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CONVERSION PHILOSOPHIQUE ET CONVERSION RELIGIEUSE.

Constatant que si l’âme s’éloigne souvent de sa destination


essentielle et s’égare jusqu’à oublier d’où elle vient, en toute complaisance
pour son ignorance, sans éprouver de nostalgie pour ce qu’elle a perdu, il
lui arrive aussi de se ressaisir et d’entamer un retour vers sa vraie nature,
la philosophie a, depuis longtemps, médité la conversion. Elle ne l’a pas
pour autant reliée à une foi religieuse puisqu’elle a surtout vu en elle la
possibilité d’un retour vers une vérité proposée à quiconque la cherche en
avançant sur un chemin spéculatif, partageable avec autrui même s’il
culmine dans une intuition ou une contemplation où, semble-t-il, la
solitude est de mise. Dans une école de philosophie antique, la
conversion d’un élève consistait ainsi à s’approprier la démarche et
l’expérience d’un maître, sans qu’il s’agisse d’un mimétisme aliénant
puisque, pour l’un et pour l’autre, la conversion consistait à emprunter un
chemin qui, de fait et en droit, n’appartenait à personne en particulier.
Cette conversion philosophique ou epistrophè, présupposait certes le désir
de s’approcher de la vérité et ainsi de se délester du poids de ses
illusions, mais elle ne plaidait jamais la cause de la singularité propre à
tel ou tel homme. Pour les anciens grecs en effet, la raison, le logos,
relie chacun à l’ordre du cosmos, elle a une valeur ontologique, elle
ouvre sur une réalité qui ne fait pas acception de la généalogie et de
l’histoire des uns et des autres. La transformation de l’âme, sa félicité et
sa sagesse, sont bien ici une seule et même chose, cela requiert
seulement - mais c’est insurmontable le plus souvent - de savoir tourner
son regard dans la bonne direction, ce qui va de pair avec une nouvelle
façon de penser et de se conduire. Vivre de façon philosophique c’est en
effet « se tourner vers la vie intellectuelle et spirituelle, réaliser une
conversion qui met en jeu ‘toute l’âme’, c’est-à-dire toute la vie morale »
(1).
La conversion religieuse quant à elle, selon les formes qu’elle revêt
dans la tradition juive et dans la tradition chrétienne, n’est pas réductible
à ce modèle philosophique. Corrélativement d’ailleurs la philosophie tient
aussi à baliser le territoire où le concept de « conversion » garde encore
du sens pour elle, et en particulier depuis la rencontre des pensées issues
de Jérusalem et de celles issues d’Athènes, elle est soucieuse de prévenir
le péril d’une confusion entre les deux types de conversion. Mais ce
double aspect - philosophique et religieux - n’est pas toujours aussi simple

1
Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, Folio Essais, 1995, p.
106. Le mot « conversion » est une référence à Platon, République VII, 518c. Platon explique
qu’il faut « retourner » le regard dans la bonne direction avec l’ensemble de son âme, jusqu’à
ce qu’elle puisse contempler ce qui est vraiment. (je souligne).

1
à bien distinguer que le voudrait une pensée qui entend veiller
jalousement aux frontières.
Bibliquement c’est en effet la structure de l’appel et de la réponse
qui caractérise la conversion religieuse. Or si cet appel dont les modalités
sont fort diverses entraîne aussi un changement de vie, il n’implique pas
nécessairement de savoir pratiquer la philosophie. Dans la Bible elle-
même, les destinataires de l’appel ne sont d’ailleurs évidemment pas de
futurs philosophes. Le peuple des anciens Hébreux, les prophètes, les
disciples de Jésus, ignorent tout de cette discipline de pensée et de vie,
ils ne sont pas enclins à la spéculation même s’ils sont attentifs à ce que
pourrait être une vie bonne. En répondant à cet appel qui provoque un
bouleversement de leur existence, ils semblent entrevoir comment cette vie
bonne peut les concerner ici et maintenant, dans leur singularité propre.
Si, ultérieurement, la techouva juive - réponse, repentir, retour - puis la
métanoia chrétienne - retour, repentir - ont noué avec la conversion au
sens philosophique des liens étroits, elles en sont distinctes cependant. Et
cela, d’abord et avant tout, parce que Celui qui appelle n’est pas un
principe mais le Créateur du ciel et de la terre, Celui dont la parole
s’adresse aux humains crées à Son image pour les obliger à une certaine
conduite sans pouvoir les contraindre toutefois puisque, quand ils font la
sourde oreille, cet appel semble impuissant à s’imposer et à produire la
dite conversion.

I. Le retournement philosophique ou epistrophè.

Que la conversion philosophique se produise parfois suppose d’abord


que si nul ne commence sa vie dans la pleine clarté de la vérité, si
l’âme individuée paraît d’abord en être séparée, pour cause de chute selon
la parole mythique déployée par Platon dans le Phèdre, le chemin de
retour vers elle ne lui est pas irrémédiablement barré pour autant. Nul
être humain ne peut faire l’économie de l’épreuve de cette séparation
mais celle-ci n’est pas absolue.
Dans les Ennéades de Plotin, ce mouvement de conversion reçoit
une acception très profonde qui unit les deux motifs suivants : le
retournement et la remontée ; la dénudation et la purification.
Entreprendre l’ascension vers le Bien, le Principe, l’Un, ou encore se
tourner décisivement vers eux, c’est, pour l’âme, se détourner de ce qui
l’attache à ce monde-ci ; mais c’est aussi, inévitablement, se dénuder de
tous les vêtements qu’elle a du revêtir à cause de sa descente dans ce
monde, en particulier celui des passions, et se purifier de la
contamination néfaste qu’elle a subie à leur contact. Ce sont ces
vêtements en effet qui introduisent dans l’âme des ferments aliénants,

2
étrangers à sa vraie nature, et qui l’incitent, sans qu’elle s’en rende bien
compte, à s’éloigner d’elle-même, à descendre encore, jusqu’à y prendre
plaisir, ou du moins à le croire, plutôt qu’à remonter, c’est-à-dire, à se
rassembler au point de sa plus profonde unité. Mais comment le désir
d’une vie plus vraie pourrait-il naître en elle alors qu’il est étouffé sous
le poids de ces vêtements ? La plupart des hommes n’ont-ils pas une
grande peur de la légèreté et de la nudité indispensable pour monter, ou
plus exactement pour remonter ?
Plotin n’enseigne pas à mépriser le monde sensible mais à tenter de
vivre au niveau le plus profond de soi - le plus haut - et ainsi à
retrouver, dans ce soi, la simplicité du Principe à la source de toute
réalité. Or, si cela est possible, c’est parce que l’âme humaine n’est
jamais entièrement captive du monde sensible, une partie d’elle-même, la
meilleure, demeure toujours dans le monde spirituel. La plupart du temps
cependant, nous ne le savons pas car la conscience humaine, attentive à
ce qui arrive, ici et maintenant, à ce qui attire son désir et à ce qui la
préoccupe, se détourne d’un tel savoir. « Plotin nous invite donc à cette
conversion de l’attention qui, déjà chez lui, est cette ‘prière naturelle’
dont parlera Malebranche » (2). Il convient, pour y parvenir, de purifier
cette conscience et de la tourner dans la bonne direction afin que, tel un
miroir, elle réfléchisse non pas les objets périphériques illusoires qui se
présentent à elle, mais le centre même de sa vie et de toute vie
d’ailleurs. Le monde des formes sensibles se révèle en effet beau et
lumineux lui aussi quand on sait le percevoir à partir de ce centre ou de
ce point d’unité simple. Plotin a, à ce sujet, sévèrement critiqué les
penseurs gnostiques qui estimaient que l’âme se trouvait abandonnée dans
un monde mauvais, crée par des archontes méchants. Or cela est
fondamental car la possibilité même de la conversion dépend aussi de
cette certitude du philosophe que l’homme n’est pas jeté dans un monde
qui l’emprisonne, voué à une solitude ontologique désastreuse et incapable
d’y trouver la moindre étincelle de bien ou de lumière.
Certes si, pour Plotin, le centre profond, en nous et en toute chose,
est constitué par la vie de l’Esprit, il sait aussi que cela exige un grand
effort de la part de notre conscience pour parvenir à la refléter. Notre
corps en effet, ou plus exactement, les soucis qu’il nous cause nous en
détournent. « La vraie chute de l’âme est celle-là. Nous nous laissons
absorber par de vaines occupations, par des sollicitudes exagérées » (3). Il
faut donc, dit-il, « abandonner tous les bruits sensibles, à moins de

2
Pierre Hadot, in Plotin ou la simplicité du regard, Paris, Etudes Augustiniennes, 1973, p. 32.
(je souligne) . Voir Ennéades IV, 8, 8, 1, cité p. 29, pour l’idée qu’une partie de l’âme reste
dans le monde spirituel. Voir Plotin, Traités 1-6, traductions sous la direction de Luc Brisson
et Jean-François Pradeau, Paris, Garnier-Flammarion, 2002, trad. Laurent Lavaud, p. 251.
3
Pierre Hadot, Ibid, p. 33 et p. 34 pour la citation qui suit, Ennéades V, 1, 12, 12.

3
nécessité, et garder pure la puissance de perception de l’âme, afin qu’elle
puisse entendre la voix d’en haut ».
Cet abandon ou encore cet oubli des bruits sensibles - de tous ces
sons qui se substituent à la voix d’en haut - constitue un dur labeur.
S’arracher aux sirènes qui, depuis l’enfance, nous font croire à des
mirages, en les présentant sous un jour aimable ou terrifiant, et en nous
aliénant durablement à eux en raison de notre faiblesse, va d’autant moins
de soi que ceux qui émettent ces bruits en sont eux-mêmes prisonniers.
Nous y parvenons pourtant parfois et commençons à tendre l’oreille vers
la voix étouffée par tous ces bruits. Une timide sagesse émerge alors en
nous. Mais, dit Plotin, cela ne suffit pas car ce n’est pas encore la
véritable présence à soi. Toute conscience humaine est tributaire de la
durée et du souvenir, elle ne peut - comme telle - se saisir de la vie
divine d’où l’âme tient pourtant sa vérité puisque la réflexivité qu’elle
implique est toujours signe de séparation et de chute. Plotin fait l’éloge
des états où nous agissons ou méditons, en toute attention, mais sans
réflexivité consciente. L’intensité de ces actes ou de ces méditations est
toujours amoindrie dès lors que celle-ci fait retour. Ainsi la pure
présence à soi de l’âme ne peut-elle sans contradiction « se diffuser
jusqu’à la conscience ». Pourtant ces moments d’unité intense où l’âme
est toute entière attention à sa tâche ou à sa méditation ne peuvent
jamais durer, « ils nous échappent au moment même où nous voulons les
retenir : nous retombons de la présence au souvenir » (4). Même l’extase
la plus parfaite - l’expérience de soi en Dieu ou de Dieu en soi - en
quoi consiste l’ultime conversion, le salut philosophique et notre vérité,
n’échappe pas à cette règle.
La conversion prend ici à rebours le mouvement de procession,
c’est-à-dire celui de l’émanation nécessaire et hiérarchisée des êtres et de
la prolifération des Formes à partir du principe unique qui, selon Plotin,
est à l’origine de la diversité de tout ce qui existe. Chaque être
contemple et produit selon son niveau d’être mais, peu à peu, cette
production devient plus lointaine, plus basse, par rapport au modèle
initial. Toutefois, comme déjà remarqué, une partie de l’âme ne descend
jamais et c’est grâce à elle que le mouvement de conversion reste à
chaque instant possible. Et cela, même si, dès lors qu’elle est orientée par
le corps qu’elle habite, elle en vient à se laisser séduire et troubler par
les bruits et les prestiges de la multiplicité sensible. Son attention est
alors mobilisée par ce qui la rend étrangère à elle-même et elle risque de
s’y complaire, soit encore de se trahir elle-même en toute ignorance de
cause. Si, dans cette philosophie, l’émanation est nécessaire, ce risque de
trahison de soi l’est aussi, mais Plotin souligne qu’il n’y a aucune fatalité

4
Pierre Hadot, Ibid., p. 37 et citation Ennéades I, 4, 10, 28.

4
dans le fait d’y succomber. L’oubli de l’Un et la chute ne sont pas une
nécessité, et c’est bien pourquoi le retour ou la conversion est une
possibilité de salut offerte à qui veut bien se purifier et ne plus pactiser
avec ce qui l’aliène. « La conversion ne suit pas la purification, elle lui
est identique » (5).
Cette conversion est en effet une purification qui commence dans le
recueillement de l’âme et dans une ascèse qui la libère de ce qui l’aliène.
Mais comment le désir de se recueillir peut-il s’éveiller dans une âme ? Il
ne suffit pas de raisons argumentées pour la convaincre de le faire même
si, selon Plotin, le raisonnement est toujours indispensable pour l’âme
descendue dans un corps, c’est-à-dire séparée de la pure contemplation de
l’Un. Cependant, pour qu’un raisonnement puisse faire changer de façon
décisive et irréversible l’orientation de notre attention, il faut d’ores et
déjà que frémisse en notre âme le désir de se purifier de tout ce qui
l’aliène. Or comment ce désir pourrait-il se frayer un chemin sans
l’expérience de la souffrance et, corrélativement, sans le pressentiment
d’un salut possible ? On sait que, chez Plotin, la contemplation de ce qui
est simple et beau et auquel l’âme est apparentée sera ce salut « L’âme
ne pourrait voir le beau, sans être devenue belle » (6), l’âme ne pourrait
contempler l’Un sans y trouver son bonheur et sa paix.

La conversion philosophique est portée par cette confiance. L’âme


abrite en elle le désir et la force de ce retour et celui-ci la rend
heureuse. C’est pourquoi Plotin récuse la position désespérée des
gnostiques car, en fermant la voie à la possibilité du retour, au cœur
même de ce monde sensible, en condamnant l’univers, elle rend la
conversion encore plus difficile qu’elle ne l’est lorsqu’on peut prendre
appui sur le cosmos et sur la beauté qui le caractérise. En effet, si l’âme
se convertit en se tournant vers elle-même, en se recueillant, et en
découvrant en elle le Principe d’où elle procède, elle en perçoit aussi la
trace en tout ce qui existe. Or, en incitant au mépris du cosmos et de ce
qu’il contient, en soutenant que l’âme humaine lui est étrangère, les
gnostiques auraient nié toute parenté entre notre âme et celle du monde.
Davantage, ils auraient rendu la vertu (arétê) impossible puisque celle-ci
prend modèle sur l’ordre cosmique. De ce fait ils auraient privé l’âme de
tout espoir de guérison, de purification ou encore de salut, car, sans la

5
Eliane Amado Lévy-Valensi, Les niveaux de l’être La connaissance et le mal, Paris, PUF,
1962, p. 120. (souligné par l’auteure)
6
Plotin, Traité I, (I,6), 9, 30, édition sous la direction de Luc Brisson et Jean-François
Pradeau, Paris, Garnier-Flammarion, 2002, trad. Jérôme Laurent, p. 79.

5
vertu véritable, elle ne peut prétendre parvenir à la contemplation de Dieu
en quoi consiste pourtant son bonheur (7).
Or c’est bien parce que l’univers « est suspendu aux réalités de là-
bas » que nous pouvons apprendre de lui la vertu et entamer un
mouvement de conversion vers les réalités intelligibles, les seules qui
soient véritablement. Celui qui méprise le cosmos « ne sait pas ce qu’il
fait ni jusqu’où son impudence le mène ». Prétendre, comme les
gnostiques, que les sphères célestes sont animées d’intentions malveillantes
à notre égard est absurde et condamnable car cela prive d’un guide
essentiel pour devenir vertueux en introduisant, à leur modèle, l’harmonie
et la tempérance dans notre vie. Calomnier les astres qui dispensent ordre
et beauté en faisant mémoire du bien, c’est s’autoriser à vivre de façon
déraisonnable sous prétexte que rien n’aurait de valeur en ce monde où
nous sommes tombés. Par contre, contempler l’ordre grandiose que les
astres, malgré leur distance, rendent visible à notre regard sensible, c’est
se voir « saisi d’un pieux respect » et se savoir appelé à aller vers les
beautés de là-bas « depuis ces beautés, sans les injurier » (8).

Malgré ce motif de la vertu indispensable au mouvement de retour


ou de conversion, Plotin dissocie l’epistrophè de tout appel moralisateur
au repentir. Se tourner vers soi-même, vers l’Intelligible, vers l’Un,
constitue un exercice où les vertus - civiques d’abord, le courage et la
tempérance surtout - jouent un rôle nécessaire car elles « possèdent la
trace de l’excellence de là-bas », mais cela ne signifie pas une
condamnation par l’âme de fautes dont elle s’attribuerait la responsabilité.
L’âme doit seulement regarder du bon côté et, pour cela, se diriger vers
le centre d’elle-même. L’erreur des gnostiques est tragique - davantage que
morale - car ils incitent à mépriser le monde sous prétexte que rien de
bon n’y existe et, ce faisant, au lieu d’enseigner une certaine ascèse
libératrice qui ne peut que commencer par un travail sur soi, ils se
plaisent à dénoncer les maux innombrables qu’ils y trouvent. En outre ils
ne prémunissent pas contre eux, seules la vertu et la philosophie le
permettent qui, par l’effort et par le raisonnement, apprennent à se détacher
des réalités corporelles et à se retourner peu à peu (epistréphein) vers le
principe (l’Intellect), puis l’Un ou le Bien, dont l’âme dépend. Si cette
catharsis morale et spéculative est indispensable à la conversion, c’est
parce qu’elle éclaire les traces du bien ultime, au delà du savoir, que
l’âme porte elle aussi en elle - elle en provient, une partie d’elle-même
est restée là-bas - mais sans en avoir conscience quand elle néglige d’en
passer par l’épreuve de cette purification et du retournement de son regard
7
Voir Plotin, Traité 33, II, 9, 15, édition sous la direction de Luc Brisson et Jean-François
Pradeau, Paris, Garnier-Flammarion, 2006, trad. Richard Dufour, p. 216.
8
Ibid, II, 9, 8,45, p. 216 ; II, 9, 13,1, p. 225 ; II, 9, 16, 50, p. 232 et II, 9, 17,35, p.234.

6
en quoi consiste sa conversion. Une fois ce travail de recentrement sur
soi fait, tout s’éclaire alors et l’âme redevient ce qu’elle est profondément :
divine. En effet dit Plotin, c’est aux dieux « et non aux hommes de bien
qu’il faut devenir semblables »(9). Or la conversion à ce niveau supérieur
de réalité, indicible comme tel, resterait impossible si l’âme n’en provenait
immémorialement : on se convertit donc toujours à sa propre vérité
cachée, mais non disparue, accessible au terme d’efforts qui peuvent
prendre toute une vie. Proposition qu’il ne faut évidemment pas
comprendre de façon étroitement psychologique ou morale puisqu’elle
implique une thèse sur l’origine bonne des humains, sur leur désir de la
retrouver et sur l’assurance que cela est possible.
La dimension de faute morale et de culpabilité, de péché devant
Dieu et de repentir, si importante en contexte biblique, ne prévaut pas ici
et c’est au salut intelligible grâce à la contemplation, dont l’action
temporelle ne peut jamais proposer qu’une très lointaine approximation
(10), que vise la conversion philosophique. Ce salut, dont l’âme est
capable par ses propres forces, sans le secours de quiconque, sans grâce
reçue, va de pair avec un délaissement de la temporalité et une
valorisation de l’éternité dont les affaires humaines nous séparent.

II. La conversion juive ou techouva.

La conversion religieuse ressemble-t-elle à ce modèle


philosophique de l’épistrophé ? Sous sa forme juive, la conversion ou
techouva est d’abord pensée comme réponse à un appel, comme retour à
un « point » dont on s’est écarté et comme repentir. Ainsi les prophètes
ne se lassent-ils pas d’appeler Israël à un retour à Dieu indissociable
d’un repentir qui, selon eux, reste à chaque instant envisageable, quel que
soit le degré d’éloignement du peuple ou d’une personne. « Revenez
(chouvou), enfants rebelles, dit l’Eternel, car je veux moi contracter une
union avec vous », rapporte Jérémie (3, 14). Ou encore, « Si tu revenais
(im tachouv), ô Israël, dit le Seigneur, revenais à moi, si tu écartais tes
abominations loin de ma face sans plus errer de côté et d’autre » (4, 1),
les peuples se diraient heureux. Loin d’être décrit comme un retour en

9
Traité 19 Sur les vertus, in Traités 7-21, sous la direction de Luc Brisson et Jean-François
Pradeau, trad. Jean-Marie Flamand, (I,2) 2,20, p.435 et 7, 29, p. 443.
10
Voir, Traité 33, op.cit., De la Contemplation, trad. Jean-François Pradeau, III, 8, 4,31-35, p.
35 : « Et les hommes aussi, lorsque leur aptitude à contempler est affaiblie, font de leur
action une ombre de contemplation et de raisonnement. Parce que leur aptitude à contempler
n’est pas suffisante, du fait de la faiblesse de leur âme, et parce qu’ils sont incapables de
saisir suffisamment l’objet de leur vision et que pour cette raison ils n’en sont pas remplis
mais aspirent à le voir, ils sont portés à l’action afin de voir ce qu’ils ne pouvaient voir avec
leur intellect »

7
arrière, ou comme une aspiration à l’éternité qui mettrait enfin à l’abri
des tourments temporels, la techouva implique une nouvelle vie, une vie
libérée, une vie sous le sceau de l’alliance avec Dieu, mais une vie sur
cette terre, avec autrui, au cœur d’une histoire souvent confuse et sans
espoir immédiatement apparent.
Mais de quoi cette conversion libère-t-elle les hommes ? « Des
mauvais penchants de leur cœur », dit encore Jérémie (3, 17) qui reprend
ici un motif central de la Torah. Déjà, dans la Genèse, Dieu décide de
ne plus envoyer de déluge pour maudire la terre à cause de l’homme car
« les conceptions du cœur de l’homme sont mauvaises dès son enfance »
(8, 21). Une première alliance - avec Noé - est alors offerte à l’humanité
qui se substitue à la malédiction. Dans le Deutéronome, Dieu avertit
Israël : « Prenez garde que votre cœur ne cède à la séduction, que vous
ne deveniez infidèle au point de servir d’autres dieux et de leur rendre
hommage. La colère du Seigneur s’allumerait contre vous (…) Imprimez
donc mes paroles dans votre cœur et dans votre pensée ; attachez-les,
comme symbole, sur votre bras, et portez-les en fronteau entre vos yeux »
(11, 16-18). La circoncision de la chair (brit mila) (Gn 17, 10), du cœur
(Dt 10, 16 ; Jr 4, 6), ou encore de l’oreille (Jr 6, 10) inscrit l’alliance
(brit) dans l’intimité charnelle et spirituelle d’une personne, c’est-à-dire
dénude en elle un « point » où la parole qui dit cette alliance peut passer,
ici et maintenant. L’écoute et l’étude de cette parole, le consentement à
lui répondre, au cœur de sa vie temporelle, constituent la techouva, la
conversion. Nul ne peut donc se contenter de suivre les mouvements
naturels qui l’animent, même à l’heure où ils sont pleins de générosité.
La conversion biblique est-elle alors essentiellement morale, voire
moralisatrice ? Comment penser qu’on puisse désirer se convertir à ce
Dieu qui exige qu’aucun membre de son peuple ne serve des dieux
étrangers sous peine de subir les méfaits de Sa colère, autrement que par
crainte, c’est-à-dire sans liberté ? Ce serait pourtant là une conclusion
hâtive. Lorsque le Dieu biblique interdit aux hommes de servir des dieux
étrangers et prescrit de revenir à Lui, sous peine de grandes souffrances,
Il énonce tout simplement une vérité profonde pour la vie de l’âme. La
possibilité même d’écouter, au plus profond de soi, une parole qui appelle
à la vie implique de mettre en sourdine les menaces de ces dieux et de
cesser de se soumettre à eux. Or ces derniers ne sont pas nécessairement
les dieux des autres peuples ou des êtres fantastiques, ils sont souvent
des humains comme soi, mais des humains dont les paroles,
malheureusement, ignorent comment appeler à la vie, par volonté
mauvaise ou par impuissance dramatique. On sait ainsi que l’âme humaine
est parfois hantée, pour sa profonde détresse, par des paroles destructrices,
incrustées en elle sous forme d’injonctions dont le sens profond a disparu,
mais auxquelles elle se croit contrainte d’obéir à la lettre comme si

8
c’était inévitable ou naturel, ou encore comme si elle croyait y discerner
« un penchant de son propre cœur ». C’est là un motif central de la
tragédie grecque : la parole qui énonce le pire, sous forme d’oracle, doit
aller jusqu’au bout, jusqu’à la ratification pleine et entière de ce qu’elle
énonce, sans que ceux dont elle écrase la liberté puissent jamais se
convertir à une autre parole. Ou bien, sans qu’ils sachent comment ne
pas entendre à la lettre les mots qui les emprisonnent « depuis
l’enfance ». Mais voici que la Bible, et singulièrement ce passage du
Deutéronome qui fait partie de la prière juive quotidienne, énonce
clairement les méfaits d’une telle écoute/obéissance et appelle à s’en
détourner pour pouvoir vivre et jouir, avec d’autres, des fruits de la terre.
Or, dans l’optique présente, Dieu n’a aucunement besoin de punir ceux
qui ne se convertissent pas à Lui puisque la sujétion aux « dieux
étrangers » qui hantent une âme - sous la figure de paroles figées dans
l’implacable destin auquel elles paraissent vouer ; ou encore sous celle
d’une servitude idéologique - produit, par elle-même, ce châtiment. Se
détourner de ces « dieux » - de tout ce qu’une âme met à la place du
Dieu vivant - que ce soit par culpabilité, par sidération, ou par angoisse
devant sa propre liberté, est indispensable. Se libérer de l’aliénation qu’ils
font peser sur une vie qui, autrement, reste sous l’emprise d’une colère,
d’une frayeur ou d’une culpabilité dont les tenants et aboutissants ne lui
appartiennent pas, mais qu’elle subit, est indispensable. La techouva, cette
réponse à l’appel du Dieu qui demande de « choisir la vie » (Dt 30, 19)
ne va en effet jamais sans liberté.
La techouva n’est donc pas réductrice au repentir moral comme une
certaine interprétation risquerait de le faire croire lorsqu’elle met
uniquement l’accent sur les fautes dont chacun est redevable. Pourtant si,
comme la conversion philosophique, elle implique une guérison (11)
personnelle censée libérer du fardeau, fût-il séduisant, de ce qui aliène, en
particulier bien sûr de ses propres fautes, elle ne se limite pas à cela :
d’elle dépend aussi le sort de la création. En effet, le repentir et le
retour caractéristiques de la techouva sont solidairement une réponse à
cette Voix qui, très tôt dans la Bible, enjoint à la responsabilité de son
propre frère (Gn 4, 9), à l’amour du prochain (Lv 19, 18), de l’étranger,
de la veuve et de l’orphelin (Ex 22, 21-23). Là où la conversion ou le
retour à l’Un - selon Plotin - subordonnait le souci moral au salut
philosophique, l’exigence de la techouva donne à ce souci une place
centrale. La conversion ne consiste pas à fuir la création et l’histoire

11
La comparaison de la philosophie et de la médecine est courante dans l’Antiquité. Voir à
ce sujet Martha Nussbaum, The therapy of desire, Princeton University Press, 1994.
Egalement Spinoza, Traité de la Réforme de l’Entendement, trad. R.Caillois, in Œuvres
Complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 106 : « avant tout il faut
réfléchir sur le moyen de guérir l’entendement et de le purifier ».

9
tumultueuse qui s’y déroule, sous prétexte de son salut propre. Elle
demande que chacun fasse grandir cette création en commençant par y
réparer (tikkun) ce qui lui revient de réparer, en soi et autour de soi. La
techouva encourage donc à accomplir sa tâche humaine en donnant toute
leur valeur aux actions temporelles plutôt que de les considérer comme
un pâle substitut de la contemplation d’un principe éternel. La dimension
nostalgique propre à l’idée de retour se complexifie donc : en contexte
juif, c’est bien l’avenir qui s’y trouve en jeu. Son propre avenir et celui
de la création. Il s’agit, pour celui qui se convertit, de faire retour à ce
« point » oublié, recouvert par les « dieux étrangers », c’est-à-dire par les
multiples errances, psychologiques, morales, intellectuelles ou spirituelles,
auxquelles il s’est laissé aller ou qu’il a subies sans jugement. Mais ce
processus de retour vise à libérer le dynamisme qui permet d’aller en
avant et de prévenir le malheur d’un avenir qui répéterait, inlassablement,
échecs et drames du passé, tant à l’échelle privée que collective. La
techouva enseigne donc à quiconque a emprunté un chemin sans issue ou
suffocant, qu’il doit d’abord revenir en arrière (par le repentir moral mais
aussi par la réflexion, l’étude, la prière, et le dialogue avec autrui) pour
repartir ensuite dans une bonne direction, c’est-à-dire une direction où son
existence, en ce qu’elle a d’unique, puisse s’accomplir. D’où l’idée de
nouveauté si insistante dans le judaïsme et inhérente à ce retour qui,
bien sûr, n’est jamais fait une fois pour toutes. Se convertir fait
découvrir qu’il est possible d’acquérir un cœur nouveau, un esprit
nouveau (Ez 18, 31), en se frayant un chemin jusqu’à ce « point » de vie,
en soi et autour de soi ; en l’écoutant, en lui répondant. C’est lui en
effet qui donne ou redonne ce dynamisme qui permet parfois d’interpréter
de façon nouvelle et libératrice un passé trop lourd ou un présent hanté
par les innombrables maléfices des dieux étrangers à la création. Ainsi
pensée, cette conversion est en effet ce qui tient au plus près de la
Parole créatrice et c’est pourquoi, dit le Rabbi de Slonim, « il faut
constamment se tenir dans le monde de la techouva ». Son élan fait
découvrir que ce monde tout entier est en attente de rédemption.
C’est pourquoi, précise encore le Rabbi de Slonim, « la techouva
apporte au monde la réparation (Tikkun) qui constitue le but même de la
création » et c’est dans une intuition forte et juste que les sages du
Talmud enseignent qu’elle « précède la création du monde » (12). En effet,
sans cette possibilité immémoriale offerte aux hommes du
retour/repentir/réponse, grâce à l’appel de Dieu à la liberté de chacun, la
12
R. Chalom Noah Brozvosky de Slonim (1911-2000), Sefer Netivot Chalom (Livre des
Chemins de la paix), chapitre Techouva, Jérusalem, Yechiva Beit Avraham Slonim, 2006, t. 1,
p. 195 et p. 196 (Rabbin du courant hassidique). Traité Pessahim 54a : « Sept choses ont
été créees avant que le monde ne fut crée : la Torah, la techouva, le Jardin d’Eden, l’enfer,
le Trône céleste, le Temple et le Nom du Messie ». En référence au psaume 90, 2-3 pour la
techouva.

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réparation des pensées, des paroles et des actes partout où ils se trouvent
avilis et meurtris, en soi, en autrui et autour de soi, resterait une vaine
proposition.

La conversion chrétienne ou métanoia.

Un désir de régénération, de grâce et de dépassement de ses


propres divisions intérieures, un désir d’unification de « soi » paraît donc
présider à toute conversion, surtout quand elle ne s’appuie pas sur des
signes venus de l’histoire ou de la nature qui plaideraient la cause de tel
ou tel Dieu. Que ce soit là le cas du monde moderne séculier et
« désenchanté » (Max Weber), ne fait pas de doute, mais les anciens ne
l’ignoraient pas pour autant. Ce désir passerait par une descente en soi
toujours plus profonde, comme si la couche la plus cachée était aussi la
plus vraie et la plus vive. Il dépendrait de soi de lui donner une place
centrale, d’organiser sa vie en fonction d’elle, ou de la laisser en friche,
à la périphérie de soi. La liberté propre à la conversion consisterait
précisément à choisir la première option (13). Dans les témoignages qu’il
rapporte de conversions au christianisme, James met l’accent sur ce
sentiment des personnes d’être passées par une descente et une remontée,
une mort et une renaissance (14).
Dans l’Evangile la conversion est présentée comme un mouvement
qui fait rompre, sur le champ, avec ses propres habitudes, voire avec son
sentiment de devoir moral, pour répondre à l’appel de Jésus : « il aperçut
Lévi (..) et il lui dit : Toi, suis-moi » (Mc 2, 14) ; « Suis-moi et laisse les
morts enterrer les morts » (Mt 8, 22) , dit-il encore à celui qui voudrait
avoir le temps d’enterrer son père avant de le suivre ; « Venez à ma
suite » (Mt 4, 19), ordonne-t-il aux quatre premiers disciples (15). Dans sa
concrétude, cette rupture et le mouvement qu’elle seule rend possible -
suivre Jésus - plaide la cause d’un changement intérieur et d’une
nouveauté incompatible avec tout ce qui tient captif du passé et de la
mort.
L’entente de ces injonctions libératrices est solidaire du « baptême
de repentir (métanoia) pour la rémission des péchés » proclamé par Jean
le Baptiste dans le désert (Mc 1, 4). L’ancienneté des rites d’immersion

13
William James, The variety of religious experiences. A study in human nature (1902),
London, NY, Toronto, Longmans, Green and Co, 1928, lecture IX, Conversion, p. 189 et p.
196.
14
Voir Ibid., p. 225 : témoignage de Alphonse de Ratisbonne, juif libre-penseur converti au
Catholicisme en 1842 : « Je sortis comme d’un sépulcre, comme d’un abîme de noirceur ; et
voici que j’étais vivant, parfaitement vivant. » D’où l’expression « The twice born » (les deux
fois nés) dans certains courants protestants.
15
Voir également : Mt 9, 9 ; Lc 5, 27 ; Mc 10, 21 ; Mt 19, 21 ; Lc 18, 22 ; Lc 9, 59.

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dans l’eau purifiante qui permettent de renaître à une vie nouvelle montre
combien cette symbolique est profonde sur la psyché humaine. Pour un
être de chair et de sang, le rite ne constitue pas un auxiliaire quelconque
des mouvements de l’âme, il les dessine et il les convoque. Se convertir
vers quelque chose de réellement nouveau implique d’oser descendre en
soi, jusqu’à retenir son souffle, comme quand on se trouve au fond de
l’eau, avant de renaître ensuite en respirant autrement, librement, au
rythme d’une parole entendue comme à soi adressée. La transcendance du
Dieu biblique - qui a crée l’homme à son image et qui s’est révélé par
ses paroles (judaïsme) et par son Fils (christianisme) - donne toute sa
radicalité à cette « descente » dans les eaux profondes de soi-même. C’est
elle qui appelle chacun à sortir unifié de l’abîme et à devenir cette
personne unique qu’il ou elle est en vérité. Dans ses Confessions,
Augustin le découvre avec gratitude : « Je n’existerais point du tout, si
vous n’étiez en moi » ; « Vous étiez au-dedans de moi plus profondément
que mon âme la plus profonde, et au-dessus de mes plus hautes cimes »
(16 ). Le secret ultime de l’âme ne lui appartient donc pas car il est celui
de l’infini qui l’habite et qu’elle abrite, tout en l’ignorant tant qu’elle n’a
pas plongé en soi et qu’elle cherche sa vérité dans les choses extérieures.
Or, comme le raconte Augustin dans ses Confessions, la résistance
humaine à cet appel est grande car il éclaire aussi, au plus intime de soi,
ce que chacun se cache à soi- même, ses péchés sans doute mais, plus
paradoxalement encore, sa peur d’oser se tenir, seul et nu, face à Celui
qui, pourtant, veut que Ses créatures avancent vers le bonheur qu’Il leur
promet.
Selon Augustin, la conversion fait descendre dans sa propre
intériorité, mais elle diffère d’une réflexion sur soi dont on garderait la
maîtrise. Le Dieu, plus intime au soi que tout pensée sur soi pourra
jamais saisir, appelle chacun(e) à advenir à son unicité inaliénable face à
Lui dans une humilité incompatible avec l’orgueil de celui qui croit
pouvoir faire son salut par ses propres forces, comme les néo-platoniciens
le prétendent (17). Découvrir la vérité du Dieu dont on peut devenir le
témoin, c’est en effet comprendre que l’initiative de l’appel est la sienne.
La liberté qui caractérise cette conversion ne revêt pas les traits d’une
indépendance illusoire et orgueilleuse, elle tient tout entière en ce pouvoir

16
Les Confessions , traduction J.Trabucco, Paris, Garnier Flammarion, 1964, I, 2, p. 16 et III, 7,
p. 57.
17
Voir Confessions , X, 42, p. 249, Augustin reproche avec des mots très durs aux néo-
platoniciens l’orgueil de croire qu’ils peuvent en venir à vivre divinement par leurs propres
capacités. Certitude qui provient de leur thèse que, par sa nature profonde, l’âme est divine.
Conformément à sa foi chrétienne, Augustin estime que l’âme a la tâche de se rendre
semblable à Dieu et que le Christ est le seul médiateur entre l’homme et Dieu puisqu’à la
fois vrai homme et vrai Dieu.

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de devenir « la voix du Verbe » (18). Se convertir, c’est donc d’abord se
délester de ce que l’on croit à tort être soi-même - et auquel on
s’accroche si souvent par désespoir, par peur de découvrir la fausseté de
cette idée - et retrouver la mémoire de ce qui nous dépasse, nous unifie
et nous singularise.

La métanoia fait donc découvrir en soi des espaces nouveaux non


encore perçus, éprouvés et explorés. Elle change à jamais l’orientation du
désir et ainsi, des pensées, des émotions et des engagements. Ce qui,
bien sûr, ne va pas sans combat et sans âpreté, car il faut aussi vaincre
en soi tout ce qui nous en détourne. La différence décisive entre cette
métanoia et la techouva se situe là : en effet si, dans leur fidélité au
message biblique, les analyses des penseurs chrétiens sur la conversion
comme réponse au Dieu intérieur rejoignent la méditation juive sur la
techouva, elles plaident la cause d’un médiateur sans lequel toute
conversion resterait impossible. La place centrale du Christ sauveur -
sauveur de l’aveuglement du péché et de la mort où il entraîne - dans le
sentiment intense de sa propre culpabilité et de ses turpitudes prend son
sens face à Lui. Dans les témoignages qu’il rapporte, James montre
combien la quête de la vérité - de soi devant Dieu - en quoi consiste
d’ailleurs toute conversion, passe pour les chrétiens par un sentiment de
sa propre indignité et de la vanité de ce qu’ils croyaient jusqu’ici
important. Pascal va jusqu’à soutenir que la conversion du pécheur lui
fait découvrir le néant dans lequel il a vécu - en aimant ce qui est mortel
- et une entrée dans une « sainte humilité » qui, de fait, permet seule de
chercher le véritable bien (19).

Catherine Chalier.

18
Emmanuel Housset, L’intériorité d’exil, Paris, Le Cerf, 2008, p. 57 et p. 59 : « C’est donc
tout entier, dans sa dimension intellectuelle et affective, que l’homme effectue ce mouvement
de transcendance qu’est la conversion. »
19
Voir Pascal, Sur la conversion du pécheur, in Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade, 1954, p. 550. Et James, The variety of religious experiences, lecture IX et X.

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