Вы находитесь на странице: 1из 9

Le sujet écrivant et la notion d’état de langue

(XIVe-XVIe siècle)

Dans l’étude diachronique d’une langue ancienne, il est usuel d’ad-


mettre que l’avènement d’une nouvelle norme littéraire signe le passage
d’une structure synchronique à une autre.
Les grammaires historiques de l’espagnol s’appuient ainsi sur le chan-
gement de modèle normatif qui intervient vers la fin du XVIe siècle
pour légitimer le statut d’époque charnière qu’elles lui confèrent, du
point de vue de la langue. Elles situent, en effet, le passage du castillan
médiéval à l’espagnol dit classique aux alentours de cette période.
Or, dans la réalité des textes de l’époque, qu’est-ce qui permet de
dénoncer un tel changement et de l’interpréter comme l’empreinte
d’une mutation linguistique irréversible ?
Pour justifier l’appellation de « revolución fonética » qu’il attribue à
cette période, Ramón Menéndez Pidal, dans son Manual de gramática
histórica española, s’appuie en premier lieu sur les rimes du type « cabeça-
belleza » qui ponctuent nombre de textes dès le début du XVIe siècle.
Puis de poursuivre à propos de l’évolution de l’assourdissement des sif-
flantes sonores ainsi manifesté : « los escritores de las generaciones siguientes,
Cervantes, Lope, Góngora ya no hacen distinción ninguna entre la sorda y la
sonora »1.
Rafael Cano Aguilar recourt à des arguments similaires pour mettre
en évidence l’accélération du phénomène dès le milieu du XVIe siècle :
« Pero desde esa época se intensifican las confusiones gráficas y los gramáticos mani-
fiestan el progresivo cumplimiento de esos cambios »2.

1. Ramón MENÉNDEZ PIDAL, Manual de gramática histórica española, 6e éd., Madrid :


Espasa-Calpe, 1994, p. 115.
2. Rafael CANO AGUILAR, El español a través de los tiempos, Madrid : Arco/Libros, 1997,
p. 238.
  -

Il s’ensuit que ce sont les confusions graphiques qui sont tenues pour les
signes avant-coureurs de la mise en place d’une nouvelle norme. Or, cette
allégation n’est recevable que si l’on a donné au préalable un sens à l’ex-
pression « confusion graphique », c’est-à-dire si on lui a reconnu une
forme tangible dans les textes au sein desquels elle semble se dévoiler.
Si l’on en croit les exemples retenus par ces mêmes grammairiens,
par « confusion graphique », il faut entendre l’usage d’une graphie dans
une position où la norme de référence en exigerait une autre, ce qui
place cette graphie en concurrence avec la graphie usuelle dans cette
même position. L’analyse tendrait à suggérer, par ailleurs, qu’il s’agit
plutôt d’une confusion phonologique manifestée au moyen d’un dépla-
cement graphique.
La « confusion graphique » préluderait donc à une étape plus déter-
minante au cours de laquelle les auteurs n’effectueraient plus, je cite de
nouveau Pidal, « ninguna distinción entre la sorda y la sonora ». Rapportée au
plan graphique, cette réalité implique alors la disparition de la graphie
« usurpatrice ».
De fait, la « confusion graphique » est lue, par les historiens de la
langue, comme la marque distinctive d’une évolution linguistique en
cours tandis que le retour subséquent à la « biunivocité » entre pho-
nèmes et graphèmes (même si celle-ci doit toujours être relativisée) est
interprété comme l’achèvement de ce même processus.
Cette conclusion appelle, ce me semble, deux remarques :
– la première est plutôt un commentaire d’ordre méthodologique ; il
concerne l’examen des données qui sous-tendent la lecture « linguis-
tique » du fait graphique : cet examen considère les données en elles-
mêmes, pour elles-mêmes sans les rapporter à la figure qui leur donne
pleinement sens : celle du sujet écrivant. Par sujet écrivant, j’entends
l’instance de rédaction ou de copie sans qu’il m’ait paru opportun
d’user de termes plus engagés. Toutefois, pour éviter d’incessantes répé-
titions, j’ai retenu également le terme de « scripteur » dans un sens tout
à fait égal ;
– la seconde a trait à la lecture proprement « linguistique » qui est faite
de la « confusion graphique ».
Cette lecture tend à instituer la forme écrite de la langue comme
paradigme de la langue. Or, l’examen du discours des grammaires his-
toriques révèle un positionnement qui n’est pas toujours suffisamment
explicité. En effet, tantôt ce discours manifeste le rapport d’opacité qui
lie la forme écrite de la langue à sa forme orale en référant au conser-
vatisme du sujet écrivant qui masque la réalité phonique, tantôt il paraît
négliger cette relation d’opacité et tenir la langue écrite pour pleine-
ment représentative de « l’état de langue ».
      ’   

Quoique le caractère exclusivement écrit de la source documentaire


légitime quelque peu ce parti pris en faveur de la langue écrite, il n’im-
pose pas pour autant de nier l’ambiguïté des rapports qu’entretiennent
réalité graphique et réalité phonique.
De fait, si on décide de reconnaître à ce rapport la complexité qui le
caractérise, il apparaît nécessaire de revisiter la relation tacitement
admise dans les grammaires historiques entre système graphique et sys-
tème linguistique. Cette relation fondée sur la transparence n’est, en
effet, acceptable que si l’on se donne explicitement pour objet de décrire
la structure et l’évolution de la seule forme écrite de la langue. Or, dans
la mesure où les grammaires historiques ne se prononcent pas explicite-
ment sur le sujet, il peut paraître pertinent de suggérer une démarche,
qui, cette fois, se donne clairement pour objet d’approcher de plus près
la réalité langagière du locuteur médiéval.
Ce positionnement qui reconnaît expressément la forme parlée
comme le fait naturel de la langue va de pair avec la reconnaissance du
sujet écrivant comme sujet parlant et écoutant : il en découle une ana-
lyse qui place ce sujet au cœur de la problématique de la « confusion
graphique ».
Je crois, en effet, que la mise en rapport de ces deux éléments est de
nature à éclairer l’examen du fait linguistique ancien en imposant une
interprétation moins littérale de la donnée graphique.
C’est ce que je me propose de faire ; toutefois, l’analyse critique des
grammaires historiques qui sous-tend toute ma démarche a pour objet,
non la mise en cause de ces dernières mais seulement la mise en évi-
dence de ce qui fonde l’altérité de nos positions respectives.

S    


Un parallèle entre sujet écrivant et grammaires historiques n’est donc
pas déplacé ; il révèle la singulière absence de cette figure au sein des
traités qui cherchent à rendre compte de l’histoire de l’espagnol ancien.
Il y est seulement question de la « langue » comme si cette entité s’auto-
engendrait. Or, si la langue, ainsi que le fait observer Guillaume, est un
« causé construit », c’est précisément parce que les sujets en assurent
l’extériorisation moyennant les discours qu’ils produisent. Ils sont donc
responsables de sa construction et de son évolution.
Oblitérer la figure du sujet écrivant revient donc à négliger un des
éléments majeurs du processus de compréhension de la dynamique
interne de la langue médiévale. En effet, quand l’historien de la langue
recourt continûment à des termes comme langue, instabilité graphique,
norme… pour décrire une structure ou une évolution, il évacue le sujet
  -

écrivant dans l’activité d’écriture qui le caractérise et renonce dans le


même temps à interroger sa pratique. Ce faisant, il tend à identifier,
quoiqu’il s’en défende par endroits, le fait graphique et le fait linguis-
tique. Cette identification ne transparaît pas seulement dans le discours
ambigu qui charpente son analyse (le terme langue renvoie tantôt expli-
citement à la langue littéraire, tantôt à une langue dont on ne situe plus
très bien les contours exacts) mais aussi dans les conclusions « linguis-
tiques » qu’il est amené à tirer de l’examen de la graphie. Il faut préci-
ser, par ailleurs, que l’assimilation du fait graphique au fait linguistique
sera d’autant plus manifeste que le texte présente des alternances gra-
phiques.
Faut-il parler de confusion, d’alternance, d’hésitation, de variation graphique ?
La question mériterait d’être débattue ; je ferai miens les termes de
confusion et d’alternance qui me permettent de ne pas me prononcer d’em-
blée sur l’intentionnalité du scripteur dans la mise en œuvre d’une telle
pratique. Par ailleurs, dans le contexte de la production médiévale, ces
deux termes me paraissent plus monosémiques que ceux d’hésitation ou
de variation ; en effet, on peut aussi entendre par hésitation, les tâtonne-
ments graphiques qui jalonnent le passage d’une langue orale à une
langue écrite quand il n’existe pas encore de norme institutionnalisée ;
or, mon positionnement présuppose un modèle normatif de référence.
Le terme de variation, quant à lui, me semble déjà par trop solidaire de
la prolifération textuelle qui caractérise l’œuvre médiévale pour rece-
voir ici une définition aussi singulièrement contextuelle.
Mais, pour revenir à mon propos antérieur, je crois que si l’on
cherche à rapporter la pratique de l’alternance graphique à la psycho-
logie et à l’activité du sujet écrivant au lieu d’en effectuer une lecture
« linguistique » immédiate, on peut parvenir à une compréhension plus
juste des faits synchroniques et diachroniques de l’époque. On en vien-
drait ainsi naturellement à accorder une attention plus soutenue à un
élément dont on n’a pas suffisamment fait cas, peut-être justement
parce qu’il était tenu pour trop évident. Je veux parler de l’écart existant
entre la forme parlée et la forme écrite d’une langue, qui induit en
quelque sorte un « état de langue oral » et un « état de langue écrit ».
De fait, je chercherai à montrer que ce que Pidal tient pour une
« révolution phonétique » et Cano Aguilar pour « un changement de
modèle normatif » devient simplement dans cette optique la manifesta-
tion sensible, l’extériorisation d’une réconciliation qui est plutôt une
« réunification » : celle de la conscience de l’homme de lettres castillan,
scindée, avant cette inféodation de la norme littéraire aux usages du
parler, en conscience du sujet parlant/écoutant et conscience du sujet
écrivant.
      ’   

Je tiens auparavant à poser quelques principes et à insister sur cer-


tains préalables.
L’orientation que je compte suivre est nécessairement solidaire de
quelques hypothèses que j’énonce en même temps que les conclusions
qu’elles impliquent :
1) Je pose l’existence d’un sujet écrivant cultivé, ou à tout le moins instruit.
De fait, la formation qu’il a reçue le rend garant d’une certaine norme
graphique, en l’occurrence celle du système alphonsin. Il s’ensuit chez
ce sujet un conservatisme d’autant plus poussé que sa formation aura
été soignée.
2) La fonction ou le statut de ce sujet a pour corollaire une certaine pratique de l’écrit.
Je tiens que l’exercice continu de l’écrit associé à l’intégration d’une
norme préserve le sujet écrivant des erreurs grossières. Les irrégularités
graphiques ne pourront donc pas pour la plupart être interprétées
comme des fautes orthographiques.
3) Le sujet écrivant est aussi un sujet parlant et écoutant.
L’écrit étant plus conservateur que l’oral, je considérerai l’existence d’un
état de langue double, dont chaque élément est en déphasage l’un par
rapport à l’autre. Le sujet écrivant n’étant pas un transcripteur méca-
nique, il y a vraisemblablement interférence de la norme dont il est le
garant et de son propre vécu linguistique. On admettra que ce chevau-
chement induit dans l’activité d’écriture un comportement flottant dont
l’empreinte la plus manifeste est la pratique de l’alternance graphique.

A   


Une interprétation rigoureuse de cette pratique s’impose, d’autant
qu’on la tient pour significative du point de vue du système de la langue.
Il faut donc confronter la graphie aux deux autres paramètres qui lui
donnent pleinement sens : la prononciation et la norme.
L’existence d’une norme graphique complique les relations existant
entre graphie et prononciation en instaurant une logique nouvelle qui
n’est plus celle du reflet, mais du détour. Quand il écrit, le sujet cherche
à refléter cette norme, et non pas la langue parlée. Il n’y a donc pas
transparence entre système graphique et réalité phonique.
Il s’ensuit qu’une description synchronique qui se veut plus en phase
avec la réalité effective de l’espagnol ancien ne saurait être réalisée sans
que soient pris en compte ces divers paramètres.
Or, les alternances graphiques ne livrent leur secret que lorsqu’on
cherche à saisir la psychologie qui a commandé leur insertion dans le
  -

texte. Il faut donc écouter ce qu’elles sont susceptibles de nous dire du


système en allant à leur découverte sans idée préconçue.
Tel est l’esprit dans lequel j’ai abordé cette étude.

S ,  ,  


Je partirai d’un commentaire de Rafael Cano Aguilar à l’égard de l’in-
fluence de Tolède sur la constitution du castillan littéraire. Après avoir
émis de sérieuses réticences sur le caractère effectif de cette influence, il
avance l’hypothèse suivante :
Es probable, pues, que lo que Toledo transmitió al castellano « culto » fuera,
no tantos rasgos individuales, cuanto una marcha más pausada en la evolu-
ción, así como la preferencia por las formas conservadoras en aquellos casos
en que el cambio lingüístico aún no se hubiera consumado3.
Rien d’étonnant à ce qu’il fasse remarquer un peu plus loin à propos de
l’évolution du f- initial : « es cierto que la lengua culta, literaria, oficial, al preferir la
solución conservadora, impide seguir con detalle su progreso »4.
Quoique seulement implicitement nommé, le sujet écrivant n’en
apparaît pas moins soumis à la tyrannie du système écrit qui lui impose
une inertie en décalage avec l’évolution naturelle et spontanée de l’oral
dont, en tant que sujet parlant et écoutant, il est solidaire dans le même
temps.
Je crois utile de procéder à un bref rappel du fonctionnement respectif
de ces deux systèmes pour mieux manifester leur interaction sur la pra-
tique du scripteur. J’évoquerai donc simplement le caractère naturel de la
langue orale qui explique son statut de figure véritable de la langue. La
langue écrite, en revanche, qui se trouve réglée par un code, entretient un
rapport plus complexe à la langue car pas nécessairement transparent.
Ainsi, quand la langue n’est connue que par des documents écrits, il
s’avère difficile de statuer sur son état effectif étant donné que la gra-
phie est toujours susceptible d’en masquer la réalité phonique.
Ce rapport devient encore plus trouble quand le conservatisme natu-
rel du sujet écrivant cultivé se trouve aggravé par un facteur quel-
conque, comme il en est du castillan ancien avec le parler de Tolède.
De fait, ce sujet qui pourrait se trouver investi de la responsabilité
d’inscrire dans le système graphique les innovations générées à l’oral
est, en réalité, plutôt déterminé à en préserver la stabilité. Or la pra-
tique de la confusion graphique paraît, de toute évidence, désavouer la
pérennité d’un tel comportement en signant précisément l’intrusion du

3. Ibid., p. 199.
4. Ibid., p. 208.
      ’   

nouveau dans l’ancien. En effet, quand il en est ainsi, la démarche du


sujet écrivant semble alors relever de deux exigences contradictoires : la
fidélité à la norme en vigueur et l’appel irrésistible à la destruction
même partielle de cette norme.
A-t-il la pleine conscience de ce conflit ou navigue-t-il de manière
aveugle entre ces deux pôles ? Les deux procédures ne s’excluent pas
nécessairement : tout dépend, en fait, de la chronologie de leur inscrip-
tion ; plus celle-ci sera précoce, plus l’acte sera teinté d’inconscient ; et
vice-versa.
C’est ce que paraît sous-entendre également Menéndez Pidal : dans
la justification qu’il entreprend de la datation de la « révolution phoné-
tique », il est amené à proposer plusieurs exemples de confusions gra-
phiques ; le choix des verbes qu’il retient pour commenter l’attitude des
auteurs impliqués dans cette pratique est fonction de l’ancrage tempo-
rel de l’événement. Ainsi, pour Hurtado de Mendoza, né en 1503, on
trouve, je cite, « deja escapar rimas como cabeça : belleza ; consejas : quexas »5, ce
qui manifeste clairement le côté involontaire de l’acte. En revanche, il
n’hésite pas à dénoncer l’attitude hypocrite et, par conséquent, prémé-
ditée d’un Juan de la Cueva aux alentours de la fin du siècle : « Juan de la
Cueva censura en 1585 a los que se permiten dar consonante à pieça : fortaleza… ;
pero él mismo, en su Exemplar poético usaba alguna vez tales rimas, aunque las pro-
curaba encubrir con falsas grafías »6.
Je m’attacherai surtout à la compréhension de la procédure d’ins-
cription de l’acte « inconscient » car c’est elle qui me paraît significative
de ce que j’ai décrit, au seuil de cette étude, comme étant la conscience
séparée du sujet écrivant. C’est en effet cette scission, malgré son carac-
tère latent, qui commande sournoisement au scripteur d’ajuster la réa-
lité graphique à la réalité phonique, ce qui ne l’empêche pas, dans le
même temps, d’opter régulièrement en faveur de ce que Aguilar
dénomme si justement « la solución conservadora ».
Il en résulte une pratique qui s’enracine dans l’alternance : tantôt le
scripteur réalise le graphème standard ; dans ce cas, sa psychologie est
fortement conservatrice et le code graphique travestit la nouvelle réalité
phonique. Tantôt le scripteur est amené à bousculer la relation gra-
phème/phonème instituée au sein du code : c’est alors son vécu de sujet
parlant et écoutant qui désavoue la fidélité supposée à la norme.
Saisie au travers de cette dualité, l’instabilité des graphies, bien
qu’elle ressortisse à l’observance et à l’infraction, reproduit un geste
dont le caractère subversif sera d’autant plus révélateur qu’il ne sera pas

5. R. MENÉNDEZ PIDAL, op. cit., p. 115.


6. Loc. cit.
  -

calculé. Car, en tout état de cause, qu’est-ce qui dans la réalité langa-
gière qui lui est propre, conduit le sujet écrivant à pervertir, presque à
son insu, la norme dont il est le garant ?
En évacuant cette question pourtant essentielle, les historiens de la
langue n’ont pas accordé une attention suffisamment soutenue au
caractère symptomatique d’une telle inscription, ce qui les a portés tout
naturellement à l’interpréter comme la marque distinctive d’une phase
d’évolution de la langue.
Je veux précisément quitter ce champ traditionnel de l’analyse de l’al-
ternance graphique comme évolution en cours pour montrer qu’elle
signale plutôt un nouvel état de langue, mon système de référence étant
bien entendu le fait naturel de la langue, à savoir la langue parlée.

S     :


  ’
Est-il besoin de rappeler qu’un nouvel usage dans la langue commence
toujours par une série de faits individuels ? Avant que l’innovation
n’entre dans le système, une période de transition marquée par la
coexistence des traits récessifs et progressifs s’instaure, engendrant des
alternances de prononciation. Prenons le cas de la distinction ç/z.
Tant que le nombre de sujets qui continuent d’opposer ces deux pho-
nèmes demeure important, le sujet écrivant ne se trouve guère perturbé
dans sa pratique de scripteur. En effet, à ce stade, le trait progressif (à
savoir, la non-distinction) n’ayant pas encore éliminé le récessif (la dis-
tinction), la non-réversibilité, pour reprendre une expression de Martinet,
n’est pas acquise, et le trait novateur peut être tenu pour un vulgarisme.
Il est donc peu probable que le changement ainsi amorcé transpa-
raisse dans le système écrit.
En revanche, quand le processus d’élimination du trait ancien est glo-
balement achevé, c’est-à-dire une fois que l’ensemble des locuteurs a
renoncé, ou à pratiquer la distinction, ou à la percevoir chez autrui, il
devient difficile au sujet écrivant de nier son comportement effectif de
sujet parlant, ou à tout le moins de sujet écoutant. C’est alors qu’il en
vient, plus ou moins consciemment, à pervertir la norme. C’est en ce
sens que je tiens l’infraction ainsi commise pour révélatrice de l’émer-
gence d’une nouvelle structure synchronique.
Je ne souscris pas, par conséquent, à l’interprétation selon laquelle les
confusions graphiques dénotent une évolution en cours car s’il en était
ainsi, il faudrait tenir les deux systèmes pour synchrones, la transgres-
sion de la norme intervenant de fait dès l’apparition, dans la langue
      ’   

orale, des premiers signes d’évolution. Or, compte tenu de la résistance


au changement du système graphique, il ne peut en être ainsi.
Je crois important, à cet égard, d’opérer un renversement même
partiel de l’approche traditionnelle en restituant aux deux systèmes la
relation d’opacité qui les unit. Je formule ce rapport comme suit :
– lorsque la forme écrite de la langue fait état de confusions graphiques,
la forme orale est déjà configurée dans une nouvelle structure ;
– lorsque la forme écrite est stable, la forme orale ne l’est pas nécessai-
rement.
Le binôme « alternances graphiques / phase d’évolution de la
langue » qui en implique un autre, à savoir « stabilité graphique / état
de langue » ne vaut que si l’on se donne explicitement pour objet de
décrire la seule structure de la langue écrite. S’il n’en est pas ainsi, on
risque, si l’on n’inverse pas la démarche, de décrire comme structure ce
qui n’est peut-être qu’évolution et comme évolution ce qui est déjà
structure.
De toute évidence, quel que soit le positionnement adopté, il se révèle
difficile de circonscrire un « état de langue », étant donné l’impact de la
relation d’opacité entre oral et écrit.
C’est pourquoi il me paraît plus indiqué, dans le processus de compré-
hension de la dynamique de la langue médiévale, de recourir à la notion
de « synchronie dynamique » que propose Martinet : vu qu’elle n’établit
pas d’opposition stricte entre structure et évolution, cette notion permet
précisément de se concentrer sur ce que l’on croit être un état tout en
continuant d’examiner les variations qui affectent ce dernier, du point de
vue du caractère récessif ou progressif de chaque trait.
Cette optique synchro-diachronique serait, en effet, plus à même de
charpenter une description davantage conforme à la réalité langagière
puisque, tenant compte de l’évolution constante qui agite la langue, elle
chercherait à analyser celle-ci dans son fonctionnement véritable, renon-
çant ainsi à l’appréhender à travers le prisme du seul fait graphique. Du
même coup, le sujet écrivant, saisi également comme sujet parlant, serait
perçu dans l’admirable complexité de sa conscience double.
La langue médiévale, libérée du carcan de l’écrit, s’exposerait alors
dans sa vérité, non plus comme figure de l’écriture, mais comme objet
figuré par elle.

Corinne MENCÉ-CASTER
SEMH
GDR 2378 – SIREM
Université des Antilles-Guyane

Вам также может понравиться