Ubi an clcbcat instrumenta Theologia natoralis:
reperire, nbi paucï multis aequivalent?) De vcritate religionis Christianae.
De re bellica: De Concordia Christianorum et conversione Gen-
De jurisprudentia, ubi do jure natnrac ae gen- tiliuni.
liuiM. itemque legibus positivis variis, inpriniis de De societate Tlieophilorum.
jure Romano et de jure Ecclesiastico, de jure pu-
blico ac re faeciali. De optiina republica.
XV.
GUILIELMI PACIDII
PLUS ULTRA
SIVE INITIA ET SPECIMINA SCIENTIAE GENERALIS, DE INSTAURATIONS ET AUGMENTE
SCIENTIARUM AC DE PERFICIENDA MENTE RERUMQUE INVENTIOMIBUS AD PUBUCAM
FELIC1TATEM. — OECONOÎM1A OPERIS.
Introductione praemissa, dicendum erit, qua ra- seinper terminari possimt controversiae quantum
tione inciderim in artis tam mirabilis fundamen- ex datis eas determinari possibile est, manu tan-
tum. Dicendum erit qnoque de statu praesenti tum ad calamum admoto, ut sufficiat duos disputan
eruditionis. — Ut appareat discrimen meorum tes omissis verborum concertationibus sibi invi-
principiorum a Cartesianis, operae pretium erit, cem dicere: calculemus, ita enim perinde ac si
praemittere excerpta ex Objectionibus virorum do- duo Arithmetici disputèrent de quodam calculi er-
ctorum ad Cartcsii Meditationes, Cartesiique Re- rore; ipsa proscripta methodus etiam ignorantibus
sponsionibus, quibus subjiciam meas Replioationes, vel invitis exitum dabit. Ostenditur enim mo
et quouiodo a me suppleantur quae viri illi egrogii dus disputandi in forma, conveniens tractation!
frustra a Cartesio desiderabant. Subjiciam et Ana- rerum, a taedio Scholasticorum syllogismorum va-
lysin judicionim homanorUm vulgarem, seu prin- cuus, et supra distiuctiones illas positus, quibus in
cipia quibus vulgo hominum opiniones nituntur, scholis alter alterum eludit.
non eontemnenda quidein, sed dialectica. Quae Specimina subjicienda erunt novae artis,
tamen non adeo necesse esset revocare ad certiora, nempe mea Mathesis generalis, nova mechanica
si nihil aliud quam jam nota connrmare, proposi- fundameuta hactenus incognita. Demonstrationes
tum esset, sed quia ah analysi veritatis seu corre- physicae generalis et tentamenta quaedam physicae
ctione judiciorum nostrorum pendet totum arca- specialis cum medicina provisionali. Elementa
nnm artis ùiveniendi, quo humana scientia in im- scientiae moralis et civilis jnrisque naturae et uti-
mensum procluci posset, ideo utile est, nos ad ulti- litatis publicae. Ubi et de subditis, oneratu ina-
mam usque analysin progredi. Sequuntur ipsa ele- gna parte levandis, majore principum utilitate, et
menta veritatis aeternae, ubi exponitur modus, in scientia militari. Subsequitur Metaphysica et theo-
omnibus dandi demonstrationes plane rigorosas et logia rationalis; denique Amdamenta rei literariae
Mathematicis pares, imo superiores, quia Mathema- seu humanarum litcranim et hinc ductae demon
tici multa supponunt, qnae hic poterunt demon- strationes historicae pro theologia revelata. Snbji-
strari. Itaque profertur hic calcnlus quidam novus citur paraenensis ad viros dignitate doctrinaque
et mirificus, qui in omnibus nostris ratiocinationi- egregios de humana felicitate exiguo tempore (si
bns locum habet, et qui non minus acourate proce- velimus modo) in immensum augenda.
dit quam Arithmetica ant Algebra. Quo adhibito
L2
XVI.
GUILIELMI PACIDH
INITIA ET SPECIMINA
SCIENTIAE GENERALIS.
Quo magis appareat omnibus, librum hune a me malis distinguit, imo si conspirantibus naturae et
non famae, quam tamen neque contenmo, neque for- religioni credendum est, aliquando felices a miseris
tasse coiitemnendam habeo dudum. sed coinmunis discriminabit. Nam a cognitione Dei et amore pro-
utilitatis causa publicari, nomen meum non nisi coin- fluunt justitia et caritas , documenta veritatis, cujus
mutatum praefigere decrevi ; eoque libcvius quaedam doctor Christus fuit. Quin et si leges civitatum spe-
ad hujus operae conimendationem pertincntia dicere ctamus, in nulla publica re privatus homo innocen-
potcro, quae alioqni jactaiitiae poterant imputari, tius et minore reprehensionis ac turbarum periculo
a cujus tamen suspicione me fortasse lectores ae- versatur. quam in scientiarum instauratione ac pro-
qui rerumque intelligentes absolvcrent. Ante om- fectu, non minus enim publici juris est veritas quam
nia igitur cogor profiteri, quod res est : inter tôt vi- aër, quem haurimus, et lux quam percipimus, iieque
ros egregios nostri temporis, cura quibus ego ne- ullis armis validius coguntur homines ad bonam
que de ingenio neque tic doctrina certaverim, ne- frugem, quam demonstratione, ut recte apud Es-
minein facile majore studio siuceroque magis in ve- drain dictum sit. nihil veritàte fortius esse. Quo-
ritatem, lucrique et ambitionis puro, afiectu per modo autcm palpabiles demonsti ationes, calculis
omne disciplinaruin genus publico geueris luimani Arithmeticorum aut Goometrarum diagrammatis
bono laborasse. lllam eniin et mecum statui du- pares, in omni génère rerum confici possiut, quibus
dum, et multo hominum usu certissimam depre- vel veritas absoluta rel saltem, cum sufficientia
hendi verae pietatis notam: in his maxime eniti data nondum haln-ntur, maxima probabiL'tatis gra-
m his sua compeiulia, suain voluptatem eollocarc, dus ex datis infallibiliter concludatur lioc loco osten-
quae in publicam salutom redundant, rommoveri demus traditis Elementis veritatis aeter-
penitus aliorum malis, et si occurrere possis non nae, quae hactenus non aliter fuere inter homines,
modo nou incoramodis sed neque periculis cleter- quam olim fnnnentuin silvestre, antequam ratione
reri. -Quod hominum gcnus scio pamm politicum coleretur. Cum eniru inulti egregii viri extra Ma-
illis videri, quibus finis laborum censetur, hanc vi- thematicas vulgo habitas disciplinas hoc inprinùs
tam jucumtc transijrere, aut qui cuncta referunt ad saeculo dcmonstrationes edere tentaveriut, semjjer
suatn magnitudineni, suas commoditatea quibus vol- tamen deprehensum est, aliquid ad earum vim
lent, si opus sit, omnium aliorum miseria serviri. déesse. Cumque insignes Geometrae in ipso Eu-
Sed sequatur quisque rationcs suas; mihi videtur, clide non errores quidem, at in demonstrando de-
futurae quoqiie vitae prudenti curam habcndam fectus deprehenderint ac partiin suppleverint, qui
(de quo nmlti veltit de somnio tantum et obiter tamen in Geometria fere periculo erroris vacant,
cogitant) et homiui spectandum esse, quid dignuiu cum pleraque ab eo omissa ipso sensu commun!
sit homine, quid naturae creatrici consentauenm, innumerabilibusque experimentis confirmentur, quid
quid faciat ad vcram perfectionem et harmoniam de illis dicemus, qui longe absunt ab hac acribeia
rerum; scilicet exornare Spartam tuam, et quam et tamen in argumentis versantur, ubi facilis de-
late possis beneficicntiam extendere. Vera autein ceptio est, difficileque examen per expérimenta.
hominis perfectio in animi vertutibus sita est, quae Modum ergo tradere aggredior, quo semper homi
a recta ratione sivc cognitione viritatis proficiscun- nes ratiocinationes suas in omni argumente ad cal-
tur, unde potentia quoque nostra tura in corpus hu- cnli formam exliibere controversiasque otnnes finire
manum, tum in corpora circnmjecta angetur. Ve- ] H >ssmit . ut non jam clamoribus rem agere necesse
ritatem ergo invenire et inveniendae moclum osten- sit, sed alter alteri dicere possit : Calculerons. Et
dere fons esse videtur omnis humanae felicitatis, cum ab utraque parte rationes validae erunt, quod
quae non tantum barbares a cultis sed et bonos a sit in rébus concretis, ubi utrimque commoda at
XVII. 1NTKODUCT1O IN PACIDII SPECDUNA. 91
que incommoda reperiuntur, modus habebitur ma- nente eruere argumenta, quibus quaestio proposlta
gnitucliiiem cujusque cxplorandi atque acstimandi definitur, imo et ad artem inveuiendi pertinet nossc
ut, comparatis utrimque, velut accepli ex^nsique formare quaestiones, vel quod eodem redit, nosse
la I ii i lis, de summa potioris pronuntietur. Haec instituere observationes, nosse suniere expérimenta.
sunt illa pondéra, hi moduli, quibns rationem uti Hujus artis uondum traditae vim atque amplitudi-
dixit poëta, sed hactenus ]>arum exactis, née sigua- nem eo perspexi magis, quo majore studio ab
tis publicave antoriiate aut certa nota comprobatis. ineuiite aetate solitus sum res proprio Marte inve-
Caeterum, quemadinodutn judioii est in magno ar- stigare, cum singulari felicitate pêne infans, lenitatu
gumentorum raultipliciuin , ab aliis forte prblato- praeceptorum usus, mco ipso consilio atque impetu
riun, coniUctu, rationum rite aestimatarnm tabulas bonos autores jam legebam, qui huic aetati plan*
evidenter ordiuare ad conclusionem habendam, ita interdicuntur.
iuventionis est ex rerum visceribus nemine adino-
XVII.
IN SPECIMINA PACIDII
INTRODUCTIO HISTORICA.
(E «chedla Ineditls Leibnltll, quae In Bibliothcca Régla Hanoverana asservantur.)
Wilhelmus Pacidius (nam ab hoc homine appellabant; cum veterum cogitata mascnla et in-
ordiendum tnihi est, cum saepe a minimis inaxima gentia et excitata et velut supereminentia rébus et
proficiscantur) natione Gerinanus. patria Mpsicnsis omnem vitae humanac tractum velut in tabula com-
amisso maturiiis parente, vitae rectore, impetu quo- plexa, dictionem autem naturalem et claram et pro-
il.-un animi ad litcrarum média delatus, pari in iis fluentem et rébus parem, longe alios motus auimis
libertate versabatur. Nam cum domesticae biblio- ingenerare meminisset. Fuit hoc discrimen tam
tfaecae O]>portunitatem haberet, abdebat se in ea totos notabile, ut ex eo tempore duo sibi axiomata con-
saepe dies octannispuer, et vixduni latine balbutiées, stitueret: quaerere semper in verbis caeterisque
obvios quosque libres nunc arripiebat nunc depone- animi signis claritatem, in rébus usum. Quorum
bat, et sine delectu aperiens claudensque nunc libabat illud postea omnis judicii, hoc inventionis basin
aliquid, nunc transsiliebat, prout claritate dictionis esse didicit, et plerosque errasse, quod suas sibi voees
aut jncunditate argument! invitabatnr. Credidisses non satis distincte expUcassent, atque in ultima
enm fortuna pro praeceptore uti, atque illud Toile Lege elcmenta resolvissent, alios etiam experimentis, quae
«ibi dictum putare. Erat enim alieno consilio per in manu habebant, — quod arte combinatoria me-
fortuiiam'carenti propria per aetatem necessaria diorum ac finium tarèrent, quod illud: die cur
temeritas, cui succurrere Dens solet. Et certe tulit hic, illud cui bono, illud Respice finem non
casas, ut in veteres primum incideret, in quibus ille constanter exercèrent, — uti nescivisse.
initia niliil, paulatim aliquid, denique quantum sa- Ita animatus ille, cum in coetum aequalium de
tis esset, intelligebat ; utque in sole ambulantes more venisset, pro monstro erat. Nain philoso-
i liant aliud agendo colorantur, tincturam quandam 1 il iin m ac theologiam scholasticam, qualis tune
non dictionis tantum, sed et sententiamm contra- pro sapientiae fastigio vulgo habebatur, facilem
lerat Uode ad recentiores delato sordebant qnae ac, verba tantum comesta tenenti, expositam
UIQC in nfiifinis regnabant tumentes ampullae nihil exemplo suo ostendebat, qui in arcana ejus
dicentium, aut fracticentones repetentium aliéna: non alio praesidio, penetrasset; caeterum ut
sine pratia, sine nervis ac lacertis, sine nllo ad vi- superficiariam profectuique humano inutilem con-
tara nsu : putares alteri cuidam mundo scribi, quem temnebat. •
illi jam tum modo rempublicam, modo Paruassum Interea féliciter accidit ut consilia magni viri
12»
92 XV11I. FUNDAMENTA CALCULI RATIOCINATORIS.
Francisci Baconi, Angliae Caiicellarii de aug- unoquoque génère summum, lia Gecinetriae ad
mentis scientianiin et cogitata cxcitatissima Car- usum vitae accomodatae esse, déterminai! nobis
dani et Campanellae et specimina melioris pbiloso- lineas figurasque brevissimas , ut sunt rectae, lon-
phiac Keplcri et Galilei et Cartesii ad niauus ado- gissinias ut sunt volutae, suomet pondère minime
lesccntis pcr\-cnirent. gravatas ut suut apudGalilaeum parabolicae, radiis
'l'uni vero i I le- ut postea amicis saepe praedica- cslligendis aptissimas ut sunt apud Cartcsium liy-
vit, velut iu alium orbem delatus, Aristotelem et perbolicae. Mechanicae referre, exponi rationem
Platonem et Archimedem et Hipparchum et procurandi motum celerrimum ad molendiua, tar-
Diophantum aliosque magistros généré huniani dissitnum ad horologiorum durationeiu, regularis-
corani iutucii et compellare sibi visus est. Et agno- sinium (qualis penduli est) ad certitudiiiein eonm-
scens nulli saeculo déesse viros magnos, et iugenjo dem, corpus gravissimum, corpus levissimum, cor
qui susciperent, et judicio qui intelligerent praeclara pus exacte médium inter utrumque, corpus om
et recta, confirmatus in proposito coeptis instare nium maxime violentum. His enim ita digestis
decrevit; eum paulo aute, expertus omnes quibus média maxime promta et cfficacia suffore in om
collocutus erat a se dissentientes, de reruui einen- nes usus.
dationc desperasset. Ergo de potissimo vitae consilio et velut ratione
Et quia ea, quam sibi sumserat, omnia degustandi status privati deliberans, ante omnia constituebat
libertate, rudem quidem ideam, at harmouiae uni- id demum optimum privato videri debere quod pu
versali, intelligendisque artium inter se nexamm bliée fructuosissimum esset, quod ad gloriaui Dei
coordiuatis in ununi fiuibus, suffecturam sibi pa- pertineret, quod cffici non.facientis minus quam
raverat, de eo quod optimum façtu esset délibé generis bumani iuteresset ; mediorum autem homini
ravit. ad praeclara nullum esse homine praestantius, et in
Id enim in omnibus rébus faciendum esse docne- ter homincs Rege, vicario Dei, nou ]>otentia minus
rat eum Ars combinatioria, quam fecerat ipse sibi, quam sapientia, si quem rara temporum félicitas ta-
inter cujus principia erat, investigandum esse in lem tulisset.
XVIIL
FUNDAMENTA
CALCULI RATIOCINATORIS.
CFragmentam e schedls Lelbntlii nondum edltls, qaae n Bibliotbeca Régla Hanoverana asservanlur.)
Omnis humana ratiocinatio signis quibusdam culos absolveret perinde ac si totidem lapillis uti
rive characteribus perficitur. Non enim tantum vellet; et ICtus aliquis, quoties actioues aut excep-
res ipsae, sed et rerum ideae, semper aniuio distin tiones aut juris bénéficia memorat requisita harum
cte obversari neque possunt neque debent, et ita- rerum essentialia saepe prolixa semper mente per-
que compeudii causa signa pro ipsis adhibentur. currere non potest; n»K[ue opus est. Hinc fa-
Si enim Geometra, quoties hyperbolam aut spi- ctum est ut nomina contractibus figuris variisque
ralem aut Quadratriccm inter demonstrandum no- rerum specicbus, signaque numeris in Arithmetica,
ii iî iiat, semper earum defiuitiones sive genera- magnitudinibus in Algebra sint assignata, ut, quae
tioni-s et rursus terminorum, eos ingredientium, semel vel experiendo vel ratiociuando de rébus
definitiones sibi exacte praefigurare cogeretur, tar- i comporta sunt, eoruin signa rerum illarum signis
dissimc ad nova detegenda perveniret; si Aritiune- • tuto in posterum conjungantur. Signorum igitur
ticus inter calculandum omnium notaruui sive ci- numéro comprehendo vocabula, literas, figuras che-
pbrarum quas scribit valores unitatumque multitu- micas, Astronomicas, Clùnenses, Hieroglyphicas,
dinem continuo cogitaret, numquam prolixos cal- notas Musicas, stenographicas, aritbmeticas , alge-
XVIU. FUNDAMENTA CALCULI RAT10CINATORIS. 93
braicas aliasque otnnes quibus inter cogitandum pro hiberi. Cum autcm nondum constituere licuerit,
rébus utimur. quoniodo signa formari debeant, interdum pro ipsis
Signa autem scripta, vel delienata vel sculpta in futurum formandis exomplo Matliematicoruni
characteres appellantur. Porro taato utiliora utamur literis Alphabeti aliisve notis arbitrariis
sunt signa, quanto magis notionem rei sigiiatae ex- quibuscunque, quas progressus aptissimas suppedi-
primunt, ita ut non tantum rcpraesentatioui, sed et tabit. Qua ratioue etiam apparebit ordo scientia-
ratiocinationi inservire possint. Taie nihil prae- i runi characteristice tractatarum, et res ipsa docebit,
stant characteres cheniicorum aut astronoinorum, Arithmaticam clementarem esse elementis calculi
nisi quis cum Johaune Dec, autore monadis hie- i Logici, de figuris modisqu« agentis, priorem sim-
roglyphicae, mysteria nescio quae in illis venari j plicioremquc.
posse speret. Née puto Chinensium figuras aut j lîsto character quilibet A vel B, vel alia nota.
Aegyptiorum inveniendis veritatibus multum prod- Compositum ex pluribus characteribus vocetur
esse posse. Lingua Adamica vel certe vis ejus, Formula.
quani quidem se nosse et in nominibus ab Adamo Si formula quaedam aequivaleat cliaracteri, ita
impositis essentias rerum intueri posse contendunt, ut sibi mutuo substitui possint, ea formula dice-
nobis certe ignota est. Linguae vulgares etsi pluri- tur valor characteris.
iiiuiii prosint ad ratiocinanclum, attamen innumeris Valor primigenius characteris, qui scilicet pro
aequivocatioiiibus sunt obnoxia, née ofticiuin cal- arbitrio ci assignatur née probatione opus habet,
culi lacère possunt nempe ut errores ratiocinatio- ; est ejus significatio.
nis ex ipsa vocabulonim formatione et constrn- Inter ea quorum imunt alteri substitui potest
ctione detegi possint, tamquani soloecismi et barba- salvis calculi legibus, dicetur esse aequipollen-
rismi. Quod sane admirabile beneficium hacteuus tiam.
solae praestant notae Arithmeticoruin et Algebri- Praeter acquipollentiam dantur aliae relatio-
staruni, ubi ratiocinatio oinuis in usu characterum nés complures, quas res ipsa monstrabit, v. g. in-
consistit et idem est crror aniini qui calculi. clusiones, similitudines, detcrminationes, de quibus
Mihi vero rein altius agitanti dudum manifeste suo loco. Et proinde relationes sunt ad characte
apparuit, ouuies humanas cogitationes in paucas res atque formulas, ut enuntiationes se habent ad
admodum resolvi tamquain primitivas. Quod si notiones, sive secuuda mentis o]>eratio ad primam.
his characteres assignentur, posse inde formari cha- Cale u lus vel opcratio consistit in relationum
racteres notionum dcrivatarum, ex quibus semper productione, facta per transmutationem formulamm,
omnia eorum requisita notioncsque primitivae in- serundum leges quasdam praescriptas factis. Quanto
gredientes, et ut verbo dicam definitiones sive valo- autem plures leges sive conditiones calculaturo
res^ et proinde et affectiones ex definitionibus de- praescribuntur, eo magis compositus est calrulus et
monstrabiles, erui possent. Hoc uno antcm pracstito, characteristica quoque illa minus est simplex. Pa-
quisquis characteribus hujusmodi inter ratiocinau- tet igitur, formulas (sub quibus, tamquani simpli-
dum scribenduinque uteretur, aut numquam labere- cissimos, licet comprehendere ipsos characteres) re
tur, aut lapsus suos ipse non minus atque alii sem- lationes et operationes se habere ut notiones, ennn-
per facillimis exarniaibus deprehcnderet, inveniret i tiationes et syllogismes.
praeterea veritatem quantum ex datis licet, et sic- Character dicetur ingredi formulam, in qua
nbi data ad inveniendum quaesitum non essent suf- j expresse ponitur, involvi autem dicetur, si saltem
ticientia. .videret quibusnam adhnc experimentis vel per substitutiouem aequipollentium effici jwtest, ut
Dotitiis esset opus quin saltem accedere posset ve- ' tum demum ingrediatur.
ritati, quantum ex datis ]x>ssibile est sive appropin-
Characteres formulam ingrediuntur vel abso
quando, sive gradum majoris probabilitatis deter- !
mimmdo: sophismata autem et paralogismi nihil lu te seu simpliciter, vel sub modificatione
certa, sive relatione ad alinm characterem, verbi
hic aliud forent quam quod errores calculi in Arith-
gratia si sit formula A (B). C, cum A et C ingre
meticis, et soloecismi et barbarismi in linguis. Cum
diuntur recte, at B oblique sub A. Fieri ctiam
igitur hac arte characteristica cujus ideam animo potest ut omnes characteres formulam sub modifi-
concepi, verum organon scientiae generalis om-
niuni, quae sub humanam ratiocinationem cadunt, • catione ingrediantur ut si sit: A. B.C. L.M. N. ubi
sed perpetuis ealculi evidentis dcnionstrationibus A. B.C. .simili, certo modo concurrentes constituunt
vestitum, contineatur, opus erit ipsam quoque cha- demum characterem rectum ex ipsis conflatum sive
racteristicen nostram, seu artem signis exacto quo- I compositum, itemque faciunt L.M.N. quodsi cha-
dam calculi génère utcndi, quam généralissime ex- I racter absolute positus sit expressus aliter quam
94 XIX. SPECIMEN DEMONSTRANDI.
per modificatos, tlicetur rectus, modificatus autem connectuntur, uiiiformiter vinculum ingrediuntur,
dicetur obliquus; Characteres alii formulara ita (ubi rursum interest, eodem modo connectantur
ingrediuntur ut distingui inter se non possint, alii A et B suo vinculo, quo C et D coutinentur suo, et
secus, ita Continens vel Aggregatum est compo- an A et B eodem modo A.B et C.D). Si duo
sitnm uaiforme, seu formula quae in nullas formu îiiniai vinculum disquiformiter ingrediantur ut
las, nisi arbitrarie, dividitur, ut A.B. et A. B.C. A H B, et iiniim ex ipsis, A, cum proximo C
Compositio omnis est aequiformis vel disqui- fornuilam ingrediente uniformiter iugrediatur in no-
formis. Aequiformis ut AB vel A.B.C.D., vel vum vinculum ut A h B C, erit A directum, B ob-
À.B. C.D. E.F., ubi semper quae eodem vinculo liquum etc.
XIX.
NON INELEGANS
SPECIMEN DEMONSTRANDI
IN ABSTRACTIS.
Definitio 1. Eadem sunt quorum unum Scholium: Non omne inexistens est pars, née
potest substitui alteri salva veritate. Si siut A et omne continens est totum, e. gr. quadratum inscri-
B, et A ingrediatur aliquam propositionem veram, ptum et diameter circulo inest, et quadratudi qui
et ibi in aliquo loco ipsius A pro ipso substituendo dem est pars circuli, diameter vero non est pars
B fiât nova propositio aeque itidvm vera, idque ejus. Addendum est ergo aliquid ad notionem to-
semper succédât in quacunque tali ])ropositione, A tius et partis accuvate explicaiidam , quod non gst
et B dicuntur esse eadem ; et contra, si eadem sint hujus loci. (Et vero non insuut tantuui scd et de-
A et B, procedet substitutio quam dixi. (Eadem trahi possunt ea quae partes non sunt, e. gr. Cen-
etiam vocantur coincidcntia, aliquaudo tamen triun ex circulo, ita ut in rcsiduo sint omnia pun-
A quidem et A vocantur idem, A vero et B vo cta praeter centrum; id euim residuum erit locus
cantur coincidentia). omnium punctonmi intra circulum , quorum distan-
Defin. 2. Divers a sunt, quae sunt non eadem, tia a circumferentia est minor radio, cujus loci dif-
seu in quibus substitutio aliquando non succedit. fereutia a circulo est punctutn, nempe centrum.
Cor oïl. Unde etiam, quae non sunt diversa, Ita locus omnium punctorum quae moventur, sphae-
sunt eadem. rà, duobus ejus punctis diametro distantibus im-
Charact. I. A x B significat A et B esse ea motis, motà fit si a sphaera detrahas axem seu dia-
dem vel coincidentia. metrum per duo puncta innnota transeuntem).
Charact. 2. Anon x B, vel B non x A, signi lisdem positis A et B simul sumta dicuntur con-
ficat A et B esse diversa. stituentia, L autem constitutum.
Defin. 3. Si plura si mu] suinta coïncidant uni
plurium, quodlibet dicitur inesse vel contineri Charact. 3. A + BxL significat A inesse
in tnio isto, ipsnm autem unum dicetnr conti- ipsi L, vel contiueri a L.
nens, (et contra: si quid insit alteri, erit inter Se ho lin ni: Etsi A et B habeant aliquid com
plura simul coincidentia illi alteri). Ut si A et B mune, ita ut ambo simul sumta sint majora ipso
simul suinta coincidant ipsi L, A ut et B dicetur L, niliilomimis locuin habebunt quae hoc loco dixi-
inexistens vel contentum, at L dicetur con- mus aut dicemus. Exemple rem declararo utile
tiriens. erit: L significet rectam
XIX. SPECIMEN DEMONSTRANDI. 95
R V S X RX,etApartemejusrectamsci- jwssunt ad unum constituendum ut si sint A et B,
• * * • licet RS, etB allant ejus partem potest Inde fieri A-f-B, quod appellarï potest L.
rectamscilicetXV; ponaturquaelibetharum partiurn Postul. 2. Detrahere aliquid A ab eo cui in-
RS vel XV niajor esse dimidio totius RX, nam rê est, nempe ab A+B seu L, reliqua dentur ut B,
vera quia VS est pars communis ipsorum RS et quae cum ipso A constituunt continens I ,. seu iis-
XV erit RS+XV aequ RX+SV, et tarnen vere dem positis invenire residuum L — A.
dici potest, rectas R S et XV simul coincidere re- Scholium: Ope hujus postulât! postea médium
ctae RX. dabimus inveuiendi differentiam inter duo quorum
Defin. 4. Si aliquid N insit ipsi A, itemque nnum A alteri, L, inest, licet reliqua quae cum illo
insit ipsi B, ici dicetur ipsis commune, ipsa autem hoc constituuut, non dentur, seu médium inveniendi
dicantur communicantia; si vero nihil commune L —A, seu A-f-B — A, licet solum dentur L et A,
habeant ut A et N (verbi gratia RS et XS.), di- non vero B.
centur incommunicantia.
Defin. 5. Si ipsi L. insit A, et efficiatur THEOREMA I.
aliud N, in quo omnia Quae sunt eadem uni tertio, eademsunt
M N maucnt, quae sunt in
.- -, inter se.
!.. exceptis iis quae
RL k etiam suut in A quo Si A oo B et B co C, erit A x C. Nam si in
rum nihil manere dé propositione A oc B (vera ex hypothesi) substitua-
bet in N, dicitur A tur C in locum B (quod faeere licet per def. 1. quia
de trahi vel removeri B x C ex hyp.), fiet A x C. Q. E. Dem.
ab L, at N dicetur re
LV
siduum. THEOREMA II.
Charact. 4. Si sit L — A oo N, signifieatur L Si duorum quae sunt eadem inter se
esse continens a quo si detrahas A, residuum unum diversum sit a tertio, etiam alte-
ritN. rum ab eo erit diversum.
Defin. 6. Si unum aliquod pluribus simul po-
sitis aut remotis coincidit, plura il la dicuntur con- Si A x B et B non x C, erit A non x C. Nam
stituentia. si in propositione B non x C (vera ex hyp.) sub-
Scholium stituatur A in locum B (quod faeere licet per def.
Defin. 7. Constitutio (hoc est positio vel de- 1 quia A oc B ex hyp.) fiet A non x C. Q. E.Dem.
tractio) vel exprcssa est, vel tacita Not. Hic inseri posset Theorema taie: Quod
Defin. 8. Compensatio est, cum idem po- inest uni coincideutium, etiam alteri
natur et detrahatur in eodem. Destructio est ines.t. Si A est in B et B x C, etiam A est in C,
cura quid abjicitur, ut non amplius expri- nempe in prop. A est in B (vera ex hyp.) substitu-
uiatur, ut pro M — M ponendo Nihil l). endo C in locum ipsius B.
A xi orna 1. Si idem secum ipso snmatur, ni
hil constituitur novum, seu A+A oo A. THEOREMA III.
Seholium: Equidem in numeris 4 + 4facit8,
seu bini nunnni binis additi faciunt quatuor num- Si eidem addantur coincidentia fiunt
mos, scd tune bini additi sunt alii a prioribus, coincidentia.
si iidem essent, nihil novi prodiret et perinde esset
ac si joco ex tribus ovis faeere vellemus sex nuine- Si A x B, erit A + C X B + C. Nam si in
raiido primum 3 ova, deinde uno sublato residua 2, propositione A+C x A-f-C (quae est vera per se)
ac denique uno rursus sublato residuum. pro A semel substituas B (quod faeere licet per def.
Axioma 2. Si idem ponitur et detrahitur, 1. quia A co B) fiet A+C x B+C. Q. E. Dem.
qoicquid inde in alio constituitur. coincidit Nihilo. Coroll. Si coincidentibus addantur
Postulatum 1. Plura quaecunque simul sumi coincidentia, fiunt coincidentia. SiAx
B, et LxM, erit A+L x B+M. Nam (per
praesens theorema) quia LxM, erit A+L x A
' l Cum Def. 6 — 8 et Scbotlon in margine Auto- + M, et in hac assertione pro A semel ponendo
rriiplii srripla sini tain parvis literis iisdemque parlim
delelis, ut viv cent), nedum legi queant, non potui
B (quia A x B ex hyp.) fiet A + L CD B+M.
quiu aliqua verba omllterem. Not. Ed. Q. E. Dem.
96 XIX. SPECIMEN DEMONSTRANDI.
est in A (per iusertum inter theor. 2 et 3).
THEOREMA IV. Q. E. Dem.
Contentum content! est contentnm Aliucl est detractio in notionibns, aliud negatio,
continentis, seu si ici cui aliucl inest, insit ter T. g. Homo non rationalis est absurclum seu iin-
tio, id quod ei inest, eiclem tertio inerit, vel si A possibile. Sed licet clicere: simia est homo, nisi
est in B et B est in C, etiam A erit in C. Nam A quod non est rationalis, ut in jambo Orotii. Homo —
est in B (ex hyp ). Ergo est aliquid, cui nonien Ratioualis aliucl quani homo non rationalis. Nam
imponemus L taie, ut sit A+L oo B (per clef. 3. Homo — Rationalis oo Brutum. Sed homo non ratio
vel charaet 3), similiter quia B est in C (ex hyp.) nalis est impossibile. Homo — Animal — Rationalis
«rit B+M x C, in qua assertione pro B ponendo estXihilum. Hinc detractioiiespossunt facere niliilum
A+L (quo coinciderc ostenclinius) fiet A+L+ seu non Eus simplex imo minus nihilo, sed nega-
M X C. Jain pro L+M ponendo N (per postnl. 1.) tiones possunt facere impossibile.
fiet A+N x C. Ergo A est in C (per clef. 3.)
Q. E. Dem. THEOREMA IX.
1) Ex eompensatione expressa sequitur destructio
THEOREMA V. comjxmsati si nihil sit in eompensatione destruenda,
Cui singula insunt, etiam ex ipsis quod tacite rejwtitum constitutionem ingrediatur
constitutum inest. extra comjx?nsationem; 2) item si quicquid est hoc
repctitum, ingrediatur et se et positionem et detra-
Si A est in C, et B est in C, etiam A+B (Consti ctiouem extra conipensationem ; 3) si horum neu-
tutum ex A et B clef. 4.) erit in C. Nam quia A est trum contingat, destructio pro eompensatione sub-
in C, erit aliquod M taie ut possit fieri A+M x stitui non potest.
C (per clef. 3) similiter quia B est in C, poterit Casus 1. Si A + N— M — N est oo A — M,
ficri B-t-N ce C, quae coiyungendo (per coroll. et A , N , M sunt incommunicantia, ita enim nihil
Theorematis 3) fiet A+M+B+N x C, et prcin- est in eompensatione clestruenda A+N — N quod
de (per clef. 3) A+B est in C. Q. E. Dcm. sit extra ipsam in A vel M seu quod in+N poni-
tur id, quotiescunque hic ponitur, continetur in +
THEOREMA VI. N et quod in — N detraliitur, id, quotiescunque hic
Constitutum ex contentis inest consti- detrahitur, continetnr in — N, ergo (per ax 2) pro
tuto ex continentibus. +N — N poni potest Nihilum.
Casus 2. Si A+B — B — G ce F et omne
Si A est in M et B est in N, erit A+B in M quod tam A et B, quant G et B commune habeant
+N. Nam A est in M ( ex hyp. ) et M est in M sit M, erit F GO A — G. Ponamus praeterea, omne
+N per def. 3). Ergo N est in M+N (per def. quod A et G commune habent, esse E si quod lia-
3). Ergo B est in M+N (per theor. 4) jam si A bent, ita ut si nihil communicassent E sit CD Nih.,
est in M+N., et B est in M+N, etiam (per th. 5) ita erit A GO E+Q+M B oo N+M et G oo E +
erit A+B in M+N. Q. E. Déni. H+Metfiet F oo E+Q+M+N+M — N —
M — E — H — M qui termini omnes (E, Q, N, M,
THEOREMA VIL H) sunt ineoinmunicantes, icleo (per casum prae-
Si quid aclditur ei cui inest, nil consti- cedentem) sit F ce Q — H ce E+2 +M — E —
tuitur novi. H — M oo A — G.
Casus 3. Si A+B — B — D co C, et id quod
Si B est in A erit A+B x A. Nam si B est in commune est ipsi A et B non coincidit cnm eo,
A, potest fieri B+Coo A (def. 3). Ergo per quod commune est ipsis B et D, non erit C oo A —
(theor. 3) A + BxB + C+BxB + C (per \ D; sit enim BooE+F+G, et AooH+E et
axiora. 1 ) x A (per dicta hic). Q. E. Dem. D oo K+F, sic ut haec ingredientia non sint am-
plius communicantia née ulteriore adeo resolutione
CONVERSUM THEOREMATIS PRAECE- sit opus, fietC ccH+E+E+F+G — E — F—
DENTIS. G — K — F, id est (per casum 1) C œ H — K,
Si quid addendo alteri nil constituitur, quod non est oo A — D, ici enim est oo H+E —
ipsum alteri inest K — J , nisi ponitur E oo F, seu commune intor B
et A idem cum communi inter B et D contra hyp.
Si A+B x A, tuin B erit in A, nam B est in Eadem clemonstratio foret etsi A et D hahuissent
A+B (def. 3) et A + B oo A (ex hyp.). Ergo B aliquid commune inter se.
XIX. SPECIMEN DEMONSTRANDI. 97
THEOREMA X. THEOREMA XIII.
Detractum et residuum sunt incommu- Generaliter, si coincidentibus addendo
nicantia. alia fiant coincidentia, addita sunt in
ter se commuiiicantia.
Sit L — A oo N. Dico A et N nihil habere com
mune. Naui ex définitions detracti et residui om- Sint coincidentia vel eadem A et A, fiatque A+
nia quae sunt in L, manent in N praeter ea quae B oo A + N, dico B et N esse communicantia.
saut in A, quorum nihil manet in N. Nam si A et B sunt incommunicantia, item
Problema. Efflcere ut ex non coincidentibus, A et N, erunt B oo N (per praeced.). Ergo commu
ad data coinciclentia additis, constituantur tamen nicantia sunt B et N. Sin A et B sint communi
coincidentia. cantia, sit A oo P+M et B oo Q+M ponendo M
Sit A oo A , dico reperiri posse duo B et N sic quicquid commune est inter A et B et iiihil taie in
nt B non sit oo N et tamen A+B sit oo A+N. P et Q. Ergo (per ax. 1 ) A+B oo P+Q + M
Solutio: Sumatur aliquid quod insit ipsi A, ut oo P+M+N, jam P, Q, M sunt incommuni
M, et sumto N pro arbitrio, sic tamen ut neque cantia (per th. 11). Ergo si etiam N cnm A, seu
M sit in N, neque contra N in M, fiât B oo M+ cura P+M est incommunicans, ex P+Q+M co
N; et factum erit quod quaeritur. Nam quia B oo P+M+N net (per praeced.) Q ooN. Ergo N est
M-l- N ex hyp., et M atque N sibi non insunt ex in B. Ergo N et B sunt commnnicantia ; si vero
hyp., et tamen A+BooA+N, quia per th. 7. iisdem positis, nempe P+Q+M OD P+M+N,
convers A+B oo A+M+N, at hoc ( lier th. 7. seu A communicante cum B, N etiam communicet
quia M est in A ex hyp.) oo A+N. j cum P+M seu A, tune N vel communicabit cum
i M, quo facto communicabit etiam cum B, (cui in-
THEOREMA XI. j est M) et habebitur intentnm, vel N communicabit
In duobus communicantibus id, cui inest cum P. Ergo faciamus similiter P oo G+H et N
quicquid, u trique commune est et duo pro ; oo F+H sic nt G, H, F sint incommnnicantia
pria sunt tria incommunicantia inter se. (secundum th. 11) et ex P+Q+M œP+ M
Sint A et B communicantia et A oo P + M et +NfietG+H + Q+MooG+H+M+F+
B N+M, sic ut quicquid est in A et B sit in M, H. Ergo (lier praec. th.) fit Q oo F. Ergo N ( os F
nihil vero ejus in P et N, dico P, M, N esse incom- ; + H) et B ( oo Q+M) habent aliquid commune.
mnDicantia, nàm tam P quam N sunt incom Q. E. D.
municantia cnm M, quia quod est in M, est in A Pô ris ma. Ex demonstratione hac discimns;
et B simnl, at nihil taie est in P aut N. Deinde P ! si eidem, vel coincidentibus addantur aliqua et
et N sunt incommunicantia inter se, alioqui itidem ] fiant coincidentia, sintque addita utraque ei cui ad-
quod ipsis commune est, foret in A et B. | duntur incommunicantia ipsa coincidere inter se
(quod et patet ex th. 1 2). Sin unum sit commu-
THEOREMA XII. nicans eidem illi cui utrumque additur, alterum
vero non, tune incoramunicans erit in communi
In incommunicantibus quae coincidenti cante; denique si ambo sint commnnicantia cum
bus addita faciunt coincidentia ea ipsa eo cui addantur, ad minimum communicabunt inter
sunt coincidentia. se (quanquam alioqui non sequatur, quae communi
Seu, si A+B CD C+D et A oo C, erit B oo cant eidem tertio, cominunicare iuter se). In no-
D, modo A et B itemque C et D sint incom tis: A+B oo A+N si A et B incommunicantia
municantia. Nam A + B — C OD C+D — C (per j item A et N incommunicantia, erit B oo N ; si A et
th. 8), jam A+B — C oo A+B — A (ex hyp. B communicantia et A et N incommunicantia, N
quod A oo C) et A+B — A » B (per th. 9. cap. 1. erit in B; denique si B communicet cum A et
quia A et B incommunicantia) et (per eandem j N itidem communicet cum A, tune B et N ad
ration, ni ) C + D — C o° C. Ergo B CD C. Quod minimum communicabnnt inter se.
Erat Dem.
13
XX.
ADDENDA
AD
Ut calcul! hujus natura intelligaiur , notandum sapiens est justus, justus est severus, ergo Deus
est, quicquid a nobis enuntiatur in quibusdam est severus.
ht. -ils, quas pro arbitrio assumsimus, idem intel- Priucipia calculi 1) Quicqnid nu- In
ligendum enuntiari posse eodem modo in aliis su in in literis quibusdam indefinitis
quibusvis assumtis. Ut, cum dico, propositioncm idem intelligi débet conclusum in aliis
banc ab est a semper esse veram, intelligo non quibuscunque , easdem conditiones ha-
tantum hoc exempluiu: auitnal rationalc est ani 1) nui lins, ut quia verum est ab est a, ctiam
mal, esse verum poneudo animal significari per verum erit hc est b, imo et bcd est bc, nain pro
a et rationalc per b, sed intelligo etiain hoc exem- hc substituendo e (per postulatum) idem est ac
plum, animal rationale est rationalc, esse verurn, si dixissemus ed est e.
ponendo rationalc significari per a et animal per b. 2) Transpositio literarum in codera
Et idem in quolibet alio exemplo procédure, ut termino nihil mutât ut nl> coincidet cum
corpus organicum est organicum, ac proinde etiam lui, seu animal ratiouale et rationalc animal.
pro ab est a, dici poterit bd est a. 3) Repetitio ejusdem literaein eodem
Terminus est a. b. ab. bcd ut: homo, ani termino est inutilis, ut b est aa, vel bb
mal, animal rationale, rationalc mortale visibile. est a homo est animal animal, vel homo homo
Propositionem universalem affirmati- est animal. Suffîcit enim dici a est b, seu homo
vam sic designo: a est b, seu (munis) homo est animal.
est animal, semper enim hic signum universalita- 1) Ex quotcunque propositionibus
tis intelligi volo, ubi a subjectum et b praecli- fieri potest una, additis omnibus sub-
catum. Est: copula. jectis in unum subjectum et omnibus
Postulatum: Permissum csto supponere lite- praedicatis in unum praedicatum. a est
ram uni literac vel pluribus simul aequivalere, b, et c est d et e est f, inde fiet ace est bdf.
ut d aequivalere ipsi a et alterum in alterius lo- Ut Deus est omnipotens, homo est corpore prae-
runi substitni posse vel d aequivalere termùio ditus, Crucifixus est patiens. Ergo Deus homo
ab, verbi gratia, homo idem quod amtnal ratio crucifixus est omnipotens corpore praeclitus pa
nale: Hoc intellige, si niliil his suppositionibus tiens. Née refert quod interdum, quae conjun-
contrarium jam suppositum sit. guntur hoc. modo, incomputabilia suiit ut: circu-
Propositiones per se verae; 1) a est a, lus est nullangulus. Quadratum est quadrangu-
animal est animal, 2) ab est a, animal ratio lum. Ergo circulus-quadratmn est nullangulum
nale est animal. 3) a non est non-a, animal quadrangulum. Nam haec propositio vera est ex
non est non animal, 4) non-a non est a non- hypothcsi impossibili. Utilis est haec observatio
animal non est animal, 5) Qui non est a est non - a praesertim in Catenis longius productis, verbi gra
qui non est animal, est non -animal, 6) Qui non tia hoc modo: Deus est sapiens, sapiens est ju
est non-a, est a, qui non est non -animal, est stus; Deus est omnipotens, justus omnipotens
animal. — Ex his duci possunt plures. punit malos. Deus non punit aliquos malos in
Consequentia per se vera: a est b, et b hac vita. Qui punit at non punit in hac vit.t,
est c, ergo a est c, Deus est sapiens, sapiens est ponit in alia vita. Ergo Deus punit in alia vita.
justns, ergo Dens est justus. Haec catena lon- 5) Ex qnacunqne propositions, cujus
gius continuari potest, v. g. Deus est sapiens, praedicatum est ex pluribus terminis
XXI. DE VERITATIBUS PRIMIS. 99
compositum, possunt fieri plures, qua- : bccl, Ergo a est b et a est c, et a est d. Ve-
rum quaelibet idem quod ante, habet luti horao est rationalis mortalis visibilis. Ergo
snbjectum; sed loco praedicati habet homo est rationalis, homo est mortalis, homo est
aliquam prioris praediGati partent, a est ! visibilis.
XXI.
DE VERITATIBUS PRIMIS.
t Fragmentuni schedae cujusdam Lelbultianae , quae Hanoverae In scrinlis BlhlioiUecae Regiae asacrvatur.)
Veritatcs absolute primae sunt inter Te tura existentiam et quidetn pro ratione possibili-
ntâtes rationis identicae et inter veritates facti tatis seu pro essentiae gradu. Nisi in ipsa es
haec, ex qua a priori dcmonstrari possent oninia sentiae natura esset quaedam ad existendum in-
expérimenta, nempe: Omne possibile exigit clinatio, nihil existeret, nam dicere, quasdam es-
existere, et proinde existeret, nisi aliud iinpe- sentias hanc inclinationem habere, quasdam non
diret, quod etiam existere exigit et priori incom- habere est dicere aliquid sine ratione '), cum
patibile est, unde sequitur, semper eam existere generaliter videatur existentia referri ad omnem
rerum combinationem, qua existunt quam plurirna, essentiam eodem modo, IUud tamen adhuc ho-
ut, si ponamus A. B. C. D esse acqualia quoad minibus ignotum est, unde oriatur incompossibi-
essentiatn, seu aeque perfecta, sive aeque existen- litas diversorum, seu qui fieri possit, ut diversae
tiam exigentia, et ponamus D esse ineom|>atibilo essentiae invicem pugnent, cum omnes termini
cum A et cum B, A autem esse compatibile cum pure positivi videantur esse compatibles inter se.
quovis, praeter cum D, et similiter B et C, sequitur, Veritates secundum nos primae sunt
existere hanc combinationem A. B.C, exclusol), nam expérimenta. Omnis veritas quae non est abso
si D existere volumus, nonnisi C ipsi poterit coëxi- lute prima, demonstrari potest ex absolute prima.
stere, ergo existet Combinatio C. D, quae utique Omnis veritas aut dtmonstrari potest ex absolute
imperfectior est combinatione A. B. C, itaque hinc primis (quas indemonstrabiles esse, demonstrabilo
patet, res existere perfectissimo modo. Haec pro- est) aut ipsa est absolute prima. Et hoc est,
positio: Omne possibile exigit existere, potest quod dici solet, nihil debere asseri sine ratione,
probari a posteriori, posito aliquid existere; nam imo nihil fieri sine ratione etc.
Tel oninia existunt, et tune omne possibilie adeo
exiget existere, ut etiam existât, Tel quaedam
non existunt, tum ratio reddi débet, cur quae ') Si existentia esset aliud quiddam, quam essen
dam prae aliis existant. Haec autem aliter reddi tiae exigentia, sequeretur ipsam habere quandam es
sentiam, seu aliquid novum superaddere rébus, de quo
non potest, quam ex gencrali essentiae seu pos- rursua quaeri posset, an baec essentia existât an non
sibilitatis ratione, posito, possibile exigere sua na- existât, et cur ista potius quam alia. Nota Leibnltil.
XXIL
DEFINITIONES LOGICAE.
CEx Aulographla LeibnitU nondum edilis, In Bibliolheca Régla Hanoverana asscrvalis.).
1. A includere B, seu B inclucli ab A, est: 10. Notatu tameu dignuin est, tam subalter
île A, subjecto, universaliter affirmari B, nationem quaui conversiouem posse demonstrari
praedicatum. Veluti : sapiens incluclit justum, hoc ope syllogisinorum.
est, omnis sapiens est justus. 12. Syllogismus Categoricus simples
2. A excludere B, seu B excludi ab A est, est, qui de inclusione vel exclusione duorum ter-
de A, subjecto, universaliter negari B, praedica- mmorum inter se, ab'quid per data de inclusione
tum. Veluti justus excludit nùsernm, hoc est vel exclusione tertii respectu singularum.
nullus justus est miser. 13. Includens includentis est includens inclusi,
3. Qui negat, A includere B, is de quo- seu si À includit B et B includit C, etiam A
dam subjecto A negat praedicatum B, seu euun- includet C.
tiat particularem negativam. Seu qui ne 14. Includens excludentis est exeludens exclusi,
gat justo includi fortunatum, enuntiat quendam seu si A includit B et B excludit C, etiain A
justuin non esse fortuiiatuni. Nam si omuis ju excludet C.
stus esset fortunatus, (intellige qui est, fuit, fu- 15. Includens excludentis est exclusum exclusi,
turusve est), jam dici posset, onu>i, qui justus seu si A includit B et B excludit C, etiam C
est, inesse fortimatum , itaque justus fortunatum excludit A. Sequitur ex praecedente, accedente
iududet contra hypothesin. No. 8. — Hinc mutando C in A, et contra, ex
4. Qui uegat A excludere B, is de quo- clusum (A) inclusi (B) est exclusum includeutis
dam subjecto A affirmât praedicatum B, seu enun (C) B excludit A, et C includit B, Ergo A ex-
tiat particularem affirmativam. Qui ne clndit C.
gat a sapiente excludi fortunatum, enuntiat quen 16. Excludens inclusi est excludens includen
dam sapieutem esse fortuoatum. tis, seu si A excludit B et B includitur in C,
5. Si ex pluribus enuntiationibus sequatur nova etiam A excludit C, seu si A excludit B, et C
enuntiatio, et haec sit falsa, erit aliqua ex illis includit B, utique A excludit C. Patet per se.
falsa. Est collectio per regressum. 17. Si A excludit B et C includit B, etiam
6. Contradictoriae (seu quarum una affirmât, C excludit A seu excludens inclusi est exclusum
quod altéra negat) non possunt simul esse vera, includentis. Sequitur ex praecedeute ope 8. Hiuc
née simul esse falsa et hoc vocant opposi- si permutes C et A, fiet; si A includit B et C
tionem. excludit B, etiam A excludit C (seu iucludens
7. Ex universali sequitur particularis ejusdem exclusi est excludens excludentis).
naturae quod vocant subalternationem. Nempe (a un. aff. e un. neg. i part. aff. o part, neg.)
si A includit B (seu per num 1) si omne A est 18. Regulam priniam sic euuuties: Médium
B, sequitur quod A non excludat B, seu (per subjecto inclusum etiam praedicatum, sibi inclu-
num. 4.) quoddam A esse B. Rursus si excludit sum (vel exclusum), ei includi (vel excludi) osteii-
B, seu (per num. 2.) si nullum A est B, sequi dit. Hinc dispositione terminorum existente BÇ.
tur quod A non includat B, seu (per num. 3.) AB. AC. ex inclusione fit aaa, unde subalter-
quoddem A non esse B. nando aai, ex exclusione fit eae, unde subal-
8. Si A excludit B, vicissim B excludit A. ternando fit eao, sed quia e. BC inferri potest
Hoc est fundainentum conversionis simpli- ex e CB, hinc fit e. CB, a. AB, e. AC, et sub-
citer factae. Nam hinc (per 2.) si nullum alternando e. CB, a AB, o AC.
A est B, ctiam nullam B est A, et (per 4.) si 19. Regulam secundam sic enunties: Médium
quoddam A est B, etiam quoddam B est A. subjecto exclusum etiam praedicatum, se inclu
9. Si A includit B, hinc (per 1 et 4.) nasci- dens, subjecto excludi ostendit. Hinc fit a CB,
tur conversio per accidens. Omne A est B, e AB, e (vel o) AC; qui niodus cum per con-
ergo quoddam B est A. versionem siinpliciter ipsius e AB in e BA se
XXIII. D1FF1CULTATES LOGICAE. 101
quatur, ex isto a CB, e BA, G (vel o) AC etiam • •I uni 20, summa 30. Sed tamen et plures erunt,
iste valebit. suraendo pro propositionibus inferentibus eas, ex
20. Haberaus hiuc modos 10 ex reg. 1 et 2. quibus ipsae sequuntur, id est simpliciter conver
Ex quolibet horum fiunt duo per regressum, duni, sas. Cum vero rêvera non nisi 24 modi den-
negando conclusionem et affirmando nnam prae- tur, ut alias ostendinins, ideo necesse est, non-
missarum, affirmatur altéra. Indepraeter hos 10 nul los bis occurrere.
XXHI.
DIFFICULTATES QUAEDAM
LOGICAE.
(Oeuvres philosophiques etc. éd. Raspe p. 513.).
Difficultates quaedam logicae solutu dignae oc- ridentem sumas pro quadam specie Entis possi-
currerunt. Qui fit, quod in singularibus proce- bilis, ut miles est species hominis, seu ut homo
dit oppositio: Petrns Apostolus est miles est species animalis, ita quidam homo est ridens,
et Petrus Apostolus non est miles, cum veraque erit propositio, etiamsi nullus homo ri
tamen opponatur alias universalis affirniativa et dens existai Sane conversio a me dcmonstratur
particularis negativa? An dicemus singulare ae- per Syllogismum tertiae figurae. Omnis ridcus
quivalere particulari et universalii Recte. Itaque est ridens. Omnis ridens est homo. Ergo
et cuin objicietur singulare aequivalere particu quidam homo est ridens, intelligo in re
lari, quia in tertia figura conclusio debeat esse gione Idearum, si ridens sumatur pro honiinis
particularis et possit tamen esse singularis (v. g. specie non pro ridente actuali. Syllogismus
omnis scribens est homo, quidam scri- hic in Darapti dcmonstrari potest ex prima
bens est Petrus Apo.stolus, ergo Petrus per regressum, seu nihil aliud assuinendo quara
Apostolus est homo) respondebo, conclusio leges oppositionum , duni scilicct sumatur Syllo
nem rêvera esse particularem et perinde esse ac gismus in prima et assumitur conclusionem fal-
si conclusissemus, quidam Petrus Apostolus sam esse et unam praemissarum esse veram. Hinc
est homo, nain quidam Petrus Aposto sequitur alteram praemissarum esse falsam. Falsae
lus et omnis Petrus Apostolus coinci- autem conclusioni opposite est vera.
dunt, quia terminus est singularis. Leges autcm oppositionum primitivae sunt.
Major haec est difficultés, quod conversio re- V. g. omnis homo est animal. Huic ajo
cepta videtur aliquando inducere falsum, neinpe opponi: quidam homo non est animal. Nam
conversio per accidens universalis affirmativa in omnis homo est animal idem est quod A
casu t.ili. omnis ridens est homo, ergo qui homo est animal, B homo est animal, G homo
dam homo est ridens; nam prior vera est, est animal et ita in caeteris; et quidam homo
etiamsi nullus homo rideret, at posterior non vera non est animal, nihil aliud dicit quam B non
non est, nisi aliquis homo actu rideat. Prior esse animal vel aliquid talc. Itaque opponuntur:
loquitur de possibilihus, posterior de actualibus. omnis homo est animal et quidam homo
At non occurrit difficultas similis si inaneas in non est animal. Sic opponuntur: nullus
terminis possibilium, v. g. omnis homo est homo est lapis et quidam homo est la
animal, ergo qnoddam animal est homo. pis; nain nullus homo est lapis significat A
Dk-endum ergo conclnsionem, quidam homo est homo non est lapis, B homo non est lapis, C
ridens, esse veram in regione Idearum. seu si homo non est lapis etc. Ergo falso est talis:
102 XXlli. DIFFICULTATES LOGICAE.
B homo est lapis, quae niliil aluni est quain ali- cedit. Omne A est B, i. e. A B acquivalet ipsi A.
quis horno est lapis. Atque hoc est proprie di- Sed A est Ens (ex hypothesi) Ergo AB est Eus,
ctum de omni et dictum de nullo, tan- i. e. qnoddam A est B. Sed quia pari jure ctiain
quam funclanientum oinnis doctrinae syllogisticae, poterat dici BA est Eus seu quoddam B est A,
uempc doctriija oppositiomim pariter ac primae liiuc habebas jam conversionem per accidens seu
figurae, veluti: omnis homo est animal; om- talcm collectionem: Oiime A est B, ergo quod
nis miles est homo; Ergo omnis miles dam B est A.
est animal. Jam miles homo et miles coin- Universalis negativa etiam converti pot-
cidunt (quia omnis miles est homo) Ergo coin- est per accidens, sed id alio modo demonstratur,
cidunt miles homo est animal et miles est animal. nam converti potest simpliciter et conversae sumi
Itaque recurrimus ad fundamentuin illud meum potest subalterna. Coiiversiouem ejus simpliciter
reductioiiis , quo alias demonstravi leges syllogi- pennissam jam demonstravimus. Superest ut in
sticas. Omnis homo est animal, sic interpreta- ea demonstremus subalternationem. Nullum A est
bar: Homo animal et homo aequivalent, seu qui B; Ergo quoddam A non est B. Nempe nullum
dicit Te esse hominein dicit Te esse animal. A est B i. e. AB est non Ens; Ergo AB non
Quidam se appellabat Grûnberg, viridis mons. acquivalet ipsi A (quia A est Ens) i. e. quod-
Sodalis ei dicit, sufficeret ut Te appellares Berg. dam A nou est B. Caeterum quia nullum A est
mons. Quid ital respondet prior, putasne om- B. i. e. quia AB est non -Ens et ideo BA etiam
nes montes esse virides? Cui sodalis, ita, inquit, est non -Ens, etiam BA non aequivalet ipsi B
nnnc certe, nam aestas erat. Ita illi natnralis seu etiam quoddam B non est A. Habemus ergo
sonsus dictabat haec duo coincidere, omnis mons hinc tam subalternationem quam couvcrsionem per
est viridis et aequivalent viridis mons et mons. j accidens ex universali negativa.
Reductio mea vêtus talis fuit. Universalis Caeterum venit in mentein, etiam propositiones,
affirmât! va: Omne A est B; id est aequiva universalem negativain et ei oppositam particu-
lent AB et A seu A non B est non-ens. Par- larem affirmativain reduci posse ad aequipollen-
ticularis negativa: quoddam A non est B tiam, hoc modu: Nullum A est B i. e. AB est
seu non aoquivalent AB et A seu A non B est non -Eus, etiam sic expriiui poterit: non aequi
Ens. At universalis negativa: nullum A est valent AB et AB Ens. Et similiter quoddam
B, erit AB est non-ens, et particularis af A est B i. e. AB est Eus, etiam sic exprimi
firma ti va quoddam A est B, erit AB est Ens. poterit: AB et AB Ens aequivalent. Hinc ex
Ex hac intorpretatione statim patent regulae op- isto cniiiit iaiidi modo etiam habetur U. N. et P.
positionum (quibus demonstravi secundam et ter- A. oppositio et earundem conversio simpliciter,
tiam ex prima figura) et leges conversionum (qui itemque ex U. N. subalternatio; nam esto nul
bus demonstravi figuram quartain) ut mauifestum lum A est B, net inde AB et AB Ens nou ae
est; nam U. A. et P. N. opponuntur quia aequi- quivalent. Inferendum est hinc, quoddam A non
pollentiam, quam una affirmât, altéra negat de esse B seu non aequivalere A et AB, quia A et
iisdem; et sitniliter U. N. et P. A. opponuntur A Ens aequivalent ex hypothesi; quodsi ergo A
simpliciter, quia entitatem, quam una affirmât, et AB aequivalereiit, etiam AB et AB Eus ae-
altéra negat de eodem. U. N. et P. A. conver- quivalerent contra assumtum. Ita omues propo
tuntur simpliciter, nam cum dico AB est non sitiones logicas categoricas rcduximus ad calcu-
Ens, vel AB est Ens, nihil refert utrnm dicam lum aequipollentianim.
etiam BA est Ens vel BA est non Ens, nam Caeterum hinc etiam manifestius apparct fons
aequivalent AB et BA. Sed U. A. et P. N. eiToris in tali conversione omnis ridcns est
non convertuntur simpliciter, nam hae proposi- homo, ergo quidam homo estridens, cum
tiones, AB aequipollet ipsi A vel non aequipollet tamen fieri posset et fieri potuissct ut nullus homo
ipsi A, non codem modo tractant A et B, née nunc rêvera ridcat, imo nimquam lisent, iino ut
indc sequitnr AB aequipollet vel non aequipollet ipsi nullus homo exstiterit. Omnis ridens est homo
B. At conversio per accidens propositkmis affirmati- i. e. ridens et ridens homo aequivalent. Sed ri
vae, hoc modo tractatae, praesupponit conversionem dens est Ens ex hypothesi. Ergo ridens homo
simpliciter particularis Affinnativae, iam demon- est Ens, seu quidam homo est ridens. Ubi Ens
stratam et praeterea demonstrationem subalter- in propositione. homo ridens est Eus eodein
nntionis seu demonstrationem particularis afnrma- modo sumi débet ut in propositione ridens est
Uvae ex universali affirmative. Omne A est B. Ens, si sumatnr Eus de possibilitatc seu ut sit
Ergo quoddam A est B. Demonstratio sic pro- ridens inregioneldearum; etiam quidam horao
XXni. DIFFICULTATES LOGICAE. 103
est ridens non aliter accipi débet, quam homo 1 quantitatem stiao pvopositionis. In U. A. AB
ridons est Ens, nempe ]X>ssibile seu in re- P A. Ergo et V AB p V A. Sed in P. N.
(rione Idearnm. Sed si ridens est Ens, pro si AB non p A non hinc sequitur l/ AB non
tali sumi poterit, verumque erit aliqnem hominem | pi/ A, nam si V p B, foret l/ AB pi/ A.
actu ridere. Idem est si processissemus per mo- Rursus vero in V. N. si AB non est Ens etiam
dum, quo etiam particularis aflinnativa ad aequi- l/ AB non est Ens, seu si AB non p AB Ens,
pollentiam reducitur: Omnis ridens est homo i. etiam l/ AB non p l/ AB Ens. Sed in P.
e. ridens et ridens homo aeqtiivalent. Porro ri A. si AB est Ens, non seqnitur etiam l/ AB
dens et ridens Ens aeqnivalent. Ergo ridens homo esse Ens; poteste nim sub l/ assumi aliquid
et ridens homo Ens aequivalent: Ergo homo ri j incompatibile cum A et B. Itaque ex nostro
dens et homo ridens Ens «équivalent i. e. qui calculo omnes collegimus régulas distrihiitionum.
dam homo est ridens, scilicet in regione Idea- Caeterum et in altero illo modo demonstrandi
rum seu ut homo ridens sit Ens vel ut homo logicas formas, ubi non per Ideas sed per exem-
ridens et homo ridens Eus aequivaleant non ul pla subjecta progredimur, refellenda erit prava
tra, neque quidam homo est ridons significat actu illa cousequentia: omnis ridens est homo; ergo
aliqnem hominem ridere. Verba ergo linguae quidam homo est ridens seu ridet. Sensns est
ambigua sunt, amhiguitatem vero reductio nostra omnis ridens possibilis est homo, ergo quidam
tollit. homo est ridens possibilis; recte. Hune sensum
Hinc etiam patet Universalem Affirmativam cum ostendit nostra interpretatio, quae conversionem
sua opposita P. N. toto coelo differre ab Univer- per accidens légitimant reddit. Ridens p ridens
sali Negativa cum sua opposita, cum in poste- homo. Jam ridens p ridens Ens. Ergo ridens
rioribus Ens assumatur, non in prioribus. In om homo p ridens homo Ens, qui ridens p ridens
nibus t;mi< 'ii tacite assumitur, terminum ingre- Ens.
dientem esse Ens. Haec faciunt me vereri, ut ex interpretatione
Omne A est B i. e. AB p A. inductiva haec recte constitui possint. Aristoteles
Quoddam A non est B i. e AB non p A. ; ipse viam idealem secutus videtur, nam dicit ani-
Nullum A est B. i. e. AB non est Ens seu ' mal inesse homini, nempe notionem notioni, cum
AB non p AB Ens. alias potius hommes insint animalihus. Videa-
Qnoddam A est B i. e. AB est Ens seu AB mus tamen quid ex collectiva ratiocinationo duci
p AB Ens. possit. Barbara. Omnes hommes sunt in ani-
Ex his patet in onmi propositione affirmativa malibus. Omnes milites sunt in hominihus. Ergo
praedicatum esse particulare; sed non aeque pa omnes milites sunt in animalibus. Celarent.
tet in omni negativa praedicatum esse universale Omnes homines sunt extra lapides. Omnes mi
seu reinoveri. Generaliter agnoscere poterimus lites sunt in hominihus. Ergo omnes milites
an terminus A vel B sit universalis. Si pro sunt extra lapides. Darii. Omnes homines sunt
A vel B substitui potcst \/ A vel \/ B ubi in animalibus. Quidam intelligentes sunt in ho-
l/ ]X)test esse qiiodcunque cum B compati- minibus. Ergo quidam intelligentes sunt in ani-
bile velut C F etc. Jam ex AB p A non | mal il IMS. Ferio. Omnes homines snnt extra la
licet inferre A l/ B p A licet enim B con- pides. Quaedam substantiae sunt in hominibus.
tineatnr in A non ideo l/ B continebitur in A. Ergo qnaedam substantiae sunt extra lapides.
Similiter pro AB p AB Ens non infertur A l/ In Darapti. Omnis homo est intolligens. Om
B p A l/ B Ens. Etsi enim l/ B sit Ens ex nis homo est animal. Ergo quoddam animal est
hypothesi, non idoo srquitur A l/ esse ens. Ita- intelligens. Interpretatione collectiva. Om
que hine patet prardicatum propositionis affirma- nes homines sunt in intelligentibus. Omnes ho-
tivae non esse nniversale. Ostendamus jam si ! mines sunt in animalibus. Ergo qnaedam ani-
mili methodo praedicatum propositionis negativae malia sunt in intelliçentibus. Transferamus ad
esse universale. Nempe si AB non p A, etiam hune Syllogismum, quo conversio per accidens
A l/ B non p A sive enim IX B sit p B, ant I demonstratur : omnis ridens est ridens, om
A \/ p B sive non, res procedit, nam si l/ nis ridens est homo, ergo quidam homo est
B p B, vel A \/ p A substitui poterunt pro B ridens, interpretando : omnes ridentes sunt in
vel pro A. Si vero non aequipolleant, multo ridentibus, omnes ridentes sunt in hominibus,
inagis A l/ B et A non aequipollebunt. Idem erpo quidam homines sunt in ridentibus. Sed
est in AB non p AB Ens. qnid si rêvera nullus homo rideat? Dico hanc
Superest ut demonstremus snbjectum habere i propositionem, omnes ridentes snnt in honù
104 XXIV. A. Mr. BAYLE SUR UN PRINCIPE etc.
nibus sen omnes ridentes sunt homines etiam esse. Omnis ridens est homo, ergo quidam ri-
falsam esse , nam ut vera sit ctiam vera dens est homo. Rêvera enim nemine reapsc ri-
erit: quidam ridentes sunt in hominibus; sed dente nullus ridens est homo. Itaque patet in
ea falsa est si nullus honio rideat. At se- tali objectione propositionem imiversalem intel-
cus est si dicas : omnes, si qui rident, sunt ligi solere de supposito ridente, particularem de
in hominibus; nam ex hac non sequitur: qui actuali ridente. Itaque cum dicitur, omnis ri
dam, qui rident, sunt in hominibus, sed dens est homo, ergo quidam ridens est homo,
haectantum: quidam, si qui rident, seu sup- sensiis erit: omnis suppositus ridens est homo,
positi ridentes, sunt in hominibus. Ita- ergo quidam suppositus ridens est homo. Unde
que Syllogismus erit talis: omnes suppositi recte concluditur, quidam homo (nempe suppo
ridentes sunt suppositi ridentes, (neque situs) est suppositus ridens. Sed non inde in-
enim licet dicere, omnes suppositi ridentes sunt fertur: ergo quidam homo est actu ridens.
actu ridentes) omnes suppositi ridentes sunt ho Sed si dicas, omnis actu nunc ridens, est
mines. Ergo quidam homines sunt suppositi homo, | « ii ils rêvera aliquem nunc actu ridere,
ridentes, seu interpretando: omnes suppositi ri eumque esse hominem, adeoqne aliquem horni-
dentes sunt in suppositis ridentibus, omnes sup nem actu ridere; semper enim assumendum est,
positi ridentes sunt in hominibus, scilicet sup terminum esse verum Ens, at actu nunc ridens
positis, ergo quidam homines suppositi sunt in ne quidem Ens erit si falsum sit aliquem actu
suppositis ridentibus. Hinc patet etiam subal- ridere.
ternationis consequentiam simili abusui obnoxiam
XXIV.
EXTRAIT
D'UNE
LETTRE A MR BAYLE
SUR UN PRINCIPE GÉNÉRAL, UTILE A L'EXPLICATION DES LOIX DE LA NATURE.
1687.
J'ai vu ce que le R. S. Malebranche ré principe, qui est de grand usage dans le raison
pond à la remarque que j'avais faite sur quel nement, et que je ne trouve pas encore assez
ques loix de la nature, qu'il avoit établies employé, ni assez connu dans toute son étendue.
dans la recherche de la vérité. Il semble assez II a son origine de l'infini, il est absolu né
disposé à les abandonner lui-même, et cette in cessaire dans la Géométrie, mais il réussit en
génuité est fort louable ; mais comme il en donne core dans la Physique, par ce que la souveraine
des raisons et des restrictions, qui nous feroient sagesse, qui est la source de toutes choses, agit
rentrer dans l'obscurité dont je crois d'avoir en parfait Géomètre, et suivant une harmonie à
tiré ce sujet, et qui choquent un certain Prin laquelle rien ne se peut ajouter. C'est pour
cipe de l'ordre généra), que j'ai remarqué, quoi ce principe sert souvent de preuve on exa
j'espère qu'il aura la bonté de permettre, que men pour faire voir d'abord et par dehors, le
je me serve de cette occasion pour expliquer ce défaut d'une opinion mal concertée avant même
XXIV. A Mr. BAYLE SUR UN PRINCIPE. 105
que de venir a une discussion intérieure. On : tant soit peu plus grand, C sera réfléchi avec
le peut énoncer ainsi: lorsque la différence de la vitesse première, mais B continuera son mou
deux cas peut être diminuée au dessous de toute vement; au lieu que selon la première règle B
grandeur donnée in datis ou dans ce qui est et C, étant égaux tous deux réfléchiront et s'en
posé, il faut qu'elle se puisse trouver aussi di retourneront d'une vitesse égale à celle qui les
minuée au dessous do toute grandeur donnée in : avoi' amenés. Mais cette différence de ces deux
quaesitis ou dans ce qui en résulte. Ou pour cas n'est pas raisonnable ; car l'inégalité des deux
porter plus familièrement: lorsque les cas (ou corps peut être aussi petite que l'on voudra et
ce qui est donné) s'approchent continuellement la différence qui est dans les suppositions de
et se perdent enfin l'un dans l'autre, il faut que ces deux cas, savoir entre une telle inégalité, et
les suites on évenemens (ou ce qui est demandé) une égalité parfaite pourra être moindre qu'au
le fassent aussi. Ce qui dépend encore d'un cune donnée, donc en vertu de notre principe,
principe plus général, savoir: datis ordinatis etiam la différence entre les résultats au évenemens
quaesita sunt ordinata. Mais pour l'entendre il devroit être aussi moindre qu'aucune donnée; ce
faut des exemples. pendant si la seconde règle était aussi véritable
L'on sait que le cas ou la supposition d'une que la première, le contraire arriveroit, car se
ellipse se peut approcher du cas d'une parabole, lon cette seconde règle une augmentation aussi
autant qu'on veut, tellement que la différence de petite que l'on voudra du corps B auparavant
l'ellipse et de la parabole peut devenir moindre égal à C fait une grandissime différence dans
qu'aucune différence donnée, pourvu que l'un des l'effet, ensorte qu'elle change la réflexion abso
foyers de l'ellipse soit assez éloigné de l'autre, lue en continuation absolue, ce qui est un grand
car alors les rayons veiians de ce foyer éloigné saut d'une extrémité à l'autre, an lieu qu'en ce
différeront des rayons parallèles aussi pou .que cas les corps B devroit réfléchir tant soit peu
l'on voudra, et par conséquent tous les théorè moins, et le corps C tant soit peu plus qu'au
mes géométriques qui se vérifient de l'ellipse on cas de l'égalité, dont à peine ce cas peut être
général pourront être appliqués à la parabole, distingué.
en considérant celle-ci comme une ellipse, dont Il y a plusieurs antres incongruités semblables,
un des foyers est infiniment éloigné ou (pour ; qui résultent des règles Cartésiennes, que l'atten
éviter cette expression) comme une figure, qui tion d'un lecteur applicant notre principe, y re
diffère des quelque ellipse moins que d'aucune dif marquera aisément, et celle que j'avois trouvée
férence donnée. Le même principe a lieu dans dans les règles de la Recherche do la vérité ve-
la physique, par exemple le repos peut être con noit de la même source. Le R. P. Malebran-
sidéré comme une vitesse infinement petite, ou che avoue en quelque façon, qu'il y a de l'in
comme une tardité infinie. C'est pourquoi tout convénient, mais il ne laisse pas de croire, que
ce qui est véritable à l'égard de la tardité ou la loix du mouvement dépondante du bon plai
vitesse engénéral, doit se vérifier aussi du repos sir de Dieu, est réglée par sa sagesse, et les
pris ainsi; tellement que la règle du repos doit Géomètres seraient presque aussi surpris de voir
être considérée comme un cas particulier de la arriver dans la nature ces sortes d'irrégularités
règle du mouvement: autrement, si ce ne réus que de voir une parabole, à qui on pourrait ap
sit pas, ce sera une marque assurée, que les rè pliquer les propriétés de l'ellipse à foyer infine-
gles sont mal concertées. De même l'égalité 1 ment éloigné. Aussi ne rencontrera -l'on point,
peut être considérée comme une inégalité infine je pense, d'exemple dans la nature de tels in-
ment petite et on peut faire approcher l'inéga eonveniens: plus on la connoît, et plus on la
lité de l'égalité autant qu'on veut. trouve géométrique; il est aisé de juger par là,
CTest entr' autres fautes de cette considération, que ces inconveniens ne viennent pas proprement
" que M. Des Cartes tout habile homme qu'il était, de ce que le R. P. Malebranche en accuse;
a manqué plus d'une façon dans ses prétendues savoir de la fausse hypothèse de la parfaite du-
loix de la nature; Car (pour ne pas répéter ici ! retc des corps, que j'accorde ne se trouver pas
ce que j'ai dit ci -devant de l'autre source de dans la nature. Car quand on y supposerait
ses erreurs, quand il a pris la quantité de mou 1 cette dureté en la concernant comme un ressort
vement i>our la force) sa première et sa seconde ! infinement prompt, il n'en résultera rien ici, qui
règle par exemple ne s'accordent point; la se ne se doive ajuster parfaitement aux véritables
conde veut, que deux corps B es C se rencon i loix de la nature à l'égard des corps à ressorts
trant directement d'une vitesse égale, et B étant en général, et jamais on ne viendra à des rè
14
106 XXIV. A Mr. BAYLE SUR UN PRINCIPE etc.
gles aussi peu liées que celles, ou j'ai trouvé à gence fait tout pour le mieux, et que c'est là
redire. 11 est vrai, que dans les choses compo la raison des choses, qu'elle a trouvé bon de
sées quelquefois nu petit changement peut faire produire conformément à ses fins, tachent d'es-
un grand effet, comme par exemple une étin pliquer tout par le seul concours des particules
celle tombant dans une grande masse de la pou brutes, confondant les conditions et les instni-
dre à canon est capable de renverser toute une mens avec la véritable cause. C'est (dit So
ville; mais cela n'est ]»s contraire à notre prin crate) comme si pour rendre raison de ce que
cipe, et on en peut rendre raison par les prin je suis assis dans la prison attendant la coupe
cipes généraux mêmes, mais à l'égard des prin fatale, et que je ne suis pas en chemin pour
cipes ou choses simples, rien de semblable ne aller che/. les Béotiens ou autres peuples, oii l'on
sauroit arriver, autrement la nature ne seroit pas sait que j'aurais pu me sauver, on disoit, que
l'effet d'une sagesse infinie. c'est pareeque j'ai des os, des tendons et
On voit par la (tui peu mieux que dans ce de muscles, qui se peuvent plier comme il
qui s'en dit communément) comment la vérita faut pour être assis. Ma foi (dit -il) ces os et
ble Physique doit être puisée effectivement de ces muscles ne seraient pas ici, et vous ne nie
la source des perfections divines. C'est Dieu qui verriez pas en cette posture, si mon esprit n'a-
est la dernière raison des choses, et la connais voit jugé, qu'il est plus digne de Socrate de su
sance de Dieu n'est pas moins le principe des bir ce que les loix de la patrie ordonnent. Cet
sciences, que son essence et sa volonté sont les endroit de Platon mérite d'être lu tout entier,
principes des êtres. Les Philosophes les plus car il y a des réflexions très -belles et très -so
raisonnables en demeurent d'accord, mais il y en lides. Cependant j'accorde que les effects parti
a bien peu, qui s'en puissent servir ]x>ur décou culiers de la nature se peuvent et se doivent
vrir des vérités de conséquence. Peut-être que expliquer mécaniquement, sans oublier pourtant
ces petits échantillons réveilleront quelques-uns leur lins et usages admirables, que la providence
pour aller bien plus loin. C'est sanctifier la a su ménager, mais les principes généraux de la
Philosophie, que de faire couler ses ruisseaux de Physique et de la Mécanique même dépendent
la fontaine des attributs de Dieu. Bien loin d'ex de la conduite d'une intelligence souveraine, et
clure les causes finales et la considération d'un ne sauraient être expliqués sans le faire entrer
être agissant avec sagesse, c'est de là qu'il faut en considération. C'est ainsi qu'il faut récon
tout déduire en Physique. C'est ce que Socrate cilier la pieté avec la raison, et qu'on pourra
dans le Phédon de Platon a déjà admirablement satisfaire aux gens de bien, qui appréhendent
bien remarqué, en raisonnant contre Anaxagorc les suites de la Philosophie mécanique, ou cor
et autres Philosophes trop matériels, lesquels, pusculaire, comme si elle pouvoit éloigner de
après avoir reconnu d'abord un principe intelli Dieu et des substences immatérielles, au lieu
gent au dessus de la matière, ne l'employent qu'avec les corrections requises et tout bien en
point, quand ils viennent à philosopher sur l'uni tendu, elle nous y doit mener.
vers, et au lieu de faire voir, que cette intelli
XXV.
LETTRE
DE
1690.
( foiiliiiualion clés Mémoire* de lileraiure et dïiialoire. Paris 17*9. Tom. VIII, Partie 1. p. 'Ht. — Leibn.
Upp. éd. Du ii'ii.v Tom. IL P. 1. p. !.>.).
XXVI.
DE VERA METIIODO
PHILOSOPHIAE ET THEOLOGIAE.
(Aulograplium Lelbnidi nondum edilum, quod in scrlniis Bibliolhecae Rrgtae Hanovcranae as.servaiur.)
Cutu a sacrorum Canonuui et diviui humaniqnc inirandae subtilitatis, quae scverissinic demonstrari
juris severioribtis studiis ad inathcmaticas discipli possent, agnoscebam Theologiam naturalem, al> illis
nas auimi causa divertisseui, gustata semel dulce- praeclare exeultam, cab'gine barbarici opprimi et con-
dine doctrinae pellucis, prope ad Sirenum scopulos fuso vocabulorum usu inter distinctiuniiiu inccrta
obhaesi. Nain et mira quaedain theoremata se of- iMitarr: invitatusque novitate noununquam in ipsa
ferebant, quae alios fugerant, et aditum videbain Tlieologia Matliematicum agcluiiit, coudebam defi-
dari ad plura et majora, et machummcnta quae- uitiones atque inde ducere tentabaiu elomenta quae-
dam ludentis animi sub manu nata, etiam fructum dam nihilo claritate infcriora Euclideis, magnitu-
promittcre videbantur. Quanta autum voluptate dine vero fructus ctiain superiora. Ita ciiiin niecum
affinât thcorcma pulchrum, illi deuium judicaut qui ratiocinabar : Gcometriam figuras ac motus expli-
liarmomam illam interiorem purgata mente capere care, iude descriptionem terrarum et siduruin vias
possunt. Saepc tamen sollicitabat animum memoria Iiabere, et superandis pondeiïbus machinas natas,
scientiae divinioris, cui parem claritatem atque ordi- unde vitae cultus et geiitium moratarurn a barbaris
nem déesse ingemiscebam. Videbatn suiumos viros, discrimen. Sod sciontiam, qua probus improbo
D. Thomam et S. Bonaventuram et Guiliel- distiuguatur, qua meutium arcanismus cxplicctur,
mum Durandum et Gregorium Ariiniucn- et via ad félicitaient operiatur, negligi, de eirculo
sem, et tôt alios eonjm temporiim scriptores non haberi demonstrationes, de animo conjecturas; esse
paucas dédisse primaephilosophiae propositioucs ad- qui motus Icgcs scveritato uiathcmatica scribant,
110 XXVI. DE VERA METHODO etc.
qui pamu ad cogitationis arcana scrutanda diligen- cujus hodie vix in religiosorum conventibus reli-
tiam adhibeat, non esse. Hune esse fonteni mise- quiae siti marcentes consen autur. Accensa hu-
riae humaiiae quod de quovis potius quam de sum- mauiorum literarum luce itum in contraria est, et
ino vitae cogitenius, queniadmodnm incrcator ne- de syllaba quadam Plauti et Appulcji non minore
gligens, qui principio dormitans, crescente jam li- quam de universalibus et modali distinctioue tu-
bro rationum, ordinem lucemque horret, née om- multu certatum. Nunc ab hoc quoque morbo sa-
ncs accepti expensique tabulas a pritnis initiis re- nati sumus, periculo majoris. Coepimus viri esse,
sumere sustinet. Hinc secretum quendaui in ho- et matitrescente judicio crepuudia ]>osuimus cum
miuibus atheismuin et horroreui mords et de animae praetexta: période ac si inuudus ex quo a barbarie
natura dubitationes et pessimas de Deo sententias revixit, paulatiin aunis sapientiaque crevisset. Agno-
aut certe fluctuantes, multosque consuetudine po vimus, quantopere generis humani intersit, uaturatu
tius aut necessitate quain judicio houestos esse. ipsam cousuli, legesque figurarum ac motuum con-
Videbam novos quosdam philosophes ingentibus stitui, quibus nostrae vires augcantur. Sed, ut in
pollicitis excidisse quod vel praeoccupata mente repuhlica plcrique aUis laboramus |i:mri uobis, ita
scripsisseut, vel sennone a matheinatiea severitate, conquisitis experimeiitis tanhimposteritatimateriam
quam ipsi alibi sequerentur, ad popularem diccndi colligimus, unde multa post saecula veritatis aediii-
facilitatem traducto, applausum potius quam assen- cium excitari possit. Et video magnos viros, cum ju-
sum obtinuisseut. Nam ut unius tantum exemplum ventutem in mathematicis aut liumaiiiori litera-
adducam, si eximius certe vir Renatus Cartesius tura posuissent, aetatem experimeiitis naturae aut
vel semel sui ipsius causa mcditationes in proposi- negotiis iiupeitdisseiit, in flexu vitae jam iucli-
tiones, dissertationes in demonstrationes , eonver- nantis ad scientiam mentis excolendam rediisse,
tere conatus fuisset, vidissct ipse, pleraque liiare. qua propriae felicitati consulitur. Sapienter dic-
Patuit hoc, cura amici precibus et tautum non ttim est a Viro egregio Francisco Bacone,
conviciis, demontratiouem de existcutia Dei, ma- philosophiam obiter libatam a Deo abducere, pro-
tliemathico habitu vestitatu, ei extorsere. Quam si fundius liaustam reddere creatori. Idem saeculo
ab ipso pro démonstrations habitam puteiii, inju- augnror, fore ut pretiuin sauctioris philosophiae
riam ejus ingenio me facero autumem. mleuntibns ad se hominibus agnoscatur et ma
Sunt qui mathematicum vigorem extraipsasscieu- thematica studia tutu ad severioris judicii exem-
tias, quas vulgo mathematicas ap]>cllamus, locuni ha- plum, tum ad cognoscendam liarmoniam ac pul-
bere non putant. Sed illi ignorant, idem esse mathe- chritudinis velut ideam, uaturao vero exjierimenta
matice scribere, quod in forma, ut logici vocant, ad autoris, qui imaginem idealis nuindi sensibili
ratiocinari, et pratterea distinctionuin captiunculas, expressit, admirationem, studia deuique omiiia ad
quibus alioquin tempus teritnr una définitions prae- felicitatem, dirigantur.
venirc. Hoc enini unico St-holastici vitio labora- Interca per anticipittionem id agamus, ut auiuii
vere, quod cum pleruinque ordiiiate satis et, ut sic eonim sanentur, quos blandientis cujusdam philo
dicam, matliematice ratiocinentur , vocabulorum sophiae novitas, matliematicum quiddatn ementita,
usuui reliquere in incerto. Unclc pro definitione coiTiipit, periculo diuiiiae veritatis. Indubitata res
unica multae definitiones, pro demonstratione irre- est, et Aristoteli quoque agnita, omnia in natura
fragabili multae in utramque partem argutatio- corporea a magnitudine figura et motn repeti de-
nes natae; quibus divina eorum dogmata et admi- bere. Doctrina de magnitudine et figura egregie
randae non raro contemplationes, ab homine ma- exculta est, intima motus nondum jjatent, neglectu
thematice docto non diffieulter purgentur. primae philosophiae, unde repetenda sunt. Est
Utilem autem banc operam eo magis putabam, enini Metaphysicae, tractare de mutationc tempore
quod gliscere viderem in anirnis hominum senten continue in universiim. Motus enim spenies tan
tias periculosas, a falsae philosophiae mathematica tum mutationis. Non intellecta motus natura fe-
quadam larva natas, et oiimem scliolae doctrinam cit, ut insignes philosophi naturam materiac sola
pro nngis explodi. Qnotusqtiisque em'in eorum, extensione circumscripserint, unde nata est corpo-
qui ad saeculi morem docti sunt, lias, ut vocant, ris antea inaudita notio, non magis naturae phae-
tricas lectu clignas arbitratur l Ego juventuti meae nomenis, quam fidei mysteriis conciliabilis. Nimi-
gratulor, quae occasionem dédit haec quoque stu- rum demonstrari jxitest, extensum nulla alia acce-
dia cognoscendi, antequatn mens, imbuta mathema- dente qualitate, agendi patiendique ineapax esse,
ticis, alla fastidiose spemere assuevissct. Sunt omnia summe fluida, id est vacua, fore, unionein
quaedam veluti periodi studiomm ; erat tempus, cum corporum et quam in iis sentinius firmitatem expli-
scholastica Theologia sola princi[)atum obtincbat, cari non posse, denique leges motuum ab experieu
XXVI. DE VERA METIIODO etc. 111
tia aliénas constitui debere. Quac oinnia in Car- sentitur varium esse, compositumqnc sive exten-
tesii principes manifeste apparent, nani et inotuin sum. Notion! ergo cxtensionis sive varietatis ad
facit pure relativum, et eorporis specieih commen- denda actio est. Corpus ergo est agens ex-
tus est iiihil ab inani différente!)!, et niiionein fir- tcnsum, dici poterit esse substantiam extensam,
mitatemqne ex sola quiète petiit, quasi quae semel modo teneatur, omiicm substantiam agcre, at omiio
in contactu mutuo quicvcre, postea nulla vi sepa- agens substantiam appellari. Satis autem ex inte-
rari possint; et décréta circa motus cnnrursusqne rioribus metapliysicae principiis ostendi potest, quod
corporum promulgavit, certissinus experimentis non agit, née existere, nain poteutia agcndi sine
nunc antiquata. Fidei antem mysteria artificiose ullo actus initio nulla est. Arcus tensi non mo-
dcclinavit: philosophari scilicet sibi, non tlieologari dica potentia est; at non agit, inquics; Irno vero
propositum esse, quasi philosopliia admittenda sit agit, inquam, etiam ante displosionem , conatur
inconciliabilis religion!, aut quasi religio vera esse em'm, omnis autem conatus actio. Caetenim de
possit quae demonstratis alibi veritatibus pugnet. natura conatus et ageritis principii, sive ut scho-
Coactus tamen aliquando de Eucharistia loqui pro lastici vocaverc, substautialis formae multa dici
speciebus realibus, ap]>arentcs introduxit, revocata possunt cgregia et certa , unde magna
sententia theologorum omnium consensu explosa. etiam naturali theologiae lux accendatur, et
Sed hoc parum crat. si existcntiani ejusdem corpo- discutiautur tencbrae mysteriis fidei a philosopho-
ris in pluribus locis philosophia ejus ferre posset. rum objectionibus ofTusae. Patebit, non tantum
Nain si corpus et spatium eadem, quis ex diversis mentes sed et substantias omnes in loco non nisi
spatiis sive locis diversa corpora sequi negetî Qui pêr operatiouem esse, mentes nulla corporum vi
ad formandam eorporis naturam extensiom resi- destrui posse, omnem agendi vim esse a siunma
stcntiam quandam sive inpenetrabilitatem , aut ut mente, cujus voluntas sit ultima ratio rerum ; causa
ipsi loquuntur ai'TtTvn'tav molemve addidere, ut volendi harmonia universalis; Deum creaturae,
Gassendus, aliique docti viri, - rectius paulo philoso mentem materiae uniri. posse; imo mentem finitam
phât! sunt, sed non exhausere difficultates. Pri- omnem esse incorporatam, ne angelis quidem ex-
mnm enini ad ideain corporis absolvendam opus est ceptis, quae sanctorum Patnim sententia verae phi-
notione quadam ]K>sitiva, qualis non est impenetra- losophiae consentanea est. Denique, species a
bilitas, deinde nondum evictum est, penetrationem substantia difierre; «oX/ururetai» nihil repiignans
corporum abesse a natura : argumente est conden- habere imo ne /u£TOTjcaaeo^uo'y. Nam, quod mi-
satio quae ex quorundam sententia fit penetratione nim videri possit, consubstantiationem corporum
tametsi aliter explicari posse non diffitear. Deni- resolvi in transsubstantiationem, et qui corpus sub
qne impénétrabilités absoluta corporum non minus pane esse ajunt, destructam panis substantiam re-
fidei nostrae decretis pugnat quam «oA/urortta, lictis speciebus, asserere nescientes. Quod illi fa-
idemque corpus esse in pluribus locis, aut plura in tebuntur qui veram et inevitabilem substantiae no-
eodem, aeque difficile est. tionem aliquando intelligent. Quanti autem mo-
Quid ergo tandem extension! nos addamns ad menti sint haec thcoremata ad solida pietatis eon-
absolvendam corporis notionemî Quid nisi quae stituenda fnndamenta, ad tranquillitatem animi, ad
sensus ipse testetur. Nimirum tria illa simul re- Ecclesiae pacem, intelligentes aestimabunt.
nuntiat, et nos sentire, et corpora sentiri , et quod
XXVII.
LETTRE SUR LA QUESTION,
si
L'ESSENCE DU CORPS CONSISTE
DANS L'ETENDUE.
1691.
C Journal des Savans 18. Juin 1691. p. 259. Leibn. Opp. éd. Dutens Tom. II, P. 1. p. S34.)
Vous nie demande1/., Monsieur, les raisons que son chemin, et B iroit avec lui de compagnie en le
j'ai de croire que l'idée du corps ou de la matière devançant. Mais il n'en est pas ainsi dans la na
est autre que celle de l'étendue. Il est vrai, comme ture. Plus le corps B est grand, plus il diminuera
vous dites, que bien d'habiles gens sont prévenus la vitesse avec laquelle vient le corps A, jusqu'à
aujourd'hui de ce sentiment, que l'essence du corps l'obliger même de réfléchir si B est beaucoup plus
consiste dans la longueur, la largeur, et la profon grand qu'A. Or s'il n'y avoit dans les corps
deur. Cependant il y en a encore qu'on ne peut que l'étendue, ou la situation, c'està-dire, ce
accuser de trop d'attachement à la Scholastique, qui que les Géomètres y connoissent, joint à la seule
n'en sont pas contons. notion du changement; cette étendue seroit entière
Mr. Nicole dans un endroit de ses Essais té ment indifférente à l'égard de ce changement; et
moigne être de ce nombre, et il lui semble qu'il les résultats du concours des corps s'expliqueraient
y a plus de prévention que de lumière par la seule composition Géométrique des mouve-
dans ceux qui ne paroissent pas effrayés mens; c'est-à-dire, le corps après le concours
des difficultés qui s'y rencontrent iroit toujours d'un mouvement composé
11 faudroit un discours fort ample pour expliquer de l'impression qu'il avoit avant le choc,
bien distinctement ce que je pense là -dessus. Ce et de celle qu'il recevroit du concourant,
pendant voici quelques considérations que je sou pour ne le pas empêcher, c'est-à-dire , en ce
mets à vôtre jugement, dont je vous supplie de me cas de recontre, il iroit avec la différence des
faire part. deux vitesses, et du côté de la direction.
Si l'essence du corps consistait dans l'étendue, Comme la vélocité 2 A 3 A, ou 2 B 3 B, d a n s 1 a fi-
cette étendue seule devroit suffire pour rendre rai gur e 2. est la différence entre !A2AetlB2B;
son de toutes les propriétés du corps. Mais cela et en ce cas d'atteinte figure 3. lorsque le plus
n'est point. Nous remarquons dans la matière une
qualité que quelques uns ont appellée l'inertie
naturelle, par laquelle le coq>s résiste en quel
que façon au mouvement; en sorte qu'il faut em Fig. 2.
ployer quelque force pour l'y mettre, (faisant même
abstraction de la pesanteur,) et qu'un grand corps
est plus difficilement ébranlé qu'un petit corps. Par
exemple: Q
Kg
Fig. 3.
Si le corps A en mouvement rencontre le corps
B en repos, il est clair, que si le corps B était
indiffèrent au mouvement ou au repos, il se
laisseroit pousser par le corps A sans lui résister,
et sans diminuer la vitesse, ou changer la direction promt atteiudroit un plus lent qui le devance, le
du corps A; et après le concours, A continuerait plus lent rccevroit la vitesse de l'autre, et généra
XXVII. SUR L'ESSENCE DU CORPS. 113
lement ils iraient toujours de compagnie après le séquent qu'un corps en repos ne doit pas être em
concours; et particulièrement, comme j'ai dit au porté par un autre en mouvement sans changer
commencement, celui qui est en mouvement empor quelque chose de la direction et de la vitesse de
terait avec lui celui qui est en repos, sans recevoir l'agent.
aucune diminution de sa vitesse, et sans qu'un tout Je demeure d'accord que naturellement tout
ceci la grandeur, égalité ou inégalité des deux corps corps est étendu, et qu'il n'y a point d'étendue sans
pût rien changer; ce qui est entièrement irrécon corps. Il ne faut pas néanmoins confondre les no
ciliable avec les expériences. Et quand on tions du lieu, de l'espace, ou de l'étendue toute
supposerait que la grandeur doit faire un change pure, avec la notion de la substance, qui outre
ment au mouvement, on n'aurait point de principe l'étendue, referme la résistance, c'est-à-dire, l'action
pour déterminer le moyen de l'estimer en détail, et et la passion.
pour sçavoir la direction et la vitesse résultante. Cette considération me paroit importante, non-
En tout cas on pancheroit à l'opinion de la conser seulement pour connoitre la nature de la substance
vation du mouvement: au lieu que je crois avoir étendue, mais aussi pour ne pas mépriser dans la
démontré que la môme force se conserve * ) , et Physique les principes supérieurs et immatériels,
que sa quantité est différente de la quantité du au préjudice do la piété. Car quoique je sois persuadé
mouvement. que tout se fait mécaniquement dans la nature cor
Tout cela fait connoitre qu'il y a dans la matière porelle, je ne laisse pas de croire aussi que les
quelque autre chose, que ce qui est purement principes même dç la Mécanique, c'est-à-dire, les
Géométrique, c'est-à-dire, que l'étendue et son premières loix du mouvement, ont une origine plus
changement, et son changement tout miel. Et à le sublime que celles que les pures Mathématiques
bien considérer, on s'aperçoit qu'il y faut joindre peuvent fournir. Et je m'imagine que si cela étoit
quelque notion supérieure ou métaphysique, plus connu, ou mieux considéré, bien des personnes
sçavoir celle de la substance, action, et de piété n'auroicnt pas si mauvaise opinion de la
for c e ; et ces notions portent que tout ce qui p à t i t Philosophie corpusculaire, et les Philosophes mo
doit agir réciproquement, et que tout ce qui dernes joindraient mieux la connoissance de la na
agit doit pâtir quelque réaction; et par con- ture à celle de son Auteur.
Jo ne m'étens pas sur d'autres raisons touchant
la nature du corps ; car cela me mènerait trop loin.
1 I In Actls Erudit. ami. 1686.
XXVIII.
EXTRAIT D'UNE LETTRE
POUR SOUTENIR CE QU'IL Y A DE LUI DANS LE JOURNAL DES SAVANS
DU 18. JUIN 1691.
1693.
(.intimai dei Saraus 5. Janv. 1693. Leibn. Opp. éd. Uulens Tom. II, P. 1. p. Ï36.)
Pour prouver que la nature du corps ne i sçauroit rendre raison par la seule étendue de
consiste pas dans l'étendue, je m'étois servi • l'inertie naturelle des corps, c'est-à-dire,
d'un argument expliqué dans le Journal des Scavans i de ce qui fait que la matière résiste au mouvement,
du 18. Juin 1691 dont le fondement est, qu'on ne i ou bien de ce qui fait qu'un corps qui se meut déjà,
15
114 XXVilI. LETTRE A MR. TOUCHER.
ne sçauroit emporter avec soi un autre qui repose, et les loix du mouvement qui en dépendent, ne peu
sans en être retardé. Car l'étendue en elle-même vent être tirées de la seule étendue. Et comme
étant indifférente au mouvement et au repos, rien ils ont pris pour accordé qu'il n'y a que de l'étendue,
ne devroit empêcher les deux corps d'aller de com ils ont été obliges de lui refuser la force et l'action,
pagnie avec toute la vitesse du premier, qu'il tâche et d'avoir recours à la cause générale, qui est la
d'imprimer au second. A cela on répond dans le pure volonté et action de Dieu. En quoi l'on peut
Journal du 16. Juillet de la même année, (comme dire qu'ils ont très bien raisonné ex hypothesi.
je n'ai appris que depuis peu) qu'effective Mais l'hypothèse n'a pas encore été démontrée; et
ment le corps doit être indifférent an comme la conclusion paroit peu convenable en Phy
mouvement et au repos, supposé que; son sique, il y a plus d'apparence de dire qui'il y a du
essence consiste àêtre seulement étendu: défaut dans l'hypothèse, (qui d'ailleurs souffre bien
mais que néanmoins un corps qui va pousser un d'autres difficultés,) et qu'on doit reconnoitre dans
autre corps, en doit être retardé, (non pas à cause la matière quelque chose de plus que ce qui con
de l'étendue, mais à cause de la force) parce que siste dans le seul rapport à l'étendue ; laquelle, tout
la même force qui étoit appliquée à un comme l'espace, est incapable d'action et de résistance,
des corps, est maintenant appliquée à qui n'appartient qu'aux substances. Ceux qui veulent
tous les deux. Or la force qui meut un des que l'étendue même soit une substance, renversent
corps avec une certaine vitesse, doit mouvoir les l'ordre des paroles aussi -bien que des pensées. Ou
deux ensemble avec moins de vitesse. C'est comme tre l'étendue il faut avoir un sujet qui soit éten
si l'on disoit en autres termes, que le corps, s'il du, c'est-à-dire, une substance à laquelle il appar
consiste dans l'étendue, doit être indifférent aa tienne d'être répétée ou continuée. Gir l'éten
mouvement; mais qu'effectivement n'y étant pas due ne signifie qu'une répétition ou multipli
indifférent, puis qu'il résiste à ce qui lui en doit cité continuée de ce qui est répandu; une plu
donner; il faut outre la notion de l'étendue, ralité, continuité, et coexistence des
employer celle de la force. Ainsi cette réponse parties: et par conséquent elle ne suffit point
m'accorde justement ce que je veux. Et en effet pour expliquer la nature même de la substance ré
ceux qui sont pour le sistôme des causes occasion pandue ou répétée, dont la notion est antérieure à
nelles, se sont déjà fort bien aperçus que la force celle de sa répétition.
XXIX.
EXTRAIT
D'UNE
LETTRE A MR FOUCHER,
CHANOINE DE DIJON,
SUR QUELQUES AXIOMES PHILOSOPHIQUES.
1692.
(Journal des Savans 3. Juin 1698. Leibn. Opp. éd. Dutens. Tom. II, P. 1. p. 138.)
Je suis de vôtre avis, Monsieur, sur ce que vous usent les Géomètres. Cependant je vous invite à
pensez qu'il seroit bon de chercher des preuves de expliquer en cela vôtre sentiment, de peur que ceux
toutes les vérités importantes qui se peuvent prou qui ne l'entendent pas assez, ne s'imaginent mal à
ver. Mais cela ne doit pas empêcher d'avancer des propos que les Académiciens se sont opposés au pro
problêmes particuliers, en attendant que l'on ait grès des Sciences.
rencontré les premiers principes. C'est ainsi qu'en
XXVIII. LETTRE A Mil. IOUCHKK. 115
Mr. Descartes ne me semble pas avoir eu assez fection au-delà des bornes présentes. Elles servi-
de soin de bien établir ses axiomes, lui qui a com roicnt dans la Géométrie profonde autant que les
mencé néanmoins par le doute raisonnable, dans le tables anciennes des sinus servent dans la Trigo
quel vous Académiciens faisoient profession d'en nométrie. Et comme Mr. O/anam est un des
trer d'abord. hommes du monde qui a le plus de facilité et de
On sçait d'ailleurs que Proclus, et même partique pour le calcul ordinaire de la spécieuse,
Apollonius, avoieut déjà eu quelque dessein de j'avois pensé qu'une chose aussi utile que celle-là
travailler à la preuve des axiomes. Mais ceux qui se pourroit faire par son moyen.
aiment à entrer dans le détail des Sciences, mépri La raison qui me fit laisser à Florence un brouil
sent les recherches abstraites et générales; et ceux lon d'une nouvelle science de Dynamique, est qu'il
qui approfondissent les principes, entrent rarement y eut un ami qui se chargea de le débrouiller, et
dans les particularités. Pour moi j'estime également de le mettre au net, et même de le faire publier.
l'un et l'autre. Il ne tient qu'à moi qu'il ne paroisse. Je n'ai qu'à
Mon axiome, que la nature n'agit jamais par y envoyer la fin. Mais toutes les fois que j'y pense,
saut, est d'un grand usage dans la Physique. Il dé il me vient une foule de nouveautés que je n'ai pas
truit les atomes, les petits repos, les globules du se encore eu le loisir de digérer.
cond élément, et les autres semblables chimères. Les expressions semblables à cet •axiome, Ex-
11 rectifie les loix du mouvement. Ne craignez point, tréma in idem recidunt, vont un peu trop
Monsieur, la tortue que les Pirrhoniens faisoieut loin; comme lorsqu'on dit que l'infini est une sphère
aller aussi vite qu' Achille. Vous avez raison de dont le centre est par-tout, et la circonférence nulle
dire, que toutes les grandeurs peuvent être part, il ne faut pas les prendre à la rigeur: néan
divisées à l'infini. Il n'y en a point de si moins elles ne laissent pas d'avoir un usage parti
petite, dans laquelle on ne puisse conce culier pour l'invention, à peu près comme les ima
voir une infinité de divisions que l'on ginaires de l'Algèbre. C'est ainsi que l'on conçoit
n'épuisera jamais. Mais je ne vois pas quel la parabole comme une ellipse à foyer infiniment
mal il en arrive, ou quel besoin il y a de les épuiser. éloigné ; et par là on maintient une certaine uni
Un espace divisible sans fin se passe dans un tems versalité dans les énonciations des coniques. Le cal
aussi divisible sans fin. Je ne Conçois point d'indi cul nous mène quelquefois à l'infini sans y penser
visibles physiques sans miracle , et je crois que la On pourroit donc ainsi conclure, qu'au moins eu
nature peut réduire les corps à la petitesse que la cas de prétendue vitesse infinie, chaque point du
Géométrie peut considérer. cercle seroit toujours au même endroit; quoiqu'
Mr. Ozanam ne disconviendra pas que je ne lui après tout, une vitesse infinie soit impossible, aussi-
ave donné les premières vues de la quadrature du bien qu'un cercle infini. Avec tout cela ce cercle
cercle, dont nous avons parlé, lui et moi, et je lui infini peut avoir encore son usage, en calculant:
en aurois communiqué ma démonstration, s'il me car 'si l'analyse me faisoit voir que le rayon du
l'avoit demandée. Il avouera aussi que je suis le pre cercle demandé dans le plan donné est infini, je
mier qui lui ai montré l'usage des équations locales conclurrois que le plan entier du cercle demandé
pour les constructions ; dont il fut ravi. Il en a fait est le lieu qu'on cherche. Ainsi si je ne trouvois
un fort bel usage, comme je vois par son Diction pas ce que je cherche, sçavoir un cercle qu'on de
naire. 11 est vrai que cet usage des équations loca mande, je trouverois au moins ce que je devois
les n'est pas de mon invention. Je l'avois appris de chercher, sçavoir que le lieu demandé est le plan
Mr. Slusius. demandé, et qu'il n'y a point do tel cercle dans ce
Il y a quelque tems que j'eus une vue à son avan plan. De sorte que voila omnia sana sanis; et
tage : C'est le projet de certaines tables analytiques l'analyse tire des utilités réelles des expressions
on de spécieuse, fondées sur les combinaisons, qui imaginaires. C'est de quoi j'ai des exemples très
si elles étoient faites, seroient d'un secours merveil importans. Il est vrai que des vérités on ne con-
leux en Analyse et en Géométrie, et dans tontes les clud que des vérités; mais il y a de certaines faus
Mathématiques, et pousseraient l'Analyse à une per- j setés qui sont utiles pour trouver la vérité.
lo*
XXX.
EXTRAIT
D UNE
LETTRE DE MR FOUCHER,
CHANOINE DE DIJON,
POUR REPONDUE A MR. LEIBNIZ SUR QUELQUES AXIOMES DE PHILOSOPHIE.
1693.
(Journal des Savans J fi. Mars 1693. — Leibn. Opp. éd. Dutens Ton. II. P. 1. p. S40.)
Je crois, Monsieur, que vous serez content de ce Quant à ce qui regarde cet axiome, Natura
que j'ai dit dans mon 3. livre des dissertations sur non agit saltatim, je vous avoue, Monsieur,
la Philosophie de Académiciens, au sujet du doute que j'aurois eu peine à concevoir la -dessus vôtre
général qu'on leur attribue vulgairement. Car non sentiment, s'il ne m'étoit tombé entre les mains
seulement j'ai prouvé dans ce livre, que les Aca deux traités, l'un de motu abstracto, et l'autre
démiciens n'ont ]ws douté de tontes choses, mais de motu concrète, que vous avez addressés anx
encore qu'ils avoient des dogmes 5 et c'est ce que deux plus fameuses Académies de l'Europe. Il
j'ai montré par le témoignage de Cicéron, qui n'est pas nécessaire de vous dire ici combien
parle ainsi de Phi ion, Chef de la quatrième Aca j'estime ces traités, et quel a été le plaisir que j'ai
démie: Quamquam Antiochi Magister Philo, eu d'y voir en très peu d'étendue de riches expli
inagnus vir, ut tu cxistimas ipse, negarit cations des plus considérables phénomènes de la
in libris quos coram etiam ex ipso audie- nature. Mais cependant j'avoue que je ne com-
bamus, duas Académies esse, erroremque prens pas comment vous admettez des divisibles et
corum qui ita pntarunt coargnit. C'est en des indivisibles tout ensemble: car cela redouble
core ce que j'ai prouvé, par un fragment de Clito- la difficulté , et ne résout jx>int la question. En
maquc, on il est dit que Ton se trompe d'attri effet pour ajuster les parties du teins avec celles de
buer aux Académiciens d'avoir douté des sensa l'espace que les mobiles parcourent, il faut que l'in-
tions: Vchementer errare eos quidicunt ab divisiblité ou la divisiblité se rencontrent de part
Academicis sensus eripi, a quibus nus- et d'autre. Car si un instant, par exemple, étant
quam dictnm sit, aut colorem, aut sapo- supposé indivisible, correspond néanmoins à un
rem, aut sonum nullum esse: sed etc. Outre point qui peut être divisé, la première partie de
cete, on voit aussi par le même fragment, que les ce point sera parcourue, lorsque l'instant ne sera
Académiciens ne doutoient point de ce qui étoit encore passé qu'à demi ; et cela posé, il faudra bien
immédiatement connu ou aperçu par lui-même, que cet instant soit divisible, puis qu'il sera passé à
Propterea qnod nihil falsi cognitum et moitié, avant que sou antre partie le soit La même
perceptum esse possit. D'où il s'ensuit que chose se dira au sujet d'un point indivisible parrapport
ce qui est immédiatement connu est toujours vrai, à un instant qui peut être partagé. Mais d'autre
et ne doit point être révoqué en doute; et c'est ce part si l'on suppose que les points et les instans
que ces Philosophes ont reconnu. soient également indivisibles, on ne pourra résoudre
Outre cela j'ai fait voir que les Académiciens Ja difficulté des Sceptiques, ni montrer comment
n'ayant rien écrit, on en juge vulgairement sur le Achille pourroit aller plus vite qu'un tortue.
rapport de leurs adversaires, qui étoint le Stoï Les iustans et les points sont divisibles en puis
ciens, qui avoient coutume de dire que ces Philo sance, dira-t-on: mais ils ne sont pas actuellement
sophes renversoint toutes les sciences en refusant divisés en toutes leurs parties possibles; et cela
le témoignage des sens, pour juger de la vérité des posé, en un même instant un grand point et un
choses qui sont hors de nous. petit sont parcourus. Je le veux. Mais cela étant
XXXI. REPONSE A MR. FOUCHER. 117
ainsi, la nature agira par saut : car il se fera un mais encore, comme vous le reconnoissez fort bieii,
transport momentané d'une extrémité d'un point pour rendre raison des loix du mouvement, et de»
à l'autre. Et cela est contraire à votre Axiome, actions réciproques des esprits sur les corps, aussi-
bien loin de résoudre la difficulté. bien que des corps sur les esprits. Et après tout
Cet autre axiome, extrema in idem reci- comment seroit-il possible qu'aucune chose existât,
dunt, n'empêche pas que l'on ne reconnoisee l'exis si l'être même, ipsum esse, n'avoit l'existence.
tence de l'infini actuel, mais seulement il peut ser Mais bien au contraire ne pourroit-on pas dire avec
vir à conclure que cet infini est incompréhensible beaucoup plus de raison, qu'il n'y a que lui qui
à l'esprit humain, et que nous n'en avons point existe véritablement, les êtres particuliers n'ayant
d'idée positive, non plus que du néant. Ces deux rien de permanent? Semper generantur, et
extrémités nous passent; et ce n'est pas sans raison nnnquam sunt.
que Platon a dit, que le Philosophe se perd dans Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir vous ré
la contemplation de l'Etre, de même que le Sophiste pondre en peu de mots au sujet des axiomes dont
dans celle du néant, l'on étant ébloui de la trop je viens de parler. Pour ce qui est d'en établir
grande lumière de son objet, et l'autre étant quelques-uns par avance, avant que de travailler à
aveuglé par les ténèbres du sien. C'est suivant la Philosophie des Académiciens, c'est une chose
cette pensée qu'on lit dans le livre qui est attribué dont vous trouverez bon que je me dispense, si
à Saint Denis, que l'Etre souverain est au-dessus vous considérez que ce n'étoit point là leur mé
de toute conception humaine ; et cela revient à ces thode. Ils traitoient des questions par ordre, et
paroles de Saint Paul: Lucem habitat inac- suivoient toujours le fil des vérités par lequel ils
cessibilem. Avec tout cela nous sommes toujours se condnisoient ponr sortir du labyrinte de l'igno
obligés de recourir à l'Etre infini, non -seulement rance humaine.
ponr trouver la cause des prodiges et des miracles,
XXXI.
RÉPONSE DE M*. LEIBNIZ.
A L'EXTRAIT DE LA LETTRE DE MR. FOUCHER, CHANOINE DE DIJON, INSÉRÉE
DANS LE JOURNAL DU 16. MARS.
1693.
(Journal des Savans S. Août 1693. — Leib. Opp. éd. Dutena. Tom. II. P. 1. p. 24*.)
XXX1L
DE
NOTIONIBUS JURIS ET JUSTITIAE.
1693.
(Codex -i ii ris Qentium dlplomalicus, in quo Tabulae Authenlicae Actoruni publicoram, Tractatuura. aliarumqna
rerum majoris momenti per Europam geslarum, pleraeque inedllae vel seiertae, ipso verborum lenorc expressaa
ac temporum série digeslae, continenlur; a fine seculi undecimi ad nostra usque tempora aJiquot imnis com-
prehensus; quem ex manuscriptls praesertlm Bibliotbecae Augustae Guelfebylanae Codicibus, ex Monument!*
Begiorum aliorumque Arcbivorum ac propriis denlque CoIIectaneis edldit G. G. !.. Bannoverae Liieris et 1m-
pensis Sanmelis Ammonil MDCXCIII. Praerat. ad lect.)
Juris et justitiae notiones etiam post tôt universalis, et benevolentia amandi sive dili-
praeclaros scriptores nescio an satis liquidae ha- gendi habitua. Amare autem sive diligere est
beautur. Est autem jus quaedam poteutia mora- felicitate altcrins delectari, vel quod eodem re
lis, et obligatio nécessitas moralis. Moralem dit, felicitatcm alionam asciscere in suam. Unde
antem intelligo, quac apud virûm bonum aequipol- difficilis nodus solvitur, iiiagni etiatn in Theologia
Ict naturali: nam ut pracclare Jurisconsultus Ko- momenti, quomodo ainor non inercenarius detur,
inamis ait, quae contra honos mores sunt, ea née qui sit a spe metuque et omni ntilitatis respecta
facere nos posse credendum est. Vir bonus au separatus : scilicet quorum félicitas délectât eorum
tem est qui ainat omnes, quantum ratio permittit. félicitas nostram ingreditur, nam quae délectant per
Jus ti ta m igitur, quae virtus est hujns affectus se expctuntur. Et uti pnlchrorum contemplatio ipsa
rectrix, quem tpiXon>^tyuMuin> Graeci vocant, com- | jucunda est, pictaque tabula Raphaelis intelligen-
modissime ni fallor definiemus caritatem sa- tem afficit, etsi nulles census ferat, adco ut in ocu-
pientis, hoc est seqnentcm sapicntiac clictata. lis deliciisque feratur, quodam simulacre amoris;
Itaque, quod Carneadem dixisse fortur, justitiam ita mm res pnlchra simul etiam felicitatis est ça-
esse summara stultitiam, quia alienis utilitatibns pax, transit affectus in verum amorem. Superat
consuli jubcat neglectis propriis, ex ignorata ejus antcm diviuus amor alios amorcs quod Drus
dcfinitione natum est. Caritas est benevolentia cuin maxiino successu amari potest, quando Deo
XXXII. DE NOTIONIBUS JURIS ET JUSTITIAE. 119
simul et felicins niliil est , et nihil pnlchrius felici- cui toga conveniret, sed CDJQS esset, munim ali-
tateque dignius iutelligi potest. Et cum idem sit quando rectius hac judicandi forma, cum ipsemet
potentiac sapientiaeque summae, félicitas ejus non togas distribuendas esset habiturus. Namque ipsa
tantum iugreditur nostram, (si sapimus, id est, si aequitas nobis in negotiis jus strictum, ici est homi
ipsam amamus) sed et facit. Quia autein sapien- num aequalitatem comrnendat, nisi cum gravis ra
tia caritatem dirigera débet, hujus quoque defini- tio boni rnajoris ab ea recedi jubet. Personarum
tione opus erit. Arbitrer autetn notioni bominum autrui quae vocatur acceptio suam non in alienis
optime satisfieri. si sapientiam nihil aliud esse bonis corumutandis, sed in nostris vel publicis di-
dicamns, quam ipsaiu scientiam felicitafis. Ita stribueudis sedem habet.
rarsus in felicitatis notionem n : vol vi unir, quai a Supremum Juris gradum probitatis vel potias
explicare hujus loci non est. p i e t a t i s nomme appellavi. Nam hactenos dicta
Ex hoc jara fonte fluit jus naturae, cujus sic accipi possunt, ut intra mortalis vitae respectus
très sunt gradus; jus strictnm in jostitia coerceantar. Et jus quidem merum sive strictum
commutativa , aequitas (vel angustiore vocis uascitur ex principio servandae pacis ; aequitas sivo
sensu caritas) in justitia distributiva, denique pie- caritas ad inajns aliquid contendit, ut dum quisque
tas (vel probitas) in justitia universai i: unde ne- alteri prodest quantum potest, felicitatem suam an-
rainem laedere, suum cuique tribucre, honeste (vel geat in aliéna , et ut verbo dicam jus strictum mi-
potias pie) vivere, totidem generalissima et pervnl- seriam vitat, jus superius ad felicitatem tendit, sed
gata jnris praecepta nascuntur; quemadmodum rem qualis in hanc mortalitatem cadit. Quod vero ipsam
adolescens olim in libello de Methodo Juris adum- vitam, et quicquid hanc vilain expetendam fa-
bravi. Jnris meri sivestricti praeceptum est cit magno commodo alieno posthabere debeamus
Deminem laedendum esse, ne detur ci in ci- ita ut inaximos etiam dolores in aliorum gratiam
vitate actio extra civitatem, jus belli. Hinc nasci- perferre oporteat , magis pulchre praecipitur a Phi-
tur justitia, quam Philosophi vocant commutati- losophis, quam solide demonstratnr. Nam déçus
vaiti, et jus quod Grotius appellat facultatem. et gloriam et animi sui virtute gaudentem sensum,
Superiorem gradum voco aequitateui vel si ma- ad quae sub honestatis nomine provocant, cogita-
vis caritatem (angustiore scilicet sensu) quam ultra tionis sive ineutis bona esse constat, magna qui-
rigorem juris meri ad eas quoqne obligationes por- dera sed non omnibus née omni malorum acerbi-
rigo, ex quibus actio iis quorum interest non datur tate praevalitura , quando non omnes aeque iraagi-
qua nos cogant 5 velnti ad gratitudinetn , ad Elee- nando afnriuntur; praescrtim quos ncque educatio
mosynam, ad quae aptitudinem, non faculta liberalis neque consuetndo vivendi ingenua vel vi
tem, habere Grotio dicuntur. Et quemadmodum tae sectaeve disciplina ad honoris aestimationem,
infimi gradus erat, neinincin laedere, ita ruedii est vel animi bona sentienda assuefecit. Ut vero uni-
cunctis prodesse; sed quantum cuique convenit aut versali demonstratione corificiatur omne honestum
quantum quisque meretur, quanclo omnibus aeque esse utile , et omue turpe damnosum , assumenda
favere non licet. Itaque hujus loci est distribu est immortalitas animae, et rector universi DEUS.
tiva justitia et praeceptum juris, quod suuin cui Ita fit ut omnes in civitate perfectissima vivere in-
que tribui jubet. Atque hue in Republica poli- telligamus sub Monarcha qui née ob sapientiam
ticae kges referuntur , qnae folicitatem subditorum t'ai I i , née ob potentiam vitari potest ; idemque tam
procurant, efficiuntque passim , ut qui aptitudinem amabilis est, ut félicitas sit tali domino servire.
tantom habebant, acqniraut facultatem, id est ut Huic igitur qui animant impendit, Christo docente
petere possint, quod alios aequum est praestare. eam lucratur. Hujus potentia providentiaque effi-
Et cnm in gradn jaris infimo non attenderentur di citur ut orunc jus in factura transeat, utncmo lae-
scrimina hominum, nisi quae ex ipso negotio na- datur nisi a se ipso, ut nihil recto gestum sine
scaotur, sed omnes homines censerentur aeqnales, praeniio sit, nullum peccatum sine poena. Quo-
nnnc tarnen in hac supertore gradu mérita ponde- niam, ut divine a Christo traditum est, omnes ca-
ïantur, unde privilégia, praemia, poenae, locum ha- pilli nostri nnmerati sunt, ac ne aquae quidem
bent. Quam gradunm juris differentiam eleganter haustus frustra datus est sitienti, adeo nihil negligi-
Xenophon adumbravit, Cyri pueri exemple, qui in- tur in republica universi. Ex hac consideratione
ter daos pneros, quorum fortior cnm altero vestem fit ut justitia nniversalis appelletur et omnes
per vim commutaverat , qnod suae staturae togam alias virtutes comprehendat , quae enini alioqui al-
alienam aptiorem reperisset, snam togam staturae trrins interesse non videntur veluti ne nostro cor-
alienae, judex lectus, pro praedone pronuntiarat : pore ant nostris rébus abutamur, etiam extra lo
sed a rectore admonitus est, non quaeri hoc loco ges humanas , naturali jure, id est aeternis divinae
120 XXXIII. LETTRE A MB. L'ABBÉ NICAISE.
Monarchiac legibns vetanlur cum nos nostraque rata relatnm est, jus natarae et gentinm traditnm
Deo debeamus. Nam ut reipublicae, ita inulto secundutn disciplinam Christianorum , id est (ex
magis univers! interest, ne quis re sua inale utatur. Christi documentis) TU àvû-rtça, subliinia, divina
Itaque hinc supremam illud jaris praeceptnm vim sapientntn. Ita tria juris praecepta, tresve jnsti-
accepit, quod ho nés te (id est pie) vivere jubet. tiae gracias commodissime explicasse nobis vide-
Atque hoc sensu recte a viris doctis inter deside mur, fontesqne juris naturalis designavisse.
XXXIII.
EXTRAIT
D'UNE
1 G 9 3.
(Journal des sa vans 13. Avril 1693. — Leibn. Opp. éd. Dut en s. Tom. II. P. 1. p. 243.)
J'honore infinement Mr. l'Evêqnc d'Avranches; | comment et par quelle étoile, dont l'influence est
et je vous supplie, Monsieur, de le lui témoigner, ! ennemie de toute sorte de secrets, les Cartésiens
quand l'occasion s'en présentera. Un de mes amis \ n'ont presque rien fait de nouveau, et que presque
de Brème m'ayant envoyé le livre de Mr. Swe- toutes les découvertes ont été faites par des gens
ling, qui y est Professeur, contre la Censure de qui ne le sont point. Je ne connois que les
cet illustre Prélat, pour en avoir mon sentiment, petits tuyaux de Mr. Rohault, qui ne méritent
je répondis, que la meilleure réponse que Mrs. les pas le nom de découverte d'un Cartésien. 11
Cartésiens pourroient faire, seroit de profiter des semble que ceux qui s'attachent à un seul maître
Avis de Mr. d'Avranches ; de se défaire de l'esprit s'abaissent par cette sorte d'esclavage, et ne con
de secte, toujours contraire à l'avancement des çoivent presque rien qu'après lui. Je suis sûr
sciences; de joindre à la lecture des excellens ou que si Mr. Des cartes avoit vécu plus long-tems,
vrages de Mr. Descartes celle de quelques autres il nous auroit donné une infinité de choses impor
grands hommes anciens et modernes; de ne pas tantes. Ce qui fait voir, ou que c'étoit plutôt
mépriser l'antiquité, où Mr. Descartes a pris une son génie que sa méthode ou bien qu'il n'a pas
bonne partie de ses meilleures pensées; de s'at publié sa méthode. En effet je me souviens d'a
tacher aux expériences, et aux démonstrations, au voir lu dans une de ses lettres, qu'il a voulu
lien de ces raisonnemens généraux, qui ne servent seulement écrire un discours de sa méthode, et
qu'à entretenir l'oisiveté et à couvrir l'ignorance : en donner des échantillons; mais que son inten
de tâcher de faire quelque pas en avant, et de ne se tion n'a pas été de la publier. Ainsi les Car
pas contenter d'être de simples paraphrastes de leur tésiens qui croient avoir la méthode de leur
Maître; et de ne pas négliger ou mépriser l'Ana- maître, se trompent bien fort. Cependant je m'i
toinie, l'Histoire, les Langues, la critique, faute magine que cette méthode n'éfoit pas aussi parfaite
d'en ronnoître l'importance et le prix; de ne se qu'on tâche de le faire croire. Je le juge par sa
pas imaginer qu'on sait tout ce qu'il faut, on Géométrie. C'étoit son fort sans doute: cepen
tout ce qu'on peut espérer; enfin d'être modeste dant nous savons aujourd'hui, qu'il s'en faut infi
et studieux, pour ne se pas attirer ce beau mot: niment qu'elle n'aille aussi loin qu'elle devroit al
Ignorantia inflat. J'ajouterai que je ne sais ler, et qu'il disoit qu'elle alloit. Les plus irupor-
XXXIV. DE PRIMAE PHILOSOPHIAE EMEXDATIONE. 121
tans problèmes ont besoin d'une nouvelle façon quelques matières particulières; mais parceque je
d'analyse toute différente de la sienne, dont j'ai la considère comme un admirable modèle, et
donné moi-même des échantillons. Il me semble comme un échantillon de ce qu'on pourroit et de
que Mr. Descartes n'avoit pas assez pénétré les ce qu'on devrait maintenant élever, sur des princi
importantes vérités de Kepler sur l'Astronomie, pes plus solides que les expériences nous ont four
que la suite des teins a vérifiées. Son homme est nis depuis. En un mot j'estime infiniment Mr.
extrêmement différent de l'homme véritable, comme Descartes: mais bien souvent il ne m'est pas
Mr. S te non et d'autres l'ont montré. La con- permis de le suivre. J'ai fait autrefois des remar
noissance qu'il avoit des sels et de la Chymie étoit ques sur la première et sur la seconde partie de
bien maigre; cela est cause que ce qu'il en dit, ses principes. Ces parties comprennent en abrégé
aussi bien que des minéraux, est médiocre. La sa Philosophie générale, où j'ai été obligé le plus
Métaphysique de cet Auteur, quoiqu'elle ait quel souvent de m'écarter de lui. Les parties suivantes
ques beaux traits est mêlée de grands Paralogis- viennent an détail de la nature, qu'il n'est pas en
iii!'-. et a des endroits bien foibles. J'ai découvert core si aisé d'éclaircir. C'est pourquoi je n'y ai
la source de ses erreurs sur les règles du mouve pas encore touché. Mais je ne sçai comment j'ai
ment; et quoique j'estime extrêmement sa Physi été emporté insensiblement à vous entretenir si
que, ce n'est pas que je la tienne véritable, excepté long-tems sur cette matière.
XXXIV.
DE
1694.
(Acia Erudit. Llps. 1694. p. 110. — Lelbn. Opp. éd. Dutens Tom. II. P. 1. p. 18.)
Video plerosque, qui Mathematicis doctrinis de- I loqui didicere. Née vero substantiae tantum, sed
lectantur, a Metaphysicis abhorrere, quod in illis , et causae, et actionis, et relationis, -et similitudinis,
lucem, in his tenebras animadrertant. Cujus rei I et plerorumque aliorum terminorum generalium
pctissimam causam esse arbitrer, quod uotiones j notiones veras et faecundas vulgo latere manife-
générales, et quae maxime omnibus notae creclun- stum est. Unde nemo mirari débet, scientiam il-
tur, humana neglipentia atque inconstantia cogi- lam princii>eni, quae Primae Pliilosophiae nomine
tandi ambiguae atque obscurae sunt factae; et quae ! venit, et Aristoteli dicta est desiderata seu quae-
vulgo affiTuntur defiuitiones, ne nominales sunt qui- j sita (Çr}Tovf.i£i'r]) adhuc inter quaereuda mansisse.
déni, adeo nihil explicant. Née dubiurn est in Equidem Plato passim Dialogis vim notioiium ve-
caeteras disciplinas influxisse malum, quae primae | stigat; idem facit Aristoteles in libris qui vulgo
illi atque architectonicae subordinantur. Ita pro Metaphysici vocantur; multum tamen profe
definitionibus lucidis natae nobis sunt distinctiun- cisse non apparet. Platonici posteriores ad lo
cnlae, pro axiomatibus vere universalibus regulae quendi portenta sunt lapsi; Aristotelicis, praeser-
topicae, quae saepe pluribus franguntur instantiis, tim Scholasticis , movere magis quaestiones curae
quani juvantnr exemplis. Et tamen passiin hoini- fuit, quam finire. Nostris teinporibus viri quidam
nes Metaphysicas voces necessitate quadam adhi- insignes etiani ad Priniam Philosophiam animum
bent, et sibi blandientes, intelligere credunt, quae adjecere, non magno tamen hactenus surcessu.
16
122 XXXIV. DE PRIMAE PH1LOSOPHIAE EMENDATIONE.
Cartesium attulisse aKqaa egregia negari non Galli la force) cui ego explicandae pecnliarem
potest, et recte inprimis Platonis studium revo- Dynamices scientiaiu destinavi, plurimum lucis
casse abducendi mentent seusibus, et Academicas afferre ad vcram notionem substantiae intelligen-
dubitationes utiliter subinde adhibuisse; sed inox dam. Differt enim vis activa a potentia nuda vnlgo
inconstantia quadani Tel affirmandi liccntia scopo scholis cognita, quod potentia activa Scholastico-
excidisse, née certum ab incerto distinxisse, et i ii m. seu facultas, nihil aliud est quam propinqua
proinde substantiae corporeae naturam in exten- agendi possibilitas , quae tamen aliéna excitatione,
sione praepostere collocasse, née de unième animae et velut stimulo indiget, ut in actum transferatur.
et coq>oris probas comprehensiones habuisse; quo- Sed vis activa actum quendam sive îiTïX.£X£tar
i mil causa fuit, non intellecta substantiae natura in continet, atque inter facultatem agendi actionem-
universum. Nain saltu quodam ad gravissimas que IIISIMI média est *), et conatum involvit; at
quaestiones solvendas processerat, notionibus in- que ita per se ipsam in operationem fertur; née
gredientibus non ex]>licatis. Unde quantum absint auxiliis indiget, sed sola sublatione impedimenti.
a certitudine Meditationes ejus Metaphysicae, non Quod exemplis gravis suspens! funein sustinentem
aliunde inagis apparet, quant ex scripto ipsius, in intendentis, aut arcus tensi, illustrari potest. Etsi
qno, hortatu Mers en ni et aliorurn, Mathematico enim gravitas aut vis elastica meclianice explicati
eas habitu vestire voluerat frustra. Video et alios possint debeantque ex aetheris motu; ultima ta
viros acumine praestantes attigisse Metaphysica, et men ratio motus in materia, est vis in creatione
nonnulla profunde cogitasse ; sed ita involvisse te- impressa, quae in unoquoque corpore inest, sod
nebris, ut divinare magis appareat, quam demon- ipso conflictu corpornm varie in natura limitatur
strare. Mihi vero in his magis quam in ipsis Ma- et coërcetur. Et hanc agendi virtutem omni sub
thematicis, luce et certitudine opus videtur, quia stantiae inesse ajo, semperque aliquam ex ea ac-
res Mathematicae sua examina et comprobationes tionem nasci : adeoque née ipsam substantiam cor-
secum ferunt, quae causa est potissima successus; poream (non magis quam spiritualem) ab agendo
sed in Metapliysicis hoc commodo caremus. Jtaque eessare unquam; quod illi non satis percepisse vi-
peculiaris quaedam proponendi ratio necessaria est, dentur, qui essentiam ejus in sola extensioue, vel
et vclut ftlum in Labyrintho, cujus ope non minus etiam iuipenetrabilitate collocaverunt, et corpus
quam Euclidea mcthodo ad calculi instar quaestio omnimode quiescens concipere sibi sunt visi. Ap-
nes resolvantur; serrata nihilominus claritate, quae parebit etiam ex nostris meditationibus, substan
née popularibus sermouibus quicquam concédât. tiam creatam ab alia substantia creata non ipsam
Quauti autein ista siut inomenti, iuprimis appa- vint agendi, sed praeexistentis jam nisus sui, sive
rebit ex notione substantiae, quam ego assigno, virtutis agendi, limites tantummodo ac determina-
quae tant faecunda est, ut iiule veritates primariae, tiouent accipere; ut alia nunc taceam, ad solven-
etiam circa Deum et mentes, et naturam corporuiu, dum illud problema difficile, de substantiarum ope-
eaeque partira cognitae, sed parum demonstratae, ratione in se invicem, profutura.
partim hactenus ignotae, sed maximi pcr caeteras
scientias usns futurae, conscquantur. Cujus rei ut
aliquem gustum dem, dicam intérim, notionem vi- ' l Conf. Système nouveau de la nature n de la
rium seu virtutis (quain Germani vocant Kraft, communication deii Substances $. 3.
XXXV.
LETTRE A UN AMI
SUR LE CARTESIANISME.
16 9 5.
( l.rihiiii ii Olium Hanovrrantim sive Miscellanea etc. G. Guil. l.eibnllii éd. Joacb. F r. Feller Lips. 1718.
8. p. 6. — Lcibn. Opp. éd. Dulens Tom. II. P. 1. p. 263.)
Cest tlopids quelque teins que j'ai des démêlés bre de la véritable Philosophie. Un homme de la
avec Messieurs les Cartésiens. Car les ayant atta compagnie qui fréquentoit la Cour, qui avoit de la
qué dans leur fort, c'est-à-dire, dans les Ma lecture, et qui se mêloit même de raisonner sur les
thématiques, où j'ai montré, combien la Géo sciences, poussa la figure jusqu'à l'allégorie, et
métrie Cartésienne étoit bornée, et ayant fait voir peut-être un peu trop loin; car il me demanda là-
de plus, combien leurs règles sur la force mouvante dessus, si je ne croyois point, qu'on pourroit dire
sont mal entendues, j'ai entrepris en même tems sur ce pied là, que les anciens nous avoient fait
de réhabiliter en quelque façon l'ancienne Philoso monter l'escalier, que l'école des modernes étoit
phie, comme l'on pourra juger par ce que Mr. Pe- venue jusque dans l'antichambre, qu'il me souhai
lisson a fait imprimer. Car quoique je demeure tait l'honneur de nous introduire dans le cabinet
d'accord, que le détail de la nature se doit expli de la naturel Cette tirade de parallèles nous fit
quer mécaniquement, il faut, qu'outre l'étendue on tous rire; et je lui dis, Vous voyez, Monsieur, que
conçoive dans le corps une force primitive, qui ex vôtre comparaison a réjoui la Compagnie; mais
plique intelligiblement tout ce qu'il y a de solide vous ne vous êtes point souvenu, qu'il y a la
dans les formes des écoles. chambre d'audience entre l'antichambre et le cabi
Il m'arriva un jour de dire, que le Cartésia net, et que ce sera assez si nous obtenons audience,
nisme en ce qu'il a de bon n'étoit que l'anticham sans prétendre de pénétrer dans l'intérieur.
16*
XXXVI.
SYSTEME NOUVEAU DE LA NATURE
ET DE LA COMMUNICATION DES SUBSTANCES, AUSSI BIEN QUE DE L'UNION, QU'IL
Y A ENTRE L'AME ET LE CORPS.
1695.
CJournal des Savans 87. Juin 1695. p. «94. Leibn. Opp. éd. Dutens Tom. H. P. 1. p. 49.)
1. Il y a plusieurs années que j'ai conçu cesystème, sortir encore bien jeune. Leurs belles manières
et que j'en ai communiqué avec de savans hommes, d'expliquer la Nature mécaniquement me char
et sur-tout avec un îles plus grands Théologiens mèrent, et je méprisois avec raison la méthode
et Philosophes de nôtre teins, qui ayant appris de ceux qui n'cmployent que de formes ou des
quelques-uns de mes sentimens par une personne facultés, dont on n'apprend rien. Mais depuis
de la plus haute qualité, les avoit trouvés fort ayant taché d'approfondir les principes mêmes de
paradoxes. Mais ayant reçu mes édaircissemens, la Mécanique, pour rendre raison des loix de la
il se retracta de la manière la plus généreuse et Nature que l'expérience faisoit connoitre, je m'aper
la plus édifiante du inonde; et ayant aprouvé çus que la seule considération d'une masse éten
une partie de mes propositions , il fit cesser sa due ne suffissoit pas, et qu'il faloit employer
censure à l'égard des autres dont ïl ne demeuroit encore la notion de la force, qui est très -in
pas encore d'accord. Depuis ce tems là j'ai con telligible, quoiqu'elle soit du ressort de la Méta
tinué mes méditations selon les occasions, pour physique. Il me paroissoit aussi que l'opinion de
ne donner au public que des opinions bien exa ceux qui transforment ou dégradent les bêtes en
minées, et j'ai tâché aussi de satisfaire aux ob pures machines, quoiqu'elle semble possible, est
jections faites contre mes Essais de Dynamique '), hors d'apparence, et même contre l'ordre des
qui ont de la liaison avec ceci. Enfin, des per choses.
sonnes considérables ayant désiré de voir mes 3. Au commencement, lorsque je in'étois af
sentimens plus éclaircis, j'ai hazardé ces Médita franchi du joug d'Aristote, j'avois donné dans
tions, quoiqu'elles ne soient nullement populaires, le vide et dans les atonies, car c'est ce qui
ni propres à être goûtées de toute sorte d'esprit. remplit le mieui l'imagination; mais en étant
Je m'y suis porté principalement pour profiter revenu, après bien des méditations je m'apper-
des jugemens de ceux qui sont éclairés en ces çus qu'il est impossible de trouver les prin
matières; puisqu'il seroit trop embarrassant de cipes d'une véritable unité dans la matière
chercher et de sommer en particulier ceux qui seule, ou dans ce qui n'est que passif, puisque
seraient disposés à me donner des instructions, tout n'y est que collection ou amas de parties à
que je serai toujours bien aise de recevoir, pourvu l'infini. Or la multitude ne pouvant avoir sa
que l'amour de la vérité y paroisse, plutôt que réalité que des unités véritables, qui vien
la passion pour les opinions dont on est pré nent d'ailleurs, et sont tout autre chose que les
venu. points dont il est constant que le continu ne
2. Quoique je sois un des ceux qui on fort saurait être composé ; donc pour trouver ces u 11 i-
travaillé sur les Mathématiques, je n'ai pas laissé tés réelles je fus contraint de recourir à un
de méditer sur la Philosophie dès ma jeunesse; atome formel, puisqu'un être matériel ne saurait
car il me paroissoit toujours qu'il y avoit moyen être en même- tems matériel et parfaitement in
d'y établir quelque chose de solide par des dé divisible, ou doué d'une véritable unité. 11 fa-
monstrations claires. .Pavois pénétré bien avant lut donc rappeller et comme réhabiliter les for
dans le pays des Scholastiques, lorsque les Mathé mes substantielles, si décriées aujoud'hui;
matiques et les Auteurs modernes m'en firent mais d'une manière qui les rendit intelligibles,
et qui séparât l'usage qu'on en doit faire de
') VU. Ad. Erudit. 1695. Apr. l'abus qu'on en a fait. Je trouvai donc que leur
XXXVI. SYSTEME NOUVEAU etc. 125
nature consiste dans la force, et que de cela 6. Cependant, pour revenir aux formes ordi
s'ensuit quelque chose d'analogique au sentiment naires, ou aux Ames matérielles, cette du
et à l'appétit; et qu'ainsi il faloit les concevoir rée qu'il leur faut attribuer, à la place de celle
à l'imitation de la notion que nous avons des qu'on avoit attribuée aux atomes, pourroit faire
Ame^s. Mais comme l'aine ne doit pas être em douter si elles ne vont pas de corps eu corps;
ployée pour rendre raison du détail de l'éco i ce qui seroit la Métempsychose, à peu près
nomie du corps de l'animal, je jugeai de même comme quelques Philosophes ont cru la trans
qu'il ne faloit pas employer ces formes pour ex mission du mouvement et celle des espèces. Mais
pliquer les problèmes particuliers de la Nature, cette imagination est bien éloignée de la nature
quoiqu'elles soient nécessaires pour établir de vrais des choses. Il n'y a point de tel passage; et
principes généraux. Aristote les appelle En té c'est ici où les transformations de Messiers
lé chies premières. Je les appelle peut-être Svanimerdam, Malpighi, et LrexvenliOL-k,
plus intelligiblement, Forces primitives, qui qui sont des plus excellons observateurs de nôtre
ne contiennent pas seulement l'acte ou le com tems, sont venues à mou secours, et m'ont fait
plément de la possibilité, mais encore une ac admettre plus aisément, que l'animal, et toute
tivité originale. autre substance organisée ne commence point,
4. Je voyois que ces formes et ces âmes dé lorsque nous le croyons, et que sa génération
voient être indivisibles, aussi bien que nôtre Esprit, apparente n'est qu'un dévelopement, et une espèce
comme en effet je me souvenois que c'étoit le ! d'augmentation. Aussi ai-je remarqué que l'Au-
sentiment de Saint Thomas à l'égard des âmes I teur de la Recherche de la Vérité, Mr. Régis,
des bêtes. Mais cette vérité renouvelloit les gran Mr. Hartsoeker, et d'autres habilos hommes,
des difficultés de l'origine et de la durée des n'ont pas été fort éloignés de ce sentiment.
âmes et des formes. Car toute substance qui a 7. Mais il restoit encore la plus grande ques
une véritable unité, ne pouvant avoir son com tion, de ce que ces âmes ou ces formes devien
mencement ni sa fin que par miracle, il s'ensuit nent par la mort de l'animal, ou par la destruction
qu'elles ne sauroient commencer que par création, de l'individu de la substance organisée. Et c'est
ni finir que par annihilation. Ainsi, excepté les ce qui embarrasse le plus; d'autant qu'il paroît
âmes que Dieu veut encore créer exprès, j'étois peu raisonnable que les âmes restent inutilement
obligé de reconnoitre qu'il faut que les formes dans un chaos de matière confuse. Cela m'a fait
constitutives des substances ayent été créées avec juger enfin qu'il n'y avoit qu'un seul parti rai-
le monde, et qu'elles subsistent toujours. Aussi ' sonnable à prendre; et c'est celui de la conver
quelques Scholastiques, comme Albert le Grand sation non -seulement de l'âme, mais encore do
et Jean Bacon, avoint entrevu une partie de l'animal même et de sa machine organique; quoi-
la vérité sur leur origine. Et la chose ne doit 1 que la destruction des parties grossières l'ait ré-
point paroitre extraordinaire, puisqu'on ne donne j duit à une petitesse qui n'échape pas moins à
aux formes que la durée, que les Gassendistes nos sens que celle où il étoit avant que de
accordent à leurs atomes. naître. Aussi n'y a-t-il personne qui puisse bien
5. Je jugeois pourtant qu'il n'y faloit point marquer le véritable tems de la mort, laquelle
mêler indifféremment les Esprits ni l'Ame rai peut passer long-tems pour une simple suspen
sonnable, qui sont d'un ordre supérieur, et ont sion des actions notables, et dans le fond n'est
incomparablement plus de perfection que ces for jamais autre chose dans les simples animaux:
mes enfoncées dans la matière, étant comme de témoin les ressnscitations des mouches noyées
))ctits Dieux au prix d'elles, faits à l'image de et puis ensevelies sous de la craye pulvérisée,
Dieu, et ayant en eux quelque rayon des lu et plusieurs exemples semblables qui font assez
mières de la Divinité. C'est pourquoi Dieu gouverne connoître qu'il y auroit bien d'autre ressuscitatioas,
les esprits, comme un Prince gouverne ses sujets, et de bien plus loin, si les hommes étoient eu
et même comme un père a soin de ses enfans; état de remettre la machine. Et il y a de l'ap
au lieu qu'il dispose des autres subsances, comme parence que c'est de quelque chose d'approchant
un Ingénieur manie ses machines. Ainsi les esprits que le grand Démocrite a parlé, tout Atomiste
ont des loix particulières qui les mettent au des qu'il étoit, quoique Pline s'en moque. 11 est
sus des révolution de la matière; et on peut donc naturel que l'animal ayant toujours été vi
dire que tout le reste n'est fait que pour eux, vant et organisé, (comme des personnes de grande
ces révolutions mêmes étant accommodées à la pénétration commencent à le reconoitre) il le de
fëlicité des bons et au châtiment des médians. meure aussi toujours. Et puisqu'ainsi il n'y a
l'J6 XXXVI. SYSTEME NOUVEAU etc.
point de première naissance ni de génération en d'oeuvre de l'art d'un esprit borné; cette diffé
tièrement nouvelle de l'animal, il s'ensuit qu'il rence ne consistant pas seulement dans le degré,
n'y en aura point d'extinction Knale, ni de mort mais dans le genre même. 11 faut donc savoir
entière prise à la rigueur métaphysique: et que que les machines de la Nature ont un nombre
par conséquent au lieu de la transmigration des d'organes véritablement infini, et sont si bien
âmes, il n'y a qu'une transformation d'un même munies et à l'épreuve do tous les accidens, qu'il
animal, selon que les organes sont plies diifé- n'est pas possible de les détruire. Une machine
renmu'Ut, et plus ou moins dévelopés. naturelle demeure encore machine dans ses moin
8. Cependant les Ames raissonuables suivent dres parties, et qui plus est, elle demeure tou
des loix bien plus relevées, et sont exemtes de jours cette même machine qu'elle a été, n'étant
tout ce qui leur pourroit faire perdre la qualité que transformée par de différeus plis qu'elle re
de citoyens de la société des esprits; Dieu y çoit, et tantôt étendue, tantôt resserrée et comme
ayant si bien pourvu, que tous les changemens concentrée lorsqu'on croit qu'elle est perdue.
de la matière ne leur sauroint faire perdre les 11. De plus, par le moyen de l'âme ou de
qualités morales de leur personalité. Et on peut la forme, il y a une véritable unité qui répond
dire que tout tend à la perfection, non seulement à ce, qu'on appelle Moi en nous; ce qui no
de l'Univers en général, mais encore de ces créa saurait avoir lieu ni dans les machines de l'art,
tures en particulier, qui sont destinés à tel degré ni dans la simple masse de la matière, quelque
de bonheur, que l'Univers s'y trouve intéressé en organisée qu'elle puisse être; qu'on ne peut con
vertu de la bonté divine qui se communique à sidérer que comme une armée ou un troupeau,
un chacun autant que la souveraine Sagesse le ou comme un étang plein de poissons, ou comme
peut permettre. une montre composée de ressorts et de rôties.
9. Pour ce qui est du cours ordinaire des Cependant s'il n'y avoit point de véritables uni
animaux et d'autres substances corporelles, dont tés substantielles, il n'y auroit rien de substan
on a cru jusqu'ici l'extinction entière et dont tiel ni de réel dans la collection. C'était ce qui
les changemens dépendent plutôt des règles mé avoit forcé Mr. Cor d émoi à abandonner Des
caniques que des loix morales, je remarquai cartes, en embrassant la doctrine des atomes
avec plaisir que -l'ancien auteur du livre de la de Démocrite, pour trouver une véritable unité.
Diète qu'on attribue à Hipocrate, avoit en Mais les atomes de matière sont contraires
trevu quelque chose de la vérité, lorsqu'il a dit à la raison: outre qu'ils sont encore composés
en termes exprès, que les animaux ne naissent de parties; puisque l'attachement invincible d'une
et ne meurent point, et que les choses qu'on partie à l'autre, (quand on le pourroit concevoir
croit commencer et périr, ne font que paroitre on supposer avec raison) ne dètruiroit point leur
et disparoitre. C'était aussi le sentiment de Par- diversité. 11 n'y a que les atonies de sub
ménide et de Mélisse chez Aristote. Car stance, c'est-à-dire, les unités réelles et abso
ces anciens étaient plus solides qu'on ne croit. lument destituées de parties, qui soient les sour
10. Je suis le mieux disposé du monde à rendre ces des actions, et les première principes absolus
justice aux modernes: cependant je trouve qu'ils ont de la composition des choses, et comme les der
jwrté la réforme trop loin; entre autres en con niers élémeus de l'analyse des substances. On
fondant les choses naturelles avec les artificielles, les ]x>urroit appeller points métaphysiques:
pour n'avoir pas eu d'assez grandes idées de la ils ont quelque chose de vital et une espèce
majesté de la Nature. Ils conçoivent que la dif de perception, et les points ma thématiques
férence qu'il y a entre ses inacliines et les nôtres, sont leur point de vue, pour exprimer l'Uni
n'est que du grand au petit. Ce qui a fait dire vers. Mais quand les substances corporelles sont
depuis peu à un très habile homme, auteur des resserrées, tous leurs organes ensemble ne fout
Entretiens sur la pluralité des Mondes, qu'un point physique à nôtre égard. Ainsi
qu'en regardant la Nature de près, on la trouve les points physiques ne sont indivisibles qu'en
moins admirable qu'on u'avoit cru, n'étant que apparence: les points mathématiques sont exacts,
comme la boutique d'un ouvrier. Je crois que mais ce ne sont que des modalités: il n'y a que
ce n'est pas en donner une idée assez digne d'elle les points métaphysiques ou de substance, (con
et il n'y a que nôtre système qui fasse connôitre stitués par les formes ou âmes) qui soient ex
enfin la véritable et immense distance qu'il y a acts et réels; et sans eux il n'y auroit rien de
entre les moindres productions et mécanismes de réel, puisque sans les véritables unités il n'y
la sagesse difinc, et entre les plus grands chefs- auroit point de multitude.
XXXVI. SYSTEME NOUVEAU etc. 127
12. Après avoir établi ces choses, je croyois propre fonds, par une parfaite spontanéité
entrer dans le port: mais lorsque je me mis à à l'égard d'elle-même, et pourtant avec une par
méditer sur l'union de l'âme avec le corps, je faite conformité aux choses de dehors. Et
fus comme rejette en pleine mer. Car je ne qu'ainsi nos sentimens intérieurs, c est-à-dire, qui
trouvois aucun moyen d'expliquer comment le sont dans l'âme même, et non dans le cerveau,
corps fait passer quelque chose dans l'âme, ou ni dans les parties subtiles du corps, n'étant que
vice, versa; ni comment une substance peut com des phénomènes suivis sur les êtres externes, ou
muniquer avec une autre substance créée. Mr. bien des apparences véritables et comme des
Descartes avoit quitté la partie là dessus, autant songes bien réglés, il faut que ces perceptions
qu'on le peut counoître par ses écrits: mais ses internes dans l'âme même, lui arrivent par sa
disciples voyant que l'opinion commune est in propre constitution originale, c'est-à-dire, par la
concevable, jugèrent que nous sentons les qua Nature représentative (capable d'exprimer les êtres
lités des corps, parceque Dieu fait naître des hors d'elle par rapport à ses organes) qui lui
pensées dans l'âme à l'occasion des mouvcmens a été donnée dès sa création, et qui fait sont
do la matière; et lorsque nôtre aine veut remuer caractère individuel. Et c'est ce qui fait que
le corps à son tour, ils jugèrent que c'est Dieu chacune de ces substances, représentant exacte
qui le remue pour elle. Kt comme la commu ment tout l'Univers à sa manière, et suivant un
nication des mouvements leur j>aroissoit encore certain point de vue; et les perceptions ou ex
inconcevable, ils ont cru que Dieu donne du pressions des choses externes arrivant à l'âme à
mouvement à un corps à l'occasion du mouve point nommé, en vertu de ses propres loix, comme
ment d'un autre corps. C'est ce qu'ils appel dans le monde à part, et comme s'il n'existoit
lent le Système des Causes occasionelles, rient que Dion et elle, (pour me servir de la
qui a été fort mis en vogue par les belles ré manière de parler d'une certaine personne d'une
flexions de l'Auteur de la Recherche de la Vé grande élévation d'esprit, dont la sainteté est
rité. célébrée); il y aura un parfait accord entre toutes
13. Il faut avouer qu'on a bien pénétré dans ces substances, qui fait le même effet qu'on re
la difficulté, en disant ce qui ne se peut point; marquerait si elles oommuniquoient ensemble par
mais il ne paroit pas qu'on l'ait levée en ex une transmission des espèces, ou des qualités
pliquant ce qui se fait effectivement. 11 est bien que le vulgaire des Philosophes imagine. De
vrai qu'il n'y a point d'influence réelle d'une plus, la masse organise'*, dans laquelle est le point
substance créée sur l'autre, en parlant selon la de vue de l'âme, étant exprimée plus prochaine
rigueur métaphysique, et que toutes les choses, ment, et se trouvant réciproquement prête à agir
avec toutes leurs réalités, sont continuellement d'elle-même, suivant les loix de la machine cor
produites par la vertu de Dieu; mais pour ré porelle, dans le moment que l'âme le veut, sans
soudre des problèmes, ce n'est pas assez d'em que l'un trouble les loix de l'autre, les esprits
ployer la cause générale, et de faire venir ce et le sang ayant justement alors les mouvemens
qn'on appelle Deum ex machina. Car lorsque qu'il leur faut pour répondre aux passions et
cela se fait sans qu'il y ait autre explication aux perceptions de l'âme; c'est ce rapport mu
qui se puisse tirer de l'ordre des causes secondes, tuel réglé par avance dans chaque substance de
c'est proprement recourir au miracle. En Philo l'Univers, qui produit ce que nous appelions leur
sophie il faut tâcher de rendre raison, en faisant communication, et qui fait uniquement l'union
connoitre de quelle façon les choses s'exécutent de l'âme et du corps. Et l'on peut entendre
par la sagesse divine, conformément à la notion par là comment l'âme a son siège dans le corps
du sujet dont il s'agit. par une présence inunédiate, qui ne sauroit être
14. Etant donc obligé ' d'accorder qu'il n'est plus grande, puisqu'elle y est comme l'unité est
pas possible que l'âme ou quelque autre véri dans le résultat des unités qui est la multitude.
table substance puisse recevoir quelque chose par 1 5 Cette hypothèse est très-possible. Car pour
dehors, si ce n'est par la toute -puissance divine, quoi Dieu ne pourroit-il pas donner d'abord à
je fus conduit insensiblement à un sentiment qui la substance une nature ou force interne qui lui
me surprit, mais qui paroit inévitable, et qui en pût produire par ordre, (comme dans un auto
effet a des avantages très -grands et des beau mate spirituel ou formel, mais libre en
tés très-considérables. C'est qu'il faut donc dire celle qui a la raison en partage) tout ce qui
que Dieu a crée d'abord l'âme, on toute autre lui arrivera, c'est-à-dire, toutes les apparences ou
unité réelle, en sorte que tout lui naisse de son expressions quelle aura, et cela sans le secours d'au
128 XXXVI. SYSTEME NOUVEAU etc.
cime créature? D'autant plus que la nature de la hypothèse recommandable, on peut dire que c'est
substance demande nécessairement et envelope es quelque chose de plus qu'une hypothèse; puisqu'il
sentiellement un progrèss ou un changement, sans ne paroit guère possible d'expliquer les chose d'une
lequel elle n'auroit point de force d'agir. Et cette autre manière intelligible, et que plusieurs gran
nature de l'aine étant représentative de l'Univers des difficultés qui ont jusqu'ici exercé les esprits,
d'une manière très- exacte, quoique plus ou moins semblent disparoitre d'elles-mêmes quand on Fa
distincte, la suite des représentations que l'âme se bien comprise. Les manières de parler ordinaires
produit, répondra naturellement à la suite des se sauvent encore très-bien. Car on peut dire que
cliangemens de l'Univers même : comme en échange la substance dont la disposition rend raison du
le corps a aussi été accommodé à l'âme, pour les changement, d'une manière intelligible (en sorte
rencontres où elle est conçue comme agissante au qu'on peut juger que c'est à elle que les autres ont
dehors; ce qui est d'autant plus raisonnable, que été accommodées en ce point dès le commence
les corps ne sont faits que pour les esprits seuls ment, selon l'ordre des décrets de Dieu), est celle
capables d'entrer en société avec Dieu, et de célé qu'on doit concevoir eu cela, comme agissante
brer sa gloire. Ainsi dès qu'on voit la possibilité ensuite sur les autres. Aussi l'action d'une sub
de cette hypothèse des accords, on voit aussi stance sur l'autre n'est pas une émission ni une
qu'elle est la plus raisonnable, et qu'elle donne une transplantation d'une entité, comme le vulgaire le
merveilleuse idée de l'harmonie de l'Univers, et de conçoit, et ne sauroit être prise raisonnablement
la perfections des ouvrages de Dieu. que de la manière que je viens de dire. 11 est vrai
16. 11 s'y trouve aussi ce grand avantage, qu'au qu'on conçoit fort bien dans la matière et des émis
lieu de dire , que nous ne sommes libres qu'en ap sions et des réceptions des parties, par lesquel les
parence et d'une manière suffisante à la pratique, on a raison d'expliquer mécaniquement tous les
comme plusieurs personnes d'esprit ont cru, il faut phénomènes de Physique; mais comme la masse
dire plutôt que nous ne sommes entraînés qu'en matérielle n'est pas une substance, il est visible que
apparence, et que dans la rigueur des expressions l'action à l'égard de la substance même ne sauroit
métaphysiques, nous sommes dans une parfaite in être que ce que je viens de dire.
dépendance à l'égard de l'influence de toutes les 18. Ces considérations, quelque métaphysiques
autres créatures. Ce qui met encore dans un jour qu'elles paraissent, ont encore un merveilleux usage
merveilleux l'immortalité do nôtre âme, et la con dans la Physique pour établir les loix du mouve;
servation toujours uniforme de nôtre individu, par ment, comme nos Dynamiques le pourront faire
faitement bien réglée par sa propre nature, à l'abri counoitrc. Car on peut dire que dans le choc des
de tout les accidens de dehors , quelque apparence corps chacun ne fouffre que par son propre ressort,
qu'il y ait du contraire. Jamais système n'a mis cause du mouvement qui est déjà en lui. Et
nôtre élévation dans une plus grande évidence. quant au mouvement absolu, rien ne peut le déter
Tout esprit étant comme un monde à part, suffisant miner mathématiquement, puisque tout termine en
à lui-même, indépendant de toute autre créature, rapports: ce qui fait qu'il y a toujours une par
envelopant l'infini, exprimant l'Univers, est aussi faite équivalence des hypothèses, comme dans
durable, aussi subsistant, et aussi absolu que l'Uni l'Astronomie; eu sorte que quelque nombre de
vers même des créatures. Ainsi on doit juger qu'il corps qu'on prenne, il est arbitraire d'assigner le
y doit toujours faire figure de la manière la plus propre repos ou un tel degré de vitesse à celui qu'on vou
à contribuer à la perfection de la société de tous dra choisir, sans que les phénomènes du mouve
les esprits, qui fait leur union morale dans la Cité ment droit, circulaire, ou composé, le puissent ré
de Dieu. On y trouve aussi une nouvelle preuve futer. Cependant il est raisonnable d'attribuer aux
de l'existence de Dieu, qui est d'une clarté surpre corps des véritables mouvemens, suivant la suppo
nante. Car ce parfait accord de tant de substances sition qui rend raison des phénomènes, de la ma
qui n'ont point de communication ensemble, ne nière la plus intelligible, cette dénomination étant
sauroit venir que de la cause commune. conforme à la notion de l'action, que nous venons
17. Outre tous ces avantages qui rendent cette d'établir.
XXXVII.
REPONSE
DE
MR TOUCHER A MR LEIBNIZ
SUR SON NOUVEAU SYSTEME DE LA COMMUNICATION DES SURSTANCES.
1695.
(.Journal des Savans 12. Sept. 1695. p. 422. Leibn. Opp. éd. Dutena Tom. II, P. 1. p. 102.)
Quoique vôtre système, Monsieur, ne soit pas perfection, ou l'achèvement d'un tout, lequel est
nouveau pour moi, et que je vous aye déclaré en destiné à quelques fonctions, étant organique: par
partie mon sentiment, en répondant a une lettre exemple, un horloge est un, un animal est un; et
que vous m'aviez écrite sur ce sujet il y a plus vous croyez donner le nom de formes substan
de dix ans, je ne laisserai pas de vous dire tielles aux unités naturelles des animaux et des
encore ici ce que j'en pense, puisque vous m'y in plantes, en sorte que les unités fassent leur indivi-
vitez de nouveau. duation, en les distinguant de tout autre composé.
La première partie ne tend qu'à faire reconnoi- Il me semble que vous avez raison de donner aux
tre dans toutes les substances des unités qui con animaux un principe d'individuatiou, autre que ce
stituent leurs réalités, et les distinguant des autres, lui qu'on a coutume de leur donner, qui n'est
forment, pour parler à la manière de l'école, leur que par raport à des accidens extérieurs. Efiecti-
i lui ividuat ion; et c'est ce que vous remarquez vement il faut que ce principe soit interne, tant
premièrement au sujet de la matière, ou de l'éten de la part de leur âme que de leur corps: mais
due. Je demeure d'accord avec vous, qu'on a rai quelque disposition qu'il puisse y avoir dans les
son de demander des unités qui fassent la compo organes de l'animal, cela ne suffit pas pour le ren
sition, et la réalité de 1 étendue. Car sans cela, dre sensible; car enfin tout cela ne regarde que
comme vous remarquez fort bien, une étendue tou la composition organique et machinale; et je ne
jours divisible, n'est qu'un composé chimérique, vois pas que vous ayez raison par là de constituer
dont les principes n'existent point, puisque sans un principe sensitif dans les bêtes, différent sub
unités il n'y a point de multitude véritablement. stantiellement de celui des hommes : et après tout
Cependant je m'étonne que l'on s'endorme sur cette ce n'est pas sans sujet que les Cartésiens reconnois-
question: car les principes essentiels de l'étendue sent que si on admet un principe sensitif, capable
ne sçauroient exister réellement En effet des de distinguer le bien du mal dans les animaux, il
points sans parties ne peuvent être dans l'Univers, est nécessaire aussi par conséquent d'y admettre
et deux points joints ensemble ne forment aucune de la raison, du discernement, et du jugement.
extension: il est impossible qu'aucune longueur Ainsi permettez-moi de vous dire, Monsieur, que
subsista sans largeur, ni aucune superficie sans pro cela ne résout point non plus la difficulté.
fondeur. Et il ne sert de rien d'aporter des points Venons à vôtre Concomitance, qui fait la
physiques, puisque ces points sont étendus, et ren principale, et la seconde partie de vôtre système.
ferment toutes les difficultés que l'on voudrait évi On vous accordera que Dieu, ce grand Artisan de
ter. Mais je ne m'arrêterai pas davantage sur l'Univers, peut si bien ajuster toutes les parties
ce sujet, sur lequel nous avons déjà disputé vous organiques du corps d'un homme, qu'elles soient
et moi dans les Journaux du seizième Mars 1693 capables de produire tous les mouvemens que l'âme
et du troisième Août de la même année. jointe à ce corps voudra produire dans le cours de
Vous aportez d'autre part une autre sorte d'uni sa vie, sans qu'elle ait le pouvoir de changer ces
tés, qui sont, à proprement parler, des unités de mouvemens, ni de les modifier en aucune manière,
composition, ou de relation, et qui regardent la et que réciproquement Dieu peut faire une con
17
130 XXXVII. FOUCHER CONTRE LE NOUV. SYST.
struction dans famé (soit que ce soit une machine a rien de commun entre les substances spirituelles,
d'une nouvelle espèce, ou non) par le moyen de et les corporelles, ne peuvent expliquer comment
laquelle toutes les pensées et modifications, qui cor les unes agissent sur les autres: et par conséquent
respondent à ces mouvemens, puissent naître suc ; ils en sont réduits à dire ce qu'ils disent. Mais
cessivement dans le même moment que le corps : vous, Monsieur, qui pourriez vous en démêler par
fera ses fonctions, et que cela n'est pas plus im d'autres voyes, je m'étonne de ce que vous vous
possible que de faire que deux horloges s'accordent embarrassez de leurs difficultés. Car qui est-ce
si bien, et agissent si uniformément, que dans le qui ne conçoit qu'une balance étant en équilibre,
moment que l'horloge A sonnera midi, l'horloge et sans action, si on ajoute un poids nouveau à l'un
B le sonne aussi, en sorte que l'on s'imagine que les des côtés, incontinent on voit du mouvement, et l'un
deux horloges ne soient conduits que par un même I des contrepoids fait monter l'autre, malgré l'effort
poids ou un même ressort. Mais après tout, à qu'il fait pour descendre. Vous concevez que les
quoi peut servir tout ce grand artifice dans les sub êtres matériels sont capables d'efforts, et de mou
stances, sinon pour faire croire que les unes agis vement; et il s'ensuit fort naturellement, que le plus
sent sur les autres, quoique cela ne soit pas J En grand effort doit surmonter le plus foible. D'autre
vérité il me semble que ce système n'est de guéres part vous reconuoissez aussi que les êtres spirituels
plus avantageux que celui des Cartésiens; et si on peuvent faire des efforts; et comme il n'y a point
a raison de rejetter le leur, parce qu'il suppose in d'effort qui ne suppose quelque résistance, il est né
utilement que Dieu considérant les mouvemens cessaire ou que cette résistance se trouve plus forte,
qu'il produit lui-même dans le corps, produit aussi ou plus foible; si plus forte, elle surmonte, si plus
dans l'âme des pensées qui correspondent à ces foible, elle cède. Or il n'est pas impossible que
mouvemens; comme s'il n'étoit pas plus digne de , l'esprit faisant effort pour mouvoir le corps, le
lui de produire tout d'un coup les pensées, et mo trouve muni d'un effort contraire qui lui résiste
difications de l'âme, sans qu'il y ait des corps qui tantôt plus, tantôt moins, et cela suffit pour faire
lui servent comme de règle, et pour ainsi dire, lui qu'il en soufre. C'est ainsi que St. Augustin
aprennent ce qu'l doit faire; n'aura -t- on pas sujet explique de dessein formé dans ses livres de la mu
de vous demander pourquoi Dieu ne se contente sique l'action des esprits sur les corps.
point de produire toutes les pensées, et modifica Je sçai qu'il y a bien encore des questions à
tions de l'âme; soit qu'il le fasse immédiatement faire avant que d'avoir résolu toutes celles que l'on
ou par artifice, comme vous voudriez, sans qu'il y peut agiter, depuis les premiers principes; tant il
ait des corps inutiles que l'esprit ne sçauroit ni re est vrai que l'on doit observer les loix des Acadé
muer ni conno'itreî jusques là que quand il n'arri- miciens, dont la seconde défend de mettre en que
veroit aucun mouvement dans ces coqis, l'âme ne stion les choses que l'on voit bien ne pouvoir dé
laisseroit pas toujours de penser qu'il y en auroit; cider, comme sont presque toutes celles dont nous
de même que ceux qui sont endormis eroyeut re venons de parler; non pas que ces questions soient
muer leurs membres, et marcher, lorsque néan absolument irrésolubles, mais parce qu'elles ne le
moins' ces membres sont en repos, ne se meu sont que dans un certain ordre, qui demande que
vent point du tout. Ainsi pendant la veille les les Philosophes commencent à s'accorder pour la
âmes demeureroient toujours persuadées que leurs marque infaillible de la vérité, et s'assujettissent
corps se mouvroient suivant leurs volontés, quoi aux démonstrations depuis les premiers principes :
que pourtant ces masses vaines et inutiles fus et en attendant, on peut toujours séparer ce que l'on
sent dans Tinaction, et demeurassent dans une con conçoit clairement et suffisamment, des autres points
tinuelle létargie. En vérité, Monsieur, ne voit -on ou sujets qui renferment quelque obscurité.
pas que ces opinions sont faites exprès, et que ces Voila, Monsieur, ce que je puis dire présente
systèmes venant après coup, n'ont été fabriqués ment de vôtre système, sans parler des autres
que pour sauver de certains principes dont on est beaux sujets que vous y traitez par occasion, et.
prévenu? En effet les Cartésiens suposant qu'il n'y qui mériteroient une discussion particulière.
XXXVIII.
ÉCLAIRCISSEMENT
DU
NOUVEAU SYSTEME
DE LA COMMUNICATION DES SUBSTANCES, POUR SERVIR DE REPONSE AU MEMOIRE DE
MK. FOUCHER, INSÉRÉ DANS LE JOURNAL DES SAVANS DU 12. SEPT. 1695.
1696.
(Journal des Savans ». et 9. Avr. 1696. v. 66. — Lelbn. Opp. éd. Dulens. Tgm. II. P. 1. p. 67.).
Je me souviens, Monsieur, que je crus satisfaire de la raison, si on lui donne du sentiment, vous
à vôtre désir, en vous communiquant mon hypo vous servez d'une conséquence, dont je ne vois
thèse de Pliilosophie, il y a plusieurs années, quoi point la force.
que ce fût eu vous témoignant en inèine tems que Vous reconnoissez avec une sincérité louable,
je u'avois pas encore résolu de l'avouer. Je vous que mon hypothèse de l'harmonie ou de la conco
en demandai votre sentiment en échange; mais je mitance est possible. Mais vous ne laissez pas d'y
ne me souviens pas d'avoir reçu de vous des obje- avoir quelque répugnance; sans doute parceque
ctious; autrement, étant docile comme je suis, je vous l'avez crue purement arbitraire, pour n avoir
ne vous aurois point donné sujet de me faire deux point été informé, qu'elle suit de mon sentiment
fois les mêmes. Cependant elles viennent encore des unités; car tout y est lié. Vous demandez
à tems après la publication. Car je ne suis pas donc, Monsieur, à quoi peut servir tout cet
de ceux à qui l'engagement tient lieu de raison, artifice, que j'attribue à l'Auteur de la Nature?
comme vous l'éprouverez quand vous pourrez avoir comme si on lui en pouvoit trop attribuer, et
apporté quelque raison précise et pressante contre comme si cette exacte correspondance que les sub
mes opinions; ce qui apparemment n'a pas été stances ont entre elles par les loix propres, que
vôtre dessein en cette occasion. Vous avez voulu chacune a reçues d'abord, nétoit pas une chose
parler en Académicien habile, et donner lieu par- admirablement belle en elle-même, et digne de
là ifaprofonclir les choses. son Auteur. Vous demandez aussi, quel avan
Je n'ai point voulu expliquer ici les principes tage j'y trouve1 Je pourrois me rapporter à ce
de l'étendue, mais ceux de l'étendu effe que j'en ai déjà dit; néanmoins je réponds pre
ctif, ou de la masse corporelle; et ces prin mièrement, que lorsqu'une chose ne saurait man
cipes, selon moi, sont les unités réelles, c'est- quer d'être, il n'est pas nécessaire pour l'admettre,
à-dire, les substances douées d'une véritable unité. qu'on demande à quoi elle peut servir? A quoi sert
L'unité d'une horloge, dont vous faites mention, est fincommensurabilité du côté avec la diagonale? Je
toute autre chez moi que celle d'un animal : celui - réponds en second lieu, que cette correspondance
ci pouvant être une substance douée d'une vérita sert à expliquer la communication des substances,
ble unité, comme ce qu'on appelle moi en nous; et l'union de l'âme avec le coq» par les loix de la
au lieu qu'une horloge n'est autre chose qu'un as Nature établies par avance, sans avoir recours ni à
semblage. Ce n'est pas dans la disposition des une transmission des espèces, qui est inconce
organes que je mets le principe sensitif des ani vable, ni à un nouveau secours de Dieu, qui
maux ; et je demeure d'accord qu'elle ne regarde paroit peu convenable. Car il faut savoir que
qne la masse corporelle. Aussi semble- 1 -il que comme il y a des loix da In Nature dans la
vous ne me donnez point de tort lorsque je de matière, il y en a aussi dans les âmes ou formes;
mande des unités véritables, et que cela me fait et ces loix portent ce que je viens de dire.
réhabiliter les formes substantielles. Mais lorsque On me demandera encore, d'où vient que Dieu
vous semblez dire que famé des bêtes doit avoir ne se contente point de produire toutes
17"
132 XXXVIII. ECLAIRCISSEMENT DU NOUV. SYST.
les pensées et les modifications de l'â des airs de nouveauté, que pour que j'y aye re
me, sans ces corps inutiles, que l'âme connu de l'utilité. Je ne sai, Monsieur, si vous
ne sauroit, dit-on, ni remuer ni connoi- avez assez mauvaise opinion de moi, pour m'attri
tre? La réponse est aisée. C'est que Dieu a voulu buer ces pensées. Car vous savez que j'aime la
qu'il y eût plutôt plus que moins de substances, et vérité, et que, si j'affectois tant les nouveautés,
qu'il a trouvé bon que ces modifications de j'aurois plus d'empressement à les produire, même
l'âme répondissent à quelque chose de dehors. 11 celles dont la solidité est reconnue. Mais afin
n'y a point de substance inutile; elles concourent que ceux qui me connoisscnt moins ne donnent
toutes au dessein de Dieu. Je n'ai garde aussi point à vos paroles un sens contraire à mes inten
d'admettre que l'âme ne connoit point les tions, il suffira de dire, qu'a mon avis il est im
corps, quoique cette connoissance se fasse sans possible d'expliquer autrement l'action éma
influence de l'un sur l'autre. Je ne ferai pas même nent e conforme aux loix de la Nature, et que j'ai
difficulté de dire que l'âme remue le corps; et cru que l'usage de mon hypothèse se reconnoitroit
comme un Copeivnicien parle véritablement du par la difficulté que des plus habiles Philosophes de
lever du Soleil, un Platonicien de la réalité de nôtre teins ont trouvée dans la communication des
la -matière, un Cartésien de celle des qualités esprits et des corps, et même des substances cor
sensibles, pourvu qu'on l'entende sainement, je porelles entr'elles : et je ne sai si vous n y en avez
crois de même qu'il est très -vrai de dire que les poiut trouvé vous-même. 11 est vrai qu'il y a, se
. substances agissent les unes sur les autres, pourvu lon moi, des efforts dans toutes les substances;
qu'on entende que l'une est cause des changemens mais ces efforts ne sont proprement que dans la
dans l'autre en conséquence des loix de l'Harmonie. substance même; et ce qui s'ensuit dans les autres,
Ce qui est objecté touchant la léthargie des n'est qu'en vertu d'une Harmonie préétablie
corps, qui seroient sans action pendant (s'il m'est permis d'employer ce mot), et nullement
que l'âme les croiroit en mouvement, ne ]»r une influence réelle, ou par une transmission
sauroit être, à cause de cette même correspondance de quelque espèce ou qualité. Comme j'ai expli
immanquable, que la Sagesse Divine a établie. Je qué ce que c'est que l'action et la passion, on peut
ne connois point ces masses vaines, inutiles inférer aussi ce que c'est que l'effort et la ré
et dans l'inaction, dont on parle. Il y a de sistance.
l'action par -tout, et je l'établis plus que la Philo Vous savez, dites -vous, Monsieur, qu'i 1 y a
sophie reçue; parceque je crois qu'il n'y a point bien encore des questions à faire, avant
de corps sans mouvement, ni de substance sans qu'on puisse décider celles que nous ve
effort. nons d'agiter. Mais peut - être trouverez - vous
Je n'entends pas en quoi consiste l'objection que je les ai déjà faites ; et je ne sai si vos Aca
comprise dans ces paroles: En vérité, Mon démiciens ont pratiqué avec plus de rigueur et plus
sieur, ne voit-on pas que ces opinions effectivement que moi, ce qu'il y a de bon dans
sont faites exprès, et que ces systèmes leur méthode. J'aproitfe fort qu'on cherche à dé
venant après coup n'ont été fabriqués montrer les vérités depuis les premiers principes:
qne pour sauver certains principes? cela est plus utile qu'on ne pense; et j'ai mis ce
Toutes les hypothèses sont faites exprès, et précepte en pratique. Ainsi j'applaudis à ce que
tous les systèmes viennent après coup, pour vous dites là dessus, et je voudrais que vôtre exem
sauver les phénomènes ou les apparences; mais ple portât nos Philosophes à y penser comme il
je ne vois pas quels sont les principes dont faut. J'ajouterai encore une réflexion, qui me
on dit que je suis prévenu, et que je veux paraît considérable pour mieux faire comprendre
sauver. Si cela veut dire que je suis porté la réalité ot l'usage de mou système. Vous savcx
à mon hypothèse encore par des raisons ;i que Mr. Descartes a cru qu'il se conserve la
priori, ou par de certains principes, comme même quantité de mouvement dans les corps. On
cela est ainsi en effet; c'est plutôt une ïoùange de a montré qu'il s'est trompé en cela ; mais j'ai fait
fhyjwthèse, qu'une objection. Il suffit communé voir qu'il est toujours vrai, qu'il se conserve la
ment, qu'une hypothèse se prouve à posteriori, même force mouvante, pour laquelle il avoit pris
parce qu'elle satisfait aux phénomènes ; mais quand la quantité du mouvement. Cependant les chan-
on en a encore des raisons d'ailleurs, et à priori, gemens qui se font dans le corps en conséquence
c'est tant mieux. Mais peut-être que cela veut des modifications de l'âme, l'embarrassèrent, parce
dire, que m'étant forgé une opinion nouvelle, j'ai qu'elles sembloient violer cette loi. E crut donc
été bien aise de l'employer, plutôt pour me donner avoir trouvé un expédient, qui est ingénieux en
XXXIX. SECOND ECLAIRCISSEMENT. 133
effet-, en disant qu'il faut distinguer entre le mou menant une ligne droite telle qu'il vous plaira, et
vement et la direction; ot que l'aine ne saurait prenant encore des corps tels et tant qu'il vous
augmenter ni diminuer la force mouvante, plaira; vous trouverez, en considérant tous ces
mais qu'elle change la direction, ou déter corps ensemble, sans omettre aucun de ceux qui
mination du cours des esprits animaux, et que agissent sur quelqu'un de ceux que vous avez pris,
c'est ])ar-là qu'arrivent les mouvemens volontaires. qu'il y aura toujours la même quantité de progrès
Il est vrai qu'il n'avoit garde d'expliquer comment du même côté dans toutes les parallèles à la droite
l'ait Pâme pour changer le cours des corps, cela pa que vous avez prise: prenant garde, qu'il faut esti
raissant aussi inconcevable, que de dire qu'elle mer la somme du progrès, en étant celui des corps
leur donne du mouvement, à moins qu'on n'ait re qui vont en sens contraire de celui de ceux qui
cours avec moi à l'Harmonie préétablie; mais il vont dans le sens qu'on a pris. Cette loi étant
faut savoir qu'il y a une autre loi de la Na aussi belle et aussi générale que l'autre, ne méri-
ture, que j'ai découverte et démontrée, et que toit pas non plus d'être violée : et c'est ce qui s'é
Mr. Descartes ne savoit pas: C'est qu'il se vite pour mon système, qui conserve la force et la
conserve non -seulement la même quantité de la direction; et en un mot toutes les loix naturelles
force mouvante, mais encore la même quan des corps, non obstant les changemens qui s'y font
tité de direction vers quel côté qu'on en conséquence de ceux de l'âme.
la prenne dans le monde '). Cest-à-dire:
:
XXXIX.
SECOND ÉCLAIRCISSEMENT DU SYSTÈME
DE LA
Je vois bien, Monsieur, par vos réflexions, que mutuelle: la 2. est d'y attacher un ouvrier habile
ma pensée qu'un de mes amis a fait mettre dans qui les redresse, et les mette d'accord à tous mo-
le Journal de Paris a besoin d'éclaircissement. mens; la 3. est de fabriquer ces deux pendules
Vous ne comprenez pas, dites -vous, comment avec tant d'art et de justesse, qu'on se puisse as
je pourrois prouver ce que j'ai avancé touchant la surer de leur accord dans la suite. Mettez main
Communication, ou l'Harmonie de deux tenant l'âme et le corps à la place de ces deux
Substances aussi diflêrentes que l'âme et le pendules ; leur accord peut arriver par l'une de ces
corps. 11 est vrai que je crois en avoir trouvé le trois 'manières. La voyc d'influence est celle
moyen: et voici comment je prétends vous satis de la Philosophie vulgaire; mais comme l'on ne
faire. Figurez vous deux horloges on montres qui saurait concevoir des particules matérielles qui
s'accordent parfaitement. Or cela se peut faire de puissent passer d'une de ces substances dans l'au
trois manières. La 1 . consiste dans une influence tre, il faut abandonner ce sentiment, La voyc de
134 XL. TROISIEME ECLAIRCISSEMENT.
l'assistance continuelle du Créateur est celle du prévenant, dont nous voyons même des échantil
système des causes occasionnelles; mais je tiens lons parmi les hommes. Or supposé qu'il le puisse,
que c'est faire intervenir Deus ex Machina, vous voyez bien que cette voye est la plus belle et
dans une chose naturelle et ordinaire, où selon la la plus digne de lui. Vous avez soupçonné que
raison il ne doit concourir, que de la manière qu'il mon explication seroit opposée à l'idée si différente
concourt à toutes les autres choses naturelles. que nous avons de l'esprit et du corps; mais vous
Ainsi il ne reste que mon hypothèse, c'est-à-dire, voyez bien présentement que personne n'a mieux
que la voye de l'Harmonie. Dieu a fait dès le établi leur indépendance. Car tandis qu'on a été
commencement chacune de ces deux Substances obligé d'expliquer leur communication par une
de telle nature, qu'en ne suivant que ses propres manière de miracle, on a toujours donné lieu à
loix, qu'elle a reçues avec son être, elle s'accorde bien de gens de craindre que la distinction entre
pourtant avec l'autre, tout comme s'il y avoit une le corps et l'âme ne fût pas aussi réelle qu'on le
influence mutuelle, ou comme si Dieu y mettoit croit, puisque pour la soutenir il faut aller si loin.
toujours la main au delà de sou concours général. Je ne serai point fâché de sonder les personnes
Après cela je n'ai pas besoin de rien prouver, à éclairées, sur les pensées que je viens de vous ex
moins qu'on ne veuille exiger que je prouve que pliquer.
Dieu est assez Imbile, pour se servir de cet artifice
XL.
TROISIÈME ÉCLAIRCISSEMENT.
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE MR LEIBNIZ
SUR SON HYPOTHÈSE DE PHILOSOPHIE ET SUR LE PROBLÈME CURIEUX, QU'UN DE
SES AMIS PROPOSE AUX MATHÉMATICIENS.
1696.
(Journal des Savans 19. Nov. 1696. p. 458. — Leibn. Opp. éd. Dulens. TOIII. II. P. i. p. 94.)
Quelques amis savans et pénétrans, ayant con La première façon, qui est celle de l'influence,
sidéré ma nouvelle hypothèse sur la grande question a été expérimentée par feu Mr. Huygens à son
de l'union de l'âme, et du corps, et l'a grand étonnement. 11 avoit deux grandes pendu
yant trouvée de conséquence, m'ont prié de donner les attachées à une même pièce de bois; les batte-
quelques éclaircissemens sur les difficultés qu'on niens continuels de ces pendules avoient communi
avoit faites, et qui venoiont de ce qu'on ne 1"avoit qué des tremblemens semblables aux particules du
pas bien entendue. J'ai cru qu'on pourroit rendre bois; mais ces tremblrmens divers ne pouvant pas
la chose intelligible à toute sorte d'esprits par la bien subsister dans leur ordre, et sans s'entr'em-
comparaison suivante. pècher, à moins que les pendules ne s'accordas
Figurez vous deux horloges ou deux montres, sent, il arrivoit par une espèce de merveille, que
qui s'accordent parfaitement. Or cela se peut lorsqu'on avoit même troublé leurs battemens tout
faire de trois façons. La première consiste exprès, elles retournoient bien -tôt à battre en
dans l'influence mutuelle d'une horloge sur l'autre ; semble, à peu près comme deux cordes qui sont à
la seconde dans le soin d'un homme qui y prend l'unisson.
garde; la troisième dans leur propre exactitude. La seconde manière de faire toujours ac-
XL. TROISIEME ECLAIRCISSEMENT. 135
corder deux horloges bien que mauvaises, pourra à l'autre jwr le plus court chemin, hormis dans le
être, d'y faire toujours prendre garde par nu ha seul cas, où les deux points se trouveront dans
bile ouvrier, qui les mette d'accord à tous rao- une même droite verticale, c'est à dire, l'un au
mens : et c'est ce que j'apelle la voye de l'assi zénith de' l'autre. Et j'ai remarqué que lorsqu'on
stance. prend le triangle rectangle Pitagorique ABC. dont
Enfin la troisième manière sera de faire d'a les côtés soient A B 3 verticale ou le cathése;
bord ces deux pendules avec tant d'art et de jus B C 4 horizontale ou la base; A C, 5, inclinés ou
tesse, qu'on se puisse assurer de leur accord dans la l'hypoténuse ; alors le corps pesant parviendra en
suite ; et c'est la voye du consentement préétabli. même tems du point A au point C, soit qu'il aille
Mettez maintenant l'âme et le corps à la place tout droit par l'hypoténuse, ou qu'il aille par le
de ces deux horloges. Leur accord ou sympathie circuit du cathése et de la base; continuant par
arrivera aussi par une de ces trois façons. La la base l'impétuosité conçue en descendant par le
voye de l'influence est celle de la Philoso cathése: ce qui se fera si l'angle B est arrondi
phie vulgaire; mais comme on ne sçauroit conce tant soit peu, afin que le globule descendant y
voir des particules matérielles, ni des espèces ou puisse passer du cathése sur la base sans heurter.
qualités immatérielles, qui puissent passer de Tune L'auteur du Problème (qui est Mr. Jean Ber-
de ces substances dans l'autre; on est obligé d'a iioi! I li Professeur à Groningue) a trouvé bon de
bandonner ce sentiment. La voye de l'assistance le proposer aux Mathématiciens, sur -tout à ceux
est celle du sistème des causes occasionnelles; qui se servent des méthodes différentes de la nô
mais je tiens que c'est faire venir Deum ex ma tre; et il attendra leurs solutions jusqu'après Pâ
china, dans une chose naturelle et ordinaire, où ques de l'année suivante. Si quelqu'un en trouve
selon la raison il ne doit intervenir que de la ma la solution, il est prié de ne la point publier avant
nière qu'il concourt à toutes les autres choses de la le terme, pour donner encore aux autres le tems
nature. Ainsi il ne reste que mon hypothèse, de s y exercer. Cependant il la pourra déposer
c'est-à-dire, que la voye de l'harmonie pré entre les mains d'un tiers, et en donner avis. J'ai
établie par un artifice divin prévenant, lequel trouvé ce problême si beau, que je m'y suis apli-
dès le commencement a formé chacune de ces sub qué malgré mes distractions; et. comme nous som
stances d'une manière si parfaite, et réglée avec mes parvenus, l'Auteur et moi, à une môme ligne
tant d'exactitude, qu'en ne suivant que ses pro par voies différentes, sans aucune communication
pres loix, qu'elle a reçues avec son être, elle s'ac préalable, cela marque assez que nous ne nous som
corde pourtant avec l'autre; tout comme s'il y mes pas éloignés de la vérité.
avoit une influence mutuelle, ou comme si Dieu Pour dire un mot sur la dispute entre deux per
y mettoit toujours la main au delà de son concours sonnes fort habiles, qui sont l'Auteur des Princi
général. pes de Physique publiés depuis peu, et l'Au
Après cela je ne crois pas que j'aye besoin de teur des Objections (mises dans le Journal du
rien prouver, si ce n'est qu'on veuille que je prou 13. d'Août et ailleurs) parce qne mon hypothèse
ve, qne Dieu a tout ce qu'il faut pour se servir de sert à terminer ces controverses, je ne comprens
cet artifice prévenant, dont nous voyons même des pas comment la matière peut être conçue, étendue,
échantillons parmi les hommes, à mesure qu'ils et cependant sans parties actuelles ni mentales; et
sont habiles gens. Et suposé qu'il le puisse, on si cela est ainsi, je ne sçai ce que c'est que d'être
voit bien que c'est la plus belle voye, et la plus étendu. Je crois même que la matière est es
digne de lui. Il est vrai que j'en ai encore d'au sentiellement un aggregé, et -par conséquent,
tres preuves, mais elles sont plus profondes, et il qu'il y a toujours des parties actuelles. Ainsi c'est
n'est pas nécessaire de les alléguer ici. par la raison, et non pas seulement par le sens,
Je me sers de cette occasion, pour vous faire que nous jugeons qu'elle est divisée, ou plutôt
sçavoir, Mr. qu'un excellent Mathématicien de mes qu'elle n'est autre chose originairement qu'une
amis, qui employé nôtre nouveau calcul des diffé multitude. Je crois qu'il est vrai que la matière
rences, a résolu le problême suivant. Deux (et même chaque partie de la matière) est divisée
points étant donnés, trouver la ligne en un plus grand nombre de parties qu'il n'est
par laquelle un corps pesant puisse par possible d'imaginer. C'est ce qui me fait dire
venir de l'un à l'autre dans le temps souvent que chaque corps, quelque petit qu'il soit,
le plus court qui soit possible. Car il est un monde de créatures infinies en nombre.
faut sçavoir que cette ligne ne sera point droite, et Ainsi je ne crois pas qu'il y ait des atomes, c'est-
que le corps pesant ne doit point aller d'un point à-dire, des parties de la matière parfaitement du
13ti XLI. REFLEXIONS SUR L'ESSAY DE LOCKE.
res, ou d'une fermeté invincible. Comme de corps, comme une qualité primitive, mais comme
l'autre côté, je ne crois pas non plus qu'il y ait une suite du mouvement, et j'espère que mes
une matière parfaitement fluide; et mon senti dynamiques feront voir en quoi cela consiste;
ment est que chaque corps est fluide' en com comme l'intelligence de mon hypothèse servira
paraison des plus fermes, et ferme en compa- aussi à lever plusieurs difficultés qui exercent
riasou des plus fluides. Je m'étonne qu'on dit encore les Philosophes. En e8?t je crois pou
encore qu'il se conserve toujours une égale quan voir satisfaire intelligiblement à tous ses dou
tité de mouvement au sens Cartésien; car tes dont feu Mr. Bernier a fait un livre ex
j'ai démontré le contraire, et déjà d'excellens prés: et ceux qui voudront méditer ce que j'ai
Mathématiciens se sont rendus. Cependant je ne donné auparavant, en trouveront peut-être déjà
considère point la fermeté, ou cousistence des les moyens.
XLI.
REFLEXIONS
SUR L'ESSAI DE L'ENTENDEMENT HUMAIN DE MR. LOCKE.
1696.
(John Locke Eplstolae. Lond. 1708. — (Des Maizeaux) Recueil de diverses pièces snr la philosophie etc.
Kd. IJ. Aom(. 1740. Tom. II. p. 299. — Leibn. Opp. éd. Dutens Tom. II. P. 1. p. ÏI8.)
Je trouve tant de marques d'une pénétration d'exactitude, ne laissent pas de l'a in' leur re
peu ordinaire dans ce que Mr. Locke nous a tranchement des idées prétendues, de l'Eten
donné sur l'Entendement de l'Homme, et due, de la Matière, et de l'Ame, voulant
sur l'Education: et je juge la matière si im s'exempter par -là de la nécessité de prouver ce
portante, que j'ai cru ne pas mal employer le qu'ils avancent: sous prétexte que ceux qui mé
terns que je docnerois à une lecture si profita diteront les idées, y trouveront la même chose
ble; d'autant que j'ai fort médité moi-même sur qu'eux; c'est-à-dire, que ceux qui s'accout mue
ce qui regarde les fondemcns de nos connois- ront à leur manière de penser, auront les mê
sances. C'est ce qui m'a fait mettre sur cette mes préventions; ce qui est très véritable. Mon
l'Vuille quelques - unes des Remarques qui me opinion est donc qu'on ne doit rien prendre pour
sont venues en lisant son Essai de l'Enten principe primitif, sinon les Expériences, et
dement. De toutes les recherches il n'y en a l'Axiome de l'identicité, ou ce qui est la même
point de plus importante, puisque c'est la clef chose, de la contradiction, qui est primitif,
de toutes les autres. puisqu'autreineut il n'y aurait point de différence
Le premier livre regarde principalement entre la vérité et la fausseté; et que toutes les
les principes qu'on dit être nés avec nous. Mr. recherches cesseroient d'abord, s'il étoit indiffé
Locke ne les admet pas, non plus que les rent de dire oui ou non. On ne sauroit donc
idées innées. Il a eu sans doute de gran s'empêcher de supposer ce principe, dès qu'on
des raisons de s'opposer en cela aux préjugés veut raisonner.
ordinaires; car on abuse extrêmement ,du nom Toutes les autres vérités sont prouvables, et
d'idées, et de principes. Les Philosophes j'estime extrêmement la méthode d'Euclide, qui,
vulgaires se font des principes à leur fantaisie: sans s'arrêter à ce qu'on croiroit être assez
et les Cartésiens, qui font profession de plus prouvé par les prétendues idées, a démontré, par
XLI. REFLEXIONS SUR L'ESSAI DE LOCKE. 137
exemple, que dans un triangle un côté est tou dire que nos idées, même celles des choses sensi
jours moindre que les deux autres ensemble. Ce bles, viennent de nôtre propre fond, dont on pourra
pendant Euclide a eu raison de prendre quel juger par ce que j'ai publié touchant la nature
ques Axiomes pour accordés, non pas comme et la communication des substances, et
s'ils étoient véritablement primitifs et indémon ce qu'on appelle l'union de l'âme avec le
trables; mais parce qu'il se seroit arrêté, s'il corps. Car j'ai trouvé que ces choses n'avoient
n'avoit voulu venir aux conclusions qu'après uue pas été bien prises. Je ne suis nullement pour la
discussion exacte des principes. Ainsi il a jugé Tabula rasa d'Aristote; et il y a quelque
à propos de se contenter d'avoir poussé les preu chose de solide dans ce que Platon appelloit
ves jusqu'à ce petit nombre de propositions; eu la réminiscence. Il y a même quelque chose
sorte qu'on peut dire que si elles sont vrayes, tout de plus, car nous n'avons pas seulement une ré
ce qu'il dit l'est aussi. Il a laissé à d'autres le miniscence de toutes nos pensées passés, ruais
soin de démontrer ces principes mêmes, qui d'ail- i encore un pressentiment de toutes nos pen
leurs sont déjà justifiés par les expériences; mais [ sées. Il est vrai que c'est confusément et sans les
c'est de quoi on ne se contente point en ces matié- | distinguer; à peu près comme lorsque j'entends le
res. C'est pourquoi Apollonius, Proclus et bruit de la Mer, j'entends celui de toutes les va
autres ont pris la peine de démontrer quelques- gues eu particulier qui composent le bruit total,
uns des Axiomes d' Euclide. Cette manière doit quoique ce soit sans discerner une vague de l'autre.
être imitée des Philosophes, pour venir enfin à Et il est vrai dans un certain sens que j'ai expli
quelques établissemens, quand il ne seroient que qué, que non -seulement nos idées, mais encore nos
provisionnels, de la manière que je viens de dire. seutimens, naissent de nôtre propre fond, et que
Quant aux idées j'en ai donné quelque, éclaircis l'Âme est plus indépendante qu'on ne pense, quoi
sement dans un petit Ecrit qui est intitulé, Médi- ' qu'il soit toujours vrai que rien ne se passe en elle
tationes decognitione, veritate, et ideis: qui ne soit déterminé.
et j'aurois souhaité, que Mr. Locke l'eût vu et Dans le livre second, qui vient au détail
examiné; car je suis des plus dociles, et rien n'est ! des idées, j'avoue que les raisons de Mr. Locke
plus propre à avancer nos pensées que les considé pour prouver que l'Ame est quelquefois san»
rations et les remarques des personnes de mérite, penser à rien, ne me paroissent pas convain
lorsqu'elles sont faites avec attention et avec sin- , cantes; si ce n'est qu'il donne le nom de pensées
cérité. Je dirai seulement ici, que les idées aux seules perceptions assez notables pour être di
vrayes ou réelles sont celles dont on est as stinguées et retenues. Je tiens que l'Ame, et même le
suré que l'exécution est possible; les autres sont corps, n'est jamais sans action, et que l'Aine n'est ja
douteuses, ou (en cas de preuve de l'impossibilité) mais sans quelque perception. Même en dormant on a
chimériques. Or la possibilité des idées se prouve i quelque sentiment confus et sombre du lieu où l'on est,
tant à priori par des démonstrations, en se ser- i et d'autres choses. Mais quand l'expérience ne le con
vant de la possibilité d'autres idées plus simples, firmerait pas, je crois qu'U y en a démonstration. C'est
qu'à posteriori par les expériences; car ce qui à peu près comme ou ne sauroit prouver absolu
est ne sauroit manquer d'être possible. Mais les , ment par les expériences, s'il n'y a point i'e vuide
idées primitives sont celles dont la possibilité est dans l'Espace, et s'il n'y a point de rei>os dans la
indémontrable, et qui en effet ne sont autre chose Matière. Et cependant ces sortes de questions me
que les attributs de Dieu. paroissent décidées dénionstrativement, aussi -]y»a.
Pour ce qui est de la question, s'il y a des qu'à Mr. Locke.
idées et des vérités créées avec nous, je Je demeure d'accord de la différence qu'il met
ne trouve point absolument nécessaire pour les avec beaucoup de raison entre la Matière et
commencemens, ni pour la pratique de l'art de pen l'Espace. Mais pour ce qui est du Vuide, plu
ser, de la décider; soit qu'elles nous viennent tou sieurs personnes habiles l'ont cru. Mr. Locke est
tes de dehors, ou qu'elles viennent de nous; on • de ce nombre: j'en étois presque persuadé moi-
raisonnera juste pourvu qu'on garde ce que j'ai dit même; mais j'en suis revenu depuis long- tenu.
ci -dessus, et qu'on procède avec ordre et sans pré Et l'incomparable Mr. Hnygens, qui étoit aussi
vention. pour le vuide, et pour les atomes, commença à faire
La question de l'origine de nos idées et réflexion sur mes raisons, comme ses Lettres le
de nos maximes n'est pas préliminaire en Phi peuvent témoigner. La preuve du vuide prise du
losophie, et il faut avoir fait de grands progrès mouvement, dont Mr. Locke se sert, suppose que
pour la bien résoudre. Je crois cependant pouvoir le corps est originairement dur, et qu'il est coin
18
139 XLI. REFLEXIONS SUR L'ESSAI DE LOCKE.
posé d'un certain nombre de parties inflexibles. Locke touchant la démonstrabilité des vé
Car en ce cas il seroit vrai, quelque nombre fini rités morales.
d'Atomes qu'on pût prendre, que le mouvement Le quatrième ou dernier livre, où il s'a
ne sauroit avoir b'eu sans vuide, mais toutes les git de la connoissance de la vérité, montre
parties de la matière sont divisibles et pliables. l'usage de ce qui vient d'être dit. J'y trouve,
Il y a encore quelques autres choses dans ce se aussi -bien que dans les Livres précédons, une infi
cond Livre qui m'arrêtent; par exemple, lorsqu'il nité de belles réflexions. De faire là -dessus les
est dit, Qiap. XVII. que l'infinité ne se doit remarques convenables, ce seroit faire un Livre
attribuer qu'à l'Espace, au Tems, et aux aussi grand que l'Ouvrage même. Il me semble
Nombres. Je crois avec Mr. Locke qu'à pro que les Axiomes y sont un peu moins considérés
prement parler on peut dire qu'il n'y a point d'es qu'ils ne méritent de l'être. C'est apparemment
pace, de terns, ni de nombre, qui soit infini, mais parce qu'excepté ceux de Mathématiciens on n'eu
qu'il est seulement vrai que pour grand que soit trouve guéres ordirairement, qui soient iniportans
un espace, un tems , ou un nombre ,' il y en a tou et solides : j'ai tâché de remédier à ce défaut. Je
jours un autre plus grand que lui sans fin; et ne méprise pas les Propositions identiques, et j'ai
qu'ainsi le véritable infini ne se trouve point trouvé qu'elles ont un graud usage même dans
dans un tout composé de parties. Cependant l'Analyse. 11 est très -vrai, que nous connaissons
il ne laisse pas de se trouver ailleurs , sa nôtre existence par une intuition immédiate, et
voir dans l'absolu, qui est sans parties, et 1 celle de Dieu par démonstration ; et qu'une niasse
qui a influence sur les choses composées, parce de matière, dont les parties sont sans perception,
qu'elles résultent de la limitation de l'absolu. ne sauroit faire un tout qui pense. Je ne méprise
Donc l'infini positif n'étant autre chose que ! point l'Argument inventé, il y a quelques siècles,
l'absolu, on peut dire qu'il y a en ce sens une idée par Anselme,, qui prouve que l'Etre parfait doit
positive de l'infini, et qu'elle est antérieure à celle exister; quoique je trouve qu'il manque quelque
du fini. Au reste, en rejettent un infini composé, chose à cet argument, parce qu'il suppose que FEtre
on ne nie point ce que les Géomètres démontrent parfait est possible. Car si ce seul point se dé
deSeriebusinfinitis, et particulièrement l'ex montre encore, la démonstration toute entière sera
cellent Mr. Newton. entièrement achevée.
Quant à ce qui est dit, chap. XXX. de ideis Quant à la connoissance des autres choses, c'est
adaequatis, il est permis de donner aux termes fort bien dit, que la seule expérience ne suffit pas
la signification qu'on trouve à propos. Cependant jxmr avancer assez en Physique. Un esprit péné
sans blâmer le sens de Mr. Locke, je mets un de trant tirera plus de conséquences de quelques ex
gré dans les idées, selon lequel j'appelle adéquate périences assez ordinaires, qu'un autre ne saurait
celle où il n'y a plus rien à expliquer. Or toutes tirer des plus choisies; outre qu'il y a un art d'ex
les idées des qualités sensibles, comme de la lu périmenter et d'interroger, pour ainsi dire, la Na
mière, de la couleur, de la chaleur, n'étant point ture. Cependant il est toujours vrai qu'on ne sau
de cette nature, je ne les comte point parmi les roit avancer dans le détail de la Physique qu'à me
adéquates; aussi n'est-ce point par elles -me- j sure qu'on a des expériences.
mes, ni à priori, mais par l'expérience, que nous Mr. Locke est de l'opinion de plusieurs habi
en savons la réalité, ou la possibilité. les hommes, qui tiennent que la forme des Logi
Il y a encore bien de bonnes choses dans le li ciens est de peu d'usage. Je serois quasi d'un
vre troisième, où il est traité des Mots ou autre sentiment; et j'ai trouvé souvent que les pa-
Termes. 11 est très -vrai qu'on ne sauroit tout ralogismes, même dans les Mathématiques, sont
définir, et que les qualités sensibles n'ont point de des mauqucmens de la forme. Mr. Huygens a
définition nominale, et on les peut appeller fait la même remarque. 11 y auroit bien à dire
primitives en ce sens - là ; mais elles ne laissent pas là -dessus; et plusieurs choses excellentes sont mé
de pouvoir recevoir une définition réelle. J'ai prisées, parce qu'on n'en fait pas l'usage dont elles
montré la différence de ces deux sortes de défini sont capables. Nous sommes ]x>rtés à mépriser
tions dans la Méditation citée ci-dessus. La dé ce que nous avons appris dans les Ecoles. Il est
finition nominale explique le nom par les vrai que uous y apprenons bien des inutilités;
marques de la chose; mais la définition réelle mais il est bon de faire la fonction délia Cru s ça,
fait connoitre à priori la possibilité du défini. c'est-à-dire, de séparer le bon du mauvais. Mr.
Au reste, j'applaudis fort à la doctrine de Mr. Locke le peut faire autant que qui que ce soit;
XLII. LETTRE A L'ABBE NICAISE. 139
et de plus 11 nous donne des pensées considé tenr, par l'augmentation qu'il donne da bon mé
rables de son propre crû. Il n'est pas seulement tal. S'il continuoit d'en faire présent au Public,
Essayeur, mais il est encore Transmuta- nous lui en serions fort redevables.
XLII.
LETTRE
A MR L'ABBÉ NICAISE.
1697.
(Olium Hanoveranum sive Miscellanea ex ore et «chedls 111. viri plae memoriae Godofr. Oall. Lelbnitll
etc. éd. Joach. Frider. Fellerus. Llps. 1718. p. 8f. — Leibn. Opp. ed.Dulen» Tom.n. P. 1. p. S45.)
Quoique je venille bien croire, que l'Abbé 1 que ce qui arrive, est nécessaire. Justement comme
Faydit ') a été sincère dans la profession de sa Hobbes et Spinosa le disent en termes plus
religion, néanmoins les principes qu'il a posés ren clairs. Aussi peut-on dipe, que Spinosa n'a fait
ferment des conséquences étranges, auxquelles on que cultiver certaines semences de la Philosophie
ne prend \>as assez garde. Après avoir détourné de Mr. Descartes, de sorte que je crois qu'il
les Philosophes de la recherche des causes finales, importe effectivement pour la Religion, et pour la
ou, ce qui est la même chose , de la considération piété, que cette Philosophie soit châtiée par le re
<le la sagesse divine dans l'ordre des choses, qui à tranchement des erreurs qui sont mêlées avec la
mon avis doit être le plus grand but de la Philoso vérité.
phie, il en fait entrevoir la raison dans un endroit Je suis bien aise que Mr. d'Avranches trouve
de ses principes, où, voulant s'excuser de ce qu'il l'édition de l'Alcoran de feu Mr. Hiuckel-
semble avoir attribué arbitrairement à la matière 111:1 un assez correcte. On m'a assuré, que le
certaine* figures et certains mouvémens, il dit, qu'il Pape Innocent XI. a empêché l'édition du bon
a en droit de le faire, parce que la matière prend PéreMaracci, quoiqu'il fût son Confesseur, parce
successivement toutes les formes possibles, et qu'il regardoit ses remarques comme une espèce
qu'ainsi il a falu qu'elle soit enfin venue à celles d'ajxilogie de l'Alcoran, en ce qu'elle faisoit voir
qu'il a supposées. Mais si ce qu'il dit est vrai, si que les Commentateurs lui donnoient très souvent
tout possible doit arriver, et s'il n'y a point de fic un sens raisonnable. Les Arabes ont eu des Phi
tion, quelque absurde et indigne qu'elle soit, qui losophes, dont les seutiinens sur la Divinité ont
n'arrive en quelque terns, ou en quelque lien de été aussi élevés que pourraient être ceux des plus
l'Univers; il s'ensuit qu'il n'y a ni choix ni provi sublimes Philosophes Chrétiens. Cela se peut con-
dence: que ce qui n'arrive point, est impossible, et noitre par l'excellent livre du Philoso
phe Autodidacte, que Mr. Pocock a publié
de l'Arabe.
') i.iinm; objectiones Anonymi fviil. art. seq.) quae Je crois, que les Herminones, partie des
hic legimus, verbo tenus exhibeant eaque lamquam de
ipso Carlesio dicta citent, née Leibnitius in re- peuples Téutouiques, ont donné le nom à toute la
sponsione (v'ul. art. Xf.IV.) deprecetur ne Ha siiman- nation, comme encore aujourd'hui vous appeliez
lur. — conjecerim fere, I.HIjniii nui in ipsa epistola les Teutons Allemands, quoique cela n'appartienne
•cripsisse: Mr. „ Des car te s," In literarum exemple proprement qu'aux Suéves et Helvétiens. Il est
aillent, quod e schedis Fellerus postea edidit, no-
mrn mutasse, ila ut, quae de discipnlo dlcantur, v»- assez ordinaire que l'aspiration s'affoiblit et se for
leant de magislro. tifie; car lorsqu'elle est renforcée, le II passe enG; et
18*
140 XLIIJ. REFLEXIONS D'UN ANONYME etc.
le contraire arrive, qnand le G se change en H. ne diffère point de Hilderic. Or Childeric se
Ainsi de Wiseraha les Romains ont fait Vi- prononçoit en Franc on Teutique à peu près comme
surgis, d'illeralia ils ont fait Ilargus; au Gilderic. Ainsi les aspirations Teutiques en
lieu deGammarus nous disons H uni nier, can Wiseraba, llaraba, Herminones ou Her-
cer scilicet marinus; et les Espagnols chan m e n s etc. étant fortes, les Romains et autres les
gent Germanos en Hermanos. Vous savez, ont marquées par le G, plutôt que par un simple H.
Monsieur, que Hlodoveus ou Lodovicus est la Au reste Tacite dit expressément, que le nom d'un
même chose que Clodovaeus, et que Childeric peuple a été donné à toute la nation.
XL1II.
REFLEXIONS D'UN ANONYME
SUR UNE LETTRE DE MR. LEIBNIZ, ECRITE A MR. L'ABBÉ NICA1SE.
1697.
(Journal des Savaus Juin 1697. I.eibn. Opp. éd. Uuteus Tom. II, P. 1. p. S46.J
II y a long-tems qu'il semble que Mr. Leibniz Ces raisons sont tirées d'une lettre que Mr. Leib
veut, établir sa réputation sur les ruines de celle niz a écrite à Mr. l'Abbé Nicaise en ces termes:
de Mr. Deacartes; les fragmens qu'il a mis de •Quoique je veuille bien croire que Mr. Descar-
terns en teins dans le Journal de France en sont «tes ait été sincère dans la profession de sa reli-
une grande preuve; et la liaison particulière qu'il »ligiou, néanmois les principes qu'il a posés reu-
a faite avec les ennemis de ce Philosophe, qui sont » ferment des conséquences étranges, auxquelles ou
ici en grand nombre, ne permet pas d'en douter. »ne prend pas assez garde. Après avoir détourné
Mais ce qu'il y a de surprenant , c'est que depuis «les Philosophes de la recherche des causes finales,
si long terns il ne se soit pas trouvé un seul dis »ou, ce qui est la même chose, de la considération
ciple de Mr. Descartes qui ait entrepris de dé »de la sagesse divine dans l'ordre des choses, qui
fendre son Maître. Toutefois rnon étonnement a «à mon avis doit être le plus grand but de la Phi-
cessé lorsque j'ai apris qu'on n'a gardé le silence, «losophie, il ne fait entrevoir la raison dans mi
que parce qu'on a vu que tout ce que Mr. Leib «endroit de ses principes, où voulant s'excuser de
niz écrivoit, se détruisoit de lui-même, et que ses »ce qu'il semble avoir attribué arbitrairement à la
meilleurs amis publioient hautement qu'il seroit à - matière certaines figures, il dit qu'il a eu droit de
souhaiter qu'un si grand homme voulût se renfer »le faire, parce que la matière prend successive-
mer clans les Mathématiques où il excelle, et ne »ment toutes les formes possibles, et qu'ainsi il
pas se mêler de la Philosophie où il n'a pas le >• faut qu'elle soit enfin venue à celle qu'il a supo-
même avantage. Pour moi je me suis tu comme »sée. Mais si ce qu'il dit est vrai, si tout possi-
les autres, taudis qu'il ne s'est agi que des princi »ble doit arriver, et s'il n'y a point de fiction, quel-
pes de la Philosophie de Mr. Descartes: mais »que absurde et indigne qu'elle soit, qui n'arrive en
maintenant qu'il est question de sa religion, je «quelque teins ou en quelque lieu de l'Univers, il
crois être obligé de la défendre, non en elle-même, -s'ensuit qu'il n'y a ni choix ni providence, que ce
car elle se soutient assez pas ses propres forces, «qui n'arrive point est impossible, et que ce qui
mais contre les raisons avec lesquelles Mr. Leib «arrive est nécessaire, justement comme Hobbes
niz l'attaque. «et Spinosa le disent en termes plus clairs: aussi
XLHI. REFLEXIONS D'UN ANONYME etc. 141
«peut -on dire que Spinosa n'a fait que cultiver | il paroit par l'article 203. et 204. de la quatrième
•certaines semences de la Philosophie de Mr. Des- ! partie des principes. Or si Mr. Descartes ne
•cartes: De sorte que je crois qu'il importe ef- j dit pas que la matière prend successivement toutes
» fectivement pour la Religion et pour la pieté que les figures possibles, mais seulement qu'elle les peut
«cette Philosopliie soit châtiée par le retranchement i prendre, que deviendront toutes le conséquences
• des erreurs qui sont mêlées avec la vérité.» que Mr. Leibui/. tire de la fausse doctrine qu'il
11 paroit par les termes de cette lettre que Mr. attribue à Descartes i Pour lors il ne sera plus
Leibniz a pour but de faire voir que les princi vrai que selon Mr. Descartes tout possible doive
pes de Mr. Descartes renferment des conséquen arriver, qu'il n'y ait ni choix ni providence; que
ces dangereuses; et si on lui demande quelles sont tout ce qui n'arrive pas soit impossible; que tout
ces conséquences? c'est, dit -il, que Mr. Descar ce qui arrive soit nécessaire; il ne sera pas vrai
tes bannit de la Philosophie la recherche des cau enfin que Mr. Descartes ressemble à Hobbes
ses finales, et par conséquent la considération de ni à Spiuosa: ceux-ci nient absolument la pro
la sagesse divine dans l'ordre des choses. Mais de vidence divine, et la liberté humaine; au 'contraire,
quelle Philosophie Mr. Descartes bannit -il les Mr. Dcscartes enseigne expressément, dans le 4.
causes finales 'i Si c'est de la Philosophie morale, il art. de la première partie, que nous ferions un
a tort : car tout le bien et tout le mal de nos ac crime de penser que nous eussions jamais été capa-
tions libres dépend de leur fin. Mais si c'est de la • blés de faire aucune chose que Dieu ne l'eût aupar
Philosophie naturelle, il a raison : car en Physique avant ordonnée.
on ne demande pas pourquoi les choses sont, mais Je ne dirai pas si Sp in osa n'a fait que cultiver
comment elles se font. 11 ne seroit pas moins ri certaines semences de la Philosophie de Mr. Des-
dicule de demander en morale des causes efficien 1 cartes, ou s'il a des principes qui lui soient pro
tes, qu'il le seroit de demander en Physique des pres : Mais je puis bien assurer que ces deux Phi
causes finales. Mr. Des cartes a également évité losophes raisonnent d'une manière fort différente;
ces deux iiiconvénicns : il a banni de la Physique | et que s'il paroit à Mr. Leibniz qu'il y a quelque
les causes finales dans le 28. art. de la première conformité dans leurs opinions, cela ne vient pas
partie de ses principes; et il a admis ces mêmes tant de la chose môme, que de la fausse idée qu'il
causes dans la morale, au 3. art. de la 3 partie des , a conçue de la doctrine de Mr. Des carte s.
mêmes principes. 11 n'est donc, pas vrai que Mr. Comme rien n'est plus capable de flétrir un Au
Descartes ait détourné les Philosophes de la con teur que de le rendre coupable des erreurs des au
sidération de la sagesse divine, ainsi que Mr. Leib tres, rien n'est aussi plus ordinaire à ceux qui ont
niz le prétend. ; dessein de décrier une doctrine, que de rejetter
Je ne crois pas que Mr. Descartes, voulant sur ses principes les impiétés et les extravagances
s'excuser de ce qu'il semble avoir attribué arbitrai des libertins. C'est une injustice qu'on a faite plus
rement à la matière certaines figures et certains d'une fois à Mr. Descartes, et qu'il semble que
monvemens, ait jamais dit qu'il a eu droit de le Mr. Leibniz lui fait aujourd'hui, à l'occasion des
faire parce que la matière prend successivement impietés de Spinosa; il est vrai néanmoins qu'on
toutes les formes possibles. Si Mr. Descartes a ne le peut faire moins raisonnablement qu'en cette
dit cela quelque part, je prie Mr. Leibniz de citer rencontre, étant certain que le jour n'est pas plus
fendroit, et de soufrir cependant qu'on croye que diffèrent de la nuit, que les principes de Mr. Des-
Mr. Descartes n'a jamais proposé une telle chose; [ cartes le sont de ceux sur lesquels Spinosa a
parce qu'on anroit pu lui objecter avec raison, qu'il i bâti son système. C'est ce que le P. La mi Béné
est vrai que la matière viendra enfin à la forme dictin fait voir évidemment dans la réfutation du
qu'il suppose, mais qu'elle n'y est pas encore ve système de Spinosa pag. 454.
nue, et par conséquent qu'il explique les choses On espère que Mr. Leibniz considérera ces rai
présentes par un système futur; ce qui est absurde. sons , et qu'y ayant fait l'attention qui est néces
Mr. Descartes n'a jamais enseigné que la matière saire, il aura regret d'avoir attaqué la Religion et
reçoive successivement toutes les formes possibles: la pieté de Mr. Descartes, sur des motifs aussi
il a dit seulement qu'elle les peut recevoir, comme légers que ceux qui sont allégués dans sa lettre.
XLIV.
REPONSE AUX REFLEXIONS
QUI SE TROUVENT DANS LE 23. JOURNAL DE CETTE ANNEE, TOUCHANT LES CONSE
QUENCES DE QUELQUES ENDROITS DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES.
1697.
(Journal des Savant 19. et 26. Août 1697. — Leibn. Opp. éd. Dulens Tom. II. P. 1. p. «49 et *5«.)
Monsieur l'Abbé Nie ai se me rendra toujours gret , ses Sectateurs n'ajoutent presque rien à ses
témoignage, que ma lettre qu'on réfute n'a pas été découvertes, et c'est l'effet ordinaire de l'esprit de
écrite pour le public; et ce fut à l'occasion de ce secte en Philosophie. Comme toutes mes vues ne
qu'il me lit l'honneur de me mander, sur la censure tendent qu'au bien du public, j'en ai dit quelque
reitérée de Mr. l'Evèque d'Avranches de la part de chose de teins en tems pour les réveiller, sachant
cet illustre Prélat, que je mis dans ma 3e. réponse, bien que leur pénétration les méneroit bien loin,
entre quantité d'autres choses, ce peu de ligues dont s'ils ne croyoient pas que leur maitre avoit assez
un habile et zélé partisan de Mr. Descartes a été fait. J'ai toujours déclaré que j'estime infiniment
choqué. Lorsque j'appris qu'on vouloit publier cet Mr. Descartes: II y a peu de génies qui appro
extrait de ma k'ttre, je voulus l'empêcher, mais chent du sien: Je ne comtois qu' Archimède,
trop tard. Ce n'est pas que ce qu'il y a ne soit Copernic, Galilei, Kepler, Jungius, Mrs.
vrai, et digne de remarque; mais c'est que je pré- Huygens et Newton, et quelque peu d'autres
voyois que ceux qui me croiroieut avoir part à cette de cette force, auxquels on pourroit ajouter P y t h a-
publication, le pourroieut prendre pour une insulte, gore, Démocritc, Platon, Aristote, Suis-
et pourroient me soupçonner de quelque animosité set, Cardan, Gilbert, Verulamius, Cam-
contre un Auteur dont j'ai toujours admiré le nie- panella, Harvaeus, Mr. Pascal, et quelques
rite; et contre un parti où il y a des personnes autres. Il est vrai cependant que Mr. Descartes
que j'estime et que j'honore, et qui me font l'hon a usé d'artifice, pour profiter des découvertes autres
neur de me mettre au rang de leurs amis, nonob sans leur en vouloir paroitre redevable. Il traitoit
stant la diversité de nos opinions. Cependaiit j'a d'excellens hommes d'une manière injuste et in
voue de ne pas comprendre l'intention de celui qui digne, lors qu'ils lui faisoient ombrage, et il avoit
réfute ce passage de ma lettre, et le public en même une ambition démesurée pour s'ériger en chef de
tcms. S'il l'avoit laissé dans l'obscurité qui con- parti. Mais cela ne diminue point la beauté do
venoit à une lettre particulière, il n'auroit pas eu ses pensées. Bien loin d'approuver qu'on méprise,
besoin de prendre la peine de le réfuter. Cela soit et qu'on paye d'ingratitude le vrai mérite, c'est cela
dit sans le blâmer pour cela, et sans me plaindre que je blâme principalement en Mr. Descartes,
de son procédé. et encore plus en plusieurs de ses Sectateurs, dont
On m'accuse de vouloir établir ma réputa l'attachement mal entendu à un seul Auteur nour
tion sur la ruine de celle de Mr. Descar rit la prévention, et les empêche de profiter des
tes. C'est de cela que j'ai droit de me plaindre. lumières de tant d'autres. J'ai coutume de dire que
Bien loin de vouloir ruiner la réputation de ce grand la Philosophie Cartésienne est comme l'an
homme, je trouve .que son véritable mérite n'est tichambre de la vérité, et qu'il est difficile de
pas assc/. connu, parce qu'on ne considère, et qu'on pénétrer bien avant, sans avoir passé par-là : mais
n'imite pas assez ce qu'il a PU de plus excellent. on se prive de la véritable connoissauce du fond
On s'attache ordinairement aux plus foibles endroits, des choses, quand on s'y arrête.
parce qu'ils sont le plus à la portée de ceux qui ne Quant à ce peu de réputation qu'on nie fait Thon-
veulent point se donner la peine de méditer pro neur de m'accorder, je ne l'ai point acquis en ré
fondément, et voutlroint pourtant entendre le fond futant Mr. Descartes, et je n'ai point besoin de
des choses. (Test ce qui fait, qu'à mon grand re ce moyen: le Droit, l'Histoire, et les Lettres y ont
XL1V. REPONSE AUX REFLEXIONS etc. 143
contribué avant que j'aye songé aux Mathématiques. Venons maintenant au fond de nôtre dispute.
Et si nôtre nouvelle Analyse, dont j'ai proposé le Je ne suis pas le premier qui ai blâmé Mr. Des
calcul, passe celle de Mr. Descartes, autant et cartes d'avoir rejette la recherche des causes fina
plus que la sienne passoit les méthodes précédentes ; les. Outre le R. P. Malebranche, feu Mr. Boyle
la sienne ne laisse pas de demeurer très-estimable, Ta fait avec beaucoup de zélé, et de solidité ; sans
quoiqu'il ait été nécessaire, pour le progrès des parler de quantité d'autres Auteurs graves , modé
Sciences, de désabuser ceux qui la croyoicnt suffire rés, et bien intentionnés , et qui d'ailleurs faisoient
à tout; ce qu'on n"a pu mieux faire qu'en leur pro grand cas de Mr. Descartes. On répond ici, qu'il
posant des problèmes beaux et attrayans, et même a banni les causes finales de la Physique, et qu'il
simples pour ceux qui en sçavent la méthode, mais a eu raison de le faire; mais qu'il auroit eu tort,
que pas un des Analystes à la Cartésienne u'a pu s'il les avoit bannies de la morale: Car tout le
résoudre. bieii et tout le mal de nos actions libres
On ajoute qu'il est surprenant que pas dépend de leur fin. Cette réponse est surpre
un Cartésien ne m'ait répondu. Mais je ne nante. Il ne s'agit pas de nos actions libres, de
veux point d'un avantage qui ne m'appartient pas. Dieu et de sa sagesse, qui paroit dans l'ordre des
On trouvera des réponses dans les Journaux de choses, que Mr. Descartes ne deroit point né
France, et de Hollande, et même dans celui de gliger. Et la réponse bien loin de l'excuser le char
Leipsic, aussi bien que mes répliques; et si j'étois gerait, s'il étoit vrai, que selon lui les causes finales
homme à faire fête de ces choses, je porrois remplir n'appartiennent qu'à nos actions libres. Mais je
un volume des lettres qui m:ont été écrites là -des suppose que ce n'est pas le sentiment de l'Auteur
sus par d'habiles gens, parmi lesquels il s'en trouve des réflexions, ni celui de Mr. Descartes. Ce
d'illustres en rang, et en mérite. J'avoue de bonne pendant son silence pouvoit nuire contre son inten
foi de n'avoir ]X>int sçû ce que l'Auteur de ces ré tion. D ne vouloit point se servir de ce moyen
flexions m'apprend: que mes meilleurs amis pour prouver l'existence de Dieu ; on peut l'excuser
publioient hautement qu'il seroit à sou là-dessus, quoique plusieurs l'ayent blâmé pour
haiter que je voulusse me renfermer dans cela: mais il n'a pas bien fait de passer par -tout
les Mathématiques, où il dit que j'ex ailleurs un point si important, qui devoit être mi»
celle, et ne me pas mêler de la Philoso en usage dans quelques endroits de ce principes de
phie, où je n'ai pas le même avantage. Philosophie. Si Dieu est Auteur des choses, et s'il
Assurément si je l'avois sçù, j'aurois profité de est souverainement sage, on ne sçauroit assez bien
leur avis, en les priant de me désabuser. Cepen raisonner de la structure de l'Univers, sans y faire
dant je ne sçai s'il a eu de bonnes informations de entrer les vues de sa sagesse, comme on ne sçau
leur sentiment, et je doute que les meilleurs de mes roit asse/ bien raisonner sur un bâtiment, sans
amis eussent mieux aimé le publier hautement, que entrer dans les fins de l'Architecte. J'ai allégué
de m'en avertir en particulier. Néanmoins comme ailleurs un excellent passage du Plicdon de Pla
un ami n'est pas toujours sur ses gardes, je ne les ton, (qui est le Dialogue de la mort de S ocra te)
en blâmerois point; et je déclare très-sincrément, ou le Philosophe Anaximandre, qui avoit posé
que je tiendrai ces avertissemens pour une marque deux principes, un esprit intelligent, et la matière,
d'amitié, pourvu qu'on les accompagne de quelque est blâmé pour n'avoir point employé cette intelli
chose, qui me puisse instruire, et redresser. Et si gence, ou cette sagesse dans le progrès de son
l'Auteur anonyme des réflexions, qui paroit très ca ouvrage ; s'étant contenté des figures, et des mouve-
pable de me donner de bons avis, en vouloit prendre mens de la matière: et c'est justement le cas de
la peine, soit en public ou plutôt en particulier, nos Philosophes modernes trop matériels.
(afin qu'il ne pense point que je cherche tant à faire Mais, dit -on, en Physique on ne demande point
du bruit) il seroit en cela comme le meilleur de pourquoi les choses sont, mais comment elles sont?
mes amis, et il éprouveroit ma docilité. Je pour- Je réponds qu'on y demande l'un et l'autre. Souvent
rois cependant produire de lettres des personnes ex par la fin, on peut mieux juger des moyens. Outre
cellentes, et célèbres, qui ont eu de la peine à souf- que pour expliquer une machine, on ne sçauroit
rir que je m'appliquasse aux Mathématiques, et qui mieux faire, que de proposer son but, et de mon
me conseilloient de pousser plutôt mes méditations trer comment toutes ses pièces y servent. Cela peut
de Philosophie; comme il y en a eu d'autres en même être utile à trouver l'origine de l'intention.
plus grand nombre, et do plus d'autorité qui me Je voudrois qu'on se servit de cette méthode encore
rappelloient aux matières de droit et d'histoire. dans la Médicino. Le corps de l'Animal est une
144 XLIV. REPONSE AUX REFLEXIONS etc.
machine eu même tems hydraulique, pneumatique, I rieur en effet à un autre , on n'en sçauroit jamais
et pyrobolique, dont le but est d'entretenir un cer I déduire celui-ci, quand même la matière recevrait
tain mouvement; et en montrant ce qui sert à ce toutes les formes dont elle est capable. Mais ces
but et ce .qui nuit, on feroit connoitre tant la Phy périodes enveloppent d'autres inconvéniens , d'au
siologie que la Thérapeutique. Ainsi on voit que tant qu'ainsi toutes les possibilités infinies devroient
les causes finales servent en Physique, non -seule arriver dans cet intervalle périodique fini ; et toute
ment pour admirer la sagesse de Dieu, ce qui est l'éternité ne produirait plus rien de nouveau. Pour
le principal, mais encore pour connoitre les choses dire aussi avec Mr. Des cartes, qu'il est presque
et pour les manier. J'ai montré ailleurs, que tan libre de supposer ce qu'on vent; il ne suffirait pas
dis qu'on peut encore disputer de la cause efficiente que chaque supposition ou hypothèse pût enfin me
de la lumière, que Mr. Descartes n'a pas assez ner à nôtre Monde; car elle pourrait être si éloignée,
bien expliquée, comme les plus intelligens avouent et le passage de l'un à l'autre pourrait être si long
maintenant, la cause finale suffit pour deviner les et si difficile, qu'il seroit impossible à l'esprit du
loix qu'elle suit; car pourvu qu'on se figure, que la l'homme de le suivre et de le comprendre. Mais il
nature a eu pour but de conduire les rayons d'un ne s'agit ici que de la proposition que j'avois al
point donné à un autre point donné par le chemin léguée , et dont j'avois marqué les étranges consé
le plus facile, on trouve admirablement bien toutes quences: car si tout possible, et tout ce qu'on se
ces loix, en employant seulement quelques lignes peut figurer, quelque indigne qu'il soit, arrive un
d'Analyse, comme j'ai fait dans les Actes de Leip- jour; si toute fable ou fiction a été on deviendra
sic.. Mr. Molineux m'en a sçu bon gré dans sa histoire véritable; il n'y a donc que nécessité, et
Dioptrique, et il a fort approuvé la remarque que point de choix, ni de providence. Et c'est de cette
j'avois faite à cette occasion, du bel usage des causes conséquence, que l'Auteur des réflexions ne discon
finales, qui nous élève à la considération de la Sou vient point, s'étant seulement inscrit en faux contre
veraine Sagesse, en nous faisant connoitre en même la proposition même, qu'il ne trouvoit point dans
tems les loix de la nature qui en sont la suite. les principes de l'Auteur.
L'Auteur des reflexions nie demande l'endroit, Cependent je n'ai garde d'attaquer la religion
où Mr. Descartes dit que la matière reçoit suc et la piété de Mr. Descartes, comme on m'impute
cessivement toutes les formes dont elle est capable. injustement. J'avois protesté le contraire en termes
Il l'a cherché artic. 203 et 204. de la quatrième exprès ; car une doctrine peut être dangereuse, salis
partie de ses principes. Mais il se trouve dans que celui qui l'enseigne, ou qui la suit, en remarque
l'article 47. de la 3. partie. J'en mettrai les pro et en approuve les conséquences. Cependant il est
pres paroles en Latin qui est l'orginal. L'Auteur bon de les faire connoitre, afin qu'on s'en donne
marque dans le Sommaire, que la fausseté de ses de garde; d'autant qu'il paroit effectivement que
suppositions à l'égard de l'origine du Monde, ne S pin osa et quelques autres les en ont tirée. Car
sçauroit nuire: et pour le mieux prouver il ajoute: i il y a des esprits disposés à s'attacher aux plus
• Atque MM mil in parum refert quid hoc pacto sup- | mauvais endroits, et ingénieux à en tirer les plus
»ponatur, quia postea juxta leges naturae est mu- dangereuses conclusions. Je n'aurais point parlé
-tandum. Et vix aliquid supponi potest, ex qno : de Spinosa, ai j'avois pensé qu'on publierait ce
«non-idem eflectus (quanquam fortasse operosius) que j'écrivois, de peur qu'on ne crût, que je voulois
»per easdcin naturae leges declncl possit. Gain rendre les Cartésiens odieux, sachant assez, qu'on
• carum ope materia formas omnes, quarum est leur a fait du tort quelquefois par un zèle mal en
•cnpax, successive assumât, si formas istas online tendu. Cependant, puis qu'on a voulu relever mes
»consideremus, tandem ad illam quae est hujus- paroles, il a été nécessaire de faire voir que je n'ai
• modi poterimus devenire.« On peut juger par- rien avancé sang sujet. Comme l'un des meilleurs
là si j'ai imposé à cet Auteur, et s'il ne dit pas po usages de la véritable Philosophie , et particulière
sitivement, non -seulement que la matière peut ment de la Physique, est de nourrir la piété, et de
prendre, mais même qu'elle prend effectivement, nous élever à Dieu; je ne sçai pas mauvais gré à
bien que successivement, toutes les formes dont ceux qui m'ont donné cette occasion de m'expli-
elle est susceptible, et qu'ainsi il importe peu quel ; quer d'une manière, qui pourra donner de bonnes
les sup|x>sitions qu'on fasse. 11 y a bien a dire impressions à quelqu'un, quoique j'eusse souhaité
contre ce raisonnement. Pour le soutenir, il fan- qn on l'eût fait sans m'attribuer une passion et une
droit supposer, que le même état de l'Univers re partialité dont peut-être peu de gens sont aussi
vient toujours précisément après quelque période, puis : éloignés que moi. Pour exprimer en peu de mots
qu'autrement, prenant un état du Monde qui est posté- ( le sentiment que j'ai d'un Auteur dont on m'ac
XLV ET XLVI. EPLSTOLAE AD FARDELLAM ET STURMIUM. 145
case à tort de vouloir ruiner la réputation, (ce qui nétrant; mais qu'aussi celui qui ne connoit, et
serait une entreprise aussi injuste qu'impossible) n'estime que lui , et ceux qui le suivent, ne feront
je dirai, que celui qui ne sçait pas coiuioitre ré jamais de grandes choses.
minent mérite de Descartes, n'est pas fort pé
XLV.
EPISÏOLA AD FARDELLAM.
1697.
(Otium Hanoveran. etc. p. 101. — r.cilin. Opp. éd. Dulens. Toin. II, P. 1. p. 234.)
Multa apud Platonicos Augnstinumque prae- fixisse, omnes sine dubio perpétuas esse née nisi
clara reperiuntur, scd quae arbitrer ab ipsismet creatione oriri, ac non nisi annihilatione interire
non satis intellecta, et ex impetu magis et calore posse, id est, naturaliter née oriri née occidere,
quam luce nata. De natura Monaclutn et sub- quod tantum est aggregatorum. Vellem videre
stantiarum quod porro quaeris, putem facile satis- antea liceret, quae de meis sententiis dices in tuo,
fieri posse, si speciatim indices, quid in ea re ex- quod moliris, Augustiniano opère.
plicari velis. De origine earum puto me jam
XLVI.
EPISTOLA AD STURMIUM.
1697.
(Otium Hanoveran. etc. p. 110. — Lelbn. Opp. éd. Dulens Tom. II. P. I. p. 94.)
Tantum abest, ut sensum, secundum quem voca- tio tenebras offudit, et querelis non per omnia in-
bnlo substantiae utor, putem ab usu abhorrere, justis Henrici Mori aliorumque causam dédit,
nt potius Platonis atque Aristotelis ipsorum- dura corpusculares Philosoplii non content! phaeno-
qne scholasticorum doctriuae, (qnousquc sanum iiirii.i cum Democrito mecbanice explicare, al-
sensum recipit) maxime consentaneum, restitueu- tiora ipsius mechanismi in rébus principia su-
daeque antiquae, et, ut ego judico, vere philoso- stulere. Née alia est ratio, cur impossibilis visa
phiae aptum credam. Tametsi fatear cum Gas sit Cartesianis explicatio unionis et commercii inter
sendi et Cartesii placitis quibusdam pugnare, animam et corpus nisi ad Deum àito ^iT(X(XV'ÏÇ>
quorum toti philosophiae perversa sobstantiae no- velut miracnlo agentem confugeretur, et credid*
19
146 XLVU. LETTRE AU PERE BOUVET.
rint loges corporcas interventu vel occasione ani- ris, ac de eoininiinicationc substantiarum, ratione
inae turbari, quam quod lianini reruin iiulolem non non minus manifesta quant inexpectata, siiuulque
satis perspexere. Quae si ita exponatur, ut mihi et mathesi et snpcriori illi philosopltiac quant me-
videtur faciendum, apparebit solutum baberi ma taphysicam vocant, satisfieri posse, quae suas et
gnum problema de unione animae et corpo- ipsa pulcherrinias leges demonstrationesque habet.
XLVII.
LETTRE AU PÈRE BOUVET
A PARIS.
1697.
(Olium Hanoveran. ed Feller p. 113. — Leibn. Opp. éd. DulenH 'l'uni. II. P. 1. p. 262.)
Je vois que quantité d'habiles gens croyant qu'il commmence à s'emparer des esprits, au lieu que je
faut abolir la Philosophie des Ecoles, et sub montre, que les raisons des règles de la force vien
stituer une toute autre à sa place, et plusieurs veu nent de quelque chose de supérieur.
lent que ce soit la C a r t é s i e 11 n e. Mais après avoir La véritable Philosophie pratique (vera non
tout pesé, je trouve que la Philosophie des Anciens simulata Philosophia, comme disent nos Ju
est solide, et qu'il faut se servir de celle des moder risconsultes Romains) consiste plutôt dans les bons
nes pour l'enrichir, et non pas pour la détruire. ordres pour l'éducation et pour la conversation et
J'ai eu bien des contestations là-dessus avec des socialité des hommes, que dans les préceptes géné
habiles Cartésiens, et je leur ai montré par les Ma raux sur les vertus et devoirs
thématiques mêmes, qu'ils n'ont point les vérita Je viens à la Physique, et je comprens main
bles loix de la nature, et que pour les avoir il faut tenant sous ce nom toutes les notices expérimenta
considérer dans la nature non -seulement la matière, les des choses corporelles, dont on ne peut pas en
mais aussi la force; et que les formes des Anciens core donner la raison par les principes géométri
ou Entelechies ne sont autre chose que les for ques ou mécaniques. Aussi ne les a-t-on point
ces : et par ce moyen je crois de réhabiliter la Phi pu obtenir par la raison et à priori, mais seule
losophie des Anciens ou de l'Ecole, dont la Théolo ment par l'expérience et la tradition.
gie se sert si utilement, sans rieu déroger aux dé La Médecine est la plus nécessaire des scien
couvertes modernes, ni aux explications mécani ces naturelles. Car de même que la Théologie est
ques, puisque les mécaniques mêmes supposent le plus liant point de la connoissance des choses
la considération de la force. Et il se trouvera que qui regardent l'esprit, et qu'elle renferme la bonne
rien n'est plus propre que la force dans les phéno morale et la bonne politique, on peut dire que la
mènes des corps, à donner de l'ouverture pour la Médecine aussi est le plus haut point et comme le
considération des causes spirituelles, et par consé fruit principal des connoissauces du coq)s par rap
quent à y introduire les hommes, qui sont enfon port au nôtre. Mais toute la science physique, et
cés dans les notions matérielles, comme seront sans la Médecine même, a pour dernier but la gloire de
doute les Chinois. Ainsi je crois d'avoir rendu Dieu et le bonheur suprême des hommes; car en
quelque service à la Religion, tant eu cela, qu'en les conservant elle leur donne le moyen de travail
ce que j'espère que cela contribuera beaucoup à ar ler à la gloire de Dieu.
rêter le cours d'une Philosophie trop matérielle, qui
XLVJII.
DE
RERUM ORIGINATIONE RADICAL!.
1 6 9 7.
CAutographum Leilinitli noudum edilum; e scrlniis Bibliolliecae Heglae Hanoveranae. )
Praeter Mundum seu Aggregatuni rerum que ita veniendum est a physica necessitate seu hy-
liiiii.-iriini. diitiir I niiiii aliquod domiuans, non jx)tlietica, quae res mundi posteriores a prioribus
tantuin ut in nie anima, vel potius ut in meo corpore déterminât, ad aliquid quod sit nécessitas absoluta.
ipsum ego, sed etiam rationc uiulto altiore. Unum seu metaphysica, cujus ratio reddi non possit. Mun
eniin dominans univers! non tantuin régit inuudum dus enim praescns physice seu hypothetice non vero
sed et fabricat et facit et mundo est superius et, absolutc seu iiietaphysice est necessarius. Nempe
ut ita dicam, extramundanum, estque adeo ultima posito quod semel talis sit, consequcns est, talia
ratio reruin. Nain non tantuin in nuilo singulorum, porro uasci. Quoniam igitur ultima radix débet
sed née in toto aggregato serieque reruin inveniri esse in aliquo, quod sit metaphysicae necessitatis, et
potest sufficiens ratio existendi. Fingamus Elemen- ratio existentis non est nisi abexistente, biucoportet
tonun geometricoruin lihrmu fuisse aeternuui, sem- aliqaod existere ens unum metaphysicae ucccssitatis.
per alium ex alio descriptum, patet, etsi ratio reddi seu de cujus essentia sit existeutia, atque adeo ali
possit praesentis libri ex praeterito unde est de- quod existere diversum ab entium pluralitate, seu
scriptus , non tamen ex quotcuuque libris rétro as- mundo, quem metaphysicae necessitatis non esse
sumtis unquam veniri ad rationem plcnam; cum concessimus ostcndimusque.
sempcr mirari liceat, cur ab onmi tcmpore libri ta Ut auteui paulo distinctius explicemus quomodo
ies extiterint, cur libri scilicct et cur sic scripti J ex veritatibus aeternis sive essentialibus vel nieta-
Qaod de libris, idem de tuundi divcrsis statibus ve- pliysicis oriantur veritates temporales, contingentes
rum est, sequens enùn quodammodo ex praecedeute sivo physicac, primum agnoscerc debemus eo ipso,
(etsi certis mutandi legibus) est descriptus, itaque quod aliquid potius. existit quatii nihil, aliquam in
utcunque regressus fueris in status anteriores, nun- rébus possibilibus, seu in ipsa possibilitate vel es
quatu in statibus rationem plenani repereris, cur sentia, esse exigeutiain existentiae, vel (ut sic di
scilicet aliquis sit potius mundus, et cur talis. I i- cam) praetensionem ad existenduin et, ut verbo
cet ergo luunduui aeternum fiiigeres, cum tamen complectar, essentiam per se tendere ad cxisten-
lûhil pouas nisi statuum successionem, née in quo tiam. Unde porro sequitur, omnia possibilia, seu
libet eoruni rationem sufficicntem reperias, imo née essentiam vel realitatern possibilem exprimentia,
quotcnnqoe assumtis vel mlniuium proficias ad red- pari jure ad esseutiam tendere pro quantitate es-
dendam rationem, patet alibi rationem quaerendatn sentiae seu realitatis, vel pro gradu j>erfectionis
esse. Li aeternis eniui, etsi nulla causa esset, ta- qucm involvunt; est cnini perfectio nihil aliud qnaiu
inen ratio intelligi débet, quae in persistentibus est essentiac quantitas.
ipsa nécessitas seu essentia, in série vero mutabi- Hinc vero inanifestissime intclligitnr ex iiiRnitis
lium, si haec aeterna a priore fingeretur, foret ipsa possibiUum combinationibus seriebusquc possibili
praevalcutia inclinationum ut mox intelligetur, ubi • bus existere eam, per quam pluriinum essentiae seu
rationes scilicet non nécessitant (absoluta seu me- possibilitatis perducitur ad existendum. Seinper sci
taphysica uecessitate ut contrarium implicet), sed licet est in rébus priucipium determinationis quod
inclinant. Ex quibus patet née supposita muudi a maximo minimovc peteudum est, ut nempe maxi-
acternitatc ultiuiam rationum reruin extrauiunda- mus pracstetur eifectus miuimo ut sic dicam sumtn.
nain seu Deuiu eflugi posse. Et hoc loeo tempus, locns, aut ut verbo dicam, re-
Ratioues igitur mundi latent in aliqno extra- ceptivitas vel capacitas inundi haberi potest pro
nmndano, difTercnte a catcna statuum, seu série sumtu sive terreno in quo qnam commodissime est
reruin, quanini aggregattun inuudum constituit. At- aedincandum , formarum autetn varictates respou
19»
148 XLV11I. DE RERUM OR1GINATIONE.
lient commoclitati aedificii multitudinique et ele- jusdam determinantis metaphysici cuin physico gra
gantiae camerarum. Et sese res habet ut in luclis vium corporum, etsi elegans videatur, in co ta-
quibusdam cuui loca omnia in tabula sunt replenda men déficit quod gravia nitentia vere cxistunt,
secundura certas leges, ubi nisi artificio quodam at possibilités seu essentiae ante vel praeter exi-
utare, postremo spatiis exclusus iniquis, phira co- stcntiam sunt imaginaria seu fictitia, mil la ergo
geris loca relinquere vacua, quam poteras vel vo- in ipsis quaeri potest ratio existendi. — Respondeo,
lebas. Certa auteni ratio est per quain repletio neque esseutias istas, neque aeternas de ipsis ve-
maxima facillime obtinetur Uti ergo si ponamus ritatcs quas vocant, esse fictitias, sed existere in
decretum esse ut fiât triangulum nulla licet alia ac- quadam ut sic dicam regione idearum, nempe in
cidenti deterrainandi ratione, consequens est, aequi- ipso Dec, essentiae omnis existentiaeque caetero-
laterum prodire; et posito tendendum esse a puiicto runi funte. Quod ne gratis dixisse videamur, ipsa
ad punctuin, licet nihil ultra iter déterminât, via iudieat existentia seriei rerurn actualis. Cum enim
eligetur maxime facilis seu brevissima, ita posito in ea ratio non iiiveniatur ut supra ostcndimus,
semel, ens praevalere non-enti, seu rationera esse setl iu metaphysicis nécessitât! bus, seu aeternis
cur aliquid potius extiterit quam nihil , sive a pos- veritatibus sit quaerenda, existentia auteni non
sibilitate transeundum esse ad actuin, hinc, etsi ni possint esse nisi ab existentibus, ut jam supra
hil ultra determinetur , consequens est, existere monuimus, oportet aeternas veritates existentiam
quantum plurimum potost pro temixiris locique (seu habere in quodam subjec-to absolute et metaphy-
ordinis possibilis existendi) capacitate, prorsus sice necessario, id est in Deo, per quem haec,
quemadtnodum ita componuntur tessellae ut in quae alioqui imaginaria forent, ut barbare sed
proposita area quam plurimae capiantur. Ex his signifieanter dicamus, realisentur.
jam mirifice intelligitur, quomodo in ipsa origi- Et vero reapse in mundo deprehendimus omnia
natione rerum Matliesis quaedam Divina seu Me- fieri secundum leges aeternarum veritatum non
cbanismus metaphysicus exerceatur, et maximi de- tantum geometricas sed et metaphysicas , id est
terminatio habet locum. Uti ex omnibus angu- non tantum secundum nécessitâtes materiales, sed
lis determinatus est rectus in geometria, et uti et secundum nécessitâtes formales; idque vernin
liquores in heterogeneis positi sese in capacissi- est non tantum generaliter, in eâ quam uunc ex-
iiiani figuram nempe sphaeriram componunt, sed plicavimus ratione mundi existentis potius quarn
potissimum uti in ipsa meehanica communi plu- non existentis, et sic potius quam aliter existen
ribus coqwribus gravihus inter se luctantibus ta- tis (quae utiquc ex possibilium tendentia ad exi
lis demum oritur motus, per quem fit maximus stendum petenda est), sed etiain ad specialia de-
descensus in sunima. Sicut enim omnia possibilia scendendo videmus inirabili ratione in tota na-
pari jure ad existendum tendunt pro ratione rea- tura habere locum leges metaphysicas causae, po-
litatis, ita omnia pondéra pari jure ad descenden- tentiae, actionis, casque ipsis legibus pure geo-
(tam tendunt pro ratione gravitatis, et ut hic pro- metricis materiae praevalere, quemadmodum in
dit motus, quo continetar quam maximus gravium reddendis legurn motus rationibus magna admi-
descensus, ita illic prodit mundus per quem ratione mea deprehendi usque adeo, ut legem
maxima fit possibilium productio. corapositionis geometricae conatuum, olirn a juvene
Atque ita jam habemus pliysicam necessitatem (cum materialis magis essem) defensam, deiu'que
ex metaphysica, etsi enim mundus non sit me- descrere sim coactus, ut alibi a me fusius ex-
taphysice necessarius, ita ut contrarium implicet pliratum.
contradictionem seu absurditatem logicam, est ta- Ita ergo habemus ultimam rationetn rcalitatis
men necessarius physice vel determinatus ita ut tain esseutiarum quam existentiarum in uno, quod
contrarium implicet imperfectionem seu absurdi utique mundo ipso majus superius, anteriusque
tatem moralcm. Et ut possibilitas est principinm . esse necesso est, cum per ipsmn nou tantum
essentiae, ita perfectio seu essentiae gradus (per existentia, quae mundus com]ilectitur, setl et pos
quem plurima sunt compossibilia) principium exis- sibilia habeant realitatem. Id autem non nisi in
tentiae. Unde simul patet quomodo libertas sit uno fonte quaeri potest ob horum omnium con-
in autore mundi, licet omnia faciat determiiiato : nexionem inter se. Patet autem ab hac fonte
quia agit ex principio sapientiae seu pcrfectionis. res existentes continue promanare ac produei pro-
Scilicet indifferentia ab ignorantia oritur et quanto ductasque esse, cum non appareat cur unus sta
qnisque magis est sapiens tauto magis ad perfectis- tus mundi magis quam alius, hcstcrnus inagis
gimum est determinatus. quam hocliernus ab ipso fluat. — Patet etiam quo
At (inquies) comparatio haec mechanismi cu- modo Dens non tautum physice sed et libère agat,
XLVIII. DE RERUM ORIG1NAT1ONK. 149
sitque in ipso reram non tantum efficiens sed tetur auditor et quasi pungatur, et vcluti auxius
et finis, née tantum ab ipso niagnitudinis vel de eventu, mox omnibus in ordinem restitutis,
potentiae in machiua univers! jam constituta, secl tanto magis laetetur, prorsus ut gaudeamus peri-
et bonitatis' vel sapientiae in constituenda ratio culis exiguis vel malorum experimentis ipso vel
habeatur. Et ne quis putet perfectionem moralem potentiae vel felicitatis nostrae sensu vel ostenta-
seu bonitatem cum metaphysica perfectione seu mento; vel nt in funambulorum spectaculo vel
magnitudine hic confundi; et hac concessa illam saltatione inter gladios (sauts périlleux) ipsis ter-
neget, sciendum est, sequi ex dictis non tantum riculamentis delectamur, et ipsimet pueros ridendo
quod i ni in. lus sit perfectissiinus physice, vel si quasi jam prope projecturi semidimittimus , qua
mavis metaphysice, seu quod ea rerum séries pro- etiam ratioue simia Christiernum, Daniae regem,
dierit, in qua quam plurimum realitatis actu prae- adhuc infantem, fasciisque involutum tulit ad fa-
statur, sed etiam quod sit perfectissimus morali- stigium tecti, omnibusque anxiis rident! similis
ter, quia rêvera moralis perfectio ipsis nicntibus salvum rettulit in cunas. Eodem ex principio
physica -est. Unde mundus non tantum est ma insipidum est semperdulcibusvesci; acria, acida, imo
china maxime adinirabilis , sed etiam quatenus amara sunt admiscenda, quibus gustus excitetur.
constat PX mentibus est optiina respublica, per Qui non gustavit amara, dulcia non meruit, imo
quam mentibus confcrtur quam plurimum felici- née aestiinabit. Haec ipsa est laetitiae lex ut
tatis seu laetitiae in qua physica earurn perfectio aequabili tenore voluptas non procédât, fastidium
consistit. enim haec parit et stupentes facit, non gaudcntes.
At inquies, nos contraria in mundo experiri, Hac autem quod de parte dixiinus quae tur-
optimis cni ni persaepe esse pessime, imiocentes bata esse possit salva harmonia in toto, non
non bestias tantum sed et hommes afTligi occi- ita accipienda est, ac si nulla partiuni ratio ha-
dique etiam cum cruciatu, deuique mundum, prae- beatur, aut quasi suiTiceret, totum mundum suis
sertim si generis humanugnbernatio spectetur, vi- numeris esse absolutum, etsi fieri possit ut genus
deri potius Chaos quoddam confusum quam rem humanum miserum sit, nullaque in universo ju-
a suprema quadam sapientia ordinatam. Ita prima stitiae cura sit aut nostri ratio habeatur, quem-
fronte vider! fateor, sed re penitius inspecta con- admodum quidam, non satis recte de rerum summa
trarium esse statuendum a priori patet ex illis judicantes, opinantur. Nam sciendum est, uti in
ipsis quae suât allata, quod scilicet omnium re optime constituta republica curatur, ut singulis
rum atque adeo et mentium sumraa quae ficri quapote bonum sit, ita née universum satis per-
potest perfectio obtineatur. (l 'i-ii ii n fore nisi quantum, licet salva harmonia
Et vero incivile est, nisi tota loge inspecta universali. singulis consulatur. Cujus rci nulla
judicare, ut ajunt jure consulti. Nos porrigendae constitui potuit mensura melior, quam lex ipsa
in iminensum aeternitatis cxiguam partem novi- justitiae dictans ut quisque de perfectione uni-
mus; quantulum enim est memoria aliquot mil- versi partem caperet et felicitate propria pro
lenorum annorum, quam nobis historia tradit! mensura virtutis propriae et ejus qua aifectus
Et tamen ex tam parva experientia temere ju- est erga commune bonum voluntatis, quo id ipsuin
dicamus de immenso et aeterno, quasi homines absolvitur, quod catitatem amoremque Dei voca-
in carcere aut si mavis in subterraneis salinis mus, in quo uno vis et potestas etiara christia-
Sarmatarum nati et cducati non aliain in muudo nae religionis ex judicio sapientum etiam Theo-
patareut esse lucem, quam illam lampadum ma- logorum consistit. Neque minim rideri débet,
lignam aegre gressibus dirigendis sufficientem. tantum mentibus deferri in universo, cum proxime
Picturam pulrherrimam intueamur, hanc totam référant imagine supremi autoris et ad eum non
tegamus demta exigua particula, quid aliud in tam quam machinae ad artificem (veluti caetera) sed
hac apparebit, etiamsi penitissime intueare, imo etiam quam cives ad principem relationem liabeant,
quanto inagis intuebere de propinquo, quam con- et aeque duraturae sint ac ipsum universum, et
fusa quaedam congeries colorum sine delectu, sine totum quodammodo exprimant atque poncentrent
arte, et tamen ubi rernoto tegumento, totam ta in se ipsis, ut ita dici possit, mentes esse par
bulant eo quo convenit situ intuebere, intelliges, tes totales.
quod temere linteo illitum vjdebatur, snmmo ar- Quod autcm afftictiones bonorum praesertim
tificio ab operis autorc factura fuisse. -Quod vironnn attinet, pro certo tenendum est, cedere
oculi in pictura, idem aures in musica deprehen- cas in majus eorum bonum, idque non tantum
dnnt. Egregii scilicet componendi artifices disso- Theologice, sed etiam physice verum est. Uti
nantias saepissiwe consonantiis misccnt ut exci- granum in terrain projectum patitur antequam
150 XLXIX. LETTRE A BASNAGE.
frnctus ferat. Et omiiino dici potcst, afflictiones ] tuin procédât. Quemadmoduni mine magna pars
pro tenipore malas, effectu bonas esse, cum sint terrae nostrac cnltnrain recepit et racipict mugis
viae compendiariae ad majorem perfectionem. Ut magisque. Et licet verum sit, interduui quaodam
in physicis qui liquores lente fermentant, etiam rursus silvescere aut rursus destrui deprimique,
tardius meliorantur, sed illi in quibus fortior per- hoc tamen ita accipicnduin est, ut paulo ante
turbatio est, partibus majore vi extrorsuin versis afHictionem interpretati sumus, iiempe banc ip-
promtius euieudantur. sam destructionem depressionemque prodesse ad
Atque hoc est quod diceres retrocedi ut ma consequendum aliquid inajus, ita ut ipso quodam-
jore nisu saltum facias iu antcriora (qu'on re modo dainuo lucremur.
cède pour mieux sauter). Et quod objici posset: ita oportere ut inumlus
Ista ergo non grata tantum et cousolatoria, | dudum factus fuerit Paradisus, responsio praesto
sed et verissima esse, est statucndum. Atque in i est: etsi multae jam substantiae ad uiagnam
univprsum sentio nihil esse et felicitate verius, : perfectionem porvenerint, ob divisibilitatem tamen
et fclicius dulciusque veritate. continui in infinitum, semper in abysso rerum
In cumulum etiam pulchnitudinis perfectionis- superesse partes sopitas adhuc excitandas et ad
qne uuiversalis operum divinomm, progressus majus meliusque et ut verbo dicam, ad melio-
quidam perpetuus liberrimiisque totius univers! rein cultum provehendas. Ncc proinde uiiquaiu
est agnoscendus, ita ut ad majorem semjK-r cul- ad tenninum progressus perveniri. —
XLÏX.
LETTRE
A L'AUTEUR DE L'HISTOIRE DES OUVRAGES DES SAVANS,
œNTENANT UN ECLAIRCLSSEMKNT DES DIFFICULTES, QUE MR. BAYLE A TROUVÉES
DANS LE SYSTÈME NOUVEAU DE L'UNION DE L'AME ET DU CORPS.
1698,
(Histoire des Ouvrages des Savans. Juillet 1698. p. 329. — Leibn. Opp. éd. Dutens T. un. il. P. 1. p. 74.)
Je prends la liberté, Monsieur, de vous en- ' servation «le l'âme, et même de J'animai; mais
voyer cet éclaircissement sur les difficultés que il ne paroit pas encore satisfait de la manière
Mr. Bayle a trouvées dans l'hypothèse, que j'ai dont j'ai prétendu expliquer l'union et le com
proposée pour expliquer l'union de l'Ame et du merce de l'âme et du corps, dans le Journal
Corps. Rien n'est plus obligeant, que la manière desSçavans du 27. Juin et du 4. Juillet 1695 ')
dont il en a usé à mon égard ; et je me tiens ho et dans l'Histoire des Ouvrages des Sçavans, Fé
noré des objections qu'il a mises dans son ex vrier 1696 pag. 274 275 ").
cellent Dictionnaire, à l'article deRorarius. D'ail Voici ses paroles , qui semblent marquer en quoi
leurs un esprit aussi grand et aussi profond que il a trouvé de la difficulté : Je ne saurois com
le sien n'en sauroit faire sans instruire; et je prendre, dit-il, l'enchaînement d'actions
tâcherai de profiter des lumières qu'il a répan internes et spontanées, qui feroit que
dues sur ces matières dans cet endroit, aussi-
bien que dans plusieurs autres de sou ouvrage. ') v. Xo. XXXVI. noslrae edilionis.
11 ne rejette pas ce que j'avois dit de la con ») No. XXXVII.
XLIX. LETTRE A BASNAGE. 151
l'âme d'un chien sentiroit de la douleur, la substance indivisible de cet animal, est de re
immédiatement après avoir senti île la présenter ce qui se fait dans son corps de la
joye, quand même elle seroit seule dans manière que nous l'expérimentons, et même de
l'univers. Je réponds, que lorsque j'ai dit que représenter en quelque façon, et par rapport à
Famé, quand il n'y auroit que Dieu et elle au ce corps, tout ce qui ce fait dans le monde:
monde, sentiroit tout ce qu'elle sent maintenant, les unités de substance n'étant autre chose, que
je n'ai fait qu'employer une fiction, en supposant des différentes concentrations de l'univers, repré
ce qui ne sauroit arriver naturellement, ]x>ur | senté selon les différons points de vue qui fes
marquer que les seutimens de famé ne sont qu'une I distinguent.
suite de ce qui est déjà en elle. Je ne sais si [ Mr. Bayle continue: Je coinprens pour
la preuve de l'ineompréliensihilité, que Mr. Bayle ! quoi un chien passe immédiatement du
trouve dans cet enchaînement, doit être seulement plaisir à la douleur, lorsqu'étant bien
cherchée dans ce qu'il dit plus bas, ou s'il l'a affamé, et mangeant du pain, on lui donne
voulu insinuer dès à présent par l'exemple du un coup de bâton. Je ne sai si on le com
passage spontané de la joye à la douleur: peut- j prend assez bien. Personne ne connoit mieux
être en voulant donner à entendre, que ce pas que Mr. Bayle même, que c'est en cela que
sage est contraire à l'axiome qui nous enseigne, consiste la grande difficulté qu'il y a d'expliquer,
qu'une chose demeure toujours dans l'état où ! pourquoi ce qui se passe dans le corps fait du
elle est uue fois, si rien ne survient qui l'oblige ! cliangemcnt dans l'âme; et que c'est ce qui a
<le changer : et qu'ainsi l'animal ayant une fois de ; forcé les défenseurs des causes occasionelles de
la joye, en aura toujours, sïl est seul, ou si ; recourir au soin que Dieu doit prendre, de re
rien d'extérieur ne le fait passer à la douleur; présenter continuellement à l'âme les changemens
en tout cas; je demeure d'accord de l'axiome, et J qui se font dans sont corps: au lieu que je crois
même je prétends qu'il m'est favorable, comme que c'est la nature même, que Dieu lui a don
en effet c'est un de mes fondemens. N'est -il pas j née, de se représenter en vertu de ses propres
vrai que de cet axiome nous concluons, non-seu loix, ce qui se passe dans les organes. 11 continue:
lement qu'un corps qui est en repos, sera tou Mais que son âme soit construite de
jours en repos; mais aussi qu'un corps qui est te Ile façon, qu'au moment qu'il est frappé
en mouvement, gardera toujours ce mouvement il sentiroit de la douleur, quand même
ou ce changement, c'est-à-dire, la même vitesse on ne le frapperoit pas, quand même il
et la même direction, si rien ne survient qui continueroit de manger du pain sans
l'empêche? Ainsi une chose ne demeure pas seu trouble et sans empêchement; c'est ce
lement autant qu'il dépend d'elle dans l'état où que je ne saurois comprendre. Je ne me
elle est, mais aussi quand c'est un état de chan souviens pas aussi de l'avoir dit, et on ne le peut
gement, elle continue à changer, suivant toujours j dire que par une fiction métaphysique, comme lors
une même loi. Or c'est, selon moi, la nature qu'on suppose que Dieu anéantit quelque corps
de la substance créée, de changer continuellement I pour faire du vuide; l'un et l'autre étant égale
suivant un certain ordre, qui la conduit spon- ! ment contraire à l'ordre des choses. Car puisque la
tanément (s'il est permis de se servir de ce , nature de l'âme a été faite d'abord d'une ma
mot) par tons les états qui lui arriveront; de nière propre à se représenter successivement les
i' •!!'• sorte que celui qui voit tout, voit dans son changemens de la matière, le cas qu'on suppose
état présent tons ces états passés et à venir. Et ne sauroit arriver dans l'ordre naturel. Dieu
cette loi de l'ordre qui fait l'individualité de chaque pouvoit donner à chaque substance ses phénomènes
substance particulière, a un rapport exact à ce | indépendans de ceux des autres; mais de cette
qui arrive dans toute autre substance, et dans ! manière il auroit fait, pour ainsi dire, autant de
l'univers tout entier. Peut -être que je n'avance ] mondes sans connexion, qu'il y a de substances;
rien de trop hardi, si je dis, que je peux dé à peu-près comme on dit, que quand on songe, on
montrer tout cela; mais à présent il ne s'agit est dans son monde à part, et qu'on entre dans le
que de le soutenir comme une hypothèse pos monde commun quand ou s'éveille. Ce n'est ]ias
sible, et propre à expliquer les phénomènes. Or que les songes mêmes ne se rapportent aux organes
de cette manière la loi du changement de la sub et au reste des corps, mais d'une manière moins
stance de l'animal le porte de la joye à la dou distincte. Continuons avec Mr. Bayle.
leur, dans le moment qu'il se fait une solution Je trouve aussi, dit-il, fort incompa
de continu dans son corps, parce que la loi de tible la spontanéité de cette âme avec
152 XL1X. LETTEE A BASNAGE.
les seul i in. MIS de douleur, et en général une chose rare et merveilleuse, mais philosophi
avec toutes les perceptions qui lui dé quement pour ce qui passe les forces des créatures.
plaisent. Cette iiicompréhensibilité seroit certaine, 11 ne suffît pas de dire que Dieu a fait une loi gé
si spontané et volontaire était la même chose. nérale ; car outre le décret, il faut encore un moyen
Tout volontaire est spontané; mais il y a des naturel dé l'exécuter; c'est -a dire, il faut que ce qui
actions spontanées qui sont sans élection, et par se fait, se puisse expliquer par la nature que Dieu
conséquent qui ne sont point volontaires. 11 ne donne aux choses. Les loix de la Nature ne sont
dépend pas de l'aine •• de se donner toujours les pas si arbitraires et si indifférentes , que plusieurs
sentimens qui lui plaisent, puisque les sentimens s'imaginent. Si Dieu décrétoit (par exemple) que
qu'elle aura, ont une dépendance de ceux qu'elle tous les corps auraient une tendance en ligne
a eus. Mr. Bayle poursuit: circu'aire, et que les rayons des cercles seroient
D'ailleurs la raison pourquoi cet ha proportionnels aux grandeurs des corps; il fau-
bile homme ne goûte point le Système droit dire, qu'il y a un moyen d'exécuter cela
Cartésien, me paroit être une fausse sup par des loix plus simples, ou bien il faudra
position: car on ne peut pas dire que le avouer que Dieu l'exécutera miraculeusement ; ou
Système des Causes occasionelles fasse du moins par des Anges chargés exprès de ce
intervenir l'action de Dieu par miracle, soin, à peu près comme ceux qu'on donnoit autre
(Deum ex Machina) dans la dépendance ré fois aux Sphères célestes. 11 en seroit de même
ciproque du Corps et de l'Ame; car comme si quelqu'un disoit, que Dieu a donné an corps
Dieu n'intervient que suivant les loix gé des gravités naturelles et primitives ; par lesquelles
nérales, il n'agit point là extraordinai chacun tendrait au centre de son globe, sans
re m en t. Ce n'est pas par cette seule raison que être poussé par d'autres corps; car à mon avis
je ne goûte pas le Système Cartésien; et quand ce sytème auroit besoin d'un miracle perpétuel,
on considère un peu le mien, on voit bien que ou du moins de l'assistance des Anges.
je trouve en lui-même ce qui me porte à l'em La vertu interne et active communi
brasser. D'ailleurs quand l'hypothèse des causes quée aux formes des corps connoit-elle
occasionnelles n'auroit point besoin de miracle, la suite d'actions qu'elle doit produire?
il me semble que la mienne ne laisscroit pas d'a Nullement; car nous savons par expé
voir d'autres avantages. J'ai dit qu'on peut ima rience, que nous ignorons que nous au
giner trois systèmes pour expliquer le commerce rons dans une heure telles ou telles
qu'on trouve entre l'âme et -le corps, savoir: perceptions. Je réponds, que cette vertu, ou
1. Le système de l'influence de l'un sur l'autre, plutôt cette âme ou forme, ne les connoit pas
qui est celui des écoles, pris dans le sens vul distinctement, mais qu'elle les sent confusément.
gaire, que je crois impossible, après les Carté 11 y a en chaque substance des traces de tout ce
siens: 2. Celui d'un surveillant perpétuel, qui qui lui est arrivé, et de tout ce qui lui arrivera.
représente dans l'un ce qui se passe dans Mais cette multitude infinie de perceptions nous
l'autre, à peu près comme si un homme étoit empêche de les distinguer; comme lorsque j'en
chargé d'accorder toujours deux méchantes hor tends un grand bruit confus de tout un Peuple,
loges, qui d'elles-mêmes ne seroient point ca je ne distingue point une voix de l'autre.
pables de s'accorder, et c'est le système des 11 faudroit doncque les formes fussent
causes occasionelles: et 3. celui de l'accord na dirigées par quelque principe externe
turel do deux substances, tel qu'il seroit entre dans la production de leurs actes; cela
deux horloges bien exactes; et c'est ce que je ne seroit-il pas le Deus ex Machina, tout
trouve aussi possible que le système du surveil de même que dans le système de causes
lant, et plus digne de l'Auteur de ces substances, occasionelles! La réponse précédente fait ces
horloges, ou automates. Cependant voyons si ser cette conséquence. Au contraire l'état pré
le système des causes occasionnelles ne suppose sent de chaque substance est une suite naturelle
point en effet un miracle perpétuel. On dit ici de son état précédent; mais il n'y a qu'une in
que non, parce que Dieu n'agiroit suivant ce telligence infinie qui puisse voir cette suite, car
système, que par des loix générales. Je l'ac elle envelo)>e l'univers, dans les âmes aussi-bien
corde, mais à mon avis cela ne suffît pas pour que dans chaque portion de la matière.
lever les miracles : si Dieu en faisoit continuelle Mr. Baylc conclut par ces paroles: Enfin,
ment, ils ne laisseroient pas d'être des miracles, comme il suppose avec beaucoup de rai
en prenant ce mot non pas populairement pour son, que tontes les âmes simples et iiidi
XFJX. LETTRE A BASNAGE. 153
visibles, on ne sauroitcomprcnclre qu'elle droite donnée. Il faut considérer aussi que l'âme, toute
puissent être comparées à une pendule, simple qu'elle est, a toujours un sentiment comjmsé
c'est-à-dire, que par leur constitution de plusieurs perceptions à la fois; ce qui ojx-re autant
originale elles puissent diversifier leurs pour nôtre but, que si elle ètoit composée de pièces,
opérations, en se servant de l'activité comme une machine. Car chaque perception pré
spontanée qu'elles recevroient de leur cédente a de l'influence sur les suivantes, confor
Créateur. On conçoit clairement qu'un mément à une loi d'ordre qui est dans les perceptions
être simple agira toujours uniformément, comme dans les mouvomens. Aussi la pliijiart des
si aucune cause étrangère ne le détourne. Philosophes depuis plusieurs siècles, qui donnent
S'il étoit composé de plusieurs pièces, des pensées aux aines et aux Anges, qu'ils croyent
comme une machine, il agiroit diverse destitués de ton t corps, (pour ne rien dire des intelligen
ment, parce que l'activité particulière ces d'Aristote) admettent un changement sponta
de chaque pièce pourroit changer à tout née dans un être simple. Xajoute, que les perceptions
moment le cours de celle des autres; mais qui se trouvent ensemble dans une même aine en
dans une substance unique où trouverez- même teins, cnvelopant une multitude véritable
vous la cause du changement d'opération? ment infinie de petits sentimens indistinguables,
Je trouve que cette objection est digne de Mr. que la suite doit dèveloper, il ne faut point s'éton
Baylc, et qu'elle est de celles qui méritent le plus ner de la variété infinie de ce qui en doit, résulter
d'être éclaircies. Mais aussi je crois que si je n'y avec le teins. Tout cela n'est qu'une conséquence
avois point pourvu d'abord, mon système ne mèri- de la nature représentative de l'aine, qui doit expri
teroit pas d'être examiné. Je n'ai comparé l'aine mer ce qui se passe, et même ce qui se passera
avec une pendule, qu'à l'égard de l'exactitude ré dans son corps, et en quelque façon dans tous les
glée des changemens, qui n'est même qu'imparfaite autres, par la connexion ou correspondance de tou
dans les meilleures horloges, mais qui est parfaite tes les parties du monde. Il aurait ]>cut-être
dans les ouvrages de Dieu; et on peut dire que suffi de dire, que Dieu ayant fait des atomes cor
l'âme est un automate immatériel des plus justes. porels, en pourroit bien avoir fait aussi d'immaté
Quand il est dit, qu'un être simple agira toujours riels qui représentent les premiers; mais on a cru,
uniformément, il y a quelque distinction à faire: qu'il seroit bon de s'étendre un ]>cu davantage.
si agir uniformément est suivre perpétuelle Au reste, j'ai lu avec plaisir ce que Mr. Baylc
ment une même loi d'ordre ou de continuation, dit dans l'article de Zenon. Il pourra peut-être
comme dans un certain rang ou suite de nombres, s'apercevoir, que ce qu'on en peut tirer s'accorde
j'avoue que de soi tout être simple, et même tout mieux avec mou système, qu'avec tout autre; car
être composé agit uniformément; mais si uni ce qu'il y a de réel dans l'étendue et dans le mou
formément veut dire semblablement, je ne l'ac vement, ne consiste que dans le fondement de l'or
corde point. Pour expliquer la différence de ce dre et de la suite réglée des phénomènes et percep
sens par un exemple : un mouvement en ligne para tions. Aussi tant les Académiciens et Sceptiques,
bolique est uniforme dans le premier sens; mais il que ceux qui leur ont voulu répondre, ne semblent
ne l'est pas dans le second, les portions de la ligne s'être embarrassés principalement, que parce qu'ils
parabolique n'étant pas semblables- entre elles, cherchoint une plus grande réalité dans les choses
comme celles de la ligne droite. Il est vrai, (pour sensibles hors de nous, que celle de phénomènes
le dire en passant) qu'un corps simple laissé à soi, réglés. Nous concevons l'étendue, en concevant
ne décrit que des lignes droites, si on ne parle que un ordre dans les coexistences ; mais nous ne de
du centre qui représente le mouvement de ce corps vons pas la concevoir, non plus que l'espace, à la
tout entier; mais puis qu'un corps simple et roide façon d'une substance. C'est comme le Teins,
ayant reçu une fois une turbination, ou circulation qui ne présente à l'esprit qu'on ordre dans les clian-
à Tentour de sou centre, la retient du même sens gemeus. Et quant au mouvement, ce qu'il y a
et avec la même vitesse, il s'ensuit qu'un corps de réel, est la force ou la puissance, c'est-à-dire,
laissé à soi peut décrire des lignes circulaires par ce qu'il y a dans Tétât présent, qui porte avec soi
ses points éloignés du centre, quand le centre est un changement pour l'avenir. Le reste n'est que
en repos, et même certaines quadra triées, phénomènes et rapports. La considération de
qnand ce centre est en mouvement, qui auront l'or- ce système fait voir aussi que, lorsqu'on entre dans
donée, composée de la droite, parcourue par le centre, le fond des choses, on remarque plus de raison
et du sinus droit, dont le verse est l'abscisse, l'aire qu'on ne croyoit, dans la plupart des Sectes des
«'•tant à la circonférence, comme cette droite est une Philosophes. Ix; peu de réalité substantielle des
20
154 L. DE IPSA NATURA.
choses sensibles, clés Sceptiques; la réduction de un esprit de Secte, en se bornant par la rejection
tout aux harmonies, ou nombres, idées et percep des autres. Les Philosophes formalistes blâment
tions Jes Pythagoristes et Platoniciens; l'un et les matériels ou corpusculaires, et vice versa.
même un tout deParméuide et de Plotin, sans On donne mal des limites à la division et subtilité,
aucun Spinozisrue; la connexion Stoïcienne, com aussi -bien qu'à la richesse et beauté de la nature,
patible avec la spontanéité des autres; la Philoso lorsqu'on met des atomes et du vuide, lorsqu'on se
phie vitale des Cabalistes et Hermétiques, qui met figure certains premiers élémens (tels même que
tent du sentiment par- tout; les formes et entéle- les Cartésiens) au lieu des véritables unités, et
chies d'Aristote et des Scholastiques; et cepen lorsqu'on ne recoimoit pas finfini en tout, et
dant l'explication mécanique de tous les phénomè fexacte expression du plus grand dans le plus pe
nes particuliers selon Démocrite et les moder tit, jointe à la tendance de chacun à se déveloper
nes, etc. se trouvent réunies comme dans un centre dans un ordre parfait; ce qui est le plus admirable
de perspective, d'où l'objet (embrouillé en regar et le plus bel effet du souverain principe, dont la
dant de tout autre endroit) fait voir sa régularité sagesse ne laisserait rien à désirer de meilleur à
et la convenance de ses parties: on a manqué par ceux qui en pourraient entendre l'occonouiie.
L.
DE IPSA NATURA,
SIVE DE VI INSITA ACTIONIBUSQUE CREATURARUM.
1698.
(Acla Knniii. r.ips. ami. 1698. Sept. p. 43*. — Leibn. Opp. éd. Dntens Tom. n. P. II. p. 49.)
1. Aceepi nuper missu celeberrimi et de rébus proponerutur. Cui instituto commodam occasionem
mathcmaticis ac physicis praeclare rueriti Viri, Jo- praestare illa visa est apologetica dissertatio, quod
hannis Christophori Sturmii, quam Atorfii judicare liceret, autorcm ibi, quae maxime ad rem
edidit apologiam pro sua de Idolo Natura disser- facerent, paucis uno sub conspectu exliibuisse. De
tatione, impugnata a Medico Kiloniensium primario caetero liteni ipsam iuter praeclaros viras non fa-
et xapt«çaTC{> , Guuthero Christophoro cio meam.
Schelhamero, in libro de natura. Cum igi- 2. Duo potissimum quaeri puto, priuium, in
tur idem argumentum versassem et ego olim, quo consistât natura, qnam rébus tribuere solemus,
nomiihilque etiam concertationis pcr litcras milii cujus attributa passim recepta aliquid Pagam'snû redo-
cum praeclaro autore dissertations intercédât, lere, judicat celeberrimus Sturmius; deinde utruin
cujus mcntionern mihi perhonorificam ipse nuper aliqua sit increaturis cvîpysta, quam videturnegare.
fecit, publiée memoratis uonnullis inter nos actis Quod primum attinet, de ipsa natura, si dispicia-
in Physicae electivae totno primo, lib. 1. mus, et quid sit, et quid non sit, asscutior quidcm,
sect. 1. cap. 3. Epilog. §. 5. pag. 119. nullam dari anituam Um'versi: conccdo etiani mi-
120.: eo libentius animum attentionenique adhi- randa illa, quae oecummt quotidie, de quibus me-
bui argumenta per se egregio, nccessariuin judi- rito solemus, opus naturae esse opus iutelligcntiae,
cans, ut mens mea pariter et tota res ex iis, quae non esse adscribenda creatis quibusdam intelligen-
alifjuoties jam indicavi, principiis distinctius panlo tiis, sapicntia et virtute proportiouali ad rem tau
L. DE IPSA NATURA.
tam praeditis; sed naturam uuivcrsam esse ut sic vari eandcm quantitati'in potentiac actrieis, inio
clieam artificium Dei, et tantum quidem, ut (|iiae- (quod pulcherrima ratione evenire deprehendi) etiam
vis machina naturalis (quod verum, parumque ob- eaudem quautitatem actiouis motricis, cujus alia
servatum uaturae artisque discrhnen est) organis longe aestiniatio est a!) illa, quam Cartesiani conci-
constet prorsus infmitis, infinitaniquc adeo sapien- piunt sub quantitate motus. Eaque de re cum duo
tiam potentiauique autoris rectorisque postulet. Mathematici ingenio facile inter primos inccum
Itaque et caliduin omniscium Hippocratis, et partiin per litteras partira publiée contulissent, al-
Cholcodeam animarurn datricem Avicennae, et ter penitus in castra mea transit, alter eo devenir,
illani sapientissimam Scaligeri aliorumque virtu- ut objectioncs suas omnes post multam et accura-
tem plasticam, et principiam hylarchicum Henrici tam ventilationem desererct, et ad meam quandam
Mori, partiin impossibilia, partira superflua puto; demonstrationem nondum sibi responsionem snp-
satisqiie habeo, marliinam rcrnin tauta sapicntia petere candide fateretur. Eoque magis miratus
esse coiiditain, ut ipso ejus progressu admiranda sum, virum praeclarum in Physicae suae electivae
illa contingant, organicis praesertim (ut arbitrer) ex parte édita, explicantem leges motus, vulgarem de
praedelineatione quadam sese evolventibus. Ita il lis scnteutiam (quam tamen nulla domoustra-
que quod Vir cl. naturae cujusdam creatae, sapien- tione, sed quadam tantum verisiinilitiulinc niti \\>~<-
tis, eorporuin machinas fonnantis gubernantisque agnovit, repetiitque etiam hic novissima disserta-
tigmontum rejicit, probo. Sed née consequi inde tione cap. 3. §. 2.) quasi nulla duhitatione liba-
née rationi consentanenm puto, ut ornnem vim tam assumsisse; nisi forte scripsit antequam pro
creatam actricem insitarn rébus denegemus. dirent mea, et scripta deinde recensere vel non va-
3. Dixiuuis quod non sit; videamus jam etiam cayit, vel in mentem non venit; praesertim cum
paulo propius, qnid sit illa natura, quam Aristo- leges motus arbitrarias esse crederet, quod wihi
teles non mâle principinin motus et quiotis ap- non usque quaque conseiitaneum videtur. Puto
pellavit; quamquam Pliilosophus ille mihi latins cniiu determinatis sapientiae atque ordinis rationi
accepte vocabulo non solum niotum localem, aut in bus, ad eas quae in natura observantur, fercndas
loco quietem, sed generaliter mutationem, et çacriv leges venisse Deum: et vel hinc apparer»1, quod a
seu pcrsistentiam intelligere videntur. Unde etiam, me aliquando opticae legis oceasione est adinoni-
ut obitor dicaiii, defiuitio quam motui assignat, et- tum et Cl. Molineuxio in Dioptricis postea valde
si obscurior justo, non tain incpta tamen est, quam sese probavit, finalem causaui non tantum pro-
lis videtur, qui perinde sumunt, ac si motum loca desse ad virtutem et pietatem in Ethica et Theo-
lem tantummodo definire voluisset: sed ad rem. logia naturali, sed etiam in ipsa Physica ad iuvo-
Robertus Boylius, vir insignis et in naturae niendum, et detegendum abditas vcritates. Ita
observatione cura cura versatus, de ipsa natura li- que cum celeberrimus Sturmius in Physica sua
bellum scripsit, cujus mens eo redit, si bene ine- ccli ri ici. ubi de causa finali agit, scntentiam meam
mini, ut naturam juclicemus esse ipsum corporum retulisset inter Hypothèses, optarem et in epicrisi
inachanismum, quod quidem uîç èv nkatTsi probari satis expendissit; haud dubie enim inde occasio-
potest; sed rem rimanti majore àxfipsiq, distin- nem fuisset sumturus, multa pro argmncnti prae-
gnenda erant in ipso mechanisuio principia a deri- stantia et ubertate dicendi praoclara, et ad pieta
vatis : ut in explicando horologio non sutis est, si tem quoquc profutiira.
ruechanica ratione impelli dicas, nisi distinguas, 5. Sed jam considerandum est, quid ipse de na
pondère an clastro concitetur. Et a me aliquoties turae notione in hac sua a)K)logetica dissertatione
jam est proditum (quod profuturum puto, ne me- dicat, et quid dictis déesse adhuc videatur. Con-
dumiçae naturalium rerum explicationes ad abu- ccdit cap. 4. §. 2, 3, et alibi passim, motus qui
sum trahantur in praejudicium pictatis, tanquam nunc iinnt, consoqui aeternae legis semcl a Deo la-
per se materia stare possit, et mechanismus nulla tae, quam legem mox vocat volitionem et jussuni;
intelligeutia aut substantia spiritual! indigeat) ori- noc opus esse novo Dei jussu, nova volitione, ne-
ginem ipsius meclianismi non ex solo materiali dum novo conatu, aut laborioso quodani negotio
principio niathematicisquc rationibus, sed altiore d. §. 3. et a se repellit tanquam mâle imputatam
qncdam et, ut sic dicam, inctaphysico fonte flu- ex adverso sententiam, quod Dcus moveat res ut
xissc. faber lignarius bipenncm, et molitor dirigit molam
4. Cujus inter alia indicium insigne pracbet arcendo aquas, vel imrnittendo rotao. Vrerurn
fundamentum naturae legum, non petcndutn ex eo, enimvero, ut mihi quidem videtur, nondum sufli-
ut conservetur eadem motus quantitas, uti vulgo cit haec explicatio. Quaero enim, utrum volitio
visum crat, sed potins ex eo, quod neccssc est ser- illa, vel jussio, aut si mavis lex divina olim lata
20*
156 L. DE ll»SA NATURA.
extrinsccam tantum tribuerit rébus denominatio- accipio, ut desideret exponi intelligibiliter, ne sci-
nem, an vero aliquani contulerit impressioncm licet credatur postulare ut soni pingantur, vel colo
creatam in ipsis perdurantem, vel, ut optime Dn. res audiantur. Deinde si explicandi diflficultas ad
Schelhammerus juclicii non minus quam expe- res rejiciendas fufficit, conscquenter, quae ipse sibi
rieutiac cgrrgius vocat, legem insitaui (etsi ple- injuria imputari queritur, cap. 1. §. 2. quod scili-
rumque non iiitelleetam creaturis, quibus iuest) ex cet omuia non nisi divina virtute moveri statuere
qua actioni's passionesque consequantur. Prius malit, quam aliquid admittere naturae nomine, cu-
uutorum systematis causarum occasioualium, acu- jus naturam iguoret. Certe pari jure niterentur
tissimi imprimis Malebrancliii, dogma videtur; etiain Hobbes et alii, qui omues res voluut esse
]x>sterius rcceptum est, et ut ego arbitrer, veris- corporeas, quia nihil nisi corpus distincte et ima-
siinum. ginabiliter explicari posse sibi persuadent. Sed
G. Nam jussio illa practerita cum nunc non illi ipsi ex eo ipso recte refutantur, quotl vis
existât, nibil nunc efficere potcst, nisi aliquem agemli rébus inest, quae ex imaginabilibus non
tune post se reliquerit effectuni subsistentem, qui dcrivatur; eauique in Dei mandatum, olim semel
nunc quoque duret et operetur: et qui secus sentit, datuin, res uullo modo afneiens, née cficctum post
onuii, si quid judico, distinctae rerum explicationi se reliuquens simplicitcr rejicere, tantum al)est, ut
renunciat; quidvis ex quovis consequi pari jure di- foret reddere rein explicatiorem, ut potius deposita
cturus, si id quod loco tciuporcve est absens, sine philosophi persoua esset gladio gordium noduni
inter]X)sito, Iiic et nunc operari potest. Itaque satis secare. Ceterum distinctior et rectior vis activau
non est dici, Deum iuitio res creautein voluisse, ut explicatio, quam hacteuus liabita est, ex dynami-
certain quandain legem in progressu observarent, cis nostris, legumque uaturae et motus vera aesti-
si voluntas cjus fiugatur ita fuisse inefficax, ut res matioue in illis tradita, et rébus consentanea, deri-
ab ea non fueriut atfectae, née durabilis in iis ef- vatur. ,
fectus sit productus. Et pugnat profccto cum no- 8. Quod si quis defensor pliilosopliiae novae,
tione diviiiac poteutiae voluntatisque, purae illius iiiertiam rerum et torporem introducentis, eo us-
et absolutae, velle Deum et tanien voleudo produ- que progrediatur, ut omneiu jussis Dei cflectuni
ccre aut immutare uihil ; agereque semper, efficere durabilem eflicaciamque in futurum adimou.s, etiain
nuiiquam, neque opus vel aitorîXso^ia relinquere novas semper molitiones ab ipso exigere niliil
ullum. Certe si niliil creaturis inipressum est di- pensi habcat, (quod Du. Sturmiusase alicnuni
vino illo verbo: producat terra, multiplicemini esse prudentur profitetur) is quam digna Deo sen-
nnimalia; si res perinde post ipsuin fuere affectae, tiat, ipsc vidcrit; excusari autcui non poterit, nisi
ac si m il li ii ii jussuin interveuisset; cousequens est rationem afferat, cur res qnidem ipsae aliquamdiu
(cuni connexione aliqua inter causam et effectum durare possint, attributa autem rerum, quae in ip
opus sit, vel iniinediata, vel per aliqnod interme- sis naturac nomine iutelliginius, durabilia esse non
diiiin) aut nihil fieri nunc consentaueum maudato, possiut: cur tanien consentaneum sit, quemadmo-
ant inaiidatuiu tantum valuisse in praesens, sem- dum vcrbum fiât, aliquid post se reliquit, nempe
per renovandum in futurum; quod Cl. Autor rem ipsam persisteutem; ita vcrbuut benedictio-
raerito a se amolitur. Sin vero lex a Deo lata nis non minus miriflcum, aliquam post se in ré
reliquit aliquod sui expressum in rébus vesti- bus reliquisse producendi actus suos, operandique
gium, si res ita fuere formatae mandato, ut aptae foecunditatcm nisumve, ex quo opcratio, si uihil
reddercntur ad iuipleiidam jubentis voluntatem ; obstet consequatur. Quibus addi potest quod alibi
jam concedendum est, quaudam inditam esse ré a me explicatum est, et si noiulum fortasse satis
bus efflcaciam, formam, vel vim, qualis naturac perspectum omnibus, ipsam rerum substantiaui in
nomine a nobis accipi solet, ex qua séries phaeno- ageudi patiendique vi consistere: unde consequens
menorum ad primi jussus praescriptum conscque- est, ne res quidem durabilis produci posse, si nulla
retur. ipsis vis aliquamdiu ix'rinanens diviua virtute iui-
7. Haec autem vis iusita distincte quidem in- primi potest. Ita sequcretur nullam substantiam
telligi potest, sed non explicari iraaginabiliter; née crcatam, uullam auimam eandem numéro manere,
sane ita explicari débet, non niagis quam natura niliilque adeo a Deo conservari, ac proinde res om-
animai1; est eiiirn vis ex earum rerum numéro, nes esse tantum evaiiidas quasdam sive fluxas uiiius
quac non imaginatione, sed intcllectu attinguntur. diviiiac substantiae permanentis modificationcs, et
Itaque quotl petit Vir cl. c. 4. §. 6. dissertationis phasmata, ut sic dicam; et quod codem redit, ip-
apologeticae, imaginabilitcr explicari modum, quo sam natui-am, vel substantiam rerum omnium
k'X iusita in coqxtribus legis ignaris operetur, sic Deum cssc ; qualcm pcssiuiae uotac doctriuaui nu
L. DE 1PSA NATURA. 157
per scriptor quidem subtilis, at profanus, orbi in- cogitationcs ac voluntates, ac spontaneum pênes
vexit vol rcnovavit. Sane si res corporales nil nos esse, quisquam in dubium revocabitî Quo
iiisi matcriale contincreiit, vcrissimc dicerentur in facto non tautum negaretur libcrtas humaua, et in
fluxu coiisistere, neque habcrc substaiitiale quic- Deum causa rcjiceretur malorum, sod etiam intimac
quam, qucniadmodnm et Platouici olim rccte nostrae experientiae, conscientiaeve testimonio re-
agnovere. clamaretur, quo ipsimet nostra esse seutimus, quae
9. Altéra quaestio est, utrnm creaturae propric uulla rationis speeie a disseutientibus in Deum
et vere agere siut dicendae? Ea, si semel intelliga- transferrentur. Quod si vero menti nostrae vim in
» MIS. naturatn insitam non differre a vi agcndi et sitam tribuimus, actiones immanentes producendi
patiendi, recidit in prioreni.- Nam actio sine vi vel quod idem est, agendi iuunauenter; jam nihil
agendi esse non potest, et vicissim iuaiiis potentia prohibet, imo consentaneuui est, aliis animabus vel
est, quae nunquam potest exerceri. Quia tameu formis, aut si inavis, naturis substantiarum eandem
iiihilominus actio et potentia res sunt divcrsae, vim incsse; nisi quis solas in natura reruni nobis
illa successiva, haec permauens, videamus et de obvia mentes nostras activas esse, aut omuem vim
actionc ; ubi fateor, me non exiguam in explicanda agcndi immanenter, atque adeo vitaliter ut sic
celeberrimi Sturmii mente difticultateni rcperirc. dicam, cum intellectu esse conjunctain arbitrctnr,
Negat euiin, res creatas per se et proprie agere; qualcs certe asseverationcs neque ratioue ulla con-
mox tamen ita concedit eas agere, ut nolit quo- nrmautur, née nisi invita veritate propuguantur.
daiuuiodo sibi tribui comparationem creaturarum Quid vero de transeuntibus creaturarum
cum bipeuni a fabro lignario mota. Ex quibus actionibus sit statuendum, alio loco melius ex-
nihil certi exsculpere possuni, née diserte satis ex- ]M>netur, pro parte etiam iam tum a nobis alibi est
plicatum video, quousque ipsc a receptis seutentiis explicatum: comntercium scilicet substantia
recédât; aut quaniaam distinctam animo concepe- rum sive inonadum oriri non per influxum, sed
rit actionis notionem, quae quam non sit obvia et per cousensum ortum a divina praeformatione;
facilis, ex metaphysicorum certaminibus constat. unoquoque dum suae naturac vim insitam legesque
Quantum ego milii notioucm actionis perspexisse sequitur, ad cxtranea accomodato, in qno etiam
videor, consequi ex illa et stabiliri arbitrer recep- unio aui n i.-n • corporisque consistit.
tissimum philôsophiac dogma, actiones esse 1 1. Quod autcmcorpora sint per se'incrtia, verum
suppositorum; idque adeo esse veruin depre- quidem est, si-recte sumas; liactcuus scilicet, ut
hendo, ut etiam sit rcciprocum; ita ut non tantum quod semel quiescere aliqua ratione pouitur, so
ouiiie quod agit sit substautia singularis, sed etiam ipsum eateuus in motum concitarc non possit, née
ut munis singularis substantia agat siue interuiis- sine resistentia ab alio coucitari patiatur; non ma-
sione; corpore ipso non cxcepto, lu quo nulla un- gis quam sua sponte mutare sibi potest graduai ve-
quain quies absoluta reperitur. locitatis aut directiouem, quam scinel liabet; ant
10. Sed nunc attendus paulo consideremus eo- pâti facile ac sine resistentia, ut ab alio mutetur.
rum sententiam, qui rébus creatis veram, et pro- Atque adeo fatendum est, cxtensionem, sive quod
priam actionein adimunt, quod olim etiam fecere in corpore est gcometricum, si nude sumatnr, nihil
Pliilosophiae Mosaicae autor Robertus Fluddus, iu se habere, unde actio et motus proficiscatur :
nunc vero Cartesiani quidam, qui putant non res imo potius materiam resisterc motui per quandam
agere, sed Deum ad rerum praesentiam, et secun- suam inertiam naturalem a Keplero pulchre sic
dum reruni aptitndiucm ; adeoque res occasiones denominatam, ita ut non sit indifférons ud motum,
esse, non causas, et recipere, non efficere aut eli- et quietem, uti vulgo rem aestimare soient, sed ad
cere. Quam doctrinam Cordemoius, Forgaeus, motum pro magnitudine sua \ i tanto majore activa
et alii Cartesiani cum proposassent, Malebran- indigeat. Unde in hac ipsa vi passiva rcsistendi
chius in primis, pro acumine suo, orationis qui- (et impenetrabilitatem , et aliquid ainplius invol-
bnsdam luminibus exornavit; rationes autem soli- vonte) ipsam materiae primae, sive molis quae in
das (quantum intelligo) adduxit nemo. Certe si corpore ubique cadciu magnitudiuique ojus propor-
eousque producitur liacc doctrina, lit actiones etiam tioualis est, notionem colloco, et ostendo hinc alias
immanentes substantiarum tollautur; (quod tamen longe, quam si sola in cor|K>re ipsaquo matcria in-
merito rejicit Dn. Sturmius Physicae elect. lib. 1. esset cum extcnsione impcnetrabilitas, motuum
cap. 4. epilo. §. 11. p. 176. et in co circumspe- loges consequi; et uti in materia inertiam natura
ctionem suam lueulentcr ostcndit) adeo a ratione lem oppositam motui, ita in ipso corpore, imo in
apparct aliéna , ut nihil supra. An cnirn meutem omni substautia iuessc constantiam naturalem oppo-
cogitarc ne voile, et in nobis a nobis clici multas sitaiu mutatioui. Vcrutu hacc doctriua non patroci
158 L. DE IPSA NATURA.
natnr, setl potius adversatur illis, qui rébus actio- essentialiter passivae non posse rem reddcre acti
nem adimunt : nam quam certum est materiam per vam. Sed responderi commode potest ex recepta
se motuni non iucipere, tain certum est, (quod expé non minus quam vera plu'losophia : materiam in-
rimenta ctiam ostendunt praeclara de inotu im- telligi vel secundam, vel primam; secundam esse
presso a motore translate) corpus per se conceptum quidem substantiam complctam, sed non mère pas
semel impetum retinere constansque in levitate sua sivam; primam esse mère passiram, sed non esse
esse, sive in illa ipsa mutationis suae série, quam completam snbstantiain; accedercque adeo debere
semel est ingressum, perseverandi habere nisum. animain , vel formam animae analogam , si tvrt-
Quae utique activantes atque entelechiae, cum ma- ht'x.tiav Trfv «puîrriv, id est nisum quendam,
teriae primae sive tuolis, rei essentialiter passivae, seu vim agendi primitivam, quae ipsa est lex insita,
modificationes esse non possint, utipraec]are(quem- decreto divine impressa. A qua seutentia non
a.lmi nliin i sequente paragraphe dicemus) ab ipso ju- puto abhorrere virum célébrera et ingeniosum, qui
diciosissimo Sturmio agnitum est; vel Jiinc jndi- nuper défendit, corpus constare ex materia et spi-
cari potest, debere in corporea substantia reperiri ritu ; modo sumatur spiritus non pro re intelligente,
entelechiam primam, tandem KJKÙTOV <S»CT«COV (ut alias solet) setl pro anima, vel fonnae auiinae
activitatis; vim scilicet motricem primitivain, quae analogo, ncc pro simplici modificatione, sed pro
praeter extensionem (seu id quod est mère geo- constitutive substantiali persévérante, quod Mona-
metricum) et praeter molem (seu id quod est mère dis nomine appellare soleo, in que est velut per-
materiale) superaddita, semper quidem agit, sed ceptio, et appetitus. Haec ergo recepta doctrina,
tamen varie ex corporum concursibus per conatus et scholarum doginati bénigne explicato consenta-
impetnsve modificatpr. Atque hoc ipsum substau- nea, refutanda est prius, ut argumentmn viri cla-
tiale principium est, quod in viventibus anima, in rissimi vim habere possit; queinadmodum et hinc
aliis forma substantialis appellatur, et quatenus cum patet, non posse conccdi, quod assumsit, quicquid
materia substantiam vcre unam, sed ni uni; per se est in substantia corporea, esse materiae modifica-
constituit, id facit quod ego monadem appelle; tionem. Notutn est enim, animas inesse viventium
cum siiliiatis lus vere, et realibus unitatibiis, non coqwribus secuiiduin receptain pliilosopliiam, quae
nisi entia per aggregationem , imo quod hinc sequi- utique modificationes non sunt. Licet enim vir
tur nulla vera eutia in corporibns sint superfutura. egregius contrarium statuere, omnemque veri nonii-
Etsi enini dentur atoini substantiae, nostrae scilicet nis sensum animalibus brutis animamque proprie
monades partibus carentes, nullae tanien dantur dictam adimere videatur; sententiam tamen banc
atoiii i molis, seu minimae extensionis, vel ultima pro fundamento denioiistrationis assumerc non po
clementa; cum ex punctis coutinuum non compo- test, antequam ipsa dcmonstretnr. Et contra po
natur. Prorsus uti nnllum datur ens mole maxi tius arbitrer, neque ordini, ncque pulchritudini ra-
mum, vel extensione infinituin, etsi semper alla tionive rerum esse consentaneum, ut vitale aliquid,
aliis majora dentur; sed datur tantum ens ma seu immanenter agens sit in exigua tantum parte
ximum intensione perfectiouis , seu infinituin vir- materiae, cum ad majorera perfcctionein pertineat,
tute.' ut sit in omni ; neque quicquam obstet, quo minus
12. Video tanien celebcrrimum Sturmium in ubique sint auimae aut aualoga saltein animabus ;
hac ipsa clissertatioue apologctica cap. 4. §. 7. etsi dominantes animae, atque adeo intelligentes,
et seqq. iusitam corporibus vim motricem argumen- quales sunt humanae, ubique esse non possint.
tis quibustlam impugnare aggressum. Ex abun- 13- Posterius argumcntum quod ex natura motus
danti, inqnit, hic ostendam, ne capacem quidem sumit vir cl. majorem, ut niiln quidem videtur, con-
esse substantiam corpoream potentiae alicujus active cludendi necessitatem non habet. Motnm ait esso
motricis. Quanquain ego non capiam, quae possit successivam tantum rei motae in diversis locis exi-
esse potentia non active motrix. Gemino autem se strntiam. Concedamus hoc intérim, et si non om-
usurum ait argumeuto , UHO a natura materiae et nino satisfaciat, magisque id , quod ex motu résul
corporis, altero ex natura motus. Prius hue re tat, quam ipsam (ut vocant) formalem ejns ratio-
dit : materiam sua natura et essentialiter passivam netn ex]>riinat; non ideo tamen excluditur vis mo
esse substantiam ; itaque ipsi dari vim activam non trix. Nam non tantum corpus pracsenti sui motus
magis esse possibile, quam si Dcus lapidem, duni momento inest in loco sibi commeusurato, sed etiam
lapis manet, vclit esse vitalem et rationalem , id conatum habet, seu nisum mutandi locum, il a at
est non lapidem : deinde quae in corpore ponantur, status sequens ex pracsenti ]>er se naturae vi con-
ça esse tantum matoriae modifieationcs ; modifica- sequatur; alioqui praesenti momento (atque adeo
tionem autrui ( quod pulchrc dictum aguosco ) rci momento quovis) corpus A, quod movctur a cor
L. DE IPSA NATURA. 159
pore B , quiesccnte nihil clifferet ; scqucrcturque ex agnosci hic nequit. Unde pro certo habendum
clarissimi viri sententia, si nobis ea in re adversa ( etsi hoc minus adverterint , qui satis alte in haec
esset, nul Un ii plane discrimeu iii corporibus fore, non pouetravere) talia a rerum natura atquc or-
quanclo quidem in pleno uuiformis pcr se massae diue esse aliéna, nullumque uspiam dari (quod in
discrimen, nisi ab eo- quod raotuni respicit sunii ter nova et majora axiomata mea est) perfectam
non potest. Unde etiam amplius tandem efficietur, similaritatem ; cnjus rei consequens etiam est, uec
nihil prorsus variari in coriwribus, oiuniaque sem- corpuscnla extremae duritiei , née fluidum sumniac
per eodem se habere modo. Nain si materiae portio tenuitatis , materiamve subtilem universaliter diffu-
quaevis ab alia aequali et congrua non differt sam, aut ultima elementa, quae primi sccundive
(quod admitteudum est a viro cl. viribus activis quibusdam nomine veniunt, iu natura reperiri. Quo
impetibusve, et quibuscuinque aliis, praeter existeu- rum cum nonnibil perspexisset (ut arbitrer) Ari-
tiam in hoc loco, successive futuram aliam vel stotelcs, profuudior mea sententia, quam multi
aliam, qualitatibus modificationibusqae sublatis) putant, judicavit, praeter mutationem localem opus
ac praeterea si uiiius momenti status a statu alte- esse alteratione, née materiam ubique sibi esse si-
rius mouicnti non nisi transpositione aequaliuin et milem , ne maneat invariabilis. Dissimilitudo au-
congruarum et per oinnia convenientium materiae tem illa, vel qualitatum diversitas, atque acleo
portionum differt; manifestum est ob perpetuatn oèXXo'itucrtç vel alteratio, quam non satis exposuit
substitutionem indistiuguibilium, consequi, ut di- Aristoteles, ipsis diversis nisuum gradibus di-
versorum momentorum status iu mundo corporeo rectiouibusque , monadumqne adeo inexistcntium
diâcriminari nullo modo possint. Extrinseca euim modificationibus obtinetur. Ex quibus proinde in-
tautuui foret denominatio, qua distingueretur ma telligi puto , necessario aliud debere poni in cor
teriae pars una ab alia, nempe a futuro, quod sci- poribus, quam massam uniformem, eiusque uihil
licet iinposterum sit futura alio vel alio loco ; im- utiqne immaturam transportationem. Sane qui
praesentiarum vero discrimen est nullum; imo ne atomos et vacunm habent, non nihil saltem diversi-
a futuro quidem cum mndainento sumeretur, quia ficant materiam, dum alibi faciunt partibilem, alibi
i iu i ii [i t: ni i etiam imposterum ad verum aliquod prae- impartibilem; et uno loco plenam,alio hiantem. Sed
sens discrimen deveniretur; cum née locus a loco, diu est, quod rejiciendos esse atomos cum vacuo (de-
ncc materia a materia ejusdcm loci (ex hypotliesi posito juventutis praejudicio) depreliendi. Addit vir
perfectae illius uuiformitatis in ipsa materia) distin- celeberrimus materiae existentiam per diversa mo-
gui ulla nota qneat. Frustra etiam ad figuram prae menta tribuendam esse divinae voluntati; quidiii
ter motum recurreretur. Nam in massa perfecte ergo ( inquit ) eidem tribuatur quod existit hic et
smiilari et indiscriminata et plena, nulla oritur fi- nuiic? Respondeo, id ipsum Deo hand dubie de-
gnra sea termiiiatio partium diversarum ac discri- beri, ut alia omnia quateuus perfectioneni quandam
miiiatio, nisi ab ipso motu. Quodsi ergo motus involvunt; sed quemadmodum prima illa et uni-
iinllain distingueudi notam continet, nullara etiam versalis causa omnia conservans non tollit, sed fa-
figarae largietur; et cum omnia, quae prioribus sub- cit potius rei existere iucipieutis subsistentiam na-
stituuntur, perfecte aequiponeant, nullum vel mi turalem, seu in existendo perseverationem semel
nimum mutationis indicium a quocunque observa- concessam; ita cadem non tollet, sed potius cou-
tore, etiam oinniscio, deprehendetur; ac proinde firmabit rei in jnotiiin concitatac efficaciam natu-
omnia perinde erunt, ac si mutatio discriminatio- ralem, seu in agendo perseverationem semel im-
que nulla in corporibus contingeret : née unquani pressam.
inde midi poterit ratio diversarum quas sentimus 14. Multa quoque alia occurnmt in apologetica
apparentiaruui. Et perinde res foret, ac si finge- illa Dissertatione , quae difficultatem lia lient, ut
remus duas sphaeras conceutricas perfectas et per qnod ait dict. cap. 4. §. 11. motu de globule per
fecte tara inter se, quam in partibus suis similares, plures intennedios in globulum translate, globu-
alteram alteri ita inclusam esse, ut née minimus lurn ultimum eadem vi moveri qua motus est glo-
sit hiatus; tune sive volvi inclusam, sive quiescere bulus primus : mihi vero videtur, aequivalente qui
ponamus, ne angélus quidem, ne quid amplius di- dem moveri, sed non eadcm; cum unusquisque
i ani. nllum poterit notare discrimen inter divers! (quod M i iiun i videri possit) sua propria vi , nempe
temporis status, aut indicium habere discernendi, clastica (non jam de clasmatis hujus causa dispute,
ut n in i quiescat an volvatur inclusa sphaera, et qua neque ncgo mechanice debere explicari motu fluidi
motus lege. Imo ne limes quidem sphaeraram de- inexistentis ac perlabentis) a proximo urgente
fiiiiri poterit, ob defectum simul hiatus et discrimi- repulsus in motum agatur. Sic etiam, quod
nis ; uti motus vel ob soluiu discriminis dcfectnm §. 12. dicit rem, quae primordiuin motus
160 L. DE IPSA NATURA.
clarc sibi non potcst, non possc per 'se con- supra citato sub initium hnjus schcdiasmatis. Hoc
tinuare motum, minim incrito videbitur. Constat si (ut ex verbis apparet,) co sensu accipitur, quo
cnim potius, quemadjnodum vi opus est ad motum auiinani divinae particulam aurae dicimus, jain sub-
dandum, ita dato scinel impetu, tantuin abessc, ut lata inter nos eatenus coutroversia erit. Sed quo
vi nova sit opus ad contimiandum, ut potius ea minus liane mentem ipsius aflirmare audeam, facit,
opus sit ad sistendum. Nain conservatio illa a quod vix uspiam alibi video taie aliquid ab ipso
causa universali rébus iiecessaria, hujus loci non tradi , aut quae iiide consequantur exponi ; contra
est, quae ut jain monuimus, si tolleret reruni effica- verq animadverto, quae passim habet, huic senten-
ciam, etiain tollcret subsistentiam. tiae parum cohaerere, dissortationem autem apolo-
15. Ex quibus rursus iutelligitur, doctrinam a geticani in alia omuia ire. Sane cum primum meae
nonnullis propugnatam causarum occasionalium in Actis Eruditorum Lipsiensibus mense Martio
(nisi ita explicctur, ut temperamenta rtdhiberi pos- 1694. de vi insita prolatae sententiae, (quam
sint, quae Cl. Sturmius partim admisit partira porro illustrât spécimen meum dynamicum in iis-
admissurus videtur) pcriculosis consequentiis ob- dem actis April. 1G95.) quaedam per literas obje-
noxiam esse, doctissimis licet defensoribus haud cisset, inox accepta responsione mea, perbenigne
dubie invitis. Tantum enim abest, ut Dei gloriam judicavit nullum iuter nos esse discrimen, nisi in
augeat, tollendo idolum natarae; ut potius rébus loquendi modo ; quod cum ego auimadvertens, mo-
crcatis in nudas diviuac uuius substantiae modifica- nuissem adhuc nonnulla, ipse jam in contrarium
tionos evanescentibus , ex Deo factura cum S pi- versus, plura inter nos discrimina posuit, quae ego
no sa videatur ipsam rcrum naturam; cum idquod agnosco: vixque his exemtis tandem novissime eo
non agit, quod vi activa caret, quod discrimmabi- rcdiit, ut denuo scriberet, nisi verborum differen-
litate, quod deniquc omni subsistendi ratione ac tiam inter nos esse nullani, quod mihi futurum es-
fundamento spoliatur, substantiam esse nnllo modo set gratissimum. \7olui ergo, occasione uovissimae
possit. Certissime persuasum mihi est, Cl. Stur- dissertationis apologeticae, rem ita exponere, ut
n ii M m, virum et pietate et doctrina insigncm, ab denique et de scntoiitia cuiusque, et de sententiae
Iris portentis esse alienissimum. Itaque dubium veritate coiistare facilius possit. Est enim alioqui
m il lui"- est, aut ostensurum esse liqnido, qua ra magna Viri egregii et in pcrspiciendo solertia , et
tione maneat aliqua in rébus substantia vel etiam perspicuitas in exponendo ; ut sj>crem ejus studio
variatio; salva doctriua sua, aut veritati manus esse non exiguam tantae rei lucem afferri posse, atque
tlaturum. adeo vel ideo non inutilem hanc operani meam fore,
16. Certe qno magis suspicem, mentem ipsius quod occasioneiu ei fortasse praebitura est, ea qna
non satis mihi esse perspectam, née meam ipsi, solet industria et vi judieii expcndendi atque illu-
milita faciunt. Alicubi fassus mihi est, passe, imo strandi nonnulla alicujus in uegotio praesentc ino-
quoddamodo etiain debere, quandam diviuae virtu- menti praetermissa hactenus ab autoribus et a nie,
tis particulam (id est, ut opinor, expressionem, ni fallor novis et altius repertitis et late fusis axio-
imitationcm, effectum proximum, nain ipsa divina matibus nonuihil suppleta, ex quibus restitutnin
vis in partes utique secari non potest,) volut rébus einendatnmque systema mediae inter formalem ot
propriam, et attribulam intelligi. Videatur quae materiarum philosophiae (conjuucta sen-ataque rite
niilii traiismissa repetiit in Physicae electivae loco utraque) nasci videtur aliquando posse.
IX
E P I S T O L A
DE REBUS PHILOSOPHICIS
AD FRED. HOFFMANUM.
1699.
(Iloffmanni Opp.Cienevac. 1740. Supplem. Tom 1. p. 49. — Leibn. Opp. éd. Dutens Tom. II. P. 1. p. »60>
Doctissimac et juclicii non minus , quam expe- quam de spiritibus sive mentibus nihil'liic pronun-
rientiae tuae non vulgaris testes, Dissertationcs tuae ciarc ausim, quoniam legibus sublimioribus regun-
• adhuc pretiosiores et addita ad me humanissima tnr, et cum Deo societatem quandam constituunt,
opistola fecerunt, ut utroque noinine gratias tibi in qua semper personam suam tuentur. Quomodo
agam deheamqne, vellem et refeiTe posse. Mihi autem Deus id conciliet cum revolutionibus univers!,
videris de mechanismo naturae judicare rectisshne, humana ratio definiri nequit. Ncmpe animae sem
et mea quoque semper fuit scutentia, omnia in per manent substantiae, mentes vero semper per-
corporibus fîeri mechanice, etsi non semper distincte sonae: illae se semper accommodant divino me
explicare possimus singulos mechanismos : ipsa vero chanismo, hae semper divino moralisme, ut verbo,
principia mechanismi generalia ex altiore fonte pro- a te eleganter adhibito, utar. Optarem jam viros
fluere, quod tibi quoque, ni faJlor, probatur. Quan praeclaros in meclianismo naturae explicando pau-
tum etiam capio de controversia inter Dn. Stur- latim progredi longius et dare operain non quidem,
iii i ii ni et me rectissime judicas, et substautialita- ut, more Cartesianorum, omnia statim per saltum
tem massae coqwreae optime collocas in vi extensa, ad prima principia, magnitudincm , figurant et mo-
hoc est, ut interpréter, per locum diffusa, seu par- tum reducant, quod fîeri a iiobis nequit, sed ut prr
tibili. Tecum etiam sentio, id quod passivum est, gradus revocent composita ad simplicia et princi-
nunquam soluni reperiri, aut per se subsistere. piis propiora. Sic iridem bene explicamus, si quae-
Pukhre autem notas in mère passivo nullam esse dam circa lucem et colores iuexplicata adsuuiamus :
motus recipiendi retinendique habilitatem : et, ita supposita gravitate et vi clastica, plurima olim
adcmta rébus vi agcndi , noii posse cas a divina explicui , etsi circa horum duorum caussas litigari
substantia distingui, incidique in Spinosismum. adhuc queat. Sic laudo chemicos, reducentes plu
Vicissim nullam dari creaturam mère activam, eo rima ad principia secundaria, modo illis certas ad-
etiam tecum inclino, ut non humano tantum cor* signent notiones, née ut fieri passim video, vertus
pori, sed et aliis corporibus organicis animam im- vagis et speciosis niniiuiu ludant. Certe observe
materialem, aut aliquid analogum animae tribuam : et miror pêne, quoi auctorcs tôt diversas vocabulis
hoc unum tantum addens: videri omnem substaii- notiones tribui. Unde optarem aliquando oriri,
tiam inextensam, seu simplicem ortus et interitus qui uteretur solis verbis ex commun! usu petitis,
physici expertem esse, née nisi creatione oriri vel aut certe ante definitis. Quod nisi fiât, video aetio-
annihilatione tlestrui posse. Née mirum cuiquam logiis inanibus tempus perdi, quod in observation!'
videri débet, animabus i. e. veris atomis tribui, bus et consequentiis inde ducendis rectius colloca-
quod Democritici suis atomis matcrialibus adscri- retur. Te inter paucos video prueclare in ici eniti,
bunt. Oui M verisimile arbitrer, non tantum ani ut intellecta dicas. Aliquando itaque a te expecto
mam, sed et animal interitus expers, née aliud quacdam rationalis medicinac elcmenta non nimis
esse mortem, quam involutionem diminutivam, insistentia intellectualibus ab usu artis remotis, ut
quemadmoduui generationem esse evolutionem aug- fit apud medicos Cartesianos, née niinis imagioa-
mentativam, jam multis viris doctis placet. Quam- tionis ludibriis adflxa, nt fieri solet apud chemi
21
162 LU. DE LINGUA CHARACTERICA.
cos, sed qnae caussas intelligibiles adfernut reruiu expectat orbis. Id mihi non tantum, sed et Ger-
sensibilinm, ubi licet, aut ubi non licet, consequen- nianiae erit gratissimuin. Vale. Dabam Haimoverae
tias saltcm utiles etfectuuui ducant ex iis, quae d. 27. Sept. 1699.
sensu certa sunt, etsi nondum ad causas reducta. Deditissimus
Quod si sic iJergis, profecto efficies. ut Fridericiana Godef. Guil. Leibuitius.
nobis det Academia, quod frustra ab aliis eruditus
LU.
HISTORIA ET COMMENDATIO
LINGUAE CHARACTERICAE UOTVERSALIS
QUAE SIMUL SIT ARS INVENIENDI ET JUDICANDI.
Vêtus verbum est, Deuin omnia pondère, men- nes animi sensa coinmunicare et quae scripsit aller
siira, numéro fecisse. Suut autem quae ponderari in sua quisque lingua légère queat, nemo tamen ag-
non possunt, scilicet qnae vim et potentiam nul- gressus est linguam sive Qiaracteristicen, in qua si-
lam I lui il -ut : sunt etiam quae carent partibus ac mul ars inveniendi et iudicandi contineretur : id
proinde mensuram non recipiunt. Sed nihil est est cuius notae et characteres praestarent idem quod
quod numeruin non patiatur. Itaque numerus notae arithmeticae in numeris et algebraicae in
quasi figura quaedam Metaphyica est, et Arithme- magnitudinibus abstracte sumtis; et tamen videtur
tica est quaedam Statica universi, qua rerum po- Deus, cum bas duas scientias generi humano largi-
tentiae explorantur. tus est, admonere nos voluisse, latere in nostro in-
Jam inde a Pythagora persuasi fuerunt homines, tellectu arcanum longe inaius, cuius hae tantura
maxima in numeris mysteria latere. Et Pythago- unibrae essent.
ram credibile est, ut alia milita, ita hanc quoque Factura est autem nescio quo fato, ut ego adhnc
opinionem ex Oriente attulisse in Graeciam. Sed puer in bas eogitationes inciderem, quae, ut soient
cura vera arcani clavis ignoraretur, lapsi sunt cu- primae inclinationes, postea semper altissime in-
riosiores in futilia et superstitiosa, uude nata est fixae menti haesere. Duo mihi proftiere mirifice
Cabbala quaedam vulgaris, a vera longe remota, (quae tamen alioqui ambigua et pluribus noxia
et ineptiae multipliées cujusdam falsi nominis Ma- esse soient) primuin, quod fere essem àvroôiôa-
giae, quibus pleni sunt libri. Interea insita man- SCTOÇ, alterum quod quaererem nova in unaquaque
sit hominibus facilitas eredendi miriflca inveniri scientia, ut primum eam attingebam, cnm saepe ne
posse numeris, characteribus et lingua quadam no vulgaria quidem satis percepissem. Sed ita duo
va, quam aliqui Adamicam, Jacobus Bohemus die lucratns sum ; primum t ne animum inanibus et de-
Natur-Sprache vocat. discendis implerem, quae autoritate potius docen-
Sed nescio an quisquam mortalium veram ratio- tium quam argumentis reeepta sunt; alternm ut ne
nem hactenus perspexerit, qua cuique rei numerus ante quiescerem quam ubi cuiusque doctrinae fibras
suns characteristieus assignari possit. Nam erndi- ac radiées essem rimatus et ad principia ipsa per-
tissimi homines, cura aliquid hujusmodi obiter apud venissem unde mihi proprio Marte omnia, quae
ipsos attigissem, fassi sunt se non intelligere quid tractabam, invenire liceret.
dicerem. Et qnamquam dndurn egregii quidam viri Cum ergo a lectione historiarum, qua ab infantia
excogitaverint linguam quandam seu Characteristi- mire fueram delectarus, et a styli cura, quam ego
cam nniversalem , qua notiones atque res omnes in Prosa ligataquo ea felicitate exercneram ut ve-
pulchre ordinantur et cujus anxilio diversae natio- rerentnr praeceptores ne ad has delicias obhacresce
L1I. DE L1NGUA CHARACTERICA. 163
rem, traductns essein ad Ixigicam et Philosophiaiu, autcm abeiTationis a jaiiua causiim arbitrer, quod
tum ego ut priniuin aliquid in his rébus intelligere principia sunt plerumque arida et parum grata ho-
coepi, Di boni, quam multas statim chimaeras in uiinibus, adcoque Icviter gustata dimittuntur. Très
ni' 'H cerebro euatas cliartis illevi, quas subinde tamen viros maxime rniror ad tautam rem non ac-
propouebam praeceptoribus mirantibus. Inter cessisse, Aristotelem, Joachiinum Jungium etRena-
alia dubitationem aliquanclo movebam de praedi- tum Cartesium. Aristotelcs enim, cum Organou et
camentis. Dicebam enim quemadmoduin haberentur Metaphysica scriberet, notionum intima magno in-
praedicauienta seu classes notionum simplicium, ita genio rimatus est. Joachimus Jungius Lubecensis
debere haberi novum praedicaihentorum geuus, iu vir est paucis notus etiani in ipsa Germania; sed
quo et propositiones ipsae seu Tennini complexi tanto fuit judicio et capacitate auimi tam laie pa
ordine naturali dispositae haberentur; scilicct cle- tente ut ncsciam an a quoquam mortalium, ipso
monstrationes tune née par souuiiuni cognoveram etiam Cartesio non excepte, potuerit rectius exi>e-
et uesciebam hoc ipsutn, quod ego desiderabaiu, ctari restauratio magna scientiarum, si vir ille aut
facere Geometras, qui propositiones eo ordine col- cognitus aut adjutus fuissct. Erat autem jam se-
locant, quo una ex alia demonstratur. Itaque vana ncx cum inciperet florerc Cartosius, ut dolendnni
quidem erat inea dubitatio, sed cum ei 11011 satis- admodum sit nullam ipsis inter se notitiam iuter-
facerent praeceptores, ego novitate cogitationes pro- cessisse. Quod ad Cartesium attinet , equidem hu
secutus, moliebar condere hujusmodi praedicamenta jus loci non est laudare virum ingeuii magnitudine
Tenniuorum complexoruin seu propositiouum. Cui laudes prope supergressum. Certe viam institit per
studio cum intentius incumberem, incidi necessario Ideas vcram et rectam et hue ducentem; sed cum
in lia ne coutemplatiouem admirandam, quod scilicet ad plausum sua minium direxisset , videtur abru-
excogitari posset quoddaui Alphabetfim cogitatio- pisse tilum inquisitionis et coutentus medita
uuni humauarniu, et quod literarum hujus Âlpha- tiones metaphysicas et specimina geoinetrica dé
beti coinbiuationc et vocabulorem ex ipsis factorum disse, quibus hominum oculos in se conver-
Analysi omnia et inveniri et dijudicari possent. teret. De reliquo naturam corporum, Medi-
Hoc ego deprehenso mirifice exsultavi, puerili qui cinae caussa, excolere constituit: recte profecto, si
dem gaudio, nain tune rei magnitudinem non satis antea pensum Ideas auimi ordiuandi absolvisset,
capiebam. Sed postca, quanto majorera in rerum inde enim lux oritnra erat ipsis experimentis, ma
cognitione progressum feci, magis confirma tus sum jor quam credi possit. Cur ergo hue auimum non
in consilio rem tantam prosequendi. Forte adul- applicuerit, caussa nulla alia esse potest, quam quotl
tior et iam viginti annos iiatus moliebar exercitium rei rationem et vim non satis fuisset animo asse-
academicum. Itaque scripsi Dissertationem de cutus ; uam si vidisset modum constituendi Philoso-
arte combinatoria, quae libelli forma publi- phiam rationalem, aeque clare et irrefragabiliter
cata est anno 1666 , in qua mirabile hoc iiiventum ac arithmeticam , an credibile est alia potius quam
publiée proposui. Est quidem ea Dissertatio qua- bac via ad sectam constituendam, quod tautopere
lis scribi | uit i lit a juvene, nunc primum e schola ambiebat, usurum fuisse. Nam secta quidem, hoc
prodeunte et nullis adhuc scientiis realibus irabuto philosophandi génère usura, per ipsam rerum natu
(neque enim illis in locis mathematica cxcoleban- ram, statim ubi nascetur, iniperium in rationem
tur et si Parisiis exegisseui pueritiam , queraadmo- exercebit, geometrico ntu, et non ante aut peribit
iltun Pascalius, forte maturius ipsas scieutias auxis- aut labefactabitur quam cum in génère humano,
sem) duas tamen ob caussas eam Dissertationem ingruente barbarie quadam nova, scientiae inte-
scripsisse nonpoenitet; primum quodmiriûceplacuit ribunt.
mnltis iugeniosissimis vins , deindc quod jam tune Me vero nulla alia caussa in his meditationibus
iudicium aliquod orbi fecerim invcnti mei, ne nuiic detinnit, etsi tôt aliis modis distractum, quam quod
primum talia videar comminisci. magnitudinem ejus totam vidi et quod assequendi
(ni- nemo mortalium, quousque pertingit memo- rationem mire facilem de.texi. Hoc enim est illud,
ria hominum monumentis conservata, ad rem tan quod intentissimis meditationibus tandem inveni.
tam accesserit, equidem saeiie sum miratus; ordine Itaque nunc nihil aliud opus est, quam ut Characte-
euim ratiocinantibus hujusmodi meditationes inter ristica, quam molior, quantum ad Grammaticam
primas oecnrrere debcbant, quemadmodnm mihi linguae tam mirabilis Dictionariumque plerisque
rontigit, qui in Logica occupatus adhuc puer noii- frequentioribus suftecturum satis est, constituatur,
iluin moralia aut mathematica aut physica attige- vel quod idem est, ntNumerildearum omnium cha-
vain, hue tamen deveui ob liane solam rationem, racteristici habeantur. Nihil, inquam, aliud opus
quod semper principia prima qiiaererem. Verara est, quam ut condatur cursus philosophicus et nia
21 *
164 LU. DE L1NGUA CHAKACTEWCA.
theinaticus, qucm vocant, nova quadam méthode, non tantum numerarc scd et recte pondcrare pos-
(juain praescriborc possum et quac niliil in se con- sit, vix quisquam est. Itaque duo, qui disputant,
tinct aut diflicilius quam alii cursus aut ab usu et fcre inilii duobus mercatoribus similes vidcntur, qui
capta reraotius, aut a consuetudine scribendi alie- sibi mutuo ex inultis capitibus debitores esscnt,
iiius. Ncc multo plus laboris exigeret, quam in sed nollent unquam ad générale eiusdem bilancis
nonuullos cursus aut nonuullas Encyclopedias ut examen venire, interea varie mérita quisque sua
loquuntur iam impciisum videraus. Aliquot selectos erga altcrum et quorundam singularium uominum
homiues rem intra quinquennium absolvere posse vcritaten ac magnitudinem exaggerarent. Hi certe
l>mn : intra bienniura autcin doctriuas, magis in sic quidem nunquam litem terminabunt. Idque
vita frequentatas, id est Moralem et Metaphysicam, hactenus in plerisque controversiis, ubi rcs liquida
irrcfragabili calculo exhibebunt. (id est ad numéros revocata) non est, fieri mirari
Numoris autcm characteristicis plerarumque no- non debemus. Nunc vero chatacteristica nostra
tionum scmel constitutis liabebit genus humauum cuncta ad numéros revocabit et ut ponderari etiam
organi genus novuin, plus multo mentis potentiam rationes queaut velut quoddam Staticae geuus dabit.
aucturuni, quam vitra optica oculos juvemnt, tan- Nam etiam probabilitates calculo ut demonstrationi
toque supcrius Microscopiis aut Telescopiis, quauto subjiciuutur, cnm aestimari scmper possit, quod-
praestantior est ratio visu. Née unquarn acus mag- nam ex datis circumstautiis probabilius sit futu-
netica plus commodi navigantibus attulit, quam rum. Denique qui certo persnasus est de religio-
liacc cynosura experimentorum mare tranantibus nis veritate et quod hinc sequitur tanta alios cari-
feret. Quae alia inde conséquente in fatorum ar- tate complectitur, ut optet generis humani conver-
bitrio est; nisi magna autem et bona esse non pos- sionem, is certe, ubi Iiaec iutelliget, fatebitur ad
sunt. Nam aliis omnibus dotibus homines détério propagandam fidem praeter uiiracula et sanctitatem
res reddi possunt, sola recta ratio nisi salutaris esse homiuis cnjusdam Apostolici, aut victorias uiagni
non potest. Rectam autcm tum demum fore quis Monarchae, nihil efïïcacius hoc invento esse; iiam
dubitet, cum aeque clara certaque ubique erit atque ubi semel a Missionariis haec lingua introduci po-
in Arithmetica hactenus fuit. Itaque impôt um.i tcrit, religio vera, quae maxime rationi consenta-
illa objectio cessabit, qua nunc alter alteruni exa- nea est, stabilita erit et non magis in posterum me-
gitare solet et quae plurimos a ratiocinaudi vo- tuenda erit Apostasia, quam ne homines Arithme-
luatate avertit, nimiruui cum quis argumentatur, ticaui aut Geometriam, quam semel didicere, mox
alter non tam examinât argumentum quam illud damnent. Itaque rcpeto, quod saepe dixi, homiiieui,
générale rcponit: unde Tu nosti tuam rationem qui neque Propheta sit nequc princeps, inajus ali
mca rectiorem? quod liabes criterion vcritatis? Et quid geueris humani bono née divinae gloriac ac-
si prior ad argumenta sua provocet, tune alterius coinmodatius susciperc nunquam posse. Sed ultra
paticntia déficit examinandi. Plerunique enim multa verba eundum est. Cum vero ob adinirabilem re-
admodum excutienda sunt et aliquot septimanarum rum connexionem paucarum rerum, ab aliis divcr-
futurus esset labor receptas liactenus ratiocinandi- sarum, numéros cliaracteristicos darc diffîcillimum sit,
leges secuturo. Itaque post multam agitatiouem ple- ideo elegans ni fallor artificium excogitavi, quo
rumque effectua potiusquamratioiies vincunt, et cou- ostendi possit, quod ratiocinationes per numéros
trovcrsias abrupto potius nodo Gordio quam soluto comprobare liceat. Fingo itaque numéros characte-
terminamus. Hoc inprirnis fit in deliberationibus risticos illos, tantopere mirabiles, iam dari, obser-
ad vitam pertinentibus, ubi aliquid statuendum est ; vataque illorum général! proprietate quadani, tali-
sed commoda atque incommoda (quae saepe utrin- bus numeris, qualescunquo intérim assumo, usque
que multa sunt) velut in bilance examinare paucis adhibitis statim mirabili ratione omnes régulas Lo-
datum est. Itaque prout Me unarn, ille aliam cir- gicas per numéros dcmonstro et ostendo, quoniodo
cumstantiam eloquentins et efficacius sibi aliisquc cognosci possit an argumentationes quaedam sint
repraesentare, ornare et pingerc novit, movetur, in forma bonae. Au vero argumenta vi materiae
aut aiiirnos hominum secum rapit, praesertim si af- bona sint aut concludant, tum demdm sine ullo
fectibus eorum astute utatur. Qui vero in aliqua labore animi aut errandi periculo judicari poterit,
dclibe.ratione totam utrinque tabulam accepti et cx- cum ipsi veri numeri cliaracterici rerum liabe-
pcnsi subducere, id est commoda et incommoda buutur.
LUI.
PRECEPTES
POUR AVANCER LES SCIENCES.
Quand je considère combien nous avons de teur qui se veut desennuyer, mais qu'on aura fait
belles découvertes, combien de méditations so sans aucun dessein d'avancer nos counoissances
lides et importantes, et combien se trouvent d'es ou de mériter le goût de la postérité. On me
prits .excellens qui ne manquent pas d'ardeur pour dira, qu'il y a tant de gens qui écrivent, qu'il
la recherche de la vérité, je crois que nous som n'est pas possible que tous leurs ouvrages puis
mes en état d'aller plus loin et que les affaires sent être conservés. Je l'avoue et je ne desap
du genre humain quant aux sciences pourroient en prouve pas entièrement ces petits livres à la
peu de temps merveilleusement changer de face. Mais mode, qui sont comme les fleurs d'un priutems,
quand je vois de l'autre côté le peu de concert des ou comme les fruits d'un automne, qui ont de
desseins, les routes opposées qu'on tient, l'animo- la peine à passer l'année. S' ils sont bien faits
sité que les uns font paroître contre les autres, ils font l'effet d'une conversation utile, ils ne
et qu'on songe plutôt à détruire qu'à bâtir, à ar plaisent pas seulement et empêchent les oisifs de
rêter son compagnon qu'à avancer de compagnie, mal faire, mais encore ils servent à former l'es
enfin quand je considère que la practique ne prit et le languagc; souvent leur but est de
profite pas des lumières de la théorie qu'on ne persuader quelque chose de bon aux hommes de
travaille point à diminuer le nombre des dispu ce teins, qui est aussi le fin, que je me propose
tes mais à les augmenter, qu'on se contente des en publiant ce petit ouvrage. Cependent il me
discours spécieux au lieu d'une méthode sérieuse semble qu'il vaut mieux pour le public de bâtir
et décisive, j'appréhende que nous ne soyons une maison, de défricher un champ et au moins
pour demeurer long teins dans la confusion et planter quelque arbre fruitier ou d'usage, que de
dans l'indigence où nous sommes par uotre faute. cueillir quelques fleurs ou quelques fruits. Ces
Je crains même, qu'après avoir inutilement épuisé divertissemens sont louables bien loin d'être dé
la curiosité sans tirer de nos recherches aucun fendus, mais il ne faut pas négliger ce qui est .
profit considérable pour notre félicité, on ne se plus important. On est responsable de 'son ta
dégoûte des sciences et que par un désespoir fa lent à Dieu et à la république, il y a tant d'ha
tal les hommes ne retombent dans la barbarie. biles gens, dont on pourrait attendre beaucoup,
A quoi cette horrible masse de livres, qui va s'ils vouloient joindre le sérieux à l'agréable. 11
toujours augmentant pourrait contribuer beau ne s'agit pas toujours de faire de grands ouvra
coup. Car enfin le désordre se rendra presque ges, si chacun ne donnoit qu'une grande décou
insurmontable, la multitude des auteurs qui de verte nous y gagnerions beaucoup en peu de
viendra infinie en peu de tems, les exposera tous teins. Une seule remarque ou démonstration de
ensemble au danger d'un oubli général, l'espé conséquence suffit pour s'immortaliser et pour se
rance de la gloire, qui anime bien des gens faire un mérite auprès de la postérité; il y a
dans le travail des études, cessera tout dun coup, des Géomètres anciens, dont nous n'avons point
il sera peut être aussi honteux d'être auteur, d'ouvrages, comme Nicomèdc et Dinostrate, dout
qu'il étoit honorable autre fois. Or tout au plus la réputation s'est conservée par quelques pro
on s'amusera à de livrets horaires, qui auront positions qu'on rapporte d'eux. On en peut dire
peut- être quelques années de cours et servi de quelques belles machines, comme de celle
ront à divertir pendant quelques momens un4ec- de Ctesibius et bien plus encore d'une démon-
166 LUI. PRECEPTES POUR AVANCER LES SC.
stration solide de méthaphysique et de inorale; peut juger par les ouvrages, ou par les frag-
même les découvertes qu'on fait dans l'histoire meus des excerptes, qui nous restent, et non
ne sont pas à négliger. Et pour ce qui est de sans s'être attiré la malédiction des critiques
l'expérience, si chaque Médecin practicien nous de notre teins, prononcée contre les abbrevia-
laissait quelques aphorismes nouveaux bien soli teurs), et enfin ce qu'Almansor ou Mirandolin,
des, tirés de ses observations comme les fruits grand prince des Arabe-, ordonna en faire de sa
de sa practique, si les chymistes et botanistes, nation, — c'est à dire, qu'il fera tirer la quint
les droguistes et bien d'autres qui manient les essence des meilleurs livres et y fera joindre les
corps naturels, en faisoient autant, soit d'eux meilleures observations encore non -écrites des plus
mêmes, soit par le soin de ceux qui sauraient experts de chaque profession, pour faire bâtir
les interroger, qne de conquêtes ne ferions nous ' des systèmes d'une counoissauce solide et pro
pas sur la nature? On voit par là, que si les j pre à avancer le bonheur de l'homme, fondés
hommes n'avancent pas considérablement, c'est le i sur des expériences et démonstrations et acco-
plus souvent faute de volonté et de bonne in modés à l'usage par des répertoires, ce qui se
telligence entre eux. rait un monument des plus durables et des plus
Or, quoique je craigne nn retour de barbarie grandes de sa gloire, et une obligation incom
par bien des raisons je ne laisse pas d'espérer le parable que lui eu aurait tout le genre humain.
contraire pour d'autres raisons très fortes, car à Peut-être encore, que ce grand prince, dont je
moins d'une inondation prompte et générale de me fais l'idée, fera proposer des prix à ceux qui
toute l'Europe par des barbares, dont, grâce à feront des découvertes, ou qui déterreront des
Dieu, on ne voit pas grande apparence, la faci couuoissances importantes cachées dans la con
lité admirable qu'il y a dans l'imprimerie de fusion des hommes ou des auteurs.
multiplier les livres servira à conserver la plu Mais qu'ai -je besoin de fiction ï Pourquoi ren
part des connaissances qui s'y trouvent, et pour voyer à quelque postérité éloignée ce qui serait
faire négliger les études il faudrait, que toutes incomparablement plus aisé de nos teins, puis
les charges et toute l'autorité devint un jour en que la confusion n'est lias encore montée à ce
tre les mains des militaires, mais des mili point, où elle se trouvera alors. Quel siècle y
taires bien différons de ceux de notre teins, qui sera plus propre que le nôtre, qu'on marquera
fussent barbares, ennemis de toute science, sem peut-être un jour dans l'avenir par le surnom
blables à l'empereur Détins, qui haïssoit les étu du siècle d'inventions et de merveilles. Et la
des, et à cet Empereur de la Chine, qui avoit plus grande merveille qu'on y pourra remarquer
pris à tâche de détruire les gens de lettres c'est peut-être ce grand prince dont notre tems
comme de perturbateurs du repos public. Mais se glorifie, et que les suivants souhaiteront en
ce changement n'est guères vraisemblable, et il vain. Je ne touche pas ici à ces louanges d'é
faudrait même que notre religion s'éclipsât dans tat et de guerre, qui ne sont pas de ce lieu, ni
l'Europe pour qu'il puisse arriver. Ou bien il de cette plume; ce qu'il a fait pour les sciences
faudrait quelque chose de semblable à ce trem- suffirait tout seul pour l'immortaliser. On n'a
. blement et cette inondation, qui abîma tout d'un pas besoin de le circonstancier d'avantage. Il
coup la grande isle Atlantide dout Platon parle est trop unique et trop réconnoissable de tous
sur la foi des Egyptiens, pour interrompre le cotas. Pourquoi donc tenter dans l'idée incer
cours dos sciences parmi le genre humain. Cela taine des choses futures ce qui se trouve chez
étant, il y a de l'apparence, que les livres al nous réellement et même au delà de l'idée qu'un
lant toujours croître, on s'ennuyera de leur con esprit médiocre se saurait former. Peut être que
fusion et qu'un jour un grand prince dégagé parmi tant d'habiles gens de son fleurissant ro
d'embarras et curieux, ou amateur de gloire, ou yaume et surtout de sa cour, qui est une as
plutôt éclairé lui même (et on peut être éclairé semblée de personnes extraordinaires, il y a long
sans avoir été aux pays de l'école), comprenant tems, que quelqu'un a dressé par son ordre un
l'importance de l'affaire, fera entreprendre à meil plan général pour l'avancement des sciences, digne
leurs auspices ce qu'Alexandre le grand com des sciences et du Roi, et bien au delà du
manda à Aristote à l'égard de la connoissance projet, que je sauroit faire. Mais quand je se
de la nature, ce que les Empereurs de Constan- rais assez heureux pour en écrire le premier, je
tinople, Justinieu, Basile de Macédoine, Léon le suis bien assuré, que je ne saurais prévenir ni
Philosophe et Constantin lu Porphyrogennètc tâ atteindre les vues générales de ce Monarque qui
chèrent de faire faire (mais mal, autant qu'on M «t admirables partout, et s'étendent sans doute
LUI. PRECEPTES POUR AVANCER LES SC. 167
jusqu'aux sciences. Tout ce que nous «levons zèle ne manquoit pas de prudence. De plus il
sou^-aiter, c'est que rien de fâcheux en détourne n'est point nécessaire, ni même utile, car ]>arc«
l'exécution, que le ciel continue de le favoriser qu'il ne s'agit que de recommander aux gens de
et que, sans être embarassé de dehors, il puisse tâcher de se fonder toujours en raisons, le doute
faire jouir l'Europe de cette paix heureuse par n'y fait rien, car on cherche tons les jours des
laquelle il a couronné ses exploits merveilleux. preuves des sentimens, dont on ne doute nulle
Dans ce repos plein de gloire sa magnificence ment. Ce qui ne se voit pas seulement en ma
généreuse portera les sciences aussi loin qu'il est tière de foi, lors quo'n songe à ce que les Théolo
possible de faire par les forces des hommes de giens appellent motiva credibilitatis, mais
ce teins. Les sciences dis -je, qui sont le prin encore dans les matières ordinaires, comme lors
cipal ornement de la paix, le plus grand iustru- j que nous cherchons en notre esprit les preuves
ment de la guerre et le meilleur trésor du genre propres à persuader aux autres ce que nous
humain. croyons nous-mêmes sans les avoir présentes.
Mais mettant à part ce qui se rapporte à la Je me tiens fort assuré, que le Berose d'Annins
conjonction de nos forces qui dépend d'une au et les Antiquités Etrusques d'Inghiramus sont des
torité supérieure, disons quelque chose de ce qui pièces supposées, mais pour concevoir distincte
dépend d'un chacun et de ce qu'on doit faire ment les preuves qui se présentent en foule à
quand on a dessein d'avancer les connoissanccs mon esprit, il me foudroit du teins et de la
et de cultiver son esprit pour le rendre propre méditation. Ou voit même que Proclus et au
à juger solidement les soutiinens des autres et à | tres Géomètres tâchent de donner des démon
trouver promtement la vérité de soi-même au- ' strations de quelques axiomes, dont personne ne
tant qu'on a besoin pour son bonheur et pour douta, et qu'Euclide a cru pouvoir supposer comme
Fnsage de la vie. La première chose que je re- par exemple que deux droites ne sauroient avoir
commanderois à une personne qui aurait ces in un segment commun. C'étoit aussi l'opinion de
tentions, ce seroit le fameux précepte d'Epi- feu Mr. Roberval, qu'il falloit démontrer les axio
charme: ,,nervos atque artns esse sapientiae non mes mêmes autant qu'on peut; ce qu'il vouloit
temere crederc," de ne pas croire témérairement faire effectivement, à ce que j'ai ouï dire, dans
ce que le vulgaire des hommes ou des auteurs les Elémens de Géométrie qu'il avoit projettes.
avance, mais de se demander toujours à soi même Et chez moi ce soin de démontrer les axiomes
des preuves de ce qu'on soutient. Cela se doit est un des plus importants points de l'art d'in
faire sans aucune affectation de singularité ou venter, dont je dirai les raisons une autre fois,
de nouveauté, que je tiens dangereuse non seu me contentant maintenant d'en faire mention, à
lement en practiqne mais encore en théorie, comme fin qu'on ne s'imagine point que ce travail se
je dirai plus bas, car j'ai trouvé après de lon roit inutile et ridicule, et par ce que c'est en
gues recherches qu'ordinairement les opinions les effet un corollaire du grand précepte que je viens
plus anciennes et les plus reçues sont les meil de dire. Et c'est un des mes étonnemens de
leures pourvu qu'on les interprète équitablement. voir que ce philosophe célèbre de notre tems,
II ne font donc s'étudier à douter mais il faut qui a tant récommandé l'art de douter, a si peu
faire des recherches dans l'esprit de s'instruire mis en usage ce qu'il contient de bon, dans
et de se confirmer immuablement dans les bons les occasions où il àuroit été le plus utile, se
sentimeus ; car, quand notre jugement n'est fondé contentant d'alléguer l'évidence prétendue des
que sur des apparences légères, il est toujours idées, à quoi Euclide et les autres Géomètres
flottant et souvent renversé par les premières ont fort sagement fait de ne se pas arrêter;
difficultés qui se présentent, ou bien si nous aussi est ce le moyen de couvrir toutes sortes
nous opiniâtrons d'y demeurer nous nous expo des visions et des préjugés. Cependant j'accorde
sons à faire des grandes fautes. Cependant je qu'on peut et qu'on doit souvent se contenter
ne trouve pas qu'il faille recommander aux gens, de quelques suppositions au moins en attendant
de douter de tout, car, quoique cette expression qu'on en puisse faire aussi des théorèmes un
reçoive une interprétation favorable, il me sem jour, par ce qu'on s'arrêteroit trop quelques fois.
ble que les hommes la prennent autrement, et Car il faut toujours tâcher d'avancer nos con-
qu'elle est sujette à de mauvais usages, com noissancos et quand même ce ne seroit qu'en
me l'expérience n'a que trop fait voir. Aussi établissant beaucoup de choses sur quelque peu
ce précepte a allarmé bien des personnes, parmi de suppositions, cela ne laisseroit pas d'être fort
lesquelles il y en avoit quelques unes, dont le utile. Car au moins nous saurions, qu'il ne nous
168 LUI. PRECEPTES POUR AVANCER LES SC.
reste à prouver que ce peu de supposition/ pour inethapliysiqne de Thomas Albius, et Abdias
parvenir à une pleine démonstration et en at Treu, habile Mathématicien d'Altorf a réduit
tendant nous en aurions au moins d'hypothéti la physique d'Aristote en forme de démonstra
ques et nous sortirons de la confusion des dis tion autant que cet auteur eu était susceptible,
putes. (Test la méthode des Géomètres; par et le P. Fabry a prétendu d'habiller toute la
exemple Archùuède suppose, que la droite est la philosophie à la géométrie. Mais souvent, quand
plus courte des lignes et que de deux lignes on y regarde de près, on ne trouve ressemblance
d'un même plan dont chacune est partout cave que dans l'habillement, et on est bien loin de
d'un même côté, l'incluse est moindre, que l'in- cette certitude, qu'on demande, soit à cause des
cludcute, et là dessus il achève rigoureusement équivocations, ou à cause des inouvaises consé
ses démonstrations. Mais il est fort important, quences, contraires à la logique, ou enfin à cause
de faire expressément toutes les suppositions dont de ces méchantes suppositions expresses ou taci
on a besoin sans se donner la liberté de les tes qu'on s'accorde sans en faire de demandes
prendre tacitement pour accordées sous prétexte, en forme. Cependant cela même fait voir qu'il
que la chose est évidente d'elle même par l'in ne serait pas si difficile d'écrire géométriquement,
spection de la figure ou par la contemplation ou'on s'imagine, car il est aisé d'éviter les fau
de l'idée. A quoi je trouve qu'Euclide tout tes contre la forme logique et les équivocations
exact qu'il est a manqué quelquefois, et quoique cessent par le moyen des définitions nominales
Clavius y ait souvent supplée par sa diligence, intelligibles, et comme il est difficile de tout dé
il y a des endroits, où il n'y a pas pris garde, montrer, on peut supposer ce qui paraît le plus
dont un des plus remarquables et des moins clair, pourvu que les suppositions ne soyent pas
remarqués se rencontre d'abord dans la démon en trop grand nombre ni aussi difficiles que les
stration do la première proposition du premier conclusions. 11 faut encore savoir, qu'on ne
livre ou il suppose tacitement, que les deux cer- i manque pas de démonstrations dans la morale
clés qui servent à la construction d'un triangle et dans les matières qui paraissent les plus in
équilatère, se doivent rencontrer quelque part, ' certaines et mêmes entièrement fortuites. Ce qu'on
quoique on sache que quelques cercles ne se l>eut juger par la démonstration de Aléa de Mes
sauraient jamais rencontrer. Mais on ne se j sieurs Pascal, Huygens et antres et par cel
trompe pas aisément en Géométrie par ces sor les de Monsieur le pensionnaire de Wit tou
tes de suppositions tacites. Les Géomètres ont ; chant les rentes à vie. On en peut faire et on
trop de moyens de découvrir les moindres er- j en a vu en matière de commerce, de mounoyes
rcurs si par mégarde il leur en échappoient C'est et sur quantité d'autres sujets, qui gardent l'exac
dans la philosophie, qu'il faudroit employer prin titude mathématique. On peut même avancer
cipalement cette rigueur exacte du raisonnement hardiment un paradoxe plaisant, mais véritable,
par ce que les autres moyens de s'assurer y qu'il n'y a point d'auteurs dont la manière d'é
manquent le plus souvent. Et cependant c'est là crire ressemble d'avantage au style des Géomè
où on se donne le plus de liberté en raisonne tres que celui des anciens Jurisconsultes Romains,
ment. On ne se souvient guères de cette belle dont les fragmens se trouvent dans les Pandec-
admonition de S. Augustin: -nolite putare vos tes. Après qu'on leur a accordé certaines sup
«veritatem in philosophia co'gnovisse, msi ita dicli- positions qui sont fondés sur quelque coutume
•ceris saltem, ut uostis, unurn duo tria quatuor ou bien sur quelque règle établie parmi eux, il
»collecta in summa facere decem.« II est vrai sont admirables en conséquence et en applica
que plusieurs habiles hommes de notre tems ont tions et ils raisonnent avec une netteté si sim
tâché de raisonner géométriquement hors de la ple et avec une subtilité si exacte, qu'ils font
géométrie, mais on en voit guères qui y ait as honte aux pliilosophes dans les matières même
sez réussi pour nous donner moyen de nous re les plus philosophiques, qu'ils sont souvent obli
poser sur lui et de le citer comme on cite Eu- gés de traiter. Qu'on ne s'excuse donc plus en
clide. Pour s'en éclaircir on n'a qu'a examiner philosophie sous prétexte de l'impossibilité de
les prétendues démonstrations de Mr. Descartcs garder cette exactitude qui se demande. Lors
dans une des réponses aux objections contre ces même qu'il ne s'agit que de probabilités on peut
méditations et celles de S pin osa dans l'essay toujours déterminer ce qui est le plus vrai -sem
sur les principes de Des car tes et dans l'ouvrage blable ex datis. Il est vrai que cette partie de
posthume de Dco, qui est si plein de manque- la logique utile ne se trouve encore nulle part,
mens, que je m'étonne. On a vu un Euclide mais elle servit d'un merveilleux usage dans la
LUI. PRECEPTES POUK AVANCER LES SC. 169
practiquc, lorsqu'il s'agit des présumtions, des in science supérieure ou bien à la science générale,
dices et des conjectures pour counoître les dé à l'art d'inventer, peuvent suffire à en déduire
grés de la probabilité, quaud il y a quantité de tout le reste, ou au moins les plus utiles véri
raisons apparentes de part et d'autre dans quel tés sans qu'on ait besoin de se charger l'esprit
que délibération d'importance. Ainsi lorsqu'on de trop de préceptes. 11 est de plus manifeste
n'a pas assez de conditions données pour démon que quand même nous aurions une Encyclopédie
trer la certitude, la matière n'étant que proba- démonstrative entièrement achevée, il faudrait avoir
bable on peut toujours donner au moins des dé recours à cet artifice pour le secours de la mé
monstrations toucliant la probabilité même. Je moire. Il est vrai, que si cette encyclopédie
ne parle pas ici de cette probabilité des Ça su était faite comme je la souhaite, on pourroit
is tes, qui est fondée sur le nombre et sur la donner le moyen de trouver toujours les consé
réputation des docteurs, mais de celle qni se tire quences des vérités fondamentales, ou des faits
de la nature des choses à proportion de ce qu'on donnés, par mie manière de calcul aussi exact
en connoit, et qu'on peut appcller la vraisem et aussi simple que celui de l'Arithmétique et de
blance. Mie se donne au rabais des supposi l'Algèbre, dont jn puis donner démonstration par
tions, mais pour en juger il faut que les suppo avance pour animer les hommes à ce grand ou
sitions mêmes reçoivent quelque estimation et se vrage; mais comme les démonstrations les plus
réduisent à une homogénéité de comparaison. exacts ne touchent pas assez sans les exemples,
Ce qui seroit trop long d'expliquer ici. je serais bien aise de ne découvrir cet artifice
Ce précepte que je viens d'expliquer, qu'il faut considérable que lorsque je le pourrai autoriser
toujours chercher des raisons et de l'exprimer par quelques essais achevées pour ne le pas pro
distinctement avec toute l'exactitude possible s'il stituer à contretems et sans effet. Cependant,
était observé avec rigueur suffiroit tout seul, et quoique ou ne puisse pas encore arriver aisé
en le pratiquant on découvrirait tout le reste ment à ce calcul général, qni fait la dernière
sans avoir besoin d'autres conseils. Mais connue perfection de l'art d'inventer, toute fois l'art d'in
l'esprit humain a de la peine à se gêner long- venter ne laisse pas de subsister et on eu peut
tems dans un ouvrage de longue haleine, ou ne donner des préceptes excellens, mais peu con
trouvera pas aisément un homme capable d'a nues, dont on touchera quelques choses dans ce
chever tout d'un trait un cours démonstratif des discours, et qu'on vérifiera par des exemples de
sciences independentes de l'imagination, tel que quelques inventions effectives, qui ont paru de
je viens de décrire, quoique je ne desespère de conséquence. Pour ce qui est des principes d'in
rien quand je considère le travail, la pénétra vention des sciences, il est important de considé
tion et le loisir d'un Suarez ou de quelque au rer que chaque science dépend ordinairement de
tre de ce caractère. Mais comme il est rare quelque peu de propositions, qui sont ou des
que toutes ces circonstances se trouvent jointes observations de l'espérience, ou de venes d'es
à ces belles et grandes vues de la véritable mé prit, qui ont donné l'occasion et le moyen de
thode, il faut croire, que ce ne sera que peu à l'inventer, qui suffiraient à la resusciter si elle
peu à diverses réprises ou par le travail de plu était perdue et à l'apprendre sans maître, si on
sieurs, qu'on viendra à ces élemens démonstratifs s'y voulait appliquer assez, en y joignant pour
de toutes les counoissances humaines et cela plus ou tant ordinairement les préceptes d'une science su
moins tard selon la disposition de ceux, qui peu périeure, qu'on suppose déjà connue, qui est tan
vent avancer les bous desseins par leur autorité. tôt la science générale ou l'art d'inventer, tantôt
II ne seroit donc pas à propos de borner toutes une autre science de qui celle dont il s'agit est
ses vues et toutes ses espérances à cela seul, subalterne. Par exemple il y a plusieurs scien
et comme nous n'écrivons pas seulement pour le ces subalternes à la géométrie, ou il suffit d'être
public, mais encore pour le profit d'un chacun géomètre et de s'aviser de quelques ouvertures
en particulier, et quïl est visible que peu de ou principes d'invention auxquels la géométrie
gens sont en état de se faire un enchaînement doit être appliquée, et il ne faut pas d'avantage
exact des démonstrations de toutes les vérités pour inventer de soi même les règles principa
qu'ils seroient bien aise d'apprendre: U faut se les de ces sciences. Par exemple dans la per
servir par provision d'un succedaneum de cette spective on n'a qu'à considérer, qu'un objet se
grande méthode. C'est qu'en examinant chaque peut desseigner exactement sur un tableau donné,
science il faut tacher d'en découvrir les princi lorsqu'on y marque les points de rencontre des
pes d'invention, lesquelquels étant joints à quelque rayons visuels, c'est à dire des lignes droites
22
170 LUI. PRECEPTES POUR AVANCER LES SC.
qui passent par l'oeil et par les points objec exercice et môme un génie et une imagination vive
tifs, et qui prolongés au besoin rencontrent ou des oreilles à un homme qui vent réussir en com
coupent le tableau. C'est pourquoi le lieu de l'oeil, positions, et comme pour faire de beaux vers, il
]a figure et situation du tableau (je dis la figure, faut avoir lu de bons poètes, d'en avoir remarqué
par ce qu'il peut être plan ou convexe ou bien con- les tours et les expressions ou d'en avoir pris in-
concave) et afin le géométral (c'est à dire la si sensiblainent la teinture, »velut qui in sole ambu
tuation et figure de l'objet) étant données, un géo lant aliud agendo colorantur, « de même un Musi
mètre peut toujours déterminer le point d'appa cien après avoir remarque dans les compositions des
rence sur le tableau qui repond au point objectif pro- habiles gens milleet mille belles cadences et pour ainsi
jxjsé. Et quand on pousse cette considération on trouve dire phrases de Musique, il pourra donner lui même
des abrégés fort commodes en practique pour déter essor à sou imagination fournie de ces beaux maté
miner tout d'un coup les projections c'est à dire les riaux, il y en a môme qui sont naturellement musiciens
lignes et figures apparentes qui réprésentent les li et qui composent de beaux airs comme y en a qui sont
gnes ou figures objectives, sans être obligé de cher naturellement poètes et qu'un peu d'aide et de lec
cher l'apparence de chaque point. La doctrine des ture fait faire des merveilles ; car il y a des choses
ombres n'est qu'une perspective renversée et résulte surtout celles qui dépendent des sens ou on réus
d'elle même quand on met le lumineux au lien sira plutôt et mieux en se laissant aller machinale
de l'oeil, l'opaque au lieu de l'objet, et l'ombre ment à l'imitation et à la practique, qu'en demeu
au lieu de la projection. Et toute la Gnomonique rant dans la sécheresse des préceptes. Et comme
n'est qu'un corollaire d'une combinaison d'Astro pour jouer du clavecin il faut une habitude que les
nomie et de perspective, c'est à dire la projection doigts mêmes doivent prendre, ainsi pour imaginer
de quelques points célestes sur une' muraille ou au un bel air, pour faire un bon poème, pour se fign-
tre surface platte, convexe ou concave, faite par le rer promtement des ornemens d'architecture ou le
moyen des rayons, qui passent par ces points céle dessein d'un tableau d'invention, il faut que notre
stes et par la pointe de stile, et l'on peut supposer imagination même ait prise une habitude après quoi
sans craindre des erreurs sensibles, que cette pointe on lui peut donner la liberté de prendre son voit,
se trouve dans le centre de la terre ou même dans sans consulter la raison par une manière d'Enthu-
le centre de l'univers, et par ce moyen on fera la siasme. Elle ne manque pas de réussir à mesure
projection de la route du soleil et particulièrement de génie et de l'expérience de la personne et nous
de son mouvement journalier, qui est marqué par expérimentons mêmes quelquefois dans les songes
son ombre. Il y a pourtant encore une considéra que nous nous formons des images, qu'on auroit eu
tion dans l'art de desseigner, qui ne doit pas être de peine à trouver en veillant. Mais il faut que
omise, c'est que la seule projection ne discerne pas la raison examine par après, et qu'elle corrige et
la qualité de la surface objective, si elle est platte polisse l'ouvrage de l'imagination, c'est là ou les
ou si elle est concave ou convexe, c'est à quoi préceptes de l'art sont nécessaires pour donner quel
aussi bien qu'a d'autres circonstances ou doit sup que chose de fini et d'excellent. Mais comme ici
pléer par le moyen des ombrages et des teintes nous ne nous proposons que la connoissance digne
plus ou moins fortes et bien ménagées. Ce qu'on d'un honnête homme, qui n'est pas du métier, nous
peut encore déterminer géométriquement. — La mu n'avons dit tout cela que pour prévenir en passant
sique est subalterne à l'Arithmétique et quand on les faux jugemens de ceux, qui pourroient abuser
sait quelques expériences fondamentales des conso de ce que nous venons de dire du moyen aisé d'ap
nances et dissonances, tout le reste des préceptes prendre les sciences par quelque peu de préceptes
généraux dépend des nombres, et je me souviens ou principes d'invention. Et comme le vulgaire
d'avoir un jour fait une ligne harmonique divisée se brouille éternellement par une distinction mal
en telle sorte, qu'on y pouvoit déterminer avec le entendue de la practique et de la théorie, il est en
compas les compositions différentes et propriétés core à propos d'expliquer en peu de mots ce qu'elle
de tous les intervalles de musique. Et on peut a de solide et comment elle doit être entendue.
montrer à un homme qui ne sait point de musique, J'ai déjà expliqué, qu'il y a des choses, qui dépen
le moyen de composer sans faute. Mais comme dent plutôt d'un jeu de l'imagination et d'une im
pour faire un bel epigramme il ne suffit pas de sa pression machinale que de la raison et ou il faut
voir la grammaire et la Prosodie, et qu'un écolier, de l'habitude comme dans les exercices du coq>s et
qui se peut donner de garde de solécismes n'a garde même dans quelques exercices de l'esprit. C'est là
pour cela de faire une harangue de la force de cel où il faut de nécessité, qu'on soit practicien pour
les de Ciceron, de même en musique il faut un réussir. Il y a d'antres matières où l'on peut réus
LUI. PRECEPTES POUR AVANCER LES SC. 171
sir par la seule raison aidée de quelques expérien | sur des cas extraordinaires dont les hommes de
ces on observations. Qu'on peut même apprendre métier ne s'avisent point, parce qu'ils ont l'esprit
par la relation d'autruy. On voit d'excellons gé- comme enfoncé dans les images de leurs manières
mes qui réussissent au premier coup d'essay dans communes. Mais on se trompe fort souvent en
la profession où ils se mettent, et qui font honte appellant practique ce qui est théorie et vice versa.
aux vieux practiciens par la force de leur jugement Car un ouvrier, qui ne saura ni du latin ni de
naturel. Mais cela n'est pas ordinaire, et voici l'Euclide, quand il est habile homme et sait les
comme il faut le prendre: Dans toutes les matiè raisons de ce qu'il fait, aura véritablement la théo
res où il est possible, que le jugement, aidé de rie de son art, et sera capable de trouver des expé-
quelques préceptes puisse prévenir l'usage et l'expé dieus dans toute sorte de rencontres. Et de l'au
rience, on peut toujours réduire toute la science tre coté, un demi -savant enflé d'une science imagi
avec ses dépendances à quelques foiidernens ou prin naire projectera des machines et des bâtimens qui
cipes d'invention, suffisaus à déterminer toutes les ne sauraient réussir, parce qu'il n'a pas toute la
questions qui se peuvent présenter dans les occu- théorie qu'il faut. Il entendra peut-être les règles
rences, eu y joignant une méthode exacte de la vulgaires des forces mouvcntes, du levier, du coin
vraie Logique ou de l'art d'inventer. Mais pour et de la vis sans fin; mais il n'entendra pas cette
réussir effectivement avec cela dans la practique, il partie de la mécanique que j'appelle la science de
faut distinguer entre les rencontres; savoir si les la résistance ou de la fermeté, qui n'a pas encore
résolutions se doivent prendre sur le champ ou si été assez mise en règles, et il ne considérera pas,
on a le loisir de méditer exactement. En premier que les pièces fermes qui doivent soutenir les par
cas les préceptes, joints à la méthode ne suffiront ties mouvantes doivent avoir beaucoup de rési
lias, ou moins dans l'état où l'art d'inventer se stance, autrement ils céderont plutôt que cette
trouve présentement, car j'avoue que si elle était grande charge qu'on a projettée à rémuer, et plus
perfectionnée comme il faut, et comme elle le pour- ces pièces firmes sont proches de la dernière action,
roit être, qu'on pourroit souvent pénétrer d'une plus elles ont besoin de leur fermeté. Quand on
veue d'esprit aisée ce qui a. besoin maintenant de entend ces choses on ne s'expose point mal à pro
beaucoup de terns et d'explication. 11 faut dont pos, et on n'a pas besoin non plus de quelques
maintenant pour prendre en peu de tems des bon masses énormes dont les ouvriers peu habiles se
nes résolutions dans une rencontre embarassée, servent pour s'assurer de la solidité. On peut
qu'on aie une force de génie extraordinaire, ou aussi dire, que tous ceux, qui ont entrepris de nous
qu'on aie une longue practique qui nous fait venir donner un mouvement perpétuel mécanique ont
dans l'esprit machinalement et par fliabitude ce manqué dans la théorie. Et généralement, toutes
qu'il fuudroit chercher par la raison. Mais lors nos erreurs dont un autre plus habile que nous
qu'on a le loisir de méditer, je trouve que dans nous auroit pu désabuser par des bonnes raisons,
toutes les matières capables de préceptes et de rai sont contraires à la véritable théorie. Cependant
sons lors mêmes qu'elles sont bâties sur le fonde je demeure d'accord, qu'on ne sauroit prendre as
ment de l'expérience, pourvu que ces fondemens sez de précautions dans les entreprises importantes
posés on puisse rendre raison de tout ce qu'on fait, de practique et comme la méthode de raisonner
la théorie peut prévenir la practique, quand on sait n'a pas encore atteint toute la perfection, dont elle
méditer avec ordre pour ne laisser rien échapper serait capable et que d'ailleurs nos passions et nos
des circonstances qui doivent être mises en ligne de distractions nous empêchent de profiter de nos
compte. Et même la théorie sans practique pas propres lumières, je tiens qu'il faut se défier de la
sera incomparablement une practique aveugle et sans raison toute seule, et qu'il est important d'avoir de
théorie, lors qu'on obligera le practicien de venir l'expérience ou de consulter ceux qui en ont. Car
à quelque rencontre fort différente de celles qu'il a l'espérience est à l'égard de la raison ce que les
practiquées, parce que ne sachant pas les raisons épreuves (comme celles du novenaire) sont à l'é
de ce qu'il lait, il demeurera tout court, au lieu gard des opérations arithmétiques. Mais quand il
que celui qui les possède, trouve les exceptions et ne s'agit que de la connoissauce, on peut se con
les remèdes. Aussi voit on tous les jours que les tenter de peu de préceptes, comme des principes
personnes de bon sens, qui ont besoin de quelques d'invention de chaque science, pourvu qu'on pos
ouvriers, après avoir compris la matière et les rai sède la science générale ou l'art d'inventer.
sons do la practique, savent donner des ouvertures
LIV.
DISCOURS TOUCHANT
LA METHODE DE LA CERTITUDE
ET L'ART D'INVENTER, POUR FINIR LES DISPUTES ET POUR FAIRE EN PEU DE TEMS
DE GRANDS PROGRES.
Ça petit discours traite une des plus grandes avons assurément des remèdes, qui effacent tous
matières, où la félicité des hommes est extrême ceux des anciens, et que la connoissance, qu'ils
ment intéressée, car on peut dire hardiment que avoient du corps humain, ne scauroit entrer eu
les connoissances solides et utiles sont le plus grand comparaison avec la nôtre.
trésor du genre humain et le véritable héritage que Quant aux Mathématiques nous connoissons l'A
nos encètres nous ont laissé, que nous devons faire nalyse des anciens, et nous en scavons plus qu'eux
profiter et augmenter, non seulement pour le trans et ou va bien au delà. Les addresses secrètes
mettre à nos successeurs en meilleur état, que nous d'Archimede, que les Géomètres anciens mêmes ne
ne l'avons reçu, mais bien plus pour en jouir nous connuissoient point (tant il les avoit cachées) sont
mêmes autant qu'il est possible pour la perfection tontes découvertes.
de l'esprit, pour la sauté du corps et pour les com Pour ce qui est des belles lettres, l'histoire sa
modités de la vie. crée et profane est si éclairée, que nous som
11 faut avouer, en reconnoissant la bonté divine mes souvent capables de découvrir les fautes
à notre égard, qu'autant que l'on peut juger par des anciens, qui ecrivoient des choses de leur teuis.
l'histoire jamais siècle a été plus propre ace grand On ne seauroit considérer sans admiration cet amas
ouvrage que le nôtre, qui semble faire la récolte prodigieux des restes de l'antiquité, ces suites des
pour tous les autres. L'imprimerie nous a donné Médailles, cette quantité des Inscriptions, ce grand
moyen d'avoir aisément les méditations et les obser nombre de Manuscripts, tant Européens qu'Orien
vations les plus choisies des plus grands hommes taux, outre les lumières qu'on a pu avoir des vieux
tant de l'antiquité que de nos teins. La boussole papiers, chroniques, fondations et titres, qu'on a
nous a ouvert tous les recoins de la surface de la tirées de la poussière, qui nous fout connoitre mille
terre. Les lunettes à longue vue nous apprennent particularités importantes sur les origines et chan-
jusqu'aux secrets des cienx et donnent à connoitre gemens des familles illustres, peuples, états, loix,
le système merveilleux de l'univers visible. Les langues et coutumes; ce qui sert non seulement
microscopes nous font voir dans le moindre atome pour la satisfaction des curieux, mais bien plus
un monde nouveau de créatures iunumcrables, qui pour la conservation et redressement de l'histoire,
servent sur tout à counoitrc la stnicture des corps, dont les exemples sont des leçons vives et des in
dont nous avons besoin. La Chimie, armée de structions agréables, mais surtout pour établir
tous les elemens, travaille avec un succès surpre cette importante Critique, nécessaire à discerner le
nant à tourner les corps naturels en mille formes, supposé du véritable et la fable de l'histoire, et
que la nature ne leur auroit jamais donnée ou bien dont le secours est admirable pour les preuves de
tard. De sorte qu'il semble maintenant qu'il ne la religion.
tient qu'à nous de finir avec assurance et par dé Je ne dirai rien de l'éloquence, de la poésie, de
monstration quantité de disputes, qui embaras- la peinture et des autres arts d'embellissement,
soient nos devanciers, de prévenir et de surmonter ni de la science militaire et de toutes celles, qui
plusieurs maux, qui nous menacent, et sur tout d'é apprennent aux hommes de faire du mal, qui avan
tablir dans les âmes la pieté et la charité, tant par cent avec tant de succès, qu'il seroit à souhaiter
l'éducation que par des raisons incontestables et de que les sciences du réel et du salutaire puissent
conserver et rétablir la santé des corps bien plus suivre celles du fard et du nuisible. J'ajouterai
qu'on no pouvoit faire autrefois, puisque nous seulement que la découverte de la poudre à canon
LIV. DISCOURE DE LA METHODE etc. 173
me paroit être plutôt un présent de la bonté du tel Monarque fcroit plus d'effet que toutes nos mé
ciel, dont notre siècle inôme lui doit encore des thodes et tout notre savoir. Ce qu'Alexandre fit
remercimens, qu'une marque de sa colère; car c'est faire par Aristote n'entreroit point en comparaison
apparemment cette poudre à canon, qui a le plus et déjà les mémoires de l'Académie et les produc
contribué à arrêter le torrent des Ottomans, qui tions de l'observatoire le liassent infiniment. Mais
alloient inonder notre Europe et encore présente ce seroit bien autre chose, si ce grand Prince fai-
ment c'est par là qu'il y a de l'apparence qu'on se soit faire pour les découvertes utiles tout ce qui se
pourra quelque jour délivrer entièrement de leur peut et tout ce qui est dans le pouvoir des hom
voisinage, ou peut-être qu'on pourra retirer une mes, c'est à dire dans le sien, qui renferme comme
partie de leurs peuples des ténèbres et de la barba en racourci presque toute la puissance humaine à
rie, pour les faire jouir avec nous des douceurs cet égard, d'autant plus qu'il n'y a guerre d'exem
d'une vie bonnette et de la connoissance du souve ples d'une seule personne, qui ait pu faire plus que
rain bien, en rendant à la Grèce, mère des sciences, lui. Sa bonne volonté ne cède point à son j>ou-
et à l'Asie, mère de la religion, ces biens, dont nous voir et le seul motif de la charité, sans appeller la
leurs sommes redevables. gloire à son secours, lui suffisoit à s'abaisser jus
Enfin je comte pour un des plus grands avanta qu'au détail de quelques remèdes particuliers mais
ges de notre siècle, qu'il y a un Monarque, qui par éprouvé?, pour le soulagement des hommes, ce que
tin concert rare et surprenant de mérite et de for le monde n'a appris que bien tard et cependant je
tune, après avoir triomphé de tous côtés et rétabli le tiens aussi glorieux que des conquêtes. J'oserai
chez lui le repos et l'abondance, s'est mis dans un dire qu'il est en état de faire plus de découvertes,
état non seulement à ne rien craindre, mais encore que tous les Mathématiciens et plus de cures que
à pouvoir exécuter chez lui tout ce qu'il voudra tous les Médecins feroieut sans lui, parce qu'il peut
pour le bonheur des peuples, ce qui est un don du donner des ordres et faire des reglemens à mettre
ciel bien rare et bien précieux, car on voit qu'or les sciences dans un train d'avancer en peu de
dinairement les grands Princes et surtout les con- teins d'une manière surprenante, qui rendroit son
quérans ont été dans des agitations continuelles et règne et son siècle aussi remarquable de ce côté
peu en état de songer aux biens de la paix, et sou que de tous les autres, dont il auroit aussi princi
vent quelqu'autre puissance les tenoit en échec. palement toute la gloire et dont la postérité lui
Pour ce qui est des Princes moins puissans, ils ne demeureroit redevable à jamais. Outre que les
sont presque jamais à eux mêmes et suivent mal autres grandes choses, qu'il fait, de quelqu'eclat et
gré eux les mouvemens des plus grands. J'en ai de quelqu'étendue qu'elles soyent, n'appartiennent
connu moi même assez particulièrement, dont le point à tous les hommes, les seules découvertes uti
mérite étoit assurément fort extraordinaire, qui les, qui servent de montrer des vérités importantes
ronloient dans l'esprit des grands et beaux desseins pour la pieté et la tranquilité de l'esprit, à dimi
pour le soulagement de leurs peuples et même jour nuer nos maux et à augmenter la puissance des
l'avancement des belles connoissances, mais ils ne hommes sur la nature, sont de toutes les nations
ponvoient aller au-delà des projets et des souhaits, et de tous les âges. Il ne reste dont, que d'infor
quelque bonne volonté et quelqu'intelligenee qu'ils mer ce grand Prince de tout ce qu'il peut. Ce
eussent, parceque les troubles, quïls voyoient naî soin appartient aux illustres, qui l'approchent de
tre à l'entour d'eux, les obligoient de ramasser tout plus près; mais comme ils sont tous chargés de
leur esprit et toutes leurs forces pour s'en garantir grandes occupations, il est du devoir des autres de
et encore ne le pouvoient ils faire qu'avec peine. leurs fournir des mémoires ; et si ce petit papier y
Mais ce grand Monarque, qu'on reconnoit aisément pouvoit servir parmi d'autres, il auroit été assez
à ce peu que je viens d'en dire, étant arbitre de bien employé.
son sort et de celui de ses voisins et ayant déjà Cependent il me semble que nous ne profitons
exécuté des choses, qu'on trouvoit impossibles et pas encore assez bien des grâces du ciel, des lumi
qu'on a de la peine à croire après le coup, que ne ères et dispositions avantageuses de notre siècle et
feroit-il point dans un siècle si éclairé, dans un du penchant , que les plus grands Princes témoig
royaume si plein d'esprits excellens, avec toute nent à protéger et faire fleurir les sciences. Je suis
cette grande disposition , qu'il y a présentement obligé quelquefois de comparer nos connoissances
dans le monde pour les découvertes, que ne feroit- à une grande boutique ou magasin ou comptoir
il point, dis -je, si quelque jour il prenoit la réso sans ordre et sans inventaire ; car nous ne savons
lution de faire quelque puissant effort pour les pas nous mêmes ce que nous possédons déjà et ne
sciences? Je suis assuré que la seule volonté d'un pouvons pas nous eu servir au besoin. Il y a une
174 L1V. DISCOURS DE LA METHODE ctc
inimité de belles pensées et observations utiles, qui aussi des Répertoires universels, pour y indiquer
se trouvent clans les auteurs, mais il y en a encore sur cliaquc matière les endroits des auteurs, dont
bien plus, qui se trouvent dispersées parmi les on peut profiter le plus. Cela se pratique déjà as
hommes dans la pratique de chaque profession; et sez en matière de droit; mais c'est justement là où
si le plus exquis et le plus essentiel de tout cela il est moins nécessaire, puisque la raison et les loix
se voyoii recueilli et rangé par ordre avec plusieurs suffiraient quand il n'y aurait point d'autre auteur
indices, propres à trouver et à employer chaque et quand nous serions le premiers à y écrire. Mais
chose là où elle peut servir, nous admirerions peut- dans la Médecine on ne scauroit avoir trop de liv
être nous mêmes nos richesses et plaindrions notre res de pratique, ni eu trop profiter. Tout y roule
aveuglement, d'en avoir si peut profité. Et comme sur les observations et comme un seul ne peut ob
ceux, qui ont déjà beaucoup, sont bien plus ca server que peu , c'est là où l'on a le plus de besoin
pables de gagner que les autres, au lieu que ceux de l'expérience et des lumières d'autrui, et même
qui ont peu, bien loin de gagner à proportion, per de plusieurs témoins d'une observation importante,
dent plutôt quelquefois ce peu qu'ils ont, qui ne puisq'une grande partie de cette doctrine est encore
leur suffit pas à faire aucune entreprise et les oblige empirique. Cependant c'est là où l'on manque le
à petit feu, de même tandis que nous sommes plus de Répertoires, au lieu que les Jurisconsultes
pauvres au milieu de l'abondance et ne jouissons eu fourmillent. C'est aussi dans la Medicine quïl
pas de nos avantages et même ne les counoissons serait fort nécessaire de faire et de tirer des auteurs
point, bien loin d'avancer, nous reculons, et par des Règles ou Aphorisines en aussi grand nombre
un désespoir de faire quelque bon effet nous négli qu'il serait possible, quand même ces Règles ne se
geons tout et nous laissons dépérir inutilement ce raient pas encore certaines, ni assez universelles et
qui est déjà entre nos mains. Aussi voit -ou que quand elles ne seraient formées que sur des con
plus de personnes travaillent par, coutume, par ma jectures, pourvu qu'on avoue de bonne foi quel
nière d'acquit, par un intérêt mercenaire, par di degré de certitude ou d'apparence on leur doit att
vertissement et par vanité que dans l'espérance et ribuer et sur quoi on les a appuyées, puisqu'avec
dans le dessein d'avancer les sciences. le tems on y joindrait les exceptions et on verrait
Afin donc de parler distinctement de ce qu'il y bientôt si la Règle n'a peut-être plus d'exceptions
a faire on peut partager les vérités utiles en deux que d'exemples, ou bien si elle peut-être de quel-
sortes, scavoir eu celles, qui sont déjà connues qu'usage. Cependant les Médecins ne le font pas
aux hommes de notre tems et au moins de notre assez et quelques Jurisconsultes de la première race
Europe et à celles, qui restent encore à connoitre. (depuis Irnerius jusqu'à Jason) le font trop, car ils
Les premières sont écrites dans les Uvres imprimés nous accablent par le grand nombre de Règles ou
ou manuscrits anciens et modernes, occidentaux ou brocardiques, qu'ils ramassent outre toute mesure
orientaux, se trouvent dans leur place ou hors de avec leurs exceptions ou fallences, jointes aux ain-
leur place. Ceux qui se trouvent dans leur place pliations, limitations, restrictions, distinctions, pour
ou à peu près, sont ceux, que les Auteurs des systè ne rien dire des replications répliquées. Ces sortes
mes ou traités particuliers ont marqués là où la de renverseinens et periergies sont fort ordinaires
matière le demandoit. Mais ce qui se dit en pas aux hommes. Us ont la coutume de faire trop,
sant, ou bien tout et: qui est mis dans un lieu, où on trop peu et de ne pas employer les bonnes mé
on aurait de la peine à le trouver, est hors de sa thodes là où elles pourraient le plus servir.
place. Pour obvier à ce desordre il faudrait et Or les Répertoires sont de deux sortes; les uns
des renvois et des arraiigemens. Quant aux ren ne marquent que les termes simples, en disant
vois il faudrait faire faire des catalogues accomplis qu'un tel a traité une telle matière; les autres, de-
de ce qui se trouve de livres, dignes de remarquer, sccudans dans le détail, marquent ceux qui ont
en ajoutant quelquesfois le lieu où ils se trouvent traité quelque question ou avancé, remarqué et sou
particulièrement s'ils sont manuscrits ou fort rares, tenu ou bien refuté quelque opinion, thèse ou ob
item leur grandeur et rareté, mais bien plus leur servation considérable et ce sont là les meilleurs.
qualité, leur contenu, et leur usage au moins à l'é Je crois que le premier genre de répertoires pour
gard des meilleurs, en suivant le beau dessein, que rait être alphabétique, mais le second sera plutôt
Photius qui tenoit le Patriarchat de Constantinople, systématique et en fournissant la matière prochaine
entreprit le premier et que les Journaux des moder- de l'arrangement d'un système accompli, qui outre
ues imitent en quelque façon. Mais il faudrait les assertions en contiendra encore les raisons oo
s'attacher bien plus aux choses que Photius, qui s'a preuves. On sera le .plus einbarassé sur l'ordre des
muse trop à raisonner de leur stilc. 11 faudrait systèmes, où il y a ordinairement tant de senti
L1U. DISCOURS DE LA METHODE etc. 175
mens que tètes ; mais il y en aura un provisionnel, la matière importante des manufactures et du com
qui suffira quand il ne seroit pas dans la dernière merce ne scanroit être bien réglée, que par une
perfection et le système loi même aura beaucoup exacte description de ce qui appartient à tonte sorte
de renvois d'un endroit à l'antre, la pluspart des d'arts, et que les affaires de milice, des finances et
choses pouvant être regardées de plusieurs façons et de marine dépendent beaucoup des Mathématiques
de plus l'index servira de supplément. L'ordre et de la Physique particulière. Et c'est là le prin
scientifique parfait est celui où les propositions sont cipal défaut de beaucoup de sçavans qu'ils ne s'a
rangées suivant leurs démonstrations les pi us simples musent qu'à des discours vagues et rebattus, pen
et de la manière qu'elles naissent les unes des dant qu'il y a un si beau cluimp à exercer leur
autres ; mais cet ordre n'est pas connu d'abord et il esprit dans des objets solides et réels avec l'avan
se découvre de plus en plus à mesure que la sci tage du public. Les chasseurs , les pêcheurs, les mar
ence se ]>erfectionne. On peut môme dire que les chands, les mariniers voyageurs et môme les jeux,
sciences s'abrègent en s'augmentant, qui est un pa tant d'adresse que de hazard , fournissent dequoi
radoxe très véritable; car plus on découvre de vé augmenter considérablement les sciences utiles. 11
rités et plus on est en état d'y remarquer une suite y a jusque dans les exercices des enfans ce qui
réglée et de se faire propositions toujours plus uni pouroit arrêter le plus grand Mathématicien. Ap
verselles, dont los autres ne sont que des exemples paremment nous devons l'aiguille aimantée à leurs
ou corollaires, de sorte qu'il se pourra faire qu'un amusemeus, car qui se seroit avisé d'aller regarder
grand volume de ceux, qui nous ont précédé, se comment elle se tourne; et il est constant, que
réduira avec le tems à deux ou trois thèses généra nous leurs devons l'arquebuse à vent, qu'ils practi-
les. Aussi pins d'une science est pwfectionée et quoient avec un simple tuyau de plume, qu'ils bou-
moins a-t-elle besoin de gros volumes, car selon choient par les deux bouts en perçant tantôt avec
qne les Elemens sont suffisamment établis, on y un bout et tantôt avec l'autre la tranche d'une
peut tout trouver par le secours de la science gé pomme, forçant par après un bouchon d'approcher
nérale on de l'art d'inventer. Cependant lors même de l'autre et de le chasser à force de l'air pressé
qu'on peut arriver à ces Elemens accomplis, les entre deux, longtems avant qu'un habile ouvrier
systèmes plus étendus ne sont pas à négliger, car Normand s'avisa de les imiter en grand. Enfin
en nous donnant un catalogue des meilleurs théo sans négliger aucune observation extraordinaire il
rèmes déjà trouvés , non seulement ils nous épar nous faut un véritable Théâtre de la vie humaine,
gnent la peine de les chercher au besoin et nous tiré delà pratique des hommes, bien différent de ce
fournissent le même usage que les Tables des nom lui , que quelques sçavans hommes nous ont laissé,
bres déjà calculées, mais ils donnent encore occas- dans lequel tout grand qu'il est, il n'y a gueres
sion à des nouvelles pensées et applications ; outre que ce qui peut servir à des harangues et à des
que la belle harmonie des vérités, qu'on evisage serinons. Pour concevoir ce qu'il nous faudrait
tout d'un coup dans un système réglé, satisfait choisir pour ces descriptions réelles et propres à
l'esprit bien plus que la plus agréable Musique et la partique, on n'a qu'à se figurer de combien do
sert sur tout à admirer l'Auteur des tous les Etres, lumières on auroit besoin, pour se pouvoir faire à
qui est la source de la vérité, en quoi consiste le soi même dans une isle déserte, si on s'y trouvoit
principal usage des sciences. transporté par un coup de veut, tout ce qui nous
Pour ce qui est des connoissances non -écrites, peut fournir d'utile et de commode l'abondance
qui se trouvent dispersées parmi les hommes de dif d'une grande ville, toute, pleine des meilleurs
férentes professions, je suis persuadé qu'elles pas ouvriers et des plus habiles gens de toutes sortes de
sent de beaucoup tant à l'égard de la multitude conditions. Ou bien il faut s'imaginer qu'un art
que de l'importance , tout ce qui se trouve marqué fut perdu et qu'il le faudrait retrouver, à quoi
dans les livres, et que la meilleure partie de notre toutes nos bibliothèques ne scauroient supléer, car
trésor n'est pas encore enregitrée. 11 y en a même bien que je ne disconvienne pas, qu'il y a en re
toujours qui sont particulières à certaines person vanche beaucoup de belles choses dans les liv
nes et se perdent avec elles. Il n'y a point d'art res, que les gens de profession ignorent encore
mécanique si petit et si méprisé, qui ne puisse four euxrnêines et dont ils pourraient profiter, il
nir quelques observations ou considérations remar est constat néanmoins , que les plus considé
quables ; et toutes les professions ont certaines ad- rables observations et tours d'addresse eu toute
dresses ingénieuses, dont il n'est pas aisé de s'avi sorte de métiers et de -professions, sont encore non-
ser et qui néanmoins peuvent servir à des consé ecrites; ce qu'on prouve par expérience lorsqu'on
quences bien plus relevées. On peut ajouter, .que passant de la théorie à la pratique on veut exécuter
176 LIV. DISCOURS DE LA METHODE etc.
quelque chose. Ce n'est pas que cette pratique ne éclairer la raison ; car les vérités, qui ont encore
ce puisse écrire aussi, puisqu'elle n'est dans le fonds besoin d'être bien établies, sont de deux sortes,
qu'une autre théorie , plus composée et plus parti les unes ne sont connues que confusément et im
culière que la commune; mais les ouvriers pour la parfaitement, et les autres ne sont point con
pluspart, outre qu'ils ne sont pas d'humeur à en nues du tout. Pour les premiers il faut em
seigner autres que leur apprentifs , ne sont pas des ployer la Méthode de la certitude; les autres
gens à s'expliquer intelligiblement par écrit et nos ont besoin de l'Art d'inventer; quoique ces
auteurs sautent par dessus ces particularités, les deux arts ne différent pas tant qu'on croit, comme
quelles bien qu'essentielles ne passent chez eux il paroitra dans la suite. Or il est manifeste,
que pour des minuties, dont ils ne daignent pas de que les hommes se servent en raisouant de
s'informer, outre la peine qu'il y a de les biendécrire. plusieurs maximes, qui ne sont pas encore assez
Mais mon dessein n'est ]ias à présent d'expli sures. On voit aussi tous les jours qu'ils agi
quer en détail tout ce qu'il faudrait pour faire tent avec ardeur plusieurs questions philosophiques,
l'inventaire général de toutes les connoissances, qui sont de conséquence dans la Religion, dans
qui se trouvent déjà parmi les hommes. Ce pro la Morale et dans la science naturelle, sans chercher
jet, quelqu'importaut qu'il soit pour notre bon les vrais moyens de finir la dispute. Mais on
heur, demande trop de coucurraus, pour qu'on voit surtout que l'art d'inventer est peu connue
le puisse espérer bientôt sans quelqu'ordre su hors des Mathématiques, car les Topiques ne ser
périeur: outre qu'il va principalement aux ob vent ordinairement que de lieux mémoriaux pour
servations et vérités historiques ou faites de l'his ranger passablement nos pensées, ne contenaas
toire sacrée, civile ou naturelle, car ce sont les qu'un Catalogue des Termes vagues et des ma
laits, qui ont le plus de besoin des collections, ximes apparentes communément reçues. J'avoue
autorités et inventaires, et la meilleure méthode, que leur usage est très grand dans la Rhéto
qu'il y a c'est d'y faire le plus de comparaisons rique et dans les questions, qu'on traite populai
qu'on peut et des indices les plus exacts et les rement; mais lorsqu'il s'agit de venir à la cer
plus particularisés et les plus diversifiés qu'il est titude et de trouver des vérités cachées dans la
possible. Ce n'est pas cette méthode, de bien théorie et par conséquent des avantages nouveaux
enregîter les faits, dont je me sois imposé de pour la partique il faut bien d'autres artifices.
parler ici principalement, mais plutôt la méthode Et une longue expérience et des reflexions sur
de diriger la raison, pour profiter tant des faits, toute sorte de matières, accompagnée d'un suc
donnés par les sens ou rapport d'autrui, que de cès considérable dans les inventions et clans les
la lumière naturelle, à fin de trouver ou établir découvertes, m'a fait conoitre, qu'il y a des secrets
des vérités importantes, qui ne sont pas encore dans l'art de penser, comme dans les autres
assez connues ou assurées, on au moins qui ne arts. Et c'est là l'objet de la science géné
sont pas mises en oeuvre comme il faut pour rale, que j'entreprens de traiter.
LV.
DELA
DEMONSTRATION CARTESIENNE
DE L'EXISTENCE DE DIEU DU R. P. LAMI.
1701.
(Mémoires il» Trévoux, etc. 1701. — Leibn. Opp. éd. Dulens Tom. II. P. 1. p. 254.)
J'ai déjà dit ailleurs mon sentiment sur la dé son essence, il est aisé de conclure de cette
monstration de l'existence de Dieu de S. Anselme, définition, qu'un tel être, s'il est possible, existe;
renouvellée par Descartes; dont la substance ou plutôt cette conclusion est un corollaire qui
est que ce qui renferme dans son idée toutes les se tire immédiatement de la définition, et n'en
perfections, ou le plus grand de tons les êtres pos diffère presque point. Car l'essence de la chose
sibles, comprend aussi l'existence dans son essence, n'étant que ce qui fait sa possibilité en parti
puisque l'existence est du nombre des perfections, culier, il est bien manifeste qu'exister par son es
et qu'autrement quelque chose pourroit être ajouté sence, est exister par sa possibilité. Et si l'être
à ce qui est parfait. Je tiens le milieu entre ceux de soi étoit défini en termes encore plus ap-
qui prennent ce raisonnement pour un sophisme, et prochans, en disant que c'est l'être qui doit
entre l'opinion du R. P. La mi expliquée ici, qni exister parce qu'il est possible, il est
le prend pour une démonstration achevée, raccorde manifeste que tout ce qu'on pourroit dire contre
donc que c'est une démonstration, mais imparfaite, l'exitistence d'un tel être, seroit de nier sa pos
qui demande ou suppose une vérité qui mérite sibilité.
d'être encore démontrée. Car on suppose tacite On ponrroit encore faire à ce sujet une pro
ment que Dieu ou bien l'Etre parfait, est position modale, qui seroit un des meilleurs fruits
possible. Si ce point étoit encore démontré comme de toute la Logique: sçavoir que si l'être né
il faut, on pourroit dire que l'existence de Dieu se- cessaire est possible, il existe. Car l'être
roit démontrée géométriquement à priori. Et cela nécessaire, et l'être par son essence, ne
montre ce que j'ai déjà dit, qu'on ne peut raisonner sont qu'une même chose. Ainsi le raisonnement
parfaitement sur des idées, qu'en connoissant leur pris de ce biais paroit avoir de la solidité; et
possibilité : à quoi les Géomètres ont pris garde, mais ceux qui veulent que des seules notions, idées,
pas assez les Cartésiens. Cependant on peut définitions ou essences possibles on ne puisse
dire que cette démonstration ne 'laisse pas d'être jamais inférer l'existence actuelle, retombent en
considérable, et pour ainsi dire présomptive. Car effet dans ce que je viens de dire, c'est-à-dire, qu'ils
tout Etre doit être tenu possible jusqu'à ce qu'on nient la possibilité de l'être de soi. Mais ce
prouve son impossibilité. Je doute cependant qni est bien à remarquer, ce biais même sert à
que le R. P. La mi ait eu sujet de dire qu'elle faire connoitre qu'ils ont tort, et remplit enfin
a été adoptée par l'Ecole: Car l'Auteur de la le vuide de la démonstration. Car si l'être de
Note marginale remarque fort bien ici que Saint soi est impossible, tous les êtres par autrui le
Thomas l'avoit rejettée. sont aussi; puis qu'ils ne sont enfin que par
Quoi qu'il en soit, on pourroit former une l'être de soi; ainsi rien ne sçauroit exister:
démonstration encore plus simple, en ne parlant Ce raisonnement nous conduit à une autre im
point des perfections, pour n'être point arrêté portante proposition modale, égale à la précé
par ceux qui s'aviseroient de nier que toutes les dente, et qui, jointe avec elle, achève la démon
perfections soient compatibles, et par conséquent stration. On la pourroit énoncer ainsi : Si l'être
qne l'idée en question soit possible. Car en di nécessaire n'est point, il n'y a point
sant seulement que Dieu est un Etre de soi on d'être possible. II semble que cette démon
primitif, ens a se, c'est-à-dire, qui existe par stration n'avoit pas été portée si loin jusqu'iei:
23
178 LVI. SUR L'ESPRIT UNIVERSEL.
Cependant j'ai travaillé aussi ailleurs à prouver la variété dos matières, la chaleur de la médi
que l'être parfait est possible. tation, et le plaisir que j'ai pris au dessein gé
Je n'avois dessein , Monsieur, que de vous écrire néreux du Prince qui est le Protecteur de cet
en peu de mots quelques petites réflexions sur ! ouvrage, m'ont emporté. Je vous demande par
es mémoires que vous m'aviez envoyés; mais : don d'avoir été si long, et je suis etc.
LVI.
CONSIDERATIONS
SUR LA DOCTRINE D'UN ESPRIT UNIVERSEL.
1702.
CE MSS. I.elbnitianis quae in Hanoverana bibliotlieca Régis asservanltir mine primum editum. )
Plusieurs personnes ingénieuses ont cru et croy- que cette doctrine étoit eu effet vraie selon la
ent encore aujourd'hui qu'il n'y a qu'un seul philosophie, par laquelle Us entendoient celle
esprit, qui est universel et qui anime tout l'uni cl'Aristote par excellence, mais qu'elle étoit fausse
vers et toutes ses parties, chacune suivant sa selon la foi, d'où sont venues enfin les disputes
structure et suivant les organes qu'il trouve, sur la double vérité, qui a été condamnée dans
comme un même souffle de vent fait sonner dif le dernier concile de Latéran.
féremment divers tuyaux d'orgue. Et qu'ainsi lors Un m'a dit que la Reine Christine avoit beau
qu'un auimal a ses organes bien disposés il y coup de penchant pour cotte opinon, et comme
fait l'effet d'une âme particulière, mais lorsque Mr. Naudé, qui a été son Bibliothécaire, eu étoit
les organes sont corrompus, cette aine particu imbu, il y a de l'apparence, qu'il lui a donné
lière revient à rien ou retourne pour ainsi dire les informations qu'il avoit de ces opinions se
dans l'océan de l'esprit universel. crètes des philosophes célèbres, qu'il avoit prati
Aristote a para à plusieurs d'une opinion ap qués en Italie. Spinosa, qui u'admet qu'une seule
prochante qui a été renouvellée par Avcrroës, substance ne s'éloigne pas beaucoup de la doctrine
célèbre philosophe Arabe. Il croyait, qu'il y avait de l'esprit universel unique, et môme les nou
en nous un intellectus agens, ou entende veaux Cartésiens, qui prétendent que Dieu seul
ment actif, et aussi un intellectus patiens agit, l'établissent quasi sans y penser. Il y a
ou entendement passif; que le premier, venant de l'apparence, que Molinos et quelques autres
au dehors, étoit éternel et universel pour tous, nouveaux Quietistes. entre antres un certain au
mais que l'entendement passif, particulier à cha teur, qui se nomme Joaunes Angélus Silesius,
cun, s'éteignoit dans la mort de fhomme. Cette qui a écrit avant Molinos, et dont on a réim
doctrine a été celle de quelques Peripatéticiens primé quelques ouvrages depuis peu, et même
depuis deux ou trois siècles, comme de Pornpo- Weigclius avant eux, ont donné dans cette opi
natius, Contarenus et autres; et on en reconnoit nion du Sabbat ou repos des âmes en Dieu. C'est
les tracre dans feu Mr. Naudé, comme ses lettres pourquoi ils ont cru, que la cessation des fonctions
et les Naudéana qu'on a imprimés depuis jjeu, particulières étoit le pins haut état de la per
le font connoître. Ils renseignoient en secret à fection.
leurs plus intimes et plus habiles disciples, m Il est vrai, que les philosophes Peripatéticiens
:>• •!! qu'en public ils avoient l'addressc de dire, ne faisoient pas cet esprit tout à fait universel,
LVI. SUR L'ESPRIT UNIVERSEL. 179
car outre les intelligences, qui selon cnx ani- comparaison fort clocliantc du souffle qui anime les
ii ii lient les astres, ils avoient une intelligence organes de Musique. ,
pour ce bas inonde, et cette intelligence faisoit J'ai montré ci dessus que la prétendue démon
la fonction d'entendement actif dans les âmes des stration des Peripatéticiens qui soutenaient,1 qu'il
hommes. Il étaient portes à cette doctrine de n'y avoit qu'un esprit commun à tons les hommes
l'âme immortelle nniverselle pour tons les hom est de nulle force et n'est appuyée que sur des
mes par un faux raisonnement. Car ils suppo- fausses suppositions. Spinosa a prétendu démon
soient, que la multitude infinie actuelle est im trer, qu'il n'y a qu'une seule substance dans le
possible, et qu'ainsi il n'étoit point possible, monde, mais ces démonstrations sont pitoyables
qu'il y eût un nombre infini des âmes, mais ou non -intelligibles. Et les nouveaux Cartésiens,
qu'il faudrait, qu'il y en eût pourtant, si les qui ont cru, que Dieu seul agit, n'en ont guêres
âmes particulières subsistoient. Car le monde donné de preuve. Outre que le P. Malebranche
étant éternel selon eux, et le genre humain aussi, paroît admettre au moins l'action interne des es
et des nouvelles âmes naissant toujours, si elles prits particuliers.
subsistoient toutes, il y en auroit maintenant une Une des raisons plus apparentes, qu'on a allé
infinité actuelle. Ce raisonnement passoit chez guées contre les âmes particulières, c'est qu'on a
eux pour une démonstration. Mais il étoit plein été en peine de leur origine. Les philosophes de
de fausses suppositions. Car on ne leur accorde l'école ont fort disputé sur l'origine des formes,
pas ni l'impossibilité de l'infini actuel, ni que parmi lesquelles ils comprennent les âmes. Les opi
le genre humain ait duré éternellement, ni la nions ont été fort partagées pour savoir, s'il y avoit
génération des nouvelles âmes, puisque les Platoni une éduction de la puissance de la matière, comme
ciens enseignent la préexistence des âmes, et les la figure tirée du marbre, ou s'il y avoit une tra
Pythagoriciens enseignent la Métempsychose, et duction des âmes en sorte, qu'une aine nouvelle
prétendent qu'un certain nombre déterminé des naissoit d'une âme précédente, comme un feu s'allume
âmes demeure toujours et fait ses révolutions. d'un autre feu, ou si les âmes existaient déjà et ne
La doctrine d'un esprit universel est bonne faisoient que se faim connoître après la génération
en elle même, car tous ceux qui l'enseignent ad de l'animal, ou enfin si les âmes étaient créées de
mettent en effet l'existence de la divinité, soit Dieu toutes les fois, qu'il y a une nouvelle géné
qu'ils croient que cet esprit universel est suprême, ration.
car alors ils tiennent que c'est Dieu même, soit Ceux qui nioicnt les aines particulières, cro-
qu'ils croient avec les Cabbalistes, que Dieu t'a ybient par là se tirer de toute la difficulté, mais
créé, qui étoit aussi l'opinion de Henry More c'est couper le nœud au lieu de le résoudre, et il
Anglois et de quelques autres nouveaux philo n'y a point de force dans un argument, qu'on fe-
sophes et particulièrement de certains Chymistes, roit ainsi : On a varié dans l'explication d'une doc
qui ont cru, qu'il y a un Archée universel ou trine, donc tonte la doctrine est fausse. C'est la
bien une âme du monde et quelques ont sou manière de raisonner des Sceptiques, et si elle étoit
tenu, que c'est cet esprit du Seigneur, qui se récevable, il n'y auroit rien, qu'on ne pourroit re-
remuoit sur les eaux, dont parle le commence jetter. Les expériences de notre temps nous
ment de la Genèse. portent à croire, que les âmes et même les ani
Mais lors qu'on va jusqu' à dire que cet esprit maux ont toujours existé, quoiqu'on petit volu
universel est l'esprit unique, et qu'il n'y a point me, et que la génération n'est qu'une espèce d'aug
d'âmes ou esprits particuliers ou du moins que mentation, et de cette manière tontes les difficul
ces aines particulières cessent de subsister, je crois tés de la génération des âmes et formes disparois-
qu'on passe les bornes de la raison, et qu'on avance sent. On ne refuse pourtant pas à Dieu le droit
sans fondement une doctrine, dont on n'a pas de créer des âmes nouvelles, ou de donner un plus
même de notion distincte. Examinons un peu les haut degré de perfection à celles, qui ont déjà dans
raisons apparentes sur lesquelles on peut appuyer la nature, mais on parle de ce qui est ordinaire
cette doctrine, qui détruit l'immortalité des âmes dans la nature, sans entrer dans l'oeconomie parti
et dégrade le genre humain, ou plutôt toutes les culière de Dieu à l'égard des âmes humaines, qui
créatures vivantes, de ce rang qui leur appartenoit peuvent être privilégiées puisqu'elles sont infiniment
et qui leur a été attribué communément. Car il au dessus de celles des animaux.
me semble qu'une opinion de cette force doit être Ce qui a contribué beaucoup aussi, à mon avis,
prouvée, et ce n'est pas asse/ d'en avoir tino ima à faire donner des personnes ingénieuses dans la
gination, qui en effet ii'est fondée que sur une doctrine de l'esprit universel unique, c'est que le*
23*
180 LVI. SUR L'ESPRIT UNIVERSEL.
philosophes vulgaires débitoient une doctrine tou bien heureux un corps glorieux, et puisque les an
chant les âmes séparées et les fonctions de l'âme ciens pères ont accordé un corps subtil aux anges.
indépendantes du corps et des organes, qu'il ne Et cette doctrine d'ailleurs est conforme à Tor
pouvoient pas assez justifier. Ils avoieut grande dre de la nature, établi sur les expériences, car
raison de vouloir soutenir l'immortalité de Faîne comme les observations de fort habiles observa
comme conforme aux perfections divines, et à la teurs nous font juger que les animaux ne commen
véritable morale, mais voyant que par la mort les cent point, quand le vulgaire le croit, et que les
organes, qu'où remarque dans les animaux, se dé- animaux séminaux, ou les semences animées ont
rangoient, et étoieut corrompus enfin, ils se cru subsisté déjà depuis le commencement des choses,
rent obligés de recourir aux âmes séparées, c'est à et l'ordre et la raison veut, que ce qui a existé de
dire de croire que l'âme subsistait sans aucun puis le commencement ne finisse pas non plus, et
corps, et ne laissait pas d'avoir alors ses pensées qu'ainsi comme la génération n'est qu'un accroisse
et fonctions. Et pour le mieux prouver lis tà- ment d'un animal transformé et développé, la mort
choient de faire voir, que l'âme déjà dans cette ne sera que la diminuation d'un animal transformé
vie a des pensées abstraites et indépendantes des et enveloppé, mais que l'animal demeurera tou-
idées matérielles. Or ceux, qui rejettoient cet état , jours pendant les transformations, comme le ver à
séparé et cette indépendance comme contraire soie et le papillon est le même animal. Et il est
à l'expérience et à la raison en étoient d'au bon ici de remarquer, que la Nature a cette ad-
tant plus portés à croire l'extinction de l'âme par 1 dresse et bonté, de nous découvrir ses secrets dans
ticulière, et la conservation du seul esprit uni quelques petits écliantillons, pour nous faire juger
versel. du reste, tout étant correspondant et liarmonique.
J'ai examiné cette matière avec soin, et j'ai C'est ce qu'elle montre dans la transformation des
montré que véritablement il y a dans l'âme quel chenilles et autres insectes, car les mouches vien
ques matériaux de pensée ou objets de l'entende nent aussi des vers, pour nous faire deviner, qu'il
ment, que les sens extérieurs ne fournissent point, y a des transformations par tout Et les expé
savoir l'âme même et ses fonctions (nihil est in in- riences des insectes ont détruit l'opinion vulgaire,
tcllectu quocl nou fuerit in sensu, nisi ipse intellec- que ces animaux s'eugendroient par la nourriture
tus), et ceux qui sont pour l'esprit universel l'ac sans propagation. C'est ainsi, que la nature nous
corderont aisément, puisqu'ils le distinguent de la a montré aussi dans les oiseaux un échantil
matière, — mais je trouve pourtant, qu'il n'y a lon de la génération de tous les animaux par le
jamais pensée abstraite, qui ne soit accompagnée moyen des oeufs, que les nouvelles découvertes ont
de quelques images ou traces matérielles, et j'ai fait admettre maintenant Ce sont aussi les expé
établi un parallélisme parfait entre ce qui passe riences des microscopes, qui ont montré, que le
dans l'âme et entre ce qui arrive dans la matière, papillon n'est qu'un développement de la chenille,
ayant montré, que l'âme avec ses fonctions est quel mais surtout que les semences contiennent déjà la
que chose de distinct de la matière, mais que ce plante ou l'animal formé, quoiqu'il ait besoin par
pendant elle est toujours accompagnée des organes, après de transformation et de nutrition ou d'ac-
qui lui doivent répondre et que cela est réciproque croissenient pour devenir nu de ces animaux, qui
et le sera toujours. sont remarquables à nos sens ordinaires. Et
Et quant à la séparation entière de l'âme et du comme les moindres insectes s'engendrent aussi jwr
eorjK, quoique je ne puisse rien dire des loix de la la propagation de l'espèce, il <'n faut juger de même
grâce, et de ce que Dieu a ordonné à l'égard des de ces petits animaux séminaux, savoir qu'ils vien
âmes humaines et particulières au delà do ce que nent eux mêmes d'autres animaux séminaux en-
dit la sainte Ecriture, puisque ce sont des choses, I core plus petits, et qu'ainsi ils n'ont jamais com
qu'on ne peut point savoir par la raisou, et qui mencé qu'avec le monde. Ce qui s'accorde assez
dépendent de la Révélation et de Dieu même, avec la sainte Ecriture qui insinue, que les semen
néanmoins je ne vois aucune raison ni de la reli ces ont été d'abord.
gion, ni de la philosophie, qui m'oblige de quitter i La Nature nous a montré dans le sommeil et
la doctrine du parallélisme de l'âme et du corps, dans les évanouissemens un échantillon, qui nous
et d'admettre une parfaite séparation. Car pour doit faire juger, que la mort n'est pas une cessa
quoi l'âme ne pourroit-elle pas toujours garder un tion de toutes les fonctions, mais seulement une
corps subtil, organisé à sa manière, qui pourra suspension de certaines fonctions plus remarqua
même reprendre un jour ce qu'il faut de sou corps bles. Et j'ai explique ailleurs un point impor
visible dans la résurrection, puisqu'on accorde aux tant, lequel n'ayant pas assez considéré a fait don
LVI. SUR L'ESPRIT UNIVERSEL. 181
lier plus aisément les hommes dans l'opinion de la plutôt des âmes particulières et Favoriseroit même
mortalité des âmes, c'est qu'un grand nombre de la transmigration des âmes d'un corps dans l'autre,
petites perceptions égales et balancées entre elles, comme l'air peut changer de tuyau.
qui n'ont aucun relief, ni rien de distinguant, ne Et si on s'imagine, que l'esprit universel est
sont point remarquées, et on ne sauroit s'en sou comme un océan composé d'une infinité de gout
venir. Mais d'en vouloir conclure, qu'alors l'aine tes, qui en sont détachées quand elles animent
est tout à fait sans fonctions, c'est comme le vul quelque corps organique particulier, mais qu'elles
gaire croit, qu'il y a un vuide ou rien là, où il n'y se réunissent à leur océan après la destruction des
a point de matière notable, et que la terre est sans organes, on se forme encore une idée matérielle et
mouvement, parce que son mouvement n'a rien de grossière, qui ne convient point à la chose et
remarquable, étant uniforme et sans secousses. Nous s'embarrasse dans les mêmes difficultés que celle du
avons une infinité de petites perceptions et que souffle. Car comme l'océan est un amas de gout
nous ne saurions distinguer: Un grand bruit étour tes, Dieu seroit pour ainsi un assemblage de tou
dissant, comme par exemple le murmure de tout tes les âmes, à peu près de la même manière,
un peuple assemblé est composé de tous les petits qu'un essaim d'abeille est un assemblage de ces
murmures de personnes particulières, qu'on ne re- petits animaux, mais comme cet essaim n'est pas
marqueroit pas à part, mais dont on a pourtant lui-même une véritable substance, il est clair, que
un sentiment, autrement on ne sentiroit point le de cette manière l'esprit universel ne seroit point
tout. Ainsi quand l'animal est privé des organes, un Etre véritable lui même, et au lieu de dire,
capables lui donner des ]>erceptions assez distin qu'il est le seul esprit, il foudroit dire, qu'il n'est
guées, il ne s'ensuit point, qu'il ne lui reste point rien du tout en soi, et qu'il n'y a dans la nature,
de perceptions plus petites et plus uniformes, ni que les âmes particulières, dont il seroit l'amas.
qu'il soit privé de toutes organes et de tontes les Outre que les gouttes réunies à l'océan de l'esprit
perceptions. Les organes ne sont qu'enveloppés et universel après la destruction des organes seroient
réduits en petit volume, mais l'ordre de la nature en effet des âmes, qui subsisteraient séparées de la
demande, que tout se redéveloppe et retourne un matière, et qu'on retomberait ainsi dans ce qu'on
jour à un état remarquable, et qu'il y ait dans ces a voulu éviter, surtout si ces gouttes gardent quel
vicissitudes un certain progrès bien réglé, qui serve que reste de leur état précèdent ou ont encore
à faire mourir et perfectionner les choses. Il sem quelques fonctions et pourraient même acquérir
ble que Démocrite lui-même a vu cette résuscita- des plus sublimes dans cet océan de la divinité ou
tion des animaux, car Plotine lui attribue qu'il en- de l'esprit universel. Que si l'on veut, que ces
seignoit une résurrection. aines réunies à Dieu sont sans aucunes fonctions
Toutes ces considérations font voir, comment propres, on tombe dans une opinion contraire
non seulement les aines particulières, mais mêmes à la raison et à tonte la bonne philosophie, comme
les animaux subsistent, et qu'il n'y a aucune rai si aucun être subsistant ponvoit jamais parvenir à
son de croire une extinction entière des âmes, ou un état ou il est sans aucune fonction ou impres
bien une destruction entière de ranimai, et par sion. Car une chose jointe à une autre ne
conséquence, qu'on n'a point besoin de recourir à laisse pas d'avoir ses fonctions particulières, les
un esprit universel, et de priver la nature de ses quelles jointes avec les fonctions des autres en font
perfections particulières et subsistantes : ce qui en résulter les fonctions du tout, autrement le tout
effet seroit aussi n'en pas assez considérer l'ordre n'eu aurait aucune si les parties n'en avoieut point.
et l'harmonie. Il y a aussi bien des choses dans Outre que j'ai montré ailleurs, que chaque être
la doctrine de l'esprit universel unique, qui ne se garde parfaitement toutes les impressions, qu'il a re
soutiennent point, et s'embarassent dans des diffi çues, quoique ces impressions ne soient plus remar
cultés bien plus grandes que la doctrine ordinaire. quables à part, parce qu'elles sont jointes avec tant
En voici quelques unes; On voit d'abord, que d'autres. Ainsi l'âme, réunie à l'océan des âmes,
la comparaison du souffle qui fait sonner diverse demeurerait toujours l'âme particulière qu'elle a
ment de diffcrens tuyaux, flatte l'imagination, été, mais séparée.
mais qu'elle n'explique rien, ou plutôt, qu'elle in Ce qui montre qu'il est plus raisonnable et plus
sinue tout le contraire. Car ce souffte universel conforme à l'usage de la nature de laisser subsi
des tuyaux n'est qu'un amas de quantité de souf ster les âmes particulières dans les animaux mê
fles particuliers, puis chaque tuyau est rempli de mes et non pas an dehors en Dieu, et ainsi de
son air, qui peut même passer d'un tuyau dans conserver non seulement Famé, mais encore l'ani
l'autre, de sorte, que cette comparaison établiroit mal, comme je l'ai expliqué ci -dessus et ailleurs;
182 LVI. SUR L'ESPRIT UNIVERSEL.
et de laisser ainsi les aines particulières demeu Il faut encore considérer, que ma matière n'est
rer toujours en faction, c'est à dire dans des fonc pas une chose opposée au Dieu, mais qu'il la faut
tions particulières qui leur conviennent et qui con opposer plutôt à l'actif borné, c'est -à dire à l'âme
tribuent à la beauté et à l'ordre de l'univers, au où à la forme. Car Dieu est l'être suprême, op
lieu de les réduire au sabbat des Quiètes eu Dieu, posé au néant, dont la matière résulte aussi bien
c'est à dire à un état de fainéantise et d'inutilité. que les formes, et le passii tout pure est quelqne
Car quant à la vision béatifique des âmes bien chose de plus que le néant, étant capable de quelque
heureuses, elle est compatible avec les fonctions de chose, au lieu, que rien ne se peut attribuer au
leur corps glorifiés, qui ne laisseront pas d'être or néant. Ainsi il faut faire figurer avec chaque por
ganiques à leur manière. tion particulière de la matière des formes parti
Mais si quelqu'un veut soutenir, qu'il n'y a culières, c'est à dire des âmes et esprits, qui y con
point d'âmes particulières du tout, pas même viennent.
maintenant, lors -que la fonction du sentiment et Je ne veux point recourir ici à un argument
de la ])ensée se fait avec l'aide «les organes, il sera démonstratif, que j'ai employé ailleurs, et tiré des
réfuté par notre expérience, qui nous enseigne, ce unités ou choses simples, où les âmes particulières
me semble, que nous sommes quelque chose en no sont comprises, ce qui nous oblige indispensable-
tre particulier, qui pense, qui s'apperçoit, qui veut, ment non seulement d'admettre les âmes particu
et que nous sommes distingués d'un autre qui lières, mais d'avouer encore qu'elles sont immor
pense, et qui veut autre chose. telles par leur nature et aussi indestructibles que
Autrement 011 tombe dans le sentiment de S p i- l'univers, et qui plus est, que chaque âme est un
nosa, ou de quelques auteurs semblables, qui miroir de l'univers à sa manière sans aucun inter
veulent qu'il n'y a qu'une seule substance, savoir ruption, et qui contient dans son fonds un ordre
Dieu, qui pense, croit et veut l'un en moi, mais répondant à celui de l'univers même, que les âmes
qui pense, croit et veut tout le contraire dans un varient et réprésentent d'une infinité de façons,
autre, opinion dont Mr. Bayle a bien fait sen tontes différentes et toutes véritables, et multiplient
tir le ridicule en quelques endroits de son dic pour ainsi dire l'univers autant de fois, qu'il est
tionnaire. possible, de sorte que de cette façon elles appro
Ou bien, s'il n'y a rien dans la nature que l'es chent de la divinité autant qu'il se peut selon leurs
prit universel et la matière, il faudra dire, que si différons dégrés et donnent à l'univers toute la per
ce n'est pas l'esprit universel lui-même qui croit fection, dont il est capable.
et veut des choses opposées eu différentes person Après cela, je ne vois point quelle raison ou
nes, que c'est la matière, qui est différente et agit apparence on puisse avoir de combattre la doctrine
différcment ; mais si la matière agit, à quoi bon cet des âmes particulières. Ceux qui le font accor
esprit uuiversel J Si la matière n'est qu'un premier dent, que ce qui est en nous est un effet de l'esprit
passif, ou bien un passif tout pur, comment lui universel. Mais les effets de Dieu sont subsistans,
peut on attribuer ces actions! 11 est donc bien pour ne dire que même en quelque façon les mo
plus raisonnable de croire, qu'outre Dieu, qui est ' difications et effets des créatures sont durables, et
l'actif suprême, il y a quantité d'actifs particuliers, ! que leur impressions se joignent seulement sans se
puisqu'il y a quantité d actions et passions partira- i détruire. Donc, si conformément à la raison et
lières et opposées, qui ne sauraient être attribuées aux expériences , comme on a fait voir, l'animal
à un même sujet, et ces actifs ne sont autre chose, i avec ses perceptions plus ou moins distinctes et
que les aines particulières. avec certains organes subiste toujours, et si par
On sait aussi, qu'il y a de dégrés en toutes cho conséquent cet effet de Dieu subsiste toujours dans
ses. D y a une infinité de dégrés entre un mou ces organes, — pourquoi ne serait il pas permis
vement, tel qu'on voudra et le parfait repos, entre de l'appeller l'âme et de dire que cet effet de Dieu
la dureté et la parfaite fluidité qui soit sans rési est une âme immatérielle et immortelle, qui imite
stance aucune, entre Dieu et le néant. Ainsi il y en quelque façon l'esprit universel, puisqne cette
a de même une infinité de dégrés entre un actif doctrine d'ailleurs fait cesser toutes les difficultés,
tel qu'il puisse être et le passif tout pur. Et par comme il pourrait par ce que je viens de dire ici
conséquent il n'est pas raisonnable de n'admettre et en d'autres écrits, que j'ai faits sur ces ma
qu'un seul Actif, c'est à dire l'esprit universel, avec tières. —
un seul Passif, c'est à dire la matière.
LVI1.
REPLIQUE AUX REFLEXIONS,
CONTENUES DANS LA SECOND ÉDITION DU DICTIONNAIRE CRITIQUE DE MR. BAYLF,
ARTICLE RORARIUS SUR LE SYSTÈME DE L'HARMONIE PRÉÉTABLIE.
1702.
(Histoire critique de la république des lettres. Tom. XI. p. 78. — Leibn. Opp. éd. munis Tom. II.
P. 1. p. 80.)
Javois fait insérer dans le Journal des Sçavans l'infinité de Dieu n'est pas trop grande,
de Paris (Juin et Juillet 1695) quelques es pour communiquer à un Vaisseau une telle
sais, sur un système nouveau, qui me paroissoient faculté: il ne prononce point absolument sur
propres à expliquer l'union de famé et du coqjs; l'impossibilité de la chose, il juge pourtant, que
où au lieu de la voye de l'influence des écoles, d'autres la croiront; car vous direz même
et de la voye de l'assistance des Cartésiens, (ajoute-t-il) que la nature du Vaisseau n'est
j'avois employé la voye de l'Harmonie prééta pas capable de recevoir de Dieu cette fa
blie. Mr. Bayle, qui fait donner aux médita culté là. Peut-être qu'il a jugé que, selon l'hy
tions les plus abstraites l'agrément dont elles ont pothèse en question, il faudrait supposer que Dieu
besoin pour attirer l'attention du Lecteur, et qui a donné au Vaisseau, pour cet effet, une faculté
les approfondit en mémo terns, en les mettant à la Scholastiqne , comme celle qu'on donne dans
dans leur jour, avoit bien voulu se donner la peine les écoles aux corps pesans, pour les mener vers le
d'enrichir ce système, par ses reflexions insérées centre. Si c'est ainsi qu'il l'entend, je suis le
dans son Dictionnaire, article Rorarius; mais premier à rejetter la supposition ; mais s'il l'entend
comme il y rapportait en même tems des difficul d'une faculté du Vaisseau explicable par les règles
tés, qu'il jugeoit avoir besoin dètre éclaircies, j'a de la Mécanique, et par le ressorts internes, aussi
vois tâché d'y satisfaire clans l'Histoire des ouvra bien que par les circonstances externes ; et s'il re
ges des Sçavans, Juillet 1698. Mr. Bayle jette néanmoins la supposition comme impossible,
vient d'y répliquer, dans la seconde édition de son je voudrais qu'il eût donné quelque raison de ce
Dictionnaire, au même article de Rorarius. 11 jugement. Car bien que je n'aye point besoin de
a l'honnêteté do dire, que mes réponses ont la possibilité de quelque chose qui ressemble à ce
mieux développé le sujet: et que si la possi Vaisseau, de la manière que Mr. Bayle le semble
bilité de l'hypothèse de l'Harmonie prééta concevoir, comme je le ferai voir plus bas: je crois
blie étoit bien avérée, il ne feroit point difficulté pourtant, qu'à bien considérer les choses, bien loin
de la préférer à l'hypothèse Cartésienne, parce quil y ait de la difficulté là dessus à l'égard de
que la première donne une haute idée de Dieu, il semble plutôt qu'un esprit fini pourroit
l'Auteur des choses, et éloigne (dans le être assez habile pour on venir à bout. 11 n'y a
cours ordinaire de la nature) toute notion de point de doute qu'un homme pourroit faire une
conduite miraculeuse. Cependant il lui pa- machine, capable de se promener durant quelque
roit difficile encore de concevoir, que cette Harmo tems par une vilto, et de se tourner justement
nie préétablie soit possible; et pour le faire voir, aux coins de certaines rues. Un esprit incompa
il commence par quelque chose de plus facile que rablement plus parfait, quoique borné, pourroit
cela, à sou avis, et qu'on trouve pourtant peu fai aussi prévoir et éviter un nombre incomparable
sable, c'est qu'il compare cette hypothèse avec la ment plus grand d'obstacles. Ce qui est si vrai,
supposition d'un Vaisseau, qui sans être dirigé que si ce monde, selon l'hypothèse de quelques-uns,
de personne, va se rendre de soi-même au port dé n'étoit qu'un composé d'un nombre fini d'atomes,
siré. Il dit là-dessus, qu'on conviendra que qui se remuassent suivant les loix de la mécanique,
184 LV1I. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE.
il est sûr, qu'un esprit fini pourroit être assez n-- qu'il y a de solide) je ne m'en allarmerois pas,
levé, pour comprendre et prévoir demonstrative- | supposé qu'il n'y ait point d'antre moyen d'expli
meiit tout ce qui y doit arriver dans un tems dé quer les choses conformément aux loix de la na
terminé; de sorte que cet esprit pourroit non -seu ture. Car il ne faut point se régler en ces matiè
lement fabriquer un vaisseau, capable d'aller tout res sur les notions populaires, au préjudice des
seul à un port nommé, en lui donnant d'abord le ! conséquences certaines. D'ailleurs, ce n'est pas
tour, la direction, et les ressorts qu'il faut ; mais il ! dans le merveilleux de la supposition que consiste
pourroit encore former un corps capable de con ce qu'un Philosophe doit objecter aux automates,
trefaire un homme. Car il n'y a que du plus et mais dans le défaut des principes, puisqu'il lai il
du moins, qui ne cliangent rien dans le pays des | par-tout des Entélechies; et c'est avoir une
possibilités: et quelque grande que soit la multi i petite idée de l'Auteur de la Nature (qui multi-
tude des fonctions d'une machine , la puissance et ; plie, autant qu'il SB peut, ses petits Mondes, ou
l'artifice de l'ouvrier peuvent croître à proportion ; ses miroirs actifs indivisibles), que de
de sorte que n'en point voir la possibilité, seroit n'en donner qu'aux corps humains. Il est même
ne pas assez considérer les degrés des choses. Il impossible qu'il n'y en ait par-tout.
est vrai que le monde n'est pas un composé d'un Jusqu'ici nous n'avons parlé que de ce que peut
nombre fini d'atomes, mais une machine composée, une substance bornée, mais à l'égard de Dieu, c'est
dans chacune de ses parties, d'un nombre vérita bien autre chose; et bien loin que ce qui a paru
blement infini de ressorts; mais il est vrai aussi, | impossible d'abord, le soit en effet, il faut dire
que celui qui l'a faite, et qui la gouverne, est d'une plutôt qu'il est impossible que Dieu en use autre
perfection encore plus infinie, puisqu'elle va à une ment, étant, comme il est, infiniment puissant et
infinité de Mondes possibles, dont il a choisi ce sage, et gardant en tout l'ordre et l'harmonie, au-
lui qui lui a plu. Cependant pour revenir aux | tant qu'il est possible. Mais, qui plus est, ce qui
esprits bornés, ou peut juger par de petits échan paroit si étrange quand on le considér détache,
tillons, qui se trouvent quelquefois parmi nous, où est nue conséquence certaine de la constitution des
peuvent aller ceux que nous ne connoissons pas. Il choses; de sorte que le merveilleux universel fait
y a, par exemple, des hommes capables de faire cesser, et absorbe, pour ainsi dire, le merveilleux
promptement des grands calculs d'Arithmétique, par particulier, puisqu'il en rend raison. Car tout est
la seule pensée. Mr. de Monconis fait mention tellement réglé et lié, que ces machines de la na
d'un tel homme qui étoit de son tems en Italie; ture, qiii ne manquent point, qu'on compare à des
et il y en a un aujourd'hui en Suéde, qui n'a pas Vaisseaux, et qui iraient au port d'euxmêines,
même appris l'Arithmétique ordinaire, et que je malgré tous les détours et toutes les tempêtes, ne
voudrais qu'on ne négligeât point de bien tâter sur sauraient être jugées plus étranges, qu'une fusée
sa manière de procéder. Car qu'est-ce que l'homme, qui coule le long d'une corde, ou qu'une liqueur
quelque excellent qu'il puisse être, au prix de tant qui court dans un canal. De plus, les corps n'é
de créatures possibles et même existantes, telles tant pas des atomes, mais étant divisibles et di
que les anges, ou génies, qui nous pourraient sur visés même à l'infini , et tout en étant plein , il
passer en toute sorte de compréhensions et de rai- s'ensuit que le moindre petit corps reçoit quelque
sonnemens, incomparablement plus que ces mer impression du moindre changement de tous les au
veilleux possesseurs d'une Arithmétique naturelle, tres, quelque éloignés et petits qu'ils soient, et doit
ne nous surpassent en matière de nombres] J'a être ainsi un miroir exact de l'univers; ce qui fait
voue que le vulgaire n'entre point dans ces consi qu'un esprit assez pénétrant pour cela pourroit, à
dérations: on l'étourdit par des objections, où il mesure de sa pénétration, voir et prévoir dans cha
faut penser à ce qui n'est pas ordinaire, ou même que corpuscule, ce qui se passe et se passera dans
qui est sans exemple parmi nous; mais quand 011 ce corpuscule et au dehors. Ainsi rien n'y arrive,
pense à la grandeur et à la variété de l'Univers, pas même par le choc des corps environnai», qui
on en juge tout autrement. Mr. Bay le sur -tout ne suive de ce qui est déjà interne, et qui en puisse
ne peut point manquer de voir la justesse de ces troubler l'ordre. Et cela est encore plus manifeste
conséquences. Il est vrai, que mon hypothèse n'eu dans les substances simples, ou dans les principes
dépend point, comme je le montrerai tantôt ; mais actifs mêmes, que j'appelle des Eutéléchies pri
quand elle en dépendrait, et quand on aurait droit mitives avec Aristote, et que, selon moi, rien
de dire, qu'elle est plus surprenante que celle ne saurait troubler. C'est pour répondre à une
des automates (dont je ferai voir pourtant plus bas, note marginale de Mr. Bay le où il m'objecte,
qu'elle ne fait que pousser les bons endroits, et ce qu'un corps organique étant -composé de plusieurs
.LXII. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE. 185
«substances, dont chacune a un principe d'action, cordent, les raisonnemens mêmes les plus abstraits
«réellement distinct du principe de chacune des y trouvant leur jeu, par le moyen des caractères,
•autres, et l'action de chaque principe étant spoii- qui les représentent à l'imagination. En un mot,
•tanée, cela doit varier à l'infini les effets; et tout se fait dans le corps, à l'égard du détail des
»le choc des corps voisins doit mêler quelque phénomènes, comme si la mauvaise doctrine de
«contrainte à la spontanéité naturelle de clia- ceux qui croyeut que l'âme est matérielle, suivant
»cun.« Mais il faut considérer que c'est de tout Epicure et Hobbes, étoit véritable; ou comme
teins que l'un s'est déjà accommmodé à tout autre, si l'homme même n'étoit que corps, ou qu'auto
et se porte à ce que l'autre exigera de lui. Ainsi mate. Aussi ont -ils poussé jusqu'à l'homme, ce
il n'y a de la contrainte dans les substances qu'au que les Cartésiens accordent à l'égard de tous les
dehors, et dans les apparences. Et cela est si vrai, autres animaux; ayant fait voir en effet, que rien
que le mouvement de quelque point qu'on puisse ne se fait par l'homme avec toute sa raison, qui
prendre dans le monde, se fait dans une ligne dans le corps ne soit un jeu d'images, de passions
d'une nature déterminée, que ce point a prise une et de mouvemens. On s'est prostitué en voulant
fois pour toutes, et que rien ne lui fera jamais prouver le contraire, et on a seulement préparé
quittai'. Et c'est ce que je crois pouvoir dire de matière de triomphe à l'erreur, en se prenant de
plus précis et de plus clair pour des esprits géomé ce biais. Les Cartésiens ont fort mal réussi, à peu
triques, quoique ces sortes de lignes passent infini près comme Epicure avec sa déclinaison des
ment celles qu'un esprit fini peut comprendre. Il atomes, dont Cicéron se moque si bien, lors
est vrai que cette ligne seroit droite, si ce point qu'ils ont voulu, que l'âme ne pouvant point don
pouvoit être seul dans le monde ; et que mainte ner de mouvement au corps, en change pourtant
nant elle est due, en vertu des loix de mécanique, la direction; mais ni l'un ni l'autre ne se peut et
au concours de tous los corps: aussi est-ce par ce ne se doit, et les matérialistes n'ont point besoin
concours même, qu'elle est préétablie. Ainsi d'y recourir; de sorte que rien de ce qui paroit au
j'avoue que la spontanéité n'est pas proprement dehors de l'homme, n'est capable de réfuter leur
dans la masse (à moins que de prendre l'univers doctrine; ce qui suffit pour établir une partie de
tout entier, à qui rien ne résiste); car si ce point mon hypothèse. Ceux qui montrent aux Carté
pouvoit commencer d'être seul, il continuerait, non siens, que leur manière de prouver que les bêtes
pas dans la ligne préétablie, mais dans la droite ne sont que des automates, va jusqu'à justifier
tangente. C'est donc proprement dans l'Entelé- celui qui dirait, que. tous les autres hommes, hor
chie, (dont ce point est le point de vue) que la mis lui, sont de simples automates aussi, ont dit
spontanéité se trouve: et au lieu que le point ne justement et précisément ce qu'il me faut pour
]>eut avoir de soi que la tendance dans la droite cette moitié de mon hypothèse, qui regarde le
touchante, parce qu'il n'a point de mémoire, pour corps. Mais outre les principes, qui établissent
ainsi dire, ni de pressentiment, l'Entéléchie ex les Monades, dont les composés ne sont que les
prime la courbe préétablie même ; de sorte qu'en résultats, l'expérience interne réfute la doctrine
ce sens rien n'est violent à son égard. Ce qui Epicurienne; c'est la conscience qui est en nous
fait voir enfin comment toutes les merveilles du de ce Moi qui s'aperçoit des choses qui se passent
Vaisseau, qni se conduit lui-même au port, ou dans le corps; et la perception ne pouvant être
clé la Machine qui fait les fonctions de l'homme expliquée par les figures et les mouvemens, établit
sans intelligence, et je ne sai combien d'autres | l'autre moitié de mon hypothèse, et nous oblige
fictions qu'on peut objecter encore, et qui font pa- j d'admittre en nous une substance indivisi-
roitre nos suppositions incroyables lorsqu'on les ! blé, qui doit être elle-même la source de ses phé
considère comme détachées, cessent de faire diffi nomènes. De sorte que, suivant cette seconds
culté; et comment tout ce qu'on avoit trouvé moitié de mon hypothèse, tout se fait dans l'âme,
étrange se pt'rd entièrement, lorsqu'on considère j comme s'il n'y avoit point de corps; de même que
que les choses sont déterminées à ce qu'elles doi selon la première tout se fait dans le corps, comme
vent faire. Tout ce que l'ambition, ou autre pas s'il n'y avoit point d'âme. Outre que j'ai montré
sion fait faire à l'âme de César, est aussi re souvent, que dans les corps mêmes, quoique le dé
présenté dans son corps: et tous les mouvemens tail des phénomènes ait des raisons mécaniques, la
de ces passions viennent des impressions des ob dernière analyse des loix de mécanique, et la na
jets joints aux mouvemens internes; et le corps ture des substances, nous oblige enfin de recourir
est fait ensorte que l'âme ne prend jamais de ré aux principes actifs indivisibles; et que l'ordre ad
solution que les mouvemens du corps ne s'y ac mirable qui s'y trouve, nous fait voir, qu'il y a un
24
186 LVII. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE.,
principe universel, dont l'intelligence aussi-bien où Mr. BayTe trouve encore des difficultés, après
que la puissance est suprême. Et comme il pa- ce que j'avois dit pour résoudre les premières. Il
roit par ce qu'il y a de bon et de solide dans la commence par la comparaison de cette aine toute
fausse et méchante doctrine d'Epicure, qu'on seule, et prise à part, sans recevoir rien au dehors,
n'a point besoin de dire que l'âme change les ten avec un atome d'Epicure, environné de vuidc ;
dances, qui sont dans le corps ; il est aisé de juger et en effet, je considère les âmes, ou plutôt les
aussi, qu'il n'est point nécessaire non plus , que la Monades, comme des atomes de substance,
masse matérielle envoyé des pensées à l'âme par puisqu'à mon avis, il n'y a point d'atomes de
l'influence de je ne sai quelles espèces eliiméri- matière dans la nature, la moindre parcelle de
ques; ni que Dieu soit toujours l'interprète du la matière ayant encore des parties. Or l'atome
corps auprès de l'âme, tout aussi peu qu'il a be tel qu'Kpicure l'a imaginé, ayant de la force
soin d'inteqwéter les volontés de l'aine au corps; mouvante, qui lui donne une certaine direction,
l'Harmonie préétablie étant un bon truche l'exécutera sans empêchement et uniformément, sup
ment de part et d'autre. Ce qui fait voir que co posé qu'il ne rencontre aucun autre atome. Lame
qu'il y a de bon dans les hypothèses d'Epicure de même, posée dans cet état, où rien de dehors
et de Platon, des plus grands Matérialistes et des ne la change, ayant reçu d'abord un sentiment de
plus grands Idéalistes, se réunit ici; et qu'il n'y a plaisir, il semble, selon Mr. Bayle, qu'elle se doit
plus rien de surprenant, que la seule suréminente toujours tenir à ce sentiment. Car lorsque la cause
perfection du souverain principe, montrée mainte totale demeure, l'effet doit toujours demeurer.
nant dans son ouvrage au-delà de tout ce qu'on en Que si j'objecte, que l'âme doit être considérée
a cru jusqu'à présent. Quelle merveille donc, que comme dans un état de changement, et qu'ainsi la
tout aille bien et avec justesse, puisque toutes cho cause totale ne demeure )>oint; Mr. Bayle répond,
ses conspirent et se conduisent par la main, depuis que ce changement doit être semblable au change
qu'on suppose que tout est parfaitement bien con ment d'un atome, qui se meut continuel lenu-nt
çu! Ce seroit plutôt la plus grande de toutes les sur la même ligne (droite) et d'une vitesse uni
merveilles, ou la plus étrange des absurdités, si ce forme. Et quand il accorderoit, dit -il, la méta
Vaisseau destiné à bien aller, si cette Machine à morphose des pensées, pour le moins faudrait -il
qui le chemin a été tracé de tout tems, pouvoit que le passage, que j'établis d'une pensée à l'autre,
manquer, malgré les mesures que Dieu a prises. renfermât quelque raison d'affinité. Je demeure
»11 ne faut donc pas comparer nôtre hypothèse, à d'accord des fondeuiens de ces objections , et je les
«l'égard de la masse corporelle, avec un Vaisseau employé moi - même, pour expliquer mon système.
«qui se mène soi-même au port;« mais avec ces L'état de l'âme, comme de l'atome, est un
bateaux de trajet, attachés à une corde, qui traver état de changement , une tendance : l'atome tend à
sent la rivière. C'est comme dans les machines changer de lieu, l'âme à changer de pensée ; l'un et
de théâtre, et dans les feux d'artifice, dont on ne l'autre de soi change de la manière la plus simple
trouve plus la justesse étrange, quand on sait com et la plus uniforme, que son état permet. D'où
ment tout est conduit ; il est vrai qu'on transporte vient-il donc, me dira -t- on, qu'il y a tant de sim
l'admiration de l'ouvrage à l'inventeur, tout comme plicité dans le changement de l'atome, et tant
lorsqu'on voit maintenant que les planètes n'ont de variété dans les changemeus de 1 ' a m e { C'est
point besoin d'être menées par des Intelligences. que l'atome ( tel qu'on le suppose , quoiqu'il n'y ait
Jusqu'ici nous n'avons presque parlé que des ob rien de tel dans la nature) bien qu'il ait des par
jections qui regardent le corps ou la matière, et il ties, n'a rien qui cause de la variété dans sa ten
n'y a point non plus d'autre difficulté qu'on ait dance, parce qu'on suppose, que ces parties ne
apportée, que celle du merveilleux (mais beau et changent point leurs rapports; au lieu que l'âme,
réglé, et universel) qui se doit trouver dans les toute indivisible qu'elle est, renferme une tendance
corps, afin qu'ils s'accordent entr'eux, et avec les composée, c'est-à-dire, une multitude de pensées
âmes; ce qui, à mon avis, doit être pris plutôt présentes, dont chacune tend à un changement par
pour une preuve, que pour une objection, auprès ticulier, suivant ce qu'elle renferme, et qui se trou
des personnes qui jugent comme il faut de 1 a p u i s- vent en elle tout à la fois, en vertu de sont rapport
sance et de l'intelligence de l'art divin, essentiel à toutes les antres choses du monde. Aussi
pour parler avec Mr. Bayle, qui avoue aussi, qu'il est-ce le défaut de ce rapport, qui bannit les atomes
ne se peut rien imaginer qui donne une si haute d'Epicure de la nature. Car il n'y a point de
idée de l'intelligence et de la puissance de l'Auteur chose individuelle, qui ne doive exprimer toutes
île toutes choses. Maintenant il faut venir à l'âme, les autres; de sorte que l'âme, à l'égard de la va
LVII. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE. 187
riété do ses modifications, doit être comparée lieu en toutes ses pensées? C'est peut-être, qu'on
avec l'univers, qu'elle représente, selon son a cru que les pensées confuses différent toto gé
point de vue, et même en quelque façon avec nère des distinctes, au lieu qu'elles sont seulement
Dieu, dont elle représente fin iment l'infinité, moins distinguées, et moins dévelopées à cause de
à cause de sa perception confuse et imparfaite de li in multiplicité. Cela a fait, qu'on a tellement
l'infini, plutôt qu'avec uu atome matériel. Et attribué au corps certains mouvemens, qu'on a rai
la raison du changement des j>ensées dans famé, son d'appeller involontaires, qu'on a cru qu'il n'y
est la même que celle du changement des choses a rien dans l'aine qui y réponde; et on a cru réci
dans l'univers qu'elle représente. Car les raisons proquement, que certaines pensées abstraites ne
de mécanique, qui sont dévelopées dans les corps, sont point représentées dans le corps. Mais il y a
sont réunies, et pour ainsi dire, concentrées datis erreur dans l'un et dans l'autre, comme il arrive
les aines ou Entéléchics, et y trouvent même ordinairement dans ces sortes de distinctions,
leur source. Il est vrai que toutes les Entélécliies parce qu'on n'a pris garde qu'à ce qui paraît le
ne sont pas, comme nôtre âme, des 'image s de plus. Les plus abstraites pensées ont besoin de
Dieu, n'étant pas toutes faites pour être membres quelque imagination: et quaud on considère ce que
• finir société, ou d'un Etat dont il soit le Chef; c'est que les pensées confuses, qui ne manquent ja
mais elles sont toujours des images de l'Uni mais d'accompagner les plus distinctes que nous
vers. Ce sont des mondes en raccourci, à leur puissions avoir, ou reconnoit qu'elles envelopent
mode: des simplicités fécondes: des unités de toujours l'infini, et non -seulement ce qui se passe
substances, mais virtuellement infinies, en nôtre corps, mais encore par son moyen, ce qui
par la multitude de leurs modifications; des cen arrive ailleurs; et servent ainsi bien plus ici à
tres, qui expriment une conférence infinie. nôtre but, que cette légion de substances dont parle
Et il est nécessaire qu'elles le soient, comme je Mr. Bayle, comme d'un instrument qui sembloit
fai expliqué autrefois dans des lettres échangées nécessaire aux fonctions que je donne à l'âme. Il
avec Mr. Arnaud. Et leur durée ne doit embar est vrai qu'elle a ces légions à son service,
rasser personne, non plus que celle des atomes mais non pas au dedans d'elle-même. C'est
des Gassendistes. Au reste, comme Socrate a donc des perceptions présentes avec la ten
remarqué dans le P lied on de Platon, parlant dance réglée au changement, que se forme cette
d'un homme qui se gratte, souvent du plaisir à la tablature de musique qui fait sa leçon. Mais,
douleur il n'y a qu'un pas, extrema gaudii lu- dit Mr. Bayle, ne faudroit-il pas qu'elle
ctus occupât. De sorte qu'il ne faut point s'é connût (distinctement) la suite des notes, et
tonner de ce passage; il semble quelquefois que le y pensât (ainsi) actuellement? Je réponds
plaisir n'est qu'un composé de petites perceptions, que non : il lui suffit de les avoir cnvelopées dans
dont cliacnne seroit une douleur, si elle étoit grande. ses pensées confuses; autrement toute Entéléchie
Mr. Bayle reconnoit déjà, que j'ai tâché de seroit Dieu. Car Dieu exprime tout distinctement
répondre à une bonne partie de ses objections : il et parfaitement à la fois, possible et existant, passé,
considère aussi, que dans le système des causes présent, et futur: il est la source universelle de
occasionelles. il faut que Dieu soit l'exécuteur de tout, et les Monades créées l'imitent autant qu'il
ses propres loix , au lieu que dans le nôtre c'est est possible que des créatures le fassent ; il les a
l'âme; mais il objecte que l'âme n'a point d'in- faites sources de leurs phénomènes, qui contiennent
strumens pour une semblable exécution. des rapports à tout, mais plus ou moins distincts,
Je réponds, et j'ai répondu, qu'elle en a: ce sont selon les degrés de perfection de chacune de ces
ses pensées présentes, dont naissent les suivantes; substances. Où en est l'impossibilité! Je vou
et on peut dire, qu'en elle, comme par -tout ail drais voir quelque argument positif, qui menât à
leurs, le présent est gros de l'avenir. quelque contradiction, ou à l'opposition de quelque
Je crois que Mr. Bayle demeurera d'accord, vérité prouvée. De dire que cela est surprenant,
et tous les Philosophes avec lui, que nos pensées ne ce ne seroit pas une objection. Au contraire, tous
sont jamais simples; et qu'à l'égard de certaines ceux qui reconuoissent des substances immatériel
pensées l'âme a le pouvoir de passer d'elle-même les indivisibles, leur accordent une multitude de
de l'une à l'autre: comme lorsqu'elle va des pré perceptions à la fois, et une spontanéité dans leurs
misses à la conclusion, on de la fui aux moyens. raisoiineinens et actes volontaires. Do sorte que
Le R. P. Malcbranche même demeure d'accord, je ne fais qu'étendre la spontanéité aux pensées
que l'âme a des actions internes volontaires. Or confuses et involontaires, et montrer que leur na
quelle raison y a t-il, pour empêcher que cela n'ait ture est d'euvelopcr des rapports à tout ce qui ext
24 »
188 LV1I. REPLIQUE AU REFLEXIONS DE BAYLE.
au dehors. Comment prouver que cela ne se peut, primitive de chaque esprit étant différent
ou qu'il faut nécessairement que tout ce qui est en de celle, de tout autre, cela ne doit pas paroitrc
nous, nous soit connu distinctement? N'est-il pas plus extraordinaire, que ce que disent les Tho
vrai , que nous ne saurions nous souvenir toujours, mistes, après leur Maitre, de la diversité spéci
même de ce que nous savons, et où nous rentrons fique de toutes les intelligences séparées. Je suis
tout d'un coup, par une petite occasion de rémi bien aise de me rencontrer encore en cela avec lui,
niscence ? Et combien de variétés ne pouvons-nous car j'ai allégué quelque part cette même autorité.
pas avoir encore dans l'âme, où il ne nous est Il est vrai que, suivant ma définition de l'espèce,
point permis d'entrer si vite? Autrement l'âme je n'appelle pas cette différence spécifique; car
seroit un Dieu , au lieu qu'il lui suffit d'être un pe comme, selon moi, jamais deux individus ne se res
tit inonde, qu'on trouve aussi imperturbable semblent parfaitement , il faudrait dire que jamais
que le grand, lorsqu'on considère qu'il y a de la deux individus ne sont d'une même espèce; ce qui
spontanéité dans le confus, comme dans le di ne seroit point parler juste. Je suis tâché, de n'a
stinct. Mais on a raison dans un autre sens d'ap- voir pas encore pu voir les objections de Dom
peller perturbations, avec les anciens, ou pas François Larni, contenues, à ce que Mr. Bayle
sions, ce qui consiste dans les pensées confuses, où m'apprend, dans son second traité de la connois-
il y a de l'involontaire et de l'inconnu; et c'est ce sence de soi-même, (Edit. 1699.) autrement
que dans le langage commun, on n'attribue pas j'y aurais encore dirigé mes réponses. Mr. Bayle
mal au combat du corps et de l'esprit, puisque nos m'a voulu épargner, exprès, les objections commu
pensées confuses représentent le corps ou la chair, nes à d'autres systèmes, et c'est encore une obli
et font nôtre imperfection. gation que je lui ai. Je dirai seulement, qu'à l'é
Comme j'avois déjà donné cette réponse en sub gard de la force donnée aux créatures, je crois
stance, que les perceptions confuses envelopent tout avoir répondu dans le mois de Septembre du
ce qui est au dehors, et renferment des rapports in Journal de Lcipsic 1698. à toutes les objections
finis, Mr. Bayle, après l'avoir rapportée, ne la ré du mémoire d'un savant homme, contenues dans
fute pas. Il dit plutôt que cette supposition, le même Journal 1697, que Mr. Bayle cite à la
quand elle sera bien dévelopée, est le marge: et d'avoir démontré même, que sans la
vrai moyen de résoudre toutes les dif force active dans les corps, il n'y aurait point de
ficultés; et il me fait l'honneur de dire, qu'il variété dans les phénomènes; ce qui vaudrait au
espère que je résoudrai solidement les siennes. tant, que s'il n'y avoit rien du tout. Il est vrai que
Quand il ne fauroit dit que par honnêteté, je n'au- ce savant adversaire a répliqué, (Mai 1699.) mais
rois pas laissé de faire des efforts pour cela, et je c'est proprement en expliquant son sentiment, et
crois n'en avoir passé aucune: et si j'ai laissé quel sans toucher assez à mes raisons contraires: ce
que chose, sans tâcher d'y satisfaire, il faudra que qui a fait, qu'il ne s'est point souvenu de rèjwndre
je n'aye point pu voir en quoi consistait la diffi à cette démonstration, d'autant qu'il regardoit la
culté qu'on me vouloit opposer; ce qui me donne matière comme inutile à persuader et à éclaircir
quelquefois le "plus de peine en répondant. J'aurois davantage, et même comme capable d'altérer la
souhaité de voir pourquoi l'on croit, que cette mul bonne intelligence. J'avoue que c'est le destin or
titude de perceptions, que je suppose dans une sub dinaire des contestations, mais il y a de l'exception;
stance indivisible, n'y saurait avoir lieu ; car et ce qui s'est passe entre Mr. Bayle et moi, pa
je crois que, quande même l'expérience et le sen rait d'une autre nature. Je tâche toujours de mon
timent commun ne nous feroient point reconnoitrc côté de prendre des mesures propres à conserver la
une grande variété dans nôtre âme, il seroit permis modération, et à pousser l'éclaircissement de la
de la supposer. Ce ne sera pas une preuve d'im chose, afin que la dispute non-seulement ne soit
possibilité de dire seulement, qu'on ne saurait con pas nuisible, mais puisse même devenir utile. Je ne
cevoir une telle ou telle chose, quand on ne marque sai-si j'ai obtenu maintenant ce dernier point ; mats
]>as en quoi elle choque la raison; et quand la dif quoique je ne puisse me flatter de donner une en
ficulté n'est que dans l'imagination, sans qu'il y en tière satisfaction à un esprit aussi pénétrant que
ait dans l'entendement. celui de Mr. Bayle, dans une matière aussi dif
Il y a du plaisir d'avoir à faire à un opposant ficile que celle dont il s'agit, je serai toujours con
aussi équitable, et aussi profond en même teins, tent, s'il trouve que j'ai fait quelque progrès dans
que Mr. Bayle, qui rend tellement justice, qu'il une si importante recherche.
prévient souvent les réponses, comme il a fait en Je n'ai pu m'empêcher de renouveller le plaisir,
remarquant que, selon moi, la constitution que j'avois eu autrefois, de lire avec nue attention
LVII. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE. 189
particulière plusieurs articles de son excellent et tés. Car c'est Dieu qui conserve et crée continuel
riche Dictionnaire; et entre autres ceux qui regar lement leurs forces, c'est-à-dire, une source de
dent la Philosophie, comme les articles des Pau- modifications, qui est daus la créature; ou
liciens, Origene, Pereira, Rorarius, Spi- bien un état, par lequel on peut juger qu'il y aura
nosa, Zenon. J'ai été surpris, tout de nouveau, changement de modifications ; parce que, sans cela,
de la fécondité, de la force et du brillant des pen je trouve, comme j'ai dit ci -dessus l'avoir montré
sées. Jamais Académicien, sans excepter Car- ailleurs, que Dieu ne produiroit rien, et qu'il n'y
ii ça de, n'aura mieux fait sentir les difficultés. auroit point de substances honnis la sicime; ce
Mr. Fou cher, quoique très -habile dans ces médi qui nous ramènerait toutes les absurdités du Dieu
tations, n'y approchoit pas; et moi je trouve de S pi no sa. Aussi paroit -il, que l'erreur de cet
que rien au monde n'est plus utile pour surmon Auteur ne vient que de ce qu'il a poussé les suites de
ter ces mêmes difficultés. C'est ce qui fait que je la doctrine, qui ôte la force et l'action aux créatures.
me plais extrêmement aux objections des person Je reconnois que le teins, l'étendue, le mou
nes habiles et modérées , car je sens que cela me vement, et le continu en général de la manière
donne de nouvelles forces, comme dans la fable qu'on les prend en Mathématique, ne sont que
d'Antée terrassé. Et ce qui me fait parler des choses idéales; c'est-à-dire, qui expriment
avec un peu de confiance, c'est que ne m'étant fixé les possibilités, tout comme font les nombres.
qu'après avoir regardé de tous côtés et bien ba Hobbes même a défini l'espace par Phan-
lancé, je puis peut-être dire sans vanité: Omni a tasma existentis. Mais pour parler plus ju
percepi, atque animo mecum ante peregi. ste, l'étendue est l'ordre des coexistences pos
Mais les objections me remettent dans les voyes, sibles, comme le terns est l'ordre des possi
«t m'épargnent bien de la peine : car il n'y en a bilités inconstantes, mais qui ont pourtant
pas peu de vouloir repasser par tous les écarts, pour de la connexion; de sorte que ces ordres qua-
deviner et prévenir ce que d'autres peuvent trou drent non • seulement à ce qui est actuellement,
ver à redire ; puisque les préventions et les inclina mais encore à ce qui pourrait être mis à la
tions sont si différentes, qu'il y a eu des personnes place, comme les nombres sont indifférens à tout
fort pénétrantes, qui ont donné d'abord daus mon ce qui peut être res n unie rat a. Et quoique
hypothèse, et ont pris même la peine de la recom dans la nature il ne se trouve jamais de chan-
mander à d'autres. 11 y en a eu encore de très- gemens parfaitement uniformes, tels que demande
habiles, qui m'ont marqué l'avoir déjà eue en effet; l'idée que les Mathématiques nous donnent du
et même quelques autres ont dit, qu'ils entendoieut mouvement, non plus que des figures actuelles,
ainsi l'hypothèse des causes occasionelles, et à la rigueur, de la nature de celles .que la Géo
ne la distinguoient point de la mienne, dont je suis métrie nous enseigne; néanmoins les phénomè
bien aise. Mais je ne le suis pas moins, lorsque nes actuels de la nature sont ménagés et doi
je vois qu'on se met à l'examiner comme il faut. vent l'être de telle sorte, qu'il ne se rencontre
Pour dire quelque chose sur les articles de Mr. jamais rien, où la loi de la continuité (que j'ai
Bayle, dont je viens de parler, et dont le sujet a introduite, et dont j'ai fait la première mention
beaucoup de connexion avec cette matière : il sem dans les Nouvelles de la République des
ble que la raison de la permission du mal vient Lettres de Mr. Bayle) l) et toutos les au
des possibilités éternelles, suivant lesquelles tres règles les plus exactes des Mathématiques
cette manière d'Univers qui l'admet, et qui a été soient violées. Et bien loin de cela, les cho
admise à l'existence actuelle, se trouve la plus par ses ne sauraient être rendues intelligibles que
faite en somme parmi tontes les façons possibles. par ces règles, seules capables, avec celles de
Mais on s'égare, en voulant montrer en détail, l'Harmonie, ou de la perfection, que la véri
avec les Stoïciens, cette utilité du mal qui relève le table Métaphysique fournit, de nous faire entrer
bien, que St Augustin a bien reconnue en géné dans les raisons et vues de l'Auteur des choses.
ral, et qui, pour ainsi dire, fait reculer pour mieux La trop grande multitude des compositions infi
sauter; car peut -on entrer dans les particularités nies fait à la vérité que nous nous perdons en
infinies de l'Harmonie universelle"! Cepen fin, et sommes obligés de nous arrêter dans l'ap
dant s'il falloit choisir entre deux, suivant la rai plication d<« règles de la Métaphysique, aussi-
son, je serois plutôt pour l'Origéniste , et jamais bien que des Mathématiques, à la Physique; ce
pour le Manichéen. Il ne me paroit pas qu'il faille ôter pendant jamais ces applications ne trompent, et
l'action ou la force aux créatures, sous prétexte
qu'elles créeroient si elles produisoient des modali 1) Vid. arl. XXIV. bujus editionls.
190 LVU. REPLIQUE AUX REFLEXIONS DE BAYLE.
quand il y a du mécompte après un raisonne sique véritable à la Physique et aux Mathématiques.
ment exact, c'est qu'on ne saurait assez éplucher Mr. de Mère en profitait, pour parler de haut en
le fait, et quil y a imperfection clans la suppo bas à Mr. Pascal. 11 semble qu'il se moque nu
sition. On est même (fautant plus capable d'al peu, comme fout les gens du monde, qui ont beau
ler loin dans cette application, qu'on est plus coup d'esprit et un savoir médicore. Us voudroint
capable de méjiager la considération de l'infini, nous persuader, que ce qu'ils n'entendent pas assez,
comme nos dernières méthodes l'ont fait voir. est i"-ii de chose, il aurait falu l'envoyer à l'école
Ainsi quoique les méditations Mathématiques soient chez Mr. Roberval. Il est vrai cependant que
idéales, cela ne diminue rien de leur utilité, le Chevalier avoit quelque génie extraordinaire,
parce que les choses actuelles ne sauroient s'é même pour les Mathématiques; et j'ai appris de
carter de leurs règles; et on peut dire en effet, Mr. Des Billettes, ami de Mr. Pascal, excel
que c'est eu cela que consiste la réalité des phé lent dans les Méchaniques, ce que c'est que cette
nomènes, qui les distingue des songes. Les Ma découverte, dont ce Chevalier se vante ici dans sa
thématiciens cependant n'ont point besoin du lettre. C'est, qu'étant grand joueur, il donna les
tout des diseussions métaphysiques, ni de s'em premières ouvertures sur l'estime des paris; ce qui
barrasser de l'existence réelle des points, des fit naître les belles pensées de Aléa, de Messieurs
indivisibles, des infiniment petits, et des Fermât, Pascal et Huygeus, où Mr. Rober
infinis à la rigueur. Je l'ai marqué dans val ne pouvoit ou ne vouloit rien comprendre.
ma réponse à l'endroit des Mémoires de Tré Mr. le Pensionaire de Wit a poussé cela encore
voux, Mai et Juin 1701, que Mr. Bayle a davantage, et l'applique à d'autres usages plus con
cité dans l'article de Zenon: et j'ai donné à sidérables par rapport aux rentes de vie: et Mr.
considérer la même année, qu'il suffit aux Ma Huygens m'a dit, que Mr. Hudde a encore eu
thématiciens, pour la rigueur de leurs démon d'excellentes méditations là -dessus, et que c'est
strations, de prendre, au lieu des grandeurs dommage qu'il les ait supprimées avec tant d'autres.
infiniment petites, d'aussi petites quil en Ainsi les jeux mêmes mériteraient d'être examinés:
faut, pour montrer que l'erreur est moindre que et si quelque Mathématicien pénétrant méditait là-
celle qu'un adversaire vouloit assigner, et par dessus, il y trouverait beaucoup d'importantes con
conséquent qu'on n'en sauroit assigner aucune; de sidérations; car les hommes n'ont jamais montré
sorte que. quand les infiniment petits exacts, qui plus d'esprit que lorsqu'ils ont badiné. Je veux
terminent la diminution des assignations, ne sc- ajouter, en passant, que uon-seulcmeut Caval-
roit que comme les racines imaginaires, cela ne lieri et Torricelli, dont parle Gassendi dans
nuiroit poiHt au calcul infinitésimal, ou des le passage cité ici par Mr. Bayle, mais encore
différences et des sommes, que j'ai projxjsé, que des moi-même et beaucoup d'autres, ont trouvé des
excellons Matliématiciens ont cultivé si utilement, figures d'une longueur infinie, égales à des espaces
et où l'on ne sauroit s'égarer, que faute de l'enten- finis. Il n'y a rien de plus extraordinaire en cela,
tcndrc, ou faute d'application, car il porte sa dé que dans les Séries infinies, où l'on fait voir
monstration avec soi. Aussi a-t-on reconnu depuis qu' 7+4- | à I ro I aV etc. est égal à l'unité. 11
dans le Journal de Trévoux, au même endroit, que se peut cependant, que ce Chevalier ait encore eu
ce qu'on y avoit dit appararant n'alloit pas contre quelque bon enthousiasme, qui l'ait transporté
mon explication. Il est vrai qu'on y prétend en dans ce Monde invisible, et dans cette
core, que cela va contre celle de Mr. le Marquis de étendue infinie, dont il parle, et que je crois
l'Hôpital; mais je crois qu'il ue voudra pas, non être celle des idées ou des formes, dont ont parlé
plus que moi, charger la Géométrie des questions encore quelques Scholastiqucs en mettant en ques
métaphysiques. tion, nt ruin dctur vacuum formarum. Car il
J'ai presque ri des airs que Mr. le Chevalier de dit , » qu'on y peut découvrir les raisons et les
Mère s'est donné dans sa Lettre à Mr. Pascal » principes des choses, les vérités les plus cachées,
que Mr. Baylc rapporte au même article. Mais «les convenances, les justesses, les proportions,
je vois que le Chevalier savoit, que ce grand Gé » les vrais originaux et les parfaites idées de tout
nie avoit ses inégalités, qui le rendoicnt quelque > ce qu'on cherche. « Ce Monde intellectuel, dont
fois trop susceptible aux impressions des spiritua- les Anciens ont fort parlé, est en Diea, et en quel
listes outrés, et le dégoûtaient même par intervalles que façon en nous aussi. Mais ce que la Lettre
des connoissances solides : ce qu'on a vu arriver de dit contre la division à l'infini, fait bien voir, que
puis, mais sans retour, à Messieurs Stenonis et celui qui l'a écrite était encore trop étranger dans
Swammcrdam, faute d'avoir joiut lu Métaphy ce inonde supérieur, et que les a gré mens du
LVIII. LETTRE A MR. BAYLE. 191
inonde visible, dont il a écrit, ne lui laisseraient cul plus important, qnc ceux de l'Arithmétique
pas le teins qu'il faut pour acquérir le droit de et de la Géométrie, et qui dépend de l'Ana
bourgeoisie dans l'autre. Mr. Bayle a raison lyse des idées. Ce seroit une Caractéristique
<le dire, avec les Anciens, que Dieu exerce universelle *), dont la formation me paroit une
la Géométrie, et que les Mathématiques fout des plus importantes choses, qu'on pourrait en
une partie du monde intellectuel, et sont les plus treprendre.
propres pour y donner entrée. Mais' je crois
moi -même que sou ultérieur est quelque chose ' I Cf. Ilisioria et commendalio linguae characleri-
•le plus, J'ai insinué ailleurs, qu'il y a un cal cae etc. Vld. NU. l.n. Ituj. edil.
LV111.
LETTRE
MR BAYLE.
1702.
CCommercii epislolici Lcibniliani lypis nondum evulgali selecla specimina éd. J. Georg. Ilenr. Feder.
Hanov. 1805. 8. p. 152.)
Vos lettres ne sauroient venir trop tard, car el conservée par l'auteur des choses, de qui toutes les
les 1 1 i>< 'in des choses, qui ne vieHissent point, mais réalités ou perfections émanent toujours par une
aussi elles ne sauroient venir trop tôt, à cause du manière de création continuelle.
plaisir et des instructions qu'elles donnent. Ainsi Pour ce qui est du franc arbitre, je suis du sen
on vous en doit être obligé extrêmement en quel timent des Thomistes et autres philosophes, qui
que terns qu'elles viennent, et moi surtout, car croient, que tout est prédéterminé, et je ne vois
j'en profite d'une manière toute particulière. S pas lieu d'en douter. Cela n'empêche pourtant
j'avois su, que votre excellent dictionnaire reparoî- pas, que nous n'ayons une liberté exemte non seu
troit si tôt, je vous aurois prié, d'y insérer ma ré lement de sa contrainte, mais encore de la néces
ponse, pour faire tout trouver ensemble et encore sité, et en cela il en est de nous comme de Dieu
présentement, si vous me faites part des difficul lui-même, qui est aussi toujours déterminé dans
tés, qui peuvent rester, et si je puis donner quel ses actions, car il ne peut manquer de choisir le
que éclaircissement là dessus, vous en pourriez meilleur. Mais s'il n'avoit pas de quoi choisir, et
dire ce que vous jugeriez à propos avec votre épi- si ce qui fait, étoit seul possible, il seroit soumis à
crise. la nécessité. Plus on est parfait, plus on est dé
Je vais suivre pourtant le fil de votre lettre. terminé ou bien, et aussi plus libre en même tems.
Vous y remarquez, Monsieur, que les esprits forts Car on a une faculté et connoissancc d'autant plus
s'aheurtent aux difficultés du franc arbitre de étendue, et une volonté d'autant plus resserrée
l'homme, et qu'ils disent de ne pouvoir compren dans les bornes de la parfaite raison.
dre, que si l'âme est une substance, créée, elle Si ma pensée de la force vous peut donner quel
puisse avoir une véritable forée propre et inté que satisfaction, Monsieur, et à un petit nombre
rieure d'agir $ je souhaiterais d'entendre plus dis de personnes qui vous ressemblent, j'en serai assez
tinctement, pourquoi la substance créée ne saurait content. Peut-être, que l'éclaircissement, que je
avoir une telle force, car je croirais plutôt que sans vais mettre ici, vous satisfera encore d'avantage.
cela ce ne seroit pas une substance, la nature de Ma première considération avoit été autrefois, qu'il
la substance consistant à mon avis clans cette ten se doit conserver dans la nature de quoi produire
dance réglée, de laquelle les phénomènes naissent toujours un effet égal ; par exemple plusieurs corps
par ordre, qu'elle a reçue d'abord, et qui lui est se rencontrant, comme il vous plaira dans un plan
LVUJ. LETTRE A MR. BAYLE.
horizontal, et aucnne jwrtie do la force n'étant ab mobile recevant une vitesse double on triple, à fin
sorbée par la friction, par le milieu ou par les par de pouvoir faire une double ou triple effet dans un
ties insensibles des corps, je jugeois, qu'il falloit, même teins , reçoit une action quadruple ou non-
que tous ensemble fussent toujours capables par cuple. Ainsi les actions sont comme les quarrés
leur impétuosité d'élever un même poids à une
même hauteur, ou de bander des ressorts, détermi
..oii.iiii.iin le in iinMiïs castris video, lubenter com-
nés à certains dégrés, ou de donner certaines vélo ,,municabo prlnciplum meum a priori demonstrandae
cités à certains corps. Mais en examinant cela de ,.verae aestimallonis virium. quod milii In promptu esse
près, je trouvois, que cette conservation de la force ,,aliquoties indlcavi, nondum lamen kaclenus produxi.
ne s'accordoit point avec celle de la quantité du .,'l'iiii autem communlcare est frugiferae maxime terra*
,,commendare granum, ut In magnum plantam surgal.
mouvement; laquelle nie paraissant appuyée sur ..ivtiinr autem ex principes maxime primls et abstra-
une raison trop vague, au lieu, que la conservation ,,clls, nempe notione lemporis, spalil et actionis. Unde
de la force étoit confirmée par l'expérience et par ,,enlm palet, tantum abesse, ut, quod aliqui putarunl,
une raison constante de l'absurdité du mouvement ,,negligatur a me débita temporis consideratio, ut potius
,,sli lotius aestimatiunis basis. Ecce argumentum: Actio
perpétuel mécanique, cela joint à bien d'antres con ,,faciens duplum, tempore simple, est dupla, virluali-
sidérations m'empêcha de balancer cette force et ..!«•!- aciionis facienlis idem duplum tempore duplo, seu
l'état d'où suit l'action. Mais lorsque vous le pre ,,percursio duornm milliarium Inlra boram est dnpls
nez, Monsieur, comme si j'eutendois un nisus ,,(vlrtualiler) percurgioni* duorum milliarium inlra duas
,,borag. '•!" Actio faciens duplum tempore duplo est
dans le corps, qui ne change point de place, lequel ,, dupla, formaliler, arlionis facienlis simplum lempore
soit équivalent à l'activité de la translation de lieu ,,slmpio, .seu percurslo duorum milliarium inlra duas
en lieu ; je vois, que j'ai besoin de m'expliquer et ,.horas est dupla Iformaliter] percursionis miius mil-
de dire, que je crois, que la force est toujours ac . .l'uiris intra unam boram. 3°. Ergo Aclio faciens duplum
,, lempore simple est quadrupla Aciionis facienlis sim-
compagnée d'une action et même d'un mouvement I ,,plum tempore simple, seu percurslo duorum niillia-
local, qui y puisse répondre. ..niini Inlra unam horam est quadrupla percursionis
Cependant ce n'est pas la quantité de ce mou ,,unlus mtlliaris intra unam horam. 4° Si pro duplo
vement, mais celle de la force, qui ce conserve; à ,,subslitulssemu8 triplum, quadruplum, quinluplum etc.
,,prodiiiset aclio noncupla, sedecupla, >5pla etc. et
peu près, comme lorsque deux globes se mettent ,,generaliter palet, aclionis motrices aequabiles, aeqni-
en un, ou vice versa, on ne conserve pas la somme ,,temporaneas aequabilium mohilium esse ul qnadrata
des surfaces, mais celle des solidités, quoique les ,,celeritalum, vel qnud idem est in eodem vel aequali
solidités ne soient jamais sans des surfaces conve ,,lempore vires esse in duplicata ratione celeritatum.
nables. Mais voici maintenant de quoi achever le ,,Q. e. d. — "
Et, ne sDhreplionis arguerelur, d. d. ,s. Mari. 1696
dénouement de la difficulté. C'est que j'ai trouvé
une nouvelle ouverture, qui m'a fait apprendre (ibid p. 141):
qu'il se conserve non seulement la force, mais en ,,Sane non video, quid Tibi velis, cum dicis actlo-
core la même quantité de l'action motrice, qui est ,,nem virtualem confundi cum formai). Non enlm actio
. uiiiii hic est virtualis vel formalis, sed una actio al-
différente de celle du mouvement, comme vous al ,,terius est dupla vel virlualiler vel formaliler. Mmi-
lez voir par un raisonnement, dont je fus surpris ,,rum virtualiter cum dupla est aeslimallone, etsi
moi-même, voyant, qu'on n'avoit foint fait une ..mm sit dupla mole vel congruentla ut Ducaïus est
remarque si aisée sur une matière si rabbatue. ,,duplum Tbaleri: formaliler vero, ut Thalerus est
,, duplum semllbaleri. Et sciendum est, quod duplum
Voici mon argument Dans les mouvemens unifor ,,esl formaliter id eliam vlrtule sen aeslimatione esse
mes d'un même corps 1) Faction de parcourir deux ,,dnplum. Ideo cum nonnisi de virlule seu aesiima-
lieues en deux heures est double de l'action de par ,,(lone hic quaeralur, nulla est confnsio divers! generls
courir une lieue en une heure (car la première ac ,,qiianlitalnm vel aeslimaiionum; nempe virtualiter
„duplum intelligo qnod taie est virlualiler solum,
tion continent la seconde précisément deux fois), ,,sed formaliter duplum voco quod slmul et for- '
2) l'action de parcourir une lieue en nne heure est ,maliter et virtnalller duplum est et poteram vocabu-
double de l'action de parcourir une lieue en deux ,11s lllis Oanlum harmoniae cujusdam causa adjectis)
heures, (ou bien les actions qui font un même ef ,abstlnere; ut enim quia Ducaïus duplus est Tbaleri
,et Thalerus semithaleri, concludo llucatiim semitba-
fet, sont comme leurs vitesses). Donc 3) l'action ,leri quadruplum esse; lia, quia percursio 9 millla-
de parcourir deux lieues en deux heures est qua ,rinm una hora, dupla est percnrsionis 9 milliarium
druple de l'action de parcourir une lieue en deux ,9 horis, et percursio 2 milliariuni t lions dupla est
heures '). Cette démonstration fait voir, qu'un .IIM'IPIS milliaris una hora: sequelur pcrcur.sionem 2
,milliarium una hora esse quadruplam percurslonis
.unius milliaris una hora. — .... Inter haec duo:
') Fusiui) de hac re Bernoullio ocripserat L e i b - ,A, facere duplum tempore simple, Ilemque C,
nltius il. il. Ï8. Jan. 1696. (v. Comm. episl. I, 112.): ,facerc simplum tempore simple, datur médium
LVI1L LETTRE A MB. BAYLE.
des vitesses. Or il se trouve le plus heureusement nement, ne le voulant pas prostrhier auprès de
du monde, que cela s'accorde avec mon estime de ceux, qui n'ont point de goût pour les pensées ab
la force, tirée soit des expériences soit du fonde straites. Je ne parle pas ici des forces et actions
ment de l'évitation du mouvement perpétuel méca respectives qui se conservent aussi et ont leurs esti
nique. Car selon mon estime les forces sont mes à part; et il y a bien d'autres égalités ou conser
comme les hauteurs dont les corps pesants pou- vations merveilleuses, qni marquent non seulement
voient descendre pour acquérir ces vitesses. Et la constance mais aussi la perfection del'auteur.
comme il se conserve toujours la force pour re C'est avec grande raison, qu'on admire, 3Ion-
monter en somme à la même hauteur, ou pour sieur, que les recherches immenses de faits, que
faire quelque autre effet, il s'ensuit, qu'il se con vous avez faites, n'ont point fait de tort à vos bel
serve aussi la même quantité de l'action motrice les réflexions sur ce qu'il y a de plus profond de
dans le monde; c'est-à-dire, pour le bien pren la philosophie. Je ne puis pas aussi me dispenser
dre, que dans une heure il y a autant d'action mo toujours de ces sortes de discussions, ayant été
trice dans l'univers, qu'il y en a en quelque autre même obligé de venir à des questions généalogi
heure que ce soit. Mais dans le moment même ques, qui seroient de plus frivoles, sî les intérêts
c'est la même quantité de la force qui se conserve. des états n'en dépendoient souvent. J'ai assez
Et en effet l'action n'est autre chose, que l'exercice travaillé à l'histoire d'Allemagne autant qu'elle a
de la force, et revient an produit de la force par rapport à ces pays ci, ce qui m'a même fourni
le tems. Ainsi le dessein de nos philosophes, et quelques observations appartenantes à l'histoire
particulièrement de feu Mr. Descartes, a été bon universelle. Ainsi j'ai appris à ne point négliger
de conserver Faction et d'estimer la force par l'ac la conuoissance des faits. Mais si.j'avois le choix,
tion; mais ils ont pris un qui pro qno, en prenant je préférerojc l'histoire naturelle à la civile et les
ce qu'ils appellent la quantité du mouvement pour coutumes et loix, que Dieu a établies dans la na
la quantité de l'action motrice. II n'y a que très ture, à ce qui s'observe parmi les hommes. Je suis
peu de personnes à qui j'ai fait part de ce raison- avec beaucoup de zèle et d'obligation etc.
,,minus priore et majns posteriore nempe B, facere ,,esse quadruplant et lamen ajo aclionem tanium hic
..lin pin m lempore duplo, ru nui tir manlfestissinte ,,esse duplam. Quod Paradoxum ita ostendo: nempe
,,(ex nalura repelilionls perfectae) git B duplum ip- ,,potenlia ipsius A quadrupla est (hoc ipsum enim de-
,,sius C, seqnilur demonslrative A esse plus quant ,kmonstravimus ex lioc ipso nostro), sed actio est
,,duplum ipsius C. Comparalio igitur inler A et C pot- ,,lantuin dupla, quia aclio esl in ralione composita
,,esi resolvi ullerius per interpositionem comparatio- ,,potentiae quae exercetur, et temporis in quo exer-
,,nis simplicioris, comparatio vero Inler A et B inler- ,.celur; itaqne potemia ipsius A quadrupla sim-
,,positione simplicioris lesolvi non polest, scd primi- ,,plo tempore exercila dat actionem duplam ejus
,,tlva esl" ,,quam dat potenlia ipsius B simpla exercita lempo-
Uenique d. d. Jun. 1696. eidem i'a scribil: ,,re duplo et quadruplam ejus quam dat polenlia
. . . ,r,M ipso , qnod nulla amplius dalur resolutlo, ,,ipsius C simpla exercila lempore simplo. Scill-
,,»en qnod niuil médium interponi polest inter A et B, ,,cet in A, potentia 4, tempus 1, dat actionem 4.
,,]!> B interposiiura fuerat inler A el C, aliud dlci ne- ,,In B potentia i tempus 2 dat actionem 2, deniquo
,,quit quam actiones esse ut celerilates, A erat fa- ,,in C potentia 1 tempus 1 dat aclionem 1. Vide»
,,cere duplum lempore simple, B: facere du- ,,quant baec pulcbre quadrent, et quam parum distin-
..piiiiu tempore duplo, et C: facere simplum ,,ctae notlones de potentia, actione et simllibus vulgo
,,tempore piraplo. Itaque actio A est major qnam ,,babeanlnr. Complures Jam anni sunt, quod baec ex-
,,aclio B, el qaidem ila, ut crescat aclio manenle ef- ,,plicul in dissertalione conscripla In ftinere Italico et
,,fectu et tempore decrescente. Itaque ex eo ipso ,,Florentiae apud amicum relicla, qui edliionem la se
,,quod nnllnm est prlncipium allquid ultra delerml- ,,receperat; sed ego poslea in mora fui, dnm plura
,,nandi sequilur, artlones esse reciproce ut lempora. ,,subnata sunt, quae me adjnncturum sr.rlpsl, necdum
..v.iimnn obicunque nulla reperiri potest ratio pro- ..pr.-irsiiii, non quod res degint. sed ollnm ordinandi.
,,porlionis composilae, necesse est simplinem locum ,,Caeternm ut aclionem nunc composila ratione suo-
,,habere. Operae tamen pretiam est, ut objecllo tua, ..nnii principiorum potentlae et temporis aeslimo, ita
,,qnam alicni occnrrere posse optimr notas, renolra- ,,eam paulo anle aesllmaveram composita ralione eo-
,.i 1:1 . qno far.to major (credo) lux accendetur, appare- ,,rum quae praesiat: elTeclus scllicct extensivl sen
..iMii-iii discrimen inter potenliam et actionem. Obje- ,,matcrlalis nempe longiludinis (quam XCCT ':">;,-.»• ef-
,,ctio ila babet: A lempore simple idem facit quod B ..l-'ciuni vocarc soleu) et effectua inlensivl seu forma-
„ tempore dnplo, ergo A est duplo velocius qnam B. ,,lis. Desideratum enim esl ut praesletur multum et
,,Ergo potenlia ipsins A est quadrupla potenllae B. — ,,cito. Ambae autem aestimationes consenliunt inter
,,Respondeo concedendo tolum argumenlum, polentiam ,,se, ut vides."
LIX.
NOUVEAUX ESSAIS
SUR L'ENTENDEMENT HUMAIN,
PAR L'AUTEUR DU SYSTÈME DE L'HARMONIE PRÉÉTABLIE.
1703.
(Ouvres philosophiques etc. éd. Raspe p. 3.)
AVANT-PROPOS.
L'essai sur l'Entendement humain, donné par que ne le seraient des remarques tontes sèches,
un illustre Anglois, étant un des plus beaux et dont la lecture auroit été interrompue à tout
des plus estimés ouvrages de ce teins, j'ai pris moment par la nécessité de recourir à son livre
la résolution d'y faire des remarques, parce qu'a pour entendre le mien. Il sera bon de con
yant assez médité depuis longtems sur le même fronter encore quelques fois nos écrits et de ne
sujet et sur la plupart des matières, qui y sont juger de ses seutimcns que par son propre ou
touchées, j'ai crû que ce seroit une bonne oc vrage, quoique j'en aye conservé ordinairement
casion d'en faire paroitre quelque chose sous le les expressions. 11 est vrai, que la sujettion,
titre de nouveaux Essais sur l'Entende que donne le discours d'autnii, dont on doit
ment et de procurer une entrée plus favorable suivre le fil, en faisant des remarques, a fait,
à mes pensées, en les mettant en si bonne com que je n'ai pu songer à attraper les agrémens,
pagnie. J'ai crû aussi pouvoir profiter du travail dont le Dialogue est susceptible: mais j'espère,
d'autrui, non seulement pour diminuer le mien, que la matière reparera le défaut de la façon.
mais encore pour ajouter quelque chose à ce qu'il Nos différents sont sur des objects de quelque
nous a donné, ce qui est plus facile que de com importance. Il s'agit de savoir, si l'Ame en elle
mencer et de travailler à nouveaux fraix en tout. même est vuide entièrement comme des tablet
Il est vrai, que je suis souvent d'un autre tes, où l'on n'a encore rien écrit (tabula rasa)
avis que lui; mais bien loin de disconvenir pour suivant Aristote et l'Auteur de l'Essai, et si tout
cela du mérite de cet Ecrivain célèbre, je lui ce qui y est tracé, vient uniquement des sens
rends justice, en faisant connoître en quoi et et de l'expérience : ou si l'Ame contient origi
pourquoi je m'éloigne de son sentiment, quand nairement les principes de plusieurs notions et
je juge nécessaire d'empêcher, que son autorité doctrines, que les objets externes reveillent seu
ne prévaille sur la raison en quelques points de lement dans les occasions, comme je le crois
conséquence. En eflet, quoique l'Auteur de l'Es avec Platon et même avec l'Ecole et avec tous
sai dise mille belles choses, que j'applaudis, nos ceux, qui prennent dans cette signification le
Systèmes diffèrent beaucoup. Le sien a plus de passage de S. Paul (Rom. II. 15.) où il marque,
rapport à Aristote et le mien à Platon, quoique que la Loi de Dieu est écrite dans les coeurs.
nous nous éloignions en bien des choses l'un et Les Stoïciens appelloient ces principes notions
l'autre de la doctrine de ces deux anciens. Il communes, Prolepses, c'est à dire des as-
est plus populaire, et moi je suis forcé quelque sumtions fondamentales, ou ce qu'on prend pour
fois d'être un peu plus acroamatique et plus ab accordé par avance. Les Mathématiciens les ap
strait, ce qui n'est pas un avantage à moi, sur pellent notions communes ( xoivàç tv-
tout écrivant dans une langue vivante. Je crois volaç). Les Philosophes modernes leur don
cependant, qu'en faisant parler deux personnes, nent d'autres beaux noms, et Jules Scaliger par
dont l'une expose les sentimens, tirés de l'Essai ticulièrement les uommoit Semina aeternita-
de cet Auteur, et l'autre y joint mes observa tis, item Zopyra, comme voulant dire des
tions, le parallèle sera plus au gré tlu Lecteur, feux vivans, des traits lumineux, cachés au de
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT PROPOS. 193
dans de nous, que la rencontre des sens et des ! lire dans l'Ame ces éternelles loix de la raison
objets externes fait paroitre comme des étincel j à livre ouvert, comme l'Edit du Préteur se lit
les, que le choc fait sortir du fusil; et ce n'est sur son album sans peine et sans recherche;
pas sans raison, qu'on croit, que ces éclats niais c'est assez, qu'on les puisse découvrir en
marquent quelque chose de divin et d'éternel, nous à force d'attention,- à quoi les occasions
qui paroit sur tout dans les vérités nécessaires. sont fournies par les sens. Le sucées des expé
D'où il nait une autre question, savoir, si tou riences sert de confirmation à la raison, à peu
tes les vérités dépendent de l'expérience, c'est à près comme les épreuves servent dans l'Arithmé
dire de l'induction et des exemples; ou s'il y tique pour mieux éviter l'erreur du calcul quand
en a, qui ont encore uu autre fondement. Car le raisonnement est long. C'est aussi en quoi
si quelques évènemens peuvent être prévus avant les connoissauces des hommes et celles des bê
toute épreuve, qu'on en ait faite, il est mani tes sont différentes. Les bêtes sont purement
feste, que iious y contribuons quelque chose de empiriques et ne font que se régler sur les exem
notre part. Les sens, quoique nécessaires pour ples ; car, autant qu'on en peut juger, elles n'ar
toutes nos connoissances actuelles, ne sont point rivent jamais à former des propositions néces
suftisans pour nous les donner toutes, puisque saires, au lieu que les hommes sont capables de
les sens ne donnent jamais que des exemples, sciences démonstratives, en quoi la faculté, que
c'est à dire des vérités particulières ou indivi les bêtes ont, de faire des consécutions, est quel
duelles. Or, tons les exemples, qui confirment que chose d'inférieur à la raison, qui est dans les
une vérité générale, de quelque nombre qu'ils hommes. Les consécutions des bêtes sont purement
soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité comme celles des simples empiriques, qui prétendent,
universelle de cette même vérité: car il ne suit que ce, qui est arrivé quelques fois arrivera encore
pas, que ce qui est arrivé, arrivera toujours de dans un cas, où ce, qui les frappe, est pareil,
même. Par exemple les Grecs et les Romains sans être pour cela capables de juger, si les mê
et -tous les autres peuples ont toujours remar mes raisons subsistent. C'est par là qu'il est si
qués, qu'avant le décours de ^ingt quatre heures aisé aux hommes d'attrapper les bêtes, et qu'il
le jour se change en nuit, et la mût en jour. est si facile aux simples empiriques de faire des
Mais on se seroit trompé si l'on avoit crû, que fautes. Les personnes devenues habiles par l'âge
la même règle s'observe partout, puisqu'on a vu et par l'expérience n'en sont pas même exem
le contraire dans le séjour de Nova Zcmbla. Et ptes, lors qu'elles se fient trop à leur expérience
celuilà se tromperoit encore, qui croiroit, que passée, comme cela est arrivé à quelques uns
cest au moins dans nos climats une vérité né dans les affaires civiles et militaires, parcequ'on
cessaire et éternelle, puisqu'on doit juger, que la ne considère point assez, que le monde change,
Terre et le Soleil même n'existent pas nécessai et que le» hommes deviennent plus habiles, en
rement, et qu'il y aura peut-être un teins, où trouvant mille adresses nouvelles, au lieu que les
ce bel astre ne sera plus avec tout son Système, cerfs ou les lièvres de ce temps ne sont pas plus
au moins en sa présente forme. D'où il paroit, rusés, que ceux du tems passé. Les consécu
que les vérités nécessaires, telles qu'où les trouve tions des bêtes ne sont qu'une ombre du raison
dans les Mathématiques pures et particulièrement nement, c'est à dire, ne sont qu'une connexion
dans l'Arithmétique et dans la Géométrie doi d'imagination et un passage d'une image à une
vent avoir des principes, dont la preuve ne dé antre, parceque dans uue rencontre nouvelle, qui
pende point des exemples, ni par conséquent paroit semblable à la précédente, elles s'atten
du témoignage des sens , quoique sans les sens dent de nouveau à ce qu'elles y ont trouvé
on ne se seroit jamais avisé d'y penser. C'est joint autrefois, comme si les choses étoient liées
ce qu'il faut bien distinguer, et c'est ce qu'Eu- en effet, parceque leurs images le sont dans la
cb'de a si bien compris en montrant par la rai mémoire. 11 est bien vrai que la raison con
son, ce qui se voit assez par l'expérience et par seille qu'on s'attende pour l'ordinaire de voir
les images sensibles. La Logique encore avec la arriver à l'avenir ce, qui est conforme à une
Métaphysique et la Morale, dont l'une forme la longue expérience du passé; mais ce n'est pas
Théologie et l'autre la Jurisprudence, naturelles pour cela une vérité nécessaire et infaillible, et
toutes deux, sont pleines de telles vérités; et par le succès peut cesser, quand on s'y attend le
conséquent leur preuve ne peut venir, que des moins, lorsque les raisons, qui l'ont maintenu,
principes internes, qu'on appelle innés. Il est changent. Pour cette raison les plus sages ne
vrai, qu'il ne faut point s'imaginer, qu'on puisse s'v fient pas tant, qu'ils ne tâchent de péné
25 *
196 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT -PROPOS.
trer (s'il est possible,) quelque chose de la rai- des virtualités naturelles, et non pas comme des
eou de ce fait, pour juger quand il faudra faire actions, quoique ces virtualités soient toujours
des exceptions. Car la raison est seule capable accompagnées de quelques actions souvent insen
d'établir des règles sûres et de suppléer à ce, sibles, qui y repondent.
qui manque à celles, qui ne l'étoient point, en Il semble que notre habile Auteur prétende,
y faisant des exceptions, et de trouver enfin des qu'il n'y ait rien de virtuel en nous, et même
liaisons certaines dans la force des conséquences rien, dont nous nous appercevions toujours ac
nécessaires; ce qui donne souvent le moyen de tuellement. Mais il ne peut pas prendre cela à
prévoir l'événement sans avoir besoin d'expéri la rigueur, autrement son sentiment serait trop
menter les liaisons sensibles des images, où les parodoxe, puisqu'encore que les habitudes acqui
bêtes sont réduites, de sorte que ce qui justi ses et les provisions de notre mémoire ne soient
fie les principes internes des vérités nécessaires, pas toujours apperçuës et même ne viennent pas
distingue encore l'homme de la bête. toujours à notre secours au besoin, nous nous
Peut-être que nôtre habile Auteur ne s'éloi les remettons souvent aisément dans l'esprit à
gnera pas entièrement de mon sentiment. Car quelque occasion légère, qui nous en fait sou
après avoir employé tout son premier livre à venir, comme il ne nous faut que le com
rejetter les lumières innées, prises dans un cer mencement d'une chanson pour nous faire res
tain sens, il avoue pourtant au commencement souvenir du reste. Il limite aussi sa Thèse en
du second et dans la suite, que les Idées, qui : d'autres endroits, en disant qu'il n'y a rien en
n'ont point leur origine dans la Sensation, vien nous, dont nous no nous soyons au moins ap
nent de la Réflexion. Or la Réflexion n'est perçûs autrefois. Mais outre, que personne no
autre chose, qu'une attention à ce qui est en peut assurer par la seule raison jusqu'où peu
nous, et les sens ne nous donnent point ce que vent être allées nos apperceptions passées, que
nous portons déjà avec nous. Cela étant, peut- nous pouvons avoir oubliées, sur tout suivant la
on nier, qu'il y ait beaucoup d'inné en notre réminiscence des Platoniciens, qui toute fabuleuse
esprit, puisque nous sommes innés à nous mê qu'elle est, n'a rien d'incompatible avec la rai
mes pour ainsi dire'! et qu'il y ait en nous: son toute nue: outre cela dis -je, pourquoi faut-
Etre, Unité, Substance, Durée, Changement, Ac il que tout nous soit acquis par les appercop-
tion, Perception, Plaisir, et mille antres objets tions des choses externes, et que rien ne puisse
de nos idées intellectuelles? Ces mêmes objets être déterré en nous mêmes! Notre Ame est elle
étant immédiats et toujours présents à nôtre donc seule si vuide, que sans les images em
Entendement, (quoi qu'ils ne sauraient être tou pruntées du dehors, elle ne soit rien! ce n'est
jours apperçûs à cause de nos distractions et de pas là (je m'assure) un sentiment, que notre ju
nos besoins) pourquoi s'étonner, que «nous di dicieux Auteur puisse approuver. Et où trou
sions, que ces Idées nous sont innées avec tout vera-t-on des tablettes qui ne soient quelque
ce qui en dépend? Je me suis servi aussi de la chose de varié par elles mêmes? Verra -t-on ja
comparaison d'une pierre de marbre, qui a des mais un plan parfaitement uni et uniforme? Pour
veines, plutôt que d'une pierre de marbre toute quoi donc ne poumons nous pas fournir aussi
unie, ou des tablettes vuides, c'est à dire de ce à nous mêmes quelque objet de pensée de notre
qui s'appelle tabula rasa chez les Philosophes ; propre fonds, lorsque nous y voudrons creuser!
car si l'Ame ressembloit à ces tablettes vuides, Ainsi je suis porté à croire, que dans le fonds
les vérités seraient en nous comme la figure son sentiment sur ce point n'est pas différent
d'Hercule est dans un marbre, quand le marbre du mien, ou plutôt du sentiment commun, d'au
est tout à fait indiffèrent à recevoir ou cette tant qu'il reconnoit deux sources de nos con-
figure ou quelque autre. Mais s'il y avoit des noissances, les Sens et la Réflexion.
veines dans la pierre, qui marquassent la figure Je ne sai s'il sera si aisé d'accorder cet Au
d'Hercule préférablement à d'autres figures, cette teur avec nous et avec les Cartésiens, lors qu'il
pierre y serait plus déterminée, et Hercule y se soutient que l'Esprit ne pense pas toujours, et
rait comme inné en quelque façon, quoiqu'il particulièrement, qu'il est sans perception, quand
falût du travail pour découvrir ces veines et pour on dort sans avoir des songes. 11 dit, que,
les nettoyer par la politure, en retranchant ce puisque les coqis peuvent être sans mouvement,
qui les empêche de paroitre. C'est ainsi que les les aines pourront bien être aussi sans pensée.
Idées et les vérités nous sont innées, comme des Mais ici je reponds un peu autrement, qu'on n'a
inclinations, des dispositions, des habitudes ou coutume de faire. Car je soutiens que naturel-
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT- PROPOS. 197
lenicnt imo Substance ne saurait être sans Ac ne se remarqueroit pas, si cette vague, qui le
tion, et qu'il n'y a même jamais de corps sans fait, étoit seule. Car il faut qu'on soit allecté
mouvement. L'expérience me favorise déjà, et un peu par le mouvement de cette vague, et
on n'a qu'à consulter le livre de l'illustre M. qu'on ait quelque perception de chacun de ces
Boyle contre le repos absolu, pour en être per bruits, quelques petits qu'ils soyent; autrement
suadé. Mais je crois, que la raison y est en on n'aurait pas celle de cent mille vagues, puis
core. Et c'est une des preuves, que j'ai pour que cent mille riens ne sauraient faire quelque
détruire les Atomes. D'ailleurs il y a mille chose. D'ailleurs on ne dort jamais si profon
marques, qui font juger qu'il y a à tout moment dément, qu'on n'ait quelque sentiment foiblé et
une infinité de perceptions en nous, mais sans confus; et ou ne serait jamais éveillé jiar le
Apperception et sans Réflexion, c'est à dire des plus grand bruit du inonde, si on n'avoit quel
changements dans l'Aine même, dont nous ne que perception de son commencement, qui est
nous appercevons pas, parce que ces impressions petit, comme on ne romprait jamais une corda
sont ou trop petites et en trop grand nombre, par le plus grand effort du monde, si elle n'é-
ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'as toit tendue et allongée un peu par de moindres
sez distinguant à part, mais jointes à d'autres, efforts, quoique cette petite extension, qu'ils font,
elles ne laissent pas de faire leur effet, et de ne paroisse pas.
se faire sentir dans l'assemblage, ou moins con Ces petites perceptions sont donc de plus grande
fusément. C'est ainsi que la coutume fait, que efficace qu'on ne pense. Ce sont elles, qui for
nous ne prenons pas garde au mouvement d'un ment ce je ne sai quoi, ces goûts, ces images
moulin ou à une chiite d'eau, quand nous avons des qualités des sens, claires dans l'assemblage,
habité tout au près depuis quelque temps. Ce mais confuses dans les parties; ces impressions
n'est pas, que ce mouvement nu frappe toujours que les corps, qui nous environnent, font sur
nos organes, et qu'il ne se passe encore quel nous et qui enveloppent l'infini; cette liaison que
que chose dans l'âme qui y reponde à cause de chaque être a avec tout le reste de l'univers.
l'harmonie de l'âme et du corps; mais les im On peut même dire qu'en conséquence de ces
pressions, qui sont dans l'âme et clans le corps, petites perceptions le présent est plein de l'a
destituées des attraits de la nouveauté, ne sont venir et chargé du passé, que tout est conspi
pas assez fortes pour s'attirer nôtre attention et rant ( <njf.mvoia navra comme disoit Ilippo-
nôtre mémoire, qui ne s'attachent qu'à des ob crate), et que dans la moindre des substances,
jets plus occupans. Toute attention demande de des yeux aussi perçans, que ceux de Dieu, pour
la mémoire et quand nous ne sommes point aver raient lire toute la suite des choses de l'univers.
tis, pour ainsi dire, de prendre garde à quelques Quac sint,quae fuerint, quae mox futura trahautur.
unes de nos propres perceptions présentes, nous
les laissons passer sans réflexion et même sans Ces perceptions insensibles marquent encore et
les remarquer: mais si quelqu'un nous en aver constituent le môme individu, qui est caracté
tit incontinent et nous fait remarquer par exem risé, par les traces, qu'elles conservent des états
ple quelque bruit, qu'on vient d'entendre, nous précédens de cet individu, en faisant la conne
nous en souvenons et nous nous appercevons xion avec son état présent; et elles se peuvent
d'en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi connoîtrc par un esprit supérieur, quand même
c'étoieiit des perceptions, dont nous ne nous cet individu ne les sentirait pas, c'est à dire
étions pas apperçûs incontinent, l'apperception lorsque le souvenir exprès n'y serait plus. Elles
ne venant dans ce cas d'avertissement, qu'après donnent même le moyen de retrouver le souve
quelque intervalle tout petit qu'il soit. Pour nir au besoin par des développetnens périodi
juger encore mieux des petites perceptions, que ques, qui peuvent arriver un jour. C'est pour
nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai cela que la mort ne saurait être qu'un sommeil,
coutume de me servir de l'exemple du mugisse et même ne saurait en demeurer un, les per
ment, ou du bruit de la mer, dont on est frappé ceptions cessant seulement à être assez distin
qnand on est au rivage. Pour entendre ce bruit, guées et se réduisant à un état de confusion
comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les dans les animaux, qui suspend l'apperception,
parties, qui composent ce tout, c'est à dire le mais qui ne saurait durer toujours.
bruit de chaque vague, quoique chacun de ces C'est aussi par les perceptions insensibles que
petits bruits ne se fasse connoitre que dans l'assem j'explique cette admirable harmonie préétablie de
blage confus de tous les autres ensemble, et qu'il l'âme et du corps, et mémo de toutes les Mo
198 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT -PROPOS.
nades ou Substances simples, qui supplée à l'in ment un mouvement contraire au précédent. Tout
fluence insoutenable des uns sur les autres, et qui, cela fait bien juger, que les perceptions remarqua
au jugement de l'auteur du plus beau des Diction bles viennent par dégrés de celles, qui sont trop
naires, exalte la grandeur des perfections divines petites pour être remarquées. En juger autrement
an delà de ce qu'on en a jamais conçu. Après c'est peu connoitre l'immense subtilité des cho
cela je dois encore ajouter, que ce sont ces petites ses, qui enveloppe toujours et partout un infini
perceptions qui nous déterminent en bien de ren actuel.
contres sans qu'on y pense, et qui trompent le vul J'ai aussi remarqué, qu'en vertu des variations
gaire par l'apparence d'une indifférence d'é insensibles, deux choses individuelles ne sauroieut
quilibre, comme si nous étions indifférais de être parfaitement semblables, et qu'elles doivent
tourner par exemple à droite ou à gauche. Il toujours différer plus que numéro, ce qui détruit
n'est pas nécessaire que je fasse aussi remiirquer les tablettes vuides de l'âme, une âme sans pen
ici, comme j'ai fait dans le livre même, qu'elles sée, une substance sans action, le vuide de l'es
causent cette inquiétude, que je montre consister pace, les atomes, et môme des parcelles non actuel
en quelque chose, qui ne diffère de la douleur, que lement divisées dans la matière, l'uniformité en
comme le petit diffère du grand et qui fait pour tière dans une partie du temps, du lien, ou de la
tant souvent nôtre désir et même nôtre plaisir , en matière, les globes parfaits du second élément, nés
lui donnant comme un sel qui pique. Ce sont les des cubes parfaits originaires, et mille autres fic
mêmes parties insensibles de nos perceptions sen tions des Philosophes, qui viennent de leurs no
sibles, qui font, qu'il y a un rapport entre ces tions incomplettes, que la nature des choses ne
perceptions des couleurs, des chaleurs, et autres souffre point, et que nôtre ignorance et le peu
qualités sensibles, et entre les mouvemeus dans d'attention, que nous avons à l'insensible, fait pas
les corps, qui y répondent; au lieu que les Carté ser, mais qu'on ne sauroit rendre tolérables, à
siens avec nôtre Auteur, tout pénétrant qu'il est, moins qu'on ne les borne à des abstractions de l'es
conçoivent les perceptions, que nous avons de ces prit, qui proteste de ne point nier ce qu'il met à
qualités, comme arbitraires , c'est à dire, comme si quartier, et qu'il juge ne devoir point entrer en
Dieu les avoit données à l'aine suivant son bon quelque considération présente. Autrement si on
plaisir, sans avoir égard à aucun rapport essentiel l'eutendoit tout de bon, savoir, que les choses,
entre les perceptions et leurs objets: sentiment dont on ne s'apperçoit pas, ne sont point dans
qui me surprend et qui me paroit peu digne de la l'âme ou dans le corps, ou manquerait en Philoso
sagesse de l'Auteur des choses, qui ne fait rien phie comme en Politique-, eu négligeant TÔ ^it-
sans harmonie et sans raison. xpov, les progrès insensibles; au lieu qu'une ab
Eu un mot les perceptions insensibles straction n'est pas une erreur, pourvu qu'on sache
sont d'un aussi grand usage dans la Pneumatique, que ce, qu'on dissimule, y est. C'est comme les
que les corpuscules dans la Physique; et il est éga Mathémaciens en usent quand ils parlent des lignes
lement déraisonnable de rejetter les nus et les au parfaites, qu'ils nous proposent, des mouvemcns
tres, sous prétexte qu'elles sont hors de la portée uniformes et d'autres effets réglés, quoique la ma
de nos sens. Rien ne se fait tout d'un coup, et tière (c'est à dire le mélange des effets de l'infini,
c'est une de mes grandes maximes et des plus vé qui nous environne) fasse toujours quelque excep
rifiées, que la nature ne fait jamais des tion. Pour distinguer les considérations, pour ré
sauts. J'appellois cela la loi de la conti duire les effets aux raisons, autant qu'il nous est
nuité, lorsque j'en parlois autre fois dans les possible, et pour en prévoir quelques suites, on
nouvelles de la république des lettres; et l'usage procède ainsi : car plus ou est attentif à ne rien
de cette loi est très -considérable dans la Physique. négliger des considérations, que nous pouvons ré
Elle porte qu'on passe toujours du petit au grand gler, plus la pratique répond à la théorie. Mais
et à rebours par le médiocre, dans les dégrés il n'appartient qu'à la suprême raison, à qui rien
comme dans les parties; et que jamais un mouve n'échappe, de comprendre distinctement tout l'in
ment ne nait immédiatement du repos, ni ne s'y fini, toutes les raisons et toutes les suites. Tout
réduit que par un mouvement plus petit, comme ce que nous pouvons sur les infinités, c'est de les
on n'achève jamais de parcourir aucune ligne ou connoitre confusément, et de savoir au moins di
longueur avant que d'avoir achevé une ligne plus stinctement, qu'elles y sont; autrement nous ju
petite, quoique jusques ici ceux, qui ont donné les geons fort mal de la beauté et de la grandeur de
loix du mouvement n'ayent point observé cette l'univers, comme aussi nous ne saurions avoir une
loi, croyant qu'un corps peut recevoir en un mo bonue Physique, qui explique la nature des cho
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT-PROPOS. 199
ses en général, et encore moins une bonne l'animal, ou de détruire tous les organes, et pri
Pneumatique , qui comprenne la coimoissance ver l'âme de tout son corps organique, et des restes
de Dieu, îles âmes, et des Substances simples en ineffaçables de toutes les traces précédentes. Mais la
général. facilité, qu'on a eue, de quitter l'ancienne doctrine
Cette connoissance des perceptions insensibles des corps subtils, joints aux Anges, (qu'on confon-
sert aussi à expliquer pourquoi et comment deux doit avec la corporalité des anges môme) et l'intro
âmes humaines ou deux choses d'une même espèce, duction de prétendues intelligences séparées dans
ne sortent jamais parfaitement semblables des les créatures (à quoi celles, qui font rouler les
mains du Créateur, et ont toujours chacune son cieux d'Aristote, ont contribué beaucoup) et enfin
rapport originaire aux points de vue, qu'elles au l'opinion mal entendue, où l'on a été, qu'on ne
ront dans l'univers. Mais c'est ce qui suit déjà pouvoit conserver les âmes des bêtes sans tomber
de ce, que j'avois remarqué de deux individus; sa dans la métempsychose, ont fait, à mon avis, qu'on
voir, que leur différence est toujours plus que a négligé la manière naturelle d'expliquer la con
numérique. 11 y a encore un autre point de servation de l'âme. Ce qui a fait bien du tort à
conséquence, où je suis obligé de m'éloigner non la religion naturelle, et a fait croire à plusieurs,
seulement des sentimens de nôtre auteur, mais que nôtre immoralité n'étoit qu'une grâce miracu
aussi de ceux de la plupart des modernes ; c'est que leuse de Dieu, dont encore notre célèbre Auteur
je crois avec la plupart des anciens, que tous les parle avec qnelqne doute, comme je dirai tantôt.
génies, toutes les âmes, toutes les substances sim Mais il seroit à souhaiter, que tous ceux, qui sont
ples crées, sont toujours à un corps, et qu'il n'y a de ce sentiment, en eussent parlé anssi sagement
jamais des âmes qui en soient entièrement sépa et d'aussi bonne foi que lui ; car il est à craindre,
rées. J'en ai des raisons à priori. Mais on trou que plusieurs, qui parlent de l'immortalité par
vera encore, qu'il y a cela d'avantageux dans ce grâce, ne le font que pour sauver les apparences, et
dogme, qu'il ressout toutes les difficultés philoso approchent dans le fonds de ces Averroistes, et de
phiques sur l'état des âmes, sur leur conservation quelques mauvais Quietistcs, qui s'imaginent une
perpétuelle, sur leur immortalité, et sur leur opé absorption et réunion de l'âme à l'océan de la di
ration, la différence d'un de leur états à l'autre vinité, notion dont peut-être mon système seul fait
n'étant jamais , ou n'sfyant jamais été que du plus bien voir l'impossibilité.
au moins sensible, du plus parfait au moins parfait, Il semble aussi , que nous différons encore par
ou à rebours, ce qui rend leur état passé ou à ve rapport à la matière , en ce que l'Auteur juge que
nir aussi explicable que celui d'à présent. On sent le vuide est nécessaire pour le mouvement, parce
assez en faisant tant soit peu de réflexion, que qu'il croit que les petites parties de la matière sont
cela est raissonnable , et qu'un saut d'un état à un roides. J'avoue que si la matière étoit composée
autre, infiniment différent, ne sauroit être naturel. de telles parties, le mouvement dans le plein seroit
Je m'étonne qu'en quittant la nature sans sujet, les impossible, comme si une chambre étoit pleine d'une
écoles ayent voulu s'enfoncer exprès dans des difficul quantité de petits cailloux, sans qu'il y eut la
tés très -grandes, et fournir matière aux triomphes moindre place vuide. Mais on n'accorde point cette
appareils des esprits forts, dont toutes les raisons supposition, dont il ne paroit pas aussi qu'il y ait
tombent tout d'un coup par cette explication des aucune raison; quoique cet habile Auteur aille jus
choses, où il n'y a pas plus de difficulté à conce qu'à croire, que la roideur ou la cohésion des pe
voir la conservation des âmes (ou plutôt selon moi tites parties fait l'essence du corps. Il faut plutôt
de Tanimal,) que celle qu'il y a dans le cliange- concevoir l'espace comme plein d'une matière ori
ment de la chenille en papillon, et dans la conser ginairement fluide, susceptible de toutes les divi
vation de la pensée dans le sommeil, auquel Jésus- sions, et assujettie même actuellement à des divi
Christ a divinement bien comparé la mort. Aussi sions et subdivisions à l'infini ; mais avec cette dif
ai -je déjà dit, qu'aucun sommeil ne sauroit durer férence pourtant, qu'elle est divisible et divisée in
t«ni juins; et il durera moins ou presque point du également en différens endroits à cause des monve-
tout aux âmes raisonnables, qui sont toujours de mens qui y sont déjà plus ou moins conspiraus; ce
stinées à conserver le personnage et la souvenance, qui fait qu'elle a partout un degré de roideur aussi
qui leur à été donné dans la Cité de Dieu, et cela bien que de fluidité et qu'il n'y a aucun corps, qui
pour être mieux susceptibles des recompenses et soit dur ou fluide au suprême degré, c'est à dire,
des châtiments. J'ajoute encore qu'en général au [ qu'on n'y trouve aucun atome d'une dureté insur-
cun dérangement des organes visibles n'est capable ! montable, ni aucune masse entièrement indifférente
de porter les choses à une entière confusion dans ; à la division. Aussi 1 ordre de la nature, et parti
200 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT -PROPOS.
culièrement la loi tic la coutinuité détruit également «trementqne lescoqw agissent les uns sur les autres,
l'un et l'autre. • car il nous est impossible de comprendre, que le
J'ai fait voir aussi que la Cohésion, qui ne • corps puisse agir sur ce qu'il ne touche pas, ce qui est
seroit pas elle même l'effet de l'impulsion ou du » autant que d'imaginerqu'il puisse agir où il n'est pas.-
mouvement, causeroit une traction prise à la ri Je ne puis que louer cette pieté modeste de nô
gueur. Car s'il y avoit un corps originairement tre célèbre Auteur, qui reconnoit, que Dieu peut
roide, par exemple un atome d'Epicure, qui auroit faire au delà de ce que nous pouvons entendre; et
une partie avancée en forme de crochet (puisqu'on qu'ainsi il peut y avoir des mystères inconcevables
peut se figurer des atomes de toute sorte de figu dans les articles de la foi; mais je ne voudrois
res ) ce crochet poussé tireroit avec lui le reste de pas qu'on fut obligé de recourir aux miracles dans
cet atome, c'est à dire la partie, qu'on ne pousse le cours ordinaire de la nature, et d'admettre des
point, et qui ne tombe point dans la ligne de l'im puissances et opérations absolument inexplicables.
pulsion. Cependant nôtre habile Auteur est lui Autrement à la faveur de ce que Dieu peut faire,
môme contre ces fa-actions philosophiques, telles on donnera trop de licence aux mauvais Philoso
qu'on les attribuoit autrefois à la crainte du vuide ; phes, et en admettant ces vertus centripètes,
et il les réduit aux impulsions, soutenant avec les ou ces attractions immédiates de loin, sans
modernes, qu'une partie de la matière n opère im qu'il soit possible de les rendre intelligibles, je ne
médiatement sur l'autre, qu'en la poussant de près, vois pas ce qui empêcheroit nos scholastiques do
en quoi je crois qu'ils ont raison, parce qu'autre dire, que tout se. fait simplement par les facultés,
ment il n'y a rien d'intelligible dans l'opération. et de soutenir leurs espèces intentionelles, qui vont
11 faut pourtant que je ne dissimule point d'a des objets jusqu'à nous, et trouvent moyen d'en
voir remarqué une manière de retraction de nôtre trer jusques dans nos âmes. Si cela va bien,
excellent Auteur sur ce sujet , et je ne saurait
m'empêcher de loger en cela sa modeste sincérité, Omnia jam fient, fieri quae posse negabam.
autant que j'ai admiré son génie pénétrant en d'au De sorte qu'il mn semble, que nôtre Auteur, tout
tres occasions. C'est dans la réponse à la seconde judicieux qu'il est, va ici un peu trop d'une extré
lettre de feu Mr. l'Evéque de Worcester, imprimée mité à l'autre. Il fait le difficile sur les opéra
en 1699. pag. 408. où pour justifier le sentiment, tions des aines, quand il s'agit seulement d'ad
qu'il avoit soutenu contre ce savaut Prélat, savoir que mettre ce qui n'est point sensible, et le voilà
la matière pourroit penser, il dit entre autres choses : qui donne aux corps ce qui n'est pas même intel
«J'avoue que j'ai dit« (livre 2. de l'Essai concernant ligible; leur accordant des puissances et des ac
' l'entendementC.8. §. 1 1.) »(juele corps opère parim- tions, qui passent tout ce qu'à mon avis un esprit
» pulsion et non autrement. Aussi étoit-ce mon senti- crée sauroit faire et entendre, puis qu'il leur ac
» mentquandje l'écrivis, et encore présentementje ne corde l'attraction et même à des grandes distances,
» saurais concevoir une autre manière d'agir. Mais sans se borner à aucune sphère d'activité; et cela
» depuis j'ai été convaincu par le livre incompa- pour soutenir un sentiment, qui n'est pas moins
» râble du judicieux M. Newton, qu'il y a trop inexplicable, savoir la possibilité de la pensée de
» de présomption de vouloir limiter la puissance de la matière dans l'ordre naturel.
» Dieu par nos conceptions bornées. la gravita- La question, quil agite avec le célèbre Prélat,
» tion de la matière vers la matière par des voyes, qui l'avoit attaqué, est, si la matière peut
» qui me sont inconcevables, est non seulement une penser; et comme c'est un point important,
• démonstration, que Dieu peut, quand bon lui même pour le présent ouvrage, je ne puis me dis
• semble, mettre dans les corps des puissances et penser d'y entrer un peu, et de prendre connois-
• manières d'agir, qui sont au dessus de ce qui sance de leur contestation. J'en représenterai la
• peut être dérivé de notre idée du corps, ou ex- substance sur ce sujet, et prendrai la liberté de
• pliqué par ce que nous connoissons de la matière; dire ce que j'en pense. Feu M. l'Evéque de
• mais c'est encore une instance incontestable qu'il Worcester appréhendant ( mais sans en avoir
• l'a fait effectivement. C'est pourquoi j'aurai soin, grand sujet à mon avis) que la doctrine des idées
> que dans la prochaine édition de mou livre ce de notre Auteur ne fût sujette -à quelques abus,
• passage soit reddressé. « Je trouve que dans la préjudiciables à la foi Chrétienne, entreprit d'en
version française de ce Livre, faite sans doute sur les examiner quelques endroits dans sa Vindication de
dernières éditions on la mis ainsi dans ce §. 11. la doctrine de la Trinité et ayant rendu justice à
» II est visible au moins autant que nous pouvons cet excellent écrivain, en rcconnoissant qu'il
• le concevoir, que c'est par impulsion, et non au- juge l'existence de l'esprit aussi certaine que celle
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT -PROPOS. 201
«lu corps, quoique l'une de ces substances soit aussi «berté et de puissance de mouvoir nôtre corps,
peu connue que l'autre, il demande (pag. 241. seq.) «nous avons une notion aussi claire des substan-
comment la réflexion nous peut assurer de l'exi •ces immatérielles que des matérielles.* Il allè
stence de l'esprit, si Dieu peut donner à la matière gue d'autres passages encore pour faire voir, que
la faculté de penser suivant le sentiment de nôtre l'Auteur opposoit l'esprit au corps, et dit (p. 54.)
Auteur liv. 4. chap. 3. puisqu'ainsi la voie des que le but de la religion et de la morale est mieux
Idées, qui doit servir à discuter ce qui peut conve assuré, en prouvant, que l'âme est immortelle par
nir à Famé ou au corps, deviendrait inutile, au sa nature, c'est à dire immatérielle. Il allègue
lieu, qu'il étoit dit dans le livre 2. de l'Essai sur l'en encore (pag. 70.) ce passage, «que toutes les idées
tendement, chap. 23. §. 15. 27. 28. que les opé «que nous avons des espèces particulières et di-
rations de l'âme nous fournissent l'Idée de l'esprit «stinctes des substances, ne sont autre chose que
et que l'entendement avec la volonté nous rend •différentes combinaisons d'idées simples,* et
cette Idée aussi intelligible que la nature du corps qu'ainsi l'Auteur a crû, que l'idée de penser et de
nous est rendue intelligible par la solidité et par vouloir donnoit une autre substance, différente de
l'impulsion. Voici comment nôtre Auteur y ré celle, que donne l'idée de la solidité et de l'impul
pond dans la première lettre (p. 65. seq.). »Jc sion; et que (§. 17.) il marque, que ces idées con
-crois avoir prouvé, qu'il y a une substance spiri stituent le corps, opposé à l'esprit.
tuelle en nous, car nous expérimentons en nous M. de Worcester pouvoit ajouter, que de ce qau
• la pensée; or cette action, ou ce mode, ne sau- l'idée générale de substance est dans le corps
» roit être l'objet de l'idée d'une chose subsistente et dans l'esprit, il ne s'en suit pas, que leurs dif
» de soi, et par conséquent ce mode a besoin d'un férences soient des modifications d'une mémo
«support ou sujet d'inhésion et l'idée de ce sup- chose, comme nôtre auteur vient de le dire dan>
»port fait ce que nous appelions substance - - - car l'endroit, que j'ai rapporté de sa première lettre.
«puisque ridée générale de la substance est par 11 faut bien distinguer entre modifications et attri
«tout la même, il s'ensuit, que la modification, qui buts. Les facultés d'avoir de la perception et
«s'appelle pensée ou pouvoir de penser, y étant d'agir, l'étendue, la solidité, sont des attributs ou
•jointe, cela fait un esprit sans qu'on ait besoin des prédicats perpétuels et principaux ; mais la pensée,
«de considérer quelle autre modification il a en- l'impétuosité, les figures, les mouvemens, sont dus mo
•core, c'est à dire, s'il a de la solidité ou non; et difications de ces attributs. De plus, on doit distin
»de l'autre coté la substance, qui a la modification, guer entre genre Physique ou plutôt réel et genre
•qu'on appelle solidité, sera matière, soit que la Logique, ou idéal. Les choses qui sont d'un mémo
«pensée y soit jointe ou non. Mais si par une genre Physique, ou qui sont homogènes, sont
«substance spirituelle vous entendez une substance d'une même matière pour ainsi dire et peuvent
«immatérielle, j'avoue de n'avoir point prouvé, souvent être changées l'une dans l'autre par le
«qu'il y en ait en nous, et qu'on ne peut point le changement de la modification; comme les cercles
«prouver demonstrativement sur mes principes; et les quarrés. Mais deux choses hétérogènes
•Quoique ce que j'ai dit sur les systèmes de la peuvent avoir un genre Logique commun et alors
«matière (liv. 4. c. 10. §. 16.) en démontrant, leurs différences ne sont pas des simples modi
• que Dieu est immatériel, rende probable au su- fications accidentelles d'un même sujet ou d'une
«prème degré, que la substance, qui pense eu nous, même matière métaphysique ou physiqne. Ainsi
«est immatérielle - - - - cependant j'ai montré le temps et l'espace sont des choses fort hé
• (ajoute l'Auteur p. 68.) que les grands buts de térogènes et on auroit tort de s'imaginer je ne saî
«la religion et de la morale sont assurés par l'im- quel sujet réel commun, qui n'eût que la quantité
» mortalité de l'âme, sans qu'il soit besoin de sup- continue en général et dont les modifications fissent
« poser son immatérialité. - provenir le tem[>s ou l'espace. Cependant leur
Le savant Evêque dans sa réponse à cette genre Logique commun est la quantité continu;'.
lettre, pour foire voir que nôtre Auteur a été d'un Quelqu'un se mocquera peut-être de ces distinc
autre sentiment, lors qu'il écrivoit son second livre tions des Philosophes de deux genres, l'un Logi
de l'Essai, en allègue pag. 51. ce passage (pris du que seulement, l'autre encore réel; et de deux.
même livre c. 215. §. 15.) où il est dit, «que par matières, l'une Physique, qui est celle des corps,
«les idées simples, que nous avons déduites des l'autre Métaphysique seulement oa générale, comme
«opérations de nôtre esprit, nous pouvons former si quelqu'un disoit, que deux parties de l'espace
«Tidée complexe d'nn esprit et que mettant en- sont d'une même matière, ou que deux henres sont
» semble les idées de pensée-, de perception, de li- aussi entr'elles d'une même matière. Cependant
26
202 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT- PROPOS.
tes distinctions ne sont pas seulement des termes, tion commune, et celle du genre réel est commune
mais des choses mêmes, et semblent venir bien à aux deux matières; de sorte que leur généalogie
propos ici, où leur confusion a fait naître une sera telle:
fausse conséquence. Ces deux genres ont une no-
Logique seulement, varié par des différences simples
Genre Réel, dont les différences sont Métaphysique seulement où
des modfications , c'est il y a homogènité. .
à dire Matière <
Physique, où il y a une masse
homogène solide.
Je n'ai pas vu la seconde lettre de l'Auteur à divine. Enfin on rapporte p. 434. la remarque
l'Evêque. La réponse, que ce Prélat y fait, ne d'un voyageur aussi considérable et judicieux que
touche guères au point, qui regarde la pensée de l'est M. de la Loubère, que les payens de l'orient
la matière. Mais la réplique de nôtre Auteur à connoissent l'immortalité de l'âme, sans en pouvoir
cette seconde réponse y retourne. »Dieu« (dit -il comprendre l'immatérialité.
à peu près dans ces termes p. 397.) «ajoute à Sur tout cela je remarquerai, avant que de venir
«l'essence de la matière les qualités et perfections, à l'explication de mon opinion, qu'il est sûr, que
«qui lui plaisent; le mouvement simple dans quel- la matière est aussi peu capable de produire ma
»qnes parties, mais dans les plantes la végétation, chinalement du sentiment, que de produire de la
• et dans les animaux le sentiment. Ceux qui en raison, comme nôtre Auteur en demeure d'accord ;
«demeurent d'accord jusqu'ici, se récrient anssi- qu'à la vérité je reconnois, qu'il n'est pas jx>rmis
«tôt qu'on fait encore un pas, pour dire que Dieu de nier, ce qu'on n'entend pas, mais j'ajoute,
• peut donner à la matière pensée, raison, volonté, qu'on a droit de nier (au moins dans l'ordre natu
«comme si cela détruisoit l'essence de la matière. rel) ce qui absolument n'est point intelligible ni
«Mais pour le prouver ils allèguent, que la pensée explicable. Je soutiens aussi, que les substan
«ou raison n'est pas renfermée dans l'essence de ces (matérielles ou immatérielles) ne sauraient
«la matière; ce qui ne fait rien, puisque le inou- être conçues dans leur essence nue sans acti
• vement et la vie n'y sont pas renfermés non plus. vité; que l'activité est de l'essence de la sub
• Ils allèguent aussi, qu'on ne sauroit concevoir que stance en général; et qu'enfin la conception des
«la matière pense. Mais nôtre conception n'est créatures n'est pas la mesure du pouvoir de Dieu,
• pas la mesure du pouvoir de Dieu.« Après cela mais que leur conceptivité , ou force de concevoir,
il cite l'exemple de l'attraction de la matière p. 99. est la mesure du pouvoir de la nature, tout ce qui
mais sur-tout p. 408. où il parle de la gravitation est conforme À l'ordre naturel, pouvant être conçu
de la matière vers la matière, attribuée à M. New ou entendu par quelque créature.
ton, dans les termes que j'ai cités ci dessus, Ceux qui concevront mon système, jugeront, que
avouant, qu'on n'en sauroit jamais concevoir le je ne saurais me conformer en tout avec l'un ou
comment. Ce qui est en effet retourner aux qua l'autre de ces deux excellens Auteurs, dont la con
lités occultes, ou, qui plus est, inexplicables. 11 testation cependant est fort instructive, Mais pour
ajoute p. 401. que rien n'est plus propre à favori m'expliquer distinctement, il faut considérer avant
ser les Sceptiques que de nier ce qu'on n'entend toutes choses, que les modifications, qui peuvent
point; et p. 402. qu'on ne conçoit pas même venir naturellement ou sans miracle à un même
comment l'aine pense. 11 veut p. 403. que les sujet, y doivent venir des limitations ou variations
deux substances, la matérielle et l'immatérielle, d'un genre réel ou d'une nature originaire con
pouvant être conçues dans leur essence nue sans stante et absolue; car c'est ainsi qu'on distingue
aucune activité, il dépend de Dieu de donner à chez les Pailosoplies les modes d'un être absolu,
l'une et à l'autre la puissance de penser; et on de cet être même, comme l'on sait que la gran
veut se prévaloir de l'aveu de l'adversaire, qui avoit deur, la figure, et le mouvement sont manifeste
accordé le sentiment aux bêtes, mais qui ne leur ment des limitations et des variations de la nature
accorderait pas quelque substance immatérielle. On corporelle. Il est clair comment une étendue bor
prétend, que la liberté, la conseiosité, (pag. 408.) née donne des figures, et que le changement, qui
et la puissance de faire des abstractions (p. 409.) s'y fait, n'est autre chose que le mouvement; et
peuvent être données à la matière, non pas comme toutes les fois, qu'on trouve quelque qualité dans
matière, mais comme enrichie par une puissance un sujet, on doit croire, que si on entcndoit la
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. AVANT -PROPOS. 203
nature de ce sujet et de cctto qualité, on conce- parler), et aussi peu périssables que les atonies le
vroit coniiuent cette qualité en peut résulter. Ainsi sont chez Démocrite ou Gassendi, au lieu que les
dans Tordre de la nature, (les miracles mis à part) Cartésiens, embarassés sans sujet des âmes des bê
il n'est pas arbitraire à Dieu de donner indifférem tes et ne sachans ce qu'ils en doivent faire si elles
ment aux substances telles ou telles qualités; et il se conservent (faute de s'aviser de la conservation
ue leur en donnera jamais que colles, qui leurs se de l'animal réduit eu petit) ont été forcés de refuser
ront naturelles, c'est à dire, qui pourront être dé même le sentiment aux bêtes contre toutes les appa
rivées de leur nature comme des modifications ex rences et contre le jugement du genre humain.
plicables. Ainsi on peut juger, que la matière Mais si quelqu'un disoit, que Dieu au moins peut
n'aura pas naturellement l'attraction, mentionnée ajouter la faculté de penser à la mchine préparée,
ci dessus, et n'ira pas d'elle même en ligue courbe, je répondrais, que si cela se faisoit et si Dieu
parce qu'il n'est pas possible de concevoir comment ajontoit cette faculté à la matière, sans y verser en
cela s'y fait, c'est à dire de l'expliquer méchani- même temps une Substance, qui fût le sujet de
quemeut; au lieu que ce qui est naturel, doit pou l'inhésion de cette même faculté (connue je le con
voir devenir concevable distinctement, si l'on étoit çois) c'est à dire, sans y ajouter une âme immaté
admis dans le secrets des choses. Cette distinc rielle, il faudrait, que la matière eut été exaltée
tion entre ce qui est naturel et explicable, et ce miraculeusement pour recevoir une puissance, dont
qui est inexplicable et miraculeux, lève toutes les elle n'est pas capable naturellement. Quelques
difficultés. En la remettant ou soutiendrait quel Scholastiques ont prétendu quelque chose d'appro
que chose de pis que les qualités occultas, et on chant, savoir, que Dieu exalte le feu, jusqu'à lui
rcnonceroit en cela à la Philosophie et à la raison, donner la force de brûler immédiatement les es
en ouvrant des asyles à l'ignorance et à la paresse prits, séparés des corps, ce qui serait un miracle
par un système sourd, qui admet non seulement, tout pur. C'est assez, qu'on ne puisse soutenir,
qu'il y a des qualités, que nous n'entendons pas, que la matière pense, sans y mettre une âme im
dont il n'y en a que trop, mais aussi, qu'il y périssable ou bien un miracle; et qu'ainsi l'imma
eu a, que le plus grand esprit, si Dieu lui donnoit térialité de nos âmes suit de ce qui et naturel,
toute l'ouverture possible, ne pourroit pas com puisqu'on ne sauroit soutenir leur extinction que
prendre, c'est à dire, qui seraient ou miraculeuses par un miracle, soit en exaltant la matière, soit en
ou sans ritne et sans raison: et cela même serait anéantissant l'âme, car nous savons bieu, que la
sans rime et sans raison, que Dieu fit des miracles puissance de Dieu pourrait rendre nos âmes mor
ordinairement; de sorte, que cette hypothèse fai telles, toutes immatérielles (ou immortelles par la
néante détruirait également nôtre Philosophie, qui nature seule) qu'elles puissent être, puisqu'il les
cherche les raisons, et la divine sagesse qui les peut anéantir.
fournit. Or cette vérité de l'immatérialité de l'âme est
Pour ce qui est maintenant de la pensée, il est sans doute de conséquence. Car il est infiniment
sûr et l'Auteur lt; reconnoit plus d'une fois, qu'elle plus avantageux à la religion et à la morale, sur
ne sauroit être une modification intelligible de la tout dans les tems où nous sommes, de montrer
matière, c'est à dire, que l'être sentant ou pensant que les âmes sont immortelles naturellement et
n'est pas une chose machinale, comme une montre que ce serait un miracle si elles ne fêtaient pas,
on nn moulin, ensorte qu'on pourroit concevoir des que de soutenir, que nos âmes doivent mourir na
grandeurs, figures, et mouvemens, dont la conjonc turellement, mais que c'est en vertu d'une grâce
tion machinale pût produire quelque chose de pen miraculeuse, fondée clans la seule promesse de
sant et même de sentant dans une niasse, où il n'y Dieu, qu'elles ne meurent pas. Aussi fait -on de
eut rien de tel, qui cesserait aussi de même par le puis long tems, que ceux, qui ont voulu détruire
dérèglement de cette machine. Ce n'est donc pas la religion naturelle et réduire tout à la révélée,
une chose naturelle à la matière de sentir et de comme si la raison ne nous enseignoit rien là-des
penser, es cela ne peut arriver chez elle que do sus, ont passé pour suspects; et ce n'est pas tou
deux façons, dont l'une sera, que Dieu y joigne jours sans raison. Mais notre Auteur n'est pas de
nue substance, à laquelle il soit naturel de pen ce nombre. 11 soutient la démonstration de l'exi
ser, et l'autre, que Dieu y mette la pensée par mi stence de Dieu et il attribue à l'immatérialité de
racle. En cela donc je suis entièrement du senti l'âme une probabilité dans le suprême dé-
ment des Cartésiens, excepté que je l'étend jus gré, qui pourra passer par conséquent pour une
qu'aux bêtes et que je crois, qu'elles ont du senti certitude morale; de sorte que je crois, qu'ayant
ment et des âmes immatérielles (à proprement autant de sincérité que de pénétration, il pourroit
26 *
204 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. L
bien s'accommoder de la doctrine, que je viens semblables à des petits démons ou lutins, capables
d'exposer et qui est fondamentale dans toute la de faire sans façon tout ce qu'on demande, comme
Philosopliic raisonnable. Autrement je ne vois si les montres de poche marquoient les heures par
pas, comment on pourrait s'empêcher de retomber une certaine faculté horodeictique, saus avoir be
dans la Philosophie ou fanatique, telle que la Phi soin de roues, on comme si les moulins brisoient
losophie Mosaïque de Flndd, qui sauve tous les les grains par une faculté fractive, sans avoir be
Phénomènes en les attribuant à Dieu immédiate soin de rien, qui ressemblât aux meules. Pour ce
ment et par miracle; ou barbare, comme celle de qui est de la difficulté, que plusieurs peuples ont
certains Philosophes et Médecins du terns passé, qui eu, de concevoir une substance immatérielle, elle
se ressentoit encore de la barbarie de leur Siècle et cessera aisément (au moins en bonne partie) quand
qu'aujourd'hui on méprise avec raison, qui sau- on ne demandera pas des substances, séparées de
voient les apparences en forgeant tout exprès des la matière, comme en eft'et je ne crois pas, qu'il y
qualités occultes ou facultés, qu'on s'imagiuoit en ait jamais naturellement parmi les créatures.
LIVRE PREMIER.
DES NOTIONS INNEES.
quoi je suis bien aise, car il peut être d'une uti
CHAPITRE I. lité plus générale. J'ai fort profité de la lecture
S'il y a des Principes innés dans l'esprit de cet ouvrage, et même de la conversation de
de l'homme. l'Auteur, que j'ai entretenu souvent à Londres et
qnelquesfois à Oates, . chez Mylady Masham, digne
PHILALETHE. Ayant repassé la mer après tille du célèbre M. Cudworth, grand Philosophe et
Avoir achevé les affaires que j'avois en Angleterre, Théologien anglois, Auteur du système intellectuel,
jai pensé d'abord à vous rendre visite, Monsieur, dont elle a hérité l'esprit de méditation et l'amour
pour cultiver notre ancienne amitié et pour vous des belles connoissauces, qui paroit. particulière
entretenir des matières, qui no.ns tiennent fort au ment par l'amitié, qu'elle entretient avec l'auteur
coeur et ou je crois avoir acquis de nouvelles lu du dit Essai ; et comme il a été attaqué par quel
mières pendant mon séjour à Londres. Lorsque ques Docteurs de mérite, j'ai pris plaisir à lire
nous demeurions autrefois tout proche l'un de aussi l'apologie, qu'une Demoiselle fort sage et fort
l'autre à Amsterdam, nous prenions beaucoup de spirituelle a faite pour lui, outre celles qu'il a fai-
plaisir tous deux à faire de recherches sur les prin tes lui même.
cipes et sur les moyens de pénétrer dans l'intérieur En gros il est assez dans le Système de M. Gas
des choses. Quoique nos sentiment fussent sou sendi, qui est dans le fond celui de Démocrite. II
vent differens, cette diversité augmentait nôtre sa est pour le vuide et pour les Atomes; il croit que
tisfaction lorsque nous en conférions ensemble, la matière pourroit penser; qu'il n'y a point d'i
sans que la contrariété, qu'il y avoit quelques fois, dées innées; que nôtre esprit est tabula rasa,
y mêloit rien de désagréable. Vous étiez pour et que nous ne pensons pas toujours: et il paroit
Descartes, et pour les opinious du célèbre Auteur d'humeur à approuver la plus grande partie des
de la Recherche de la Vérité; et moi je trouvois objections que M. Gassendi a faites à M. Descartes.
les sentiments de Gassendi, éclaircis par M. Ber- 11 a enrichi et renforcé ce Système par mille bel
nier, plus faciles et plus naturels. Maintenant je les réflexions; et je ne doute point que mainte
me sens extrêmement fortifié par l'excellent ou nant nôtre parti ne triomphe hautement de ses ad
vrage, qu'un illustre Anglois, que j'ai l'honneur de versaires, les Péripatéticicns et les Cartésiens. C'est
connoitre particulièrement, a publié depuis, et pourquoi, si vous n'avez pas encore lu ce livre, je
qu'on a réimprimé plusieurs fois en Angleterre vous y invite; et si vous l'avez lu, je vous supplie
sous le titre modeste d'Essai concernant de m'en dire votre sentiment.
l'Entendement Humain. On assure même, THEOPHILE. Je me réjouis de vous voir de
qu'il paroit depuis pea en latin et en françois, de- retour après une longue absence, heureux dans la
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. I. 205
conclusion de votre importante affaire, plein de qu'eux feu Madame la Comtesse de Cannaway,
santé, ferme dans l'amitié pour moi, et toujours Platonicienne, et nôtre ami feu Mr. François Mer
porté avec une ardeur égale à la recherche des plus cure Van Helmont (quoique d'ailleurs hérissé de
importantes vérités. Je n'ai pas moins continué paradoxes inintelligibles) avec son ami feu Mr.
mes méditations dans le même esprit; et je crois Henry 'Morus; comment les loix de la nature (dont
d'avoir profité aussi autant et peut-être plus que une bonne partie étoit ignorée avant ce Système)
vous, si je ne me flatte pas. Aussi en avois je plus tirent leur origine des principes, supérieurs à la
besoin que vous, car vous étiez plus avancé que matière, quoique pourtant tout se fasse méchani-
moi. Vous avioz plus de commerce avec les Philo quement dans la matière, en quoi les auteurs spiri-
sophes spéculatifs, et j'avois plus de penchant vers tualisans, que je viens de nommer, avoient man
la Morale. Mais j'ai appris de plus en plus com qué avec - - - et même les Cartésiens, en croyant
bien la Morale reçoit d'affermissement des princi que les substances immatérielles changcoient si
pes solides de la véritable Philosophie, c'est pour non la force au moins la direction on détermina
quoi je les ai étudiés depuis avec plus d'applica tion des mouvemens des corps, an lieu que l'âme
tion, et je suis entré dans des méditations assez et le corps gardent parfaitement leurs loix, chacun
nouvelles. De sorte que nous aurons de quoi nous les siennes, selon le nouveau système, et qui néan
donner un plaisir réciproque et de longue durée en moins l'un obéît à l'autre autant qu'il le faut.
nous communiquant l'un h l'autre nos éclaircisse- Enfin c'est depuis que j'ai médité ce système, que
mens. Mais il faut que je vous dise pour nou j'ai trouvé comment les âmes des bêtes et leurs
velle, que je ne suis plus Cartésien, et que cepen sensations ne nuisent point à l'immortalité des
dant je suis éloigné plus que jamais de votre Gas âmes humaines, ou plutôt comment rien n'est plus
sendi , dont je reconnois d'ailleurs le savoir et le propre à établir nôtre immortalité naturelle, que
mérite. J'ai été frappé d'un nouveau Système, de concevoir que toutes les âmes sont impérissa
dont j'ai lu quelque chose dans les journaux des bles (morte carent animac) sans qu'il y ait
savans de Paris, de Leipsic et de Hollande, et pourtant des métempsicoses à craindre, puis que
dans le merveilleux Dictionnaire de Mr. Bayle, ar non seulement les âmes, mais encore les animaux
ticle de Korarius. Depuis je crois voir une nou demeurent et demeureront vivans, sentans, agis-
velle face de l'intérieur des choses. Ce système saus : c'est par tout comme ici, et toujours et par
paroit allier Platon avec Démocrite, Aristote avec tout comme chez nous, suivant ce que je vous ai
Descartes, les Scholastiques avec les Modernes, la déjà dit, si ce n'est que les états des Animaux sont
Théologie et la Morale avec la Rajson. Il semble plus ou moins parfaits et . développés, sans qu'on
qu'il prend le meilleur de tous côtés, et que puis ait jamais besoin d'âmes tout à fait séparées pen
après il va plus loin qu'on n'est allé encore. J'y dant que néanmoins nous avons toujours des es
trouve une explication intelligible de l'union de prits aussi purs qu'il se peut, nonobstant nos or
l'âme et du corps, chose dont j'avois désespéré au ganes, qui ne sauroient troubler par aucune in
paravant. Je trouve les vrais principes des choses fluence les loix de nôtre spontanéité. Je trouve
dans les unités des Substances, que ce Système in le vuide et les atomes exclus, bien autrement que
troduit, et dans leur harmonie préétablie par la par le sophisme des Cartésiens, fondé dans la pré
Substance primitive. J'y trouve une simplicité et tendue coïncidence de l'idée du corps et de reten
une uniformité surprenante, en sorte qu'on peut due. Je vois toutes choses réglées et ornées au delà
dire que c'est par tout et toujours la même chose, de tout ce qu'on a conçu jusqu'ici ; la matière or
aux dégrés de perfection près. Je vois mainte ganique par tout, rien de vuidc, de stérile, ou de
nant ce que Platon entendoit, quand il prenoit la négiglé, rien de trop uniforme, tout varié, mais
matière pour un être imparfait et transitoire ; ce avec ordre, et ce qui passe l'imagination, tout l'Uni
qu' Aristote vouloit dire par son Entelechie; ce que vers en racourci, mais d'une vue différente dans
c'est que la promesse, que Démocrite même faisoit chacune de ses parties, et même dans chacune de
d'une antre vie, chez Pline ; jusqu'où les Scepti ses unités de substance. Outre cette nouvelle ana
ques avoient raison en déclamant contre les sens; lyse des choses, j'ai mieux compris celle des no
comment les Animaux sont des automates suivant tions ou idées et des vérités. J'entens ce qun c'est
Descartes et comment ils ont pourtant des aines et qu'idée vraie, claire, distincte, adéquante, si j'ose
du sentiment selon l'opinion du genre humain; employer ce mot. J'entends quelles sont les vérités
comment il faut expliquer raisonnablement ceux primitives, et les vrais axiomes, la distinction des
qui ont donné de la vie et de la perception à tou vérités nécessaires et de celles de fait, du rai
tes choses, comme Cardan, Campanclla, et mieux sonnement des hommes et des consccntions
206 IJX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I.
îles bêtes, qui en sont une ombre. Enfla vous qu'en quelques rencontres, où nous le jugerons né
serez surpris, Monsieur, d'entendre tout ce que j'ai cessaire.
à vous dire, et sur-tout de comprendre combien la Nous parlerons premièrement de l'origine des
connoissanee des grandeurs et des perfections de idées ou notions (livre 1.) puis des différentes
Dieu on est relevée. Car je ne saurois dissimuler sortes d'idées (livre 2.) et des mots qui servent
à vous, pour qui je n'ai eu rien de caché, combien à les exprimer (livre 3.) enfin des conuoissauces
je suis pénétré .maintenant d'admiration, et (si et vérités qui en résultent (livre 4.) et c'est cette
nous osons nous servir de ce terme) d'amour pour dernière partie qui nous occupera le plus.
cette souveraine source de choses et de beautés, Quant à l'origine des idées je crois avec cet Au
ayant trouvé que celles, que ce système découvre, teur et quantité d'habiles gens, qu'il n'y en a point
passent tout ce qu'on en a conçu jusqu'ici. Vous d'innées, non plus que de principes innés. Et
savez que j'étois allé un peu trop loin autre fois, pour réfuter l'erreur de ceux, qui en admettent, il
et que je commençois à pencher du côté des Spino- suffit de montrer comme il paroitra dans la suite,
sistes ' ), qui ne laissent qu'une puissance infinie à qu'on n'en a point besoin, et que les hommes peu
Dieu. Sans reconnoitre ni perfections, ni sagesse vent acquérir toutes leurs connoissaiices sans le se
à son égard, et méprisant la recherche des causes cours d'aucune impression innée.
finales ils dérivent tout d'une nécessité brute. Mais TH. Vous savez, P hilalé thé, que je suis d'un
ces nouvelles lumières m'en ont guéri ; et depuis ce autre sentiment depuis long tems: que j'ai tou
terns là je prends quelques fois le nom de Théo jours été comme je suis encore pour l'idée innée
phile. J'ai lu le livre de ce célèbre Anglois, de Dieu, que M. Descartes a soutenue, et par con
dont vous venez de parler. Je l'estime beaucoup, séquent pour d'autres idées innées et qui ne nous
et j'y ai trouvé de belles choses, mais il faut al souroient venir des sens. Maintenant je vais en
ler plus avant, et même s'écarter de ses sentimens, core plus loin conformément au nouveau système 5
parce que souvent il en a pris, qui nous bornent et je crois même que toutes les pensées et actions
plus qu'il ne faut, et ravalent un peu trop non de nôtre âme viennent de son propre fond, sans
seulement la condition de l'homme, mais encore pouvoir lui être données par les sens, comme vous
celle de l'univers. allez voir dans la suite. Mais à présent je met
PH. Vous m'étonnez en effet avec toutes les trai cette recherche à part et m'accommodant aux
merveilles, dont vous me faites un récit un peu expressions reçues, puis qu'en effet elles sont bon
trop avantageux pour que je les puisse croire faci nes et soutenantes et qu'on peut dire dans un cer
lement. Cependant je veux espérer qu'il y aura tain sens, que les sens externes sont cause en par
quelque chose de solide parmi tant de nouveautés, tie de nos pensées, j'examinerai comment on doit
doiit vous me voulez régaler. En ce cas vous me dire à mon avis, encore dans le système commun
trouverez fort docile. Vous savez que c'étoit tou (parlant de l'action des corps sur l'aine, comme les
jours mou humeur de me rendre à la raison, et Co]>erniciens parlent avec les autres hommes du
que je prenois quelques fois le nom de Philalé- mouvement du soleil, et avec fondement) qu'il y a
thé. C'est pourquoi nous nous servirons mainte des idées et des principes, qui ne vous viennent
nant s'il vous plait de ces deux noms, qui out tant point des sens, et que nous trouvons en nous sans
de rapport. Il y a moyen de venir à l'épreuve, les former, quoique les sens nous donnent occasion
car puisque vous avez lu le livre du célèbre An de nous en apperccvoip. Je m'imagine que vôtre
glois, qui me donne tant de satisfaction, et qu'il habile Auteur a remarqué, que sous le nom de
traite une bonne partie des matières, dont vous principes innés on soutient souvent ses préjugés
venez de parler, et sur-tout l'analyse de nos idées et qu'on veut s'exempter de la peine des discus
et connoissauces, ce sera le plus court d'en sui sions et que cet abus aura animé sou zèle contre
vre le fil, et de voir ce que vous aurez à remar cette supposition. Il aura voulu combattre la pa
quer. resse et la manière superficielle de penser de ceux,
TH. J'approuve votre proposition. Voici le qui sous le prétexte spécieux d'idées innées et de
livre. vérités gravées naturellement dans l'esprit, où nous
§. 1. PH. Je l'ai si bien lu que j'en ai retenu, donnons facilement notre consentement, ne se sou
jusqu'aux expressions, que j'aurai soin de suivre. cient point de rechercher et d'examiner les sour
Ainsi je n'aurai point besoin de recourir au livre ces, les liaisons, et la certitude de ces connoissan-
ces. I ii cela je suis entièrement de son avis, et je
') Cf. quae ad Medilaliones de cognilione, verilate vais même plus avant. Je voudrais qu'on ne bor-
et ideis cub a notavimun. ! liât point notre analyse, qu'on donnât les défini
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I. 207
lions de tons les termes, qui en sont capables, et les Peuples en moins d'un siècle, quoiqu'on ait
qu'on démontrât, on donnât le moyen de démon trouvé quelques insulaires, qui ne conuoissant pas
trer tous les axiomes, qui ne sont point primitifs, même le feu, n'avoint garde de fumer. C'est ainsi
sans distinguer l'opinon que les hommes en ont, et que quelques habiles gens, môme parmi les Théologiens
sans se soucier s'ils y donnent leur consentement mais du parti d'Arminius, ont cru que la connois-
ou non. Il y auroit en cela plus d'utilité qu'on sance de la Divinité venoit d'une tradition très an
ne pense. Mais il semble que l'Auteur a été porté cienne et fort générale ; et je veux croire en efl'et
trop loin d'un autre côté par son zèle fort louable que l'enseignement a confirmé et rectifié cette con-
d'ailleurs. Il n'a pas assez distingué à mon avis noissance. 11 paroit pourtant que la nature a con
l'origine des vérités nécessaires, dont la source est tribué à y mener sans la Doctrine; les merveilles
dans l'entendement, d'avec celles de fait, qu'on tire de l'univers ont fait ]>cuser à un pouvoir supérieur.
des expériences de sens et même des perceptions On a vu un enfant né sourd et muet marquer de
confuses qui sont en nous. Vous voye/. donc, la vénération pour la pleine Lune, et l'on a
Monsieur, que je n'accorde pas ce que vous met trouvé des nations, qu'on ne voyoit pas avoir ap
tez en fait, que nous pouvons acquérir toutes pris autre chose, et d'autres peuples craindre des
nos connoissances sans avoir besoin d'impres puissances invisibles. Je vous avoue, mon cher
sions innées. Et la suite fera voir qui de nous a Philaléthe, que ce n'est pas encore l'idée de
raison. Dieu, telle que nous avons et que nous i Ici uni i-
§.2. PH. Nous Talions voir en effet. Je vons dons; mais cette idée même ne laisse pas d'être
avoue, mon cher Théophile, qu'il n'y a point dans le fond de nos âmes, sans y être mise,
d'opinion plus communément reçue que celle qui . comme nous verrous. Et les loix éternelles de
établit, qu'il y a certains principes de la vérité Dieu y sont en partie gravées d'une manière en
desquels les hommes conviennent généralement; core plus lisible et par une espèce d'instinct. Mais
c'est pourquoi ils sont appelles notions commu ce sont des principes de partique dont nous aurons
nes, xocvai IWoicu; d'où Ton infère qu'il faut aussi occasion de parler. Il faut avouer cependant,
que ces principes là soient autant d'impressions, que le penchant, que nous avons ù reconnoitre l'i
que nos esprits reçoivent avec l'existence. dée de Dieu, est dans la nature humaine. Et
§. 3. Mais quand le fait seroit certain, qu'il y quand on en attribuerait le premier enseignement
auroit des Principes, dont tout le genre humain à la révélation, toujours la facilité, que les hom
demeure d'accord, ce consentement universel ne mes ont témoigné à recevoir cette doctrine, vient
prouveroit point qu'ils soient innés, si l'on peut du naturel de leurs âmes. Mais nous jugerons
montrer, comme je le crois, une autre voie, par dans la suite, que la doctrine externe ne fait
laquelle les hommes ont pu arriver à cette unifor qu'exciter ici ce qui est en nous. Je conclus qu'un
mité de sentiment. consentement assez général parmi les hommes, est
§. 4. Mais ce qui est bien pis, ce consentement un indice et non pas une démonstration d'un prin
universel ne se trouve guères, non pas même par cipe inné; mais que la preuve exacte et décisive
rapport à ces deux célèbres principes spécula de ces principes consiste à faire voir, que leur cer
tifs, (car nous parlerons par après de ceux de titude ne vient que de ce qui est en nous. Pour
pratique) que, tout ce qui est, est; et qu'il est répondre encore à ce que vous dites contre l'ap
impossible qu'une chose soit et ne soit probation générale, qu'on donne aux deux grands
pas en même teins; car il y a une grande par principes spéculatifs, qui sont pourtant des mieux
tie du genre humain à qui ces deux propositions, établis, je puis vous dire que quand même ils ne
qui passeront sans doute pour vérités néces séroient pas connus, ils ne laisseroient pas d'être
saires et pour des axiomes chez vous, ne sont innés, parcequ'on les reconnoit dès qu'on les a en
pas même connues. tendus. Mais j'ajouterai encore que dans le fond
TH. Je ne fonde pas la certitude des principes tout le monde les connoit et qu'on se sert à tout
innés sur le consentement universel , car je vous moment du principe de contradition (par exemple)
ai déjà dit, Philaléthe, que mon avis est qu'on sans le regarder distinctement II n'y a point de
doit travailler à pouvoir démontrer tous les axio barbare qui dans une affaire qu'il trouve sérieuse,
mes qui ne sont point primitifs. Je vous accorde ne soit choqué de la conduite d'une menteur, qui
aussi, qu'un consentement fort général, niais qui se contredit. Ainsi on employé ces maximes sans
n'est pas universel, peut venir d'une tradition, ré les envisager expressément. Et c'est à peu près
pandue par tout le genre humain, comme l'usage comme on a virtuellement dans l'esprit les propo
de la fumée du tabac a été reçu presque par tous sitions supprimées dans les Enthymêmes, qu'on
208 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I.
laisse à l'écart non seulement au dehors, mais en ! touché. Car c'est par une admirable Oeconomic
core dans notre pensée. ', de la nature, que nous ne saurions avoir des
§. 5. PH. Ce que vous dites de ces connoissan- pensées abstraites, qui n'aycnt point besoin de
ces virtuelles et de ces suppressions intérieures me quelque chose de sensible, quand ce ne seroit
surprend, car de dire qu'il y a des vérités impri ; que des caractères tels que sont les figures des
mées dans l'amè, qu'elle n'apperçoit point, c'est ce lettres et les sons; quoiqu'il n'y ait aucune
me semble une véritable contradiction. connexion nécessaire entre tels caractères ar
TH. Si vous êtes dans ce préjugé, je ne m'é bitraires et telles pensées. Et si les. tra
tonne pas que vous rejettiez les connoissances in ces sensibles n'étoieut jwint requises, l'har
nées. Mais je suis étonné comment il ne vous est monie préétablie entre l'aine et le corps, dont
pas venu dans la pensée, que nous avons une infi- ; j'aurai occasion de vous entretenir plus ample
nité de connoissances, dont nous ne nous appcrce- ment, n'auroit point lieu. Mais cela m'empêche
vons pas toujours, pas même lorsque nous en avons point que l'esprit ne prenne les vérités nécessai
besoin; c'est à la mémoire de les garder et à la ré- j res de chez soi On voit aussi quelques fois
miniscence de nous le réprésenter, comme elle fait combien il peut aller loin sans aucune aide, par
souvent au besoin, mais non pas toujours. Cela une Logique et Arithmétique purement naturel
s'appelle fort bien souvenir (subveuire) caria les, comme ce garçon Suédois, qui cultivant la
réminiscence demande quelque aide. Et il faut sienne va jusqu'à faire de grands calculs sur le
bien que dans cette multitude de nos connoissan champ dans sa tête, sans avoir appris la ma
ces nous soyons déterminés par quelque chose à nière vulgaire de compter ni même à lire et à
rcnouveller l'une plutôt que l'autre, puisqu'il est écrire, si je me souviens. bien de ce qu'on m'eu a
impossible de penser distinctement tout à la fois raconté. Il est vrai qn'il ne peut pas venu- à bout
à tout ce que nous savons. des problèmes à rebours, tels que ceux qui de
PH. Eu cela je crois que vous avez raison: et mandent les extractions des racines. Mais cela
cette affirmation trop générale que nous nous n'empêche point qu'il n'eût pu encore les tirer de
appercevons toujours de toutes les véri son fonds par quelque nouveau tour d'esprit. Ainsi
tés qui sont dans nôtre âme, m'est échappée cela prouve seulement, qu'il y a des dégrés dans
sans que j'y aye donné assez d'attention. Mais la difficulté, qu'on a de s'apercevoir de ce qui est
vous aurez un peu plus de peine à répondre à ce en nous. Il y a des principes innés qui sont com
que jo m'en vais vous réprésenter. C'est que si muns et fort aisés à tous, il y a des Théorèmes
on peut dire de quelque proposition en particulier qu'on découvre aussi d'abord et qui composent des
qu'elle est innée, on pourra soutenir par la même sciences naturelles, qui sont plus entendues dans fun
raison que toutes les propositions, qui sont raison que dans l'autre. Enfin dans un sens plus ample,
nables et que l'esprit pourra jamais regarder ] qu'il est bon d'employer pour avoir des notions
comme telles, sont déjà imprimées dans l'âme. plus comprehensives et plus déterminées, toutes les
TH. Je vous l'accorde à l'égard des idées pures, vérités qu'où peut tirer des connoissances iunées
que j'oppose aux phantonies des sens, et à l'égard primitives se peuvent encore appellcr innées, par-
des vérités nécessaires ou de raison, que j'oppose ceque l'esprit les peut tirer de son propre fond,
aux vérités de fait. Dans ce sens on doit dire quoique souvent ce ne soit pas une chose aisée.
que toute l'Arithmétique et tonte la Géométrie Mais si quelqu'un donne un antre sens aux paroles,
sont innées et sont en nous d'une manière vir je ne veux point disputer des mots.
tuelle , eu sorte qu'on les y peut trouver en consi PH. Je vous ai accordé qu'on peut avoir dans
dérant attentivement et rangeant ce qu'on a déjà l'âme ce qu'on n'y apperçoit pas, car ou ne se sou
dans l'esprit, sans se servir d'aucune vérité ap vient pas toujours à point nommé de tout ce que
prise par l'expérience ou par la tradition d'au- l'on sait, mais il faut toujours qu'on l'ait appris,
trui, comme Platon l'a montré dans un Dialogue et qu'on l'ait connu autrefois expressément. Ainsi
où il introduit Soerate menant un enfant à des si on peut dire qu'une chose est dans l'aine, quoi
,> vérités abstruses par les seules interrogations sans que l'âme ne l'ait pas encore connue, ce ne peut
lui rien apprendre. On peut donc se former être qu'à cause qu'elle a la capacité ou faculté de
ces sciences dans sou cabinet et même à yeux la connoitre.
clos, sans apprendre par la vue ni même par l'at TH. Pourquoi cela ne pourroit il avoir encore
touchement les vérités dont on a besoin; quoi uue autre cause, telle que seroit celle-ci, que l'anic
qu'il soit vrai qu'on n'envisageroit pas les idées, pour avoir cette chose en elle sans qu'on s'en soit
dont il s'agit, si l'on u'avoit jamais rien vu ni appcrcû ; car puisqu'une conoissance acquise y peut
IIX. NOUVEAUX ESSAIS. LTV. I. 209
être cachée par la mémoire, comme vous en con vie, so peuvent développer un jour dans nos aines,
venez, pourquoi la nature ne pourrait -elle pas y quand elles seront dans un autre état.
avoir aussi caché quelque connoissance originale.' PH. Mais supposé qu'il y ait des vérités qui
Faut il que tout ce qui est naturel à une substance puissent être imprimées dans l'entendement sans
qui se connoit, s'y connoisse d'abord actuellement? qu'il les apperçoive, je ne vois pas comment par
Une substance telle que nôtre âme ne peut et ne rapport à leur origine, elles peuvent différer des
doit -elle pas avoir plusieurs propriétés et af vérités qu'il est seulement capable de connoitre.
fections, qu'il est impossible d'envisager toutes d'a TH. L'esprit n'est pas seulement capable de les
bord et tout à la fois ! C'étoit l'opinion des Pla connoitre, mais encore de les trouver en soi, et s'il
toniciens que toutes nos connoissances étoient des n'avoit que la simple capacité de recevoir les con
réminiscences et qu'ainsi les vérités, que l'âme a noissances ou la puissance passive pour cela, aussi
apportées avec la naissance de l'homme et qu'on indéterminée que celle qu'a la cire de recevoir des
appelle innées , doivent être des restes d'une con- figures et la table rase de recevoir des lettres, il
noissauce expresse antérieure. Mais cette opinion ne seroit pas la source des vérités nécessaires,
n'a nul fondement et il est aisé de juger que l'âme comme je viens de montrer qu'il l'est: car il est in
devoit déjà avoir des connoissances innées dans contestable que les sens ne suffisent pas jmur eu
l'état précédent, (si la préexistence avoit lieu) faire voir la nécessité, et qu'ainsi l'esprit a une dis
quelque reculé qu'il pût être, tout comme ici : el position (tant active que passive) pour les tirer
les devroient donc aussi venir d'un autre état pré lui même do son fond; quoique les sens soient né
cédent , ou elles seroient enfin innées ou au moins cessaires pour lui donner de l'occasion et de l'at
con-crées, ou bien il faudrait aller h l'infini et tention pour cela et pour le porter plutôt aux.
faire les âmes éternelles, auquel cas ces connois unes qu'aux autres. Vous voyez donc, Monsieur,
sances seroient innées en effet, par ce qu'elles n'an- que ces personnes très -habiles d'ailleurs qui sont
roient jamais de commencement dans l'âme 5 et si d'un antre sentiment, paraissent n'avoir pas assez
quelqu'un prétendent que chaque état antérieur a eu médité sur les suites de la différence, qu'il y a
quelque chose d'un autre plus antérieur, qu'il n'a entre les vérités nécessaires on éternelles , et entre
point laissé aux suivans , on lui répondrait, qu'il est les vérités d'expérience, comme je l'ai déjà remar
manifeste que certaines vérités évidentes devroient qué, et comme toute notre contestation le montre.
avoir été de tous ces états et de quelque manière La preuve originaire des vérités nécessaires vient
qu'on se prenne, il est toujours clair dans tous les du seul entendement, et les autres vérités viennent
états de l'atne, que les vérités nécessaires sont in des expériences ou des observations des sens.
nées et se prouvent par ce qui est interne, ne pou Notre esprit est capable de connoitre les unes et
vant point être établies par les expériences, comme les autres, mais il est la source des premières, et
on établit par là les vérités de fait Pourquoi quelque nombre d'expériences particulières qu'on
faudroit il aussi qu'on ne peut rien posséder dans puisse avoir d'une vérité universelle, on ne sau-
lame dont on ne se fût jamais servi? Avoir une roit s'en assurer pour toujours par l'induction, sans
chose sans s'en servir, est- ce la même chose que en connoitre la nécessité par la raison.
d'avoir seulement la faculté de l'acquérir? si cela PH. Mais n'est -il pas vrai que si ces mots,
étoit, nous ne posséderions jamais que des choses être dans l'entendement, emportent quelque
dont nous jouissons: au lieu qu'on sait, qu'ou chose de positif, ils signifient être apperçû -et com
tre la faculté et l'objet, il faut souvent quelque pris par l'entendement?
disposition dans la faculté ou dans l'objet et dans TH. Ils nous signifient toute autre chose: C'est
toutes les deux, pour que la faculté s'exerce sur assez que ce qui est dans l'entendement y puisse
l'objet. être trouvé et que les sources ou preuves originai
res des vérités , dont il s'agit , ne soyent que dans
PH. A le prendre de cette manière là, on l'entendement: les sens peuvent insinuer, justifier,
pourra dire qu'il y a des vérités gravées dans et confirmer ces vérités, mais non pas en dé
l'âme, que l'âme n'a pourtant jamais connues, et montrer la certitude immanquable et perpétuelle.
que même clic ne connoitra jamais, ce qui me §. 11. PH. Cependant tous ceux qui voudront
paroit étrange. prendre la peine de réfléchir avec un peu d'attention
TH. Je n'y vois aucune absurdité, quoiqu'anssi sur les opérations de l'entendement, trouveront
on ne puisse point assurer qn il y ait de telles véri que ce consentement que l'esprit donne sans
tés. Car des choses plus relevées que celles que 7>eine à certaines vérités dépend de' la faculté de
nous pouvons connoitre dans ce présent cours de l'esprit humain.
27
210 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I.
TH. Fort bien : Mais c'est ce rapport jwrticu- pour en tirer que 1 8 plus 1 9 fait 3 7 , il faut bien
lier de l'esprit humain à ces vérités, qui rend plus d'attention que pour coiinoitre que 2 plus 1
l'exercice de la faculté aisé et naturel à leur égard, sont trois, ce qui daus le fond n'est que la défini
et qui fait qu'on les appelle innées. ' Ce n'est donc tion de trois.
pas une faculté nue qui consiste dans la seul possi §. 10. PH. Ce n'est pas un privilège attaché
bilité de les entendre: c'est une disposition, une aux nombres ou aux idées que vous appeliez intel
aptitude, une préfonnatiou, qui détermine notre lectuelles, de fournir dos propositions auxquelles
âme 'et qui fait qu'elles en peuvent être tirées. on acquiesce infailliblement, dès qu'on les entend.
Tout comme il y a de la différence entre les figures On en rencontre aussi dans la Physique et dans tou
qu'on donne à la pierre ou au marbe indifférem tes les autres sciences, et les sens même en fournis
ment, et eutre celles que ses veines marquent dé sent. Par exemple, cette proposition: deux corps
jà ou sont disposées à marquer si l'ouvrier en ne peuvent pas être en un même lieu à la
profite. fois, est une vérité dont on n'est pas autrement
PH. Mais n'est -il point vrai que les vérités sont persuadé que des maximes suivantes: » 11 est im-
postérieures aux idées dont elles naissent J Or les » possible qu'une chose soit et ne soit pas en même
idées viennent des sens. • temps; le blanc n'est pas le rouge; le quarré
TH. Les idées intellectuelles, qui sont la soui'cc «n'est pas un cercle, la couleur jaune n'est pas Ja
des vérités nécessaires, ne viennent point des sens: «douceur."
et vous rcconnoissez qu'il y a des idées qui sont TH. Il y a de la différence entre ces propo
dues à la réflexion de l'esprit lors qu'il réfléchit sitions. La première qui prononce que la péné
sur soi même. Au reste il est vrai, que la con- tration des corps est impossibile, a besoin de
iioissance expresse des vérités est postérieure (tem- preuve. Tous ceux qui croyent des condensa
pore vel natura) à la connoissauce expresse des ] tions et des raréfactions véritables et prises à la
idées ; comme la nature des vérités dépend de la rigueur, connue les Péripatcticiens et feu Monsieur
nature des idées, avant qu'on forme expressément le Chevalier Digby, la rejettent eu effet; sans
les unes et les autres, et les vérités où entrent les parler des Chrétiens, qui croient la plupart que
idées, qui viennent des sens, dépendent des sens le contraire, savoir la pénétration des dimensions,
au moins eu partie. Mais les idées qui viennent est possible à Dieu. Mais les autres propositions
des sens sont confuses, et les vérités, qui en dé sont identiques, ou peu s'en faut; et les iden
pendent, le sont aussi, au moins en partie; au lieu tiques ou immédiates ne reçoivent point de preuve,
que les idées intellectuelles et les vérités, qui en Celles qui regardent ce que les sens fournissent,
dépendent, sont distinctes, et ni les unes ni les comme celle qui dit que la couleur jaune n'est
autres n'ont point leur origine des sens; quoi qu'il pas la douceur, ne font qu'appliquer la maxime
soit vrai que nous n'y penserions jamais sans identique générale à des cas particuliers.
les sens. PH. Chaque proposition, qui est composée de
PH. Mais selon vous, les nombres sont des deux différentes idées dont l'une est niée de l'au
idées intellectuelles, et cependant il se trouve que tre, par exemple que le quarré n'est pas un
la difficulté y dépend de la formation expresse des cercle, qu'être jaune n'est pas être doux, sera
idées ; par exemple un homme sait que 18 et 19 aussi certainement reçue comme indubitable, dès
sont égaux à 37, avec la même évidence qu'il sait qu'on en comprendra les termes, que cette ma
qu'un et deux sont égaux à trois; mais pourtant xime générale, il est impossible qu'une
un enfant ne connoit pas la première proposition chose soit et ne soit pas en môme temps.
sitôt que la seconde, ce qui vient de ce quil na pas TH. C'est que l'une (savoir la maxime gé
sitôt formé les idées que les mots. nérale) est le principe, et l'autre (c'est à dire la
TH. Je puis vous accorder, que souvent la dif négation d'une idée d'une autre opposée,) en est
ficulté qu'il y a dans la formation expresse des ! l'application.
vérités dépend de celle quïl y a dans la formation PH. Il me semble plutôt que la maxime dé
expresse des idées. Cependant je crois que dans pend de cette négation, qui en est le fondement;
votre exemple, il s'agit de se servir des idées déjà I et qu'il est encore plus aisé d'entendre que ce
formées. ' Car ceux , qui ont appris à compter jus.- j qui est la même chose n'est pas diffé
qu'à 10 et la manière de passer plus avant par une rent, ou la maxime qui rejette les contra
certaine réplication de dixaines, entendent sans • dictions. Or à ce compte il faudra, qu'on re
peine ce que c'est que 18, 19, 37, savoir une, ; çoive pour vérités innées un nombre infini do
deux ou trois fois 10, avec 8, ou 9, ou 7 : mais j propositions de cette espèce qui nient une idée
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I. 211
de l'autre, sans parler des autres vérités. Ajou donc ces vérités particulières seront plus naturelles
tez à cela qu'une proposition ne pouvant être à l'esprit que le principe de contradiction, dont
innée, à moins que les idées dont elle est com vous voulez qu'elles ne soyent que l'application.
posée ne le soient, il faudra supposer que ton TH. Il est vrai que nous commençons plutôt
tes les idées que nous avons des couleurs, des de nous appercevoir des vérités particulières, comme
sons, des goûts, des ligures etc. sont innées. nous commençons par les idées plus composées
TH. Je ne vois pas bien comment ceci: ce et plus grossières: mais cela n'empêche point
qui est la même chose n'est pas diffé que l'ordre de la nature ne commence par le
rent, soit l'orgine du principe tfe contradiction plus simple, et que la raison des vérités plus
et plus aisé; car il me paroit qu'on ce donne particulières ne dépende des plus générales, dont
plus de liberté en avançant qn' A n'est point B, elles ne sont que les exemples. Et quand ou
qu'en disant qu' A n'est point non A. Et la veut considérer ce qui est eu nous virtuellement
raison qui empêche A d'être B, est que B enve et avant toute a p perception, on a raison de
loppe non A. Au reste cette proposition le commencer par le plus simple. Car les princi
doux n'est pas l'amer n'est point innée, pes généraux entrent dans nos pensées, dont ils
suivant le sens que nous avons donné à ce fout faîne et la liaison. Ils y sont nécessaires
terme de vérité innée. Car les sentimens du comme les muscles et les tendons sont le pour
doux et de l'amer viennent des sens externes. marcher, quoiqu' on n'y pense point. L'esprit
Ainsi c'est une conclusion mêlée, (hybrida con- «'appuie sur ces principes à tous moments, mais
clusio) où faxiome est appliqué à une vérité il ne vient pas si aisément à les demèlt-r et à
sensible. Mais quant à cette proposition: le se les réprésenter distinctement et serrement,
quarré n'est pas un cercle, on peut dire parecque cela demande une grande attention à
qu'elle est innée, car en l'envisageant, on fait | ce qu'il fait, et la plupart des gens, peu accou
nue subsomption ou application du principe de ' tumés à méditer, n'en ont guères. Les Chinois
contradiction à ce que l'entendement fournit lui j n'ont -ils pas comme nous des sons articulés? et
même, des qu'on sapperçoit que ces idées, qui cependant s'étant attachés à une autre manière
sont innées, renferment des notions incompa- j d'écrire, ils ne se sont pas encore avisés de faire
tibles. un Alpliabet de ces sons. C'est ainsi qu'on pos
§. 19. PH. Quand vous soutenez, que ces sède bien des choses sans le savoir.
propositions particulières et évidentes par elles mè- §. 21. PH. Si l'esprit acquiesce si prointe-
mes, dont on reconnoit la vérité dès qu'on les ment à certaines vérités, cela ne peut -il point
entend prononcer (comme que le vent n'est pas venir de la considération même de la nature
le rouge) sont reçues comme des conséquences des choses, qui ne lui permet pas d'en iuger
de ces autres propositions plus générales, qu'on autrement, plutôt que de ce que ces propositions
regarde comme autant de principes innés; 11 sont gravées naturellement dans l'esprit?
semble que vous ne considérez point, Monsieur, TH. L'un et l'autre est vrai. La nature des
que ces propositions particulières sont reçues choses, et la nature de l'esprit y concourent Et
comme des vérités indubitables de ceux qui n'ont puisque vous opposez la considération de la chose
aucune connoissarice de ces maximes plus géné à l'apperccption de ce qui est gravé dans l'esprit,
rales. cette objection même fait voir, Monsieur, que
TH. J'ai déjà repondu à cela ci-dessus: On ceux dont vous prenez le parti n'entendent pas
se fonde sur ces maximes générales, comme on les vérités innées que ce qu'on approuveroit
se fonde sur les mayeures, qu'on supprime lors naturellement comme par instinct et même
qu'on raisonne par cnthymèmea: car quoique bien sans le connoitre que confusément. 11 y en a de
souvent on ne pense pas distinctement à ce qu'on cette nature et nous aurons sujet d'en parler;
fait en raisonnant, non plus qu' à ce qu'on fait mais ce qu'on appelle la lumière naturelle
en marchant et en sautant, il est ion juins vrai suppose une conuoissance distincte, et bien sou
que la force de la conclusion consiste en partie vent la considération de la nature des choses n'est
dans ce qu'on supprime et ne sauroit venir d'ail autre chose que la connoissance de la nature de
leurs, ce qu'on trouvera quand on voudra la ju notre esprit et de ces idées innées, qu'on na
stifier. point besoin de chercher au dehors. Ainsi j'ap
§. 20. PH. Mais il semble que les idées gé pelle innées les vérités, qui n'ont besoin que
nérales et abstraites sont plus étrangères à nôtre de cette considération pour être vérifiées. J'ai
esprit, que les notions et les vérités particulières : déjà répondu §. 5. à l'objection §. 22. qui vou
27»
212 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. L
loit que lorsqu'on dit que les notions innées sont PH. Mais ne se peut-il point que non seu
implicitement dans l'esprit, cela doit signifier seu lement les termes ou paroles, dont ou se sert,
lement, qu'il a la faculté de les connoitre; car mais encore les idées, nous viennent de dehors!
j'ai fait remarquer qu'outre cela, il a la faculté TH. Il faudroit donc que nous fussions nous
de les trouver en soi et la disposition à les ap- " mêmes hors de nous, car les idées intellectuel
prouver quand il y pense comme il faut. les ou de réflexion sont tirées de notre esprit:
§. 23. PH. Il semble donc que vous voulez, Et je voudrois bien savoir, comment nous pour
Monsieur, que ceux à qui on propose ces maxi rions avoir l'idée de l'être, si nous n'étions des
mes générales pour la première fois, n'appren Etres nous mêmes, et ne trouvions ainsi l'être,
nent rien qui leur soit entièrement nouveau. en nous.
Mais il est clair qu'ils apprennent premièrement PH. Mais que dites vous, Monsieur, à ce
les noms, et puis les vérités et même les idées défi d'un de mes amis? Si quelqu'un, dit- il, peut
dont ces vérités dépendent. trouver une proposition, dont les idées soient in
TH. Il ne s'agit point ici des noms, qui nées, qu'il me la nomme, il ne sauroit me faire
sont arbitraires en quelque façon, au lieu que un plus grand plaisir.
les idées et les vérités sont naturelles. Mais TH. Je lui nommerois les propositions d'A
quant à ces idées et vérités, vous nous attribuez, rithmétique et de Géométrie, qui sont toutes de
Monsieur, une doctrine dont nous sommes fort cette nature, et en matières des vérité nécessai
éloignés, car je deumeure d'accord que nous ap res on n'en sauroit trouver d'autres.
prenons les idées et les vérités innés, soit en §. 25. PH. Cela paroitra étrange à bien des
prenant garde à leur source, soit en les vérifiant gens. Peut -ou dire que les sciences les plus diffi
par s'expérience. Ainsi je ne fais point la sup ciles et les plus profondes sont innées!
position que vous dites, comme si dans le cas, TH. Leur connoissancc actuelle ne l'est point,
dont vous parlez nous n'apprenions rien de nou mais bien ce qu'on peut apjxdler la connoissancc
veau. Et je ne saurois admettre cette proposi virtuelle, comme la figure tracée par les veines du
tion, tout ce qu'on apprend n'est pas marbre est dans le marbre, avant qu'on les découvre
inné, lies vérités des nombres sont en nous, en travaillant.
et on ne laisse pas de les apprendre, soit en PH. Mais est- il possible que des cnfans rece
les tirant de leur source l'orsqu'on les apprend vant des notions, qui leur viennent au dehors, et
par raison démonstative (ce qui fait voir qu'el y donnant leur consentement, n'ayent aucune con-
les sont innées) soit en les éprouvant dans des noissance de celles qu'on suppose être innées avec
exemples comme font les arithméticiens vulgaires, eux et faire comme partie de leur esprit, où elles
qui faute de savoir les raisons n'aprennent leurs sont dit-on empreintes en caractères inéffucahles
règles que par tradition; et tout au plus, avant pour servir de fondement. Si cela étoit, la nature
que de les enseigner, ils les justifient par l'expé se seroit donné de la ]>eine inutilement, ou du
rience, qu'ils poussent aussi loin qu'ils jugent à moins elle aurois mal gravé ces caractères, puis
propos. Et quelque fois même un fort habile qu'ils ne sauroient être apperçus par des yeux qui
Mathématicien, ne sachant point la source de la voypnt fort bien d'autres choses.
découverte d'autrui, est obligé de se contenter TH. L'apperccption de ce qui est en nous dé
de cette méthode de l'induction pour l'examiner; pend d'une attention et d'un ordre. Or non seu
comme fit un célèbre écrivain à Paris, quand lement il est possible, mais il est même convenable,
j'y étois, qui poussa assez loin l'essai de mon que les en fans ayent plus d'attention aux notions
tétragonisme arithmétique, en le comparant avec des sens parce que l'attention est réglée par le be
les nombres de Ludolphe, croyant d'y trouver soin.. L'événement cependant fait voir dans la suite,
quelque faute: et il eût raison de douter jusqu'à que la nature ne s'est point donné inutilement la
ce qu'on lui en communiqua la démonstration, peine de nous imprimer les connoissances innées,
qui nous dispense de ces essais, qu'on pourroit puisque sans elles il n'y aurait aucun moyen de
toujours continuer sans être jamais parfaitement parvenir à la connoissance actuelle des vérités né
certain. Et c'est cela même, savoir l'imperfection cessaires dans les sciences démonstratives, et aux
des inductions, qu'on peut encore vérifier par les raisons des faits; et nous n'aurions rien au dessus
instances de l'expérience. Car il y a des pro des bêtes.
gressions où l'on peut aller fort loin avant que §. 26. PH. S'il y a des vérités innées, ne faut-il
de remarquer les changemens et les loix qui s'y pas qu'il y ait des pensées innées î
trouvent. TH. Point du tout, car les pensées sont des
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. L 213
actions, et les connoissances ou les vérités, en tant cela, qu'on en approche; et tant qu'on est capable
qu'elles sont eu nous, quand même on n'y pense de counoissauce, on pèche en négligeant de l'acqué
point, sont des habitudes ou des dispositions; et rir et en manquera d'autant plus aisément qu'on
nous savons bien des choses, auxquelles nous ne sera moins instruit.
pensons guères.
PU. 11 est bien difficile de concevoir qu'une vé
rité soit dans l'esprit, si l'esprit n'a jamais pensé CHAPITRE IL
à cette vérité.
TH. C'est comme si quelqu'un disoit, qu'il est Qu'il n'y a point de principes de pratique
difficile de concevoir qu'il y a des veines dans le qui soyeiit innées.
marbre avant qu'on les découvre. Il semble aussi
que cette objection approche un peu trop de la pé PH. La Morale est une science démonstrative;
tition de principe. Tous ceux qui admettent des cependant elle n'a point de principes innés. Et
vérités innées, sans les fonder sur la réminiscence même il serait bien difficile de produ're une règle
platonicienne, en admettent, auxquelles on n'a pas de morale, qui soit d'une nature à être résolue par
encore pensé. D'ailleurs ce raisonnement prouve un consentement aussi général et aussi promt que
trop: car si les vérités sont des pensées, on sera cette Maxime ce qui est, est.
privé non seulement des vérités, auxquelles on n'a TH. Il est absolument impossible qu'il y ait des
jamais pensé, mais encore de celles auxquelles on vérités de raison aussi évidentes que les identi
a pensé et auxquelles on ne pense plus actuelle ques ou immédiates. Et quoiqu'on puisse dire vé
ment: et si les vérités ne sont pas des pensées, ritablement que la morale a des principes indémon-
mais des habitudes et aptitudes, naturelles ou ac strables et qu'un des premiers et des plus prati
quises, rien n'empêche, qu'il y en ait en nous, aux qués est, qu'il faut suivre la joie et éviter la tris
quelles on n'ait jamais pensé, ni ne pensera tesse, il faut ajouter que ce n'est pas une vérité,
jamais. qui soit connue purement de raison , puisqu'elle est
§. 27. PH. Si les maximes générales étoient fondée sur l'expérience interne, ou sur des connois
innées, elles devraient paraître avec plus d'éclat sances confuses ; car on ne sent pas ce que c'est
dans l'esprit de certaines personnes, où cependant que la joie et la tristesse.
nous n'eu voyons aucune trace; je veux parler des PH. Ce n'est que par des raisonneniens , ]»r
cufans, des idiots, et des sauvages: car de tous les des discours et par quelque application d'esprit,
hommes ce sont ceux qui ont l'esprit le moins al qu'on peut s'assurer des vérités de pratique.
téré et corrompu par la coutume et par l'impression TH. Quand cela serait, elles n'en seraient pas
des opinions étrangères. moins innées. Cependant la maxime que je viens
TH. Je crois qu'il faut raisonner tout autrement d'alléguer paroit d'une autre nature; elle n'est pas
ici. Les maximes innées ne paraissent que par connue par la raison mais pour ainsi dire par un
l'attention qu'on leur donne; mais ces personnes instinct. C'est un principe inné, mais il ne fait
n'en ont guères, ou l'ont pour toute autre chose. point partie de la lumière naturelle; car on ne le
Ils ne pensent presque qu'aux besoins du corps: et connoit point d'une manière lumineuse. Cependant
il est raisonnable que les pensées pures et déta ce principe posé, on en peut tirer des conséquen
chées soyent le prix des soins plus nobles. Il est ces scientifiques; et j'applaudis extrêmement à ce
vrai que les enfans et les sauvages ont l'esprit que vous venez de dire, Monsieur, de la morale
moins altéré par les coutumes , mais ils Font aussi comme d'une science démonstrative. Aussi voyons
élevé par la doctrine , qui donne de l'attention. Ce nous qu'elle enseigne des vérités si évidentes, que
seroitbien peu juste, que les plus vives lumières dus les larrons, les pirates et les bandits sont forcés de
sent mieux briller dans les esprits qui les méritent les observer entr'eux.
moins et qui sont enveloppés des plus épais nuages. §. 2. PH. Mais les bandits gardent entr'eux les
Je ne voudrais donc pas qu'on fit tant d'honneur règles de la justice sans les considérer comme des
à l'ignorance et à la barbarie, quand on est aussi principes innés.
habile que vous l'êtes, Philalethe, aussi bien TH. Qu'importé? est ce que le monde se soucie
que notre excellent Auteur ; ce serait rabaisser les de ces questions- théorique»?
dons de Dieu. Quelq'un dira que plus on est igno PH. Ils n'observent les maximes de justice que
rant, plus on approche de l'avantage d'un bloc de comme des règles de convenance , dont la pratique
marbre, ou d'une pièce de bois, qui sont infallibles est absolument nécessaire pour la conservation de
et impeccables. Mais par manieur ce n'est pas en leur société.
214 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. 1.
TH. Fort bieii. On ne sauroit rien dire de mieux ployons par un instinct naturel. Et dans ce sens
à l'égard de tous les hommes en général. lit c'est vous ne pouvez pas vous dispenser de reconnoitre
ainsi que ces loix sont gravées dans l'aine, savoir des principes innés: quand même vous voudriez
comme les conséquences de notre conservation et nier, que les vérités dérivatives sont innées. Mais
de nos vrais biens. Est-ce qu'on s'imagine que ce serait une question de nom après l'explication
nous voulons, que les vérités soient dans l'enten que j'ai donnée de ce que j'appelle inné. Et si
dement comme indépendantes les unes des autres quelqu'un ne veut pas donner cette appellation
et comme les Edits du Préteur étoient dans son af qu'aux vérités, qu'on reçoit d'abord par instinct, je
fiche ou album! Je mets à part ici l'instinct qui ne le lui contesterai pas.
porte l'homme à aimer l'homme, dont je parlerai PH' Voilà qui va bien. Mais s'il y avoit dans
tantôt; car maintenant je ne veux parler que des notre âme certains caractères , qui y fussent gravés
vérités , en tant qu'elles se coimoissent par la rai- naturellement, comme autant de principes de con-
sou. Je reconnois aussi que certaines règles de noissance, nous ne poumons que les appercevoir
la justice ne sauraient être démontrées dans toute agissans en nous, comme nous sentons 1 influence
leur étendue et perfection, qu'en supposant l'exi des deux principes, qui agissent constamment en
stence de Dieu et l'immortalité de l'âme ; et celles, nous, savoir l'envie d'être heureux et la crainte
où l'instinct de l'humanité ne nous pousse point, d'être misérables.
ne sont gravées dans l'âme que comme d'autres vé TH. II y a des principes de connoissance , qui
rités dérivatives. Cependant ceux, qui ne fondent influent aussi constamment dans nos raissonnemens
la justice que sur les nécessités de cette vie et sur que ceux de practique dans nos volontés; par
le besoin qu'ils en ont, plutôt que sur le plaisir exemple, tout le monde emploie les règles des con
qu'ils y devraient prendre, qui est des plus grands, séquences par une Logique naturelle sans s'en ap
lorsque Dieu en est le fondement; ceux-là sont su percevoir.
jets à ressembler un peu à la société des bandits. §. 4. PH. Les règles de Morale ont besoin d'ê
tre prouvées ; donc elles ne sont pas innées, comme
Sit s] irs fallendi, misccbuut sacra profanis. cette règle, qui est la source des vertus, qui regar
§. 3. PH. Je vous avoue que la nature a mis dent la Société; ne faites à autrui que ce que
dans tous les hommes l'envie d'être heureux et une vous voudriez qu'il vous soit fait à vous
forte aversion pour la misère. Ce sont là des mêmes.
principes de pratique véritablement innées, et qui, TH. Vous me faites toujours l'objection, que
selon la destination de tout principe de pratique, j'ai déjà réfutée. Je Vous accorde, Monsieur, qu'il
ont une influence continuelle sur toutes nos actions. y a des règles de Morale, qui ne sont point des
Mais ce sont là des inclinations de l'âme vers le principes innés, mais cela n'empêche pas que ce
bien et non pas des imperfections de quelque vé ne soient des vérités innées, car une vérité déri-
rité, qui soit gravée clans notre entendement. vative sera innée lorsque nous la pouvons tirer de
TH. Je suis ravi, Monsieur, de vous voir recon- notre esprit. Mais il y a des vérités innés, que
noitre en efi'et des vérités innées comme je dirai nous trouvons en nous de deux façons, par lumière
tantôt. Ce principe convient asse/ avec celui que et par instinct. Celles, que je viens de marquer,
je viens de marquer, qui nous porte à suivre la joie se démontrent par nos Idées, ce qui fait la lumière
et à éviter la tristesse. Car la félicité n'est autre naturelle. Mais il y a des conclusions de la lu
chose qu'une joie durable. Cependant notre pen mière naturelle, qui sont des principes par rap
chant va non pas à la félicité proprement, mais à port à l'instinct. C'est ainsi que nous sommes
la joie, c'est à dire au présent; c'est la raison qui portés aux actes d'humanité par instinct, parce que
porte à l'avenir et à la durée. Or le pencliant, cela nous plait, et par raison parce que cela est
exprimé par l'entendement, passe en précepte ou juste. Il y a donc en nous des vérités d instinct,
vérité de practique: et si le pencliant est inné, la qui sont des principes innés, qu'on sent et qu'on
vérité l'est aussi, n'y ayant rien dans l'âme qui ne approuve quand même on n'en a point la -preuve,
soit exprimé dans l'entendement, mais non pas qu'on obtient pourtant lorsqu'on rend raison de cet
toujours par une considération actuelle distincte, instinct C'est ainsi qu'on se sert des loix des con
comme j'ai assez fait voir. Les instincts aussi ne séquences suivant une connoissance confuse et
sont pas toujours de practique; il y en a qui con comme par instinct, mais les Ix>giciens en démon-
tiennent des vérités de théorie et tels sont les prin ! trent la raison, comme les Mathématiciens aussi
cipes internes des sciences et du raisonnement, lors j rendent raison de ce qu'on fait sans y )>enser en
que, sans en connoitre la raison, nous les em | marchant et en sautant. Quant à la règle, qui
UX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I. 215
}x>rte, qu'on ne doit faire aux autres, que grande et la plus saine partie du genre humain
ce qu'où voudroit qu'ils nous fissent, elle leur rend témoignage. Les Orientaux et les Grecs
a besoin non seulement de preuve, mais encore de ou Romains, la Bible et l'Alcoran conviennent en
déclaration. On voudroit trop, si on en étoit le cela; la police des Mahometans a coutume de pu
maître; est ce donc qu'on doit trop aussi aux au nir ce que Baumgarten rapporte, et il faudrait être
tres? On me dira, que cela ne s'entend que d'une aussi abruti que les sauvages Américains pour ap
volonté juste. Mais ainsi cette règle bien loin de prouver leur coutumes, pleines d'une cruauté, qui
suffire à servir de mesure en auroit besoin. Le vé passe même celle des bêtes. Cependant ces mê
ritable sens de la règle est, que la place d'autrui mes sauvages sentent bien ce que c'est que la ju
est le vrai point de vue pour juger équitablemeat stice en d'autres occasions; et quoiqu'il n'y ait
lorsqu'on s'y met. point de mauvaise pratique peut-être, qui ne soit
§. 9. PH. Ou commet souvent des actions mau autorisée quelque part et en quelques rencontres,
vaises sans aucun remords de conscience, par il y en a peu pourtant, qui ne soient condamnées
exemple lorsqu'on prend des villes d'assaut, les le plus souvent et par la plus grande partie des
Soldats commettent sans scrupule les plus méchan hommes. Ce qui n'est point arrivé sans raison,
tes actions ; des nations jwlies ont exposé leurs en- et n'étant pas arrivé par le seul raisonnement doit
fans, quelques Caribes châtrent les leurs pour les être rapporté en partie aux instincts naturels. La
engraisser et les manger. Garicilasso de la Vège coutume, la tradition, la discipline s'en sont mê
rapporte que certains peuples du Pérou prenoient lées, mais le naturel est cause que la coutume s'est
des prisonnières pour en faire dos concubines, et tournée plus généralement du bon côté sur ces de
nourrissoient les eiifaus jusqu'à l'âge de 13. ans, voirs. Le naturel est encore cause que la tra
après quoi il les mangeoicnt, et traitoicnt de même dition de l'existence de Dieu est venue. Or la
les mères dès qu'elles ne faisoient plus denfans. nature donne à l'homme et même à la plupart des
Dans le voyage de Baumgarten il est rapporté qu'il animaux de l'alFection et de la douceur pour ceux
y avoit un santon eu Egypte, qui passoit pour ua de leur espèce. Le Tigre même pareil cogua-
saint homme, eo quod non foeminarum uii- tis maculis: d'où vient ce bon mot d'un juris
quam esset ac puerorum, sed tantum asel- consulte Romain, quia in ter omnes ho mi nés
larum con cubitor atque niularum. natura cognationem constituit, inde ho-
TH. La science Morale (outre les instincts minem homini insidiari nefas esse. 11 n'y
comme celui qui fait suivre la joie et fuir la tri a presque que les araignées qui fassent exception
stesse) n'est pas autrement innée que l'Arithmeti- et qui s'entremangent jusqu'à ce point que la fe
que, car elle dépend aussi des démonstrations que melle dévore le mâle après en avoir joui. Après
la lumière interne fournit. Ht comme les démon cet instinct général de société, qui se peut ap-
strations ne sautent pas d'abord aux yeux, ce n'est pcller philautropie dans l'homme, il y en a do
pas grande merveille, si les hommes ne s'apperçoi- plus particuliers, comme l'affection entre le mâle
vent pas toujours et d'abord de tout ce qu'ils pos et la femelle, l'amour que les pères et les mères
sèdent en eux, et ne lisent pas assez promtement portent à leurs enfans, que les Grecs apcllent
les charactères de la loi naturelle, que çopyr]v, et autres inclinations semblables, qui font
Uieu, selon S. Paul, a gravé dans leur es ce droit naturel ou cette image de droit plutôt, que
prit. Cependant comme la Morale est plus impor selon les jurisconsultes Romains la Nature a en
tante que l'Arithmétique, Dieu a donné à l'homme seigné aux animaux. Mais dans l'homme parti
des instincts, qui portent d'abord et sans rai culièrement il se trouve un certain soin de la dig
sonnement à quelque chose de ce que la raison or nité et de la convenance , qui porte à ca
donne. C'est comme nous marchons suivant les cher les choses , qui nous rabbaissent , à mé
loix de la mécanique sans penser à ces lois, et nager la pudeur, à avoir de la répugnance pour
comme nous mangeons non seulement parce que des incestes, à ensevelir les cadavres, à ne point
cela nous est nécessaire, mais encore et bien plus manger des hommes du tout ni des bêtes vivantes.
parce que cela nous fait plaisir. Mais ces instincts On est porté encore à avoir soin de sa réputation,
ne portent pas à l'action d'une manière invincible; on même au delà du besoin et de la vie; à être sujet
y résiste par des passions, on les obscurcit par des pré à des remords de la conscience et à sentir ces la-
jugés et on les altère pardescoutumescontraires. Ce niatus et ictus, ces tortures et ces gènes, dont
pendant on convient le plus souvent de ces instincts parle Tacite après Platon; outre la crainte d'un
de la conscience et on les suit même quand de plus avenir et d'une puissance suprême, qui vient en
grandes impressions ne les surmontent. La plus core assez naturellement. II y a de la réalité en
216 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. L
tout cela; mais dans le fond ces impressions quel vedo; ce qu'il expliqua ensuite quand il fut
ques naturelles qu'elles puissent être, ne sont que échappé. A moins de prendre une ferme résolution
des aides à la raison et des indices du conseil de d'envisager le vrai bien et le vrai mal , pour les
la nature. La coutume, l'éducation, la tradition, suivre ou les éviter on se trouve emporté et il ar
la raison y contribuent beaucoup; mais la nature rive encore par rapport aux besoins les plus im-
humaine ne laisse pas d'y avoir part. Il est vrai portans de cette vie, ce qui arrive par rapport au
que sans la raison ces aides ne suffiroient pas pour paradis et à l'enfer chez ceux-là même qui les
donner une certitude entière à la morale. Enfin croient le plus:
niera- 1- on, que l'homme ne soit porté naturelle Cantantur haec, laudantur haec,
ment, par exemple, h s'éloigner des choses vilaines, Dicuntur, audiuntur.
sons prétexte qu'on trouve des gens, qui aiment à Scribuutur haec, leguutur haec,
ne parler que d'ordures, qu'il y en a même dont le Et lecta negliguntur.
genre de vie les engage à manier des excrémens, PH. Tout principe, qu'on suppose inné, ne peut
et qu'il y a des peuples de Boutan, où ceux du Roi qu'être connu d'un chacun comme juste et avan
passent pour quelque chose d'aromatique. Je mï- tageux.
inagine que vous êtes, Monsieur, de mon sentiment TH. C'est toujours revenir à cette supposition
dans le fonds à l'égard de ces instincts naturels que j'ai réfutée tant de fois, que toute vérité innée
pour le bien honnête; quoique vous direz peut-ôtre est connue toujours et de tous.
comme vous avez dit à l'égard de l'instinct, qui §. 12. PH. Mais une permission publique «le
porte à la félicité, que ces impressions ne sont pas violer la loi prouve que cette loi n'est pas innée:
des vérités innées. Mais j'ai déjà répondu que par exemple la loi d'aimer et de conserver les en-
tout sentiment est la perception d'une vérité, et fans a été violée chez les anciens lorsqu'ils ont per
que le sentiment naturel l'est d'une vérité innée, mis de les exposer.
mais bien souvent confuse, comme sont lès-expé TH. Cette violation supposée, il s'ensuit seule
riences des sens externes: ainsi on peut distinguer ment qu'on n'a pas bien lu ces caractères de la na
les vérités innées d'avec la lumière natu ture, gravés dans nos aines, mais quelques fois assez
relle (qui ne contient que de distinctement con- enveloppés par nos désordes ; outre que pour voir
noissable ) comme le genre doit être distingué de la nécessité des devoirs d'une manière invincible,
son espèce, puisque les vérités innées com il en faut envisager la démonstration, ce qui n'est
prennent tant les instincts que la lumière pas fort ordinaire. Si la Géométrie s'opposoit au
naturelle. tant à nos liassions et à nos intérêts présens que la
§. 11. PH. Une personne qui counoitroit les Morale, nous ne la contesterions et ne la violerions
bornes naturelles du juste et de l'injuste et ne lais guères moins, malgré toutes les démonstrations
serait pas de les confondre ensemble, ne pourroit j d'Euclide et d'Archimède, qu'on traiteroit de- rêve
être regardée que comme l'ennemi déclaré du repos ries, et croirait pleines de paralogismes: et Joseph
et du bonheur de la société, dont il fait partie. Scaliger, Hobbes et autres, qui ont écrit contre
Mais les hommes les confondent à tout moment, Euclide et Archimède, ne se trouveraient point si
donc il ne les connaissent point. peu accompagnés qu'ils le sont. Ce n'étoit que la
Th. C'est prendre les choses un peu trop théo passion de la gloire, que ces auteurs croyoient trou
riquement. 11 arrive tous les jours que les hom ver dans la quadrature du cercle et autres problè
mes agissent contre leurs connoissances en se les mes difficiles, qui ait. pu aveugler jusqu' à un tel
cachant à eux mêmes lorsqu'ils tournent l'esprit point des personnes d'un si grand mérite. Et si
ailleurs pour suivre leurs passions: sans cela nous d'autres avoient le même intérêt, ils en useraient
ne verrions pas les gens manger et boire de ce de même.
qu'ils savent leur devoir causer des maladies et PH. Tout devoir emporte l'idée de loi, et une
même la mort; ils ne négligeraient pas leurs af loi ne saurait être, comme on suppose, sans un lé
faires ; ils ne feraient pas ce que des nations entiè gislateur, qui l'ait prescrite, ou sans récompense
res ont fait à certains égards. L'avenir et le rai et sans peine.
sonnement frappent rarement autant que le présent TH. Il y peut avoir des récompenses et des
et les sens. Cet Italien le savoit bien, qui devant peines naturelles sans législateur; l'intempé
être mis à la torture se proposa d'avoir continuel rance par exemple est punie par des maladies.
lement le gibet en vue pendant les tournions pour Cependant comme elle ne nuit pas à tous d'abord,
y résister, et on l'entendit dire quelque fois: Jo ti j'avoue qu'il n'y a guères de précepte, à qui on se
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. I. 217
roit obligé indispensablement , s'il n'y avoit pas uii donner son consentement Mais nos amis disent,
Dieu, qui ne laisse aucun crime sans châtiment, ni qu'il s'en faut beaucoup que ce ne soient autant
aucune bonne action sans récompense. d'impressions innées. Et si ces cinq propositions
PH. Il faut donc que les idées d'un Dieu et sont des notions communes, gravées dans nos âmes
d'une vie à venir soyent aussi innées. par le doigt de Dieu, il y eu a beaucoup d'autres
TH. J'en demeure d'accord dans le sens que qu'on doit aussi mettre de ce rang.
j'ai expliqué. TH. J'en demeure d'accord, Monsieur, car je
PH. Mais ces idées sont si éloignées d'être gra prends toutes les vérités néccsaires pour in
vées naturellement dans l'esprit de tous les hommes, nées, et j'y joins même les instincts. Mais je
qu'elles ne paroisseut pas même fort claires et fort vous avoue que ces cinq propositions ne sont point
distinctes dans l'esprit de plusieurs hommes d'étude, des principes innés; car je tiens qu'on peut et qu'on
et qui font profession d'examiner les choses avec doit les prouver.
quelque exactitude : tant il s'en faut, qu'elle soyent §. 18. PH. Dans la proposition troisième, que
connues de toute créature humaine. la vertu est le culte le plus agréable à Dieu, il est
TH. C'est encore revenir à la même supposition, obscur ce qu'on entend par la vertu. Si on l'en
qui prétend que ce qui n'est point connu n'est tend clans le sens, qu'on lui donne le plus com
point inné, que j'ai pourtant réfutée tant de fois. munément, je veux dire de ce qui passe pour loua
Ce qui est inné n'est pas d'abord connu clairement ble selon les différentes opinions, qui régnent en
et distinctement pour cela: il faut souvent beau divers pays, tant s'en faut que cette proposition soit
coup d'attention et d'ordre pour s'en appercevoir, évidente, qu'elle n'est pas même véritable. Que
les gens d'étude n'en apportent pas toujours et toute si on appelle vertu les actions, qui sont confor
créature humaine encore moins. mes à la volonté de Dieu, ce sera presque idem
§. 13. PH. Mais si les hommes peuvent igno per idem, et la proposition ne nous apprendra
rer ou révoquer en doute ce qui est inné, c'est en- pas grande chose; car elle voudra dire seulement,
vain qu'on nous parle de principes innés, et qu'on que Dieu a pour agréable ce qui est conforme à sa
en prétend faire voir la nécessité 5 bien loin qu'ils volonté. 11 en est de même de la notion du pé
puissent servir à nons instruire de la vérité et de la ché dans la quatrième proposition.
certitude des choses, [comme on le prétend, nous Th. Je ne me souviens pas d'avoir remarqué,
nous trouverions dans le même état d'incertitude. qu'on prenne communément la vertu pour quelque
avec ces principes, que s'ils n'étoient point en nous. chose qui dépende des opinions; au moins les Phi
TH. On ne peut point révoquer en doute tous losophes ne le font pas. Il est vrai que le nom
1rs principes innés. Vous en êtes demeuré d'ac de vertu dépend de l'opinion de ceux qui le don
cord, Monsieur, à l'égard des identiques ou nent à de différentes habitudes ou actions, selon
do principe de contradiction, avouant qu'il qu'ils jugent bien ou mal et font usage de leur rai
y a des principes incontestables, quoique vous son; mais tous conviennent assez de la notion de
ne les reconnoissiez point alors comme innés; la vertu en général, quoiqu'ils diffèrent dans l'ap
mais, il ne s'en suit point , que tout ce qui est inné plication. Selon Aristote et plusieurs antres la
et lié nécessairement avec ces principes innés soit vertu est une habitude de modérer les passions
aussi d'abord d'une évidence indubitable. par la raison, et encore pins simplement une habi
PH. Personne n'a encore entrepris, que je sa tude d'agir suivant la raison. Et cela ne peut
che, de nous donner un catalogue exact de ces manquer d'être agréable à celui qui est la suprême
principes. et dernière raison des choses, à qui rien n'est in
TH. Mais nous a-t-on donné jusqu'ici un ca différent et les actions des créatures raisonnables
talogue plein et exact des axiomes de Géométrie1 moins qne toutes les autres.
§.15. PH. Mylord Herbert a voulu marquer §.20. PH. On a coutume de dire, qne les
quelquesuns de ces principes, qui sont: 1. qu'il y coutumes, l'éducation et les opinions générales de
a un Dieu suprême. 2. qu'il doit être servi. 3. que ceux, avec qui on converse, peuvent obscurcir ces
la vertu jointe avec la pieté est le meilleur culte. principes de morale, qu'on suppose innés. Mais si
4. qu'il faut se repentir de ses péchés. 5. qu'il y a cette réponse est bonne, elle anéantit la preuve
des peines et des recompenses après cette vie. Je qu'on prétend tirer du consentement universel.
tombe d'accord que ce sont là des vérités éviden Le raisonnement de bien des gens se réduit à ceci:
tes et d'une telle nature qu'étant bien expliquées Les Principes que les gens de bon sens reconnois-
une créature raisonnable ne peut guères éviter d'y sent, sont innés: Nous et ceux de notre parti som
23
218 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. I.
mes des gens de bon sens: donc nos principes sont si ces principes peuvent ou ne peuvent pas être ef
innés. Plaisante manière de raisonner, qui va tout facés par l'éducation et la coutume. S'ils ne peu
droit à l'infallibilité! vent l'être, nous devons les trouver dans tous les
TH Pour moi je me sers du consentement uni hommes, et il faut qu'ils paraissent clairement dans
versel, non pas comme d'une preuve principale, l'esprit de chaque homme en particulier. S'ils peu
mais comme d'une confirmation : car les vérités in vent être altérés par des notions étrangères, ils doi
nées, prises pour la lumière naturelle de la rai vent paroitre plus distinctement et avec plus d'éclat
son, portent leurs caractères avec elles comme la lorsqu'ils sont plus près de leur source, je veux
Géométrie, car elles sont envelopées clans les prin dire dans les enfans et les ignorans, sur qui les
cipes immédiats, que vous reconnoissez vous mêmes opinions étrangères ont fait le moins d'impression.
pour incontestables. Mais j'avoue qu'il est plus Qu'ils prennent tel parti qu'ils voudront, ils ver
difficile de démêler les instincts, et quelques au ront clairement, dit -il, qu'il est démenti par
tres habitudes naturelles d'avec les coutumes, quoi des faits constans et par une continuelle ex
que cela se puisse pourtant, ce semble, le plus sou périence.
vent. Au reste il me paroit que les peuples, qui TH. Je m'étonne que votre habile ami ait con
ont cultivé leur esprit, ont quelque sujet de s'attri fondu obscurcir et effacer, comme on con
buer l'usage du bon sens préférablement aux bar fond dans votre parti n'être point et ne point
bares, puisqu'on les domptant si aisément presque paroître. Les idées et vérités innées ne sau-
comme des bêtes ils montrent assez leur supériorité. roient être effacées, mais elles sont obscurcies dans
Si on n'en peut pas toujours venir à bout, c'est tous les hommes (comme ils sont présentement)
qu'encore comme les bêtes ils se sauvent dans les par leur penchant vers les besoins du corps, et sou
épaisses forêts, où il est difficile de les forcer et le vent encore plus par les mauvaises coutumes sur
jeu ne vaut pas la chandelle. C'est un avantage venues. Ces caractères de lumière interne seroient
sans doute d'avoir cultivé l'esprit, et s'il est permis toujours éclatans dans l'entendement et donneraient
de parler pour la barbarie contre la culture, on de la chaleur dans la volonté, si les perceptions
aura aussi le droit d'attaquer la raison en faveur confuses des sens ne s'emparaient de notre atten
des bêtes et de prendre sérieusement les saillies tion. C'est le combat, dont la Sainte Ecriture ne
spirituelles de Mr. Despreaux dans une de ses Sa parle pas moins que la Philosophie ancienne et
tyres , où, pour contester à l'homme sa prérogative moderne.
sur les animaux, il demande, si PH. Ainsi donc nous nous trouvons dans des
ténèbres aussi épaisses et dans une aussi grande
L'ours a peur du passant ou le passant de l'ours? incertitude que s'il n'y avoit point de semblables
Et si par un édit de pastres des Lybie lumières.
Les Lions vuideroient les parcs de Numidie. etc. TH. A Dieu ne plaise; nous n'aurions ni scien
Cependent il faut avouer, qu'il y a des points im ces, ni lois, et nous n'aurions pas même de la
portons, où les barbares nous passent, sour-tout raison.
à l'égard de la vigueur du corps; et à l'égard de §. 21. 22. etc. PH. J'espère que vous «on-
l'âme même on peut dire qu'à certaines égards leur viendrez au moins de la force des préjugés, qui
morale pratique est meilleure que la nôtre, parce- font souvent passer pour naturel , ce qui est venu
qu'ils n'ont point l'avarice .d'amasser, ni l'ambition des mauvais ensoignemens ou les enfans ont été
de dominer. Et on peut même ajouter que la con exposés, et des mauvaises coutumes, que l'éduca
versation des Chrétiens les a rendus pires en bien tion et la conversation leur ont données.
des choses. On leur a appris l'ivrognerie (en leur T H. J'avoue que l'excellent Auteur que vous sui
apportant de l'eau de vie ) les juremens , les blas vez dit de fort belles choses là -dessus et qui ont
phèmes et d'autres vices, qui leur étoient peu con leur prix si on les prend comme il faut ; mais je
nus. Il y a chez nous plus de bien et plus de mal ne crois pas qu'elles soient contraires à la doctrine
qne chez eux: Un méchant Européen est plus bien prise du naturel ou des vérités innées. Et je
méchant qu'un sauvage: il rafine sur le mal. Ce m'assure qu'il ne voudra pas étendre ses remarques
pendant rien n'empècheroit les hommes d'unir les trop loin; car je suis également persuadé, et que
avantages qne la nature donne à ces peuples, avec bien des opinions passent pour des vérités qui ne
ceux que nous donne la raison. sont que des effets de la coutume et de la crédu
PU. Mais que répondrez vous, Monsieu, à ce lité, et qu'il y eu a bien aussi, que certains Philo
dilemme d'un de mes amisï Je voudrais bien, sophes voudraient faire passer pour des préjugés,
dit -il, que les partisans des idées innées me dissent qui sont pourtant fondées dans la droite raison et
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. I. 219
dans la nature. Il y a autant ou plus de sujet de PH. Il faut bien qae ceux, qui sont pour les
se garder de ceux, qui par ambition le plus sou vérités innées, soutiennent et soient persuadés, que
vent prétendent innover, que de se défier des im ces idées le sont aussi; et j'avoue que je suis de
pressions anciennes. Et après avoir assez médité leur avis. L'idée de l'être, du possible, da
sur l'ancien et sur le nouveau, j'ai trouvé que la même, sont si bien innées, qu'elles entrent claus
plupart des doctrines reçues peuvent souffrir un toutes nos pensées et raisonuemens , et je les re
bon sens. De sorte que je voudrais que les hom garde comme des choses essentielles à notre esprit;
mes d'esprit cherchassent de quoi satisfaire à leur maisj'ai déjà dit, qu'on n'y fait pas toujours une atten
ambition, en s'occupant plutôt à bâtir et à avancer tion particulière et qu'où ne les démêlequ'avec le tems.
qu'à reculer et à détruire. Et je souhaiterois qu'on J'ai dit encore que nous sommes, pour ainsi dire,
ressemblât plutôt aux Romains qui faisoient des } ianés à nous mêmes, et puisque nous sommes des
beaux ouvrages publics, qu'à ce Roi Vandale, à i êtres , l'être nous est inné ; et la conuoissance de
qui sa mère recommanda que ne pouvant pas espé l'être est enveloppée dans celle que nous avons de
rer la gloire d'égaler ces grands bâtimcns, il en nous mêmes. 11 y a quelque chose d'approchant
cherchât à les détruire. en d'autres notions générales.
PH. Le but des liabiles gens qui ont combattu §. 4. PH. Si l'idée de l'identité est natu
les vérités innées, a été d'empêcher que sous ce relle, et par conséquent si évidente et si pré
beau nom ou ne fasse passer des préjugés et cher sente à l'esprit que nous devions la connoître
che à couvrir sa paresse. des le berceau, je voudrais bien, qu'un enfant de
TH. Nous sommes d'accord sur ce point, car sept ans et même un homme de soixante et dix
bien loin que j'approuve qu'on se fasse des prin- ans me dit, si un homme, qui est une créature
cif es douteux, je voudrais moi qu'on cherchât jus composée de corps et d'âme, est le même, lorsque
qu'à la démonstration des Axiomes d'Euclide, son corps est changé, et si, supposé la Métempsy-
comme quelques Anciens ont fait aussi. Et lors chose, Euphorbe serait le même que Pythagore.
qu'on demande le moyeu de connoître et d'examiner TH. J'ai assez dit que ce qui nous est naturel,
les principes innés, je répond suivant ce que j'ai ne nous est pas connu pour cela dès le berceau; et
dit ci-dessus, qu'excepté les instincts dont la raison même une idée nous peut être connue, sans que
est inconnue, il faut tacher de les réduire aux pre nous puissions décider d'abord toutes les questions
miers principes, c'est à dire, aux Axiomes iden qu'on peut former là -dessus. C'est comme si quel
tiques ou immédiats par le moyen des définitions, qu'un prétendoit qu'un enfant ne saurait connoitre
qui ne font autre chose qu' une exposition distincte ce que c'est que le quarré et sa diagonale, parce-
des idées. Je ne doute pas même que vos amis, qu'il aura de la peine à connoître que la diagonale
contraires jusqu' ici aux vérités innées n'approu est incommensurable avec le côté du quarré. Pour
vent cette méthode, qui paroit conforme à leur but ce qui est de la question en elle môme, elle me pa
principal. roit démonstrativement résolue par la doctrine des
Monades, que j'ai mise ailleurs dans son jour, et
nous parlerons plus amplement de cette matière dans
la suite.
§. 6. PH. Je vois bien que je vous objecterais
CHAPITRE III. en vain, que l'Axiome qui porte que letoutest
Autres considérations touchant les prin plus grand que sa partie n'est point inné,
sous prétexte que les idées du tout et de la partie
cipes innés, tant ceux qui regardent la sont relatives, dépendant de celles du nombre et
spéculation, que ceux qui appartiennent de l'étendue: puisque vous soutiendrez apparem
à la pratique. ment, qu'il y a des idées innées respectives et que
celles des nombres et de l'étendue sont innées
§. 3. PH. Vous voulez qu'on réduise les véri aussi.
tés aux premiers principes, et je vous avoue que TH. Vous avez raison, et même je crois plutôt
s'il y a quelque principe , c'est sans contredit celui- que l'idée de l'étendue est postérieure à celle du
ci: il est impossible qu'une chose soit et tout et de la partie.
ne soit pas en même tems. Cependant il pa §.7. PH. Que dites vous de la vérité que Dieu
roit difficile de soutenir qu'il est inné, puisqu'il doit être adoré; est elle innée?
faut se persuader en même tems que les idées d'im TH. Je crois que le devoir d'adorer Dieu porte,
possibilité et d'identité sont innées. que dans les occasions on doit inarquer qu'on l'ho
28 *
220 IJX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. I.
norc au delà de tout antre objet, et que c'est uno » dans l'esprit sous l'idée d'une puissance absolue
conséquence nécessaire de son idée et de son » et irrésistible , qu'on ne puisse s'empêcher de
existence ; ce qui signifie chez moi , que cette vé » craindre (j'ajoute : et sous l'idée d'une grandis
rité est innée. sime bonté, qu'on ne sauroit s'empêcher d'aimer)
§. 8. PH. Mais les Athées semblent prouver » une tels idée doit suivant toutes les apparences
par leur exemple, que l'Idée de Dieu n'est point «faire de plus fortes impressions et se répandre
innée. Et sans parler de ceux dont les anciens « plus loin qu'aucune autre: surtout, si c'est une
ont fait mention, n'a- 1- on pas découvert des na » idée qui s'accorde avec les plus simples lumières
tions entières, qui u'avoient aucune idée de Dieu, » de la raison et qui découle naturellement
ni des noms pour marquer Dieu et l'âme; comme » de chaque partie de nos connoissances. Or telle
à la Baye de Soldanie, dans le Brésil, dans les Is- • est l'idée de Dieu, car les marques éclatantes
les Caribcs, dans le Paraguay. • d'une sagesse et d'une puissance extraordinaire
TH. Feu Mr. Fabricius, Théologien célèbre de » paraissent si visiblement dans tous les ouvrages de la
Heidelbcrg, a fait une Apologie du genre humain, • création, que toute créature raisonnable, qui voudra y
pour le purger de l'imputation de l'Ahéisme. C'était • faire réflexion, ne sauroit manquer de découvrir l'au-
un auteur de beaucoup d'exactitude et fort au des • teur de toutes ces merveilles: et l'impression, que la
sus de bien de préjugés; cependant je ne prétens » découverte d'un tel être doit faire naturellement
point entrer dans cette discussion des faits. Je » sur l'âme de tous ceux qui en ont entendu parler
veux que des peuples entiers n'ayent jamais pensé » une seule fois , est si grande et entraine avec elle
à la substance suprême, ni à ce que c'est que l'âme. » des pensées d'un si grand poids et si propres à
Et je me souviens, que lorsqu'on voulut à ma » se répandre dans le monde , qu'il me paroit tout
prière, favorisée par illustre Mr. Witseu, m'obte » a fait étrange gu'il se puisse trouver sur la terre
nir en Hollande une version de l'oraison domini » une nation enycp^ddiommes assez stupides pour
cale dans la langue de Barantola, on fut arrêté à » n'avoir aucune idée de Dieu. Cela dis -je me
cet endroit: ton nom soit sanctifié, parce- » semble aussi surprenant que d'imaginer des hom-
qu'on ne pouvoit point faire entendre aux Baran- • mes , qui u auroient aucune idée des nombres ou
tolois ce que vouloit dire saint. Je me souviens • du feu. « ' Je voudrais qu'il me fut toujours per
aussi que dans le credo, fait pour les Ho ten- mis de copier mot à mot quantité d'autre exoel-
tots, on fut obligé d'exprimer le Saint Esprit lens endroits de notre auteur, que nous sommes
par des mots du pays, qui signifient un vent doux obligés de passer. Je dirai seulement ici, que cet
et agréable (ce qui n'étoit pas sans raison) car nos auteur, parlant des plus simples lumières de
mots Grecs et Latins «V£Ù(ua, anima, spiritus, la raison, qui s'accordent avec l'idée de Dieu, et
ne signifient originairement que l'air ou vent, qu'on de ce qui en découle naturellement, ne paroit guè
respire, comme une des plus subtiles choses, qui res s'éloigner de mon sens sur les vérités innées ;
nous soit connue par les sens : et on commence par et sur ce, qu'il lui paroit aussi étrange, qu'il y ait
les sens pour mener peu à peu les hommes à ce qui des hommes sans aucune idée de Dieu, qu'il seroit
est au dessus des sens. Cependant toute cette dif surprenant de trouver des hommes, qui n'au-
ficulté qu'on trouve à parvenir aux connoissances roient aucune idée des nombres ou du feu , je re
abstraites ne fait rien contre les connoissances in marquerai que les habitans des Isles Marianes, à
nées. Il y a des peuples , qui n'ont aucun mot, qui on a donné le nom de la Reine d'Espagne, qui
qui réponde à celui d'Etre; est ce qu'on doute y a favorisé les missions, n'avoient aucune connois-
qu'ils ne savent pas ce que c'est que d'Etre, quoi sance du feu lorsqu'on les découvrit, comme il pa
qu'ils n'y pensent guères à part? Au reste je roit par la relation que le R. P. Gobien Jésuite
trouve si beau et si à mon gré ce que j'ai lu chez François, chargé du soin des missions éloignées, a
notre excellent Auteur sur l'idée de Dieu (Essai sur donnée au public et m'a envoyée.
l'entendement livr. 1. cl^ 3. §. 9.) que je ne sau- §. 1G. PH. Si l'on a droit de conclure, que
roit m'empêcher de le rapporter. Le voici : » Les l'idée de Dieu est innée, de ce que tous les gens
» hommes ne sauraient guères éviter , d'avoir quel- j sages ont eu cette idée, la vertu doit aussi être in
» que espèce d'idée des choses , dont ceux avec qui née parceque les gens sages en ont toujours eu une
» ils conversent ont souvent occasion de les entre- véritable idée.
» tenir sous certains noms, et si c'est une chose TH. Non pas la vertu, mais l'idée de la vertu
» qui cm[K>rte avec elle l'idée d'excellence, de, gran- est innée, et peut-être ne voulez vous que cela.
»deur, ou de quelque qualité extraordinaire, qui P H. Il est aussi certain qu'il y a un Dieu , qu'il
» intéresse par quelque endroit et qui s'imprime est certain que les angles opposés, qui se font par
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. L 221
l'intersection do deux lignes droites, sont égaux. il arriva à l'âge de deux ans et demi par la petite
Et il n'y eût jamais de créature raisonnable, qui vérole au célèbre Ulric Schonberg, natif de Weido
se soit appliquée sincèrement à examiner la vérité au haut Palatinat, qui mourut à Kônigsberg en
de ces deux propositions, qui ait manqué d'y don Prusse en 1649. où il avoit enseigné la Philoso
ner son consentement. Cependant il est hors de phie et les Mathématiques avec l'udmiration de tout
doute, qu'il y a bien des hommes, qui n'ayant point le monde. Il se peut aussi qu'il reste à un tel
tourné leurs pensées de ce coté -la, ignorent éga homme des effets des anciennes impressions, sans
lement ces deux vérités. qu'il s'en souvienne. Je crois que les songes nous
TH. Je l'avoue, mais cela n'empêche point qu'el renouvellent souvent ainsi d anciennes pensées. Ju
les soyent innées, c'est à dire qu'on ne les puisse les Scaliger, ayant célébré en vers les hommes il
trouver en soi. lustres de Vérone, un certain soi-disant Brugnolus,
§. 18. PH. Il seroit encore avantageux d'avoir Bavarois d'origine mais depuis établi à Vérone, lui
une idée innée de la substance; mais il se parût en songe et se plaignit d'avoir été oublié.
trouve que nous ne l'avons, ni innée, ni acquise, Jules Scaliger ne se souvenant pas d'en avoir ouï
puisque nous ne l'avons ni par la sensation, ni par parler auparavant, ne laissa point de faire des vers
la réflexion. Elégiaques à son honneur sur ce songe. Enfin le
TH. Je suis d'opinion, que la reflexion suffit, fils Joseph Scaliger, passant en Italie, apprit plus
pour trouver l'idée de la substance en nous mêmes, particulièrement, qu'il y avoit eu autrefois a Vérone
qui sommes des substances. Et cette notion est un célèbre Grammairien ou Critique savant de ce
des plus importantes. Mais nous en parlerons nom, qui avoit contribué au rétablissement des bel
peut-être plus amplement dans la suite de notre les lettres en Italie. Cette histoire se trouve dans
conférence. les Poésies de Scaliger le père avec l'Elégie, et dans
PH. S'il y a des idées innées, qui soyent dans les lettres du fils. On les rapporte aussi dans les
l'esprit, sans que l'esprit y pense actuellement, il Scaligerana, qu'on à recueilli des conversations
faut du moins qu'elles soyent dans la mémoire, de Joseph Sealiger. Il y a bien de l'apparence,
d'où elles dévoient être tirées par voie de Rémi que Jules Scaliger avoit su quelque chose de Brug-
niscence, c'est à dire, être connues lorqu'on en nol, dont il ne se souvcnoit plus, et que le songe
rappelle le souvenir , comme autant de perceptions, fût en partie le renouvellement d'une ancienne
qui ont été auparavant l'âme, à moins que la ré idée, quoiqu'il n'y ait pas eu cette réminiscence
miniscence ne puisse subsister sans réminiscence. proprement appellée ainsi, qui nous fait connoitrc
Car cette persuasion, où l'on est intérieurement sûr, que nous avons déjà eu cette même idée; du moins
qu'une telle idée a été auparavant dans notre esprit, je ne vois aucune nécessité, qui nous oblige d'as
est proprement ce qui distingue la réminiscence de surer, qu'il ne reste aucune trace d'une perception
de toute autre voie de penser. quand il n'y en a pas assez pour se souvenir qu'on
TH. Pour que les connoissances, idées ou véri l'a eue.
tés soyent dans notre esprit, il n'est point néces §. 24. PH. Il faut que je reconnoissc que vous
saire que nous y ayons jamais pensé actuellement; répondez assez naturellement aux difficultés, que
ce ne sont que des habitudes naturelles, c'est à nous avons formées contre les vérités innées. Peut-
dire des dispositions et altitudes actives et pas être aussi que nos auteurs ne les combattent point
sives et plus que Tabula rasa. Il est vrai ce dans le sens , que vous les soutenez. Ainsi je re
pendant, que les Platoniciens croyoient que nous viens seulement à vous dire, Monsieur, qu'on a eu
avions déjà pensé actuellement à ce que nous retrou quelque sujet de craindre, que l'opinion des vérités
vons en nous; et pour les réfuter, il ne suffit pas innées ne servit de prétexte aux parresseux, de
de dire que nous ne nous en souvenons point, car s'exemter de la peine des recherches, et donnât la
il est sûr qu'une infinité de pensées nous revient, commodité aux docteurs et aux maitres, de poser
que nous avons oublié d'avoir eues. 11 est arrivé, pour principe, que les principes ne doivent pas
qu'un homme a cru faire un vers nouveau, qu'il être mis en question.
s'est trouvé avoir lu mot pour mot long tems au TH. J'ai déjà dit, que si c'est là le dessein de
paravant dans quelque ancien Poëte. Et souvent vos amis, de conseiller qu'on cherche les preuves
nous avons une facilité non commune, de conce des vérités, qui en peuvent recevoir, sans distin
voir certaines choses, parceque nous les [avons con guer si elles sont innées ou non, nous sommes en
çues autrefois, sans que nous nous en souvenions. tièrement d'accord; et l'opinion des vérités innées,
Il se peut qu'un enfant, devenu aveugle, oublie de la manière que je les prend, n'en doit détourner
d'avoir jamais vu la lumière et les couleurs, comme personne, car outre qu'on fait bien, de chercher la
222 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. IL
raison des instincts, c'est une de mes grandes ma lieu entièrement qu'à l'égard de ces principes qui
ximes, qu'il est bon de chercher Jes démonstrations ne sauroient recevoir ni doute ni preuve. 11 est
des Axiomes mêmes, et je me souviens qu'à Pa vrai que pour éviter les scandales et les désordres,
ris, lorsqu'on se moquoit de feu M. Roberval déjà on peut faire des réglemens à l'égard des disputes
vieux , parcequ'il vouloit démontrer ceux d'Euclide publiques et de quelques autres conférences, en
à l'exemple d'Appollonius et de Proclus , je fis voir vertu desquels il soit défendu de mettre en con
l'utilité de cette recherche. Pour ce qui est du testation certaines vérités établies. Mais c'est plu
principe de ceux, qui disent, qu'il ne faut point tôt un point de police que de philosophie.
disputer contre celui qui nie les principes, il n'a
LIVRE SECOND.
1) ES IDEES.
CHAPITRE XI.
De la faculté de discerner les Idées.
CHAPITRE X.
§. 1. PH. Du discernement des Idées dépend
De la Rétention. l'évidence et la certitude de plusieurs propositions,
qui passent pour des vérités innés.
§. 1. 2. PH. L'autre faculté de l'esprit, par TH. J'avoue que pour penser à ces vérités in
laquelle il avance plus vers la connoissance des nées et pour les démêler il faut du discernement;
choses, que par la simple perception, c'est ce que mais pour cela, elles ne cessent point d'être innées.
je nomme rétention, qui conserve les connois- §. 2. PH. Or la vivacité de l'esprit con
sences reçues par les sens ou par la réflexion. La siste à rappeller promtement les Idées; mais il
rétention se fait en deux manières, en conser y a du jugement à se les représenter nettement
vant actuellement l'Idée présente, ce que j'appelle et à les distinguer exactement.
contemplation, et en gardant la puissance de TH. Peut-être que fun et l'autre est vivacité
les ramener devant l'esprit, et c'est ce qu'on ap d'imagination, et que le jugement consiste dans
pelle mémoire. l'examen des propositions suivant la raison.
TH. On retient aussi et on contemple les con- PH. Je ne suis point éloigné de cette distinction
noissances innées, et bien souvent on ne sauroit de l'esprit et du jugement Et quelque fois il y a
distinguer l'inné de l'acquis. Il y a aussi une per du -jugement à ne le point employer trop. Par
ception des images, ou qui sont déjà depuis quel exemple: c'est choquer en quelque manière cer
que teins ou qui se forment de nouveau en nous. taines pensées spirituelles que de les examiner par
§. 2. PH. Biais on croit chez nous, que ces les règles sévères de la vérité et du bon raison
images ou Idées cessent d'être quelque chose nement.
dès qu'elles ne sont point actuellement apper- TH. Cette remarque est bonne. Il faut que
çues, et que dire, qu'il y a des Idées de ré des pensées spirituelles ayent quelque fondement
serve dans la mémoire, cela ne signifie dans le fond au moins apparent dans la raison; mais il ne faut
autre chose si ce n'est que l'aine a en plusieurs ren point les éplucher avec trop de scruple, comme il
contres la puissance de réveiller les perceptions, ne faut point regarder un tableu de trop près.
qu'elle a déjà eues avec un sentiment, qui la puisse C'est en quoi il me semble que le P. Bouhours
convaincre en même tems qu'elle a eu auparavant manque plus d'une fois dans sa manière de
ces sortes de perceptions. bien penser dans les ouvrages d'esprit,
TH. Si les Idées n'étoient que les formes ou comme lorsqu'il méprise cette saillie de Lucain,
façons des pensées, elles cesseroient avec elles, mais victrix causa Diis placuit, sed victa Ca-
Vous môme avez reconnu, Monsieur, qu'elles en toni.
sont les objets internes, et de cette manière elles §.4. PH. Une autre opération de l'esprit à
peuvent subsister; et je m'étonne que vous vous l'égard de ses Idées c'est la comparaison, qu'il
puissiez toujours payer de ces puissances ou fa fait d'une Idée avec l'autre par rapport à l'étendue,
cultés nues, que vous rejetteriez apparemment aux dégrés , au tems , au lieu ou à quelque' autre
dans les Philosophes de l'école. 11 faudroit expli circonstance: c'est de là que dé]>end ce grand
quer un peu plus distinctement, en quoi consiste nombre d'Idées, qui sont comprises sous le nom de
cette faculté et comment elle s'exerce, et cela fe Relation.
rait connoître, qu'il y a des dispositions, qui sont TH. Selon mon sens la Relation est plus gé
des restes des impressions passées, dans l'âme aussi nérale que la comparaison. Car les Relations
bien que dans le corps, mais dont on ne s'apper- sont ou de comparaison ou de concours. Les
çoit, que lorsque la mémoire en trouve quelqu'oc- premières regardent la convenance ou diseon-
casion. Et si rien ne restait des pensées passées, venance (je prens ces termes dans un sens moins
aussitôt qu'on n'y pense plus, il ne scroit point étendu) qui comprend la ressemblance, l'égalité,
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 237
l'inégalité etc. Les secondes renferment quelque TH. Les bêtes passent d'une imagination à une
liaison, comme de la cause et de l'effet, du tout antre par la liaison, qu'elles y ont sentie autres
et des parties, de la situation et de l'ordre etc. fois; par exemple quand le maître prend un bâton
§. 6. PH. La composition des Idées simples, le chien appréhende d'être frappé. Et en quantité
pour en faire de complexes, est encore une opéra d'occasions les enfans de même que les autres hom
tion de notre esprit. On peut rapporter à cela la mes n'ont point d'autre procédure dans leurs pas
faculté d'étendre les Idées, en joignant ensem sages de pensée à pensée. On pourroit apeller cela
ble celles qui sont d'une même espèce, comme en conséquence et raisonnement dans un sens
formant une dou?aine de plusieurs unités. fort étendu. Mais j'aime mieux me conformer à
TH. L'une est aussi bien composée que l'autre l'usage reçu, en consécrant ces mots à l'homme et
sans doute; mais la composition des Idées sembla en les restraignant à la conuoissance de quelque
bles est plus simple, que celle des Idées diffé raison de la liaison des perceptions, que les sen
rentes. sations seules ne sauroient donner, leur effet n'é
§.7. PH. Une chienne nourrira de petits re tant que défaire, que naturellement on s'attende
nards, badinera avec eux et aura pour eux la une autre fois à cette même liaison, qu'on a remar
même passion que pour ses petits, si l'on peut faire quée auparavant, quoique peut-être les raisons ne
ensorte , que les renardeaux la tetteut tout autant soyent plus les mêmes ; ce qui trompe souvent ceux
qu'il faut, pour que le lait se répande par tout leur qui ne se gouvernent que par les sens.
corps. Et il ne paroit pas , que les animaux, qui §. 13. PH. Les iubecilles manquent de viva
ont quantité de petits à la fois , ayent aucune con- cité, d'activité, et de mouvement dans les facultés
uoissance de leur nombre. intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l'usage
TH. Mais l'amour des animaux vient d'un agré de la raison. Les foux semblent être dans l'extré
ment, qui est augmenté par l'accoutumence. mité opposée, car il ne me paroit pas que ces derniers
Mais quant à la multitude précise, les hommes ayent perdu la faculté de raisonner, mais ayant
mêmes ne sauroient connoitre les nombres des cho joint mal à propos certaines Idées ils les prennent
ses que par quelqu' adresse, comme en se ser pour des vérités, et se trompent de la même ma
vant des noms numéraux pour compter ou des nière que ceux, qui raisonnent juste sur de faux
dispositions en figure, qui fassent conuoitrc d'abord principes. Ainsi vous verrez un fou qui s'ima
sans compter s'il manque quelque chose. ginant d'être Roi prétend j>ar une juste consé
§. 10. P H. Les bêtes ne forment point non quence être servi, honoré et obéi selon sa
plus des abstractions. dignité.
TH. Je suis du même sentiment. Elles con- TH. Les imbecilles n'exercent point la rai
noissent apparemment la blancheur, et la remar son et ils diffèrent de quelques Stupides, qui ont
quent dans la craie comme dans la neige; mais ce le jugement bon, mais n'ayant point la conception
n'est pas encore abstraction, car elle demande une promte, ils sont méprisés et incommodes, comme
considération du commun, séparé du particulier, et seroit celui, qui voudroit jouer à l'hombre avec des
par conséquent il y entre la connoissance des véri personnes considérables, et penserait trop long
tés universelles, qui n'est point donnée aux bêles. tems et trop souvent au parti qu'il doit, prendre.
On remarque fort bien aussi, que les bêtes qui par Je me souviens, qu'un habile homme, ayant perdu
lent ne se servent point de paroles pour exprimer la mémoire par l'usage de quelques drogues, fut
les Idées générales, et que les hommes privés do réduit à cet état, mais son jugement paroissoit
l'usage de la parole et des mots ne laissent pas de toujours. Un fol universel manque de jugement
se faire d'autres signes généraux. Et je suis ravi, presque en toute occasion. Cependant la vivacité
de Vous voir si bien remarquer ici et ailleurs les de son imagination le peut rendre agréable. Mais
avantages de la nature humaine. il y a des foux particuliers, qui se forment une
f. 11. PH. Si les bêtes ont quelques Idées et fausse supposition sur un point im|x>rtant de leur
ne sont pas de pures machines, comme quelques vie et raisonnent juste la -dessus, comme vous l'a
uns le prétendent, nous ne saurions nier, qu'elles vez fort bien remarqué. Tel est un homme assez
n'ayent la raison dans un certain degré. Et pour connu dans une certaine cour , qui se croit destiné
moi il me paroit aussi évident, quelles raisonnent, à redresser les affaires des Protestans et à mettre
qu'il me paroit, qu'elles ont du sentiment. Mais la France à la raison, et que pour cela Dieu a fait
c'est seulement sur les Idées particulières qu'el passer les plus grands personnages par son corps
les raisonnent, selon que leurs sens les leur repré pour l'annoblir; il prétend é]x>user toutes les prin
sentent. cesses qu'il voit à marier, mais après les avoir reu
238 IIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II.
dues saintes, à fin d'avoir une suinte lignée qui Substances, Modes et Relations est assez à mon
doit gouverner la terre, il attribue tous les mal gré. Je crois que les qualités ne sont que des mo
heurs de la guerre au peu de déférence, qu'on a difications des Substances et l'entendement y ajoute
eu pour ses avis. En parlant avec quelque souve les relations. 11 s'en suit plus qu'on ne pense.
rain, il prend toutes les mesures nécessaires pour PH. Les modes sont ou. simples (comme
ne point ravaler sa dignité. Enfin quand on entre une douzaine, une vingtaine, qui sont faits des
en raisonnement avec lui il se défend si bien , que Idéos simples d'une même esi>èce, c'est à dire des
j'ai douté pins d'une fois si sa folie n'étoit pas une unités) ou mixtes (comme la beauté) où il entre
feinte, car il ne s'en trouve pas mal. Cependant des Idées simples de différentes espèces.
ceux qui le commissent plus particulièrement, m'as TH. Peut-être que douzaine ou vingtaine
surent que c'est tout de bon. ne sont que les relations et ne sont constituées
que par le rapport à l'entendement. Les unités
sont à part et l'entendement les prend ensemble
quelques dispersées qu'elles soyent. Cependant quoi
CHAPITRE XII. que les relations soyent de l'entendement, elles ne
sont pas sans fondement et réalité. Car le pre
Des idées complexes. mier entendement est l'origine des choses ; et même
la réalité de toutes choses, excepté les Substances
PH. L'entendement ne ressenble pas mal à un simples, ne consiste que dans le fondement des per
cabinet entièrement obscur, qui n'auroit que quel ceptions des phénomènes des Substances simp
ques petites ouvertures jK>nr laisser entrer par dé- les. Il en est souvent de même à l'égard des mo
bors les images extérieurs et visibles, de sorte que des mixtes, c'est à dire qu'il faudroit les renvoyer
si ces images, venant à se peindre dans ce cabinet plutôt aux relations.
obscur, pouvoieut y rester et y être placées en or §. 6. PH. Los Idées des Substances sont
dre, en sorte qu'on pût les trouver dans l'occasion, certaines combinaisons d'Idées simples , qu'on sup
il y auroit une grande ressemblance entre ce cabi pose représenter des choses particulières et di
net et l'entendement humain. stinctes, qui subsistent par elles mêmes, parmi les
TH. Pour rendre la ressemblance plus grande, quelles Idées ou considère toujours la notion ob
il faudroit supposer que dans la chambre obscure scure de Substance comme la première et la
il y eut une toile pour recevoir les espèces, qui ne principale, qu'on suppose sans la connoitre, quelle
fut pas unie, mais diversifiée ]»r des plis, représen qu'elle soit en elle même,
tant les connoissenees innées; que de plus, cette TH. L'Idée de la Substance n'est pas si
toile ou membrane étant tendue, eût une manière obscure qu'on pense. Ou eu peut connoitre ce qui
de ressort ou force d'agir, et même une action ou se doit, et ce qui se conuoit en autres choses; et
réaction accommodée tant aux plis passés qu'aux même la connoissance des concrets est toujours an
nouveaux venus des impressions des espèces. Et térieure à celle des abstraits; on connoit plus le
cette action consisterait en certaines vibrations ou chaud que la chaleur.
oscillations, telles qu'on voit dans une corde ten §. 7. PH. A l'égard des Substances il y a aussi
due quand on la touche, desorte qu'elle rendroit deux sortes d'Idées. L'une des Substances singu
une manière de son musical. Car non seulement lières, comme celle d'un homme ou d'une brebis.
nous recevons des images ou traces dans le cer L'autre de plusieurs substances jointes ensemble,
veau, mais nous eu formons encore de nouvelles, comme d'une armée d'hommes et d'un trou|>eau de
quand nous envisageons des Idées complexes. brebis ; ces collections forment aussi une seule Idée,
Ainsi il faut que la toile, qui représente notre cer TH. Cette unité de l'Idée des Aggregés est très
veau soit active et élastique. Cette comparaison véritable; mais dans le fond il faut avouer, que
expliquerait tolerablement ce qui se passe dans le cette unité de collections n'est qu'un rapport ou une
cerveau ; mais quant à l'âme, qui est une Substance relation, dont le fondement est dans ce qui se
simple ou Monade, elle représente sans étendue trouve en chacune des Substances singulières à part.
ces mêmes variétés des masses étendues et en a la Ainsi ces Etres par Aggregatiou n'ont point
perception. d'autre unité achevée, que la mentale; par consé
§. 3. PH. Or les Idées complexes sont ou des quent leur Entité aussi est en quelque façon men
modes, ou des Substances, ou des Rela tale ou de phénomène, comme celle de l'arc en ciel.
tions.
TH. Cette division des objets de nos peusées en
LJX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. H. 239
les mesures (mensnris rerum ad posteros
CHAPITRE XIII. transmittendis) commeMessieurs Hugeus, Mou
ton et Buratini, autrefois maitre de monnoie de Po
Des inodes simples, et premièrement de logne, ont prétendu montrer en inarquant la pro
ceux de l'Espace. portion de nos longueurs à celle d'un pendule, qui
bat précisément p. e. une Seconde c'est à dire la
§. 3. PH. L'espace considéré par rap]>ort à la 864,000me partie d'une révolution des étoiles fixes
longueur, qui sépare deux corps, s'appelle di ou d'un jour astronomique; et Mr. Buratini en a
stance; par rapport à la longueur, à la largeur, fait un traité exprès, que j'ai vu en manu
et à la profondeur on peut l'appeller capacité. scrit. Mais il y a encore cette imperfection
TH. Pour parler plus distinctement, la di dans cette mesure des pendules, qu'il faut se
stance de deux choses situées (soient points ou borner à certains pa'is, car les pendules, pour
étendues) est la grandeur de la plus petite ligne battre dans uu même tcms, ont besoin d'une
possible, qu'on puisse tirer de l'un à l'autre. Cette moindre longueur sous la ligne. Et il faut sup
distance se peut considérer absolument ou dans une poser encore la constance de la mesure réelle fon
certaine figure, qui comprend les deux choses di damentale, c'est à dire de la durée d'un jour ou
stantes. Par exemple la ligne droite est absolu d'une révolution du globe de la terre à lenteur de
ment la distance entre deux points. Mais ces deux la terre à fentour de son axe, et même de la cause
points, étant dans une même surface sphérique, la de la gravité, pour ne point parler d'autres cil-con
distance de ces deux points dans cette surface est stances.
la longueur du plus ]>etit grand -are de cercle, §. 5. PH. Venant à observer comment les ex
qu'on y peut tirer d'un point à l'autre. Il est bon trémités se terminent ou par des lignes droites, qui
aussi de remarquer, que la distance n'est pas seule forment des angles distincts, ou par des lignes cour
ment entre des corps, mais encore entre les surfa bes, où l'on ne peut apperccvoir aucun angle, nous
ces, ligues et points. On peut dire que la capa nous formons l'Idée de la Figure.
cité ou plutôt l'intervalle entre deux corps, ou TH. Une Figure superficielle est termi
deux autres étendus, ou entre un étendu et un née par une ligne ou par des lignes : mais la F i-
point, À l'espace constitué ]«r toutes les lignes les gure d'un corps peut être bornée sans lignes
plus courtes, qui se peuvent tirer entre les points déterminées, comme par exemrle celle d'une Sphère.
de l'un et de l'autre. Cet intervalle est solide; Une seule ligne droite ou superficie plane ne peut com
excepté lorsque les deux choses situées sont dans prendre aucun espace, ni faire aucune figure. Mais
une même surface, et que les lignes les plus cour une seule ligne peut comprendre une figure super
tes entre les points des choses situées doivent aussi ficielle, par exemple le circle, l'ovale, comme de
tomber dans cette surface ou y doivent être prises môme une seule superficie courbe peut comprendre
exprès. une figure solide, telle que la Sphère et la Sphé-
§.4. PH. Outre ce qu'il y a do la nature, les roide. Cependant non seulement plusieurs lignes
hommes ont établi dans leur esprit les Idées de cer droites ou superficies planes, mais encore plusieurs
taines longueurs déterminées, comme d'une pouce lignes courbes, ou plusieurs superficies courbes peu
on d'un pied. vent concourir ensemble et former même des ang
TH. Ils ne sauraient le faire. Car il est impossi les cntr'elles. lorsque l'une n'est pas la tangente de
ble d'avoir l'Idée d'une longueur déterminée pré l'autre. Il n'est pas aisé de donner la définition
cise. Ou ne saurait dire ni comprendre par l'es de la Figure en général selon l'usage des Géo
prit ce que c'est qu'une pouce ou un pied. Et on mètres. Dire que c'est un étendu borné, cela se-
ne sauroit garder la signification tic ces noms que roit trop général, car une ligue droite p. e. quoique
par des mesures réelles, qu'on suppose non chan terminée par les deux bouts, n'est pas une figure
geantes, par lesquelles on les puisse toujours re et même deux droites n'en sauraient faire. Dire
trouver. C'est ainsi que Mr. Greave, Mathémati que c'est un étendu borné par un étendu, cela
cien Anglois , a voulu se servir des Pyramides d'E n'est pas assez général, car la surface sphérique
gypte, qui ont duré assez et dureront apparem entière est une figure et cependant elle n'est bornée
ment encore quelque tems pour conserver nos me par aucun étendu. On peut encore dire que la
sures, en marquant à la postérité les propositions, figure est un étendu borné, dans lequel il y a une
qu'elles ont à certaines longueurs dessinées dans infinité de chemins d'un point à un autre. Cela
une de ces Pyramides. Il est vrai qu'on a trouvé comprend les surfaces bornées sans lignes termi
depuis peu, que les pendules servent pour perpétuer nantes que la définition précédente ne compreuoit
240 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
pas et exclût les lignes, parceque d'un point à un de vanité en voulant déterminer ce que Vons avouez
autre dans une ligne il n'y a qu'un chemin ou un Monsieur de ne pas savoir. Mais il y a lieu de
nombre déterminé de chemins. Mais il sera en juger, que vous en savez plus que vous ne dites ou
core mieux de dire que la figure est un étendu que vous ne croyez. Quelques uns ont crû que
borné, qui peut recevoir une Section étendue ou Dieu est le lieu des choses. Lessius et M. Guérike,
bien qui a de la largeur, terme dont jusqu'ici on si je ne me trompe, étoient de ce sentiment, mais
ifavoit point donné non plus la définition. alors le lieu contient quelque chose de plus , que ce
§. 6. PH. Au moins toutes les figures ne sont que nous attribuons à l'espace, que nous dépouil
autre chose que les modes simples de l'espace. lons de toute action: et de cette manière, il n'est
TH. Les modes simples, selon vous, répètent la pas plus une substance que le temps et s'il a des par
même Idée, mais dans les figures ce n'est pas tou ties, il ne sauroit être Dieu. C'est un rapport, un or
jours la répétition du même. Les courbes sont dre, non seulement entre les existans, mais encore
bien différentes des lignes droites et entr'elles. entre les possibles comme s'ils existoient. Mais sa vé
Ainsi je ne sai comment la définition du mode rité et réalité est fondée en Dieu, comme toutes les
simple aura lieu ici. vérités éternelles.
§. 7. PH. 11 ne faut point prendre nos défini P H. Je ne suis point éloigné de votre sentiment
tions trop à la rigueur. Mais passons de la figure et vous savez le passage de S. Paul, qui dit, que
au Lieu. Quand nous trouvons toutes les pièces nous existons, vivons et que nous avons le mouve
sur les mêmes cases de l'échiquier, où nous les ment en Dieu. Ainsi, selon les différentes ma
avons laissées, nous disons qu'elles sont toutes nières de considérer, on peut dire que l'espace est
dans la même place, quoique peut-être l'échiquier Dieu et ou peut dire aussi, qu'il n'est qu'un ordre
ait été transporté. Nous disons aussi , que l'échi ou une Relation.
quier est dans le même lieu, s'il reste dans le TH. Le meilleur sera donc de dire, que l'espace
même endroit de la chambre du vaisseau, quoique est un ordre, mais que Dieu en est la source.
le vaisseau ait fait voile. On dit aussi, que le §. 19. PH. Cependant pour savoir si l'espace
vaisseau est dans le même lieu, supposé, qu'il garde est une Substance, il faudrait savoir, en quoi con
la même distance à l'égard des parties des pays voi siste la nature de la Substance eu général. Mais
sins, quoique la terre ait peut-être tourné. en cela il y a de la difficulté. Si Dieu, les esprits
TH. Le lieu est ou particulier, qu'on con finis, et les corps participent en commun à une
sidère à l'égard de certains corps; ou universel, même nature de Substance, ne s'en suivra-t-il pas,
qui se rapporte à tout et à l'égard duquel tous les qu'ils ne diffèrent que par la différente modification
changemens par rapport à quelque corps que se j de cette Substance?
soit, sont mis en ligne de compte. Et s'il n'y au- '. TH. Si cette conséquence avoit lieu, il s'en sni-
roit rien de fixe dans l'univers, le lieu de chaque vroit aussi , que Dieu , les esprits finis et les corps,
chose ne laisseroit pas d'être déterminé par le rai participans en commun à une même nature d'Etre,
sonnement, s'il y avoit moyen de tenir regître de ne différeroient que par la différente modification
tous les changemens, ou si la mémoire d'une créa de cet Etre.
ture y pouvoit suffire, comme ou dit que des Ara §. 19. PH. Ceux, qui les premières se sont
bes jouent aux échecs par mémoire et à cheval. Ce avisés de regarder les accidens comme une espèce
pendant ce que nous ne pouvons point comprendrene d'Etre réels, qui ont besoin de quelque chose, à
laisse pas d'être déterminé dans la vérité des choses. ! quoi ils soyeut attachés, ont été contraints d'inven
§. 15. PH. Si quelqu'un me demande ce que ter le mot de Substance pour servir de soutient
c'est que l'espace, je suis prê.t à le lui dire aux Accidens.
quand il me dira ce que c'est que l'étendue. TH. Croyez Vous donc Monsieur, que les Acci
TH. Je voudrois savoir dire aussi bien ce que dens peuvent subsister hors de la Substance? on
c est que la fièvre on quelqu'autre maladie , que je voulez Vous, qu'ils ne sont point des Etres réels?
crois que la nature de l'espace est expliquée. L'é 11 semble que Vous faites des difficultés sans sujet,
tendue est l'abstraction de l'étendu. Or l'étendu et j'ai remarqué ci -dessus que les Substances ou
est un continu , dont les parties sont coexistantes les concrets sont conçus plutôt que les Accidens ou
ou existent à la fois. les abstraits.
§.17. PH. Si l'on demande si l'espace sans P H. Les mots de Substance et d'Accidens sont à
corps est substance ou accident, je répondrai sans mon avis de peu d'usage en Philosophie.
hésiter que, je n'en sai rien. TH. J'avoue, que je suis d'un autre sentiment,
TH. j'ai sujet de craindre qn'on ne m'accuse et je crois que la considération de la Substance est
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. 11 241
nu point (les plus importons et des pins féconds de
la Philosophie. CHAPITRE XIV,
§.21. PH. Nous n' avons maintenant parlé de
la Substance que par occasion, en demandant si De la Durée et de ses modes simples. ,
l'espace est une Substance. Mais il nous suffit
ici, qu'il n'est pas un corps. Aussi personne §. 10. PH. A l'étendue répond la durée,
n'osera faire le corps infini comme l'espace. Et une partie de la durée, eu qui nous ne remar
quons aucune succession d'Idées, c'est ce que nous
TH. M. Descartes, et ses sectateurs ont dit
appelions un instant.
pourtant que la matière n'a point de bornes, TH. Cette définition de l'instant se doit, je
en faisant le monde indéfini, ensorte qu'il ne crois, entendre de la notion populaire, comme
nous soit point possible d'y concevoir des ex celle que le vulgaire a du point. Car à la ri
trémités. Et ils ont changé le terme d'infini gueur le point et lïnstaut ne sont point des par
en indéfini avec quelque raison; car il n'y a ties du tems ou de l'espace et n'ont point de
jamais un tout infini dans le monde, quoiqu'il parties non plus. Ce sont des extrémités seu
y ait toujours des tonts pins grands les uns que lement. '• ,
les autres à l'infini. L'univers même ne sauroit
§.16. PH. Ce n'est pas lo mouvement, mais
passer pour un tout, comme j'ai montré ailleurs. une suite constante d'Idées qui nous donne l'I
PH. Ceux qui prennent la matière et l'étendu dée de la durée.
pour une même chose, prétendent que les parois TH. Une suite de, perceptions réveille en nous
intérieurs d'un corps creux vuide se toucheroient. l'Idée de la durée, mais elle ne la fait point.
Jlais l'espace, qui est entre deux corps suffit pour Nos perceptions n'ont jamais une suite assez con
empêcher leur contact mutuel. stante et régulière pour répondre à celle du teins
TH. Je suis de Votre sentiment, car quoique qui est un continu uniforme et simple, comme
je n'admette point de vnide, je distingue la ma une ligue droite. Le changement des perceptions
tière de l'étendue et j'avoue, que s'il y avoit du nous donne occasion de jjcnser au teins , et on
vnide dans une Sphère, les Pôles opposés dans le mesure par des changements uniformes: mais
la concavité ne se toucheroient pas pour cela. quand il n'y aurait rien d'uniforme dans la na
Mais je crois que ce n'est pas un cas, que la ture, le toms ne laisserait pas d'être déterminé,
perfection divine admette. comme le lieu ne laisserait pas d'être déterminé
aussi quand il n'y auroit aucun corps fixe ou
§. 23. PH. Cependant il semble que le mou immobile. C'est que coimoissant les règles des
vement prouve le vuide. Lorsque la moindre par inouvemens difformes on peut toujours les rap
tie du corps divisé est aussi grande qu'un grain porter à des inouvemens uniformes intelligibles
de semence de moutarde, il faut qu'il y ait un et prévoir par ce moyen ce qui arrivera par des
espace vuide égal à la grosseur d'un grain de difFérens mouvemens joints ensemble. Et dans ce
• moutarde pour faire que les parties de ce corps
sens le tcms est la mesure du mouvement, c'est
ayent de la place pour se mouvoir librement, fl à dire le mouvement uniforme est la mesure du
en sera de même, lorsque les parties de la ma mouvement difforme.
tière sont cent millions de fois plus petites. §. 21. PH. On ne peut point connoître cer
TH. Il est vrai, que si le monde étoit plein tainement que deux parties de durée soient éga
de corpuscules dure, qui ne pourroient ni se flé les; et il faut avouer que les observations ne
chir, ni se diviser, comme l'on dépeint les Ato sauraient aller qu'à un peu près. On a décou
mes, il scroit impossible qu'il y eut du mouve vert après une exacte recherche qu'il y a effecti
ment Mais dans la vérité il n'y a point de du vement de l'inégalité dans les révolutions diurnes
reté originale: an contraire la fluidité est. origi du soleil, et nous ne savons pas si les révolu
nale, et les corps se divisent selon le besoin, puis tions annuelles ne sont point inégales aussi.
qu'il n'y a rien qui l'empêche. C'est ce qui TH. Le pendule a rendu sensible et visible
ôte tonte la force à l'argument, tiré du mouve l'inégalité des jours d'un midi à l'autre: S oie m
ment pour le vuide. dicere fulsum audet. Il est vrai qu'on la sa-
voit déjà, et que cette inégalité a ses règles.
Quant à la révolution annuelle, qui récompense
les inégalités des jours solaires, elle pourrait
changer dans la suite du tcms. La révolution
31
244 LJX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV.'II.
à être retenus. Ainsi je crois , qu'il seroit conve des nouvelles additions, étant toujours la même,
nable, qu'en comptant au lieu Million de Mil c'est de -là qu'il tire l'Idée d'une espace infini.
lions ou dise Billion pour abréger, et qu'au TH. 11 est bon d'ajouter que c'est parce qu'on
lieu de Million de Millions de Milions, ou Million voit que la même raison subsiste toujours. Pre
de Billions, on dise Tri 1 H on et ainsi de suite jus nons une ligne droite et prolongeons la, en sorte
qu'aux Nonillions, car on n'a guères besoin d'al qu'elle soit double de la première. Or il est clair,
ler plus loin dans l'usage des nombres. que la seconde, étant parfaitement semblable à la
TH. Ces dénominations sont assez bonnes. première, peut-être doublée de même, pour avoir
SoitX. égala 10, Cela posé un Million sera Xe- la troisième qui est encore semblable aux précéden
un Billion X1*- un Trillion X18' etc. et un tes; et la même raison ayant toujours lieu, il n'est
Nonillions XM- j jamais possible qu'on soit arrêté ; ainsi la ligne
' peut être prolongée à l'infini; de sorte que la con
sidération de l'infini vient de celle de la similitude
ou de la môme raison, et son origine est la môme
avec celle des vérités universelles et nécessaires.
CHAPITRE XVII. Cela fait voir comment ce, qui donne de l'accom
.! 1 » • '* plissement à la conception de cette Idée, se trouve
De l'infinité, en nous mêmes et ne sauroit venir des expériences
i • . . des sens; tout comme les vérités nécessaires ne
§. 1. PH. Une notion des plus importantes est sauroient être prouvées par fiuduction ni par les
celle du Fini et de l'infini, qui sont regardées sens. L'Idée de l'absolu est en nous intérieu
comme des modes de la quantité. rement comme celle de l'Etre. Ces absolus ne sont
TH. A proprement parler il est vrai, qu'il y a autre chose que les attributs de Dieu, et on peut
une infinité de choses, c'est à dire qu'il y en a tou dire qu'ils ne sont pas moins la source des Idées,
jours plus qu'on n'en peut assigner. Mais il n'y que Dieu est lui même le principe des Etres. L'i
a point de nombre infini ni de ligue ou autre quan dée de l'absolu par rapport à l'espace n'est autre
tité infinie, si on les prend pour des Touts vérita que celle de l'immensité de Dieu et ainsi des autres.
bles, comme il est aisé de démontrer. Les écoles Mais on se trompe en voulant s'imaginer un espace
ont voulu ou dû dire cela en admettant un infini absolu, qui soit un tout infini, composé de parties.
syncatégorematique comme elles parlent et non pas Il n'y a rien de tel. C'est une notion qui implique
l'infini catégorematique. Le vrai infini à la rigueur contradiction et ces touts infinis et leurs opposés,
n'est que dans l'absolu, qui est antérieur à infiniment petits , ne sont de mise que dans le cal
toute composition et n'est point formé par l'addi cul des Géomètres, tout romain les racines imagi
tion des parties. naires de l'Algèbre.
PH. Lorsque nous appliquons notre Idée de l'in §. 6. PH. On connoit encore une grandeur
fini au premier Etre nous le faisons originairement sans y entendre des parties hors des parties. Si à
par rapport à sa durée et à son ubiquité et plus la plus parfaite Idée, que j'ai du blauc le plus écla
figurement à l'égard de sa puissance, de sa sagesse, tant, j'en ajoute une autre d'un blauc égal ou .
de sa bonté et de ses autres attributs. moins vif (car je ne sanrois y joindre l'Idée d'un
TH. Non pas plus figurement, mais moins im plus blanc que celui dont j'ai l'Idée, que je suppose
médiatement, parceque les autres attributs font le plus éclatant que je conçoive actuellement) cela
connoitre leur grandeur par le rapport à ceux, où n'augmente ni étend mon Idée en aucune manière;
entre la considération des parties. c'est pourquoi on nomme dé gré s les différentes
§. 2. PH. Je pensois qu'il étoit établi, que l'e Idées de blancheur.
sprit regarde le fini et l'infini comme des modifica T H. Je n'entends pas bien la force de ce raison
tions de l'étendue et de la durée. nement, car rien n'empêche qu'on ne puisse rece
TH. Je ne trouve pas qu'on ait établi cela, la voir la perception d'une blancheur pins éclatante
considération du fini et de l'infini a lieu partout où que celle qu'on conçoit actuellement. La vraie rai
il y a de la grandeur et de la multitude. Et l'in son pourquoi on a sujet de croire que la blan
fini véritable n'est pas une modification, c'est cheur ne sauroit être augmentée à l'infini , c'est par-
l'absolu; au contraire, dès qu'on modifie, on se ceque ce n'est pas une qualité originale; les sens
borne ou forme un fini. n'en donnent qu'une connoissance confuse et quand
§. 1. PH. Nous avons cru que la puissance, qu'a ou en aura une distincte, on verra qu'elle vient de
l'esprit d'étendre sans fin son Idée de l'espace par la structure et se borne sur celle de l'organe de la
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. H. 245
vue. Mais à Tégard dos qualités originales ou
connoissables distinctement, on voit quïl y a quel CHAPITRE XIX.
ques fois moyen d'aller à l'infini non seulement là,
où il y a extension ou si vous voulez diffu Des modes qui regardent la pensée.
sion ou ce que l'école appelle partes extra par
tes, comme dans le tems et dans le lieu, mais en §.1. PH. Des modes qui viennent des sens,
core où il y a intension ou dégrés par exem passons à ceux que la Réflexion nous donne. La
ple à l'égard de la vitesse. sensation est pour ainsi dire l'entrée actuelle des
§. 8. PH. Nous n'avons pas l'idée d'un espace idées dans l'entendement par le moyen des sens.
infini, et rien n'est pins sensible que l'absurdité Lorsque la même Idée revient dans l'esprit, sans
d'une Idée actuelle d'un nombre infini. que l'objet extérieur, qui l'a d'abord fait naître,
TH. Je suis du même avis. Mais ce n'est pas agisse sur nos sens, cet acte de l'esprit se nomme
parcequ'on no sauroit avoir l'idée de l'infini, mais réminiscence: si l'esprit tâche de la rappeller
parcequ'un infini ne sauroit être un vrai tout. et qu'enfin après quelques efforts il la trouve et se
§. 16. PH. Par la même raison nous n'avons la rend présente , c'est récuillement Si l'esprit
donc point d'Idée positive d'une durée infinie ou l'envisage longtems avec attention, c'est contem
de l'éternité, non plus que de l'immensité. plation, lorsque l'idée, que nous avons dans l'esprit,
TH Je crois que nous avons l'Idée positive de y flotte pour ainsi dire sans que l'entendement y
l'une et de l'autre et cette Idée sera vraie, pourvu fasse aucune attention, c'est ce qu'on appelle rê
qu'on n'y conçoive point comme un tout infini, verie. Lorsqu'on réfléchit sur les Idées, qui se
mais comme un absolu ou attribut sans bornes, qui présentent d'elles mêmes, et qu'on les enregître
se trouve à l'égard de l' Eternité, dans la né- pour ainsi dire dans sa mémoire, c'est atten
ceesité de l'existence de Dieu, sans y dépendre des tion; et lorsque l'esprit se fixe sur uue Idée avec
parties et sans qu'on en forme la notion par une beaucoup d'application , qu'il la considère de tous
addition de tems. On voit encore par là comme côtés , et ne veut point s'en détourner, malgré d'au
j'ai dit déjà, que l'origine de la notion de l'infini tres Idées qui viennent, à la traverse, c'est ce qu'on
vient de la même source que celle des vérités né nomme étude ou contention d'esprit. Le som
cessaires. meil qui n'est accompagné d'aucun songe, est une
cessation de toutes ces choses; et songer c'est
avoir ces Idées dans l'esprit pendant que les sens
extérieurs sont fermés, en sorte qu'ils ne reçoivent
CHAPITRE XVIII. point l'impression des objets extérieurs avec cette
vivacité, qui leur est ordinaire. C'est, dis -je, avoir
De quelques autres modes simples. des Idées sans qu'elles nous soyent suggérées par
aucun objet de dehors, ou par aucune orcasion
PH. Il y a encore beaucoup de modes simples, connue et sans être choisies ni déterminées en au
qui sont formés des Idées simples. Tels sont (§. 2.) cune manière par l'entendement. Quant à ce que
Jes modes du mouvement, comme glisser, rouler; nous nommons extase, je laisse juger à d'antres,
des sons (§. 3.) qui sont modifiés par les notes et si co n'est pas songer les yeux ouverts.
les airs, comme les couleurs par les dégrés; sans TH. Il est bon de débrouiller ces notions, et je
parler de saveurs et odeurs (§. 6.) il n'y a pas tou tâcherai d'y aider. Je dirai donc, que c'est sen
jours des mesures ni des noms distincts non plus sation lorsqu'on s'apperçoit d'un objet externe,
que dans les modes complexes {§. 7.) parceqn'on que la réminiscence en est la répétition sans
se règle selon l'usage et nous en parlerons plus am que l'objet revienne; niais quand on scait qu'on l'a
plement, quand nous vienderons aux mots. eue, c'est souvenir. On prend communément
TH. La plupart des modes ne sont pas assez le recueillement dans un autre sens que le
simples et pourroient être comptés parmis les com vôtre, savoir pour un état où l'on se détache des
plexes, par exemple pour expliquer ce que c'est affaires à fin de vaquer à quelque méditation.
que glisser ou rouler, outre le mouvement il faut Mais puis qu'il n'y a point de mot que je sache, qui
considérer la résistance de la surface. convienne à votre notion, Monsieur, on pourrait
y appliquer celui que vous employez. Nous avons
de l'attention aux objets, que nous distinguons
et préférons aux autres. L'attention continuant
dans l'esprit, soit que l'objet externe continue ou
24G LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL
non, et même soit qu'il s'y trouve ou non, c'est
considération; laquelle tendant à la connois- CHAPITRE XX.
sance sans rapport à Faction, sera contempla
tion. L'attention , dont le but est d'à pp r end r e Des Modes du plaisir et de la douleur.
(c'est à dire d'acquérir des connoissances pour les |
garder) c'est étude. Considérer pour former quel- | §. 1. PH. Comme les sensations du corps, do
que plan, c'est méditer; mais rêver paroit n'ê même que les pensées de l'esprit sont ou indiffé
tre autre chose que suivre certaines pensées par le rentes ou suivies de plaisir ou de douleur, on ne
plaisir qu'on y prend, sans y avoir d'autre but, peut décrire ces Idées non plus que toutes les au
c'est pourquoi la rêverie peut mener à la folie: on tres Idées simples, ni donner aucune définition des
s'oublie, on oublie le die cur hic, on approche mots, dont ou se sert pour les désigner.
des songes et des chimères, ou bâtit des châteaux TH. Je crois qu'il n'y a point de perceptions,
en Espagne. Nous lie saurions distinguer les son qui nous soyciit tout à fait indifférentes, mais c'est
ges des sensations que parce qu'il lie sout pas liés assez que leur effet ne soit point notable pour
avec elles, c'est comme uu monde à part. Le som- • qu'on les puisse appeller ainsi, car le plaisir ou
meil est une cessation des sensations et de cette la douleur paroit consister dans une aide ou dans
manière l'extase est un fort profond sommeil, un empêchement notable. J'avoue que cette défi
dont ou a de la peine à être éveillé, qui vient nition n'est point nominale, et qu'on n'eu peut
d'une cause interne passagère, ce qui ajoute pour '. point donner.
exclure ce sommeil profond , qui vient d'un narco §. 2. PH. Le Bien est ce qui est propre à pro
tique ou de quelque lésion durable des fonctious, duire et à augmenter le plaisir en nous, ou à dimi
comme dans la léthargie. Les extases sout accom nuer et abréger quelque douleur. Le Mal est pro
pagnées de visions quelques fois; mais il y en a pre à produire ou augmenter la douleur eu nous
aussi sans extase, et la vision, ce semble, n'est ou à diminuer quelque plaisir.
autre chose qu'un songe, qui passe pour une sen TH. Je suis aussi de cette opinion. On divise
sation, comme s'il nous apprenoit la vérité des ob le bien eu honnête, agréable et utile; mais dans le
jets. Et lorsque ces visions sont divines il y a de fond je crois, qu'il faut qu'il soit ou agréable lui
la vérité en effet, ce qui se peut conoitre par exem- ' même, ou servant à quelqu'autre , qui nous puisse
pie quand elles contiennent des prophéties particu donner un sentiment agréable, c'est à dire le Bien
larisées, que l'événement justifie. est agréable ou utile, et l'honnête lui même con
§. 4. PH. Des différons dégrés de contention siste dans un plaisir d'esprit
ou de relâchement d'esprit il s'ensuit que la pensée §. 4. 5. PH. Du plaisir et de la douleur vien
est l'Action, et non l'Essence de l'âme. nent les passions: On a de l'amour pour ce qui
T H. Sans doute la pensée est une Action et ne j peut produire du plaisir, et la pensée de la tristesse
sauroit être l'Essence; mais c'est une action essen ou de la douleur, qu'une cause présente ou absente
tielle, et toutes les substances en ont de telles. J'ai peut produire, est la haine. Mais la haine ou
montré ci - dessus, que nous avons toujours une in l'amour, qui se rapportent à des êtres capables
finité de petites perceptions sans nous en apperce- ! de bonheur ou de la malheur, est souvent un plai
voir. Nous ne sommes jamais sans perceptions, sir ou un contentement, que nous sentons être pro
mais il est nécessaire que nous soyons souvent sans j duit en nous par la considération de leur existence
apperceptions, savoir lorsqu'il n'y a point de ou du bonheur, dont ils jouissent.
perceptions distinguées. C'est faute d'avoir consi TH. J'ai donné aussi à peu près cette définition
déré ce point important, qu'une Philosphic relâchée de l'amour lorsque j'ai expliqué les principes de
et aussi peu noble que peu solide a prévalu auprès la justice dans la préface de mon Codex juris
de tant de bons esprits , que nous avons ignoré gentium diplomaticus, savoir qu' aimer est
presque jusqu'ici, ce qu'il y a de plus beau dans . être porté à prendre du plaisir dans la perfection,
les âmes. Ce qui a fait aussi qu'on a trouvé tant bien, on bonheur de l'objet aimé. Et pour cela on
d'apparence dans cette erreur, qui enseigne que les ne considère et ne demande point d'autre plaisir
âmes sont d'une nature périssable. propre que celui-là même, qu'on trouve dans le
bien ou plaisir de celui qu'on aime; mais dans ce
sens nous n'aimons point proprement ce qui est in
capable de plaisir on de bonheur, et nous jouissons
des choses de cette nature sans les aimer pour cela,
si ce u'cst par une prosopopéïe, et couunu si nous
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 247
nous imaginions qu'elles jouissent elles mêmes de §. 6.) que par ce mot anglois l'Antenr entend l'état
leur perfection. Ce n'est donc pas proprement de l'a d'un homme, qui n'est pas à son aise, le manque
mour, lorsqu'on dit qu'on aimo un beau tableau par d'aise et de tranquillité dans l'âme, qui à cet
le plaisir qu'on prend à sentir les perfections. Mais égard est purement passive, et qu'il a fallu rendre
il est permis d'étendre les sens des termes, et l'u ce mot par celui d'inquiétude, qui n'exprime
sage y varie. Les Philosophes et Théologiens mê pas précisément la même Idée, mais qui en ap
mes distinguent deux espèces d'amour, savoir l'a proche le plus près. Cet avis (ajoute-t-il) est sur
mour qu'ils appellent de conquiscence, qui tout nécessaire par rapport au chapitre suivant de
n'est autre chose que le désir ou le sentiment qu'on la puissance où l'Auteur raisonne beaucoup sur
a pour ce qui nous donne du plaisir, sans que cette espèce d'inquiétude, car si l'on n'attachoit
nous nous intéressions s'il en reçoit ; et l'amour pas à ce mot l'idée, qui vient d'être marquée, il ne
de bienveillance, qui est le sentiment, qu'on seroit pas possible de comprendre exactement les
a pour celui, qui par son plaisir ou bonheur nos en matières, qu'on traite dans ce chapitre et qui sont
donne. Le premier nous fait avoir en vue notre des plus importantes , et des plus délicates de tout
plaisir et le second celui d'autrui, mais comme fai l'ouvrage.
sant ou plutôt constituant le nôtre, car s'il ne rejail- TH. L'interprète a raison, et la lecture de son
lissoit pas sur nous en quelque façon, nous ne excellent Auteur m'a fait voir, que cette considéra
pourrions pas nous y intéresser, puisqu'il est im tion de l'inquiétude est un point capital, où cet
possible, quoiqu'on dise, d'être détaché du bien Auteur inoutre particulièrement son esprit péné
propre. Et voilà comment il faut entendre l'a trant et profond. C'est pourquoi je me suis donné
mour désintéressé ou non mercenaire, pour en quelque attention, et après avoir bien considéré la
bien concevoir la noblesse et pour ne point tomber chose, il me paroit quasi que le mot d'inquié
cependant dans lo chimérique. tude, s'il n'exprime pas assez le sens de l'Auteur,
§. 6. l'H. L'inquiétude (Uneasines en convient pourtant assez à mou avis à la nature de
Anglois) qu'un homme ressent en lui même par la chose et celui d'uueasines, s'il marquoit un
l'absence d'une chose, qui lui donnerait du plaisir déplaisir, un chagrin, une incommodité et en un
si elle étoit présente, c'est ce qu'on nomme désir. mot quelque douleur effective, n'y conviendrait pas.
L'inquiétude est le principal, pour ne pas dire Car j'aimerois mieux dire que dans le désir en lui
le seul , aiguillon , qui excite l'industrie et l'activité même il y a plutôt une disposition et préparation
des hommes; car quelque bien qu'on propose à à la douleur, que de la douleur même. Il est vrai,
l'homme , si l'absence de ce bien n'est suivie d'au que cette perception quelquesfois ne diffère de celle
cun déplaisir ni d'aucune douleur et que celui , qui qu'il y a dans la douleur que du moins an plus,
en est privé, puisse être content et à son aise sans mais c'est que le degré est de l'essence de la dou
le posséder, il ne s'avise pas de le désirer et moins leur; car c'est une perception notable. On voit
encore de faire des efforts pour en jouir. 11 ne aussi cela par la différence, qu'il y a entre l'appé
sent pour cette espèce de bien, qu'une pure Vel- tit et la faim, car quand l'irritation de l'estomac
leïté; terme qu'on a employé pour signifier le devient trop forte, elle incommode, de sorte qu'il
plus bas degré du désir, qui approche le plus de faut encore appliquer ici notre doctrine des percep
cet état, où se trouve l'âme à l'égard d'une chose, tions trop petites pour être apperçuës, car si ce,
qui lui est tout à fait indifférente, lorsque le dé qui se passe en nous lorsque nous avons de l'appé
plaisir que cause l'absence d'une chose est si peu tit et du désir, étoit assez grossi, il nous causeroit
considérable qu'il ne porte qu'à des foibles souhaits de la douleur. C'est pourquoi l'Auteur infiniment
sans engager de se servir des moyens de l'obtenir. sage de notre Etre l'a fait pour notre bien, quand
Le désir est encore éteint ou rallenti par l'opinion, il fait ensorte que nous soyont souvent dans l'igno
où l'on est, que le bien souliaité ne peut être ob rance et dans des perceptions confuses, afin que
tenu à proportion que l'inquiétude de l'âme est nous agissions plus promtement par instinct, et que
guérie ou diminuée par cette considération. Au nous ne soyons pas incommodés par des sensations
reste j'ai trouvé, ce que je vous dis de l'inquié trop distinctes de quantité d'objets, qui ne nous
tude, dans ce célèbre auteur Anglois, dont je vous reviennent pas tout à fait, et dont la nature n'a
rapporte souvent les sentimeus. Jai été un peu pu se passer pour obtenir ses fins. Combien d'In
en peine de la signification du mot Anglois unea- sectes n'avalons nous pas sans nous eu appercevoir,
sines. Mais l'interprète François, dont l'habilité combien voyons nous de personnes, qui ayant l'o
à s'acquitter de cet emploi ne sauroit être révo dorat trop subtil, en sont incommodées, et combien
quée en doute, remarque au bas de la page (chap. 20. verrions nous d'objets dégoutaus, si notre vue étoit
248 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. H.
assez perçante? C'est aussi par cette addresse, que Ces impulsions sont comme autant de ]>etits res
la nature nous a donné des aiguillons, du désir, sorts, qui tâchent de se débander et qui font agir
comme des radimens ou élémens de la douleur ou notre machine. Et j'ai déjà remarqué ci -dessus
pour ainsi dire des demi -douleurs, ou (si vous que c'est par là que nous ne sommes jamais indif-
voulez parler abusivement pour vous exprimer plus férens, lorsque nous paroissous l'être le plus, par
fortement) des petites douleurs inapperceptibles ; exemple de nous tourner à la droite plutôt qu' h la
afin que nous jouissions de l'avantage du gauche au bout d'une allée. Car le parti, que nous
mal sans en recevoir l'incommodité : car autrement prenons, vient de ces déterminations insensibles,
si cette perception étoit trop distincte, on seroit mêlées des actions des objets et de l'intérieur du
toujours misérable en attendant le bien, au lieu corps, qui nous fait trouver plus à notre aise dans
que cette continuelle victoire sur ces demi -dou l'une que dans l'autre manière de nous remuer.
leurs, qu'on sent en suivant son désir et satisfaisant On appelle Unruhe en Allemand, c'est à dire in
en quelque façon à cet appétit ou à cette déman quiétude, le balancier d'un horloge. On peut
geaison, nous donne quantité de demi-p]aisirs, dont dire qu'il en est de même de notre corps, qui ne
la continuation et l'amas (comme dans la continua sauroit jamais être parfaitement à son aise : parce-
tion de lïmpulsion d'un corps pesant, qui descend qne quand il se feroit une nouvelle impression des
et qui acquiert de l'impétuosité) devient enfin un objets , un petit changement dans les organes, dans
plaisir entier et véritable. Et dans le fond sans ces les viscères, dans les vases, cela changeroit d'abord
demi -douleurs il n'y anroit point de plaisir, et il la balance et les feroit faire quelque petit effort,
n'y auroit pas moyen de s'appercevoir, que quelque pour se remettre dans le meilleur état, qu'il se
chose nous aide et nous soulage, en étant quelques peut; ce qui produit, un combat perpétuel, qui fait
obstacles qui nous empêchent de nous mettre à pour ainsi dire l'inquiétude de notre horloge,
notre aise. C'est encore en cela qu'on reconnoit de sorte que cette appellation est assez à mon gré.
l'affinité du plaisir et de la douleur , que Socrate §. 6. l'Il. La joie est un plaisir, que Famé
remarque dans le Phédon de Platon lorsque les ressent, lorsqu'elle considère possession d'un bien
pieds lui démangent. Cette considération des pe présent ou futur comme assurée; et nous sommes
tites aides ou petites délivrances et dégagemens im en possession d'un bien lorsqu'il est de telle sorte
perceptibles de la tendance arrêtée, dont résulte en en notre pouvoir que nous en pouvons jouir quand
fin un1 plaisir notable, sert aussi à donner quelque nous voulons.
connoissance plus distincte de l'Idée confuse, que TH. On manque dans les langues de termes as
nous avons et devons avoir cluplaisiretdela sez propres pour distinguer des notions voisines.
douleur; tout comme le sentiment de la chaleur Peut-être que le Latin Gaudium approche d'a
ou de la lumière résulte de quantité de petits mou- vantage de cette définition de la joie que Laeti
vemens, qui expriment ceux des objets, suivant ce tia, qu'on traduit aussi par le mot de joie; mais
que j'ai dit ci -dessus (chap. 9. §. 13.) et n'en dif alors elle me paroit signifier un état où le plaisir
fèrent qu'en apparence et parceque nous ne nous prédomine en nous, car pendant la plus profonde
apperccvons pas de cette analyse: au lieu que plu tristesse et au milieu des plus euisaus chagrius on
sieurs croyent anjourdhui que nos Idées des quali peut prendre quelque plaisir comme de boire ou
tés sensibles différent toto génère des mouve- d'entendre la Musique, mais le déplaisir prédo
mens et de ce qui se passe dans les objets, et sont mine ; et de môme au milieu des plus aiguës dou
quelque chose de primitif et d'inexplicable, et même leurs l'esprit peut être dans la joie, ce qui arri-
d'arbitraire, comme si Dieu faisoit sentir à Famé voit aux Martirs.
ce que bon lui semble, au lieu de ce qui se passe §. 8. PH. La Tristesse est une inquiétude de
dans le corps, ce qui est bien éloigné de l'analyse l'âme, lorsqu'elle pense à un bien perdu, dont elle
véritable de nos Idées. Mais pour revenir à l'in auroit pu jouir plus long tems, ou quand elle est
quiétude, c'est à dire aux petites sollicitations tourmentée d'un mal actuellement présent.
imperceptibles, qui nous tiennent toujours en ha TH. Non seulement la présente, actuelle, mais
leine, ce sont des déterminations confuses, ensorte encore la crainte d'un mal à venir peut rendre
que souvent nous ne savons pas ce qui nous man triste, de sorte que je crois que les définitions de la
que, au lieu que dans les inclinations et les pas joie et de la tristesse , que je viens de donner, con-
sions nous savons au moins ce que nous deman vieneut mieux à l'usage. Quant à l'inquiétude
dons, quoique les perceptions confuses entrent aussi il y a dans la douleur et par conséquent dans la
dans Jour manière d'agir, et que les mêmes passions tristesse quelque chose de plus: et l'inquiétude est
causent aussi cette inquiétude ou démangeaison. même dans la joie, car elle rend l'homme éveillé,
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LTV. IL 249
actif, plein d'espérance pour aller plus loin. La d'un bien, qu'on ne se soucieroit point d'avoir. On
joye a été capable de faire mourir par trop d'émo seroit content de les en voir priver sans penser à
tion, et alors il y avoit en cela encore plus que de profiter de leurs dépuilles et même sans pouvoir
l'inquiétude- l'espérer. Car quelques biens sont comme des ta
§. 9. PH. L'espérance est le contentement bleaux peints à fresque, qu'on peut détruire, mais
de l'aine, qui pense à la jouissance qu'elle doit pro qu'on ne peut point ôter.
bablement avoir d'une chose propre à lui donner §.17. PH. La plupart des passions font en plu
du plaisir (§. 10) et la crainte est une inquié sieurs personnes des impressions sur le corps, et y
tude de l'âme, lorsqu'elle pense à un mal futur, qui causent divers cliangemens ; mais ces changemens
peut arriver. ne sont pas toujours sensibles. Par exemple, la
TH. Si l'inquiétude signifie nn déplaisir, j'avoue honte, qui est une inquiétude de l'âme, qu'on res
qu'elle accompagne toujours la crainte; mais la pre sent quand on vient à considérer qu'on a fait quel
nant pour cet aiguillon insensible qui nous pousse, que chose d'indécent ou qui peut diminuer l'estime,
on peut l'appliquer encore à. l'espérance. Les Stoï que d'autres font de nous, n'est pas toujours ac
ciens prenoient les passions pour des opinions. compagnée de ronguenr.
Ainsi l'espérance leur étoit l'opinion d'un bien fu TH. Si les hommes s'étudioient d'avantage à ob
tur, et la crainte l'opinion d'un mal futur. Mais server les mouvemens extérieurs, qui accompagnent
j'aime mieux de dire, que les passions ne sont ni les passions, il seroit difficile de les dissimuler.
des contentemens ou des déplaisirs, ni des opinions, Quant à la honte, il est digne de considération, que
mais des tendances on plutôt des modifications de des personnes modestes quelques fois ressentent
la tendance, qui viennent de l'opinion ou du sen des mouvemens semblables à ceux de la honte, lors
timent et qui sont accompagnées de plaisir ou de qu'elles sont témoins seulement d'une action indé
déplaisir. cente.
§. 11. PH. Le désespoir est la pensée qu'on
a, qu'un bien ne peut être obtenu, ce qui peut cau
ser de l'affliction et quelques fois le repos.
TH. Le désespoir pris pour la passion, sera une CHAPITRE XXI.
manière de tendance forte, qui se trouve tout à fait
arrêtée, ce qui cause un combat violent et beau De la puissance et de la liberté.
coup de déplaisir. Mais lorsque le désespoir est ac
compagné de repos et d'indolence, ce sera une opi §. 1. PH. L'esprit observant comment une chose
nion plutôt qu'une passion. cesse d'être et comment une autre, qui n'étoit pas au
§. 12. PH. Lacolèreest cette inquiétude ou paravant, vient à exister, et concluant qu'il y en
ce désordre, que nous ressentons après avoir reçu aura de pareilles, produites par des pareils agens,
quelqn'irçjure, et qui est accompagné d'un désir pré il vient à considérer dans une chose la possibilité
sent de nous venger. qu'il y a, qu'une de ses Idées simples soit changée,
TH. 11 semble que la colère est quelque chose et dans une autre la possibilité de produire ce chan
de plus simple et de plus général, puisque les bê gement; et par -la l'esprit se forme l'Idée de la
tes en sont susceptibles, auxquelles on ne fait point puissance.
d'injure. Il y a dans la colère un effort violent, TH. Si la puissance répond au Latin poten-
qui tend à se défaire du mal. Le désir de la ven- tia, elle est opposée à l'acte, et le passage de la
gance peut demeurer quand on est de sang froid, puissance à l'acte est le changement. C'est ce
et quand on a plutôt de la haine que de la colère. qu' Aristote entend par le mot de mouvement
§. 13. PH. L'envie est l'inquiétude (le dé quand il dit que c'est l'acte, ou peut-être
plaisir) de l'âme, qui vient de la considération d'un l'actuation de ce qui est en puissance.
bien, que nous désirons, mais qu'un autre possède, On peut doue dire que la puissance en général est
qui à notre avis n'auroit pas dû l'avoir préférable- la possibilité du changement. Or le changement
nemt à nous. , ou l'acte de cette possibilité, étant action dans un
TH. Suivant cette notion l'envie seroit toujours sujet et passion dans un autre, il y aura aussi deux
nne passion louable et toujours fondée sur la justice puissances, l'une passive l'autre active. L'active
au moins suivant notre opinion. Mais je ne sais si pourra être appellée faculté, et peut-être que la
on ne porte pas souvent envie au mérite reconnu, passive pourroit être appellée capacité ou ré
qu'on ne se soucieroit pas de maltraiter, si l'on en ceptivité. II est vrai que la puissance active est
étoit le maître. On porte même envie aux gens, ; prise quelques fois dans un sens plus parfait, lors
32
250 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
qu'outre la simple faculté, il y a de la tendance; mouvoir. Pour ce qui est fie la pensée, le corps ne
et c'est ainsi que je la prens dans mes considéra nous en donne aucune Idée et ce n'est que par le
tions dynamiques. On pourroit lui affecter par moyeu de la réflexion que nous l'avons. Nous n'a
ticulièrement le mot de Force: et la Force serait vons non plus par le moyen du corps aucune Idée
ou Entéléchie ou Effort; car l'Entéléchie du commeucement du mouvement.
(quoiqu' Aristote la prenne si généralement qu'elle TH. Ces considérations sont fort bonnes, et
comprenne encore tonte Action et tout Effort) me quoiqu'on prenne ici la pensée d'une manière si
paroit plutôt convenir aux Forces agissantes générale, qu'elle comprend toute perception, je ne
primitives, et celui d'Effort aux dérivati- veux point contester l'usage des mots.
ves. Il y a même encore une espèce de puissance PH. Quand le corps lui même est en mouve
passive plus particulière et plus chargée de ment, ce mouvement est dans le corps une action
réalité ; c'est celle qui est dans la matière, où il n'y plutôt qu'une passion. Mais lorsqu'une boule de
a pas seulement la mobilité, qui est la capacité ou billard cède au choc du bâton, ce n'est point une
réceptivité du mouvement, mais encore la rési- action de la boule, mais une simple passion.
stence, qui comprend l'impénétrabilité et TH. Il y a quelque chose à dire là-dessus, car les
l'inertie. Les Entéléchies, c'est à dire les corps ne recevroient point le mouvement dans le
tendances primitives ou substantielles, lorsqu'elles choc, suivant les loix qu'on y remarque, s'ils n'a-
sont accompagnées de perception, sont les Ames. voient déjà du mouvement en eux. Mais passons
§. 3. PH. L'idée de la puissance exprime maintenant cet article.
quelque chose de relatif. Mais quelle Idée avons PH. De même lorsqu'elle vient à pousser une
nous de quelque sorte quelle soit, qui n'enferme autre boule, qui se trouve sur son chemin et la met
quelque relation? Nos Idées de l'étendue, de la en mouvement, elle ne fait que lui communiquer le
durée, du nombre, ne contiennent-elles pas toutes mouvement, qu'elle avoit reçu et en perd tout
en elles mêmes un secret rapport de parties ? La autant.
même chose se remarque d'une manière encore plus TH. Je vois que cet opinion erronée, que les
visible dans la figure et le mouvement. Les qua Cartésiens ont mise en vogue, comme si les corps
lités sensibles, que sont-elles que des puissances de perdoient autant de mouvement qu'ils en donnent,
différens corps par rapport à notre perception, et qui est détruite aujourdhui par les expérience et par
ne dépendent -elles pas en elles mêmes de la gros les raisons et abandonnée même par l'auteur illustre
seur, de la figure, de la contexture et du mouve de la recherche de la vérité, qui a fait imprimer un
ment des parties 1 ce qui met une espèce de rap petit discours tout exprès pour la rétracter, ne
port cntr' elles. Ainsi notre Idée de la puissance laisse pas de donner encore occasion aux habiles
peut fort bien être placée à mon avis parmi les gens de se méprendre en bâtissant des raisonnemens
autres Idées simples. sur un fondement si ruineux.
TH. Dans le fond, les Idées, dont on vient de PH. Le transport du mouvement ne donne qu'
faire le dénombrement, sont composées. Celles des une Idée fort obscure d'une puissance active de
qualités sensibles ne tiennent leur rang parmi les mouvoir, qui est dans le corps, tandis que nous ne
Idées simples , qu'à cause de notre ignorance et les voyons autre chose, si non que le corps transfère le
autres, qu'on connoit distinctement, n'y gardent mouvement sans le produire eu aucune manière.
leur place que par une indulgence, qu'il vaudrait T H. Je ne sais, si l'on prétend ici que le mouve
mieux ne point avoir. C'est à peu près comme à ment passe de sujet en sujet et que le même mou-
l'égard des Axiomes vulgaires, qui pourroient être i vemennt (idem numéro) se transfère Je sais
et qui mériteraient d'être démontrés parmi les Théo que quelques-uns sont allés là, entr' autres le Père
rèmes et qu'on laisse cependant passer pour Axio i Casati Jésuite, malgré toute l'école. Mais je doute
mes, comme si c'étaient des vérités primitives. Cette que ce soit votre sentiment ou celui de vos habiles
indulgence nuit plus, qu'on ne pense. Il est vrai amis, bien éloignés ordinairement de telles imagina-
qu'on n'est pas toujours en état de s'en passer. j dons. Cependant si le même mouvement n'est
§, 4. PH. Si nous y prenons bien garde, les point transporté, il faut qu'on admette qn'il se pro
corps ne nous fournissent pas par le moyen des sens duit un mouvement nouveau dans le corps, qui le
une Idée aussi claire et aussi distincte de la puis reçoit: ainsi celui, qui donne, agirait véritablement
sance active, que celle que nous en avons ]>ar les quoiqu'il pâtirait en même tems en perdant de sa
réflexions, que nous faisons sur les opérations de force. Car quoiqu'il ne soit point vrai, que le
notre esprit. 11 n'y a je crois que deux sortes d'ac corps perde autant de mouvement, qu'il eu donne,
tions, dont nous n'ayons d'Idée, savoir penser et il est toujours vrai qu'il en perd et qu'il perd au
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. IL 251
tant de force , qu'il en donne , comme je l'ai expli enfin la perception de la convenance ou du discon
qué ailleurs, de sorte qu'il faut toujours admettre venance, qu'il y a entre quelques-unes de nos Idées.
en lui de la force ou de la puissance active. J'en TH. Nous nous appercevons de bien de choses
tends la puissance dans le sens plus noble, que j'ai en nous et hors de nous, que nous n'entendons pas,
expliqué un peu auparavant, où la tendance est et nous les entendons, quand nous en avons des
jointe à la faculté. Cependant je suis toujours d'ac Idées distinctes avec le pouvoir de réfléchir et d'en
cord avec vous, que la plus claire Idée de la puis tirer des vérités nécessaires. C'est pourquoi les bê
sance active nous vient de l'esprit. Aussi u'est- tes n'ont point d'entendement, au moins dans ce
elle que dans les choses, qui ont de l'Analogie avec sens, quoiqu'elles ayent la faculté de s'appercevoir
l'esprit, c'est à dire dans les Entéléchies, car la des impressions plus remarquables et plus distin
matière ne marque proprement que la puissance guées, comme le sanglier s'apperçoit d'une personne,
passive. qui lui crie et va droit à cette personne, dont il
§. 5. PH. Nous trouvons en nous mêmes la puis n'avoit eu déjà auparavant qu'une perception nue
sance de commencer ou de ne pas commencer , de mais confuse comme de tous les autres objets, qui
continuer ou de terminer plusieurs actions de notre tomboient sous ses yeux et dont les rayons frap-
aine et plusieurs mouvemens de notre corps, et cela poient son cristallin. Ainsi dans mon sens l'en
simplement par une pensée ou un choix de notre tendement répond à ce que chez les Latins est
esprit, qui détermine et commande pour ainsi dire, appelle intellectus et l'exercice de cette faculté
qu'une telle action particulière soit fait ou ne soit s'appelle intellection, qui est une perception di
pas faite. Cette puissance est ce que nous appel stincte jointe à la faculté de réfléchir, qui n'est pas
ions Volonté. L'usage actuel de cette puissance dans les bêtes. Toute perception jointe à cette fa
ce nomme Volition; la cessation ou la production culté est une pensée, que je n'accorde pas aux bê
de l'action, qui suit d'un tel commandement de tes non plus que l'entendement, de sorte qu'on peut
l'âme s'appelle volontaire, et toute action, qui dire, que l'intellection a lieu lorsque la pensée est
est faite sans une telle direction de l'aine, se iiomme distincte. Au reste la perception de la signification
involontaire. des signes ne mérite pas d'être distinguée ici de la
perception des Idées signifiées.
TH. Je trouve tout cela fort bon et juste. Ce §. G. PH. L'on dit communément que l'entende
pendant pour parler plus rondement et pour aller ment et la volonté sont deux facultés de l'âme,
peut-être un peu plus avant, je dirai que la Voli- terme assez commode si l'on s'en servoit comme
tiou est l'effort ou la tendance (conatus) d'al l'on devroit se servir de tous les mots, en prenant
ler vers ce qu'on trouve bon et loin de ce qu'on garde qu'ils ne fissent naître aucune confusion dans
trouve mauvais, ensorte que cette tendance résulte les pensées des hommes, comme je soupçonne qu'il
immédiatement de l'apperception qu'on en a; et le est arrivé ici dans l'âme. Et lorsqu'on nous dit,
corrollaire de cette définition est cet axiome célè que la volonté est cette faculté supérieure de l'âme,
bre: que du vouloir et du pouvoir, joints qui règle et ordonne toutes choses, qu'elle est, on
ensemble, suit l'action, puisque de toute ten n'est pas libre, qu'elle détermine les facultés infé
dance suit l'action lorsqu'elle n'est point empêchée. rieures, qu'elle suit le dictamen de l'entende
Ainsi non seulement les actions intérieures volon ment; (quoique ces expressions puissent être en
taires de notre esprit suivent de ce conatus, mais tendues dans un sens clair et distinct;) je crains
encore les extérieures , c'est à dire les mouvemens pourtant qu'elles n'ayent fait venir à plusieurs per
volontaires de notre corps, en vertu de l'union de sonnes l'Idée confuse d'autant d'agens, qui agis
l'aine et du corps, dont j'ai donné ailleurs la raison. sent distinctement en nous.
Il y a encore des efforts, qui résultent des percep TH. C'est une question, qui a exercé les écoles
tions insensibles, dont on ne s'apperçoit pas, que depuis long tems, saToir s'il y a une distinction
j'aime mieux appeller app et liions que voli- réelle entre l'âme et ses facultés , et si une faculté
tions (quoiqu'il y ait aussi des appétitions apper- est distincte réellement de l'autre. Le Ré aux ont
ceptiblcs) car on n'appelle actions volontaires, que dit, qu'oui, et les Nominaux que non. Et la
celles, dont on peut s'appercevoir et sur lesquelles même question a été agitée sur la réalité de plu
notre réflexion peut tomber lorsqu'elles suivent la sieurs autres Etres abstraits, qui doivent suivre
considération du bien on du mal. la même destinée. Mais je ne pense pas, qu'on
PH. La puissance d'appercevoir est ce que nous ait besoin ici de décider cette question et de s'en
appelions entendement: il y a la perception des foncer dans ces épines, quoique je me souvienne qn'-
Idées, la perception de la signification des signes et Episcopius l'a trouvée de. telle importance, qu'il a
32 *
252 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL.
cru qu'on ne pourroit point soutenir la liberté de dement peut déterminer la volonté, suivant la pré
l'homme si les facultés de l'âme étoient des Etres valence des perceptions et raisons d'une manière,
réels. Cependant quand elles seroient des Etres qui lors même, qu'elle est certaine et infaillible,
réels et distincts, elles ne sauroient passer pour incline sans nécessiter.
des Agens réels, qu'en parlant abusivement. Ce §. 9. PH. n est bon aussi de considérer, que
ne sont pas l<?s facultés ou qualités, qui agissent, personne ne s'est encore avisé, de prendre pour nu
mais les Substances par les facultés. Agent libre nne balle, soit qu'elle soit en mou
§. 8. F H. Tant qu'un homme a la puissance de vement après avoir été poussée par une raquette,
penser ou de ne pas penser , de mouvoir ou de ne ou qu'elle soit en repos. C'est parce que nous ne
pas mouvoir conformément à la préférence ou au concevons pas qu'une balle pense, ni qu'elle ait an-
choix de son propre esprit, jusqnes là il est libre. pcune volition, qui lui fasse préférer le mouvement
TH. Le terme de Liberté est fort ambigu. Il au repos.
y a liberté de droit et de fait. Suivant celle de TH. Si libre étoit ce qui agit sans empêche
droit un esclave n'est point libre est un sujet ne ment, la balle étant une fois en mouvement daus
l'est entièrement, mais un pauvre est aussi libre un horizon uni, seroit un agent libre. Mais Aristotc
qu'un riche. La liberté du fait consiste ou dans a déjà bien remarqué que pour appeller les actioiis
la puissance de vouloir, comme il faut, ou clans la libres nous demandons non seulement qu'elles soient
puissance de faire ce qu'on veut. C'est de la li spontanées, nais encore qu'elles soient déli
berté de faire, dont vous parlez, et elle a ses de bérées.
grés et variétés. Généralement celui, qui a plus de PH. C'est pourquoi nous regardons le mouve
moyens, est plus libre, de faire ce qu'il veut : mais ment ou le repos des balles , sous l'idée d'une chose
on entend la liberté particulièrement de l'u néceéssaire.
sage des choses, qui ont coutume d'être en notre TH. L'appellation de nécessaire demande au
pouvoir et sur -tout de l'usage libre de notre corps. tant de circonspection que celle de libre. Cette
Ainsi la prison et les maladies, qui nous empêchent vérité conditionelle savoir: supposé que la
de donner à notre corps et à nos membres le mou balle soit en mouvement clans un horizon
vement, que nous voulons, et que nous pouvons uni sans empêchement, elle continuera le
leurs donner ordinairement, dérogent à notre li môme mouvement, peut passer pour nécessaire
berté: c'est ainsi qu'un prisonnier n'est point libre, en quelque manière, quoique dans le fond cette con
et qu'un paralytique n'a pas l'usage libre de ses séquence ne soit pas entièrement géométrique, n'é
membres. La liberté de vouloir est encore tant que présomtive pour ainsi dire et fondée sur
prise en deux sens difFérens. L'un est quand on la sagesse de Dieu, qui ne change pas son influence
foppose à l'imperfection ou à l'usage de l'esprit, sans quelque faison, qu'on présume ne se point
qui est uue coaction ou contrainte, mais interne, trouver présentement. Mais cette proposition ab
comme celle qui vient des passions. L'autre sens a solue: la balle que voici, est maintenant en
lieu, quand on oppose la liberté à la nécessité. Dans mouvement dans ce plan, n'est qu'une vérité
le premier sens les Stoiciens disoient que le sage contingente, et en ce sens la balle est un agent
seul est libre; et en effet on n'a point l'esprit libre, contingent non libre.
quand il est occupé d'une grande passion, car on ne §. 10. PH. Supposons qu'on porte un homme,
peut point vouloir alors comme il faut, c'est à dire pendant qu'il est dans un profond sommeil, daus
avec la délibération, qui est requise. C'est ainsi une chambre, où il y ait une personne, qu'il lui
que Dieu seul est parfaitement libre, et que les tarde fort de voir et d'entrevoir et que l'on ferme
esprits créés ne le sont qu'à mesure , qu'ils sont au- à clef la porte sur lui ; cet homme s'éveille et est
dessus des passions. Et cette liberté regarde pro charmé de se trouver avec cette personne et demeure
prement notre entendement. Mais la liberté de ainsi dans la chambre avec plaisir. Je ne pense
l'esprit, opposée à le nécessité, regarde la volonté pas qu'on s'avise de douter, qu'il ne reste volontai
nue et en tant qu'elle est distinguée de l'entende rement dans ce lieu -là. Cependant il n'est pas en
ment. C'est ce qu'on appelle le franc-arbitre et liberté d'en sortir s'il veut. Ainsi la liberté n'est
consiste en ce qu'on veut que les plus fortes raisons pas une Idée, qui appartienne à la volition.
ou impressions, que l'entendement présente à la vo TH. Je trouve cet exemple fort bien choisi pour
lonté, n'empêchent point l'acte de la volonté d'être marquer qu'en un sens une action ou un état peut
contingent, et ne lui donnent point nne nécessité être volontaire sans être libre. Cependant quand
absolue et pour ainsi dire métaphysique. Et c'est les Philosophes et les Théologiens disputent sur le
dans ce sens que j'ai coutume de dire, que l'enten libre arbitre, ils ont tout un autre sens en vue.
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II. 253
§. 11. PH. La liberté manque, lorsque la para présentations des figures, mais encore celles des
lysie empêche, que les jambes n'obéissent à la dé sons et d'autres qualités sensibles) nos viennent
termination de l'esprit, quoique, dans le paralytique comme dans les songes, sans être ap|>elleés. La
luèmc, ce puisse être une chose volontaire de de langue Allemande les nomme fliegende Gedan-
meurer assis, tandis qu'il préfère d'être assis à chan ken, comme qui diroit des pensées volantes, qui ne
ger de place. Volontaire n'est donc pas opposé sont pas en notre pouvoir, et où il y a quelques
à nécessaire, mais à involontaire. fois bien des absurdités, qui donnent des scrupules
TH. Cette justesse d'expression me rcviendroit aux gens de bien et de l'exercice aux casuistes et
asse/ , mais fusage s'en éloigne ; et ceux qui oppo directeurs des consciences. C'est comme dans une
sent la liberté à la nécessité, entendent par laterne magique, qui fait paraître des figures sur la
ler non pas des actions extérieures, mais de l'acte muraille, à mesure qu'on tourne quelque chose au
même de vouloir. dedans. Mais notre esprit s'appercevant de quel-
§. 12. PH. Un homme éveillé n'est pas non qu'image, qui lui revient, peut dire: halte là, et
plus libre de penser ou de ne pas penser, qu'il est l'arrêter pour ainsi dire. De plus l'esprit entre,
en liberté d'empêcher ou de ne pas empêcher, que comme bon lui semble, dans certaines progressions
son corps touche aucun autre corps. Mais de trans de pensées, qui le mènent à d'autres. Mais cela
porter ses pensées d'une Idée à l'autre c'est ce qui s'entend quand les impressions internes ou externes
est souvent en sa disposition. Et en ce cas là il ne prévalent point. Il est vrai qu'en cela les hom
est autant en liberté par rapport à ses Idées , qu'il mes diffèrent fort, tant suivant leur tempérament,
y est par rapport aux corps, sur lesquels il s'appuie, que suivant l'exercice, qu'ils ont fait rie leur empire,
pouvant se transporter de l'un sur l'autre, connue de sorte que l'un peut surmonter des impressions où
il lui vient en phantasie. Il y a pourtant des Idées, l'autre se laisse aller.
qui comme certains mouvemens sont tellement §. 13. PH. La nécessité a lieu partout où
fixées dans l'esprit, que dans certaines circonstan la pensée n'a aucune part. Et lorsque cette néces
ces, on ne peut les éloigner quelque effort qu'on sité se trouve dans un agent, capable de volition et
fesse. Un homme à la tourture n'est pas en li que le commencement ou la continuation de quel
berté de n'avoir pas l'Idée de la douleur et quelques que action est contraire à la préférence de son
fois une violente passion agit sur notre esprit, esprit, je la nomme contrainte; et lorsque
comme le vent le plus furieux agit sur nos corps. l'empêchement ou la cessation d'une action est con
TH. 11 y a de l'ordre et de la liaison dans les traire à la volition de cet agent, qu'on me per
Idées, comme il y en a dans les mouvemens, car mette de l'appeller cohibi tiori. Quant aux agens,
l'un répond parfaitement à l'autre, quoique la dé qui n'ont absolument ni pensée ni volition, ce sont
termination dans les mouvemens soit brute, et libre des agens nécessaires à tous égards.
ou avec choix dans l'Etre, qui pense, que les biens TH. Il me semble qu'à proprement parler, quoi
et les maux ne font qu'incliner, sans le forcer. Car que les volitions soyent contingentes, la nécessité
l'aine en représentant les corps garde ses perfections ne doit pas être opposée à la volition, mais à la
et quoiqu'elle dépende du corps (à le bien pren contingence, comme j'ai déjà remarqué au
dre) dans les actions involontaires, elle est indé §. 9. et que la nécessité ne doit pas être confon
pendante et fait dépendre, le corps d'elle même dans due avec la détermination, car il n'y a pas moins
les autres. Mais cette dépendance n'est que méta de connexion ou de détermination dans les pensées,
physique et consiste dans les égards, que Dieu a que dans les mouvemens (être déterminé étant
pour l'un en réglant l'autre, ou plus pour l'un que toute autre chose qu'être poussé ou forcé avec con
pour l'autre, à mesure des perfections originales trainte). Et si nous ne remarquons pas toujours
d'un chacun; au lieu que la dépendance physique la raison, qui nous détermine ou par laquelle nous
consisteroit dans une influence immédiate, que l'un nous déterminons, c'est que nous sommes aussi peu
recevroit de l'autre, dont il dépend. Au reste il capables de nous apercevoir de tout le jeu do notre
nous vient des pensées involontaires, eu partie de esprit et de ses pensées, le plus souvent impercepti
dehors par les objets , qui frappent nos sens , et en bles et confuses, que nous le sommes de démêler
partie au dedans à cause des impressions (souvent toutes les machines, que la nature, fait jouer dans
insensibles) qui restent des perceptions précéden le corps. Ainsi, si par la nécessité on entcudoit
tes, qui continuent leur action et qui se mêlent la détermination certaine de l'homme, qu'une par
avec ce qui vient de nouveau. Nous sommes passifs faite connoissance de toutes les circonstances de ce,
à cet égard, et même quand on veille des images qui se passe au dedans et au dehors de l'homme,
(sous lesquelles je comprens non seulement les re pourrait faire prévoir à un esprit parfait, il est sûr,
234 IJX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
que les pensées étant aussi déterminées que les priété des mots. Cependant on peut excnser en
iiiouvemens , qu'elles représentent, tout acte libre quelque façon l'usage reçu. C'est ainsi qu'on a
seroit nécessaire. Mais il faut distinguer le né coutume d'attribuer la puissance à la chaleur ou à
cessaire du contingent quoique déterminé; et non d'autres qualités, c'est à dire au corps, eu tant qu'il a.
seulement les vérités contingentes ne sont point cette qualité: et de même ici l'intention est, de
nécessaires, mais encore leurs liaisons ne sont demander si l'homme est libre en voulant.
pas toujours dTune nécessité absolue, car il faut §. 15. PH. La liberté est la puissance, qu'un
avouer, qu'il y a de la différence dans la manière ! homme a de faire ou de ne pas faire quelque action
de déterminer entre les conséquences, qui ont lieu conformément à ce qu'il veut.
en matière nécessaire et celles , qui ont lieu en ma TH. Si les hommes n'entendoient que cela par
tière contingente. Les conséquences Géométriques la liberté, lorsqu'ils demandent si la volonté, ou
et Métaphysiques nécessitent, mais les conséquences l'arbitre est libre, leur question seroit véritablement
Physiques et Morales inclinent sans nécessiter; le absurde. Mais on verra tantôt ce qu'ils demandent et
physique même ayant quelque chose de morale et même je l'ai déjà touché. 11 est vrai, mais jiar un au
de volontaire par rapport à Dieu, puisque les Joix tre pnincipe. qu'ils ne laissent pas de demander ici
du mouvement n'ont point d'autre nécessité, que (au moins plusieurs) l'absurde et l'impossible, en
celle du meilleur. Or Dieu choisit librement quoi voulant une liberté d'équilibre absolument imagi
qu'il soit déterminé à choisir le mieux ; et comme naire et impracticable , et qui même ne leur servi-
les corps mêmes ne choisissent point (Dieu ayant roit pas, s'il étoit possible, qu'ils la puissent avoir,
choisi pour eux ) l'usage a voulu qu'on les appelle c'est à dire, qu'ils ayent la liberté de vouloir contre
des agens nécessaires, à quoi je ne m1 oppose toutes les impressions, qui peuvent venir de l'enten
pas, pourvu qu'on ne confonde point le nécessaire dement, ce qui détruirait la véritable liberté avec
et 1s déterminé , et que l'on n'aille pas s'imaginer la raison et nous abaisseroit au dessous des bêtes.
que les êtres libres agissent d'une manière indéter- §. 17. PH. Qui diroit que la puissance île parler
nvnée, erreur, qui a prévalu dans certains esprits dirige la puissance de chanter et que la puissance de
et qui détruit les plus importantes vérités, même chanter obéit ou désobéit à la puissance de parler,
cet axiome fondamental: que rien n'arrive s'exprimeroit d'une manière aussi propre et aussi in
sans raison, sans lequel ni l'existence de Dieu telligible, que celui qui dit , comme on a coutume de
ni d'autres grandes vérités ne sauroieut être bien dire, que la volonté dirige l'entendement, et que l'en
démontrées. Quant à la contrainte il est bon tendement obéît on n'obéit pas à la volonté. §. 18. Ce
d'en distinguer deux espèces. L'une physique, pendant cette façon de parler a prévalu et a causé, si
comme lorsqu'on porte un homme malgré lui en je ne me trompe, bien du désordre, quoique la puis
prison, ou qu'on le jette dans un précipice; l'au sance de penser n'opère non plus sur la puissance
tre morale comme par exemple la contrainte d'un de choisir, que la puissance de chanter sur celle de
plus grand mal, car l'action, qu'elle fait faire, ne danser. §. 19. Je conviens, qu'une telle ou telle
laisse pas d'être volontaire. On peut être forcé pensée peut fournir à l'homme l'occasion d'exercer
aussi par la considération d'un plus grand bien, la puissance, qu'il a de choisir, et que le choix de
comme lorsqu'on tente un homme en lui proposant l'esprit peut être cause qu'il pense actuellement à
un trop grand avantage, quoiqu'on n'ait pas cou telle ou telle chose, de même que chanter actuelle
tume d'appeller cela contrainte. ment un certain air peut être l'occasion de danser
§. 14. PH. Voyons maintenant si l'on ne pour une telle danse.
rait point terminer la question agitée depuis si long TH. 11 y a un peu plus que de fournir des oc
tems, mais qui est à mon avis fort déraisonnable, casions, puisqu'il y a quelque dépendance; car on
puisqu'elle est in - intelligible : Si la volonté de ne sauroit vouloir que ce qu'on trouve bon, et se
l'homme est libre ou non. lon que la faculté d'entendre est avancée, le choix
TH. On a grande raison, de se récrier sur la de la volonté est meilleur, comme de l'autre côté,
manière étrange des hommes, qui se tourmentent en selon que l'homme a de la vigueur eu voulant, il
agitant des questions mal -conçues. Ils cherchent ce détermine les pensées suivant sou choix, au lieu
qu'ils savent , et ne savent pas ce qu'ils cherchent. d'être déterminé et entraîné par des perceptions in
PH. La liberté, qui n'est qu'une puissance, ap volontaires.
partient uniquement à des agens et ne sauroit être PH. Les puissances sont des Relations et non
un attribut ou une modification de la volonté, qui des Agens.
n'est elle même rien autre chose qu'une puissance. TH. Si les facultés essentielles ne sont que des
TH. Vous avez raison, Monsieur, suivant la pro i Relations, et n'ajoutent rien de plus à l'essence, les
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 255
qualités et les facultés accidentelles ou sujettes an quoiqu'il faille que faction, sur laquelle on délibère,
changement sont autre chose, et on peut dire de existe ou n'existe pas, il ne s'en suit point, qu'on
ces dernières, que les unes dépendent souvent des en doive rcssoudre nécessairement l'existence ou la
autres dans l'exercice de leurs fonctions. non -existence; car la non -existence peut arriver
§.21. PH. La question ne doit pas être à mon encore faute de résolution. C'est comme les Aréo-
avis , si la volonté est libre , c'est parler d'une ma pagites absolvoient en effet cet homme, dont ils
nière fort impropre, mais si l'homme est libre. Cela avoient trouvé le procès trop difficile à être décidé,
posé, je dis, que tandis que quelqu'un peut par la le renvoyant à un terme bien éloigné, et prenant
direction ou le choix de son esprit, préférer l'exi cent ans pour y penser.
stence d'une action à la non-existence de cette action PH. En faisant l'homme libre de cette sorte, je
et au contraire , c'est à dire , qu'il peut faire qu'elle veux dire, en faisant que l'action de vouloir dé
existe, ou qu'elle n'existe pas selon qu'il le veut, pende de sa volonté, il faut qu'il y ait une autre
jusque -la, il est libre. Et à peine pourrions nous volonté ou faculté de vouloir antérieure pour déter
dire, comment il seroit possible de concevoir un miner les actes de cette volonté, et une antre jwur
Etre plus libre, qu'en tant qu'il est capable de faire déterminer celle la, et ainsi à l'infini; car où que
ce qu'il veut; de sorte que l'homme semble être l'on s'arrête, les actions de la dernière volonté ne
anssi libre par rapi>ort aux actions , qui dépendent sauraient être libres.
de ce pouvoir, qu'il trouve en lui même, qu'il est TH. 11 est vrai qu'on parle peu juste, lorsqu'on
possible à la liberté de le rendre libre, si j'ose parle comme si nous voulions vouloir. Nous ne
m'exprimer ainsi. voulons point vouloir, mais nous voulons faire, et
TH. Quand on raisonne sur la liberté de la vo si nous voulions vouloir, nous voudrions vouloir
lonté ou sur le franc arbitre on ne demande pas, vouloir, et cela iroit à l'infini : cependant il ne faut
si l'homme peut faire ce qu'il veut, mais s'il y a point dissimuler que par des actions volontaires
assez d'indépendance dans sa volonté même. On nous contribuons souvent indirectement à d'autres
ne demande pas, s'il a les jambes libres, ou les cou actions volontaires, et quoiqu'on ne puisse point
dées franches, mais s'il a l'esprit libre, et en quoi vouloir ce qu'on veut, comme on ne peut pas même
cela consiste. A cet égard une intelligence pourra juger ce qu'on veut, on peut pourtant faire ensorte
être plus libre que l'autre, et la suprême intelligence par avance, qu'on juge ou veuille avec le teins, ce
sera dans une parfaite liberté, dont les créatures ne qu'on souhaiterait de pouvoir vouloir ou juger au-
sont point capables. jourdhui. On s'attache aux personnes, aux lectures
§. 22. PH. Les hommes naturellement curieux et aux considérations favorables, à un certain parti,
et qui aiment à éloigner autant qu'ils peuvent de on ne donne point attention à ce, qui vient du parti
Irur esprit la pensée d'être coupables, quoique ce contraire, et par ces adresses et milles autres, qu'on
soit en se réduisant en un état, pire que celui d'une employé le plus souvent sans dessein formé et sans
fatale nécessité, ne sont pourtant pas satisfaits de y penser, on réussit à se tromper ou du moins à se
cela. A moins que la liberté ne s'étende encore plus changer , et à se convertir ou pervertir selon qu'où
loin, elle n'est pas à leur gré, et c'est à leur avis a rencontré.
une fort bonne preuve que l'homme n'est point du §. 25. PH. Puis donc qu'il est évident, que
tout libre, s'il n'a aussi bien la liberté de vouloir, l'homme n'est pas en liberté de vouloir vouloir
que celle de faire ce qu'il veut. §. 23. Sur quoi on non, la première chose qu'on demande après
je crois que l'homme ne sauroit être libre par rap cela, c'est si l'homme est en liberté de vou
port à cet acte particulier do vouloir une action, loir lequel des deux il lui plaît; le mouve
qui est en sa puissance, lorsque cette action a été ment par exemple ou le repos? Mais cette que
une fois proposée à son esprit. La raison en est stion est si visiblement absurde en elle môme,
toute visible, car l'action dépendant de sa volonté, quelle peut suffire à convaincre quiconque y fera ré
il faut de toute nécessité, qu'elle existe ou qu'elle flexion, que la liberté ne concerne dans aucun cas
n'existe pas, et son existence, ou sa non - existence la volonté. Car demander si un homme est en li
ne pouvant manquer de suivre exactement la déter berté de vouloir, lequel il lui plait, du mouvement
mination et le choix de sa volonté, il ne peut évi ou du repos, de parler ou de se taire? c'est deman
ter de vouloir l'existence ou la non -existence de der, si un homme peut vouloir ce qu'il veut, ou se
cette action. plaire à ce, à quoi il se plait, question, qui à mon
TH. Je croirais qu'on peut suspendre son choix, avis, n'a pas besoin de réponse.
et que cela se fait bien souvent, surtout lorsque TH. Il est vrai avec tout cela , que les hommes
d'autres pensées interrompent la délibération: ainsi, se font une difficulté ici, qui mérite d'être résolue. Ils
256 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
disent qu'après avoir tout connu et tout considéré, fort. Cette volonté s'appelle Velléité, quand elle
il est encore clans leur pouvoir de vouloir, non pas enferme quelque imperfection, ou impouissance.
seulement ce qui plait le plus , mais encore tout le §.31. PH. Il est bon de considérer cependant,
contraire, seulement pour montrer leur liberté- Mais qne ce, qui détermine la volonté à agir, n'est pas
il faut considérer qu'encore que ce caprice ou entê le plus grand bien, comme on le suppose ordinai
tement ou du moins cette raison, qui les empêche rement, mais plutôt quelque inquiétude actuelle, et
de suivre les autres raisons, entre dans la balance, pour l'ordinaire celle, qui est la plus pressante.
et leur fait plaire ce qui ne leur plairait pas sans On lui peut donner le nom de désir, qui est effecti
cela , le choix est toujours déterminé par la percep vement une inquiétude de l'esprit, causée par la pri
tion. On ne veut donc pas ce qu'on voudrait, mais vation de quelque bien absent, outre le désir d'être
ce qui plait, quoique la volonté puisse contribuer délivré de la douleur. Tout bien absent ne produit
indirectement et comme de loin à faire que quelque pas une douleur, proportionnée au degré d'excel
chose plaise ou ne plaise pas, comme j'ai déjà re- lence, qui est en lui , ou que nous y reconnoissons,
marqé. Et les hommes ne démêlant guères toutes au lieu que toute douleur cause un désir égal à elle
ces considérations distinctes, il n'est point étonnant même; parceque l'absence du bien n'est pas toujours
qu'on s'embrouille tant l'esprit sur cette matière, un mal, comme est la présence de la douleur. C'est
qui a beaucoup de replis cachés. pourquoi l'on peut considérer et envisager un bien
§. 29. PH. Lorsqu'on demande ce que c'est qui absent sans douleur; mais à proportion qu'il y a
détermine la volonté, la véritable réponse consiste du désir quelque i>art, autant y a-t-il d'inquiétude.
à dire que c'est l'esprit qui la détermine. Si cette j §. 32. Qui est ce qui n'a point senti dans le désir,
réponse ne satisfait pas, il est visible que le sens | ce que le sage dit de l'espérance (Proverb. XIII.
de cette question se réduit à ceci, qui est ce qui 12.) qu'étant différée elle fait languir le coeur?
pousse l'esprit dans chaque occasion particulière à Kachel crie (Gènes. XXX. 1.) donne/, moi des
déterminer à tel mouvement ou à tel repos particu enfaiis, ou je vais mourir. §. 34. Lorsque l'homme
lier la puissance générale, qu'il a, de diriger ses fa est parfaitement satisfait de l'état, où il est, ou lors
cultés vers le mouvement ou vers les repos. A quoi qu'il est absolument libre de toute inquiétude, quelle
je réponds que ce qui nous porte à demeurer dans volonté lui peut- il rester que de continuer dans cet
le môme état ou à continuer la même action, c'est état! Ainsi le sage Auteur de notre être a mis
uniquement la satisfaction présente qu'on y trouve. dans les hommes l'incommodité de la faim et de la
Au contraire le motif, qui incite à changer, est tou soif, et les autres désirs naturels, à fin d'exciter et
jours quelque inquiétude. de déterminer leur volonté à leur propre conserva
TH. Cette inquiétude, comme je l'ai montré dans tion et à la continuation de leur espèce. 11 vaut
le chapitre précèdent, n'est pas toujours un dey lai- ! mieux, dit St. Paul (1. Cor. VU. 9.) se marier
sir; comme l'aise, ou l'on se trouve, n'est pas tou que brûler. Tant il est vrai, que le sentiment pré
jours une satisfaction ou un plaisir. C'est souvent sent d'une petite brûlure a plus de pouvoir sur
une perception insensible» qu'on ne saurait distin nous, que les attraits des plus grands plaisirs con
guer ni démêler , qui nous foit pancher plutôt d'un sidérés en éloignement. §. 35. Il est vrai que c'est
côté que de l'autre, sans qu'on en puisse rendre une maxime si fort établie , que c'est le bien et le
raison. plus grand bien, qui détermine la volonté, que je
§.30. PH. La volonté et le désir ne doivent ne suis nullement surpris d'avoir autre fois supposé
pas être confondus : un homme désire d'être délivré cela comme indubitable. Cependant après une ex
de la goutte, mais, comprenant que l'éloignemcnt acte recherche, je me sens forcé de conclure, que le
de cette douleur peut causer le transport d'une dan bien et le plus grand bien, quoique jugé et reconnu
gereuse humeur dans quelque partie plus vitale , sa i tel, ne détermine point la volonté; à moins que ve-
volonté ne saurait être déterminée à aucune action, ! naus à le désirer d'une manière proportionnée a son
qui puisse servir à dissiper cette douleur. excellence, ce désir nous rende inquiets de ce que
TH. Ce désir est une manière de Velléité par nous en sommes privés. Posons qu'un homme soit
rapport à une volonté complète; on voudrait par , convaincu de l'utilité de la vertu, jusqu' à voir
exemple, s'il n'y avoit pas un plus grand mal à qu'elle est nécaissaire à qui se propose quelque chose
craindre, si l'on obtenoit ce qu'on veut, ou peut- de grand dans ce monde, ou espère d'être heureux
être un plus grand bien à espérer, si l'on s'en pas- dans l'autre : cependant jusqu' à ce que cet homme
soit. Cependant on peut dire que l'homme veut se sente affamé et altéré de la justice, sa volonté ne
être délivré de la goutte par un certain degré de la sera jamais déterminée à aucune action, qui le porte
volonté, mais qui ne va pas toujours au dernier ef à la recherche de cet exellent bien, et quelque antre
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL 257
inquiétude venant à la traverse entraînera sa vo en latin) c'est à dire vnidcs de perception et de sen
lonté à d'antres choses. D'autre ]>art, posons qu'un timent, et consistant dans l'emploi tout nu des ca
homme, addonné au vin, considère, que menant la ractères, comme il arrive à ceux, qui calculent en
vie qu'il mène, il ruine sa santé et dissipe son bien, Algèbre sans envisager que de tems en tems les
qu'il va se déshonorer dans le monde, s'attirer figures Géométriques et les mots font ordinairement
des maladies, et tomber enfin dans l'indigence jus le même effet en cela que les caractères d'Arithmé
qu'à n'avoir plus de quoi satisfaire cette passion de tique ou d'Algèbre. On raisonne souvent en paro
boire, qui le possède si fort;. .cependant les retours les, sans avoir presque l'objet même dans l'esprit.
d'inquiétude, qu'il sent, à être absent de ses com Or cette connoissance ne sauroit toucker; il faut
pagnons de débauche , l'entraînent au cabaret , aux quelque chose de vif pour qu'on soit ému. Cepen
heures qu'il a accoutumé d'y aller, quoiqu'il ait dant c'est ainsi que les hommes le plus souvent pen
alors devant les yeux la perte de sa santé et de son sent à Dieu, à la vertu, à la félicité; ils parlent et
bien, et peut-être même celle du bonheur de l'autre raisonnent sans Idées expresses. Ce n'est pas qu'ils
, vie: bonheur, qu'il ne peut regarder comme un bien n'en puissent avoir, puisqu'elles sont dans leur
peu considérable en lui même, puisqu'il avoue qu'il esprit. Mais ils ne se donnent point la peine de
est beaucoup plus excellent que le plaisir de boire pousser l'analyse. Quelques fois ils ont des Idées
ou que le vain babil d'une troupe de débauchés. d'un bien ou d'un mal absent, mais très foibles.
Ce n'est donc pas faute de jetter les yeux sur le Ce n'est donc pas merveille si elles ne touchent guè-
souverain bien, qu'il persiste dans ce dérèglement; res. Ainsi si nous préferons le pire, c'est que nous
car il l'envisage et en reconnoit l'excellence, jusque là sentons le bien qu'il renferme, sans sentir ni le mal
que durant le tems, qui s'écoule entre les heures, qu'il y' a, ni le bien qui est dans la part contraire.
qu'il employé à boire, il résout de s'appliquer à re Nous supposons et croyons, ou plutôt nous récitons
chercher ce souverain bien, mais quand l'inquiétude seulement sur la foi d'autrui ou tout au plus sur
d'être privé du plaisir, auquel il est accoutumé, celle de la mémoire de nos raisonnemens passés,
vient le tourmenter, ce bien, qu'il reconnoit plus ! que le plus grand bien est dans le meilleur parti,
excellent que celui de boire, n'a plus de force sur ou le plus grand mal dans l'autre. Mais quand
son esprit, et c'est cette inquiétude actuelle, qui dé nous ne les envisageons point, nos pensées et nos
termine sa volonté à l'action , à laquelle il est ac raisounemens , contraires au sentiment, sont une
coutumé, et qui par là faisant de plus fortes im espèce de psittacisme, qui ne fournit rien pour
pressions prévaut encore à la première occasion, ! le présent à l'esprit; et si nous ne prenons point
quoiqu'on même tems il s'engage pour ainsi dire lui de mesures pour y remédier, autant en emporte le
même par des secrètes promesses à ne plus faire la vent, comme j'ai déjà remarqué ci - dessus (chap. 2.
même chose , et qu'il se figure que ce sera la der §. 11.) et les plus beaux pix^ceptes de morale avec
nière fois, qu'il agira contre son plus grand intérêt. les meilleures règles de la prudence ne portent coup,
Ainsi il se trouve de tems en tems réduit à dire : que dans une âme, qui y est sensible (ou directe
Video meliora proboquc, ment, ou parceque cela ne se prut pas toujours au
moins indirectement, comme je montrerai tan
Détériora scquor.
tôt) et qui n'est pas plus sensible, à ce qui y est
Je vois le meilleur parti, je l'approuve, et je prends contraire. Cicéron dit bien quelque part, que ai nos
le pire. Cette sentence, qu'on reconnoit véritable, yeux pouvoient voir la beauté de la vertu, nous
et qui n'est que trop confirmée par une constante l'aimerions avec ardeur : mais cela n'arrivant point
expérience, est aisée à comprendre par cette voie- ni rien d'équivalent, il ne faut point s'étonner si
là et ne l'est i>eut-ctre pas de quelque autre sens dans le combat entre la chair et l'esprit, l'esprit suc
qu'on la prenne. combe tant de fois, puisqu'il ne se sent pas bien de
TH. D y a quelque chose de beau et de solide ses avantages. Ce combat n'est autre chose que l'op
dans ces considérations. Cependant je ne voudrois position des différentes tendances, qui naissent des
pas, qu'on crût pour cela, qu'il faille abandonner pensées confuses et des distinctes. Les pensées con
ces anciens axiomes, que la volonté suit le plus fuses souvent se font sentir clairement; mais nos
grand bien, ou qu'elle fuit le plus grand mal, qu'elle pensées distinctes ne sont claires ordinairement qu'en
sent. La source du peu d'application aux vrais puissance ; elles pourraient l'être , si nous voulions
biens, vient en bonne partie de ce que dans les ma nous donner l'application de pénétrer les sens des
tières et dans les occasions, où les sens n'agissent mots ou des caractères, niais ne le faisant point, ou
guères, la plupart de nos pensées sont sourdes pour par négligence, ou à cause du la brièveté du tems,
ainsi dire (je les appelle cogitationes caecas on oppose des paroles nues ou du moins des images
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258 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
trop foiblcs à îles sentimens vifs. J'ai connu un tumance d'agir suivant la raison, qui rendra la
homme, considérable dans l'église et dans l'état, vertu agréable et comme naturelle. Mais il ne s'a
que ses infirmités avoient fait se résoudre à la diète ; git pas ici de donner et d'enseigner des préceptes
mais il avoua, qu'il n'avoit pu résister à l'odeur des de morale, ou des directions et adresses spirituelles
viandes, qu'on portoit aux autres en passant devant pour 1 exercice de la véritable piété: c'est assez
son appartement. C'est sans doute une honteuse qu'eu considérant le procédé de notre âme, on voye
faiblesse; mais voilà comme les hommes sont faits. la source de nos foiblesses, dont la connoissance
Cependant si l'esprit nsoit bien de ses avantages, il donne en même tems celle des remèdes.
triompheroit hautement. 11 faudroit commencer par §. 36. PH. L'inquiétude présente, qui nous
l'éducation, qui doit être réglée ensorte, qu'on rende les presse, opère seule sur la volonté et la détermine
vrais biens et les vrais maux autant sensibles, qu'il se naturellement en vue de ce bonheur, auquel nous
peut, en revêtissant les notions, qu'on s'en forme, des tendons tons dans toutes nos actions, parceque cha
circonstances plus propres à ee dessein ; et un homme cun regarde la douleur et l'uneasinea (c'est à
fait, àquimanquecetteexcellenteéducation, doitcom- dire l'inquiétude ou plutôt l'incommodité, qui fait
mencer plutôt tard que jamais à chercher des plai que nous ne sommes pas à notre aise) comme des
sirs lumineux et raisonnables, pour les opposer à choses incompatibles avec la félicité. Une petite
ceux des sens, qui sont confus mais tonchaus. Et j douleur suffit pour corrompre tons les plaisirs, dont
en effet la grâce divine même est un plaisir, qui i nous jouissons. Par conséquent ce qui détermine
donne de la lumière. Ainsi lorsqu'un homme est ; incessamment le choix de notre volonté à l'action
dans des bons inouvemeus , il doit se faire des loix suivante sera toujours l'éloignement de la douleur,
et des réglemens pour l'avenir et les exécuter avec tandis que nous en sentons quelque atteinte; cet
rigeur, s'arracher aux occasions, capables de cor éloigneraient étant le premier degré vers le bonheur.
rompre, ou brusquement on peu à peu, selon la na TH. Si vous prenez votre uneasines ou inquié-
ture de la chose. Un voyage entrepris tout exprès j tude pour un véritable déplaisir, en ce sens je n'ac
guérira un amant; une retraite nous tirera des com corde point qu'il soit le seul aiguillon. Ce sont le
pagnies, qui entretiennent dans quelque mauvaise plus souvent ces petites perceptions insensibles,
inclination. François de Borgia, Générale des Jé • qu'on pouiToit appeller des douleurs inaperceptibles,
suites, qui a été enfin canonisé, étant accoutumé à si la notion de la douleur ne renfermoit l'apercep
boire largement, lorsqu'il étoit homme de grand tion. Ces petites impulsions consistent à se délivrer
monde, se réduisit peu à peu au petit pied, lorsqu'il continuellement des petits empêchemens , à quoi
pensa à la retraite, en faisant tomber chaque jour notre nature travaille sans qu'on y pense. C'est en
une goutte de cire dans le pocal , qu'il avoit cou quoi consiste véritablement cette inquiétude, qu'on
tume de vuider. A des sensibilités dangereuses on sent sans la connoitre, qui nous fait agir dans les
opposera quelqu'autre sensibilité innocente, comme passions aussi bien que lorsque nous paraissons les
l'agriculture, le jardinage; on fuira l'oisivité; on ra plus tranquilles, car nous ne sommes jamais sans
massera des curiosités de la nature et de l'art; on quelque action et mouvement, qui ne vient que de
fera des expériences et des recherches; on s'enga | ce que la nature travaille toujours à se mettre mieux
gera dans quelque occupation indispensable, si on | à son aise. Et c'est ce qui nous détermine aussi
n'en a point, ou dans quelque conversation ou lec avant toute consultation dans les cas, qui nous pa-
ture utile et agréable. En un mot il faut profiter roissent les plus indifTérens, parceque nous ne som-
des bons mouvcmens comme de la voix de Dieu, ! mes jamais parfaitement en balance et ne saurions
qui nous appelle, pour prendre des résolutions effi j être mi -partis exactement entre deux cas. Or si
caces. Et comme on ne peut pas faire toujours l'a | ces élémens de la douleur (qui dégénèrent en dou-
nalyse des notions, des vrais biens et des vrais | leur ou déplaisir véritable quelques fois, lorsqu'ils
maux jusques à la perception du plaisir et de la dou i croissent trop) étoient des vraies douleurs, nous se-
leur, qu'ils renferment, pour en être touché il faut i rions toujours misérables, en poursuivant le bien
se faire une fois pour tontes cette loi: d'attendre et que nous cherchons avec inquiétude et ardeur. Mais
de suivre désormais les conclusions de la raison, com c'est tout le contraire, et comme j'ai dit déjà ci-des
prises une bonne fois, quoique non-aperçues dans la sus (§. 6. du chapitre précédent) l'amas de
suite et ordinairement par des pensées sourdes seu ces petits succès continuels de la nature, qui se met •
lement et destituées d'attraits sensibles ; et cela pour de plus en plus à son aise, en tendant an bien et
se mettre enfin dans la possession de l'empire sur jouissant de son image, ou diminuant le sentiment
les passions aussi bien que sur les inclinations in de la douleur, est déjà un plaisir considérable et
sensibles ou inquiétudes, en acquérant cette accou vaut souvent mieux que la jouissance même do
UX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. U. 259
bien; et bien loin, qu'où doive regarder cette inquié inquiétude ou de quelque déplaisir, dont nous som
tude comme uue chose incompatible avec la félicité, mes actuellement tourmentés, jusqu' à ce que ce bien
je trouve que l'inquiétude est essentielle à la félicité excite quelque désir en nous. Combien y a-t-il de
des créatures, laquelle ne consiste jamais dans une gens à qui l'on représente les joies indicibles du
parfaite possession, qui les reudroit insensibles et paradis par des vives peintures, qu'ils rcconnoissent
comme stupides , mais dans un progrès continuel et possibles et probables, qui cependant se contente-
non interrompu à des plus grands biens, qui ne peut roient volontiers de la félicité, dont ils jouissent
manquer d'être accompagné d un désir ou du moins dans ce monde. C'est que les inquiétudes de leurs
d'une inquiétude continuelle, mais telle que je viens désirs présens, venant à prendre le dessus et à se
d'expliquer, qui ne va pas jusqu' à incommoder, porter rapidement vers les plaisirs de cette vie, dé
mais qui se borne à ces élémens ou rudiinens do la terminent leurs volontés à les rechercher; et durant
douleur, inapi>erceptibles à part, lesquels ne laissent tout ce tems là, ils sont entièrement insensibles aux
pas d'être suffisaus pour servir d'aiguillon et pour biens de l'autre vie.
exciter la volonté; comme fait l'appétit dans un T H. Cela vient eu partie de ce que les hommes
homme, qui se ]x>rte bien, lorsqu'il ne va pas jus bien souvent ne sont guères persuadés ; et quoiqu'ils
qu'à cette incommodité, qui nous rend impatiens et le disent, une incrédulité occulte règne dans le fond de
nous tourmente par un trop grand attachement à leur aino; car ils n'ont jamais compris les bonnes rai
ridée de ce qui nous manque. Ces appétitions pe sons, qui vérifient cette immortalité des âmes, digne
tites ou grandes sont ce qui s'appelle dans les éco de la justice de Dieu, qui est le fondement de la
les motus primo pri mi et ce sont véritablement vraie] religion, ou bien ils ne se souviennent plus
les premiers pas, que la nature nous fait faire, non de les avoir comprises, dont il faut pourtant l'un ou
pas tant vers le bonheur que vers la joie , car on l'autre pour être persuadé. Peu de gens conçoivent
n'y regarde que le présent: mais l'expérience et la même que la vie future, telle que la vraie religion
raison apprennent à régler ces appétitions et à les et même la vraie raison l'enseignent, soit possible,
modérer pour qu'elles puissent conduire au bonheur. bien loin d'en concevoir la probabilité, pour ne pas
J'en ai déjà dit quelque chose (Livre 1. chap. 2. dire la certitude. Tout ce qu'ils en pensent n'est
§. 3.) les appétitions sont comme la tendance de la que psittacisme ou des images grossières et vai
pierre, qui va le plus droit mais non pas toujours nes à la Mahometane , où eux mêmes voyont peu
le meilleur chemin vers le centre de la terre, ne d'apparence: car il s'en faut beaucoup qu'ils en
pouvant pas prévoir quelle rencontrera des rochers soyent touchés, comme l'étaient (à ce qu'on dit) les
on elle brisera, au lieu qu'elle se seroit approchée soldats du Prince des assassins, Seigneur de la Mon
d'avantage de son but, si elle avoit eu l'esprit et le tagne, qu'on transportait quand ils étaient endormis
moyen de s'en détourner. C'est ainsi qu'allant profondement dans un lieu , plein de délices , où se
droit vers le présent plaisir nous tombons quelques croyant dans le paradis de Mahomet, ils étaient im
fois dans le précipice de la misère. C'est pourquoi bus par des anges ou saints contrefaits d'opinions
la raison y oppose les images des plus grands biens telles que leur souhaitait ce Prince et d'où , après
ou maux avenir et une ferme résolution et habitude avoir été assoupis de nouveau, ils étoieut rapportés
de penser, avant que de faire, et puis de suivre ce au lieu, où on les avoit pris; ce qui les enhardissoit
qui aura été reconnu le meilleur, lors même que les après à tout entreprendre, jusques sur les vies des
raisons sensibles de nos conclusions ne nous seront Princes ennemis de leur seigneur. Je ne sai pas si
plus présentes dans l'esprit et ne consisteront pres l'on n'a pas fort tort à ce Seigneur de la Montagne ;
que plus qu'en images foibles ou même dans les car on ne marque pas beaucoup do grands Princes,
pensées sourdes, que donnent les mots ou signes de qu'il ait fait assassiner, qnoiqu on voie dans les
stituées d'une explication actuelle, de sorte que tout Historiens Anglois la lettre, qu'on lui attribue, pour
consiste dans le pensez y bien et dans le mé disculper le Roi Richard I. de l'assassinat d'un comte
mento; le premier pour se faire des loix, et le se ou Prince de la Palestine, que ce Seigneur de la
cond pour les suivre, lors même qu'on ne pense pas Montagne avoue d'avoir fait tuer, pour en avoir été
à la raison, qui les a fait naître. 11 est pourtant offensé. Qnoiqu' il en soit, c'était peut-être par un
bon d'y penser le plus qu'il se peut, pour avoir grand zèle pour sa religion, que ce Prince des assas
Famé remplie d'une joie raisonnable et d'un plaisir sins vouloit donner aux gens une Idée avantageuse
accompagné de lumière. du paradis , qui en accompagnât toujours la pensée
§. 37. PH. Ces précautions sans doute sont d'au et les empêchât d'être sourde; sans prétendre pour
tant plus nécessaires, que l'Idée d'un bien absent cela, qu'ils dussent croire, qu'ils avoient été dans
ne sauroit contrebalancer le sentiment de quelque le paradis même. Mais supposé qu'ils l'eût prétendu,
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260 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL
il ne faudroit point s'étonner que ces fraudes pieu TH. Plusieurs perceptions et inclinations concou
ses eussent fait puis d'effet que la vérité mal ména rent à la volition parfaite, qui est le résultat de leur
gée. Cependant rien ne seroit plus fort que la vé conflit. Il y en a d'imperceptibles à part, dont l'a
rité, si on s'attachoit à la bien connoitrc et à la mas fait une inquiétude, qui nous pousse sans qu'on
faire valoir; et il y auroit moyen sans doute d'y por en voie le sujet; il y en a plusieurs jointes ensem
ter fortement les hommes. Quand je considère bles, qui portent à quelque objet, ou qui en éloig
combien peut l'ambition ou l'avarice dans tous ceux, nent, et alors c'est désir ou crainte, accompagné
qui se mettent une fois dans ce train de vie, presque aussi d'une inquiétude, mais qui ne va pas toujours
destitué d'attraits sensibles et présens, je ne dése jusqu'au plaisir. Enfin il y a des impulsions, ac
spère de rien , et je tiens que la vertu feroit infini compagnées effectivement de plaisir et de douleur,
ment plus d'effet, accompagnée comme elle est de et toutes ces perceptions sont ou des sensations nou
tant de solides biens, si quelque heureuse révolution velles ou des imaginations restées de quelque sensa
du genre humain la mettoit un jour en vogue et tion passée, accompagnées ou nonaccompagnées du
comme à la mode. Il est très assuré qu'on pourroit souvenir, qui renouvellant les attraits, que ces mê
accoutumer les jeunes gens à faire leur plus grand mes images avoient dans ces sensations précéden
plaisir de l'exercice de la vertu. Et même les hom tes, renouvellent aussi lesimpulsionsanciennes à pro
mes faits pourroient se faire des loix et une habi portion de la vivacité de l'imagination. Et de tou
tude de les suivre, qui les y porteroit aussi forte tes ces impulsions résulte enfin l'effort prévalant,
ment et avec autant d'inquiétude, s'il en étoient dé qui fait la volonté pleine. Cependant les désirs et
tournés, qu'un ivrogne en pourroit sentir, lorsqu'il les tendances, dont on s'apperçoit, sont souvent
est empêché d'aller au cabaret. Je suis bien aise aussi appellées des volitions quoique moins entières,
d'ajouter ces considérations sur la possibilité et soit qu'elles prévalent et entraînent ou non. Aiusi
même sur la facilité des remèdes à nos maux, pour il est aisé déjuger, que la volition ne saura guères
ne pas contribuer à décourager les hommes de la subsister sans désir et sans fuite; car c'est ainsi que
poursuite des vrais biens par la seule exposition de je crois qu'on pourroit appeller l'opposé du désir.
nos foiblesses. L'inquiétude n'est pas seulement dans les passions
§. 39. PH. Tout consiste presque à faire con incommodes, comme dans la haine, la crainte, la
stamment désirer les vrais biens. Et il arrive rare colère, l'envie, la honte, mais encore dans les oppo
ment qu'aucune action volontaire soit produite en sées, comme l'amour, l'espérance, la faveur et la
nous, sans que quelque désir l'accompagne; c'est gloire. On peut dire que par tout où il y a désir,
pourquoi la volonté et le désir sont si souvent con I il y aura inquiétude; mais le contraire n'est pas ton-
fondus ensemble. Opendant il ne faut pas regar jours vrai, parceque souvent on est en inquiétude
der l'inquiétude, qui fait jwrtie ou qui est du moins sans savoir ce qu'on demande, et alors il n'y a point
une suite do la plupart dos autres passions, comme de désir formé.
entièrement exclue de cet article; car la haine, la §. 40. PH. Ordinairement la plus pressante des
crainte, la colère, l'envie, la honte, ont chacune leurs inquiétudes dont on croit être alors en état de pou
inquiétudes et par là opèrent sur la volonté. Je voir se délivrer, détermine la volonté à l'action.
doute qu'aucune de ces passions existe toute seule, TH. Comme le résultat de la balance fait la dé
je crois même qu'on auroit de la peine à trouver termination finale, je croirois qu'il peut arriver que
quelque passion, qui ne soit accompagnée de désir. la plus pressante des inqiétudes ne prévaille point;
Du reste je suis assuré, que par tout, où il y a de car quand elle prévaudroit à chacune des tendances
l'inquiétude, il y a du désir. Et comme notre éter opposées, prises à part, il se peut que les autres,
nité ne dépend pas du moment présent, nous por jointes ensemble, la surmontent. L'esprit peut même
tons notre vue au de là du présent, quelsque soyent user de l'adresse des dichotomies pour faire préva
les plaisirs , dont nous jouissons actuellement et le loir tantôt les unes , tantôt les autres , comme dans
désir, accompagnant ces regards anticipés sur l'avenir, une assemblée on peut faire prévaloir quelque parti
certaine toujours la volonté à la suite: de sorte qu'au par la pluralité des voix, selon qu'on forme Tordre
milieu même de la joie, ce qui soutient l'action, d'où des demandes. 11 est vrai que l'esprit doit y pour
dépend le plaisir présent, c'est le désir de continuer voir de loin; car dans lé moment du combat, il
ce plaisir et la crainte d'en être privé, et toutes les n'est plus tems d'user de ces artifices. Tout ce qui
fois qu'une plus grande inquiétude que celle là vient à frappe alors, pèse sur la balance, et contribue à for
s'emparerde l'esprit, elle détermine aussitôt Fesprità mer une direction , composée presque comme dans
une nouvelle action et le plaisir présent est né- la mécanique, et sans quelque promte diversion on
ne ne sauroit l'arrêter.
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. H. 261
» Fertur cquis anriga née audit CUITUS habenas. « mènent vers le bonheur, mais qne le sentiment et
§. 41. PH. Si ou demande outre cela ce que ! l'appétit ne nous portent que vers le plaisir. Or
c'est qui excite le désir, nous répondons que c'est quoique le plaisir ne puisse point recevoir une défi
le bonheur et rien autre chose. Le bonheur et la nition nominale, non plus que la lumière ou la cou
misère sont des noms de deux extrémités , dont les leur ; il en peut pourtant recevoir une causale comme
dernières bornes nous sont inconnues. C'est ce que elles, et je crois que dans le fond le plaisir est
l'oeil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu et un sentiment de perfection et la douleur un senti
que le coeur de l'homme n'a jamais compris. Mais ment d'imperfection, pourvu qu'il soit assez notable,
il se fait en nous de rives impressions de l'un et de pour faire qu'on s'en puisse apercevoir : car les petites
l'autre par différentes espèces de satisfaction et de perceptions insensibles de quelque perfection ou imper
joie , de tourment et de chagrin , que je comprens, fection, qui sont comme les éleraens du plaisir et
pour abréger, sous les noms de plaisir et de dou | de la douleur, et dont j'ai parlé tant de fois, for
leur, qui conviennent l'un et l'autre à l'esprit, aussi ment des inclinations et des penchans, mais non pas
bien qu'an corps, ou qui pour parler plus exacte encore les passions mêmes. Ainsi il y a des incli
ment n'apartiennent qu'à l'esprit, quoique tantôt ils nations insensibles et dont on ne s'aperçoit pas; il
prennent leur origine dans l'esprit à l'occasion de cer y en a de sensibles , dont on connoit l'existence et
taines pensées et tantôt dans le corps, à l'occasion de l'objet, mais dont on ne sent pas la formation, et
certaines modifications du mouvement. §. 42. Ainsi ce sont des inclinations confuses, que nous attri
le bonheur, pris dans toute son étendue est buons au corps quoiqu'il "y ait toujours quelque
le plus grand plaisir, dont nous soyons capables, chose, qui y réponde dans l'esprit; enfin il y a des
comme la misère, prise de même, est la plus inclinations distinctes, que la raison nous donne,
grande douleur , que nous puissions sentir. Et le dont nous sentons et la force et la formation ; et les
plus bas degré de ce qu'on peut appeller bonheur, plaisirs de cette nature qui se trouvent dans la con-
cest cet état, où délivré de toute douleur on jouit noissance et la production de l'ordre de l'harmonie
d'une telle mesure de plaisir présent, qu'on ne sau- sont les plus estimables. Ou a raison de dire, que
roit être content avec une moindre. Nous appel généralement toutes ces inclinations, ces passions,
ions bien ce qui est propre à produire en nous du ces plaisirs et ces douleurs n'appartiennent qu'à l'e
plaisir et nous appelions mal ce qui est propre à sprit, ou à l'âme; j'ajouterai même, que leur origine
produire en nous de la douleur. Cependant il ar est dans l'âme même en prenant les choses dans
rive souvent, que nous ne le nommons pas ainsi, une certaine rigueur métaphysique, mais que néan
lorsque l'un ou l'autre de ces biens ou de ces moins on à raison de dire, que les pensées confu
maux se trouvent en concurrence avec un plus grand | ses viennent du corps, parceque là dessus la considé
bien ou un plus grand mal. | ration du corps et non pas celle de l'âme fournit
TH. Je ne sai si le plus grand plaisir est pos quelque chose de distinct et d'explicable. Le bien
sible. Je croirois plutôt qu'il peut croître à l'infini; est ce, qui sert ou contribue au plaisir, comme lo
car nous ne savons pas jusqu'où nos connoissances mal ce qui contribue à la douleur. Mais dans la
et nos organes peuvent être portés dans toute cette collision avec un plus grand bien, le bien, qui nous
éternité, qui nous attend. Je croirois donc, que le en priverait, pourrait devenir véritablement un mal,
bonheur est un plaisir durable; ce qui ne sauroit en tant qu'il contribuerait à la douleur, qui en de
avoir lieu sans une progression continuelle à de nou vrait naître.
veaux plaisirs. Ainsi de deux, dont l'un ira incom §. 47. PH. L'aine a le pouvoir de suspendre
parablement plus vite et par des plus grands plai l'accomplissement de quelques uns de ces désirs, et
sirs que l'autre, chacun sera heureux en soi même, est par conséquent en liberté de les considérer l'un
quoique leur bonheur soit fort inégal. Le bonheur après l'autre, et de les comparer. C'est en cela que
est donc pour ainsi dire un chemin par des plaisirs; consiste la liberté de l'homme et ce que nous
et le plaisir n'est qu'un pas et un avancement vers appelions, qnoiqu'improprement à mon avis, libre
le bonheur, le plus court qui se peut faire suivant arbitre; et c'est du mauvais usage, qu'il en fait
les présentes impressions, mais non pas toujours le que procède toute cette diversité d'égaremens, d'er
meilleur, comme j'ai dit vers la fin du §. 36. On reurs et de fautes où nous nous précipitons lorsque
peut manquer le vrai chemin, en voulant suivre le nous déterminons notre volonté trop promtenient
plus court, comme la pierre allant droit, peut ren ou trop tard.
contrer trop tôt des obstacles, qui l'empêchent d'a- TH. L'exécution de notre désir est,suspendue ou
•vaneer assez vers le centre de la terre. Ce qui fait arrêtée lorsque ce désir n'est pas assez fort pour nous
connoitre, que c'est la raison et la volonté, qui nous émouvoir et pour surmonter la peine ou l'incommo-
262 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. IL
dite, qu'il y a de le satisfaire: et cette peine ne avec le tems ce que nous voudroins vouloir et
consiste quelques fois que dans une paresse ou ce que la raison ordonne. Cependant cest ton-
lassitude insensible, qui rebute sans qu'on y prenne jours par des voyes déterminées et jamais sans
garde, et qui est plus graude en des person sujet ou par le principe imaginaire d'une indif
nes élevées dans la mollesse ou dont le tempé férence parfaite ou d'équilibre, dans laquelle quel
rament est phlegmatique , et en celles qui sont ques uns voudroient faire consister l'essence de
rebutées par l'âge ou par les mauvais succès. la liberté, comme si on pouvoit se déterminer
Mais lorsque le désir est assez fort en lui même sans sujet et même contre tout sujet et aller
pour émouvoir, si rien ne l'empêche, il peut être directement contre toute la prévalence des im
arrêté par des inclinations contraires; soit qu'elles pressions et des penchans. Sans sujet dis-je,
consistent dans un simple penchant, qui est comme c'est à dire sans l'opposition d'autres inclinations,
l'élément ou le commencement du désir, soit qu'el ou sans qu'on soit par avance en train de dé
les aillent jusqu'au désir même. Cependant comme tourner l'esprit, ou sans quelque autre moyen
ces inclinations, ces penchaus et ces désire con pareil explicable; autrement c'est recourir au chi
traires se doivent trouver déjà dans l'âme, elle mérique, comme dans les facultés nues ou qua
ne les a pas en son pouvoir, et par conséquent lités occultes scolastiques, où il u'y a ni rime ni
elle ne pourrait pas résister d'une manière libre raison.
et volontaire, où la raison puisse avoir part, si §. 48. PH. Je suis aussi pour cette détermi
elle n'avoit encore un autre moyen, qui est ce nation intelligible de la volonté par ce qui est
lui de détourner l'esprit ailleurs. Mais comment dans la perception et dans l'entendement. Vou
s'aviser de le faire au besoin! car c'est là le loir et agir conformément au dernier résultat d'un
point, sur tout quand on est occupé d'une forte sincère examen, c'est plutôt uue perfection qu'un
passion. Il faut donc que l'esprit soit préparé • défaut de notre nature. Et tant s'en faut, que
par avance, et se trouve déjà en train d'aller ce soit là ce qui étouffe ou abrège la liberté,
de pensée en pensée, pour ne se pas trop arrê que c'est ce quelle a de plus parfait et de plus
ter dans un pas glissant et dangereux. Il est avantageux. Et plus nous sommes éloignés de
bon pour cela de s'accoutumer généralement à ne nous déterminer de cette manière, plus nous som
penser que comme en passant à certaines cho mes près de la misère et de l'esclavage. En ef
ses, pour se mieux conserver la liberté d'esprit. fet, si vous supposez dans l'esprit une parfaite et
Mais le meilleur est de s'accoutumer à procéder absolue indifférence, qui ne puisse être dé
méthodiquement et à s'attacher à un tram de pen terminée par le dernier jugement, qu'il faut du
sées, dont la raison et non le hazard (c'est à bien ou du mal, 'vous le mettrez dans un état
dire les impressions insensibles et casuelles) fas très imparfait.
sent la liaison. Et pour cela il est bon de s'ac | TH. Tout cela est fort à mon gré et fait
coutumer à se recueillir de tems en tems, et à voir que l'esprit n'a pas un pouvoir entier et di
s'élever au dessus du tumulte présent des impres rect d'arrêter toujours ses désirs, autrement il ne
sions, à sortir pour ainsi dire de la place où seroit jamais déterminé quelque examen qu'il pût
l'on est, à se dire: »dic cur hic? respice fincml faire et quelques bonnes raisons ou sentimens ef
>où en sommes nous? venons au fait!- Les ficaces qu'il pût avoir, et il demenreroit toujours
hommes auroient bien souvent besoin de quel irrésolu et ilotteroit éternellement entre la crainte
qu'un, établi en titre d'office (comme en avoit i et l'espérance. Il faut donc qu'il soit enfin dé
Philippe, le père d'Alexandre le Grand) qui les terminé, et qu'ainsi il ne puisse s'opposer qu'in
interrompit et les rappellât à leur devoir. Mais directement à ses désirs en se préparant par
au défaut d'un tel Officier, il est bon que nous avance des armes, qui les combattent au besoin,
soyons stylés à nous rendre cet office nous mê comme je viens de l'expliquer.
mes. Or étant une fois en état d'arrêter l'effet PH. Cependant un homme est en liberté de
de nos désirs et de nos passions, c'est à dire porter sa main sur la tête ou de la laisser
de suspendre l'action, nous pouvons trouver les en repos. Il est parfaitement indifférent à l'é
moyens de les combattre, soit par des désirs ou gard de l'une et de l'autre de ces choses, et ce
des inclinations contraires, soit par diversion, c'est seroit une imperfection en lui si ce pouvoir loi
à dire par des occupations d'une autre nature. manquait.
C'est par ces méthodes et par ces artifices, que TH. A parler exactement, on n'est jamais in
nous devenons comme maîtres de nous mêmes, différent à l'égard de deux partis, par exemple
et que nous pourrons nous faire penser et faire de tourner à la droite ou à la gauche; car nous
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. U. 263
faisons l'un on l'autre sans y penser et c'est une pêche pas d'être déterminé par ce qui est le
marque qu'un concours de dispositions intérieu meilleur.
res et d'impressions extérieures (quoiqu'insensi- Th. Je suis tellement persuadé de cette vérité,
bles) nous détermine au parti, que nous prenons. que je crois que nous la pouvons assurer har
Cependant la prévalance est bien petite et diment, toutes pauvres et finies créatures que
c'est au besoin comme si nous étions indifférons nous sommes, et que même nous aurions grand
à cet égard, puisque le moindre sujet sensible, tort d'en douter; car nous dérogerions par cela
qui se présente à nous, est capable de nous dé même à sa sagesse, à sa bonté et à ses autres
terminer sans difficulté à l'un plutôt qu'à l'autre; perfections infinies. Cependant le choix, quelque
et quoiqu'il y ait un peu de peine à lever le déterminé que la volonté y soit, ne doit }>as être
bras pour porter la main sur sa tête, elle est si appelle nécessaire absolument et à la rigueur;
petite, que nous la surmontons sans difficulté; la prévalence des biens apperçus incline sans né
autrement j'avoue que ce seroit une grande im cessiter, quoique tout considéré cette inclination
perfection, si l'homme y étoit moins indifférent soit déterminante et ne manque jamais de faire
et s'il lui inanquoit le pouvoir de se déterminer son effet.
facilement à lever on à ne pas lever le bras. §. 50. PH. Etre déterminé par la raison
PH. Mais ce ne seroit pas moins une grande au meilleur, c'est être le plus libre. Quelqu'un
imperfection, s'il avoit la même indifférence en voudroit -il être imbecille par cette raison, qu'un
toutes les rencontres, comme lorsqu'il voudroit imbecille est moins déterminé par de sages ré
défendre la tête ou ses yeux d'un coup, dont il flexions, qu'un homme de bon sens? Si la li
se verroit prêt d'être frappé, c'est à dire s'il lui berté consiste à secouer le joug de la raison,
étoit aussi aisé d'arrêter ce mouvement, que les les foux et les insensés seront les seuls libres;
autres, dont nous venons de parler et où il est mais je ne crois pas que pour l'amour d'une telle
presque indifférent; car cela feroit qu'il n'y se liberté personne voulût être fou, hormis celui qui
roit pas porté assez fortement ni assez promte- l'est déjà.
ment dans le besoin. Ainsi la détermination TH. Il y a des gens aujourd'hui, qui croyent
nous est utile et même bien souvent nécessaire; qu'il est du bel esprit de déclamer contre la rai
et si nous étions peu déterminés en toute sorte son, et de la traiter de pédante incommode. Je
de rencontres et comme insensibles aux raisons, vois de petits livrets, des discours de rien, qui
tirées de la perception du bien ou du mal, nous s'en font fête, et même je vois quelquefois des
serions sans choix effectif, comme, si nous étions vers trop beaux pour être employées à de si
déterminés par autre chose que par le dernier fausses pensées. En effet, si ceux, qui se mo
résultat, que nous avons formé dans notre pro quent de la raison, parloient tout de bon, ce
pre esprit selon que nous avons jugé du bien ou seroit une extravagance d'une nouvelle esjwce,
du mal d'une certaine action, nous ne serions inconnue aux siècles passés. Parler contre la
point libres. raison, c'est parler contre la vérité; car la rai
TH. 11 n'y a rien de si vrai, et ceux qui son est un enchaînement de vérités. C'est par
cherchent une autre liberté, ne savent point ce ler contre soi même, contre son bien, puisque le
qu'ils demandent. point principal de la raison consiste à la con-
noitre et à le suivre.
§. 49. PH. Les Etres supérieurs, qui jouissent §. 51. PH. Comme donc la plus haute per
d'une perfaite félicité sont déterminés au choix fection d'un Etre intelligent, consiste à s'appli
du bien plus fortement que nous ne sommes, et quer soigneusement et constamment à la recher
cependant nous n'avons pas raison de nous figu che du véritable bonheur, de même le soin, que
rer qu'ils soyent moins libres que nous. nous devons avoir de ne pas prendre pour une
TH. Les Théologiens disent pour cela, que félicité réelle, celle qui n'est qu'imaginaire, est
ces Substances bienheureuses sont corfirmées dans Je fondement de notre liberté. Plus nous som
le bien et exemtes de tout danger de chute. mes liés à la recherche invariable du bonheur
PH. Je crois même que s'il convenoit à des en général, qui ne cesse jamais d'être l'ob
pauvres créatures finies, comme nous sommes, de jet de nos désirs, plus notre volonté se trouve
juger de ce que ponrroit faire une sagesse et dégagée de la nécessité d'être déterminée par le
bonté infinie, nous pourrions dire que Dieu lui désir, qui nous porte vers quelque bien particulier,
même ne sauroit choisir ce qui n'est pas bon et jusqu'à ce que nous ayons examiné, s'il se rap-
qne la liberté de cet Etre tout puissant ne l'em i porte ou s'oppose à nôtre véritable bonheur.
264 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
TH. Le vrai bonheur devroit toujours être : forte alors ni si décisive. Il est vrai aussi que les
fobjet de nos désirs , mais il y a lieu de douter i goûts des hommes sont différens, et l'on dit, qu'il
qu'il le soit: car souvent on n'y pense guères, et ne faut point disputer des goûts. Mais comme ce
j'ai remarqué ici plus d'une fois, qu'à moins que ne sont que des perceptions confuses, il ne faut s'y
l'appétit soit guidé par la raison, il tend au plai attacher que dans les objets examinés pour indifte-
sir présent, et non pas au bonheur c'est à dire au rens et incapables de nuire : autrement si quelqu'un
plaisir durable, quoique il tende à le faire durer; trouvoit du goût dans les poisons, qui le tucroient
voyez §. 36. et §. 41. ou le rendraient misérable, il serait ridicule de dire
§. 53. PH. Si quelque trouble excessif vient qu'on ne doit point lui contester ce qui est de son
à s'emparer entièrement de notre âme, comme se- goût.
roit la doleur d'une cr\iclle torture, nous ne som §. 55. PH. S'il n'y a rien à espérer au de
mes pas assez maîtres de notre esprit. Cependant là du tombeau, la conséquence est sans doute fort
pour modérer nos passions autant qu'il se ]>eut, juste: mangeons et buvons, jouissons de tout
nous devons faire prendre à notre esprit le goût du ce qui nous fait plaisir, car demain nous mour
bien et du mal réel et effectif, et ne pas permettre rons.
qu'un bien excellent et considérable nous échap]>e TH. Il y a quelque chose à dire à mon avis à
de l'esprit sans y laisser quelque goût, jusqu'à ce cette conséquence. Aristote et les Stoïciens et plu
que nous ayons excité en nous des désirs, pro sieurs autres anciens Philosophes étoient d'un autre
portionnés à son excellence, de sorte que son ab sentiment, et en effet je crois qu'ils avoient raison.
sence nous rende inquiets aussi bien que la crainte Quand il n'y aurait rien au delà de cette vie, la
de le perdre lorsque nous en jouissons. tranquillité de l'âme et la santé du corps ne laisse-
TH. Cela convient assez avec les remarques, roient pas d'être préférables aux plaisirs qui se-
que je viens de faire aux §§. 31 à 35 et avec ce roient contraires. Et ce n'est pas là une raison,
que j'ai dit plus d'une fois des plaisirs lumineux, de négliger un bien, parce qu'il ne durera pas ton-
où l'on comprend comment ils nous perfectionnent jours. Mais j'avoue, qu'il y a des cas, où il n'y au
sans nous mettre en danger de quelque imperfection rait pas moyen de démontrer que le plus honnête
plus grande, comme font les plaisirs confus des serait aussi le plus utile. C'est donc la seule con-
sens, dont il faut se garder, surtout lorsqu'on n'a considération de Dieu et de l'immortalité, qui rend
pas reconnu par l'expérience, qu'on s'en pourra les obligations de la vertu et de la justice absolu
servir sûrement. ment indispensables.
PH. Et que personne ne dise ici, qu'il ne san- §.58. PH. Il me semble que le jugement
roit maîtriser ses passions ni empêcher quelles ne ', présent, que nous faisons du bien et du mal, est
se déchaînent et le forcent d'agir; car ce qu'il peut toujours droit. Et pour ce qui est de la félicité ou
faire devant un prince ou quelque grand homme, il de la misère présente, lorsque la réflexion ne va pas
peut le faire, s'il veut, lorsqu'il est seul ou eu la plus loin, et que toutes conséquences sont entière
présence de Dieu. ment mises à quartier, l'homme ne choisitjamais mal.
TH. Cette remarque est très bonne et digne TH. C'est à dira si tout étoit borné à ce mo
qu'on y réfléchisse souvent. ment présent, il n'y aurait point de raison de se re
§.54. PH. Cependant les différons choix, fuser le plaisir, qui se présente. En effet j'ai remar
que les hommes font dans ce monde, prouvent que qué ci • dessus, que tout plaisir est un sentiment de
la même chose n'est pas également bonne pour cha perfection. Mais il y a certaines perfections, qui
cun d'eux. Et si les intérêts de l'homme ne s'éten- entraînent avec elles des imperfections plus grandes.
doint pas au delà de cette vie, la raison de cette Comme si quelqu'un s'attachoit pendant tonte sa vie à
diversité, que fait par exemple que ceux-ci se plon jetter des pois contre des épingles pour apprendre à
gent dans le luxe et dans la débauche et que ceux- ne point manquer de les faire enferrer, à l'exemple
là préfèrent la tempérance à la volupté, viendroit ! de celui, à qui Alexandre le Grand fit donner pour
seulement de ce qu'ils placeroient leur bonheur dans ; récompense un boisseau de pois, cet homme par
des choses différentes. viendrait à une certaine perfection, mais fort mince
TH. Elle en vient encore maintenant, quoi et indigne d'entrer en comparaison avec tant d'au
qu'ils ayent tous ou doivent avoir devant les yeux tres perfections très nécessaires, qu'il aurait négli
cet objet commun de la vie future. Il est vrai que gées. C'est ainsi que la perfection, qui se trouve
la considération du vrai bonheur, même de cette ! dans certains plaisirs présens, doit céder surtout au
vie, sufih oit à préférer la vertu aux voluptés, qui soin des peifections, qui sont nécessaires, afin qu'on
en éloignent,; quoique l'obligation ne fût pas si ne soit point plongé dans la misère, qui est l'état où
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 265
l'on va (Tirnpcrfection eu imperfection, ou de dou PH. Je ne parle point ici de cette espèce de
leur eu douleur. Mais s'il n'y avoit que le présent, faux jugement, par lequel ce qui est absent n'est
il faudrait se contenter de la perfection, qui s'y pas seulement diminué mais tout à fait anéanti
présente, c'est à dire du plaisir présent. dans l'esprit des hommes, quand ils jouissent de
§. 62. PH. Personne ne rendroit volontaire tout ce qu'ils peuvent obtenir pour le présent et
ment sa condition malheureuse, s'il n'y étoit en concluent, qu'il ne leur en arrivera aucun mal.
porté par des faux jugemens. Je ne parle TH. C'est un autre espèce de ianx jugement
pas des méprises, qui sont des suites d'une er lorsque l'attente du bien ou du mal à venir est
reur invincible et qui méritent à peine le nom anéantie, parcequ'on nie ou qu'on met en doute la
de faux jugement, mais de ce faux jugement, conséquence, qui se tire du présent; mais hors de
qui est tel par la propre confession, que chaque cela l'erreur, qui anéantit le sentiment de l'avenir
homme en doit faire en soi même. §. 63. Pre est la même chose que ce faux jugement, dont j'ai
mièrement donc l'âme se méprend lorsque nous déjà parlé, qui vient d'une trop foible représenta
comparons le plaisir ou la douleur présente avec tion de l'avenir, qu'on ne considère que peu ou
un plaisir et une douleur à venir, que nous mesu point du tout. Au reste on pourroit peut-être di
rons par la différente distance, où elles se trouvent stinguer ici entre mauvais goût et faux jugement,
à notre égard; semblables à un héritier prodigue, car souvent on ne met pas même en question si le
qui pour la possession présente de peu de chose bien à venir doit être préféré, et on n'agit que par
renonceroit à un grand héritage, qui ne lui pour- impression sans s'aviser de venir à l'examen. Mais
roit manquer. Chacun doit reconnoitre ce faux ju lorsqu'on y pense, il arrive l'un des deux, ou qu'on
gement, car l'avenir deviendra présent, et aura ne continue pas assez d'y penser, et qu'on passe
alors le même avantage de la proximité. Si dans outre, sans pousser la question, qu'on a entamée;
le moment, que l'homme prend le verre en main, ou qu'on poursuit l'examen et qu'on forme une
' le plaisir de boire étoit accompagné des douleurs conclusion. Et quelques fois dans l'un et dans
de tête et des maux d'estomac, qui lui arriveront en l'autre cas il demeure un remords plus ou moins
peu d'heures, il ne voudroit pas goûter du via do grand: quelques fois aussi il n'y a point du tout
bout des lèvres. Si une petite différence de teins de formido oppositi ou de scrupuleux, soit
fait tant d'illusion, à bien plus forte raison une que l'esprit se détourne tout à fait, ou qu'il soit
plus grande distance fera le même effet. abusé par des préjugés. .
TH. 11 y a quelque convenance ici entre la di §. 29. PH. L'étroite capacité de notre esprit n
stance des lieux et celle des tems. Mais il y a cette est la cause des faux jugemens, que nous faisons 7
différence aussi, que les objets visibles diminuent en comparant les biens ou les maux. Nous ne sau- /
leur action sur la vue à peu près à proportion de rions bien jouir de deux plaisirs à la fois, et moins
la distance et il n'en est pas de même à l'égard encore pouvons nous jouir d'aucun plaisir dans le
des objets à venir, qui agissent sur l'imagination tems, que nous sommes obsédés par la douleur.
et l'esprit. Les rayons visibles sont des lignes Un jieu d'amertume, mêlée dans la coupe, nous em
droites, qui s'éloignent proportionnellement, mais pêche d'en goûter la douceur. Le mal, qu'on sent
il y a des lignes courbes, qui après quelque di actuellement, est toujours le plus rude de tous;
stance paraissent tomber dans la droite et ne s'en on s'écrie: Ah! toute autre douleur plutôt que
éloignent plus sensiblement, c'est ainsi que font les celle ci!
asymptotes, dont l'intervalle apparent de la ligne TH. Il y a bien de la variété en tout cela se
droite disparoit, quoique dans la vérité des choses lon le tempérament des hommes, selon la force de
elles en demeurent séparées éternellement. Nous ce qu'on sent et selon les habitudes qu'on a prises.
trouvons même qu'enfin l'apparence des objets Un homme, qui a la goutte, pourra être dans la
ne diminue point à proportion de l'accroisse I joie parcequ'il lui arrive une grand fortune, et un
ment de la distance, car l'apparence disparoît | homme qui nage clans les délices et qui pourroit
entièrement, quoique l'éloignement ne soit point ! vivre à son aise sur ses terres, est plongé dans la
infini. C'est ainsi qu'une petite distance des \ tristesse à cause d'une disgrâce à la cour. C'est
tems nous dérobe entièrement l'avenir, tout comme j que la joie et la tristesse viennent du résultat ou
si l'objet étoit disparu. 11 n'en reste souvent que de la prévalence des plaisire ou des douleurs, quand
le nom dans l'esprit et cette espèce de pensées, il y a du mélange. Léandre méprisoit l'incommo
dont j'ai déjà parlé, qui sont sourdes et incapables dité et le danger de passer la mer à la nage la
de toucher, si on n'y a pourvu par méthode et par nuit, poussé par les attraits de la belle Héro. Il y
habitude. a des gens, qui ne sauroient boire ni manger, ou
34
266 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL
beaucoup de douleur, à cause de quoique infirmité vailler à leur perfection malgré les plaisirs présens,
ou incommodité ; et cependant ils satisfont ces ap qui en détournent.
pétits au delà même du nécessaire et des justes §. 66. PH. Pour ce qui est des choses bonnes
bornes. D'autres ont tant de mollesse, ou sont si ou mauvaises dans leurs conséquences et par l'apti
délicats qu'ils rebutent les plaisirs avec lesquels tude, qu'elles ont à nous procurer du bien on du
quelque douleur, dégoût, ou quelqu'incommodité se mal , nous en jugeons eu différentes manières, ou
mêle. Il y a des personnes, qui se mettent fort au- lorsque nous jugeons qu'elles ne sont pas capables
dessus des douleurs ou des plaisirs présens et mé de nous faire réellement autant de mal, qu'elles
diocres et qui n'agissent presque que par crainte et font effectivement, on lorsque nous jugeons que
par espérance. D'autres sont si efféminés, qu'ils bien que la conséquence soit importante, la chose
se plaignent de la moindre incommodité ou courent n'est pas si assurée qu'elle ne puisse arriver autre
après le moindre plaisir sensible et présent, sem ment, ou du moins qu'on ne puisse l'éviter par
blables presqu'à des enfans. Ce sont ces gens, à qui quelques moyens comme par l'industrie , par l'a
la douleur ou la volupté présente, paraît toujours dresse, par un changement de conduite, par la re-
la plus grande; ils sont comme des prédicateurs ou pentance.
panégyristes peu judicieux, chez qui selon le pro TH. Il me semble que si par l'importance de
verbe, le saint du jour est toujours le plus la conséquence on entend celle du conséquent, c'est
grand saint du paradis. Cependant quelque à dire la grandeur du bien ou du mal, qui peut
variété que se trouve parmi les hommes, il est tou suivre, on doit tomber dans l'espèce précédente de
jours vrai qu'ils n'agissent que suivant les percep faux jugement, où le bien ou mal à venir est mal
tions présentes, et lorsque l'aveuir les touchn, c'est représenté. Ainsi il ne reste que la seconde espèce
ou par l'image qu'ils en ont, ou par la résolution de faux jugement, dont il s'agit présentement, sa
et l'habitude, qu'ils ont prise d'en suivre jusqu'au
voir celle où la conséquence est mise eu doute.
simple nom ou autre caractère arbitraire, sans en
avoir aucune image ni signe naturel, parceque ce PH. Il seroit aisé de montrer en détail que les
ne seroit pas sans inquiétude et quelque fois sans échappatoires, que je viens de toucher, sont tout
quelque sentiment de chagrin, qu'ils s'opposeraient autant de jugemens déraisonnables mais je me con
à une forte résolution déjà prise et surtout à une tenterai de remarquer en général, que c'est agir di
habitude. rectement contre la raison que de hazarder un plus
grand bien pour un plus petit, (ou de s'opposer à
§.65. PH. Les hommes ont assez de penchant la misère, pour acquérir un petit bien et pour évi
à diminuer le plaisir a venir et à conclure en eux ter un petit mal , ) et cela sur des conjectures in
mêmes, que quand on viendrait à l'épreuve, il ne certaines et avant que d'être entré das un juste
répondroit peut-être pas à l'espérance, qu'on en examen.
donne, ni à l'opinion qu'on en a généralement; TH. Comme ce sont deux considérations hété
ayant souvent trouvé par leur propre expérience rogènes (ou qu'on ne saurait comparer ensemble)
que non seulement les plaisirs, que d'autres ont que celle de la grandeur de la conséquence et celle
exaltés, leur ont para fort insipides mais que ce de la grandeur du conséquent, les moralistes en les
qui leur à causé à eux mêmes beaucoup de plaisir voulant comparer se sont assez embrouillés, comme
dans un teins, les a choqué et leur a déplu dans il paraît par ceux, qui ont traité de la probabilité.
une autre. La vérité est, qu'ici comme en d'autres estimes
TH. Ce sont les raisonnemens des voluptueux disparates et hétérogènes et pour ainsi dire
principalement, mais on trouve ordinairement, que de plus d'une dimension, la grandeur de ce, dont il
les ambitieux et les avares jugent tout autrement s'agit, est en raison composée de l'une et l'autre
des honneurs et des richesses, quoiqu'ils ne jouis estimation, et comme un rectangle, où il y a deux
sent que médiocrement et souvent même bien peu j considérations, savoir celle de la longueur et celle
de ces mêmes biens quand ils les possèdent, étant I de la largeur; et quant à la grandeur de la consé
toujours occupés à aller plus loin. Je trouve que j quence et les dégrés de probabilité, nous manquons
c'est une belle invention de la nature Architecte, | encore de cette partie de la Logique, qui les doit
d'avoir rendu les hommes si sensibles à ce qui tou- j faire estimer et la plupart des Casuistes, qui ont
che si peu les sens, et s'ils ne pouvoient point de- ' écrit sur la probabilité, n'en ont pas même
venir ambitieux ou avares , il seroit difficile dans compris la nature, la fondant sur l'autorité
l'état présent de la nature humaine, qu'ils pussent '. avec Aristote, au lieu de la fonder sur la vraisem
devenir assez vertueux et raisonnables, pour tra blance comme ils devraient, l'autorité n'étant
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II. 267
qu'une partie des raisous, qui finit la vraisem cela, pour pousser jusqu'à la conclusion. Enfin il
blance. faut une ferme et constante résolution pour exécu
§.67. PH. Voici quelques unes des causes ter ce qui a été conclu; et des adresses, des mé
ordinaires de ce faux jugement. La première est thodes, des loix particulières et des habitudes tou
l'ignorance, la seconde est l'inadvertance, quand un tes formées pour la maintenir dans la suite, lors
homme ne fait aucune réflexion sur cela môme, que les considérations, qui l'ont fait prendre, ne
dont ils est instruit. C'est une ignorance affectée sont plus présentes à l'esprit. Il est vrai, que,
et présente, qui séduit le jugement aussi bien que grâce à Dieu, dans ce qui importe le plus et qui
la volonté. regarde snmmam rerum, le bonheur et la mi
T H. Elle est toujours présente, mais elle n'est sère, on n'a pas besoin de tant de connoissauees..
pas toujours affectée; car on ne s'avise pas tou d'aides et d'adresses, qu'il en faudroit avoir pour
jours de penser quand il faut à ce qu'on sait et bien juger dans un conseil d'état ou de guerre,
dont on devroit se rappeller la mémoire, si on dans un tribunal de justice, dans une consultation
en étoit le maître. L'ignorance affectée est tou de médecine, dans quelque controverse de Théolo
jours mêlée de quelque advertance dans le tems gie ou. d'Historié, ou dans quelque point do Mathé
qu'on l'affecte; il est vrai que dans la suite il matique et de Mécanique : mais en récompense, il
peut y avoir de l'inadvertance ordinairement. faut plus de fermeté et d'habitude, dans ce qui re
L'art de s'aviser au besoin de ce qu'on sait, se- garde ce grand point de la félicité et de la vertu,
roit un des plus importans, s'il étoit inventé? mais pour prendre toujours des bonnes résolutions et
jt ne vois pas que les hommes aient encore pour les suivre. En un mot pour le vrai bonheur
pensé jusqu'ici à en former les élémens, car l'art moins de connoissance suffit avec plus de bonne
de la mémoire, dont tant d'auteurs ont écrit, est volonté: de sorte que le plus grand idiot y peut
tout autre chose. parvenir aussi aisément que le plus docte et le plus
PH. Si donc on assemble confusément et à la habile.
hâte les raisons de l'un des côtés, et qu'on laisse PH. L'on voit donc, que l'entendement sans li
échaper par négligence plusieurs sommes, qui doi berté ne seroit d'aucun usage, et que la liberté
vent faire partie du compte, cette précipitation ne sans entendement ne signiferoit rien. Si un homme
produit pas moins de faux jugcmens que si c'étoit pouvoit voir ce qui peut lui faire du bien on du
une parfaite ignorance. mal, sans qu'il fût capable de faire un pas pour
TH. En effet il faut bien de choses pour se s'avancer vers l'un, ou pour s éloigner de l'autre,
prendre comme il faut, lorsqu'il s'agit de la balance en seroit il mieux pour avoir l'usage de la vue? Il
des raisons ; et c'est à peu près comme dans les li en seroit même plus misérable, car il languiroit
vres de compte des marchands. Car il n'y faut né inutilement après le bien, et craindrait le mal, qu'il
gliger aucune somme, il faut bien estimer chaque verroit inévitable; et celui, qui est en liberté de
somme à part, il faut les bien arranger, et 11 faut courir cà et là au milieu d'une parfaite obscurité, en
enfin en faire une collection exacte. Mais on y quoi est il mieux, que s'il étoit ballotté au gré du
néglige plusieurs chefs, soit en ne s'avisant pas d'y vent?
penser, soit en passant légèrement là-dessus; et on TH. Son caprice seroit un peu plus satisfait,
ne donne point à chacun sa juste valeur, semblable cependant il n'en seroit pas mieux en état de ren
à ce teneur de livres de compte, qui avoit soin de contrer le bien et d'éviter le mal.
bien calculer les colonnes de chaque page, mais qui §. 68. PH. Autre source de faux jugement.
calcnloit très mal les sommes particulières de cha Contents du premier plaisir, qui nous vient sous
que ligne ou poste avant que de les mettre dans la la main, ou que la coutume a rendu agréable, nous
colonne, ce qu'il faisoit pour tromper les réviseurs, ne regardons pas plus loin. C'est donc encore là
qui regardent principalement à ce qui est dans les une occasion aux hommes de mal juger lorsqu'ils
colonnes. Enfin après avoir tout bien marqué, on • ne regardent pas comme nécessaire à leur bonheur,
peut se tromper dans la collection des sommes des ce qui l'est effectivement.
colonnes et même dans la collection finale, où il y TH. Il me semble, que ce faux jugement est
a la somme des sommes. Ainsi il nous faudroit compris sous l'espèce précédente lorsqu'on se trompe
encore l'art de s'aviser et celui d'estimer les pro à l'égard des conséquences.
babilités et de plus la connoissance de la va §. 69. PH. Reste à examiner s'il est au pouvoir
leur des biens et des maux, pour bien em d'un homme de changer l'agrément ou le dés
ployer l'art des conséquences: et il nous faudroit agrément, qui accompagne quelque action particu
encore de l'attention et de la patience après tout lière. Il le peut en plusieurs rencontres. Les hom
34*
268 L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL
peuvent et doivent corriger leur palais et lui faire noissance n'est revenu de l'autre monde. Il y
prendre du goût. On peut changer aussi le goût avoit un terns que sur le même principe on ]x>u-
de l'aine. Un juste examen, la practique, l'appli voit rejetter les Antipodes, lorsqu'on ne vouloit
cation, la coutume feront cet effet. C'est ainsi point joindre les Mathématiques aux notions popu
qu'on s'accoutume au Tabac, que l'usage ou la cou laires; et on le pouvoit avec autant de raison,
tume fait enfin trouver agréable. 11 en est de qu'on en peut avoir maintenant vour rejetter l'au
même à l'égard de la vertu. Les habitudes ont de tre vie, lorsqu'on ne veut point joindre la vraie
grands charmes, et on ne peut s'en départir sans Métaphysique aux notions de l'imagination. Car il
inquiétude. On regardera peut-être comme un pa y a trois dégrés des notions, ou Idées, savoir no
radoxe, que les hommes puissent faire que des cho tions populaires, Mathématiques et -Métaphysiques.
ses ou des actions leur soyent plus ou moins agréa Les premières ne sursoient pour faire croire les An
bles, tant on néglige ce devoir. tipodes; les premières et les secondes ne suffisent
TH. C'est ce que j'ai aussi remarqué ci-dessus, point encore pour faire croire l'autre monde. Il
§. 37. vers la fin, et §. 47. aussi vers la fin. est vrai qu'elles fournissent déjà des conjectures
On peut se faire vouloir quelque chose et se former favorables, mais si les secondes établissoient cer
le goût tainement lus Antipodes avant l'expérience, qu'on
en a maintenant, (je ne parle pas des habitans,
§.70. PH. Ln morale, établie sur de vérita mais de la place au moins, que la connoissance de
bles fondemens, ne peut que déterminer à la vertu ; la rondeur de la terre leur donnoit chez les Géo
il suffit, qu'un bonheur et un malheur infini après graphes et les Astronomes,) les dernières ne don
cette vie soient possibles. Il faut avouer qu'une nent pas moins de certitude sur une autre vie,
bonne vie, jointe à l'attente d'une éternelle félicité dès à présent et avant qu'on y soit allé voir.
possible, est préférable à une mauvaise vie, accom-
§. 72. PH. Maintenant revenons à la puis
]>agnée de la crainte d'une affreuse misère, ou pour
sance, qui est proprement le sujet général de ce
le moins de l'épouventable et incertaine espérance
chapitre, la liberté n'en étant qu'une espèce mais
d'être anéanti. Tout cela est de la dernière évi
des plus considérables. Pour avoir des Idées plus
dence, quand même des gens de bien u'auroient que
distinctes de la puissance, il ne sera ni hors de
des maux à essuyer dans ce monde, et que les mé
propos ni inutile de prendre une plus exacte con
dians y goûteroient une perj>étuelle félicité, ce qui
noissance de ce qu'on nomme action. J'ai dit an
pour l'ordinaire est tout autrement. Car à bien
commencement de notre discours sur la puissance,
considérer toutes choses, ils ont, je crois, la plus
mauvaise part même dans cette vie. qu'il n'y a que deux sortes d'actions, dont nous
avons quelque Idée, savoir le mouvement et la
TH. Ainsi quand il n'y auroit rien au delà du pensée.
tombeau, une vie Epicurienne ne seroit point la plus Th. Je croirois qu'on pourroit se servir d'un
raisonnable. Et je suis bien aise, Monsieur, que mot plus général que de celui de pensée, savoir
vous rectifiez, ce que vous aviez dit de contraire ci- de celui de perception, en n'attribuant la pen
dessus. §. 55. sée qu'aux esprits, au lieu que la perception appar
PH. Qui pourrait être assez fou, pour se ré tient à tontes les Eutéléchies. Mais je ne veux
soudre en soi même, (s'il y pense bien), de s'ex pourtant contester à personne la liberté de prendre
poser à un danger possible, d'être infiniment mal le terme de pensée dans la même généralité. Et moi
heureux, ensorte qu'il n'y ait rien A gagner pour même je l'aurai peut-être fait quelque fois sans y
lui que le pur néant; au lieu de se mettre dans l'é prendre garde.
tat de l'homme de bien, qui n'a à craindre que le P H. Or quoiqu'on donne à ces deux choses le
nraat . et qui a une éternelle félicité à espérer. J'ai nom d'action, on trouvera pourtant qu'il ne leur
évité de parler de la certitude ou de la probabilité convient pas toujours parfaitement et qu'il y a des
de l'état à venir parceque je n'ai d'autre dessein exemples, qu'on reconnoitra plutôt pour des pas
en cet endroit, que de montrer le faux jugement, sions. Car dans ces exemples la Substance, en
dont chacun se doit reconnoitre coupable selon ses qui se trouve le mouvement ou la pensée, re
propres principes. çoit purement de dehors l'impression, par laquelle
TH. Les ffléchans sont fort portés à croire, que l'action lui est communiquée et elle n'agit que par
l'autre vie est impossible. Mais ils n'en ont point de la seule capacité, qu'elle a de recevoir cette im
raison que celle qu'il faut se borner à ce qu'on ap pression, ce qui n'est qu'une puissance pas
prend par les sens, et que personne de Jeur con- sive. Quelques fois la Substance ou l'ageut se
LIX. NOUVEAUX ESSALS. LIV. II. 2ri9
met en action par sa propre puissance, et c'est là celle d'un miroir vivant; mais le pouvoir, que
proprement une puissance active. i nous avons, de rappeller des Idées absentes à notre
Th. J'ai dit déjà que dans la rigueur métaphy choix et de comparer ensemble celles, que nous ju-
sique, prenant Faction pour ce qui arrive à la Sub i geons à propos, est véritablement un pouvoir
stance gpontainement et de son propre fond, actif.
tont ce qui est proprement une Substance ne fait TH. Cela s'accorde aussi avec les notions que
qu'agir, car tout lui vient d'elle même après je viens de donner, car il y a en cela un passage
Dieu; n'étant point possible, qu'une Substance : à un état plus parfait. Cependant je croirois
créée ait de l'influence sur une autre. Mais, pre qu'il y a aussi de l'action dans les sensations, eu
nant action pour un exercice de la perfection : tant qu'elles nous donnent des perceptions plus di
et la passion pour le contraire il n'y a de l'ac stinguées et l'occasion par conséquent de faire des
tion dans les véritables Substances, que lorsque remarques et pour ainsi dire de nous développer.
leur perception (car j'en donne à toutes) se déve §. 73. PH. Maintenant je crois qu'il paroit
loppe et devient plus distincte, comme il n'y a de qu'on pourra réduire les Idées primitives et origi
passion que lorsqu'elle devient plus confuse; en nales à ce petit nombre: l'étendue, la soli
sorte que dans les Substances, capables de plaisir dité, la mobilité (c'est à dire puissance pas
et de douleur, toute action est un acheminement sive, ou bien capacité, d'être mu) qui nous vien
au plaisir, et toute passion un acheminement à la nent dans l'esprit par voie de réflexion , et enfin
douleur. Quant au mouvement ce n'est qu'un phé l'existence, la durée et le nombre, qui
nomène réel, parce que la matière et la masse, à nous viennent par les deux voies de sensation et
laquelle appartient le mouvement, n'est pas à pro de réflexion; car par ces Idées là nous punirions
prement parler une Substance. Cependant il y a expliquer, si je ne me tromiKs, la nature des cou
qne image de l'action dans le mouvement, comme leurs, des sons, des goûts, des odeurs, et de toutes
il y a une image de l'action dans le mouvement, les autres Idées, que nous avons, si nos facultés
comme il y a une image de la Substance dans la étoient assez subtiles pour appercevoir les diffé-
masse; et à cet égard on peut dire que le corps rens mouvemens des petits corps, qui produisent
agit, quand il y a de la spontanéité dans son ces sensations.
changement et qu'il pâtit quand il est poussé ou TH. A dire la vérité, je crois que ces Idées,
empêché par un autre; comme dans la véritable ac qu'on appelle ici originales et primitives, ne le sont
tion ou passion d'une véritable Substance on peut ; pas entièrement pour la plupart, étant suscepti
prendre pour son action, qu'on lui attribuera à bles à mon avis d'une résolution ultérieure: cepen
elle même, le changement par où elle tend à sa dant je ne Vous blâme point, Monsieur, de Vous y
perfection. Et de même on peut prendre pour être borné, et de n'avoir point poussé l'Analyse
passion et attribuer à une cause étrangère le plus loin. D'ailleurs si c'est vrai, que le nombre
changement, par où il lui arrive le contraire; quoi en pourroit être diminué par ce moyen, je crois
que cette cause ne soit point immédiate, parce que qu'il pourroit être augmenté en y ajoutant d'autres
dans le premier cas la Substance même et dans le Idées plus originales ou autant. Pour ce qui est
second les choses étrangères servent à expliquer ce de leur arraugement je croirois, suivant l'ordre de
changement d'une manière intelligible. Je ne l'Analyse, l'existence antérieure aux autres, le nom
donne aux corps qu'une image de la Substance bre à l'étendue, la durée à la motivité ou mo-
et de l'action, parceque ce qui est composé de bilité; quoique cet ordre analytique ne soit pas or
parties ne saurait passer à parler exactement pour dinairement celui des occasions, qui nous y font
une Substance non plus qu'un troupeau; cepen penser. Les sens nous fournissent la matière
dant on peut dire qu'il y a là quelque chose de aux réflexions et nous ne penserions pas mê-
substantiel, dont l'unité, qui en fait comme un 1 me à la pensée, si nous ne pensions à quelque
Etre, vient de la pensée. | autre chose, c'est à dire aux particularités, que les
PH. J'avois cru que la puissance de recevoir sens fournissent. Et je suis persuadé que les âmes
des Idées ou des pensées par l'oi>ération de quelque et les esprits créés ne sont jamais sans organes et
Substance étrangère s'appelloit puissance de pen jamais sans sensations, comme ils ne sauroient rai
ser, quoique dans le fond ce ne soit qu'une puis sonner sans caractères. Ceux qui ont voulu sou
sance passive ou une simple capacité faisant tenir une entière séparation et des manières de.
abstraction des réflexions et des changemens inter penser clans l'âme séparée, inexplicables par tout
nes, qui accompagnent toujours l'image reçue, car ce que nous connoissons, et éloignées non seulement
l'expression, qui est dans l'âme, est comme seroit de nos présentes expériences, niais, ce qui est biea
270 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
plus, de l'ordre général des choses, ont donné trop Idées simples. Pour ce qui est du mot notion,
de prise aux prétendus. esprits forts et ont rendu plusieurs l'appliquent à toutes sortes d'idées ou
suspectes à bien des gens les plus belles et les plus conceptions, aux originales aussi bien qu'aux dé
grandes vérités, s'étant même privés par là de quel rivées.
ques bons moyens de les prouver, que cet ordre §.4. PH. La marque de plusieurs Idées dans
nous fournit. une seule combinée est le nom.
TH. Cela s'entend, si elles peuvent être com
binées, en quoi on manque souvent.
PH. Le crime de tuer un vieillard, n'ayant point
CHAPITRE XXII. de nom comme le parricide, on ne regarde pas le
Des Modes Mixtes. premier comme une Idée complexe.
TH. La raison, qui fait, que le meurtre d'un
§. 1. PH. Passons aux Modes Mixtes. Je viilliard n'a point de nom, est que les loix n y ayant
les distingue des Modes plus simples, qui ne point attaché une punition particulière ce nom se-
sont composés que d'Idées simples de la même roit peu utile. Cependant les Idées ne dépendent
espèce. D'ailleurs les modes mixtes sont cer point des noms. Un auteur moraliste , qui en in-
taines combinaisons d'Idées simples, qu'on ne re venteroit un pour le crime et traiteroit dans un cha
garde pas comme des marques caractéristiques pitre exprès de la Gérontophonie, montrant co
d'aucun Etre réel, qui ait une existence fixe, mais qu'on doit aux vielliards, et combien c'est une action
comme des Idées détachées et indépendantes, que barbare de ne les point épargner, ne nous donne-
l'esprit joint ensemble; et elles sont par là distin roit point une nouvelle Idée pour cela.
guées des Idées complexes des Substances. §. 6. PH. Il est toujours vrai, que les moeurs
TH. Pour bien entendre ceci, il faut rappeller et les usages d'une nation, faisant des combinaisons
nos divisions précédentes. Selon Vous les Idées qui lui sont familières, cela fait que chaque langue
sont simples ou complexes. Les complexes sont a des termes particuliers , et qu'on ne saurait tou
ou des Substances, ou des modes, ou des rela jours faire des traductions mot à mot. Ainsi l'o
tions. Les modes sont ou simples (composés stracisme parmi les Grecs et la proscription
d'Idées simples de la même espèce) ou mixtes. parmi les Romains étoient des mots, que les autres
Ainsi selon Vous il y a des Idées simples, des langues ne peuvent exprimer par des mots équiva-
Idées des modes, tant simples que mixtes, des lens. C'est pourquoi le changement des coutumes
Idées des Substances et des Idées des relations. fait aussi de nouveaux mots.
On pourroit peut-être diviser les termes ou les ob TH. Le hazard y a aussi sa part, car les Fran
jets des Idées en abstraits et concrets; les ab çois se servent des chevaux autant que d'autres peu
straits en absolus et en ceux qui expriment les re ples voisins : cependant ayant abandonné leur vieux
lations; les absolus en attributs et en modifica mot, qui répondoit au ça val car des Italiens, ils
tions; les uns et les autres en simples et compo sont réduits à dire par périphrase: aller à
sés ; les concrets en Substances et en choses sub chevaL
stantielles, composées ou résultantes des substances §. 9. PH. Nous acquérons les Idées des modes
vraies et simples. mixtes par l'observation, comme lorsqu'on voit lut
§. 2. PH. L'esprit est purement passif à l'é ter deux hommes ; nous les acquérons aussi par in
gard de ses Idées simples, qu'il reçoit selon que la vention (ou assemblage volontaire d'idées
Sensation et la réflexion les lui présentent. Mais simples) ainsi celui qui inventa l'imprimerie en
il agit souvent par lui même à l'égard des modes avoit l'idée avant que cet art existât. Nous les ac
mixtes, car il peut combiner les Idées simples en quérons enfin par l'explication des termes, affectés
faisant des Idées complexes sans considérer si elles aux actions, qu'on n'a jamais vues.
existent ainsi réunies dans la nature. C'est pour TH. On peut encore les acquérir en songeant
quoi on donne à ces sortes d'Idées le nom de ou rêvant sans que la combinaison soit volontaire,
notion. par exemple quand on voit en songe des palais d'or,
TH. Mais la réflexion, qui fait penser aux sans y avoir pensé auparavant.
Idées simples, est souvent volontaire aussi, et de §. 10. PH. Les Idées simples, qui ont été le
plus les combinaisons, que la nature n'a point fai plus modifiées, sont celles de la pensée, du mou
tes, se peuvent faire en nous comme d'elles mêmes vement et de la puissance, d'où l'on conçoit que
dans les songes et les rêveries, par la seule mé les actions découlent; car la grande affaire du genre
moire, sans que l'esprit y agisse plus que dans les humain consiste dans l'action. Toutes les actions
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. IIV. IL 271
sont pensées ou mouvemens. La puissance ou l'apti puissance dans le chapitre précédent; car elle ren
tude de faire une chose, qui se trouve dans un hom ferme encore la tendance , comme j'ai déjà remar
me, constitue l'Idée, que nous mm niions habitude, qué plus d'une fois. C'est pourquoi dans ce sens,
lorsqu'on a acquis cette puissance en faisant sou j'ai coutume de lui affecter le terme d'Entélé-
vent la même chose ; et quand on peut la réduire chie, qui est ou primitive et répond à l'âme prise
en acte à chaque occasion, qui se présente, nous pour quelque chose d'abstrait, ou dérivative, telle
l'appelions disposition. Ainsi la tendresse qu'on conçoit dans le conatus et dans la vigueur et
est une disposition à l'amitié ou à l'amour. impétuosité. Le terme de cause n'est entendu ici,
TH. Par tendresse vous entendez, je crois, que de la cause efficiente; mais on l'entend en
ici le cœur tendre, mais ailleurs il me semble qu'on core de la finale ou du motif, pour ne point par
considère la tendresse comme une qualité, qu'on ler ici de la matière et de la forme, qu'on appelle
a en aimant, qui rend l'amant fort sensible aux encore causes dans les écoles. Je ne sais, si l'on
Liens et maux de l'objet aimé, c'est à quoi me pa- peut dire que le même Etre est appelle action dans
roit aller la carte du tendre dans l'excellent Roman l'agent et passion dans le patient et se trouve ainsi
de la délie. Et comme les personnes charitables en deux sujets à la fois comme le rapport, et s'il
aiment leur prochain avec quelque degré de ten ne vaut mieux de dire que ce sont deux Etres, l'un
dresse, elles sont sensibles aux biens et aux maux dans l'agent, l'autre dans le patient.
d'autrui; et généralement ceux, qui ont le coeur PH. Plusieurs mots, qui semblent exprimer
tendre, ont quelque disposition à aimer avec ten quelque action, ne signifient que la cause et l'ef
dresse. fet; comme la création et l'annihilation ne renfer
PH. La hardiesse est la puissance de faire ou de ment aucune Idée de l'action ou de la manière, mais
dire devant les autres ce qu'on veut sans se décon simplement de la cause et de la chose, qui est
tenancer; confiance qui par rapport à cette dernière produite.
partie, qui regarde le discours, avoit un nom par TH. J'avoue qu'en pensant à le création, on ne
ticulier parmi les Grecs. conçoit point une manière d'agir, capable de quelque
TH. On feroit bien d'affecter un mot à cette détail, qui ne sauroit même y avoir lieu; mais
notion, qu'on attribue ici à celui de hardiesse, puisqu'on exprime quelque chose de plus que Dieu
mais qu'on emploie souvent tout autrement, comme et le monde, (car on pense que Dieu est la cause et
lorsqu'on disoit Charles le Hardie. N'être point dé le monde l'effet, ou bien que Dieu a produit le
contenancé c'est une force d'esprit, mais dont les monde), il est manifeste qu'on pense encore à
méchans abusent quand ils sont devenus jusqu'à l'action.
l'impudence ; comme la honte est une foiblesse, mais
qui est excusable et même louable dans certaines
circonstances. Quant à la parrhésie, que Vous
entendez peut-être par le mot Grec, on l'attribue CHAPITRE XXIII.
encore aux écrivains, qui disent la vérité sans crainte, De nos Idées complexes des Substances.
quoique alors ne parlant pas devant les gens ils n'a-
yent point sujet d'être décontenancés. §. 1. PH. L'esprit remarque, qu'un certain
§. 11. PH. Comme la puissance est la source nombre d'Idées simples vont constamment en
d'où procèdent toutes les actions, on donne le nom semble, qui, étant regardées comme apartenantes
de cause aux substances où ces puissances résident, à une seule chose, sont désignées par un seul nom,
lorsqu'elles réduisent leur puissance en acte; et lorsqu'elles sont ainsi réunies dans un seul
on nomme effets les Substances produites par ce sujet ... De là vient que quoique ce soit véri
moyen, ou plutôt les Idées simples, (c'est à dire tablement un amas de plusieurs Idées jointes en
les objets des Idées simples,) qui par l'exercice semble, dans la suite nous sommes portés par in
de la puissance sont introduites dans un sujet. advertance à en parler comme d'une seule Idée
Ainsi l'efficace, par laquelle une nouvelle Sub simple.
stance ou Idée (qualité) est produite, est nommée TH. Je ne vois rien dans les expressions reçues,
action clans le sujet qui exerce ce pouvoir, et on qui mérite d'être taxé d'inadvertance; et quoi
la nomme passion dans le sujet, où quelque Idée qu'on reconnoisse un seul sujet et une seule Idée,
(qualité) simple est altérée ou produite. on ne reconnoit pas une seule Idée simple.
TH. Si la puissance est prise pour la source PH. Ne pouvant imaginer, comment ces Idées
de l'action , elle dit quelque chose de plus qu'une simples peuvent subsister par elles mêmes, nous
aptitude ou facilité, par laquelle on a expliqué la nous accoutumons à supposer quelqne chose, qui
272 L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. H.
les soutienne (substratum) où elles subsistent cevant séparément le sujet et ses qualités ou acci-
et d'où elles résultent, à qui pour cet effet on donne dens. On pourroit appliquer la même préteudue
le nom de Substance. difficulté h la notion de l'Etre et à tout ce qu'il
PH. Je crois, qu'on a raison de penser ainsi, et y a de plus clair et de plus primitif; car on pourra
nous n'avons que faire de nous y accoutumer ou de demander aux Philosophes, ce qu'ils conçoivent en
le supposer, puisque d'abord nous concevons plu concevant le pur Etre en général; car tout dé
sieurs prédicats d'un même sujet, et ces mots mé tail étant exclu par là, on aura aussi peu à dire,
taphoriques de soutien ou de Substratum ne que lorsqu'on demande ce que c'est que la pure
signifient que cela; de sorte que je ne vois point Substance eu général. Ainsi je crois, que les
pourquoi on s'y fasse de la difficulté. An contraire Philosophes ne méritent pas d'être raillés, comme
c'est plutôt le concretum comme savant, chaud, on fait ici, en les comparant avec un Philosophe
luisant, qui nous vient dans l'esprit, que les ab Indien, qu'on interrogea sur ce qui soutenoit la terre,
stractions ou qualités (car ce sont elles, qui à quoi il répondit que c'étoit un grand Eléphant ;
sont daus l'objet substantiel et non pas les Idées) et puis quand on demanda ce qui soutenoit l'Elé-
comme savoir chaleur, lumière etc. qui sont bien phant, il dit que c'étoit une grande tortue, et enfin,
plus difficiles à comprendre. On peut même dou quand on le pressa de dire sur quoi la tortue s'ap-
ter si ces Accidens sont des Etres véritables, comme pnioit, il fut réduit à dire que c'étoit quelque
en effet ce ne sont bien souvent que des rapports. chose, un je ne sais quoi. Cependant cette
L'on sait aussi que ce sont les abstractions, qui considération de la Substance, toute mince qu'elle
font naître le plus de difficultés, quand on les veut paroit, n'est pas si vuide et si stérile qu'on pense.
éplucher, comme savent ceux qui sont informés des Il en naît plusieurs conséquences des plus impor
subtilités des Scolastiques, dont ce qu'il y a de plus tantes de la Philosophie et qui sont capables de lui
épineux tombe tout d'un coup si l'on veut bannir donner une nouvelle face.
les Etres abstraits et se résout à ne parler ordinai §.4. PH. Nous n'avons aucune Idée claire de
rement que par concrets et de n'admettre d'autres la Substance en général, et §. 5. nous avons une
termes dans les démonstrations des sciences, que Idée aussi claire de l'esprit que du corps ; car l'Idée
ceux qui représentent des sujets substantiels. Ainsi d'une Substance corporelle dans la matière est aussi
c'est nodum quaerere in scirpo si je l'ose éloignée de DOS conceptions, que celle de la Sub
dire et renverser les choses que de prendre les qua stance spirituelle. C'est à peu près comme disoit
lités ou autres termes abstraits pour ce qu'il y a de le Promoteur à ce jeune Docteur en Droit , qui lui
plus aisé et les concrets pour quelque chose de fort crioit dans la solennité de dire utriusque, Vous
difficile. avez raison Monsieur, car vous en savez autant
§.2 PH. On n'a point d'autre notion de la dans l'un que dans l'autre.
pure Substance eu général, que de je ne sais quel
sujet, qui lui est tout à fait inconnu et qu'on sup TH. Pour moi, je crois, que cette opinion de
pose être le soutien des qualités. Nous parlons notre ignorance vient de ce qu'on demande une ma
comme des enfans, à qui l'on n'a pas plutôt de nière de connoissance, que l'objet ne souffre point.
mandé ce que c'est qu'une telle chose, qui leur est La vraie marque d'une notion claire et distincte
inconnue, qu'ils font cette réponse fort satisfaisante d'un objet est le moyen, qu'on a, d'en connoître
à leur gré que c'est quelque chose, mais qui, beaucoup de vérités par des preuves à priori,
employée de cette manière, signifie, qu'ils ne sa comme j'ai montré dans un discours sur les -vé
vent ce que c'est. rités et les Idées, mis dans les Actes de Leipzig
TH. En distinguant deux choses dans la Sub l'an 1684.
stance, les attributs ou prédicats et le sujet com §. 12. PH. Si nos sens étoient assez pénétrans,
mun de ces prédicats, ce n'est pas merveille, qu'on les qualités sensibles, par exemple la couleur jaune
ne peut rien concevoir de particulier dans ce sujet. de l'or, disparoîtroient, et au lieu de cela DOUS ver
Il le faut bien, puisqu'on a déjà séparé tous les rions une certaine admirable contexture des parties.
attributs, où l'on pourroit concevoir quelque détail. C'est ce qui paroît évidemment par les Microscopes.
Ainsi demander quelque chose de plus dans ce pur Cette présente connoissance convient à l'état, où
sujet en général, que ce qu'il faut pour conce nous nous trouvons. Une connoissance parfaite des
voir que c'est la même chose (p. e. qui entend et choses, qui nous environnent, est peut-être au-des
qui veut, qui imagine et qui raisonne) c'est de sus de la portée de tout Etre fini. Nos facultés suf
mander l'impossible et contrevenir à sa propre sup fisent pour nous faire connoître le Créateur et pour
position, qu'on a faite en faisant abstraction et con nous instruire de nos devoirs. Si nos sens deve
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. H. 273
noient beaucoup plus vifc, un tel changement seroit de l'Idée de mouvoir des corps, car suivant mou Sy
incompatible avec notre nature. stème de l'Harmonie préétablie, les corps sont faits
TH. Tout cela est vrai; et j'en ai dit quelque en sorte, qu'étant une fois mis en mouvement, ils
continuent d'eux mômes, selon que l'exigent les
chose ci - dessus. Ce]x?ndant la couleur jaune ne laisse
pas d'être une réalité comme l'arc en ciel, et nous actions de l'esprit. Cette Hypothèse est intelligible,
sommes destinés aparemment à un état bien au des l'autre ne l'est point.
sus de l'état présent et pourrons même aller à l'in P H. Chaque acte de Sensation nous fait égale
fini, car il n'y a pas d'élemens dans la nature cor ment envisager les choses corporelles et spirituelles ;
porelle. S'il y avoit des Atomes , comme l'Auteur car dans le tems, que la vue et l'ouïe me. fait con-
le paroissoit croire clans un autre endroit, la con- noitre qu'il y a quelque Etre corporel hors de moi,
noissance parfaite des corps ne pourroit être au des je sais d'une manière encore plus certaine, qu'il y a
sus de tout Etre fini. Au reste si quelques couleurs au dedans de moi quelque Etre spirituel, qui voit
on qualités disparoîtroient à nos yeux mieux ar et qui entend.
més ou devenus plus pénétrans, il en naîtrait TH. C'est très bien dit et il est très vrai que
apparemment d'autres: et il fandroit un accrois l'existence de l'Esprit est plus certaine que celle
sement nouveau de notre perspicacité pour les faire des objets sensibles.
clisparoitre aussi, ce qui pourroit aller à l'infini §. 19. PH. Les esprits non plus que les corps
comme la division actuelle de la matière y va effec ne sauraient opérer qu'où ils sont et en divers tems
tivement. et diflërens lieux; ainsi je ne puis qu'attribuer le
changement de place à tous les esprits finis.
§. 13. PH. Je ne sais si l'un des grands avan
TH. Je crois que c'est avec raison, le lieu n'é
tages, que quelques Esprits ont sur nous, ne con
tant qu'un ordre des coexistons.
siste point en ce qu'ils peuvent se former à eux
PH. Il ne faut que réfléchir sur la séparation do
mûmes des organes de Sensation, qui conviennent
l'âme et du corps par la mort, pour être convaincu
justement à leur présent dessein.
du mouvement de l'âme.
TH. Nous le faisons aussi en nous formant TH. L'âme pourroit cesser d'opérer dans ce
des Microscopes: mais d'autres créatures pourront corps visible; et si elle pouvoit cesser de penser
aller plus avant. Et si nous pouvions transformer tout à fait, comme l'Auteur l'a soutenu ci-dessus,
nos yeux mêmes, ce que nous faisons effectivement elle pourroit être séparée du coq>s sans être unie
en quelque façon selon que nous voulons voir de à un autre; ainsi sa séparation seroit sans mouve
près ou de loin, il faudrait que nous eussions quel ment. Mais pour moi, je crois qu'elle pense et
que chose de plus propre à nous qu'eux, pour les sent toujours, qu'elle est toujours unie à quelque,
former par son moyen, car il faut au moins que corps, et même qu'elle ne quitte jamais entièrement
tout se fasse mécaniquement, parceque l'esprit ne et tout d'un coup le corps où elle est unie.
saurait opérer immédiatement sur les corps. Au §.21. PH. Que si quelqu'un dit, que les Es
reste je suis aussi d'avis que les Génies apperçoi- prits ne sont pas in loco scd in aliquo ubi, je
vent les choses d'une manière, qui ait quelque rap ne crois pas que maintenant ou fasse beaucoup do
port à la nôtre, quand même ils auraient le plai fond sur cette façon de parler. Mais si quelqu'un s'i
sant avantage, que l'iuiagiiiatif Cyrano attribue à magine qu'elle peut recevoir un sens raisonnable,
quelques Natures animées dans le Soleil, compo je le prie de l'exprimer en langage, commun intelli
sées d'une infinité de petits volatiles, qui en se gible et d'eu tirer après une raison, qui montre que
transportant selon le commendemeut de l'âme do les esprits ne sont pas capables de mouvement.
minante forment toutes sortes de corps. Il n'y a TH. Les Ecoles ont trois sortes d' Ubieté, ou
rien de si merveilleux que le Mécanisme de la Na de manières d'exister quelque part. La première
ture ne soit capable de produire; et je crois que les s'appelle circomscriptive, qu'on attribue aux
savons Pères de l'Eglise ont eu raison d'attribuer corps, qui sont dans l'espace, qui y sont puncta-
des corps aux Anges. tim, ensortu qu'ils sont mesurés selon qu'on peut
§. 5l. PH. Les Idées de penser et de mouvoir assigner des points de la chose située, répondans
le corps, que nous trouvons dans celle de l'Esprit, aux points de l'espace. La seconde est la défini
peuvent être conçues aussi nettement et aussi di tive où l'on peut définir c'est à dire déterminer que
stinctement que celles d'étendue, de solidité et de la chose située est dans un tel espace, sans pouvoir
mobilité, que nous trouvons dans la matière. assigner des points précis ou des lieux propres ex
TH. Pour ce qui est de l'Idée de la pensée, j'y clusivement à ce que y est. C'est ainsi qu'on a jugé
consens. Mais je uc suis pas de cet avis à l'égard que l'âme est dans le corps, ne croyant point qu'il
35
274 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
soit possible d'assigner nn point précis, où soit PH. Ponrce qui est de la cohésion, plusieurs
l'amc, ou quoique chosn de l'âme, sans qu'elle soit l'expliquent par les surfaces, par lesquelles deux
aussi clans quelque autre point. Encore beaucoup corps se touchent, qu'un ambiant (p. e. l'air) presse
d'habiles gens en jugent ainsi. Il est vrai que Mr. l'une contre l'autre. Il est bien vrai que la pression
Descartcs a voulu donner des bornes plus étroites §.24. d'un ambiant peut empêcher qu'on n'éloigne
à l'âme en la logeant proprement dans la glande deux surfaces polies l'une de l'autre par une ligne,
pinéale. Néanmoins il n'a point osé dire, qu'elle qui leur soit ]>erpendiculaire ; mais elle ne saurait
est privativement dans un certain point de cette empêcher qu'on ne les sépare par un mouvement
glande ; ce qui n'étant point il ne gagne rien et c'est parallèle à ces surfaces. C'est pourquoi, s'il n'y
la même chose à cet égard, que quand on lui don- avoit pas d'autre cause de la cohésion des corps,
noit tout le corjw pour prison ou lieu. Je crois que il serait aisé d'en séparer toutes les parties, en
ce qui se dit des aines, se doit dire à i>eu près des les faisant ainsi glisser de côté, en prenant tel
Anges, que le grand Docteur natif d'Aquino a cru plan qu'on voudra, qui coupât quelque masse de
n'être en lieu que par opération, laquelle selon moi matière.
n'est pas immédiate et se réduit à l'harmonie pré TH. Oui sans doute, si toutes les parties plattes,
établie. La troisième Ubieté est la réplétive, appliquées l'une à l'autre, étoient dans un même
qu'on attribue h Dieu, qui remplit tout l'Univers plan , ou dans des plans parallèles : mais cela n'é
encore plus éminemment que les esprits ne sont tant point et ne pouvant être, il est manifeste, qu'en
dans les corps, car il opère immédiatement sur toutes tâchant de faire glisser les unes, on agira tout au
les créatures en les produisant continuellement, au trement sur une infinité d'autres, dont le plan fera
lieu que les esprits finis n'y sauraient exercer au angle au premier; car il faut savoir qu'il y a de la
cune influence ou opération immédiate. Je ne sais, peine à séparer les deux surfaces congruentcs , non
si cette doctrine des écoles mérite d'être tournée en seulement quand la direction du mouvement de sé
ridicule, comme il semble qu'on s'efforce de faire. paration est perpendiculaire, mais encore quand il
Cependant on pourra toujous attribuer une manière est oblique aux surfaces. C'est ainsi qu'on peut ju
de mouvement aux âmes au moins par rapport aux ger qu'il y a des feuilles, appliquées les unes aux
corps, auxquels elles sont unies, ou par rapport à autres en tous sens, dans les corps polyèdres, que
leur manière de perception. la nature forme dans les minières et ailleurs. Ce
§. 23. PH. Si quelqu'un dit, qu'il ne sait point pendant j'avoue que la pression de l'ambiant sur
comment il pense, je répliquerai qu'il ne sait pas des surfaces plattes, appliquées les unes aux autres,
non plus comment les parties solides du corps sont ne suffit pas pour expliquer le fond de tonte la co-
attachées ensemble pour faire un tout étendu. hésion, car on y suppose tacitement, que ces ta
TH. Il y a assez de difficulté dans l'explication bles appliquées l'une contre l'autre ont déjà de la
de la cohésion; mais cette cohésion des parties cohésion.
ne paroît point nécessaire pour faire un tout étendu, §. 27. PH. J'avois cru, que l'étendue du corps
puisqu'on peut dire que la matière parfaitement sub n'est autre chose, que la cohésion des parties
tile et fluide compose nn étendu , sans que les par solides.
ties soient attachées les unes aux autres. Mais, TH. Cela ne me paroit point convenir avec vos
pour dire la vérité, je crois que la fluidité parfaite propres explications précédentes. Ilmesemhlequ'un
ne convient qu'à la matière première, c'est à corps, dans lequel il y a des mouvemens internes,
dire en abstraction et comme une qualité originale, ou dont les parties sont en action de se détacher
de môme que le repos; mais non pas à la matière les unes des autres (comme je crois quo cela se fait
seconde, telle qu'elle se trouve effectivement, re toujours) ne laisse pas d'être étendu. Ainsi la no
vêtue de sos qualités dérivatives, car je crois qu'il tion de l'étendue me paroît toute différente de
n'y a point de masse, qui soit de la dernière sub celle do la cohésion.
tilité, et qu'il y a plus ou moins de liaison par §.28. PH. Une autre Idée, que nous avons
tout, laquelle vient des mouvemens, en tant qu'ils du corps, c'est la puissance de communi
sont conspirans et doivent être troublés par la sé quer le mouvement par impulsion; et une
paration, ce qui ne se peut faire sans quelque vio autre, que nous avons de l'âme, c'est la puis
lence et résistence. Au reste la nature de la per sance de produire du mouvement par la
ception et ensuite de la pensée fournit une notion pensée. L'expérience nous fournit chaque jour
des plus originales. Cependant je crois que la do ces deux Idées d'une manière évidente; mais si nous
ctrine des unités substantielles ou Monades féclair- voulons rechercher plus avant, comment cela se fait,
cira beaucoup. nous nous trouvons également dans les ténèbres.
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II. 275
Car h l'égard de la communication du mouvement, talement séparés de la matière simplement pas
par où un corps perd autant de mouvement, qu'un sive; et que ces autres êtres, qui sont actifs et
autre en reçoit, qui est le cas le plus ordinaire, passifs tout ensemble, participent de l'un et de
nous ne concevons pas là rien autre chose qu'un l'autre.
mouvement, qui passe d'un corps; ce qui est je TH. Ces pensées me reviennent extrêmement
croîs aussi obscur et aussi inconcevable que la ma et donnent tout à fait dans uion sens, pourvu qu'on
nière, dont notre esprit met en mouvement ou ar explique le mot d'Esprit si généralement, qu'il
rête noire corps par la pensée. Il est encore plus comprenne toutes les âmes, ou plutôt (|x>ur parler
mal-aise, d'expliquer l'augmentation du mouve encore plus généralement) toutes les Entéléchies ou
ment par voie d'impulsion, qu'on observe ou qu'on Unités substantielles, qui ont de l'Analogie avec
croit arriver en certaines rencontres. les Esprits.
TH. Je ne m'étonne point si Ton trouve des §.31. PH. Je voudrois bien qu'on me mon
diflicultés insurmontables là, où Ton semble suppo trât dans la notion, que nous avons do l'es
ser une chose aussi inconcevable que le passage prit, quelque chose de plus embrouillé ou qui ap
d'un accident d'un sujet à l'autre : mais je ne vois proche plus de la contradiction, que ce que ren
rien qui nous oblige à une supposition, qui n'est ferme la notion môme du corps, je veux parler de
guères moins étrange que celle des accidens sans la divisibilité à l'infini.
sujet des scolastiques, qu'ils ont pourtant soin de TH. Ce que vous dites encore ici, pour faire
n'attribuer, qu'à l'action miraculeuse de la toute - voir que nous entendons la nature de l'Esprit au
puissance divine, au lieu, qu'ici ce passage seroit tant ou mieux que celle du corps, est très vrai, et
ordinaire. J'en ai déjà dit quelque chose ci-dessus Fromondus, qui a fait un livre exprès de coiupo-
(chap. 21. §. 4.) où j'ai remarqué aussi, qu'il sitionc continui, a eu raison de l'intituler La
n'est point vrai que le corps perde autant do mou byrinthe. Mais cela vient d'une fausse Idée,
vement, qu'il eu donne à un autre; ce qu'on sem qu'on a de la nature corporelle, aussi bien que de
ble concevoir, comme si le mouvement étoit quel l'espace.
que chose de substantiel, et ressembloit a du sel §.33. PH. L'idée de Dieu même nous vient
dissout dans le l'eau, ce qui est en effet la compa connue les autres, l'Idée complexe que nous avons
raison, dont INI. Rohaut, si je ne me trompe, s'est de Dieu étant composée des Idées simples, que
servi. J'ajoute ici que ce n'est pas même le cas nous recevons de la réflexion et que nous étendons
le plus ordinaire, car j'ai démontré ailleurs, par celle que nous avons de l'infini.
que la même quantité de mouvement se conserve TH. Je nie rapporte la -dessus à ce que j'ai dit
seulement lorsque les deux corps, qui se choquent, en plusieurs endroits pour faire voir que toutes ces
vont d'un même côté avant le choc, et vont encore Idées et particulièrement celle de Dieu sont en nous
d'un même coté après le choc. 11 est vrai que les originairement, et que nous ne faisons qu'y prendre
véritables loix du mouvement sont dérivées d'une garde, et que celle de l'infini surtout ne se forme
cause supérieure à la matière. Quant à la puis point par une extension des Idées finies.
sance de produire le mouvement par la §. 37. PH. La plupart des Idées simples, qui
pensée, je ne crois pas que nous en ayons au composent nos Idées complexes des Substances, ne
cune idée comme nous n'en avons aucune expé sont à les bien considérer que des puissances,
rience. Les Cartésiens avouent eux mêmes que quelque pencliant que nous ayons à les prendre
les âmes ne sauroient donner une force nouvelle à pour des qualités positives.
la matière, mais ils prétendent qu'elles lui donnent TH. Je pense que les puissances, qui ne
une nouvelle détermination ou direction de la force, sont point essentielles à la Substance et qui renfer
qu'elle a déjà. Pour moi je soutiens, que les âmes ment non pas une aptitude seulement, mais en
ne changent rien dans la force ni dans la direction core une certaine tendance, sont justement ce
des corps; que l'un seroit aussi inconcevable et qu'on entend ou doit entendre par les qualités
aussi déraisonnable que l'autre, et qu'il se faut ser réelles.
vir de l'harmonie préétablie pour expliquer l'union
de l'âme et du corps.
PH. Ce n'est pas une chose indigne de notre
recherche de voir si la puissance active est l'attri
but propre des esprits et la puissance passive celui
des corps? D'où l'on pourrait conjecturer que les
esprits crées, étant actifs et passifs, ne sont pas to- j
35'
276 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
CHAPITRE XXIV. priment le rang et la connexion de tous les termes
ou suppôts-, et même une figure comme celle
Des Idées collectives des Substances.
d'un polygone renferme la relation de tous les
§. 1. PH. Après les Substances simples ve côtés.
nons aux Aggrégés. N'est-il point vrai que l'i §. 8. PH. Il est bon aussi de considérer que
dée de cet amas d'hommes, qui compose une ar les Idées des relations sont souveut plus claires, que
mée, est aussi bien une seule Idée que celle d"un celles des choses, qui sont les sujets de la relation.
homme. Ainsi la relation du père est plus claire que celle de
TH. On a raison de dire que cet Aggrégé l'homme.
(ens per aggregationem pour parler Ecole) T H. C'est parce que cette relation est si géné
fait une seule Idée, quoique à proprement parler rale, qu'elle peut convenir aussi à d'autres Substan
cet amas de Substances ne forme pas une Substance ces. D'ailleurs comme un sujet peut avoir du clair
véritablement. C'est un résultat, à qui l'ame par et de l'obscur, la relation pourra être fondée dans
sa perception et par sa pensée donne son dernier le clair. Mais si le formel même de la relation
accomplissement d'unité. On peut pourtant dire enveloppoit la connoissance de ce qu'il y a
en quelque façon, que c'est quelque chose de sub d'obscur dans le sujet, elle participeroit de cette
stantiel, c'est à dire, comprenant des Substances. obscurité.
§. 10. PH. Les termes, qui conduisent né
cessairement l'esprit a d'autres Idées, qu'à cel
les, qu'on suppose exister réellement dans la chose,
CHAPITRE XXV. à laquelle le terme ou mot est appliqué, sont r e-
De la Relation. latifs; et les autres sont absolus.
TH. On a bien ajouté ce nécessairement
§.1. PH. Il reste à considérer les Idées des et on pourroit ajouter expressément ou d'a
Relations, qui sont les plus minces en réalité. Lors bord, car on peut penser au noir par exemple, sans
que l'esprit envisage une chose auprès d'une autre, penser à sa cause; mais c'est en demeurant dans
c'est mie relation ou rapport et les dénominations les bornes d'une connoissance, qui se présente d'a
ou termes relatifs, qu'on en fait, sont comme bord et qui est confuse ou bien distincte, mais in
autant de marques, qui servent à porter nos pen complète; l'un quand il n'y a point de résolution
sées au-delà du sujet vers quelque chose, qui de l'Idée, et l'autre quand on la borne. Autre
en soit distinct, et ces deux sont appellées Sujets ment il n'y a point de ternie si absolu ou si déta
de la relation (relata). ché, qu'il n'enferme des relations et dont la parfaite
TH. Les relations et les ordres ont quelque analyse ne mène à d'autres choses et même à toutes
chose de l'Etre de raison quoiqu'ils aient les autres; de sorte qu'on peut dire, que les termes
leur fondement dans les choses; car on peut dire relatifs, marquent expressément le rapport,
que leur réalité, comme celle des vérités éternelles qu'ils contiennent. J'oppose ici l'absolu au re
et des possibilités vient de la suprême raison. latif, et c'est dans un antre sens, que je l'ai op
§.5. PH. Il peut y avoir pourtant un chan posé ci -dessus au borné.
gement de relation, sans qu'il arrive aucun change
ment dans le sujet. Titius, que je considère au
jourd'hui comme père, cesse de l'être demain, sans
qu'il se fasse aucun changement en lui, par cria seul
que son fils vient à mourir. CHAPITRE XXVI.
TH. Cela se peut fort bien dire suivant les cho De la cause et de l'effet et de quelques
ses dont on s'apperçoit; quoique dans la rigueur autres relations.
métaphysique il soit vrai, qu'il n'y a point de dé
nomination entièrement extérieure, (denomina- §. 1. 2. PH. Cause est ce qui produit quel
tio pure extrinseca) à cause de la connexion que Idée simple ou iucomplexe; et effet est ce qui
réelle de toutes choses. est produit.
§. 6. PH. Je pense que la relation n'est qu'en TH. Je vois Monsieur, que Vous entendez sou
tre deux choses. vent par Idée la réalité objective de l'Idée ou la
TH. Il y a pourtant des exemples d'une rela qualité, qu'elle représente. Vous ne définissez que
tion entre plusieurs choses à la fois, comme celle la cause efficiente, comme j'ai déjà remar
de l'ordre ou celle d'un arbre généalogique, qui ex qué ci-dessus. Il faut avouer, qu'en disant que
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 277
cause efficiente est ce qui produit et effet chose ne peut avoir deux ^onimeuceniens d'exi
ce qui est produit, on ne se sert que de Sy stence, ni deux choses un seul commencement par
nonymes. Il est vrai que je Vous ai entendu rapport an tems et au lieu.
dire un peu plus distinctement, que cause est TH. Il faut toujours qu'outre la différence du
ce qui fait qu'une antre chose commence à tems et du lieu, il y ait un principe interne de
exister, quoique ce mot fait laisse aussi la distinction, et quoiqu'il y ait plusieurs choses do
principale difficulté en son entier. Mais cela s'ex même espèce, il est pourtant vrai qu'il n'y en à ja
pliquera mieux ailleurs. mais de parfaitement semblables: ainsi quoique le
PH. Pour toucher encore quelques autres rela tems et le lieu (c'est à dire le rapport au dehors)
tions, je remarque qu'il y a des termes, qu'on em nous servent à distinguer les choses, que nous ne
ploie pour désigner le teins, qu'on regarde ordi distinguons pas bien par elles mêmes, les cho
nairement comme ne signifiant que des Idées i>osi- ses ne laissent pas d'être distinguâmes en
tives, qui cependant sont relatifs, comme jeune, soi. Le précis de l'identité et de la diver
vieux etc. car ils renferment un rapport à la du sité ne consiste donc pas dans le tems et dans le
rée ordinaire de la Substance, à qui on les attri lieu, quoiqu'il soit vrai, que la diversité des choses
bue. Ainsi un homme est appelle jeune à l'âge est accompagnée de celle du tems ou du lieu, parce
de 20 ans et fort jeune à l'âge de 7. ans. qu'ils amènent avec eux des impressions différen
Cependant nons appelions vieux un cheval, qui tes sur la chose; pour ne point dire que c'est plu
a vingt ans et un chien, qui en a 7. Mais tôt par les choses, qu'il faut discerner un lieu ou
nous ne disons pas, que le soleil et les étoiles, un un tems de l'antre, car d'eux mêmes ils sont par
rubis ou un diamant soyent vieux ou jeunes, par- faitement semblables, mais aussi ce ne sont pas des
ceque nous ne counoissons pas les périodes ordi Substances ou des réalités complètes. La manière
naires de leur durée. §. 5. A l'égard du lieu ou de distinguer, que Vous semblez proposer ici,
de l'étendue c'est la munie chose, comme lorsqu'on comme unique dans les choses de même espèce,
dit qu'une chose est haute ou basse, grande est fondée sur cette supposition que la pénétration
on petite. Ainsi un cheval, qui sera grand n'est point conforme à la nature. Cette supposi
selon l'Idée d'un Gallois, paroit fort petit à un tion est raisonnable, mais l'expérience même fait
Flamand: chacun pense aux chevaux, qu'on nour voir qu'on n'y est point attaché ici, quand il s'agit
rit dans son pays. de distinction. Nous voyons par exemple deux
TH. Ces remarques sont très bonnes. Il est ombres on deux rayons de lumière, qui se pénè
vrai que nous nous éloignons un peu quelquefois trent, et nous pourrions nons forger un inonde
de ce sens, comme lorsque nous disons qu'une imaginaire, où les corps en usassent de même.
chose est vieille en la comparant non pas avec cel Cependant nous ne laissons pas de distinguer on
les de son espèce, mais avec d'autres espèces. Par rayon de l'autre par le train même de leur passage,
exemple nous disons que le monde ou le soleil est lors même qu'ils se croisent.
bien vieux. Quelqu'un demanda à Galilci s'il croyoit §. 3. PH. Ce qu'on nomme principe d'in-
que le soleil fut éternel. 11 répondit: eterno ne, dividuation dans les Ecoles, où l'on se tour
ma beii autico. mente si fort pour savoir ce que c'est, consiste
dans l'existence même, qui fixe chaque Etre à
nn tems particulier à un lieu incommunicable à
deux Etres de la même espèce.
TH. Le principe d'inviduation revient
CHAPITRE XXVII. dans Ire individus au principe de distinction dont
Ce que c'est qu'Identité ou diversité. je viens de parler. Si deux individus étaient par
faitement semblables et égaux et (en un mot) in-
§. 1. PH. Une Idée relative des plus impor distinguables par eux mêmes, il n'y aurait
tantes est celle de l'identité ou de la diver point de principe d'individuation; et mémo j'ose
sité. Nous ne trouvons jamais et ne pouvons dire, qu'il n'y auroit point do distinction indivi
concevoir qu'il soit possible, que deux choses de la duelle ou de différons individus à cette condition.
même espèce existent en même tems dans le même C'est pourquoi la notion des Atomes est chiméri
lieu. C'est pourquoi lorsque nous demandons, si que, et ne vient que de conceptions incomplètes des
une chose est la même ou non, cela se hommes. Car s'il y avoit des Atomes, c'est à dire
rapporte toujours à une chose, qui dans un tel des corps parfaitement durs et parfaitement inalté
tems existe dans un tel lieu ; d'où il s'ensuit qu'une rables ou incapables de changement interne et ne
278 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II.
pouvant différer cntr'eux que de grandeur et de §.4. P H. Le cas n'est pas fort différent dans
figure, il est manifeste qu'étant possible qu'ils so les brutes et dans les plantes.
ient de même figure et grandeur, il y en auroit TH. Si les végétables et les brutes n'ont point
alors d'indistingnables en soi, et qui ne pourroient d'âme leur identité n'est qu'apparente; mais s'ils
être discernés que par des dénominations exté en ont, l'identité individuelle y est véritable à la
rieures sans fondement interne, ce qui est contre rigueur, quoique leurs coq>s organisés n'en gardent
les plus grands principes de la raison. Mais la vé point.
rité est, que tout corps est altérable et même altéré §. G. PH. Cela montre encore en quoi con
toujours actuellement, en sorte qu'il diffère en lui siste l'identité du même homme, savoir eu cela seul
même de tout autre. Je me souviens qu'une grande qu'il jouit de la même vie, continuée par des par
Princesse, qui est d'un esprit sublime, dit un jour ticules de matière, qui sont dans un ilux perpétuel,
en se promenant dans sou jardin, qu'elle ne croyoit mais qui dans cette succession sont vitalemeut
pas, qu'il y avoit deux feuilles parfaitement sem unies au môme corps organisé.
blables. Un gentilhomme d'esprit, qui étoit de la TH. Cela se peut entendre dans mon sens. Eu
promenade, crut qu'il seroit facile d'en trouver; effet le corps organisé n'est pas le même au-delà
mais quoiqu'il en cherchât beaucoup, il fut con d'un moment; il n'est qu'équivalent. Et si on ne
vaincu par ces yeux, qu'on pouvoit toujours y re se rapporte point à l'âme, il n'y aura point la mê
marquer de la différence. On voit par ces consi me vie ni uniou vitale non plus. Ainsi cette iden
dérations négligées jusqu'ici, combien dans la Phi tité ne seroit qu'apparente.
losophie on s'est éloignée des notions les plus natu PH. Quiconque attachera l'identité de
relles, et combien on a été éloignée des grands prin l'U o m me à quelque autre chose, qu'à un corps
cipes de la vraie Méthaphysique. bien organisé dans un certain instant et qui dès lors
§. 4. PH. Ce qui constitue l'unité (identité) continue dans cette organisation vitale par
d'une même plante, est d'avoir une telle organisa une succession de diverses particules de matière,
tion de parties dans un seul corps, qui participe à qui lui sont unies, aura de la peine à faire qu'un
une commune vie, ce qui dure pendant que la embryon et un homme âgé, un fou et un sage soient
plante subsiste, quoiqu'elle change de parties. le même homme, sans qu'il s'en suive de cette sup
TH. L'organisation ou configuration sans un position, qu'il est possible que Seth, Ismael, So-
principe de vie subsistant, que j'appelle Monade, crate, Pilate, S. Augustin sont un seul et même
ne suffiroit pas pour faire demeurer idem nu homme. ... ce qui s'aecorderoit encore plus mal
méro ou le môme individu; car la configuration avec les notions de ces Philosophes, qui reconnois-
peut demeurer individuellement. Lors qu'un fer à soient la transmigration et croyoient que les âmes
cheval se change en cuivre dans une eau minérale des hommes peuvent être envoyées pour punition
de la Hongrie, la même figure en espèce demeure, de leurs déréglemeiis dans des corps des bêtes; car
mais non pas le même en individu; car le fer se je ne ne crois pas qu'une personne, qui seroit assu
dissout et le cuivre, dont l'eau est imprégnée, se rée que l'âme d'Héliogabale existoit dans un pour
précipite et se met insensiblement à la place. Or la ceau, voulut dire, que ce pourceau étoit un homme,
figure est un accident, qui ne passe pas d'un sujet et le même homme qu'Héliogabale.
à l'autre (de subjecto in subjectum). Ainsi TH. 11 y a ici question de nom et question de
il faut dire, que les corps organisés aussi bien que chose. Quant à la chose, l'identité d'une même
d'autres ne demeurent les mêmes qu'en apparence, Substance individuelle ne peut être maintenue que
et non pas en parlant à la rigueur. C'est à peu par Ja conservation de la même âme, car le corps
près comme un fleuve, qui change toujours d'eau, est dans un flux continuel et l'âme n:habite pas
ou comme le navire de Thésée, que les Athéniens dans certains atomes affectés à elle, ni dans un pe
réparaient toujours. Mais quant aux Substances, tit os indomtable, tel que le Luz des Rabiiis. Ce
qui ont en elles mêmes une véritable et réelle Unité pendant il n'y a point de transmigration par
substantielle, à qui puissent appartenir les actions laquelle l'aine quitte entièrement sou corps et passe
vitales proprement dites, et quant aux Etres sub dans un autre. Elle garde toujours, même dans la
stantiels, quac uno spiritu coutiuentur, com mort, un corps organisé, partie du précédent, quoi
me parle un ancien jurisconsulte, c'est à dire qu'un que ce qu'elle garde soit toujours sujet à se dissiper
certain esprit indivisible anime, on a raison de dire insensiblement et à se réparer et môme à souffrir
qu'elles demeurent parfaitement le même indi en certain tems un grand changement. Ainsi au
vidu par cette âme ou cet esprit, qui fait le moi lieu d'une transmigration de l'aine il y a transfor
dans celles qui pensent. mation, enveloppement ou développement, et enfin
UX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. U. 279
fluxion du corps de cette aine. Monsieur van Hel- point que sur le premier, quoiqu'il y ait encore là
inont le fils croyoit que les aines passent de corps quelque chose à dire. Peu de Théologiens seraient
en corps, niais toujours dans leur espèce, en sorte asse/. hardis pour conclure d'abord et absolument
qu'il y aura toujours le même nombre d'âmes d'une au baptême d'un animal de figure humaine mais
même espèce, et par conséquent le même nombre sans apparence de raison, si on le prenoit petit
d'hommes et de loups, et que les loups, s'ils ont dans le bois, et quelque prêtre de l'Eglise Romaine
été diminués et extirpés en Angleterre, dévoient diroit peut-être conditionellement, si tu es un
s'augmenter d'autant ailleurs. Certaines méditati homme je te baptise; car on ne saurait point
ons publiées en France sembloicnt y aller aussi. Si s'il est de race humaine et si une âme raisonnable
la transmigration n'est point prise à la rigueur, y loge et ce pourrait être un Ourang-Ontang,
c'est à dire si quelqu'un croyoit que les âmes demeu singe fort approchant de l'extérieur de l'homme, tel
rant dans le même corps subtil changent seulement que celui, dont parle Tulpius pour l'avoir vu, et tel
de corps grossier, elle scroit possible, même jus que celui, dont un savant Médecin a publié l'Ana-
qu'au passage de la môme âme dans un corps de tomie. Il est sûr je l'avoue, que l'homme peut de
différente espèce à la façon des Bramines et des venir aussi stupide qu'un Ourang-Outang, mais
Pythagoriciens. Mais tout ce qui est possible n'est l'intérieur de l'âme raisonnable y demeurerait mal
point conforme pour cela à l'ordre des choses. Ce gré la suspension de l'exercice de la raison, comme
pendant la question si, en cas qu'une telle transmi je ^'ai expliqué ci -dessus: ainsi c'est là le point,
gration fût véritable, Cain, Cham et Ismael, supposé dont on ne saurait juger par les apparences. Quant
qu'ils eussent la inêrue âme suivant les Rabins, mé au second cas, rien n'empêche qu'il y ait des ani
ritassent d'être appelles le même homme, n'est que maux raisonnables d'une espèce différente de la nô
de nom; et j'ai vu que le célèbre Auteur, dont tre, comme ces habitans du royaume poétique des
Vouz avez soutenu les opinions, le reconuoît et oiseaux dans le soleil, ou un jwrroqnet, venu de ce
l'explique fort bien (dans le dernier paragraphe monde après sa mort, sauva la vie au voyageur,
de chapitre.) L'identité de Substance y seroit, qui lui avoit fait du bien ici bas. Cependant s'il
mais en cas qu'il n'y eût point de connexion de arrivoit comme il arrive dans le pays des Fées ou
souvenance entre les différens personnages, qne la de ma mère l'oye, qu'un perroquet fût quelque
même âme feroit, il n'y auroit pas assez d'iden fille de Roi transformée et se lit connoitre pour telle
tité morale pour dire que ce seroit une même en parlant, sans doute le père et la mère le caresse
personne. Et si Dieu vouloit que l'âme humaine raient comme leur fille, qu'ils croiraient avoir quoi
allât dans un corps de pourceau oubliant l'homme que cachée sous cette forme étrangère. Je ne m'op
et n'y exerçant point d'actes raisonnables, elle ne poserais pourtant point à celui, qui diroit que dans
constituerait point un homme. Mais si dans le l'âne d'or il est demeuré tant le soi ou l'individu,
corps de la bête, elle avoit les pensées d'un homme, à cause du même esprit immatériel, que Lucius ou
et même de l'homme, qu'elle animoit avant le chan la personne, à cause de l'apperception de ce moi,
gement, comme lYinc d'or d'Apulée, quelqu'un ne fe mais que ce n'est plus un homme ; comme en effet
roit peut-être point de difficulté de dire que le mê il semble qu'il faut ajouter quelque chose de la
me Lucius, venu en Thessalie pour voir ses amis, figure et constitution du corps à la définition du
demeura sous la peau de fane, où Photis l'avoit l'homme, lorsqu'on dit qu'il est un animal raison
mis malgré elle, et se promena de maître à maître, nable, autrement les Génies selon moi seraient aussi
jusqu'à ce que les rosés mangées lui rendirent sa des hommes.
forme naturelle. §. 9. PH. Le mot de personne emporte un
§. 9. PH. Je crois de pouvoir avancer hardi être pensant et intelligent, capable de raison et de
ment que qui de nous verroit une créature, faite et réflexion, qui se peut considérer soi-même comme
formée comme soi même, quoiqu'elle n'eût jamais le même, comme une même chose, qui pense en
fait paraître plus de raison qu'un chat ou un perro différens teins, et en différens lieux; ce qu'il fait
quet, ne laisseroit pas de l'appeller homme : ou que uniquement par le sentiment, qu'il a de ses pro
s'il entendoit un perroquet discourir raisonnable pres actions. Et cette connoissance accompagne
ment et en philosophe, il ne l'appellerait ou ne le toujours nos sensations et nos perceptions présen
croiroit qne ixrroquet, et qu'il diroit du premier de tes, quand elles sont assez distinguées, comme j'ai
ces animaux que c'est un homme grossier, lourd et remarqué plus d'une fois ci dessus, et c'est par lu
destitué de raison, et du deniior que c'est un per que cliacun est à lui môme ce qu'il appelle soi
roquet plein d'esprit et de bon sens. même. On ne considère pas dans cette rencontre,
TH. Je serois plus du même avis snr le second si le même soi est continué dans la même Sub
280 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
stance ou clans diverses Substances; car puis un intervalle, que j'eusse oblié un peu après par
que la conscience ( consciousncs ou cou- cette maladie. Et si je venois à oublier toutes les
sciosité) accompagne toujours la pensée, et que choses passées, que je serois obligé de me laisser
c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme enseigner de nouveau jusqu'à mou nom et jusqu'à
soi même et par où il se distingue de toute autre lire et écrire, je pourrais toujours apprendre des
chose pensante; c'est aussi en cela seul que consi autres ma vie passée dans mon précédent état,
ste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Etre comme j'ai gardé mes droits, sans qu'il soit néces
raisonnable est toujours le même; et aussi loin saire de me partager eu deux personnes, et de
que cette conscience peut s'étendre sur les ac me faire héritier de moi-même. Tout cela suffit
tions ou sur les pensées déjà passés, aussi loin pour maintenir l'identité morale, qui fait la
s'étend l'identité de cette personne, et le soi est même personne. Il est vrai que si les autres con
présentement le même qu'il étoit alors. spiraient à me tromper (comme je pourrois même
TH. Je suis aussi de cette opinion, que la con- être trompé par moi-même, par quelque vision,
sciosité ou le sentiment du moi prouve une iden songe ou maladie, croyant que ce que j'ai songé
tité morale ou personnelle. Et c'est en cela que me soit arrivé) l'apparence seroit fausse; mais il y
je distingue l'incessabilité de l'âme d'une bête a des cas, où l'on peut être moralement certain de
de l'immortalité de Famé de l'homme: l'une la vérité sur le rapport d'autrui: et auprès de
et l'autre garde l'identité physique et ré Dieu, dont la liaison de société avec nous fait le
elle, mais quant à l'homme, il est conforme aux point principal de la moralité , l'erreur ne sauroit
règles de la divine providence, que l'âme garde en avoir lieu. Pour ce qui est du soi il sera bon
core l'identité morale et qui nous est apparente à de le distinguer de l'apparence du soi et
nous mêmes, pour constituer la même |)ersonne, de la consciosité. Le soi fait l'identité
cajxible par conséquent de sentir les chatimens et réelle et physique, et l'apparence du soi,
les récompenses. Il semble que Vous tenez Mon accompagnée de la vérité, y joint l'identité per-
sieur qoe cette identité apparente se pourroit con sonelle. Ainsi ne voulant point dire, qne l'iden
server, quand il n'y en auroit point de réelle. Je tité personelle ne s'étend pas plus loin que le sou
croirois que cela se pourroit peut-être par la puis venir, je dirais encore moins que le soi ou l'iden
sance absolue de Dieu, mais suivant l'ordre des tité physique en dépend. L'identité réelle et per-
choses, l'identité apparente à la personne même, souelle se prouve le plus certainement qu'il se peut
qui se sent la même, suppose l'identité réelle à en matière de fait, par la réflexion présente et im
chaque passage prochain, accompagné de ré médiate; elle se prouve suffisamment pour l'ordi
flexion ou de sentiment du moi, une perception naire par notre souvenir d'intervalle on par le té
intime et immédiate ne pouvant tromper naturelle moignage conspirant des antres. Mais si Dieu
ment. Si l'homme pouvoit n'être que machine et changeoit extraordinairement l'identité réelle, la
avoir avec cela de la consciosité, il faudroit être de personelle demeurerait, pourvu que l'homme con
Votre avis, Monsieur : mais je tiens que ce cas n'est servât les apparences d'identité, tant les internes,
poiut possible au moins naturellement. Je ne vou- (c'est à dire de la conscience) que les externes,
drois point dire non plus que l'identité perso- comme celles qui consistent dans ce qni paraît aux
nelle et même le soi ne demeurent point en nous autres. Ainsi la conscience n'est pas le seul moyeu
et que je ne suis point ce moi, qui ai été dans le de constituer l'identité personelle, et le rapport
berceau, sous prétexte que je ne me souviens plus d'autrui ou même d'autres marques y peuvent sup
de rien de tout ce que j'ai fait alors. 11 suffit pour pléer. Mais il va de la difficulté, s'il se trouve
trouver l'identité morale par soi même, qu'il y ait contradiction entre ces diverses apparences. La
une moyenne liaison de consciosité d'un conscience se peut taire comme dans l'oubli; mais
état voisin ou même un peu éloigné à l'autre, si elle disoit bien clairement des choses, qui fussent
quand quelque saut ou intervalle oublié y seroit contraires aux autres apparences, on seroit emba-
mêlé. Ainsi si une maladie avoit fait une inter rassé dans la décision et comme suspendu quelque
ruption de la continuité de la liaison de consciosité, fois entre deux possibilités, celle de l'erreur de no
en sorte que je ne susse point comment je serois tre souvenir et celle de quelque déception dans les
devenu dans l'état présent, quoique je me souvinse apjwrences externes.
des choses plus éloignées, le témoignage des autres §.11. PH. On dira que les membres du corps
pourroit remplir le vuide de ma réminiscence. On de chaque homme sont une partie de lui même, et
me pourroit même punir sur ce témoignage, si je qu'ainsi, le corps étant dans un flux perpétuel,
venois à faire quelque mal de propos délibéré dans l'homme ne sanroit demeurer le même.
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 281
TH. J'aimerois mieux de dire que le moi et le il a passé pour un homme fort raisonnable, et
lui sont sans parties, parcequ'on dit et avec raison il a paru par ses ouvrages, qui ont vu le jour,
qu'il se conserve réellement la même Substance, ou qu'il ne manquoit ni d'esprit ni de savoir. Or 1. s
le même moi physique. Mais on ne peut point âmes tant indifférentes à l'égard de quel
dire, à parler selon l'exacte vérité des choses, que que portion de matière que ce soit, autant
le même tout se conserve lorsqu'une partie se perd. que nous le pouvons connoitre par leur nature,
Or ce qui a des parties corporelles ne peut point cette supposition (d'une même âme passant en dif-
manquer d'en perdre à tout moment. férens corps) ne renferme aucune absurdité appa
§. 13. PH. La conscience, qu'on a de ses ac rente. Cependant celui qui h présent n'a aucun
tions passées, lie pourroit point être transférée d'une sentiment de quoi que ce soit que Nestor ou So-
Substance pensante à l'autre et il seroit certain que crate ait jamais fait ou pensé, conçoit-il, ou peut-
la môme Substance demeure, parceque nous nous il concevoir, qu'il soit la même personne que Ne
sentons les mêmes si cette conscience étoit une seule stor ou Socrate ? Peut-il prendre part aux actions
et même action individuelle, c'est à dire, si l'action île ces deux anciens Grecs? peut-il se les attribuer
de réfléchit étoit la même que l'action sur laquelle ou penser qu'elles soient plutôt ses propres actions
on réfléchir en s'en appercevant. Mais comme ce que celles de quelque autre homme qui ait déjà
n'est qu'une représentation actuelle d'une action existé? Il n'est pas plusjla même personne avec
passée, il reste à prouver comment il n'est pas pos un d'eux, que si l'âme qui est présentement eu lui,
sible, que ce qui n'a jamais été réellement puisse être avoit été créée, lorsqu'elle commença d'animer le
représenté à l'esprit, comme ayant été véritablement. corps, qu'elle a présentement. Cela ne contribue
TH. Un souvenir de quelque intervalle peut rait pas d'avantage à le faire la même personne
tromper; on l'expérimente souvent, et il y a moyen que Nestor, que si quelques unes des particules de
de concevoir une cause naturelle de cette erreur. matière, qui une fois ont fait partie de Nestor
Mais le souvenir présent ou immédiat, ou le souve étoient à présent une partie de cette homme là.
nir de ce qui se passoit immédiatement auparavant, Car la même Substance immatérielle sans la même
c'est à dire la conscience ou la réflexion, qui ac conscience ne fait non plus la même personne pour
compagne l'action interne, ne saurait tromper na être unie à tel ou à tel corps, que les mêmes
turellement ; autrement on ne seroit pas même cer particules de matière, unie à quelque coqw
tain qu'on pense à telle ou à telle chose, car ce sans une conscience commune, peuvent faire la
n'est aussi que de l'action passée qu'on le dit en même personne.
soi et non pas de l'action même, qui le dit. Or si TH. Un Etre immatériel ou un esprit ne peut
les expériences internes immédiates ne sont point être dépouillé de toute perception de son exi
certaines, il n'y aura point de vérité de fait, dont stence passée. II lui reste des impressions de tout
on puisse être assuré. Et j'ai déjà dit, qu'il peut ce qui lui est autrefois arrivé, et il a même des
y avoir de la raison intelligible de l'erreur, qui se pressentimens de tout ce qui lui arrivera: mais ces
commet dans les perceptions médiates, et exter sentimens sont le plus souvent trop petits pour
nes, niais dans les immédiates internes on n'en pouvoir être distiuguables, et pour qu'on s'en ap-
s'auroit trouver , à moins de recourir à la toute- perçoive, quoiqu'ils puissent peut-être se développer
paissance de Dieu. nn jour. Cette continuation et liaison de per
§. 14. PH. Quant à la question si, la même ceptions fait le im'mc individu réellement, mais
Substance immatérielle restant, il peut y avoir deux les apperceptions (c'est à dire lorsqu'on s'ap-
personnes distincte.*, voici sur quoi elle est fondée. perçoit des sentimens passés) prouvent encore une
C'est, si le même Ktre immatériel peut être identité morale, et font paraître l'identité réelle.
dépouillé de tout sentiment de son exi La préexistence des âmes ne nous paroît pas par
stence passée et le perdre entièrement, sans nos perceptions, mais si elle étoit véritable, elle
pouvoir jamais le recouvrer, de sorte que commen pourroit se faire connoître un jour. Ainsi il n'est
çant pour ainsi dire un nouveau compte depuis une point raisonnable que la restitution du souvenir de
nouvelle période, il ait une conscience, qui ne puisse vienne à jamais impossible, les ]>erceptions insensi
s'étendre au delà de ce nouvel état. Tous ceux bles (dont j'ai fait voir l'usage en tant d'autres oc
qui croyeut la préexistence des âmes sont vi casions importantes) servant encore ici à en garder
siblement dans cette pensée. J'ai vu un homme, les semences. Feu Monsieur Henri Morus, Théo
qui étoit persuadé que son âme avoit été l'âme de logien de l'Eglise Anglicane, étoit persuadé de la
Sucrât»1: et je puis assurer que dans le poste qu'il préexistence, et a écrit pour la soutenir. Feu Mon
a rempli et qui netoit pas de petite importance, sieur Van H cl mont le fils alloit plus avant, comme
36
282 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
je viens île le dire, et croyoit la transmigration des | de plus une identité personelle. An reste une
nmos, mais toujours dans des corps (rime même portion de matière, qui passe d'un corps dans
espèce, de sorte que selon lui l'unie humaine animoit un autre, ne fait point le même individu humain,
toujours un homme. It croyoit avec quelques Ra- ni ce qu'on appelle moi, mais c'est l'âme qui le fait.
bins le passage de l'aine d"Adam dans le Messie §.16. PII. Il est cependant vrai que je sais
comme dans le nouvel Adam, l-'.t je nu sais s'il ne autant intéressé et aussi justement responsable pour
croyoit pas avoir été lui même quelque ancien, tout une action, faite il y a mille ans, qui m'est pré
habile homme qu'il étoit d'ailleurs. Or si ce pas sentement adjugée par cette conscience (conscio-
sage des aines étoit véritable, au moins de la ma sité ou cousciousnes) que j'en ai, comme ayant
nière possible , que j'ai expliquée ci -dessus (mais été faite par moi-même, que je le suis pour ce que
qui ne paroît point vraisemblable) c'est à dire que je viens de faire dans le moment précédent.
les âmes gardant des corjw subtils passassent tout TH. Cette opinion d'avoir fait quelque chose
d'un coup dans d'autres corps grossiers, le même peut tromper dans les actions éloignées. Des gens
inilividu subsisterait toujours dans Nestor, dans So- ont pris pour véritable ce qu'ils avoient songé, ou
crate, et dans quelque moderne, et il pourroit même ce qu'ils avoient inventé à force de le répéter 5 cette
faire connoitre son identité à celui, qui pénétreroit fausse opinion peut cmbarasser, mais elle ne peut
assez dans sa nature, à cause des implosions ou point faire qu'on soit punissable, si d'autres n'en
caractères, qui y resteroient de tout ce que Nestor conviennent point. De l'autre côté on peut être
ou Socrate ont fait, et que quelque génie assez pé responsable de ce qu'on a fait , quand on l'aurait
nétrant y pourroit lire. CejK-ndant si l'homme mo oublié , pourvu que l'action soit vérifiée d'ailleurs.
derne n'avoit point de moyen interne ou externe §. 17. PH. Chacun éprouve tous les jours que
de connoitre ce qu'il a été, ce seroit quant à la mo : tandis que sou petit doigts est compris sous cette
rale comme s'il ne Favoit point été. Mais l'appa conscience il fait autant partie de soi-même
rence est, que lien ne se néglige dans le monde, (de lui) que ce qui y a le plus de part.
par rapport même à la morale, parce -que Dieu en TH. J'ai dit (§. 11.) pourquoi je ne voudrais
est le Monarque, dont le gouvernement est parfait. point avancer que mon doigt est une partie do
Les âmes selon mes hypothèses ne sont point in- moi; mais il est vrai qu'il m'appartient et qu'il
d'i'fférentes à l'égard de quelque portion de ma fait partie de mon corps.
tière que ce soit, comme il Vous semble; an con PH. Ceux qui sont d'un autre sentiment diront
traire elles expriment originairement celles à qui que ce petit doigt venant à être séparé du reste du
elles sont et doivent être unies par ordre. Ainsi corps, si cette conscience accompagnoit le petit
si elles passoient dans un nouveau cor]» grossier i doigt et abandonnoit le reste du coq>s, il est évi
ou sensible, elles garderaient toujours l'expression dent que le petit doigt seroit la personne, la
de tout ce, dont elles ont eu perception dans les môme personne, et qu'alors le soi n'aurait rien
vieux, et même il faudrait que le nouveau corps à démêler avec le reste du corps.
s'en ressentit, de sorte que la continuation indivi TH. La nature n'admet point ces fictions, qui
duelle aura toujours ses marques réelles. Mais sont détruites par le système de l'harmonie ou de
qnclqu'ait été notre état passé, l'effet, qu'il laisse, | la parfaite correspondance de l'âme et du corps.
ne saurait nous être toujours appercevahle. §. 18. PH. 11 semble pourtant que si le corps
L'habile Auteur de l'essai sur l'entendement, i contimioit de vivre, et d'avoir sa conscience parti-
dont Vous aviez épousé les sentimens, avoit remar i cnlière; à laquelle le petit doigt n'eût aucune part,
qué (Livre 2. Chap. de l'ideutité §. 27.) qu' ! et que cependant l'âme fût dans le doigt, le doigt
une partie de ses suppositions ou fictions du pas : ne pourroit avouer aucune des actions du reste du
sage des aines, prises pour possibles, est fondée sur 1 corps, et l'on ne pourroit non plus les lui imputer.
ce qu'on regarde communément l'esprit non seule TH. Aussi l'aine qui seroit dans le doigt n'ap
ment comme indépendant de la matière mais aussi partiendrait-elle point à ce corps. J'avoue qne si
comme indifférent à toute sorte de matière. Mais Dieu faisoit que les consciosités fussent transférées
j'espère que ce que je Vous ai dit, Monsieur, sur ce sur d'autres âmes, il faudrait les traiter selon les
sujet par ci par là, servira à éclaircir ce doute, et notions morales, comme si c'étaient les mêmes;
à faire mieux connoitre ce qui se peut naturelle mais ce serait troubler l'ordre des choses sans su
ment. On voit par là comment les actions d'un an jet, et faire, un divorce entre Fappnrceptiblc et la
cien appartiendraient à un moderne, qui auraient la vérité, qui se conserve par les perceptions insensi
même âme, quoiqu'il ne s'en apperçût pas. Mais bles, lequel ne seroit point raisonnahle, parceqne
si l'on venoit à la connoitre, il s'ensuivrait encore les perceptions insensibles pour le présent se peu-
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. U\. U. 283
veut développer un jour, car il n'y a rien d'inutile prouvé contre celui, qui l'a fait, et l'on ue saurait
et l'éternité donne un grand champ aux change- prouver pour lui le défaut de conscience.
nicns. ' TH. Il ne s'agit pas tant de cela, quudu eu
§. 20. PH. Les loix humaines ne punissent pas qu'il faut faire, quand il a été bien vérifié, que l'ivre
fhoiniue fou pour les actions que fait l'homme de ou le noctambule ont été hors d'eux, comme cela
sens rassis, ni l'homme de sens rassis pour ce qu'a se peut. Eu ce cas le noctambule ne sauroit être
fait l'homme fou: par où elles en font deux per considéré que comme un maniaque: mais comme
sonnes. C'est ainsi qu'on dit: il est hors de lui- l'ivresse est volontaire et que la maladie ne l'est
même. pas, on punit l'un plutôt que l'autre.
TH. Les loix menacent de châtier et promettent PH. Mais au grand et redoutable jour du juge
de récompenser, jxmr empêcher les mauvaises actions ment, où les secrets île tous les coeurs seront dé
et avancer les bonnes. Or un fou peut être tel couverts, on a droit de croire que jMsrsonnu n'aura,
que les menaces et les promesses n'opèrent point à répoudre pour ce qui lui est entièrement inconnu
assez sur lui, la raison n'étant plus la maîtresse; et que chacun recevra ce qui lui rat du , étant ac
ainsi à mesure de la foiblesse la rigueur de la peine cusé par sa propre conscience.
doit cesser. De l'autre côté on veut que le crimi TH. Je ne sais, s'il faudra que la mémoire de
nel sente l'effet du mal, qu'il a fait, afin qu'on l'homme soit exaltée au jour du jugement pour
craigne d'avantage de coraettre des crimes, mais le qu'il se souvieuiie de tout ce qu'il avoit oublié, et
fou n'y étant pas assez sensible, on est bien aise si la conuoissance des autres et surtout du juste
d'attendre un bon intervalle pour exécuter la sen juge, qui ne sauroit se tromper, ue suffira pas. Ou
tence, qui le fait punir de ce qu'il a fait de sens pourroit former une fiction, peu convenable à la
rassis. Ainsi ce que font les loix ou les juges dans vérité, mais néanmoins concevable, qui serait qu'un
ces rencontres ne vient point de ce qu'on y conçoit homme au jour du jugement crût avoir été mé
deux personnes. chant et que le même parût vrai à tous les antres
§. 22. TH. En effet dans le parti, dont je Vous esprits créés, qui seraient à portée pour en juger,
représente les seutimens, ou se fait cette objection, sans que cela fût vrai: fK>urra-t-on dire que le su
que si un homme, qui est ivre et qui ensuite n'est > prême et juste juge, qui sauroit seul le contraire,
plus ivre, n'est pas la même personne, on ne le ' pourroit damner cette personne et juger contre ce
doit point punir pour ce qu'il a fait étant ivre, puis qu'ils font ! Cependant il semble que cela suivrait
qu'il n'eu a plus aucun sentiment. Mais on répond de la notion que vous donniez do la persoiialité
à cela qu'il est tout autant la même persoime, qu'un morale. On dira peut-être, que si Dieu juge con
homme, qui pendant son sommeil marche et l'ait tre les apparences, il ne sera pas assez glorifié et
plusieurs autres choses et qui est responsable de tout fera de la peine aux autres; mais ou pourra répon
le mal, qu'il vient à faire dans cet état. dre, qu'il est lui-même son unique et suprême loi
TH. 11 y a bien de la différence entre les et qu'en ce cas les autres doivent juger qu'ils se
actions d'un homme ivre et celles d'un vrai et re sont trompés.
connu noctambule. Ou punit les ivrognes, parce- §.23. PH. Si nous pouviens supposer, ou que
qu'ils jHîuvent éviter l'ivresse et peuvent même deux consciences distinctes et incommunicables
avoir quelque souvenir do la peine pendant l'ivresse. [ agissent tour à tour dans le même corps, l'une con
Mais il n'est pas tant dans le pouvoir des uoctam- stamment )>eudant le jour et l'autre durant la mût,
Imli'.s de s'abstenir de leur promenade nocturne et ou que la même conscience agit par intervalles
de ce qu'ils font. Cependant s'il étoit vrai qu'en dans deux1 corps dilléroiis; je demande si dans
leur donnant bien le fouet sur le fait, on pût les I le premier cas l'homme de jour et l'homme de nuit,
faire rester au lit, on auroit droit de le faire, et on si j'ose m'exprimer de la sorte, ne seraient pas
n'y manquerait pas aussi, quoique ce fût plutôt un deux personnes aussi distinctes, que Socrate et Pla
remède qu'un châtiment. En effet on raconte que ton, et si dans le second cas ce ne serait pas une
ce remède a réussi. seule personne dans deux corps distincts! Il n'im
PH. Les loix humaines punissent l'un et l'autre porte point, que cette même conscience, qui affecte
par une justice conforme à la manière dont les deux differens corps, et ces consciences, qui aflbc-
hommes connoissent les choses, parceque dans ces tent le même corps en différais tems, appartien
sortes de cas ils ne sauraient distinguer certai nent l'uue à la même Substance immatérielle et les
nement ce qui est réel de ce qui est contrefait; deux autres à deux distinctes Substances immaté
ainsi l'ignorance n'est pas reçue pour excuse de ce rielles, qui introduisent ces diverses consciences
qu'on a fait étant ivre ou endormi. Le fait est dans ces corps là, puisque l'identité personnelle
36*
284 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. IL
«croit également déterminée par la conscience, soit nes des tems et des lieux et même les constitutions
que cette conscience fût attachée à quelque Sub internes, insensibles aux hommes des deux globes,
stance individuelle immatérielle on non. De plus, pourraient les discerner; mais selon vos hypothè
une chose immatérielle, qui pense, doit quelquefois ses la seule consciosité discernant les personnes,
perdre de vue sa conscience passée et la rappeller sans qu'il faille se mettre en peine de l'identité ou
de nouveau. Or suppose/, que ces intervalles de diversité réelle de la Substance ou même de ce qui
mémoire et d'oubli reviennent par tout le jour et paroitroit aux antres , comment s'empêcher de dire
la nuit, dès là vous avez deux personnes avec le que ces deux personnes, qui sont en même tems
même esprit immatériel. D'où il s'ensuit que le dans ces deux globes ressemblans, mais éloignées
soi n'est point déterminé par l'identité ou la diver l'un de l'autre d'une distance inexprimable, ne sont
sité de Substance, dont on ne peut être assuré, qu'une seule et même personne; ce qui est pourtant
mais seulement par l'identité de la conscience. une absurdité manifeste. Au reste parlant de ce
TH. J'avoue que si toutes les apparences étoient qui se peut naturellement, les deux globes sembla
changées et transférées d'un esprit à un autre, ou bles et les deux âmes semblables des deux globes
si Dieu faisoit un échange entre deux esprits , don ne le demeureraient que pour un tems. Car puis
nant le corps visible et les apparences et conscien qu'il y a une diversité individuelle, il faut que cette
ces de l'un à l'autre, l'identité personnelle an lieu différence consiste au moins dans les constitutions
d'être attachée à celle de la Substance suivroit les insensibles, qui se doivent développer dans la suite
apparences constantes, que la morale humaine doit des tems.
•avoir en vue: mais ces apparences ne consisteront §. 26. PH. Supposons un homme puni présen
pas dans les seules consciences, et il faudra, que tement pour ce qu'il a fait dans une autre vie et
Dieu fasse l'échange non seulement des appercep- dont on ne puisse lui faire avoir absolument au
tions ou consciences des individus en question, mais cune conscience; quelle différence y a-t-il entre un
aussi dos apparences qui se présentent aux autres tel traitement, et celui qu'on lui feroit en le créant
à l'égard de ces personnes , autrement il y auroit misérable?
contradiction entre les consciences des uns, et le TH. «Les Platoniciens, les Origénistes, quelques
témoignage des autres, ce qui troubleroit l'ordre Hébreux et autres défenseurs do la préexistence
des choses morales. Cependant il faut qu'on m'a des aines, ont cru que les âmes de ce monde étoieut
voue aussi que le divorce entre le monde insensible mises dans des corps imparfaits, à fin de souffrir
et le sensible, c'est à dire entre les |x?rceptions in pour les crimes, commis dans un monde précédent.
sensibles, qui demeureraient dans les mêmes Sub Mais il est vrai, que si on n'en sait point ni n'en
stances et les apperceptions, qui seroient échangées, apprendra j'amais la vérité, ni par le rappel de sa
seroit un miracle, comme lorsqu'on suppose que mémoire, ni par quelques traces, ni par la connois-
Dieu fait du vuide; car j'ai dit ci-dessus pourquoi sance d'autrui, on ne pourra point Pappeller un
cela n'est point conforme à l'ordre naturel. Voici châtiment selon les notions ordinaires. Il y a
une autre supposition bien plus convenable. Il se pourtant quelque lieu de douter, en parlant des
peut que dans un autre lieu de l'univers ou dans chûtimens en général, s'il est absolument nécessaire
un autre tems il se trouve un globe qui ne diffère que ceux qui Bouffirent en apprennent eux-mêmes
point sensiblement de ce globe de la terre, où nous un jour la raison, et sïl ne suffirait pas bien sou
habitons, et que chacun des hommes, qui l'habitent, vent que d'autres esprits plus informés y trouvas
ne diffère point sensiblement de chacun de nous qui sent matière de glorifier la justice divine. Cepen
lui répond. Ainsi il y a à la fois plus de cent mil dant il est plus vraisemblable, que les souffrons en
lions de paires de personnes semblables, c'est à dire sauront le pourquoi, au moins en général.
des personnes avec les mêmes apparences et con- j §. 29. PH. Peut-être qu'au bout du compte
sciences; et Dieu pourroit transférer les esprits Vous pourriez Vous accorder avec mon Auteur, qui
seuls ou avec leur corps d'un globe dans l'autre, conclut son chapitre de l'identité, en disant: que la
sans qu'ils s'en aperçussent; mais soit qu'on les question, si le même homme demeure, est une
transfère ou qu'on les laisse , que dira t-on do leur question de nom, selon qu'on entend par l'homme
personne on de leur Soi suivant vos Auteurs? ou le seul esprit raisonnable, on le seul corps de
Sont -ce deux personnes ou la même, puisque la cette forme, qui s'appelle humaine, ou enfin l'esprit
conscience et les apparences internes et externes uni à un tel corps. Au premier cas, l'esprit sé
des hommes de ces globes, ne sauraient faire de di paré (au moins du corps grossier) sera encore
stinction î II est vrai que Dieu et les esprits ca l'homme; au second un Ourang-Ontang, parfaite
pables d'envisager les intervalles et rapports exter ment semblable à nous, la raison exceptée, seroit
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II. 285
un homme ; et si l'homme étoit privé de son anic d'eux et leur différence, qui est l'angle de contin
raisonnable et recevoit une aine de bête, il denieu- gence.
reroit le même homme. Au troisième cas il faut §.2. PH. Une autre occasion de comparer, est
que l'un et l'autre demeure avec la même union; fournie par les circonstances de l'origine, qui fon
le même esprit, et le même corps en partie , ou du dent des relations de père et infant, frères, cousins,
moins l'équivalent, quant à la forme corporelle compatriotes. Clie/. nous on ne s'avise guères do
sensible. Ainsi on pourroit demeurer le même dire ce taureau est le grand père d'un toi veau, ou
Etre physiquement ou moralement, c'est à dire la ces deux pigeons sont cousins germains; car les
même personne sans demeurer homme, en cas qu' langues sont proportionnées à l'usage. Mais il y a
on considère cette figurecommeessentielleà l'homme des pays, où les hommes moins curieux de leur pro
suivant ce dernier sens. pre généalogie que de celle de leur chevaux, n'ont
TH. J'avoue qu'en cela il y a question do nom S pas seulement des noms pour chaque cheval en par-
et dans le troisième sens c'est comme le même ani 1 ticulier, mais aussi jimir leurs difi'éruns degrés de
mal est tantôt chenille ou ver à soie et tantôt pa parentage.
pillon, et comme quelques uns se sont imagines que TH. On peut joindre encore l'Idée et les noms
les anges de ce monde ont été hommes dans un de famille à ceux du parentage. 11 est vrai, qu'on
inonde passé. Mais nous nous sommes attachés ne remarque point que sous l'empire, de Cliarlema-
dans cette conférence à des discussions plus impor gne et assez long -teins avant ou après il y ait eu
tantes que celles de la signification des mots. Je des noms de famille en Allemagne, en France et
vous ai montré la source de la vraie identité phy en Lombardie. Il n'y a pas encore longtcms, qu'
sique; j'ai fait voir, que la morale n'y contredit il y a eu des familles (même nobles) dans le Sep
pas, non plus que le souvenir; qu'elles ne sauraient tentrion, qui n'avoient point de nom et où l'on ne
toujours marquer l'identité physique à la personne reconuoissoit un homme dans son lieu natal , qu'en
même, dont il s'agit , ni à celles , qui sont en com nommant son nom et celui du sou père, et ailleurs
merce avec elle: mais que cependant elles ne con (quant il se transplantoit) et joignant au sien le
tredisent jamais à l'identité physique et ne font ja nom du lieu d'où il venoit. Les Arabes et les Tur-
mais un divorce avec elle; qu'il y a toujours des comans en usent encore de même (je crois) n'ayant
esprits créés, qui connoissent ou peuvent connoitre guères de noms de famille particuliers, et se con
ce qui en est: mais qu'il y a lieu de juger que ce tentant de nommer le père et grandpèrc etc. de
qu'il y a d'indifférent à l'égard des personnes mê quelqu'un, et ils font le même honneur à leur che
mes ne peut l'être que pour un terns. vaux de prix, qu'ils nomment par nom propre et
nom de père et même au delà. C'est ainsi qu'oïl
parloit des chevaux que le grand Seigneur des Turcs
avoit envoyés à l'Empereur après la paix de Car-
lowitz: et le feu comte d'Oldenburg, dernier de sa
CHAPITRE XXVIII. branche, dont les haras étaient fameux, et qui a
De quelques antres relations et surtout vécu fort longtcms, avoit des arbres généalogiques
des relations morales. de ses chevaux, de sorte qu'il pouvoient faire preu
ve de noblesse et alloient jusqu'à avoir des por
§. 1. PH. Outre les relations, fondées sur le traits de leurs ancêtres (imagines majoruin)
teins, le lieu et la causalité, dont nous venons de ce qui étoit tant recherché chez les Romains. Mais
nous entretenir, il y en a une infinité d'autres, dont pour revenir aux hommes, il y a chez les Arabes
je vais proposer quelques unes. Toute Idée simple, et les Tartares des noms de Tribus, qui sont
capable de parties et de dégrés, fournit une occa comme de grandes familles, qui se sont fort ampli
sion de comparer les sujets, ou elle se trouve, par fiées par la succession des teins. Et ces noms sont
exemple l'Idée du plus (on moins ou également) ! pris ou du progéniteur comme du terns de Moïse,
blanc. Cette relation peut être appellée propor- ou du lieu d'habitation ou de quelque autre circon-
tionelle. i stance. Mr. Worsley, voyageur curieux, qui s'est
TH. 11 y a pourtant un excès sans proportion; informé de l'état présent de l'Arabie déserte, où il
et c'est à l'égard d'une grandeur, que j'appelle a été quelque tems, assure que dans tout le pays
imparfaite, comme lorsqu'on dit que l'angle, entre l'Egypte et la Palestine et où Moïse a passé,
que le rayon fait à l'arc de son cercle, est moindre 1 il n'y a aujourd'hui que trois Tribus , qui peuvent,
que le droit , car il n'est point possible qu'il y ait aller ensemble à 5000 hommes, et qu'une de ces
une proportion entre ces deux angles, ou entre l'un Tribus s'appelle Sali du progéniteur (comme je
286 L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. H.
crois) dont la postérité honore le tombeau comme nance ou disconvenance, qui se trouve entre les ac
celui d'un saint, en y prenant de la poussière, que tions volontaires des hommes et une règle, qui fait
les Arabes mettent sur leur tète et sur celles de qu'on juge si elles sont moralement bonnes
leur chameaux. Au reste consanguinité est, ou mauvaises, §. 5. et le bien moral ou le
quand il y a une origine commune de ceux dont mal moral est la cou fortuite ou l'opposition, qui
on considère la relation; mais on pourroit dire qu' se trouve entre les actions volontaires et une cer
il y a Alliance ou Affinité entre deux person taine loi , ce qui nous attire du bien ou du mal
nes, quand ils peuvent avoir consanguinité avec (physique) par la volonté et puissance du législa
âne même personne, sans qu'il y en ait pour cela teur (ou de celui qui veut maintenir la loi) et c'est
entr'eux, ce qui se fait par l'intervention des ma ce que nous appelions récompense e.t punition.
riages. Mais comme on n'a point coutume de TH. Il est permis à des auteurs aussi habiles,
dire, qu'il y a affinité entre mari et femme, quoi que celui dont Vous représentez les sentimens,
que leur mariage soit cause de l'affinité par rap Monsieur, d'accommoder les termes comme ils le
port à d'antres personnes, il vaudroit peut-être jugent à propos. Mais il est vrai aussi que sui
mieux de dire, qu' Affinité est entre ceux, qui vant cette notion, une même action seroit morale
auroient consanguinité entr' eux si mari et femme ment bonne et moralement mauvaise eu même tems,
étoient pris pour une môme personne sous de différeus législateurs, tout comme notre
§. 3. PH. Le fondement d'unRapport est quel habile Auteur prcnoit la vertu ci -dessus pour ce
quefois un droit moral, comme le rapjwrt d'un Gé qui est loué, et par conséquent une même action
néral d'Armée, ou d'un citoyen. Ces relations, seroit vertueuse ou non, selon les opinions des
dépendant des accords que les hommes ont fait hommes. Or cela n'étant pas le sens ordinaire,
entr'eux, sont volontaires ou d'institution, qu'on donne aux actions moralement bonnes et
que Ton peut distinguer des naturelles. Quel vertueuses, j'aimerois mieux pour moi, prendre
quefois les deux corrélatifs ont chacun son nom, puni- la mesure du bien moral et de la vertu la rè
comme Patron et Client, Général et Soldat Mais gle invariable de la raison, que Dieu s'est chargé
on n'en a pas toujours: comme par exemple on île maintenir. Aussi peut-on être assuré, que par
n'en a point pour ceux , qui ont rapport au Chan son moyeu tout bien moral devient physique, ou
celier. comme parloicnt 1rs anciens, tout honnête est utile ;
TH. Il y a quelquefois des relations natu au lieu que pour exprimer la notion de l'Auteur,
relles, que les hommes ont revêtu et enrichi de il faudroit dire que le bien ou le mal moral est un
quelques relations morales, comme par exemple bien ou un mal d'imposition ou iustitutif, que
les enfans ont droit de prétendre la portion légi celui, qui à le pouvoir en main, tâche de faire sui
time de la succession de leurs pères ou mères; les vre ou éviter par les peines ou récompenses. Ix;
personnes jeunes ont certaines sujétions, et les bon est , que ce qui est de l'institution générale clo
âgées ont certaines immunités. Cependant il ar Dieu, est conforme à la nature ou à la raison.
rive anssi qu'on prend pour des relations naturelles §.7. PH. Il y a trois sortes de loix: la loi
celles qui ne le sont pas ; comme lorsque les loix divine, la loi civile, et la loi d'opinion ou
disent que le père est celui , qui a fait des noces de réputation. La première est la règle des
avec la mère dans le teins, qui fait que l'enfant lui péchés ou des devoirs, la seconde des actions
peut être attribué; et cette substitution de l'insti- criminelles ou innocentes, la troisième des
tutif à la place du naturel n'est que présom- vertus ou des vices.
tion quelquefois, c'est à dire jugement, qui fait TH. Selon le sens ordinaire des ternies, les
passer pour vrai ce qui peut-être ne l'est pas, tant vertus et les vices ne diffèrent des devoirs et
qu'on n'en prouve point la fausseté. Et c'est ainsi des péchés, que comme les habitudes diffèrent
que la maxime: pater est quem nuptiae dé des actions, et on ne prend point la vertu et le
mo nstrant est prise dans le droit Romain et vice pour quelque chose, qui dépende de l'opinion.
chez la plupart des peuples où elle est reçue. Mais Un grand péché est appelle un crime, et on n'op
on m'a dit qu'en Angleterre il ne sert de rien de pose point l'innocent au criminel, mais au
prouver son alibi, pourvu qu'on ait été dans un coupable. La loi divine est de deux sortes,
des trois Royaumes, de sorte que la présomtiou naturelle et positive. La loi civile est positive.
alors se change en fiction ou en ce que quelques La loi de réputation ne mérite le nom de loi qu'im
Docteurs appellent praesumtionem juris et proprement, ou est comprise sous la loi naturelle,
de jure. comme si je disois/ la loi de la santé, la loi da
5. 4. PH. Relation Morale est la conve ménage, lorsque les actions attirent uaturellcmeDt
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LTVr. U. 287
quelque bien on quelque mal, comme l'approbation porter le vin , est un avantage; qui scrvoit à Bono-
d'autrui, la sauté, le gain. sns à se concilier les Barbares et à tirer d'eux leur
§.10. PH. On prétend en effet par tout le secrets. Les forces nocturnes d'Hercule, eu quoi
monde, que les mots de vertu et de vice signi le inèmeBonosus prétendoit lui ressembler, n'étoieut
fient des actions bonnes et mauvaises de leur na pas moins une perfection. La subtilité des larrons
ture, et tant qu'ils sont réellement appliques en ce étoit louée chez les Lacédémonieus, et ce n'est pas
sens, la vertu convient parfaitement avec la loi di { l'addresse, mais l'usage qu'on en fait mal à propos,
vine (naturelle). Mais quelles que soient les pré ! qui est blâmable, et ceux qu'on roue en pleine paix
tensions des hommes, il est visible que ces noms, pourraient servir quelquefois d'excellens partisans
considérés dans les applications particulières , sont en tems de guerre. Ainsi tout cela dépend de l'ap
constamment et uniquement attribués à telles on plication et du bon ou mauvais usage des avanta
telles actions, qui dans chaque pays, ou dans cha ges qu'on possède. Il est vrai aussi très souvent et ne
que société sont réputées honorables ou honteuses: doit JMS être pris pour une chose fort étrange, que
autrement les hommes se condamner oient eux- les hommes se condamnent eux-mêmes, com
mêmes. Ainsi la mesure de ce qu'on appelle me lors qu'il font ce qu'ils blâment dans les autres,
vertu et vice est cette approbation ou ce mépris, et il y a souvent une contradiction entre les ac
cette estime ou ce blâme, qui se forme par un se tions et les paroles, qui scandalise le public, lorsque
cret ou tacite consentement. Car quoique les hom ce que fait et que défend un Magistrat ou prédica
mes réunis en sociétés politiques aient résigné en teur, saute aux yeux de tout le monde.
tre les mains du public la disposition de toutes les §. 12. PH. En tout lieu ce qui passe pour
forces, en sorte qu'ils ne peuvent point les emplo vertu est cela même qu'on juge digne de louange.
yer contre leurs concitoyens au delà de ce qui est La vertu et la louange sont souvent désignées par
permis par la loi, ils retiennent pourtant toujours le même nom. Snnt hic etiain sua praemia
la puissance de penser bien ou mal, d'approuver ou laudi, dit Virgile (lib. 1. Aeneid. vers. 491.) et
de désapprouver. ; Cicéron: ,,nihil habet natura praestantius quain ho-
TH. Si l'habile Auteur, qui s'explique ainsi nestatem, quain laudem, quain diguitatem, quant
avec Vous, Monsieur, déclaroit, qu'il lui a plu d'as déçus." Quaest. Tuscul. lib. 2. c, 20. et il ajoute
signer cette présente définition arbitraire nominale un peu après: Hisce ego pluribus nominibus
aux noms de vertu et de vice, on pourroit dire seu u ira in rem declarari volo.
lement qu'il lui est permis en théorie pour la com TH. 11 est vrai que les anciens ont désigné la
modité de s'exprimer faute peut-être d'autres ter vertu par le nom de l'honnête, comme lors
mes; mais on sera obligé d'ajouter que cette signi qu'ils ont loué injcoc tu m generoso pectusho-
fication n'est point conforme à l'usage, ni même nesto. Et il est vrai aussi que l'honnête a son
utile à l'édification, et qu'elle sonneroit mal dans nom de l'honneur ou de la louange. Mais cela
les oreilles de bien des gens, si quelqu'un la vou- veut dire non pas que la vertu est ce qu'on loue,
loit introduire dans la pratique de la vie et de la mais qu'elle est ce qui est digne de louange et c'est
conversation, comme cet Auteur semble reconnoi- ce qui dépend de la vérité et non pas de l'opinion.
tre lui-môme dans la préface. Mais c'est aller plus PH. Plusieurs ne pensent point sérieusement à
avant ici, et quoique vous avouiez que les hommes la loi de Dieu ou espèrent, qu'ils se réconcilieront
prétendent parler de ce qui est naturellement ver un jour avec celui, qui en est l'auteur, et à l'égard
tueux ou vicieux selon des loix immuables, vous de la loi de l'état ils se flattent de l'impunité.
prétendez qu'en effet ils n'entendent parler que de Mais on ne pense point, que celui qui fait quelque
ce qui dépend de l'opinion. Mais il me sumble que chose de contraire aux opinions de ceux qu'il fré
par la même raison on pourroit encore soutenir que quente, et à qui il veut se rendre recommandable,
la vérité et la raison et tout ce qu'on pourra nom puisse éviter la peine de leur censure et de leur dé
mer de plus réel, dépend de l'opinion, parceque les dain. Personne à qui il peut rester quelque senti
hommes se trompent, lorsqu'ils en jugent. Ne vaut- ment de sa propre nature, ne peut vivre en société
il donc pas mieux à tons égards de dire, que les constamment méprisé; et c'est la force de la loi
hommes entendent par la vertu comme par la vé de la réputation.
rité, ce qui est conforme à la nature, mais qu'ils TH. J'ai déjà dit, que ce n'est pas tant la peine
se trompent souvent dans l'application; outre qu' d'une loi qu'une peine naturelle, que l'action s'at
ils se trompent moins qu'on ne pense, car tire d'elle même. Il est vrai cependant que bien
ce qu'ils louent le mérite ordinairement à certains des gens ne s'en soucient guèrcs, parce qu'ordinai
égards. La vertu de boire, c'est à dire de bien rement s'ils sont méprisés îles uns à cause de quel
288 L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LTV. IL
que action blâmée, ils trouvent des complices, on an
moins dos partisans, qui ne les méprisent point, CHAPITRE XXII.
s'ils sont tant soit peu recommandables par quel Des idées claires et obscures, distinctes
que autre coté. On oublie même les actions les et confuses.
plus infâmes, et souvent il suffit d'être hardi et
effronté comme ce Phormion de Térence pour que §. 2. PH. Venons maintenant à quelques diffé
tout jiasse. Si l'excommunication faisoit naî rences des Idées. Nos Idées simples sont clai
tre un véritable mépris constant et général, elle au- res, lorsqu'elles sont telles que les objets mêmes,
roit la force de cette loi, dont parle notre Auteur: d'où on les reçoit, les réprésentent on peuvent les
et elle avoit en effet cette force chez les premiers réprésenter avec toutes les circonstances requises à
Chrétiens et leur tenoit lieu de jurisdiction, dont ils une sensation ou perception bien ordonnée. Lors
manquoient pour punir les coupables; à peu près que la mémoire les conserve de cette manière ce
comme les artisans maintiennent certaines coutu sont en ce cas là des Idées claires, et autant qu'il
mes entr'eux malgré les loix par le mépris qu'ils leur manque de cette exactitude originale ou qu'el
témoignent pour ceux, qui ne les observent point. les ont perdu pour ainsi dire de leur première fraî
Et c'est ce qui a maintenu aussi les duels contre cheur, et qu'elles sont comme ternies et flétries par
les ordonnances. Il serait à souhaiter, que le pu le teins, autant sont elles obscures. Les Idées
blic s'accordât avec soi môme et avec la raison dans complexes sont claires quand les simples, qui
les louanges et dans les blâmes; et que les grands les composent, sont claires et que le nombre et Tor
surtout ne protégeassent point les médians en riant dre de ces Idées simples est fixé.
des mauvaises actions, où il semble le plus souvent TH. Dans un petit discours sur les Idées, vraies
que ce n'est pas celui, qui les a faites, mais celui ou fausses, claires ou obscures, distinctes ou confu
qui en a souffert , qui est puni par le mépris et ses, inséré dans les actes de Leipsic l'an 1684 j'ai
tourné en ridicule. On verra aussi généralement donné une définition des Idées claires, commune
que les hommes méprisent non pas tant le vice que aux simples et aux composées et qui rend raison
la foiblesse et le malheur. Ainsi la loi de la ré de ce qu'on en dit ici. Je dis donc qu'une Idée
putation auroit besoin d'être bien réformée, et aussi est claire lorsqu'elle suffit pour reconnoître la
d'être mieux observée. chose et pour la distinguer: comme lorsque j'ai une
§. 19. Avant que de quitter la considération Idée bien claire d'une couleur, je ne prendrai pas
des rapports, je remarquerai que nous avons ordi une autre pour celle que je demande, et si j'ai une
nairement une notion aussi claire ou plus claire de Idée claire d'une plante, je la discernerai parmi
la relation que de son. fondement. Si je cro d'autres voisines; sans cela l'Idée est obscure.
yais que Sempronia a pris Titus de dessous un chou, Je crois que nous n'en avons guères de parfaitement
comme a accoutumé de dire aux petits enfans, et claires sur les choses sensibles. Il y a des couleurs,
qu'ensuite elle a eu Cajus de la même manière, qui s'approchent de telle sorte, qu'on ne sauroit les
j'aurois une notion aussi claire de la relation de discerner par mémoire , et cependant on les discer
frère entre Titus et Cajus, que si j'avois tout le nera quelquefois l'une étant mise près de l'autre. Et
savoir des sages femmes. lorsque nous croyons avoir bien décrit une plante,
TH. Cependant comme on disoit un jour à un ou en pourra apporter une des Indes, qui aura tout
enfant, que son petit frère, qui venoit de naître, ce que nous aurons mis dans notre description, et
avoit été tiré d'un puits (réponse dont on se sert qui ne laissera ])as de se faire connoitre d'espèce
en Allemagne pour satisfaire la curiosité des enfans différente : ainsi nous ne pourrons jamais détermi
sur cet article) l'enfant répliqua qu'il s'étonnoit qu1 ner parfaitement species infimas ou les derniè
on ne le rejettoit pas dans le même puits quand il i res espèces.
crioit tant et incommodoit la mère. C'est que cette §. 4. PH. Comme une Idée claire est celle,
explication ne lui faisoit point connoître aucune dont l'esprit a une pleine et évidente perception
raison de l'amour que la mère témoignoit pour l'en telle qu'elle est, quand il la reçoit d'un objet exté
fant. On peut donc dire que ceux qui ne savent rieur, qui opère dûment sur un organe bien disjiosé;
point le fondement des relations, n'en ont que ce de même une Idée distincte est celle où l'esprit
que j'appelle des ]>cnsées sourdes en partie et insuf apperçoit une différence, qui la distingue de toute
fisantes, quoique ces pensées puissent suffire à cer autre Idée; et une Idée confuse est celle, qu'on
tains égards et en certaines occasions. ne peut pas suffisamment distinguer d'avec une
antre, de qui elle doit être différente.
TH. Suivant cette notion, que Vous donnez de
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 289
l'Uée distincte, je ne vois point le moyen de la chodonosor pour se foire retracer son songe même,
distinguer de l'Idée claire. C'est pourquoi j'ai il est manifeste que celle, qu'il en auroit eue, au-
coutume de suivre ici le langage de M. Descartes, roit été obscure et imparfaite (car c'est ainsi que
chez qui une Idée pourra être claire et confuse en j'aimerais mieux l'appeller que confuse) non pas
uiéme teins; et telles sont les Idées des qualités faute d'application juste à quelque nom, car il n'y
sensibles, affectées aux organes, comme celle de la en avoit point, mais faute d'application à la chose,
couleur ou de la chaleur. Elles sont claires, car c'est à dire à la plante, qui devoit guérir. En ce
on les recoimoît et on les discerne aisément les unes cas Alexandre se seroit souvenu de certaines cir
des autres, mais elles ne sont point distinctes, par- constances, mais il auroit été en cloute sur d'autres ;
cequ'on ne distingue pas ce qu'elles renferment. et le nom nous servant pour désigner quelque chose,
Ainsi on n'en saurait donner la définition. Ou ne cela fait que lorsqu'on manque dans l'application
les fait coimoitre que par des exemples, et au reste aux noms , on manque ordinairement à l'égard do
il faut dire que c'est un je ne sais quoi, jusqu'à la chose, qu'on se promet de ce nom.
ce qu'on en déchiffre la contexture. Ainsi quoi §.7. PH. Comme les Idées composées sont
que selon nous les Idées distinctes distinguent l'ob les plus sujettes à cette inperfcction , elle peut ve
jet d'un autre; néanmoins, comme les claires, mais nir de ce que l'Idée est composée d'un trop petit
confuses en elles-mêmes, le font aussi, nous nom nombre d'Idées simples, comme est par exemple
mons distinctes non pas toutes celles, qui sont bien l'Idée d'une bête, qui a la peau tachetée, qui est
distiguantes ou qui distinguent les objets, mais cel trop générale, et qui ne suffit point à distinguer le
les qui sont bien distinguées, c'est à dire qui sont ' Lynx, le Léopard, ou la Panthère, qu'oui distingue
distinctes en elles-mêmes et distinguent dans l'objet pourtant par des noms particuliers.
les marques, qui le font connoitre, ce qui en donne TH. Quand nous serions dans l'état, où étoit
l'analyse ou définition; autrement nous les appel Adam avant que d'avoir donné des noms aux ani
ions confuses. Et dans ce sens la confusion, qui maux, ce défaut ne laisserait pas d'avoir lieu. Car
règne dans les Idées, pourra être exemple de blâme, ! supposé qu'on sût que parmi les bêtes tachetées il
étant une imperfection de notre nature; car nous y en a une, qui a la vue extraordinaireinent péné-
ne saurions discerner les causes par exemple des ; trente, mais qu'on ne sût point si c'est un Tigre ou
odeurs et des saveurs, ni ce que renferment ces qua un Lynx, ou une autre espèce; c'est une imperfec
lités. Cette confusion pourtant pourra être blâma tion de ne pouvoir point la distinguer. Ainsi il
ble, lorsqu'il est important et en mon pouvoir d'a ne s'agit pas tant du nom que de ce qui y peut
voir des Idées distinctes, comme par exemple si je donner sujet, et qui rend l'animal digne d'une dé
prenois de l'or sophistique pour du véritable, faute nomination particulière. Il paroit aussi par là,
de faire les essais nécessaires, qui contiennent les que l'Idée d'une bête tachetée est bonne en elle mê
marquis du bon or. me, et sans confusion et obscurité, lorsqu'elle ne
§. 5. PH. Mais l'on dira qu'il n'y a point doit servir que de genre; mais lorsque jointe à
d'Idée confuse (ou plutôt obscure) suivant votre quelque autre Idée, dont on ne se souvient pas as
sens, car elle ne peut être que telle qu'elle est ap- sez, elle doit désigner l'espèce, l'Idée, qui en est
perçue par l'esprit, et cela la distingue suffissament composée, est obscure et imparfaite.
de toutes les autres. §. 6. Et pour lever cette §.8. PH. Il y a un défaut opposé lorsque les
difficulté il faut savoir que le défaut des Idées se Idées simples, qui forment l'Idée composée, sont en
rapporte aux noms, et ce qni la rend fautive c'est nombre suffisant, mais trop confondues et embrouil
lorsqu'elle peut aussi bien être désignée par un au lées, comme il y a des tableaux, qui paraissent
tre nom , que par celui dont on s'est servi pour aussi confus , que s'ils ne dévoient être que la ré
l'exprimer. présentation du ciel couvert de nuages, auquel cas
TH. Il me semble qu'on ne doit point faire dé aussi ou ne diroit point, qu'il y a de la confusion,
pendre cela des noms. Alexandre le grand avoit non plus que si c'étoit un autre tableau , fait pour
vu (dit- on) une plante en songe comme bonne pour imiter celui-là ; mais lorsqu'on dit que ce tableau
guérir Lysimachus, qui fut depuis appellée Lysi- doit faire voir un portrait , on aura raison de dire,
Biachia, parcequ'elle guérit effectivement cet qu'il est confus jwrce-qu'ou ne sauroit dire , si c'est
ami du Roi. Lorsqu' Alexandre se fit apporter celui d'un homme, ou d'un signe, ou d'un poisson,
quantité de plantes, parmi lesquelles il reconnut cependant il se peut que lorsqu'on le regarde dans
celle qu'il avoit vue en songe, si par malheur il n'a- un miroir cylindrique, la confusion disparoisse, et
voit point eu d'Idée suffisante pour la reconnoître que l'on voie que c'est uu Jules César. Ainsi au
et qu'il eut eu besoin d'un Daniel comme Nabu- cunes des peintures mentales (si j'ose m'exprimer
37
290 L1X. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II.
ainsi) ne pont être appellée confuse de quelque ma notion générale, sans s'en souvenir clairement; de
nière que ses parties soient jointes ensemble ; car sorte que le premier et le troisième défaut, que
quelles que soient ces peintures , elles peuvent être vous avez spécifiés, reviennent à la même chose. 11
distinguées évidemment de toute autre, jusqu'à ce est cependant très vrai que l'abus des mots est une
qu'elles soient rangées sous quelque nom ordinaire, grande source d'erreurs, car il en arrive une ma
auquel on no sauroit voir qu'elles appartiennent nière d'erreur de calcul , comme si en calculant on
plutôt qu'a quelque autre nom d'une signification ne marquoit pas bien la place du jetton, ou si l'on
différente. écrivoit si mal les notes numérales, qu'on ne pût
T H. Ce tableau, dont on voit distinctement les point discerner un 2. d'un 7. ou si on les omettoit
parties, sans en remarquer le résultat, qu'en les re ou échangeoit par mégarde. Cet abus des mots
gardant d'une certaine manière , ressemble à l'Idée consiste, ou à n'y jwint attacher des Idées du tout,
d'un tas de pierre, qui est véritablement confuse, ou à en attacher une imparfaite, dont une partie
non seulement dans Votre sens, mais aussi dans le est vuide et demeure pour ainsi dire en blanc ; et
mien, jusqu'à ce qu'on en ait distinctement en ces deux cas il y a quelque chose de vuide et do
conçu le nombre et d'autres propriétés. S'il y en sourd dans la pensée, qui n'est rempli que par le
avoit trente six (par exemple) on ne connoîtra pas, nom. Ou enfin le défaut est d'attacher au mot
à les voir entassées ensemble sans Être arrangées, qu'el des Idées différentes, soit qu'on soit incertain le
les peuvent donner un triangle ou bien un quarré, quel doit être choisi, ce qui fait l'Idée obscure aussi
comineelles le peuvent en effet parceque trentesix est bien que lorsqu'une partie en est sourde ; soit qu'on
un nombre quatre, et aussi un nombre triangulaire. les choisisse tour à tour et qu'on se serve tantôt de
C'est ainsi qu'en régardant une figure de mi Ile côtés, on l'une tantôt de l'autre pour le sens du même mot
n'en auraqu'une Idée confuse, jusqu'à ce qu'on sache le dans un même raisonnement d'une manière capable
nombre des côtés, qui est le cube de dix. 11 ne de causer de l'erreur, sans considérer que ces Idées
s'iigit donc point des noms, mais des propriétés ne s'accordent point. Ainsi la pensée incertaine
distinctes, qui se doivent trouver dans l'Idée est ou vuide et sans Idée, ou flottante entre plus
lorsqu'on en anra démêlé la confusion. Et il est d'une Idée. Ce qui nuit, soit qu'on veuille donner
difficile quelquesfois d'en trouver la clef, ou la ma au mot un certain sens, répondant ou à celui, dont
nière do regarder d'un certain point ou par l'entre nous nous sommes déjà servi, on à celui, dont se
mise d'un certain miroir ou verre pour voir le but servent les autres, surtout dans le langage ordi
de celui, qui a fait la chose. naire, commun à tous, ou commun aux gras du
§. 9. PH. Ou ne sauroit point nier, qu'il n'y métier. Et de là naissent une infinité de disputes
ait encore un troisième défaut dans les Idées, qui vagues et vaines dans la conversation, dans les au
dépend véritablement du mauvais usage des noms, ditoires, et dans les livres, qu'on veut vnidcr quel
c'est quand nos Idées sont incertaines ou indéter quefois par les distinctions, mais qui le plus
minées. Ainsi l'on peut voir tous les jours dos souvent ne servent qu'à embrouiller davantage, en
gens, qui, ne faisant pas difficulté do se servir des mettant à la place d'un terme vague et obscur d'au
mots usités dans leur langue maternelle avant que tres tenues encore plus vagues et pins obscurs,
d'en avoir appris la signification précise, changent comme font souvent ceux, que les Philosophes em
l'Idée qu'ils y attachent preequ'aussi souvent, qu'ils ploient dans leurs distinctions, sans en avoir de bon-
les font entrer dans leur discours. §. 10. Ainsi nos définitions.
l'on voit combien les noms contribuent à cette dé §. 12. PH. S'il y a quelqne autre confusion
nomination d'Idées distinctes et confuses et sans la dans les Idées, que celle qui a un secret rapport aux
considération des noms distincts, pris pour dos noms, celle-là du moins jette le désordre plus qu'au
signes des choses distirutos, il sera bien mal aisé de cune autre dans les pensées et dans les discours des
dire ce que c'est qu'une Idée confuse. hommes.
TH. Je viens pourtant de l'expliquer sans con PH. J'en demeure d'accord, mais il se mêle le
sidérer les noms, soit dans le cas, où la co n fu s i on plus souvent quelque notion de la chose et du but,
est prise avec Vous jxiur ce que j'appelle obscu qu'on a en se servant du nom ; comme par exem
rité, soit dans celui où elle est prise dans mon ple lorsqu'on parle de l'église plusieurs ont en
sons pour lo défaut de l'analyse de la notion qu'on vue un gouvernement, pendant que d'autres jicnsent
a. Et j'ai montré aussi , que toute Idée obscure à la vérité de la doctrine.
est en effet indéterminée ou incertaine, comme dans PH. Le moyen de prévenir cette confusion,
l'exemple de la bête tachetée, qu'on a vu, où l'on c'est d'appliquer constamment le même nom à un
sait qu'il faut joindre encore quelque chose à cette certain amas d'I.lées simples, unies en nombre fixe
L1X. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. H. 291
et dans un ordre déterminé. Mais coinine cela n'ac- l'eutrcprenoit comme il faut, qn n'aurait point su
couimode ni la paresse ni la vanité des hommes, jet de s'en repentir. Et j'ai été tenté de l'essayer.
et qu'il ne peut servir qu'à la découverte et à la §.13. PH. Vous m'accorderez cependant que
défense de la vérité, qui n'est pas toujours le ; les Idées composées peuvent être fort claires et fort
but qu'ils se proposent, une telle exactitude est une | distinctes d'un côté, et fort obscures et fort coufu-
de ces choses, qu'on doit plutôt souhaiter qirespé- i ses de l'autre.
rer. L'application vague des noms à des Idées in TH. Il n'y a pas lieu d'en douter, par exemple
déterminées, variables et qui sont presque de purs nous avons des Idées fort distinctes (l'une bonne
néants (dans les pensées sourdes) est d'un côté à i partie des parties solides visibles du corps humain,
couvrir notre ignorance et de l'autre à confondre et mais nous n'en avons guèrcs des liqueurs, qui y
embarasser les autres, ce qui passe pour véritable , entrent.
savoir et pour marque de supériorité eu fait de PH. Si un homme parle d'une figure de mille
conuoissance. côtés, l'Idée de cette figure peut être fort obscure
dans son esprit, quoique celle du nombre y soit
TH. L'affectation de l'élégance et des bons mots fort distincte.
a encore contribué beaucoup à cet embarras du
langage: car pour exprimer les pensées d'une ma- ! T H. Cet exemple ne convient point ici ; un Po
iiière belle et agréable on ne fait point difficulté de lygone régulier de mille côtés est connu aussi di
donner aux mots par une manière de Trop quel stinctement, que le nombre millénaire ]>arce qu'on
que sens un peu différent de l'ordinaire, qui soit tan peut y découvrir et démontrer toute sorte do vérités.
tôt plus général ou plus borné, ce qui s'appelle Sy PH. Mais on n'a point d'idée précise d'une fi
necdoque, tantôt transféré suivant la relation des gure de mille côtés , de sorte qu'on la puisse distin
choses, dont on change les nom.s, qui est ou de con guer d'avec une autre, qui n'a que neuf cent no-
cours dans les Métonymies, ou de comparaison naute neuf.
dans les Métaphores, sans parler de l'Ironie, TH. Cet exemple fait voir qu'on confond ici
qui se sert d'un opposé à la place de l'autre. C'est l'Idée avec l'image. Si quelqu'un me propose un
ainsi qu'on appelle ces changemens, lorsqu'on les polygone régulier, la vue et l'imagination ne me
reconuoit; mais on ne les rcconnoit que rarement sauraient point faire comprendre le millénaire qui
Et dans cette indétermination du langage, où l'on y est; je n'ai qu'une Idée confuse et de la figure
manque d'une espèce de loix, qui règlent la signi et de son nombre, jusqu'à ce que je distigue lo
fication des mots , comme il y en a quelque chose nombre en comptant. Mais l'ayant trouvé, -je con-
dans le titre des Digestes du droit Roumiu de ver- nois très bien la nature et les propriétés du poly
borum significationihus, les personnes les gone proposé, en tant qu'elles sont celles du chilio-
plus judicieuses, lorsqu'elles écrivent pour des lec- ' gone, et par conséquent j'en ai cette Idée ; niais je
leurs ordinaires, se priveroient de ce qui donne de [ ne saurois avoir l'image d'un chiliogono, et il fau-
l'agrément et de la force à leurs expressions , si el droit qu'on eut les sens et l'imagination plus exquis
les vouloient s'attacher rigoureusement à des signi- ; et plus excercés pour le distinguer par là d'un po
fications fixes des termes. 11 faut seulement lygone, qui eut un côté de moins. Mais les con-
qu'elles prennent garde que leur variation ne fasse noissances des figures non plus que celles des nom
naître aucune erreur ni raisonnement fautif. La bres ne dépendent pas de l'imagination, quoiqu'elle
distinction des anciens entre la manière d'écrire y serve; et un Mathématicien peut connoitrc exacte
exotérique, c'est à dire populaire et l'acre ina- ment la nature d'un ennéagone et d'un décagone
tiqne, qui est pour ceux qui s'occupent à décou parcequ'il a le moyen de les fabriquer et de les
vrir la vérité, a lieu ici. Et si quelqu'un vouloit ' examiner, quoiqu'il ne puisse point les discerner à
écrire en Mathématicien dans la métaphysique ou • la vue. Il est vrai qu'un ouvrier et un ingénieur,
dans la Morale rien ne l'empècheroit de le faire qui n'en connoitra peut-être point assez la nature,
avec rigueur. Quelques uns en ont fait profession, pourra avoir cet avantage au dessus d'un grand Géo
et nous ont promis des démonstrations mathémati mètre qu'il les pourra discerner en 1rs voyant seu
ques hors des Mathématiques; mais il est fort rare lement sans les mesurer, comme il y a des colpor
qu'on y ait réussi. C'est je crois, qu'on s'est dé teurs, qui diront le poids de ce qu'ils doivent por
goûté de la peine, qu'il falloit prendre pour un pe ter sans se tromper d'une livre, en quoi ils surpas
tit nombre des Lecteurs, où l'on ponvoit demander seront le plus habile staticien du monde. Cette
comme chez Perse, quis leget haec, et répondre: conuoissance empirique, acquise par un long exer
vel duo vel ncuio. Je crois pourtant que si on cice, peut avoir de grands usages pour agir promp
37*
292 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. II.
tement, comme un ingénieur a besoin de faire bien j les qu'on en a ne dépendent que de la comparaison
souvent à cause du danger où il s'expose en s'ar aux organes et aux autres objets, et il est inutile
rêtant. Cependant cette image claire, ou ce ici d'employer l'imagination. Ainsi il paroît par
sentiment, qu'on peut avoir d'un décagone régulier tout ce que vous m'avez dit encore ici , Monsieur,
ou d'un poids de 99. livres, ne consiste que dans qu'on est ingénieux à se faire des difficultés sans
une Idée confuse, puisqu'elle ne sert point à dé sujet, en demandant plus qn'il ne faut.
couvrir la nature et les propriétés de ce poids ou
du décagone régulier, ce qui demande une Idée
distincte. Et cet exemple sert à mieux enten
dre la différence des Idées on plutôt celle de l'Idée
et de l'image. CHAPITRE XXX.
§.25. PH. Autre exemple : nous sommes por Des Idées réelles et chimériqnes.
tés à croire que nous avons une Idée positive et
complette de l'éternité, ce qui est autant que si nous §. 1. PH. Les Idées par rapport aux choses
disions qu'il n'y a aucune partie de cette durée, sont réelles ou chimériques, complcttes ou incom-
qui ne soit clairement connue dans notre Idée: mais plettes, vraies ou fausses. Par Idées réelles
quelque grande que soit la durée qu'on se répré j'entends celles, qui ont de fondement dans la nature,
sente, comme il s'agit d'une étendue sans bornes, et qui sont conformes à un Etre réel, à l'existence
il reste toujours une partie de l'Idée au delà de ce des choses ou aux Archétypes; autrement elles sont
qu'on réprésente, qui demeure obscure et indéter phantastiqnes ou chimériques.
minée; et de là vient que dans les disputes et rai- TH. 11 y a un peu d'obscurité dans cette expli
sonnemens, qui regardant l'éternité ou quelque au cation. L'idée peut avoir un fondement dans la
tre infini, nous sommes sujets à nous embrouiller nature, sans être conforme à ce fondement, comme
dans de manifestes absurdités. lorsqu'on prétend que les sentimens, qne nous avons
TH. Cet exemple ne me j>aroît point quadrer de la couleur et de la chaleur, ne ressemblent à au
non plus à Votre dessein, mais il est fort propre cun original ou archétype. Une Idée aussi sera
an mien, qui est de Vous désabuser de Vos notions réelle, quand elle est possible, quoiqu'aucun Etre
sur ce point. Car il y règne la même confusion existant n'y réponde; autrement si tous les indivi
de l'image avec l'Idée. Nous avons nne Idée corn- dus d'une espèce se perdoient, l'Idée de l'espèce
plette ou juste de i éternité, puisque nous en avens deviendroit chimérique.
la définition, quoique nous n'en ayons aucune ima §. 2. PH. Les Idées simples sont tontes réel
ge ; mais on ne forme point l'Idée des infinis par la les, car quoique selon plusieurs la blancheur et la
composition des parties, et les erreurs qu'on com j froideur ne soient non plus dans la neige que la
met en raisonnant sur l'infini ne viennent point du douleur, cependant leurs Idées sont en nous des ef
défaut de l'image. fets des puissances attachées aux choses extérieures,
§. 18. PH. Mais n'est-il pas vrai, que lorsque et ces effets constans nous servent autant à distin
nous parlons de la divisibilité de la matière à l'in guer les choses que si c'étoient des images exactes
fini, quoique nous ayons des Idées claires de la di de ce qui existe dans les choses mêmes.
vision, nous n'en avons que de fort obscures et fort TH. J'ai examinée ce point ci-dessus: mais il
confuses des particules? Car je demande, si un paroît par là qu'on ne demande point toujours une
homme prend le plus petit atome de poussière qu'il conformité avec un Archétype et suivant l'opinion
ait jamais vu , aura-t-il quelque Idée distincte entre (que je n'approuve pourtant pas) de ceux, qui con
la 10,000meet la lOOOme particule de cet atonie? çoivent que Dieu nous a assigné arbitrairement des
TH. C'est le même qui pro quo de l'image Idées, destinées à marquer les qualités des objets,
pour l'Idée, que je m'étonne de voir si confon sans qu'il y ait de la ressemblance ni même de rap
dues: il ne s'agit nullement d'avoir une image port naturel, il y auroit aussi peu de conformité en
d'une si grande petitesse. Elle est impossibile sui cela entre nos Idées et les archétypes, qu'il y en a
vant la présente constitution de notre corps, et si entre des mots, dont on se sert par institution dans
nous la pouvions avoir, elle seroit à peu près com : les langues et les Idées ou avec les choses mêmes.
me celle des choses, qui nous paroissent maintenant §. 3. PH. L'esprit est passif, à regard de
apperceptibles; mais en récompense ce qui est ses Idées simples ; mais la combinaison, qu'il en fait
maintenant l'objet de notre imagination nous échap- pour former des Idées composées, où plusieurs sim
peroit et deviendroit trop grand pour être imaginé. ples sont comprises sous un même nom , ont quel
La grandeur n'a point d'images en elle même et cel que chose de volontaire; car l'un admet dans
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. H. 293
ridées complexe qu'il a de l'or ou de la justice, des TH. De cette manière, prenant le ternie da réel
Idées simples, que l'autre n'y admet point. et de chimérique, autrement par rapport aux
TH. L'esprit est encore actif à regard des Idées des modes, que par rapport à celles, qui for
Idées simples, quand il les détache les unes des au ment une chose substantielle, je ne vois point quelle
tres pour les considérer séparément, ce qui est vo notion est commune à l'un et à l'autre cas, que
lontaire aussi bien que la combinaison de plusieurs Vous donnez aux Idées réelles on chimériques; car
Idées: soit qu'il le fasse pour donner attention à les modes Vous sont réels quand ils sont possibles,
une Idée composée, qui en résulte, soit qu'il ait et les choses substantielles n'ont des Idées réelles
dessein de les comprendre sous le nom donné à la chez Vous que lorsqu'elles sont existentes. Mais
combinaison. Et l'esprit ne saurait s'y tromper, en voulant se rapporter à l'existence, on ne saurait
pourvu qu'il ne joigne point des Idées incompatibles, guères déterminer, si une Idée est chimérique ou
et pourvu que ce nom soit encore vierge pour ainsi non, parceque ce qui est possible, quoiqu'il ne se
dire, c'est à dire, que déjà on n'y ait point atta trouve pas dans lu lieu ou dans le teins, où nous
ché quelque notion, qui pourrait causer un mélange sommes, peut avoir existé autrefois on existera
avec celle, qu'on y attache de nouveau, et faire naî peut-être un jour, ou pourra même se trouver déjà
tre ou des notions impossibles, en joignant ce qui présentement dans un autre monde, ou même dans
lie peut avoir lieu ensemble, ou des notions super le nôtre, sans qu'on le sache, comme l'Idée, que Dé-
flues et qui contiennent quelque obreption, en mocrite avoit de la voie lactée, que les Télescopes
joignant des Idées , dont l'une peut et doit être dé ont vérifiée; de sorte qu'il semble, que le meilleur
rivée de l'autre par démonstration. est de dire qno les Idées possibles deviennent sru-
§. 4. PH. Les modes mixtes et les rela lement chimériques, lorsqu'on y attache sans fonde
tions n'ayant point d'autre réalité que celle, qu' ment l'Idée de l'existence effective, comme font
ils ont dans l'esprit des hommes, tout ce qui ceux, qui se promettent la pierre philosophale, ou
est requis pour faire que ces sortes d'Idées soient comme feroient ceux , qui croiraient qu'il y a eu
réelles est la possibilité d'exister ou de compatir une nation de centaures. Autrement eu ne se ré
ensemble. glant que snr l'existence on s'écartera sans néces
TH. Les relations ont une réalité dépendante sité du langage reçu, qui ne permet point qu'on
de l'esprit comme les vérités; mais non pas de dise que celui, qui parle en hiver de rosés ou d'oeil
l'esprit des hommes, puisqu'il y a une suprême in lets, parle d'une chimère, à moins qu'il ne s'ima
telligence, qui les détermine toutes en tout teins. gine de les pouvoir trouver dans son jardin, comme
Les modes mixtes, qui sont distincts des rela on le raconte d'Albert le Grand ou de quelque an
tions, peuvent être des accidens réels. Mais soit tre Magicien prétendu.
qu'ils dépendent ou ne dépendent point de l'esprit,
il suffit pour la réalité de leurs Idées, que ces mo
des soient possibles ou, ce qui est la même chose,
intelligible distinctement. Et pour cet effet, il faut
que les ingrédiens soient compossibles, c'est à CHAPITRE XXXI.
dire qu'ils puissent consister ensemble. Des Idées complettes et incomplettes.
§.5. PH. Mais les Idées composées des Sub
stances, comme elles sont toutes formées par rap §.1. PH. Les Idées réelles sont complet-
port aux choses, qui sont hors de nous, et pour re tés lorsqu'elles représentent parfaitement les origi
présenter les Substances telles qu'elles existent ré naux, d'où l'esprit suppose qu'elles sont tirées, qn'
ellement, ne sont réelles, qu'autant que ce sont des elles représentent et auxquelles il les rapporte. Les
combinaisons d'Idées simples, réellement et unies Idées incomplettes n'en représentent qu'une
et coëxistentes dans les choses, qui coexistent hors partie. Nos Idées simples sont complettes. L'Idée
de nous. Au contraire celles là sont chiméri de la blancheur ou de la douceur, qu'on remarque
ques, qui sont composées de telles collections dans le sucre, est complctte, parcequ'il suffit pour
d'Idées simples, qui n'ont jamais été réellement cela qu'elle réponde entièrement aux puissances,
unies et qu'on n'a jamais trouvé ensemble dans au que Dieu a mises dans ce corps pour produire ces
cune Substance ; comme sont celles, qui forment un sensations.
centaure, un corps ressemblant à l'or, excepté le TH. Je vois, Monsieur, que Vous appeliez Idées
poids , et plus léger que l'eau , un corps similaire complettes on incomplettes celles que Votre
par rapport aux sens , mais doué de perception et Auteur favori appelle Ideas adaeqnatas aut
de motion volontaire etc. inadaeqnatas; ou pourroit les appeller acconi
294 LIX. NOUVEAUX ESSAIS, L1V. II.
plies on inaccomplies. J'ai défini autrefois trement , parceque n'étant pas des copies mais des
iilcani adaequatatu (une idée accomplie) Archétypes, que l'esprit forme pour s'en servir à
celle qui est si distincte que tous les iugrédiens sont ranger les choses sous certaines dénominations, rien
distincts, et telle est à peu près l'Idée d'un nombre. ne sauroit leur manquer parceque chacune renferme
Mais lorsqu'une Idée est distincte et contient la dé telle combinaison d'Idées, que l'esprit a voulu
finition ou les marques réciproques de l'objet, elle former, et par conséquent telle perfection, qu'il a
pourra être inadaequata ou inaccomplie, sa eu dessein de lui donner, et on ne conçoit point,
voir lorsque ces marques ou ces ingrédieus ne sont que l'entendement de qui que ce soit puisse avoir
pas aussi toutes distinctement connues; par exemple une Idée plus complette ou plus parfaite du Triangle
l'or est un métal qui résiste à la coupelle et à l'eau que celle de trois côtés et de trois angles. Celui
forte, c'est une idée distincte, car elle donne des qui assembla les Idées du danger, de l'exécution,
marques ou la définition de l'or; mais elle n'est du trouble que produit la peur, d'une considération
pas accomplie car la nature de la coupellation et de tranquille de ce qu'il seroit raisonnable de faire, et
l'opération de l'eau forte ne nous est pas assez con d'une application actuelle à l'exécuter sans s'épou
nue. D'où vient que lorsqu'il n'y a qu'une Idée vanter par le péril, forma l'Idée de courage et
inaccomplie, le même sujet est susceptible de plu eut ce qu'il voulut, c'est à dire une Idée complette
sieurs définitions indépendantes les unes des autres, conforme à son bon plaisir. 11 en est autrement
en sorte qu'on ne sauroit toujours tirer Tune de des Idées des Substances, ou nous proposons ce qui
l'autre, ni prévoir qu'elles doivent appartenir à un existe réellement.
même sujet, et alors la seule expérience nous en TH. L'Idée du Triangle ou du Courage a
seigne qu'elles lui appartiennent toutes à la fois. ses Archétypes dans la possibilité des choses
Ainsi l'or pourra être encore défini le plus pesant aussi bien que l'Idée de l'or. Et il est indifférent,
de nos corps, ou le plus malléable, sans parler d'au quant à la nature de l'Idée, si on l'a inventée avant
tres définitions, qu'on pourroit forger. Mais ce ne l'expérience, ou si on Ta retenue après la percep
sera que lorsque les hommes auront pénétré, plus tion d'une combinaison, que la nature avoit faite.
avant dans la nature des choses, qu'où pourra voir La combinaison aussi, qui fait les modes,
pourquoi il appartient au plus pesant des métaux n'est pas tout à fait volontaire ou arbitraire,
de résister à ces deux épreuves des essayeurs; au car on pourroit joindre ensemble ce qui est incom
lieu que dans la Géométrie, où nous avons des Idées patible, comme font ceux, qui inventent des ma
accomplies, c'est autre chose, car nous pouvons chines du mouvement perpétuel; au lieu que d'au
prouver que les Sections terminées du Coae et du tres en peuvent inventer de bonnes et exécutables
Cylindre, faites par un plan, sont les mêmes, savoir qui n'ont point d'autres archétype chez nous que
des Ellipses et cela ne peut nous être inconnu si l'Idée de l'inventeur, laquelle a elle même pour ar
nous y prenons garde, parceque les notions, que chétype la possibilité des choses, ou l'Idée divine.
nous en avons, sont accomplies. Chez moi la di Or ces machines sont quelque chose de substantiel.
vision des Idées en accomplies ou inaccomplies, On peut aussi forger des modes impossibles comme
n'est qu'une sous-divisiou des Idées distinctes, et il lorsqu'on se propose le parallélisme des paraboles,
ne me paroit point que les Idées confuses, comme en s'imaginant qu'on peut trouver deux paraboles
celle que nous avons de la douceur, dont Vous parallèles l'une à l'autre, comme deux droites, ou
parle/, Monsieur, méritent ce nom ; car quoiqu'elles deux cercles. Une Idée donc, soit qu'elle soit celle
expriment la puissance, qui produit la sensation, d'un mode*, ou celle d'une chose substantielle,
elles ne l'expriment pas entièrement, ou du moins pourra être complette ou incomplettc selon qu'on
nous ne pouvons point le savoir , car si nous com entend bien ou mal les Idées partiales, qui forment
prenions ce quïl y a dans cette Idée de la douceur, l'Idée totale: et c'est une marque d'une Idée ac
que nous avons, nous pourrions juger si elle est complie lorsqu'elle fait connoitre parfaitement la
suffisante pour rendre raison de tout ce que l'expé possibilité de l'objet.
rience y fait remarquer.
§. 3. PH. Des Idées simples venons aux
complexes; elles sont on des Modes ou des
Substances. Celles des modes sont des assem CHAPITRE XXXII.
blages volontaires d'Idées simples, que l'esprit joint Des vraies et des fausses Idées.
ensemble, sans avoir égard à certains Ar
chétypes ou modèles réels et actuellement exi- §. 1. PH. Comme la vérité ou la fausseté n'ap
stans ; elles sont complcttes et ne peuvent être au partient qu'aux propositions, il s'en suit que quand
LIX. NOUVEAUX ESSAIS. LIV. II. 295
les Idées sont nommées vraies ou fausses il y a §. 10. Les ténèbres réveillent l'Idée des spectres
quelque proposition ou affirmation tacite. aux enfans à cause des contes, qu'on leur en a fait.
§. 3. ou une supposition tacite, de leur conformité §.11. On lie pense pas à un homme qu'on haït,
avec quelque chose, §. 5. surtout avec ce que d'au sans penser au mal; qu'il nous a fait on j>eut faire.
tres désignent par ce nom (comme lorsqu'il parlent §. 12. On évite la chambre, où on a vu mourir
de la justice} item à ce qui existe réellement un ami. §.13. Une mère, qui a perdu un enfant
(comme est l'homme et non pas le Centaure) bien cher, perd quelquefois avec lui toute sa joie,
item à l'Essence, dont dépendent les propriétés jusqu'à ce que le tems efface l'impression de cette
de la chose ; et en ce sens nos Idées ordinaires des Idée, ce qui quelquefois n'arrive pas. §. 14. Un
Substances sont fausses quand nous nous imaginons homme guéri parfaitement de la rage par une opé
certaines formes substantielles. Au reste les Idées ration extrêmement sensible se reconnoit obligé
inériteroient plutôt d'être apj>ellées justes on fauti toute sa vie à celui qui avoit fait cette opération;
ves, que vraies ou fausses. mais il lui fut impossible d'en supporter la vue.
TH. Je crois qu'on pourroit entendre ainsi les §. 1 5. Quelques uns haïssent les livres toute leur
vraies ou les fausses Idées, mais comme ces dift'é- vie à cause des mauvais traitemens , qu'ils ont re
rens sens ne conviennent point entr'eux et ne sau- çus dans les écoles. Quelqu'un ayant une fois pris
roient être rangés commodément sous une notion un ascendant sur un autre dans quelque occasion le
commune, j'aime mieux appeller les Idée s vraies garde toujours. §. 16. 11 s'est trouvé un homme,
ou fausses par rapport à une autre affirmation qui avoit bien appris à danser, mais qui ne pouvait
tacite, qu'elles renferment toutes, qui est celle de l'exécuter , quand il n'y avoit point dans la cham
lu jxjssibilité. Ainsi les Idées possibles sont vraies, bre un cofre, pareil à celui qui avoit été dans celle
et les Idées impossibles sont fausses. où il avoit appris. §.17. La même liaison non
naturelle se trouve dans les habitudes intellectuel
les; on lie la matière avec l'Etre, comme s'il n'y
avoit rien d'immatériel. §.18. On attache à ses
opinions le parti de secte dans la philosophie, dans
CHAPITRE XXXIII. la religion, et dans l'état.
De l'Association des Idées. TH. Cette remarque est importante et entière
ment à mon gré, et on la pourroit fortifier par une
§. 1. PH. On remarque souvent dans les rai- infinité d'exemples. M. Descartes ayant eu da)is
sonnemeiis des gens quelque chose de bizarre et sa jeunesse quelque affection pour une personne
tout le monde y est sujet. §. 2. Ce n'est pas louche ne put s'emjwcher d'avoir toute sa vie quel
seulement entêtement on amour propre; car sou que penchant pour celles, qui avoient ce défaut.
vent des gens, qui ont le coeur bien fait, sont cou Mr. Hobbes, autre grand Philosophe, ne put (dit-
pables de ce défaut. Il ne suffit pas même tou on) demeurer seul dans un Heu obscur, sans qu'il
jours de l'attribuer à l'éducation et aux préjugés. eut l'esprit effrayé par les images des spectres quoi
§. 4. C'est plutôt une manière de folie et on se qu'il n'en crû point, cette impression lui étant restée
rait fou si on agissoit toujours ainsi. §. 5. Ce des contes qu'on fait aux enfans. Plusieurs per
défaut vient d'une liaison non-naturelle des Idées, sonnes savantes et de très bon sens, et qui sont
qui a son origine du tiazard ou de la coutume. fort au dessus des superstitions, ne sauraient se ré
§. C. Les inclinations et les intérêts y entrent soudre d'être treize à un repas, sans en être extrê
Certaines traces du cours fréquent des esprits ani mement déconcertées, ayant été frappées autrefois
maux deviennent des chemins battus; quand on de l'imagination, qu'il en doit mourir un dans l'an
suit un certain air, on le trouve dès qu'on l'a com- née. Il y avoit un gentilhomme, qui ayant été
inancé. §-7. De cela viennent les Sympathies ou blessé peut-être dans son enfance par une épingle
Antipathies, qui ne sont point nées avec nous. Un mal attachée, ne pouvoit plus en voir dans cet état
t -111:1 nt a mangé trop de miel, et eu a été incom sans être prêt à tomber en défaillance. Un pre
modé et puis étant devenu homme fait, il ne sau- mier Ministre, qui portoit dans la cour de son maî
roit entendre le nom de miel sans un soulèvement tre le nom de Président, se trouva offensé par le
de coeur. §. 8. Les enfans sont fort susceptibles titre du livre d'Ottavio Pisani, nommé Ly-
de ces impressions et il est bon d'y prendre curgue et fit écrire contre ce livre, parceque l'Au
garde. §. 9. Cette association irrégulière des teur, en parlant des officiers de justice, qu'il cro-
Idées a une grande influence dans toutes yoit superflus, avoit nommé aussi les Présidons, et
nos actions et passions naturelles et inorales. quoique ce terme dans la personne de ce Ministre
296 LIX. NOUVEAUX ESSAIS. L1V. III.
signifiât (ont autre chose, il avoit tellement attaché tout quand il s'agit de se précautionner. Mais
le mot à sa j«rsonne, qu'il étoit blessé clans ce comme la véhémence d'une impression très forte
mot. Et c'est un cas des plus ordinaires des as fait souvent autant d'effet tout d'un coup, que la
sociations nonnaturclles, capables de tromper, que fréquence et la répétition de plusieurs impressions
celles des mots aux choses, lors même qu'il y a de médiocres en auroit pu faire à la longue, il arrive
l'équivoque. Pour mieux entendre la source de la que cette véhémence grave dans la phantasie une
liaison nonnaturelle des Idées, il faut considérer image aussi profonde et aussi vive que la longue
ce que j'ai remarqué déjà ci-dessus (chap. XL expérience auroit pu le faire. De là vient qu'une
§. XL) en parlant du raisonnement des bêtes, que impression fortuite mais violente joint dans notre
l'homme aussi bien que la bête est sujet à joindre mémoire deux Idées, qui déjà y étoient ensemble
par sa mémoire et par son imagination, ce qu'il a et nous donne le même penchant de les lier et de
remarqué joint dans ses perceptions et ses ex les attendre Tune ensuite de l'autre, que si un long
périences. C'est en quoi consiste tout le rais usage en avoit vérifié la connexion; ainsi le même
onnement des bêtes, s'il est permis de Tappeller effet de l'association s'y trouve, quoique la même
ainsi, et souvent celui des hommes, en tant qu'ils raison n'y soit pas. L'autorité, la coutume font
sont empiriques et ne se gouvernent que par les aussi le même effet que l'expérience et la raison, et
sens et les exemples, sans examiner si la même il n'est pas aisé de se délivrer de ces penchans.
raison a encore lieu. Et comme souvent les rai Mais il ne seroit pas fort difficile de se garder d'en
sons nous sont inconnues, il faut avoir égard aux être trompé dans ses jugemens, si les hommes s'at-
exemples à mesure qu'ils sont fréqueus ; car alors tachoient assez sérieusement à la recherche de la
l'attente ou la réminiscence d'une autre perception, vérité, ou procédoient avec méthode, lorsqu'ils re-
qui y est ordinairement liée, est raisonnable; sur connoissent, qu' il leur est important de la trouver.
LIVRE TROISIÈME.
DES MOTS.
DE LA CONOISSANCE.
XL. b. ')
SCHREIBEN AN GABRIEL WAGNER.
VOM
NUTZEN DER VERNUNFTKUNST ODER LOGIK.
1696.
(I, i-iln;ii/' .1 Deulsche Schriflen , beransgegeben von Mr. G. E. Gubrauer Ir. B«nd. Berlin, 1838. 8»
p. 374 — 393.)
Wohledler, insonders geehrter Herr! er mit mir einige Kundschaft gehabt, so istmirdes-
Nachdem derselbige seine zu mir habende Nei- sen nnlângst erhaltenes Schreiben samt denen bei-
gung und von mir habende gute Meinung oifentlich, gefùgten gelehrten und nachdrucklichen Vernnnft-
undzwarallerdingsùbermeinVerdienstbezeiget,ehe i Uebungen, so er durch den Drnck herausgegeben
') Hum editor Itinere impeditus erat quin ipse plagulas impressas recognosceret , factnm est lypothetae
errore ni baec epislola destinato loco dejiceretur. Quam nunc dantus tamquam priml voluminis appendi-
cem; nnmeroque Imposito locum signlflcamus legilimum. Quippe eam excipere debebal scriptlonem (P- 134. eeq.
knj. Ed.) cul liiulu.i: Troisième ecclairdssement etc.
XL. b. SCHREIBEN AN WAGNER. 419
uni .su viel nu-hr angeuehin gcweseii. Und befiude stoische Liebhaber der Weisbeit und aus ihnen Ho-
ifli midi dadurch verbuuden, dcmselben Dauk zu ratius gelohret: nichts /u bewundern. \Vie
erstattcn, aurli mich zu angeuchiuen Diensicii zu ich denn in Frankreich uud sonsten den sogenann-
erbieteu, dabenebcu auch ùbcr ein- uud anders ten Cartesianern solches zu verstehen gebeu, und
uieiue wohlmeincnde, doch ohnvorgreifliche Gedan- sie gewarnet, dass sie durch Anzapfung der Schulen,
ken aufrichtig zu eroffnen, der Hofnuog, es werdc weder fiir sich uoch fur die Studien wohltliun, and
es inciii geehrter Herr iiu Besten aufuehuien, und uur gelehrte I^eute gegen neue, auch soost gute Ge-
vielleicht bel reiflicher Uebcrlegung darunter etwas dankeu verbittern wurden. So auch zuui Theil cr-
Dienliches finden. folget, wie des hochgelehrten Hrn. Bischofs von
Ich vcrnehine demnach, dass desseu Vernunft- Avranches, Huetii nicht ganz unverdiente Censur
ùbungen einigen gelehrten Leuten Gelegenheit ge- ausweiset; und habe ich an den Hrn. Pater Mâle-
gebeu, sich zu cntriisten, und solche also aufzuneh- branche, so sonst mein guter Freuud, nicht billigen
men, aïs ob er d«r in Schwang gehenden Gelehr- kônnen, dass er bald die Critik uud Untersuchuug
sainkeit, so auf den hohea und andern Schulcn des Rômischen und Griechischen Alterthums , bald
getrieben, und insgemeiu gelobt und verlangt wird, die Lesung der Rabbinischen und Arabischen Bû
zum Theil, und sonderlich so weit sie von der Na- cher, bald den Fleiss der Sternseher, bald sonst
turkunde etwas entfernet, gleichsam den Krieg da- etwas durclizieheu will, da doch allé dièse Diuge
niit aogekiiudiget, und ihin furgenommeu, deu gan- ihren Nutzen haben, und gut, dass Leute seieu, so
zeu Orden deren, so sich darauf legen, bel anderen ihr Werk davon machen, welche man durch Lob
Leaten in Schimpf uncl Veraclitung zu briugen. Nun bei ihrer Mùhe anfri.schen , und nicht durch Ver-
bin ich zwar versichert, dass solches seine Meinung achtung von der vor das gemeine Wesen, oft ohne
gauz uicht sei, kaiin auch nicht lobcn, dass man sie Belohnung unteruomineneu, grossen Arbeit abschrek-
il un zum àrgstcu ausdrutrt ; zumalen er sich selbst ken muss. Zweifle auch nicht, dass mein geehrter
deswegen verwahret, uud ich aus déni Latcinischen, Herr hierinn mit mir guten Theils einig sein werde,
so ich vou ihm gesehen , wahrgcnouimen , dass es inmassen er sich wegeu der oricntalischen Sprachen,
ihm selbst an solcher Gelehrsauikeit nicht erman- der Sternkunst und anderen ganz wohl erkliirt.
gele, und seine Schreibart, so cr darin gebraucht, VVeilen aber gleichwolil meiu geehrter Herr
oft, (nicht weniger, aïs ini Teutschen) etwas ohn- hauptsachlich, wie ich sohe, dahiu zu geheu scheint,
geineiii Zierliches und Nachdriickliches, auf Schlag dass die Vernunftkunst oder Logik, samt ihrer na-
der Alten in sich habc, so da weiset, dass ihm de- hen Anverwandtinn, der gemeinlichen Wissenschaft
ren Kundschaft gar nicht abgehe, noch zuwider sein oder Methaphysik giiuzlich zu verwerfen und gleich
musse. Weileu aber gleich wohl ein- und anderes sam zu verbaunen, und mich selbst, den er zwar,
den widrigen Urtheilen einen Schein gegeben, so eines allzu grossen Lobes wiirdigt, untcr die Ver-
sollte icli fast dafïir halten, mein geehrter Herr achter der Logik ausdriicklich zahlet, liât mich sol
wûrde loblich thun , sowohl zur Rettung der ver- ches um so viel mehr bewogen, meiue Erklârung
ineint verletzten Ebre solcher Gelehrten, aïs auch dariiber an ihn zu thun. Und zweifle ich zwar
zu seinc.r Eotbùrdung, wenn er ein- und anderes zuvôrderst nicht, dass mein geehrter Herr aus
erklàren, und etwa bei dom Fortsatz der Vernunft- wohlineinendem Eifer zu Aufnahme der wahren uud
ùbungen, ocler sonst ofFentlich zu vernehmen geben niitzlichen Wissenschaften ein solches geschrieben,
wollte, dass er nicht die Wissenschaften oder Arten damit die Menschen mit vergebenen Grùbeln zn
der Gelehrsamkeit, auch uicht die, so denenselben Verlust der edlcn Zeit nicht aufgehalten wurden,
fleissig obliegen und solche wohl verstehen, weniger und mir darin eine Ehre getban, dass er mich
den ganzen Orden gewisser Gelehrten tadeln, am gleichsam zum Zeugen einer so wohl gemeinten
allerwenigsteu Jeuiaud schinipfen oder verachten Erinneruug gerufen. Weilen aber gleichwohl ich
wollen. von der Sache selbst auf gewisse Maasse eioe an-
Jch bekenne an meiuem wenigen Ort, dass ich dere Meioung fùhre, so habe versuchen wollen, ob
in nu-iner erstcn Jugeud geneigt gewesen, viel zu wir uns driiber in etwas verstehen, und vergleichen
verwerfen, so in der gelehrten Welt eingefiihret. kônnten, ich glaube auch, dass mein geelirter Herr,
Aber bei anwachsenden Jahren und uâherer Insicht wie er's im Sinn hat, Recht habe, nnr dass seine
babe den Nutzen mancher Dioge befunden, die icb Ausdruckung weiter gehet, aïs seine Befindnng.
znvor gering geachtet, mithin nunmehr gelernet, Unter der Logik oder Deuk-Kunst verstehe ich
nicht leicht etwas zu verachten, welche Regel ich die Kunst, den Verstand zu gebrauchen, also nicht
fur besser und sicherer halte, aïs die, so einige allein, was furgestellt, zu beurtheilen, sondera auch,
53*
420 XL.b. SCHRElBklN AN WAGNER.
was verborgen ist, zu erfinden. Wcnn nun eine von noch hat, aber solches in seincm Hirn nicht
soldie Kuust miiglich, das ist, wenn trefliche Vor- sofort crtappen kann; demi da darf man sich oder
theile in solchen Wirkuogen darzugeben, so folget, Andere nur nach gewissen Pradicamenten und de
dass dièse Kunst auf allé Weise zu suchen nnd ren ferneren Eintheilungen (davon ich gar ausfulir-
hochzuschâtzen, ja aller Kiinste nnd Wissenschaft liche Tafeln aus allerhand Logiken zusammengetra-
Schliissel za achten. Nun scheinet, dass mein ge- gen hatte) bcfragen und gleichsam examiniren, so
ehrter Herr zugebe, dass im Nachdenken und Er- schlk'sset man bald aus, was zur Sache nicht dienet,
forschen sich schône Vortheile finden; wenn er und treibet das Werk dergestalt in die Enge, dass
dcrohalben nicht zugeben wollte, dass inau deren man auf das redit Schuldige kommen kann. und
Begriff eine Logik neunen M, II, so wiirde der Streit dergestalt hatte vielleicht Nebucadnezar auch seiuen
vom Worte sein; weil ihm aber dergleiclien nicht vergesseneu Traum wieder erwccken kônnen. Bei
zutraue, so sche nicht, wie seine Gedanken anders solchem Eintafeln der Kenntuisse kam ich in IV-
zu nehinea, aïs dass er zwar nicht die wahre Logik, bung der Eintheilung und Aftéfreiritheilung (divi-
wohl abcr ilasjcnige verwerfe, was wir bisher unter sionis und subdivisionis) aïs einen Grand der Ord-
dercn Namen verehren. nung und aïs ein Band der Gedanken. Da musstea
Wenn es min dièse Meinung lia!, so muss ich die Ramisten und halben Rauiisten herhalten, so
zwar bekennen, dass allé unsere bisherigen Logiken bald sich ein Register znsammen gehôrender Dinge
kauni ein Schatten dessen sein, so ich wù'nschc, fand ; uud sonderlich so oft ich edn Geschlecht oHw
nnd so ich gleichsaui von fenie sehe, niuss aber Geinoines antraf, so eine Zabi der besoudereii Ar-
gleichwohl der Wahrheit zur Steuer und eincm je- ten unter sich hatte, aïs z. E. die Zahl der Gerauths-
dcni sein gebiihrend Recht zu thun, bekeunen, dass bewegungen oder der Tugenden und Laster, so
ich aueh in der bisherigen Logik viel Gutvs nnd musste ich sie in eine Tafel bringen and Tersuchen,
Niitzliches finde, dazu niich denn auch die Dank- wie die Arten nach ciuander heraus kiimen, und da
barkeit verbiudet, weilen ich mit Wahrheit sageu fand ich gemeiniglich, dass die Erzalilung unvoll-
zu kônnen verineine, dass mir die Logik, aoch wie kommen, und noch mehr Arten bdgesetzt werden
inan sic in Schulcn gelehret, ein Grosses gefruchtet. kônnten. Mit solchen allen hatte ich meine be-
Ehe ich noch zu einer Schul-Classe kam, da man | sondere Lust, schrieb auch allerhand Zeug zusain-
sie treibet, war ich ganz in den Historien und Poeten j men, so zwar nicht geachtet, sondern verloreu, (loch
vertiefet; denn die Historien hatte ich angefangen lange Jahre hernach etwas davon ohngefàhr gefun-
zu lesen, fast sobald ich leseu kônnen, und in den | den, so mir noch jetzt nicht ganz missfàllt. Den
Versen fand ich grosse Lnst und Leichtigkeit; aber ! Nntzen dieser Uebnng befand ich hernach, wenn
sobald ich die Logik anting zu hôren, da fand ich ! ich eine Materie ausfiihren wollte, und erinnere mich,
mich sehr gcriihrt durch die Vertheilung und Ord- ] dass einstmals, da etwas von mir aufgesetzt, mich
nung der Gedanken, die ich darin wahr naluii. Icli ein gelehrtcr Freund gefragct, wie mir doch allés,
begundt gleich zu merken, dass ein Grosses darin so ich anhracht, auch dienlich, aber nicht sofort m
stecken miisste, so viel etwa ein Knahe von drei/.elm erblicken, beigefallen. Dcm ich geantwortet (wie
Jahren in dergleiclien merken kann. Die grosste ' es dann auch wahr) dass es durch divisiones und
Lnst empfand ich an den sogenannten Pràdicamen- subclivisiones gcschehen, di« ich gleichsam aïs ein
ten, so mir vorkam aïs eine Muster-Rolle aller Netz oder Garn gebrauchrt, das flùchtjge Wild za
Dinge der Welt, Und suchte ich in allerliand Logi fangen. Ich fand aucli, dass die Eintheilung diene,
ken nach, nm zu sehen, wo solch allgeinein Register redite Beschreibungen von den Dingen zu machen,
ain besten und ausfîilirlichsten zu finden ; ich fragte ander Nutzen zu geschweigen. Zu allem Gliick
oft mich uud meine Mitschùler, in welches Pradi- war ich in den sogenaunten Humanioribos ziemlidi
cament und dessen Fach wohl dies oder jenes gehô- fortgeschritten, ehe ich zu diesen Gedanken kom
ren môchte, ob mir wohl nicht anstund, dass man men, sonst wiirde ich mich schwerlidi haben ùber-
so viel davon ganz aussdiloss; einige der Prâdica- winden kônnt-n, wieder zuriick von den Sachen zu
menten, aïs sonderlich die zwei, wo nicht vier letz- den Worten zu gehen.
ten, auch bei mir bald wegfielen, weil sie in den Ich hatte auch sonsten viel Einfàlle, die ich zu
vorigen begriflen oder deren Nutzen sich in der Zeiten den Lehrmeistern fùrtrug, aïs unter andern:
That nicht zeigen wollte. Ich kam bald auf einen ob nicht gleich, wie die Termini simplices oder
lustigen Fund, wie raan oft vermittelst der Pràdica- Kenutnisse (Notiones) durch die bekannten Prâdi-
mente etwas errathen und sich erinnern kônne, was camente in Ordnung bracht, also auch eigne Prftdi-
einem ausgefallen, wenn man nemlich das Bild da camente und ordontliche Roïhen fur die Termines
XL.b. SCHRE1BEN AN WAGNEK. 421
complexos oder Walirheiten zu maclien. Ich wusste men, uud dass schlcchte Tropfe mit allen Vortlieilen
nemlich damais uicht, dass der Wisskùnstler Grund- es il un.' a nicht gleich tliuii. Es ist nicht ohne; as
beweise (Mathematicae denionstrationcs) eben das- ist aber auch wahr, dass wenig sein, so die Vor-
jenige sei, was icli wùnschte; Ich bemerkte auch, tbeile wissen oder brauchcn und dass es gleichsam
dass die Topica oder Satnmelplatze der Erklarungs- ein Verhangniss fiir das menschliche Geschlecht,
und Beweisiuittcl nicht wenig dienen, uns dasjenige, dass es die von Gott erzcigte Gnade und Schâtzc
so wir zwar im Kopf, aber nicht in Gedanken ha- der giitigen Natur so wenig sich zu Nutz macht;
ben, zu gehôriger Zeit zn erinnern, also nicht nur wie ich daim der Meinung bin, dass die Menschen
von den Sachen viel herzuschwàtzen , sondern auch : bereits jetzo unglaubliche Dinge leisten kônnco,
sie besser zu untersachen, und hemerkte ich bereits wenn sie redit dazu thun wollten, aber ihre Augen
damais, dass solche Plâtze (Loci) oder Hauptsitze werden annoch gehalten, und Allés muss Zeit haben,
aïs Quellen zu gebvauchen, nicht nur der Beweis- reif zu werden ; demnach stehe ich in den Gedan-
inittel ciner dargestellteu Wahrheit, sondern auch ken, dass ein schlechter Kopf mit den Hiilfsvorthei-
der Erklâniugsmittcl einer vorgegebenen Sache, und len und deren Uebung es déni Besten bevorthun
dass sie also nicht allein Beweislichkeiten (argu- kônnte, gleichwie ein Kind mit dem Liueal bessere
meotabilia) so zu reden, sondern anch Beileglich- 1 Linien ziehcn kann, aïs der grôsste Meister aus
keiten ( praedicabilia ) seien, allso die bckanuten i freier Hand. Die herrlichen Ingénia aber wiirden
fiinf praedicabilia des Porphyrii beiweiten nicht zu- unglaublidi weit gehen kônnen, wenn die Vortheile
reichen, wefche nur die praedicata in recto oder Be- ' dazu kâmen.
itennungen, und auch die nicht allé in sich halten, Bisher habe von dem Theil der bekannten Logik
niasscu noch die Begriinzung (definitio, bepaeling geredet, so zur Erfindung dienet, nun muss auch
nennen es die Hollander) und Eintheilung (divisio) von dem Theil geik-nken, so znin Urtheil gehôret,
beizufùgen. Denn es ja audi eine Beilage ist, dass welches zwar einigertnassen vorhergehen sollte ; und
z. E. jeder regulirter Kôrper entweder 4- oder 6- da kommen fur die Schlussfolgen mit saint den Fi-
oder 8- oder 12- oder 20seitig sey; aber diejeni- ' guren und Arteu der Schliisse. Dies Theil hait
gen praedicabilia, so da dienen pro praedicatis in man fiir das unniitzlichste und spottut ùber Bar
obliquo oder die Quellen der Anbeilagen, wcnn ich bara, Celarent, ich habe es aber auch anders be-
so reden sollte, hat Porphyrius ùbergangen und fuuden, und ob zwar Hr. Arnauld in seiner Denk-
dièse stecken in Topicis, massen Ursach, Werk, kunst selbst meinet, die Menschen fehlten nicht
Ganzes, Theil etc. in der That dergleichen sein, und leicht in der Form, sondera fast allein in der Ma-
finde ieh dass Hr. Placcius, beriihmter Ictus in Hom- terio, so verhalt sichs doch in der That ganz an
burg, (dessen Gelehrsamkeit, Fleiss, Nachdenken ders, und hat Hr. Hugcns mit mir beobachtet, dass
und sonderlich gutes Absehen ich hochschatze und gemeiniglich die mathematischen Fehler selbst, so
dessen Kundschaft inein geehrter Herr wiinscht) man Paralogismos ncnnet, von verwahrloscter Form
von den Locis vor andem wohl gehandelt und den entsprossen.
Kern zusammenjrefasst ; die Juristen haben sich in Es ist gewiss kein Geringes, dass Aristoteles dièse
ihren Locis legalibus und sonst der Dinge nùtzlich Fornien in unfehlbare Gesetze brachte, uiithin der
b^dient. Es entsteht auch eine gewisse Kunst erste in der That gewesen, der mathematisch ausser
zu fragen, nicht nur den Richtern und Berichten- der Mathematik geschrieben. Ich habe auch etwas
den dienlioh, sondern auch auf Reisen wohl zu ge- zur Neugierigkeit beigetragen, indem ich u isskiin-
braudien bei denen Gelejjenheiten, da seltsame Dinge stig bewiesen, dass jedc der vior Figurai just uur
oder sonderbare Personen zu sehen oder zu spre- seclis giiltige Arten habe, und also (gegen die ge-
chen, von denen viel zu erfahren stehet, dainit man moine Lchre), eine so viel aïs die anclere ; inniassen
nemlich solche vorbpistreichende und nicht wieder- die Natur in allen Dingen rcgulâr; und dies deucht
kommende Fiigung wohl brauche und nicht hernach mich nicht weniger beachtungswûrdig, aïs die Zabi
auf sich selbst bôse sei, dass man dies oder jenes der regulSren Kôrper. Zwar ist dièse Arbeit des
nicht gefraget oder beobachtet. Dahin gehôret auch Aristoteles nur ein Anfang und gleichsam das A B C,
die Kunst, die Natur selbst auszufragen und gleich- wie es dann amlere, mehr zusammengesptzte nnd
sam auf die Folterbank zu bringen, Ars experimen- schwerere Formen giebt, die man alsdann erst brau
tandi, so Vernlamius wohl angegriffen. Mein geehr chcn kann, wenn man sie mit Hulfe dieser ersten
ter Herr wird sagen, dass die wackersten Kôpfe und leichten Formen festgestellt, aïs zum Exempel,
sich solcher Vortheile wenig bedienen, sondern mit die Euclidischen Schlussfonnen, da die Verhaltungen
ihrem natùrlkhen Verstande genng zu recht kom- (proportiones) vcrsetzt werden invertcndo, compo
422 XL. b. SCHRE1BEN AN WAGNER.
iiendo, dividende rationes etc. Ja selbst die Addi- tigsten Mittel, die menschlichen Fehler zu meiden,
tionen, Multiplicationeii oder Divisioneu der Zahleu, fast bloss zu einem Kinderspiel gemacht, dessen
wie man sic in dcn Reclienschulen lehret, sind Be- man sich hernach gleichsam schainet, wenu man zu
wcisformen (Argumenta in forma) und man kann was Redites schreitet Es ist auch kein Wunder,
sioh darauf verlassen, weil sie kraft ihrer Form be wie nuius damit macht; deun oft scheinet, dass
weisen; und auf solche Weise kann man sagen, mans nicht brauchen wolle, hinter die Wahrbeit zu
dass eine ganze Buchhalterrechnung fôrmlich schliesse kommen, sonderu nur jungen Leutcn ein wenig
und aus Arguments in forma bestehe. So ist es \ Muth zu machen, um sich ôftentlich zu zeigen und
auch mit der Algebra und vielen andern fôrmlichen zu verantworten. — Daher fàngt inan etwa eiueu
Beweisen bewandt, so iietnlich nackeud und doch Syllogismuin an, aber den Satz, so vermeinet, oder
vollkommen. Es ist uicht eben nothig, dass aile unterschieden wird, beweiset man seltcn wieder mit
Schlussformen heissen : Ornais, atqui, ergo ; in allen i eiuem neuen Syllogisino; viel weniger den streiti-
unfehlbaren Wissenschaften, wenn sie genau bewie- ' gen Satz des Prosyllogismi und so fort; wie es
sen werden, sind gleichsam hôhere logische Formen i deun sein sollte, wenn man wahrhaftig in Form
einverleibt, so theils aus detn Aristotelischcn flies- disputiren wollte; sondera man bricht bald ab,
sen, theils noch etwas Anderes zu Hiilfe nehtnen. fâllt auf die Gcspràche und Discurse, uud endlkh
Cardan bat dies in seiner Logik ersehen, und gleich auf ein Ehrenwort oder Compliment.
wie man den Bauern ùberlitsst, mit den Fingern zu Non bekenne ich, dass es bei dem Zweck einer
zahlen, und mit Strichen und Kreuzen sich zu be- blossen Uebung der Jugend nicht wohl anders sein
helfen, da hingegen ein Rechner viel hôhere Kù'nste kann; denn wenn man foi mlich ausdisputiren wollte,
hat, al-.ii, nachdem mau die Logik in den rechten wiirdc'n etliche Tage auf einen Syllogismum gehen,
Wissenschafteu hôher gesteigert, hat man den Schii- um solchen recht zu verfolgeu, und wo bh'ebe das
lern iiberlassen, dass sie mit omnis, atqui, ergo Auditorium mit den ùbrigeu Opponentenî So
gleichsam an den Fingern rechnen, und so zu sagen wiirde auch die grosse Zahl der Prosyllogismorum
auf einmal nicht mehr aïs 3 zahlen konncn , weil eiueu rtchten Irrgarten machen, daraus ohne Pro-
ihre Schliisse und Syllogismi tritermini nur 3 Sachen tocoll nicht zu kommen, zu geschweigen des grossen
und 3 Satze haben. Uoch ists bisweilen rathsam, Verstandes und ungemeiner Scharfsinnigkeit, so er-
dass man sicli an solche Bauer-Rechnuug und Kin fordert wiirde, aus dem Stegereif sich redit 7,u be-
der -Logik halte. Denn gleichwie man geringer greifen und dcn Beweis i miner bis auf die ersteu
Geld mit Wùrfen annimmt, grosse Stiicke aber, zu- Urspriinge und Gruudwahrheiten fortzusetzen. Ist
uial von Gold, lieber zalilet, und wenn nian Dia- es derowegen eines von den menschlichen Verkeh-
mauten zu bereclinen hàtte, gern die Mùhe ndiineu 1 rungen, dass man die Form allein brauchet, wo sie
wiirde, solche au deu Fingern abzuzahlen. weilen ! wenig helfen kann, uud bald abgebrochen werden
dièse Rechnung zwar am schlechtesten doch aber am muss, nemlich bei muncllichen Streitgesprâeuen, und
sichersten ist, dahingegen je hoher, kiinstlicher uud zwar junger Lente, und bloss zur Uebung; aber
geschwinder die Rechnung, je leichter auch sich zu wo die Form aus grossen Schwierigkeiten helfen
verrechnen ; so ist es auch mit der Logik bewandt, kônnte, nemlich bei schriftlichen Disputations-Ge-
dass man nemlich in wichtigen, zumal theologischen setzen, zumal in wichtigen geistlichen Streitigkeiten,
Streitsachen , so Gottes Wesen und AVillen, auch da wird sie ausser Acht gelassen; sogar dass oft
unsere Seele betreffend, wohl thut, wenu man allés dadnrch schaclliclie Irrthiimer entstehen, auch unter-
mit grossem Fleiss auflôset, und auf die allerein- halten werden; weilen in freien Discursen mehr
faltigsten und handgreiflichsten Schlusse bringt, auf die Fertigkeit, Beredsauikeit , Spitznndigkeit,
da auch der geringste Schiller ohnfehlbar sehen auch Gunst und Ansehen, aïs Grund der Wahrheit
kann, was folge oder nicht; und wird sich finden, ai ik (ii mut. und wenn bciclerseits ansehnlichewackere
dass man oft bei wichtigen Gesprâchen stecken blei- Leute die Rede fiihrcn, nichts gerichtet wird, sou
ben und still stehen miissen, weil man von der dera die Parteien nnr gesteifet werden.
Fonn abgewicben; gleichwie man einen Zwirns- Ich habe zu uuterschiedenen Malen der Sache
knaul /mu Gordischen Knoten machen kann, wenn nachgedacht, auch einige Proben angestellt, und
man ihn unordentlich aufthut. sehe, dass nicht fehlen kann, wenn derjenige, so et
Und mus* ich hierbei meine Gedankcn von rerh- was zu beweisen untcrnimmt, bei einem jeden ganz.
ten Gebrauch des formlichen Disputircns in etwas oder zum Theil geleugneten Satze wieder einen
setzcn. Mau hat es in die Anditoria der hohen Syllogismum formiren sollte, er endlich uothwendig
und niederen Schulen verbannct, und eiues der wich- entweder aus Mangel des Bcweises aufhoreu und
XL.b. SCHREIBEN AN WAGNER. 423
das erkennen, oder dcn Gegenpart auf unvernein- konnen, weil dorgestalt allés Wiixlerliolen, Aus-
licho Satze, mithiu auch zum Gestàndniss treiben, schweifen und unnôthige Weitlâuftigkeit, denn
oder doch (welches 7.umal in zufàlligen Matériel) ferner allé Mangelhaftigkeit, Verschweigung uml
zn Masse kommt) sich des Beweises auf ihn entla- geflissenes oder versehenes Uebergehen, letztlicheit
den werde. Daher die Disputirform zwar in noth- auch allé Unordnungcn, MissverstSnde und nnan-
wendigen Sachen, da ewige Wahrheiten vorfallen, standige Bewegungen dnrch die Art des Processes
zur Nothdurft ausgemaeht, nicht aber in Zufàllig- selbst abgehen wiirden.
keiten, wo man das Wahrscheinlichste wahleii muss, Dies ist, was ich von dein grossen von mir meh-
alkla zweierlei aanoch auszufùhren. Erstlich von rentheils versuchten Nutzen der bekannten Logik,
der Prâsumtion, das ist, wenn und wie einer den da sie recht gebranchetwird, diesmal meldenwollen;
Beweis von sich auf einen andcrn zu legen Macht dass aber dièse Vernunftknnst noch uuvergleichlich
habe, vors andere von den gradibus probabilita- hôher zu bringen, halte ich vor gewiss, und glaube
tis, wie man dio AnzeiguDgen , so keinen vollkom- es zu sehen, auch einigen Vnrschmack davon zu
mencn Beweis machen und gcgen einander laufen haben, dazu ich aber ohne die Mathematik wohl
(indicantia et contraindicantia wie die Medici reden) schwerlich kommen wftre; und ob ich zwar schon
abwSgen und schatzen solle, um den Ausschlag zu einigen Grand darin gefunden, da ich noch nicht
geben. Deiin man insgemein gar wohl sagt, ratio- einmal im mathematischen Novitiat war, uud her-
nes non esse numerandas, sed ponderandas, man ' nat-h im zwanzigsten Jahre meines Alters bereits
iniissn die Anzeigungen nicht zâhlen, sondera wâ- etwas davon in Drack gegeben, so habe doch end-
gen, aber Niemand hat uoch die Wage dazu ge- lich gespùret, wie sehr die Wege verhauen und ww
zeiget, wiewohl keine déni Werk iiiiher gekommen, schwer es wùrde gewesen sein, ohne Hùlfe der
und mehr Hiilfc an Hand gegeben, aïs die Juiisten; inuern Mathematik eine Oeifhung zu finden. Was
daher ichauch der Materie nicht wenig nachgedacht, nun meines Ermessens darin zu leisten inùglich, ist
und dermaleins den Mangel in etwas zu ersetzen von solchem Begriff, dass ich mir nicht getraue, ohne
hoffe. Und dièses dienet auch zur Auslegungskunst wirkliche Proben genugsamen Glauben zu finden,
und einfolglich in der Théologie, und stecket darin und werde also lieber eine mehrere Ausfùhrang an-
ein untriiglicher Schiedsrichtrr der Streitigkeiten, noch anssetzen. Will derowegen fur diesmal davon
nicht dass uns allumai erlaubt, die Wahrheit aus- abbrechen und etwas auf meines geehrtcn Herrn
znfinden, denn solche in dem hohen Geheimnisse Grùnde erwahnen, so er der Logik entgpgvngesetzt.
sich Gott oft selbst vorbehalteu und uns, was wir Ich finde aber, dass sie nur gegen deren Unbrauch
gerne wissen wollten, nicht allemal offenbaret; son- und Missbrauch gehen; denn 1) kann die Logik
dern man kann dies /um wenigsten allemal aus- aïs Denkkunst znm Ordncn und Wohlreden dienen,
inachen: erstlich ob die Sache vollkômmlich bewie- obschon die, so sie lehren insgemein weder wohl-
sen, vors andero ob nicht, ob und wie weit sic glanb- ordnen, noch wohlreden. Nur dies folget daraus,
lich gemacht worden. dass sie ihre Kunst entweder nicht wohl verstehen,
Ich habe in einer halb-mathematischcn Streitig- oder wenigstens nicht iiben, denn, es kann einer
keit einsmals mit einem gclehrten Mann cinen allés verstehen, was Ptolemâus, Aristoxenns und
Versuch gethan; wir beide suchten die Wahrheit Zarlinus von der Musik geschrieben, der doch we
und \vechselten Briefe mit einander, zwar mit Hôf- der singen noch spielen kann. 2) Dass keiner den
Hchkeit, doch nicht ohne Klage des einen gegen den andern iiberweiset ist die Ursach, weil man die
andern , aïs ob einer dem andern seine Meinung Form, das ist, den ordentlichen Process, nicht zum
und Reden wiewohl unschuldig verkehrte ; da schlug Ernst, sondern gleichsam /,nm Spiel der Jugend
ich die syllogistische Form fiir, so mein Gegenpart brauchet, oder vielmehr kaum zu brauchen sich
beliebte, wir trieben es uber den zwôlften Prosyllo- stellet. 3) Es ist nicht ohne, dass man einen grossen
gismum. VTon Stnnd an, da wirs angefangen, hôrte Theil der Kiinste mit der blossen natiirlichen Logik
das Klagen auf und einer verstund den andern, nicht erfunden habe und auch lehren kônne; aber es kann
ohne ferneren Nutzen zu beiden Seiten. Weil nun anch ein vernunftiger Mensch, der weder Schrift
dièses leicht und lustig zu practiciren, dass man noch Ziffern verstehet, mit einer natiirlichen Arith-
sich die Syllogismes und Prosyllogismos mit den metik die Nothdurft ausrechnen; sollte deswegen
fbrmlichen Antworten schicke und wiederschicke, die Rechenkunst nicht sein! Ich bin selbst der
so sollte man oft dadurch anch in wichtigen Fragen Meinung, man thàte wohl, dass man die Mathema
der Wissenschaften auf den Grand kommen und tik, Historié und anderes vor der ausfïihrlichen Lo
sich ans seinen Einbildungcn und Trâumen helfcn gik lernte; denn wie will der die Gedanken wohl
424 XL. b. SCHREIBEN AN WAGNER.
ordncn, cler noch wenig bedacht. Wenn man aber durch solche Definitiones geschieht, die ich reaies
mit einetn Vorrath guter Gedanken verschcn, dann nenne, welche anderswo erklâret. Man nehme ein
kann man sie iimstern uiid abmessen, und mit Exempel, so ein wenig schwerer, aïs das angeiïihrte,
Hùlfe der darin sich zeigenden Ordnung desto besser warum 3 mal 4 sei 12; nemlich, waruin durch
auf etwas Neues kominen. Es ist hieriu wie mit Zusammcnsetzung der ungeraden Zâhlen nach ein-
der Sprachkunst, da bin ich auch der Meinung, man lauter gcvierte Zâhlen entstehen, aïs
solle sich bei Erlcrnung einer Sprache mehr an die
Uebung, aïs Grammatik halten; wenn man abcr 1 9 11 13
schon ziemlieh in der Sprache erfahren, dann dicnet 1—4—9 16 25 36 49
die Grammatik, darin hoher zu steigen Sonsten
muss bei «loin, so alldu vorkommt, erwahnen, dass 1 ist 1 3 u. 1 ist 4 I 5 u. 4 ist 9 7 u. 9 ist 1
Plato nicbt wenig in der Logik gethan und hatte
das Frag-Disputiren auch seinen Nutzen. Sonst so wird man bei Auffindung der Ursache wohl den
weiss ich nicht, ob Archimedes uud Cartesius rechten Gebrauchjder Denkkunst bemerken. 7) Dass
nnter die Veràchter der Logik zu zâhlen, wenigstens allés ohne Folgerkunst gelernet werden kônne, ist
liât sie Cartesius bei den Jesuitern zur Flèche schon gestanden und beantwortet. Allein wie die
mit grossem Fleiss gelehret, und ist er in der scho- Chinesen viel treflliche Dinge gethan, ohne eine
lastischen Philosophie ganz wohl erfaliren gewesen, aiulerc aïs natiirliche Messkunst zu haben, also ist
welche auch viel Gntes in sich hat, wenns nur aus- auch viel, ja das meistc ohne den Gebrauch einer
geklaubet wâre. J u n g i n m halte ich iiberaus hoch, eigentlichen Denkkunst geschehen. Unterdessen
und kann den Verlust seiner Manuscripte nicht ge- bleibt doch der Denkkunst ihr Preis und Nutz, so-
nug beklagen, Felden ist auch bei mir in keinem wohl aïs der Messkunst. 8) Es ist wahr, dass man
geringen Pradicament, die ùbrigen dabei erwâhnten erst die Denkkunst in den guten Gedankeu von den
gelehrten Leute sind auch nicht zu verachten. 4 ) Dass Dingen, gleichsam aïs in Modellen snchen mussen,
durch die Logik nichts erfunden, kann ich nicht nachdem sie aber daraus einmal gefunden, so rich-
allerdings zugeben; allés, was durch den Verstand tet man ferner die Gedanken naeh der Kunst, damit
erfunden, ist durch die guten Regeln der Logik er sie auch gut und modellmâssig werden; doch ohne
funden, obschon solchc Regeln anfangs nicht gleich Beiseitsetzung der Uebung und Betrachtung gnter
ausdriicklich aufgezeichnet, oder zusammengeschrie- Gedanken. Ein Maler, Bildhauer und Baumeister
ben gewesen. Ein guter Maler, der sich durch die studiret an den Antiken, und formirt sich daraus
Uebung an die redite Proportion gewôhnet, zeich- ein Vorbild. Man hat auch die Sache daraus in
net nach der Mess- und Sehkunst; und wenn aucli Regeln bracht, denen nunrnehr gefolget wird, in-
solche Kùnste gleich nicht beschrieben oder wenig zwischen unterlâsst man nicht, schône Kuustwerke
stens ihm nicht ausdriicklich bckannt, so ist doch fleissig zu beschauen. 9) Ohngeachtet der Veran-
der Grund in iliin. Inzwischen ist allés auch in derung und Mannigfaltigkeit der menschliclien Ge-
der Malerei weit vollkomtnener worden, nachdem mùther, bleibt doch nur eine Denkkunst vor Allé,
die Perspective zu eincm Theil der Wisskunst er- obschon im Gebrauch sich ein jeder nach seinem
wachsen. 5) Es ist kein Zweifel, dass der, so die Naturell richtet, gleichwie eine Reitkunst vor allé
Vortheile der Vcrnuriftkunst zu brauchen gewohnt, Bereiter und Pferde, ungeachtct nicht jeder Sattel
scharfsinniger aïs andere verfahren. 6) Die Men- auf allé Pferde gerecht. Die Zâhlen selbst werden
schen sind verniinftig auch ohne beschriebcne Ver- ; auf vielerlei Aiien begriffen. Die Mathesis pura
nunftkunst, gleichwie sie singen konnen auch ohne j ist zwar nicht die Vernunftlehre an sich selbst, wohl
Kunst der Musik; wenn man aber so viel Fleiss aber eine dero ersten Gebuvtcn und gleichsam deren
angewendet hatte, die rechte Vernunftkunst in Ue- Gebrauch bei den Grôssen oder bei Zahl, Maass
buug zu briugen, aïs rnan auf die Singkunst gewen- und Gewicht; ich habe auch befunden, dass die Al-
det, wurden die Menschen Wunderdinge geleistet gebra selbst ihre Vortlieile von einer viel hôheren
liaben; allein das ist unterblieben, weil raan wenig Kunst, neinlic-hderwahren Logik, entlehne. 10) Die
auf die Dinge geachtet, so nicht sofort mit den Logik liât viel Schweres uud viel Leichtes iu sich,
âusserlichen Sinnen zu bemerken. Cicero sagt wohl, wie die Rfchenkunst. Was ist leichter aïs deren
es sei nichts schônor, aïs die Tugencl, aber wie we erste Lehren, was ist schworer aïs die unaussprech-
nig sehens? Was von Erklârung der Worte ge- liche Zahlwurzel, Radiées surdae? Man fàngt billig
meklet wird, darauf rliene, dass solche zugleich die voin Leichtesten an, und sparet das Schwere, bis
Dargobung der Ursache mit sich fiihren, wenn es andere Wissenschaften begriffen; das erste dient
XL. b. SCHREIBEN AN WAGNER. 425
der Jugeiid zum Vorschinack; was aber hôhcr in allda erwfihuet, ist das \Vunder uicht so gross, aïs
clcr Logik und in der Arithinetik , gehôret vor die, man meinet ; wenn eine Sache imracr uiehr gehoben
so bereits in Sachen und Spracheii weit koinineii. wird , aïs sie fàllet, was ist Wunder, dass sie encl-
und nun noch hôher steigen wollen. Bekannt ist, lich in die Hôhe koiuint .' Was vom rùhrenden
dass Aristoteles von der Ethik und Grotins von der Winkel gesagt, liât auch seine Maasse, wo rnans
Rhetorik gesagt, sie gehôrten nicht fur Schiller, so recht liimmt: wenn eine uuendliche Austhehnuiig
ich verstehc vom hôheren Gebrauch dieser Wissen- zugelassen, so folget freilidi, dass eine grcisser aïs
scliaften, indcssen wird weder Aristoteles die Civi- die andere. Was in der 20sten Uebung stehet, dass
litatem morum Erasmi nocli Grotius die Progym- etwas in dem Bewegten sein konne, so ohne Bewe-
nasmata Âphthomii der Jugend nehmen wollen. gung, ist nicht gegen die gemeine Vernunft, soudent
11) Ich sollte dafiir halten, allé Folge stecke in den nur gegen den gemeineu Vernunftschem, und also
abgezogenen Dingen uud nicht in den Unistanden, paradox; doch ist allda zu bemerken, dass die Ax-
aïs nur, insoweit solclie ctwas an Hand gebcn, so linie kein Theil sei. Sonst gleichwie es sich nicht
der abgezogeneu Forni gemâss ; und dies liât Statt schicket, allezeit Verse zu uiachen, so schicket sichs
bei alleui Gebrauch der Wissenschaften in zutïilli- auch nicht, allezeit mit Syllogismis uni sich zu wer-
gcr Materie. Die Kunst der Practik steckt darin, fen. Allé Termines definiren oder begranzen ist
dass iuau die Zufàlle selbst unter das Joch der eben so wenig thunlicbyals allé Zahlen theilen wol
Wissenschaft so viel thunlich bringe; je mehr inan len, dass sie gerade aufgehen. Inzwischen halte
dies tliut, je bequemer ist die Théorie zu Practik. dafiir, dass auch die juristische Deiinitiouen der
Zutn Exempel, vor Alters bedachte man nur die Logik gemass. —
Bcwegungskrafte in der Mechanik. Galilaus fing 15) ist die Logik ein Sack voll guter Erinnerun-
an, die Stârke der Kôrper, die man bei der Bewe- gen, so ist sie ja nicht vergeblich ; die neue Logicos,
gung brandit, inathematisch zu betrachten, und so die alten tadeln und nicht verbessern, lobe ich
iiberlegte, welche Form bei gleicher Materie zum nicht. — Es ist nicht allemal in unserer Macht,
Widerstande am besten, wie ich denn auch seine die Wahrheit zu iinden, wenn nicht genugsame
Kegeln verbessert und vermehrt. Galilaus hat von Data vorhanden, doch kônnen wir uns allé Zeit,
schwerer Dinge Wurf gehandelt, ohne den \Vider- wenn wir der Sachen uach/.udenken Zeit haben, vor
staud der Luft in Rechnuug zu bringen. Blondel, Irrthum hiiten und da wir die Logik vollends zur
da er von Bommen schreibt, meinet auch, solches Perfection bringen, allés finden, was ex datis môg-
sei nicht nôthig; ich habe das Gegentheil aus Ver- licb, wie ich denn z. E. mit meinem Calculo infini-
iiiiiift- und Erfahrungsgriinden. tesimali den Diflerenzen und Summen die Sach da
1 2) Die gemeine Logik ist freih'ch oft fehlsam ; hin gebracht, dass man in physico - mathematicis
was sic von Geschlecht und Unterschied (Génère viel iibermeistern kann, was man vor diesen anzu-
und Differentia) sagt, hat wohl eine Verbesserung tastcn nicht eimnal sich erkiihnen diirfen. Wenn
nôthig, und kann man aus dem génère eine Diffe- die Data selbst mangeln, kann man wenigstens be
renz machen, und hiuwieder jenes aus dieser, und merken, was und fur Data fehleu. Wofern wir
wenn ich also zwar lacherlich (doch deutlich) reden gnugsame Uebung der wahren Vernunftkunst hâtten,
sol), kann man mit eben dem Redit sagen : homo wiirde sie uns auch in den Gedanken helfen, die
est rational animale, aïs man saget homo est animal aus dem Stegereif genommen werden mùssen ; aber
rationale, wenn ich sage, cubus est parallelopipe- noch zur Zeit fehlet uns hierin noch am incision
clnm regulare, so kann ich welches ich will pro gé und ich habe nicht Zeit gehabt, diesen Punkt anzu-
nère oder difterentîa halten; 13) stelle dahin, ob greifen. Sonst bekenne, dass, wenn ein Logicus
und wie weit zu sagen, punis Logicus est asinus. Regeln ohne Exempel giebt, es eben sei, aïs wenn
Scaliger wollte auch dergleichen von Mathemati- man in blossen Worten wollte fechten lehren.
cis sagon ; auch ein Fuhrmann, wenn er keineu Ver- 17) Es ist viel Schônes in Reali de Vienna und
stand zeiget, sobald er vom Wagen oder aus dem dies ist vielleicht die Ursach, warum man ihn desto
Stall kommen, wurde nnter die Menschen nicht die- weniger widerlegt. Ich an meiner Art halte wenig
nen. 14) Die Mathesis pura weiset nichts, das vom Widerlegen, viel aber vom Darlegen, und wenn
der Logik entgegen, sondern, gleichwie sie viel von inir ein neu Buch vorkommt, sehe ich was ich dar-
ihr geborget, also komint sie ihr auch wieder /.u aus lernen, und nicht was ich darin tadehi kann.
Hulfe und lehret ihr Exempel, die Menschen zu 18) Ich sollte meinen, die Sorbona und andere
warnen, aïs in meines geehrten Herrn 23ster Ue- CoÛegia waren nicht zu verachten. Meines Wissens
bung zu sehen. In Archimedes Schnecken, deren verachtet mau die Logik in Frankreich und Eng
54
426 XL. b. SCHRETOEN AN WAGNER.
land ebcn so wcnig, aïs in Tentschland, doch miiss zn erkennen zn geben, dass sie vielleicht zu cinem
bekennen, dass die gelehrten Leute, zumal wenn Vergleich von Tempérament dienen konnten, zomal
sie vor Jedermann schreiben, besser thun, wenig man beiderseits ja die Vernunftkunst sclbst an-
Termines scholae zu gebrauchen, sonst ist es, aïs niinnit, ob mein geehrter Herr sie schon allein beî
«mu ein Schneider die Nathe sehen lâsst, wie mir Matin-si pura sochen will, darin sie sich zwar ara
Hr. Dillherr einsmels gar artig von denen sagte, die schônsten zeiget, (loch aber nicht ganzlich und allein
dergleichen auf die Canzelen bringen. Scbliesslich daran gebnnden. Sollte ich das Gluck haben, zwi-
bin ich mit meinem geehrten Herni einig, dass mau schen ilini and der gebrâuchlichen Lehrart Frieden
ohne allzuviel Wesen von der Logik und derglei zu machen, wùrde ich die Vergnùgnng dabei finden,
chen zu inachen, die Jugend sofort anf die thatli- dass mein geehrter Herr dadurch inehr Gelegenheit
cheu Wissenschaften fiihren solle; gleichwie ich bekommen wiirdc, nicht nur, was unniitz, einzu-
davor halte, dass Sprachen hauptsachlich ans der reissen, sondera auch sclbst zu gemeinen Nutzen
Uebung zu Icrnep, obschon deswegen die Gramma- ohne Verhinderung ctwas Tangliches zn erbauen.
tik nicht zu verwerfen, sondern zu mehrerer Sprach- Der ich verbleibe meines insondcrs geehrten Herrn
richtigkeit wohl zu gebrauclien. (Hannovcr 1696.)
Hoffe dièses (so weitlaaftiger worden aïs ich vor- dienstergebenster
çehabt) wcrde genug seyn, ineine Gedanken also G. W. L.
GOD. GUIL. LEIBNITII
OPERA PHILOSOPHICA
QUAE EXSTANT
O M N I A.
INSTRUXIT
PARS ALTERA.
BEROLINI.
SUMTIBUS G. EICHLERI.
MDCCCXXXIX.
LX.
CONSIDÉRATIONS
SUR
LE PRINCIPE DE VIE
ET SUR LES NATURES PLASTIQUES PAR L'AUTEUR DE L'HARMONIE PRÉÉTABLIE.
1705.
(Histoire des Ouvrages des Savana. Mai 1705. — Leibn. Opp. Ed. Dutens Tom. II. P. 1. p. 39.)
Cotnoie la dispute qui s'est élevée sur les Na étang plein de poissons est un corps animé, quoique
tures Plastiques, et sur les Principes de le poisson le soit-
Vie, a donné occasion aux personnes célèbres, qui Cependant mon sentiment sur les Principes
s'y intéressent, de parler de mon système, dont il de Vie est différent en certains points de ce qu'on
semble qu'on demande quelque éclaircissement (voyez en a enseigné auparavant. L'un de ces points est,
Biblioth. chois. Tom. 5. art. 5. pag. 301. et que tous ont cru que ces principes de vie changent
puis l'Histoire des Ouvrages des Savans de le cours du mouvement des corps, on donnent au
1704 art. 7. pag. 393.) j'ai cru qu'il seroit à pro moins occasion à Dieu de le changer ; au lieu que
pos d'ajouter quelque chose sur ce sujet , à ce que suivant mon système ce cours n'est point changé
j'ai déjà publié en divers endroits des Journaux du tout dans l'ordre de la nature, Dieu l'ayant
cités par Mr. Bayle dans son Dictionnaire, article préétabli comme il faut. Les Péripatéticiens ont cru
Rorarius. J'admets effectivement les principes que les âmes avoient de l'influence sur les corps, et
de vie répandus dans tonte la Nature, et immortels ; que selon leur volonté ou appétit elles donnoient
puis que ce sont des substances indivisibles, ou bien quelque impression aux corps; et les célèbres Au
des unités, comme les corps sont des multitudes teurs, qui ont donné occasion à la contestation pré
sujettes à périr par la dissolution de leurs parties. sente par leurs Principes de Vie et leurs Natures
Ces principes de vie, ou ces âmes, ont perception Plastiques, ont été du même sentiment, quoiqu'ils
et appétit Quand on me demande, si ce sont des ne soient point Péripatéticiens. On ne peut dire
formes substantielles, je réponds en distinguant: car autant de ceux qui ont employé des Archées, ou
si ce terme est pris, comme le prend Mr. Des car des Principes Hylarchiques, on d'autres prin
te s , quand il soutient contre Mr. Régis, que l'âme cipes immatériels sous les différens noms. D e s c a r -
raisonnable est la forme substantielle de l'homme, tes ayant bien reconnu, qu'il y a une loi de la Na
je répondrai qu'oui. Mais je dirai que non, si quel ture, qui porte, que la même quantité de la force
qu'un prend le terme comme ceux qui s'imaginent se conserve, (quoiqu'il se soit trompé dans l'appli
qu'il y a une forme substantielle d'un morceau de cation, en confondant la quantité de la force avec
pierre, ou d'un autre corps non organique; car les la quantité du mouvement) a cru qu'il ne falloit pas
principes de vie n'appartiennent qu'aux corps orga accorder à l'âme le pouvoir d'augmenter ou de di
niques. Il est vrai (selon mon système) qu'il n'y a minuer la force des corps; mais seulement celui
point de portion de la matière, où il n'y ait une in d'en changer la direction, en changeant le cours de*
finité de corps organiques et animés ; sons lesquels esprits animaux. Et ceux d'entre les Cartésiens,
je comprends non seulement les animaux et les plan qui ont mis en vogue la doctrine des causes occa
tes, mais encore d'autres sortes peut-être, qui nous sionnelles, ont cru que l'âme ne pouvant point avoir
sont entièrement inconnues. Mais il ne faut point de l'influence sur le corps, il falloit que Dieu chan
dire pour cela, que chaque portion de la matière geât le cours ut la direction des esprits animaux
est animée; c'est comme nous ne disons pas qu'un suivant les volontés de l'âme. Mais si l'on avoit su
55
430 LX. SUR LE PRINCIPE DE VIE.
du tetns de Mr. Dcscartes cette nouvelle loi de mouvement, qne par un antre corps eu mouvement,
la Nature, que j'ai démontrée, qui porte qne non qui le pousse. Corpus non moveri nisi im-
seulement la même quantité de la force totale des pulsum à corpore contiguo et moto. Cette
corps, qui ont commerce entre eux, mais encore loi a été violée jusqu'ici par tous ceux qui ont ad
leur direction totale , se conserve, il seroit venu mis des âmes ou d'autres principes immatériels, y
apparemment à mon Système de l'Harmonie compris même tous les Cartésiens. Les Démocri-
préétablie; car il auroit reconnu, qu'il est aussi tiens, Hobbes, et quelques autres Matérialistes
raisonnable de dire, que l'âme ne change point la tout purs, qui ont rejeté toute substance immaté
quantité de la direction des corps, qn'il est raisonnable rielle, ayant seuls conservé cette loi jusqu'ici, ont
de refuser à l'âme le pouvoir de changer la quan cru y avoir trouvé un sujet d'insulter les autres
tité de leur force, Tua et l'autre étant également Philosophes, comme s'ils soutenoient ainsi un senti
contraire à l'ordre des choses, et aux loix de la ment fort déraisonnable. Mais le sujet de leur
Nature, comme l'un et l'autre est également inexpli triomphe n'a été qu'apparent etadhominem; et
cable. Ainsi, selon mon système, les âmes ou les bien loin qu'il leur puisse servir, il sert à les ter
principes de vie ne changent rien dans le cours or rasser. Car maintenant leur illusion étant décou
dinaire des corps, et ne donnent pas même à Dieu verte, et leur avantage tourné contre eux, il semble,
occasion de le faire. Les aines suivent leurs loix, qu'on peut dire, que c'est la première fois qne la
qui consistent dans un certain développement des meilleure Philosophie se montre aussi la plus con
perceptions selon les biens et les maux; et les corps venable en tout avec la raison, ne restant rien qu'on
suivent aussi les leurs, qui consistent dans les rè lui puisse opposer. Ce principe général, quoiqu'il
gles du mouvement: et cependant ces deux êtres donne l'exclusion anx premiers moteurs particuliers,
d'un genre tout-à-fait différent, se rencontrent en en faisant refuser cette qualité anx âmes ou aux
semble et se répondent comme deux pendules par principes immatériels crées, nous mène d'autant plus
faitement bien réglées sur le même pied, quoique sûrement et clairement au premier Moteur univer
peut-être d'une construction toute différente. Et sel, de qui vient également la suite et l'accord des
c'est ce que j'appelle l'Harmonie préétablie, perceptions et des mouvemens. Ce sont comme
qui écarte toute nation de miracle des actions pou- deux règnes, l'un des causes efficientes, Fautre des
rement naturelles, et fait aller les choses leur train finales, dont chacun suffit à part dans le détail pour
réglé d'une manière intelligible: au lieu que le sy rendre raison de tout, comme si l'autre n'existoit
stème commun a recours à des influences absolu point. Mais l'un ne suffit pas sans l'autre dans le
ment inexplicables, et que dans celui des causes général de leur origine; car ils émanent d'une
occasionnelles, Dieu par une espèce de loi générale source, où la puissance qui fait les causes efficien
et comme par un pacte, s'est obligé de clianger à tes, et la sagesse, qui règle les finales, se trouvent
tout moment le train naturel des pensées de l'âme réunies. Cette maxime aussi, qu'il n'y a point de
pour les accommoder aux impressions des corps, et mouvement, suivant les règles méchaniqnes, nous
de troubler le cours naturel des monvemens du mène au premier Moteur encore: parce que la ma
corps selon les volontés de Faîne; ce qui ne se peut tière étant indifférente en elle-même à tout mouve
expliquer, que par un miracle perpétuel; pendant ment, on au repos, et possédant pourtant toujours
que j'explique le tout intelligiblement par les natu le mouvement avec toute sa forée et direction, il
res que Dieu a établies dans les choses. n'y peut avoir été mis que par l'Auteur même de
Ce système de l'harmonie préétablie fournit une la matière.
nouvelle preuve inconnue jusqu'ici de l'existence de Il y a encore une antre différence entre les sen-
Dieu, puis-qu'il est bien manifeste, que l'accord de timeus des autres Auteurs, qui sont pour les prin
tant de substances, dont l'une n'a point d'influence cipes de vie, et entre les miens. C'est que je crois
SUT l'autre, ne sauroit venir que d'une cause géné en même teins et que ces principes de vie sont im
rale, dont elles dépendent toutes, et qu'elle doit mortels, et qu'il y en a par-tout; an lieu que sui
avoir une puissance et une sagesse infinie pour vant l'opinion commune les âmes des bêtes péris
préétablir tous ces accords. Mr. Bayle même a sent, et qne selon les Cartésiens il n'y a que
jugé, qu'il n'y a jamais eu d'hypothèse, qui ait l'homme, qui ait véritablement une âme, et même
donné tant de relief à la connoissance que nous qui ait perception et appétit; opinion, qui ne sera
avons de la sagesse divine. Ce système a encore jamais approuvée, et où l'on ne s'est jeté que parce
cet avantage, de conserver dans toute sa rigueur et qu'on a vu, qu'il falloit, on accorder anx bêtes des
généralité ce grand principe de la Physique, que aines immortelles, ou avouer, que Famé de l'homme
jamais un corps ne reçoit un changement dans son ponvoit être mortelle. Mais il falloit dire plutôt,
LX. SUR LE PRINCIPE DE VIE. 431
que toute substance simple étant impérissable, et Nature, étant machines jusques dans leurs moindres
toute âme par conséquent étant immortelle, celle parties, sont indestructibles, à cause de l'enveloppe
qu'on ne saurait refuser raisonnablement aux bêtes, ment d'une petite machine dans une plus grande à
ue peut manquer de subsister aussi toujours, quoi l'infini. Ainsi on se trouve obligé de soutenir en
que (Tune manière bien différente de la nôtre, puis même tems et la pré-existence de l'âme comme de
que les bêtes autant qu'on en peut juger, manquent l'animal, et la substance de l'animal comme de l'âme.
de cette réflexion, qui nous fait penser à nous-mê Je suis venu insensiblement à expliquer mon
mes: si Ton ne voit point, pourquoi les hommes sentiment de la formation des plantes et des ani
ont eu tant de répugauce à accorder aux corps des maux, puisqu'il paroit par ce que je viens de dire,
autres créatures organiques des substances imma qu'ils ne sont jamais formés tout de nouveau. Je
térielles impérissables ; puisque les défenseurs des suis donc de l'avis de Mr. Cudworth (dont l'ex
atomes ont introduit des substances matérielles, qui cellent ouvrage me revient extrêmement dans la
ne périssent point, et que l'aine de la bête n'a pas plus grande partie) que les loix du Méchanisme tou
plus de réflexion qu'un atome. Car il y a bien de tes seules ne sauraient former un animal, là où il
la distance entre le sentiment, qui est commun à n'y a rien encore d'organisé; et je trouve, qu'il
ces âmes, et la réflexion qui accompagne la raison, s'oppose avec raison à ce que quelques Anciens ont
puisque nous avons mille sentimens sans y faire imaginé sur ce sujet, et même Mr. Descartes
réflexion; et je ne trouve point que les Cartésiens dans son homme, dont la formation lui coûte si peu,
aient jamais prouvé ni qu'ils puissent prouver, que mais approche aussi très peu de l'homme véritable.
toute perception est accompagnée de conscience. Et je fortifie ce sentiment de Mr. Cudworth en
11 est raisonnable aussi, qu'il y ait des substances donnant à considérer que la matière arrangée par
capables de perception au dessous de nous, comme une sagesse divine doit être essentiellement organi
il y eu a au dessus; et que notre âme, bien loin sée partout; et qu'ainsi il y a machine dans les
d'être la dernière de toutes, se trouve dans un mi parties de la machine naturelle à l'infini, et tant
lieu, dont on puisse descendre et monter; autre d'enveloppées les uns dans les autres, qu'on ne sau
ment ce seroit un défaut d'ordre, que certains Phi rait jamais produire un corps organique tout-à fait
losophes appellent vacuum for ma ru m. Ainsi nouveau, et sans aucune préformation, et qu'on ne
la Raison et la Nature portent les hommes au sen saurait détruire entièrement non plus un animal
timent que je viens de proposer; mais les préjugés déjà subsistant. Ainsi je n'ai pas besoin de re
les en ont détournés. courir avec Mr. Cudworth à certaines Natures
Ce sentiment mène à un autre, où je suis encore .Plastiques immatérielles, quoique je me sou
obligé de quitter l'opinion reçue. On demandera vienne, que JulesScaliger et autres Péripatéti-
à ceux qui sont de la mienne, ce que feront les ciens, et aussi quelques sectateurs de la doctrine
âmes des bêtes après la mort de l'animal: et on Helmontienne des Archées, ont cru, que l'âme se
nous imputera le dogme de Pythagore, qui croyoit fabrique son corps. J'en puis dire, Non mi bi-
la transmigration des âmes, que non-seulement feu sogna, e non mi basta, par cette raison même
Mr. van Hel mont le fils, mais encore un Auteur de la préformation et d'un organisme à l'infini, qui
de certaines méditations métaphysiques publiées à me fournit des Natures Plastiques matérielles prp-
Paris, a voulu resusciter. Mais il faut savoir, que pres à ce qu'où demande ; au lieu que les Principes
j'en suis fort éloigné, parce que je crois que non- Plastiques immatériels sont aussi peu nécessaires,
seulement l'âme, mais encore le même animal sub qu'ils sont peu capables d'y satisfaire. Car les ani
siste. Des personnes fort exactes aux exi>ériences maux n'étant jamais formés naturellement d'une
se sont déjà apperçnes de notre teins, qu'on peut masse non organique, le méchanisme incapable de
douter, si jamais un animal tont-à-fait nouveau est produire de nouveau ces organes infiniment variés,
produit, et si les animaux tout en vie ne sont déjà les peut fort bien tirer par un développement et par
en petit avant la conception dans les semences aussi- une transformation d'un corps organique préexistant.
bien que les plantes. Cette doctrine étant posée, Cependant, ceux qui emploient des Natures Plasti
il sera raisonnable de juger, que ce qui ne com ques, soit matérielles, soit immatérielles, u'attoi-
mence pas de vivre, ne cesse pas de vivre non plus ; blissent nullement la preuve de l'existence de Dieu
et que la mort, comme la génération, n'est que la tirée des merveilles de la Nature, qui paraissent
transformation du même animal, qui est tantôt aug particulièrement dans la structure des animaux,
menté, et tantôt diminué. Ce qui nous découvre supposé que ces défenseurs des Natures Plastiques
encore dos merveilles de l'artifice divin, où l'on immatérielles y ajoutent une direction particulière
ii '.mai jamais pensé) c'est que les machiues de la de Dieu ; et supposé que ceux^qui se serviront d'une
55"
432 LX. SUR LE PRINCIPE DE VIE.
cause matérielle avec moi, en se contentant du Me- tout coqjs organique ; quoiqu'il soit vrai cependant,
chauisine Plastique soutiendront non seulement une • qu'il n'y a point de la matière, dont on puisse dire,
préfonnation continuelle, mais encore un préétablis- , qu'elle est toujours affectée à la même aine. Je
sement divin originaire. Ainsi de quelque manière I n'admets donc point qu'il y a des âmes entièrement
qu'on s'y prenne, on ne sauroit se passer de l'exi séparées naturellement, ni qu'il y a des esprits
stence divine, en voulant rendre raison de ces mer créés entièrement détachés de tout corps, en quoi
veilles, qu'on a toujours admirées, mais qui n'ont je suis du sentiment de plusieurs anciens Pères de
jamais mieux paru que dans mon système. l'Eglise. Dieu seul est au dessus de toute la ma
On voit par là, que non seulement l'âme, mais tière, puis qu'il en est l'Auteur; mais les créatures
encore l'animal, doit subsister toujours dans le coure franches ou affranchies de la matière, seroient dé
ordinaire des choses. Mais les loix de la nature tachées en même teins de la liaison universelle, et
«ont faites et appliquées avec tant d'ordre et tant comme les déserteurs de l'ordre général. Cette uni
de sagesse, qu'elles servent à plus d'une fin, et que versalité des règles est soutenue d'une grande faci
Dieu, qui tient lieu d'inventeur et d'architecte à lité des explications: puis que l'uniformité, que je
l'égard des machines et ouvrages de la nature, tient crois observée dans toute la nature, fait, que par
lieu de Roi et do Père aux substances qui ont de tout ailleurs, en tout tems et en tout lieu on ponr-
l'intelligence, et dont l'âme est un esprit formé à roit dire, que c'est tout comme ici, aux degrés
son imago. Et à l'égard des esprits, son Royaume, de grandeur et de perfection près; et qu'ainsi les
dout ils sont les Citoyens, est la plus parfaite Mo choses les plus éloignées et les plus cachées s'expli
narchie, qui se puisse inventer; où il n'y a point quent parfaitement par l'analogie de ce qui est Vi
de péché, qni ne s'attire quelque châtiment, et point sible et près de nous.
de bonne action sans quelque récompense ; où tout Au reste, Monsieur, je fais imprimer in folio
tninl enfin à la gloire du Monarque et au bonheur une collection des écrivains servant à l'histoire de
des sujets, par le plus beau mélange de la justice Brunswick, tirés des manuscrits, on rétablis par les
et de la bonté, qui se puisse souhaiter. Cependant manuscrits; j'y joins quelques pièces qui ont déjà
je n'ose rien assurer ni à l'égard de la préexistence, été imprimées parce qu'elles sont entre les mains de
ni à l'égard du détail de l'état futur des âmes hu peu de gens, et qu'elles servent à mon but. II y aura
maines; puisque Dieu se pourroit servir à cet égard entr'autres Dit ni a ru s Evêque de Mersebourg, où
de voies extraordinaires dans le règne de la Grâce: j'ai suppléé quelques feuilles qui y manquaient par le
néanmoins ce que la raison naturelle favorise, doit moyen d'un exemplairequelesRR.PP. Papebrock
être préféré, à moins que la révélation ne nous en et Jannin m'ont communiqué. J'ai conféré aussi
seigne le contraire, ce que je n'entreprends point D o m n i s o n , Auteur de la vie de la célèbre Comtesse
ici décider. Mathilde, et son contemporain, avec le manu
Avant que de finir il sera peut-être bon de faire scrit du Vatican qui est de ce teins-la, et je l'ai rendu
remarquer parmi les autres avantages de mon sy intelligible; oe qu'il n'est point dans l'édition de
stème celui de l'universalité des règles que j'emploie, Gretserus. Il y aura la vie de Theodoric
qui sont toujours sans exception dans ma Philoso Evêque de Metz, contemporain d'Othon le Grand,
phie générale: et c'est tout le contraire dans les qui n"a point encore été publiée, quoiqu'on le traite
antres systèmes. Par exemple, j'ai déjà dit, que de Saint; je l'y mets parce que cet Evêqne étoit
les loix méchaniques ne sont jamais violées dans Saxon de la race de Witikind. On y trouvera
les inouvemens naturels, qu'il se conserve toujours la vie de St. Conrad Evêque de Constance, de la
la même direction; que tout se fait dans les âmes race des Guelphes, qui n'a point paru jusqu'ici, et
comme s'il n'y avoit point de corps, et que tout se les anciennes Chroniques de Halberstadt, de Hildes-
fait dans les corps comme s'il n'y avoit point des heim, de Minde, et autres qui n'ont jamais vu te
aines; qu'il n'y a point de partie de l'espace qui ne jour. Ce recueil ne cédera guéres à d'autres de
soit remplie ; qu'il n'y a point «le partie de la ma cette nature, et cet exemple pourra encourager d'au
tière qui ne soit divisée actuellement, et qui ne tres familles, et pays. Remarquez que tout ce qu'il
contienne des corps organiques; qu'il y a aussi des contiendra de pièces, sont plus anciennes que la
âmes par-tout, comme il y a par-tout des corps; Réformation, et par conséquent elles peuvent j>asser
que les âmes et les mêmes animaux subsistent ton- pour des écrits du moyen âge, et ainsi exemptes
jours; que les corps organiques ne sont jamais sans dos partialités que le changement de Religion a
âmes, et que les aines ne sont jamais séparées de causées. Je suis etc.
LXI.
OBSERVATIO AD RECENSIONEM LIBRI
1705.
(Acla Eimlu. bips. Dec. 1705. p. 553. — Leibn. Opp. Ed. Dutens Tom. II. P. 1. p. «56. )
('uni haec R«censio Clarissimi Jaqueloti sen- • pertia, Qoid ergo vir tut i luis et vit lis lirtî An
teutiam de Leibuitiana Harmoniae prae- •credi oportet, Dcum ad aspectum Batsebae in
stabilitae Hypothesi attigerit, quai; nuspiam •anima Davidis idcam concupisceutiae excitasse,
aillmc in his Actis est cxplicata, operae pretium >et in animas Pharisaeorum impressisse ideas
visiini est, ad melioretn ejus intellectum , inissam »blaspheuiiae contra Spirituui, cnni daemones vi-
ni il lis ipsorum Dni. Jaqueloti verborum ex Libro » lièrent ex corporibus daeuioniacorum éjectes'}
recensito excerptoruiu Latinam versionem adjun- • Qnocunque effugio, aut quacunquc subtilitate uta-
gcrc, ut appareat, quis sonsensus aut dissensus. »uiur, res hncsemper redit. Exponit deindeClarissi-
•Quia (inquit pag. 381. 382.) difficile est com- • musAutorrationes, cur systemareceptum, quoani-
• prehendere, quomodo voluntas motum corpori im- -ma in corpus et corpus in animam influxumexercct,
•peret, Celeberrimns Leibnitius Corpus conside- • ipsi inagis placet. Sed tandem pergit p. 387. sqq.«
•ut tauquam machinam tunsarn et dispositam ad Si tamen systema Leibnitianum bene intelligitur,
«efficiendos omnes motus quos producit, et Aniniain reperietur, iueonondestrui libertatem; anima eniin
» tanquam substantiatn omnes continentera ideas facultatem habet décréta sua formandi. ac volendi quod
•sese successive evolventes, modo motibus omnibus placet. Et quod actiones corporis ab anima imperatas
«corporis conformi et correspondente. Itaqne cuin attini'f, nnn potestofficerolibertatidispositio corporis
>bracbium moverc volo, eveuit, ut brachium mo- ita aDeo format!, ut motus ejus praecise voluntatibus
iratur virtute machinae dispositae atque tcndentis animae ruspondeaut, quod tali exemplo intelligi
>ad brachium in lioc instant! inovendum. Hoc modo potest. Ponamus, Mechanicnm egregium scire, quae
-Anima et Corpus se fere habebunt ut duo horo- ego famulo meo tali diu sini imperaturus, eumquc
>logia j ii -ni lu In, quae motus suos pariter iisdemquc posse formare automatum par exequendis omnibus
• momeutis exercent. Qui causas occasioualcs de- motibus a me ea die imperandis : Certum est, me
• fendant, volunt ob unionem animae et corporis, tune automate illi tanquam famulo mco imperatu-
• Deum ad certorum motuum pracsentiain in anima rum ea, qua fruor, libertate, neque illam ipsius au-
• formare certas ideas, et ad praescntiam certorum tomati spontaneam ad suos motus determinationem,
••actmim voluntatis, Dcum producere certos motus quicquam libertati meae praejudicaturum. Eodem
»in corpore. Quod Du. Leibiiitius non probat, se modo res habet in corpore humano, secnndùin
»quia ista hypothesis i>erpetua supponit tniracula. systema Leibnitianum, quod ideo appellari solet
-Systema reccptum inediuui inter bas duas senten- Systema Harinouiac praestabilitae. Deus
»tias trnct, qnae uiagnas difficultates pâti vidcntur. forniavit nostra corpora tanquam machinas quae
•Videri possit prima specie, in priore systcmate debent respondcre certis motibus nostrarum anima-
-libertatcm non nisi quandam illusioncm esse, cuai rnni. Talc automatum non est iinpossibilc Deo,
• .H lima et corpus per causain cfficacem et antece- qui novit omnes detcrminationes meac voluntatis,
•dentem ad omnes suas cogitationes et actiones motnsquo machinac his determinationibus accom-
»dJs|x>Dantur, tautumqoe rêvera evolvatnr, quod inodavit. Hoc systema excmtuni est difflcultatilms,
••<•r-.it tectum et iuvolutum. Systema caasarum quae in aliis reperiuutur. Non iutelligitur in sy-
•occasionaliuin majorilms adhuc difficultutibus stemate rcccpto, quomodo voluntas agere possit in
• laborat. Nam in eo Deus agit omnia, creaturae corpus, et in systemate causarnm occasionalium om-
-non nisi umbrae sunt vanae, et eutia actionis ex- uia fîunt uiiraculose, et Drus movet brachium mcuui
434 LXI. DE RECENSIONS LIBRI JAQUELOTIANE.
occasioue ineac volantatis, corpus propric loquendo Dei cuucta crcantis et conscrvantis sola voluntate.
uihil agit. Sed in systemate Lcibnitiano agit re- Sed si velimus sequi ideas, quas habemus de cor-
vcrà. Quod aaimam attinet, coiicipi utique potest, pore et de spiritu, una cura propriis connu attri-
Deuni ipsi iii creatione dédisse ideas coufusas et in- bntis, atqui adeo nolimus corpus agere in spirituin,
volutas omnium objectorum univwsi, quae evolvan- aut spiritnrn (creatum) in corpus; amplecteudum
tur et distinctae l'unit, pront objecta mutationes pro- erit systema L e i b n i t i a n u m. Systema enim eau -
ducuut in eo corpore, quod animae est conjunctum, sarum occasionalium non nisi mera est illasio.
quia Deus ita creavit animain et corpus, ut perfecte Haec Clarissimus Autor, agnoscens commer-
respoudeant. Anima deiude in sesc ipsa agit secun- cium animae et corporis, secundum naturae ordinem,
iliiiu illas ideas et perceptiones distinctas, ut judicia non alio modo, quam secundum Leibuitianam
sua finmet, suaque placita ac dcstinata aniino con- hypothesin, intelligibiliter explicari posse. Quouiam
cipiat, secunduin electioneni quam instituit. Ipsa in iis, quae in corpore et anima intclligimus, nihil
imperat, et corpus exequitur virtute dispositionis a apparet qnod influxum eorum motuuiu explicandum
Creatore ad exequendum ei datae. inserviat. Caeterum modus, quo Deus agit in crea-
Itaque conclue lo (inquit Vir Clurissiuius suit turas, toto génère di versus est, consistit enim in
ipsum dissertationis fiiiou) si intelligi queat, creando: quoniaiu ipsa creaturaruui dependentia a
aniinam agere in corpus propria virtute et qno- Deo seu couservatio, continua est creatio. Hanc
dam génère inflnxus, qui motuni in eo producat, autem dcpendcutiam veram et necessariam esse,
sequendnm esse systetna reeeptnm. Simplicius eniui certis démonstration!bus docemur, etsi moduui hune
est aliis et liquidius, (plus simple et plus dé agendi, ob iiilinitum ipsius ageutis uaturam, expli-
gagé.) Et in favorem ipsius adduci potcst exemplotn carc non possimus.
XLII.
AD REVEREMHSS1MUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE OCTO.
1706 et 1707.
(Lui h n. Opp. Ed. Uutens Tom II. P. 1. p. «65.)
EPISTOLA 1. linea recta vel ex eo constat, quod pars cjus est si-
Pluriinuui Révérende Pater. milis toti. Itaque cum totum dividi possit, potcrit
et pars, et siuiiliter quaevis fars partis. Puucta
Vereor, ut quem mihi defers honorem, du m de non sunt partes continui, sed extremitates, née nia-
abstrusioribus quaeris, mereri satis possim. Dico gis minima datur pars liueae, quam minium frac-
taineu sententiam, quia jubés, et boni consulte. tio uuitatis.
l-'.ns et unuiu converti tecum sentio; unitatemque Jnfiuituni actu in natura dan non dubito, posita-
esse principium nuuieri, si rationes spcctes, seu que pleuitndine muiidi, et aequabili divisibilitate
prioritatem naturae, non si magnitudinem : nain materiae, sequitur ex legibus motus varii, quodvis
babemus fractiones, unitatc utique minores in in puncturn moveri motu diverse a quovis alio assig-
finitum. nabili puncto. Sed née aliter sihi pulrhritudo rertun
CoDtiuuuin in infumum divisibilu est. Idquu in ordoque constaret. Neque video, cur hoc refugcrc
LXII. AD DES BOSSES EVISTOLAE I. — VIII. 435
debcamns. Qnae contra objiciuntur, responsionem, | et omnia ex scntentia gère, ut rcspublica literaria
ni fallor, partiuntur, etfalsishypothesibus niti soient. tais praeclaris lucubrationibns mature fruatar,
Non datur progressas in infinitum in rationibus et mihi favere perge. Dabam Hanoverae 14.
universalium seu aeternarum veritatum, datur ta- Febr. 1706.
uii'ii in rationibns singularium. Ideo si singularia Deditissimus
a mente creata perfecte explicari aut capi non pos- Godef. Guil Leibnitius.
sunt, quia infinitnm involvunt. Majora pendent a P. S. Cum ubiqne Monades seu principia unitatis
minoribns, et haec ab aliis adhuc minoribus. snbstantialis sint in materia, consequitur hinc quo-
Scholastici aliquando fortasse potentiam intel- que inânitum actu dari; nain nulla pars est aut
lexere, quae esset cum conahi ; communiter tamen pars partis quae non monades contineat.
rem aliter accepisse pateni ; sic Hisivitas in homine
(vnlgo Risibilitas) non significat risnrnm hominem,
si nemo impediat; sed risurum, si occasio ridendi
ofieratur. Itaque cum potentiam requisitis omni EPISTOLA II.
bus positis necessariô agere dixere, inter requisita, Plurimum révérende Pater.
cre<lo, posuere occasionem sollicitantem.
Violentum admitto utique, neque a commun! ser- Hoc incommodo tempore, valetudinis causa uon-
mone recedendum puto, qui ad apparentia refertur ; nihil distuli iter. ('uni dubitationes tnae res gra-
eo fere modo, quo Copernicani de inotu Solis vissimas et difficillimas attingaut, aequi bonique
loqnuntur cum vulgo. Simili modo loquimur de consules, si praestent, non quae postulat roi digni-
casu et fortuna. tas, exigitque acumen tuuiii, sed quae ferunt vi
In motn concedo utique esse aliquid ultra vim ad res meae.
mutationem niteiitem, nempe ipsam inntationem. Eus et unnrn convertuntnr, sed ut datur ens per
In aqua non inagis substantialem unitatem esse aggregationem, ita et uiiiiin, etsi bàec Entitus, uni-
pnto, quain in grège piscinm eidem piscinae in- tasqne, sit seiuiinentalis.
natantiam. Numeri nnitates, fractiones, natnram babent re-
Cum nuiniiim nihil in materia producere aio, lationnm. Et ea tenus aliqao modo Entia appellari
tantùm iutelligo per animam non mutari leges mo- possnnt. Fractio unitatis non minus est unum Ens,
tuum materiales. Alioqui anima est Entelechia, quam ipsa imitas. Née putandum est unitatem for-
seu potentia activa primitiva in substantia corporea, malem esse aggregatum fractionum, cum simplex
per quam materia, seu ejusdem substantiae potentia sit ejus notio, conveniens divisibilibus et indivisi-
passiva primitiva perficitur, et hornm primitivornin bilibus, et iudivisibilium nulla sit fractio. Etsi
modificatione in ipsa substantia corporea actiones, materialis imitas, seu in actn exercito (sed in génère
passionesque nascuntur. sumpta) apud Arithmeticos ex duabus medietatibus,
Starmiuin pnto fuisse amantem veritatis, sed cura subjectnm earam capax est, componatur, ut
praejudiciis occupatum mea non satis attente con sit -y + 4 == * •> seu it* verbi gratia, ut valor
sidérasse. grossisit aggregatum valoris duorum semigrossorum.
Responsionem ad Turnamini objectionem (sic Caeterum ego de substautiis loquebar. Animalis
satis jam veterem, sed mihi serins observatam) misi igitnr fractio, seu dimidinm, animal non est unura
in Galliam nuper, sed nondum accepi redditam. per se ens, quia non nisi de animalis corpore iutel-
Ita nescio , qnis sit iiunc status Diarii Triviiltiani. ligi potest, quod unum per se ens non est, sed
Spero tamen verum non fore, quod de cessatione aggregatnra, unitatemque Arithmeticam habet, Me-
ejus dictum est. Intérim metuo, ne forte auctoribus taphysicam non habet. Ut autem ipsa materia, si
nocuerit, quod interdura res Thologicas liberius née Entelechia adaeqnata absit, non facit unum ens, ita
sine affecta tractant, et aliqnando in alios paulo née ejns pars. Née video, quid impediat, multa actu
acnleatius dicunt. subjici uni Entelechiae; Imo hoc ipsum necesse est.
Gaudeo consilium de condendo Breviario Philo- Materia (nempe secunda) aut pars materiae existit,
sophico tais destinatis consentire. Et omnino sentio, ut grex, aut domus, seu ut ens per aggregationem.
de multis non bene decerni, nisi omnia sint in Infinitum actu in magnitudine non aeqne osteudi
conspectu. potest ac in multitudine.
Vereor, ne frai colloqnio tuo possim proximo Argumenta contra infinitum actu, snpponunt, hoc
Paschali festo. Nain non Bnmsvigam tantnm, sed admisse dari numerum infinitum, item infinita om
et Berolinum excurrendum est mihi. Spero tamen nia esse aequalia. Sed sciendam , rêvera aggrega-
alias afluturam fortunam voto meo. Interea vale, tuin infinitum neque esse unum totuoi, aut magni-
436 LXII. AD DES BOSSES EPISTOLAE. I. — VIII.
tndine praeditum, neque numéro constare. Âccura- partes solidae, flnidaeqne rursus in se continent alia
teqne loquendo, loco iiinneri inliuiti dicendum est animalia et vegetabilia. Et hoc puto iterum dici
j il ura adesse, quam numéro ullo exprimi possint; debere de parte quavis horum vivcntium, et sic in
aut loco lincae rectae infinitac, productam esse rec- infinitam,
taiu ultra quamvis magnitudinem , quae assiguari Nullam Entelechiam pnto affixam esse certae
potest, ita, ut semper major recta adsit. De essen- parti materiae (nempe secundae) aut quod eodem
tia nomeri , lineae et cujuscunque tôt lus est , esse redit, certis aliis Entelechiis partialibas. Nain ma-
terminatnm. Hinc et si magnitudine inl'uiitus esset teria instar fluminis mutatur, manente Eotelechia
i un ut lus, unum tôtnui non esset; née cum quibus- dum machina subsistit. Machina habet Entelechiam
daui veteribus fingi posset Deus velut anima mundi, sibi adaequatain, et haec machina alias continet
non solum quia, causa mundi est, sed etiam quia machinas primariae quidem Entelechiae inadaequa-
ii mutins talis unum corpus non foret, née pro aui- tas, sed propriis tamen sibi adaeqoatis praeditas, et
mali haberi posset, neque adeo nisi verbalem habe- a priori' totali separabiles. Sane et scinda formas
rct uiiitateui. Est igitur loquendi compendium, partiales admittit. Itaque eadem materia substat
cum unum dicimus, ubi plura sunt quam uno toto pluribus forinis, sed diverse modo pro ratione adae-
assignabili comprehendi possunt, et magnitudinis quationis. Secus est si intelligas materiam primam
instar eflerimus, quod proprietates ejus non habet. seu TO 6uva.f^i3U)v itywTOT', «cx^rowv «ptùrov
Qucmadmodnm enim de numéro infinité dici ne- tMCçttKftnxnf, id est potentiam primitivam passi-
qait, par sit an impur; ita née de recta infmita, vam seu principium resistentiae, quod non in c\-
utrum data recta sit coinmensurabilis an secus ; ut tensione, sed extensionis exigentia consistit, ente-
adeo impropriae tantum hae de infînito velnt una lechiamque, seu potentiam activam primitivam
magnitudine sint locutiones, in aliqua analogia fun- complet, ut perfecta substantia seu monas prodeat,
datae, sed qnae si accuratius examines, subsistere in qua modificationes virtute contineutur. Talem
non possunt. Solum absolutum, et indivisible imi- materiam, id est, passiouis principium perstare suae-
nitum, veram unitatem habet, nempe Deus. Atque qoe Entelechiae adhaerere intelligimus; atque ita
haec sufficere puto ad satisfaciendum omnibus ar- ex pluribus mouadibus resultare materiam secun-
gnmentis contra iuliiiitinn actu, quae etiam ad infi- tlaïu. cum viribus derivatis, action ihus, passion il ms;
nituin potentiale sno modo adhiberi debent. Neque quae non sunt nisi entia per aggregationem, adeo
enim negari potest, omnium numerorum possibilium que semimentalia, ut iris, aliaque phaenomena bene
na( uras rêvera dari, saltem in divina mente, adeo- fundata. Caeterum vides hinc non putandum, Ku-
qne numerorum multitudinrm esse infinitam. telechiae cuivïs assignandain portionem materiae
Ego pbilosophice loqueudo non magis statut) infinité parvam (qualis née datur) etsi in taies con-
magnitudines infinité parvas qnam infinité magnas, clusiones soleamus ruere per saltum. Comparatione
seu non magis infinitesimas quam infinituplas. j utar : linge circuluin, et in hoc describe très alios
Utrasque enim per modnm loquendi compendiosum i maximos quos potes circules inter se aequales, et
pro mentis fictionibus habeo, ad calcul nui aptis, I in quovis novo circulo, et inter circules in-
quales etiam sunt radiées imaginariae in Algebra. terstitio, rursus très maxitnos aequales circules,
Intérim demonstravi, magnum bas exprcssiones usum quos potes, et sic finge in infinitura esse processum ;
liabere ad compendium cogitandi adeoque ad iu- non ideo seqnetur dari circuluin iuiimfr parvum,
ventionem; et in errorem ducere non posse, cuin aut dari ccntrum quod circuluin habeat proprium,
pro infinité parvo substitnere sufBciat tam parviim cui (contra hypothesin) nullus alius iuscribatur.
quam quis volet, ut error sit minor dato, unde con- Quod statuis non interire animam animalque,
seqnitor errorem dari non posse. R. P. Gonye, qui rursus comparatione explicabo. Finge animal se lia
objecit, non satis videtur mea percepisse. bere ut gnttam olei, et animam ut punctum aliquod
Caeternm ut ab ideis Geomctriae, ad realia Phy- in gutta. Si jam divellatur gutta in partes, cnm
sicae transeam ; statuo matcriam actu fractam esse quaevis pars rursus in puttam globosam abeat, punc
in partes qoavis data minores, seu imllam esse par tum illud existet in aliqua guttarum novarum. Eo
tent, quae non actu in alias sit subdivisa diversos dem modo animal permauebit in ea parte, in qua
motus exercentes. Id postulat natnra materiae et anima uiauet, et quae jpsi maxime convenii. Et
niiitûs. et tota rerum compages, per Physicas, Ma- uti naturaliquidi in alio fluido affectât rotuuditatem,
theraaticas et Metaphysicas rationes. iia natnra materiae asapieutissimo autore couetruotae,
Cnm d«o imllaiu partem materiae esse, quae semper affectât ordinem seu organizationem. Hiuc
non monades cootineat, exemple rem illustre cor- neque animée, neqne animalia destrui possnut; ctei
poris 1m mai M. vcl alterius animalis, ru.jus qoaevis possint diminui, atque obvolvi, ut vita eoruni uobis
LXH. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VIII. 437
non apparcat. Née dubium est, ut in nasceudo, ita tius doctrinac conspectus aliquis ob ocnlos ponitur,
et in denascendo, naturam certas leges servare; ni- qui haberi potest, licet nondum omnes difliciiltates
hil eniin divinoruin operuin est ordiuis expers. ad vivnm resectae liaboantur, cum potius illa ipsa
Praeterea qui considérât sententiarade conservatione collatioue maxime tollantur. Ut taceam vulgo sal-
animalis, .consiclerarc etiam débet, quod docui, in- vis multis difficultatibus systemata stare. Tali ergo
linita esse organa in animalis corporc, alla aliis in- operae manus aclmoliri fructuosissimum putein, et
voluta, et hinc inachinam aniinalem et in génère t ni u appariturum, quidadhucpotissimuradesideratur.
machinant natnrae non prorsus destructibilem esse. Ptolomaeum nostrum sibi gratnlari puto, quod
( 'mu dixi ouincm poteiitiam esse active motricem, honor ei sine onere obtigit, nam publiée dignus ha-
intellexi haud dubie potentiam activam, et indicare bitus est qui eligeretur. Opus ejus quod mntuo de-
volui, semper actionem aliqnam actu sequi ex po- deras, pro quo limitas gratias ago, prout jussum
tentia conaturn involvente, etsi contrariis aliarum erat misi Rdo. Patri vestri Ordinis, qui hic vestra
potentiarum conatibus refractam. sacra obit. Quod superest, vale, et fave. Dabam
Causae secuudae agent, si nulliun sit impedimcn- Hanoverae 11. Martii 1706.
tum positivnm; imo, etsi adsit ut dixi, quamvis Deditissimus.
tnnc minus agant. Godef. Guil. Leibiiitius.
Ais substantiam unam, si sola poneretur, habi- P. S. Cum tempestas in melius mutata videatar
turam infinitas actiones simul, quia nil impediat. hodie Brunsvigum niox rediturus suni. 17. Martii
Respondeo etiam nune. ubi impeditur, eara infinitas 1706.
actiones simul oxercere: mua utjamdixi, nullum LJteras rectius acci])io si vecturac ordinariae
impedimentum actioucm prorsus tollit. Née mirum Hauoveranae, quam si Magistro Postarum Cae-
est, quocl substantia quaevis infinitas exercet actio sareo committantur. Vectura ter minimum per
nes ope partium iiilinitarmn diverses motus exer- septimauam commeat ultro citroque.
centium; cuni quaevis substantia totum quodam
modo repraesentet universum, prout ad ipsum refer-
tur-, et quaevis pars materiae a quavis alla aliquid
patiatur. Sed non putandum est, ideo quia infini-
tas exercet actiones, quamlibet actionem, et quam- EPISTOLA III.
libet aeque exercere, cum nnaquaeque substantia Admodum Révérende Pater,
determinatae sit naturae. Unam autem substantiam
solam existere ex iis est, quae non conveniunt di- Libros quos remiseras recte accepi. Utinam esset
vinae sapientiae, adeoqne non fient, etsi fieri possint. in quo tibi utilior esse jossen»! Hactenus distrac-
Paragraphi postremi, cujus initinm est: Sola tissimus, nunc primum respondendi officio satisracio,
anima in honiine libéra est, etc., non satis et morae veniam peto.
scopuin percipio. Quod anima non voleudo, id est Credo, si superfuisset diutius Pelissonius,
qua spiritualis seu libéra est, sed ut Entelechia cor- atile aliquid praestare potuisse, sed Meldensis Epis-
poris primitiva adeoquc non nisi secundum leges copus (quîcum continuatum est aliquaudiu commer-
Mechanicas influât in actiones corporis, juin monui cium) quanquain superior illo sdentia Theologica,
literis praecedentibus. In schedis autem Gallicis de tamen, si dicere fas est, inferiorvisus est humauitate.
systemate harmoniae praestabilitae agentibus, ani- Fateor demonstratione céda nobis data, non
inaiii tantum ut substantiam, non ut simul corporis esse necesse, uostri gratia (sed tantum propter alios)
Entelechiam consideravi , quia hoc ad rem , quam ut objsctionibus respondeamus: sed hoc tamen no-
tnnc agebam, ad explicandum nimirum consensum bis semper prodesse puto, cum difficiles ohjectio est,
inter corpus et mentcm, non pertinebat; neque aliud nequc unquam esse defugiendum a peritis: snblata
a Cartesianis desiderabatur. Praeterea ad actiones enim speciosa difficultate nova lux afTulget. Itaque
mechanica lege exercitas, non Entelechia tantum ego, etsi passim certus sententiaruui, tamen objec-
adaequata corporis organici, sed omnes etiam con tiones amo plausibiles, et puto scniper satisfieri
current Eotelechiae partiales. Nam vires derivativae possc : nam si qua esset invicta, ea demonstrationem
cumsuisactionihussuntmodificatioDes primitivarnm, in contrarium non facerel.
qaod in Latinis meis cum Sturmio collocutionibus 2 ° . Née video cur argumentum magis sit demon-
explication est, alterumque alteri conjungi débet. stratio affirmationis, quam objectio uegationis. Ita
Intelligis, plerisque objwtionibus facile satisfieri, que non largior Baylio, aut alteri cuiquam, posse
si ad leges formae revocentur. Rem ipsarn autem ralionem fidei argumenta insolubiliaopponere, neqiie
maxime patere arbitrer, cum in Breviario to- cum Huetio et Jacquelotio, (etsi viris insigni
56
438 LX1I. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VIII.
bns et mihi amicis) tantnin adversariis concedere caute loquendi, et offensiones non necessariae merito>
velim. vitantur.
Do operam ut, quiim prinium liccbit, Deo vo- Ut paucula annotcm ad eas quas commuoicasti
lente, campo liistorico excedam, opère effocto. mecum, dixerim ad sextam, Verum quidem esse
Ad binas dnbitationes tuas vcnio. Cum Perceptio quod modus semel inductus per se duret; sed cum
nihil aliud sit, quam raiiltorum in uno exprossio, substantia: Quoniam tamen non per se subsistit,
necesse est omnes Entelechias seu Monades per- semper emanabit substantia. Ad 7am. Puto ego non
ceptione pracditas esse, neque ulla naturae Machina quidem quantitatem motus, sed tamen virium a Deo
sua entelechia propria caret. Meae Enuutiationes conservari, naturaliter scilicet agendo. Intérim hoc
universales esse soient, et servare analogiam. non ducitur ex constantia Dei, née ideo Deus est
Peccatutn originale née Entelechia, née substantia inconstans quod aliqnid mutât, cum constans esse
esse potest : cum non sit aliquod Animal, vel quasi possit in aliqua ratione vel loge superiore, ex qua
Animal, née Anima ejus: sed imperfectio quaedam mutatio Huit in negotio inferiore.
nostrae animae, cui et imperfectio in corporc uostro Ad 10. Jam dudnm exposui mentein meam
respondet. Queraadmoduin Horologii vol alterius Prop. 16. Etiam ipse refutavi publiée, sed pro
Machinae imperfectio orta , si placet , ex clasmate quantitate motus, ut dixi, quantitatem virium, eam-
debilitato, machina ntique non est. qne (naturaliter) conservari censeo.
Quoniam ita permittis, literas Antverpiam desti- Ad 19. Sentio motnm, et Entelechiam omnem
natas hic adjungo. Vale, et me ama. Dabani Ha- secundam ex prima fluere, adeoque creatnras esse
noverae 11. Julii 1706. activas. Etsi intérim leges cogitationum, et leges
Deditissimus motnum a se invicem sint independentes.
Godef. Guil. Leibnitius. Ad 20. Idem dico quod ad 19.
P. S. Contra quemdam Ptolemaei nostri viri Ad 21. Uni tu puto perfecta esse Automata, et
sumini librum novum, Censores, (qui pcrsaepe mo- tamen simul habere perceptionem.
rosi, ctsi in invidiam proni sunt) nescio quid mo- Ad 22. Cum anima sit Entelechia primitiva cor-
visse intellexi: Literas mihi Hildesia semper per poris, utique in eo consistit unio ; sed consensus in-
Luneburgicam non per Caesaream posta m mitti ter perceptiones, et motus corporeos, ex harmonia
peto. praestabilita intelligibiliter explicatur.
Ad 23. Valde improbavi in Cartesianis qnod
putant inter objecta, et nostras de iis sensiones ar-
bitrariam tantum esse connexionem, et in Dei fuisse
E P I S T O L A IV. arbitrio, an odores vellet repraesentare per per
Âdmodum révérende pater, fautor ceptiones, quae nnnc sunt colorum; quasi non Deus
honorande, omnia summa ratione faciat, aut quasi ci ici il uni
per triangulum repraesentaturus sit, naturaliter
Literas tuas gratissimas cum Janningianis recte opérande.
accepi. R. P. Janningio respondebo, ubi Lipsia Ad 25. Vernm est omnia Phaenomena corporum
responsum accepero , quorsum ejus epistolam misi. naturalia (praeter perceptiones) posse explieari per
Gaudeo optimum , et de Historia meritissimum vi- magnitndinem , figuram et mot nu i ; sed ipsi motus
rnm Danielem Papebrochium visum récupé (qui sunt causae figurarum) non possunt explieari,
rasse, et ea aetate valere ac laborare in magno nisi advocatis entelechiis.
opère quod cum sociis strenue urget. Ad 29. Nullas esse formas snbstantiales corpo-
Magno Ptolemaeo vestro quod nunc scribam reas a materia distinctas, recte rejicitur; ai per
non habeo: Nam hoc anno amplas jaiu ad eum formas corporeas intelligantur quales sunt animae
dedi literas, quas perlatas spero. Brutorum, quae scilicet reflexivo mentis actu, seu
Gratias etiam ago quod niecum commnnicasti cogitationc proprie dicta carent Intérim si quis
propositiones quasdam ex illis quas in vestris Colle- exciperet formas corporeas interitui naturaliter ob-
giis doceri snperiores nolunt. Quod si omues ob- i noxias, ei, fateor, non possem adhaerere. Nam
tinere licet, gratissimum hoc mihi foret. cum Thomistis sentie omnes Entelechias primitivas
Mcmini videre olim editum similium proposi- indivisibiles esse, seu quod appello Monades.
tionumindiculum, quas P. Mutius Vitellescus, ! Taiium autem nrque origo , neque interitus natura
si bene memini, censura notari curaverat. Ego liben- j liter intelligi potest.
ter has censuras vel vestras, vel aliorum cognosco, Quartam, ni fallor, jam refutarunt Mathematici,
noque contemno : Pertinet enim ea res ad formulas et non pauca ipse edidi scientiae iiilîniti s|->eriniina.
LXII. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VIII. 439
Intérim scntio, proprie loquendo, infinitum ex par- dilain: nain ex mea definitione patet omncin En-
tibus constans neque unum esse neque totam, née telechiam (])rimitivam scilicet) perceptione prae-
nisi per notioneiu mentis concipi, ut quantitatcm. ditam esse ; at ideo animal scinper prodire non est
Soluui iiiiiiutiini impartibile unum est, sed totum cur admittam.
non est: id infinitum est DEUS. Videris minium tibi ipsi diffidere, et solutiones
Valeet fave. DabamHanoverae 1 .Septemb. 1 706. a me petere, quas pro insigni acumine tuo, nullo
Deditissimus negotio, dare ipse posses.
Godef. Guil. Leibnitius. Et, ut saepe dixi, si quis Breviarium Philosopliiac
conficerc tentet, nebulae quae superesse videntur
mutua collustratione rerum dissipabuntur.
Ex Batavis ad me scriptuin est , ibi agere Du.
Quesnellum ex Congregatione Oratorii, elapsuui
EP1STOLA V. ex carcere, in quem conjecerat eum Episcopus
Admodutn révérende pater, Mechliniensis, variaque moliri scriptis, ut Àrnaldi
suamque existimationem sententia Archiepiscopi gra-
Gratias ago pro communicatione propositionum vatam, tueatur. Ajunt, scripta ejus pleraquc, omne
nuper apnd vos rcprobatarum, quarum indicnlum commercium litterarum, quod Arnaldo, et ipsi
utiquc tain mature in vulgus spargi uecessc non est. Quesncllo a multis anniscum aliis intercessit, in
Augeli non sunt Entelechiae corporum, sed ipsi vestrorum manus devenisse: nnde ego selecta edi
et Entelechias, nempe Mentes, et Corpora etiam, optarem, sed magis quae ad utilitatem publicam,
meo judicio Imitent, quae etiam antiquorum Eccle- quam quae ad parandos adversarios pertiuerunt.
siae Doctorum non paucorum sentcntia fuit, a qua Vale. Dabam Haiioverae 20. Sept. 1706.
praeter necessitatem recessum est; et quasi non Deditissimus
satis esset, veram in perplexitatem accersitae sunt Godef. Guil. Leibnitius.
fictitiae. Augeli ergo corpora movent prorsus, ut P. S. Argumentum Aristoteliscontra vacuum,
nos facimus, née definitio vestrorum décima noua quod in vacuo motus futurus essct instantaneus, non
inilii adversa est. Illud verum est, solum Denm satis firmum est, absolute loquendo: nam finge,
uovas vires, novas directioues materiae posse dare, dum corpus in motn est, circumsita a Deo annihila) i,
seu motus qui ex ejus pristinis Entelecbiis non con- non utique inde motus ipsius augcretur. Fatendum
sequaDtur, id ad miracula pertinere. Nossc velim est nihilominus, etsi non ad necessitatem, tamen
an apud vos contraria meae opinio de Angelis de- ad congruentiam pertinere , ut celeritas corporum
finita Iiabcatur. Merito rejecti sunt qui Angeles limites habeat pro medio in quo versantur. Itaque
omnes creaturam corpoream esse statuerunt; sed non prorsus de nihilo est Aristotelis cousideratio.
hoc ad eos non pertinet, qui omnes mentes, inio Veniam peto perturbatae scriptionis.
Entelechias , incorporeas esse agnoscunt.
Difticultatein quam adhuc uiovcs de peccato ori-
ginis, non satis intelligo. Non est virtus agendi, sed
virtutis agendi imperfectum, ut ignorantia, vitium.
Per iui| ici liment,i autem prodeunt actiones, quae EPISTOLA VI.
sine ipsis non prédirent, ut frigoris exemplo patet. Admodum révérende pater,
Née majorera distantiam concipio inter pcccatum
originis, et vitium, quam inter habituai innatum, et Rogo ne quae a me excitandi aniini gratia dicta
acquisitum. Vitium intelligo quale Aristoteles sunt, in sequiorem partem accipias.
virtuti uiorali opponit. Gratias ago pro loco Patris Martini Esparsac
Nunquam versatur Perceptio circa objectum , in exscripto; ejus quaedam olim légère memiui, et
quo non sit aliqua varietas, seu multitude : Quod visus est peracntus.
cum tibi sit exploratissimum, miror hic difficulta- Sententia de omniinoda sejuuctione Angelorum
tem repertam. a corporibus, non rationem , non scripturam , sed
Miror etiam quod Universalia hue afferas. Uni- solam opiniouem commuuem scholarum pro funcla-
vcrsale est unum in multis, seu multorum similitude, mcnto habet. Concilium Lateranense loqui non dé
sed cum percipiinus cxprimuntur multa in uuo, finitive, sed discussive ex recepto tune sensu, verba
iii'iiipe ipso percipiente. Vides quain haec distent. satis ostendunt. Ut aliqui Angeli, quos cum
Miror etiam cur dicas animal esse machinam na- Thoraa assistentes vocas, a corporibus sejuncti
turac, quae habeat Eutt'leohiam perreptione prae- sint, prorsus meae, ni fallor, demonstrationes non
56 *
440 LXII. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VIII.
admittunt, et facile id fateor de omnibus, qnod de E P I S T O L A VU.
aliqnibus ferri posset. Admodum Révérende Pater,
Eum tainon corporis usutn Angelis tribui posse
arbitror, ut non inepte dicantur formae assistentes Valde placet Esparsae vestri locns, et pergra-
potius, quam inhaerentes, non quod Entelecliiarum tuiii erit, quoties indicabis autoritates mihi taventes,
officium non faciant, sed quod corpori non sint Neque ego illud Peripateticornm dogma sperno, qui
affixac. Arbitror enim (cum naturaliter possibile relationem ad determinatam materiam (etsi pro
sit, et ad perfectioncm Univers! faciat:) esse Ente- tempore aliam atque aliam) ad numericaui sub-
lechias, qnae facillîuie mutent corpus, seu de corpore stantiarum distinctionem requirnut. De Deo res
in corpus transeant ; non monieuto quidem, (nihil secus habet, qui sufficiens sibi, causa est materiae,
enim sic fit uaturaliter) sed brevi tamen tempore, et aliorum omnium; itaque non est anima mundi,
licet per gradus. Uti pars quam retinent, servit sed autor. Naturale vero est creaturis materiaui
mutaudae parti, quam deponunt, etsi etiam ipsa habere, neque aliter possibiles sunt, nisi Deus per
deinde pro re uata mutetur, (uti nos inanus ope pos- miraculum suppléât materiae munns. At quae non
MJIIIUS pcdetn mutare, et ligneuni carneo subsistuere, nisi per miraculum perpétrari possnnt, non snnt
imo ope unius manus possenius uintare alteram ma- regulariter necessaria ad perfectionem Universi.
num, et ope novae uianus rursus priorem, si no- Spiritus infinitus in corpora agit creando et conser-
Tam satis nubis unire liceret.) Ita semper aget vando, quod quaedam creandi continuatio est Hoc
Angélus per corpora, semperqno locuui habebit finito Spiritui coinmunicari non potest.
Harmonia praestabilita, seu nt, qnae vult Angélus, Cum de assistentibus formis locutus sum, non ad
fiant ex ipsa corporum léger fere ut Snaresium Thomae distinctionem, qnatn memoras, respexi,
vestruui clicere memini ex quoruindam sententia res ! inter Angelos Deo assistentes et ministrantes (quan-
ita praeordinatas esse, ut voluntatibus precibusque quam Scriptura omnes appcllct ministratores Spiri
l)eatorum sponte satisfaciant. tus) sed ad Peripateticas phrases. Deo assistentes
Assistentes igitur formas voco qnae pro arbitrio Intelligentias , quae nihil aliud agant, neque Deo
corpus sumunt, atque deponunt, et quod habent sint administrae, convenire rerum ordini non puto.
transformant; inhaerentes atque animantes, quae Has enim removcre a corporibus et loco, est re-
taie arbitrinm non habent, etsi hoc arbitrium suis movere ab universali connexione, et ordine Mundi,
limitibus coerceatur, ut cuncta naturali ordine pro quein faciunt relationes ad tempus et loi-uni. Quod
cédant. Solius enim Dei est quidvis facere ex quo- ad expositionem attinet, utrum Entelechia materiam
>is, nnda volnntate. Et priores putem a corpore mutet, distinguo, ut me jam fecisse scribis, ente-
sécrétas dici posse, posteriores corpori affixas. Fa- lechia corpus suum organicnm mutât, seu materiam
tendum tamen est ambas corpori unitas esse, ut ra- | secundam; at suam propriatn materiam primam
tionem habeant Entelechiae. Et hoc videtur esse non mutât. Dominus Buy le mentem meam in bis
ad mentem Augustin! Lib. XXI. de Civitate Dei, satis percepisse non videtur.
Cap. X. a Th orna citatam quaest. 16. De Malo, ] Materia prima cuivis Entelechiae est essentialis,
Artic. I. Posse scilicet Daemones (vel Ange- \ neque unquam ab ea separatur, cum eam compleat
los) dici Spiritus, quod corpora sibi ma- i et sit ipsa potentia passiva totiussubstantiae coinple-
gis subdita habeant. Itaque neque intelligentiis tae. Neque enim materia prima in mole, seu im-
istis Animarum, neque Angelis ipsis Anima- i pcnetrabilitate , et extensione consistit: materia
lin m appellationem tribueinus. Cacterum Corporis vero secunda, qualis corpus organicum constituit,
mntatio nihil habet, quod non receptis consentiat; resultatum est ex innumeris snbstantiis completis,
nniu et nos corpus mutainus, ut fortasse sénés nihil quarum quaevis suam habet Entelechiam, et suam
mateviae infantis retineamus: tantnm hoc interest, materiam primam, sed harum substantiarnm nulla
qnod neque subito, neque pro arbitrio corpus exuimus. nostrae perpétue affixa est. Materia itaqne prima
Quod snperest, Vale et fave. Dabam Hanovarae cujuslibet substantiae alterius in corpore ejus orga-
4. Octobr. 1706. nico existeutis, alterins substantiae materiam pri
Drditissimus mam involvit, non ut partem essentialem, sed ut
Godef. Guil. Leibnitins. requisitum immediatnm, at pro tempore tantnm,
P. S. Grata aliquandoerit causa Quesnelliana, ' cum unnm alteri succédât. Etsi ergo Deus per po-
qnaequc alia hujusmodi ad Historiam litterariam tentiam absolutam possit substantiam privare ma
pertinent. teria secunda, non tamen potest eam privare ma
teria prima; nam faceret iude toi uni pnrnni actuin,
qualis ipse est solos. An vero necesse sit Augclum
LX11I. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VIII. 441
cssc formai» iaformantem, seu animam corporis sophandi libertatem, quae acmulationeui parit, et
organici qnae ei personaliter unita est, alla quaestio ingénia excitât: contra auiiiii servitutc dejiciuntur,
est, et certo sensu in praecedeute Epistola exposito neque aliquid egregii ab iis exspectes, qnibns nihil
negari potest. Vides hinc ctiain tolli snbstantias in- indnlgeas. Itaque Itali et Hispaui, quorum excitata
couipletas, monstrum in vcra Philosophia. sunt ingénia, tam paruin in Philosopbia praestant, quia
De statu animai! humanae separatae nihil certi iiimis arctantur. Quae Temmigins ille Pseudony-
definirc possnm: cura praeter Regnum Naturae, mus scribit, publiée in Gallia tuentur multi cruditi.
hic iufluat Regnum Gratiae. Cur autcni certa nia- Scripsit olim aliquis concordiam scicntiae
teria secunda ipsi affigatur usque ad Resurrectionem, cum fide snb nomiue Thomae Bonartis Nord-
causaui iiullam video. tani Angli. Euin ex vestro fuisse ordine, et ob
Non meinini dicerc quod oiunis Entelechia sit librum reprehensiones sustinuisse didici : ipsum viri
spiritns, malimque hanc appellationem servare ra- nomen vellein discere. Bencficio tuo habemus
tionalibus Entelechiis: quod non ornais Eotelechia librum ejus, scriptum eleganter et ingeniose, sed
rationis sit capax, jam duduin dixi, riim non omnis obscuriuscule : itaque non satis excutero licuit Si
sit sui conscia, seu reflexivo actu praedita. Hoc ni tibi lectus non est, et legi dignus videtur, mittam.
fallor peripatetici, Thomistae inprimis, qui indivi- Quia tibi cum Trivultianis commercium est,
sibiles agnoscunt ctiatn Brutorum animas, non ob- vide, quaeso, an schedam adjectam iis commode
servarunt. Hinc brutonim animae personain non communicari posse putes, ut mensi alicui inseratnr.
Iiabeut, et proinde solus ex uotis nobis animalibus Mea l'iiini interest, ut lectoribus occasio sinistre de
homo habet personae immortalitatem, quippe quae nie meisque rébus judicandi adimatur.
in conscientiae sui conservatione consistit, capacern- Non bene capio, quid P. Ferez, cujus nutum
qne poenae et praeniii reddit. mihi ingeninm est, per Me ta pli y s ica indivisi-
Grata erit eoruin, quae sperare me jubés scripto- bilia intelligat, quod ex aliis ejus locis facile crues.
rnm, communicatio, sed ubi rediero domum; nain Si intelligeret monades, mihiconsentiret. Et spatium
intra unaui alterainve septimanam Guelferbytum sane ex monadibus non componitur: quae an et
excnrrain. Gratum etiam erit, si subinde me doceas, Perezii de suis indivisibilibus Metaphysicis sen-
qnae in vestro Ordine, aut alias in re litteraria, teutia sit, scire e re erit ; certe Mathematicis oppo-
praesertim sacra, Philosophicaque gerantur, et utile nit. Possem intérim hac ejus phrasi ad monades
esset discere quae Romae deceruantur in Congrega- meas designandas uti: quas et aliquaudo atomos
tionibus, velut Rituutn, Inquisitiouis, Indicis, etc., Metaphysicas vocare inemini, item substautiales.
nain talia a me minime spernuntur. Spatium per se indeterininaturn ad quascunque
Quid si tu quoque G uelferbytum excluras paulisper, possibilcs divisiones ; res euini est idcalis, ut unitas
cum illic ero? Erit ibi fortasse aliquis ordinis vestri,numerica, quam pro arbitrio in fractiones secare
ob causa m quam non ignorabis; hujus grata mihi, possis, at massa rerum actu divisa est.
forte et tibi iiotitia erit. Sed tna inprimis grata Hartsoekeri liber, qucm ad nie misit, jacet in
erit screnissimo Duci, née tibi negligenda. Itaque cista, quam adhuc Bcrolino expecto ; acceptum rnit-
de hac cxcursiuncula sententiam quam primuin tain. Duo ponit priucipia, nempc partes materiae
expecto. Cacterum signifioabo cum illuc ibo. Spero alias perfecte fiuidas, et alias pcrfecte firmas. Hanc
id lacère scptimana, quam cras inchoamus. Vale et hypothesin vulgares Philosophorum notioncs non
me ama. Hauoverae 16. Octobr. 1706. facile réfutaverint; apud me starc non potest.
Deditissimus New tonus (quantum nunc judicarc possum,
Godef. Guil. Leibnitius dum librum percurrere non vacat, ) videtur demon-
strationem vacui suam non tamabsolutamexhibuissc,
quam insinuasse p. 346. Principioruin naturac Ma-
EPISTOLA VIII. tliematicorum, expérimenta exhibct, ex quibus putat
Adinodam révérende pater, fautorhono- pendere demonstrationem vacui. Ego vero non
ratissime, video, quomodo possibile sit expérimenta excogi-
tari, undc haec controversia accurate definiatur,
A reditn meo valde distractus fui. Itaque hunia- quam a rationibus unicc peudere censeo. In-
nissimis tuis non prius, ut par est, respondere licuit. picies hune locum, qucui quaerebas, et si videtur
Gratias ago, quod indicas, Aloysium Temmick examinabis.
nomon esse fictum, et peto, ut veruni me doceas. Venio ad contreversias vestrorum, optaveram-
Etsi auteni non probem primarias sententias autoris, jue odiosis utrinque abstineri. Id tu, admodum
optarem tumeii eoncedi doctis, etiam vestris, Plùlo- i Révérende Pater, valdc laudas, modo fiât utriuque.
442 LX1I. AD DES BOSSES EPISTOLAE I. — VUI.
portasse taïucn lanclabilior crit, qui a sua parte fu quo fato, ut reprehcnsa sint tauquam Janseniana,
rie t. quamvis mutua huinanitas nou redclatur: et quae mihi, ut veruin fatear, Jansenius docuissc
religiosis homiuibus, imo virtutcin colcntibus omni non videtur: nam plus siuiplice vice protestatur, a
bus, dictuni ego putein illucl Virgilianum, se et Augustino vocabula libertatis, necessitatis,
•Tuque prior, tu parce, genus qui ducis Olympo, possibilitatis, impossibilitatis longe alio sensu sumi,
•Projice tcla manu, sanguis mens. quam qui in scholis est -receptus ; in quo Thèses
Porro qnae ad irrisioncm faciunt, pejora dictis in- receptas se non negare ait, sed tamen de iis née la-
juriosis censeo; iiam magis mordent, et minus borare. Itaque vereor ne irrita sint illa Vaticana in
facile depelluntur. Persecutiones autem ob seuten- eum fulmina, verissimaeque exceptiones amicorum
tias, quae crimina non docent, pessimas censeo, a Jansenii, quidvis potins in animo fuisse viro,
quibus non tantum abstioendum sit probis, sed et quam sensuin illinu obvium censorum Rouianorum.
abhorrendum ; et in id laboranclum, ut alii, apud Nam seusus verborum hoJie obvius in scholis, apud
quos uobis aliqua est autoritas, ab iis deterreantur. veteres obvius non erat. Et saepissime expertus
Honores et commoda, quae non debentur, iis uegare ipse sum. quam varie ea ipsa vcrba ab hominibns
perniissum est, qui sententias fovent, quae nobis sumautur inter loquenduni paritcr et scribendum;
incommodae videntur: sua auferre, et magis etiain idque in populari scrmone non minus, quam inter
proscriptionibus, vinculis, remis, gravioril)usque ad- eruditos. Itaque miratus sum, Dumasiuru vcstrae
huc malis saevirc, permissum non puto. Quid hoc partis scriptorem, historiao Jansenismi suac nou
enim aliud est, quam violentiae genus, a quo nisi addidisse, quod basis operis esse debcbat, iudicem
per crimcn (abjurando quae vera putas) tutus esse locorum Jansenii, in quibus extent propositiones
non possis î Itaque qnanto quisqne melior est, tanto damnatae ut facilius conferri possent. An putat m
magis sub liac tyrannide laborat. Et sane si milii re, quae oculari inspectione constant, Vaticanoruni
esset facultas persuadendi, Gerbcronius et sirai- censorum autoritatem, et cxtortas subscriptiones
les plcnissima libertate fruerentur. Fac (quod ob- sufficere pV»seî Archiepiscopi Cauieraceusis, viri
jicis) redituros in antiquam sylvam, fac scribere, certe magni, et ob alia mihi valde aestimati, sub-
fac tueri senteotiam ; aequis armis, non vi metuquc tilitates miras, quibus in facti quaestiouibus infalli-
errores subverti debent. Imo fac stare errores, id bilitatem Ecclesiae vindicat, discutere non vacat,
levius in talibus est malum, quam sic agi. Quiu ncque mihi certe co labore opus est, qui seutio
cadunt plerumque negtecti facilius quam pressi: nullam Ecclesia infallibilitatem esse, nisi in conser-
Nullus hodie esset, qucm vocatis, Jansenismus, vaiidis dogmatibus salutaribus, duduui a Christo
nisi tantum contra Jansenii opus strepitum ho- traditis ; caetera ad disciplinam pertiuere, ubi reve-
mines infcsti excitassent, quibus factionis, non veri- rentia sufficit, asseosus necessarius non est. Si Roma
tatis cura erat. Jansenii Augustinum nli- defmisset, Antipodes non esse, si hodie motmu terrae
quando non sine cura inspexi: egregium opus esse damnaret, an infallibilem habendaui putaremus .'
deprehendi, et magno doctrinae Theologicae malo Et licet mos ille malus in Ecclesia iuvaluerit, nova
cruditorum manibus excnssam, ctsi scutcntias cjus dogmata fidei producendi, et alios condcmnandi
plurimas non probcm. Notare mihi visus sum con- praeter necessitatem , non idco minus improbari,
silium ei fuisse non tantum systema Theologicum aliisque abusibus, qui irrepsere, computari débet.
Augustin! revocare in scholas, quod improbari Articulus certe salvificae fidei non est, Janseniniu
non poterat} sed et contraria dogmata, tanquam aliquid docuisse: quae haec ergo est xaxo^rjXîot,
Pclagiaua, aut Semipelagiana ejicerc, quod velle exprimcre omnibus inanis smtcutiae professio-
probare non possum. Valde noxium est constringi nemî Ita dum iniquum petunt hommes, née aequnm
in dies sentiendi libertatem non neccssariis defini- feruut. Vellem deinonstrari ab aliquo, quae vera
tiouibus. Fac quaedam esse, in quibus Scholastici fiierit Jauscnii sententia, quod homiui diligent!
quidam P cl agi an i s consentant, an ideo statiui et perito non difficile puto: sed utilius adhuc erit
damoandi sunt ï Ipso Augustinus quasdain suas discutere, quid senserit Augustiuus, ob viri mé
priorcs sententias, Pclagiana controversia inva- rita, et auctoritatem; quanquam verear, ne Au
leseente, mutavit. SnfQcitconclusione» P e 1 a g i a n a s, gustinum Jansenio plerumque o/Liotyrpp<n> re-
et Semipolagianas priuiarias, et ab Ecclesia an- perturi simus, tanto ille studio excussit, et ut arbi-
tiqna rejectas vitari. Itaque ita sentio: Si Jansc- tror, non minori etiaui fuie rcpraeseutavit. Ab Au
nius aut Janseniana pars scopum obtiuuisset, gustino postea schola recessit, née, ut mihi vide
multo adhuc graviorcm futnram fuisse servitutcm: tur, mâle in iimltis, Vellem tamen systema tanti
et in Jansenio reprehendi merito potcrat condem- viri uotius essr, quatn esse video. Dum distingnis
nandi alios inconsulta vehementia. Sed créait, ucscio duas propositioues, unam quam autor in mente ha
LXIII. DE PHAENOMENIS REALIBUS ET IMAGINARILS. 442
buerit, alterain quam exprcsserit, et posteriorem ad sionem, habet tamen positionem, quao est funda-
doctrinalia facta pertinere putas, de quibus inialli- mentum extensionis, cum extensio sit simultanea
biliter statucre possit Ecclesia; videris mihi ag- continua position!» repetitio, ut lineam fluxu puncti
noscere, non dcbnisse alk|«id définir! de sensu ab iicii il ici n il H, quoniam in hoc puncti vestigio di-
antore intente, qnod tamen, ni fallor, a Pon- versae positiones conjunguntur. Sed activum repe-
tifioibus tandem factam est, parnm, ut arbitrer, con titione, seu continuations rei non activae nasci non
sulte et per sollicitantinm importunitates. Vides quo potest. Quod superest, vale et fave. Dabam Ha-
tandem alios coërcendi nimio studio deveniatur. noverae 21. Jnli 1707.
Philosophica ineletemata non minus qnam mathe- Deditissimus
matica vnlgi captura superant, sed magis interpre- Godef. Guil. Leibuitius.
tatiouibus iniquis obnoxia sunt. Itaque mallem Si in memoriis Trivultiensibus non extaret illa
rmmrvi aliquando dari, quam disjecta, et ictibus rclatio, quam refutare coactus suin, posset omitti
exposita, dura se mutuo non tnentur. postrema periodus in scheda adjecta: quod si in
Cum dico extensioncm esse resistentis continna- iis extat, roperietur aiino 1705. in finein vergente,
tionem, quaeris, an ea continuatio sit inodus tan- vel anno 1706 inchoante, hic nondum novissimo
timi ; Ita putem: habet enim se ad res contiuuatas habentur.
«en repetitas, ut numcrus ad res numérotas: sub- AdjuDctam tninorem Schedam adtnodum Reve-
stantia nempe simplex, etsi non habeat in se exten- rcndis Patribus Antuerpiensibus niitti peto.
LXIII.
DE MODO DISTINGUENDI
PHAENOMENA REALIA AB IMAGINARIIS.
(E. MSS. Leibnilianis in Bibliotbeca Regia Hanoverana asservatis.)
Ens est, cujiis conceptns aliquid positivi involvit tinetur in hoc uno, quod certnm est, centaurum
sive quod a nol)is concipi potest, modo id quod mihi apparcre.
concipiuins sit possibile née involvat contradictio- Videamus jam, quibus indiens cognoscamus, quae
iji'in, quod' cognoscimus tum, si conceptus sit per- phaenomena sint realia. Id ergo judicamus tum ex
fecte explicatus, nihilque involvat coufusi; tum ipso phaenouieno tum ex antecedentibus et conse-
compendio si res actu extiterit, quod enim existit qnentibus phaenomenis. Ex ipso pliaenomeno si
ntique est Ens seu possibile. Quemadmodum autem sit vividum, si multiplex, si congruum. Vividum
Ens explicatur per distinctum conceptum, ita Exi erit si qualitates ut lux, color, apparcant satis in-
stons pi>r distinctam perceptioncm, quod ut melius tensae, multiplex erit si sunt varia, multisque ten-
intelligamus videndum est, quibus inodis cxistentia tatninibus, ac novis observationibus apta, exempli
probetnr. Et pritnum sine probatione ex simplici causa si experiamur in phaenoiiKjno non tautum
perceptione sive experientia existere judico, quorum colores sed et sonos, odores, sapores, tactiles qua
intra me conscius sum, hoc est primo me varia co- litates eaque tum in toto, tum in variis ejus parti-
gitantem, deinde ipsa varia phaenomena sive bus quos rursus variis causis tractare possumus.
apparitiones, quae in mente mea existunt. Haec Quae quidem longa observationum , maxime ex
cnitn duo, cum immédiate a mente percipiantur,nullius destinato et cum delectu institutarum, catena neque
alterius interventu comprobari possunt, etaeque cer- in somniis neqne in illis imaginibus, qnas inemoria
tnm est, existere in mente inea speciem montis aut phantasia objicit, occurreresolet, in quibus imago
aurei aut centauri, cum ista somnio, quam certum plerumque tennis est atque inter tractandum dispa-
est, existere me, qui somnio; utrumque enim con- ret. Congruum erit phaeuomenon, cutu ex plaribus
444 LXIII. DE PHAENOMEN1S REALIBUS ET IMAGINARIIS.
pbaenomenis constat, quorum ratio reddi potest ex men Dens est deceptor qui eam nobis objecit. Quid
se invicem aut ex hypothesi aliqua commuai satis enim, si natnra nostra non erat forte capax phae
simplice; deindc congruum erit, si consuetudinem nomenorum realium; profecto non tain accusandus
servat aliorum phaenoinenonun, quae crebro nobis foret Deus, quam gratiae ei agendae, efficiendo enim
occurrerunt, ita ut partes phaenomeni eum situm, ut phaenomena illa, cum realia esse non possent,
ordineni, eventum liabcant, quam sirailia phaeno- saltcin consenticula essent, praestitit nobis, quod in
mena habuerunt. Alioqui suspecta erunt; nam si omni vitae usu realibus phaenomenis acqnipolleret;
videremus hommes in aëre moveri hippogryphis quid vero si tota haec brevis vita non nisi longnm
Ariosti insidentes, dubitaremus, credo, utrum som- quoddam somnium esset nosque moriendo evigilare-
niaremus an vigilaremus. Sed hoc indicium referri iiuis .' quale quid Platonici concipere videntur; cura
potest ad alterum examinum caput, sumtum ex enim aetcrnitati destinati simus et tota haec vita
phaenoinenis praecedentibns. Quibus phaenomenon etsi multa anuorum millia contineret, respecta ae-
praesens congruum esse débet, si scilicet eandem ternitatis puncti instar habeat, quam tutiiin erit no
consnetudinem servent, item si ex praecedentibus bis ta m amplae veritati tantillum somnium interponi,
ratio hujus reddi possit, aut congruant omnia hypo cujus multo minor ratio est quam somnii ad vitam;
thesi eidem tanquam rationi commuai. Yalidissi- et tamen nemo sanus Deum deceptorem dicet, si
luiiiii autem utiqne indicium est consensus cum tota forte contingeret brève aliquod somnium admodum
série vitae, maxime si idem suis quoque phaeno- distinctum et congruum animo observari.
menis congrnerc alii plurimi affirment, nam alias Hactenus dixi de his quae apparent, nunc viden-
substantias nobis similes existere non tautum pro- dum est de non apparentibus quae tamen ex appa-
babile, sed et certum est, ut mox dicam. Sed po- rcntibus colligi possunt. Et quidem certain est,
tissimum realitatis phaenomenorum indicium quod omne phaenomeuon habere aliquam cansam. Quod
vel solnm sufticit, est successus praedicendi phaeno- si quis dicat causam phaenomenorum esse in natnra
mena futura ex praeteritis et praesentibus, sive illa mentis nostrae, cui phaenoraena insunt, is nihil
praedictio in notione aut hypothesi hactenus suece- quidem falsi affirmabit, sed tamen uec dicet totam
dente, sive in consuetudiuc hactenus observata fun- veritatem. Primum enim necesse est rationem esse,
detur, imo etsi tota haec vita non nisi sonuiium, et cur nos ipsi simus potius quam non simus, et licet
mundus adspectabilis non nisi phantasma esse di- poneremur fuisse ab aeterno, tamen ratio aeternae
ceretur, hoc sive summum sive phantasma ego satis existentiae reperienda est, quae reperiri débet vel
reale dicerem, si ratione bene utentes nunquamabeo in essentia mentis nostrae vel extra ipsam. Et
deciperemur; quemadmodura vero ex bis coguoscinius, quidein nihil prohibet mentes alias innumerabiles
qnae phaenomena realia videri debeant, ita contra, existere, aeque ac nostram, non autem existunt om-
qnaccunquc pliaeuomeoa pugnant cum his, quae rca- ncs mentes possibilcs quod ex eo demonstro quia
lia judicamus, item ea quorum fallaciam ex causis omnia existentia inter se commercium habent. Pos
suis explicare possumus, ça tantuin apparentia cen- sunt autem intclligi mentes alterius natnrae quam
semus. nostrae et commercium non habentes cum nostra.
Verum fatendum est, quae hactenus allata snnt Omnia antem existentia commercium habere inter se
phaenomenorum realium indicia utcanqnc in mium demonstratur tum ex eo, quod alioqui non potest
collecta, non esse deinonstrativa, licet enim inaxi- dici utrum aliquid in ea contingat nunc an non,
mam habeant probabilitatem, sive, ut vulgo loquun- adeoque talis propositionis non daretur veritas aut
tur, certitudinem pariant moralem, non tamen fe- falsitas, quod absurdum est, tum quia multae de-
ciuut metaphysicam, ita ut contrarium poni impli- nominationes exirinsecae dantur, née viduus fit in
cet contradictionem. Itaque nullo argumente ab- India uxore in Europa moriente, quin realis in eo
solutedemonstrari potest, dari corpora, necqnicquam contingat mutatio. Orane enim praedicatum rêvera
prohibet somnia quacdam bene ordinata menti in subjecti natura continetur. Si aliquae mentes
nostrae objecta esse, quae a nobis vera judicentur, possibiles existant, quaeritur cur non omnes. De-
et ob consensum inter se quoad usum veris inde quia necesse est, omnia existentia habere
aequivaleant. Née magni momenti argumen- commercium, necesse est pjus commercii esse cau
tum est , quod vulgo affenmt , ita Deum fore sam, imo necesso est, omnia exprimere eandem na-
deceptorem, certe quantum id absit a demonstra- turam sed diverse modo; — Causa autem per quam
tione certitudinis metaphysicae nemo non videt, nam fit, ut omnes mentes commercinm habeant, seu idem
nos non a Deo, sed a judicio nostro decipiemur, exprimant, est ea, quae perfecte universum expri-
afférentes aliquid sine probatione occupata. Et mit, nempe Deus. Eadem causam non habet; nnica
qaamquam magna adsit probabilitas, uon ideo ta est. Hiuc statim patct plures mentes existere prae
LXIV. EPISTOLA AD HANSCHIUM. 445
ter nostram, et cnm facile cogitatu sit, honiines qai lucem, calorem, colorcm et similes qualitates esse
nobiscum conversantur, tautundem causae habere apparentes sed et niotnin et figurant et extensionem.
passe dubitaudi de nobis quantum nos de illis, uec Et si quid est reale, id solum esse vim agernli et
ratio niajor pro nobis militet, etiain illi existent et patiendi adeoque in hoc, tamquam in materia et
inentes habebuut. Hinc jam historia sacra et pro forma substantiam corporis consistera, quae cor-
fana ci quaccunque ad statum mentium seu substan pora antem fonnatn substantialem non habent, ea
tiel uni, rationalium pertinent confirmata habentur. tantum phaenomcna esse , aut saltem verorurn
De corporibus demoustrare possum non tau) mu aggregata.
LXIV.
EPISTOLA
AD
1707»
(Hanschli Dialrïba de Enllmsiasiuo Plalonico. Lips. 1716. 4. l. ri lui. Opp. Ed. Uuteng Tom.II. P.l. p. m.)
I. Opusculum tiiuin de Platouico Enthusiasiuo ignosccudum est veteribus, initia rerum creatio-
milita cum voluptate legi, et operae te pretiuui cum nemve, et corporum nostrorum resurrectionem ne-
iis facere judico, qui veternm philosophemata illu gantibus. Haec enim sola revelatione sciri possunt.
strant. Nain et finnant et proinovent veritates vol III. Intérim pulcherriuia sunt multa Platonis
renovatas vel nuper inventas. Utruni ab Hebraeis dogmata, quae tu quoque attingis: imam omnium
aliqnid didicerint Pythagoras et Plato, cum caussam esse; esse in divina monte muudum in-
nemine litigare velim; hactenus, quod id credi sua- telligibilem, qaem ego quoque vocare soleo regio-
deat, non animadverti. Illud agnosco uni us Dci nem idearum. Objectum sapieutiac esse TO, ovnvç
mit uni paene obliteratum in humano génère, per Svra, substantias nempo simpliccs, quae a me Mo
Hebraeos restitutum esse. Ho m cru m et Hesio- nades appcllautur, et semel existentes semper per-
dum ad Aegyptios adiisse, aegre credo. Nihil taie stant, TtpujToe dsxrucà Tr\ç &r\t;, id est Deuin et
de Homero Auctor vitae, qui Hcrodotus habe- animas, et haï uni potissimas Mentes, producta a
tur. Intérim Graecos initia scientiarum Aegyptiis Deo simulacra divinitatis. Mathematicae autem
et Phoenicibos debere libens adiuitto. Aegyptios scientiae, quau agunt de acternis veritatibus, in di
aliqua cloculsse merito creditur Abrahamus a vina mente radicatis, praeparant nos ad substantia-
Chaldaeis profectns Iminortab'tatis animarum anti- rum cognitionem. Seusibilia autem et in univcrsum
quissima doctrina f.iETEtiii\njxw<r£U>ç additamentum composita, scu, ut ita dicam, substantiata, fluxa
videtur ab Indis acœpisse, quod inde ad Magos sont, et inagis flunt, quam existunt. Porro quaevis
Aegyptiosque venisse credibile est. Pythagoras mens, ut recte Plotinus, quemdam in se nu nu lu m
autem in Occidcntem introduxit, hune Plato passim intelligibilem continct, imo mea sententia et hune
sequutus est. ipsuui scmibilem sibi repraesentat. Sed infînito
II. Nulla vcterum Philoiophia magis ad Christia- discrimine abest nostcr intellectus a divino, quod
nam accedit, etsi merito rsprehendantur, si qui ubi- Deus oiunia simul adaequate \idet; in nobis pau-
que patent Platane m conciliabilem CHRISTO. Scd cissima distincte noscuntur, caetera confusa vc-lui
57
446 LXIV. EPISTOLA AD HANSCIIIUM.
in chao perceptionum nostraruui latent. Sunt tauien mentibus serviant. et quod in inente est providen
in nobis semina eoruni, quae discimus, iiloae nempe, tia, in corpore sit fatum.
et quae inde iiascuntur, aeternae veritates: i»ec. mi- V. Etiam de virtutibus pracclare Platoiiici et
rmii. quuui ens, unum, subtantiam, actio- Stoici veteres, rigidiorque est Augustinus, qui
nein et similia inveniamus in nohis, et nostri con- non contentus, in virtutibus eorum perpétua peccata
scii scimus, ideas eoruui in nobis esse. Longe ergo quacsisse, quod i|»um nimium est, etiam praecepta,
praeferendae sunt Platonis Nolitiae innatae, quos Philosopliorutn ubique prava putat, tainqnam oninia
reminiscentiae noinine velavit, tabulac rasae Ari- sub honestatis noinine ad lauduni ranitatem et su-
stotelis etLockii aliorumque recentiorum, qui perbiam i-etulissent. Sed constat tamen, saepe
È&oTspoccùç philosophantur. Itaque Platonem recta ipsos non spe praemii, aut poenae timoré, sed
Aristoteli etDeiuocrito utiliter coujungendum virtutis amorc commendasse sapieuti : ncqne illum
censeo ad rectc philosophandum. Sed nonuullas virtutis amorem ditferre a dilectione justitiae, quant
mjptorç tfo'^cxç in eorum unoquoque expungi opor- iuculcat Augustinus, eamque ad justitiam essen-
tet. Non inale Platoni'cis quatuor in mente cogni- tialem, id est, Dcum ipsum refert, in quo fons veri
tiones agnoscuntur, Sensus, Opiuio, Scientia, Intel- bol iii| ne, quod née Plato plane ignorabat, senipcr
lectus; iicnijin Expérimenta, Conjecturae, Dcmon- respiciens ad ipsum verum, ao5roaVr]?-£ç. Sed Phi-
stratio et pura Intellectio, quae veritatis nexum uno losophos ouiuia ad se retulisse objicit Augusti
mentis ictu perspicit: quod Deo in omnibus coin- nus, creaturainque adeo praetulisse creatori.
petit, uobis tauturu in simplicibus datutn est. Eo VI. Ego vero vereor, ne haec nimia sit subti-
tanien niagis in deroonstrando ad intelligomlum ac- litas, qualis nu[X!r quorundam Deum amari juben-
cedimus, quo plura breviore teniporc ])erspicimus. titnn nullo nostii respectu. Nequc euim \HT natu-
Mentem nostram, etsi-a Deo continue in existendo tam rerum fieri jinh-st. ut quisquam suae félicitât is
agendoque dependeat, ut omnis creatura, puto ta- rationem non habeat. Sed Deum amautibus félici
meii non indigere peculiari ejus concursu, Icgibus tas iude pro])ria nascitur. Itaque quum nondum
naturae su]>eraddito, ad perceptiones suas; sed cogi- prodiisset controversia de Mercenarii et veri
tationes posteriores'ex prioribus insita vi deducere, amoris discrimine, nodum videram, et in Co-
ordineque a Deo praescripto, ut recto Roelius, dicis juris geotium praefatione clissolveram, défini
quem citas. Quod ego etiam ad perceptioncs seu- tion» Amoris allata, qnae magno intelligentium
sibilinm extendo. Quum euim née a Deo infun- plausu accepta est, visaque decidere litem. A m or
ilantur uiiraculose, ncc a corpore immitti possint euim verus, qui niercenario oppouitur, est ille
naturaliter, consequens est, nt pcr Harmoniain, mentis affectus, qno feriuiur ad deleetandum alte-
initio ilivinitns praestabilitam, in anima certa lege rius felicitate. Nain quibus delectamur, ea per se
nascantnr. Id sapientissimo auctove dignius, quani expetimns. Porro, qunm divina félicitas sit omnium
)>erpetno loges, eori>ori animaeve datas , novis im- perfectionnm confluxus, et delectatio sit sensus per-
pressionibus violare. Intérim ob conrnrsmn divi- fectionis; bine consequens est, veram esse felicita-
niun, qui cuique creaturae continue tribuit, quid- tem creatae mentis in sensu divinae felicitatis. Ita
quid in ea est |x>rffctionis, potest dici objectnm ani- que, qui rectum, verum, boutim, jtistum quaernnt,
mae extenium esse solmn Denm, eoquo sensu Doom niagis, quia délectât, quani quia j>rodest, qunm-
esse ad mentem, tit lux ad ocnluin. Haoc est illa qnam re vera maxime prosit, ii ad Amotrm Deî
divina in nobis reluecns Veritas, de qua toties An- maxime snnt praeparati ex ijisins sententia An-
gustinns, euinque in ea re sequutus Male- gnstiui qui egregie ostendit, bonos frni Deo velle,
branchius. inalos uti, et probat, quod Platonini volebant, com-
miitationem Amoris divini cuin ciidnco esse ivnissnn
IV. Animam in hoc corpore vehrt carcere esse, laj>sus aniimiruin. Nequc igitur nostra félicitas ali
sano sensu intellipi |X)test. Sed abjicienda est Phi- Ainore Dei .s<-parari potest.
losophomni veterumopinio, quod corpus poenalissit VII. Unde Quietistas maie Mysticos explotîas,
carcer intelligentiac olim i>eccantis. Illud rectc qui propriotatem et actionem adinannt lieatae menti;
veteres, aniniam in corpore tamquam in statione quasi summn nostra perfectio ia passivo quodam
esss, nmle injussu snmnii Imperatoris decedere fas statn consistât; qnum tamen amor et cognitio sint
non sit. Née illud inolegans, providentia nos régi, operationes mentis ac voluntatis. Beatitudo animae
qua rationern seqnimur, fato et instar macbinae, consistit, utique in unione cum Deo, modo non pu-
dum effectibus ferimur. Id enim ex Harmonia temus, absorber! animam in Denm, proprietate, et
praestabilita bodie nobis perspectnm est, Deuui oin- quae snbstautiam propriam sola facit, actioncamissa,
nia i.iin mirifice institnisse, ut corporeae machinnc qui malus fuerit tv&ovcriaerfiôc;, ncqae expetencta
LXV. LETTRE A Mr. OOSTE. 447
Deificatio. Neuipe quiilaiu vcterum rccentiorum- perinde ut Almcrico, anima non snperest, oisi
que statueront, Dcutn esse Spirituin, toio universo per suutn Fisse idéale in Deo, ut ibi ab aetorno fuit.
«liflusam, qui ubi in corpus orgauicuni incidat, ani- VIII. Sed niliil in Platone aiiimadverto, inM.
nict illud, pcrinde ac vcntus uiodos musicos in fi colligam, aninios ]>ropriam sibi substantiaiu non
stulis organorum producit. Portasse ab ea sententia servarc; quod etiam sane pliiloso|>haii>i extra cou-
Stoki non abhorrcbant, et hue redibat Intellectus troversiain est, ncquu iutelligi contraria potest sen-
ageus Averroistarum, atquc ipsius fartasse Aristo- tentia, nisi Deum et animant corporoa fingas, nuque
tclis, in omnibus hominibus idem. Ita morte re- cnini aliter ex Deo animas, taiiK/iiam [«articulas di-
dibant auimae in Dcuni, ut in oceanum rivi. Va- vellas ; sed talis de Deo atque anima notio, aliundc
lentinuin Weigelium, qui non tantum vitaui absuvla est. Mens non pars est, sed simularrnm
Iicatam pèculiari libero per Deificationcm explicat, divinitatis, repraesentativum univers!, civis divinae
sed et passirn mortcm et quietein hujusniodi corn- Monarcliiae. Deo autem uec substantia in universo,
n ici ii kit, vellem cum aliis Quietistis suspicionem simplex scilicet, neque persona in suo regno périt.
similis sententiae non dédisse, quatn lirmat hiprimis. Animae ratione carentes snbstantiam habent, feli-
qui se Jeanne in Ange lu tu Silcsinm vocat, auctor citatis et miseriao incapaces. Sed nolo ad ea di-
l'omiatuin sacrorum non iuulegantium, qucis titulus ; gredi, quae ad dissertationem tuam non pertinent,
DerCherubinischeWaiidcrsinann. Spinoza literasquc prolixiusculas (miens gratulor tibi eru-
aliter eodeni tendebat; ci un» substantia est, Duos; ditioncin cum sapientia tain bene eojijungcnti, et
creaturae ejus modificatioucs, ut tigurao in cera con- ut in pnicclaro boc stadio decurrere \wrgas, liortor.
u per inotiini nasccntes ut pereuutis. Ita ipsi, Dabaui Hanoverae, 25. Julii 1707.
LXV.
LETTRE A M" COSTE
DE LA NÉCESSITÉ ET DE LA CONTINGENCE.
1707.
(Kpisiolac bujus nondiim editac exemplum utographum in Bibliolbeca regia HHnorerae awervalur.)
A Mr. Coste à Londres. vérité nécessaire que Dieu existe, que tous les angles
Hanovre ce 19. de Debr. 1707. droits sont égaux entre eux etc., mais c'est une vé
Je vous remercie fort de la communication des rité contingente que j'existe tnoi, et qu'il y a des
additions et corrections dernières de Mr. Locke et corps dans la nature, qui font voir un angle effec
je suis bien aise aussi d'apprendre ce que vous me tivement droit. Car tout l'univers pouvoit être au
dites de sa dernière dispute avec Mr. Limborch. La trement; le temps, l'espace et la matière étant ab
liberté d'indifférence sur laquelle cette dispute rou- solument indifférens aux mouvemens et aux figures,
loit et dont vous demandez mou sentiment, Mon et Dieu a choisi parmi une infinité de possibles, ee
sieur, consiste clans une certaine subtilité, que peu qu'il jngeoit le plus convenable. Mais dès qu'il a
de gens se soucient d'entendre, et dont cependant choisi, il faut avouer, que tout est compris dans son
beaucoup de gens raisonnent. Cela revient à la con choix, et que rien ne sauroit être changé, puisqu'il
sidération de la Nécessité et de la Contingence. a tout prévu et réglé une fois pour toutes, lui qui
Une vérité est nécessaire lorsque l'opposé ne sauroit régler les choses par tombeaux et à bâ
implique contradiction, et quand clic n'est point né ton rompu. De sorte que les péchés et les maux
cessaire, on l'appelle contingente. C'est une qu'il a jugé à propos de permettre pour des plus
57»
448 LXV. LETTRE A Mr. COSTE.
grands biens sont compris en quelque façon clans que dans toutes les circonstances prises en
sou choix. C'est cette nécessité, qu'on peut attri semble la balance de la délibération est plus
buer maintenant aux choses à venir, qu'on appelle chargée d'un côté que de l'autre, il est certain
hypothétique ou de conséquence (c'estàdire et infaillible que ce parti l'emportera. Dieu ou le
fondée sur la conséquence de l'hypothèse du choix sage parfait choisiront toujours le meilleur connu,
fait), qui ne détruit point la contingence des choses, et si un parti n'étoit point meilleur que l'autre, ils
et ne produit point cette nécessité absolue, que la ne choisiroient ni l'un ni l'autre. Dans les autres
contingence ue souffre point. Et les théologiens et substances intelligentes les passions souvent tien
philosophes presque tous (car il faut excepter les dront lieu de raison, et on pourra toujours dire à
Sociniens) conviennent de la nécessité hypothétique l'égard de la volonté en général, que lechoixsuit
que je viens d'expliquer, et qu'on le saurait com la plus grande inclination, sous laquelle je
battre sans renverser les attributs de Dieu et même comprends tout, passions que raisons vraies ou
la nature des choses. apparentes.
Cependant quoique tous les faits de l'univers soient Cependant je vois qu'il y a des gens, qui s'ima
maintenant certains par rapport à Dieu, ou (ce qui ginent, qu'on se détermine quelquesfois pour le parti
revient à la même chose) déterminés en eux mêmes, le moins chargé, que Dieu choisit quelquesfois le
et même liés entre eux, il ne s'ensuit ]x>int, que moindre bien tout considéré, et que l'homme choi
leur liaison soit toujours d'une véritable nécessité; sit quelquesfois sans sujet et contre toutes ses rai
c'est à dire que la vérité qui prononce, qu'un fait sons, dispositions et passions; enfin qu'on choisit
suit de l'autre, soit nécessaire. Et c'est ce qu'il faut qnelquesfois sans qu'il y ait aucune raison, qui dé
appliquer particulièrement aux actions volon termine le choix. Mats c'est ce que je tiens pour
taires. Lorsqu'on se propose un choix, par exemple faux et absurde, puisque c'est un des plus grands
de sortir ou de ne point sortir, c'est une question principes du bon sens, que rien u'arrive jamais sans
si avec toutes Ire circonstances iutenies ou externes, cause ou raison déterminante. Ainsi lorsque Dieu
motifs, perceptions, dispositions, impressions, pas choisit, c'est par la raison du meilleur, lorsque
sions, inclinations prises ensemble, je suis encore l'homme choisit, ce sera le parti qui l'aura frappé
en état de contingence, ou si je suis nécessité de le plus. S'il choisit ce qu'il voit moins utile, et
prendre le choix, par exemple de sortir c'est à dire moins agréable, d'ailleurs il lui sera devenu peut-
si cette proposition véritable et déterminée en effet: être le plus agréable par caprice, par un esprit de
dans toutes ces circonstances prises en contradiction, et par des raisons semblables d'un
semble je choisirois de sortir, est contin goût dépravé, qui ne laisseront pas d'être des rai
gente on nécessaire. A cela je réponds qu'elle est sons déterminantes, quand même ce ne seroient pas
contingente, ]>arce que ni moi ni aucun autre esprit des raisons concluantes. Et on ne trouvera jamais
plus éclairé que moi, sauroit démontrer, que l'op- aucun exemple contraire.
» posé de cette vérité implique contradiction. Et Ainsi quoique nous ayons une liberté d'indiffé
supposé, que par la liberté d'indifférence on rence qui nous sauve de la nécessité, nous n'avons
entend une liberté opposée à la nécessité (comme jamais une indifférence d'équilibre, qui nous exempte
je viens de l'expliquer) je demeure d'accord de cette des raisons déterminantes , il y a toujours ce qui
liberté, car je suis effectivement d'opinion que notre nous incline et nous fait choisir, mais sans qu'il
liberté aussi bien que celle de Dieu et des esprits nous puisse nécessiter. Et comme Dieu est toujours
bien heureux est exemte non seulement de la coac- porté infailliblement au meilleur, quoiqu'il n'y soit
tion, mais encore d'une nécessité absolue, quoiqu'elle point porté nécessairement (autrement que par une
ne sanroit être exemte de la détermination et de la nécessité morale) nous sommes toujours portés in
certitude. failliblement à ce qui nous frappe le plus, mais non
Mais je trouve, qu'on a besoin ici d'une grande pas nécessairement; le contraire n'impliquant au
précaution pour ne point donner dans une chimère, cune contradiction, il n'étoit point nécessaire ni
qui choque les principes du bon sens, et ce essentiel que Dieu créât ni qu'il créât ce monde
seroit ce que j'appelle une indifférence m particulier, quoique sa sagesse et bonté l'y ait
absolue, ou d'équilibre, que quelquesuus con porté.
çoivent dans la liberté, et que je crois chimérique. C'est ce que M. Bayle, tout subtile qu'il a été,
Il faut donc considérer que cette liaison , dont je n'a pas assez considéré lorsqu'il a cru, qu'un cas
viens de parler, n'est point nécessaire absolument semblable à celui de l'âne de Buridan fut possible,
parlant, mais qu'elle ne laisse pas certainement et que l'homme posé, dans des circonstances d'un
d'être vraie, et que généralement toutes les fois parfait équilibre pourrait néaumoins choisir. Car il
LXV. LETTRE A Mr. COSTK. 449
faut dire, que le cas d'un parfait équilibre est chi S'il étoit vrai, Monsieur, que nos Scvenuois fus
mérique, il n'arrive jamais l'univers ne pouvant sent de prophètes, cet événement ne seroit point
point être ni parti ni coupé en deux parties égales contraire à mon hypothèse de l'harmonie préétablie,
et semblables. L'univers n'est pas comme une et y seroit même fort conforme. J'ai toujours dit,
élipse ou autre telle ovale que la ligne droite me que le présent est gros de l'avenir et qu'il y a une
née par son centre peut couper en deux parties con- parfaite liaison entre les choses quelques éloignées
gruentes. L'univers n'a point de centre, et ses par qu'elles soient l'une de l'autre, en sorte, que celui
ties sont infineincnt variées, ainsi jamais le cas ar qui seroit assez pénétrant, pourrait lire l'une dans
rivera ou tout sera parfaitement égal et frappera l'autre. Je ne m'opposerois pas même à celui, qui
également de part et d'autre, et quoique nous ne soutiendrait qu'il y a des globes dans l'nuivers, où
soyons pas toujours capables de nous apercevoir les prophéties sont plus ordinaires que dans lo nô
de toutes les petites impressions, qui contribuent à tre, comme il y aura peut-être un monde où les
nous déterminer, il y a toujours quelque chose qui chiens auront le nez assez bon pour sentir leur gi
nous détermine entre deux controdictoires, sans que bier à 1000 lieues, peut-être aussi qu'il y a des
le cas soit jamais parfaitement égal de part et d'autre. globes où les génies ont plus de permission, qu'ils
Cependant, quoique notre choix ex datis sur n'en ont ici bas de se mêler des actions «les ani
toutes les circonstances internes prises ensemble maux raisonnables. Mais quand, il s'agit de rai
soit toujours déterminé, et que pour le présent, il sonner sur ce qui se pratique effectivement ici, no
ne dépend pas de nous de changer de volonté, il ne tre jugement- présomptif doit être fondu sur la cou
laisse pas d'être vrai que nous avons un grand pou tume de notre globe, où ses sortes de vues prophé
voir sur nos volontés futures, en choisissant certains tiques sont bien rares. On ne peut point jurer qu'il
objets de notre attention et en nous accoutumant à n'y en a point mais on porroit bien gager ce me
certaines manières de penser, et par ce moyen nous semble, que ceux dont il s'agit no le sont pas. Une
pouvons nous accoutumer à mieux résister aux im raison qui me pourroit porter le plus à juger d'eux
pressions et à mieux faire agir la raison, enfin favorablement, ce serait le jugement de Mr. Fatio,
nous pouvons contribuer à nous faire vouloir ce mais il faudrait bien savoir ce qu'il juge suis le
qu'il faut. tirer de la gazette. Si vous aviez pratiqué vous
Au reste j'ai montré ailleurs, qu'en prenant les même Monsieur, avec toute attention convenable
choses dans un certain sens métaphysique nous un gentilhomme à deux mille livres sterling qui
sommes toujours dans une parfaite spontanéité, et prophétise en Grec en Latin et en François, quoi
ce qu'on attribue aux impressions des choses exter qu'il ne sache bien que VAnglois, il n'y auroit
nes, ne vient que des perceptions confuses en nous rien à redire. Ainsi je supplie, Monsieur, de me
qui y répondent et qui ne pouvoicnt point manquer donner plus d'éclaircissement sur une matière si
de nous être données d'abord en vertu de l'harmo curieuse et si importante et je suis avec zèle, Mon
nie préétablie qui fait lo rapport de chaque sub sieur etc.
stance à toutes les autres.
LXVL
REMARQUES
SUR
1708.
(Oeuvres philosophiques etc. Ed. Raspe p. 4990
11 y a dans les oeuvres posthumes île Mr. Locke, apperçoivc, ou lui demande (§. 5.) qu'il explique
jiuliliiVs à Londres en 1706. 8vo. un Examen du cette manière d'union, ou du moins en quoi clic
sentiment du P. Malebranche , qui porte que nous diirère de celle qu'il n'accorde \>as '. Le P. Male-
voyons toutes choses en Dieu. Il reconuoît d'abord brauche dira peut-être qu'il ne connoit l'union de
qu'il y a quantité de pensées délicates et de ré l'âme avec le corps que pur la foi et que la nature
flexions judicieuses dans le livre de la recherche du corps, consistant dans l'étendue seule, on n'en
de la vérité, et que cela Ta fait espérer d'y trou peut rien tirer, qui serve à faire entendre son opu-
ver quelque satisfaction sur la nature de nos Idées. ratiou sur le corps. 11 accorde une union inexpli
Mais il a remarqué d'abord (§. 2.) que ce Pèr« se cable, mais il eu demande une, qui serve à expli
sert de ce que Mr. Locke appelle argumcntuui quer le commerce de l'âme et du corps. Il pré
ad ignorantiam eu prétendant de prouver sou tend aussi de rendre raison, pourquoi les Etres
sentiment, parcequ'il n'y a point d'autre moyen matériels ne sauraient être unis avec l'âme comme
d'expliquer la chose: mais selon Mr. Locke cet ar- on le demande; c'est parccquc ces Etres, étant
nun ii -ut perd sa force, lorsqu'on considère lafoiblesse étendus et l'âme ne l'étaut point, il n'y a point de
de notre entendement. Je suis pourtant d'avis, que proportion entr'eux. Mais c'est là, où Mr. Locke
cet argument est bon, lorsqu'on peut faire un par demande fort à propos (§. 7.) s'il y a plus de pro
fait dénombrement des moyens et en exclure tous portion entre Dieu et l'âuie. En effet, il semble
hormis uu. C'est même clans l'Analyse, que Mr. que le R. P. Malebranche devoit alléguer non pas
Frenicle se scrvoit de cette méthode d'exclusion, le peu de proportion, mais le peu de connexion, qui
comme il l'appelloit. Cependant Mr. Locke a rai paroît entre l'aine et le corps, au lieu qu'il y a une
son de dire, qu'il ne sert de rieii de dire que cette connexion outre Dieu et les créatures, qui fait
Hypothèse est meilleur que les autres, s'il se trouve qu'elles no sauraient exister sans lui.
qu'elle n'explique point ce qu'on voudroit entendre lorsque ce Père dit (§. 6.) qu'il n'y a poiut de
et enveloppe même des choses, qui ne sauraient substance purement intelligible que Dieu , j'avoue,
s'accorder ensemble. que je ne l'entends pas assez bien. Il y a quelque
Après avoir considéré ce qu'il y a dans le pre chose dans l'âme que nous n'entendons distincte
mier chapitre de la seconde partie du livre III., où ment; et il y a bien des choses en Dieu, que nous
le P. Malebranche prétend que ce que l'Esprit peut n'entendons point du tout.
percevoir lui doit être uni immédiatement, Mr. Mr. Locke ( §. 8. ) fait une remarque sur la fin
Locke demande (§. 3. 4.) ce que c'est que d'être du chapitre du Père, qui revient à mes sentimens;
uni immédiatement, cela ne lui paroissant in car pour faire voir, que ce Père n'a pas exclu tous
telligible que dans les corps ! Peut être pourroit-on les moyens d'expliquer la chose, il ajoute: »si je
répondre que c'est ce que l'un ojtère immédiatement «disois qu'il est possible, que Dieu ait fait nos âmes
sur l'autre. Et comme le P. Malebranche, avouant »en sorte et les ait tellement unies au corps que
que nos corps sont unis à nos âmes, ajoute que ce «sur certaines motions du corps l'âme eût telles ou
n'est pas d'une manière, qui fasse que l'âme s'en » telles percept ions, mais d'une manière inconcevable à
LXVI. SUR LE SENTIMENT DE MALEBRANCHE 451
•nous, j'anrois «lit quelque chose d'aussi apparent Quand Mr. Locke déclare (§. 31.) qu'il ne com
• et d'aussi instructif que ce qu'il dit» Mr. Locke prend point comment la variété des Idées est com
en disant cela paraît avoir envisagé mou Systèmedc patible avec la simplicité de Dieu, il nie semble qu'il
l'harmonie préétablie ou quelque chose d'approchant. n'en doit point tirer une objection contre le P. Ma
Mr. Locke objecte (§. 20.) que le Soleil est in lebranche; car il n'y a point de Système, qui puisse
utile, si nous le voyons en Dieu. Comme cet ar faire comprendre une telle chose. Nous ne pouvons
gument iroit aussi contre mon Système, qui pré pas comprendre l'incommensurable et mille antres
tend que nous voyons le soleil en nous, je réponds choses, dont la vérité ne laisse pas de nous être
que le soleil n'est pas seulement fait pour nous, et connue et que nous avons droit d'employer pour
que Dieu veut nous faire réprésenter des vérités sur rendre raison d'autres, qni en sont dépendantes.
ce qui est hors de nous. Quelque chose d'approchant a lieu dans toutes les
11 objecte aussi (§. 22.) qu'il ne conçoit pas substances simples, où il y a une variété des affec
comment nous puissions voir quelque chose confu tions dans l'unité de la substance.
sément eu Dieu, où il n'y a point de confusion. On Le Père soutient que l'Idée de l'infini est an
pourroit répondre que nous voyons les choses con térieure à celle du fini. Mr. Locke objecte (§. 34.)
fusément, quand nous en voyons trop à la fois. qu'un entant a plutôt l'Idée d'un nombre on d'un
Le P. Malebranchc ayant dit, que Dieu est la quarré que celle de l'infini. Il a raison en prenant
place des Esprits, comme l'espace est la place des les Idées pour des images; mais en les prenant pour
corps, Mr. Locke dit (p. 25.) qu'il n'entend pas un les fondemens des notions, il trouvera que dans le
mot de cela. Mais il entend au moins ce que c'est continu ii m la notion d'un étendu, pris absolu-
que l'espace, place et corps. 11 entend aussi que le nient, est antérieure à la notion d'un étendu, où la
Père met une analogie entre modification est ajoutée. Il faut encore appliquer
espace, lien, corps cela à ce qui se dit §. 42. et 46.
et entre Dieu, lieu, esprit. Ainsi une bonne L'argument du Père, que Mr. Locke examine
partie de ce qu'il dit ici est intelligible. On peut (§. 40.) n'est pas à mépriser, que Dieu seul, étant
seulement objecter, que cette Analogie n'est point la fin des esprits, en est aussi l'objet unique. 11 est
prouvée, quoiqu'on s'apperçoive aisément de quel vrai qu'il s'en faut quelque chose pour qu'on puisse
ques rapports, qui peuvent donner lieu à la compa l'appeller une démonstration. Il y a une raison plus
raison. Je remarque souvent que certaines gens concluante, qui fait voir que Dieu est le seul objet
tâchent d'éluder ce qu'on leur dit par cette affection immédiat externe des esprits, et c'est qu'il n'y a que
d'ignorance comme s'ils n'y entendoient rien; ce lui, qui puisse opérer sur eux.
qu'ils font non pas pour se blâmer eux mêmes, mais On objecte (§. 4l.) que l'Apôtre commence par
ou pour blâmer ceux qui parlent, comme si leur la connoissauce des créatures pour nous mener à
jargon étoit non -intelligible , ou pour s élever au Dieu et que le Père fait le contraire. Je crois que
dessus de la chose et de celui qui la débite, comme ces méthodes s'accordent. L'une procède a priori,
si elle n'étoit point digue de leur attention. Cejjen- l'antre aposteriori; et la dernière est la plus
dant Mr. Locke a raison de dire, que le sentiment commune. Il est vrai que la meilleure voie de con-
du P. Malebranche est non-intelligible par rapport noitre les choses est celle qui va par leurs causes;
à ses autres sentimeus, puisque chez lui espace et mais ce n'est ]»s la plus aisée. Elle demande trop
corps est la même chose. La vérité lui est échap d'attention aux choses sensibles.
pée ici et il a conçu quelque chose de commun et En répondant au §. 34., j'ai remarqué la diffé
d'immuable, auquel les corps ont un rapport essen rence qu'il y a entre image et Idée. Il semble qu'on
tiel et qui fait même tenr rapport entr'cux. Cet combat cette1 différence (§. 38.) en trouvant de la
ordre donne lieu à faire une fiction et de concevoir difficulté dans la différence qu'il y a entre sentiment
l'espace comme une substance immuable; mais ce et Idée. Mais je crois que le Père entend ]>ar sen
qu'il y a de réel dans cette notion regarde les sub timent une perception d'imagination, au lieu qu'on
stances simples, sous lesquelles les Esprits sont com peut avoir des Idées des choses, qui ne sont point
pris, et se trouve en Dieu, qui les unit. sensibles ni imaginables. J'avoue que nous avons
Le Père disant, que les Idées sont des Etres re une Idée aussi claire de la couleur du violet, que de
présentatifs, Mr. Locke a sujet (§. 26.) de deman la figure (comme on objecte ici) mais non pas aussi
der si ces Etres sont des substances, des modes on distincte, ni aussi intelligible.
des relations? Je crois, qu'on peut dire que ce ne Mr. Locke demande, si une substance indivisible
sont que des rapports, qui résultent des attributs et non-étendue ]>eut avoir en même teins des modi
de Dieu. fications différentes et qui se rapportent à des objets
452 LXVII. REMARQUE SUR UN ENDROIT ETC.
inconsistansî Je réponds qu'oui. Ce qui est incon aussi bien que celle des autres choses, nous la de
sistant dans la représentation de differens objets, vrions voir aussi en Dieu. La vérité est que nous
qu'on conçoit à la fois. 11 n'est point nécessaire voyons tout en nous et dans nos âmes et que la con
pour cela, qu'il y ait de différentes parties dans le noissance que nous avons de l'âme est très véritable
point, quoique de différons augles y aboutissent. et juste pourvu que nous y prenions garde; que
On demande avec raison (§. 43.) comment nous c'est par la conuoissauce que nous avons de l'âme,
connoissons les créatures, si nous nous ne voyons que nous roi moissons l'Etre, la Substance, Dieu
immédiatement que Dieu ? C'est que les objets, dont même et que c'est par la réflexion sur nos pensées,
Dieu nous fait avoir la représentation, ont quelque que nous connoissons l'étendue et les coqjs; qu'il
chose, qui ressemble à l'Idée que nous avons de la est vrai cependant que Dieu nous donne tout ce
substance, et c'est ce qui nous fait juger qu'il y a qu'il y a de positif en cela et toute perfection y en
d'autres substances. veloppée par une émanation immédiate et conti
On suppose (§. 46.) que Dieu a l'Idée d'un angle, nuelle en vertu de la dépendance, que toutes les
qui est le plus prochain de l'angle droit, niais qu'il créatures ont de lui et c'est par là qu'on peut don
ne montre à personne quelque désir qu'on puisse ner un bon sens à cette phrase que Dieu est l'objet
avoir de l'avoir. Je réponds qu'un tel angle est de nos âmes et que nous voyons tout en lui.
une fiction, comme la fraction la plus prochaine de Peut-être que le dessein du Père, qu'on examine
l'unité, ou le nombre le plus prochain du Zéro, ou (§. 53.) en disant que nous voyons les essences des
le moindre de tous les nombres. La nature de la choses dans les perfections de Dieu et que c'est la
continuité ne permet pas, qu'il y ait rien de tel. raison universelle qui nous éclaire, tend à faire re
Le Père avoit dit, que nous connoissons notre marquer que les attributs de Dieu fondent les no
.âme par un sentiment intérieur de conscience et que tions simples, que nous avons des choses, l'Etre,
pour cela la connoissance de notre âme est plus im la puissance, la connoissance, la diffusion, la dorée,
parfaite que celle des choses, que nous connoissons prises absolument, étant en lui et n'étant dans les
en Dieu. Mr. Locke y remarque fort à propos créatures que d'une manière limitée.
(§. 47.) que l'Idée de notre âme étant en Dieu
LXVII.
REMARQUE DE MR LEIRNIZ
SUR UN ENDROIT DES MÉMOIRES DE TRÉVOUX DU MOIS DE MARS 1704.
1708.
(Mi-moires de Trévoux Mars 1708. Art. 35. p. 488. — I.eibn. Opp. Ed. Dulens II., i. p. 258. 359.)
Le R. P. Tonrnemine a parlé de moi si obli claration, si je n avois remarqué bien tard cet en
geamment dans une de ses conjectures, dont les droit des Mémoires.
Mémoires de Trévoux nous ont fait part, et qui Il faut avouer, que j'aurois en grand tort d'ob
sont ordinairement ingénieuses, que j'aurois tort de jecter aux Cartésiens, que l'accord que Dieu entre
me plaindre qu'il m'attribue une objection contre tient immédiatement, selon eux, entre l'Ame et le
les Cartésiens, dont je ne me souviens \ias, et qu'on Corps, ne fait pas une véritable union, puisqu'assu-
peut visiblement rétorquer contre moi. Cependant rément mon Harmonie préétablie ne saurait en faire
je déclare, que si je l'ai jamais faite, j'y renonce d'avantage.
dès à présent; et j'aurois donné plutôt cette dé Mon dessein a été d'expliquer naturellement ce
LXVII. REMARQUE SUR UN ENDROIT ETC. 453
qu'ils expliquent par de perpétuels miracles: et je a été dit de vive voix dans un discours un peu
n'ai tâché de rendre raison que des phénomènes, étendu, on est sujet à se méprendre.
c'est-à-dire, du rapport, dont on s'aperçoit entre
l'âme et le corps.
Mais comme l'union métaphysique qu'on y ajoute,
n'est pas un phénomène, et comme on n'en a pas REPONSE DU PERE TOURNEMINE.
même donné une notion intelligible, je n'ai pas pris Monsieur Leibniz ne me doit sçavoir aucun
sur moi d'en chercher la raison. gré des éloges que je lui ai donnés. Jo n'avois
Cependant je ne nie pas, qu'il y ait quelque chose garde de me distinguer en parlant de lui moins
de cette nature : et il en seroit à peu près comme avantageusement que tous les savans en parlent.
de la présence, dont jusques ici on n'a pas expliqué La crainte de se décrier engage toujours à louer
non plus la notion, lorsqu'on Ta appliquée aux un Homme tel que lui.
choses incorporelles, et qu'on Fa distinguée des rap A l'égard de l'objection contre les Cartésiens
ports harmoniques qui l'accompagnent, et qui sont qu'il désavue, je consens qu'il soit cm, quoique ma
aussi des phénomènes propres à marquer l'endroit mémoire me représente encore cette objection,
de la chose incorjxjrelle. comme lue, il y a plusieurs années, dans quelqu'un
Après avoir conçu une union, et nue présence des écrits, dont Mr. Leibniz a enrichi le Journal
dans les choses matérielles, nous jugeons quïl y a de Paris. Il est au reste fort indifférent pour mou
je ne sais quoi d'analogique dans les immatérielles : système de l'union de l'âme avec le corps, que Mr.
mais tant que nous ne pouvons pas en concevoir Leibniz ait proposé cette objection contre les Car
d'avantage, nous n'en avons que des notions tésiens; mais je regarde comme très -important
obscures. l'aveu qu'il fait, que son harmonie préétablie ne
C'est comme dans les mystères, ou nous tâchons suffit pas pour mettre une véritable union entre la
aussi d'élever ce que nous concevons dans le cours corps et l'aine.
ordinaire des Créatures, à quelque chose de plus Cette union n'est ]>as, comme il le dit, une idée
sublime qui y puisse répondre, par rapport à la métaphysique. Le corps est réellement, et physi
Nature, et à la Puissance Divine, sans y pouvoir quement uni à l'âme, plus que deux horloges
concevoir rien d'assez propre à former une défini parfaitement semblables ne sont unies. Le
tion intelligible en tout rapport des mouvemens du corps aux[ pensées
C'est aussi pour cela qu'on ne saurait rendre et aux affections de l'aine, ne peut jamais passer
raison parfaitement de tels mystères, ni les entendre que pour une suite de l'union: et quoique Mr.
entièrement ici bas. Il y a quelque chose de plus, Leibniz explique ce rapport plus heureusement
qne des simples mots, cependant il n'y a pas de que les Cartésiens, il n'explique point du tout l'union,
quoi venir à une explication exacte des termes. que j'ai tâché d'expliquer par les conjectures qui ne
J'apprends aussi, qu'on a inséré dans ces mé lui ont pas déplu. Je ne prétends pas néanmoins
moires la même relation touchant l'invention, et le avoir frappé au but; je n'ai donné qne des conjectu
progrès de mon calcul des infinitésimales, qui se res, et non des démonstrations: mais je prétends,
trouve dans les Nouvelles de la République des Let que ceux qui entreprennent seulement de rendre
tres, Février 1706 et que j'ai été obligé de réfuter, raison du rapport des mouvemens dn corps aux sen
dn consentement, et suivant l'avis de Mr. Ber- sations de l'âme, ne sont pas encore entrés dans la
noulli, dans le mois de nombre suivant de ces carrière pour disputer le prix.
mêmes nouvelles. En ce cas il est juste qu'on soit On a prévenu ce que Mr. Leibniz souhaite de
averti ici de cette réfutation : où il est bon d'ajou nous, et sa lettre sur l'invention du calcul des
ter, que Mr. de Fonteuelle désavoue ce qu'on infinitésimales, est dans les mémoires du mois
lui a attribué sur ce sujet. Quand on rapporte ce qui de Mars 1700, page 104.
LXVIII.
AD REVERENDISSIMUM PATREM
DES BOSSES
EPISTTOLAE QUATUOR.
1708 et 1709.
(Lelbn. Opp. Ed. Duteng Tom II. P. 1. p. 180.)
EPISTOLA XII.
Admoduin révérende pater, fautor
houoratissiinc.
Duo sunt in Bibliopolis, quae cos ambiguës red-
dere soient: union lucri rupiditas, alterum igno- F E
rantia. Ita ucsciunt, quid digère debeant, née satis
fidunt eruditis, quia putant, eos inagis intelligere, Si un.1 triangulum ABC, ejus latus AC biscca
quid sit doctuin, quam quid sit vendibile. Nuper in D, et AD in E, et AE in F, et A F in G,
curavi in mundum redigi dissertationeui olini a me et ita porro pone ita factum esse in infinitntn.
coDscriptam, cnm res sarculi noni exaininarem. et Habemus triangula infinita BCD, BDE, BEF,
in Chronolopcis disquisitionihus versarer. Tituluni BFG, etc. Horum quodlibet (danrto ipsis cras-
ei feci: Flores sparsi in tumulum Johann ae sitiem, ut fiant corpora, vel ab initio snmendo
Papissae; ubi fabulam Papissae partim novis ar- triangulum crassum, id est pyramidem) potest exi
gumentis, partim veteribus confirmatis, explodo, et stere separatim. Et ita unumquodque snum habcbit
Chrouologiam e.jus temporis passim obscuratam in propriutn apitem. Finge deinde omnia componi
clara luce colloco, et effugiis Friderici Spanhe- intcr se, ut fiât pyramis ( i ) vel triangulum totale
mii Leidensis Theologi, novissimis, libelle in Bata- ABC; patet, on mes illos apices infinités hoc modo
vis ante aliquot annos edito, coDtentis, respondeo. compositos, non facere nisi unum apicem commu-
Nonnulla etiam non observata iuspergo; nam et nem B. Quod si nolis aJhibere triangula infinita,
librum quendam magicum Papissae attributum. non- saltem vides hoc verum esse generaliter de triangu-
dum quidem editum, detexi; aliaque curiositate lis quotcmnque. Extensio quidem exurgit ex situ,
Lectoris non indigna, ex manuscriptis erui. Hic sed addit situi continuitatem. Puncta situm habent,
libellas fartasse magis placeret Typographe vestro continuitatem non habent, née componuut ; née per
LXVIII. AD DES BOSSES EPISTOLAE IX. - XII. 457
se starc possunt. ltaquo niliil ïiti|>ecïit, inliiiit.i con non nisi veteres monades adhiberct. Massa est
tinue puucta nasci, et interire, vel saltein coiiicidere, phaenomenon reale, nec in phaenomenis (exceptis
aut extra se invicem ]>oui, sine augmente), et dimi- iis, quae apparent ipsi novae monadi utique uove)
nutionc niateriae, et extensiouis, cum non sint, nisi quicquam mutatur ob novae mouadis ortum, nisi
ejus modilicationes , non partes nenipe, sed termi- forte miraculo. Nain putandum est, monades anti-
nationcs. quas jam initio ita ordinatas fuisse a Deo, cura eas
Intérim non puto convenire, ut animas tanquam crearct, ut phaenomena earuin responderent ali-
in punctis consideremus. Fortasse aliquis diceret, quaudo monadi adlmc creandac ; nisi malimus Deura
eas non esse in loco, nisi per oporationem, nenipe caeteras omues monades miraculo imniutare, cum
loquendo secundum vêtus systema influxus, vel po- novam créât, ut eas novae accommodet, quod mi
tius secundum novum systema liarmoniac praesta- nus verisimile est.
bilitae esse in loco percorresponsioneui, atque ita esse Caeterum hacc omnia hue tendunt, possibile esse,
in toto corpore organico, quod animant. Non nego ut Deus creet novas monades. Sed non tamen de-
intérim unionem quandam realem metaphysicam finio, a Deo novas monades creari. Imo puto, de-
iuter anitnam et corpus organicum (ut Turnemi- fendi possc, et probabilius esse contrarium, adeo-
nio etiani respondi), secundum quam dici possit, que praeexistentiam monadum Et pro creatione
auiiuam vere esse in corpore. Sed quia ea res ex absoluta animae rationalis defendi posset transerca-
Phaenomenis explicari non potest, nec quicquam tio animae non rationalis in rationalem, quod fie-
in iis variât, ideo, in quo formaliter consistât, ultra ret addito miraculose gradu essentiali perfectionis.
distincte explicare non possum. Sufficit correspou- Id etiam defendo in dissertationc anti - Bayliana,
sioni esse alligatam. Vides autem me hic loqui hac- tamquam mihi probabilius visum creatione omni-
tenus, non de unione entelechiae, seu prineipii ac- moda, et verius traduce.
tivi cum materia prima, seu potentia passiva, sed Mirarer Curiam Komanam de rébus Sinicis non-
de unione aniinac, seu ipsius monadis (ex utroque dmn satis perspectis cum Ecclesiae nascentis peri-
principio rcsultantis) cum massa, seu cum aliis culo pronunciare. Vcllem no&se, an verum sit
monadibus. Cardinalem Turnonium a Lusitanis in urbe
At inquics : quid de ipsa materia prima animae Macao fuisse detentum, et an cum P. Provana
propria dicemus.' Respondeo, eam utique animae venerit Legatus Monarchac Sinici, ut habebant no-
concreari, seu monadem creari totam. Ergone sic vellae vulgares. Fingc, multos Sinenses vere esse
materia prima augetur, et minuitur? Fateor, cum Idololatras, vel etiam Atheos: sufficit publica illic
non sit nisi potentia passiva primitiva: ergo, in- autoritate alium sensum assignari ritibus; qua ra-
quies, et massa augetur. Conccdo augeri uumerum tione via etiam aperitur ipsis quoque privatis erran-
monadum, quarum resultatum utique est massa, sed tibus ab errore liberandis. Quod superest , vale et
non extensionem, et resistentiam, aut phaenomena, fave. Dabam Hanoverae 30. April. 1709.
non magis (|uam cum nova puncta oriuutur. Deus Deditissimus
iufinitas monades novas crearc posset, non augendo Godef. Guil. Lcibnitius.
massam, si ad novae monadis corpus organicum
LXV.
RÉPONSE
AUX OBJECTIONS, QUE L'AUTEUR DU LIVRE: ,,DE LA CONNO1S-
SANCE DE SOI-MEME"
A FAITES
1709.
(Journal c|(,s savaiis. Supplem. 1709. Juin p. 275. Leibnitii Opp. Cil. Diiicn.i l'uni. H, P. 1. p. 97.3
Le célèbre Auteur de ces objections, qui a du les d'une manière qui le transforme au mien, je
mérite, et de la méditation, avoue qu'il a trouvé n'en serai point fâché.
quelque chose de fort spécieux clans le système de La seconde difficulté (p. 233.) consiste
l'Harmonie préétablie, employé pour expli dans une autre question, savoir: si l'âme est libre
quer le report qu'il y a entre l'âme et le corps. dans la production de ses sentimens, ou si elle ne
Que la voie de l'influence est insoutenable, et que l'est pas! Il me semble qu'une question n'est pas
celle des causes occasionnelles paroit d'abord peu une objection : cependant j'y réponds, et la réponse
digne de Dieu, comme le faisant agir continuelle est aisée. L'âme est libre dans les actions volontai
ment par miracles dans un effet tout naturel; au res, où elle a des pensées distinctes, et où elle mon
lieu que la voie de l'harmonie préétablie marque tre de la raison; mais les perceptions confuses, ré
dans le Souverain Ouvrier une habileté incompara glées sur les corps, naissent des perceptions confu
blement plus grande. Mais il ajoute (p. 230.) ses précédentes, sans qu'il soit nécessaire que l'amc
qu'un moment du réflexion lui a fait entrevoir dans les veuille, et qu'elle les prévoie. Ainsi quoique
ce système des difficultés, et même des impossibili les douleurs ne lui arrivent point, parce qu'elle les
tés, qui méritent qu'on les examine. Venons à cet veut, elles ne lui arrivent pas pour cela sans cause,
examen avec lui, et voyons comment il se fortifie et sans raison; la suite des pensées confuses étant
contre ce qu'il appelle le faux brillant de ce nou représentative des mouvemens du corps, dont la
veau système. multitude et la petitesse ne permet pas qu'on s'en
La première difficulté consiste dans cette puisse apercevoir distinctement.
question, si les deux substances qui s'accordent, La troisième difficulté (p. 234.) est, qu'il
sont faites l'une pour l'autre! je réponds, qu'oui; ne paroît pas à l'Auteur des objections, que dans
car si elles s'accordent, Dieu les a fait pour s'accor ce système il y ait une vraie liberté. Mais c'est
der. Mais on en infère que ce système diffère une prévention dont on ne voit point de fonde
donc peu de celui des causes occasionnelles. A la ment. Si j'ai dit (comme il allègue) » qu'il ne dé*
bonne heure, dirai -je; cependant je ne vois point »pend point de l'aine de se donner des sentimens
cette conséquence: Dans celui des occasionnelles • qui lui plaisent,» n'ai-je pas eu raison! notre
les substances s'accordent, parce que Dieu y pro liberté va-t-elle jusques là dans quelque système
duit toujours cet accord, sans que cela se trouve que ce soit! Et ne seroit-cc pas une souverai
ainsi dans le système nouveau; et la différence des neté, comme celle de Dieu? Alléguer cela, ce
deux systèmes est d'autant plus manifeste en cela, n'est pas faire une objection contre mon système,
que l'Auteur de l'objection veut faire passer cet mais c'est en faire une contre la liberté, qu'on y
accord naturel pour impossible. Voyez ci-dessous prend ici dans un sens outré. J'ai dit aussi, >que
la cinquième difficulté. En tout cas, si quel • l'état présent de chaque substance est une suite
qu'un veut prendre le système des occasionnel • naturelle de son état précédent.* Or (dit -on)
LXIX. REPONSE AUX OBJECTIONS DU P. LAMI. 459
une suite naturelle est une suite nécessaire. Je ré immédiates des impressions continuelles de Dieu:
pons que je n'accorde point cela, et que je m'étonne c'est toujours demander en effet la cause du mal.
qu'on avance de telles propositions, pour me pou L'Auteur de l'objection veut-il plaider pour les Ma
voir imputer des erreurs. Ce qui est naturel est nichéens, en niant que ces désordres, survenus dans
convenable à la nature de la chose, mais ce qui est les orvrages de Dieu, fassent honneur à sa sagesse?
nécessaire' est essentiel, et ne sanroit être changé. Ne faut -il point convenir plutôt avec St. Augu
Les feuilles viennent naturellement aux arbres, et stin, que les désordres appareils sont corrigés par
ne laissent pas de tomber. Il est naturel que les un plus grand ordre ?
médians commettent des crimes, mais il n'est point Je compte pour la cinquième difficulté,
nécessaire qu'ils les commettent. Il est naturel que l'Auteur revenant un peu après à contester la
aussi à l'habitude de la vertu de produire de bon possibilité du nouveau système, nie que Dieu puisse
nes actions, ces actions en sont-elles moins libres? faire un automate capable de faire sans la raison
J'ai dit encore, «que chaque perception précédente tout ce que l'homme fait avec la raison. Mr.
»a de l'influence sur les suivantes, conformé- Bayle le nioit de même: mais je m'étonne qu'on
• ment à une loi d'ordre, qui est dans les prétende de donner des bornes à la puissance, et à
• perceptions comme dans les monvemens.» La la sagesse de Dieu, et cela sans en apporter aucune
loi d'ordre exclut-elle la liberté? Dieu n'agit-il pas preuve. Outre qu'il y a des exemples sans nom
toujours suivant cette loi? Les perceptions confu bre de tels ouvrages de Dieu, qui font bien plus.
ses sont réglées comme les loix des mouveinens Ce qui forme le foetus, est un automate dont l'arti
qu'elles représentent. Les inouveineiis des corps fice passe tout ce que les hommes peuvent faire j>ar
sont expliqués par les causes efficientes, mais dans la raison : le plus beau poëiue, ou tel autre ouvrage
les perceptions distinctes de l'aine, où il y a de la d'esprit que ce puisse être, n'en approche pas. 11
liberté, paroissent encore les causes finales. Ce est vrai que cela se fait par une préformation di
pendant il y a de l'ordre dans l'une de ces Séries, vine, mais il en est de même dans l'harmonie pré*
aussi-bien que dans l'autre. Je suis un peu surpris établie.
de ne rencontrer presque que des objections, qui La sixième difficulté est, qu'il semble que
n'en ont tout au plus que l'apparence. les loix de l'harmonie ne sont point sages. Les
Quatrième difficulté (p. 235.) Le système êtres tendent à leur conservation; et cependant il
nouveau, quand il seroit possible, n'est pas celui y a des corps, les papillons par exemple, qui vont
que Dieu a choisi, ]»rce qu'il n'est pas digne de se brûler; il y a des âmes qui se jettent dans des
lai. Il se t'ait Un dérèglement dans les esprits ani amertumes. Plaisante loi (dit-on) qui force une
maux d'un homme, causé par l'excès du vin. »Est- âme à quitter une bonne pensée lorsqu'elle est pi
»il vraisemblable (dit l'Auteur de l'objection) que quée par une aguille. Plaisante objection plutôt !
»de pareilles extravagances ne soient que des suites L'Auteur ne s'aperçoit point qu'elle se peut faire
••naturelles de la constitution de cette âme, et contre tous les systèmes, et sur-tout contre le sien.
•qu'elle ne fasse en cela que se conformer aux loix, Mr. Bayle a mieux fait de m'épargner les ob
«que Dieu lui a données? Que cela fait honneur à jections de cette nature, comme il déclara d'abord
•sa sagesse!» L'exclamation tombera, pour peu de vouloir faire. Veut-on blâmer Dieu pour avoir
qu'on y pense. Lorsqu'il se fait un dérèglement fait les choses de telle sorte, que les papillons se
dans les corps, il est naturel que nos perceptions brûlent en tendant à se chauffer, et pour avoir aussi
confuses le représentent. D'ailleurs la nature du assujetti nos âmes en partie aux mouvemeus des
corps, et celle de l'âme sont corrompues; et sui corps ? Que cela se fasse par une influence journa
vant sa nature, l'âme ne se conforme pas toujours lière, ou |>ar l'harmonie établie par avance, il est
aux loix de Dieu : cette corruption est une suite de toujours conforme à la nature des choses. Et
la liberté. En accuser le système nouveau, c'est le pourquoi veut-on que la nature de l'âme lui donne
charger de tons les inconvéniens qui paroissent plus de perfection dans le nouveau système, que
dans la nature des choses, et qui ont lieu, quelque Dieu lui-même ne lui en donne immédiatement
système qu'on emploie. On pourra demander dans le système des occasionnelles? Et n'est il pas
tout de même dans le système commun, pourquoi bien plus dur de dire, que Dieu par une action im
Dieu a créé le corps et Pâme en sorte qu'il y arrive médiate assujettit l'âme continuellement à un corps
des désordres par une influence de l'un sur l'autre, en désordre, que de dire que l'âme y est assujettie
laquelle leur est naturelle suivant ce système. Et par sa nature corrompue? Si en vertu des loix de
c'est bien pis dans le système des occasionnelles, nature les corps se détruisent quelquefois, en ten
où l'on ose dire, que ces désordres sont des suites dant à se conserver, le nouveau système en est -il
460 LXIX. REPONSE AUX OBJECTIONS DU P. LAMI.
pins responsable que les autres ! Toujours on peut si Dieu avoit résolu de faire exister continuelle
dire , que la sagesse de Uien paroit mieux dans le ment quelque événement qui fût peu conforme
système de l'harmonie, où tout est lié par des rai avec cette nature, il n'en aurait point fait une
sons prises de la nature des choses, que dans celui loi de nature, mais il auroit résolu de faire
des occasionnelles, où tout est forcé par un pouvoir un miracle perpétuel, et d'y mettre toujours
arbitraire. la niaiii lui-même, pour produire ce qui se-
La septième difficulté marque ce qui a le roit au dessus des forces de la nature. Et c'est
plus choqué l'habile Auteur des objections. C'est ce qui arriveroit dans le système des causes occa
que je donne aux créatures une certaine nature sionnelles, si l'âme et le corps s'accordoient tou
agissante, une force, une énergie distinguée de la jours, sans que leur nature, et ce qu'on y peut
puissance de Dieu. Mais ne fais-je pas eu cela ce concevoir, les portât à s'accorder; c'est-à-dire, à
que presque tous les Philosophes, tous les Pères, l'automate du corps ne le portoit pas à faire ce que
tous les Théologiens ont fait en tout temsl Et pour l'âme veut, et si la suite naturelle des perceptions
dire la vérité, je ne comprends rien dans le senti confuses de l'aine ne la portoit pas à se représenter
ment contraire. Si nous agissons, nous avons la ce qui se passe dans le corps. Mais voici un exem
puissance d'agir; si nous n'agissons pas, nous ne ple plus aisé, qui éclaircira encore mieux la diffé
péchons pas non plus. Si le sentiment contraire rence qu'il y a entre une loi de nature, et une rè
étoit outré, il ponrroit nous mener, sans y penser, gle générale dont l'exécution demanderoit des mi
à une doctrine dangereuse. Celui qui soutient que racles continuels. Si Dieu faisoit une loi qui por
Dieu est le seul Acteur, pourra aisément se laisser tât que tout corps libre, ou qui u'est point empê
aller jusqu'à dire avec un Auteur moderne fort dé ché, dût tendre à aller de lui-même circulairement
crié, que Dieu est l'unique substance, et que les à l'entonr d'un certain centre, et cela par consé
créatures ne sont que des modifications passagères; quent sans qu'il fût possible de concevoir par quel
car jusqu'ici rien n'a mieux inarqué la substance, moyen, et comment la chose se feroit: je dis que
que la puissance d'agir. cette loi ne pourroit être exécutée que par des mi
Je compte pour la huitième difficulté, ce racles continuels; n'étant point conforme à la na
que l'Auteur dit sur les miracles. Il veut déchar ture du mouvement des corps, qui porte qu'un
ger son système de l'imputation des miracles, mais corps mu eu ligne courbe, continue son mouvement
il n'explique pas bien ce que c'est que miracle. dans la droite tangente, si rien ne l'en empêche.
Mr. Bayle y a manqué de même. Selon eux, le Une telle loi de mouvement circulaire ne seroit
miracle n'est qu'une exception des règles an loix donc point naturelle, supposé que la nature du
générales, que Dieu a établies arbitrairement: corps fût telle qu'elle est à présent. Ainsi il ne
ainsi Dieu s'étant fait une loi ou règle générale de suffit pas pour éviter les miracles, que Dieu fasse
vouloir toujours accorder le corps avec l'aine, ou une certaine loi, s'il ne donne point aux créatures
l'âme avec le corps, il n'y a plus de miracle là -de une nature capable d'exécuter ses ordres: c'est
dans; et dans se sens le miracle ne différeroit comme si quelqu'un disoit, que Dieu a ordonné à la
d'une autre action de Dieu, que par une dénomi Lune de décrire librement dans l'air, ou dans l'é-
nation externe, c'est-à-dire, par sa rareté. ther un cercle à l'entour du globe de la terre, sans
Mais je n'accorde point qu'une telle règle fût une qu'il y ait ni Ange, ni intelligence qui la gouverne,
loi de nature, ni que les loix générales de la na ni orbe solide qui la porte, ni tourbillon ou orbe
ture soient purement arbitraires. Ce n'est pas une liquide qui l'entraine, ni pesanteur, magnétisme, on
nécessité absolue, qui a porté Dieu à les établir; il autre cause explicable uiéchaniqnement, qui IVm-
y a été porté pourtant par quelque raison conforme pêche de s'éloigner de la terre, et de s'en aller par
à sa sagesse suprême, et par une certaine conve la tangente du cercle. Nier que ce fût là un mira
nance avec la nature des choses. Ainsi le miracle cle, ce seroit recourir aux qualités occultes absolu
n'est une exception de ces loix, que parce qu'il ment inexplicables, et décriées aujourd'hui avec
n'est pas explicable par la nature des choses. Et beaucoup de raison.
LXX.
AD REVERENDISSIMUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE DUAE.
1709.
M. ci lin. Opp. Ed. Dutens. Tom. II. P. t. p. 286.)
LXXI.
COMMENTATIO DE ANIMA BRUTORUM.
1710.
(G. G. Lelhnilii Epislolae ad diverses etc. Kd. Korlholl. I/ips. 1735. IV. Vol. 8vo — Vol. 1. p. 189.
Letton. Opp. M. 1) in rus Tom. II. P. 1. p. «30.)
I. Materia in se sumta seu nuda constituitur tes. Narn ex unaquaque re nude suinta nihil de
per Antitypiam et Exteusionein. Autitypiain voco duci et explicari potest, quaui attrihutorniu ejus
illud attributum, per quod inaturia est iu spatio. constitutivorum varietates.
Extensio est continuatio per spatium, seu continua IV. Hinc etiain facile judicamus in molendino
per locum difTusio. Atque ita, dum Antitypia con ali<|uo vel horologio nude snmto, nullum reperiri
tinue per locum ditfunditur seu extenditur, née principium percipiens, qnid iu ipso fiât; et nihil
aliud quiddam ponitur; oritur niateria in se, seu refert, solida sint, an fluida, vel ex utrisque com-
nnda. posita, quae in machina habentur. Porro scimus,
II. Antitypiac modincatio seu varietas consistit inter corpora crassa et subtilia nullum esse discri-
in varietate loci. Extensionis modificatio cousistit men essentiale, sed magnitudinis tantum. Unde se-
in varietate iiiagiiitudinis et figurae. Hine patet, quitur, si concipi non potest, quoniodo in aliqua
niateriaui esse aliquid uiere passivum, quum attri- machina crassa, ntcumque ex fluidis aut solidis
l>uta ejus earnmque varietates nullani actionem iu- composita oriatur perceptio; etiam concipi non
volvaut. Et quatenus in motu solutn considera- posse, quomodo perceptio ex machina subtiliore oria
mus varietatem loci, magnitudinis et figurae; ni- tur, nam si etiain sensus nostri subtiliores essent,
hil ibi considerainus, nisi mère passivum. res perindu foret, ac si machinam crassam percipe-
III. Sed si actualem variatiouem superaddainns, remus, ut nunc faciuius. Itaque pro certo haben-
sea ipsuin principium motus, accedit aliquid prae- dum est, ex solo inechauismo , seu materia uuda,
ter materiam nndaui. Eodein modo patet, per- ejusquc modificationibus perceptionem exjjlicari
çeptionein non possc deduci ex materia nuda, qnum j non posse, non magis, qnani priucipiuni actionis et
in actione quadam consistât. Idem de perceptione motus.
speciatim hoc modo intelligi potest. Si nihil aliud V. Et proinde admittenduui est aliquid praeter
organico adessct quaiu machina, id est, materia materiam, quod sit tam principium perceptiouis,
i im la. loci maguitudinis et figurae varietates lia liens: seu actionis internae, quam motus, seu actionis ex-
niliii aliud inde deduci et explicari possct, quaui ternae. Et taie principium appellamus substau-
mechauisiuus, id est, taies, quales diximus varieta tialc, item vim primitivam èvre^s^eiav TTJV xçû-
59»
464 LXXI. DE ANIMA BRUTOHUM.
v, uno nominc nniuiam, quod activura cnm pas strui. Respondeo, etsi destruerctur corpus a|>tuiu
sive conjunctum substantiam completam constituit. ad sensionem; non ideo tamen anima destruere
Patet autciu, hoc principium non esse extensuin, tur, mancr«t enim massa aniniata et anima conti-
alioqui materiam involvcret, contra hypotliesin. nuaret agere intus et extra, etsi minus perfecte, seu
Ostendimus enim esse aliquid matcriae nudau su- non cum sensione. Et talem perceptionem in
peradditum. Ergo anima erit qnoddam substan- somno profundo, apoplexia et aliis casibus retine-
tiale simplex non babcns partes extra partes. Unde mus, licet scnsus cesset. Sensio enim est perceptio,
porro consequens est, Entelechiam primitivain na- quae aliquid distincti involvit, et cum attcntione et
I lirai i ter destrui non posse; quia omnis naturalis memoria conjuncta est. Sed aggregatum confusum
destructio in partiuiu dissolutione consistit. multarum perccptionum parvarum nihil emincntis
VI. Ex bis sequitur vel bruta esse nieras machi habentium, quod attcntionem excitet, stu|)orem in-
nas, perceptionis expertes, ut statnunt Cartesiani; ducit. Née ideo tamen auima, aut vis sentiendi in
vel bruta habere animam indefectibilem. Sed quia ea foret iuutilis, etsi nunc ab exercitio suspcnsa es-
aliunde, ucinpe ex natura motus ostensum est, in set; quia cnm temporc massa iterum cvolvi et ad
inateria dispersas esse Entelechias primitivas, cas sensionein apta redili posset, ut stnpor ille cesset,
que indéfectibles, qnidni eis non tantum actionein prout oriuntur perceptiones magis distiactae, quan
motriccm, sed et perceptionem tribuamus, ut scili- do etiam corpus fit perfectius et magis ordinatum.
cet pro animabus habcri possint, quando corpori- XI. Et quum hodie plurimi egregii observatores
bus organicis sunt conjnnctae. Iilque continuât statuant, animalia jam ante conceptionem latere in
ipsa reruin aualogia. Qnum enim in brutis omnia seminibns, sub forma animalculorum iusensibiliuui;
quoad perceptionem et seusnm perinde se habeant, ita ut generatio animalis nihil aliud sit, quam ejus
ac in homine, et natura uniformis sit in varietatc evolutio et augmentatio, animalque nunquam natu
sua, uniformis quoad principia, varia quoad ino- raliter incipiat, sed tantum transformetur : ideo
dos: verosimile est brutis etiain perceptiouem in- consentaneum est, ut quod naturaliter non incipit,
esse; imino praesumuntur bruta perceptione prae- etiain naturaliter non desiuat; ita mors vicissiui
dita, donec contrariuin prohetur. nihil aliud erit, quam animalis iuvolutio et dimi-
VIL Cartesiani ad negandani brutis perceptio nutio; dum a stationc animalis magui ad statum
nem rationcra adferunt, ex eo sumtam, quod ita animalculi redit.
brutis animae indéfectibles sint tribu(*ndae. Sed XII. Porro ut in nobis iutellectioni respondet
hoc quod plerique inter eos pro absurdo habent, voluntas, ita in omni Entelechia primitiva pcrcep-
minime absurdum est, quemadmodum mox osteu- tioni respondet appctitus, sen agcndi conatns ail
tlemus, allata differcntia inter auimac brutorum novam perceptionem tendcns Neque enim tantum
indcfectibilitatcm , et animae hinnanae immortali- in percipiente varietas objecti repraesentatur, sed
tatem. ctiam fit variatio ipsiiis repraescntationis, quia etiam
VIII. Sed res etiain argumente positive et ne- repraesentandum variatur.
ccssario probari potest ex eo, quod omnis Ente- XIII. Intérim ne dominent bruto nimis aequarc
lechia primitiva débet habere perceptionem. Nam videamus ; sciendum est, imniensum esse discriinon
omnis Entelechia prima habet variationem inter- inter |x;rceptionem hominum et brutorum. Nain
nam, secundum quam etiain variantur actiones ex- praetcr infimnm ]>erccptionis gradum, qui etiam in
teniae. Sed perceptio nihil aliud est, quam illa st ni M MI* il IMS reperitur, (ut cxplicatam est) et mé
ipsa repraescntatio variationis cxternae in interna. dium gradum, queni sousioncm adpellamus, et in
Qnum ergo nbique dispersae sint per materiam En- brutis agnoscimus,datur gradu.s quidam altior, quem
telechiae priinitivac, ut facile ostendi potest ex eo, adpellamus cogitationem. Cogitatio autem est per-
quod principia motus per materiam sunt dispersa; ccptio cum rationc coiijuncta, quam bruta, quan
consequens est, etiam animas ubique per materiam tum observarc possumus, non liabcnt.
dispersas esse, pro organis opérantes; et proinde XIV. Quia autrui ea res hacteims uon bcnc ex-
ctiam cor])ora brntorum organica auima pracdita plicata est, dum alii brutis etiain sensum auferunt;
esse. alii illis ctiam rationcm tribuant, multaqœ exem
IX. Ex his porro intelligi potest, animas sepa- pta atTerunt, in quibus bruta consequcntias quas-
ratas naturaliter non dari, quum enim sint Ente- < lai n nectcre videntur; sciendum est, du plier- esse
lechiae primitivae seu mère activac, opus ha- consccutiones toto coelo diversas, cmpiricas et ra-
bent aliquo principio passive, per quod corn- tionales. Conscquutioncs cinpiricae nobis sunt com
pleantur. munes cnm brutis, et in co consistunt, ut sentions
X. Sed, inquies, corpus orgaaicnm posse de ça, quae aliquotics conjuncta fuisse expert mu est,
LXXI. DE ANIMA BRUTORUM. 465
rnrsus conjnnctum iri expectct. Ita caues aliquo- ! ritum et Arithmcticum aliquem viilgarem, pucros
ties vapulantes, si quid displiccns fecerint, rursus doccntem, qui régulas arithmeticas momoriter didi-
vcrbera expectant, si idem faciant, atquc idco ab cit, sed rationem earum non novit, née proindc in
actioue abstinent; quod cuin infantibns habent quaestionibus nonnihil a consueto rccedentibus sibi
commune. Et Americanus quidam putavit episto- consulere potest: taie est discrinien inter Empiri-
lam proditricein facinoris sui fuisse spectatriceni, cum et Rationalem, inter consecutionem bestia-
quia illi modi aliquid prodeudi, qui ipsi noti erant, rum, et ratiocinationein huinanam. Etiamsi enim
hoc ita ferebant. Sed quia saepe fit, ut talia tan- nui lia exempta succedentia ex|>crianiur: nunquam
tutn per aceidens sint conjuncta, hinc saepc empi- tamcii de perpeUio siiccessu sccuri sumus, nisi ra
rici decipiuntur, prorsus nt bruta; ut scilicet, quod tiones necessarias repcriamus, unde colligamus,
expectaut, non cveniat. Sic si cani aliquid facienti rem aliter se hahcre non ]x>sse. Itaquc brata
déni cibum, id quidem fit per accidens o!> liberam (quantum observarc possumus) non cognoscunt
voluntatem ineam; ubi vero semel assuevit actioni, universalitatem propositionum, quia non cognoscunt
quam eum docere volui, non amplius ei do cibum, rationem nccessitatis. Et licet aliquando Empirici
quum recte agit, etsi ille hoc initie adhuc expectet. per inductiones ducaiitur ad propositions vere uni-
Sic si quis Batavus navem conscendens ia Asiam versales, id tamen per accideus tantum, non vi con-
dcferatur, et in aliquam Turcarum urbem delatus, sccutionis contingit.
ibi cercvisiam in taberna, ut domi suao quacrat, XV. Denique homo a Dco destiuatur ad finein
decipietur codcm modo; exspectabit enim aliquid multo sublimiorem, nempc ad societatem cum ipso;
a taberna, quod cum ea tantum per accidens con- et ideo (ob harmoniain regnorum natiirac et gra-
junctum est, et non aequc in Asiaticis, ac in Bata- tiae) statuendum est, animas humaiias, ima cum
vis tabernis repcritnr. At homo, quatenns non em- organico quodam corporc conservari , non tantum
pirice sed rationaliter agit, non solis fidit cxperi- co modo, ut bruta ; quae fortassc post inortem diu
meotis, aut inductionibus particularium a poste stupent; sed modo nobiliore, ut scnsum et con-
riori, sed procedit a priori per rationes. Et qualc scicntiam rutineaat, pocnacque et pracmii siut ca-
est discrimcn iuter Gcoinctraiu, aut Analysées pc- paccs.
LXXII.
EPISTOLA
AD
1710»
(Epp. ad divers. Ed. Korlholt Vol. 1. p. 197. — Lcibn. Opp. Ed. Dutcns Tum.ll. P.l. p. 226.)
I. Ad ça, qnac de animac natura quaeris, iubciis de vi activa cor|»oris, contra Cl. Sturmium egi. ')
respondeo, quoniam ex dubio, quod moves, intelligo, Ais, me ibi satis materiac vint activam vindicasse,
mentcm moam Tibi nondiim satis jiersiiectam esse, et iliim rcsistentiam matériau tribuo, cidein etiam
idquc praejndicio quodam contigissc, hausto ex
scbediasniate nico, inscrto Actis crnditoruui, ubi ') V. an. L. bu), cd.
466 LXX1I. EPISTOLA AD WACNERUAI.
tribuissc rcactionem, atque aileo et actionna. Quuui etiam ouini Eutelechiae primitivac, seu muni prin-
itaque ubique in materia sit principium activum, cipio vituli perpetuo adjunctam esse quandam na-
videri sufficerc hoc princi|)iuin ad opcrationes bru- turae machiuani, quae nobis corporis organici no-
torum, née illis anima quadatn indefectibiliopns esse. mine vcuit, licet ea machina etiam quum figuram
II. Respondeo primo, principium activum non suam sunimatiui conservât, in fluxu consistât, per-
tribui a me uiateriae nudae sive pritnae, quae mère petuoque reparetur, ut navis Thesei. Neque adeo
passiva est, et in sola antitypia et cxtensiouc con- certi simus vel minimam materiae in nativitate a
sistit ; sed corpori seu materiae vestitac sive secun- nobis acceptae particulam in corpore nostro super
dae, qune praeterea Entclecliiain primitivam seu esse, licet etiam eadem machina subinde plane
principium activum contini't. Respondeo secundo, transformetur, augeatur, diminuatur, iuvolvatur aut
resistentiatn materiae nudae non esse actiouem, sed evolvatur. Itaque non tantnm anima est perennis,
meram passionem, dum iicmpc habet antitypiain,seu sed etiam aliquod animal sem|>er snperest, etsi cer-
impenetrabilitatem, qua qaidem resistit penetraturo, tum aliquod animal pereiine dici non debcat, quia
sed non répercutât, nisi accédât vis elastica; quae species aniinalis non mauct; quemadinodum eruca
ex niotu, adeoque et vi activa materiae snperadclita, et papilii) idem animal non est, etsi eadem sit
derivari débet. Respondeo tertio: Hoc principium anima in utroque. Habet igitur hoc munis naturae
activum, hanc Entelechiam primam, esse rêvera machina, ut i m tiquant sit plane destruibilis, cum
principium vitale , etiam percipiendi facultate prae- crasso tegumcuto utcunque dissipato, semper ma-
ditum, et indéfectible , ob rationes dudum a me chicula nondum destructa subsit, instar vestiuin
allegatas. Idqne ipsum est, quod in brutis pro Arleqnini comici, cui post militas tuuicas exntas,
anima ipsornm habeo. Itaque dum ubique in uia- semper adhuc nova supererat. Quod co minus ini-
teria supcraddita admitto principia activa, etiam rari debemus: quia natura ubiqne orgauica est, et
ubique per eam disseminata statno principia vitalia, a sapientissimo auton;, ad certos fines ordinata, ni-
seu pércipientia, adeoque monades, et ut sic dicam, hilque in natura incultum censeri débet, etsi inter-
Atomos Metaphysicas , partibns carentes, née un- dum non nisi rudis massa nostris sensibus appareat.
quam naturaliter orituras aut destruendas. Ita igitnr eximus omnes difficultates, quae ex na
III. Quaeris deinde dcfinitionem animae meam. tura animae prorsus ab omni materia separatae
Respondeo, posse auimam surai late et stricte. Late nascuntur, ita ut rêvera anima animalve aute nati-
anima idem erit quod vita seu principium vitale, vitatem aut post mortem ab anima aut animali vi-
ncmpe principium actionis internae in re simplici tam praescntem vivente, uon uisi rerum habita et
seu monade existons, cui actio externa respondet. perfectionum gradibus, non vero toto enlinm génère
Isquu corresponsus iiiterui et externi seu repraesen- di lierai. Idemque de Geniis sentio, esse mentes
tatio externi in interne, couipositi in simplice, mul- corpore valde pénétrante, et ad operandum apto,
titudinis in unitate, rêvera perceptionem constituit, praeditas : quod fortasse pro lubitu mutare jwssunt,
At hoc sensu anima non tantuia animalibus, sed et unde etiam animalia appellari non meientur. Ita
omnibus aliis pcrcipientibus tribuetur. Stricte anima que ornnia in natura sunt analogica, et facile ex
sumitur pro spccie vitae nobiliore, seu pro vita sen- crassis subtilia intelligi possunt, quum utraque eo-
sitiva, ubi non nnda est facultas percipiendi, sed et detn modo se habeant. Soins Dons substautia est
praeterea sentiendi, quaudo nempe perceptioni ad- vere a materia separata, quum sit actus purus, nulla
jungitur attentio et memoria. Quemadmodum vi- patiendi potentia praeditus, quae ubicunque est,
cissim mens est species animae nobilior, uempe materiam constituit. Et vero omnes substantiae
mens est anima rationalis, ubi sensioui accedit ra creataehabentantitypiam,perquam fit naturaliter,Dt
tio seu consequutio ex universalitate veritatmn. Ut uua sit extra alteram, adeoque penetratio excludatur.
crgo mens est anima rationalis, ita anima est vita V. Etsi autem principia mea siut gcneralissima,
sensitiva, et vita est principium perceptivum. Osten- née minus in homiuc quarn in brutis locuni halx-ant,
di autrui exemplis et rationibus, non omnem mirifice tamen prac brutis emiuct homo, et ad
perceptionem esse sensionem, sed dari perceptionem Gcnios accedit, quia ob rationis usum societatis cum
etiam insensibilium. Ex. gr. non possem sentire Deo, atque adeo praemii et poeuae in divina guber-
viride, nisi perciperem caerulenm et flavnm, ex qui- natione est capax. Itaque non tantum vitam et
bas résultat. Intérim caeruleum et flavum non sen- animant, ut bruta, sed et conscientiam sui, et me-
tio, nisi forte microscopium adhibeatur. moriaui pristini status, et ut verbo dicam, perso-
IV. Memiueris autem, ex sententia inea, non nain servat. Née tantum physice, sed etiam mora-
tantum oinnesVitas, omnes Animas, omnes Mentes, liter est immortalis : unde stricto sensu soli Huuta-
omnes Enlelccbias primitivas esse pereuues, sed uac Animae immoi taliias tribuitur. Naui uisi sciiX't
LXXII. EPISTOLA AD WAGNERUM. 467
hoino, in altéra vita pocnas aut praemia sibi tril>ui deuntc etiam praemia et poenae locnm babent. Ita
ob liane vitaui, rêvera nulla csset poeoa, nullutn que Salvator ipso mortem somno comparavit. Bru-
praemiuiu, et pcribde foret, quoad rein morale»), tis autem divinae societatis et juris incapacibus,
ac si me extincto alius felicior aut infclicior sûcces- personae conservatio, et moralis immortalitas tri-
sisset. Itaque statuo animas quidem in animalculis btii non potest.
seminalibns inde ab initio rerum latentes non esse VI. Itaque non est, quod qais ex bac doctrina
rationales, donec per conceptnni ad vitam huma- consequentias periculosas vereatur: qnum potins
uam destinentur: ubi vero semel rationales factae Theologia naturalis vera, veritati revelatae non so-
saut, et conscientiae ac socictatis cuin Dco capaces j lum non repugnans, sed etiam mirifice favens, ex
redditae, sentie, numqoam eas deponere persouam meis principiis pulcherrima ratione demonstretnr.
civis in Republica Dei, quae quum justissime et pul- Qui vero brutis animas, aliisque materiae partibus
clierrirae regatur, consequenscst, ut per ipsasnaturae omnem perceptioncm et organismum negant, illi di-
Iege8,obparallelismumregni gratiae etnaturac, Ani- vinain majestatem non satis agnoscunt, introdncen-
mae vi snarum actionuui ad praemia et poeaas red- tes aliquid indignum Deo, et incultum, neiupe va-
dantur aptiores. Eoque sensu dici potest, virtutem c'iium perfectionum seu formarnm, quod metaphy-
sibi ipsi praemiuui, scelus sibi ipsi poenatn adferre, sicum appellare possis, non minus rejiciendum,
quia naturali quadam consequentia pro ultimo ani- quam vacuum materiae seu physicurn. Qui vero
mae statn, prout expiata aut non expiata decedit, animas veras perceptiouemque dant brntis, et tamen
naturale quoddarn oritur divergium , a Deo in na- animas eorum naturaliter perire posse statuunt,
tura praeordinatom, et divinis promissis tninisque, etiam demonstrationem nobis tollnnt, per qnam
ac gratiae justitiaeque consentaneum; Geniorum ostenditur, mentes nostras naturaliter perire non
etiam bonorum malorumque accedente interventu, posse, et in Socinianorum dogma incidunt, qui ani
pront alterutris nos sociavimus, quorum operationes mas non nisi miraculose seu per gratiam conservari
utique siail naturales, etsi natura eorum nostra sit putant, natnra autem perire debere arbitrantur;
sublimior. Videmus sane hominetn a somno pro- quod est Theologiam naturalem maxima sui parte
fundo evigilantem, imo etiam ab apnplexia ad se mntilare. Praeterea contrarium utique demonstra-
reversum memoriam status pristini recuperare so- tum est, quia substantia carens i>artibus destrui na
lere. Idem de morte dicemlum est, qnae perceptio- turaliter non potest. Vale et fave. Dabain Guel-
nes nostras turbatas et confusas reddere potest, ferbyti 4. Junii 1710.
clelere plane ex memoria non potest, cujus usu re-
LXXUI.
ESSAIS DE THÉODICÉE
SUR LA BONTÉ DE DIEU, LA LIBERTÉ DE L'HOMME
* ET L'ORIGINE DU MAL.
1710.
(Kdil. Ire Anist. 1710 8vo. — Edil. lime augmentée de l'IiUloire de la vie et des Ouvrage» de l'auteur par
Mr. le Chevalier de Jaucourt Amsl. 17-17. 8vo.)
PRÉFACE.
On a vn île tout tenis que le commun des hom seule espèce de formalités ; ils avoient des Cérémo
mes a mis la dévotion dans les formalités: la so nies dans leur culte, mais ils ne connoissoient point
lide piété, c'est-à-dire la lumière et la vertu, n'a d'articles de foi, et n'avoient jamais songé à dresser
jamais été le partage du grand nombre. Il ne faut des formulaires de leur Théologie dogmatique. Ils
point s'en étonner, rien n'est si conforme à la foi- ne savoient point si leurs Dieux étoient de vrais
blesse humaine; nous sommes frapi)és par l'exté personnages, ou des symboles des puissances natu
rieur, et l'interne demande une discussion, dont peu relles, comme du Soleil, des Planètes, des Elémens.
de gens se rendent capables. Comme la véritable Leurs Mystères ne consistoient point dans des dog
piété consiste dans les sentimens et dans la prati mes difficiles, mais dans certaines pratiques secrètes,
que, les formalités de dévotion l'imitent, et où les profanes, c'est-à-dire ceux qui n'étoient point
sont de deux sortes; les unes reviennent aux cé initiés, ne dévoient jamais assister. Ces pratiques
rémonies de la pratique, et les antres aux étoient bien souvent ridicules et absurdes, et il
formulaires de la croyance. Les cérémonies falloit les cacher pour les garantir du mépris. Les
ressemblent aux actions vertueuses, et les formulai Payens avoient leurs superstitions, ils se vantoient
res sont comme des ombres de la vérité, et appro de miracles; tout étoit plein chez eux d'oracles,
chent plus ou moins de la pure lumière. Toutes d'augures, de présages, de divinations; les Prêtres
ces formalités seraient louables, si ceux qui les ont inventaient des marques de la colère ou de la bonté
inventées les avoient rendues propres à maintenir des Dieux, dont ils prétendoient être les interprètes.
et à exprimer ce qu'elles imitent ; si les cérémonies Cela tcndoit à gouverner les esprits par la crainte
religieuses, la discipline Ecclésiastique, les règles et par l'espérance des évènemens humains; mais
des Communautés, les Loix humaines, étoient tou le grand avenir d'une autre vie u'étoit guères envi
jours comme une haie à la Loi divine, poar nous sagé, on ne se mettoit point m peine de donner
éloigner des approches du vice, nous accoutumer au aux hommes de véritables sentimens de Dieu et de
bien, et pour nous rendre la vertu familière. C'était l'Ame.
le but de Moïse, et d'autres bons Législateurs, des De tous les anciens Peuples, on ne connoit que
sages Fondateurs des Ordres Religieux, et surtout les Hébreux qui aient eu des dogmes publics de leur
de Jésus Christ, divin Fondateur de la Religion la Religion. Abraham et Moïse ont établi la croyance
plus pure et la plus éclairée. 11 en est autant des d'un seul Dieu, source de tout bien, Auteur de ton
formulaires de créance; ils seroicnt passables, s'il tes choses. Les Hébreux en parlent d'une manière
n'y avoit rien qui ne fût conforme à la vérité salu très digne de la Souveraine Substance, et on est sur
taire, quand même toute la vérité dont il s'agit n'y pris de voir des hahitans d'un petit canton de la
serait pas. Mais il n'arrive que trop souvent, que Terre plus éclairés que le reste du genre humain.
la dévotion est étouffée par des façons, et que la Les sages d'autres nations en ont peut-être dit au
lumière divine est obscurcie par les opinions des tant quelquefois, mais ils n'ont pas eu le bonheur
hommes. de se faire suivre assez, et de faire passer le dogmo
Les Payens, qui remplissoicut la Terre avant en loi. Cependant Moïse n'avoit point fait entrer
l'établissement du Christianisme, n'avoient qu'une dans ses Loix la doctrine de l'immortalité des âmes:
LXX1II. THKOD1CKE. PRKFACE. 409
elle étoit conforme à ses sentimens, elle s'enscig- et même la véritable félicité, consiste dans l'amour
noit de niiiin en main, mais elle n'étoit point auto- de Dieu, mais dans un amour éclairé, dont l'ardeur
ri-ri- d'une rtianière populaire, jusqu'à ce que Jésus- soit accompagnée de lumière. Cette espèce d'amour
Christ leva le voile, et sans avoir la force en main, fait naître ce plaisir dans les bonnes actions qui
enseigna avec toute la force d'un Législateur, que donne du relief à la vertu, et rapportant tout à Dieu,
les âmes immortelles passent dans une autre vie, où comme au centre, transporte l'humain au divin. Car
elles doivent recevoir le salaire do leurs actions. en faisant son devoir, en obéissant à la Raison, on
Moïse avoit déjà donné les belles idées de la gran- remplit les ordres de la suprême Raison, on dirige
di'ur et de la bonté de Dien, dont beaucoup de Na toutes ses intentions au bien commun, qui n'est
tions civilisées conviennent aujourd'hui : mais Jésus- point différent de la gloire de Dieu; l'on trouve
Christ en établissoit toutes les conséquences, et il fai- qu'il n'y a point de plus grand intérêt particulier
soitvoir que la bonté et la justice divineéclatent par- > que d'épouser celui du général, et on se satisfait à
faitement dans ce que Dieu prépare aux âmes. Je ' soi-même en se plaisant à procurer les vrais avan
n'entre point ici dans les autres jiomts do la Doc- i tages des hommes. Qu'on réussisse on qu'on ne
trine Chrétienne, et je fais seulement voir comment réussisse pas, on est content de ce qui arrive, quand
Jésus -Christ acheva de faire passer la Religion na on est resigné à la volonté de Dien, et quand ou
turelle en loi, et do lui donner l'autorité d'un dogme sait que ce qu'il veut est le meilleur: mais avant
public. 11 fit lui seul ce que tant de Philosophes qu'il déclare sa volonté par l'événement, on tâche
avoient en vain tâché de faire: et les Chrétiens de la rencontrer, en faisant ce qui paroît le plus
ayant enfin eu le dessus dans l'Empire Romain, conforme à ses ordres. Quand nous sommes dans
maître de la meilleure partie de la terre connue, cette situation d'esprit, nous ne sommes point re
la Religion des Sages devint celle des peuples. Ma butés par les mauvais succès, nous n'avons du re
homet depuis ne s'écarta point de ces grands dog gret que de nos fautes ; et les ingratitudes des hom
mes de la Théologie naturelle: ses Sectateurs les mes ne nous font point relâcher de l'exercice de
répandirent même parmi les nations les plus recu notre humeur bienfaisante. Notre charité est hum
lées de l'Asie et de l'Afrique, où le Christianisme ble et pleine de modération, elle n'uffecte point do
n'avoit point été porté; et ils abolirent en bien des régenter: également attraits à nos défauts, et aux
pays les superstitions payennes, contraires à la vé taleus d'autrui, nous sommes portés à critiquer nos
ritable doctrine de l'unité de Dien, et de l'immor actions, et à excuser et redresser celles d«s autres;
talité des âmes. c'est pour nous perfectionner nous-mêmes, et pour no
L'on voit que Jésus-Christ, achevant ce que Moïse faire tort à personne. Il n'y a point de piété, où il
avoit commencé, a voulu que la Divinité fût l'objet, n'y a point de charité; et sans être officieux et bien
non seulement de notre crainte et de notre vénéra faisant, on ne sauroit faire voir une dévotion sincère.
tion, mais encore de notre amour et de notre ten Le bon naturel, l'éducation avantageuse, la fré
dresse. C'étoit rendre les hommes bienheureux par quentation de (wrsonnes pieuses et vertueuses, peu
avance, et leur donner ici -bas un avant-goût de la vent contribuer beaucoup à mettre les aines dans
félicité future. Car il n'y a rien de si agréable que cette belle assiette; mais ce qui les y attaclie le
d'aimer ce qui est digne d'amour. L'amour est cette plus, ce sont les bons principes. Je l'ai déjà dit,
affection qui nous fait trouver du plaisir dans les il faut joindre la lumière à l'ardeur, il faut que les
perfections de ce qu'on aime, et il n'y a rien de plus perfections de l'entendement donnent l'accomplisse
parfait que Dieu , ni rien de plus charmant. Pour ment à celles de la volonté. Les pratiques de la
l'aimer, il suffit d'en envisager les perfections; ce Vertu, aussi bien que celles du Vice, peuvent être
qui est aisé, parce que nous trouvons en nous leurs l'effet d'une simple habitude; on y peut prendre
idées. Les perfections de Dieu sont celles de nos goût: mais quand la Vertu est raisonnable, quand
aines, mais il les possède sans bornes: il est un elle se rapporte à Dieu qui est la suprême Raison
Océan, dont nous n'avons reçu que des gouttes: il des choses, elle est fondée eu conuoissance. On ne
y a en nous quelque puissance, quelque connoissance, sauroit aimer Dieu, sans en connoitre les per
quelque bonté; mais elles sont toutes entières en fections, et cette connoissance renferme les prin
Dieu. L'ordre, les proportions, l'harmonie nons cipes de la véritable piété. Le but de la
enchantent, la Peinture et la Musique en sont des vraie Religion doit être de les imprimer dans
échantillons; Dieu est tout ordre, il garde toujours les âmes: mais je ne sais comment il est arrivé
la justesse des proportions, il fait l'harmonie univer- bien souvent, que les hommes, que les Docteurs de
selte : tonte la beautéest un épanchement de ses rayons. la Religion se sont fort écartes de ce but. Contre
Il s'ensuit manifestement que la véritable piété, l'intention de notre Divin Maître, la dévotion a été
60
470 LXXIII. THÉOD1CÉE. PRÉFACE.
ramenée aux cérémonies, et la Doctrine a été char usage devroit être le renversement de ces positions
gée de formules. Bien souvent ces cérémonies n'ont mêmes. Mais si la connoissauce de la Continuité
pas été bien propres à entretenir l'exercice de la est importante pour la spéculation, celle de la Né
Vertu, et les formules quelquefois n'ont pas été cessité ne l'est pas moins pour la pratique; et ce
bien lumineuses. Le croiroit-on? des Chrétiens se sera l'objet de ce Traité, avec les points qui y sont
sont imaginés tic pouvoir être dévots sans aimer liés, savoir la liberté de l'Hommeet la Justice de Dieu.
leur prochain, et pieux sans aimer Dieu; ou bien Les hommes presque de tout terns ont été tron-
on a cru pouvoir aimer son prochain sans le servir, blés par un sophisme, que les Anciens appelloient
et pouvoir aimer Dieu sans le connoltre. Plusieurs la Raison paresseuse, parce qu'il alloit à ne
Siècles se sont écoulés, sans que le Public se soit rien faire, ou du moins à n'avoir soin de rien, et à
bien apperçn de ce défaut; et il y a encore de ne suivre que le penchant des plaisirs présens. Car,
grands restes du règne des ténèbres. On voit quel disoit-on, si l'avenir est nécessaire, ce qui doit arri
quefois des gens qui parlent fort de la piété, de la ver arrivera, quoique je puisse faire. Or l'avenir
dévotion, de la Religion, qui sont même occupés à (disoit-on) est nécessaire, soit parce que la Divinité
les enseigner; et on ne les trouve guères bien in prévoit tout, et le préétablie même, en gouvernant
struits sur les perfections divines. Ils conçoivent toutes les choses de l'Univers; soit parce que tout
mal la bonté et la justice du Souverain de l'Univers; arrive nécessairement, par l'enchaînement descauses;
ils se figurent un Dieu, qui ne mérite point d'être soit enfin par la nature même du la vérité, qui est
imité, ni d'être aimé. C'est ce qui m'a paru de déterminée dans les énonciations qu'on peut former
dangereuse conséquence, puisqu'il importe extrême sur les évènemeus futurs, comme elle l'est dans tou
ment que la source même de la piété uc soit point tes les antres éuonciations, puisque renonciation doit
infectée. Les anciennes erreurs de ceux qui ont ac toujours être vraie ou fausse en elle même, quoique
cusé la Divinité, ou qui en on l'ait un Principe mau nous ne commissions pas toujours ce qui en est. Et
vais, ont été rcnouvoilées quelquefois de nos jours: toutes ces raisons de détermination, qui paraissent
ou a eu recours à la puissance irrésistible de Dieu, différentes, concourent enfin comme des lignes à
quand il s'agissoit plutôt de faire voir sa bouté su un même centre: car il y a une vérité dans l'événe
prême; et on a emplo^ un pouvoir despotique, ment futur, qui est prédéterminée par les causes, et
lorsqu'on devoit concevoir une puissance réglée Dieu l'a préétabli en établissant ces causes.
jiar la plus parfaite sagesse1. J'ai remarqué que L'idée mal entendue de la Nécessité, étant em
ces scntimens, capables de faire du tort, étoient ployé dans la pratique, a fait naître ce que j'appelle
appuyés particulièrement sur des notions einbaras- Fatum Mahuinetanunt, le Destin à la Turque;
sées, qu'on s'étoit formé touchant la Liberté, la Né parce qu'on impute aux Turcs de ne pas éviter les
cessité, et le Destin ; et j'ai pris la plume plus d'une dangers, et de ne pas même quitter les lieux infec
fois dans les occasions, pour donner des éclaircisse- tés de la peste, sur des raisonuemens semblables à
inens sur ces matières importantes. Mais enfin ceux qu'on vient de rapporter. Car ce qu'on appelle
j'ai été obligé de ramasser mes pensées sur tous ces Fatum Stoïcum n'étoit pas si noir qu'on le fait:
sujets liés ensemble, et d'en faire part au Public. il ne détournoit pas les hommes du soin de leurs
C'est ce que j'ai entrepris dans les Essais, que je affaires ; mais il tendoit à leur donner la tranquillité
donne ici, sur la bonté de Dieu, la liberté à l'égard des évènemens, par la considération de la
de l'Homme, et l'orgine du niai. nécessité, qui rend nos soucis et nos chagrins inuti
Il y a deux Labyrinthes fameux, ou notre Rai les: en quoi ces Philosophes ne s'éloignoient pas
son s'égare bien souvent: l'uu regarde la grande entièrement de la doctrine de notre Seigneur, qui
Question du Libre et du Nécessaire, sur-tout dissuade ces soucis par rapport au lendemain, en
dans lu production et dans l'Orgine du M a 1 ; l'au les comparant avec les peines inutiles que se don-
tre consiste dans la discussion de la Continuité, neroit un homme qui travaillerait à agrandir sa taille.
et des indivisibles, qui en paroissent les Ele- Il est vrai que- les cnseignemens des Stoïciens
raens, et où doit entrer la considération de l'In (et peut être aussi de quelques Philosophes célèbres
fini. Le premier embarasse presque tout le Genre- de notre teins) se bornant à cette nécessité préten
humain, l'antre n'exerce que les Philosophes. J'au due, ne peuvent donner qu'une patience forcée; au
rai peut-être une autre fois l'occasion de m'expli lieu que Notre Seigneur inspire des pensées plus
quer sur le second, et de faire remarquer, que faute sublimes, et nous apprend même le moyen d'avoir
de bien concevoir la nature de la substance et de la du contentement, lorsqu'il nous assure que Dieu,
matière, on a fait de fausses positions, qui mènent parfaitement bon et sage, ayant soin de tout, jus
h des difficultés insurmontables, dont le véritable qu'à ne point négliger un cheveu de notre tête, no
LXIII. THEODICEE. PREFACE. 471
tre confiance en lui doit être eutièro: de sorte que Devins, où les hommes donnent aussi facilement que
nous verrions, si nons étions capables de le com dans la Pierre philosophale; parcequ'ils voudraient
prendre, qu'il n'y a pas même moyen de souhaiter des chemins abrégés, pour aller au bonheursans peine.
rien de meilleur (tant absolument que pour nous) Je ne parle pas ici de ceux qui s'abandonnent à
que ce qu'il fait. C'est comme si l'on disoit aux la fortune, parcequ'ils ont été heureux auparavant,
hommes: Faites votre devoir, et soyez contons de comme s'il y avoit là-dedans quelque chose do fixe.
ce qui en arrivera, non seulement parceqtie vous Leur raisonnement du passé à l'avenir est aussi peu
ne sauriez résister à la Providence Divine, ou à la fondé que les principes de l'Astrologie et des autres
nature des choses, (ce qui peut suffire pour être Divinations; et ils ne considèrent pas qu'il y a or
tranquille, et non pas pour être content) 'mais dinairement un flux et reflux dans la fortune, una
encore parceque vous avez à faire à un bon Maître. Et marea, comme les Italiens jouant à la Bassette
c'est ce qu'on peut appeller Fatum Christianiim. ont coutume de l'appeller, et ils y font des obser
Cependant il se trouve que la plupart des hom vations particulières, auxquelles je ne conseillerais
mes, et même des Chrétiens, font entrer dans leur pourtant à personne de se trop fier. Cependant cette
pratique quelque mélange du Destin à la Turque, confiance qu'on a en sa fortune sert souvent à don
quoiqu'ils ne le reconnoissent pas assez. Il est vrai ner du courage aux hommes, et surtout aux Soldats,
qu'ils ne sont pas dans l'inaction et dans la négli et leur fait avoir effectivement celle bonne fortune
gence, quand des périls évidens, ou des espérances qu'ils s'attribuent, comme les prédictons font sou
manifestes et grandes se présentent; car ils ne vent arriver ce qui a été prédit, et comme l'on dit que
manqueront pas de sortir d'uuc maison qui va tom l'opinion que les Mahométans ont du Destin les'rend
ber, et de se détourner d'un précipice qu'ils voient déterminés. Ainsi les erreurs mêmes ont leur utilité
dans leur chemin; et ils fouilleront dans la ierrc quelquefois; mais c'est ordinairement pour remédier
pour déterrer un trésor découvert à demi , sans at à d'autres erreurs, et la Vérité vaut mieux absolument.
tendre que le Destin achève de le faire sortir. Mais Mais on abuse sur -tout de cette prétendue né
quand le bien. ou le mal est éloigné et douteux, et cessité du Destin, lorsqu'on s'en sert pour excuser
le remède pénible, ou peu à notre goût, la raison nos vices et notre libertinage. J'ai souvent ouï dire
paresseuse nous paroit bonne: par exemple, quand à de jeunes gens éveillés, qui vouloient faire un
il s'agit de conserver sa santé et même sa vie par peu les Esprits - forts, qu'il est inutile de prêcher la
un bon régime, les gens à qui on donne conseil là- Vertu, de blâmer le Vice, de faire espérer îles ré
dessus, répondent bien souvent que nos jours sont compenses et de faire craindre des chàtimens, puis
coniptés, et qu'il ne sert de rien de vouloir lutter qu'on peut dire du Livre des destinées , que ce
contre ce que Dieu nous destine. Mais ces mêmes qui est écrit, est écrit, et que notre conduite n'y
personnes courent aux remèdes même les plus ri saurait rien changer; et qu'ainsi le meilleur est de
dicules, quand le mal qu'ils avoieut négligé ap suivre son penchant, et de ne s'arrêter qu'à ce qui
proche. On raisonne à peu près de la même façon, peut nous contenter présentement. Ils ne faisoicnt
quand la délibération est un peu épineuse, comme point réflexion sur les conséquences étranges de cet
par exemple lorsqu'on se demande, quod vitae argument, qui prouverait trop, puisqu'il prouverait
sectabor iter? quelle profession on doit choisir; (par exemple) qu'on doit prendre un breuvage
quaud il s'agit -d'un mariage qui se traite, d'une agréable, quand on sauroit qu'il est empoisonné.
guerre qu'on doit entreprendre, d'une nataille qui Car par la même raison (si elle étoit valable) je
se doit donner ; car en ces cas plusieurs seront por pourrais dire: s'il est écrit dans les Archives des
tés à éviter la peine de la discusssiou et à s'aban Parques, que le poison me tuera à présent, ou me
donner au sort, ou au penchant, comme si la raison fera du mal, cela arrivera, quand je ne prendrais
ne devoit être employée que dans les cas faciles. point ce breuvage; et si cela n'est point écrit, il
()n raisonnera alors à la Turque bien souvent (quoi n'arrivera point, quand même je prendrais ce même
qu'on appelle cela mal - à - propos se remettre à la breuvage; et par conséquent je pourrai suivre im
Providence, ce qui a lieu proprement, quand on a punément mon penchant à prendre ce qui est
satisfait à son devoir) et on cmployera la Raison pa agréable, quelque pernicieux qu'il soit: ce qui ren
resseuse, tirée du Destin irrésistible, pour s'exempter ferme une absurdité manifeste. Cette objection les
de raisonner comme il faut; sans considérer que si arrêtoit un peu, mais ils revcnoient toujours à leur
ce raisonnement contre l'usage de la Raison étoit raisonnement, tourné en différentes manières, jus
bon, il auroit toujours lieu, soit que la délibération qu'à ce qu'on leur fit comprendre, en quoi consiste
fût facile ou non. C'est celte paresse qui est en le défaut du Sophisme. C'est qu'il est faux que
]>artie la source des pratiques superstitieuses des i l'événement arrive quoi qu'on fasse; il arrivera,
60e
472 LXXIll. THEODICEK. PREFACE.
parcequ'ou fait ce qui y mène; et si l'événement ferme aux dogmes révélés, qui nous enseignent
est écrit, la cause qui le fera arriver est écrite aussi. l'existence d'un seul Dieu, parfaitement bon, par
Ainsi la liaison des effets et des causes, bien loin faitement puissant, et parfaitement sage. Mais
d'établir la doctrine d'une nécessité préjudicabte à beaucoup de Lecteurs qui seraient persuadés de l'in
la pratique, sert à la détruire. solubilité de ses objections, et qui les croiraient
Mais sans avoir des intentions mauvaises et por pour le moins aussi fortes que les preuves de la
tées au libertinage, on peut envisager autrement vérité de la Religion, en tireraient des conséquences
les étranges suites d'une nécessité fatale; en consi pernicieuses.
dérant qu'elle détruiroit la liberté de l'arbitre, si Quand il n'y anroit point de concours de Dieu
essentielle à la moralité de Faction; puisque la j aux mauvaises actions, on ne laisseroit pas de trou-
justice et l'injustice, la louange et le blùme, la ' ver de la difficulté en ce qu'il les prévoit, et qu'il
peine et la récompense ne sauraient avoir lieu par I les permet, les pouvant empêcher par sa tonte-
rapport aux actions nécessaires, et que personne ne puissance. C'est ce qui fait que quelques Philoso-
pourra être obligé à faire l'impossible, ou à ne point j plies , et même quelques Théologiens , ont mieux
faire ce qui est nécessaire absolument. Ou n'aura aimé lui refuser la connoissance du détail des cho
pas l'intention d'abuser de cette réflexion pour fa ses, et sur-tout des évèncmens futurs, que d'accor
voriser le dérèglement, mais on ne laissera pas de der ce qu'ils croyoient choquer sa bonté. Les So-
se trouver etnbarassé quelquefois quand il s'agira de ciniens et Conrad Vorstius penchent de ce côté-là;
juger des actions d'autrui, ou plutôt de répondre et Thomas Bonartes Jésuite Anglois pseudonyme,
aux objections, parmi lesquelles il y en a qui re mais fort savant, qui a écrit un Livre de Concor-
gardent même les actions de Dieu, dont je parlerai dia scientiac cnin fide, dont je parlerai plus
tantôt. Et comme une nécessité insurmontable bas, paroit l'insinuer aussi.
ouvriroit la porte à l'impiété, soit par l'impunité i Ils ont grand tort sans doute; mais d'autres n'en
qu'on en pourroit inférer, soit par l'inutilité qu'il- y ont pas moins, qui persuadés que rien ne se fait
auroit de vouloir résister à un torrent qui entraîne sans la volonté et sans la puissance de Dieu, lui
tout; il est important de marquer los différons de ! attribuent des intentions et des actions si indignes
grés de la nécessité, et de faire voir qu'il y en a [ du plus grand et du meilleur de tous les Etres, qu'on
qui ne sauraient nuire, comme il y en a d'au diroit que ces Auteurs ont renoncé en effet au dogme
tres qui ne sauraient être admis sans donner I qui reconooit la justice et la bouté de Dieu. Ils
lieu à de mauvaises conséquences. • ont cru qu'étant souverain Maître de l'Univers, il
Quelques - uns vont encore plus loin : ne se con pourroit sans aucun préjudice de sa sainteté faire
tentant pas de se servir du prétexte de la nécessité commettre des péchés, seulement parceque cela lui
pour prouver que la Vertu et le Vice ne font ni plaît, ou pour avoir le plaisir de punir; et même
bien ni mal, ils ont la hardiesse de faire la Divi qu'il pourroit prendre plaisir à affliger éternellement
nité complice de leurs désordres, et ils imitent les des innocens, sans faire aucune injustice, parcequo
anciens Payens, qui attribuoieut aux Dieux la cause personne n'a droit ou pouvoir de controller ses ac
de leurs crimes, comme si une Divinité les pous- tions. Quelques-uns même sont allés jusqu'à dire
soit à mal faire. La Philosophie des Chrétiens, qui que Dieu en use effectivement ainsi; et sous pré
reconnoit mieux que celle des Anciens la dépen texte que nous sommes comme un rien par rapport
dance des choses du premier Auteur, et son cou- à lui, ils nous comparent avec les vers de terre, que
cours avec toutes les actions des Créatures, a paru les hommes no se soucient point d'écraser en mar
augmenter cet embarras. Quelques habiles gens chant; ou en général avec les animaux qui ne sont
de notre terns en sont venus jusqu'à ôter toute ac pas de notre espèce, que nous ne nous faisons aucun
tion aux Créatures; et Mr. Bayle, qui dounoit un scrupule de maltraiter.
peu dans ce sentiment extraordinaire, s'en est servi Je crois que plusieurs personnes, d'ailleurs bien
pour relever le dogme tombé des deux Principes, intentionnées, donnent dans ces pensées, parccqu'ils
ou de deux Dieux, l'un bon, l'autre mauvais, comme n'en conuoissent pas assez les suites. Ils ne voient
si ce dogme satisfaisoit mieux aux difficultés sur pas que c'est proprement détruire la justice de Dieu;
l'origine du mal; quoique d'ailleurs il roconnoisse car quelle notion assignerons-nous à une telle espèce
que c'est un sentiment insoutenable, et que l'unité de justice, qui n'a qua la volonté pour règle;
du Principe est fondée incontestablement en raisons c'est à dire, où la volonté n'est p>as dirigée
à priori; mais il en veut inférer que notre Raison par les règles du bien, et se porte même directe
se confond, et ne saurait satisfaire aux objections, ment au mal? à moins que ce ne soit la notion
et qu'on ne doit pas laisser pour cela de se tenir contenue dans cette définition tyrannique de Thra
LXXIU. THEODICEE. PREFACE. 473
sioiaque chez Platon, qui disoit que juste n'est d'en être étonné.' Et il ue suffit pas (ce semble)
antre chose que ce qui plaît au plus puissant. A quoi de dire avec quelques-uns que la grâce interne
reviennent, sans y penser, ceux qui fondent toute est universelle et égale pour tous, puisque ces mê
l'obligation sur la contrainte, et prennent par con mes Auteurs sont obligés de recourir aux exclama
séquent la puissance pour la mesure du droit : Mais tions de S. Paul, et de dire, 0 profondeur!
on abandonnera bientôt des maximes si étranges, quand ils considèrent, combien les hommes sont
et si peu propres à rendre les hommes bons et cha distingués par les Grâces externes, pour ainsi dire,
ritables par l'imitation de Dieu lorsqu'on aura bien c'est à dire, qui paraissent dans la diversité des
considéré qu'un Dieu qui se plairoit au mal d'ami ni, circonstances que Dieu fait naître, dont les hommes
ne saurait être distingué du mauvais Principe des ne sont point les mnitres, et qui ont pourtant une
Manichéens, supposé que ce Principe fût devenu si grande influence sur ce qui se rapporte à leur salut.
seul Maître de l'Univers; et que par conséquent il Ou ne sera pas plus avancé pour dire avec S. Au
faut attribuer au vrai Dieu des sentimeus qui le gustin, que les hommes étant tous compris sous la
rendent digne d'être appelé le bon Principe. damnation par le péché d'Adam, Dieu les pouvoit
Par bonheur ces dogmes outrés ne subsistent pres tous laisser dans leur misère, et qu'ainsi c'est par
que plus parmi les Théologiens: cependant quel une pure bouté qu'il eu retire quelques-uns. Car
ques Personnes d'esprit, qui se plaisent à faire des outrequ'ilestétrangequelepéchéd'autnii doive dam
difficultés, les font revivre : ils cherchent à augmen ner quelqu'un ; la question demeure toujours, pour
ter notre embarras, en joignant les controverses quoi Dieu ne les retire pas tous, pourquoi il en retire
que la Théologie Chrétienne fait naître, aux con la moindre partie, et pourquoi lesunspréférablemeut
testations de la Philosophie. Les Philosophes ont ! aux autres. Il est leur maître, il est vrai ; mais il est
considéré les questions de la Nécessité, de la Li un Maître bon et juste: son pouvoir est absolu, mais
berté, et de l'Orgiue du Mal; les Théologiens y sa sagesse ne |>criiiut |>as qu'il l'exerce d'une manière
ont joint celles du Péché Originel, de la Grâce et arbitraire et despotique, qui serait tyranniqueen effet.
de la Prédestination. La corruption originelle du De plus, la chute du premier homme n'étant
Genre-humain, venue du premier péché, n^Bparoit arrivée qu'avec ]>ermission de Dieu et Dieu n'ayant
avoir imposé une nécessité naturelle de pécher, sans résolu de la permettre qu'après en avoir envisagé
le secours de la Grâce Divine: mais la nécessité les suites, qui sont la corruption de la masse du
étant incompatible avec la punition, on inférera Genre-humain, et le choix d'un petit nombre d'Elus,
qu'une Grâce suffisante devroit avoir été donné à avec l'abandon de tous les autres; il est inutile de
tous les hommes; ce qui ne paroit pas trop confor dissimuler la difficulté, en se bornant à la masse
me à l'expérience. déjà corrompue; puis qu'il faut remonter, malgré
Mais la difficulté est grande, sur-tout par rap qu'on en ait, à la connoissance des suites du pre
port à la destination de Dieu sur le salut dos hom mier péché, antérieure au Décret, par lequel Dieu
mes. Il y en a peu de sauvés ou d'élus; Dieu n'a l'a permis, et par lequel il a permis en même tems, que
clone pas la volonté décrétoire d'en élire beaucoup. les réprouvés seroient enveloppés dans la masse de
Et puisqu'on avoue que ceux qu'il a choisis ne le i perdition, et n'en seroient point retirés: car Dieu
méritent pas plus que les autres, et ne sont pas et le Sage ne résolvent rien, sans en considérer les
même moins mauvais dans le fond, ce qu'ils ont de conséquences.
lion ne venant que du don de Dieu; la difficulté On espère de lever toutes ces difficultés. On fera
en est augmentée. Où est donc sa bonté ! La par voir que la Nécessité absolue, qu'on appelle
tialité ou l'acception des personn es va contre aussi Logique et Métaphysique, et quelquefois Géo
la justice; et celui qui bome sa bonté sans sujet, métrique, et qui seroit seule à craindre, ne se trouve
n'en doit pas avoir assez. Il est vrai que ceux qui point dans les actions libres. Et qu'ainsi la Liberté
ne sont point élus, sont perdus par leur propre est exempte, non seulement de la contrainte, mais
faute, ils manquent de bonne volonté ou de la foi encore de la vraie nécessité. On fera voir que Dieu
vive ; mais il ne tenoit qu'à Dieu de la leur donner. même, quoiqu'il choisisse toujours le meilleur, n'agit
L'on fait qu'outre la grâce interne, ce sont ordinai point par une nécessité absolue; et que les loix de
rement les occasions externes qui distinguent les la Nature que Dieu lui a prescrites, sur la conve
hommes, etque l'éducation, la conversation, l'exemple nance, tiennent le milieu entre les vérités Géomé
corrigent souvent ou corrompent le naturel. Or ! triques, absolument nécessaires, et les Décrets ar
Dieu faisant naître des circonstances favorables aux bitraires; ce que Mr. Bayle, et d'autres nouveaux
ans, et abandonnant les autres à des rencontres qui Philosophes n'ont pas assez compris. On fera voir
contribuent à leur malheur, n'aura-t-on pas sujet aussi qu'il y a une indifférence dans la liberté, par
474 LXXIII. THEODICEE. PREFACE.
ccqu'il n'y a point île nécessite absolue pour l'une s'exercer en entrant avec lui dans le détail. On
ou pour l'autre part; mais qu'il n'y a pourtant ja reconnoit que Mr. Bayle (car il est aisé de voir
mais une indifférence de parfait équilibre. L'on mon que c'est de lui qu'on parle) -a de son côté tous les
trera aussi qu'il y a dans les actions libres une par avantages, hormis celui du fond, de la chose: mais
faite spontanéité, au-delà de tout ce qu'on en a on espère que la Vérité (qu'il reconnoit lui-même se
conçu jusqu'ici. Enfin l'on fera juger que la nécessité trouver de notre côté) remportera toute nue sur
hypothétique, et la nécessité morale, qui restent dans tous les ornemeus de l'éloquence et de l'érudition,
les actions libres, n'ont point d'inconvénient; et que pourvu qu'on la développe comme il faut : et on
la Raison paresseuse est un vrai sophisme. espère d'y réussir d'autant plus, que c'est la cause
Et quant à l'origine du mal, par rapport à Dieu, de Dieu qu'on plaide, et qu'une des maximes que
on fait une apologie de ses perfections, qui ne relève nous soutenons ici, porte que l'assistance de Dieu
pas moins sa sainteté, sa justice et sa bonté, que ne manque pas a ceux qui ne manquent point do
sa grandeur, sa puissance et son indépendance. bonne volonté. L'Auteur de ce Discours croit en avoir
L'on fait voir comment il est possible que t'out clé- donné des preuves ici, par l'application qu'il a appor
]>ende de lui, qu'il concoure à toutes les actions tée à cette matière. Il Ta méditée dès sa jeunesse, il
des Créatures, qu'il crée même continuellement les a conféré là-dessus avec quelques-uns des premiers
Créatures, si vous le voulez, et que néanmoins il hommes du teiiiset il s'est instruit encore par la lecture
ne soit point l'Auteur du péché; où l'on montre des bons Auteurs. Et le succès que Dieu lui a donné
aussi comment on doit concevoir la nature priva (au sentiment de plusieurs Juges com]>étens) daosqucl-
tive du mal. On fait bien plus; on montre com qnes autres méditations profondes, et dont il y eu
ment le mal a une autre source que la volonté de a qui ont beaucoup d'influence sur cette matière,
Dieu, et qu'on a raison pour cela de dire du mal lui donne peut-être quelque droit de se flatter de
de coulpe, que Dieu ne le veut point, et qu'il le l'attention des Lecteurs qui aiment la Vérité, et
permet seulement. Mais ce qui est le plus important, qui sont propres à la chercher.
l'on montre que Dieu a pu permettre \o péché et la mi 11 aeccore eu des raisons particulières assez
sère, et y concourir môme et y contribuer, sans préju cousidQ^les, qui l'ont invité à mettre la main à la
dice de sa sainteté et de sa bonté suprêmes : quoiqu'ab- plume sur ce sujet. Des entretiens qu'il a eus là-
solument parlant, il auroit pu éviter tous ces maux. dessus avec quelques personnes de Lettres et de
Et quant à la matière de la Grâce et de la Pré Cour, en Allemagne et en France, et sur -tout avec
destination, on justifie les expressions les plus re une Princesse des plus grandes et des plus accom
venantes, par exemple: que nous ne sommes con plies, l'y ont déterminé plus d'une fois. H avoit
vertis que par la grâce prévenante de Dieu, et que eu l'honneur de dire ses sentimens à cette Princesse
nous ne saurions faire le bien que par son assi sur plusieurs endroits du Dictionnaire merveilleux
stance: que Dieu veut le salut du tous les hommes, de Mr. Bayle, où la Religion et la Raison parais
et qu'il ne damne que ceux qui ont mauvaise vo sent en combattantes, et où Mr. Bayle veut faire
lonté: qu'il donne à tous une grâce suffisante, taire la Raison, après l'avoir fait trop parler ; ce
pourvu qu'ils en veuillent user: que Jésus -Christ qu'il appelle le Triomphe de la Foi. L'Auteur flt
étant le principe et le centre de l'élection, Dieu a connoitrc dès-lors qu'il étoit d'un autre sentiment,
destiné les Elus au salut, parcequïl a prévu qu'ils mais qu'il ne laissoit pas d'être bien-aise qu'un si
s'attacheroieut à la doctrine de Jésus -Christ par la beau génie eût donné occasion d'approfondir ces
foi vive; quoiqu'il soit vrai que cette raison de matières, aussi importantes que difficiles. 11 avoua
l'élection n'est pas la dernière raison , et que cette de les avoir examinées aussi depuis fort long-tems,
prévision même est encore une suite de son décret j et qu'il avoit délibéré quelquefois de publier sur ce
antérieur ; d'autant que la foi est un don de Dieu, et sujet des pensées, dont le but principal devoit être
qu'il lésa prédestinés à avoir la foi, par des raisons d'un la connoissance de Dieu, telle qu'il la faut pour
décret supérieur, qui dispense les grâces et les circon exciter la piété, et pour nourrir la vertu. Cette
stances suivant la profondeur de sa suprême Sagesse. Princesse l'exhorta fort d'exécuter son ancien des
Or comme un des plus habiles hommes de notre sein, quelques amis s'y joignirent, et il étoit d'au
tems, dont l'éloquence étoit aussi grande que la pé tant plus tenté de faire ce qu'ils demandoieut, qu'il
nétration, et qui a donné de grandes preuves d'u avoit sujet d'espérer que dans la suite de l'examen,
ne érudition très vaste, s'étoit attaché par je ne sai les lumières de Mr. Bayle l'aideroicnt beaucoup à
quel penchant à relever merveilleusement toutes les mettre la matière dans le jour qu'elle pourroit re
difficultés sur cette matière que nous venons de cevoir par leurs soins. Mais plusieurs einpèche-
toucher en gros; ou a trouvé un beau champ pour mcns vinrent à la traverse; et la mort de l'incom
LXXIII. THÉOD1CÉE. PRÉFACE. 475
parablc Reine ne fut pas le moindre. Il arriva ce dans les semences des corps qui naissent, conte
pendant que Mr. Bayle fut attaqué par d'excellens nues dans celles des corps dont ils sont nés, jus
hommes qui se mirent à examiner le même sujet; qu'aux semences premières ; ce qui ne pouvoit ve
il leur répondit amplement et toujours ingénieuse nir que de l'Auteur des choses, infiniment puissant
ment. On fut attentif a Peur dispute, et sur le et infiniment sage, lequel faisant tout d'abord avec
point même d'y être mêlé. Voici comment. ordre, y avoit préétabli tout ordre et tout artifice
J'avois publié un Système nouveau, qui parois- futur. 11 n'y a point de chaos dans l'intérieur des
soit propre à expliquer l'union' de l'âme et du choses, et l'organisme est par -tout dans une ma
corps: il fut assez applaudi par ceux mêmes qui tière, dont la disposition vient de Dieu. 11 s'y dé
n'en demeurèrent pas d'accord, et il y eut d'habi couvrirait même d'autant plus, qu'on iroit plus
les gens qui me témoignèrent d'avoir déjà été loin dans l'Anatomie des corps; et on continuerait
dans mon sentiment, sans être venus à une expli de le remarquer, quand même on pourrait aller à
cation si distincte, avant que d'avoir va ce que j'en l'infini, comme la Nature, et continuer la subdivi
avois écrit Mr. Bayle l'examina dans son Diction sion par notre connoissance, comme elle l'a conti
naire Historique et Critique, article Rorarius. 11 nuée en effet.
crut que les ouvertures que j'avois données meri- Comme pour expliquer cette merveille de la
toient d'être cultivées, il en lit valoir l'utilité à cer formation des animaux, je me servis d'une
tains égards, et il représenta aussi ce qui pouvoit j Harmonie préétablie, c'est-à-dire, du même moyen
encore faire de la peine. Je ne pouvois manquer dont je m'étois servi pour expliquer nne autre mer
de répondre comme il faut à des expressions aussi veille, qui est la correspondance de l'Ame
obligeantes et à des considérations aussi instructi avec le Corps, en quoi je faisois voir l'unifor
ves que les siennes, et pour en profiter d'avantage, mité et la fécondité des principes que j'avois em
je fis paroitre quelques éclaircissemens dans l'Hi ployés ; il semble que cela fit ressouvenir Mr. Bayle
stoire des Ouvrages des Savans, Juillet 1690. Mr. de mon Système, qui rend raison de cette corre
Bayle y répliqua dans la seconde Edition de son spondance, et qu'il avoit examiné autrefois. Il dé
Dictionnaire. Je lui envoyai nue duplique, qui n'a clara (au Ch. 180. de sa Rép. aux Questions d'un
pas encore vu le jour; et je ne sais s'il a tripliqué. Provincial, pag. 1253, Tom. 3.) qu'il ne lui pa-
Cependant il arriva que Mr. le Clerc ayant mis roissoit pas que Dieu pût donner à la matière ou à
dans sa Bibliothèque Choisie un Extrait du Système quelque autre cause la faculté d'organiser, sans lui
Intellectuel de feu Mr. Cndworth^et y ayant expli communiquer l'idée et la connoissance de l'organi
qué certaines Natures plastiques, que cet excellent sation; et qu'il u'étoit pas encore disposé à croire
Auteur cmployoit à la formation des animaux; | que Dieu avec toute sa puissance sur la Nature et
Mr. Bayle crut (voyez la Continuation des Pensées avec toute la prescience qu'il a des accidcns qui
Diverses, Chap. 2l. Artic. 11.) que ces Natures peuvent arriver, eût pu disposer les choses, en sorte
manquant de connoissance, on allbiblissoit, en les que par les seules Loix de la Médianiquc, un Vais
établissant, l'argument qui prouve par la merveil seau (par exemple) allât au port où il est destiné,
leuse formation des choses, qu'il faut que l'Univers sans être pendant sa route gouverné par quelque
ait nne Cause intelligente. Mr. le Clerc répliqua Directeur intelligent. Je fus surpris de voir qu'on
(4. Artic. da 5. Toui. de sa Biblioth. Choisie) que mit des bornes à la puissance de Dieu, sans en al
ces Natures avoient besoin d'être dirigées par la léguer aucune preuve, et sans marquer qu'il y eût
Sagesse Divine. ' Mr. Bayle insista (7. Article de aucune contradiction à craindre du côté de l'objet,
l'Hist. des Ouvr. des Savans, Août 1704.) qu'une ni aucune imperfection du côté de Dieu, quoique
simple direction ne suffisoit pas à une cause dé j'eusse montré auparavant dans ma Duplique, que
pourvue de connoissance , à moins qu'on ne la prît même les hommes font souvent par des automates
pour un jrtir instrument de Dieu, auquel cas elle quelque chose de semblable aux mouvcmens qui
scroit inutile. Mon Système y fut touché en pas viennent de la Raison; et qu'un Esprit fini (mais
sant; et cela me donna occasion d'envoyer un pe fort au dessus du nôtre) pourrait môme exécuter ce
tit Mémoire au célèbre Auteur de l'Histoire des que Mr. Bayle croit impossible à la Divinité: outre
Ouvrages des Savans, qu'il mit dans le mois de que Dieu réglant par avance toutes les choses à la
Mai 1705 Artic. 9. où je tâchai de faire voir qu'à fois, la justesse du chemin de ce Vaisseau ne serait
la vérité le Méchanisme suffit pour produire les lias plus étrange, que celle d'une fusée qui iroit le
corps organiques des animaux, sans qu'on ait be long d'une corde dans un feu d'artifice, tous les
soin d'autres Natures plastiques, pourvu qu'on y réglemens de toutes choses ayant une parfaite har
ajoute la préforuiatiou déjà toute organique monie entre eux , es se déterminant mutuellement.
476 LXXIH. THEODICEE. PREFACE.
Cette déclaration de Mr. Baylc m'engageoit à après quoi je tiens que la formation des animaux el
une réponse, et j'avois dessein de lui représenter, le rapport entre l'Ame et le Corps sont quelque
qu'à moins de dire que Dieu forme lui -mémo les chose d'aussi naturel à présent, que les autres opé
corps organiques par un miracle continuel, ou rations les plus ordinaires de la Nature. C'est à-peu-
qu'il a donné ce soin à des Intelligences dont la près comme on raisonne communément sur l'in
puissance et la science soient presque divines, il stinct et sur les opérations merveilleuses des bètes.
faut juger que Dieu a p réformé les choses, en On y reconnoît de la Raison, non pas dans les bè
sorte que les organisations nouvelles ne soient tes, mais daus celui qui les a formées. Je suis
qu'une suite méclianique d'une constitution organi donc du sentiment commun à cet égard; mais j'es
que précédente; comme lorsque les Papillons vien père que mon explication lui aura donné plus de
nent des Vers à soie, où Mr. S wa m mer dam a relief et de clarté, et même plus d'étendue.
montré qu'il n'y a que du développement. Et j'au- Or devant justifier mon Système contre les nou
rois ajouté que rien n'est plus capable que la pré velles difficultés de Mr. Bayle, j'avois dessein en
formation des plantes et des animaux, de confirmer même tems de lui communiquer les pensées que
mon Système de l'harmonie préétablie entre l'ame j'avois eues depuis long-tems sur les difficultés qu'il
et le corps; où le corps est porté par sa constitu avoit fait valoir contre ceux qui tâchent d'accorder
tion originale à exécuter, à l'aide des Ciiosi's exter la Raison avec la Foi à l'égard de l'existence du
nes, tout ce qu'il fait suivant la volonté de l'ame ; Mal. En effet, il y a peut être peu de personnes
comme les semences par leur constitution originale qui y aient travaillé plus que moi. A peine avois-
exécutent naturellement les intentions de Dieu par je appris à entendre passablement les Livres La
un artifice plus grand encore que celui qui fait que tins, que j'eus la commodité de feuilleter dans une
dans notre corps tout s'exécute conformément aux Bibliothèque: j'y voltigeois do Livre en Livre, et
résolutions de notre volonté. Et puisque Mr. Bayle comme les matières de méditation me plaisoient
lui-même juge avec raison, qu'il y a plus d'artifice autant que les Histoires et les fables, je fus charmé
dans l'organisation des animaux que dans le plus de l'Ouvrage de Laurent Yalta contre Boëce, et de
beau Poëme du monde, ou dans la plus belle inven celui de Luther contre Erasme, quoique je visse
tion dont l'esprit humain soit capable; il s'ensuit bien qu'ils avoient besoin d'adoucissement. Je ne
que mou Système du commerce de l'Ame et du m'abstenois pas des Livres de Controverse, et entre
Corps est aussi facile que le sentiment commun de autres Ecrits de cette nature, les Actes du Collo
la formation des animaux: car ce sentiment (qui que de Montbeillard, qui avoient ranimé la dispute,
me paroît véritable) porte en effet que la Sagesse me parurent instructifs. Je ne négligeois point les
de Dieu a fait la Nature en sorte qu'elle est capa enseignemens de nos Théologiens; et la lecture de
ble en vertu de ses Loix de former les animaux; et leurs adversaires, bien loin de me troubler, servoit
je l'éclaircis, et en fais mieux voir la possibilité à me confirmer dans les sentimens modères des
par le moyen de la préformation. Après quoi Eglises de la Confession d'Augsbourg. J'eus occa
on n'aura pas sujet de trouver étrange que Dieu ait sion dans mes voyages de conférer avec quelques
fait le corps en sorte qu'en vertu de ses propres excellens hommes de différens partis; comme avec
loix il puisse exécuter les desseins de l'ame rai Mr. Pierre de Wallenbourg Suffragant de
sonnable, puisque tout ce que l'ame raisonnable Mayence, Mr. Jean -Louis Fabrice premier
peut commander au corps, est moins difficile que Théologien de Heidelberg, et enfin avec Je célèbre
l'organisation que Dieu a commandé aus semen Mr. Arnauld, à qui je communiquai même un
ces. Mr. Bayle dit (Réponse aux Questions d'un Dialogue Latin de ma façon sur cette matière, environ
Provincial, Chap. 182. p. 1294.) que ce n'est que l'an 1673, où jo mettois déjà en fait que Dieu
depuis peu de teins qu'il y a eu des personnes qui ayant choisi le plus parfait de tous les Mondes pos
ont compris que la formation des corps vivans ne sibles, avoit été porté par sa sagesse à permettre le
sauroit être nn ouvrage naturel: ce qu'il pourroit mal qui y étoit annexé, mais qui n'empêchoit pas
dire aussi suivant ses principes de la correspon que tout compté et rabattu ai Monde ne fût le
dance de l'Ame et du Corps; puisque Dieu en fait meilleur qui pût être choisi. Jui encore depuis lu
tout le commerce dans le Système des causes occa toute sorte de bons Auteurs sur ces matières, et
sionnelles, adopté par cet Auteur. Mais je n'ad j'ai tâché d'avancer dans les connoissanecs qui me
mets le surnaturel ici, que dans le commencement paroissent propres à écarter tout ce qui pouvoit ob
des choses, à l'égard de la première formation des scurcir l'idée de la souveraine perfection qu'il faut
animaux, ou à l'égard de la constitution originaire reconnoitre en Dieu. Je n'ai point négligé d'exa
de l'harmonie préétablie entre l'Ame et le Corps; miner les Auteurs les plus rigides, et qui ont jxnissé
LXX1II. THEODICEE. PREFACE. 477
le plus loin la nécessité des choses; tels que Hob- j'avois envie de le faire passer sons les yeux de
bes et Spinosa, dont le premier a soutenu cette Mr. Bayle, aussi-bien que tic ceux qui sont eu dis-
nécessité absolue, non .seulement dans ses Elémens ixrtc avec lui. 11 vient de nous quitter, et ce n'est
Physiques et ailjeurs, mais encore dans un Livre pas uno petite perte que celle d'un Auteur, dont la
exprès contre l'Evêque Brauihall. Et Spinosa veut doctrine et la pénétration avoient peu d'égales:
à peu près (comme un ancien Péripatéticieu nommé mais comme la matière est sur le tapis, que dïia-
Straton) que tout soit venu de la première Cause biles gens y travaillent encore, et que le Public y
ou de la Nature primitive, par une nécessité aveu est attentif, j'ai cru qu'il falloit se servir de l'occa
gle et toute Géométrique, sans que ce premier Prin sion pour faire paroitre un échantillon de mes
cipe «les choses soit capable de choix, de bonté, et pensées.
d'entendement. Il sera peut-être bon de remarquer encore avant
J'ai trouvé le moyen, ce me semble, de montrer que de finir cette Préface, qu'en niant l'influence
le contraire, d'une manière qui éclaire, et qui fait physique de l'Ame sur le Corps ou du Corps sur
qu'on entre en même teins dans l'intérieur des cho l'Ame, c'est-à-dire une influence qui fasse que l'un
ses. Car ayant fait de nouvelles découvertes sur trouble les Loix do l'autre, je ne nie point l'union
la nature de la force active, et sur les Lois du de l'un avee l'autre qui en fait un suppôt: mais
mouvement, j'ai fait voir qu'elles ne sont pas d'une cette union est quelque chose de métaphysique,
nécessité absolument géométrique, comme Spinosa qui ne change rien dans les phénomènes. C'est
paroit l'avoir cru; et qu'elles ne sont pas purement ce que j'ai déjà dit en répondant à ce que le R. P.
arbitraires non plus, quoique ce soit l'opinion de de Tourncniine, dont l'esprit et le savoir no sont
Mr. Bayle, et de quelques Philosophes modernes; point ordinaires, m'avoit objecté dans les Mémoi
mais qu'elles dépendent de la convenance, com res de Trévoux. Et par cette raison, on peut dire
me je l'ai déjà marqué ci-dessus, ou de ce que j'ap aussi dans un sens métaphysique, que l'Aine agit
pelle le principe du meilleur; et qu'on re- sur le Corps, et le Corps sur l'Ame. Aussi est - il
connoit en cela, comme en toute autre chose, les vrai que l'Ame est l'Enteléchie ou le principe
charactères de la première Substance, dont les pro actif, au lieu que-le corporel tout seul ou le simple
ductions marquent une sagesse souveraine, et font matériel ne contient que le passif; et que par con
la plus parfaite des Harmonies. J'ai fait voir aussi séquent le principe de l'action est dans les âmes,
que c'est cette Harmonie qui fait encore la liaison, comme je l'ai expliqué plus d'une fois dans le Jour
tant de l'avenir avec le passé, que du présent avec nal de Leîpsic, mais plus i>articulièrement en ré
ce qui est absent. La première espèce de liaison pondant à feu Mr. Sturni Philosophe et Matliéma-
nuit les teins, et l'autre les lieux, Cette seconde j ticien d'Altorf; où j'ai même démontré que s'il n'y
liaison se montre dans l'union de l'Ame avec le | avoit rien que de passif dans les corps, leurs diffé
Corps, et généralement dans le commerce des véri rais états seroient indiscernables. Je dirai
tables substances entre elles et avec les phénomè aussi à cette occasion, qu'ayant appris que l'habile
nes matériels. Mais là première a lien dans la Auteur du Livre de la Connoissance du. soi-
préformation des corps organiques, ou plutôt de même avoit fait quelques objections dans ce Li
tous les corps, puisqu'il y a de l'organisme par vre, contre mon Système de l'Harmonie préétablie,
tout, quoique toutes les masses ne coni])osei>t point j'avois envoyé une Réponse à Paris, qui fait voir
des corps organiques: comme un étang peut fort qu'il m'a attribué des sentimens dont je suis bien
bien être plein de poissons ou autres corjw organi éloigné; comme a fait aussi depuis peu un Docteur
ques, quoiqu'il ne soit point lui-même un animal de Sorbonne anonyme, sur un autre sujet. Et ces
ou corps organique, mais seulement une masse qui mésentendus auroient paru d'abord aux yeux du
les contient. Et puisque j'avois tâché de bâtir sur Lecteur, si l'on avoit rapporté mes propres jiaroles,
de tels fondemens, établis d'une manière démon sur lesquelles on a cru se pouvoir fonder.
strative, un corps entier des connoissances princi Cette disposition des hommes à se méprendre en
pales que la Raison toute pure nous peut appren représentant les sentimens d'autrui, fait aussi que
dre, un eoriis, dis-je, dont tontes les parties fussent je trouve à propos de remarquer, que lorsque j'ai
bien liées, et qui pût satisfaire aux difficultés les dit quelque part que l'homme s'aide du secours do
plus considérables des Anciens et des Modernes; la Grâce dans la conversion, j'entends seulement
je ni'étois formé aussi par conséquent un certain qu'il en profite par la cessation de la résistance
Système sur la Liberté de l'Homme et sur le Con surmontée, mais sans aucune coopération de sa
cours de Dieu. Ce Système me paroissoit éloigné part: tout comme il n'y a point de coopération
do tout ce qui peut choquer la Raison et la Foi ; et dans la Glace, lorsqu'elle est rompue. Car la con-
61
478 LXXIII. THEODICEE. PREFACE.
version est le pnr onvragc de la Grâce de Dieu, où ayant expliqué, par exemple, pourquoi j'ai pris la
l' homme ne concourt qu'en résistant; mais sa rési volonté antécédente et conséquente pour préalable
stance est i>lus ou inoins grande, selon les person et finale, à l'exemple de Thomas, de Scote et d'au
nes et les occasions. Les circonstances aussi con tres-; comment il est possible qu'il y ait incompa
tribuent plus ou moins à notre attention, et aux rablement plus de bien dans la gloire de tous les
iiiouveinens qui naissent dans raine; et le con sauvés, qu'il n'y a de mal dans la misère de tous
cours de toutes ces choses jointes à la mesure de ! les damnés, quoiqu'il y en ait plus des derniers;
l'impression , et à l'état de la volonté, détermine comment en disant que le mal a été permis com
l'effet de la Grâce, mais sans le rendre nécessaire. me une condition sine qua non du bien, je
Je me suis assez expliqué ailleurs, que par rapport l'entends non pas suivant le principe du nécessaire,
aux choses salutaires, l'homme non régénéré doit mais suivant le principe du convenable; comment
être considéré comme mort; et j'approuve fort la la prédétermination que j'admets est toujours incli
manière dont les Théologiens do la confession nante, et jamais nécessitante; comment Dieu ne
d'Ausbonrg s'expliquent sur ces sujets. Cepen refusera pas les lumières nécessaires nouvelles, à
dant cette corruption de l'homme non régénéré ne ceux qui ont bien usé de celles qu'ils avoient; sans
l'empêche point d'ailleurs d'avoir des vertus mora parler d'autres éclaircissemens que j'ai tàclié de
les véritables, et de faire quelquefois de bonnes donner sur quelques difficultés qui m'ont été faites
actions dans la vie civile, qui viennent d'un bon i depuis peu. Et j'ai suivi encore le conseil de quel
principe, sans aucune mauvaise intention, et sans ques amis, qui ont cru à propos que j'ajoutasse
mélange de péché actuel. En quoi j'esi>ère qu'on deux Appendices: l'un sur la Controverse
me le pardonnera, si j'ai osé m'éloigner du senti agitée entre Mr. Hobbes et l'Evêqnc Bram-
ment de S. Augustin, grand homme sans doute, et ball, touchant le Libre et le Nécessaire, l'autre
d'un merveilleux esprit, mais qui semble porté ! sur le savant Ouvrage de l'Origine du Mal, pu
quelquefois à outrer les choses, sur -tout dans la blié depuis peu en Angleterre.
chaleur de ses engagemens. J'estime fort quelques Enfin j'ai tâché de tout rapporter à l'éclification ;
Personnes qui font profession d'être disciples de S. et si j'ai donné quelque chose à la curiosité, c'est
Augustin, et entre antres le R. P. Quesncl, cligne I que j'ai cru qu'il falloit égayer une matière, dont
successeur du grand Arnauld, dans la poursuite des le sérieux peut rebuter. C'est dans cette vue que
controverses qui les ont commis avec la plus célè j'ai fait entrer dans ce Discours la chimère plai
bre des Compagnies. Mais j'ai trouvé qu'ordinai sante d'une certaine Théologie Astronomique n'a
rement dans les combats- entre des gens d'un mé yant point sujet d'appréhender qu'elle séduise per
rite insigne, (dont il y en a sans doute ici des sonne, et jugeant que la reciter et la réfuter est la
deux côtés) la Raison est de part et d'autre, mais la même chose. Fiction pour fiction, au lieu de
en différens points, et qu'elle est plutôt pour les dé s'imaginer que les Planètes ont été des Soleils, on
fenses que pour les attaques; quoique la malignité pourroit concevoir qu'elles ont été des masses fon
naturelle du coeur hunuiiu ronde ordinairement les dues dans le Soleil, et jetées dehors, ce qui détrni-
attaques' plus agréables au Lecteur que les défenses. roit le fondement de cette Théologie hypothétique.
J'espère que le R. P. Ptolémei, ornement de sa L'ancienne erreur des deux Principes, que les
Compagnie, occupé à remplir les vuidcs du célèbre ! Orientaux distinguoient par les noms d'Oromasdes
Bellarmin, nous donnera sur tout cela des éclair- et d'Arimanius, m'a fait éclaircir une conjecture
cihsemens de sa pénétration et de son savoir, et sur l'Histoire reculée des peuples; y ayant de l'ap
j'ose même ajouter, de sa modération. Et il faut parence que c'étoient les noms de deux grands
croire que parmi les Théologiens de la Confession ' Princes contemporains, l'un Monarque d'une partie
d'Ausbonrg, il s'élèvera quelque nouveau Chemnice, de In Haute Asie, où il y en a eu depuis d'antres
ou quelque nouveau Cahxte; comme il y a lieu de de ce nom; l'autre^ Roi des Celto -Scythes, faisant
juger que des Usserins ou des Oaiilés revivront irruption dans les États du premier, et connu d'ail
parmi les Réformés; et que tous travailleront de leurs parmi les Divinités de la Germanie. 11 sem
plus en plus à lever les uiésentendus dont cette ma ble en effet que Zoroastre a employé les noms de
tière est chargée. Au reste, je serai bien aise que ces Princes comme des symboles des Puissances in
ceux qui voudront l'éplucher, lisent les Objections visibles, auxquelles leurs exploits les faisoient res
mises en forme avec^ les Réponses que j'y ai don sembler dans l'opinion des Asiatiques. Quoique
nées, dans le petit Ecrit que j'ai mis à la fin de d'ailleurs il paroisse par les rapports des Auteurs
l'Ouvrage, pour en faire comme le sommaire. J'y Arabes, qui pourraient être mieux informés que les
ai tâché de prévenir quelques nouvelles objections ; Grecs, de quelques particularités de l'ancienne Hi
LXX11I. THEODICEE. PREFACE. 479
stoirc Orientale, que ce Zerdust ou Zoroastre, les Esclavons depuis lu fond de la grande Russie,
qu'ils font conU'i)i|X)raiu du Grand Darius, n'a jusqu'aux Woudes du pays de Lnnebourg; les
point considéré ces deux l'riucipcs comme tout-à- Esclavons l'ayant appris aussi des Orientaux. Ces
fait primitifs et indépendans, mais comme dépen- remarques ne déplairont peut-être pas aux Curieux ;
ilans d'un Principe unique suprême; et qu'il a cru et je me flatte que le petit Dialogue qui finit les
conformément à la Cosmogonie de Moïse, que Essais opposés à Mr. lîayle, donnera quelque con
Dieu, qui est sans j)èrc, a créé tout et a séparé la tentement à ceux qui sont bien aises de voir des
lumière des ténèbres; que la lumière a été con vérités difficiles, mais importantes, exposées d'une
forme à'son dessein original, mais que les ténèbres manière aisée et familière. Ou a écrit dans une
sont venues par conséquence, comme l'ombre suit Langue étrangère, au hazard d'y faire bien des
lu corps, et que ce iTest autre chose que la priva fautes; parce que cette matière y a été traitée de
tion. Ce qui exempterait cet ancien Auteur des puis peu par d'autres, et y est lue davantage par
erreurs que les Grecs lui attribuent. Son grand ceux à qui on voudrait être utile par ce petit tra
savoir a fait que les Orientaux Pont comparé avec vail. On espère que les fautes de langage qui vien
le Mercure ou Hermès des Égyptiens et des Grecs; nent non seulement de l'impression et du Copiste,
tout comme les Septentrionaux ont coni)>aré leur mais aussi de la précipitation de l'Auteur, qui a
Wodan ou Odiu avec ce même Mercure. C'est été assez distrait, seront pardonnécs : et si quelque
pourquoi le Mercredi, ou le jour de Mercure, a été erreur s'est glissée dans les sentimens, l'Auteur sera
ap|>ellti Wodans - dag par les Septentrionaux , mais des premiers à les corriger, après avoir été mieux
jour de Zerdust par les Asiatiques, puisqu'il est informé: ayant donné ailleurs de telles marques de
nommé Zarschamba on Dsearschambe par son amour de la Vérité, qu'il espère qu'on ne
les Turcs et par les Persans, Zerda par les Hon prendra pas cette déclaration pour un compliment.
grois venu, du l'Orient Septentrional, et Srcda par
DISCOURS
DE LA CONFORMITÉ DE LA FOI
AVEC LA RAISON.
1. Je commence pui1 la question préliminaire de avec des gens qui s'expliquoieut distinctement sur
la Conformité de la Foi avec la raison, et ces matières. Ils m'ont avoué cependant, qu'on ne
de l'usage de la Philosophie dans la Théologie, pouvoit point blâmer la Raison, prise dans le sens
jwrce qu'elle a beaucoup d'influence sur la matière que je lui donnois. C'est dans le même sens, qu'on
principale que nous allons traiter, et parce que oppose quelquefois la Raison à l'Expérience. La
Mr. Baylc l'y fait entrer par-tout. Je suppose, Raison consistant dans l'enchaînement des Vérités,
que deux Vérités ne sauraient se contredire; que a droit de lier encore celles que l'Expérience lui a
l'objet de la Foi est la Vérité que Dieu a révé fournies, pour eu tirer des conclusions mixtes:
lée d'une manière extraordinaire, et que la Rai mais la Raison pure et nue, distinguée de l'Expé
son est l'enchaînement des Vérités, mais particu rience, n'a à faire qu'à des Vérités indépendantes
lièrement (lorsqu'elle est comparée avec la Foi) de des Sens. Et l'on peut comparer la Foi avec l'Ex
celles où l'esprit humain peut atteindre naturelle périence, puisque la Foi (quant aux motifs qui la
ment, sans être aidé des lumières île la Foi. Cette vérifient) dépend de l'expérience de ceux qui ont
déliuition de la Raison, (c'est-à-dire de la droite vu les miracles, sur lesquels la Révélation est fon
et véritable Raison) a surpris quelques per dée, et de la Tradition digne de croyance, qui les
sonnes, accoutumées à déclamer contre la Raison a fait passer jusqu'à nous, soit par les Ecritures,
prise dans un sens vague. Ils m'ont répondu, qu'ils soit par le rapport de ceux qui les ont conservées :
n'avoient jamais entendu qu'on lui eût donné cette à peu près comme nous nous fondons sur l'expé
signification : c'est qu'ils u'avoient jamais conféré rience de ceux qui ont vu la Chine, et sur la cré
61»
480 LXXUI. THÉODICÉE. DISœURS DE LA CONFORMITÉ ETC.
dibilité de leur rapport, lorsque nous ajoutons foi où les loix de la Nature ne sont point violées, non
aux merveilles qu'on nous raconte «le ce Pays éloi plus que lorsque les hommes aident la Nature par
gné. Sauf à parler ailleurs du mouvement intérieur l'Art; l'artifice des Anges ne différant du nôtre «juc
du S. Esprit, qui s'empare des Aines, et les per par le degré de perfection: cependant il demeure
suade et les porte au bien, c'est-à-dire à la Foi et toujours vrai que les loix de la Nature sont sujet
à la Charité, sans avoir toujours besoin de motifs. tes à la dispensation «lu Législateur; au-lieu que les
2. Or les Vérités «le la Raison sont «le deux sortes. Vérités éternelles, comme celles de la Géométrie,
Les unes sont ce qu'on appelle les Vérités éter sont tout-à-fait indisjK'iisablcs, et la Foi n'y suu-
nelles, qui sont absolument nécessaires, ensortc roit et iv contraire. C'est pourquoi il ne se peut
que l'opposé implique contradiction ; et telles sont faire, qu'il y ait une objection invincible contre la
les Vérités, dont la nécessité est logique, métaphy Vérité. Car si c'est une démonstration fondée sur
sique ou géométrique, qu'on no saurait uier, sans des princi|>es ou sur des faits incontestables, formée
pouvoir être mené à dos absurdités. Il y CD a par un enchaînement des Vérités éternelles, la con
d'autres qu'on peut appeller positives, parce clusion est certaine et indispensable, et ce qui y est
qu'elles sont les loix qu'il a plu à Dieu de donner opi>osé iloit être faux; autrement deux contradi
à la Nature, ou jwrce quelles en dépendent. Nous ctoires i>onrroient être vraies en même teins. Que
les apprenons, ou par l'Expérience, c'est-à-dire à si l'objection n'est point démonstrative, elle ne peut
posteriori; ou par la Raison, et à priori, former qu'un argument vraisemblable, qui n'a point
c'est-à-dire par «les considérations de la convenance j de force contre la Foi, puisqu'on convient que les
qui les ont fait choisir. Cette convenance a aussi Mystères de la Religion sont contraires aux af>|«-
ses règles et raisons; mais c'est le choix libre de rences. Or Mr. Baylc déclare dans sa Réponse
Dieu, et non pas une nécessité géométrique, qui fait iwsthume à Mr. Le Clerc, qu'il ne prétend point
préférer le convenable, et le porte à l'existence. qu'il y ait «les démonstrations contre les Vérités «le
Ainsi on peut «lire, que la nécessité physique la Foi ; et par conséquent toutes ces difficultés in
est fondée sur la nécessité morale, c'est-à-dire vincibles, ces combats prétendus de la Raison con
sur le choix du Sage, digne de sa sagesse; et que tre la Foi s'évanouissent.
l'une aussi bien que l'autre doit être distinguée de Hi motus auimorum atque haec discrimina tanta
la nécessité géométrique. Cette nécessité Pulveris exigui jactu compressa quiescunt.
physique est ce qui fait l'ordre de la Nature, et 4. Les Théologiens Protestans, aussi-bien que
consiste dans les règles du mouvement , et dans ceux du parti de Rome, conviennent des maximes
quelques autres loix générales, qu'il a plu à Dieu que je viens de poser, lorsqu'ils traitent la matière
de donner aux choses en leur donnant l'être. Il est avec soin; et tout ce qu'on dit contre la Raison,
donc vrai, que ce n'est pas sans raison que Dieu ne porte coup que contre une prétendue Raison,
les a données; car il ne choisit rien par caprice, et corrompue et abusée par de fausses apparences. Il
comme au sort, ou par une indifférence toute pure: en est «le même des notions de la justice et de la
mais les raisons générales du bieu et de l'ordre, qui bonté de Dieu. On en parle quelquefois, connue si
l'y ont porté, peuvent être vaincues dans quel nous n'en avions aucune idée ui aucune définition.
ques cas,' par des raisons plus grandes d'un ordre Mais en ce cas nous n'aurions point de fondement
supérieur. de lui attribuer ces attributs, ou de l'en louer. Sa
3. Cela fait voir que Dieu pont dispenser I«-s bonté et sa justice, aussi -bieu <jue sa sagesse, no
créatures des loix qu'il leur a prescrites, et y pro di lièrent «l«'s nôtres, que parce qu'elles sont inline-
duire ce que leur nature ne |K>rte pas, en faisant inent plus parfaites. Ainsi les notions simples, les
un Miracle; et lorsqu'elles sont élevées à des vérités nécessaires, et les conséquences démonstrati
perfections et à dis facultés plus nobles que wlka ves de la Philosophie, ne sauraient être contraires
où elles peuvent arriver par leur nature, les Scho- à la Révélation, Et lorsque quelques maximes phi
lastiques appellent cette faculté uut^ puissance losophiques sont rejctées en 'rhéologie, c'est
obédientielle, c'est-à-dire, que la chose acquiert qu'où tient qu'elles nu sont «|ue d'une nécessite
en obéissant au commandement de celui qui peut physique ou nioralo, qui ne |>arle que de ce qui a
donner ce qu'elle n'a pas: quoique ces Scholasti- lieu ordinairement, es se fonde par conséquent sur
ques donnent ordinairement des exemples de cette tes ap]>arenoes, mais qui peut manquer, si Dieu le
puissance, que je tiens impossibles, comme lors trouve bon.
qu'ils prétendent que Dieu jieut donner à la Créa 5. 11 paraît par ce que je viens de dire, qu'il y
ture la faculté de créer. Il se peut qu'il y ait des a souvent un peu de confusion dans les expressions
miracles que Dieu fait par le ministère des Anges, de ceux qui commettent ensemble la Philosophie et
LXXIII. THÉODICÉE. DISCOURS DE LA CONFORMITÉ ETC. 481
la Théologie, ou la Foi et la Raison : ils confon part des Questions venoient du soin qu'on prcuoit
dent expliquer, comprendre , prouver, i de concilier la Foi avec la Raison. Mais con'étoit
soutenir. Et je trouve que Mr. Baylc, tout pé j pas avec tout le succès qui. aurait été à souhaiter,
nétrant qu'il est, n'est pas toujours exetnt tle cette parce que la Théologie avoit été fort corrompue
confusion. Les Mystères se peuvent expliquer par le malheur des teins, par l'ignorance et par
autant qu'il faut pour les croire; mais on no les l'entêtement; et parce que la Plùlosophic, outre
sauroit couip rendre, ni faire entendre com ses propres défauts, qui étoicut très grands, se trou-
ment ils arrivent: c'est ainsi que inêuie en Physi voit chargée de ceux de la Théologie,, qui se resson-
que nous expliquons jusqu'à un certain point plu toit à son tour de l'association d'une Philosophie
sieurs qualités sensibles, mais d'une manière im très obscure et très imparfaite. Cependant il faut
parfaite, car nous ne les comprenons pas. 11 ne avouer avec riuc-omparable Grotius, qu'il y a quel
nous est pas possible non plus de prouver les My quefois de For caché sous les ordures du Latiu bar
stères par la Raison : car tout ce qui se peut prou bare des Moines: ce qui m'a fait souhaiter plus
ver à priori, ou par la Raison pure, se peut com d'une fois, qu'un habile hoinuc, que, sa fonction eût
prendre. Tout ce qui nous reste donc, après avoir obligé d'apprendre lo Langage de l"Eco!e, eût voulu
ajouté foi aux Mystères sur les preuves de la vé eu tirer ce qu'il y a de meilleur, et qu'un autre Pe-
rité de la Religion, (qu'on appelle motifs de cré tave ou Thomassin eussent fait à l'égard des Scho-
dibilité) c'est de les pouvoir soutenir contre lastiques, ce que ces deux savans hommes ont fait
lis Objections; sans quoi nous ne serions point à l'égard des Pères. Ce seroit un Ouvrage très cu
fondés à les croire, tout ce qui peut être réfuté rieux et très important pour l'Histoire Ecclésiasti
d'une manière solide et démonstrative, ne pouvant que, et qui continuerait celle des Dogmes jusqu'au
manquer d'être faux; et les preuves de la vérité de teins du rétablissement des Belles Let
la Religion, qui ne peuvent donner qu'une certi tres, (par le moyen desquelles les choses ont changé
tude morale, scroient balancées et même sur de face) et même au-delà. Car plusieurs Dogmes,
montées pas des objections qui donneraient une comme ceux de la Prédétermination physique, de
certitude absolue, si elles étoient convaincan la Science moyenne, du Péché philosophique, des
tes et tout-à-fait démonstratives. Ce peu nous pour- Précisions objectives, et beaucoup d'autres dans la
roit suffire pour lever les difficultés sur l'usage de Théologie spéculative, et même dans la Théologie
\A liaison et de la Philosophie par rapport à la Re pratique des Cas de conscience, ont été mis en vogue,
ligion, si on n'avoit pas à faire bien souvent à dos même après le Concile de Trente.
personnes prévenues. Mais comme la matière est 7. Un peu avant ces changemeus, et avant la
importante, i>t qu'eue a été fort embrouillée, il sera grande scission de l'Occident qui dure encore, il y
à propos d'entrer dans un plus grand détail. avoit en Italie une Secte de Philosophes qui com-
6. La Question de la Conformité de battoit cette conformité de la Foi avec la Raison,
1» Foi avec la Raison a toujours été un grand que nous soutenons. On les uommoit A verroïstcs,
Problème. Dans la primitive Eglise, les plus ha parce qu'ils s'attachoient à un Auteur Arabe célèbre,
biles Auteurs Chrétiens s'accouirnodoient des pen qu'on appelloit le Commentateur par excellence, et
sées des Platoniciens, qui leur rcvenoient le plus, qui paroissoit être le mieux entré dans le sens d'Ari-
et qui étoient le plus eu vogue alors. Peu à peu stote parmi ceux de sa Nation. Ce Commentateur
Aristotc prit la place du Platon, lorsque le goût poussant ce que des Interprètes Grecs avoieut déjà
des Systèmes commença à régner, et lorsque la enseigné, prétendoit que suivant Aristote, et même
Théologie môme devint plus systématique par suivant la Raison, (ce qu'on pronoit presque alors
les décisions des Conciles Généraux, qui fournis- pour la même chose) l'immortalité de l'Ame ne pou-
soicnt des Formulaires précis et positifs. Saint ii lit subsister. Voici son raisonnement. Le Genre
Augustin, Boëce et Cassiodorc dans l'Occident, et humain est éternel, selon Aristotu: donc si les Ames
St. Jean de Damasc dans l'Orient, ont contribué le particulières ne périssent pas, il faut venir à la Mé-
pins à réduire la Théologie en forme de Science; tempsychose rejetée par ce Philosophe; ou, s'il y
sans parler de Kède, Alcuiu, S. Anselmo, et quel a toujours des Ames nouvelles, il faut admettre l'in
ques autres Théologiens versés dans la Philosophie; finité de ces Ames conservées de toute éternité:
jusqu à ce qu'enfin les Seholasl iques survinrent, et mais l'infinité actuelle est ini|>ossib!c, selon la doc
que le loisir des Cloîtres donnant carrière aux spé trine du même Aristote: doue il faut conclure que
culations, aidées par la Philosophie d'Aristoto tra- ] les Ames, c'est-à-dire les formes des Corps organi
duite de l'Arabe, on acheva de faire un composé ques, doivent périr avec ces Corps; ou du moins
de Théologie et de Philosophie, dans lequel la plu l'Entendement passif appartenant en propre à un
482 LXXIII. THÉOD1CÉE. DISCOURS DE LA CONFORM1TÉETC.
chacun. De sorto qu'il ne restera que l'Kntende- devenu Juif il y a quelques années, et dogmatisant
liicut actif, coiuiimn à tous les hommes, qu'Aristote sous le nom de Moses Germauus, s'étant attaché
tlisoit venir île dehors, et qui doit travailler par aux dogmes de Spinosa, a cru que Spiiiosa renou
tout où les organes y sont disposés; comme le vent velle l'ancienne Cabala des Hébreux ; et un savaut
produit une espèce de Musique, lorsqu'il est poussé homme, qui a réfuté ce prosélyte Juif, paraît être
dans des tuyaux d'orgue bien ajustés. du même sentiment. L'on sait que Spinosa nu rc-
8. 11 n'y avoit rien île plus foible, que cette connoit qu'une seule substance dans le monde, dont
prétendue démonstration; il ne se trouve point les Ames individuelles no sont que des modifications
qu'Aristote ait bien réfuté la Métempsychose, ni passagères. Valeutiu Weigel, Pasteur do Tschopa
qu'il ait prouvé l'éternité du Genre humain; et en Misnie, homme d'esprit, et qui eu avoit mèine
après tout, il est très faux qu'un infini actuel soit trop, quoiqu'on l'ait voulu faire passer pour un En
impossible. Cependant cette démonstration passoit thousiaste, en teuoit peut-être quelque chose; aussi-
pour invincible chez les Aristotéliciens, et leur fai- bien que celui qui se nomme Jean Angélus Silésieu,
soit croire qu'il y avoit une certaine Intelligence Auteur do certains petits Vers de dévotion Alle
subluimire, dont la participation faisoit notre En mands assez jolis, en forme d'Epigrauimvs, qu'on
tendement actif. Mais d'autres moins attachés à vient de réimprimer. Et généralement, la Déifica
Aristote alloient jusqu'à une Ame uuiversclle qui tion des Mystiques pouvoit recevoir ce mauvais
fût l'Océaii de toutes les Ames particulières, et sens. Gerson a déjà écrit contre Rusbrock, Auteur
croyoient cette Aine universelle seule capable de Mystique, dont l'intention étoit bonne apjiarem-
subsister, pendant que les Ames particulières nais inent, et dont les expressions sont excusables; niais
sent et périssent. Suivant ce sentiment, les Ames il vaut mieux écrire d'une manière qui n'ait point
des animaux naissent en se détachant comme des besoin d'être excusée. Quoique j'avone aussi, que
gouttes de leur Océan, lorsqu'elles trouvent un Corps souvent les expressions outrées, et pour ainsi dire
qu'elles prtivent animer; étoiles périssent en se re Poétiques, ont plus de force pour toucher et pour
joignant à l'Océan des Ames quand le Corps est persuader, que ce qui se dit avec régularité.
défait, comme les ruisseaux se perdent clans la mer. 10. L'anéantissement de ce qui nous appartient
Et plusieurs alloient à croire que Dieu est cette en propre, porté fort loin par les Quiétistes, pourrait
Aine universelle, quoique d'autres aient cru qu'elle bien être aussi une impiété déguisée che/. quelques-
étoit subordonnée et créée. Cette mauvaise doctrine uns: comme ce qu'on raconte du Quiétisme de Foë
est fort ancienne, et fort capable d'éblouir le vul Auteur d'une grande Secte de la Chine, lequel après
gaire. Elle est exprimée dans ces beaux Vers de avoir prêché sa Religion pendant quarante ans, se
Virgile, (Aeu. VI. vs. 724.) sentant proche delà uiort,déclar|iàses disciples, qu'il
Principio cocluin ac terrain camposque liquentes, leur avoit caché la vérité sous le voile des méta
Lucenteinque globum Lunae, Titaniaque astra, phores, et que tout se réduisoit au néant, qu'il di-
Spiritus intus alit, totamque infusa per artus soit être lo premier principe de toutes choses.
Mens agitât inolem, et magno se eorporc miscct. C'étoit encore pis, ce semble, que l'opinion des
Et encore ailleurs, (Georg. IV. vs. 221.) Averroïstes. L'une et l'autre doctrine est insoute
I >emn namque ire per omnes nable, et même extravagante: cependant quelques
Terrasque tractusque maris coelumque profuiiduin : modernes n'ont point fait difficulté d'adopter cette
1 linc pecudes. armcnta; viros, genus oinne ferarum, Ame universelle et unique qui engloutit les autres.
Quenique sibi tenues nasceutem arcessere vitas. Elle n'a trouvé que trop d'applau'lissemens parmi
Scilicet hue reddi deinde ac resoluta refcrri. les prétendus Esprits-forts, et le Sieur de Preissac,
9. L'Ame du inonde de Platon a été prise dans Soldat et homme d'esprit, qui se mèloit de Philo
ce sens par quelques-uns; mais il y a plus d'appa sophie, l'a étaiéo autrefois publiquement dans ses
rence que les Stoïciens dounoient dans cette Ame discours. Le Système de l'Harmonie préé
commune qui absorbe toutes les autres. Ceux qui tablie est le plus capable de guérir ce mal. Car
sont de ce sentiment, pourraient être appelles Mo- il fait voir qu'il y a nécessairement des substances
nopsychites, puisque selon eux il n'y a vérita simples et sans étendue, répandues par toute, la Na
blement qu'une seule Aine qui subsiste. Mr. Dernier ture; que ces substances doivent toujours subsister
remarque, que c'est une opinion presque universel indépendamment de tout autre que de Dieu, et
lement reçue chez les Savans dans la l'erse et dans qu'elles ne sont jamais séparées de tout Corps or
les Etats du Grand-Mogol ; il paraît même qu'elle ganisé. Ceux qui croient que des Ames capables
a trouvé entrée chez les Cabalistcs t-t chez les My de sentiment, mais incapables de Raison, sont mor
stiques. Un certain Allemand natif de la Suabe, telles, ou qui soutiennent qu'il n'y a que les Auiea
LXXIII. THKODIŒK. DISCOURS DE LA CONFORMITE F.TC. 483
raisonnables qui puissent avoir du sentiment, don s'ils rcjètoient la Philosophie, et comme s'ils la jn-
nent beaucoup de prise aux Monopsycliitcs; car il gcoient ennemie de la Foi. Mais à le bien prendre,
sera toujours difficile de persuader aux hommes que on voit que Luther n'entendoit par la Philosophie,
les bêtes ne sentent rien : et quand on accorde une que ce qui est conforme au coin s ordinaire de la
fois que ce qui est cajiahle de sentiment peut périr, Nature, ou peut-être même ce qui s'enseignoit dans
il est difficile de maintenir par la Raison l'immor les Ecoles; comme lorsqu'il dit qu'il est impossible
talité de nos Ames. en Philosophie, c'est à -dire dans l'ordre de la Na
11. J'ai fait cette petite digression, parce qu'elle ture, que le Verbe se fasse chair; et lorsqu'il va
m'a paru de saison, dans un teins où l'on n'a que jusqu'à soutenir que ce qui est vrai en Physique,
trop de disposition à renverser jusqu'aux fondemens pourroit être faux en Morale. Aristote fut l'objet
la Religion Naturelle; et je reviens aux Aver- de -sa colère, et il avoit dessein de purger la Philo
roïstes, qui se persuadoient que leur dogme étoit sophie dès l'an 1516, lorsqu'il ne pensoit peut-être
démontré suivant la Raison; ce qui leur faisoit pas encore à réformer l'Eglise. Mais enfin il se
avancer que l'Ame de Hioinnie est mortelle selon la radoucit, et souffrit que dans l'Apologie de la Con
Philosophie, pendant qu'ils protestoient de se sou fession d'Ausbourg, on parlât avantageusement
mettre à la Théologie Chrétienne, qui la déclare d' Aristote et de sa Morale. Mélanchthon, esprit
immortelle. Mais cette distinction passa pour solide et modéré, fit de petits Systèmes des parties
suspecte, et ce divorce de la Foi et de la Raison de la Philosophie, accommodées aux vérités de la
fut rejeté hautement par les Prélats et par les Doc Révélation, et utiles dans la vie civile, qui méritent
teurs de ce teins -là, et condamné dans le dernier encore présentement d'être lus. Après lui, Pierre
Concile de Latcran sous LéonX., où l*'s sa vans fu de la Rainée se mit sur les rangs: sa Philosophie
rent exhortés à travailler pour lever les difficultés fut, fort en vogue, la Secte des Ramistes fut puis
qui sembloient commettre ensemble la Théologie et sante en Allemagne, et fort suivie parmi les Pro-
la Philosophie. La doctrine de leur Incompatibilité testans, et employée même en Théologie; jusqu'à
ne laissa pas de se maintenir incognito: Pomponace ce que la Philosophie corpusculaire fut ressuscitée,
en fut soupçonné, quoiqu'il s'expliquât autrement; ijui fit oublier celle de Rainus, et affaiblit le crédit
et la Secte même des Averroïstes se conserva des Péripatéticiens.
par tradition. On croit que César Crémoniii, ' 1 3. Cependant plusieurs Théologiens Protestans;
Philosophe, fameux en son tems, en a été un des s'éloignant t le plus qu'ils pouvoient de la Philoso
arcboutans. André Ce s a I p i n , Médecin, (Auteur phie de l'École, qui régnoit dans le parti opposé,
de mérite, et qui a le plus approché de la Circula alloient jusqu'au mépris de la Philosophie même
tion du sang, après Michel Servet) a été accusé par qui leur étoit suspecte; et la contestation éclata en
Nicolas Taurel (dans un Livre intitulé Alpes Cae- fin à Hclmstat par l'animosité de Daniel Hofinan,
sae) d'être de ces Péripatéticiens contraires à la Théologien habile d'ailleurs, et qui avoit acquis au
Religion. On trouve aussi des traces do cette doc trefois de la réputation à la Conférence de Qued-
trine dans le Circulus Pisanus Clandii Beri- linbourg, où Tileman Heshusius, et lui, avoient été
gardi, qui fut un Auteur François de Nation, trans de la part du Duc Jules de lîrunswic, lorsqu'il re
planté en Italie, et enseignant la Philosophie à Pisé: fusa de recevoir la Formule de Concorde. Je ne sais
niais sur-tout les Ecrits et les Lettres de Gabriel comment le Docteur Hofman s'emporta contre la
N a n d é , aussi bien que les N a u cl a e a n a , fou t voir Philosophie, au -lieu de se contenter de blâmes les
que PAverroïsme subsistoit encore, quand ce savant abus que les Philosophes en font: mais il eut en
Médecin étoit en Italie. La Philosophie corpuscu tête Jean Caselius, homme célèbre, estimé des Prin
laire, introduite un peu après, paroît avoir éteint ces et des Savans de son teins; et le Duc de Bran-
cette Secte trop Péripatéticienne, ou peut-être y a svvic Henri Jules, (fils de Jules Fondateur de l'Uni
été mêlée; et il se peut qu'il y ait des Atomistes, versité) ayant pris la -peine lui même d'examiner
qui seroient d'humeur à dogmatiser comme ces la matière, condamna le Théologien. Il y a ou
Averroïstes, si les conjonctures le permettaient : quelques petites disputes semblables depuis, mais
mais cet abus ne sauroit faire tort à ce qu'il y a de on a toujours trouvé que c'étoient des mal-enten-
bon dans la Philosophie corpusculaire, qu'on peut ! dus. Paul Slevogt, Professeur célèbre à Jena
fort bien combiner avec ce qu'il y a do solide dans i enThuringue, et dont les Dissertations qui nous re
Platon et dans Aristote, et accorder l'un et l'autre stent, marquent encore combien il étoit versé dans
avec la véritable Théologie. '. la Philosophie Scbolastiquc , et dans la Littérature
1 2. Les Réformateurs, et Luther sur-tout, com- j Hébraïque, avoit publié dans sa jeunesse sous le
uie j'ai déjà remarqué, ont parlé quelquefois, comme titre de Pervigilium, un petit Livru dç clissi
484 LXXIII. THEODICEE. DISœURS DE LA CONFORMITE ETC.
dio Thcologi et Philosophi in ntrinsqno nières qu'on trouva choquantes, et entre antres par
principiis fnndato, au snjet de la Question si le mépris de la Philosophie, dont on disoit qu'ils
Dieu est cause par accident du péché. Mais on avoient brûlé les cahiers des leçon1;, on crut que
voyoit bien que son bnt étoit de montrer que les leurs Maîtres rejetoient la Philosophie: mais ils
Théologiens abusent quelquefois des ternies philo s'en justifièrent fort bien, et on ne put les convain
sophiques. cre, ni de cette erreur, ni des hérésies qu'où leur
14. Pour venir à ce qui est arrivé de mon tems, imputoit.
je me souviens qu'en 1666, lorsque Louis Meyer, 16. La Question de l'usage de la Philosophie
Médecin d'Amsterdam , publia sans se nommer le clans la Théologie, a été fort agitée parmi les Chré
Livre intutilé Philosophia Scripturae inter- tiens, et l'on a eu de la peine à convenir des bor
pres, (que plusieurs ont donné mal-à-propos àSpi- nes do cet usage, quand on est entré dans le détail.
nosa son Ami) les Théologiens de Hollande se re Les Mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de
muèrent, et leurs écrits contre ce Livre firent naître la Sainte Cène donnèrent le plus d'occasion à la
de grandes contestations entre eux; plusieurs ju dispute. Les Photinicns nouveaux, combattant les
geant que les Cartésiens, en réfutant le Philosophe deux premiers Mystères, se servoient de certaines
anonyme, avoient trop accordé à la Philosophie. Maximes Philosophiques, dont André Kesler, Théo
Jean de Labadic (avant qu'il se fût séparé des Egli logien de la Confession d'Ausbonrg, a donné le pré
ses Réformées, sous prétexte de quelques abus qu'il cis dans les Traités divers qu'il a publiés sur les
disoit s'être glissés dans la pratique politique, et qu'il parties de la Philosophie Socinienne. Mais quant à
jugeoit insupportables) attaqua le livre de Mr. de Wol- leur Métaphysique, ou s'en pourroit instruire davan
Zogue, et le traita de pernicieux ; et d'un antre côté tage par la lecture de celle de Christophe Stegman
Mr. Vogelsang, Mr. van der Waeyen, et quelques Socmien, qui n'est pas encore imprimée, que j'avois
autres Anti - Cocceïens combattirent aussi le même vue dans ma jeunesse, et qui m'a été encore com
Livre avec beaucoup d'aigreur; mais l'accusé gagna muniquée depuis peu.
sa cause dans un Synode. On parla depuis en Hol 17. Calovius et Soherzerus Auteurs bien versés
lande de Théologiens rationaux et non ra dans la Philosophie de l'Ecole, et plusieurs antres
tion aux, distinction de parti dont Mr. Bayle fait Théologiens habiles ont amplement répondu aux
souvent mention, se déclarant enfin contre les pre Sociuiens, et souvent avec succès; ne s'étant point
miers; mais il ne paroit pas qu'on ait encore bien contentés des réponses générales un peu cavalières
dénué les règles précises, dont les uns et les autres dont on se servoit ordinairement contre eux, et qui
conviennent on ne conviennent pas à l'égard de revenoient à dire que leurs Maximes étoient bonnes
l'usage de la Raison dans l'explication de la Suinte en Philosophie et non pas en Théologie; que c'étoit
Écriture. le défaut de l'Hétérogénéité qui s'apix^lle jtixrâ-
15. Une dispute semblable a pensé troubler en jiacriQ sic d&Jw yÉvoç, si quelqu'un les employoit
core depuis peu les Églises de la Confession d'Aus- quand il s'agit de ce qui passe la Raison ; et que la
bonrg. Quelques Maîtres -es -Arts dans l'Université Philosophie devoit être traitée en Servante, et non
de Leipsic, faisant des leçons particulières chez eux pas en Maîtresse, par rapport à la Théologie, sui
aux Etudians qui les alloient trouver pour appren- I vant le titre du Livre de Robert Baronius Kcossois,
dre ce qu'on appelle la Philologie Sacrée sui intitulé: Philosophia Théo logiae aucillans.
vant l'usage de cette Université et de quelques au- j Enfin que c'étoit une Hagar auprès de Sara, qu'il
trcs, où ce genre d'étude n'est point réservé à la falloit chassT de la maison avec son l.-mael. quand
Faculté de Théologie: ces Maîtres, dis-je, pressèrent i elle faisoit la mutine. 11 y a quelque chose de bon
l'étude des saintes Écritures et l'exercice de la piété, dans ces réponses: mais comme on en pourroit
plus que leurs pareils n'avoient coutume de faire. abuser, et commettre mal -à-propos les Vérités na
Et l'on prétend qu'ils avoient outré certaines choses, turelles et les Vérités révélées; les Savans se sont
et donné des soupçons de quelque nouveauté dans attachés à distinguer ce qu'il y a de nécessaire et
la doctrine: ce qui leur fit donner le nom de Pié- d'indispensable dans les Vérités naturelles oa Phi
tistes, comme d'une Secte nouvelle; nom qui de losophiques, d'avec ce qui ne l'est point.
puis a fait tant de bruit en Allemagne, et a été 18. Les deux partis Protestans sont assez d'ac
appliqué bien ou mal à ceux qu'on soupçonnoit, ou cord entre eux, quand il s'agit de faire la guerre
qu'on faisoit semblant de soupçonner de Fanatisme, aux Sociniens: et comme la Philosophie de ces Sec
ou même d'hypocrisie, cachée sous quelque appa taires n'est pas des plus exactes, on a réussi le pins
rence de réforme. Or quelques-uns des auditeurs souvent à la battre en ruine. Mais tes mêmes Pro-
de ces Maîtres s'étant trop distingués par des ma testans se sont brouillés entre eux à l'occasion du
LXXIII. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 485
Sacrement de l'Eucharistie, lorsqu'une partie de l'opération immédiate, et la présence. Et
ceux qui s'appellent Réformés, (c'est-à-dire ceux comme plusieurs Philosophes ont jugé que, même
qui suivent en cela plutôt Zwingle que Calvin) a dans l'ordre de la Nature, un corps peut opérer
paru réduire la participation du Corps de Jésus- immédiatement' en distance sur plusieurs corps
Christ clans la Sainte Cène, à une simple représen éloignés, tout à la fois; ils croient, à plus forte rai
tation de figure, en se servant de la maxime des son, que rien ne peut empêcher la toute -puissance
Philosophes, qui porte qu'un Corps ne peut être divine de faire qu'un corps soit présent à plusieurs
qu'en nn seul lieu à -la fois: au-lieu que les Evan- corps ensemble; n'y ayant pas un grand trajet de
géliqucs (qui s'appellent ainsi dans un sens par l'opération immédiate à la présence, et peut-être
ticulier, pour se distinguer des Réformés) étant plus l'une dépendant de l'autre. Il est vrai que, depuis
attachés au sens littéral, ont jugé avec Luther, que quelque tems, les Philosophes modernes ont rejeté
cette participation étoit réelle, et qu'il y avoit là l'opération naturelle immédiate d'un corps sur un
un Mystère surnaturel. Ils rejettent, à la vérité, autre corps éloigné: et j'avoue que je suis de leur
le dogme de la Transsubstantiation, quïls croient sentiment. Cependant l'opération en distance vient
peu fondé dans le Texte ; et ils n'approuvent point d'être réhabilitée en Angleterre par l'excellent Mr.
non plus celui de la Consubstantiation ou de 1 Jin- Newton, qui soutient qu'il est de la nature des corps
panation, qu'on ne peut leur imputer quo faute de s'attirer et de peser les uns sur les autres, à
d'être bien informé de leur sentiment: puisqu'ils proportion de la masse d'un chacnn et des rayons
n'admettent point l'inclusion du Corps de Jésus- d'attraction qu'il reçoit: sur quoi le célèbre Mr.
Christ dans le pain, et ne demandent même aucune Locke a déclaré en répondant à Mr. l'Evêque Stil-
union de l'un avec, l'autre; mais ils demandent au lingfleet, qu'après avoir vu le Livre de Mr. Newton,
moins une concomitance, en sorte que ces deux sub il retracte ce qu'il avoit dit lui-même, suivant l'opi
stances soient reçues toutes deux en même tems. nion des modernes, dans sou Essai sur l'Entende
Ils croient que la signification ordinaire des paroles ment, savoir qu'un corps ne peut opérer immédia
de Jésus-Christ dans une occasion aussi importante tement sur un autre, qu'en le touchant par sa super
que celle où il s'agissoit d'exprimer ses dernières ficie, et en le poussant par son mouvement: et il
volontés, doit être conservée; et pour maintenir rcconnoît que Dieu peut mettre propriétés dans la
que ce sens est exemt de toute absurdité qui nous matière, qui la fassent opérer dans l'éloigueraent.
en pourroit éloigner, ils soutiennent que la maxime C'est ainsi que les Théologiens de la Confession
Philosophique, qui borne l'existence et la participa d'Ausbourg soutiennent qu'il dépend de Dieu, non
tion des Corps à un seul lieu, n'est qu'une suite du seulement qu'un Corps opère immédiatement sur
cours ordinaire de la Nature. Ils ne détruisent \ as plusieurs autres éloignés entre eux ; mais qu'il existe
pour cela la présence ordinaire du Corps de notre même auprès d'eux, et ne soit reçu d'une manière
Sauveur, telle qu'elle peut convenir an Corps le plus dans laquelle les intervalles des lieux et les dimen
glorifié. Ils n'ont point recours à je ne sais quelle sions des espaces n'aient point de part. Et quoi
diffusion d'Ubiquité, qui le dissiperont et ne le lais- que cet effet surpasse les forces de la Nature, ils ne
seroit trouver nulle part; et ils n'admettent pas croient point qu'on puisse faire voir qu'il surpasse
non plus la Réduplication multipliée de quelques la puissance de l'Auteur de la Nature, à qui il est
Scholastiques, comme si un même Corps étoit en aisé d'abroger les Loix qu'il a données, ou d'en
même tems assis ici, et debout ailleurs. Enfin ils dispenser comme bon lui semble; de lu même ma
s'expliquent de telle sorte, qu'il semble à plusieurs nière qu'il a pu faire nager le fer sur l'eau, et suspen
que le sentiment de Calvin , autorisé par plusieurs dre l'opération du feu sur le Corps humain.
Confessions de Foi des Eglises qui ont reçu la doc 20. J'ai trouvé en conférant le Rationale
trine de cet Auteur, lorsqu'il établit une participa Theologicum de Nicolans Vedelius, avec la Ré
tion de la substance, n'est pas si éloigné de la Con futation de Joannes Mnsaeus, que ers deux Auteurs,
fession d'Ausbourg, qu'on pourroit penser; et ne dont l'un est mort Professeur à Franeker, après
diffère peut - être qu'en ce que pour cette participa avoir enseigné à Genève, et l'autre a été fait enfin
tion il demande la véritable Foi, outre la réception premier Théologien à lena , s'accordent assez sur
orale des Symboles, et exclut par conséquent les les règles principales de l'usage de la Raison ; mais
indignes. que c'est dans l'application des règles, qu'ils ne con
19. On voit par-là que le dogme de la partici viennent pas. Car ils sont d'accord que la Révé
pation réelle et substantielle se peut soutenir (sans lation ne sauroit être contraire aux Vérités, dont la
recourir aux opinions étranges de quelques Scho nécessité est appelée par les Philosophes logique
lastiques) par une Analogie bien entendue entre on métaphysique, c'est-à-dire, dont l'opposé
62
480 LXXin. THÉODICÉE. DISCOURS DE LA CONFORMITÉ ETC.
implique contradiction 5 et ils admettent encore tous est impassibiliUer. O ludicram doctri-
deux, que te Révélation pourra combattre des maxi nam, aedificamtem simul et démo-lien te m!
mes dont la nécessité est appelée physique,-qui H s'ensuit de -là que certains Auteurs ont été trop
n'est fondée que sur les Loix que ta volonté de faciles à accorder que la Sainte Trinité est contraire
Dieu a prescrites à la Nature. Ainsi la question, à ce grand principe, qui porte que deux choses, qui
si la présence d'un même Corps en plusieurs lieux sont les mûmes avec une troisième, sont aussi tes
est possible clans l'ordre surnaturel, ne regarde que mêmes entre elles; c'est-à-dire, si A est le même
l'application de la règle: et pour décider cette que avec B, et si C est le même avec B, qu'il faut qn'A
stion démonstratwement j>ar la Raison, \t faudrait et C soient aussi les mêmes entre eux. Car ce
expliquer exactement en quoi consiste l'essence du principe est une suite immédiate de celui de la con
Corps. Les Réformés mômes ne conviennent pas tradiction, et fait le fondement de tonte la Logique ;
entre eux là- dessus; les Cartésiens (a réduisent à et s'il cesse, il n'y a pas moyen de raisonner avec
l'étendue, mais lenrs adversaires s'y opposent; et certitude. Ainsi lorsqu'on dit que le Père est Dieu,
je crois même avoir remarqué que Gisbertus Voe- que le Fils est Dieu, et que le Saint Esprit est Dieu,
tius, célèbre Théologien d'Utrecht, doutoit de la pré et que cependant il n'y a qu'un Dieu, quoique ces
tendue impossibilité de la pluralité des lieux. trois Personnes diffèrent entre elles; il fant juger
21. D'ailleurs quoique les deux partis Protestai» que ce mot Dieu n'a pas la même signification an
conviennent qnïl faut distinguer ces deux nécessi commencement et à la fin de cette expression. En
tés que jte viens de remarquer, c'est-à-dire la né effet, il signifie tantôt la Substance Divine, tantôt
cessité métaphysique et la nécessité physique; et nwe personne de la Divinité. Et l'on peut dire
que la matière est indispensable, même dans les généralement qu'il faut prendre garde de ne jamais
Mystères; ils ne sont pas encore assez convenus abandonner les Vérités nécessaires et éternelles, pour
des règles d'interprétation qui peuvent servir ;* dé soutenir les Mystères; de peur que les ennemis de
terminer en quel cas il est permis d'abandonner la la Religion ne prennent droit là-dessus de décrier
lettre, torsqa'on n'est pas assuré qu'elle est contraire et ta Religion et les Mystères.
aux Vérités indispensables: car on convient qu'il 23. La distinction qu'on a coutume de faire en
y a des cas où il fant rejeter une interprétation tre a' qui est au dessus de la Raison, et ce qui
littérale, qui n'est pas absolument impossible, lors est contre la Raison, s'accorde assez avec la
qu'elle est peu convenable d'ailleurs. Par exemple, distinction qu'on rient de faire entre les deux espè
tons les Interprètes conviennent, que lorsque notre ces de la nécessité. Car ce qui est contre la Raison,
Seigneur dit qn'Hérode étoit un renard, il l'enten- est contre les Vérités absolument certaines et in
doit métaphoriquement; et il en faut Tenir là, à dispensables ; et ce qui est au-dessus clé la Raison,
moins de s'imaginer, avec quelques Fanatiques, que, est Contraire seulement à te qu'on a coutume d'ex
pour le tems que durèrent les- paroles de notre périmenter ou de comprendre. C'est pourquoi je
Seigneur, Hérode fut changé effectivement en re m'étonne qu'il y ait des gens d'esprit qui combat
nard. Mais H n'en est pas de même des Textes tent cette distinction, et qne, Mr. Baiyle soit de ce
fondamentaux des Mystères, où les Théologiens de n. uni. H . Elle est assurément très'bien fondée. Une
la Confession d'Ansbourg jugent qu'il fmit se tenir Vérité esta» dessus de la Raison, quand notre Esprit,
au sens littéral; et cette discussion appartenant à (ou même tout Esprit créé) ne la sauroit compren-
l'art d'interpréter, et non pas à ce qui est propre* «Jre: et telle est, à mon avis, la Sainte Trinité ; tels
ment de la Logique, nous n'y entrerons point ici. sont les miracles réservés à Dieu sent, comme par
d'autant qu'elle n'a rien de commun avec les dispu exemple, la Création ; tel est le choix de l'ordre de
tes qui se sont élevées depuis peu sur la Conformité l'Univers, qui dépend de l'Harmonie universelle, et
de la Foi avec ta Raison. de la connoksance distincte d'une infinité cte cho
22. Les Théologiens de tous les partis, comme ses à la fois. Mais une Vérité ne saurait jamais
je pense, (les seuls Fanatiques exceptés) conviennent être contre la Raison; et bien loin qu'un dogme
au moins qu'aucun Article de Foi ne sauroit impli combattu et convaincu par la Raison soit incom
quer contradiction, ni contrevenir aux démonstra préhensible, l'on peut dire que rien n'est plus aisé
tions aassi exactes que celles des Mathématiques, à comprendre, ni plus manifeste, que son absurdité.
où le contraire de la conclusion peut être réduit Car j'ai remarqué d'abord , que par LA RAISON
ad absurdum, c'est-à-dire, à la contradiction ; on n'entend pas ici les opinions et les discours des
et S. Athanase s'est moqué avec raison du galima hommes, ni même l'habitude qu'ils ont prise de ju
tias de quelques Auteurs de son tems, qui avoient ger des choses -nivant le cours ordinaire de la Na
soutenu que Dieu avoit pâti sans passion. Pas s us ture ; mais l'enchaînement inviolable des Vérités.
LXXIH. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 487
2d. Il faut venir maintenant à la grande Ques ses argiinieiis du nom de preuves, et abaissant
tion que Mr. Bayle a mis sur le tapis depuis |xni, les nôtres •jiar le nom 'flétrissant d'objections.
savoir, si une Vérité, et sur-tout une Vérité «le Foi, 26. C'est une autre Question, si nous sommes
pourra être sujette à des objections insolubles. Cet toujours obligés d'examiner les objections qu'on
excellent Auteur semble soutenir hautement raftir- •nous peut -faire, et de conserver quelque doute sur
uiative de cette Question: il cite des Théologiens notre sentiment, on ce qu'on appelle formidineni
graves de son parti, et même de celui de Rome, oppositi, jusqu'à ce qu'on ait fait cet examen.
qui Croissent dire ce qu'il prétend; et il allègue J'oserois dire que non, car autrement on ne vieii-
des Philosophes qui ont cru qu'il y a même des dniît jamais à la certitude, et notre conclusion su
Vérités Philosophiques, dont les défenseurs ne sau- roît toujours provisionnelle: et je crois que les ha
roiont répondre aux objections qu'on leur fait. 11 biles Géomètres ne se mettront guères en peine des
croit que la doctrine de la Prédestination est de objections de Joseph Scaliger contre Archimède, ou
cette nature dans la Théologie, et celle de la com de celles de Mr. Hobbes contre Euclide; mais c'est
position du Continua m dans la Philosophie. Ce parce qu'ils sont bien sûrs des démonstrations qu'ils
sont en effet les deux Labyrinthes, qui ont exercé ont comprises. Cependant il est Uni quelquefois
de tout touis les Théologiens et les Philosophes. d'avoir la complaisance d'examiner certaines objec
Libertus Frouiondus Théologien de Louvain, -(grand tions: car outre qne cela peut servir à tirer les
ami de Jansénius, dont il a même publié le Livre gons de leur erreur, il peut arriver que nous en.pro-
posthume intitulé AugustiJfcs) qui a fort tra fitions nous -mômes; car les Paralogismes spécieux
vaillé sur la Grâce, et qui a aussi fait un Uvre ex renferment souvent quelque ouverture utile, et don
près intitulé, Labyriuthus de compositione nent lieu à résourdre quelques difficultés considé
continni, a bien exprimé les difficultés de l'un et rables. C'est pourquoi j'ai toujours aimé des ob
de l'autre : et le fameux Ochin a fort bien repré jections ingénieuses contre mes propres senti mens,
senté ce qu'il appelle les Labyrinthes de la et je ne les ai jamais examinées sans fruit : témoin
Prédestination. celles que Mr. Bayle a faites autrefois contre mon
Système de l'Harmonie préétablie, sans parler ici
26. Mais ces Auteurs n'ont point nié qu'il soit de celles qne Mr. Arnanld, Mr. l'Abbé Foncher et
possible de trouver un fil dans ce Labyrinthe, et ils le Père Lami Bénédictin m'ont faites sur le mémo
auront reconnu la difficulté, mais ils ne seront point sujet. Mais pour revenir à la question principale,
allés du difficile jusqu'à ^impossible. Pour moi, je conclus, par les raisons que je viens de rappor
j'avoue que je ne saurois être du sentiment de ceux ter, que lorsqu'on propose une objection contre
qui soutiennent qu'une Vérité ])eut souffrir des ob quelque Vérité, il est toujours possible d'y répon
jections invincibles: car une objection est-elle dre comme il faut.
antre chose qu'un argument dont la conclusion con 27. 'Peut-être aussi que Mr. Bayle ne prend pas
tredit à notre thèse'! Et un argument invincible les Objections insolubles dans le sens que je
n'est-il pas -une démonstration! Et comment viens d'exposer; et je remarque qu'il varie, au
peut-on connaître la certitude dos démonstrations, moins dans ses expressions: car, dans sa Réponse
qu'en examinant l'argument eu détail, la forme et posthume à Mr. Le Clerc, il n'accorde point qu'on
la matière, afin de voir si la 'forme • est bonne, et puisse opposer des démonstrations aux Vérités de
puis si chaque prémisse est ou reconnue, ou prou la Foi. Il semble donc qu'il ne prend les objections
vée par un autre argument de pareille force jus- pour invincibles, que par rapport à nos lumières
qu'à-ce qu'on n'ait besoin que de prémisses recon présentes, et il ne désespère pas -même-dans cette
nues'? Or s'il y a une telle objection contre notre Réponse, p. 35. que quelqu'un ne puisse un -jour
thèse, 11 faut dire que la fausseté de cette 'thèse est trouver un dénuement peu connu jusqu'ici. Ou en
démontrée, et qu'il est impossible que nous puissions parlera encore plus bas. Cependant je suis d'une
avoir des raisons suffisantes pour la prouver; autre opinion, qui surprendra peut-être: c'est que je crois
ment deux contradictoires seroient véritables tout que ce dénouement est tout trouvé, et n'est -pas
à l,i lui:-,. Il faut toujours céder aux démonstrations, même des plus difficiles, et qu'un génie médiocre,
soit qu'elles soient proposées pour affirmer, soit capable d'assez d'attention, et se servant exacte
qu'on : les avance en 'forme d'objections. Et il est ment des -règles de la Logique vulgaire, est en -état
injuste et- inutile de vouloir aflbiblir les preuves des de répondre à l'objection la plus embarassante
adversaires, sous -prétexte que ce ne sont que des contre te Vérité, lorsque Tobje«»ion n'est prise que
objections; puisque l'adversaire a le même droit, de la Raison, «t lorsqu'on prétend que c'est une
et peut renverser les dénominations, en honorant démonstration. Et quelque mépris que le vulgaire
62»
488 LXXI1I. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC.
dos modernes ait aujourd'hui pour lu Logique d'Ari- f mande, sans qu'où ait plus besoin de penser aux
stote, il faut reconnoitre qu'elle enseigne des moyens raisous, ni de s'arrêter aux difficultés de raisonne
infaillibles do résister à Terreur dans ces occasions. ment que l'esprit peut envisager.
Car on n'a qu'à examiner l'argument suivant les 30. Ainsi ce que nous venons de dire sur la
règles, et il y aura toujours moyen de voir s'il Raison humaine, qu'on exalte et qu'on dégrade tour-
manque dans la forme, ou s'il y a des promisses à-tour, et souvent sans règle et sans mesure, peut
qui ne soient pas encore prouvées par un bon ar- , faire voir notre peu d'exactitude, et combien nous
gumcnt. sommes complices de nos erreurs. 11 n'y auroit
28. C'est tout autre chose, quand il ne s'agit rien de si aisé à terminer que ces disputes snr les
que des vraisemblances; car l'art déjuger des droits de la Foi et de la Raison, si les hommes
raisous vraisemblables n'est pas encore bien établi; J vouloient se servir des règles les plus vulgaires de
desorte que notre Logique à cet égard est encore la Logique, et raisonner avec tant soit peu d'atten
très imparfaite, et que nous n'en avons presque tion. An-lieu de cela, ils s'embrouillent par des
jusqu'ici que l'Art de juger des démonstrations. expressions obliques et ambiguës, qui leur donnent
Mais cet Art suffit ici : car quand il s'agit d'oppo un beau champ de déclamer, pour faire valoir
ser la Raison à un Article de notre Foi, ou ne se leur esprit et leur doctrine: desorte qu'il sem
met point en peine des objections qui n'aboutissent ble qu'ils n'ont point d'envie de voir la Vérité
qu'à la vraisemblance : puisque tout le monde con toute une, peut-être parce qu'ils craignent qu'elle
vient que les Mystères sont contre les apparences, ne soit plus désagréable que l'Erreur, faute de con-
et n'ont rien de vraisemblable, quand on ne les noitre la beauté de l'Auteur de toutes choses, qui
regarde que du côté du la Kaison; mais il suffit est la source de la Vérité.
qu'il n'y ait rien d'absurde. Ainsi il faut des dé 31. Cette négligence est un défaut général de
monstrations pour les réfuter. l'Humanité, qu'on ne doit reprocher à aucun en par
39. Et c'est ainsi sans doute qu'on le doit en ticulier. Abundamus dulcibus vitiis, comme
tendre, quand la Sainte Écriture nous avertit que Quiutilien le disoit du stile de Sénèque; et nous
la Sagesse de Dieu est une folie devant les hommes, nous plaisons à nous égarer. L'exactitude nous
et quand S. Paul a remarqué que l'Evangile de Jé gêne, et les règles nous paroissent des puérilités.
sus-Christ est une folie aux Grecs, aussi-bien qu'un C'est pourquoi la Logique vulgaire (laquelle suffit
scandale aux Juifs; car au fond, une Vérité ne sauroit pourtant à \VM près pour l'examen des raisoniie-
contredire à l'autre ; et la lumière de la Raison n'est pas mens qui tendent à la certitude) est renvoyée aux
moins un don de Dieu, que celle de la Révélation. Écoliers ; et l'on ne s'est pas même avisé de celle
Aussi est-ce une chose sans difficulté parmi les qui doit régler le poids des vraisemblances, et qui
Théologiens qui entendent leur métier, que les mo seroit si nécessaire dans les délibérations d'impor
tifs de crédibilité justifient, une fois pour tou tance. Tant il est vrai que nos fautes, pour la
tes, l'autorité de la Sainte Écriture devant le tribu plupart, viennent du mépris ou du défaut de l'Art
nal de la Raison ; afin que la Raison lui cède dans de penser; car il n'y a rien de plus imparfait que
la suite, comme à une nouvelle Lumière, et lui sa notre Logique, lorsqu'on va au-delà des argumeus
crifie tontes ses vraisemblances. C'est à ]>eu près nécessaires; et les plus excellons Philosophes de
comme un nouveau Chef envoyé par le Prince doit notre teins, tels que les Auteurs de l'Art de penser,
faire voir ses Lettres Patentes dans l'Assemblée où de la Recherche de la Vérité, et de l'Essai sur l'En
il doit présider par -après. C'est à quoi tendent tendement , ont été fort éloignés de nous marquer
plusieurs bons Livres que nous avons de la Vérité les vrais moyens propres à aider cette faculté qui
de la Religion, tels que ceux d'Augustinus Steuchus, nous doit faire peser les apparences du vrai
de Du Plessis-Mornay, ou de Grotius: car il faut | et du faux: sans parler de l'Art d'inventer, où
bien qu'elle ait des caractères que les fausses Re- il est encore plus difficile d'atteindre, et dont on
ligious n'ont pas; autrement Zoroastre, Brama, So- • n'a que des échantillons fort imparfaits dans les
monacodoui et Mahomet seroient aussi croyables Mathématiques.
que Moïse et Jésus-Christ. Cependant la Foi Divine 32. Une des choses qui pourrait avoir contribué
elle-même, quand elle est allumée dans l'aine, est le plus à faire croire à Mr. Bayle qu'on ne sauroit
quelque chose de plus qu'une opinion, et ne dépend satisfaire aux difficultés de la Raison contre la Foi,
pas des occasions ou des motifs qui l'ont fait naître; c'est qu'il semble demander que Dieu soit justifié
elle va au-delà de l'entendement, et s'empare de la d'une manière pareille à celle dont on se sert ordi
volonté et du coeur, pour nous faire agir avec cha nairement pour plaider la cause d'un homme accusé
leur et avec plaisir, comme la Loi de Dieu le com devant sou Juge. Mais il ne s'est point souvenu
LXXI1I. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 481»
que clans les tribunaux îles hommes, qui ne sau- s'imaginer ou de vérifier des raisons particulières,
roiciit toujours pénétrer jusqu'à la vérité, on est qui l'aient pu porter à permettre le mal ; les rai
souvent obligé de se régler sur les indices et sur sons générales suffisent. L'on sait qu'il a soin de
les vraisemblances, et sur-tout sur les pré tout l'Univers, dont toutes les parties sont liées; et
somptions ou préjugés; au-lieu qu'on convient, l'on en doit inférer qu'il a eu une infinité d'égards,
comme nous l'avons déjà remarqué, que les Mystè dont le résultat lui a fait juger qu'il u'étoit pas à
res ne sont point vraisemblables. Par exemple, propos d'empêcher certains maux.
Mr. Bayle ne veut point qu'on puisse justifier la 35. On doit même dire qu'il faut nécessairement
bonté de Dieu dans la permission du péché; parce qu'il y ait eu de ces grandes, ou plutôt d'invincibles
que la vraisemblance seroit contre un homme qui raisons, qui aient poitc la divine Sagesse à la per
se trouverait dans un cas qui nous paroitroit sem mission du mal, qui nous étonne, par cela même
blable à cette permission. Dieu prévoit qu'Eve sera que cette permission est arrivée: car rien ne peut
trompée par le Serpent, s'il la met dans les circon venir de Dieu, qui ne soit parfaitement conforme à
stances où elle s'est trouvée depuis; et cependant la bonté, à la justice et à la sainteté. Ainsi nous
il l'y a mise. Or si un Père ou un Tuteur en fai- pouvons juger par l'événement (ou a posteriori)
soit autant à l'égard de son Enfant ou de son Pu que cette permission étoit indispensable, quoiqu'il
pille, un Ami à l'égard d'une jeune personne dont ne nous soit pas possible de le montrer (a priori)
la conduite le regarde, le Juge ne se payerait pas par le détail des raisons que Dieu peut avoir eues
des excuses d'un Avocat qui dirait qu'on a seule pour cela; comme il n'est pas nécessaire non plus
ment permis le mal, sans le faire, ni le vouloir: il que nous le montrions pour le justifier. Mr. Baylc
prendrait cette permission même pour une marque lui-même dit fort bien là-dessus; (Rép. au Provinc.
de mauvaise volonté, et il la considérerait comme Ch. 165. Tom. 3. p. 10G7.) Le péché s'est intro
un péché d'omission, qui rendrait celui qui en seroit duit dans le monde, Dieu donc a pu le permettre
convaincu complice du péché de commission d'un sens déroger à ses perfections; ab actu ad po-
autre. : teutiam valet consequeutia. En Dieu cette
33. Mais il faut considérer que lorsqu'on a prévu conséquence est bonne: i) l'a fait, donc il l'a bien
le mal, qu'on ne Ta point empêché, quoiqu'il paroisse fait. Ce n'est donc pas que nous n'ayons aucune
qu'on ait pu le faire aisément, et qu'on a même notion de la justice en général, qui puisse convenir
fait des choses qui l'ont facilité, il ne s'ensuit point aussi à celle de Dieu : et ce n'est pas non plus que
pour cela nécessairement qu'on en soit le com la justice de Dieu ait d'autres règles que la justice
plice; ce n'est qu'une présomption très forte, qui connue des hommes; mais c'est que le cas dont il
tient ordinairement lieu de. vérité dans les choses s'agit est tout différent de ceux qui sont ordinaires
humaines, mais qui seroit détruite par une discus parmi les hommes. Le droit universel est le même
sion exacte du fait, si nous en étions capables par pour Dieu et pour les hommes ; mais le fait est tout
rapport à Dieu: car ou appelle présomption différent dans le cas dont il s'agit.
chez les Jurisconsultes, ce qui doit passer pour vé 36. Nous pouvons même supposer ou feindre
rité par provision , en cas que !e contraire ne se (connue j'ai déjà remarqué) qu'il y ait quelque chose
prouve point; et il dit plus que conjecture, de semblable parmi les hommes à ce cas qui a lieu
quoique le Dictionnaire de l'Académie n'en ait point eu Dieu. Un homme pourroit donner de si gran
épluché la différence. Or il y a lieu de juger in des et de si fortes preuves de sa vertu et de sa sain
dubitablement qu'on apprendrait par cette discussion, teté, que toutes les raisons les plus apparentes que
si l'on y pouvoit arriver, que des raisons très justes, l'on pourroit faire valoir contre lui pour le charger
et plus fortes que celles qui y paraissent contraires, d'un prétendu crime, par exemple, d'un larcin, d'un
ont obligé le plus sage de permettre le mal, et de assasinat, mériteraient d'être rejetées comme des
faire même des choses qui l'ont facilité. On en calomnies de quelques faux témoins, ou comme un
donnera quelques instances ci-dessous. feu extraordinaire du hazard, qui fait soupçonner
34. 11 n'est pas fort aisé, je l'avoue, qu'un Père, quelquefois les plus iunoccus. De sorte que dans
qu'un Tuteur, qu'un Ami puisse avoir do telles rai un cas où tout autre seroit en danger d'être cou-
sons dans le Tas dont il s'agit. Cependant la chose damné, ou d'être mis à la question, (selon les droits
n'est pas absolument impossible, et un habile fai des lieux) cet homme seroit absous par ses Juges
seur de Romans pourroit peut-être trouver un cas d'une commune voix. Or dans ce cas, qui est rare
extraordinaire, qui justifierait même un homme, en effet, mais qui n'est pas impossible, on pourroit
dans les circonstances que je viens de marquer: dire en quelque façon (sano sensu) qu'il y a un
mais à l'égard de Dieu, l'on n'a point besoin de combat entre la Raison et la Foi; et que les règles
490 LXXJJU. THEOD1CEE. DISœURS DE LA CONFORMITE .ETC.
du Droit sont autres par rapport à ce personnage, ses dépendoiont du caprice d'un jwuvoir arbitraire,
que par rapport au reste des hommes. Mais cela sans qu'il y eût ni règle, ni égard pour quoi que
bien expliqué signifiera seulement, que des appa ce fût J
rences de raison cèdent ici à la foi qu'on doit à la '3'8. Il est donc plus que visible, que rien ne
parole et à la probité 'de -ce grand et saint homme: nous oblige à -nous engager dans une si étrange
•et qu'il est privilégié par dessus les autres hommes ; doctrine; puisqu'il suffit de dire que nous ne con-
non pas comme s'il y avoit une autre Jurisprudence noissons pas assez le fait, quand il s'agit de ré
pour lui, ou comme si Ton n'entendoit pas -ce -que pondre aux vraisemblances, qui paraissent mettre
c'est que la Justice par rapport à lui; mais parce en doute la justice et la bouté de Dieu, et qui
que les règles de la Justice universolli: ne trouvent s'évariouïroient, si le fait nous étoit bien connu.
point ici l'application qu'elles reçoivent ailleurs, on Nous n'avons pus besoin non plus de renoncer à la
plutôt parce qu'elles le favorisent, bien loin de le Raison ponr écouter la Foi , ni de nous crever les
charger; puisqu'il y a des qualités si admirables yeux pour voir clair, comme disoit la Reine Chri
dans ce personnage, qu'en vertu d'une bonne Lo stine: il suffit de rejeter les apparences ordinaires,
gique des vraisemblances, ou doit ajouter plus de quand elles sont contraires aux Mystères: ce qui
•foi à sa parole qu'à celle de plusieurs autres. n'est point contraire à la Raison puisque même
37. Puisqu'il est permis ici de faire des tictions dans les choses naturelles nous sommes bien souvent
possibles, ne peut-on pas s'imaginer que cet homme désabusés des apparences par l'expérience, ou par
incomparable soit l'Adepte ou le Possesseur des raisons supérieures. Mais tout cela n'a été mis
de la bénite pierre ici par avance, que pour mieux faire entendre en
Qui peut seule enrichir tons les Rois de la Terre, quoi consiste le défaut des objections, et l'abus de
et qu'il fasse tous les jours des dépenses prodigieuses la Raison, dans le cas présent, où l'on prétend
pour nourrir et pour tirer de la misère une infinité qu'elle combat In Foi avec le plus de force: nous
de jpauvres? :Or s'il y avoit je ne sais combien de viendrons ensuite à une plus exacte discussion de
témoins, -ou je ne sais quelles apparences, qui ten ce qui regarde l'origine du mal et la permission du
dissent à prouver que ce grand bienfaiteur du Genre- péché avec ses suites.
humain vient de commettre quelque 'larcin, n'est-il 39. Pour à présent, il sera bon de continuer à
pas vrai que toute la terre se inoquei oit de l'accu examiner l'importante question de l'usage de la Rai
sation, quelque spécieuse qu'elle pût être! 'Or Dieu son dans la Théologie, et -de faire des réflexions sur
est infiniment au dessus de 'la bouté et<de la 'puis ce que Mr. Baylo a dit là-dessus en divers lieux de
sance de cet homme; et par conséquent 11 n'y a sos Ouvrages. Comme il s'étoit .attaché dans sou
point de raisons, quelque apparentes qu'elles soient, Dictionnaire Historique et Critique à mettre les ob
qui puissent tenir contre la Foi, c'est-à-dire, contre jections des Manichéens et celles des iPyrrhouiens
l'assurance ou contre la confiance en Dieu, avec dans leur jour, et comme ce dessein avoit été cen
laquelle nous pouvons et devons dire, que 'Dieu a suré par quelques personnes zélées pour la Religion;
tout fait comme il faut. Les objections ne sont donc il'init une Dissertation à la fin de la seconde édition
point insolubles. Elles ne contiennent que des pré de ce Dictionnaire, qui tendoit à faire voir par des
jugés ct'des vraisemblances, mais qui sont détruites exemples, par des autorités et par des raisons, l'in-
par dos raisons incomparablement plus fortes. Il noeoncc et l'utilité de son procédé. Je suis per
in- faut pas dire non plus, que ce que nous appel- suadé, -(comme j'ai dit ci-dessus) que les objections
Ions justice, n'est rien par rapport à Dien; qu'il spécieuses qu'on peut op|K>ser à te 'Vérité'sont très-
est le Maître absolu de toutes choses, jusqu'à pou •utiles: et qu'elles servent à la confirmer- et à Tèclair-
voir condamner les innocens, sans violer sa justice; cir, en donnant occasion aux personnes intelligentes
ou enfin que la justice est quelque -chose d'arbi- (le trouver de nouvelles ouvertures, ou de faire
'trairc à son égard; expressions hardies et dange mieux valoir les anciennes. Mais Mr. Bayle y
reuses, où quelques -nus se sont laissé entraîner au cherche une utilité toute opposée qui seroit de 'faire
préjudice des attributs de Dieu: puisqu'on ce cas il voir la puissance de la Foi, en montrant que les
n'yauroit point de quoi louer sa bonté et sa justice; vérités qu'elle enseigne ne saaroient ^soutenir les
et tout seroit de même que si le plus méchant Esprit, attaques de la Raison, et qu'elle ne laisse pas de se
•le Prince des mauvais Génies, le mauvais Principe maintenir dans le coeur des fidèles. 'Mr. 'Nicole
des Manichéens, étoit le seul maître do l'Univers, semble appeller cela le triomphe de l'aato-
comme on l'a déjà remarqué ci-dessus. Car quel rtié de Dieu sur la Raison humaine, dans
moyen y auroit-il de discerner ! le véritable Dieu les paroles que Mr. Bayle rapporte de lui, daas le
d'avec le faux Dieu de Zoroastre, si 'toutes les cho 3. Tome de sa Réponse aux questions d'un ^
LXXIII. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 491
vincial (ch. 177. p. 120.) Mais comme lia Raison sont bien vérifiées. Il y a an petit Roman tiré de
et un don de Dieu, aussi-bien que la Foi, leur com l'Espagnol, dont le titre porte, qu'il ne faut pas tou
bat ferait combattre Dieu contre Die»; et si les jours croire ce qu'on voit. Qu'y avoit il de plus
objeetions de la Raison contre qaelqne article de apparent que le mensonge du faux Martin Guerre,
Foi son* insolubles, il faudra dire que ce prétendu qui se fit reconnoître par In femme et par les pa-
article sera faux et non révélé: ee sera une chi rens du véritable, et fit balancer long- teins les. Jur
mère d« l'esprit humain, et le triomphe de cette ges et les parons, même après l'arrivée du dernier î
Foi pourra être comparé aux fenx de joye que l'on cependant la vérité fut enfin reconnue. Il en est
fait après avoir été battu. Telle est la doctrine dé de même do la Foi. J'ai déjà remarqué, que ee
la damnation des enfans non baptizés, que Mr. Ni- qu'on peut opposer à la bonté et à la justice db
cote veut faire passer pour une suite du jiéehé ori Dieu, ne sont que des apparences, qui seroieut foc-
ginel; telle seroit la condamnation éternelle des tés contre un homme; mais qui deviennent nulles,
adultes qui anroient manqué dus luaiicrcs nécessai quand on les applique à Dieu, et quand on les. inet
res pour obtenir le salut. en balance avec les démonstrations qui nous aâsn-
40. O|*mlant tout le monde n'a pas besoin rcnt de la perfection infinie de ses attributs. Ainsi!
d'entrer dans îles discussions Théologiqnes; et des la Foi triomphe des fausses raisons, par des raisons
personnes, dont l'état est peu compatible avec les solides et supérieures, qui nous Tout fait embras
recherches exactes, doivent se contenter des ensei- ser: mais elle ne triompherait pas, si le sentiment
goemens de la Foi, sans se mettre en peine des contraire avoit pour lui des raisons aussi fortes, ou
objections 5 *t si par hazard quelque difficulté très- même plus fortes que celles qui font le fondement
forte venoit à les frapper, il leur est permis d'en de la Foi, c'est-à-dire, s'il y avoit des objections
détourner l'esprit, en faisant à Dieu un sacrifice de invincibles et démonstratives contre la Foi.
leur curiosité: car lorsqu'on est asstiré d'une vérité, 43. 11 est bon même de remarquer ici, que ce
on n'a- pas même besoin d'éconter les objections. que Mr. Bayle appelle Triomphe de la Foi,
Et comme il y a bien- des gens dont la foi est as est en partie nu triomphe de la Raison démonstra
sez petite et assez peu enracinée pour soutenir ces tive contre des raisons apparentes et trompeuses,
sortes d'épreuves danfrcrenscs, je crois qu'il ne leur qu'on oppose mal-à-propos aux démonstrations.
faut point présenter ce qui pourrait être nn poison Car il faut considérer qne les objections des Mani
pour eux; ou si l'on ne peut leur cacher ce qni chéens ne sont guères moins contraires à la Théo
n'est trop public, il faut y joindre Fantidote, c'est- logie mit m «'Ile, qu'à la Théologie révélée. Et
à-dire, il faut tâcher de joindre Ja solution à l'ob quand on leur abandonnerait la Sainte Écriture, le
jection, bien loin de l'écarter comme impossible. péché originel, la grâce de Dieu en Jésus - Christ,
41. Les passages des exeellens Théologiens qni les peines de l'Knfer et les autres articles de notre
parlent de ce triomphe de la Foi, peuvent et doi Religion, on ne se délivrerait point par-là de leurs
vent recevoir un sens convenable aux principes que objections: car on ne sauroit nier, qu'il y a dans
je viens d'établir. II se rencontre dans quelques | le monde tin mal physique, (c'est-à-dire dos souf
objets de la Foi, deux qualités capables de la faire frances) et du mal moral, (c'est-à-dire des crimes>
triompher de la Raison; l'une est l'incompré- et même que le mal physique tiV-.t pas toujours
hensibilité, Fantre est le peu d'apparence. distribué ici-bas suivant sa proportion du mal mo
Mais il fant se bien donner de garde d'y joindre ral, comme il semble que la justice le demande. Il
la troisième qualité, dont Mr. Bayle parle, et de reste donc cette question de la Théologie naturelle,
dire, que ce qu'on croit est insoutenable: car comment un Principe unique, tout-bon, tout-sago
ce seroit faire triompher la Raison à son tour, et tout - puissant a pu admettre le mal, et snr-tout
d'une manière qui détruiroit la Foi. L'incom- comment il a pu permettre le péché, et comment
préhensibilité ne nous empêche pas de croire il a pu se résoudre à rendre souvent les médians
même des vérités naturelles; par exemple (comme heureux et les bons malheureux î
j'ai déjà marqué) nons ne comprenons pas la na 44. Or nous n'avons point besoin de la Foi ré
ture des odeurs et des saveurs, et cependant nous vélée, pour savoir qu'il y a un tel Principe unique
sommes persuadés, par une espèce de foi que nous de toutes choses, parfaitement bon et sago. La
devons aux témoignages des Sens, que ces qualités Raison nous rapprend par démonstrations infailli
sensibles sont fondées dans la nature des choses, bles; et par conséquent toutes les objections prises
et que ce ne sont pas des illusions. du train des choses, où nous remarquons des im
42. Il y a aussi des choses contraires aux perfections, ne sont fondées que sur de fausses ap
apparences, que nous admettons, lorsqu'elles parences. Car si nous étions capables d'entendre
492 LXXIII. THKODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC.
l'Harmonie universelle, nous verrions que ce que sou aussi bien que lui, et n'en étalent les lueurs
nous sommes tentés de blâmer, est lié avec le plan qni s'élèvent contre la Religion, que pour les sa
le plus digne d'être choisi; en nn mot nous ver crifier à la Foi par nn simple désaveu, et en ne ré
rions, et ne croirions pas seulement, que ce pondant qu'à la conclusion de l'argument qu'on
que Dieu a fait est le meilleur. J'appelle voir leur oppose. 11 commence par le Nouveau Testa
ici, ce qu'on connoît a priori par les causes; et ment. Jésus-Christ se contentoit de dire: Suis-
croire, ce qu'on ne juge que par les effets, quoi moi (Luc. V. 27. IX. 59.) Les Apôtres disoient:
que l'un soit aussi certainement connu que l'autre. Crois, et tu seras sauvé (Act. XVI. -3.) S.
Et l'on peut appliquer encore ici ce que dit S. Paul Paul reconnoit, que sa doctrine est obscure
(2. Cor. V. 7.) que nous cheminons par foi et non (1. Corinth. XIII. 12.) qu'on n'y peut rien
par vue. Car la sagesse infinie de Dieu nous étant comprendre, à moins que Dieu ne communique
connue, nous jugeons que les maux que nous expé un discernement spirituel, et sans cela elle ne passe
rimentons dévoient être permis, et nous le ju que pour folie (1. Cor. II. 14.) Il exhorte les fidè
geons par l'effet même ou a posteriori, c'est- les à se bien tenir en garde contre la
à-dire, parce qu'ils existent. C'est ce que Philosophie (1. Cor. II. 8.) et à éviter les con
Mr. Bayle reconnoît; et il devoit s'en contenter, testations do cette science, qui avoit fait perdre la
saus prétendre qu'on doit faire cesser les fausses Foi à quelques personnes.
apparences qui y sont contraires. C'est comme si 47. Quant aux Pères de l'Eglise, Mr. Bayle
l'on demaudoit quïl n'y eût plus de songes, ni de nous renvoie au recueil de leurs passages contre
déceptions d'Optique. l'usage de la Philosophie et de la Raison, que Mr.
45. Et il ne faut point douter que cette Foi et de Launoy a fait (de varia Aristotelis for-
cette confiance en Dieu , qui nous fait envisager sa tuna cap. 2.) et particulièrement aux passages de
bonté infinie, et nous prépare à son amour, malgré S. Augustin recueillis par Mr. Arnaud (contre Mal-
les apparences de dureté qui nous peuvent rebuter, let) pui portent, que les jugemens de Dieu sont
ne soient un exereice excellent des vertus de la impénétrables; qu'ils n'en sont pas moins justes,
Théologie Chrétienne, lorsque la divine Grâce en pour nous être inconnus; que c'est un profond
Jésus Christ excite ces mouvemens en nous. C'est abirne, quon ne peut fonder saus se mettre au ha-
ce que Luther a bien remarqué contre Erasme, en zard do tomber dans le précipice; quon ne peut
disant que c'est le comble de l'amour, d'aimer celui sans témérité vouloir expliquer ce que Dieu a
qui paroit si peu aimable à la chair et au sang, si voulu tenir caché; que sa volonté ne saurait être
rigoureux contre les misérables, et si prompt à que juste; que plusieurs ayant voulu rendre raison
damner, et cela même pour des maux, dont il pa de cette profondeur incompréhensible, sont tombés
roit être la cause on le complice à ceux qui se lais en des imaginations vaines et en des opinions plei
sent éblouïr par de fausses raisons. De sorte nes d'erreur et d'égarement.
qu'on peut dire que le triomphe de la véritable 48. Les Scholastiques ont parlé de même: Mr.
Raison éclairée par la grâce divine, est en même Bayle rapporte un beau passage du Cardinal Caje-
tems le triomphe de la Foi et de l'amour. tan (1. part. Suintii. qn. 22. art. 4.) dans ce sens:
46. Monsieur Bayle paroît l'avoir pris tout au •Notre esprit, (dit -il) se repose non sur l'évi-
trement : il se déclare contre la liaison, lorsqu'il ce »denoe de la vérité connue, mais sur la profondeur
pouvoit contenter d'en blâmer l'abus. Il cite les » inaîcessible de la vérité cachée. Et comme dit
paroles de Cotta chez Ciceron, qui va jusqu'à dire »S. Grégoire, celui qui ne croit touchant la Divi-
que si la Raison «toit nn présent des Dieux, la • nité que ce qu'il peut mesurer, avec son esprit, appe-
Providence seroit blâmable de l'avoir donné, puis- | tisse l'idée -de Dieu. Cependant je ne soupçonne
qu'il tourne à notre mal. Mr. Fiayle aussi croit, «pas quïl faille mer quelqu'une des choses qne
que la Raison humaine est un principe de destruc «nous savons, ou que nous voyons apj>artenir à
tion et non pas d'édification (Diction, p 2026. «l'immutabilité, à l'actualité, à la certitude, à I u-
col. 2.) que c'est une coureuse qui ne sait où s'ar «niversalité etc. de Dieu: mais je, pense qu'il y a
rêter, et qui comme une autre Pénélope détruit elle- »ici quelque secret, ou à l'égard de la relation qui
même son propre Ouvrage, •est entre Dieu ot l'événement, ou par rapport à
Desti-uit, aedificat, mutât quadrata rotundis. «ce qui lie l'événement même avec sa prévision.
(Rep. au Provincial, T. 3. p. 723.) Mais il s'ap- ] «Ainsi considérant que l'intellect de notre âme est
plique sur -tout à entasser beaucoup d'autorités les • l'oeil de la chouette, je ue trouve son repos que
unes sur les autres, pour faire voir que les Théolo «dans l'ignorance. Car ils vaut mieux et pour la
giens de tous les partis rejettent l'usage de la Rai- • Foi Catholique, et pour la Foi Philosophique,
LXXtU. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 493
«avouer notre aveuglement, que d'assurer comme «par provision (tantisjK-r) «qu'il soit juste, quoi-
»des choses évidentes ce qui ne tranquillise pas no- «qu'il nous ait promit que le tems viendra, où sa
»tre esprit, puisque c'est l'évidence qui le met en «gloire étant révélée, tous les hommes verront clai-
«tranquillité. Je n'accuse pas de présomption pour » renient qu'il a été et qu'il est juste.»
«cela tous les Docteurs, qui en bégayant ont tâché 51. On trouvera aussi que lorsque les Pères
«d'insinuer comme ils ont pu, l'immobilité et l'efti- sont entrés en discussion, ils n'ont point rejeté
«cace souveraine et éternelle de l'entendement, de simplement la Raison. Et en disputant contre les
»la volonté et de la puissance de Dieu, par l'infail- Païens, ils s'attachent ordinairement à faire voir
«libilité de l'élection et de la relation divine à tous combien le Paganisme est contraire à la Raison, et
«les événeinens. Rien de tout cela ne nuit au combien la Religion Chrétienne a de l'avantage sur
«soupçon que j'ai, qu'il y a quelque profondeur lui encore de ce côté -là. Origène a montré à
«qui nous est cachée.» Ce passage de Cajetan est Celse comment le Christianisme est raisonnable, et
d'autant plus considérable, que c'étoit un Auteur pourquoi cependant la plupart des Chrétiens doi
capable d'approfondir la matière. vent croire sans examen. Celse s'étoit moqué de
49. Le Livre de Luther contre Erasme est plein la conduite des Chrétiens, «qui ne voulant, (disoit-
d'observations vives contre ceux qui veulent sou »il) iii écouter vos raisons, ni vous en donner de
mettre les vérités révélées au Tribunal de notre »ce qu'ils croient, se contentent de vous dire: N'e-
Raison. Calvin parle souvent sur le même ton, «xatnincz point, croyez seulement; ou bien, Votre
contre l'audace curieuse de ceux qui cherchent de • foi vous sauvera; et ils tiennent pour maxime,
pénétrer dans les conseils de Dieu. Il déclare dans «que la sagesse du monde est un mal. «
son Traité de la Prédestination, que Dieu a eu do 52. Origène y répond en habile homme (li
justes causes pour réprouver une partie des vre 1. ch. 2.) et d'une manière conforme aux prin
hommes, mais à nous inconnnes. Enfin Mr. cipes que nous avons établis ci-dessus. C'est que
Bayle cite plusieurs Modernes, qui ont parlé dans la raison, bien loin d'être contraire au Christianisme,
le même sens (Réponse aux Questions d'un Provin sert de fondement à cette Religion, et la fera rece
cial, chap. ICO. et snivans). voir à ceux qui pourront venir à l'examen. Mais
50. Mais toutes ces expressions et une infinité comme peu de gens en sont capables, le don cé
de semblables ne prouvent pas l'insolubilité des leste d'une foi toute nue qui porte au bien,
objections contraires à la Foi , que Mr. Bayle a en suffit pour le général. -S'il étoit possible
vue. Il est vrai que les conseils de Dieu sont im «(dit -il) que tous les hommes négligeant les
pénétrables, mais il n'y a point d'objections invin «affaires de la vie s'attachassent à l'étude et à la
cibles qui puisse faire conclure qu'ils sont injustes. «méditation, il ne fuudroit point chercher d'autre,
Ce qui paroît injustice du côté de Dieu et folie du «voie pour leur faire recevoir la Religion Chré-
côté de le Foi, le paroit seulement. Le célèbre » tienne. Car pour ne rien dire qui offense per-
passage de Tertullien (de carne Christi) mortuus » sonne» (il insinue que la Religion Païenne est
est Dei Filius, credibile est, quia ineptum absurde, mais - il ne le veut point dire ex
est; et sepultus revixit, certum est, quia im- pressément) »on n'y trouvera pas moins d'exacti-
possibile, est une saillie qui ne peut être enten •• tude, qu'ailleurs; soit dans la discussion de ses
due que des apparences d'absurdité. Il y en a de «dogmes, soit dans l'éclaircissement dos expressions
semblables dans le Livre de Luther du serf-arbitre, -énigmatiques de ses Prophètes, soit dans l'expli-
comme lorsquil dit ch. 174. Si placet tibi » cation des paraboles de ses Évangiles, et d'une
Deus iudignos coronans, non débet dis- «infinité d'autres choses arrivées ou ordonnées
plicere immcritos damnans. Ce qui étant «symboliquement. Mais puisque ni les nécessités
réduit à des expressions plus modérées, vent dire: «de la vie, ni les infirmités des hommes ne per-
Si vous approuvez que Dieu donne la gloire éter » mettent qu'à un fort petit nombre de personnes
nelle à ceux qui ne sont pas meilleurs que les au «de s'appliquer à l'étude; quel moyen pou voit -on
tres, vous ne devez point désapprouver qu'il aban «trouver plus capable de profiter à tout le reste du
donne ceux qui ne sont pas pires que les autres. «monde, que celui que Jésus-Christ a voulu qu'on
Et pour juger qu'il ne parle que des apparences «employât pour la conversion des peuples? Et je
d'injustice, on n'a qu'à peser ces paroles du même «voudrois bien que l'on me dit sur le sujet du
Auteur tirées du même Livre: «Dans tout le reste «grand nombre de ceux qui croient, et qui par- là
«(dit-il) nous reconnoissons en Dieu une Majesté • se sont retirés du bourbier des vices, où ils étoient
«suprême, il n'y a que la justice que nous osons • auparavant enfoncés, lequel vaut le mieux, d'à-
«contrequarrer: et nous ne voulons pas croire «voir de la sorte changé ses moeurs et corrigé sa
63
494 LXXIII. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMEE ETC.
«vie, en croyant sans examen qu'il y a des peines le Tribunal des notions communes (dans le
«pour les péchés et des récompenses pour les bon- 3. Tome de sa Réponse au Provincial page 1062.
»nes actions; ou d'avoir attendu à se convertit, p. 1140.) comme si ou ne devoit point consulter
-l'orsqu'on ne croiroit pas seulement, mais qu'on l'idée de la bouté, quand on répond aux Mani
» aurait examiné avec soin les fondemens de ces chéens; au lieu que lui-même sY-toit expliqué tout
» Dogmes? 11 est certain qu'à suivre cette mé- autrement dans son Dictionnaire: et il faut bien
«thode, il y en auroit bien peu qui eh viendroient que ceux qui sont en dispute sur la question, s'il
«jusqu'où leur foi toute simple et toute nue les n'y a qu'un seul Principe tout bon, ou s'il y en a
-conduit, mais que la plupart clemeurcroient dans deux, l'un bon, l'autre mauvais, conviennent de ce
«leur corruption.» que veut dire bon et mauvais. Nous enten
53. Mr. Bayle (dans son éclaircissement concer dons quelque chose par l'union, quand on nous
nant les objections des Manichéens, mis à la fin de parle de celle d'un corps avec un autre corps, on
la seconde édition du Dictionnaire) prend ces paro d'une substance avec son accident, d'un sujet avec
les, où Origène marque que Religion est à l'épreuve son adjoint, du lieu avec le mobile, de l'acte avec
de la discussion des Dogmes, comme si cela ne s'en- la puissance; nous entendons aussi quelque chose,
tendoit point par rapport à la Philosophie, mais quand nous parlons de l'union de l'âme avec le
seulement par rapport à lexactitude avec laquelle corps, pour eu faire une seule personne. Car quoi
on établit l'autorité et le véritable sens de la Sainte que je ne tienne point, que l'âme change les loix
Écriture. Mail il n'y a rien qui marque cette re du corps, ni que le corps change les loix de l'âme,
striction. Origène écrivoit contre un Philosophe, et que j'aie introduit l'Harmonie préétablie pour
qu'elle n'auroit point accommodé. Et il paroit, éviter ce dérangement ; je ne laisse pas d'admettre
que ce Père a voulu marquer, que parmi les Chré une vraie union entre l'Ame et le corps, qui en fait
tiens on n'étoit pas moins exact que chez les Stoï un suppôt. Cette union va au métaphysique, au
ciens et chez quelques autres Philosophes, qui éta- lien qu'une union d'influence iroit au physique.
Missoient leur doctrine, tant par la Raison, que Mais quand nous parlons de l'union du Verbe de
par les autorités, comme faisoit Chrysippe, qui Dieu avec la Nature humaine, nous devons nous
trouvoit sa Philosophie encore dans les symboles contenter d'une connoissance analogique, telle qne
de l'Antiquité Païenne. la comparaison de l'union de l'âme avec le corps
54. Celse fait encore une autre objection aux est capable de nous donner; et nous devons au re
Chrétiens, au même endroit. «S'ils se renferment ste nous contenter de dire que l'Incarnation est
«(dit -il) à l'ordinaire dans leur, N'examinez point, l'union la plus étroite qui puisse exister entre le
.«croyez seulement; il faut qu'ils me disent au I Créateur et la créature, sans qu'il soit besoin d'aller
«moins, quelles sont les choses qu'ils veulent que plus avant.
«je croie." En cela il a raison sans doute, et cela 56. Il en est de même des antres Mystères, où
va contre ceux qui diroient que Dieu est bon et les esprits modérés trouveront toujours une expli
juste, et qui soutiendraient cependant que nous n'a cation suffisante pour croire, et jamais autant qu'il
vons aucune notion de la bonté ou de la justice, en faut pour comprendre. Il nous suffit d'un cer
quand nous lui attribuons ces perfections. Mais il tain ce que c'est (TÎ èçt); mais le comment
ne faut pas demander toujours ce que j'appelle des (rtcùi,-) nous passe, et ne nous est point nécessaire.
notions adéquates, et qui n'enve'.oppent rien On peut dire des explications des Mystères, qui se
qui ne soit expliqué; puisque même les qualités débitent par ci par -là, ce que la Reine de Suède
sensibles, comme la chaleur, la lumière, la dou disoit dans une médaille sur la Couronne qu'elle
ceur, ne nous sauraient donner de telles notions. avoit quittée, non mi bisogna, e non mi basta.
Ainsi rions convenons que les Mystères reçoivent Nous n'avons pas besoin non plus (comme j'ai
une explication, mais cette explication est impar déjà remarqué) de prouver les Mystères à priori,
faite. 11 suffit que nous ayons quelque intelligence ou d'en rendre raison; il nous suffit que la
analogique d'un Mystère, tel que la Trinité et que chose est ainsi, (TO ort) sans savoir le p o u r-
l'Incarnation, afin qu'en les recevant nous ne pro quoi (TO dto'n) que Dieu s'est réservé. Ces vers
noncions pas des paroles entièrement destituées de que Joseph Scaliger a fait là- dessus sont beaux et
sens : lirais il n'est point nécessaire que l'explica célèbres.
tion aille aussi loin qu'il seroit à souhaiter, c'est-à- Ne curiosus quaere causas omnium,
dire, qu'elle aille jusqu'à la compréhension et au Quaecumque libris vis Prophetaruni imlidit
comment. A filata caelo, plena veraci Deo:
55. Il paroît donc étrange que Mr. Bayle récuse Née operta sacri supparo silentii
LXXIII. THÉODICÉE. DISCOURS DE LA CONFORMITÉ ETC. 495
Irrumpcre aude, secl patienter i)raeteri. lubilité. Et c'est tout autant en eftet, que si
Nescire velle, quae Magistcr optimus l'on disoit qu'une raison invincible contre une
Docere non vult, crudita inscitia est. thèse n'est pas une raison légitime de la rejeter.
Monsieur Bayle qui les rapporte (Rép au Pro- Car quelle autre raison légitime pour rejeter un
vinc. Tom. 3. p. 1055.) juge avec beaucoup d'ap sentiment peut-on trouver, si un argument con
parence que Scaliger les a faits à l'occasion des traire invincible ne l'est pas? Et quel moyeu au
disputes d'Arniinins et de Gomarus. Je crois que ra-t-on après cela de démontrer la fausseté et même
Mr. Bayle les a récités de mémoire, car il met l'absurdité de quelque opinion?
sacrata au lieu d'afflata. Mais c'est apparem 59. Il est bon aussi de remarquer que celui qui
ment par la faute de l'Imprimeur qu'il y a pru- prouve une chose a priori, en rend raison par lit
d enter au lieu de pudenter (c'est-à-dire modes cause efficiente; et quiconque peut rendre de telles
tement) que le vers demande. raisons d'une manière exacte etsuffisante, estaussien
57. Il n'y a rien de si juste que l'avis que ces état de comprendre la chose. C'est pour cela que les
vers contiennent, et Mr. Bayle a raison de dire Théologiens Scholastiques avoient déjà blâmé Ray
(p. 729.) «que ceux qui prétendent que la cou- mond Lulle d'avoir entrepris de démontrer la Tri
-duite de Dieu à l'égard du péché, et des suites du nité par la Philosophie. On trouve cette préten
•péché, n'a rien dont il ne leur soit possible de due démonstration dans ses Ouvrages, et Barthé-
• rendre raison, se livrent à la merci de leur adver- lémi Keckerman, Auteur célèbre parmi les Réfor
»saire.« Mais il n'a point raison de conjoindre més, ayant fait une tentative toute semblable sur
ici deux choses bien différentes, rendre raison le même Mystère, n'en a pas été moins blâmé par
d'une chose, et la soutenir contre les ob quelques Théologiens modernes. On blâmera donc
jections; comme il fait lorsqu'il ajoute d'abord: ceux qui voudront rendre raison de ce Mystère et
«Ils sont obligés de le suivre par -tout (leur ad- le rendre compréhensible, mais on louera ceux qui
• versaire) où il les voudra mener, et ils recule- travailleront à le soutenir contre les objections des
• roient honteusement et deinanderoient quartier, adversaires.
•s'ils avouoient que notre esprit est trop foible 60. J'ai déjà dit que les Théologiens distin
«pour résoudre pleinement toutes les instances d'un guent ordinairement entre ce qui est au dessus de
"Philosophe.» la Raison, et ce qui est contre la Raison. Ils met
58. Il semble ici que, selon Mr. Bayle, ren tent au dessus de la Raison ce qu'on ne san-
dre raison est moins que répondre aux in roit comprendre, et dont ou ne sauroit rendre rai-
stances, puisqu'il menace celui qui entreprendroit sou. Mais contre la Raison sera tout senti
le premier, de l'obligation où il s'eiigageroit d'aller ment qui est combattu par des raisons invincibles,
jusqu'au second. Mais c'est tout le contraire: un ou bien dont le contradictoire peut être prouvé
soutenant (respondens) n'est point obligé de d'une manière exacte et solide. Ils avouent donc
rendre raison de sa thèse, mais il est obligé de sa que les Mystères sont au-dessus de la Raison, mais
tisfaire aux instances d'un opposant. Un défen ils n'accordent point qu'ils lui sont contraires.
deur en justice n'est point obligé (pour l'ordinaire) L'Auteur Ânglois d'nn Livre ingénieux, mais dés
de prouver son droit, on de mettre en avant le ti approuvé dont le titre est, Christianity not
tre de sa possession; mais il est obligé de répon mysterious, a voulu combattre cette distinction;
dre aux raisons du demandeur. Et je me suis mais il ne me paroît pas qu'il lui ait donné aucune
étonné cent fois qu'un Auteur aussi exact et aussi atteinte. Monsieur Bayle aussi n'est pas tout-à-
pénétrant, que Mr. Bayle, mêle si souvent ici des fait content de cette distinction reçue. Voici ce
choses où il y a autant de différence qu'il y en a qu'il en dit (Tom. 3. de la Réponse aux Questions
entre ces trois actes de la Raison comprendre, d'nn Provincial ch. 158.) Premièrement (p. 998.)
prouver, et répondre aux objections; comme si il distingue avec M. Saurin entre ces deux thèses:
lorsqu'il s'agit de l'usage de la Raisen en Théolo l'une, «tous les Dogmes du Christianisme s'accor-
gie, l'un valoit autant que l'autre. C'est ainsi qu'il » dent avec la Raison; l'autre, la Raison humaine
dit dans ses Entretiens posthumes p. 73. »I1 n'y •connoît qu'ils s'accordent avec la Raison.» Il ad
»a point de principe que M. Bayle ait plus sou- met la première et nie la seconde. Je suis du
•Tent inculqué que celui-ci, que l'incompréhensi- même sentiment, si en disant qu'un Dogme
• bilité d'un Dogme et l'insolubilité des objections s'accorde avec la Raison, on entend qu'il
»qni le combattent, n'est pas une raison légitime est possible d'en rendre raison, ou d'en expliquer
»de le rejeter.- Passe pour l'incompréhensi- le comment par la Raison; car Dieu le pour-
bilité, mais il n'en est pas de même de l'inso roit faire sans doute, et nous ne le pouvons pas.
63*
496 LXXUI. THEOD1CÈE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC.
Mais jo crois qu'il faut affirmer l'une et l'autre les Protestans, jusqu'à s'abandonner à la chicane, se
thèse, si par connoitre qu'un Dogme s'ac sont jetés à corps perdu dans le Sceptcisme , pour
corde avec la Raison, on entend que non* prouver la nécessité qu'il y a de recevoir un Juge
pouvons montrer au besoin, quil n'y a point de extérieur infaillible; en quoi ils n'ont point l'appro
contradiction entre ce Dogme et la Raison, en re bation des plus habiles gens, mémo dans leur parti.
poussant les objections de ceux qui prétendent que Calixte et Daillé s'en sont moqués comme il faut,
eu Dogme est une absurdité. et Bellarmin a raisonné tout autrement.
61. Monsieur Bayle s'explique ici d'une ma 63. Maintenant venons à ce que Mr. Bayle dit
nière, qui ne satisfait point. 11 reconnoît très-bien (p. 999.) sur la distinction dont il s'agit. -11 nie
que nos Mystères sont conformes à la Raison su «semble (dit-il) qu'il s'est glissé une équivoque dans
prême et universelle qui est dans l'Entendement di "la fameuse distinction que l'on met entre les cho-
vin, ou à la Raison en général; cependant il nie --I.-S qui sont an dessus du la Raison, et les choses
qu'ils paroisscnt conformes & cette portion de Rai «qui sont contre la Raison. Les Mystères de l'Évan-
son dont l'homme se sert pour juger des choses. «gilu sont au-dessus de la Raison, dit-on ordinaire-
Mais comme cette portion de Raison que nous pos ••i neiit, mais ils ne sont pas contraires à la Raison.
sédons est un don de Dieu, et consiste dans la lu ».lc crois qu'on ne donne pas le même sens au mot
mière naturelle qui nous est restée au milieu de la «Raison dans la première partie de cet Axiome,
corruption; cette portion est conforme avec le tout, «que dans la seconde; et qu'on entend dans la pre-
et elle ne diffère de celle qui est en Dieu, que -mière la Raison du l'homme ou la Raison in con-
comme une goûte d'eau diffère do l'Océan, ou plu «creto, et dans la seconde la Raison en général ou
tôt comme le fini de l'infini. Ainsi les Mystères -la Raison in abstracto. Car supposé que l'on cn-
la peuvent passer, mais ils ne sauraient y être con » tende toujours la Raison en général ou la Raison
traires. L'on ne saurait être contraire à une par -suprême, la Raison universelle qui est en Dieu; il
tie, sans l'être en cela au tout. Ce qui contredit -est également vrai que les Mystères Evangéliques
à une Proposition d'Euclide, est contraire aux Élé- ••jir sont point au-dessus de la Raison, et qu'ils ne
iiiens d'Euclide. Ce qui en nous est contraire aux My -sont pas contre la Raison. Mais si l'on entend
stères, n'est pas la Raison, ni la lumière naturelle, -dans l'une et dans l'autre partie ôe FAxiome la
l'enchaînement des vérités; c'est corruption, c'est «Raison humaine, je ne vois pas trop la solidité de
erreur ou préjugé, c'est ténèbres. -la distinction: car les plus Orthodoxes avouent
62. Mr. Bayle (p. 1002.) n'est point content -que nous ne counoissous pas la conformité du nos
du sentiment de Josua Stegman et de Mr. Turre- «Mystères aux maximes de la Philosophie. 11 nous
tiu Théologiens Protestans, qui enseignent que les -semble donc qu'ils ne sont point conformes à notre
Mystères ne sont contraires qu'à la Raison corrom «Raison. Or ce qui nous paroit n'être pas conforme
pue. Il demande en raillant, si par la droite Rai » à notre Raison, nous paroit contraire à notre Rai-
son on entend peut-être celle d'un Théologien Or «son: tout de même que ce qui ne nous pa-
thodoxe, et par la Raison corrompue, celle d'un «roît pas conforme à la vérité nous paroit con-
Hérétique ; et il oppose que l'évidence du Mystère » traire à la vérité: et ainsi pourquoi ne diroit-
de la Trinité n'étoit pas plus grande dans l'âme de »on pas également, et que les Mystères sont contre
Luther, que dans l'âme de Socin. Mais, comme «notre foible Raison, et qu'ils sont au-dessus de
Mr. Descartes l'a fort bien remarqué, le bon sens -notre foible Raison î« Je réponds, comme j'ai
est donné en partage à tous; ainsi il faut croire déjà fait, que la Raison ici est l'enchainement
que les Orthodoxes et les Hérétiques en sont doués. des vérités, que nous connoissons par la lumière
La droite Raison est un euchaiuement de vérités, naturelle, et dans ce sens l'axiome KVII est vrai
la Raison corrompue est mêlée de préjugés et de sans aucune équivoque. Les Mystères surpassent
passions. Et pour discerner l'une de l'autre, on notre Raison, tar ils contiennent des vérités qui ne
n'a qu'à procéder par ordre, n'admettre aucune sont pas comprises dans cet enchaînement-, mais
thèse sans preuve, et n'admettre aucune preuve qui ils ne sont point contraires à notre Raison, et ne
ne soit en bonne forme selon les règles les plus contredisent à aucune des vérités où cet enchaîne
vulgaires de la Logique. On n'a point besoin d'autre ; ment nous peut mener. Il ne s'agit donc point ici
criterion ni d'autre Juge des controverses de la Raison universelle qui est en Dieu, mais de
en matière de Raison. Et ce n'est que faute de la nôtre. Pour ce qui est de la question, si nous
cette considération qu'on a donné prise aux Scep connoissons la conformité des Mystères avec notre
tiques, et que même en Théologie François Veron Raison, je répons qu'au moins nous ne coonoissoni
et quelques autres, qui ont outré la dispute contre jamais qu'il y ait aucune difformité, ni aucune
LXX1II. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 497
opposition entre les Mystères et la Raison: et Gallilée a cru que Saturne avoit deux anses) il se
comme nous pouvons toujours lever la prétendue trompe par le jugement qu'il fait de l'effet des ap
opposition, si Fou appelle cela concilier ou accor parences, et il en infère plus qu'elles ne portent.
der la Foi avec la Raison, ou en counoître con Car les apparences des sens ne nous promettent pas
formité, il faut dire que nous pouvons conuoître absolument la vérité des choses, non plus que les
cette conformité et cet accord. Mais si la confor songes. C'est nous qui nous trompons par l'usage
mité consiste dans une explication raisonnable du que nous eu faisons, c'est-à-dire par nos consécu
comment, nous ne la saurions connoitre. tions. C'est que nous nous laissons abuser par des
64. Mr. Bayle fait encore une objection ingé- j arguinens probables, et que nous sommes portés à
nicuse, qu'il tire de l'exemple du sens de la vue. [ croire que les phénomènes que nous avons trouvé
-Quand une tour quarrée (dit-il) nous paroit ronde liés souvent, le sont toujours. Ainsi comme il arrive
>de loin, non seulement nos yeux déposent très ordinairement, que ce qui paraît sans angles n'en a
•clairement, qu'ils n'apperçoivent rien de quarré point, nous croyons aisément que c'est toujours
-dans cette tour, mais aussi qu'ils y découvrent J ainsi. Une telle erreur est pardonnable, et quel
»unc figure ronde, incompatible avec la figure quar- | quefois inévitable, lorsqu'il faut agir promtement,
'•rée. Ou peut donc dire que la vérité, qui est la et choisir le plus apparent ; mais lorsque nous avons
•figure quarrée, est non seulement au-dessus, ] le loisir et le tems de nous recueillir, nous faisons
-mais encore contre le témoignage de notre ; une faute, si nous prenons 'pour certain ce qui no
•foi blé vue.« Il faut avouer que cette remarque l'est pas. 11 est doue vrai que les apparences sont
est véritable, et quoiqu'il soit vrai que l'apparence souvent contraires à la vérité; niais notre raisonne
de la rondeur vient de la seule privation de l'appa- ! ment ne l'est jamais, lorsqu'il est exact et conforme
reuce des angles que l'éloigneinent fait disparaître, aux règles de l'art de raisonner. Si par la Rai
il ne laisse pas d'être vrai que le rond et le quarré son on entendoit en général la faculté de raisonner
sont des choses opposées. Je réponds donc à cette bien ou mal, j'avoue qu'elle nous pourroit tromper,
instance, que la représentation des sens, lors même et nous tromiie en effet, et que les apparences de
qu'ils font tout ce qui dépend d'eux, est souvent notre entendement sont souvent aussi trompeuses
contraire à la vérité; mais il n'en est pas de même que celles des sens : mais il s'agit ici de l'enchaîne
de la faculté de raisonner, lorsqu'elle fait son de ment des vérités et des objections en bonne forme,
voir, puisqu'un raisonnement exact n'est autre chose et dans ce sens il est impossible que la Raison nous
qu'un enchaînement de vérités. Et quant au sens trompe.
de la vue en particulier, il est bon de considérer 66. L'on voit aussi par tout ce que je viens de
qu'il y a encore d'autres fausses apparitions qui ne dire, que Mr. Bayle porte trop loin l'être au-
viennent point de la foiblcsse de nos yeux, ! dessus de la Raison, comme s'il renfcrmoit
ni de ce qui disparoit par l'éloigneinent; mais de j rinsolubilité des objections; car selon lui, (chap.
la nature de la vision même, quelque parfaite 130. Rép. Tom. 3. p. 651.) »dès qu'un dogme
qu'elle soit. C'est ainsi, par exemple, que le cercle «est au-dessus de la Raison, la Philosophie ne sau-
vu de côté est changé en cette espèce d'ovale qui •roit ni l'expliquer, ni le comprendre, ni ré-
est appellée Ellipse chez les Géomètres, et quelque » pondre aux difficultés qui le combattent.- Je
fois même en Parabole, ou en Hyperbole, et jus consens quant au comprendre, mais j'ai déjà
qu'en ligne droite, témoin l'anneau de Saturne. fait voir que les Mystères reçoivent une explica
65. Les sens extérieurs, à proprement par tion nécessaire des mots, afin que ce no soient
ler, ne nous trompent point. C'est notre sens in point sine mente soui, des paroles qui ne sig
terne qui nous fait souvent aller trop vite; et cela nifient rien: et j'ai montré aussi qu'il est nécessaire
se trouve aussi dans les bêtes, comme lorsqu'un qu'on puisse répondre aux objections, et
cl lien abboie contre son image dans le miroir: car qu'autrement il faudrait rejeter la thèse.
les bêtes ont des consécutions de perception 67. 11 allègue les autorités des Théologiens, qui
qui imitent le raisonnement, et qui se trouvent paraissent reconnoître l'insolubilité des objections
aussi dans le sens interne des hommes, lorsqu'ils contre les Mystères. Luther est un des principaux :
n'agissent qu'en empiriques. Mais les bêtes ne mais j'ai déjà répondu §. 12. à l'endroit où il pa
font rien qui nous oblige de croire qu'elles aient ce roit dire que la Philosophie contredit à la Théolo
qui mérite d'être appelle proprement un raison gie. Il y a un autre passage (cap. 246. de servo
nement, comme j'ai montré ailleurs. Or lorsque arbitrio) où il dit que l'injustice apparente de
l'entendement emploie et suit la fausse détermina Dieu est prouvée par des argumens pris de l'adver
tion du sens interne, (comme lorsque le célèbre sité des gens de bien et de la prospérité des me
498 LXXHI. THE0D1CEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC.
chans, à quoi aucune Raison ni la lumière naturelle Créatures raisonnables dans le même cas. Cepen
ne peuvent résister (Argumentis talibus tra- dant pouvoit-il ignorer qu'il est possible qu'il y ait
ducta, quibus nulla ratio aut lumen na- une objection invincible contre la vérité? puisqu'une
turae potest resistere.) Mais il fait voir un telle objection ne paroit être qu"un enchaînement
peu après, qu'il ne l'entend que de ceux qui igno nécessaire d'autres vérités, dont le résultat seroit
rent l'autre vie, puisqu'il ajoute qu'un petit mot de contraire à la vérité qu'on soutient, et par consé
l'Évangile dissipe cette difficulté, en nous apprenant quent il y auroit contradiction entre les vérités, ce
qu'il y a une autre vie, où ce qui n'a pas été puni qui est de la dernière absurdité. D'ailleurs, quoi
et récompensé dans celle-ci, le sera. L'objection que notre esprit soit fini, et ne puisse comprendre
n'est donc rien moins qu'invincible, et même sans l'infini, il ne laisse pas d'y avoir des démonstrations
le secours de l'Evangile on se pouvoit aviser de sur l'infini, desquelles il comprend la force on la
cette réponse. On allègue aussi (Rép. au Provin foiblesse; pourquoi donc ne comprendroit-il pas
cial T. 3. p. 652.) un passage de Martin Chemuice, celle des objections! Et puisque la puissance et la
critiqué parVedelius et défendu par Jean Musaeus; sagesse de Dieu sont infinies et comprennent tout,
où ce célèbre Théologien paroit dire nettement, qu'il il n'y a plus lieu de douter de leur étendue. De
y a des vérités dans la parole de Dieu, qui sont plus, Mr. Descartes demande une liberté dont on
non seulement au-dessus de la Raison , mais aussi n'a point besoin, en voulant que les actions de la
contre la Raison: mais ce passage ne doit être volonté des hommes soient entièrement indétermi
entendu que des principes de la Raison conforme nées, ce qui n'arrive jamais. Enfin Mr. Bayle veut
à l'ordre de la Nature, comme Musaeus l'explique lui-même que cette expérience ou ce sentiment in
aussi. térieur de notre indépendance, sur lequel Mr. Descav-
68. II est vrai pourtant que Mr. Bayle trouve tes fonde la preuve de notre liberté , ne la prouve
quelques autorités qui lui sont plus favorables. point, puisque de ce que nous ne nous appercevons
Celle de Mr. Descartes en est une des principales. pas des causes dont nous dépendons, il ne s'ensuit
Ce grand homme dit positivement (1. Part, de ses pas que nous soyons indépendans. Mais c'est de
Principes art. 41.) que nous n'avons point du quoi nous parlerons en son lieu.
tout de peine à nous déliverde la diffi 70. 11 semble que Mr. Descartes avoue aussi
culté (que l'on peut avoir à accorder la liberté de dans un endroit de ses Principes, qu'il est impos
notre volonté avec l'ordre de la providence éter sible de répondre aux difficultés sur la division de
nelle de Dieu) -si nous remarquons que notre pen- la matière à l'infini , qu'il reconnoit pourtant pour
»sée est finie, et que la science et la toute-puis- véritable. Arriaga et d'autres Scholastiques font
-sance de Dieu, par laquelle il a non seulement à peu près le même aveu; mais s'il preuoient la
-connu de toute éternité tout ce qui est ou qui peut peine de donner aux objections la forme qu'elles
-être, mais aussi il l'a voulu, est infinie: ce qui doivent avoir, ils verroient qu'il y a des fautes dans
-fait que nous avons bien assez d'intelligence pour la conséquence, et quelquefois de fausses supposi
-counoitre clairement et distinctement que cette tions qui embarassent. En voici un exemple: Un
-science et cette puissance sont en Dieu; mais que habile homme me fit un jour cette objection: Soit
-nous n'en avons pas assez pour comprendre telle- coupée la ligne droite BA en deux parties égales
-inent leur étendue, que nous puissions savoir coui- par le point C, et la partie CA par le point D, et
-ment elles laissent les actions des hommes eutiè- la partie DA par le point E, et ainsi à l'infini;
» rement libres et indéterminées. Toutefois la puis- toutes les moitiés BC, CD, DE, etc. font ensemble
-sance et la science de Dieu ne nous doivent pas le tout BA; donc il faut qu'il y ait une dernière
-empêcher de croire que nous avons une volonté moitié, puisque la ligne droite B A finit en A. Mais
-libre, car nous aurions tort de douter de ce que cette dernière moitié est absurde: car puisqu'elle
-nous appercevons intérieurement, et savons par est une ligne, on la pourra encore couper en deux.
• expérience être en nous, parc* que nous ne com- Donc la division à l'infini ne saurait être admise.
» prenons pas autre chose que nous savons incom- Mais je lui fis remarquer qu'on n'a pas droit d'in
-préhensible de sa nature.- férer qu'il faille qu'il y ait un dernier point A, car
69. Ce passage de Mr. Descartes suivi par ses ce dernier point convient à toutes les moitiés de son
Sectateurs (qui s'avisent rarement de douter de ce côté. Et mon ami l'a reconnu lui-même, lorsqu'il
qu'il avance) m'a toujours paru étrange. Ne se a tâché de prouver cette illation par un argument
contentant point de dire, que pour lui il ne voit en forme: au contraire, par cela même que la di
point le moyen de concilier les deux Dogmes, il vision va à l'infini, il n'y a aucune moitié dernière.
met tout le Genre humain, et même toutes les Et quoique la ligne droite AB soit finie, il ne s'en
LXXIII. THEODÏCEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 499
suit pas qnc la division qu'on en fait, ait sdn der trouve pas qu'il y ait aucune force dans ce raison
nier ternie. On s'embarasse de même dans les nement. Nous pouvons atteindre ce qui est au-
séries des Nombres qui vont à l'infini. On dessus de nous, non pas eu le pénétrant, mais en
conçoit un dernier terme, un nombre infini, ou in le soutenant; comme nous pouvons atteindre le Ciel
finiment petit; mais tout cela ne sont que des fic par la vue, et non pas par l'attouchement. Il n'est
tions. Tout Nombre est fiai et assignable, toute pas nécessaire non plus que pour répondre aux ob
ligne l'est de même, et les infinis ou infiniment pe jections qui se font contre les Mystères, on s'assu
tits n'y signifient que des grandeurs qu'on peut jettisse ces Mystères, et qu'on les soumette à la
prendre aussi grandes ou aussi petites que Ton vou confrontation avec les premiers principes qui nais
dra, pour montrer qu'une erreur est moindre que sent des notions communes : car si celui qui répond
celle qu'on a assignée, c'est-à-dire qu'il n'y a au aux objections devoit aller si loin, il faudroit que
cune erreur: ou bien on entend par l'infiniment celui qui propose l'objection le fit le premier; car
petit, l'état de l'évanouissement ou du commence c'est à l'objection d'entamer la matière, et il suffit
ment d'une grandeur, conçus à l'imitation des gran à celui qui répond de dire oui ou non; d'autant
deurs déjà formées. qu'au lieu de distinguer, il lui suffit à la rigueur de
71. Il sera bon cependant de considérer la rai nier l'universalité de quelque proposition de l'ob
son que Mr. Bayle allègue pour montrer qu'on ne jection, ou d'en critiquer la forme ; et l'un aussi-
sauroit satisfaire aux objections que la Raison op bien que l'autre se peut faire sans pénétrer au-delà
pose aux Mystères. Elle se trouve dans son éclair de l'objection. Quand quelqu'un me propose un
cissement sur les Manichéens (p. 3143. de la se argument qu'il prétend être invincible, je puis me
conde Edition de son Dictionnaire.) »I1 me suffit taire en l'obligeant seulement de prouver eu bonne
»(dit -il) qu'on reconnoisse unanimement que les forme toutes les énonciations qu'il avance, et qui
•Mystères de l'Évangile sont au-dessus de la Rai- me paraissent tant soit peu douteuses : et pour ne
• son. Car il résulte de-là nécessairement qu'il est faire que douter, je n'ai point besoin de pénétrer
«impossible de résoudre les difficultés des Philoso- dans l'intérieur de la chose: au contraire, plus je
»phes, et par conséquent qu'une dispute où l'on ne serai ignorant, plus je serai en droit de douter.)
»se servira que des lumières naturelles se termine- Mr. Bayle continue ainsi.
»ra toujours au desavantage des Théologiens, et 73. -Tachons de rendre cela plus clair: si quel-
• qu'ils se verront forcés de lâcher le pied, et de •ques doctrines sont au-dessus de la Raison, elles
•se réfugier sous le canon de la lumière surnatu- • sont au delà de sa portée, elle n'y sauroit attein-
»relle.« Je m'étonne que Mr. Baylo parle si géné •dre; si elle n'y peut atteindre, elle ne peut pas
ralement, puisqu'il a reconnu lui-même que la lu •les comprendre.» (Il pouvoit commencer ici par
mière naturelle est pour l'unité du Principe, contre le comprendre, en disant que la Raison ne peut
les Manichéens, et que la bonté de Dieu est prou pas comprendre ce qui est au-dessus d'elle.) Si
vée invinciblement par la Raison. Cependant voici elle ne peut pas les comprendre, elle n'y
comme il poursuit. sauroit trouver aucune idée; (Non valet
72. »I1 est évident que la Raison ne sauroit ja- consequentia: car pour comprendre quelque
•mais atteindre à ce qui est au-dessus d'elle. Or si chose, il ne suffit pas qu'on eu ait quelques idées;
•elle pouvoit fournir des réponses aux objections il faut les avoir toutes de tout ce qui y entre, et il
•qui combattent le Dogme de la Trinité et celui de faut que toutes ces idées soient claires, distinctes,
• l'Union hypostatique, elle atteindroit à ces deux adéquates. Il y a mille objets dans la Nature,
• Mystères, elle se les assujettirait, et les plierait dans lesquels noirs entendons quelque chose, mais
«jusqu'aux dernières confrontations avec ses pre- que nous ne comprenons pas pour cela. Nous
• uiiers principes, ou avec les aphorismes qui nais- avons quelques idées des rayons de la lumière, nous
•sent des notions communes; et jusqu'à ce qu'enfin faisons des démonstrations là-dessus jusqu'à un cer
• elle eût conclu qu'ils s'accordent avec la lumière tain point; mais il reste toujours quelque chose
» naturelle. Elle ferait donc ce qui surpasse ses for- qui nous fait avouer, que nous ne comprenons pas
»ces, elle monterait au dessus de ses limites, ce encore toute la nature de la lumière.) ni aucun
• qui est formellement contradictoire. Il faut donc principe qui soit une source de solution;
• dire qu'elle ne sauroit fournir des réponses à ses (Pourquoi no trouverait -on pas des principes évi-
• propres objections, et qu'ainsi elles demeurent dens, mêlés avec des connoissances obscures et con
- victorieuses, pendant qu'on ne recourt pas à fau fuses?) »et par conséquent les objections que la
torité de Dieu, et à la nécessité de captiver son en- • Raison aura faites demeureront sans réponse ;•
• tendement sous l'obéissance de la Foi.« (Je ne (Rien moins que eela; la difficulté est plutôt du
500 LXXIII. THEODICEE. DISœURS DE LA CONFORMITE ETC.
côté de l'opposant. C'est à lai de chercher un prin enveloppe, autrement on eomprendroit encore le
cipe évident, qui soit une source de quelque objec Mystère.)
tion ; et il aura d'autant plus de peine à trouver un 75. Mr. Bayle continue ainsi: «Toute dispute
tel principe, que la matière sera obscure ; et quand • philosophique sup|>ose que les parties disputantes
il l'aura trouvé, il aura encore plus de peine "à mon •conviennent de certaines définitions,» (Cela seroit
trer une opposition entre le principe et le Mystère: à souhaiter, mais ordinairement ce n'est que dans
car s'il se trouvoit que le Mystère fût évidemment la dispute même qu'on y vient au besoin.) »et qu'el
contraire à vin principe évident, ce ne seroit pas un les admettent les règles des Syllogismes, et les
Mystère obscur, ce seroit une «absurdité ma- -marques à quoi l'on commît les mauvais raisonne-
•nifeste) ou ce qui est la même chose, on y répon- • mens. Après cela, tout consiste à examiner si une
»dra par quelque distinction aussi obscure que la • thèse est conforme médiatcraent ou immédiatement
•thèse même qui aura été attaquée.» On peut se •aux principes dont on est convenu,» (ce qoi se
passer des distinctions à la rigueur, en niant fait par les Syllogismes de celui qui fait des ob
on quelque prémisse, on quelque conséquence: et jections) si les prémisses d'une preuve (avan
lorsqu'on doute du sens de quelque terme employé cée par l'opposant) -sont véritables, si la consé-
par F opposant, on peut lui eu demander la dé • quence est bien tirée: si l'on s'est servi d'un
finition. De sorte que le soutenant n'a point besoin •Syllogisme à quatre termes, si l'on n'a pas violé
de se mettre en fraix, lorsqu'il s'agit de répondre • quelque aphorisme du chapitre» de oppositis ou
à un adversaire qui prétend nous opposer un argu de sophisticis elenchis etc. (il suffit, en peu de mots,
ment invincible. Mais quand même le soutenant, de nier quelque prémisse ou quelque conséquence,
par quelque complaisance, ou pour abréger, ou parce ou enfin d'expliquer ou faire expliquer quelque terme
qu'il se sent assez fort, voudroit bien se charger équivoque) »on remporte la victoire, ou en mon-
lui-même de faire voir l'équivoque cachée dans • trant que le sujet de la dispute n'a aucune liaison
l'objection, et de la lever en faisant quelque distinc • avec les principes dont o» étoit convenu,» (c'est-
tion; il-n'est nullement besoin que cette distinction à-dire en montrant que l'objection ne prouve rien,
mène à quelque chose de plus clair que la première et alors le défendeur gagne la cause) ou en rédu i-
thèse, puisque le soutenant n'est point obligé d'éclair- sant à l'absurde le défendeur: (lorsque ton
cir le Mystère même.) tes les prémisses et toutes les conséquences sont
bien prouvées) »or on l'y peut réduire, soit qu'on
74. » Or il est certain (c'est Mr. Bayle qui • lui montre que les conséquences de sa thèse sont
poursuit) qu'une objection que Ton fonde sur des • le oui et le non, soit qu'on le contraigne à ne ré-
«notions distinctes, demeure également victorieuse, » pondre que des choses intelligibles.. C'est ce
• soit que vous n'y répondiez rien, soit que vous y dernier inconvénient qu'il peut toujours éviter,
• fassiez une réponse où personne ne peut rien com- parce qu'il n'a point besoin d'avancer de nouvelles
» prendre. La partie peut-elle être égale entre nu thèses.) «Le but de cette espèce de disputes est
• homme qui vous objecte ce que vous et lui con- I «d'éclaircir les obscurités et de parvenir à l'évi-
•cevez très-nettement, et vous qui ne pouvez vous i »dence;- (c'est le but de l'opposant, car il
•défendre que par des réponses, où ni vous ni lui veut rendre évident que le Mystère est faux ; mais
• ne comprenez rien?» (11 ne suffit pas que l'objec ce ne saurait être ici le but du défendeur, car ad-
tion soit fondée sur des notions bien distinctes, il j mettant le Mystère, il convient qu'on ne le saurait
faut aussi qu'on en fasse l'application contre la j rendre évident.) «delà vient que l'on juge
thèse. Et quand je réponds à quelqu'un en lui niant I >que pendant le cours du procès, la victoire se dé-
quelque prémisse, pour l'obliger à la prouver, on •clare plus ou moins pour le soutenant ou pour
quelque conséquence, pour l'obliger à la mettre en j «l'opposant, selon qu'il y a plus ou moins de clarté
bonne forme ; on ne peut point dire que je ne ré • dans les propositions de l'un, que dans les propo
ponds rieo, ou que je ne réponds rien d'intelligible. sitions de l'autre.» (C'est parler comme si le sou
Car comme c'est la prémisse douteuse de l'adver tenant et l'opposant dévoient être également à dé
saire que je nie, ma négation sera aussi intelligible couvert: mais le soutenant est comme un Comman
que son affirmation. Enfin lorsque j'ai la complai dant assiégé, couvert par ses ouvrages, et c'est à
sance de m'expliquer par quelque distinction, il l'attaquant de les ruiner. Le soutenant n'a point
suffit que les termes que j'emploie aient quelque besoin ici d'évidence, et il ne la cherche pas: mais
sens, comme dans le Mystère même; ainsi on com c'est à l'opposant d'en trouver contre lui, et de se
prendra quelque chose dans ma réponse: mais il faire jour par ses batteries, afin que le soutenant
n'est point besoin que Ton comprenne tout ce qu'elle ne soit plus à couvert.)
LXXIII. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 501
76. «Enfin on juge que la victoire se déclare ' vois point qu'on ait besoin de tout cela, si ce n'est
«contre celui dont les réponses sont telles qu'on n'y qu'on prétonde pousser le raisonnement jusqu'au
•comprend rien,- (c'est une marque bien équivoque comment du Mystère. Quand on se contente
de la victoire: il faudrait donc demander aux au d'en soutenir la vérité, sans se mêler de la vouloir
diteurs, s'ils comprennent quelque chose dans ce faire comprendre, on n'a point besoin de recours
qu'on a dit, et souvent leurs sentimcns seraient aux maximes Philosophiques, générales ou parti
partagés. L'ordre des disputes formelles est de culières, pour la preuve; et lorsqu'un autre nous
procéder par des arguinens en bonne forme, et d'y oppose quelques maximes Philosophiques, ce n'est
répondre en niant ou en distinguant.) et qui pas à nous de prouver d'une manière claire et di
avoue qu'elles sont incompréhensibles. stincte que ces maximes sont conformes avec notre
(Il est permis à celui qui soutient la vérité d'un Dogme, mais c'est à notre adversaire de prouver
Mystère, d'avouer que ce Mystère est incompréhen qu'elles y sont contraires.
sible ; et si cet aveu suffisoitpour le déclarer vaincu ; 78. Mr. Bayle poursuit ainsi au même endroit:
on n'auroit point besoin d'objection. Une vérité »Pour cet effet nous avons besoin d'une réponse
pourra être incompréhensible, mais elle ne le sera •qui soit aussi évidente que l'objection.- J'ai déjà
jamais assez pour dire qu'on n'y comprend rien du montré que cela arrive lorsqu'on nie des prémisses ;
fout. Elle serait en ce cas ce que les anciennes mais qu'au reste il n'est point nécessaire que celui
Écoles appclloient Scindapsus ou Blityri qui soutient la vérité du Mystère avance toujours
(Clem. Alex. Strom. 8.) c'est-à-dire des paroles vui- des propositions évidentes, puisque la thèse princi
dcs de sens.) » On le condamne dès-là par les règles pale qui regarde le Mystère même n'est point évi
»de l'adjudication de la victoire; et lors même dente. Il ajoute encore: «S'il faut répliquer et
«qu'il ne. peut pas être poursuivi dans le brouillard • dupliquer, nous ne devons jamais demeurer en
• dont il s'est couvert, et qui forme une espèce •reste, ni prétendre que nous soyons venus à bout
•d'abîme entre lui et ses antagonistes, on le croit • de notre dessein, pendant que notre adversaire
•battu à platte couture, et on le compare à nue • nous répliquera des choses aussi évidentes que le
• Armée qui ayant perdu la bataille, ne se dérobe • sauraient être nos raisons.» Mais ce n'est pas au
• qu'à la faveur de la nuit à poursuite du vainqueur.* soutenant à alléguer des raisons; il lui suffit de ré
(Pour payer allégorie par allégorie, je dirai que le pondre à celles de son adversaire.
soutenant n'est point vaincu, tant qu'il demeure 79. L'Auteur couclut enfin: »Si l'on prétemloit
couvert de ses retranchemeus ; et s'il hazarde quel • que faisant une objection évidente, il se doit payer
que sortie au-delà du besoin, il lui est permis de se • d'une réponse que nous ne pouvons donner que
retirer dans son fort, sans qu'on l'en puisse bldiner.) •comme une chose possible, et .que nous ne com-
77. J'ai voulu prendre la peine de faire l'ana- » prenons pas, on serait injuste.» Il le répète dans
tomie de ce long passage, où Mr. Bayle a mis ce les Dialogues posthumes contre Mr. Jaquelot, p. 69.-
qu'il ponvoit dire de plus fort et de mieux raisonné Jo ne suis point de ce sentiment. Si l'objection
pour son sentiment: et j'espère d'avoir fait voir étoit d'une parfaite évidence, elle serait victorieuse,
clairement, comment cet excellent homme a pris le et la thèse seroit détruite. Mais quand l'objection
oluinge. Ce qui arrive fort aisément aux personnes n'est fondée que sur des apparences, ou sur des cas
les plus spirituelles et les plus pénétrantes, lors qui arrivent le plus souvent, et que celui qui la
qu'on donne carrière à son esprit, sans se donner fait en veut tirer une conclusion universelle et cer
toute la patience nécessaire pour creuser jusqu'aux taine; celui qui soutient le Mystère, peut répondre
fondemens do son système. Le détail ou nous som par l'instance d'une simple possibilité, puis qu'une
mes entrés ici servira du réponse à quelques autres telle instance suffit pour nioutrer que ce qu'on vou-
raisonnemens sur ce sujet, qui se trouvent dispersés loit inférer des prémisses n'est point certain ni gé
dans les Ouvrages de Mr. Bayle; connue lorsqu'il néral; et il suffit à celui qui combat pour le My
dit dans sa Réponse aux Questions d'un Provincial stère, de maintenir qu'il est possible, sans qu'il ait
cbap. 133. (tom. 3. pag. 685.) «Pour prouver besoin de maintenir qu'il est vraisemblable. Car,
•qu'on a mis d'accord la Raison et la Religion, il comme j'ai dit souvent, on convient que les My
• faut montrer non seulement qu'où a des maximes stères sont contre les apparences. Celui qui soutient
• Philosophiques, qui sont favorables à notre foi; le Mystère, u'auroit pas même besoin d'alléguer
• mais aussi, que les maximes particulières, qui une telle instance; et s'il le fait, on peut dire >]ue
• nous sont objectées comme non conformes à notre c'est une oeuvre de surérogation, ou que c'est un
• Catéchisme, y sont effectivement conformes d'une moyen de mieux confondre l'adversaire.
«manière que J'on conçoit distinctement.» Je ne 80. Il y a des passages de Mr. Bayle dans la
64
502 LXXIH. THÉODICÉE. DISCOURS DR LA CONFORMITE ETC.
Réponse posthume qu'il a faite à Mr. Jaqnelot, qui • renoncer en ce cas, sont seulement celles qui nous
me paraissent encore dignes d'être examinés, Mr. • font juger sur les apparences, ou suivant le cours
Bayle (dit-on, p. 36, 37.) «établit constamment • ordinaire des choses:» ce que la Raison nous or
• dans sou Dictionnaire, toutes les fois que le sujet donne même dans les matières Philosophiques, lors
• le comporte, que notre Raison est plus capable de qu'il y a des preuves invincibles du contraire. C'est
-réfuter et de détruire, que de prouver et de bâtir; ainsi qu'étant assurés par des démonstrations de la
• qu'il n'y a presque point de matière PliUosophi- bonté et de la justice de Dieu, nous méprisons les
• que ou Théologique, sur quoi elle ne forme de apparences de dureté et d'injustice, que nous voyons
• très-grandes difficultés; de manière que si on vou- dans cette petite partie de son règne qui est expo
• loit la suivre avec un esprit de dispute, aussi loin sée à nos yeux. Jusqu'ici nous sommes éclairés
•qu'elle peut aller, on se trouveroit souvent réduit par la lumière de la Nature et par celle de
•à de fâcheux embarras: enfin, qu'il y a des doc la Grâce, mais non pas encore par celle de la
trines certainement véritables, qu'elle combat par Gloire. Ici-bas nous voyons l'injustice apparente,
-des objections insolubles.» Je crois que ce qu'on et nous croyons et savons même la vérité de la
dit ici pour blâmer la Raison, est à son avantage. justice cachée de Dieu; mais nous la verrons, cette
Lorsqu'elle détruit quelque thèse, elle édifie la thèse justice, quand le Soleil de justice se fera voir tel
opposée. Rt lorsqu'il semble qu'elle détruit en qu'il est.
même tems les deux thèses opposées, c'est alors 83. 11 est sûr que Mr. Bayle ne peut être en
qu'elle nous promet quelque chose de profond, tendu que de ces maximes d'apparence, qui
pourvu que nous la suivions aussi loin qu'elle doivent céder aux vérités éternelles ; car il recon-
peut aller, non pas avec un esprit du dispute, noît que la Raison n'est point véritablement con
mais avec un désir ardent de rechercher et de dé traire à la Foi. Et dans ses Dialogues posthumes il
mêler la vérité, qui sera toujours récompensé par se plaint (p. 73. contre Mr. Jaquolot) de ce qu'on
quelque succès considérable. l'accuse Je croire que nos Mystères sont véritable
81. Mr. Bayle poursuit: «qu'il faut alors se ment contre la Raison, et (p. 9. contre Mr. le Clerc)
• moquer de ces objections, en reconnoissant les de ce qu'on prétend que celui qui reconnoît qu'une
«bornes étroites dé l'esprit humain.» Et moi, je doctrine est exposée à des objections insolubles,
crois que bien loin dé-là, il y faut reeonnoître des reconnoît aussi par une conséquence nécessaire la
marques de la force de l'esprit humain, qui le fait fausseté de cette doctrine. Cependant on aurait
pénétrer dans l'intérieur des choses. Ce sont des raison de la prétendre, si l'insolubilité étoit plus
ouvertures nouvelles, et pour ainsi dire des rayons qu'apparente.
de l'aube du jour, qui nous promet une lumière 84. Peut-être donc qu'après avoir disputé long-
plus grande; je l'entends dans les matières Philo tems contre Mr. Bayle, au sujet de l'usage de la
sophiques ou de la Théologie naturelle: mais lors Raison, nous trouverons au but du compte que ses
que ces objections se font contre la Foi révélée, sontimens n'étoient pas dans le fond aussi éloignés
c'est assez qu'on les puisse repousser, pourvu qu'on des nôtres, que ses expressions, qui ont donné su
le fasse avec un esprit de soumission et de zèle, jet à nos réflexions, l'ont pu faire croire. 11 est
dans le dessein de "maintenir et d'exalter la gloire vrai que le plus souvent il paroit nier absolument
de Dieu. Et quand on y réussira à l'égard de sa qu'on puisse jamais répondre aux objections de la
justice, on sera également frap|>é de sa grandeur et Raison contre la Foi, qu'il prétend que pour le pou
charmé de sa bonté, qui paraîtront à travers les voir faire, il faudrait comprendre comment le My
nuages d'une Raison apparente, abusée par ce qu'elle stère arrive ou existe. Cependant il y a des endroits,
voit, à mesure que l'esprit s'élèvera par la véritable où il se radoucit, et se contente de dire que les so
Raison à ce qui nous est invisible, et n'en est pas lutions de ces objections lui sont inconnues. En
moins certain. voici un passage bien précis, tiré de ce même éclair
82. «Ainsi- (pour continuer avec Mr. Bayle) cissement sur les Manichéens, qui se trouve à la fin
-on obligera la Raison de mettre bas les armes, et de la seconde édition de son Dictionnaire. «Pour
• à se captiver sons l'obéissance de la Foi; ce qu'elle • uue plus ample satisfaction des Lecteurs les plus
«peut, et qu'elle doit faire, en vertu de quelques- • scrupuleux, je veux bien déclarer ici (dit -il,
• unes de ses maximes les plus incontestables: et •p. 3148) que pur-tout où l'on verra dans mon
••ainsi <>n renonçant à quelques-unes de ses autres «Dictionnaire que tels ou tels argumens sont inso-
•maximes, elle ne laisse pas d'agir selon ce qu'elle «lubles. je ne souhaite pas qu'on se persuade qu'ils
•est, c'est-à-dire en Raison.» Mais il faut savoir • le sont effectivement. Je ne veux dire autre chose,
que «les maximes de la Raison, auxquelles il faut «sinon qu'ils me paraissent insolubles. Cela ne tire
LXXIII. THEODICEE. DISCOURS DE LA CONFORMITE ETC. 503
• point à conséquence: rliacuti se pourra imaginer, qu'étant sorti de la Compagnie il se retira en Ir
«s'il lui plaît, que j'en juge aiusi, à cause de mon lande, où il est mort d'une manière qui a fait juger
«peu de pénétration.» Ce n'est pas cela que je favorablement de ses derniers sentimens. Je plains
m'imagine, sa grande pénétration m'est trop connue: les habiles gens qui s'attirent dos affaires par leur
mais je crois qu'ayant tourné tout son esprit à ren travail et par leur zèle. Il est arrivé quelque chose
forcer les objections, il ne lui est pas resté assez de semblable autrefois à Pierre Abailard, à Gilbert
d'attention pour ce qui sert à les résoudre. de la Porrée, à Jean VViclef, et de nos jours à Tho
85. Mr. Bayle avoue d'ailleurs dans son Ou mas Albius Anglois, et à quelques autres qui se sont
vrage posthume contre Mr. Clerc, que les objections trop enfoncés dans l'explication des Mystères.
contre la foi n'ont point la force des démonstrations. 87. Cependant S. Augustin (aussi-bien que Mr.
C'est donc ad h oui i ne m seulement, ou bien ad Bayle) ne désespère pas qu'on puisse trouver ici-
homines, c'est-à-dire par rapport à l'état où le bas le dénouement qu'on souhaite: mais ce Père le
Genre humain se trouve, qu'il juge ces objections croit réservé à quelque saint Homme éclairé par
insolubles et la matière inexplicable. 11 y a même une grâce toute particulière: >Est aliqua causa for-
un endroit où il donne à entendre qu'il ne désespère • tassis occultior, qnae melioribus sanctioribusque
pas qu'on en puisse trouver la solution ou IVxpli- » reservatar, illius gratia potius quam meritis illo-
cation, et même de nos jours. Car voici ce qu'il »rum« (in Gènes, ad literam, lib. 11. c. 4.). Lu
dit dans sa Réponse posthume qu'il a faite à Mr. ther réserve la counoissance du Mystère de l'Elec
le Clerc (p. 35 ) »Mr. Bayle a pu espérer que son tion à l'Académie céleste (lib. de servo arhitrio
• travail piqueroit «l'honneur quelques-uns de ces c. 174.) »lllic (Deus) gratiam et misericordiam
•grands génies qui forment de nouveaux systèmes, • spargit in indignos, hic irarn et severitatem spar-
• et qu'ils pourraient inventer un dénouement in- • git in iimiu'ritos; ntrobique nimius et iniquus
• connu jusqu'ici.» Il semble que par ce dénoue • apud hommes, sed justus et verax apud sdpsum.
ment il entend une explication du Mystère, qui • Naui quomodo hoc justum sit ut indignos coronet,
iroit jusqu'au comment: mais cela n'est point • incomprehensibile est modo, videbimus autem,
nécessaire pour répondre aux objections. »eum illuc venerimus, ubi jam non credetur, sed
86. Plusieurs ont entrepris de faire comprendre • revelata facie videbitur. Ita quomodo hoc justum
ce comment, et de prouver la possibilité des »sit, ut immeritos damnet, iucomprehensibile est
Mystères. Un certain Auteur, qui s'appelle Tho • modo, creditur tamen, douée revelabitur filins
mas Bonartes Nordtanus Anglus, dans son • hominis.» Il est à espérer que Mr. Bayle se
Concordia Scientiae cum Fide, y a prétendu. trouve maintenant environné de ces lumières qui
Cet Ouvrage me parut ingénieux et savant, mais nous manquent ici-bas, puisqu'il y a lieu de suppo
aigre et embarrassé, et il contient mémo des senti- ser qu'il n'a point manqué de bonne volonté.
IIH-JIS insoutenables. J'ai appris par l'Apologia
Cyriacornm du P. Vincent Baron Dominicain, Candidus iosueti uiiratur limen Olympi,
que ce Livre- là a été censuré à Rome, que l'Auteur Sub pedibnsque videt nubes et sidéra Daph-
a été Jésuite, et qu'il s'est mal trouvé de l'avoir nis. Virgile.
publié. Le R. P. des Bosses , qui enseigne mainte
nant la Théologie dans le Collège des Jésuites de — Illic postquam se lumine vero
Hildeslieim, et qui a joint une érudition peu com Implevit, stellasque vagas miratur et astra
mune à une grande pénétration qu'il fait paroître Fixa polis, vidit quanta sub nocte jaceret
en Philosophie et en Théologie, m'a appris que le Nostra dies. Lucain.
vrai nom de Bonartes a été Thomas Barton, et
•i
.
.. •».
64»
ESSAIS
SUR
LA BONTÉ DE DIEU, LA LIBERTÉ DE L'HOMME
ET L'ORIGINE DU MAL.
PREMIERE PARTIE. il paraît que l'homme est forcé à faire le bien et le
mal qu'il fait; et par conséquent, qu'il n'en mérite
Après avoir réglj les droits de la Foi et de la ni récompense ni châtiment : ce qui détruit la Mo
Raison, d'une manière qui fait servir la Raison à ralité des actions, et choque toute la justice divine
la Foi, bien loin de lui être contraire; nous ver et humaine.
rons comment elles exercent ces droits pour main 3. Mais quand ou accorderait à l'Homme cette
tenir et pour accorder ensemble ce que la lumière liberté dont il se pare à son dam , la conduite de
naturelle et la lumière révélée nous apprennent de Dieu ne laisserait pas de donner matière à la cri
Dieu et de l'homme par rapport au mal. L'on peut tique, soutenue par la présomptueuse ignorance des
distinguer les Difficultés en deux Classes. Les Hommes, qui voudraient se disculper en tout ou en
unes naissent de la liberté do l'Homme, laquelle partie aux dépens de Dieu. L'on objecte que toute
par< lit incompatible avec la nature divine; et ce la réalité, et ce qu'on appelle la substance de l'acte,
pendant la liberté est jugée nécessaire, pour que dans le péché même, est une production de Dieu,
l'Homme puisse être jugé coupable et punissable. puisque tontes les créatures et toutes leurs actions
Les autres regardent la conduite de Dieu-, qui sem tiennent de lui ce qu'elles ont de réel; d'où l'on
blent lui faire prendre trop do part à Fexistcnce du voudrait inférer non seulement qu'il est fa cause
mal, quand même l'Homme seroit libre et y pren physique du péché, mais aussi qu'il en est la cause
drait aussi sa part. Et cette conduite paraît con morale, puisqu'il agit très - librement, et qu'il ne
traire à la bonté, à la sainteté et à la justice divine; fait rien sans une parfaite connoissance de la chose
puisque Dieu concourt au mal, tant physique, que et des suites qu'elle peut avoir. Et il ne suffit pas
moral; et qu'il concourt à l'un et à l'autre d'une de dire que Dieu s'est fait une loi de concourir
manière morale, aussi-bien que d'une manière phy avec les volontés ou résolutions de l'Homme, soit
sique, et qu'il semble que ces maux se font voir daus le sentiment commun, soit dans le système
daus Tordre de la nature, aussi-bien que dans celui des causes occasionnel les; car outre qu'on trouvera
de la grâce, et dans la vie future et éternelle, aussi- étrange qu'il se soit fait une telle loi, dont il n'ig-
bien et même plus que dans cette vie passagère. noroit point les suites, la principale difficulté est
2. Pour représenter ces difficultés en abrégé, jl qu'il semble que la mauvaise volonté même ne sau
faut remarqua- que la liberté est combattue (en rait exister sans un concours, et même sans quelque
apparence) par la détermination ou par la certitude, prédéterminatiou de sa part, qui contribue à faire
quelle qu'elle soit; et cependant le Dogme commun naître cette volonté dans l'Homme, ou dans quelque
de nos Philosophes porte, quo la vérité des futurs autre créature raisonnable : car une action, pour
contingens est déterminée. La préscience de Dieu être mauvaise, n'en est pas moins dépendante de
rend tout l'avenir certain et déterminé; mais sa Dieu. D'où l'on 'voudra conclure enfin que Dieu
providence et sa préordination, sur laquelle la pré fait tout indifféremment, le bien et le mal: Si ce
science même paraît fondé, fait bien plus : car Dieu n'est qu'on veuille dire avec les Manichéens, qu'il
n'est pas comme un Homme, qui peut regarder les y a doux Principes, l'uu bon, et l'autre mauvais.
événeniens avec indifférence, et qui peut suspendre De plus, suivant le sentiment commun des Théolo
son jugement; puisque rien n'existe, qu'ensuite des giens et des Philosophes, la conservation étant une
décrets de sa volonté et par Faction de sa puissance. création continuelle, on dira que l'Homme est con
Et quand même on ferait abstraction du concours tinuellement crée corrompu et péchant. Outre qu'il
de Dieu, tout est lié parfaitement dans l'ordre des y a des Cartésiens modernes qui prétendent que
choses ; puisque rien ne saurait arriver, sans qu'il Dieu est le seul acteur, dont les créatures ne sont
y ait une cause disposée comme il faut à produire que les organes purement passifs; et Mr. Baylv
l'effet: ce qui n'a pas moins lieu dans les actions n'appuie pas peu là-dessus.
volontaires, que daus toutes les autres. Après quoi 4. Mais quand Dieu ne devrait concourir anx
LXXIII. THKODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I. 505
actions que d'un concours général, ou même point à qni bon lui semble, sans qu'il paroisse aucune
du tout, du moins aux mauvaises; c'est assez pour raison de son choix , lequel ne tombe que sur un
rimpulation (dit -on) et pour le rendre cause mo très-petit nombre d'Hommes.
rale, que rien n'arrive sans sa permission. Et pour 5. De sorte que c'est un jugement terrible, qne
ne rien dire de la chute des Anges, il connoît tout Dieu doununt son Fils unique pour tout le Genre
ce qui arrivera, s'il met l'Homme dans telles et tel humain, et étant l'unique auteur et maitre du salut
les circonstances, après l'avoir créé; et il ne laisse des Hommes, en sauve pourtant si peu, et aban
pas de l'y mettre. L'Homme est exposé à une ten donne tous les autres au Diable son ennemi, qui
tation, à laquelle on sait qu'il succombera, et que les tourmente éternellement, et leur fait maudire
par là il sera cause d'une infinité de maux effloya- leur Créateur; quoiqu'ils aient été tons créés pour
bles; que par cette chute tout le Genre humain répandre et manifester sa bonté, sa justice et ses
sera infecté et mis dans une espèce de nécessité de autres perfections: et cet événement imprime d'au
pécher, ce qu'on appelle le péché originel; que le tant plus d'effroi, que tous ces Hommes ne sont
inonde sera mis par là dans nne étrange confusion; malheureux pour toute l'éternité, que parce que
que par ce moyen la mort et les maladies seront Dieu a exposé leurs parens à une tentation, à la
introduites, avec mille autres malheurs et misères quelle il savoit qu'il ne résistcroient pas; que ce
qui affligent ordinairement les bons et les mauvais; péché est inhérent et imputé aux Hommes, avant
que la méchanceté' régnera même, et que la vertu que leur volonté y ait part; que ce vice héréditaire
sera opprimés ici-bas; et qu'ainsi il ne paroitra détermine leur volonté à commettre des péchés ac
presque uoint qu'une providence gouverne les cho tuels, et qu'une infinité d'Hommes, enfans ou adul
ses. Mais c'est bien pis, quand on considère la vie tes, qui n'ont jamais entendu parler de Jésus Christ
ù venir, puisqu'il n'y aura qu'un petit nombre Sauveur du Genre humain, ou ne l'ont point entendu
d'Hommes qui seront sauvés, et que tous les autres suffisamment, meurent avant que de recevoir les
périront éternellement: outre que ces Hommes secours nécessaires pour se retirer de ce goufrc du
destinés au saint auront été retirés de la masse cor péché, et sont condamnés à être à jamais rebelles
rompue par une élection sans raison; soit qu'on à Dieu et abîmés dans les misères les plus horribles,
dise que Dieu a eu égard en les choisissant à leurs avec les plus méchantes de toutes les créatures;
bonnes actions futures, à leur foi ou à leurs oeuvres; quoique dans le fond ces Hommes n'aient pas été
soit qu'on prétende qu'il leur a voulu donner ces plus méchans que d'autres, et que plusieurs d'entre
bonnes qualités et ces actions, parcequ'il les a pré eux aient peut-être été moins coupables qu'une
destinés au salut. Car quoiqu'on dise dans le Sy partie de ce petit nombre d'élus, qni ont été sau
stème le plus mitigé, que Dieu a voulu sauver tous vés par une grâce sans sujet, et qui jouissent par-
les Hommes, et qu'on convienne encore dans les là d'une félicité éternelle, qu'ils n'avoient point
autres qui sont communément reçus, qu'il a fait méritée. Voilà un abrégé îles difficultés que plu
prendre la nature humaine à son fils, pour expier sieurs ont touchées; mais Mr. Bayle a été un de
leurs péchés, en sorte que tous ceux qui croiront ceux qui les ont le plus poussées, comme il paroî-
en lui d'une Foi vive et finale, seront sauvés: il tra dans la suite, quand nous examinerons ses passa
demeure toujours vrai que cette Foi vive est un ges. Présentement je crois d'avoir rapporté ce qu'il
don de Dieu; que nous sommes morts à toutes les y a de pins essentiel dans ses difficultés; mais j'ai
bonnes oeuvres; qu'il faut qu'une grâce prévenante jugé à propos de m'abstenir de quelques expres
excite jusqu'à notre volonté, et que Dieu nous donne sions. et exagérations qui auraient pu scandaliser et
le vouloir et le faire. Et soit que cela se fasse par qui n'auroient point rendu les objections plus fortes.
nne grâce efficace par elle-même, c'est-à-dire par 6. Tournons maintenant la médaille, et repré
uu mouvement divin intérieur, qni détermine en sentons aussi ce qu'on peut répondre à ces objec
tièrement notre volonté au bien qu'elle fait; soit tions ; où il sera nécessaire d'expliquer par un dis
qu'il n'y ait qu'une grâce suffisante, niais qui ne ' cours plus ample : car Ton |>cut entamer beaucoup
laisse pas de porter coup, et de devenir efficace par de difficultés eu peu de paroles; niais pour en faire
les circonstances internes et externes où l'Homme la discussion, il faut s'étendre. Notre but est d'éloig
se trouve, et où Dieu l'a mis: il faut toujours re ner les Hommes des fausses idées qui leur repré
venir à dire que Dieu est la dernière raison du salut, sentent Dieu comme un Prince absolu, usant d'un
de la grâce, de la Foi , ^et de l'Élection en Jésus- pouvoir despotique, peu propre à être aimé, et ]>eu
Christ. Et soit que l'Élection soit la cause ou la digne d'être aimé. Ces notions sont d'autant plus
suite du dessein de Dieu de donner la Foi ; il de mauvaises par rapport à Dieu, qne l'essentiel de la
meure toujours vrai qu'il donne la Foi ou le salut piété est non-seulement de le craindre, mais encore
506 LXXIII. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE 1.
de l'aimer sur toutes choses; ce qui ue se peut sans bien plus grand : et il y auroit quelque chose à cor
qu'on en connoisse les perfections capables d'exciter : riger dans les actions de Dieu, s'il y avoit moyen
l'amour qu'il mérite, et qui fait la félicité de ceux de mieux faire. Et comme dans les Mathématiques,
qui l'aiment. Et nous trouvant animés d'un zèle quand il n'y a point de maximum ni de mini
qui ne peut manquer de lui plaire, nous avons sujet mum, rien enfin de distingué, tout se fait égale
d'espérer qu'il nous éclairera, et qu'il nous assistera ment; ou quand cela ne se peut, il ne se fait rien
lui - même daus l'exécution d'un dessein entrepris du tout : on peut dire de même en matière de par-
pour sa gloire et pour le bien des hommes. Une si l'aiti - sagesse , qui n'est pas moins réglée que les
bonne cause donne de la confiance: s'il yadesapparen- Mathématiques, que s'il n'y avoit pas le meilleur
ces plausibles contre nous, il y a des démeustrationsde (optimum) parmi tous les Mondes possibles, Dieu
Botre côté; et j'oserois bien dire à un adversaire: n'en auroit produit aucun. J'appelle Monde toute
«Aspice, qiiammage sit nostrum penetrabile telum.« la suite et toute la collection de toutes les choses
7. Dieu est la première Raison des cho existantes, afin qu'on ne dise point que plusieurs
ses: car celles qui sont bornées, comme tout ce Mondes pouvoient exister en différons temps et diffé-
que nous voyons et expérimentons, sont contingen- rens lieux. Car il faudroit les compter tous en
'es et n'ont rien en elles qui rende leur existence semble pour un Monde, ou si vous voulez pour un
nécessaire; étant manifeste que le tems, l'espace et : Univers. Et quand on remplirait tous les tems
la matière, unies et uuiformes en elles-mêmes, et et tous les lieux, il demeure toujours vrai qu'on
indifférentes à tout, pouvoient recevoir de tout au les auroit pu remplir d'une infinité de manières, et
tres mouvemens et figures, et dans un antre ordre. qu'il y a une infinité de Mondes possibles, dont il
Il faut donc chercher la raison de l'existence faut que Dieu ait choisi le meilleur, puisqu'il ne fait
du Monde, qui est l'assemblage entier des choses rien sans agir suivant la suprême Raison.
contingentes: et il faut la chercher dans la 9. Quelque adversaire ne pouvant répondre à
substance qui porte la raison de son exi- ' cet argument, répondra peut - être à la conclusion
stence avec elle, et laquelle par conséquent est par un argument contraire, en disant que Je Monde
nécessaire et éternelle. Il faut aussi que cette auroit pu être sans le péché et sans les souffrances:
cause soit intelligente: car ce Monde qui existe mais je nie qu'alors il auroit été meilleur. Car il
étant contingent, et une infinité d'autres Mondes j faut savoir que tout est lié dans chacun des Mon
étant également possibles et également prétendans des possibles: l'Univers, quel qu'il puisse être, est
à l'existence, pour ainsi dire, aussi -bien que lui, tout d'une pièce, comme un Océan; le moindre
il faut que la cause du Monde ait eu égard ou re mouvement y étend son effet à quelque distance que
lation à tous ces Mondes possibles, pour en déter ce soit, quoique cet effet devienne moins sensible à
miner un. Et cet égard ou rapport d'une substance pro|x>rtion de la distance; de sorte que Dieu y a
existante à de simples possibilités, ne peut être au tout réglé par avance une fois pour toutes, ayant
tre chose que l'entendement qui eu a les idées; prévu les prières, les bonnes et les .mauvaises ac
et en déterminer une, ne peut être antre chose que tions, et tout le reste; et chaque chose a contribué
l'acte de la volonté qui choisit. Et c'est la puis idéalement avant son existence à la résolution
sance de cette substance, qui en rend la volonté qui a été prise sur l'existence de toutes les choses.
efficace. La puissance va à l'être, la sagesse ou De sorte quo rien ne peut être changé dans l'Uni
l'entendement au vrai, et la volonté au bien. vers (non plus que dans un nombre) sauf son es
Et cette cause intelligente doit être infinie de tou sence, ou si vous voulez, sauf son individualité
tes les manières, et absolument parfaite en puis numérique. Ainsi, si le moindre mal qui arrive
sance, en sagesse et en bonté, puisqu'elle va dans le Monde y raanquoit, ce ne seroit plus ce
à tout ce qui est possible. Et comme tout est lié, Monde; qui tout compté, tout rabattu, a été trouvé
il n'y a pas lien d'en admettre plus d'une. Son le meilleur par le Créateur qui Ta choisi.
entendement est la source des essences, et sa vo 10. Il est vrai qu'on peut s'imaginer des Mon
lonté est l'orgine des existences. Voilà en peu des possibles, sans péché et sans malheur, et on en
de mots la preuve d'un Dieu unique avec ses per IXHuroit faire comme des Romans îles Utopies, des
fections, et par loi l'origine des choses. Sévarambcs; mais ces mêmes Mondes seroient d'ail
8. Or cette suprême sagesse, jointe à une bonté leurs fort inférieurs eu bien au nôtre. Je ne san-
qui n'est pas moins infinie qu'elle, n'a pu manquer rois vous le faire voir en détail: car puis-je con-
de choisir le meilleur. Car comme un moindre de noître, et puis-je vous représenter des infinis, et tes
mal est une espèce de bien : de même un moindre comparer ensemble I Mais vous le devez juger avec
bien est une espèce de mal, s'il fait obstacle à un ' moi ab uffectu, puisque Dieu a choisi ce Monde
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I. 507
tel qu'il est. Nous savons d'ailleurs que souvent le point de tomber, et nous voulons que les Tragé
un mal cause un bien, auquel on ne seroit point ar dies nous fassent presque pleurer. Goûte-t-on assez
rivé sans ce mal. Souvent même deux maux ont la santé, et en rend -on assez grâces à Dieu, sans
lait un grand bien: avoir jamais été malade ? Et ne faut-il pas le pins
Et si fata volnnt, bina venena juvant. souvent qu'un peu de mal rende le bien plus sensible,
Comme deux liqueurs produisent quelquefois on c'est-à-dire plus grand?
corps sec, témoin l'esprit de viu et l'esprit d'urine 13. Mais Ton dira que les maux sont grands et
mêlés par van Helmont; ou comme deux corps en grand nombre , ert comparaison des biens : l'on
froids et ténébreux produisent un grand feu, témoin se trompe. Ce n'est que le défaut d'attention qui di
une liqueur acide et une huile aromatique combi minue nos biens , et il faut que cette attention nous
nées par Mr. Hofman. Un Général d'Armée fait soit donnée par quelque mélange de maux. Si nous
quelquefois une faute heureuse, qui cause le gain étions ordinairement malades et rarement en bonne
d'une grande bataille: et ne chante-t-on pas la veille santé, nous sentirions merveilleusement ce grand
de Pâques dans les Églises du Rit Romain, bien, et nous sentirions moins nos maux; mais ne
O certe necessarium Adae pcccatum, vaut-il pas mieux néanmoins que la santé soit or
Quod Christi morte deletum est ! dinaire, et la maladie rare! Suppléons donc par
O felix culpa, quae talem ac tantum notre réflexion à ce qui manque à notre perception,
Merait liaberc Redemptorem ! afin de nous rendre le bien de la sauté plus sensible.
11. Les illustres Prélats de l'Eglise Gallicane, Si nous n'avions point la connoissancc de la vie fu
qui ont écrit au Pape Innocent XII. contre le Livre ture, je crois qu'il se trouvcroit peu de personnes
du Cardinal Sfondrate sur la Prédestination, comme qui ne fussent contens à l'article de la mort de re
ils sont dans les principes de S. Augustin , ont dit prendre la vie à condition de repasser par la même
des choses fort propres à éclaircir ce grand point. valeur des biens et des maux, pourvu surtout que ce
Le Cardinal paroît préférer l'état des Enfans morts ne fut point par la même espèce. On se contente-
sans baptême, au règne même desCieux; parceque roit de varier, sans exiger nue meilleure condition
le péché est le plus grand des maux, et qu'ils sont que celle où l'on avoit été.
morts innocens de tout péché actuel. On en parlera 14. Quand on considère aussi la fragilité du
d'avantage plus bas. Messieurs les Prélats ont bien corps humain, ou admire la sagesse et la bonté de
remarqué que ce sentiment est mal fondé. L'Apô l'Auteur de le nature, qui l'a rendu si durable, et
tre (disent-ils) Rom. III., 8. a raison de désapprou et sa condition si tolérable. C'est ce qui m'a sou
ver qu'on fasse des maux afin que des biens arri vent fait dire que je ne m'étonne pas si les hommes
vent: mais on ne peut pas désapprouver que Dieu sont malades quelquefois, mais que je m'étonne
par sa suréminentc puissance tire de la permission qu'ils le sont si peu, et qu'ils ne le sont point tou
• (>•< péchés des biens plus grands, que ceux qui sont jours. Et c'est aussi ce qui nous doit faire estimer
arrivés avant les ]iéchés. Ce n'est pas que nous de davantage l'artifice divin du méchanismo des ani
vions prendre plaisir au péché; à Dieu ne plaise! maux, dont l'Auteur a fuit ,des machines si frêles
tnais c'est que nous croyons au même Apôtre, qui et si sujettes à la corruption, et pourtant si capables
dit (Rom. V., 20.) que là où le péché a été abon de se maintenir; car c'est la Nature qui nous guérit,
dant, la grâce a été surabondante: et nous nous plutôt que la Médecine. Or cette fragilité même
souvenons que nous avons obtenu Jésus Christ lui est une suite de la nature des choses, à moins qu'on
même à l'occasion du péché. Ainsi l'on voit que ne veuille que cette espèce de créatures qui raisonne,
le sentiment de ces Prélats va à soutenir qu'une et qui est habillée de chair et d'os, ne soit point
suite de (ihoses, où le péché entre, a pu être et a dans le Monde. Mais ce seroit apparemment un
été effectivement meilleure qu'une autre suite sans défaut que quelques Philosophes d'autrefeis auroient
le péché. appelle Vacuum formarum, un vuide dans
12. On s'est servi de tout tems des comparai l'ordre des espèces.
sons prises des plaisirs des sens, mêlés avec ce qui 15. Ceux qui sont d'humeur à se louer do la
approche de la douleur, pour faire juger qu'il y a Nature et de la fortune, et non pas à s'en plaindre,
quelque chose do semblable dans les plaisirs intel quand même ils ne seroient pas les mieux parta
lectuels. Un peu d'acide, d'acre on d'amer, plait gés, me paraissent préférables aux antres. Car
souvent mieux que du sucre; les ombres rehaussent outre que ces plaintes sont mal fondées, c'est mur
les couleurs ; et même une dissonance placée où il murer en effet contre les ordres de la Providence.
faut, donne du relief à l'harmonie. Nous voulons II ne faut pas être facilement du nombre des rué-
être effrayés par des danseurs de corde qui sont sur contens dans la République où l'on est , et il ne le
508 LXXIII. THEODIC'KE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I.
faut point être du tout ilans la Cité de Dieu, où étoit content de co milieu; que S. Grégoire de Nysse
l'on ne le peut être qu'avec injustice. Les Livres incline aussi de ce côté-là, et qne S. Jérôme, panche
de la misère humaine, tels qne celni du Pape Inno vers l'opinion qui veut que tous les Chrétiens se-
cent III., ne me paroisscnt pas des plus utiles: on roient enfin reçus en grâce. Un mot de S. Paul,
redouble les maux, en leur donnant une attention qu'il donne lui-même pour mystérieux, portant que
qu'on en devroit détourner, pour la tourner vers tout Israël sera sauvé, a fourni de la matière à bien
les biens qui l'emportent de beaucoup. J'approuve des réflexions. Plusieurs personnes pieuses et même
encore moins les Livres tels que celui de l'Abbé savantes, mais hardies, ont ressuscité le sentiment
Esprit de la fausseté des vertus humaines, dont ou d'Origène, qui prétend que le bien gagnera le des
nous a donné dernièrement un abrégé ; un tel Livre sus en son tems en tout et par -tout, et qne toutes
servant à tourner tout du mauvais côté, et à rendre les créatures raisonnables deviendront enfin saintes
les hommes tels qu'il les représente. et bien - heureuses , jusqu'aux mauvais Anges. Le
16. H faut avouer cependant qu'il y a des des Livre de l'Évangile éternel, publié dopais peu en
ordres dans cette vie, qui se font voir particulière Allemand , et soutenu par un grand et savant Ou
ment dans la prospérité de plusieurs méchans , et vrage intitulé AitoxoToéçoo-tç itâiTuiv, a causé
dans l'infélicité de beaucoup de gens de bien. Il beaucoup de bruit sur ce grand paradoxe. M. le
y a un proverbe Allemand qui donne même l'avan Clerc a aussi plaidé ingénieusement la cause des
tage aux méchans, comme s'ils étoient ordinaire Origénistes, mais sans se déclarer pour eux.
ment les plus heureux : 18. Il y a an homme d'esprit, qui poussant
-Je kriiuimer Holz, je bessre Kriïckc: mou principe de l'harmonie jusqu'à des supposition
»Je àrger Schalck, je griisser Gliicke. - arbitraires que je n'approuve nullement, s'est fait
Et il seroit à souhaiter que ce mot d'Horace fût une Théologie presque Astronomique. 11
vrai à nos yeux : croit que les désordre présent de ce bas Monde a
Raro antecedeiitcui scclestum commencé lorsque l'Ange Président du Globe de la
Deseruit pede pocna claudo. Terre , laqu'elle étoit encore un Soleil , (c'est-à-dire
Cependant il arrive souvent aussi, quoique ce ne une Etoile fixe et lumineuse par elle-même) a com
soit peut-être pas le plus souvent, mis un péché avec quelques moindres Anges de son
Qu'aux yeux de l'Univers le Ciel se Justine; département; peut-être en s'élevant mal -à- propos
et qu'on peut dire avec Claudien : contre un Auge d'un Soleil plus grand : qu'en même
Abstulit huuc tandem Rufini poena tuiuultutn, tems par l'harmonie préétablie des Règnes de
Absolvitque Deos. la Nature et de la Grâce, et par conséquent par
17. Mais quand cela u'arrivcroit pas ici, le re des causes naturelles arrivées à point nommé, notre
mède est tout prêt dans l'autre vie. La Religion, Globe a été couvert de taches, rendu opaque, et
et même la Raison , nous l'apprennent ; et nous ne chassé de sa place; ce qui l'a fait devenir Etoile
devons point murmurer centre un petit délai, que errante ou Planète, c'est-à-dire Satellite d'un autre
la Sagesse suprême a trouvé bon de donner aux Soleil, et de celui-là-méme peut-être dont son Ange
hommes pour se repentir. Cependant c'est là où ne V' ni li iii point reconnoitre la supériorité; et que
les objections redoublent d'un autre côté, quand on c'ost en cela que consiste la chute de Lucifer. Qui;
considère le salut et la damnation, parcequ'il paroît maintenant le Chef des mauvais Anges, qui est ap-
étrange que même dans lu grand avenir de l'éter pi'llé dans la Saint Ecriture le Prince et même le
nité, le mal doive avoir l'avantage sur le bien, Dieu de co Monde, portant envie avec les Anges
sous l'autorité suprême de celui qui est le souve de sa suite à cet animal raisonnable qui se pro-
rain bien: puisqu'il y aura beaucoup d'appollés, et inèno sur la surface de ce Globe, et que Dieu y a _
peu d'élus ou de.sauvés. Il est vrai qu'on voit par suscité peut-être pour se dédommager do leur chute,
quelques vers de Prudenc, (Hymn. ante Somnuin) travaille à le rendre complice de leurs crimes, et
Idem famen beniguus participant de leurs malheurs. Là -dessus Jésus
Ultor retundit iram, Christ est venu pour sauver les hommes. C'est le
Paucosque non piorum Fils éternel de Dieu en tant que fils unique; mais
Patitur perhv in aevum, (selon quelques anciens Chrétiens, et selon l'Auteur
que plusieurs ont cru de son tenis, que le nombre de cette hypothèse) s'étaut revêtu d'abord, dès le
de ceux qui seront assez méchans pour être dam coimnenwment des choses, de la Nature la plus ex
nés seroit très -petit. Et il semble à quelques -uus cellente d'entre les créatures, pour les perfectionner
qu'on croyoit alors un milieu entre l'Enfer et le toutes, il s'est mis parmi elles; et c'est la seconde
Paradis; que le même Prudence parle comme s'il filiation, par laquelle il est le premier -lié de toute
LXXHI. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIEL 509
créature. C'est ce que les Cabalistes appcloient lestis, qni a été réimprimé il n'y a pas longtems;
Adam Cadmon. Il avoit peut-être planté son mais il s'en faut beaucoup qu'il ait compris l'éten
tabernacle dans ce grand Soleil qui nous éclaire: due du Royaume des Cieux. Les Anciens avoient
niais il est enfin venu dans ce Globe où nous de petites idées des Ouvrages de Dieu, et S. Au
sommes, il y est né de la Vierge, et a pris la Na gustin, faute de savoir les découvertes modernes,
ture humaine, pour sauver les hommes 'des mains étoit bien en peine, quand il s'agissoit d'excuser
de leur ennemi et du sien. Et quand le teins du la prévalence du mal. Il sembloit aux Anciens
Jugement approchera , lorsque la face présente de qu'il n'y avoit que notre terre d'habitée, où ils
notre Globe sera sur le point de périr, il y revien avoient même peur des Antipodes: le reste du
dra visiblement pour en retirer les bons, en les Monde ,étoit, selon eux , quelques Globes luisans et
transplantant peut-être dans le Soleil ; et pour pu quelques Sphères crystallines. Aujourd'hui, quel
nir ici les méchans avec les Démons qui les ont sé ques bornes qu'on donne ou qu'on ne donne pas
duits. Alors le Globe de la terre commencera à à l'Univers, il faut reconnbître qu'il y a un nom
brûler, et sera peut-être une Comète. Ce feu du bre innombrable de Globes, autant et plus grands
rera je ne sais combien d'Aeones: la queue de la qno le nôtre, qui ont autant de droit que lui à
Comète est désignée par la fumée qui montera in avoir des habitans raisonnables, quoiqu'il no s'en
cessamment, suivant l'Apocalypse; et cet incendie suive point que ce soient des hommes. 11 n'est
sera l'Enfer, on la seconde mort dont parle la Sainte qu'une Planète, c'est-à-dire un des six Satellites
'Écriture. Mais enfin l'Enfer rendra ses morts, la principaux do notre Soleil; et comme tontes les
Mort même sera détruite, la Raison et la Paix re Fixes sont des Soleils aussi, Ton voit combien notre
commenceront h régner dans les esprits qui avoient Terre est peu de chose par rapport aux choses vi
été pervertis. Ils soutirent leur tort, ils adoreront sibles, puisqu'elle n'est qu'un appendice de l'un
leur Créateur, et commenceront même à l'aimer d'entre eux. Il se peut que tous les Soleils ne
d'autant plus qu'ils verront la grandeur de l'abîme soient habités que par des créatures heureuses, et
dont ils sortent. En même tems (en vertu du pa rien ne nous oblige de croire qu'il y en a beaucoup
rallélisme Harmonique des Règnes de la Na de damnés, car peu d'exemples on peu d'échantil
ture et de la Grâce) ce long et grand incendie aura lons suffisent pour l'utilité que le bien retire du
purgé le Globe do la Terre do ses taches. Il rede mal. D'ailleurs, comme il n'y a nulle raison qui
viendra Soleil: son Ange Président reprendra sa porte à croire qu'il y a des Etoiles par-tout, ne se
place avec les Anges de sa suite; les hommes dam peut -il point qu'il y ait un grand espace au-delà
nés seront avec eux du nombre des bons Anges; de la région des Etoiles? Que ce soit le Ciel Em-
ce Chef de notre Globe rendra hommage au Messie pyrée, on non, toujours cet espace immense, qui
Chef des créatures: la gloire de cet Ange récon environne toute cette région, pourra être rempli de
cilié sera plus grande qu'elle n'avoit été avant sa bonheur et de gloire. Il pourra être conçu comme
chute, l'Océan, où se rendent les fleuvrs de toutes les cré
Inqnc Dcos iternm fatornm legc rcceptus atures bienheureuses, quand elles seront venues à
Aurons aeternum noster regnabit Apollo. leur perfection dans le système des Etoiles. Que
La vision m'a paru plaisante , et digne d'un Origc- deviendra la considération de notre Globe et de ses
niste; mais nous n'avons point besoin de telles habitans? Ne sera ce pas quelque chose d'incom
hypothèses on fictions, où l'esprit a plus de part parablement moindre qu'un point physique, puisque
que la Révélation, ot où même la Raison ne trouve notre Terre est comme un point au prix de la di
pas tout -à -fait son compte. Car il ne paroît pas stance de quelques Fixes? Ainsi la proportion de
qu'il y ait un endroit principal dans l'Univers la partie de l'Univers que nous connoissons, se per
connu, qui mérite préférablement aux autres d'être dant presque dans le néant au prix- de ce qui nous
le siège de l'aîné des créatures : et le Soleil de notre est inconnu, et que nous avons pourtant sujet d'ad
système au moins ne l'est point. mettre; et tous les maux qu'on nous peut objecter
19. Eu nous tenant donc à la doctrine établie, n'étant que dans ce presque -néant: il se peut 'que
que le nombre des hommes damnés éternellement tous les ii î; MIN ne soient aussi qu'un presque -néant
sera incomparablement plus grand que celui des en comparaison dos biens qui sont dans l'Univers.
sauvés; il faut diro que le mal ne laisseroit pas de 20. Mais il faut satisfaire encore aux difficultés
paraître presque comme rien en comparaison du plus spéculatives et plus métaphysiques, dont il a
bien, quand on considérera la véritable grandeur été fait mention, et qui regardent la cause du mal.
de la Cité de Dieu. Coelius Secundus Curio a fait On demande d'abord, d'où vient le mal? Si Deus
un petit Livre de amplitudine Rcgni coc- est, undc malum? si non est, unde bo
65
f>lG LXXffl. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIEL
numî Les Anciens attribuoient la musc du mal h grés: et dans le sens général, on peut dire qnc la
la matière, qu'ils croyoieut incréée et indépen volonté consiste dans l'inclination à faire quelque
dante do Dieu; mais nous qui dérivons tout Etre chose à proportion du bien qu'elle renferme. Cette
de Dieu, où trouverons-nous la source du mal .' La volonté est appellée antécédente, lorsqu'elle est
réponse est, qu'elle doit être cherchée dans la Na détachée, et regarde chaque bien à part en tant
ture idéale de la créature, autant que cette Nature que bien. Dans ce sens, on pont dire que Dien
est renfermée clans les vérités éternelles qui sont tend à tout bien eu tant que bien, ad perfectio-
dans l'entendement de Dieu, indépendamment de nem simpliciter simpliccm, pour parler
sa volonté. Car il faut considérer qu'il y a une Scolastique; et cela par une volonté antécédente.
imperfection originale, dans la créature Il a une inclination sérieuse à sanctifier et à sauver
avant le péché, parccque la créature est limitée es tous les hommes , à exclure le péché , et à euijjê-
sentiellement; d'où vient qu'elle ne sanroit tout chcr la damnation. L'on peut même dire que nette
savoir , et qu'elle se peut tromper et faire d'autres volonté est efficace do soi (per se) c'est-à-dire,
fautes. Platon a dit dans le Timée, que le Monde en sorte que l'effet s'ensuivroit, s'il n'y avoit pas
«voit son origine de l'Entendement joint à la Né quelque raison plus forto qui limpêcliiU ; car cette
cessité. D'autres ont joint Dieu et la Nature. On volonté ne va pas au dernier effort (ad summum
y peut donner un bon sens. Dieu sera l'Entende conatuin) autrement elle ne manquerait jamais
ment; et la Nécessité, c'est-à-dire la Nature essen de produire son plein effet, Dieu étant le maître
tielle des choses, sera l'objet de l'Entendement, de toutes choses. Le succès entier et infaillible
entant qu'il consiste dans les Vérités éternelles. n'appartient qu'à la volonté conséquente,
Mais cet objet est interne, et se trouve dans l'En comme ou l'appelle. C'est elle qui est pleine, et à
tendement divin. Et c'est-là-dedans que se trouve son égard cette règle a lien, qu'on, ne manque
non seulement la forme primitive du bien, mais jamais de faire ce que l'on veut, lorsqu'on le peut.
encore l'origine du mal: c'est la Région des Vé Or cette volonté conséquente, finale et décisive, ré
rités éternelles, qu'il faut mettre à la- place sulte du conflit do toutes les volontés antécédentes,
de la matière, quand il s'agit de chercher la sourse tant de celles qui tendent vers le bien, que de celles
des choses. Cette Région est la cause idéale du qui repoussent le mal : et c'est du concours de toutes
mal (pour ainsi dire) aussi-bien que du bien : mais ces volontés particulières, que vient la volonté to-
a proprement parler, le formel du mal n'en a point ! talo: comme dans la mécanique le mouvement
d'efficiente, car il consiste dans la privation, composé résulte de toutes les tendances qui con-
comme nous allons voir, c'est-à-dire dans ce que i courent dans un même mobile, et satisfait égale
la cause efficiente ne fait point. C'est pourquoi les ment à chacune, autant qu'il est possible de faire
Scolastiques ont coutume d'appeler la cause du tout à la fois. Et c'est, comme si le mobile se
mal, déficiente. partageoit entre ces tendance, suivant ce que j'ai
21. On peut prendre le mal métaphysiquement, montré autrefois dans un des Journaux de. Paris,
physiquement et moralement. Le mal méta (7. Sept. 1693.) en donnant la loi générale des
physique consiste dans la simple imperfection, compositions du mouvement. Et c'est encore en
le mal physique dans la souffrance, et le mal ce sens qu'on peut dire, que la volonté antécédente
moral dans le péché. Or quoique le mal physique est efficace en quelque façon, et même effective
et le mal moral ne soient point nécessaires, il suffit avec sucrés.
qu'on vertu des vérités éternelles ils soient possibles. 23. De cela il s'ensuit, que Dieu vent anté-
Et comme cette Région immense des vérités con cédemment le bien, et conséquent ment le
tient toutes les possibilités, il faut quïl y ait une meilleur. Et pour ce qui est du mal, Dieu ne veut
infinité de Mondes possibles, que lo mal entre dans point du tout le mal moral, et il ne veut point
plusieurs d'entre eux, et que munie le meilleur de d'une manière absolue le mal physique ou les souf
tous en renferme ; c'est ce qui a déterminé Dieu à frances: c'est pour cela qu'il n'y a point de Pré
permettre le mal. destination absolue à la damnation: et on peut
22. Mais quelqu'un me dira: pourquoi nous dire du mal physique, que Dieu le veut souvent
parlez -vous de per mettre? Dieu ne fait -il pas comme une peine due à la coulpe, et souvent aussi
le mal, et ne le veut-il pasî C'est ici qu'il sera né comme nn moyen propre à une fin, c'est-à-dire
cessaire d'expliquer ce que c'est que Per miss ion, pour empêcher de plus grands maux , ou pour ob
afin que l'on voie que ce n'est pas sans raison tenir do plus grands biens. La peine sert aussi
qu'on emploie ce terme. Mais il faut expliquer pour ramendenient et pour l'exemple, et le mal
auparavant la nature de la volonté, qui a ses de sert souvent pour mieux goûter le bien, et quelque
LXX1I1. THÉODICÉË. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE I. 511
fois aussi il contribue à une plus grande perfection une source do maux physiques, qui se trouve dans
de celui qui le souffre, comme le grain qu'on seine une créature des plus puissantes et des plus capables
est sujet à une espèce do corruption pour germer: d'en faire. Car une mauvaise volonté est dans son
c'est une belle comparaison, dout Jésus Christ s'est, département, ce que le mauvais Principe des Mani
servi lui-même. chéens seroit dans l'Univers; et la Raison, qui est
24. Pour ce qui est du péché ou du mal moral, une image de la Divinité, fournit aux âmes mau
quoiqu'il arrive aussi fort souvent qu'il puisse ser vaises do grands moyens de causer beaucoup de
vir do moyen pour obtenir un bien , ou pour em mal. Un seul Caligula, un Néron, eu ont fait plus
pêcher un autre mal ; ce n'est pas pourtant cela , qui qu'un tremblement de terre. Un mauvais homme
le rend uu objet suffisant de la volonté divine, ou se plaît à faire souffrir et à détruire, et il n'en
bien un objet légitime d'une volonté créée; il faut trouve que trop d'occasions. Mais Dieu étant porté
qu'il ne soit admis ou permis, qu'entant qu'il est à produire le plus de bien qu'il est possible, et
regardé comme uno suite certaine d'un devoir in ayant toute la science et toute la puissance néces
dispensable: do sorte que celui qui ne vondroit saires pour cela; il est impossible qu'il y ait en
point permettre le péché d'autrui, manquerait lui- lui faute, conlpe, péché; et quand il permet le pé
même à ce qu'il doit: comme si un Officier qui ché, c'est sagesse, c'est vertu.
doit garder un poste important, le qnitloit, sur-tout 27. Il est indubitable en effet, qu'il faut s'ab
dans un tems dcr danger, pour empêcher une querelle stenir d'empêcher le péché d'autrui, quand nous ne
dans la ville entre deux soldats do la garnison prêts le pouvons faire sans pécher nous-mêmes. Mais
à s'cntretuer: quelqu'un nous opposera peut-être, que c'est Dieu
25. La règle qui porte, non esse facienda lui-même qui agit, et qui fait tout ce quil y tt de
in a la, ut eveniant bon a, et qui défend même réel dans le péché de la créature. Cette objection
de permettre un mal moral pour obtenir un bien nous mène à considérer le concours physique
physique, est confirmée ici, bien loin d'être violée, de Di-u avec la créature, après avoir examiné lu
et l'on en montre lu source et le sens. On n'ap concours moral, qui cmbarrassoit le plus. Quel
prouvera point qu'une Reine prétende sauver l'Etat, ques-uns ont cru avec le célèbre Durand de S. Por-
en commettant, ni même en permettant un crime. tien et le Cardinal Aurcolns Scolastique fameux, que
Le crime est certain, et le mal de l'Etat est dou le concours de Dieu avec la créature (j'entens le con
teux: outre que cette manière d'autoriser des crimes, cours physique) n'est que général et médiat; et quo
si elle étoit reçue, seroit pire qu'un bouleversement Dieu crée les substances, et leur donne la force
de quoique pays, qui arrive assez sans cela, et ar- dont elles ont besoin ; et qu'après cela il les laisse
rivi-roit peut-être plus par un toi moyen qu'on faire , et ne fait que les conserver , sans les aider
choisiront pour l'empêcher. Mais par rapport à Dieu, dans leurs actions. Cette opinion a été réfutée par
rien n'est douteux, rien ne sanroit être opposé à la la plupart des Théologiens Scolastiques, et il IKI-
règle du meilleur, qui ne souffre aucune ex roît qu'on l'a désapprouvée autrefois dans Pelage.
ception ni dispense. Et c'est dans ce sens que Dieu Cependant un Capucin qui se nomme Louis Percir
permet le péché; car il manqueroit à ce qu'il se de Dole, environ l'an 1G30 avoit fait un Livre
doit, à ce qu'il doit a sa sagesse, à sa bonté, à sa exprès pour la ressusciter, au moins par rapjwrt
perfection , s'il ne suivoit pas le grand résultat de aux actes libres. Quelques Modernes y inclinent,
toutes ses tendances au bien, et s'il ne clioisissoit et Mr. Dernier la soutient dans un petit Livre du
j«s ce qui est absolument le meilleur; nonobstant libre et du volontaire. Mais on ne saurait dire par
le mal de coulpe qui s'y trouve enveloppé par la rapport h Dieu ce que c'est que conserver, sans
suprême nécessité des vérités éternelles. D'où il revenir au sentiment commun. Il faut considérer
faut conclure que Dieu veut tout le bien en soi a n- aussi que l'action de Dieu conservant doit avoir du
técédemment, qu'il veut le meilleur consé- rapport à te qui est conservé, tel qu'il est, et selon
queuiment comme nue fin, qu'il veut l'indiffé l'état où il est; ainsi elle ne sanroit être générale
rent et le mal physique quelquefois comme un mo ou indéterminée. Ces généralités sont des abstrac
yen; mais qu'il ne veut que permettre le mal mo tions qui ne se trouvent point dans la vérité des
ral à titre du sine quo non ou de nécessité hy choses singulières, et la conservation d'un homme
pothétique, qui le lie avec le meilleur. C'est pour debout est différente de la conservation d'un homme
quoi la volonté conséquente de Dieu qui a le assis. 11 n'en seroit pas ainsi , si elle ne coiisistoit
j)échc pour objet, n'est que permissive. que dans l'acte d'empêcher et d'écarter quelque
26. 11 est encore bon de considérer que le mal cause étrangère, qui pourrait détruire ce qu'on veut
uiorul n'est un si grand mal, que parce qu'il est conserver; comme il arrive souvent lorsque les
G5«
512 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PAKTIE I.
hommes conservent quelque chose: mais outre que recevant pas le même mouvement, ne doit pas en
nous sommes obligés nous -mêmes quelquefois de trer en ligne de compte. C'est donc que la matière
nourrir ce que nous conservons , il faut savoir que est portée originairement à la tardivité, ou à la pri
l:i conservation de Dieu consiste dans cette influence vation de la vitesse ; non pas pour la diminuer par
immédiate perpétuelle, que la dépendance des créa soi-même, quand elle a déjà reçu cette vitesse, car
tures demande. Cette dépendance a lieu à l'égard non ce seroit agir; mais pour modérer par sa récepti
seulement de la substance, mais encore de l'action, vité l'effet de l'impression, quand elle le doit rece
et on ne saurait peut-être l'expliquer mieux, qu'en voir. Et par conséquent, puisqu'il y a plus de ma
disant avec le commun des Théologiens et des Phi tière mue par la même force du courant lorsque le
losophes , que c'est une création continuée. bateau est plus chargé, il faut qu'il aille plus lente
28. On objectera que Dieu crée donc maintc- ment. Les expériences aussi du choc des corps,
naut rhomme péchant, lui qui Fa créé innocent jointes à la raison, font voir qu'il faut employer
d'abord. Mais c'est ici qu'il faut dire, quant au deux fois plus de force pour donner une même vi
moral, que Dieu étant souverainement sage, ne peut tesse à un corps de la même matière, mais deux
manquer d'observer certaines loix, et d'agir suivant fois plus grand ; ce qui ne seroit point nécessaire,
les règk-s, tant physiques que morales, que sa sa si la matière étoit absolument indifférente au repos
gesse lui a fait choisir; et la même raison qui lui et au mouvement, et si elle n'avoit pas cette inertie
a fait créer l'homme innocent, mais prêt à tomber, naturelle, dont nous venons de parler, qui lui donne
lui fait recréer l'homme lorsqu'il tombe; puisque une espèce de répugnance à être mue. ComjKtrons
sa science fait que le futur lui est comme le pré maintenant la force que le courant exerce sur Jes
sent, et qu'il ne sauroit rétracter les résolutions bateaux, et quïl leur communique, avec l'action de
prises. Dieu qui produit et conserve ce qu'il y a de positif
29. Et quand an concours physique, c'est ici dans les créatures , et leur donne de la perfection,
qu'il faut considérer cette vérité, qui a fait déjà de l'être, et de la force : comparons, dis-je, l'inertie
tant de bruit dans les Ecoles, depuis que S. Au de la matière, avec l'imperfection naturelle des cré
gustin Fa fait valoir, que le mal est une privation atures; et la lenteur du bateau chargé, avec le dé
de l'être; au lieu que l'action de Dieu va au po faut qui se trouve dans les qualités et dans l'action
sitif. Cette réponse passe pour une défaite, et même de la créature: et nous trouverons qu'il n'y a rien
pour quelque chose de chimérique, dans l'esprit de de si juste que cette comparaison. Le courant est
bien des gens. Mais voici un exemple assez ressem le cause du mouvement du bateau, mais non pas de
blant, qui les pourra désabuser. son retardement ; Dieu est la cause de la perfection
30. Le célèbre Kepler et après lui Mr. Descartes dans la nature et dans les actions de la créature,
(dans ses Lettres) ont parlé de l'inertie naturelle mais la limitation de la réceptivité de la créature
cl es corps; et c'est quelque chose qu'on peut con est la cause des défauts qu'il y a dans son action.
sidérer comme une parfaite image et même connue Ainsi les Platoniciens, S. Augustin et les Scola-
un échantillon do la limitation originale des créa stiqucs ont eu raison de dire que Dieu est la cause du
tures, pour faire voir que la privation fait le formel matérial du mal, qui consiste dans le positif, et non
des imperfections et des inconvéniens qui se trouvent pas du formel, qui consiste dans la privation ; comme
dans la substance aussi -bien que dans ses actions. l'on peut dire que le courant est la cause du nja-
Posons que le courant d'une même rivière emporte tériel du retardement, sans l'être de sou formel,
avec soi plusieurs bateaux, qui ne diffèrent entre c'est-à-dire, il est la cause de la vitesse du bateau.
eux que dans la charge, les uns étant chargés de sans être la cause des bornes de cette vitesse. Et
bois, les autres do pierre, et les uns plus, les autres Dieu est aussi peu la cause du péché, que le cou
moins. Cela étant, il arrivera que les bateaux les rant de la rivière est la cause du retardement du
plus chargés iront plus lentement que les autres, bateau. La force aussi est à l'égard de la matière,
iwurvu qu'on suppose que le vent, ou la rame, ou comme l'esprit est à l'égard de la chair; l'esprit
quelque autre moyen semblable ne les aide point. est promt et la cliair est infirme, et les esprits
Ce n'est pas proprement la pesanteur qui est la agissent
cause de ce retardement , puisque les bateaux de - -quantum non noxia corpora tardant.
scendent au lieu de monter, mais c'est la même
cause qui augmente aussi la pesanteur dans les corps 31. 11 y a donc un rapport tout pareil entre
qui ont plus de densité, c'est-à-dire qui sont moins une telle ou telle action de Dieu, et une tello on
spongieux, et plus chargés de matière qui leur est telle passion ou réception de la créature , qui n'en
propre: car celle qui passe à travers des pores, ne est perfectiouuée dans le cours ordmaire des choses
LXX1U. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I. 513
qu'à mesure de sa réceptivité, comme on l'ap plaisirs des sens ou à d'autres, au préjudice de plus
pelle. Et lorsqu'on dit que la créature dépend de grands biens, comme de la santé, de la vertu, de
Dieu en tant qu'elle est, et eu tant qu'elle agit, et l'union avec Dieu , de la félicité , c'est dans cette
même que la conservation est une création conti privation d'une tendance ultérieure que le défaut
nuelle; c'est que Dieu donne toujours à la créature, consiste. Eu général la perfection est positive, c'est
et produit continuellement ce qu'il y a en elle de une réalité absolue ; le défaut est privatif, il vient
positif, du bon et de parfait, tout don parfait ve de la limitation, et tend à des privations nouvelles.
nant du père des lumières; au lieu que les imper Ainsi c'est un dicton aussi véritable que vieux:
fections et les défauts des opérations viennent de bonum ex causa intégra, malum ex quo
la limitation originale, que la créature n'a pu man libet defcctu; comme aussi celui qui porte:
quer de recevoir avec le premier commencement de malum causam habet non cfficicutem,
son être, par les raisons idéales qui la bornent. sed déficient cm. Et j'espère qu'où concevra
Car Dieu ne pouvoit pas lui donner tout, sans en mieux le sens de ces Axiomes, après ce que je viens
faire un Dieu; il falloit donc qu'il y eût des clifle- de dire.
rens dégrés dans la perfection des choses, et qu'il 34. Le concours physique do Dieu et des créa
y eût aussi des limitations de toute sorte. tures avec la volonté , contribue aussi aux difficul
32. Cette considération servira aussi pour satis tés qu'il y a sur la liberté. Je suis d'opiniou que
faire à quelques Philosophes modernes, qui vont notre volonté n'est pas seulement exempte de la
jusqu à dire que Dieu est le seul acteur. Il est vrai contrainte, mais encore de la nécessité. Aristote a
que Dieu est le seul dont l'action est pure et sans déjà remarqué qu'il y a deux choses dans la liberté,
mé:auge de ce qu'on appelle pâtir; mais cela savoir la spontanéité et le choix; et c'est en quoi
n'empêche pas que la créature n'ait part aux actions consiste notre empire sur nos actions. Lorsque nous
aussi, puisque l'action de la créature est une agissons librement, on ne nous force pas, comme
modification de la substance qui en coule naturel il arriveroit, si l'on nous poussoit dans un précipice,
lement, et qui renferme une variation non -seule et si l'on nous jettoit du haut eu bas: ou ne nous
ment dans les perfections que Dieu a communiquées empêche pas d'avoir l'esprit libre lorsque nous délh
à la créature, mais encore dans les limitations lierons, comme il arriveroit, si l'on nous donnoit un
qu'elle y apporte d'elle même , pour être ce qu'elle breuvage qui nous ôtàt le jugement. Il y a de la
est. Ce qui fait voir aussi qu'il y a une distinction contingence dans mille actions de la nature; mais
réelle entre la substance et ses modifications ou ac- lorsque le jugement n'est point dans celui qui agit, il
cidens, contre le sratimcut de quelques Modernes, n'y a point de liberté. Et si nous avions un juge
et particulièrement de feu M. le Duc de Bucking- ment qui ne fût accompagné d'aucune inclination à
liam , qui en a parlé dans un petit Discours sur la agir, notre âme seroit un entendement sans volonté.
Religion réimprimé depuis peu. Le mal est donc 35. Il ne faut pas s'imaginer cependant que
comme les ténèbres, et non-seulement l'ignorance, notre liberté consiste dans une indétermination ou
mais encore l'erreur et la malice consistent formel dans une indifférence d'équilibre; comme s'il
lement dans une certaine espèce de privation. Voici falloit être incliné également du côté du oui et du
un exemple de l'erreur, dont nous nous sommes non, et du côté de ditlérens partis, lorsqu'il y en a
déjà servis. Je vois une tour qui paroit ronde de plusieurs à prendre. Cet équilibre on tout sens est
loin, quoiqu'elle soit quarréc. La pensée que la impossible: car si nous étions également portés
tour est ce qu'elle paroit, coule naturellement de pour les ici! tics A, B et C, nous ne pourrions pas
ce que je vois ; et lorsque je m'arrête à cette pen être également portés pour A et pour non A. Cet
sée, c'est une affirmation , c'est un faux jugement : équilibre est aussi absolument contraire à l'expé
mais si je pousse l'examen, si quelque rcilexion fait rience, et quand on s'examinera, l'on trouvera qu'il
que je m'aperçois que les apparences me trompent, y a toujours eu quelque cause ou raison qui nous
me voilà revenu do l'erreur. Demeurer dans un a incliné vers le parti qu'on a pris, quoique bien
certain endroit, ou n'aller pas plus loin, ne se point souvent ou ne s'aperçoive pas de ce qui nous meut ;
aviser de quelque remarque, ce sont des privations. tout comme on ne s'aperçoit guères pourquoi eu
33. 11 en est do même à l'égard de la malice sortant d'une porte ou a mis le pied droit avant le
ou de la mauvaise volonté. La volonté tend au bien gauche, ou le gauche avant le droit.
eu général; elle doit aller vers la perfection qui 3G. Mais venons aux diflicultés. Les Philo
nous convient, et la suprême perfection est en Dieu sophes conviennent aujourd'hui, que la vérité dos'
Tous les plaisirs ont eu eux-mêmes quelque senti futurs coutingcns est déterminée, c'est-à-dire que
ment de perfection ; mais lorsqu'on se boruc aux les futurs coutiugeus sont futurs, ou bien qu'ils se
514 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I.
ront, qu'ils arriveront: car il est aussi sûr que le futur 39. C'est cette difficulté qui a fait naître deux
sera, qu'il est sûr que le passé a été. Ilétoitdéjà vrai il partis: celui des Prédétermina teur s, et celui
y a cent ans, que j'écrirais aujourd'hui ; coiuinu il sera des défenseurs de la science moyenne. Los Do
vrai après cent ans, que j'ai écrit. Ainsi le contingent, minicains et les Angustiniens sont pour la prédé-
pour être futur, n'est pas moins contingent; et la dé teruiination, les Franciscains et les Jésuites mo
termination, qu'on appellerait certitude, si elle dernes sont plutôt pour la science moyenne. Ces
étoit connue , n'est pas incompatible avec la contin- deux partis ont éclaté vers le milieu du seizième
gcncc. On prend souvciitlecor tain et ledé terminé siècle , et un peu après. Molina lui-même (qui est
pour uni; nu' nie chose, parce qu'une vérité détermi peut-être un des premiers avec Fonscca qui a mis
née est en élat de pouvoir être connue, de sorte ce point en Système, et de qui les antres ont été
qu'où peut dire que la détermination est une appelles Molinistcs) dit dans le Livro qu'il a fait
certitude objective. de la concorde du libre arbitre avec la grâce, en
37. Cette détermination vient do la nature même viron l'an 1570 que les Docteurs Espagnols, (il
de la vérité, et ne sauroit nuire à la liberté: mais entend principalement les Thomistes) qui avoii'ut
il y a d'autres déterminations qu'on prend d'ailleurs, écrit depuis vingt ans, ne trouvant point d'autre
et premièrement de la prescience de Dieu , laquelle moyen d'expliquer comment Dieu pouvoit avoir
plusieurs ont crue contraire à la liberté. Car ils une science certaine des futurs eontingrns, avoient
disent que ce qui est prévu ne peut pas manquer introduit les prédéterminations comme nécessaires
d'exister, et ils disent vrai; mais il no s'ensuit pas aux actions libres.
qu'il soit nécessaire, car la Vérité nécessaire 40. Pour lui, il a cru avoir trouvé on antre
est celle dont le contraire est impossible ou im moyen. Il considère quil y a trois objets de la
plique contradiction. Or cette vérité, qui porte que science divine, les possibles, les évéuemens
j'écrirai demain, n'est point de cette nature, elle actuels, et les événemeus conditionels qui anïvc-
n'est point nécessaire. Mais supposé que Dieu la roient en conséquence d'une certaine condition , si
prévoie; il est nécessaire qu'elle arrive; c'est à-dire elle étoit réduite eu acte. La science îles possibilités
la conséquence est nécessaire, savoir qu'elle existe, est ce qui s'appelle la science de simple in
puisqu'elle a été prévue, car Dieu est infaillible: telligence; celle des événeinens qui arrivent
c'est ce qu'on appelle une nécessité hypothé actuellement dans la suite de l'Univers, est a\>\>e\\éi!
tique. Mais ce n'est pas de cette nécessité dont la science de vision. Et comme il y a une
il s'agit: c'est une nécessité absolue qu'on espèce de milieu entre le simple possible, et l'évé
demande, pour pouvoir dire qu'une action est né nement pur et absolu , savoir l'événement couditio-
cessaire, qu'elle n'est point contingente, qu'elle n'est iiel; on pourra dire aussi, selon Moliua, qu'il y a
point l'effet d'un choix libre. Et d'ailleurs il est une science moyenne entre celle de la vision
fort aisé de juger que la prescience en elle - incuie et celle de l'intelligence. On en apporte le fumeux
n'ajoute rien à la détermination de la vérité des exemple de David qui demande û l'Oracle diviu,
futurs coutingcns, sinon que cette détermination est si les habitans de la ville de Kegila, où il avoit
connue: ce qui n'augmente point la détermination, dessein de se renfermer, le livreraient à Saiil, en cas
ou lu futirition (comme on l'appelle) de ces évé que Saùl assiégeât la ville: Dieu répondit qu'oui,
nement, dont nous sommes convenus d'abord. et là-dessus David prit un autre parti. Or quelques
38. Cette réponse est sans doute fort juste, Ton défenseurs de cette science considèrent, que Dieu
convient que- la prescience en elle-même ne rend prévoyant ce que les hommes feroieiit librement,
point la vérité plus déterminée: elle est prévue en cas qu'ils fussent mis en telles ou telles cir
parce qu'elle est déterminée, parce qu'elle est vraie ; constances, et sachant qu'ils useraient mal de leur
mais clic n'est pas vraie, parce qu'elle est prévue: libre arbitre , il décerne de leur refuser des .eraces
et en cela la connoissance du futur n'a rien qui ne et de* circonstances favorables: et il le peut décer
soit aussi dans la connoissance du passé ou du pré- ner justement, puisque aussi -bien ces circonstances
s<'nt. Mais voici ce qu'un adversaire pourra dire: et ces aides ne leur auraient de rien servi. Mais
Je vous accorde que la prescience en elle-même no Molina se contente d'y trouver en général Une rai
rend point la vérité plus déterminée, mais c'est la son des décrets de Dieu, fondée, sur ce que la créa
cause de la prescience qui le fait. Car il faut bien ture libre ferait en telles on telles circonstances.
que la prescience de Dieu ait son fondement dans 41. Je n'entre point dans tout le détail de cette
la nature des choses, et ce fondement rendant la controverse, il me suffit d'en donner un échantillon.
vérité prédéterminée, l'empêchera d'être con Quelques Anciens, dont S. Augustin et ses premiers
tingente et libre. disciples n'ont pas été" couteus, paraissent avoir vu
LXX1II. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE I. 515
îles pensées assez, approchantes do relies «le Mo- créatures raisonnables, fussent entièrement imlûprn-
liiin. Les Thomistes et ceux qui s'appellent disciples dans des décrets de Dieu et des causes externes;
de S. Augustin (niais que leurs adversaires appellent il y auroit moyen de les prévoir: car Dieu les ver-
Jansénistes) combattent cette Doctrine philosophi roit tels qu'ils sont dans la région des possibles,
quement et théologiquement. Quelques-uns préten avant qu'il décernât de les admettre à l'existence.
dent que la science moyenne doit être comprise 43. Mais si la prescience de Dieu n'a rien de
dans la science de simple intelligence. Mais la prin commun avec la dépendance ou indépendance de
cipale objection va contre le fondement de cette nos actions libres , il n'en est pas de même de la
science. Car quel fondement peut avoir Dieu dci préordination do Dieu, de sus décrets, et de la suite
voir ce que feroient les Kégilites? Un simple acte des causes que je crois toujours contribuer à la dé
contingent et libre n'a rien en soi qui puisse don termination de la volonté. Et si je suis pour les
ner un principe de certitude, si ce n'est qu'on le Moliuistcs dans le premier point, je suis pour les
considère comme prédéterminé par les décrets de Prédéterminateurs dans le second, mais eu obser
Dieu , et par les causes qui en dépendent. Donc la vant toujours que la prédétermination ne soit point
difficulté qui se trouve dans les actions libres et nécessitante. Eu un mot, je suis d'opinion que la
actuelles, se trouvera aussi dans les actions libres volonté est toujours plus inclinée au parti qu'elle
conditionellcs, c'est-à-dire, Dieu ne les connoitra prend, mais qu'elle n'est jamais dans la nécessité
que sous la condition de leurs causes et de ses dé de le prendre. 11 est certain qu'elle prendra ce parti,
crets , qui sont les premières causes des choses : Kt mais il n'est point nécessaire qu'elle le prenne. C'est
on ne pourra pas les en détacher pour connoître à l'imitation de ce fameux dicton: Astra incli
un événement contingent, d'une manière qui soit nant, non nécessitant; quoiqu'ici le cas ne
indépendante do la conuoissancc des causes. Donc soit pas tont-à-fait semblable. Car l'événement où
il faudroit tout réduire à la prédétermination des les astres portent (en parlant avec le vulgaire,
décrets de Dieu, donc cette science moyenne (dira- comme s'il y avoit quelque fondement dans l'Astro
t-on) ne remédiera à rien. Les Théologiens qui pro logie) n'arrive pas toujours; au -lieu que le parti
fessent d'être attachés à S. Augustin, prétendent vers lequel la volonté est plus inclinée ne manque
aussi que le procédé des Molinistes fVroient trouver jamais d'être pris. Aussi les astres ne feroient -ils
la source du la grâce de Dieu dans les bonnes qua qu'une parti des inclinations qui concourent à l'é
lités de l'homme, ce qu'ils jugent contraire à l'hon vénement; mais quand on parle de la plus grande
neur de Dieu et à la doctrine de S. Paul. inclination de la volonté, on parle du résultat de
toutes les inclinations; a peu près comme nous
42. Il seroit long et ennuyeux d'entrer ici dans avons parlé ci -dessus de la volonté conséquente en
les répliques et dupliques qui se font de part et Dieu, qui résulte de toutes les volontés anté
d'autre, et il suflira que j'explique comment je con cédentes.
çois qu'il y a du vrai des deux cotés. Pour cet effet 44. Cependant la certitude objective ou la dér
je viens à mon principe d'une infinité de Mondes termination ne fait point la nécessité de la vérité
possibles, représentés dans la région des vérités déterminée. Tous les Philosophes le reconnoissent,
éternelles, c'est-à-dire dans l'objet de l'Intelligence en avouant que la vérité des futurs contingens est
divine, où il faut que tous les futurs conditionnels déterminée, et qu'ils no laissent pas de demeurer
soient compris. Car le cas du Siège de Kégila est contingens. C'est que la chose n'impliijueroit au
d'un Monde possible, qui ne diffère du nôtre cune contradiction en elle-même, si l'effet n<; sui-
qu'en tout ce qui a liaison avec cette hy voit; et c'est en cela que consiste la contingence.
pothèse, et l'idée de ce Monde possible représente Pour mieux entendre ce point, il faut considérer qu'il
ce qui arriverait en ce cas. Donc nous avons un y a deux grands principes de nos raisonnement;
principe de la science certaine des contingens fu l'un est le principe de- la contradiction,
turs, soit qu'ils arrivent actuollement, soit qu'ils qui porte que de deux propositions contradictoires,
doivent arriver dans un certain cas. Car dans la l'une est vraie, l'autre fausse; l'autre principe
région des possibles, ils sont représentés tels qu'ils est celui de la raison déterminante: c'est
sont, c'est-à-dire contingens libres. Ce n'est donc que jamais rien n'arrive, sans qu'il y ait une cause
pas la prescience des futurs contingens, ni le fon ou du moins une raison déterminante, c'est-à-dire
dement de la certitude de cette prescience, qui nous quelque chose qui puisse servir à rendre raison à
doit embarasscr, ou qui peut faire préjudice à la priori, pourquoi cela est existant plutôt que de
liberté. Et quand il seroit vrai que les futurs con toute autre façon. Ce graud principe a lieu dans
tingens qui consistent dans les actions libres des tous les évéïicmens, et on ne donnera jamais un
f>16 LXXffl. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I.
exemple contraire: et quoi que le plus souvent ces vent l'on ne s'aperçoit pas 5 et j'ai déjà dit qoe
raisous déterminantes ne nous soient pas assez con lorsqu'on sort d'une chambre, il y a telles raisons
nues, nous ne laissons pas d'entrevoir qu'il y: en a. qui nous déterminent à mettre un tel pied devant,
Sans ce grand principe , nous ne poumons jamais sans qu'on y réfléchisse. Car il n'y a pas par -tout
prouver l'existence de Dieu , et nous perdrions une un esclave, comme dans la maison de Trimalcion
infinité de raisonnemens très-justes et très -utiles, chez Pétrone, qui nous crie: Le pied droit devant.
dont il est le fondement: et il ne soi, lire aucune Tout ce que nous venons de dire s'accorde aussi
exception, autrement sa force seroit affoiblie. Aussi parfaitement avec les maximes des Philosophes, qui
n'est -il rien de si foible que ces systèmes, où tout enseignent qu'une cause ne saurait agir, sans avoir
est chancelant et plein d'exceptions. Ce n'est pas une disposition à l'action ; et c'est cette disposition
10 défaut de celui que j'approuve, où tout va par qui contient une prédétermination, soit que l'agent
règles générales , qui tout nu plus se limitent entre l'ait reçue de dehors , ou qu'il l'ait eue en vertu de
elles. sa propre commission antérieure.
45. Il ne faut donc pas s'imaginer avec quelques 47. Ainsi on n'a point besoin de recourir, avec
Scolastiques, qui donnent un peu dans la chimère, quelques nouveaux Thomistes, à une prédétermina-
que les futurs contingens libres soient privilégiés tion nouvelle immédiate de Dieu, qui fasse sortir
contre cette règle générale de la nature des choses. la créature libre do son indifférence, et à un décret
11 y a toujours une raison prévalento qui porte la de Dien de la prédéterminer, qui donne moyen à
volonté à son choix, et il suffit pour conserver sa Dieu de connoitre ce qu'elle fera: car il suffît que
liberté, que cette raison incline, sans nécessiter. la créature soit prédéterminée par sou état précé
C'est aussi le sentiment de tous les Anciens, de dent, qui l'incline à un parti plus qu'à l'autre; et
Platon, d'Aristotc, de S. Augustin. Jamais la vo toutes ces liaisons des actions de la créature et de
lonté n'est portée à agir, que par la représentation toutes les créatures Soient représentées dans l'en
du bien, qui prévaut a\ix représentations contraires. tendement Divin, et connues à Dien par la science
On en convient môme à l'égard de Dieu, tics bons de la simple intelligence, avant qu'il eût décerné de
Anges et des Ames bien -heureuses: et l'on recon- leur donner l'existence. Ce qui fait voir que jwur
noît qu'elles n'en sont pas moins libres. Dieu ne rendre raison de la prescience de Dieu , on se peut
manque pas de choisir le meilleur, mais il n'est passer, tant de la Science Moyenne des Molinistes,
point contraint de le faire , et même il n'y a point que de la Prédétennination, telle qu'un lîannés, ou
de nécessité dans l'objet du choix de Dieu, car une un Alvaiés (Auteurs d'ailleurs fort profonds) l'ont
autre suite des choses est également possible. C'est enseignée.
pour cela même, que le choix est libre et indépen 48. Par cette fausse idée d'une indifférence d'é
dant de la nécessité, parce -qu'il se fait entre plu quilibre, les Moliuistes ont été fort embarrassés.
sieurs possibles, et que la volonté n'est déterminée On leur demandoit non seulement comment il étoit
que par la bonté prévalante de l'objet. Ce n'est possible de connoître à quoi se détermineroit une
donc pas un défaut par rapport à Dieu et aux cause absolument indéterminée, mais aussi com
Saints: et au contraire ce seroit un grand défaut, ment il étoit possible qu'il en résult.lt enfin nue
ou plutôt nue absurdité manifeste, s'il en étoit au détermination, dont il n'y a aucune source: car de
trement, même dans les hommes ici -bas, et s'ils dire avec Molina, que c'est le privilège de la cause
étoient capables d'agir sans nnciinc raison inclinante. libre, ce n'est rien dire, c'est lui donner le privilège
C'est de quoi on ne trouvera jamais aucun exemple, d'être chimérique. C'est un plaisir de voir comment
et lorsqu'on prend un parti par caprice, pour mon ils se tourmentent pour sortir d'un labyrinthe, où
trer sa liberté, le plaisir on l'avantage qu'on croit il n'y a absolument anémie issue. Quelques-uns en
trouver dans cette aQbctation, est une des misons seignent que c'est avant que la volonté se détennino
qui y porte. virtuellement pour sortir 'do son état d'équilibre;
46. 11 y a donc une liberté de contingence ou et le. Père Louis de Dole, dans son livre du Con
en quelque façon d'indifférence, pourvu qu'on en cours de Dieu, cite des Molinistes, qui tâchent de
tende par l'indifférence, que rien ne nous né se sauver par ce moyen: car ils sont contraints
cessite pour l'un ou pour l'autre parti ; mais il n'y d'avouer qu'il faut que la cause soit disposée à agir.
a jamais d'indifférence d'équilibre, c'est-à- Mais ils n'y gagnent rien, ils ne font qu'éloigner la
dire où tout soit parfaitement égal de part et d'autre, difliculté: car ou leur demandera tout de même,
sans qu'il y ait plus d'inclination vers un côté. Une comment la cause libre vient à se déterminer vir
infinité de grands et de ]>ctits mouveiuens internes tuellement, lis ne sortiront donc jamais d'affaire,
et externes concourent avec nous, dont le plus sou sans avouer qu'il y a une prédétorminatiou dans
LXXHI. THÉODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I. 517
l'état précédent de la créature libre, qui l'incline à j à parler juste; et nous ne voulons point vouloir;
se déterminer. autrement nous pourrions encore dire que nous vou
49. (V.-( ce qui fuit aussi qne le ras de l'âne lons avoir la volonté do vouloir, et cela irait à l'in
de Buriclan entre deux prés, également porté fini. Nous ne suivons pas aussi toujours le dernier
à l'un et à l'autre, est une fiction qui ne saurait jugement de l'entendement pratique, eu nous dé
avoir lieu dans l'Uuivers, dans l'ordre de la nature, terminant à vouloir; mais nous suivons toujours,
<juoique M. Bayle soit dans- un autre sentiment. Il en voulant, le résultat de toutes les inclinations qui
est vrai, si le cas étoit possible, qu'il faudrait dire viennent, tant du côté des raisons, que des passions ;
qu'il se laisserait mourir de faim: mais dans le ce qui se fait souvent sans un jugement exprès de
fond, la question est sur l'impossible; à moins que l'entendement.
Dieu ne produise la chose exprès. Car l'Univers ne 52. Tout est donc certain et déterminé par
saurait être mi parti par un plan tiré par le milieu avance dans l'homme, comme par- tout ailleurs, et
de l'âne, coupé verticalement suivant sa longueur, l'âme humaine est une espèce d'automate spi
en sorte que tout soit égal et semblable du part et rituel, quoique les actions contingentes en géné
d'autre; comme une Ellipse et toute figure dans le ral, et les actions libres en particulier, ne soient
plan, du nombre de celles que j'appelle amphi- point nécessaires pour cela d'une nécessité abso
d ex très, pour être mi -part lu ainsi, par quelque lue, laquelle seroit véritablement incoini>atible avec
ligne droite que ce soit que passe jwr son centre. la contingence. Ainsi ni la futmïtion en elle-même,
Car ni les parties de l'Univers, ni les viscères de toute certaine qu'elle est, ni la prévision infaillible
l'animal, ne sont pas semblables, ni également si de Dieu, ni la prédétcrmination drs causes, ni celle
tués des deux côtés de ce plan vertical. 11 y aura des décrets de Dieu , ne détruisent point cette con
donc toujours bien des choses dans l'âne et hors de tingence et cette liberté. On en convient à l'égard
l'âne, quoiqu'elles ne nous paraissent pas, qui le de la futiritiou et de la prévision, comrne il a déjà
détermineront à aller d'un coté plutôt que de l'autre. été expliqué; et puisque le décret de Dieu consiste
Et quoique l'homme soit libre, ce que fane n'est uniquement dans la résolution qu'il prend , après
|>as, il ne laisse pas d'être vrai par la même raison, avoir comparé tous les Mondes possibles, de choisir
qu'encore dans l'homme le cas d'un parfait équilibre celui qui est le meilleur, et de l'admettre à l'exi
entre deux partis est impossible, et qu'un Ange, on stence par le mot tout puissant de Fiat, avec tout
Dieu au moins, pourrait toujours rendre raison du ce que ce Monde contient; il est visible que ce dé
parti que l'homme a pris, en assignant une cause cret ne change rien dans la constitution dos choses,
ou une raison inclinante, qui l'a porté véritablement et qu'il les laisse telles qu'elles étoient dans l'état
à le prendre; quoique cette raison serait souvent de pure possibilité, c'est-à-dire qu'il norliange rien,
bien composée et inconcevable à nous-mêmes, parce ni dans leur essence ou nature, ni même dans leurs
que l'enchaînement des causes liées les unes avec accidens, représentés déjà parfaitement dans l'idée
les autres va loin. de ce Monde possible. Ainsi ce qui est contingent
50. C'est pourquoi la raison que M. Descartos et libre, ne le demeure jxis moins sous les déc-rels
a alléguée, pour prouver l'indépendance de nos de Dieu, que sous la prévision.
actions libres par un prétendu sentiment vif interne, 53. Mais Dieu lui-même (dira-t-on) ne pourrait
n'a point de force. Nous ne pouvons pas sentir donc rien clianger dans le Monde? Assurément il
proprement notre indépendance, et nous ne nous ne pourrait pas à présent le changer, sauf sa sa
a ('percevons pas toujours des causes, souvent im gesse, puisqu'il a prévu l'existence de ce Monde et
perceptibles, dont notre résolution dé]>end. C'est de ce qu'il contient, ot même puisqu'il a pris cotte
comme si l'aiguile aimantée prenoit plaisir de se résolution de le faire exister: car il ne saurait ni
tourner vers le Nord ; car elle eroiroit tourner in se tromper, ni se repentir, et il ne lui appartenoit
dépendamment de quelque autre cause, ne s'appor- pas de prendre jine résolution imparfaite qui re
ccvant pas des mouveinens insensibles de la matière gardât une partie, et non pas le tout. Ainsi tout
magnétique. Cependant nous verrons plus bas en étant réglé d'abord, c'est cette nécessité hypothé
quel sens il est très vrai que l'âme humaine est tique seulement dont tout le monde convient, qui
tout-à-fait son propre nrincipc naturel par rapport fait qu'après la prévision de Dieu, on après sa ré
à ses actions, dépendante d'elle-même, et indépen solution, rien ne saurait être changé: et cependant
dante de toutes les autres créatures. les événemens en eux-mêmes demeurent continuons.
51. Pour ce qui est de la Vol it ion même, Car (mettant à part cette supposition de la futuiï-
c'est quelque chose d'impropre de dire qu'elle est tion de la chose , et de la prévision , ou de la réso
un objet de la volonté libre. Nous voulons agir, lution de Dieu, supposition qui met déjà en fait
66
518 LXXIII. THEODICEK. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I.
que la chose arrivera, et après laquelle il faut dire, li o m c t a n u m , comme j'ai déjà remarqué ci-dessus,
"Uuumquodque, quando est, oportet esse, ant parceqa'on dit qu'un argument semblable fait que
-ununiquodque, siquitlcin erit, oportet futuruin les Turcs n'évitent point les lieux où la peste fait
»esse,)« l'événement n'a rien CD lui qui le rende ravage. Mais la réponse est toute prête ; l'effet étant
nécessaire, et qui ne laisse concevoir que toute au certain, la cause qui le produira l'est aussi ; et si
tre chose pouvoit arriver au lien de lui. Et quant l'effet arrive, ce sera par nue cause proportionnée.
à la liaison des causes avec les effets, elle inclinoit Ainsi votre paresse fera peut-être que vous n'obtien
seulement l'agent libre, sans le nécessiter comme drez rien de ce que vous souhaitez, et que vous
nous venons d'expliquer: ainsi elle ne fait pas tomberez daus les uiaux que vous auriez évités en
même une nécessité hypothétique, sinon en y joig agissant avec soin. L'on voit donc que la liaison
nant quelque chose de dehors, savoir cette maxime des causes avec les effets, bien loin de causer
même, que l'inclination prévalcnto réussit toujours. une fatalité insupportable, fournit plutôt an moyen
' 54. On dira aussi, que si tout est réglé, Dieu de la lever. Il y a un proverbe Allemand qui dit,
ne sauroit donc faire des miracles. Mais il faut que la mort veut toujours avoir une cause; et il n'y
savoir que les miracles qui arrivent dans le monde, a rien de si vrai. Vous mourrez ce jour-là, (sup
étoient aussi enveloppés et représentés comme pos posons que cela soit, et que Dieu le prévoie) oui,
sibles daus ce même monde, considéré dans l'état sans doute; mais ce sera parce que vous ferez eu
de pure possibilité; et Dien qui les a fait depuis, qui vous y conduira. 11 en est de même des chà-
a décerné dès-lors de les faire, quand il a choisi ce timens de Dieu, qui dépendent aussi de leurs causes,
inonde. On objectera encore, que les voeux et les et il sera à propos de rapporter à cela ce j>assiige
prières, les mérites et les démérites, les bonnes et fameux de S. Ambroise (in Cap. I. Lucae) Novit
les mauvaises actions ne servent de rien, puisque iKuiiinu , mutare sententiatn, si tnnove-
rien ne se peut changer. Cette objection embarasse ris mutare dclictuin, qui ne doit pas être en
le plus le vulgaire, et cependant c'est un pur so tendu de la réprobation, mais de la coinmination,
phisme. Ces prières, ces voeux, ces bonnes ou comme celle que Jonas fit de Ja part du Dieu aux
mauvaises actions qui arrivent aujourd'hui, étoient Niuivites. Et ce dicton vulgaire, Si non prae-
déjà devant Dieu, lorsqu'il prit la résolution de destinatus, fac ut praedestineris, ne doit
régler les choses. Celles qui arrivent dans ce inonde pas être pris à la lettre, son véritable sens étant
actuel, étoient représentées dans l'idée de ce même que celui qui doute s'il est prédestiné, n'a' qu'à faire
inonde encore possible, avec leurs effets et leurs ce qu'il faut pour l'être par la grâce de Dieu. Le
suites; elles y étoient représentées, attirant la grâce sophisme, qui conclut de ne se mettre en peine de
de Dieu, soit naturelle, soit surnaturelle, exigeant rien, sera peut-être utile quelquefois pour porter
les châtiincns, demandant les récompenses; tout certaines gens à aller tète baissée au danger; et on
comme il arrive effectivement dans ce monde, l'a dit particulièrement des Soldats Turcs: mais il
après que Dieu l'a choisi. La prière et la bonne semble que le Maslach y a plus de part que ce so
action étoit dès -lors une cause ou condition phisme; outre que cet esprit déterminé des Turcs
idéale, c'est-à-dire une raison inclinante qui pou s'est fort démenti de nos jours.
voit contribuer à la grâce de Dieu, ou à la récom 56. Un savant Médecin de Hollande, nommé
pense, comme elle le fait à présent d'une manière Jean de Beverwyck, a eu la curiosité d'écrire de
actuelle. Et comme tout est lié sagement dans le Termino vitae, et d'amasser plusieurs réponses,
monde, il est visible que Dien prévoyant ce qui ar- lettres et discours de quelques savans hommes de sou
riveroit librement, a réglé là-dessus encore le reste tems sur ce sujet. Ce Recueil est imprimé, où il
des choses par avance, ou, (ce qui est la même est étonnant de voir combien souvent on y prend
chose) il a choisi ce monde possible, où tout étoit le change, et comment on a embarasse un problème,
réglé de cette sorte. qui à le bien prendre est le plus aisé du monde.
55. Cette considération fait tomber en même Qu'on s'étonne après cela qu'il y ait un grand
terns ce qui étoit appelle des Anciens le sophisme nombre de doutes, dont le Genre humain ne paisse
paresseux (Xo'yoç oj>yoç) qui conduoit a ne sortir. La vérité est qu'on aime à s'égarer, et que
rien faire: car (disoit-on) si ce que je demande doit c'est une espèce de promenade de l'esprit, qni lie
arriver, il arrivera, quand je ne ferois rien; et s'il veut point s'assujettir à l'attention, à l'ordre, aux
ne doit point arriver il n'arrivera jamais, quelque règles. 11 semble que nous sommes si accoutumée
peine que je prenne pour l'obtenir. On pourrait an jeu et au badinage, que nous nous jouons jns-
appeller cette nécessité, qu'on s'imagine dans les qnes dans les occupations les plus sérienses, et
érénemens, détachée de leurs causes, Fatum Ma quand nous y pensons le moins.
LXXIU. THEODICEK. ESSAIS SUK LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I. 519
57. Je crains quo dans la dernière dispute entre la volonté dé)iend de ses causes; qu'il n'y a rien
îles Théologiens de la Confession cl'Ansbourg de de si convenable à la nature humaine que cette dé
Termino poenitentiae peremptorio, qui pendance de nos actions, et qu'autrement on tom-
qui a produit tant de Traités en Allemagne, il ne beroit dans une fatalité absurde et insupportable,
se soit aussi glissé quelque mal-entendu, mais d'une c'est-à-dire dans le Fatum M ah orne ta nu m, qui
autre nature. Lt's termes prescrits par les Loix est le pire de tous, parcequ'il renverse la prévoyance
sont appelles fatal ia chez les Jurisconsultes. On et le bon conseil. Cependant il est bon de faire
peut dire en quelque façon que le terme pé- voir comment cette dépendance des actions volon
rumptoire, prescrit à l'homme pour se repentir taires n'empêche pas qu'il n'y ait dans le fond des
et se corriger, est certain auprès de Dieu, auprès de choses une spontanéité merveilleuse en nous,
qui tout est certain. Dieu sait quand un pécheur sera si laquelle dans un certain sens rend l'âme dans ses
endurci, qu'après cela il n'y aura plus rien à faire pour .résolutions indépendante de l'influence phy
lui ; non pas qu'il ne soit possible qu'il fasse pénitence, sique de tontes les autres créatures. Cette spon
ou qu'il faille que la grâce suffisante lui soit refusée tanéité peu connue jusqu'ici, qui élève notre empire
après un certain terme, grâce qui ne manque jamais ; sur nos actions autant qu'il est possible, est une
mais parcequ'il y aura un teins, après lequel il n'appro suite du Système de l'Harmonie préétablie,
chera plus des voies du salut. Mais nous n'avons dont il est nécessaire de donner quelque explication
jamais démarques certaines pour connoître ce terme, ici. Les Philosophes de l'École croyoieut qu'il y
et nous n'avons jamais droit de tenir un homme avoit une influence physique réciproque entre le
absolument pour abandonné: ce serait exercer un corps et l'âme: mais depuis qu'on a bien con
jugement téméraire. Il vaut mieux être toujours sidéré que la pensée et la masse étendue
en droit d'espérer, et c'est en cette occasion et en n'ont aucune liaison ensemble, et que ce sont îles
mille autres, où notre ignorance est utile. créatures qui diffèrent toto génère, plusieurs Mo
Prudens futuri temporis exituui dernes ont reconnu qu'il n'y a aucune communi
Caligi:iosa nocte premit Deus. cation physique entre l'âme et le coq», quoique
58. Tout l'avenir est déterminé, sans doute: la communication métaphysique subsiste
mais comme nons ne savons pas comment il l'est, toujours, qui fait que l'âme et le corps composent
ni ce qui et prévu ou résolu, nous devons faire no un même suppôt, ou ce qu'on appelb une per
tre devoir, suivant la Raison que Dieu nous a don- sonne. Cette communication physique, s'il y en
un -, et suivant les règles qu'il nous a prescrites; et avoit, feroit que l'âme changerait le degré de la
après cela nous devons avoir l'esprit en repos, et vitesse et la ligne de direction de quelques mouve-
laisser à Dieu lui-même le soin du succès; car il mens qui sont dans le corps, et que vice versa le
ne manquera jamais de faire ce qui se trouvera le | corps changerait la suite des pensées qui sont dans
meilleur, non seulement pour le général, mais aussi l'âme. Mais on ne sauroit tirer cet effet d'aucune
ru particulier pour ceux qui ont une véritable con- j notion qu'on conçoive dans le corps et dans l'âme ;
fiance en lui, c'est-à-dire une confiance qui j quoique rien ne nous soit mieux connu que l'âme, puis
ne diffère en rien d'une piété véritable, d'une j qu'ellenous est intime, c'est-à-dire intime à elle-même.
foi vive, et d'une charité ardente, et qui ne 60. Mr. Descartes a voulu capituler, et faire
nous laisse rien omettre de ce qui peut dépendre de dépendre de l'âme une partie de l'action du corps.
nous par rapport à notre devoir, et à son service. 11 croyoit savoir une règle de la nature, qui porte,
Il est vrai quo nous ne pouvons pas lui rendre selon lui que la môme quantité de mouvement se
service, car il n'a besoin de rien: mais c'est le conserve dans les corps. II n'a pas jugé possible
servir dans notre langage, quand nous tâchons que l'influence de l'âme violât cette loi des corps,
d'exécuter sa volonté présomptive, en cou- mais il a cru que l'âme pourrait pourtant avoir le
courant au bien que nous coimoissons, et où nous pouvoir de changer la direction des mouveiuens qui
pouvons contribuer ; car nous devons toujours pré se font dans le corps; à- peu près comme un Cava
sumer qu'il y est porté, jusqu'à ce que l'événement lier, quoiqu'il ne donne point du force au cheval
nous fasse voir qu'il a eu de plus fortes raisons, qu'il monte, ne laisse pas de le gouverner en diri
quoique peut-être elles nous soifnt inconnues, qui geant cette force du côté que bon lui semble. Mais
l'ont fait pnstposer ce bien que nons cherchions, à comme cela se fait par le moyen du frein, du mors,
quelque autre plus grand qu'il s'est proposé lui- des éperons, et d'autres aides matérielles, on con
même, et qu'il n'aura point manqué ou ne man çoit comment cela se peut; mais il n'y a point
quera lias d'effectuer. d'instruincns dont l'âme se puisse servir pour cet
59. Je viens de montrer comment l'action de effet, rien ciiGn ni dans l'âme, ni dans. le corps,
G6*
520 LXXIII. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE I.
c'est-à-dire ni dans la pensée, ni dans la masse, qui suivant l'évolution des perceptions, doivent pro
puisse servir h expliquer ce changement de l'un par duire des images qui se rencontrent et s'accordent
l'autre. En un mot, que l'âme change la quantité avec les impressions des corps sur nos organes ; et
de la force, et qu'elle change la ligne de la direc que les loix des mouvemens dans le corps, qui
tion, ce sont deux choses également inexplicables. s'entresuivent dans l'ordre des causes efficientes, se
61. Outre qu'on a découvert deux vérités im rencontrent aussi et s'accordent tellement avec les
portantes sur ce sujet, depuis Mr. Descartes: la pensées de l'âme, que le corps est porté à agir dans
prcmièie est, que la quantité do la force absolue le teins que l'âme le veut.
• qui su conserve en effet, est différente de la quan 63. Et bien loin que cela fasse préjudice à la
tité de mouvement, comme j'ai démontré ailleurs. liberté, rien n'y sauroit être plus favorable. Et
La seconde découverte est , qu'il se conserve encore Monsieur Jaquelot a très- bien montré dans sou Li
la même direction dans tous les corps ensemble vre de la Conformité de la Raison et de .la Foi, que
qu'on suppose agir entre eux, de quelque manière c'est comme si celui qui sait tout ce que j'ordon
qu'ils se choquent. Si cette règle avoit été connue nerai à un valet le lendemain tout le long du jour,
de Mr. Descartes, il auroit rendu la direction des faisoit un automate qui ressemblât parfaitement à
corps aussi indépendante de l'âme, que leur force; <•<: valet, et qui exécutât demain a point nommé
et je crois que cela l'auroit ineué tout droit à l'hy tout ce que j'ordonncrois ; ce qui ne m'etnpêcheroit
pothèse de l'Harmonie préétablie, où ces mêmes pas d'ordonner librement tout ce qui me plairait,
règles m'ont mené. Car outre que l'influence phy quoique l'action de l'automate qui me servirait, ne
sique de l'une de ces substances sur l'autre est in tiendrait rien du libre.
explicable, j'ai considéré que sans un dérangement 64. D'ailleurs tout ce qui se passe dans l'âme ne
entier des loix de la natuee, l'âme ne pouvoit agir dépendant que d'elle, selon ce système; et son état
physiquement sur le corps. Et je n'ai pas cru qu'on suivant ne venant que d'elle et et de sou état présent;
pût écouter ici des Philosophes, très habiles d'ail comment lui peut -ou donner une plus grande in
leurs, qui font venir un Dieu connue dans une ma dépendance? 11 est vrai qu'il reste encore quel
chine de théâtre, pour faire le dénouement de la que imperfection dans la constitution de l'âme. Tout
pièce, en soutenant que Dieu s'emploie tout exprès ce qui arrive à l'âme dépend d'elle, niais il ne dépend!
pour remuer les corps comme l'âme le veut, et pour pas toujours de sa volonté ; ce seroittrop. 11 n'est pas
donner des perceptions à l'âme comme le corps le mêmetoujoursconnu de son entendement, ouappcrçu
demande; d'autant que ce Système, qu'on appelle distinctement. Carilyaenelleuonseulcmentunordrc
celui des causes occasionnelles (parcequ'il en de perceptions distinctes, qui fait son empire; tuais
seigne que Dieu agit sur le corps à l'occasion de encore une suite de perceptions confuses ou de pas
lYunr, et vice versa) outre qu'il introduit des sions, qui fait son esclavage: et il ne faut pas s'en
miracles perpétuels pour faire le commerce de ces étonner; l'âme seroit une Divinité, si elle n'avoit
deux substances, ne sauve pas le dérangement des que des perceptions distinctes. Elle a cependant
loix naturelles, établies dans chacune de ces mêmes quelque pouvoir encore sur ces perceptions confuses,
substances, que leur iuiluence mutuelle causerait bien que d'une manière indirecte; car quoiqu'elle
dans l'opinion commune. ne puisse changer ses passions sur le champ, cUe
62. Ainsi étant d'ailleurs persuadé du principe peut y travailler de loin avec assez de succès, et se
de l'Harmonie en général, et par conséquent de donner des passions nouvelles, et même des habitn-
la préformation et de l'Harmonie préétablie do des. Elle a même un pouvoir semblable sur les per
toutes choses entre elles, entre la nature et la grâce, ceptions plus distinctes, se pouvant donner indirec
entre les décrets de Dieu et nos actions prévues, tement des opinions et des volontés, et s'empêcher
entre toutes les parties de la matière, et même d'en avoir de telles ou telles, et suspendre ou avan
entre l'avenir et le passé, le tout conformément à cer son jugement. Car nous pouvons chercher des
la souveraine sagesse de Dieu, dont les Ouvrages moyens par avance, pour nous arrêter dans l'occa
sont les plus harmoniques qu'il soit possible de con sion sur le pas glissant d'un jugement téméraire;
cevoir J je ne pouvois manquer du venir à ce sy nous pouvons trouver quelque incident pour diffé
stème, qui porte que Dieu a créé l'âme d'abord do rer notre réso'ution, lors même que l'affaire paroit
telle façon, qu'elle doit se produire et se représenter prête à être jugée; et quoique notre opinion rt
|»r ordre ce qui se passe dans le corps ; et le corps notre acte de vouloir ne soient pas directement des
aussi de telle façon, qu'il doit faire de soi-même ce que objets de notre volonté, (comme je l'ai déjà remar
l'âme ordonne. De sorte que les loix, qui lient les qué) ou ne laisse pas de prendre quelquefois «les
pensées de l'âme dans l'ordre des causes finales et mesures pour vouloir , et même pour croire avec le
\ .
107. Jusqu'ici nous lions sommes attaches à »sairc, infiniment bon, saint, sage et puissant, pos-
donner nue exposition ample et distincte de tonte »sède de toute éternité une gloire et une béatitude,
cette matière: et quoique nous n'ayons pas encore • qui ne peuvent jamais ni croître ni diminuer.
parlé des objections de M. Bayle en particulier, Cette proposition de Mr. Bayle n'est pas moins
nous avons tâché de les prévenir, et de donner les philosophique que théologiqne. De dire que Dieu
moyens d'y répondre. Mais comme nous nous possède une gloire quand il est seul, c'est ce qui
sommes chargés du soin d'y satisfaire en détail, non dépend de la signification du terme. L'on peut dire
seulement parce qu'il y aura peut-être encore des avec quelques-uns , que la gloire est la satisfaction
endroits qui mériteront d'être éclairais, mais encore qu'on trouve dans la connoissauce de ses propres
parce que ses instances sont ordinairement pleines perfections ; et dans ce sens Dieu la possède tou
d'esprit et d'érudition, et servent à donner un plus jours: mais quand la gloire signifie que les axitres
grand jour à cette controverse; il sera bon d'en en prennent connoissauce, l'on peut dire que Dieu
rapporter les principales qui se trouvent dispersées ne l'acquiert que quand il se fait connoître à des
dans ses Ouvrages, et d'y joindre nos solutions. Créatures intelligentes : quoiqu'il soit vrai que Dieu
Nous avons remarqué d'abord, »quc Dieu concourt n'obtient pas par -là un nouveau bien, et que ce
•au mal moral, et an mal physique, et à l'un et à sont plutôt les Créatures raisonnables qui s'en trou
• l'autre d'une manière morale et d'une manière vent bien , lorsqu'elles envisagent comme il faut la
«physique; et que l'homme y concourt aussi mo- gloire de Dieu.
• ralement et physiquement d'une manière libre et 110. II. »I1 se détermina librement a la pro-
«active, qui le rend blâmable et punissable.- Nous -duction des Créatures, et il choisit entre une in-
avons montré aussi que chaque point a sa diffi • flnité d'Etres i>ossibles, ceux qu'il lui plut, pour
culté: mais la plus grande est de soutenir que • leur donner l'existence, et composer l'Univers, et
Dieu concourt moralement au mal moral, c'est-à- • laissa tous les autres dans le néant." Cette pro
dire au péché, sans être auteurclu péché, et même position est aussi très-conforme à cette partie de la
sans en être complice. Philosophie que s'appelle la Théologie naturelle,
103. Il le Tait en le permettant justement, tout comme la précédente. Il faut appuyer un pen
et en le dirigeant sagement an bien, comme nous sur ce qu'on dit ici, qu'il choisit les Etres possibles
l'avons montré d'une manière qui paroit assez in qu'il lui plut. Car il faut considérer que lors
telligible. Mais comme c'est eu cela que M. Bayle que je dis, cela me plaît, c'est autant que si je
se fait fort principalement de battre en ruine ceux disois, je le trouve bon. Ainsi c'est la bonté idéale
qui soutiennent qu'il n'y a rien dans la Foi qu'on de l'objet, qui plaît, et qui le fait choisir parmi
ne puisse accorder avec la Raison, c'est aussi par beaucoup d'autres qui ne plaisent pas, ou qui plai
ticulièrement ici qu'il faut montrer que nos dogmes sent moins, c'est-à-dire qui renferment moins de
sont munis d'un rempart, même de raisons capables cette bonté qui me touche. Or il n'y a que les vrais
de résister au feu de ses plus fortes batteries, pour biens, qui soient capables de plaire A Dieu : et par
nous servir de son allégorie. 11 les a dressées contre conséquent ce qui plaît le plus à Dieu, et irai se
nous dans le chapitre CXLIV de sa Réponse aux fait choisir, est le meilleur.
Questions d'un Provincial (Toni. III. pag. 812), 111. III. »La nature humaine ayant été do
où il renferme la Doctrine Théologiqnc en sept • nombre des Etres qu'il voulut produire, il créa an
Propositions, et y oppose dix-neuf Maximes Philo •homme et une femme, et leur accorda entre autres
sophiques, comme autant de gros canons capables • faveurs le franc -arbitre; de sorte qu'ils curent le
do faire brèche dans notre rempart. Commençons • pouvoir de lui obéir; mais il les menaça de h
par les Propositions Théologiques. • mort, s'ils désobéissoicnt à l'ordre qu'il leur donna
109. I. -Dieu,, dit-il, «l'Etre éternel et néccs- •de s'abstenir d'un certain fruit.» Cette proposition
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est révélée en partie, et doit être admise sansdif- ! l'action, ni ses effets, pour juger dn détail de cette
fioul té, pourvu que le franc-arbitre soit entendu affaire : cependant il faut rendre cette justice à Dieu,
comme il faut, suivant l'explication que nous en de croire qu'elle rcnfermoit quelque autre chose
avons donnée. que ce que les Peintres nous représentent.
112. IV. -Ils en mangèrent pourtant, et dès- 113. Y. «Il lui a plu par son infinie miséri-
•lors ils furent condamnés eux et toute leur postérité •corde de délivrer un très-petit nombre d'hommes
«aux misères de cette vie, à la mort temporelle et »de cette condamnation, et en les laissant exposés
• il la damnation éternelle, et assujettis à une telle -pendant cette vie à la corruption du péché et à la
•inclination au i>éché, qn'ils s'y abandonnent près- •misère, il leur a donné des assistances qui les
«que sans fin et sans cesse. « II y a sujet de juger •mettent en état d'obtenir la béatitude du Paradis
que l'action défendue entraîna par elle-même ces • qui ne finira jamais.» Plusieurs Anciens ont douté
mauvaises suites en vertu d'une conséquence natu si le nombre des damnés est aussi grand qu'on se
relle, et que ce fut pour cela même , et non pas par l'imagine, comme je l'ai déjà remarqué ci-dessus;
an décret purement arbitraire, que Dieu l'avoit dé et il paroît qu'ils ont cru qu'il y a quelque milieu
fendue: c'étoit à -peu -près comme on défend les entre la damnation éternelle, et la parfaite béati
couteaux aux enfans. Le célèbre Fludde ou de tude. Mais nous n'avons point besoin de ces opi
Fluctibus, Anglois, fit autrefois un Livre de nions, et il suffit de nous tenir aux seutimcns reçus
Vita, Morte et Resurrectione, sous le nom dans rÉglise: où il est bon de remarquer, que cette
de R. Otreb, où il soutint que le fruit de l'arbre proposition de M. Bayle est conçue suivant les
défendu étoit un poison: mais nous ne pouvons principes de la grâce suffisante, donnée à tous les
pas entrer dans ce détail. Il suffit que Dieu a dé hommes, et qui leur suffit, pourvu qu'ils ayent une
fendu une chose nuisible; il ne faut donc point bonne volonté. Et quoique M. Bayle soit lui-même
s'imaginer que Dieu y ait fait simplement le per pour le parti opposé, il a voulu (comme il dit à la
sonnage do Législateur, qui donne une loi purement marge) éviter les termes qui ne conviendraient pas
positive, ou d'un Juge qui impose et inflige une au système des décrets postérieurs à la prévision
peine par un ordre de sa volonté, sans qu'il y ait des événeinens contingens.
de la connexion entre le mal de coulpe et le mal 114. VI. »II a prévu éternellement tout ce qui
de peine. Et il n'est point nécessaire de se figurer • arrireroit, il a réglé toutes choses et les a placées
que Dieu justement irrité a mis une corruption tout «chacune en son lieu, et il les dirige et gouverne
exprès dans l'âme et dans le corps de l'homme, » continuellement selon son plaisir: tellement que
par une action extraordinaire, pour le punir: à- • rien ne se fait sans sa permission ou contre sa
peu-près comme les Athéniens donnoieiit le suc de • volonté, et qu'il peut empêcher comme bon lui
la ciguë à leurs criminels. M. Baylc le prend ainsi, • semble, autant et toutes les fois que bon lui semble,
il parle comme si la corruption originelle avoit été »tout ce qui ne lui plaît pas, le péché par consé-
mise dans l'âme du premier homme par un ordre • qucnt, qui est la chose du monde qui l'offense et
et par une opération de Dieu. C'est ce qui lui fait •qu'il déteste le plus; et produire dans chaque
objecter (Rép. au Provinc. ch. 178. p. 1218. Tom. • âme humaine toutes les pensées qu'il approuve.»
III.) «que la Raison n'approuveroit point le Mo- Cette thèse est encore purement philosophique, c'est-
• narque, qui pour châtier un rebelle, condamnerait à - dire connoissable par les lumières de la Raison
»lui et ses descendans à être inclinés à se rebeller." naturelle. Il est à propos aussi, comme on a
Mais ce châtiment arrive naturellement aux mé- appuyé dans la thèse 2. sur cc*qui plaît, d'ap
chans, sans aucune ordonnance d'un Législateur, puyer ici sur ce qui semble bon, c'est-à-dire
et ils prennent goût au mal. Si les ivrognes engen- sur ce que Dieu trouve bon de faire. Il peut éviter
clroient des enfans inclinés au môme vice par une ou écarter, comme bon lui semble, tout ce qui
suite naturelle de ce qui se passe dans les corps, ce ne lui plaît pas: cependant il faut considérer
seroit une punition de leurs progéniteurs, mais ce que quelques objets de son éloignement, comme
ne seroit pas une peine de la Loi. Il y a quelque certains maux, et sur-tout le péché, que sa volonté
chose d'approchant dans les suites du péché du pre antécédente repotissoit, n'ont pu être rejetés par
mier homme. Car la contemplation de la divine sa volonté conséquente ou décrétoire, qu'autant que
Sagesse nous porte à croire que le règne de la Na le portoit la règle du meilleur, que le plus sage
ture sert à celui de la Grâce; et que Dieu comme devoit choisir, après avoir tout mis en ligne de
Architecte a tout fait comme il couvenoit à Dieu compte. Lorsqu'on dit que le péché l'offense
considéré comme Monarque. Nous ne connoissons ! le plus, et qu'il le déteste le plus, ce sont
pas assez ni la nature du fruit défendu, ni celle de j des manières de parler humaines. Car Dieo, à pro
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534 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
prement parler, ne sauroit être offensé, c'est-à- j «d'augmenter sa béatitude et sa gloire, n'y ont en
ilire lésé, incommodé, inquiété, on rais on colère; •part.
et il ne déteste rien de ce qui existe, supposé que Cette Maxime est très bonne: les louanges de
détester quelque chose soit la regarder avec abomi Dieu ne lui servent de rien, mais elles servent aux
nation, et d'une manière qui nous cause un dé hommes qui le louent, et il a voulu leur bien. Ce
goût, qui nous fasse beaucoup de peine, qui nous pendant quand on dit que la bonté seule a dé
fasse mal au coeur: car Dieu ne sauroit souffrir ni terminé Dieu à créer cet Univers, il est bon d'a
chagrin, ni douleur, ni incommodité; il est tou jouter que sa BONTE l'a porté antécédcmment
jours parfaitement content et à son aise. Cependant à créer et à produire tout bien possible; mais que
ces expressions dans leur vrai sens sont bien fon sa SAGESSE en a fait le triage, et a été cause qu'il
dées. La souveraine bonté de Dieu fait que sa vo a choisi le meilleur conséquent ment; et enfin
lonté antécédente repousse tout mal , mais le mal que sa PUISSANCE lui a donné le moyen d'exé
moral plus que tout autre: elle ne l'admet aussi cuter actuellement le grand dessein qu'il a formé.
que pour des raisons supérieures invincibles, et 117. II. «La bouté de l'Etre infiniment parfait
avec de grands correctifs qui en réparent les mau • est infinie, et ne seroit pas infinie, si l'on pouvait
vais effets avec avantage. 11 est vrai aussi que Dieu •concevoir une bonté plus grande que la sienne.
pourroit produire clans chaque âme humaine toutes • Ce caractère d'infinité convient à toutes ses autres
les pensées qu'il approuve: mais ce seroit agir par • perfections, à l'amour de la vertu, à là haine du
miracle, plus que son plan, le mieux conçu qu'il soit • vice, etc. elles doivent être les plus grandes que Ton
possible, ne le porte. • puisse concevoir, (Voyez Mr. Juricu daus les trois
1 15. VU. »H offre des grâces à des gens qu'il • premières sections du Jugement sur les Méthodes,
• sait ne les devoir pas accepter, et se devoir rendre • où il raisonne continuellement sur ce principe,
•par ce refus plus criminels qu'ils ne le seroient, • comme sur une première notion. Voyez aussi dans
-s'il ne les leur a voit pas offertes: il leur déclare »Mr. Wittichius de Providentia Dei n. 12. ces pa-
-qu'il souhaite ardemment qu'ils les acceptent, et » rôles de S. Augustin lib. 1. de doctrina Christ.
•il ne leur donne point les grâces qu'il sait quïls »c. 7.« Cnm cogitatur Deas, ita cogitatur, ut ali-
•accepteraient." Il est vrai que ces gens deviennent quid, qnonihilmuliussit atquesublimius. Et paulo
plus criminels par leur refus, que si l'on ne leur post: Née quisquam inveniri potest, quihocDeum
avoit rien offert, et que Dieu le sait bien : mais il credat esse, quo inelius aliquid est.)
vaut mieux permettre leur crime, qu'agir d'une ma Cette Maxime est parfaitement à mon gré, et j'en
nière qui rendrait Dieu blâmable lui-même, et fe- tire cette conséquence, que Dieu fait le meilleur qui
roit que les criminels auraient quelque droit de se soit possible : autrement ce seroit borner l'exercice
plaindre, en disant qu'il ne leur étoit pas possible de sa i mute, ce qui seroit borner sa bonté
de mieux faire, quoiqu'ils Payent ou l'eussent voulu. elle-même, si elle ne l'y portoit pas, s'il man-
Dieu veut qu'ils reçoivent ses grâces dont ils sont quoit de bonne volonté; ou bien ce seroit bor
capables, et qu'ils les acceptent; et il veut leur ner sa sagesse et sa puissance, s'il mauqnoit
donner particulièrement celles qu'il prévoit qu'ils de la connoissance nécessaire pour discerner le meil
accepteroient: mais c'est toujours par une volonté leur et pour .trouver les moyens de l'obtenir; ou
antécédente, détachée ou particulière, dont l'exécu s'il manquoit des forces nécessaires pour employer
tion ne saurait avoir toujours lieu dans le plan gé ces moyens. Cependant il y a de l'ambiguïté à dire
néral des choses. flRte thèse est encore du nombre que l'amour de la vertu et la haine du vice sont
de celles que la Philosophie n'établit pas moins que infinies en Dieu : si cela étoit vrai absolument et
la Révélation ; de même que trois autres des sept sans restriction, dans l'exercice même, il n'y auroit
que nous venons de mettre ici ; n'y ayant en que ; point de vice dans le monde. Mais quoique chaque
la troisième, la quatrième et la cinquième qui ayent perfection de Dieu soit infinie en elle -même, elle
eu besoin de la Révélation. n'est exercée qu'à proportion de l'objet, et comme
116. Voici maintenant les dix -neuf Maximes la nature des choses le porte: ainsi l'amour du
Philosophiques, que M. Bayle oppose aux sept Pro meilleur dans le tout l'emporte sur toutes les autres
positions Théologiques. inclinations ou haines particulières: il est le seul
I. «Comme l'Etre infiniment parfait trouve en dont l'exercice même soit absolument infini, rien
•lui-même une gloire et une béatitude qui ne peu- ne pouvant empêcher Dieu de se déclarer pour Ifi
•vent jamais ni diminuer, ni croître, sa bonté seule meilleur: et quelque vice se trouvant lié avec k
•l'a déterminé à créer cet Univers: l'ambition meilleur p'an possible, Dieu le permet.
•d'être loué, aucun motif d'intérêt de conserver ou 118. 111. «Une bonté infinie ayant dirigé le
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"Créateur dans la production du monde, tous les • perdre, il leur donnerait des moyens sûrs dVn
«caractères de science, d'habileté, de puissance et • faire toujours un bot) usage: car sans cela ce ne
•de grandeur qui éclatent dans sou Ouvrage, sont • seraient pas de véritables bienfaits, et sa bonté
• destinés au bonheur des Créatures intelligentes. • seroit plus petite que celle que nous pouvons con-
•Il n'a voulu faire connoitre ses perfections, qu'à fin • cevoir dans un autre bienfaiteur. (Je veux dire,
• que cette espèce de Créatures trouvassent leur fé- -dans une Cause qui joindrait à ses préscns l'a-
•lirité dans la connoissance, dans l'admiration et » dresse sûre de s'en bien servir.)-
•dans l'amour du Souverain Etre.- Voilà déjà l'abus ou le mauvais effet de la ma
Cette maxime ne me paroit pas assez exacte. xime précédente. 11 n'est pas vrai à la rigueur
J'accorde que le bonheur des Créatures intelligentes (quoiqu'il paroisse plausible) que les bienfaits que
est la principale! partie des desseins de Dieu, car Dieu communique aux Créatures qui sont capables
elles lui ressemblent le plus: mais je ne vois point de félicité, ne tendent uniquement qu'à leur bon
cependant comment ou puisse prouver que c'est son heur. Tout est lié dans la nature; et si un habile
but unique. 11 est vrai que la règne de la Nature Artisan, un Ingénieur, un Architecte, un Politique
doit servir au règne de la Grâce: mais comme tout sage fait souvent servir une même chose à plusieurs
est lié dans le grand dessein de Dieu, il faut croire fins; s'il fait d'une pierre deux coups, lorsque cela
que le règne de la Grâce est aussi en quelque façon se peut commodément; l'on peut dire que Dieu,
accommodé à celui de la Nature, de telle sorte que dont la sagesse et la puissance sont parfaites, le fait
celui-ci garde le plus d'ordre et de beauté, pour toujours. C'est ménager le terrain, le teins, le lieu,
rendre le composé de tous les deux le plus parfait la matière, qui sont pour ainsi dire sa dépense.
qu'il se puisse. Et il n'y a pas lieu de juger que Ainsi Dieu a plus d'une vue dans ses projets. La
Dieu, pour quelque mal moral de moins, renverse- félicité de toutes les Créatures raisonnables est un
roit tout l'ordre de la Nature. Chaque perfection des buts où il vise; mais elle n'est pas tout son
ou imperfection dans la Créature a son prix, mais but, ni même son dernier but. C'est pourquoi le
il n'y en a point qui ait un prix infini. Ainsi le malheur de quelques-unes de ces Créatures peut ar
bien et lo mal moral ou physique des Créatures river par concomitance, et comme une suite
raisonnables ne passe point infiniment le bien et d'autres biens plus grands: c'est ce que j'ai déjà
le mal qui est métaphysique seulement, c'est-à-dire expliqué ci-dessus, et M. Bayle l'a reconixi eu quel
celui qui consiste dans la perfection dos autres Cré que sorte. Les biens, entant que biens, considérés
atures: ce qu'il faudroit pourtant dire, si la pré- ! eu eux-mêmes, sont l'objet de la volonté antécé
sente maxime étoit vraie a la ligueur. Lorsque Dieu dente de Dieu. Dieu produira autant de raison et
rendit raison au Prophète Jouas du pardon qu'il de connoissance dans l'Univers, que son plan en
avoit accordé aux habitans de Ninive, il toucha peut admettre. L'on peut concevoir un milieu entre
même l'intérêt des bêtes qui auraient été envelop une volonté antécédente toute pure et primitive, et
pées dans le renversement de cette grande ville. entre une volonté conséquente et finale. La vo
Aucune substance n'est absolument méprisable ni lonté antécédente primitive a pour objet
précieuse devant Dieu. Et l'abus ou l'extension chaque bien et chaque mal en soi, détaché de toute
outrée de la présente maxime paroit être en partie combinaison, et tend à avancer le bien et à empê
la source des diflicultés que M. Bayle propose. 11 cher le mal: la volonté moyenne va aux com
est sûr que Dieu fait plus de ras d'un homme que binaisons , comme lorsqu'on attache un bien à un
d'un lion; cependant je ne sais si l'on peut assurer mal; et alors la volonté aura quelque tendance
que Dieu préfère un seul homme à toute l'espèce pour cette combinaison, lorsque le bien y surpasse
des lions à tous égards: mais quand cela seroit, il le mal: mais la volonté finale et décisive ré
ne s'ensuivroit point que l'intérêt d'un certain nom sulte de la considération de tous les biens et de tous
bre d'hommes prévaudrait à la considération d'un les maux qui entrent dans notre délibération, elle
désordre général ré]>andu dans un nombre infini de résulte d'une combinaison totale. Ce qui fait voir
Créatures. Cette opinion seroit un reste de l'an qu'une volonté moyenne, quoiqu'elle puisse passer
cienne maxime assez décriée, que tout est fait uni pour conséquente en quelque façon par rapport à
quement pour l'homme. une volonté antécédente pure et primitive, doit être
119. IV. «Les bienfaits qu'il communique aux considéiée comme antécédente par rapport à la vo
«Créatures qui sont capables de félicité, ne tendent lonté finale et décrétoire. Dieu donne la Raison au
«qu'à leur bonheur. 11 ne permet donc pas qu'ils Genre humain , il en arrive des malheurs par con
» servent à les rendre malheureuses ; et si le mau- comitance. Sa volonté antécédente pure tend à don
» vais usage qu'elles en fwoient étoit capable de les ner la Raison , comme un grand bien , et à enipc
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536 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IL
cher les maux dont il s'agit; mais quand il s'agit moyens sûrs pour l'empêcher, contraires à ce même
des maux qui accompagnent ce présent que Dieu ordre général; c'est vouloir (comme j'ai déjà re
nous a fuit du la Raison, lo composé, fait de la marqué) que Dieu devienne blilmable lui-même,
combinaison de la Raison et de ces maux, sera pour empêcher que l'homme ne le soit. D'objecter,
l'objet d'une volonté moyenne de Dieu, qui tendra comme Ton fait ici, que la bonté de Dieu seroit
à produire ou empocher ce composé, selon quo le plus petite que celle d'un autre bienfaiteur qui don-
bien ou le mal y prévaut. Mais quand même il se neroit un présent plus utile, ce n'est pas considérer
trouveroit que la Raison feroit plus de mal que de que la bonté d'un bienfaiteur ne se mesure pas par
bien aux hommes (ce que je n'accorde pourtant uu seul bienfait. 11 arrive aisément que le présent
point), auquel cas la volonté moyenne de Dieu la d'un particulier soit plus grand que celui d'un Prince,
rebuteroit avec ces circonstances, il se pourroit mais tous les présens de ce particulier seront bieu
pourtant qu'il fût plus convenable à la perfection inférieurs à tous les présens du Prince. Ainsi l'on
de l'Univers de donner la Raison aux hommes, ne sauroit assez estimer les biens que Dieu fait,
nonobstant toutes les mauvaises suites qu'elle pour que lorsqu'on en considère toute l'étendue en les
roit avoir à leur égard: et par conséquent la vo rapportant à l'Univers tout entier. Au reste, on
lonté finale ou le décret de Dieu, résultant de toutes peut dire que les présens qu'on donne en pré
les considérations qu'il peut avoir, scroit de la leur voyant qu'ils nuiront, sont les présens d'un ennemi,
donner. Et bien loin d'eu pouvoir être blâmé , il ifâryûiv (Soùpcc cc'dct'pa.
seroit blâmable, s'il ne le faisoit pas. Ainsi le mal, Hostibus éveillant talia dona meis.
ou le mélange du biens et de maux où le mal pré Mais cela s'entend quand il y a de la malice on do
vaut, n'arrive que par concomitance, parce qu'il la coulpe dans celui qui les donne ; comme il y en
est lié avec de pins grands biens qui sont hors de avoit dans cet Eutrapelus dont parle Horace, qui
ce mélange. Ce mélange donc, ou ce composé, ne faisoit du bien aux gens, pour leur donner le mo
doit pas être considéré comme une grâce, on comme yen de se perdre: son dessein étoit mauvais; mais
un présent que Dieu nous fasse ;* mais le bien qui celui de- Dieu ne sauroit être meilleur qu'il est:
s'y trouve mêlé ne laissera pas de l'être. Tel est faudra-t-il gâter son système, faudra-t-il qu'il y ait
le présent que Dieu fait de la Raison à ceux qui en moins de beauté, de perfection et de raison daus
usent mal. C'est toujours un bien eu soi ; mais la l'Univers, parce qu'il y a des gens qui abusent <te
combinaison de ce bien avec les maux qui viennent la Raison? Les dictons vulgaires ont lieu ici:
de son abus , n'est pas un bien par rapport à ceux Âbusus non tollit usuin. 11 y a scanda-
qui en deviennent malheureux: cependant il arrive lum datum, et scandalum acceptutn.
par concomitance , parce qu'il sert à un pins grand 120. V. "l'n Etre mal faisant est très-capable
bien par rapport à l'Univers; et c'est sans doute ce »de combler de dons magnifiques ses ennemis,
qui a porté Dieu à donner la Raison à ceux qui en • lorsqu'il sait qu'ils en feront un usage qui les
ont fait un instrument de leur malheur: ou, pour • perdra. 11 ne peut donc pas convenir à l'Etre in-
parler plus exactement, suivant notre système, Dieu » (miment bon de donner aux Créatures un franc-
ayant trouvé parmi les Etres possibles quelques Cré •• arbitre, dont il sauroit très-certainement qu'elles
atures raisonnables qui abusent de leur Raison , a «feraient un usage qui les rendroit malheureuses.
donné l'existance à celles qui sont comprises dans .Donc s'il leur donne lo franc- arbitre, il y joint
le meilleur plan possible de l'Univers. Ainsi rien •l'art de s'en servir toujours à propos, et ne per-
ne nous empêche d'admettre que Dieu fait des biens »met point qu'elles négligent la pratique de cet
qui tournent en mal par la faute des hommes, ce • art en nulle rencontre; et s'il nly avoit point de
qui leur arrive souvent par une juste punition clé • moyen sûr de fixer le bon usage de ce franc-arbitre,
l'abus qu'ils ont fait de ses grâces. Aloysius No- • il leur oteroit plutôt cette faculté, que de souffrir
varinus a fait uu Livre de occultis Dei bene- •qu'elle fût la cause de leur malheur. Cela est d'au
ficiis; on en pourroit faire un de occultis Dei tant plus manifeste, que le franc -arbitre est une
poenis: ce mot de Claudien y auroit lieu à l'é • grâce qu'il leur a donnée de sou propre choix,
gard de quelques-uns: -et sans qu'ils la demandassent; de sorte qu'il se-
Tolluntur in altum, •Tc.it plus responsable du malheur qu'elle leur ap-
Ut lapsu graviore ruant. » porterait, que s'il ne l'avoit accordée qu'à l'im-
Mais de dire que Dieu ne devoit point donner un » portunité de leurs prières. «
bien dont il sait qu'une mauvaise volonté abusera, Ce qu'on a dit à la fin . de la remarque sur la
lorsque le plan général des choses demande qu'il maxime précédente doit être répété ici , et suffit
le donne ; ou bien de dire qu'il devoit donner des pour satisfaire à la maxime présente. D'ailleurs
LXXUI. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 537
on suppose toujours cette fausse maxime qu'on a mêmes n'ont pas été créés avec l'impcccahilité.
avancée au troisième nombre, qui porte que le bon Cependant je n'oserois assurer qu'il n'y ait point
heur des Créatures raisonnables est le but um'quc de Créatures bien-heureuses nées, ou qui soient im
de Dieu. Si cela étoit, il n'arriverait peut-être ni peccables et saintes par leur nature. Il y a peut-
péché, ni malheur, pas même par concomitance; être des gens qui donncut ce privilège à la Suinte
Dieu anroit choisi une suite de possibles où tous Vierge, puisqu'aussi bieu l'Eglise Romaine la met
ces maux seroient exclus. Mais Dieu manquerait aujourd'hui au-dessus des Anges. Mais il nous suf
à ce qui est dû à l' Univers, c'est-à-dire à ce qu'il fit que l'Univers est bien grand et bien varié: lo
doit à soi-même. S'il n'y avoit que des esprits, ils vouloir borner, c'est en avoir peu de connoissance.
seroient sans la liaison nécessaire, sans l'ordre des Mais (continue M. Bayle) Dieu a donné le franc-
teins et des lieux. Cet ordre demande la matière, arbitre aux Créatures capables de pécher, sans
le mouvement et ses loix; en les réglant avec les qu'elles lui demandassent cette grâce. Et celui qui
esprits le mieux qu'il est possible, on reviendra à ferait un tel présent, seroit plus responsable du
notre Monde. Quand on ne regarde les choses qu'en malheur qu'il apporterait à ceux qui s'en serviront,
gros, on conçoit mille choses comme faisables, qui que s'il ne l'avoit accordé qu'à l'importunitc de
ne sauroient avoir lieu comme il faut. 'Vouloir que leurs prières. Mais lïtnportunité des prières oc fait
Dieu ne donne point le franc arbitre aux Créatures rien auprès de Dieu; il sait mieux que nous ce
raisonnables, c'est vouloir qu'il n'y ait point de ces qu'il nous faut, et il n'accorde que ce qui convient
Créatures: et vouloir que Dieu les empêche d'en au tout. 11 semble que M. Bayle fasse consister ici
abuser, c'est vouloir qu'il ny ait que ces Créatures le franc - arbitre dans sa faculté de |)écher; cepen
toutes seules, avec ce qui ne seroit fait que pour dant il reconnoit ailleurs que Dieu et les Saints sont
elles. Si Dieu n'avoit que ces Créatures en vue, il libres, sans avoir cette faculté. Quoi qu'il en soit,
les empêchcroit sans doute de se perdre. L'on peut j'ai déjà assez montré que Dieu, faisant ce que sa
dire cependant en un sens, que Dieu a donné à ces sagesse et sa bonté jointes ordonnent, n'est point
Créatures l'art de se toujours bien servir de leur respousable du mal qu'il permet. Les hommes
libre-arbitre, car la lumière naturelle de la Raison mêmes, quand ils fout leur devoir, ne sont point
est cet art : il faudroit seulement avoir toujours la resjionsables des événcniciis, soit qu'ils les prévoient,
volonté de bien faire \ mais il manque souvent aux ou qu'ils ne les prévoient pas.
Créatures le moyen de se donner la volonté qu'on 121. VI. «C'est un moyen aussi sûr d'ôter la
devroit avoir; et même il leur manque souvent la • vie à un homme, de lui donner un cordon de soie
volonté de se servir des moyens qui donnent indi • dont on sait certainement qu'il se servira libre-
rectement une bonne volonté, dont j'ai déjà parlé »ment pour s'étrangler, que de le poignarder par
plus d'une fois. Il faut avouer ce défaut , et il faut -quelques tiers. On ne vent pas moins sa mort
même reconnoltre que Dieu en aurait peut-être pu •quand on se sert de la première manière, que
exempter les Créatures, puisque rien n'empêche, ce » quand on emploie l'une des deux autres: il semble
semble, qu'il n'y eu ait dont la nature soit d'avoir • même qu'on la veut avec un dessein plus malin,
toujours une bonne volonté. Mais je réponds qu'il -puisqu'on tend à lui laisser toute la peine et tonte
n'est point nécessaire, et qu'il n'a point été faisable »la faute de sa perte.-
que toutes les Créatures raisonnables eussent une Ceux qui traitent des Devoirs (do Officiis)
si grande perfection, qui les approchât tant de la ' comme Cicéron , S. Ambroise, Grotius, Opalenius,
Divinité. Peut-être même que cela ne se peut que Sharrok, Rachelius, Pufendorf, aussi bien que les
par une grâce Divine spéciale: mais en ce cas, se- Casuistes, enseignent qu'il y a des cas où l'on n'est
roit-il à propos que Dieu l'accordât à tous, c'est-à- point obligé de rendre le dépôt à qui il appartient;
dire qu'il agît toujours miraculeusement à l'égard par exemple , on ne rendra pas un poignard , lors
de tontes les Créatures raisonnables? Rien ne se qu'on sait que celui qui l'a mis en dépôt veut poi
roit moins raisonnable que ces miracles perpétuels. gnarder quelqu'un. Feignons que j'aye entre mes
Il y a des degrés dans les Créatures, l'ordre général mains le tison fatal , dont la mère de Méléajrre se
le demande. Et il paraît très convenable à Tordre servira pour le faire mourir; le javelot enchanté,
du gouvernement Divin, que le grand privilège de que Céphale cmploira sans le savoir pour tuer sa
l'affermissement dans le bien soit donné plus faci Procris; les chevaux de Thésée, qui déchireront
lement à ceux qui out eu une bonne volonté, lors Hippolyte son fils. On me redemande ces choses,
qu'ils étoient dans un état plus imparfait, dans l'état et j'ai droit de les refuser, sachant l'usage qu'on
de combat et de pèlerinage, in Ecclesia mili en fora. Mais que sera-ce si un Juge compétent
tante, in statu viatorum. Les bons Anges m'en ordonne la restitution , lorsque je ne lui sau
538 LXX11I. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
rois prouver ce que je sais dos mauvaises suites • bord très -facilement, et sans se faire aucune in
qu'elle aura, Apollon m'ayant peut-être donné le commodité. Si la limitai H ni de ses forces ne lui
don de la Prophétie comme à Cassandrc, à condi -permet pas de faire du bien sans faire sentir de
tion qu'on ne me croira pas 7 Je serois donc obligé » la douleur ou quelque autre incommodité, il passe
de faire restitution, ne pouvant m'en défendre sans • par là (Voyez le Diction, hist. et critiq. pag.
me perdre: aiusi je ne puis me dispenser de con >2261. de la seconde édition), mais ce n'est qu'à
tribuer au mal. Autre comparaison : Jupiter pro «regret, et il n'emploie jamais cette manière de se
met à Sémélé, le Soleil à Phaëton, Cupidon à Psy • rendre utile, lorsqu'il peut l'être sans mêler au-
ché , d'accorder la grâce qu'on demandera. Ils ju »cuue sorte de mal à ses faveurs. Si le profit qu'on
rent par le Styx, -pourrait tirer des maux qu'il ferait souffrir pou-
Di cujus jurare timeut et fallere Numen. • voit naître aussi aisément d'un bien tout pur que
On voudroit arrêter, mais trop tard, la demande »de ces maux-là, il prendrait la voie droite du bien
entendue à demi, • tout pur, et non pas la voie oblique qui conduirait
Voluit I MIS ora loquentis • du mal au bien. S'il comble de richesses et dTion-
Opprimere; exierat jain vox properata sub auras. • neurs, ce n'est pas afin que ceux qui en ont joui
L'on voudroit reculer après la demande faite, eu • venant à les perdre, soient affligés d'autant plus
faisant des remontrances inutiles; mais on vous • sensiblement qu'ils étoicnt accoutumés au plaisir,
presse, on vous dit: »et que par-là ils deviennent plus malheureux que
Faites-vous des sermens pour n'y point satisfaire l • les personnes qui ont été toujours privées de ces
La loi du Styx est inviolable, il la faut subir: si • avantages. Un être malin comblerait de biens à
Ton a manqué en faisaut le serment, on manque- •ce prix- là les gens pour qui il aurait le plus de
roit davantage en ne le gardant pas : il faut satis •haine, (rapportez à ceci ce passage d'Aristote
faire à la promesse, quelque pernicieuse qu'elle soit • Rhetor. 1. 2. c. 23. p. m. 446. oîov ri 6o'n\ av
à celui qui l'exige. Elle seroit pernicieuse à vous, • TIC rti'l, ï'vac ctcpïXojUrvoç A^tjrjj'cri} S$ev xai
si vous ne l'exécutiez pas. 11 semble que le moral •TOT syijroit,
de ces fables insinue qu'une suprême nécessité peut 6 âaifiurv oij XO.T KVVO'UXV cpépurv
obliger à condescendre au mal. Dieu , à la vérité
ne connoit point d'antre Juge qui le puisse con Tac (n>f.ixpopaç Xocptocrtv h
traindre à donner ce qui peut tourner eu mal, il • id est: Veluti si quis alicui aliquid det, ut (postes)
n'est point connue Jupiter qui craiut le Styx. Mais • hoc (ipsi) erepto (ipsuiu) afnciat dolore. Unde
sa propre sagesse est le plus grand Juge qu'il puisse • ctiain il Uni est dictum:
trouver, ses iugemens sont sans appel, ce sont los »Bona magna rnultis non amicus dat Dons,
arrêts des Destinées. Les vérités éternelle, objet «Insigniore ut rursus his privet malo.)»
de sa sagesse, sont plus inviolables que le Styx. Toutes Ces objections roulent presque sur le même
Ces Loix, ce Juge, ne contraignent point: ils sont Sophisme; elles changent et estropient le fait, elles
plus forts, car ils persuadent. La sagesse ne fait ne rapportent les choses qu'à demi. Dieu a soi»
que montrer à Dieu le meilleur exercice de sa bonté des hommes, il aime le Genre-humain, il lui veut
qui soit possible: après cela, le mal qui passe est du bien, rien de si vrai. Cependant il laisse tomber
une suite indispensable du meilleur. J'ajouterai les hommes, il les laisse souvent périr, il leur donne
quelque chose de plus fort: Permettre le mal, des biens, qui tournent à leur perte; et lorsqu'il
connue Dieu le permet , c'est la plus grande bouté. rend quelqu'un heureux, c'est après bien des souf
Si mal» siistulcrat, non erat ille bonus. frances: où est son affection, où est sa lionté, ou
Il faudrait avoir l'esprit de travers, pour dire après bien où est sa puissance? Vaines objections, qui
cela qu'il est plus malin de laisser à quelqu'un toute suppriment le principal, qui dissimulent que c'est
la peine et toute la faute de sa perte. Quand Dieu de Dieu qu'on parle. 11 semble que ce soit une
la laisse à quelqu'un, elle lui appartient avant son mère, un tuteur, un gouverneur, dont ie-.soin pres
existence, elle étoit dès -lors dans son idée encore que unique regarde l'éducation , la conservation, le
purement possible, avant le décret de Dieu qui le bonheur de la personne dont il s'agit •, et qui né
fait exister; la peut -on laisser ou donner à un gligent leur devoir. Dieu a soin de l'Univers, il ne
autre ï C'est tout dire. néglige rien , il choisit le meilleur absolument. Si
122. VII. »Un véritable bienfaiteur donne prom- quelqu'un est méchant et malheureux avec cela, il
'tement, et n'attend pas à donner que ceux qu'il lui appartcnoit de l'être. Dieu (dit on) pouvoit don
•ai mi' ayent souffert de longues misères par la pri- ner le bonheur à tous, il le pouvoit donner
• vatiou de ce qu'il pouvoit leur communiquer d'à- promptemeut et facilement, t-t saus scj faire au
LXX1II. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 539
nine incommodité, car il peut tout. Mais le doit- » tre-là puisse témoigner pour la vertu, est de faire,
il? Puisqu'il ne le fait point , c'est une marque • s'il le 'l>eut, qu'elle soit toujours pratiquée sans
qu'il le devoit faire tout autrement D'eu inférer, • aucun mélange de vice. S'il lui est aisé de pro-
ou que c'est à regret et par un défaut de forces, » curer à ses Sujets cet avantage, et que néanmoins
qu'il manque de rendre les hommes heureux, et de • il permette au vice de lever la tête, sauf à le pu-
donner le bien d'abord et saus mélange de mal; • nir enfin après l'avoir toléré long-tems; son affec-
on bien qu'il manque de bonne volonté pour le • tion pour la vertu n'est point la plus grande que
donner purement et tout de bon; c'est comparer •Ton puisse concevoir; elle n'est donc pas infinie.»
notre vrai Dieu avec le Dion d'Hérodote, plein Je ne suis pas encore à la moitié dos dix-nouf
d'envie, ou avec le Démon du Poëte, dont Aristote Maximes, et je me lasse déjà de réfuter et de ré
rap|K>rte les lambes que nous venons do traduire pondre toujours la même chose. Mr. Bayle multi
en Latin, qui donne des biens, afin qu'il afflige d'a plie sans nécessité ses maximes prétendues, oppo
vantage en les ôtant. C'est se jouer de Dieu par sées à nos dogmes. Quand on détache les choses
des Anthropomorplnsines perpétuels; c'est le re liées ensemble, les parties de leur tout, le Genre-
présenter comme un homme qui se doit tout entier humain de l'Univers, les attributs de Dieu les uns
à l'affaire dont il s'agit, qui ne doit l'exercice prin des autres, la puissance de la sagesse; il est permis
cipal de sa bonté qu'aux seuls objets qui nous sont de dire que Dieu peut faire que la vertu soit
connus, et qui manque de capacité ou de bonne vo dans le monde sans aucun mélange du vice, et même
lonté. Dieu n'en manque pas, il pourruit faire le qu'il le peut faire aisément. Mais puisqu'il a
bien que nous souhaiterions; il le veut même, en permis le vice, il faut que Tordre de l'Univers
le prenant détaché; mais il ne doit point le faire trouvé préférable à tout autre plan, l'ait demandé.
préférablement à d'autres biens plus grands qui s'y II faut juger qu'il n'est pas permis de faire autre
opposent. Au reste, on n'a aucun sujet de se plain ment, puisqu'il n'est pas possible de faire mieux.
dre de ce qu'on ne parvient ordinairement au salut C'est une nécessité hypothétique, une nécessité mo
que par bien des fouffrances, et eu portant la rale, laquelle bien loin d'être contraire à la liberté,
croix de Jésus-Christ; ces maux servent à rendre est l'effet de son choix. Quae raiioni contra
les élus imitateurs de leur Maître, et à augmenter ria sunt, ea née fieri àSapiente posse cre-
leur bonheur. dendum est. L'on objecte ici, que l'affection de
123. VIII. -La plus grande et la plus solide Dieu pour la vertu n'est donc pas la plus grande
«gloire que celui qui est le maître des autres puisse qu'on puisse concevoir, qu'elle n'est pas infinie. On
• acquérir, est de maintenir parmi eux la vertu, y a déjà répondu sur la seconde maxime, en disant
• l'ordre, la paix, le contentement d'esprit. La que l'affection de Dieu pour quelque chose créée
• gloire qu'il tireroit de leur malheur, ne sauroit que ce soit est proportioné*c au prix de la chose.
• être qu'une fausse gloire. La vertu est la plus noble qualité des choses créées,
Si nous counoissions la Cité de Dieu telle qu'elle mais ce n'est pas la seule bonne qualité des Créa
est, nous verrions que c'est le plus parfait état qui tures, il y en a une infinité d'autres qui attirent
puisse être inventé; que la vertu et le bonheur y l'inclination de Dieu: de toutes ces inclinations
régnent, autant qu'il se peut, suivant les loix du résulte le plus de bien qu'il se peut; et il se trouve
meilleur; que le péché et le malheur, (que des que s'il n'y avoit que vertu, s'il n'y avoit que Créa
raisons de l'ordre suprême ne pennettoient point tures raisonnables, il y aurait moins de bien. .Vi
d'exclure entièrement de la nature des choses), n y das se trouva moins riche, quand il n'eut que de
sont presque rien en comparaison du bien, et ser l'or. Outre que la sagesse doit varier. Multiplier
vent même à de plus grands biens. Or puisque ces uniquement la même chose, quelque noble qu'elle
maux dévoient exister, il falloit bien qu'il y eût puisse être, ce seroit une superfluité, ce seroit une
quelques-uns qui y fussent sujets; et nous sommes pauvreté: avoir mille Virgilcs bien reliés dans sa
ces quelques-uns. Si c'étoient d'autres, n'y auroit-il Bibliothèque, chanter toujours les airs du l'Opéra
pas la même apparence du mal.' ou plutôt, ces do Cadmus et d'Hermione, casser toutes les porce
autres ne seroieut-ils pas ce qu'on appelle, Nous! laines pour n'avoir que dos tasses d'or, n'avoir que
Lorsque Dieu tire quoique gloire du mal pour l'avoir des boutons de diamans, ne manger que des per
fuit servir à un plus grand bien, il l'en devoit tirer. drix, ne boire quo du vin de Hongrie ou do Shiras;
Ce n'est donc pas une fausse gloire, comme scroit appelleroit-on cela Raison! La nature a eu besoin
celle d'un Prince qui bouleverseroit son Etat pour d'animaux, de plantes, de corps inanimés; il y a
avoir l'honneur de le redresser. dans ces Créatures non raisonnables des merveilles
124. IX. »Lc plus grand amour que ce maî- qui servent à exercer la Raison. Que feroit une
$40 LXXIH. THÈODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
Créature intelligente, s'il n'y avoit point de choses ses, s'il en vouloit exclure le vice qui s'y tronve.
non intelligentes ? à quoi pcnscroit-elle, s'il n'y avoit Cet état d'un parlait gouvernement, où Ton vent et
ni mouvement, ni matière, ni sens! Si elle n'avoit fait le bieu autant qu'il est possible, où le mal même
que pensées distinctes, ce seroit un Dieu, sa sagesse sert au plus grand bien, est -il comparable avec
seroit sans bornes 5 c'est une des suites de mes mé l'état d'un Prince, dont les affaires sont délabrées,
ditations. Aussi -tôt qu'il y a un mélange de pen et qui se sauve comme il peut ! ou avec celui d'un
sées confuses, voilà les sens, voilà la matière. Car Prince qui favorise l'oppression pour la punir, et
ces pensées confuses viennent du rapport de toutes qui se plaît à voir les petits à la besace et les grands
les choses entre elles -suivant la durée et l'étendue. sur réchaffautJ
C'est ce qui fait que dans ma Philosophie il n'y a 426. XI. »Un maître attaché aux intérêts de
point de Créature raisonnahle sans quelque corps • la vertu, et au bien de ses Sujets, donne tous ses
organique, et qu'il n'y a point d'esprit créé qui soit •soins à faire en sorte qu'ils ne désobéissent jamais
entièrement détaché de la matière. Mais ces corps •a ses lois; et s'il faut qu'il les châtie pour leur
organiques ne différent pas moins en perfection, • désobéissance, il fait eu sorte que la peine les
que les esprits à qui ils appartiennent. Donc puis • guérisse de l' inclination au mal, et rétablisse dans
qu'il faut à la sagesse de Dion un Monde de corps, • leur âme une ferme et constante disposition au
un Monde de substances capables de perception et • bien, tant s'en faut qu'il veuille que la peine de la
incapables de raison ; enfin puisqu'il falloit choisir • faute les incline de plus en plus vers le mal.«
de toutes les choses, ce qui faisoit le meilleur effet Pour rendre les hommes meilleurs, Dieu fait
ensemble, et que le vice y est entré par cette porte; tout ce qui se doit, et même tout ce qui se |>eut de
Dieu n'anroit pas été parfaitement bon, parfaitement son côté, sauf ce qui se doit. Le but le plus ordi
sage, s'iH'avoit exclus. naire de la punition est l'amendement; mais ce
125. X. «La plus grande haine que l'on puisse n'est pas le but unique, ni celui qu'il se propose
• témoigner pour le vice, n'est pas de le laisser toujours. J'en ai dit un mot ci-dessus. Le péché
•régner fort long-tems, et puis de le châtier; mais originel, qui rend les hommes inclinés au mal, n'est
• de l'écraser avant sa naissance, c'est-à-dire, d'em- pas une simple peine du premier péché; il en est
• pêcher qu'il ne se montre nulle part. Un Roi, une suite naturelle. On en a dit aussi un mot, en
• par exemple, qui mettrait un si bon ordre dans faisaut une remarque sur la quatrième Proposition
•ses finances, qu'il ne s'y commît jamais aucune Théologique. C'est comme l'ivresse, qui est une
• malversation, feroit paroître plus de haine pour peine de l'excès de boire, et en est en même tems
•l'injustice des partisans, que si après avoir souffert une suite naturelle qui porte facilement à de nou
•qu'ils s'engraissassent du sang du peuple, il les veaux péchés.
• faisoit pendre.» 127. JtH. .Permettre le mal que l'on poniroit
C'est toujours la même chanson, c'est un anthro «empêcher, c'est ne se soucier point qu'il se com-
pomorphisme tout pur. Un Roi ordinairement ne » mette ou qu'il ne se commette pas, on souhaiter
doit rien avoir plus à coeur, que d'exempter ses • môme qu'il se commette.»
Sujets de l'oppression. Un de ses plus grands in Point du tout. Combien de fois les hommes
térêts, c'est de mettre bon ordre à ses finances. permettent-ils des maux qu'ils pourraient empêcher,
Cependant il y a des tcms, où il est obligé de to s'ils tournoient tous leurs efforts de ce côté-là!
lérer le vice et les désordres. On a une grande Mais d'autres soinsplusimportans les en empêchent.
guerre sur les bras, on se trouve épuisé, on n'a pas On prendra rarement la résolution de redresser les
des Généraux à choisir, il faut ménager ceux que désordres de la monnoie, pendant qu'on a âne
l'on a, et qui ont une grande autorité parmi les sol grande guerre sur les bras. Et ce que fit la-dessus
dats; un Braccio, un Sforza, un Walstein. On un Parlement d'Angleterre un peu avant la paix de
manque d'argent aux plus pressons besoins, il faut Ryswyck, sera plus loué qu'imité. En pent-on
recourir à de gros financiers, qui ont un crédit conclure, que l'Etat ne se soucie pas de ce désordre,
établi, et il faut conniver en même tems à leurs ou même qu'il le souhaite? Dieu a une raison bien
malversations. Il est vrai que cette malheureuse plus forte, et bien plus digne de lui, de tolérer les
nécessité vient le plus souvent des fautes précéden maux. Non seulement il en tire do plus grands biens,
tes. 11 n'en est pas de même de Dieu, il n'a be mais encore il les trouve liés avec les plus grands
soin de personnes, il ne fait aucune faute, il fait de tous les biens possibles: de sorte que ce seroit
toujours le meilleur. On ne j>eut pas même sou un défaut de ne les point permettre.
haiter que les choses aillent mieux, lorsqu'on les 128. XIII. -C'est un très- grand dôfaut dans
entend: et ce seroit un vice clans l'Auteur des cho •ceux qui gouvernent, de ne soucier point qu'il y
LXXIH. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 541
•ait ou qu'il n'y ait point de désordre dans leurs «point de situation et de figure qu'il ne puisse coru-
•Etats. Le défaut est encore plus grand, s'ils y vcn- «muniqurr aux esprits. S'il pcriuctioit donc uu mal
«lent et s'ils y souhaitent du désordre. Si par des «physique, ou un mal moral, ce ne seroit j>as à
• voies cachées et indirectes, mais infaillibles, ils •cause que sans cela quelque autre mal physique, oq
«excitoieut une sédition dans leurs Etats pour les «moral, encore plus grand, seroit tout à-fait inévi-
«mettre à deux doigts de leur ruine, afin de se pro- » table. Nulle des raisons du mélange du bien et du
»curer la gloire de faire voir qu'ils ont le courage «mal, fondées sur la limitation des forces des bien-
«et la prudence nécessaires pour sauver un grand -faiteurs, ne lui saurait convenir.*
.Royaume prêt à périr, ils seroicnt très condam Il est vrai que Dieu fait de la matière et des
nables. Mais s'ils excitoient cette sédition parce esprits tout ce qu'il veut; mais il est comme un
-qu'il n'y auroit d'autre moyen que celui-là do pré- bon Sculpteur, qui ne veut faire do son bloc de
» venir la ruine totale de leurs Sujets, ut d'affermir marbre que ce qu'il juge le meilleur, et qui en juge
«sur de nouveaux fondemens, et pour plusieurs bien. Dieu fait de la matière la plus belle de toutes
«siècles, la félicité des peuples, il faudroit plaindre les machines |x>ssibles; il fait des Esprits le plus
«la malheureuse nécessité, (voye/ ci-dessus pag. 84. beau de tons les gouvernemens concevables; et par
»8G. 140. ce qui a été dit de la force de la né- dessus tout cela, il établit pour leur union la plus
•cessité) où ils auroient été réduits, et les louer parfaite de toutes les harmonies, suivant le système
«de l'usage qu'ils en auroient fait.« que j'ai proposé. Or puisque le mal physique et
Cette maxime, avec plusieurs autres qu'on étale le mal moral se trouvent dans ce parfait ouvrage,
ici, n'est poiut applicable an gouvernement de Dieu. on eu doit juger (contre ce que Mr. Bayle assure
Outre que ce n'est qu'une très-petite partie de sou ici) que sans cela un mal encore plus grand
Royaume, dont on nous objecte les désordres, il auroit été tout-à-fait inévitable. Ce mal
est faux qu'il ne se soucie point des maux , qu'il si grand seroit que Dieu auroit mal choisi, s'il avoit
les souhaite, qu'il les fasse naître, pour avoir la choisi autrement qu'il n'a fait. Il est vrai que
gloire de les appaiser. Dieu veut l'ordre et le bien ; Dieu est infiniment puissant; mais sa puissance est
mais il arrive quelquefois que ce qui est désordre indéterminée, la bonté et la sagesse jointes la dé
dans la partie, est ordre dans le tout. Nous avons terminent à produire le meilleur. Mr. Baylc fait
déjà allégué cet axiome de Droit: Incivile est ailleurs une objection qui lui est particulière, qu'il
nisi'tota lege inspecta judicarc. La per tire des scntimeus des Cartésiens modi-rnes, qui
mission des maux vient d'une espèce de nécessisé disent que Dieu pouvoit donner aux âmes les pen
inorale: Dieu y est obligé par sa sagesse et par sa sées qu'il vouloit, sans les faire dépendre d'aucun
bonté; cette nécessité est heureuse, au lieu rapport aux corps : par ce moyen on épargnerait
que celle du Prince, dont parle la maxime, est mal aux âmes un grand nombre de maux, qni ne vien
heureuse. Son Etat est un des plus corrompus; et nent que du dérangement des corps. On en parlera
le gouvernement de Dieu est le meilleur Etat qui d'avantage plus bas, maintenant il suffit de considé
soit possible. rer que Dieu ne sauroit établir un système mal lié
129. XIV. -La permission d'un certain mal et plein de dissonnaaces. La nature des âmes est
-n'est excusable, que lorsque l'on n'y saurait re- en partie de représenter les corps.
• inédier sans introduire un plus grand mal; mais 131. XVI. «On est autant la cause d'un évé-
•die ne sauroit ôtre excusable dans ceux qui out en •nement, lorsqu'on le procure par des voies morales,
••main un remède très efficace contre ce mal, et » que lorsqu on le procure par des voies physiques.
• contre tons les autres maux qui pourraient naître «Un Ministre d'Etat, qui sans sortir de son cabi-
»de la suppression de celui-ci. •net et se servant seulement des {Missions des direc-
La Maxime est vraie, mais elle ne peut pas être «teurs d'une cabale, renverseroit tous leurs com-
alléguée contre le gouvernement de Dieu. La su » plots, ne seroit pas moins Fauteur de la ruine de
prême Raison l'oblige de permettre le mal. Si Dieu • cette cabale, que s'il la détruisoit par des coups
choisissoit ce qui ne seroit pas le meilleur absolu «de main.»
ment et en tout, ce seroit un plus grand mal que Je n'ai rien à dire contre cette Maxime. On im
tous les maux particuliers qu'il pourrait empêcher pute toujours le mal aux causes morales, et on ne
par ce moyen. Ce mauvais choix renverserait sa l'impute pas toujours aux causes physiques. J'y
sagesse ou sa bonté. I remarque seulement que si je ne pou vois empêcher
130. XV. «L'Etre infiniment puissant, et Créa- \ le péché d'autrui, qu'en commettant moi-même un
» teur de la matière et des esprits, fait tout ce qu'il péché, j'aurais raison de le permettre, et je n'en
»vcat de cette matière et de ces esprits. 11 n'y a serais point complice, ni cause morale. Eu Dieu,
69
>42 LXXin. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
tout défaut tiendroit lien de péché ; il seroit même -partie, et de faire mourir tout le reste, sans rx-
plus que le péché, car il détruiroit la Divinité. Et •cepter les eufans à la inammelle.-
ce seroit un grand défaut à lui, de ne point choisir Il semble qu'on suppose, qu'il y a cent mille fois
le meilleur. Je l'ai déjà dit plusieurs fois. Il empê plus de damnés, que de sauvés, et que les enfans
cherait donc le péché par quelque chose de plus morts sans baptême sont du nombre des premiers.
mauvais que tous les péchés. L'un et l'antre est contredit : et surtout la damna
132. XVII. -C'est toute la même chose, d'em- tion de ces enfans. J'en ai parlé ci-dessus. Mon
» ployer une cause nécessaire, et d'employer une sieur Bayle presse la même objection ailleurs (Ré
» cause libre, en choisissant les moinens ou ou la ponse au Provincial, ch. 178. p. 1223. T. 3.).
>connoit déterminée. Si je suppose que la poudre • Nous voyons manifestement (dit-il) qu'un Souve-
»à canon a le pouvoir de s'allumer ou de ne s'allu- • rain qui veut exercer et la justice et la clémence,
-mer pas quand le feu la touche, et que je sache «lorsqu'une Ville s'est soulevée, doit se contenter
«certainement qu'elle sera d'humeur à s'allumer à • de la punition d'un petit nombre de mutins, et
»huit heures du mutin, je serai autant la cause de • pardonner à tous les autres : car si le nombre de
»ses effets en y appliquant le feu à cette heure là, -ceux qui sont châtiés est comme mille à un, en
•que je le scrois dans la supposition véritable, •comparaison de ceux à qui il fait grâce, il ne pent
«qu'elle est une cause nécessaire. Car à mon égard •passer pour débonnaire, et il passe pour cruel. D
• elle ne seroit plus une cause libre; je la pren- • passerait à coup sûr pour un tyran abominable,
». trois dans le moment, où je la saurois nécessitée -s'il choisissoit des châtimens de longue durée, et
• par son propre choix. Il est impossible qu'un •s'il n'épargnoit le sang que parce qu'il seroit per-
• Etre soit libre ou indiffèrent à l'égard de ce à quoi • suadé qu'on aimerait mieux la mort qu'une vie
-il est déjà déterminé, et quant au tems où il y est • misérable; et si enfin l'envie de se venger avoit
• déterminé. Tout ce qui existe, existe nécessaire- -plus de part à ses rigueurs, que l'envie de foire
••tmentiipendanti qu'il
*
existe-
i 7
« (To
™
fivaii TO ov orav -servir au bien public la peine qu'il ferait porter à
T » '
T|, xuu, TO fLir\ oi> ^i/ïj tivai orav fri] 7), avayxi\. «presque tous les rebelles. Les malfaiteurs que l'on
Necessc est id quod est, qnando est, esse; et id -exécute sont censés expier leurs crimes si pteine-
qnod non est, quando non est, non esse. Arist de -ment par la perte de la vie, que le public n'en
interpret. cap. 9. »Les Nominaux ont adopté cette • demande pas d'avantage, qu'il s'indigne quand les
• maxime d'Aristote. Scot et plusieurs autres Sco- • bourreaux sont mal-adroits. On les lapiderait, si
• lastiques semblent la rejeter, mais au fonds leurs •l'on savoit qu'expressément ils doimeut plusieurs
-distinctions reviennent à la même chose. Voyez •coups de hache: et les Juges qui assistent à l'exé-
• les Jésuites de Conimbre sur cet endroit d'Aristote, • cutiou ne seraient pas hors de péril, si l'on croyoit
•p. 380. seq.)« • qu'ils se plaisent à ce mauvais jeu des bourreaux,
Cette maxime peut passer aussi, je voudrais seu -et qu'ils les ont exhortés sous main à s'en servir.
lement changer quelque chose dans les phrases. Je » (Notez qu'on ue doit pas entendre ceci dans l'nni-
ne prendrois point libre et indifférent pour -versalité à la rigueur. Il y a des cas où le peuple
une même chose, et ne ferois point opposition en -approuve qu'on fasse mourir à petit feu certains
tre libre et déterminé. On n'est jamais parfai -criminels, comme quand François I. fit ainsi mou-
tement indiffèrent d'une indifférence d'équilibre; Tir quelques personnes accusées d'hérésie après les
on est toujours plus incliné, et par conséquent plus •fameux placards de Fan 1534. Ou n'eut aucune
déterminé, d'un côté que d'un autre: maison n'est •pitié pour Ravaillac, qui fut tourmenté en plu
jamais nécessité aux choix qu'où fait. J'entends sieurs manières horribles. Voyez le Mercure
ici une nécessité absolue et métaphysique; • François to. 1. fol. m. 455. et suiv. Voyez aussi
car il faut avouer que Dieu, que le Sage, est porté • Pierre Matthieu dans son Histoire de la mort
au meilleur par une nécessité morale. Il faut • d'Henri IV. et n'oubliez pas ce qu'il dit pag. in. 99.
avouer aussi, qu'on est nécessité au choix par une •touchant ce que les Juges discutèrent à l'égat-d du
nécessité hypothétique, lorsqu'on fait le choix ac •supplice de ce parricide.) Enfin il est <Tuue no-
tuellement : et même auparavant on y est nécessité •toriété qui n'a presque point d'égale, que les Son-
par la vérité même de la futurition , puisqu'on le -verains qui se régleraient sur Saint Paul, je veux
fera. Ces nécessités hypothétiques ne nuisent point. • dire condamneraient au dernier supplice tous ceux
J'en ai assez parlé ci-dessus. -qu'il condamne à la mort éternelle, passeroieat
133. XVIII. «Quand tout un grand peuple s'est -pour ennemis du Genre -humain, et pour destrnc-
•reudu coupable de rébellion, ce n'est point assez •teurs des Sociétés. Il est incontestable que leurs
•de clémence que de pardonner à la ceut-millièiue Loix, bien loin d'être propres selon le bot des
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 543
• Législateurs à maintenir la Société, en seraient 134. XIX. »Les Médecins, qui parmi beau-
>la ruine entière. (Appliquez ici ces paroles do >coup do remèdes capables de guérir un malade, et
•'l'Iinc le Jeune epist. 22. lih. 8. Maiuleuius me- • dont il y en a plusieurs qu'ils seraient fort assu-
-nioriac qnod vir mitissiuius, et ob hoc quoquc »rés qu'il prendrait avec plaisir, choisiraient pré-
•maxinius, Thrasea crcbro dicerc solebat, qui vitia •cisément celui qu'ils sauraient qu'il refuserait de
"in lit, boulines odit.)» Il ajoute qu'on disoit des •prendre, auraient beau l'exhorter et le prier de
Loix de Dracon, Législateur des Athéniens, qu'elles •ne le refuser pas; on aurait néanmoins un juste
n'avoient pas été écrites avec do l'encre, mais avec • sujet de croire qu'ils n'auraient ancuno envie de
du sang, parce qu'elles punissoient tous les péchés • le guérir: car s'ils souhaitoient de le faire, ils lui
du dernier supplice; et que la damnation est un •choisiraient l'une de ces bonnes médecines, qu'ils
supplice iufiuiuient plus grand que la mort. Mais • sauroieut qu'il voudrait biou avaler. Que si d'ail-
il faut considérer que la damnation est une suite «lenrs ils savoicnt que le refus du remède qu'ils lui
du péché, et je répondis autrefois à un ami, qui • oiTriroicnt, augmenterait sa maladie jusqu'à la
m'objecta la disproportion qu'il y a entre une peine •rendre mortelle, on ne pourrait s'empêcher de
éternelle et un crime borné, qu'il n'y a point d'in • dire qu'avec toutes leurs exhortations, ils ne lais-
justice, quand la continuation de la peine n'est • seraient pas de souhaiter la mort du malade.»
qu'une suite du la continuation du péché: j'en par Dieu veut sauver tous les hommes; cela veut
lerai encore plus bas. Pour ce qui est du nombre dire qu'ils les sauverait, si les hommes ne reiupê-
des damnés, quand il serait incomparablement plus choieut pas eux-mêmes, et ne rcfusoient pas de
grand parmi les hommes, que le nombre des sau recevoir ses grâces; et il n'est jx>int obligé ni porté
vés, cela n'cmpècheroit point que dans l'Univers par la Raison à surmoutrcr toujours leur mauvaise
les Créatures heureuses ne remportassent infiniment volonté. Il le fait pourtant quelquefois, lorsque
pour leur nombre sur celles qui sont malheureuses. des raisons supérieures le permettent, et lorsque sa
Quand à l'exemple d'un Prince qui ne punit que volonté conséquente et décrétoire, qui résulte de
les Chefs des rebelles, ou d'un Général qui fait dé toutes ses raisons, le détermine à l'élection d'un
cimer un Régiment, ces exemples ne tirent point à certain nombre d'hommes. 11 donne des secoure à
conséquence ici. L'intérêt propre oblige le Prince tous pour se convertir et pour persévérer, et ces
et le Générel de pardonner aux coupables, quand secours sont suffisans dans ceux qui ont bonne vo
même ils demeureraient méchans ; Dieu ne par lonté, mais ils ne sont pas toujours suffisans pour
donne qu'à ceux qui deviennent meilleurs: il peut la donner. Les hommes obtiennent cette bonne
les discerner, et cette sévérité est plus conforme à volonté, soit par des secours particuliers, soit par
la justice parfaite. Mais si quelqu'un demande des circonstances qui font réussir les secours géné
pourquoi Dieu ne donne pas à tous la grâce de la raux. 11 ne peut -s'empêcher d'oflrir encore des re
conversion, il tombe dans une autre question, qui mèdes qu'il sait qu'on refusera, et qu'on en sera
n'a point de rapport à la Maxime présente. Nous plus coupable: mais voudra-t on que Dieu soit in
y avons déjà répondu en quelque façon, non pas juste, afin que l'homme soit moins criminel i Outre
pour trouver les raisons de Dieu, mais pour mon que les grâces qui ne servent pas à l'un, peuvent
trer qu'il n'eu saurait manquer, et qu'il n'y en a servir à l'autre, et servent même toujours à l'inté
point do contraires qui puissent être valables. Au grité du plan de Dieu, le mieux conçu qu'il so
reste, nous savons qu'on détruit quelquefois des puisse. Dieu ne donnera-t-il point la pluie, parce-
Villes entières, et qu'on fait passer les habitans au qu'il y a des lieux bas qui en seront incommodés}
fil do l'épée, pour donner de la terreur aux autres. Le Soleil ne luira t il pas autant qu'il faut pour In
Cela peut servir à abréger une graudo guerre, ou général, pareequ'il y a des endroits qui en seront
rébellion, et c'est épargner le sang en le répandant: trop desséchés! Enfin tontes IPS comparaisons,
il n'y a point là de déciinatioa. Nous no pouvons dont parlent ces Maximes que Mr. Bayle vient de
point assurer, à la vérité, que les méelians de notre donner, d'un Médecin, d'un Bienfaiteur, d'un Mi
Globe sont punis si sévèrement pour intimider les j nistre d'Etat, d'un Prince, clochent fort; parcequ'on
habitans des autres Globes, et pour les rendre meil connoît leurs devoirs, et ce qui peut et doit être
leurs; mais assez d'autres raisons de l'harmonie l'objet de leurs soins: ils n'ont presque qu'une
universelle qui nous sont inconnues, pareeque nous affaire, et ils y manquent souvent par négligence
ne connoissous pas assez l'étendue de la Cité de ou par malice. L'objet de Dieu a quelque chose
Dieu, ni la forme de la République générale des d'infini, ses soins embarassent l'Univers; ce que
Esprits, non plus que toute l'architecture des Corps, nous eu connoissons n'est presque rien, et nous vou
jK'uvent faire lu même effet. drions mesurer sa sagesse et sa bonté par notre .
69*
544 LXX11I. THÈODICÈE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE IL
connoissnncc: quelle témérité, OU plutôt quelle ab Il loue la sincérité de ceux qui avouent rondement
surdité ! Les objections supposent faux ; il est ridi (comme il veut que Piscator l'a fait) que tout re
cule de juger du droit, quand ou ne connolt point tombe enfin sur la volonté de Dieu, et qui préten
lofait. Dire avec S. Piiul : O altitude divitia- dent que Dieu ne laisseroit pas d'être juste, quaixl
ruin et Sapientiae, ce n'est point renoncer à même il seroit l'auteur du péché, quand même il
la liaison, c'est employer plutôt les raisons que condamnerait des iunoccns. Et de l'autre côté, on
nous connoissons; car elles nous apprennent cette en d'autres endroits, il semble qu'il applaudit da
immensité do Dieu, dont l'Apôtre parle: mais c'est vantage aux scntimcus de ceux qui sauvent sa bonté
avouer notre ignorance sur les faits; c'est recon- aux dépens de sa grandeur, comme fait Plutaïquc
noître cependant, avant que de voir, que Dieu fait dans son. Livre contre les Stoïciens. -Il étoit plus
tout, le mieux qu'il est possible, suivant la sagesse • raisonnable (dit-il) de dire (avec les Epicuriens)
infinie qui réglé ses actions. Il est vrai que nous -que des parties innombrables (ou des Atomes
en nvons déjà des preuves et des essais devant nos «voltigcaus au hazard par un espace infini) préva-
yeux, lorsque nous voyons quelque tout accompli • lant par leur force à la foiblesse de Jupiter, lissent
en soi, et isolé, pour ainsi dire, parmi les Ouvra «malgré lui et contre sa nature et volonté beaucoup
ges de Dieu. Uii tel tout, formé, pour ainsi direj »de choses mauvaises et absurdes, que de deiucu-
de la maiu de Dieu, est une plante, un animal, un »rer d'accord qu'il n'y a ni confusion, ni méchan-
homme. Nous ne saurions assez admirer la beauté »ccté dont il ne soit l'auteur.» Ce qui se peut dire
et l'artifice de sa structure. Mais lorsque nous pour l'un et pour l'autre de ces partis des Stoïciens
voyons quelque os cassé, quelque morceau de chair ou des Epicuriens, paroit avoit porté Mr. UayJe à
des animaux, quelque brin d'une plante, il n'y pa- rJxéxstv des Pyrrhoniens, à la suspension de son
roit que du désordre, à moins qu'uu excellent Ana- jugement, par rapport à la Raison, tant que la Foi
tomiste ne le regarde; et celui-là môme n'y recon- est mise à part, à laquelle il professe de se sou
noîtroit rien, s'il n'avoit vu auparavant des iiior- mettre sincèrement.
eentix semblables attachés à leur tout. 11 en est île 13G. Cependant poursuivant ses raisouneiucns,
même du gouvernement de Dieu: ce que cous en ; il est allé jusqu'à vouloir quasi faire ressusciter et
pouvous voir jusqu'ici, n'est pas un assez gros mor renforcer ceux dtfs Sectateurs de Mauès, hérétique
ceau, pour y reconnoitre la beauté et l'ordre du Persan du troisième Siècle du Christianisme, ou
tout. Ainsi la nature même des choses porte que d'un certain Paul, Chef des Manichéens en Armé
cet ordre de la Cité Divine, que nous ne voyons nie dans le VII. Siècle, qui leur lit donner le nom
pas encore ici-bas, soit un objet de notre foi, de de Paulicicns. Tous ces Hérétiques renouvellèrent
notre espérance, de notre confiance en Dieu. S'il y ce qu'un- ancien Philosophe de la haute Asie, eouuu
en a qui en jugent autrement, tant pis pour eux, sous le nom de Zoroastrc, avoit enseigné, à ce qu'on
ce sont des uiéeooteus dans l'Etat du plus grand dit, de deux Principes intelligcns du toutes choses,
et du meilleur de tous les Monarques, et ils ont l'un bon, l'autre mauvais; dogme qui étoit peut-
tort de ne point profiter des échantillons qu'il leur être venu des Indiens, où il y a encore quantité de
a donnés de sa sagesse et de sa bonté infinie pour gens attachés à cette erreur, fort propre à surpren
se faire connoîtrc non seulement admirable mais dre l'ignorance et la superstition humaine, puisque
encore aimable au-delà de toutes choses. quantité de peuples barbares, même dans l'Amé
135. J'espère qu'on trouvera que rien de ce qui rique, ont donné là -dedans, sans avoir eu besoin
est compris dans ces dix-neuf Maximes de M. Bayle, de Philosophie. Les Slaves (chez Helmold) avoient
que nous venons de considérer, n'est demeuré sans leur Zcnebog, c'est-à-dire, Dieu noir. Les Grecs
une réponse nécessaire. Il y a de l'apparence et les Romains, tout sages qu'ils paraissent, avoient
qu'ayant souvent médité auparavant sur cette ma un Vejovis ou Anti-Jupiter, nommé autrement PJu-
tière, il y aura mis ce qu'il croyoit le plus fort ton et quantité d'autres Divinités mal-faisantes. La
touchant la cause morale du mal moral. II se trouve Déesse Némésis seplaisoit à abaisser ceux qni étaient
pourtant encore là -dessus par -ci par -là plusieurs trop heureux: et Hérodote insinue en quelques eu-
endroits dans ses Ouvrages, qu'il sera bon de ne droits, qu'il croyoit que toute la Divinité est en
point passer sous silence. Il exagère bien souvent vieuse, ce qui ne s'accorde pourtant point avec la
la difficulté qu'il croit qu'il y a, de mettre Dieu à doctrine des deux Principes.
couvert de l'imputation du péché. I! remarque (Rép. 137. Plutarquc dans sou Traité d'isis et d'Oii-
au Prov. cli. ICI. p. 1024.) qucMolina, s'il a ac ris 110 counoît point d'Auteur plus ancien qui les
cordé le libre-arbitre avec la prescience, n'a point ait enseignés que /oroastre le Magicien, comme il
accordé la bonté et la sainteté de Dicn avec le péché. l'appelle. Trogus ou Justin eu fait uu Roi des Bac
LXX11I. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 545
trions, que Ninus ou Sémiramis vainquirent ; il lui dernes, s'accordent à dire que Zoroastro appclloit
attribue la connoissaucc de l'Astronomie et l'inven le bon Dieu Orouiazes, ou plutôt Oromasdes,
tion de la Magie: niais cette Magie étoit appa et le mauvais Dieu Arimanius. Lorsque j'ai
remment la Religion des adorateurs du Feu: et il considéré que de grands Princes de la haute Asie
paroit qu'il considérait la lumière ou la chaleur ont eu le nom d'Hormisdas, et qu'Irmin on
comme le bon Principe ; mais il y ajout oit le mau lier mi M a été le nom d'un Dieu oa ancien Héros
vais, c'est-à-dire l'opacité, les ténèbres, le froid. des Celtoscythes, c'est-à-dire des Germains; il m'est
Pline rapporte le témoignage d'un certain Herinippe, venu en pensée que cet Arimanius ou Ii min ponr-
interprète des Livres de Zoroastre, qui le faisoit roit avoir été nn grand Conquérant très-ancien ve
disciple en Part magique d'un nommé Azonace, nant de l'Occident, comme Chings Chan et Tamer-
pourvu que ce nom ne soit corrompu de celui d'O- lan venans de l'Orient, l'ont été depuis. Arimau
romase, dont nous parlerons tantôt, et que Platon seroit donc venu de l'Occident boréal , c'est-à-dire
dans l'Alcibiade fait père de Zoroastre. Les Orien de la Germanie et de la Sarmatie, par les Alains
taux modernes appellent Zerdnst celui que les et les Massagètcs, faire irruption dans les Etats
Grecs appclloient Zoroastre; ou le fait répondre d'un Hormisdas, grand Roi dans la haute Asie;
à Mercure, parccque le Mercredi en a son nom chez comme d'autres Scythes l'ont fait depuis du tems
quelques peuples. Il est difficile de débrouiller son de Cyaxare Roi des Modes, an rapport d'Hérodote.
Histoire et lo teins auquel il a vécu. Suidas le fait Le Monarque gouvernant des peuples civilisés, et
antérieur de cinq cens ans à la prise de Troie : des travaillant à les défendre contre les barbares, anroit
Anciens chez Pline et chez Plutarque en disent dix passé dans la postérité, parmi les mêmes peuples,
fois autant. Mais Xanthus le Lydien (dans la Pré pour le bon Dieu ; mais le Chef de ces ravageurs
face de Diogène Laërce) ne le fait antérieur que de sera devenu le symbole du mauvais Principe: il
six cens ans à l'expédition de Xerxès. Platon dé n'y a rien de si naturel. Il paroît par cette mytho
clare dans le même endroit, comme Mr. Bayle le logie même que ces deux Princes ont combattu
remarque, que la Magie de Zoroastre n'étoit autre longtems, mais que pas un des deux n'a été vain
chose que létudc de la Religion. Mr. Hyde dans queur. Ainsi ils se sont maintenus tous deux,
son Livre de la Religion des anciens Perses tâche comme les deux Principes ont partagé l'Empire du
de la justifier, et de la laver non-seulement du crime Monde, selon l'hypothèse attribuée à Zoroastre.
do l'impiété, mais encore de celui de l'idolâtrie. Le 139. Il reste à prouver qu'un ancien Dieu ou
culte du Feu étoit reçu chez les Perses, et chez les Héros des Germains a été appelle Herman, Ariuiaii
Chaldéens: on croit qu'Abraham le quitta en sortant ou Irmin. Tacite rapporte que les trois peuples
cfUr en Chaldée. Mithra étoit le Soleil, et il étoit qui couiposoient la Germaine, les Ingévons, les Isté-
aussi le Dieu des Perses, et au rapport d'Ovide on vons et les Hermiuoiis ou Hermions, ont été appel-
fui sacrifioit des chevaux, lés ainsi des trois fils de Maunus. Que cela soit
Plaçât equo Persis radiis Hyperiona ciuctum, vrai ou non, il a toujours voulu indiquer qu'il y a
Ne detur céleri victima tarda Dco. eu nn Héros nommé Hennin, dont on lui avoit dit
Mais Mr. Hyde croit qu'ils ne se servoicnt du So que lesHerminons étoient nommés. Herininons,
leil et du Feu dans leur culte, que comme de sym Hermenner, Hermunduri sont la même chose,
boles de la Divinité. Peut-être faut-il distinguer, et veulent dire Soldats. Encore dans la basse Hi
comme ailleurs, entre les Sages et le Peuple. Il y stoire, Arimanni étoient viri militarcs, et il y
clans les admirables ruines de Persépolis ou de a fond uni Arimandiac dans le Droit Lombard.
Tschelininaar (qui veut dire quarante colonnes) des 140. J'ai montré ailleurs qu'apparemment \a
représentations de leurs cérémoniens en sculpture. nom d'une partie de la Germanie a été donné au
Un Ambassadeur d'Hollande les avoit fait dessiner tout, et que de ces Hermiuones ou Hermun-
avec bien de la dépense par un Peintre, qui y avoit dnri tous les peuples Teutoniques ont été appelles
employé un tems considérable: mais je ne sais par Hermanni ou Germani; car la différence de
quel accident ces desseins tombèrent entre les mains ces deux mots n'est que dans la force de l'aspira
de Mr. Chardin, connu par ses Voyages, suivant ce tion; comme diffère le commencement dans le
qu'il en a rapporté lui-même: ce seroit dommage, Germani des Latins et dans le lier ma no s des
s'ils se perdoient. Ces ruines sont un des plus an Espagnols, ou comme dans le Gammarns des La
ciens et des plus beaux mouumens de la Terre, et tins et dans le H uni nier (c'est-à-dire écrévice de
j'admire à cet égard le peu de curiosité d'un Siècle mer) des bas Allemans. Et il est fort ordinaire
aussi curieux que le nôtre. qu'une partie d'une Nation donne le nom au tout,
138. Les anciens Grecs, et les Orientaux mo comme tous les Germains oiit été appelles Aliénions
546 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
par les François; et cependant ce nom n'appartient, Thniscon, son fils Mannns et Herman, fila
selon l'ancien stile, qu'aux Suabes et aux Suisses. de Maniais, suivant la Généalogie de Tacite. Me
Et quoique Tacite n'ait pas bien connu l'origine du nés passe pour le plus ancien Koi des Egyptiens,
nom des Germains; il a dit quelque chose de favo Theut étoit un nom de Mercure chez eux. Au
rable à mon opinion, lorsqu'il marque que c'étoit moins Theut ou Thuiscon, dont Tacite fait descen
un nom qui donnoit de la terreur, pris ou donué, dre les Germains, et dont les Tentons, Tuitsche
o b m e t u m. C'est qu'il signifie un guerrier : H e e r , (c'est-à-dire Germains) ont encore aujourd'hui le
Hari, est Armée, d'où vient Hariban ou cla nom, est le môme avec ce Tentâtes que Lucain fait
meur de Haro, c'est-à-dire un ordre général de adorer par les Gaulois, et que César a pris pro
se trouver à l'Année, qu'on a corrompu en Ar- Dite Pâtre, pour Pluton, à cause de la ressem
riere-ban. Ainsi Hariman ou Arimau, German, blance de son nom Latin avec celui de Teut ou
Guerreman, est un Soldat. Car comme Hari, Thiet, Titan, Theodon, qui a signifié ancienne
Heer est Armée, ainsi Wehr signifie armes, ment hommes, peuple, et encore un homme excel
wehren combattre, faire la guerre ; le mot Guer lent (comme le mot Baron) enfin un Prince. Et il
re, Guerra, venant sans doute de la même source. y a des autorités pour toutes ces significations:
J'ai déjà parle du feuduin Arimandiae: et mais il ne faut point s'y arrêter ici. Mr. Otto Sper-
non-seulement Herminons on Germains ne vou- ling, connu par plusieurs savans Ecrits, niais qui
loient dire autre chose, mais encore cet ancien en a encore beaucoup d'autres prêts à paraître, a
Herman, prétendu filsxle Mannus, a eu ce nom raisonné dans une Dissertation exprès sur le Ten
apparemment somme si on l'avoit voulu nommer tâtes, Dieu des Celtes; et quelques remarques que
guerrier par excellence. je lui ai communiquées là -dessus, ont été mises
141. Or ce n'est pas le passage de Tacite seu dans les Nouvelles Littéraires de la Mer Baltique,
lement qui nous indique ce Dieu ou Héros; nous aussi-bien que sa réponse. 11 prend un peu autre
ne ponvons douter qu'il n'y en ait en un de ce ment que moi ce passage de Lucain:
nom parmi ces peuples, puisque Cuarlemagne a Teutates, pollensque feris altaribus Hesus,
trouvé et détruit proche du Weser la colouiue ap- * Et Taramis Scythicae non mitior ara Dianae.
pellée I n i iin - Sul , dressée à Phoniieur de ce Dieu. Hesus apparemment étoit le Dieu île la Guerre,
Et cela joint au passage de Tacite nous fait juger qui étoit appelle Ares des Grecs et Erich des
que ce n'a pas été au célèbre Armiuius ennemi des anciens Germains, dout il reste encore Erich-tag,
Romains, mais à un Héros plus grand et plus an Mardi. Les lettres R. et S. qui sont d'un même
cien, que ce culte se rapportoit. Arminius portoit organe, se changent aisément, par exemple, Moor
le même nom, comme font encore aujourdhui ceux et Mo os, Geren et Gesen, lir war et Er was,
qui portent cdui de Herman. Arminius n'a pas Fer, Hierro, Eiron, Eiscn. Item Papisius,
été assez grand, ni assez heureux, ni assez connu Valesius, Fusius, au lieu de Papirius, Va-
par toute la Germanie, pour obtenir l'honneur d'un lerius, Furius, chez les anciens Romains. Pour
culte public, même des peuples éloignés, comme ce qui est de Taramis ou peut-être Taranis on
des Saxons, qui sont venus longtems après lui dans sait que Taran étoit lu Tonnerre, on le Dieu du
le pays des Cliérusques. Et notre Arminins, pris Tonnerre, chez les anciens Celtes appelle Tor
pour le mauvais Dieu par les Asiatiques, est un des Germains Septentrionaux, d'où les Anglois ont
surcroît de confirmation pour mon opinion. Car gardé Thnrsday, Jeudi, dieni Jovis. Et le
dans ces matières les conjectures se confirment les passage de Lncain veut dire que l'Autel de Taran,
unes les autres sans aucun cercle de Logique, quand Dieu des Celtes, n'étoit pas moins cruel que celui
leurs fondemcns tendent à un même but. de la Diane Taurique; Taranis aram non mi -
142. 11 n'est pas incroyable que le Hermès tiorem ara Dianae Scythicae fuissse.
(c'est-à-dire Mercure) des Grecs soit le même Her- 143. Il n'est pas impossible aussi qu'il y ait
miu ou AriiiKin. Il peut avoir été inventeur ou en un teins, auquel des Princes Occidentaux ou
promoteur des Arts, et d'une vie un peu plus civi Celtes se soient rendus maîtres de la Grèce, de
lisée parmi ceux de sa Nation, et dans les pays où l'Egypte, et d'une bonne partie de l'Asie, et que
il étoit le maître; pendant qu'il passoit pour l'au leur culte soit resté dans ces pays - là. Quand on
teur du désordre chez ses ennemis. Que sait-on s'il considérera avec quelle rapidité les Huns, les Sar
n'est pas venu jusques dans l'Egypte, comme les rasins et les Tartarcs se sont emparés d'une grande
Scythes qui poursuivirent Sésostris et vinrent près partie de notre Continent, on s'en étonnera moins;
delà? Theut, Menés et Hermès ont été cou- et ce grand nombre de mots de, la Langue Alle
nus' et honorés dans l'Egypte. Ils pourroient être mande et de la Langue Celtique, qui conviennent
LXXUI. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE H. 547
si bien entre eux, le confirme. Callimaqne, dans "il faut qu'elle» soutiennent l'attaqne.« II avoue
un hymne à l'honneur d'Apollon, paroît insinuer que les Dualistes (comme il les appelle avec Mr.
que les OItes qui attaquèrent le Temple Delphique Hyde) c'est-à-dire les défenseurs de deux Principes,
sous leur Brcnnus ou Chef, étoient de la postérité auroient bientôt été mis en fuite par des raisons
des anciens Titans et Géans, qui firent la guerre à à priori, prises de la nature de Dieu; mais il
Jupiter et aux autres Dieux, c'est-à-dire aux Prin s'imagine qu'ils triomphent à leur tour, quand on
ces de l'Asie et de la Grèce. Il se peut que Jupiter vient aux raisons à posteriori, prises de l'exi
soit descendu lui-même des Titans on Théodons, stence du mal.
c'est-à-dire des Princes Celto-Scythes antérieurs, et 145. II en donne on ample détail dans son
ce que feu Mr. l'Abbé de la Charmoyc a recueilli Dictionnaire Article Manichéens p. 2025. où il
dans ses Origines Celtiques, s'y accorde; quoiqu'il faut entrer un peu, pour mieux éclaircir toute cette
y ait d'ailleurs des opinions dans cet Ouvrage de matière. «Les idées les plus sûres et les plus clai-
ce savant Auteur, qui ne me paroissent point vrai -res de l'ordre nous apprennent (dit-il,) qu'un Etre
semblables, particulièrement lorsqu'il exclut les -qui existe par lui-même, qui est nécessaire, qui
Germains du nombre des Celtes, ne s'étant pas as •est éternel, doit être unique, infini, tont-puissant,
sez souvenu des autorités des Anciens, et n'ayant -et doué de toutes sortes de perfections. « Ce rai
pas assez su le rapport de l'ancienne Langue Gau sonnement auroit mérité d'être un peu mieux déve
loise avec la langue Germanique. Or les Géans loppé. »I1 faut maintenant voir (poursuit-il) si les
prétendus qui vouloient escalader le Ciel, étoient !»phénomènes de la Nature se peuvent commodé-
de nouveaux Celtes, qui alloicnt sur la piste de «nii'iit expliquer par l'hypothèse d'un seul Priu-
leurs ancêtres; et Jupiter, bien que leur parent, »ripe.« Nous l'avons expliqué suffisamment, on
pour ainsi dire, étoit obligé de leur résister : comme montrant qu'il y a des cas où quelque désordre
les Wisigots établis dans les Gaules s'opposoient dans la partie est nécessaire pour produire le plus
avec les Romains à d'autres peuples de la Germa grand ordre dans le tout. Mais il paroit que Mr.
nie et de la Scythie, qui venoient après eux sous la Bayle y eu demande un peu trop, il voudrait qu'on
conduite d'Attila maître alors des Nations Scythi- lui montrât eu détail comment le mal est lié avec
qnes, Sarmatiques et Germaniques, depuis les fron le meilleur projet possible de l'Univers; ce qui se-
tières de la Perse jusqu'au Rhin. Mais le plaisir roit une explication parfaite du phénomène: mais
qu'on sent, lorsqu'on croit trouver dans les Mytho- nous n'entreprenons pas de la donner, et n'y som
logies des Dieux quelque trace de l'ancienne Hi mes pas obligés non plus, car on n'est point obligé
stoire des tems fabuleux, m'a emporté peut-être à ce qui nous est impossible dans l'état où nous
trop loin, et je ne sais si j'aurai mieux rencontré sommes: il nous suffit de faire remarquer que rien
que Goropius Becanus, que Schricckius, que Mr. n'empêche qu'un certain mal particulier ne soit'lié
Rudbeck, et que Mr. l'Abbé de la Charmoye. avec ce qui est le meilleur en général. Cette ex
144. Retournons à Zoroastre, qui nous a mené plication imparfaite, et qui laisse quelque chose à
à Oromasdcs et à Arimanius, auteurs du bien et du découvrir dans l'antre vie, est suffisante pour la
mal; et supposons qu'il les ait considérés comme solution des objections, niais non pas pour une
deux Principes éternels, opposés l'nn à l'autre, quoi compréhension de la chose.
qu'il y ait lien d'en douter. L'on croit que Mar- 146. »Les deux et tout le reste do l'Univers,
cion, Disciple de Cerdon, a été de ce sentiment »(ajoute Mr. Bayle) prêchant la gloire, la puissance,
avant Mânes. Mr. Bayle reconnoît que ces hom ^l'unité de Dieu,« il en fiilloit tirer cette consé
mes ont raisonné d'une manière pitoyable; mais quence, que c'est (comme j'ai déjà remarqué ci-
il croit qu'ils n'ont pas assez connu leurs avantages, dessus,) parcequ'on voit dans ces objets quelque
ni su faire jouer leur principale machine, qui étoit chose d'entier et d'isolé, pour ainsi dire; et toutes
la difficulté sur l'origine du mal. 11 s'imagine les fois que nous voyons un tel Ouvrage de Dieu,
qu'un habile homme clé leur parti auroit bien em nous le trouvons si accompli, qu'il en faut admirer
barrassé les 01 thodoxes, et il semble que lui-même, l'artifice, et la beauté: mais lorsqu'on ne voit pas
faute d'un autre, a voulu se charger d'un soin si un Ouvrage entier, lorsqu'on n'envisage que des
peu nécessaire, au jugement de bien des gens. lambeaux et des fragmeus, ce n'est jws merveille
-Toutes les hypothèses (dit -il Dictonn. Art. Mar- si le bon ordre n'y paroit pas. Le Système de uos
»cion pap. 2039.) que les Chrétiens ont établies, Planètes comjiosc un tel Ouvrage isolé, et parfait,
-parent mal les coups qu'on leur porte: elles lorsqu'on le prend à part; chaque plante, chaque
> triomphent toutes, quand elles agissent olfensive- animal, chaque homme en fournit un, jusqu'à un
mais elles perdent tout leur avantage, quand certain point de perfection; on y recouuoit le mer
548 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE H.
vcillenx artifice del'Auteor: mais le Genre-humain, merveilleux, tourne tons les défauts de ces petits
entant qu'il nous est connu, n'est qu'un fragment, Mondes au plus grand ornement de son grand Mond«.
qu'une petite portion de la Cité île Dieu , ou de la C'est comme dans ces inventions de perspective, où
République des Esprits. Elle a trop d'étendue pour certains beaux desseins ne paroissent que confusion,
nous, et nous en connoissons trop peu, pour en jusqu'à ce qu'on les rapporte à leur vrai point
pouvoir remarquer Tordre merveilleux. »L'Homme de vue, ou qu'on les regarde par le moyen d'un
»seul, (dit Mr. Bayle) ce chef-d'oeuvre de sou Créa certain verre ou miroir. C'est en les plaçant et s'en
teur entre les choses visibles, l'homme seul, dis-je, servant comme il faut, qu'on les fait devenir l'or
^fournit de très grandes objections contre l'unité nement d'un cabinet. Ainsi les déformités appa
»de Dien.« Clandien a fait la même remarque, en rentes de nos petits Mondes se réunissent en béan
déchargeant son coeur par ces vers connus : tes dans le grand, et n'ont rien qui s'oppose à l'u
Saepe mihi dubian traxit sententia mentem etc. nité d'un Principe universel infiniment parfait: an
Mais l'Harmonie qui se trouve dans tout le reste, contraire, ils augmentent l'admiration de sa sagesse,
est un grand préjugé qu'elle se tronveroit encore qui fait servir le mal au plus grand bien.
dans le gouvernement des hommes, et généralement 148. M. Bayle poursuit: »que l'homme est
dans celui des esprits, si le total nous en étoit connu. • méchant et malheureux; qu'il y a par tout des
11 faudrait juger des Ouvrages de Dieu aussi sage • prisons et des hôpitaux; que l'Histoire n'est
ment que Socratc jugea de ceux d'Heraclite en di • qu'un recueil des crimes et des infortunes du
sant: Ce que j'en ai entendu me plaît, je crois que • Genrc-liuniain.« Je crois qu'il y a en cela de l'e
le reste ne me plairoit pas moins, si je l'entendois. xagération : il y a incomparablement pins de bien
147. Voici encore une raison particulière du que de mal dans la vie des hommes , comme il y
désordre apparent dans ce qui regarde l'homme. a incomparablement plus de maisons que de pri
C'est que Dieu lui fait présent d'une image de la sons. A l'égard de la vertu et du vice, il y règne
Divinité, en lui donnant l'intelligence. 11 le laisse une certaine médiocrité. Machiavel a déjà remar
faire en quelque façon dans son petit département, qué qu'il y a peu d'hommes fort médians et fort
utSpartam qnam nactns est omet. Il n'y bons, et que cela fait manquer bien de grandes
entre que d'une manière occulte, car il fournit être, entreprises. Je trouve que c'est un défaut des Hi
force, vie, raison, sans se faire voir. C'est là où storiens, qu'ils s'attachent plus au mal qu'au bien.
le franc-arbitre joue son jeu: et Dieu se joue Le but principal de l'Histoire, aussi -bien que do
(pour ainsi dire) de ces petits Dieux qu'il a troavé la Poésie , doit être d'enseigner La prudence et la
bon de produire, comme nous nous jouons des en- vertu par des exemples, et puis de montrer le vico
fans qui se font des occupations que nous favori- d'une manière qui en donne de l'aversion . et qui
sorts ou empêchons sous main comme il nous plaît. porte ou serve a l'éviter.
L'Homme y est donc comme un petit Dieu dans 149. M. Bayle avoue «qu'on trouve par -tout
son propre Monde, ou Microcosme, qu'il gouverne »et du bien moral et du bien physique, quelques
à sa mode: il y fait merveilles quelquefois, et son • exemples de vertu, quelques exemples de bonheur;
art imite souvent la nature. •et que c'est ce qui fait la difficulté. Car s'il n'y
Jupiter in parvo cum cerneret aethera vitro, • avoit que des mécbans et des malheureux (dit-il)
Risit, et ad Superos talia dicta dédit: »il ne faudrait pas recourir à l'hypothèse de* deux
Huccine mortalis progressa potentia, Divi I • Principes." J'admire que cet exellent homme ait
Jam meus in fragili luditur orbe labor. pu témoigner tant de penchant pour cette opinion
Jura poli rerumque (idem legesqne Deorum des deux Principes; et je suis surpris qu'il n'ait
Cuncta Syracusius transtulit arte Senex. point considéré que ce Roman de la vie humaine,
Qnid falso i montera tonitru Salmonea mirorl qui fait l'histoire universelle du Genre -huina/n,
Aemula Naturae est parva rejwrta manus. s'est trouvé tout inventé dans l'Entendement divin
Mais il fait aussi de grandes fautes, parce qu'il avec une infinité d'antres, et que la volonté de Dieu
s'abandonne anx passions, et parce que Dieu l'aban en a décerné seulement l'existence , parce que cette
donne à son sens: il l'en punit aussi, tantôt comme suite d'événemens devoit convenir le mieux avec le
un Père on Précepteur, exerçant ou châtiant les reste des choses pour en faire résulter le meilleur.
enfans; tantôt comme un juste Juge, punissant Et ces défauts apparens du Monde entier, ces taches
ceux qui l'abandonnent: et le mal arrive le plus d'un Soleil, dont le notre n'est qu'un rayon, re
souvent quand ces intelligences on leurs petits Mon lèvent sa beauté, bien loin de la diminuer, et y
dée se choquent entre onx. L'homme s'en trouve contribuent en procurant un plus grand bien. 11 y
mal, à mesure qu'il a tort: mais Dieu, par un art a véritablement deux Principes, mais ils sont tous
LXX1II. THÉODICÉIl ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE H. 549
deux eu Dien, savoir SOD Entendement et sa passât à l'existence tel qu'il est. M. Bayle se serait
Volonté. L'Entendement fournit le principe du peut-être apperçn de cette origine du mal que j'é
mal, sans en être temi, sans être mauvais; il re tablis, s'il avoit joint ici la sagesse de Dieu à sa
présente les natures, comme elles sont dans les vé puissance, h sa bouté «t à sa sainteté. J'ajouterai
rités éternelles ; il contient eu lui la raison pour en passant, que sa sainteté n'est autre chose que
laquelle le mal est permis; mais la volonté ne va le suprême degré de la bonté, comme le crime qui
qu'au bien. Ajoutons un troisième principe, c'est lui est opposé, est ce qu'il y a de plus mauvais
la Puissance ; elle précède même l'Entendement et dans le mal.
la Volonté ; mais elle agit connue l'un le montre, 152. M. Bayle fait combattre Mélisse Philo
et connue l'antre le demande. sophe Grec, défenseur de l'unité du Principe, (et
I 50. Quelques-uns (comme Campanclla) ont peut-être même de l'unité de la substance) avec
appelle ces trois perfections de Dieu, les trois pri- Zoroastro, comme avec le premier Auteur de la
inordialités. Plusieurs même ont cru qu'il y Dualité. Zoroastre avoue que l'hypothèse do Mé
avoit là -dedans un secret rapport à la Sainte Tri lisse est plus conforme h l'ordre et aux raisons
nité: que la Puissance se rapporte au Père, c'est- à priori, mais il nie qu'elle soit conforme à l'ex
à-dire à la Divinité; la Sagesse au Verbe Eternel, périence et aux raisons à posteriori. «Jevoussur-
qui est appelle Xoyoç par le plus sublime des Evan- » passe (dit -il) dans l'explication des phénomènes,
gélistes; et la Volonté ou l'Amour, an Saint Esprit. • qui est le principal caractère d'un bon système.»
Presque toutes les expressions ou comparaisons Mais à mon sens, ce n'est pas une fort belle expli
prises de la nature de la Substance intelligente y cation d'un phénomène, quand on lui assigne un
tendent. principe exprès: au mal, un principium
151. Il me semble que si M. Bayle avoit con malcficum; au froid, un primum frigidum:
sidéré ce que nous venons de dire des principes des il n'y a rien de si aisé, ni rien de si plat. C'est à
choses, il auroit répondu à ses propres questions, peu -près comme si quelqu'un disoit que les Péri-
on au moins qull n'aurait pas continué à demander, patéticiens surpassent les nouveaux Mathématiciens
comme il le fait, par cette interrogation: «Si l'homme dans l'explication des phénomènes dos Astres, en
•est l'Ouvrage d'un seul Principe souverainement leur donnant des Intelligences tout exprès qui les
• saint, souverainement puissant, peut-il être exposé conduisent; puisqu'après cola il est bien aisé de
•aux maladies, au froid, au chaud, à la faim, à la concevoir pourquoi les Planètes font leur chemin
•soif, à la douleur, au chagrin! peut -il avoir taut avec tant do justesse ; au lieu qu'il faut beaucoup
•de mauvaises inclinations? peut-il commettre tant de Géométrie et de méditation pour entendre com
• de crimes'! La souveraine Sainteté peut -elle pro- ment de la pesanteur des Planètes qui les porte vers
»duire une Créature malheureuse? la souveraine le Soleil, jointe à quelque tourbillon qui les em
«Puissance, jointe à une Bonté infinie, ne comblera- porte, ou à leur propre impétuosité, peut venir le
»t-«lle pas de biens son Ouvrage, et n'éloignera-t- mouvement elliptique de Kepler, qui satisfait si
• clle point tout ce qui le pourrait offenser ou cha- bien aux apparenses. Un homme incapable de goû
» griller!» Prudence a représenté la mémo difficulté ter les spéculations profondes applaudira d'abord
dans son Hamartigénie: aux Péripatéticiens, et traitera nos Mathématiciens
Si non vult Dcus esse malum, cur non vetatî de rêveurs. Quelque vieux Galéniste en fera autant
imjuit. par rapport aux Facultés de l'Ecole, il en admettra
Non refert auctor fucrit, factorve malorum. une chylifique, uno chymifique et une sanguifiqne, et
Aune opéra in vitium sceleris pulclicrrima verti, il en assignera exprès à chaque opération ; il croira
Cum possit prohibcre, sinat î quod si velit omncs d'avoir fait merveilles, et se moquera de ce qu'il
Inaocuos agere Omnipotcns, ne sancta voluntas appellera les chimères des modernes, qui préten
Degenerct; facto née se inanus inquinet ullo? dent expliquer mécaniquement ce qui se passe dans
L'undidit ergo malum Domiiius, quod spoctat ab le corps d'un animal.
alto, 153. L'explication de la cause <lu mal par un
Et patitur, fierique probat, tauquam ipse crearit. principe, per priucipium malcficum, est de
Ipse crcavit enim, quod si discludcre possit, la môme nature. Le mal n'en a point besoin, non
Non abolet, lougoqiie sinit grassarier usu. plus que lo froid et les ténèbres : il n'y a point de
Mais nous avons déjà répondu à cela suffisamment. primum frigidum, ni de principe des ténèbres.
L'homme est lui - même la source de ses maux : tel Le mal môme ne vient que de la privation; le po
qu'il est, il étoit dans les idées. Dieu, mû par des sitif n'y entre que par concomitance, comme l'actif
raisons indispensables de la sagesse, a décerné qu'il par concomitance dans le froid. Nous voyons que
70
550 LXXIII. THEODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE H.
en se gelant est capable do rompre un canon •est la cause du mal moral; mais il est la cause
de iiiini i|ii'-t, où elle est enfermée; et cependant le • du mal physique, c'est-à-dire de la punition du
froid est une certaine privation de la force, il ne •mal inoral, punition qui bien loin d'être incom-
vient que de la diminution d'au mouvement qui •patible avec le principe souveraineiucntbon émane
écarte les particules des fluides. Lorsque ce mon* • nécessairement de l'ua de ses attributs, je veux
vement écartant s'affoihiit dans l'eau par le froid, •dire de sa justice, qui ne lui est pas moins esscn-
les parcelles do Pair comprimé cachées dans l'eau • ticlle que sa bonté. Cette réponse, la plus raison
sn ramassent; et devenant plus grandes, elles de nable que Mélissus puisse faire, est au fond belle
viennent plus capables d'agir au dehors par leur »et solide, mais elle peut-être combattue par qnd-
ressort. Car la résistance que les surfaces des par • qne chose de plus spécieux et de plus éhlouïssant.
ties de l'air trouvent dans l'eau, et qui s'oppose à • C'est que Zoroastre objecte »»que le principe in-
l'effort que ces parties font pour se dilater, est bien • •finimcut bon devoit créer l'homme, non senle-
moindre, et par conséquent l'effet de l'air plus grand • •ment sans le mal actuel, mais encore sans l'in-
dans de grandos bulles d'air que dans /le petites, • •clinatiou au mal; que Dieu, ayant prévu le pé-
quand même ces petites jointes ensemble feroient •• ché avec toutes les suites, le devoit empêcher;
autant de masse que les grandes; parce que les ré • «qu'il devoit déterminer l'homme au bien moral,
sistances, c'est-à-dire les surfaces, croissent comme »»ct ue lui laisser aucune force de se porter an
les quarrés; et les efforts, c'est- à dire les contenus, »• crime :«« jusqu'ici c'est M. Bayle. Cela est bien
ou les solidités des sphères d'air comprimé, croissent aisé à dire, mais il n'est point faisable en suivant
comme les cubes des diamètres. Ainsi c'est par les principes de l'ordre : il n'auroit pas pu être exé
accident que la privation enveloppe de Faction cuté sans des miracles perpétuels. L'ignorance, l'er
et" de la force. J'ai déjà montré ci-dessus, comment reur et la malice se suivent naturellement dansles ani
la privation suffit pour causer l'erreur et la malice; maux faits comme nous sommes: falloit-il donc
et comment Dieu est porté & les souffrir, sans qu'il que cette espèce manquât à l'Univers! je ne doute
y ait de malignité eu lui. Le mal vient de la pri point qu'elle n'y soit trop importante malgré toutes
vation ; le positif et l'action en naissent par acci ses foiblesses, pour que Dieu ait pu consentira l'abolir.
dent, comme la force nait du froid. 156. M. Bayle, dans l'article intitulé Pauliciens,
154. Ce que M. Bayle fait dire aux Pauliciens qu'il a mis dans son Dictionnaire, poursuit ce qu'il
p. 2323. n'est point concluant, savoir que le franc- a débité dans l'article des Manichéens. Selon lui
arbitre doit venir de deux Principes, afin qu'il (p. 2330. Rem. H.) les Orthodoxes semblent ad
puisse se tourner vers le bien et vers le mal: car mettre deux premiers Principes, en faisant le Diable .
étant simple en lui-même, il devroit plutôt venir auteur du péché. M. Becker ci -devant Ministre
d'un principe neutre, si ce raisonnement avoit lieu. d'Amsterdam, Auteur du Livre qui a pour titre
Mais le franc-arbitre va au bien, et s'il rencontre Le Monde enchanté, a fait valoir cette pensée,
le mal, c'est par accident, c'est que ce mal est caché pour faire comprendre qu'on ne devoit point don
sons le bien, et comme masqué. Ces paroles qu'O ner une puissance et une autorité au Diable, qui le
vide donne à Medée, mi i( oit en parallèle avec Dieu; en quoi il a raison:
Video meliora proboque, mais il en pousse trop loin los conséquences. Et
Détériora sequor, l'Auteur du Livre intitulé ànoxotTuçouriç mxvrwv
signifient que le bien honnête est surmonté par le croit que si le Diable n'étoit jamais vaincu et dé
bien agréable, qui fait plus d'impression sur les pouillé, s'il gardoit toujours sa proie, si le titre
âmes, quand elles se trouveut agitées parles passions. d'invincible lui appartenoit, cela feroit tort h la gloire
155. Au reste, M. Bayle lui-même fournit une de Dieu. Mais c'est un misérable avantage de gar
bonne réponse à Mélissus, mais il la combat un der ceux qu'on a séduits, pour être toujours puni
peu après. Voici ses paroles p. 2025.: -Si Mé- avec eux. Et quant à la cause du mal, il est vrai
>lissus consulte les notions de l'ordre, il répondra que le Diable est l'auteur du péché: mais l'origine
•que l'homme n'étoit point méchant, lorsque Dieu du péché vient de plus loin, la source est dans Ht,-
»le fit; il dira que l'homme reçut de Dieu un état perfection originale des créatures: cela les rend
• heureux, mais que n'ayant pas suivi les lumières capables de ])écher; et il y a des circonstances dans
• de la conscience, qui selon l'intention de son Ati- la suite des choses, qui font que cette puissance est
• teur le dévoient conduire par le chemin de la mise en acte.
• vertu, il est devenu méchant, et qu'il a mérité 157. Les Diables étoient des Anges, comme les
• que Dieu souverainement bon lui fit sentir les cf- autres, avant leur chute, et l'on croit que leur che(
• f«ts de sa colère. Ce n'est doue point Dieu qui en étoit uu des principaux: mais l'Ecriture iic s'ex-
LXXUI. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE IL 551
pliqoc'pas assez là-dessus. Le passage tic l'Apoca •due future par son décret, préférablement à toutes
lypse, qui parle du coiubat avec le Dragou, comme •les antres. « Fort bien, c'est parler mon langage;
d'une vision, y laisse bien dos doutes, et ne déve pourvu qu'on l'entende des combinaisons qui com
loppe pas assez une chose dont les autres Auteurs posent tout l'Univers. -Vous ne ferez donc ja-
sacrés ne parlent presque pas. Ce n'est pas ici le •inais comprendre (ajoute-t-il) que Dieu n'ait pas
lieu d'entrer dans cette discussion, et il faut toujours » voulu qu'Eve et Adam péchassent, puisqu'il a rc-
avouer ici que l'opinion commune convient le mieux -jeté toutes les combinaisons où ils n'eussent |>as
au texte sacré. M. Bayle examine quelques répon »péché.« Mais la chose est fort aisée à com
ses de S. Basile, de Lactancc, et d'autres sur l'ori prendre en général, par tout ce que nous vc
gine du mal, mais comme elles roulent sur le mal nous de dire. Cette combinaison qui fait tout l'U
jdiysique, je diffère d'eu parler, et je coutinuirai nivers, est la meilleure; Dieu donc ne put se dis
d'examiner les difficultés sur la cause morale du penser de la choisir, sans faire un tnanquciucment ;
mal. qui se trouvent dans plusieurs endroits des et plutôt que d'en faire un, ce qui lui est absolu
Ouvrages de notre habile Auteur. ment inconvcnable, il permet le manquement ou le
158. Il combat la permission do ce mal, il vou- péché de l'homme, qui est enveloppé dans cette
droit qu'on avouât que Dieu le vent. 11 cite ces combinaison.
paroles de Calvin (sur la Genèse, cliap. 3.) «Les 160. M. Jacquclot avec d'autres habiles hommes
•oreilles d'aucuns sont offensées, quand on dit que ne s'éloigne pas de mon sentiment, comme lorsqu'il
• Dieu l'a voulu. Mais je vous prie, qu'est-ce antre dit p. 186. de sou Traité de la Conformité de la
•chose de la permission de celui qui a droit de dé- Foi avec la Raison : «Ceux qui s'embarrassent de
• fendre, ou plutôt qui a la chose en inaiii, qu'un •ces difficultés, semblent avoir la vue trop bornée,
•vouloir!* M. Baylo explique ces paroles de Cal • et vouloir réduire tous les desseins tic Dieu à luitrs
vin, et celles qui précèdent, comme s'il avouit que • propres intérêts. Quand Dieu a formé l'Univers,
Dieu a voulu la chute d'Adain, non pas entant • il u'avoit d'autre vue que lui-même et sa propre
qu'elle étoit un crime, mais sous quelque autre no •gloire; de sorte que si nous avions la ronnoissunce
tion qui ne nous est pas connue. 11 cite des Casui- • de toutes les créatures, de leurs diverses coinbi-
stes un peu relâchés, qui disent qu'un fils peut • liaisons et de leurs différons rapports, nous com-
souhaiter la mort de sou père, entant qu'elle est un » prendrions sans peine que l'Univers répond par-
bien pour ses héritiers. Rép. aux Quest. ch. 147. «faitement à la sagesse infinie du Tout puissant.»
]>. 850. Je trouve que Calvin dit seulement que • II dit ailleurs (p. 232.) «Supposé, )«r impossible,
Dieu a voulu que l'homme tombât, pour certaine •que Dieu n'ait pu empêcher le mauvais wsige du
cause qui nous est inconnue. Dans le fond , quand • franc-arbitre sans l'anéantir, on conviendra que
il s'agit d'une volonté décisive, c'est-à-dire d'un «sa sagesse et sa gloire l'ayant déterminé à former
décret, ces distinctions sont inutiles: l'on veut l'ac •tics créatures libres, cette puissante raison devoit
tion avec toutes ses qualités, s'il est vrai qu'on la •l'emporter sur les fâcheuses suites que pourrait
vueille. Mais quand c'est un crime, Dieu ne peut •avoir cette liberté." J'ai tâché de le développer
que le vouloir permettre: lu crime n'est ni fui, ni encore davantage par la raison du meilleur,
moyen, il est seulement une condition sine qua et par la nécessité morale qu'il y en a Dieu
110115 ainsi il n'est pas l'objet d'une volonté di de faire ce choix, malgré le péché de quelques Cré
recte, comme je l'ai déjà montré ci-dessus. Dieu ne atures qui y est attaché, je crois avoir coupé jus
le peut empêcher, sans agir contre ce qu'il se doit, qu'à la racùic de lis difliculté: cc]>cndant je suis
sans faire quelque chose qui scroit pis que le crime bien aise, pour donner plus de jour à la matière,
de l'homme, sans violer la règle du meilleur; ce d'appliquer mon principe des solutions aux difficul
qui seroit détruire la Divinité , comme j'ai déjà re tés particulières de M. Baylc.
marqué. Dieu est donc obligé par une nécessité 161. En voici une, proposée en ces termes (ch.
morale, qui se trouve en lui -même, de permettre 148. p. 856.) »Scroit-il de la bonté d'un Prince
le mal moral des créatures. C'est-là précisément le »1. de donner à cent messagers autant d'argent
cas où la volonté d'un Sage ii'est que permissive. »qu'il en faut pour un voyage de doux cents lieues ï
Je l'ai déjà dit: il est obligé de permettre le crime 92. de promettre une récompense à tous ceux qui achc-
d'autrui, quand il ne le sauroit empêcher sans man »veroient le voyage sausuvoir rien emprunté, et de mc-
quer lui-mônic à ce qu'il se doit. »nacer de la prison tous ceux à qui leur argent ifau
159. Mais entre toutes les combinaisons iufi- drait pas suffi'! 3. de faire choix de cent personnes,
uies (dit M. Baylc p. 853.) »il a plu à Dieu d'en *Jout il sauroit certainement qu'il n'y en auroit
•choisir une ou Adam duvoit pécher, et il l'a rcn- »que deux qui mcriteroient la récompeoso, les 98
70*
552 LXXIII. TIIÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
»autrcs devant trouver en chemin on uu joueur, ou «nous détermincroit h telle ou telle choso, et il l'a
^quelque antre chose, qui leur feroit faire des frais, »ainsi voulu; niais il n'a pas voulu pour cela l'y
»ct qu'il auroit eu soiu lui-mêini: de disposer eu «contraindre. Et comme on peut distinguer eu eu
«certains endroits de la routeî 4. d'emprisonner 9Roi deux différons degrés de volonté, l'un par le-
^actuellement 98 de ces messagers, dès qu'ils se- «quel il a voulu que ces Gentilshommes se battis
9roient de retour? N'est -il pas de la dernière évi- sent, puisqu'il a fait qu'ils se rencontrassent; et
»deuec qu'il n'auroit aucune bonté pour eux, et ^l'autre, par lequel il no l'a pas voulu, puisqu'il
»qu'au contraire il leur destincroit , non pas la ré «a défendu les duels; ainsi les Théologiens distin
compense proposée, mais la prison I Ils la méri- guent en Dieu une volonté absolue et inJq>eii-
«teroient: Miit: mais celui qui aura voulu qu'ils »il;uiti-, par laquelle il veut que toutes choses se
»la méritassent, et qui les auroit mis dans le che- «fassent ainsi qu'elles se font; et une autre qui est
9 min infaillible de la mériter, seroit-il digne d'être «relative, et qui se rapporte au mérite ou démérite
^appelle bon, sous prétexte qu'il auroit récompensé SHles hommes , par laquelle il veut qu'on ol>éissc à
3>les deux autres ?•« Ce ne scroit pas sans doute cette »scs Loix.« (Descartes Lettre 10. du 1. vol. pag.
raison, qui lui feroit mériter le titre de bon ; mais 51. 52. Conférez avec cela ce que M. Aroauld
d'autres circonstances y peuvent concourir, qui sc- tniii. 2. pag. 288. et suiv. de ses Réflexions sur
roicnt capables de le rendre digne de louange, do le système de Mallebranche, rapporte de Thomas
ce qu'il s'est servi de cet artifice pour connoître d'Aquin sur la volonté antécédente et conséquente
ces gens-là, et pour en faire uu triage, comme Gé- j do Dieu.)
déon se servit de quelques moyens extraordinaires 163. Voiei ce que M. Baylc y répond, (Rép.
pour choisir les plus vaillaus et les moins délicats au Provinc. ch. 154. p. 943.) »Ce grand Philo-
d'outre les Soldats. Et quand le Priuce coimoitroit >sophc s'abuse beaucoup, te me semble. Il n'y an-
déjà le naturel de tous ces messagers, ne peut -il »roit daus ce Monarque aucun degré de volonté,
I oint les mettre à cette épreuve pour les faire cou- "i:i petit, ni grand, que ces deux Gentilshommes
iioitrc encore aux autres ï Et quoique ces raisons ^obéissent à la Loi, et ne se bâtissent pas. Il vou-
ne soient pas applicables à Dieu , elles ne laissent 5»droit pleinement et uniquement qu'ils se battissent.
pas de faire comprendre qu'une action comme cel'e »Cela no les disculperait pas, ils ne snivoicnt que
de ce Prince peut paroitrc absurde, quand ou la 9leur passion, ils ignoraient qu'ils se conîormoient
détache des circonstances qui en peuvent marquer »à la volonté de leur Souverain; mais celui-ci sc-
la cause. A plus forte raison doit-on juger que Dieu 9roit véritablement la cause morale de leur combat,
a bien fait , et que nous le verrions , si nous con- «et il ne le souhaitcroit pas plus pleinement, quand
noissious tout ce qu'il a fait. 9meme il leur en inspirerait l'envie, on qu'il leur
162. M. Descartcs, dans une Lettre à Madame 9en donueroit l'ordre. Représcnte/.-vous deux Prin-
la Princesse Elisabeth (vol. 1. Lett. 10.) s'est servi »ces, dont chacun souhaite que son fils aîné s'em-
d'une autre comparaison pour accorder la liberté 9poisonnc. L'un emploie la contrainte, l'autre se
humaine avec la toute-puissance de Dieu. "Il sup- ^contente do causer clandestinement un clagrin
»pose un Monarque qui a défendu les duels, et qui »qu'il sait suffisant à porter sou fils à s'cmpoison-
«sachant certainement que doux Gentilshommes se 9ncr. Douterc/.-vous que la volonté du dernier soit
Abattront, s'ils su rencontrent, prend des mesures 5>rnoius complète que la volonté de l'autre ! M. IX-s-
^infaillibles pour les faire rencontrer. Ils se ren- .•9cartcs suppose donc uu fait faux, et ne résout
»coutreiit en eflet, ils se battent: leur désobéis- »poiiit la difficulté.^:
:»sance à la loi est uu eflet de leur frauc- arbitre, 164. Il faut avouer que M. Descartcs parle un
»ils sont punissables. Ce qn'uu Hoi peut faire eu peu crucinent de la volonté de Dieu à l'égard »lu
«cela (ajoute-t-il) touchant quelques actions libres mal , en disant non seulement que Dieu a su que
*de ses Sujets, Dieu qui a mie prescience et une notre libre-arbitre nous détermineitiit à telle ou
^puissance infinie, le fait infailliblement touchant telle chose, mais aussi qu'il l'a ainsi voulu,
«toutes celles des hommes. Et avant qu'il nous ait quoiqu'il n'ait pas voulu pour cela l'y contraiudiv.
«envoyés en ce inonde , il a su exactement quelles Il ne parle pas moins durement daus la- huiticurK!
«seroicnt toutes les inclinations de notre volonté, Lettre du même, volume, en disant qu'il nVntrc jws
•v r..j lui-même qui les a mises en nous, c'est lui la moindre pensée dans l'esprit d'un homme, quo
-\i!i:>,-i qui a disposé toutes les autres choses qui Dieu ne veuille et n'ait voulu de toute, éternité
«sont hors de nous, pour faire que tels et tels ob- qu'elle y entrât. Calvin n'a jamais rien dit do plus
»jets se présentassent à nos sens à tel et tel teins, dur, et tout cela ne sauroit être excusé qu'en sous-
«à l'occasion desquels il a su que iiotro libre-arbitre eutendaut une volonté permissive. La solution de
LXXJII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 553
M. Dcscartes revient à la distinction entre la vo unes que nous ne ferons que toucher, parcequ'elles
lonté du sigue et la volonté du bouplaisir (in ter sont trop odieuses. Les Remontraiis et M. Ikiylo
voluntatem signi et bencplacti) que les (Rép. an Proviuc. cliap. 152. fin. pag. 919. 'l'uni.
Modernes ont prise dus Scolastiques, quant aux III.) allèguent S. Augustin, disant, crudelem esse
ternies , mais à laquelle ils ont donne un sens qui niiscricordiani vclle aliqucm raiserum
n'est pas ordinairo cher. les Anciens. Il est vrai esse ut ejus misercaris: on cite dans le même
que Dieu peut commander quelque chose, sans vou sens Séuèq. de lient T. L. 6. c. 36. 37. J'avoue
loir que cela se fasse , comme lorsqu'il commanda qu'on auroit quelque raison d'opposer cela à ceux
à Abraham de sacrifier sou fils: il vouloit l'obéis qui croiraient que Dieu n'a point eu d'autre cause
sance, et il lie vonloit point faction. Mais lorsque de permettre le péché, qnc le dessein d'avoir do
Dieu commande l'action vertueuse et défend le pé quoi exercer la justice punitive contre la plupart
ché, il veut véritablement ce qu'il ordonne, niais des hommes, et sa miséricorde envers un petit
co n'est que par une volonté antécédente, comme nombre d'élus. Mais il faut juger que Dieu a eu
je l'ai expliqué plus d'une fois. des raisons de sa permission du péché, plus digues
1G5. La comparaison de M. Dcscartcs n'est de lui , et plus profondes par rapport à nous. On
donc point satisfaisante, mais elle le peut devenir. a osé comparer encore le procédé de Dieu à celui
Il faudrait changer un peu le fait, en inventant d'un Caligula, qui fait écrire ses Edits d'un carac
quelque raison qui obligeât le Prince à faire ou à tère si menu, et les fait afficher dans un lieu si éle
|icnucttro que les- deux ennemis se rencontrassent. vé, qu'il n'est pas possible do les lire; à celui d'une
Il faut, par exemple, qu'ils se trouvent ensemble mère qui néglige l'honneur de sa fille, pour parve
à FArmée, on eu d'autres fonctions indispensables, nir à ses fins intéressées; à celle de la Reine Ca
ce que le Prince lui-inèmc ne peut empêcher sans therine de Médicis, qu'on dit avoir été complice des
exposer son Etat, comme par exemple, si l'absence galanteries de ses Demoiselles, pour apprendre les
de l'un ou de l'autre étoit capable de faire éclipser intrigues des Grands ; et même à celle de Tibère,
de l'Armée quantité de personnes de son parti, ou qui fit en sorte, par le ministère extraordinaire du
tVn.it murmurer les Soldats , et causerait quelque bourreau, que la loi qui défendoit de soumettre
grand désordre. Eu ce cas donc, on peut «lire que une pucelle au supplice ordinaire, n'eût alors point
le Prince ne veut point le duel : il le sait , mais il de lieu dans la tille de Séjan. Cette dernière com-
le permet cependant , car il aime mieux permettre pai-aison a été mise eu avant par Pierre Bertius,
le péché d'autrui, que d'eu commettre un lui-même. Arminien alors, mais qui a été enfui do la Coin
Ainsi cette comparaison rectifiée peut servir , pour umnion Romaine. Et on a fait un parallèle cho
vu qu'on remarque la différence qu'il y a entre quant entre Dieu et Tiljèrc , qui est rapporté tout
Dieu et le Prince. Le Prince est obligé à cette per au long par M. André Caroli, dans son Mcmora-
mission par son impuissance; un Monarque plus bilia Ecclesiastica du siècle passé, comme M.
puissant n'auroit point besoin de tons ces égards: Baylo le remarque. Bertius l'a employé contre les
mais Dieu, qui peut tout ce qui est possible, ne Gomaristes. Je crois que ces sortes d'argumons
permet le péché quo parcvqu'il est absolument im n'ont lieu que contre ceux qui prétendent que la
possible à qui que ce soit de mieux faire. L'action justice est une chose arbitraire par rapport à Dieu;
du Prince n'est peut-être point sans chagrin et sans ou qu'il a un pouvoir despotique, qui peut aller
regret. Ce regret vient de son imperfection, dont jusqu'à pouvoir damner des iunooens ; ou enfin, que
il a le sentiment; c'est en quoi consiste le déplai le bien n'est pas le motif de ses actions.
sir. Dieu est incapable d'en avoir, et n'en trouve 167. L'on fit en ce même tans une satire ingé
j>as aussi de sujet; il sent inllnimcut sa propre nieuse contre les Gomaristes, intitulée Fur prae-
perfection , et même l'on peut dire que l'imperfec dcstinatus, De gepredestinccrdc Dief, où
tion dans les Créatures détachées lui tourne en per l'on introduit un voleur condamné à être pendu,
fection par rapport au tout, et qu'elle est un sur qui attribue à Dieu tout ce qu'il a fait de mauvais,
croît de gloire pour le Créateur. Que peut-on vou qui se croit prédestiné au salut nonobstant ses mé
loir de plus, quand ou possède uni: sagesse immense, chantes actions, qui s'imagine que cette créance lui
et quand on est aussi puissant que sage; quand ou suflit, et qui bat par des argumens ad hominem
|>eut tout, et quand ou a le meilleur ? un Ministre Coritrercmontrant appelé pour le pré
16G. Après avoir compris ces choses, il me parer à la mort: mais ce voleur est enfin converti
semble qu'on est assez aguerri contre les objections par un ancien Pasteur déposé à cause de l'Armini-
les plus fortes et les plus animées. Nous ne les aiiisme, que le geôlier ayant pitié du criminel, et
avons point dissimulées: mais il y eu a quelques- de la foiblesse du Ministre , lui avoit amené en ça
554 LXXIH. THÉOD1CÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
chette. On a répondu à ce libelle , niais les répon ont cru, ou ont pu croire, que tout est nécessaire
ses aux satires ne plaisent jamais autant que les absolument. Quelques uns ont été de ce sentiment,
satires mêmes. M. Bayle (Rép. an Provinc. ch. parce qu'ils aduiettoicnt une nécessité brute et aveu
154. T. III p. 938.) dit que ce Uvre fut imprimé gle, dans la cause de l'existence des choses: et ce
en Angleterre du terns de Cromwcl, et il paroit sont ceux que nous avons le plus de sujet de com
n'avoir pas été informé que ce n'a été qu'une tra battre. Mais il y en a d'autres qui ne se trompent
duction de l'original Flamand bien plus ancien. 11 que parce qu'ils abusent des termes. Ils confondent
ajoute que le Docteur George Keudal en donna la la nécessité morale avec la nécessité métaphysique:
réfutation à Oxford l'an 1657, sous le titre de Fur ils s'imaginent que Dieu no pouvant point man
pro Tribunal!, et que le dialogue y est inséré. quer de faire le mieux, cela lui ôte la liberté, et
Ce dialogue présuppose contre la vérité, que les donne aux choses cette nécessité, que les Philoso
Coutrcreiuoutraus font Dieu cause du mal , et en phes et les Théologiens tâchent d'éviter. D n'y a
seignent une espèce de Prédestination à la Maho- qu'une dispute de mots avec ces Auteurs-là, pourvu
uiétanc, où il est indiffèrent de faire bien ou mal, qu'ils accordent effectivement que Dieu choisit et
et où il suffit pour être prédestiné, de s'imaginer fait le meilleur. Mais il y en a d'autres qui vont
qu'on l'est. Ils n'ont garde d'aller si loin ; cepen plus loin, il croient que Dieu auroit pu mieux faire;
dant il est vrai qu'il y a parmi eux quelques Supra- et c'est un sentiment qui doit être rejeté: car quoi
lapsaircs, et autres, qui ont de la peine à se bien qu'il n'ôtc pas tout -à -fait la sagesse et la bonté à
expliquer sur la justice de Dieu, et sur les principes Dieu, comme font les Auteurs de la nécessité aveu
de la piété et do la morale de l'homme, parce qu'ils gle, il y met des bornes ; ce qui est donner atteinte
conçoivent un despotisme en Dieu, et demandent à sa suprême perfection.
que l'homme se persuade sans raison la certitude 169. La question de la possibilité des choses
absolue de son élection, ce qui est sujet à des suites qui n'arrivent point , a déjà été examiné par les
dangereuses. Mais tous ceux qui rcconnoisseot que Anciens. Il paroit qu'Epicure, pour conserver la
Dieu produit le meilleur plan, qu'il a choisi entre liberté et pour éviter une nécessité absolue, a sou
toutes les idées possibles de l'Univers; qu'il y trouve tenu après Aristote, que les futurs contingcns n'é-
l'homme porté par l'imperfection originale des Cré toient point capables d'une vérité déterminée. Car
atures à abuser de sou libre-arbitre et à se plonger s'il étoit vrai hier que j'ccrirois aujourd'hui, il no
dans la misère; que Dieu empêche le péché et la pouvoit donc point manquer d'arriver, il étoit déjà
inisèrc, autant que la perfection de l'Univers, qui nécessaire ; et par la même raison , il l'étoit de
est un écoulement de la sienne , le peut permettre ; toute éternité. Ainsi tout ce qui arrive est néces
ceux-là, dis-je, font voir plus distinctement que saire, et il est impossible qu'il en puisse aller autre
rintention de Dieu est la plus droite et- la plus ment. Mais cela n'étant point, il s'cnsuivroit, selon
sainte du monde, que la Créature seule est cou- lui , que les futurs contingens n'ont point de vérité
jKilde, que sa limitation ou imperfection originale déterminée. Pour soutenir ce sentiment, Epicure se
est la source de sa malice, que sa mauvaise volonté laissa aller à nier le premier et le plus grand prin
est la seule cause de sa misère, qu'on ne sauroit cipe des vérités de raison , il nioit que toute énon-
être destiné au salut sans l'être aussi à la sainteté ciation fût ou vraie ou fausse. Car vojci comment
des enfans do Dieu, et que toute l'espérance qu'on on le poiissoit à bout: Vous niez qu'il fût vrai hier
peut avoir d'être élu , ne peut être fondée que sur que j'écrirois aujourd'hui , il étoit donc faux. Lo
la bonne volonté qu'où se sent par la grâce de bon -homme ne pouvant admettre cette conclu
Dieu. sion, fut obligé de dire qu'il u'étoit ni vrai ni faux.
1G8. L'on oppose encore des considérations Après cela, il n'a point besoin d'être réfuté, et
métaphysiques à notre explication de la Clirysippo se pouvoit dispenser de la peine qu'il
cause morale du mal moral; mais elles nous prenoit de confirmer le grand principe des Contra
embarrasseront moins, puisque nous avons écarté les dictoires , suivant le rapport de Cicéron , dans son
o bj e c t i o n s tirées des raisons morales, qui frap- Livre de Fàto : »Contcndit omnes nervos Chrysip-
poicnt davantage. Ces considérations métaphysiques 9 pus ut pcrsuadeat omne 'A^îu^ta aut verurn esse,
regardent la nature du possible et du néces -Vint falsuui. Ut cuim Epicurus vcretur ne, si lu»
saire: elles vont contre le fondement que nous x)concesserit , conccdcuduin sit, fato fieri quaccun-
avons i H >.-,'•, que Dieu a choisi le meilleur de tous »que fiant; si euiui altcrum ex aeternitatc veruni
les Univers possibles. Il y a eu des Philosophes »sit, csso id ctiam ccrtum; si certain,- ctiam neccs-
qui ont soutenu qu'il n'y a rien de possible, que ce 9sarium; ita et nccessitateui et fatum conQrmari
qui arrive cfl'ectivcineut. Ce sont les mêmes qui »putat ; sic Chrysippus niotuit , ne uou , si non ou
LXXIII. THÉODICÉÊ. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 555
»tinnerit omnc qno<l enuncietur ant vcrnra esse ant »vcnire. Nunc vide, ntra te xpio-iç magis delcctct,
»falsum, oinoia fato fieri possint ex eausis aeternis »Xj>uo-Mtrtïta ne, an haec; quam noster Diodorus
»rerum futurarum.« M. Baylc remarque (Diction, »(un Stoïcien qui avoit logé long-tems chez Cicéron)
articl. Epicnre lett. T. p. 1 1 4 1 .) »que ni l'au ni l'autre »non concoquebat. »»Ceci est tiré d'une lettre que
»Ao ces deux grands Philosophes (Epicure et Chry- »;»Cicéron écrivit à Varron. Il expose plus aniple-
»sippe) n'a compris que la vérité de cette maxime, »»ment tout l'état de la question dans le petit Livre
»toute proposition est vraie ou fausse, »»de Fato. J'en vais citer quelques morceaux.6«
»est indépendante de ce qu'on appelle fatum: elle »Vigila, Chrysippe, ne tnarn causam, in qua tibi cum
»uc pouvoit donc point servir de preuve à l'exi- »Diodoro valente Dialectico magna luctatio est,
»steuce du fatum, comme Chrysippe le préten- »deseras . . . omnc quod falsum dicitur in futuro, id
»doit, et comme Epicnre le craignoit. Clirysippe »fieri non potest. At hoc , Chrysippe , minime vis,
»n'eût pu accorder sans se faire tort, qu'il y a des »maximeque tibi de hoc ipso cum Diodoro ccrta-
»propositions qui ne sont ni vraies, ni fausses; mais »meii est. Illc mini id solum fîeri posse dicit, quod
»il ne gagnoit rien à établir le contraire: car soit »aut sit verum, aut futurum sit verum; et quic-
.»ijif il y ait des causes libres, soit qu'il n'y en ait »qnid futurum sit, id dicit fieri necesse esse; et
«point , il est égalpnient vrai que cette proposition »qnicqnid non sit futurum, id negat fieri posse. Tu
>le Grand Mogol ira demain à la chasse, »ctiam quae non siut futura, posse fieri dicis, ut
»est vraie ou fausse. On a eu raison de considérer »fiangi hanc gcmmaiu, etiamsi id nunquaiu futu-
»comme ridicule ce discours de Tircsias, »»tout ce !»ruin sit: neque necesse fuisse Cypselum r.'guarc
»»• pu.- je dirai arrivera, ou non, car le grand Apol- »('oriut!ii, quainquam id millcsimo antc anno Apol-
»»lon me confère la faculté de prophétiser.* « »Si »linis Oraculo editum csset... Placet Dioiloro , id
»par impossible il n'y avoit point de Dieu, il se- »solum fieri posse, quod aut veruin sit, aut verum
»roit pourtant certain, que tout ce que le plus grand »futurum sit: qui locus attingit liane quacstioneui,
•»fou du monde prédiroit, arrivcroit ou n'arriveroit !>nihil fieri, quod non necesso fucrit: et quicquid
»pas. C'est à quoi ni Chrysippe, ni Epicure ne »fieri possit, id aut esse jam, ant futurum esse: née
«pivniiient pas garde.* Cicéron, lib. 1. de N a t. »magis comuiutari ex veris in falsa ça posse quae
D connu, a très -bien jugé des échappatoires des »futura sunt, quam ea quae facta snnt : sed in fac-
Epicuriens (comme M. Bayle le remarque vers la »tis imniutabilitatem appareru; in futuris quibns-
fin de la même page) qu'il seroit beaucoup moins 9dam, quia non apparent, ne inessc quideui vidcri:
honteux d'avouer que l'on ne peut pas répondre à »ut in eo qui mortifère morbo urgcatur, verum
son adversaire, que de recourir à de semblables »sit, hic morietur hoc morbo: at hoc idem si vere
réponses. Cependant nous verrons que M. Baylo ^dicatur in eo, in quo tanta vis morbi non api>a-
lui -inouïe a confondu le certain avec le nécessaire, »rcat, nihiloinuius futurum sit. Ita lit ut comnuifn-
quand il a prétendu que le choix du meilleur ren- »tio ex vero in falsnui, ne in futuro quidem ulla
doit les choses nécessaires. »ficri possit. Cicéron fait assez comprendre que
170. Venons maintenant à la possibilité des î>Chrysippe se trouvent souvent embarrassé dans
choses qui n'arrivent point , et donnons les propres »cette dispute, et il ne s'en faut pas étonner: car
paroles de M. Bayle, quoiqu'un peu prolixes. Voici »le parti qu'il avoit pris n'étoit point lié avec son
comment il en parle dans son Dictionnaire (article *dogme de la Destinée, et s'il eût osé raisonner
Chrysippe let. S. p. 929.) »La très fameuse dis- »conséquenunent , il eût adopté de bon corur toute
»pnte des chosee possibles et des choses impossibles ^l'hypothèse de Diodore. On a j>u voir ci -dessus
»devoit sa naissance à la doctrine des Stoïciens tou- »que la liberté qu'il dounoit à l'âme , et sa com
9chant le Destin. Il s'agissoit de savoir, si parmi paraison du cylindre, n'empèchoient pas qu'au
»les choses qui n'ont jamais été et qui ne seront 9fond tous les actes de la volonté humaine ne
«jamais, il y en a de possibles; on si tout ce qui S> fussent des suites inévitables du Destin; d'où il
»n'est point, tout ce qui n'a jamais été, tout ce »résulte que tout ce qui n'arrive pas est impos-
»qn\ ne sera jamais, étoit impossible. Un fameux »sible, et qu'il n'y a rien de possible quo se qui
»Dialectien de la secte de Mégare nommé Diodorc »se fait actuellement. Plutarquc (de Stoïcor. re-
»prit la négative sur la première de ces deux ques »pugn. pag. 1053. 1054.) le bat en ruine, tant
tions, et l'affirmative sur la seconde; mais Chry- 9sur cela, que sur sa dispute avec Diodore, et lui
»sippo le combattit fortement. Voici deux passages ^soutient que sou opinion de la possibilité est tout-
»de Cicéron (epist. 4. lib. 9. ad familiar.) nr.çl «à-fait opposée à la doctrine du fatum. Kemar-
T>6\rva.t<Sv me srito xarà AtoJuipov xytvtiv. 9quez que les plus illustres Stoïciens avoient écrit
»Quapropter si venturus es, scito neccsse esse te 9sur cette matière sans suivre la mémo route. Ar
556 LXXIH. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IL
»rien (in Ej.ict. lib. 2. c. 29. p. in. 166.) en a Mais il y a cette différence, qu'il n'est point pos
»nounné quatre, qui sont Chrysippe, Cléanthc, Ar- sible d'agir sur l'état passé, c'est une contradiction;
«i-liidi-nir et A iilijiutrr. Il témoigne un grand mé- mais il est possible de faite quelque effet sur l'ave
«|irîs pour cette dispute, et il ne falloit pas que nir: cependant la nécessité hypothétique de l'an et
V\M. Ménage lo citât comme un Ecrivain qui avoit de l'autre est la même; l'un ne peut pas être changé,
»parlé (citatur lionorificc apnd Arrianum Menag. l'autre ne le sera pas: et cela posé, il ne pourra
»'m Laërt I. 7. 341.) honorablement de l'ouvrage pas être changé non plus.
»cle Chrysippe itsçi duvoeriùv, car assurément ces 171. Le fameux Pierre Abélard a été d'un sen
^paroles, yEyyoups 6e xou. Xpucratitoç ÉJau^uoc- timent approchant de celui de Diodore, lorsqu'il a
3»çujç etc. de his rébus mira scripsit Chrysippns etc. dit que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait rvti.it
»ne sont point en ce lieu-là un éloge. Cela paroit la troisième des quatorze propositions tirées de ses
»par ce qui précède et par ce qui suit. Denys d'Ha- Ouvrages , qu on censura dans le Concile de Sens.
»licarnasse (de collocat. vcrbor. c. 17. p. ni. 11.) On l'avoit tirée de son troisième Livre de l'Intio-
»fait mention de deux Traités de Chrygippe, où duction à la Théologie, où il traite particulièrement
»sous un titre qui proincttoit d'autres choses, on de la puissance de Dieu. La raison qu'il en donnoit,
»avoit battu bien du pays sur les terres des Logi- étoit que Dieu no pont faire que ce qu'il veut : or
»ciens. L'Ouvrage étoit iututilé ««jù Trjç crwra- il no peut pas vouloir faire autre chose qne ce qu'il
»4*w; r<^v T<yù l'ôyou jLifyûii', de partium ora- fait, parcequ'il est nécessaire qu'il veuille tout ce
»tionis collocatione, et ne traitoit que dus propo qui est convenable: d'où il s'ensnit que tout ce
sitions vraies et fausses, possibles et impossibles, qu'il ne fait pas n'est pas convenable, qu'il ne jient
^contingentes , et ambiguës etc. matière que nos pas le vouloir faire, et par conséquent qu'il ne peut
»Scolastiques ont bien rebattue et bien quintessen- pas le faire. Abélard avoue lui-même que cette
»tiée. Notez que Chrysippe reconnut que les choses opinion lui est particulière , qne presque personne
»pnssécs étoient nécessairement véritables, ce que n'est de ce sentiment, qu'elle semble contraire à la
»Cléanthe n'avoit point voulu admettre. (Arrian. doctrine des Saints et à la Raison , et déroger à la
»ubi supra p. m. 165.) 'Ou nàv 6s rcajiEVrçXu- grandeur de Dieu. 1 ! paroît que cet Auteur avoit
»ftàç: a^T\^rtg uvayx.cu.ov sçl, 3sa£-«rtej> ot un peu trop de penchant à penser autrement
»iteyi KXcaa£-i]v (plytcr^ai ooseoùo-t. Non que les autres: car dans le fond, ce n'étoit qu'une
»omnc praeteritum ex necessitato verum est, ut illi logomachie, il changeoit l'usage des termes. La
»qui Cleanthem scqnuntur scntiunt. Nous avons puissance et la volonté sont des facultés diffé
»vu (pag. 562. col. 2.) si-dessus qu'on a prétendu rentes, et dont les objets sont différons aussi;
»qu'Abélard cnseignoit une doctrine qui ressemble c'est les confondre, que dire qne Dieu ne peut faire
»à celle do Diodorc. Je crois que les Stoïciens s'en- | que ce qn'il veut. Tout au contraire, entre plusieurs
•^gagèrent à donner plus d'étendue aux choses pa possibles, il ne veut que ce qu'il trouve le meilleur.
ssibles, qu'aux choses -futures, afin d'adoucir les j Car on considère tous les possibles comme les objets
^conséquences odieuses et affreuses que l'on tiroit do la puissance, mais on considère les choses actu
»de leur dogme de la fatalité.* elles et existantes comme les objets de sa volonté
11 paroît asse/, que Cicéron écrivant h Varron décrétoire. Abélard l'a reconnu lui-même. Il se
ce qu'on vient de copier (lib. 9. Ep. 4. ad familiar.) fait cette objection: Un réprouvé peut être sauvé;
ne comprcnoit pas assez la conséquence de l'opinion mais il ne le sanroit être, que Dieu ne le sauve.
de Diodore, puisqu'il la trouvoit préférable. 11 re Dieu peut donc lo sauver, et par conséquent faire
présente assez bien les opinions des Auteurs dans quelque chose qu'il ne fait pas. 11 y répond, que
son Livre de fato, mais c'est dommage qu'il n'a l'on peut bien dire que cet homme peut-être sauvé
pas toujours ajouté les raisons dont ils se servoient. par rapport à la possibilité do la natnre humaine,
Plutarquedans sou Traitédes contradictions des Stoï qui est capable du salut: mais que J'on ne peut
ciens et M. Bayle s'étonnent que Chrysippe n'étoit pas pas dire que Dieu pont le sauver par rapport à Dieu
du sentiment de Diodore, puisqu'il favorise la fatalité. même, parce qu'il est impossible que Dieu fasse ce
Mais Chrysippe, et même son maître Cléantho, étoient qu'il no doit pas faire. Mais puisqu'il avoue quon
là-dessus plus raisonnables qu'on ne pense. On le peut fort bien dire en un sens, absolument ]>arlant
verra ci-dessons. C'est une question, si le passé est et mettant à part la supposition de la réprobation,
plus nécessaire qne le futur. Cléauthe a été de ce qu'un tel qui est réprouvé, peut être sauvé; et
sentiment. On objecte qu'il est nécessaire ex hy- qu'ainsi souvent ce que Dieu ne fait pas, peut être
pothesi que le futur arrive, comme il est néces fait ; il pouvoit donc parler connue las autres qui
saire ex hypothesi que le passé soit arrivé. ne l'entendent pas autrement, quand ils disent que
LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 557
Dion peut sauver cet homme, et qu'il peut faire ce «aujourd'hui (dit -il) un grand embarras pour les
qu'il ne fait pas. «Spinosistes, que- de voir que selon leur hypothèse
172. Il semble que la prétendue nécessité de »ïl a été aussi impossible de toute éternité que
Wiclef, condamnée par le Concile de Constance, «Spinosa, par exemple, ne mourût pas à la Hak>,
ne vient que de ce même mal -entendu. Je crois «qu'il est impossible que denx et deux soient six.
que les habiles gens font tort à la vérité et à eux- »lls sentent bien que c'est une conséquence néces
mêmes, lorsqu'ils affectent d'employer sans sujet saire de leur doctrine , et une conséquence qui re-
des expressions nouvelles et choquantes. De nos «bute, qui effarouche, qui soulève les esprits par
jours , le fameux M. Hobbes a soutenu cette même «l'absurdité qu'elle renferme, diamétralement op-
opinion, que ce qui n'arrive point est impossible. «posiV au sens commun. Ils ne sont pas bien-aises
Il la prouve, parce qu'il n'arrive jamais que toutes «qu<- l'on sache qu'ils renversent une maxime aussi
les conditions requises à une chose qui n'existera «-universelle et aussi évidente que celle-ci: Tout ce
point (omu ia rei 11011 futurae requis! ta) se trou «qui implique contradiction est imposable, et tout
vent ensemble: or la chose ne saurait exister sans «ce qui n'implique point contradiction est possible
cela. Mais qui ne voit que cela ne prouve qu'une 174. On peut dire de M. Bayle: Ubi bene,
impossibilité hypothétique ï II est vrai qu'une chose ncmo m clins, quoiqu'on ne puisse pas dire de
ne sauroit exister, quand une condition requise y lui, ce qu'on disoit d'Origène , ubi mâle, neino
manque. Mais connue nous prétendons pouvoir pejus. J'ajouterai seulement que ce qu'on vient
dire que la chose peut exister, quoiqu'elle n'existe de marquer connue une maxime, est même la défi
pas; nous prétendons de même pouvoir dire que nition du possible et de l'impossible. Cepen
les conditions requises peuvent exister, quoiqu'elles dant M. Baylc y joint ici un mot sur la fin, qui
n'existent point. Ainsi l'argument de M. Hobbes gâte un peu ce qu'il a dit avec tant de raison. »Or
laisse la chose où elle est. Cette opinion qu'on a »quelle contradiction y auroit il en ce que Spinosa
eue de T. Hobbes, qu'il enseignoit une nécessité «serait mort à Leidcî la nature aurait- elle été
absolue de toutes choses, l'a fort décrié, et lui au- «moins parfaite, moins sage, moins puissante ï» Il
roit fuit du tort, quand mémo c'eût été son unique confond ici ce qui est impossible, parce qu'il im
erreur. plique contradiction, avec ce qui ne sauroit arriver,
173. Spinosa est allé plus loin: il paroît avoir parcequ'il n'est pas propre à être choisi. Il est vrai
enseigné expressément une nécessité aveugle, ayant qu'il n'y aurait point eu de contradiction dans l.i
refusé l'entendement et la volonté à l'Auteur des supposition que Spinosa fût mort à Lcidc, et non
choses, et s'imaginant que le bien et la perfection pas à la Haie; il n'y avoit rien de si possible: la
n'ont rapport qu'à nous, et non pas à lui. Il est chose étoit donc indifférente par rapport à la puis
vrai que le sentiment de Spinosa sur ce sujet a quel sance de Dieu. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'au
que chose d'obscur. Car il donne la pensée à Dieu, cun événement, quelque petit qu'il soit, puisse être
après lui avoir ôté l'entendement, cogitationem, conçu comme indifférent par rapport à sa sagesse
.non intellcctum concedit Deo. Il y a même et à sa bonté. Jésus-Christ a dit divinement bieh,
des endroits, où il se radoucit sur le point de la que tout est compté jusqu'aux cheveux do notre
nécessité. Cependant, autant qu'on le peut com tète. Ainsi la sagesse de Dieu ne permet toit pas
prendre, il ne reconnoît point de bonté en Dieu, que cet événement dont M. Bayle parle, arrivât
a proprement parler, et il enseigne que toutes les autrement qu'il n'est arrivé; non pas comme si par
choses existent par la nécessité de la nature Divine, lui-même il eut mérité davantage d'être choisi, mais
sans que Dieu fasse aucun choix. Nous ne nous à cause de sa liaison avec cetto suite entière de
amuserons pas ici à réfuter un sentiment si mau l'Univers qui a mérité d'être préférée. Dire que
vais et même si inexplicable. Et le nôtre est éta ce qui est arrivé n'iutércssoit point la sagesse de
bli sur la nature dus possibles; c'est-à-dire des Dieu , et en inférer qu'il n'est donc pas nécessaire ;
choses qui n'impliquent point de contradiction. Je c'est supposer faux et en inférer mal une conclusion
ne crois point qu'un Spinosiste dise que tous les véritable. C'est confondra ce qui est nécessaire par
Romans qu'on peut imaginer, existent réellement une nécessité morale, c'est-à-dire par le principe de
à présent, ou ont existé, ou existeront encore dans la Sagesse et de la Bonté, avec ce qui l'est j>ar une
quelque endroit de l'Univers: cependant on ne sau nécessité métaphysique et brute, qui a lieu lorsque
roit nier que des Romans, comme ceux de Made le contraire implique contradiction. Aussi Spiuosa
moiselle de Scudéry, on comme l'Octavia, ne soient chcrchoit-il une nécessité métaphysique dans les
possibles. Opposons lui donc ces paroles de M. événemeus, il ne croyoit pas que Dieu fût déter
Baylc, qui sont assez à mon gré, p. 390. «C'est miné par sa bouté et par sa perfection, (que ect
558 tXXÏÔ. <THÉÔDICÉE. ESSAIS StlR LA HONTE Dt DÏÈ"Ùî3iC. PARTIE il.
Auteur traitoit de chimères par rapport à l'Univers) sa bonté ot sa sagesse n'y paroissent pas . et il n'y
mais par la nécessité de sa 'nature: comme le dcim- a rien aussi qui l'y attache. Et si 'c'est par tn dé
cercle est obligé de ne comprendre que des angles cret pnrcnteflt arbitraire, sans aucune raison , qu'il
droits, sans en avoir ni la connoissance , M la vo a 'établi 'ou fait ce que nous appelons la justice et
lonté. €ar Euclide a montré que tons les Angles la bonté; il les peut défaire ou en changer la na-
compris par deux lignes droites, tirées des extré iUre, de sorte qu'on n'a aucun sujet de se promettre
mités du diamètre vers nn point dn cercle, sont qu'il les observera toujours; comme oh peut dire
nécessairement droits, et que le contraire 'implique qo'il fera, lorsqu'on suppose qu'elles sont fondées
contradiction. en faisons. 11 en seroit de même à peu près si sa
175. Il y a des gens qui sont allés à l'autre 'ex justice étoit différente de la nôtre, c'est-à-dire s'H
trémité, et sons prétexte d'affranchir là nature 'di étoit écrit (par exemple) dans son Code, qu'il es<t
vine du joug de la nécessité, ils Tout voulu rendre juste de rendre des innocens éternellement mallwu-
tout-à-fait indifférente,; d'une indifférence d'équilibré: retrx. Suivant ces principes, rien aussi n'obligeroh
ne considérant point qu'autant qne la nécessité 'mé Dieu de garder sa parole, ou ne nous assureroit de
taphysique est absurde par rapport aux actioits de son effet. Car pourquoi la loi de la justice , qui
Dieu ad extra, autant la nécessité 'morale eàt porte qtto les promesses raisonnables doivent être
digne de lui. C'est une heureuse nécessité qui oblige gardées, seroltelte plus inviolable à son égard, qnc
'le Sage à bien faire, an lien que Tïndiffércnce par tontes les autres î
rapport au bien et au mal scroit la 'marque d'Un •177. Tons ces dogmes, quoiqu'un peu différera
défaut de bonté ou de sagesse. Outre que l'ihdif- entre eux, savoîr 1. <jtie lit nature de la justice e&
férencc en ëlle-inêuifa'qdi'tièndroH la volonté :dans . arbitraire, 2. qu'elle est fisc, mais qu'il n'est pas
nli parfait équilibre, scroit line chimère, comme il sûr que'Dicn l'observe; et enfin S. que la justice
a été montré ci-dessus : elle choqcroit le grand prih- 'qne nous conuoissons n'est pas celle qu'il observe;
cipo de la raison déterminante. détruisent et la confiance en Dien, qui fait notre
176. Ceux qui croient que Dieu a établi le bien , repos, et l'amour de Dieu, qui fart 'notre félicité.
et lo mal p:ir un décret rirbitraire, tombent dans ce Rien 'n'empêche qu'un tel Dieu n'en use en tyran
sentiment étrange d'une pure indifférence ; et dans et en ennemi des gens de bien , et qu'il se plaise à
d'autres absurdités encore plus étranges. Ils lui ce que nous appelions mal. Pourquoi ne seroit il
ôteiit le titre de bon; car quel sujet pourroit- donc pas aussi bien le mauvais 'Principe des Mani
on avoir de le louer de Ce qu'il a fait, s'il avoit chéens, qnc le bon Principe nniqne des Orthodoxes'?
fait également bien en faisant tout autre chose? Et Au Inoins scfoit-il neutre et comme suspendu entre
je me suis étonné bien souvent que plusieurs Théo- deux, ou même tantôt l'un, 'tantôt l'autre; ce qui
logions Supralapsaires, comme par exemple Samuel vaudrait autant qae si quelqu'un disoit qu'Oromas-
Rotorfort Professeur en Théologie eu 'Ecosse, qui des et Ariuiànras régnent tour à tour, selon que Van
a écrit lorsque les controverses avec les Remontrons ou l'autre est plus fort ou plus adroit. A 'peu près
étoiout le plus en vogue, ont pu donner dans une comme une femme Mugalle, ayant ouï dire appa
si étrange pensée. Retorfbrt (rlans son Rxercîtatioh remment, qu'autrefois sons Chingis-Chan et ses suc-
apologétique ponr:la Grâce) dit positivement que ' cèsseùrs , sa nation avoit eu l'Empire de la pins
rien n'est injuste on moralement mauvais par rap 'grande partie du Septentrion et de fOrient, avoit
port à Dirn, et avant sa défense: ainsi sans cette dît dernièrement aux Moscovites, lorsque M. Isbrand
défense il seroit indifférent d'assassiner on de sau alla a la Chine de la part du Chan par le pays de
ver nn nomme, d'aimer Dieu ou de le haïr, de le ces Tartarcs, que le Dieu des Mugalles avoit été
IOIKT on de le blasphémer. 'chassé dn Ciel, ntais qu'un jour il'reprendroit sa
Il n'y a rien de si déraisonnable: et soit qu'on ; place. 'Le vrai Dieu est toujours le même; la Re
enseigne que Dieu a établi 'le bien et lo liiah dans ligion naturel le 'même demande qu'i] soit essentiel-
une loi positive; soit qu'on soutienne qu'il y a quel { Icmcnt bon et sage, autant que paissant: il n'eèt
que chose de bon et de juste antccédemment a son guèrcs plus contraire à la raison et il la piété, de
décret niais qu'il n'est pas déterminé à s'y confor dire que Dieu agit sans connoissanee, que de vouloir
mer, et que rien ne' l'empêche d'agir injustement, qu'il ait une connoissanee qui ne trouve point les
et de damner peut-être des innorens; l'on dit à peu règles- éternelles de la bonté et de ha justice •parmi
près la même chose, et on 'c déshonore presque ses objets : Ou enfin ' qu'il ait une volonté ijui n'ait
également. Car si la justice a été établie arbitraire ' point d'égard à ces règles.
ment et sans aucun sujet, si Dieu y est tombé par 178. Quelques Tnéologicns qui ont écrit du droit
une espèce de ha/àrd, comme lorsqu'on tire au sort ; de Dieu sur les Créatures, ont paru lui accorder un
LXXJII. T,HÉQDieÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC.' PARTIE IL 559
droit sans bornes, un pouvoir arbitraire et despo dans ses actions, ce qui ne peut compatir avec ! i
tique. Ils ont cru que c'étoit poser la Divinité dans liberté. C'est confondre la nécessité métaphysique
le plus haut point de grandeur et d'élévatiou, où ayec !;i nécessité morale. Voici ce que .M Bayle.
elle puisse être imaginée; que c'étoit anéantir telle oppose à cette erreur: (Rép. au Provincial, ch. 89.
ment la Créature devant le Créateur, que le Créa pv 2Q3.) »La couséqupnce de cette doctrine sera,
teur ne soi t lié d'aucune espèce du lois à. l'égard, ftqu'avant que Dieo se déterminât à créer le Monde,
de la Créature. Il y a des passages de Twisse, de 9Ù1 no voyoit ricç. de meilleur dans la vertu que
Retorfort, et de quelques autres Supralapsaires, qui »daus la vice, et que ses idées uc lui montraient
insinuent que Dieu ne sauroit péuher, quoi qu'il 5»pas que la vertu fût plus digne de sou amour que
fasse, parce qu'il n'est sujet à aucune Loi. M. Bayle. »le vice. Cela nu laisse nulle distinction entre lis
lui-même juge que cette doctrine est monstrueuse «droit nature], et le droit positif; il n'y aura plus
et contraire à la saiutetéde Dieu (Diction, v. l'.-iti- »rien d'immuable., ou d'indispensable dans la m»
liciens p. 233,2. ini tin): "mis je m'imagine que «raie: il aura été aussi possible à Dieu de com-
l'intention de quelques-uns de ces Autours, a été «niiuidiT quo l'on fût vicieux, que de commander
tnoins mauvaise quïl ne paroit. Et apparemment !>qu'on fût vertueux; et l'on ne pourra pus être
sous le nom de droits ils ont entendu, ai/u;tsu£rx>- ^assuré que les loix morales ne seront pas un jour
•l'i.ur, un état où l'on n'est responsable à personne ^abrogées , comme Tout été les loix cérémonielles
de oe qu'où fa.it. Mais ils lùwront. pas uié que «des .luii's. Ceci, en nu mot, nous mène tout droit
Dieu se doit à soi-même ce que la. bouté et la ju w;i croire que Dieu a été l'auteur libre, non -seule-
stice, lui demandent. L'on peut voir là-dessus l'Apo «ment do la bouté, de la vertu, mais aussi du
logie de Calvin faite par M. Auiyruud: il est vrai »la vérité et de l'essence des choses. Voilà ce
que Calvin paroît orthodoxe sur ce chapitre, et qu'il »qu'une partie des Cartésiens prétuudvut, et j'avoue
W'çst nullement du nombre des Supralapsaires outrés. »quc leur sentiment (voyez la Continuation des
179. Ainsi quand M. Bayle dit quoique part que S»Pensées sur les Comètes pag. 554.) pourrait être
S. Paul ne se tire de la prédestination que par le «'!'• quelque usage eu certaines rencontres; mais
droit absolu de Dieu, et par riucompréhcnsibilité 9il est combattu par tant de raisons, et sujet à des
de ses voies; on y doit sous-cntcndrc que si on les ^conséquences si fâcheuses (voyez le ch. 152. du
coinpreiioit, on les trouveroit conformes à la justice, «!;i même Continuation) qu'il n'y a guèrcs d'extré-
Dieu no pouvant user autrement de son pouvoir. »mités qu'il ne vaille mieux subir, que de- se jeter
S, Paul lui-même dit que c'est une profondeur, )»dans celle-là. Elle ouvre la porte au Pyrrhouismu
mais de sagesse (altitude Sapioutiae); et la Me plus outré; car elle donne lieu de prétendre que
justice esffcomprise dans la bonté du. Sage. »cetto proportion, trois et trois font six, n'est vraie
Je trouve qua M. Bayle parle ires bien ailleurs de «qu'où et pendant la teins qu'il plait à Dieu: qu'elle est
l'application de nos notions de la bouté aux actions »peut-ètre fausse dans quelques parties do l'Univers, et
de Dieu. (Rép. au Provinc. ch. 8l. p. 139.) »H »que peut-être elle le sera parmi les hommes l'année
»ne faut point ici prétendre (dit -il) que la bonté .«qui vient; tout ce qui dépend du libre arbitre du
5vle l'Etre infini n'est point soumise aux mêmes » Dieu, pouvant avoir été limité à certains lieux et
^règles que la bonté de la Créature. Car s'il y a »h certains teins, comme les cérémonies Judaïques.
»en Dieu un attribut qu'on puisse nommer bouté, «On étendra cette conséquence sur toutes les loi.v du
»il faut que les caractères de la bonté en général «Décalogue, si les actions qu'elles commandent sont
«loi conviennent. Or quand nous réduisons In bonté »de leur nature aussi privées de toute bonté, que
»à l'abstraction la plus générale , nous y trouvons »les actions qu'elles défcndent.4
»la volonté de faire du bien. Divisez et subdivisez 181. Et de dire que Dieu ayant résolu de créer
»en autant d'espèces qu'il vous plaira, cette bonté gé l'homme tel qu'il est, il n'a pu n'eu pas exiger la
nérale, en bouté infinie, eu bonté finie, on bonté piété, la sobriété, la justice et la chasteté, parce
^royale, en bonté do père, en bonté de mari, en bouté qu'il est impossible quelles désordres capables de
»de maître; vous trouverez dans chacune, comme un bouleverser ou de troiBp son ouvrage lui puissent
^attribut inséparable, la volonté de faire du bien.* plaire; c'est revenir eu CTfet au sentiment commun.
180. Je trouve aussi que M. Bayle combat fort Les vertus ne sont vertus que parce qu'elles ser
bien le sentiment de ceux qui prétendent que la vent à la perfection, ou empêchent l'imperfection
bonté et la justice dépendent uniquement du choix de ceux qui sont vertueux, ou même de ceux qui
arbitraire de Dieu, et qui s'imaginent que si Dieu ont à faire à eux. Et elles ont cela par leur nature
avoit été déterminé à agir par la bonté des choses et par la nature des Créatures raisonnables, avant
luêuies, il seroit un agent entièrement nécessité que Dieu décerne de les créer. D'en juger autre
560 LXXIII. THÈODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
nient, ce seroit comme si quelqu'un disolt que les (comme d'autres Réformés l'expliquent) devient
règles dos proportions et de l'harmonie sont arbi supportable. Aristotc a été très-orthodoxe sur ce
traires par rappoit aux Musiciens, parce qu'elles chapitre do la justice, et l'Ecole Ta suivi: elle di
n'ont lieu dans la Musique, quo lorsqu'on s'est ré stingue, aussi bien que Cicérou et les Jurisconsultes,
solu à chanter ou à jouer de quoique instrument. entre le droit perpétuel, qui oblige tous et par-tout,
Mais c'est justement ce qu'on appelle essentiel à et le droit positif, qui n'est que peur certains teins
une bonne Musique; car elles lui conviennent déjà et certains peuples. J'ai lu autrefois avec plaisir
dans l'état idéal, lors-même que personne ne s'avise l'Euthyphron de Platon, qui fait soutenir la vérité
de chanter, puisqu'en l'on sait qu'elles lui doivent là-dessus à Sot-rate, et Mr. Baylc a remarqué le
ronvenir nécessairement aussi -tôt qu'on chantera. même passage.
Et de même les vertus conviennent à l'état idéal de
la Créature raisonnable avant que Dieu décerne de 183. Il soutient lui-même cette vérité avec
la créer, et c'est pour cela même que nous soute beaucoup de force en quelque endroit, et il sera
nons que les vertus sont bonnes par leur nature. bon de copier son passage tout entier, quelque long
§. 182. Mr. Baylc a mis un chapitre exprès qu'il soit (Tom. H. de la Continuation des Pensées
dans sa continuation des Pensées diverses, (c'est le diverses cli. 152. p. 771. sqq.) .«Selon la doctrine
chap. 152.) ou il fait voir »que les Docteurs Chré- «d'une infinité d'Auteurs graves (dit-il) il y a dans
Miens enseignent qu'il y a des choses qui sont «la nature et clans l'essence de certaines choses un
Ajustes antécédeininent aux décrets de Dieu.»' Des »bien ou un mal moral qui précède le décret divin.
Théologiens de la Confession d'Ausbourg ont blâmé «Ils prouvent principalement cette doctrine par les
quelques Réformés qui ont paru être d'un autre ^conséquences affreuses du dogme contraire-, car
sentiment, et on a" considéré cette erreur comme si »de ce que ne faire tort à personne seroit une
elle étoit uue suite du Décret absolu, dont la doc «bonne action, non pas en soi-même, mais par une
trine semble exempter la volonté de Di^u de toute «disposition arbitraire de la volonté de Dieu, il
sorte de raison, ubi stat pro rationc volun- «s'ensuivroit que Dieu auroit pu donner à l'homme
tas. Mais, comme je l'ai remarqué plus d'une fois «une loi directement opposée en tous ses points aux
ci -dessus, Calvin même a reconnu que les décrets «commandemens du Décalogue. Cela fait horreur.
de Dieu sont conformes à la justice et à la sagesse, «Mais voici une preuve plus directe, et tirée de la
quoique les raisons qui pourraient montrer cette ^Métaphysique. C'est une chose certaine, que
conformité en détail, nous soient inconnues. Ainsi, 9 l'existence de Dieu n'est pas un effet de sa vo-
selon lui, les règles ch; la bonté et de la justice sont «lonté. Il n'existe point, parce qu'il vent exister,
antérieures aux décrets de Dieu. Mr. Bayle, au «mais par la nécessité de sa nature* infinie. Sa
même endroit, cite un passage du célèbre Mr. Tur- «puissance et sa science existent par la même né-
rclin, qui distingue les Loix Divines naturelles et «cessité. Il n'est pas tout-puissant, il ne connoit
les Loix Divines positives. Les morales sont de la »pas tontes choses, parce qu'il le veut ainsi, mais
première espèce, et les cérémonielles de la seconde. »parce que ce sont des attributs nécessairement
Mr. Samuel Des-Marests Théologien célèbre autre «identifiés avec lui-même. L'empire de sa volonté
fois à Groningue, et Mr. Strimesius qui l'est encore »ne regarde que l'exercice de sa puissance, il ne
à Francfort sur l'Oder, ont enseigné la même chose : «produit hors de lui actuellement que ce qu'il veut,
et je crois que c'est le sentiment le plus reçu même «et il laisse tout le reste dans la pure possibilité.
parmi les Réformés. Thomas d'Acquin et tons les »Dc-là vient que cet empire ne s'étend que sur
Thomistes ont été du même sentiment, avec lo «-l'existence des créatures, il ne s'étend point aussi
commun des Scolastiqucs et des Théologiens de »sur leurs essences. Dieu a pu créer la matière,
l"Eglisc Romaine. Lrs Casuistcs en sont aussi: je «un homme, un cercle, ou les laisser dans le néant;
compte Grotius entre les plus éinincns parmi eux, «mais il n'a pu les produire, sans leur donner leurs
et il a été suivi en cela ..par ses Commentateurs. «propriétés essentielles. 11 a fallu nécessairement
Mr. Puffendorf a paru (fifT d'une autre opinion, «qu'il fit l'homme un animal raisonnable, et qu'il
qu'il a voulu soutenir contre les censures de quel Adonnât à un cercle la figure ronde, puisque, selon
ques Théologiens: mais il ne doit pas être compté, «ses idées éternelles et indépendantes des décrets
et il M Y-toit pas entré assez avant dans ces sortes ^libres de sa volonté, l'essence de l'homme con-
de matières. Il crie terriblement contre le décret »sistoit dans les attributs d'animal et de raisonna-
absolu dans sou Fccialis divinus, et cependant »ble, et quo l'essence du cercle consistait dans uue
il approuve ce qu'il y a de pire dans les scntimcns ^circonférence également éloignée du centre quaut
des défenseurs de ce décret et sans lequel ce décret »à toutes ses parties. Voilà ce qui a fait avouer
LXX1II. THÉODICÊE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 561
«aux Philosophes Chrétiens, que les essences des »même tout ce qu'il y a d'Intelligences périrait, les
«choses sont éternelles, et qu'il y a des propositions «proposisions véritables demcureroicnt véritables.
«d'une éternelle vérité; et par conséquent que les «Cajétan a soutenu que s'il restoit seul dans l'Uui-
^essences des choses, et la vérité des premiers prin «vers, toutes les autres choses sans nulle exception
cipes, sont immuables, Cela ne se doit pas seule- «ayant été anéanties, la science qu'il avoit de la
«uient entendre dis premiers princes tliéorétiqucs, «nature d'une rosé ne laisserait pas de subsister.«
«niais aussi des premiers principes pratiques, et 184. Feu Mr. Jaques Tliomasius, célèbre Pro
«de toutes les propositions qui contiennent la vé- fesseur a Leipzig, n'a pas mal observé dans ses
«ritable définition des Créatures. Ces essences, ces éclaircisscmcns des règles Philosophiques de Daniel
^vérités étnancut de la même nécessité de la nature, Slahlius Professeur de Jéna, qu'il n'est pas a pro
«que la science de Dieu: comme donc c'est par la pos d'aller tout à-fait au delà de Dieu: et qu'il ne
«nature des choses que Dieu existe, qu'il est tout- faut point dire avec quelques Scotistcs, que les vé
«puissant, et qu'il connoit tout en perfection ; c'est rités éternelles subsisteraient, quand il n'y auroit
«aussi par la nature des choses que la matière, que point d'Entendement, pas même celui de Dieu. Car
«le triangle, que l'homme, que certaines actions c'est à mon avis l'Entendement Divin qui fait la
«de l'homme etc., ont tels et tels attr.buts essen- réalité des vérités éternelles: quoique sa volonté
«tiellement. Dieu a vu de toute éternité et de toute n'y ait point de part. Toute réalité doit être fondée
«nécessité les rapports essentiels des nombres, et dans quelque chose d'existant. Il est vrai qu'un
«l'identité de l'attribut et du sujet des propositions Athée peu être Géomètre. Mais s'il n'y avoit point
«qui contiennent l'essence de chaque chose. Il a de Dieu, il n'y auroit point d'objet de la Géomé
«vu de la même manière, que le terme juste est trie. Kt sans Dieu, non-seulement il ^Épnroit rien
«enfermé dans ceux-ci: estimer ce qui est cstima- d'existant, mais il n'y auroit mémo nen de pos
«ble, avoir de la gratitude pour son bienfaiteur, sible. Cela n'empêche pas pourtant que ceux qui
«accomplir les conventions d'un contrat, et ainsi ne voient pas la liaison de toutes choses entre elles
«de plusieurs autres propositions de morale. On a et avec Dieu, ne puissent entendre certaines Scien
«donc raison de dire que les préceptes de la Loi ces, sans en connoitrc la première source qui est
«naturelle supposent l'honnêteté et la justice de ce en Dieu. Aristote, quoiqu'il ne l'ait guères connu
«qui est commandé, et qu'il seroit du devoir de non plus, n'a pas laissé de dire quelque chose d'ap
«l'homme de pratiquer ce qu'ils contiennent, quand prochant et de très-bon, lorsqu'il a reconnu que les
«même Dieu auroit eu la condescendance de n'or- principes des Sciences particulières déj)endeut d'une
«donner rien là-dessus. Prene/. garde, je vous prie, Science supérieure qui eu donne la raison; et cette
«qu'en remontant par nos abstractions à cet instant ! Science supérieure doit avoir l'être, et par consé
«idéal où Dieu n'a encore rien décrété, nous trou- quent Dieu, source de l'être, pour objet. Mr.Drcicrdu
«vons dans les idées de Dieu les principes de mo- Kônigsberg a bien remarqué que la vraie Métaphy
«rale sous des termes qui emportent une obligation. sique qu'Aristote chcrchoit, et qu'il appclloit rrpr
«Nous y concevons ces maximes comme certaines ÇijroufûvTiv, son desideratum étoit la Théo
»et dérivées de l'ordre éternel et immuable: il est logie.
«digue de la Créature raisonnable de se conformer 185. Cependant, le même Mr. Bayle, qui dit
«à la Raison ; une Créature raisonnable qui se con de si belles choses pour montrer que les règles de
forme à la Raison est louable, elle est blâmable là bonté et de la justice, et les vérités éternelles en
«quand elle ne s'y conforme pas. Vous n'oseriez général, subsistent par leur nature, et non pas pat
«dire que ces vérités n'imposent pas un devoir à un choix arbitraire de Dieu, en a parlé d'une ma
«l'homme par rapport à tous les actes conformes nière fort chancelante dans un autre endroit (Con
«à la droite Raison, tels que ceux-d : il faut estimer tinuât, des Pensées div. T. II. ch. 114. vers la fin).
«tout ce qui est estimable: rendre le bien pour le Après y avoir rapporté le sentiment de Mr. Dcs-
«bien: ne faire tort à personne: honorer son père: cartes, et d'une partie do ses Sectateurs, qui sou
«rendre à un chacun ce qui lui est dû etc. Or tiennent que Dieu est la cause Kfcrç des vérités et
«puisque par la nature même des choses, et anté- des essences, il ajoute (p. 554^7 «J'ai fait tout
«rieurement aux Loix divines , les vérités de mo- «ce que j'ai pu pour bien comprendre ce dogme,
«rale imposent à l'homme certains devoirs; il est «et pour trouver la solution des difficultés qui IVn-
«manifeste que Thomas d'Acquin et Grotius ont pu «vironnent. Je vous confesse ingéuucment que je
«dire que s'il n'y avoit point de Dieu, nous ne ïn'cn suis pas venu encore tout-à-fait à bout. Cela
«laisserions pas d'être obligés à nous conformer »ne nie décourage point ; je m'imagine, comme ont
«au Droit naturel. D'autres ont dit que quand «fait d'autres Philosophes en d'autres cas, que le.
562 LXXHI. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BO?sTTÉ DE DJEU ETC. PARTIE H.
Mcms développera ce beau paradoxe. Je voudrois nécessaire destituée de coiwoissaiice. J'avone que
»qne le Père Mallebraoche eut pu trouver bon «le eela se pourroit, si. Dieu, avoit préformé la matière
«K- soutenir,, mais U a pris d'autres mesures.* Est- comme tt (MU pour faire un tel effet par les seules
il possible que le plaisir de douter puisse tant -ur l"i\ du mouvement. Mais sans 1 )k u, il n'y auroit
un liai iil< nomme, que de lai faire souhaiter et de pas raêtue> aucune raison Ojc l'existence, et inoins en
lui faire espérer de pouvoir croire que deux con core de telle oa telle existence des choses: ainsi k-
tradictoires ne se trouvent jouais ensemble, que système, de Straton n'est point à craindre.
parce que Dieu le leor a défendu, et qu'il auroit pu, 188. Cependant Mr.. Bayle s'en embarrasse: il
leur donner uu ordre qui les auroit toujours fait, ne veut point admettre les natures plastiques desti
aller de compagnie! Le beau paradoxe qjue voilà! tuées de connoissance, que Mr. Cudworth et autres
Le R. P. Maltebranche. a lai! fort sagement de preur aroient introduites; de peur que les Stratouiciens
ilrc d'autres mesures. modernes, c'est-à-dire les Spinosistes, n'en profitent.
186. Je ne saurois même m'imaginer que Mr. C'est ce qui l'engage dans des disputes avec Mr.
Descartes ait pu être tout de bon de ce sentiweat te Clerc. Et prévenu do cette erreur, qu'une cause
quoiqu'il ait eu des Sectateurs qui out eu la facilité, non intelligente ne sauroit rien produire où il pa
de le croire, et de le suivre bouneiueut où il no roisse, de l'artifice, il est éloigné de m'accorder la
faisoit quft semblant d'aller.. C'étoit apparemment pré formation, qui produit natnrellomnnt les or
uu il • ses tours, une de ses ruses Philosophiques; ganes des animaux, et 1« Système d'une har
il se préparait quelque échappatoire, comme lors monie que Dieu ait p réétablie dans lesco.rps^
qu'il trouva JMI tour pour nier le mouvement de la pour les faire répondre par leurs propres toix aux
Terre, pcrkhut qu'il étoit Copernicien à Outrance. pensées et aux volontés clés âmes. Mais il falloit
Je soupçonne qu'il a eu en vue ici une autre ma considérer que c*-tte- cause non-intelligente qui pro
nière de parler extraordinaire, de son invention, duit de si belles choses dans les graines et dans les
qui étoit de dire que les affirmations et les néga semonces des; plantes et. dos animaux, et qui pro
tions, et généralement les jngerneus iuternes, sont duit les actions des corps comme h volonté les or
des opérations de la volonté. Et par cet artifice, donne, a été formée par les mains de Dieu, iufiai-
les vérités éternelles, qui avoient été jusqu'à cet incnt plus habile qu'un Horloger, qui fait pourtant
Auteur un objet de l'entendement divin, sont deve des machines et d«s automates capables de produire
nues tout d'un coup un objet de sa volonté. Or d'assez beaux effets, comme s'ils avoieut de l'in
les actes du la volonté sont libres, donc Dieu est la telligence.
cause libre des vérités. Voilà le dénouement de la 189. Or pour venir à ce que Mr. Bayle appré-
Pièce. Spcctatnm admissi. Un petit change hendc des Stratouiciens, en cas qu'on admette des
ment de la signification des termes a causé tout ce vérités indépendantes du la volonté de Dieu; il
fracas. Mais si les affirmations des vérités néces semble craindre qu'ils ne se prévalent contre nous
saires étoient des actions de la volonté du plus par de la parfaite régularité des vérités éternelles: car
fait Esprit, ces actions ue seroicnt rien moins que cette régularité nu venant que de la nature et du
libres, car il n'y a rien à choisir. 11 paroît que la nécessité des choses, sans être dirigée par aucune
Mr. Descartes ue s'expliquoit pas assez sur la na connoissance, Mr. Bayle craint qu'on en pourroit
ture do la liberté, et qu'il en a voit, une notion inférer avec Straton, que le Monde a pu aussi de
assez extraordinaire, puisqu'il lui donnoit une si venir régulier par une nécessité aveugle. Mais il
grande étendue, jusqu'à vouloir que les affirmations est aisé d'y ré|x>udre: Dans la région des vâités
des vérités nécessaires étoient libres en Dieu. C'étoit éternelles se trouvent tous les jwssibles, et par con
ne garder que le nom de la liberté. séquent, tant le régulier, quo l'irrégulier : il faut
187. Mr. Bayle, qui l'entend avec d'autres d'une qa'il y ait une raison qui ait fait préférer l'ordre
liberté d'indifférence, que Dieu avoit eue d'établir et le régulier, et cette raison no peut être trouvéo
(par exemple) k^crités des nombres, et d'ordon que dans l'entendement. De plus, ces vérités mûmes
ner que trois foîKjpis fissent neuf, au lieu qu'il leur ne sont pas sans qu'il y ait un entendement qui en
eût pu enjoindre do faire dix, conçoit dans une prenne conuoissauce 5 car elles ue subsisteroient
opinion si étrange, s'il y avoit moyen do la défen point, s'il n'y avoit un entendement Divin, où elles
dre, je ne sais quel avantage contre les Straloni- se trouvent réalisées, pour ainsi dire. C'est jx>ur-
cieus. Straton a été un des Chefs de l'Ecole d'Ari- quoi Straton ne vient pas à son but, qui est d'ex
stotc et successeur de Théophraste ; il a soutenu clure la counoissaucc de ce qui entre dans l'origine
(au rapport de Cicéron) que ce Monde avoit été dos choses.
formé tel qu'il est par la Nature, ou par une cause 190. La difficulté que Mr. Baylc s'est figurée
LSXttl. THÉODICÉE. ESSAIS SDR LA feCNTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 563
(to côté 'fle Straton, paraît un pen trop stib'tilc et sounemens sont éminemment en Dieu, et ils gar
toop rednerchée. Où appelle cela, timcTC, 'tibi dent un ordre entre -cnx dans son entendement,
non est tinvoï. ïl s'en (ait une autre, qui n'a pas aussi bien que dans le nôtre : mais chex lui ce n'«dt
•pins de fondement. 'C'est que Dieu seroit assnjctti qu'un ordre et une priorité de nature, ao-lien
'à dnc espèce de fat uni. Voici sesparoleS: (p. 555.) que -chez nous il y a une pr-iorité de tems. Il
»S'a y a des propositions d'une éternelle vérité, qoi ne faut donc point -s'étonner, qno celui qni pénètre
»sdnt'tefles de leur nature, et non poiat par Pin- tontes les choses tout d'un 'coup, doit toujours ren
9stitntion de Dion, Si elles lie sont point véritables contrer du premier coup; et on ne >loit point dire
*]>;»r im décret libre 'de Sa volonté, mais si au'con- qu'il réussit sans qu'aucune connoissance le dirige.
^trattre 'il les a connues nécessairement véritables, Au contraire, r.'e ,t purce qne sa connoissance est
»parce que telle étoit K-nr nature, voilà nne espèce parfaite, que ses actions volontaires le sont aussi.
>de1atum auquel il est assujetti; voilà 'une 'néces 193. Jusqu'ici 'nous avons fait voirqne la vo
sité' naturelle absolument insurmontable. Il résulte lonté de Dieu n'est point indépendante des règles
•»encoTè-de-là, qne l'entendement 'divin, dans l'in- de la Sagesse; 'quoiqu'il soit étonnant qu'on ait été
»finité de ses idées, a rencontré toujours et dû pre- obligé de 'raisonner là-dessus, et de combattre pour
"Simercoup leur Conformité parfaite avec leurs ob- •nne vérité si grande et si reconnue. Mais il n'est
>jcts, sans qu'aucune connoissance le dirigeât ; car presque pas moins étonnant qu'il 'y ait des gens
'vil *y attroit contradiction qu'aucune cause exém- qui croient que Dieu n'observe ces règles qu'à demi,
T»plaire eût servi de plan aux actes -de l'entendement et ne choisit point le meilleur, quoique sa sagesse
»dc Dieu. On ne trouverait jamais par-là des idées le lui fasse connoîtro; en un mot, qu'il y ait des
^éternelles, ni aucune première 'intelligence, fl Auteurs qni 'tiennent que Dieu pouvoit mieux faire.
^faudra donc dire 'qu'une nature qui existe néces- 'C'est à-pen-près 'l'erreur du fameux Alphonse Roi,
»sairement tronVe -toujours son chemin, sans qu'on de Castille, élu Roi des Romains par quelques
»lc 'lui montre; 'et comment vaincre après cela Electeurs, et promoteur des Tables Astronomiques
jjl'opiniâtri'té d'un StratOnicien t qui portent sou nom. L'on préterçd«iue ce Prince
191. Mais :il est encore aisé de répondre: Ce a dit, que si Dieu l'eût appelle à son^onseil, quand
prétendu fatum, qui oblige même la Divinité, n'est il fit le Monde, il lui aurait donné de bons avis.
autre chose que la propre nature de Dieu, son pro- Apparemment le Système du Monde de l'tolomée,
•pré 'entendement, qui fournit les règles à sa sagesse qui règnoit en ce teins-la, lui déplaisoit. Il croyoit
et à sa 'bonté; :c'est une heureuse nécessité, sans donc qu'on aurait pu faire quelque chose de mieux
'laquelle il ne «croit ni bon, ni sage. Voudroit-on concerté, et il avoit raison. Mais s'il avoit connu
qne Dieu ne fut point obligé d'ôtrc parfait et heu- le Système de Copernic a\vc les découvertes de
•renx? Notre condition, qui nous rend capables de Kepler, augmentées maintenant par la connoissance
'faillir, estLelle digne d'envie î et ne serions-nous pas de la pesanteur des Planètes, il aurait bien reconnu
'bien-aises de la changer contre l'iuipeccabilité, si que l'invention du vrai Système est merveilleuse.
cola dépenclolt de nous? Il faut ôtre bien dégoûté, L'on voit donc qu'il ne s'agissoit que du plus ou du
pour souhaiter la liberté de se 'perdre, et pour moins, qu'Alphonse prétendoit seulement qu'on
plaindre la ; Divinité 'de ce qu'elle ne la point. C'est avoit pu mieux faire, et que son jugement a été
ainsi qne Mr. Baylc raisonne lui 'racine ailleurs blâmé de ' toute le' inonde .
•contre ceux qui exaltent jusqu'aux nues une 'liberté 194. Cependant des Philosophes et des Théo
outrée qulls s'imaginent ilans la volonté, lorsqu'ils logiens osent soutenir dogmatiquement un jugement
la voudraient indépendante de la Raison. semblable : et je me suis étonné cent fois que des
192. Au reste, Mr. Bayle s'étonne »qtie Ten- personnes habiles et pieuses ayent été capables do
•^tcndement divin dans l'infinité de ses idées ren- donner des bornes à la bonté et à la perfection de
»confre toujours et du premier coup -leur confor- Dieu. Car d'avancer qu'il sait ce qui est meilleur,
»mité parfaite avec leurs objets, sans qu'aucune qu'il le peut faire, et qu'il ne le fait pas, c'est avouer
'5>connoissauce'le tlirige.« Cette objection- est Bulle, qu'il ne teuoit qu'à sa volonté de rendre le Monde
de toute nullité: -toute idée distincte est par-la meilleur qu'il n'est; mais c'est ce qu'on appelle
'même conforme aveeson objet; et il ' n'y en a que manquer de bonté. ' C'est agir contre cet axiome
de distinctes en -Dieu: outre que d'abord l'objet marqué déjà ci-dessus: Minus bonum habot
n'existe nulle part, et quand il existera, il sera for ratiOncm mali. Si quelques-%ns allèguent l'ex
mé sur cette idée. D'ailleurs, Mr. Baylc sait fort périence, pour prouver que Dieu aurait pu mieux
bien que renterirfcmeut divin n'a point besoin de 'faire, ils s'érigent en censeurs ridicnles de ses Ouvra
- teins pour voir ! la liaison des choses. Tous les rai- ges, et ou leur dira ce qu'on répond à tous ceux
r>64 LXXIII THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
qui critiquent le procédé de Diea, et qui de cette décernoit de tirer d'un point donné une ligne droite,
même supposition, c'est-à-dir,e des prétendus dé jusqu'à une autre ligne droite donnée, sans qu'il y eût
fauts du Monde, en voudraient inférer qu'il y a aucune détermination de l'angle, ni dans le décret, ni
un mauvais Dieu, ou du moins un Dieu neutre en dans ses circonstances ; carcn et; cas, la détermination
tre le bien et le mal. Et si nous jugeons comme viendrait de la nature de la chose, la ligne scroit per
le Roi Alphonse, on nous répondra, dis -je: Vous pendiculaire, et l'angle seroit droit, puisqu'il n'y a que
ne connoissez le Monde que depuis trois jours, vous cela qui soit déterminé, et qui se distingue. C'estainsi
n'y voyez pjères plus loin que votre nez, et vous qu'il faut concevoir la Création du meilleur dctonslcs
y trouvez à redire. Attendez à le counoitrc da Univers possibles, d'autant plus que Dieu ne décerne
vantage, et y considérez surtout les parties qui pas seulement de créer un Univers, mais qu'il dé
présentent un tout complet, (comme font les Corps cerne encore de créer le meilleur de tous ; car il ne
organiques) ; et vous y trouvère/ un artifice et une décerne point sans connoître, et il ne fait point de
beauté qui va au delà do l'imagination. Tirons -en décrets détachés, qui ne seraient que des volontés
des conséquences pour la sagesse et pour la bonté antécédentes, que nous avons assez expliquées et
de l'Auteur des choses, encore dans les choses que distinguées des véritables décrets.
nous ne connoissons pas. Nous en trouvons dans 197. Mr. Diroys, que j'ai connu à Rome, Théo
l'Univers qui ne nous plaisent point; niais sachons logien de Monsieur le Cardinal d'Estrées, a fait on
qu'il n'est pas fait pour nous seuls. 11 est pourtant Livre intitulé Preuves et Préjugés pour la
fait pour nous, si nous sommes sages : il nous ac Religion Chrétienne, publié à Paris l'an 1683.
commodera, si nous nous en accommodons; nous Mr. Bayle (Répons, au Provinc. chap. 165. pag.
y serons heureux, si nous le voulons être. 1058. T. III.) en rapporte l'objection qu'il se fait
195. Quelqu'un dira, qu'il est impossible de Ml y a encore nno difficulté (dit-il) à laquelle il
produire le meilleur, parcequ'il n'y a point de créa »nYst. pas moins important de satisfaire qu'aux pré-
ture |>arfaite, et qu'il est toujours possible d'en pro »cédcntes, puisqu'elle fait plus de peine à ceux qui
duire une qny le soit davantage. Je réponds que ^jugent des biens et des maux par des considéra
ce qui se peurairc d'une créature ou d'une substance tions fondées sur les maximes les plus pures et
particulière, qui peut toujours être surpassée par » les plus élevées. C'est que Dieu étant la sagesse et
une autre, ne doit pas être appliqué à l'Univers, le «la bonté souveraine, il leur semble qu'il devrait
quel se devant étendre par toute l'éternité future, »faire toutes choses comme les personnes sages et
est un infini. De plus, il y a une infinité de créatures »vertueuses souhaiteraient qu'elles se fissent, suivant
daus la moindre parcelle de la matière, à cause de »les règles de sagesse et de bonté que Dieu leur a
la division actuelle du Continu mu à l'infini. Et »imprimécs, et comme ils seraient obligés de les
l'infini, c'cst-à-dirc l'amas d'un nombre infini de «faire eux-mêmes, si elles dépcndoicnt d'eux. Ainsi
substances, h proprement parler, n'est pas un tout ; «voyant que les affaires du Monde ne vont pas si
non plus que le nombre infini lui-même, duquel on »bien qu'elles pourraient aller à leur avis, et qu'el
ne saurait dire s'il est pair ou impair. C'est cela les iraient s'ils s'en niêloieut, ils concluent que
même qui sert à réfuter ceux qui font du Monde »Dieu qui est infiniment meilleur et plus sage
un Dieu, ou qui conçoivent Dieu comme l'Ame du «qu'eux, ou plutôt la sagesse et la bouté même, ne
Monde; In Monde ou l'Univers ne pouvant pas »s'en môle point. u
être considéré comme un animal, ou comme une 198. Mr. Diroys dit de bonnes choses là-dessus,
substance. que je ne répète point, puisque nous avoos assez
196. 11 ne s'agit donc pas d'une Créature, mais satisfait à l'objection en plus d'un endroit, et c'a
de l'Univers; et l'adversaire sera obligé de soutenir été le principal but de tout notre discours. Mais il
qu'un Univers possible peut être meilleur que l'au avance quelque chose dont jo ne saurais demeurer
tre, à l'infini ; mais c'est en quoi il se trompcroit, d'accord. Il prétend que l'objection prouve trop.
et c'est ce qu'il ne sain oit prouver. Si cette opinion Il faut encore mettre ses propres paroles, avec Mr.
étoit véritable, il s'ensnivroit que Dieu n'en auroit Bayle, p. 1059. »S'il n'est pas convenable à ta
produit aucun; car il est incapable d'agir sans rai »sagesse et à la bonté souveraine de ne faire pas
son, et ce scroit même agir contre la raison. C'est »ce qui est meilleur et plus parfait, il s'ensuit que
comme si Ton s'imaginoit que Dieu eût décerné de «tous les Etres sont éternellement, immuablement
faire une sphère matérielle, sans qu'il y eût aucune »t't essentiellement, aussi parfaits et aussi bons
raison de la faire d'une telle ou telle grandeur. Ce ^qu'ils puissent être, puisque rien ne peut changer,
décret scroit inutile, il porterait avec soi ce qui en 9qu'en passant ou d'un état moins bon à nn m- <
empêcherait l'effet. Ce serait autre chose, si Dieu »leur, ou d'un meilleur à un moins bon. Or cela
LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 56f>
«ne peat arriver, s'il ne convient pas à Dieu Je ne sans sujet; ou plutôt qu'on peut concilier le mal
«point faire ce qui est meilleur et plus parfait, lors- ou le moins bon dans quelques parties, avec
«qu'il le peut: il faudra donc que tous les Etres meilleur dans le tout. Si les Dualistes demandoieut
«soient éternellement et essentiellement remplis que Dieu fit le meilleur, ils ne demanderaient rien
«d'une connoissance et d'une vertu aussi parfaite de trop. Ils se trompent plutôt en prétendant que
»quc Dieu puisse leur donner. Or tout ce qui est le meilleur dans le tout, soit exeint de mal dans
«éternellement et essentiellement aussi parfait que les parties ; et qu'ainsi ce que Dieu a fait n'est point
«Dieu le puisse faire, procède essentiellement de le meilleur.
«lui; en un mot, est éternellement et essentielle- 200. Mais Mr. Diroys prétewd que si Dieu
»ment bon comme lui, et par conséquent il est Dieu produit toujours le meilleur, il produira d'autres
«connue lui. Voilà où va cette maxime, qu'il ré- Dieux; autrement chaque substance qu'il produirait
«pngne à la justice et à la bonté souveraine de ne ne serait point la meilleure ni la plus parfaite.
«faire pas les choses aussi bonnes et aussi parfaites Mais il se trompe, faute de considérer l'odre et la
«qu'elles puissent être. Car il est essentiel à la liaison des choses. Si chaque substance prise à part
«bonté essentielle, d'éloigner tout ce qui lui répugne étoit parfaite, elles seraient toutes semblables; ce
«absolument. Il faut donc établir comme une pre- qui n'est point convenable ni possible. Si c'étoieut
«mière vérité touchant la conduite de Dieu à !'.'•- des Dieux, il n'aurait pas été possible de les pro
«gard des créatures, qu'il n'y a rien qui répngne à duire. Le meilleur Système des choses ne contien
«cette bonté et à cette sagesse de faire des choses dra donc point de Dieux; il sera toujours un sy
«moins parfaites qu'elles ne pourraient être, ni de stème de corps (c'est-à-dire de choses rangées selon
«permettre que les biens qu'elle a produits, ou ces- les lieux et les teins) et d'âmes qui représentent et
»sent entièrement d'être, ou se changent et s'altè- apperçoivent les corps, et suivant lesquelles les corps
«rent ; puisqu'il ne répugne pas à Dien qu'il y ait sont gouvernés en bonne partie. Et comme le des
«d'antres Etres que lui, c'est-à-dire des Etres qui sein d'un bâtiment peut être le meilleur de tous par
«puissent n'être pas ce qu'ils sont, et ne faire pas rapport au but, à la dépense, et aux circonstances;
«ce qu'ils fout, ou faire ce qu'ils ne font pas.« et comme un arrangement de quelques corps figu
199. Mr. Bayle traite cette réponse de pitoya rés qu'on vous donne peut être le meilleur qu'on
ble, mais je trouve que ce qu'il lui oppose est em puisse trouver; il est aisé de concevoir de même
barrassé. Mr. Bayle veut que ceux qui sont pour qu'une structure de l'Univers peut être la meilleure
les deux Principes se fondent principalement sur la de toutes, sans qu'il devienne un Dieu. La liaison
supposition de la souveraine liberté de Dieu; car et l'ordre des choses fait que le corps de tout ani
s'il étoit nécessité à produire tout ce qu'il pent, il mal et de toute plante est composé d'autres ani
produirait aussi les péchés et les douleurs: ainsi maux et d'antres plantes, on d'autres Etres vivans et
les Dualistes ne pourraient rien tirer de l'existence organiques; et que par conséquent il y ait de la
du mal contre l'unité de Principe, si ce Principe étoit subordination, et qu'un corps, une substance serve
autant porté au mal qu'au bien. Mais c'est en cela à l'autre: ainsi leur perfection ne saurait être égale.
que Mr. Bayle porte la notion de la liberté trop 201. 11 paraît à Mr. Bayle (p. 1063.) que Mr.
loin: car quoique Dieu soit souverainement libre, Diroys a confondu deux propositions différentes;
il ne s'ensuit point qu'il soit dans une indifférence Tune, que Dieu doit faire toutes choses comme des
d'équilibre; et quoiqu'il soit incliné à agir, il ne personnes sages et vertueuses souhaiteraient qu'elle
s'ensuit point qu'il soit nécessité par cette inclina se fissent, suivant les règles de sagesse et de bonté
tion à produire tout ce quïl peut. Il ne produira que Dieu leur a imprimées, et comme ils seraient
que ce qu'il veut, car son inclination le porte au obligés de les faire eux-mêmes, si elles dépeudoient
bien. Nous convenons de la souveraine liberté de d'eux; et l'autre, qu'il n'est pas convenable à la
Dien; rnnis nous ne la confondons pas avec l'in sagesse et à la bonté souveraine de ne faire pas ce
différence d'équilibre, comme s'il pouvoit agir sans qui est meilleur et plus parfait. Mr. Diroys (au
raison. Mr. Diroys conçoit donc que les Dualistes, jugement de Mr. Bayle) s'objecte la première pro
en voulant que le bon Principe unique ne produise position, et répond à la seconde. Mais il a raison
aucun mal, demandent trop; car par la même rai en cela, ce me semble; car ces deux propositions
son ils devraient aussi demander, selon lui, qu'il sont liées, la seconde est une suite de la première:
produisit le plus grand bien, le moindre bien étant faire moins de bien qu'on ne pouvoit, est manquer
une espèce de mal. Je tiens que les Dualistes ont contre la sagesrc ou contre la bonté. Etre le meil
tort à l'égard du premier point, et qu'ils auraient leur, et être désiré par les pins vertueux et les plus
raison à l'égard du second, où Mr. Diroys les blâme sages, est la même chose. Et l'on peut dire que si
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566 LXXIII. THÉODICÈE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
nous pouvions entendre la structure et l'économie gagné ou perdu. Ainsi le meilleur peut être changé
de l'Univers, nous trouverions qu'il est fait et gou en un antre qui ne lui cède point, et qui ne le sur
verné comme les plus sages et les plus vertueux le passe point : mais il y aura toujours entre eux an
pourraient souhaiter, Dieu ne pouvant manquer de ordre, et le meilleur ordre qui soit possible. Pre
faire ainsi. Cependant cette nécessité n'est que mo nant toute la suite des clioses, le meilleur n'a point
rale: et j'avoue que si Dieu étoit nécessité par une d'égal ; mais une partie de la suite peut être égalée
nécessité métaphysique à produire ce qu'il fait, il par une autre partie de la même suite. Outre qu'on
produirait tous les possibles, ou rien; et dans ce pourrait dire que toute la suite des choses à l'infini
sens la conséquence de Mr. Bayle seroit fort juste. peut être la meilleure qui soit possible, quoique ce
Mais comme tous les possibles ne sont point com qui existe par tout l'Univers dans chaque partie du
patibles entre eux dans une même suite d'Univers, teins ne soit pas le meilleur. Il se pourrait donc
c'est pour cela même que tons les possibles ne sau- que l'Univers allât toujours de mieux en mieux, si
roieut être produits, et qu'on doit dire que Dieu telle étoit la nature des choses, qu'il ne fût point
n'est point nécessité, métaphysiqiiemeut parlant, à permis d'atteindre au meilleur d'un seul coup. Mais
la création de ce Monde. L'on peut dire qu'aussi ce sont des problèmes dont il nous est difficile
tôt que Dieu a décerné de créer quelque chose, il de juger.
y a un combat entre tous les possibles, tous pré- 203. Mr. Bayle dit (p. 1064.) qnela question,
tcndans à l'existence; et que ceux qui joints en si Dieu a pu faire des clioses plus accomplies qu'il
semble produisent le plus de réalité, le plus de ne les a faites, est aussi très-difficile, et que les
perfection, le plus d'intelligibilité, l'em raisons du pour et du contre sont très-fortes. Mais
portent. 11 est vrai que tout ce combat ne peut c'est, à mon avis, autant que si on mettoit en
être qu'idéal, c'est-à-dire il ne peut être qu'un con question si les actions de Dieu sont conformes à la
flit de raisons dans l'entendement le plus parfait; plus grande bonté. C'est une chose bien étrange,
qui ne peut manquer d'agir de la manière la plus qu'en changeant un peu les tonnes, on rend douteux
parfaite, et par conséquent de choisir le mieux. ce qui bien entendu est le plus clair du monde. Les
Cependant Dieu est obligé, par une nécessité morale, raisons contraires ne sont de nulle force, n'étant
à faire les choses en sorte qu'il ne se puisse rien de fondées que sur l'apparence des défauts; et l'ob
mieux: autrement non seulement d'autres auraient jection de Mr. Bayle, qui tend à prouver que la loi
sujet de critiquer ce qu'il fait, mais qui plus est, il du meilleur imposerait à Dieu une véritable néces
ne seroit pas content lui-même de son Ouvrage, il sité métaphysique, n'est qu'une illusion qui vient
s'en reprocherait l'imperfection ; ce qui est contre de l'abus des termes. Mr. Bayle avoit été d'un
la souveraine félicité de la nature Divine. Ce sen autre sentiment autrefois, quand il applauclissoit à
timent continuel de sa propre faute ou imperfection celui du R. P. Mallebranche, assez approchant du
lui seroit une source inévitable de chagrins, comme mien sur ce sujet. Mais Mr. Arnaud ayant écrit
Mr. Bayle le dit dans une autre occasion (p. 953.). contre ce Père, Mr. Bayle a changé d'opinion, et
202. L'argument de Mr. Diroys suppose faux, je m'imagine que son ]>enchant à douter, qui s'est
lorsqu'il dit que rien ne peut changer qu'en passant augmenté en lui avec l'âge, y a contribué. Mr. Ar
d'un état moins bon à un meilleur, ou d'un meilleur naud a été un grand homme, sans doute, et son
à un moins bon ; et qu'ainsi, si Dieu fait le meil autorité est d'un grand poids: il a fait plusieurs
leur, ce produit ne sauroit être changé: que ce se bonnes remarques dans ses écrits contre le P. Malle-
roit une substance éternelle, un Dieu. Mais je ne branche, mais il n'a pas eu raison de combattre ce
vois point pourquoi une chose ne puisse changer que ce Père a dit d'approchant de ce que nous disons
d'espèce par rapport au bien ou au mal, sans en de la règle du meilleur.
changer le degré. En passant du plaisir de la Mu 204. L'excellent Auteur de la Recherche de la
sique à Celui de la Peinture, ou vice versa du Vérité ayant passé de la Philosophie à la Théolo
plaisir des yeux à celui des oreilles, le degré des gie publia enfin un fort beau Traité de la Nature
plaisirs jx>urra être le même, sans que le dernier et de. la Grâce; il y fit voir à sa manière (commo
ait pour lui d'antre avantage que celui de la nou Mr. Bayle l'a expliqué dans ses Pensés diverses sur
veauté. S'il se faisoit la quadrature du cercle, ou les Comètes, chap. 234.) que tes événemeus qui
(pour parler de même) la circulatuve du quarré, naissent de l'exécution des loix générales ne sont
c'est-à-dire si le cercle étoit changé en quarré de la point l'objet d'une volonté particulière de Dieu. Il
même grandeur, ou If quarré en cercle, il seroit est vrai que quand on veut une chose, on veut aussi
difficile do dire, parlant absolument, sans avoir en quelque façon tout ce qui y est nécessairement
égard à quelque usage particulier, si l'on auroit attaché; et par conséquent Dieu no sauroit vouloir
LXXUI. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 567
les loix générales, sans vouloir aussi en quelque »do déroger à ses loix, parco qu'elles ne plairont
façon tous les effets particuliers qui en doivent nai- -pas aujourd'hui à l'un, demain à l'autre; par-
nv uécessairenient : uiais il est toivjours vrai qu'on ••(•<• que tantôt un superstitieux jugeant faussement
ne veut pas ces événeinens particuliers à cause d'eux- •qu'un monstre présage quelque chose de funeste,
mêmes; et c'est ce qu'on entend, en disant qu'on -passera do son erreur à uu sacrifice criminel;
ne les veut pas par une volonté particulière -tantôt une bonne âme, qui néanmoins ne fait pas
et directe. 11 n'y a point du doute que quand Dieu -assez de cas de la vertu, pour croire qu'on est
s'est déterminé à agir au dehors, il n'ait fait choix • assez bien puni quand on n'eu a point, se scauda-
d'une manière d'agir qui fût digne de l'Etre souve • lisera de ce qu'un méchant homme devient riche,
rainement parlait, c'est-à-dire qui fût infiniment • et jouit d'une sauté vigoureuse! Peut-ou se faire
simple et uniforme, et néanmoins d'une fécondité -des idées plus fausses d'une Providence générale?
infinie. On peut même s'imaginer que cette manière "Ht puisque tout .le monde convient que cette loi
d'agir par des volontés générales lui a paru -de la nature, Le fort l'emporte sur le foible, a été
préférable, quoiqu'il en dût résulter quelques évé- -posée fort sagement, et qu'il serait ridicule de pré-
nemens superflus, (et même mauvais en les prenant » tendre que lorsqu'une pierre tombe sur un vase
à part, c'est ce que j'ajoute) à une autre manière • fragile, qui fait les délices de son maître, Dieu
plus composée et plus régulière, selon ce Père. • doit déroger à cette loi pour épargner du chagrin
Rien n'est plus propre que cette suppositiou (au •à ce maître-là; ne faut-il pas avouer qu'il est ri-
sentiment de Mr. Kaylc, lorsqu'il écrivoit ses Pen » dieule aussi de prétendre que Dieu doit déroger à
sées sur les Comètes) à résoudre mille difficultés • la même loi, pour empêcher qu'un méchant homme
qu'on fait contre la Providence Divine. » Demander • ne s'enrichisse de la dépouille d'un homme do
»à Dieu (dit-il), pourquoi il a fait des choses qui -bien? Plus le méchant homme se met au dessus
•servent à rendre les hommes plus médians, ce se- -des inspirations 4e la conscience et de l'honneur,
»roit demander pourquoi Dieu a exécuté son plan «plus surpasse-t-il en force l'homme de bien ; do
»(qui ne peut être qu'infiniment beau) par les voies •sorte que s'il entreprend l'homme de bien, il
•les plus simples et les plus uniformes, et pourquoi -faut, selon le cours de la nature, qu'il le ruine:
• par uue complication de décrets qui s'entrecou- •et s'ils sont employés dans les Finances tous deux,
» passent incessamment , il n'a point empêché le «il faut, selon le même cours de la nature, que le
-mauvais usage du libre arbitre de l'homme. 11 •méchant s'enrichisse plus que l'homme de bien,
-ajoute, que les miracles étant des volontés parti -tout de même qu'un feu violent dévore plus de bois,
culières, doivent avoir une fin digne de Dieu. « -qu'un feu de paille. Ceux qui voudraient qu'un
205. Sur ces fondeuirus il fait du bonnes ré • méchant homme devînt malade, sont quelquefois
flexions (cli. 231.) touchant rinjustitc do ceux qui -aussi injustes que ceux qui voudraient qu'une pierre
so plaignent de la prospérité des médians. »Je ne •qui tombe sur un verre, ne le cassât point; carde
"-ferai point scrupule (dit-il) de dire que tons ceux -la manière qu'il a ses organes composés, ni 1*8
Si trouvent étrange la prospérité des médians, • alimens qu'il prend, ni l'air qu'il respire, ne sont
t très-peu médité sur la Nature de Dieu, et qu'ils -pas capables, selon les loix naturelles, de préju-
»out réduit les obligations d'une Cause qui gouverne •dicier à sa santé. Si bien que ceux qui se plaignent
-toutes choses, à la mesure d'une providence tout- »de sa santé, se plaignent de ce que Dieu ne viole
»à-fait subalterne, ce qui e.st d'un petit esprit. Quoi •pas les loix qu'il a établies; en quoi ils sont d'au-
-donc! il faudrait que Dieu, après avoir fait des -taut plus injustes, que par des combinaisons et dos
-causes libres et des causes nécessaires, par un -euchaineiuens dont Dieu seul étoit capable, il ar-
-mélange inlmim' ni propre à faire éclater les mcr- • rivc asse/. souvent que le cours de la nature amène
» veilles de sa sagesse infinie, eût établi des loix • la punition du péché. «
-conformes à la nature des causes libres, mais si 206. C'est grand dommage que Mr. Bayle a
-peu fixes, que le moindre chagrin qui arriverait quitté si tôt le chemin où il étoit entré si heureu
• à un homme, les bouleverserait entièrement, à la sement,' de raisonner en faveur de la Providence;
«
-ruine de la liberté humaine £ Un simple Gouver- car il aurait fait grand fruit, et en disant do belles
-neur de Ville se fera moquer de lui, s'il change ses choses, il en aurait dit de bonnes en même teins.
» règlemcns et ses ordres autant de fois qu'il plait Je suis d'accord avec le R. P. Mallebranche, que
-à quelqu'un de murmurer contre lui; et Dieu, Dieu fait les choses de la manière la plus digne de
• dout les Loix regardent un bien aussi universel lui. Mais je vais un jx-u plus loin que lui, à l'é
-que peut être tout ce qui nous est visible, qui n'y j gard des volontés générales et particuliè
-a sa part que comme uu petit accessoire, sera tenu res. Comme Dieu lie saurait rien faire sans rai:
72»
568 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
sou, lors même qu'il agit miraculeusement, il s'en plus qu'il se peut, que les moycus soient fins
suit qu'il n'a aucune volonté sur les évéocmcns in aussi en quelque façon, c'est-à-dire désirables, non
dividuels, qui ne soit une conséquence d'une vérité seulement par ce qu'ils font, niais encore jiar ce
ou d'une volonté générale. Ainsi je dirois que Dieu qu'ils sont. Les voies 'plus composées occupent
na jamais de volontés particulières telles trop de terrein, trop d'espace, trop de lieu, trop de
que ce Père entend, c'est-à-dire, particulières teins, qu'on aurait pu mieux employer.
primitives. 209. Or tout se réduisant à la plus grande per
207. Je crois même que les Miracles n'ont fection, on revient à notre loi du meilleur. Car la
rien en cela qui les distingue des autres événemcns ; perfection comprend, non seulement le bien mo
car des raisons d'un ordre supérieur à celui de la ral et le bien physique des Créatures iuteUigeu-
nature le portent à les faire. Ainsi je ne dirois tes, mais encore le bien qui n'est que métaphy
point avec ce Père, que Dieu déroge aux loix gé sique, et qui regarde aussi les Créatures destituées
nérales, toutes tes fois que l'ordre le vent: il ne de raison. Il s'ensuit que le mal qni est dans les
déroge à une loi fyie par une autre loi plus appli Créatures raisonnables, n'arrive que par concomi
cable, et ce que l'ordre veut ne saurait manquer tance, non pas par des volontés antécédentes, mais
d'être conforme à la règle de l'ordre, qui est du par une volonté conséquente, comme étant enve
nombre des loix générales. Le caractère des mi loppé dans le meilleur plan possible; et le bien
racles (pris dans le sens le plus rigoureux) e§t, métaphysique qui comprend tout, est cause qu'il
qu'on ne les saurait expliqtier par les natures des faut donner place quelquefois au mal physique, et
choses créées. C'est pourquoi, si Dieu faisoit une au mal moral , comme je l'ai déjà expliqué plus
loi générale, qui portât que les corps s'attirassent d'une fois. 11 se trouve que les anciens Stoïciens
les uns les autres, il n'en sauroit obtenir l'exécution n'out pas été fort éloignés de ce Système. Mr.
que par des miracles perpétuels. Et de même, si Bayle l'a remarqué lui-même dans son Dictionnaire
Dieu vouloit que les organes des corps humains se à l'article de Chrysippc Rem. T: il importe d'eu
conformassent avec les volontés de l'âme, suivant donner les paroles, pour l'opposer quelquefois à
le système des causes occasionclles, cette lui-même, et pour le ramener aux beaux sentimens
loi ne s'exécutéroit aussi que par des miracles per qu'il avoit débités autrefois. »Chrysippe (dit-ijy *
pétuels. »pag. 930.) dans sou Ouvrage de la Providence
208. Ainsi il faut juger quo parmi les règles • examina entre autres questions celle-ci: La Nature
générales qui ne sont pas absolument nécessaires, •des choses, ou la Providence qui a fait Je Monde
Dieu choisit celles qui sont les plus naturelles, dont »et le Genre humain, a-t-elle fait aussi les mala-
il est le plus aisé de rendre raison, et qui servent •dies à quoi les hommes sont sujets ! 11 répond que
aussi le plus à rendre raison d'autres choses. C'est «le princi|>al dessein de la Nature n'a pas été de
ce qui est sans doute le plus beau et le plus reve •les rendre maladifs, cela ne conviendrait pas à la
nant; et quand le système de l'harmonie -Cause de tous les biens; mais en préparant
préétablie ne seroit |X>int nécessaire d'ailleurs, • et en produisant plusieurs grandes choses très-bien
en écartant les miracles superflus, Dieu l'anroit • ordonnées et très-subtiles, elle trouva qu'il jen^fj-
choisi, parce qu'il est le plus harmonique. Les voies -sultoit quelques inconvéniens, et ainsi ils n'ont pas
de Dieu sont les plus simples et les plus uniformes : • été conformes à son dessein primitif et à son but;
c'est qu'il choisit des règles, qui se limitent le moins • ils se sont rencontrés à la suite de l'ouvrage, ils
les unes les autres. Elles sunt aussi les plus fé • n'ont existé que comme des conséquences. Pour
condes par rapport à la simplicité des voies. • la formation du corps humain, disoit-il, la plus
C'est comme si l'un disoit qu'une maison a été la • fine idée, et l'utilité même de l'ouvrage deman-
meilleure qu'on ait pu faire avec la même dépense. • doient que la tête fût composée d'un tissu d'osse-
On peut même réduire ces deux conditions, la sim • iiicns minces et déliés; mais par- là elle devoit
plicité et la fécondité, à un seul avantage, qui est -avoir l'incommodité de ne pouvoir résister aux
de produire le plus de perfection qu'il est possible; -coups. La Nature préparait la santé, et en luèuic
et par ce moyen, le système du R. P. Mallcbranclie • teins il a fallu par une espèce de concomitance
eu cela se réduit an mien. Car si l'effet étoit sup • que la source des maladies fût ouverte. 11 en va
posé plus grand, mais les voies moins simples, je • de même à l'égard de la vertu; l'action directe
crois qu'on pourrait dire, que tout peso , et tout • de la Nature qui l'a fait naître, produit par con
compté, l'effet lui-même seroit moins grand, en trecoup l'engeance des vices. Je n'ai pas traduit
i Mini mi. non seulement l'effet final, mais aussi •littéralement, c'est pourquoi je mets ici le Latin
l'effet moyen. Car le plus sage fait en sorte, le •même d'Aulugclle, eu faveur de ceux qui cnten
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 569
«dent cette Langue 2>(Aul. Gcll. Lib. 6. c. 1.) Idem «par-là un merveilleux dénouement, (c'est M. Baylo
»»Chrysippus in eod. lib. (quarto, itsyl itpovot'aç) «lui-même qui parle;) mais il est presque impos-
»»tractat consideratque, dignumque esse id quaeri • sible de s'en payer, après avoir lu les Livres do
#»putat, tl al rwv ài<fty(inr.uav vocrot xarct «Mr. Arnaud contre ce système, et après avoir cou-
;>!»<p'uo'tv yii'ovrat. Id est uaturaue ipsa rerum, » sidéré l'idée vaste et immense de l'Etre souverai-
»»vel providentia quae coiiipagem liane mundi et • nemeut parfait. Cette idée nous apprend qu'il
»)>genus hominnm fecit, morbos quoque et debili- «n'est rien de plus aisé à Dieu, que de suivre un
,i>»tates et aegritudincs corporum, quas patiuatur «plan simple, fécond, régulier et commode on même
»!»homines, feœrit. Existimat auti'm non fuisse • teins à toutes les créatures.»
»9hoc principale uaturae consilium, ut faceret ho- 211. Etant eu France, je communiquai à Mr.
>v^iiiiuis uiorbis obooxios. Nunquatu enim hoc cou- Arnaud un' Dialogue que j 'avois fait en Latin sur
)?!>venisse aatarae auctori parentique reruin oai- j la cause du mal et sur la justice de Dieu ; c'étoit
»*nium bonarutn. Sed quuui multa, inquit, atque non seulement avant ses disputes avec le R. P. Mal-
»»magna gigneret pareretque aptissima et utilis- lebranche, mais même avant que le Livre de la Re
»»sima, alia quoque siuiul agnata sunt incoiniuoda cherche de la Vérité parût Ce principe que je sou
»»ns ipsis, quae faciebat, cohacrcntia: eaque non tiens ici, savoir que le péché avoit été permis, à
»»per naturam, sed per séquoias quasdam neces- cause qu'il avoit été enveloppé dans le meilleur plan
»»saria facta dicit, qaod ipse appellat xarà. nct- de l'Univers, y étoit déjà employé; et Mr. Arnaud
»»ça.xoKo\j%rricrir. Sicut, inqnit, qunui corpora ne punit point s'en effaroucher. Mais les petits dé
««hominum natura fiugeret, ratio subtilior et uti- mêlés qu'il a eus depuis avec ce Père, lui ont donné
»»litas ipsa operis postulavit tu teiuiissimis niinii- sujet d'examiner cette matière avec plus d'attention,
»»tisque ossicnlis caput compingeret. Sed liane uti- et d'en juger plus sévèrement. Cependant je ne suis
»»litatem rei majoris alia quaedam iucoiiinioditas pas tout- à- fait content de la manière dont la chose
»»extrinsecus consecuta est ; ut fieret caput tenuiter est exprimée ici par Mr. Bayle; et je ne suis point
»!Mnunitum et ietibus offensionibusque parvis fra- d'opinion qu'un plan plus composé et moins
»»gile. Proinde morbi quoque et aegritudines par- fécond puisse être plus capable de préve
»9tae sunt, duin salus paritur. Sic, Hercle, inquit, nir les irrégularités. Les règles sont les vo
»»dum virtus hominibns per consilium naturae lontés générales: plus on observe de règles, plus y
»»gignitur, vitia ibidem per affinitatem contrariam a-t-il de régularité; la simplicité et la fécondité
»»nata snnt.« Je ne pense pas qu'un Païen ait sont le but des règles. On m'objectera, qu'un sy
»pu rien dire de plus raisonnable dans l'ignorance stème fort uni sera sans irrégularités. Je réponds,
• où il étoit de la chute du premier homme, chute que ce seroit une irrégularité d'être trop uni, cela
«que nous n'avons pu savoir que par la révélation, choqueroit les règles de l'harmonie. Et citharac-
• et qui est la vraie cause de nos misères: si nous dus ridetur chorda qui sempcr oberrat
•avions plusieurs semblables extraits des Ouvrages eadem. Je crois donc que Dieu peut suivre un plan
-de Clirysippe, ou plutôt si nous avions ses Ouvra- simple, fécond, régulier; mais je ne crois pas que
•ges, nous aurions une idée plus avantageuse que celui qui est le meilleur et le plus régulier soit tou
•nous n'avons de la beauté de son génie. « jours commode en même teins à toutes les Créa
210. Voyons maintenant le revers de la mé tures, et je le juge à posteriori; car celui que
daille dans Mr. Bayle changé. Après avoir rap- Dieu a choisi ne l'est pas. Je l'ai pourtant encore
]K>rté dans sa Réponse aux Questioos d'un Provin montré à priori dans des exemples pris des Ma
cial (chap. 155. pag. 992. T. III.) ces paroles de thématiques, et j'en donnerai un tantôt. Un Origé-
Mr. Jaquelot qui sont fort à mon gré: «Changer niste qui voudra que celles qui sont ratiouelles de
«l'ordre île l'Univers, est quelque chose de plus viennent toutes enfin heureuses, sera encore plus
«haute importance infiniment que la prospérité d'un aisé à contenter. 11 dira, à l'imitation de ce que
«homme de bien. Il ajoute: Cette pensée a quel- dit S. Paul des souffrances de cette vie, que celles
«que chose d'éblouissant: le P. Mallcbranche l'a qui sont finies ne peuvent point entrer en compa
«mise dans le plus beau jour du monde, et il a raison avec un bonheur éternel.
«persuadé à quelques-uns de ses Lecteurs, qu'un 212. Ce qui trompe en cette matière, est, comme
-système simple et très fécond est plus convenable j'ai déjà remarqué , qu'on se trouve porté à croire
• à la sagesse de Dieu qu'un système plus composé que ce qui est le meilleur dans le tout, est le meil
• et nioius fécond à proportion, mais plus capable leur aussi qui soit possible dans chaque partie. On
»Je prévenir les irrégularités. Mr. Bayle a été de raisonne ainsi eu Géométrie, quand il s'agit de
-ceux qui crurent que le P. Mallebranche donnoit maximis et miniinis. Si le chemin d'A à B
570 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
qu'on se propose, est le plus court qu'il est pos c'est démontrer empiriquement la 47. proposition
sible, et si ce chemin passe par C, il faut que le du 1. Livre d'Euclide. Or supposé que quelques unes
chemin d'A à C, partie du premier, soit aussi le de ers pièces prises des deux moindres quarrés se
plus court qu'il est possible. Mais la conséquence perdent, il manquera quelque chose au grand quarré,
do la quantité à la qualité ne va pas toujours qu'on en doit former ; et ce composé défectueux,
bien, non plus que celle qu'on tire des égaux aux bien loiu de plaire, sera d'une laideur choquante.
semblables. Car les égaux sont ceux dont la quau- Et si les pièces qui sont restées, et qui composent
tité est la même, et les semblables sont ceux qui le composé fautif, étoient prises détachées sans au
ne diffèrent point selon les qualités. Feu Mr. Stur- cun égard au grand quarré qu'elles doivent contri
inius, Mathémacien célèbre à Altorf, étant en Hol- buer à former, on les rangerait tout autrement entre
lumle dans sa jeunesse, y fit imprimer un petit Li elles pour faire un composé passable. Mais dès
vre sous le titre d'Euclides Catholicus, où il que les pièces égarées se retrouveront, et qu'où
tâcha de donner des règles exactes et générales dans remplira le vuide. du composé fautif, il en provien
des matières non Mathématiques, encouragé à cela dra une chose belle et régulière, qui est le grand
par feu Mr. Erbartl Weigel, qui avoit été son Pré quarré entier, et ce composé accompli sera bien
cepteur. Dans ce Livre, it transfère aux semblables, plus beau que le composé passable, qui avoit été
ce qu'Euclide avoit dit des égaux , et il forme cet fait des seules pièces qu'on n'avoit point égarées.
axiome: Si similibus addas similia, tota Le composé accompli répond à l'Univers tout en
su nt similia; mais il fallut tant de limitations tier, et le composé fautif qui est une partie de
pour excuser cette règle nouvelle, qu'il auroit été l'accompli, répond à quelque partie du J'Uoi-
mieux, à mou avis, de l'énoncer d'abord avec re vers, où nous trouvons des défauts que. l'Auteur
striction, en disant, Si similibus similia ad de^ choses a soufferts, parce qu'autrement, s'il avoit
das similitcr, tota suut similia. Aussi les voulu réformer cette partie fautive, et eu faire un
Géomètres ont souvent coutume de demander non composé passable, le tout u'auroit pas été si beau;
taiitum similia, sed et similiter posita. car les parties du composé fautif, rangées mieux
213. Cette différence entre la quantité et la qua pour en faire un composé passable, n'auraient pu
lité paraît ici dans notre cas. La partie du plus être employées comme il faut à former le composé
court chemin entre deux extrémités, est aussi le total et parfait. Thomas d'Acqu'm a entrevu ces
plus court chemin entre les extrémités de cette par choses, lorsqu'il a dit: »ad prudcntem gubernato-
tie: mais la partie du meilleur tout n'est pas né »retn pcrliuct, négligera aliquriu defectum bouitatis
cessairement le meilleur qu'où pouvoit faire de cette win parte, ut facial augmeiituui bonitatis in toto.â
partie; puisque la partie d'une belle chose n'est pas (Thom. coutm gent. lib. 2. c. 71.) Thomas Gata-
toujours belle, pouvant être tirée du tout, ou prise kerus, dans ses Notes sur le Livre de Marc AurèJe,
dans le tout, d'une mauièrc irrégulière. Si la bonté (lib. 5. cap. 8. chez M. Bayle) cite aussi des pas
et la beauté consistaient toujours dans quelque chose sages des Auteurs , qui disent que le mal des par
d'absolu et d'uniforme, comme l'étendue, la ma ties est souvent le bien du tout.
tière, l'or, l'eau, et autres corps supposés homo 215. Kevei ions aux instances de M. Bayle, 11
gènes ou similaires; il faudroit dire que la partie se figure un Prince (p. 963.) qui fait bâtir une
du bou et du beau seroit belle et bonne comme le Ville, et qui |-;n un faux goût aime mieux qu'elle
tout, puisqu'elle seroit toujours ressemblante au ait des airs de magnificence , et un caractère hardi
tout: mais il n'en est pas ainsf dans les choses re et singulier d'architecture, que d'y faire trouver aux
latives. Un exemple pris de la Géométrie sera propre hahitaiià toutes sortes de romiiiodités. Mais si ce.
à expliquer ma pensée. Prince a une véritable grandeur d'âme, il préférera
214. Il y a une espèce de Géométrie que M. l'architecture commode à l'architecture magnifique.
Jungius de Hambourg, un des plus excellens hommes C'est ainsi que juge M. Bayle. Je croirais pour
de son teins, appelloit Empirique. Elle se sert tant qu'il y a des cas dans lesquels on préférera
d'expériences démonstratives, et prouve plusieurs avec raison la beauté de la structure d'un Palais,
propositions d'Euclide, mais particulièrement celles à la commodité de quelques domestiques. Mais
qui regardent l'égalité de deux figures, en coupant j'avoue que la structure seroit mauvaise, quelque
Tune en pièces, et en rejoignant ces pièces pour en belle qu'elle pût être, si elle causoit des maladies
faire l'autre. De cette manière, en coupant, comme aux habitans; pourvu qu'il fût possible d'en faire
il faut, en parties les quarrrs des deux côtés du une qui fût meilleure, en considérant la beauté, la
triangle rectangle, et en arrangeant ces parties commodité, et la santé fout ensemble. Car il «
comme il faut, on en fait le quarré do l'hypoténuse; peut qu'on ne puisse point avoir tous ces avantages
LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 57 1
à la fois , et que le Château devant devenir d'une pas pour en recevoir. Melius est'dare qaam
structure insupportable en cas qu'on voulût bâtir accipcro: sa béatitude est toujours parfaite, et
sur le côté septentrional de la montagne qui est ne sauroit recevoir aucun accroissement, ni du de
le plus sain, on aimât mieux le faire regarder le midi. dans ni du dehors.
216. M. Bayle objecte encore, qu'il est vrai que 218. Venons à la principale objection que M.
nos Législateurs ne peuvent jamais inventer des Bayle nous fuit, après M. Arnaud. Elle est coin-1
règlemens qui soient commodes à tous les parti pliquéu: car ils prétendent que Dieu seroit néces
culiers, >Nulla lex smtis commoda omnibus est; id sité, qu'il agiroit nécessairement, s'il étoit obligé
• modo quaeritur, si majori parti et in snminam de créer le meilleur; ou du moins qu'il auroit été
•prodest. (Cato ap. Livium L. 34. circa init.) Mais impuissant, s'il n'avoit pu trouver un meilleur ex
c'est que la limitation de leurs lumières les force à pédient pour exclure les péchés et les autres maux.
s'attacher à des loix, qui tout bien compté sont C'est nier en effet que cet Univers soit le meilleur,
plus utiles que dommageables. Rien de tout cela et que Dieu soit obligé de s'attacher au meilleur.
ne peut convenir à Dieu, qui est aussi infini en Nous y avons assez satisfait en plus d'un endroit :
puissance et en intelligence, qu'en bonté et qu'en nous avons prouvé que Dieu ne peut manquer de
véritable grandeur. Je réponds, que Dieu choisis produire le meilleur; et cela supposé, il s'ensuit
sant le meilleur possible, on ne lui peut objecter que les maux que nous expérimentons ue pouvoicnt
aucune limitation de ses perfections; et dans l'Uni point être raisonnablement exclus de l'Univers,
vers, non seulement le bien surpasse le mal, mais puisqu'ils y sont. Voyous pourtant ce quo ces deux
aussi le mal sert à augmenter le bien. cxcellens hommes nous opposent, ou plutôt voyons
217. Il remarque aussi, que les Stoïciens ont ce que M. Bayle objecte, car il professe d'avoir
tiré une impiété de ce principe, en disant qu'il fal- profité des raisounemens de M. Arnaud.
loit supporter patiemment les maux, vu qu'ils étoient 219. »Seroit-il possible (dit-il, ch. 151. de la
nécessaires, non seulement à la santé et à l'intégrité •Réponse aux Proviuc. T. III. p. 890.) qu'une Na-
de l'Univers, mais encore à la félicité, perfection ••liire dont la bonté, la sainteté, la sagesse, la
et conservation de Dieu qui le gouverne. C'est ce • science, la puissance sont infinies, qui aime la
que l'Empereur Marc Anrèle a exprimé dans le hui •vertu souverainement, comme sou idée claire et
tième chapitre du cinquième Livre de ses Soliloques. •distincte nous le fait connoître, et comme chaque
• Duplici ratione (dit-il) diligas opoitct, quicquid • page presque de l'Ecriture nous l'affirme, n'auroit
• evenerit tibi; altéra quod tibi natum et tibi coor- • pu trouver dans la vertu aucun moyen convenable
• dinatum et ad te quodammodo aflectum est; al- • et proportionné à ses fins? Seroit-il possible que
«tera quod universi Gubernatori prospcritatis et • le vice seul lui eût oHert ce moyen} On auroit
-coiisuiiiinatioiiis atque adeo pcrmansionis ipsius •cru an contraire qu'aucune chose ne convenoit
•procurandae (TIJÇ suodiotç xoel rrjç crwrstueLaç • mieux à cette Nature, que d'établir la vertu dans
»xat TTJIJ onyi/ioa'rjç ax5rr]ç) ex parte causa est.« • son ouvrage à l'exclusion de tout vice.« M. Bayle
Ce précepte n'est pas le plus raisonnable de ceux outre ici les choses. On accorde que quelque vice
de ce grand Empereur. Un, diligas oportct a été lié avec le meilleur plan de l'Univers, mais on
(çéyysiv XP'>Î) ne vaut rien ; une chose ne devient ne lui accorde pas que Dieu n'a pu trouver dans la
point aimable pour être nécessaire, et pour être vertu aucun moyeu proportionné à ses fins. Cette
destinée ou attachée à quelqu'un: et ce qui scroit objection auroit lieu, s'il n'y avoit point de vertu,
nu mal pour moi , ne cesseroit pas de l'être parce si le vice tenoit sa place par -tout. 11 dira, qu'il
qu'il seroit le bien de mon maître , si ce bien ne suffit que le vice règne, et que la vertu est peu de
rejaillit point sur moi. Ce qu'il y a' de bon dans chose en comparaison. Mais je n'ai garde de lui
l'Univers, est entre autres, que le bien général de accorder cela, et je crois qu'effectivement, à le bien
vient effectivement le bien particulier de ceux qui prendre, il y a incomparablement plus de bien mo
aiment l'Auteur do tout bien. Mais l'erreur prin ral, que de mal moral, dans les Créatures raisonnables,
cipale de cet Empereur et des Stoïciens étoit, qu'ils dont nous ne connoissons qu'un très-petit nombre.
s'imaginoient que le bien de l'Univers devoit faire 220. Ce mal n'est pas même si grand dans les
plaisir à Dieu lui-même, parcequ'ils concevoient hommes, qu'on le débite: il n'y a que des gens
Dieu comme l'âme du Monde. Cette erreur n'a rien d'un naturel malin, ou des gens devenus un peu
de commun avec notre dogme: Dieu, selon nous, misanthropes par les malheurs, comme ce Timon
est Intelligentia extramundaua , comme de Lucien, qui trouvent de la méchanceté partout,
Martianus Capella l'appelle, ou plutôt supramun- et qui empoisonnent les meilleures actions par les
» la il a. D'ailleurs, il agit pour faire du bien, et non interprétations qu'ils leur donnent : je parle de ceux
572 LXXIII. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IL
qui le font tout de bon, pour en tirer de mauvaises démonstrations de la Raison, et aux révélations
conséquences, dont leur pratique est infectée; car de la Foi.
il y en a qui ne le font que pour montrer leur pé^ 222. Au reste, nous avons déjà remarqué que
nétration. On a critiqué cela clans Tacite, et c'est l'amour de la vertu et la haine du vice, qui tendent
encore ce que M. Doscartes, (dans une de ses Let indéfiniment à procurer l'existence de la vertu, et
tres) trouve à redire au Livre de M. Hobbes de à empêcher celle du vice, ne sont que la volonté
Cive, dont on n'avoit imprimé alors que peu d'e de procurer la félicité de tons les lu m mus , et d'en
xemplaires pour être distribués aux amis, mais qui empêcher la misère. Et ces «volontés antécédentes
fut augmenté par des remarques de l'Auteur, dans ne font qu'une partie de toutes les volontés antécé
la seconde édition que nous avons. Car quoique dentes de Dieu prises ensemble, dont le résultat
M. Descartes reconnoisse que ce Livre est d'un ha fait la volonté conséquente, ou que le décret de
bile homme, il y remarque des principes et des créer le meilleur : et c'est par ce décret que l'amour
maximes très-dangereuses, en ce qu'on y suppose de la vertu et de la félicité des Créatures raison
tous les hommes médians, ou qu'on leur donne su nables, qui est indéfini de soi, et va aussi loin qu'il
jet do l'être. Feu M. Jacques Thomasius disoit dans se peut, reçoit quelques petites limitations, à cause
ses belles Tables de la Philosophie pratique que le de l'égard qu'il faut avoir au bien en général. C'est
nyûÏTov i^eOrfoç, le principe des erreurs de ce ainsi qu'il faut entendre que Dieu aime souveraine
Livre de M. Hobbes, étoit qu'il prenoit statum ment la vertu et hait souverainement le vice, et
legaleui pro naturali, c'est-à-dire que l'état que néanmoins quelque vice doit être permis.
corrompu lui scrvoit de mesure et de règle, au lieu 223. M. Arnaud et M. Bayle semblent préten
que c'est l'état la plus convenable à la nature hu dre que cette méthode d'expliquer les choses, et
maine, qu'Aristote avoit eu en vue. Car selon Ari- d'établir un meilleur entre tous les plans de
stote, on appelle naturel ce qui est le plus con l'Univers, et qui ne puisse être surpassé par aucun
venable à la perfection de la nature de la chose: antre, borne la puissance de Dieu. -Avez -vous
mais M. Hobbes appelle l'état naturel celui qui bien pensé, dit M. Arnaud au R. P. Mallebranche
a le moins d'art; ne considérant peut-être pas que «(dans ses Réflexions sur le nouveau Système do
la nature humaine dans sa perfection porte l'art • la Nature et de la Grâce, T. II. 385.) qu'en avau-
avec elle. Mais la question do nom, c'est à -dire »çant de telles choses vous entreprenez de renver-
de ce qu'on peut ap|>eller naturel , ne seroit pas de »ser le premier article du Symbole, par lequel nous
grande importance, si Aristote et Hobbes n'y atta- • faisons profession de croire en Dieu le Père tout-
choient la notion.du Droit naturel, chacun suivant » puissant?- II avoit déjà dit auparavant (p. 362.)
sa signification. J'ai dit ci-dessus, que je tronvois • Peut-on prétendre, sans se vouloir aveugler soi-
dans le Livre de la Fausseté des vertus hu •mèrno, qu'une conduite qui n'a pu être sans cette
maines, le même défaut que M. Descartes a trou • suite fâcheuse, qui est que la plupart des hommes
vé dans celui do M. Hobbes de Cive. • se perdent, porte plus le caractère de la bonté
221. Mais supposons que le vice surpasse la vertu •de Dieu, qu'une autre conduite qui avoit été canse,
dans lu Genre-humain , comme l'on suppose que le • si Dieu l'avoit suivie, que tous les hommes se se-
nombre des Réprouvés surpasse celui des Elus; il • roient sauvés 1« Et comme M. Jaquelot ne s'é
ne s'ensuit nullement que le vice et la misère sur loigne point des principes que nous venons de po
passent la vertu et la félicité dans l'Univers; il ser, M. Baylo lui fait des objections semblables
faut plutôt juger tout le contraire, parce que la Cité (Rép. au Provincial, ch. 151. pag. 900. T. ni.)
de Dieu doit être le plus parfait de tous les Etats • Si l'on adopte de tels échùrcissemens , (dit -il) on
possibles, puisqu'il a été formé et est toujours gou • se voit contraint de renoncer aux notions les plus
verné par le plus grand et le meilleur de tous les • évidentes sur la nature de PF,tre souverainement
Monarques. Cette réponse confirme ce que j'ai re • parfait. Elles nous apprennent que toutes les cho-
marqué ci -dessus, en parlant de la conformité de »ses qui n'impliquent point contradiction lui sont
la Foi et de la Liaison; savoir, qu'une des plus • possibles, que par conséquent il lui est possible
grandes sources du paralogisme des objections, est • de sauver des gens qu'il ne sauve pas: car qucUe
qu'on confond l'apparent avec le véritable ; l'appa •contradiction résulterait - il de ce que lo nombre
rent, dis -je, non pas absolument tel qu'il résulte • des Elus seroit plus grand qu'il ne Test? Elles
rait d'une discussion exacte des faits, mais tel qu'il •nous apprennent que puisqu'il est souverainement
a été tiré de la petite étendue de nos expériences; • heureux, il n'a point de volontés qu'il ue puisse
car il seroit déraisonnable de vouloir opposer des ' • exécuter. Le moyen donc de comprendre qu'il ne
apparences si imparfaites et si peu fondées, aux •le puisse! Nous cherchions quelque lumière qni
LXXIII. THEODICEE ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PAllTIE II.
• nous tirât des embarras où nous nous trouvons des perfections divines , et sur - tout de la sagesse
«en comparant l'idée de Dieu avec l'état du Genre- et de la bonté de Dieu, que ne sauroient avoir ceux
»humain , et voilà que l'on nous dorme des éclair- qui fout agir Dieu comme an hazard, sans sujet 'dt
• cissemcns qui nous jettent dans des ténèbres plus sans raison. Et je ne vois pas comment ils pour-
>épaisscs.« roient éviter «u sentiment si étrange, à moins qu'ils
224. Toutes ces oppositions s'évanouissent par ne reconnussent qu'il y a des raisons du choix dé
l'exposition que nous venons de donner. Je demeure Dieu, et que ces raisons sont tirées de sa bonté:
d'accord du principe de M. Bayle , et c'est aussi le d'où il suit nécessairement que ce qui a été choisi
•mien , que tout ce qui n'implique point do contra a eu l'avantage de la bonté sur ce qui n'a point été
diction est possible. Mais selon nous, qui soute choisi, et par conséquent qu'il est le meilleur de
nons que Dieu a fait le meilleur qu'il étoit possible tous les possibles. Le meilleur ne sauroit être sur
île faire, on qn'il ne pouvoit point mieux faire qu'il passé en bonté, et on ne limite point la puissance
n'a fait ; et qui jugeons que d'avoir un autre senti de Dieu, en disant qui ne sauroit faire l'impossible.
ment de son ouvrage total , seroit blesser sa bonté Est -il possible, disoit Mr. Bayle, qu'il n'y ait point
ou sa sagesse; il faut dire qnll implique contra de meilleur plan que celui que Dieu a exécuté? Oh
diction de faire quelque chose qui surpasse en bonté répond que cela est très possible et même néces^
le meilleur même. Ce seroit comme si quelqu'un saire, savoir qu'il n'y en ait point: autrement Dieu
prétendoit que Dieu pût mener d'un point à un Tauroit préféré.
autre une ligne plus courte que la ligne droite; et 227. Nous avons assez établi, ce somble, qu'en
accusoit ceux qui le nient, de renverser l'Article tre tous les plans possibles de l'Univers îl y en a
de la Foi , suivant lequel nous croyons en Dieu le un meilleur que tous les autres, et que Dieu n'a
Père tout-puissant. point manqué de le choisir. Mais Mr. Bayte pré
225. L'infinité des possibles, quelque grande tend en inférer qu'il n'est donc point libre. Voici
qu'elle soit, ne l'est pas plus que celle de la sagesse comment il en parle: (ubi supra, ch. 151. p. 899.)
de Dieu, qui commit tous les possibles. Ou peut • On eroyoit disputer avec un homme qui supposât
même dire que si cette sagesse ne surpasse point «avec nous que la bonté et que la puissance de Dieu
les possibles extensivement , puisque les objets de •sont infinies, aussi -bien que sa sagesse; et foii
rcntendemeut ne sauroient aller au delà du possible, «voit qu'à proprement parler cet homme suppose
qui en un sens est seul intelligible, elle les surpasse •que la bouté et que la puissance de Dieu sont ren-
intensivement, à cause des combinaisons infiniment • fermées dans des bornes assez étroites.» Quant,
infinies qu'elle en fait, et d'autant de réflexions à cela, on y a déjà satisfait: l'on ne donne point
qu'elle fait là-dessus. La sagesse de Dieu, non con de bornes à la puissance de DieUj puisqu'on re-
tente d'embrrasser tous les possibles, les pénètre, connoît qu'elle s'étend a d maximum, ad oui ni a,
les compare, les pèse les uns contre les autres, pour à tout ce qui n'implique aucune contradiction: et
ci» estimer les degrés de perfection ou d'imperfec l'on n'en donne point à sa bonté, puisqu'elle va ad
tion, le fort et le foible, le bien et le mal: elle va meilleur, ad optimum. Mais Mr. Bayle poursuit:
même au-delà des combinaisons finies, elle en fait • 11 n'y a donc aucune liberté en Dieu, il est né
une infinité d'infinies, c'est-à-dire une infinité de cessité par sa sagesse à créer, et puis à créer pré-
suites possibles de l'Univers, dont chacune con «cisément un tel ouvrage, et enfin à le créer préci-
tient une infinité de Créatures; et par ce moyen » sèment par telles voies. Ce sont trois servitudes
la Sagesse divine distribue tous les possibles qu'elle -qui forment un fatum plus que Stoïcien, et qui
avoit déjà envisagea à part , en autant de systèmes •rendent impossible tout ce qui n'est pas dans leur
universels, qu'elle compare encore entre eux: et le • sphère. 11 semble que, selon ce système, Dieil
résultat de toutes ces comparaisons et réflexions, • auroit pu dire, avant même que de former ces clé-
est le choix du meilleur d'entre tous ces systèmes • crets: Je ne puis sauver un tel homme, ni dam-
possibles, que la sagesse fait pour satisfaire pleine »ner un tel autre,» qoippe vetorfatis, -ma sagesse
ment à la bonté ; ce qui est justement , le plan de • ne le permet pas. «
rUnivers actuel. Et toutes ces opérations de l'en 228. Je réponds, que c'est la bonté qtil porte
tendement divin , quoiqu'elles aient entre elles un Dieu à créer, afin de se commufaiquer; et cette même
ordre et une priorité de nature, se font toujours bonté jointe à la sagesse le porte à créer le meil
ensemble j sans qn'il y ait entre elles aucune prio leur: cela comprend toute la suite, l'ëftet tel les1
rité de terns. voies. Elle l'y porte sans le nécessiter, car elle né
226. En considérant attentivement ces choses, rend point impossible ce qu'elle ne fait point choi
j'espère qu'on aura une autre Idée de la grandeur sir. Appeller cela fatum, c'est le prendre dans
73
574 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
un bon sens , qui n'est point contraire à la liberté : même le meilleur, l'incline à agir; mais il ne le né
Fatum vient do fari, parler, prononcer; il si cessite pas: car son choix ne rend point impossible
gnifie un jugement, un décret de Dieu, l'arrêt de sa ce qui est distinct du meilleur; il ne fait point que
sagesse. Dire qu'on ne peut pas faire nue ce que Dieu omet implique contradiction. Il y a
chose, seulement parce q^Ton ne le vent donc en Dieu une liberté, exempte non seulement
.pas, c'est abuser des termes. Le Sage ne veut que de la contrainte, mais encore do la nécessité. Je
le bon: est -ce donc une servitude, quand la volonté l'entends de la nécessité métaphysique; car c'est une
agit suivant la sagesse? Et peut -on être moins nécessité morale, que lu plus sage soit obligé de
esclave, que d'agir |xir son propre choix suivant la choisir le meilleur. Il en est de même des moyens
plus parfaite raison! Aristote disoit, que celui-là que Dieu choisit pour parvenir à sa gloire. Pour
est dans une servitude naturelle (uatnra servus) ce qui est du vice , l'on a montré ci - dessus qu'il
qui manque de conduite, qui a besoin d'être gou n'est pas un objet du décret de Dieu, comme mo
verné. L'esclavage vient de dehors, il porte à ce yen, mais comme condition sine qua non; et
qui déplait, et sur -tout à ce qui déplait avec rai que c'est pour cela qu'il est seulement permis. On
son : la force d'autrni et nos propres passions nous a encore moins de droit de dire que le vice est le
rendent esclaves. Dieu n'est jamais mû par aucune seul moyen; il scroit tout-au-plus un des mo
chose qui soit hors de lui, il n'est point sujet non yens, niais un des moindres parmi une infinité
pli M aux passions internes, et il n'est jamais mené d'autres.
à rien qui lui puisse faire déplaisir. Il paroit donc 231. » Autre conséquence affreuse ( poursuit Mr.
que Mr. Rayle donne des noms odieux aux meil Baylc:), «la fatalité de toutes choses revient: il
leures choses du monde, et renverse les notions, • n'aura pas été libre à Dieu d'arranger d'une autre
en appellant esclavage l'état de la plus grande et • manière les événemcns, puisque le moyen qn'il a
de la plus parfaite liberté. •choisi de manifester sa gloire étoit le seul qni fût
229. Il avoit encore dit un peu auparavant • convenable à sa sagesse.» Cette prétendue fatalité
(ch. 151. p. 891.) >Si la vertu, on quelque autre ou nécessité n'est que morale, comme nous venons
• bien que ce soit, avoicut eu autant de convenance de montrer: elle, n'intéresse point la liberté; nu con
•que le vice avec les fins du Créateur, le vice n'au- traire, elle en suppose le meilleur usage: elle ne
• roit pas eu la préférence; il faut donc qu'il ait été fait point que les objets que Dieu ne choisit pas
• l'unique moyen dont le Créateur ait pu se servir; soient impossibles. »Qne deviendra donc- (ajoute-
• il a donc été employé par pure nécessité. Connue t-il) »le franc-arbitre de l'homme! n'y aura-t-il
•donc il aime sa gloire, non pas par une. liberté -pas eu nécessité et fatalité qu'Adam pédiâti Car
• d'indifférence, mais nécessairement, il faut qu'il • s'il n'eût point péché, il eût renversé le plan unique
•aime nécessairement tous les moyens sans lesquels • que Dieu s'étoit fait nécessairement» C'est encore
• il ne pourrait point manifester sa gloire. Or si le abuser des termes. Adam |>échant librement étoit
• vice, entant que vice, a été le seul moyen de par- vu de Dieu parmi les idées des possibles, et Dieu
• venir à ce but, il s'ensuivra que Dieu aime néces- décerna de l'admettre à l'existence tel qu'il l'a vu:
•saircment le vice, entant que vice; à quoi l'on ne ce décret ne change point la nature des objets: il
»jient songer sans horreur, et il nous a révélé tout ne rend point nécessaire ce qui étoit contingent en
• le contraire.- Il remarque en même teins, que soi, ni impossible eu qui étoit possible.
certains Docteurs Supralapsaires (comme Retorfort, 232. Mr. Bayle poursuit (p. 892.): -Le sob-
par exemple) ont nié que Dieu vent le péché, en • til Scot aniline avec beaucoup de jugement, que
tant que péché, pendant qu'ils ont avoué qu'il veut •si Dieu n'avoit point de liberté d'indifférence, au-
permissivement le péché, entant que punissable et • cune Créature ne pourroit avoir cette espèce, de
pardonnable; mais il leur objecte qu'une action n'est • liberté.» J'en demeure d'accord, pourvu qu'on
punissable et pardonnable, qu'entant quelle est vi n'entende point une indifférence d'équilibre, où il
cieuse. n'y ait aucune raison qui incline d'un côté plus que
230. Mr. Baylc suppose faux dans les p.- noies de l'autre Mr. Bayle reconnoit (plus bas au cliap.
que nous venons de lire, et en tire de fausses con 168. p. 1111.) que ce qu'on appelle indiffé
séquences. Il n'est point vrai, que Dieu aime sa rence, n'exclut point les inclinations et les plai
gloire nécessairement, si l'on entend par -là qu'il sirs préveuans. Il suffit donc qu'il n'y ait point de
est porté nécessairement à se procurer sa gloire par nécessité métaphysique dans l'action qu'on appelle
les Créatures. Car si cela étoit, il se procureroit libre, c'est-à-dire, il suffit qu'on choisisse entre
cette gloire toujcurs et par- tout. Le décret de créer ! plusieurs partis possibles.
est libre: Dieu est pjrté à tout bien; le bien; et I 233. 11 poursuit encore (au dit ch. 157. pag.
LXX11I. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 575
893.): »Si Dieu n'est point déterminé à créer le a bien îles choses qui no sont jamais arrivées et
-Monde par un inouvotucut libre de su bonté, niais n'arriveront jamais , et qui cependant sont conce
•par les intérêts de sa gloire, qu'il aime nécessai- vables distinctement, et n'impliquent aucuuc con
» rement, et qui est la seule chose qu'il arme, car tradiction; comment peut -ou dire qu'elles s'ont ab
•elle n'est point différente de sa substance: et si solument impossibles ! Mr. Bayle a réfuté cela lui-
• l'amour qu'il a pour lui - même l'a nécessité à ma- même dans un endroit opposé aux Spiuosistcs quo
• nifestcr sa gloire par le moyen le plus convenable, nous avons cité ci -dessus, et il a reconnu plusieuis
•et si la chute de l'homme a été ce moyen -là; il fois qu'il n'y a d'impossible que ce qui implique con
-est évident que cette chute est arrivée de toute né- tradiction: maintenant il change de stylo et de
•cessité, et que l'obéissance d'Eve et Adam aux termes.) -Donc la i>ersévéraiice d'Adam dans l'in-
"ordres de Dieu étoit impossible.- Toujours le • uocence a été toujours impossible; tîonc sa chute
même abus. L'amour que Dieu se porte lui est es • étoit absolument inévitable, et autécédeminent
sentiel, mais l'amour de sa gloire, ou la volonté • même au décret de Dieu, car il impliquerait con-
de la procurer, ne l'est nullement: l'amour qu'il a • tradictiou que Dieu pût vouloir une chose opposée
pour lui-même ne l'a point nécessité aux actions • à sa sagesse: c'est au fond la même chose de dire,
au dehors, elles ont été libres; et puisqu'il y avoit • cela est impossible à Dieu, et do dire, Dieu le
des plans possible, où les premiers pareils ne pé- • pourroit faire, s'il vouloit, mais il ne peut pas le
cheroieut point, leur péché u'ctoit donc point né • vouloir.» (C'est abuser des termes en un sens,
cessaire. Enfin, nous disons en cflet ce que Mr. que de dire ici, on peut vouloir, on veut vouloir:'
Bayle reconnoit ici, que Dieu s'est déterminé lapuissancese rapporte ici aux actions que l'on veut.
à créer le Monde par un mouvement libre ( vprmlant il n'implique point contradiction que Dieu
de sa bonté; et nous ajoutons, que ce même mou veuille (directement ou permissivement ) une chose
vement l'a porté au meilleur. ! qui n'implique point, et dans ce sens il est permis
234. La même réponse a lieu contre ce que Mr. de dire que Dieu ]>eut la vouloir).
Bayle dit (cli. 105. p. 1071.): » Le moyen le plus 235. Eu un mot, quand on parle de la possi
-propre pour parvenir à une fin, est nécessairement bilité d'une chose, il ne s'agit pas des causes qui
»unique« (c'est fort bien dit, au moins dans les cas doivent faire ou enijiêcher qu'elle existe actuelle-'
où Dieu a choisi): -Donc si Dieu a été porté iu- ment: autrement on changerait la nature des termes,
» vincibleuient à se servir de ce moyen, il s'en est et on rendrait inutile la distinction cotre le possible
• servi nécessairement. « ( II y a été |K>rté certaine et l'actuel; comme faisoit A bai lard, et comme Wi-
ment, il y a été déterminé, ou plutôt il s-'y est dé clef paroit avoir fait après lui, ce qui les a fait tom
terminé: mais ce qui est certain n'est pas toujouis ber sans aucun besoin dans des expressions incom
nécessaire, ou absolument invincible; la chose pou- modes et choquantes. C'est pourquoi, lorsqu'on de
voit aller autrement, mais cela n'est point arrivé, mande si une chose est possible ou nécessaire, et'
et pour cause. Dieu a choisi entre de différons par qu'on y fait entrer la considération de ce que Dieu
tis tons possibles: ainsi métaphysiqiiement parlant, veut ou choisit, on change de question. Car Dieu
il pouvoit choisir ou faire co qui ne fût point le choisit parmi les possibles, et c'est pour cela qu'il
meilleur; mais il ne le pouvoit point moralement choisit librement, et qu'il n'est point nécessité: il
parlant. Servons - nous d'une coiui>araisoii de Géo n'y aurait point de choix ni de liberté, s'il n'y avoit '
métrie. Le meilleur chemin d'un point à un autre qu'un seul parti possible.
( faisant abstraction des. empècliemens, et autres 236. 11 faut encore répondre aux syllogismes
considérations accidentelles du milieu) est unique; de Mr. Bayle, alin de ne rien négliger, de ce qu'un
c'est celui qui va par hi ligue la plus courte, qui si habile homme a opposé: ils se trouvent au cbap.
est la droite. Cependant il y a une infinité de che 151. de 'sa Réponse aux Questions d'un Provincial,
mins d'un point à uu autre. Il n'y a donc point p. 900. UOl.Toiu. 3.
de nécessité qui m'oblige d'aller par la ligne droite;
mais aussitôt que je choisis le meilleur, je suis dé
terminé à y aller , quoique ce ne soit qu'une néces PREMIER SYLLOGISME.
sité morale dans le Sage; c'est pourquoi les consé
quences suivantes tombent) -Donc il n'a pu faire • Dieu ne i>eut rien vouloir, qui soit opposé à
• que ce qu'il a fait. Donc ce qui n'est point arrivé • l'amour nécesssairc qu'il a pour sa sagesse.»
»ou n'arrivera jamais, est absolument impossible:* • Or le salut de tons les hommes est opposé à l'a
(ces conséquences toiubent, dis -je: car puisqu'il y -mour nécessaire que Dieu a pour sa sagesse."
73*
576 LXXIH. THËODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II.
• Donc Dieu ne peut vouloir le salut de tous les ..(V| H 'ml; int Dieu étant bon, voire la bouté même,
«hommes.» • il a créé riiomme bon et juste, mais inpable, et
La i.ujnnv est évidente par elle même; car on • qui peut pécher de sa franche volonté. L'homme
»c peut rien , dont l'oppose soit nécessaire. Mais •n'est point chu à la volée ou témérairement, ni
ou ne peut point laisser passée la mineure; car «par tes causes ordonnées par quelque autre Dira,
quoique Dieu aime nécessairement sa sagesse, les «selon les Manichéens, mais par la providence de
Actions, où, sa. sagesse le porte ne laissent pas d'être •Dieu; toutefois de telle sorte que Dieu ne fut |>oiiit
libres, et les objets où sa sagesse ne le porto point •envoloppé dans la faute: par autant que l'homme
ne cesscn^ point d'être possibles. Outre que sa sa •n'a point été contraint de pécher.»
gesse Ta porté à vouloir le salut de tous les hommes, 239. Ce système n'est pas des mieux imaginés:
mais non, pas d?une volonté conséquente et décré- il n'est pas fort propre à faire voir la Sagesse, la
tpire. Et cette volonté conséquente n'étant qu'un Bonté et la Justice de Dieu ; et heureusement il est
résnltaj. des yolpptés libres antécédentes, ne peut presque abandonné aujourd'hui. S'il n'y avoit point
UIUHMUIT d'être libre aussi. d'autres raisons plus profondes, capables de porter
Dieu à la permission de la coulpe, source de la mi
SECOND SYLLOGISME. sère, il n'y auroit ni coulpc, ni misère dans le
inonde, car celles qu'on allègue ici ne suffisent point.
»L'ouvr,age le, plus digno de la sagesse de Dieu Il déclareroit mieux sa miséricorde en empêchant
«comprend entpe .autres choses le j)éché de tous les la misère, et il déclareroit mienx sa justice en ein-
•honiines, et la damnation éternelle de la plus grande pêdiant la coulpe, en avançant la vertu, en la ré
«partie des hommes.» compensant. L'on ne voit pas aussi comment celui
-Or Dieu veut nécessairementToovrage le plus qui non seulement fait qu'un homme puisse tomber,
• digne de sa sagesse.» mais qui dispose les circonstances en sorte qu'elles
•Il vent donc nécessairement l'ouvrage qui com- contribuent à le faire tomber, n'en soit point cou
».prend entre autres le péché de tous les hommes, pable, s'il n'y a d'autres raisons qui l'y obligent.
».et la damnation éternelle de la plus grande partie Mais lorsqu'on considère que Dieu, parfaitement
«.des hommes.» bon et sage, doit avoir produit toute la vertu,
Passe pour la majeure, mais on nie la mineure. bonté, félicité, dont le meilleur plan île l'Univers
Les décrets de Dieu sont toujours libres, quoique est capable; et que souvent un mal dans quelques
Dieu y soit toujours porté par des raisons qui con parties peut servir à un plus grand bien du tout;
sistent dans la vue du bien : car être nécessité mo l'on juge aisément que Dieu peut avoir donné place
ralement par la sagesse, être obligé par la considé à Hufélicité, et permis même la coulpe, comme il
ration,, du bien, c'est être libre, c'est n'être point a fait, sans en pouvoir être blùmé. C'est l'unique
nécessité inétaphysiquement. Et la nécessité méta remède qui remplit ce qui manque à tous les Sy
physique seule, comme nous ayons remarqué tant stèmes, de quelque manière qu'on range les décrets.
de fois est opposée à la liberté. S. Augustin a déjà favorisé ces pensées, et l'on peut
238. Je n'examine point les syllogismes que Mr. dire d'Eve ce que lu Poète dit de la main de Mutius
Baylc objecte dans le chapitre suivant (ch. 152.) Scacvola :
contre le système des Supralapsaires , et particuliè Si non crasset, fecerat illn minus.
rement contre le Discours que Théodore de Bèze fit 240. Je trouve que le célèbre Prélat Anglois,
dans le Colloque de Montbelliard , l'an 1586. Ces qui a fait un Livre ingénieux de l'origine du mal,
syllogismes ont presque le même défaut qne ceux dont quelques passages ont été combattus par Mr.
que nous venons d'examiner; mais j'avoue que le Baylc dans le second Tome de sa Réponse aux Que
système même de Bèze ne satisfait point. Ce Col stions d'un Provincial , quoiqu'il semble éloipikj de
loque aussi ne servit qu'à augmenter les aigreurs quelques-uns des scntimcus que j'ai soutenus ici,
des partis. »Dieu a créé le Monde à sa gloire; sa et paroisse recourir quelquefois à uu pouvoir iles\>o-
•gloire n'est connue (selon Bèze) si sa miséricorde tiquc , comme si la volonté de Dieu ne suivoit pas
• et sa justice n'est, déclarée: pour cette cause il a les règles de la sagesse à l'égard du bien ou du mal,
• déclaré aucuns certains hommes de pure grâce à mais décernoit arbitrairement qu'une telle ou telle
• vie éternelle, et aucuns par juste jugement à dam- chose doit passer pour bonne ou mauvaise: et comme
» nation éternelle. La miséricorde présuppose la si même la volonté de la Créature, entant que libre,
•misère, la justice présuppose la coulpc (il pouvoit ne choisissoit pas, parce que l'objet lui paroit bou,
ajouter qu'encore la misère suppose la coulpc). mais par uue détcnnination purement arbitraire,
LXX1U. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IL 577
indépendante de la représentation do l'objet; cet ment sago et libre a choisi, est meilleur
Evoque, dis -je, ue laisse pas de dire eu d'autres que ce qu'elle n'a point choisi. N'est-ce pas
endroits des choses qui semblent plus favorables à reconnoître que la bouté est l'objet et la raison de;
nia doctrine qu'à eu qui y paroit contraire dans la son choix! Dans ce sens ou dira fort bien ici:
sienne. IL dit que ce qu'une cause infini Sic placuit Superis; quaurere plura uefas.
ESSAIS
SUR
24 L. Nous voilà débarrassés enfin de la cause 242. On ne doit point s'étonner que je tâche-
morale du mal moral: le mal physique, c'est-à- d'éclairai- ces choses par des comparaisons prises
dire les souffrances, les misères, nous embarrasse des Mathématiques pures, où tout va dans l'ordre,
ront moins, étant des suites du mal moral. Poeua et où il y a moyen de les démêler par une médita
est maluin passiouis, qnod iufligitur ob tion exacte, qui nous fait jouir, pour ainsi dire, do
m al uni actionis, suivant Grotius, L'on pâtit, la vue des idées de Dieu. On peut proposer une
parce qu'on a agi; Ton souffre du mal, parce qu'on suite ou séries de nombres tout- à -fait irrégulière
fait mal: en apparence, où les nombres croissent et diminuent
Nostrorum causa malorum variablemeut sans qu'il y paroisse aucun ordre; et,
Nos sunius. cependant celui qui saura la clef du chifre, et qui
Il est vrai qu'on souffre souvent pour les mau entendra l'origine et la construction de cette suite
vaises actions d'autrui; mais lorsqu'on n'a point de de nombres, pourra donner une règle, laquelle étant
part au crime, l'on doit tenir pour certain que ces bien entendue, fera voir que la séries est tont-à-
souffrances nous préparent un plus grand bonheur. fait régulière, et 'qu'elle a même de belles proprié
La question du mal physique, cost-à-dire, de tés. Ou le peut rendre encore plus sensible dans les
1 origine îles souffrances, a des difficultés communes lignes: une ligne peut avoir des tours et des retours,
avec celle de l'origine du mal métaphysique, des hauts et des bas, des points de rebroussement
dont les monstres et les autres irrégularités appa et des points d'inflexion, des interruptions, et d'aut
rentes de l'Univers fournissent des exemples. Mais très variétés, de telle sorte qu'on n'y voie ni rime,
il faut juger qu'encore les souffrances et les mon ni raison, sur tout en ne considérant qu'une partie
stres sont dans l'ordre; et il est bon de considérer de la ligne ; et cependant il se peut qu'on eu puisse
non seulement qu'il valoit mieux admettre ces dé donner l'équation et la construction, dans laquelle
fauts et ces monstres, que de violer les Loix géné un Géomètre trouveroit la raison et la convenance
rales, comme raisonne quelquefois le R. P. Malle- de toutes ces prétendues inégularités: et voilà com
branche; mais aussi que ces monstres mêmes sont ment il faut encore juger de celles des monstres, et'
dans les règles, et se trouvent conformes à des vo d'autres prétendus défauts dans l'Univers.
lontés générales, quoique nous ue soyons point ça- 243. C'est dan» ce sens qu'on peut employer)
pitlilrs île démêler cette conformité. C'est comme ce beau mot de S. Deruard (Ep, 276. ad Bagen.
il y a quelquefois des apparences d'irrégularité dans III.): Ordinatissimum est, minus inter-
les Mathématiques, qui se terminent enfin dans un iluni ordinatc fieri aliqnid: II est dans le
grand ordre, quand on a achevé de les approfon grand ordre, qu'il y ait quelque petit. désordre; et
dir: c'est pourquoi j'ai déjà remarqué ci-dessus, l'on peut même dire que ce petit désordre n'est
que dans mes principes tous les événemcns indivi qu'apparent dans le tout, et il n'est |>as même ap
duels, sans exception, sont des suites des volontés parent par rapport à la félicité de ceux qui .se met
tent dans la voie de l'ordre.
578 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
244. Eu parlant des monstres, j'entens encore de demander à ceux qui voudraient que tout fût
quantité d'autres défauts appareils. Nous ue con- également parfait, pourquoi les rochers ne sont pas
noissons presque que la superficie de notre Globe, couronnés de feuilles et de Heurs ( pourquoi les
nous ne pénétrous guères dans son intérieur, au- fourmis ne sont pas des paons '. Et s'il falloit de
delà de quelques centaines de toises: ce que nous l'égalité par -tout, le pauvre présenterait requête
trouvons dans cette écorce du Globe, paroit l'effet contre le riche, le valet contre le maître. Il ne faut
de quelques grands boulcverseinens. Il semble que pas qne les tuyaux d'un jeu d'orgues soient égaux.
ce Globe a été un jour en feu, et que les rochers Mr. Bayle dira, qu'il y a de la différence entre une
qui font la base de cette écorce de la terre, sont privation du bien, et un désordre; entre un dés
des scories restées d'une.1 grande fusion : ou trouve ordre dans les choses inanimées, qui est purement
dans leurs entrailles des productions de métaux et métaphysique, et un désordre dans les créatures
de minéraux, qui ressemblent fort à celles qui vien raisonnables, qui consiste dans le crime et dans les
nent de nos fourneaux : et la mer toute entière peut souffrances. Il a raison de les distinguer, et nous
être une espèce d'oleum per de) i qui uni, comme avons raison do les joindre ensemble. Dieu ne
Tbuilc de Tartre se fait dans un lien humide. Car néglige point les choses inanimées; ri 1rs sont in
lorsque la surface de la terre s'étoit refroidie après sensibles, mais Dieu est sensible pour elles. 11 ne
le grand incendie, l'humidité que le feu avoit pous néglige point les animaux ; ils n'ont point d'intelli
sée dans l'air , est retombée sur la terre, vu a lavé gence, mais Dieu ou a pour eux. 11 se rcproche-
la surface, et a dissout et imbibé le sel fixe resté roit le moindre défaut véritable qui seroit dausTUni-
dans les cendres, et a rempli enfin cette grande ca vers, quand même il ne seroit appen;u de JKT-
vité de la surface de notre Globe pour faire l'Océan sonue.
plein d'une eau salée. 247. 11 semble que Mr. Bayle n'approuve point
245. Mais après le feu, il faut juger que la quo les désordres qui i»uveut être dans les choses
terre et l'eau n'ont pas moins fait de ravages, l'eut- inanimées, entrent en comparaison avec ceux qui
êtrc que la croûte formée par le refroidissement, troublent la paix et la félicité dos créatures raison
qui avoit sous elle de grandes cavités, est tombée, nables; ni qu'on fonde en partie la permi.ssion du
du sorte que nous n'habitons que sur des ruines, vice sur le soin d'éviter le dérangement des loix
connue entre autres Mr. Thomas Buruet, Chapelain des mouveinens. On en [lourroit conclure, selon
du feu Roi de la Grande Bretagne, a fort bien re lui (Uépousu posthume à Mr. Juquclot, p. 183.),
marqué; et plusieurs déluges et inondations ont «que Dieu n'a créé le Monde que pour faire voir
laissé des sédimcns, dont on trouve des traces et j »sa science iutinie de l'Architecture et de la Me-
des restes, qui font voir que la mer a été dans les • canique, sans qno son attribut de bon et d'ami de
lieux, qui eu sont les plus éloignés aujourd'hui. ••la Vertu ayeut en aucune part à la construction
Mais ces boulcverseuieus ont enfin cessé, et lu Globe •de ce grand Ouvrage. Ce Dieu ne se piqueroU
a pris la forme que nous voyons. Moïse insinue • que du science; il ai un mît mieux laisser périr
ces mai ii 1s changemcns en peu do mots: la sépara -tout le Genre humain, quo de souffrir que qucl-
tion de la lumière et des ténèbres indique lu fusion j »qucs atomes aillent pins vite ou plus lentement
causée par le feu ; et la séparation do l'humide et «que les loix générales ne le demandent.» Mr.
du sec marque les effets des inondations. Mais Bayle u'auroit point fait cette opposition, s'il avoit
qui ue voit que ces désordres ont servi à mener les été informé du système de l'harmonie générale que
choses au point où elles se trouvent présentement, je conçois, et qui porte que le règne des causes
que nous leur devons nos richesses et nos commo efficientes, et celui des causes filiales, sont parallè
dités, et que c'est par leur moyen que ce Globe est les entre eux ; que Dieu n'a pas moins la qualité
devenu propre à être cultivé par nos soins ï Ces du meilleur Monarque, que celle du plus grand
désordres sont allés dans l'ordre. Les désordres, vrais Architecte; que la matière est disjwsée eu sorte
ou appareils, que nous voyous de;loin, sont les tâches que les loix du mouvement servent au meilleur
du Soleil et -les Comètes : mais nous ne savons pas gouvernement des esprits; et qu'il se trouvera par
les usages qu'elles apportent, ni ce qu'il y a de ré conséquent qu'il a obtenu le plus de bien qu'il est
glé. Il y a eu un tems que les Planètes passoient possible, pourvu qu'on compte les biens métaphysi
pour des Etoiles errantes, maintenant leur mouve ques, physiques et moraux ensemble.
ment so trouve régulier: peut-être qu'il en est de 248. Mais (dira Mr. Baylo) Dieu pouvant dé
même des Comètes; la Postérité le saura. tourner une infinité de maux par un |>etit miracle,
246. On ne compte point parmi les désordres pourquoi ne l'employoit-il pus! il donne tant de
l'illégalité des condition», et Mr. Jaquelot a raisou secours extraordinaires aux hommes tombes $ m,»-
LXXTII. TI1EODICEK. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 579
nn petit secoure de cette nature donné h Eve em- qu'il croit que les bêtes n'ont point de sentiment :
pêchoit sa chute, et rendoit la tcntntion du serpent et c'est par l'injustice qu'il y auroit dans les souf
inefficace. Nous avons assez satisfait à ces sortes frances des bêtes, qne plusieurs Cartésiens ont voulu
d'objections par cette réponse générale, que Dieu prouver qu'elles ne sont que des machines, quo-
ne devoit point faire choix d'un autre Univers, puis niam sub Deo justo uerao innocens miser
qu'il en a choisi le meilleur, et n'a employé que est: il est impossible qu'un innocent soit misé
les miracles qui y étoient nécessaires. On lui avoit rable sous un maître tel que Dieu. Le principe est
répondu, que les miracles changent l'ordre naturel bon, mais je ne crois pas qu'on en puisse inférer
clé l'Univers: il réplique, que c'est nue illusion, et que les bêtes n'ont point de sentiment, parce que je
que le miracle des noces de Cana (par exemple) ne crois, qu'à proprement parler, la perception ne
fit point d'autre changement dans l'air de la cham suffit pas ]K>ur causer la misère, si elle n'est jws
bre, sinon qu'an lieu de recevoir dans ses pores accompagnée do réflexion. II en est de même de la
quelques corpuscules d'eau , il recevoit des corpus félicité: sans la réflexion, il n'y en a poiut.
cules de vin. Mais il faut considérer que le meil O foriunatns nirnium, sua qui bona norint!
leur plan des choses étant une fois choisi, rien n'y L'on ne saurait douter raisonnablement qu'il n'y
peut être changé. ait de la douleur dans les animaux; mais il paroit
249. Quant aux miracles (dont nous a'vons que leurs plaisirs et leurs douleurs ne sont pas aussi
déjà dit quelque chose ci -dessus) ils ne sont pas vifs que dans l'homme: car ne faisant point de ré
tous peut-être d'une même sorte: il y en a beau flexion, ils ne sont point susceptibles ni du chagrin
coup apparemment que Dieu procure par le mini- i qui accompagne la douleur , ni de la joie qui ac
stère de quelques substances invisibles, telles que compagne le plaisir. Les hommes sont quelquefois
les Anges, comme le R. P. Mallebranche le tient j dans un état qui les approche des bêtes, et où ils
aussi ; et ces Anges ou ces substances agissent se- ; agissent presque par le seul instinct, et par les seu
Ion les lois ordinaires do leur nature, étant jointes j les impressions des ex|x-riences .sensuelles: et dans
à des corps plus subtils et plus vigoureux que ceux cet état, leurs plaisirs et leurs douleurs sont fort
qne nous pouvons manier. Et de tels miracles ne minces.
le sont que comparativement, et par rapport à nous ; 251. Mais laissons là les bêtes, et revenons
comme nos ouvrages passeroient pour miraculeux aux créatures raisonnables. C'est par rapjx>rt à
auprès dt'S animaux, s'ils étoient capables de faire elles que Mr. Bayle agite cette, Question; s'il y a
Jours remarques là-dessus. Le changement de l'eau plus de mal physique, que île bien physique, dans
en vin pourrait être nn miracle de cette espèce. le monde? Rép. aux Questions d'un Provinc. ch. 75.
Mais la création, l'incarnation, et quelques autres Tom. 2. Pour la bien décider, il faut expliquer en
actions tic Dieu passent toute la force! des créatures, quoi ces biens et ces maux consisteut. Nous con
et sont véritablement des miracles,' ou même des venons que le mal physique n'est autre chose que
mystères. Cependant si le changement de l'eau eh le déplaisir, et je comprens là - dessous la douleur,
vin à Cana étoit un miracle du premier rang, Dieu le chagrin, et tonte autre sorte d'incommodité. Mais
auroit changé par-là tout le cours de l'Univers, à le bien physique consiste -t- il uniquement dans le
cause de la connexion des corps; ou bien il auroit plaisir! Mr. Bayle paroit être dans ce sentiment;
été obligé d'empêcher encore miraculeusement cette mais je suis d'opinion qu'il consiste encore dans un
connexion, et de faire agir les corps non intéressés état moyen, tel qne celui de la santé. L'on est
dans le miracle, comme s'il n'en étoit arrivé aucun; assey. bien, quand on n'a point de mal : c'est nu
et après le miracle passé, il auroit fallu remettre degré de la sagesse, de n'avoir rien de la folie:
toutes choses, dans les corps intéressés mômes, dans Sapientia prima est,
l'état où elles seraient venues sans le miracle: Stultitia caruisse. ,
après quoi tout serait retourné dans son premier C'est comme on est fort louable, quand ou ne sau
canal. Ainsi ce miracle demandoit plus qu'il ne rait être blâmé avec justice:
paraît. Si non culpabor, sat midi taudis erit.
250. Pour ce qui est du mal physique des créa Et sur ce pied-là, tous les seutimcns qui ne nous
tures, c'est-à-dire «le leurs souffrances, Mr. Bayle déplaisent pas, tous les exercices de nos forces qui
combat fortement ceux qui tâchent de justifier par ne nous incommodent point, et dont l'empêchement
des raisons particulières la conduite que Dieu a te- nous incommodcroit, sont des biens physiques, lors
niic à cet égard. Je mets à part ici les souffrances même qu'ils no nous causent aucun plaisir; car leur
des animaux, et je vois qne Mr. Bayle insiste prin privation est un mal physique. Aussi ne nous ap-
cipalement sur celles des boulines, peut-être parce percevons-nous du bien de la santé, et d'autres
580 LXXIÏÏ. THÉODICÉË. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
biens semblables, que lorsque nous en sommes pri et les Epicuriens tiroient do lonr Philosophie. H
vés. Et sur ce pied là, j'oserais soutenir que même y a autant de différence entre la véritable morale
'en cette vie les biens surpassent les maux, que et la leur, qu'il y en a entre la joie et la patience:
nos commodités surpassent DOS incommodités, et car leur tranquillité n'étoit fondée que sur la né
que M. Descattes a eu raison d'écrire (Tom I. cessité; la nôtre le doit être sur la perfection et SUT
Lettre 9.) que la Raison naturelle nous ap la beauté des choses, sur notre propre félicité.
prend que nous avons plus de biens que 255. Mais que dirons-nous des douleurs corpo
de maux en cette vie. relles? ne peuvent- elles pas être assez aigres pour
252. Il faut ajouter -que l'usage trop fréquent, interrompre cette tranquillité du Sage? Aristote en
et la grandeur des plaisirs, serait un très -grand demeure d'accord : lesStoïciensétoient d'un autre sen
mal. Il y en a qtfHippocrate a comparés avec le timent, et même les Epicuriens. M. Descartes a .
haut -mal, et Scioppius ne fit que semblant sans renouvelle celui de ces Philosophes: il dit dans la
doute de porter envie aux passereaux, pour badi Lettre qu'on vient de citer, « que même paimi les
ner agréablement dans un Ouvrage savant, mais » plus tristes accidens et les plus pressantes don-
plus que badin. Les viandes de haut goût fout tort » leurs, on y peut toujours être content, ponrro
à la santé, et diminuent la délicatesse d'un senti - qu'on sache user de la Raison. « M Bayle dit là-
ment exquis: et généralement les plaisirs corporels dessus, (Rép. au Prov- T. 3 ch. 157. pag. 991.)
sont une espèce de dépense en esprits, quoiqu'ils que c'est ne rien dires que c'est nous mar
soient mieux réparés dans les uns, que dans les quer un remède dont presque personne
antres. ne sait la préparation. Je tiens que la chose
253. Cependant pour prouver que le mal sur n'est point impossible,, et que les hommes \ pour
passe le bien, on cite M. de la Mothe le Vayer raient parvenir à force de méditation et d'exercice.
(Lettre 134.) qui n'eût point voulu revenir an Car sans parler de vrais martyrs, «-t de ceux qui
monde, s'il eût fallu qu'il jouât le môme rôle que ont été assistés extraordinairement d'enhaut, il y
la providence lui avoit déjà imposé. Mais j'ai déjà en a eu de faux qui les ont imilé.s; et cet esclave
dit, que je crois qu'on accepteroit la proposition Espagnol qui tua le Gouverneur Carthaginois, pour
de celui qui pourroit renouer le fil de la Parque, si venger son maître, et qui en témoigna beaucoup
on nous prornettoit un nouveau rôle, quoiqu'il ne de joie dans les plus grands tonrmens, peut faire
<lût pas être meilleur que le premier. Ainsi de ce honte aux Philosophes. Pourquoi n'iroit-ou pas
qne M. de la Mothe le Vayer a dit, il ne sYnsuit aussi loin que lui ! On peut dire d'un avantage,
point qu'il n'eût point voulu du rôle qu'il avoit déjà comme d'un désavantage:
joué, s'il eût été nouveau, comme il semble que Cnivis potest accidere, qnod cniqnam potost.
M. Bayle le prend. 256. Mais encore aujourd'hui des Nations en
254. Les plaisirs de l'esprit sont les plus purs tières, comme les Hurons, les Iroqnois, les Gali-
et les plus utiles pour fair durer la joie. Cardan bis, et autres peuples de l'Amérique, nous font
déjà vieillard étoit si content de son état, qu'il pro une grande leçon là-dessus: l'on ne sauroit lire
testa avec serment, qu'il ne le changeroit pas avec sans étouncment, avec quelle intrépidité et presque
relui d:un jeune-homme des plus riches , mais igno insensibilité ils bravent leurs ennemis qui les rôtis
rant. M. do la Mothe le Vayer le rapporte lui- sent à petit feu, et les mangent par tranches. Si
même, sans le critiquer. H paroit que le savoir a des de telles gens pouvoient garder les avantages du
charmes, qui ne sauroient être conçus par ceux qui corps et du coeur , et les joindre à nos connoissau-
ne les ont point goûtés. Je n'enteus pas un simple ccs, ils nous passeraient de toutes les manières,
savoir des faits, sans celui des raisons; mais tel Extat ut in mediis turris aprica casis.
que celui de Cardan, qui étoit effectivement un Ils seroient par rapport à nous-, ce qu'on géant
grand homme avec tous ses défauts, et auroit été est à un nain, une montagne ù une colline:
incomparable sans ces défauts. Quantus Eryx, et quantus Ai nos. gaudetqnc m-
Félix, qui potuit rernm cognoscere causas! vatt
Ille inetus omnes et inexorabile fatum Vertice se attollens pater Apenninus ad auras.
Subjecit pedibus. 257. Tout ce qu'une merveilleuse vigueur de
Ce n'est pas peu do chose, d'être content de corps et d'esprit fait dans ces Sauvages entêtés d'nn
Dieu et de l'Univers; de ne point craindre ce qui point d'honneur des plus singuliers, pourroit être
nous est destiné, ni do se plaindre de ce qui nous ar acquis parmi nous par l'éducation, par des morti
rive. Laconnoissance des vrais principes nous donne fications bien assaisonnées, par une joie dominante
cet avantage, tout autre qne celui que les Stoïciens fondée en raison, par un grand exercice à conser-
J, XX III, THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 581
ver une certaine présence d'esprit au milieu des M. Bayle dans son Dictionaire, article Xénophu ne, y
distractions et des impressions les plus capables de oppose plusieurs autorités , et entre autres celles du
la troubler. On raconte quelque chose d'approchant Poète Diphilns dans les Collections de Stobee, dont
des anciens Assassins, sujets et élèves du Vieux ou le Grec pourrait être exprimé ainsi en Latin:
plutôt Seigneur (Senior) de la Montagne. Une Fortuna cyathis bibere nos datis jubens,
toile école (mais pour un meilleur but) seroit bonne Infundit uuo tcrna pro bono mala.
pour les Missionaires qui voudraient rentrer dans 259. M. Bayle croit que s'il ne s'agissoit que
le Japon. Les GyuiDOsophistes des anciens Indiens du mal de coulpe , ou du mal moral des hommes,
avoicjit peut-être quelque chose d'approchant; et le procès seroit bientôt terminé à l'avantage do
ce Calanus, qui donna au Grand Alexandre le Pline, et qu'Euripide perdrait sa cause. En cela je
spectacle de se faire brûler tout vif, avoit sans doute ne m'y oppose pas; nos vices surpassent sans
été encouragé par de grands exemples de; ses maî doute nos vertus, et c'est l'effet du péché originel.
tres, et exercé par de grandes souffrances à ne 11 est pourtant vrai qu'encore là-dessus le vulgaire
point redouter la douleur. Les fenmies de ces mêmes outre les choses, et que mémo quelques Théologiens
Indiçns, qui demandent encore aujourd'hui d'être abaissent si fort l'homme, qu'ils font tort à la pro
brûlées avec les corps de leurs maris, semblent te vidence de l'Auteur de l'homme. C'est pourquoi jo
nir encore quelque chose du courage de ces an no suis pas pour ceux qui ont cru faire beaucoup
ciens Philosophes de leur pays. Je ne m'attens pas d'honneur à notre Religion, en disant que les vertus
qu'on fonde sitôt un Ordre Reb'gieux, dont le but des Païens n'étoient que splendida peccata,
soit d'élever l'homme à ce haut point de perfection : des vices éclatans. C'est une saillie de S. Augustin,
de telles gêna seraient trop an dessus des autres, qui n'a point de fondement dans la sainte Ecriture,
et trop formidables aux puissances. Comme il est et qui choque la Raison. Mais il ne s'agit ici que
' rare qu'on soit exposé aux extrémités où l'on au- du bien et du mal physique, et il faut comparer
roit besoin d'une si grande force d'esprit, on ne particulièrement les prospérités 6t les adversités de
s'avisera guères d'en faire provision aux dépens de cette vie. M. Bayle voudrait presque écarter la
nos commodités orginaires , quoiqu'on y gagnerait considération de la santé; il la compare aux corps
incomparablement plus qu'on n'y perdrait. raréfiés, qui ne se font guères sentir, comme l'air,
258. Cependant cela même et une preuve que par exemple; mais il compare la douleur aux corps
le bien surpasse déjà le mal , puis qu'on n'a pas qui ont beaucoup de densité, et qui pèsent beaucoup
besoin de ce grand remède. Euripide l'a dit aussi : en peu de volume. Mais la douleur même fait con-
riXff'cu T<i xçnyzà T&V KO.WMV slvat |3j»orolç. m ii ire l'importance de la santé, lorsque nous eu
Mida no-stra longe judico vinci a bonis sommes privés. J'ai déjà remarqué que trop de
Homère et plusieurs autres Poètes étoient d'un plaisirs corporels seraient un vrai mal , et la chose
autre sentiment, et te vulgaire est du leur. Cela ne doit pas être autrement; il importe' trop quo
vieui de ce que le mal excite plutôt notre attention l'esprit soit libre. Lactance (Divin. Instit. h'b. 3.
que te bien: mais cette même raison confirme que cap. 18.) avoit dit, que les hommes sont si déli
le mal est plus rare. 11 ne faut donc pas ajouter cats, qu'ils se plaignent du moindre mal, comme
foi aux expressions chagrines de Pline, qui fait s'il absorboit tout les biens dont ils ont joui. M.
passer L-» Nature pour une marâtre, et qui prétend Bayle dit là -dessus, qu'il suffit que les hommes
i|ii.- l'hoimne est la plus misérable et la ]>lus vaine soat de ce sentiment , pour juger qu'ils sont mal,
«Je toutes les Créatures. Ces deux épithètes ne s'ac- puisque c'est lo sentiment qui fait la mesure du
eordont point: on n'est pas asse/ misérable, quand bien ou du mal. Mais je réponds , que le présent
on est plriu de soi-même. Il est vrai que Icsfaom- sentiment n'est rien moins que la véritable mesure
ïtaes lie méprisent que trop la nature humain; ap du bien et du mal passé et futur. Je lui accorde
paremment parcequ'its ne voient point d'autres qu'on est mal, pendant qu'on fait ces réflexions
Créatures capables d'exciter leur émulation ; mais chagrines; mais cela n'empêche point qu'on n'ait
ils ne s'estiment que trop, et ne se coatcntcnt que été bien auparavant, et que tout compté et tout
trop facilement en particulier. Je suis donc pour rabbatu, le bien ne surpasse le mal.
Mcric Casaubon, qui dans ses Notes sur le Xéno- 2i Ht. Je ne m'étonne pas que les Païens, peu
pliaiie de Diogène Laerce loue fort les beaux sen- coûtons de leurs Dieux, se soient plaints de Promé-
timens d'Euripide, jusqu'à lui attribuer d'avoir dit thée et d'Epimethée, de ce qu'ils avoieut forgé un
des cheees, quae spirant Sfeônveuçov pectns. aussi foi! île. animal que l'homme; et qu'ils ayent
Sénéque (Lifc. I •-. 5. de Bcnefic.) parle éloquem- applaudi à la fable du vieux Silène nourricier do
tneut des biens dont la Nature nous a comblés. Bacchus, qui fut pris par le Roi Midas, et pour lo
74
582 LXXIH. THÈODICEE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
prix de sa délivrance lui enseigna cette prétendue et comme un remède nécessaire des maux publics,
belle sentence; que le premier et le plus grand des que les Princes d'aujourd'hui s'appliquent ce qui se
biens étoit de ne point naître, et le second, de sor dit des Rois blâmés dans le Télémaque de Mon
tir promtement de cette vie. ( Cic. Tuscul. lib. 1 . ) sieur de Catnbray. Chacun croit être dans le bon
Platon a cru que les âmes avoient été dans un état droit. Tacite , Auteur désintéressé , fait l'apologie
plus heureux , et plusieurs des Anciens , et Cicéron d'Auguste en deux mots, au commencement de ses
eutre autres dans sa Consolation (au rapport de Annales. Mais Auguste a pu mieux que personne
Lactance,) ont cru que pour leurs péchés elles ont juger de son bonheur: il paroît être mort content,
été confinées dans les corps, comme dans une pri par une raison qui prouve qu'il étoit content de sa
son. Ils rendoient par -là une raison de nos maux, vie ; car en mourant il dit un vers Grec à ses ami.s,
et confinhoient leurs préjugés contre la vie hu qui signifie autant que ce Plandite qu'on avoit
maine: il n'y a point do belle prison. Mais outre coutume de dire à l'issue d'une Pièce de théâtre
que même , selon ces mêmes Païens , les maux de bien jouée. Suétone le rapporte :
cette vie seroieut contrebalancés et surpassés par Ao're xfuTov xoù. TtavTBÇ Tj^iieîç {Lierai
les biens des vies passées et futures; j'ose dire
dire qu'en examinant les choses sans prévention, 262. Mais quand même il seroit écho plus de
nous trouverons que l'un portant l'autre, la vie mal que de bien au Genre -humain, il suffit par
humaine est passable ordinairement; et y joignant rapport à Dieu, qu'il y a incomparablement plus
les motifs de la Religion, nous serons contens de de bien que de mal clans l'Univers. Le Rabbin
l'ordre que Dieu y a mis. Et pour mieux juger Maimonide (dont on ne reconuoit pas assez le mé
de nos biens, et de nos maux, il sera bon de lire rite, en disant qu'il est le premier des Rabbins qui
Cardan de utilitate ex adversis capienda, ait cessé de dire des sottises) a aussi fort bien jugé
et Novarini de occultis Dei beneficiis. de cette question de la prévalenee do bien sur le
261. M. Baylo s'étend sur les malheurs des mal dans le monde. Voici ce qu'il dit dans son
Grands, qui passent pour les plus heureux : l'usage Doctor perplexorum (p. 3. cap. 12.) » II
continuel du beau côté de leur condition les rend » s'élève souvent des pensées dans les âmes des per-
insensibles au bien, mais très sensibles au mal. » sonnes mal instruites , qui les font croire qu'il y
Quelqu'un dira: tant pis pour eux; s'ils ne savent » a plus de mal que de bien dans le monde : et
pas jouir des avantages de la nature et de la for » l'on trouve souvent dans les poésies et dans les
tune, est-ce la faute de Tune ou de l'autre? Il y a » chansons des Païens , que c'est comme un mira-
cependont des Grands plus sages, qui savent mettre • clé quand il arrive quelque chose de bon , an lien
à profit les faveurs que Dieu leur a faits, qui se •• que les maux sont ordinaires et continuels. Cette
consolent facilement de leurs malheurs , et qui ti • erreur ne s'est pas seulement emparée du vul-
rent même de l'avantage de leurs propres fautes. • gaire, ceux mêmes qui veulent passer pour sages
M. Bayle n'y prend point garde; et il aime mieux • ont donné là-dedans. Et un Auteur célèbre
écouter Pline, qui croit qu'Auguste, Prince des plus • nommé Alrasi, dans son Sepher Elobuth ou
favorisés de la fortune, a senti pour le moins au • Théosophie, y a mis entre beaucoup d'autres ab-
tant de mal que de bien. J'avoue qu'il a trouvé de » surdités, qu'il y a plus de maux que de biens, et
grands sujets de chagrin dans sa famille, et que le » qu'il se trouverait , en comparant les recréations
remords d'avoir opprimé la République, l'a peut- • et les plaisirs dont l'homme jouit en teins de tran-
être tourmenté: mais je crois qu'il a été trop sage » qnilité, avec les douleurs, les tonrinens, les trou-
pour s'affliger du premier, et que Mécéuas lui a • blés, les défauts, les soucis, les chagrins et les
fait concevoir apparemment , que Rome avoit be » afflictions , dont il est accablé , que notre vie est
soin d'un Maitre. Si Auguste n'avoit point été » un grand mal, et une véritable peine qni nous est in-
converti sur ce point, Virgile u'anroit jamais dit » fligée pour nous punir. » Maimonide ajoute, que
d'un damné: la cause de leur erreur extravagante est, qu'ils s'i
Vendidit hic auro patriam, Dominnmquc po- maginent que la Nature n'a été faite que pour eox,
tentem. et qu'ils comptent ,pour rien ce qui est distinct de
Imposuit, fixit leges pretio atque rcfixit. leur personne; d'où ils infèrent que quand il ar
Auguste auroit cru, que lui et César étoient dé rive quelque chose contre leur gré, tout va mal
signés par ces vers, qui parlent d'un Maître donné dans l'Univers.
à un Etat libre. Mais il y a de l'apparence qu'il 2 6 3 . M Bayle dit que cette remarque de Maimonide
en faisoit aussi peu d'application à son Règne, ne va point an but, parce que la question est, sipanni
qu'il regardoit comme compatible avec la liberté, les hommes le mal surpasse le bien ! Mais considé
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SDR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 583
rant les paroles du Rabbin , je trouve que la que tisfait à tout: cependant quand cela ne serait point,
stion qu'il forme est générale, et qu'il a voulu ré j'avoue que je ne saurais goûter cette maxime de
futer ceux qui la décident par une raison particu M. Bayle, et je préférerais un système qui lèverait
lière, tirée des maux du Genre -humain, comme si une grande partie des difficultés, à celui qui ne sa
tout étoit fait pour l'homme: et il y a de l'appa tisferait à rien. Et la considération de la méchan
rence que l'Auteur qu'il réfute a aussi parlé du ceté des hommes, qui leur attire presque tous
bien et du mal eu général. Maimonide a raison de leurs malheurs, fait voir au moins qu'ils n'ont au
dire, que si l'on considérait la petitesse de l'homme cun droit de se plaindre. Il n'y a point de justice
par rapport à l'Univers, on comprendrait avec évi qui doive se mettre en peine de l'origine de la ma
dence, que la supériorité du mal, quand il se trou lice d'un scélérat, quand il n'est question que de
verait parmi les hommes, ne doit pas avoir lieu le punir: autre chose est, quand il s'agit de l'em
pour cela parmi les Anges, ni parmi les Corps cé pêcher. L'on sait bien que le naturel , l'éducation,
lestes, ni parmi les élérnens et les mixtes inani la conversation , et souvent même le hazard , y ont
més, ni parmi plusieurs espèces d'animaux. J'ai beaucoup de part; en est-il moins punissable!
montré ailleurs, qu'eu supposant que le nombre 265. J'avoue qu'il reste encore une antre diffi
des damnés surpasse celui des sauvés , ( supposition culté: car si Dieu n'est point obligé de rendre rai
qui n'est pourtant pas absolument certaine) on son aux méchans de leur méchanceté, il semble
pourrait accorder qu'il y a plus de mal que de qu'il se doit à soi - même, et à ceux qui l'honorent
bien, par rapport au Genre -humain qui nous est et qui l'aiment, la justification de sou procédé à
connue. Mai j'ai donné à considérer, qne cela n'em l'égard de la permission du vice et du crime. Mais
pêche point qu'il n'y ait incomparablement plus Dieu y a déjà satisfait autant qu'il en esjt besoin
de bien que de mal moral et physique dans les ici - bas : et en nous donnant la lumière de la Rai
Créatures raisonnables en général , et que la Cité son, il nous a fourni de quoi satisfaire à toutes les
de Dieu, qui comprend toutes ces Créatures, ne difficultés. J'espère de l'avoir montré dans ce Dis
soit le plus parfait Etat: comme en considérant cours, et d'avoir éclairci la chose dans la par
le bien et le mal métaphysique , qui se trouve dans tie précédente de ces Essais, presque autant
toutes les substances, soit douées, soit destituées qu'il se peut faire par des raisons générales.
d'intelligence, et qui pris dans cette latitude com Après cela, la permission du péché étant jus
prendrait le bien physique et le bien moral , il faut tifiée, les autres maux qui en sont une suite,
dire que l'Uuivers, tel qu'il est actuellement, doit ne reçoivent plus aucune difficulté; et nous
être le meilleur de tous les systèmes. sommes en droit de nous borner ici au mal de
264. Au reste, M. Bayle ne veut point qu'on coulpe, pour rendre raison du mal de peine,
fasse entrer notre faute en ligne de compte, lors cotume fait la sainte Ecriture, et comme font pres
qu'on parle de nos souffrances. Il a raison, quand que tous les Pères de l'Eglise, et les Prédicateurs.
il s'agit simplement d'estimer ces souffrances; Et afiu que l'on ne dise pas que cela n'est bon que
mais il n'en est pas de même, quand ou demande, per la predica, il suffit de considérer qu'après
s'il faut les attribuer à Dieu; ce qui est priucipa- les solutions que nous avons données, rien ne doit
lement le sujet des difficultés de M. Bayle, quand paraître plus juste ni plus exact que cette méthode.
il oppose la Raison ou l'expérience à la Religion. Car Dieu ayant trouvé déjà parmi les choses possi
Je sais qu'il a coutume de dire, qu'il ne sert de bles avant ses Décrets actuels, l'homme abusant de
rien de recourir à notre franc - arbitre , puisque ses sa liberté, et se procurant son malheur, n'a pu se
objections tendent encore à prouver que l'abus du dispenser de l'admettre à l'existence, parce que le
franc -arbitre ne doit pas moine être mis sur le meilleur plan général le demandoit: de sorte qu'on
compte de Dieu, qui Ta permis, et qui y a con n'aura plus besoin de dire avec M. Jurieu, qu'il
couru; et il débite comme une maxime, que pour faut dogmatiser comme S. Augustin, et prêcher
une difficulté de plus ou de moins, on ne doit pas comme Pelage.
abandonner un système. C'est ce qu'il avance par 266. Cette1 méthode de dériver le mal do peine
ticulièrement en faveur des Méthodes des Rigides et du mal de coulpe, qui ne saurait être blâmées, sert
du dogme des Supralapsaires. Car il s'imagine sur-tout pour rendre raison du plus grand mal phy
qu'on se peut tenir à leur sentiment, quoiqu'il sique, qui est la damnation. Ernest Sonerus, autre
laisse toutes les difficultés eu leur entier ; parce que fois Professeur en Philosophie à Altorf, (Université
les autres systèmes, quoiqu'ils en fout cesser quel étal ilie dans le pays de la République de Nuremberg)
ques-unes, ne peuvent pas les résoudre toutes. Je qui passoitpouruiiexcellentAristotéliciRn, maisquia
tiens que le véritable système que j?ai expliqué, sa été reconnu enfin Socinien cadié, avoit fait un j •'
74»
584 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PA1CTIE III.
tit Discours intitulé, Démonstration contre nés sont punis éternellement, parce que Dieu a pré
rétemité des peines. Elle étoit fondée sur vu par une espèce de science moyenne qu'ils au-
ce principe assez rebattu, qu'il n'y a point de pro roient toujours péché, s'ils avoient toujours vécu
portion eutre une peine infinie et une coulpe finie. sur la terre. Mais c'est une hypothèse où il y a
On me la communiqua, imprimée (ce sembloit) en bien à dire. M. Ftcht allègue encore plusieurs cé
Hollande ; et je répondis qu'il y avoit une considé lèbres Théologiens Protestans pour le sentiment do
ration à faire, qui étoit échappée à feu Monsieur Mr. Gerhard, quoiqu'il en rapporte aussi qui sont
Soncms: c'étoit qu'il suflisoit de dire qnc la durée d'une autre opinion.
de la coulpu causoit la durée de la peine; que les 268. Mr. Bayle mémo en divers endroit^ m'a
damnés demeurant méclians, ils ne pouvoient être fourni des passages de deux habiles Théologiens
tirés de leur misère; et qu'ainsi on n'avoit point de son parti, qui se rapportent assez à ce qne je
besoin pour justifier la continuation de leurs souf viens de dire. Mr. Juricu dans son Uvre de l'U-
frances, du supposer que le péché est devenu d'une uité de l'Eglise, opposé à celui que Mr. Nicole avoit
valeur infinie, par l'objet infini offensé qui est fait sur le même sujet, juge (p. 379.) -que la
Dieu ; thèse que je n'avois pas assez examinée pour • Raison nous dit, qu'une Créature qui ne peut ces-
en prononcer. Je sais que l'opinion commnne des »ser d'être criminelle, ne peut aussi cesser d'être
Scolastiques, après le Maître des Sentences, est que » misérable.» Monsieur Jaqnelot, dans son Livre
dans l'autre vie il n'y a ni mérite ni démérite; do la Foi et de la Raison (p. 220.) croit, «que les
mais je ne crois pas qu'elle puisse passer pour an • damnés doivent subsister éternellement privés do
article de foi, lorsqu'on la prend à la rigueur. • la gloire des bienheureux, et que cette priviition
Monsieur Fechiius, Théologien célèbre à Rostock, »l>ourroit bien être l'origine et la cause de toutes
l'a fort bien réfutée dans son Livre de l'état des • leurs peines, jwr les réflexions que ces malueureu-
damnés. Elle est très-faussc, dit il, (§. 59.) Dieu •ses Créatures feront sur leurs crimes qui les auront
ne saurait changer sa nnture ; la justice lui est es •privées d'un bonheur éternel. On sait quels cui-
sentielle; la mort a fermé la porte de la grâce, et • sans regrets, quelle peine l'euvie cause à ceux qui
non pas celle de la justice. • se voient privés d'un bien, d'un honneur considé
267. J'ai remarqué que plusieurs habiles Théo rable qu'où leur avoit offert, et qu'ils ont rejeté,
logiens ont rendu raison do la durée des peines • sur-tout lorsqu'ils en voient, d'autres qui en sont
des damnés comme je viens de faire. Jean Gerhard • revêtus.» Ce tour est un peu différent de celui
Théologien célèbre de la Confession d'Ansbourg de Mr. Juricu, mais ils conviennent tous deux dans
(in Locis Theol. loco de Inferno §. 60.) al ce sentiment, que les damnes sont eux-mêmes la
lègue entre antres argumens que les damnés ont cause de la continuation de leurs tournions. L'Ori-
toujours une mauvaise volonté et manquent de la géniste de. Mr. le Clerc ne s'en éloigne pas entiè
grâce qui la pourroit rendre bonne. Zacharias Ur- rement, lorsqu'il dit dans la Bibliothèque Choisie
sinns Théologien de Heidelberg , ayant formé cette (Tom. 7. p. 341.). «Dieu, qui a prévu que l'homme
question, (dans son Traité de Fi de) pourquoi le «tomberoit, ne le damne pas pour cela; niais scu-
péché mérite une peine éternelle, après avoir allé • loincnt parce que pouvant se relever, il ne su ru»
gué la raison vulgaire, que l'offensé est infini, allè • lève pas, c'est-à-dire, qu'il conserve librement ses
gue aussi cette seconde raison, quod non ces • mauvaises habitudes jusqu'à la fin de la vie.»
sante peccato non potest cessare poena. S'il jxmsse ce raisonnement au delà do la vie, il
Et lu P. Drexelius, Jésuite, dit dans son Livre in attribuera la continuation dis peines des Uléchaus
titulé Nicctas, ou l'Incontinence Triom à la continuation de leur coulpe.
phée, (liv. 2. ch. 11. §. 9.) «Ncc mirum damna- 269. Mr. Bayle dit ( Kép. au Provinc, chap,
» tos seinpcr torqueri, continué blasphémant , et sic 175. p. 1188.) «que ce dogme do l'Origéiiisto est
• quasi semper pcccant, semper ergo plectuntur. « •hérétique, en ce qu'il enseigne que la damnation
II rapporte et approuve la même raison dans son >n'est pas simplement fondée sur le péché, mais
Ouvrage de l'Eternité, (liv. 2 ch. 15.) en disant: «sur l'impéuitence volontaire» : niais cette 1.115-' -
• Sunt qui dicant, ncc dlsplicet rcponsum: scele* nitciici! volontaire n'est- olle pns une continuatiou
»rati in locis iufernis semper peccaut, ideo scnV- du péché î Jo ne voudrois pourtant pas dire sim
» per puniuutur. « Et il donne à connoitre par -là plement, que c'est parce que l'homme pouvant se
qne ce sentiment est assez ordinaire aux Docteurs relever, ne se relève pas; et j'ajoutcrois quo c'es>t
de l'Eglise Romaine. 11 est vrai qu'il allègue en parce que l'homme ne s'aide, pas du secours de la
core une raison plus subtile, prise du Pape Gré Grâce pour se rduvcr. Mais après cette vie, quoi
goire lo Grand, (lib. 4. Dial. c. 44.) q«c les dam qu'on suppose que ce secours cesse, il y a toujours
LXXUI. THÉODICÈE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE 111. 585
dans l'homme qui pèche, lors même qu'il est damne, | conte qu'on a fait du Pape Grégoire le Grand est
Uue lil>erté qui le rend coupable, et une puissance, | connu, comme si par ses prières il avoit tiré do
mais éloigne», de se relever, quoiqu'elle ne vienne l'Enfer l'unie de l'Empereur Trajau, dont la bonté
jamais à l'acte. Et rien n'empêche qu'on ne puisse étoit si célèbre, qu'on souhaitoit aux nouveaux I '.m-
dire que ce degré de liberté, exeint de la nécessité} pereurs de suspasser Auguste en bonheur et Trajan
mais non exetnt de la certitude, reste dans les dam en bonté. C'est ce qui attira an dernier la pitié do
nes aussi bien que clans les bienheureux. Outre que saint Pape: Dieu déféra à ses prières, (dit-on) mais
les damnés n'ont point besoin d'un secours dont il lui défendit d'en faire de semblables h l'avenir.
on a besoin dans cette vie, car ils ne savent que Selon cette fable, les prières de saint Grégoire
trop ce qu'il faut croire ici. avoicut la force des remèdes d'Esculape, qui fit re
270. L'illustre Prélat de l'Eglise Anglicane, qui venir Hippolyto des Enfers; et s'il avoit continué
a publié depuis peu un Livre de l'Origine du mal, de faire do telles prières, Dieu s'en seroit courroucé,
sur lequel Mr. Baylc a fait des remarques dans le comme Jupiter chez Virgile :
second Tomo de sa Réponse aux Questions d'un At Pater ornnipotens aliqncm indignatusab umbris
Provincial, parle fort ingénieusement des peines dos Mortalcm infcrnis ad lumiua surgere vitae,
damnés. On représente le sentiment de ce Prélat Ipsc repcrtoreui Medicinae talis et artis
(après l'Auteur des Nouvelles de la République des Fulmine Phoebigcnarn Stygias detrusit ad undas.
Lettres, Juin 1703.) comme s'il faisoit 2des dain- Godescalc, Moine du neuvième siècle, qui a brouillé
»nés tout autant de fous qui sentiront vivement ensemble les Théologiens de sou teins, et même
»leurs misères, mais qui s'applaudiront pourtant de ceux du nôtre, vouloit quo les réprouvés dovoicut
»leur conduite, et qui aimeront mieux être, et prier Dieu de rendre leurs peiues plus supporta
«l'-tn- ce qu'ils sont, quo de ne point être du tout. bles: mais on n'a jamais droit de se croire ré
»I!s aimeront leur état, tout malheureux qu'il sera, prouvé, tant qu'où vit. Le passage de la Messe
9conimo les gens eu colère, les amoureux, les aiu- des morts est plus raisonnable, il demande la di
»bilieux, les envieux se plaisent dans les choses minution des peines des damnés; et suivant l'hy
^moines qui no font qu'accroître leur misère. On pothèse que nous venons d'exposer, il faudrait leur
Rajoute, que les impies auront tellement accoutumé souhaiter incliorem mcutem. Origèue s'étant
»lcur esprit aux faux jugcinens, qu'ils n'en feront servi du passage du Pseanme LXXVI1. vers. 10.
»plus désormais d'autres, et passant perpétuellement • Dieu noubliera pas d'avoir pitié, et ne suppri-
»d'une erreur dans une autre, ils ne pourront s'etn- • uicra pas toutes ses miséricordes dans sa colère;»
3>pcchcr de désirer perpétuellement des choses dout S. Augustin répond (Euchirid. c. 112.) qu'il se
»ils ne pouiront jouir, et dont la privation les peut que les peines des damnés durent éternelle
9jetera dans des désespoirs inconcevables, sans quo ment, et qu'elles soient pourtant mitigées. Si le
» l'expérience les puisse jamais rendre plus sages Texte alloit à cela, la diminution irait à l'infini,
»pour l'avenir, parce que par leur propre faute ils quant à la durée; et néanmoins elle aurait un non
^auront entièrement corrompu leur entendement, plus ultra, quant à la grandeur de la diminution;
3>ct l'auront rendu incapable de juger sainement comme il y a des figures asymptotes dans la Geo-1
^d'aucune chose.* rnctrie, où une longueur infinie ne fait qu'un espace
271. Les Anciens ont déjà conçu que le Diable fini. Si la Parabole du mauvais Riche représentoit
demeure éloigné de Dieu volontairement au milieu Tétât d'un véritable damné, les hypothèses qui les
de ses tournions, et qu'il ne voudrait point se ra font si fous et si médians n'auraient point de Heu.
cheter par une soumission. Ils ont feint qu'un Mais la charité qu'elle lui attribue pour ses frères,
Anachorète étant en vision, tira parole de Dieu, ne paroit point convenir à ce degré de méchanceté
qu'il recevroit eu grâce le Priucc des mauvais An qu'on donne aux damnés. S. Grégoire le Graud
ges, s'il vouloit reconnoUrc sa faute; mais quo le (IX. Mor. 39.) croit qu'il avoit peur que leur dam
Diable rebuta ce médiateur d'une étrange manière. nation n'augmentât la sienne: mais cette crainte
Au moins les Théologiens conviennent ordinaire n'est pas assez conforme au naturel d'un méchant
ment que les Diables et les damnés haïssent Dieu achevé. Donaventure, sur le Maître des Sentences,
et le blasphèment; et un tel état ne peut manquer dit que lu mauvais riche auroit souhaité de voir
d'être suivi de la continuation de la misère. Ou damner tout le inonde; mais puisque cela ne devoit
peut lire sur cela le savant Traité de Mr. Fcchtius point arriver, il souhaitoit plutôt le salut de ses
do l'état des damnés. frères, que celui des autres. 11 n'y a pas trop de
272. 11 y a eu des teins, qu'on a cru qu'il n'é- solidité dans cette réponse. Au contraire, la mis
toit pas impossible qu'un daiuné fût délivré. Le sion du Lazare qu'il souliaitoit, auroit servi à sau
580 LXXIU. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE I1L
ver beaucoup de inonde; et celui qui se plaît tant nelles, qui contient encore les possibles avant tout
à la damnation d'autrui, qu'il souhaite telle de décret de Dieu, que cette Créature se tourneroit
tout le monde, souhaitera peut-être celle des uns, librement an mal, si elle étoit crée. I! en est de
plus que celle des autres ; mais absolument parlant, même d'Eve et d'Adam; ils ont péché librement,
il n'aura point de penchant à faire sauver quelqu'un. quoique le Diable les ait séduits. Dieu litre les
Quoi qu'il en soit, il faut avouer que tout ce détail médians à un sens réprouvé, Rom. I. 28. en les
est problématique, Dieu nous ayant révélé ce qu'il abandonnant à eux-mêmes, et en leur refusant nue
faut pour craindre le plus grand des malheurs, et grâce qu'il ne leur doit pas, et même qu'il doit
non pas ce qu'il faut pour l'entendre. leur refuser.
273. Or puisqu'il est permis désormais de re 275. Il est dit dans l'Ecriture, que Dieu endur
courir à l'abus du libre -arbitre, et à la mauvaise cit, Exod. IV. 21. et VIL 3. Es. LXIIL 17- que
volonté, pour rendre raison des autres maux, de Dieu envoie un esprit de mensonge, 1 Reg. XXII.
puis que la permission Divine de cet abus est ju 23. une efficace d'erreur pour croire au mensonge,
stifiée d'une manière assez évidente, le système or 2 Thess. II. 11. qu'il a déçu le Prophète, Ezecb.
dinaire dos Théologiens se trouve justifié en même XIV. 9. qu'il a commandé à Zéineï de maudire,
ti-iiis. Et c'est à présent que nous pouvons chercher 2. Sam. XVI. 10. que les enfans d'Eli ne voulurent
sûrement l'origine du mal dans la liberté des Créa point écouter la voix de leur père, parce que Dieu
tures. La première méchanceté nous est connue, les vouloit faire mourir, 1. Sam. II. 25. que Dieu
c'eut celle du Diable et de ses Anges: le Diable a ôté son bien à Job, quoique cela ait été par la
pèche dès le commencement, et le Fils de Dieu est malice des brigands, Job I. 21. qu'il a suscité Pha
apparu afin de défaire les oeuvres du Diable: 1. raon, pour montrer en lui sa puissance, Exod. IX,
Jean III. 8. Le Diable est le père de la méchan 16. Rorn. IX. 17. qu'il est comme un potier qui
ceté, meurtrier dès le commencement, et n'a point fait un vaisseau à déshonneur, Rom. IX. 21. qu'il
persévéré dans la vérité: Jean VIII. 44. Et pour cache la vérité aux sages et aux entendus, Matth.
cela, Dieu n'a point épargné les Anges qui ont pé XI. 25. qu'il parle par similitudes, afin que ceux
ché, mais les ayant abîmés avec des chaînes d'ob qui sont dehors en voyant n'apperçoivent point, et
scurité, il les a livrés pour être réservés pour le en entendant ne comprennent point, parce qu'au
jugement: 2. Pierr. II. 4. Il a réservé sous l'obs trement ils se pourraient convertir, et leurs péchés
curité en des liens éternels, (c'est-à-dire dura leur pourraient être pardonnes, Marc IV. 12. Luc.
bles) jusqu'au jugement du grand jour, les Anges VIII. 10. que Jésus aétj livré par lu conseil défini,
qui n'ont point gardé leur propre demeure: Jud. et par la providence de Dieu, Act. H. 23. que Ponce
V. 6. D'où il est aisé de remarquer, qu'une de ces Pilate et Hérode, avec les Gentils et le peuple
deux Lettres doit avoir été vue par FAuteur de d'Israël, ont fait ce que la main et le conseil de
l'autre. Dieu avoient auparavant déterminé, Act IV. 27,
274. Il semble que l'Auteur do l'Apocalypse a 28. qu'il venoit de l'Eternel, que les ennemis en-
voulu éclaircir ce que les autres Ecrivains Canoni durcissoient leur coeur, pour sortir en bataille con
ques avoient laissé dans l'obscurité: il nous fait la tre Israël, afin quïl les détruisit sans qu'il leur fît
narration d'une bataille qui se donna dans le Ciel. aucune grâce, Jos XI. 20. que l'Eternel a versé au
Michael et ses Anges combattoient contre le Dra milieu d'Egypte un esprit de vertige, et l'a fait
gon, et le Dragon coiubattoit lui et ses Anges. errer dans toutes ses oeuvres, comme un homme
Mais ils ne forent pas les plus forts, et leur place ivre, Es. XIX. 1 4 . que Roboam n'écouta point la
ne fut plus trouvée dans le Ciel. Et le grand Dra parole du peuple, parce que cela étoit ainsi conduit
gon, le Serpent ancien, appelle Diable et Satan, qui par l'Eternel, 1. Rois XII. 15. qu'il changea les
séduit tout le monde, fut jeté en terre, et ses An coeurs des Egyptiens , de sorte qu'ils eurent sou
ges furent jetés avec lui, Apoc. XII. 7. 8. 9. Car peuple en haiue, PS. CV. 25. Mais toutes ces ex
quoiqu'on mette cette narration après la fuite de la pressions, et autres semblables, insinuent seulement
femme clans le désert, et qu'on ait voulu indiquer que les choses que Dieu a faites servent d occasion
par-là quelque révolution favorable à l'Eglise; il à l'ignorance, à l'erreur, à la malice et aux mau
paroit que le dessein de l'Auteur a été de marquer vaises actions, et y contribuent ; Dieu le prévoyant
en même teins et l'ancienne chute du premier en bien, et ayant dessein de s'en servir pour ses fins;
nemi, et une chute nouvelle d'un ennemi nouveau. puisque des raisons supérieures de la parfaite sa
Le mensonge ou la méchanceté vient de ce qui est gesse l'ont déterminé à permettre ces maux, et même
propre au Diable, zx vSv lôiuiv, de sa volonté, à y concourir. Sed non sineret bonus fieri
parcequ'il étoit écrit dans le Livre des vérités éter mule, nisi Ouiuipotens ctiam de malo
LXXIII. THEODICEK. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 587
posset facere benc, pour parler avec Saint 1 moyeu de triompher par la congruité des circon
Augustin. Mais c'est ce que nous avons expliqué stances. Ainsi il faut toujours tlistinguer entre Tin-
plus amplement dans la Seconde Partie. faillible et le nécessaire.
277. Dieu a fait l'homme à sou image, Gcn. I. 280. Le système de ceux qui s'appellent Disci
20. il Ta fait droit, Eecles. VII. 30. Mais aussi il l'a ples de S. Augustin, ne s'en éloigne pas entière
fait libre. L'homme en a mal usé, il est tombé; ment, pourvu qu'on écarte certaines choses odieu
mais il reste toujours une certaine liberté après ses, soit dans les expressions, soit dans les dogmes
la chute. Moïse dit de la part de Dieu : »Je prens mêmes. Dans les expressions, je trouve que
.^aujoardhui à témoin les Cieux et la Terre contre c'est principalement l'usage des termes , comme
»vous, que j'ai mis devant toi la vie et la mort, la nécessaire ou contingent, possible ou im
^bénédiction et la malédiction ; choisis donc la vie, possible, qui donne quelquefois prise, et qui cause
»Deut. XXX. 19. Ainsi a dit l'Eternel, je mets bien du bruit. C'est pourquoi, comme Mr. Lôscher
^devant vous le chemin de la vie, et le chemin de le jeune Ta fort bien remarqué dans une savante
»la mort, Jer. XXI. 8. 11 a laissé l'homme dans Dissertation sur les Paroxismes du Décret absolu,
>M:v puissance de sou conseil, lui donnant ses or Luther a souhaité dans son Livre du Serf-Arbitre,
donnances et ses coinmandemens ; si tu veux, tu de trouver un mot plus convenable à ce qu'il vou-
^garderas les coinmandemens, (ou ils te garderont). loit exprimer, que celui de nécessité. Générale
»l\ a mis devant toi le feu et l'eau, pour étendre ment parlant, il paroît plus raisonnable et plus
»ta main où tu voudras,* Sirac. XV. 14, 15, 16. convenable de dire que l'obéissance aux préceptes
L'homme tombé, et non régénéré, est sous la do de Dieu est toujours possible, même aux nou
mination du péché et de Satan, parce qu'il s'y plaît; régénérés; que la Grâce est toujours résistiblc,
il est esclave volontaire par sa mauvaise concupi même dans les plus saints; et que la liberté est
scence. C'est ainsi que le franc-arbitre et le serf- exempte, non-seulement de la contrainte, mais
arbitre sont une même chose. encore de la nécessité, quoiqu'elle ne soit jamais
278. »Que nul ne dise, je suis tenté de Dieu; sans la certitude infaillible, ou sans la déter
Ornais chacun est tenté, quand il est attiré et amor- mination inclinante.
»cé par sa propre concupiscence,* Jaq. I. 1 4. Et 281. Cependant il y a de l'autre côté un sens
Satan y contribue, »il aveugle les entcndemens des dans lequel il soroit permis de dire en certaines
»incrédules,« 2. Cor. IV. 1. Mais l'homme s'est rencontres, que le pouvoir de bien faire manque
livré au Démon par sa convoitise: le plaisir qu'il souvent, même aux justes; que les péchés sont
trouve au mal, est rhamrçon auquel il se laisse souvent nécessaires, même dans les régénérés;
prendre. Platon l'a déjà dit, et Cicéron lo répète. qu'il est impossible quelquefois qu'on ne pèche
Plato voluptatem dicebat escain uialo- pas; que la Grâce est irrésistible; que la liberté
rum. La Grâce y oppose un plaisir plus grand, n'est | mi ut exempte de la nécessité. Mais ces
comme S. Augustin l'a remarqué. Tout plaisir expressions sont moins exactes et moins revenan
est un sentiment de quelque perfection: l'on ai tes dans les circonstances où nous nous trouvons
me an objet, à mesure qu'on en sent les perfec aujourdhui; et absolument parlant, elles sont plus
tions : rien ne surpasse les perfections divines : d'où sujettes aux abus; et d'ailleurs elles tiennent quel
il suit que la charité et l'amour de Dieu donnent que chose du populaire, où les termes sont employés
le plus grand plaisir qui se puisse concevoir, à avec beaucoup de latitude. Il y a pourtant des cir
mesure qu'on est pénétré de ces sentirnens, qui ne constances qui les rendent recevables, et même uti
sont pas ordinaires aux hommes, parce qu'ils sont les, et il se trouve que des Auteurs saints et ortho
occupés et remplis des objets qui se rapportent à doxes, et même les Saintes Ecritures, se sont servis
leurs passions. des phrases de l'un et de l'autre côté, sans qu'il y
279. Or comme notre corruption n'est point ait une véritable opposition, non plus qu'entre S.
absolument invincible, et comme nous ne péchons Jaques et S. Paul, et sans qu'il y ait de l'erreur de
point nécessairement, lors mémo que nous sommes part et d'autre à cause de l'ambiguïté des termes.
sous l'esclavage du péché; il faut dire de même Et l'on s'est tellement accoutumé à ces diverses
que nous ne sommes pas aidés invinciblement; et manières de parler, que souvent on a de la peine
quelque efficace que soit la Grâce Divine, il y a à dire précisément quel sens est le plus naturel, et
lieu de dire qu'on y peut résister. Mais lorsquelle même le plus en usage (qui s scnsus magis na-
se trouvera victorieuse en effet, il est certain et in turalis, obvins, intentas), le même Auteur,
faillible par avance qu'on cédera à ses attraits, soit ayant de différentes vues en différons endroits, et
quVlle ait sa force d'elle-même, soit qu'elle trouve les mêmes manières de parler étant plus ou moins
588 LXXIII. TBEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IIL
reçnes ou reccvables avant ou après la décision de plusieurs, odium antecedaneuin: il faut plutôt
quelque grand homme, ou de quelque autorité qu'où soutenir qnc le Sage tend ù tout bien entant qiic
respecte et qu'où suit. Ce qui fait qu'on peut bien bien, à proportion de ses connoissanc«s et de ses
autoriser ou bannir dans l'occasion, et en certains forces, mais qu'il ne produit que le meilleur fai
tcms, certaines expressions; mais cela ne fuit riea sable. Ceux qui admettent cela, et ne laissent pas
au sens ni à la foi, si Ton n'ajoute des explications de refuser à Dieu la volonté antécédente de sauver
suffisantes des termes. tous li-s hommes, no manquent que par l'abus du
282. 11 ne faut donc que bien entendre les terme, pourvu qu'ils recounoisscnt d'ailleurs que Dieu
distinctions, comme celle que nous avons pressée donne à tous des assistances suffisantes pour pou
bien souvent entre le nécessaire et lu certain, et voir être sauvés, s'ils ont la volonté de s'en servir.
entra la nécessité métaphysique et la nécessité mo 283. Dans les dogmes mêmes des Disciples
rale. Et il eu est de même de la possibilité et de de Saint Augustin, je ne saurais goûter la damna
l'impossibilité, puisque l'événement dont l'opposé tion des enfans non régénérés, ni généralement celle
est possible, est contingent ; comme • < h i i dont l'op qui ne virnt que du seul péché originel. Je ne sau-
posé rs>t impossible, est nécessaire. Oit distingue rois croire non plus, que Dieu damne ceux qot
aussi avec raison entre un pouvoir prochain, et un manquent de lumières nécessaires. On peut croire
pouvoir éloigné; et suivant ces différons sens, on avee plusieurs Théologiens, que- les hommes reçoi
dit tantôt qu'une chose se peut, et tantôt qu'elle uo vent plus de secours qne nous ne savons, quand ce
se peut pns. L'on peut dire dans un certain .sens, ne serait qu'à Tarticle de la mort. 11 ne paroit
qu'il est nécessaire que les bienheureux ne pèchent point nécessaire non plus, que tous eeux qui sont
pas; qnc les Diables et les damnés pèchent; que sauvés, le soient toujours par noe Grâce efficace
Dieu même choisisse le meilleur; que l'homme suive par elle-même, indépendamment des circonstance
le parti qui après tout le frappe le plus. Mais cette Je ne trouve pas aussi qu'il soit nécessaire de dire
nécessité n'est point opposée à la contingence ; ce que toutes les vertus des Païens éfoient fausses, ni
n'est pas celle qu'on appelle logique, géométrique, que toutes leurs actions étoicut des péchés; quoi
ou métaphysique, dont l'opposé implique contra qu'il soit vrai que ce qui ne vient pas dp la fol, oa
diction. Monsieur Nicole s'est servi quelque part de la droiture de l'âme devant Dieu, est infecté du
d'une comparaison qui n'est point mauvaise. L'on péclié, an moins virtuellement. Enfin je tiens que
compte pour impossible qu'un Magistrat sage et Dieu ne saurait agir comme au hozard par un dé
grave, qui n'a pas perdu le sens, fasse publiquement cret absolument absolu, on par une volonté indé-
une grande extravagance, comme seroit, par excm- ]>endante. de motifs raisonnables. Et je suis per
p'e, de courir les rues tout nud, pour faire rire. 11 suadé qu'il est toujours mû, dans la dispensaiian de
en est de même en quelque façon des bienheureux; ses grâces, par des raisons où entre la nature des
ils sont encore moins capables de pécher, et la né objets; autrement il n'agiroit point suivant la sa
cessité, qui le leur défend est de la même espèr«. gesse: niais j'accorde cependant que ces raisoue ne
Enfin je trouve encore que la volonté est un ter sont pas attachées nécessairement aux bonnes ou
nie aussi équivoque, que le pouvoir et la nécessité. aux moins mauvaises qualités naturelles des hom
Car j'ai déjà remarqué que ceux qui se servent de mes, comme si Dieu ne dounoit jamais ses gra«*s,
cet axiome, qu'on ne manque point de faire ce qne suivant ces bonnes qualités ; quoique je tienne,
qu'on veut, quand on le peut, et qui en infèrent comme je nie suis déjà expliqué ci-dessus, qu'elles
que Dieu ne veut donc point le salut >!•• tous, en entrent en considération, comme toutes les antres
tendent une volonté décrétoire; et ce n'est circonstances: rien ne pouvant être négligé, dans
que dans ce sens qu'on peut soutenir cette impo les vues de la suprême sagesse.
sition, que le Sage ne veut jamais ce qu'il sait être 284. A ces points près, et quelque» peu d'an
du nombre des choses qui n'arriveront poini. An tres, on S. Augustin paroit obscur, on mémo rebu
lieu qu'on peat dire, en prenant la volonté dans nu tant, il semble qu'on se peut accommixk-r de son
sens plus général et plus conforute à l'usage, que système : il porte que de la substance de Dieu, il
la volonté du Sage est inclinée autécédemment ne peut sortir qu'an Dien, et qa'aiasi la Créature
à toot bien, quoiqu'il décerne enfin de faire ce est tirée da néant. Augustin, de lib. arb. lib.
qni est le plus convenable. Ainsi on auroit grand 1 . c. 2. C'est ce qui la rend imparfaite, défectueuse,
tort de refuser à Dieu cette inclination sérieuse et et corruptible. De Gènes, ad lit. c. 15. contr.
forte de sauver tous les hommes, que la sainte Epistolam Manichaci, c. 36. Le mal ne visât
Ecriture lui attribue; et même du lui attribuer une pas de la natnre, mais de la mauvaise volonté,
«version primitive qui l'éloigné d'abord du salut de August. dans tout le Livre de la nature du
LXXIII. THÉODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 589
bien. Dieu ne peut rien commander qui soit im plan de ses Ouvrages, qui ne sauroit être mieux ,
possible. »Firmissitne créditer Deum justum et conçu.
»bonum impossibilia uon potuisse praecipere. Lib. 266. Quant à la Prédestination an salut, elle
»de nat. et grat. c. 43. c. 69. Nemo peccat iu eo, comprend aussi, selon S. Augustin, l'ordonnance des
»quocl caveri non potest. lÀb. 3. de lib. arb. c. 16. moyens, qui mèneront au salut. »Praedestinatio
»17. L. 1. retract, c. 11. 13. 15.« Sons un Dieu »Sanctoruin nihil aliud est, qnam praescieutia et
juste, personne ne peut être malheureux, s'il ne le »praeparatio beneficiornm Dei, quibus certissime
rcérite, neque sub Deo justo miser esse »liherantur, quicunque liberantur.tf Lib. de persev.
quisquani, nisi inereatur, potest. Lib. 1. c. 14. 11 ne la conçoit donc point en cela com
c. 32. Le libre -arbitre ne sauroit accomplir les me un décret absolu ; il veut qu'il y ait une grâce
Commaudemens de Dieu, sans le secours de la Grâce. qui n'est rejetée d'aucun coeur endurci, parce qu'elle
Ep. ad Hilar. Caesaraugustan. Nous savons est donnée pour ôter sur-tout la dureté des coeurs.
que la Grâce ne sn donne pas solo» les mérites. Lib. de Pracdest. c. 8. Lib. de Grat. c. 13.
Ep. 106. 107/120. L'homme dans l'état de l'in 14. Je ne trouve pourtant pas que S. Augustin ex
tégrité avoit le secours nécessaire pour pouvoir bien prime assez que cette Grâce qui soumet le coeur,
faire, s'il vouloit-, mais le vouloir dépendoit du est toujours efficace par elle-même. Et je ne sais
libre-arbitre, »habebat adjutoiïnm, per quod pos- si l'on n'auroit pas pu soutenir sans le choquer,
»set, et sine quo non vellet, scd non adjutorium qu'un même degré de Grâce iuternc est victorieux
»quo vellet. Lib. de corrupt. c. 11. et c. 10. 12.« dans l'un, où il est aidé par les circonstances, et no
Dieu a laissé essayée aux Anges et aux hommes, ce l'est pas dans l'autre.
qu'ils pouvoient par leur libre -arbitre, et puis ce 287. La volonté est proportionné» au sentiment
que pouvoit sa grâce et sa justice, d. c. 10. 11. 12. que nous avons du bien, et en suit la prévaleuce.
Le péché a détourné l'homme de Dieu, pour le tour »Si utrumque tautumdem diligimus, nihil horum
ner vers les Créatures. Lib. 1. qu. 2. ad Si in pi. »dabiuius. Item, quod amplius nos délectât, se-
Se plaire à pécher est la liberté d'un esclave. Eu- »cuudum id operemur necesse est,« in c. 5. ad Gai.
cbir. c. 103. »Liberum arbitrium usque adeo in J'ai expliqué déjà comment avec tout cela nous
»peccatore non periit, ut per illnd peccent maxime avons véritablement un grand pouvoir sur notre
»omnes, qui cum delectationcpeccaot.« Lib. 1. ad volonté. S. Augustin le prend un pou autrement,
Bonifac. c. 2. 3. et d'une manière qui ne mène pas fort loin, comme
285. Dieu dit à Moïse: Je ferai miséri lorsqu'il dit qu'il n'y a rien qui soit tant en notre
corde à celui à qui je ferai miséricorde, puissance, que l'action de notre volonté, dont il
et j'aurai pitié de celui de qui j'aurai pi rend une raison qui est un peu identique. Car, dit-
tié (Exod. XXXIII. 19.). Ce n'est donc pas il, cette action est prête au moment que nous vou
du voulant, ni du courant, mais de Dieu, lons. »Nihil tam in nostra potestate est, quam ipsa
qui fait miséricorde, Rom. IX. 15. 16. Ce M'oluntas, ea euim inox ut volumus praesto est.*
qui n'empêche pas que tous ceux qui ont bonne vo Lib. 3. de Lib. Arh. c. 3. lib. 5. de civ. Dei c. 10.
lonté, et qui y persévèrent, ne soient sauvés. Mais Mais cela signifie seulement que nous voulons lors
Dieu leur donne le vouloir et le faire. Il que nous voulons, et non pas que nous voulons ce
fait donc miséricorde à celui à qui il veut, nous souhaitons do vouloir. 11 y a plus de su
et il endurcit qui il veut, Rom. IX. 29. Et jet de dire avec lui: aut voluntas non est, aut
cependant le même Apôtre dit, que Dieu vent libéra dicenda est, d. I. 3. c. 3. et que ce qui
que tous les hommes soient sauvés, et porte la volonté au bien infailliblement, ou certai
parviennent à la coniioissance de la véri nement, ne l'empêche point d'être libre. »Perquam
té; ce que je ne vouclrois pas interpréter suivant »absurdum est, ut ideo dicamus non pertinere ad
quelques endroits de S. Augustin, comme s'il signi- »voluntatem (libertatem) uostram, quod beati esse
fioit qu'il n'y a point de sauvés que ceux dont il »volumus, quia id omnino nolle non possumus
veut Je salut, ou comme s'il vouloit sauver non »nescio qua bona coustrictione naturae. Née cliccre
singulos generum, sed gênera singulo- »audeinus ideo Deum non voluntatem (libertatem),
rum. Mais j'aime mieux dire qu'il n'y en a aucun »sed nccessitatem habere justitiae, quia non potest
dout il ne veuille le salut, autant que de plus gran- Svelle peccare. Certc Dous ipse numquid quia pec-
des raisons le permettent, qui font que Dieu ne »care nou potest, ideo liberum arbitrium habere
sauve que ceux qui reçoivent la foi qu'il leur a »negandus estî« de Nat. et Grat. c. 46. 47. 48.
offerte, et qui s'y rcndeut par la grâce qu'il leur a 4 9. 11 dit aussi fort bien, que Dieu donne le pre
donnée, suivant ce qui convcuoit à l'intégrité du mier bon mouvement, mais que pa'r après l'homme
75
500 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
agit aussi. Aguntur ut agant, non ut ipsi roit, si nous avions les yeux de l'entendement ou
nihil agant, de Corrupt. c. 2. verts. Cependant ce mauvais état où est l'esclave,
288. Nous avons établi que le libre-arbitre est et celui où nous sommes, n'empêche pas que nous
la cause prochaine du mal de coulpe, et ensuite du ne fassions un choix libre (aussi-bien que lui) de ce
mal de peine ; quoiqu'il soit vrai que l'imperfection qui nous plaît le plus, dans l'état où nous sommes
originale des Créatures qui se trouve représentée réduits, suivant nos forces et nos connoissances
dans les idées éternelles, en est la première et la présentes.
plus éloignée. Cependant Mr. Bayle s'oppose tou 290. Pour ce qui est de la spontanéité, elle
jours à cet usage du libre-arbitre, il ne vent pas nous appartient entant que nous avons en nous le
qu'on lui attribue la cause du mal : il faut écouter principe de nos actions, comme Aristote la fort
ses objections; mais auparavant il sera bon d'é- bien compris. 11 est vrai que les impressions des
claircir encore davantage la nature de la liberté. choses extérieures nous détournent souvent de notre
Nous avons fait voir que la liberté, telle qu'on la chemin, et qu'on a cru communément, qu'au moins
demain li- dans les Ecoles Théologiques, consiste à cet égard, une partie des principes de nos actions
dans l'intelligence, qui enveloppe une connois- étoit hors de nous; et j'avoue qu'on est obligé de
sance distincte de l'objet de la délibération ; dans parler ainsi, en s'accommodant au langage popu
la spontanéité, avec laquelle nous nous déter laire, ce qu'on peut faire dans un certain sens, sans
minons; et dans la contingence, c'est-à-dire blesser la vérité: mais quand il s'agit de s'expli
dans l'exclusion de la nécessité logique ou méta quer exactement, je maintiens que notre sponta
physique. L'intelligence est comme l'âme de la néité ne souffre point d'exception, et que les choses
liberté, et le reste en est comme le corps et la base. extérieures n'ont point d'influence physique sur
La substance libre se détermine par elle-même , et nous, à parler clans la rigueur philosophique.
cela suivant le motif du bien appercu par l'enten 291. Pour mieux entendre ce point, il faut sa
dement qui l'incline sans la nécessiter: et toutes les voir, qu'une spontanéité exacte nous est commune
conditions de la liberté sont comprises dans ce peu avec toutes les substances simples, et que dans la
de mots. Il est "bon cependant de faire voir que substance intelligente ou libre, elle devient un em
l'imperfection qui se trouve dans nos connoissances pire sur ses actions. Ce qui ne peut être mieux
et dans notre spontanéité, et la détermination in expliqué, que par le système de l'harmonie
faillible qui est enveloppée dans notre contingence, préétablie, que j'ai proposé il y a déjà plusieurs
ne détruisent point la liberté ni la contingence. années. J'y fais voir, que naturellement chaque
289. Notre connoissance est de deux sortes, substance simple a de la perception, et que sou in
distincte, ou confuse. La counoissance distincte, dividualité consiste dans la loi perpétuelle qui fait
ou l'intelligence, a lieu dans le véritable usage la suite des perceptions qui lui sont affectées, et qui
de la Raison; mais les sens nous fournissent des naissent naturellement les unes des autres, pour
pensées confuses. Et nous pouvons dire que nous représenter le corps qui lui est assigné, et par son
sommes exempts d'esclavage, entant que nous agis moyen l'Univers entier, suivant le point de vue
sons avec» une connoissance distincte; mais que propre à cette substance simple; sans qu'elle ait
nous sommes asservis aux passions, entant que besoin de recevoir aucune influence physique du
nos perceptions sont confuses. C'est dans ce sens corps: comme le corps aussi de son côté s'accom
que nous n'avons pas toute la liberté d'esprit qui mode aux volontés de l'âme par ses propres lois,
seroit à souhaiter, et que nous pouvons dire avec et i>ar conséquent ne lui obéit, qu'autant que ces
S. Augustin, qu'étant assujettis au péché, nous avons loix le portent. D'où il s'ensuit, que l'âme a donc
la liberté d'un esclave. Cependant un esclave, tout en elle-même une parfaite spontanéité, ensorte
esclave qu'il est, ne laisse pas d'avoir la liberté de qu'elle ne dépend que de Dieu et d'elle-même dans
choisir conformément à l'état où il se trouve, quoi ses actions.
qu'il se trouve le plus souvent dans la dure néces 292. Comme ce système n'a pas été connu au
sité de choisir entre deux maux, parce qu'une force paravant, on a cherché d'autres moyens de sortir
supérieure ne le laisse pas arriver aux biens où il de ce labyrinthe, et les Cartésiens mêmes ont été
aspire. Et ce que les liens et la contrainte font en embarrassés au sujet du libre-arbitre. Ils ne se pa-
un esclave, se fait en nous par les passions, dont la yoient plus des facultés de l'Ecole, et ils considé-
violence est douce, mais n'en est pas moins perni roieut q'ue toutes les actions de l'âme Croissent
cieuse. Nous ne voulons, à la vérité, que ce qui être déterminées par ce qui .vient de dehors, sui
nous plaît : mais par malheur ce qui nous plaît à vant les impressions des sens; et qu'enfin tout est
présent, est souvent un vrai mal, qui nous déplai- dirigé dans l'Univers par la providence de Dieu:
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 591
mais il en naissoit naturellement cette objection, mystères étoient irréconciliables avec la Raison, et
qu'il n'y a donc point de liberté. A cela Mr. Des s'il y avoit des objections insolubles; bien loiu de
cartes répondoit, que nous sommes assurés de cette trouver le mystère incompréhensible , nous en
providence par la Raison, mais que nous sommes comprendrions la fausseté. Il est vrai qu'ici il ne
assurés aussi de notre liberté par l'expérience in s'agit d'aucun mystère, mais seulement de la Re
térieure que nous en avons; et qu'il faut croire ligion naturelle.
l'une et l'autre, quoique nous ne voyions pas le 295. Voiei cependant comment M. Bayle com
moyen de les concilier. bat ces expériences internes, sur lesquelles les Car
293. C'étoit couper le noeud Gordien, et ré tésiens établissent la liberté: mais il commence
pondre à la conclusion d'un argument, non pas en par des réflexions, dont je ne saurois convenir.
le résolvant, mais en lui opposant un argument con »Ceux qui n'examinent pas à fond (dit-il Dictionn.
traire; ce qui n'est point conforme aux loix des »art. Helen. let. TA.) ce qui se passe en eux, se
combats philosophiques. Cependant, lu plupart des «persuadent facilement qu'ils sout libres, et que si
Cartésiens s'en sont accommodés, quoiqu'il se trouve »leur volonté se porte au mal, c'est leur faute, c'est
que l'expérience intérieure qu'ils allèguent ne prouve »par un choix dont ils sont les maîtres. Ceux qui
pas ce qu'ils prétendent, comme Mr. Bayle l'a fort -Muni un autre jugement, sont des personnes qui
bien montré. Monsieur Régis (Philos. T. l.Metaph. »ont étudié avec soin les ressorts et les circonstan
liv. 2. part. 2. c. 22.) paraphrase ainsi la doctrine ces de leurs actions, et qui ont bien réfléchi sur
de Mr. Dcscartes: *La plupart des Philosophes «le progrès du mouvement de leur âme. Ces jier-
»(dit-il) sont tombés eu erreur, en ce que les uns «sonnes-là pour l'ordinaire doutent de leur franc-
»ne pouvant comprendre le rapport qui est entre «arbitre, et viennent même jusqu'à se persuader,
»Ies actions libres et la providence! de Dieu, ont »que leur Raison et leur Esprit sont des esclaves,
«nié que Dieu fût la cause efficiente première des «qui ne ]>euveDt résister à la force qui les entraîne
factions du libre -arbitre, ce qui est un sacrilège: «où ils ne voudroieut pas aller. C'étoient princi-
»et les autres ne pouvant concevoir le rapport qui «palement ces sortes de personnes, qui attribuoient
»est entre l'efficacité de Dieu et les actions libres, »aux Dieux la cause de leurs mauvaises actions.
»out nié que l'homme fût doué de liberté, ce qui 296. Ces paroles me font souvenir de celles du
»est une impiété. Le milieu qu'on trouve entre ces Chancelier Bacon, qui dit que la Philosophie goûtée
«deux extrémités, est de dire (id. ibid. pag. 485.) | médiocrement nous éloigne de Dieu, mais qu'elle
»que quand nous ne pourrions pas comprendre tous : y ramène ceux qui l'approfondissent. Il en est de
»les rapports qui sout entre la liberté, et la provi- même de ceux qui réflechistent sur leurs actions:
!»dencc de Dieu, nous ne laisserions pas d'être il leur paroit d'abord, que tout ce que nous faisons
^obligés à reconnoitre que nous sommes libres, et n'est qu'impulsion d'antrni; et que tout ce que nous
»dépendans de Dieu; parce que ces deux vérités concevons vient de dehors par les sens, et se traco
«sont également connues, l'une par l'Expérience, dans le vuide de notre esprit, tanquaui in ta
»et l'autre par la Raison, et que la prudence ne bula rasa. Mais une méditation plus profonde
»veut pas qu'on abandonne des vérités dont on est nous apprend, que tout (même les perceptions et
Rassuré, parce qu'on ne peut pas concevoir tous les passions) nous vient de notre propre fonds,
«les rapports qu'elles ont avec d'autres vérités avec une pleine spontanéité.
«qu'on connoit.ù 297. Cependant Mr. Bayle cite des Poètes, qui
294. M. Bayle y remarque fort bien à la marge, prétendent disculper 1rs hommes en rejetant la faute
«que ces expressions de Monsieur Régis n'indiquent sur les Dieux. Médée parle ainsi che/, Ovide:
»point que nous couuoissons des rapports entre les Frustra, Medea, répugnas,
factions de l'homme et la providence de Dieu, qui Nescio quis Deus obstat, ait.
«nous, paraissent incompatibles avec notre libei lé.«i Et un peu après Ovide lui fait ajouter :
11 ajoute, que ce sont des expressions ménagées, ' Sed trahit invitam nova vis, aliudque cupido,
qui aflbiblissent l'état de la question. «Les Auteurs : Mens aliud suadet: video meliora proboque,
^supposent (dit-il) que la difficulté vient unique- Détériora sequor.
«ineut de ce qu'il nous manque des lumières; au Mais on y pouvoit opposer Virgile, chez qui Nisus
»lieu qu'ils devroient dire qu'elle vient principale- dit avec bien plus de raison :
»ment des lumières que nous avons et que nous ne - - Di no hune ardorcm mentibus addunt,
«pouvons accorder (au sentiment de Mr. Bayle) Euryalc, an sua cniqnc Deus fit dira cupido ?
»avec nos mystères. « C'est justement ce que j'ai , 298. Monsieur Wittichius paroit avoir cru,
dit au couimcnceineut de cet Ouvrage, que si les qu'en effet notre indépendance n'est qu'apparente.
75»
592 LXXIII. THEODICER. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE IIL
Car dans sa Dissertation clé providentia Dei «nient la création) ne sont jamais parvenus à la
actuali (n. 01.) il fait consister le libre -arbitre «conuoissance de ce dogme véritable que nons avoua
en ce que nous sommes portés île telle façon vers «été faits de rien, et que nous sommes tirés du
les objtts qui se présentent à notre âme, pour être «néant à chaque moment de notre durée. Ils ont
affirmés ou niés, aimes ou haïs, que nous ne sen »donc cru faussement que tout ce qu'il y a de sub
tons point qu'aucune force extérieure nous dé stances dans l'Univers, existent par elles-mêmes,
termina: II ajoute, quand Dieu produit lui-même «et qu'elles ne peuvent jamais être anéanties: et
nos volitions, qu'alors nous agissons le plus libre »qu'ainsi elles ne dépendent d'aucune autre chose
ment; et que plus Faction de Dieu est efficace et »qu'à l'égard de leurs modifications, sujettes à être
puissante sur nous, plus sommes-- nous les maîtres «détruites par l'action d'une cause externe. Cette
de nos actions. «Quia eniin Deus operatur ipsum terreur ne vient-elle pas de ce que nous ne sentons
e, quo efficacius operatur, eo magis voluinus; «point l'action créatrice qui nous conserve, et que
autem, cum volumus, facimus, id maxime »nous sentons seulement que nous existons; quo
«habemus in nostra potestate.« 11 est vrai que «nons le sentons, dis-je, d'une manière qui nous
lorsque Dieu produit une volonté en nous, il pro «tieudroit éternellement dans l'ignorance de la
duit une action libre : mais il me semble qu'il ne «cause de notre être, si d'antres lumières ne nous
s'agit point ici de la cause universelle, ou de cette «secouraient .' Disons aussi, que le sentiment clair
production de la volonté qui lui convient entant «et net, que nous avons des actes de notre volonté,
qu'elle est une créature, dont ce qui est positif est »ne nous peut pas faire discerner si nons nous les
en effet créé continuellement par le concours de «donnons nous-mêmes, ou si nous les recevons de
Dieu, comme toute autre réalité absolue des choses. f> la même cause qui nous donne l'existence. 11 faut
Il s'agit ici des raisons de vouloir, et des moyens «recourir à la réflexion ou à la méditation, afin dû
dont Dieu se sert, lorsqu'il nous donne une bonne «faire ce discernement. Or je mets en fait, que pat
volonté, ou nous permet d'en avoir une mauvaise. »des méditations purement philosophiques, on nu
C'est nous toujours "qui la produisons, bonne ou «peut jamais parvenir à une certitude bien fondée
mauvaise, car c'est notre action: mais il y a tou «que nous sommes la cause efficiente de nos voli-
jours des raisons qui nous font agir, sans faire tort «tions: car toute personne qui examinera bien les
à notre spontanéité ni à notre librrté. La Grâce ne «choses, connoîtra évidemment que si nous n'étions
fait que donner des impressions qui contribuent à «qu'un sujet passif à l'égard de la volonté , nous
faire vouloir par des motifs convenables, tel que «aurions les mêmes sentimens d'expérience que
seroit une attention, un die cur hic, un plaisir «nous avons lorsque nous croyons être libres. Sup-
prévenant. Et l'on voit clairement que cela ne «posez, par plaisir, que Dieu ait réglé de telle sorte
donne aucnne atteinte à la liberté, non plus que «les loix de l'union de l'âme et du corps, que tou-
pourroit faire un ami, qui conseille et qui fournit «tes les modalités de l'âme sans en excepter aucune
des motifs. Ainsi Mr. Wittichius n'a pas bien ré «soient liées nécessairement entre elles avec l'inter-
pondu à la question, non plus que Mr. Bayle, et le «position des modalités du cerveau : vous cotnpren-
recours à Dieu ne sert de rien ici. «drez qu'il ne nons arrivera que ce que nous éprou-
299. Mais donnons un autre passage bien plus «vons: il y aura dans notre âme la même suite de
raisonnable du même Mr. Bayle, où il combat «pensées, depuis la perception des objets des sens
mieux le prétendu sentiment vif de la liberté, qui «qui est sa première démarche, jusqu'aux volitions
la doit prouver chez les Cartésiens. Ses paroles sont «les plus fixes, qui sont sa dernière démarche. 1!
en effet pleines d'esprit, et dignes de considération, «y aura dans cette suite le sentiment des idées,
et se trouvent dans la Réponse aux Questions d'un «celui des affirmations, celui des irrésolutions, celui
Provinc. ch. 140. (Tom. III. p. 761. seqq. Les «desvelléitésetcelui des volitions. Car soit que l'acte
voici: »Par le sentiment clair et net que nous avons »de vouloir nons soit imprimé -par une canse exté-
«de notre existence, nous ne discernons pas si nous «tieure, soit que nous le produisions nous-mêmes,
)»existons pat nous-mêmes, ou si nous tenons d'un J «il sera également vrai que nous voulons, et que
»antre ce que nous sommes. Nous ne discernons «nous sentons que nous voulons ; et comme cette
»cela que par la voie des réflexions; c'est-à-dire «cause extérieure peut mêler autant de plaisir
»qn'en méditant sur l'impuissance où nous sommes «qu'elle veut dans la volitîon qn'eHe nous imprime,
«de nous conserver autant que nous voudrions, et «nous pourrons sentir quelquefois que les actes de
«de nons délivrer de la dépendance des Etres qui «notre volonté nous plaisent infiniment, et qu'ils
«environnent etc. Il est même sûr que les Païens, «nous mènent selon la pente de nos pins fortes in-
«(il faut dire la même chose des Sociniens, puisqu'ils «d imitions Nous ne sentirons point de contrainte:
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 593
J»vous savez la maxime, voluntas non potest cogi. donc pins être révoquée eu doute, comme Aristot«
«Ne comprenez-vous pas clairement qu'une girouette Ta bien définie, en disant qu'une action est spon
»à qui Ton imprimerait toujours tout à-la-fois (en tanée, quand son principe est dans celui qui agit.
»sorte pourtant que la priorité de nature, ou si l'on, Spontancnm est, cujus principi uni est in
»vcut même une priorité d'instant réel, convieu- agente. Et c'est ainsi que nos actions et nos vo
»droit au désir de se mouvoir) le mouvement vers lontés dépendent entièrement de nous. Il est vrai
)>un certain point de l'hcri/on, et l'envie de se tour- que nous ne sommes pas les maîtres de notre vo
»ner de ce côté-là, seroit persuadée qu'elle se mou- lonté directement, quoique nous en soyons la cause;
5>vroit d'elle-même pour exécuter les désirs qu'elle car nous ne choisissons pas les volontés, comme
^formerait ? Je suppose qu'elle nu sauroit point nous choisissons nos actions par nos volontés. Ce
#qnïl y eût des vents, ni qu'une cause extérieure pendant nous avons un certain pouvoir encore sur
«fir changer tout-à-Ia-foi.s, et sa situation, et ses notre volonté, parce que nous pouvons contribuer
^désirs. Nous voilà naturellement dans cet état: indirectement à vouloir une autre fois ce que nous
»nous ne savons point si une cause invisible nous voudrions vouloir présentement, comme j'ai inou
»fait passer successivement d'une pensée à une tré ci-dessus; ce qui n'est pourtant pas velléité,
»autre. II est donc naturel que les hommes se à proprement parler : et c'est encore en cela que
^persuadent qu'ils se déterminent eux-mêmes. Mais nous avons un empire particulier, et sensible même,
»il reste à examiner s'ils se trompent en cela comme sur nos actions et sur nos volontés; mais qui ré
wni une infinité d'autres choses qu'ils affirment par sulte de la spontanéité, jointe à l'intelligence.
»une espèce d'instinct, et sans avoir employé les 302. Jusqu'ici nous avons expliqué les deux
^méditations philosophiques. Puis donc qu'il y a conditions de la liberté dont Aristote a parlé, c'est-
»deux hypothèses sur ce qui se passe dans l'homme ; à-dire la spontanéité et l'intelligence, qui
JM'unc, qu'il n'est qu'un sujet passif; l'autre, qu'il se trouvent jointes en nous dans la délibération;
)>a des vertus actives; on ne peut raisonnablement au lieu que les bêtes manquent de la seconde con
^préférer la seconde à la première, pendant que dition. Mais les Scolastiques en demandent encore
J»l'on ne peut alléguer qne des preuves de sentiment: une troisième, qu'ils appellent l'indifférence.
• »car nous sentirions avec une égale force que nous Et en effet il faut l'admettre, si l'indifférence signifie
9 voulons ceci ou cela, soit que toutes nos volitions autant que contingence; car j'ai déjà dit ci-des
^fussent imprimées à notre âme par une cause ex sus, que la liberté doit exclure une nécessité abso
térieure et invisible, soit que nous les formassions lue et métaphysique ou logique. Mais, comme je
»nous-mèmes.« me suis déjà expliqué plus d'une fois, cette indiffé
300. Il y a ici des raisonnemcns fort beaux, rence, cette contingence, cette non-nécessité,
qui ont de la force contre les systèmes ordinaires; si j'ose parler ainsi, qui est un attribut caracté
mais ils cessent par rapport an système de l'Har ristique de la liberté, n'empêche pas qujon n'ait
monie préétablie, qui nous mène plus loin que nous des inclinations plus fortes pour le parti qu'on choi*
ne pouvions aller auparavant. Mr. Bayle met en sit; et elle ne demande nullement qu'on soit abso
fait, par exemple, »que par des méditations pure- lument et également indifférent pour les deux partis
2inent Philosophiques, ou ne peut jamais parvenir opposés.
»à une certitude bien fondée, que nous sommes la 303. Je n'admets donc l'indifférence que dans
»cause efficiente do nos volitions;* mais c'est un un sens, qui la fait signifier autant que contin
point que je ne lui accorde pas: car l'établissement gence, ou non-nécessité. Mais, comme je mo
de ce système montre indubitablement, que clans suis expliqué plus d'une fois, je n'admets point une
le cours de la nature chaque substance est la cause indifférence d'équilibre, et je ne crois paa
unique de toutes ses actions, et qu'elle est' exempte qu'on choisisse jamais, quand on est absolument
de toute influence physique de toute autre substance, indifférent. Un tel choix seroit une espèce de pur
excepté le concours ordinaire de Dieu. Et c'est ce liazard, sans raison déterminante, tant apparente,
système qui fait voir que notre spontanéité est vraie, que cachée. Mais un tel hazard, une tulle casualité
et non pas seulement apparente, comme M. \Vitti- absolue et réelle, est une chimère qui ne se trouve
chius l'avoit cru. Mr. Bayle soutient aussi par les jamais dans la nature. Tous les Sages conviennent
mêmes raisons, (oh. 170. p. 1132.) que s'il y avoit que le ha/ard n'est qu'une chose apparente, comme
un Fatum Astrologicnm, il ne détruiroit point la fortune : c'est l'ignorance des causes qui le fait.
la liberté; et je le lui accorderois, si elle ne con- Mais s'il y avoit une telle indifférence vague, ou
sistoit que dans une spontanéité apparente. bien si l'on y choisissoit sans qu'il y eût rien qui
301. La spontanéité de nos actions lie peut nous portât à choisir, lo hazard seroit quelque chose
594 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
tic réel, semblable à ce qui se trouvoit dans ce petit rer ceci à cela, parce qu'il inc plaît d'en
détour dos atomes, arrivant sans sujet et sans rai user ainsi. Mais ces mots, parce qu'il me
son, au sentiment d'Epicurc, qui l'avoit introduit plaît, parce que tel est mon plaisir, ren
pour éviter la nécessité, dont Cicéron s'est tant mo ferment déjà un penchant vers l'objet qui plaît.
qué avec raison. • 307. On n'a donc point droit de continuer
304. Cette déclinaison avoit une cause finale ainsi: »Et alors ce- qui le détermineroit, ne se-
dans l'esprit d'Epkure, son but étant de nous ex »roit pas pris de l'objet; le motif DC seroit tiré
empter du destin ; mais elle n'en peut avoir d'effi »que les idées qu'ont les hommes de leurs propres
ciente dans la nature des choses, c'est une chimère ^perfections, ou de leurs facultés naturelles. L'au-
des plus impossibles. Mr. Bayle la réfute lui-même 3»tre voie est celle du sorte du hasard: la courte-
fort bien, comme nous dirons tantôt; ef cependant )>paille déciderait.* Cette voie a issue, mais elle
il est étonnant qu'il paroit a.lmettre lui-même ail ne va pas au but : c'est changer de question , car
leurs quelque chose de semblable à cette prétendue ce n'est pas alors l'homme qui décide; ou bien si
déclinaison. Car veici ce qu'il dit en parlant de l'on prétend que c'est toujours l'homme qui décide
l':1ue de Buridan (Diction, art. Buridan, Cit. 13.). par lu sort, l'homme même n'est plus dans l'équi
»Ceux qui tiennent le franc-arbitre proprement dit, libre, parce que le sort ne l'est point, et l'homme
^admettent dans l'homme une puissance de se dé s'y est attaché. Il y a toujours des raisons dans la
terminer, ou du côté droit, ou du côté gauche, nature, qui sont eause de ce qui arrive par hazard
J)lors môme que les motifs sont parfaitement égaux ou par le sort. Je m'étonne un peu, qu'un esprit
»de la part des deux objets opposés. Car ils pré aussi pénétrant que celui de M. Bayle ait pu telle
tendent que notre âme peut dire, sans avoir d'an- ment prendre le change ici. J'ai expliqué ailleurs
»tre raison que celle de faire usage de sa liberté: la véritable réponse qui satisfait au sophisme de
»J'aime mieux ceci que cela, encore que je ne voie Buridan: c'est que le cas du parfait équilibre
»rien de plus digne de mou choix dans ceci ou est impossible, l'Univers ne pouvant jamais être
»daus cela.« miparti, en sorte que toute les impressions soient
305. Tout ceux qui admettent un libre-arbitre équivalentes de part et d'autre.
proprement dit, n'accorderont pas pour cela à Mr. 308. Voyons ce que M. Bayle lui-même dit ail
Bayle cette détermination venue d'une cause indé leurs contre l'indifférence chimérique ou absolu
terminée. S. Augustin et les Thomistes jugent que ment indéfinie. Cicéron avoit dit (dans son Livre
tout est déterminée. Et l'on voit que leurs adver de fato) que Carnéade avoit trouvé quoique chose
saires recourent aussi aux circonstances qui contri de plus subtil que la déclinaison des atomes, en
buent à notre choix. L'expérience ne favorise nulle attribuant la cause d'une prétendue indifférence
ment la Chimère d'une indifférence d'équilibre; et absolument indéfinie aux mouvemcns volontaires
l'on pt'i|t employer ici le raisonnement que Mr. des âmes, parce que ces mouvemens n'ont point
Baylc employoit lui-même contre la manière des besoin d'une cause externe, venant de notre na
Cartésiens de prouver la liberté par le sentiment ture. Mais M. Bayle (Dictioun. artic. Epicnre,
vif de notre indépendance. Car quoique je ne voie p. 1 143.) réplique fort bien, que tout ce qui vient
]>as toujours la raison drunc iuclinatiou qui me fait du la nature d'une chose est déterminé: ainsi la
choisir entre deux partis qui paroissent égaux, il y détermination reste toujours, et l"échap|>atoire de
aura toujours quelque impression, quoiqu'impor- Carnéade. ne sert de rien.
ceptiblc, qui nous détermine. -Vouloir faire simple 309. Il montre ailleurs, Rep. au Trovinc. eh.
ment usage de sa liberté, n'a rien de spécifiant, ou 90. T. 2 p. 229.) *qu'une liberté fort éloignée
qui nous détermine au choix du l'un ou de l'autre »de cet équilibre prétendu est incomparablement
parti. »p!us avantageuse. J'entens (dit -il) une liberté
306. M. Bayle poursuit: *I1 y a pour la moins »qui suive toujours les jugemrns de l'esprit, et qui
»deux voies, par lesquelles l'homme se peut dé- »ne puisse résister à des objets clairement connus
!>gager des pièges de l'équilibre. L'une est celle »comme bons. Je ne connois point de gens qui uo
»que j'ai déjà alléguée: c'est pour se flatter de Conviennent que la vérité clairement connue tté-
»l'agréable imagination, qu'il est le maître chez »cessite« (détermine plutôt, à moins qu'on ne parle
»lui, et qu'il ne dépend pas des objets. 4 Cette voie d'une nécessité morale) »le consentement de l'aine;
se trouve bouchée: on a beau vouloir faire le maî ^l'expérience nous l'enseigne. On enseigne con-
tre chez soi, cela ne fournit rien de déterminant, et »staniment dans les Ecoles , que comme le vrai est
ne favorise pas un parti plus que l'autre. M. Baylc M'objet de l'entendement , le bien est l'objet do la
poursuit: 11 feroit cet acte: Je veux préfé »volouté; et quj comme l'entendement ne y>cut
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 593
»jatnais affirmer qnc ce qui se montre à lui sous pas toujours la raison de nos instincts. Les An
9l'apparence tic la vérité, la volonté ne peut ja- ges et les Bienheureux sont des Créatures
»mais rien aimer qui ne lui Croisse bon. On ne aussi -bien qnc nous, où il y a toujours quelque
»croit jamais le faux entant que faux, et ou n'aime perception confuse mêlée avec des conuoissances
^jamais le mal entant que mal. Il y a dans l'en distinctes. Snarès a dit quoique chose d'approchant
tendement une détermination naturelle au vrai en à leur sujet. Il croit (Traité de l'Oraison, liv. 1.
^général, et à chaque vérité particulière claire- I ch. 11.) que Dieu a réglé les choses par avance,
»ment connue. 11 y a dans la volonté une ! en sorte que leurs prières, quand elles se font avec
indétermination naturelle au bien en général: doù une volonté pleine, réussissent toujours: c'est un
»plusieurs Philosophes concluent que dès que les échantillon d'une harmonie préétablie. Quant
»biens particuliers nous sont connus clairement, à nous, outre le jugement de l'entendement, dont
•MIDII-: sommes nécessités à les aimer. L'entendc- nous avons une connoissance expresse, il s'y mêle
»nient ne suspend ces actes, que quand les objets des perceptions confuses des sens, qui font naître
»sc montrent obscurément, de sorte qu'il y a lieu des passions et même des inclinations insensibles,
»de douter s'ils sont faux ou véritables: et de là dont nous ne nous appcrccrons pas toujours. Ces
»plusieurs concluent que la volonté ne demeure en mouvemens traversent souvent le jugement de l'en
»équilibrc, que lorsque l'âme est incertaine si l'ob- tendement pratique.
»jet qu'on lui présente est un bien à sont égard: 311. Et quant au parallèle entre le rapport de
»mais qu'aussi, dès qu'elle se range à l'affirmative, l'entendement au vrai, et de la volonté au bien;
9elle s'attache nécessairement à cet objet- là, jus- il faut savoir qu'une perception claire et distincte
»qu'à ce que d'autres jugemens de l'esprit la déter- d'une vérité contient en elle actuellement l'affirma
»uiincnt d'une autre manière. Ceux qui expliquent tion de cette vérité: ainsi l'entendement est né
»dc cette sorte la liberté, y croient trouver une cessité par -là. Mais quelque perception qu'on ait
Passez ample matière de mérite et de démérite, du bien , l'effort d'agir après le jugement , qui fait
J^parco qu'ils supposent que ces jugemens de l'es- i à mon avis l'essence de la volonté en est dis
*prit procèdent d'une application libre de rame [ tingué: ainsi, comme il faut du teins pour porter
»à examiner les objets, à les comparer ensemble, cet effort à son comble, il peut être suspendu, et
»ct à en faire le discernement. Je ne dois pas j même changé, par une novelle perception ou incli
^oublier qu'il y a de fort savaiis hommes'?* (comme nation qui vient à la traverse, qui en détourne
Bcllarnim. lib. 3. de Gratia et lihero arbitrio c. 8. ! l'esprit , et qui lui fait même faire quelquefois un
ot 9. et Cuineron in responsione ad Epistolani Viri jugement- contraire. C'est ce qui fait que notre
Docti, id est Episeopii) »qui soutiennent par des âme a tant de moyens de résister à la vérité qu'elle
»raisons très -pressantes, que la volonté suit tou connoit, et qu'il y a un si grand trajet de l'esprit
jours nécessairement le dernier acte pratique de au coeur: sur- tout lorsque l'entendement ne pro
»rentendement.» cède en bonne partie que par des pensées sour
310. 11 faut faire quelques remarques sur ce des, peu capables de toucher, comme je l'ai ex
discours. Une connoissance bien claire du meilleur pliqué ailleurs. Ainsi la liaison entre Je jugement
détermine la volonté; mais elle ne la nécessite et la volonté n'est pas si nécessaire qu'on pourroit
point, à proprement parler. Il faut toujours distin penser.
guer entre le nécessaire et le certain ou l'infail 312. M. Bayle poursuit fort bien (p. 221.)
lible, comme nous avons déjà remarqué plus d'une • Déjà ce ne peut pas être un défaut dans l'âme
fois; et distinguer la nécessité métaphysique de la • de l'homme, que de n'avoir point la liberté d'in-
nécessité morale. Je crois aussi qu'il n'y a que la » différence quant au bien, en général; ce seroit
volonté de Dieu, qui suive toujours le jugement • plutôt un désordre, une imperfection extrava-
de l'entendement: toutes les Créatures intelligen »gante, si l'on pou voit dire véritablement: Peu
tes sont sujettes à quelques passions, ou à des • m'importe d'être heureux, ou malheureux; je n'ai
perceptions au moins, qui ne consistent pas entiè • pas plus de détermination à aimer le bien, qu'à
rement en ce que j'appelle idées adéquates. «le haïr; je puis faire également l'un et l'autre.
Et quoique ces passions tendent toujours au vrai »Or si c'est une qualité louable et avantageuse que
bien dans les Bienheureux, en vertu des loix de la • d'être déterminé quant au bien en général, ce ne
nature, et du Système des choses préétablies par • peut pas être un défaut que de se trouver néces-
rapport à eux; ce n'est pas pourtant toujours en »sité quant à chaque bien particulier reconnu ma
sorte qu'ils en ayent une parfafte connoissance. nifestement pour notre bien. 11 semble même que
Il en est d'eux comme de nous, qui n'entendons »co soit une conséquence nécessaire, que si l'âme
596 LXXIII. THÈODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
• n'a point do liberté d'indifférence quant au bien »anx hommes; parce qne l'entendement ne repré-
• en général, cllo n'en ait point quant aux biens »sentcroit pas assez bien toute la bonté des objets,
• particuliers, pendant qu'elle juge contradictoirc- »ponr ôter à la volonté la force de la réjection.
•ment que se sont des biens poar elle. Quo pense- »ll vaudroit donc infiniment mieux à l'homme
• riousnous d'une urne, qui ayant formé ce jugvincnt- »qu'il fût toojours nécessairement déterminé par le
»là, se vanteroit avec raison d'avoir la force de ne ^jugement de l'entendement, qne de permettre à
•pas aimer ces biens, et même de les haïr, et qui »Ia volonté do suspendre son action: car parce
..iln i -i: : Je counois clairement que ce sont des biens i »moycn il parviendrait plus facilement et plus cer-
•pour moi, j'ai toutes les lumières nécessaires sur | »tainenicut à son but.«
•ce point là; cependant je ne veux point les ai- 314. Je remarque encore sur ce discours, qu'il
•iner, je veux les hfcïr; mon parti est pris, je est très vrai qu'une liberté d'indifférence iudéfuiie,
• l'exécute; ce n'est pas qu'aucune raison* (c'est-à- et qui fût sans aucune raison déterminante, seroit
dire, quelque autre raison que colle qui est fondée aussi nuisible et même choquante, qu'elle est im
snr tel est mon bon-plaisir) «m'y engage, praticable et chimérique. L'homme qui voudroit
•mais il me plaît d'en user ainsi: que penserious- en user a4nsi, ou faire au moins comme s'il agissoit
.•iioii: . dis-je, d'une telle âme 7 Ne la trouverions- sans sujet, passeroit à coup sûr pour un extrava
•nous pas plus imparfaite, et plus malheureuse, gant. Mais il est très vrai aussi que la chose est
*que si elle n'avoit pas cette liberté d'indiffé impossible, quand on la prend dans la rigueur de
rence?" la supposition ; et aussi - tôt qu'on en veut donner
313. »Non seulement la doctrine qui soumet un exemple, on s'en écarte, et on tombe dans le
»la volonté aux dernière actes de l'entendement, cas d'un homme qui ne se détermine pas sans su
Adonne unof idée . plus avantageuse de l'état de jet , mais qui se détermine plutôt par inclination
^l'aine; mais elle montre aussi qu'il est plus fa- ou par passion, /jne par jugement. Car aussi-tôt
Wile de conduire l'homme au bonheur par ce chej -que l'on dit: »Je méprise îles jngemens de ina
»min là, que par celui de l'indifférence: car il suf- v>Raison par le seul motif de mon bon - plai-
»fira de lui éclairer l'esprit sur ses véritables inté »sir, il me plaît d'en user ainsi;« c'est autant
rêts, et tout aussi tôt sa volonté se conformera qne si l'on disoit: Je préfère mon inclination à
»aux jugemens que la Raison aura prononcés. Mais mon intérêt , mon plaisir à mon utilité.
»s'il a une liberté indépendante de la Raison, et 315. Cest comme si quelque homme capri
»de la qualité des objets clairement connus; il cieux, s'imaginant qu'il lui est honteux de suivre
Usera -le plus indisciplinable de tous les animaux, l'avis des ses amis on de ses serviteurs, préferoit
»et l'on ne pourra jamais s'assurer de lui faire la satisfaction de les contredire, à l'utilité qu'il
éprendre le bou parti. Tons les conseils, tous les pourroit retirer de leur conseil. 11 peut pourtant
^raisonnemens du monde pourront être très iuu- arriver que dans une affaire de peu de consé
^tiles: vous lui éclairerez, vous lui convaincrez quence, un lu ii ne sage même agisse irrégulière
»l'esprit; et néanmoins sa volonté fera la fière, et ment et contre sou intérêt , pour contrecarrer un
^demeurera immobile comme un rocher. Virgil. autre qui le veut contraindre, on qui le vent gou
Aen. lib. 6. v. 470.« verner, ou pour confondre ceux qui observent ses
Non magis incoepto vultuui sermone movetur, démarches. Il est bon même quelquefois d'imiter
Quàm si dura silex , aut stet Marpesia cautes. Brutus en cachant son esprit j et même de contre
»Une quinte, uu vain caprice la fera roidir con- faire l'insensé, comme fit David devant le Roi
Mre tontes sortes de raisons; il ne lui plaira pas des Philistins.
»d'aimer son bien clairement connu, il lui plaira 316. M. Baylo ajoute encore bien de belles
»de le haïr. Trouvez- vous, Monsieur, qu'une telle choses , pour faire voir que d'agir contre le juge
^faculté soit le plus riche présent que Dieu ait pu ment de l'entendement, seroit une grande imper
)>faire à l'homme, et l'instrument unique de notre fection. 11 observe (p. 225.) que même selon tes
»bonheur ï Nest-ce pas plutôt un obstacle à notre Molinistes, l'entendement qni s'acquitte
^félicite? Est-ce de quoi se glorifier, que de pouvoir bien de son DEVOIR, marque c« qui est LE
»dire:« J'ai méprisé tous les jugemens de ma Rai MEILLEUR. 11 introduit Dieu (ch. 91. pag. 227.")
son, et j'ai suivi une route toute diflérente, par le disant à nos premiers Pères dans le Jardiit <i i \- -
»seul motif de mon bon-plaisir? »De quels regrets den: »Je vous ai donné nia connoissance. la. fa-
»ne seroit-on pas déchiré en ce cas-là, si la déter- »culté déjuger dus choses, et un -plein pouvoir <le
femination qu'on auroit ]>rise étoit dommageable i? ^disposer de vos volontés. Je vous donnerai des
»Une telle liberté seroit donc plus uwisibîe, qu'utile .^instructions et des ordres: mais le franc arbitre
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 597
»quc je vous ai communiqué est d'une telle nature, ch. 83. »un Philosophe Stoïcien, qui attache à
»que vous ave/, une force égale, (selon les occa »tout une fatale nécessité, est aussi sensible qu'un
sions) de nfobéir et de me désobéir. On vous »autre homme au plaisir d'avoir bien choisi. Et
^tentera: si vous faites un bon usage de votre li- »tont homme de jugement trouvera que bien' loin
»berté, vous serez heureux ; et si vous en faites un »de se plaire qu'on ait délibéré loogtcms, et choisi
^mauvais usage, vous serez malheureux.' C'est à »enfin le parti le plus honnête, c'est une satisfaction
»vons de voir si vous voulez me demander comme ^incroyable que de se persuader que l'on est si af-
?>nne nouvelle grâce, ou que je vous permette d'abu- i »fermi dans l'amour de la vertu , que sans résister
*ser de votre liberté, lorsque vous en formerez la ! »le moins du monde ou rejetterait une tentation.
-«résolution, on que je vous en empêche. Songez-y i »Un notante, à qui l'on propose de faire une action op-
»bien, je vous donne vingt et quatre heures »posée à son devoir, à son honneur, et à sa conscience,
»Nc comprenez -vous pas clairement (ajoute M. ; »et qui répond sur le champ qu'il estincapable d'un tel
»Bayle) que leur Raison, qui n'avoit pas été en- »crimc,ct'qui en effet ne s'en trouve point capable, est
»core obscurcie par lo péché, leur eût fait conclure »bien plus content de sa personne que s'il demau-
»qu'ilfalloit demander à Dieu, comme le comble des | »doit du teins pour y songer, et s'il se sentoit ir
1> faveurs dont il les avoit honorés, denepoint permet- '( résolu pendant quelques heures quel parti pren-
»trc qu'ils se perdissent par le mauvais usage de leurs j »dre. On est bien fâché en plusieurs rencontres de
»forces? Et ne faut-il pas avouer que si Adam, par ( »ne se pouvoir déterminer entre deux parties, et
JMin faux point d'honneur de se conduire lui-même, »l'on seroit bien aise que le conseil d'un bon ami,
»eùt refusé une direction Divine qui eût mis sa féli- ' »ou quelque . secours d'en -haut, nous poussât à
»cité à couvert, il auroitété l'orginal des Phaëtons et »faire un bon choix.* Tout cela nous fait voir
j»deslcares ! Ilauroitétépresqucanssi impie que l'A- l'avantage qu'un jugement déterminé a sur cette
*jax de Sophocle, qui vouloit vaincre sans l'assis- : indifférence vague qui nous laisse dans l'incerti
» tance des Dieux, et qui disoit que les plus poltrons tude. Mais enfin nous avons assez prouvé qu'il n'y
»feroicnt fuir leurs ennemis avec une telle assistance. : a que l'ignorance ou la passion qui puisse tenir en
317. M. Baylcfait voir aussi (cliap. 80.) qu'on \ suspens, et que c'est pour cela que Dieu ne l'est
ne se félicite pas moins, ou même qu'on s'applau- ; jamais. Plus on approche de lui, plus la liberté
«lit davantage d'avoir été assisté d'en -haut, que i est parfaite, et plus elle se détermine par le bien
d'être redevable de son bonheur à son choix. Et et par la raison. Et l'on préférera toujours le na
si on se trouve bien d'avoir préféré un instinct turel de Caton , dont Velleïus disoit qu'il lui étoit
tumultueux qui s'étoit élevé tout d'un coup, à des impossible de faire une action malhonnête, à celui
raisons" mûrement examinées on en conçoit une d'un homme qui sera capable de balancer.
joie extraordinaire; car on s'imagine, ou que Dieu, 319. Nous avons été bien aises de représenter
ou que notre Ange gardien, ou qu'un je ne sais et d'appnyer ces raisonnemcns de M. Baylc coutru
quoi, qu'on se représenté sous le nom vague de l'indifférence vague, tant pour éclaircir la matière,
fortune, nous a poussé à cela. En effet, Sylla que pour l'opposer à lui-même, et pour faire voir
çt César se glorifioient plus de leur fortune, que de qu'il ne devoit donc point se plaindre de la pré
Icor conduite. Les Païens, et particulièrement les tendue nécessité imposée à Dieu de choisir le
Poètes (Homère sur -tout) détcrminoient leurs Hé mieux qu'il est possible. Car ou Dieu agira par
ros par l'impulsion Divine. Le Héros de l'Enéide une indifférence vague et au hazard, ou bien il
ne marche que sous la Direction d'un Dieu. C'étoit agira par caprice ou par quelque autre passion , ou
uu éloge très fin de dire aux Empereurs, qu'ils enfin il doit agir par une inclination prévalante de
vainquoient et pas leurs troupes, et par leurs Dieux la Raison qui le porte au meilleur. Mais les pas
qu'ils prêtoient à leurs Généraux: Te copias, sions, qui viennent de la perception confuse d'un
te consilJum et tuos pracbentc Divos, dit bien apparent, ne sanroient avoir lieu en Dieu; et
Horace. Les Généraux combattoient sous les auspi l'indifférence vague est quelque chose de chiméri
ces des Empereurs, comme se reposant sur leur que. Il n'y a donc que la plus forte raison, qui
fortune, car les auspices u'appartenoient pas aux puisse régler le choix de Dieu. C'est une imper
subalternes. On s'applaudit d'être favori du Ciel ; fection do notre liberté, qui fait que nous pouvons
on s'estime davantage d'être heureux , qne d'être choisir le mal au lien du bien, uu plus grand mal
habile. Il n'y a point de gens qui se croient plus au lieu du moindre mal , le moindre bien au lieu
heureux, que les Mystiques, qui s'imaginent se te du plus grand bien. Cela vient des apparences du
nir en repos, et que Dieu agit en eux. bien et du mal, qui nous trompent; au lieu que
318. De l'autre côté, comme M. Bayle ajoute, Dieu est toujours porté an vrai et au plus grand
76
598 LXXIII. THÉODICÉÈ. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
bien, c'est à dire an vrai bien absolument , qu'il ne Ne tracciando i prirni semi , fanno
sauroit manquer de connoitre. Di moto un tal principio, il quai poi rompa
320. Cette fausse idée de la liberté, formée I decreti del fato; accio non segua
par ceux qui non contons de l'exempter, je ne dis L'una causa dell' altra in infinité;
pas de la contrainte, mais de la nécessité même, Onde han questa, dieu' io, del fato sciolta
voudroient encore l'exempter de la certitude et de Libéra voluntà, per cui ciascnno
la détermination , c'est à dire de la raison et de la Va dove più l'agrada! I moti ancora
perfection, n'a pas laissé déplaire à quelques Sco- Si declinan sovente, e non in tempo
îastiqnes, gens qui s'embarrassent souvent dans leurs Certo, ne certa région, ma solo
subtilités, et prennent la paille des termes pour Quando e dove commanda il nostro arbitrio;
le grain des choses, lis conçoivent quelque notion Poicbe senz' alcun dubbio a qneste cose
chimérique, dont ils se figurent de tirer des utili Dà sol principio il voler proprio, e quindi
tés, et qu'ils tâchent de maintenir par des chica- Van poi scorrendo per le mcnibra i moti.
Des. La pleine indifférence est de cette nature: II est plaisant qu'un homme comme Epicnre,
l'accorder à la volonté, c'est lui donner un privi après avoir écarté les Dieux et toutes les substan
lège semblable à celui que quelques Cartésiens et ces incorporelles , a pu s'imaginer que la volonté,
quelques Mystiques trouvent dans la Nature Divine, que lui-même compose d'atomes, a pn avoir un
de pouvoir faire l'impossible, de pouvoir produire empire sur les atomes, et les détourner de leur che
des absurdités, de pouvoir faire que deux propo min, sans qu'il soit possible de dire comment
sitions contradictoires soient vraies en mêmes 322. Carnéade, sans aller jusqu'aux Atomes, a
teins. Vouloir qu'une détermination vienne d'une voulu trouver d'abord dans l'âme de l'homme la
pleine indifférence absolument indéterminée, est vou raison de la prétendue indifférence vague , prenant
loir qu'elle viennenaturelleuientderien. L'on suppose pour la raison de la chose, cela même dont Epi-
que Dieu ne donne pas cette détermination: elle n'a cure cherchoit la raison. Carnéade n'y gagnoit
donc point de source dans l'âme, ni dans le corps, ni rien, sinon qu'il trouipoit plus aisément des gens
dans les circonstances, puisque tout est supposé in peu attentifs, en transférant l'absurdité d'un sujet,
déterminé; et la voilà pourtant qui paroît et qui où elle est un peu trop manifeste , à un antre su
existe, sans préparation, sans que rien s'y dispose, jet, où il est plus aisé d'embrouiller les choses,
sans qu'un Ange, sans que Dieu même puisse voir c'est-à-dire, du corps sur l'âme; parce que la plu
ou faire voir comment elle existe. C'est non seule part des Philosophes avoient des notions peu dis
ment sortir de rien, mais même c'est en sortir par tinctes de la nature de l'âme. Eprcure , qui Ja rom-
soi-même. Cette doctrine introduit quelque chose posoit d'Atomes, avoit raison au moins de cher
d'aussi ridicule que la déclinaison des Atomes cher l'origine de sa détermination dans ce qu'il
d'Epicure dont nous avons déjà parlé, qui préten- croyoit l'origine de l'âme même. C'est pourquoi
doit qu'un de ces petits corps allant en ligne Cicéron et M. Bayle ont eu tort de le tant blâmer,
droite , se détonnioit tout d'un coup de sou, chemin et d'épargner, et même de louer Carnéade; qui
sans aucun sujet, seulement parce que la volonté le n'est pas moins déraisonnable : et je ne comprens
commande. Et notez qu'il n'y a eu recours que pas , comment M. Bayle , qui étoit si clairvoyant,
pour sauver cette prétendue liberté de .pleine in s'est laisé payer d'une absurdité déguisée, jusqu'à
différence, dont il paroît que la chimère a été bien l'appeler le plus grand effort que l'esprit humain
ancienne, et l'on peut dire avec raison: Chimae- puisse faire sur se sujet; comme si l'âme, qui est
ram parit. le siège de la Raison, étoit plus capable que le
321. Voici comme Monsieur Marchetti l'a ex corps d'agir sans être déterminée par quelque -rai
primé dans sa jolie Traduction de Lucrèce en vers son ou cause interne ou externe; ou comme, si le
Italiens, à laquelle on n'a pas encore voulu laisser grand principe, qui porte que rieo ne se fait sans
voir le jour: *) Lib. 2. cause, ne regardoit que le corps.
Ma cli'i priucipj poi non corran punto 223. Il est vrai que la Forme on l'Ame a cet
Délia lor dritta via, chi veder puote? avantage sur la Manière, qu'elle est la source de
Si linalmente ogni lor moto seuipre l'action, ayant en soi le principe du mouvement ou
Insieme s'aggrnppa; e dall' antico du changement; en un mot, TO oeijroxîurfrov,
Sempre con ordin certo il nuovo nasce; comme Platon l'appelle; au lien que la matière est
seulement passive, et a besoin d'être poussée pour
*) Elle a «lé imprimée depuis, la première Edition agir, agitnr, ut agat. Mais" si l'âme est active
de cet Ouvage, à Londres eu 1717. par elle-même, (comme elle l'est en effet) c'est
LXXUI. THEODlCEfc, ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 599
pour cela inèiiic qu'elle n'est pas do soi absolument qui en est le résultat, su détermine vers ce qui
indifférente à 'action, comme la matière, et qu'elle touche le plus.
tloit trouver eu soi de quoi se déterminer. Et se 326. Cependant cette prévalence des inclina
lon le système de l'Harmonie préétablie, l'âme tions n'empêche point que l'homme ne soit le maî
trouve en elle-même, et dans sa nature idéale an tre chez lui, pourvu qu'il sache user de son pou
térieure à l'existence, les raisons de ses détermi voir. Son empire est celui de la Raison: il n'a qu'à
nations, réglées sur tout ce qui l'environnera. Par- se préparer de bonne heure pour s'opposer aux
là elle étoit déterminée de toute éternité daus son passions, et il sera capable d'arrêter l'impétuosité
état de pure possibilité à agir librement, comme des plus furieuses. Supposons qu'Auguste, prêt
elle fera dans le teuis, lorsqu'elle parviendra à à donner des ordres pour fair mourir Fabius Ma-
l'existence. ximus , se serve à son ordinaire du conseil qu'un
324. M. Bayle remarque fort bien lui-même Philosophe lui avoit donné, de réciter l'Alphabet
que la liberté d'indifférence, (telle qu'il faut l'ad Grec, avaut que de rien faire dans le mouvement
mettre) n'exclut point les inclinations, et ne de de sa colère : cette réllexion sera capable de sauver
mande point l'équilibre. II fait voir assez ample la vie de Fabius et la gloire d'Auguste. Mais sans
ment (Rép. au Provincial, chap. 139. p. 748. et quelque réûVxIon heureuse, dont on est redevable
suiv. ) qu'on peut comparer l'âme à une balance, quelquefois à une bonté divine toute particulière,
où les raisons et les inclinations tiennent lieu de ou sans quelques adresse acquise par avance,
poids. Et selon lui, on peut expliquer ce qui se comme celle d'Auguste, propre à nous faire faire
passe dans nos résolutions, par l'hypothèse que la les réflexions convenables en tems et lieu, la pas
volonté de l'homme est comme nue balance qui se sion remportera sur la Raison. Le cocher est le
tient eu repos, quand les poids de ses deux bassins maître des chevaux, s'il les gouverne c >mme il
sont égaux; et qui pancliu toujours, ou d'un côté doit, et comme il peut; mais il y a des occasions
ou de l'autre, selon que l'un des bassins est plus où il se néglige, et alors il faudra pour un tems
chargé. Une nouvelle raison fait un poids supé abandonner les rênes:
rieur, une nouvelle idée rayonne plus vivement Fertur cquis auriga, née audit currus habcn:is.
que la vieille, la crainte d'une grosse peine rem 327. 11 faut avouer qu'il y a toujours assez d«
porte sur quelque, plaisir; quand doux passions se pouvoir en nous sur notre volonté, mais ou ne s'a
disputent le terrciu, c'est toujours la pins forte vise pas toujours de l'employer. Cela fait voir,
qui demeure la maîtresse, à moins que l'autre ne comme nous l'avons remarqué plus d'une fois, que
soit aidée par la Raison, on par quelque autre le pouvoir de l'âme sur, ses inclinations est une
passion combinée. Lorsqu'on jette les marcliandi- puissance qui ne [x.'Ht être exercée que d'une ma
ses pour se sauver, l'action que les Ecoles appel nière indirecte; à peu près comme Bdlannin
lent mixte, est volontaire et libre; et cependant vouloit que les Papes eussent droit sur le tempo
l'amour de la vie remporte indubitablement sur rel des Rois. A la vérité, les actions externes qui
l'amour du bien. Le chagrin vient du souvenir des ne surpassent point nos forces, dépendent absolu
bien qu'on perd; et l'on a d'autant plus do peine ment de notre volonté; mais nos volitions ne dé
à se déterminer, que les raisons opposées appro pendent de la volonté que par certains détours
chent plus «le l'égalité, comme l'on voit que la ba adroits qui nous donnent moyen de suspendre nos
lance se détermine plus promtetncnt, lorsqu'il y a résolutions, ou de les changer. Nous sommes les
une grande différence entre les poids. maîtres chez nous, non pas comme Dieu l'est dans
325. Cependant, comme bien souvent il y a le Monde, qui n'a qu'à parler; niais comme un
plusieurs partis à prendre, on pourrait au lieu de Prince sage l'est daus ses Etats, ou comme un bon
la balance comparer l'ânie avec une force, qui lait père de famille l'est dans son domestique. M. Bayle
effort en même tems de plusieurs côtés, mais qui le prend autrement quelquefois, comme si c'étoit
n'agit que là où elle trouve le plus de facilté on un pouvoir absolu, indépendant des raisons et des
le moins de résistance. Par exemple, l'air étant moyens, que nous devrions avoir chez nous pour
comprimé trop fortement clans un récipient de nous vanter d'un franc -arbitre. Mais Dieu même
verre, le cassera pour sortir. 11 fait effort sur ne l'a point, et ne le doit point avoir dans ce sens
chaque partie, mais il se jette enfin sur la plus foi- par rapport à sa volonté; il ne peut point changer
blé. C'est ainsi que les inclinations de l'âme vont sa nature, ni agir autrement qu'avec ordre; et
sur tous les biens qui se présentent: ce sont des comment l'homme pourroit-il se transformer tout
volontés antécédentes; mais la volonté conséquente, d'un coup? Je l'ai déjà dit, l'empire de Dieu,
76 «
600 LXXIII. THÉODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
l'empire du Sage, est celui de de la Raison. Il n'y j assez souvent bande à part, et qui a été contre le
a que Dieu cependant qui ait toujours les volon concours spécial de Dieu, n'a pas laissé d'être pour
tés les plus désirables, et par conséquent il n'a une certaine prédétermiuation ; et il a cru que
point besoin du pouvoir de les changer. Dieu voyoit dans l'état de l'âme , et de ce qui Teu-
328. Si l'âme est la maîtresse chez soi (dit M. vironne , la raison de ses déterminations.
Bayle, p. 753.) elle n'a qu'à vouloir, et aussi -tôt 331. Les anciens Stoïciens on été à peu près
ce chagrin et cette peine qui accompagne la victoire en cela du sentiment des Thomistes : ils ont été en
sur les passions , s'évanouiront. Pour cet effet , il même tems pour la détermination, et contre la
suffirait à son avis de se donner do l'indifférence nécessité; quoiqu'on leur ait imputé qu'ils rcn-
pour les objets des passions (pag. 758.) Pourquoi doient tout nécessaire. Cicéron dit dans son Livre
donc les hommes ne se donnent-ils pas cette indif de Fato, que Démocrite, Heraclite, Einpédocles,
férence, (dit-il) s'ils sont les maîtres chez euxï Aristote, ont cru que le destin emportoit une néces
Niais cette objection et justement comme si. je de- sité; que d'autres s'y sont opposés, (il entend peut-
mandois pourquoi un père de famille ne se donne être Epicure et les Académiciens) et que Chrysippe
pas de l'or, quand il en a besoin! Il en peut ac a cherché un milieu. Je crois que Cicérou se
quérir, mais par adresse, et non pas comme du trompe à l'égard d'Aristote, qui a fort bien reconnu
tems des Fées, ou du Roi Midas, par un simple la contingence et la liberté , et est allé même trop
commandement de la volonté, ou par un attouche loin, en disant (par inadvertence, comme je crois)
ment. Il ne suffirait pas d'être le maître chez soi, que les propositions sur les coutingens futurs ii'a-
il faudrait être le maître de toutes choses, pour se voieut point de vérité déterminée; en quoi il a
donner tout ce que l'on veut, car on ne trouve pas été abandonné avec raison par la plupart des Sco-
tout chez soi. En travaillant aussi sur soi, il faut lastiques. Clcanthe même, le maître de Chrysippe,
faire comme eu travaillant sur autre chose: il faut quoiqu'il fût pour la vérité déterminée des événe-
connoitro la constitution et les qualités de son ob inens futurs, en nioit la nécessité. Si les Scolasti-
jet et y accommoder ses opérations. Ce n'est donc ques , si bien persuadés de cette détermination des
pas en un moment, et par un simple acte de la futurs coutingens, (comme l'étoient par exemple
volonté, qu'on se corrige, et qu'on acquiert une les Pères de Coimbre, Auteurs d'un Cours célèbre
meilleure volonté. de Philosophie) avoient vu la liaison des choses,
329. Il est boa cependant de remarquer, que telle que le système de l'Harmonie générale la fait
les chagrins et lus peines qui accompagnent la conuoitrc , ils auraient jugé qu'on ne saurait ad
victoire sur les passions, tournent en quelques uns mettre la certitude préalable , ou la détermination
en plaisir , par le grand contentement qu'ils trou de la futnrition, sans admettre une prédéter
vent dans le sentiment vif de la force de leur mination de la chose dans ses causes et dans ses
esprit, et de la Grâce divine. Les Ascétiques et les raisons.
vrais Mystiques en peuvent parler par expérience; 332. Cicéron a tâché de nous expliquer le mi
et même un véritable Philosophe en peut dire quel lieu de Chrysippc; mais Juste Lipse a remarqué
que chose. On peut parvenir à cet heureux état, dans sa Philosophie Stoïcienne, que le passage de
et c'est un des principaux moyens dont l'âme se Cicéron étoit tronqué, et qu'Aulu-Gelle nous a con
peut servir pour affermir son empire. servé tout le raisonnement du Philosophe Stoïcien :
330. Si les Scotistes et le Moliuistes paraissent (Noct. Att. Lib. 6 c. 2.) le voici en abrégé: Le
favoriser l'indifférence vague, (ils le parais destin est la connexion inévitable et éternelle de
sent, dis-je, car je doute qu'ils le fassent tout de tous les événcmens. On y oppose, qu'il s'ensuit
bon, après l'avoir bien connue) les Thomistes et que les actes de la volonté seraient nécessaires, et -
les Augustiniens sont pour la prédéterinination. Car que les criminels étant forcés au mal, ne doivent
il faut nécessairement l'un ou l'autre. Thomas point être punis. Chrysippe répond, que le mal
d'Aquin est un Auteur qui a coutume d'aller au so vient de la première constitution des âmes, qui
lide; et le subtil Seot, cherchant à le contredire, fait une partie de la suite fatale ; que celles qui sont
obscurcit souvent les choses , au lieu de les éclair- bien faites naturellement, résistent mieux aux im
tir. Les Thomistes suivent ordinairement leur maî pressions des causes externes; mais que celles dont
tre, et n'admettent point que l'âme se détermine les défauts naturels n'avoient pas été corrigés par
sans qu'il y ait quelque prcdéteriuination qui y la discipline, se laissoieut pervertir. Puis il distin-
contribue. Mais la prédétermiuation des nouveaux ' gne, (suivant Cicéron ) entre les causes principales
Thomistes n'est peut être pas justement celle dont i et les causes accessoires ; et se sert do la comparai
on a besoin. Durand de Saint Pourçaiii qui faisoit son d'un cylindre, dont la volubilité et la vitesse
LXXIH. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE II. 601
ou la facilité dans le mouvement victit principale répond premièrement, que le Monde n'est pas
ment de sa figure; au lieu quïl seroit retardé, s'il comme une pièce de récréation; mais c'est mal ré
étoit raboteux. Cependant il a besoin d'être poussé, pondre: la comparaison consiste seulement dans co
comme l'aine a besoin d'être sollicitée par les ob point, qu'une mauvaise partie peut rendre le tout
jets des sens, et reçoit cette impression selon la meilleur. Il répond en deuxième lieu, que co mau
constitution où elle se trouve. vais endroit n'est qu'une petite partie de la Comé
333. Cicérpii juge quo Chrysippc s'embarrasse die, au lieu que la vie humaine fourmille de maux.
d'une telle manière, que bon gré mal-gré il confirme Cette réponse ne vaut rien non plus: car il devoit
la nécessité du destin. M. Baylc est à peu près du considérer que ce que nous conuoissons est aussi
même sentiment (Dictionn. artic. Cbrysipp. let. H.) une très -petite partie de l'Univers.
II dit que ce Philosophe ne se tire point du bour 335. Mais revenons an cylindre de Chrysippe.
bier, puisque le cylindre est uni ou raboteux, se II a raison de dire que le vice vient de la constitution
lon que l'ouvrier l'a fait: et qu'ainsi Dieu, la pro originaire de quelques esprits. On lui objecte que
vidence, le (h -M '.M, seront les causes du mal, d'une Dieu les a formés, et il no pouvoit répliquer que
manière qui le rendra nécessaire. Juste Lipsc ré par l'imperfection de la matière, qui ne permet-
pond, que solon les Stoïciens, le mal venoit de la toit pas a Dieu de mieux faire. Cette réplique
matière; c'est (à mon avis) comme s'il avoit dit ne vaut rien, car la matière en elle-même est in
que la pierre sur laquelle l'ouvrier a travaillé étoit différente pour toutes les formes, et Dieu l'a faite. Le
quelquefois trop grossière et trop inégale pour mal vient plutôt des Formes mêmes, mais abstrai
donner un bon cylindre. M. Bayle cite contre tes, c'est-à-dire,dcs idées que Dieu n'a point pro
Chrysippc les Fragiaens d'Ouornaiis et de Diogénia- duit par un acte de sa volonté , non plus que les
uus, qu'Eusèbe nous a conservés dans la Prépara nombres et les figures, et non plus (eu un mot)
tion Evangéliqnc (lib. G. c. 7. 8.), et surtout il que toutes les essence possibles, qu'on doit tenir
fait fond sur la réfutation de Plutarque dans son pour éternelles et nécessaires} car elles se trouvent
Livre coutrc les Stoïciens , rapportée artic. Pauli- dans la région idéale des possibles, c'est-à-dire
cicns lut. G. Mais cette réfutation n'est pas grand' dans l'entendement divin. Dieu n'est donc point
chose. Plutarque prétend qu'il vaudrait mieux ôter Auteur des essences, entant qu'elles ne sont que des
la puissance à Dieu, que de lui laisser permettre possibilités; mais il n'y a rien d'actuel, à quoi
les maux; et il ne veut point admettre que le mal il n'ait décerné et donné l'existence: et il a permis
puisse servir à un plus grand bien. Au lieu que le mal, parce qu'il est enveloppé dans le meilleur
nous avous déjà fait voir que Dieu ne laisse pas plan qui se trouve dans la région des possibles, que
d'être tout-pouissant, quoiqu'il ne puisse point la sagesse suprême ne pouvoit manquer de choisir.
faire mieux que de produire le meilleur, lequel j C'est cette notion qui satisfait en même tcuis à la
contient la permission du mal ; et nous avons mon sagesse, à la puissance, et à la bonté de Dieu, et
tré plus d'une fois, que ce qui est un inconvénient , ne laisse pas de donner lieu à l'entrée du mal.
dans une partie prise à part, peut servir à la per Dieu donne de la perfection aux créatures, autant
fection du tout. que l' Univers eu peut recevoir. On pousse le cy
334. Chrysippe en avoit déjà remarqué quelque lindre, mais ce qu'il a de raboteux dans sa figure
choses, non seulement dans son 4. Livre de la Pro donne des bornes à la protntitude de son mouve
vidence chez Aulu-Gcllc (lib. 6. c. 1.) oît il pré ment. Cette comparaison de Chrysippe n'est pas
tend que le mal sort à faire connoître le bien, différente de la nôtre, qui étoit prise d'une bateau
(raison qui n'est pas suffisante ici) mais encore chargé, que le courant de la rivière fait aller, mais
mieux, quand il se sert de la comparaison d'une d'autant plus lentement que la charge est plus
pièce de théâtre , dans sou second Livre de la Na grande. Ces comparaisons tendent au même but;
ture, (comme Plutarque le rapporte lui-même) di et cela fait voir que si nous riions assc/. informés
sant qu'il y a quelquefois des endroits dans une des sentimens des anciens Philosophes, nous y trou
Comédie, qui ne valent rien par eux-mêmes, et verions plus de raison qu'on ne croit
qui ne laissent pas de donner de la grâce à tout 336. Mr. Bayle loue lui-même le passage de
le Poème. 11 appelle ces endroits des Epigrammes Chrysippe (Artic. Chrysippe, let. T.) qu'Aulu-Gclle
ou Inscriptions. Nous ne connoissons pas assez la rapporte au même endroit, où ce Philosophe pré
iiuture de l'ancienne Comédie, pour bien entendre tend que le mal est venu par concomitance.
ce passage de Chrysippe; mais puisque Plutarque Cela s'éclaircit aussi par notre système; car nous
demeure d'accord du fait, il y a lieu de croire que avons montré que le mal que Dieu a permis, n'étoit
cette comparaison n'étoit pas mauvaise. Plutarque pas un objet de sa volonté, comme fin ou comme
602 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
moyen, niais seulement comme condition, puisqu'il choix de Dieu ; et le second proteste expressément,
devoit être enveloppé dans le meilleur. Cependant que ces raisons sont justes et saintes, quoiqu'elles
il faut avouer que le cylindre de Chrysippe ne sa nous soient inconnues. Nous avons déjà cité pour
tisfait point à l'objection de la nécessité. Il falloit cela le Traité de Calvin de la Prédestination, dont
ajouter premièrement, que c'est par le choix libre voici les propres paroles: «Dieu avant la chute
de Dieu que quelques-uus des possibles existent; • d'Adam avoit délibéré ce qu'il avoit à faire, et ce
et secondement, que les créatures raisonnables agis •pour des causes qui nous sont cachées .... 11
sent librement aussi, suivant leur nature originelle • reste donc qu'il ait eu de justes causes /».m ré
qui se trouvoit déjà dans les idées éternelles; et prouver une partie des hommes, niais à nous
enfin, que le motif du bien incline la volonté, sans •INCONNUES..
la nécessiter. 339. Cette vérité, que tout ce que Dieu fait
337. L'avantage de la liberté qui est dans la est raisonuablc, et ne sanroit être mieux fait, frappe
créature, est sans doute éminemment en Dieu; mais d'abord tout hoinuie de bon-sens, et extorque, pouv
cela se doit entendre autant qu'il est véritablement ainsi dire, son approbation. Et cependant c'est
un avantage, et autant qu'il ne présuppose point une fatalité aux Philosophes les plus subtils, d'aller
une imperfection. Car de pouvoir se trompée et choquer quelquefois sans y penser, dans le progrès
s'égarer, est un désavantage ; et d'avoir un empire et dans la chaleur des disputes, les premiers prin
sur les passions, est un avantage à la vérité, mais cipes du bon-sens, enveloppés sous des termes qui
qui présuppose une imperfection, savoir la passion les font méconnoître. Nous avons vu ci-dessus,
même, dont Dieu est incapable. Scot a eu raison comme l'excellent Mr. Bayle, avec toute sa péné
de dire que si Dieu n'étoit poiut libre et exempt tration, n'a pas laissé de combattre ce principe que
de la nécessité, aucune créature ne le seroit.. Mais nous venons de marquer, et qui est une suite cer
Dieu est incapable d'être indéterminé en quoi que taine de la perfection suprême de Dieu: il a cru
ce soit: il ne saurait ignorer, il ne sauroit douter, défendre par -là la cause de Dieu, et l'exeinpter
il ne sanroit suspendre son jugement; sa volonté d'une nécessité imaginaire, en lui laissant la liberté
est toujours arrêtée, et elle ne le sauroit être que de choisir entre plusieurs biens le moindre. On a
par le meilleur. Dieu ne sauroit jamais avoir une déjà parlé de Monsieur Diroys et d'autres, qui ont
volonté particulière primitive, c'est-à-dire indépen*- donné aussi dans cette étrange opinion, qui u'est
dante des loix ou des volontés générales; elle seroit que trop suivie. Ceux qui la soutiennent ne re
déraisonnable. H ne sanroit se déteruiinersur Adam, marquent pas que c'est vouloir conserver, ou plutôt
sur Pierre, sur Judas, sur aucun individu, sans qu'il douner à Dieu une fausse liberté, qui est la liberté
y ait une raison de cette détermination; et cette d'agir déraisonnablement. C'est rendre ses ouvra
raison mène nécessairement à quoique énonciation ges sujets à la correction, et nous mettre daus l'im
générale. Le Sage agit toujours par principes; possibilité de dire, ou même d'espérer qu'où puisse
il agit toujours par règles, et jamais par excep dire quelque chose de raisounable sur la permission
tions, que lorsque les règles concourent entre du mal.
elles par des tendances contraires, où la plus forte 340. Ce travers a fait beaucoup de tort aux
l'emporte; autrement, ou elles s'empêcheront mu raisonucmens de Mr. Bayle, et lui a ôté le moyen
tuellement, ou il en résultera quelque troisième de sortir de bien des embarras. Cela paroit encore
parti ; et daus tous ces cas une règle sert d'excep par rapport aux loix du règne de la Nature: il les
tion à l'autre, sans qu'il y ait jamais d'excep croit arbitraires et indifférentes, et il objecte que
tions originales, auprès de celui qui agit tou Dieu eût pu mieux parvenir à son but daus le règne
jours régulièrement. de la Grâce, s'il ne se fût point attaché à ces loix,
338. S'il y a des gens qui croient que l'Elec s'il sa fût dispensé plus souvent de les suivre, on
tion et la Réprobation se font du côté de Dieu par même s'il en avoit fait d'autres. Il le croyoit sur
nu |>ouvoir abso'ti despotique, non seulement sans tout à regard de la loi de l'union de l'âme et du
aucune raison qui paroisse, mais véritablement sans corps. Car il est persuadé, avec les Cartésiens
aucune raison, même cachée; ils soutiennent un modernes, que les idées des qualités sensibles que
sentiment qui détruit "également la nature des cho Dieu donne (selon eux) à l'âme à l'occasion des
ses, et les perfections divines. Un tel décret ab mouvemens du corps, n'ont rien qui représente ces-
solument absolu (pour parler ainsi) seroit sans mouvemcns, ou qui leur ressemble; de sorte qu'il
doute insupportable: mais Luther et Calvin en ont étoit purement arbitraire que Dieu nous donnât les
été bien éloignés; le premier espère que la vie idées de la chaleur, du froid, de la lumière, et au
future nous fera comprendre les justes raisons du tres que nous expérimentons, ou qu'il uous ni dou
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA CONTE DE DIEU ETC. PARTIE II. 603
nât de tout -autres à cette même occasion. Jai été croire qu'un sentiment de plaisir pouvoit avoir le
étouné bien souvent, que de si habiles gens aient même eflet , et que pour emjjècher un enfant de
été capables de goûter des sontitnens si feu Philo s'approcher trop près du feu, Dieu pouvoit lui
sophes, et si contraires aux maximes fondamentales donner des idées de plaisir à mesure de son éloi-
de la Raison. Car rien ne marque mieux l'imper gnement. Cet expédient ne paroît pas bien prati
fection d'une Philosophie, que la nécessité où le cable à l'égard de tous le maux, si ce n'est par mi
Philosophe se trouve d'avoneV quïl se passe quel racle : il est plus dans l'ordre que ce qui causeroit
que chose, suivant son système, dont il n'y a au un mal , s'il étoit trop proche , cause quelque pres
cune raison; et cela vaut bien la déclinaison des sentiment du mal , lorsqu'il l'est un peu moins.
Atomes d'Epicurc. Soit que Dieu, ou que le Nature Cependant j'avoue que ce pressentiment pourra
opère, l'opération aura toujours ses raisons. Dans être quelque chose de moins que la douleur, et or
les opérations de .la Nature, ces raisons dépendront dinairement il en est ainsi. De sorte qu'il paroit
ou des vérités nécessaires, ou des loix que Dieu a en effet que la douleur n'est point nécessaire jwur
trouvé les plus raisonnables ; et dans les opérations faire éviter le péril présent; elle a coutume de ser
de Dieu, elles dépendront du choix de la suprême vir p'utôt de châtiment do ce qu'on s'est engagé ef
Raison qui le fait agir. fectivement dans le mal, et d'admonition de n'y
341. Monsieur Régis, célèbre Cartésien, avoit pas retomber une autre fois. 11 y a aussi beau
soutenu dans sa Métaphysique (part. 2. liv. 2. c. coup de maux dolorofiques, qu'il ne dépend pas de
29.) que les facultés que Dieu a données à l'homme, nous d'éviter; et comme une solution de la conti
sont les plus excellentes dont il ait été capable sui nuité de notre corps est une suite de beaucoup
vant l'ordre général de la Nature. -A ne considé d'accidens qui nous peuvent arriver, il étoit naturel
rer (dit-il) que la puissance de Dieu, et la nature que cette imperfection du corps fût représentée par
»dc l'homme en elles-mêmes, il est très facile de quelque sentiment d'imperfection dans l'âme. Ce
• concevoir que Dien a pu rendre l'homme plus par- pendant je ne voudrois pas répoudre qu'il n'y eût
•fait: mais si l'on veut considérer l'homme, non des animaux dans l'Univers, dont la structure fût
»en lui-même, et séparément du reste des créatures, asse/. artificieuse, pour faire acconi]>agner cette so
-mais comme un membre de l'Univers, et une par- lution d'une sentiment indifférent, comme lorsqu'on
-tie qui est soumise aux loix générales des uiou- coupe un membre gangrené; ou même d'un senti
» vemens, on sera obligé de reconnoître que l'homme ment de plaisir, comme si l'on ne faisoit que se
-est aussi parfait qu'il l'a pu être. Il ajoute, que gratter; parce que l'imperfection qui accompagne
-nous ne concevons pas que Dien ait pu employer la solution du corps pourrait donner lien au senti
«aucun antre moyen plus propre que la douleur, ment d'une perfection plus grande, qui étoit sus
»]x)ur conserver notre corps. « Monsieur Régis a pendue ou arrêtée, par la continuité qu'on fait ces
raison en général, de dire que Dieu ne sauroit mieux ser; et .à cet égard le corps seroit comme une
faire qu'il a fait, par rapport au tout. Et quoiqu'il prison.
y ait apparemment en quelques endroits de l'Uni 343. Rien n'empêche aussi qu'il n'y ait des ani
vers des animaux raisonnables plus parfaits que maux dans l'Univers, semblables à celui que Cy
l'homme; l'on peut dire que Dieu a eu raison de rano de Bergerac rencontra dans le Soleil ; le corjxs
créer toute sorte d'esj>èces, les unes plus parfaites de cet animal étant une manière de fluide composé
que les autres. Il n'est peut-être point impossible d'une infinité de petits animaux, capables de se
qu'il y ait quelque part une espèce d'animaux fort ranger suivant les désirs du grand animal, qui par
ressemblans à l'homme, qui soient plus parfaits que ce moyen se transformoit en un moment, comme
lions. 11 se peut même que le Genre-humain par bon lui semblait, et la solution de la continuité lui
vienne avec le teins à une plus grande perfection, nuisoit aussi peu , qu'un coup de rame est capable
que celle que nous pouvons nous imaginer présen de nuire à la mer. Mais enfin ces animaux ne sont
tement. Ainsi les loix du mouvement n'empêchent pas des hommes, ils ne sont pas dans notre Globe,
point que l'homme ne soit plus parfait: mais la an siècle où nous sommes; et le plan do Dieu ne
place que Dieu a assignée à l'homme dans l'espace l'a point laissé manquer ici bas d'un animal rai
et dans le tems, borne les perfections qu'il a pu sonnable revêtu de chair et d'os, dont la structure
recevoir. porte qu'il soit susceptible de la douleur,
342. Je doute aussi, avec M. Bayle, que la 344. Mais M. Bayle s'y oppose encore par un
douleur soit nécessaire pour avertir les hommes du antre principe: c'est celui qne j'ai déjà touché. Il
j)éril. Mais cet Auteur le pousse trop loin, (Rép. semble qu'il croie que les idées que l'Ame conçoit
au Provinc. ch. 77. Tom. 2. p. 104.) Il semble par rapport aux sentimens du corps sont arbitrai
604 LXXIII. THÊODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE II.
rcs. Ainsi Dieu pouvoit faire que la solution de en force à sa cause , ou , ce qui est la même chose,
continuité nous donnât du plaisir. Il veut même que la même force se conserve toujours: ruais cet
que le loix du mouvement sont entièrement arbi axiome d'une Philosophie supérieure ne saurait
traires. Je voudrois savoir, di-il, (chap. 166. être démontré géométriquement On peut encore
T. 3. p- 1080.) »si Dieu a établi par un acte de employer d'autres principes, de pareille nature:
»sa liberté d'indifférence les loix générales de la par exemple ce principe, que l'action est ton-
•communication des inouvciuens, et les loix parti- jours égale à la réaction , lequel suppose dans les
»culières de l'union de l'âme humaine avec un choses une répugnance au changement externe, et
•corps organisé J En ce cas, il pouvoit établir de ne sauroit être tiré ni de l'étendue, ni de l'impé
• tout autres loix, et adopter un système dont les nétrabilité; et cet antre principe, qu'un mouve
•suites n'enfermassent ni le mal moral, ni le mal ment simple a les mêmes propriétés que pour-
•physique. Mais si l'on répond que Dieu a été né- roit avoir un mouvement coinjx>sé qui produiroit
•cessité par la souveraine sagesse à établir les loix les mêmes phénomènes de translation. Ces sup
• qu'il a établies, voilà le Fatum dos Stoïciens, à positions sont très -plausibles, et réussissent hue-
•pur et ù plein. La sagesse aura marqué un che- reuscment pour expliquer les loix du mouve
• min a Dieu, dont il lui aura été aussi impossible ment: il n'y a rien de si convenable, d'autant plus
• de s'écarter que de se détruire soi-même.» Cette qu'elles se rencontrent ensemble ; mais on n'y trouve
objection a été assez détruite: ce n'est qu'une né aucune nécessité absolue qui nous force de les ad
cessité morale; et c'est toujours une heureuse né mettre , comme on est forcé d'admettre les règles
cessité, dètro obligé d'agir suivaut lea règles de la de la Logique, de l'Arithmétique et de la Géométrie.
parfaite sagesse. ' 347. 11 semble, en considérant l'indifférence de
345. D'ailleurs, il me paroît que la raison qui la matière au mouvement et an repos, que le plus
fait croire à plusieurs que les lois du mouvement sont grand corps en repos pourrait être emporté sans
arbitraires , vient de ce que pou de gens les ont aucune résistance par le moindre corps qai serait
bien examinées. L'on sait à' présent que M. Des- en mouvement; auquel cas il y aurait action sans
cartes s'est fort trompé en les établissant J'ai réaction, et un effet plus grand que sa cause. Il
fait voir d'une manière démonstrative, que la con n'y aussi nulle nécessité de dire du mouvement
servation de la même quantité de mouvement ne sau- d'une boule qui court librement sur un plan hori
roit avoir lieu ; mais je trouve qu'il se conserve la zontal uni, avec un certain degré de vitesse ap
même quantité de la force, tant absolue que direc pelle A, que ce mouvement doit avoir les proprié
tive et que respective, totale et partiale. Mes prin tés de celui qu'elle auroit, si elle alloit moins vite
cipes , qui portent cette matière où elle peut aller, dans un bateau mû lui - même du même côté, avec
n'ont pas encore été publiés entièrement; mais j'eu le reste de la vitesse, pour faire que le globe re
ai fait part à des amis très-capables d'en juger, qui gardé du rivage avançât avec le même degré A.
les ont fort goûtés, et ont converti quelques autres Car quoique la même apparence de vitesse et de
personnes d'un savoir et d'un mérité reconnu. J'ai direction résulte par ce moyen du bateau, ce n'est
découvert en même tems, que les loix du mouve pas que ce soit la même chose. Cependant il se
ment qui se trouvent effectivement dans la Nature, trouve que les cfTcts des concours des Globes dans
et sont .vérifiées ]>ar les expériences , ne sont pas à le bateau , dont le mouvement en chacun a part,
la vérité absolument démontrables, comme scroit joint à celui du bateau , donne l'apparence do ce
une proposition Géométrique: mais il ne faut pas qui se fait hors du bateau, donnent aussi l'apparence
aussi qu'elles le soient. Elles ne naissent pas entiè des effets que ers même Globes concourons fe-.
rement du principe de la nécessité, «nais elles nais raient hors du bateau. Ce qui est beau, mais on
sent du principe de la perfection et de l'ordre; elles ne voit point qn'il soit absolument nécessaire. Un
sont un effet du choix et de la sagesse de Dieu. Je mouvement dans les deux côtés du Triangle rec
puis démontrer ces loix de plusieurs manières, mais tangle compose an mouvement dans l'hypoténuse ;
il faut toujours supposer quelque chose qui n'est mais il ne s'ensuit point qu'un Globe mû dans
pas d'une nécessité absolument Géométrique. De l'hypoténuse doit faire l'effet de deux Globes de sa
sorte que ces belles loix sont une preuve mer grandeur mus dans les deux côtés: cependant cela
veilleuse d'une Etre intelligent et libre, contre le se trouve véritable. Il n'y a rien de si convenable
système de la nécessité absolue et brute de Straton que cet événement, et Dieu a choisi des loix qui le
ou de Spiuosa produisent: mais on n'y voit aucune nécessité Géo
346. J'ai trouvé qu'on peut rendre raison de métrique. Cependant c'est ce défaut même de la
ces loix , ça supposant que l'effet est toujours égal nécessité qui relève la beauté des loix que Dieu *
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 605
choisies, où plusieurs beaux axiomes se trouvent est toujours déterminé, la Nature se ponrroit pas
réunis, sans qu'on puisse dire lequel y est le plus ser de lui , et faire le même effet, qui lui est attri
primitif. bué, par la nécessité de l'ordre des choses. Cela se-
348. J'ai encore fait voir qu'il s'y observe roit vrai , si par exemple les loix du mouvement,
cette belle loi delà continuité, que j'ai peut- et tout le reste, avoit sa source dans une nécessité
être mis le premier en avant, et qui est une espèce Géométrique de causes efficientes; mais il se trouve
de pierre de touche, dont les règles de Monsieur que dans la dernière analyse, on est obligé de re
Descartes, du P. Fabry, du P. Pardies, du P. Mal- courir à quelque chose qui dépend des causes fina
lebranche et d'antres, ne sauroit soutenir l'épreuve: les, ou de la convenance. C'est aussi ce qui ruine
comme j'ai fait voir en partie autrefois dans les le fondement le plus spécieux des Naturalistes.
Nouvelles de la République des Lettre de M. Bayle. Le Docteur Jean-Joachim Becherus Médecin, Alle
En vertu de cette loi , il faut qu'on puisse considé mand, connu par des Livras de Chymie, avoit fait
rer le repos comme un mouvement évanouissant une prière qui pensa lui faire des affaires. Elle
ajirès avoir été continuellement diminué; et de commençoit: O sancta mater Natnra, ae-
même l'égalité, comme une inégalité qui s'évanouît terne reruui ordo. Et elle aboutissoit à dire,
aussi, comme il arriverait par la diminution conti que cette Nature lui dcvoit pardonner ses défauts,
nuelle du pins grand de deux corps inégaux , pen puisqu'elle en étoit cause elle -même. Mais la Na
dant que le moindre garde sa grandeur; et il faut ture des choses prise sans intelligence et sans choix,
qu'en suite de cette considération, la règle générale n'a rien d'assez déterminant. M. Bêcher ne consi-
des corps inégaux, ou des corps en mouvement, cléroit pas assez qu'il fuut que l'Auteur des choses
soit applicable aux corps égaux, ou aux corps dont (Natura naturans) soit bon et sage; et que
l'un est en repos, comme à un cas particulier de la nous pouvons être mauvais, sans qu'il soit com
règle; ce qui réussit dans les véritables loix des plice de nos méchancetés. Lorsqu'un méchant
mouvemens, et ne réussit point dans certaines loix existe, il faut que Dieu ait trouvé dans la région
inventées par Monsieur Descartes et par quelques des possibles l'idée d'une tel homme, entrant dans la
autres habiles gens, qui se trouvent déjà par cela suite des choses, de laquelle le choix étoit demandé par
seul mal concertées; de sorte qu'on peut prédire la plus grande perfection de l'Univers, et où les
que l'expérience ne leur sera point favorable. défauts et les péchés ne sont pas seulement châ
349. Ces considérations font bien voir que les tiés, mais encore réparés avec avantage, et contri
loix de la Nature qui règlent les mouvemens ne buent au plus grand bien.
sont ni tout à fuit nécessaires , ni entièrement ar 351. M. Bayle cependant a un peu trop étendu
bitraires. Le milieu qu'il y a à prendre, est qu'elles le choix libre de Dieu; et parlant du Péripatécien
sont un choix de la pins parfaite sagesse. Et ce Straton (Rép. au Provincial, ch. 180. p. 1239.
grand exemple des loix du mouvement fait voir le Tom. 3.) qui soutenoit que tout avoit été produit
plus clairement du monde, combien il y a de dif par la nécessité d'une Nature destituée d'intelli
férence entre ces trois cas, savoir premièrement, gence, il veut que ce Philosophe étant interrogé,
une nécessité absolue, métaphysique ou géo pourquoi un arbre n'a point la force de
métrique, qu'on peut appeler aveugle, et qui ne former des os et des veines, auroit dû de
dépend que des causes efficientes ; en second lieu, mander à son tour, «pourquoi la matière a préci-
une nécessité morale, qui vient du choix libre » sèment trois dimensions, pourquoi deux ne lui
de la sagesse par rapport aux causes finales; et «auraient point suffi, pourquoi elle n'en a pas
enfin en troisième lieu, quelque chose d'arbi > quatre 1 Si l'on avoit répondu, qu'il ne peut y
traire absolument, dépendant d'une indiffé -avoir ni plus ni moins de trois dimensions, il eût
rence d'équilibre qu'on se figure, mais qui ne sau » demandé la cause de cette impossibilité. « Ces pa
roit exister, où il n'y a aucune raison suffisante ni roles font juger que M. Bayle a soupçonné que le
dans la cause efficiente, ni dans la finale. Et par nombre des dimensions de la matière dépendoit du
conséquent on a tort de confondre, ou ce qui est choix de Dieu , comme il ^dépendu de lui de faire
absolument nécessaire, avec ce qui est dé ou de ne point faire que les arbres produisissent
terminé par la raison du meilleur; ou la des animaux. En effet, que savons -nous, s'il n'y
liberté qui se détermine par la raison, a point des Globes Planétaires , ou des Terres pla
" avec une indifférence vague. cées dans quelque endroit plus éloigné de l'Univers,
350. C'est ce qui satisfait aussi justement à la où la fable des Bernacles d'Ecosse (oiseaux qu'on
difficulté de Monsieur Bayle, qui craint que si Dieu disoit naître des arbres) se trouve véritable, et
77
GOG LXXHI. TI1ÉODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
s'il n'y a pas même des pays, où l'on pourrait •garcl de tous les actes de la volonté, ce qu'il fait
dire: «quant aux bonnes oeuvres des prédestinés, lors
• - - - populos umbrosa creavit «qu'il en fixe l'événement, soit par des grâces efti-
Fraxinus, et foeta viridis puer excidit alnoî «caces, soit par des grâces suffisantes, qui sans
Mais il n'en est pas ainsi des dimensions du la ma «faire nul préjudice à la liberté sont toujours sni-
tière: le nombre ternaire est déterminé, non pas • vies du consentement de l'âme. Il lui seroit aussi
par la raison du meilleur, mais par une nécessité «aisé de produire sur la Terre que dans le Ciel la
Géométrique : c'est parce que les Géomètres on pu «détermination de nos âmes à un bon choix.
démontrer qu'il n'y a que trois lignes droites per 353. Je demeure d'accord avec Mr. Bayle,
pendiculaires entre elles, qui se puissent couper que Dieu pouvoit mettre un tel ordre aux corps
dans un même point. On ne pouvoit rien choisir et aux âmes sur ce Globe île la Terre, soit par des
de plus propre à montrer la différence qu'il y a voies naturelles, soit par des grâces extraordinaires,
entre la nécessité morale qui fait le choix du Sage, qu'il aurait été un Paradis perpétuel, et an avant-
et la nécessité brute île Straton et des Spinosistes, goût de l'état céleste des bien -heureux; et rien
qui refusent à Dieu l'entendement et la volonté, n'empêche même qu'il n'y ait des Terres plus heu
que de faire considérer la différence qu'il y a entre reuses que la nôtre: mais Dieu a en de bonnes
la raison des loix du mouvement , et la raison du raisons pour vouloir que la nôtre soit telle qu'elle
nombre ternaire des dimensions: la première con est. Cependant pour prouver qu'un meilleur état
sistant dans le choix du meillenr, et la seconde eût été possible ici, Mr. Bayle n'avoit point besoin
dans une nécessité Géométrique et aveugle. de recourir au système des causes occasionneHes,
352. Après avoir parlé des loix des corps, c'est- tout plein de miracles, et tout plein de suppositions,
à dire des règles du mouvement, venons aux loix dont les Auteurs mêmes avouent qu'il n'y a aucune
de l'union de l'âme et du corps; on M. Bayle pense raison; ce sont deux défauts d'un système, qui
encore trouver quelque indifférence vague, quelque l'éloignent le plus de la véritable Philosophie. 11 y
chose d'absolument arbitraire. Voici comme il en a lieu de s'étonner d'abord, que Mr. Bayle ne s'est
parle dans sa Réponse aux Questions d'un Provin point souvenu du système de, l'Harmonie
cial: ch. 84. p. 163. Tom. 2.) «C'est une ques préétablie, qu'il avoit examiné autrefois, et qui
tion embarassante, si les corps ont quelque vertu vcnoit si à propos iei. Mais comme dans ce système
«naturelle do faire du mal ou du bien à l'âme de tout est lié et harmonique, tout va -par raisons, et
» l'homme. Si l'on répond qu'oui, l'on s'engage rien n'est laissé en blanc ou à la téméraire discré
«dans un furieux labyrithe: car puisque l'âme de tion de la pure et pleine indifférence; il semble que
» l'homme est une substance immatérielle, il faudra cela n'accommodoit point Mr. Bayle, prévenu un
• dire que le mouvement local de certains corps est peu ici de ces indifférences, qu'il combattoit pour
•une cause efficiente des pensées d'un esprit, ce qui tant si bien en d'autres occasions. Car il passoit
•est contraire aux notions les plus évidentes que aisément du blanc au noir, non pas dans une mau
•la Philosophie nous donne. Si l'on répond que vaise intention, ou contre sa conscience, niais parce
•non, on sera contraint d'avouer que l'influence de qu'il n'y avoit encore rien d'arrêté dans sou esprit
«nos organes sur nos pensées ne dépend ni des sur la question dont il s'agissoit. 11 s'accommodoit
«qualités intérieures de la matière, ni des loix du de ce qui lui convenoit pour contrecarrer l'adver
•mouvement, mais d'une institution arbi- saire qu'il avoit en tête; son but n'étant que d'em
. traire du Créateur. Il faudra qu'on avoue qu'il a barrasser les Philosophes, et faire voir la foiblesse
«dépendn absolument de la liberté de Dieu de lier de notre Raison: et je crois que jamais Arcésilas
«telles pensées de notre Aine à telles et à telles mo- ni Carnéadc n'ont soutenu le pour et le contre avec
«difications de notre corps, après avoir même fixé plus d'éloquence et plus d'esprit. Mais enfin il ne
«toutes les loix de l'action des corps les uns sur les faut point douter pour douter, il faut que les don-
•antres. D'où il résulte qu'il n'y a dans l'Univers tés nous servent de planche pour parvenir à la Vé
•aucune portion de la Matière, dont le voisinage rité. C'est ce que je diàois souvent à fen l'Abbé
«nous puisse nuire, qu'autant que Dieu le veut Foncher, dont quelques échantillons font voir qu'il
• bien; et par conséquent, que la Terre est aussi avoit dessein de faire en faveur des Académiciens,
«capable qu'un autre lieu, d'être le séjour de ce que Lipse et Scioppius avoient fait pour les Stoï
«l'homme heureux .... Enfin il est évident que ciens, et Mr. Gassendi pour Epicure, et ce qne Mr.
-pour empêcher les mauvais choix de la liberté, Dacier a si bien commencé de faire pour Platon.
-il n'est point besoin de transporter l'homme hors Il ne faut point qu'on puisse reprocher aux vrais
«de la terre. Dieu pourrait faire sur la Terre à l'é- Philosophes, ce que le fameux Casaubon répondit
LXXHJ. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 607
à ceux qui lui montrèrent la Salle tlo la Sorbonno, pour exécuter cet ordre: car il est contraire à la
i-t lui dirent qu'on y avoit disputé durant quelques nature du mouvement, où le corps quitte naturelle
siècles: Qu'y a-t-on conclu? leur dit-il. ment la ligne circulaire, pour continuer dans la
354. M. Bayle poursuit: (p. 166.) »11 est vrai droite tangente, si rien ne le retient. II ne suffît
«que depuis que les loix du mouvement ont été donc IMS que Dieu ordonne simplement qu'une
-établies telles que nous les voyons dans le Monde, blessure excite un sentiment agréable, il faut trou
»il faut de toute nécessite qu'un marteau qui frappe ver des moyens naturels (xHir cela. Le vrai moyen
«une noix, la casse, et qu'une pierre tombée sur le par lequel Dieu fait que Pâme a îles scntimcns de
«pied d'un homme, y cause quelque contusion, ou ce qui se passe dans le corps, vient do la nature de
«quelque dérangement des parties. Mais voilà (o :t l'âme, qui est représentative des corps, et faite en
•ce qui jvnt suivre de l'action de cette pierre sur sorte par avance, que les représentations qui naî
• le corps humain. Si vous voulez qu'outre cela tront eu elle les unes des autres par une suite natu
» elle excite un sentiment de douleur, il faut suppo- relle de pensées, répondent au changement des corps.
»ser l'établissement d'un autre Code, que celui qui 356. La représentation a un rapport naturel à
"•règle l'action et la réaction des corps les uns sur ce qui doit être représenté. Si Dieu faisoit repré
«les autres; il faut, dis-je, recourir au système par- senter la figure ronde d'un corps par l'klée d'un
» ticulier des loix de l'union do l'âme -avec certains quarré, ce seroit une représentation peu convenable;
• corps. Or connue ce système n'est point nécessai car il y auroit îles angles ou éminenccs dans la re
rement lié avec l'autie, l'indifférence de Dieu ne présentation, pendant que tout seroit égal et uni
• cisse point par rappoit à l'un, depuis le choix dans l'original. La représentation supprime sou
«qu'il a fait de l'autre. Il a donc combiné ces deux vent quelque chose dans les objets, quand elle est
«systèmes avec une pleine liberté, comme deux imparfaite; mais elle ne sauroit rien ajouter: cela
• choses qui ne s'entreMiivoicnt point naturellement. la rendrait, non pas plus que parfaite, mais fausse.
«C'est donc par un établissement arbitraire, qu'il Outre que la suppression n'est jamais entière dans
«a ordonné que les blessures du corps excitassent nos perceptions, et qu'il y a dans la représentation,
«de la douleur dans l'âme, qui est unie à ce cor)». entant que confuse, plus que nous n'y voyons. Ainsi
«Il n'a tenu donc qu'à lui de choisir un autre sy- il y a lieu de juger que les idées île la chaleur, du
• sterne de l'union du rame et du corps: il a donc froid, des couleurs etc. ne font aussi que représen
••pu en choisir un, selon lequel les blessures n'ex ter les petits mouvemens excités dans les organes,
citassent que l'idée du. remède, et un désir vif, lors qu'on sent ces qualités, quoique la multitude
«mais agréable, de l'appliquer. 11 a pu établir, que et la petitesse de ces mouvemens eu empêche la re
«tous les coips qui seroient prêts à casser la tête présentation distincte. A peu près comme il arrive
«d'un homme, ou à lui percer le coeur, excitassent que nous ne discernons pas le bleu et le jaune qui
• une vive idée du péril, et qne cette idée fût cause entrent dans la représentation^ aussi-bien que dans
«que le corps se transportât promtemcnt hors de la la composition du vert, lorsque lu microscope fait
-portée du coup. Tout ci'la se scroit fait sans uii- voir que ce qui paroi t. vert est composé de parties
» racle, quisqu'il y auioit eu des loix générales sur jaunes et bleues.
»ce sujet. Le système que nous connoissons par 357. Il est vrai que la même chose peut être
• expérience nous apprend que la détermination du représentée différemment; mais il doit toujours y
«mouvement de certains corps change eu vertu de avoir un rap|K>rt exact entre la représentation et
«nos désirs. Il a doue été possible qu'il se fît une la clios-, et par conséquent entre les différentes re
"combinaison entre nos désirs, et le mouvement de présentations d'une même chose. Les yrojections
«certains corps, par laquelle les sucs nutritifs se de perspective, qui reviennent dans lo cercle aux
«modifiassent de ti'lle sorte, que la bonne disposi- sections coniques, font voir qu'un même cercle peut
«tion de nos organes ne. fût jamais altérée. être représenté par une ellipse, par une parabole,
355. L'on voit que Mr. Baylc croit que tout et par une hyperbole, et même par un autre cercle
ce qui se fait par des loix générale.», se fait sans I et par une ligne droite, et par un point, (.tien ne
miracle. Mais j'ai assez montré, que si la loi n'est paroît si différent, ni si dissemblable, que ers figu
point fondée en raisons, et ne sert pas à expliquer res; et crpendant il y a nn rapport exact de chaque
l'événement par la nature des choses, elle ne peut point à chaque point. Aussi faut -il avouer que
être exécutée que par miracle. Comme, par exemple, chaque âme se représente l'Univers suivant son
si Dieu avoit ordonné que les corps dussent se point de vue, et par uu rapport qui lui est propre;
mouvoir en ligne circulaire, il auroit eu besoin de mais une parfaite harmonie y subsiste toujours.
miracles perpétuels, ou du ministère des Anges, Et Dieu voulant faire représenter la solution de
77 •
608 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
continuité du corps par un sentiment agréable clans règles sont ce qui fait l'ordre et la beauté ; qu'agir
faîne, n'aurait point manqué de faire que cette so sans règles, serait agir sans raison; et que c'est
lution môtne eût servi à quelque perfection dans le parce que Dieu a fait agir toute Isa bonté, que
corps, en lui donnant quelque dégagement nouveau, l'exercice de sa toute-puissance a été conforme aux
comme lorsqu'on est déchargé de quelque fardeau, loix de la sagesse, pour obtenir le plus de bien
ou détaché de quelque lien. Mais ces sortes de corps qu'il étoit possible d'atteindre : enfin , que l'exis
organises, quoique possibles, De se trouvent point tence de certains inconvéniens particuliers qoi
sur notre Globe., qui manque sans doute d'une nous frappent, est une marque certaine que Je meil
infmité d'inventions que Dien peut avoir pratiquées leur plan ne pcrmettoit pas qu'on les évitât, et
ailleurs: cependant c'est assez qu'eu égard à la qu'ils servent à l'accomplissement du bien total;
place que notre Terre tient dans l'Univers, on ne raisonnemmcnt dont M. Bayle demeure d'accord
peut rien faire de mieux pour elle que ce que Dien lui-même en plus d'un endroit.
y fait. 11 ose le mieux quïl est possible des loix 360. Maintenant que nous avons assez fait voir
de la nature qu'il a établies, et (comme M. Régis que tout se fait par des raisons déterminées, il ne
l'a reconnu aussi au même endroit) «les lois que sauroit y avoir plus aucune difficulté sur ce fonde
• Dieux a établies dans la Nature, sont les plus ex- ment de la prescience de Dien: car quoique ces
•cellentes qu'il est possible de concevoir.- déterminations ne nécessitent point, elles ne lais
358. Joignons y la remarque du Journal des sent pas d'être certaines, et de faire prévoir ce qui
Savans du 16 Mars 1705, que M. Bayle a insé arrivera. 11 est vrai que Dieu voit tout d'un coup
rée dans le chap. 162. de la Réponse à un Provin toute la suite de cet Univers, lorsqu'il le choisit;
cial (Tom. 3. p. 1030.) 11 s'agit de l'Extrait d'un et qu'ainsi il n'a pas besoin de la liaison des effets
Livre moderne très -ingénieux de l'Origine du mal, avec les causes , pour prévoir ces effets. Mais sa
dont nous avons parlé ci-dessus. L'on dit: »que la sagesse lui faisant choisir une suite jarfaitement
• solution générale à l'égard du mal physique, que bien liée, il ne peut manquer de voir une partie de
»ce Livre donne, est, qu'il faut regarder l"Univrrs la suite dans l'autre. C'est une des règles de mon
•comme un Ouvrage composé de diverses pièces, système de l'harmonie générale, que le présent
•qui font 'un tout: que suivant lus loix établies est gros de l'avenir, et que celui qui voit tout,
• dans la Nature, quelques parties ne sauraient être voit dans ce qui est ce qui sera. Qui plus est, j'ai
• mieux, que d'autres ne fussent plus mal, et qu'il établi d'une manière démonstrative, que Dieu voit
• n'en résultât un système entier moins parfait. Ce dans chaque partie de l'Univers, l'Un'ivers toot
•principe (dit-on) est bon: mais si l'on n'y entier, à cause de la parfaite connexion des choses.
•ajoute rien, il ne paroît pas suffissant. Pourquoi 11 est infiniment plus ]>énétrant que Pythagore, qui
•Dieu a-t-il établi des loix, d'où naissent tant d'il i- jugea de la taille d'Hercule par la mesure dn ve
» convenions? diront des Phisosophes un peu diffi- stige de sou pied. Il ne faut donc point douter que
•ciles. N'en a-t-il poiut pu établier d'autres, qui les effets ne s'ensuivent de leur causes d'une ma
•ne fussent sujettes à aucuns défauts] Et pour nière déterminée, nonobstant la contingence, et
•trancher plus net, d'où vient qu'il s'est prescrit même la liberté, qui ne laissent pas de subsister
• des loix? que n'agit-il sans loix générales, selon avec la certitude ou détermination.
•toute sa puissance et toute sa bonté? L'Auteur 361, Durand de Saint Portion outre antres l'a
•n'a pas poussé la difficulté jusques-là: ce n'est fort bien remarqué, lorsqu'il dit que les futurs
• pas qu'en démêlant ses idées on n'y trouvât peut- contingens se voient d'une manière déterminée
•être de quoi la résoudre; mais il n'y a rien la- dans leurs causes, et que Dieu qui sait tout, voyant
• dessus de développé chez lui.« tout ce qui pourra inviter ou rcbutr la volonté,
359. Je m'imagine que l'habile Auteur de cet verra la -dedans le parti qu'elle prendra. Je pour
Extrait, lors qu'il a cru qu'on pourrait résoudre la rais alléguer beaucoup d'autres Auteurs qui ont dit
difficulté, a eu dans l'esprit quelque chose d'appro la même chose , et la Raison ne permet pas qtfon
chant en cela de mes principes ; et s'il avoit voulu en puisse juger autrement. M. Jaquelot insinue
expliquer dans cet endroit, il aurait répondu ap aussi (Confonn. p. 3 1 8. et seqq.) comme M. Bayle
paremment comme M. Régis, que les loix que Dieu le remarque (Rép. au Provincial, eh. 142. tom, 3.
a établies, étoient les plus excellentes qu'on pou- p. 796.) que les dispostions du coeur humain, et
voit établir; et il aurait reconnu en même teins, celles des circonstances, font coimoître à Dieu in
que Dieu ne pouvoit manquer d'établir des loix, failliblement le choix que l'homme fera. M. Bayle
et de suivre des règles, parce que les loix et les ajoute que quelques Moliuistes le disent aussi , et
LXXUI. THÉODICËE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE ILI. 609
renvoie à ceux qui sont rapportes dans le Sua vis fectif de choisir cette suite des choses que la simple
Concordia de Pierre do S. Joseph Feuillant, intelligence faisoit déjà connoitre, niais seulement
pag. 579. 580. comme possible; et ce décret fait maintenant l'Uni
362. Ceux qui ont confondu cette détermination vers actuel.
avec la nécessité, ont forgé des ntonstres pour les 364. Ainsi les Sociniens ne sauraient être excu
combattre. Pour éviter une chose raisonnable qu'ils sables de refuser à Dieu la science certaine des
nvoicnt masquée d'une figure hideuse, ils sont tom choses futures, et sur-tout des résolutions futures
bés dans de grandes absurdités. Crainte d'être d'une Créature libre. Car quand même ils se se-
obligés d'admettre une nécessité imaginaire, ou du roient imaginés qu'il y a une liberté de pleine in
moins autre que celle dont il s'agit, ils ont admis différence, en sorte que la volonté puisse choisir
quelque chose qui arrive sans qu'il y eu ait aucune sans sujet, et qu'ainsi cet effet ne pourrait point
cause, ni aucune raison; ce qui est équivalent à la être vu dans sa cause (ce qui est une grande ab
déclinaison ridicule des atomes, qu'Epicure faisoit surdité), ils dévoient toujours considérer que Dieu
arriver sans aucune sujet. Cicéron, dans son Livre avoit pu prévoir cet événement dans l'idée du
de la Divination, a fort bien vu que si la cause Monde possible qu'il a résolu de créer. Mais l'idée
pouvoit produire un effet pour lequel elle fût entiè qu'ils ont de Dieu, est indigne de l'Auteur des cho
rement indifférente, il y auroit un vrai hazard, ses , et répond peu à l'habileté et à l'esprit que les
une fortune réelle, un cas-fortuit effectif; c'est-à Ecrivains de ce parti fout souvent paraître en quel
dire qui le seroit non seulement par rapport à ques discussions particulières. L'Auteur du Tableau
nous et à notre ignorance, suivant laquelle on du Socinianisme n'a pas tout -à fait tort de dire
peut dire: que le Dieu des Sociniens seroit ignorant, impuis
Sed te sant, comme le Dieu d'Epicure, démonté chaque
Nos facimus, Fortuna, Deam, coeloque locamns, jour par les événemeiis, vivant au jour la journée,
mais même par rapport à Dieu, et à la Nature s'il ne sait que par conjecture ce que les hommes
des choses ; et par conséquent il seroit impossible voudront.
de prévoir les événemens, en jugeant de l'avenir 365. Toute la difficulté n'est donc venue ici
par le passé. Il dit encore fort bien au même en que d'une fausso idée de la contingence et de la
droit: «Qui potest provider!, quicquam fut uni m liberté, qu'on croyoit avoir besoin d'une indiffé
»esse, quod ncque causatn habet ullam,- neque no- rence pleine ou d'équilibre: chose imaginaire, dont
»tam, cur futurum sit?« Et un peu après: «Ni- il n'y a ni idée ni exemple, et il n'y en saurait ja
»hil est tain contrariutn rat i uni et constantiac, mais avoir. Apparemment M. Descartes eu avoit
•quam fortuna; ut mihi ne in Doum quidvm ea- été imbu dans sa jeunncsse dans le Collège de la
»dere videatur, ut sciât quid casu et fortuite futu- Flèche: c'est ce qui lui a fait dire: (1. part, de ses
»rum sit. Si eniin scit, certe illud cveniet: sin Principes art. 41.) «Notre pensée est finie, et la
•certe cveniet, nulla fortuna est:« Si le fu • science et toute -puissance de Dieu, par laquelle il
tur est certain, il n'y a point de fortune. -a non - seulement connu de toute éternité tout ce
Mais il ajoute fort mal: »Kst autem fortuna; rerum • qui est, ou qui peut être, mais aussi l'a voulu,
»jgiturfortuitartim nulla praesi-nsio est:* II y a une •est infinie; ce qui fait que nous avons bien assez
fortune, donc les événemens futurs ne • d'intelligence pour connoitre clairement et distinc
s a u r o i e nt ê t r e prévus. H dovoit conclure plutôt, tement que cette puissance et cette science est en
que les événemens étant prédéterminés et prévus, • Dieu ; mais que nous n'en avons pas assez pour
il n'y a point de fortune. Mais ils parloit alors • comprendre tellement leur étendue, que nous
contre les Stoïciens, sous la personne d'un Acadé • puissions savoir comment elles laissent les actions
micien. •des hommes entièrement libres, et indétermi
363. Les Stoïciens iiroient déjà des décrets de nées. La suite a déjà été rapportée ci-dessus. En
Dieu la prévision des événemens. Car, comme Ci tièrement libres, cela va bien; mais on gâte
céron dit dans le même Livre: »Sequitur porro tout, en ajoutant, entièrement indétermi
»nihil Deos ignorare, quod omnia ab iis nées. On n'a point besoin de science infinie, pour
»sint constituta.tt Et suivant mon système, Dieu voir que la prescience et la providence de Dieu
ayant vu le Monde possible qu'il a résolu de créer laissent la liberté à nos actions, puisque Dieu les a
y a tout prévu: de sorte qu'on peut dire que la prévues dans ses idées, telles qu'elles sont, c'est-à-
science divine de vision ne diffère point de la dire, libres. Et quoique Laurent Valle, dans son
eck'uce de simple intelligence, qu'en ce qu'elle Dialogue contre Boëce, (dont nous rapporterons
ajoute à la première la connoissunce du décret ef tantôt le précis) qui entreprend fort bieu de con
610 LXX1II. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
cilier la liberté avec la prescience, n'ose espérer de il faut avouer qu'il change souvent la signification
lu concilier avec la providence; il n'y a pourtant des termes , et que par conséquent il ne satisfait
pas pins de difficulté , parce que le décret de faire point à la question en tout, quoiqu'il dise souvent
exister cette action n'en change pas plus la nature, de bonnes choses.
que la simple coiuioissauce qu'on en a. Mais il n'y 367. En effet, la confusion ne vient le plus sou
a point de science, quelque infinie qu'elle soit, qui vent que de l'équivoque des termes, et .du peu de
puisse concilier la science et la providence de Dieu soin qu'on prend de s'en faire des notions distinctes.
avec des actions d'une cause indéterminée, c'est-à- Cela fait naître ces contestations étenieJles, et le
dire avec un Etre chimérique et impossible. Celles plus souvent mal entendues, sur la nécessité et sur
de la volonté se trouvent déterminées de deux ma la contingence, sur le possible et sur l'impossible.
nières, par la prescience ou providence de Dieu, Mais pourvu qu'où conçoive que la nécessité et la
et aussi par les dispositions de la cause particu possibilité, prises inétaphysiqucment cl à la ligueur,
lière prochaine, qui consistent dans les inclinations dépendent uniquement de cette question , si l'objet
de l'âme. M. Descartes étoit pour les Thomistes en lui-même, ou ce qui lui est opposé, implique
sur ce point ; mais il éciïvoit avec ses ménagenieus contradiction ou non; et qu'on considère que la
ordinaires , pour ne se point brouiller avec quel contingence s'accorde fort bien avec les inclina
ques autres Théologiens. tions, ou raisons qui contribuent à faire que la ro-
366. M. Bayle rapporte (Rép. au Province ch. lonté se détermine; pourvu encore qu'on sache
442. p. 804. Tom. 3.) que le P. Gibieuf de l'O- bien distinguer entre la nécessité, et entre la déter
rafoire publia un Traité Latin de la Liberté de mination ou certitude; entre la nécessité métaphy
Dieu et de la Ciéature, l'an 1639; qu'on se récria sique, qui ne laisse lieu à aucun choix, ne présen
contre lui, et qu'on lui fit voir un recueil de 70 tant qu'un seul objet possible, et entre la nécessité
contradiction tirées du premier Livre de son Ou morale , qui oblige le plus sage à choisir le meil
vrage; et que vingt ans après, le P. Annat Confes leur: enfin pourvu qu'on se défasse de la chimère
seur du Roi de France lui reprocha dans son Livre de la pleine indifférence, qui ne se sauroit trouver
de iiicoacta libertate (éd. Rom. 1654. in 4.) que dans les Livres des Philosophes, et sur le pa
le silence qu'il gardoit encore. Qui ne croiroit pier, (car ils n'en sauroient pas même concevoir la
(ajoute M. Bayle) après le fracas des Congréga notion dans leur tète, ni en faire voir la réalité
tions de Auxiliis, que les Thomistes enseignent par aucun exemple dans les choses) on sortira ai
des choses touchant la nature du Franc Arbitre, sément d'un labyrinthe, dont l'esprit humain a été
entièrement opposées au sentiment des Jésuites? le Dédale malheureux, et qui a causé une infinité
et néanmoins quand on considère les passages que de désordres, tant chez les Anciens que chez les
le P. Annat a extrait des Ouvrages des Thomistes Modernes , jusqu'à porter les hommes à la ridicule
(dans on Livre intitulé, Jansenius à Thomi- erreur du sophisme paresseux , qui ne diffère gnè-
stis, Gratiae per se ipsain efficacis de- res du Destin à la Turque. Je ne m'étonne pas,
fensoribns, condemnatns, imprimé à Paris, si dans le fond les Thomistes et les Jésuites, et
Fan lG54.in 4.) on ne sauroit voir au fond que même les Molinistes et les Jansénistes, convien
des disputes do mots entre les deux Sectes. La nent entre eux sur ce sujet plus qu'on ne croit.
grâce efficace par elle-même des uns laisse au franc Un Thomiste et même un Janséniste sage se con
arbitre tout autant de force de résister, que le tentera de la détermination certaine, sans aller à
grâces congrues des antres. M. Bayle croit qu'on la nécessité: et si quelqu'un y va, l'erreur peut-
en peut dire presque autant de Jansenius lui-même. être ne sera qui; dans le mot. Un Molinistc sage
C'étoit (dit -il) un habile homme, d'un esprit sys i se contentera d'une indifférence opposée à la né
tématique, et fort laborieux. II a travaillé '22 ans cessité, mais qui n'exclura point les inclinations
à son Augustinus. L'une de ses vues a été de prévalantes.
réfuter les Jésuites sur le dogme du Franc-Arbitre ; 368. Ces difficultés cependant ont fort frappé
cependant on n'a pu encore décider s'il rejette, on M. Bayle, plus porté à les faire valoir, qu'a les ré
s'il adopte la liberté d'indifférence. On tire de son soudre, quoi qu'il y eût peut-être pu réussir autant
Ouvrage une infinité d'endroits pour et contre ce que personne, s'il avoit voulu tourner son esprit
sentiment, comme le Père Annat a fait voir lui- de ce côté -là. Voici ce qu'il en dit dans son Dic
même dans l'Ouvrage qu'on vient de citer, de in- tionnaire, artic. Jausénius, let. G. p. 1626. «Quel-
coacta libertate. Tant il est aisé de répandre » qu'un a dit que les matières de la Grâce sont an
des ténèbres sur cet article, comme M. Bayle le «Océan, qui n'a ni rive ni fond. Peut-être auroit-
dit LU finissant ce discours. Quant au P. Gibieuf, » il parlé plus juste, s'il les avoit comparées au FM*
LXX11I. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 611
•de Messine, où l'on est toujours en «langer de elles ne pouvoient point contribuer à déterminer la
•tomber dans uii écueil, quand on tâche d'en évi- volonté à mieux faire une autre fois.
» ter un autre. 370. M. Bayle continue: -Sur la matière de la
Dextrum Scylla latus, laevuin inij>larata Cliarybdis • liberté il n'y a que deux partis à prendre; l'un
Ohsidet. «est de dire que tontes les causes distinctes de
•Tout se réduit enfin a ceci : Adatn a-t-il péché li- • l'âme qui concourent avec elle, lui laissent la
• brementî Si vous répondez qu'oui, Doue, vous -force d'agir ou de n'agir pas; fautre est de dire,
«dira-t-on, sa chute n'a pas été prévue. Si vous i • qu'elles la déterminent de telle sorte à agir,
••répondez que non, Donc, vous dira-t-on, il n'est • qu'elle ne sauroit s'en défendre. Le premier parti
• point coupable. Vous écrirez cent volumes contre • est celui des Molinistes, l'autre est celui des Tho-
•l'une ou l'autre do ces conséquences, et néan- «•mistes et des Jansénistes et des Protestans de la
» moins vous avouerez, on que la prévision infail • Confession de Genève. Cependant les Thomistes
lible d'un événement contingent est un mystère «ont soutenu à cor et à cri, qu'ils n'étoieut point
«qu'il est impossible de concevoir; ou que la ma- • Jansénistes; et ceux-ci ont soutenu avec la même
•nièrc dont une Créature, qui agit sans liberté, •chaleur, que, sur la matière de la liberté ils n'é-
•pèche pourtant, est tout-à fait incompréhensible. « • toient point Calvinistes. D'autre côté, les Moli-
369. Je me trompe fort, ou ces deux préten • nistes ont prétendu que Saint Augustin n'a point
dues incompréliensibilités cessent entièrement par • enseigné le Jansénisme. Ainsi les uns ne voulant
nos solutions. Plût à Dieu qu'il fût aussi aisé de • point avouer qu'ils fussent conformes à des gens
répondre à la question , comment il faut bien gué •qui passoient pour hérétiques, et les autres ne
rir le fièvres, et comment il faut éviter les écueils • voulant point avouer qu'ils fussent contraires à
de deux maladies chroniques qui peuvent naître, «un Saint Docteur, dont les sentiuiens ont toujours
l'une en ne guérissat point la fièv;e, -l'autre •passé pour orthodoxes, ont joué cent tours de
en lu guérissant mal. Lora qu'on prétend • souplesse, etc. «
qu'un événement libre ne sauroit être prévu, on 371. Les deux partis que M. Bayle distingue
confond la liberté avec l'indétermination, ou avec ici, n'excluent point un tiers parti, qui dira que la
l'indifférence pleine et d'équilibre: et lorsqu'on détermination de l'âme ne vient pas uniquement
veut que le défaut de la liberté cinpêcberoit du concours de toutes les causes distinctes
l'homme d'être coupable, l'on entend une liberté de l'âme, mais encore de l'état de l'âme même
exempte, non pas de la détermination, ou de la et des ses inclinations qui se mêlent avec les im
certitude, mais de la nécessité et de la contrainte. ' pressions des sens, et les augmentent ou les affai
Ce qui fait voir que le dilemme u'est pas bien pris, blissent. Or toutes les causes iuterues et externes
et qu'il y a un passage large entre les deux prises ensemble font que l'âme se détermine cer
écueils. On répondra donc qu'Adam a ]>éché libre- J tainement, mais non pas qu'elle se détermine né
ment, et que Dieu l'a vu péchant dans l'état d'A- ! cessairement: car il n'impliqueroit poiut de con
dam possible, qui est devenu actuel, suivant le dé tradiction, qu'elle se déterminât autrement: la vo
cret de la permission Divine. Il est vrai qu'Adam lonté pouvant être inclinée, et ne pouvant pas être
s'est déterminé h pécher ensuite do certaines in nécessitée. Je n'entre point dans la discussion de
clinations prévalantes: mais cette détermination ne la différence qu'il y a entre les Jansénistes et les
détruit point la contingence, ni la liberté; et la dé- Réformés sur cette matière. Ils ne sont pas peut-
terminatiou certaine qu'il y a dans l'homme à pé être toujours bien d'accord avec eux-mêmes, quant
cher, ne l'empêche point de pouvoir ne point pé aux choses, on quant aux expressions, sur une
cher, (absolument parlant) et puisqu'il pèche, d'ê matière où l'on se perd souvent dans des subtilités
tre coupable et de mériter la punition; d'autant embarassées. Le P. Théophile Rayuaud dans son
que cette punition peut servir à lui ou à d'autres, Livre intitulé. Cal vin ismus rcligio bestia-
pour contribuer à les déterminer une autre fois à ruin, a voulu piquer les Dominicains, sans les
ne point pécher. Pour ne point parler de la justice nommer. De l'autre côté, ceux qui se disoient sec
vindicative, qui va au delà du dédommagement et tateurs de Saint Augustin reprochoientauxMoliuistea
de l'amendement, et dans laquelle il n'y a rien le Pélagianisine, ou du moins le Sémipélagianisme;
aussi qui soit choqué par la détermination certaine et l'on outroit les choses quelquefois des deux cotés, soit
des résolutions contigentes de la volonté. L'on en défendant une indifférence vague, et don^
peut dire au contraire que les peines et les ré nant trop à l'homme, soit en enseignant determi-
compenses seroient en partie inutiles, et rnanque- nationem ad unum secundum qualitatem
roient l'un de leurs buts, qui est l'amendement, si actus licet, non quoad ejns substantiam,
612 LXXIII. THÉODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
c'est-à-dire, une détermination au mal dans les pouvoir absolu de se déterminer, c'est-à-dire, sans
non-régénérés, connue s'ils ne faisoicnt que pécher. aucun sujet ; il ne convient pas même à Dieu. Mais
Au fond, je crois qu'il ne faut reprocher qu'aux il a tort de croire qu'une âme, qu'une substance
Sectateurs de Hobbes et de Spinosa, qu'ils détrui simple, puisse être produite naturellement. Il pa-
sent la liberté et la contingence ; car ils croient que roit bien que l'âme ne lui étoit qu'une modification
ce qui arrive est seul possible, et doit arriver par ! passagère; et lorsqu'il fait semblant de la faire
une nécessité brute et Géométrique. Hobbes ren- j durable, et même perpétuelle, il y substitue l'idée
doit tout matériel, et le soumettoit aux seules Loix du corps, qui est une simple notion, et non pas
mathématiques; Spinosa aussi ôtoit à Dieu l'intel une chose, nielle et actuelle.
ligence et le choix, lui laissant une puissance aveu 373. Ce que M. Bayle raconte du Sieur Jean
gle, de laquelle tout émane nécessairement. Les Bredenbourg, Bourgeois de Rotterdam, (Dictionnart.
Théologiens des deux partis Protestans sont éga Spinosa, let. H. pag. 2774.) est curieux. Il publia
lement zélés pour réfuter une néeessisté insuppor un Livre contre Spinosa, intitulé. «Enervatio Trac-
table: et quoique ceux qui sont attachés au Synode -tattis Theologico-politiei, nna cum di-monstra-
île Dordrecht, enseignent quelquefois qu'il suffit • tione Geometrico ordine disposita, Naturam non
que la liberté soit exempte de la contrainte; il -esse Deum, cujus effhti contrario pracdictus Trac-
semble que la nécessité qu'ils lui laissent n'est • tatus unice iuuititur. On fut surpris de voir qu'un
qu'hypothétique, ou bien ce qu'on appelle plus pro homme qui ne faisoit point profession des Lettres,
prement certitude et infaillibilité: de sorte qu'il se et qui n'avoit que fort peu d'étude, '(ayant fait son
trouve que bien souvent les difficulté ne consistent Livre en Flamand , et l'ayant fait traduire en La
que dans les termes. J'en dis autant des Janséni tin) eût pu pénétrer si subtilement tons les princi
stes, quoi que je ne veuille point excuser tous («s pes de Spinosa, et les renverser heureusement,
gens là en tout. après les avoir réduits par une analyse de bonne
372. Chez les Cabalistes Hébreux, Malcuth foi dans un état où ils pouvoieut paroitre avec tou
OU le Règne, la dernière des Séphiroth, signifiait tes leurs forces. On m'a raconté (ajoute M. Bay/e)
que Dieu gouverne tout irrésistiblement, mais dou que cet Auteur ayant réfléchi une infinité de
cement et sans violence, en sorte que l'homme croit fois sur sa ré|>onse, et sur le principe de son ad
suivre sa volonté, pendant qu'il exécute celle de versaire, trouva enfin qu'on pouvoit réduire ce
Dieu. Ils disoient que le péché d'Adam avoit été principe en démonstration. 11 entreprit donc de
truncatio Malcuth a caeteris plautis; prouver qu'il n'y a point d'autre cause de toutes
c'est-à-dire qu'Adam avoit retranché la dernière choses, qu'une Nature qui existe nécessairement,
des Séphircs, en se faisant un empire dans l'empire et qui agit par une nécessité immuable, inévitable
de Dieu, et en s'attribuant une liberté indépen et irrévocable. Il observa toute la méthode des
dante de Dieu; mais que sa chute lui avoit appris Géomètres, et après avoit bâti sa démonstration,
qu'il ne pouvoit point subsister par lui-même, et il l'examina du tous les côtés imaginables, il tâcha
que les hommes avoient besoin d'être relevés par d'en trouver le foible, et ne put jamais inventer
le Messie. Cette doctrine peut recevoir un bon aucun moyen de la détruire, ni même de l'affaiblir.
sens. Mais Spinosa, qui étoit versé dans la Cabale Cela lui causa un véritable chagrin : il en gémit, et
de Auteurs de sa Nations, et qui dit (Tr. polit, il prioit les plus habiles de ses amis de le secourir
c. 2. n. 6. ) que les hommes concevant la liberté dans la recherche des défauts de cette démonstra
comme ils font, établissent un empire clans tion. Néanmoins il n'étoit pas bien aise qu'on en
l'empire de Dieu, a outré les choses. L'em tirât des copies. François Cnper, Socinien, (qui
pire de Dieu n'est autre chose chez Spinosa, que avoit écrit Arcaua Atheismi revelata con
l'empire de la nécessité, et d'une nécessité aveu tre Spinosa, Rotcrodami 1676. in 4.) en ayant en
gle, (comme chez Straton) par laquelle tout émane une, la publia telle qu'elle étoit, c'est-à-dire en Fla
de la nature Divine, sans qu'il y ait aucun choix mand, avec quelques réflexions, et accusa l'Auteur
en Dieu, et sans que le choix do l'homme l'exempte d'être Athée. L'accusé se défendit en la même Lan
de la nécessité. 11 ajoute que les hommes , pour gue. Orobio, Médicin Juif fort habile (celui qui a
établir ce qu'on appelle Imperium in Iinperio, été réfuté par Monsieur de Lirnborch, et qui a ré
s'imaginoicnt que leur âme étoit une production pondu, à ce que j'ai ouï dire dans un Onvagc post
immédiate de Dieu, sans pouvoir être produite par hume non imprimé), publia un Livre contre la dé
des causes naturelles; et qu'elle avoit un pouvoir monstration de Monsieur Bredenbourg, intitulé,
absolu de se déterminer, ce qui est contraire à »( Vitai rien Philosophicum propugnatae vrrit.it is
l'expérience. Spinosa a raison d'être contre un •Divinae ac natunilis, adversus J.. B. primipiu, -
LXXffl. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE ffl. 613
Amsterdam 1684. Et Monsieur Aubcrt de Versé noissance des affaires publiques, ni assez de capa
écrivit aussi contre lui h même anuée sous le nom cité , pour écrire comme auroit pu faire ce grand
de Latinus Serbatt'us Sàrtensis. M. Breden- Ministre d'Etat, pouvoient passer pour des pro
bourg protesta quïl étoit persuadé du franc - arbi duction de l'un des premiers hommes de sou temps.
tre et de la Religion , et qu'il souhaitoit qu'on lui 376. Je vis Monsieur de la Court, aussi -bien
fournît un moyen de répondre à sa démonstration. que Spinosa, à mon retour de France, par l'Angle
374. Je souliaiterois de voir cette prétendue terre et pqr la Hollande, et j'appris d'eux quelques
démonstration, et de savoir si elle tendoit à prou bonnes anecdotes sur les affaires de ce tems-là.
ver que la Nature primitive, qui produit tout, agit M. Bayle dit p. 2770. que Spinosa étudia la Lan
sans choix et sans connoissance. En ce cas , j'avoue gue Latine sous un Médecin , nommé François Van
que la démonstration étoit Spinosistique et dange den Ende ; et rapporte en même tcms après M. Se
reuse. Mais s'il cntendoit peut-être que la Nature bastien Kortholt (qui en parle dans la Préface de
Divine est déterminée à ce qu'elle produit, par sou la seconde édition du Livre de feu Monsieur son
choix et par la raison du meilleur; il n'avoit point be Père, »de tribus Impostoribus, Herbcrto L. B. de
soin de s'affliger de cette prétendue nécessité im »Cherbury,Hobbio etSpinosa)« qu'une fille enseigna
muable, inévitable, irrévocable. Elle n'est le Latin à Spinosa, et qu'elle se maiia ensuite
que morale , c'est une nécessité heureuse ; et bien avec M. Kerkering, qui étoit son disciple en mémo
loin de détruire la Religion, elle met la perfection teins que Spinosa. La-dessus je remarque, que cette
Divine dans son plus grand lustre. Demoiselle étoit fille de Monsieur Van dcn Ende,
375. Je dirai par occasion, que M. Bayle rap et qu'elle soulageoit son père dans la fonction
porte (pag. 2773.) l'opinion de ceux qui croient que d'enseigner. Van den Ende, qui s'appelloit aussi A
le Livre intitulé, Lucii Antistii Coustantis fi ni bus, alla depuis à Paris, et y tint des Pen
de jure Ecclesiasticoruiu liber singula- sionnaires au Fauxbourg S. Antoine. Il passoit
ris, publié en 1665, est de Spinosa; mais que j'ai pour excellent dans la Didactique, et il me dit,
lieu d'en douter, quoiqueMonsieur Colorus, qui nous quand je l'y allai voir, qu'il parieroit que ses Au
a donné une relation qu'il a faite de la vie de ce Juif diteurs seraient toujours attentifs h ce qu'il diroit.
célèbre, soit aussi de ce sentiment. Les lettres initia Il avoit aussi alors avec lui une jeune fille qui par-
les, L. A.C. me font juger que l'Auteur de ce Livre a loit Latin, et faisoit des démonstrations de Géo
été Monsieur de 1 a Court ou Van clen Hoof, fa métrie. Il s'étoit insinué- auprès de Monsieur Ar
meux par l'Intérêt de la Hollande, la Ba naud; et les Jésuites comménçoient d'être jaloux
lance Politique, et quantité d'autres Livres qu'il de sa réputation. Mais il se perdit un peu après,
a publiés, (en partie en s'appellant V.D.H.) contre s'étant mêlé de la conspiration du Chevalier de
la puissance du Gouverneur de Hollande, qu'on Rohan.
croyoit alors dangereuse à la République , la mé 377. Nous avons assez montré, ce semble, que
moire de l'entreprise du Prince Guillaume 11. sur ni la prescience, ni la providence de Dieu uc sau
la ville d'Amsterdam étant encore toute fraiche. raient faire tort ni à sa justice et à sa bonté , ni à
Et comme la plupart des Ecclésiastiques de Hol notre liberté. Il reste seulement la difficulté qui
lande étoient dans le parti du nls de ce Prince, qui vient du concours de Dieu avec les actions de la
étoit mineur alors, et soupçonnoient M. de Wit , et Créature, qui semble intéresser de plus près, et sa
ce qu'on appelloit la faction de Lonvestein , de fa bonté, par rapport à nos actions mauvaises, et
voriser les Arminiens, les Cartésiens, et d'antres notre liberté, par rapport aux bonnes actions,
Sectes qu'on craignoit encore davantage; tâchant aussi-bien qu'aux antres. M. Bayle l'a fait valoir
d'animer la populace contre eux , ce qui n'a pas aussi avec son esprit ordinaire. Nous tâcherons
été sans effet, comme l'événement Ta bien fait d'éclaircir les difficultés qu'il met en avant, et
voir; il étoit fort naturel que Monsieur de la Court après cela nous serons en état de finir c'et Ouvrage.
publiât ce Livre. 11 est vrai qu'on garde rarement J'ai déjà établi , que le concours de Dieu consiste à
un juste milieu dans les Ouvrages que l'intérêt de nous donner continuellement ce qu'il y a de réel en
parti fait donner an public. Je dirai en passant, nous et en nos actions , autant qu'il enveloppe de
qu'on vient do publier une Version Françoise do la perfection; mais que ce qu'il y a là -dedans de
l'Intérêt de la Hollande de M. de la Court , sous le limité et d'imparfait , est nue suite des limitations
titre trompeur de Mémoires de M. le Grand- précédentes, qui sont originairement dans la Créa
Pensionnaire de Wit, comme si les pensées ture. Et comme tonte action de la Créature
d'un particulier , qui étoit en effet du parti de De est un changement des ses modifications, il est
\Vii . et habile, mais qui n'avoit pas assez de con visible que l'action vient de la Créature par raj*
78
614 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE m.
port aux limitations on négations qu'elle ren- Kepler, Mathématicien moderne des plus excellms,
fenne, et qui se trouvent variées i>ar ce chan a reconnu une espèce d'imperfection dans la matière,
gement. lors même qu'il n'y a point de mouvement déréglé:
378. J'ai déjà fait remarquer plus d'une fois c'est ce qu'il appelle son inertie naturelle, qui
dans cet Ouvrage, que le mal est une suite de la priva lui donne une résistance au mouvement, par laquelle
tion , et ^e crois avoir expliqué cela d'une manière une plus grande musse reçoit moins de vitesse d'une
asse» intelligible. S. Augustin a déjà fait valoir même force. Il y a de la solidité dans cette remar
cette pensée, et S. Basile a dit quelque chose d'ap- que, et je m'eu suis servi utilement ci-dessus jx>ur
procliant dans son Hexaëmeron Homil. 2. »que le avoir une comparaison qui montrât comment l'im
»vice n'est pas une substance vivante et animée, perfection originale des Créatures donne des bornes
»mais une affection de l'âme contraire à la veitn, à l'action du Créateur, qui tend au bien. Mais com
»qui vient de ce qu'on quitte le bien; de sorte me la matière est elle - même un effet de Dieu, elle
»qu'on n'a point besoin de chercher un mal pri- ne fournit qu'une comparaison et un exemple, et
»mitif.« M. Bayle rapportant ce passage dans son ne fauroit être la source même du mal, et de l'im
Dictionnaire (artic. Pauliciens, Ict.D. p. 2325.) ap perfection. Nous avons déjà montré que cette source
prouve la remarque de M. Pfanner (qu'il appelle se trouve dans les formes ou idées des possibles; car
Théologien Allemand, niais il est Jurisconsulte de elle doit être éternelle, et la matière ne l'est pas.
profession, Conseiller des Ducs de Saxe) qui blâme Or Dieu ayant fait toute réalité positive qui n'est
S. Basile , de ne vouloir pas avouer que Dieu est pas éternelle, il aurait fait la source du mal, si die
l'Auteur du mal physique. 11 l'est sans doute, lors ne consistait pas dans la possibilité des choses on
qu'on suppose le mal moral déjà existant: niais des formes , seule chose que Dieu n'a point faite,
absolument parlant , on pourrait soutenir que Dieu puis qu'il n'est point auteur de sou propre enten
a permis le mal physique par conséquence, en per dement.
mettant le mal moral, qui en est la source. 11 pa- 381. Cependant, quoique la source tlu mal con
roît que les Stoïciens ont aussi connu combien siste dans les formes possibles, antérieures nox actes
l'entité du mal est mince. Ces paroles d'Epictète de la volonté de Dieu ; il ne laisse pas d'être vrai
le marquent: Sicut aberrandi causa meta que Dieu concourt au mal dans l'exécution actuelle
non ponitnr, sic née natnra mali in ni un- qui introduit ces formes dans la matière: et c'est
do cxistit. ce qui fait là difficulté dont il s'agit ici. Durand
379. On n'avoit donc point besoin de recourir de S. Portien, le Cardinal Aureolns, Nicolas Taurel-
à un principe du mal, comme S. Basile l'observe lus, le Père Louis de Dole, Monsieur Dernier, et
fort bien. On n'a pas non plus besoin de chercher quelques autres, parlant do ce concours, ne l'ont voulu
l'origine du mal dans la matière. Ceux qui ont cru que général, de peur de faire du tort à la liberté do
un chaos, avant que Dieu y ait mis la main, y ont riioiumc et à la sainteté de Dieu. Il semble qu'ils
cherché la source du dérèglement. C'était une opi prétendent que Dieu ayant donné aux Créatures la
nion que Platon avoit mise dans son Timée. Ari- force d'agir, se contente de la conserver. De l'antre
stote l'en a blâmé (dans son 3. Livre duCiul, chap. côté, M. Bayle, après quelques Auteurs modernes,
2.) parce que , selon cette doctrine, le désordre sc- porte le concours de Dieu trop loin; il paroit crain
roit original et naturel, et Tordre seroit introduit dre que la Créature lie soit pas assez dépendante de
contre la nature. Ce qu'Anaxagore a évité, en fai Dieu. Il va jusqu'à refuser l'action anx Créatures;
sant ^reposer la matière jusqu'à ce que Dieu l'a re il ne recounoît pas même de distinction réelle en
muée ; et Aristotc l'en loue au même endroit Sui tre l'accident et la substance.
vant Plutarque (de Iside et Osiride, et Tr. de 382. Il fait sur-tout grand fonds sur cette doc
animae procreatione ex Timaeo) Platon re- trine reçue dans les Ecoles, que la Conservation est
conuoissoit dans la matière une certaine âme ou une Création continuée. En conséquence de cette
force malfaisante, rebelle à Dieu: c'était un vice doctrine, il semble que la Créature n'existe jamais,
réel, un obstacle aux projets de Dieu. Les Stoïciens et qu'elle est toujours naissante et toujours mourante,
aussi ont cru que la matière était la source des dé comme le tcrns, le mouvement, et antres Etres suc
fauts, comme Juste Lipse l'a montré dans le premier cessifs. Platon Ta cru des choses matérielles et sen
Livre de la Physiologie des Stoïciens. sibles, disant qu'elles sont dans un flux perpétuel,
380. Âristote a eu raison de rcjctter le chaos; scmper fluuut, nunquam snnt. Mais il a
mais il n'est pas aisé toujours de bien démêler le jugé tout autrement des substances immatérielles,
sentiment de Platon, et encore moins celui de quel qu'il considérait comme seules véritables: en quoi
ques autres Anciens dont les Ouvrages sont perdus. il n'avoit pas tout-à fait tort. Mais la création «on
LXXI1I. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
tiiméc regarde toutes les Créatures sans distinction. d'une preuve plus exacte pour appeller cela une dé
Plusieurs lions Philosophes ont été contraires à ce monstration. Il faudroit prouver que la Créature
dogme, et M. Bayle rapporte que David du Rodoii, sort toujours du néant , et y retombe d'abord ; et
Philosophe célèbre parmi les François attachés à particulièrement il faut faire voir que le privilège
Géuève, Ta réfuté exprès. Les Arminiens aussi ne de durer pins d'un moment par sa nature, est atta
l'approuvent guères , ils ne sont pas trop pour ces ché au seul Etre nécessaire. Les difficultés sur la
subtilités métaphysiques. Je ne dirai rien des So- composition du Coutinnum, entrent aussi dans
ciniens, qui les goûtent encore moins. cette matière. Car ce dogme paroit résoudre le teins
383. Pour bien examiner si la conservation est en inomens : an lieu que d'antres regardent les mo-
une création continuée, il faudroit considérer les rai mens et les points comme de simples modalités du
sons sur lesquelles ce dogme estappuyé. LesCarté- continu, c'est à dire comme des extrémités des par
sicns, à l'exemple de leur Maître, se servent pour ties qu'on y peut assigner, et non pas comme des
le prouver d'un principe qui n'est pas assez conclu parties constitutives. Ce n'est pas le lieu ici d'en
ant Ils disent, «que lesmomens du teins n'ayant au- trer dans ce Labyrinthe.
«cuue liaison nécessaire l'un avec l'autre, il ne s'en- 385. Ce qu'on peut dire d'assuré sur le présent
«suit pas de ce que je suis à ce moment, que je snb- sujet, est que la Créature dépend continuellement
«sisterai au moment qui suivra , si la même cause, do l'opération Divine . et qu'elle n'en dépend pas
«qui me donne l'être pour ce moment, ne me le moins depuis qu'elle a commencé, que dans le com
-donne aussi pour rinstant suivant.» L'Auteur de mencement. Cette dépendance porte, qu'elle ne con-
l'Avis sur le Tableau du Sociniauisme s'est servi de tinneroit pas d'exister, si Dieu ne continuoit pas
ce raisonnement, et M. Bayle (Auteur peut-être de d'agir; enfin que cette action de Dieu est libre. Car
ce mémo Avis) le rapporte (Rép. au Provincial, si c'étoit une émanation nécessaire, comme celle des
ch. 141. p. 771. T. 3.) On peut répondre, qu'à la propriétés du cercle, qui coulent de son essence, il
vérité il ne s'ensuit point nécessairement de ce faudroit dire que Dieu n produit d'abord la Créa
que jo suis, que je serai;- mais cela suit pour ture nécessairement; on bien, il faudroit faire voir
tant naturellement, c'est à/dire de soi, per se. comment, en la créant une fois, il s'est imposé la
si rien ne l'empêche. C'est la différence qu'on nécessité de la conserver. Or rien n'empêche que
peut faire entre l'essentiel et le naturel ; c'est com cette action conservât!ve ne soit appelléc production,
me naturellement le même mouvement dure, si quel et même création, si l'on veut. Car la dépendance
que nouvelle cause ne l'empêche, on le change, parce étant aussi grande dans la suite , que dans le com
que la raison qui le fait cesser dans cet instant , si mencement, la déuomination extrinsèque, d'être
elle n'est pas nouvelle, l'auroit déjà fait cesser plutôt. nouvelle, ou non, n'en change point la nature.
384. Feu M. Erhard Weigel Mathématicien et 386. Admettons donc en un tel sens, que la
Philosophe célèbre à Jcna, connu par son Analy- conservation est nue création continuée , et voyons
sisEuclidea, sa Philosophie Mathématique, quel ce que M. Bayle en paroit inférer, (p. 771.) après
ques Inventions mécaniques assez jolies, et enfin par l'Auteur de l'Avis sur le Tableau du Socinianisme,
la peine qu'il s'est donnée de porter les Princes Pro- opposé à Monsieur Jurieu. «Il me semble (dit cet
tcstaus de l'Empire à la dernière réforme de l'Al- •Auteur) qu'il en faut conclure que Dieu fait tout,
uianac, dont il n'a pourtant pas va le succès; M. «et qu'il n'y a point dans toutes les Créatures de
Weigel, dis -je, communiquait à ses amis une cer «causes premières ni secondes, ni même occasiou-
taine démonstration de l'existence de Dieu, qui re- «nelles, comme il est aisé de le prouver. Car en ce
venoit en effet à cette création continuée. Et com «moment où je parle, je suis tel que je suis, avec
me il avoit coutume de faire des parallèles entre «toutes mes circonstances, avec telle pensée, avec
compter et raisonner, témoin sa Morale Arithméti «telle action, assis ou debout Que si Dieu me crée
que raisonnée (rechenschaftliche Sitten- «en ce moment tel que je suis, comme on doit né-
lehre), il disoit que le. fondement de la démonstra «cessairement le dire daus ce système, il mo crée
tion étoit ce commencement de la Tablft Pythagori- «avec telle action, tel mouvement et telle détermi-
que, une fois un est un. Ces unités répétées «nation. On ne peut dire que Dieu nie crée prcmiè-
étoient lesmomens de l'existence de choses, dont cha •rement, et qu' étant crée, il produise avec moi mes
cun dépendoit de Dieu , qui ressuscite , pour ainsi •mouvemens et mes déterminations. Cela est insou-
dire, toutes les choses hors de lui, à chaque moment. «tenable pour deux raisons: la première est, que-
Et comme elles tombent à chaque moment , il leur «quand Dieu me crée on me conserve à cet instant,
faut toujours quelqu'un qui les ressuscite, qui ne -il ne me conserve pas comme un Etre sans forme,
saurait être autre que Dieu. Mais on auroit besoin •comme une Espèce, on quelque autre des Univer-
78*
616 LXXIII. THÉODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIR III.
«saux île Logique. Je suis un individu; il me crée «voyez le Feuillant Pierre de Saint Joseph, p. 318.
«et conserve comme tel, étant tout ce que je suis «et scq. du» Suavis Coucordia humanae libcrtatis:
«dans cet instant avec tontes mes dépendances. La «c'est un signe qu'ils reconnoissent qu'au premier
•seconde raison est, que Dieu me créant en cet in- < instant la Créature ne peut point agir eu quoi que
«stant, si l'on dit qu'ensuite il produise avec moi «ce soit) il s'ensuit évidemment qu'elles ne peuvent
«mes actions, il faudra nécessairement concevoir un «concourir avec Dieu dans nul des momens suivans,
«autre instant pour agir. Or ce seroit deux instans. «ni pour se produire elles-mêmes, ni pour produire
«où nous n'en supposons qu'un. Il est donc certain «quelque autre chose. Si elles y pou voient concou-
«dans cette hypothèse que les Créatures n'ont ni «rir an second moment de leur durée, rien n'empc-
«plus de liaison, ni plus de relation avec leurs ac- «cheroit qu'elles n'y pussent concourir au premier
« lions, qu'elles en eurent avec leur production au •moment.»
-premier moment de la première création.» L'Au 388. Voici comment il faudra répondre à ces
teur de cet Avis en tire des conséquences bien du raisonnemens. Supposons que la Créature soit pro
res, que l'on se peut imaginer ; et témoigne à la fin, duite de nouveau à chaque instant; accordons aussi
que Ton auroit bien de l'obligation à quiconque ap- que l'instant exclut toute priorité de tenis, étant
prendrait aux Approbateurs de ce Système à se tirer indivisible: mais faisons remarquer qu'il n'exclut
de ces épouvantables absurdités. pas la priorité de nature, ou <•# qu'on appelle au-
3 8 7 . M. Bayle le pousse encore davantage. Vous tériorité in Signo rationis, et qu'elle suffit La
savez, dit il, (pag. 775-) que l'on démontre production, ou action, par laquelle Dieu produit,
dans les Ecoles (il cite Ariïaga disp. 6. Phys. est antérieure de nature à l'existence de la Créature
sect. 9. et praesertiin sub sect. 3.) «que la Créature qui est produite; la Créature prise en elle même, avec
«ne sauroit être ni la cause totale, ni la cause par- sa nature et ses propriétés nécessaires, est antérieure
«tiale de sa conservation; car si elle l'étoit, elle à ses affections accidentelles et à ses actions ; et ce
«cxisteroit avant que d'exister, ce qui ost contra- pendant toutes ces choses se trouvent dans le même mo
«clictoire. Vous savez qu'on raisonne de cette façon: ment. Dieu produit la Créature conformément à J 'exi
«ce qui se conserve, agit; or ce qui agit existe, et gence des instans précédens,suivant les loix de sa sages
«rien ne peut agir, avant que d'avoir son existence se; et la Créature opère conformément à cette nature,
«complète; donc si une Créature se conservoit, elle qu'il lui rend en la créant toujours. Les limitations
«agiroit avant que d'être. Ce raisonnement n'est et imperfections y naissent pur la nature du sujet,
«pas fondé sur des probabilités, mais sur les pre- qui borne la production de Dieu ; c'est la suite de
«miers principes de la Métaphysique,» non entis l'imperfection originale des Créatures: mais le vice
uulla sunt accidentia, operari sequitur esse, «clairs et le crime y naissent par l'opération interne libre
«comme le jour. Allons plus avant. Si les Créatu- de la Créature, autant qu'il y en peut avoir dans
»res concourroient avec Dieu (on entend ici un con- l'instant, et qui devient notable par la répétition.
« cours actif, et non pas un concours d'instrument 389. Cette antériorité de nature est ordinaire
«passif) pour se conserver, elles agiraient avant en Philosophie; c'est ainsi qu'on dit, que les dé
«que d' être : l'on a démontré cela. Or si elles con- crets de Dieu ont nu ordre entre eux. Et lorsqu'on
• courraient avec Dieu pour la production de quelque attribue à Dieu (comme de raison) l'intelligence
«autre chose, elles agiroient aussi avant que d'être; des raisonncmeus et des conséquences des Créatures,
•il est donc aussi impossible qu'elles concourent de telle sorte que toutes leurs démonstrations et
»avec Dieu pour la production de quelque antre tous leurs syllogismes lui sont connus, et se trou
«chose, (comme le mouvement local , une affirma- vent éminemment en lui ; l'on voit qu'il y a, dans 4
•tion, une volition, entités réellement distinctes les propositions ou vérités qu'il counoit, un ordre
«de leur substance, à ce qu'on prétend) que pour de nature, sans aucun ordre ou intervalle du têtus,
«leur propre conservation. Et puisque leur conser- qui le fasse avancer en connoissance, et passer des
«vation est une création continuée, et que tout ce prémisses à la conclusion.
«qu'il y a d'hommes an monde doivent avouer qu'el- 390. Je ne trouve rien dans les raisonnemens
«les ne peuvent concourir avec Dieu, au premier qu'on vient de rapporter, à quoi cette considération
•moment de leur existence, ni pour se produire, ni no satisfasse. Lorsque Dieu produit la chose, il la
«pour se donner aucune modalité, car ce seroit produit comme un individu, et non pas comme un
»agir avant que d'être; (notez que Thomas d'Ac- universel de Logique, je l'avoue; mais il produit
«quin, et plusieurs autres Scolastiques, enseignent son essence avant ses accidcns, sa nature avant ses
•que si les Anges avoient péché au premier moment opérations, suivant la priorité de leur nature, et
«de leur création, Dieu seroit l'Auteur du péché: iuSiguo anteriore rationis. L'on voit par-là
LXX1H. THÉODKÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III. 617
comment la Créature peut être la vraie cause du mité. Sans cela, Dieu seroit la cause du péché) et
péché, sans que la conservation de Dieu l'empêche ; même la cause unique.
qui se règle sur l'état précédent do la même Créa 393. Il est bon d'ailleurs qu'on prenne garde,
ture, pour suivre les loix de sa sagesse nonobstant qu'en confondant I •* substances avec les accidcns,
le péché, qui va être produit d'abord par la Créa i eu ôiaiit l'action aux substances crées, ou ne tombe
ture. Mais il est vrai que Dieu n'auroit point créé I dans le Spinosisme, qui est un Cartésianisme outré.
l'âme au comuienceincDt dans un état où elle au- Ce qui n'agit point, ne mérite point le nom de sub
rolt péché dès le premier moment, comme les Scola- stance : si les accidens ne sont point distingués des
stiques l'ont fort bien observé: car il n'y a rien substances; si la substance créée est un Etre suc
dans les loix de sa sagesse, qui l'y eût pu porter. cessif, comme le mouvement ; si elle ne dure pas
391. Cette loi de la sagesse fait aussi que Dieu au-delà d'un moment, et ne se trouve pas la même,
reproduit la même substance, la même âme; et c'est (durant quelque partie assignable du teins) non plus
ce que pouvoit répondre l'Abbé qne M. Bayle in que ses acculais; si elle n'opère point, non plus
troduit dans sou Dictionnaire (artic. Pyrrhou. let. qu'une figure de Mathématique, ou qu'un nombre:
B. p. 2432.) Cette sagesse fait la liaison des cho pourquoi ne dira-t-on pas comme Spinosa, que Dieu
ses. J'accorde donc qne la Créature ne concourt est la seule substance, et qne les Créatures ne sont
point avec Dieu pour se conserver, (de la manière que des accideus, ou des modifications i Jusqu'ici
qu'on vient d'expliquer la conservation ;) mais je on a cru que la substance demeure, et que les ac
ne vois rien qui l'empêche de concourir avec Dieu cidens changent; et je crois qu'on doit se tenir en
pour la production de quelque autre chose , et par core à cette ancienne doctrine, les arguinens que
ticulièrement de son opération interne; comme se- je me souviens d'avoir lus ne prouvant point le con
roit une pensée, une volition, choses réellement traire, et prouvant plus qu'il ne faut.
distinctes de la substance. * 394. «L'une des absurdités, dit M. Bayle, (p.
392. Mais nous voilà de nouveau anx prises avec «779.) qui émanent de la prétendue distinction,
M. Bayle. 11 prétend qu'il n'y a point de tels acci- «que l'on veut admettre entre les substances et
deus distingués de la substance. »Les raisons,* dit- «leurs accidens, est, que si les Créatures produisent
il, »que nos Philosophes modernes ou fait servir à «dés accidens, elles auraient une puissance créatrice
^démontrer que les accideus ne sont pas des Etres «et anuihilatrice : de sorte' qu'on ne sauroit faire
^réellement distingués de la substance, ne sont pas «la moindre action sans créer un nombre iunom-
»de simples difficultés ; ce sont des argumeus qui «brablc d'Etres réels, et sans en réduire au néant
^accablent, et qu'on ne sauroit résoudre. Prenez la «une infinité. Eu ne remuant la langue que pour
»peine, (ajoute-t-il) de les chercher ou dans le P. «crier ou pour manger, on crée autant d'accidens,
»Maiguan, ou dans le P. Mallebranche , ou dans «qu'il y a de mouveniens des parties de la langue,
»Mousienr Cailli« (Professeur eu Philosophie à «et Ton détruit autant d'accidcus, qu'il y a de par-
Caen) »ou dans les* Àcciclentia profligata »du P. «ties de ce qu'onmangc, qui perdent leur forme, qui
»Saguens disciple du P. Maignan, dont on trouve «deviennent du chyle, du sang, etc.» Cet argu
»l'extrait dans les« Nouvelles de la République des ment n'est qu'une espèce d'épouvautaiL Quel mal
Lettres, »Juin 1702; ou ^i vous voulez qu'un seul y a-t-il qu'une infinité de mouveniens, une infinité
3»Auteur vous suffise, choisissez Dom François Lami de figures, naissent et disparoisscut à tout moment
:»Religieux Bénédictin, et l'un de plus forts Carté- dans l'Univers, et même dans chaque partie de l'Uni-
»siens qui soient en France. Vous trouverez parmi vers'J On peut démontrer d'ailleurs que cela se doit.
»ses« Lettres Philosophiques, 5>iuiprimées à Tré- ; 395. Pour ce qui est de la création prétendue
»voux l'an 1703,« celle où par la méthode des des accidens, qui ne voit qu'on n'a besoin d'aucune
Géomètres il démontre, »qncDieu est l'unique vraie puissance créatrice pour changer de place ou de li-
5>cause de tout ce qui est réel.« Je souhaiterois de i gure, pour former un quarré ou un quarré-long,
voir tous ces Livres: et pour ce qui est de cette ' ou quelque autre figure de bataillon, par le mouve-
dernière proposition, elle peut être vraie dans un | ment des soldats qui font l'exercice; non plus que
fort bon sens; Dieu est la seule cause principale des pour former une statue, en ôtant quelques morceaux
réalités pures et absolues, ou des perfections, Cau- d'un bloc de marbre; ou pour faire quelque figure
sae secundae aguut in virtute priuiae. Mais eu relief, en changeant, diminuant ou augmentant
lorsqu'on comprend les limitations et les privations un morceau de circî La production des modifica
sous les réalités , l'on peut dire que les causes se tions n'a jamais été appellée création, et c'est
condes concourent à la production de ce qui est li abuser des termes, que d'en épouvanter le monde.
618 LXXHI. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
Dieu produit des substances île rien, et les substan tiellement différons d'eux, et n'ayant rien que d'in
ces produisent des accideiis par les changemeiis de férieur en eux. Cette production est une manière
leurs limites. de Traduction, mais plus traitablu que celle
396. Pour ce qui est des Ames ou des Formes qu'on enseigne vulgairemnt: elle ne tire pas l'âme
substantielles, M. Bayle a raison d'ajouter, »qail d'une âme, mais seulement l'animé d'un animé;
«u\ a rien de plus incommode pour ceux qui ad- et elle évite les miracles fréquens d'une nouvelles
»mettent les formes substantielles, que l'objection création, qui feroient entrer une âme neuve et nette
»que Ton fait, qu'elles ne pourroient être produites dans un corps qui la doit corrompre.
»qtic par une véritable création ; et que les Sco- 398. Je suis cependant du sentiment du R. P.
»lastiques font pitié, quand ils tâchent d'y répou- Mallebranclie, qu'en général la création, entendue
iln-.xv Mais il n'y a rien de plus commode pour moi, comme il faut , n'est pas aussi difficile à admettre
et pour mon système, que cette même objectiou : puis qu'on pourroit penser , et qu'elle est enveloppée en
que je soutiens que toutes les Ames, Enïélcchies on quelque façon dans la notion de la dépendance
forces primitives, formes substantielles substances des Créatures. »Que les Philosophes sont stnpides
simples, ou Monades, de quoique nom qu'on les »et ridicules! (s'écriet-il, Méditât. Chreticnu.
puisse appeler, ne sauroient naître naturellement, 9. n. 3.) »l\s s'imaginent que la Création est im-
ni périr. Et je conçois les qualités ou les forces »possiblc, parcequ'ils ne conçoivent pas que la puis-
dérivatives, ou ce qu'on appelle formes accidentel »sance de Dieu soit assez grande pour faire de rien
les, comme des modifications do l'Entéléchie pri î>quelque chose. Mais conçoivent -ils mieux que la
mitive; de même que les figures sont des modifi *puissance de Dieu soit capable de remuer un tëtuïd
cations de la matière. C'est pourquoi ces modifi II ajoute encore fort bien: (n.5.) »Si la Matière étoit
cations sont dans un changement perpétuel, pen »incréée, Dieu ne pourroit la mouvoir, ni en former
dant que la substance simple demeure. ^aucune chose. CarDieb ne pent remuer la Matière,
397. J'ai fait voir ci dessus (part. I. §. 86. et «ni l'arranger avec sagesse, sans la connoitre. Or
seqq.) que les âmes ne sauraient naître naturelle »Dieu ne peut la connoître, s'il ne lui donne J'étre:
ment , ni être tirées les unes des autres ; et qu'il !»il ne peut tirer ses connoissances que de lui
faut, ou que la nôtre soit créée, ou qu'elle soit -même. Rien ne pent agir en lui, ni l'éclairer.*
préexistante. J'ai même montré un certain milieu 399. M. Bayle non content de dire que nous
entre une création et une préexistence entière, en sommes créés continuellement, insiste encore sur
trouvant convenable de dire que l'âme, préexi- cette autre doctrine, qu'il en voudroit tirer, que
stantcdans les semences depuis le commencement des notre âme ne saurait agir. Voici comme il en
choses, n'étoit que seusitive; mais qu'elle a été éle parle, (ch. 141. p. 765.) »ll a trop de connois-
vée an degré supérieur, qui est la Raison, lorsque sance du Cartésianisme, (c'est d'un habile
l'homme, à qui cette âme doit appartenir, a été adversaire qu'il parle) pour ignorer avec quelle
conçu, et que le corps organisé, accompagnant tou »force on a soutenu de nos jours qu'il n'y a point
jours cette âme depuis le commencement, mais »de Créature qui puisse produire le mouvement, et
sous bien des cliangcmeiis , a été déterminé à for »que notre âme est un sujet purement passif à l'é-
mer le corps humain. J'ai jugé aussi qu'on pou- 9gard des sensations et des idées, et des sentimcns
voit attribuer cette élévation de l'âme seusitive »do douleur et de plaisir, etc. Si l'on n'a point
(qui la fait parvenir à un degré essentiel plus sub »poussé la chose jusqu'aux volitions, c'est à cause
lime, c'est à dire à la Raison) à l'opération extra »des vérités révélées ; sans cela les actes de 1» vo
ordinaire de Dieu. Cependant il sera bon d'ajou lonté se seroient trouvés aussi passifs que cens
ter, que j'aimerois mieux me passer du miracle »de l'entendement. Les mêmes raisons qui prou-
dans la génération de l'homme, comme dans celle J»vent que notre âme ne forme point DOS idées,
des antres animaux: et cela se pourra expliquer, »et ne remue point nos organes, pronveroieiit
en concevant que dans ce grand nombre d'âmes et »aussi qu'elle ne peut point former nos actes d'a
d'animaux, ou du moins de corps organiques vi- mour et nos volitions, etc.* II pouvoit toouter,
vans qui sont dans les semences, ces âmes seules nos actions vicieuses, nos crimes.
qui sont destinées à parvenir un jour à la Nature 400. Il faut bien que la force de ces preuves,
humaine, enveloppent la Raison qui y paraîtra un qu'il loue, ne soit point telle qu'il croit, puisqu'el
jour, et que les seuls corps organiques sont préfor- les prouveraient trop. Elles feroient Dieu auteur
més et prédisposés à prendre un jour la forme hu du péché. J'avoue que l'âme ne saurait remuer les
maine; les autres petits animaux on vivans sémi organes par une' influence physique, car je crois
naux, où rien de tel n'est préétabli, étant essen que le corps doit avoir été formé de telle sorte par
LXXIH. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III. 619
avance, qu'il fasse en teins et lien ce qui répond • sentiment, qui paroit si démonstrative h M. Ja-
aux volontés de l'âme; quoiqu'il soit vrai cepen -quelot? L'autorité sur nos idées est-elle plus sou-
dant que rame est le principe de l'opération. »vent trop courte, que l'autorité sur nos volitions ï
Mais de dire que l'âme ,no produit point ses pen »Si nous comptions bien, nous trouverions dans le
sées, ses sensations, ses scntiuiens de douleur et -cours de notre vie plus de velléités que de voli-
de plaisir, c'est de quoi je ne vois aucune raison. •tions: c'est à dire plus de témoignages de la ser
Chez moi, tonte substance simple (c'est-à-dire, toute vitude de notre volonté, que de son empire. Coin-
substance véritable) doit être la véritable cause «bien de fois un même homme n'éprouve- t-il pas
immédiate de toutes ses actions et liassions inter • qu'il ne pourroit faire un certain acte de volonté,
nes; et à parler dans la rigueur métaphysique, elle •(par exemple, un acte d'amour pour un homme
n'en a point d'autres que celles qu'elle produit. •qui viendrait de l'offenser: un acte de mépris
Ceux qui sont d'un autre sentiment, et qui font • d'un beau Sonnet qu'il auroit fait: un acte do
Dieu seul acteur, s'embarrassent sans sujet dans "haine pour une Maîtresse: un acte d'approbation
des expressions, dont ils auront bien de la peine • d'une Epigrammc ridicule. Notez que je ne parle
à se tirer sans choquer la Religion: outre qu'ils cho •que d'actes internes, exprimés par un je veux,
quent absolument la Raison. • comme, je veux mépriser, approuver, etc.) y cût-
401. Voici pourtant sur quoi M. Baylc se fonde. • il cent pistolcs à gagner sur le champ, et souhai-
Il dit que nous ne faisons pas, ce que nous ne sa • tàt-il avec ardeur de gagner ces cent pistoles,
vons pas comment il se fait. Mais c'est un prin • et s'animât -il de l'ambition de se convaincre par
cipe que je ne lui accorde point. (Encore son dis • une preuve d'expérience qu'il est le maitre chez soi 7 -
cours, pag. 767. et seqq. ) »C'est nue chose éton- 402. «Pour réunir en peu de mots toute la
»nante, que presque tous les Philosophes (il en faut • force de ce que je viens de vous dire, je remar-
!»excepter les Interprètes d'Aristote, qui. out admis •querai qu'il est évident a tous ceux qui approfon-
*un intellect universel, distinct de notre âme, et • dissent les choses, que la véritable cause efficiente
»la cause de nos intcllcctions : voyey. dans le Dic- • d'un effet doit le connoîtrc, et savoir aussi de
»tionn. histor. et crit. la remarque E. de l'article • quelle manière il le faut produire. Cela n'est
•>Averroës) ayent cru avec le peuple, que nous • pas nécessaire quand on n'est que l'instrument de
9 formons activement nos idées. Où est l'homme • cette cause, ou que le sujet passif de son action;
^néanmoins qui ne sache d'un coté qu'il ignore • mais Ton ne sauroit concevoir que cela ne soit
^absolument comment se font les idées, et de l'au- f point nécessaire à un véritable agent. Or si nous
»tre, qu'il ne pourroit coudre deux points, s'il igno- «nous examinons bien, nous serons très-convain-
»roit comment il faut coudre? Est-ce que cou- • cus, qu'indépendamment de l'cxi>ériencc , notre
*drc deux points est en soi un ouvrage plus diffi • âme sait aussi peu ce que c'est qu'une volition,
cile que de peindre dans son esprit une rosé, dès «que ce que c'est qu'une idée: qu'après une lon-
»la première fois qu'elle tombe sous les yeux, et -guc expérience, elle ne sait pas mieux comment
9sans que Ton ait jamais appris cette sorte de -se forment les volitions, qu'elle le savoit avant
^peinture? Ne pareil -il pas au contraire que ce • que d'avoir voulu quelque chose. Que conclure
^portrait spirituel est en soi un ouvrage plus diffi • de cela, sinon qu'elle ne peut être la cause effi
cile qoe de tracer sur la toile la -figure d'une ciente de ses volitions, non plus que 6V; jses
»fleur, ce que nous ne saurions faire sans l'avoir • idées, et que du mouvement des esprits qui font
^appris? Nous sommes tous convaincus qu'une clef • remuer nos bras.' (Note/ qu'on ne prêtent! pas
9ue nous servirait do rien h ouvrir mi coffre, si «décider ici absolument cela, on ne le considère
»nous ignorions comment i) faut l'employer ; et cc- • que relativement aux principes de l'objection.)»
^pendant nous nous figurons que "notre âme est la 403. Voilà qui est raisonner d'une étrange ma
»cansc efficiente du mouvement de nos liras, quoi nière ! Quelle nécessité y a-t-il qu'on sache tou
qu'elle ne sache ni où sont le nerfs qui doivent jours comment se fait ce qu'on fait! Les sels, les
^servir à ce mouvement , ni où il faut prendre les métaux, les plantes, les animaux, et mille autres
^esprits animaux qui doivent couler dans ces nerfs. corps animés on inanimés, savent -ils comment se
»Nous éprouvons tous les jours , que les idées que fait ce qu'ils font, et ont-ils besoin de le savoir?
»nous voudrions rappeler ne viennent point, et Faut il qu'une goûte d'huile ou de graisse entende
^qu'elles se présentent d'elles - mêmes lorsque la Géométrie, pour s'arrondir sur la surface do
»nons n'y pensons plus. Si cela ne nous empêche l'eau? Coudre des points est autre chose: on agit
»]M)iiit de croire que nous en sommes la cause pour une fin, il faut en savoir lus moyens. Mais
.^efficiente, quel fonds fera -t- on sur la preuve de nous ne formons pas nos idées, parce que nous In
620 LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE III.
voulons; elles se forment en nous, elles se forment 405. Javois dessein de finir ici, après avoir sa
par nous, non pas en conséquence de notre volonté, tisfait (ce me semble) à toutes les objections d<
mais suivant notre nature et celle des choses. Et M. Bayle sur ce sujet, que j'ai pu rencontrer dans
comme le foetus se forme dans l'animal, comme ses Ouvrages. Mais m'étant souvenu du Dialogue
mille autres merveilles de la Nature sont produites de Laurent Valla sur le Libre-Arbitre contre Boëce,
par un certain instinct que Dieu y a mis, c'est-à- dont j'ai déjà fait mention , j'ai cru qu'il seroit à
dire en vertu de la prêformation divine, qui propos d'en rapporter le précis, en gardant la forme
a fait ces admirables automates, propres à produire du dialogue, et puis de poursuivre où il finit, en
mécaniquement de si beaux effets; il est aisé de continuant la fiction qu'il a commencée: et cela
juger de même que l'âme est un automate spiri bien moins pour égayer la matière, que pour m'ex
tuel, encore plus admirable; et que c'est par la pré pliquer, sur la fin de mon Discours , de la manière
formation divine qu'elle produit ces belles idées, où la plus claire et la plus populaire qui me soit pos
notre volonté n'a point clé part, et où notre art no sible. Ce Dialogue de Valla, et ses Livres sur la
sauroit atteindre. L'opération des Automates spi Volupté et le vrai Bien, font assez voir qu'il n'étoit
rituels, c'est-à-dire des Ames, n'est point mécani pas moins Philosophe, qu'Humaniste. C«s quatre
que; mais elle contient éminemment ce qu'il y a Livres éfoient opposés aux quatre Livres de la Con
de beau dans la Mécanique: les mouvemens, déve solation de Boëcc, et le Dialogue aux cinquième.
loppés dans les corps , y étant concentrés par la Un certain Antoine Glarea Espagnol lui demande
représentation, comme dans un Monde idéal, qui un éclaircissement sur la difficulté du Libre -Arbi
exprime les loix du Monde actuel et leurs suites; tre, aussi peu connu qu'il est digne" de l'être, d'où
avec cette différence du Monde idéal parfait qui est dépend la justice et l'injustice, le châtiment et la
en Dieu, que la plupart des perceptions dans les récompense dans cette vie, et clans la vie future.
antres ne sont que confuses. Car il faut savoir que Laurent Valla lui réppnd, qu'il faut se consoler
toute substance simple enveloppe l'Univers par ses d'une ignorance , qui nous est commune avec tout
perceptions confuses ou scutimens , et que la suite le monde, comme l'on se console de n'avoir point
de ces perceptions est réglée par la nature particu les ailes des oiseaux.
lière de cette substance; mais d'une manière qui 406. Antoine. Je sais qne vous me pouvez
exprime toujours toute la nature universelle: et donner ces ailes, comme un autre Dédale, pour
tonte perception présente tend à une perception sortir de la prison de l'Ignorance, et pour m'élcvcr
nouvelle, comme tout mon veinent qu'elle repré jusqu'à la région de la Vérité, qui est la patrie des
sente tend à un autre mouvement. Mais il est im aines. Les Livres que j'ai vus ne m'ont point sa
possible que Pâme puisse connoitre distinctement tisfait, pas même le célèbre Boëee, qui a Tappro-
tonte sa nature, et s'appercevoir comment ce nom bation générale. Je ne sais s'il a bien compris lui-
bre innombrable de petites ]>erceptions, entassées ou même ce qu'il dit de l'entendement de Dieu, et de
plutôt concentrées ensemble, s'y forme: il fandroit l'éternité supérieure an tems. Et jo vous demande
pour cela qu'elle connût parfaitement tout l'U votre sentiment sur sa manière d'accorder la pre
nivers qui y est enveloppé, c'est-à-dire qu'elle fût science avec la liberté. Laurent. J'appréhende de
un Dieu. choquer bien des gens, en réfutant ce grand
404. Pour ce qui est des Velléités, ce ne homme ; je veux pourtant préférer à cette crainte
sont qu'une espèce fort imparfaite de volontés con l'égard que j'ai aux prières d'un ami , pourvu que
ditionnelles. Jevondrois, sijcpouvois, liber et, si vous me promettiez . . ., An t. Quoi? Laur. C'est
liceret: et dans le cas d'une velléité, nous ne qne lorsque vous aurez diué chez moi , vous ne
voulons pas proprement vouloir, mais pouvoir. demanderez point que je vous donne à souper:
C'est ce qui fait qu'il n'y en a point en Dieu , et il c'est- à dire, je désire, que vous soyez content tlo
ne faut point les confondre avec les volontés anté la solution de la question que vous m'avez faite,
cédentes. J'ai assez expliqué ailleurs, que notre sans m'en proposer une autre.
empire sur les volitions ne sauroit être exercé que 407. An t. Je vous le promets. Voici le point
d'une manière indirecte, et qu'on seroit malheu de la difficulté : Si Diea a prévu la trahison de Ju
reux, si l'on étoit assez le maître chez soi pour das, il étoit nécessaire qu'il trahît, il étoit impos
pouvoir vouloir sans sujet, sans rime et sans rai sible qu'il ne trahît pas. Il n'y a point d'obligation
son. Se plaindre de n'avoir pas un tel empire, ce à l'impossible. Il ne pérhoit donc pas, il ne inéri-
seroit raisonner comme Pline, qui trouve à redire toit point d'être puni. Cela détroit la justice et la
à la puissance de Dieu, parce qu'il ne se peut point religion, avec la crainte de Dieu. Laur. Diea a
détruire. prévu le péché; mais il n'a point forcé rboinme à
LXXIII. THEODICEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE 621
le commettre, le péché est volontaire. An t. Cette vérité. Mai» d'où vient qne Jupiter est si cruel &
volonté étoit nécossairc, puisqu'elle étoit prévue. mon égard , qu'il prépare un destin si dur à oa
Laur. Si ma science ne fait pas que les choses homme innocent, à un adorateur religieux des
passées ou présentes existent, nia prescience ne Dieux! Laur. Vous, innocent? dira Apollon. Sa
fera pas non plus exister les futures. chez que vous serez superbe, qne vous commettrez
408. An t. Cette comjKtraison est trompeuse: des adultères , que vous serez traître à la patrie.
le présent ni le passé ne sauraient être changés, ils Sextus ponrroit-il répliquer : C'est vous qui en êtes
sont déjà nécessaires; mais le futur, muable en la cause, ô Apollon; vous me forcez de le faire,
soi, devient fixe et nécessaire par la prescience. en le prévoyant? An t. J'avoue qu'il aurait perdu
Feignons qu'un Dieu du Paganisme se vante de sa' 10 sens, s'il ûtisoit cette réplique. Lanr. Donc le
voir l'avenir: je lui demanderai s'il sait quel pied traître Judas ne peut point se plaindre non plus de
je mettrai devant, pois je ferai lo contraire de ce la prescience de Dieu. Et voilà la solution de votre
qu'il aura prédit. Laur. Ce Dieu sait ce que vous question.
voudrez faire. An t. Comment le sait-il, puisque 410. An t. Vous m'avez satisfait an delà de ce
je ferai le contraire de ce qu'il dit, et je suppose que j'cspérois, vous avez fait ce que Boëce n'a pn
qu'il dira «i qu'il pense! Laur. Votre fiction est faire: je vous en serai obligé tonte ma vie. Laur.
fausse: Dieu ne vous répondra pas; ou bien s'il Cependant poursuivons encore an peu notre histo
vous rcpondoit, la vénération que vous auriez pour riette. Sextus dira: Non, Apollon, je ne veux
lui, voua feroit hâter de faire ce qu'il aurait dit: point faire ce que vous dites. An t. Comment!
sa prédiction vous serait un ordre. Mais nous avons dira le Dieu, je serais donc nn menteur? Je vous
changé do question. Il ne s'agit point de ce que le répète encore , vous ferez tout ce que je viens
Dieu prédira, mais de ce qu'il prévoit Revenons de dire. Laur. Sextus prierait peut-être les Dieux
donc à la prescience, et distinguons entre le néces de changer les destins, de lui donner un meilleur
saire et le certain. 11 n'est pas impossible que ce coeur. An t. Ou lui répondrait:
qui est prévu, n'arrive pas; mais il est infaillible Desine fata Deûm flecti spcrare prccando.
qu'il arrivera. Je puis devenir Soldat ou Prêtre, 11 ne sauroit faire mentir la prescience divine.
mais je ne le deviendrai pas. Mais que dira donc Sextus 1 n'éclatera -t- il pas en
409. An t. C'est ici que je vous tiens. La rè plaintes contre les Dieux? ne dira-t-il pas: Com
gle des Philosophes veut, que tout ce qui est pos ment? je ne suis donc point libre! il n'est pas dans
sible peut être considéré comme existant. Mais si mon pouvoir de suivre la vertu ? Lanr. Apollon lui
ce que vous dites être possible, c'est-à-dire un événe dira peut-être: Sachez, mon pauvre Sextus, qne les
ment difTércnt de ce qui a été prévu, arrivoit actu Dieux font chacun tel qu'il est. Jupiter a fait le
ellement, Dieu se seroit trompé. Lanr. Les rè loup ravissant, le lièvre timide, l'âne sot, et le lion
gles des Philosophes ne sont point des oracles pour courageux. 11 vous a donné une unie, méchante et
moi. Celle ci particulièrement n'est point exacte. incorrigible; vous agirez conformément à votre na
Les deux contradictoires sont souvent possibles tou turel, et Jupiter vous traitera comme vos actions
tes deux, est-ce qu'elles peuvent aussi exister tou le mériteront , il en a juré par le Styx.
tes deux? Mais pour vous donner plus d'éclaircis 411. A ut. Je vous avoue, qu'il me semble
sement, feignons que Sextus Tarquinius, venant à qu'Apollon, en s'excusant, accuse Jupiter, plus
Delphes pour consulter TOracle d'Apollon, ait pour qu'il n'accuse Sextus; et Sextus lui répondroit:
réponse : Jupiter condamne donc en moi son propre crime,
l'Aiil inopsqne cades irata pulsus ab orbe. et c'est lui qui est le seul coupable. 11 me pouvoit
Pauvre et banni de ta patrie, faire tout autre ; mais fait comme je suis , je dois
On te verra perdre la vie. agir comme il a vonlu. Pourquoi donc me punit-
Le jeune homme s'en plaindra : Je vous ai apporté il? Ponvois-je résister à sa volonté? Laur. Je
un présent Royal, ô Apollon, et vous m'annon vous avoue qne je me trouve arrêté ici , aussi-bien
cez nn sort si malheureux? Apollon lui dira: Votre que vous. J'ai fait venir les Dieux sur le théâtre,
présent m'est agréable , et je fais ce que vous tue Apollon et Jupiter, pour vous fair distinguer la
demandez, je vous dis ce qui arrivera. Je sais l'a prescience et la providence divine. J'ai fait voir,
venir, mais je ne le fais pas. Allez vous plaindre qu'Apollon, que la prescience, ne nuisent point à la
à Jupiter et aux Parques. Sextus seroit ridicule, liberté ; mais je ne saurais vous satisfaire sur les
s'il continuoit après cela de se plaindre d'Apol décrets de fa volonté de Jupiter, c'est-à-dire sur
lon; n'est-il pas vrai ? An t. 11 dira: Je vous re les ordres de la providence. An t. Vous m'avez
mercie, ô Saint Apollon , de m'avoir déconvert la tiré d'un abîme, et vous me replongez dans un
79
622 LXXIII. THËODICÉE. ESSAIS SUR LA BONTÉ DE DIEU ETC. PARTIE III.
autre abîmo plus grand. Laar. Souvenez vous de renoncer h Rome , les Parques vous fileront d'an
notre contrat: je vous ai fait dîner, et vous uie de tres destinées, vous deviendrez sage, vous serez
mandez de vous donner aussi à souper. heureux. Sextns. Pourquoi dois-je renoncer à
412. An t. Je vois maintenant votre finesse: l'espérance d'une couronne? ne pourrai-je pas être
vous m'avez attrapé, ce n'est pas un contrat de bonne bon Roi? Jup. Non, Sextus; je sais mieux ce
foi; Laur. Que voulez-vous que je fasse? je vous qu'il vous faut. Si vous allez à Rome, vous êtes
ai donné du vin et des viandes de mon crû , que perdu. Sextus ne pouvant se résoudre à un si
mon petit bien peut fournir; pour le Nectar et grand sacrifice, sortit du Temple, et s'abandonna à
l'Ambroisie, vous les demanderez aux Dieux : cette son destin. Théodore, le grand Sacrificateur, qui
divine nourriture ne se trouve point parmi les avoit assisté an Dialogue du Dieu avec Sextus,
hommes. Ecoutons Saint Paul, ce vaisseau d'é adressa ces paroles à Jupiter: Votre sagesse est ado
lection qui a été ravi jusqu'au troisième Ciel, qui rable, o grand Maître des Dieux. Vous avez con
y a entendu des paroles inexprimables; il vous ré vaincu cet homme de sou tort; il faut qu'il impute
pondra par la comparaison du potier, par l'incom- dès à présent son malheur à sa mauvaise volonté,
préhcnsibilité de voies des Dieu, par l'admiration de il n'a pas le mot à dire. Mais vos fidèles adora
la profondeur de sa sagesse. Cependant il est bon teurs sont étonnés: ils souhaiteroieut d'admirer
do remarquer, qu'on ne demande pas pourquoi votre bonté, aussi bien que votre grandeur; il dé-
Dieu prévoit la chose, car cela s'entend; c'est par- pendoit de vous de lui donner une autre volonté.
ccqu'ello sera: mais on demande, pourquoi il en Jupiter. Allez à ma fille Pallas, elle vous ap
ordonne ainsi, pourquoi il endurcit un tel, pourquoi prendra ce que je devois faire.
il a pitié d'un autre. Nous ne connoissons pas 414. Théodore fit le voyage d'Athènes: on lui
les raisons qu'il en peut avoir, mais c'est as ordonna de coucher dans le Temple de la Déesse.
sez qu'il soit très-bon et très-sage, pour En songeant , il se trouva transporté dans un pays
nous faire juger qu'elles sont bonnes. Et inconnu. Il y avoit là un Palais, d'un brillant in
comme il est juste aussi , il s'ensuit que ses décrets concevable et d'une grandeur immense. La Déesse
et ses opérations ne détruisent point notre liberté. Pallas parut à la porte, environnée des rayons
Quelques-uns y ont cherché quelque raison. Ils ont d'uue majesté éblouissante.
dit que nous sommes faits d'une masse corrompue Qualisque videri
et impure , de boue. Mais Adam , mais les Anges Coelicolis et quanta solet
étoicnt faites d'argent et d'or, et ils non pas laissé Elle toucha le visage de Théodore d'un rameau
de pécher. On est encore endurci quelquefois après d'olivier, qu'elle tenoit dans la main. Le voilà de
la régénération. Il faut donc chercher une autre venu capable de soutenir le divin éclat de la fille
cause du mal, et je doute que les Anges mêmes la de Jupiter, et de tout ce qu'elle lui devoit mon
sachent. Ils ne laissent pas d'être heureux, et de trer. Jupiter qui vous aime, (lui dit-elle) vous
louer Dieu. Boëcc a plus écouté la réponse de la a recommandé à moi pour être instruit. Vous
Philosophie, que celle de Saint Paul; c'est ce qui voyez ici le Palais des Destinées, dont j'ai
l'a fait échouer. Croyons à Jésus Christ, il est la la garde. 11 y a des représentations, non seule
vertu et la sagesse de Dieu; il nous apprend que ment de ce qui arrive, mais encore de tout ce qui
Dieu veut le salut de tous: qu'il ne veut point la est possible ; et Jupiter en ayant fait la revue avant
mort du pécheur. Fions-nous donc à la miséricorde le commencement du Monde existant , a digéré les
Divine , et ne nous en rendons pas incapables par possibilités en Mondes, et a fait le choix do meil
notre vanité, et par notre malice. leur de tous. Il vient quelquefois visiter ces lieux,
413. Ce Dialogue de Val la est beau, quoiqu'il pour se donner le plaisir de récapituler les choses,
y ait quelque chose à redire par-ci par-là: mais le et de renouveller son propre choix, où il no peut
principal défaut y est, qu'il coupe le noeud, et qu'il manquer dj se complaire. Je n'ai qu'à jwrler , et
semble condamner la providence sous le nom de nous allons voir tout un Monde, que mon père
Jupiter, qu'il fait presque auteur du péché. Pous pouvoit produire, où se trouvera représenté tout
sons donc encore plus avant la petite fable. Sex- ce qu'on en peut demander; et par ce moyen on
tus quittant Apollon et Delphes, va trouver Jupi peut savoir encore ce qui arriveroit, si telle ou
ter à Dodone. Il fait des sacrifices, et puis il étale telle possibilité devoit exister. Et quand les con
ses plaintes. Pourquoi m'avez-vous condamné, ô ditions ne seront pas assez déterminées, il y aura
grand Dieu, à être méchant, à être malheureux? autant qu'on voudra de tels Mondes différens entre
Changez mou sort et mon coeur, ou reconnoissez eux, qui répondront différemment à la même ques
votre tort. Jupiter lui répondit: Si vous voulez tion,, en autant de manières qu'il est possible.
LXXIII. THEOD1CEE. ESSAIS SUR LA BONTE DE DIEU ETC. PARTIE 111. 023
Vous avez appris la Géométrie, quand vous étiez vie do ce Sextus. On passa dans un autre appar
encore jeune, comme tous les Grecs bien élevés. tement, et voilà un autre Monde, uu autre Sextus,
Vous savez donc que lorsque les conditions «l'un qui sortant du Temple, et résolu d'obéir à Jupiter,
poiut qu'on demande, ne le déterminent pas assez, va en Thrace. Il y épouse la fille du Roi , qui
et qu'il y en a une infinité, ils tombent tous dans ce n'avoit point d'autres enfans, et lui succède. 11 est
que les Géomètres appellent uu lieu, et ce lieu au adoré de ses Sujets. On alloit en d'autres cham
moins (qui est sonvcut une ligne) sera déterminé. bres, et on voyoit toujours de nouvelles scènes.
Ainsi vous pouvez vous figurer une suite réglée de 416. Les appartenions alloient en pyramide;
Mondes, qui conticudrout tous et seuls le cas dont ils devenoient toujours plus beaux , à mesure qu'où
il s'agit, et en varieront les cironstances, et les con montoit vers la pointe, et ils représentoieut de
séquences. Mais si vous posez un cas qui no dif plus beaux Mondes: On vint enfin dans le su
fère du Monde actuel que dans mie seule chose dé- prême qui terminoit la pyramide, et qui étoit le
finio et dans ses suites, un certain Moiidc déterminé plus beau de tous; car la pyramide avoit uu com
vous répondra : Ces Mondes sont tous ici, c'est-à- mencement, mais ou n'en voyoit point la fin; elle
dire en idées. Je vous en montrerai, où se trou avoit une poiute, mais point de base; elle alloit
vera , non pas tout-à fait le même Sextus que vous croissant à l'infini. C'est (comme la Déesse l'ex
avez vu, (cela ne se peut, il porte toujours avec pliqua) parce qu'entre une infinité do Mondes pos
lui ce qu'il sera) mais des Sextus approchans,' qui sibles, il y a le meilleur de tous, autrement Dieu
auront tout ce que vous connoissez déjà du véri ne se seroit point déterminé à en créer aucun;
table Sextus , mais non pas tout ce qui est déjà mais il n'y en a aucun qui n'en ait encore de
dans lui, sans qu'on s'en apperçoive, ni par con moins parfaits au dessous de lui : c'est pourquoi lu
séquent tout ce qui lui arrivera encore. Vous trou pyramide descend à l'infini. Théodore entrant
verez dans un Monde, un Sextus fort heureux et dans cet appartement suprême, se trouva ravi en
élevé, dans un autre un Sextus content d'un état extase: il lui fallut le secours de la Déesse: une
médicorc, des Sextus de toute espèce, et d'une in goûte d'une liqueur divine mise sur la langue le
imité de façons. remit. Il ne se scntoit pas de joie. Nous sommes
415. Là-dessus la Déesse mena Théodore dans dans le vrai Monde actuel, (dit la Déesse) et
un des appartenions: quand il y fut, ce n'étoit plus vous y êtes à la source du bonheur. Voilà ce que Ju
un appartement, c'étoit un Monde, piter vous y prépare, si vous continuez do le servir
Solcmquc snum, sua sidéra uorat. fidèlement. Voici Sextus tel qu'il est , et tel qu'il
Par l'ordre de Pallas on vit paroîtrc Dodone sera actuellement. Il sort du Temple tout en co
avec le Temple de Jupiter, et Scxtus qui en sor- lère, il méprise le conseil des Dieux. Vous le-
toit: on l'entendoit dire, qu'il obéiroit au Dieu. voyez allant à Home, mettant tout en désordre,
Le voilà qui va à une Ville placée entre deux violant la femme de sou ami. Le voilà chassé
mers, semblable à Corinthc. Il y achète un petit avec son père, battu, malheureux. Si Jupiter
Jardin; en le cultivant il trouve un trésor; il de avoit pris ici un Sextus heureux à Corinthc, ou Roi
vient un homme riche, aimé, considéré; il meurt en Thrace, ce ne seroit plus ce Monde. Et cepen
dans une grande vieillesse, chéri de toute la Ville. dant il ne pouvoit manquer de choisir ce Monde,
Théodore vit toute sa vie comme d'un coup qui surpasse en perfection tous les autres, qui fait
d'oeil, et comme dans une représentation de théâtre. la pointe de la pyramide: autrement Jupiter au-
Il y avoit un grand volume d'écritures dans cet roit renoncé à sa sagesse, il m'auroit bannie, moi qui
appartement; Théodore ne put s'empêcher de suis sa fille. Vous voycy, que mon père n'a point
demander ce que cela vouloit dire. C'est l'Histoire fait Sextus méchant; il rétoit de toute éternité, il
de ce Monde où nous sommes maintenant en vi l'étoit toujours librement : il n'a fait que lui accor
site, lui dit la Déesse: c'est le Livre de ses der l'existence, que sa sagesse ne pouvoit refuser au
destinées. Vous avez vu un nombre sur le front Monde où il est compris: il l'a fait passer de la
de Scxtus, cherchez dans ce Livre l'endroit qu'il région des possibles à celle des Etres actuels. Le
marque. Théodore le chercha, et y trouva l'His crime de Sextus sert à de grandes choses; il en
toire de Sextus plus ample que colle qu'il avoit naîtra uu grand Empire, qui donnera de grauds
vue en abrégé. Mettez le doigt sur la ligue qn'il exemples. Mais cela n'est rien au prix du total de
vous plaira, lui dit Pallas, et vous verrez ce Monde, ^dont vous admirerez la beauté, lors
représenté effectivement dans tout son détail ce qu'après un heureux passage de cet état mortel à
que la ligne marque en gros. 11 obéit, et il vit pa- un antre meilleur, les Dieux vous auront rendu
roitrc toutes les particularités d'une partie du la capable de la counoître.
79 °
624 LXXI1I. THÉODICEE. ABREGE DE LA CONTROVERSE.
417. Dans ce moment Théodore s'éveille, il difficulté, à laquelle Valla n'a point voulu tou
rend grâces à la Déesse, il rend justice à Jupi cher. Si Apollon a bien représenté la science Di
ter, et pénétré de ce qu'il a vu et entendu, il con vine de vision, (qui regarde les existences) j'es
tinue la fonction de grand Sacrificateur, avec tout père que Pallas n'aura pas mal fait le personnage
le zèle d'un vrai serviteur de son Dieu, avec toute de ce qu'on appelle la science du simple intelligence,
la joie dont un mortel est capable. 11 me semble (qui regarde tous les possibles) où il faut enfin
que cette continuation de la fiction peut édaircir la chercher la source des choses.
ABRÉGÉ
DE LA
CONTROVERSE,
RÉDUITE A DES ARGUMENS EN FORME.
Quelques Personnes intelligentes ont souhaité mander la preuve; mais pour donner pins d'éclair
qu'on fit cette addition, et l'on a déféré d'autant cissement à la matière, on a voulu justifier cette
plus facilement a leur avis, qu'on a en occasion négation, en faisant remarquer que le meilleur
par-là de satisfaire encore à quelques difficultés, et parti n'est pas toujours celui qui tend à éviter le
do faire quelques remarques qui n'avoieut pas en mal, puisqu'il se peut que le mal soit accompagné
core été assez touchées dans l'Ouvrage. d'un plus grand bien. Par exemple, un Général
I. Objection. Quiconque ne prend point le d'Armée aimera mieux une grande victoire avec
meilleur parti, manque de puissance, ou de con- une légère blessure, qu'un état sans blessure et
uoissaucc, ou de bonté. sans victoire. On a montré cela plus amplement
Dieu n'a point pris le meilleur parti en créant dans cet Ouvrage, en faisant même voir par des
ce Monde. instances prises des Mathématiques, et d'ailleurs,
Donc Dieu a manqué île puissance , ou do con- qu'une imperfection dans la partie, peut être re
noissancc, ou de bouté. quise à une plus grande perfection dans le tout.
Réponse. Ou nie la Mineure, c'est-à-dire la On a suivi en cela le sentiment de S. Augustin, qui
•seconde prémisse de ce syllogisme; et l'adversaire a dit cent fois que Dieu a permis le mal, pour en
la prouve par ce tirer un bien, c'est-à-dire un plus grand bien; et
Prosylolgismc. Quiconque fait des choses où celui de Thomas d'Acquin, (in libr. 2. sent dist
il y a du mal , qui pouvoieut être faites sans aucun 32. qu. I. art. I.) que la permission du mal tend
mal, ou dont la production pouvoit être omise, no au bien de l'Univers. Ou a fait voir que chez les
prend point le meilleur parti. Anciens la chute d'Adam a été appellée felix
Dieu a fait nn Monde où il y a du mal; un cnlpa, un péché heureux, parce, qu'il avoit été ré
Monde, dis -je, qui pouvoit être fait sans aucun paré avec un avantage immense, par l'incarnation
mal, on dont la production pouvoit être omise du Fils de Dieu, qui a donné à l'Univers quelque
tout -a -fait. chose de plus noble que tout ce qu'il y anroit eu
Donc Dieu n'a point pris le meilleur parti. sans cela parmi les Créatures. Et pour plus d'in
' . Ré p. On accorde la Mineure de ce Prosyllo telligence, on a ajouté après plusieurs bons Auteurs,
gisme; car il faut avouer qu'il y a du mal dans le qu'il étoit do l'ordre et du bien général, que Dieu
Monde que Dieu a fait, et qu'il étoit possible de laissât à certaines Créatures l'occasion d'exercer
faire un Monde sans niai, ou môme de ne point leur liberté, lors même qu'il a prévu qu'elles se
créer de Monde, puisque la Création a dépendu do tourneroieut au mal , mais qu'il pouvoit si bien re
la volonté libre de Dieu: mais on nie la Majeure, dresser; parce qu'il no convenoit jws que pour
c'est-à-dire la première des deux prémisses du empêcher le péché, Dieu agît toujours d'une ma
Prosj'llogisnie, et on se pourroit contenter d'eu de nière extraordinaire. Il suffit donc pour anéantir
LXX1II. THÉODICÉE. ABRÉGÉ DE LA CONTROVERSE.
l'objection, de faire voir qu'un Monde avec le mal que dans la comparaison des heureux et des mal
pouvoit être meilleur qu'un Monde sans mal : mais heureux, la proportion des degrés surpasse celle
on est encore allé plus avant daiis l'Ouvrage, et des nombres , et que dans la comparaison des Créa
l'on a mémo montré que cet Univers doit être ef- tures intelligentes et non -intelligentes, la propor
fectivéïnent meilleur que tout autre Univers pos tion des nombres soit plus grande que celle des
sible. prix. On est en droit de supposer qu'une chose se
IL Object S'il y a plus de mal que de bien peut, tant qu'on ne prouve point qu'elle est impos
dans les Créatures intelligentes, il y a plus de mal sible; et même ce qu'on avance ki passe la sup
que de bien dans tout l'ouvrage de Dieu. position.
Or il y a plus de mal que de bien dans les Créa Mais en second lien, quand on accorderoit qu'il
tures intelligentes. y a plus de mal que de bien dans le Genre -hu
Donc, il y a plus de mal que de bien dans tout main ; on a encore tout sujet de ne point accorder
l'ouvrage de Dieu. qu'il y a plus de mal que de bien, dans tontes les
Ré p. On nie la Majeure et la Miuneure de ce Créatures intelligentes. Car il y a un numbre incom
Syllogisme conditionnel. Quant à la Majeure, on ne cevablc de Génies, et peut-iêtre encore d'autres
l'accorde point, parce que cette prétendue consé Créatures raisonnables. Et un adversaire ne san-
quence de la partie au tout, des Créatures intelli • roit prouver que dans toute la Cité de Dieu, com
gentes à toutes les Créatures, suppose tacitement et posée tant de Génies, que d'animaux raisonnables
sans preuve, que les Créatures destituées de Raison sans nombre et d'une infinité d'espèces, le mal sur
ne peuvent point entrer en comparaison et en ligue passe le bien. Et quoiqu'on n'ait point besoin
do compte avec celles qui en ont. Mais pourquoi pour répondre à une objection, de prouver qu'une
ne se ponrroit-il pas que le surplus du bien dans les chose est, quand sa seule possibilité suffit; on n'a
Créatures non intelligentes, qui remplissent le Monde, pas laissé de montrer dans cet Ouvrage , que c'est
récompensât et surpassât même incomparablement une suite de la suprême perfection du Souverain
le surplus ilu mal dans les Créatures raisonnables? Il de l'Univers, que le Royaume de Dieu soit le plus
est vrai que le prix des dernières est plus grand ; parfait de tous les Etats on Gouvernemens possi
mais en récompense, les autres sont en plus grand bles , et que par conséquent le peu de mal qu'il y
nombre sans comparaison; et il se peut que la a , soit requis pour le comble du bien immense qui
proportion du nombre et de la quantité surpasse s'y trouve.
«VI K1 du prix et de la qualité. III. Object. S'il est toujours impossible de ne
Quant à la Mineure, ou ne la doit point accor point pécher, il est toujours injuste de punir.
der non plus , c'est-à-dire , on ne doit point accor Or il est toujours impossible de ne point pécher ;
der qu'il y a plus de mal, que de bien, dans les ou bien , tout péché est nécessaire.
Créatures intelligentes. On n'a pas même besoin Donc il est toujours injuste de punir.
de convenir qu'il y a plus de mal que de bien dans On en prouve la Mineure.
le Genre -humain, parce qu'il se peut, et il est 1. Prosyllogisnie. Tout prédéterminé est
inêuic fort raisonnable, que la gloire et la perfec nécessaire.
tion des bienheureux soit incomparablement plus Tout événement (et par conséquent le péché
grande, que la misère et l'imperfection des damnés, aussi) est nécessaire.
et qu'ici l'excellence du bien total dans le plus pe Ou prouve encore ainsi cette seconde Mineure.
tit nombre, prévaille au mal total dans le nombre 2. Prosyllog. Ce qui est futur, ce qui est
plus grand. Les bienheureux approchent de la Di prévu , ce qui est enveloppé dans les causes , est
vinité, par le moyen du Divin Médiateur, autant prédéterminé.
qu'il peut convenir à ces Créatures, et font des pro Tout événement est tel.
grès dans le bien, qu'il est impossible que les dam Donc tout événement est prédéterminé.
nés fassent dans le mal , quand ils approcheraient Ré p. On accorde dans un certain sens la con
te plus près qu'il se peut de la nature des Démons. clusion du second Prosyllogisme, qui est la Mi
Dieu est infini, et le Démon est borné ; le bien peut neure du premier; mais on niera la Majeure du
aller et va h l'infini , au lieu que le mal a ses bor premier Prosyllogisme, c'est-à-dire que tout prédé
nes. Il se peut donc, et il est à croire, qu'il arrive terminé est nécessaire; entendant par la néces
dans la comparaison des bienheureux et des dam sité do pécher, par exemple, ou par l'impossibi
nés, le contraire de ce que nous avons dit pouvoir lité de ne point pécher, ou de ne point faire quel
arriver dans la comparaison des Créatures intelli que action, la nécessité dont il s'agit ici, c'est-à-
gentes et non - intelligentes ; c'est-à-dire, il se peut dire celle qui est essentielle, et absolue, et qui dé
020 LXXIII. THEODICEE. ABREGE DE LA CONTROVERSE.
truit la moralité do l'action, et la justice des châ- entier; et non seulement ceux qui prétendent,
tiinens. Car si quelqu'un cntcndoit une autre né sous le vain prétexte de la nécessité des cvéne-
cessite ou impossibilité, c'est-à-dire une nécessité uicns, qu'on peut négliger les soins quo les affaires
qui ne fût que morale, ou qui ne fût qu'hypothéti- demandent , mais encore ceux qui raisonnent con
que (qu'on expliquera . tantôt) ; il est manifeste tre les prières, tombent dans ce que les Anciens '
qu'on lui nieroit la majeure de l'objection même. appelloicnt déjà le Sophisme paresseux. Ainsi
On se pourroit contenter de cette réponse, et de la prédéterminatiou des événemens pur les cau
mander la preuve de la proposition niée; mais on ses est justement ce qui contribue à la Moralité,
a bien voulu encore rendre raison de son. procédé au lieu de la détruire, et les causes inclinent la. vo
dans cet Ouvrage, pour mieux éclaircir la chose, lonté , sans la nécessiter. C'est pourquoi 1 a d 6-
et pour donner plus de jour à toute cette matière, termiuation dont il s'agit, n'est point une néccs-
en expliquant la nécessité qui doit tire rejetée, et sitation: il est certain (à celui qui sait tout) qne
la détermination qui doit avoir lieu. C'est que la l'effet suivra cette inclination; mais cet effet n'en
nécessité, contraire à la Moralité, qui doit être suit point par une conséquence nécessaire, c'est-à-
évitée, et qui feroit que le châtiment scroit injuste, dire, dont lo contraire implique contraction: et
est une nécessité insurmontable , qui rendrait toute c'est aussi par une telle inclination interne que la
opposition inutile, quand même on voudrait de volonté se détermine, sans qu'il y ait de la néces
tout son coeur éviter l'action nécessaire, et quand sité. Supposez qu'on ait la plus grande passion du
on ferait tous les efforts possibles pour cela. Or monde (par exemple, une grand soif:) vous m'a
il est manifeste que cela nYst point applibable aux vouerez que l'âme peut trouver quelque raison
actions volontaires; puisqu'on ne les ferait point, pour y résister, quand ce ne serait que celle de
si on ne le vouloit bien. Aussi leur prévision et pré- montrer son pouvoir. Ainsi quoiqu'on ne soit
détennination n'est point absolue , mais elle sup jamais dans une parfaite indifférence d'équilibre,
pose la volonté: s'il est sûr qu'on les fera, il et qu'il y ait toujours une prévalence d'inclina
n'est pas moins sûr qu'on les voudra faire. Ces tion pour la parti qu'on prend ; elle ne rend pour
actions volontaires, et leurs suites, n'arriveront tant jamais la résolution qu'on prend absolument
point, quoiqu'on fusse, ou soit qu'on les veuille, nécessaire.
ou non; mais parce qu'on fera, et par ce qu'on IV. Object. Quiconque peut empêther \o pé
voudra faire, ce qui y conduit. Et cela est contenu ché i l'ant ru i et ne lo fait pas, mais y contribue
dans la prévision et dans la prédétcrmiuation , et plutôt, quoiqu'il eu soit bien iuformé, en est
en fait même la raison. Et la nécessité de tel évé- complice.
neuicns est appellée conditionnelle hypothétique, ou Dieu peut empêcher le péché des Créatures in
bien nécessité de conséquence , parce qu'elle sup telligentes; mais il ne le fait pas, et il y contribue
pose la volonté, et les autres réquisits; au lieu plutôt par son concours et par les occassious qu'il
que la nécessité qui détruit la Moralité, et qui fait naître, quoiqu'il en ait une parfaite con-
rend le châtiment injuste, et la récompense inutile, uoissance.
est dans les choses qui seront, quoi qu'on fasse, çt Donc, etc.
quoi quon veuille faire; et en un mot, dans ce qui Ré p. On nie la majeure de ce Syllogisme. Car
est essentiel: et c'est ce qu'on appelle une néces il se iii -ut qu'où puisse empêcher le péché, niais
sité absolue. Auçsi ne sert-il du rien à l'égard de qu'on ne doive point le faire, parce qu'on ne le
ce qui est nécessaire absolument, de faire des défen pourroit sans commettre soi-même un péché, ou
ses ou des commandemens, de proposer des peines (quand il s'agit de Dieu) sans faire une action dé
ou des prix, de blâmer ou de louer; il n'en sera raisonnable. On en a donné des instances, et on
ni plus, ni moins. Au lieu que dans les actions eu a fait l'application à Dieu lui-même. Jl se peut
volontaires, et dans ce qui en dépend , les précep aussi qu'on contribue au mal, et qu'on lui ouvre
tes, armés du pouvoir de punir et de récompenser, i même le chemin quelquefois, en faisant des choses
servent très souvent, et sont compris dans l'ordre qu'on est obligé de faire. Et quand on tait son
des causes qui font exister l'action. Et c'est par devoir, ou (eu parlant de Dien) quand, tout bien
cette raison que non seulement les soins et les tra considéré, on fait ce que la Raison demande, on
vaux, mais encore les prières sont utiles; Dieu n'est point responsable des événemens , lors mêuie
ayant encore eu cet prières en vue, avant qu'il ait qu'on les prévoit. On ne veut pas ces maux; mais
réglé les choses, et y ayant eu l'égard qui étoit on les veut permettre pour un plus grand bien,
convenable. C'est pourquoi le précepte qui dit, qu'on no saurait se dispenser raisonnablement de
ora etlabora, (priez et travaille/.) subsiste tout préférer à d'autres considérations. Et c'est une
LXXIII. THÉODICÉ&. ABRÉGÉ DE LA CONTROVERSE. 627
volonté conséquente, qui résulte des volontés contraire. On auroit pu se borner a cela; mais on
antécédentes, par lesquelles on veut le bien. a bien voulu aller encore plus loin, pour rendre
Je sais que quelques-uns, eu parlant de la volonté raison de cette distinction. On a donc été bien
de Dieu antécédente et conséquente, ont entendu aise de faire considérer que toute réalité purement
par l'antécédente celle qui vent que tons les positive, ou absolue, est une perfection; et que
hommes soient sauvés; et par la conséquente, celle l'imperfection vient de la limitation, c'est-à-dire du
qui veut en conséquence du péché persévérant, privatif: car limiter, est refuser le progrès, ou le
qu'il y en ait de damnés. Mais ce ne sont que des plus-outre. Or Dieu est la cause de toutes les jx;r-
exemples d'une notion plus générale, et on peut dire fections, et par conséquent de toutes les réalités,
par la même raison, que Dieu veut par sa volonté lorsqu'on les considère comme purement positives.
antécédente que les hommes ne pèchent point, et Mais les limitations, ou les privations, résultent de
que par sa volonté conséquente ou finale et décré- l'imperfection des Créatures qui borne leur récepti
toire (qui a toujours son eflet) il veut permettre vité. Et il en est comme d'un bateau chargé , que
qu'ils pèchent, cette permission étant une suite des la rivière fait aller plus ou moins lentement, à
raisons supérieures. Et on a sujet de dire généra mesure du poids qu'il porte: ainsi sa vitesse vient
lement, que la volonté antécédente de Dieu va à de la rivière; niais le retardement qui borne cette
la production du bien et à l'empêchement du mal, vitesse, vient de la charge. Aussi a-t-on fait voir
chacun pris en soi, et comme détaché (par tic u- dans cet Ouvrage, comment la Créature, en causant
laritcr et sccnnduin quid,) Thom. I. qu. 19. le péché, est une cause déficiente; comment les
art. C.) suivant la mesure du degré de chaque bien erreurs et les mauvaises inclinations naissent de la
ou de chaque mal; mais que la volonté Divine con privation ; et comment la privation est efficace par
séquente, ou finale et totale, va à la production accident; et on a justifié le sentiment do Saint Au
d'autant de biens qu'on en peut mettre ensemble, gustin (lib. I. ad Simpl. q. 2.) qui explique (par
dont la combinaison devient par là déterminée, et exemple) comment Dieu endurcit, non pas en don
comprend aussi la permission de quelques maux et nant quelque chose do mauvais à l'âme, mais parce
l'exclusion de quelques biens, comme le meilleur que l'effet de sa borne impression est borné par
plan possible de l'Univers le demande. Ai mi ni us, dans la résistance de l'âme, et par les circonstances qui
son Antiperkinsus, a fort bien expliqué que contribuent à cette résistance; en sorte qu'il ne lui
la volonté de Dieu peut être appellée conséquente, donne pas tout le bien qui surmonterait son mal.
non seulement par rapport à l'action de la Créa Née (inquit) ab illo crogatur aliquid quo
ture considérée auparavant dans l'Entendement hoino fit deterior, sed tantum quo fit mc-
Divin, mais encore par rapport à d'autres Volontés liornonerogatur. Mais si Dieu y avoit voulu
Divines «Intérieures. Mais il suffit de considérer le faire davantage, il auroit fallu faire, ou d'autres
passage cité de Thomas d'Acqnin , et celui de Scot, natures de Créatures ou d'autres miracles, pour
I. dist. 4 G. qu. XL pour voir qu'ils prennent cette changer leurs natures , que le meilleur plan n'a pu
distinction comme on l'a prise ici. Cependant si admettre. C'est connue il faudrait que le courant
quelqu'un ne veut point souffrir cet usage des de la rivière fût plus rapide , que sa pente ne per-
termes, qu'il mette volonté préalable, au lieu ! met, ou que les bateaux fussent moins chargés, s'il
d'antécédente, et volonté finale ou décrétoire, devoit faire aller ces bateaux avec plus de vi
au lieu de conséquente. Car on ne veut point dis tesse. Et la limitation ou l'imperfection originale
puter des mots. I des Créatures fait que même le meilleur plan de
V. Object. Quiconque produit tout ce qu'il y l'Univers ne saurait être exemté de certains
a de réel dans une chose, eu est la cause. maux, mais qui y doivent tourner à un plus grand
Dieu produit tout ce qu'il y a de réel dans le bien. Ce sont quelques désordres dans les parties,
péché. qui relèvent merveilleusement la beauté du tout ;
Donc Dieu est la cause du péché. comme certaines dissonances, employées comme
Rép. On pourroit se contenter de nier la Ma il faut, rendent l'harmonie plus belle. Mais cela
jeure, ou la Mineure, parce que le terme de réel dépend de ce qu'on a déjà répondu à la première
reçoit des inteqirétations qui peuvent rendre ces objection.
propositions fausses. Mais pour se mieux expli VI. Object. Quiconque punit ceux qui ont
quer, ou distinguera. Réel signifie ou ce qni est fait aussi bien qu'il étoit en leur pouvoir de faire,
positif seulement, ou bien il comprend encore les est injuste.
Etres privatifs: au premier cas, on nie la majeure, Dieu le fait.
et on accorde la mineure: au second cas, ou fait lu Donc, etc.
628 LXXIIL THÉODICÉÈ. ABREÉGÉ DE LA CONTROVERSE.
Ré p. On nie la mineure de cet argument. Et internes, dont l'une fait l'esclavage des corps , et
Ton croit que Dieu donne toujours les aides et les autres celui des âmes. Il n'y a rien do moins
les grâces qui suffiraient à ceux qui auraient une servile que d:être toujours mené au bien, et tou
bonne volonté, c'est-à-dire, qui ne rejetteraient jours par sa propre inclination, sans aucune con
pas ces grâces par un nouveau péché. Ainsi on trainte, et sans aucun déplaisir. Et d^ohjecter que
n'accorde point la damnation des enfans morts Dieu avoit donc besoin des choses externes, ce
sans baptême ou hors de l'Eglise, ni la damnation n'est qu'un Sophisme. Il les crée librement: mais
des adultes qui ont agi suivant les lumières que s'étant proposé une fin, qui est d'exercer sa bonté,
Dieu leur a données. Et Ton croit qne si quel la sagesse l'a déterminé à choisir les moyens les
qu'un a suivi les lumières qu'il avoit, il en recevra plus propres à obtenir cette fin. Appeler cela be
indubitablement de plus grandes dont il a besoin, soin, c'est prendre le terme dans un sens uon or
comme feu M. Hulseman, Théologien célèbre et dinaire qui le purge de toute imperfection , à pea
profond à Leipsic, a remarqué quelque part; et si près comme l'on fait quand on parle de la colère
un tel homme en avoit manqué pendant sa vie , il de Dieu.
les recevrait au moins à l'article de la mort. Sénèque dit quelque part, qne Dieu n'a com
VII. Object. Quiconque donne à quelques-uns mandé qu'une fois, mais qu'il obéit toujours, parce
seulement , et non pas à tous , les moyens qui leur qu'il obéit aux loix qu'il a voulu se prescrire; se-
font avoir effectivement la bonne volonté et la foi mel jussit, semper parct. Mais il aoroit
finale salutaire, n'a pas assez de bonté. mieux dit, que Dieu commande toujours, et qu'il
Dieu le fait. est toujours obéi ; car eu voulant il suit toujours
Donc, etc. le penchant de sa propre nature, et tout le reste
Ré p. On en nie la majeure. Il est vrai que des choses suit toujours sa volonté. Et commo
Dieu pourrait surmonter la plus grande résistance cette volonté est toujours la même, ou ne peut
iln coeur humain; et il le fait aussi quelquefois, point dire qu'il n'obéit qu'à celle qu'il avoit autre
soit par nne grâces interne, soit par les circonstan fois. Cependant, quoique sa volonté soit toujours
ces externes qui peuvent beaucoup sur les âmes: immanquable, et aille toujours an meilleur ; le mal,
mais il ne le fait point toujours. D'où vient cette ou le moindre bien qu'il rebute, ne laisse pas
distinction, dira-t-on, et pourquoi sa bonté paroît- d'être possible en soi; autrement la nécessité du
elle bornée? C'est qu'il n'anroit point été dans bien serait Géométrique (pour dire ainsi) ou Mé
Tordre, d'agir toujours extraordinairemeut, et de taphysique, et tout à fait absolue; la contingence
renverser la liaison des choses, comme on a déjà des choses seroit détruite, et il n'y aurait point do
remarqué en répondant à la première objection. choix. Mais cette manière de nécessité, qui ne dé
Les raisons de cette liaison, par laquelle l'un est truit point la possibilité do contraire, n'a ce nom
placé dans des circonstances plus favorables que que par analogie; elle devient effective, non pas
Fautre, sont cachées dans la profondeur de la sa par la seule essence des choses, niais par ce qui est
gesse de Dieu: elles dépendent de Harmonie uni hors d'elles, et au dessus d'elles, savoir par la vo
verselle. Le meilleur plan de l'Univers, que Dieu lonté de Dieu. Cette nécessité est appellée morale,
ne pouvoit point manquer de choisir, le portoit parce que chez le Sage, nécessaire et dû sont
ainsi. On le juge par l'événement même; puisque de choses équivalentes ; et quand elle a toujours
Dieu l'a lait, il n'étoit point possible de mieux son effet, comme elle Ta véritablement dans le
faire. Bien loin que cette conduite soit contraire à Sage parfait, c'est-à-dire en Dieu, on pent'dire que
la bonté, c'est la snrprême bonté qui l'y a porté. c'est une nécessité heureuse. Plus les Créatures
Cette objection avec sa solution pouvoit être tirée en approchent, plus elles approchent de la félicita
de ce qui a été dit à l'égard de la première objec parfaite. Aussi cette manière de nécessité n'cst-
tion ; mais il a paru utile de la toucher à part. ellc pas celle qu'on tâche d'éviter, et qni détruit la
VIII. Object. Quiconque ne peut manquer de moralité, les récompenses, les louanges. Car ce
choisir le meilleur, n'est point libre. qu'elle porte n'arrive pas quoi qu'on fasse, et quoi
Dieu ne peut manquer de choisir le meilleur. qu'on veuille, mais parce qu'on le veut bien. Et
Donc Dieu n'est point libre. une volonté à laquelle il est naturel de bien choi
Ré p. On nie la majeure do cet argument: sir, mérite le plus d'être louée: aussi porte- 1- cite
c'est plutôt la vraie liberté , et la plus parfaite, de sa récompense avec elle , qui est le souverain bon-
pouvoir user le miens de son franc-arbitre , et henr. Et comme cette constitution de la Nature
d'exercer toujours ce pouvoir, sans en être dé Divine donne une satisfaction entière à celui qui la
tourné, ni par la force externe, ni par les passions possède, elle est aussi la meilleure, et la plus son
LXXIII. THEODICEE. REFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HOBBES. G2D
haitablo, pour les Créatures qui dépendent toutes rer uu moindre bien à un bien plus grand, (c'est-à-
de Dieu. Si la volonté de Dieu n'avoit point pour dire un mal à un bien, puisque ce qui empêche un
règle le principe du meilleur, elle iroit au mal, ce plus grand bien est un mal) il seroit imparfait,
qui seroit le pis; ou bien elle seroit indifférente aussi bien que l'objet de son choix ; il ne méritc-
en quelque façon au bien et au mal, et guidée par roit point une confiance entière; il agirait sans
le hazard: mais une volonté qui se laisseroit tou raison dans un tel cas, et le Gouvernement de l'U
jours aller au hazard, ne vaudrait guères mieux nivers seroit comme certains jeux mi-partis entre
pour le Gouvernement de l'Univers que le concours la Raison et la Fortune. Et tout cela fait voir que
fortuit des corpuscules, sans qu'il y eût aucune Divi cette objection, qu'on fait contre le choix du meil
nité. Et quand même Dieu ne s'abandonnerait an leur, pervertit les notions du libre et du nécessaire,
hazard qu'en quelques cas, et en quelque manière; et nous représente le meilleur même comme mau
(comme il ferait, s'il n'alloit pas toujours entière vais: ce qui est malin, ou ridicule.
ment au meilleur, et s'il étoit capable de préfé
RÉFLEXIONS
SUR
L'OUVRAGE QUE M. HOBBES
A PUBLIÉ EN ANGLOIS, DE LA LIBERTÉ, DE LA NÉCESSITÉ ET DU HAZARD.
1. Comme la Question de la Nécessité et de jeune homme garda une copie de l'orginal Au-
la Liberté , avec celles qui eu dépendent , a été agi glois, et le publia depuis en Angleterre à l'insçu
tée autrefois entre le célèbre Monsieur Hobbes, et de l'Auteur: ce qui obligea TEvêque d'y répliquer,
Monsieur Jean Bramhall Evoque de Derry, par et M. Hobbes de dupliquer, et de publier toutes
des Livres publiés de part et d'autre ; j'ai «ru à les pièces ensemble das un Livre de 348 pages im
propos d'en donner une conuoissance distincte primé à Londres l'an 1656, in 4. intitulé, »Qnes-
(quoique j'en aye déjà fait mention plus d'une »tions touchant la liberté, la nécessité et le ha-
fois ; ) d'autant plus que ces Ecrits de M. Hobbes »zard, éclaircies et débattues entre le Docteur
n'ont paru qu'en Anglois jusqu'ici, et que ce qui »Bramhall Evêque de Derry, et Thomas Hobbes
vient de cet Auteur contient ordinairement quel »de Malmesbury.tf II y a une édition postérieure
que chose de bon et d'ingénieux. L'Evêque de de l'an 1684, dans un Ouvrage intitulé Hobbs's
Derry et M. Hobbes s'étant rencontrés à Paris Tripos, ou l'on trouve son livre de la nature hu
chez le Marquis depuis Duc de Newcastle l'en 1646, maine, son traité du Corps politique, et son Traité
enrèrent en débat sur cette matière. La dispute de la liberté et de la nécessité; mais le dernier
se passa avec assez de modération; mais l'Evêque ne contient point la réplique de l'Evêqne, ni la
envoya un peu après un Ecrit à My lord Newcastle, duplique de l'Auteur. Monsieur Hobbes raisonne
et souhaita qu'il portât M. Hobbes à y répondre. sur cette matière avec son esprit et sa subtilité or
Il répondit ; mais il marqua en même tems qu'il dinaire: mais c'est dommage que de part et d'au
désiroit qu'on ne publiât point sa réponse, parce tre on s'arrête à plusieurs petites chicanes, comme
qu'il croyoit que des personnes mal instruites peu il arrive quand on est piqué au jeu. L'Evêque
vent abuser de dogmes comme les siens, quelque parle avec beaucoup de véhémence et en use avec
véritables qu'ils pourraient être. 11 arriva cepen quelque hauteur. M. Hobbes de son côté n'est
dant que M. Hobbes en fit part lui-même à un pas d'humeur à l'épargner, et témoigne un peu
ami François, et permit qu'un jeune Anglois en fit trop de mépris pour la Théologie , et pour les ter
la traduction en François en faveur de cet ami. Ce mes de l'Ecole, où l'Evêque paroît attache.
80
030 LXXIII. RÉFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HODBES.
2. Il faut avonor qu'il y a quelque chose d'é si la chose étoit nécessaire par elle-même, en sorte
trange et d'insoutenable dans les sentiinens de que lu contraire impliquât contradiction. M. Hob
M. Hobbes. 11 veut que les doctrines touchant la bes ne veut pas non plus entendre parler d'une iié-
Divinité dépendent entièrement de la détermination cessité morale, parce qu'en effet tout arrive par dos
du Souverain , et que Dieu n'est pas plus cause des j causes physiques. Mais on a raison cependant de
bonnes que des mauvaises actions des Créatures. Il faire une grande différence entre la nécessité qui
veut que tout ce que Dieu fait est juste, parce oblige le Sage à bien faire, qu'on appelle morale,
qu'il n'y a personne au-dessus de lui qni le puisse et qui a lieu même par rapport à Dieu; et entre
punir et contraindre. Cependant il parle quelque cette nécessité aveugle, par laquelle Epicnre, Stra-
fois comme si ce qu'on dit de Dieu n'étoit que des ton, Spinosa, et peut-être M. Hobbes ont cru que
complimeus, c'est-à-dire des expressions propres à les choses existoient sans intelligence et sans choix,
l'honorer, et non pas à le connoitre. Il témoigne et par conséquent sans Dieu, dont en effet on
aussi qu'il lui semble que les peines des médians n'auroit point besoin , selon eux , puis que suivant
doivent cesser par leur destruction: c'est à peu cette nécessité tout existeroit par sa propre essence,
près le sentiment des Sociniens, mais il semble que aussi nécessairement qu'il faut que deux et trois
les siens vont bien plus loin. Sa Philosophie, qui fassent cinq. Et cette nécessité est absolue , parce
prétend que les corps seuls sont des substances, que tout ce qu'elle porte avec elle doit arriver,
ne paroît guères favorable à la providence de Dieu quoi qu'on fasse: au lieu que ce qui arrive par
et a l'immortalité de l'âme. Il ne laisse pas de une nécessité hypothétique, arrive ensuite de la
dire sur d'antres matières des choses très raison supposition que ceci ou cela a été prévu ou résolu,
nables. Il fait fort bien voir qu'il n'y a rien qui ou fait par avance; et que la nécessité morale
se fasse au hazard, ou plutôt que le hazard ne si porte une obligation de raison, qui a toujours son
gnifie que l'ignorance des causes qui produisent l'ef effet dans leSage. Cette espèce de nécessité est hen-
fet, et que pour chaque effet il faut un concours de reuse et souhaitable, lorsqu'on est porté par de
toutes les conditions suffisantes, antérieures à l'évé bonnes raisons à agir comme l'on fait; mais la né
nement: donc il est visible que pas une ne peut cessité aveugle et absolqe renverseroit la piété et
manquer, quand l'événement doit suivre, parce que la morale.
ce sont des conditions; et que l'événement ne man 4. Il y a plus de raison dans le discours de M.
que pas non plus de suivre, quand elles se trou Hobbes, lorsqu'il accorde que nos actions sont
vent toutes ensemble, parce que ce sont des condi en notre pouvoir, en sorte que nous faisons ce que
tions suffisantes. Ce qui revient à ce que j'ai dit nous voulons, quand nons en avons le pouvoir, et
tant de fois, que tout arrive par des raisons déter quand il n'y a point d'empêchement-, et soutient
minantes, dont la connoissance , si nous l'avions, pourtant que nos volitions mêmes ne sont pas en
feroit connoître en même tems pourquoi la chose notre" pouvoir, en telle sorte qne nous puissions
est arrivée, et pourquoi elle n'est pas allée autrement. pous donner sans difficulté et suivant notre bon-
3. Mais l'humeur de cet Auteur qni le porte plaisir, des inclinations et des volontés que nous
aux paradoxes, et le fait chercher à contrarier les pourrions désirer. L'Evoque ne paroit pas avoir
autres, lui en a fait tirer des conséquences et des ex pris garde à cette réflexion , que M. Hobbes aussi
pressions outrées et odieuses, comme si tout arri- ne développe pas assez. La vérité est, que nous
voit par une nécessité absolue. Au lien que l'Evo avons quelque pouvoir encore sur nos volitions;
que deDerry a fort bien remarqué dans sa Réponse mais d'une manière oblique, et non pas absolu
à l'article 35. pag. 327. qu'il ne s'ensuit qu'une ment et indifféremment C'est ce qui a été expli
nécessité hypothétique, telle que nous accordons qué en quelques endroits de cet Ouvrage. Enfin
tous aux événemens par rapport à' la prescience de M. Hobbes montre, après d'autres, que la certitude
Dieu ; pendant que M. Hobbes veut que même la des événemens et la nécessité même, s'il y en avoit
prescience Divine seule suffirait pour établir une dans la manière dont nos actions dépendent des cau
nécessité absolue des événemens: ce qui étoit aussi ses, ne nous empêcheroit point d'employer les dé
le sentiment de Wiclef, et même de Luther, lors libérations, les exhortations, les blâmes et les lou
qu'il écrivit de servo arbitrio, ou du moins anges, les peines et -les récompenses; puis qu'elles
ils parloient ainsi. Mais on reconnoît assez au servent et portent les hommes à produire les ac
jourd'hui que cette espèce de nécessité qu'on ap- tions, on à s'en abstenir. ' Ainsi, si les actions hu
)>elle hypothétique, qui vient de la prescience ou maines étoient nécessaires, elle le seroient par ces
d'autres raisons antérieures, n'a rien dont on se moyens. Mais la vérité est, que ces actions n'é
doive allarnicr: au lieu qn'ileuscroittoutautrement, tant point nécessaires absolument, et quoi qu'on
LXXUI. REFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HOBBES. 631
fasse , ces moyens contribuent seulement à rendre en Ânglois, casus en Latin) ne produit rien.
l«'s actions déterminées et certaines, comme elles C'est-à-dire sans cause ou raison. Fort Bien, j'y
le sont en effet; leur nature faisant voir qu'elles consens, si l'on entend parler d'un ha/ard réel.
sont incapables d'une nécessité absolue. Il donne Car la fortune et le hazard ne sont que des ap
aussi une notion assez bonne de la liberté, en parences, qui viennent de l'ignorance des causes,
tant qu'elle est prise dans un seus général , com ou de l'abstraction qu'on en fait. 3. Que tous
mun aux substances intelligentes et non - intelligen les événemens ont leurs causes nécessai
tes; en disant qu'une chose est censée libre, quand res. Mal: ils ont Içurs causes déterminantes,
. la puissance qu'elle a n'est point empêchée par par lesquelles on en peù^ rendre raison; mais ce
nue chose externe. Ainsi l'eau qui est retenue ne sont point des causes nécessaires. Le contraire
par une digue, a la puissance de so répandre, mais pouvoit arriver, sans impliquer contradiction.
vile n'en a pas la liberté: au lien qu'elle n'a point la 4. Que la volonté de Dieu fait la néces
puissance de s'élever au dessus de la digue, quoi sité de toutes choses. Mal: la volonté de
que rien ne l'empêcheroit alors de se répandre, et Dieu ne produit que des choses contingentes , qui
que même rien d'extérieur ne l'empêche de s'élever pouvoient aller autrement, le tems, l'espace et la
si haut: mais il faudrait pour cela qu'elle-même matière étant indiffércns à toute sorte de figures et
vint de plus haut, ou qu'elle-même fût haussée de mouvemens.
par quelque crne d'eau. Ainsi un prisonnier man G. De l'autre-côté (selon lui ) on sou
que de liberté, mais un malade manque de puis tient, 1. Que non seulement l'homme est
sance, pour s'en aller. libre (absolument) pour choisir ce qu'il
5. Il y a dans la Préface de M. Hobbes un veut faire, mais encore pour choisir ce
abrégé des points contestés, que je mettrai ici, en qu'il vent vouloir. C'est Mal dit: on n'est
ajoutant un mot de jugement. D'un côté (dit- pas maître absolu de sa volonté, pour la changer
il) on soutient qu'il n'est pas dans le pouvoir sur le champ, sans se servir de quelque moyen ou
présent de l'homme de se choisir la vo adresse pour cela. 2. Quand l'homme veut
lonté qu'il doit avoir. Cela est bien dit, une bonne action, la volonté de Dieu con
surtout par rapport à la volonté présente.: les hom court avec la sienne, autrement non. C'est
mes choisissent les objets par la volonté, mais ils ne Bien dit , pourvu qu'on l'entende que Dieu ne
choisissent point leurs volontés présentes; elles veut pas les mauvaises actions, quoiqu'il- les veuille
viennent des raisons et des dispositions. Il est permettre, afin qu'il n'arrive point quelque chose
vrai cependant qu'on se peut chercher de nouvel qui seroit pire que ces péchés. 3. Que la vo
les raisons, et se donner avec le tems de nouvelles lonté peut choisir, si elle veut vouloir,
dispositions; et par ce moyen on se peut encore ou non. Mal, par rapport à la volition pré
procurer une volonté qu'on n'avoit pas, et qu'on sente. 4. Que les choses arrivent sans né
ne pouvoit pas se donner sur le champ. Il en est cessité par hazard. Mal: ce qui arrive sans
(pour me servir de la comparaison de M. Hobbes nécessité , n'arrive pas pour cela par ha/ard , c'est-
lui-même) comme de. la faim, on de la soif. Présen à-dire sans panses et raisons. 5. »Quc nonobstant
tement il ne dépend pas de ma volonté d'avoir faim, • que Dieu prévoie qu'un événement arrivera, il
ou non; mais il dépend de ma volonté de man • n'est pas nécessaire qu'il arrive, Dieu prévoyant
ger, ou de ne point manger: cependant pour le •les choses, non pas comme futures et comina
teins à venir, il dépend de moi d'avoir faim, on • dans leurs causes, mais comme présentes." Ici
de m'empêcher de l'avoir à une pareille heure du on commence Bien, et l'on finit Mal. On a
jour, en mangeant par avance. C'est ainsi qu'il y raison d'admettre la nécessité de la conséquence,
a moyen d'éviter souvent de mauvaises volontés: mais on n'a point sujet ici de recourir à la ques
et quoique M. Hobbes dise dans sa réplique n. 14. tion , comment l'avenir est présent à Dieu : car la
pag. 138. que le stile des loix est de dire, vous de nécessité de la conséquence n'empêche point que
vra faire, ou vous ne devez point faire ceci; mais l'événement ou le conséquent ne soit contingent en soi.
qu'il n'y a point de loi qui dise, vous le devez vou 7. Notre Auteur croit que la doctrine ressuscites
loir, ou vous ne le devez point vouloir ; il est pour par Arminius, ayant été favorisée en Angleterre par
tant visible qu'il se trompe à l'égard de la Loi de l'Archevêque Laud et par la Cour, et les promo
Dieu, qui dit, non concupisces, tu ne convoi tions Ecclesiasiques considérables n'ayant été que
teras pas : il est vrai que cette défense ne regarde pour ceux de ce Parti; cela a contribué à la révolte,
point les premiers mouvcmeus, qui sont involontai qui a fait que TEvêquc et lui se sont rencontrés dans
res. On soutient 2. Que le liazard (chance leur exil à Paris chez Mylord Ncwcastle, et qu'ils
80°
(332 LXXUI. REFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HOBBES.
sont entrés en dispute. Je ne voudrois pas approuver le font dans le Système d'Epicure. SI Dieu étoit
toutes les démarches de l'Archevêque Laud, qui comme les Grands sont quelquefois ici -bas, il no
avoit du mérite, et peut-être aussi de la bonue vo seroit point convenable de dire toutes les vérités
lonté ; mais qui paroit avoir trop poussé les Presby qui le regardent; mais Dieu n'est pas comme
tériens. Cependant on peut dire que les révolutions, un homme, dont il faut cacher souvent les desseins
tant aux Pays-Bas, que dans la Grande Bretagne, et les actions; au lien qu'il est toujours permis et
sont venues en partie de la trop grande intolérance raisonnable de pubb'er les conseils et les actions de
des Rigides: et l'on peut dire que les défenseurs Dieu, parce qu'elles sont toujours belles et Joua
du Décret absolu ont été pour le moins aussi rigi bles. Ainsi les vérités qui regardent la Divinité
des que les autres, ayant opprimé leurs adversaires sont toujours bonnes à dire, au moins par rapport
en Hollande par l'autorité du Prince Maurice, et au scandale; et l'on a expliqué, ce semble, d'une
ayant fomenté les révoltes en Angleterre contre le manière qui satisfait la Raison, et ne choque point
Roi Charles I. Mais ce sont les défauts des hommes, la piété, comment il faut concevoir que la volonté
et non pas ceux des dogmes. Leurs adversaires de Dieu a sou effet, et concourt au péché, sans
ne les épargnent pas non plus, témoin la sévérité que sa sagesse ou sa bonté en souffrent.
dont ou en a usé en Saxe contre Nicolas Crcllius, 9. Quant aux autorités tirées de la Sainte Ecri
et le procédé des Jésuites contre le Parti de l'Evê- ture, M. Hobbes les partage en trois sortes; les
que d'Ypres. unes dit-il , sont pour moi , les autres sont neutres,
6. M. Hobbes remarque, après Âristote, qu'il et les troisièmes semblent être pour mon adver
y a deux sources des Argumeus: la Raison et l'Au saire. Les passages qu'il croit favorables à son
torité. Quant à la Raison , il dit qu'il admet les sentiment sont ceux qui rapportent à Dieu la cause
raisons tirées des attributs de Dieu , qu'il appelle de notre volonté. Comme Gen. XLV. 5. où Jo
argtunentatifs, dont les notions sont concevables ; seph dit à ses frères, i»Ne vous affligez point , et
mais il prétend qu'il y en a d'autres où l'on ne »n'ayez point de regret de ce que vous m'avez
conçoit rien, et qui ne sont que des expressions »vendu pour être amené ici, puisque Dieu m'a en-
par lesquelles nous prétendons l'honorer. Mais je »voyé devant vous, pour la conversation de votre
ne vois pas comment ou puisse honorer Dieu par »vie: et vers 8. Vous ne m'avez pas amené ici,
des expressions qui ne signifient rien. Peut-être »mais Dieu. Et Dieu dit Exotl VU. 3. J'endur-
que chez M. Hobbes, comme chez Spiuosa, Sagesse, »cirai le coeur de Pharaon. Et Moïse dit Deu-
Bonté, Justice ne sont que fictions par rapport à »ter. II. 30. Mais Sihon Roi de Hesbon ne voulut
Dieu et à l'Univers ; la cause primitive agissant, sc »point nous laisser passer par son pays. Car l'Eter
ion eux , par la nécessité de sa puissance , et non nel ton Dieu avoit endurci son esprit et roidi son
par le choix de sa sagesse : sentiment dont j'ai as »coeur, afin de le livrer entre tes amins. Et Da
sez montré la fausseté. Il paroît que M. Hobbes vid dit de Simeï 2. Sam. XVI. 10. J»Qnil man
n'a point voulu s'expliquer assez, de peur de scan tisse, car l'Eternel lui a dit, Maudi David; et qui
daliser les gens; en quoi il est louable. C'est aussi »lui dira, pourquoi l'as-tn fait 1 Et 1. Rois XII. 15.
pour cela , comme il le dit lui-même , qu'il avoit »Le Roi (Roboam) n'écouta point le peuple, car cela
désiré qu'on ne publiât point ce qui s'étoit passé à »étoit conduit ainsi par l'Eternel. Job. XIL 16.
Paris entre l'Evoque et lui. Il ajoute qu'il n'est pas »C'est à lui qu'appartient tant celui qui s'égare,
bon de dire, qu'une action que Dieu ne veut point »que celui qui lu fait égarer v. 17. 11 met hors
arrive ; parce que c'est dire en effet que Dieu man »de sens les Juges, v. 24. Il ôte' lo coeur aux
que de pouvoir. Mais il ajoute encore en même «dii'i's des peuples, et il les fait errer dans les de
tems, qu'il n'est pas bon non plus de dire le con sserts, v. 25. Il les fait chanceler comme des
traire, et de lui attribuer qu'il veut le mal; parce »gens qui sont ivres. Dieu dit du Roi d'Assyrie,
que cela n'est pas honorable, et qu'il semble que Esaï. X. 6. »Jo le dépêcherai contre le peuple,
c'est l'accuser de peu de buuté. Il croit donc qu'en »afm qu'il fasse un grande pillage, et qu'il le rende
ces matières la vérité n'est pas bonne à dire; et il »foulé comme la boue des rues.. Et Jéremie dit,
auroit raison, si la vérité étoit dans les opinions Jérém. X. 23. ^Eternel, je conuois que la voie
paradoxes qu'il soutient; car il paroît en effet que »de l'homme ne dépend pas de lui, et qu'il n'est
suivant le sentiment de cet Auteur, Dieu n'a point »pas au pouvoir de l'homme qui marche d'adrea-
de bonté, ou plutôt que ce qu'il appelle Dieu ii'est »ser ses pas. Et Dieu dit, E/éch: III. 20. »Si le
rien que la Nature aveugle do l'amas des choses ma Ajuste se détourne de sa justice et commet l'ini-
térielles, qui agit selon les loix mathématiques, équité, lorsque j'aurai mis quelque achoppement
suivant une nécessité absolue, comme les Atomes »devant lui, il mourra. Et IcSauvcur dit, Jean. VI. 44.
LXXUI. RÉFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HOBBES. 033
»Nul ne peut venir à moi , si le Père qui m'a en- »Banal, pour brûler au feu leurs fils i>our holo-
»voyé ne le tire. Et S. Pierre Act. II. 23. »Jé- »caustes à Bahal, ce que je n'ai point commandé,
»sus ayant été livré par le conseil défini et par la »et dont je n'ai point parlé, et à quoi je n'ai ja-
^providence de Dieu, vous l'avez pris. Et Act. IV. JMnais pensé. Et Osée XIII. 9. O Israël, ta de-
27. 28. »Hérodc et Pouce Pilate avec les Gentils 9struction vient de toi , mais ton aide est en moi.
»et les peuples d'Israël se sont assemblés, pour Et 1. Tint. IL 4. »Dien vent que tons les hom-
«fiiin1 toutes les choses que ta main et ton «IIKS soient sauvés, et qu'ils viennent à la conuois-
^conseil avoient auparavant déterminées devoir »sance de la vérité.* 11 avoue pouvoir rapporter
»être faites. Et S. Paul, Rom. IX. 16. Ce n'est quantité d'autres passages, comme ceux qui mar
«point du voulant, ni du courant, mais de Dieu quent que Dieu ne veut point l'iniquité, qu'il veut
»qui fait miséricorde. Et v. 18. Il fait donc nii- le salut du pécheur, et généralement tous ceux qui
»séricorde à celui à qui il vent, et il endurcit celui font connoitre que Dien commande le bien et dé
»qu'il veut. v. 19. Mais tu me diras, Pourquoi fend le mal.
»se plaint-il encore, car qui est-ce qui peut résister 1 1 . Il répond à .ces passages , que Dieu ne veut
»h sa volonté? v. 20. Mais plutôt, ô homme, qui pas toujours ce qu'il commande, comme lorsqu'il
"H's-iu, toi qui contestes contre Dieu 1 La chose commanda à Abraham de sacrifier sou fils; et quo
9formée dira-t-elle à celui qui l'a formée, Pourquoi sa volonté révélée n'est pas toujours sa volonté
»m'as-tu fait ainsi? Et 1. Cor. IV. 7. Qui est-ce pleine ou son décret, comme lorsqu'il révéla à Jo-
»qni met de la différence entre toi et un antre, et nas que Ninive périrait dans quarante jours. Il
»qu'as-tu que tu n'ayes reçu? Et 1. Cor. XII. 6. ajoute aussi, que lorsqu'il est dit que Dien vent le
» II y a diversité d'opérations, mais il y a un même salut de tous, cela signifie seulement que Dieu com
«hic'ii qui opère toutes choses en tous. Et mande que tons fassent ce qu'il faut pour être sau
Ephes. II. 10. »Nous sommes son ouvrage, étant vés: et que lorsque l'Ecriture dit que Dieu ne veut
3>créés en Jésus-Christ à bonnes oeuvres, que Dieu point le péché, cela signifie qu'il le vent punir. Et
"fia. préparées afin que nous y marchions. Et Phi- quant au reste, M. Hobbes le rapporte à des ma
lipp. IL 13. «("est Dieu qui produit en vous et le nières de parler humaines. Mais on lui répondra,
» vouloir et le parfaire, selon sou bon-plaisir* On qu'il n'est pas digue de Dien que sa volonté révé
jieut ajouter à ces passages tous ceux qui font lée soit opposée à sa volonté véritable: que co
Dieu auteur de toute grâce et de toutes les bonnes qu'il fit dire aux Ninivites par Jonas , étois plutôt
inclinations, et tous ceux qui disent que nous som une menace qu'une prédiction, et qu'ainsi la condi
mes comme morts dans le péché. tion de l'impéuitcnce y étoit sous-entendue: aussi
10. Voici maintenant les passages neutres, se les Ninivites le prirent - ils dans ce sens. On dira
lon M. Hobbcs. Ce sont ceux où l'Ecriture Sainte aussi, qu'il est bien vrai que Dieu commandant à
dit que l'homme a le choix d'agir, s'il veut, ou de Abraham de sacrifier sou (ils, voulut l'obéissance,
ne point agir, s'il ne veut point. Par exemple, et ne voulut point l'action, qu'il empêcha après
Douter. XXX. 19. »Jo prens aujourd'hui à té- avoir obtenu l'obéissance; car co n'étoit pas une
»moiu le Ciel et la Terre contre vous, que j'ai mis action qui méritât par elle-même d'être voulue.
»devant toi la vie et la mort: choisi donc la vie, Mais qu'il n'en est pas de même dans les actions
« ;ilii i que tu vives , toi et ta postérité. Et Jos. qn'il marque de vouloir positivement, et qui sont
XXIV. 15. ^Choisissez aujourd'hui qui vous vou en effet dignes d'êtres l'objet de sa volonté. Telle
liez servir. Et Dieu dit à Cad le Prophète, 2. Sain. est la piété, la charité, et toute action vertueuse
XXIV. 12. »Va, dis à David: Ainsi a dit l'Eter- que Dieu commande; telle est l'omission du péché,
»nel: j'apporte trois choses contre toi; choisi l'une plus éloigné de la perfection divine, quo toute
»des trois, afin que je te la fasse. EtEsaï. VIL 16. antre chose. 11 vaut donc mieux incomparable
^Jusqu'à ce que l'enfant sache rejeter le mal, et ment expliquer la volonté de Dieu, comme nous
^choisir le bien.* Enfin les passages que M. Hob- Pavons fait dans cet Ouvrage: ainsi nous dirons
bes recounoit paraître contraires à son sen que Dieu, eu vertu de sa souveraine bonté, a préa
timent, sont tous ceux où il est marqué que lablement une inclination sérieuse à produire, ou à
la volonté de l'homme n'est point ' conforme à voir et à faire produire tout bien et toute ac
celle do Dieu; comme Esaï. V. 4. . »Qu'y avoit-il tion louable; et à empêcher, ou à voir et à faire
»plus à faire à ma vigne , que je ne lui ayc fait î manquer tout mal , et toute action mauvaise : mais
«pourquoi ai-je attendu qu'elle produisit des rai- qu'il est déterminé par cette même bouté, jointe
»sins, et elle a produit des grappes sauvages? à une sagesse infinie , et par le concours même de
Et Jérém. XIX. 5. »Ils ont bâti du hauts lieux à toutes les inclinations préalables et particulières en
634 LXX1II. REFLEXIONS SUR LE LIVRE DE HOBBES.
vers chaque bien, et envers l'empêchement de i sance aveugle, ou du pouvoir arbitraire, qui dé-
chaque mal, à produire le meilleur dessein possible | truit la piété : car Tune détruit le principe intelli
des choses ; ce qui fait sa volonté finale et décré- gent ou la providence de Dieu, l'antre lui attribue
toirc: et que ce dessein du meilleur étant d'une i des actions qui conviennent au mauvais Principe.
telle nature, que le bien y doit être rehaussé La justice en Dieu, dit M. Hobbes (pag. 161.)
comme la lumière par les ombrages de quelque n'est autre chose que le pouvoir qu'il a, et qu'il
mal, incomparablement moindre que ce bien , Dieu exerce en distribuant des bénédictions et des af
ne pouvoit point excure ce mal , ni introduire cer flictions. Cette définition me surprend: ce n'est
tains biens exclus dans ce plan, sans faire du tort pas le pouvoir de les distribuer, mais la volonté
à sa suprême perfection ; et que c'est pour cela qu'on de les distribuer raisonnablement, c'est-à-dire la
doit dire qu'il a permis le péché d'autrui, parce i bonté guidée par la sagesse , qui fait la justice de
qu'autrement il auroit fait lui même une action Dieu. Mais, dit- il, la justice n'est pas en Dieu
pire que tout le péché des Créatures. comme dans un homme, qui n'est juste que par
12. Je trouve que l'Evèque de Derry a au l'observation des loix faites par sou supérieur.
moins raison de dire ,- article XV. dans sa Répli M. Hobbes se trompe encore en cela, aussi -bien
que, p. 153, que le sentiment des adversaires est que M. Puffendorff qui l'a suivi. La justice ne
contraire à la piété, lorsqu'ils rapportent tout au dépend point des loix arbitraires des supérieurs,
seul pouvoir de Dieu; et que M Hobbes ne de- mais des règles éternelles de la sagesse et de la
voit point dire que l'honneur ou le culte est seu bonté, dans les hommes, aussi -bien qu'en Dieu.
lement un signe de la puissance de celui qu'on M. Hobbes prétend au même endroit, que la sa
honore, puis qu'on peut encore et qu on doit recou- gesse qu'on attribue à Dieu ne consiste pas dans
noître et honorer la sagesse, la bouté , la justice et une discussion logique du rapport des moyens aux
autres perfections. Magnos facile laudamus, fins, mais dans un attribut incompréhensible, attri
bonos libenter. Que cette opinion qui dé bué à une nature incompréhensibles, pour l'hono
pouille Dieu de toute bonté et de toute-justice véri rer. Il semble qu'il veut dire, qui c'est un je ne
table, qui le représente comme un Tyran, usant sais quoi, attribué à un je ne sais quoi, et même
d'un pouvoir absolu, indépendant de tout droit et une qualité chimérique donnée à une substance
de toute équité, et créant des millions de Créatures chimérique; pour Intimider et pour amuser les
pour être malheureuses éternellement, et cela sans peuples par le culte qu'ils lui rendent. Car dans
antre vue que celle de montrer sa puissance; que le fond, il est difficile que M. Hobbes ait une autre
cette opinion, dis-je, est capable de rendre les hom opinion de Dieu et de sa sagesse, puisqu'il n'admet
mes très -mauvais; et que si elle étoit reçue, il ne que des substances matérielles. Si M. Hobbes
fandroit point d'autre Diable dans le monde pour étoit en vie, je n'aurois garde de lui attribuer des
brouiller les hommes entre eux et avec Dieu, sentimens qui lui pourroieut nuire : mais il est dif
comme le Serpent fit en faisant croire à Eve que ficile de l'en exemter: il peut s'être ravisé dans la
Dieu lui défendant le fruit de l'arbre ne vouloit suite, car il est parvenu à un grand âge, ainsi j'es
point son bien. M. Hobbes tâche de parer ce père que ses erreurs n'auront point été pernicieu
coup dans sa Duplique (p. 160.) en disant que la ses pour lui. Mais comme elles le pourroieut être
bonté est une partie du pouvoir de Dieu, c'est-à- à d'autres, il est utile de donner des avcrtissemens
dire le pouvoir de se rendre aimable. Mais c'est à ceux qui liront un Auteur, qui d'ailleurs a beau
abuser des termes par un faux -fuyant, et con coup de mérite, et dont on peut profiter en bien
fondre ce qu'il faut distinguer; et dans le fond, si des manières. Il est vrai que Dieu ne raisonne
Dieu n'a point en vue le bien des 'Créatures intelli pas, à proprement parler, employant du teins
gentes, s'il n'a point d'autres principes de la justice comme nous, pour passer d'une vérité à l'antre:
que son seul pouvoir qui le fait prouire ou arbi mais comme il comprend tout à la fois toutes les
trairement ce que le ha/.arcl lui présente, ou néces vérités et toutes leurs liaisons, il connoit toutes les
sairement tout ce qui se peut , sans qu'il y ait du conséquences, et il renferme éminemment en lui tous
choix fondé sur le bien : comment peut-il se rendre les raisonnemens que nous pouvons faire , et c'est
aimable ! C'est doue la doctrine ou do la pnis- pour cela même que sa sagesse est parfaite.
REMARQUES
SUR
LE LIVRE DEL'ORIGINE DU MAL,
PUBLIÉ DEPUIS PEU EN ANGLETERRE.
1. C'est dommage que M. Bayle n'ait vu que 2. Ce principe d'une élection sans cause et sans
les recensions de ce bel Ouvrage qui se trou raison, d'une élection, dis-je, dépouillée du but de
vent dans les Journaux ; car en le lisant lui - même la sagesse et de la bonté, est considéré par plu
et en l'examinant comme il faut, il nous auroit sieurs comme le grand privilège de Dieu et des sub
fourni une bonne occasion d'éclaircir plusieurs dif stances intelligentes, et comme la source de leur
ficultés qui naissent et renaissent comme la tête de liberté, de leur satisfaction, de leur morale et de
l'hydre, dans une matière où il est aisé de se leur bien on mal. Et l'imagination de se pouvoir
brouiller, quand ou n'a pas en vue tout le système, dire indépendant, non seulement de l'inclination,
et quand on ne se donne pas la peine de raisonner mais de la Raison même en dedans, et du bien on du
avec rigueur. Car il faut savoir que la rigueur du mal au dehors, est peint quelquefois de si belles
raisonnement fait dans les matières qui passent l'i couleurs, qu'on la pourrait prendre pour la plus
magination, ce que les figures font dans la Géo excellente chose du monde; et cependant ce n'est
métrie; puisqu'il faut toujours quelque chose qui qu'une imagination creuse, une suppression des
puisse fixer l'attention, et rendre les méditations raisons du caprice dont on se glorifie. Ce qu'on
liées. C'est pourquoi lorsque ce Livre Latin, prétend est impossible; mais s'il avoit lieu, il se-
plein de savoir et d'élégance, imprimé premiè roit nuisible. Ce caractère imaginaire pourroit
rement à Londres, et puis réimprimé à être attribué à quelque Don Juan dans an
Brème, m'est tombé entre les mains, j'ai jugé, Festin de Pierre, et même quelque homme ro
que la dignité de la matière et le mérite de l'Au manesque pourroit en affecter les apparences et se
teur exigeoient des considérations, que même des persuader qu'il en a l'effet: niais il ne se trouvera
Lecteurs me pourroient demander; puisque nous ne jamais dans ]a nature une élection, où l'on ne
sommes de même sentiment que dans la moitié du soit porté par la représentation antérieure du bien
sujet. En effet, l'Ouvrage contenant cinq chapi ou du mal, par des inclinations ou par des rai
tres, et le cinquième- avec l'Appendice égalant les sons; et j'ai toujours défié les défenseurs de cetto
antres en grandeur, j'ai remarqué que les quatre indifférence absolue, d'en montrer un exemple.
premiers où il s'agit du mal en général , et du mal Cependant si je traite d'imaginaire cette élection où
physique en particulier, s'accordent assez avec mes l'on se détermine par rien , je n'ai garde de traiter
principes (quelques endroits particuliers exceptés); les défenseurs de cette supposition, et sur -tout
et qu'ils développent même quelquefois avec élo notre habile Auteur, de chimériques. Les Péripa-
quence quelques points, où je n'avois fait que tou téticiens enseignent quelques opinions de cette na
cher, parce que M. Bayle n'y avoit point insisté. ture, mais ce seroit la plus grande injustice do
Mais le cinquième chapitre avec ses sections (dont monde de vouloir mépriser pour cela un Occam,
quelques-unes égalent des chapitres entiers) parlant un Suisset, un Césalpin, un Conringius ,fui soute-
de la liberté et du mal moral qui en dépend, est noient encore quelques scntimcns de l'Ecole , qu'on
bâti sur des principes opposés aux miens, et même a réformés aujourd'hui.
souvent à ceux de M. Bayle, s'il y avoit moyen de 3. Un de ces sentimens, mais ressuscité et in
lui en attribuer de fixes. Car ce cinquième chapitre troduit par la basse Ecole et dans l'âge des chi
tend à faire voir (ci cela se pouvoit) que la véri mères, est l'indifférence vague dans les élections,
table liberté dépend d'une indifférence d'équilibre, ou le bazard réel, imaginé dans les Ames; comme
vagué, entière, et absolue; en sorte qu'il n'y ait si rien nous donnoit de l'inclination, lorsqu'on
aucune raison de se déterminer, antérieure à la dé ne s'en apperçoit pas distinctement: et comme si
termination, ni dans celui qui choisit, ni dans l'ob un effet pouvoit être sans causes , lorsque ces cau
jet; et qu'on n'élise pas ce qui plaît, mais qu'en ses sont imperceptibles: c'est à peu près comme
élisant sans sujet on fasse plaire ce qu'on élit. quelques -uns ont nié les corpuscules insensibles,
036 LXXI1I. REMARQUES SUR LE LIVRE DE MR. KING.
parce qu'ils no les voient point. Mais comme les ii'avoit qu'à appliquer les mêmes principes an mal
Philosophes modernes ont réformé les sentiincns moral; d'autant qu'il juge lui-même que le mal
de l'Ecole, en montrant selon les loix de la na moral devient un mal, par les maux physiques qu'il
ture corporelle; qu'un corps ne saurait être cause on tend à causer. Mais je ne sais comment il
mis en mouvement que par le mouvement d'un a cru que ce seroit dégrader Dieu et les hommes,
autre qui le pousse: de môme il faut juger que nos s'ils dévoient être assujettis à la Raison ; qu'ils en
Ames (en vertu des loix de la nature spiri deviendraient tous passifs, et ne seraient point
tuelle) ne sauroient être mues que par quelque contens d'eux-mêmes ; enfin que les hommes n'an-
raison du bien on du mal; lors même que la con- roicnt rien à opposer aux malheurs qui leur vien
noissance distincte n'en sauroit être démêlée, à nent de dehors, s'ils n'avoient en eux ce beau pri
cause d'une infinité de petites perceptions qui nous vilège de rendre les choses bonnes ou tolérables en
rendent quelquefois joyeux , chagrins, et différem les choisissant, et de changer tout en or, par l'at
ment disposés, et nous font plus goûter une chose touchement de cette faculté surprenante.
que l'autre, sans qu'on puisse dire pourquoi. Pla 4. Nous l'examinerons plus distinctement dans
ton, Aristote , et même Thomas d'Acquin, Durand, la suite ; mais il sera bon de profiter auparavant
et autres Scolastiques des plus solides, raisonnent des excellentes pensées de notre Auteur sur la na-
là-dessus comme le commun des hommes, et comme tre des choses , et sur les maux naturels : d'autant
des gens non prévenus ont toujours fait. Ils met qu'il y a quelques endroits où nous pourrons aller
tent la liberté dans l'usage de la Raison et des in un peu plus avant: nous entendrons mieux aussi
clinations, qui font choisir ou rebuter les objets; par ce moyen tonte l'économie de son système.
et ils prennent pour constant que notre volonté est Le chapitre premier contient les principes.
portée à ses élections par les biens ou les maux, L'Auteur appelle substance un Etre dont la no
vrais on appareus, qu'on conçoit dans les objets. tion ne renferme point l'existence d'un antre. Je
Mais enfin quelques Philosophes un peu trop sub ne sais s'il y en a de tels parmi les Créatures, à
tils ont tiré de leur alcuibic nue notion inexpli cause de la liaison des choses; et 1'exemp/e d'un
cable d'une élection indépendante de quoi que ce flambeau de cire n'est point l'exemple d'une sub
soit, qui doit faire merveille pour résoudre tontes stance, non plus que le seroit celui d'un essaim
les difficultés. Mais elle-même donne d'abord d'abeilles. Mais on peut prendre les termes dans
dans une des plus grandes , en choquant le grand un sens étendu. 11 observe fort bien qu'après tous,
principe du raisonnement, qui nous fait toujours les changemens de la Matière, et après toutes
supposer que rien ne se fait sans quelque cause ou les qualités dont elle peut être dépouillée, il reste
raison suffisante. Comme l'Ecole oublioit souvent l'étendue, la mobilité, la divisibilité et la rési
l'application de ce grand principe, en admettant stance. Il explique aussi la nature des Notions,
certaines qualités occultes primitives; il ne faut et donne à entendre que les universaux ne mar
point s'étonner si cette fiction de l'indifférence va quent que les ressemblances qui sont entre les in
gue y a trouvé de l'applaudissement, et si même dividus; que nous ne concevons par idées que
des excellens hommes en ont été imbus. Notre ce qui est connu par une sensation immédiate, et
Auteur, désabusé d'ailleurs de beaucoup d'erreurs que le reste ne nous est connu que par des rap
de l'Ecole vulgaire, donne encore dans cette fiction; ports à ces idées. Mais lorsqu'il accorde que
mais il est sans doute un des plus habiles qui l'ait nous n'avons point d'idée de Dieu, de l'Esprit, de
encore soutenue. la substance, il ne paroît pas avoir assez observé
que nous nous appercevons immédiatement de la
Si Pergama dextrâ Substance et de l'Esprit, en nous appercevant de
DefoÉli posscnt, ctiam hac defensa fuissent. nous mêmes; et que l'idée de Dieu est dans la
Il lui donne le meilleur tour possible, et ne la nôtre par la suppression des limites de nos per
montre que de son beau côté. Il fait dépouiller la fections, comme l'étendue prise absolument est com
Spontanéité et la Raison de leurs avantages, et les prise dans l'idée d'un globe. II a raison aussi do
donne tons à l'indifférence vague: ce n'est que par soutenir que nos idées simples au moins sont in
cette indifférence qu'on est actif, qu'on résiste aux nées, et de rcjetter la Table rase d'Aristote,
passions, qu'on plaît à son choix, qu'on est heu et de M. Locke: mais je ne saurois lui accorder
reux: et il semble qu'on seroit misérable, si quel que nos idées n'ontguères plus de rapport aux choses,
que heureuse nécessité nous obligcoit à bien choi que les paroles poussées dans l'air, ou que les écri
sir. Notre Auteur avoit dit de belles choses sur tures tracées sur le papier, en ont à nos idées; et
l'origine et sur les raisons des maux naturels, il que les rapports des sensations sont arbitraires et
LXXUI. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. K1NG G37
ex instituto, comme les significations des mots. nales. Les Géomètres versés dans une bonne
J'ai déjà marqué ailleurs pourquoi je ne suis point Analyse, savent la différence qn'il y a en cela en
en cela d'accord avec nos Cartésiens. tre les propriétés par lesquelles on peut définir
5. Pour passer jusques à la cause première, quelque ligne on figure. Notre habile Auteur
l'Auteur cherche un Criterion, une marque de n'est pas allé si avant , peut • être ; on voit cepen
la vérité; et il la fait consister clans cette force, dant par tout ce que nous venons de rapporter de
par laquelle nos propositions internes, lorsqu'elles lui ci -dessus, et par ce qui suit, qu'il ne manque
sont évidentes, obligent l'entendement à leur don point de profondeur, ni de méditation. ,
ner son consentement: c'est par-là, dit-il, que nous 6. Après cela, il va examiner si le mouvement,
ajoutons foi aux sens; il fait voir que la marque la matière et l'espace viennent deux - mêmes , et
des Cartésiens, savoir nne perception claire et di pour cet effet , il considère s'il y a moyen de con
stincte, a besoin d'une nouvelle marque pour faire cevoir qu'ils n'existent point; et il remarque ce
discerner ce qui est clair et distinct, et que la con privilège de Dieu, qu'aussi -tôt qu'on suppose qu'il
venance ou la disconvenance des idées , ( ou plutôt existe, il faut admettre qu'il existe nécessairement.
des termes , comme on parloit autrefois ) peut en C'est un corollaire d'une remarque que j'ai faite
core être trompeuse, parée qu'il y a des conve dans le petit Discours cité ci -dessus, savoir,
nances réelles et apparentes. Il paroît reconnoi- i qu'aussi-tôt qu'on admet que Dieu est possible, il
tre même que la force interne, qui nous oblige à faut admettre qu'il existe nécessairement. Or,
donner notre assentiment, est encore sujette à aussi -tôt qn'on admet que Dieu existe, on admet
caution, et peut venir des préjugés enracinés C'est qu'il est possible. Donc aussi-tôt qaon admet que
jpourquoi il avoue que celui qui fourniroit un autre Dieu existe, il faut admettre qu'il existe nécessai
Criterion, auroit trouvé quelque choses de fort rement. Or ce privilège n'appartient pas aux trois
utile au Genre -humain. J'ai tâché d'expliquer ce choses dont nons venons de parler. L'Auteur juge
Criterion dans un petit Discours sur la Vérité aussi particulièrement dn mouvement , qu'il ne suf
et les Idées, publié en 1684 ; et quoique je ne me fit point de dire, avec M. Hobbes, que le mouve
vante point d'y avoir donné une nouvelle décou ment présent vient d'un mouvement antérieur, et
verte, j'espère d'avoir développé des choses qui celui-ci encore d'un autre, et ainsi à l'infini. Gir,
n'étoieut connues que confusément. Je distingue remontez tant qu'il vous plaira , vous n'en serez
entre les Vérités de Fait et les Vérités de Raison. pas plus avancé, pour trouver la raison qui fait
Les Vérités de Fait ne peuvent être vérifiées que qu'il y a dn mouvement dans la matière. 11 faut
par leur confrontation avec les Vérités de Raison, donc que cette raison soit au dehors de cette suite;
et par leur réduction aux perceptions immédiates et quand il y auroit un mouvement éternel, il de-
qui sont en nous , et dont S. Augustin et M. Des mandcroit un moteur éternel: comme les rayons
cartes ont fort bien reconnu qn'on ne sauroit dou du Soleil, quand il seroient éternels avec le Soleil,
ter; c'est-à-dire, nous ne saurions douter que nous ne laisseroient pas d'avoir leur cause éternelle dans
pensons, et même que nous pensons telles ou tel le Soleil. Je suis bien aise de rapporter ces rai-
les choses. Mais pour juger si nos apparitions in sonnemens de notre habile Auteur, afin qn'on voie
ternes ont quelque réalité dans les choses, et pour de quelle importance est, selon lui-même, le prin
passer des pensées aux objets; mon sentiment est, cipe de la Raison suffisante. Car, s'il est
qu'il faut considérer si nos perceptions sont permis d'admettre quelque chose dont on reconnoît
bien liées entre elles et avec d'autres que nous qu'il n'y a aucune raison, il sera facile à un Athée
avons eues, en sorte que les règles des Mathéma de ruiner cet argument, en disant, qu'il n'est point
tiques et antres vérités de Raison y ayent lieu: nécessaire qn'il y ait une raison suffisante de l'exis
en ce cas, on doit les tenir pour réelles; et je tence du mouvement. Je ne veux point entrer
crois que c'est l'unique moyen de les distinguer dans la discussion de la réalité et de l'éternité de
des iniaginations,'des songes, et des visions. Ainsi l'Espace, de peur de me trop éloigner de notre su
la vérité des choses hors de nous ne sauroit être jet. Il suffit de rapporter que l'Auteur juge qu'il
reconnue que par la liaison des phénomènes. Le peut-être anéanti par la puissance Divine, mais
Criterion des vérités de Raison, ou qui viennent tout entier et non pas par parties; et que nous
des Conceptions, consistedans un usage exact des pourrions exister seuls avec Dicn, quand il n'y
règles de la Logique. Quant aux idées ou u o t i o n s, auroit ni espace, ni matière, puisque iious ne ren
j'appelle réelles tontes celles dont la possibilité fermons point en nous la notion de l'existence des
est certaine; et les définitions qui ne mar choses externes. 11 donne aussi à considérer, que
quent point cette possibilité, ne sont que nomi dans les sensations des sons, des odeurs et des sa
81
038 LXXIH. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING.
veors, l'idée de l'espace n'est point renfermée. que l'abondance de la bonté de Dieu en est la
Mais quelque jugement qu'on fasse de l'espace , il cause. Il y a voulu se communiquer anx dépens
suffît qu'il y a un Dieu, cause de la matière et da d'une délicatesse que nous nous imaginons en Dieu,
mouvement , et enfin de toutes choses. L'Auteur en nous figurant que les imperfections le choquent.
croit que nous pouvons raisonner de Dieu , comme Ainsi il a mieux aimé qu'il y eût l'imparfait, que
un aveugle né raisonneroit de la lumière. Mais le rien. Mais on auroit pu Ajouter, que Dieu a
je tiens qu'il y a quelque chose de plus en nous, produit en effet le tout le plus parfait qui se pon-
car notçe lumière est un rayon de celle de Dieu. voit, et dont il a eu sujet d'être pleinement con
Après avoir parlé de quelques attributs de Dieu, tent, les imperfections des parties servant à une
l'Auteur reconnoit que Dieu agit pour une fin, qui plus grande perfection dans l'entier. Aussi remar
est la communication de sa bonté; et que ses Ou que-t-on un peu après, que certaines choses pou-
vrages sont bien disposés. Enfin il conclut ce cha voicnt être mieux faitse, mais non pas sans d'antres
pitre comme il faut , eu disant que Dieu créant le incommodités nouvelles, et peut-être plus gran
Monde, a eu soin de lui donner la plus grande con des. Ce peut-être pouvoit-être omis: l'Auteur
venance des choses, la plus granîle commodité des aussi posant pour certain , et avec raison , à la fin
êtres doués de sentiment, et la plus grande compa du chapitre, qu'il est de la bonté infinie de
tibilité des appétits qu'une puissance , sagesse et choisir le meilleur, il en a pu tirer cette con
bonté infinies et combinées pouvoient produire : et séquence nu peu auparavant, que les choses impar
il ajoute qnc s'il y est resté néanmoins quelque faites seront jointes aux plus parfaites, lors qu'el
mal , il faut juger que ces perfections Divines infi les n'empêcheront point qu'il y en ait des dernières
nies ne pouvoient (jaimerois mieux dire ne dé tout autant qu'il se peut. Ainsi les Corps ont été
voient) point l'en ôter. créés aussi bien que les Esprits, puisque l'un ne
7. Le Chapitre II. fait fAnatomie du mal. fait point obstacle à l'autre; et l'ouvrage de la
Il le divise comme nous en métaphysique, physi Matière n'a pas été indigne du grand Dieu , comme
que et moral. Le mal métaphysique est celui des ont cru des anciens Hérétiques, qui ont attribué
imperfections ; le mal physique consiste dans les cet ouvrage à un certain Déntogorgon.
douleurs et antres incommodités semblables; et le 8. Venons au mal physique, dont il est
mal moral dans les péchés. Tous ces maux se parlé dans le Chapitre IV. Notre célèbre Auteur,
trouvent dans l'ouvrage de Dieu: et Lucrèce en a après avoir remarqué que le mal métaphysique,
conclu, qu'il n'y a point de providence, et il c'est-à-dire l'imperfection, vient du néant, juge
a nié que le Monde puisse être un effet de la Divinité, que le mal physique, c'est-à-dire l'incommodité,
Naturam rerutn divinitùs esse creatam ; vient de la Matière, ou plutôt de son mouvement;
parce qu'il y a tant de fautes dans la nature des car sans le mouvement la Matière seroit inutile;
choses, et même il faut qu'il y ait de la contrariété dans
qnoniam tantâ stat praeclita çulpâ. ces mouvemens; autrement, si tout alloit ensem
D'autres ont admis doux Principes, l'un bon, l'an ble du même côté, il n'y auroit point de variété,
tre mauvais ; et il y a eu des gens qui ont cru la ni de génération. Mais les mouvemens qui font
difficulté insurmontable, en quoi notre Auteur pa- les générations, font aussi les corruptions, puisque
roît avoir eu M. Bayle en vue. 11 espère de mon de la variété des mouvemens naît le choc des
trer dans son Ouvrage, que ce n'est point un Noeud corps , par lesquels ils sont souvent dissipés et dé
Gordien, qui ait besoin d'être coupé; et il a rai truits. Cependant l'Auteur de la Nature, ponr
son de dire que la puissance , la sagesse et la bonté rendre les corps plus durables, les a distribués en
de Dieu ne seraient point infinies et parfaites dans systèmes, dont ceux que nous connoissons sont
leur exercice, si ces maux avoient été bannis II composés de globes lumineux et opaques, d'une
commence par le mal d'imperfections dans le manière si belle et si propre à faire ronnoitre et
Chapitre III. et remarque après S. Augustin, que admirer co qu'ils renferment, que nous ne saurions
les Créatures sont imparfaites , puis qu'elles sont ti rien concevoir de plus beau. Mais le comble (le
rées dn néant: an lien que Dieu produisant une l'ouvrage étoit la structure des animaux, afin
substance parfaite de son propre fonds, en anroit qu'il y eût par -tout des Créatures capables de con-
foit un Die 'ii ; ce qui lui donne occasion de faire noissance,
une petite digression contre les Sociniens. Mais Ne regio foret ulla suis animalibus orba.
quelqu'un dira, pourquoi Dieu ne s'est -il point ab Notre judicieux Auteur croit que l'air, et même
stenu de la production des choses, plutôt que d'en l'éther le plus pur, ont leurs habitans aussi bien
faire d'imparfaitesî L'Auteur répond fort bien, que l'eau de la terre. Mais quand il y auroit des
LXX1II. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING. 639
endroits sans animaux, ces endroits ponrroient Il en est de même des inondations, des tremblc-
avoir des usages nécessaires pour d'autres endroits mcns de terre, des coups de fondre, et d'antres dé
qui sont habites; comme par exemple les monta sordres, que les bêtes brutes ne craignent point,
gnes, qui rendent la surface do notre Globe iné et que les hommes n'ont point sujet de craindre
gale, et quelquefois déserte et stérile, sont utiles ! ordinairement, puisqu'il y en a peu qui en souffrent.
pour la production des rivières et des vents: et 10. L'Auteur de la Nature a compensé ces
nous n'avons point sujet de nous plaindre des sa maux et autres, qui n'arrivent que rarement, par
bles et des marais, puisqu'il y a tant d'endroits mille commodités ordinaires et continuelles. La
qui restent encore à cultiver. Outre qu'il ne faut faim et la soif augmentent le plaisir qu'on
point s'imaginer que tout soit fait pour l'homme I trouve en prenant de la nourriture. Le travail
seul: et l'Auteur est persuadé, non-seulement qu'il modéré est un exercice agréable des puissances de
y a des Esprits purs, mais aussi qu'il y a des ani l'animal; etlesommeil est encore agréable d'une ma
maux immortels approchans de ces Esprits, c'est- nière toute opposée, en rétablissant les forces par
à-dire des animaux dont les âmes sont join le repos. Mais un des plaisirs les plus vifs est ce
tes à une matière éthéiïenne et incorruptible. Mais lui qui porte les animaux à la propagation. Dieu
il n'en est pas de même des animaux dont le corps ayant pris soin de procurer que les espèces fussent
est terrestre, composé de tuyaux et de fluides qui immortelles, puisque-les individus ne le sauraient être
y circulent, et dont le mouvement cesse par la ici-bas, il a voulu aussi que les animaux eussent
rupture des vaisseaux : ce qui fait croire à l'Auteur une grande tendresse pour leurs petits, jusqu'à s'ex
que l'immortalité accordée à Adam, s'il_avoit été poser pour leur conservation.
obéissant, n'eût pas été un effet de sa nature, mais De la douleur et de la volupté naissent la
de la grâce de Dieu. crainte, la cupidité, et les autres passions uti
9. Or il étoit nécessaire pour la conservation les ordinairement, quoiqu'il arrive par accident
des animaux corruptibles, qu'ils eussent des mar qu'elles tournent quelquefois au mal : il en faut
ques qui leur fissent connoitre un danger présent, dire autant des poisons, des maladies épidémiques,
et leur donnassent l'inclination de l'éviter. C'est et d'autres choses nuisibles, c'est-à-dire que ce
pourquoi ce qui est sur le point de causer une sont des suites indis]iensables d'un système bien
grande lésion , doit causer la douleur auparavant, conçu. Pour ce qui est de l'ignorance et des
qui puisse obliger ranimai à des efforts capables erreurs, il faut considérer .que les créatures les
de repousser on de fuir la cause de cette incommo plus parfaites ignorent beaucoup sans doute, et que
dité, et de prévenir un plus grand mal. L'horreur les connoissances ont coutume d'être proportion
de la mort sert aussi à l'éviter: car si elle n'étoit nées aux besoins. Cependant il est nécessaire
point si laide, et si les solutions de la continuité qu'on soit sujet à des cas qui ne sauroient être
n'étoient point si douloureuses, bien souvent les prévus, et ces sortes d'accidcns sont inévitables.
animaux ne se soucieroient point de périr , ou de Il faut souvent qu'on se trompe dans son juge
laisser périr les parties de leur corps , et les plus ment, parce qu'il n'est point toujours permis de le
robustes auroieiit de la peine à subsister un jour suspendre jusques à une discussion exacte. Ces
entier. inconvcniens sont inséparables du système des
Dieu a donné aussi la faim et la soif aux ani choses : il faut qu'elles se ressemblent bien sou
maux, pour les obliger de se nourrir et de s'en vent dans une certaine situation, et que Tune
tretenir, en remplaçant ce qui s'use et qui s'en va puisse être prise pour l'autre. Mais les erreurs
insensiblement. Ces appétits servent aussi pour inévitables ne sont pas les plus ordinaires, ni les
les porter au travail, afin d'acquérir une nourriture plus pernicieuses. Celles qui nous causent le plus
convenable à leur constitution et propre a leur de mal ont coutume de venir de notre faute; et
donner de la vigueur. 11 a même été trouvé né par conséquent on anroit tort de prendre sujet des
cessaire par l'Auteur des choses, qu'un animal bien maux naturels, de s'ôter la vie, puis qu'on trouve
souvent servît de nourriture à un autre, ce qui ne que ceux qui l'ont fait y ont été portos ordinaire
le rend guères plus malheureux, puis que la mort ment par des maux volontaires.
causée par les maladies a coutume d'être autant et 11. Après tout, on trouve que tous ces manx,
plus douloureuse qu'une mort violente; et ces ani dont nous avons parlé, viennent par accident de
maux sujets à être la proie des autres, n'ayant bonnes causes; et il y a lieu de juger par tout ce
point la prévoyance, ni le soin de l'avenir, n'en que nous connoissons, de tout ce que nous ne
vivent pas moins en repos, lorsqu'ils sont hors du coonoissons pas, qu'on n'aurroit pu les retrancher
danger. sans tomber dans des iuconvcaicns plus grands
81*
€40 LXXIII. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KIN7G.
Et pour le mieux rcconuoîtrc , l'Auteur nous con 12. Le savant Auteur de cet Ouvrage de l'ori
seille du concevoir le Monde, comme un grand gine du mal , se proposant d'expliquer celle du mal
bâtiment. 11 faut qu'il y ait non -seulement des | moral dans le cinquième Chapitre, qui fait la
; q art < 'ii H -us. des salles, des galeries, des jardins, moitié de tout le Livre , croit qu'elle est toute dif
des grottes; mais encore la cuisine, la cave, la férente de celle du mal physique, qui consiste dans
basse-cour , des étables, des égoûts. Ainsi il n'au- l'imperfection inévitable des Créatures. Car, comme
roit pas été à propos de ne faire que des Soleils nous verrons tantôt, il lui paraît que le mal mo
dans le Monde, ou de faire une Terre toute d'or et ral vient plutôt de ce qu'il appelle une perfection,
de diainans , mais qui n'auroit point été habitable. et que la Créature a de commun , selon lui, avec Je
Si l'homme avoit été tout oeil ou tout oreille , il Créateur, c'est-à-dire, dans le pouvoir de choisir
n'auroit point été propre à se nourrir. Si Dieu sans aucun motif, et sans aucune cause finale ou
l'avoit fait sans passions , il l'aurait fait stupide : impulsive. C'est un paradoxe bien grand, de sou
et s'il l'avoit voulu faire sans erreur, il auroit fallu tenir que la plus grande imperfection, c'est-à-dire
le priver des Sens, ou le faire sentir autrement que le péché , vienne de la perfection même ; mais ce
par des organes, c'est-à-dire, il n'y auroit point eu n'est pas un moindre paradoxe, de faire passer
d'homme. Notre savant Auteur remarque ici un pour une perfection la chose du monde la moins
sentiment que- des Histoires sacrées et profanes pa- raisonnable, dont l'avantage serait d'être privilégiée
roisseut enseigner, savoir que les bêtes féroces, les contre la Raison. Et dans le fond, bien loin que ce
plantes venimeuses et autres natures qui nous sont soit montrer la source du mal moral, c'est vouloir
nuisibles, ont été armées contre nous par le pé qu'il n'y eu ait aucune. Car si la volonté se dé
ché. Mais comme il ue raisonne ici que suivant termine sans qn'il y ait rien , ni dans la personne
les principes de la Raison, il met à part ce que la qui choisit, ni dans l'objet qui est choisi, qui puisse
Révélation peut enseigner. Il croit cependant, qu'A porter au choix, il n'y aura aucune cause ni raison
dam n'auroit été excmté des maux naturels (s'il avoit de cette élection : et comme le mal moral consiste
été obéissant) qu'en vertu de la Grâce Divine et dans le mauvais choix, c'est avouer que le mal
d'un pacte fait avec Dieu ; et que Moïse ne marque moral n'a point de source du tout. Ainsi dans les
expressément qu'environ sept effets du premier règles de la bonne Métaphysique, il faudroit qu'il
péché. Ces effets sont : n'y eût point de Mal moral dans la nature; et
. 1. La révocation du don gracieux de l'immor aussi par la même raison, il n'y aurait point de Bien
talité. moral non plus, et toute la Moralité serait dé-
2. La stérilité de ta Terre, qui ne devoit plus truite. Mais il faut écouter notre habile Auteur,
être fertile par elle-même, qu'en herbes mauvaises à qui la subtilité d'un sentiment soutenu par des
ou peu utiles. Philosophes célèbres de l'Ecole, et les ornemeas
3. Le travail rude qu'il faudroit employer- pour qu'il y a ajoutés lui-même par son esprit et par
se nourrir. son éloquence, ont caché 1rs grands inconvénicns
4. L'assujettissement de la femme à la volonté qu'il renferme. En expliquant l'étatdelaQues-
du mari. tion, il partage les Auteurs en deux partis: Les
5. Les douleurs de l'enfantement. uns, dit -il, se contentent de dire que la liberté de
G. L'inimitié entre l'homme et le serpent. la volonté est exemte de la contrainte externe; et
1. Le bannissement de l'homme du lieu déli les autres soutiennent qu'elle est encore exemtu
cieux, où Dieu l'avoit placé. de la nécessité interne. Mais cette explication,
Mais il croit que plusieurs de nos maux vien ne suffit pas, à moins qu'on ne distingue la néces
nent de la nécessité de la matière; sur-tout depuis sité absolue et contraire à la moralité, de la né
la soustraction de la Grâce ; outre qu'il semble à cessité hypothétique et de la nécessite mora/e,
l'Auteur qu'après notre exil l'immortalité nous se- comme nous l'avons déjà expliqué en plusieurs en
roit à charge, et que c'est peut-être plus pour notre droits.
bien, que pour nous punir, que l'arbre de la vie 13. La Section première de ce Chapi
nous est devenu inaccessible. Il y a par ci par-là quel tre doit faire conuoîtrc la nature des Elections.
que chose à dire, mais le fond du Discours de l'Au L'Auteur expose premièrement le sentiment de
teur sur l'origine des maux est plein de bonnes et ceux qui croient que la volonté est portée par la
solides réflexions , dont j'ai jugé à propos de profi jugement de l'entendement, ou par des inclina
ter. Maintenant il faudra venir au sujet qui est tions antérieures des appétits, à se déterminer pour
en controverse entre nous , c'est-à-dire à l'explica le parti qu'elle prend. Mais il mêle ces Auteurs
tion de la nature de la L i b e r t é. avec ceux qui soutiennent que la volonté est portée à
LXXIU. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING. G41
la résolution par une nécessité absolue, et qui pré- ! droit et rendre rame toute passive. Et cette ac
tendeut que la personne qui veut, n'a aucun pou cusation va contre une infinité d'Auteurs graves et
voir sur ses volitions; c'est-à-dire qu'il mêle un approuvés , qui sont mis ici dans la même classe
Thomiste avec un Spinosiste. Il se sert des aveus avec M. Hobbes et Spinosa , et avec quelques au
et des déclarations odieuses de M. Hohbes, et de teurs réprouvés, dont la doctrine est jugée odieuse
ses semblables , pour en charger ceux qui eu sont : et insupportable.
infiniment éloignés, et qui prennent grand soin de Pour moi, je n'oblige point la volonté de suivre
les réfuter: et il les en charge, parce qu'ils croient toujours le jugement de l'entendement, parce que
comme M. Hobbes, et comme tout le monde, je distingue ce jugement des motifs qui viennent
(quelques Docteurs exceptés qui s'enveloppent dans des perceptions 'et inclinations insensibles. Mais je
leurs propres subtilités) que la volonté est mue tiens que la volonté suit toujours la plus avanta
par la représentation du bien et du mal : d'où il geuse représentation, distincte ou confuse, du bien
leur impute qu'il iry a doue point de contingence, et et du mal, qui résulte des raisons, passions et in
que tout est lié par une nécessité absolue. C'est al clinations, quoi quelle puisse aussi trouver des mo
ler bien vite en raisonnement; cependant il ajoute tifs pour suspendre son jugement. Mais c'est tou
encore qu'à proprement parler il n'y aura point de jours par motifs qu'elle agit.
mauvaise volonté , puis qu'ainsi tout ce qu'on y 14. 11 faudra répondre à ces objections contre
pourrait trouver à redire seroit le mal qu'elle peut notre sentiment, avant que de passer à l'établisse
causer; ce qui, dit il, est éloigné de la notion com ment de celui de l'Auteur. L'origine de la mé
mune, le monde blâmant les médians, non parce prise des adversaires vient de ce qu'on confond
qu'ils nuisent, mais parce qu'ils nuisent sans né une conséquence nécessaire par une nécessité ab
cessita II tient ainsi que les méchaus seraient solue, dont le contraire implique contradiction,
seulement malheureux, et nullement coupables; avec une conséquenee qui n'est fondée que sur des
qu'il n'y auroit point de différence entre le mal vérités de convenance, et qui ne laisse pas de réus
physique et le mal moral, puisque l'homme lui- sir, c'est-à-dire, qu'on confond ce qui dépend du
même ne seroit point la vraie cause d'une action principe de contradiction, qui fait les vérités néces
qu'il ne pourrait point éviter; que les malfaiteurs saires et indispensables, avec ce qui dépend du
ne seraient point blâmés ni maltraités, parce qu'ils principe de la raison suffisante, qui a lieu encore
le méritent, mais parce que cela peut détourner dans les vérités contingentes. J'ai déjà donné ail
les gens du mal , et que ce seroit pour cette raison leurs cette remarque, qui est une des plus impor
seulement qu'on gronderait un fripon , et non pas tantes de la Philosophie, en faisant considérer
un malade , parce que les reproches et les menaces qu'il y a deux grands principes, savoir ce
j)euvent corriger l'un, et ne peuvent point guérir lui des identiques on de la contradiction, qui
l'autre; que les chûtiincns, suivant cette doctrine, porte que de deux énonciations contradictoires,
n'auraient pour bat que l'empêchement du mal fu l'une est vraie, et l'autre fausse; et celui de la
tur, sans quoi la seule considération du mal déjà raison suffisante, qui porte qu'il n'y a point
fait ne suffirait point pour punir; et que de même, dénonciation véritable, dont celui qui auroit toute
la rcconnoissance auroit pour but unique, de pro la connoissance nécessaire pour l'entendre parfai
curer on bienfait nouveau , sans quoi la seule con tement, ne pourrait voir la raison. L'un et l'au
sidération du bienfait passé n'en fournirait pas une tre principe doit avoir lieu non seulement dans
raison suffisante. Eufin l'Auteur croit que si cette les vérités nécessaires, mais encore dans les con
doctrine qui dérive la résolution de la volonté de tingentes, et il est nécessaire même que ce qui n'a
la représentation du bien et du mal, étoit véri aucune raison suffisante n'existe point. Car l'on
table, il faudrait désespérer de la félicité humaine, peut dire en quelque façon , que ces deux princi
puis qu'elle ne seroit point en notre pouvoir, et pes sont renfermés dans la définition du Vrai et
dépendrait des choses qui sont hors de nous. Or du Faux. Cependant, lors qu'en faisant l'aualysc
comme il n'y a pas lieu d'espérer que les choses de la vérité proposée, on la voit dépendre des véri
de dehors se règlent et s'accordent suivant nos sou tés dont le contraire implique contradiction, on
haits, il nous manquera toujours quelque chose, peut dire qu'elle est absolumeut nécessaire. Mais
et il y aura toujours quelque chose de trop. Ton lors que poussant l'analyse tant qu'il vous plaira,
tes ces conséquences ont lieu, selon lui, encore con on ne saurait jamais parvenir à de tels élcinens
tre ceux qui croient que la volonté se détermine de la vérité donnée, il faut dire qu'elle est contin
suivant le dernier jugement de l'entendement : gente , et qu'elle a son origine d'une raison préva
opinion qu'il croit dépouiller la volonté de son lante qui incline sans nécessiter. Cela posé, l'on
G42 LXXIII. REMARQUÉS SUR LE LIVRE DE M. KING.
volt comment nous pouvons dire avec plusieurs écrit. Mais on aura plus d'indulgence pour nnc
Philosophes et Théologiens célèbres, que la sub grande passion, parce qu'elle approche plus do la
stance qui pense est portée à sa résolution par la démence. Et les Romains punirent d'un sup
représentation prévalante du bien ou du mal, et plice des plus rigoureux les Prêtres du Dieu Apis,
cela certainement et infailliblement, mais non qui avoient prostitué la chasteté d'une Dame distin
pas nécessairement: c'est-à-dire par des rai guée à un Chevalier qui l'aimoit éperduement, en
sons qui l'inclinent sans la nécessiter. C'est le faisant passer pour leur Dieu ; et on se contenta
pourquoi les futurs contingens, prévus de banuir l'Amant. Mais si quelqu'un avoit fait
et en eux-mêmes et par leurs raisons, demeu de mauvaises actions sans raison apparente et sans
rent contingens ; et Dieu a été porté infailliblement apparence de passion , le Juge seroit tenté de Je
par sa sagesse et par sa bonté à créer le Monde prendre pour un fou, sur -tout s'il se trouvoit qu'il
par sa puissance, et à lui donner la meilleure étoit sujet à faire souvent de telles extravagances;
forme possible; mais il n'y étoit point porté néces ce qui pourroit aller à la diminution de la peine,
sairement, et le tout s'est passé «ans aucune dimi bien loin de fournir la véritable raison de la
nution de sa liberté parfaite et souveraine. Et méchanceté et du pnnisscment. Tant les princi
sans cette considération que nous venons de faire, je pes de nos adversaires sont éloignés de la prati
ne sais s'il seroit aisé de résoudre le noeud Gor que des Tribunaux , et du sentiment commun des
dien de la Contingence et de la Liberté. hommes.
15. Cette . explication fait disparaître toutes les 16. 3° La distinction entre le mal physique et
objections de notre habile adversaire. Pre le mal moral subsistera toujours , quoi qu'il y ait
mier eiu eut, on voit que la contingence subsiste cela de commun , qu'ils ont leurs raisons et muscs.
avec la liberté. 2. Les mauvaises volontés sont Et pourquoi se forger de nouvelles difficultés tou
mauvaises, non seulement parce qu'elles nuisent, chant l'orgine du mal moral, puisque le principe
mais encore parce qu'elles sont une source de choses de la résolution de celles qne les maux naturels
nuisibles, ou de maux physiques; un esprit méchant ont fait naître, suffit encore pour rendre raison des
étant dans la sphère de sou activité, ce que le maux volontaires? C'est-à-dire, il suffit de mon
mauvais Princips des Manichéens seroit clans l'U trer qu'on ne pouvoit empêcher que les hommes
nivers. Aussi l'Auteur a-t-il remarqué, chap. 4. fussent sujets à faire des fautes, sans changer la
sect. 4. §. 8. qne la sagesse Divine a défendu or constitution du meilleur des syternes, ou sans em
dinairement des actions qui causeroient des incom ployer des miracles à tout bout de champ. II est
modités, e'est-à-dire des maux physiques. On vrai que le |>éelié fait une grande partie de la mi
convient que celui qui cause du mal par nécessité, sère humaine, et même la plus grande; mais cela
n'est point coupable. Mais il n'y a aucun Légis n'empêche point qu'on ne puisse dire que les hom
lateur , ni Jurisconsulte , qui entende par cette né mes sont médians et punissables : autrement II fau-
cessité la force des raisons du bien et du mal, vrai droit dire que les péchés actuels des non- régénérés
ou apparent, qui ont porté l'homme à mal faire; sont excusables, parce qu'ils vienennt do principe de
autrement celui qui dérobe une grande somme notre misère, qui est le péché/originel. 4* De
d'argent, ou qui tue un homme puissant pour par dire que l'Aine devient passive, et que l'homme
venir à un grand poste, seroit moins punissable n'est point la vraie cause du jxiché, s'il est porté à
que celui qui dcroberoit quelques sols pour boire ses actions vo'ontaires par les objets, comme l'Au
chopine, ou qui tueroit un chien de son voisin de teur le prétend en beaucoup d'endroits, et particu
gaité de coeur: parce que ces derniers ont été moins lièrement chap. 5. scct. 1. snbsect. 3. §. 18. c'est
tentés. Mais c'est tout le contraire dans l'admira se faire de nouvelles notions des termes. Quand
tion de la Justice autorisée dans le monde , et plus les Anciens ont parlé de ce qui est è<p Jjfùv, ou
la tentation de pécher est grande, plus clic a besoin lorsque nous parlons de ce qui dé]>end de noua,
d'être réprimée par la crainte d'an grand châtiment. de la spontanéité, du principe interne de nos
D'ailleurs, plus on trouvera de raisonnement dans actions, nous n'excluons point la représentation des
le dessein d'un malfaiteur, plus on trouvera que choses externes: car ces représentations se trouvent
sa méchanceté a été délibérée, et plus on jugera aussi dans nos âmes, elle font une partie des mo
qu'elle est grande et punissable. C'est ainsi qu'un difications de ce principe actif qui est en nous. Il
dol trop artificieux fait le crime aggravant appelle n'y a point d'Acteur qui puisse agir sans être pré
stellionat, et qu'un trompeur devient faus disposé ace que l'Action demande; et les raison*
saire, quand il a la subtilité de sappcr les fonde- ou inclinations tirées du bien ou du mal sont les
incus mêmes de notre sûreté dans les Actes par dispositions, qui font que l'Ame se peut détermi
LXXIU. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING. 643
ner entre plusieurs partis. On veut que la Vo ver dans les bonnes actions: autrement on n'est
lonté soit seule Active et Souveraine, et on a coutume pas encore parvenu au degré de la vertu qu'il faut
de la concevoir comme une Reine assise sur son Troue, tâcher d'atteindre. C'est ce qu'on signifie, quand
dont l'Entendement est le Ministre d'Etat , et dont on dit qu'il faut aimer la justice et la vertu pour
les Passions sont les Courtisans, ou les Demoiselles elle-même; et c'est encore ce que j'ai expliqué en
favorites, qui par leur influence prévalent souvent rendant raison de l'Amour désintéressé, un
sur le Conseil du Ministère. On veut que l'Eu- peu avant la naissance de la controverse qui a fait
tendement ne parle que par ordre de cette Reine, tant de bruit. Et de même nous jugeons que la
qu'elle pej||; balancer entre les raisons du Ministre méchanceté est devenue plus grande , lorsqu'elle a
et les suggestions des Favoris , et même rebuter les passé eu plaisir, comme lorsqu'un voleur de grands
unes et les autres, enfin qu'elle les fait taire ou chemins , après avoir tué les hommes parce qu'ils
parler, et leur donne audience ou non, comme bon résistent, ou parce qu'il craint leur vengeance,
lui semble. Mais c'est une Prosopopée ou fiction devient enfin cruel et prend plaisir à les tuer, et
un peu mal entendue. Si la volonté doit juger, même à les faire souffrir auparavant. Et ce degré
ou prendre connoissance des raisons et des inclina de méchancetéest jugé diabolique, quoique l'homme
tions que l'entendement ou les sens lui présentent, qui en est atteint trouve dans cette maudite vo
il lui faudra un autre entendement dans elle-même, lupté une plus forte raison de ses homicides , qu'il
pour entendre ce qu'on lui présente. La vérité n'en avoit lorsqu'il tuoit seulement par espérance
est, que l'Aine, ou la substance qui pense, entend ou par crainte. J'ai aussi remarqué en répondant
les raisons, et sent les inclinations, et se détermine aux difficultés de M. Bayle, que suivant le célèbre
selon la prévalence des représentations qui modi M. Conring, la Justice qui punit par des peines
fient sa foree active, pour spécifier l'action. Je médicinales, pour ainsi dire, c'est-à-dire pour
n'ai point besoin d'employer ici mon système de amender le criminel, ou du moins pour donner
l'harmonie préétablie, qui met notre indépendance exemple aux autres, pourroit avoit lien dans le sen
dans sou lustre, et qui nous exenitc de l'influence timent de ceux qui détruisent la liberté, exemte do
physique des objets. Car ce que je viens de dire la nécessité; mais que la véritable Justice vindica
suffit pour résoudre l'objection. Et notre Auteur, tive, qui va au delà du médicinal, suppose quelque
quoiqu'il admette avec le commun cette influence chose de plus, c'est-à-dire l'intelligence et la li
physique des objets sur nous, remarque pourtant berté de celui qui pèche, parce que l'harmonie des
fort ingénieusement, que le corps, ou les objets des choses demande une satisfaction , un mal fie pas
sens ne nous donnent point les idées, et encore sion, qui fasse sentir sa faute à l'esprit, après le
moins la force active de l'âme, et servent seule mal d'action volontaire où il a donné son agrément.
ment à développer ce qui est en nous; à peu près Aussi M. Hobbes, qui renverse la liberté, a-t-il re
comme M. Descartes a cru que l'âme ne pouvant jeté la Justice vindicative, comme font les Soci-
point .donner de la force au corps lui donnoit au nicns, réfutés par nos Docteurs, quoique les Au
moins quelque direction. C'est un milieu de l'un teurs de ce parti -là ayent coutume d'outrer la no
et de l'autre côté, entre l'influence physique et tion de liberté.
l'harmonie préétablie. 18. 6° On objecte enfin, que les hommes no
17. 5° On objecte que, selon nous le péché ne peuvent point espérer la félicité, si la volonté ne
seroit point blâmé ni puni parce qu'il le mérite, peut-être mue que par la représentation du bien
mais parce que le blâme et le châtiment servent à et du mal. Mais cette objection me paroit nulle
l'empêcher une autre fois; au lien que les hommes de toute nullité, et je crois qu'on auroit bien de la
demandent quelque chose de plus , c'est à-dire une peine à deviner qu'elle couleur on lui a pu don
satis faction pour le crime, quand même elle ne ser- ner. Aussi raisonne - 1 -on pour cet effet de la ma
•viroït point à l'amendement, ni à l'exemple. Tout nière la plus surprenante du inonde: C'est que
comme les hommes demandent avec raison que la notre félicité dépend des choses externcs^il est vrai
véritable gratitude vienne d'une véritable recon- qu'elle dépend de la représentation du bien ou du
noissance du bienfait passé, et non pas de la vue mal. Elle n'est donc point en notre pouvoir, dit-on,
intéressée d'cxcroqner un nouveau bienfait. Cette car nous n'avons aucun sujet d'espérer que les cho
objection contient de belles et bonnes réflexions, ses externes s'accorderont pour nous plaire. Cet
mais elles ne nous frappe point. Nous deman argument cloche de tous pieds: -11 n'y a point
dons qu'on soit vertueux, recounoissant, juste, non «de force dans la conséquence: On pourroit ac
seulement par intérêt, par espérance, ou par corder la conclusion: l'Argument peut-être ré-
crainte; mais encore par le plaisir qu'on doit trou » torque contre l'Auteur. • Commençons par cette
C44 LXXIII. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. K1NG.
rétorsion, qui est aisée. Car les hommes sont- sance est indépendante; on du moins, il fant que
ils plus heureux ou plus indépendans des accidcns cette bonté, que la volonté donne à l'objet choisi,
de la fortune par ce moyen, ou parce qu'on leur soit arbitraire, et telle qu'elle la veut. Car d'où
attribue l'avantage de choisir sans sujet? Souffri prenderoit-on la raison des bornes, si l'objet est
ront -iFs inoins les douleurs corporelles? Ont -ils possible, s'il est à la portée de celai qui vent, et si
moins de penchant pour les biens vrais ou appa- la volonté lui peut donner la bonté qu'elle vent,
rens, moins de crainte des maux véritables ou ima indépendamment de la réalité et des apparences!
ginaires? Sont-ils moins esclaves de la volupté, Il me semble que cela peut suffire pour renver
de l'ambition, de l'avarice? moins craintifs? moins ser nue hypothèse si précaire, où i! j a quelque
envieux? Oui, dira notre habile Auteur: je le chose de semblable aux Contes des Fées, optan-
prouverai par une manière de compte, ou d'estime. tis isthaec snnt, non invenientis. I! ne
J'aurois mieux aimé qu'il l'eût prouvé par l'expé demeure donc que trop vrai, qae cette belle fiction
rience : mais voyons ce compte. Supposé que par ne sauroit nous rendre plus exemts de maux; et
mon choix, qui fait que je donne la bonté, par nous allons voir plus bas, que lorsque les hommes
rapport à moi, à ce que je choisis, je donne à l'ob se mettent andessus de certains appétits ou de cer
jet choisi six degrés de bonté , et qu'il y eût aupa taines aversions, c'est par d'autres appétits, qui
ravant deux degrés de mal dans mon état; je de ont toujours leur fondement dans la représentation
viendrai heureux tout d'un coup, et à mon aise, car du bien et du mal. J'ai dit aussi, qu'on pon-
j'aurois quatre degrés de revenant -bon, ou bien voit accorder la conclusion de l'Argu
franc. Voilà qui est beau , sans doute; mais par ment, qui porte qu'il ne dépend pas absolument
malheur, il est impossible. Car quel moyen de de nous d'être heureux, au moins dans l'état pré
donner ces six degrés de bouté à l'objet? Il nous sent de la vie humaine: car qui doute que nous ne
faudroit pour cela la puissance de changer notre soyons sujets à mille accidens , que la prudence hu
goût, ou les choses, comme bon nous semble. Ce maine ne sauroit éviter? Comment in'enipèche-
seroit à peu près, comme si je pouvois dire effica rai-je, par exemple, d'être englouti par un trem
cement au plomb, Tu seras or ; an caillou, Tu seras blement de terre, avec une Ville où je fais ma de
diamant ; ou du moins, ' Vous me ferez le même meure, si tel est l'ordre des choses? Mais enfin j e
effet. On ce seroit tomme on explique le pas puis encore nier la conséquence dans
sage de Moïse, qui paroit dire que la Manne du l'Argument, qui porte, que si la volonté n'est
Désert avoit le goût que les Éœaëlites lui vouloient mue que par la représentation du bien et du mal,
donner. Ils n'avoicnt qu'à dm! à leur Gomor, Tu il ne dépend pas de nous d'être heureux. La con
seras chapon, Tu seras jierdrix. Mais s'il m'est séquence seroit bonne, s'il n'y avoit point de Dieu,
libre de donner ces six degrés de bonté à l'objet, si tout étoit gouverné par des causes brutes: mais
ne m'est -il point permis de lui en donner davan Dieu fait que pour être heureux, il suffit d'être
tage? Je pense qu'oui. Mais si cela est, pour vertueux. Ainsi, si l'Ame suit la Raison et les or
quoi ne donnerons-nous pas à l'objet toute la bonté dres que Dieu lui a donnés, la voilà sûre de son
imaginable? Pourquoi n'irons -nous pas à vingt bonheur, quoiqu'on ne le puisse point trouver as
quatre carat? de bonté? Et par ce moyen nous sez dans cette vie.
voilà pleinement heureux, malgré les accidens de 19. Après avoir tâché de montrer les inconvé-
la fortune: qu'il vente, qu'il grêle, qu'il neige, niens de notre hypothèse, l'habile Auteur étale les
nous ne nous en soucierons pas: par lo moyen de avantages de la sienne. Il croit donc qu'elle est
ce beau secret , nous serons toujours à l'abri des j seule capable de sauver notre liberté, qu'elle lait
cas fortuits. Et l'Auteur accorde (dans cette 1. | toute notre félicité, qu'elle augmente nos biens et
section du 5. chap. snbsect. 3. §. 12.) que cette j diminue nos maux, et qu'un Agent qui possède
puissance surmonte tous les appétits naturels, et ne cette puissance en est plus parfait. Ces avantages
peut-être surmontée par aucun deux; et il la con presque tous ont déjà été réfutés. Nous avons
sidère (§. 20. 21. 22.) comme le plus solide fon montré que pour être libre, il suffit que les repré
dement dn bonheur. En effet, comme il n'y a rien [ sentations des biens et des maux, et autres disposi
qui puisse limiter une puissance aussi indéterminée tions internes on externes, nous inclinent sans nous
que celle de choisir sans sujet, et de donner de la nécessiter1. On ne voit point aussi comment l'indiffé
bonté à l'objet par le choix , il faut ou que cette rence pure pouiToit contribuer à la félicité: au con
bonté passe infiniment celle que les appétits natu traire, plus on seraindfférent, plus on sera insensible
rels cherchent dans 'les objets, puisque ces appétits et moins capable de goûter les biens. Outre qne l'hypo
et ces objets sont limités, pendant que cette puis thèse fait trop d'effet. Car si une puissance indifférente
LXXIII. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KINO. G45
se ponvoit donner le sentiment du bien, elle se sorte de cette indifférence que par son choix, qui
pourroit donner le bonheur le pins parfait , comme lui rendra l'objet agréable. Mais presque tous
ou a déjà montré. Et il est manifeste qnïl n'y a les pas de ce raisonnement sont sujets à des achop-
rien qui lui donnât dos limites, puisque les limites pemens. Non seulement les Créatures libres,
lu feraient sortir de cette indifférence pure, et dont mais encore toutes les autres substances et natures
on prétend qu'elle ne sort que par elle-même, ou composées de substances, sont actives. Les bêtes
plutôt dans laquelle elle D'à jamais été. Enfin on ne sont point libres, et cependant elles ne laissent
ne voit point en quoi consiste la perfection de la pas d'avoir des âmes actives; si ce n'est qu'on
pure indifférence: au contraire, il n'y arien de s'imagine avec les Cartésiens, que ce sont de pures
plus imparfait; elle rendrait la science et la bonté machines. 11 n'est point nécessaire aussi, que
inutiles et réduirait tout au hazard, sans qu'il y pour être actif ou soit seulement déterminé par
eût des règles ou des mesures à prendre. Il y a soi-même, puisqu'une chose peut recevoir.de la di
pourtant encore quelques avantages que notre Au rection , sans recevoir de la force. C'est ainsi que
tour allègue, qui n'ont pas été débattus. 11 lui le cheval est gouverné par le cavalier, et que le
paraît donc que ce n'est que par cette puissance vaisseau est dirigé par le gouvernail; et M.
que nous sommes la vraie cause de nos actions, à Descartes a cru que notre corps gardant sa
qui elles puissent être imputées, puisqu'autrement force, reçoit seulement quelque direction de
nous serions forcés par les objets externes; et que ; l'âme. -Ainsi une chose active peut recevoir
c'est aussi seulement à cause de cette puissance de dehors quelque détermination ou direction,
qu'on se peut attribuer le mérite de sa propre fé capable de changer celle qu'elle aurait d'elle-
licité , et se complaire en soi - même. Mais c'est même. Enfin, lors même qu'une substance active
tout le contraire: car quand on tombe sur l'ac- ; n'est déterminée que par elle-même , il ne s'ensuit
tion par un mouvement absolument indifférent, et i point qu'elle ne soit point mué par les objets ; car
non pas en conséquence de ses bonnes ou mauvai c'est la représentation de l'objet qui est en elle-
ses qualités, n'est-ce pas autant que si l'on y tom- même, qui contribue à la détermination; laquelle
boit aveuglément par le hazard ou par le sort! ainsi ne vient point de dehors, et par conséquent
Pourquoi donc se glorifierait -on d'une bonne ac- ' la spontanéité y est toute entière. Les objets n'a
tion, ou pourquoi seroit-ou blâmé d'une mauvaise, ; gissent point sur les substances intelligentes comme
s'il en faut remercier ou accuser la fortune ou le causes efficientes et physiques, mais comme causes
sort? Je pense qu'on est plus louable quand on finales et morales.», Lorsque Dieu agit suivant sa
rloit l'action à ses bonnes qualités, et plus coupable sagesse, il se règIλF sur les idées des possibles qui
à mesure qu'on y a été disposé par ses qualités sont ses objets, mais qui n'ont aucune réalité hors*
mauvaises. Vouloir estimer les actions, sans pe de lui avant leur création actuelle. Ainsi cette
ser les qualités dont elles naissent, c'est parler en espèce de motion spirituelle et morale n'est point
l'air, et mettre un je ne sais quoi imaginaire à contraire à l'activité de la substance, ni à la spon
la place des causes. Aussi, si ce haxard ou ce je tanéité de son action. Enfjn, quand la puissance
ne sais quoi étoit la cause de nos actions, à l'ex libre ne serait point déterminée par les objets, elle
clusion de nos qualités naturelles on acquises, de ne saurait pourtant jamais être indifférente à l'ac
DOS inclinations, de nos habitudes; il n'y aurait tion lorsqu'elle est sur le point d'agir; puisqu'il
point moyen de se promettre quelque chose de la faut bien que l'action y naisse d'une disposition
résolution d'autrui , puisqu'il n'y aurait pas moyen d'agir: autrement on fera tout de tout, quidvis
de fixer un indéfini, et de juger à quelle rade sera ex quovis, et il n'y aura rien d'assez absurde
jette le vaisseau de la volonté, par la tempête in qu'on ne puisse supposer. Mais cette disposition
certaine d'une extravagante indifférence. aura déjà rompu le charme de la pure indifférence,
20. Mais mettant les avantages et les désavantages et si l'âme se donne cette disposition, il faut une
à part, voyous comment notre savant Auteur éta autre prédisposition, pour cet acte de la donner;
blira cette hypothèse, dont il promet tant d'utilité. et par conséquent, quoi qu'on remonte, on ne
Il conçoit qu'il n'y a que Dieu et 1rs Créatures libres viendra jamais à une pure indifférence dans
qui soient véritablement actives, et que pour être l'âme pour les actions qu'elle doit exercer. Il
actif on ne doit être déterminé que par soi-même. est vrai que ces dispositions l'inclinent sans
Or ce qui est déterminé ]>ar soi-même, ne doit la nécessiter: elles se rapportent ordinairement
point être déterminé par les objets ; et par consé aux objets, mais il y en a ]K>urtant aussi qui
quent il faut que la substance libre, entant que viennent autrement à subjecto ou de l'âme
libre, soit indifférente à l'égard des objets, et ne même, et qui font qu'un objet est plus goûté que
82
G46 LXXIII. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. K1NG.
l'autre, on que le même est autrement goûté dans forme les idées qui sont dans son entendement?
nn antre teins. Je n'ose point attribuer à notre savant Auteur un
21. Notre Auteur persiste toujours de nous as sentiment si étrange, qui confondroit entendement
surer que son hypothèse est réelle, et il entreprend et volonté, et détruiroit tout l'usage des no
de faire voir que cette puissance indifférente se tions. Or si les idées sont indé|>endantes de la
trouve effectivement en Dieu , et même qu'on la volonté, la perfection ou l'imperfection qui y est
lui doit attribuer nécessairement. Car, dit-il, rien représentée, le sera aussi. En effet, est-ce par la
ne lui est bon, ni mauvais, dans les Créatures. Il volonté de Dieu, par exemple, ou n'est-ce pas plu
n'a point d'appétit naturel , qui se trouve rempli tôt par la nature des nombres , que certains nom
par la fruition de quelque chose hors de lui: il bres sont plus capables que les autres de recevoir
est donc absolument indifférent à toutis les choses plusieurs divisions exactes! que les uns sont plus
externes, puisqu'il n'en saurait être aidé, ni in propres que les autres à former des bataillons, a
commodé; et fl faut qu'il se détermine et se fasse composer des polygones, et d'autres figures réguliè
quasi un appétit en choisissant. Et après avoir res! que le nombre de six a l'avantage d'être le
choisi, il voudra maintenir son choix, tout comme moindre de tous les nombres qu'on appelle parfaites!
s'il y avoit été porté par une inclination natu que dans nu plan , six cercles égaux peuvent tou
relle. Ainsi la divine volouté sera la cause de la cher un septième ? que de tous les corps égaux , la
honte dans les Etres. C'est-à-dire, il y aura de la sphère a le moins de surface] que certaines li
bonté dans les objets, non pas par leur nature, gnes sont incommensurables, et par conséquent
mais par la volonté de Dieu , laquelle étant mise à peu propres à l'harmonie ï Ne voit- on pas que
part, on ne sauroit trouver ni bien, ni mal dans tous ces avantages ou désavantages viennent de
les choses. 11 est difficile du concevoir comment l'idée de la chose, et que le contraire iuipliqueroit
des Auteurs de mérite ont pu donner dans un sen contradiction! Pense-t-on aussi que la douleur et
timent si étrange; car la raison qu'on paroit allé l'incommodité des Créatures sensitives, et sur-tout
guer ici, n'a pas 10 moindre force. Il semble la félicité et l'infélicité des substances intelligentes,
qu'on veut prouver ce sentiment, de ce que toutes sont indifférentes à Dieu! Et que dira-t-on de
les Créatures ont tout leur être de Dieu , et qu'el sa justice! Est-elle aussi quelque chose d'arbi
les ne peuvent donc point agir sur lui , ni le déter traire, et auroit-il fait sagement et justement, s'il
miner. Mais c'est prendre visiblement le change. avoit résolu de damner des innocens! Je sais
Lorsque nous disons qu'une substance intelli qu'il y a eu des Auteurs assez mal avisés pour
gente est mue par la bonté de son objet, nous ne soutenir un sentiment si dangereux, et si capable
prétendons point que cet objet soit nécessairement de renverser la piété. Mais je suis assuré que
un Etre existant hors d'elle, et il nous suffit qu'il notre célèbre Auteur en est bien éloigné. Cepen
soit concevable; car c'est sa représentation qui dant, il semble que cette hypothèse y mène, s'il
agit dans la substance, ou plutôt la substance agit n'y a rien dans les objets qui ne soit indifférent
sur elle-même, autant qu'elle est disposée et af à la volonté Divine avant son choix. Il est vrai
fectée par cette représentation. En Dieu, il est que Dieu n'a besoin de rien; mais l'Auteur a fort
manifeste que son entendement contient les idées bien enseigné lui-même, que sa bouté, et non
de toutes les choses possibles ; et c'est par - là que pas son besoin, l'a porté à produire des Créatures.
tout est en lui éminemment. Ces idées lui repré Il y avoit donc en lui une raison antérieure à la
sentent le bien et le mal, la perfection et l'imper résolution; et, comme je l'ai dit tant de fois, ce
fection, l'ordre et le désordre, la congrnité et l'in n'est ni par hazard ou sans sujet , ni aussi par né
congruité des possibles; et sa bonté surabondante cessité, que Dieu a créé ce Monde, mais c'est par
le fait choisir le plus avantageux. Dieu donc se inc'inatiou qu'il y est venu, et son inclination le
détermine par lui-même: sa volonté est active en porte toujours au meilleur. Ainsi il est snqire-
vertu de la bonté, mais elle est spécifiée et dirigée nant que notre Auteur soutienne ici, (chap. 5.
dans l'action par l'entendement rempli de sagesse. sect. 1. snbsect. 4. §. 5.) qu'il n'y a point de rai
Et comme son entendement est parfait, ses pensées son qui ait pu porter Dieu absolument parfait et
toujours bonnes, il ne manque jamais de faire le heureux en lui-même, à créer quelque chose hors
meilleur: au lieu que nous pouvons être trompés de lui; ayant enseigné lui-même auparavant (chap.
pur les fausses apparences du vrai et du bon. Mais 1. sect. 3. §. 8. 9.) que Dieu agit pour une fin, et
comment est-il possible qu'on puisse dire, qu'il n'y j que son but est de communiquer sa bonté. 11 ne
a point de bien ou de mal dans les idées avant la lui étoit donc pas absolument indifférent de créer
volonté du Diea ! Est-ce que la volonté de Dieu ou de ne point créer, et néanmoins la Création est
LXXIIJ. REMARQUES SDR LE UVRE DE M. K1NG. C47
un acte libre. Il ne rai étoit pas non plus indiffé modantes; il n'y aura donc point d'iudifférence
rent de créer un tel ou tel Monde, de créer un pure et absolue, et l'Auteur revient ainsi à nos
chaos perpétuel, ou de créer un système plein d'or principes. Mais parlons comme il parle selon son
dre. Ainsi les qualités des objets, comprises dans hypothèse, et posons avec lui, que Dieu choisit
leurs idées, ont fait la raison de son choix. certaines Créatures, quoiqu'elles lui soient absolu
22. Notre Auteur, qui avoit dit de si bonnes ment indifférentes. Il choisira donc aussi - tôt des
choses ci - dessus , sur la beauté et sur la commo Créatures irrégulières, malbàties, malfaisantes, mal
dité des ouvrages de Dieu, a cherché un tour, heureuses," des chaos perpétuels , des monstres par
pour les concilier avec son hypothèse, qui paroît tout, des scélérats seuls habitaus de la Terre, des
ôter à Dieu tous les égards pour le bien et pour Diables remplissans tout l'Univers; que de beaux
la commodité des Créatures. L'indifférence de systèmes, des espèces bien faites, des gous dj biens,
Dieu n'a lieu, dit -il, que dans ses premières élec de bons Anges! Non, dira l'Auteur: Dieu avant
tions; mais aussi-tôt que Dieu a élu quelque chose, résolu de créer des hommes, a résolu en même
il a élu virtuellement en même teins tout ce qui tems de leur donner toutes les commodités dont
est lié nécessairement avec elle. Il y avoit une le Monde fût capable; et il en est autant des
infinité d'hommes possibles également parfaits : l'é antres espèces. Je répons, que si cette commo
lection de quelques - uns d'entre eux est purement dité étoit liée nécessairement avec leur nature,
arbitraire (selon notre Auteur.) Mais Dieu les l'Auteur parleroit suivant son hypothèse; niais
ayant élus, il ne pouvoit point y vouloir ce qui cela n'étant point , il faut qu'il accorde que c'est
fût contraire à la Nature humaine. Jusqu'ici, par une nouvelle élection, indéjwndante de celle
l'Auteur parle conformément à son hypothèse; mais qui a porté faire des hommes, que Dieu a résolu
ce qui suit va plus loin: car il avance que lorsque de donner toute la commodité possible aux hom
Dieu' a résolu de produire certaines Créatures, il mes. Mais d'où vient cette nouvelle élection}
a résolu en même tems, en vertu de sa bouté in- ; vient-elle aussi d'une pure indifférence î Si cela
fiuie, de leur donner toute la commodité possible. est, rien ne porte Dieu à chercher le bien des
11 n'y a rien de si raisonnable, en effet : mais aussi hommes, et s'il y vient quelquefois, ce sera comme
il n'y a rien de si contraire à l'hypothèse qu'il a par hazard. Mais l'Auteur veut que Dieu y a été
posée, et il a raison de la renverser, plutôt que de | porté par sa bonté: donc le bien et le mal des
la laisser subsister chargée d'inconvéniens contrai Créatures ne lui est point indifférent; il y a en lui
res à la bonté et à la sagesse de Dieu. Voici com des élections primitives, où il est porté par la
ment on verra manifestement qu'elle ne sauroit bonté de l'objet. Il choisit non seulement de créer
s'accorder avec ce qu'on vient de dire. La pre des hommes, mais encore de créer des hommes
mière Question sera: Dieu créera-t-il quelque aussi heureux qu'il se peut dans ce système. Après
chose o.u non, et pourquoi? L'Auteur a répondu, cela , il ne restera même aucune indifférence
qu'il créi'ra quelque chose, pour communiquer sa pure; car nous pouvons raisonner du Monde tout
bonté. 11 ne lui est donc point indifférent de créer, entier, comme nous avons raisonné du Genre -hu
ou de ne point créer. Après cela on demande: main. Dieu a résolu de créer un Monde; mais sa
Dieu créera-t-il telle chose, ou bien une autre, et bonté l'a dû porter en même tems à le choisir tel,
pourquoi I If faudroit répondre (pour parler con- qu'il y ait le plus d'ordre , de régularité , de vertu,
séquemment) que la même bouté le fait choisir le de bonheur qui soit possible. Car je ne vois au
meilleur; et en effet, l'Auteur y retombe dans la cune apparpnce de dire que Dieu soit porté par sa
suite: mais suivant son hypothèse, il répond qu'il bonté à rendre les hommes, qu'il a résolu de
créera telle chose, mais qu'il n'y a point de pour créer, aussi parfaits qu'il se peut dans ce système,
quoi, parce que Dieu est absolument indifférent et qu'il n'ait point la même bonne, intention en
pour les Créatures, qui n'ont leur bonté que de vers l'Univers tout entier. Nous voilà doue reve
son choix. 11 est vrai que notre Auteur varie un nus à la bonté des objets; et l'indifférence pure,
l»-u là-dessus, car il dit ici (chap. 5. sect. 5. sub- où Dieu agirait sans sujet, est absolument détruite
sect. 4. v. 12.) qu'il est indifférent à Dieu de par la procédure même do notre habile Auteur,
choisir entre des hommes égaux en perfection , ou chez qui la force de la vérité, quand il a fallu ve
entre des espèces également parfaites de Créatures nir au fait , a prévalu à une hypothèse spéculative,
raisonnables. Ainsi suivant cette expression, il qui ne sauroit recevoir aucune application à la réa
choisirait plutôt l'espèce la plus parfaite: et comme lité des choses. ,
des espèces également parfaites s'acordent plus ou 23. Rien n'étant donc absolument indifférent à
moins avec d'autres, Dieu choisira les plus accom Dieu , qui counoît tous les degrés , tous les effuts,
82*
G48 LXX1U. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. K1NG.
tous les rapports des choses, et qui pénètre tout tion , j'ai déjà réfuté l'avantage qu'on lui donne de
d'un coup toutes les liaisons possibles; voyons si faire qu'on soit actif, et qu'on soit la véritable
au inoins l'ignorance et l'insensibilité de Phoinine cause de son action, qu'on soit sujet à l'imputation
le peut rendre absolument indiffèrent dans sou et à la moralité : ce ne sont pas de bonnes mar
choix. L'Auteur nous régale de cette indifférence ques de son existence. En voici une que l'Auteur
pure, comme d'un beau présent. Voici les preu allègue, qui ne l'est pas non plus: c'est que nous
ves qu'il en donne, l. Nous la sentons en nous. avons en nous une puissance de nous opposer aux
2. Nous en expérimentons en nous les marques et appétits naturels, c'est-à-dire, non seulement aux
les propriétés. 2. Nous pouvons faire voir que d'au Sens, mais encore à la Raison. Mais je l'ai déjà
tres causes qui paissent déterminer notre volonté, dit, on s'oppose aux appétits naturels, par d'au
sont insuffisantes. Quant au premier point, tres appétits naturels. On supporte quelquefois
il prétend qu'en sentant en nous la liberté , nous dos incommodités, et on le fait avec joie; mais
y sentons en môme teins l'indifférence pure. c'est à cause de quelque espérance ou de quelque
Mais je ne demeure point d'accord que nous sen satisfaction qui est jointe au mal, et qui le sur
tions une telle indifférence, ni que ce sentiment passe: on en attend un bien, ou on l'y trouve.
prétendu suive de celui de la liberté. Nous sen L'Auteur prétend que c'est par cotte puissance
tons ordinairement ou nous quelque chose qui transformât!ve des apparences qu'il a mise sur le
nous incline à notre choix ; et lorsqu'il arrive quel théâtre, que nous rendons agréable ce qui nous dé-
quefois que nous ne pouvons point rendre raison plaisoit au commencement; mais qui ne voit qne
de toutes nos dispositions, un peu d'attention pour c'est plutôt parce que l'application et l'attention
tant nous fait conaoitrc que la constitution de à l'objet, et la coutume, changeât notre disposi
notre corps, et des corps ambians, l'assiette pré tion, et par conséquent nos appétits naturels! L'ac
sente ou précédente de notre âme, et quantité de coutumance aussi fait qu uu degré de froid ou de
petites choses enveloppées dans ces grands chefs, chaleur assez considérable ne nous incommode plus,
peuvent contribuer à nous faire plus ou moins goû commeilfaisoitauparavantetiln'yapersonne qui at-
ter les objets, et à nous en faire former des juge- tribue cet effet ànotrcpuissanceélective. Aussi faut-il
liii-m divers en différons teins: sans qu'il y ait du teins pour venir à cet endurcissement, ou bien à
personne qui attribue cela h une pure indifférence, ce callus qui fait que les mains de certains ouvriers
ou à une je ne sais quelle force de l'âme , qui fasse résistent à un degré de chaleur, qui bruleroit
sur les objets ce qu'on dit que les couleurs font les nôtres. Le peuple, a qui l'Auteur appelle, juge
sur le caméléon. Ainsi l'Anteur n'a point sujet fort bien de la cause de cet effet, quoiqu'il en fasse
ici d'appel 1er au jugement du peuple: il le fait, en quelquefois des applications ridicules. Deux ser
disant qu'en bien des choses le, peuple raisonne vantes étant auprès du feu dans la cuisine, l'une
mieux que les Philosophes. Il est vrai que cer s'étant brûlée, dit à l'antre: O ma chèce, qui
tains Philosophes ont donné dans des chimères, ; pourra supporter le feu du Purgatoire! L'au
et il semble que la pure indifférence est du nom tre lui répondit: Tu es folle, mon amie, on se
bre des notions chimériques. Mais quand quel fait à tout.
qu'un prétend qu'une chose n'existe point, parce que 24. Mais, dira l'Auteur, cette puissance mer
le vulgaire ne s'en apperçoit point, le peuple ne veilleuse qui nous rend indifférais à tout, ou in
sanroit passer pour un bon juge, puisqu'il no se clinés à tout, suivant notre pur arbitre, prévaut
règle qne sur les sens. Bien des gens croient que encore à la Raison même. Et c'est sa troisième
l'air n'est rien, quand il n'est point agité par le preuve, savoir, qu'on ne sanroit expliquer
vent. La plupart ignorent les corps insensibles, le i suffisamment nosactions, sans recourir à
ffuide qui fait la pesanteur, ou le ressort, la ma- cette puissance. On voit mille gens qui mépri
tièe Magnétique; pour ne rien dire des Atomes, sent les prières de leurs amis, le conseils de lents
et d'autres substances indivisibles. Dirons -nous proches, les reproches de leurs conciences, les sup
donc que ces choses ne sont point, parce que. le plices, la mort, la colère de Dieu, l'Enfer même,
vngaire les ignore? En ce cas, nous pourrons pour courir après des sottises qui n'ont du bon et
dire aussi que l'âme agit quelquefois sans aucune du supportable, que par leur pure et franche élec
disposition ou inclination qui contribue à la faire tion. Tout va bien dans ce raisonnement, jusques
agir, parce qu'il y a beaucoup de dispositions et aux dernières paroles exclusivement. Car quand
d'inclinations qui ne sont pas assez apperçues par on viendra à quelque exemple, ou trouvera qu'il
le vulgaire, faute d'attention et de méditation. y a eu des raisons ou causes, qui ont porté
2. Quant aux marques de la puissance en ques ; l'homme à son choix, et qu'il y a des liens bien
LXXIII. REMARQUES SUH LE LIVRE DE M. K1NG. G4'J
forts qui l'y attachent. Une amourette, par exem enfant j'y ai trouvé quoique chose de dégoûtant,
ple ne sera jamais venue d'une pure indifférence ; ce qui m'a laissé une grande impression. De l'au
l'inclination , ou la passion , y aura joué son jeu : tre côté, un certain défaut naturel me plaira,
mais l'accoutumance et l'obstination pourront faire parce qu'il réveillera en moi quelque chose de l'i
dans certains naturels , qu'on se ruinera plutôt que dée d'une personne que j'estimois ou aimois. lu
de s'en détacher. Voici un antre exemple que jeune homme aura été charmé des grands applau-
l'Auteur apporte: un Athéa, tin Lacilio Vanini, disseinens qu'on lui a donnés après quelque action
(c'est ainsi que plusieurs l'appellent, au lieu que publiquo heureuse: l'impression de ce grand plai
lai même prend le nom magnifique de Giulio Ce- sir l'aura rendu merveilleusement sensible à la
sarc Vanini dans ses Ouvrages) souffrira plutôt le gloire, il ne pensera jour et nuit qu'à ce qui nour
inartyre ridicule de sa chimère, qu'il ne renoncera rit cette passion, et cela lui fera mépriser même
à son impiété. L'Auteur ne nomme point Vanmi, la mort pour arriver à son but. Car quoiqu'il
et la vérité est, que cet homme désavoua ses mau sache bien qu'il ne sentira point ce qu'on dira de
vais sentimens , jusqu'à ce qu'il fût convaincu d'a lui après sa mort, la représentation, qu'il s'en fait
voir dogmatisé , et d'avoir fait l'Apôtre de l'Athé par avance fait un graud effet sur son esprit. Et
isme. Quand on lui demanda, s'il y a voit un Dieu, il y a toujours des raisons semblables, dans les
il arracha de l'herbe , en disant : actions qui paraissent les plus vaines et les plus
Et levis est cespes qui probet esse Denm. extravagantes à ceux qui n'entrent point dans ces
Mais le Procureur Général au Parlement de Tou raisons. En un mot, une impression forte, ou
louse, voulant chagriner le Premier Président (à souvent répétée, peut changer considérablement
ce qu'on dit) chez qui Vanini avoit beaucoup d'ac nos organe, notre imagination, notre mémoire,
cès , et enscignoit la Philosophie aux enfans de ce et même notre raisonnement. Il arrive qu'un
Magistrat, s'il n'était, pas tout-à-fait son domesti homme, à force, d'avoir souvent raconté un men
que; l'inquisition fut poussée avec rigueur, et Va- songe qu'il a peut-être inventé, vient à le croire
uini voyant qu'il n'y avoit point de pardon, se enfin lui-même. Et comme on se représente sou
déclara en mourant ce qu'il étoit, c'est-à-dire Athée, vent ce qui plaît, on le rend aisé à concevoir,
en quoi il n'y a rien de fort extraordinaire. Mais et on le croit aussi aisé à effectuer: d'où vient
quand il y auroit un Athée qui s'offriroit au sup qu'on se persuade facilement ee qu'on souhaite.
plice, la vanité en poiirroit être une raison assez Et qui amant ipsi sibi somnia tiugunt.
forte en lui aussi - bien que dans le Gymnosophiste 25. Les erreurs ne sont donc jamais volontai
Calanus, et dans le Sophiste dont Lucien nous rap res, absolument parlant, quoique la volonté y con
porte la mort volontaire par le feu. Mais l'Au tribue bien souvent d'une manière indirecte, à
teur croit que cette vanité même, cette obstination, canse du plaisir qu'on prend à s'abandonner à cer
ces antres vues extravagantes des gens, qui d'ail taines pensées, ou à cause de l'aversion qu'on se
leurs partissent de fort bon sens, ne sauroieut sent pour d'autres. La belle impression d'uu
être expliquées par les appétits qui viennent de la Livre contribuera à la persuasion du Lecteur.
représentation du bien et du mal, et qu'elles nous L'air et les manières de celui qui parle lui gagne
forcent de recourir à cette puissance transcendante ront l'auditoire. On sera porté à mépriser des
qui transforme i« bien en mal , et le mal en bien, doctrines qui viennent d'un homme qu'on inéprise
et l'indifférent en bien ou en mal. Mais nous n'a ou qu'on hait, ou d'un autre qui lui ressemble en
vons pAnt besoin d'aller si loin , et les causes de quelque chose qui nous frappe. J'ai déjà dit pour
nos erreurs ne sont que trop "visibles. Eu effet, quoi on se dispose aisément à croire ce qui est
nous pouvons faire cos transformations; mais ce utile ou agréable, et j'ai connu des gens qui au
n'est pas comme chez les Fées, par un simple acte commencement avoicnt changé de Religion par des
do cette puissance magique; mais parce qu'où ob considérations mondaines, mais qui ont été persua
scurcit et supprime dans son esprit les représen dés, et bien persuadés, depuis qu'ils avoieut pris
tations des qualités bonnes ou mauvaises, jointes le bon parti. On voit aussi que l'obstination
naturellement à certains objets; et parce qu'on n'est pas simplement une mauvaise élection qui
n'y envisage que celles qui sont conformes à notre persévère, mais aussi une disposition à y persé
goût ou à nos préventions; ou même parce qu'on vérer, qui vient do quelque bien qu'on s'y figure,
y joint, à force d'y penser, certaines qualités, qui ou de quelque mal qu'on se figure dans le change
ne s'y trouvent liées que par accident, on par notre ment. La première élection a peut-être été faite
coutume de les envisager. Par exemple, j'abhorre par légèreté; mais le dessein do la maintenir vient
toute ina vie uuo bonne nourriture, parce qu'étant de quelques raisons, ou impressions plus fortes.
650 LXXHI. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING.
11 y a mémo quelques Auteurs de Morale, qui en exemple le plaisir de paroitre indépendans , et de
seignent qu'on doit maintenir son choix, pour ne faire une action extraordinaire. Il y eut autrefois
point être inconstant, ou pour ne le point paroi- à la Cour d'Osnabrug un Précepteur des Pages,
tre. Cependant une persévérance est mauvaise, I qui, comme un autre Mucius Scaevola, mit le bras
quand on méprise les avertissemens de la Raison, dans la flamme et pensa gagner une gangrène,
surtout quand la matière est assez importante pour pour montrer que la force de son esprit étoit plus
être examinée avec soin : mais quand la pensée du grande qu'une douleur fort aiguë.- Peu de gens
changement est désagréable, on en détpurne faci i l'imiteront, je pense; et je ne sais même, si l'on
lement l'attention ; et c'est par - là le plus souvent trouverait aisément un Auteur, qui après avoir
qu'on s'obstine. L'Auteur, qui a voulu rapporter ! soutenu une puissance capable de choisir sans su
l'obstination à son indifférence pure prétendue, jet, on même contre la Raison, voudroit prouver
pouvoit considérer qu'il falloit autre chose pour son Livre par son propre exemple, en renonçant à
s'attacher à une élection, que l'élection .toute seule, quelque bon bénéfice ou à quelque belle charge,
ou qu'une indifférence pure; sur-tout si cette élec purement pour montrer cette supériorité de la Vo
tion s'est faite légèrement; et d'autant plus légè lonté sur la Raison. Mais je suis sûr au moins,
rement, qu'elle s'est faite avec plus d'indifférence; qu'un habile homme ne le feroit pas, qu'il s'apper-
auquel cas on viendra facilement à la défaire, à cevroit bien -tôt qu'on rendroit son sacrifice inu
inoins que la vanité, l'accoutumance, l'intérêt, ou tile, en lui remontrant qu'il n'auroit fait qu'imi
quelque autre raison nous y fassent persévérer. Il ter Héliodore Evèque de Larisse , à qui son Livre
ne faut point aussi s'imaginer que la vengeance de Théagène et de Chariclée fut (à ce qu'on dit)
plaise sans sujet. Les personnes dont le sentiment plus cher que son Evêché: ce qui se peut facile
est vif y pensent jour et nuit, et il leur est diffi ment, quand un homme a de quoi se pa-ser de sa
cile d'effacer l'image du mal ou de l'affront qu'ils charge, et quand il est fort sensible à la gloire.
ont reçu. Ils se figurent un très -grand plaisir à Aussi trouve-t-on tous les jours des gens qui sacri
être délivrés de l'idée du mépris, qui leur revient fient leurs avantages à leurs caprices, c'est-à-dire
à tout moment, et qui fait qu'il y en a à qui la des biens réels à des biens appareils.
vengeance est plus douce que la vie: 26. Si je voulois suivre pas à pas les raison
Queis vindicta bonum vitâ jucundius ipsâ. neinens de notre Auteur, qui reviennent souvent
L'Auteur nous voudroit persuader qu'ordinaire à ce que nous avons déjà examiné , mais qui y re
ment , lorsque notre désir , on notre aversion va à viennent ordinairement avec quelque addition élé
quelque objet qui ne le mérite pas assez, on lui a gante et bien tournée, je serois obligé d'aller trop
donné le surplus de bien ou de mal dont on est loin: mais j'espère de pouvoir m'en dispenser,
touché, par la prétendue puissance élective, qui après avoir satisfait , ce semble, à toutes ses rai
fait paroitre les choses bonnes ou mauvaises comme sons. Le meilleur est, que la pratique chez lui
l'on veut. Ou a eu deux degrés de niai naturel, corrige et rectifie ordinairement la théorie. Après
ou se donne six degrés de bien artificiel, par la avoir avancé dans la seconde Section de ce
puissance qui peut choisir sans sujet : ainsi on aura chapitre cinquième, que nous approchons de Dieu
quatre degrés de bien franc (chap. 5. sect. 2. §. 7.) par le pouvoir de choisir sans raison , et que cette
Si cela se pouvoit pratiquer, on iroit loin, comme puissance étant la plus noble, son exercice est le
je l'ai dit ci dessus. 11 croit même que l'ambition, plus capable de rendre heureux; choses les plus
l'avarice, la manie du jeu, et autres passions fri paradoxes du monde, puisque nous imitons plutôt
voles empruntent tout leur pouvoir de cette puis Dieu par la Raison, et que notre bonheur con
sance (chapitre 5. sect. 5. subsect. 6.): mais il y siste à la suivre: Après cela, dis-je, l'Auteur y
a d'ailleurs tant de fausses apparences dans les cho apporte un excellent correctif, car il dit fort bien
ses, tant d'imaginations capables de grossir ou de §. 5. que pour être heureux, nous devons accom
diminuer les objets, tant de liaisons mal fondées moder nos élections aux choses, puis que les cho
dans nos raisonneinens , qu'on n'a point besoin de ses ne sont guères disposées à s'accommoder à
cette petite Fée, c'est-à-dire de cette puissance in nous; et que c'est en effet s'accommoder à la vo
terne qui opère comme par enchantement , et à qui lonté Divine. C'est bien dit, sans doute; mais
l'Auteur attribue tons ces désordres. Enfin j'ai c'est dire en même teins, qu'il faut que notre vo
déjà dit plusieurs fois, que lors que nous nous ré lonté se règle, autant qu'il est possible, sur la réa
solvons à quelque parti contraire à la raison re lité des objets , et sur les véritables représentations
connue, sous y sommes portés par une autre rai- du bien et du mal; et par conséquent que les mo
sou plus forte eu apparence, comme est par tifs du bicu et du mal ne sout point contraires à
LXX1II. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING. C51
la libellé , et que la puissance de choisir sans su rent un changement de l'ordre naturel; mais il
jet, bien loin de servir à notre félicité, est inutile, semble qu'ils se trompent, selon son sentiment. Dans
et même très dommageable. Aussi se trouve-t-il le fond, les hommes se contenteront d'être exau
heureusement qu'elle ne subsiste nulle part, et que cés, sans se mettre en peine, si le cours de la Na
c'est un Etre de raison raisonnante, comme ture est changé en leur faveur, ou non. Et s'ils
quelques Scolastiques appellent les fictions qui ne sont aidés par le secours des bons Anges , il n'y
sont pas même possibles. Pour moi, jaurois mieux aura point de changement dans l'ordre général des
aimé les appeller des Etres, de Raison non choses. Aussi est-ce un sentiment très raisonnable
raisonnante. Je trouve aussi que la Sec de notre Auteur, qu'il y a un système des substan
tion III. (des Elections indues) peut passer, puis ces spirituelles, aussi-bien qu'il y en a un des cor
qu'elle dit qu'on ne doit point choisir des choses porelles, et que les substances spirituelles ont un
impossibles, inconsistantes, nuisibles, contraires à commerce entre elles, comme les corps. Dieu se
la Volonté Divine, préoccupées par d'autres. Et sert du ministère des Anges pour gouverner les
l'Auteur remarque très -bien qu'en dérogeant sans hommes , sans que l'ordre de la Nature en souffre.
besoin à la félicité d'autrui, on choque la Volonté Cependant il est plus aisé d'avancer ces choses que
Divine, qui veut que tous soient heureux autaut de les expliquer, à moins que de recourir à mon
qu'il se peut. J'en dirai autaut de la IV. Sec système de l'harmonie. Mais l'Auteur va un peu
tion, joù il est parlé de la source des élections in plus avant. 11 croit que la mission du Saint Esprit
dues, qui sont Terreur on l'ignorance, la négli étoit un grand miracle au commencement, niais
gence, la légèreté à changer trop facilement l'ob qu'à présent ses opérations en nous sont naturelles.
stination à ne pas changer à tems, et les mauvai Je lui laisse le soin d'expliquer son sentiment, et
ses habitudes; enfin l'importunité des appétits, qui d'en convenir avec d'autres Théologiens. Cepen
nous poussent souvent mal à propos vers les cho dant je remarque qu'il met l'usage naturel des
ses externes. La cinquième Section est faite prières, dans la force qu'elles ont de rendre l'âme
pour concilier les mauvaises élections ou les péchés meilleure, de surmonter les passions, et de s'atti
avec la puissance et la honte de Dieu ; et comme rer un certain degré de grâce nouvelle. Nous pou
cette section est prolixe, elle est partagée en sub vons dire les mêmes choses à peu près dans notre
sections. L'Auteur s'est chargé lui-même sans be hypothèse, qui fait que la volonté n'agit que sui
soin d'une grande objection : Car il soutient que vant des motifs; et nous sommes exemts des dif
sans la puissance de choisir, absolument indiffé ficultés, où l'Auteur s'est engagé par sa puissance
rente dans le choix, il n'y auroit point de péché. de choisir sans sujet. Il se trouve encore bien em
Or il étoit fort aisé à Dieu de refuser aux Créatu barrassé par la prescience de Dieu ; car si l'âme est
res une puissance si peu raisonnable ; il leur suf- parfaitement indifférente dans son choix, comment
fisoit d'être mues par les représentations des biens est-il possible de prévoir ce choix , et quelle rai
et des maux : il étoit donc aisé à Dieu d'empêcher son suffisante pourra- 1- on trouver de la connois-
le péché, suivant l'hypothèse de l'Auteur. 11 ne sance d'âne chose, s'il n'y en a point de son êtrel
trouve point d'autre ressource pour se tirer de L'Auteur remet à un antre lieu la solution de cette
cette difficulté, que de dire que cette puissance difficulté, qui demanderait (selon lui) un Ouvrage
étant retranchée des choses, le Monde ne seroit entier. Au reste, il dit quelquefois de bonnes cho
qu'une' machine purement passive. Mais c'est ce ses sur le mal moral, et assez conformes à nos
qu'on a réfuté assez. Si cette puissance manquait principes. Par exemple, lorsqu'il dit (snbsect. VI )
au Monde, comme elle y manque en effet, on ne que les vices et les crimes ne diminuent point la
s'en plaindrait guères. Les âmes se contenteront beauté de l'Univers, et l'augmentent plutôt; comme
fort bien des représentations des biens ou des certaines dissonances offenseraient l'oreille par leur
maux, pour faire leurs élections, et le Monde de dureté, si elles étoient écoutées tontes seules, et ne
meurera aussi beau qu'il est. L'Auteur revient à laissent point de rendre l'harmonie plus agréable
ce qu'il avoit avancé ci-dessus, que sans cette puis dans le mélange. Il remarque aussi plusieurs biens
sance, il n'y auroit point de félicité; mais on y a renfermés dans les maux, par exemple, l'utilité
répondu suffisamment, et il n'y a pas la moindre de la prodigalité dans les riches et de l'avarice dans
apparence dans cette assertion, et dans quelque au les pauvres : en effet , cela sert à faire fleurir les
tres ]>aradoxes qu'il avance ici pour soutenir son Arts. Il fait considérer ensuite aussi , que nous
paradoxe principal. ne devons point juger de l'Univers par la peti
27. Il fait une petite digression sur les prières tesse de notre Globe , et de tout ce qui nous est
(subsect. 4.) et dit que ceux qui prient Dieu, espè connu, dont les taches ou défauts peuvent être
652 LXXIII. REMARQUES SUR LE LIVRE DE M. KING.
aussi utiles à relever la béante du reste, que les de Dieu, quoiqu'ils s'attirent leur malheur eux-mê
mouches, qui n'ont rien de beau par elles- mêmes, mes. Il soupçonne pourtant que ces peines des
sont trouvées propres par le beau sexe à embellir méchans apportent quelque utilité aux gens de
le visage entier, dont elles enlaidissent pourtant la bien, et il doute encore s'il ne vaut pas mieux
partie qu'elles couvrent. Cotta chez Cicéion avoit être damné , qu'être rien ; puisqu'il se pourroit que
comparé la Providence, lorsqu'elle donne la Raison ! les damnés fussent des gens insensés, capables de
aux hommes , à un Médecin , qui accorde le vin à s'obstiner à demeurer dans leur misère, par un cer
un malade, nonobstant qu'il prévoit l'abus qu'il en tain travers d'esprit, qui fait, selon lui, qu'ils s'ap
fera aux dépens de sa vie. L'Auteur répond que plaudissent dans leurs mauvais jngemens au milieu
la Providence fait ce que la sagesse et la bonté de leur misère, et se plaisent à controller la vo
demandent, et que le bien qui en arrive est plus lonté de Dieu. Car on voit tous les jours des gens
grand que le mal. Si Dieu n'avoit point donné chagrins, malins, envieux, qui prennent plaisir à
la Raison à l'homme, il n'y auroit point d'homme penser à leurs maux, et cherchent à s'affliger eux-
du tout, et Dieu serQit comme un Médecin qui tueroit mêmes. Ces pensées ne sont pas a mépriser, et
quelqu'un pour l'empocher de devenir malade. On j'en ai en quelquefois d'approchantes ; mais je n'ai
peut ajouter que ce n'est pas la Raison qui est garde d'en juger décisivemcnt. J'ai rapporté dans le
nuisible en soi , mais le défaut de la Raison ; et §. 271. des Essais opposés à M. Bayle. la fable
quand la Raison est mal employée, on raisonne du Diable refusant le pardon qu'une Heruiite lai
bien sur les moyens, mais on ne raisonne pas as offre de la part de Dieu. Le Baron André Tai-
sez sur le but ou le mauvais but qu'on se propose. fel Seigneur Autrichien, Cavalleri/zo maggior
Ainsi c'est toujours faute de Raison, qu'on fait de Ferdinand Archiduc d'Autriche, depuis Eui-
une mauvaise action. II propose aussi l'objection ]>creur second .du nom faisant allusion à son
d'Epicure chez Lactanee dans son Livre de la co nom (qui semble signifier un Diable en Àl\e-
lère de Dieu, dont voici les termes à peu près: mand) prit pour Symbole nu Diable ou Satyre,
On Dieu veut ôter les maux, et ne peut pas en ve avec ce mot Espagnol, mas perdido y menos
nir à bout, en quel cas il serait foible; on il peut , arrepentido, plus perdu, et moins repentant;
les ôter , et ne veut pas , ce qui marquerait de la ce qui marque une passion sans espérance, et dont
malignité en lui ; ou bien il manque de pouvoir et on ne se peut détacher. Et cette devise a été ré
de volonté tout à la fois, ce qui le ferait paraître pétée depuis par le Comte de Villamediana Espa
foible et envieux tout ensemble; ou enfin il peut gnol . quand on le disoit amoureux de la Reine.
et vent, mais en ce cas , on demandera pourquoi il Venant à la question, pourquoi il arrive souvent
no le fait donc pas, s'il existe? L'Auteur répond du mal aux bons, et du bien aux méchans, notre
que Dieu lie peut pas ôter les maux, et qu'il ne le illustre Auteur croit qu'on y a assez satisfait, et
vent pas non plus, et que cependant il n'est point qu'il ne reste point de scrupule là -dessus. 11 re
malin, ni faible. J'aurais mieux aimé dire qu'il marque cependant, qu'on peut douter souvent si
peut les ôter, mais qu'il ne le veut pas absolu les bons qui sont dans la misère, n'ont pas été rendus
ment , et que c'est avec raison ; parce qu'il ôteroit bons par leur malheur même , et si les méchans heu
les biens en même tems, et qu'il ôteroit plus de reux n'ont peut-être pas été gâtés par la prospérité.
bien , que de mal. Enfin notre Auteur ayant fini 11 ajoute, que nous sommes de mauvais Juges, quand il
son savant Ouvrage, il y joint un Appendice, s'agit de connoître non seulement un homme de bien
où il parle des Loix divines. Il distingue fort mais encore un homme heureux. On honore souvent
bien ces Loix en naturelles et positives. 11 re un hypocrite , et l'on méprise un autre dont la so
marque que les Loix particulières de la gature des lide vertu est sans affectation. On se connaît f "
Animaux doivent céder aux Loix générales des aussi en bonheur, et souvent la félicité est mécon
covps; que Dieu n'est pas proprement en colère, nue sous les liaillons d'un pauvre content, pendant
quand ses Loix sont violées, mais que l'ordre a qu'on la cherche en vain dans tes Palais de quel
voulu que celui qui pèche s'attirât un mal, et que ques Grands. Enfin l'Auteur remarque que la plus
celui qui fait violence aux autres en souffre à son grande félicité ici -bas consiste dans l'espérance an
tour. Mais il juge que les Loix positives de Dieu bonheur futur, et qu'ainsi on peut dire qu'il n'ar
indiquent et prédisent plutôt le mal , qu'elles ne le rive rien aux méchans qui ne serve à l'amendement
font infliger. Et cela lui donne occasion de par on an châtiment, et qu'il n'arrive rien aux bons qui
ler de la damnation éternelle des médians, qui ne ne serve à leur plus grand bien. Ces conclusions
sert plus à l'amendement, ni à l'exemple, et qui reviennent entièrement à mon sens, et on ne saurôit
ne laisse pas de satisfaire à la justice vindicative rien dire de plus propre à finir l'Ouvrage.
CAUSA DEI ASSERT A
PER JUSTITIAM EJUS
CUM CAETERIS EJUS PERFECTIONIBUS CUNCTISQUE ACTION1BUS CONCILIATAM.
1. Apologetica Causac Dei Tractatio existant, rcalitatem habet fundatam in divina exi-
non tautuin ad divinam gloriam, sed ctiam ad stentia : nisi enim Deus cxisteret, nihil possibilo fo
uostram utilitatcm portinct, ut tum maguitudincm
ret; et possibilia a(> aeteruo sunt in ideis divini in-
tellectus.
ejus, id est potentiam sapientiamque colamus, tnm
ctiara bonitatein, et quae ex ea derivantur, justi-
9. Actnalia dcpendent.a Deo tum in exi
stendo, tum in agendo, noc tantain ab iutcllecta
tiaui ac sanctitatem ainetnus , quantumque in nobis
ejus, sed etiam a voluotate. Et quidem in exi-
est imiteinur. Hujus TVactatiouis duae sunt partes:
steudo, dum omnes res a Deo libère sunt creatae,
prier praeparatoria magis, altéra principalis censeri
potest; prior spectat Divinam Magnitudinem, atque etiam a Deo conservantur ; neque mâle cloce-
Bonitstetnque separatirn; posterior perti- tur, conservationein diviuaui esse coutiauatam crea-
tioneui, ut radius continuo a sole proditj etsi crea-
nentia ad utramque junctim , in quibus sunt Pro-
videutia circa omnes creaturas, et Regimen turae neque ex Dei csseutia, neque necessario , pro
marient.
circa intelligentes, praesertim in uegotio pictatis
et salutis. 10. In agendo res dépendent a Deo, dura
Deus ad rerum actiones coucurrit; quatenus inest
2. Magnitudinis Divinae potius quara Bonitatis
actionibus aliquid pcrfcctionis, quae utiqne a Deo
rationem habuere Theologi rigidiores; at laxiores
contra: utraque perfuctio aeque curac est vere Or-
manare débet.
thodoxis. Error Magnitudiuem Dei iufringentiuui 11. Concursus antcm Dei (etiam ordinarius
Anthropomorphisnius, Bonitateiu tollentium sou non miraculosus) simili et immediatus est et
Despotismus appcllari posset. specialis. Et quidem immediatus, quoniam ef-
1 feetus non ideo tantum a Deo dependet, quia causa
3. Magnitude Dei studiose tuenda est con
tra Socinianos imprimis, et quosdam Semisoci- ejus a Deo orta est, sed etiam quia Deus non mi-
nianos, in quibus Couradus Vorstius hic I nus, neque rernotius, in ipso effectu producendo
maxime puccavit. Revocari autem illa potest ' concurrit, quam in produccnda ipsius causa.
ad duo capita sumuia, oirmipoteutiani et ouini- 12. Specialis vero est coucursus, quia non
scientiam. tantum ad existentiam rei actusque dirigitur, sed et
ad existendi modurn et qualitates, quatenus ali
4. Omnipotentia complectitur tum Dei in-
quid perfectionis illis inest, quod semper a Deo
dcpemlcntiam ab aliis, tuin omnium dépendetitiam
ab ipso. produit, pâtre luminutn, omnisquc boni datore.
5. Independentia Dei in existendo elncet, 13. Hactenus de potentia Dei, nunc de sapien-
et in ageudo. Et quidem in existendo, dura tia ejus, quae ob immensitatem vocatnr Ouiui-
scientia. Haec cnm et ipsa sit perfectissiuia,
est necessarius et aeternus, et, ut vulgo loquuutur,
eus a se: Unde etiain consequens est immen- (non minus quara Omnipotentia) complectitur om-
sum esse. nem ideam et omnem veritatem ; id est, omnia tara
6. In agendo independens est naturalitor et
incoinplexa, quam complexa, quae objectnm intel-
moraliter. Naturaliter quidem, dum est liberri-
lectns esse possnnt: et versatur itidetn tara circa
1 1 1 ii . née, nisi a se ipso, ad agendum determiuatur ;
possibilia, quam circa actualia.
moraliter vero, dum est di'uneuZruvoç, seu supe- 14. Possibilinm est, quae vocatnr Scie n-
riorem non habct. tia simplicis intelligentiae, quae versatur
7. Dependentia rerum a Deo extenditar tam in rébus, quam in earum conuexionibus ; et
tum ad omnia possibilia, seu quae non implicant
utraeque sunt tam necessariae, quam contingentes.
contraclictionem; tum etiain ad omnia actnalia. 15. Possibilia contingentia spectari pos-
8. Ipsa rernm possibilitas, cum actn non sunt tum ut sejuncta, tum ut coordinata in inte
83
6f>4 LXXIII. CAUSA BEI.
gros Mumlos possibiles infinitos, qnornm quilibet Obstaret, si non, nisi nnnm, foret volnntatis ob-
Deo est perfecte cognitas, ctsi ex illis non, nisi jectuin possibile , sen si una tantum possibih's re-
unicas, ad existentiam perducatur: neque euim plu- rum faciès fuisset; quo casu cessaret electio, née
res Mundos actaales fmgi ad rem facit, cmn UDUS sapientia bonitasque agentis laudari posset.
nobis totam Uuiversitatoin Creaturarnm cujuscun- 22. Itaqne errant, aut certe incommode adino-
qne loci et temporis eomplectatur, coque sensu hoc nuiii loqnntur, qui ea tantum possibilia dicont,
loco Mundi voeabulutu usurpatur. quae actu fiunt, seu quae Deus elegit; qui fuit la
16.ScientiaActualiuiH;SeuMundi ad existentiam psus Diodori Stoici apud Ciceronem, et inter
perdncti, et omnium ineo praeteritorum , praesen- Chrislianos Abailardi, \V~iclefi, Hobbii.
tinm'et futurorum, vocatur Scientia visionis: Sed iufra plura de libertatc diceutur, ubi humana
née differt a Scieutia simplicis intelligentiac hujus tucnda erit.
ipsius Mundi,. spectati ut possibilis, quam quod 23. Haec de Yolnutatis natnra; sequitur Vo
accedit cognitio reflexiva, qua Dons novit suum de- luntatis divisio, quae in usum nostrum prae-
cretum de ipso ad existentiam pcrdùcendo. Née sentem est potissimum duplex: una in anteceden-
alio opus est divinae praescientiae fnndamento. tem et consequenteni, altéra in prodactivam et
17. Scientia vulgo dicta Media, sub Scien pcrmissivam.
tia simplicis intelligcntiae comprehenditur, eo, 24. Prier divisio est, ut Yolnntas sit vel an-
quem exposuimns, sensu. Si quis tamen Scientiam tecedens sen pracvia, vel conscqueiis seu finalis
aliqnam Mediam velit inter Scientiam simplicis in- sive, quod idem est, ut sit vel inclinatoria vel de-
telligentiae, et Scientiam visionis; poterit et illam cretoria; illa minus plena, haec plena ve/ absolata.
et Mediam aliter concipere, quam vulgo soient, scili- Equideni solet aliter (prima quidem specie) expli-
cet ut Media non tantuin de futuris sub condi- cari baoc divisio a nonnnllis, ut antecedens Dei vo
tione, sed et in universum de possibilibus contin- luntas (verbi gratia, orones salvandi) praecedat
gentibus accipiatur. Ita Scientia simplicis intelli- cousiderationcm ; consequens autt-m, (verbi gratia,
gentiae restrictins snmetnr, nempe ut agat de veri- quosdatn damnandi) eam sequatnr. Sed illa prae-
tatibus possibilibus et necessariis; Scientia Media cedit etiam alias Dei voluntates, haec sequitor;
de veritatibus possibilibus et contingentibus, Scien cum ipsa facti creaturarum consideratio, non tan
tia visionis de veritatibus contingentibus et actuali- tuin a quibusdam Dei voiuntatibus praesupponatnr,
bus. Et média cum prima commune babebit, quod sed etiam quasdam Dei Voluntates, sine qnibos
de veritatibus possibilibus agit; cum postrema, quod factnm creaturarum supponi nequit, praesupponat.
de contingentibus. Itaqne Thomas et Scotus, aliique divisioncm
18. Hactenus de divina Magnitndine, nunc aga- banc, eo, quo nunc utimur, sensu sumunt, ut vo-
mus ctiam de Divina Bonitate. Ut autctn Sa- luntas antecedens ad Bonum aliquod in se, et par-
pientia, seu veri cognitio, est perfectio intellectus, ticulariter, pro cujusque gradu, feratur, unde haec
ita Bonitas, seu boni adpetitio, est perfectio volun- voluntas est tantum secnnduin quid ; voluntas au
tatis. Et omnis quidem voluntas bonum habct tem consequcus spectet totale, et ultimam determi-
pin objecte, saltem adparens, at divina voluntas nationem contineat; unde est absoluta et decreto-
non nisi bonum si nu il et verum. ria; et cnm de divina sermo est, semper effectam
19. Spectabiuius ergo et Voluntatem, et obje- plénum obtinet. Cacteram, si quis nostram ex-
ctnm ejus, ncmpe Bonum et Malum, quod rationem plicationem nolit, cum eo de vocabulis non litiga-
praebet volendi et nolendi. In Voluntate autem bimus: pro antécédente et conséquente substituât,
spectabimns et naturam *!Jns et species. si volet, praeviam et finalem.
20. Ad Voluntatis naturam requiritnr Li 25. Voluntas antecedens omnino séria est
ber tas, quae consistit ineo, ut actio voluntaria et pura, non confundenda cum velleitate, (ubi quis
sit spontanea ac deliberata, atqne adeo, ut exclu- vellet, si posset, velletque posse) quae in Deam
dat necessitatem , quae deliberationem tollit. non cadit; née cum volutitatc conditionali , de qaa
21. Nécessitas excluditur Metaphysica, hic non agitur. Tendit autem voluntas antecedens
cujus oppositum est iinpossibile , seu implicat con- in Deo ad procurandum ouine botram, et ad re-
tradictionem ; sed non Moral is, cnjus oppositum pellendnm omne malum , quatenus tatia sunt , et
est inconveniens. Etsi enim Deus non possit er- proportione gradus, quo bona uialave sunt. Qoam
rare in eligendo, adcoqne eligat semper, quod est séria autem haec voluntas sit, Deus ipse declaravit,
maxime eonveniens; hoc tamen ejus libertati adeo cum tanta adseveratione dixit, se nolle mortetu pec-
non obstat, ut eam potius maxime perfectam reddat. catoris, vclle omncs salvos, odisse peccatam.
LXX1II. CAUSA DEI. G55
26. Voluntas consequeus oritar ex omnium omnium felJcitatcm et virtutetu, et uuumquod-
voluutatum autecedentium concursu , ut scili- que bonorum pro gradu suae bonitatis, ut jam
cet, quando ouinium eflectus simul stare IIOD pos- dictum est.
sunt, obtineatur iude, quantus maximas cfiectas pcr 34. Mala, etsi non cadant in voluntatem Dei
sapicntiaiu et potentiam obtineri potest. Haec vo- autecedentem , nisi quatcnus ea ad remotioncm eo-
loiitas etiant Decrctum adpellari solct. rum tendit, cadunt tamen interdum, sed indirecte
27. Unde patet, voluntatcs etiam antécédentes in consequcntem : quia interdum majora bona ipsis
uon oui ni no irritas esse, sed efficaciam suam ba- remotis obtineri non possunt, quo rasu rcuiotio
bere; qui etsi effectua earuiu obtinetur, IIOQ seni- malorum non piano perducitur ad effectum , et con-
pcr sit plenus , seil pcr concursum aliarum voîun- sistens intra voluntatem antecedcntem , non pro-
tatuni antecedentium rcstiictus. At voluutas de- rutnpit in cousequcntem. Unde Thomas de
cretoria, ex omnibus incliuatoriis resnltans, semper Aquino post Augustinum non incommode
plénum efl'ectuin sortitur , quotics poteiitia non de- dixit, l)cn in permittere quaedam inala fieri, ne
est in volente: queinadinoduiu certe in Deo déesse multa boua impcdiantur.
iiequit. Nempe in sola voluntate decretoria locum j 35. Mala Metaphysica et Physica, (veluti im-
habet Axiouia: qui potest et vnlt, ille facit; i perfectiones in rébus, et mala poenau in personis)
quippe cuui eo ipso scientiam requisitam ad agen- i iuterdum fiunt boua subsidiata, tauquam média
dum sub potentia comprehendendo, jain nihil iutus ad majora boua.
vxtraquc action! dcesse poiiatur. Neque vero ali- 36. At malum morale, seu malum culpae, nun-
qnid felicitati pcrfectionique volentis Dei decedit, quam rationein medii habet, neqnc enim (Apostolo
dum non ouinis ejus voluutas cifectuui plénum sor monente) facienda snnt inala, ut eveniaut bona;
titur: quia enim bona non vult, uisi pro gvadu bo- sed interdum tamen rationein habet conditionis,
nitatis , quae in nnoquoque est ; tum maxime ejus qnani vocant, sine qua non, sive colligati et con-
\ isliiiilati satisfit , i mu optimum rcsultans obti comitantis; idest, sine quo bouuni dobitum obti
netur. neri uequit; sub bono autetn debito etiam privatio
28. Posterior Voluutatis divisio est in mali débita contiuetnr. Malum autem admittitur
productivam circa proprios actus, et perinis- non ex principio necessitatis absolutae, sed ex priu-
sivain circa alienos. Quaedam enim interdum cipio convenientiae. Ratioueui enim esse oportct,
permittere licet, (id est, non inipedire) quae facere cur Deus malum permittat potius, quam non per-
uon licet, velut peccata , de quo inox. Et permis- mittat: mtio autem diviuae voluntatis uou, uisi a
sivao voluntatis objectum proprium non id est, bono, su mi potest.
iiii'iil pcrmittitiir, sed permissio ipsa. 37. Malum etiam culpao nunquam in Deo ob
29. tlactenus de Voluntate, nunc de Rationc jectum est voluntatis productivae, sed tautum ali-
Voleudi, seu Bono et Malo. Utrnmqne tri quaudo pcrmissivae; quia ipsc lumquam peccatuin
plex est, Metapbysicum , Physicum et Morale. facit, sed tautum ad summum aliquaudo per-
30. Metaphysicum gcncratim consistit in re- niittit.
riiiu etiam non intelligentium peiTectione et impcr- 38. Ceneralis autem Régula est permittendi pcc-
fectionc. Lilioruui campi et passerum curam a l'ut iv cati, Deo homiuique communis, ut nemo permittat
coelesti geri Christus dixit, et brutoruui animan- peccatum alicnum, uisi iuipedicndo ipsemet actmu
t ii un ut.ni ici ii Deus habet apud Jouani. pravuni excrciturus esset. Et, ut vcrbo dicam,
31. IMiysicum accipitur s|>ociatim du subsfun- peccatnm peruiitti nuuquam licet, uisi cum dé
tiarum intelligentium commodis et incounnodis, bet, de quo distinctius infra §. 66.
quo pertinet mal uni poenac. 39. Deus itaque inter objecta voluutatis habet
32. Morale de earuut actiooibus virtnosis ot optimum, ut finein ultitnnm; sed bouum ut qua*
vitiosis, qtio pertinet mal u m cnlpae: et malum lemcumqiie, etiam subalternum, res vero indiffé
physicutu hoc sensu a morali oriri solet, etsi non rentes, itemque mala poenae saepe ut média; at
semper in iisdem subjectis; sed haec tamen, quae malum culpae non nisi ut rei alioqni debitae coii-
videri possit aberratio, cum fructu corrigitur, ut ditionem sine qua uon; eo sensu, quo Christus
innocentes nollent passi DOII esse. add. iofra dixit oportere, ut scandala existant.
§. 55. 40. Hactenus de magnitudine et de bonitatc se-
33. Deus vult bona per se antecedcnter ad mi paratim ea diximus, quae praeparatoria liujus Tra-
nimum; uempc tam renim perfectiones in uuiver- clationis videri possunt; nuuc agamus de pcrti-
suui, qiiam spcciatiiu substautiaruin iutclligeutium ueutibus ad utraïuquo junctim. Couiiuuuiu crgo
83*
G5G LXXIII. CAUSA DEI.
magnitudinis et bonitatis hic sunt, qnac nou cideret in sophisma, quod jam vcteres igna-
ex sola bonitate, sed etiam ex inagnitudine, (id est, vum adpellabant. add. infra, §. 106. 107.
sapientia et potentia) proficiscnntur: facit eaini 46. Sapientia autem innnita Omnijx>tentis , bo-
magnitude, ut bonitas effectuui suum consequatar. nitati ejas immensae juncta, fecit , ut nihil potocrit
Et bonitas refertur vel ad crcaturas in universum, fieri uielius, omnibus couiputatis, quam quod a
vel speciatim ad intelligentes. Priore modo cura Deo est factum; atque adeo, ut omuia sint per-
magnitudine constituit providentiam in Universo fecte harmonica, couspirentqne pulcherrime intcr
creando et gubernando; posteriore, justitiam in se: causae formates, seu animae, cuin causis niate-
regendis speciatim substautiis rationc pracditis. rialibus, seu corporibn»; causae efficientes, seii na-
41. Quia bonitatem Oui, in creaturis sese gene- turales, cum finalibus, seu moralibns; regnnm gra-
ratitn exerentem, dirigit sapieutia; consequens est, tiae cum regno naturae.
providentiam divinam sese ostendere in tota 47. Et proinde, qnotiescnnqae aliquid reprc-
série Universi; dicendumque , Deuin ex infinitis hcnsibile videtur in operibus Dei, judicandnm est,
possibilibns seriebus reraiu elcgisse optimam ; eam- id nobis non satis nosci; et sapientem. qui intelli-
que adeo esse banc ipsain, quae actu existit. Omnia geret, judicaturum , ne optari quidem posse me-
'•H ii M in Uaivcrso sunt harmonica iuter se, née liora.
sapientissimus, nisi omnibus perspectis, decernit, 48. Unde porro sequitnr nihil esse felicius,
atque adeo non, nisi de toto. In partibus, siugu- quam tam bono Domino servire, atque adeo Denm
gulatim sumtis, voluntas praevia esse potest, in super omnia esse amaudum, eique penitus confi-
toto decretoiïa intelligi débet. dendum.
42. Unde adcurate loquendo, non opus est or- 49. Optimae antetn série! rernm (ncmpe ho/os
dinc Decrctoram divinorum; sed dici potest, uni- ipsius) eligendae maxima ratio fuit Christus &fàv-
cnni tantum fuisse Decrctum Dei, ut haec scilicet JJ-pcOTtoi; . sed qui, quatenus creatara est ad sum
séries rcrnm ad existentiam pcrveniret; post quam mum provecta, in ea série nobilissima confiner» de-
scilicet omnia, seriem ingredientia, fuere conside- bebat, tanquam Universi creati pars, immo caput,
rata, et cum robus, alias séries iugredieiitibus cui omnis tandem potcstas data est in coelo et in
coiuparata. terra, in quo benedici debuerunt ornnes gentes, per
43. Itaque etiam Di-crctum Dei est immuta- quera omuis creatura liberabitur a servitute cor-
bile, quia oinncs rationes, quae ei objici possunt, ruptionis, in libcrtatem gloriac filiorum Dei.
jam in considcrationcm veucre: sed hinc non alla 50. Hactenus de Frovidentia , ncmpc generali:
oritur nécessitas, quam consequeutiae, seu porro bonitas, relata speciatim ad creaturas intelli
quam hypothcticam vocant, ex sup)x>sita scili gentes, cum sapientia conjuncta, Justitiam con
cet praevisione et praeordinatione; nulla autcrn sub- stituit, cujus summus gradns est Sanctitas. Ita
est nécessitas absoluta, seu consequeutis; que tam lato sensu justitia non tantum jus stricram,
quia alius etiam reruin ordo possibilis erat, et in sed et aequitatem, atque adeo et misericordiaiu
partibus, et in toto; Deusque, contingentium se- landabilem compreheudit.
riem cligcns, contingentiam eoruin non mutavit. 5 1 . Discenii autcm justitia generatiin samta pot-
44. Ncque ob rcrum eertitudinem procès labo- est in justitiam specialius sunitam et sanctitatem.
resque fiunt inutiles ad obtinenila futura, quae de- Justitia specialius sumta versatur circa bo-
sideranias. Nam io liu.jus serici rerum, tan- num uialinnquc physicuin, aliornm nempo iutclli-
quam possibilis, repraescntatione apud Deuin, an- gcntium ; sauctitas circa bonuin malumqac
tcquam scilicet deccrni intelligeretur , utiquc et pre- morale.
ces in ça (si eligcretur) futurae, et aliae eflcctuum 52. Roua malaque physica eveniuot tant
in ea comprchoudeDdorum cansae, inerant, et ad in liac vita, quam in futura. In hac vita lualti
clectioncin serici, adeoqnc et ad rventus in ea querantnr in universum, quod liuiuaiia natuni tôt
comprehensos, ut par erat, valucre. F.t quae nuuc malis cxposita est, paruin cogitantes, inagnani eo-
movcnt Deuin ad agcmlum aut permittendnm , jam rnin partent ex culpa hominain Haere, et re.vora
tum eum movenint ad decernenduui , quid aîturus non satis prate agnosci divina in nos boiielicia,
csset aut ]>ermissurus. magisque adteufioiiem ad mala, qnum ad t>oua
45. Atque hoc jam supra monuimus, res ex di- nostra, vcrti.
vina praescientia et providentia esse determinatas, 53. Aliis displicct inpviinis, quod boua niala-
non absolute, seu, quidquid agas, aut non agas, que j)hysica non sunt distiïbuta soemiduin bona
sed per suas causas rationesquc. Itaque sive quis malaquc moralia, seu quod saejx; boiiis est mâle,
preces, sive studium et laborem inutiles diccret, in- malis est bcuc.
LXXI1I. CAUSA DEI. 657
b4. Ad lias qucrclas dao respouderi dcbeut: de Statu damnatorum , eos bene réfutât , qui iu fu-
U7iatn, quod Apostolus adtulit ; non esse condignas tura vita peccata poenam demereri negant, quasi
adflictioncs hujus temporis ad futoram gloriam, justitia, Deo essentialis, cessare nnquam posset.
qaae revelabitar in uobis; alterum, quod pulcher- 60. Gravissimae tandem sunt difficultates circa
rima comparatione Christus ipse subgcssit, nisi Sanctitatcm Dei, seu circa perfectioncin ad
grauum frumenti, cadens in terram, inortunm fue- | bona inalaque moralia aliornm relatam, quae eum
rit, fructum non ferct. amare virtutem, odisse vitiuui, etiam in aliis facit,
55. Itaquc non tantum large compensabnntur et ab oinni peccati labe atque contagione quam
adflictiones, sed et inservient ad felicitatis augmen maxime removet ; et tamen passim scelera régnant
tant, née tantum prosuut baec mala, scd et requi- in medio potentissiuii Dei imperio. Sed qnidqnid
rnntur, Add. §. 32. hoc est difficultatis, divini luminis auxilio etiam in
56. Circa futuram vitaui gravior adhnc est bac vita ita snperatur, ut pii, et Dei aniautes, sibi,
difficultés: nam objicitur, ibi quoque bona longe quantum opus est, satisfacere possint.
vinci a malis, quia pauci sont electi. Origenes 61. Objicitur nempe Deura ninn's coneurrere
quidcm aoternam daumatiqnem omnino sustulit;' ad peccatum, houiinein non satis. De uni autem
qaidam veterum paucos salteui aeternnm damnan- nimis coneurrere ad uialum morale physice
dos cre<lidere, quorum in numéro fuit Prudcn- et moraliter, voluntate et productiva et permis-
tius; qnibnsdam placuit, omnem Christianum tan siva peccati.
dem salvatum iri, quorsnm aliquando inclinasse 62. Coucursnm moraleni locum habiturum ob
visus est Hieronymus. servant, etsi Dcus nihil conferret agendo ad pecca
57. Sed non est, cur ad haec paradoxa et reji- tum, saltem dnm perinitteret, seu non iuipccliret,
cienda confugiamus: Vera responsio est, totaui cum posset.
amplitudinem regni coelestis non esse ex nostra 63. Sed rêvera Dcuui coneurrere moraliter et
cognitione aestimandam ; nain tanta esse potest physice simul : quia non tnutum non impedit pec-
bratorum per diviuam visionem gloria, ut mala cantes, sed etiaui quodaminodo adjuvat, vires
daiuuatorum omnium comparari huic bono non pos- ipsis occasionesquo praestaudo. Uude phrases
siiit, et Angelos beatos iucreclibili multitudiae Scripturae Sacrae, quod Deus induret iucitctque
agnoscit Scriptura; et inagnam creuturarum va- malos.
rietatem ipsa nobis apcrit natura, novis invcntis 64. Hinc quidam inferre audent, Denm vel utro-
illustrata; quod facit, ut commodius, quam Au- que, vel certe alterutro modo, peècati complieem,
gnstinus et alii veteres, praevalentiam boni prae imuio auctorcm esse; atque adeo divinam siinctita-
nia'o tueri possimns. tem, justitiam, bonitatem evertunt.
58. Neuipe Tdlus nostra non est, nisi satclles 65. Alii uialunt divinam omniscientiam et
nniusSolis, et tôt snnt Soles, quotstellaefixae; etere- omnipotentiam , verbo, niaguitudinem, labefactare;
dibile est, maximum esse spatium trans omnes fixas tanquain aut nesciret minimeve curaret mala, aut
Itaque nihil prohibet, vel Soles vel maxime regio- malorum torrenti obsistere non posset. Quae Epi-
nem trans Soles, habitari folicibns creaturis. Quan- cureorum, Manichaeorumve, sententia fuit: cui
qnam et Planetae esse possint, aut fieri , ad instar cognatum aliquid, etsi alio mitiore modo, docent
Paradis! , felices. In doino Patris nostri mutas Sociniani, qui recte quidcm cavere voluut, ne di
esse mansiones, de coulo bcatorum proprie Christus vinam Sanctitatem polluant, sed non recte alias
dixit, quod Enipyreum vocant Tbeologi quidam, Dei perfectiones deserunt.
rt trans sidéra, seu soles, collocaut, etsi nihil certî 66. Ut primum ad Concnrsum Mora
de loco beatorum adflrmari possit; intérim et in j leni pcrinittcutis respondeamus , prosequcn-
spectabili inundo multas creatnrarum rationalium dum est, quod supra dicere coepimus, permissioncin
babitationes esse verisimilo judicari potost, alias peccati esse licitam, (seu moraliter possibilem)
aliis ft'Iiciores. cum débita (seu moraliter ncccssaria) invcnUiir:
59. Itaquc argumentum a multitudiuo damuato- scilicet cum non potest |)eccatum alienum iui])cdiri
rum non est fundatum, nisi in ignorantia nostra, sine propria ofi'ensa, ici est, sine violatione «'jus,
uuaque responsione dissolvitur, quam supra innui- quod quis alhV, vel sibi, débet. Exempli gratia,
inus; si omnia nobis perspccta forent, adjviritu- miles iu statione locatus, tempore praesertim |x-ri-
i. ne optari qaidrm posse ineliora, quam quae culoso, ab ea deccdcrc non débet, ut duos atuicos,
fecit Dcus. Poenao etiam damnatonnn ob perse- iuter se ducllniu parantes , a pugnando avortât.
verantem eorutu malitium persévérant ; uude insi- Âdd. supra §. 36. Doberi autcui aliquid apud
guis Tlieologus, Jo. Fcchtius, iu clcguuti Libro IX'iuu iutelligiuius uou huiuano uiore,.sed
058 LXXUI. CAUSA DEI.
, qaando aliter suis perfectionibus dcro- tcris paribns) oneratiores snnt, tardius ferantar.
garet. Ita fit, ut crin itas sit a fluiniue, tarditas ab onere;
67. Porro, si Deus optiuiam Universi seriein, positivum a virtute iuipellentis, privativuui ab iner-
(in qua jwccatuin iiitercurrit) non elegisset, admisis- tia impulsi.
set aliquid pejus omni creaturarum peccato; naui 72. Eodeui plane modo Denm dicendum est
propriao perft-ctioni , et, quod hinc sequitur, alie- creaturis perfectionem tribuere, sed qnae recepti-
nae ctiam, derogasset: divina cnim perfectio a vitate ipsarum litnitetur: ita bona erunt a divino
perfectissiinoeligendo discedere non débet, curn mi vigore, mala a torpore creaturae.
ni H bonum babeat ratiuneui uiali. Et tollerctur 73. Sic dcfcctu adtentiouis sacpe errabit intel*
Deus, tollerentur omuia, si Dcus vel laboràret im- lectus, dcfectu alacritatis saepc refringetur voluu-
potentia , vel erraret iotellectu , vel laberetur vo- tas; quotics meus, cuui ad Deum usqne, scu ad
luntate. summum bouuui, teudere dcbcat, per inertiam
68. Concursus ad pcccatnin physicus creaturis adhaerescit.
fecit, ut Deuui peccati causaiu auctoremquc con 74. Hucusque iis responsum est, qui Deom ni-
stituèrent quidam; ita maluin culpae ctiam ob- mis ad ni.i li nu conriinvrc putant: nunc illis satis-
jectum productivae in Deo voluntatis foret: ubi facieuius, qui homineui ajunt concnrrere noo
uiaximc insultant m.bis Epicurei t-t Mauichaei. satis, aut non satis culpabilem esse iu peccando,
Sed hic quoqne Deus, mentem illustraus, sui est ut scilicet rursus adcusatiouem in Deniu refun-
vindcx in anima pia et veritatis studiosa. Expli- daut. Id crgo probare contenduut Antagonistae
cabimus igitur, quid'sit, Deum concurrere ad tuiu ex imbecillitate bumanae Naturae, tum ex
l>eccati materialc, scu, quod iu uialo bouuiu est, defectu diviuae Gi^atiae, ad juvaudain nostraui oa-
MOU ad formale. 1 111:1111 necessariae; itaque in oatnra bomiuis spe-
69. R«spondciuluiii est scilicet, nihil quidein ctabimus tum rorruptionem , tum et reliquias iiua-
pcrfoctionis et rcalitatis pure positivae esse in crea- ginis diviuiie ex statu iutcgritatis.
turis, earuuique actibus bonis inalisque, quod non 75. Corruptiuuis huinanae considerabi-
Doo debeatur; sed imperfectionem actus in priva- inii.s porro tum ortuui, tum et constitntioDein.
tioue consistera, et oriri ab originali limitatione Ortus est tum a lapsu Protolapsorum, tuin a coo-
crcaturarum , quam jatu tum in statu purae possi- tagii propagatione. Lapsus spcctauda est causa
bilitatis (id est, in regione vcritatum aeternaruin, et uatura.
seu idcis divino [intellectui obversant! bus) hubcut 7G. Causa Lapsus, cur homo scilicet lapsus
ex esseutia sua : nain quod limitatione rareret, non sit, sciente Deo, pcnnittente , concurrente, non
creatura, sed Deus foret. Limitât a autem dici- quaerenda est in quadam dcspotica Dei intestate,
tur creatura, quia limites seu terminos, suao ma- quasi justitia vel sanctitas adtributuuiDci non essei;
gnitudinis, potentiae, seieutiue, et cujuscnmqucpqr- quod iu efTectu vernm foret, si nulla apud euui juris
fectiouis, Iiabet. Ita fundamentum uiali est ne- et rccti ratio haberetur.
cessarium, sed ortus taïucu contingens; id est, ue- 77. Ncquc quaerenda est lapsus causa iu qua
cessarium est, ut mala siut possibilia, scd coutin- dam Dei ad boiium inalumquc. justum et injustuui,
geus est, ut mala sint actualia : non contiugens au indiflërentia, quasi hauc ipso pro arbitrio constituis-
tem pcr harmoniain ivnnu a pott'iitia transit ad sct; quo posito sequeretur, quidvis ab eo constitui
actum , ob conrenieutiam cum optiiua rcrum série, posse, pari jure ant ratione, id est, nulla; quod
cujus partem facit. rursus ouuiein justitiae, atque ctiam sapieutiae,
70. Quod autein de privativa mali constitutioue, laudem iu uihiluin rodigcret, siquidem ille nulluin
post Augustinum, Thoinam, Lubinum, ulios- delectum haberet in suis actiouibus, aut deleclus
que veteres et receutiorfs, adseriinus, quia multis : fuiidaiiieutum.
vanuui , aut ccrte perobscuruiu hubctur ; ita decla- 7 S. Nequc etiam in voluntate qua<faui Deo ad-
rabûuus ex ipsa rerum natura, ut nihil solidius esse tirla, mioime sancta, miuiuieque auiabili, causa
adpareat: adhibeutos in similitudiuem sensibile lapsus ponenda est: tanquam nihii aliud, qoam
quiddam et materialc, quod ctiam in privât!vo magnitudinis suae gloriaiu , spectans , bonitatisque
consistit, cui iuertiac corporuui naturalis exors, crudeli iniaericerdia miseros feeerit, ut esset,
uoiucu Kepler us, iusiguis uaturac iudagator, quorum miscroretur; et pervcrsa justitia peccantes
iuiposuit. voluerit, ut esseut, quos punirct; quao omnia ty-
71. Nimirum (ut facili excuiplo utamur) cum raunica, et a vera gloria perfectiuiieque alienis-
flunicu navcs secum defert, velocitateui illis impri- sima, suut, cujus ducus non (ai il mu ad uiagiiitudi-
mit, scd ipsaruiu iucrtia liuiitataui, ut, quac (cae- ucui, scd ctiam ad boiiitatcui, rufortur.
LXXU1. CAUSA DEI. G51)
79. Scd vcra radix lapsns est in im]>erfectione ad novi corporis organici pcrfectionem necessarium
seu imbecillitate creatnrarum original! , quae facie- praeberi.
bat, ut pcccatum optimao serici rcrum possibili in- 83. Ita tolluntur difficnltatcs, tum Philosophicae
esset, de quo supra. Unclc jaui factuin est, ut de origine formarum et animarum, animaeque im-
lapsus, non obstante divina virtutc et sapicntia, materialitate, adeoquc impartiabilitate, quae facit,
rcctc pcrmittctur, iimno his salvis non posset non ut anima ex anima nasci non poss
permitti. 84. Tum Theologicae de animarum corruptione,
80. Natura lapsus non ita concipicnila est ne anima rationalis pura , vel praeexistens, vel no-
cum Baelio, quasi Deus À (la m uni in poeiiam viter creata , in massant corruptam , corrumpenda
peecati condemnaverit ad jiorro peccandum cum et ipsa, intrudi a Deo dîcatur.
postcritatc, eique (exsequendae sententiae causa) 85. Erit ergo Tradux quidam, sed paullo tracta-
peccaniinositatciu iufudcrit; cum potins ipsa vi bilior, quam il le, quem Augustinus, aliique Viri
primi pcccati, velut physiro ncxu, consecuta sit egregii, statuerunt, nou aniraae ex anima (rejectus
pcccaminositas , quuiuaduiodum ex ebrietate inulta veteribus, ut ex Prudentio patet, necnaturae re-
alia peccata nascuntur. i mu consentaneus) sed animati ex aniuiato.
81. Sequitur Propagatio contagii, a 86. Hactenus de causa, nuoc de natura et
lapsu Protoplastorum orti, perveniens in animas raostitutioue corruption! s nostrae: ea consistit
posteromm. Fa non videbitur commodius expli- in peccato original! et derivativo. Peccatum
cari posse, quani statuendo, animas postororum in originale tantam vim habct, ut homines rcd-
Adamo jam fuisse infectas. Quod ut intelliga- dat in naturalibus débiles, in spiritualibus mortnos
tur rectius, scieudum est ex recentiorura observa- ante regenerationem ; intellectu ad sensibilia, vo-
tis ratioui busqué adparere, aniinalinm et planta- luntate ad carnalia versis; ita ut natura lilii irae
rum formationem non prodire ex massa quadam sinuis.
confusa, scd ex corpore jam nonnihil praeformato 87. Intérim Baelio, aliisqne advcrsariis divinam
in semine latente, et diulum aniuiato. Unde con- beuignitatem iinpugnantibus, aut saltem per ob-
sequens est, vi benedictionis divinae et primaevae, jectiones quasdam suas obnubilautibus, concédera
omnium viventium ruditncnta quaedam organica, non oportet, eos qui so!i peccato original! obnoxii
(et pro animalibus quidem, animalium licet iiu- sine actuali ante sufficientem rationis usum mo-
perfcctornm foruia) animasquc quodaimnodo ipsas riuntur (veluti infantes ante baptismum et extra
iluduiu in Protoplasto cujusque geueris extitisse; Ecclesiam decedfentes) neeessario aeternis flam-
quae sub tempore oninia evolverentnr. Sed ani mis addici: taies enim clementiae Creatoris relin-
mas aiiimantiaque soininum, in humauis corporibus qni praestat.
destinatoruiu , cum caeteris aniuialculis semiualibus 88. Qua in re etiam Joliauuis Hulscmanni, Jo-
talem destinationem non habentibus, intra graduiu hannis Adami Osiandri, aliorumque nonnulloruin
na tin ao sensitivae siibstitisse diccndum est, donec iusignium Angustanac Confessiouis Tlieologoruni
per liltimam conceptionem a caeteris discerneren- moderatioDem laudo, qui subintle hnc inclinarunt.
tur, simulque corpus organicum ad fîguram Imma- 89. Neque etiam extiuctae sunt penitus scintil-
nam disponeretur, et anima ejus ad gradum ratio- lae imaginis divinae, de quibus paulo post ; scd per
nalitatis (ordinaria an extraordinaria Dei opera- gratiam Dei praevenientem etiam ad spiritualia
tione non défini o) eveheretur. rursus excitari ]>ossunt: ita taineo, ut sola gratia
82. Unde etiam aclparet, lion statui quidem ra- conversationem opcretur.
tionalitatis pruexisteutiam , censeri tamen posse, in 90. Sed née originale peccatum coiruptaui ge-
praeexistentibus praestabilita jam diviuitus et prae- neris humaoi massam a Dei benevolentia nniver-
parata esse proditura aliquando, non orgnnismum sali penitus alienaui reddit. Nain nihilominus sic
tantum humanum, scd et ipsam rationalitatem, Dcus dilexit mnndum, licet in malo jacentem , ut
signato, ut sic dicam, actu exercitum praeveuiente ; Filium simili unigenitum pro hominibus daret.
simulque et corruptionem aniinae, etsi uondum 1m- 91. Peccatum derivativum duplex est,
roanae, lapsu Ad a mi inductam, postea accedente actuale et habituale, in quibus consistit exercitium
rationalitatis gradn, denium in pcccaminositatis corruptionis, ut scilicct haec gradibns modificatio-
originalis vim transisse. Caeterum adparet ex nibusquc variet, varieque in actiones prorumpat.
novissimis inventis, a solo pâtre animans animam- 92. Et actnale quidem consistit tum in actio-
que esse, at a matre in conceptu velut indumen- nibus internis tantum, tum in electkmibus com-
tuui, (ovuli forma, ut arbitrantur) incremcntumqne positis ex internis et exteniis; et est tum commis
660 LXXIIL CAUSA DEI.
sionis, tuni omissionis; et tutu culposum ex natu- 102. Libertas exempta est tam a necessitate,
rae infiruiitate, tam et malitiosnm ex auimae pra- quam a coactionc'. Necessitatem non faciunt
vitate. futuritio veritatum , née pracscientia et praeordiua-
93. Habituale ex actionibns malis vel cre- tio Dei , née praedispositio reruin.
bris vel certc fortibns oritor, ob inipressionum 103 Non futuritio: licet enim futurorum
mnltitudinem vel magnitudinem. Et ita habitua- contingentium sit determinata veritas, certitude ta
lis malitia aliquid origiuali corruption! pravitatis men objectiva, seu iufallibilis detenninatio veri-
addit. tatis, quae illis inest, minime necessiiati confuu-
94. Haec tameu peccati serviras, etsi sese per dcnda est.
oinnem irregeniti vitam diffundat, non eo usque 104. Née praescientia ant praeordina-
extendenda est, tanquaiu nnllae unquam irregenito- tio Dei necessitatem imponit, licet ipsa
rnra actiones siut vere virtuosae, imo nullae inno quoque sit infallibilis. Deus euini vidit res m
centes, sed sempor formaliter peccaïuinosae. série possibilium idéal!, quales futurae erant, et in
95. Possunt enim etiam irregeniti in civilibns iis hoininem libère peccantem; neque hujus sériel
agere aliquandb amore virtutis et boni public!, im- decernendo existentiam , mutavit rei natnram, aut
pulsuque rectae rationis, imo et intuituDci, sine ad- quod contingens erat, necessaiïum fecit.
mixta aliqua prava intentione ambitionis, comuiodi 105. Neqne etiani praedispositio rernui,
privât!, ant affectus carnalis. ant causarum séries nocet libertati. Licet enim
96. Semper tamen ex radice infecta procédant nnnquam quicquain cveniat, quin ejus ratio reddi
quae agunt, et aliquid pravi (etsi interdnm habitu- possit, neque nlla nnqnam detur indifferentia
aliter tantnm) admiscetur. aequlibrii, (qnasi in substantia libéra et extra eam
97. Caeterum haec corruptio depravatioque hu- oinnia ad oppositum utrumque se acqualiter nn
111:11 ia. quaotacunque sit, non ideo tamen hoininem quam haberent:) rutu potius semper sint quaedam
excusabilem reddit, aut a culpa eximit, tauquam praeparationes in causa ageute, concurrentibusque,
non satis sponte libereque agat: supersunt enira quas aliqui praedeterminatioues vocaut: dicendum
reliquiac divinae imaginis, quae faciunt. tamen. est , bas determinationes esse tantniu incli
ut justitia Dei in pnnieudis peccatoribus salva nantes, non nécessitantes , ita nt semper aliqna in-
nianeat. differentia sive contingentia sit salva. Née tantus
9S. Reliqniae divinae imaginis consistunt tam unquam in nobis affectas appetitusve est , ut ex eo
in lumine innato intellectus, tum etiam in liber- actus necessario sequatur: nam quamdia homo
tate congenita voluntatis. Utrnmque ad virtuosain mentis compos est, etiamsi vehemcntissime ab ira,
vitiosamque actionem necessariam est, ut scilicet a siti, vel simili causa stimuletur; semper tamen
sciamus veliinusque, quae agimus; et possimus aliqna ratio sistendi impetum reperiri potest, et
etiam ab hoc peccato, quod comniittiimis, abstinere, aliquntido vel sola sufficit cogitatio exercendae suac
si modo satis studii adhibeamus. libertatis, et in affertus potestatis.
99. Lnmen innatum consistit tmn in ideis 106. Itaque tantum abest, ut praedeterminatio
incomplexis, tum in nascentibus inde notitiis corn- scu praedispositio ex causis, qualem diximus, ne
plexis. Ita fit ut Dens et lex Dei aeterna inscri- cessitatem iuducat contrariam contiogenti vel li-
bantor cordibus nostris, etsi negligentia hominutu bertati aut moralitati : ut potius in hoc ipso di-
et affectibus sonsualium saepe obscnrentur. stinguatur Fatum Mahometanum a Christiano , ab-
100. Probatur autem hoc lumeni contra quos- surdum a rationali: quod Turcae causas non co-
il.-im nuperos Scriptores, tum ex Scriptura Sacra, rant; Christian! vero, et quicunqne sapiunt, ef-
quae cordibus nostris Legem Dei inscriptam testa- | fectum ex causa deducunt.
fur, tum ex ratione, quia veritates necessariae ex | 107. Tureae scilicet, ut fama est (quamqaam
solis principiis menti insitis, non ex inductione i non omnes sic desipere puteui ) frustra jwstem et
scnsuuin, demonstrari possnnt. Neque enim in- | alia mala evitari arbitrantur, idqne eo praetextu,
ductio singularium unquam necessitatem uni versa- quod futura vel décréta eveutnra sint, q nie qui il
Irtn infurt. agas aut non agas, quod falsum est: cum Ratio
101. Libcrtas quoqne in quantacunque bu- dictet, euin, qui certo peste moriturus est, etiani
mana corruptions salva manet, ita nt homo, etsi certissime causas pestis non esse evitatarom.
haud dubic peccaturus sit, nuuquaui tamen neces- Nempe, ut recteGennanico proverbio dicifur, mors
sario committat hune actum peccandi , quem com- vult habere causam. Idemque in aliis omnibus
mittit. eventis locum habet. Add. supra §.45.
LXXIII. CAUSA DEI. CCI
108. Coactio ctiam non est in voluntariis reritatis, quocl miseriain hoininuiu procuret, quod-
actionibus: etsi enim externorum repraeseutationes que non ornes salvet, cuui possit, aut certe non eli-
plurimum in mente nostra possint, actio tamen gat merentes.
nostra voluntaria semper spontanea est, ita ut 115. Et sane, si Deus maximam hominum par-
principiuin ejus sit in agente. Id quocl per har- tem ideo tantum creasset , ut aeterna eorum mali-
moniam inter corpus et animant, ab initie a Deo tia iniseriaque justitiae sibi gloriam vindicaret: ne-
praestabilitam , luculentius quaui hacteuus expli- que bonitas in eo, neque sapientia, neque ipsa vera
catur. justitia laudari posset.
109. Hucusque de Naturae humanae imbecilli- 116. Et frustra regeritur, nos apud eurn nihili,
tate actuin est, nunc de Gratiae Divinae Au- née pluris quam vermiculi apnd nos esse: excusa-
xilio dicendum erit, cnjus defectuin objiciunt An- tio enim ista non miuucret, sed augeret duritatem,
tagonistae, ut rursus culpam ab homine transférant omni utique philanthropia sublata, si non inagis
in Deum. Duplex autem coucipi Gratia potest; Deus hominum curam gereret, quam nos vermica-
una sufficiens volcnti, altéra praestans ut ve- lorum, quos curare née possumns, née volumus
limus. Dei vero provideutiam nihil exiguitate sua latet,.
110. Sufficientem volenti Gratiam ne- aut multitudine confnndit ; ]>asserculos alit, houiines
mini negari dicendum est. Facicnti quod in se amat, illis de victn prospicit, lus, quantum in se
est, non defore Gratiam necessarjaui, vêtus, dictum est, felicitatem parât.
est, née Deus deserit nisi deserentem, ut post an- 117. Qnod si qnis longius provectus contende-
tiquiores notavit ipse Augustinus. Gratia haec ret , tara solutatn esse Dei potestatem, tam exortem
sufficiwis est vel ordiiiaria per verbum et sacra- rcgulae gubernationem , ut innocentetn quoque et
menta; vel extraovdinaria, Deo reliquenda, quali quidem jure damnet; jam non apparet, aut quac
crga Paulum est usus. apud Deum foret justitia . aut quid a malo Prin-
111. Etsi enim multi populi nunquam saluta- cipio rerum potiente distaret talis Uuiversi Rector,
rem Christi doctrinam acceperiut, ncc credibile sit cui etiam merito Misanthropia et Tyranuis
praedicationeni ejus apud omnes quibus defuit ir- tribueretur.
ritain futuram fuisse, Christo ipso de Sodoma con- 118. Hune enim Deum timenduin ob magnitu-
trarium affirmante: non id«o tamen neccsse est dincm, sed non amanclum ob bonitatcm mani-
aitt salvari aliqnem sine Christo, ant damnari, etsi festum foret. Certe tyrannicos actus non amorem
praestitisset quicquid per naturam potest. Neque sed odium excitare constat, quantacunque sit po-
enim nobis omnes viae Dei exploratae snnt, neque teutia in agente, imo tanto magis quunto bacc ma
scimus an non aliquid extraordinaria ratione prae- jor est; etsi demonstrationes odii metu snp ri-
stetur vel morituris. Pro certo enim tenenduui mantur.
est , etiam Cornelii exemplo , si qui ponantur bene 119. Et hotnines talem Dominum colentes imi-
usi lumine quod accepere, eis datum iri lumen quo tatione ejns a caritate ad duritiem crudelitatemque
indigent, quod nondum accepere, etiamsi in ipso provocarentur. Itaque maie quidam praetextn ab-
mortis articulo dandum esset. soluti in Deo juris talia ei acta tribuerunt, ut fa-
112. Quemadmodnra enim Theologi Augusta- teri cogerentur homincm si sic ageret pessirne factn-
nae Confessionis fidem aliquam agnoscunt in iide- rumesse: quemadmodum et nounullis elapsum est,
lium infantibus baptismo ablutis, etsi nulla ejus quae in aliis prava sint, in Deo non fore, quia ipsi
appareant vestigia; ita nibil obstaret, Deum iis non sit lex posita.
qaalcs cliximus, licet bactenus non Christianis, in 120. Longe alia nos de Deo credere ratio, pie-
agone ipso lumen aliquod necessariuui tribnere tas, Deus jubent. Sinnnia in illo Sapientia, cnm
extra ordinem, quocl per omnem vitam antea de- inaxiina Bonitate conjuncta, facit ut abundantis-
fnisset. sime justitiae, aequitatis, virtutisque leges servet
113. Itaque etiam oi è'4u>, quibus sola praedi- ut omnium curam habeat, sed maxime intelligen-
catio externa negata est, clementiae justitiaeque tium creaturarum, quas ad imaginem condidit suam;
Creatoris relinquendi sunt ; etsi nesciamus quibus et nt ta nt ii in felicitatis virtutisque producat, quan
ant quanam forte ratione Deus succurrat. tum capit optimum exemplar univers! , vitium
114. Sed cum saltem certum sit non omnibus autem miseriamque non alia admittat , quam quae
clari ipsam volendi gratiam, praesertim quae in optima série adinitti exigebatur.
feliri fine coronetnr : hic jam in Deo vel misanthro- 124. Et licet prae ipso Deo iuiinito nos nihili
pïam vel certe prosopolepsiam arguuut adversarii videamur, hoc ipsum tamen infinitae ejus sapien
84
GG'2 LXXIII. CAUSA DEI.
tiae privilégiant est, infinité minora perfcctissitne : stinationem , Gratia illa triumphatrice utatur; ne
carare posse: quae etsi nulla assignabili ipsnm de quoquain unquam desperandum putemus, etsi
proportione respiciaut, servant tamen inter se pro- régula iudc constitui non de-beat.
portionalitatem exiguntque orclioem, quem Deus 130. Errant inulto gravius, qui solis elecfis fri-
ipsis indidit. j buunt gratiam , fuleni, justificationein , regeneratio-
122. Eaqac in re quodam modoDeum iinitantar neui; tanquam (répugnante experientia) «pôo-xoct-
Geometrae |«T novam iufinitesimoram analysin pot omnes hypocritae cssent, née a Baptismo,
ex infinité parvornin atque inassignabilium compara- née ab Eucliaristia, et in universum née a Verbo
tioiie inter se, majora atque utiliora quam quiscredc- née a Sacramentis spiritnale juvamen accepturi;
ret io ipsis magnitudinibus assigoabilibns inforentes. 1 aut tanquam nullus clectus semelque vere justifîca-
123. Nos igitur, rejecta illa odiosissima Misan- i tus in criiurn seu in pcccatum proaere'icuiu relabi
thropia, tuemur nierito sumniam in Deo Philan- j posset; vel, ut alii malunt, tanquam in mertiis sce-
thropiam, qui omnes ad vcritatis agnitioneni leribus gratiam regenerationis electus non amitteret.
pervenire, omnes a peccatis ad virtutcm converti, lidem a iideli ccrtissimam fiualis fidei persaasio-
omnes sa! vos fieri serio voluit, voluntatemquo i nem exigere soient; vel negantes reprobis imperari,
mnltiplicibas Gratiae auxiliis declaravit. Quod ! vel statuentes falsum eos credere jnberi.
•vjero non semper facta sunt quae hic voluit, utiquc 131. Sed liacc doctriua rigidins accepta, mère
repugnanti hoiuinum malitiae attribut débet. quideui arbitraria, niilloquc fundamento nixa, et
124. At hanc, inquies', saperare potuit sumtna ab antiquae Ecclesiae senteutiis, ipsoque Augustino
potentia sua. Fateor , inquam : sed ut facerct, plane aliéna, in praxin influere, et vel tenierariam
nullo jure obligabatur, neqne id ratio aliunde futurae salutis etiam in improbo persnasionetn,
ferebat. vel anxiam de praesente in gratiam réceptions
125. Instabis: tantam benignitatem , quantam etiam in pio dubitationem, utramque non sine se-
Dco nierito tribuimus , progressuram fuisse ultra curitatis, aut desperationis periculo, generare pos
ea quae praestare teuebatur, irno optimum Deum set: itaque post Despotisuium hanc Particula-
teneri ad optima praestauda , saltem ex ipsa boni- rismi speciem maxime dissuaserim.
taie naturae suae. 132. Féliciter autem evenit, ut plurimi tempè
126. Hic ergo tandem ad Summae Sapientiac rent (an tac tamque paradoxae novitatis rigorein;
tlivitias cum Paulo recurrendum est, quae utique et ut qui supersunt lubricae adeo doctrinae defen-
passa non est, nt Deus viin ordini rerum naturis- sores, nma nudam theoriam subsistant, née pra-
que sine lege mensuraquc infcrret, ut turbaretur vis ad praxin conséquent!is indulgeant; duui pii
harmonia universalis , ut alla ab optima rerum sé inter eos , ut ex mcliori dogmate par est, filial! ti
ries eligeretur. In hac autcm contincbatur, ut moré, et plena amoris fiducia, salutem saaai ope-
omnes libertati , atque adeo quidam improbitati rantnr.
suae relinqucrentur : quod vel inde judicamus quia 133. Nosfidci, gratiae, justificationisqne prae-
factura est. Add. §. 142. seutis certi esse possumus, quatenus conscii sumos
127. Intérim Philanthropia Dei universalis, seu eorum quae nunc in nobis linnt ; futurae autein per-
voluntas salrandi omnes, ex Auxiliis ipsis elucet; severantiac bonam spem habemus, sed cura tein-
quae omnibus, etiain reprobis, sufficientia , imo pcratam; monente Apostolo, ut qui stat videat ne
persaepe abundantia praestita sunt, etsi in omni cadat: sed electionis pcrsuasione remittere de stu-
bus gratia victrix non sit. | clio pietatis, et futurae poenitentiae confidere mi
128. Caeterum non video cur necesse sit gra- nime debemus.
tiam, ubi effectuai plénum consequitur, consequi 134. Haec contra Misantliropiara Deo impnte-
eom semper sua natura, seu esse per se effectri- tam sufiecerint: nune ostendendum est, née Pro-
cem; cum fieri queat ut eadem mensura gratiae in s o p o 1 e, p s i a m jure exprobrari Deo tauquam scili-
uno ob repugnantiam vel circumstantias efFectnui cet Electio ejus ratioue careret. Fandamentum
non consequatur, qucin in alio obtinot. Ncc vi Electionis Christus est, sed quod quidam minus
deo qiiomodo vel ratione vel révélations probari Christi participes sunt. ipsorum linalis malitia in
possit, gratiam victriccm semper tantaui esse, nt causa est, quam reprobans praevidit Deus.
qnantaïucunqne resistentiam , quantascunquc cir- 135. At 'hic rursus quaeritur cur diversa aaxi-
cumstantiaruni incongrueutias essct superatura. Sa- lia, vel interna, vel certe externa, diversis data
pientis non est snpertliias vires adhibere. sint, quae in uno rinçant malitiam , in alio vincan-
129. _Non tamen ncgo aliquando evenire, ut tur.' Ubi sententiarum divortia nata snnt: non-
Deus contra maxiuia obstacnja, acerrimamque ob- nullis euiin visum est Deum i ni nus malos, aut
LXXUI. CAUSA DEL
ce-vin minus restituros iriagis juvissc; aliis placer, debeat, cujus applicatio auobis aguosci de-beat, per
aequale auxilium io his plus effeeisse; alii contra quam scilicet homines aut blandiri sibi, aut insul-
uolunt hominein quodammodo se discernerc apud tare aliis possint.
Dcuin, praerogativa uaturau mêlions, aut certe 141. Nam interdum insolitain pravitatem sum-
minus malae. mamque resistencli obstinationem vincit Deus ne
136. Equidem indubium est, in rationes eligendi quisquaui de misericordia desperct, quod de se
apud Sapienteiii ingredi considerationem qualita- Paulus innuit ; ioterdum diu boni in meclio cursn
tuin ulijri'ii. Non tamen semper i|i-:i absolute deficiunt, ne quis sibi niminm fidat; plcrumqae
sumpta objecii praestantia rationem eligendi facit; tamen ii, quorum minor est reluctandi pravitas et
sed sai-pe convenientia rei ad certain fineiu in certa majus stuclium veri boniqne, majorem divinae gra-
rcruin hypothesi magis speclalur. tiae fructum scntiuot; ne quis ad salutem nihil
137. Ita fieri potest, ut in structura vel in or- interesse putet, quoinodo se homines gérant.
natu lion eligatur lapis pulcherrimus ant pretiosis- Add. §.112.
sinius, sed qui locum vacantem optime implet. 142. Ipsum autem Boc^oç in Divinae sapicn-
138. Tutissiicum autcm est statuere omîtes ho- tiae thrsauris, vel in Deo abscondito, et (quod ••<>-
mines, cnm sint spiritualiter mortui, aequaliter esse dein redit) in universali rcrum haruioiiia latct;
at non similiter malos. Itaque pravis iuclinatio- qnae fecit ut haec séries Universi, complexa even-
bus différent, evenietque ut praeferaritur, qui per tus quos n liraii ii uj. judicia quac adoramus, optiraa
seriem rcruiu circnmstantiis favorabilioribus obji- praeferendaque omnibus a Deo judicaretur. Add.
ciuntur; in quibus minorem (ccrte ia exitu) exe- §. 126.
rendae peculiaris pravitatis, majorem recipiendo 143. Theatrum iniindi corporel magis magis-
gratis octasionera invenere. que ipso naturae luuiine in hac vita elegantiam
139. Itaque nostri quoque Theologi , experien- suam nobis ostendit, duui Systemata Macrocosmi
tiam secuti, in externis certe salutis auxiliis, etiam et Microcosmi recentiorum inventis aperiri coepere.
cum aoqualis esset interna gratia, agnoverunt diffe- 144. Sed pars rouan praestantissima , Civitas
rentiam hominum insignem, et in circumstantia- Dei, spectaculntn est cujus ad pulchritudiucm 110-
rum extranearum jios afficientium oeconouiia con- scendam aliquando demum illustrati Divinae glo-
fugiunt ad Boc^-oç Pauli : dura sorte nascendi, edu- riae lumine propius adinittemur. Nunc 1-111111 solis
cationis, convorsationis, vitae generis, casuumque ri oculis, id est Divinae perfe>ticu|| certissima
fortuitornm, saepe homines aut pervertuntur aut fiducia attingi potest: ubi quanto magis non tan-
einendantur. tum potentiam et sapientiam, sed et bonitatcm
140. Ita fit nt praeter Christum , et praevisam Supremae Mentis exerceri intelligimus, eo magis
status salutaris ultiinam persevereutiam qua ipsi incalescimns amore Dci , et ad imitationem qnau-
adliaeretur, nnlluin Elertionis aut dandae fîdei fun- dam divinae bonitatis justitiaeque iuflammainur.
dameutum nobis iunotcscat, nulla régula constitui
GG4 LXX11I. CAUSA DEL Tab. I.
Causae Dei tractatio, §. 1.
Pracparatoria, Principalis
separatim circa circaMagnidi-
dinemetBoni-
Bonitatem quae Magnitudincm, 2. 3. quao tatem jnn-
perficit Voluntatem, 18. 19. perficit Potentiam et Scien- ctiin, vid.
ubi agitur de tiam, et constituât Tab. II.
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T a b. H. LXXIII. CAUSA DEI. GC5
Causae Dei traetatio p'rincipalis circaMagnitiulinem et
Bonitatern . j u n c t i m , 40. quoail
' CreaturasT-—
intelligentes Creaturas in universum, uhi
Earamque Rogimen, 50. ubi Doi. Providentia, 41—49.
Reliquiae intc
gritatis. 98. iu
Causa .1 lapsu
protoplasto-
ruin, ciijus
O 00
LXXIV.
AI) REVERENDSSIMUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE TRES,
1710—1711.
LXXV,
REMARQUES PHILOSOPHIQUES
D E
1711.
(Episl. ad divers, éd. Korlholl. Vol. III. p. 119. Leib. Opp. éd. Dulens. Tom. I. p. 503).
Il m'a paru que la Théodicée de M. de L. ment assuré, on est obligé d'y repasser pièce par pièce,
donne quelque éclaircissement plausible de difficul et n'y trouvant rien à redire en détail, on est obligé
tés, et en la lisant je disois quelquefois en moi- enfin de se rendre en gros. C'est pourquoi je sou-
même, je voudrois savoir ce que M. Bayle haiterois que quelque homme habile et sincère répli
auroit pu répliquer à cela. Vous dites, Mon quât bien distinctement aux réponses de la Théo
sieur, qu'après avoir lu toutes le réponses, vous dicée. Et si quelqu'un en vouloit faire l'épreuve
avez trouvé que les difficultés revenoient toujours à sans trop de prolixité, il pourrait examiner t ab
l'esprit. Mais il me semble que les réponses, régé de la controverse réduite àdesar-
quelques bonnes qu'elles puissent être, ne sont ja guinens en forme, qui se trouve à la fin de la
mais capable de bannir les difficultés de la mé troisième parties des Essais, et ne fait guères plus
moire. Et comme les difficultés sont ordinaire de 20 pages. — Vous avez raison, Monsieur, de
ment plus aisées que les solutions, on les retient dire que Madame l'EIectrice d' Hanover a été amie
aussi plus aisément, et on en est aussi plus pré de M. de L. Elle lui a écrit une longue Lettre sur
venu. Ainsi après une longue discussion, il est les affaires d'Angletterre deux semaines et demie
naturel qu'on se souvienne plus aisément des diffi avant sa mort. Cette Lettre est aussi judicieuse
cultés que des réponses, et que l'embarras re que si elle avoit été écrite par le plus grand Mi
vienne, tant qu'on n'agit par cet mémoire. Et nistre d'Etat, et aussi enjouée que si elle venoit d'une
même après un long compte, on doutera si l'on ne jeune Princesse Sophie, comme les Anglois rap
s'est pas mépris quelque part, et pour en être parfaite pellent.
LXXVI.
DE LIBERTATE.
il', Mss. Bibliolliecae Hanoveranae nonduro eiliiis).
Libertas est spoutancitas intelligents, ita- ipsis, coque suut potentiores et perfectiores, vel
que, quod spoQiancum est in brnto vel alla sub- determinantur aliunde et eatenus aliis rebDs ser-
stantia intellectus experte, ici in houiine vel in alia vire coguntnr.
substantia intelligente, altius assurgit et liberum Eo magis est libertas qno inagis agitur
appellatur. ex ratione, eo inagis est servitus, quo
Sp ont âne i tas est contingentia sine coactione, magis agitur ex animi passionibus. Nam
s< ii spoutaneum est qucxl née necessariuin , née co- quatenus agimus ex ratione, eo inagis sequiuiur
actuin est. perfectionem nostrae naturae, quo vero magis ex
Contingens seu Non - necessarium est cujus passionibus agimus, eo magis saunais potcutiae
opposituui non implicat contradictionem. reruin extranearum.
Coactum est, cujus principium est externutn. Scholion
Indifferens cuin non est major ratio car Ut ergo rem in summum contraham: Nulla
hoc potius fiât cam ') illud. Eiquc opponitur de- est in rébus singularibus nécessitas, sed omnia
terminatum. sunt contingentia. Vicissitn tamen nulla est in
Oinncs substantiarum singularium actio- rébus indiiferentia , sed omnia sont determiuata.
nes sunt contingentes. Nam ostendi potest Quatenus quid per se determinatnr, eatenus spon-
non implicare contradictionem ut res aliter fiant. taneuui vel (si intelligens sit) libernin est, quate
Ouines tamen actiones sunt determina- nus determinatur aliunde, eatenus servit, seu est
tae et nunquam indifférentes, quia semper coactum. Hlnc , quo quid magis per se ab indif-
datur ratio inclinans qnidera non tameui necessi- fefentia remotum sit, eo est potentius seu pcrfe-
tans, ut sic potius, quam aliter fiât. Nihil fit ctius, minusque opus habet aliunde déterminai-!..
sine rationc. Deus cum sit perfectissimus adeoque liberrimus, de
Libertas indifferentiac est impossibi.- terminatur ex se solo. Nos vero, quo magis cum
] i s. Adeo ut ne in Denin quidem cadat, uam de- ratione agimus 'eo magis ex nostra naturae perfe-
teTminatus ille est ad optimum efficiendum, et ctionibus determinamur , hoc est liberi sumns.
cr«atara semper ex rationibus internis externisque Quod vero ipsae perfectiones nostrae alienaeque,
determinatnr. totaqne rerum natura, ex divina voluntate creata
Quo plus substantiae snnt per sedeter- est, libertati spontaneitatique rcrnm nil obcst, imo
miuatae,et ab indiffcrentia remotac, eo potius ideo res liberao sunt, quod Deus aliquem iis
snnt perfectiores. Cum enim semper sint gradum perfectionis seu libertatis suac coininuni-
determinatae, vel habfnt dcterminatioDcui ex sa cavit.
') 1. quant.
85
LXXVII.
DEFINITIONES ËTHICAE.
(Kx aulograpliis Leibnilii nondum edills, quae in Bihliolbeca Regia lUnoverae asservgntnr).
Justitia est charitas sapientis. Qui Deum amat super omnia, is démuni arnicas
Charitas est henevolentia generalis. Dci est.
Benevolentia est habitas atnoris. Qui non quaerit commune bonum , is Dco non
Âmare aliquem, est ejus felicitate delectari, obedit.
Sapientia est scientia fclicitatis. Qui non quaerit Dei gloriain, Deo non obedit
Félicitas est laetitia durabilis. Qui Dei gloriam simul et commune bonum qoae-
Laetitia est status voluptatum. rit, Deo obedit.
Voluptas seu delectatio est sensus perfectionis , id Qui Deum non agnoscit per factura, is Deum non
est sensus cajusdam rei quae juvat, seu quae satis amat.
potentiam aliquam adjuvat. * Cui aliqua displicent in actis Dei, is Deom non ;>u-
Perficitur, cujus potentia augetnr sen juvatur. tat perfoctum.
Hypothesis alibi detnonstra: Qui putat Deum quaedam facere ex beneplacito
Mundns a sapientissimo et potentissimo Mooarclm absoluto, nullam rationetn habente, seu liber-
gubcrnatur, quem vocamus Denm. tate aloga sive indifférente , is Deum non putat
Propositiones. perfectum.
Dci fiuis sive scopns est laetitia propria, senamorsui. Qui pntat Dcnm agcre optimo modo possibili, is
Deus creaturas, et maxime mente praeditas, creavit Deura agnoscit perfectum.
propter gloriain suam, seu amore sui. Quisquis contemplatioue perfectionis djvinae non
Deus oiiiiiiii creavit secundum maximam harnio- delectatur, is Denm non amat.
niam sive pulchritndinein possibilem. Omnes creaturae serviunt fclicitati sen gloriae Dei
Deus auiat omnes. pro gradn perfectionis suae.
Deus omnibus prodest quantum possibile est. Quisqnis felicitati Dei servit praeter soam rolunta-
Neque odium neque ira neque tristia neque invidia tem, is Deum non amat.
in Deuiu cadit. Quisquis fclicitatem suain collocat in relatione 1 >i-
Deus auiat aniari, seu amantes sui. vinae felicitatis, is se, is demum Dcnm amat.
Deus amat mentes pro proportione perfectionis Qui Deum araat, discere conatur ejus volantatem.
quam cuique earum dédit. Qui Deum amat, ejns voluntati obedit.
Perfectio nniversi, seu harmonia rernm non patitur Qui Deum amat, amat omnes.
omnes mentes esse aeque perfectas. Quisquis est sapiens, amat omnes.
Quaestio cur Deus huic menti plus quam alteri per (Quisquis est sapiens amat omnes)
fectionis dederit, est ex numéro quaestionum in- Omnis sapiens omnibus prodesse conatur.
anium, ut si quaeras utrum pes sit justo major, Omnis sapiens multis prodest.
an calceus pedem urgens justo minor. Omnis sapiens Deo amicus est.
Atque hoc est arcanum, cujus ignoratio totain Ouinis Dei amicns est felix.
doctrinam de praedestinatione et Justitia Dei ob- Quo quis sapientior hoc felicior in potenfia pari.
scurciavit. Omnis sapiens est justus.
Qui Deo non obedit , non est amicus Dei . Omnis justus est felix.
Qui Dco obedit rnrtu, nondum est amicus Dei.
LXXVIIL
VON DER GLUECKSELIGKEIT.
COubrauer Leibnilz's Deulscbe Schrifien etc. p. 4*0. seqq.)
Weisheit ist nichts andres aïs die Wissenschaft menheit der angenehmen Dinge beruhe, oder zu
der Gluckseligkeit , so uns numlich zur Gliickselig- was fiir einer Vollkommenheit sic in uns diencn,
keit zu gclangen lebrt. nnterdessen wird es doch von unserm Geiniithe,
Die Gluckseligkeit ist der Stand einer be- obschon nicht von nnserm Verstande einpfunden.
stà'ndigen Freude. Man sagt insgemein: es ist, ich weiss nicht
• Wer gliickselig ist, empfindet zwar seine Freude was, so mir an der Sach gefallet, das nennet inaa
nicht allé Augenhlieke; denn er ruhet bisweilen Sympathie, aber die der Dingen Ursachen for-
Tom Nachdenken, wendet auch gemeiniglich seine schen, fimlen den Grund zum ôftern, und begreifen,
Gedankèn auf anstandige Geschafte. Es ist aber dass etwas darunter stecke, so uns zwar unvermcr-
genug, dass er in Staud ist, die Freude zu empfin- ket, doch wahrhaftig zu Statten kommt.
den , so oft er daran denken will , und dass inzwi- Die Mtisik gibt clessen ein schôurs Beispiel. Al
schen daraus eine Freudigkeit in seiuem Thun und lés was klinget, hat eine Bebung oder hin und hcr
Wesen entsteht. gehende Bewegung in sich, wie inan an den Sai-
Die gegenwârtige Freude inacht nicht glùcklicb, ten siehet und also was klinget, das thut unsichtbaie
wenn kein Best and dabei, und ist vielmehr der- Schlage, wenn solchc nun nicht verwirret, sondern
jenige unglûckselig, der nui kurzer Freude willen ordentlich gehen, und mit gewissem Wechsel zu-
in lange Trauiïgkeit verfallt. samuientreffen , sind sie aDgenchm, wie inan auch
Die Frende ist eine Lust so die Seele an ihr sonst einen gewissen Wechsel der laugen und kur-
selbst empfindet. tzen Silbeu und Zusammentreffen der Reiuien bei
Die Lust îst dio Empfindung einer Vollkom- den Versen beobachtet, welche gleichsam eine stille
menhcit oder Vortrefflichkeit , os sey an uns oder Musik iu sich halten, und wenu sie richtig, nuch
an etwas anders; denn die Vollkominenhoit auch ohne Gesang angenehm fallen. Die Schlà'ge auf
fremder Dinge ist angenehm, aïs Verstand , Tapfer- der Trommel , der Takt und die Cadenz im Dan-
keit und sonderlich Schônheit eines andern Men- zen und sonst dei-gleiehen Bcwegungen nach Maass
schen, auch vvohl eines Thicres, ja gar eines Icblo- und Regel haben ihre Angenehmlichkeit von der
sen Geschôpfes, Gemâldes oder Kunstwerkes. Ordnung; denn allé Ordnung kommt dein Geiniithe
Demi das Bild solcher fremden Vollkommenheit zn Statten, und eine gleichmassige, obschou unsicht-
in uns eingedriicket, macht, dass auch etwas davon bare Ordnung findet sich auch in den iiach Kunst
in uns selbst gcpflanzet und envecket wird, wie verursachten Schlagen oder Beweguiwn der zittern-
denn kein Zweifel, dass wer viel mit trefflichen den oder bcbenden Saitcn, Pfeiffen oder KIocken,
Leuten und Sachen umgehet, auch davon vortreff- ja selbst der Luft, so dadnrch in gleichmassige Re-
licher werde. gung gebracht wird, die dann anch ferner in uns
Und obschon bisweilen fremde Vollkommenhei- vermittelst des Gehôrs einen mitstiminenden Wie-
ten uns missfallen , aïs znm Exempel der Verstaad derschall machet, nach welchem sich auch unsere
oder die Tapferkeit eines Feindes, die Schônheit Lebensgeister regen. Daher die Mnsik so bequem
eines Mit - Buhlers oder Glanz einer fremden Tu- ist , die Gemiither zu bewegen , obgleich insgemein
gend , die uns verdunkelt , oder beschiimet , so ge- solcher Hauptzweck nicht genugsam beobachtet
schieht es doch nicht aus der Vollkommenheit an noch gesucht wird.
ihr selbst, sondern wegen des Umstandes,, dadurch Und ist nicht zu zweifeln , dass anch im Fiihlen,
uns Ungelegenheit entstehet, und wird alsdann die Schmecken und Riechen die Sûssigkeit in einer ge
Siissigkeit der ersten Empfindung einer fremden wissen , obschon nnsiohtbaren Ordnung und Voll
Vollkommenheit durch den Verfolg und die Bit- kommenheit oder auch Bequemlichkeit bestehe , so
terkeit des Nachdenkens ausgethan uud verderbet. die Natur darein geleget, uns nnd die Thiere za
Mau merket nicht allczeit, worin die Vollkoui; déni, so sonst nùthig ist, zu rei/.eu, und dass also
'85*
672 LXXVIII. VON DËR GLU ECKS ELIGK EIT.
aller.angenchuwn Dinge rechtor Gebrauch uns wirk- det, ist eine solche gegeiiwartige Freude, die tins
lich zu Statten kommc, obschon durch Missbranch auch fùrs kiinftige bel Freude erhalten kann.
und Unmassigkeit anderwiirts ein weit grôsserer Daraus denn folget, dass nichts mehr zur Gliick-
Scliade daraus zutn ôftern entstehen kann. seligkeit diene, aïs die Erleuchtung des Versfanrfes
Vollkommenheit nenne ich allé Erhôhung und Ucbùng des Willens, allezeit nach dem Ver-
des Wesens; denn wie die Krankheit gleichsam stande zu wirken nnd dass solche Erlenchtung son-
ciné Erniedrigung ist< und ein Âbfall von der Ge- derlich in der Erkenntniss derer Dinge zu suchen,
sundheit, also ist die Vollkommenheit etwas, so die nnsern Verstand immer weiter /n einein hô-
ùber die Gesundhcit steigrt, die Gesundheit aber hern Licht bringen kônnen, dieweilen daraus ein
solbst bestehet im Mittel und in der Wage und immerwàhrender Fortgang in Weisheit und Tu
leget den Grund zur Vollkoramenhcit. gend, auch folglich in Vollkommenheit uud Freude
Gleichivie nun die Krankheit herkonmit Ton entspringet , davon der Nutzen auch nach dieseia
verletzter Wirkung, wie solches die Ar/ney-Ver- Leben bei der Seele bleibet.
stiindige wohl bemerket, also erzeiget sich hinge- Was das fur Dinge scyen , deren Erkenntniss
gen die Vollkommenheit in der Kraft zu wirken, einen solchen gliicklichen Fortgang verursachet,
wie dcnn allés Wesen in eincr gewissen Kraft be i erfordert eine eigene Ausfuhrung ; inzwischen kann
stehet, und je gvôsser die Kraft, je hoher und freicr i man sagen, dass niemand leichter zu einer liohen
ist das Wesen. Staffel der Gluckseligkeit steigen kônne, aïs hohe
Ferner: Bei aller Kraft je grôsser sie ist, je Personen, und doch niemands in der That, wie
inehr zcigct sich dabei Viel ans einem und in Christns selbst gesagt , schwerlicher dazu gelangen,
cineni, indem Eines Viele ausser sich regieret, aïs eben Sie. Deçsen Ursach ist, dass sie zwar viel
und in sich vorbildet. Nun die Einigkeit in der l Gutes thnn kônnen, aber selten ihre Gcdankeu
Vielheit ist nichts anclers aïs die Uebereinstiminung, ; darauf richten.
imd weil eines zu diesein naher stimmet aïs zn je- Denn weilen sie stcts Gelegenhpit zu sinnlichen
nein, so fliessct daraus die Onlnung, von welcher j Ergôtzungen baben , so werden sie gewohnet , ihre
alle'Schônheit herkommt und die Schônheit erwek- ! Freude ineist in der Wollust zu sucheu, so vom
ket Licbe. | Leib herriihret, und wenn sie sich hoch schwingen,
Daraus siehet man nun, wie Gluckseligkeit, Lnst, so suchen sie doch mehr Lob und Ehre bei andern,
Liebe, Vollkommenheit, Wesen, Kraft, Freiheit, aïs eine wahre Vergnùgung bei sich selbsten. Da-
Uebercinstimtnung , Onlnung nnd Schônheit an ein- her wenn die Wohllnst des Leihes durcb Krank- '
andor verbunden, welches von Wenigen recht an- heiten und der Ruhm durch Ungliicksfàlle abgeliet,
gesehen wird. da hôret der Sclb&tbetrug auf nnd sic finden sich
Wenn nun die Seele in ihr selbst eine grosse UDglucklich.
Zusammonstiiiiinung, Ordnung, Freiheit, Kraft oder Sie haben von Jugend auf dem Trieb âusserli-
Vollkommenheit fùhlut, und foljrlich daran Lust cher Dinge gefolget, \\-egen der Lust so sie dabei
crnpfimlet , so vernrsachet solches eine Freude, wie gefnnden, zumahl weil es anfangs etwas bcschwer-
aus allen diesen und obigen Erklarnngeu abzu- lich ist, diesem Strom zu widerstehen; habeh also
nehnien. grossen Theils die Freiheit des Gemiitbes verloren.
Solche Freude ist bestandig und kann nicht bc- Daher es ein Grosses, wenn eine hohe Person
triigcn, noch eine kiinftige Traurigkeit vernrsachen, sich selbst auch in Krankheit, Ungliick und Verach-
wenn sie von Erkenntniss herriihret, und mit ei tung vergniiget; und zwar wenn sie sich zufrieden
nem Licht beglcitet, daraus im Willen eine Nei- geben kann nicht nur aus Noth . weil man siebet,
gung zum Guten, das ist die Tugend entstehet. dass es so seyn inuss , welcher Trost nkbts anders
Wenn aber die Lust und Freude so bcwandt, i ist, aïs wcnu man einen Schlaftrnuk einoimnit, mn
dass sie zwar die Sinnen doch aber nicht den Ver- die Schmerzen nicht zu empfîudcn , sondera durch
stand vergniiget, so kann sie eben so leiclit zur Erweckung in sich selbst einer grossen Freude, so
Ungliickseligkeit , aïs zur Gluckseligkeit helfcn, dièse Schmerzen nnd Uugliicksfàlle uberwieget.
gleich wie eine wohlsciuueckende Speise nngesund Solche Frende, welche der Mensch sich allezeit
seyn kann. selbst machen katm, wenn das Gemiith wolù be-
Uud mnss also die Wollust der Sinnen nach den schaQen, besteht in Empfîndung einer Lust an ihm
Hegeln der Vernunft wie eine Speise, Arznei oder selbst und an seincu Gemiitliskrâfteu , wenn man
Stârkuug gebraucht werden. Aber die Lust, so in sich ciu starke Neigung und Fertigkeit znru Gn-
die Suele an sich selbst nach dcm Verstand empfin- tcn und zur Wahrueit fiihlet, sonderlich vermit
LXXIX. DE LA SAGESSE. G73
tolst clcr griincllichen Nachrirht, die uns ein er- mehrnng menschlicher Kriifte und Befordeiung ihrcs
lenchteter Vcrstand clarstellet, also dass wir den gemeinen Bestcn einandcr hclfen und noues Licht
Hauptquell , Lauf und End/week aller Dinge und geben kônnen.
unglaabliche Vortrcfflichkeit der allés in sich be- Erscheinet also die holie Gliickseliskeit hohor und
greifenden hochsten Natar erfahren und dabei ùber dabei erleuchteter Personen daraus, dass aie zu
die Unwisseude empor gehoben werden . gleich ihrer Gluckseligkcit so viel thnn konnen, aïs wenu
aïs ob wir aus den Sternen herab die irdischen sie tausend Hâude und tauseud Leben hâtten, ja aïs
Dingo untcr unscrn Fiissen sehen kônnten. Zu- wenn sie tausend mal so lang lebten aïs sie thun.
mahl wir endlich daraus gar erlemen, dass wir Ur- Denn so viel ist unser Leben fiir ein wahres Leben
sach haben iiber Allés, so bereits geschehen, und /ii schâtzen, aïs inan darin wohl thut. Der nun
auch, das noch geschehen soll, uns /.uni hochsten viel wohl thut in kurzcr Zcit, der ist dem gleicli,
zu freuen , doch dass wir gleich wohl snchen , \vas so 1000 mal langer It^bt; welches bei denen Statt
noch nicht geschehen, so viel an uns, aufs Bestezurich- findet, so mavhen kônnen, dass 1000 und aber
ten. Denn das ist eins der ewigen Gesetze der 1000 Hàude mit ihnen wirken, dadurch in wenig
Natur, dass wir der Vollkommenheit der Dinge, Jahren uielir Gutes geschehen kann zu ihrein hoch
und der daraus entstehenden Lust nach Maass uns- sten Ruhm und Vergnùgen, aïs sonst viel bundert
rer Erkenntniss, gnter Neigung und vorgesetzten Jahre nicht bringcn kônnten.
Beitrags geniessen werden. Die Schônheit der Natur ist so gross und deren
Wenn nun eine hohe Person dièses erlangct Betrachtung bat eine solrhe Siissigkeit, auch das
also, tlass sic auch mitten in allein Ueberfluss und Licbt und die gnte Regung so daraus entstehen,
Ehren dennoch ihre grosse Vergnûgnng findet io haben so herrlichen Nutzen bereits in diesem Le
den Wirkungen ihres Verstandes und ihrer Tngend, ben, dass wer sie gekostet, allé anderen Ergôtzlich-
die halte ich doppclt fur hoch. Vor sich wegen keiten gering dagegen achtet. Thut rnan aber noch
dieser ihrer Gliickseligkeit und wahren Freude, dazu, dass die Seelc nicht vcrgehet, ja dass eine
fiir Andere aber, wcil ganz gewiss, dass dièse Per jede Vollkommenheit in ihr bestehen und Frucht
son wegen ihrer Macht und Ansehens kann und bringen muss, so siehet man erst redit, wie die
wird auch vielen andcrn Licht und Tngend voit- wahre Gliickseligkeit, so ans Wcisheit und Tugcud
theilen , indcui eine solche Mittheilung eino Riick- entstehet, ganz ùberschwensrlich und uuerincsslich
strahlung auf sic selbst machet, und die, so der- scy iiber allés, dass man sich davou ciubiUk'n
gleichen gemeinsamcn Zweck habcn, in Ûntersu- miichte. —
chung der Wahrheit, ErkeiiDtuiss der Natur , Vcr-
LXXIX.
DE LA SAGESSE.
(E. Mdirilis I.cibnltiaiiis nondum edilis, quae in Bibliolheca negia Ilanoveranae asservaillur).
La sagesse est une parfaite connoissance des ver la santé, à se perfectioner en tonte sorte dos
principes de toutes les sciences et de l'art de les choses dont on peut avoir besoin et au pourvoir
appliquer. J'appelle principes toutes les vérités enfin aux commodités de la vie. L'art d'appli
fondamentales qui suffisent pour en tirer toutes quer ces principes aux occnrremens , renferme eu
les conclusions en cas do besoin, après quelque elle l'art de bien juger ou raisonner, Part d'inven
exercice et avec quelque peu duplication. Eu un ter des vérités inconnues, et enfin l'art de se sou
mot ce qui sert à conduire l'esprit à régler les venir de ce qu'on sait à point nommé et quand
moeurs, à subsister honnêtement, et partout, si on eu a besoin.
ou étoit même an milieu des barbares à conser
674 LXXIX. DE LA SAGESSE.
L'art de bien raisonner consiste dans les quand on a considéré les réquisits qui entrent
maximes suivantes: dans la considération de la chose proposée, et
1. il ne faut jamais reconnoitre pour vrai que ce même les réquisits des réquisits et quand onesten-
qui est si manifesté qu'on ne puisse trouver au fin venu à la considération de quelques natures,
cun sujet de doute. C'est pourquoi il sera bon qu'on n'entend que par elles mêmes, qui sont sans
pour commencement de ces recherches, de s'i réquisits et qui n'ont besoin de rien hors d'elles
maginer d'être intéressé à soutenir le contraire, pour être conçues, on est parvenu à une conois-
à fin de voir si cet aiguillon ne pourroit pas sance parfaite de la chose proposée.
nous éveiller à trouver, que la chose de solide à 4. Quand la chose le mérite, il faut tâcher d'avoir
redire. Car il faut éviter les préjugés et n'at cette connoissance parfaite tout à la fois pré
tribuer aux choses que ce qu'elles renferment. sente dans l'esprit, et cela se fait en répétant
Mais aussi il ne faut jamais être opiniâtre. l'analyse plusieurs fois jusqu' à ce qu'il nous
2. Lors qu'il ne paroit pas moyen de parvenir à semble, que nous la voyons tonte entière d'un
cette assurance , il faut se contenter de la pro seul coup d'esprit. Et pour cet effet il faut ob
babilité en attendant une plus grande lumière. server quelque gradation dans la répétition.
Mais il faut distinguer des degrés dans les pro 5. La marque d'une connoissance parfaite est lors
babilités et il faut se souvenir, que tout ce que qu'il ne s'offre rien de la chose dont il s'agit,
nous tirons d'un principe qui n'est que proba dont on ne puisse rendre raison , et qu'il n'y a
ble, 'se doit ressentir de l'imperfection de sa point de rencontre dont on ne puisse prédire
source, surtout quand il faut supposer plusieurs l'événement par avance. Il est très difficile de
probabilités pour arriver à cette conclusion, car venir à bout de l'analyse des choses, mais il
elle en devient encore moins assurée que chaque n'est pas si difficile d'achever l'analyse des véri
probabilité qui lui sert de fondement, n'étoit. tés dont on a besoin. Parce que l'analyse d'une
3. Pour tirer une vérité d'une autre il faut garder vérité est achevée quand on en a trouvé la Dé
un certain enchaînement qui soit sans - inter monstration , et il n'est pas toujours nécessaire,
ruption. Car comme on peut assurer, qu'une d'achever l'analyse du sujet on prédicat pour
chaîne tiendra , lorsqu'on est assuré que chaque trouver la démonstration de la proposition. Le
anneau à part est de bonne étoffe, qu'il embrasse plus souvent le commencement Je l'analyse de
les deux anneaux voisins, savoir celui, qui le la chose suffit à l'analyse ou connoissance par
précède et celui , qui le suit, de même on peut faite de la vérité, qu'on connoit de la chose.
être assuré de la justesse du raisonnement, lors 6. Il faut toujours commencer nos recherches par
que la matière est bonne, c'est à dire, qu'il n'en les choses les plus aisées comme sont les plus
tre rien de douteux, et lorsque la forme con générales et les plus simples, item celles sur les
siste dans une liaison perpétuelle des vérités, quelles il est aisé de faire des expériences et
qui ne laisse point de vnide. Par exemple A d'en trouver la raison, comme sont nombres,
est B et B est C et C est D, donc A est D. Cet lignes, mouvemens.
enchaînement nous apprendra aussi de ne met 7. Il faut monter par ordre, et des choses aisées
tra jamais dans la conclusion plus, qu'il n'y avoit aux difficiles et il faut tâcher de découvrir quel
dans les prémisses. — que progression dans l'ordre de nos méditations,
L'art d'inventer consiste dans les maximes à fin d'avoir la nature même pour guide et pour
suivantes : garant.
1. Pour connoître une chose il faut considérer tous 8. Il faut tâcher de ne rien d'omettre dans tontes
les réquisits de cette chose, c'est-à-dire tout ce nos distributions ou énmnerations. Et c'est à
qui suffit à la distinger de toute autre chose. quoi les dichotomies par membres opposées sont
Et c'est ce qu'on appelle définition, nature, très bonnes.
propriété réciproque. 9. Le fruit de plusieurs analyses des matières par-
2. Ayant une fois trouvé nu moyen de la distin ticulières différentes sera le catalogue des pen
guer de tonte autre chose , il faut appliquer cette sées simples , ou qui ne sont pas fort éloignées
même règle première à la considération de chaque des simples.
condition ou réqnisit, qui entre dans ce moyeu, et 10. Ayant le catalogue des pensées simples, on
considérer tous les réquisitsdechaque réquisit. Et sera en état de recommencer à priori et d'ex
c'est ce que j'appelle la vraie analyse, ou dis pliquer l'origine des choses, prise de leur sonrce
tribution de la difficulté en plusieurs parties. d'un ordre parfait et d'une combinaison ou syn
3. Quand on à poussé l'analyse à bout, c'est-à-dire thèse absolument achevée. Et c'est tout ce que
LXXX. LETTRE A MR. DES MAIZEAUX. C75
pcat faire notre aine dans Tétât où clic est pré on qui en sont fort différentes. Par exemple
sentement. quand on me nie quelque maxime générale, il
L'art de se souvenir de ce qu'on sait à est bon que je puisse apporter des exemples sur
point nommé et quand on a besoin, consiste le champ. Et quand un autre apporte quelque
dans les observations suivantes. maxime contre moi , il est bon que je lui puisse
1. Il faut s'accoutumer à avoir l'esprit présent, d'abord opposer une instance, quand on me conte
c'est-à-dire à pouvoir aussi bien méditer dans une histoire il est bon que j'en puisse rappor
le tumulte, dans l'occasion et dans le danger, ter sur le champ une semblable.
que dans son cabinet. C'est pourquoi il faut se 6. Quand il y a des vérités ou connoissances où la
prouver dans les occasions, et il en faut chercher liaison naturelle du sujet avec son prédicat ne
même avec cette précaution pourtant, qu'on ne nous est pas connue, connue il arrive dans les
s'expose pas sans grande raison à un mal irré choses de fait, et dans les vérités de l'expé
parable. En attendant il est bon de s'exercer rience, il faut se servir de quelques artifices
dans les occasions, où le danger est imaginaire pour les retenir, comme par exemple pour les
ou petit , comme sont le jeu , les conférences, propriétés spécifiques des simples, l'histoire na
les conversations, les exercices et -les comédies. turelle, civile, ecclésiastique, la géographie, les
2. 11 faut s'accoutumer aux dénombremens. C'est coutumes, les loix, les canous, les langues. Je
pourquoi il est bon de s'exercer à rapporter ne vois rien de si propre à faire retenir ces cho
tous les cas possibles de la question dont il s'a ses là, que les vers burlesques et quelques fois
git, toutes les espèces d'un genre, toutes les com certaines figures; item des hypothèses controu-
modités on incommodités d'un moyen, tous les vées pour les expliquer à l'imitation des choses
moyens possibles pour arriver à quelque fin. naturelles, (comme une étymologie convenable
3. Il faut s'accoutumer aux distinctions, savoir vraie ou fausse pour les langues — Régula
deux ou plusieurs choses fort semblables étant Mundi, en s'maginant certaines ordres de la
données, trouver sur le champ toutes leur diffé providence pour l'histoire).
rences. 7. Enfin il est bon de faire un inventaire par
4. Il faut s'accoutumor aux analogies, savoir deux écrit des connoissances qui sont les plus utiles
ou plusieurs choses fort différentes étant don arec un registre ou table alphabétique. Et il
nées, trouver leur ressemblances. en faut tirer enfin un manuel portatif de ce qui
5. 11 faut pouvoir rapporter sur le champ des est plus nécessaire et plus ordinaire.
choses, qui ressemblent fort à la chose donnée,
LXXX.
LETTRE A M" DES MAIZEAUX
CONTENANT QUELQUES ÉCLAIRCISSEMENT SUR QUELQUES ENDROITS DU SYSTEME
DE L'HARMONIE PRÉÉTABLIE.
1711.
(Recueil des diverses pièces etc. Tom. II. p. 478. — Leibn. Opp. ed Dulens Tom. H. P. 1. p. 6û).
LXXXI.
EPISTOLA AD BIERUNGIUM.
1711.
(Episl. ad diverti, éd. Kortholl. Vol. IV. p. 46. LeibD. Opp. éd. Dutens. Tont. V p. 873).
I. Gratnm est intelligere, quod tibi non omnino et similia, non habet opus, ut tain longe procédât,
displicuerint animadversiunculae meae qualescun- quam cbymicus, qui etiam salia, sulpbura, aliaque
que. Circa Physicas demonstrationes foi tasse non in terra contenta examinât: at Physicus in ipso-
dissentimus, et videris uientem meain aliter, quain rum salium snlphurumque constitutiones amplius
vellem, accepisso, confnndendo perfectam naturae inquirit et rationes phaeDomenorutn mechanicas
cognitionem cum demonstrationibus, quibus quae- investigat. Etsi autem nondum satis hic profece-
dam ejus pliaenomcua explicantur. Nondum per- rimus, non ideo tamen animus est despondendus,
fecte uovimus uaturam culorurn, et tamen démon quum ipsae salium figurae ducant ad mecbanis-
strative explicamus iridem. Dantur in Physicis mum. Eruùnus intcrdum caussas interiores et in-
demonstrationes, verbi gratia circa moturn, gravi- visibiles, sed non ideo intimas et omues. Née
tatetn, vim elasticam, vim magneticam, sonos, cor- sola inductione, sed etiam ratiocinatione utimur.
pora coelestia, noimullos etiam corporis nostri Haec si tuis confères, videbis, ni fallor, singulis sa-
mechanismos, et alia ; dum scilicet mathematica et tisfactum. Subjicis tandem, genus humanum nuu-
metaphysica cum observationibus sensibilibus con- quam ad perfectam naturae cognitionem perventu-
jnnguntnr. Etsi anteni perfecte noscere non liceat rum. Sed quis uuquam nos eo perventuros soninia-
intima naturae, quia sub divisionibus proceduut in vitî An ideo nnllas habere possumus demonstra
infinitum, spes tamen est magis penetrari posse in tiones? Est aliquid prodire tenus. Possumus in-
interiora, uti jam facere coepimus, idque maximo gredi in atrium, etsi in cubiculum aut sacrarium
fructu rei oeconomicae et medicae fiet. Sunt qui non admittamur.
dam in inquirendo gradus. Ex. gr. arohitectus con- IL Qnaeris de rebns spirituum vel potins de in-
tcntuii in terra distingnere sabulum, argillam, saxa corporeis. aisque, nos viderc incchankam partium
86
678 LXXXI. BPISTOLA AD BIERLING1UM.
dispositionem, sed non videre mechanismi principia. ex substantiis corporeis collecta. Snbstantiam
Rcctc, sed cum vidcamus et motam, hinc intelli- corporea m voco, quae in substantia simplice
giinns causam motus sea vitn. Mechanismi foos seu monade (id est anima vel animae analogo) et
est vis primitiva, sed loges motus , secandnm quas iiiiiln ei corpore organico consistit. Àt massa
ex ea nascnntur impetas sen vires derivativae, pro- est aggregatum snbstantiarum corporearum , nt ca-
fluunt ex perceptiono boni et mali, seu ex eo, seus interdnm ex confluge vcrinium constat. Porto
quod est convenientissimum. Ita fit, ut efficientes M on a s seu substantia simplex in génère continet
causae pendeant a finalibus , et spiritualia sint na- perceptionem et appetitum; estqne vel pritnitira
tara priora materialibus, nti ctiam nobis sunt sen Dens, in qua o-t nltima ratio reram; vel est
priera cognitioue, quia iuterius animain (nobis in- derivativa, nempe Modas creata, eaqne est vel ra-
tiniam) quam corpas perspicimus, qnod etiam tione praedita, mens, vel sensu praedita, nempe
Plato et Cartesins notarunt. Hanc vim ais anima, vel inferiore quodam gradu perceptionis et
cognosci per effectus , non qnalis in se est ; respon- appetitus praedita, seu animae analoga, quae
deo ita fore, si animam non haberemus, née cogno- nudo Monadis Domine contenta est, cum ejus va-
sceremus. Habet anima in se perceptiones et ap- rios gradus non cognoscamus. Omiiis autem Mo-
petitus, iisquc natura ejus continetar. Et ut in nas est iaextingnibilis, neque enim snbstantiae sim-
corpore intelligimus aVrtruWai' , et fignram gene- plices nisi creando vel annihilando, id est miracn-
ratim, etsi nesciamus, quae sint Fignrae cor- lose, civil i aut desinere possunt. Et praeterea
pornui insensibilium : ita in anima intelligimus omnis Monas creata est corpore aliquo organieo
perceptionem et appetitum, etsi non cognoscanius praedita, secundum qnod percipit appetitque; etsi
distincte insensibilia ingredientia j)erceptionum per nativitates mortesque varie volvatur, involva-
confusarnm, qaibus insensibilia corporum expri- tur, transformetnr, et in perpetuo floxn consistât.
inuntur. Scntiri, ais spirkualia, exempli gratia Porro Monades in se continent Entelecbiam sea
aê'rem, Tentnm, lumen, non tamen ideo satis co vim primitivam, nt sii\e ipsis materia mère passiva
gnosci ; sed mi I il aër, ventns, lumen, non magis spi- esset ; et quaevis massa innumerabilcs continet mo
ritnalia videntnr quam aqua currens , née ab ea nades, etsi enim unumquodque organicum naturae
diffcrunt nisi subtilitate. Spiritus, animae, et in corpus suam habeat monadem respondentem, con
universum substantiae sitnpliccs sen monades, sen- tinet tamen in partibus alias monades, suis itidem
sibus et imaginatione comprehendi non possnnt, corporibus organicis praeditas primario inservien-
quia partibus carent. Qnaeris, an dari credam tibus, et nihil alind est tota natura,' necesse est
corpora, quae non cadant sub visnm. Qnidni cre- enim, omnia aggregata ex substantiis simpiicibus
ilain.' quin imo do eis non dubitari posse puto. resnltare, tamquam ex veris elementis. Atouii
Per microscopia vidcinus animalcula alias insensi- vero, sen corpora extensa, et tamen infrangibilia,
bilia, et nervuli hornm animalculorum et alia forte sunt res fictitiae, quae nisi per miracnlom explicari
natantia in ipsorum huinoribus aniraalcula videri non possunt, et ratione carent, née causas viriiim
non possnnt. Suhtilitas naturae procedit in inii- motuumque ex illis reddere licet. Et licet daren-
nitum. tor, vere simplicia non forent, eo ipso, quia sunt
III. Deniqne petis défini tiones materiae, corpo- extensa et partibus praedita. Ita tuis respondi
ris, spiritus. Mater ia est, qnod consistit inanti- mentemque meatn exposni , quantum paucis et par
typia seu qnod pénétrant! resistit; atque ideo litteras licet. Pro oratione tua perelegante gra-
nuda materia mère passiva est. Corpus autem tias ago maximas. Vale. Hanoverae 12. Au-
praeter materiam etiam liabet vim activant. Cor gusti 1711.
pus autem est v< I substantia corporea, vcl massa
Lxxxa
AD REVERENDISSIMUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE TRES.
1712.
EP1STOLA XVIII. hibitum contra atoinos non fuit, sed tamen non
Rcverendissime pater, fautor honora- spernendac est cflicaciae apud intelligentes.
t i s s i m e, De primo suo Elemcnto, seu -materia summe
11 ni (.la, ita interdum loquitur, ac si corpus non es-
Mire satisfacit tua versio '), et originalem tex- srt, sed hoc fortasse in logomachiain abibit. Nam
tum passim vincit. Paucissima quaedaiu notavi, movetar, et impellit, iuipclliturque, et extensionem
qualia et in meis soleo , ubi relego. Et cum tam habet, et partes ctiam aliae ab aliis disceduut.
fideliter, tain eleganter exprimas, atque etiam in- Sed quamdiu in hoc suo fluido iiihil aguoscit, nisi
terdnm illustres sensa , non est cur crebro per par- extensionem, figurant, et haruni variatiouem in
ticulas suboata mittas; sufleceritque aliquando ju- rootu, non poterit inde cducere percuptionem. Ait
stain partent , ubi vacaverit, vcuire. Unum addi- quidem nos non fosse scire quarum rerum taie flui-
dero, interdnm fugientiores videri litteraruin cha- iliuii sit capax, sed quamdiu in eo nihil aliud,
ractercs, quod ideo dico, ne fortasso nova sit de- quam dicta, collocaïuus, optitue perspicimus quo
scriptione opus: oeque enim descriptioaes illae ab rum capax sit. Née rnodificatio perfectiones ad-
hominibus mercenariis sine mendis fleri soient, dere potest, cum harum tantum limites variare
quae interdum fugiunt rcvidentetn. Et vero plera- possit. Quod si in illo fluido collocat aliquod at-
que omnia hactenus ita scripta sunt, ui novo exem- tribtitum altius, ad nostra vel eis viciua redibit.
plari non videatnr opus. Sed ipse discrimeii rei sabstantialis , et modifica-
Quae Duo. Hartsoekero nostro responderim, tionuni, aliaquu non iniaginutione, sed intelligcn-
in adjecta Epistola vides. Probat ille, et non pro- tia comprchcndenda , non satis inspexisse videtur,
bat meuin ratiouis snfncientis principium; probat aut curare.
gencratiin, non prohat exertim ; diœret aliquis do Ainicus, qui in actis Lipsiensibus Muysii li-
schola, probare in signato, non in oxercito actu. bruui recensuit, ostendit etiam, eum plane iutactam
Dicerem (si nui vis) probare inagis, qnain adhibere. reliquere vim argumenti mei pro necessitate Ente-
Itaque non potui quin ei paulo clarius, et per lechiae niateriam diversincantis, et non ni il la otl'ert
exempla similia ostendereni, quantum ab eo, id est, tuis plane consentientia.
a recta ratione décédât. Perplacet quod contra His et similibus facile convinci posset Dn. Ha r t-
in. mu principium Transitus non saltantis id ipsiini soekerus, nisi iuvictus esset. Si spiritus nihil
allegat, quo pulchre atomi impugnantur. Et prae- aliud sunt , quam collectio quaedam , et ut sic di-
clare praevidisti, experieutiam, quam aflVrt, veram cam, gutta fluidi, non inagis apparet, quomodo
non esse. Otnnia eorpora <lura nobis nota ela- percpptionem producant, quam si eos cura Epi-
stica sunt, adeoque cedunt, et vim incurrentis per curo ex atomis globularibus coiuposuisset, née
gradus |>aulatim infringunt ; etsi hoc non semper nnquara reddet rationem diversitatis. Sed ix>st-
satis sensibile sit, cum scilicet valde dura sunt eor < jiiain senicl sibi persuasit, duo esse primaria , ina-
pora, et magna se promptitudine restituunt. Sed teriam perfecte duram, et prrfecte fluidam, quae
si dantur atomi , transitus fit in instanti contra or- scilicet imagination! blandiuntur; pulchrum putavit
dinein reruni. Argunientum quidcni hoc olim ad- ex uno clucere spiritus, ex altero eorpora. Quo
modo inde ducantur spiritus, non est sollicitus.
1 J ac. Tbeodlcaetie. Ita scililicet soient, qui hypothèses suas amant.
8C '
G80 LXXXUI. AD DES BOSSES EPISTOLAE. XVIII.
Non potui non banc parentis amorein in foetam, caeteris, qnae indc résultant, et qoao sola existè
in novissima Epistola, ei non nihil objicere, et, rent, si non daretur substantia unionalis. Si abea-
quia liticulae taedio captus videtur, fîncm ei simul set illud monadum substantiale vinculara, corpora
imponere: interea nihil obstat, opinor, quiu Episto- oinuia cum omnibus suis qualitatibns nihil aliad
lae novissiraae, et Hartsockeriana, et mea forent quara phaenomena bene fundata, ut iris,
R. P. Turn«inino communicari possint. aut imago in speculo, verbo, somnia continuata
DissertatioiU'iu tuain de substautia corporea le- perfecte congruentia sibi ipsis; et in hoc uno con-
gatu lubentissitne. Si substautia corporea aliquid sisteret horum phaenoraenorum realitas. Monades
rcale est, praeter monades, uti linea aliquid esse enim esse partes corporuui, tangeresese, COHJ]>O-
statuitur, praeter puncta; diceiuluin erit, substan- nere corpora, non magis dici débet, quam hoc de
tiam corpoream consistpre in unione quadam, aat pnnctis, et animabus dicere licet. Et monas, ut
potius uuieute reali a Dco superaddito monadibus, anima, est velnt mundus quidam propiïus, iiullam
et ex unione quidein potentiac passirae monadum, coinniercium dependcntiae habens nisi cum Deo.
oriri uiateriam priniain, ucnipe extensionis, et an- Corpus ergo si substautia, est realizatio phaenome-
titypiac, seu diffusionis, et resistentiae exigeutiam; noruin ultra congruentiaui procedens.
ex uuione auteni Eutelechiarum monadicarum, oriri Quod si oinnino nolis accidentia haec Enchari-
l'un M:IIII substautialum , scd quae ita nasci , et ex- stica esse mcra phaenomena, potcrit dici, esse fun-
tingui possit, et cessante illa unione extiuguetur, data in accitlentali aliquo pfimario, nempe non
nisi a Deo iniraculose conservetur. Talis autem quidem in exteusione, quae mancre non potest,
forma tune non erit anima, quae e.st substantia sed in punctis hujus extensionis ad monades re-
si; ii] île \ , et indivisibilis. Et forma ista , proiude spondentibus, sublata unione continauin ex punctis
ac uiateria est in fluxu perpetuo, cum nulluin pun- constitueute ; atque adeo sublatis lineis , et figuris
ctum rêvera in_materia assiguari possit, quod ultra continuis, qualitatibus autem et caeteris realibos
momcntmueundemlocumservet,et quod non a quan accidentibus manentibus, ope reiuanentiuiu pun-
tumvis viciais recédât. Sed anima in suis inutationibus ctorum accideutalium , demta continuitate , quae a
eadem persistit, manente eodem subjecto, quod secus realitate unionali, seu vinculo substautiali pende-
est in corporea substantia. Itaque alterutrum dicen- bat; et ces:sante ejus dilTusione per partes extra
ilfiin est: vel corpora niera esse phaenoinena, atquc ita partes, cessabat. Itaque puncta accidentalia pos-
extcnsio quoque non ni- i phaenomenon erit, solae- sunt cousiderari, ut primarium aecidens, quod sit
que erunt monades reaies , unio autem auimae per- caeterorum basis , et quodammodo non modale,
cipientis operatione iu phaenonieuo supplebitur; quod de extensione seu diffusioue materiae conti
Tel si fides nos ad corporeas substantias adigit, nua dici nequit.
substautiam illarn consistere in illa realitate unio- Imo re magis expensa , video jam et ipsam ex-
n.ili, quae absolutum aliquid (adeoque snb- tensionem salvari , atque adeo 'tuant vestra expli-
stantiale) etsi fluxum unicndis addat. Et in hu- candi sententiam admitti posse, si quis phaeoo-
jus mutatioue collocauda csset transsubstantiatio mena nolit. Nam ut puncta accidentalia adiuitti
vestra, monades enim rêvera non snnt hujus ad- possunt, ita poterit etiam, itno fortasae tuuc debe-
diti ingrcdicntia , sed requisita; etsi non absoluta, bit admitti eoruin um'o. lia hubcmus extensio-
metaphysicaque , necessitate, sed sola cxigcntia ad iirm accidentaleui absolutam. Sed talis extensio
id requirantur. Itaque mutata licet substantia cor- formaliter quidem dicet diflusioncm partium extra
poris, monades salvae esse pofcrunt, fundataqne in jiartos, id autcin quod diflfundetur, non erit mate-
iis phaenomena sensibilia. Accidens non modale ria seu substantia corporis formaliter, sed tantum
videbitur aliquid difficile explicatu , née de exten- cxigentialiter. Ipsum autcin formate, quod dilFun-
sione idcapio. Illud dici potest, etsi monudes non siut ditur, erit localitas, seu quod facit sitiiiu, qaod
accidentia , accidere tamen substantiae unionali , ut ipsum opiis erit concipere tainquaui aliquid absolu
eas habeat (physica necessitate) uti corpori accidit, tum. Itaque jam, credo, non pugoabiuius, modo
ut a corpore tangatur, cmn corpus tamen accidena monades mutationi illi substantiae corporis super-
non sit. Extensio corporis nihil aliud esse vide naturali non involvas, praeter ullam necessitatem,
tur quant materiae coutinuatio per partes extra cum ça, ut dixi, non ingrediantur. L'bi etiam se-
partes, seu diflusio. Ubi autem superuaturaliter cuudum vos ipsos, anima Christi in Traussubstau-
cessabit To extra partes, cessabit etiam exten- tiatione non mutatur, née succedit in substantia
sio, quae ipsi corpori accidit; solaque supererit panis lui mu. Idem dixerim de caeteris sanctia-
extcnsio phaenomena , in mouadibus fundata, com simi corporis monadibus. Intérim, ut vemm ai
LXXXII. AD DES BOSSES EPISTOLAË XIX. 681
cam, malletti accklentia Eucharisties explicari per in itineribns observassent quacnam sit tani dccli-
phaenomena; ita non erit opus acrideutibus non natio hori/.ontalis , quam inclinatio vcrticalis ma-
modalibus , quae parutn capio. gnetica, et observationes in litteras retulissent, ha-
Subtiliora paulo sunt quaedatn, qaae de Deo bercmus hodie Thesaurum observationum, ex qui-
optima eligente Ruzius et MartiDUs Perezius bus fortasse jam tum conjici ac praedici posset,
rester habent, et indigercnt interpretatione: in salteui in aliquot annos, quae in plurimis locis de-
sunima tamen a mois valcle abhorrere videntur. beat esse variatio. Unde observata variatione in
Itaquc limitas pro communicatione gratias ago. medio mari, conjunctaque cum poli elevatione, ha-
Ago etiaiu pluriilias pro Meldcnsis Episcopi in- beri locus posset; et tandem erui limites, periodi,
structione pastorali , quant percurri , et subtilem leges variationis, et fortasse etiam ratio tauti ar-
profundamque deprehendo. lllud vereor, ne plu- cani. Nihil autein prohibet, quod hactenns ne-
liiua. quae in Jauseuio reprehenduntur , siut glectnm est, adhuc curari, et salteui consuli postcri-
ipsius Augustin!, qui ipsemet ctiam miram il- l.iii. uti arbores ventnris plantamus; saltemqne
lam intcrpretationein habet, quod Deus non velit prohiber! , ne aliquis post multos annos de prae-
salvare singula gcnerum, sed gênera singuloram. sente neglectu queri jure possit, ut nos nunc de
Titulum tentamiuuin Theodicaeae , nisi aliter praetcrito qucrirnur. Itaquc i>ro[)emodum audeo
jndicas, servari posse putetu, est enim Theodicaea a te petere, ut rem ad R. P. Ptolomacum (cura
qaasi scientiae quoddam genus, doctrina scilicet niulta a me salute) déferas ejusque cousilium
de jusitia (id est sapientia siinul et bonitate ) Dei. expetas.
Quaenam est illa tandem definitio Romana cau-
sae Sinensis, de qua multum sermonem esse intel-
ligo, et coi se vestri Romae submisere? Si Tur-
noniana décréta confiinantur sine moderatione , et E P I S T O L A XIX.
nisi curia Romana rein artificio aliquo iuvolvit, Rev erendissime pater, fautor honora-
vereor, ne Sineusis uiissio pcssumeat, quod nolim. tissime.
Nescio, an R. P. T urne mi no significavcris, me
annales molientem inde ab initio regni Caroli M. Si id ipioi! Monadibas superadditur ad facien-
jam Caroli n gos ultra usque ad Saxones Reges, dam unioneni substantiale esse uegas, jam corpus
vel Imperatores pervenisse, qua occasione etiam substantia dici non potest; ita enim ineruin ait
Papissam discutieiidi nécessitas fuit. ' Quod si Mouadum aggregatum, et vereor, ne in niera cor-
R. P. Daniel in sais, quos sub manibus habet, porum phueuoinena recidas. Mouades eniui per
Francorum annalibus, hue usquc etiam processif, in se ne situm quidem intrr se habeut, ncm{)e realein,
innltis credo convcnicinus , et si qua superessent qui ultra Pliaenouienorum ordinem porrigatur.
dubia, possemus confcrre. Chronologiam sic sa- Unaquaeque est velut scparatus quidam muiulus,
tis constituisse rnihi videor. Quod snpcrcst , valc et hi per phaenomena sua consentiunt inter se,
et fave. nullo alio pcr se commercio , nexuque.
Dabam Hanoverae 15. Febr. 1712. Si accidens vocas, quicquid substantiam com-
Ueilitissimus pletam ita su])pooit, ut naturaliter sine ipsa esse
G. G. L e i b n i t i u s. nequeat, non explicas, in quo consistât id , quod
P. S. Venit aliqnando in mentem optare. ut accident! est essentiale, et quo etiam in statu su-
•virorum vestrae soci<>tatis in rébus Mathematicis pernaturali a substautia distingui débet. Peripa-
vcrsatorurn ope obscrvationcs variationis Magne- tetici omuiuo aliquid substantiale agnoscunt ]>rae-
ticae pcr orlK'm continuatae annoruni studio, colla- ter Monades, alioqui si^cuuduiu ipsos nullae sub-
taque opéra, instituerentiir, quae rcs sumnii est stantiae praeter Monades forent. Et monades
moment! ad Geograpliiam et navigations, et a nul- non coustituunt substaotiain completam eoniposi-
lis aliis commodius tieri posset. Post Gilber- tiiin, cum non Cariant uuum per se, sed merum ag
tuin Anglum, qui primus hujus doctrinae funda- gregatum, nisi aliquod substaiitiale vinculum ac
uienta posuit , neino nielius do magneticis observa- cédât.
tionibus meritus est , quam vestri , quorum etiam Ex Harmonia non potest probari , aliquid alind
justa opéra extant; Cabaeus, Kircherus, Leo- esse in corporibus, quam Phaenomena. Nain
taudus, alii. Quod si vestri qui pcr orbem iude aliunde constat, Hannoniaiu Phaeoomcnorum in
a Kircheri temporibus, quotannis, ubicunque, animabus non oriri ex inlluxu corporum, sed esse
Mathematuffl periti aguut, sivc fixis sedibus, sivc praestabilitaru , idque sufficcret si solae cssent aur
682 LXXXII. AD DES BOSSES EPISTOLA XX.
mae, vcl Monades: quo casu ctiam omnis cvane- procurasti, quam légère aveo, et quod non ntrn-
sceret extinctio rcalis, nedum motus, ru jus realitas ciasti tantum, sed et narratione coudigua illustrasti
ad tueras phaeiiotucaoruin mutationes redigeretur. Eminentissimi Ptolemaei promotionem; cni ex
Vellem aliquis integrum systema Jansenii an in ID gratnlor littcris quas trausuiitto, et ot cas
in compendio exhiberet. Âlioqui difficile est in re qucmadinodum obtulisti, curare velis, pcto.
tain pcrplexa, de mente ejus recte judicarc. Et Beneficiutn etiam tribuis , dum doctonun ex
quemadiuodum ex Âugastino plane contraria sacra scbola virorum sententias meis qualibuscon-
videntur exsculpi posse verbis, ejos e sua sede di- que conspirantes notas. Id eiiim tum ad confit-
motis, ita fieri potest, ut idem Jansenio eveniat: niandum, tum ad intelligendum plnrimmi valet.
sed nexus uieditationurn tôlière hanc dubitationeiu R. P. Sébastian! Izquierdo inliil aliud uie in-
|i!iis'sl , et valde versatum esse oportet in lectione spiccrc meuiini, qnam libruiu inscriptum Pharus
Augustiui et librornni ejus diversorum nosse Scientiarum, quem juveuis vidi; sed ideam
tempora, scopos, synopsin, qui locis ex eo ex- ejns peue amisi; quaedam phrases Izquierdinae
cerptis decipi non vult. Id olim nonnnllis ejns in locis a te excerptis, non nihil a uieis dissonant,
verbis curiosius inspeetis anituadvertere rnihi visus sed in re consentire videmur. Ex. gr. cum ait
sum, coque nunc sum factus circumspectior. Deuui necessitatum fuisse moraliter, non physice
Hartsoekerus promisit, se ultra de Atomis ad uiundum creanduni, ego dicere malui, moraliter,
non replicaturum; in eo proposito constautcui se non metapbysice; Physicam eiiim necessitatem in
ostendere vult. libello meo sic explicui, ut sit consequens mo-
Multas utique babeo meditationes philosophicas, ralis.
sed nonduui édition! paratas. Ex ils ea quae per Explicationem phaenomenorum omnium pcr so-
tinent ad leges motus, maxime ad elucidanda N;i- las Monadum perceptiones inter se conspirantes,
turae principia inservire possnnt.. seposita substantia corporea , utilem censeo ad fuu-
Multum tibi debeo , quod tanto studio in libello damentaleiu rcnim inspectioneui. Et hoc expo-
meo vertendo versaris. Vellem invenisses in eo, nendi modo spatium fit oixlo coexisteutium phae-
quae operae pretium facere pussent nouienoruin, ut tempus successivornm ; née ulla est
(initias ago pro conimuuicatis, quae ad res Si- monadum propinquitas , aut distantia spatialis, vct
nenses pertinent. Quanto nuisis ça considero, eo absolut a, dicerequu, esse in puucto conglobatas,
magis • miror Romae fieri , quae milii pcriculuui aut in spatio disseminatas , est quibusdam fictioni-
Missionis augere videutur, et recta monent Lusi- 1ms aiiimi nostri uti, dum imaginari libeoter vel-
tani, quorum interest non irritari Monarcliani Si- lemus, quae tantum intelligi possunt. In bac etiain
iH'iisrm. Interea vereor, ut Papa probet, quod considérations nulla occurrit cxtensio aut compo-
Lnsitani sibi jus patrouatus in Ecclesias Siueuscs sitio continui, et ouines de punctis diflicultates eva-
attribuant. nescunt. Atque hoc est, quod dicere volui alicnbi
Nosse velim, an R. P. Turnemiuns, promis- in uiea Theodicaea, difficnltates de composition
sain Theodicaeae meae recensionem Trivultia- continui admonere nos debcre, res louge aliter esse
nis suis Actis literariis inseruerit. conspiciendas. Videiulum deinde qnid necesse sit
Libres in scheda bac notâtes Dominus Romers- superaddi, si addamus unionem substantialem, seu
kirchen, quando volet, mittere poterit, pretium ponainus substantiam dari corpoream, adeoque ma-
ascripsi : qualem ipscmet statuit sol vain pecuniam, teriam; et an tune necesse si( recurri ad corpus
et pro bis et pro priore, illi quem mihi nominaris. Mathematicuin. Certe Monades non ideo proprie
Interea vale et fave Dabam Hanovcrae erunt in loco absoltito, cum rêvera non sint ingre-
26. Mail 1712. dientia, sed tantum requisita materiae. Itaque
Deditissimus nou ideo necesse erit indivisibilia quaeriaoi locatia
G. G. L c i b n i t i u s. constitui, quae in tanta difficultates conjidunt. Suf-
ficit, substantiam corpoream esse quiddam phaeno-
noinena extra animas n-ali/aus: sed iu qno nolim
concipere partes actu , nisi quae actuali divisioue
EPISTOLA XX. fiunt, née indivisibilia, nisi ut extreuia.
Reverendissime pater, fautor honora- Monades puto existentiam semper habere ple-
tissimc. nam, née concipi posse, ut partes potentia dicun-
tnr esse iu toto. Née video quid Monas dornt-
Nova setnper bénéficia in me cumulas, in quibus nans aliarum monadnm existentiae dctrahat; cam
nou postreuia sunt quod Rccensioiiem Trivultianaui rêvera iuter eas uulluui sit couimerciuiu , sed tau-
XXXIII REMARQUE SUR LA ^7I. LETTRE PHILOS, etc. C83
tara consensus. Unitas substantiac corporeae in Verum est, consentire deberc, quae fiant in
equo iion oritur ab nlla refractione monadnm, sed anima cum iis, quae extra animam gernntnr; sed
a vinculo substantiali sapcraddito , J»T qnod in ip- ad hoc sufficit, ut quae geruntnr in una anima re-
sis nionadibus nihil prorsus iinmutatur. Vennis spondeant tiun inter se, (uni iis qnae geruntur in
aliquis pot est esse pars corporis mei, et snb mea quavis alia anima ; née opus est poni aliquid extra
anima tanquatn monade dominante, qui idem alia omnes animas, vol monades; et in bac hypothesi,
animalcula in suo corpore habere potest, sub sua cum dicimus Socratem sedere, nihil aliud signi-
monade dominante. Dominatio autein et subordi- ficatur, quae nobis, aliisqae, ad quos pertinet haec
natio monadum in ipsis considcrata niooadibus apparere, quibus Socraten, Sessnmquc iutelli-
non consistit nisi in gradibus perceptionuui. gimus.
Si definiatur.accidens id esse, qnod exigat in- Quia judicas, Traussubstantiationis doctrinam,
existere substantiae, vercor, ut fonualein rationem cura hypothesi vel fictione corporum ad phaeno-
ejus satis explicenius, unde ratio apparere deberet, mena redactorum, conciliait posse, rogo ut hac de
car exigat: sane etiam substantia saepe exigit re mentem tnam mihi exponas. Quod superest,
aliam substantiam; explicandum foret quid pro vale et fave. Dabam Hanverae 16. Junii 1712.
prie sit illud TO inesse in quo accidentis natura
collocari solet: ego ad hoc retulerim, ut sit mocli- Deditissimus
ficatio absoluti alieni. G. G. L e b i n i t i u s.
•Lxxxm.
REMARQUE
SUR LA
1712.
C Mémoires de Trévoux etc. Juil. 171*. — Leilm. Opp. éd. Dutens Tom. I. p. 504.)
.l'ai dit dans mes essais, article 392, que je mais que lorsque l'on comprend les limitations, on
désirois de voir les démonstrations citées par les privations, sous le nom de réalités, Ton peut
Mr. Bayle, et contenues dans la cinquième et dire que les causes secondes concourent à la pro
sixième Lettres imprimées a Trévoux 1703. Le duction de ce qui est limité; et qu'autrement Dieu
R. P. Desbosses m'a communiqué cette Lettre, sci oit la cause du péché, et même la cause unique.
où l'on entreprend de démontrer par la méthode Et j'ai quelque penchant à croire, que l'habile Au
des Géomètres, que Dieu est Tunique vraie cause teur de la Lettre n'est pas fort éloigné de mon
de tout ce qui est réel et la lecture que j'en ai faite sentiment; quoiqu'il semble comprendre toutes les
m'a confirmé dans le sentiment que j'ai marqué au modalités sous les réalités dont il veut que Dieu
même endroit, que cette proposition peut être vraie seul soit la cause: Car dans le fond je crois qu'il
dans un fort bon sens, Dieu étant la seule cause n'admettra pas que Dieu est la cause et l'auteur du
des réalités pures, et absolues, ou des perfections; péché: 11 s'explique même d'une manière qui
G84 LXXXIII. REMARQUE SUR LA IV. LETTRE PHILOS, etc.
semble renverser sa thèse, et accorder une véritable peut-être jamais eu moins de succès, que lorsqu'il
action aux créatures. Car dans la confirmation du l'a entrepris dans une de ses réponses aux objec-
huitième corollaire de sa seconde proposition il y sious. Car dans les Mathématiques il est plas
a ces mots: »Le mouvement naturel de FAme, aisé de réussir , parce que les nombres, les figures,
«quoique déterminé en lui-même, est indéterminé et les calculs suppléent aux défauts cachés dans
-par rapport aux objets; car c'est l'amour du bien les paroles; mais dans la Métaphysique, on Ton
»en général. C'est par les idées du bien qui pa- est privé de ce secours, (au moins dans les ma
• roit dans les objets particuliers, que ce inouve- nières de raisonner ordinaires) il faudrait que la ri
»ment devient particulier , et déterminé par rap- gueur employée daus la forme du raisonnement, et
»port aces objets; et ainsi comme l'esprit a le dans les définitions exactes des termes, suppléât à
• pouvoir de diversifier ses idées, il peut aussi ce manquement; mais on n'y voit ni l'un ni Fautre.
•changer les déterminations de son amour. Il n'est L'auteur de la Lettre, qui montre sans doute
• point nécessaire pour cela qu'il succombe à la beaucoup de fuu et de pénétration, va un peu trop
•puissance de Dieu, ni qu'il s'oppose à son action. vite quelquefois, comme lorsqu'il prétend prouver
•Ces déterminations des mouvemens vers ces ob- qnïl y a autant de réalité et de force dans le re
•jets particuliers ne sont point invincibles, et c'est pos que dans le mouvement: au cinquième corol
• leur nou-invincibilité qui fait que l'esprit est libre laire de la cinquième proposition, il allègue que la
•et capable de les changer; mais après tout il ne volonté n'est pas moins positive dans le repos que
• fait ces changeinens que par le mouvement que dans le mouvement, et qu'elle n'est pas moins in-
• Dieu lui donne, et lui conserve.- viutible. Soit, mais s'ensuit-il qu'il y a autant
Selon mon stile, j'aurois dit que la perfection de réalité et de force dans l'un que dans l'autre ? Je
qui est dans Faction de la créature vient de Dieu ; ne vois point cette conséquence , et par le même
mais que les limitations qui s'y trouvent, sont une raisonnement on prouverait qu'il y a autant de
suite de la limitation originale , et des limitations force dans an mouvement foible, que dans an mou
précédentes survenues dans la créature, et que cela vement fort; Dieu eu voulant le repos, veut qne
a lien, non-seulement dans les esprits, mais encore ce corps soit au lieu A, où il a été imnédiatement
dans toutes les antres substances , qui sont par là auparavant, et pour cela il suffit qu'il n'y ait point
des causes concurantes au changement qui arrive de raison qui porte Dieu au changement; mais
en elles-mêmes: Car cetto détermination dont lorsque Dieu veut quo dans la suite le corps soit
l'Auteur parle, n'est autre chose qu'nne limitation. au lien B , il faut qu'il y ait une nouvelle raison,
Or, en repassant après cela sur tontes les dé qui détermine Dieu à vouloir qu'il soit en B, et
monstrations ou corollaires de sa Lettre, on pourra non pas en C, ou en tout autre lieu, et qu'il y soit
accorder ou rejeter la plupart de ses assertions, plus ou moins promptement; et c'est de ces rai
suivant l'explication qu'on en pourra faire. Car sons de volontés de Dieu qu'il faut tirer l'estime
si par la réalité on n'entend que des perfections ou de la force , et de la réalité qui se trouve dans les
des réalités positives, Dieu en est la seule cause choses ; mais il ne parle guères dans r*tte Lettre
véritable: mais si ce qui enveloppe des limitations des raisons qui le portent à vouloir, et dont tout
est compris sous les réalités , on niera une bonne dépend, et ces raisons sont prises des objets.
partie des Thèses , et l'Auteur lui - même nous en Je remarque même d'abord au corollaire second
aura montré l'exemple. de la première proposition, qu'elle est bien vraie,
C'est pour rendre la chose plus concevable, que mais qu'elle n'est guères bien prouvée. On af
je me suis servi dans les essais de l'exemple d'un firme que si Dieu cessoit seulement de vouloir
bateau chargé, que le courant emporte d'autant qu'un être existât, il ne seroit plus, et on le prouve
plus tard que le bateau est plus chargé. On y ainsi mot pour mot. Démonstration: ce qui
voit clairement que le courant est cause de ce qui n'existe que par la volonté de Dieu,
est positif dans ce mouvement, de la perfection, n'existe plus dès que cette volonté n'est
de la force, de la vitesse du bateau; mais que la plus (mais c'est ce qu'on doit prouver; on tâche
charge est cause de la restriction de cette force, et de le faire en ajoutant) Otez la cause, vous
qu'elle produit le retardement. ôtez l'effet; il auroit fallu mettre cette maxime
On est louable de vouloir appliquer la méthode parmi les axiomes marqués au commencement;
des Géomètres aux matières métaphysiques : mais mais par malheur cet axiome se peut compter
il faut avouer qu'on y a rarement réussi jusqu'ici, parmi les règles philosophiques, qui sont sujettes à
et Mr. Descartes lai -même, avec toute cette beaucoup d'exception, Or, par la précédente
très-grande habileté qu'on no peut lui refuser, n'a proposition, et par son premier corollaire,
LXXXIV. AD DES BOSSES EPISTOLA XXI. 685
• nul être n'existe que par la volonté tic Dieu, un simple effet, mais encore une dépendance, à
•donc ctc.« proportion de la perfection qu'elle renferme; et
Il y a de l'ambiguïté dans cette expression , que cela posé, elles n'en dépendent pas moins dans la
rien n'existe que par la volonté divine. Si l'on suite qu'au commencement ; c'est ainsi que j'ai
veut dire que les choses ne commencent à exister pris la chose dans mes essais.
que par cette volonté, on a raison de, ce rapporter Cependant je reconnuis que la Lettre sur la
aux propositions précédentes. Mais si fou veut quelle je viens de faire des remarques est belle et
que l'existence des choses soit toujours une suite digue d'être lue, et qu'elle contient des seutimcns
de la volonté de Dieu, l'on suppose à peu près ce beaux et véritables , pourvu qu'on la prenne dans
qui est en question. Il falloit donc prouver d'a le sens que je viens de marquer ; et ces manières
bord, que l'existence «les choses dépend de la vo de raisonner peuvent servir d'introduction à des
lonté de Dieu, et qu'elle n'en est pas seulement méditations un peu plus avancées.
LXXXIV.
AD REVERENDISSIMUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE TRES.
1712—1713.
R. P. MALEBRANCHE.
c. 171 1.
(Des Mai/.caux Recueil des diverses pièces etc. Tom. I. p. 505. — Leibu. Opp. éd. Uulens Tom. II.
P. 1. p. 20i;.
Théodore étant parti, Âriste reçut uue visite j secs grandes et belles: il y en a même beaucoup
tic Philarète, ancien Ami, Docteur de Sorbonne de bien vérifiées; mais il y en a aussi, et des plus
fort estimé, qui a voit enseigné autrefois, la Philo fondamentales, qui auroieut encore besoin d'être
sophie et la Théologie à la mode de l'Ecole, et éclaircies davantage. Je ne doute point qu'il ne
qui ne méprisoit pas cependant les découvertes des vous ait dit mille choses propres à vous aider clans
Modernes; mais il y alloit avec beaucoup de cir le beau dessein que vous avez pris, à ce que j'ap-
conspection et d'exactitude. Il s'étoit mis dans prcus, de quitter les vanités du Monde, le bruit
une espèce de retraite , pour mieux vaguer étourdissant du peuple, et les entretiens vains et
aux exercices de piété , et il travailloit en souvent pernicieux des gens mondains, pour vous
même teins à mettre les vérités de la Reli adonner aux méditations solides, qui nous attachent
gion dans leur jour , dont il tâchoit de recti à la vertu et nous mènent à la félicité. Ce que
fier et de perfectionner les preuves; et cela* l'en- j'ai entendu dire de votre changement heureux ui'a
gagcoit à examiner avec rigueur celles qu'on pro- engagé à vous faire visite , pour renouveller notre
duisoit, afin de marquer en quoi elles avoicnt be ancienne liaison ; vous ne nie pouvez fournir une
soin d'être suppléées. meilleure occasion d'entrer en matière, et de vous
Ariste le voyant, s'écria: O que vous venez à montrer mon zèle, qu'en nie parlant d'abord de ce
propos, mon cher Philarète, après une si lon qui a été depuis long -teins l'objet de mes médita
gue interruption de notre connoissauce ! Je sors tions, et qui doit être un des plus intéressait* des
d'un entretien charmant, dont je voudrais que vous vôtres. Si vous pouviez vous souvenir de la sub
eussiez été. Théodore, ce Théologien excellent, stance du discours do Théodore, peut-être pour-
m'a ravi à moi-même; il m'a fait passer dé ce rois-je vous aider à déveloper une partie de notions
Monde corporel et corruptible, dans un Monde qu'il vous a données et il achèverait lui-même en
intelligible et éternel. Cependant quand j'y pense suite d'éclaircir et d'établir ce qui nous paroitroit
sans lui, je retombe aisément dans mes anciens encore obscur ou douteux.
préjugés, et je ne sais quelquefois où j'en suis. Ariste. Je suis ravi de votre secours, et je
Personne n'est plus capable que vous de me fixer tâcherai de faire une récapitulation de ce que Thé
et de me faire juger sûrement, et pour ainsi dire, odore m'a dit en substance; mais n'espérez pas
de sang froid. Car je vous avoue que les grandes de moi les charmes attachés à tout ce qu'il m'a dit.
et belles expressions de Théodore me touchent, Il a entrepris premièrement de me faire voir que
et m'enlèvent; mais quand il m'a quitté, je ne sais ce Moi qui pense n'est point un corps, parce que
plus comment je me suis élevé si haut; et je me les pensées ne sont point des matières d'être de
sens une manière de vertige qui m'embarrasse. l'étendue, dans laquelle consistel'e ssence du corps.
Philarète. Le mérite de Théodore m'est Je lui ai demandé de me prouver que mon corps
connu par ses Ouvrages, où il y a quantité de peu- n'est que de l'éteuduc : il m'a semblé qu'il lue le
LXXXV. EXAMEN DBS PRINCIPES DE MALEBRANCHE. G01
prouvoit, quand je l'écontois; mais je ne sais com Philarète. Je trouve encore de la difficulté
ment cette preuve m'est échappée. Je m'y re dans cette conséquence, que vous n'attribuez à
mets pourtant peu à peu. Il suffit, m'a -t -il dit, Théodore qu'en doutant. Car vous savez que
d'avoir de l'étendue pour former le corps. 11 a les Péripatéciens composent le corps de deux prin
ajouté encore, que si Dieu détruisoit l'étendue, le cipes substantiels, qui sont la matière et la forme.
corps seroit détruit. Il faudrait donc prouver qu'il n'est pas possible
P h i 1 a r è t e. Les Philosophes qui 'ne sont que le corps soit composé en même tems de deux
point Cartésiens n'accorderont point qu'il suffit d'a substances, c'est-à-dire, de l'étendue, quand on ac-
voir de l'étendue pour former un corps ; ils deman corderoit que c'est une substance, et de quelque
deront encore quelqu'autre chose que les Anciens antre substance encore. Mais voyons comment
appelaient Antitypie, c'est-à-dire ce qui fait Théodore prouve que l'étendue est une substance ;
qu'uu corps est impénétrable à l'autre; et selon car ce point est assez important.
eux, l'étendue nue ne sera que le lieu, ou l'espace A r i s t e. Je tâche de m'en souvenir. Tout
dans lequel les corps se trouvent. Et en effet, il ce qu'on pcnt concevoir seul et sans penser a autre
me semble que Descartes et ses Sectateurs, chose, ou sans que l'idée qu'on en a représente
quand ils entreprennent de réfuter ce sentiment, ne quelque autre chose, ou bien ce qu'on peut conce
font que des suppositions ; et pour nommer la voir seul comme existant indépendamment d'autre
chose par son nom, des pétitions de principe. chose, est une Substance: et tout ce qu'on no
A r i s t e. Mais ne trouvez-vous pas que la peut concevoir seul, ou sans penser à quelque autre
supposition de la destruction de l'étendue, qui en- chose, est une manière d'être, ou une modifica
trainc celle du corps , prouve que le corps ne con tion de substance. C'est ce qu'on entend
siste que dans l'étendue ? quand on dit, qu'une Substance est un Etre qoi
Philarète. Cela prouve seulement que subsiste en lui-même; et nous n'avons point d'au
l'étendue entre dans l'essence ou la nature du tre voie pour distinguer les substances des modifi
corps; mais non pas qu'elle fait tonte son essence. cations. Or Théodore me faisoit voir que je
A peu près comme la grandeur entre dans l'essence ponvois penser à l'étendue sans penser à autre chose.
de l'étendue, mais elle n'y suffit pas; car le nom Philarète. Cette définition de la substance
bre, le tems, le mouvement, ont aussi de la gran n'est pas exempte de difficultés. Dans le fond il
deur, et cependant ils sont dilfêreus de l'étendue. n'y a que Dieu seul qui puisse être conçu comme
Si Dieu détruisoit toute grandeur actuelle, il détrui- indépendant d'autre chose. Dirons-nous donc, avec
roit l'étendue; mais en produisant de la grandeur, il un certain Novateur trop connu, que Dieu est la
ne produiroit peut-être que du tems, sans produire seule substance dont les Créatures ne soient que
de retendue. Il en est de même de l'étendue et du les modifications î Que si vous resserrez votre
corps. Dieu détruisant l'étendue détruirait le définition, en ajoutant, que la substance est ce qui
corps; mais eu ne produisant que de l'étendue, il peut être conçu iudépendament de toute autre cré
ne produiroit peut-être que l'espace sans corps; au ature, nous trouverons peut-être des choses qui ont
moins, selon des gens, les Cartésiens n'ont pas en autant d'indépendance que l'étendue, sans être des
core été bien réfutés. substances. Par exemple, la force d'agir, la Vie,
A r i s t e. Je suis fâché de ne m'être pas avisé l'Aniitypic, sont quelque chose d'essentiel et de
d'abord de cette difficulté; mais je la marquerai primitif en môme tems, et on pcnt les concevoir
pour la proposer à Théodore. Cependant si je indépendamment d'autres notions, et mémo de
m'en souviens bien , il m'a apporté encore un autre leurs sujets, par le moyen de l'abstraction. Au
argument, qui tendoit au même but ; mais il me pa- contraire les sujets sont conçus par le moyen do
roissoit bien subtil, car il étoit pris de la nature de tels attributs. Cependant ces attributs sont diffé-
la substance. Théodore me prouvoit que l'étendue rens des substances, dont ils sont les attributs. Il
est une substance, etje crois qu'il en vouloit infé y a donc quelque chose qui n'est point substance,
rer que le corps ne peut donc être que de l'éten et qui pourtant ne peut pas être plus conçu dépen
due : qu'autrement il seroit composé de plus d'une dait) ment que la substance même. Donc cette in
substance; mais je ne vous garantis pas cela dépendance de la notion n'est point le caractère de
comme de Théodore. Je puis me tromper en la substance, puisqu'il doit convenir encore à ce qui
donnant à son discours une liaison différente peut- est essentiel à la substance.
être de celle qu'il avoit dans l'esprit, et dont je A r i s t e. Je crois que les abstraits ne sau-
m'informerai. roient être conçus indépendamment de quelque
G02 LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCHE.
chose, an moins dans le sujet qui soit concret, qnoi- plus distinctement la notion du concret et clé l'ab
qu'incomplet, et qui, joint à l'attribut essentiel pri strait. Mais on ne peut point vous accorder ton-
mitif suffisant, fasse le sujet complet. Mais pour chant le second point , qu'étendu et étendue,
iious tirer de ces épines, disons que la définition soient la même chose: il n'y a point d'exemple
ne doit être entendue que des concrets ; ainsi la dans les créatures de l'identité de l'abstrait et
substance sera un concret indépendant de tout au du concret. La réponse au troisième peut passer,
tre concret créé. et encore celle que vous donnez à la quatrième oV>-
P h i 1 a r è t e. Voilà un nouveau resserrement jection, selon ceux qui nient les accidens subsistant
de votre définition; mais il y reste encore bien de la hors du sujet. Mais ceux qui voudront rectifier
difficulté. Car 1. peut-être que l'explication de la définition par la limitation de ce qui se fait n a-
ce que c'est que le concret, présupposera la ! turelleinent, la feront ressembler à celle de
substance ; et de cette manière nous ferions un cer- j l'Homme qu'on attribue à Platon. On raconte
clé en définissant. 2. Je vous nie que l'étendue qu'il l'avoit défini un animal à deux pieds
soit uu concret, car elle est l'abstrait de l'étendu. sans plumes, et qnc là-dessus Diogène avoit
3. Il s'ensuit que le sujet précis et incomplet, ou déplumé un coq, et l'avoit jette dans l'Auditoire de
le concret simple et primitif, lequel joint à l'attri Platon, en disant: Voici un Homme Pla
but essentiel fait la substance complète, mérite tonique. Un Platonicien pouvoit de même ex
seul le nom de substance; puisque les abstraits cuser sa définition, en disant qu'on parloit d'un
aussi -bien que les concrets complets ne sauroient animal tel qu'il est naturellement. Mais on de
être conçus ni exister sans lui. 4. Pour ne point mande des définitions prises de l'essentiel des choses.
insister présentement sur la doctriue de ces Théolo Il est vrai que des définitions prises de ce qui ar
giens, qui soutiennent que les acciclens peuvent rive naturellement (per se) peuvent encore ser
exister sans leur sujet dans le Sacrement de l'Eu vir, et qu'on peut distinguer trois degrés dans les
charistie; car, suivant eux ils en sont essentielle prédicats, l'essentiel, le naturel, et ce qui
ment iudéppmlans , et par conséquent votre défini est simplement accidentel; mais en Méta
tion leur convient. physique on voudrait des attributs essentiels, on
A r i s t e. Nous rions enfonçons assez dans les pris de ce qu'on appelle raison formelle.
subtilités , et bien m'en prend d'avoir été autrefois A r i s t e. • A ce que je vois , il ne reste que
au Collège, et d'avoir retenu quelque chose des cette question entre nous, si l'étendue est un ab
termes de l'Ecole. J'avoue cependant que ces sub strait ou un concret]
tilités sont indispensables ifi , et que vous les pro P h i 1 a r è t e. Je pourrais encore objecter à
posez d'une manière très intelligible, et qui me met votre définition , que les corps ne sont point indé-
en état de vous répondre. Je réponds donc au pemlans les uns des autres, et qu'ils ont besoin,
premier point, que la définition du concret n'a pas par exemple, d'être comprimés ou agités par les
besoin de la substance; car des accidens peuvent Ambians; mais vous pourriez aussi répondre par
être aussi des concrets. Par exemple, la cha ma propre réplique, que l'essentiel suffit, puisque
leur pourra être grande ou avoir de la grandeur: Dieu peut faire qu'ils en soient inclépendans, et les
Or grand est un concret. Un nombre peut être conserver dans leur état, quand tout autre corps
appelle grand, ou proportionnel, commensura- seroit anéanti. J'insiste donc sur ce que je viens
ble, etc. Quant au second point, je dirois que l'é de dire, que l'étendue n'est autre chose qu'un ab
tendue, l'espace, le corps, étant une même chose, strait, et qu'elle demande quelque chose qui soit
selon Théodore, il dira que l'étendue est un étendu. Elle a besoin d'un sujet, elle est quelque
concret. Je réponds au troisième, que l'étendue ou chose de relatif à ce sujet, comme la durée. Elle sup
le corps est justement ce premier sujet, conçu pose même quelque chose d'antérieur dans ce sujet.
comme la matière formée par les figures et par les Elle suppose quelque qualité, quelque aMribnt, quel
luouvemeus pour faire un sujet complet. Enfin je que nature dans ce sujet, qui s'étende, se répande avec
dis au quatrième point, que Théodore ipeut-être le sujet, se continue. L'étendue est la diffusion de
n'accorde point la possibilité de l'existence des acci cette qualité ou nature: par exemple, dans le lait
dens sans sujet. Les autres qui voudrons mainte il y a une étendue on diffusion de la blancheur;
nir la définition, diront que la substance est un dans le diamant une étendue ou diffusion de la du
concret indépendant naturellement de tout autre reté; dans le corps en général une étendue on dif
concret créé. fusion de l'Ântitypie ou de la matérialité. Par-là
1' h i 1 a r è t e. Votre réponse au premier point vous voyez, en même tems, qu'il y a dans le corps
me paroit bonne. Il faudrait pourtant expliquer quelque chose d'antérieur à l'étendue. Et l'on peut
LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCIIE. C93
dire que l'étendue est en quelque façon à l'espace, mot l'espace dans le lieu, et le corps dans la
comme la durée est au tcms. La durée et l'éten matière.
due sont les attributs des choses; mais le teins et A r i s t e. Ces rapports proportionnels entre
l'espace sont pris comme hors des choses , et ser Lieu et Matière, Espace et Corps, me plaisent, et
vent à les mesurer. servent à parler avec justesse; et il est bon de
A r i s t e. Ceux qui admettent un espace dis- ' distinguer ces choses, comme encore la durée du
tiuct du corps, le conçoivent comme une substance teins, l'étendue de l'espace. 11 faut que je consulta
ijtii fait le lieu: tuais les Cartésiens et Théodore Théodore sur cette question.
conçoivent la Matière même, comme vous conce P h i 1 a r è t e. Enfin , pour aller plus avant,
vez l'Espace, excepté qu'ils y mettent une mobilité je suis d'opinion, que non-seulement l'étendue,
avec l'étendue. mais aussi le corps même, ne saurait être conçu in
P h i 1 a r è t e. Ils avouent donc tacitement que dépendamment d'antres choses. Ainsi il faudrait
l'étendue ne suflit point, pour faire la matière ou dire, ou que les corps ne sont point des substances,
le corps; puisqu'il y faut ajouter la mobilité, qui ou bien qu'être conçu indépendamment ne convient
est âne suite de fAntitypie on de la résistance; pas à toutes les substances, quand même il con
autrement un corps ne pourroit point être poussé viendrait aux seules substances; car te corps étant
ou mu par un autre. nn tout, dépond essentiellement d'autres corps dont
A r i s t e. Ils diront que la mobilité est une il est composé, et qui en font les parties. Il n'y a
suite de l'étendue, puisque toute étendue est divi- ! que les Monades, c'est-à-dire, les substances
sable; en sorte que les parties soient séparables les simples ou indivisibles, qui soient véritablement
unes des autres. indépendantes de toute chose créée concrète.
P h i 1 a r è t e. Ceux qui prétendent qu'il y a A r i s t e. Je dirai donc que la substance est
un vuide, ou du moins un espace réel, distinct de un concret indépendant de tout concret créé hors
la matière qui lu remplit, ne vous accorderont pas d'elle. Ainsi la dépendance de la substance, de ses
cette conséquence. Ils diront qu'on peut marquer attributs et de ses parties, ne fera point d'obstacle
les différentes parties dans l'espace, mais qu'on ne à nos raisonnemens.
peut point les séparer. Pour moi , quoique je dis Philarète. Voilà le troisième resserrement
tingue la notion de l'étendue de celle du corps, je ne de votre définition II vous est permis d'en faire;
laisse pas de croire qu'il n'y a point de substance mais pour dire la vérité, il y a des choses permi
qui puisse être appellée espace; c'est-à-dire qu'il n'y j ses qui ne sont pas convenable», non omno qnod
a point d« sujet qui n'ait rien que de l'étendue. Ce licet expedit. Qu'importa si le ver qui me.
pendant quand j'admettrais une telle substance , je ronge est dans moi on hors de moil en suis -je
distinguerais toujours entre l'étendue on l'extension, moins dépendant? Les seules substances incorpo
et entre cet attribut auquel l'étendue ou la diffu relles sont indépendantes de toute autre substance
sion (notion relative) se rapporte, qui seroit la si créée.1 Ainsi il semble que dans la rigueur philo
tuation on la localité. Ainsi la diffusion du lieu sophique les corps ne méritent point le nom de
formerait l'espace, lequel seroit comme le •xywro'v substances; ce qui paroît avoir été déjà le senti
6exTixôv, ou le premier sujet de l'étendue, et par ment de Plat ou, qui a remarqué qu'ils sont des
tequel elle conviendrait encore à d'autres choses Etres transitoires, qui ne subsistent jamais au-delà
qui sont dans l'espace. Ainsi l'étendue, quand elle d'un moment. Mais c'est an point qui demande,
est l'attribut de l'espace, est la diffusion ou la une plus ample discussion, et j'ai encore d'autres
continuation de la situation ou de la localité; raisons importantes qui me portent à refuser aux
comme l'étendue du corps est la diffusion de l'An- corps le titre et le nom de substances en langage
tytipie on de la matérialité. Car le lieu est dans métaphysique. Car pour en dire nn mot, le corps
le point aussi bien que dans l'espace, et par consé n'a point de véritable unité; ce n'est qu'un Ag-
quent le lieu peut être sans étendue ou diffusion; gregé, que l'Ecole appelle un per accidens,
mais la diffusion ou simple longueur fait une ligne nn assemblage comme un troupeau; son unité
locale douée d'étendue. Il en est de même de la vient de notre perception. C'est un Etre de rai
matière; elk> est dans le point aussi-bien que dans son, ou plutôt d'imagination, un Phénomène.
le corps, et sa diffusion en simple longueur fait une À ris te. J'espère que Théodore vous sa
ligne matérielle. Les autres continuations ou dif tisfera comme il faut sur toutes ces difficultés.
fusions en largeur et en profondeur, forment la Supposons cependant que le coips et l'étendue n«
superficie et le solide des Géomètres; et en un diffèrent pas beaucoup, puisque vou£ n'admettez
88
GO-1 LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCHE.
point de vuide ; on du moins remettons ce point buée aux corps, est une chose purement passive, et
à une pins ample discussion, et passons au reste de par conséquent l'origine de l'action ne sauroit être
la démonstration de Théodore. Elle revient à une modification de la matière; donc le mouve
ceci. Tout ce qui a des modifications ment aussi bien que la pensée doivent venir de
qu'on ne sauroit expliquer par l'éten quelque autre chose.
due, est distinct du corps, supposé que les A r i s t e. Souffrez à votre tour que je voos
corps et l'étendue soient la même chose ou du marque en quoi votre argument me paroit dé
moins qu'ils ne diffèrent que comme l'espace et ce fectueux; car vous m'apprenez à être exact jus
qu'il faut pour le remplir simplement; ce qui ou qu'à la rigueur. Je dirai donc que votre argu
tre l'étendue a encore quelque résistance et mobi ment n'est bon que ad hoininem, c'est-à-dire,
lité, comme vous semblez l'accorder: Or l'Ame a pour ceux qui philosophent comme Démocrito
des modifications qui ne sont point des et comme Descartes; mais les Platoniciens et
modifications de l'étendue, ni, si vous vou les Aristotéliciens, et quelques nouveaux Archéa-
lez, de l'Antitypie, ou du simple remplissant; et listes, et encore les derniers Sympathistes, qui sou
même Théodore le prouve, car mon plaisir, tiennent l'attraction des corps à distance, mettent
mon désir et toutes mes pensées ne sont point des dans les corps des qualités inexplicables mécani
rapports do distance, et on ne les sauroit mesurer quement; et par conséquent ris n'accorderont point
par pieds ou par pouces, comme l'espace ou ce que les corps soient purement passifs. Je me sou
qui le remplit. viens même qu'un certain Auteur de vos amis,
P h i 1 a rè t e. Je suis du sentiment de Théo quoiqu'il soit pour les seules explications mécani
dore, quand il soutient que les modifications de ques des phénomènes des corps, a entrepris dans
l'Ame ne sont point des modifications de la Ma quelques Essais insérés dans les Actes des Savans
tière, et par sonséquent que l'âme est immatérielle; publiés à Leipsic, de montrer que les corps sout
mais sa preuve souffre pourtant quelque difficulté. doués de quelque force active; et qu'ainsi les
Il veut que toutes les pensées ne soient pas des rap corps sont composés de deux natures , savoir de la
ports de distance, parce que nous ne saurions me force active primitive, appellée Entéléchie
surer les pensées; mais un sectateur d'Epi cure première par Aristote, et de la matière ou
dira, que cela arrrive faute de les bien connoître, de la force passive primitive, qui semble être l' An-
et que si nous connoissions les corpuscules qui titypie. C'est pour cela qu'il soutient, que tout
forment la pensée et les inouvemens qui sont né se peut expliquer mécaniquement dans les choses
cessaires pour cela, nous verrions que les pensées matérielles, excepté les principes mêmes du Méca
sont mesurablee, et que ce sont les jeux de quelques nisme, qui ne sauraient être tirés de la seule consi
machines subtiles; à peu près comme il neparoîtpas dération de la matière.
que la nature de la couleur consiste intérieurement P h i 1 a r è t e. Je suis en commerce arec cet
dans quelque chose de mesurable; et cependant Auteur, et j'ai passablement b\en compris ses sen-
s'il est vrai que la raison de ces qualités des objets timens. Cette force active primitive , qu'on pour-
vient de certaines configurations et certains mou- roit appcller la Vie, est justement, selon lui, ce qui
vemens, comme la blancheur de l'écume par exem est renfermé dans ce que nous appelons une
ple vient des petites bulles creuses polies comme Ame, ou dans la substance simple. C'est une
autant de petits miroirs, on réduiroit enfin ces qua réalité immatérielle, indivisible, est indestructible:
lités a quelque chose de mesurable , de matériel, il en met par-tout dans les corps, croyant qu'il n'y
de mécanique. a point de partie de la masse où il n'y ait nn
A r i s t e. Ainsi vous abandonnez anx Adver corps organisé, doué de quelque perception, on
saires toutes les preuves qu'on peut alléguer pour d'une manière d'âme. Ainsi ce raisonnement nous
la distinction de l'âme et du corps. mène directement à la distinction de L'Ame et de
P h i 1 a r è t e. Je n'ai garde: mon intention la Matière. Et'quand on appelleroit Corps, ce
est seulement de les pcrfectioner. Et pour vous en que j'aimerois mieux apprller avec lui Substance
donner quelque 'petit échantillon ici , je considère corporelle, composé de l'aine et de la masse , ce
que la matière ne renferme que ce qui est passif: ne scroit qu'une question de nom. Or cette force
et il mesembleque lesDémocritiens, aussi-bien qne active est justement ce qui montre le mieux, et
les autres Philosophes, qui raisonnent mécanique d'une manière bien sensible, la distinction de l'âme
ment, en doivent demeurer d'accord. Car non et de la niasse; parceque les principes du Méca
seulement l'étendue, mais encore l'Antitypie attri- nisme, dont les loix du mouvement sout les suites,
LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCHE. G95
ne sanroient être tires de ce qui est purement pas actions externes à Dieu seul, recourt aux miracles,
sif, Géométrique, ou matériel, ni prouvés par les et même à des miracles déraisonnables, et peu
seuls axiomes de Mathématique. Car cet Auteur dignes de la sagesse divine. Par le même droit
a marqué dans plus d'un endroit du Journal des de faire des fictions que la seule toute -puissance
Savaus de Paris, et des Actes de Leipsic, et en miraculeuse de Dieu pourrait rendre possibles, 51
core ailleurs où il a parlé de sa Dynamique, et serait permis de soutenir que je suis seul au Monde,
même depuis peu dans sa Théo di ce e, que pour et que Dieu produit tous les phénomènes dans mon
justifier les règles Dynamiques, il faut recourir à âme, comme s'il y avoit d'autres choses hors de
la Métaphysique réelle et aux principes de conve moi, sans qu'il y en eût. Cependant quand même
nance qui affectent les âmes, et qui n'ont pas moins le raisonnement présent qui prouve la distinction
(Frxactitiidc que ceux des Gépmètres. Vous trou entre l'âme et la matière, entant qu'il est fondé sur
verez aussi dans les lettres qu'il a échangées avec les opérations externes, ou sur la Dynamique, n'au-
Mr. Hartsocker, insérées dans les Mémoires roit lieu qu'en supposant que les choses se font
de Trévoux, comment par des considérations dans le cours ordinaire de la nature par les for
plus élevées, il détruit le vuide et les atomes, y em ces naturelles, sans que Dieu y entre qu'en les con
ployant même sa Dynamique en partie; au lieu servant, ce seroit toujours beaucoup; car il prou
que ceux qui ne s'occupent que du matériel ne vera ou la distinction de l'auio et du corps, on
sauraient décider la question. C'est ce qui a fait l'existence de la Divinité. Nous pourrions aller plus
que les nouveaux Philosophes étant ordinairement loin, et montrer plus distinctement comment la Dy
trop matérialistes, et n'étant point stilés à allier la namique vérifie l'une et l'autre de ces deux grandes
Métaphysique avec les Mathématiques, n'ont point doctrines ; mais cela seroit d'une plus grande discus
été en état de décider s'il y a des atomes et du sion, où il ne faut point s'engager présentement.
vuide, ou non; et plusieurs mêmes sont portés à A r i s t e. Nous en parlerons davantage une
croire qu'il y en a, c'est-à-dire, ou le vuide avec autre fois suivant votre commodité. Cependant je
les atomes ou du moins des atonies nageans dans trouve que c'est déjà beaucoup, que les impies no
un vuide parfait qui exclut le vuide. Mai; il sauraient résister à ce que vous venez de dire pour
montre que le vuide, les atomes ou la dureté par l'immortalité des aines , sans avoir recours à Dieu,
faite, et enfin le fluide parfait, sont contre la con c'est-à-dire, à ce qu'ils fuient les plus. Et quand
venance et l'ordre. ils seront une fois convenus de l'existence de Dieu,
A r i s t e. C'est quelque chose que cela , et je c'est-à-dire, d'un esprit infiniment puissant et
veux méditer davantage avec votre assistance, tant sage, il ne sera pas difficile d'en inférer qu'il a en
sur la Dynamique, puisqu'elle est si importante core fait des esprits finis, immatériels comme lui;
pour lu connoissance des substances immatérielles, et d'ailleurs que Dieu ne seroit point juste si nos
que sur l'inconvenance du vuide et des atonies. Mais âmes périssoient avec les corps.
j'ai encore une chose à vous objecter, c'est que Dieu Philarète. Ilya même grand sujet do
pourroit faire lui seul immédiatement tout ce que douter si Dieu a fait d'autres choses que des mona
vous attribuez aux âmes; ainsi les modifications et des, ou de substances sans étendue, et si les corps
les opérations qui passent la matière, ne nous ne mè sont antre chose que les phénomènes résultans de
neront point aux âmes distinctes de la matière puis ces substances. Mon Ami, dont je vous ai rap
que ce seroient les opérations de Dieu. Il est vrai que porté les sentiment,, témoigne assez qu'il panche
cette objection va encore contre Théodore lui- de ce côté-là, lorsqu'il réduit tout aux monades, ou
même, et peut-être plus que contre les autres; car aux substances simples et à leurs modifications,
vous savez qu'il ne considère les causes secondes, avec les phénomènes qui en résultent, dont la réa
que comme occasionelles. lité est marquée par leur liaison qui les distingue
Philarète. Quand les opérations en que des songes. J'en ai déjà touché quelque chose,
stion seroient les opérations de Dieu , les modifica mais présentement il est teins que j'écoute la suite
tions pourtant qu'on attribue aux âmes, et que des raisonnemens de votre excellent Théodore.
nous sentons dans la nôtre, ne sauraient être les A r i s t e. Après avoir établi la distinction de
modifications de Dieu. Et quant aux opérations Pauie et du corps comme le fondement des princi
encore, on ne sauroit refuser à nous-mêmes nos paux dogmes de la Philosophie , et même de l'im
actions internes, et elles nous souffiroicnt ici; car : mortalité de l'âme, il m'a fait prendre garde aux
la matière n'en est point capable, n'étant que pas idées dont l'âme s'apperçoit , et il soutient que ces
sive. Mais cette supposition , qui donne toutes les idées sont des réalités. 11 va même plus avant,
88°
r,9G LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCHE.
et il veut que ces idées aient une existence éter un préjugé pour les idées des autres choses , où
nelle et nécessaire, et quelle soient l'Archétype du l'espace est renfermé le plus souvent. Il a aussi
Monde visible; au Heu que les choses que nous fort bien répondu aux argumeus que je loi ai op
croyons voir hors de nous sont souvent imaginai posés de mou côté. Je lui ai objecté que la terre
res, et toujours passagères. Il m'a apporté même me résiste, et que c'est quelque chose de
un argument que voici: Supposons que Dieu ! solide que cela. Il m'a répondu que cette ré
anéantisse tons les Etres quïl a créés, excepté sistance pourrait être imaginaire, comme dans na
vous et moi ; supposons de plus que Dieu présente songe vif, au lieu que les idées ne trompent point.
à notre esprit les mêmes objets, nous verrions les Mais, comme je l'ai déjà dit, il m'a prouvé que
mêmes beautés comme nous les voyons présente l'idée de l'espace est nécessaire, éternelle, immuable,
ment: donc les beautés que nous voyons ne sont et la même dans tous, les esprit^.
pas des beautés matérielles, mais des beautés in Philarète. On vous accorda , Monsieur,
telligibles. qu'il y a des vérités éternelles: mais tout le inonde
Philarète. Je demeure assez d'accord que n'accordera pas qu'il y a des réalités éternelles qui
ces choses matérielles ne sont point l'objet immédiat se présentent à notre aine quand elle envisage ces
de nos perceptions ; niais je trouve pourtant quel vérités. On dira qu'il suffit que nos pensées aient
que difficulté dans la preuve et dans la manière un rapport en cela à celles de Dieu, en qui seul ces
d'expliquer la chose, et je voudrois qu'elle fût un vérités éternelles sont réalisées.
peu mieux dévelopée. Cette proposition hypothé A r i s t e. Voici pourtant l'argument que Thé
tique majeure de l'argument, renferme- 1- elle une odore apportait pour prouver sa thèse. Quand
conséquence bien certaine? »Si dans le cas de nous avons l'idée de l'espace, nous avons l'idée de
•l'anéantissement des choses externes, nous voyions l'infini, mais l'idée de l'infini est infinie, et une chose
• tout clans un Monde intelligible, il faut que nous infinie ne saurait être la modification de notre
• voyons tout aussi présentement dans un Monde âme qui est infinie; donc il y a des idées que nous
• intelligible.» Cette conséquence, dis-je, est-elle voyons qui ne sont poiut des modifications de nos
bien sûre? Ne se peut -il poiut que notre percep âmes.
tion présente et ordinaire soit d'une nature diffé Philarète. Cet argument me paraît con
rente de cette perception extraordinaire? La mi sidérable, et il mériterait d'être mieux développé.
neure seroit: Or en cas de cet anéantisse J'accorde que nous avons l'idée d'un Infini en per
ment nous verrions tout dans un Monde fection; car pour cela on n'a besoin que de conce
intelligible. Mais encore cette mineure pa- voir l'absolu, mettant les limitations à pair. Et
roîtra douteuse à bien des gens. L'adversaire qui nous avons la perception de cet absolu, parce que
croit que les corps ont une influence sur les âmes, nous y participons, entant que nous avons quelque
ne diroit-il pas que Dieu en cas de l'anéantisse participation de la perfection. On doutera cepen
ment des corps suppléerait à Lur défaut, et pro dant avec raison, si nous avons une idée d'un Tout
duirait dans DOS âmes les qualités que les corps y infini, ou d'un infini composé de parties; car nu
produisent, sans qu'il faille pour cela des idées composé ne saurait être un absolu. On dira que
éternelles, un Monde intelligible? Et quand même nous concevons bien , par exemple, que toute ligne
tout se passerait en nous dans les cas ordinaires, droite peut être prolongée, ou bien qu'il y a tou
comme dans le cas de l'anéantissement, c'est-à-dire, jours une ligne droite plus grand que la donnée;
quand il seroit admis que nous-mêmes produisons mais que cependant nous n'avons point d'idée d'une
toujours en nous, comme je le crois en eflet, ou ligne droite infinie, ou qui soit plus grande que
que Dieu, selon Théodore, y produit nos phé tontes les autres qu'on peut assigner.
nomènes internes, sans que le corps ait de l'in A r i s t e. Le sentiment de Théod orc est «joe
fluence sur nous, est -il nécessaire qu'il y entre des l'idée quo nous avons de l'étendue est infinie; mais
idées externes? Ne suffit -il pas que ces phéno que la pensée qno nous en avons, et qui est une
mènes soient simplement de nouvelles modifica modification de notre âme, ne l'est point.
tions passagères des nos âmes? Philarète. Mais comment prouver qu'il
A r i s t e. Je ne me souviens pas que Théo nous faut quelque chose de plus que nos pensées et
dore m'ait prouvé en général que les idées que leurs objets en nous, et que nous avons besoin
nous voyons sont des réalités éternelles; il l'a seu pour notre objet d'une idée infinie, existante en
lement entrepris à l'égard de l'idée de l'espace par Dieu, pour n'avoir qu'une pensée finie; ne suf
un raisonnement particulier; mais cela fait toujours firait -il pas que ces idées fnsseut proportiouôes
LXXXV. EXAMEN DES PRINCIPES DE MALEBRANCHE. 697
aux pensées 1 On dira donc qu'il n'y a point de sence ou possibilité, lors même que je ne m'aper
moyen de s'apercevoir de telles idées. çois point de leur existence; et que ces possibilités,
Aris te. En voici le moyen que Théodore lors même que nous ne les voyons point, subsistent
m'a fourni. L'esprit ne voit point l'infini, comme toujours comme des vérités éternelles, des possibles
s'il le mesurait par sa pensée. Il ne suffit pas dont toute la réalité doit pourtant être fondée dans
aussi cependant qu'il n'en voie pas le tout , car il quelque chose d'actuel, c'est-à-dire en Dieu: mais
pourroit espérer de le trouver; mais il comprend la question est, si nous avons sujet de dire que
qu'il n'y en a point. C'est comme les Géomètres nous les voyons en Dieu. Cependant comme j'ap
voient que la sonsdivision étant continuée tant plaudis assez aux belles pensées de Théodore,
qu'il vous plaira, on ne trouvera jamais une partie voici comment je crois qu'on peut justifier son sen
aliquote du côté du quarré, quelque petite qu'elle timent là-dessus, quoiqu'il passe pour fort paradoxe
soit, qui puisse être aussi la partie aliqnote de la auprès de ceux qui n'élèvent point l'esprit au-delà
diagonale on la mesurer exactement. C'est aussi des sens. Je snis persuadé que Dieu est le seul ob
comme les mêmes Géomètres voient les lignes jet immédiat externe des âmes, puisqu'il n'y a quo
asymptotes de l'hyperbole, qu'ils savent ne la pou lui hors de l'aine qui agisse immédiatement sur
voir jamais rencontrer, quoiqu'elles y approchent l'âme. Et nos pensées avec tout ce qui est en nous,
sans fin. entant qu'il renferme quelque perfection, sont pro
Philarète. Cette manière de connoitre Tin- duites sans intermission par son opération conti
fini est certaine et incontestable: elle prouve aussi nuée. Ainsi, entant que nous recevons nos per
que les objets n'ont point de bornes ; mais , quoi fections finies des siennes qui sont infinies, nons en
que nons en puissions conclure qu'il n'y a point sommes affectés immédiatement. Et c'est ainsi
de dernier Tout fini, il ne s'ensuit pas que nous que notre esprit est affecté immédiatement par les
voyons un Tout infini. Il n'y a point de ligne idées éternelles qui sont en Dieu, lorsque notre
droite infinie; mais toute ligne droite peut toujours esprit a des pensées qui s'y rapportent, et qui en
être prolongée ou surpassée par une antre plus participent. Et c'est dans ce sens que nous pou
grande. Ainsi l'exemple de l'espace ne prouve point vons dire, que notre esprit voit tout en Dieu.
particulièrement que nous ayons besoin de la pré A r i s t e. J'espère que vos objections et vos
sence de certaines idées subsistantes et différentes éclaircissemens réjouiront Théodore, bien loin
des modifications passagères de notre pensée; car de lui déplaire; il aime à se communiquer; et le
il semble d'abord que nos pensées y suffisent. récit que je lui en ferai, lui donnera occasion de
A r i s t c. Ce n'est pas moi-même que je vois nous faire part de plus en plus de ses lumières. Je
en voyant l'espace, les figures ; je vois donc quel me flatte même de vous pouvoir obliger tons deux
que chose hors de moi. en vous faisant connoitre l'un à l'autre; et ce sera
Philarète. Pourquoi ne verrois-je pas ces moi qui en profiterai le plus.
choses en moi? Il est vrai que je vois leur es
LXXXVL
1714.
(.Bei AUlxcaux Recueil II., 148— 15T. — Leibn. Opp. éd. Duteni. V. p. Il n >
J'espérais joindre à cette Lettre quelque éclair Vous n'êtes pas le premier, Monsieur, qui m'ait
cissement sur les Monades, que vous paraissez parlé de cet illustre Abbé comme d'un esprit ex
demander; mais il m'a crû sous la maiu, et bien cellent, et j'ai de l'impatience d'en voir des produc
des distractions m'ont empêché do l'achever si-tôt; tions pour en faire usage; car je ne doute point
et vous savez bien, Monsieur, que ces sortes de qu'elles ne servent à m'éclaircir.
considérations demandent du recueillement. Ainsi Mr. Wolfius est entré dans quelques-uns de
je n'ai point voulu tarder davantage à répondre à mes sentimens; mais comme il est fort occupé à
l'honneur de votre Lettre, où je trouve la conti enseigner, sur -tout les Mathématiques, et que nous
nuation d'une bonne opinion extraordinaire que n'avons pas eu beaucoup de communication en
vous avez de mes méditations, que je souhaiterois semble sur la Philosophie, il ne saurait connoitre
de pouvoir mériter, en levant les difficultés qui presque de mes sentimens que ce que j'en ai publié.
peuvent encore vous arrêter. J'ai vu quelque chose que de jeunes gens ont écrit
Il est vrai que ma Théodicéc ne suffit pas sous lui: j'y ai trouvé bien du bon: il y a pourtant
pour donner un corps entier de mou système; mais des endroits dont je ne conviens pas. Ainsi s'il
en y joignant ce que j'ai mis eu divers Journaux, a écrit quelque chose sur l'Ame en Allemand ou
c'est-à-dire, de Leipsic, de Paris, de Mr. Bayle, et autrement, je tâcherai de le voir pour en parler.
de Mr. Basnage, il n'en manquera pas beaucoup, Puisque mes Vers n'ont point déplu ni à vous,
au moins quant aux principes. Il y a à Venise un Monsieur, ni à Mr. l'Abbé Fraguier, je m'étonne
lavant François, nommé Mr. Bourguet, qui m'a moins que Mr. le Cardinal de Polignac n'en ait
lait des objections; je crois qu'il est ami de Mr. pas été mal - satisfait. Je vous supplie, Monsieur,
l'Abbé Conti, Mais ces objections ont été en de marquer mes respects à Son Euiinence , et de la
voyées à Mr. Hermann, et je les trouverai à mon remercier par avance du précieux présent qu'elle me
retour à Hanover; car je n'ai pas voulu qu'on les destine. Je souhaite qu'il paroisse au premier jour,
envoyât ici, où je sais un peu trop empêché. Mrs. afin que j'en puisse profiter encore pour perfectioner
Hermann et Wolfius ont reçu les Remarques mes propres pensées. Je vous supplie aussi de faire
de Mr. l'Abbé Conti sur mon système; j'espère mes complimens à Mr. l'Abbé Conti, dont j'honore
qu'il» m'en feront part, et je tâcherai d'en profiter. beaucoup la personne et le mérite.
LXXXVI. LETTRES A UN AMI EN FRANCE. G99
11 y a ici Mr. le Comte Jorger, d'une des meil deux auteurs, me paroissoit lever tontes les diffi
leures familles d'Autriche, qui pense à faire un cultés. 11 est vrai que cette hypothèse peut conten
tour en France, où il a été autrefois. Il a déjà ter de simples Physiciens; et supposant qu'il y a
«té le premier des Chambellans de l'Empereur Jo- de tels Atomes, et leur donnant des monveinens et
lepb, et il a été employé dans les Ambassades des figures convenables, il n'y a guère de qualités
comme Envoyé extraordinaire en Angleterre et à matérielles auxquelles il ne seroit possible de satis
Turin; et outre qu'il fait tout ce qui peut orner faire, si nous connoissions le détail des choses.
un Courtisan, il a une connaissance extraordinaire Ainsi on pourroit se servir de la Philosophie do
sur-tout de cette partie de la Physique, qui donne Mr. Gassendi pour introduire les jeunes gens
la résolution des corps par le feu. Mais il a en dans les connaissances de la Nature, en leur disant
core cela de singulier, qu'étant un grand estimateur pourtant qu'on n'emploie le vide et les atomes que
de l'Art général du célèbre II ni moud Lulle, il comme une hypothèse; et qu'il sera permis de rem
fait s'en servir, non pas comme le Vulgaire pour plir nn jour ce vuide d'un fluide si subtil , qu'il ne
faire des discours en l'air, mais pour méditer et puisse guère intéresser nos phénomènes; et de no
pour en faire des applications aux réalités. 11 pré point prendre l'indomptabilité des atomes à la ri
fère Lui le à tous les modernes, même à Mr. Des gueur. Mais étant avancé dans les méditations,
cartes. Comme il pourra prendre la résolution j'ai trouvé que le vide et les atonies ne pouvoient
d'aller en France quand je ne serai plus ici, il m'a point subsister.
demandé, Monsieur, que je vous en écrivisse par On a publié dans les Mémoires de Trévoux quel
avance, afin qu'il ait un jour l'honneur de votre ques Lettres que j'avois échangées avec Mr. Hart-
connaissance, ayant été charmé de vos Lettres. Ses soeker, où j'ai allégué quelques raisons générales
belles qualités l'introduisent aisément par tout; tirées des principes plus élevés , qui renversent les
mais il fait estimer les personnes qui vous ressem atomes; mais j'en puis alléguer bien d'autres, car
blent, et dont il seroit à souhaiter que le nombre tout mon système s'y oppose.
fût plus grand. Pour ce qui est des Disputes qui ont été entre
Quand j'étois jeune, je prenois quelque plaisir Mr. Gassendi et Mr. Descartes, j'ai trouvé
à l'Art de Lulle; mais je crus y entrevoir bien que Mr. Gassendi a raison de rejeter quelques
des défectuosités, dont j'ai dit quelque chose dans prétendues démonstrations de Mr. Descartes tou
nn petit Essai d'écolier intitulé: de Arte Combi chant Dieu et l'Ame; cependant dans le fond je
na to ri a, publié l'an 1666, et qui a été réim crois que les sentimens de Mr. Descartes ont été
primé par après malgré moi. Mais comme je ne meilleurs, quoiqu'ils n'aient pas été assez bien dé
méprise rien facilement, excepté les Arts divina montrés. Au lien que Mr. Gassendi m'a paru
toires, qui ne sont que des tromperies toutes pures, trop chancelant sur la nature de l'Ame, et en un
j'ai trouvé quelque chose d'estimable encore dans mot sur la Théologie naturelle.
l'Art de Lullc; et le Digestum Sapientiae Il paroit par une Lettre de Mr. Locke à Mr.
du Père Ives, Capucin, m'a fort plu; parce qn'il Molineux, insérée dans les Lettres posthumes de
a aussi trouvé le moyen d'appliquer les généralités Mr. Locke, que cet habile Anglois ne souffroit
de Lulle à des particularités utiles. Mais il me pas volontiers des objections. Comme on ne nra-
semble que Mr. Descartes est d'une toute autre voit point communiqué ce qn'il avoit répondu aux
profondeur. Cependant sa Philosop&ie, quoiqu'elle miennes, il ne m'a point été permis d'y répliquer.
ait avancé de beaucoup nos connaissances, a aussi Je ne sais pas si elles se trouvent entières dans ce
ses défectuosités, qui ne sauroient maintenant vous Recueil.
être inconnues. J'ai dit mon sentiment dans laThéodicée sur
Quant à Mr. Gassendi, dont vous désirez de la question de l'Action de Dieu et des Créatures,
savoir mes sentimens, Monsieur, je le trouve d'uu si agitée maintenant ; et il me semble qu'en appro
savoir grand et étendu , très versé dans la lecture fondissant la chose, je suis obligé de m'y tenir.
des Anciens, dans l'Histoire profane et ecclésiastique, j Cependant je ne serai point fâché de voir nn jour
et en tout genre d'érudition; mais ses méditations ce qu'on a objecté au R. P. Malebranche, et
me contentent moins à présent qu'elles ne faisoient ce qu'il y aura répondu. Ces matières manquent
quand je commençai à quitter les seutimens de l'E de clarté faute de bonnes définitions.
cole, écolier encore moi-même. Comme la Doctrine J'ai vu la première édition de l'Ouvrage profond
des Atomes satisfait à l'imagination, je donnai fort de Mr. De Mont mort chez un Ami; mais je se
là-dedans, et le vide de Démocrite ou d" Epi- rai ravi d'en recevoir la seconde, qui sera sans
cure, joint aux corpuscules indomptables de ces doute enrichie de recherches nouvelles et importaii
700 LXXXVL LETTRE A UN AMI EN FRANCE.
tes *). Je voudrais qu'un habile homme traitât aussi médiocres que les miennes, que ne ferait -il
en Mathématicien et en Physicien de toute sorte pas s'il traitoit un grand sujet et des matières re
de jeux. L'esprit humain brille dans les jeux, levées? Si je pouvois contribuer par quelques
plus qu'en tonte autre chose. éclaircissemens à l'encourager pour l'exécution do
Mr. l'Abbé Fraguier donnant par des vers beau dessein qu'il paroit avoir, de donner du
d'nne éminente beauté du relief à des méditations corps et de la couleur aux pensées delà
plus sublime Philosophie, j'aurais rendu nn grand
1 ) Vulgala est baec altéra operi* Montmortiani edl- service aux hommes. En attendant je vous sup
tio Parlsils anno MDCCXIII. hoc titulo instrucla: Es
sai de l'Analyse sur les Jeux de Hazard. Seconde plie, Monsieur, de lui faire mes remerciemens
Edition revue et augmentée in 4to. très -humbles.
LXXXVII.
TROIS LETTRES
A MRREMOND DE MONTMORT.
1714.
CD«8 Maixeaux Recueil elc. II. p. 130. — Leibn. Opp. éd. Dutens. Tom. V. p. 7).
1714.
(Kx aulographis Leibnitlanis nondum edllis, qnae in BiMiolheca Régla Hanoverae asservanlur).
1. La Monade, dont nous parlerons ici, n'est roient se détacher, ni so promener hors de sub
autre chose, qu'une substance simple, qui entre clans stances, comme faisoieiit autrefois les espèces sen
les composés; simple, c'est à dire sans parties. *). sibles de scholastiques. Ainsi ni substance ni acci
2. Et il faut qu'il y ait des substances simples; dent peut entrer de dehors dans une Monade.
puisqun y a des composés; car le composé n'est 8. Cependant il faut que les Monades aient
antre chose, qu'un amas, on aggregatuin des quelques qualités, autrement ce ne seroieut pas
simples. même des Etres. Et si les substances simples ne
3. Or là, ou il n'y a point de parties, il n'y a différaient point par leur qualités, il n'y auroit
ui étendue, ni figure, ni divisibilité possible. Et point de moyen de s'appercevoir d'aucun change
ces Monades sont les véritables Atomes de la Na ment dans les choses, puisque ce qui est daus le
ture et eu un mot les Elémens des choses. composé ne peut venir que des ingrédiens simples,
4. Il n'y a aussi point de dissolution à craindre, et les Monades étant sans qualités seraient indis-
et il n'y a aucune manière concevable par laquelle tingnable l'une de l'autre, puisqu'aussi bien elles
une substance simple puisse périr naturellement.2) ne diffèrent point en quantité: et par conséquent,
5. Par la même raison il n'y en a aucune, par le plein étant supposé, chaque lieu ne recevrait
laquelle une substance simple puisse commencer toujours dans le mouvement que l'Equivalent de ce
naturellement, puisqu'elle ne sauroit être formée qu'il avoit eu, et un état des choses serait indistin-
par composition. gnable de l'autre.
6. Ainsi on peut dire, que les Monades ne sau- 9. Il faut même que chaque Monade soit diffé
roient commencer ni finir, que tout d'un coup, c'est rente de chaque autre. Car il n'y a jamais dans la
à dire elles ne sauraient commencer que par créa nature deux Etres, qui soit parfaitement l'un
tion , et finir que par annihilation ; au lieu, que ce comme l'autre, et où il ne soit possible de trouver
qui est composé, commence ou finit par parties. une différence interne, ou fondée sur une dénomi
7. Il n'y a pas moyen aussi d'expliquer, com nation intrinsèque.
ment une Monade puisse être altérée ou changée 10. Je prends aussi pouf accordé, que tout être
dans son intérieur par quelque autre créature, créé est sujet au changement, et par conséquent la
puisqu'on n'y sauroit rien transposer ni concevoir Monade créée aussi, et même que ce changement
en flic- aucun mouvement interne, qui puisse être est continuel dans chacune.
excité, dirigé, augmenté on diminué là dedans, 11. Il s'ensuit de ce que nous venons de dire,
comme cela se peut dans les composés , où il y a que les chaugcmcns naturels des Monades viennent
de .changement entre les parties. Les Monades d'un principe interne, puisque une cause cx-
n ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose terno ne sauroit influer dans son intérieur. 3)
y puisse entrer ou sortir. Les accidens ne sau- 12. Mais il faut aussi, qu'outre le principe do,
changement il y ait un détail de ce qui
') Théod. §. 10.
') 8- 89. ') S- 396. S- 400.
70G LXXXVIII. MONADOLOGIE (PRINC1P. PHILOS.)
change, qui fasse pour ainsi dire la spécification la faut chercher. Aussi n'y a-t-il que cela qu'on
et la variété des substances simples. puisse trouver dans la substance simple, c'est à dire
13. Ce détail doit envelopper une multitude les perceptions et leurs changeinens. C'est en cela
dans l'unité ou dans le simple. Car tout change seul aussi que peuvent consister toutes les ac
ment naturel se faisant par degrés, quelque chose tions internes des substances simples 4).
change et quoique chose reste ; et par conséquent il 18. On pourroit donner le nom d'Entélédùes
faut que dans la substance simple il y ait nue plu à toutes les substances simples ou Monades créées,
ralité d'affections et de rapports quoiqu'il n'y en car elle ont en elles une certaine perfection (f%ovçi
ait point de parties. TO hmhsç)) il y a une suffisance (orùro^weeux)
14. L'état passager qui enveloppe et représente qui les rend sources de leurs actions internes et pour
une multitude dans l'unité ou dans la substance ainsi dire des Automates incorporels ').
simple n'est autre chose que ce qu'on appelle la 19. Si nous voulons appeler âme tout ce qui
Perception, qu'on doit distinguer de l'appercep- a perceptions et appétits dans le sens géné
tion ou de la conscience, comme il paroîtra dans ral que je viens d'expliquer, toutes les substances
la suite. Et c'est en quoi les Cartésiens ont fort simples ou Monades créées ponrroient être appelées
manqué, ayant compté pour rien les perceptions âmes ; mais, comme lu sentiment est quelque chose
dont on ne s'appcrçoit pas. C'est aussi ce qui les a de plus qu'une simple perception, je consens, que
fait croire, que les seuls Esprits étoient des Mona le nom général de Monades et d'Eutéléchies suffise
des, et qu'il n'y avoit point d'Ames des Bêtes ou aux substances simples, qui n'auront que cela, et
d'autre Entélécliies, et qu'ils ont confondu avec le qu'on appelle a m e s seulement celles, dont la per
vulgaire un long.étourdisseuient avec une inort à ception est plus distincte et accompagnée de mé
la rigueur, ce qui les a fait encore donner dans le moire.
préjugé scolastique des âmes entièrement sépa 20. Gir nous expérimentons en nous mêmes
rées, et a même confirmé les esprits mal touchés un état, où nous souvenons de rien et n'a
dans l'opinion de la mortalité des aines. vons aucune perception distinguée, comme lors
15. L'action du principe interne, qui fait le que nous tombons en défaillance ou quand
changement ou le passage d'une perception à une nous sommes accablés d'un profond sommeil
autre, peut être appelle Appétit ion; il est vrai, sans aucun songe. Dans cet état l'âme ne
que l'appétit ne saurait toujours parvenir entière diffère point sensiblement d'une simple Monade,
ment à toute la perception , où il tend , mais il en mais comme cet état ii'eàt point durable, et
obtient toujours quelque chose, et parvient à des qu'elle s'en tire, elle est quelque chose de
perceptions nouvelles. plus6).
16. Nous expérimentons en nous mêmes une mul 21. Et il ne s'ensuit point, qu'alors la substance
titude dans la substance simple, lorsque nous trou simple soit sans aucune perception. Cela ne se
vons que la moindre pensée dont nous nous apper- peut pas même, par les raisons susdites: car
cevons enveloppe une variété dans l'objet. Ainsi elle ne sauroit périr, elle ne saurait aussi
tous ceux, qui ri-connoissent que l'aine est une sub subsister sans quelque affection, qui n'est au
stance simple, doivent reconnoître cette multitude tre chose, que sa perception: mais quand il y a
dans la Monade, et Monsieur Bayle ne devoit point une graude multitude de petites perceptions, où il
y trouver de diCiculté, comme il a fait dans son n'y a rien de distingué, on est étourdi; comme
dictionnaire, article Rorarius.- quand on tourne continuellement d'un même sens
17. On est obligé d'ailleurs de confesser, que plusieurs fois do suite, où il vient un vertige qni
la Perception et ce, qui en dépend, est inex nous peut faire évanouir et qui ne nous laisse rien
plicable par des raisons mécaniques, c'est distinguer. Et la mort peut donner cet état pour
à dire par les figures et par les inouvemens. Et un teins aux animaux.
feignant, qu'il y ait une Machine, dont la structure 22. Et comme tout présent état d'une sub
fasse penser, sentir, avoir perception, on pourra la stance simple est naturellement une suite de son
concevoir aggrandie en conservant les mêmes pro état précédent, tellement, que le présent.y est gros
portions, en sorte qu'on y puisse entrer comme de l'avenir '),
dans un moulin. Et cela posé on ne trouvera en
la visitant nu dedans que des pièces qui poussent
les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une 4) Pref. #3* 8. b.
perception. Ainsi c'est dans la substance simple ») S- 87.
••t non dans lu composé, ou dans la machkic, qu'il O S 61.
i) $. 360.
LXXXVHI. MONADOLOGIE (PRINCIP. PHILOS.) 707
' 23. Donc puisque réveillé de l'étourclisseinoa 29. Mais la connoissancc des vérités nécessaires
on s'apperçoit de ses perceptions, il faut bieu, et éternelles est ce qui nous distingue des simples
qu'on en ait en immédiatement auparavant, quoi animaux et nous fait avoir la Raison et les sci
qu'on ne s'en soit point apperçu ; car une percep ences, en nous élevant a la connoissanco de nous
tion ne sauroit venir naturellement, que d'une mêmes et de Dieu. Et c'est ce qu'on appelle en nous
antre perception, comme un mouvement ne peut âme raisonnable ou Esprit.
venir naturellement que d'un mouvement8). 30. C'est aussi par la connoissance des vé
24. L'on voit par là, que si nous n'avions rien rités nécessaires et par leurs abstractions, que nous
de distingué et pour ainsi dire de relevé, et d'un sommes élevés aux actes réflexifs, qui nous
plus haut goût dans nos perceptions, nous serions fout penser à ce qui s'appelle .Moi, et à considé
toujours dans l'étourdissetnent. Et c'est l'état des rer que ceci ou cela est en nous, et c'est ainsi,
Monades toutes nues. qu'en pensant à nous, nous pensons h l'Etre, à la
25. Aussi voyons nous que la Nature a donné substance, au simple on au composé, à l'immaté
des perceptions relevées aux animaux par les soins, riel et à Dieu même, en concevant que ce qui est
qu'elle a pris de leurs fournir des organes, qui ra borné en .nous est en lui sans bornes. Et ces actes
massent plusieurs rayons de l'umière ou plusieurs réflexifs fournissent les objets principaux de nos
undulations de l'air pour les faire avoir plus d'effi raisonnemens ' °).
cace par leur union. 11 y a quelque chose d'appro 31. Nos raisonnemens sont fondés sur deux
chant dans l'odeur, dans le goût et dans l'attache grands principes, celui de la Contradic
ment et peut-être dans quantité d'autres sens, qui tion, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui
nous sont inconnus. Et j'expliquerai tantôt, com en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contra
ment ce qui passe dans l'aine représente ce qui se dictoire au faux ' ' ).
fait dans les organes. 32. Et celui de la Raison suffisante,
26. La mémoire fournit une espèce de consé- en vertu duquel nous considérons qu'aucun fait ne
cution aux âmes, qui imite la raison, mais qui sauroit se trouver vrai on existant, aucune énontia-
en doit être distinguée. C'est que nous voyons tion véritable, sans qu'il y ait une raison suffisante
que les animaux ayant la perception de quelque pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement,
chose qui les frappe et dont ils ont eu perception quoique ces raisons lu plus souvent ne puissent
semblable auparavant, s'attendent par la représen point nous être connues **).
tation de leur mémoire à ce qui y a été joint dans 33. Il y a aussi deux sortes de vérités, celles
cette perception précédente et sont portés à des de raisonnement et celles de fait. Les véri
sentimens semblables à ceux qu'ils avoient pris tés de raisonnement sont nécessaires et leur opposé
alors. Par exemple: quand on montre le bâton est impossible, et celles de fait sont contingentes
aux chiens, ils se souviennent de la douleur qu'il et leur opposé est possible. Quand une vérité est
leur a causé et crient et fuient9). nécessaire, ou en peut trouver la raison par l'ana
27. Et Timagination forte, qui les frappe et lyse, la résolvant en idé"s et en vérités plus sim
émeut, vient ou de la grandeur ou de la multitude ples, jusqu'à ce qu'on vienne aux primitives' 3).
des perceptions précédentes. Car souvent une im 34. C'est ainsi que chez les Mathématiciens
pression forte fait tout d'un coup Teflet d'une longe les Théorèmes de spéculation et les Canons
habitude, on de beaucoup de perceptions médio de practique sont réduits par l'analyse aux Défi
cres réitérées. nitions, Axiomes et Demandes.
28. Les hommes agissent comme les bêtes en 35. Et il y a enfin des idées simples, dont on
tant que les consécutions de leurs perceptions ne se ne sauroit donner la définition; il y a aussi des
font que par le principe de la mémoire, ressem 1 axiomes et demandes ou en mot des principes
blais aux Médecins empiriques, qui ont une simple ! primitifs, qui ne sauraient être prouvés et n'en
practiqne sans théorie, et nous ne sommes qu'Em ! ont point besoin aussi, et ce sont les E n o n t i a-
piriques dans les trois quarts de nos actions. Par tions identiques, dont l'opposé contient une
exemple, quand on s'attend qu'il y aura jour de contradiction expresse.
main, on agit en Empirique par ce que cela s'est 36. Mais la raison suffisante se doit
toujours fait ainsi jusqu'ici. 11 n'y a que l'Astro
nome, qui le juge par raison. 10) TLéodicoe préface* 4. a (169).
n) S- 44 S 19«-
M) «• 144. S- 196.
O S 401—403. u) g. 110. 174. 189. «80 — 18*. 867. Abrégé
») Frélun. §. 65. objecl. 3.
708 LXXXVIII. MONADOLOGIE (PRINCIP. PHILOS)
aussi trouver dans les vérités contingentes essences , en tant que réelles , ou de ce qu'il y a de
ou de fait, c'est à dire dans la suite des choses réel dans la possibilité. C'est parce que l'entende
répandues par l'univers des créatures, ou la réso ment de Dieu est la Région des vérités éternel/es,
lution en 'raisons particulières pourrait aller à un ou des idées dont elles dépendent, et que sans loi
détail sans bornes à cause de la variété immense il n'y auroit rieu de réel dans les possibilités, et
des choses de la nature et de la division des corps non seulement rieu d'existant, mais encore rien de
à l'infini. Il y a une infinité de figures et de mou- possible1 8 ).
veniens présens et passés, qui entrent dans la cause 44. Cependant il faut bien que s'il y a une ré
efficiente de mon écriture présente, et il y a une alité dans les Essences ou possibilités, ou bien dans
infinité des petites inclinations et dispositions de les vérités éternelles, cette réalité soit fondée en
mou âme présentes et passées, qui entrent dans la quelque chose d'existant et d'actuel, et par consé
cause finale ' 4). quent dans l'existence de l'Etre nécessaire, dans le
37. Et comme tout ce détail n'enveloppe que quel l'essence renferme l'existance, on dans lequel
d'autres contingens antérieurs on plus détaillés, dont il suffit d'être possible pour être actuel * 8).
chacun a encore besoin d'une Analyse semblable 45. Ainsi Dieu seul (ou l'Etre nécessaire) a ce
pour en rendre raison, on n'en est pas plus avancé, privilège, qu'il faut qu'il existe, s'il est possible.
et il faut que la raison suffisante ou dernière soit Et comme rien ne peut empêcher la possibilité de
hors de la suite ou séries de ce détail des con ce qui n'enferme aucunes bornes, aucune négation
tingences, quelqu'infini qu'il pourroit être. et par conséquence aucune contradiction, cela seul
38. Et c'est ainsi que la dernière raison des suffit pour connoitrc l'Existence de Dieu a priori.
choses doit être dans une substance nécessaire, Nous l'avons prouvé aussi par la réalité des véri
dans laquelle le détail des changemens ne soit tés éternelles. Mais nous venons de Ja prouver
qu'éminemment, comme dans la source, et c'est ce 1 aussi à posteriori puisque des êtres contingens
que nous appelions Dieu I4). existent, lesquels ne sauraient avoir leur raison
39. Or cette substance étant une raison suffi dernière ou suffisante que dans l'être nécessaire,
sante de tout, ce détail, lequel aussi est lié par tout, qui a la raison de sou existence en lui même.
il n'y a qu'un Dieu, et ce Dieu suffit. 46. Cependant il ne faut point s'imaginer avec
40. On peut juger aussi que cette substance quelques uns, que les vérités éternelles étant de-
suprême qui est unique, universelle et nécessaire pendantes de Dieu, sont arbitraires et dépendent
n'ayant rien hors d'elle qui en soit indépendent, et de sa volonté, comme Des Cartes paroît l'avoir pris
étant une suite simple de l'être possible, doit être et puis Monsieur Poiret. Cela n'est véritable que
incapable de limites et contenir tout autant de ré des vérités contingentes dont le principe est la
alité qu'il est possible. convenance ou le choix du meilleur, au lien
41. D'où il s'ensuit, que Dieu est absolument que les vérités nécessaires dépendent uniquement
parfait, la perfection n'étant autre chose, que de son entendement et en sont l'objet interne* * ).
là grandeur de la réalité positive prise précisément, 47. Ainsi Dieu seul est l'uuité primitive on la
en mettant à part les limites ou bornes dans les substance simple originaire, dont toutes les Mo
choses qui en ont. Et là, ou il n'y a point de nades créées ou dérivativcs sont des productions,
bornes, c'est à dire en Dieu, la perfection est ab et naissent, pour ainsi dire, par des fulgurations
solument infinie **). continuelles de la Divinité de moment à moment,
42. 11 s'ensuit aussi que les créatures ont leurs bornée par la réceptivité de la créature à la quelle
perfections de l'influence de Dieu, mais qu'elles ont il est essentiel d'être limitée1 * ).
leurs imperfections de leur nature propre, incapable 48. 11 y a en Dieu la Puissance, qui est la
d'être sans bornes. Car c'est en cela qu'elles sont source de tout, puis la Conuoissance, qui con
distinguées de Dieu1 7). tient le détail des Idées et enfin la Volonté, qoi
43. H est vrai aussi, qu'en Dieu est non seule fait les changemeus ou productions selon le prin
ment la source des existences mais encore celle des cipe du meilleur. Et c'est ce qui répond à ce qoi
dans les Monades créées fait le sujet ou la base, la
faculté perceptive et la faculté appétitive. Mais en
" ) «i. 36. S- 37. 44. 45. 49. 62. S- Kl. ISS.
S- 373. S, 340. 344.
• • 1 Thvod. g. 7. ii) Théod. s 80.
ie) Tbéod. S. 88. Th, ml. préface. 4..i. (469 a ) i») $. 184. 189. $. 335.
") Thvod. g. *0. g. S7—31. §. 153.167. $.377. 10) §• 180. 184. 185. S» 335. §. 351, S 380.
«eqq. 3iJ S. 38S—391. §. 398. §•
LXXXVIII. MONADOLOGIE (PRINCIP. PHILOS.) 709
Dieu ces attributs sont absolamcnt infinis ou par droit de prétendre à l'existence à mesure de la per
faits, et dans les Monades créées ou dans les En- fection qu'il enveloppe 2 7).
téléchies (ou pcrfectihabiis, comme Hermolans 55. Et c'est ce qui est la cause de l'existence
Barbarus traduisoit ce mot) ce n'en sont que des du Meilleur, que la sagesse fait connoître à Dieu,
imitations à mesure qu'il y a de la perfection 2J). que sa bonté le fait choisir, et que sa puissance le
49. La créature est dite agir au dehors en fait produire 2 8 ).
tant qu'elle a de la perfection, et pâtir d'une 56. Or cette liaison ou cet accommodement de
autre en taut qu'elle est imparfaite. Ainsi Ton toutes les choses créées à chacune, et de chacune à
attribue l'action à la Monade en tant qu'elle a tontes les autres, fait que chaque substance sim
des perceptions distinctes et la passion en tant, ple a des rapports qui expriment toutes les autres,
qu'elle a de confuses2*). et qu'elle est par conséquent un miroir vivant per
50. Et une créature est plus parfaite qu'une pétuel de l'univers 2 " ).
autre en ce, qu'on trouve en elle ce qui sert à 57. Et comme une même ville regardée de dif-
rendre raison a priori de ce qui se passe dans férens côtés paroit toute antre et est comme mul
l'autre, et c'est par là, qu'on dit, qu'elle agit sur tipliée perspectivement, il arrive de même, que par
l'autre. la multitude infinie des substances simples , il y a
51. Mais dans les substances simples ce n'est comme autant de différens univers, qui ne sont
qu'une influence idéale d'une Monade sur l'autre, pourtant que les perspectives d'un seul selon les
qui ne peut avoir son effet que par l'intervention diflérens points de vue de chaque Monade 3 °).
de Dieu, en tant que dans les idées de Dieu une 58. Et c'est lo moyeu d'obtenir autant de va
Monade demande avec raison, que Dieu en réglant riété qu'il est possible, mais avec le plus grand
les autres dès le commencement des choses, ait re ordre qui se puisse, c'est-à-dire c'est le moyen
gard à elle. Car puisqu'une Monade créée ne sau- d'obtenir autant de perfection qu:il se peut * l ).
roit avoir une influence physique sur l'intérieur de 59. Aussi n'est ce que cette hypothèse (que
Foutre, ce n'est que par ce moyen, que l'une peut j'ose dire démontrée) qui relève, comme il faut, la
avoir de la dépendance de l'autre * * ). grandeur de Dieu ; c'est ce que Monsieur Bayle re
52. Et c'est par là, qu'entre les créatures les connut, lorsque dans son Dictionnaire (article Ro-
actions et passions sont mutuelles. Car Dien, com rarius) il y fit des objections, où même il fut tenté
parant deux substances simples, trouve en chacune de croire, que je donnois trop à Dieu, et plus qu'il
des raisons, qui l'obligent à y accommoder l'autre, n'est possible. Mais il ne put alléguer aucune rai
et par conséquent ce qui est actif à certains égards, son pourquoi cette harmonie universelle, qui fait que
est passif suivant un autre point de considération : toute substance exprime exactement toutes les au
actif en tant, que ce qu'on connoît distinctement tres par les rapports qu'elle y a, fût impossible.
en lui, sert à rendre raison de ce qui se passe dans 60. On voit d'ailleurs dans eo que je viens de
un autre, et passif en tant, que la raison de ce rapporter, les Raisons a priori pourquoi les choses
qui se passe en lui, se trouve dans ce qui se con ne sauroient aller autrement: Parcequc Dieu eu
noît distinctement dans un autre 2 s). réglant le tout a un égard à chaque partie , et par
53. Or, comme il y a une infinité des univers ticulièrement à chaque Monade, dont la nature
possibles dans les idées de Dieu et qu'il n'en peut étant représentative, rien ne la sauroit borner à
exister qu'un seul, il faut qu'il y ait une raison ne représenter qu'une partie des choses; quoiqu'il
suffisante du choix de Dieu, qui le détermine à l'un soit vrai , que cette représentation n'est que con
plutôt, qu'à l'antre2 6 ). fuse dans le détail de tout l'univers et ne peut être
54. Et cette raison ne peut se trouver que dans distincte que dans une petite partie des choses,
la convenance, dans les degrés de perfection, c'est-à-dire dans celles, qui sont ou les plus pro
que ces Mondes contiennent, chaque possible ayant chaines on les plus grandes par rapport à charnue
c. 1714.
(L'Europe savante 1718. Nov. An. VI. p. 101. — i.-iim. Opp. éd. Dulens Tom. II. P. 1. p. 32).
1. La Substance est un être capable d'action. des autres par des actions propres, qui changent
Elle est simple ou composée. La substance continuellement leur rapports; et chaque substance
simple est celle qui n'a point de parties. La simple ou Monade, qui fait le centre d'une sub
composée est l'assemblage des substances sim stance composée, (comme par exemple, d'un ani
ples, ou des Monades. Monas est un mot Grec, mal,) et le principe de son unicité, est environ
qui signifie l'Unité, ou ce qui est un. née d'une masse composée par une infinité d'an
Les composés, ou les corps, sont des multitu tres Monades, qui constituent le corps propre
des; et le substances simples, les vies, les aines, de cette Monade centrale, suivant les afiec-
les esprits, sont des unités. Et il faut bien qu'il tions duquel elle représente, comme dans une ma
y ait des substances simples partout, parce que nière de centre, les choses qui sont hors d'elle.
sans les simples il n'y auroit point du composés ; Et ce corps est 'organique, quand i\ forme
et par conséquent toute la Nature est pleine une manière d'automate ou de machine de la Na
de vie. ture, qui est machine non seulement dans le tout,
2: Les Monades, n'ayant point de parties, mais encore dans les plus petites parties qui se
ne sauraient être formées ni défaites. Elles ne peuvent faire remarquer. Et comme à cause de la
peuvent commencer ni finir naturellement; et du plénitude du Monde tout est lié, et cliaque corps
rent par conséquent tintant que l'univers, qui sera agit sur chaque autre corps, plus ou moins, selon
changé, mais qui ne sera point détruit. Elles ne la distance , et en est affecté par réaction ; il s'en
sauraient avoir des figures; autrement* elles au- suit que chaque Monade est un miroir vivant, ou
roient des parties. Et par conséquent une Mo doué d'action interne, représentatif de l'Univers,
nade en elle- même, et dans le moment, ne sau suivant son point de vue, et aussi réglé que l'U
rait être discernée d'une autre que par les quali nivers même. Et les perceptions dans la Mo
tés et actions internes, lesquelles ne peuvent être nade naissent les unes des autres par le loix des
autre chose que ses perceptions, (c'est-à-dire, les appétits, ou des causes finales du Bien et du
représentations du composé , ou de ce qui est de Mal, qui consistent dans les perceptions remar
hors, dans le simple.) et ses appétitions, (c'est- quables , réglées ou déréglées , comme les changc-
à-dire, ses tendances d'une perception à l'autre,) mens Ans corps, et les phénomènes au dehors, nais
qui sont les principes du changement. Car la sim sent les uns des antres par les loix des causes
plicité de la substance n'empêche point la multipli efficientes, c'est-à-dire, des monvemens. Ainsi
cité des modifications , qui su doivent trouver en il y a une harmonie parfaite entre les percep
semble dans cette même substance simple; et elles tions de la Monade, et les mouvemens îles corps,
doivent consister dans la vahété des rapports aux préétablie d'abord entre le système des causes ef
choses qui sont au dehors. ficientes , et celui des causes finales. Et c'est en
C'est comme dans un centre ou point, tout cela que consiste l'accord et l'union physique de
simple qu'il est, se trouvent une infinité d'angles l'âme et du corps, sans que l'un puisse changer
formés par les lignes qui y concourent. les loix de l'antre.
3. Tout est plein dans la Nature. 11 y a des 4. Chaque Monade, avec un corps particulier,
substances simples, séparées effectivement les unes fait une substance vivante. Ainsi il, n'y a pas seu
XC. PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRACE. 715
lement de la vie partout , jointe aux membres ou animaux , qui a quelque ressemblance avec la Rai
organes, mais même il y a une infinité de degrés son; mais elle n'est fondée que dans la mémoire
dans les Monades, les unes dominant plus ou des faits, et nullement dans la connoissance des
moins sur les autres. Mais quand la Monade a causes. C'est ainsi qu'un chien fuit le bâton dont
des organes si ajustés, que par leur moyen il y il a été frappé, parce que la mémoire lui repré
a du relief et du distingué dans les impressions sente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les
qu'ils reçoivent, et par conséquent dans les percep hommes, entant qu'ils sont empiriques, c'est-à-dire
tions qui les représentent, (comuie, par exemple, dans les trois quarts de leurs actions, n'agissent
lorsque par le moyen de la figure des humeurs des que comme dfc bêtes; par exemple, on s'attend
yeux, les rayons de la lumière sont concentrés et qu'il fera jour demain, parce qu'on l'a toujours ex
agissent avec plus de force) cela peut aller jus périmenté ainsi. Il n'y a qu'un Astronome qui le
qu'au sentiment, c'est-à-dire, jusqu'à une per- \ prévoie par raison ; et même cette prédiction
ception accompagnée de mémoire, à savoir, dont manquera enfin, quand la cause du jour, qui n'est
un certain écho demeure long -teins pour se faire point éternelle, cessera. Mais le raisonnement
entendre dans l'occasion; et un tel vivant est ap véritable dépend des vérités nécessaires ou éternel
pelé Animal, comme sa Monade est appelée les ; comme sont celles de In Logique, des Nom
une Ame. Et quand cette Ame est élevée jusqu'à bres, de la Géométrie, qui font la connexion indu
la Raison, elle est quelque chose de plus sub bitable des idées, et les conséquences immanqua
lime, et on la compte parmi les Esprits, comme bles. Les animaux où ces conséquences ne se re
il sera expliqué tantôt. marquent point, sont appelés bêtes; mais ceux
Il est vrai que les animaux sont quelquefois ! qui connoissent ces vérités nécessaires, sont pro
dans l'état de simples vivans, et leurs aines dans prement ceux qu'on appelle animaux raison
l'état de simples Monades, savoir, quand leurs nables, et leurs âmes sont appelées esprits. Ces
perceptions ne sont pas assez distinguées, pour âmes sont capables de faire des actes réflexifs, et
qu'on s'en puisse souvenir, comme il arrive dans de considérer ce qu'on appelle Moi, Substance,
un profond sommeil sans songes, ou dans un éva- j Monade, Ame, Esprit; en nu mot, les choses
iiouissement ; mais les perceptions devenues entière- I et les vérités immatérielles. Et c'est ce qui uous
ment confuses, se doivent redévelopper dans les [ rend susceptibles des sciences ou des connoissances
animaux, par les raisons que je dirai tantôt. Ainsi démonstratives.
il est bon de faire distinction, entre la Percep 6. Les recherches des modernes nous ont ap
tion qui est l'état intérieur de la Mouade repré pris, et la raison l'approuve, que les vivans dont
sentant les choses externes, et l'Apperception les organes nous sont connus, c'est-à-dire, les plan
qui est la Conscience, on la connoissance ré- tes et les animaux , ne viennent point d'une putré
flexive de cet état intérieur, laquelle n'est point faction ou d'un chaos , comme les Anciens l'ont
donnée à toutes les aines, ni toujours à la même cru, mais de semences préformées, et par con
âme. Et c'est faute de cette distinction, que les séquent, de la transformation des vivans pré-
Cartésiens ont manqué, en comptant pour rien les existans. 11 y a de petits animaux dans les semences
perceptions dont on ne s'apperçoit pas, comme le des grands, qui, par le moyen de la conception,
peuple compte pour rien les corps insensibles. prennent un revêtement nouveau, qu'ils s'appro
C'est aussi ce qui a fait croire aux mêmes Carté prient, et qui leur donne moyen de se nourrir et
siens, que les seuls esprits sont des Monades, de s'aggrandir, pour passer sur nn plus grand thé
qu'il n'y a point d'âme des bêtes, et encore moins âtre, et faire la propagation du grand animal. Il
d'autres principes de vie. Et comme ils ont est vrai que les âmes des animaux spermatiques
trop choqué l'opinion commune des hommes, en humains no- sont point raisonnables, et ne le de
refusant le sentiment aux bêtes, ils se sont trop viennent que lorsque la conception détermine ces
accommodés au contraire aux préjugés dn vulgaire, animaux à la nature humaine. Et comme les
en confondant un long étourdissement, qui animaux généralement ne naissent point entière
vient d'une grande confusion des perceptions, avec ment dans la conception ou génération, ils ne
une mort à la rigueur, où toute la perception périssent pas entièrement non plus dans ce que
cesserait; ce qui a confirmé l'opinion mal fondée nous appelons mort; car il est raisonnable, que
de la destruction de quelques âmes, et le mauvais ce qui ne commence pas naturellement , ne finisse
sentiment de quelques esprits forts prétendus, qui pas non plus dans l'ordre de la Nature. Ainsi,
ont combattu l'immortalité de la nôtre. quittant leur masque ou leur guenille, ils retour
5. Il y a une liaison dans les perceptions des nent seulement à un théâtre plus subtil, où ils peu
716 XC. PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRACE.
vent pourtant être aussi sensibles et anssi bien ré raison de son existence avec soi; autrement on
glés, que dans le plus grand. Et ce qu'on vient n'auroit pas encore une raison suffisante, où Ton
de dire des grands aaimanx, a encore lieu dans la pût finir. Et cette dernière raison des choses est
génération et la mort des animaux spermatiques appelée Dieu.
plu,s petits , à proportion desquels ils peuvent pas 9. Cette substance simple primitive doit renfermer
ser pour grands; car tout va à l'infini dans la éminemment les perfections contenues dans te
nature. substances dérivatives qui en sont les effets; ;.•.<*-
Ainsi , non seulement les âmes, mais encore les elle aura la puissance, la eonnoissance, et la vo
animaux, sont ingéuérables et impérissables: ils lonté parfaites, c'est-à-dire, elle aura une toute-puis
ne sont que développés, enveloppés, revêtus, dépouil sance, une omniscience, et une bonté souveraines.
lés, transformés; les âmes ne quittent jamais tout Et comme la justice, prise généralement, n'est
leur corps, et ne passent point d'un corps dans un autre chose que la bonté conforme à la sagesse , il
autre corps qui leur soit entièrement nouveau. faut bien qu'il y ait aussi une justice souveraine
Il n'y a donc point de Méteinps ychose, en Dieu. La raison qui a fait exister les choses
mais il y a Métamorphose; les animaux chan par lui, les fait encore dépendre de lui en existant
gent, prennent et quittent seulement des parties: et en opérant: et elles reçoivent continuellement
ce qui arrive peu à peu, et par petites parcelles in de lui ce qui les fuit avoir quelque perfection;
sensibles, mais continuellement , dans la nutrition; mais ce qui leur reste d'imperfection . vient de la
et tout d-'un coup, notablement, mais rarement, limitation essentielle et originale de la créature.
dans la conception, ou dans la mort, qui font ac 10. Il s'ensuit de la perfection suprême de
quérir ou perdre tout à la fois. Dieu, qu'en produisant l'Univers il a choisi le
7. Jusqu'ici nous n'avons parlé qu'en simples meilleur plan possible , où il y ait la plus grande
Physiciens: maintenant il faut s'élever à la Méta : variété, avec le plus grand ordre: le terrain, le
physique, en nous servant du grand principe, ! lieu, le tems les mieux ménagés: le plus d'effet
peu employé communément, qui porte que rien produit par les voies les plus simples; le plus de
ne se fait sans raison suffisante; c'est-à- puissance, le plus de eonnoissance , le plus de bon
dire que rien n'arrive, sans qu'il soit possible à heur et de bonté dans les créatures, que l'Univers
celui qui counoitroit assez les choses , de rendre en pouvoit admettre. Car tous les possibles pré
une raison qui suffise pour déterminer, pourquoi il tendant à l'existence dans l'entendement de Dieu,
en est ainsi, et non pas autrement. Ce principe à proportion de leurs perfections, le résultat de
posé, la première question qu'on a droit de faire toutes ces prétentions doit être le Monde actuel le
sera, Pourquoi il y a plutôt quelque chose plus parfait qui soit possible. Et sans cela il ne
que rien? Car le rien est plus simple et plus seroit pas possible de rendre raison, pourquoi les
facile que quelque chose. De plus; supposé que choses sont allées plutôt ainsi qu'autrement
des choses doivent exister, il faut qu'on puisse ren 1 1 . La sagesse suprême de Dieu lui a fait choi
dre raison, pourquoi elles doivent exister sir surtout les loix du mouvement les mieux
ainsi, et non autrement. ajustées, et les plus convenables aux raisons ab-
8. Or cette raison suffisante de l'existence de ! straites ou métaphysiques. Il s'y conserve la même
l'Univers ne se sauroit trouver dans la suite des quantité de la force totale et absolue, ou de l'action ;
choses contingentes, c'est-à-dire, des corps la même quantité de la force respective, ou de la
et de leurs représentations dans les âmes; parce réaction; la niùoie quantité enfin de la force di
que la matière étant indifférente en elle-même au rective. De plus, l'action est toujours égale à la
mouvement pt an repos, et à un mouvement tel ou réaction , et l'effet entier est toujours équivalent à
antre, on n'y sauroit trouver la raison du mouve sa cause pleine. Et il est surprenant, de ce que
ment, et encore moins d'un tel mouvement. Et par la seule considération des causes efficien
quoique le présent mouvement, qni est dans la tes, ou de la matière, on ne saurait rendre raison
matière, vienne du précédent, et celui-ci cnoore de ces loix du mouvement découvertes de notre
d'un précédent, on n'en est pas plus avancé, quand teins, et dont une partie a été découverte par moi-
on iroit anssi loin que Ton voodroit; car il reste même. Car j'ai trouvé qu'il y faut recourir aux
toujours la mémo question. Ainsi, il faut que la causes finales, et que ces loix ne dépendent
raison suffisante, qui n'ait plus besoin d'une autre point du principe de la nécessité, comme les
raison , soit hors de cette suite des choses contin vérités Logiques, Arithmétiques et Géométriques;
gentes, et se trouve dans une substance, qui en soit niais du principe delà convenance, c'est-
la cause, ou qui soit un être nécessaire, portant la à-dire du choix de la sagesse. Et c'est une des
XC. PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRACE. 717
pins efficaces et des plus sensibles preuves de songes, où nous inventons sans peine, et sans en
l'existence de Dieu , pour ceux qui peuvent appro avoir même la volonté, des choses auxqelles il fan-
fondir ces choses. droit penser long -tems pour les trouver quand on
12. Il suit encore de la perfection de l'Auteur veille ; notre aine est architectonique encore dans
suprême , que non seulement l'ordre de l'Univers les actions volontaires, et découvrant les sciences
entier est les plus parfait qui se puisse, niais aussi suivant lesquelles Dieu a réglé les choses, (pon
que chaque miroir vivant représentant l'Univers dère, mensura, numéro) elle imite dans son
suivant son point de vue, c'est-à-dire, que chaque département, et dans son petit Monde où il lui
Monade, chaque centre substantiel, doit est permis de s'exercer, ce que Dieu fait dans le
avoir ses perceptions et ses appétits les mieux rég grand.
lés qu'il est compatible avec tout le reste. D?où 15. C'est pourquoi tous les esprits, soit des hom
il s'ensuit encore, que les aines, c'est-à-dire, les mes, soit des génies, entrant en vertu de la raison
Monades les plus dominantes, ou plutôt les ani et des vérités éternelles dans une espèce de société
maux , ne penvenf manquer de se réveiller de Té avec Dieu, sont des membres de la Cité de Dieu,
tât d'assoupissement , où la mort, ou quelque autre c'est-à-dire, du plus parfait état, formé et gouverné
accident le peut mettre. par le plus grand et le meilleur des Monarques:
13. Car tout est réglé dans les choses une fois où il n'y a point de crime sans châtiment, point
pour tontes avec autant d'ordre et de correspon de bonnes actions sans récompense proportionnée;
dance qu'il est possible; la suprême Sagesse et et enfin , autant do vertu et de bonheur qu'il est
Bonté ne pouvant agir qu'avec une parfaite harmo possible; et cela, non pas par un dérangement do
nie. Le présent est gros de l'avenir: le futur se la Nature, comme si ce que Dieu prépare aux
pourroit lire dans le passé; l'éloigné est exprimé âmes troubloit les loix des corps; mais par l'ordre
dans le prochain. On pourroit connoitre la beauté même des choses naturelles, en vertu de l'harmo
de l'Univers dans chaque âme, si l'on pouvoit dé nie préétablie de .tout tems entre les Règnes de
plier tous ses replis, qui ne se développent sensible la Nature et de la Grâce, entre Dieu, comme
ment qu'avec le tems. Mais connue chaque per Architecte, et Dieu comme Monarque; en sorte
ception distincte de l'âme comprend une infinité que la Nature mène à la Grâce, et que la
de perceptions confuses, qui enveloppent tout l'Uni Grâce perfectionne la Nature en s'en servant.
vers, l'âme même ne connoit les choses dont elle 16. Ainsi, quoique la Raison ne nous puisse
a perception, qu'autant qu'elle en a des percep point apprendre le détail du grand avenir réservé
tions distinctes et relevées; et elle a de la perfec à la Révélation; nous pouvons être assurés par
tion , à mesure de ses perceptions distinctes,, cette même Raison, que les choses sont faites
Chaque âme connoît l'infini , connoit tout, niais d'une manière qui passe nos souhaits. Dieu étant
confusément. Comme en me promenant sur le aussi la plus parfaite et la plus heureuse, et par
rivage de la mer, et entendant le grand bruit conséquent la plus aimable des substances, et l'a
qu'elle fait, j'entends les bruits particuliers de chaque mour pur véritable consistant dans Tétât qui
vague, dont le bruit total est composé, mais sans fait goûter du plaisir dans les perfections et dans
les discerner; nos perceptions confuses sont le ré la félicité de ce qu'on aime, cet amour doit nous
sultat des impressions que tout l'Univers fait sur donner le plus grand plaisir dont on puisse être
nous. Il en est de même de chaque Monade. capable, quand Dieu en est l'objet.
Dieu seul a une connoissance distincte de tout ; car 17. Et il est aisé de Taiuicr comme il faut, si
il en est la source. On a fort bien dit , qu'il est nous le connoissons comme je viens de dire. Car
comme centre par-tout ; mais que sa circonférence quoique Dieu ne soit point sensible à nos sens ex
n'est nulle part , tout lui étant présent immédiate ternes, il ne laisse pas d'être très -aimable, et de
ment, sans aucun éloignement de ce centre. donner un très -grand plaisir. Nous voyons com
14. Pour ce qui est de l'âme raisonnable, ou bien les honneurs font plaisir aux hommes, quoi
de l'esprit , il y a quelque chose de plus que dans qu'ils ne consistent point dans les qualités des sens
les Monades, ou même dans les simples âmes. extérieurs.
11 n'est pas seulement un miroir de l'Univers des Les Martyrs et les Fanatiques, quoique l'affection
créatures, mais encore une image de la Divinité. de ces derniers soit mal réglée, montrent ce que
L'esprit n'a pas seulement une perception des ouvra peut le plaisir de l'esprit: et, qui plus est, les plai
ges de Dieu; mais il est même capable de pro sirs même des sens se réduisent à des plaisirs intel
duire quelque chose qui leur ressemble, quoiquen lectuels confusément connus.
petit. Car, pour ne rien dire des merveilles des La Musique nous charme , quoique sa beauté ne
91
-718 XCI. A MB. BOURGUET LETTRE I-ffl.
consiste qnc dans les convenances des nombres, et plaisir présent, rien no sanroit être pins ntile pour
daus le compte, dont nous ne nous apercevons l'avenir, car l'amour de Dieu rempb't encore nos
pas, et que l'âme ne laisse pas de faire, des batte- espérances , et nous mène dans le chemin do su
mens ou vibrations des corps sonnans , qui se ren prême bonheur, parce qu'en vertu du parfait ordre
contrent par certains intervalles. Les plaisirs que établi dans l'Univers, tout est fait le mieux ,',!
la vue trouve dans les proportions, sont do la est possible, tant pour le bien général, qne pour le
même nature; et ceux que causent les antres sens, plus grand bien particulier de cenx qui en sont
reviendront à quelque chose de semblable, quoique persuadés, et qui sont contens do Divin Gou
nous ne puissions pas l'expliquer si distinctement vernement ; ce qui ne sanroit manquer dans
18. On peut môme dire, que dès h présent l'a ceux qui savent aimer la source de tout bien. II
mour de Dieu nous fait jouir d'un avant -goût est vrai qne la suprême félicité, do qnelqne vision
de la félicité future. Et quoiqu'il soit désin béatifiqne, ou connoissance de Dien, qu'elle
téressé, il fait par lui -môme notre plus grand bien soit accompagnée, ne sauroit jamais être pleine;
et intérêt, quand même on ne l'y chercherait pas, I .'ni i i • que Dieu étant infini , il ne saurait être
et quand on ne considéreroit que le plaisir qu'il connu entièrement.
donne, sans avoir égard à l'ntilité qu'il produit; Ainsi notre bonheur ne consistera jamais , et ne
car il nous donne une parfaite confiance dans la doit point consister dans une pleine jouissance, où
bonté do notre Auteur et Maître, laquelle produit il n'y aurait plus rien à désirer, et qui rendrait
une véritable tranquillité de l'esprit, non pas notre esprit stupido; mais dans nn progrès perpé
comme chez les Stoïciens résolus à une patience tuel à de nouveaux plaisirs, et de nouvelles per
par force, mais par un contentement présent, qui fections.
nous assure mémo un bonheur futur. Et outre le
xcrv,
TROIS LETTRES A MR BOURGUET.
1714.
(Lelbn. Opp. éd. Dnlens Tom. II, P. I. p. 324. et Tom. VI. p. 213.)
XCII.
,
MR REMOND DE MONTMORT.
1715.
(Rccull de diverses pièces etc. Tom. II. p. 16*. I.eibn. Opp. éd. Dutens Tom. V. p. 18-3
Vos Lettres marquent toujours également votre continuel , comme un fleuve ; et ce que nous appe
bonté et vos lumières: je voudrais pouvoir mériter lons génération, ou mort, n'est qu'un changement
les unes et satisfaire aux autres. La défiance que plus grand et plus prompt qu'à l'ordinaire, tel que
j'avois de ma santé m'a empêché d'acompagner seroit le saut ou la cataracte d'une rivière. Mais
Madame La Princesse de Galles. ces sauts ne sont pas absolus et tels que cens que
En effet la goutte m'a pris dopais: elle n'est point je désaprouve; comme seroit celui d'un corps qui
fort douloureuse, mais elle m'empoche d'agir autre iroit d'un lieu à un autre sans passer par le milieu.
ment que dans le cabinet, où jo trouve toujours le Et de tels sauts ne sont pas seulement défendus
teins trop court , et par conséquent je ne m'ennuie dans les mouvemcns, mais encore dans tout ordre
point; ce qui est un bonheur clans le malheur. des choses, ou des vérités. C'est pourquoi j'ai
Je viens à vos difficultés, et je vous en remer montré à Mr. Hartsockcr, dans des Lettres qui
cie, Monsieur; car je ne demande pas mieux que ont été insérées il n'y a- pas long-tems dans les
d'en recevoir des personnes de votre sincérité et de Mémoires de Trévoux, que la supposition du vuide
votre pénétration. et des atomes nous mènerait à de tels sauts. Or
1. Quant à la Métempsycose, je crois que comme dans une ligne de Géométrie il y a cer
l'ordre no l'admet point; il veut que tout soit ex tains points distingués, qifoa appelle sommets,
plicable distinctement, et que rien uc se fusse par points d'inflexions, points de rebroussement on
saut. Mais le passage de l'âme d'un corps dans autrement; et comme il y a des lignes qui en ont
l'antre seroit un saut étrange et inexplicable. Il so une infinité, c'est ainsi qu'il faut concevoir dans la
fait toujours dans l'animal ce qui s'y fait présente vie d'un animal ou d'une personne les terns d'un
ment: c'est que le corps est dans un changement changement extraordinaire, qui ue laissent pas
XCII. EXTRAIT D'UNE LETTRE A MR. REMOND. 725
d'être dans la règle générale; de même que les c'est-à-dire, que les règles de convenance s'y ob
points distingues daus la courbe se peuvent détermi servent comme est celle qui ordonne que l'effet ne
ner par sa nature générale ou son équation. On doit point surpasser sa cause. Si la matière étoit
peut toujours dire d'un animal, c'est tout comme une substance, comme on la conçoit vulgairement,
ici, la différence n'est que du plus au moins. elle ne pourroit point, sans miracle, observer les
II- Puisqu'on peut concevoir que par le déve règles de la convenance ; et laissée à elle-même,
loppement et changement de la matière , la ma elle observeroit certaines loix brutes, dépendantes
chine qui fait le corps d'un animal spermatique, d'une nécessité mathématique, absolument éloignées
peut devenir une machine telle qu'il faut pour for de l'expérienee. J'en ait dit quelque chose il y a
mer le corps organique d'un homme ; il faut qu'en bien des années dans un des Journaux de Paris, en
même tems famé de sensitive seulement, soit de répondant, je crois, à un Mr. l'Abbé Ça t élan; et
venue raisonnable , à cause de l'harmonie parfaite je suis fâché de n'être pas maintenant en état d'en
entre l'âme et la machine. Mais comme cette har marquer l'année et le nombre. Au reste, comme
monie est préétablie, l'état futur étoit déjà dans le les Monades sont sujettes aux passions, excepté la
présent, et uue parfaite intelligence reconuoissoit il primitive, elles ne sont pas des forces pares, elles
y a long -tems dans l'animal présent, l'homme fu sont les fondemens non-seulement des actions, mais
tur ; tant dans son âme à part, que dans son corps encore des résistances ou passibilités , et leurs pas
à part. Ainsi jamais un pur animal ne deviendra sions sont dans les perceptions confuses. C'est ce
homme, et les animaux spermatiqucs humains, qui qui enveloppe la matière on l'infini en nombres.
ne viennent pas à la grande transformation, sont Vous voyez, Monsieur, que je fais des efforts
de purs animaux. pour tâcher de vous contenter toujours, comme vous
III. Il y a sans doute mille déréglcrueus, mille voyez, par les mêmes principes; mais je ne sais
désordres dans le particuliers. Mais il n'est si j'ai réussi. S'il vous reste des difficultés, plus
pas possible qu'il y eu ait dans le total, même elles seront expliqués, plus serai-je en état d'y en
de chaque Monade ; parce que chaque Monade trer et de me rendre, ou de vous satisfaire.
est un miroir vivant de l'Univers suivant son I J'ai toujours été fort content, même dès ma jeu
point de vue. Or il n'est pas possible que l'U nesse de la Morale de Platon, et encore en queL-
nivers entier ne soit pas bien réglé , la pré que façon de sa Métaphysique: aussi ces deux
valence en perfection étant la raison de l'existence sciences vont-elles do compagnie, comme la Mathé
de ce système des choses, préférablement à tout matique et la Physique. Si quelqu'un réduisoit
autre système possible. Ainsi les désordres ne Platon en système, il rendroit un grand service
sauroicut être que daus les parties. C'est ainsi au genre humain , et l'on verroit que j'en approche
qu'il y a des lignes de Géométrie, desquelles il y a un peu. Feu Mr. Boileau a parlé un peu trop
des parties irregulières ; niais quand on considère en Janséniste en appelant les Anciens ces anti
la ligne entière, on la trouve parfaitement réglée ques Damnés. Les Jésuites sont pins raison
suivant son équation ou la nature générale. Donc nables sur ce chapitre. Mais je crois que Mr. Boi
tous ces désordres particuliers sont redressés avec leau a voulu railler. Quand j'étois jeune garçon,
avantage dans le total, même en chaque Monade. les Etudians de mon âge chantoient: S uni m us
IV. Quant à l'inertie de la matière, comme la Aristoteles, Plato et Euripides, cecide-
matière elle - même n'est autre chose qu'un phéno runt in profundum.
mène, mais bien fondé, résultant des Monades; il Je ne savois pas que Milord Shaftsbury étoit
en est de même de l'inertie, qui est une propriété l'Auteur du petit Livre sur l'utilité de la Rail
de ce phénomène. Il faut qu'il paroisse que la lerie, lorsque je fis des remarques là -dessus.
matière est une chose qui résiste au mouvement, Aussi ne les donnai -je à personne, me contentant
et qu'un petit corps en mouvement ou en force ne de les avoir fait lire à Madame l'Electrice. Je
puisse pas en donner à un grand en repos sans trouvai par après que Mr. le Comte de Schafts-
perdre de la sienne ; autrement l'effet surpasseroit bury s'étoit merveilleusement corrigé dans le
la cause : c'est-à-dire, dans l'état suivant il y auroit progrès de ses méditations, et que d'un Lucien il
plus de force, que dans l'état précédant; ainsi il étoit devenu un Platon: métamorphose assuré
paroit que la matière est une chose qui résiste au ment fort extraordinaire, qui me le fait fort re
mouvement qu'on tâche de lui donner. Mais clans gretter. Ainsi je lui parlai tout d'un autre ton,
l'intérieur des choses , comme la réalité absolue en faisant des réflexions sur les Caractères. Ce
n'est que dans les Monades et leurs perceptions, pendant je vous enverrai uue copie de nies pré*
il faut que ces perceptions soient bien réglées: mières Remarques.
92
xcm.
AD REVERENDISSIMUM
PATREM DES BOSSES EPISTOLAE TRES.
1715.
1714.
XCV.
LETTRE A MR REMOND DE MONTMORT
CONTENANT DES REMARQUES SUR LE LIVRE DU PÈRE TERTRE
CONTRE LE PÈRE MALEBRANCHE.
17 15.
(necneil do diverges pièces tic. Tom., II. p. 539. — Leibn. Opp. éd. Dulens Ton». II. P. I. p. 813).
1716.
XCVII.
DEUX LETTRES A M* BOURGUET.
1716.
(beibn. Opp. éd. Datons. Tem. II. P. I. p. 355.)
XCVIII.
EXTRAIT D'UNE LETTRE
A
MR DANGICOURT.
1716.
ad diverges éd. Kortkolt. Vol. III. p. 963. Lelbn. Opp. éd. Unions Tuin. III. p. 499.)
Je suis ravi, qu'un esprit, anssî Mathématicien, «ndroits (peut -être de la Théodicéo, si je ne me
qne le vôtre s'applique aussi a des recherches phi trompe) que la matière n'est qu'un phénomène
losophiques. Cela aidera à mon dessein de rendre réglé et exact, qui ne tromp point, quand on prend
la Philosophie démonstrative. 11 me semble qne garde aux règles abstraites de la raison. Les véri
nos scntimens ne sont pas fort éloignés l'un de tables substances ne sont que les substances sim
l'autre. Jo suis aussi d'opinon , qu'à parler ex ples ou ce que j'appelle Monades. Et je crois
actement il n'y a point de substance étendue. qu'il n'y a que de monades dans la nature, lu reste
C'est pourquoi j'appelle la matière non substan- n'étant que les phénomènes qui en résultent. Cha
tiani scd substantiam. J'ai dit en quelques que monade est un miroir de l'univers selou sou
74G XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
point Je vnc, accompagnée d'une multitude d'au qui n'a point en elle des parties actuelles. Les
tres monades , qui composent sou corps organique, touts intellectuels u'out des parties qu'en puis
dont elle est la monade dominante. Et en elle- sance. Ainsi la ligue droite n'a des parties actuel
même il n'y a que perceptions et tendances à des les qu'autant qu'elle est actuellement sous -divisée
nouvelles perceptions et appétits, comme dans l'u à l'infini, mais s'il y avoit une autre ordre des
nivers de phénomènes il n'y a que figures et uiou- choses , les phénomèues feraient , qu'elle se-
vemens. La monade donc enveloppe par avance roit autrement sous - divisée. C'est comme l'u
en elle ses états passés ou futurs , en sorte qu'un nité dans l'Arithmétique, qui est aussi on tout in
omniscient l'y peut lire; et les monades s'ac tellectuel ou idéal divisible en parties , comme par
cordent entr' elles, étant des miroirs d'uu même exemple en fractions , non pas actuellement eu soi,
univers à l'infini, quoique l'univers même soit (autrement elle seroit reduisible à des parties mi
d'une diffusion infinie. C'est eu cela que consiste nimes qui ne se trouvent point en nombres), mais
mon Harmonie préétablie. Les monades (dont selon qu'on aura des fractions assignées. Je dis
celles qui nous sont connues sont appelées aines) donc que la matière qui est quelque chose d'actoe,
changent leur état d'elles -même selon les loix des ne résulte que des monades c'est-à-dire de sub
causes finales ou des appétits, et cependant le stances simples indivisibles, mais que l'étendue on
régne des causes finales s'accorde avec le régne des la grandeur géométriques n'est point composée des
causes efficientes qui est celui des phénomènes. parties possibles qu'on y peut seulement assigner,
Cependant je ne dis point que le continuant soit ni résoluble en points, et que les points aussi ne
composé de points géométriques, car la matière sont ques extrémités, et nullement des parties on
n'est point le continua tu et l'étendue continuelle composait de la ligue. —
n'est qu'une chose idéale, consistant en possibilités,
XCIX.
RECUEIL DE LETTRES
ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE
SUR DIEU, L'AME, L'ESPACE, LA DUREE ETC.
1715—1716.
(M'"> Maizeaux Recueil etc. Tom I. Leibn. Opp. Ed. Uuteiis Tum II., P. I. p. 110.)
PREMIER ECRIT DE MR. LEIBNIZ. moins, si les âmes ne sont point matérielles, et
Extrait d'une Lettre de Mr. Leibniz à S. A. R. naturellement périssables.
Madame la Princesse de Galles, écrite au 3. Mr. Newton dit que l'Espace est l'organe,
Mois de Novembre, 1715. dont Dieu se sert pour sentir les choses. Mais, s*»!
a besoin de quelque moyen pour les sentir , elles
1. Il semble que la Religion Naturelle même ne dépendent donc pas entièrement de lui, et ne
s'aflbiblit extrêmement (en Angleterre). Plu sont point sa production.
sieurs font les âmes corporelles , d'autres font Dieu 4. Mr. Newton et ses Sectateurs ont encore
lui même corporel. nue fort plaisante opinion de l'Ouvrage de Dieu,
2. Mr. Locke et ses Sectateurs doutent au Selon eux, Dieu a besoin de remonter de terns en
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 747
tems sa montre, autrement elle cesseroit d'agir. Il dans le cerveau par le moyen des organes des sens,
n'a pas en assez de vue, pour en faire un mouve voit ces images comme si elles étoicnt les choses
ment perpétuel. Cette machine de Dieu est môme mêmes qu'elles représentent; de même Dieu voit
si imparfaite selon eux, qu'il est obligé de la dé tout par sa présence immédiate, étant actuellement
crasser de teins en tems par un concours extraor présent aux choses mêmes, à toutes les choses qui
dinaire, et même de la racomrnoder, comme on sont dans l'Univers, comme l'âme est présente à toutes
horloger sou ouvrage; qui sera d'antaut plus mau les images qui se forment dans le cerveau. Mr. New
vais maître, qu'il sera plus souvent obligé d'y re ton considère le cerveau et les organes des sens,
toucher et d'y corriger. Selon mon sentiment , la comme le moyen par lequel ces images sont For
même force et vigueur y subsiste toujours, et passe mées et non comme le moyen, par lequel l'âme voit on
seulement de matière en matière, suivant les loix aperçoit ces images, lorsqu'elles sont ainsi formées.
de la Nature,' et le bel ordre préétabli. Et je tiens, Et dans l'Univers, il ne considère pas les choses,
quanti Dieu fait des miracles, que ce n'est pas pour comme si elles étoicnt des images formées par uu
soutenir les besoins de la Nature, mais pour ceux de certain moyen ou par des organes; mais comme des
la Grâce. En juger autrement, ce seroit avoir une idée choses réelles, que Dieu lui-même a formées, et
fort basse de la sagesse et de la puissance de Dieu. qu'il voit dans tous les lieux où elles sont, sans Tin
tervention d'aucun moyen. C'est tout ce que Mr.
Newton a voulu dire par la comparaison, dont il
s'est servi, l'orsqn'il suppose que l'Espace infini est,
PREMIÈRE REPLIQUE DE MR. CLARKE. pour ainsi dire, le Sensorium de l'Etre qui est
présent partout.
1 . Il est vrai, et c'est une chose déplorable, qu'il 4. Si, parmi les Hommes, un Ouvrier passe avec
y a en Angleterre, aussi -bien qu'en d'autres pays, raison pour être d'autant plus habile, que la ma
res personnes , qui nient même la Religion Natn- chine qu'il a faite continue plus long -tems d'avoir
delle, ou qui la corrompent extrêmement; mais, un mouvement réglé, sans qu'elle ait besoin d'être
après le dérèglement des moeurs, on doit attribuer retouchée, c'est parce que l'habileté de tous les
cela principalement à la fausse Philosophie des Ma ouvriers humains ne consiste qu'à composer et -à
térialistes, qui est dircctemnot combattue par les joindre certaines pièces, qui ont un mouvement,
principes mathématiques de la Philosophie. Il est dont les principes sont tout -à -fait iudépendans de
vrai aussi, qu'il y a des personnes, qui font l'âme l'ouvrier; comme les poids et les ressorts, etc. dont
matérielle, et Dieu lui-même corporel; mais ces les forces ne sont pas produites par l'ouvrier, qui
gçns là se déclarent ouvertement contre les princi j ne fait que les ajuster et les joindre ensemble.
pes mathématiques do la Philosophie, qui sont les Mais il en est tout autrement à l'égard de Dieu,
seuls principes qui prouvent que la matière est la qui non seulement compose et arrange les choses,
plus petite et la moins considérable partie de l'Uni mais encore est l'Auteur de leurs puissances primi
vers. tives, ou de leurs forces mouvantes, et les conserve
2. Il y a quelques endroits dans les écrits de perpétuellement. Et par conséquent , dire qu'il ne
Mr. Locke, qui pourraient faire soupçonner avec se fait rien sans sa Providence et son inspection, ce
raison, qu'il doutoit de l'immatérialité de l'âme; n'est pas avilir son ouvrage , mais plutôt en faire
mais il n'a été suivi en cela que par quelques Ma connoître la grandeur et l'excellence. L'idée de ceux
térialistes, ennemis des principes mathématiques de I qui soutiennent, qne le Monde est une grande ma
la Philosophie, et qui n'approuvent presque rien chine, qui se meut sans que Dieu y intervienne,
clans les ouvrages de Mr. Locke, qne ses erreurs. comme une horloge continue de se mouvoir sans le
3. Mr. le Chevalier Newton ne dit pas, que secours de l'horloger; cett° idée, dis je, introduit
l'Espace est l'organe dont Dieu se sert pour aper le Matérialisme et la Fatalité ; et sous prétexte de
cevoir les choses; il ne dit pas non plus, que Dieu faire Dieu une Intelligentia Supramundana,
ait besoin d'aucun moyen pour les apercevoir. Au elle tend effectivement à bannir du Monde la Pro
contraire, il dit que Dieu, étant présent par -tout, vidence et le gouvernement de Dien. J'ajoute qne
aperçoit les choses par sa présence immédiate, dans par la môme raison qu'un Philosophe peut s'imagi
tout l'Espace où elles sont, sans l'intervention on ner que tout se passe dans le Monde, depuis qu'il
le secours d'aucun organe, on d'aucun moyen. Pour a été créé, sans que la Providence y ait aurune
rendre cela plus intelligible, il l'éclaircit par une part, il ne sera pas difficile à un Pyrrhonien de
comparaison. Il dit que comme l'âme , étant im pousser les raisonnemens plus loin, et de supposer
médiatement présente aux images qui se forment que les choses sont allées de toute éternité , comme
748 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
elles vont présentement, sans qu'il soit nécessaire tique à la Physique, il faut encore on autre prin
d'admettre une Création, ou un autre Auteur du cipe, comme j'ai remarqué dans ma Théodicée;
Monde, que ce que ces sortes de raisonneurs appel c'est le Principe de la Raison suffisante ; c'est que
lent, la Nature très -sage et éternelle. Si au Roi rien n'arrive , sans qu'il y ait une raison pourquoi
avoit une Royaume, où tout se passeroit, sans qu'il cela est ainsi plutôt qu'autrement. C'est pouiquoi
y intervint, et sans qu'il ordonnât de quelle manière Archimède, eu voulant passer de la Mathéma
les choses se feraient; ce ne seroit qu'un Rqyaume tique à la Physique dans son livre de l'Equilibre,
de nom par ropport à lui ; et il ne mériteroit pas a été obligé d'employer un cas particulier du grand
d'avoir le titre clé Roi ou de Gouverneur. Et Principe de la Raison suffisante. Il prend pour ac
comme on pourroit soupçonner avec raison que ceux cordé, que s'il y a une balance où tout soit de même de
qui prétendent, que dans un Royaume les choses part et d'autre et si l'on suspend aussi des poids
peuvent aller parfaitement bien, sans que le Roi égaux de part et d'autre aux deux extrémités de
s'en mêle: comme on pourroit, dis -je, soupçonner cette balance, le tout demeurera en repos. Cest
qu'ils ne seroient pas fâchés de se passer du Roi; parce, qu'il n'y a aucune raison pourquoi nn côté
de même, on peut dire que ceux qui soutiennent descende plutôt que l'autre. Or par ce principe
que l'Univers n'a pas besoin que Dieu le dirige et seul, savoir qu'il faut qu'il y ait une Raison suffi
le gouverne continuellement, avancent une Doctrine sante , pourquoi les choses sont plutôt ainsi qu'au
qui tend à le bannir du Monde- trement, se démontre la Divinité, et tout le reste
de la Métaphysique, ou de la Théologie Naturelle;
et même eu quelque façon les Principes Physiques
indépendans de la Mathématique, c'est-à-dire, les
SECOND ECRIT DE MR. LEIBNIZ. Principes Dynamiques, on de la force.
2. On passe à dire, que selon les Principes Ma
On Réplique au premier Ecrit de Mr. Clarke. thématiques, c'est-à-dire, selon la Philosophie de
Mr. Newton (car les Principes Mathématiques
1. On a raison de dire dans l'Ecrit donné à n'y décident rien), la Matière est Ja partie la moins
Madame la Princesse de Galles, et que sou considérable de l'Univers. C'est qn'Û admet, outre
Altesse Royale m'a fait la grâce de m'envoyer, la matière, un espace vin de; et que, scion loi, la
qu'après les passions vicieuses, les principes des matière n'occupe qu'une très-petite partie de l'espace.
Matérialistes contribuent beaucoup à entretenir Mais Démocrite et Epicurc ont sonteua la
l'impiété. Mais je ne crois pas qu'on ait sujet d'a même chose, excepté qu'ils difleroient en cela de
jouter, que les Principes Mathématiques de Mr. Newton du plus au moins; et que pe'ut-être
la Philosophie sont opposés à ceux des Maté selon eux, il y avoit plus de matière dans le monde,
rialistes. Au contraire, ils sont les mêmes: ex que selon Mr. Newton. En quoi je crois qu'ils
cepté que les Matérialistes, à l'exemple de Dé- étoient préférables ; car plus il y a de la matière,
inocritc, d'Epicure, et de Hobbes, se bor plus y a-t-il de l'occasion à Dieu d'exercer sa sa
nent aux seuls Principes Mathématiques, et n'ad gesse et sa puissance; et c'est pour cela, entre autres
mettent que des corps; et que les Mathématiciens raisons, que je tiens qu'il n'yapointdevnidedutout.
Chrétiens admettent encore des substances imma 3. Il se trouve expressément dans l'Appendice
térielles. Ainsi ce ne sont pas les Principes Mathé de l'Optique de Mr. Newton, que l'espace est la
matiques, selon le sens ordinaire de ce terme, mais Sensorium de Dieu. Or le mot Scusorium a
les Principes Métaphysiques, qu'il faut opposer à toujours signifié l'organe de la Sensation. Permis
ceux des Matérialistes. Pythagore, Platon, et à lui et à ses amis de s'expliquer maintenant tout
en partie Aristote, en ont eu quelque connois- autrement. Je ne m'y oppose pas.
sance; mais je prétends les avoir établis démonstra- 4. Ou suppose que la présence de l'auie suffit
tivement, quoiqu'exposés populairement , dans ma pour qu'elle s'aperçoive de ce qui se passe dans le
Théodicée. Le grand fondement des Mathéma cerveau; mais c'est justement ce que le Père Mal-
tiques, est le principe de la contradiction, ou de lebranche et toute l'école Cartésienne nie , et a
l'identité, c'est-à-dire, qu'une énouciation ne sau- raison de nier. Il faut tout autre chose que la scnle
roit être vraie et fausse eu même terns ; et qu'ainsi présence, pour qu'une chose représente ce qui se
A est A, et ne sauroit être non A. Et ce seul Prin passe dans l'autre. II faut pour cela quelque com
cipe suffit pour démonter toute l'Arithmétique et munication explicable, quelque manière d'influence.
toute la Géométrie, c'est-à-dire, tous les Principes L'espace, selon Mr. Newton, est intimement pnv
Mathématiques. Mais pour passer do la Mathéma seut au corps qu'il contient, et qui est commensaré
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 749
avec lui; s'ensuit -il ponr cela que l'espace s'aper- ; 8. Je ne dis point que le monde corporel est
çoive de ce qui se passe daus le corps, et qu'il s'en ' une machine ou nne montre qui va sans l'interposi
souvienne après que le corps en sera sorti? Outre tion de Dieu , et je presse assez que les créatures
que l'aine étant indivisible, sa présence immédiate ont besoin de son influence continuelle; mais je
qu'on pourroit s'imaginer daus le corps, ne seroit soutiens que c'est nne montre qui va sans avoir be
que dans un point. Comment donc s'apercevroit- soin de sa correction, autrement il faudroit dire que
ellc de ce qui se fait hors de ce point 2 Je prétends Dieu se ravise. Dieu a tout prévu, il a remédié à
d'être le premier qui ait montré comment l'âme tout par avance. Il y a dans ses ouvrages une har
s'aperçoit de ce qui se passe dans le corps. monie, nne beauté déjà préétablies.
5. La raison pourquoi Dieu s'aperçoit de tout, 9. Ce sentiment n'exclut point la Providence on
n'est pas sa simple présence, mais encore son opé le Gouvernement de Dieu: au contraire, cela le
ration ; c'est parce qu'il conserve les choses par une rend parfait. Une véritable Providence de Dieu,
action qui produit continuellement ce qu'il y a de demande nne parfait prévoyance : mais de plus elle
bonté et de perfection en elles. Mais les âmes demande aussi, non seulement qu'il ait tout prévu,
n'ayant point d'influence immédiate sur les corps, mais aussi qu'il ait pourvu à tout par des remèdes
ni les corps sur les auies, leur correspondance mu convenables préordonnés: autrement il manquera
tuelle ne sauroit être expliquée par la présence. ou de sagesse pour le prévoir, ou de puissance pour
6. La véritable raison qui fait louer principale y pourvoir, il ressemblera à un Dieu Socinien, qui
ment une machine, est plutôt prise de l'effet de la vit du jour à la journée, comme disoit Mr. Jurieu.
machine, que de sa cause. Ou ne s'informe pas Il est vrai que Dieu , selon les Sociuiens , manque
tant de la puissance du Machiniste, que de son ar même de prévoir les inconvéniens; au lieu que, se
tifice. Ainsi la raison qu'on allègue pour louer la lon ces Messieurs qui l'obligent à se corriger, il
machine de Dieu, de ce qu'il l'a faite tonte entière, manque d'y pourvoir. Mais il me semble que c'est
sans avoir emprunté de la matière de dehors, n'est encore un manquement bien grand ; il faudroit qu'il
l>oint suffisante. C'est un petit détour, où l'on a manquât de pouvoir, ou de bonne volonté.
été forcé de recourir. Et la raison qui rend Dieu 10. Je ne crois point qu'on me puisse reprendre
préférable à un autre Machiniste, n'est pas seule avec raison, d'avoir dit que Dieu est Intelligen-
ment parce qu'il fait le tout, au lieu que l'artisan tia Supramnudana. Diront-ils qu'il est Intel-
a besoin de chercher sa matière: cette préférence ligeutiaMundana, c'est-à-dire, qu'il est l'âme
viendrait seulement de la puissance; mais il y a du monde? J'espère que non. Cependant ils seront
une autre raison de l'excellence de Dieu, qui vient bien de se garder d'y donner sans y penser.
encore de la sagesse. C'est que sa machine dure 11. La comparaison d'un Roi, chez qui tout
aussi plus loug-tems, et va plus juste, que celle de iroit sans qu'il s'en mêlât , ne vient point à pro
quelque autre Machiniste que ce soit. Celui qui pos; puisque Dieu conserve toujours les choses, et
achète la montre, ne se soucie point si l'ouvrier l'a qu'elles ne sauraient subsister sans lui: ainsi son
faite toute entière , ou s'il en a fait faire les pièces Royaume n'est point nominal. C'est justement
par d'autres ouvriers, et les a seulement ajustées; comme si Ton disoit, qu'un Roi qui aurait si bien
pourvu qu'elle aille comme il faut. Et si l'ouvrier fait élever ses sujets, et les maintiendrait si bien
avoit reçu de Dieu le don jusqu'à créer la matière dans leur capacité et bonne volonté, par le soin
des roues, on n'en seroit point content, s'il n'avoit qu'il aurait pris de leur subsistance, qu'il n'aurait
reçu aussi le don de les bien ajuster. Et de même, point besoin de les redresser; seroit seulement un
celui qui voudra être content de l'ouvrage de Dieu, Roi de nom.
ne le sera point par la seule raison qu'on nous al 12. Enfin, si Dieu est obligé de corriger les
lègue. choses naturelles de terns en teins, il faut que cela
7. Ainsi il faut que l'artifice de Dieu, ne soit se fasse ou surnaturellemeut ou naturellement. Si
point inférieur à celui d'un ouvrier; il faut même cela se fait surnaturellement, il faut recourir au
qu'il aille infiniment au delà. La simple produc miracle ponr expliquer les choses naturelles ; ce qui
tion de tout, marquerait bien la puissance de Dieu; est en effet une réduction d'une hypothèse ad ab-
mais elle ne marquerait point assez sa sagesse. s u r d u m. Car avec les miracles , on peut rendre
Ceux qui soutiendront le contraire, tomberont juste raison de tout sans peine. Mais si cela se fait na
ment dans le défaut des Matérialistes et de Spi turellement , Dieu ne sera point lutelligentia
noza, dont ils protestent de s'éloigner. Ils recon- Supramnndana, il sera compris sous la nature
noitroient de la puissance, mais non pas assez de des choses; c'est-à-dire, il sera l'Ame du Monde.
sagesse dans le principe des choses.
95
750 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
finis en nombre, afin que Dieu ne manque pas de
SECONDE REPLIQUE DE MR. CLARKE. sujets pour exercer sa puissance et sa sagesse.
3. Le mot de Sensorium ne signifie pas pro
1. Lorsque j'ai dit que les Principes Mathé prement l'organe, mais le lieu de la Sensation.
matiques de la Philosophie sout contraires L'oeil , l'oreille , etc. sont dos organes ; mais ce ne
h ceux des Matérialistes, j'ai voulu dire, qu'an sont pas des Sensoria. D'ailleurs, Mr. le Cheva
lieu que les Matérialistes supposent que la structure lin Newton ne dit pas que l'espace est an Se»-
de l'Univers peut avoir été produite par les seuls soriu m; mais qu'il est (par voie de comjviraison),
Principes Méchaniques, de la matière et du mouve pour ainsi dire, le Sensorium etc.
ment, de la nécessité et de la fatalité; les Principes 4. Ou n'a jamais supposé que la présence de
Mathématiques de la Philosophie font voir au con l'âme suffit pour la perception : on a dit seulement
traire, que l'état des choses (la constitution du So que cette présence est nécessaire afin que Tarne
leil et des Planètes) n'a pu être produit que par aperçoive. Si l'âme n'étoit pas présente aux images
une cause intelligente et libre. A l'égard du mot des choses , qui sont aperçues , elle ne ]>ourroit pas
de Mathématique ou de Métaphysique, on les apercevoir; mais sa présence ne suffit pas, à
peut appeller, si on le juge à propos, les Principes moins qu'elle ne soit aussi une substance vivante.
Mathématiques des Principes M é t a p h y s i q u e s, Les substances inanimées, quoique présentes, n'aper
selon que les conséquences métaphysiques naissent çoivent rien: et une substance vivante n'est capable
démonstrativement des Principes Mathématiques. de perception, que dans le lieu où elle est présente;
Il est vrai que rien n'existe sans une raison suffi soit aux choses mûmes, comme Dieu est présent à
sante, et que rien n'existe d'une certaine manière, tout l'Univers; soit aux images des choses, comme
plutôt que d'une antre, sans qu'il y ait aussi une l'aine leur est présente dans son Sensorfom. If
raison suffisante pour cela; et par conséquent, lors est impossible qu'une chose agisse, ou qao quelque
qu'il n'y a aucune cause, il ne peut y avoir aucun sujet agisse sur elle, dans un lien où elle n'est pas
effet. Mais cette raison suffisante, est souvent la présente; comme il est impossible qrfette soit dans
simple volonté de Dieu. Par exemple, si l'on con un lieu, où elle n'est pas. Quoique l'aine soit indi
sidère pourquoi une certaine portion ou système de visible, il ne s'ensuit pas qu'elle n'est présente que
matière a été créée dans un certain lieu, et une dans un seul point. L'espace fini, ou infini, est ab-
antre dans un autre certain lieu , puisque tout lieu | solument indivisible, même par la pensée; car on
étant absolument indifférent à toute matière, c'eût ne peut s'imaginor que ses parties se séparent l'nne
été précisément la même chose vice versa, sup de l'autre, sans s'imaginer qu'elles sortent, pour
posé que les deux portions de inartière (ou leurs ainsi dire, hors d'elles mêmes; et cependant l'espace
particules), soient semblables; si, dis -je, l'on con n'est pas un simple point.
sidère cela, on n'en pont alléguer d'autre raison, 5. Dieu n'aperçoit ]*»s les choses par sa simple
que la simple volonté de Dieu. Et si cette volonté présence, ni parce qu'il agit sur elles; mais parce
ne pouvoit jamais agir, sans être prédéterminée par qu'il est, non-seulement présent par-tont, mais en
quelque cause, comme une balance ne sauroit se core un Etre vivant et intelligent. On doit dire la
mouvoir, sans le poids qui la fait pancher, Dieu même chose de l'aine dans sa petite sphère. Ce
n'auroit pas la liberté do choisir; et ce seroit in n'est point par sa simple présence, mais jiarci?
troduire la Fatalité. qu'elle est une substance vivante, qu'elle aperçoit
2. Plusieurs anciens Philosophes Grecs, qui les images auxquelles elle est présente, et qu'elle
avoient emprunté leur Philosophie des Phéniciens, i ne sauroit apercevoir sans leur être présente.
et dont la doctrine fut corrompue par Epicure, 6 et 7: II est vrai, que l'excellence de roamtse
admettoient en général la matière et le vuide. Mais de Dieu ne consiste pas seulement en ce que cet
ils ne surent pas se servir de ces principes, pour ouvrage fait voir la puissance de son Auteur , mais
expliquer les Phénomènes de la Nature par le encore en ce qu'il montre sa sagesse. Mais Dieu
moyen des Mathématiques. Quelque petite que soit ne fait pas paraître cette sagesse, en rendant la na
la quantité de la matière, Dieu ne manque pas de ture capable de se mouvoir sans loi, comme nn
sujets, sur lesquels il puisse exercer sa puissance et horloger fait mouvoir una horloge. Cela est impos
sa sagesse; car il y a d'autres choses, outre la ma sible, puisqu'il n'y a point de forces dans la na
tière, qui sont également dos sujets, sur lesquels ture, qui soient indéjxmdantes de Dieu, comme les
Dieu exerce sa puissance et sa sagesse. On auroit forces dos poids et des ressorts sont indépendantes
pu prouver par la même raison , que les hommes, des hommes. La sagesse de Dieu consiste donc on
ou tonte autre espèce de créatures, doivent être in ce qu'il a formé, dès le commencement, une idée
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 751
parfaite et completto d'un ouvrage, qui a commencé est certain , que le naturel et lo surnaturel no dif
et qui subsiste toujours, conformément à cette idée, fèrent en rien l'un de l'autre par rapport à Dieu :
par l'exercice perpétuel de la puissance et du gou ce ne sont que des distinctions, selon notre manière
vernement de son Auteur. de concevoir les choses. Donner an mouvement
8. Le mot de Correction, ou de Réforme, réglé an Soleil (ou à la Terre) c'est une chose que
ne doit [tas être entendu par rapport à Dieu, mais nous appelions naturelle: arrêter ce mouvement
uniquement par rapport à nous. L'état présent do pendant un jour, c'est une chose surnaturelle selon
Système Solaire, par exemple, selon les loix du nos idées. Mais la dernière de ces deux choses
mouvement qui sont maintenant établies , tombera n'est pas l'effet d'une plus grande puissance que
un jour en confusion; et ensuite il sera peut-être l'autre; et par rapport à Dieu, elles sont toutes
redressé, ou bien il recevra une nouvelle forme. deux également naturelles on surnaturelles. Quoi
Mais ce changement n'est que relatif, par rapport que Dieu soit présent dans tout l'Univers, il ne
à notre manière de concevoir les choses. L'état s'ensuit point qu'il soit l'âme du monde. L'âme
présent du Monde, le désordre où il tombera humaine est une partie d'un composé, dont le corps
et le renouvellement dont ce désordre sera est l'autre partie ; et ces deux parties agissent mu
suivi, entrent également dans le dessein que Dieu tuellement l'une sur l'autre, comme étant les par
a formé. Il en est de la formation du Monde, ties d'un même tout. Mais Dieu est dans le monde,
comme de celle du corps humain. La sagesse de non comme une partie de l'Univers, mais comme
Dieu ne consiste pas à les rendre éternels, mais à un Gouverneur. Il agit sur tout, et rien n'agit sur
les faire durer aussi long-teuis qu'il le juge à propos. lui. Il n'est pas loin de chacun do nous;
9. La sagesse et la pié^cience de Dieu ne con car en lui nous (et toutes les choses qui existent)
sistent pas à préparer des remèdes par avance, qui avons la vie, le mouvement et l'être.
guériront d'eux-mêmes les désordres de la Nature,
Car, à proprement parler, il n'arrive ancuu désordre
dans le monde, par rapport à Dieu; et par consé
quent, il n'y a point de remèdes; il n'y a point TROISIÈME ÉCRIT DE MR. LEIBNIZ.
même de forces naturelles , qui puissent agir d'el Ou Réponse à la seconde Réplique do Mr. Clarkc
les-mêmes, comme les poids et les ressorts agissent
d'eux-mêmes par rapport aux hommes. Mais la 1. Selon la manière de parler ordinaire, les
sagesse et la préscience de Dieu consistent , comme Principes Mathématiques sont ceux qui con
ou l'a dit ci-dessus, à former dès le commencement sistent dans les Mathématiques pures, comme Nom
un dessein, que sa puissance met continuellement bres, Arithmétique, Géométrie. Mais les Princi
en exécution. pes Métaphysiques regardent des notions plus
10. Dieu n'est point une latelligen tia Mun- générales, comme la Cause et l'Effet.
d an a, ni une In telligen tia Supra rnundaiia; 2. On m'accorde ce Principe important, qne
mais une intelligence qui est par -tout, dans le rien n'arrive sans qu'il y ait une raison
inonde., et hors du monde. Il est en tout, par-tout, suffisante pourquoi il en soit plutôt ain
et par-dessus tout. si qu'autrement. Mais on me l'accorde en pa
1 1 . Quand on dit que Dieu conserve les choses, roles, et on me le refuse en effet; ce qui fait voir
si Ton veut dire par-là, qu'il agit actuellement sur qu'on n'en a pas bien compris toute la force. Et
elles, et qu'il les gouverne, en conservant et en con pour cela ou se sert d'une do mes démonstrations
tinuant leurs êtres, leurs forces, leurs arrangemens contre l'Espace réel absolu, idole de quelques
et leurs mouvemens, c'est précisément ce que je Anglois modernes. Je dis Idole, non pas dans un
soutiens. Mais si l'on veut dire simplement, que sens Théologiqne, mais Philosophique; comme le
Dieu en conservant les choses ressemble à un Roi, Chancelier Bacon disoit autrefois, qu'il y a Idola
qui crécroit des sujets , lesquels seraient capables Tribus, Idola Specûs.
d'agir, sans qu'il eût aucune part à ce qui se passe- 3. Ces Messieurs soutiennent donc, que l'Es
roit parmi eux; si c'est-Ià, dis-je, ce que l'on vent pace et un être réel absolu; mais cela les
dire, Dieu sera un véritable Créateur, mais il n'aura mène à de grandes difficultés. Car il paroit que
que le titre de Gouverneur. cet être doit être éternel et infini. C'est pourquoi
12. Le raisonnement que l'on trouve iri , sup il y en a qui ont cru que c'étoit Dieu lui-même, ou
pose que tout ce que Dieu fait, est surnaturel et bien sou attribut, son immensité. Mais comme il
miraculeux; et par conséquent, il tend à exclure a des parties, ce n'est pas une chose qui puisse con
Dieu du gouvernement actuel du monde. Mais il venir à Dieu.
95*
752 XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
4. Pour moi, j'ai marqué plus d'une fois, que dans leur ordre successif; lequel demenrant le
je tenois, l'Espace pour quelque chose de pure même, l'un des deux états, comme celui de J'anfi-
ment relatif, comme le Temps; pour un ordre cipation imaginée, ne différerait en rien, et ne sau-
des Coexistences, comme le Temps est un roit être discerné de l'autre qui est maintenant.
ordre de Successions. Car l'espace marque en 7. On voit par tout ce que je viens de dire, que
termes de possibilité, un ordre des choses qui exi mon axiome n'a pas été bien pris; et qu'en sem
stent en mémo temps-, entant qu'elles existent en blant l'accorder, on le refuse. Il est vrai, dit-
semble ; sans entrer dans leurs manières d'exister. on, qu'il n'y a rien sans une raison suffi
Et lorsqu'on voit plusieurs choses ensemble, on sante pourquoi il est, et pourquoi il est
s'aperçoit de cet ordre des choses entr'elles. ainsi plutôt q'antreuient: Mais on ajoute,
5. Pour réfuter l'imagination de ceux qui pren qnc cette raison suffisante est souvent la simple
nent l'espace pour une substance, ou du moins pour volonté de Dieu; comme Forsqu'on demande
quelque être absolu , j'ai plusieurs démonstrations ; pourquoi la matière n:a pas été placée autrement
mais je lie veux me servir à présent que de celle dans l'espace, les mêmes situations entre les corps
dont on me fournit ici l'occasion. Je dis donc, que demeurant gardées. Mais c'est justement soutenir
si l'espace étoit un être absolu, il arriveroit quel que Dieu veut quelque chose, sans qu'il y ait aucune
que chose dont il seroit impossible qu'il y eût une raison suffisante de sa volonté, contre l'axiome, <MI
raison suffisante, ce qui est encore notre Axiome. la règle générale de tout ce qui arrive. C'est retom
Voici comment je le prouve. L'espace est quelque ber dans l'indifférence vague, que j'ai mon
chose d'uniforme absolument ; et sans les choses y trée chimérique absolument, même dans les créatu
placées, un point de l'espace ne diffère absolument res, et contraire à la sagesse de Dieu, comme s'il
en rien d'un autre point de l'espace. Or il suit de pouvoit opérer sans agir par raison.
cela (supposé que l'espace soit quelque chose en lui 8. On m'objecte qu'en n'admettant point cette
même outre l'ordre des corps entre eux) , qu'il est simple volonté, ce seroit ôter à Dieu \e pou
impossible qu'il y ait une raison pourquoi Dieu, voir de choisir, et tomber dans la fatalité. Mais
gardant les mêmes situations des corps entre eux, c'est tout le contraire: on soutient en Dieu le pou
ait placé les corps dans l'Espace ainsi et non pas voir de choisir, puisqu'on le fonde sur la raison dn
autrement; et pourquoi tout n'a pas été pris à re choix conforme à sa sagesse. Et ce n'est pas cette
bours (par exemple), par un échange de l'Orient fatalité (qui n'est antre chose que l'ordre le plus
et de l'Occident. Mais si l'Espace n'est autre chose sage de la Providence), mais une fatalité ou né
que cet ordre ou rapport, et n'est rien du tout sans cessité brute, qu'il faut éviter, on il n'y a ni
les corps, que la possibilité d'eu mettre; ces deux sagesse, ni choix.
états, l'un tel qu'il est, l'autre supposé à rebours, 9. J'avois remarqué, qu'en diminuant la quan
ne différeroicnt point entre eux. Leur différence tité de la matière, on diminue la quantité des objets
ne se trouve donc, que dans notre supposition chi où Dieu peut exercer sa lionté. On nie répond,
mérique do la réalité de l'Espace en lui-même. qu'au lieu de la matière, il y a d'autres choses dans
Mais dans la vérité, l'un seroit justement la même le vnide, où il ne laisse pas de l'exercer. Soit;
chose que l'autre, comme ils sont absolument in quoique je n'en demeure point d'accord; car je
discernables; et par conséquent, il n'y a pas lieu tiens que toute substance créée est accompagnée de
de demander la raison de la préférence de l'un à matière. Mais soit, dis-je : je réponds, que plus de
l'autre. matière étoit compatible avec ces mêmes choses;
6. Il en est de même du temps. Supposé que et par conséquent, c'est toujours diminuer le dit
quelqu'un demande pourquoi Dieu n'a pas tout créé objet. L'instance d'un plus grand nombre d'hom
un an plutôt; et que ce même personnage veuille mes ou d'animaux ne convient point: car ils ote-
inférer de là, que Dieu a fait quelque chose dont il roient la place à d'autres choses.
n'est pas possible qu'il y ait une raison pourquoi 10. 11 sera difficile de nous faire accroire, que
il l'a faite ainsi plutôt qu'autrement : on lui répon daus l'usage ordinaire, Scnsorinm ne signifie pas
drait, que son illation seroit vraie, si le temps étoit l'organe de la sensation. Voici les paroles de K u-
quelque chose hors des choses temporelles ; car il clolphus Goclenius, dans souDictionarium
seroit impossible qu'il y eût des raisons pourquoi Philosophicum, v. Scusitorium: Barba-
les choses eussent été appliquées plutôt à de tels rum Scholasticorum, dit-il, qui interdum
instans qu'à d'autres, leur succession demeurant la suntSimiac Graecorum. Hi dicunt 'A«r£-r;-
même. Mais cela même prouve que les instans hors r»u>M>r. Ex quo illi fccerunt Sensitorinm
des choses ne sont rien . et qu'ils ne consistent que pro Scusorio, id est, Organo Scusationis.
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 753
11. La simple présence d'une substance, môme férence infinie; mais il parait bien qu'où ne l'a pas
animée, ne suffit pas pour la perception. Un bien considérée. Le Surnaturel surpasse tontes les
aveugle, et même nn distrait ne voit point. 11 faut forces des créatures. 11 faut venir à un exemple:
expliquer comment l'âme s'aperçoit de ce qui est en voici un , que j'ai souvent employé avec succès.
hors d'elle. Si Dieu vouloit faire en sorte qu'un corps libre se
12. Dieu n'est pas présent ans choses par situa promenât dans l'Ether en rond, à l'entour d'un cer
tion, niais par essence; sa présence se manifeste tain centre fixe, sans que qnelqn'autre créature agit
par son opération immédiate. La présence de l'âme sur lui ; je dis que cela ne se pourrait que par mi
est tout d'une autre nature. Dire qu'elle est diffuse racle, n'étant pas expliquable par les natures des
par le corps, c'est la rendre étendue et divisible; corps. Car un corps libre s'écarte naturellement de
dire qu'elle est toute entière en chaque partie de la ligne courbe par la tangente. C'est ainsi que je^
quelque corps, c'est la rendre divisible d'elle-même. soutiens, que l'attraction, proprement dite, des
L'attacher à un point, la répandre par plusieurs corps et une chose miraculeuse, ne pouvant pas être
points , tout cela ne sont qu'expressions abusives, expliquée par leur nature.
Idola Tribus.
13. Si la force active se jx'rdoit dans l'Univers
par les loix naturelles que Dieu y a établies, en
sorte qu'il eût besoin d'une nouvelle impression TROISIÈME RÉPLIQUE DE MR. CLARKE.
pour restituer cette force, comme un ouvrier qui 1. Ce que l'on dit ici ne regarde que la signifi
remédie à l'imperfection de sa machine; le désordre cation de certains mots. On peut admettre les dé
n'auroit pas seulement lieu à l'égard de nous, mais finitions que l'on trouve ici ; niais cela n'empêchera
à l'égard de Dieu lui - même. 11 pouvoit le préve pas qu'on ne puisse appliquer les raisonneinens
nir, et prendre mi^ux ses mesures, pour éviter un mathématiques à des sujets physiques et
tel inconvénient : aussi l'a-t-il fait en effet. métaphysiques.
14. Quand j'ai dit que Dieu a opposé à de tels 2. 11 est indubitable, que rien n'existe, sans
désordres des remèdes par avance, je ne dis point qu'il y ait une raison suffisante de son exi
que Dieu laisse venir les désordres, et puis les re stence; et que rien n'existe d'une certaine manière
mèdes ; niais qu'il a trouvé moyen par avance d'em plutôt que d'une autre, sans qu'il y ait aussi une
pêcher les désordres d'arriver. raison suffisante de cette manière d'exister.
15. On s'aplique inutilement à critiquer mon Mais à l'égard des choses qui sont indifférentes en
expression, que Dien est In telligentia Supra- elles-mêmes, la simple volonté est une raison
mu nd an a. Disant qu'il est au-dessus du monde, suffisante pour leur donner l'existence, ou pour les
ce n'est par nier qu'il est dans le monde. faire exister d'une certaine manière; et cette vo
16. Je n'ai jamais donné sujet de douter qno la lonté n'a pas besoin d'être déterminée par une
conservation de Dien est une préservation et conti cause étrangère. Voici des exemples de ce que je
nuation actuelle des êtres, pouvoirs, ordres, dispo viens de dire. Lorsque Dieu a créé on placé une
sitions et motions; et je crois l'avoir peut-être particule de matière dans un lieu plutôt que dans
mieux expliqué que beaucoup d'autres. Mais, dit- un autre, quoique tons les lieux soient semblables;
on, This is AU that Icontcndud for; c'est il n'en a en aucune antre raison que sa volonté. Et
en cela que consiste tonte la dispute. A cela je ré supposé que l'espace ne fût rien de réel, mais seule
ponds, Serviteur très-humble. Notre dispute ment un simple ordre des corps; la volonté
consiste en bien d'antres choses. La question est, de Dien ne laisserait pas d'être la seule possible rai
si Dieu n'agit |>as le plus régulièrement, et le plus son pour laquelle trois particules égales auraient
parfaitement! si sa machine est capable de tomber été placées ou rangées dans l'ordre A, B, C, plutôt
dans des désordres, qu'il est obligé de redresser par que dans un ordro contraire. On ne saurait donc
des voies extraordinaires? si la volonté de Dieu est tirer de cette indifférence des lieux aucun argument,
capable d'agir sans raison! si l'espace est un être qui prouve qu'il n'y a point d'espace réel. Car les
absolu? sur la natnre du miracle, et quantité de différcns espaces sont réellement distincts l'un de
questions semblables, qui font une grande séparation. l'autre, quoiqu'ils soient parfaitement semblables.
17. Les Théologiens ne demeureront point d'ac D'ailleurs, si l'on suppose que l'espace n'est point
cord de la Thèse qu'on avance contre moi , qu'il réel, et qu'il n'est simplement que l'ordre et
n'y a point de différence par rapport à Dieu, entre l'arrangement des corps, il s'ensuivra nne
le Naturel et le Surnaturel. La plupart des Philo absurdité palpable. Car, selon cette idée, si la
sophes l'aprouveront encore moins. Il y a une dif Terre, le Soleil et la Lune avoieut été placés où les
754 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET OLARKE.
étoiles fixes les plus éloignées se trouvent à pré qu'ils conservassent la même situation entr'eox),
sent (pourvu qu'ils eussent été placés dans lu même ils ne laisseraient pas d'avoir été crées dans
ordre, ut à la même distance l'un de l'autre), non- le même lieu. Mais c'est une contradiction mani
sculcmcnt c'eût été la même chose, comme le sa feste. 11 est vrai que l'uniformité de l'espace prouve,
vant Auteur lu dit très -bien; mais il s'ensuivroit que Dieu n'a pu avoir aucune raison externe pour
aussi que la Terre, le Soleil et la Lune seraient créer les choses dans un lieu plutôt que dans on
en ce cas là dans le même lieu, où ils sont présen autre; mais cela empêche- 1- il que sa volouté n'ait
tement: ce qui est une contradiction manifeste. été une raison suffisante pour agir en qneli/ue lieu
Les Anciens n'ont point dit que tout Espace de que ce soit, puisque tous les lieux sont indifférons
stitué de corps étoit un Espace imaginaire: ou semblables, et qu'il y a une bonne raison pour
ils n'ont donné ce nom qu'à l'espace qui est au-delà agir en quelque lieu i
du monde. Et ils n'ont pas voulu dire par là , que 6. Le même raisonnement, dont je me suis servi
. cet espace n'est pas ré"l; mais seulement que nous dans la Section précédente, doit avoir lieu ici.
ignorons entièrement quelles sortes de choses il y 7 et 8. Lorsqu'il y a quelque différence dans la
a dans cet espace. J'ajoute que les Auteurs, qui nature des choses , la considération de cette diffé
ont quelquefois employé le mot d'imaginaire rence détermine toujours un Agent intelligent et
pour marquer que l'espace n'étoit pas réel , n'ont très-sage. Mais lorsque deux manières d'agir sont
point prouvé ce qu'ils avançaient par le simple également bonnes, comme dans les cas dont on a
usage do ce terme. parlé ci-dessus, dire que. Dieu ne sauroit agir
3. L'Espace n'est pas une substance, un Etre du tout, et que ce n'est point une imperfection
éternel et iuiini , mais une propriété , ou une suite de ne pouvoir agir dans un tel cas, parce •/•/••
de l'existence d'un Etre infini et éternel. L'Espace Dieu ne peut avoir aucune raison exterue pour agir
iutiui est l'Immensité; mais l'Immensité n'est pas d'une certaine manière plutôt que il'uoeautre-, dire
Dieu; donc l'espace infini n'est pas Dieu. Ce que une telle chose, c'est insinuer que Dieu n'a. \>as en
l'on dit ici des parties de l'espace, n'est point une lui-même un Principe d'action, et qu'il est
difficulté. L'Espace infini est absolument et essen toujours, pour ainsi dire, machinalement déterminé
tiellement indivisible: et c'est une contradiction par les choses do dehors.
dans les termes, que de supposer qu'il soit divisé; 9. Je suppose que la quantité déterminée du
car il faudrait qu'il y eût un espace entre les par matière, qui est à présent dons le monde, est la
ties que l'on suppose divisées; ce qui est supposer plus convenable à l'état présent des choses, et
que l'espace est divisé et non divisé en même temps. qu'une plus grande (aussi - bien qu'une plus petite)
Quoique Dieu soit immense ou présent partout, sa quantité de matière, am oit été moins convenable à
substance n'eu est pourtant pas plus divisée en par l'état présent du monde, et que par conséquent eJ/e
ties, que son existence l'est par la durée. La dif n'aurait pas été un plus grand objet de la bouté
ficulté que l'on fait ici, vient uuiquemcot de l'abus de Dien.
du mot île partie. 10. Il ne s'agit pas de savoir ce que Gocle-
4. Si l'espace n'étoit que l'ordre des choses nius entend par le mot de Sensorium; mais en
qui coexistent, il s'ensuivroit que si Dieu fai- quel sens Mr. le Chevalier Newton s'est servi do
soit mouvoir le monde tout entier en ligne droite, ce mot dans son livre. Si Gocleuius croit que
quelque degré de vitesse qu'il eût, il ne laisserait l'oeil, l'oreille, ou quelqu'autre organe des sens, est
pas d'être toujours dans le menu- lieu ; et que rien le S en son M m. il se trompe. Mais quand un
ue recevrait aucun choc, quoique ce mouvement Auteur emploie uiPtermc d'Art, et qu'il déclare en
fût arrêté subitement. Et si le Temps ifétoit qu'un quel sens il s'en sert, à quoi bon rechercher <lc
ordre de Succession dans les créatures, il s'en quelle manière d'autres Écrivains ont entendu ce
suivroit que si Dieu avoit créé le monde quelques même terme? Scapu la traduit le mot, dont il
millions d'années plutôt, il n'auroit pourtant pas s'agit ici. Domicilium, c'est-à-dire, le lieu où
été créé plutôt. De plus , l'espace et le temps sont l'âme réside.
des quantités; ce qu'on ne peut dire de la situation 11. L'âme d'un aveugle ne voit point, parce qoc
et do l'ordre. certaines obstructions empêchent les images d'être
5. On prétend ici que, parce que l'espace est uni portées au Sensorium, où elle est présente. Nous
forme ou parfaitement semblable, et qu'aucune de ne savons pas comment l'âme d'un Ifommc qui voit,
ses parties ne diffère de l'autre , il s'ensuit que si aperçoit les images auxquelles clic n'est pas pré
les corps qui ont été créés dans un certain lieu, sente; parce qu'un être ne sauroit ni agir, ni rece
avoit été crées dans un autre lieu (supposé voir des impressions, dans un lieu où il n'est pas.
XCIX. LETTRE ENTRE LEIPN1TZ ET CLARKE. 755
12. Dion étant par-tout, est actuellement pré d'un centre dans le vnide, et si ce monvement est
sent à tout, essentiellement et substantiel une chose ordinaire, comme celui dos Planètes
lement. II est vrai que la présence de Dieu se autour du Soleil ; ce ne sera point un miracle , soit
manifeste par son opération; mais cette opération que Dieu lui - même produise ce mouvement immé
serait impossible sans la présence actuelle de Dieu. diatement, ou qu'il soit, produit par quelque créa
L'âme n'est pas présente à chaque partie du corps; ture. Mais si ce mouvement autour d'un centre
et par conséquent elle n'agit, et ne saaroit agir par est rare et extraordinaire, comme scroit celui d'un
elle-même sur toutes les parties du corps, mais corps posant, suspendu dans l'air, ce sera également
seulement sur le cerveau, ou sur certains niTfs, et un miracle; soit que Dieu même produise ce mou
sur les esprits , qui agissent sur tout le corps , en vement , on qu'il soit produit par une créature in
vertu des loix du mouvement, qno Dieu a établies, visible. Enfin, si tout ce qui n'est pas l'effet des
13 et 14. Quoique les Forces actives qui forces naturelles des corps, et qu'on ne saurait ex
sont dans l'Univers, diminuent, et qu'elles aient pliquer par ces forées, est un miracle; il s'ensuivra
besoin d'une nouvelle impression, ce n'est point un que tous les monremens des animaux sont des mi
désordre, ni une imperfection dans l'ouvrage de racles. Ce qui semble prouver démonstrativement,
Dieu ; ce n'est qu'une suite de la nature des créa que le savant Auteur a nne fausse idée de la nature
tures, qui sont dans la dépendance. Cette dépen du miracle.
dance n'est pas une chose qui ait besoin d'être rec
tifiée. L'exemple qu'on allègue d'un homme qui
fait une machine, n'a aucun rapport à la matière
dont il s'agit ici ; parce que les forces en vertu des QUATRIEME ECRIT DE MR. LEIBNIZ.
quelles cette machine continue de se mouvoir, sont
tout-à fait indépendantes de l'Ouvrier. Ou Réponse à la troisième Réplique de Mr. Clarko.
15. On peut admettre les mots d'Intelligen-
tia Supramundana, de la manière dont l'Au 1. Dans les choses indifférentes absolument, il
teur les explique ici. Mais, sans cette explication, n'y a point de choix, et par conséquent point d'é
ils pourraient aisément faire naître une fausse idée, lection ni de volonté; puisque le choix doit avoir
comme si Dion n'étoit pas réellement et substan quelque raison ou principe,
tiellement présent par-toirt. x 2. Une simple Volonté sans aucun motif (a
16. Je réponds aux Questions quo l'on propose more Will). est une fiction non - seulement con
ici: Que Dieu- agit toujours de la manière la plus traire à la perfection de Dieu, mais encore chimé
régulière et la plus parfaite: qu'il n'y a aucun dés rique, contradictoire, incompatible avec la défini
ordre dans son ouvrage: que les changcmens qu'il tion de la volonté, et assez réfutée dans la Thé-
fait dans l'état présent de la nature, ne sont pas odicée.
plus extraordinaires , que le soin qu'il a de conser 3. 11 est indifférent de ranger trois corps égaux
ver cet état: que lorsque les choses sont eu elles- et en toute semblables, en quel ordre qu'on vou
mêmes absolument égales et indifférentes, la vo dra; et par conséquent ils ne seront jamais rangés
lonté de Dieu peut se déterminer librement sur le par celui qui ne fait rien qu'avec sagesse. Mais
choix, sans qu'aucune cause étrangère la fasse agir; aussi étant l'Auteur des choses, il n'en produira
et que le pouvoir que Dieu a d'agir de cette ma point, et par conséquent il n'y en a point dans la
nière, est une véritable perfection. Enfin, je ré Nature.
ponds que l'Espace ne dépend point do l'ordre on 4. H n'y a point deux Individus indiscer
île la situation, on de l'existence des corps. nables. Un Gentilhomme d'esprit de mes amis,
17. A l'égard tics Miracles, il ne s'agit pas de en parlant avec moi en présence xlo Madame FE-
savoir ce qne les Théologiens ou les Philosophes lectrice dans le jardin de Herrenhausen , crut qu'il
disent communément sur cette matière, mais sur trouverait bien deux feuilles entièrement sembla
quelles raisons ils appuient leurs sentiuiens. Si un bles. Madame l'Electrice Ton défia, et il conrnt
miracle est toujours une action, qui sur longs-tems en vain pour en chercher. Deux gont-
passe la puissance de toutes lescréatn- tes d'eau, on de lait, regardée par le Microscope,
ros, il s'ensuivra que si un homme marche sur se trouveront discernables. C'est nn argument
l'eau, et si le mouvement du Soleil (ou de la Terre) contre les atomes , qui ne sont pas moins combat
est arrêté, ce ne sera point un miracle, puisque ces tus que le vuidc, par les principes de la véritable
deux choses se peuvent faire sans l'intervention Métaphysique.
d'une Puissance infinie. Si un corps se meut autour 5. Ces grands Principes de la Raison suffi
750 XCIX. LETTRE ENTRE LEIBNIZ ET CLARLE.
santé et de l'Identité des indiscernables, vers en ligne droite ou autre, sans y rien changer
changent l'étal de la Métaphysique, qui devient autrement, c'est encore une supposition diiinériqae.
réelle et démonstrative par leur moyen: au lieu qu'au Car deux états indiscernables sont le même
trefois elle ne consistait presque qu'en termes vuides. état , et par conséquent c'est un changement qui ne
6. Poser dt-ux choses indiscernable^ , est poser change rien. De plus, il n'y a ni rime ni raison.
la même chose sous deux noms. Ainsi l'hypo Or Dieu ne fait rien sans raison; et il est impos
thèse, que l'Univers auroit eu d'abord une autre sible qu'il y en ait ici. Outre que ce seroit agenào
position du tems et du lien, que celle qui est ar ni h il agcre, comme je viens de dire, à cause de
rivée effectivement ; et que pourtant toutes les par l'indiscernabilité.
ties de l'Univers auraient eu la même position en 14. Ce sont Idola Tribus, chimères toutes
tre elles, que celle qu'elles ont reçue eu effet; est pures, et imaginations superficielles. Tout cela
une fiction impossible. n'est fondé, que sur la supposition que l'espace
7. La même raison qui fait que l'espace hors du imaginaire est réel.
inonde est imaginaire, prouve que tout espace vuicle 15. C'est une fiction semblable, c'est-à-dire, im
est une chose imaginaire ; car ils ne diffèrent que possible , de supposer que Dieu ait créé le monde
du grand au petit quelque millions d'années plutôt. Ceux qui don
8. Si l'espace est une propriété ou nn attribut, il nent dans ces sortes de fictions, ne sauraient ré
doit être la propriété de quelque substance. L'Es pondre à ceux qui argumenteroient pour l'éternité
pace vuide borné, que ses Patrons supposent entre du monde. Car Dieu ne faisant rien sans raison,
deux corps, de quelle substance sera-t-il la pro et point de raison n'étant assignable, pourquoi il
priété ou l'affection 1 n'ait point créé le monde plutôt; il s'ensuivra,
9. Si l'espace infini est l'immensité, l'espace fini ou qu'il n'ait rien créé du tout, ou qu'il ait pro
sera l'opposé de l'immensité, c'est-à-dire, la men- duit le monde avant tout tems assignable, c'est-à-
snrabilité, ou l'étendue bornée. Or l'étendue doit dire, que le monde soit éternel. Mais quand on
être l'affection d'un étendu. Mais si cet espace montre que le commencement, quel qu'il soit, est
est vuide, il sera un attribut sans sujet, une éten toujours la même chose, la question, pourquoi il
due d'aucun étendu. C'est pourquoi, en faisant n'eu a pas été autrement, cesse.
de l'espace une propriété, l'on tombe dans mou 1 G. Si l'Espace et le Tems étoient quelque chose
sentiment qui le fait un ordre dus choses , et non d'absolu, c'est à-dire, s'ils étoient autre chose que
pas quelque chose d'absolu. certains ordres des choses, ce qui je dis seroit
1 0. Si l'espace est une réalité absolue, bien loin contradiction. Mais cela n'étant point, l'bypo-
d'être une propriété on accideutalité opposée à la thèse est contradictoire; c'est-à-dire c'est une
substance, il sera plus subsistant que les substan fiction impossible.
ces. Dieu ne le sauroit détruire, ni même chan 17. Et c'est comme dans la Géométrie, où l'on
ger eu rien. Il est non - seulement immense dans prouve quelquefois par la supposition même, qu'une
le tout, mais encore immuable et éternel en cha figure soit plus grande. C'est une contradiction;
que partie. Il y aura une infinité de choses éter mais elle est dans l'hypothèse, laquelle pour cela
nelles hors de Dieu. même se trouve fausse.
11. Dire que l'espace infini est sans parties, c'est 18. L'uniformité de l'espace fait qu'il n'y a au
dire que les espaces finis ne le composent point ; et cune raison, ni interne, ni externe, pour en discer
que iVspace infini pourroit subsister, quand tous ner les parties, et pour y choisir. Car cette rai
les espaces finis seroient réduits à rien. Ce seroit son externe de discerner, ne sauroit être fondée
comme si l'on disoit , dans la supposition Carté que dans l'interne: autrement c'est choisir sans
sienne d'un Univers corporel étendu sans bornes, discerner. La volonté sans raison seroit le taxait!
que cet Univers pourroit subsister , quand tous les des Epicuriens. Un Dieu qui agirait par une telle
corps qui le composent seroient réduits à rien. volonté, seroit un Dieu de nom. La source des
12. On attribue des parties à l'espace, p. 19. erreurs est, qu'on n'a point de soin d'éviter ce qui
3. Edition de la Défense de l'Argument con déroge aux Perfections Divines.
tre Mr. Dodwell ; et on les fait inséparables l'une 19. Lorsque deux choses incompatibles sont
de l'autre. Mais p. 30 de la seconde défense on également bonnes, et que tant en elles qae par
en fait de parties improprement dites; cela leur combinaison avec d'autres, l'une n'a point
ce peut entendre dans un bon sens. d'avantage sur l'autre, Dieu n'en produira aucune.
1 3. De dire que Dieu fasse avancer tout l'Uni 20. Dieu n'est jamais déterminé par les choses
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 757
externes, mais toujours par ce qui est en lui, c'est- cipe représentatif de ce qui est hors d'elles.
à-dire, par ses conuoissances , avant qu'il y ait au Mais Dieu counoit les choses, parce qu'il les pro
cune chose hors de lui. duit continuellement.
21. Il n'y a point de raison possible, qui puisse 31. Les âmes n'opèrent sar les choses, selon
limiter la quantité de la matière. Ainsi cette li moi, que parce que des corps s'accommodent à
mitation ne sauroit avoir Jieu. leurs désirs en vertu de l'harmonie que Dieu y a
22. Et supposé cette limitation arbitraire, on préétablie.
pourroit toujours ajouter quelque chose, sans déro 32. Mais ceux qui s'imaginent que les âmes
ger à la perfection des choses qui sont déjà: et peuvent donner une force nouvelle au corps, et que
par conséquent il faudra toujours y ajouter quelque Dieu en fait autant dans le monde pour redresser
chose, pour agir suivant le principe de la perfection les défauts de la machine, approchent trop Dieu
des opérations divines. de l'Ame, en donnant trop à l'Ame et trop peu
23. Ainsi on ne sauroit dire que la présente à Dieu.
quantité de la matière est la plus convenable pour 33. Car il n'y a que Dieu qui puisse donner à
leur présente constitution. Et quand même cela la Nature de nouvelles forces; mais il ne le fait
seroit, il s'cnsuivroit que cette présente constitu que suruaturellemeut. S'il avoit besoin de le faire
tion des choses ne seroit point la plus convenable dans le cours naturel, il auroit fait un ouvrage
absolument, si elle empêche d'employer plus de très -imparfait. 11 ressemblerait dans le monde à
matière; il faudrait donc eu choisir une antre, ca ce que le vulgaire attribue à l'aine dans le corps.
pable de quelque chose de plus. 34. En voulant soutenir cette opinion vulgaire
24. Je serois bien aise de voir le passage d'un de l'influence de l'âme sur le corps, par l'exemple
Philosophe, qui prenne Sensorium autrement que de Dieu opérant hors de lui, on fait encore que
Goclenius. Dieu ressemblerait trop à l'Ame du Monde. Cette
25. Si Scapula dit que Sensorium est la affectation encore de blâmer mon expression d'In-
place où l'Entendement réside, il entendra l'organe telligentia Supramuudana, y semble pen
de la sensation interne. Ainsi il ne s'éloignera cher aussi.
point de Goclenius. 35. Les images, dont l'âme est affectée immé
26. Sensorium a toujours été l'organe de la diatement, sont en elle-même; mais elles répon
sensation. La glande pinéale seroit, selon Descar dent à celles du corps. La présence de l'âme est
tes, le Sensorinm dans le sens qu'on rapporte imparfaite, et ne peut être expliquée que par cette
de Scapula. correspondance; mais celle de Dieu est parfaite, et
27. Il n'y a guère d'expression moins conve se manifeste par son opération.
nable sur ce sujet, que celle qui donne à Dieu un 36. L'on suppose mal contre moi, que la pré
Sensorium. 11 semble qu'elle le fait l'Aine du sence de Famé est liée avec son influence sur le
Monde. Et on aura bien de la peine à donner à , corps, puisqu'on sait que je rejette cette in-
l'usage que Mr. Newton fait de ce mot, un sens i fluence.
qui le puisse justifier. 37. Il est aussi inexplicable que l'âme soit dif
28. Quoiqu'il s'agisse du sens de Mr. Newton, fuse par le cerveau, que de faire qu'elle soit
et non pas de celui de Goclenius, on ne me doit diffuse par le corps tout entier. La différence n'est
point blâmer d'avoir allégué le Dictionaire Philo que du plus au moins.
sophique de cet Auteur; parce que le but des Dic 38. Ceux qui s'imaginent que les forces actives
tionnaires est de remarquer l'usage des termes. se diminuent d'elles-mêmes dans le monde, ne con-
29. Dieu s'aperçoit des choses en lui-même. noissent pas bien les principales loix de la Nature,
L'espace est le lieu des choses, et non pas le lieu et la beauté des ouvrages de Dieu.
des idées de Dieu: à moins qu'on ne considère 39. Comment prouveront -ils que ce défaut est
l'espace comme quelque chose qui fasse l'union de nne suite de la dépendance des choses?
Dieu et des choses, à l'imitation de l'union de 40. Ce défaut de nos machines, qui fait qu'elles
l'âme et du corps qu'on s'imagine; ce qui rendroit ont besoin d'êlre redressées, vient de cela même,
encore Dieu l'Ame du Monde. qu'elles ne sont pas assez dépendantes de l'ouvrier.
30. Aussi a-t-on tout dans la comparaison qu'on Ainsi la dépendance de Dieu qui est dans la Na
fait de la conuoissance et de l'opération de Dieu ture, bien loin d'être cause de ce défaut, est plutôt
avec celle des Ames. Les Ames connoisseut les canse que ce défaut n'y est point ; parce qu'elle est
choses, parce que Dieu a mis en elles un Prin si dépendante d'un Ouvrier trop parfait, pour faire
96
758 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
nn ouvrage qui ait besoin d'être redressé. Il est Le moindre corpuscule est actuellement snbdivisé
vrai que chaque machine particulière de la Nature à l'infini , et contient nn Monde de nouve/Jes eréa-
est en quelque façon sujette à être détraquée, mais tnres, dont l'Univers manqucroit, si ce coipnsco/e
non pas l'Univers tout entier, qui ne saurait dimi étoit un atome, c'est-à-dire un corps tout d'une
nuer en perfection. pièce sans subdivision. Tout de inèine, vouloir
41. On dit que l'espace ne dépend point de la du vuide dans la Nature, c'est attribuer à !).•••,
situation des corps. Je réponds qu'il est vrai qu'il une production très-imparfait; c'est violer le grand
ne dépend point d'une telle situation des corps, piincipc de la nécessité d'une raison suffi
mais il est cet ordre qui fait que les corps sont si- sante, que bien des gens ont eu dans la bouche;
tnables, et par lequel ils ont une situation entre mais dont ils n'ont point connu la force, comme j'ai
eux en existant ensemble , comme le tems est cet inoutré dernièrement en faisant voir par ce principe
ordre par rapport à leur position successive. Mais que l'espace n'est qu'un ordre des choses, comme
s'il n'y avoit point de créatures, l'Espace et le le Tems , et nullement un être absolu. Sans par
Tems ne seraient que dans les idées de Dieu. ler de plusieurs antres raisons contre le Vnfde et
42. Il semble qu'on avoue ici que l'idée qu'on les Atomes , voici celles que je prends de la
se fait du miracle n'est pas celle qu'en ont commu ]>erfection de Dien et de la raison suffisante.
nément les Théologiens et les Philosophes. Il me Je pose nne toute perfection que Dieu à pu
suffit donc, que mes adversaires sont obligés de re mettre dans les choses, sans déroger aux antres
courir à ce qu'on appelle miracle dans l'usage reçu. perfections qui y sont, y a été mise. Or figurons
43. J'ai peur qu'en voulant changer le sens nous un espace entièrement vuide, Dieu y pou voit
reçu du miracle, on ne tombe dans un sentiment mettre quelque matière, sans déroger en rien à
incommode. La nature du miracle ne consiste toutes les autres choses: donc il l'y a mise: donc
nullement dansTusualité et l'innsualité; au il n'y a point d'espace entièrement vnwte: donc
trement les monstres séroient des miracles. tout est plein. L", même raisonnement prouve
44. Il y a des miracles d'une sorte inférieure, qu'il n'y a point de corpuscule, qui ne soit snb
qu'un Ange peut produire; car il ]>eut, par exem divisé. Voiei encore l'autre raisonnement pris de
ple , faire qu'un homme aille sur 1l'eau sans enfon la nécessité d'une raison suffisante. 11 n'est
cer. Mais il y a des miracles réservés à Dieu, et point possible qu'il y ait un principe do déterminer
qui surpassent toutes forces naturelles; telle est ce la proportion de la matière, ou du rempli an vuide,
lui de créer ou d'anhiler. ou du vuide au plein. On dira peut-être que l'on
45. 11 est surnaturel aussi, que les corps s'atti doit être égal à l'autre; mais comme la matière
rent de loin, sans aucun moyen; et qu'un corps j est plus parfaite que le vuide, la raison veut qu'on
aille en rond, sans s'écarter par la tangente, quoi- | observe la proportion géométrique, et qu'il y ait
que rien ne l'empêchât de s'écarter ainsi. Car ces d'autant plus de plein qu'il mérite d'être préféré.
effets ne sont point explicables par les natures des Mais ainsi il n'y aura point de vuide du tout; car
choses. la perfection de la matière est a celle du vuide,
46. Pourquoi la motion des animaux ne seroit- comme quelque chose à rien. 11 en est de même
elle point explicable par les forces naturelles? 11 des atomes. Quelle raison i>eut on assigner de
est vrai que le commencement des animaux est borner la Nature dans le progrès de la subdivi
aussi inexplicable par leur moyen, que le commen sion? Fictions purement arbitraires, et indignes
cement du Monde. de la vraie Philosophie. Les raisons qu'on allè
gue pour le vuide, ne sont que des sophismes.
APOSTILLE.
Tous ceux qui sont pour le Vuide , se laissent
plus mener par l'imagination que par la Raison. QUATRIÈME RÉPLIQUE DE MR. CLARKE.
Quand j'étois jeune garçon, je donnai aussi dans 1. et 2. La Doctrine que l'on trouve ici, con
le Vuide et dans les Atomes; uiais la raison me duit à la nécessité et à la Fatalité, en sup
ramena. L'imagination étoit riante. On borne posant que les motifs ont le même rapport a la
là ses recherches: on fixe méditation comme avec volonté d'un Agent intelligent, que les
nn clou; on croit avoir trouvé les premiers Elé- poids à une balance ; de sorte que quand deux cho
mcns, un non plus ultra. Nous voudrions que ses sont absolument indifférentes, un Agent intelli
la Nature n'allât pas plus loin , qu'elle fût finie, gent ne peut choisir l'une ou l'antre, comme nne
comme notre esprit; mais ce n'est point connoître balance ne peut se mouvoir lorsque les poids sont
la grandeur et la Majesté de 1" Auu-iu- des choses. égaux des deux côtés. Mais voici en quoi cou-
J
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE- 759
siste la différence. Une balance n'est pas un tcms qu'il l'a été. Et si Dieu a donné , (ou s'il
Agent: elle est tout-à-fait passive, et les poitls agis peut donner) une étendue bornée a l'Univers, il
sent sur elle; de sorte que quand les poids sont s'ensuit que l'Univers doit être naturellement ca
égaux, il n'y a rien qui la puisse mouvoir. Mais pable de mouvement; car ce qui est borné, ne peut
les êtres intelligens sont des agens; ils no sont être immobile. Il paraît donc par ce que je
point simplement passifs, et les motifs n'agissent viens de dire, que ceux qui soutiennent que Dieu
pas sur eux, comme les poids agissent sur une ba ne pou voit pas créer le Monde dans un antre tcms,
lance. Ils ont des forces actives, et ils agissent ou dans un autre lien , fout la matière nécessaire
quelquefois par de puissaus motifs, quelquefois par ment infinie et éternelle, et réduisent tout à la Né
des motifs foibles, et quelquefois lorsque les choses cessité et au Destin.
sont absolument indifférentes. Dans ce dernier 7. Si l'Univers a une étendue bornée, l'Espace
cas, il peut y avoir de très -bonnes raisons pour qui est au delà du Monde, n'est point imaginaire,
agir; quoique deux ou plusieurs manières d'agir mais réel. Les espaces vuides dans le Monde même
puissent être absolument indifférentes. Le savant ne sont pas imaginaires. Quoiqu'il y ait des rayons
Auteur suppose toujours le contraire, comme uu de lumière, et peut-être quelque autre matière en
principe; niais il n'en donne aucune preuve tirée très-petite quantité, dans un Récipient; le défaut
de la nature des choses, ou des perfections de Dieu. de résistance fait voir clairement , que la plus
3. et 4. Si le raisonnement que Ton trouve ici, grande partie de cette espace est destitué de ma
étoit bien fondé, il prouveroit que Dieu n'a créé tière. Car la subtilité de la matière ne pi-ut être
aucune matière, et même qu'il est impossible qu'il la cause du défaut de résistance. Le Mercure est
en puisse créer. Car les parties de matière, quelle composé de parties, qui ne sont pas moins subti
qu'elle soit, qui sont parfaitement solides, sont les et fluides que celles de l'Eau; et cependant il
aussi parfaitement semblables , pourvu qu'elles fait plus de dix fois autant de résistance. Cetto
aient de figures et de dimension égales; ce que résistance vient doue de la quantité, et non de
l'on peut toujours supposer , comme une chose la grossièreté de la matière.
possible. Ces parties de matière pourraient donc 8. L'Espace destitué de corps, est une propriété
occuper également bien un autre lieu que celui d'une substance immatérielle. L'Espace n'est pas
qu'elles occupent; et par conséquent il étoit im borné par les corps; mais il existe également dans
possible, selon le raisonnement du savant Auteur, les corps et hors des coqw. L'Eespace n'est pas
que Dieu les plaçât où il les à actuellement pla renferme entre les corps; mais les corps, étant
cées; parce qu'il auroit pu avec la même facilité dans l'espace immense, sont eux-mêmes bornés par
les placer à rebours. Il est vrai qu'on ne sauroit leurs propres dimensions.
voir deux feuilles, ni peut-être deux gouttes d'eau, 9. L'Espace vuide n'est pas uu attribut sans su
parfaitement semblables; parce que ce sont des jet; car par cet espace nous n'entendons pas un
corps fort composés. Mais il n'en est pas ainsi espace où il n'y a rien, niais un espace sans corps.
des parties de la matière simple et solide. Et Dieu est certainement présent dans tout l'espace
inéine dans les composés, il n'est pas impossible vuide; et peut-être qu'il y a aussi dans cet espace
que Dieu fasse deux gouttes d'eau tout- à -fait sem plusieurs autres substances, qui ne sont pas maté
blables ; et non-obstant cette parfaite ressemblance, rielles, et qui par conséquent ne peuvent être tan
elles ne pourraient pas être une seule et même gibles, ni apperçues par aucun de nos sens.
goutte d'eau. J'ajoute que le lieu de l'une de ces 10. L'espace n'est pas une substance, niais au
gouttes ne serait pas le lieu de l'autre, quoique attribut; et si c'est un attribut d'un Etre néces
leur situation fût une chose absolument indiffé saire, il doit, (comme tous les autres attributs d'un
rente. Le même raisonnement a lieu aussi par Etre nécessaire) exister plus nécessairement, que
rapport à la première détermination du mouvement les substances mêmes, qui ne sont pas nécessai
d'un certain côté, ou du côté opposé. res. L'Espace est immense, immuable, et éter
5. et 6. Quoique deux, choses soient parfaite nel; et l'on doit dire la même chose de la durée.
ment semblables, elles ne cessent pas d'êtres deux Mais il ne s'ensuit pas de là, qu'il y ait rien d'é
choses. Les parties du teins sont aussi parfaite ternel hors de Dieu. Car l'espace et la durée ue
ment semblables que celles de l'espace, et cepen- | sont [>as hors de Dieu : ce sont des suites immédia
daut deux iustans ne sout pas le même instant : tes et nécessaires de sou existence, sans lesquelles
ce uo sont pas non plus deux noms d'un seul et il ne seroit point éternel et présent par -tout.
même instant. Si Dieu n'avoit crée le monde que 11. et 12. Les Infinis ne sont composés de Fi
dans ce moment, il u'nuroit pas été créé dans le nis, que comme les Finis sont composés d'iuliui
96*
7GO XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
tésiines. J'ai fait voir ci -dessus eu quel sens on 15. 11 n'étoit pas impossible que Dieu fit le
peut dire que l'espace a des parties, ou qu'il n'en Monde plutôt ou plus tard, qu'il ne l'a faif. II
a pas. Los parties, dans le. sons que Ton donne n'est pas impossible non plus, qu'il le détruise plu
à ce mot lorsqu'on l'applique aux corps , sont sé- tôt ou plus tard, qu'il ne sera actuellement détroit.
parables, composées, désunies, indépendantes les Quant à la doctrine de l'éternité du inoude, ccta
unes des autres, et capables de mouvement. Mais qui supposent que la matière et l'espace sont \a
quoique l'imagination puisse en quelque manière munie chose, doivent supposer que le Monde est
concevoir des parties dans l'espace infini, cepen non-seulement infini et éternel, niais encore que
dant, comme ces parties, improprement ainsi dites, son immensité et son éternité sont nécessaires , et
sont essentiellement immobiles et inséparables les même aussi nécessaires que l'espace et la dorée,
unes des autres , il s'ensuit que cet espace est es qui ne dépendent pas de la volonté de Dieu , mais
sentiellement simple, et absolument indivisible. de son existence. Au contraire, ceux qui croient
13. Si le Monde a une étendue bornée, il peut que Dieu a créé la matière en telle quantité, en tel
être mis en mouvement par la puissance de Dieu; teins, et en tels espaces qu'il lui a plu, ne se trou
et par conséquent l'Argument que je fonde sur vent embarrassés d'aucune difficulté. Car la sa
cette mobilité, est uni; preuve concluante. Quoi gesse de Dieu peut avoir eu de très-bonnes raisons
que deux lieux soient parfaitement semblables, ils pour créer ce monde dans un certain tems: elle
ne sont pas un seul et même lien. Le mouvement peut avoir fait d'antres choses avant que ce monde
on le repos de l'Univers, n'est pas le même état: fut créé; et elle peut faire d'autres choses après
comme le mouvement ou le repos d'un Vaisseau que ce monde sera détruit.
n'est pas non plus le même état, parce qu'un 16. et 17. J'ai prouvé ci-dessus, que l'espace
homme renfermé dans la cabane ne sauroit s'aper et le tems ne sont pas l'ordre des choses, mais des
cevoir si le Vaisseau fait voile on non , pendant quantités réelles; ce qu'on ne peut dire de l'ordre
que son mouvement est uniforme. Quoique cet et de la situation. Le savant Auteur n'a cas en
homme ne s'aperçoive pas du mouvement du Vais core répondu à ces preuves ; et à moins qu'il n'y
seau, ce mouvement ne laisse pas d'être en état réponde, ci qu'il dit est une contradiction, comme
réel et différent, et il produit des effets réels et il l'avoue lui-même ici.
différens; et s'il étoit arrêté tout d'un coup, il au- 18. L'uniformité de toutes les parties de l'es
roit d'autres effets réels. Il en seroit de même pace, ne prouve pas que Dieu ne puisse agir dans
d'un mouvement imperceptible de l'Univers. On aucune partie de l'espace, de la manière qu'il le vent.
n'a point répondu à cet Argument, sur lequel Dieu peut avoir de bonnes raisons pour créer des
Mr. le Chevalier Newton insiste beaucoup dans êtres fiuis ; et des êtres finis ne peuvent exister qu'en
ses Principes Mathématiques. Après avoir des lieux particuliers. Et comme tous les lieux sont
considéré les propriétés, les causes, et les effets originairement semblables, (quand même le lien
du mouvement, cette considération lui sert à faire ne seroit que la situation des corps) si Dieu place
voir la différence qu'il y a entre le mouvement un cube de matière derrière un autre cube égal
réel, ou le transport d'un corps qui passe d'une de matière, plutôt qu'à rebours, ce choix n'est pas
partie de l'espace dans une autre, et le mouvement indigne de perfection de Dieu , quoique ces deux
relatif, qui n'est qu'un changement de l'ordre; ou situations soient parfaitement semblables; parce
de la situation des corps entre eux. C'est un ar qn'il peut y avoir de très -bonnes raisons pour
gument Mathématique, qui prouve par. des effets l'existence de ces deux cubes, et qu'ils ne sauraient
réels, qu'il peut y avoir un mouvement réel , "où il exister que dans l'une on l'autre de ces deux situa
n'y en a point de relatif; et qu'il peut y avoir un tions également raisonnables Le Hazard ifE-
mouvement relatif, où il n'y en a point de réel: picure n'est pas un choix, mais âne néces
c'est, dis -je, un argument Mathématique, auquel sité aveugle.
on ne répond pas, quand on se contente d'assurer 19. Si l'argument que l'on trouve ici, prouve
le contraire. quelque chose, il prouve, (comme je l'ai déjà dit
14. La réalité de l'espace n'est pas une simple ci-dessus §.3.) que Dien n'a créé, et même qtfil
supposition : elle a été prouvée par les argumens ne peut créer aucune matière; pavée que la situa
rapportés ci -dessus, auxquels on n'a point ré- tion des parties égales et similaires de la matière,
ponda. L'Auteur n'a pas répondu non plus à un étoit nécessairement indifférente dès le commence
autre argument, savoir que l'espace et le teins sont ment , aussi-bien que la première détermination de
des quantités; ce qu'on ne peut dire de la situation leur mouvement, d'un certain côté, on do côté
et de l'ordre. opposé.
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 7G1
20. Je ne comprends point ce que l'Auteur veut d'Art, et elle n'est d'aucun usage pour expliquer
prouver ici, par rapport au sujet dont il s'agit. la cause d'un effet si miraculeux.
21. Direque Dieu ne peut donner des bor 32. Supposer que dans le mouvement spouta-
nes à la quantité de la matière, c'est avancer néc du corps, l'âme ne donne point un nouveau
une chose d'une trop grande importance pour l'admet mouvement ou une nouvelle impression a la ma
tre sans preuve. Et si Dieu ne peut non plus dou- tière, et que tous les inouvemens spontanées sont
uer de bornes à durée de la matière, il s'ensuivra produits par une impulsion mécanique do la ma
que le monde est infini et éternel nécessaire- tière; c'est réduire tout au destin et à la nécessité.
rement et indépendamment de Dieu. Mais quand ou dit que Dieu agit dans le mondo
22. et 23. Si l'Argument que l'on trouve ici, sur toutes les créatures comme il le veut, sans au
étoit bien fondé, il prouveroit que Dieu lie sauroit cune union, et sans qu'aucune chose agisse sur lui;
s'empêcher de faire tout co qu'il peut faire ; et par cela fait voir évidemment la différence qu'il y a
conséquent qu'il ne sauroit s'empêcher de entre un Gouverneur qui est présent par -tout, et
rendre toutes les Créatures infinies et une âme imaginaire du Monde.
étemelles. Mais, stîlon cette doctrine, Dieu ne se- 33. Toute action consiste à donner une nouvelle
roit point leGouverneur duMonde: il seroit un Agent force aux choses sur lesquelles elle s'exerce. Sans
nécessaire; c'est-à-dire, qu'il ne seroit pas même cela, ce ne seroit pas une action réelle, mais une
un Agent, mais le Destin, la Nature, et la Nécessité. simple passion, comme dans toutes les loix niécba-
24 — 28. Ou revient encore ici à l'usage du niques du mouvemens. D'où il s'ensuit que si la
mot de Sensorium, quoique Mr. Newton se communication d'une nouvelle force est surnatu
soit servi d'un correctif, lorsqu'il à employé ce relle, tontes les actions de Dieu seront surnatu
mot. 11 n'est pas nécessaire de rien ajouter à ce relles, et il sera entièrement exclu du gouverne
que j'ai dit sur cela. ment du monde. Il s'ensuit aussi de -là, que tou
29. L'Espace est le lieu de toutes les choses et tes les actions des hommes sont surnaturelles, ou
de toutes les idées, comme la durée est la durée que l'homme est une pure Machine, comme une
de toutes les choses, et de toutes les idées. J'ai Horologe.
fait voir ci-dessus, quo cette doctrine ne tend point 34. et 35. On a fait voir ci-dessus la différence
à faire Dieu l'urne du Monde. 11 n'y a point d'union qu'il y a entre la véritable idée de Dieu , et celle
entre Dieu et le Monde. On pourroit dire, avec plus d'une uni" du Monde.
de raison, que l'esprit de l'homme est l'âme des 36. J'ai répondu ci -dessus, à ce que Ton
images des choses qu'il aperçoit, qu'on trouve ici.
ne peut dire que Dieu est l'âme du Monde, dans 37. L'Ame n'est pas répandue dans le cerveau;
lequel il est présent par -tout, et sur lequel il agit mais elle est présente dans le lieu, qui est le Seu-
comme il veut , sans que le monde agisse sur lui. sorinm.
Nonobstant cette Réponse, qu'on a vue ci -dessus, 38. Ce que fou dit ici, est une simple affirma
l'Auteur ne laisse pas de répéter la même ob tion sans preuve. Deux corps, destitués d'élasti
jection plus d'une fois, comme si on n'y avoit cité, se rencontrant avec des forces contraires et
point répondu. égales, perdent leur mouvement. Et Mr. le Che
30. Je n'entends point ce que l'Auteur veut dire valier Newton adonné un exemple mathémati
par un Principe représentatif. L'Ame aper que, par lequel il paraît que le mouvement dimi
çoit les choses, parce que les imagos des choses nue et augmente continuellement eu quantité, sans
lui sont portées par les organes des sens. Dieu qu'il soit communiqué à d'autres corps.
;iperçoit les choses, paicequ'il est présent dans les 39. Le sujet, dont on parle ici, n'est point un
substances des choses mêmes. 11 ne les aperçoit défaut, comme l'Auteur le suppose: c'est la vé
pas, en les produisant continuellement, (car il se ritable nature de la Matière inactive.
repose de l'ouvrage de la Création;) mais 40. Si l'argument que Ton trouve ici, est bien
il les aperçoit, parce qu'il est continuellement pré fondé, il prouve que l'Univers doit être infini; qu'il
sent dans toutes les choses qu'il a créées. a existé de tonte éternité, et qu'il ne sanroit ces
31. Si l'âme n'agissoit point sur le corps, et si ser d'exister; que Dieu a toujours créé autant
le corps, par un simple mouvement mécanique d'hommes, et d'autres êtres qu'il étoit possible
de la matière , se conformoit pourtant à la volonté qu'il en créât; et qu'il les a créés pour les faire
île l'âme dans une variété infinie do monvemens exister aussi long-tems qu'il lui étoit possible.
spontanées, ce seroit un miracle perpétuel, L'Har 41. Je n'entends point ce que ces mots veulent
monie préétablie n'est qu'un mot, ou un terme dire: Un Ordre, ou une Situation , qui rend
762 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
les Corps sitnablcs. Il me semble que cela puisqu'elle est beaucoup moins merveilleuse., que k
veut dire, que la situation est la cause de la mouvement des Animaux, qui ne liasse pourtant
situation. J'ai prouvé ci-dessus, que l'espace pas pour un miracle.
n'est pas l'ordre des corps: et j'ai fait voir 46. Si par le terme de Forces naturelles,
dans ct'ttc quatrième Réplique, que l'Au on entend ici des forces mécaniques, tons
teur n'a point répondu aux argiuucns que j'ai pro les animaux , sans en excepter les hommes , serait
posés. Il n'est pas moins évident que le tems de pures machines, comme une horologe. Mus
n'est pas l'ordre des choses qui se succè si ce terme ne signifie pas des forces méca
dent Finie à l'autre, puisque la quantité du niques, la gravitation peut-être produite par des
tems peut être plus grande ou plus petite; et ce forces régulières et naturelles, quoiqu'elles
pendant cet ordre ne laisse pas d'être le même. ne soient pas mécaniques.
L'ordre des choses qui se succèdent l'une t
à l'autre dans le tems, n'est pas le tems N. B. On a déjà répondu ci-dessus aux ar?umens
même : car elles peuvent se succéder l'une à l'autre que Mr. Leibniz a insérés dans une Apostille a soi
quatrième Ecrit. La seule chose qu'il aoit besoin d'ob
plus vite ou plus lentement dans le même ordre server Ici, c'est que Mr. Leibniz en soutenant l'Im
de succession; mais non dans le même tems. possibilité des Atomes Physiques, (il ne s'agit
Supposé qu'il n'y eût point de créatures, l'ubi pas entre nous des Points Mathématiques,) SOB-
quité de Dieu et la continuation de son tlent une absurdité manifeste. Car ou il y a des par
ties parfaitement solides dans la matière, oull n'y en a pas.
existence feroient que l'espace et la durée se- S'il y en a, et qu'enles subdivisant on y prenne de nouvel
roient précisément les mêmes qu'à présent. le* particules, qui aient toute la même figure et les
42. On appelle ici de la Raison à l'opinion vul mêmes dimensions, (ce qui est toujours possible J ers
nouvelles particules seront des Atomes !'.'• >•-,•••-
gaire; mais comme l'opinion vulgaire n'est pas la parfaitement semblables. Que s'il n'f a point
règle de la vérité , les Philosophes ne doivent point de parties parfaitement solides dans 1» naiiére, il n'y
y avoir recours. a point du matière dans l'Univers: car plus on divine
43. L'idée d'un miracle renferme nécessaire et subdivise un corps, pour arriver enfin à des par-
lies parfaitement solides et sans pores, plus la pro
ment l'idée d'une chose rare et extraordinaire. portion que les pores ont à 1» matière solide 4e ce
Car, d'ailleurs, il n'y a rien de plus merveilleux, corps, plus, dis-je, celte proportion augment. Si
et qui demande une plus grande puissance, que donc, en poussant la division et la subdivision à l*ta-
quelques-unes des choses que nous appelions na fini, il est impossible d'arriver à des parties parfaite
ment solides et sans pores, il s'ensuivra que les cor)»
turelles; comme par exemple, les mouvemcns des sont uniquement composés de pores, (le rapport te
corps célestes, la génération et la formation des ceux-ci aux parlies solides, augmentant sans cease)
plantes et des animaux, etc. Cependant ce ne et par conséquent qu'il n'y a point de matière di
sont pas des miiaclcs, parce que ce sont des cho tout; ce qui est une absurdité manifeste. Kt le rai
sonnement sera le même, par rapport à la nau'ëre
ses communes. Il ne s'ensuit pourtant pas de -là, dont les espèces particulières des corps sont compo
que tout ce qui est rare et extraordinaire soit un sées, soit que l'on suppose que les pores sont
miracle. Car plusieurs choses de cette nature, ou qu'ils sont remplis d'une matière étrangère.
peuvent être des ell'ets irré^iliers et moins com
muns, des causes ordinaires; comme les Eclipses,
les Monstres, la Manie dans les hommes, et une
infinité d'autres choses que le vulgaire appelle des
prodiges. CINQUIÈME ECRIT DE Mit LEIBNIZ,
44. On accorde ici ce. que j'ai dit. On soutient
pourtant une chose contraire au sentiment commun Ou Réponse à la quatrième Réplique
des Théologiens, en supposant qu'un Ange peut de Mr. Clarke ' ).
faire des miracles. Sur les §. 1. et 2. de l'Ecrit précédent.
45. Il est vrai que si un coqis en attirait un
autre, sans l'intervention d'aucun moyen, ce ne se- 1. Je répondrai cette fois plus amplement, pour
roit |>as un miracle , mais une contradiction ; car éclaircir les difficultés, et pour essayer si Ton est
ce seroit supposer qu'une chose agit où elle n'est
pas. Mais le moyen par lequel deux corps s'at
tirent l'un l'antre, peut-être invisible et in ' ) Dans l'Edition de Londres do ce cinquième
tangible, et d'une nature différente du Méca Ecrit, il y a à la marge plusieurs Additions et Cor
rections que Mr. Leibniz y avoit faites en l'envoyai"
nisme: ce qui n'empêche pas qu'une action régu à Mr. Des Ma izu aux. Mr. Clarke en rendit €•»»"
lière et constante no puisse être appelée naturelle, j dans uii petit Avertissement mis à la tête de ai
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 763
d'hnmenr à so payer de raison , et à donner des tion no dérogent point à la liberté. Car Dieu,
marques de l'amour de la vérité, ou si l'on ne fera porté par la suprême Raison à choisir entre plu
que chicaner sans rien éclaircir. sieurs suites des choses on Mondes possibles, celui
2. On s'efforce souvent île m'imputer la Néces où les créatures libres prenilroieut telles ou telles
sité et la Fatalité, quoique peut-être personne résolutions, quoique non sans son concours, a
n'ait mieux expliqué et plus à fond que j'ai fait rendu par -là tout événement certain et déterminé
dans la Théodicée, la véritable différence entre une fois pour toutes, sans déroger par -là à la li
Liberté, Contingence, Spontanéité, d'un côté, et berté de ce créatures; ce simple décret du choix,
Nécessité absolue, Hazard, Coaction, de l'autre. ne changeant point, mais actualisant seulement
Je ne sais pas encore si on le fait parce qu'on le leurs natures qu'il y voyoit dans ses idées.
veut, quoique je puisse dire, on si ces imputations 7. Et quant à la nécessité morale, elle ne dé
viennent de bonne foi, de ce qu'on n'a point en roge point non plus à la liberté. Car lorsque le
core pesé mes sentimens. J'expérimentrai bien Sage, et sur -tout Dieu (le Sage Souverain) choisit
tôt ce que j'en dois juger, et je me réglerai la- le meilleur, il n'en est pas moins libre; au con
dessus. traire, c'est la plus parfaite liberté, de n'être point
3. Il est vrai que les raisons font dans l'esprit empêché d'agir le mieux. Et lorsqu'un autre choi
du Sage, et les motifs dans quelque esprit que ce sit selon le bien le plus apparent, et le plus incli
soit, ce qui répond à l'effet que les poids font dans nant, il imite en cela la liberté du Sage à propor
une balance1 On objecte, que cette notion mène tion de sa disposition; et sans cela, le choix serait
à la nécessité et à la Fatalité. Mais on le un lia/uni aveugle.
dit sans le prouver, et sans prendre connoissance 8. Mais le bien, tant vrai qu'apparent, en im
des explications que j'ai données autrefois pour mot le motif, incline sans nécessité, c'est-à-dire,
lever toutes les difficultés qu'on peut faire là-dessus. sans imposer une nécessité absolue. Car lorsque
4. Il semble aussi, qu'on se joue d'équivoque. Dieu, par exemple, choisit le meilleur, ce qu'il ne
Il y a des Nécessités, qu'il faut admettre. Car choisit point, et qui est inférieur en perfection, ne
il faut distinguer entre une Nécessité absolue laisse pas d'être possible. Mais si ce que Dieu
et une Nécessité hypothétique. H faut di choisit , étoit absolument nécessaire, tout autre
stinguer aussi entre une Nécessité qui a lieu, parti seroit impossible, contre l'Hypothèse, car
parce que l'opposé implique contradiction, et la Dieu choisit parmi les possibles, c'est-à-dire, parmi
quelle est appelée Logique, Métaphysique, plusieurs partis, dont pas un n'implique contra
ou Mathématique; et entre une Nécessité diction.
qui est Morale, qui fait que le Sage choisit le 9. Mais de dire que Dieu ne peut choisir que
meilleur, et que tout esprit suit l'inclination la plus le meilleur, et d'en vouloir inférer que ce qu'il ne
grande. choisit point, est impossible, c'est confondre les
5. La Nécessité hypothétique est celle, termes, la Puissance et la Volonté, la Néces
que la supposition, ou hypothèse de la prévision sité Métaphysique et la Nécessité Morale,
de Dicn, impose aux futurs contingens. Et il faut tes Essences et les Existences. Car ce qui
l'admettre, si ce n'est qu'avec les Sociniens on re est nécessaire, l'est par son essence, puisque l'op
fuse à Dieu la préscience des contingens futurs, et posé implique contradiction; mais le contingent
la Providence qui règle et gouverne les choses en qui existe, doit son existence au principe du meil
détail. leur, raison suffisante des choses. Et c'est pour
6. Mais ni cette préscience ni cette préordina- cela que je dis, que les motifs inclinent sans néces
siter et qn'il y a une certitude et infaillibilité,
mais non pas une nécessité absolue dans les
Ecrit, et conçus en ce.s ternies: Les différentes choses contigcntes. Joignez à ceci, ce qui ce dira
leçons, Imprimées à la marge de l'Ecrit sui plus bas, Num. 73. et 76.
vant, sont des changemens faits de la propre 10. Et j'ai assez montré dans ma Théodicée,
main de Mr. Leibniz dans une autre copie de cet que cette nécessité morale est heureuse, conforme
Ecrit, laquelle 11 envova à un de ses amis
en Angleterre peu de tems avant sa mort. à la perfection Divine, conforme au grand principe
Mais dans cette édition on a inséré ces Additions et des existences, qui est celui du besoin d'une raison
Corrections dans le Texte, et par -là on a rendu ce suffisante; an lieu que la nécessité absolue et mé
cinquième Ecrit conforme au manuscrit original, que
Mr. Leibniz avoit envoyé à Mr. lies Maizeaux. — taphysique dépend de l'autre grand principe de
Nota edltoris Gallici (Des Maizeaux). nos raisonnemcns, qui est celai des essences; c'est
764 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKË.
à -dire, celai de l'identité, on de la contradiction; sent point , quand il* sont en équilibre ; tle sorte
car ce qui est absolument nécessaire, est seul pos que l'un ne peut descendre, sans que l'autre monte
sible entre les partis, et sans contradiction. autant.
11. J'ai fait voir aussi, que notre volonté ne 15. Il faut encore considérer, qu'à proprement
suit pas toujours précisément l'Entendement parler, les motifs n'agissent point sur l'esprit
pratique; parce qu'elle peut avoir, ou trouver comme les poids sur la balance; mais c'est plutôt
des raisons, pour suspendre sa résolution jusqu'à l'esprit qui agit en vertu des motifs, qui sont as
une discussion ultérieure. dispositions à agir. Ainsi vouloir, comme l'un
12. M'imputer après cela une nécessité ab veut ici , que l'esprit préfère quelquefois les mo
solue, sans avoir rien à dire contre les considé tifs foibles aux plus forts, et même l'indiffèrent
rations que je viens d'apporter , et qui vont jus aux motifs , c'est séparer l'esprit des motifs,
qu'au fond des choses, peut-être au delà de ce qui comme s'ils étoieut hors de lui, comme le poids
se voit ailleurs, ce sera une obstination dérai est distingué de la balance; et comme si clans
sonnable. l'esprit il y avoit d'autres dispositions pour agir qne
13. Pour ce qui est de la Fatalité, qu'on les motifs, en vertu desquelles l'esprit rejetterait
m'impute aussi , c'est encore une équivoque. 11 y on accepteroit les motifs. Au lieu que dans la vé
a Fatum Mahonietànum, Fatum Stoicum, rité les motifs comprennent toutes les dispositions
Fatum Christianum. Le Destin à la Tur que l'esprit peut avoir pour agir volontairement;
que veut que les effets arriveroicnt quand on en car ils ne comprennent pas seulement les raisons,
éviteroit la cause, comme s'il y avoit une nécessité mais encore lés inclinations qui viennent des pas
absolue. Le Destin Stoïcien veut qu'on soit sions ou d'autres impressions précédentes. Ainsi,
tranquille; parce quïl faut avoir patience par force, si l'esprit préférait l'inclination foible à la forte, il
puisqu'on ne sauroit regimber contre la suite des agiroit contre soi-même, et autrement qu'il est
choses. Mais on convient qu'il y a Fatum Chri- disposé d'agir. Ce qui fait voir qoe les notions
stiannm, une Destinée certaine de toutes choses, contraires ici aux miennes, sont superficielles, et se
réglée par la Prescience et par la Providence de trouvent n'avoir rien de solide, quand elles sont
Dieu. Fatum est dérivé de fari; c'est-à-dire, bien considérées.
prononcer, décerner; et dans le bon sens, il 16. De dire aussi que l'esprit peut avoir
signifie le Décret de la Providence. Et ceux qui de bonnes raisons pour agir, quand il n'a
s'y soumettent par la connoissance des perfections aucuns motifs, et quand les choses sont abso
divines, dont l'amour de Dieu est une suite, (puis lument indifférentes, comme on s'explique
qu'il consiste dans le plaisir que donne cette con- ici, c'est une contradiction manifeste; car s'il a de
uoissance) ne prennent pas seulement patience bonnes raisons pour le parti qu'il prend, les cho
comme les Philosophes Payens, mais ils sont même ses ne lui sont point indifférentes.
contons de ce que Dieu ordonne , sachant qu'il fait 17. Et de dire qu'on agira quand on a de rai
tout pour le mieux; et non-seulement pour le plus sons pour agir, quand même les voies d'agir
grand bien en général , mais encore pour le plus seroient absolument indifférentes; c'est
grand bien particulier de ceux qui l'aiment. encore parler fort superficiellement, et d'une ma
14. J'ai été obligé de nfétendre, pour détruire nière très - insoutenable. Car on n'a jamais une
nue bonne fois les imputations mal fondées, comme raison suffisante pour agir, quand on n'a pas aussi
j'espère de pouvoir le faire par ces explications une raison suffisante pour agir tellement; toute
dans l'esprit des personnes équitables. Maintenant action étant individuelle, et non générale, ni ab
je viendrai à une objection qu'on me fait ici con straite de ses circonstances, et ayant besoin de
tre la comparaison des poids d'une balance avec quelque voie pour être effectuée. Donc, quand il
les motifs de la volonté. On objecte que la ba y a une raison suffisante pour agir tellement,
lance est purement passive, est poussée par les il y eu a aussi pour agir par une telle voie; et par
poids; au lieu que les Agens intelligens et doués conséquent les voies ne sont point indifférentes,
de volonté sont actifs. A cela je réponds, que le Toutes les fois qu'on a des raisons suffisantes ponr
princi)x; du besoin d'une raison suffisante est com une action singulière, on en a pour ses véqxùsits.
mun aux Agens et aux Patiens. Ils ont besoin j Voyez encore ce qui se dira plus bas, Nu ru. 66.
d'uni; raison suffisante de leur action , aussi - bien 18. Ces raisonnemens sautent aux yeux, et il
qui; de leur passion. Non -seulement la balance est bien étrange qu'on m'impute que j'avance mon
n'agit pas, quand elle est poussée également de principe du besoin d'une raison suffisante, sans au
part et d'autre ; mais les poids égaux aussi n'agis cune preuve tirée de la nature des choses, ou des
XC1X, LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 765
perfections divines. Car la nature des choses porte, 22. Outre que je n'admets point dans la matière
que tout événement ait préalablement ses condi des portions parfaitement solides, ou qui soient
tions, réquisits, dispositions convenables, dont tout d'une pièce, sans aucune variété, ou mouve
l'existence en fait la raison suffisante. ment particulier dans leur parties, comme l'on
19. Et la perfection de Dieu demande que tou conçoit les prétendus atomes. Poser de tels corps,
tes ses actions soient conformes à sa sagesse, et est encore nue opinion populaire mal fondée. Se-
qu'on ne puisse point lui reprocher d'avoir agi : Ion mes démonstrations, chaque portion de matière
sans raisons, ou même d'avoir préféré une raison est actuellement sous-divisée en parties différem
plus foible à une raison plus forte. ment mues, et pas une ne ressemble entièrement à
20. Mais je parlerai plus amplement sur la fin l'autre.
de cet Ecrit, de la solidité et de l'importance de 23. J'avois allégué, que dans les choses sensi
ce grand principe du besoin d'une Raison suf bles, on n'en trouve jamais deux indiscernables;
fisante pour tout événement, dont le renverse et que , par exemple , on ne trouvera point deux
ment renverseroit la meilleure partie de toute la feuilles dans un jardin , ni deux gouttes d'eau par
Philosophie. Ainsi il est bien étrange qu'on veuille faitement semblables. On l'admet à l'égard des
ici, qu'en cela je commets une pétition de prin feuilles, et peut-être (perhaps) à l'égard des
cipe; et il paroit bien qu'on veut soutenir des sen- gouttes d'eau; mais on pouvoit l'admettre sans
i iiuru-. insoutenables, puisqu'on est réduit à me perhaps, (senza forse, diroit un Italien,) en
refuser ce grand principe, un des plus essentiels de core dans les gouttes d'eau.
la raison. 24. Je crois que ces observations générales
qui se trouvent dans les choses sensibles, se trou
Sur les §. 3. et 4. vent encore à proportion dans les insensibles: et
qu'à cet égard on peut dire, comme disoit Arle
21. II faut avouer que ce grand principe, quoi quin dans l'Empereur de la Lune, que c'est
qu'il ait été reconnu , n'a pas été assez employé. tout comme ici. Et c'est un grand préjugé contre
Et c'est en bonne partie la raison pourquoi jus les indiscernables, qu'on n'en trouve aucun
qu'ici la Philosophie première a été si peu fé exemple. Mais on s'oppose à cette conséquence :
conde, et si peu démonstrative. J'en infère entre parce que, dit- on, les corps sensibles sont compo
antres conséquences , qu'il n'y a point dans la Na sés, au lieu qu'on soutient qn'il y en a d'insensi
ture deux Etres réels absolus indiscernables; bles qui sont simples. Je réponds encore, que je
parce que s'il y en avoit, Dieu et la Nature agi- n'en accorde point. Il n'y a rien de simple, se
roient sans raison, en traitant l'un autrement que lon moi, que les véritables Monades, qui n'ont
l'autre; et qu'ainsi Dieu ne produit point deux por point de parties ni d'étendue. Les corps simples,
tions do matière parfaitement égales et semblables. et même les parfaitement similaires, sont une suite
On répond à cette conclusion, sans en réfuter la de la fausse position du vnide et des atomes, on
raison; et on y répond par une objection bien foi d'ailleurs de la Philosophie paresseuse, qui ne
ble. «Cet argument,» dit -on, «s'il étoit bon, pousse pas assez l'analyse des choses, et s'imagine
«prouverait, qn'il serait impossible à Dieu de de pouvoir parvenir aux premiers élémens corpo
•créer aucune matière: car les parties de la ma- rels de la Nature ; parce que cela contenterait notre
«tière parfaitement solides, étant prises égales et imagination.
»de la même figure, (ce qui est une supposition 25. Quand je nie qu'il y ait deux gouttes d'eau
«possible,) seraient exactement fait l'une comme entièrement semblables, on deux autres corps in
«l'autre.» Mais c'est une pétition de principe très- discernables; je ne dis point qu'il soit impos
manifeste, de supposer cette parfaite convenance, sible absolument d'en poser; mais que c'est une
qui selon moi ne saurait être admise. Cette sup chose contraire a la Sagesse Divine, et qui par
position de deux indiscernables, comme de conséquent n'existe point.
deux portions de matière qui conviennent parfai
tement entre elles, paraît possible en termes ab
Sur les §. 5. et 6.
straits; mais elle n'est point compatible avec l'or
dre des choses, ni avec la sagesse divine, où rien 26. J'avoue que si deux choses parfaitement
n'est admis sans raison. Le vulgaire s'imagine indiscernables existaient, elles seraient deux :
de telles choses, parce qn'il se contente de notions mais la supposition est fausse, et contraire au
incomplettes. Et c'est un des défauts des Ato- grand principe de la Raison. Ijcs Philosophes vul
mistes. gaires se sont trompés, lorsqu'ils ont cru qu'il y
97
rco XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
avoit des choses différentes solo numéro, on 31. Je n'accorde point que tout fini est mo
seulement parce qu'elles sont deux; et c'est de bile. Selon l'hypothèse même des Adversaires,
cette erreur que sont venues leurs perplexités sur une partie de l'espace, quoique finie, n'est point
ce qu'ils appeloieut le principe d'individua- mobile. Il faut que ce qui est mobile, poisse
tion. La Métaphysique a été traité ordinaire changer de situation par rapport à quelque votre
ment en simple doctrine des termes , comme un chose, et qu'il puisse arriver un état nouveau às-
Dictionaire philosophique, sans venir à la discus cernable du premier: autrement le changement e&
sion des choses. La Philosophie superficielle, une fiction. Ainsi il faut qu'un fini mobile fasse
comme celle des Atomistes et des Yacuistes, se partie d'un autre, afin qu'il puisse arriver un chan
forge des choses que les raisons supérieures n'ad gement observable.
mettent point. J'espère que mes démonstrations 32. Descartes a soutenu que la matière n'a
feront changer de face à la Philosophie, malgré les point de bornes , et je ne crois pas qu'on l'ait suf
foiblcs contradictions telles qu'on m'oppose ici. fisamment réfuté. Et quand on le lui accorderait,
27. Les parties du terns ou du lieu, prises en il ne s'ensuit point , que la matière seroit néces
elles-mêmes sont des choses idéales; ainsi elles se saire, ni qu'elle ait été de toute éternité, puisque
ressemblent parfaitement, comme deux unités ab cette diffusion de la matière saus bornes, ne seroit
straites. Mais il n'en est pas de même de deux qu'un effet du choix de Dieu, qui Fanroit trouvé
uns concrets, ou de deux temps effectifs, ou mieux ainsi.
deux espaces remplis, c'est-à-dire, véritablement
actuels. Snrle§. 7.
28. Je ne dis pas que deux points de l'espace
sont un même point, ni que deux iustans du temps 33. Puisque l'Espace en soi est nne chose
sont un même instant, comme il semble qu'on idéale comme le Temps, il faut h/en que l'Espace
m'impute: mais on peut s'imaginer, faute de con- hors du Monde soit imaginaire, comme les Scliola-
noissnncc, qu'il y a deux instans difTércns, où il stiques mêmes l'ont bien reconnu. 11 en est de
n'y en a qu'un; comme j'ai remarqué dans l'ar môme de l'Espace vuide dans te Monde, que je
ticle 17. do la précédente Réponse, que souvent crois encore être imaginaire, par les raisons que
en Géométrie on suppose deux, pour représenter j'ai produites.
l'erreur d'un contredisant, et on n'en trouve qu'un. 34. On m'objecte le Vnide inventé par Mr. Gné-
Si quelqu'un supposoit qu'une ligne droite coupe rikc de Magdebourg, qui se fait en pompant l'air
l'autre en deux points, il se trovera au bout du d'un récipient ; et on prétend qu'il y a véritable
compte, que ces deux points prétendus doivent ment du vuide parfait, ou de fespace sans matière,
coïucider, et n'en sauraient faire qu'un. en partie au moins , dans ce récipient. Les Ari
29. J'ai démontré que l'Espace n'est autre stotéliciens et les Cartésiens, qui n'admettent point
chose qu'un ordre de l'existence des choses, qui se le véritable vuide, ont répondu à cette expérience
remarque dans leur simultanéité. Ainsi la fiction de Mr. Guérike, aussi-bien qu'à celle de Mr.Tor-
d'un Univers matériel fini, qui se promène tout ricclli de Florence (qui vuidoit l'air d'un iu-,
entier dans un espace vnide infini, ne saurait être do verre par le moyen du mercure,) qu'il n'y a
admise. Elle est tout - à - fait déraisouable et im point de vuide du tout dans le tuyau ou dans k
praticable. Car outre qu'il n'y a point d'esjwce récipient; puisque le verre a du pores subtils, à
réel hors de l'Univers matériel, une telle action se travers desquels les rayons de la lumière, ceux de
rait sans but; ce serait travailler sans rien faire, l'aimant, et autres matières très -minces peuvent
agendo niliil agcre. Il ne se produirait aucun passer. Et je suis de leur sentiment, trouvant
changement observable par qui que ce soit. Ce qu'on peut comparer le récipient à une caisse pleine
sont des imaginations des Philosophes à no de trous , qui seroit dans l'eau , dans laquelle il y
tions incomplettes, qui se font de l'espace aurait des poissons, ou d'autres corps grossiers, les
nne réalité absolue. Les simples Mathématiciens, quels en étant êtes, la place ne laisseroit JMS d'être
qai ne s'occupent que de jeux de l'imagination, remplie par de l'eau. Il y a seulement cette dif
sont capables de se forger de telles notions; mais férence, que l'eau, quoiqu'elle soit fluide et plus
elles sont détruites par des raisons supérieures. obéissante que ces corps grossiers, est pourtant
30. Absolument parlant , il paraît que Dieu aussi pesante et aussi massive, ou même davan
peut faire l'Univers matériel fini en extension; tage ; au lieu que la matière qui entre dans le ré
mais le contraire paroît plus conforme à sa sa cipient à la place de l'air, est bien plu- mince.
gesse. Les nouveaux partisans du vnide répondent à cette
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 7G7
instance, que ce n'est pas la grossièreté, qui fait propriété de Dieu est l'immensité; mais que l'es
de la résistance; et par conséquent qu'il y a néces pace, qui est souvent commensuré avec les coqis,
sairement plus de vuiilc, où il y a moins de ré- et l'immensité de Dieu, n'est pas la même chose.
sistence; ou ajoute que la subtilité n'y fait rien, 37. J'ai encore objecté que, si l'espace est une
et que les parties du vif -argent sont aussi subtiles propriété, et si l'espace infini est l'immensité de
et aussi fines que celles de l'eau, et que néanmoins Dieu , l'espace fini sera l'étendue ou la mensurabi-
le vif-argeut résiste plus de dix fois davantage. A lité de quelque chose finie. Ainsi l'espace occupé
cela je réplique, que ce n'est pas tant la quantité par un corps sera l'étendue de ce corps; chose ab
de la matière, que la difficulté qu'elle fait de céder, surde, puisqu'un corps peut changer d'espace, mais
qui fait la résistance. Par exemple, le bois flottant qu'il ne peut point quitter son étendue.
contient moins de matière pesante que l'eau de 38. J'ai encore demandé, si l'espace est une pro
pareil volume, et néanmoins il résiste plus au ba priété de quelle chose sera donc la propriété, un
teau que l'eau. espace vuide borné, tel qu'on s'imagine dans le
35. Et quant au vif- argent, il contient à la vé récipient épuisé d'air? Il ue paroit point raison
rité environ quatorze fois plus de matière pesante nable de dire, que cet espace vuide, rond ou
que l'eau, dans un pareil volume; mais il ne s'en quarré, soit une propriété de Dieu. Sera-ce donc
suit point qu'il contienne quatorze foi plus de ma peut-être la propriété de quelques substances im
tière absolument. Au contraire , l'eau en contient matérielles, étendues, imaginaires, qu'on se figure
autant , mais prenant ensemble tant sa propre ma (ce semble) dans les espaces imaginaires J
tière, qui est pesante, qu'une matière étrangère 39. Si l'espace est la propriété ou l'affection de
non pesante, qui passe à travers de ses pores. Car la substance qui est dans l'espace, le même espace
tant le vif-argent que l'eau, sont des masses de sera tantôt l'affection d'un corps, tantôt d'un autre
matière pesante, percées à jour, à travers desquel corps; tantôt d'une substance immatérielle, tantôt
les passe beaucoup de matière non pesante, et qui peut-être de Dieu, quand il est vuide de toute au
ne résiste point sensiblement, comme est apparem tre substance matérielle ou immatérielle. Mais
ment celles de rayons île lumière , et d'autres flui voilà une étrange propriété ou affection, qui passe
des insensibles; tels que celui sur -tout qui cause de sujet en sujet. Les sujets quitteront ainsi leurs
lui même la pesanteur des corps grossiers , en s'é accidens comme un habit, afin que d'autres sujets
cartant du centre où il les fait aller. Car c'est s'en puissent revêtir. Après cela , comment distin
une étrange fiction que de faire toute la matière guera-t-on les accidens et les substances?
pesante, et même vers toute autre matière; comme 40. Que si les espaces bornés qui y sont, et si
si tout corps attiroit également tout autre corps l'espace infini est la propriété de Dieu, il faut
selon les masses et les distances; et cela par une (chose étrange!) que la propriété de Dieu soit com
attraction proprement dite, qui uc soit point déri posée des affections des créatures; car tous les espa
vée d'une impulsion occulte des corps: au lieu que ces finis, pris ensemble, composent l'espace infini.
la pesanteur des corps sensibles vers le centre de 4 1 . Que si l'on nie que l'espace borué soit une
la Terre , doit être produite par le mouve affection des choses bornées , il ne sera pus
ment de quelque fluide. Et il en sera de même raisonnable non plus, que l'espace infini soit
d'autres pesanteurs, comme de celles des plantes l'affection ou la propriété d'une chose infinie.
vers le Soleil , ou entre elles. Un corps n'est ja J'avois insinué tontes ces difficultés dans mon Ecrit
mais mu naturellement, que par un autre corps précédent; mais il ne paraît point qu'on ait tâché
qui le pousse en le touchant; et après cela il con d'y satisfaire.
tinue jusqu'à ce qu'il soit empêché par un antre 42. J'ai encore d'autres raisons contre l'étrange
corps qui le louche. Toute autre opération sur le imagination que l'espace est une propriété de Dieu.
corps ) est ou miraculeuse ou imaginaire. Si cela est, l'espace entre dans l'essence de Dieu.
Or l'espace a des parties; donc il y auroit des par
Sur les §. 8. et 9. ties dans l'essence de Dieu, Spectatnni ad-
inissi.
36. Comme j'avois objecté que l'espace, pris pour 4 3. De plus, les espaces sont tantôt vuides, tan
quelque chose de réel et d'absolu sans les corps, tôt remplis ; donc il y aura dans l'essence de Dieu
serait une chose éternelle, impassible, indépendante des parties tantôt vnides , tantôt remplis , et jiar
de Dieu; on a tâché d'éluder cette difficulté, en conséquent sujettes à un changement perpétuel. Les
disant que l'espace est une propriété de Dieu. J'ai corps reraplissans l'espace, rempliraient une partie
opposé à cela dans mon Ecrit précédent , que la de l'essence de Dieu , et y seraient commcnsurés;
97*
7G8 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLAKKE.
et clans la supposition du vnide, une partie clé l'es- uns, qui n'aient point eu de changement en eux,
sonce de Dieu sera dans le récipient. Ce Dieu à on dira que ceux qui ont un rapport à ces existens
parties ressemblera fort au Dieu Stoïcien, qui fixes, tel que d'autres avoient auparavant à <-n\.
étoit l'Univers tout entier, considéré comme un ont en la même place que ces derniers avoicat eue.
Animal divin. Et ce qui comprend toutes ces places, est aççeK-
44. Si l'espace infini est l'immensité de Dieu, Espace. Ce qui fait voir que pour avoir fidée de
lo temps infini sera l'éternité de Dieu: il faudra la place, et par conséquent de l'espace, il suffit te
donc dire que ce qui est dans l'espace, est dans considérer ces rapports et les règles de leurs chan-
l'immensité de Dieu, et par conséquent dans son geuiens , sans avoir besoin de se figurer ici aucune
essence; et que ce qui est dans le temps, est dans réalité absolue hors des choses dont on considère
l'éternité de Dieu. Phrases étranges , et qui font la situation, Et, pour donner une espèce de défi
bien connoitre qu'on abuse des ternies. nition, Place est ee qu'on dit être le même à A
45. En voici encore une autre instance. L'im et à B, quand le rapport de coexistence de B, avec
mensité de Dieu fait que Dieu est dans tous les espa C, E, F, G, etc. convient entièrement avec le rap-
ces. Mais si Dieu est dans l'espace, comment | port de coexistence qu'A a eu avec les mêmes;
peut -on dire que l'espace est en Dieu, ou qu'il est supposé qu'il n'y ait eu aucune cause de change
sa propriété? On a bien oui dire que la propriété ment dans C, E, F, G, etc. On pourrait dire aussi,
soit dans le sujet ; mais on n'a jamais ouï dire que sans ecthèse, que Place est ce qui est le même
le sujet soit dans sa propriété. De même, Dieu en uiotnens diflerens à des existeus, quoique diffé-
existe en chaque temps: comment donc le temps rens, quand leur rapport de coexistence avec certains
est-il clans Dieu ; et comment peut - il être une pro existons, qui depuis un de ces mouiens à Vautre
priété de Dieu? Ce sont des Alloglossies per sont supposés fixes conviennent entièrement. Et
pétuelles. Existens fixes sont ceux, dans lesquels il n'y
46. 11 paroit qu'on confond l'immensité ou Té- a point eu de cause du chaogeuiait de l'ordre de
tendue des choses, avec l'espace selon lequel cette coexistence avec d'autres ; on (ce qui est le même)
étendue est prise. L'espace infini n'est pas l'im dans lesquels il n'y a point eu de mouvement.
mensité de Dieu: l'espace fini n'est pas l'étendue Enfin, Espace est ce qui résulte des places prises
des cops, comme le temps n'est point la durée. Les ensemble. Et il est bon ici de considérer la dif
choses gardent leur étendue, mais elles ne gardent férence entre la place, et entre le rapport de situa
point toujours leur espace. Chaque chose a sa tion qui est dans le Corps qui occupe la place. Car
propre étendue, sa propre durée; mais elle n'a la place d'A et de B est la même; an lieu que le
point son propre temps , et elle ne garde point son rapport d'A aux corps fixes, n'est pas précisément
propre espace. et individuellement le même que le rapport que B
47. Voici comment les hommes viennent à se (qui prendra sa place) aura aux mêmes fixes; et
former la notion de l'espace. Ils considèrent que ces rapports conviennent seulement. Car deux aï-
plusieurs choses existent à la fois, et ils y trouvent jets différons, comme A et B, ne sauraient avoir
un certain ordre de coexistence, suivant lequel le précisément la même affection individuelle ; on
rapport des uns et des autres est plus ou moins même accident individuel ne se pouvant point trou
simple. C'est leur situation ou distance. Lorsqu'il ver en deux sujets, ni passer de sujet eu sujet.
arrive qu'un de ces coexistons change de ce rap Mais l'esprit non content de la convenance , cher
port à une multitude d'autres, sans qu'ils en chan che une identité, nue chose qui soit véritablement
gent entre eux; et qu'un nouveau venu acquiert le la même , et la conçoit comme hors de ces sujets ;
rapport tel que le premier avoit eu à d'autres ; on et c'est ce qu'on appelle ici Place et Espace.
dit qu'il est venu à sa place, et on appelle ce Cependant cela ne saurait être qu'idéal, contenant
changement un mouvement qui est dans celui un certain ordre où l'esprit conçoit l'application
où est la causo immédiate du changement. Et des rapports: comme l'esprit se peut figurer un
quand plusieurs, ou même tous, changeraient selon ordre consistant en lignes généalogiques,
certaines règles connues de direction et de vitesse, dont les grandeurs ne consisteroient que dans le
on peut toujours déterminer le rapport de situation nombre des générations , où chaque personne au
que chacun acquiert à chacun; et même celui cjue roit sa place. Et si l'on ajoutoit la fiction de la
chaque autre auroit ou qu'il auroit à chaque autre, Métampsychose, et si l'on faisoit revenir les mêmes
s'il n'avoit point changé, ou s'il avoit autrement aines humaines, les personnes y pourraient chan-
changé. Et supposant ou feignant que parmi ces clier de place. Celui qui a été père ou grand père,
coexistons il y ait un nombre suffisant de quelque- pourrait devenir fils ou petit -fils, etc. Et cepcn-
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLAUKE. 7C'J
dant ces Places, Lignes, et Espaces Géné ombres de deux corps se pénètrent sur la surface
alogiques, quoiqu'elles exprimeraient des véri d'une muraille ! Je vois revenir les plaisantes imagi
tés réelles, ne seraient que choses idéales. Je don nations de feu Mr. Henry M or us (homme savant
nerai encore un exemple de l'usage de l'esprit de et bien intentionné d'ailleurs.) et de quelques au
se former , à l'occasion des accidens qui sont dans tres, qui ont cru que ces Esprits se peuvent rendre
les sujets, quelque chose qui leur réponde hors impénétrables quand bon leur semble. Il y en a
des sujets. La raison ou proportion entre deux même eu , qui se sont imaginé que l'homme , dans
lignes, L, et M, peut être conçue de trois façons: l'état d'intégrité, avoit aussi le don de la pénétra
comme raison du plus grand L , au moindre M ; tion; mais qu'il est devenu solide, opaque et impé
comme raison du moindre M, an plus grand L; et nétrable par sa chute. N'est-ce pas renverser les
enfin comme quelque chose d'abstrait des deux, notions des choses, donner à Dieu des parties, don
c'est-à-dire, comme la raison entre L, et M, sans ner de l'étendue aux Esprits? Le seul principe
considérer lequel est l'antérieur ou le postérieur, du besoin de la Raison suffisante, fait dis
le sujet ou l'objet. Et c'est ainsi que les propor paraître tous ces spectres d'imagination. Les hom
tions sont considérées clans la Musique. Dans la mes se font aisément des fictions, faute do bien
première considération , L le plus grand est le su employer ce grand principe.
jet; dans la seconde, M le moindre est le sujet de
cet accident, que les Philosophes apellent relation Sur le§. 10.
ou rapport. Mais quel en sera le sujet dans le 49. On ne peut point dire qu'une certaine durée
troisième sens? On ne saurait dire que tous les ! est éternelle ; mais on i>eut dire que les choses qui
deux, L et M ensemble, soient le sujet d'un tel ; durent toujours sont éternelles , en gagnant tou-
accident; car ainsi nous aurions un accident en j jours une durée nouvelle. Tout ce qui existe du
deux sujets, qui aurait une jambe dans l'un, et temps et de la duration, étant successif périt conti
l'autre dans l'autre; ce qui est contre la notion des nuellement: et comment une chose pourrait -elle
accidens. Donc il faut dire , que ce rapport dans exister éternellement, qui, à parler exactement,
ce troisième sens, est bien hors des sujets; mais n'existe jamais? Car comment pourroit exister
que n'étant ni substance ni accident , cela doit être une chose, dont jamais aucune partie n'existe?
une chose purement idéale, dont la considération Du temps n'existent jamais que des instans, et [l'in
ne laisse pas d'être utile. Au reste, j'ai fait ici, à stant n'est ]>as même une partie du teni|>s. Qui
peu près, comme Euclide, qui ne pouvant pas conque considérera ces observations, comprendra
bien faire entendre absolument ce que c'est que bien que le temps ne saurait être qu'une chose
Raison prises dans le sens des Géomètres, définit idéale; et l'analogie du temps et de l'espace fera
bien ce que c'est que mêmes Raisons. Et c'est bien juger, que l'un est aussi idéal que l'autre.
ainsi que, pour expliquer ce que c'est que la PI ace, Cependant, si en disant que la durai ion d'une
j'ai voulu définir ce que c'est que la même chose est éternelle, on entend seulement que la
Place. Je remarque enfin, que les traces des mo chose dure éternellement, je n'ai rien a y rédire.
biles, qu'ils laissent quelquefois dans les immobi 50. Si la réalité de l'espace et du temps est né
les sur lesquels ils exercent Jour mouvement, ont cessaire pour l'immensité et l'éternité de Dieu;
donné à l'imagination des hommes l'occasion de se ! s'il faut que Dieu soit dans des espaces; si être
former cette idée, comme s'il restoit encore quel dans l'espace est une propriété de Dieu; Dieu sera
que trace lors même qu'il n'y a aucune chose im en qnelque façon dépendant du temps et de l'espace,
mobile; mais cela n'est qu'idéal, et porte seulement et en aura besoin. Car l'échappatoire que l'espace
que s'il y avoit là quelque immobile, on et le temps sont en Dieu , et comme des propriétés
l'y ponrroit désigner. Et c'est cette analogie de Dieu, est déjà fermée. Pourroit -on supporter
qui fait qu'on s'imagine des Places, des Tra l'opinion qui soutiendrait, que les corps se pro
ces, des Espaces, quoique ces choses ne con mènent dans les parties de l'essence divine?
sistent que dans la vérité des Rapports, et nul
lement dans qnelque réalité absolue. Sur les §. 11. et 12.
48. Au reste, si l'espace vuide de corps (qu'on
s'imagine) n'est pas vuiJe tout-à-fait, de quoi est- 51. Comme j'avois objecté que l'espace a des
il donc plein? Y a-t-il peut-être des Esprit éten parties, on cherche une autre échappatoire en s'é
dus, ou des Substances immatérielles, capables de loignant du sens reçu des termes, et soutenant que
s'étendre et de se resserrer, qui s'y promènent, et l'espace n'a point de parties; parce que ses parties
qui se pénètrent sans s'incommoder, comme les ne sont point séparablcs, et ne sauraient être éloig
770 XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
liées les DUCS des autres par disccrption. Mais il sans réponse, de tout ce qu'on a allègue' pour la
suffit que l'espace ait îles parties, soit que ces par- réalité absolue de l'espace. Et j'ai démontré la
tics soient séparables on non; et ou les peut as fausseté de cette réalité, par un principe fonda
signer dans l'espace, soit par les corps qui y sont, mental des plus raisonnables et des plus éproavés,
soit par les ligues ou surfaces qu'on y peut mener. contre lequel on ne saurait trouver aucune esrep-
tion ni instance. Au reste, on peut juger par Usas.
ce que je viens de dire, que je ne dois point ad
Surle§. 13. mettre un Univers mobile, ni aucune place
hors de l'Univers matériel.
52. Pour prouver que l'espace, sans les corps,
est quelque réalité absolue, on m'avoit objecté que
l'Uuivers matériel fini, se pourrait promener dans Surle§. 14.
l'espace. J'ai répondu qu'il ne paroit point rai
sonnable que l'Univers matériel soit fini: et quand 54. Je ne connois aucune objection, à laqneUe
on le supposerait, il est déraisonnable qu'il ait de je ne croie avoir ré]x>ndu suffisamment. Et quant
mouvement, autrement qu'entant que ses parties à cette objection , que l'espace et le temps sont des
changent de situation entre elles: parce qu'un tel i Quantités, ou plutôt des choses douées de quan
mouvement ne produirait aucun changement obser tité, et que la situation et l'ordre ne le sont point,
vable , et serait sans but. Autre chose est quand je réponds que l'ordre a aussi sa quantité; il a
ses parties changent de situation entr'elles; car ce qui précède et ce qui suit ; il y a distance ou
alors on y reconnoit un mouvement dans l'espace, intervalle. Les choses relatives ont leur quan
mais consistant dans l'ordre des rapports , qui sont tité, aussi -bien que les absolues. Par exemple,
changés. On réplique maintenant, que la vérité les Raisons ou proportions dans Jes .Vat/jémati-
du mouvement est indépendante de l'Observa ques, ont leur quantité, et se mesurent par les
tion; et qu'un Vaisseau peut avancer, sans que Logarithmes; et cependant ce sont des Rela
celui qui est dedans s'en aperçoive. Je réponds tions. Ainsi quoique le temps et l'espace consistent
que le mouvement est indépendant de l'Obser en rapports, ils ne laissent pas d'avoir leur
vation; mais qu'il n'est point indépendant de quantité.
l'Observabilité 11 n'y a point de mouvement,
quand il n'y a point de changement observa
ble. Et même quand il n'y a point de change Sur le §. 15.
ment observable, il n'y a point de change
ment du tout. Le contraire est fondé sur la 55. Pour ce qui est de la Question, si Dieu a
supposition d'un Espace réel absolu, que j'ai réfuté pu créer le Monde plutôt, il faut se bien entendre.
démonstrativeuient |>ar le principe du besoin Comme j'ai démontré que le temps sans les choses
d'une Raison suffisante des choses. n'est autre chose qu'une simple possibilité idéale,
53. Je ne trouve rien dans la définition huitième il est manifeste que si quelqu'un disoit que ce
des Principes mathématiques de la Na même Monde qui a été créé effectivement, ait sans
ture, ni dans le scholie de ecttc définition, qui aucun autre changement pu être créé plutôt, il ne
prouve, ou puisse prouver la réalité de l'espace en dira rien d'intelligible. Car il n'y a aucune mar
soi. Cependant j'accorde qu'il y a de la différence que ou différence, par laquelle il serait possible
entre un Mouvement absolu véritable d'un de connoitre qu'il eût été créé plutôt. Ainsi,
corps , et un simple changement relatif de comme je l'ai déjà dit> supposer que Dieu ait créé
la situation par rapport à un autre corps. le même Monde plutôt, c'est supposer quelque
Car lorsque la cause immédiate du changement est chose de chimérique. C'est faire du temps une
dans h; cor|)s , il est véritablement en mouvement ; chose absolue, indépendante de Dieu: au lieu que
et alors la situation des autres, par rapport à lui, le temps doit coexister aux créatures, et ne se con
sera changée par conséquence, quoique la cause de çoit que par l'ordre et la quantité de leurs
ce changement ne soit point en eux. 11 est vrai changcmens.
qu'à parler exactement, il n'y a point de corps qui 56. Mais absolument parlant, on peut conce
soit parfaitement et entièrement en repos; mais voir qu'un Univers ait comiiK-ncé plutôt qu'il ii'a
c'est de quoi on fait abstraction, en considérant la commencé effectivement. Supposons que notre
chose mathématiquement. Ainsi je n'ai rien laissé Univers, ou quelque autre, soit représenté par la
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 771
figure A F, que l'ordonné A B, ou dans un temps particulier, qui lui a plu. Car
R représent son premier état; tous les temps, et tous les espaces, en eux-mêmes,
et que les ordonnées C D E F, étant parfaitement uniformes et indiscernables, l'un
représentent des états suivaus. ne saurait plaire plus que l'antre.
Je dis qu'on peut concevoir 61. Je ne veux point m'arrêter ici sur mon sen
qu'il ait commencé plutôt en timent expliqué ailleurs, qui porte qu'il n'y a point
concevant la Figure prolongée de substances créées entièrement destituées de ma
fln arrière, et en y ajoutant tière. Car je tiens avec les Anciens et avec la Rai
, RS, RA, BS. Car ainsi, les son, que les Anges ou les Intelligences, et les
choses étant augmentées, le Ames séjKirées du corps grossier, ont toujours des
temps sera augmenté aussi. Mais si une telle aug I corps subtils, quoiqu'elles mêmes soient iucor|x>-
mentation est raisonnable et conforme à la sagesse ] relies. La Philosophie vulgaire admet aisément
de Dieu, c'est une antre question; et il faut ' toute sorte de fictions ; la mienne est plus sévère.
dire non, autrement Dieu l'auroit faite. Co se- 62. Je ne dis point que la matière et l'espace
roit comme. est la même chose; je dis seulement qu'il n'y a
Humano capiti cerviccm Pictor equinam point d'espace où il n'y a point de matière; et que
Jungere si velit l'espace en lui-même n'est point une réalité abso
II en est de môme de la Destruction. Comme on lue. L'espace et la matière diffèrent comme le
pourroit concevoir quelque chose d'ajouté au com temps et lu mouvement. Cependant ces choses,
mencement, on pourroit concevoir de même quel i quoique différentes, se trouvent inséparables.
que chose de retranché vers la fin. Mais ce re 63. Mais il ne s'ensuit nullement que la ma-
tranchement encore seroit déraisonnable. \ tièrc soit éternelle et nécessaire , sinon en suppo
57. C'est ainsi qu'il paroît comment on doit sant que l'espace est éternel et nécessaire ; suppo
entendre que Dieu a créé les choses en quel temps sition mal fondée en toutes manières.
il lui a plu ; car cela dépend des choses qu'il a ré
solu de créer. Mais les choses étant résolues avec
Sur les §. 16. et 17.
leurs rapports , il n'y a plus de choix sur le temps
ni sur la place, qui n'uni rien de réel en eux à 64. Je crois avoir répondu à tout, et j'ai ré
part, et rien de déterminant, ou même rien de pondu particulièrement à cette objection, qui pré
discernable. tend que l'espace et le temps ont une quantité,
58. On ne peut donc point dire, comme l'on j et que l'ordre n'en a point. Voyez ci -dessus,
fait ici , que la sagesse de Dieu peut avoir eu de Nu m. 54.
bonnes raisons pour créer ce Monde dans un 65. J'ai fait voir clairement, que la contradic
tel temps particulier, ce temps particulier pris sans tion est dans l'hypothèse du sentiment opposé, qui
les choses, étant une fiction impossible, et de bon cherche nue différence là où il n'y en a point. Et
nes raisons d'un choix ne se pouvant point trouver ce seroit une iniquité manifeste , d'en vouloir infé
là où tout est indiscernable. rer, que j'ai reconnu de la contradiction dans mon
59. Quand je parle de ce Monde, j'entends tout propre sentiment.
l'Univers des créatures matérielles et immatérielles
prises ensemble, depuis le commencement des cho
Sur le §. 18.
ses ; mais si l'on n'entendoit que le commencement
du Monde matériel , et si l'on supposoit avant lui 66. Il revient ici un raisonnement, que j'ai déjà
d(!s créatures immatérielles, on se mettrait un peu détruit ci-dessus, Nu m. 17. On dit que Dieu peut
plus à la raison en cela. Car le temps alors étant avoir de bonnes raisons pour placer deux cu
marqué par les choses qui existeraient déjà, ne se bes parfaitement égaux et semblables ; et alors il
roit pins indifférent; et il y pourroit avoir du faut bien, dit -on, qu'il leur assigne leurs places,
choix. 11 est vrai qu'on ne seroit que différer la quoique tout soit parfaitement égal ; mais la chose
difficulté. Car supposant que l'Univers entier des ne doit point être détachée de ses circonstances.
créatures immatérielles et matérielles ensemble a Ce raisonnement consiste en notions incomplcttes.
commencé, il n'y a plus de choix sur le temps où Les résolutions de Dieu ne sont jamais abstraites et
Dieu le voudrait mettre. imparfaites ; comme si Dieu décernoit premièrement
60. Ainsi on ne doit point dire, comme l'on à créer les deux cubes, et puis décernoit à part où
fait ici, que Dieu a créé les choses dans un espace, les mettre. Les hommes, bornés comme ils sont,
772 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARLE.
sont capables de procéder ainsi ; il résoudront |
quelque chose , et puis ils se trouveront embarras Sur le §.20.
sés sur les moyens, sur les voies, sur les places, 7 '2. On m'avoit objecté dans la troisièine Ré
sur les circonstances. Dieu ne prend jamais une plique (Nu m. 7. et 8.) que Dieu n'anroit point en
résolution sur les fins, sans en prendre en même j lui un principe d'agir, s'il étoit déterminé paiks
temps sur les moyens , et sur toutes les circonstan choses externes. J'ai répondu qne les idws
ces. Et même j'ai montré, dans la Théodicée, des choses externes sont en lui, et qu'ainsi il est
qn'à proprement parler, il n'y a qu'un seul Décret déterminé par des raisons internes, c'est-à-dire,
pour l'Univers tout entier, par lequel il est résolu par sa sagesse. Maintenant on ne vent point en
de l'admettre de la possibilité à l'existenre. Ainsi tendre à propos de quoi je l'ai dit.
Dieu ne choisira point de cube, sans choisir sa
place en même temps; et il ne choisira jamais Sur le g. 21.
entre des indiscernables.
67. Les parties de l'Espace ne sont détermi 73. On confond souvent dans les objections
nées et distinguées que par les choses qui y sont: qu'on me fait, ce que Dieu ne vent point, avec ce
et la diversité des choses dans l'espace , déterminequ'il ne peut point Voyez ci-dessas Nu ni. 9.
Dieu à agir différemment sur différentes parties de et plus bas Nnm 76. Par exemple Dieu pent
l'espace. Mais l'espace pris sans les choses, n'a faire tout ce qui est possible, mais il ne veut faire
rien de déterminant, et même il n'est rien que le meilleur. Ainsi je ne dis point, comme on
d'actuel. m'impute ici , qne Dieu ne peut point donner des
68. Si Dieu est résolu de placer un certain bornes à l'étendue de la matière; mais il v ;t >/.•
cube de matière, il s'est aussi déterminé sur la l'apparence qu'il ne le veut point, et qu'il a troarc
place de ce cube; mais c'est par rapport à d'autres mieux de ne lui en point donner.
portions de matière, et non pas par rapport à l'es 74. De l'étendue à la durée, non valet con
pace détaché , où il n'y a rien de déterminant séquent! a. Quand l'étendue de la matière n'an
69. Mais sa sagesse ne permet pas qu'il place roit point de bornes, il ne s'ensuit point que sa
en même terns deux cubes, parfaitement égaux et durée n'en ait pas non plus , pas même en arrière,
semblables: parce qu'il n'y a pas moyen de trou c'est-à-dire, qu'elle n'ait point eu de commence
ver une raison de leur asssigner des places diffé ment. Si la nature des choses , dans le total , est
rentes; il y auroit une Volonté sans motif. de croître uniformément en perfection, l'Univers
70. J'avois comparé une volonté sans mo des créatures doit avoir commencé; ainsi il y aura
tif, (tel que des raisonncmens superficiels assig des raisons pour limiter la durée des choses, quand
nent à Dieu,) au Hazard d'Epicnre. On y même il n'y en auroit point pour en limiter l'é
oppose que le. Hazard d'Epi cure est une nécessité tendue. De plus, le commencement du Monde ne
aveugle, et non JKIS un choix de volonté. Je répli déroge point à l'infinité de la durée à parte
que que le Hazard d'Epi cure n'est pas une néces post, ou dans la suite; mais les bornes de l'Cni-
sité, mais quelque chose d'indifférent. Epicure vers dérogeroient à l'infinité de son étendue
l'introduisoit exprès, pour éviter la nécessité. Il Ainsi il est plus raisonnable d'en poser on com
est vrai que le hazard est aveugle; mais une vo mencement que d'en admettre des bornes; afin de
lonté sans motif ne seroit pas moins aveugle, et ne conserver dans l'un et dans l'autre le caractère
seroit pas moins due au simple hazard. d'un Auteur infini.
75. Cependant ceux qui ont admis l'éternité dn
Sur),' S. 19. Monde, ou du moins, comme on fait des Théolo
giens célèbres, la possibilité de l'éternité do Monde,
7 1 . On répète ici ce qui a déjà été réfuté ci- n'ont point nié pour cela sa dépendance de Dieu,
dessus, Nu m. 21. que la matière ne saurait être comme on le leur impute ici sans fondement
créée, si Dieu ne choisit point parmi les indiscer
nables. On auroit raison , si la matière consistoit
Sur les §. 22. et 23.
en atomes, en corps similaires, ou autres fictions
semblables de la Philosophie superficielle; niais 76. On m'objecte encore ici, sans fondement,
ce même grand principe, qui combat le choix en que selon moi, tout ce qne Dieu peut faire, doit
tre les indiscernables, détruit aussi ces fictions être fait nécessairement. Comme si l'on ignoroit
mal bâties. que j'ai réfuté cela solidement dans la Théodi-
céc, et que j'ai renversé l'opinion de cenx tja
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 773
soutiennent qu'il n'y a rien de possible que ce qui présentatif; c'est - à - dire, comme si Ton n'a-
arrive effectivement; comme ont fait déjà quel voit jamais ouï parler de mon Harmonie préé
ques anciens Philosophes, et eutr'autres Diodore tablie.
chez Ciceron. On confond la nécessité morale, 84. Je ne demeure point d'accord des notions
qui vient du choix du meilleur, avec la nécessité vulgaires, comme si les Images des choses
absolue; on confond la volonté avec la puissance étoient transportées, (conveyed) par les organes
de Dieu. Il peut produire tout possible ou ce qui jusqu'à l'aine. Car il n'est point convenable par
n'implique point de contradiction: mais il veut pro quelle ouverture, ou par quelle voiture ce trans
duire le meilleur entre les possibles. Voye/ ce que port des images depuis l'organe jusques dans l'aine
j'ai dit ci -dessus, Nu m. î). et Nu m. 74. se peut faire. Cette notion de la Philosophie vul
77. Dieu n'est donc point un Agent nécessaire gaire n'est point intelligible, comme les nouveaux
en produisant les créatures , puisqu'il agit par Cartésiens l'ont assez montré. L'on ne sauroit
choix. Cependant ce qu'on ajoute ici est mal expliquer comment la substance immatérielle
fondé, qu'un Agent nécessaire ne seroit point un est affectée par la matière: et soutenir une chose
Agent. On prononce souvent hardiment rt sans non intelligible là-dessus, c'est recourir à la notion
fondement, en avançant contre moi des Thèses scholastique chimérique de je ne sais quelles Es
qu'on ne sauroit prouver. pèces intentionelles inexplicables, qui pas
sent des organes dans l'aine. Ces Cartésiens ont
Sur les §. 24—23. vu la difficulté, mais ils ne l'ont point résolue: ils
78. On s'excuse de n'avoir point dit que l'es ont en recours à un concours de Dieu tout parti
pace est le Sensorium de Dieu, mais seulement culier, qui seroit miraculeux en effet; mais je crois
comme son Sensoriarn. Il semble que l'un avoir donné la véritable solution de cet énigme.
est aussi peu convenable , et aussi peu intelligible 85. De dire que Dieu discerne les choses qni
que l'autre. se passent, parce qu'il est présent aux substances,
et non pas par la dépendance que la continuation
Sur le§. 29.
de leur existence a de lui , et qu'on peut dire enve
79. L'Espace n'est pas la place de toute lopper une production continuelle: c'est dire
chose, car il n'est pas la place de Dieu; autrement des choses non intelligibles. La simple présence,
voilà une chose coéternelle à Dieu, et indépen ou la proximité de coexistence, ne suffit point
dante de lui, et même de laquelle il dépendrait pour entendre comment ce qui se passe dans un
s'il a besoin de place. Etre, doit répondre à ce qui se passe dans un au
80. Je ne vois pas aussi comment on peut dire, tre Etre.
que l'Espace est la place des Idées; caries 86. Par après c'est donner justement dans la
idées sont dans l'entendement. doctrine, qui fait de Dieu l'Ame il 11 Monde,
81. Il est fort étrange aussi de dire que l'Ame puisqu'on le fait sentir les choses non pas par la
de l'Homme est l'Ain <• des images. Les ima dépendance qu'elles ont de lui, c'est-à-dire, par la
ges qui sont l'entendement, sont dans l'esprit; production continuelle de ce qu'il y a de
mais s'il étoit l'âme des images, elles seroit hors bon et de parfait en elles, mais par une manière
de lui. Que si l'on entend des images corporel de sentiment ; comme l'on s'imagine que notre
les, comment veut-on que notre esprit en soit âme sens ce qui se passe dans le corps. C'est
l'âme puisque ce ne sont que des impressions pas bien dégrader la ronnoissancc divine.
sagères dans les corps dont il est l'âme ? 87. Dans la vérité des choses, cette manière
82. Si Dieu sent ce qui se passe dans le Monde, de sentir est entièrement chimérique, et n'a pas
par le moyen d'un Sensorium; il semble que même lieu dans les âmes. Elles sentent ce qui se
les choses agissent sur lui, et qu'ainsi il est comme passe hors d'elles, par ce qui se passe en elles, ré
on conçoit l'Ame du Monde. On m'impute de pondant aux choses de dehors; en vertu de l'Har
répéter les objections, sans prendre connoissance monie que Dieu a préétablie, par la plus belle
des réponses; mais je ne vois point qu'on ait sa et la plus admirable de toutes ses productions,
tisfait à cette difficulté; on feroit mieux de re qui fait que chaque substance simple en
noncer tout-à-fait à ce Sensorium prétendu. vertu de sa nature, est, pour ainsi dire, une con
centration et un miroir vivant de tout l'u
Sur le §. 30. nivers suivant sont point de vue. Ce qui est
83. On parle comme si Ton n'entendoit point, encore une des plus belles, et des plus incontesta
comment selon moi l'Amo est un principe bles preuves de l'existence de Dieu; puisqu'il n'y
98
774 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKK.
a que Dieu, c'est-à-dire, la cause commune, qui simple, Ame ou véritable Monade-, est
poisse faire cette harmouie des choses. Mais Dieu telle , que son état suivant est une conséquence de
même ne peut sentir les choses par le moyen par son état précédent; voilà la cause de l'Harmo
lequel il les fait sentir aux antres. Il les sent, nie tonte trouvée. Car Dieu n'a qu'à faire que Jtt
parce qu'il est capable de produire ce moyen ; et substance simple soit une fois et d'abord une
il ne les feroit point sentir aux autres, s'il ne les Représentation de l'Univers, selon scm
produisent lui-même toutes consentantes; et point de vue: puisque de cela seul il sait qu'élite
s'il n'avoit ainsi en soi leur rcpiésentation; non le sera perpétuellement, et que toutes les sub
comme venant d'elles, mais parce qu'elles viennent stances simples auront toujours une harmo
de lui, et parce qu'il en est la cause efficient et nie entre elles, parce qu'elles représentent toujours
exemplaire. Il les sent, parce qu'elles viennent de le même Univers.
lui , s'il est permis de dire qu'il les sent ; ce qui ne
se doit, qu'en dépouillant le terme de son imper Sur le §. 32.
fection, qui semble signifier qu'elles agissent sur
lui. Elles sont, et lui sont connues, parce qu'il 92. Il est vrai que, selon moi, l'âme ne trou
les entend et veut; et parce que ce qu'il veut, est blé point les loix du corps, ni le corps celles
autant que ce qui existe. Ce qui paroit d'autant de l'âme, et qu'ils s'accordent seulement, l'on
plus, parce qn'il les fait sentir les unes aux autres; agissant librement, suivant les règles des causes
et qu'il les fait sentir mutuellement par la suite finales, et l'autre agissant machinalement, suivant
des natures, qu'il leur a données une fois pour tou les loix des causes efficientes. Mais cela ne dé
tes, et qu'il ne fait qu'entretenir suivant les loix roge point à la liberté de nos âmes, comme on le
de chacune à part; lesquelles bien que différentes prétend ici. Car tout Agent qui agit suirant les
aboutissent à une correspondance exacte des résul causes finales , est libre , quoiqu'il arrive ça'il s'ac
tats. Ce qui passe toutes les idées qu'on a en corde avec celui qui n'agit que par îles causes ef
vulgairement de la perfection divine et des ouvra ficientes sans connoissance , ou par machine;
ges de Dieu, et les élève au plus haut degré; parce que Dieu prévoyant ce que la cause libre fe
comme Mr. Bayle a bien reconnu, quoiqu'il ait roit, à réglé d'abord sa machine, en sorte qu'elle
cru, sans sujet, que cela passe lu possible. ne puisse manquer de s'y accorder. Monsieur Ja
88. Ce seroit bien abuser du Texte de la Sainte que lot a fort bien résolu cette difficulté dans un
Ecriture, suivant leqnel Dien se repose de ses de ses Livres contre Mr. Bayle; et j'en ai cité
ouvrages, que d'en inférer qu'il n'y a plus de pro le passage dans la Théodicée, Part. I. §. 63.
duction continuée. 11 est vrai qu'il n'y a point de J'en parlerai encore plus bas, Num. 124.
production de substances simples nouvelles; mais
on aurait tort d'en inférer que Dieu n'est mainte Sur le §. 33.
nant dans le monde, que comme l'on conçoit que I
l'âme est dans le corps, en le gouvernant seule 93. Je n'admets point que toute Action donne
ment par sa présence, sans un concours nécessaire | une nouvelle force à ce qui pâtit. 11 arriff
pour lui faire continuer son existence. souvent dans le concours des corps, que rhacn
garde sa force; comme lorsque deux corps dure
Sur le §. 31. égaux concourent directement. Alors la seule di
rection est changée, sans qn'il y ait du changement
89. L'Harmonie ou Correspondance entre dans la force; chacun des corps prenant la direc
l'âme et le corps, n'est pas un miracle |x:rpétuel, tion de l'autre, et retournant avec la môme vitesse
niais l'effet ou la suite d'un miracle primigène fait qu'il avoit déjà eue.
dans la création des choses, comme sont toutes les 94. Cependant je n'ai garde de dire qu'il soit
choses naturelles. Il est vrai que c'est une Mer surnaturel de donner une nouvelle force à un
veille perpétuelle, comme sont beaucoup de cho corps ; car je reconnois qu'un corps reçoit souvent
ses naturelles. une nouvelle force d'un antre corps, qui en perd
90. Le mot d'Harmonie préétablie est un autant de la sienne. Mais je dis seulement qu'il
ternie de l'Art, je l'avoue; mais non pas un terme [est surnaturel que tout l'univers des corps re
qui n'explique rien , puisqu'il est expliqué fort in çoive une nouvelle force; et ainsi qu'un corps
telligiblement, et qu'on n'oppose rien qui marque , gagne de la force, sans que d'autres en perdent au
qu'il y ait de là difficulté. tant C'est pourquoi je dis aussi , qu'il est insoute
91. Comme la nature de chaque substance nable que l'âme donne de la force au corps;
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKt:. 775
car alors tout l'univers des corps recevroit âne ce qui se dit, pag. 341. de l'Optique de Mr.
nouvelle force. Newton, qu'on cite ici. Mais j'ai montré ail
95. Le Dilemme qu'on fait ici, est mal fondé, leurs, qu'il y a de la différence entre la quantité
parce que, selon moi, il faut ou que l'homme agisse du mouvement et la quantité de la force.
surnaturellemeot, ou que l'homme soit uoe pure
machine comme une montre. Car l'homme n'agit Sur le §. 39.
point surnaturellement , et son corps est véritable
ment nue machine, et n'agit que machinalement; 100. On m'avoit soutenu que la force décrois-
niais son âme ne laisse pas d'être une cause libre. soit naturellement dans l'Univers corporel , et que
cela venoit de la dépendance des choses; (troisième
Sur les §. 34. et 35. Réplique, sur les §. 13. et 14.) J'avois de
mandé dans ma troisième Réponse, qu'on prouvât
96. Je me remets aussi à ce qui a été on sera que ce défaut est une suite de la dépendance des
dit dans ce présent Ecrit , Num. 82., 86. et 111. choses. Ou esquive de satisfaire à ma demande,
touchant la comparaison entre Dieu et l'Ame en se jetant sur un incident , et en niant que ce
du Monde; et comment le sentiment qu'on op soit un défaut ; mais que ce soit un défaut ou non,
pose au mien , fait trop approcher l'un à l'autre. il falloit prouver que c'est une suite de la dépen
dance des choses.
Sur le §. 36. 101. Cependant il faut bien, que ce qui ren
drait la machine du Monde aussi imparfaite que
97. Je me rapporte aussi à ce que je viens de celle d'un mauvais horloger, soit un défaut.
dire touchant l'Harmonie entre l'Ame et le 102. On dit maintenant, que c'est une suite
Corps. Num. 89. et suiv. de l'inertie de la matière; mais c'est ce qu'on
ne prouvera pas non plus. Cette inertie mise en
Sur le §. 37. avant, et nommée par Kepler, et répétée par
98. On me dit que l'Ame n'est pas dans le cer Descartes dans ses Lettres, et que j'ai employée
veau, mais dans leSensorium, sans dire ce que dans la Théodicée, pour donner une image et
c'est que ce Sensorium. Mais supposé que ce en même temps un échantillon de l'imperfection na
Sensorium soit étendu, comme je crois qu'on turelle des créatures, fait seulement que les vites
l'entend , c'est toujours la même difficulté ; et la ses sont diminuées quand les matières sont augmen
question revient si l'Ame est diffuse par tout cet tées; mais c'est sans aucune diminuation dos
étendu, quelque grand ou quelque petit qu'il forces.
soit ; car le plus ou moins de grandeur , n'y
fait rien. Sur le §. 40.
Sur le §. 38. 103. J'avois soutenu, que la dépendance de la
99. Je n'entreprends pas ici d'établir ma Dy machine du Monde d'un Auteur Divin , est plutôt
namique, ou ma doctrine des Forces: ce lieu cause que ce défaut n'y est point; que l'ouvrage
n'y serait point propre. Cependant je puis fort n'a point besoin d'être redressé; qu'il n'est point
bien répondre à l'objection qu'on me fait ici. J'a- sujet à se détraquer ; et enfin , qu'il ne saurait di
vois soutenu que les Forces actives se conser minuer en perfection. Je donne maintenant à de
vent dans le monde. On m'objecte, que deux corps viner aux gens, comment on peut inférer contre
mous, ou non élastiques, concourant entre eux, moi, comme on fait ici, qu'il faut, si cela est, que
perdent de leur force Je réponds que non. Il le Monde matériel soit infini et éternel, sans
est vrai que les Touts la perdent par rapport à leur aucun commencement; et que Dieu doit toujours
mouvement total; mais les parties la reçoivent, avoir créé autant d'hommes et d'autres espèces,
étant agitées intérieurement par la force du con qu'il est possible d'en créer.
cours. Ainsi ce défaut n'arrive qu'en apparence.
Les forces ne sont détruites, mais dissipées Sur le §. 41.
parmi les parties menues. Ce n'est pas les per
dre , mais c'est faire comme font ceux qui chan 104. Je ne dis point que l'espare est un ordre
gent la grosse monnaie eu petite. Je demeure ce ou une situation qui rend les choses situa-
pendant d'accord , que la quantité du mouvement bles; ce scroit parler galimatias. On n'a qu'à
ne demeure point la même , et en cela j'approuve considérer mes propres paroles , et les joindre à ce
98 *
776 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
que je viens de dire ci-dessus, Num. 47. pour à tomber dans le repos , serait un miracle. On *
montrer comment l'esprit vient à se former l'idée répondu , que ce ne s?roit point une opération tu i-
de l'espace, sans qu'il faille qu'il y ait un Etre réel raculeuse, parce qu'elle seroit ordinaire, et
et absolu qui y réponde, hors de l'esprit et hors doit arriver assez souvent. J'ai répliqué, que ce
des rapports. Je ne dis donc point , que l'espace n'est pas l'usuel ou le non usuel, qui fart la
est un Ordre ou une situation, mais un or miracle proprement dit, ou de la plus grande espèce,
dre des situations, ou selon lequel les situations mais dft surpasser les forces des créatu
sont rangées, et que l'espace abstrait est cet or res; et que c'est lo sentiment des Théologiens et
dre des situations, conçues comme possibles. des Philosophes. Et qu'ainsi on m'accorde, an
Ainsi c'est quelque chose d'idéal. Mais il semble moins, que ce qu'on introduit, et que je désap
qu'on ne me veut point entendre. J'ai répondu prouve, est un miracle de la plus grande espèce,
déjà ici, Num. 54. à l'objection qui prétend qu'un suivant la notion reçu, c'est-à-dire, qui surpasse
Ordre n'est point capable de quantité. les forces créées; et que c'est justement ce que
105. On objecte ici que le temps ne sauroit tout le monde tâche d'éviter en Philosophie. On
être un ordre des choses successives, parce me répond maintenant, que c'est appeller de la
que la quantité du temps peut devenir plus Raison à l'Opinion vulgaire. Mais je ré
grande ou plus petite, l'ordre des successions plique encore, que cette opinion vulgaire, suivant
demeurant le même. Je réponds que cela n'est laquelle il faut éviter en philosophant, autant qu'il
point: car si lo temps est plus grand, il y se peut , ce que surpasse les natures des créatures,
aura pins d'états successifs pareils interposés; et est très-raisonable. Autrement rien ne sera si aisé
s'il est plus petit, il y en aura moins, puis que de rendre raison de tout, en faisant survenir
qu'il n'y a point de vuide ni de condensation ou une Divinité, Deum ex machina, sans se sou
de pénétration, pour ainsi dire, dans les temps, cier des natures des choses.
non plus que dans les lieux. 108. D'ailleurs, le sentiment commun des Théo
106. Je soutiens que sans les créatures, l'im logiens ne doit pas être traité simplement en opin
mensité et l'éternité de Dieu ne laisseroieut pas de ion vulgaire. Il faut de grandes raisons pour
subsister, mais sans aucune dépendance ni des ; qu'on ose y contrevenir, et je n'en vois aucune ici.
temps ni des lieux. S'il n'y avoit point de 109. Il semble qu'on s'écarte de sa propre no-
créatures, il n'y auroit ni temps, ni lieux; et ! tion, qui demandoit que le miracle soit rare, en me
par conséquent point d'espace actuel. L'immen : reprochant, quoique sans fondement, sur le §. 31.
sité de Dieu est indépendante de l'espace, que l'Harmonie préétablie seroit no miracle
comme l'éternité de Dieu est indépendante du perpétuel; si ce n'est qu'on ait voulu raisonner
temps. Elles portent seulement à l'égard de ces contre moi ad hominem.
deux ordres de choses, que Dieu scroient présent et
coexistant à toutes les choses qui existeroient. Sur le §. 43.
Ainsi je n'admets point ce qu'on avance ici, que si
Dieu seul existoit, il y auroit temps et espace, 110. Si le miracle ne diffère du naturel qw
comme à présent. An lieu qu'alors, à mon avis, dans l'apparence et par rapport à nous, en sorte
ils ne seroient que dans les idées, comme des sim que nous appellions seulement miracle ce que nous
ples possibilités. L'immensité et l'éternité de observons rarement, il n'y aura point de différence
Dieu sont quelques chose de plus éminent que la interne réelle entre le miracle et le naturel;
durée et l'étendue des créatures, non-seulement par et, dans lo fond des choses, tout sera également
rapport à la grandeur, mais encore par rapport naturel, ou tout sera également miraculeux. Les
à la nature de la chose. Ces attributs divins Théologiens auront -ils raison de s'accomoder da
n'ont point besoin de choses hors de Dieu, comme premier, et les Philosophes du second ?
sont les lieux et les temps actuels. Ces véri 111. Cela n'ira-t-il pas encore à faire de Dieu
tés ont été assez reconnues par les Théologiens , et l'Ame d n Monde, si toutes ses opérations sont
par les Philosophes, naturelles, comme celles que l'âme exerce dans
le corps? Ainsi Dieu sera une partie de la Nature.
Sur le §. 42. 112. En bonne Philosophie, et en saine Théo
logie, il faut distinguer entre ce qui est explicable
107. J'avois soutenu que l'opération de Dieu, par les natures et les forces des créatures,
par laquelle il redresseroit la machine du monde et co qui n'est explicable que par les forces de la
corporel , prette par sa nature (à ce qu'on prétend) substance infi D ie. Il faut mettre âne substance
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 777
infinie entre l'opération de Dieu qui va au delà dits, ou d'un ordre inférieur. Disputer là-dessus
des forces des natures, et entre les opérations seroit une question de nom. On pourra dire que
des choses qui suivent les loix que Dieu leur a cet Ange qui transportait Habacuc par les airs,
données, et qu'ils les a rendues capables de suivre qui remuent le Lnc de Bethzaida, faisoit un mi
par leurs natures, quoiqu'avec son assistance. racle; mais ce n'étoit pas un miracle du premier
113. C'est par-là que tombent les Attrac rang, car il est explicable par les forces naturelles
tions proprement dites, et autres opérations in des Anges, supérieures aux nôtres.
explicables par les natures des créatures, qu'il faut
faire effectuer par miracle, ou recourir aux absurdi Sur le §. 45.
tés, c'est-à-dire, aux qualités occultes scholas-
tiques, qu'on commence à nous débiter sous le spé 118. J'avois objecté qu'une Attraction pro
cieux nom de forces, mais qui nous ramènent prement dite, ou à la scholastique , seroit une opé
dans le royaume des ténèbres. C'est, inventa ration en distance, sans moyen. On répond ici
fruge, glandibus vesci. qu'une Attraction sans moyen seroit une con
114. Du temps de Mr. Boy le, et d'autres ex- tradiction. Fort bien; mais comment l'entend -on
cellens hommes qui ileurissoit'nt en Angleterre sous donc, quand on veut que le Soleil à travers d'un
les commencemens de Charles II. on u'auroit espace vuicle, attire le globe de la Terre? Est-ce
pas osé nous débiter des notions si creuses. J'es Dieu qui sert de moyen? Mais ce seroit un mi
père que ce beau temps reviendra sons un aussi racle, s'il y en a jamais eu; cela surpasseroit les
bon Gouverneuiement que celui d'à présent , et que forces des créatures.
les esprits un peu trop divertis par le malheur des 119. Ou sont-ce peut-être quelques substances
temps, retourneront à mieux cultiver les connoisan- immatérielles, ou quelques rayons spirituels, ou
ces solides. Le capital du Mr. Boy le étoit d'in quelque accident sans substance, quelque espèce,
culquer que tout se faisoit mécaniquement clans la comme intentionelle ; ou quelque autre je ne sais
Physique. Mais c'est un malheur des hommes, quoi, qui doit faire ce moyen prétendu? choses
de se dégoûter enfin de la raison même, et de s'en dont il semble qu'on a encore bonne provision en
nuyer de la lumière. Les chimères commencent à re tête, sans assez les expliquer.
venir et plaisent, parce qu'elles ont quelque chose de 120. Ce moyen de communication est, dit -on,
merveilleux. 11 arrive dans le Pays philosophique invisible, intangible, non mécanique. On pouvoit
ce qui est arrivé dans lu Pays poétique. On s'est ajouter avec le même droit, inexplicable, non in
lassé des Romans raisonnables, tels que la Clé lie telligible, précaire, sans fondement, sans exemple.
Françoise, ou l'Armène Allemande; et on 121. Mais il est régulier, dit-on, il est constant,
est revenu depuis quelque temps aux Contes et par conséquent naturel. Je réponds, qu'il ne
des Fées. sauroit être régulier sans être raisonnable ; et qu'il
115. Quant aux mouvemens des corps célestes, ne sauroit être naturel, sans être explicable par les
et, plus encore, quant à la formation des plantes natures des crétnres.
et des animaux, il n'y a rien qui tienne du miracle, 122. Si ce moyen, qui fait une véritable at
excepté le commencement de ces choses. L'orga traction, est constant, et en même temps inexpli
nisme des animaux est une mécanisme, qui sup cable par les forces des créatures, et s'il est vérita
pose une préformation divine; ce qui en suit ble avec cela, c'est un miracle perpétuel; et s'il
ost purement naturel, et tout à-fait mécanique. n'est pas miraculeux, il est faux. C'est une chose
116. Tout ce qui se fait dans le corps de chimérique; une qualité occulte scholastique.
l'homme, et de tout anima], est aussi mécanique 123. 11 seroit comme le cas d'un corps allant
que ce qui se fait dans une montre. La différence en rond, sans s'écarter par la tangente, quoique
est seulement telle qu'elle doit être entre une ma rien d'explicable ne l'empêchât de le faire. Exem
chine d'une invention divine, et entre la production ple qno j'ai déjà allégué, et auquel on n'a pas
d'un ouvrier aussi borné que l'homme. trouvé à propos de répondre; parce qu'il montre
trop clairement la différence entre le véritable na
Sur le §. 44. turel, d'un côté, et entre la qualité occulte chiméri
que des Ecoles, de l'autre côté.
117. Il n'y a point de difficulté chez les Théo
logiens, sur les miracles des Anges; il ne s'agit Sur le §. 46.
qno de l'usage du mot. On pourra dire que les 124. Les forces naturelles des Corps sont ton
Anges font des miracles , mais moins proprement tes soumises aux loix mécaniques, et les forces na
778 XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
tutelles des Esprits, sont toutes soumises aux loix employé. Ce qui doit faire juger raisonnablement,
morales. Les premières suivent l'ordre des causes tfw'il réussira encore dans les cas inconnus, ou qui
efficientes; et les secondes suivent l'ordre des cau ne deviendront connus que par son moyeu, suivant
ses finales. Les premières opèrent sans liberté, la maxime de la Philosophie expérimentale, qui
comme une montre; les secondes sont exercées procède a posteriori; quand même il ue seroit
avec liberté, quoiqu'elles s'accordent exactement point d'ailleurs justifié par la pure raison, on a
avec cette espèce de montre, qu'une autre cause priori.
libre, supérieure, a accommodée avec elles par 130. Me nier ce grand principe, c'est faire en
avance. J'en ai déjà parlé, Nu m. 92. core d'ailleurs comme Epicure, réduit à nier cet
125. Je finis par un point qu'on m'a opposé antre grand principe, qui est celui de la contradic
au commencement de ce quatrième Ecrit , où j'ai tion ; savoir que toute énonciation intelligible doit
déjà répondu ci -dessus, Num. 18. 19. 20. Mais être vraie, ou fausse. Chrisippe s'amnsoit à
je me suis réservé d'en dire encore davantage en le prouver contre Epie are; mais je ne crois pas
concluant. On a prétendu d'abord que je commets avoir besoin de l'imiter, quoique j'aie déjà dit ci-
une pétition de principe; mais de quel principe, dessus ce qui peut justifier le mien , et quoique je
je vous en prie ! Plût à Dieu qu'on n'eût jamais puisse dire encore quelque chose là -dessus, mais
supposé des principes moins claires! Ce principe qui seroit peut-être trop profond pour convenir à
est celui du besoin d'une raison suffisante, cette présente contestation. Et je crois qae des
pour qu'une chose existe, qu'un événement arrive, personnes raisonnables et impartiales m'accorde
qu'une vérité ait lien. Est-ce un principe! qui a ront, que d'avoir réduit son Adversaire à nier ce
besoin de preuves? On me l'avoit même accordé, principe c'est l'avoir mené ad absurdum.
ou fait semblent de l'accorder, au second Nu m.
du troisième Ecrit: peut-être, parce qu'il au-
roit paru trop choquant de le nier; mais ou l'on
ne l'a fait qu'en paroles, ou l'on se contredit, ou
l'on se retracte. CINQUIÈME RÉPLIQUE DE MR. CLARKE.
126. J'ose dire que sans ce grand principe, on
ne sauroit venir à la preuve de l'existence de Comme un Discours diffus n'est pas nne mar
Dieu , ni rendre raison de plusieurs autres vérités que d'un esprit clair , ni un moyen propre à don
importantes. ner des idées claires aux Lecteurs , je tâcherai de
127. Tout le monde ne s'en est -il point servi répondre à ce cinquième Ecrit d'une manière
en mille occasions? Il est vrai qu'on Fa oublié distincte, et en aussi peu de mots qu'il me sera
par négligence en beaucoup d'autres ; mais c'est là possible.
justement l'origine des chimères ; comme , par 1 — 20. Il n'y a aucune ressemblance entre
exemple, d'an Temps ou d'un Espace absolu une balance mise en mouvement par des poids on
réel, du Vuide, des Atomes, d'une Àtraction par une impulsion, et un esprit qui se meut, ou
à la scholastique , de l'Influence Physique en qui agit, par la considération de certains moti£>
tre l'âme et le corps, et de mille antres fictions, Voici eu quoi consiste la différence. La balance
tant de celles qui sont restées de la fausse persua est entièrement passive, et par conséquent sujette s
sion des Anciens, que de celles qu'on inventées nne nécessité absolue: au lieu que l'esprit non-
depuis peu. seulement reçoit une impression, mais encore agit;
128. N'est -ce pas à cause de la violation de ce ce qui fait l'essence de la liberté. Supposer que
grand principe, que les Anciens se sont déjà mo lorsque différentes manières d'agir paroissent éga
qués delà déclinaison sans sujet des Ato lement bonnes, elles ôtent entièrement à 1 es
mes d'Epicnreî Et j'ose dire que l'Attrac prit le pouvoir d'agir, comme les poids égaux
tion à la scholastique qu'on renouvelle aujour empêchent nécessairement nne balance de se mou
d'hui , et dont on ne se moquoit pas moins il y a voir; c'est nier qu'un esprit ait en lui-même uu
30. ans ou environ, n'a rien de plus raisonnable. principe d'action, et confondre le pouvoir
129. J'ai souvent défié les gens de m'appor d'agir, avec l'impression que les motifs
ter une instance contre ce grand principe, un exem font sur l'esprit, en quoi il est tout-à-fait pas
ple non contesté, où il manque; mais on ne l'a sif. Le motif, ou la chose que l'esprit considère,
jamais fait, et on ne le fera jamais. Cependant il et qu'il a en vue, est quelque chose d'externe. L'im-
y a une infinité d'exemples où il réussit; on plu pressionquece motif faitsur l'esprit, estla q u n lit-
tôt il réussit dans tons les cas connus où il est perceptive, dans laquells l'esprit est passif. Faire
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 779
quelque chose après, on en vertn de cette perceptiou, avoir deux parties égales de matière, dont la situa
est la faculté de se mouvoir de soi-même, tion peut-être également bien transposée, on n'en
ou d'agir. Dans tous les Agens auimés, c'est saurait alléguer d'autre raison, que cette péti
la Spontanéité; et dans les Agens intelli- tion de principe; savoir, qu'en ce cas-là, ce
gens, c'est proprement ce que nous appelons que le savant Auteur dit d'une raison suffisante,
Liberté. L'erreur où l'on tombe sur cette ma ne seroit pas bien fondé. Car sans cela, comment
tière, vient de ce qu'on ne distingue pas soigneu peut-on dire qu'il est impossible que Dieu puisse
sement ces deux choses , de ce que Ton confond le avoir de bonnes raisons pour c-réer plusieurs
motif avec le principe d'action, de ce que particules de matière parfaitement semblables en
Ton prétend que l'esprit n'a point d'autre prin di Hérons lieux de l'univers? Et en ce cas-là, puis
cipe d'action que le motif, quoiqoe l'esprit que les parties de l'espace sont semblables, il est
soit tout-à-fait passif en recevant l'impres évident que si Dieu n'a point donné à ces parties
sion du motif. Cette doctrine fait croire que de matière des situations différentes dès le com
l'esprit n'est pas plus actif, que le seroit une ba mencement, il n'a pu en avoir d'autre raison que
lance, si elle avoit d'ailleurs la faculté d'apercevoir ! sa seule volonté. Cependant on ne peut pas
les choses: ce que l'on ne peut dire sans renverser | dire avec raison, qu'une telle volonté est une vo
entièrement l'idée de la liberté. Une balance lonté sans aucun motif; car les bonnes
poussée des deux côtés par une force égale, ou .raisons que Dieu pent avoir de créer plusieurs
pressée des deux côtés par des poids égaux, ne particules de matière parfaitement sembla
pont avoir aucun mouvement. Et supposé que bles, doivent par conséquent lui servir de motif
cette balance reçoive la faculté d'apercevoir, en pour choisir ( ce qu'âne balance ne saurait faire)
sorti' qu'elle sache qu'il lui est impossible de se l'âne de deux choses absolument indifféren
mouvoir, ou qu'elle se fasse illusion, eu s'imagi tes; c'est-à-dire, pour mettre ces particules dans
nant qu'elle se meut elle-même, quoiqu'elle n'ait une certaine situation , quoiqu'une situation tout-à-
qu'an mouvement communiqué; elle se tron- fait contraire eût également bonne.
veroit précisément dans le même état, où le savant La nécessité, dans les questions philosophiques,
Auteur suppose qujù se trouve un Agent libre, dans signifie toujours une Nécessité absolue. La
tous les cas d'une indifférence absolue. Voici en Nécessité hypothétique, et la Nécessité
quoi consiste la fausseté de l'argument dont il s'a morale, ne sont que des manières de parler figu
git ici. La balance, faute d'avoir en elle-même rées; et à la rigueur philosophique, elles ne sont
un principe d'action, ne peut se mouvoir lorsque point une Nécessité. 11 ne s'agit pas de savoir
les poids sont égaux; mais un Agent libre, lors si une chose doit être , lorsque l'on suppose qu'elle
qu'il se présente deux ou plusieurs manières d'a est, ou qu'elle sera: c'est ce qu'on appelle une Né
gir également raisonnables et parfaitement sem cessité hypothétique. Il ne s'agit pas non
blables, conserve encore en lui-même le pouvoir plus de savoir, s'il est vrai qu'un Etre bon, et qui
d'agir, parce qu'il a la faculté de se mouvoir. De continue d'être bon, ne saurait faire le mal: ou si
plus, cet Agent libre peut avoir de très- bonnes et un Etre sage ne saurait agir d'une manière con
de très -fortes raisons, pour ne pas s'abstenir en traire à la sagesse: on si une personne qui aime
tièrement d'agir; quoique peut-être il n'y ait au la vérité, et qui continue de l'aimer, peut dire un
cune raison , qui puisse déterminer qu'une certaine mensonge; c'est ce que l'on appelle une Néces
manière d'agir vaut mieux qu'une autre. On ne sité morale. Mais la véritable et la seule ques
peut donc soutenir que, supposé que deux diffé tion philosophique touchant la liberté, consiste à
rentes manières de placer certaines particules de savoir, si la cause ou le principe immédiat et phy
matière fussent également bonnes et raison sique de l'action est réellement dans celui que nous
nables, Dieu ne pourrait absolument, ni appelons l'Agent; ou si c'est quelque autre raison
conformément à sa sagesse, les placer d'au suffisante qui est la véritable cause de l'action , en
cune de ces deux manières , faute d'une raison suf agissant sur l'Agent, et en faisant qu'il ne soit pas
fisante, qui pût le déterminer à choisir l'une pré- un véritable Agent , mais un simple Patient. On
férablement à l'autre : on ne peut , dis-je , soutenir peut remarquer ici en passant, que le savant Au
une telle chose , sans faire Dieu un Etre purement teur contredit sa propre hypothèse, lorsqu'il dit
passif; et par conséquent il ne seroit point Dieu, que la volonté ne suit pas toujours exacte
ou le Gouverneur du monde. Et quand on nie la ment l'entendement pratique, parce qu'
possibilité de cette supposition, savoir, qu'il peut y elle peut quelquefois trouver des rai
780 XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
sons pour suspendre sa résolution. Car ; cependant on avoue que le Monde matériel peut-
ces raisons-là ne sont-elles pas le dernier jugement être borné ; d'où il s'ensuit qu'il faut nécessaire
de l'entendement pratique? ment qu'il y ait un espace vuide an -delà du
21 — 25. S'il est possible que Dieu produise, Monde. On reconnoît que Dieu pouvoit don
ou qu'il ait produit deux portions de matière par ner des bornes à l'Univers; et après avoir
faitement semblables, de sorte que le changement fait cet aveu, on ne laisse pas de dire que cette
de leur situation seroit une chose indifférente? Ce supposition est non-seulement déraisonnable et
que le savant Auteur dit d'une Raison suffi sans but, mais encore une fiction impossi
sante, ne prouve rien. En répondant à ceci, il ble; et l'on assure qu'il n'y a aucune raison
ne dit pas, comme il le devrait dire, qu'il est im possible, qui puisse limiter la quantité de
possible que Dieu fasse deux portions de ma la matière. On soutient que le mouvement de l'U
tière tout-à-fait semblables; mais que sa sagesse nivers tout entier ne produirait aucun changement;
ne lui permet pas de le faire. Comment fait- et cependant on ne répond pas à ce que j'avois
il cela î Pourra - 1 - il prouver quïl n'est pas possi dit, qu'une augmentation ou une cessation
ble que Dieu puisse avoir de bonnes raisons pour subite du mouvement du Tout, causerait un choc
créer plusieurs parties de matière parfaitement sensible à toutes les parties. Et il n'est pas moins
semblables en différens lieux de l'Univers? La évident, qu'un mouvement circulaire du Tout pro
seule preuve qu'il allègue, est, qu'il n'y auroit au duirait une force centrifuge dans toutes les
cune raison suffisante, qui pût déterminer la parties. J'ai dit que Je Monde matériel doit être
volonté de Dieu à mettre une de ces parties de mobile, si le Tout est borné: on le nie, parce que
matière dans une certaine situation plutôt que dans les parties de l'espace sont immobiles, doot
une autre. Mais si Dieu peut avoir plusieurs bon le Tout est infini et existe nécessaire-
nes raisons, (on ne sauroit prouver le contraire.) inent. Ou soutient que le mouvement renferme
si Dieu, dis-je, peut avoir plusieurs bonnes raisons nécessairement un changement relatif de si
pour créer plusieurs parties de matière tout-à-fait tuation dans un corps par rapport à d'autres
semblables, l'indifférence de leur situation suffira- corps; et cependant on ne fournit aucun moyen
t-elle pour en rendre la création impossible, d'éviter cette conséquence absurde, savoir, que la
ou contraire à sa sagesse? Il me semble mobilité d'un corps dépend de l'existence
que c'est formellement supposer ce qui est en d'autres corps; et que si un corps existoit seul,
question. On n'a point répondu à un autre ar il seroit incapable de mouvement; ou que les par
gument de la même nature, que j'ai fondé sur l'in ties d'un corps qui circule, (du Soleil par exemple)
différence absolue de la première détermi perdraient la force centrifuge qui naît de leur
nation particulière du mouvement au com mouvement circulaire, si toute la matière exté
mencement <Ju Moude. rieure qui les environne, étoit annihilée. Enfin,
26 — 32. Il semble qu'il y ait ici plusieurs con on soutient que l'infinité de la matière est l'effet de
tradictions. On recomioit que deux choses tout- la volonté du Dieu ; et cependant on approuve b
à-fait semblables seroient véritablement deux cho doctrine de Descartes, comme si elle étoit in
ses; et nonobstant cet aveu, on continue de dire contestable, quoique tout le monde sache qse le
qu'elles n'auroient pas le principe d'Indivi- seul fondement sur lequel ce Philosophe l'a établit,
duation: et dans le IV. Ecrit, §. 6. on assure est cette supositiou : Que la Matière étoit né
positivement, qu'elles ne seroient qu'une même cessairement infinie, puisque l'on ne saoroit
chose sous deux noms. Quoique l'on recon- la supposer finie sans contradiction. Voici set
noisse que ma supposition est possible, on ne veut propres termes: Puto implicare contradi-
pas me permettre de faire cette supposition. On ctioncrn, ut Mundus sit fiuitus. Si cela
avoue que les parties du temps et de l'espace sont est vrai , Dieu n'a jamais pu limiter la quantité de
parfaitement semblables en elles-mêmes; mais ht matière ; et par conséquent il n'en est point le
ou nie cette ressemblance lorsqu'il y a des Créateur, et il ne peut la détruire.
corps dans ces parties. On compare les diffé 11 me semble que le savant Auteur n'est ja
rentes parties de l'espace qui coexistent, mais d'accord avec lui-même, dans tout ce
et les différentes parties successives du qu'il dit touchant la matière et l'espace. Car
Temps, à une ligne droite, qui coupe une autre tantôt il combat le vuidc, ou l'espace destitué de
ligne droite en deux points coïncidents, qui ne sont matière, comme s'il étoit absolument impos
qu'un seul point. On soutient que l'espace n'est sible; (l'espace et la matière étant inséparables);
que l'ordre des choses qui coexistent: et et cependant il reconnoît souvent, que la quantité
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 781
»lc la matière dans l'univers dépend de la volonté mais il est toujours, et sans variation, l'immen
de Dieu. sité d'un Etre immense, qui ne cesse ja
33. 34. 35. Pour prouver qu'il y a du vnide, mais d'ôtrc le même.
j'ai dit que certains espaces ne font point de ré Les espaces bornés ne sont point des proprié
sistance. Le savant Auteur répond que ces es tés des substances bornées; ils ne sont que
paces sont remplis d'une matière , qui n'a point de des parties de l'espace infini dans lesquelles
pesanteur. Mais l'argument n'étoit pas fondé sur les substances bornées existent
la pesanteur; il étoit fondé sur la résistance, qui Si la matière étoit infini, l'espace infini ne se-
doit être proportionnée à la quantité de la matière, roit pas plus une propriété de ce corps in-
soit que la matière ait de la pesanteur, ou qu'elle fini,qucles espaces finis sont des proprié
n'en ait pas. tés des corps finis. Mais en ce cas, la ma
Pour prévenir cette réplique, l'Auteur dit que tière infinie seroit dans l'espace infini,
la résistance ne vient pas tant de la quantité de comme les corps finis y sont présentement.
la matière, que de la difficulté qu'elle a L'immensité n'est pas moins essentielle à
à céder; mais cet argument est tout -à -fait hors Dieu, que son éternité. Les parties de l'Im
d'oeuvre; parce que la question dont il s'agit, no mensité étant tout-à-fait différentes des parties
regarde que les corps fluides qui ont peu do téna matérielles, séparables, divisibles, et
cité, on qui n'en ont point du tout, comme l'eau mobiles, d'où naît la corruptibilité, elles n'em
et le vif-argent, dont les parties n'ont de la peine pêchent pas l'Immensité d'être essentiellement sim
à céder, qu'a proportion de la quantité de matière ple; comme les parties de la Durée n'empêchent
qu'elles contiennent. L'exemple que l'on tire du pas que la même simplicité ne soit essentielle à
bois flottant, qui contient moins de ma l'éternité.
tière pesante qu'un égal volume d'eau, et Dien lai -même n'est sujet à aucun change
qui ne laisse pas de faire une plus grande ré ment par la diversité et les changeinens des
sistance; cet exemple, dis-je, n'est rien moins dwses , qui ont la vie, le mouvement, et
que philosophique. Car un égal volume d'eau l'être en lui.
renfermée dans un vaisseau, ou gelée et flottante, Cette doctrine, qui paroît si étrange à l'Au
fait une plus grande résistance que le bois teur, est la doctrine formelle de St. Paul, et la
flottant; parce qu'alors la résistance est causée voix de la Nature et de la Raison.
par le volume entier de l'eau. Mais lorsque l'eau Dien n'existe point dans l'espace, ni dans le
se trouve en liberté et dans son état de fluidité , la temps; mais son existence est la cause de
résistance n'est pas causée par toute la masse du l'espace et du temps. Et lorsque nous disons,
volume égal d'ean, mais seulement par une partie conformément au langage du vulgaire, que Dieu
de cette masse; de sorte qu'il n'est pas surprenant existe dans tout l'espace et dans tout le
que dans ce cas iVau semble faire moins de rési temps; nous voulons dire seulement qu'il est par
stance que le bois. tout et qu'il est éternel ; c'est-à-dire, que l'espace
36. 37. 38. L'Auteur ne paroît pas raisonner infini et le temps sont des suites nécessaires de
sérieusement dans cette partie de son Ecrit. Il se son existence ; et non , que l'espace et le temps sont
contente de donner un faux jour à l'idée de l'Im des êtres distincts de lui, DANS lesquels il existe.
mensité de Dieu, qui n'est pas une Intelligentia J'ai fait voir ci -dessus, sur le §. 40. l'espace
supramundana, (semota à nostris rébus borné n'est pas l'étendue des corps. Et l'on
sejnuctaque longe,) et qui n'est pas loin n'a aussi qu'à comparer les deux Sections suivantes
de chacun de nous; car en lui nous avons (47. et 48.) avec ce que j'ai déjà dit.
la vie, le mouvement et l'être. 49. 50. 51. Il me semble que ce que l'on
L'espace occupé par un corps n'est pas trouve ici, n'est qu'une chicane sur des mots. Pour
l'étendue de ce corps; mais le corps étendu existe ce qui est de la question touchant les parties de
dans cet espace. l'espace, voyez ci-dessus, Réplique III. §. 3. et
Il n'y a aucun espace borné; mais notre ima Réplique IV. §. 11.
gination considère dans l'espace , qui n'a point de 52. et 53. L'argument dont je me suis servi
bornes, et qui n'en peut avoir, telle partie ou telle ici pour faire voir que l'espace est réellement indé
quantité qu'elle juge à propos d'y considérer. pendant des corps est fondé sur ce qu'il est possi
L'espace n'est pas une affection d'un ou do ble que le monde matérielle soit borné et mo
plusieurs corps, ou d'aucun Etre borné, bile. Le savant Auteur ne devoit donc pas se
et il ne passe point d'un sujet à un autre; contenter de répliquer, qu'il ne croit pas que la
99
782 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
sagesse de Dieu Ini ait pu permettre de donner s'ensuivroit pourtant pas que la situation et l'ordre,
des bornes à l'Univers, et de le rendre capa qui sont des relations d'une nature tout-à-fait dif
ble «le mouvement. Il faut que l'Auteur sou férente, seroient aussi des quantités. Secondement,
tienne qu'il étoit impossible que Dieu fit un les proportions ne sont pas des quantité-^ mavs des
monde borné et mobile: ou qu'il rcconoissc la proportions de quantités. Si elles étoient des quan
force de mon argument, fondé sur ce qu'il est tités, elles seroient les quantités de quantités, ce
possible que le monde soit borné et mobile. qui est absurde. J'ajoute que si elles étoient as
L'Auteur no devoit pus non plus se contenter de quantités, elles augmentoroient toujours par l'ad
répéter ce qu'il avoit avancé 5 savoir que le dition, comme toutes les autres quantités. Mais
mouvement d'un Monde borné ne scroit rien, et l'addition do la proportion de 1 à 1 , à la propor
que, faute d'autres corps avec lesquels on pût le tion de 1 à 1 , ne fait pas plus que la proportion
comparer, il ne produiroit aucun change de 1 à 1 : et l'addition de la proportion de \ à
ment sensible. Je dis que l'Auteur ne de- 1, à la proportion de 1 à 1, ne fait pas la propor
voit pas se contenter de répéter cela, à moins qu'il tion de liai, mais seulement la pro]>ortioii de
ne fût m état de réfuter ce que j'avois dit d'un '. ;'i l . Ce que les Mathématiciens appellent quel
fort grand changement qui arrivcroit dans quefois, avec peu d'exactinde, la quantité
le cas proposé; savoir que les Parties recc- de la proportion, n'est, à parler proprement,
vroient un choc sensible par nnc sou que la quantité de la grandeur relative on
daine augmentation du mouvement du comparative d'une chose par raj>))ort à nnc
Tout, ou par la cessation de ce même mou antre: et la proportion n'est pas la grandeur
vement. On n'a pas entrepris de répondre à cela. comparative même, mais la comparaison
53. Comme le savant Auteur est obligé de re- ou le rapport d'une grandeur à âne antre.
connoitrc ici , qu'il y a de la différence entre le La proportion de 6 à 1 , par rapport à celle de 3
mouvement absolu et le mouvement re ai, n'est pas une double quantité de pro
latif; il me semble qu'il s'ensuit de là nécessai portion, mais la proportoo d'une double
rement, que l'espace est une chose tont-à-fait dif quantité Et en général, ce que l'on dit avoir
férente de la situation ou de l'ordre des corps. une plus grande on pins petite propor
C'est de quoi les Lecteurs pourront juger , en com tion, n'est pas avoir une plus grande on
parant ce que l'Auteur dit ici avec ce que l'on plus petite quantité de proportionou de
trouve dans les Principes de Mr. le Chevalier rapport, mais, avoir une plus grande ou
Newton, Lib. 1. Defn. 8. plus petite quantité à une antre. Ce n'est
54. J'avois ^dit que le temps et l'espace étaient pas une pins grande ou pins petite quan
des QUANTITÉS; ce qu'on ne peut pas dire de la tité de comparaison, mais la comparaison d'une
situation et de l'ordre. On réplique à cela, que plus grande ou plus petite quantité. L'ex
l'ordre a sa quantité: qu'il y a dans l'or pression Logarithmique d'une proportion,
dre quelque chose qui précède, et quel n'est pas (comme le savant Auteur le dit) 1*
que chose qui suit; qu'il y a une distance mesure, mais seulement l'indice ou le signe
ou un intervalle. Je réponds, que ce qui artificiel de la proportion. Cet indice K
précède et ce qui suit constitue la situation ou désigne pas une quantité de la proportion ; il mal-
l'ordre; mais la distance, l'intervalle, ou la quan- que seulement combien de fois une proportion est
lité du temps ou de 1 espace, dans lequel unn chose répétée ou compliquée. Le Logaritlune de la Pro
suit une autre, est une chose tout- à -fait distincte portion d'égalité est o, ce qui n'empêche pas
de la situation ou de l'ordre, et elle ne constitue qae ce ne soit nne proportion aussi réelle ça au
aucune quantité de situation ou d'ordre. La si cune autre ; et lorsque le Logarithme est négatif,
tuation ou l'ordre peuvent être les mûmes, lorsque comme 1 , la proportion , dont il est le signe ou
la quantité du temps ou tic l'espace, qui intervient, l l'indice, ne laisse pas d'être affirmative. La pro
se trouve fort différente. Le savant Auteur ajoute, portion doublée ou triplée, ne désigne pas une
que les Raisons et les Proportions ont lenr ! double ou triple quantité de proportion ; elle mar
quantité; et que, par conséquent, le temps et que seulement combien de fois la proportion est
l'espace peuvent aussi avoir la lenr, quoiqu'ils ne répétée. Si l'on triple nne fois quelque grandeur
soient que des relations. Je réponds premièrement, ou quelque quantité, cela produit une grandeur on
que s'il étoit vrai que quelques sortes de re une quantité, laquelle, |>,u rapport à la première,
lations (comme par exemple, les Raisons ou a la proportion de 3 à 1. Si on la triple une se
les Proportion s,) fussent des quantités, il ne conde fois, cela ne produit pas nue double qnan
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE 783
tité de proportion, niais une grandeur ou utie quau- 73. 74. 75. Quand on considère si l'espace
tité, laquelle par rapport à la première, a la pro- est indépendant de la matière, et si l'Univers
pi.-rlion (qoe Ton appelle doublée) do 9 h 1. Si peut être borné et mobile; (voyez ci-dessus,
on la triple uuc troisième fois, cela ne produit pas §. 1—20, et §. 26—32.) il ne s'agit pas de la
uue triple quantité de proportion , mais une gran sagesse ou de la volonté de Dieu, mais de la na
deur ou une quantité, laquelle, par rapport à la ture absolue et nécessaire des choses. Si l'Un i-
première, a la proportion (que Pou appelle triplée) vers peut être borné et mobile par la vo
de 27 à 1 ; et ainsi du reste. Troisièmement, le lonté de Dieu , ce que le savant Auteur est obligé
temps et l'espace ne sont point du tout de la na d'accorder ici, quoiqu'il dise continuellement que
ture des proportions, mais de la nature des quan c'est uue supposition impossible; il s'ensuit évi
tités absolues, auxquelles les proportions convien demment que l'espace, dans lequel ce mouvement
nent. Par exemple, la proportion de 12 à 1, est se fait, est indépendant de la matière. Mais si,
une proportion beaucoup plus grande que celle do au contraire, l'Univers ne peut être borné
2 à 1 ; et cependant une seule et même quantité et mobile, et si l'espace ne peut être in
(«•ni avoir la proportion de 12 à 1 , par rapport ;'i dépendant de la matière; il s'ensuit évidem
une chose, et en même temps la proportion de 2 ment que Dieu ne [H'ut, ni ne pouvoit, donner des
à 1 , par rapport à une autre. C'est ainsi , que bornes ùlamatièrc; et par conséquent l'Univers doit
l'espace d'un jour a une beaucoup plus grande pro- être non-seulement sans bornes, mais encore éternel,
poilion à une heure, qu'à la moitié d'un jour; et tant à par te au te qu'à parte post, nécessaire
cependant, nonobstant ces deux proportions, il con ment et indépendamment de la volonté de Dieu.
tinue d'être la même quantité de temps sans au Car l'opinion de ceux qui soutiennent que le Monde
cune variation. Il est doue certain que le temps jxjurroit avoir existé de toute éternité, par la vo
(et l'espace aussi par la même raison) n'est pas lonté de Dieu, qui cxerçoit sa puissance éternelle;
de la nature des proportions, mais de la nature des cette opinion, dis -je, n'a aucun rapport à la ma-
Quantités absolues et invariables, qui tière dont il s'agit ici.
ont des proportions différentes. Le senti 76. et 77. Voyez ci-dessus, §. 73. 74.
ment du savant Autour sera donc encore, de son 75. et §. 1—20.; et ci-dessous, §. 103.
propre aveu, une contradiction; à moins qu'il ne 78. Ou ne trouve ici aucune nouvelle objection.
fasse voir la fausseté de ce raisonnement. J'ai fait voir amplement dans les Ecrits précé
55 — 63. 11 me semble que tout ce que l'on dons, que la comparaison dont Mr. le Chevalier
trouve ici, est uue contradiction manifeste. Les Newton s'est servi, et que l'on attaque ici, est
Savans eu pourront juger. On suppose formelle juste et intelligible.
ment dans un endroit, que Dieu auroit pu créer 79 — 82. Tout ce que l'on objecte ici dans la
rUuivcrs plutôt ou plus tard. Et ailleurs on dit Section 79. et dans la suivante, est une pure chi
que ces termes mêmes (plutôt et plus tard) cane sur des mots. L'existence de Dieu, comme je
sont des termes inintelligibles, et des sup l'ai déjà dit plusieurs fois, est la cause de l'espace;
positions impossibles. Ou trouve de sembla- et toutes les autres choses existent dans cet espace.
liles contradictions dans ce que l'Auteur, dit tou 11 s'ensuit donc que l'espace est aussi le lieu dus
chant l'espace dans lequel la matière subsiste. idées; parce qu'il est le lieu îles substances mô
Voyez ci-dessus, sur le §. 26 —32. mes, qui ont des idées dans leur entendement.
C4. et 05. Voyez si-dessus, §. 54. J'avois dit, par voie de comparaison, que le
C6— 70. Voyez ci-dessus, §. 1—20; et sentiment de l'Auteur étoit aussi déraisonnable»
§. 21 —25. J'ajouterai seulement ici , que l'Au que si quelqu'un soutenoit que l'Ame humai nu
teur, en comparant la volonté de Dieu au Hazard est l'Ame des images des choses qu'elle
d'Epicurclorsqu'cntre plusicures manières aperçoit. Le savant Auteur raisonne la-dessus
d'agir également bonnes elle CD choisit en plaisantant, comme si j'avois assuré que ce fût
une, compare ensemble deux choses, qui sont mon propre sentiment.
aussi différentes que deux choses le puissent être; Dieu aperçoit tout, lion par le moyen d'un
pnisqu'Epicure ne rcconnoissoit aucune Vo organe, mais parce qu'il est lui-même actuelle
lonté, aucune Intelligence, aucun priu- ment présent par-tout. L'espace universel est donc
cipc actif dans la formation de l'Univers. le lieu où il aperçoit les choses. J'ai fait voir
71. Voyez ci-dessus, §. 21— 25. amplement ci-dessus , ce que l'on doit cntendcr par
72. Voyez ci-dessus, §. 1—20. le mot de Sciisoriuin, et ce que c'est que l'Ame
99*
784 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
du Momie. C'est trop que de demander qu'on siste à donner une nouvelle force aux choses, qui
abandonne la conséquence d'un argument, sans faire reçoivent quelque impression. On répond à ce/a,
aucune nouvelle objection contre les prémisses. que deux corps durs et égaux, poussés
83 — 88, et 89. 90. 91. J'avoue que je n'en l'un contre l'autre rejaillissent avec la
tends point ce que l'Auteur dit, lorsqu'il avance, que même force; et que par conséquent leur actutu
l'Ame est un principe représentatif: que réciproque ne donne point une nouvelle force.
chaque substance simple est par sa propre 11 souffiroit de répliquer qu'aucun de ces deux
nature une concentration et un miroir vi corps ne rejaillit avec sa propre force; que chacun
vant do tout l'Univers: qu'elle est une re d'eux i>crd sa propre force, et qu'il est repoussé
présenta ti." de l'Univers, selon sou point avec une nouvelle force communiquée par le res
de vue; et «[ ; toutes les substances sim sort de l'autre; car si ces deux corps n'ont point
ples auront toujours une harmonie entre de ressort, ils ne rejailleront pas. Mais il est cer
elles, parce qu'elles représentent tou tain que les toutes communications du mouvement
jours le même Univers. purement mécaniques, ne sont pas une action, à par
Pour ce qui est de l'Harmonie préétablie, ler proprement; elles ne sont qu'une simple pas
en vertu de laquelle ou prétend que les affec sion, tant dans les corps qui poussent, que dans
tions do l'âme, et les mouvcmcus mécani ceux qui sont poussés. L'action est le commence
ques du corps, s'accordent sans aucune in ment d'un mouvement qui n'existoit point aupar
fluence mutuelle; voyez ci -dessous, sur le avant, produit par un principe de vie ou d'acti
§. 110 — 116. vité: et si Dieu ou l'Homme, on quelque Agent
J'ai supposé que les images des choses vivant ou actif, agit sur quelque partie .lu monde
sont portées par les organes des sens dans matériel , si tout u'est pas un simple mécanisme,
le Sensoriutn, où l'aine les aperçoit On sou il faut qu'il y ait une augmentation et âne di
tient que c'est une chose inintelligible; mais ou minution continuelle de toute la quantité
n'en donne aucune preuve. du mouvement qui est dans l'Univers.
Touchant cette question, savoir si une sub Mais c'est ce que le savant Auteur nie en plusieurs
stance immatérielle agit sur une sub endroits.
stance matérielle, ou si celle-ci agit sur 96. 97. Il se contente ici de renvoyer à ce
l'antre; voyez ci-dessous, §. 110— 116. qu'il a dit ailleurs. Je ferai aussi la même chose.
Dire que Dieu aperçoit et connoit toutes 98. Si l'âme est une substance, qui remplit le
choses, non par sa présence actuelle, Sensoriuui, ou le lieu dans lequel elle
mais parce qu'il les produit continuelle aperçoit les images des choses, qui y
ment de nouveau^ ce sentiment, dis-je, est sont portées; il ne s'ensuit point de là, qu'elfe
une pure fiction des Scholastiques, sans aucun fon doit être composée do parties semblables à celles
dement. de la matière, (car les parties de la ma
Pour ce qui est de l'objection, qui porte que tière sont des substances distinctes et in
Dieu scroit l'Ame du Monde; j'y ai répondu dépendantes l'une de l'autre;) mais l'âme tout?
amplement ci-dessus, Hépliquc II. §. 12. et entière. .voit, entend, et pense, corase
Réplique IV. §. 32. étant essentiellement un seul être in. h.
92. L'Auteur suppose que tous los mouveiuens duel.
de nos corps sont nécessaires, et produits par une 99. Pour faire voir que les Forces actives
simple impulsion mécanique de la ma qui sont dans le monde, c'est-à-dire, la quantité
tière, tout-à fait indépendante de l'âme; mais je du mouvement, ou la force impulsive
ne saurois m'empêcher de croire que cette doctrine communiquée aux corps ; pour fair voir dis-je, que
conduit à la Nécessité et au Destin. Elle tend ces forces actives ne diminuent point naturelle
à faire croire que les hommes ne sont que de pu ment, le savant Auteur soutient, que deux corps
res machines, (comme Descartes s'étoit mous et sans ressort , se rencontrant avec des for
imaginé que les Bêtes n'avoient point d'âmes;) en ces égales et contraires , perdent chacun tout leur
détruisant tous les argumcns fondés sur les phéno mouvement, parce que ce mouvement est commu
mènes, c'est-à-dire, sur les actions des hommes, niqué aux petites parties dont ils sont composés.
dont on se sert pour prouver qu'ils ont des âmes, Mais lorsque deux corps tout- à -fait durs et sans
et qu'ils ne sont pas des Etres purement matériels. ressort |>crdeut tout leur mouvement en se rencon
Voyez ci-dessous, sur §. 110— 116. trant, il s'agit de savoir que devient ce mouve
93. 94. 95. j'avois dit que chaque action con ment, ou cette force active et impulsive? Il ne
XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 785
sanroit être dispersé parmi les parties de ces corps, en la liberté de faire un Monde, qui continuerait
parce que ces parties ne sont susceptibles d'aucun dans l'état où il est présentement, aussi long-temps
trémoussement, faut de ressort. Et si Ton nie que on aussi peu de temps qu'il le jugcroit à propos,
ces corps doivent perdre leur mouvement total; je et qui serait ensuite changé, et rccevroit telle
réponds qu'en ce cas-là, il s'ensuivra que les corps forme qu'il vondroit lui donner, par un change
durs et élastiques rejailliront avec une double ment sage et convenable, niais qui peut-être serait
force; savoir, avec la force qui résulte du ressort, tout -à- fait au-dessus des loix du Mécanisme?
et de plus avec toute la force directe et primitive, L'Auteur soutient que l'Univers ne peut di
ou du moins avec une partie de cette force; ce qui minuer en perfection: qu'il n'y a aucune
est contraire à l'expérience. raison qui puisse borner la quantité do
Enfin, l'Auteur ayant considéré la Démonstra la matière: que les Perfections de Dieu
tion de Mr. Newton, que j'ai citée ci-dessus, est l'obligent à produire toujours autant de matière
obligé de reconnoître, que la quantité du mou qu'il lui est possible; et qu'un Monde borné
vement dans le monde n'est pas toujours la est une fiction impraticable. J'ai inféré de
même; et il a recours à un autre subterfuge, en cette doctrine, que le Monde 'doit être nécessaire
disant que le mouvement et la force ne sont ment infini et éternel; c'est aux savans à juger
pas toujours les mêmes en quantité. Mais si cette conséquence est bien fondée.
ceci est aussi contraire à l'expérience. Car la force 104. L'Auteur dit à présent, que l'espace
dont il s'agit ici, n'est pas cette force de la matière, n'est pas un ordre ou uuc situation, mais un
qu'on appelle Vis i ne rtiae, laquelle continue ef ordre de situations. Ce qui n'empêche pas
fectivement d'être toujours la même, pendant que la que la même objection ne subsiste toujours: sa
quantité de la matière est la même; mais la force voir, qu'un ordre de situations, n'est pas une
dont nous parlons ici, est la force active, im quantité, comme l'espace l'est. L'Auteur ren
pulsive et relative, qui est toujours propor voie donc à la Section 54. où il croit avoir prouvé
tionnée à la quantité du mouvement rela- que l'ordre est une quantité. Et moi je renvoie
t i f. C'est ce qui paroît constamment par l'expé à ce que j'ai dit snr cette Section dans ce dernier
rience, à moins que l'on ne tombe dans quelque er Ecrit, où je crois avoir prouvé que l'ordre n'est
reur faute de bien supputer et de déduire la force pas une quantité. Ce que l'Auteur dit aussi
contraire, qui naît de la résistance que les fluides touchant le Temps, renferme évidemment cette
font aux corps de quelque manière que ceux-ci se absurdité: savoir, que le Temps n'est que l'or
puissent mouvoir, et de l'action contraire et con dre des choses successives; et que cepen
tinuelle de la gravitation sur les corps jetés dant il ne laisse pas d'être une véritable quan
eu haut. tité; parce qu'il est, non-seulement l'ordre
100. 101. 102. J'ai fait voir dans la dernière des choses successives, mais aussi la quan
Section, que la force active, selon la définition tité de la durée qui intervient entre chacune
que .(Vu ai donné, diminue continuellement et na des choses particulières qui se succèdent
turellement dans le monde matériel. 11 est évi dans cet ordre. Ce qui est une contradiction
dent que ce n'est pas un défaut, parce que ce n'est manifeste.
qu'une suite de l'inactivité de la matière. Car Dire que l'immensité ne signifie pas un es
cette inactivité est non -seulement la cause, pace sans bornes, et que l'éternité ne sig
comme l'Auteur le remarque, de la diminution de nifie pas une durée ou un temps sans com
la vitesse, à mesure que la quantité de la matière mencement, sans fin, c'est (ce me semble,)
augmente ; ( ce qui à la vérité n'est point uoe d i- soutenir que les mots n'ont aucune signification.
minution de la quantité do mouvement) Au lieu de raisonner sur cet article, l'Auteur
mais elle est aussi la cause pourquoi des corps nous renvoie à ce que certains Théologiens et
solides, parfaitemet durs et sans ressort, se ren Philosophes, (qui étoient de son sentiment) ont
contrant avec des forces égales et contraires , per pensé sur cette matière. Mais ce n'est pas la du
dent tout leur mouvement et toute 'leur force quoi il s'agit entre lui et moi.
active, comme je, l'ai montré ci -dessus; et par 107. 108. 109. J'ai dit que parmi les choses
conséquent ils ont besoin de quelque autre cause possibles , il n'y en a aucune qui soit plus miracu
pour recevoir un nouveau mouvement. leuse qu'une autre, par rapport à Dieu ; et que par
103. J'ai fait voir amplement dans mes Ecrits conséquent le Mi raie ne consiste dans aucune
précédons, qu'il n'y a aucun défaut dans les choses difficulté qui se trouve dans la nature d'une
dont on parle ici. Car pourquoi Dieu n'auroit-il pas chose qui doit être faite, mais qu'il consiste
78(5 XC1X. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
simplement en ce que Dieu le fait rarement. aucun sens , ) on bien il s'ensuit que par une A c-
Le mot de Nature, et ceux de Forces de la Na tioudcDieu surnaturelle, il faut entendre
ture, de Cours de la Nature, etc. sont des ce que Dieu fait lui-même immédiatement;
mots qui signifient simplement qu'une chose arrive et par une Action de Dieu naturelle, co
ordinairement ou fréquemment. Lorsqu'un qu'il fait par intervention des causes séantes.
corps humain réduit en poudre i>st ressuscité, nous L'Auteur se déclare ouvertement dans cette parte
disons que c'est un miracle: lorsqu'un corps hu de sou Ecrit, contre la première de ces deux dis
main est engendré do la manière ordinaire, nous tinctions; et il rejette formellement la seconde
disons que c'est une chose naturelle; et cette dis dans la Section 117. où il recoimoît qoe les Anges
tinction est uniquement fondée sur ce que la puis peuvent faire de véritables miracles. Cepen
sance de Dieu produit l'une de ces deux choses or dant je ne crois pas que l'on puisse inventer une
dinairement, et l'autre rarement. Si le Soleil (ou troisième distinction sur la matière dont il s'a
la Terre) est arrêté soudainement, nous disons que git ici.
c'est un miracle; et le mouvement continuel du 11 est tout-à-fait déraisonnable d'appeller T At
Soleil ( ou de la Terre ) nous paroit une chose na traction un Miracle, et de dire que c'est on
turelle: c'est uniquement parce que l'une de ces terme qui ne doit point entrer dans la Philosophie,
deux choses est ordinaire, et l'antre extraoïxli- quoique nous ayons si souvent déclaré d'une ma
naire. Si les hommes sortoient ordinairement du nière distincte et formelle, qu'en nous servant de
tombeau, connue le blé sort de la semence, nous ce terme, nous ne prétendons pas exprimer la
dirions certainement que ce seroit aussi nue chose cause qui fait que les corps tendent l'un
naturelle: et si le Soleil (ou la Terre) étoit tou vers l'autre; mais seulement reflet de cette
jours immobile, cela nous paroitroit naturel ; et en cause, ou le phénomène même, et ksLoix ou
ce cas -là nous regarderions le mouvement du So les Proportions selon lesquelles les corps
leil (ou de la Terre) comme une chose miracu tendent l'un vers l'autre, comme on le dé
leuse. Le savant Auteur ne dit rien contre ces couvre par l'expérience, quelle qu'en puisse être la
raisons (ces grandes raisons, comme il les ap cause. 11 est encore plus déraisonable de ne vou
pelle,) qui sont si évidentes. Il se contente de nous loir point admettre la Gravitation ou l'At
renvoyer encore aux manières de parler ordinaires traction dans le sens que nous lui donnons, sc
de certains Philosophes et de certains Théologiens; ion lequel elle est certainement un phénomène de
niais, comme je l'ai déjà remarqué ci -dessus, ce la Nature; et de prétendre en même temps que
n'est pas là de quoi il s'agit entre l'Auteur et moi. nous admettions une hypothèse aussi étrange que
110 — 1 1G. 11 est surprenant, que sur une ma l'est celle de l'Harmonie préétablie, sek»
tière qui doit être décidée par la raison et non par laquelle l'Ame et le Corps d'un homme n'ont
l'autorité , on nous renvoie encore à l'opinion de pas plus d'influence l'un sur l'antre, que deux
certains Philosophes et Thélogiens. Mais, pour ne horloges, qui vont également bien, quelque
pas insister sur cela; que veut dire le savant Au éloignées qu'elles soient l'une de l'autre, et sans
teur par une différence réelle et interne en qu'il y ait entre elles aucune action réciproque. Ile*
tre ce qui est miraculeux, et ce qui ne l'est pas; vrai que l'Auteur dit, que Dieu prévoyant les i ntli-
ou entre des opérations naturelles et non n a lions de chaque aine, a formé dès le coimin'.-
naturelles, absolument, et par rapport à ccuient la grande Machine de l'Univers d'âne
Dieu.' Croit -il qu'il y ait en Dieu deux P r i n- telle manière, qu'en vertu des simples loix du
cipcs d'action différons et réellement Mécanisme, les corps humains reçoivent des
distincts, ou qu'une chose soit plus difficile à zuouvcmens convenables, comme étaut des
Dieu qu'une autre? S'il ne le croit pas, il s'en parties do cette grande machine. Mais est - il pos
suit, ou que les mots d'Action de Dieu natu sible, que de pareils monveiuens, et autant
relle et surnaturelle, sont des termes dont la diversifiés que le sont ceux des corps humains,
signification est uniquement relative aux soient produits par un pur Mécanisme, sans
hommes; parce que nous avons accoutumé de que la volonté et l'esprit agissent sur ces
dire qu'un effet ordinaire de la puissance de Dieu corps î Est -il croyable que, lorsqu'un homme
est une chose naturelle, et qu'un effet extraordi fonne une résolution , et qu'il sait un mois par
naire du cette même puissance est une chose sur avance, ce qu'il fera un certain jour, ou à une cer
naturelle; (co qu'on appelle les Forces de la taine heure; est-il croyable, dis-je, que son corps,
Nature, n'étant véritablement qu'un mot sans en vertu d'un simple Mécanisme qui a été pro
XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE. 787
duit dans le Monde matériel dès le commencement voir dans les Orbes où clic se meuvent, an travers
de la création, se conformera ponctuellement à tou d'un espace qui ne fait point de résis
tes les résolutions de l'esprit de cet homme au tance; par quelles loix mécaniques les
temps marqué? Selon cette hypothèse, tous les Plantes et les Animaux sont formés, et quelle
raisonnemens philosophiques , fondés sur le phéno est la cause des mouvemcns spontanées des
mènes et sur les expériences, deviennent inutiles. Animaux et des Hommes, dont la variété est pres
Car, si l'Harmonie préétablie est véritable, que iiiliiiir. Mais je suis fortement persuadé, qu'il
un homme ne voit , n'entend , et ne sent rien , et il n'est pas moins impossible d'expliquer toutes ces
ne meut point son corps: il s'imagine seulement choses , qu'il le serait de faire voir qu'une maison,
voir, entendre, sentir, et mouvoir son corps. Et ou une ville, a été bâtie par un simple Méca
si les hommes étoient persuadés que le corps hu nisme, ou que le Monde même a été formé dès
main n'est qu'une pure machine, et que tous le commencement sans aucune Cause intelli
ses mouvemcns qui paroisscnt volontaires, gente et active. L'Auteur reconnoît formelle
sont produits par les loix nécessaires d'un Méca ment, que les choses ne pouvoient pas être pro
nisme matériel, sans aucune influence ou opé duites au commencement par un pur Mé
ration de l'aine sur les corps; ils concluraient canisme. Après cet aveu, je ne saurais com
bien-tôt que cette Machine est l'Homme tout prendre, pourquoi il paroît si zélé à banir Dieu du
entier, et que l'Ame harmonique, dans l'hy Gouvernement actuel du Monde, et à soutenir que
pothèse d'une Harmonie préétablie, n'est sa Providence ne consiste que dans un simple con
qu'une pure fiction et une vainc imagination. De cours, comme on l'appelle, par lequel toutes les
plus, quelle difficulté évite-t-on par le moyen d'une créatures ne font que ce qu'elles feraient d'elles-
si étrange hypothèse l On n'évite que celle-ci , sa mêmes par un simple Mécanisme. Enfin, je
voir, qu'il n'est pas possible de concevoir com ne saurois concevoir, pourquoi l'Auteur s'imagine
ment une Substance immatérielle peut agir que Dieu est obligé, par sa nature ou par sa sa
sur la matière. Mais Dieu n'est -il pas une Sub gesse, de ne rien produire dans l'Univers, que ce
stance immatérielle, et n'agit- il pas sur la qu'une Machine corporelle peut produire par
matière î D'ailleurs, est-il plus difficile de conce de simples loix mécaniques, après qu'elle à
voir qu'une Substance immatérielle agit sur été une fois mise en mouvement.
la matière, que de concevoir que la matière agit 117. Ce que le savant Autour avoue ici, qu'il
sur la matière? N'est -il pas aussi aisé de conce y a du plus et du moins dans les véritables
voir que certaines parties de matière peuvent miracles, et que les Anges peuvent faire de
être obligées de suivre les monvemcns et les in tels miracles; ceci, dis-je, est directement con
clinations de l'aine, sans aucune impression cor traire à ce qu'il a dit ci-devant de la nature du
porelle, que de concevoir que certaines portions de Miracle dans tous ses Ecrits.
matière soient obligées de suivre leurs mouvemens 118 — 123. Si nous disons que le Soleil attire
réciproques, à cause de l'union, ou adhésion de la Terre, au travers d'un espace vuide; c'est-à-dire,
leurs parties, qu'on ne saurait expliquer par aucun que la Terre et le Soleil tendent l'un vers l'autre
Mécanisme; ou que les rayons de la Lumière (quelle qu'en puisse être la cause,) avec une force
soient réfléchis régulièrement par une surface qu'ils qui est en proportion directe de leurs masses, ou
ne touchent jamais 1 C'est de quoi Mr. le Cheva de leurs grandeurs et densités prises ensemble, et
lier Newton nous a donné diverses expériences en proportion doublée inverse de leurs distances;
oculaires dans son Optique. et que l'espace qui est entre ces deux coq)s, est
Il n'est pas moins surprenant que l'Auteur ré vuide, c'est-à-dire, qu'il n'a rien qui résiste sensi
pète encore en termes formels , que depuis que le blement au mouvement des corps qui le traver
Monde à été créé, la continuation du mou sent; tout cela n'est qu'un phénomène, ou un fait
vement des Corps célestes, la «formation actuel, découvert par l'expérience. 11 est sans
• des Plantes et des Animaux, et tous les mouve- doute vrai, que ce phénomène n'est pas produit
>meus des Corps humains et de tons les antres Ani- sans moyen, c'est-à-dire sans une cause capable
»manx, ne sont pas moins mécaniques que les mou- de produire un tel effet. Les Philosophes peuvent
• vemens d'une horlogc.« II me semble que ceux donc rechercher cette cause, et tâcher de la dé
qui soutiennent ce sentiment, devraient expliquer couvrir, si cela leur est possible, soit qu'elle soit
en détail, par quelles loix de Mécanisme les mécanique ou non mécanique. Mais s'il ne
Planètes et les Comètes continuent de se mou peuvent pas découvrir cette cause, s'ensuit -il que
788 XCIX. LETTRES ENTRE LEIBNIZ ET CLARKE.
l'effet même, ou le Phénomène découvert qu'une pure fiction ; et qui d'ailleurs est impossi
par l'expérience, (c'est-là tout ce que Pou ble dans un Monde, où l'on suppose qo'i/ n'y a
veut dire par les mots d'Attraction et de Gra aucune Intelligence.
vitation,) s'ensuit-il , dis -je, que ce Phénomène Pour ce qui est du grand Principe d'are Ba i-
soit moins certain et moins incontestable? Une son suffisante, tout ce que le savant Auteur
qualité évidente doit-elle être appelée oc ajoute ici touchant cette matière , ne consiste qrfà
culte, parce que la cause immédiate en est peut- soutenir sa conclusion, sans la prouver; et pu
être occulte, ou qu'elle n'est pas encore dé conséquent il n'est pas nécessaire d'y répondre. if
couverte? Lorsqu'un corps se meut dans un remarquerai seulement que cette expression est
cercle, sans s'éloigner par la tangente, il y a cer équivoque; et qu'on peut l'entendre, comme si
tainement quelque chose qui l'eu empêche : mais si elle ne renfermoit que la Nécessité, ou comme
dans quelques cas il n'est pas possible d'expli si elle pouvoit aussi signifier une Volonté et an
quer mécaniquement la cause de cet effet, ou Choix. II est très-certain, et tout le monde con
si elle n'a pas encore été découverte, s'en vient, qu'en général il y a une Raison suffi
suit-il que lo Phénomène soit faux? Ce seroit une sante de chaque chose. Mais il s'agit de savoir,
manière de raisonner fort singulière. si, dans certains cas, lorsqu'il est raisonnable
124 — 130. Le Phénomène même, l'Attrac d'agir, différentes manières d'agir possi
tion, la Gravitation, ou l'Effort, (quelque bles ne peuvent pas être également raison
nom qu'on lui donne) par lequel les Corps nables, si, dans ces cas, la simple volonté
tendent l'un vers l'autre et les loix, on les de Dieu n'est pas une Raison suffisante pour
proportions, de cette force, sont assez connues agir d'une certaine ma n i ère plutôt que d' une
par les observations et les expériences. Si Mr. antre } et si, lorsqueles raisons les plus
Leibniz, ou quelque autre Philosophe, peut ex fortes se trouvent d'un seul côté, JosAugens
pliquer ces Phénomènes par les Loix du Méca intelligcns et libres n'ont pas m Principe
nisme, bien loin d'être contredit, tons les Savans d'action, (en quoi je crois que l'essence de la
l'en remercieront. En attendant, je ne saurois Liberté consiste) tout -à -fait distinct du motif ou
m'empêcher de dire que l'Auteur raisonne d'une de la raison que l'Agent a en vneî Le savant
manière tout-à-fait extraordinaire, en comparant la auteur nie tout cela. Et comme il établit son
Gravitation, qui est un phénomène on un fait grand Principe d'une Raison suffisante, dans
actuel, avec la déclinaison des Atomes, un sens qui exclut tout ce que je viens de dire : et
selon la doctrine d'Epi cure; lequel ayant cor qn'il demande qu'on lui accorde ce principe dans
rompu, dans le dessein d'introduire l'Athéisme, ce sens-là , quoiqu'il n'ait pas entrepris de le prou
iinr Philosophie plus ancienne et peut-être plus ver, j'appelle cela une pétition de Principe;
saine, s'avisa d'établir cette hypothèse, qui n'est ce qui est tout-à-fait indigne d'un Philosophe.
1697.
(Fragmens philosophiques par V. Cousin.. III. Ed. Paris 1838. T. II. p. 304 309.)
La lettre pastorale de Mons. révoque de Noyon Trappe découvre fort bien l'illusion de l'union con
est savante et éloquente, et en nu mot digne du tinuelle prétendue fondée sur l'inaction, puisque
caractère de son auteur ; mais il eût été à souhai c'est plutôt par des actes et exercices fréquents des
ter qn'il eût voulu s'appliquer davantage; car il vertus divines, que nous devons maintenir notre
nous auroit appris bien des choses belles et rele union avec Dieu , pour montrer et fortifier l'habi
vées. Il dissuade la lecture des livres remplis de tude de ces vertus qui nous y nuissent.
maximes dangereuses, mais il ne nomme point Pour ce qui est de la charité ou de l'amour dés
ces livres, et il n'explique point en quoi consiste intéressé, sur lequel je vois naître des disputes
ce nouveau et semi-qniétisme. Je m'ima embarrassées, je crois qu'on ne sauroit s'en bien
gine que cela doit être plus connu dans son dio tirer qu'en donnant une véritable définition de l'a»
cèse; cependant les généralités peuvent encore mour. Je crois de l'avoir fait autrefois dans la
faire tort à la vérité (dont l'erreur emprunte sou préface de l'ouvrage que vous savez, Monsieur,
vent les livrées), servir à l'oppression des innocents en marquant la source de la justice; car la jus
et éloigner les âmes de la plus pure théologie des tice dans le fond n'est autre chose que la charité
vrais mystiques, qui nous doit détacher des choses conforme à la sagesse; la charité est une bien
mondaines pour nous mener à Dieu. Je souhaiterois veillance universelle; la bienveillance est une
donc qu'on s'appliquât plus amplement et qu'on mar disposition ou inclination à aimer, et elle a le
quât mieux les limites de l'erreur de la vérité. Ce même rapport à l'amour que l'habitude a à l'acte;
pendant la lettre qu'on attribue à Mons. l'abbé de et l'amour est cet acte ou état actif de l'âme qui
la Trappe y sert en partie, et peut-être que M. de nous fait trouver notre plaisir dans la félicité ou
Noyon a voulu s'y rapporter; c'est pourquoi ces satisfaction d'autrni. Cette définition, comme j'ai
deux lettres paroissent à la fois. marqué dès lors, est capable de résoudre l'énigme
La lettre,, de Mons. l'abbé de la Trappe est aussi de l'amour désintéressé et le distingue des liai
fort solide, à mon avis; ce sont sans doute des sons d'intérêt ou de débauche. Je ine souviens
faux mystiques qui s'imaginant qu'étant une fois que dans une conversation que j'eus, il y a plus
uni à Dieu par un acte de foi pure et de pur ieurs années , avec Mons. le comte Italien,
amour, on y demeure uni, tant qu'on ne révoque et d'autres amis, où on ne parloit que de l'amour
pas formellement cette union; car il est très vi humain, cette difficulté fut agitée, et on trouva ma
sible que tout acte par lequel nous préférons notre solution satisfaisante. Lorsqu'on aime sincère
plaisir à ce qui est conforme à la gloire de Dieu ment une personne, on n'y cherche pas son propre
on à son plaisir, que la raison et la foi nous fait profit, ni un plaisir détaché de celui de la per
connoître, est une révocation effective de l'union sonne aimée, mais on cherche son plaisir dans le
avec Dieu, quoiqu'on ne fasse point cette réflexion contentement et dans la félicité de cette personne ;
expresse d'une révocation formelle. Mr. de la et si cette félicité ne plaisoit pas en elle-même,
CI.
LETTRE A M« L'ABBÉ NICAISE
SUR LA QUESTION DE L'AMOUR DIVIN.
1698.
de* deux Uourgogne:) 1836. — Cousin Fragmens philosophiques. Tom. II. p. 314. 319.)
Je vous suis très obligé, Monsieur, du soin que conforme à la vérité do lui écrire ces choses moi-môme,
vous avez pris tant pour m'avertir du traité de mais je vous supplie , Monsieur, de les appuyer.
M. le président Boisot que pour le disposer à con L'erreur sur le pur amour paroit être un malen
tinuer de m'être favorable, comme vous l'aviez dis- tendu qui, comme je vous l'ai déjà dit, Monsieur,
]K>sé à l'être d'abord. La cause que je n'avois vient peut-être de ce qu'on ne s'est pas attaché à
point encore profité de ses premières offres a été bien former les définitions dos termes. Aimer vé
que, par je ne sais quel accident, la liste qu'il ritablement et d'une manière désintéressée n'est
ufavoit envoyée s'étoit égarée daus le tas im autre chose qu'être porté à trouver du plaisir dans
mense de mes papiers. L'espérance de la retrou les perfections ou dans la félicité de l'objet et par
ver m'avoit fait différer d'avouer la faute et de le conséquent à trouver du la douleur dans ce qui
supplier d'une nouvelle copie de cotte liste. Mais peut-être contraire à ces perfections. Cet amour
le temps pressant maintenant , je lui ai fait aveu a proprement pour objet des substances suscepti
de ce malheur, disant que je ne sais point si je dois bles de la félicité; mais on en trouve quelque
oser le supplier de pousser ses bontés jusqu'à me image à l'égard des objets qui ont des perfections
l'envoyer de nouveau. J'ajoute que je me souve- sans les sentiments, comme seroit par exemple un
iiois que la plupart des pièces m'avoient paru dig beau tableau. Celui qui trouve du plaisir à le
nes d'être obtenues, mais que je ne les avois voulu contempler et qui trouveroit de la douleur à le
demander qu'à condition de pouvoir faire moi- voir gâté , quand il appartiendrait même a un au
même la dépense des copies, ou bien, an cas qu'où tre, l'aimerait pour ainsi dire d'un amour désinté
eût manqué de personnes propres à les faire, que ressé; ce que ne feroit pas celui qui auroit seule
j'aurois souhaité d'obtenir pour quelque temps ces ment en vue de gagner eu le vendant ou de s'atti
deux tomes où ces pièces se trouvent, et qu'on rer de l'applaudissement en le faisant voir, sans
auroit pu prendre des mesures très sûres, mainte se soucier au reste qu'on le gâte ou non quand i'
nant que la paix est faite, pour les faire passer ne sera plus à lui. Cela fait voir qu'on ne saurai^
à Baie, et de là à Francfort, et j'aurois voulu don ôter le plaisir et la pratique à l'amour sans lu
ner tontes les assurances nécessaires pour ne faire détruire , et que M. Despréaux a eu également rai
point douter d'une exacte restitution. Mais je ne son dans ses beaux vers, dont vous m'avez fait
savois présentement s'il m'étoit encore permis de part, de recommander l'importance de l'amour diviu
former ces sortes de souhaits et d'en espérer quel et d'empêcher qu'on se forme un amour chiméri
que succès; qu'en ce cas mou obligation serait plus que et sans effet. J'ai expliqué ma définition daus
grande et que le public en seroit d'autant plus rc- la préface de mon Codex diplomuticus ju-
devabc à M. le président Boisot et à la mémoire ris gcutiuui, publié avant la naissance de cos
illustre de feu M. l'abbé son frère, et enfin que nouvelles disputes, parce que j'en avois besoin
j'attendrai sa décision. J'ai jugé à propos et plus pour donner 1 .-V-lmitiou de la justice, laquelle
792 CI. SUR L'AMOUR DIVIN.
à mon avis n'est autre chose que la charité suis bien aise: il poura travailler désormais arec
réglée suivant la sagesse; et la charité plus de liberté aux choses utiles.
étant une bienveillance universelle , et la bienveil J'ai envoyé la lettre du R. P. Bonjour à M. Lo-
lance étant une habitude d'aimer, il étoit néces dolf, mais je la trouve trop courte. 11 IKMETOI'*
saire de définir ce que c'est qu'aimer; et puisque bien lui écrire dorénavant en françois et plus am
aimer est avoir un sentiment qui fait trouver du plement; les savants hommes ne se doivent \--. •
plaisir dans ce qui convient à la félicité de l'objet écrire des lettres vides. Je voudrais qu'il se fût
aimé, et que ce qui fait la règle de la sagesse n'est expliqué un peu plus sur les difficultés que M. I.-j-
autre chose que la science de la félicité, je faisois dolf trouvoit dans son système, et qu'il lui eût
voir par cette analyse que la félicité est le fonde fait quelque détail de son dessein pour mieux pro
ment de la justice, et que ceux qui voudraient don fiter de son jugement, car quelque habile homme
ner les véritables éléments de la jurisprudence, que soit le P. Bonjour, il est jeune, et cela veut
que je ne trouve pas encore écrits comme il faut, de- dire que le jugement d'un excellent homme avancé
vroient commencer par l'établissement de la science en âge lui sera toujours utile. A quelle langue
de la félicité, qui ne paroît pas encore bien fixée croit-il que l'ancienne égyptienne se rapporte le plus?
non plus, quoique les livres de morale soient pleins M. l'évêque de Salisbnry m'a fait tenir en
de discours de la béatitude on du souverain bien. fin le livre traduit d'espagnol par un théologien
Comme ce plaisir, qui n'est autre chose que le de son diocèse. Ce sont des lettres que le fiscal
sentiment de quelque perfection, est un des princi Vargas (depuis ambassadeur de Philippe IL àRome)
paux points de la félicité, laquelle consiste dans un et quelques théologiens espagnols ont écrites de
état durable de la possession de ce qu'il faut pour Trente , où le concile et les légats du pape ne sont
goûter du plaisir, il seroit à souhaiter que la pas fort avantageusement représentés. Cette vêt-
science des plaisirs, que feu monsieur Lantiu rnédi- sion est angloisc, mais il en paroifra bientôt une
toit, eût été achevée; et il seroit bon au moins françoise; et môme on fera imprimer aussi V ori
de pouvoir obtenir l'économie de son projet, niais ginal esjjagnol. Ces lettres justifient extrêmement
il seroit encor mieux si on pouvoit obtenir ses re ce que Fra Paolo à écrit, et font voir que le car
cueils et ses réflexions sur cette matière. Je l'ai dinal Pallavicini ne l'a pas bien réfuté. Cela
souvent fait sommer autrefois par feu M. l'abbé étant, la France est fort à louer de n'avoir pas en
Foucher, comme je faisais aussi la guerre à feu reconnu ce concile pour véritablement oecuméni
M, Justel de ce qu'il laissoit mourir son beau dos- que; et elle fera bien sans doute de s'en garder
sein des commodités de la vie. S'il est à désirer encore dorénavant, pour ne point faire préjudice
que des excellents hommes prennent soin de con à l'autorité même de l'Église et des conciles, en VOD-
server leur pensées, il seroit encore plus à souhai lant qu'un concile de contrebande passe pour nn boa.
ter que le public y prît part pour faciliter leurs Le R. P. Bouvet m'a envoyé son livre qui
desseins; mais id populus curât scilicct. contient le portrait du monarque de la Cluof,
Il est vrai que lorsque dos grands princes et leurs et je lui ai envoyé des questions |K>ur la Chine.
ministres tournent les pensées encore du côté des auxquelles il m'a prorais des solutions. Je soi»
sciences , comme on fait en France, on fait réussir avec zèle, etc. Leibniz.
quantité de belles choses, qui sans cela auraient P. S. Lu jugement de M. d'Avranchos sur ma
été perdues pour le genre humain. Mais on ne réponse à M. Régis me donne beaucoup de con
saurait empêcher qu'il n'échappe toujours quelque tentement; sufficit talibus placnisse. Le>
chose , d'autant que le public n'eu est pas toujours bons Cartésiens , tels qu'ils sont vulgaireuieut,
assez informé. n'ont pas grand sujet de se vanter de leur gri
Entre nous, je vous laisse juger, Monsieur, si moire. — Les vers de M. Boileau me plaisent
ce que je viens de vous écrire ne pourroit être toujours beaucoup. — Nous avons aussi de re
envoyé à M. l'abbé Boudelot, pour être communi liques à Hanovcr , et d'aussi bonnes qu'il y en ait
qué à M. le président Cousin. Mais il seroit bon en Europe. Dernièrement on en a fait imprimer
que cela ne se fît que comme, de vous. Il suflî- un catalogue. Quelques-unes ont été apportées du
roit de ne mettre mon nom que par des initiales Levant , il y a plus de trois siècles. — II me
comme par exemple: Extrait d'une lettre de semble qu'on prend à tâche, à présent de morti
M. D. L. à Monsieur l'abbé Nicaise, touchant l'a fier les jésuites en France. Chacun a son tour. —
mour désintéressé et les fondements de la justice. Mes vers à madame de Scudéri n'étoient point sur
Si M. Baylo est réconcilié avec M. Jarieu, j'en l'amour désintéressé.
INDEX RERUM ET MATERIARUM.