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Un an après, l'élection d'Emmanuel Macron au défi de l'interprétation | AOC media - Analyse Opinion Critique 23/04/2018 08)20

lundi
23 . 04 . 18
[Analyse]

Un an après, l’élection
d’Emmanuel Macron au
défi de l’interprétation

F
Par Bruno Cautrès

aire un retour sur l’élection, il y a tout juste un an,


d’Emmanuel Macron n’est pas complètement
simple. Si le Président de la République a déjà
e!ectué 20% de son mandat et si l’année écoulée a
été particulièrement dense en termes de réformes
mises en route, analyser la portée de la séquence
électorale de 2017 dans l’histoire de la
Ve République ne va pas sans di"culté :
analysons-nous un évènement fondateur qui, à
partir d’une grande rupture, va progressivement
recomposer pour une longue durée le système
partisan et l’espace idéologique français ? ou analysons-nous une
parenthèse, spectaculaire et sans précédent, mais destinée à se
refermer un jour ? Avons-nous assisté à un moment politique
équivalent dans son ampleur et ses conséquences aux débuts de la
Vème République en 1958, ou avons-nous assisté à la réplique de
l’élection en 1974 de Valéry Giscard d’Estaing ?

Si l’on peut faire de nombreux parallèles entre Emmanuel Macron et le


président centriste qui rêvait de réunir « deux français sur trois » (le
score d’Emmanuel Macron au second tour), le contexte n’est toutefois
pas le même et surtout sur un point central : en 1974, le nouveau
Président prenait appui sur une coalition politique qui malgré ses
fortes tensions reposait fondamentalement sur le clivage gauche-droite
(l’alliance des néo-gaullistes et des libéraux, qui préfigura l’alliance
RPR-UDF) tandis qu’Emmanuel Macron a conquis l’Elysée à partir d’un
mouvement politique crée un an avant et se situant explicitement dans
la perspective du dépassement de ce clivage gauche-droite.

Afin de mieux répondre au défi d’interprétation que pose cette


élection, il semble de première importance de revenir en arrière et de
débobinner le film. Si le recul du temps nous manque encore, cette
prise de distance semble essentielle pour trancher une question
fondamentale : cette élection est-elle la cause d’une recomposition en
cours ou est-elle l’e!et de profondes tensions politiques et de
recompositions en germe ? Il faut ici renouer le fil de l’histoire de la
présidentielle de 2017 avec celui des évolutions politiques que

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connaissent toutes les sociétés européennes depuis au moins deux


décennies. On ne peut en e!et comprendre d’où part l’élection
d’Emmanuel Macron sans prendre en compte ces évolutions
fondamentales et la manière dont la sociologie électorale en a rendu
compte.

Tout au long de la campagne électorale de 2017, les analystes politiques


se sont largement fait l’écho d’un soit-disant « nouveau clivage »
opposant les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation. S’il
est tout à fait avéré qu’un clivage (au sens fort du terme que lui donne
les spécialistes de sociologie électorale) portant sur la question de
l’ouverture et de l’intégration de la France dans l’économie mondiale, a
pleinement manifesté ses e!ets dans la dynamique et l’élection
d’Emmanuel Macron, il n’est pas certain que ce clivage soit
« nouveau ». Il puise sa source dans les évolutions économiques,
sociales, culturelles dont on trouve les premières manifestations
politiques à partir du milieu et de la fin des années 1980.
Progressivement, on voit en e!et s’a"rmer dans les années 1980 et
1990, au côté du traditionnel clivage gauche-droite, une seconde
dimension de la politique dans presque tous les pays européens : la vie
politique ne peut plus s’y résumer par le clivage primitif entre la
gauche et la droite et les positions des partis politiques comme les
valeurs et les préférences des électeurs commencent à connaître
d’importantes tensions autour de la « nouvelle » dimension politique,
celles des questions sociétales et des questions de l’identité.

Les travaux de recherche des spécialistes de sociologie électorale ont


largement analysé cette fragmentation des vies politiques européennes
et ont donné di!érentes versions ou di!érentes dénominations à ce
processus : « la politique des deux axes », comme le dit Vincent Tiberj,
c’est-à-dire la co-existence de valeurs et de préférences exprimées
dans les termes de la gauche et de la droite et dans les termes de ce que
le CEVIPOF a identifié dès le milieu des années 1990 comme « le
libéralisme culturel ». Dans ses nombreux travaux consacrés à cette
question, Pascal Perrineau parle, à l’époque, du clivage
« ouvert/fermé » redéfinit ensuite comme le clivage entre « la société
ouverte » et « la société du recentrage national », défini par des enjeux
économiques, sociétaux et culturels.

La généalogie de l’élection d’Emmanuel Macron trouve clairement ici


sa source. A partir de cette « politique des deux axes », dont les e!ets
sur le système partisan français ont été multiples depuis les années
1990 (progressive incorporation des thématiques du changement
culturel et sociétal dans l’agenda politique de la gauche et notamment
du PS ; montée en puissance du Front national et instrumentalisation
par celui-ci de la question migratoire à partir du milieu des années
1980 ; tensions au sein de la droite sur les questions de société et de
changement social), on constate un élargissement et un
approfondissement des fractures socio-politiques sur les questions
européennes et les questions liées à l’entrée de la France dans
l’économie libérale ouverte. On doit au sociologue suisse Hanspeter
Kriesi d’avoir théorisé le plus complètement le processus politique qui
s’est ainsi noué, à partir du début des années 1990, sur la question de la
globalisation. Réalisant, avec son équipe de recherche basée alors à
Zurich, un ambitieux programme de recherches comparatives entre
pays européens, ses travaux ont cherché à comprendre les origines et
les e!ets de cette très « grande transformation ».

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La principale thèse de Kriesi est que la mondialisation a profondément


transformé les fondements de la politique en Europe de l’Ouest tels
que les travaux pionniers de Stein Rokkan les décrivaient dans les
années 1960. D’une part, la mondialisation aurait créé un nouveau
clivage politique (le clivage « démarcation/intégration ») restructurant
en profondeur les systèmes de partis et les orientations idéologiques
des électeurs dans les pays d’Europe occidentale ; d’autre part, les «
nouvelles potentialités politiques », selon les termes de l’auteur, créées
par la mondialisation qui rencontrent le plus de succès en Europe
seraient celles portées par les partis populistes de droite autour des
questions de la « politique de l’identité ».

On voit clairement ici que l’on ne peut comprendre l’élection


présidentielle de 2017, la structure de son second tour et ses
conséquences, sans prendre en compte ces analyses qui soulignent le
paradoxe politique de la globalisation : les tensions liées au
dépassement de l’Etat-nation dans la sphère économique, mais aussi
culturelle et sociale, mettent au cœur des débats politiques la question
des frontières et de l’identité. Ce paradoxe a bien été analysé par les
travaux de l’équipe de Hanspeter Kriesi : alors même que la
globalisation favorise l’émergence et l’expression de problèmes ou
enjeux politiques au niveau planétaire (et pas seulement européen), le
besoin de réguler ces problèmes au sein des organisations politiques
transnationales, jamais la question de l’État-nation, des limites de son
action et de son périmètre, n’aura eu une telle importance. La politique
nationale devient ainsi le lieu d’expression de toutes les tensions et
contradictions liées à la dilatation de l’espace de son action sous l’e!et
de la globalisation.

La trame et la toile de fond de l’élection d’Emmanuel Macron a donc


été progressivement tissé à partir des années 1990. Elle a été précédé,
dans les deux quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François
Hollande, d’importantes tensions au sein des familles de la droite et de
la gauche sur les deux questions qui fondent le clivage entre
« démarcation » et « intégration », l’économie et l’identité. La droite
s’est progressivement éloigné et même détaché du centre sur les
question liées à l’identité nationale et aux phénomènes migratoires
tandis que la gauche s’est progressivement brisée jusqu’à
« l’irréconciliable » dont parlait Manuel Valls (même si son propos
suscita beaucoup de polémiques) sur l’économie. Le processus qui a
ainsi travaillé en profondeur la vie politique française, comme celle de
plusieurs pays européens, a lentement sapé les bases du clivage
gauche-droite.

Non seulement en termes programmatiques, avec des contradictions


di"ciles à tenir entre agenda de politique nationale et contraintes
européennes et mondiales, mais surtout en termes sociologiques.
Hans-Peter Kriesi et son équipe ont identifié trois mécanismes à partir
desquels ces transformations ont en e!et contribué à la formation de
nouveaux groupes sociaux : la concurrence économique (avec de
nouvelles formes de concurrence entre secteurs économiques «
ouverts » et « protégés ») ; la diversité culturelle (avec des oppositions
potentielles entre « populations indigènes » et « migrants ») ; enfin,
l’intégration politique (avec des conflits idéologiques entre des
orientations politiques « nationalistes » et des orientations «
cosmopolites »).

Ces nouveaux groupes, qualifiés de « gagnants » et de « perdants » de


la mondialisation, sont composés de professions et de statuts sociaux
qui n’étaient pas auparavant réunis par leurs intérêts économiques ou
leurs valeurs sociales. Ainsi, selon l’approche de Kriesi, les « gagnants »
comprennent à la fois les entrepreneurs et les employés qualifiés dans
les secteurs ouverts à la concurrence internationale ainsi que les
citoyens dénommés par Kriesi les « cosmopolites », ceux qui non
seulement sont mobiles à l’intérieur de l’espace économique européen
mais adhèrent aux valeurs du « cosmopolitisme » ; en revanche, les «

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perdants » de la mondialisation comprennent des entrepreneurs et des


employés qualifiés dans des secteurs économiques traditionnellement
protégés ainsi que les employés et les travailleurs non qualifiés qui
s’identifient fortement à leur communauté nationale.

On constate la même évolution dans le domaine des valeurs et des


attitudes politiques : les « perdants » de la mondialisation sont réunis
par leur soutien aux mesures protectionnistes, mettant l’accent sur le
maintien des frontières et la souveraineté nationale. Les « gagnants »,
en revanche, soutiennent l’ouverture des frontières nationales, la
mobilité et les flux économiques et culturels. Kriesi résume
l’antagonisme économique, culturel et politique entre les « gagnants »
et les « perdants » de la mondialisation comme un conflit entre «
l’intégration » et la « démarcation : « l’intégration », c’est l’acceptation
du fait que les frontières nationales sont moins étanches et qu’il faut
les intégrer au sein d’un système européen ou mondial ; la «
démarcation » c’est au contraire le refus de l’interdépendance
mondiale et la volonté de s’en « démarquer », de s’en tenir à l’écart.

Si l’on accepte donc de considérer qu’au-delà du contexte exceptionnel


dont il bénéficia (renoncement de François Hollande, explosion en
plein vol de la campagne de François Fillon, spectaculaire
e!ondrement de Marine Le Pen lors du débat de l’entre deux tours) et
du talent dont il fit preuve dans sa stratégie et sa campagne électorale,
l’élection d’Emmanuel Macron traduit la lente recomposition de notre
vie politique due aux e!ets profonds de la globalisation, se pose alors
une question majeure et se dessinent deux scénarios d’évolutions. La
question majeure est celle de la « résilience » du clivage gauche-droite.
Rien ne serait plus faux que de croire en la disparition de ce clivage qui
aurait été englouti dans les décombres de « l’ancien monde ». Les
préférences de politiques publiques et les valeurs idéologiques des
Français continuent d’être marquées et orientées par les principaux
ressorts du clivage gauche-droite. Celui-ci est toujours présent et
cohabite encore avec le clivage entre les « gagnants » et les « perdants »
de la mondialisation. Les données que le CEVIPOF a récemment
collectées, dans le cadre de son Baromètre de la confiance politique
(dont la dernière vague a été publiée en Janvier 2018), me montrent
clairement.

Les deux scénarios d’évolution que tous ces éléments dessinent sont
les suivants : ou bien l’émergence d’un nouveau « quadrille bipolaire »
(qui redéfinirait les contours de l’ancien « quadrille ») avec un pôle de
« gauche sociale et culturellement libérale » (France insoumise, PS,
écologistes), un pôle de « droite libérale mais culturellement
autoritaire » (les LR de Laurent Wauquiez), un pôle « centriste libéral
au plan économique et culturel » (LREM) et un pôle « autoritaire
culturellement et social » (FN). Un second scénario consisterait dans le
retour de la « tripartion » du système partisan avec un très grand pôle
« social au plan économique, libéral au plan culturel » (gauche et
écologistes), un très large pôle « libéral au plan économique et au plan
culturel » (LaREM, les centristes de gauche et le centristes de droite) et
un pôle « autoritaire au plan culturel, social au plan économique » (FN,
droite nationaliste et souverainiste).

L’élection d’Emmanuel Macron va donc se traduire par d’importantes


recompositions mais celles-ci continueront de s’exprimer dans les
deux axes de la politique française qui ont pris racine dans une histoire
de longue durée, le clivage gauche-droite hérité du XIXe siècle et de la

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Révolution industrielle, et le clivage entre « société ouverte » et


« société du recentrage national » pour reprendre les concepts de
Pascal Perrineau. L’ampleur de ce processus aurait-il peu être freiné ou
retardé si le contexte de la campagne de 2017 avait été di!érent ? On ne
pourra jamais répondre à cette question. En revanche, si l’on applique
un raisonnement contrefactuel consistant à se demander ce qui se
serait passé si Emmanuel Macron n’avait pas saisi à bras le corps son
destin politique, on voit bien que ni l’élection de François Fillon, ni la
ré-élection de François Hollande et encore moins celle de Marine Le
Pen n’aurait su" à endiguer, et bien gérer dans les profondeurs de la
société française, toutes les tensions liées à l’intégration de la France
dans le monde. C’est là le défi d’Emmanuel Macron : lui qui plaide pour
« libérer, protéger, unir » saura-t-il le faire sans accroître les inégalités
et les injustices qu’ont entrainé la grande révolution dont nous sommes
les contemporains, celle de l’économie-monde et de la remise en cause
de toutes nos certitudes quant au cadre protecteur des frontières
nationales ? A lui de jouer, gare à la déception, car sans promettre plus
que ses prédécesseurs il a quand même juré de changer nos vies….

Bruno Cautrès
POLITISTE, CHERCHEUR CNRS AU CEVIPOF,
PROFESSEUR À SCIENCES PO PARIS

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