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358
Christelle Reggiani
Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions
de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents -
Prescriptions pour la permanence’.
ISBN: 978-90-420-3224-8
E-Book ISBN: 978-90-420-3225-5
© Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2010
Printed in The Netherlands
Pour Bernard Magné
Introduction
1
Albert Thibaudet, « Réflexions sur le roman. À propos d’un livre récent de M. Paul
Bourget » (1912), Réflexions sur la littérature, édition d’Antoine Compagnon et de
Christophe Pradeau, Gallimard, coll. « Quarto », 2007, p. 121. Sur cette idée, centrale
dans la réflexion de Thibaudet, voir Christophe Pradeau, « Le roman a le temps »,
Poétique, n° 132, 2002, p. 387-400, ainsi que « Albert Thibaudet : la dynamique du
mémorable », Littérature, n° 124, 2001, p. 38-49.
2
Voir François Hartog, Régimes d’historicité : Présentisme et expériences du temps,
Seuil, 2003.
3
« Par épiphanie, il [Stephen] entendait une soudaine manifestation spirituelle, se tra-
duisant par la vulgarité de la parole ou du geste ou bien par quelque phase mémorable
de l’esprit même. Il pensait qu’il incombait à l’homme de lettres d’enregistrer ces épi-
phanies avec un soin extrême, car elles représentaient les moments les plus délicats et
les plus fugitifs. » (James Joyce, Stephen le héros [1905], traduction de Ludmila Sa-
vitsky, Œuvres, tome I, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 512.)
4
Sur ce point, voir Dominique Rabaté éd., L’Instant romanesque, Modernités, Bor-
deaux, n° 11, 1998.
8 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
5
Georges Perec, « À propos des Choses » (1981), Entretiens et Conférences, édition
de Dominique Bertelli et de Mireille Ribière, Nantes, Joseph K., 2003, t. II, p. 267. De
même, le temps passe dans L’Augmentation : la secrétaire vieillit, l’entreprise
s’agrandit…
6
Voir, sur ce point, Georges Perec, « Lettre à Maurice Nadeau » (1969), Je suis né,
Seuil, 1990.
7
Manuscrit inédit de 1968, cité dans Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 67.
8
Georges Perec, « Quelques-unes des choses qu’il faudrait tout de même que je fasse
avant de mourir » (1981), Je suis né, op. cit., p. 107.
9
Julien Roumette, Le Temps mode d’emploi. Problématique et écriture du temps dans
les romans de Georges Perec, université Paris VII, 1999.
10
« Un jour surtout, c’est la maison entière qui disparaîtra, c’est la rue et le quartier
entier qui mourront. […] Les démolisseurs viendront et leurs masses feront éclater les
crépis et les carrelages, défonceront les cloisons, tordront les ferrures, disloqueront les
poutres et les chevrons, arracheront les moellons et les pierres : images grotesques
d’un immeuble jeté à bas, ramené à ses matières premières dont des ferrailleurs à gros
gants viendront se disputer les tas […]. Les bulldozers infatigables des niveleurs
viendront charrier le reste : des tonnes et des tonnes de gravats et de poussières »
(Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Romans et Récits, édition de Bernard Magné,
Le Livre de poche, coll. « La Pochothèque », 2002, p. 816 et 818.)
11
Où figure, du reste, celle de La Vie mode d’emploi.
12
Jean-Paul Goux, La Fabrique du continu : Essai sur la prose, Seyssel, Champ
Vallon, 1999.
INTRODUCTION 9
13
Le temps figure, d’ailleurs, dans cette liste d’ « ancrages » (Georges Perec, « Treize
ancrages dans l’espace », Texte en main, Grenoble, n° 12, 1997, p. 34).
14
« Lettre à Maurice Nadeau », op. cit., p. 60.
15
Georges Perec, « Je ne veux pas en finir avec la littérature » (1978), Entretiens et
Conférences, op. cit., t. I, p. 223.
16
Georges Perec, Les Revenentes, Romans et Récits, op. cit., p. 114.
17
« “Busco al mismo tiempo lo eterno y lo efimero.” Dialogo con Georges Perec »
(1974), traduction d’Éric Beaumatin, Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 187. Et
Perec ajoute : « Je trouve cette phrase extraordinaire. Pas vous ? »
18
« Georges Perec : le grand jeu » (1978), op. cit., p. 257. Dans les termes mêmes de
l’auteur, la dilatation est bien spatiale.
10 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
19
Le soir du 23 juin 1975 date, en effet, le début de la liaison de Georges Perec avec
Catherine Binet, la mort de Bartlebooth étant alors à interpréter, dans les termes
mêmes de l’auteur, comme « la mort du vieil homme » (voir David Bellos, Georges
Perec. Une vie dans les mots, Seuil, 1994, p. 585-586).
20
Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance (1975), Gallimard, coll. « L’Ima-
ginaire », 1993, p. 13.
21
« J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles et presque
intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points
de départ, des sources. […] De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent
pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse
d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ;
il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête »
(Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974, p. 122).
22
Sur l’opposition entre les mémoires proustienne et perecquienne, voir Danielle
Constantin, « Perec et Proust : le travail de la mémoire », dans Claude Filteau et
Michel Beniamino éd., Mémoire et Culture, Limoges, Presses Universitaires de
Limoges, 2006, p. 133-143.
23
Le recueil de Queneau portant ce titre paraît en 1948 chez Gallimard.
24
« Exaltation » éprouvée dans le cadre collectif d’un défi oulipien, celui du « roman
le plus bref » : « On a travaillé à l’Oulipo pour savoir quel roman avait la durée la plus
longue. […] Le roman le plus bref ne devrait durer qu’un dixième de seconde. Le
mien dure quelques secondes. Je décris les instants qui précèdent la mort de Bartle-
booth. Le point de départ est cet instant fatal. Tous ces projets, tous ces personnages
se sont rassemblés pour raconter l’aventure dérisoire et grandiose de cet homme. Tout
est la projection de cette mort sur une maison, et la mort du peintre enfin est la mort
du livre ». (« Je ne veux pas en finir avec la littérature », op. cit., p. 223.)
INTRODUCTION 11
Je me souviens :
la rhétorique perecquienne des noms propres
1
Si l’on s’en tient dans un premier temps aux noms propres de personnes et
d’animaux, prototypiques de la catégorie (voir Jean Molino, « Le nom propre dans la
langue », Langages, n° 66, 1982, p. 7), on constate qu’ils interviennent dans 275 « je
me souviens » sur les 480 que compte le livre.
2
L’index est sur ce point, plus encore qu’ailleurs, extrêmement incomplet : il ne
renvoie après l’entrée « Noms des choses ou des gens » qu’à trois « je me souviens »
(353, 354 et 355). Il ne s’agit visiblement pas tant ici de construire un index qui
permette d’explorer le livre selon des parcours divers que de mettre en évidence un
élément de continuité textuelle : en liant fortement la succession des textes dans le
volume à leur unité thématique, l’index rémunère dans une certaine mesure la
discontinuité fragmentaire qui caractérise pourtant l’écriture du livre. L’entrée
« Noms des choses ou des gens » va donc dans le même sens que l’inscription
explicite, parfois, d’un enchaînement entre les « je me souviens ». Ainsi des « je me
souviens » 157 et 158 : « Je me souviens que Darry Cowl s’appelle André Darri-
gaud » / « Et cela me fait me souvenir du coureur cycliste André Darrigade ».
L’enchaînement est, d’ailleurs, ici d’autant plus marqué que le « je me souviens » 158
est le seul du livre à ne pas commencer par la séquence je me souviens. (Sur l’erreur
au sujet du nom de Darry Cowl, voir Roland Brasseur, « Je me souviens de I
Remember », Le Cabinet d’amateur, Toulouse, n° 6, 1997, p. 121.)
3
On notera à ce propos la récurrence à l’intérieur du livre du verbe s’appeler, qu’on
retrouve dans 28 « je me souviens ». On peut du reste penser, avec Andrée Chauvin,
16 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
des petits morceaux de quotidien, des choses […] qui ensuite ont
disparu, ont été oubliées : elles ne valaient pas la peine d’être
mémorisées, elles ne méritaient pas de faire partie de l’Histoire […].
que les noms propres furent « les véritables déclencheurs et fixateurs de la mémoire »
lors de la genèse de Je me souviens, les souvenirs ayant probablement émergé « sous
forme d’énumération (de noms d’athlètes, de politiciens, d’artistes, de titres de
chansons) […] » (« Jeux de mémoire et histoires de mots dans Je me souviens de
Georges Perec », Les Cahiers du CRELEF, vol. I, n° 33, 1992, p. 60 et 61).
4
Philippe Lejeune, « Les temps d’une ruse », La Mémoire et l’Oblique. Georges
Perec autobiographe, P.O.L, 1991, p. 236.
JE ME SOUVIENS 17
5
Perec le redira à Jean-Marie Le Sidaner : « au fond, il s’agit de regarder un peu à
côté, de retrouver ou de garder la trace d’une pratique quotidienne que ni l’Histoire ni
la Littérature ne prennent en charge » (Georges Perec, « Entretien Perec/Jean-Marie
Le Sidaner » [1979], Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 95).
6
Philippe Lejeune montre que cette double polarité représente, en fait, dans l’histoire
de l’œuvre, l’intersection des deux séries de « Lieux » : « l’idiosyncrasie des
souvenirs et le fatras des réels », « le souvenir inessentiel, mais commun » (op. cit.,
p. 138-139).
7
Sur le rapport qu’entretient Je me souviens de Perec avec I Remember de Brainard,
voir Roland Brasseur, « Je me souviens de I Remember », op. cit., p. 118-120. On
notera, par ailleurs, la parenté entre Je me souviens et la Recollection des merveil-
leuses advenues, commencée (après 1496) par Georges Chastellain, et continuée par
Jean Molinet : la Recollection est un ensemble de huitains hexasyllabiques construit
sur une série de « j’ay veu », le verbe voir renvoyant moins à une expérience senso-
rielle directe qu’à un souvenir, collectif plutôt que personnel (de l’ordre de l’histoire,
antique ou contemporaine, aussi bien que du fait-divers).
18 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
8
Comme le remarque Georges Kleiber ; « pour que l’on puisse inférer de l’absence
d’attributs ou de propriétés sur le référent l’absence de contenu sémantique, il faut
présupposer que le sens équivaut à ces attributs ou propriétés » (Problèmes de
référence : Descriptions définies et noms propres, Klincksieck, 1981, p. 352).
9
Jean-Claude Pariente, « Le nom propre et la prédication dans les langues
naturelles », Langages, n° 66, 1982, p. 38.
10
Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, PUF, 1994, p. 18-19.
11
Saul Kripke, La Logique des noms propres, traduction de Pierre Jacob et de
François Recanati, Minuit, 1982, p. 81.
JE ME SOUVIENS 19
12
Op. cit., p. 84-85.
13
Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, op. cit., p. 29-30.
14
Op. cit., p. 57.
15
C’est en ce sens que Barthes peut écrire du nom propre, dans l’œuvre de Proust,
qu’il « est en quelque sorte la forme linguistique de la réminiscence », parce qu’il
« dispose des trois propriétés suivantes » : « le pouvoir d’essentialisation (puisqu’il ne
désigne qu’un seul référent), le pouvoir de citation (puisqu’on peut appeler à dis-
crétion toute l’essence enfermée dans le nom, en le proférant), le pouvoir d’explo-
ration (puisque l’on “déplie” un nom propre exactement comme on fait d’un souvenir)
[…] » (« Proust et les noms », Nouveaux essais critiques [1972], Œuvres complètes,
édition d’Éric Marty, Seuil, 2002, t. IV, p. 68-69).
16
Nelly Flaux, « L’antonomase du nom propre ou la mémoire du référent », Langue
française, n° 92, 1991, p. 44.
17
Kerstin Jonasson, « Les noms propres métaphoriques : Construction et interpré-
tation », Langue française, n° 92, 1991, p. 71.
18
Roland Barthes, « Proust et les noms », op. cit., p. 69-70.
19
Voir Saul Kripke, La Logique des noms propres, op. cit., p. 20.
20 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
20
Jean-Claude Pariente, « Les noms propres et la prédication dans les langues
naturelles », op. cit., p. 56. On rappellera ici pour mémoire la théorie descriptiviste
formulée, notamment, par Frege, Russell et Searle, qui fait des noms propres « des
descriptions définies abrégées » (John Searle, Les Actes de langage. Essai de philoso-
phie du langage, traduction de Hélène Pauchard, Hermann, 1972, p. 219) ou, comme
Searle le reformule plus loin, « des clous auxquels on accroche les descriptions » (op.
cit., p. 226). Voir, pour un exposé des différentes variantes de cette théorie, Georges
Kleiber, Problèmes de référence, op. cit., p. 371-378. À la limite, on aura les thèses de
Bréal (dans son Essai de sémantique) et de Jespersen (dans sa Philosophie de la
grammaire), reformulées notamment par Marc Wilmet, qui lie à l’extension minimale
du nom propre – qui n’est, d’ailleurs, limitée à un seul objet que pour les noms de
lieux géographiques – une intension « ipso facto maximale ou en tout cas
maximalisable » (Marc Wilmet, « La détermination des noms propres », dans Jean
David et Georges Kleiber éd., Déterminants : Syntaxe et sémantique, Klincksieck,
1986, p. 320-321). On se reportera à Georges Kleiber pour un exposé très clair de
« l’erreur de raisonnement » que représente cette thèse : « La loi intension (compré-
hension)/extension ne s’applique qu’à des lexèmes appartenant à une même catégorie
sémantique. On peut ainsi dire que cheval a plus d’extension et moins de compré-
hension que hongre. […] L’erreur des défenseurs de cette thèse provient en réalité
d’un amalgame erroné et d’une comparaison illégitime. Ils assimilent d’une part sens
et connotations [linguistiques] et comparent d’autre part le nom propre modifié au
nom commun » (Problèmes de références, op. cit., p. 370).
21
Voir notamment Robert Martin, Langage et Croyance. Les « Univers de croyance »
dans la théorie sémantique, Bruxelles, Mardaga, 1987, p. 146-154.
22
Ainsi que le note Robert Martin : « En face du nom commun, le nom propre
véhicule obligatoirement des prédications qui n’ont aucun caractère de stabilité d’un
univers à l’autre » (op. cit., p. 154).
JE ME SOUVIENS 21
23
Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, op. cit., p. 51.
24
Voir Georges Kleiber, Problèmes de référence, op. cit., notamment p. 326.
25
Le terme est dû à Gustave Guillaume.
26
Marc Wilmet, « Nom propre et ambiguïté », Langue française, n° 92, 1991, p. 115.
27
Marie-Noëlle Gary-Prieur montre, d’ailleurs, que c’est précisément cette opacité
qui fonde le fonctionnement comme désignateur rigide du nom propre, tel qu’il est
formulé par la théorie de Kripke (« nous appellerons quelque chose un “désignateur
rigide” si dans tous les mondes possibles il désigne le même objet […] » [Logique des
noms propres, op. cit., p. 36]) : « c’est dans la mesure où le nom propre n’est associé à
aucune propriété nécessaire […] qu’il est apte à désigner rigidement l’individu qu’il
nomme » (Grammaire du nom propre, op. cit., p. 25).
28
Georges Kleiber, Problèmes de référence, op. cit., p. 315. Cette opacité va donc de
pair avec une transparence sémantique.
29
Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, op. cit., p. 26.
22 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
C’est dire que le projet d’un livre en grande partie fondé sur
l’énoncé, parfois brut, de noms propres, semble pour le moins
difficile.
La notion de contexte est ici fondamentale. Elle recouvre, en fait,
deux éléments distincts : l’énoncé lui-même et son entour discursif (on
peut alors parler de co-texte) d’une part ; la situation d’énonciation,
qui implique, entre ses protagonistes, un certain nombre de connais-
sances partagées, d’autre part. Si, au sujet des référents de certains
noms propres, les connaissances partagées font défaut entre le scrip-
teur de Je me souviens et certains de ses lecteurs32, c’est donc par
l’énoncé que devra passer la compréhension – la lisibilité – du texte.
Or, l’écriture de Je me souviens semble, sur ce point, passablement
retorse, voire paradoxale.
Partage ou opacité ?
30
Selon l’expression de Bernard Magné, « Les cahiers des charges de Georges
Perec », Magazine littéraire, n° 316, 1993, p. 72.
31
Kerstin Jonasson, « La référence des noms propres relève-t-elle de la deixis ? »,
dans Mary-Annick Morel et Laurent Danon-Boileau éd., La Deixis, PUF, 1992,
p. 463. Le nom propre relève donc, dans cette mesure, d’un fonctionnement déictique.
32
La notion de connaissances partagées ne signifie ici nulle identité entre les
représentations que construisent le scripteur et le lecteur du contenu de tel nom
propre : il est clair que pour chaque locuteur/récepteur, le « réseau d’anticipations »
(Jean-Claude Pariente, « Les noms propres et la prédication dans les langues
naturelles », op. cit., p. 37) associé à un nom propre donné peut différer. Le partage en
cause concerne donc davantage l’identification d’un certain référent que les modalités
de cette identification.
JE ME SOUVIENS 23
33
Eugène Nicole, « L’onomastique littéraire », Poétique, n° 54, 1983, p. 242. On ren-
verra ici, entre autres références possibles, à de célèbres études proustiennes : les ana-
lyses de Barthes, d’abord, même si, comme l’écrit Alain Buisine, « Proust et les
noms » apparaît comme « une curieuse fiction critique qui vaut plus comme symptô-
me que comme analyse » (« Barthes et les noms », dans Philippe Bonnefis et Alain
Buisine éd., La Chose capitale. Essais sur les noms de Barbey, Barthes, Bloy, Borel,
Huysmans, Maupassant, Paulhan, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1981, p. 73)
et, surtout, l’article de Gérard Genette, « Proust et le langage indirect », Figures II,
Seuil, 1969. Sur la « motivation indirecte, et non immédiatement parlante, qui carac-
térise le nom propre romanesque » (Yves Baudelle, « Nouvelle et noms propres 1920-
1959 », dans Bernard Alluin et François Suard éd., La Nouvelle. Définitions,
transformations, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1990, p. 132), on se reportera,
de manière générale, à Ian Watt, The Rise of the Novel. Studies in Defoe, Richardson
and Fielding, Londres, Hogarth Press, 1957, p. 18-21, et à Philippe Hamon, « Pour un
statut sémiologique du personnage », dans Roland Barthes et al., Poétique du récit,
Seuil, coll. « Points », 1977, p. 147-150.
34
Aristote, Rhétorique, traduction de Charles-Émile Ruelle revue par Patricia Vanhe-
melryck, Le Livre de poche, 1991, p. 282.
24 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
accessible que si l’on se rappelle que Paderewski était, avant d’être élu
Président, un célèbre pianiste35.
35
C’est pourquoi, d’un point de vue purement théorique, il semble difficile de tout à
fait séparer, ainsi que le fait Marie-Noëlle Gary-Prieur, l’« interprétation identifiante »
du nom propre, « fondée sue [son] sens et la connaissance de sa relation à tel référent
initial », de son « interprétation prédicative », fondée quant à elle « sur le sens et le
contenu » (Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, op. cit., p. 59-60).
36
Le souvenir de Perec est, d’ailleurs, erroné : voir, sur ce point, Roland Brasseur, Je
me souviens de Je me souviens. Notes pour Je me souviens de Georges Perec à l’usa-
ge des générations oublieuses, Bordeaux, Le Castor astral, 1998, p. 110.
37
Sur cette question des « paires » de « je me souviens », on se reportera à la thèse de
doctorat de Wilfrid Mazzorato, Écrire des traces. L’Écriture autobiographique de
Georges Perec, université de Toulouse II-Le Mirail, 1998, t. I, ch. 5 : « Je me sou-
viens : une “prise d’écriture” ».
JE ME SOUVIENS 25
38
Par « réfract[ion] », comme le remarque Andrée Chauvin (« Jeux de mémoire et
histoire de mots dans Je me souviens de Georges Perec », op. cit., p. 61), de la
structure d’ensemble de Je me souviens : comme si la poétique de la liste qui informe
l’agencement global du livre était redoublée au plan des énoncés élémentaires qui le
constituent.
39
Cette textualisation du paratexte est mise en évidence de manière flagrante par le
« je me souviens » 395, où c’est l’index – à l’entrée « Treets » – qui complète le
slogan du souvenir : « Je me souviens de “fond dans la bouche et pas dans la
main…” ». Ce processus de textualisation du paratexte est, d’ailleurs, récurrent dans
l’œuvre de Perec : ainsi de Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? et
d’Espèces d’espaces.
26 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
40
Ce que marque, morphologiquement, l’adjonction d’un trait d’union entre ses deux
éléments. Sur l’extension de la catégorie des noms propres aux noms de rues,
d’avenues…, voir Kerstin Jonasson, Le Nom propre. Constructions et interprétations,
Bruxelles, Duculot, 1994.
41
Selon Jacques Lecarme, d’ailleurs, le cycliste Roger Walkowiak « resta parfai-
tement obscur après [une] surprenante victoire sans lendemain » (« La page des
sports », Magazine littéraire, n° 316, 1993, p. 41).
JE ME SOUVIENS 27
L’OPACITE DE LA MEMOIRE
42
La notion d’ « encryptage » est reprise à Perec lui-même, qui l’expose dans « Le
travail de la mémoire » (entretien avec Franck Venaille), Je suis né, Seuil, 1990,
p. 86-87. Perec parle aussi, à ce sujet, de « marquage autobiographique » (« Notes sur
ce que je cherche », Penser/Classer, Hachette, 1985, p. 11).
43
Sur la lecture de Je me souviens comme « cryptogramme autobiographique », voir
Jacques-Denis Bertharion, « Je me souviens : un cryptogramme autobiographique »,
Le Cabinet d’amateur, n° 2, 1993.
44
On se souvient qu’une analyse de Gérard Genette montrait que L’Astrée faisait, de
façon moins attendue, entrer le « serpent » de la « libido » dans la bergerie du « Pur
Amour » (« Le serpent dans la bergerie », Figures I, Seuil, 1966).
45
« Le travail de la mémoire », loc. cit.
46
Jacques Derrida, « La violence de la lettre : de Lévi-Strauss à Rousseau », De la
grammatologie, Minuit, 1967, p. 159.
28 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
51
Voir, sur ce point, Jean-François Jeandillou, « La définition des noms propres dans
Les Mots croisés de Perec », dans Martine Léonard et Élisabeth Nardout-Lafarge éd.,
Le Texte et le Nom, Montréal, XYZ, 1996.
52
On citera également, dans un registre plus ludique, les « je me souviens » 218 –
« […] Y’a cinq ucufa / Y’a quatre ine de Russie […] » –, 311 – « […] Ivan Labibine
Osouzoff, et de Yamamoto Kakapoté, et de Harry Cover » – et 447 : « Je me souviens
de I like Ike […] et de Barry Goldwater (AuH2O) ».
53
Sur le rapport de Perec à son nom, voir Claude Burgelin, Les Parties de dominos
chez Monsieur Lefèvre. Perec avec Freud – Perec contre Freud, Saulxures, Circé,
1996, p. 211, qui montre que le nom de Perec, polonais et breton à la fois, est
« porteur d’une sorte de mensonge puisqu’il ne dit pas ce qu’il devrait dire. Il y aurait
comme du “manque” et du “faux” dans ce nom qui masque sans rien masquer ».
30 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
54
Cette porosité est, du reste, explicitement désignée par le « je me souviens » 288 :
« Je me souviens que “Caran d’Ache” est une transcription francisée du mot russe
(Karandach ?) qui veut dire “crayon” ».
55
Sur les pseudonymes et homonymes de Je me souviens, vus comme « des phéno-
mènes d’identité incertaine », voir Andrée Chauvin, « Jeux de mémoire et histoires de
mots dans Je me souviens de Georges Perec », op. cit., p. 60-61. Sur le rapport entre
l’instabilité onomastique pseudonymique et celle des noms des parents, voir Wilfrid
Mazzorato, Écrire des traces, op. cit.
56
Le nom pseudonyme est ici trouvé par plaisanterie, à partir de l’anglais recording.
JE ME SOUVIENS 31
57
Ces pseudonymes sont d’ailleurs, partiellement pour Tim, des palindromes (le nom
de Pennès est donné par Perec dans l’index). Voir, sur ce point, Roland Brasseur, « Je
me souviens de I Remember », op. cit., p. 124.
58
Dans les termes de la quatrième de couverture de W.
59
Comme l’écrit Perec, « Je me souviens se situe dans une sorte d’entre-deux et
pourrait continuellement basculer dans ma propre relation avec [tel ou tel] souvenir »
(« Le travail de la mémoire », op. cit., p. 83). Perec place, du reste, la genèse même de
Je me souviens dans une étroite relation avec l’écriture de W : « J’ai aussi écrit une
autobiographie qui s’appelle W ou le Souvenir d’enfance et tout ce travail autobiogra-
phique s’est organisé autour d’un souvenir unique qui, pour moi, était profondément
occulté, profondément enfoui et d’une certaine manière nié. Le problème était de
contourner cette approche, disons, de ma propre histoire, et en fait Je me souviens est
né presque en même temps. Ce sont des chemins qui ne sont pas tout à fait parallèles,
mais qui se rejoignent quelque part et qui partent d’un même besoin de faire le tour de
quelque chose pour le situer » (loc. cit.).
32 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
60
Georges Perec, « Le travail de la mémoire », op. cit., p. 88.
61
Philippe Lejeune, « Les temps d’une ruse », op. cit., p. 244.
JE ME SOUVIENS 33
62
Op. cit., p. 243-244.
63
Comme l’écrit Claude Burgelin : « Décidément, Perec est bien l’anti-Proust. Il y a
comme une extraordinaire défiance à l’égard de la mémoire chez cet hypermnésique.
Si la mémoire est mère du moi, elle est ici mauvaise mère, incapable d’assurer sa
fonction protectrice et rassurante » (Les Parties de dominos chez Monsieur Lefèvre,
op. cit., p. 73).
64
Georges Perec, « À propos de la description » (1981), Entretiens et Conférences,
op. cit., t. II, p. 236.
65
On notera que ce travail de la perte est bien « le contraire de l’oubli », ainsi que
Perec définit la démarche de Je me souviens (« Le travail de la mémoire », op. cit.,
p. 81).
66
David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots, op. cit., p. 482.
34 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
passe d’abord par cinq rues dont le nom commence par la lettre A, puis par cinq rues
dont le nom commence par la lettre B.
71
Voir, sur ce point, Philippe Lejeune, « Genèse », La Mémoire et l’Oblique, op. cit.
On notera que Perec, dans sa lettre à Maurice Nadeau du 7 juillet 1969, rapproche
explicitement la contrainte temporelle du feuilleton de celle, littérale, du lipogramme :
« À vrai dire, en me posant la question, je me suis demandé s’il m’était vraiment
indispensable d’avoir recours à une stimulation extérieure, qui jouerait pour W le rôle
que l’absence d’e joua pour La Disparition […] » (« Lettre à Maurice Nadeau », Je
suis né, op. cit., p. 65).
72
Sur la question de l’identification du projet de Lieux à la mise en œuvre d’une
contrainte temporelle, on peut citer ce passage de la lettre à Maurice Nadeau : « le
temps s’accroche à ce projet, en constitue la structure et la contrainte ; le livre n’est
plus restitution d’un temps passé, mais mesure du temps qui s’écoule ; le temps de
l’écriture, qui était jusqu’à présent un temps pour rien, un temps mort, que l’on
feignait d’ignorer ou qu’on ne restituait qu’arbitrairement (L’Emploi du temps), qui
restait toujours à côté du livre (même chez Proust), deviendra ici l’axe essentiel »
(« Lettre à Maurice Nadeau », op. cit., p. 60). On voit, au passage, combien le projet
pictural du personnage de Bartlebooth (dans La Vie mode d’emploi), en tant qu’il
représente une « programmation de l’emploi du temps » (Philippe Lejeune, « Cent-
trente-trois lieux », La Mémoire et l’Oblique, op. cit., p. 149), est comparable à ces
deux projets littéraires de l’écrivain Perec.
73
Voir, sur ce point, Georges Perec, « À propos de la description », op. cit., p. 235, au
sujet de la commande par la revue Yale French Studies d’un texte qui analyserait sa
propre pratique de la description (et qui deviendra « Still Life/Style Leaf ») : Perec y
affirme l’importance, pour lui, de l’écriture sur commande, en ce qu’elle impose à
l’auteur un délai.
74
En ce qui concerne W, le texte final intègre effectivement la discontinuité vécue par
le feuilletoniste : typographiquement, les scansions temporelles deviennent blancs.
Pour une considération du feuilleton W dans cette perspective, voir Michel Sirvent,
Georges Perec ou le dialogue des genres, Amsterdam-New York, Rodopi, 2007,
p. 131-150. On notera, au passage, que ce que l’on pourrait appeler la « contrainte du
temps » est beaucoup plus directement liée à la mise en œuvre d’une écriture littéraire
que la contrainte de l’espace.
36 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
75
Je me permets de renvoyer, sur cette question, à mon livre Éloquence du roman.
Rhétorique, littérature et politique aux XIXe et XXe siècles, Genève, Droz, 2008, p. 63-
77.
76
On observera cependant, avec Roland Brasseur, que ce jugement porté par la
quatrième de couverture ne va pas toujours de soi : « “mai 68” […] est-il vraiment,
sinon de façon polémique, “minuscule”, voire “inessentiel” […] ? » (« Je me souviens
de I Remember », op. cit., p. 104).
77
Selon l’expression de Claude Burgelin, Les Parties de dominos chez Monsieur
Lefèvre, op. cit., p. 140.
78
Op. cit., p. 140 et 142.
JE ME SOUVIENS 37
84
Il s’agit des « je me souviens » 132 (à propos du palais de Chaillot), 147 (à propos
de l’avenue de New York) et 203 (à propos de la station de métro Charles-Michels).
85
Sur Je me souviens comme livre construit sur un certain nombre d’images effec-
tives, voir Roland Brasseur, « Les images dont Je me souviens », Le Cabinet d’ama-
teur, n° 7-8, 1998.
JE ME SOUVIENS 39
CONCLUSION
86
Je me souviens s’inscrit donc dans le temps selon une trajectoire exactement inverse
de celle de l’œuvre de Roussel, qui a d’abord affiché son hermétisme pour choisir
ensuite, dans un après posthume, une certaine ouverture.
87
Les rapports entre Je me souviens et W, en particulier, sont importants. Voir, sur ce
point, Jacques-Denis Bertharion, « Je me souviens : un cryptogramme autobiogra-
phique », op. cit., ainsi que Wilfrid Mazzorato, Écrire des traces, op. cit., t. II, ch. 2 :
« Points de suture entre Je me souviens et d’autres écrits de Georges Perec ».
88
Quant au « je me souviens » 404 – « Je me souviens de Claude Luter aux Lorien-
tais » – c’est épitextuellement (selon le terme proposé par Gérard Genette dans Seuils,
Seuil, 1987) que Perec introduit un décalage avec ce qui pourrait être une immédiateté
40 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
vécue : « Je ne m’en souviens pas. Mais je me souviens qu’on me disait que Claude
Luter jouait aux Lorientais. Mais je n’ai jamais entendu Claude Luter » (« Georges
Perec : “Je me souviens du jazz” », op. cit., p. 46).
89
Andrée Chauvin, « Jeux de mémoire et histoires de mots dans Je me souviens de
Georges Perec », op. cit., p. 66.
90
« Le travail de la mémoire », op. cit., p. 83.
91
Claude Burgelin, Les Parties de dominos, op. cit., p. 235.
JE ME SOUVIENS 41
92
121 est égal à 11 au carré et, « avant le numéro 243, il y […] a 2 fois 121 [“je me
souviens”] » (Roland Brasseur, « Je me souviens de I Remember », op. cit., p. 115).
Le « je me souviens » 243 inscrit donc doublement la date de déportation de la mère,
le 11 février 1943.
93
Philippe Bonnefis, « Scènes typiques avec légendes », dans Philippe Bonnefis et
Alain Buisine éd., La Chose capitale, op. cit., p. 33.
94
Claude Burgelin suggère que, si la mémoire perecquienne cherche toujours à se
construire en s’interdisant toute véritable efficacité, c’est « pour que la mémoire ne
vienne pas traverser et bouleverser le lieu de la clôture, ce lieu de l’amnésie, mémorial
intouchable qui s’est constitué à l’intérieur de sa psyché. En quelque sorte, les
souvenirs foisonneraient pour ne pas se faire mémoire, pour qu’elle ne se souvienne
pas, pour maintenir ce rapport entre enfouissement et dispersion » (Les Parties de
dominos chez Monsieur Lefèvre, op. cit., p. 88).
95
Sur la pertinence quant à l’œuvre de Perec de la notion de crypte intrapsychique
telle qu’elle a été développée par Nicolas Abraham et Maria Torok, voir Claude Bur-
gelin, op. cit., p. 159-166.
42 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
96
Wilfrid Mazzorato analyse la structure même de Je me souviens comme tenant « à
une forme de rite d’écriture » (Écrire des traces, op. cit., t. II, p. 261).
97
J’ajouterai qu’il me semble que ces remarques valent également, dans une large
mesure, pour l’œuvre de Jacques Roubaud.
II
Parenthèses perecquiennes
[…] au gré d’une ponctuation qui disposée sur papier blanc, déjà
y signifie (Stéphane Mallarmé, La Musique et les Lettres).
1
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974, p. 123.
2
Sur ce point, voir Bernard Magné, Georges Perec, Armand Colin, 2006, p. 48-55.
44 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
3
Maurice Grevisse, Le Bon Usage. Grammaire française, treizième édition revue par
André Goosse, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1993, p. 167.
4
Georges Perec, Un homme qui dort, Romans et Récits, op. cit., p. 301.
5
Georges Perec, La Boutique obscure, Denoël-Gonthier, 1973, rêve 1.
6
Georges Perec, « Penser/Classer », Penser/Classer, Hachette, 1985, p. 153.
7
Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Romans et Récits, op. cit., p. 684.
8
Georges Perec, « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail »,
Penser/Classer, op. cit., p. 21-22.
9
Op. cit., p. 22.
10
Georges Perec, « La rue Vilin », L’Infra-ordinaire, Seuil, 1989, p. 18.
PARENTHESES PERECQUIENNES 45
USAGES GENERIQUES
11
Georges Perec, « Trois chambres retrouvées », Penser/Classer, op. cit., p. 27.
12
Georges Perec, Je me souviens, op. cit., p. 58.
13
« La rue Vilin », op. cit., p. 24.
14
Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et
non-coïncidences du dire, Larousse, 1995, t. I, p. 100-101. Sur la notion de com-
mentaire, voir également Harald Weinrich, Le Temps, Seuil, 1973, p. 30-35.
46 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
15
Sur ces questions, voir Marielle Macé, Le Temps de l’essai. Histoire d’un genre en
France au XXe siècle, Belin, 2006, p. 19-52.
16
Sur la notion de « rature représentée », voir Jacqueline Authier-Revuz, op. cit.,
p. 127.
17
Espèces d’espaces, op. cit., p. 28.
18
« J’aime beaucoup les renvois en bas de page, même si je n’ai rien de particulier à y
préciser » (op. cit., note p. 19).
PARENTHESES PERECQUIENNES 47
19
Op. cit., p. 20-21.
20
Op. cit., p. 14.
21
Op. cit., p. 22.
48 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
22
La digression est également caractéristique du style burlesque adopté par Quel petit
vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, et elle s’y trouve, de même, fréquemment
marquée par des parenthèses : voir, notamment, la digression sur la « table de
campagne » (Georges Perec, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?,
Romans et Récits, op. cit., p. 171-172).
23
Espèces d’espaces, op. cit., p. 104.
24
Op. cit., p. 42.
25
Op. cit., p. 46.
PARENTHESES PERECQUIENNES 49
Le carcan d’Alphabets
L’or mu : antimoine
alu
strontium
(laser ?)
26
La notion de « surcontrainte » est reprise à Bernard Magné, « De l’écart à la trace.
Avatars de la contrainte », Georges Perec : Écrire/transformer, Études littéraires,
université Laval (Québec), vol. 23, n° 1-2, 1990, p. 16. Sur les contraintes d’Alpha-
bets, voir Bernard Magné et Mireille Ribière, Les Poèmes hétérogrammatiques,
Cahiers Georges Perec, n° 5, Valence, Éditions du Limon, 1992.
27
« Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner » (1979), Entretiens et Conférences, op.
cit., t. II, p. 96.
50 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
L’usine à troc
(usé cri tonal sucré in alto isolante,
cru nul, os à citer, écran !)
Outils à soc, urne, lit, talon usé, cri, roc :
(et l’usina).
O, tu as l’écrin : ci, nu, art l’ose.
AUTRES VOIX
« Trace l’écart »
28
« Trace » et « écart » constituent respectivement le premier et le dernier mot du
« palindrome » de Perec.
29
Georges Perec, La Disparition (1969), Romans et Récits, op. cit., p. 331.
30
Op. cit., p. 405 et 408.
31
Op. cit., p. 430.
52 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
32
Op. cit., p. 341.
33
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, op. cit., p. 163-164.
34
La Disparition, op. cit., p. 450.
PARENTHESES PERECQUIENNES 53
à l’horizon du champ proscrit) qu’il n’y a qu’Un Mal, Mal dont nous
souffrons tous […]35 » – entre les éléments d’une corrélation
consécutive – « Clodion fut si satisfait (on sait qu’il craignait Alaric, y
voyant à tout instant plus un rival qu’un vassal) qu’aussitôt, faisant fi
du mûr avis qu’un pair lui donnait […] il fit du galopin son chou-
chou36 » – entre un antécédent et sa relative : « […] le dévoilement
d’une “vérité” élémentaire (désormais, il ne viendra à toi que des
étrangères ; tu les chercheras et tu les repousseras sans cesse ; elles ne
t’appartiendront pas, tu ne leur appartiendras pas, car tu ne sauras que
les tenir à part…) dont je ne crois pas avoir fini de suivre les
méandres37 ».
La limite de ce type de structure paradoxale, où la mise en place
d’une solidarité linguistique forte par delà les parenthèses répare la
rupture provoquée par leur insertion en même temps qu’elle la rend
d’autant plus sensible, est représentée par la tmèse, où les parenthèses
rompent une solidarité cette fois lexicale. Dans l’œuvre de Perec, cette
figure extrême de la rupture/suture parenthétique paraît réservée à
l’écriture du « grand palindrome » : « Sirène, rumb à bannier à ma
(Red n’osa) nière de mimosa38 ».
35
Op. cit., p. 479.
36
Op. cit., p. 491.
37
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 137-138.
38
Georges Perec, « Palindrome », La Clôture et autres poèmes, Hachette, 1980, p. 47.
39
La Boutique obscure, op. cit., rêve 16.
54 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
“… son visage,
Les rides sur son front ont tracé leurs sillons,
Mais ses yeux sont gardés des atteintes de l’âge,
Grâce aux verres STIGMAL, aux lunettes HORIZON !”43 »
40
Op. cit., rêve 79.
41
Op. cit., rêve 114.
42
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 203.
43
Je me souviens, op. cit., p. 106.
44
Op. cit., p. 87. Sur cet énoncé, où le souvenir s’avère comme trace de discours
entendus, voir chapitre I.
45
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 194.
PARENTHESES PERECQUIENNES 55
Or, parmi ces voix qui trouvent place dans les décrochements
ménagés par les parenthèses, figure celle, inassignable au sujet comme
tel, d’un discours intime qui paraît autrement indicible.
Poétique du tombeau
46
Bernard Magné, « Le viol du bourdon », Le Cabinet d’amateur, n° 3, 1994, p. 81.
47
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 184.
48
Op. cit., p. 193-194.
56 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais
pas si ce que j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est l’indicible
(l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a bien avant
déclenchée) ; je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe
une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes49.
49
Op. cit., p. 58-59.
50
Op. cit., p. 85. Le marquage typographique du manque informulable par des points
de suspension est, quant à lui, repris des Contemplations, où Hugo fait suivre la
mention du 4 septembre 1843 (date de la noyade de Léopoldine), présentée comme un
titre, d’une ligne de points qui se substitue à tout poème possible.
51
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 59.
52
Georges Perec, « Les Lieux d’une fugue », Je suis né, op. cit., p. 30.
53
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 140-141.
PARENTHESES PERECQUIENNES 57
Plus tard, je suis allé avec ma tante voir une exposition sur les camps
de concentration. Elle se tenait du côté de La Motte-Picquet-Grenelle
(ce même jour, j’ai découvert qu’il existait des métros qui n’étaient
pas souterrains mais aériens). Je me souviens des photos montrant les
murs des fours lacérés par les ongles des gazés et d’un jeu d’échecs
fabriqué avec des boulettes de pain56.
54
Georges Perec, « Considérations sur les lunettes », Penser/Classer, op. cit., p. 148.
55
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 173.
56
Op. cit., p. 213.
58 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
57
Sur ce point, voir l’analyse de Bernard Magné : « Dans la réalité, que Perec connaît
fort bien, le four crématoire est le lieu de la disparition de toute trace : c’est parce que
l’itinéraire tragique de Cyrla Perec la conduit aux crématoires d’Auschwitz qu’elle
“n’a pas de tombe”. Par son “erreur”, le texte de W inverse cette réalité et fait du four
le lieu d’exhibition des traces : ce qui devait effacer donne à voir, ce qui devait dé-
truire conserve » (Bernard Magné, « Le viol du bourdon », op. cit., p. 80).
58
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, op. cit., p. 189.
PARENTHESES PERECQUIENNES 59
59
Dans Quel petit vélo, la suture est par ailleurs marquée par la syntaxe : le burlesque
fait un large usage des subordonnants, en particulier du morphème que, posant ainsi
des relations qui supposent une certaine continuité phrastique.
60
Quel petit vélo n’est pas cité dans la longue lettre de 1969, à la fois bilan et
programme, adressée à Maurice Nadeau, et le silence de la critique, tant journalistique
qu’universitaire, est presque complet sur ce livre. Voir, cependant, Yannick Séité,
« Perec : à vélo, partir pour la guerre », Les Temps modernes, n° 604, 1999, p. 154-
155.
61
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, op. cit., p. 143.
60 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
POUR CONCLURE
62
« En sortant de la gare, j’ai demandé comment s’appelait ce monument ; on m’a
répondu que ce n’était pas un monument, mais seulement la gare de Lyon » (W ou le
Souvenir d’enfance, op. cit., p. 212).
63
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, op. cit., p. 193.
PARENTHESES PERECQUIENNES 61
64
Sur ce point, voir Mireille Ribière, « Traces mallarméennes chez Georges Perec »,
dans Daniel Bilous éd., Mallarmé, et après ? Fortunes d’une œuvre, Noésis, 2006,
p. 237-246.
65
Espèces d’espaces, op. cit., p. 75.
III
GRAMMAIRE DE LA REFERENCE
1
Italo Calvino, « The Written and the Unwritten World », The New York Review of
Books, New York, 12 mai 1983 (traduction française : « Monde écrit et Monde non-
écrit », Europe, n° 815, 1997).
2
Sur l’autoréférentialité du texte de fiction, voir notamment Dorrit Cohn, Le Propre
de la fiction, Seuil, 2001, p. 24-34.
3
Sur le démonstratif comme « forme à deux faces » qui « superpose toujours le renvoi
à quelque chose de connu et la présentation de quelque chose de nouveau », voir
Marie-Noëlle Gary-Prieur et Martine Léonard, « Le démonstratif dans les textes et
dans la langue », Langue française, n° 120, 1998, p. 15.
64 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
4
Sur cette question, voir Georges Kleiber, « Anaphore-deixis : Où en sommes-
nous ? », L’information grammaticale, n° 51, octobre 1991.
5
Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Romans et Récits, op.cit., p. 657. Sauf indica-
tion contraire, les citations de La Vie mode d’emploi sont dans l’ensemble de ce cha-
pitre empruntées aux pages 657-658 de cette édition.
6
Sans que l’on passe par l’implication d’une chaîne anaphorique fictive — phéno-
mène fréquent dans les incipit in medias res, qui aiment ces renvois à des éléments
censément introduits dans un avant du texte, alors qu’ils sont mentionnés pour la
première fois. Sur les « limites » de cette « hypothèse pseudo-anaphorique », voir Gil-
les Philippe, « Les démonstratifs et le statut énonciatif des textes de fiction : l’exem-
ple des ouvertures de roman », Langue française, n° 120, 1998, p. 52-54.
L’ORDRE DES SIGNES 65
7
Sur un de ces… qui comme « stylème dix-neuviémiste » manifestant le « cogniti-
visme conquérant » du réalisme, puisqu’il suppose l’équivalence non problématique
de la mémoire collective et des expériences individuelles, voir Éric Bordas, « Un
stylème dix-neuviémiste. Le déterminant discontinu un de ces… qui », L’information
grammaticale, n° 90, 2001.
8
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), Gallimard, coll.
« Folio », 1983, p. 15.
9
Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit (1936), Gallimard, coll. « Folio », 1985,
p. 11.
10
La Vie mode d’emploi est sous-titré « Romans ».
66 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
11
Voir, sur ce point, Francis Corblin, Les formes de reprise dans le discours. Ana-
phores et chaînes de référence, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1995,
p. 103.
12
«Ce livre comprend des citations, parfois légèrement modifiées de : René Belletto,
Hans Bellmer, Jorge Luis Borges, Michel Butor, Italo Calvino […] » (Georges Perec,
« Post-scriptum », La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 1364).
13
Dans les termes de la devise latine de Descartes, reprise par Perec comme titre d’un
de ses romans de jeunesse.
14
On notera que, si l’œuvre de Céline n’est jamais évoquée par Perec, le passage de
Choiseul – devenu dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit passage des
Bérésinas – figure dans la liste des douze lieux parisiens retenus pour le projet (ina-
bouti) de Lieux. Son choix est ainsi commenté dans le dossier génétique : « Pourquoi
le passage Choiseul ? Il ne m’y est rien arrivé. J’aime les passages » (Cité par Philippe
Lejeune, La Mémoire et l’Oblique, op. cit., p. 164). L’événement, en revanche, se pro-
duira lors du travail préparatoire, manifestation triviale de hasard objectif en ce lieu
métonyme d’une référence décidément problématique : « C’est difficile de regarder la
ville, d’en faire une description neutre… Et j’ai été traumatisé. Un jour, j’ai été
agressé, dans le passage Choiseul, par une concierge qui voulait m’empêcher d’écrire,
m’a arraché mon carnet » (Georges Perec, « La Ville, mode d’emploi », entretien avec
Michèle Champenois, Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 29. Voir également
« Choiseul réel », description datée du 13 juillet 1972, citée par Philippe Lejeune dans
La Mémoire et l’Oblique, op. cit., p. 182-183).
15
Marcel Bénabou, « Perec et la Judéité », Cahiers Georges Perec, n° 1, P.O.L, 1985,
p. 21.
16
André Hardellet, Lourdes, lentes…, Jean-Jacques Pauvert, 1974.
L’ORDRE DES SIGNES 67
SEUILS TEXTUELS
22
On rappellera que Perec fait référence à l’unanimisme dans l’entretien accordé à
Franck Venaille (« Le Travail de la mémoire », Entretiens et Conférences, op. cit.,
p. 54). On peut songer plus précisément ici à Mort de quelqu’un, roman-immeuble où
la mort d’un locataire constitue en communauté les habitants d’une même maison :
« Les logements palpitaient l’un vers l’autre à cause du mort. Et tout se mêlait dans la
cage de l’escalier » (Jules Romains, Mort de quelqu’un [1923], Gallimard,
coll. « Folio », 1987, p. 30).
Sur l’importance de l’escalier dans l’œuvre de Perec, voir Danielle Constantin, « “Le
seul véritable problème est bien évidemment de commencer“ », op. cit., p. 151.
L’ORDRE DES SIGNES 69
23
Sur la manière dont La Vie mode d’emploi s’inscrit dans la tradition réaliste du
roman immeuble, notamment représentée par Pot-Bouille de Zola, on se reportera à la
thèse de Cécile De Bary, Image, imagination, imaginaire dans l’œuvre de Georges
Perec (sous la direction de Philippe Hamon), université de Paris III, 2002, vol. I.
24
On rappellera ici l’hypothèse de Thomas Pavel, qui relie le caractère central de la
thématique amoureuse dans l’histoire du roman à son « anthropologie fonda-
mentale » : « Au moyen de la coupure qu’il pose entre le protagoniste et son milieu, le
roman est le premier genre à s’interroger sur la genèse de l’individu et sur
l’instauration de l’ordre commun. Il pose surtout, et avec une acuité inégalée, la
question axiologique qui consiste à savoir si l’idéal moral fait partie de l’ordre du
monde […]. C’est en rapport avec ces questions que l’anecdote du roman privilégie
l’amour et la formation des couples : tandis que l’épopée et la tragédie tiennent pour
acquis le lien entre l’homme et ses proches, en parlant d’amour le roman réfléchit à
l’établissement de ce lien sous sa forme interpersonnelle la plus intime » (Thomas
Pavel, La Pensée du roman, Gallimard, 2003, p. 46-47).
70 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
25
Formulée comme telle par le livre de Manet Van Montfrans, Georges Perec. La
Contrainte du réel, Amsterdam-New York, Rodopi, 1999.
26
Dont témoignent les articles recueillis dans L.G. Une aventure des années soixante,
Seuil, 1992.
27
Georges Perec, « Pouvoirs et limites du romancier français contemporain » (confé-
rence prononcée le 5 mai 1967 à l’université de Warwick), Entretiens et Conférences,
op. cit., vol. I, p. 78-86.
28
Philippe Hamon, Texte et Idéologie, P.U.F., 1984, p. 126.
L’ORDRE DES SIGNES 71
29
Sur la question de légitimité posée par « l’arbitraire de l’incipit », voir Andrea Del
Lungo, L’Incipit romanesque, Seuil, 2003, p. 34-38.
30
Sur cette question, voir Bernard Magné, Georges Perec, Armand Colin, 2006,
p. 48-55. Sur l’incipit de La Vie mode d’emploi comme « re-commencement », voir
Danielle Constantin, « “Le seul véritable problème est bien évidemment de com-
mencer” », op. cit., p. 152.
72 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
Le romanesque de la contrainte
(La Vie mode d’emploi)
ROMAN/ROMANESQUE
1
Jacques Roubaud, « Préparation d’un portrait formel de Georges Perec », L’Arc,
n° 76, 1979, p. 59 et « Le démon de la forme », Magazine littéraire, n° 316, 1993,
p. 66.
2
P.-D. Huet, Traité de l’origine des romans, édition de A. Kok, Amsterdam, Swerts
& Zeitlinger, 1942, p. 114.
LE ROMANESQUE DE LA CONTRAINTE 77
3
Georges Perec, La Vie mode d’emploi (1978), Romans et Récits, op. cit., p. 1003-
1004. Les références à La Vie mode d’emploi seront désormais précisées entre
parenthèses dans le corps du texte.
4
La rupture générique possède ainsi une valeur métatextuelle, en marquant nettement
les contours de l’allusion à Jarry : Ubu constitue, en effet, l’une des entrées du cahier
« Allusions et Détails » des avant-textes de La Vie mode d’emploi.
78 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
5
Georges Perec, « Notes sur ce que je cherche », Penser/Classer, op. cit., p. 9-11.
6
Voir Charles Sorel, De la connoissance des bons livres (1671), Rome, Bulzoni,
1974.
7
Aristote, La Poétique, édition de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Seuil, 1980,
p. 231-232.
8
« La reconnaissance […] est le renversement qui fait passer de l’ignorance à la
connaissance, révélant alliance ou hostilité entre ceux qui sont désignés pour le
bonheur ou le malheur. La reconnaissance la plus belle est celle qui s’accompagne
d’un coup de théâtre, comme par exemple celle de l’Œdipe » (op. cit., p. 71).
9
Op. cit., chap. 10, p. 69.
LE ROMANESQUE DE LA CONTRAINTE 79
16
Sylvie Thorel-Cailleteau, La Tentation du livre sur rien. Naturalisme et décadence,
Mont-de-Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1994, p. 521 et 171.
17
« Cette notion de “lieux rhétoriques”, qui me vient de Barthes, est au centre de la
représentation que je me fais de mon écriture : Les Choses comme “lieux de la
LE ROMANESQUE DE LA CONTRAINTE 81
20
Ce type de littérature n’est certes pas étranger à Perec : en témoigne notamment
l’ « enthousiasme » revendiqué pour le roman-feuilleton, qui définit la forme initiale
du projet de W (« Lettre à Maurice Nadeau », op. cit., p. 64).
21
Pour apprécier l’opposition du jeune Perec au Nouveau Roman et à « Tel Quel », on
relira les articles « Le Nouveau Roman et le refus du réel » (1962) et « Engagement
ou Crise du langage » (1962), recueillis dans Georges Perec, L.G. Une aventure des
années soixante, op. cit. Voir, aussi, chapitre VIII.
22
Roger Caillois, Approches de l’imaginaire, Gallimard, 1974, p. 151.
23
Sur l’importance du hasard dans la poétique perecquienne, voir Alison James,
Constraining Chance. Georges Perec and the Oulipo, Evanston (Illinois), North-
western University Press, 2009.
LE ROMANESQUE DE LA CONTRAINTE 83
24
Georges Perec, « La maison des romans », entretien avec Jean-Jacques Brochier
(1978), Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 244.
25
Jean-Marie Schaeffer, « La catégorie du romanesque », dans Gilles Declercq et
Michel Murat éd., Le Romanesque, Presses Sorbonne nouvelle, 2004, p. 296-300.
26
Sur ces questions, voir Isabelle Dangy-Scaillierez, L’Énigme criminelle dans les
romans de Georges Perec, Champion, 2002.
84 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
27
Sur la topique du roman hellénistique, qui repose essentiellement sur la conjonction
de l’amour et de l’aventure, voir notamment Northrop Frye, The Secular Scripture,
op. cit., p. 4, et Laurence Plazenet, L’Ébahissement et la Délectation. Réception com-
parée et poétiques du roman grec en France et en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles,
Champion, 1997, p. 20.
28
Voir Pierre Grimal éd., Romans grecs et latins, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1958.
86 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
SERIES ROMANESQUES
CONTRAINTE ET MEMOIRE
31
Sur cette question, on se reportera à la thèse de Jean-Luc Joly, Connaissement du
monde. Multiplicité, exhaustivité, totalité dans l’œuvre de Georges Perec, université
Toulouse II-Le Mirail, 2004, deux volumes.
LE ROMANESQUE DE LA CONTRAINTE 89
32
Georges Perec, « Approches de quoi ? », L’Infra-ordinaire, Seuil, 1989, p. 11-12.
92 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
1
Georges Perec, Entretien radiophonique avec Gérard-Julien Salvy (« Démarches »,
12 janvier 1980), cité dans Andrée Chauvin, Hans Hartje, Véronique Larrivé et Ian
Monk, « Le “cahier des charges” d’Un cabinet d’amateur », L’Œil d’abord…. Geor-
ges Perec et la peinture, Cahiers Georges Perec, n° 6, Seuil, 1996, p. 137.
94 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
L’ « ENCRYPTAGE » DU « ROMANS »
2
Loc. cit. Sur la genèse d’Un cabinet d’amateur, voir également Sylvie Rosienski-
Pellerin, PERECgrinations ludiques, Toronto, Gref, 1995, chap. IV, et Manet
Van Montfrans, Georges Perec. La Contrainte du réel, op. cit., chap. IX, qui montre
l’importance dans la genèse du texte du « relais » représenté par le tableau réel Le
Cabinet d’amateur de Corneille van der Geest lors de la visite des Archiducs du
peintre anversois Guillaume Van Haecht.
3
On ajoutera que, le cas échéant, « le transfert exploite […] moins la diégèse explicite
de La Vie mode d’emploi que les mécanismes producteurs de la contrainte et leurs
matériaux de base », en particulier en ce qui concerne les impli-citations (Andrée
Chauvin et al., op. cit., p. 154).
4
Georges Perec, « À propos de la description » (1981), Entretiens et Conférences, op.
cit., t. II, p. 239.
EPUISEMENT DU ROMAN 95
5
Sur le temps suspendu de La Vie mode d’emploi, voir la quatrième partie de la thèse
de Julien Roumette, Le Temps mode d’emploi. Problématique et écriture du temps
dans les romans de Georges Perec, université Paris VII, 1999.
6
Georges Perec, Un cabinet d’amateur. Histoire d’un tableau (1979), Romans et
Récits, op. cit., p. 1365. Les références à Un cabinet d’amateur seront désormais
données entre parenthèses dans le corps du texte.
7
Tout ceci suppose une conception albertienne du tableau, où l’unification
perspective de l’historia met en forme des actions saisies dans une concentration
temporelle qui s’oppose à la temporalité composée courante dans l’espace pictural
médiéval.
8
Sur l’importance de la peinture dans La Vie mode d’emploi, et en particulier sa
fonction d’ « intégrateur de contraintes », voir Bernard Magné, « Lavis mode
d’emploi », Cahiers Georges Perec, n° 1, P.O.L, 1985 (notamment p. 235) et « Pein-
turécriture », Perecollages 1981-1988, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail,
1989.
96 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
TEMPS ET RECIT
9
Georges Perec, Entretien avec Gérard-Julien Salvy, loc. cit. L’exclusion du genre du
roman est formulée de manière on ne peut plus nette par les propos de l’auteur.
10
Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Romans et Récits, op. cit., p. 804.
11
Voir chapitre IV. Sur le « puzzle temporel » de La Vie mode d’emploi, voir le
premier chapitre de la quatrième partie de la thèse de Julien Roumette, op. cit.
EPUISEMENT DU ROMAN 97
16
Dominique Quélen et Jean-Christophe Rebejkow, « Un cabinet d’amateur : le
lecteur ébloui », Cahiers Georges Perec, n° 6, op. cit., p. 183.
17
Sur ce point, voir Philippe Hamon, Du descriptif, Hachette, 1993, p. 66-83.
EPUISEMENT DU ROMAN 99
18
Projet descriptif et suspension temporelle vont cependant de pair dans « Still
Life/Style Leaf » (L’Infra-ordinaire, op. cit.), où la structure du texte inverse la
successivité introduite par le jeu des variantes. Voir Bernard Magné, « Bout à bout
tabou : About “Still Life/Style Leaf” », dans Mireille Ribière éd., Parcours Perec,
Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1990, p. 101-102.
19
On ajoutera que cette manière de caractériser les commentaires des critiques par le
nom (Passepartout) du valet de Phileas Fogg dans Le Tour du monde en quatre-vingt
jours constitue également un écho à l’épigraphe vernienne d’Un cabinet d’amateur
(empruntée à Vingt mille lieues sous les mers).
20
Du reste, lorsque le texte détaille précisément ces variations, ainsi des trois
premières copies de L’Énigme de François Boucher, le lecteur ne peut que constater
qu’elles sont tout sauf « minuscules » : « ce tableau […] montre trois petites filles
100 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
vêtues “à la moscovite” formant une ronde autour d’un jeune homme. […] La
première copie reproduit strictement le modèle, à cette exception près que le jeune
homme y est un squelette armé d’une faux. Dans la seconde copie, le même décor
reçoit, non pas trois enfants, mais sept […] ; quant à la troisième copie, elle représente
un autre tableau de Boucher, La Fête champêtre, une pastorale » (p. 1418-1419). On
lira cette dissimulation mensongère de la variation, qui met en avant la continuité tout
en produisant de fortes ruptures, comme une figuration métatextuelle de la dialectique
de l’appropriation qui caractérise de façon similaire la pratique de l’emprunt, où le
texte perecquien s’assimile, par exemple en les « modifiant légèrement » (pour
reprendre les termes du « post-scriptum » de La Vie mode d’emploi), des citations par
définition prélevées ailleurs.
21
Anne Roche, « Ceci n’est pas un trompe-l’œil », Sociologie du Sud-Est, Aix-en-
Provence, n° 35-36, 1983, p. 189. La première évocation des « variations
minuscules » entre les copies est d’ailleurs narrativisée par des formes verbales qui
désignent une transformation dans le temps : « un joueur de luth devenait joueur de
flûte », « trois hommes sur une petite route de campagne passaient d’un embonpoint
frisant l’obésité à une sveltesse presque inquiétante » (p. 1380).
22
L’attention longuement portée à un objet simplement mentionné dans le roman
source passe toutefois par une amplification spectaculaire de ses premiers éléments de
décor : la « barque » et le « bateau à voiles » de La Vie mode d’emploi (p. 691)
deviennent dans Un cabinet d’amateur (dans le même ordre) « des péniches chargées
de gravillon » et « un magnifique bateau de plaisance » (p. 1387, probable avatar du
yacht de Bartlebooth [chap. LIII]).
EPUISEMENT DU ROMAN 101
23
D’un point de vue intertextuel, l’adjectif vient de La Vie mode d’emploi, où il
qualifie un paysage peint par Marguerite Winckler sur « l’à-plat d’émail d’une
chevalière » (p. 965) : la description d’Un cabinet d’amateur est, en effet, constituée
de nombreux emprunts au chapitre LIII du « romans », qui raconte l’histoire des
Winckler (voir Andrée Chauvin et al., op. cit., p. 139). L’ « énigme » de ces décors
pour « charades animées » (p. 1388) est donc intertextuelle.
102 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
TOPIQUE DE L’EPUISEMENT
24
Sur ce point, voir Bernard Magné, « “53 jours”, pour lecteurs chevronnés… »,
Études littéraires, université Laval (Québec), vol. XXIII, n° 1-2, 1990.
25
Voir Andrée Chauvin et al., op. cit., en particulier p. 140 – ainsi que Catherine
Ballestero, « Un cabinet d’amateur ou le “Testament artistique” de Georges Perec »,
Cahiers Georges Perec, n° 6, op. cit., p. 170-171, qui montre que la relation incer-
taine entre le nom et l’identité personnelle de certains peintres réels peut rendre
compte de leur mention dans Un cabinet d’amateur.
26
Sur ce point, voir Jean-François Jeandillou, « La définition des noms propres dans
Les Mots croisés de Perec », dans Martine Léonard et Élisabeth Nardout-Lafarge éd.,
Le Texte et le Nom, Montréal, XYZ, 1996.
EPUISEMENT DU ROMAN 103
27
Le texte est décrit par Perec comme « le premier roman à peu près abouti qu[‘il]
parvin[t] à écrire : il s’appela d’abord “Gaspard pas mort”, puis “Le Condottiere” ;
dans la version finale, le héros, Gaspard Winckler, est un faussaire de génie qui ne
parvient pas à fabriquer un Antonello de Messine et qui est amené, à la suite de cet
échec, à assassiner son commanditaire » (W ou le Souvenir d’enfqnce, op. cit., p. 142).
28
Voir, notamment, Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, Le Roman d’art dans la
seconde moitié du XIXe siècle, Klincksieck, 1999. On se contentera ici de rappeler
quelques titres : Le Chef-d’œuvre inconnu et L’Œuvre pour le roman d’artiste ; Le
Cousin Pons, Bouvard et Pécuchet et À rebours pour le roman du collectionneur. Sur
l’histoire romanesque de la figure du collectionneur, voir Bernard Vouilloux, « Le
discours sur la collection », Romantisme, n° 112, 2001, p. 100-101.
29
Le catalogue, dont la liste constitue la « cellule nucléaire », apparaît en effet comme
la « forme idéale-typique du discours sur la collection », dans la mesure où il est
« structuralement homologue de la juxtaposition spatiale et du déploiement tabulaire
synoptique en quoi consiste une collection d’objets » (Bernard Vouilloux, « Le dis-
cours sur la collection », op. cit., p. 103 et 101). Sur cette question, voir aussi Domi-
nique Pety, Les Goncourt et la collection, Genève, Droz, 2003, p. 225-240.
104 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
30
Bernard Vouilloux, « Le discours sur la collection », op. cit., p. 100.
31
Sur le « faux et le manque comme attributs du collectionneur », voir Tiphaine
Samoyault, « Le collectionneur », Le Cabinet d’amateur, n° 6, 1997, p. 95-99. Pour
une lecture « intime » d’Un cabinet d’amateur, qui met au jour l’ « encryptage » de la
séparation d’avec la mère dans l’histoire de la collection, voir Manet Van Montfrans,
op. cit., p. 309 et 368. On soulignera l’importance, de ce point de vue, du terme même
de cabinet : dans la description de Saint Jérôme dans son cabinet de travail incluse
dans Espèces d’espaces, le « cabinet » du saint définit la sphère privée de l’ « espace
domestiqué » qui s’oppose aussi bien à l’ « inhabitable » de la transcendance
religieuse qu’à l’inhabitable historique des camps, évoqués dans la section suivante du
livre (Espèces d’espaces, op. cit., p. 118). Le « cabinet d’amateur », en ce sens, réunit
autour du collectionneur le monde ordonné et rassurant de sa collection.
32
Voir Philippe Hamon, Imageries. Littérature et image au XIXe siècle, José Corti,
2001, p. 102-106, et Annie Mavrakis, « Le roman du peintre », Poétique, n° 116,
1998, p. 428-438, qui montre que le « roman du peintre » permet de penser ensemble
l’ « échec du peintre », la « gloire de la peinture » et les « limites de la littérature ».
Sur la valeur métatextuelle de la peinture dans l’œuvre de Perec, voir Bernard Magné,
« Peinturécriture », op. cit., en particulier p. 217.
EPUISEMENT DU ROMAN 105
33
Honoré de Balzac, Pierre Grassou (1839), La Comédie humaine, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. VI, 1977, p. 1111.
106 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
36
Je rejoins sur ce point les conclusions de la thèse de Julien Roumette : « Ce qui est
ainsi figuré et mis en abyme dans le roman par le chapitre LI, c’est le rêve même de
Perec d’une œuvre qui soit un lieu stable qui échappe au temps, perpétuel horizon de
son écriture. […] De ce point de vue, la phrase “Je cherche en même temps l’éternel
et l’éphémère” [Les Revenentes (1972), Romans et Récits, op. cit., p. 628, puis La Vie
mode d’emploi, p. 1274] peut également se lire comme l’expression de ce qui a été
l’ambition de l’écrivain : trouver par l’écriture les moyens de suspendre le temps, de
créer un lieu – le livre, l’œuvre – aussi ambigu soit-il, qui échappe même provi-
soirement au passage du temps et à la menace de destruction et de mort qu’il
contient » (Julien Roumette, op. cit., p. 815).
37
Georges Perec, Préface à L’Œil ébloui, photographies de Cuchi White, Chêne,
1981, n. p.
38
Espèces d’espaces, op. cit., p. 123.
Le temps des images
VI
L’écriture photographique
de Georges Perec
1
Georges Perec, Les Choses. Une histoire des années soixante (1965), Romans et
Récits, op. cit., p. 117.
2
Georges Perec, La Boutique obscure, op. cit., rêve 83.
3
Voir Andrée Chauvin et Mongi Madini, « La remontée des images (sur les Récits
d’Ellis Island) », Le Cabinet d’amateur, n° 6, 1997, p. 63.
112 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
Perec photographe
4
Georges Perec, La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 964.
5
Conçu en collaboration avec Robert Bober, Récits d’Ellis Island. Histoires d’errance
et d’espoir (1980), P.O.L, 1994.
6
Voir Perec, Polaroïds, Texte en main, Grenoble, n° 12, 1997, p. 15.
7
Voir notamment Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1975),
Christian Bourgois, coll. « Titres », 2008.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 113
8
On notera que les photos de Sfax mettent en scène une extinction référentielle
similaire. Comme l’écrivent Hans Hartje et Jacques Neefs, pratiquement vidées de
toute présence humaine, « elles façonnent en désert la mémoire d’un lieu » (Georges
Perec. Images, Seuil, 1993, p. 93).
9
Georges Perec, Un homme qui dort (1967), Romans et Récits, op. cit., p. 229.
114 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
10
Une définition de mots croisés y insiste : « Instantané : Ne mérite vraiment son nom
que depuis le Polaroïd » (Georges Perec, « Quatre-vingt-dix grilles de mots croisés.
Problèmes », Le Cabinet d’amateur, n° 4, 1995, p. 43).
11
Georges Perec, « Cahier inédit (notes écrites au cours de la traversée) », Texte en
main, op. cit., p. 42.
12
Sur cette question, voir André Rouillé, La Photographie, Gallimard, coll. « Folio
Essais », 2005, p. 284-295.
13
Récits d’Ellis Island, op. cit., p. 55-56.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 115
La construction photographique
14
Henri Vanlier, Philosophie de la photographie, Les Cahiers de la photographie,
1983, p. 63.
15
« Photo n° 6 prise face au soleil (intéressante q[uan]d m[ême] à cause des
containers », note Perec (« Cahier inédit [notes écrites au cours de la traversée] », op.
cit., p. 42).
116 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
16
Voir Bernard Magné, « Les descriptions de photographies dans W ou le Souvenir
d’enfance », Le Cabinet d’amateur, n° 7-8, 1998, p. 9.
17
Georges Perec, « Le travail de la mémoire », op. cit., p. 83.
18
On notera que les dessins retrouvés de l’adolescence fonctionnent eux aussi comme
des images de mémoire ready made : « Je retrouvai plus tard quelques-uns des dessins
que j’avais faits vers treize ans. Grâce à eux, je réinventai W et l’écrivis […] » (W ou
le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 14). Comme le note Bernard Magné : « On est donc
tenté d’établir un parallèle : les photos sont à l’autobiographie ce que les dessins sont
à la fiction » (« Les descriptions de photographies dans W ou le Souvenir d’enfance,
op. cit., p. 10).
19
Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Cahiers du Cinéma-
Gallimard-Seuil, 1980, p. 142.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 117
20
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 73. La médiatisation du souvenir est beau-
coup plus complexe que dans la version du « petit carnet noir » (1970), où la descrip-
tion de la même photo se clôt par une phrase dont le sujet reste indéfini : « On dit que
les Allemands vinrent dans ce village et que la fermière me cacha sous son matelas »
(cité dans Hans Hartje et Jacques Neefs, Georges Perec. Images, op. cit., p. 34).
21
Lui aussi juif en rupture par rapport à sa propre judéité. Sur ce point, voir Régine
Robin, Le Deuil de l’origine. Une langue en trop, la langue en moins, Saint-Denis,
Presses Universitaires de Vincennes, 1993.
22
Georges Perec, « Le petit carnet noir », édition de Philippe Lejeune, Cahiers
Georges Perec, n° 2 (W ou le Souvenir d’enfance : une fiction), Textuel 34/44, n° 21,
1988, p. 168-169.
118 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
23
« […] en déportant ce réel, vers le passé (“ça a été”), [la photographie] suggère
qu’il est déjà mort » (Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie,
op. cit., p. 124). Le lien entre la photographie et la mort est, du reste, établi très tôt
dans l’histoire critique du medium, ainsi dans cet article satirique de Marcelin, qui
assimile toute photographie au « portrait après décès » : « […] de quelle génération
d’huissiers, de recors, d’agents d’affaires, de débiteurs aux abois, de créatures ava-
chies, ne donneront-ils pas l’idée, ces fantômes photographiques, ridés, contractés,
grinçants, aux regards faux, ayant à la fois l’immobilité de la mort et l’inquiétude de
la vie : des cadavres préoccupés ! » (Marcelin, « À bas la photographie !!! », Le Jour-
nal amusant [1856], cité dans André Rouillé, La Photographie en France. Textes et
controverses : une anthologie, Macula, 1989, p. 259 et 265).
24
Alain Buisine, « Tel Orphée… », Revue des sciences humaines, Lille, n° 210, 1988,
p. 129.
25
La Chambre claire évoque « la mélancolie même de la Photographie » (loc. cit.).
26
On notera avec Bernard Magné que l’absence est redoublée en ce qui concerne les
photos de la mère : le texte de W en annonce cinq, mais n’en décrit que trois (« Les
descriptions de photographies dans W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 11).
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 119
que mon projet d’écrire. Les deux textes qui suivent datent de quinze
ans. Je les recopie sans rien y changer, renvoyant en note les rectifi-
cations et les commentaires que j’estime aujourd’hui devoir
ajouter27 ». Il s’agit, pour le premier, d’une description d’une photo du
père, le second, « largement imaginaire28 », étant consacré à la mère.
Si le projet autobiographique « s’est formé presque en même
temps » que le projet d’écriture, si le projet d’écriture prend autrement
dit très rapidement une forme autobiographique, sans que celle-ci lui
soit pourtant strictement coextensive, la description de la photo du
père joue le rôle, dans l’économie mise en place par W, d’une « pres-
que » genèse de l’écriture. La photographie serait donc, pour l’écri-
vain Perec, sinon première, du moins cruciale : en témoigne le fait
qu’elle puisse se faire ainsi l’image d’une origine possible de
l’écriture.
Cette vertu originaire de la photographie se projette également sur
d’autres textes perecquiens : la photo est alors génératrice d’un certain
espace de discours.
C’est notamment le cas de Je me souviens, où l’auteur se souvient
en fait bien davantage de discours entendus et d’images – notamment
de photos – que de moments vécus29. L’image, en particulier photo-
graphique, ou du moins son souvenir – l’image mentale d’une image –
paraît ainsi fonctionner, génétiquement, comme un déclencheur de
l’écriture.
On mentionnera également « Fragments de déserts et de culture »,
où le rapport à la photographie est à la fois crucial et décalé. Les
« Fragments » perecquiens reprennent, en effet, une forme inventée
par Denis Roche – à qui le texte est dédié – dans une référence expli-
cite à la photographie, Denis Roche donnant une définition propor-
tionnelle de la forme du « dépôt » :
27
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 41-42.
28
Op. cit., p. 46.
29
Voir chapitre I.
120 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
30
Denis Roche, « Entrée des machines. Littérature et photographie », La Disparition
des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), Éditions de l’Étoile, 1982, p. 54-
55.
31
La « matière première » de ces collages est parfois elle-même d’ordre photogra-
phique, en particulier dans « Pour saluer Manuel Alvarez Bravo » : « La matière
première y affleure : relation de la guerre des Cristeros (1926-1929) ; citations d’écrits
sur la photographie […] ; répertoires et bibliographies […] » (op. cit., p. 34).
32
Op. cit., p. 117.
33
Georges Perec, « Fragments de déserts et de culture », Traverses, n° 19, 1980,
p. 115-116 et 119. Ces photos ont apparemment été choisies par la rédaction de la
revue.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 121
34
Voir Jan Baetens, « Belle et fidèle : Fragments de déserts et de culture », Le
Cabinet d’amateur, n° 3, 1994, p. 22.
35
Cette contrainte impose à Perec l’allusion, dans chaque chapitre, « à un événement
quotidien survenu pendant la rédaction du chapitre » (Hans Hartje, Bernard Magné et
Jacques Neefs, « Une machine à raconter des histoires », préface à Georges Perec,
Cahier des charges de La Vie mode d’emploi, Paris-Cadeilhan, Éditions du CNRS-
Zulma, 1993, p. 26).
36
Georges Perec, « Le travail de la mémoire », op. cit., p. 91-92. Il s’agit du
chapitre LXV, où la description de Joy Slowburn suit d’assez près la photo de
l’actrice (reproduite dans Hans Hartje et Jacques Neefs, Georges Perec. Images, op.
cit., p. 155). Perec a également rattaché, dans un entretien avec Viviane Forrester, la
genèse même du roman à une « carte postale représentant une maison de poupée, la
façade étant enlevée […] » (cité dans Georges Perec. Images, op. cit., p. 151).
37
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 701.
122 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
ses, dont l’une n’est autre que Madame Altamont plus jeune de vingt-
cinq ans […]38 ».
Or, cette dernière photo reparaît à un autre niveau diégétique, au
sein de l’histoire rapportée (et non plus de la structure encadrante), où
elle joue un rôle important dans l’enquête sur sa filiation que mène
Véronique Altamont. On a là un procédé récurrent dans le roman de
Perec : la photo mentionnée tend à l’être à plusieurs niveaux diégé-
tiques. On citera aussi l’exemple du personnage de James Sherwood,
introduit comme tel dans le récit par un renvoi anaphorique à sa
photo : « Debout devant la loge, une femme est en train de lire la liste
des habitants de l’immeuble […]. […] Elle […] tient dans sa main
droite une photographie bistrée représentant un homme en redingote
noire. Il a des favoris épais et un pince-nez […]. Cet homme – James
Sherwood – fut la victime d’une des plus célèbres escroqueries de tous
les temps39 ». La photo est ici doublement embrayeur de récit : à coup
sûr dans l’espace du chapitre XXII, la biographie de Sherwood
succédant à la mention de sa photo dans la disposition du texte et, plus
hypothétiquement, dans l’univers diégétique du roman. En effet : « La
femme – une romancière américaine nommée Ursula Sobieski – a
entrepris depuis trois ans de reconstituer cette ténébreuse affaire pour
en faire la matière de son prochain livre et le terme de son enquête l’a
conduite aujourd’hui à venir dans cet immeuble chercher quelque
ultime renseignement ». Dans cette contiguïté du discours biogra-
phique et de la confrontation d’un écrivain et d’une photo, pourrait se
lire la figuration d’un rapport génétique de l’écriture à la photo-
graphie. Or, là aussi, l’objet photographique se trouve à nouveau
mentionné dans le cours du récit (biographique) qui suit : « […] des
milliers de petits jouets et accessoires scolaires donnés en prime à tout
acheteur d’une boîte de Sherwoods’ à certaines époques déterminées :
plumiers, petits cahiers, jeux de cubes, […] photos faussement
dédicacées des grandes vedettes du music-hall40 ».
On fera l’hypothèse que cette propriété « bathmologique »
(Barthes) de la photographie se relie à un trait très précis de l’écriture
perecquienne : son recours pour le moins abondant, en particulier dans
La Vie mode d’emploi, à l’insertion intertextuelle, l’image, le cas
échéant photographique, intervenant dans ce système comme un opé-
38
Op. cit., p. 1208.
39
Op. cit., p. 760.
40
Loc. cit.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 123
41
Voir notamment Bernard Magné, « Petite croisière préliminaire à une reconnais-
sance de l’archipel Butor dans La Vie mode d’emploi », Perecollages, op. cit., p. 107-
108, et « Quelques problèmes de l’énonciation en régime fictionnel », op. cit., p. 78.
42
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 853.
43
Georges Perec, « Still Life/Style Leaf », op. cit., p. 109. Il semble bien y avoir une
convenance particulière entre l’enchâssement représentatif – l’ekphrasis photo-
graphique – et le fonctionnement citationnel des noms propres : comme la photo, le
124 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
nom propre est une entité qui, en tant que désignateur rigide, fonctionne, du point de
vue sémantique, de façon surtout référentielle. On pourrait, d’ailleurs, faire l’hypo-
thèse que cette convergence structurelle entre nom propre et photographie rende
compte, au moins dans une certaine mesure, de l’écriture de Je me souviens qui,
essentiellement fondée sur l’énoncé de noms propres, s’appuie aussi, on vient de le
voir, sur un certain nombre de photos. Sur cette question, voir chapitre I.
44
Un cabinet d’amateur, op. cit., p. 1380.
45
Op. cit., p. 1414.
46
Reproduit dans David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots, op. cit.,
p. 600.
47
« Par où commencer ? Presque en désespoir de cause, j’ai fini par trouver au milieu
de mes dossiers un album de photos dont j’ai extrait les 7 plus anciennes » (Georges
Perec, « Le petit carnet noir », op. cit., p. 159).
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 125
Le temps de la photographie
48
Jules Janin, « Le daguerotype » [sic], L’Artiste (1838-1839), cité dans André
Rouillé, La Photographie en France, op. cit., p. 50.
49
Charles Baudelaire, « Le public moderne et la photographie », Salon de 1859,
Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976, p. 618-
619. .
50
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 1017.
51
Espèces d’espaces, op. cit., p. 122.
52
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 1208.
53
Op. cit., p. 1234.
126 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
54
Loc. cit.
55
Op. cit., p. 853. En ce qui concerne le photographe, la photo ne permet d’ailleurs,
en principe, que des déductions négatives, du type : « Ce n’est pas Smautf qui a pris la
photographie puisqu’il y figure, en arrière-plan, en train de laver avec Fawcett la
grosse Chenard et Walker bicolore » (op. cit., p. 1120).
56
Barthes lui-même finit, du reste, par identifier à une expérience du temps le
punctum de toute photo : « Je sais maintenant qu’il existe un autre punctum […] que
le “détail”. Ce nouveau punctum, qui n’est plus de forme, mais d’intensité, c’est le
Temps, c’est l’emphase déchirante du noème (“ça a été”), sa représentation pure » (La
Chambre claire, op. cit., p. 148).
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 127
parce qu’il est en connexion dynamique (y compris spatiale) et avec l’objet individuel
d’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe,
d’autre part » (Charles S. Peirce, Écrits sur le signe, Seuil, 1978, p. 158).
61
Pour une discussion de la « thèse d’existence » impliquée par la photo (dans les
termes de Jean-Marie Schaeffer, L’Image précaire. Du dispositif photographique,
Seuil, 1987, p. 122), voir André Rouillé, La Photographie, op. cit., p. 72-119. Voir
également l’analyse de Pierre Bourdieu : « Si la photographie est considérée comme
un enregistrement parfaitement réaliste et objectif du monde visible, c’est qu’on lui a
assigné (dès l’origine) des usages sociaux tenus pour “réalistes” et objectifs” » (Un
art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Minuit, 1965, p. 109).
62
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 847.
63
Op. cit., p. 1118.
64
« Cahier inédit », op. cit., p. 43.
65
Espèces d’espaces, op. cit., p. 115.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 129
66
La Vie mode d’emploi, op. cit., p. 701.
67
Op. cit., p. 963.
68
Op. cit., p. 1220.
69
À moins qu’il ne s’agisse d’inscriptions ou de légendes visibles sur ou autour de
l’image.
70
Op. cit., p. 1221.
71
Op. cit., p. 1212.
130 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
75
Récits d’Ellis Island, op. cit., p. 60.
132 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
76
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 95.
77
Une page plus loin, la préface reprend en l’inversant une disjonction – « que
l’illusion soit tenace ou fugace » – qui ouvrait le chapitre XIII de W : « Désormais, les
souvenirs existent, fugaces ou tenaces, futiles ou pesants, mais rien ne les rassemble »
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 133
(op. cit., p. 93). Le marquage autobiographique tient ainsi dans tout ce passage à une
redistribution de certains éléments de W.
134 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
LA RUPTURE PHOTOGRAPHIQUE
Ruptures visuelles
78
Sur cette valeur « antitextuelle » de l’image, le cas échéant photographique, voir
mon article « L’image perecquienne comme antitexte », Le Cabinet d’amateur, n° 7-
8, 1998.
79
Bernard Magné, « Georges Perec : Poèmes d’images », dans Dominique Mon-
cond’huy et Pascaline Mourier-Casile éd., L’Image génératrice de textes de fiction, La
Licorne, Poitiers, 1995.
80
Georges Perec et Christine Lipinska éditeurs, 1976 (édition limitée à cent exem-
plaires) ; repris sans les photos dans La Clôture et autres poèmes, Hachette, 1980.
81
Patrick Guérard, 1978 (édition limitée à 125 exemplaires) ; repris sans les photos
dans La Clôture et autres poèmes, op. cit.
82
Bernard Magné, « Georges Perec : Poèmes d’images », op. cit., p. 233.
83
Mireille Ribière, « La photographie dans La Clôture », Le Cabinet d’amateur, n° 7-
8, 1998, p. 114.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 135
84
En fait au nombre de seize (sur ce point, voir Mireille Ribière, « La photographie
dans La Clôture », op. cit.).
85
Bernard Magné et Mireille Ribière, « Description du corpus », Les Poèmes
hétérogrammatiques, op. cit., p. 14.
86
Mireille Ribière, « La photographie dans La Clôture », op. cit., p. 118.
87
Op. cit., p. 113. On notera, à ce propos, que les photos de Christine Lipinska pour le
projet de Lieux ne font absolument pas ce choix de la frontalité : ainsi, la rue de la
Gaîté est prise en enfilade sur près de la moitié des clichés réalisés en octobre 1970
(voir Hans Hartje et Jacques Neefs, Georges Perec. Images, op. cit., p. 122-123).
136 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
différence des poèmes : tout se passe comme si, pour Perec, la photo
figurait un discontinu pur, l’écriture paraissant, en revanche, toujours
rémunérer d’une certaine manière l’écart.
88
Sur la couverture de l’édition « Folio », la photo est en couleurs.
89
Georges Perec, « 53 jours » (1989), édition de Harry Mathews et de Jacques
Roubaud, Gallimard, coll. « Folio », 1994, p. 37-38.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 137
La grille
95
Georges Perec, Nouveaux jeux intéressants, Cadeilhan, Zulma, 1998, p. 20.
96
Andrée Chauvin et Mongi Madini, « La remontée des images », op. cit., p. 55.
97
Loc. cit.
98
Choisies en collaboration avec Robert Bober.
99
On pense aux « décors de cage » mentionnés par les « Anagrammes de Georges
Condominas » (Georges Perec, Beaux présents, Belles absentes, Seuil, 1994, p. 49).
Les photos en nombre beaucoup plus restreint de l’édition de 1980 privilégient déjà,
du reste, ce type de motifs.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 139
Photographie et altérité
100
Sur l’importance du réseau pour l’œuvre de Perec, voir Bernard Magné, « Pour une
lecture réticulée », Mélanges, Cahiers Georges Perec, n° 4, Valence, Éditions du
Limon, 1990.
140 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
101
Intervient également le détour par la biographie de Robert Bober, dont le rapport à
la judéité est beaucoup plus direct que celui de Perec : le livre comporte ainsi une
photo de « Wolf Leib Frankel, arrière-grand-père de Robert Bober, refoulé d’Ellis
Island en raison du trachome » (Récits d’Ellis Island, op. cit., p. 61).
102
L’Arc, n° 76, 1979.
L’ECRITURE PHOTOGRAPHIQUE 141
103
Voir Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique », Œuvres, t. III, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1991, p. 269-316.
104
Dans les termes de W : « j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque
indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture ;
l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie » (W ou le Souvenir
d’enfance, op. cit., p. 59).
105
Appel de souscription à l’édition originale de La Clôture, cité par Mireille Ribière,
« La photographie dans La Clôture », op. cit., p. 111.
142 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
106
Alain Buisine, Eugène Atget ou la Mélancolie en photographie, Nîmes, Jacqueline
Chambon, 1994, p. 173.
VII
1
Georges Perec, « Il y a dans le public un appétit de renouvellement qui est
constant », entretien avec Roger Balavoine (décembre 1981), Entretiens et Confé-
rences, op. cit., t. II, p. 342.
2
Georges Perec, « …Sono un “archivista”, ma della invenzione che “crea” la realtà
quotidiana… », entretien avec Raffaella di Ambra (1979), traduit par Dominique
Bertelli, Entretiens et Conférences, op. cit., p. 87.
3
Georges Perec, « Georges Perec : “J’ai fait imploser le roman” », entretien avec
Gilles Costaz (1978), Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 248.
144 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
CINEPHILIE LITTERAIRE
4
J’emprunte ce concept à Gilles Deleuze, Cinéma 1. L’Image-mouvement, Minuit,
1983.
5
Notamment évoquée dans un entretien accordé à Philippe Carles et Francis Mar-
mande (voir Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 40-41). Perec a livré son
palmarès de cinéphile des années soixante-dix aux Nouvelles littéraires (Entretiens et
Conférencs, op. cit., p. 109-110). Voir aussi « J’aime, je n’aime pas », L’Arc, n° 76,
1979, p. 38-39.
6
Les Choses, Romans et Récits, op. cit., p. 79-80.
7
« Le Travail de la mémoire », op. cit., p. 53. Voir chapitre VI.
8
Roger Kléman, Georges Perec et Henri Peretz, « La perpétuelle reconquête » (1960),
L.G. Une aventure des années soixante, op. cit., p. 141-164.
9
Georges Perec, « Dictionnaire des cinéastes » (1981), Vœux, Seuil, 1989, p. 129-147.
LE CINEMA INVISIBLE 145
L’ECRITURE ET LE CINEMA
10
Jean Peytard, « De l’écriture-calligramme à l’écriture-cinéma : le cas Perec », Le
Cabinet d’amateur, n° 6, 1997, p. 37.
11
Georges Perec, « Je ne veux pas en finir avec la littérature », entretien avec Pierre
Lartigue (1978), Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 221.
12
Georges Perec, « Entretien avec Gabriel Simony » (1981), Entretiens et Conféren-
ces, op. cit., t. II, p. 215.
146 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
13
« […] on a transformé le texte très littéraire, très linéaire, on en a fait une charpente
textuelle, et à partir de cette trame littéraire, on a fait un film qui est une lecture
cinématographique » (Georges Perec, « Un bonhomme qui dort ne peut pas arrêter le
temps » [1974], Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 182).
14
Cité dans David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots, op. cit., p. 366.
LE CINEMA INVISIBLE 147
faire un film avec Un homme qui dort m’a toujours paru évident. […]
Mais quand j’affirmais qu’Un homme qui dort était le plus « visuel »
de tous mes livres, savais-je exactement ce que je voulais dire ?
Tous ces choix ayant été faits, tous les partis pris ayant été
assumés, c’est en voyant le film terminé, devant l’évidence de cette
copie-standard qui laisse derrière elle, une fois pour toutes, nos
doutes, nos hésitations, et ces milliers de mètres de pellicule et de
bande magnétique triturés, découpés, montés et remontés, ajustés et
réajustés, que je peux comprendre avec plus de précision ce que j’en
attendais : non pas n’importe quel film tiré de n’importe quel récit,
mais pour « ce » récit en vague forme de labyrinthe, ressassant les
mêmes mots, répétant les mêmes gestes, représentant sans cesse les
mêmes itinéraires, « ce » film « parallèle » où l’image, le texte et la
bande sonore s’organisent pour tisser la plus belle lecture que jamais
écrivain n’a pu rêver pour un de ses livres17.
15
Sur la portée du centon dans Un homme qui dort, voir la notice de Bernard Magné
dans son édition des Romans et Récits : « Alors que l’emprunt est, pour Perec, une
manière de rattacher son œuvre à l’ensemble de la littérature, il se trouve ici mis au
service d’une tentative d’absolu détachement. Tout se passe comme si cette contra-
diction méticuleusement élaborée, cette manière pour l’auteur de piéger le discours de
son personnage par le recours aux citations cachées préfigurait l’échec final de ce
dernier dans sa quête de l’indifférence : il apprendra à ses dépens, et le lecteur avec
lui, qu’on n’échappe pas plus à la littérature qu’au langage » (Bernard Magné,
« Notice », dans Georges Perec, Un homme qui dort, Romans et Récits, op. cit.,
p. 213).
16
Dans un entretien accordé à La Revue du cinéma, Perec parle à ce sujet de
« décalage » : « Ce ne pouvait être la voix de l’acteur, ni même une voix d’homme,
pour qu’il y ait ce décalage » (« Entretien avec Georges Perec et Bernard Queysanne »
[1974], Entretiens et Conférences, op. cit., p. 160).
17
Georges Perec, « Un homme qui dort. Lecture cinématographique », Combat, 4
avril 1974, cité dans Entretiens et Conférences, op. cit., p. 151-152.
148 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
18
Ainsi exploré dans un entretien donné avec Bernard Queysanne : « En écrivant Un
homme qui dort, je voyais ce type marcher dans les rues, je le revoyais passer toujours
dans les mêmes endroits, refaire toujours les mêmes gestes et j’avais l’impression que
cette espèce de description d’un labyrinthe avait quelque chose de cinémato-
graphique » (« Entretien avec Georges Perec et Bernard Queysanne », op. cit., p. 159).
19
« […] la nécessité du film vient de ce qu’il peut y avoir une correspondance entre le
texte tel qu’il est raconté et des images qu’on inventerait à ce moment-là, parce que ça
permettrait de mettre à la fois des images très proches et très lointaines, c’est-à-dire
susciter un deuxième discours au niveau de l’image, et même un troisième au niveau
de l’environnement sonore » (« Un bonhomme qui dort ne peut pas arrêter le temps »,
op. cit., p. 182).
20
À l’exception cependant de Signe particulier : néant, qui devait constituer l’équi-
valent cinématographique du lipogramme. Sur ce projet, voir Paulette Perec, « Chro-
nique de la vie de Georges Perec (7 mars 1936-3 mars 1982) », dans Paulette Perec
éd., Portrait(s) de Georges Perec, Bibliothèque nationale de France, 2001, p. 107.
LE CINEMA INVISIBLE 149
21
Pour un inventaire, voir David Bellos, Georges Perec. Une vie dans les mots, op.
cit., p. 757-760 ; voir aussi Brunella Eruli, « Les films non réalisés de Georges
Perec », communication au séminaire Georges Perec de l’université Paris VII, 19 mai
2001. On consultera également Christian Janicot éd., Anthologie du cinéma invisible,
Jean-Michel Place, 1995.
22
Sur Série noire, voir Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 69-74.
23
Sur La Bande magnétique, voir Georges Perec, « À propos des Choses », Entretiens
et Conférences, op. cit., p. 268.
24
Georges Perec, « Notes sur ce que je cherche », op. cit., p. 11.
25
Pas plus que dans l’entretien accordé un mois auparavant à Patrice Delbourg, qui
propose une liste comparable : « Car mon but inavoué, monstrueux, est de saturer le
champ d’écriture contemporain. J’ai d’ailleurs comme projet immédiat de tâter du
roman policier, de la science-fiction, du théâtre, de l’argument de ballet, de la poésie
150 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
et du livret d’opéra… » (Georges Perec, « Vivre et jouer avec les mots », entretien
avec Patrice Delbourg [1978], Entretiens et Conférences, op. cit., t. I, p. 252).
26
Georges Perec, « La Maison des romans », entretien avec Jean-Jacques Brochier
(1978), Entretiens et Conférences, op. cit., p. 244.
27
« Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner » (1979), Entretiens et Conférences, op.
cit., t. II, p. 100-101.
LE CINEMA INVISIBLE 151
28
Georges Perec, « L’Invité du mois » (1981), Entretiens et Conférences, op. cit,
p. 180.
29
« Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner », op. cit., p. 100.
30
Georges Perec, « À propos de la description » (1981), Entretiens et Conférences,
op. cit., p. 241.
31
« Un bonhomme qui dort ne peut pas arrêter le temps », op. cit., p. 181.
32
Sur ce passage du montage – conçu comme représentation indirecte du temps – au
« montrage » – sa présentation directe – voir Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’Image-
temps, Minuit, 1985, p. 50-61.
152 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
33
André Bazin, « Théâtre et Cinéma » (1951), Qu’est-ce que le cinéma ?, Cerf, 1985,
p. 160.
34
Sur la tension entre iconophilie et iconoclastie dont témoigne l’œuvre de Perec, voir
Claude Burgelin, Les Parties de dominos chez Monsieur Lefèvre, op. cit., p. 137-157.
35
Voir chapitre VI.
LE CINEMA INVISIBLE 153
36
André Bazin, « Pour un cinéma impur. Défense de l’adaptation » (1950), Qu’est-ce
que le cinéma ?, op. cit., p. 91.
37
« La Semaine de Georges Perec », propos recueillis par Nicole Boulanger (1979),
Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 105.
Mémoires littéraires
VIII
Le roman de la théorie
FICTIONS THEORIQUES
4
« Bien qu’elle soit chronologiquement impossible, puisque n’ayant pu se dérouler
qu’en plein hiver, et en dépit du démenti qui lui a été plus tard apporté, c’est dans
cette première et courte période que je m’obstine à placer la scène suivante : je
descends avec ma tante la route qui mène au village ; en chemin, ma tante rencontre
une dame de ses amies à laquelle je dis bonjour en lui tendant la main gauche :
quelques jours auparavant, faisant du patin à glace sur la patinoire qui s’étend au bas
de la piste des Bains, j’ai été renversé par une luge ; je suis tombé en arrière et me suis
cassé l'omoplate ; c’est un os que l’on ne peut plâtrer ; pour qu’il puisse se resouder
on m’a attaché le bras droit derrière le dos avec tout un système de contention
m’interdisant le moindre mouvement, et la manche droite de ma veste se balance dans
le vide, comme si j’étais définitivement manchot. Ni ma tante ni ma cousine Ela n’ont
gardé le souvenir de cette fracture qui, suscitant l'apitoiement général, était pour moi
la source d’une ineffable félicité » (W ou le Souvenir d'enfance, op. cit., p. 108-109).
5
Sur les lectures marxistes des Choses, et la réception de la traduction du roman
(parue en 1967) en Roumanie, voir Yvonne Goga, « Les Choses – histoire d’une
réception », dans Steen Bille Jörgensen et Carsten Sestoft éd., Georges Perec et
l’Histoire, actes du colloque de Copenhague (30 avril-1er mai 1998), Études romanes,
n° 46, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 2000, p. 47-52.
LE ROMAN DE LA THEORIE 159
6
Marcel Bénabou et Georges Perec, Presbytères et Prolétaires. Le Dossier PALF,
Cahiers Georges Perec, n° 3, Valence, Éditions du Limon, 1989.
7
Marcel Bénabou et Georges Perec, « Le PALF », Change, n° 14, 1973, p. 129.
8
On perçoit au passage que la constitution de la réflexion oulipienne ne saurait pas
plus être séparée d’autres approches formalistes du littéraire, et plus largement de
l’esthétique (on songera notamment au groupe de Tel Quel, dont la Théorie
d’ensemble paraît en 1968), ses manipulations de la langue supposant un rapport plus
particulier à la linguistique, saussurienne d’abord, mais aussi générativiste et transfor-
mationnelle. (Sur la relation problématique de l’Oulipo aux linguistiques contempo-
raines, voir Jean-Jacques Thomas et Steven Winspur, Poeticized Language. The
Foundations of Contemporary French Poetry, University Park, The Pennsylvania
State University Press, 1999, p. 210-219.)
160 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
par son titre – Art and Illusion d’Ernst Gombrich (1960) – que
l’ouvrage historique de S. Speth-Holterhoff, Les Peintres flamands de
cabinets d’amateurs au XVIIe siècle (1957)9. On mentionnera
également La Disparition, dont le chapitre 11 propose une exégèse de
« Vocalisations » où Clemens Arts voit un pastiche du style de
Sollers10 – quant au « post-scriptum », intitulé « Sur l’ambition qui,
tout au long du fatigant roman qu’on a, souhaitons-nous, lu sans trop
d’omissions, sur l’ambition, donc, qui guida la main du scrivain11 », il
offre un panorama lipogrammatique du champ littéraire contemporain.
La fictionalisation de la théorie ne choisit cependant pas nécessai-
rement des voies intertextuelles : une notion théorique peut se trouver
empruntée de façon relativement autonome – sans engager de récriture
à proprement parler d’un texte-source – et mise en texte par son inté-
gration à une trame fictionnelle. Ainsi la notion de structure devient-
elle partie intégrante de La Vie mode d'emploi, en impliquant d’ail-
leurs un dispositif complexe où l’appropriation romanesque maintient,
en quelque mesure, l’hétérogénéité du discours théorique : un com-
promis réalisé par la forme du préambule, qui constitue explicitement
l’un des « seuils » (Genette) du roman, l’ouvrant sans pour autant y
appartenir de plein droit, dans une relation d’autant plus incertaine à
l’œuvre que ce texte liminaire est ici répété – et « légèrement modi-
fié » – au chapitre XLIV12, et que son objet, le puzzle, est totalement
intégré à l’univers diégétique. Il semble qu’un tel déplacement d’une
notion théorique dans le champ littéraire ne soit pas sans consé-
quences quant à cette notion même : ici, on considérera que la pré-
9
Sur ces références, voir Manet Van Montfrans, Georges Perec. La Contrainte du
réel, op. cit., p. 317 : « Ainsi, le théoricien et porte-parole du narrateur, Lester
K. Nowak, simplifie dans son article “Art and Reflection” une des thèses présentées
par Ernst Gombrich dans Art and Illusion. Il emprunte également d’importants pas-
sages à Speth-Holterhoff qui comportent à leur tour des fragments textuels empruntés
aux contemporains de Van Haecht comme par exemple le peintre Salomon Noveliers.
Dans le cas de Speth-Holterhoff, Nowak passe sous silence la source de ses connais-
sances ; il s’appuie aussi sur les Vies de Vasari qui, lui, est cité explicitement. »
10
Clemens Arts, Oulipo et Tel Quel. Jeux formels et contraintes génératrices,
université de Leiden, 1999, p. 162.
11
La Disparition, op. cit., p. 555.
12
Sur cette relation de répétition/variation, voir Bernard Magné, « Le puzzle mode
d'emploi. Petite propédeutique à une lecture métatextuelle de La Vie mode d'emploi de
Georges Perec », Perecollages, op. cit., et Andrée Chauvin, « Le jeu des erreurs ou
Métamorphoses en minuscules », Études littéraires, université Laval (Québec),
vol. XXIII, n° 1-2, 1990.
LE ROMAN DE LA THEORIE 161
FORMES DE L’INVENTION
17
Georges Perec, « Engagement ou Crise du langage », L.G., op. cit., p. 67-86.
18
Voir Bernard Magné, Georges Perec, op. cit., p. 75-82.
19
Op. cit., p. 32-48.
20
Raymond Queneau, Chêne et Chien, Œuvres complètes, t. I (Poésies), Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 13.
21
Marcel Bénabou, « Ce repère Perec », communication au colloque De L’Espèce
humaine à Espèces d’espaces, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 18 mars 2001.
22
Georges Perec, « Le travail de la mémoire », op. cit., p. 50.
23
Voir Jean Starobinski, Les Mots sous les mots. Les Anagrammes de Ferdinand de
Saussure, Gallimard, 1971.
LE ROMAN DE LA THEORIE 163
24
« Le premier Robbe-Grillet […] décide que les choses ne signifient rien, pas même
l’absurde (ajoute-t-il à juste titre), car il est évident que l’absence de sens peut très
bien être un sens » (Roland Barthes, « Le point sur Robbe-Grillet ? », Essais critiques,
Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 453).
164 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
25
Georges Perec, « Le mystère Robbe-Grillet », Partisans, n° 11, 1963, p. 168-169.
26
« 53 jours », op. cit., p. 172.
LE ROMAN DE LA THEORIE 165
27
Sur cette question, voir Isabelle Dangy-Scaillierez, L’Énigme criminelle dans les
romans de Georges Perec, op. cit.
28
« Le mystère Robbe-Grillet », op. cit., p. 169-170.
166 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
32
« Au-delà de la surprise, il restera un exemple à méditer : celui d’un autobiographe
qui lucidement, patiemment, non par choix, mais parce qu’il était le dos au mur, a pris
exclusivement des voies obliques pour cerner ce qui avait été non oublié, mais
oblitéré, pour dire l’indicible » (Philippe Lejeune, La Mémoire et l’Oblique, op. cit.,
p. 12).
33
Bernard Magné, « Le biais », Le Cabinet d'amateur, n° 2, 1993.
34
Ces jeux ont été recueillis dans Georges Perec, Perec/rinations, Zulma, 1997.
35
Je reprends l’expression de Jean-Benoît Puech, « La création biographique », dans
Brigitte Louichon et Jérôme Roger éd., L’Auteur entre biographie et mythographie,
Modernités, Bordeaux, n° 18, 2002, p. 47. Sur la question des biographies d’écrivains,
voir également Jean-Pierre Martin, « La curiosité biographique est-elle obscène ? »,
dans L’Auteur entre biographie et mythographie, op. cit.
36
Jean Ricardou, Le Théâtre des métamorphoses, Seuil, 1982, p. 188.
168 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
37
Roland Barthes, « La mort de l’auteur » (1968), Œuvres complètes, op. cit., t. III,
p. 40-45.
IX
De la littérature
considérée comme un des beaux-arts
(l’œuvre de Perec et l’art contemporain)
1
Voir Alain Zalmanski, « Les Voyages divers. Petite étude des plagiats par antici-
pation de Hugo Vernier dans l’ordre de leur divulgation », Formules, n° 6, 2002,
p. 114-121. Ces « voyages » oulipiens ont été rassemblés et traduits en anglais par Ian
Monk, Winter Journeys, Londres, Atlas Press, 2001.
170 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
ESTHETIQUE DE LA RECEPTION
2
Antoine Bello, Éloge de la pièce manquante, Gallimard, coll. « La Noire », 1998.
3
Seuil, 1993. Suite à l’hôtel Crystal, en revanche, rend un hommage explicite à Perec
(le livre reprend le projet de Lieux où j’ai dormi) tout en s’émancipant largement,
dans sa facture, de l’écriture perecquienne (Olivier Rolin, Suite à l’hôtel Crystal,
Seuil, 2004).
4
Perec, dans une conférence prononcée à l’université d’Adélaïde le 1er octobre 1981,
associait l’écriture des Choses à un « vouloir être Flaubert » (Georges Perec, « À
propos des Choses », Entretiens et Conférences, op. cit., t. II, p. 269).
5
Voir Jean-Pierre Salgas, « Georges Perec “contemporain capital posthume” », dans
Jean-Luc Joly éd., L’Œuvre de Georges Perec. Réception et mythisation, Rabat,
Publications de la faculté des lettres et sciences humaines de l’université
Mohammed V, 2002, p. 299-303. De cet usage contemporain du nom de Perec
témoigne notamment le n° 401 des Inrockuptibles (6-12 août 2003).
DE LA LITTERATURE 171
de Perec depuis la fin du XXe siècle n’ont certes pas écrit, sous
quelque angle que l’on considère leur œuvre, « à la manière de » – que
cette manière se soit avérée inaccessible ou qu’elle ait été d’emblée
posée comme une idée régulatrice décrochée de toute actualisation
possible.
On relève pourtant, s’agissant de Perec, deux exceptions bien
visibles : Le Voyage d’hiver et Je me souviens.
Dans le cas du Voyage d’hiver, les récritures ultérieurement adve-
nues ne constituent au fond rien d’autre que le prolongement de
l’activité de copie évoquée par la nouvelle : tout se passe comme si la
fantastique réversibilité littéraire représentée par l’« anthologie
prémonitoire6 » d’Hugo Vernier (mettant en récit la notion oulipienne
de plagiat par anticipation) rendait formellement possible cet engen-
drement fécond. C’est donc avec une exacte cohérence que la
première de ces récritures oulipiennes, Le Voyage d’hier de Jacques
Roubaud, donne à la nouvelle de Perec le statut d’une copie7.
Quant à Je me souviens, procédant lui aussi de la « copie » (du I
Remember de Joe Brainard8), son minimalisme litanique définit une
forme simple, dont le succès public dépasse largement la sphère pro-
prement littéraire, qu’il s’agisse de discours journalistique ou de
chanson9. Entre bien d’autres exemples, on citera les textes brefs
d’écrivains-plasticiens, Mon grand-père de Valérie Mréjen10 et Auto-
portrait d’Édouard Levé11, qui conjoignent attention à l’ « infra-ordi-
naire » – plutôt, d’ailleurs, sur le mode de l’intime, retrouvant ainsi
6
Georges Perec, Le Voyage d’hiver (1980), Romans et Récits, op. cit., p. 1429.
7
Jacques Roubaud, Le Voyage d’hier (précédé du Voyage d’hiver de Georges Perec),
Nantes, Le Passeur, 1997, notamment p. 47-48.
8
Joe Brainard, I Remember (1975), traduction de Marie Chaix, Arles, Actes Sud,
1997. Sur le rapport du projet de Perec à celui de Brainard, voir Roland Brasseur, « Je
me souviens de I Remember », op. cit.
9
Sur cette diffusion remarquable, voir notamment Marie-Hélène Exel, « Boltanski,
Perec et MC Solaar », Le Cabinet d’amateur, n° 7-8, 1998, p. 81-86. Plus
généralement, sur l’entrée (du nom) de Perec dans la culture de masse, autour de la
diffusion de quelques titres, voir Jean-Pierre Salgas, « Georges Perec “contemporain
capital posthume” », op. cit., p. 301.
10
Allia, 1999.
11
P.O.L, 2005. Pour d’autres exemples, voir mon article « La lettre et l’image :
Paradoxes de la réception posthume de l’œuvre de Georges Perec », dans Mireille Ri-
bière et Yvonne Goga éd., Georges Perec. Inventivité, postérité, actes du colloque de
Cluj-Napoca (Roumanie), université Babes-Bolyai (14-16 mai 2004), Cluj-Napoca,
Casa Cartii de Stiinta, 2006, p. 176-190.
172 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
12
Oulipo, Abrégé de littérature potentielle, Mille et une nuits, 2002, p. 56.
13
Le Voyage d’hiver, op. cit., p. 1431.
14
Je me souviens, op. cit., p. 147.
15
W ou le Souvenir d’enfance, op. cit., p. 191.
16
Dont témoignent notamment les titres suivants : Tentative d’épuisement d’un lieu
parisien (op. cit.), «Tentative d’inventaire des aliments liquides et solides que j’ai
DE LA LITTERATURE 173
20
Sur les rapports entre les œuvres de Perec et de Boltanski, voir Guillaume Pô,
« Perec et Boltanski, deux interrogations sur la disparition », Cahiers Georges Perec,
n° 6, op. cit., p. 207-213.
21
Sur ce point, voir les analyses de Hans Belting, qui font de ce « mouvement décisif
en direction de l’anticulturel, du banal et de l’ordinaire » une « révolte contre le mo-
dernisme avec son autodéfinition sacro-sainte et hermétique » (Hans Belting,
L’histoire de l’art est-elle finie ? Histoire et archéologie d’un genre [1989], tra-
duction de Jean-François Poirier et d’Yves Michaud, Gallimard, coll. « Folio Essais »,
2007, p. 102).
22
Il s’agit d’ailleurs le plus souvent, dans la langue classique, d’une homographie.
23
Cité par Jean Clair, L’Œuvre de Marcel Duchamp, Centre Georges Pompidou,
1977, t. II, p. 121.
24
Sur ces questions, voir André Rouillé, La Photographie, op. cit., p. 466-471.
25
Sur ce point, voir chapitre VI.
DE LA LITTERATURE 175
C’est dire que Perec, ainsi reçu, prend lui aussi la figure, jusqu’ici
virtuelle, d’un écrivain-plasticien, ayant su mettre en œuvre une
littérature qui relevait déjà, en quelque manière, de l’art contemporain.
STYLISTIQUE DE L’EPUISEMENT
26
Sur cette question, voir également « La lettre et l’image », op. cit.
27
On rappellera ici ce passage de la conférence de Warwick : « j’essaie, si vous
voulez, de dire tout ce que l’on peut dire sur le thème d’où je suis parti. C’est ce que
les rhétoriciens appelaient des lieux rhétoriques. Les Choses sont les lieux rhétoriques
de la fascination, c’est tout ce que l’on peut dire à propos de la fascination qu’exer-
cent sur nous les objets. Un homme qui dort, c’est les lieux rhétoriques de l’indiffé-
rence, c’est tout ce que l’on peut dire à propos de l’indifférence » (Georges Perec,
« Pouvoirs et limites du romancier français contemporain », Entretiens et Conféren-
ces, op. cit., t. I, p. 84).
28
Simplement dit dans tel entretien accordé après la publication de La Vie mode
d’emploi : « J’ai l’ambition d’énumérer, de cataloguer, de rassembler des connais-
sances vraies ou fausses : dire ce qu’il y a dans le monde » (Georges Perec, « Je ne
veux pas en finir avec la littérature », Entretiens et Conférences, op. cit., p. 222).
176 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
29
« Pouvoirs et limites du romancier français contemporain », op. cit., p. 81.
30
Georges Perec, « Pourquoi j’ai écrit le petit vélo », tapuscrit de 1965 cité dans Hans
Hartje et Jacques Neefs, Georges Perec. Images, op. cit., p. 91-92.
DE LA LITTERATURE 177
31
« Entretien Georges Perec/Patricia Prunier », Entretiens et Conférences, op.cit.,
t. II, p. 74.
32
Voir Marcel Proust, « À propos du “style” de Flaubert » (1920), dans Gilles
Philippe éd., Flaubert savait-il écrire ? Une querelle grammaticale (1919-1921),
Grenoble, Ellug, 2004, p. 83-97.
33
C’est Perec en tout cas qui gèle l’homogénéité miroitante que Proust attribuait à
Flaubert : « Dans le style de Flaubert, par exemple, toutes les parties de la réalité sont
converties en une même substance, aux vastes surfaces, d’un miroitement monotone.
Aucune impureté n’est restée. Les surfaces sont devenues réfléchissantes. Toutes les
choses s’y peignent, mais par reflet, sans en altérer la substance homogène » (Marcel
Proust, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1987, p. 201).
34
Pour une glose de la formule, on relira la fin des « Gnocchis de l’automne » :
« L’écriture me protège. J’avance sous le rempart de mes mots, de mes phrases, de
178 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
39
Roland Barthes, « Le Style et son image » (1971), Œuvres complètes, op. cit., t. III,
p. 977-978.
40
Christian Prigent, Ceux qui merdRent, P.O.L, 1991, p. 144. Sur le style de Perec,
voir également Derek Schilling, Mémoires du quotidien : les lieux de Perec,
Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2006, p. 102-103.
41
J’emprunte cette expression au finale de Comment j’ai écrit certains de mes livres :
« Et je me réfugie, faute de mieux, dans l’espoir que j’aurai peut-être un peu
180 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
1
Georges Perec, « Notes sur ce que je cherche », op. cit., p. 11.
2
« Entretien Perec/Jean-Marie Le Sidaner », Entretiens et Conférences, op. cit., t. II,
p. 99.
182 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
LA TERREUR LYRIQUE
3
Dans La Clôture et autres poèmes, op. cit., p. 85.
4
Orange Export LTD, 1981 ; republié dans Emmanuel Hocquard, Tout le monde se
ressemble. Une anthologie de poésie contemporaine, P.O.L, 1995, p. 113-119.
5
Sur ces questions, voir Gustavo Guerrero, Poétique et poésie lyrique. Essai sur la
formation d’un genre, Seuil, 2000.
6
Cette terreur langagière n’est pas étrangère à la « terreur » antirhétorique décrite par
Jean Paulhan ; sur cette question, voir Laurent Jenny, Je suis la révolution. Histoire
d’une métaphore (1830-1975), Belin, 2008, p. 137-155, ainsi que Éric Trudel, La
Terreur à l’œuvre. Théorie, poétique et éthique chez Jean Paulhan, Saint-Denis,
Presses Universitaires de Vincennes, 2007.
7
Voir chapitre I.
EPILOGUE 183
POESIE ET SUBJECTIVITE
8
Voir chapitre VIII.
9
Il faudrait commenter précisément ce titre générique, qui nous reconduit pour une
part à la référence romantique : comme si le poème « libre » exemplifiait d’abord
l’essence du poétique.
10
« Quelle petite voiture rouge au fond de la mémoire ? », Le Cabinet d’amateur,
n° 7-8, 1998.
184 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
Venue de l’imperceptible
convexité de l’œil
– ce par quoi on sait que la terre est ronde –
mais il y a seulement
cette soif de pliure
la préfiguration tremblante
11
Ceci ne signifie pas que l’encryptage autobiographique y soit totalement absent :
Bernard Magné fait remarquer qu’une chronologie symbolique relie les deux poèmes
non contraints de Perec : au voyage vers les camps évoqué par la deuxième strophe
d’ « Un poème » succède, dans « L’Éternité », l’arrivée, avec la mise en enclos dans
un « corral / où se tapit la catastrophe ».
EPILOGUE 185
du corral
où se tapit la catastrophe
12
Émile Benveniste, « L’appareil formel de l’énonciation » (1970), Problèmes de
linguistique générale, t. II, Gallimard, coll. « Tel », 1991, p. 83.
186 L’ETERNEL ET L’EPHEMERE
13
D’un point de vue générique, on assiste donc à une relève du narratif par le lyrisme
(poétique) ; selon Ricoeur, en effet, à la différence des « limites du récit face au
mystère du temps », le chant lyrique dirait cette « profonde énigme » de façon plus
« fondamentale » (Paul Ricoeur, Temps et Récit, t. III : Le Temps raconté, Seuil,
coll. « Points », 1991, p. 485, 487 et 488).
EPILOGUE 187
14
Sur ce point, voir George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie
quotidienne, traduction de Michel de Fornel, Minuit, 1985.
15
Arthur Rimbaud, « L’Éternité » (1872), Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bi-
bliothèque de la Pléiade », 1972, p. 79.
Bibliographie
1. NOTE
2. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
REFERENCES THEORIQUES
Littérature
Linguistique
Esthétique
INTRODUCTION 7
4. MEMOIRES LITTERAIRES
BIBLIOGRAPHIE 189