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Indignation générale après le revirement L’été

de Donald Trump sur l’extrême droite L’escroquerie
au carbone

▶ Le président améri-
Le
cain a de nouveau
renvoyé dos à dos,
jackpot
mardi 15 août, La combine
l’extrême droite et les tourne à l’indus-
militants antiracistes,
après les événements trie, le cash tombe
de Charlottesville comme s’il en
▶ Ce revirement lui
pleuvait. Entre
vaut les félicitations blanchir et investir,
d’un ancien leader du il faut choisir
Ku Klux Klan et un PAG ES 16-17
flot de critiques
▶ Plusieurs patrons
ont décidé de lâcher
M. Trump
PAGES 2 - 3

1 ÉDITORIAL Lors de la conférence

de presse, le 15 août,
Le fameux stilton
UNE TRANSGRESSION à la Trump Tower,
britannique
qui n’est pas
SANS PRÉCÉDENT à New York.
KEVIN LAMARQUE/REUTERS fabriqué à Stilton
PAGE 2 1
PAG E 22

International Pause fragile dans la crise coréenne Universités Economie La troisième

guerre mondiale
Classement La renégociation
L a Corée du Nord a mo-
mentanément fait bais-
ser la tension, en assu-
rant qu’elle allait « observer
son tour qu’elle ne visait pas
« un changement de régime » à
de Shanghaï :
Pyongyang, et la Chine tente
de se poser en médiateur,
d’artillerie déployées à sa
frontière, se préoccupe sur-
tout des propos incendiaires
de Donald Trump, comme le
de l’Alena
est prévue pour
2050
PAG E 19
encore un peu le comporte-
ment stupide des Yankees », au la France toujours
alors que les experts interna-
tionaux s’alarment de la rapi-
Japon, qui s’abstient néan-
moins de toute critique. inquiète
moins jusqu’aux manœuvres
militaires de Washington et
Séoul le 21 août. L’administra-
en retard
dité des progrès des Coréens
en matière nucléaire.
Séoul, habitué à vivre sous la
Les analyses, depuis Séoul et
Tokyo, et l’entretien avec l’his-
torien François Godement.
le Mexique Saïd Hajjarian,
tion américaine a indiqué à menace des mille pièces PAGE 4 E T DÉBATS PAGE 2 1
l’espion iranien
Les universités françaises La renégociation de devenu militant
peinent à monter dans le l’Accord de libre-échange réformiste
classement de Shanghaï, nord-américain (Alena)
PAG E 20
Brexit Environnement Culture publié le 15 août, devenu s’ouvre mercredi 16 août
essentiel pour leur répu- à Washington. Les indus-
Londres face La convention Une passion tation. Les Etats-Unis y triels mexicains s’inquiè-
au casse-tête sur le mercure dévorante pour confirment leur hégémo- tent de l’ambition de Mara Goyet
nie. Après dix ans d’auto- Donald Trump de réduire Nos amies
de la frontière entre enfin les chauffe-lits nomie, les facs françaises son déficit commercial les hyènes
nord-irlandaise en vigueur électriques sont en quête d’équilibre avec un nouveau texte PAG E 18
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2|
INTERNATIONAL
LES SUITES DE CHARLOTTESVILLE
Devant la Trump
Tower, à New
York, le 15 août.
Le nombre 45
barré et évoquant
la croix gammée
est une référence
au 45e président
des Etats-Unis,
Donald Trump.
AMR ALFIKY/REUTERS
Trump choque en ménageant l’extrême droite
Le président américain a fait scandale en renvoyant de nouveau dos à dos néonazis et militants antiracistes
washington - correspondant
D
onald Trump a une
nouvelle fois défié les
lois de politique,
mardi 15 août, en
changeant pour la deuxième fois
de discours en moins de quaran-
te-huit heures sur le drame de
Charlottesville. Le président des
Etats-Unis avait été critiqué pour
avoir renvoyé dos à dos, dans sa
première réaction, les militants et
sympathisants de l’extrême
droite qui s’étaient donné rendez-
vous, le 12 août, dans cette petite
ville de Virginie, et des contre-
manifestants antiracistes, après
la mort de l’une d’eux, écrasée par
le véhicule conduit par un jeune
homme proche des néonazis.
Sommé, y compris par de très
nombreux élus du Parti républi-
cain, de dénoncer plus nettement
le Ku Klux Klan et les suprémacis-
tes blancs à l’origine de la con-
frontation, M. Trump s’était labo-
rieusement exécuté. Après un
premier communiqué non signé
diffusé dimanche par son entou-
rage pour pointer plus spécifique-
ment l’extrême droite, le prési-
dent avait profité d’un bref pas-
sage à la Maison Blanche, lundi,
pour lire avec froideur un texte
soulignant la nocivité de ces grou-
puscules. « Le racisme, c’est le
mal », avait-il notamment déclaré
en se conformant à une hiérar-
chie des valeurs plus classique
pour un président des Etats-Unis.
Un peu plus tard dans la soirée, il
avait cependant réagi avec hu-
meur aux commentaires de la
presse américaine qui avait salué
son intervention tout en rappe-
lant qu’elle avait été tardive. « J’ai
fait des remarques supplémentai-
res sur Charlottesville et je réalise
que les Médias Bidon ne seront ja-
mais satisfaits. Vraiment des gens
pas bien », avait-il écrit sur son
compte Twitter. Mardi matin, ma-
nifestement de mauvaise hu-
meur, M. Trump avait partagé, par
mégarde avec ses millions de sui-
veurs, un message l’accusant
d’être fasciste, puis une caricature
montrant un journaliste de CNN
en passe d’être écrasé par un train
frappé de son nom. Un choix ma-
lencontreux deux jours après le
drame de Charlottesville. Ces deux
partages avaient été vite effacés.
Venu au-devant de la presse
dans l’après-midi au terme d’une
réunion de travail de son cabinet
consacrée aux infrastructures, à
la Trump Tower de New York, où il
ne s’était pas rendu depuis sa
prestation de serment en janvier,
le président n’a pu s’empêcher
d’évoquer à nouveau le drame. Il a
alors choisi de rompre avec la li-
gne adoptée lundi, manifeste-
ment sous la pression de son en-
tourage, pour revenir à sa prise de
position initiale.
Un « soi-disant président »
Dans un tumulte rompant avec
l’étiquette ordinairement respec-
tée pour une prise de parole prési-
dentielle, et sous le regard figé de
son nouveau chef de cabinet, l’an-
cien général John Kelly, il a assuré
n’avoir pas disposé au départ d’as-
sez d’éléments samedi pour pou-
voir juger, alors qu’il a souvent
parlé d’attentats terroristes à
l’étranger avant que les autorités
des pays concernés ne se pronon-
cent. Poussé dans ses retranche-
ments, il a alors développé la thèse
d’une violence venue « de plu-
sieurs côtés » comme il l’avait fait
le jour du drame.
Relancé par de nombreuses
questions, M. Trump s’est tenu à
cette lecture des événements.
« J’ai regardé de très près, de beau-
coup plus près que la plupart des
Un ex-responsable
du Ku Klux Klan
a vanté
le « courage » de
M. Trump pour
avoir mis en cause
« le terrorisme
gauchiste »
gens. Vous aviez un groupe d’un
côté qui était agressif. Et vous aviez
un groupe de l’autre côté qui était
aussi très violent. Personne ne veut
le dire », a-t-il assuré, convaincu
que l’ « alt-left », un terme forgé en
miroir de l’« alt-right », la nouvelle
appellation générique que reven-
dique une partie de l’extrême
droite, avait également « une part
de responsabilité », notamment
parce que les contre-manifestants
n’avaient pas eu, selon lui, l’auto-
risation de se rassembler. Celle oc-
troyée à l’extrême droite avait été
annulée par la police de Charlot-
tesville dès les premiers affronte-
ments qui avaient précédé la
course folle de la voiture-bélier.
Cette mise en équivalence a con-
duit le président à ajouter qu’il y
avait par ailleurs « des gens bien »
dans les deux camps qui s’étaient
opposés. Rappelant que cette con-
frontation est partie de la déci-
sion de la municipalité de Char-
lottesville, qu’il n’a pas contestée,
de retirer d’un square du centre-
ville une statue équestre de l’an-
cien chef militaire des Etats con-
fédérés, esclavagistes, Robert E.
Lee, le président a fait valoir que
des manifestants présents
n’avaient fait qu’exprimer un at-
tachement à ce pan douloureux
de l’histoire américaine, et qu’ils
n’avaient pas de liens avec les
néonazis et suprémacistes venus
pour l’occasion. Le mot d’ordre de
la manifestation de samedi,
« unir la droite », n’avait pourtant
pas de rapport direct avec la sta-
tue incriminée, et les responsa-
bles de l’extrême droite présents
n’ont pas caché que leur objectif
dépassait très largement la nos-
talgie du passé.
Sarcasmes
Le nouveau revirement de
M. Trump a été aussitôt salué par
un ancien responsable du Ku
Klux Klan, David Duke, qui a
vanté son « courage » pour avoir
mis en cause, selon lui, « le terro-
risme gauchiste » des groupes se
présentant comme antifascistes,
et du mouvement Black Lives
Matter, né en réaction contre les
violences policières subies par les
Afro-Américains. Un adoube-
ment sans précédent pour un lo-
cataire de la Maison Blanche. La
star du basket LeBron James a
d’ailleurs déploré de son côté un
« soi-disant président » qui remet
selon lui « le racisme à la mode ».
Alors que quatre responsables
de grands groupes ont déjà quitté
son conseil économique à la suite
de la controverse, certains sous
des sarcasmes publiés sur son
compte Twitter, M. Trump a es-
suyé mardi la défection supplé-
mentaire du responsable de la
plus puissante centrale syndicale
américaine, l’AFL-CIO, Richard
Trumka. Il s’est retrouvé enfin au
centre des critiques renouvelées
de nombreux républicains, dont
celles du sénateur Marco Rubio,
de l’ancien gouverneur de Flo-
ride, Jeb Bush, ou encore du spea-
ker (président) de la Chambre des
représentants, Paul Ryan (Wis-
consin). Autant de voix apparte-
nant à l’aile modérée du Grand
Old Party en délicatesse avec le
courant nationaliste qui a contri-
bué à porter l’ancien magnat de
l’immobilier à la Maison Blanche
et qu’incarne son conseiller stra-
tégique, Stephen Bannon.
Alors que ce dernier est critiqué
par d’autres membres du cercle
présidentiel, M. Trump s’est mon-
tré évasif, mardi, sur son avenir à
ses côtés. Mais il a pris vigoureu-
sement sa défense en assurant
que l’ancien directeur du site na-
tionaliste Breitbart News n’est
« pas raciste » et qu’il est maltraité
par la presse.
Le matin même, invitée de la
matinale de la chaîne conserva-
trice Fox News que M. Trump con-
sulte avec assiduité, une polé-
miste de la droite américaine,
Laura Ingraham, avait vivement
réagi au renversement sauvage
d’une statue d’un soldat confé-
déré par des militants antiracistes
la veille à Durham, en Caroline du
Nord, où la loi protège les monu-
ments dédiés aux sécessionnis-
tes. « Ils ne vont pas tarder à aller à
Monticello et à Mount Vernon »,
s’était indignée Laura Ingraham,
en référence aux demeures des
deux Pères fondateurs Thomas
Jefferson et George Washington,
qui possédaient des esclaves
comme tous les grands proprié-
taires virginiens de l’époque.
M. Trump a repris mot pour
mot cet argument dans l’après-
midi. Pendant la campagne prési-
dentielle, il avait pourtant appuyé
la décision de la gouverneure ré-
publicaine de Caroline du Sud de
retirer le drapeau confédéré dé-
ployé devant le Capitole de l’Etat.
Nikki Haley, aujourd’hui ambas-
sadrice aux Nations unies, avait
ainsi réagi à la tuerie perpétrée
par un jeune suprémaciste blanc
dans une église de Charleston fré-
quentée par des Afro-Américains.
« Sa place est au musée », avait as-
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
LES DATES
12 AOÛT
Dans une première déclaration
après les violences de Charlottes-
ville, Donald Trump condamne
« la haine, le sectarisme et la vio-
lence venant des deux côtés ».
13 AOÛT
La Maison Blanche tente d’apai-
ser la controverse dans un com-
muniqué qui « condamne toutes
les formes de violence, de secta-
risme et de haine. Cela inclut, bien
sûr, les suprémacistes blancs, le
KKK, les néonazis et tous les grou-
pes extrémistes ». « Le racisme,
c’est le mal », ajoute M. Trump
lundi 14 août.
15 AOÛT
Dans une déclaration à la Trump
Tower de New York, le président
revient à ses positions initiales.
« Vous aviez un groupe d’un côté
qui était agressif. Et vous aviez un
groupe de l’autre côté qui était
aussi très violent. »
suré M. Trump à propos de l’em-
blème confédéré. Comme à son
habitude, sur un sujet pourtant
aussi délicat, le président n’a en-
fin pu s’empêcher, mardi, d’évo-
quer sa propre personne en rap-
pelant « les mots très gentils » que
la mère de la victime de la voiture-
bélier à Charlottesville a eus, se-
lon lui, à son égard après le
drame, et la possession d’un vi-
gnoble présenté comme « l’un des
plus importants des Etats-Unis », à
proximité de la ville de Virginie. p
gilles paris

0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
Le débat enfle autour de la présence
de monuments confédérés aux Etats-Unis
Plus de 1 500 symboles à la gloire des ex-Etats sécessionnistes esclavagistes ont été recensés
washington - correspondant
L
a remise en cause de la
présence de monuments
rendant hommage aux fi-
gures confédérées ne
cesse de prendre de l’importance
aux Etats-Unis. Selon un rapport
publié en 2016 par le Southern Po-
verty Law Center, spécialisé dans
les mouvements extrémistes et
les droits civiques, plus de 1 500
symboles de l’ancienne confédé-
ration esclavagiste créée lors de la
guerre civile américaine de 1861 à
1865 ont été recensés, la plupart
dans les anciens Etats sécession-
nistes du Sud. Ce chiffre inclut
plus d’une centaine d’écoles pu-
bliques portant le nom de soldats
ou d’hommes politiques des Etats
sécessionnistes.
Signe de la prégnance de cette
histoire, dix bases militaires por-
tent le nom de soldats confédérés,
selon le rapport rédigé après le re-
trait, en juillet 2015, du drapeau
confédéré qui flottait devant le Ca-
pitole de Columbia, en Caroline du
Sud. Elles sont toutes situées dans
le sud du pays. Six anciens Etats sé-
cessionnistes ont d’ailleurs des
jours fériés qui rendent hommage
aux noms de la guerre civile, dont
le chef militaire Robert E. Lee, ou
l’éphémère président des Etats
confédérés, Jefferson Davis.
 
 
Ces monuments suscitent les
critiques de plus en plus virulen-
tes de mouvements antiracistes. A
Durham (Caroline du Nord), la sta-
tue d’un soldat confédéré érigée
en 1924 a été abattue, lundi
14 août, par des manifestants. Les
monuments à la gloire de figures
sécessionnistes sont protégés par
la loi dans cet Etat. Le même jour,
une autre a été déboulonnée à Gai-
nesville (Floride).
Samedi 12 août, le maire de
Lexington (Kentucky), le démo-
crate Jim Gray, avait annoncé sa
volonté de déplacer deux statues
confédérées. « La guerre de Séces-
sion a été une période noire de no-
tre histoire. Certes, nous ne devons
pas oublier. Mais nous devons ra-
conter avec exactitude et véracité
ce qu’il s’est passé », a déclaré M.
« Nous ne
pouvons plus
rendre hommage
à ces hommes qui
se sont battus
pour préserver
l’esclavage »
JIM GRAY
maire de Lexington (Kentucky)

Gray, rappelant qu’à Lexington se
trouvait « l’un des plus grands
marchés aux esclaves d’Amérique
(…). Nous ne pouvons pas conti-
nuer à rendre hommage à ces
hommes qui se sont battus pour
préserver l’esclavage, sur un sol où
des hommes, des femmes et des
enfants ont été eux-mêmes vendus
comme esclaves. »
« Réécrire l’histoire »
Plus récemment, quatre monu-
ments ont été déboulonnés à La
Nouvelle-Orléans (Louisiane).
Comme souvent, ces retraits ont
fait l’objet d’une sourde bataille
juridique. Compte tenu des ten-
sions, le démantèlement de ces
statues a été effectué la nuit, sous
protection policière.
Pour leurs défenseurs, enlever
ces symboles revient à effacer un
pan de l’histoire américaine et de
l’héritage sudiste. Mais, selon les
historiens, la majorité a été érigée
pendant la ségrégation raciale,
principalement dans les années
1910-1920, au moment de la dispa-
rition de la génération qui avait
participé à la guerre de Sécession.
Une dernière vague d’installation
de monuments a coïncidé avec les
années 1960, en réaction avec le
mouvement des droits civiques.
« Des statues ont été érigées dans
le but de réécrire l’histoire pour glo-
international | 3
Le gouvernement veut
identifier les visiteurs
d’un site anti-Trump
L’entreprise hébergeant disruptj20.org
dénonce un « exemple d’abus de pouvoir »
rifier la confédération et perpétuer
l’idée de la suprématie blanche »,
écrivait le maire démocrate de La
Nouvelle-Orléans, Mitch Lan-
drieu, le 11 mai, dans les colonnes
du Washington Post. « Ces monu-
ments ne sont pas des marqueurs
lugubres de notre héritage de l’es-
L e gouvernement américain
cherche à se procurer des
informations sur tous les
visiteurs d’un site Internet criti-
que envers Donald Trump, a-t-on
sur son site, qualifiant la de-
mande du gouvernement
« d’alarmante », « un exemple
d’abus de pouvoir de la part du
gouvernement ».
clavage et de la ségrégation, mais appris lundi 14 août. Un mandat a
un hommage à ces derniers. Ils été présenté par le ministère de la Des précédents
dressent un récit inexact de notre justice le 17 juillet à Dreamhost, « Je ne vois aucune justification lé-
passé, sont un affront à notre pré- l’entreprise hébergeant le site gitime » à la demande du gouver-
sent et une médiocre prescription disruptj20.org (« perturbez le nement, a réagi Mark Rumold,
pour notre avenir », avait-il ajouté. 20 janvier »), créé pour organiser avocat pour l’Electronic Frontier
En 2015, dans le même journal, les manifestations en marge de la Foundation, une ONG américaine
un historien de l’université du Ver- cérémonie d’investiture du de défense des libertés numéri-
mont, James W. Loewen, auteur 45e président américain. ques, auprès du Guardian.
d’un ouvrage au titre évocateur, Cette demande concerne Comme le rappelle le quotidien
Lies My Teacher Told Me (« Les 1,3 million d’internautes s’étant de Londres, ce n’est pas la pre-
mensonges que me racontait mon rendus sur le site et a pour but mière fois que l’administration
professeur », The New Press, 1995), d’obtenir leur adresse IP (l’identi- tente de démasquer ses critiques
estimait qu’en dépit de sa défaite fiant sur Internet de l’appareil en ligne. En avril, elle avait tenté
militaire et politique le camp su- utilisé pour se connecter) ainsi d’obtenir des informations sur un
diste est parvenu à préserver une que le jour et l’heure de leur compte Twitter critique de sa po-
sorte de match nul mémoriel par visite. Une adresse IP peut per- litique en matière d’immigration.
le truchement de monuments. Il mettre au gouvernement d’obte- Le réseau de microblogage avait
prenait l’exemple du Tennessee, nir l’identité de l’internaute qui contre-attaqué en justice et le
qui avait voté contre la sécession l’utilise. Dreamhost a contesté gouvernement avait abandonné
et qui avait numériquement da- cette demande devant la justice sa requête. L’offensive du minis-
vantage soutenu les forces de et a rendu publique cette procé- tère contre les opposants ayant
l’Union que les confédérés. Selon dure lundi 14 août. pris part aux manifestations en
les recensements des historiens « Ces informations peuvent être marge de la cérémonie d’investi-
de l’Etat, ce dernier compterait utilisées pour identifier toute per- ture de M. Trump ne se limite pas
aujourd’hui 72 monuments con- sonne qui est allée sur ce site pour à Internet : plus de 200 personnes
sacrés aux confédérés, contre exercer et exprimer sa liberté d’ex- ont été inculpées en avril pour
deux à leurs vainqueurs. p pression politique, protégée par la participation à des émeutes. p
gilles paris Constitution », écrit l’entreprise martin untersinger
    



   
     

         


         




  

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4 | international
Pyongyang rejoint le club des puissances nucléaires
Kim Jong-un renonce, pour l’instant, à tirer des missiles vers l’île américaine de Guam, dans le Pacifique
ANALYSE
A
près des jours de ten-
sions et de propos in-
cendiaires, une déses-
calade semble s’amor-
cer dans la péninsule coréenne.
Aussi bien Pyongyang que
Washington veulent apparem-
ment calmer le jeu, au moins pour
le moment. Lors de sa première
apparition publique depuis
quinze jours, le leader nord-co-
réen, Kim Jong-un, a affirmé,
mardi 15 août, qu’il allait « obser-
ver encore un peu le comporte-
ment idiot et stupide des Yankees »
avant de prendre une décision sur
d’éventuels tirs de quatre missiles
« pour cerner par le feu » l’île de
Guam, territoire américain dans
le Pacifique. Le président améri-
cain, Donald Trump, avait menacé
en représailles d’abattre « le feu et
la fureur comme le monde n’en a
jamais vu » sur la Corée du Nord.
Le ton se fait aussi plus mesuré
au sein de l’administration amé-
ricaine, où le secrétaire à la dé-
fense, James Mattis, et le secré-
taire d’Etat, Rex Tillerson, dans un
éditorial publié par le Wall Street
Journal, ont affirmé que les Etats-
Unis « ne visent pas » un change-
ment de régime à Pyongyang, ou
l’accélération de la réunification
de la péninsule coréenne. Des
contacts se poursuivent, en outre,
entre Joseph Yun, l’émissaire de la
Maison Blanche pour la Corée du
Nord, et Pak Song-il, éminent di-
plomate nord-coréen à l’ONU.
Principale alliée de la Corée du
Nord et considérée à la fois
comme « la clé et la serrure » de
La flambée de tensions sert
les ambitions de Shinzo Abe
Le premier ministre veut renforcer les capacités militaires du Japon
tokyo - correspondants
L D
e déploiement d’une batte-
rie antimissile dans le dé-
partement de Hiroshima,
qui se trouve sur la route d’un
éventuel missile nord-coréen
lancé sur Guam, est très symboli-
que pour les Japonais. Hiroshima,
première victime du feu nucléaire
le 6 août 1945, suivie par Nagasaki
trois jours plus tard, est la ville de
la paix, du « jamais plus ». Depuis,
le Japon a vécu en paix. Mais il se
découvre vulnérable.
La quinzaine de missiles lancés
cette année par la Corée du Nord,
dont les deux derniers interconti-
nentaux, sont tombés au large du
Japon. Si Pyongyang tirait des
missiles en direction de Guam, ils
passeraient au-dessus du pays,
comme ce fut le cas en 1998 lors-
qu’un missile (une fusée porteuse
de satellite, selon Pyongyang) sur-
vola le nord de l’Archipel avant de
s’abîmer dans la Pacifique.
Outre Hiroshima, des batteries
antimissiles Patriot PAC-3 ont été
déployées dans trois autres dépar-
tements (Ehime, Kochi et Shi-
mane). Elles n’ont pas la capacité
d’intercepter des missiles mais de
détruire des morceaux d’un engin
désintégré qui pourraient retom-
ber sur le territoire nippon.
Dans son discours le 15 août, jour
de la reddition du Japon il y a
soixante-douze ans, le premier mi-
nistre, Shinzo Abe, s’est engagé « à
ne pas répéter le même désastre » et
« à faire face avec humilité à l’his-
toire ». Auparavant, il avait néan-
moins fait déposer comme chaque
année une offrande au sanctuaire
Yasukuni où sont honorées les
âmes des morts pour la patrie
dont quatorze condamnés pour
crime de guerre. Ce sanctuaire est
considéré par la Chine et la Corée
du Sud comme le symbole du mili-
Le dictateur
nord-coréen
a fait de l’arme
atomique le pilier
de son pouvoir,
l’inscrivant
même dans
la Constitution
toute solution, la Chine assure, par
la voix du porte-parole du
ministère des affaires étrangères,
que la crise a atteint un « tour-
nant » et qu’il est temps de revenir
à la table des discussions. Pékin
tente de se poser en médiateur en
proposant comme premier geste
de détente de part et d’autre l’arrêt
des tirs de missiles et des essais
nucléaires par la Corée du Nord en
échange du renoncement, par les
Etats-Unis et la Corée du Sud, aux
manœuvres militaires annuelles
conjointes prévues pour com-
mencer le 21 août.
« Elles vont assurément provo-
quer davantage Pyongyang »,
écrit le quotidien chinois Global
Times. Pékin a voté, le 5 août, au
Conseil de sécurité de l’ONU, de
nouvelles sanctions économi-
ques contre la Corée du Nord,
comme lors des résolutions pré-
cédentes qui, depuis 2006, scan-
dent sans effets notables les di-
verses étapes des programmes
nucléaire et balistique nord-co-
réens. Mais, cette fois, la Chine,
qui accueille plus de 90 % des ex-
portations nord-coréennes, pro-
tarisme. Cette année, aucun minis-
tre en exercice ne s’y est rendu
afin, semble-t-il, de ne pas accen-
tuer les tensions régionales.
Depuis la défaite de 1945, le Ja-
pon a bénéficié de la pax ameri-
cana dont il est un pilier : le pays a
notamment servi de base arrière
aux forces américaines en Corée
et au Vietnam. La nouvelle flam-
bée de tension sert les ambitions
de M. Abe, qui entend renforcer
les capacités militaires du Japon
et réviser l’article 9 de la Constitu-
tion pacifique de 1947 par lequel
celui-ci s’interdit le recours à la
guerre. Mais elle le met aussi dans
une situation délicate.
Fermeté
Inquiet du slogan America First de
Donald Trump, Shinzo Abe a été le
premier chef de gouvernement à
se rendre à Washington pour s’as-
surer de la solidité de l’alliance
avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, il
est confronté à un risque d’un
autre ordre : être entraîné dans
une guerre avec la Corée du Nord.
Ayant toujours prôné la fermeté
vis-à-vis de Pyongyang, M. Abe,
dont la popularité s’est affaiblie
(même si elle est quelque peu re-
montée à la suite du remaniement
ministériel du 3 août), n’est guère
la personnalité politique la mieux
placée pour appeler M. Trump à la
modération. A la différence des di-
rigeants chinois, coréens, euro-
péens et russes, le premier minis-
tre japonais s’est abstenu de criti-
quer les propos belliqueux du pré-
sident américain.
Les forces d’autodéfense japo-
naises ont pour mission de défen-
dre le pays contre une attaque di-
recte. Mais les nouvelles disposi-
tions votées par le Parlement
autorisant le Japon à participer à
des opérations de défense collec-
tive lui permettent d’apporter
met d’appliquer « à 100 % et stric-
tement » les sanctions, ce qui n’a
jamais été le cas jusqu’ici.
Les paramètres de l’équation
nord-coréenne ont en effet pro-
fondément changé. Après cinq es-
sais nucléaires depuis 2006, dont
deux en 2016, la Corée du Nord
n’est plus un pays du « seuil »,
mais déjà, de fait, un Etat nu-
cléaire doté de capacités balisti-
ques. Les experts occidentaux de-
meurent certes partagés quant au
nombre d’ogives dont disposerait
effectivement Pyongyang, évalué
à une soixantaine, selon un der-
nier rapport de la DIA, l’agence
américaine du renseignement
militaire, alors que d’autres esti-
ment que le régime dispose tout
au plus d’une vingtaine de têtes.
« Nouvelle réalité stratégique »
Ils sont aussi divisés sur les capa-
cités opérationnelles réelles des
missiles, mais tous s’accordent
pour reconnaître « l’alarmante ra-
pidité », selon les mots du direc-
teur de la CIA, Mike Pompeo, des
progrès nord-coréens. Cela
change la donne. « Il ne s’agit plus
d’un problème de prolifération
mais d’un problème de dissua-
sion », dit Bruno Tertrais, direc-
teur adjoint de la Fondation pour
la recherche stratégique, souli-
gnant « qu’il faudra vivre avec
cette nouvelle réalité stratégique ».
La Corée du Nord, malgré ses
capacités limitées, rejoint le club
des puissances nucléaires – recon-
nues, comme les cinq membres
permanents du Conseil de sécu-
rité, ou de fait, comme Israël,
l’Inde et le Pakistan –, portant
son soutien aux forces américai-
nes engagées dans un combat. Le
ministre de la défense, Itsunori
Onodera, a d’ailleurs évoqué la
possibilité pour son pays de
s’équiper de moyens de frapper
directement les bases de missiles
nord-coréennes « afin d’améliorer
la capacité de dissuasion de l’al-
liance avec les Etats-Unis ».
Pas plus que la Corée du Sud, le
Japon ne souhaite être entraîné
dans un conflit avec la Républi-
que populaire démocratique de
Corée (RPDC, le nom officiel de la
Corée du Nord) : alliés des Etats-
Unis, ces deux pays qui ont res-
pectivement 28 000 et 47 000 sol-
dats américains déployés sur leur
territoire seraient les premières
cibles de Pyongyang.
M. Trump a soutenu le 11 août
que le Japon est « très heureux » de
la fermeté de ses propos et même
« très impressionné ». On peut dou-
ter du soutien des Japonais à
l’aventurisme que constituerait
une intervention militaire. La rhé-
torique de M. Trump suscite plutôt
des interrogations sur son engage-
ment à défendre ses alliés ou sur
son souci de leur sécurité.
Une rencontre des responsables
de la défense et des affaires étran-
gères du Japon et des Etats-Unis, le
17 août, à Washington, devrait per-
mettre, espère-t-on à Tokyo, de
confirmer l’engagement améri-
cain de protéger son allié, y com-
pris avec leur force nucléaire. Une
telle confirmation représenterait
un message pour Pyongyang que
Washington n’hésiterait pas à agir
militairement si l’Archipel était
attaqué. Pour Tokyo, l’arrêt des tirs
de missiles est une priorité, a
déclaré M. Abe au cours d’un en-
tretien téléphonique avec le prési-
dent Trump. p
philippe mesmer
et philippe pons
ainsi un coup sérieux au traité de
non-prolifération de 1968, qu’elle
a quitté en 2003. « La détermina-
tion du régime, même s’il était dia-
bolisé, n’a pas été suffisamment
prise au sérieux par les grandes
puissances, qui n’ont pas mené une
politique concertée, chacune pous-
sant son propre agenda en fonc-
tion de ses intérêts dans la région »,
explique Juliette Morillot, spécia-
liste de la péninsule coréenne et
coauteure de La Corée du Nord en
100 questions (Tallandier, 2016).
Les ambitions nucléaires nord-
coréennes remontent aux années
1950. Amorcé avec l’aide de l’URSS
puis de la Chine, son programme
nucléaire clandestin a ensuite bé-
néficié de l’aide d’Abdul Qadeer
Khan, le père de la bombe pakista-
naise. Le démantèlement de son
réseau, en 2004, avait montré qu’il
s’était rendu une dizaine de fois en
Corée du Nord, notamment pour
vendre des plans de centrifugeu-
ses destinées à enrichir l’uranium.
Une technologie similaire à celle
de l’Iran, qui a aussi coopéré avec
la Corée du Nord sur le plan balisti-
que. Dans les phases de tension,
par exemple lorsque Bill Clinton
menaçait, en 1994, de frapper un
site nucléaire nord-coréen,
comme dans celles de négocia-
tions et de détente, le régime n’a
jamais dévié de cet objectif.
A la différence de son père, Kim
Jong-il, qui semblait surtout vou-
loir utiliser l’arme atomique
comme un moyen de chantage
afin d’obtenir des aides, Kim
Jong-un en a fait le pilier de son
pouvoir, l’inscrivant même dans
la Constitution. Il y voit la seule
L’inconstance de Donald Trump
inquiète la Corée du Sud
Des débats sur l’attitude à adopter face au Nord agitent le pays
séoul - envoyé spécial
epuis ma naissance, je vis
chaque année des crises
de ce genre. » Pour cette
trentenaire habitant Séoul,
comme pour beaucoup en Corée
du Sud, les tensions entre les
Etats-Unis et la Corée du Nord
n’ont rien de nouveau. « On est
habitués » est le refrain dominant
entendu le 15 août dans les rues de
la capitale sud-coréenne.
Un point de vue qui dénote un
certain fatalisme. « Nous n’avons
pas vraiment le choix », dit Kim
Hong-gul, membre influent du
parti Minjoo au pouvoir, par
ailleurs spécialiste de l’Asie de
l’Est. Une manière de dire que la
vie continue alors que la métro-
pole sud-coréenne et ses 25 mil-
lions d’habitants vivent sous la
menace de quelque 1 000 pièces
d’artillerie nord-coréennes dé-
ployées le long de la zone démili-
tarisée (DMZ).
Des milliers de manifestants
Pour autant, la récente escalade
verbale a suscité une nouvelle in-
quiétude. Les ventes de produits
alimentaires à conserver seraient
en hausse. A Séoul, la participa-
tion aux exercices de défense ci-
vile organisés chaque année, le
23 août, s’annonce plus mobilisa-
trice qu’en 2016. Menés dans le ca-
dre des manœuvres américano-
sud-coréennes « Ulji Freedom
Guardian » programmées du 21
au 24 août, ils doivent permettre
de rappeler que Séoul compte
3 200 abris en cas d’attaque du
Nord, notamment les stations de
métro et les parkings souterrains.
Cette fois, les craintes viennent
plus de l’attitude américaine que
de celle des Coréens du Nord.
« Pyongyang suit une ligne plutôt
prévisible, note Kim Hong-gul. En
réelle garantie de survie de son ré-
gime et le meilleur moyen de se
protéger d’une attaque améri-
caine. « La Corée du Nord est con-
vaincue que, pour assurer sa survie,
elle ne doit surtout pas lâcher du
lest, mais au contraire se montrer
la plus menaçante possible afin
d’obtenir des garanties sécuritai-
res », note Barthélemy Courmont,
directeur de recherche à l’IRIS.
Eviter la prolifération
Le régime nord-coréen voudrait
pouvoir traiter d’égal à égal avec
Washington dans un dialogue di-
rect afin d’arriver à un traité de
paix dans la péninsule, mais aussi
à la signature d’un pacte de non-
agression avec les Etats-Unis, in-
cluant la possibilité de poursuivre
un programme nucléaire civil.
Autant de revendications jugées
inacceptables par Washington.
Pour le régime de Kim Jong-un,
il est hors de question, même
sous une pression extrême, de re-
noncer à son programme nu-
cléaire, présenté comme « une op-
tion légitime d’autodéfense face à
la menace nucléaire évidente et vé-
ritable posée par les Etats-Unis ».
La priorité pour la communauté
internationale est d’éviter que
Pyongyang ne contribue à la pro-
lifération en transférant sa tech-
nologie à d’autres Etats ou acteurs
non étatiques.
C’est ce que préconise Susan
Rice, l’ancienne conseillère à la sé-
curité de Barack Obama, dans un
article du New York Times évo-
quant une politique de « contain-
ment » (endiguement), reconnais-
sant que les Etats-Unis « peuvent »
« Pyongyang suit
une ligne plutôt
prévisible. En
revanche, la parole
du président
Trump apparaît
peu fiable »
KIM HONG-GUL
membre du parti au pouvoir
revanche, la parole du président
Trump apparaît peu fiable. Ses
propos d’un jour tendent à contre-
dire ceux de la veille. » Une incons-
tance d’autant plus inquiétante
que le programme balistique
nord-coréen enregistre de rapides
progrès. « Le Nord pourrait attein-
dre d’ici 8 à 14 mois son objectif de
mettre au point des missiles nu-
cléaires intercontinentaux, note
Kim Hong-gul. Pour les Etats-
Unis, ce serait un camouflet. »
La crise suscite d’intenses dé-
bats. Des milliers de personnes
ont manifesté mardi jusque de-
vant l’ambassade des Etats-Unis
contre le déploiement du sys-
tème américain de défense anti-
missile THAAD – décidé en mars
en réponse aux tirs de missiles
nord-coréens –, considéré par les
participants comme « servant
uniquement les intérêts stratégi-
ques américains ». Non loin de là,
les partisans de la manière forte
contre Pyongyang, issus des
rangs conservateurs, défilaient
pour demander la démission du
président progressiste Moon
Jae-in, accusé de laxisme, et exi-
ger de « frapper Kim Jong-un
jusqu’à la mort ».
Dans son discours prononcé le
même jour à l’occasion de l’anni-
versaire de la libération de la tu-
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
LES DATES
5 AOÛT
Le Conseil de sécurité de l’ONU
vote la résolution 2371, durcis-
sant les sanctions contre la
Corée du Nord après le tir d’un
missile balistique le 28 juillet.
7 AOÛT
Le ministre des affaires étrangè-
res nord-coréen, Ri Yong-ho, dé-
clare que son pays est prêt à don-
ner « une sévère leçon » aux Etats-
Unis. Un Tweet du président
Donald Trump promet en repré-
sailles « le feu et la fureur comme
le monde n’en a jamais vu ».
8 AOÛT
Pyongyang évoque « un plan opé-
rationnel en vue d’un feu envelop-
pant les zones autour de Guam
avec des fusées balistiques ».
« L’arsenal nucléaire américain
est plus fort et plus puissant que
jamais », rétorque M. Trump.
tolérer les armes nucléaires nord-
coréennes comme ils avaient été
contraints de le faire avec celles de
l’URSS, mais pas la prolifération.
L’enjeu est essentiel. Malgré les
sanctions de l’ONU ces dernières
années, la Corée du Nord conti-
nue d’avoir nombre de clients mi-
litaires au Moyen-Orient, en Afri-
que ou en Asie du Sud-Est. p
marc semo
telle japonaise, le président
Moon, élu en mai, a renouvelé ses
appels à la paix, s’engageant à
tout faire pour éviter la guerre
dans la péninsule. Evoquant la pé-
riode de la fin des années 1990 et
du début des années 2000, où
Pyongyang avait maintenu un
moratoire sur le nucléaire et les
missiles qui avait permis d’amé-
liorer ses relations avec Washing-
ton, Séoul et Tokyo, il a insisté sur
le but des sanctions, à savoir re-
lancer le dialogue et non faire
monter les tensions militaires.
« Aucune guerre ne devrait éclater
dans la péninsule coréenne sans
l’accord de la République de Corée »,
a-t-il ajouté. S’adressant à Pyon-
gyang, qui a pour l’instant rejeté
ses offres de dialogue, il a une
nouvelle fois appelé à la négocia-
tion pour aller vers une unifica-
tion « de manière pacifique et dé-
mocratique, avec l’assentiment de
tous ». Le discours de M. Moon
suivait les déclarations de Kim
Jong-un, qui a critiqué les Etats-
Unis, « les premiers à amener des
armes nucléaires près de nous »
– une référence au déploiement
en 1958 par l’armée américaine de
têtes nucléaires sur le sol sud-co-
réen, qui furent retirées en 1991.
Les propos de M. Moon ont sus-
cité des réactions chez les conser-
vateurs, oublieux de l’échec de la
politique de la ligne dure tenue
par Lee Myung-bak (2008-2013)
puis par Park Geun-hye (2013-
2017). Jamais avare de propos
outranciers, Hong Joon-pyo, pré-
sident du parti de la liberté en
Corée, a comparé M. Moon à Ne-
ville Chamberlain, le premier mi-
nistre britannique qui avait signé
les accords de Munich avec Hitler
en 1938. « Vous devez comprendre
que la paix ne s’obtient que par la
force et non en la mendiant. » p
ph. me.
 international | 5
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

Brexit : le casse-tête de la frontière nord-irlandaise

Londres est en panne de solution pour éviter de rétablir des contrôles douaniers entre les deux Irlandes

londres - correspondance
Economiquement,

C’
est plus une profes- les liens étroits
sion de foi qu’une
véritable proposi-
entre les
tion détaillée. Mer- deux côtés
credi 16 août, le gouvernement
britannique devait publier sa po-
de la frontière
sition sur la question brûlante de risquent d’être
l’Irlande du Nord après le Brexit.
Selon les grandes lignes transmi-
mis à mal
ses en avance à la presse, il pro-
met qu’il n’y aura pas « d’infras-
tructure physique à la frontière, raison d’être consiste à rester
comme par exemple des postes de dans le Royaume-Uni, refusent de
douane ». L’idée d’un retour d’une voir une frontière entre l’Irlande
frontière « dure » entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne,
du Nord et la République d’Ir- qui fissurerait leur pays.
lande, qui risquerait de réveiller La solution britannique repose
les démons du conflit entre répu- donc sur un accord douanier ul-
blicains et unionistes, est résolu- tra-allégé, qui ne fasse pas sentir
ment écartée. sa présence. « Le Brexit est en
Mais comment ? Le document train de devenir un exercice de sé-
reste extrêmement flou sur cette mantique, s’agace M. Menon.
question cruciale. Le gouverne- Quand le gouvernement britanni-
ment britannique place ses es- que promet de ne pas avoir de
poirs dans de nouveaux accords frontière dure, qu’est-ce qu’il veut
douaniers qu’il souhaite signer dire ? Qu’il n’y aura pas de mira-
avec l’Union européenne (UE). dors ? Que les gens pourront conti-
L’objectif est d’alléger au maxi- nuer à voyager ? » Selon lui,
mum les contrôles douaniers, même « simplifiée », l’installation
pour les rendre quasiment invisi- d’un arrangement douanier si-
bles. Londres suggère par exem- gnifiera inévitablement des con-
ple l’enregistrement électronique trôles aux frontières.
à l’avance des camions, suivi « Il est clair que le gouvernement
d’une reconnaissance automati- ne peut pas honorer la promesse
que de la plaque d’immatricula- (…) que la frontière entre l’Irlande
tion, qui permettent de ne pas ra- Des manifestants anti-Brexit, à Dublin, le 25 avril. CLODAGH KILCOYNE/REUTERS et l’Irlande du Nord restera
lentir le trafic à la frontière. Une comme aujourd’hui, ajoute Tom
autre idée est d’exempter de véri- Brake, un député libéral-démo-
fications douanières les petites réduite à appeler les négociateurs tre entre le Royaume-Uni et l’UE. ru. Sur la route entre Dublin et les deux côtés de la frontière ris- crate. Même s’il n’y a que des véri-
entreprises, qui constituent 80 % européens et britanniques à Or, avec le Brexit, Londres a pro- Belfast, la seule indication de quent aussi d’être mis à mal. fications douanières sur les gran-
du commerce pan-irlandais. « faire preuve de flexibilité et mis de sortir de l’union doua- changement de pays vient des Face à ce casse-tête, une solu- des entreprises, ces plans pertur-
Mais Londres reconnaît à demi- d’imagination ». nière (qui supprime les droits de panneaux, qui passent des kilo- tion a été régulièrement évo- beront sévèrement le commerce
mot que même un tel processus La démarcation entre l’Irlande douane au sein de l’UE). En toute mètres aux miles. Entre le Nord et quée : installer les douanes au ni- et auront un effet déstabilisant
allégé ne sera pas suffisant. Une du Nord et la République d’Ir- logique, il faudrait donc installer le Sud, les relations sont très étroi- veau des ports et des aéroports sur la région. »
source gouvernementale en est lande est la seule frontière terres- une frontière, avec des douaniers tes. L’office du tourisme est unifié de l’île irlandaise, au sud comme Enfin, ces débats internes au
pour vérifier l’origine des pro- et les échanges commerciaux au nord. Cela permet d’éviter la Royaume-Uni oublient l’essen-
duits et leur destination. La Nor- permanents. La majeure partie de frontière terrestre tout en véri- tiel : la position de l’UE, et en par-
Londres veut un accord douanier vège, simple membre de l’Espace la production de lait du Nord est fiant les importations. Mais dans ticulier de Dublin. Le 4 août, le
économique européen sans faire par exemple pasteurisée au Sud. son document publié mercredi, nouveau premier ministre irlan-
intérimaire partie de l’union douanière, est Londres exclut cette idée. dais, Leo Varadkar, avait averti :
Le gouvernement britannique a annoncé mardi 15 août qu’il par exemple dans ce cas : elle a des Crise de confiance « Ce n’est ni constitutionnelle- c’est aux partisans du Brexit dur
souhaitait trouver un accord douanier intérimaire avec l’Union postes de douane à ses frontières. Dans ce contexte, instaurer de ment ni économiquement viable », de faire des propositions, pas à
européenne après l’entrée en vigueur du Brexit, en mars 2019. Mais politiquement, une telle nouveau une frontière physique fait valoir le gouvernement bri- l’Irlande ou à l’UE d’aider à trou-
Si le Royaume-Uni souhaite à terme sortir de l’union douanière solution est explosive. Entre 1969 risque de déstabiliser le processus tannique. « En lisant entre les li- ver des solutions. « Ils ont déjà eu
européenne (qui supprime les droits de douane au sein de l’UE), et 1998, l’Irlande du Nord a été de paix, alors même que les ten- gnes, cela veut dire que ce n’est quatorze mois pour cela. S’ils n’y
il espère initialement faire perdurer un accord équivalent, pour secouée par les « troubles », un sions entre unionistes et républi- pas politiquement viable », tra- arrivent pas, et je crois qu’ils n’y ar-
une période de « deux ans, peut-être un peu moins », selon David conflit larvé entre républicains cains sont déjà très fortes. Le gou- duit Anand Menon, qui dirige le riveront pas, on pourra alors dis-
Davis, le ministre chargé du Brexit. Il souhaite que cette transi- catholiques et unionistes protes- vernement de coalition d’Irlande groupe universitaire « The UK in a cuter de solutions qui marchent
tion lui permette de mettre au point un accord qui conserve le tants, qui ont fait 3 500 morts. du Nord est suspendu depuis jan- Changing Europe » (Le Royaume- pour nous tous. » Il faudra voir si
commerce « le plus libre possible ». Guy Verhofstadt, le coordina- Depuis les accords du Vendredi vier, à la suite d’une crise de confi- Uni dans une Europe chan- M. Varadkar est convaincu des
teur du Brexit pour le Parlement européen, a répondu qu’il saint, les armes se sont tues, et la ance entre les deux camps. Econo- geante). « Les unionistes ne l’ac- propositions britanniques. p
s’agissait d’un « fantasme ». frontière a complètement dispa- miquement, les liens étroits entre cepteraient jamais. » Eux, dont la éric albert

Libye : la CPI veut arrêter un proche d’Haftar S I ER RA LEON E

Coulée de boue
meurtrière à Freetown
Le président sierra-léonais,
La Cour pénale internationale accuse le commandant Werfalli de crimes de guerre Ernest Bai Koroma, a lancé
un appel à l’aide internatio-
nale, après les inondations
et les glissements de terrain
la haye - correspondance commis entre le 3 juin 2016 et le et de suspendre Mahmoud Al- De son côté, la procureure a ex- qui ont fait plus de 300 morts
17 juillet 2017 dans la région de Werfalli. Mais presque dans le horté « la communauté interna- et des centaines de disparus
COLOMBI E
Fin du désarmement
des FARC
Le désarmement des FARC a
officiellement pris fin mardi
15 août en Colombie, et les re-
belles marxistes ont remis au
total plus de 8 000 armes et
près de 1,3 million de muni-
tions. L’ONU, qui a supervisé

A vant d’exécuter ses pri-

sonniers, Mahmoud Al-
Werfalli les accuse par-
fois d’appartenir à l’organisation
de l’Etat islamique (EI). Pourtant,
ce commandant de la brigade Al-
Saiqa, forces spéciales alliées à
l’Armée nationale libyenne (ANL)
de Khalifa Haftar, s’inspire direc-
tement de l’EI pour la mise en
scène de ses exécutions, dont cer-
taines ont été filmées.
Dans la dernière vidéo, datée du
17 juillet, dix-huit condamnés
sont à genoux, en tenue orange, la
tête couverte d’un capuchon noir,
les mains liées dans le dos et ali-
gnés sur quatre rangées. Lui-
même est en pantalon de camou-
flage, t-shirt noir et coiffé d’une
casquette noire. Mahmoud Al-
Werfalli, 39 ans, prononce ensuite
sa sentence avant d’abattre ou de
faire abattre par ses hommes ses
victimes, à bout portant, d’une
balle dans la tête.
Mardi 15 août, la Cour pénale in-
ternationale (CPI) a délivré un
mandat d’arrêt contre Mahmoud
Al-Werfalli qui l’accuse de crimes
de guerre pour des meurtres
Benghazi.
Après trois ans de combat con-
tre des groupes djihadistes, les
forces du maréchal Haftar sont
parvenues, en juillet, à reprendre
la ville, lui permettant de confir-
mer sa domination sur l’est du
pays. Soutenu par l’Egypte et les
Emirats arabes unis, le maréchal
Haftar est considéré par les Occi-
dentaux comme un élément clé
du règlement politique de la crise
libyenne. En juillet, il avait été
reçu, avec le premier ministre li-
byen, Fayez Al Sarraj, par le prési-
dent Emmanuel Macron, à Paris.
« Cruels et déshumanisants »
Au moins 33 personnes, « des ci-
vils ou des personnes hors de com-
bat », auraient été exécutées sous
les ordres et de la main du capi-
taine Werfalli. En juillet, les exac-
tions du commandant libyen qui
a rejoint la brigade Al-Saiqa après
la chute du régime Kadhafi, ont
été dénoncées par le Haut-com-
missariat des Nations unies aux
droits de l’homme (HCDH). L’or-
ganisation demandait au général
Haftar de conduire des enquêtes
même temps, le commandant
Werfalli procédait aux exécutions
du 17 juillet.
Des crimes « exceptionnelle-
ment cruels, déshumanisants et
dégradants », soulignent les juges
dans leur mandat d’arrêt. Lors
d’un autre épisode, Mahmoud Al-
Werfalli aurait asséné à l’une de
ses victimes « tu as été trompé par
celui qui t’a fait mal. Tu as été
trompé par Satan », avant de
l’abattre d’une balle dans la tête.
Le procureur n’a pas identifié
toutes les victimes, mais deux
hommes, emprisonnés dans une
cage avant leur exécution, se-
raient des membres du Conseil de
la Choura des révolutionnaires de
Benghazi, coalition de brigades
révolutionnaires, islamistes et
djihadistes, et de leurs alliés d’An-
sar Al-Charia, proches d’Al-Qaida.
Pour les juges de la Cour, la vio-
lence « dépasse le niveau d’actes
isolés et sporadiques ». Ils ordon-
nent donc l’arrestation immé-
diate de l’homme « susceptible de
continuer à commettre des crimes
de gravité similaire dans un pro-
che avenir ».
tionale à coopérer et à aider la Li-
bye (…) pour garantir l’arrestation
de M. Al-Werfalli et sa remise à la
CPI ». Fatou Bensouda a aussi de-
mandé au Conseil de sécurité de
l’ONU de « soutenir de tels ef-
forts ». C’est ce même Conseil qui
avait saisi la Cour des crimes com-
mis en Libye fin février 2011, quel-
ques jours après le début de la ré-
volution.
Trois premiers mandats d’arrêt
avaient été émis quatre mois plus
tard, contre Mouammar Kadhafi,
son fils, Saïf Al-Islam Kadhafi, et
l’ex-chef des renseignements mi-
litaires libyen, Abdullah El Se-
noussi. Au pouvoir après la chute
du régime et la mort du Guide li-
byen, le Conseil national de tran-
sition avait néanmoins refusé de
transférer tout suspect à La Haye.
Enfin, en avril 2017, la Cour avait
rendu public un autre mandat
d’arrêt, émis en 2013, contre Al-
Touhami Khaled. Longtemps
exilé en Egypte, l’ancien chef de la
sécurité du colonel Kadhafi avait
finalement quitté le pays en avril,
sans être arrêté. p
stéphanie maupas
à Freetown, lundi 14 août.
Selon la Croix-Rouge, au
moins 600 personnes sont
toujours portées disparues.
« Nous sommes débordés »
par ce désastre, a déclaré
Ernest Bai Koroma. La Sierra
Leone a un « besoin urgent
d’aide ». – (AFP.)
N I GER I A
27 morts dans l’attaque
de trois kamikazes
Des kamikazes agissant pro-
bablement au nom de la
secte islamiste Boko Haram
ont tué 27 personnes et fait
83 blessés, mardi 15 août,
dans le nord-est du Nigeria.
Une femme s’est fait explo-
ser sur un marché de Kon-
duga. Non loin de là, deux
autres kamikazes ont ac-
tionné leur charge explosive
à l’entrée d’un camp de réfu-
giés. L’insurrection armée de
Boko Haram vise à créer un
« califat » autour du lac
Tchad, à l’intersection du Ni-
geria, du Cameroun, du Niger
et du Tchad. – (Reuters.)
ce désarmement dans le cadre
de l’accord de paix conclu
avec Bogota, a emporté la der-
nière cargaison d’armes re-
mise dans le camp de démo-
bilisation de Fonseca, dans la
province de La Guajira (nord).
I RAN
Téhéran menace
de quitter l’accord
sur le nucléaire
L’Iran a menacé, mardi
15 août, de quitter très rapide-
ment l’accord sur le nucléaire
avec les grandes puissances, si
les Etats-Unis continuaient
leur politique de « sanctions »
et de « coercition ». L’adminis-
tration de Donald Trump a
imposé des sanctions juridi-
ques et financières à l’Iran. Si
les Etats-Unis « veulent revenir
à ces méthodes, assurément,
dans un délai très court – non
pas en semaines ou en mois,
mais en jours ou en heures –,
nous reviendrons à la situation
[d’avant l’accord] et nous se-
rons plus forts », a averti le pré-
sident Hassan Rohani. – (AFP.)
6 | international
Le Burkina Faso
encore ciblé par
le djihadisme
L’attentat de Ouagadougou met
en lumière la vulnérabilité du pays
face au terrorisme islamiste
C
omment empêcher un
commando de quelques
hommes, prêts à mou-
rir, de commettre un
carnage parmi des civils délibéré-
ment visés ? La question taraude
tous les pays affectés par le djiha-
disme, et le Burkina Faso n’y
échappe pas. Dimanche 13 août au
soir, un nouvel attentat dans le
centre-ville de Ouagadougou, la
capitale, qui a fait 18 morts, dont
un Français, et 22 blessés selon un
bilan officiel, est venu rappeler la
vulnérabilité du « pays des hom-
mes intègres ».
« Est-ce que l’on peut être prêt
face à ce type d’attaque ? Au-
jourd’hui, n’importe qui peut se
mêler à la foule et mitrailler tout
le monde », plaide le capitaine
Guy-Hervé Yé, le porte-parole
de la gendarmerie, fier de ses
unités spéciales qui ont « neu-
tralisé les deux terroristes qui
s’étaient cachés dans l’immeuble
du café Aziz Istanbul », où a été
perpétré l’attentat. « Cette fois,
MALI
SAHEL
NIGER
Ouagadougou
BURKINA
FASO
BÉNIN
CÔTE GHANA TOGO
D’IVOIRE 150 km
Turquie : Loup Bureau « très isolé » en prison En Syrie, les casques
Macron s’est entretenu avec Erdogan au sujet du journaliste français détenu depuis fin juillet
istanbul - correspondante
L e président français, Em-
manuel Macron, et son
homologue turc, Recep
Tayyip Erdogan, ont évoqué,
mardi 15 août, par téléphone, la
situation du journaliste français
Loup Bureau, emprisonné en
Turquie à la suite d’un reportage.
« C’est très positif, c’est le premier
signe d’une réelle implication po-
litique de la France, s’est réjoui
Loïc Bureau, le père du jeune
homme, interrogé par télé-
phone. C’est ce que nous atten-
dions. De plus, il y aura une suite
puisque les deux dirigeants sont
convenus de se reparler. »
Voici vingt-deux jours que le
journaliste, inculpé par un juge
turc pour « appartenance à un
groupe terroriste », se morfond à
la prison de Sirnak, non loin de la
frontière turco-irakienne. « Il est
dans l’isolement le plus total. Le
consulat de France lui a fait parve-
nir des livres mais il ne les a pas en-
core reçus, ils sont encore à la
fouille », explique Loïc Bureau, qui
a pu parler samedi quelques mi-
nutes avec son fils par téléphone.
Une visite consulaire avait été
autorisée la veille.
Le journaliste, qui a notamment
travaillé pour Arte et TV5 Monde, a
été interpellé le 26 juillet alors qu’il
franchissait en toute légalité, ses
papiers en règle, la frontière irako-
turque au poste de Habur. C’est là,
dans le cadre d’un contrôle de rou-
tine, qu’il a été placé en garde à vue
à Sirnak, la ville la plus proche,
pour être ensuite relâché en fin de
les unités étaient plus aguerries
et la coordination meilleure », se
satisfait l’officier.
Mi-janvier 2016, lors de la pre-
mière attaque terroriste à Ouaga-
dougou, quand trois jeunes hom-
mes envoyés par Al-Qaida au Ma-
ghreb islamique (AQMI) avaient
tué 30 personnes sur la même
avenue Kwame Nkrumah, cel-
les-ci avaient montré d’immen-
ses failles. Venues les appuyer, des
forces spéciales françaises, qui
disposent d’un détachement
sur place, avaient notamment es-
suyé des tirs amis. « L’intervention
a été extraordinairement cafouil-
leuse », maugréait quelques heu-
res plus tard un officiel français.
Sans l’appui de la France
Cette fois, les forces antiterroris-
tes burkinabées sont venues à
bout des assaillants, sans l’appui
de la France, ni les Etats-Unis, qui
ont tous deux proposé leur aide.
Selon un proche du président
Kaboré, l’offre a été déclinée car,
explique-t-il, « nos hommes te-
naient la situation malgré la mo-
dicité de leurs moyens ».
Si le Burkina Faso est le théâtre
d’une insécurité grandissante, il
le doit tout d’abord à son voisin
malien. Outre AQMI, qui a mené
des assauts sanglants et des enlè-
vements de ressortissants occi-
dentaux au Burkina (un mineur
roumain et un chirurgien austra-
lien sont toujours retenus en ota-
ges), le pays a aussi subi, en moins
d’un an, deux attaques du groupe
journée. Mais, peu de temps après
et alors qu’il attendait le bus à Sir-
nak, une unité antiterroriste est
venue l’arrêter. Il a alors été pré-
senté à une ancienne juge pour en-
fants fraîchement nommée qui l’a
aussitôt inculpé pour « apparte-
nance » à une organisation terro-
riste, sans nommer cette dernière.
Plus de 4 000 magistrats ont été
démis de leurs fonctions dans le
cadre des purges qui ont suivi le
coup d’Etat du 15 juillet 2016, en-
traînant une grande désorganisa-
tion de l’institution judiciaire. Il
n’est pas rare actuellement de
voir des magistrats eux-mêmes
accusés d’appartenance au mou-
vement du prédicateur Fethullah
Gülen, décrit comme l’instigateur
du coup d’Etat, instruire des dos-
siers liés au « terrorisme ».
« Charges extrêmement lourdes »
Dans le cas de Loup Bureau, l’ob-
jet du délit est un documentaire
sur les Kurdes syriens et sur leurs
milices armées YPG réalisé
en 2013. Aux yeux des autorités
turques, ces milices ne sont
qu’une filiale des Kurdes autono-
mistes du Parti des travailleurs
du Kurdistan (PKK), avec lesquels
une guerre est en cours depuis
plus de trente ans.
Toutefois, en 2013, la Turquie
était en paix avec le Parti de
l’union démocratique (PYD) – dont
les YPG sont le bras armé – et avec
son chef Saleh Muslim, lequel était
régulièrement reçu à Ankara. A
l’époque, une trêve était égale-
ment en vigueur en Turquie entre
les autorités et le PKK. Les choses
Les forces
de sécurité, à
Ouagadougou,
le 14 août,
devant le café
pris pour cible
par des
terroristes.
ALAIN DIDIER
COMPAORÉ/AP
d’Adnane Al-Sahraoui, rallié à l’or-
ganisation Etat islamique (EI).
Devenu la cible des djihadistes
de la région qui lui reprochent de
fournir des casques bleus à la mis-
sion des Nations unies au Mali,
d’offrir l’hospitalité aux militaires
français ou encore d’être engagé
dans le G5 Sahel, qui doit réunir
les armées de la région, le Burkina
Faso fait également face à une in-
surrection islamiste locale.
Depuis décembre 2016, Ansarul
Islam, un mouvement fondé par
Ibrahim Malam Dicko, un imam
peul, mène des raids contre les
forces de l’ordre – douze soldats
tués le 16 décembre à Nassoum-
bou –, sème la terreur parmi les
élites du nord du pays et abat
ceux qui, dans cette région fron-
talière du Mali, seraient tentés
d’envoyer leurs enfants suivre
une scolarité normale.
Pour les Burkinabés, cette insé-
curité est nouvelle. Durant les an-
nées de règne de Blaise Compaoré
(1987-2014), le pays vivait dans
une apparente tranquillité, habi-
Trente-cinq
mandats d’arrêt
ont été émis par
Istanbul contre
des journalistes
accusés de
« soutien au
terrorisme »
ont commencé à se gâter en 2015.
« Il est absurde qu’un documen-
taire diffusé à la télévision fran-
çaise puisse servir de pièce à
conviction dans le cadre d’une en-
quête sur le terrorisme, déplore
Loïc Bureau, qui se démène pour
que son fils soit lavé de l’accusa-
tion de terrorisme et libéré. Loup
est allé une seule fois en Syrie,
en 2013, il n’y est pas retourné de-
puis. Le 26 juillet, il a franchi la
frontière turco-irakienne en toute
légalité et ne comptait pas tra-
vailler en tant que journaliste en
Turquie. D’ailleurs, il s’apprêtait à
prendre un avion à Ankara pour
rentrer en Europe. »
Aucun des avocats du jeune
homme n’a eu accès au dossier,
comme c’est le cas pour les affai-
res liées au terrorisme. « Impossi-
ble de savoir sur quels faits les ju-
ges et le procureur turcs se sont
fondés pour motiver l’incarcéra-
tion de Loup », regrette Rusen Ay-
tac, une avocate du barreau de Pa-
ris qui défend le journaliste.
Son collègue Martin Pradel
confirme : « Les autorités turques
Si le pays est
aujourd’hui
le théâtre
d’une insécurité
grandissante,
il le doit d’abord
à son voisin
malien
tué à jouer les médiateurs – pas
toujours neutres – dans les crises
de ses voisins. Dans tout le Sahel,
le Mauritanien Moustapha Chafi,
un conseiller spécial du président
renversé par la rue, et le général
Gilbert Diendéré, son chef d’état-
major particulier aujourd’hui en
prison, avaient noué des contacts
avec des figures djihadistes qui
permirent notamment la libéra-
tion d’otages occidentaux.
« Nous avons mené un travail de
fourmi pour obtenir du renseigne-
ment, raconte un homme de l’om-
assument parfaitement le fait de
poursuivre des avocats pour avoir
plaidé, des journalistes pour avoir
informé. Du point de vue français,
c’est surprenant, mais en Turquie,
cette considération est assumée. »
Le conseil n’est pas très optimiste
sur le sort de son client, « Loup est
en difficulté, son incarcération
est dure, il est très isolé, et les char-
ges qui pèsent contre lui sont ex-
trêmement lourdes ».
La conversation que le chef de
l’Etat français a eue avec le prési-
dent turc est tout de même une
bonne chose. « Etant donné la si-
tuation des magistrats turcs, on
comprend qu’ils ne peuvent pas
prendre des décisions contraires à
la volonté du numéro un turc, donc
cette intervention était indispensa-
ble. Nous l’appelions de nos vœux
depuis le début », ajoute M. Pradel.
Plus de 160 journalistes sont ac-
tuellement emprisonnés en Tur-
quie. Récemment, 35 mandats
d’arrêt ont été émis contre des
journalistes accusés de « soutien
au terrorisme », dix d’entre eux
ont été arrêtés à Istanbul, dont
Burak Ekici, du quotidien d’oppo-
sition Birgün.
Leurs défenseurs sont eux-mê-
mes visés : lundi 14 août, des jour-
naux progouvernementaux (Ak-
sam, Star, Sabah) ont publié des
noms de journalistes turcs affi-
liés à un groupe de soutien aux
journalistes emprisonnés, sur
l’application WhatsApp. Ils se
sont empressés de les présenter
comme des fomentateurs de ré-
bellion, des traîtres. p
marie jégo
bre de Blaise Compaoré. Quand
nous nous sommes aperçus que
l’on ne pouvait pas compter sur les
Maliens pour protéger notre fron-
tière, nous avons identifié les
points de passage entre les deux
pays et recruté des informateurs
au Mali. Nous leur donnions des
téléphones, de l’argent. C’est no-
tamment grâce à l’un d’eux que
nous avons retrouvé les premiers
le site où s’était crashé l’avion d’Air
Algérie » en juillet 2014.
« L’Etat n’a pas de stratégie »
Selon cette source, les services de
renseignement de l’ancien ré-
gime auraient déjoué « un atten-
tat d’envergure en Côte d’Ivoire et
l’enlèvement d’un Israélien à Ba-
mako ». Puis de conclure, amer :
« Aujourd’hui, notre capacité de
défense est nulle. Dans la lutte
antiterroriste, nos dirigeants ne
comptent que sur la France et les
pays étrangers. »
Après l’attaque de janvier 2016,
des dignitaires actuels avaient
voulu voir la main déstabilisa-
blancs pris pour cible
Sept secouristes ont été abattus par des
hommes armés dans la province d’Idlib
beyrouth - correspondant
P our assurer leur sécurité,
les casques blancs avaient
l’habitude de regarder au-
dessus de leur tête. Le principal
risque auquel ces secouristes, qui
opèrent dans les zones tenues par
l’opposition syrienne, étaient
confrontés jusque-là était celui
d’un raid aérien.
Rendus célèbres par des vidéos
dans lesquelles on les voit ex-
traire des survivants des décom-
bres d’immeubles bombardés par
l’aviation du régime syrien ou de
son allié russe, ces volontaires de-
vront désormais surveiller leurs
arrières en plus du ciel. En l’espace
de trois jours, trois de leurs équi-
pes ont fait l’objet d’attaques ter-
restres dans la province d’Idlib,
une région du nord de la Syrie,
sous la coupe de Hayat Tahrir al-
Cham, une coalition rebelle, do-
minée par les djihadistes de l’ex-
branche syrienne d’Al-Qaida.
Le régime Assad mis en cause
L’incident le plus dramatique
s’est déroulé samedi 12 août, lors-
que des hommes armés ont fait
irruption dans le centre de l’orga-
nisation à Sarmine, à l’est d’Idlib.
Ils ont tué d’une balle dans la tête
sept secouristes, avant de dispa-
raître sans être inquiétés. Deux
jours plus tard, lundi 14 août, une
autre attaque, menée de façon si-
milaire, a été déjouée dans le vil-
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
trice de l’ancien régime derrière
l’attentat. « Sous Blaise [Compa-
oré], les trafiquants et contre-
bandiers avaient leur corridor au
Burkina, un libre accès au Nord
pour remonter au Sahel, avance
une source sécuritaire. S’ils
étaient chassés du Mali ou du Ni-
ger, ils savaient qu’ils pouvaient
revenir tranquillement au Bur-
kina Faso. Ce n’est plus le cas. Ils
ont donc tout intérêt à déstabili-
ser la zone pour pouvoir circuler
plus librement. C’est une bataille
menée par un réseau qui veut ré-
cupérer son corridor. »
Ce gendarme n’épargne pas
non plus le pouvoir en place :
« Ces derniers mois, la fréquence
des attaques dans le Nord avait
augmenté. Mais personne n’a pris
ses responsabilités. L’Etat n’a pas
de stratégie antiterroriste. Les
autorités ne font que boucher les
trous. » Depuis mai, le Burkina a
subi 20 attaques ayant tué près
de 50 personnes. p
cyril bensimon (avec morgane
le cam, à ouagadougou)
lage voisin de Balyoun. Des incon-
nus approchant de l’antenne lo-
cale des casques blancs ont dû
prendre la fuite après l’interven-
tion d’habitants, appelés à l’aide
par les secouristes. Le même jour,
un véhicule de la défense civile sy-
rienne a été pris sous des tirs d’ar-
mes à feu. Faute d’indices, la di-
rection des casques blancs s’est
abstenue de désigner un suspect.
A Sarmine, des habitants incrimi-
nent le régime Assad, arguant, à
l’image de Mohamed Fadel, un
militant révolutionnaire, joint
sur place, « que c’est le seul à avoir
intérêt à tuer des secouristes ».
A mesure que les casques blancs
ont acquis une notoriété interna-
tionale, au point d’être nommés
pour le Prix Nobel de la paix 2016,
les autorités syriennes se sont ef-
forcées de les discréditer, en les
présentant comme le jouet des
Occidentaux et des djihadistes.
Près de 200 membres ont perdu la
vie dans l’exercice de leur fonc-
tion, le plus souvent dans un bom-
bardement de l’aviation syrienne.
Le régime Assad s’embarrasse-
rait-il à dépêcher une équipe de
tueurs jusque dans Idlib, alors
qu’il peut éliminer ces « gêneurs »
par les airs ? La question peut se
poser. Le groupe Tahrir al-Cham a
condamné, quant à lui, un « crime
odieux » et s’est engagé à assurer
la sécurité de ces volontaires « qui
ont gagné le respect de tous ». p
benjamin barthe
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
La beauté perdue du lac Nakuru, perle du Kenya
Urbanisation et déforestation mettent à mal ce trésor naturel, faisant fuir des millions de flamants roses
REPORTAGE
nakuru - envoyé spécial
F
lamingo Road ». Voilà une
route qui porte bien mal
son nom. Le long de cette
avenue, descendant en
pente douce vers le parc national
du lac de Nakuru au Kenya, on a
certes suspendu aux réverbères
des sculptures de flamants roses,
le corps élancé, le bec tendu vers le
ciel bleu. Mais au bout du chemin,
point d’oiseaux aux plumes cha-
marrées. Envolés, disparus. De-
puis des années déjà.
Ici, à 130 km au nord de Nairobi,
au cœur de la vallée du Rift, on ne
se remet pas du départ des beaux
flamants. « Avant, le lac était
rose ! », se souvient Harun Sang, di-
recteur adjoint du parc au Kenya
Wildlife Service (KWS), organisme
d’Etat qui gère les réserves naturel-
les du pays. Béret sur la tête et
treillis militaire, ce ranger expéri-
menté, passé par les réserves brû-
lantes du nord du Kenya, pose un
regard attristé sur « son » parc.
Celui-ci accueillait il y a quelques
années encore 2 millions à 4 mil-
lions de flamants roses et flamants
nains, dans les eaux alcalines du
lac. Les bonnes saisons, jusqu’à
75 % de la population mondiale de
ces deux espèces se donnaient
rendez-vous à Nakuru. Aujour-
d’hui, ils seraient au mieux 5 000 à
15 000 à y faire étape.
En apparence pourtant, Nakuru
offre toujours un cadre idyllique
avec son lac légendaire aux eaux
calmes et turquoises, allongé en-
tre les volcans du Rift et couronné
par une ceinture féerique d’aca-
cias. Dans ses prairies, paissent en-
core des centaines de gazelles, an-
tilopes kobs à cornes de lyres, zè-
bres, buffles et rhinocéros, ainsi
que plus de 400 espèces d’oiseaux
dont 13 menacées. Ce site excep-
tionnel, inscrit au Patrimoine
mondial de l’Unesco, a attiré
en 2016 plus de 200 000 visiteurs
du monde entier venus rejouer les
scènes cultes du film Out of Africa,
frôlant le sol à bord d’un avion bi-
plan et provoquant l’envol de mil-
liers de flamants.
L’image a longtemps servi de
carte postale au Kenya. Mais de fla-
mants, justement, il n’y a plus.
Ceux-ci venaient autrefois se ras-
sasier en spiruline, une micro-al-
gue bleue présente dans les eaux
alcalines, salées et peu profondes
du lac. « Mais celle-ci a disparu
subitement en 2013 », explique
M. Sang. En cause, l’augmentation
brutale du niveau des eaux du lac,
qui a quasiment doublé de taille,
La Convention internationale sur le mercure entre en vigueur
Il aura fallu huit ans de négociations pour parvenir à encadrer l’extraction et les rejets dans l’environnement de ce métal lourd très toxique
T raité international mé-
connu du grand public, la
Convention de Minamata
sur le mercure devait entrer en
vigueur, mercredi 16 août, huit
ans après le début de négocia-
tions internationales lancées par
le Programme des Nations unies
pour l’environnement (PNUE).
Signé par 128 Etats, le texte a fran-
chi le cap des 50 ratifications en
mai, ouvrant ainsi la voie à sa
mise en application. Depuis,
24 pays supplémentaires ont
ratifié cette convention, notam-
ment la France, le 15 juin.
L’objectif de ce texte est de « pro-
téger la santé humaine et l’envi-
ronnement contre les émissions et
rejets anthropiques de mercure et
de composés du mercure »,
comme l’explique son préam-
bule. Il pourrait paraître acces-
soire, tant le mercure a, semble-
t-il, déjà disparu des quelques ob-
jets du quotidien qui en conte-
naient. A commencer par les
ÉTHIOPIE
OUGANDA
KENYA
Nakuru
Forêt Lac Nakuru
de Mau
Nairobi
TANZANIE
250 km
passant de 31 à 54 km2 en seule-
ment deux ans.
Aujourd’hui, le long des rives de
Nakuru, des forêts entières d’aca-
cias pourrissent en silence les
pieds dans l’eau. L’ancienne porte
d’entrée du parc, submergée
en 2013, a été abandonnée par les
rangers, livrée aux buffles et aux
oiseaux pêcheurs. « Avant, le lac
était à 3 km de celle-ci », se rappelle
M. Sang. Résultat de l’augmenta-
tion subite du lac : « L’eau est froide,
elle a perdu son acidité et sa sali-
nité, poursuit-il. La spiruline ne se
développe plus et les flamants ont
quitté les lieux. »
« Mauvaise volonté »
Les experts tâtonnent encore pour
comprendre le phénomène.
« Mais l’explication la plus répan-
due est celle de la déforestation »,
explique Jackson Raini, directeur
du Flamingo Lakes Conservation
Network, organisation œuvrant
pour la conservation des flamants
du Rift. Les eaux du Nakuru pro-
viennent en effet quasi exclusive-
ment de l’immense forêt Mau, si-
tuée sur les hauteurs, à l’ouest.
Cette vaste canopée de 400 000
hectares est le poumon vert du Ke-
nya et le château d’eau de la région
qui alimente toutes les rivières du
Rift, courant jusqu’aux savanes
tanzaniennes. Mais, depuis le dé-
but des années 1990, un quart de
sa superficie a été détruit par la dé-
forestation. « L’abattage des arbres
a provoqué une forte érosion, pour-
suit M. Raini. Le sol n’absorbe plus
la pluie et les eaux partent directe-
ment dans le lac, faisant gonfler
son volume. »
Celui-ci occupe à présent près de
30 % de la superficie du parc de
Nakuru, contre 16 % auparavant.
Or pour les animaux, il n’y a point
d’échappatoire : la fragile réserve
ceinturée d’une clôture électrique
jouxte en effet la ville de Nakuru,
quatrième agglomération du
pays. « Ils ont moins de place et
sont forcés de se rapprocher des
thermomètres, désormais rem-
placés par de nouvelles généra-
tions d’instruments numériques.
Le problème est en réalité bien
plus vaste, et toujours d’actualité.
Le mercure, précise le traité, « a
des impacts importants au niveau
mondial » justifiant « une inter-
vention internationale visant à ré-
duire les risques qu’il présente
pour la santé humaine et l’environ-
nement ». La mesure-phare est la
disparition programmée des mi-
nes de mercure dans les quinze
ans suivant la ratification du
texte. Les Etats-parties s’engagent
aussi à trouver des moyens de ré-
duire les rejets de ce métal lourd
dans l’environnement, à encadrer
son commerce et les productions
industrielles l’impliquant dans
leurs procédés, à favoriser son
stockage de façon « écologique-
ment rationnelle », et dépolluer
les sites contaminés.
Car le mercure est hautement
toxique, notamment pour le sys-
SOMALIE
OCÉAN
INDIEN
Des flamants roses sur le lac Nakuru dans la vallée du Rift, au Kenya,en 2010. NOOR KHAMIS/REUTERS
zones urbaines », ajoute M. Sang.
Les flamants ne sont pas les
seuls touchés. En bordure de l’es-
pace naturel, les animaux devien-
nent des cibles faciles pour les
braconniers qui peuvent s’éva-
nouir sans risque d’être rattrapés
dans le dédale des ruelles de la
ville. En 2014, selon les derniers
chiffres rendus publics par le
KWS, 10 rhinocéros auraient ainsi
été tués dans l’enceinte du parc.
La faune sauvage est aussi plus
exposée aux pathologies, elle
contracte des infections telles que
la maladie du charbon transmise
par les bovins des paysans alen-
tour. « Il y a enfin les incendies pro-
voqués par les habitants qui brû-
lent leurs déchets en plein air. Le
feu se propage souvent dans la ré-
serve. Rien que cette année, on a
perdu 20 hectares de végétation et
de pâture », achève M. Sang, dési-
gnant une colline noircie.
La menace progresse à mesure
que Nakuru s’étend, ses immeu-
bles et bidonvilles suivant les con-
tours du parc, collés à sa clôture
électrique. Car la ville est idéale-
ment située sur la route reliant
l’Ouganda à Nairobi, la capitale.
Plaque tournante du commerce
tème nerveux central. De plus,
une fois mis en circulation dans
l’environnement, il ne se dé-
grade pas : au contraire, il se
stocke et s’accumule dans la
chaîne alimentaire où il est
omniprésent – dans certains pro-
duits de la mer en particulier
(thon, espadon, etc.).
Financement problématique
Du fait de ces propriétés, les po-
pulations les plus soumises à ses
effets dans le monde sont les
communautés autochtones des
régions arctiques, notamment en
raison de leur régime alimentaire
traditionnel. De nombreux tra-
vaux montrent qu’une exposi-
tion, même faible, d’une femme
enceinte au mercure induit une
baisse des facultés intellectuelles
et cognitives de l’enfant à naître,
ainsi qu’une susceptibilité accrue
à une variété de pathologies tou-
chant notamment le système
digestif et l’immunité.
agricole, elle constitue l’une des
métropoles les plus dynamiques
d’Afrique de l’Est, accueillant in-
dustries de savon et de bois, raffi-
neries, banques et centres com-
merciaux. Selon les projections
des autorités locales, la population
de Nakuru aurait explosé de près
de 30 % en moins d’une décennie
et approcherait aujourd’hui les
400 000 habitants.
« Si ça continue, Nakuru fera
bientôt le tour complet du parc »,
s’alarme James Wakibia, militant
local engagé contre la pollution
aux sacs plastiques et aux ordu-
res, en entraînant le visiteur sur
les hauteurs de sa cité. « D’ici,
vous pouvez voir que l’agglomé-
ration est en pente, avec les habi-
tations, la déchetterie et les indus-
tries en haut… et tout en bas, le
parc national. décrit-il. Résultat :
Il y a urgence.
Les opérateurs
craignent
une fuite
des touristes
Les deux principales activités
humaines responsables de
l’émission de mercure dans l’en-
vironnement sont l’exploitation
de mines d’or et la combustion
du charbon, qui en diffuse de
grandes quantités. « La Conven-
tion de Minamata est une pre-
mière étape vitale vers une action
globale contre le mercure, dit Pa-
mela Miller, coprésidente du Ré-
seau international pour l’élimi-
nation des polluants organiques
persistants (IPEN), qui fédère en-
viron 700 organisations non
gouvernementales, dans une
centaine de pays. Cela signale un
engagement mondial pour traiter
la crise sanitaire représentée par
la contamination par le mercure
des océans, de la nourriture et des
populations. » Cependant, les
ONG jugent aussi le texte laxiste
sur plusieurs points. Comme
tous les traités environnemen-
taux, cette convention n’est que
peu, voire pas contraignante.
planète | 7
lorsqu’il pleut, tout coule et se dé-
verse dans le lac. »
Des collectes d’ordures sont cer-
tes organisées dans la réserve par
le comté de Nakuru et par James
Wakibia. « Mais on ne ramasse que
les gros déchets, ça reste superfi-
ciel, regrette ce dernier. Il n’y a
aucun contrôle concernant les
eaux usées et les produits toxiques
rejetés par les usines de la ville. Là,
on est totalement impuissant. »
« Sujet sensible et politique »
Concernant le reboisement de la
forêt Mau, la tâche est plus difficile
encore. « Les autorités font tout
pour nous mettre des bâtons dans
les roues. On doit attendre des mois
et des mois pour obtenir un permis
de planter », se plaint ainsi Richard
Keter, président de l’ONG Green-
life Nature and Ecosystem
Network, qui souhaite replanter
1 000 hectares d’arbres à Mau. Le
bois est un secteur clé de l’écono-
mie kényane, estimé à plus de
320 millions d’euros par l’organi-
sation Global Forest Watch (GFW),
soit 1,2 % du PIB. « C’est un sujet
sensible et politique. Il y a beaucoup
de mauvaise volonté et bien sûr de
corruption », regrette M. Keter.
En outre, elle « autorise le com-
merce international de mercure à
destination des petites mines d’or,
qui contaminent l’environnement
ainsi que les communautés les
plus pauvres, et les contraintes fai-
tes aux centrales à charbon pour
réduire leurs émissions de mercure
sont très faibles », précise
Mme Miller. En effet, les Etats-par-
ties à la convention s’engagent à
imposer de telles réductions mais
seulement lorsqu’elles sont « fai-
sables ». Enfin, le financement des
mesures demeure problémati-
que, les pays du Nord renâclant à
aider les pays en développement.
Dans ce dossier, la commu-
nauté internationale a fait
preuve d’inertie. Car c’est dès
2001 que le conseil d’administra-
tion du PNUE a saisi le directeur
général de l’organisation onu-
sienne du problème posé par le
mercure. Il aura donc fallu atten-
dre seize années pour qu’entre
en vigueur un traité encadrant
Il y a pourtant urgence. Les opé-
rateurs craignent une fuite des
touristes, déçus de ne pas retrou-
ver de flamants. « Et tous les autres
lacs du Rift, tels Elementaita,
Baringo ou Naivasha sont eux
aussi menacés par l’accroissement
des villes et la déforestation »,
ajoute Mohamed Omar Said, ex-
pert en zones humides au KWS.
Aujourd’hui, on réfléchit à créer des
corridors protégés entre les réser-
ves pour éviter aux animaux d’être
pris au piège de l’urbanisation. »
Mais à Nakuru, on prévoit la
construction d’un aéroport en
plein dans les couloirs de migra-
tion des oiseaux, des flamants en
particulier. Le parc est-il voué à
devenir un simple étang pollué au
milieu de la ville, sorte de Central
Park du Rift ? La population du Ke-
nya (46 millions d’habitants) a
pratiquement doublé en vingt-
cinq ans et devrait faire de même
d’ici à 2050. A cette date, la moitié
des Kényans vivront en ville selon
la Banque mondiale. « On ne peut
pas ralentir ce phénomène, recon-
naît M. Said. Il ne faut pas se faire
d’illusion : il n’y a pas d’autre choix
que de s’adapter. » p
bruno meyerfeld
une substance dont l’extrême
toxicité pour le système nerveux
central est connue depuis près de
soixante-dix ans.
L’affaire débute en effet en 1950,
lorsque commence à se répandre
parmi les habitants de la baie de
Minamata, au Japon, une mysté-
rieuse épidémie de troubles neu-
rologiques graves, de malforma-
tions congénitales et de maladies
neuro-developpementales sou-
vent fatales. En 1959, le rôle du
mercure contenu dans les pois-
sons de la baie était démontré :
une usine de chlorure de vinyle
vidangeait là, depuis plusieurs
années, ses catalyseurs à base de
mercure empoisonnant l’écosys-
tème et, du même coup, les com-
munautés de pêcheurs de la ré-
gion. Le bilan de la « maladie de
Minamata » n’a jamais été claire-
ment établi – certaines sources
mentionnant des dizaines de mil-
liers de victimes. p
stéphane foucart
8|
FRANCE
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

L’université française au miroir de Shanghaï

Les établissements tricolores peinent à s’élever dans le classement, devenu essentiel pour leur réputation

A
vec 16 établissements afin, entre autres, que l’université
parmi le Top 20 du
Les Etats-Unis dominent toujours le classement Jiaotong comptabilise bien toute
classement de Shan- LES 15 PREMIÈRES MONDIALES LES 18 PREMIÈRES FRANÇAISES* LES UNIVERSITÉS PAR PAYS DANS LE TOP 100 la production scientifique de
ghaï, palmarès mon- l’UVSQ. La méthode a payé. Ce re-
dial des universités, les Etats-Unis RANG 2017 RANG 2016 RANG 2017 RANG 2016 tour dans le classement a aussi
confirment leur hégémonie. 1 Université Harvard = Université Etats-Unis servi « d’outil de communication
Dans cette quinzième édition, pu- 40 Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI) 39 en interne » pour valoriser l’uni-
bliée mardi 15 août par l’univer- 2 Université Stanford = versité et faire reconnaître le tra-
41 Université Paris-Sud (Paris-XI) 46
sité Jiaotong de Shanghaï, Har- 3 Université de Cambridge 4 vail des personnels.
vard se maintient à la première 69 Ecole normale supérieure Paris 87
place, devançant Stanford, une 4 Institut de technologie 5 101 - 150 Université d’Aix-Marseille = « Effet psychologique »
autre américaine. La première du Massachusetts (MIT) « Le classement joue un rôle per-
Université de Strasbourg =
européenne, l’anglaise Cam- Université de Californie, formatif, en attirant des ensei-
5 3
bridge, progresse d’une place, dé- Berkeley Université Paris-Diderot (Paris-VII) = gnants-chercheurs et des étu-
logeant ainsi l’université califor- diants de haut niveau, si bien
6 Université de Princeton = 151 - 200 Université Grenoble-Alpes1 =
nienne de Berkeley de la troi- qu’un cercle vertueux s’opère », ré-
sième place du podium. Le MIT Université de Bordeaux sume Isabelle Huault, présidente
est quatrième, Berkeley rétro-
7 Université d’Oxford =
Université Paris-Descartes (Paris-V)
=
=
48 de l’université Paris-Dauphine
grade à la cinquième place. 8 Université de Columbia 9 Royaume-Uni (Top 400). Qui dit meilleur recru-
La première française, l’univer- 201-300 Université Claude-Bernard (Lyon-I) = 9 tement dit meilleures – et plus
9 Institut de technologie
sité Pierre-et-Marie-Curie (UPMC, 8 nombreuses – publications scien-
de Californie Ecole normale supérieure Lyon 301- Australie Suisse All. Canada Pays-
Paris-VI), est classée 40e, talonnée 400 Bas tifiques, donc meilleure place
par l’université Paris-Sud, 41e (en 10 Université de Chicago = Université Paul-Sabatier dans le classement, etc.
progression de 5 places). Un troi- (Toulouse-III)
= « Nos partenaires internatio-
11 Université Yale =
sième (et dernier) établissement Université de Lorraine = naux ont été très sensibles à notre
tricolore figure parmi les 100 pre- 12 Université de Californie, = 301- passage dans le Top 200 du clas-
miers : l’Ecole normale supé- Los Angeles Université de Montpellier 6 5 4 4 4 sement en 2016 », illustre Vincent
400
rieure, à la 69e place. Université France Japon Suède Belg. Chine Dan. Dousset, vice-président de l’uni-
13 15 301-400 ESPCI Paris Tech =
Dans un contexte de compéti- de Washington versité de Bordeaux chargé des re-
tion internationale entre les éta- Université Paris-Dauphine (Paris-IX) = lations internationales. Cet « effet
blissements, ce palmarès mon- 14 Université Cornell 13 201- 3 3 3 2 2 2 psychologique » joue selon lui
Université Toulouse-I-Capitole2 300
dial est devenu incontournable Israël Finlande Norvège Russie Singapour dans le cadre des discussions
15 Université de Californie, 14 301- 1 1 1 1 1
depuis sa création en 2003. La San Diego 401-500 Ecole polytechnique pour faire venir des chercheurs
400
France parvient chaque année à * Au-delà de 100, le classement se fait par tranche d’envergure, pour développer des
faire figurer une vingtaine d’éta- 1
En 2016, il s’agissait de l’université Joseph-Fourier (Grenoble-I) qui a depuis fusionné avec ses deux consœurs grenobloises laboratoires internationaux asso-
blissements parmi les 500 réfé- 2
En 2015 et en 2016, les auteurs du classement de Shanghaï avaient classé l'une des composantes de l'université Toulouse-I-Capitole : la Toulouse School of Economics SOURCE : UNIVERSITÉ JIAO TONG ciés, des cotutelles de thèse, pour
rencés, mais les gains de places se la recherche de financement, etc.
comptent souvent sur les doigts « Ils semblent, de fait, avoir plus
d’une main, tout comme les nou- 40e place mondiale. Aucun lien de ghaï en 2015, la Toulouse School of Si effet du classement de Shan- confiance dans une université
velles entrées dans le tableau. cause à effet « n’a pu être établi Economics (TSE), composante de ghaï il y a, ce serait surtout d’amé-
« Le classement mieux classée. »
clairement en cas de changement l’université Toulouse-I, ne l’avait liorer la visibilité internationale attire des Cet effet de réputation jouerait
« Un élément parmi d’autres » de position dans un classement », ni prévu ni vraiment souhaité. des heureux élus auprès des étu- aussi sur la relation avec les col-
Les légers mouvements à l’inté- confirme Tia Loukkola, directrice Mais deux ans après, « le nombre diants. Les Français sont relati-
enseignants et lectivités locales partenaires.
rieur du classement de Shanghaï du développement institutionnel de candidatures d’étudiants a aug- vement peu sensibles aux classe- des étudiants de « Cela leur permet de justifier les in-
« ont un impact pratiquement nul de l’Association européenne des menté de 20 % », constate Sté- ments, mais aux Etats-Unis, « les vestissements qu’ils ont réalisés
sur l’établissement et la commu- universités (EUA). phane Gregoir, doyen et profes- étudiants sont habitués à les
haut niveau, un pour nous », explique Vincent
nauté universitaire », tranche Lau- En revanche, « être présent ou seur de l’école d’économie. consulter afin de pouvoir choisir cercle vertueux Dousset. « Le prestige d’un établis-
rent Buisson, le vice-président non dans ce classement est, dans la « Est-ce que cela vient de Shan- leur établissement dans un mar- sement le met en position de force
chargé du développement et des plupart des cas, le facteur le plus ghaï seul ? On peut penser que non, ché très concurrentiel », commen-
s’opère » pour discuter avec la tutelle admi-
partenariats économiques de important pouvant jouer sur la ré- tempère-t-il, c’est un élément te Ghislaine Filliatreau, déléguée ISABELLE HUAULT nistrative ou la collectivité territo-
l’université Pierre-et-Marie-Curie. putation d’une université », ajoute parmi d’autres. » Difficile, en effet, à l’intégrité scientifique de l’Insti- présidente de l’université riale partenaire », complète Bruno
Championne tricolore, l’UPMC Mme Loukkola. Son entrée dans le de savoir dans quelle mesure tut national de la santé et de la re- Paris-Dauphine (Top 400) Sire, président d’honneur de
oscille depuis dix ans autour de la Top 300 du classement de Shan- « l’effet Shanghaï » a joué auprès cherche médicale (Inserm) et an- l’université Toulouse-I-Capitole.
des étudiants plus que « l’effet Ti- cienne directrice de l’Observa- Mais il est difficile, là encore, de
role », du nom de l’économiste toire des sciences et techniques. Ça fait la différence », confirme « mesurer » cet « effet indirect » du
Six critères pour classer les universités Jean Tirole, président de l’école, De même, les étudiants asiati- Alain Bui, le vice-président aux classement de Shanghaï sur les
qui a décroché le prix de la Ban- ques « sont culturellement très relations internationales de l’uni- accords ou les financements.
Créé en 2003 par l’université Jiaotong, le classement de Shan- que de Suède en sciences écono- sensibles aux classements ». Dans versité de Versailles-Saint-Quen- Comme toutes les autres per-
ghaï établit un palmarès des 500 « meilleures » universités au miques, considéré comme le prix quelques rares pays (Brésil ou tin-en-Yvelines (UVSQ). sonnes interrogées, Bruno Sire in-
monde. Elles sont classées selon 6 critères, qui favorisent dans Nobel d’économie. Russie par exemple), les program- Pour permettre en 2016 le re- siste sur le poids et les effets de
les faits les universités de grande taille, comme celles des pays Dans cette école aux cursus in- mes de mobilité et les bourses au tour de l’UVSQ dans le Top 500 du plus en plus importants de l’autre
anglophones : le nombre de prix Nobel et de médailles Fields ob- ternationalisés (50 % d’étudiants départ peuvent même être in- classement de Shanghaï, après classement de Shanghaï, celui par
tenues par les anciens élèves et par les chercheurs, le nombre de étrangers en master 2, plus de dexés sur la position de l’univer- quatre années d’absence, une thématiques, publié en juin. « Il
chercheurs les plus cités dans leur discipline, le nombre d’arti- 70 % dans les programmes de sité d’accueil dans les grands clas- équipe spéciale a travaillé à corri- est plus précis, il va chaque année
cles publiés dans des revues scientifiques, le nombre d’articles doctorat), la hausse du nombre sements internationaux. ger le référencement des publica- un peu plus dans le détail de cha-
indexés dans Science Citation Index et Arts & Humanities Citation de candidatures permet d’élargir « Quand on recrute des étudiants tions scientifiques émanant des que discipline. C’est lui qui permet
Index. Il prend enfin en compte la « performance académique », le vivier de recrutement, et donc étrangers, ça leur parle directe- différents laboratoires de l’uni- vraiment de faire venir les bons
calculée en fonction de la taille de l’université. Aucun critère de sélectionner encore davantage ment lorsqu’on dit : “Nous sommes versité, ainsi que sur « la mise en chercheurs. » p
n’évalue la qualité de l’enseignement, ni le niveau des élèves. qu’avant les meilleurs profils. dans le classement de Shanghaï”. place d’une signature commune » séverin graveleau

Après dix ans d’autonomie, les campus toujours en quête d’équilibre

A la veille d’une nouvelle étape vers une plus grande indépendance, des universités, en difficulté, dénoncent le désengagement de l’Etat

U ne nouvelle étape de
l’autonomie des univer-
sités se profile, celle de la
sélection des étudiants, à propos
de laquelle le gouvernement
vient d’ouvrir le périlleux débat.
Les universités pourraient bien-
tôt avoir le droit de recruter leurs
élèves selon leurs propres critè-
res. Un pas supplémentaire, alors
qu’elles digèrent difficilement
leur première décennie d’autono-
mie renforcée.
Le 10 août 2007 était promul-
guée la loi relative aux libertés et
responsabilités des universités
(LRU), réforme majeure du quin-
quennat Sarkozy qui a transféré
aux établissements universitai-
res la maîtrise de leurs budgets et
de leurs ressources humaines,
jusque-là du ressort de l’Etat. « Il
était temps de donner à nos uni-
versités la liberté et les marges de
manœuvre dont disposent tous les
établissements des grands pays
de recherche et qu’elles deviennent
maîtres de leur destin », soutient
Valérie Pécresse (LR), qui a porté
cette loi comme ministre de l’en-
seignement supérieur.
Dix ans plus tard, le constat est
amer dans une partie de la com-
munauté universitaire. « Sans les
moyens financiers, ce n’est qu’une
autonomie de façade, tranche Sté-
phane Leymarie, secrétaire gé-
néral du syndicat Sup’Recherche
(UNSA). Les universités n’ont au-
cune marge, elles peuvent seule-
ment gérer la pénurie. »
Passer à une « autonomie réelle »
Dès les premières années du pas-
sage à l’autonomie des univer-
sités, des difficultés se sont fait
jour, avec des établissements en
déficit. Parfois en raison d’une
gestion hasardeuse, certains
ayant été plus cigales que four-
mis, avec des cas extrêmes,
comme Versailles-Saint-Quentin-
en-Yvelines, qui a frôlé la cessa-
tion de paiement. « Nous étions
au départ démunis, sans les outils
pour mener une véritable gestion
prévisionnelle dans nos établis-
sements », reconnaît Gilles Rous-
sel, à la tête de la Conférence des
présidents d’université. Mais
pour ce responsable, le bilan de
l’autonomie est globalement po-
sitif : « Cela a permis de faire évo-
luer les universités en termes
d’organisation, de gestion, de
proximité avec les personnels.
Nous pouvons désormais définir
une stratégie, la mettre en œuvre
et affirmer les spécificités de nos
établissements. »
La Conférence des présidents
d’université demande d’ailleurs
toujours davantage de liberté, par
exemple dans le recrutement
des enseignants-chercheurs, ac-
tuellement régulé par un cadre
national. Cette promesse figurait
au programme du candidat Ma-
cron, qui s’est engagé à « libérer
les énergies » à l’université et pas-
ser à une « autonomie réelle ». Seul
bémol, et non des moindres : « Les
moyens promis par l’Etat avec
l’autonomie ont été très rapide-
ment mis en suspens », souligne
Gilles Roussel. Dix ans plus tard,
une quinzaine d’universités se
trouvent dans une situation bud-
gétaire dégradée ou très dégra-
dée, d’après la note de la Cour des
comptes du 31 mai.
Avec une pression d’autant plus
forte que les enfants du boom dé-
mographique des années 2000
arrivent aux portes de l’enseigne-
ment supérieur, avec 30 000 étu-
diants supplémentaires par an,
depuis déjà trois ans. Et que le
budget de l’Etat ne progresse pas,
alors que les charges, dues notam-
ment à l’évolution de carrière des
personnels fonctionnaires, elles,
ne cessent de croître.
Les plans d’économies, de ré-
duction du nombre d’heures de
formation, de suppression de
postes se succèdent d’année en
année. Comme récemment en
Bourgogne, à Toulouse ou encore
à Limoges et Orléans. « On re-
trouve ce que l’Etat a fait avec les
collectivités territoriales : transfé-
rer les charges, sans les recettes
correspondantes, ni le pouvoir de
décision », estime Yann Bisiou, an-
cien vice-président de l’université
Paul Valéry-Montpellier-III.
« Lubies managériales »
Quant à l’objectif de faire briller
l’université sur la scène interna-
tionale, avancé par les promo-
teurs de la loi LRU, il apparaît en-
core éloigné. En tout cas au regard
de l’un des indicateurs brandis à
l’époque : le classement de Shan-
ghaï. « On n’a cessé de nous parler
du fameux classement de Shan-
ghaï pour justifier cette autono-
mie et les réformes qui l’ont ac-
compagnée avec les regroupe-
ments d’établissements ou encore
les investissements d’avenir. Ver-
dict : en dix ans, on fait moins bien,
avec quatre établissements classés
dans le top 100 en 2007, contre
trois aujourd’hui », relève sim-
plement l’enseignant-chercheur
de Montpellier-III.
Pour Valérie Pécresse, qui recon-
naît que l’objectif de la loi LRU n’a
été que « partiellement rempli », il
est nécessaire de « faire de l’uni-
versité une priorité nationale », au
niveau budgétaire, mais aussi de
manière générale, en invitant
plus fortement les organismes de
recherche et les grandes écoles à
s’en rapprocher. « Personne n’a eu
ce courage, on est resté au milieu
du gué », juge l’ancienne ministre.
« Il faut arrêter avec ces lubies
managériales, organisationnelles
ou de gouvernance, prévient Sté-
phane Leymarie. Nous avons un
modèle atypique, valorisons-le, et
recentrons-nous sur notre mis-
sion, que l’Etat a plutôt délaissée :
accompagner une classe d’âge de
plus en plus nombreuse dans l’en-
seignement supérieur. » p
camille stromboni
 france | 9
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

Le mobile confus du chauffard de Sept-Sorts ÉLYS ÉE

Macron porte plainte
contre un photographe
Emmanuel Macron a porté
plainte mardi 15 août pour
Le jeune homme qui a foncé en voiture dans une pizzeria tient des propos incohérents « harcèlement et tentative
d’atteinte à la vie privée » con-
tre un photographe de presse
qui l’aurait suivi sur son lieu

C
omme si ce scénario
semblait le plus proba-
ble, l’hypothèse d’un
geste terroriste a tra-
versé les esprits dans les premiers
moments qui ont suivi l’attaque à
la voiture-bélier d’une pizzeria à
Sept-Sorts, en Seine-et-Marne,
lundi 14 août, tuant une jeune
fille de 13 ans et blessant douze
autres personnes. Peu après
20 heures, un homme condui-
sant une BMW fonçait délibéré-
ment sur la terrasse de la pizzeria
Cesena et allait s’encastrer dans
ce restaurant où dînaient une
trentaine de clients.
Comme cet homme au volant
d’une BMW qui avait foncé, mer-
credi 9 août, sur des militaires de
l’opération Sentinelle à Levallois-
Perret (Hauts-de-Seine), comme
les attentats de Westminster et du
London Bridge à Londres, comme
les camions-béliers de la prome-
nade des Anglais de Nice et du
marché de Noël de Berlin. Au
cours des premières heures de sa
garde à vue, le chauffeur, David P.
aurait également déclaré détenir
une arme de type Kalachnikov
dans sa voiture, accréditant l’idée
d’un acte terroriste.
Rapidement, pourtant, la pré-
sence d’une arme a pu être exclue
et le mobile terroriste a été « tota-
lement écarté », a déclaré mardi
15 août le procureur adjoint de la
République de Meaux, Eric de Va-
lroger. Aucune trace de freinage
ou de collision n’ayant été rele-
vée, la thèse de l’accident a elle
aussi été mise de côté.
Médicaments et stupéfiants
Incapable, pour autant, d’établir
les motivations de David P., 32 ans,
le magistrat a annoncé qu’il ouvri-
rait mercredi 16 août une informa-
tion judiciaire afin d’« essayer de
déterminer le processus et de com-
prendre le passage à l’acte ». Alors
qu’il avait tenté de faire marche ar-
rière et été stoppé par des clients,
le conducteur a été interpellé sans
difficulté par des gendarmes, quel-
ques minutes après l’attaque, et
placé en garde à vue. Jusque-là, ses
déclarations ont été peu éclairan-
tes. « Les auditions s’avèrent très
compliquées et floues, a reconnu
M. de Valroger. L’intéressé tient des
propos incohérents. »
Le jeune homme a notamment
expliqué avoir consommé, la
veille de l’attaque et alors qu’il en-
visageait de se suicider, une pla-
quette d’Ibuprofène et un « tube
entier de Dafalgan codéiné »,
« tout en sachant que ces médica-
ments ne permettent pas de met-
tre fin à ses jours », a précisé le pro-
Au-delà de ces éléments, le pro-
David P . a fil de David P. reste difficile à cer-
déclaré qu’il ne ner. Se décrivant comme « hors
contrôle au moment des faits », il
connaissait pas devait subir un examen psychia-
ses victimes. trique avant la fin de sa garde à
vue. Le procureur évoque un « dé-
Une jeune fille lire de persécution ». L’homme « se
de 13 ans sent suivi », indique que « les gen-
darmes enquêtent sur lui », et a
est morte même avancé l’idée que s’il com-
mettait un acte pouvant le con-
duire en prison, il s’y sentirait « en
cureur. Il a ensuite assuré qu’il sécurité ».
voulait simplement « mieux dor- David P. habite la Ferté-sous-
mir ». Il dit aussi avoir tenté de se Jouarre, limitrophe du village de
suicider par le passé. David P. Sept-Sorts. Il travaillait comme
n’était en tout cas pas suivi sur le vigile il y a quelques mois, jusqu’à
plan psychiatrique, selon ses di- un accident du travail. Célibataire
res et ceux de « ses proches ». et sans enfants, il se décrit sur un
Il aurait encore assuré être « très site de rencontres comme ayant,
gros consommateur de stupé- d’un point de vue sentimental,
fiants » et ce, depuis l’âge de 9 ans. « beaucoup vécu ». Des clichés
Il a d’ailleurs été contrôlé positif viennent compléter ce profil
aux stupéfiants après le drame. Il comme ceux de sa berline et de
a également été condamné l’actrice Marion Cotillard, sem-
en 2010 pour conduite en état blant indiquer son idéal féminin
d’ivresse. d’un lapidaire « c ma femme ».
David P. a assuré lors de sa garde
à vue qu’il a décidé d’aller s’encas-
trer dans la pizzeria Cesena pres-
que sur l’instant, après avoir
d’abord envisagé de partir à Paris
et simplement parce que le res-
taurant se trouvait « sans sécurité
particulière » et « facile d’accès », a
rapporté le procureur de la Répu-
blique. Il a déclaré qu’il ne con-
naissait pas ses victimes.
Une jeune fille de 13 ans est
morte sur le coup. Cinq autres
personnes ont été grièvement
blessées parmi lesquelles son pe-
tit frère, son père et une femme
de 44 ans dont le pronostic vital
était engagé mardi soir. L’enquête
a été confiée aux gendarmes de la
section de recherches de Paris et
de la brigade de recherches de
Coulommiers. Les qualifications
de « meurtre aggravé » et de « ten-
tative de meurtre aggravé » ont
notamment été retenues contre
le conducteur, écartant à ce stade
l’idée d’un acte prémédité. p
julia pascual
de vacances à Marseille et se
serait montré insistant en
dépit de mises en garde. « Di-
manche, il s’est introduit sur la
propriété privée, ce qui a con-
duit à un dépôt de plainte »,
selon le service de communi-
cation de l’Elysée. – (AFP.)
N U C LÉAI R E
Incidents à Bure lors
d’une manifestation
Une manifestation contre le
projet Cigéo d’enfouissement
de déchets nucléaires a dégé-
néré en affrontements entre
les gendarmes et une partie
des 300 à 1 000 manifestants,
mardi 15 août, à Bure
(Meuse). Dans les rangs des
manifestants, on compte « six
blessés graves », a indiqué le
collectif des opposants. La
préfecture de la Meuse a pré-
cisé que deux gendarmes
mobiles avaient été blessés
par un « engin artisanal lancé
par les opposants ». – (AFP.)

Soupçons d’irrégularités
Artworks © 2015 ABKCO Music & Records, Inc. & Universal Music and Promotone B.V., sous licence exclusive Universal International Music B.V. - "ROLLING STONES" et Tongue and Lip Design Musidor B.V. - Visuels non contractuels. Photos © D.R. La collection complète compte 30 albums et 2 DVD.

sur la gestion
municipale d’Istres
La chambre régionale des comptes alerte sur
des marchés litigieux et la gestion du personnel

marseille - correspondant neurs évoqués par les juges finan-

ciers, « sa fille, c’est sa fille », répond

L’ histoire semble se répéter

à Istres (Bouches-du-
Rhône), commune de
44 000 habitants du pourtour de
l’étang de Berre. La gestion de son
maire, François Bernardini (di-
vers gauche), réélu depuis 2008,
fait l’objet de critiques au vitriol
de la part de la chambre régionale
des comptes, dont un rapport
d’observations définitives a été
rendu public le 7 août lors d’un
conseil municipal. M. Bernardini
est déjà visé par une enquête du
parquet national financier
ouverte en octobre 2016 pour fa-
voritisme. Un retour aux affaires
judiciaires pour cet ancien baron
du socialisme méridional, près de
vingt ans après de précédents dé-
sa directrice de cabinet.
Dans un long monologue de-
vant le conseil municipal, le maire
a dénoncé un « document rédigé
très à charge » et « partial ». Cet an-
cien rugbyman fera valoir son
droit à la rectification et a d’ores et
DÉCOUVREZ LES ALBUMS ORIGINAUX
DES ROLLING STONES DANS UNE
déjà annoncé qu’il saisirait le tri-
bunal administratif si la chambre
régionale des comptes venait à re-
fuser ses rectificatifs. « Face à des
éléments un peu douteux, on a tiré
le fil », précise-t-on à la présidence
FABULEUSE COLLECTION INÉDITE !
de l’institution financière qui évo-
que « une procédure classique et
non pas un sort particulier ».
« Pratiques généreuses »
La critique est aussi acerbe au cha-
pitre de la gestion du personnel
CD N°1 9 SEULEMENT

,99¤
ALBUM REMASTÉRISÉ

mêlés et une traversée du désert. qui « souffre de nombreuses ano-

Les juges financiers ont passé au
crible la gestion de la commune de
2007 à 2015. Au chapitre de la com-
mande publique, ils relèvent ainsi
que François Bernardini a été asso-
cié dans des sociétés civiles immo-
bilières avec deux entrepreneurs
istréens majoritairement attribu-
taires de marchés de la commune.
La chambre « alerte sur les ris-
ques de conflits d’intérêts résultant
de ces liens d’affaires (…), risques
d’autant plus importants que le
malies et irrégularités le plus sou-
vent commises de façon délibérée ».
A Istres, les agents municipaux bé-
néficient de dix-sept jours de con- STICKY FINGERS
gés non réglementaires, dont dix
jours dits « du maire ». Au titre des Une pochette sulfureuse et une énergie incroyable.
Un album grandiose qui témoigne de la prodigieuse complicité
« pratiques de gestion du personnel
entre les membres du groupe. Inclus « Brown Sugar »,
particulièrement généreuses sinon
« Wild Horses », « Sister Morphine »...
irrégulières », les juges financiers
pointent l’octroi d’heures supplé-
mentaires douteuses ou encore le
paiement d’astreintes. « Le service
public offert à Istres est très supé- TM

contrôle de la juridiction a montré rieur à celui d’autres communes de

que, sur plusieurs points, les condi-
tions d’attribution d’au moins
deux marchés à des entreprises di-
rigées par les intéressés ont été liti-
gieuses », lit-on au fil des 166 pa-
ges du rapport. L’une des entre-
prises, dirigée par l’époux d’une
adjointe de François Bernardini, a
été attributaire de 100 % des mar-
chés de la commune auxquels elle
a soumissionné.
François Bernardini rétorque
la même strate », contrecarre la di-
rectrice de cabinet.
L’opposition boit du petit-lait :
« Je crains que votre prochain man-
dat soit un mandat d’arrêt », a lancé
Robin Prétot (LR) au maire lors du
conseil municipal. Elu conseiller
municipal pour la première fois
en 1977, M. Bernardini a été con-
damné en appel en 2001 pour abus
de confiance à dix-huit mois de
prison avec sursis et à cinq années

qu’il n’a été associé avec les entre-
preneurs que durant sa période
d’inéligibilité ou dans des sociétés
n’ayant pas eu d’activité. Quant
aux quatre SCI dans lesquelles sa
fille est associée aux entrepre-
EN KIOSQUE LE 17 AOÛT
d’inéligibilité. Il avait été élu maire
la même année, malgré son exclu-
sion du PS et une première con-
damnation au tribunal correction-
nel l’année précédente. p
luc leroux
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
10 |
Au Mexique, l’angoisse de la refonte de l’Alena
L’enjeu est de taille à San Luis Potosi, devenu grâce à l’accord un fleuron de l’industrie automobile du pays
REPORTAGE
san luis potosi (mexique) -
envoyé spécial
A
u fond du nouveau
parc industriel WTC II
de la ville de San Luis
Potosi, située à 400 ki-
lomètres au nord-ouest de
Mexico, plane une atmosphère de
désolation. Seule la charpente
métallique d’un hangar fantoma-
tique émerge de 280 hectares de
terre battue entourés de brous-
sailles et de cactus. C’est là que
Ford avait lancé, en 2016, la cons-
truction d’une cinquième usine
au Mexique.
En janvier, le géant de l’automo-
bile a stoppé le chantier, renon-
çant à un investissement de
1,6 milliard de dollars (1,36 mil-
liard d’euros) sous la menace de
représailles douanières, annon-
cées par le nouveau président
américain, Donald Trump, contre
les constructeurs qui délocalisent
au Mexique.
Alors que s’ouvre, mercredi
16 août à Washington, la renégo-
ciation de l’Accord de libre-
échange nord-américain (Alena),
en vigueur depuis 1994 entre le
Mexique, les Etats-Unis et le Ca-
nada, les industriels et les habi-
tants de San Luis Potosi retiennent
leur souffle. M. Trump menace
d’abroger l’Alena, accusant l’ac-
cord d’avoir provoqué la suppres-
sion de milliers d’emplois améri-
cains. L’enjeu est de taille pour la
région, fleuron automobile d’un
pays dont 80 % des exportations
sont destinées aux Etats-Unis.
« Incertitude »
« D’autres constructeurs suivront-
ils l’exemple de Ford ?, s’inquiète
Vicente Rangel Mancilla, proprié-
taire du parc industriel WTC II, vic-
time d’un premier effet domino.
Onze fournisseurs ont annulé leur
implantation alors que d’autres gè-
lent leurs investissements. » A San
Luis Potosi (1,3 million d’habi-
tants), capitale de l’Etat du même
nom, l’automobile représente les
deux tiers de l’industrie. Le sec-
teur est dopé par l’Alena, qui a sup-
primé les droits de douane entre
les trois pays d’Amérique du Nord,
faisant exploser le commerce tri-
latéral de 290 milliards de dollars
à plus de 1 000 milliards de dollars
en vingt-trois ans.
L’annulation du projet de Ford a
provoqué une crise dans le village
de San Vicente, juste à côté du
WTC II. « J’ai perdu mon travail sur
le chantier et mes enfants l’espoir
de travailler chez Ford », soupire
Miguel Ramirez, maçon de 45 ans.
Le constructeur devait créer 2 800
« L’objectif principal de Trump n’a pas de cohérence économique »
Chad Bown, ex-conseiller d’Obama, estime illusoire pour Washington de vouloir réduire son déficit commercial en renégociant l’Alena
ENTRETIEN
E xpert au think tank Peter-
son Institute et ex-conseil-
ler de Barack Obama pour
les questions commerciales, Chad
Bown redoute que l’administra-
tion Trump ne se serve de la rené-
gociation de l’Alena pour établir
des barrières commerciales vis-à-
vis du Mexique et du Canada.
L’objectif de l’administration
Trump, en renégociant l’Alena,
serait de réduire le déficit
commercial. Est-ce possible ?
Non, le déficit commercial d’un
pays tient à des éléments plus gé-
néraux de politique macroécono-
mique. C’est d’abord son niveau
d’épargne et d’investissement qui
détermine sa balance commer-
ciale. L’analyse est encore plus
complexe pour les relations bilaté-
La construction
de l’usine Ford,
à San Luis
Potosi,
dans le centre
du Mexique,
a été arrêtée
en janvier.
Le géant de
l’automobile
américain
devait investir
1,6 milliard
de dollars.
PEDRO PARDO/AFP
ÉTATS-UNIS
MEXIQUE
Golfe
San Luis Potosi du Mexique
Mexico
OCÉAN PACIFIQUE
500 km
emplois directs et 10 000 indirects
dans une région où 74 % de la pro-
duction automobile s’exportent
aux Etats-Unis et 10 % au Canada.
Non loin de là, la valse des ca-
mions donne pourtant le tournis à
l’entrée du parc industriel Logistik,
qui accueille l’usine de General
Motors (GM). « C’est l’incertitude
mais pas la psychose », rassure
Adrian Silva, gérant d’Advanced
Assembly Products (AAP), fournis-
seur de pièces de châssis pour GM,
implanté à quelques mètres de
son client. Dans son hangar de
50 000 mètres carrés, cinq presses
produisent un million de pièces
rales. Etre en déficit ou en excé-
dent vis-à-vis d’un autre pays ré-
sulte souvent d’avantages compa-
ratifs : par exemple, les Etats-Unis
veulent importer des produits
agricoles du Mexique car ils ne les
produisent pas eux-mêmes.
On ne sait pas à quel point l’ad-
ministration américaine prend au
sérieux cet objectif de réduction.
Mais cela peut devenir inquiétant
s’il est inscrit tel quel dans l’accord
et associé à des politiques contrai-
gnantes. Il est impossible de vou-
loir parvenir à un solde commer-
cial équilibré via un traité de libre-
échange. A moins que Trump
veuille faire des Etats-Unis une
économie planifiée où sera décidé
à l’avance ce que le pays peut ache-
ter et ce qu’il peut vendre…
Au début, Donald Trump
menaçait de démanteler cet
par mois dans un brouhaha as-
sourdissant. M. Silva se rassure en
rappelant que BMW maintient
l’ouverture, en 2019, d’une usine à
San Luis Potosi. « Mais des risques
pèsent sur les projets à venir. »
Le président américain martèle
que l’Alena est « le pire accord de
l’histoire ». En 1992, la balance
commerciale entre les Etats-Unis
et le Mexique était favorable à
Washington, avec un solde positif
de 1,6 milliard de dollars.
Aujourd’hui, le déficit américain
s’élève à 64 milliards. Pour rééqui-
librer la balance, M. Trump me-
nace d’imposer jusqu’à 35 % les
voitures produites au Mexique.
Depuis 1994, San Luis Potosi a
suivi l’exemple du nord du pays,
où sont apparues les « maquilado-
ras », ces usines d’assemblage qui
montent à bas coût des écrans
plasma ou des réfrigérateurs desti-
nés aux marchés américain ou ca-
nadien. En vingt-trois ans, le Mexi-
que a vu ses exportations bondir
de plus de 500 %, dopées par le
boom de l’automobile. Avec sa
main-d’œuvre bon marché et sa
proximité avec le marché améri-
accord. Ce qu’il propose n’est-il
pas plus modéré ?
Je suis partagé, car il y a d’autres
aspects préoccupants dans ce que
propose Washington. Par exem-
ple, l’administration Trump veut
éliminer un mécanisme d’arbi-
trage des disputes commerciales.
C’est une disposition que les Cana-
diens ont souhaitée dès l’origine et
qui vise à préserver l’ouverture des
marchés. Elle empêche de s’atta-
quer trop facilement aux entrepri-
ses exportatrices des pays parte-
naires en leur imposant des droits
antidumping ou compensatoires.
Mais Donald Trump voudrait jus-
tement avoir les mains plus libres
pour établir des barrières com-
merciales. Il ne faut pas prendre
cette menace à la légère.
L’Alena a 23 ans. Ne fallait-il pas
mettre à jour ce traité ?
cain, le pays a attiré presque tous
les grands constructeurs (hormis
Peugeot). Au point de devenir le
quatrième exportateur et le sep-
tième fabricant mondial de voitu-
res (50 milliards de dollars de chif-
fre d’affaires en 2016).
« Economies interdépendantes »
A San Luis Potosi, 275 fournisseurs
automobiles sont implantés dans
les sept parcs industriels situés en
périphérie de la ville. Le secteur y
emploie 130 000 salariés, en lien
avec des universités créant un
pôle de compétitivité qui re-
groupe les Etats limitrophes de
Querétaro, Guanajuato et Aguas-
calientes. Baptisée « El Bajio »,
cette région industrielle a aussi la
cote auprès des investisseurs de
l’agroalimentaire, de l’électroni-
que et de l’aéronautique.
De 2010 à 2016, l’Etat a capté
7 milliards de dollars d’investisse-
ments étrangers. « De quoi nous
permettre de développer l’éduca-
tion, l’innovation et les infrastruc-
tures », se félicite Gustavo Puente,
ministre du développement éco-
nomique de San Luis Potosi. Situé
Oui, c’est vrai. Sur les questions
sociales et environnementales,
par exemple, il est bon de dévelop-
per de nouvelles règles.
Après, la question est de savoir si
cette renégociation n’est pas es-
sentiellement un moyen pour
Washington de se donner les cou-
dées franches pour mener une po-
litique plus protectionniste vis-à-
vis du Canada et du Mexique.
Washington semble vouloir
faire de la nouvelle version
de l’Alena un modèle pour de
futurs accords commerciaux…
Oui, et on en a la preuve avec la
question des monnaies. Washing-
ton veut intégrer une disposition
visant à prévenir les manipula-
tions de devises. De telles prati-
ques ne concernent pas le Canada
ni le Mexique. Mais l’inscrire dans
l’Alena fera référence si on doit né-
sur les hauteurs de la ville, son bu-
reau offre une vue imprenable
sur les golfs et les centres com-
merciaux prisés par les familles
aisées et les classes moyennes
montantes. Une expansion ful-
gurante qui alimente les attaques
de M. Trump contre l’Alena.
Le bilan semble pourtant mitigé.
« J’arrive à peine à faire vivre ma fa-
mille », confie César Marquez,
gaillard de 38 ans, rencontré dans
la ville voisine de Villa de Reyes
(55 000 habitants), où la moitié de
la population active travaille dans
l’automobile. Cet opérateur chez
un fournisseur de GM gagne
210 pesos (10,50 euros) par jour,
soit six à huit fois moins qu’aux
Etats-Unis. Pour Flavio Rafael Gon-
zalez, économiste à l’université de
80 % des
exportations
du pays sont
destinées aux
Etats-Unis
gocier à l’avenir des accords com-
merciaux avec d’autres pays pour
lesquels c’est une question problé-
matique, notamment la Chine.
En cas d’échec, les Etats-Unis
se retireraient-ils de l’Alena ?
Il y a toujours un risque avec Do-
nald Trump qu’il prenne des me-
sures allant à l’encontre de toute
logique économique. Surtout
dans la mesure où l’objectif qu’il
s’est fixé pour cette renégociation
n’a pas de cohérence économi-
que. Mais ce serait dangereux,
tant l’économie américaine est
aujourd’hui interconnectée aux
économies canadienne et mexi-
caine. Si on commence à appliquer
des droits de douane et à restrein-
dre les importations des uns et
des autres, cela augmentera les
coûts pour les entreprises et les
rendra moins compétitives.
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
San Luis Potosi, « l’Alena n’a pas
tenu sa promesse de réduire les iné-
galités. Un Mexicain sur deux est
resté pauvre. Les gouvernements
successifs ont maintenu des salai-
res bas sans développer les secteurs-
clés de l’économie nationale ».
Sa dépendance envers son puis-
sant voisin place le Mexique dans
une position de faiblesse lors du
premier round de négociations,
prévu jusqu’au dimanche 20 août.
Pourtant, Jaime Chalita, président
de la Coparmex, la confédération
patronale de San Luis Potosi, reste
optimiste : « Des taxes douanières
importantes provoqueraient des
pertes d’emplois aussi aux Etats-
Unis puisque les deux économies
sont interdépendantes. »
Même sérénité chez Alejandra
Ramirez, directrice commerciale
du transporteur Egoba : « Au final,
les menaces protectionnistes de
M. Trump seront peut-être un mal
pour un bien en obligeant le Mexi-
que à développer davantage son
marché intérieur et à diversifier ses
échanges en direction de l’Europe
et de l’Asie. » p
frédéric saliba
M. Trump a qualifié l’Alena
de catastrophe. Qu’en est-il ?
En fin de compte, ses effets ont
été relativement limités. Certaines
personnes ont perdu leur emploi.
Des usines ont fermé ou dé-
ménagé au Mexique. Mais dans la
plupart des cas, ces emplois, ces
usines, auraient disparu de toute
façon, à cause d’autres forces à
l’œuvre comme l’automatisation,
la robotisation, l’innovation. Mais
il est plus facile pour les politiques
de mettre la responsabilité de ces
destructions sur le dos des étran-
gers. L’Alena a eu des retombées
positives, mais elles n’ont pas été
énormes non plus. Il ne faut pour-
tant pas s’y tromper : ce n’est pas
parce que ses effets ont été modes-
tes que s’en retirer n’aurait pas un
impact massif sur l’économie. p
propos recueillis par
marie de vergès

0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
La demande intérieure soutient
la croissance allemande
La progression régulière de l’activité est une bonne nouvelle pour
Angela Merkel, candidate pour un quatrième mandat à la chancellerie
berlin - correspondance
A
ngela Merkel ne peut
que s’en féliciter. Alors
que la chancelière
vient de commencer
sa campagne électorale pour bri-
guer un quatrième mandat, l’éco-
nomie allemande affiche une so-
lide progression de son produit
intérieur brut (PIB) : + 0,6 % au
deuxième trimestre, après un
bon départ sur les trois premiers
mois de l’année (+ 0,7 %).
La première économie de la
zone euro poursuit sans faiblir un
cycle de croissance démarré
en 2013. Les instituts de conjonc-
ture du pays tablent sur une
hausse du PIB de 1,5 % à 1,8 % cette
année, et de 1,8 % à 2 % en 2018.
« La croissance de l’économie alle-
mande se poursuit au deuxième
trimestre 2017 avec une dynami-
que presque inchangée », s’est féli-
cité le ministère de l’économie,
mardi 15 août, à la publication des
chiffres.
Entre avril et juin, les impul-
sions positives sur l’activité sont
essentiellement venues de la
consommation intérieure, a pré-
cisé l’institut de statistiques
Destatis, mardi. Les ménages et
l’Etat ont nettement augmenté
leurs dépenses, et les investisse-
ments ont progressé : notam-
ment dans les biens d’équipe-
ment et dans la construction.
Sur le plan du commerce exté-
rieur, Destatis souligne que les
importations ont plus progressé
que les exportations. L’excédent
du commerce extérieur, pomme
La justice européenne devra examiner
les rachats de dette de la BCE
Les juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, la plus
haute juridiction allemande, s’interrogent sur le bien-fondé
du programme d’« assouplissement quantitatif » (quantitative
easing) mené depuis 2015 par la Banque centrale européenne
(BCE). Mardi 15 août, la Cour a fait part de ses « doutes » sur
le fait que le rachat de titre de dettes d’Etats de la zone euro par
la BCE « soit compatible avec l’interdiction de financement des
Etats via la politique monétaire ». Elle a saisi à ce sujet la Cour
européenne de Luxembourg. La plainte émanait d’universitaires
et d’élus allemands. Elle a peu de chances d’aboutir.
L’envolée de la dette chinoise inquiète le FMI
Le pays peine à passer à une croissance tirée par la consommation intérieure et les services
shanghaï - correspondance
B ien que la Chine affiche
une croissance meilleure
que prévu, l’état de son
économie inquiète le Fonds mo-
nétaire international (FMI). L’or-
ganisation internationale estime
que le pays ne fait pas assez d’ef-
forts et continue à s’endetter alors
qu’il devrait assainir ses finances.
« Les perspectives de la croissance
chinoise à court terme se sont
renforcées, mais c’est au prix de
risques accrus à moyen terme »,
mettent en garde les experts du
FMI, dans une note publiée mardi
15 août.
C’est le paradoxe de la crois-
sance chinoise : les bons chiffres
des deux premiers trimestres
2017 (6,9 % à chaque fois) rassu-
rent les Bourses et les investis-
seurs, mais inquiètent les écono-
mistes qui s’intéressent aux fon-
damentaux de son économie.
C’est là que le bât blesse. Selon le
Fonds, ce sont toujours les inves-
tissements dans les infrastructu-
res et l’immobilier qui font tour-
ner la « vieille économie » chi-
noise : l’industrie lourde, la pro-
CROISSANCE TRIMESTRIELLE DU PIB ALLEMAND, EN %
0,6
0,4 0,4
0,3
0,1
T1 T2 T3 T4 T1
2015
de discorde régulière entre l’Alle-
magne, les Etats-Unis et certaines
institutions comme la Commis-
sion européenne et le Fonds mo-
nétaire international (FMI), a
donc baissé au deuxième trimes-
tre. Là encore, c’est une bonne
nouvelle pour Angela Merkel.
Retour en force de l’industrie
Sur l’ensemble du semestre, les
économistes notent que l’indus-
trie est en train de reprendre la
fonction de moteur principal de
la conjoncture. Ces dernières an-
nées, dans un contexte de crois-
sance mondiale atone, en particu-
lier dans la zone euro, la produc-
tion manufacturière avait affiché
des performances décevantes.
C’est la consommation inté-
rieure, dopée par la vigueur du
marché du travail, qui avait joué le
rôle de relais de croissance. L’ac-
duction d’acier, de ciment, etc.
D’après l’agence Bloomberg, les
investissements d’infrastructu-
res représentent 22 % du total des
investissements en actifs fixes en
Chine, soit plus qu’en 2009, au
moment du lancement d’un
vaste plan de relance destiné à
surmonter la crise.
Plus de réformes structurelles
La Chine, toutefois, est parvenue à
stabiliser son économie et fait des
efforts pour limiter le surendette-
ment et les surcapacités dans
certains domaines très touchés,
comme l’acier et le charbon.
« D’importantes mesures de régu-
lation et de supervision ont été pri-
ses contre les risques du secteur fi-
nancier, et la dette des entreprises
progresse moins vite, reflétant des
initiatives de restructuration et de
réduction des surcapacités », sou-
ligne le rapport. Depuis le début
de l’année, les autorités se sont at-
taquées à la finance de l’ombre
(« shadow banking »), en particu-
lier aux produits de gestion de
fortune proposés par les banques
et les assureurs chinois, qui repré-
sentent des milliards d’euros.
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
T2 T3 T4 T1
2016 2017
SOURCE : DESTATIS
cueil des réfugiés avait fortement
stimulé les dépenses de l’Etat. La
faiblesse des taux d’intérêt avait
tiré le secteur de la construction à
des niveaux jamais observés
depuis des décennies.
Sans que la consommation inté-
rieure faiblisse, le premier semes-
tre a vu un retour en force de l’in-
dustrie : la production manufactu-
rière a affiché cinq mois de hausse
d’affilée de janvier à mai. Elle a
progressé de 1,3 % sur l’ensemble
du semestre. Les produits « made
in Germany », en particulier les
biens d’équipements comme les
machines et les produits chimi-
ques, profitent du réchauffement
de la croissance mondiale, en par-
ticulier dans la zone euro.
Malgré la baisse inattendue des
exportations au mois de juin,
considérée comme un simple
écart statistique, les experts ta-
blent sur une poursuite de cette
dynamique de croissance dans
l’industrie aux troisième et qua-
trième trimestres. L’indicateur
IFO du moral des industriels a, en
juin, atteint son plus haut niveau
depuis la réunification. « Les car-
nets de commandes ainsi que les
mesures du moral des entreprises
indiquent que la tendance à la
hausse de la production indus-
trielle va se maintenir », a précisé
le ministère de l’économie.
Reste que la croissance est
modérée par rapport à d’autres
La croissance au premier semes-
tre 2017 a dépassé les attentes des
économistes, notamment grâce
aux retombées de l’envolée de
l’immobilier. Dans certaines
grandes villes, les prix ont aug-
menté de plus de 30 % en 2016,
faisant les affaires des grands pro-
moteurs. « Si on regarde la struc-
ture de l’endettement en Chine, il y
a du progrès : les nouvelles dettes
accumulées cette année l’ont sur-
tout été par les promoteurs et par
les ménages. Avant, elles étaient le
fait d’entreprises qui ne survivent
que grâce au crédit », analyse Hao
Hong, directeur de la recherche à
la Bank of Communications In-
ternational.
En revanche, la transition vers
une économie reposant davan-
tage sur la consommation inté-
rieure et les services tarde à se
concrétiser. Pour accélérer le pro-
cessus, le FMI recommande à
Pékin de mettre en œuvre davan-
tage de réformes structurelles
visant à libéraliser l’économie. De
nombreux secteurs d’activité (in-
dustrie lourde, banque, télécoms,
énergie…) restent dominés par
des grandes entreprises d’Etat. Or,
économie & entreprise | 11
grandes économies comme le
Japon ou les Etats-Unis. Le pays
n’observe pas de hausse signi-
ficative de ses prix et de ses salai-
res. Les investissements restent li-
mités. « En comparaison des cycles
de croissance précédents, la pro-
gression des exportations et de la
production industrielle reste limi-
tée », soulignent les experts de
l’institut IFO dans leur rapport du
mois de juin.
« Croissance stable »
T2
Ils soulignent cependant que cet
effet, couplé à la vigueur de la con-
sommation intérieure, produit
une croissance exceptionnelle-
ment stable en Allemagne. « Les
variations de taux de croissance
d’un trimestre à l’autre sont à un
plus bas historique. Même dans les
phases de modération, au milieu
des années 1980 et de récession, à
la fin des années 1990, la crois-
sance n’était pas, à ce point, mar-
quée par la stabilité », poursuivent
les économistes de Munich.
« Croissance stable », le mot
n’est pas pour déplaire à Angela
Merkel, qui peut, par ailleurs, se
prévaloir de la poursuite de la
baisse du chômage. Ce taux, qui
s’élevait à 6,1 % en 2016, est ac-
tuellement à 5,7 % et devrait bais-
ser à 5,5 % en 2018. Si la dynami-
que de création d’emplois de ces
dernières années doit légère-
ment perdre de sa vigueur dans
les prochains mois, les experts
tablent sur une hausse du nom-
bre des actifs de près de 600 000
cette année et de près de 400 000
en 2018.
Le secteur manufacturier, en
particulier, recrute. Selon les chif-
fres publiés mardi par Destatis, le
nombre de salariés dans le sec-
teur a progressé de 1,6 % entre
juin 2016 et juin 2017, essentielle-
ment grâce à l’industrie agroali-
mentaire et à l’électronique, qui
accélèrent leurs recrutements.
L’industrie dans son ensemble
emploie actuellement 5,5 mil-
lions de personnes. C’est le plus
haut niveau jamais enregistré de-
puis 2005. p
cécile boutelet
ces dernières, malgré les promes-
ses de l’exécutif de laisser plus de
place au marché, restent peu sou-
mises à la concurrence et très peu
productives. Pire, les « entreprises
zombies », maintenues en vie
seulement grâce à des crédits
quasi illimités, ont capté 14 % des
prêts distribués à l’industrie
en 2016, contre 4 % en 2011.
Le Fonds exhorte aussi Pékin à
augmenter ses dépenses sociales,
pour libérer la consommation
des ménages, qui mettent de l’ar-
gent de côté pour pourvoir à
d’éventuelles dépenses de santé.
Si la nouvelle économie ne
prend pas assez vite le relais, la
Chine en paiera les conséquen-
ces. Selon le FMI, en effet, « le prin-
cipal coût [de la croissance ac-
tuelle], c’est un accroissement plus
important de l’endettement privé
et public », un phénomène « sou-
vent associé à des crises financiè-
res ». Le réveil pourrait arriver
vite : « L’immobilier commence à
ralentir, les investissements bais-
sent. La situation pourrait être
bien pire à partir de mi-2018 »,
estime Hao Hong. p
simon leplâtre
Lâchée par son
actionnaire Etihad,
Air Berlin dépose le bilan
Lufthansa pourrait reprendre des activités
de la deuxième compagnie allemande
berlin - correspondance
A u terme d’un long cal-
vaire, Air Berlin a finale-
ment déposé son bilan,
mardi 15 août. L’ironie a voulu
que la compagnie, qui avait fait
fortune avec ses liaisons vers
Majorque, destination populaire
en Allemagne, termine sa course
au milieu de l’été. Pour éviter de
gâcher les vacances de milliers
d’Allemands à six semaines des
élections, Berlin a accordé à la
compagnie un prêt d’urgence
pour maintenir le trafic pour trois
mois et tenter de trouver un
repreneur.
C’est l’actionnaire principal, la
compagnie d’Abou Dhabi, Etihad,
propriétaire de 30 % du capital, qui
a donné le coup de grâce. En refu-
sant, mercredi 9 août, d’accorder à
la deuxième compagnie alle-
mande un versement de 50 mil-
lions d’euros, elle ne lui a laissé
aucune autre échappatoire que le
dépôt de bilan. Air Berlin, s’est jus-
tifié Etihad, a manqué les objectifs
qu’elle s’était elle-même fixés. Plus
largement, la stratégie de la com-
pagnie arabe de multiplier les par-
tenariats européens a échoué. Ali-
talia, sa deuxième plus grosse par-
ticipation, a également fait faillite.
Sauver les meubles
La compagnie allemande accu-
mulait les déficits depuis des an-
nées. Elle a accusé, en 2016, une
perte opérationnelle record de
667 millions d’euros. Le déclin
était devenu évident en 2013 : l’en-
treprise, qui avait affiché, en 2012,
le chiffre d’affaires le plus impor-
tant de son histoire, à 4,3 milliards
d’euros, n’avait été capable de dé-
gager qu’un bénéfice minime, à
7 millions d’euros.
Après cette date, Air Berlin a vu
sa situation financière se dégra-
der rapidement, en même temps
que son chiffre d’affaires. En 2016,
il est repassé sous son niveau de
2010, à 3,8 milliards d’euros. Les
efforts de redressement entrepris
se sont finalement brisés en
mars : le changement de presta-
taire de services au sol, le nouveau
étant apparemment dépassé par
AGR OALI MEN TAI R E
Le fonds activiste
Corvex serait entré
au capital de Danone
Selon Bloomberg, le fonds
activiste américain Corvex
Management a pris une parti-
cipation dans le groupe agro-
alimentaire français Danone.
Ces rumeurs ont fait grimper
l’action Danone, qui a pro-
gressé de 2,31 %, lundi 14 août,
et de 1,04 %, mardi 15 août, à la
Bourse de Paris. Corvex, qui
n’a pas confirmé, aurait
acheté pour 400 millions de
dollars (341 millions d’euros)
d’actions Danone, soit près de
0,8 % du capital.
CON J ON CT U R E
La Chine est redevenue
le premier créancier
des Etats-Unis
En juin, la Chine a réalisé ses
plus importants achats de
bons du Trésor américain
(pour 1 147 milliards de dol-
lars) depuis six ans, selon les
chiffres publiés mardi 15 août
par l’administration améri-
caine. Elle reprend ainsi au Ja-
pon le titre de premier créan-
cier des Etats-Unis. – (AFP.)
La dette des ménages
américains dépasse
son record de 2008
A la fin du deuxième trimes-
tre, la dette des ménages
la charge de travail, a entraîné une
multiplication des retards et des
annulations de vols. La situation
était devenue intenable.
Mardi, le ministère de l’écono-
mie a annoncé qu’un prêt d’ur-
gence de 150 millions d’euros avait
été accordé à Air Berlin, assorti
d’une garantie d’Etat. Cet argent
permet à la compagnie de mainte-
nir ses vols ces trois prochains
mois. Un temps précieux pour
tenter de sauver les meubles :
après une faillite, les droits de tra-
fic sont normalement remis sur le
marché. Sans aide de l’Etat, ils
auraient rapidement été rachetés
par une compagnie concurrente,
qui n’aurait sans doute pas repris
les salariés laissés au chômage.
Or, 8 500 personnes travaillent
pour Air Berlin, dont 7 200 en Alle-
magne. Un plan social de cette am-
pleur à six semaines des élections
n’était pas tenable pour le minis-
tère de l’économie, dirigé par le
Parti social-démocrate. Le syndi-
cat IGL, qui représente les salariés
de la compagnie, a immédiate-
ment salué la décision, de même
que le syndicat des pilotes Cockpit.
« Les emplois chez Ryanair ne sont
pas une solution pour le pays et
pour les gens », a déclaré Nicoley
Baublies, syndicaliste chez IGL.
Le sauveur pourrait être
Lufthansa, qui a déjà déclaré son
intention de reprendre certaines
des activités d’Air Berlin. Il a exclu
une reprise complète de la com-
pagnie, arguant de son haut ni-
veau d’endettement, mais il pour-
rait se porter acquéreur des
liaisons longue distance, incluant
le personnel concerné.
« Nous savons que des négocia-
tions sont actuellement en cours
entre Air Berlin et Lufthansa, a dé-
claré la ministre de l’économie,
Brigitte Zypries, mardi, à Berlin.
Elles se déroulent de façon encou-
rageante et pourraient aboutir
dans les prochains mois. » Deux
autres compagnies pourraient
également entrer en négociation,
a déclaré le ministre des trans-
ports, Alexander Dobrindt, au
quotidien Handelsblatt, sans don-
ner plus de précisions. p
c. bt
américains a culminé à
12 840 milliards de dollars, se-
lon les chiffres publiés mardi
15 août par la Réserve fédérale
de New York. Composée de
prêts hypothécaires, elle dé-
passe le précédent sommet
de 12 680 milliards de dollars
atteint à la fin du troisième
trimestre 2008, en pleine
crise financière. – (AFP.)
La croissance portugaise
a ralenti au deuxième
trimestre
Le produit intérieur brut (PIB)
du Portugal a progressé de
0,2 % au deuxième trimestre,
après 1 % au premier, selon
les statistiques officielles pu-
bliées lundi 14 août. En glisse-
ment annuel, la hausse du
PIB atteint 2,8 %, soit son plus
haut niveau depuis fin 2007.
F I N AN C E
Wells Fargo remanie son
conseil d’administration
La banque américaine Wells
Fargo, qui se débat dans un
scandale sur l’ouverture de
comptes fictifs, a remanié,
mardi 15 août, son conseil
d’administration, en nom-
mant notamment à sa tête
une ex-gouverneure de la Ré-
serve fédérale, Elizabeth Duke.
Elle succédera à Stephen
Sanger, qui partira le 1er jan-
vier 2018. – (AFP.)
12 |
CULTURE
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

Fulvio Ferrari ramène des « moines » dans son lit

ART-MANIAQUES 8|11 Le galeriste turinois collectionne les chauffe-lits électriques, dont la pureté des lignes le fascine

turin - envoyée spéciale

M
ets le moine dans le
lit. » Voilà une
phrase qui pourrait
faire froncer quel-
ques sourcils, mais certainement
pas ceux de Fulvio Ferrari. Et pour
cause : le Turinois possède l’une
des seules collections de moines
au monde. Dieu soit loué,
l’homme ne défroque pas com-
pulsivement les gens d’église ; il
s’intéresse plutôt aux petits radia-
teurs mobiles utilisés pendant les
mois d’hiver pour chauffer les
draps et chasser l’humidité. « Ici,
en Piémont, on appelait ça des
preti, des “prêtres”. Dans l’Italie
méridionale, on préférait le terme
de monaca, “moine”. C’est ironi-
que, bien sûr, mais pas dénué de
sens : c’est une présence fantôme
qui s’introduit dans le lit, il y a un
côté presque mystique », indique
patiemment Fulvio Ferrari.
Chimiste de formation, ancien
chef d’entreprise et barman,
aujourd’hui designer, galeriste et
restaurateur, Fulvio Ferrari est
aussi un pétulant orateur, perpé-
tuant avec fougue la mémoire de
Carlo Mollino (1905-1973), génie
du novecento turinois, dont il a ra-
cheté la maison en 1999.
Avec son fils Napoleone, Fulvio
organise des visites guidées de ce
qui est devenu le musée le plus in-
solite de Turin, méconnu du
grand public mais fréquenté par
des artistes du monde entier –
après Patti Smith, Madonna aurait
pris rendez-vous avec Fulvio. Tous Fulvio Ferrari, dans son appartement à Turin, en août. SIMONE PEROLARI POUR « LE MONDE »
se rendent dans cette villa, dont le
jardin de roses caresse les rives du
Po, en plein cœur de la ville, pour nies de Fulvio débordent jusque rité des grands yeux bleus et des giles pour les décharges, Fulvio création de mon père ! » Fulvio dé-
découvrir l’œuvre à la fois éroti- dans ses bureaux, où il expose lubies de son père, accumule les
« Le plus beau bénéficie des bonnes grâces d’un couvrira aussi des bouillottes spé-
que et ésotérique de Mollino, ar- d’innombrables photos de chiens têtes d’abeilles, épinglées sur un compliment, déménageur aidant les personnes cifiquement conçues pour les égli-
chitecte, esthète, photographe, posant avec leurs maîtres. L’ex- tableau. En passant dans la salle à qui viennent de perdre leurs pa- ses : « Elles sont en forme d’œuf, et
pornographe, pilote de course, centricité de Mollino aurait-elle coucher, le quadragénaire évoque
je l’ai reçu rents à se débarrasser de leur mo- les femmes, qui portaient des
théoricien de descente à skis et déteint sur son principal spécia- sa passion pour les bunkers et les d’un enfant qui bilier : « Dès qu’il en avait un sous gants, les tenaient entre leurs
bien d’autres choses encore – le ci- liste ? A 72 ans, Fulvio, qui reçoit catalogues d’entreprise datant de la main, il m’appelait. » mains. Ça marche très bien. J’en ai
néaste James Gray, par exemple, pieds nus, sécateur à la main et en la fin du XIXe et du début du
s’est exclamé en une, évidemment. »
ne jure plus que par ses Polaroid. chemise à fleurs, assume son XXe siècle. entrant chez moi : « Des extensions de mon corps » Il a déjà prêté certaines de ses
extravagance. « Le plus beau com- La collection de moines, elle, se Fulvio aime la pureté des lignes de collections à la Pinacothèque
Siphons et robinets vintage pliment, je l’ai reçu d’un enfant qui trouve au sous-sol : 14 exemplai-
“Mais c’est ces objets, évoquant une sculpture Agnelli de Turin, mais l’exposition
« Récemment, j’ai reçu la visite d’un s’est exclamé en entrant chez moi : res de chauffe-lits utilisés dans les une décharge !” » abstraite. « Ils répondent à une loi de ses pièces n’est pas ce qui l’inté-
Australien. Il a profité de sa retraite “Mais c’est une décharge !” » campagnes autour des années que nous ne connaissons pas mais resse le plus. Il préfère prendre les
FULVIO FERRARI
pour traverser la planète et voir la Pour admirer sa collection la 1940 et 1950 y sont conservés. que nous percevons comme par- objets en photo, sur fond blanc :
maison de Mollino, mais aussi la plus surprenante, il faut rejoindre « Mon préféré, c’est le modèle où la faite, car ils sont bien conçus, fonc- « Je les positionne de façon à ce
mienne », raconte Fulvio. Il n’a pas Finale Ligure, petite station bal- résistance électrique est composée tionnels. C’est le même mécanisme qu’ils livrent le plus d’informations
été déçu : l’appartement de Fulvio néaire où la famille Ferrari dispose uniquement de trois U en alumi- nium, cuivre… Quand une per- qui fait qu’on trouve un pont possible, je veux les comprendre.
Ferrari – une pièce autrefois ano- d’une résidence secondaire. Da- nium, un système génial inventé sonne meurt, c’est à la décharge beau. » Les collections de Fulvio ré- Les collections, c’est comme des ex-
dine qu’il a transformée avec tant du XVIe siècle, construite à par un artisan turinois », détaille que le maçon chargé de démolir la pondent toujours à la même inter- tensions de mon corps, des péri-
l’aide d’un ami architecte en vaste même la roche sur le modèle des Fulvio, qui a déniché l’ultime maison vend, au poids, les objets rogation : comprendre comment phériques qui me permettent de
cabane africaine – est aussi l’occa- habitats troglodytes, la villa, qui moine il y a dix ans. récupérés, souvent sans savoir l’homme résout les problèmes les saisir ce qui m’entoure et d’être en
sion d’approcher ses incalculables offre un panorama imprenable Fulvio achète rarement ses piè- qu’il s’agit de pièces de grande va- plus étonnants. « Enfant, j’ai contact avec la vie. » p
collections. Pêle-mêle, on y trouve sur la côte ligure, fait figure de ca- ces aux puces ou dans des gale- leur. J’ai trouvé de splendides lam- grandi à la campagne, dans une margherita nasi
des émaux, des appeaux, des si- verne d’Ali Baba – ou de caphar- ries : « Si tu es original, personne ne pes Art nouveau à la décharge. grande maison non chauffée. Mon
phons ou encore des paperolles, naüm de bibelots, selon les points vend ce que tu recherches. » En re- C’est là aussi que j’ai constitué ma père avait construit un chauffe-lit Prochain article : Lydie
ces frisures de papiers que les bon- de vue. C’est ici que Fulvio, en bon vanche, il a longtemps fréquenté collection de robinets vintage. électrique pliable en bois. Bien des Jean-dit-Pannel, collectionneuse
nes sœurs enroulaient sur elles- gardien de temple, entrepose sa les décharges, « des endroits ma- Malheureusement, les lois ont années plus tard, je suis tombé, aux de cartes postales de couchers
mêmes puis fixaient sur un sup- collection de robinetterie vintage. gnifiques et très bien organisés, changé, on ne peut plus y accé- puces, sur des chauffe-lits en métal : de soleil et de panonceaux
port pour vénérer Dieu… Les ma- Ici aussi que Napoleone, qui a hé- avec la section acier, inox, alumi- der. » Quant aux moines, trop fra- c’était encore plus inventif que la « Ne pas déranger »

L’invisible décennie sanglante de la NSU, groupuscule néonazi

La photographe allemande Regina Schmeken est revenue sur les lieux des attentats commis par ces fascistes dans les années 2000

première victime de la NSU dernier film, Aus dem Nichts comme contraint de combler le deux d’entre eux ne meurent gue de toutes les autres. C’est la
EXPOSITION (« Clandestinité nationale-socia- (« Hors du néant »), sélectionné vide, en faisant lui-même l’effort dans l’incendie de leur camping- dernière de la série, la seule qui ne
berlin- correspondant
liste »), une organisation néonazie cette année à Cannes et qui sortira d’imaginer les scènes macabres car après un braquage raté, montre pas une ancienne scène

N uremberg, samedi 9 sep-

tembre 2000. A côté de
sa camionnette, qu’il a
garée sur le bas-côté d’une rue si-
tuée en lisière d’un bois, Enver
Simsek a installé une petite table
sur laquelle il a disposé les fleurs
qu’il compte vendre durant la
journée. Un peu après midi, deux
hommes en tenue de cycliste s’ap-
prochent de lui. Ils repartent au
bout de quelques secondes, après
lui avoir tiré huit balles dans le
bras, l’épaule et la tête.
Enver Simsek avait 38 ans. Né en
Turquie, il avait émigré en Allema-
gne dans les années 1980, y était
devenu fleuriste, s’y était marié et
y avait eu deux enfants. Il fut la
qui, entre 2000 et 2011, assassinera
dix personnes (neuf hommes
d’origines turque et grecque ainsi
qu’une policière allemande), en
blessera vingt-trois autres lors de
deux attentats à la bombe et bra-
quera une quinzaine de banques.
Outre-Rhin, l’affaire de la NSU a
déjà donné lieu à une pièce de
théâtre, Schmerzliche Heimat
(« Patrie douloureuse »), adaptée
du livre témoignage de la fille
d’Enver Simsek, ainsi qu’à une
série télévisée remarquée, Mitten
in Deutschland (« Au cœur de l’Al-
lemagne »), diffusée en 2016 sur la
chaîne ARD. Elle a également ins-
piré le réalisateur allemand d’ori-
gine turque Fatih Akin pour son
en France sous le titre In the Fade
le 10 janvier 2018. Elle est, enfin, le
sujet de la belle exposition de la
photographe allemande Regina
Schmeken, que l’on peut voir au
Martin-Gropius-Bau, à Berlin, jus-
qu’au 29 octobre.
Reconnaissons-le : au premier
abord, cette série de photos de
grande taille en noir et blanc a
quelque chose de déconcertant.
En se rendant, entre 2013 et 2015,
sur les différents lieux où la NSU a
fait couler le sang des années plus
tôt, la photographe de la Süddeuts-
che Zeitung n’a retrouvé aucune
trace des crimes qui y ont été com-
mis. De sorte que le spectateur se
trouve confronté à une absence et
dont ces rues photographiées à
ras de trottoir – c’est-à-dire à hau-
teur de cadavre – ont été naguère
le théâtre.
Zones d’ombre et opacité
« Le plus bouleversant dans ces
photographies tient au fait que l’on
n’y voit ni les assassins ni les victi-
mes », affirme l’écrivain allemand
Hans Magnus Enzensberger dans
le catalogue de l’exposition. La re-
marque est très juste. Elle l’est
d’autant plus que ce thème de l’in-
visibilité est au cœur de l’affaire
de la NSU. Invisibilité des trois res-
ponsables de l’organisation, qui
ont réussi à agir dans la clandesti-
nité pendant onze ans, avant que
en 2011, poussant la troisième
membre du groupe à se rendre à la
police. Invisibilité des victimes,
ou plus exactement du motif de
leurs morts, les enquêteurs ne
s’étant mis que tardivement à ex-
plorer la piste xénophobe, préfé-
rant d’abord voir dans ces meur-
tres une série de règlements de
compte communautaires. Invisi-
bilité, enfin, de la vérité elle-
même sur cette affaire dans la-
quelle les zones d’ombre restent
nombreuses, notamment au sujet
des complicités dont aurait joui la
NSU au sein de la police et des ser-
vices de renseignement.
Parmi les photographies de
Regina Schmeken, une se distin-
de crime. On y voit une porte,
celle de la salle du tribunal de
Munich où s’est ouvert, en
mai 2013, le procès de la survi-
vante du trio fondateur de la NSU
et de quatre de ses complices pré-
sumés. Une porte fermée, comme
pour symboliser l’opacité de ce
procès interminable, au cours
duquel 815 témoins et 42 experts
ont déjà été entendus, et dont le
dénouement est attendu pour la
fin de l’année. p
thomas wieder
Blutiger Boden. Die Tatorte des
NSU, photographies de Regina
Schmeken, Martin-Gropius-Bau,
Berlin, jusqu’au 29 octobre.

0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
L’œil à multiples facettes de Bernard Dufour
Au château de Jau, quatre amis du peintre et photographe confrontent leurs regards sur son œuvre
ART
cases-de-pène (pyrénées-
orientales) - envoyé spécial
L
e peintre, photographe et
écrivain Bernard Dufour
est mort le 22 juillet 2016
à l’âge de 93 ans. Quel-
ques jours plus tard, Bernard Blis-
tène (directeur du Musée natio-
nal d’art moderne) faisait accro-
cher, en hommage et à l’entrée
des salles, l’une des rares toiles
que l’établissement possède de
lui. Et depuis ? Plus rien.
Aucun musée français n’a en-
core pris le risque de programmer
une rétrospective sur l’un des ar-
tistes les plus aventureux de la se-
conde moitié du XXe siècle. La part
crûment sexuelle de l’œuvre de
Dufour fait-elle encore peur à cer-
tains ? Ou serait-ce la sempiter-
nelle logique budgétaire : « Son
nom n’est pas assez connu, il n’y
aura pas assez d’entrées, ma tutelle
me tapera sur les doigts… » ? C’est
ainsi que des œuvres glissent vers
l’oubli, victimes du conformisme
et de l’incuriosité des uns, de la
pusillanimité des autres.
Pour empêcher qu’il en soit
ainsi de Dufour, trois de ses
amis se sont associés : les écri-
vains Catherine Millet et Jac-
ques Henric, et le peintre Marc
Desgrandchamps. Ils ont intégré
à leur équipe le critique d’art Ri-
chard Leydier, ancien collabora-
teur de Millet à la revue Art
Press, et trouvé les salles du châ-
teau de Jau, situé à Cases-de-
Pène (Pyrénées-Orientales). La
fondatrice de ce lieu d’art con-
temporain, Sabine Dauré, y avait
déjà présenté Dufour en 1986.
Exception insaisissable
Il y a quatre grandes salles à Jau.
Chaque commissaire a conçu la
sienne, puisant dans des collec-
tions privées et dans le fonds de
l’atelier. Aussi est-il possible
d’observer quelques différences
entre leurs choix : l’accrochage
d’Henric est hautement dominé
par la représentation des corps
et des pulsions, tandis que celui
de Desgrandchamps, plus ré-
trospectif et historien, donne
aussi à revoir des œuvres d’écri-
ture au pochoir des années 1970.
Elles sont d’un style graphique
tout autre, presque mécanique,
A La Roque-d’Anthéron, les pianos aussi souffrent de la canicule
Le festival s’appuie sur l’expertise d’un accordeur, qui veille notamment à ce que les instruments ne pâtissent pas des aléas climatiques
REPORTAGE
la roque-d’anthéron (bouches-
du-rhône) - envoyé spécial
D ans l’atelier de l’accor-
deur, qui conserve la
physionomie de la
grange telle qu’elle était il y a une
trentaine d’années, un mur est
tapissé de petits mots griffonnés
par les plus grands noms du
piano, à l’issue d’un concert sous
les platanes du parc du château
de Florans. « Thank you for the
wonderful piano », a écrit Krys-
tian Zimerman. « Merci beaucoup
pour ces magnifiques pianos », a
confirmé Arcadi Volodos. Et tant
d’autres… Un chapelet de louan-
ges à l’adresse de Denijs de Win-
ter, l’accordeur qui, depuis la cin-
quième édition du Festival de la
Roque-d’Anthéron, il y a trente-
deux ans, prépare les pianos de
concert, « ces grosses bêtes noires
qui paraissent si robustes mais
sont si fragiles ».
Une fragilité que Denijs de Win-
ter a particulièrement mesurée
cet été, marqué par une canicule
exceptionnelle dans le sud de la
France. L’accordeur a connu des
soirées chaudes, froides, humi-
« Sans titre »
(2015), par
Bernard
Dufour.
PHILIPPE DUFOUR
alors que les anatomies et les
couples des décennies suivantes
sont tracées sur la toile avec une
complète fluidité de geste.
Les compositions structurées
par cercles, ovales et hachures de
couleurs des années 1968-1969 et
habitées par des signes de visages
auxquels Millet accorde plus de
place sont encore une autre ma-
nière, sans doute la plus énigma-
tique de celles que Dufour a in-
ventées pour peindre. On écrit
« inventées » parce qu’à cette date,
personne ne peint comme il s’y
risque, aussi loin des reprises
d’images de magazines du pop art
que des géométries minimalistes.
Cette singularité n’a, du reste,
pas peu contribué à faire de lui
une exception insaisissable et in-
quiétante. Circonstance aggra-
vante, c’est aussi le moment où,
au lieu de chercher à se montrer à
des, venteuses mais jamais,
comme en ce début août, 38 0C à
l’heure du concert, au moment
où il faut installer le piano sur la
scène. Choisi le matin par l’artiste
puis préparé durant l’après-midi,
l’instrument attend son entrée en
scène dans l’atelier, où la tempé-
rature et l’hygrométrie sont ré-
glées au niveau qu’elles attein-
dront à l’heure des premiers ap-
plaudissements.
Humidifier la table d’harmonie
Jamais Denijs de Winter n’avait eu
à composer avec une telle tempé-
rature caniculaire. « Je ne peux pas
créer 38 0C dans mon atelier, c’est
impossible, explique-t-il devant les
trois Steinway rangés le long d’un
mur, comme trois pur-sang dans
leurs stalles. Alors, j’ai assuré la
technique de l’accord à une tempé-
rature habituelle. Le piano est parti
à 24 0C, bien froid, donc, par rap-
port à l’extérieur, mais comme il
réagit lentement aux changements
de chaleur, on a espéré que l’accord
tiendrait jusqu’à la fin des bis. »
Bien sûr, il a tenu, mais excep-
tionnellement de l’eau était va-
porisée sous l’instrument afin
d’humidifier la table d’harmo-
Le visage du
peintre voyeur
surgit entre
les jambes
de la femme ou
depuis un espace
immatériel
Paris, il s’établit dans une vieille
maison sur le causse lotois, celle
où il est mort – voilà qui n’est pas
le meilleur moyen de faire venir à
l’atelier des responsables de bien-
nales.
Il y a donc ces recherches plasti-
ques successives et les quatre re-
gards distincts posés sur lui. Ce
qui s’impose n’en est pas moins la
logique, raisonnée et obsession-
nie, cette planche de 2,5 centimè-
tres d’épaisseur qui supporte le
poids de la mécanique, soumise
aux vibrations. On était loin des
conditions météo idéales, à sa-
voir un taux d’hygrométrie de
55 % à 60 % et une température
de 22 0C à 23 0C.
Même si l’histoire du festival
s’écrit avec les plus grands noms
du piano international associés à
ceux des jeunes pousses qui les
remplaceront, les rois de La Ro-
que, ce sont les instruments. Cha-
que année depuis 1981, l’affiche
du festival décline ce thème d’un
piano seul au centre d’une scène
vide. Les spectateurs savourent
toujours ce moment où le
Steinway traverse le parc, trônant
sur une remorque tirée par un
tracteur. Vingt jeunes gens du vil-
lage sont recrutés chaque été par
la régie pour la manutention des
six ou sept pianos de concert pré-
sents à La Roque – et autant d’ins-
truments pour les répétitions.
Olivier Schicke, régisseur et pe-
tit-fils du fondateur du festival,
parle avec passion de ces masses
de 600 kg qu’à quatre ou cinq pai-
res de bras il faut déplacer. « Cela
demande certes beaucoup de
nelle à la fois, d’un homme qui re-
vient sans cesse sur un sujet qui,
pour tout artiste visuel, est – ou
devrait être – essentiel : qu’est-ce
que voir ? La question peut être
formulée d’autres façons : est-ce
seulement l’œil qui voit ? Le corps
entier ? Le sexe ? La mémoire ?
Quelle mémoire ? L’individuelle,
l’autobiographique, spécifique à
chacun ? Il y a aussi l’artistique,
celle des milliers de représenta-
tions depuis la préhistoire, pé-
riode qui passionnait Dufour et
qu’il a représentée pour le ci-
néma, en 1991, dans La Belle Noi-
seuse, de Jacques Rivette.
La définition strictement phy-
siologique de l’acte de voir – un
objet, l’œil ou les deux yeux, les
nerfs optiques – est donc insuffi-
sante et naïve. La lumière et la dis-
tance sont des paramètres tout
aussi décisifs, en témoignent les
force, mais autant de finesse »,
dit-il. La règle est que les manu-
tentionnaires ne portent ni mon-
tre, ni bracelet, ni bague, ni cein-
ture pour ne pas risquer de rayer
la laque. « Dès le début, il fallait
donner aux artistes les meilleurs
pianos, la meilleure acoustique
possible. Cela a été une obsession
permanente du festival, résume
René Martin, son directeur. Les
pianistes savent qu’à La Roque, ils
trouveront un excellent outil. »
« Grand luxe » et « noblesse »
« Quand on a un beau piano, ma-
gnifiquement réglé comme ici, on
conduit une Ferrari », confirme
Vincent Coq, pianiste du trio
Wanderer – un ensemble qui, cet
été, a profité du festival pour fêter
ses 30 ans. Le matin du concert,
l’artiste choisit son piano sur la
scène : deux Steinway lorsqu’un
concerto est au programme, jus-
qu’à six pour un récital. « C’est un
grand luxe d’avoir cette possibilité
de choisir entre plusieurs magnifi-
ques pianos de concert, s’enthou-
siasme Anne Queffélec. Il n’y a
guère qu’ici que c’est possible.
Même dans les pays qui ont un
grand respect des instruments et
nus, observés de si près et selon
des angles si troublants qu’il n’est
plus aisé d’identifier la partie du
corps qui occulte la plus grande
partie de la perspective et qui
semble se précipiter vers la rétine,
à un point tel qu’entre la vue et le
toucher, la différence s’amenuise.
Physique de la perception
Or, cette affaire d’angle est
d’autant plus complexe qu’elle
n’est pas seulement question de
géométrie. Si le corps du regar-
deur est si proche de celui de la
regardée, c’est sans doute qu’en-
tre eux, la relation est d’intimité
et de désir, et non pas seulement
d’observation comme l’on vou-
drait croire qu’elle s’établit entre
le peintre et son modèle. Il y a
donc, dans ces toiles, de nom-
breux autoportraits avec une
main en visière, le visage du
« Les pianistes
savent de quelles
couleurs ils ont
besoin et je dois
leur offrir
la meilleure
palette »
DENIJS DE WINTER
accordeur
des pianistes, comme le Japon, on
joue sur le piano de la salle. Au
mieux, on a le choix entre deux ins-
truments. »
Si la location des pianos et leur
préparation représentent 10 % des
dépenses du festival, tous les pia-
nistes reconnaissent qu’ils comp-
tent pour une grande part dans
son succès. Denijs de Winter ré-
sume de manière imagée son tra-
vail : « Les pianistes vont créer une
peinture, seuls sur scène pendant
deux heures. Ils savent de quelles
couleurs ils ont besoin et je dois
leur offrir la meilleure palette. »
Samedi 12 août au matin, avant
qu’il n’interprète les deux concer-
culture | 13
peintre voyeur surgissant entre
les jambes de la femme ou, à l’in-
verse, loin derrière, comme s’il
s’était reculé dans un espace
dont rien n’indique la nature ma-
térielle. Ces toiles, intitulées Pos-
ture ou Etreinte, sont des équa-
tions à nombreuses inconnues,
les formules de la physique de la
perception que Dufour n’a cessé
de compléter et de préciser du-
rant plus d’un demi-siècle : son
histoire de l’œil.
Le fait qu’il ait rencontré la pho-
tographie au cours de ses recher-
ches est parfaitement logique.
Comme Bacon, si ce n’est que, si
la plupart des toiles de Bacon –
les nus et les portraits – sont ali-
mentées et en partie détermi-
nées par des clichés en noir et
blanc, il ne les prenait pas lui-
même et n’avait pas l’expérience
du tirage et de ses ressources. Du-
four a pris des milliers d’images
et expérimenté, dans la chambre
noire, des procédés grâce aux-
quels le négatif finit estampe
après des superpositions, des
masquages, des chimies et des
bains : de la photo vers la gra-
vure, en simplifiant, mais aussi
de la photo vers la peinture parce
que les figures migrent d’une
technique à une autre.
Les arrangements de corps à
l’huile sur toile, sur fond noir ou
blanc, sont agrandissements,
montages et parfois dédouble-
ments d’images d’abord photo-
graphiques, emportées par la
peinture jusqu’à des dimensions
de fresque. Comme à son habi-
tude, Dufour est explicite sur ce
point et met l’appareil sur la toile.
Ainsi peint-il, en 1992-1993, Elle
photographie : une femme nue
assise, l’objectif rond du reflex
droit devant. Cette œuvre mani-
feste, à la simplicité délibérée, est
judicieusement accrochée dans
l’axe de l’enfilade des salles, de
sorte que le visiteur passe et re-
passe à tout moment dans le
champ de l’appareil. Ce n’est plus
lui qui regarde la peinture, mais la
peinture qui le regarde. p
philippe dagen
Hommage à Bernard Dufour,
château de Jau (66600 Cases-de-
Pène). Tél. : 04-68-38-90-10.
Jusqu’au 29 septembre. Entrée
libre. Chateaudejau.com.
tos de Chopin avec le Sinfonia
Varsovia dirigé par Lio Kuokman,
Nelson Goerner a longtemps hé-
sité entre les deux Steinway que
lui proposait Denijs de Winter. Le
choix s’est arrêté sur celui que
l’accordeur appelle « roues noi-
res », car ses roulettes sont grises,
à la différence des deux autres
Steinway, aux roulettes dorées.
C’est son préféré. « Ce piano, il a la
puissance et le son est noble. Je
cherche depuis cinquante ans à
comprendre pourquoi certains
instruments acquièrent une telle
noblesse. »
Pour Nelson Goerner, la con-
nexion s’est faite avec « roues noi-
res ». « On cherche à reproduire le
son qu’on a dans l’oreille, un cer-
tain type de sonorité. Soit le piano
vous aide à aller dans le sens où
vous souhaitez aller, soit il est réti-
cent, explique le pianiste argen-
tin. Un piano, si vous l’apprivoisez,
vous pouvez aller plus loin dans
l’interprétation, dans la couleur, et
si toutes les conditions sont là,
alors vous êtes heureux. » Ce
soir-là, pour que les 2 000 specta-
teurs le soient aussi, même le
mistral s’était tu. p
luc leroux
14 | télévisions 0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

Dans l’antichambre des Tudors VOTRE

SOIRÉE
La série « Wolf Hall » relate l’ascension fulgurante du conseiller du roi Henry VIII, Thomas Cromwell TÉLÉ

ARTE
JEUDI 17 – 20 H 55 J E UD I 17 AOÛT
MINISÉRIE
TF1

L
à où la série Les Tudors
se voulait moderne et
pétillante en suivant le
jeune roi d’Angleterre
Henry VIII dans toutes ses exubé-
rances, Wolf Hall nous embarque
dans les pas du conseiller person-
nel de ce même Henry, Thomas
Cromwell. Né de rien du tout, il
est devenu le deuxième person-
nage du royaume au mitan des
années 1530. Aujourd’hui encore,
des controverses opposent les
historiens britanniques pour dé-
terminer qui, du roi Henry VIII ou
de son éminence grise Thomas
Cromwell, a été à l’initiative des
décisions politiques et religieuses
capitales qui firent basculer l’An-
gleterre dans une ère nouvelle.
Grand spécialiste des Tudors, Sir
Geoffrey Elton estime que Crom-
well a été le grand novateur et ma-
rionnettiste de l’époque, grâce à
l’oreille que lui prêtait Henry VIII.
Même si d’autres pensent le con-
traire, la romancière Hilary Man-
tel, auteure des livres dont a été ti-
rée la série, penche elle aussi pour
cette hypothèse. Pourtant, jus-
qu’ici, Thomas Cromwell était
communément assimilé à un
traître et un tortionnaire, à un
homme fourbe et cruel pour avoir
fait décapiter ses adversaires,
placé des espions dans chaque re-
coin du pays, et employé la terreur
comme mode de gouvernance.
Caméra à hauteur d’épaule
En le montrant comme un grand
serviteur de l’Etat quel qu’en fût le
prix, les deux premiers opus de la
trilogie littéraire sur Thomas
Cromwell ont tant fait pour redo-
rer son image qu’ils ont donné
lieu à une adaptation par la Royal
Shakespeare Company, elle-
même produite à Broadway. Pour
la télévision, une minisérie en six
épisodes a été créée, Wolf Hall, ré-
compensée dans sa catégorie par
un Golden Globe en 2016. Les
deux romans, quant à eux, Wolf
Hall et Bring Up the Bodies, ont
remporté le Booker Prize respecti-
vement en 2009 et en 2012. Ils ont
été publiés chez Sonatine sous le
titre Le Conseiller (tomes I et II).
« Il aura été le premier haut
fonctionnaire du pays [civil ser-
vant], commente le réalisateur,
Mark Rylance, exceptionnel dans le rôle de Cromwell. GILES KEYTE/COMPANY PICTURES/BBC
Peter Kosminsky. Non parce qu’il
était comte de ceci ou duc de cela
ou qu’il faisait partie de l’Eglise
(seul moyen de devenir puissant
lorsque, comme lui, on n’apparte-
nait pas à la noblesse), mais par la
seule force de ses capacités. Il est
le premier fonctionnaire à avoir
atteint le sommet de l’Etat grâce à
son intelligence. Ne serait-ce que
pour cela, il est intéressant. »
A cette époque où la torture est
« aussi nécessaire que le sel l’est
pour la viande », selon Hilary
Mantel, être né fils de forgeron et
devenir le personnage le plus
écouté par le roi ne peut qu’inci-
ter à la plus grande prudence.
Tous les nobles de la cour n’atten-
dent qu’une chose : piéger Crom-
well, l’amener à faire un faux pas
afin de prendre sa place. Le mo-
narque lui-même, à qui Cromwell
devient indispensable, rappelle à
l’envi la fragilité et la fugacité du
pouvoir dont jouit son protégé :
« Ce que vous êtes, ce que vous pos-
sédez, vous me le devrez. (…)
« Ce haut
fonctionnaire a
atteint le sommet
de l’Etat grâce à
son intelligence »
PETER KOSMINSKY
réalisateur de « Wolf Hall »
Croyez-vous que je vous aie promu
pour le charme de votre présence ?
Je vous garde parce que vous êtes
un serpent. Mais ne vous compor-
tez pas en vipère avec moi. »
Mensonge, flatterie, tromperie,
propagande, désinformation et,
surtout, calcul, tactique et straté-
gie, observation et silence seront
les armes de cet homme qui esca-
ladera l’échelle sociale au-dessus
de la cour jusqu’à devenir l’agent
le plus puissant de l’évolution
politique et religieuse du pays.
En plaçant sa caméra sur
l’épaule du conseiller du prince,
21.00 Le Transporteur 2
Film d’action de Louis Leterrier
(Fr.-EU, 2005, 85 min).
22.25 Le Transporteur
Film d’action de Louis Leterrier et
Corey Yuen (Fr.-EU, 2002, 110 min).
France 2
20.45 Rugby
Coupe du monde féminine.
France-Irlande. En direct de Dublin.
22.50 Complément d’enquête
De Margerie : l’énigme Total
Magazine présenté par Nicolas
Poincaré.
France 3
20.55 Couleur locale
Téléfilm de Coline Serreau
(Fr., 2014, 90 min).
22.25 Le Voyage de monsieur
Perrichon
Téléfilm d’Eric Lavaine
(Fr., 2014, 90 min).
Canal+
21.00 Twin Peaks : The Return
Série créée par David Lynch
(EU, 2017, S3, ép. 9 et 10/18).
22.45 Feud : Bette and Joan
Série créée par Ryan Murphy, Jaffe
Cohen et Michael Zam
(EU, 2017, S1, ép. 3 et 4/8).
le réalisateur fait bien mieux que en plan très serré, et de toujours France 5
nous introduire dans la chambre intriguer en dépit de l’impassibi- 20.50 Des trains pas comme les
du roi : nous sommes avec lui lité qui sert de couverture (et autres
dans l’antichambre du pouvoir, d’assurance-vie) à Cromwell. Suisse et Vietnam
là où il choisit, par exemple, la Tout dans cette série respire soin Série documentaire animée par
prochaine jeune femme dont le et qualité : de la troupe d’acteurs Philippe Gougler.
roi tombera amoureux. (dont le Britannique Damian (Fr., 2017 et 2011, 2 × 50 min).
Lewis – qui incarne Nicholas 22.35 C dans l’air
Immense Mark Rylance Brody dans Homeland, ici en Magazine.
Cromwell, qui aura été merce- Henry VIII – et Claire Foy, superbe
naire pour les Français, aura Anne Boleyn) aux décors et costu- Arte
travaillé dans la banque à Flo- mes, jusqu’aux partis pris concer- 20.55 Wolf Hall
rence et aux Pays-Bas puis été nant la lumière. Les grandes baies Série adaptée des romans d’Hilary
homme de loi auprès du cardinal vitrées qui apparaissent à l’épo- Mantel. Avec Mark Rylance, Damian
Wolsey (grand chancelier du roi), que en Angleterre inondent les Lewis. (GB, 2014, S1, ép. 1 à 3/6).
fera office, une fois acquise la pièces de soleil, tandis que les bou- 0.00 Le Jour de vérité
confiance de Henry VIII, de bras gies, la nuit, ne percent que quel- Téléfilm d’Anna Justice
droit et de bras armé, de chef de ques petits trous de leur clarté. p (All.-Fr.-Aut., 2014, 90 min).
cabinet, de diplomate et martine delahaye
d’homme de l’ombre, sans M6
oublier qu’il ne sera jamais que le Wolf Hall, minisérie adaptée par 21.00 Sous les jupes des filles
fils « d’un querelleur et d’un casta- Peter Straughan et réalisée par Comédie d’Audrey Dana.
gneur » aux yeux de la cour. Peter Kosminsky. Avec Mark Avec Isabelle Adjani, Vanessa Paradis
Il fallait l’immense acteur de Rylance, Damian Lewis, Claire (Fr., 2014, 130 min).
théâtre qu’est Mark Rylance pour Foy, Jonathan Pryce, Anton Lesser 23.10 Nouveau look pour une
assurer cette performance d’être (6 × 60 min, Royaume-Uni, 2015). nouvelle vie
de toutes les scènes, d’observer Trois épisodes par soirée, Magazine animé par Cristina
beaucoup, d’être souvent filmé les 17 et 24 août. Cordula.

0123 est édité par la Société éditrice

HORIZONTALEMENT
I. Chez lui, il faudra l’ouvrir. II. Se pen-
SUDOKU du « Monde » SA
Durée de la société :

N°17-191
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
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0123
JEUDI 17 AOÛT 2017 carnet | 15
Philippe, Pierrette Castagnoni, née Roche, Les amis de Françoise Reinert (†),
son mari, son épouse, Dominique MIKOREY née Horeau,
Muriel et Xavier, Jérôme Castagnoni, Colette JOSPIN, son épouse,
/H &DUQHW son ils, est partie le 12 août 2017,
ses enfants, Les familles Castagnoni et Roche, psychothérapeute,
Catherine,
9RV JUDQGV pYpQHPHQWV ont le regret d’annoncer la disparition de ont la tristesse de faire part du décès de ont la tristesse de faire part de son décès,
entourée de Mehmet, Joséphine, Max Nicolas,
Marianne (†),
et Isidore,
survenu le 7 août 2017, accompagnés de Pascale, Franco, ses enfants,
1DLVVDQFHV EDSWrPHV André CASTAGNONI, Eric Perdriau,
Renée BAPST, ingénieur Supélec 1954,
dans sa quatre-vingt-treizième année. Andrea, Massimo, Michele, Gündüz,
ILDQoDLOOHV PDULDJHV Anne-Christelle Reinert-Roffé,
née GASQUET. Philippe, Gabriel, Andrian, Paolo,
Claudio Soto,
DQQLYHUVDLUHV GH QDLVVDQFH survenu le 6 août 2017, Une cérémonie religieuse a eu lieu Franz, Joël et Xavier. ses gendres et sa belle-ille,
dans sa quatre-vingt-dixième année. le vendredi 11 août, à 14 h 30, en l’église
DQQLYHUVDLUHV GH PDULDJH Le Tardan,
31370 Sabonnères. Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, L’adieu aura lieu le jeudi 17 août, Juliette, Clémentine, Gustave, Félix,
Il rejoint ainsi sa ille, à 14 h 30, en la salle Mauméjean,
$YLV GH GpFqV 55, boulevard Ménilmontant, Paris 11e. Achille, Adélaïde, Pablo,
au crématorium du cimetière du Père- ses petits-enfants
UHPHUFLHPHQWV PHVVHV Les Familles Bénoit, Danzin et Coquelin Isabelle
Lachaise, Paris 20e.
de Lisle Denis et Maria Lacorne,
FRQGROpDQFHV et son ils, Et toute sa famille,
Michel et Isabelle Lacorne,
KRPPDJHV Mme Olivier Monod,
font part du décès de Laurent. Marie-Christine et François Crespeau, son épouse, ont la grande tristesse de faire part
DQQLYHUVDLUHV GH GpFqV du décès du
ses enfants,
VRXYHQLUV Francis-Paul BÉNOIT, Une cérémonie a eu lieu le samedi Ses petits enfants Isabelle et Jean-Paul,
12 août, au crématorium du cimetière Florence et Bruno,
agrégé de droit public, Et ses arrière-petits-enfants, docteur
&ROORTXHV FRQIpUHQFHV professeur émérite
du Père-Lachaise, Paris 20e. Sylvain et Nathalie,
Philippe REINERT,
VpPLQDLUHV WDEOHVURQGHV à l’université de Paris 2 Panthéon-Assas, Cet avis tient lieu de faire-part.
Stella et Ludovic,
ancien interne des Hôpitaux de Paris,
ont la tristesse de faire part du décès de ses enfants,
ancien chef du service de pédiatrie
SRUWHVRXYHUWHV IRUXPV survenu le 4 août 2017, 114, avenue Félix-Faure,
Stéphane, Agathe, Victor, Oscar, Adèle du centre hospitalier intercommunal
75015 Paris. Mme Jean LACORNE,
MRXUQpHV G·pWXGHV FRQJUqV dans sa quatre-vingt-seizième année. et Alice, de Créteil,
née Antoinette MAGROU, président d’honneur
SURMHFWLRQVGpEDWV ses petits-enfants,
de l’association Développement et Santé,
Gérard, Roland, François, Mireille,
QRPLQDWLRQV Après une cérémonie dans l’intimité,
ses enfants, le 9 août 2017, Matéis,
DVVHPEOpHV JpQpUDOHV en la cathédrale Sainte-Marie, il a été
dans sa quatre-vingt-dix-septième année. son arrière-petit-ils,
inhumé au cimetière Saint-Etienne, ont la tristesse de faire part du décès survenu le 7 août 2017,
de leur père, le dans sa quatre-vingtième année.
6RXWHQDQFHV GH PpPRLUH à Bayonne, le 10 août.
La cérémonie religieuse s’est célébrée
ont la douleur de faire part du décès,
WKqVHV +'5 au cours de sa quatre-vingt-dixième année,
pasteur en l’église Saint-Jean-Baptiste de Grenelle, de La cérémonie religieuse a eu lieu
GLVWLQFWLRQV IpOLFLWDWLRQV Alain Blanchard, Daniel CLAVAIROLY, le samedi 12 août, à 10 h 30, en l’église
Paris 15e, le mercredi 16 août, à 10 h 30.
son époux, (1926-2017), Olivier Ernest MONOD, Saint-Germain-l’Auxerrois, 2, rue du
([SRVLWLRQV YHUQLVVDJHV médaillé de l’aéronautique, Lavoir, à Châtenay-Malabry.
Laetitia et Didier Blanchard, survenu à Alès, le 11 août 2017. Conformément à sa volonté,
VLJQDWXUHV GpGLFDFHV nous vous annonçons le décès de
Daniel Blanchard survenu à Cannes, le 13 août 2017. Mme Naira Tuhdarian Melkonyan,
OHFWXUHV La cérémonie d’action de grâce a eu
son épouse,
et Olivier Pédelous, lieu au Temple protestant de Lézan (Gard)
FRPPXQLFDWLRQV GLYHUVHV ses enfants, ce mercredi 16 août, à 11 heures. René LAMBERT, Une cérémonie aura lieu au crématorium
professeur honoraire du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, M. Raphaël Tuhdarian,
à la Faculté de médecine de Lyon, le vendredi 18 août, à 11 h 30. M. Thierry Tuhdarian
3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW  Inès, Ève Blanchard, Marie-Claire Clavier, née Nogué dit « Thierry Vendome »,
     ses petites-illes, Mme Olivier Monod, Mme Amandine Tuhdarian Straetmans,
survenu le samedi 5 août 2017,
     a la douleur de faire part du décès de 1, avenue Francis-Tonner, ses ils et belle-ille,
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU à l’hôpital Edouard-Herriot, 06150 Cannes-la-Bocca.
Les familles Déméautis, Berney, M. Alain CLAVIER, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Merlin, Isaure et Antonin,
Barrière, Rubio, Pédelous, Lassaux, ancien résistant FTP,
ancien de la 2e DB, Dominique O’Cornesse, née Lucet, ses petits-enfants
AU CARNET DU «MONDE» Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité son épouse,
ont la douleur de faire part du décès de
survenu le 13 août 2017. le 11 août. Et toute sa famille,
Valerie et Christophe Allain-Dupré,
Décès Michèle BLANCHARD, Charlotte et Louis-Marie Brierre, ont la douleur de faire part du décès de
Elsa, « Ele partiu
née LEMÉE, Aymeric O’Cornesse
M. et Mme Gilles Alquier, son épouse, e é mais uma estrela no ceu. » et Cécile Aujaleu,
directeur de recherche au CNRS, Anne et Pierre, M. Ohan TUHDARIAN,
Sylvie, Pierre et Vincent, « Il est parti ses enfants,
ses enfants, dit « Jean VENDOME »,
ses petits-enfants, et cela fait une étoile de plus artiste-joaillier,
Léa et Théo, survenu le 8 août 2017, Max, Antoine et Élise, Raphaël, Roland,
son petit-ils, dans le ciel. »
ses arrière-petits-enfants dans sa quatre-vingtième année. Thibaut, Benjamin, Sarah,
Sophie et Manu, Dalva, Loreleï, qui nous a quittés, le 9 août 2017,
Ainsi que toute la famille, Qu’il repose en paix. à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
La cérémonie religieuse a été célébrée ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
ont la tristesse de faire part du décès de ce mercredi 16 août, à 10 h 30, en la Rose,
De la part de Mauricette,
chapelle de l’église Saint-Pierre-du-Gros- Marco DARMON, son arrière-petite-ille, son épouse depuis soixante-dix ans,
M Aline ALQUIER,
me
Caillou, Paris 7e, suivie de l’inhumation ancien avocat général
à la Cour de justice Sa compagne, Josette, Michèle et Laurent, Hélène
journaliste, au cimetière parisien de Bagneux. Christiane et Xavier de Montclos,
de l’Union européenne, Ses enfants et Laurent,
chercheuse au CNRS, Jean-Louis et Jacotte Lucet
magistrat honoraire, ses enfants,
vice-présidente de l’association Et ses petits-enfants.
Sophie, ancien avocat à la Cour, Tristan et Gersende, Mathilde, Hugo
des amis de George Sand, Et toute sa famille,
sa ille, et Lucie, Josépha, Étienne, Gabrielle,
survenu le 8 août 2017, Claude, Ulysse,
survenu le 7 août 2017, Mattéo, ont la tristesse de faire part du décès de
à l’âge de quatre-vingt-sept ans. son mari, ses petits-enfants,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. son petit-ils Coline, Corto, Mahaut et Félix,
Et toute la famille,
Yves et Hélène, Claire, Christophe Patrick O’CORNESSE,
Cet avis tient lieu de faire-part. et Aurélia, ancien ambassadeur, ses arrière-petits-enfants,
Ses obsèques ont eu lieu le vendredi oficier de la Légion d’honneur,
ses enfants et leurs conjoints,
11 août, au crématorium du cimetière ont la tristesse de faire part du décès du Pierre Cornut-Gentille, ont la grande tristesse de faire part
du Père-Lachaise, Paris 20e. Camille, Paul, Olivier, Kevin, Clément,
Catherine Filzi, survenu le 10 août 2017, du décès de
Raphaël, Pauline et Salomé,
docteur Virginie Monteil, dans sa quatre-vingt-septième année.
Ni leurs ni couronnes. ses associés, ses petits-enfants, Georges WERTHEIM,
Jean Paul CAGNARD,
Les collaborateurs Louann, Héloïse, La cérémonie religieuse a eu lieu résistant,
oficier de la Légion d’honneur,
Cet avis tient lieu de faire-part et Et les assistantes ses arrière-petites-illes, ce mercredi 16 août, dans l’intimité chevalier de la Légion d’honneur,
commandeur du cabinet French - Cornut-Gentille, familiale, en l’église de Mesquer (Loire-
de remerciements. professeur d’allemand,
de l’ordre national du Mérite, Atlantique).
ont la tristesse d’annoncer le décès paisible auteur de manuels scolaires,
croix de guerre 1939-1945, ont l’immense tristesse de faire part
Claire (†) et Gilles (†) Arronis, médecin de réserve colonel, du décès de de Une messe sera célébrée à Paris 16e, survenu le 13 août 2017,
Emmanuelle et Christophe de la date sera communiquée ultérieurement.
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Vaugiraud, survenu à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Béatrice LAMBLING,
ses enfants, Pascal EYRAUD, née BLACK, Sabine Pascual, Romain Pascual,
avocat au Barreau de Paris, Amoureux de Charles Trenet, Georges
Pascale et Ysabel, La cérémonie religieuse sera célébrée ses enfants, à rejoint son « vieux ciné ».
Martin et Lucie, survenu à Levallois-Perret, Lucie Pascual,
en l’église Saint-Jean-Baptiste-de-
ses petits-enfants, sa petite-ille, Une cérémonie d’adieu aura lieu
Grenelle, Paris 15e, le jeudi 17 août 2017, survenu le 4 août 2017. le 12 août 2017,
Les familles Ambrosini, Marchal, Dégé dans sa quatre-vingt-neuvième année. le samedi 19 août, à 10 h 30, au
à 10 h 30, suivie de l’inhumation au ont la tristesse de faire part du décès de
de Montbron, La cérémonie religieuse a eu lieu crématorium du cimetière du Père-
cimetière nouveau, avenue Pierre-Grenier, le vendredi 11 août, à 10 h 30, en l’église Lachaise, Paris 20e.
à Boulogne-Billancourt. Notre-Dame-de-Grâce de Passy, 10, rue La cérémonie d’adieu aura lieu Juliette PASCUAL,
ont la grande tristesse de faire part le vendredi 18 août, à 15 heures, en l’église née ARDITTI,
de l’Annonciation, Paris 16e. La famille rappelle le souvenir de
du rappel à Dieu, le 9 août 2017,
Cet avis tient lieu de faire-part. du Meillard (Somme). son père
à l’âge de quatre-vingt-six ans, de pupille de la Nation, épouse aimante,
Christian Fratelli, mère dévouée, mamie gâteau,
Famille Cagnard, son époux, 113, rue Danton, Johannes WERTHEIM,
Mme Françoise AMBROSINI, militant du Komintern,
20, rue Daru, Renaud et Annabelle Pilleul, 92300 Levallois-Perret. survenu le 13 août 2017
née DELAHAYE, Agnès et Markus Arp, à l’âge de quatre-vingt-un ans. éditeur,
75008 Paris. bc.lambling@wanadoo.fr
ses enfants, créateur
endormie dans la Paix du Seigneur. Richard, Antoine, Paul-Adrien, Une cérémonie d’adieu aura lieu des Éditions Sociales Internationales,
Dominique et Philippe Carpentier, ses petits-enfants Rachida Lièvre, le vendredi 18 août, à 11 h 30, au
Elle a rejoint son époux, ses parents, Et toute la famille, son épouse, crématorium du cimetière du Père- assassiné à Auschwitz par les nazis
Hugo, Ses illes, Lachaise, Paris 20e.
ont la tristesse de faire part du décès de et de sa mère,
Dominique AMBROSINI, son frère, Son petit-ils,
Catherine, Monique FRATELLI, Ses sœurs, On nous prie d’annoncer le décès de
décédé le 7 février 2017, sa belle-sœur, Hilda WERTHEIM,
née HUBERT, Son chat,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Shehrazad Aranjo,
Mme Gérard SINGER, militante
survenu à Paris, le 13 août 2017. née Claudette Sergine PETIT, de l’émancipation des femmes.
sa compagne, ont la douleur de faire part du décès brutal
La cérémonie religieuse s’est déroulée Toute la famille, de survenu le mardi 8 août 2017.
le lundi 14 août, à 14 h 30, en l’église La cérémonie religieuse sera célébrée Souvenir
le samedi 19 août, à 10 h 30, en l’église
Saint-Médard, 141, rue Mouffetard, de Flottemanville-Hague (Manche), Michel LIÈVRE, Les obsèques ont eu lieu le samedi
ont l’immense peine d’annoncer Ce 16 août
Paris 5e. suivie de l’inhumation au cimetière 12 août, à 11 heures, au cimetière du
la disparition de professeur retraité du lycée Montaigne.
de Flottemanville-Hague. Montparnasse, 3, boulevard Edgar-Quinet,
Cet avis tient lieu de faire-part. Paris 14e. René LAGRANGE
Simon CARPENTIER, Une cérémonie d’adieu aura lieu
musicien, Nadine et Gilbert Champagne, ce mercredi 16 août 2017, à 14 h 30, Cet avis tient lieu de faire-part. aurait eu quatre-vingts ans.
Dominique Mac’Avoy, Sylvie et Marc Fizet,
cofondateur, avec Victor Solf, en l’église Saint-Germain de Charonne,
sa compagne, Stéphane et Nathalie Gatignon,
du groupe HER. ses enfants, Paris 20 e , suivie de l’inhumation
Manon Martin, Société éditrice du « Monde » SA
Lucile et Anthony, Thiephaine, Roman, au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e
Raphaël Perret,
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Son goût de la vie, des rencontres, Emma, Lukas, (entrée principale), à 16 heures. Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
ses enfants, ses petits-enfants, Directeur de la rédaction Luc Bronner
Valentin, Félix, Garance et Livia, l’intensité de ses engagements n’ont rien Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
ses petits-enfants, cédé aux attaques cruelles de la maladie. ont la douleur de faire part du décès de Charles Macary, Directeur de l’innovation éditoriale Nabil Wakim
Directeurs adjoints de la rédaction Benoît Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue,
son époux, Virginie Malingre, Cécile Prieur
font part de la disparition du chanteur, Il avait vingt-sept ans. Mme Christiane GATIGNON, Ses enfants, Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Philippe Lecœur, Michael Szadkowski
Ses petits-enfants, Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol
survenu à la veille de ses quatre-vingt-
Claude ASTIER-PERRET, Nous nous retrouverons le jeudi cinq ans.
Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote
Directeur du développement numérique Julien Laroche-Joubert
17 août, à 14 heures, au crématorium ont la tristesse de faire part du décès de
Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff
survenue le 13 août 2017. de Saint-Pierre-de-Plesguen, suivi Ses obsèques ont eu lieu le vendredi Chef d’édition Sabine Ledoux
de l’inhumation au cimetière de Dinard. 11 août 2017, à 15 heures, au cimetière Mme Denise MACARY, Directeur artistique Aris Papathéodorou
de Livry (Nièvre). née BOUCHET,
Photographie Nicolas Jimenez
Une cérémonie aura lieu le jeudi Infographie Delphine Papin
17 août, à 15 h 30, en la salle de la Coupole D. et P. Carpentier, Famille Gatignon,
Médiateur Franck Nouchi

du crématorium du cimetière du Père- 21, rue de Starnberg, Bas de Riousse, à Grenoble, le 12 août 2017, Secrétaire générale du groupe Catherine Joly
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. 35800 Dinard. 58240 Livry. à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Conseil de surveillance Pierre Bergé, président, Sébastien Carganico, vice-président
16 | L’été en séries
La carambouille
du carbone 2|5
Le jackpot
Des centaines de sociétés bidon ont accès
au marché du CO2, qui explose. La machine
est rodée, les investisseurs affluent,
ramassent l’argent et flambent
S
amy Souied a des soucis. Au cer-
cle de jeux dans lequel il est
associé, rue de la Chaussée-d’An-
tin à Paris 9e, l’atmosphère est
lourde. Les fidèles des tables clan-
destines de poker Texas Hold’em,
auxquels il a avancé plus de 1 million d’euros
de jetons, tardent à le rembourser. Il est con-
traint de leur envoyer ses hommes de main
pour se rappeler à leur bon souvenir. En plus,
les limiers du service des courses et jeux
commencent à tourner autour du cercle.
Samy Souied a pourtant tout fait pour ne pas
apparaître officiellement dans l’organi-
gramme. Il a assez à faire comme ça avec sa
réputation de blanchisseur et de bénéficiaire
de paris truqués, qui lui vaut le surnom de
« caïd des hippodromes ».
Les ennuis volant toujours en escadrille,
l’un de ses associés lui annonce qu’il s’est fait
voler un conteneur de téléphones portables.
Samy Souied avait financé leur importation.
Encore 1 million d’euros de perdu. Et puis, il y
a ce juge d’instruction qui enquête sur une af-
faire de faux encarts publicitaires qui pour-
rait bien lui coûter cher. Il a déjà fait un séjour
en prison, il n’a pas envie d’y retourner, il
décide de se mettre au vert en Israël.
Mais voilà que Marco Mouly, son copain
d’enfance de Belleville, avec qui il a déjà
monté pas mal de coups, vient lui parler
d’une arnaque de folie, les quotas carbone.
« Encore plus facile que de voler une
pomme ! », lui assure-t-il. Marco, le quasi-
analphabète, qui a quitté l’école à 9 ans, lui
explique la faille béante qui a complètement
échappé à l’œil des hauts fonctionnaires
européens et des énarques cravatés de Bercy :
puisque le marché du carbone est ouvert à
tous, il faut l’inonder de sociétés bidon qui
achètent des quotas hors taxe à l’étranger, les
revendent en trois clics TTC en France, réin-
vestissent aussitôt dans de nouveaux achats
et ainsi de suite. A chaque tour de manège, la
Caisse des dépôts avance les 20 % de TVA, qui
filent illico sur des comptes ouverts dans les
paradis fiscaux et, au bout de la chaîne, il suf-
fit de disparaître avec les gains. C’est exacte-
ment la même chose qu’avec les ventes de té-
léphones, sauf que sur un marché financier,
c’est beaucoup plus rapide. Le rendement as-
suré est de presque 20 % au quart d’heure, du
jamais-vu. Et avec les délais accordés par
l’Etat pour rembourser la TVA perçue, « pen-
dant six semaines, on est en dessous des ra-
dars », dit Marco Mouly.
Au fond, résume-t-il avec sa gouaille coutu-
mière, c’est à peu près comme si la Banque de
France ouvrait grand les portes de ses coffres,
et qu’à la sortie, un factotum te donnait les
clés de la Ferrari pour t’enfuir. Il faut donc se
dépêcher d’investir, et beaucoup, car les bon-
nes nouvelles ne restent pas longtemps or-
phelines chez les escrocs de la communauté
séfarade. Ce petit monde s’est longtemps di-
visé en deux grandes familles : les « têveux »,
qui jouent sur la TVA, et les « pubards », qui
sont spécialistes des faux encarts publicitai-
res. Samy Souied appartient à la seconde. L’ar-
naque consiste à convaincre au téléphone les
chefs d’entreprise de payer des annonces
dans les journaux syndicaux des policiers,
des gendarmes ou des pompiers, en se faisant
passer pour un de leurs représentants.
A ses proies, l’escroc fait miroiter tout un
tas d’avantages, des déductions fiscales bien
sûr, mais surtout des relations privilégiées
avec tout ce qui porte uniforme. Appâtées,
les entreprises s’offrent, très cher, des publi-
cités qui ne sortent évidemment jamais, et
l’argent disparaît. Marco Mouly, lui, est poly-
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
valent. C’est sa force. Car dans l’affaire des
quotas carbone, les « pubards » décident de
rejoindre les « têveux ». Au Napoletano, leur
restaurant italien favori, à deux pas du
Bristol, avenue Franklin-Roosevelt à Paris,
ou dans les restaurants casher du 17e arron-
dissement, on ne parle plus que de CO2.
Samy Souied est convaincu, il décide d’inves-
tir 5 millions d’euros.
L’avance prise par Grégory Zaoui et ses as-
sociés marseillais est vite rattrapée. Des cen-
taines de sociétés s’inscrivent à la suite des
siennes sur les registres de la Caisse des dé-
pôts et consignations, qui permettent l’ac-
cès au marché du carbone. Les noms sont
tous plus farfelus les uns que les autres –
Carbonara, Label 5, Shadow Company, Great
Luck International, Cimes CO2, International
Conqueror, Enthousiasm for Life ou Invul-
nérables –, leurs gérants – des hommes de
paille – fournissent de simples adresses
Gmail ou Yahoo!, auxquelles sont associés
des pseudos souvent assortis de chiffres de
la kabbale, pour porter bonheur. A part
quelques rares déclarations de soupçons
transmises à Tracfin, l’organisme de lutte
contre le blanchiment, le gros de la cavalerie
passe sans encombres. A partir du moment
où elle fournit un nom et une adresse,
aucun contrôle n’est exercé sur la réalité de
l’activité de la société postulante. Chez Blue-
next, le gestionnaire du marché du carbone,
on se réjouit du formidable succès que ren-
contrent les quotas de CO2.
DES COHORTES DE GÉRANTS FANTÔMES
Pour les « gér ants », grâce au savoir-faire des
« têveux », la machine est bien rodée. Les cou-
sins éloignés ou les cousins des cousins, sur-
tout lorsqu’ils sont installés en Israël, font l’af-
faire. On leur garantit une petite rente men-
suelle et on leur assure qu’en cas de pépin,
leurs frais d’avocat seront intégralement pris
en charge. Le mieux et le plus rapide, c’est de
faire un tir groupé. C’est ainsi que l’un des es-
crocs enrôle son bataillon de gérants fanto-
ches dans le club des joueurs de pétanque
d’Ashdod. Quand il manque des noms, on Pour gagner encore un peu plus de temps, péré, Arnaud Mimran juge plus prudent de
puise dans le réservoir sans fond de tous les Samy Souied confie à des intermédiaires le prendre provisoirement le large et part s’ins-
endettés de la terre, prêts à vendre leur carte soin d’acheter des sociétés existantes dont il taller trois ans avec sa famille à Fisher Island,
d’identité ou leur passeport pour 500 ou suffira de modifier l’objet social. Les monta- l’île des milliardaires de Miami.
1 000 euros. Vêtus de costumes-cravates et gnes d’espèces dont ce spécialiste du blan- De retour en France en 2006, il retrouve les
chaussés de brogues de facture anglaise – qui chiment dispose lui permettent de convain- dîners hebdomadaires du vendredi dans les
leur sont gracieusement fournis –, ils font des cre aisément les commerçants de textile en Hauts-de-Seine, à Neuilly, chez son beau-père
gérants présentables devant les banquiers de gros du Sentier de céder leurs boîtes, qui ont Claude Dray, un milliardaire qui a fait fortune
Chypre, de Hongkong ou de Lituanie où on les l’avantage de présenter mieux que les co- dans l’immobilier – il a lancé la chaîne de par-
emmène tous frais payés. A Chypre surtout, quilles vides aux noms folkloriques. Mais fumeries Patchouli et l’a revendue à son con-
qui a l’avantage de ne pas être trop loin, les c’est l’arrivée d’un investisseur encore plus current Marionnaud, il possède de luxueux
banquiers voient arriver d’un très bon œil ces gros que Samy Souied qui va vraiment dé- hôtels à Miami et à Saint-Tropez et plusieurs
nouveaux clients. De retour d’un de ses nom- clencher la machine à jackpot. Là encore, immeubles dans Paris. En patriarche ombra-
breux voyages, Marco Mouly s’en amuse : Marco Mouly joue les intermédiaires. geux, Claude Dray veille sur le bonheur de ses
« Pas la peine de chercher, les banquiers nous quatre filles et surveille de près la capacité de
attendaient, ils étaient tous dehors pour attra- HUIT MILLIONS D’EUROS SUR LA TABLE ses gendres à l’assurer. L’été, il rassemble sa
per des Français qui faisaient du carbone. » Il a connu Arnaud Mimran à Deauville, tribu dans sa villa de Saint-Tropez, au cœur
Une fois le compte ouvert, leur accompagna- autour des tables de casino qu’ils fréquen- du fameux domaine des Parcs, où les voisins
teur se charge de récupérer les « token » – les tent tous deux assidûment. A 35 ans, ce fils s’appellent Bernard Arnault, Norbert Den-
clés d’accès au compte – afin que les hommes de famille élevé dans le 16e arrondissement, tressangle, Stéphane Courbit, Mohamed
de paille n’aient pas la curiosité d’aller voir un diplômé d’un troisième cycle de finance, est Al-Fayed, Arthur ou Mulliez.
jour les masses d’argent qui y transitent. déjà à la tête d’une fortune considérable, ac- Arnaud Mimran s’amuse bien davantage
quise dans les opérations boursières. La avec l’ancien prolo de Belleville Marco
perspicacité avec laquelle il investit dans des Mouly et ses projets toujours renouvelés
La combine entreprises juste avant qu’elles ne soient ra- d’escroquerie. Lorsque celui-ci lui parle de
chetées par la concurrence et que le cours de l’affaire du carbone, Arnaud Mimran le suit
Les entreprises disposent de quotas carbone afin de réduire les leurs actions s’envole a suscité la méfiance immédiatement et met 8 millions sur la ta-
émissions de CO2 : celles qui sont sous le plafond peuvent reven- de la Commission des opérations de Bourse ble – ou 10, le montant varie selon les sour-
dre leurs « droits à polluer » sur un marché spécialisé. L’Etat avance (COB), qui le soupçonne de délit d’initié sans ces, mais on n’est pas à 2 millions près dans
alors le montant de la TVA, que le vendeur doit rembourser dans jamais parvenir à le coincer. Un jour qu’il est cette histoire. « Moi, quand j’investis, je choi-
les six semaines. L’escroquerie consiste à vendre les quotas à une convoqué au siège de la COB, il abandonne sa sis pas le secteur, je choisis la personne. Il faut
série de sociétés-écrans, dont la dernière disparaît sans rembour- Lamborghini devant la porte et en confie la qu’elle me fasse rire », dit Arnaud Mimran.
ser. Ce « carrousel de TVA » entre 2007 et 2009 a coûté 1,6 milliard clé aux hôtesses. « Si elle dérange, n’hésitez Sur le marché, le résultat ne se fait pas atten-
d’euros à la France, plus de 6 milliards à l’Union européenne. pas à la déplacer… » Mais comme il est re- dre. Après un démarrage un peu mou où les
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017 L’été en séries | 17

Cyril Astruc, le Rastignac

de Mantes-la-Jolie
Parcours du « Maigrichon », fraudeur à la TVA,
entre Beverly Hills, Tel-Aviv et les prisons françaises

U n jour où l’une de ses

conquêtes lui confie que
l’automne est sa saison
préférée, Cyril Astruc affrète un
jet privé et fait livrer quelques
heures plus tard chez la belle une
cargaison de feuilles mortes. L’ar-
gent a cette vertu, dit-il, « de lui
donner le temps de rendre les fem-
mes amoureuses ». Sans doute
est-ce pour cela que ce fils de rapa-
triés d’Algérie a été si pressé d’en
gagner.
Quand ils quittent Constantine
en 1962, Salomon et Danielle As-
truc s’installent à Mantes-la-Jolie,
dans les Yvelines, où Cyril naît
en 1973, premier garçon d’une fra-
trie qui compte déjà deux filles.
Salomon s’échine toute la jour-
née dans son atelier de tailleur,
baptisé As truc. Danielle est insti-
tutrice. Classe moyenne, salaires
modestes, budget serré, vies sa-
ges, horizons restreints, Cyril
Astruc se promet tôt d’échapper à
ce monde auquel il appartient.
Au lycée juif Maïmonide Ram-
bam de Boulogne-Billancourt, où
ses parents l’envoient pour
remettre d’équerre l’adolescent
qui commence à prendre la tan-
gente, Cyril Astruc envie les survê-
tements Adidas de ses copains,
quand le sien ne compte que deux
bandes de pâle imitation. Après le
bac, il fait un passage dans une
école de communication, puis se
résout à passer un BTS assurance.
Assureur dans le milieu
A Champigny, dans le Val-de-
Marne, où il décroche son premier
job, sa faconde et son habileté à
convaincre les clients de souscrire
des contrats font vite grimper le
chiffre d’affaires du cabinet. A
22 ans, il est à la tête de sa propre
affaire à Paris et se rapproche de
ceux auxquels il a décidé de res-
sembler en se spécialisant dans
l’assurance des appartements de
prestige et des véhicules de luxe.
Ses clients sont riches, préfèrent
souvent payer en espèces plutôt
qu’en chèques, et les activités dont
NINI LA CAILLE
AVEC L’ARGENT
DE LA « TÈVE »
– IL DIT GAGNER
600 000 EUROS
PAR MOIS À CETTE
ÉPOQUE –, IL S’OFFRE
L’ANCIENNE VILLA DE
CHARLIE CHAPLIN
ils tirent leur fortune ne sont pas
toujours licites. Cyril Astruc leur
plaît, il n’est pas trop regardant sur
l’authenticité des papiers qu’ils lui
présentent pour assurer leurs
biens. Lorsque la police décide,
en 2001, de faire tomber le réseau
de trafiquants de stups qu’elle sur-
veille depuis plusieurs mois, leur
assureur complaisant est lui aussi
pris dans le filet. Cyril Astruc a
28 ans, passe quelques mois par la
case prison, à la Santé, et en res-
sort plus déterminé que jamais à
gagner de l’argent.
Dans l’attente de son procès, il
se refait en s’associant avec des
Pakistanais, la branche londo-
nienne florissante des « téveux »,
les escrocs à la TVA qui importent
et revendent des cargaisons de té-
léphones portables. Les affaires
marchent si bien qu’il n’a guère
envie de les interrompre pour
purger la peine de quatre ans
d’emprisonnement à laquelle il a
été condamné en France. Cyril
Astruc s’envole avec femme et
enfants en Israël, d’où il poursuit
son fructueux business sous sa
nouvelle identité, Axel Kahn.
Mais il veut plus et mieux.
Deux ans plus tard, le voilà
en Californie, à Los Angeles, ri-
che parmi les riches. Avec l’ar-
gent de la « tève » – il dit gagner
600 000 euros par mois à cette
époque –, il s’offre l’ancienne villa
de Charlie Chaplin à Beverly Hills,
gère sa boîte de production de
films le jour, festoie avec les stars
le soir, poursuit ses transactions
avec les Pakistanais la nuit jusqu’à
ce que, un matin de 2005, la police
américaine débarque chez lui,
avec un mandat d’arrêt en prove-
nance de Suisse, où il est poursuivi
dans une affaire de blanchiment.
Auquel s’ajoute celui que les auto-
rités françaises ont émis depuis sa
condamnation. Deuxième pas-
sage par la case prison, à Fresnes
cette fois, où il est incarcéré pen-
dant dix mois. Dès l’obtention de
sa libération conditionnelle, Cyril
Astruc repart en Israël.
Oligarques et sacs en croco
La fortune amassée les deux der-
nières années – qu’il évalue lui-
même « entre 15 et 18 millions de
dollars » – lui permet d’envisager
sereinement l’avenir. Il acquiert
une villa en bord de mer pour sa
femme et ses quatre enfants,
ouvre une pension pour chevaux
– le rêve du gosse de Mantes-la-Jo-
lie qui allait en sorties subven-
tionnées au centre équestre de
Bonnières-sur-Seine (Yvelines) –
investit dans une boîte de nuit à
Tel-Aviv, Le Byblos, qui s’impose
rapidement comme le lieu de ren-
dez-vous des oligarques russes,
auxquels il vend aussi les mon-
tres, les sacs en croco et les vête-
ments griffés dont ils sont friands
dans ses boutiques de la place
Kikar Hamedina, une sorte de re-
production israélienne de la place
Vendôme de Paris.
Pendant que ses relations rus-
ses lui ouvrent le marché du dia-
mant en Sibérie et en Angola, ses
amis français, dont Marco Mouly,
le sollicitent pour investir dans le
carbone. Cyril Astruc n’a pas be-
soin de longues explications. Les
deux premiers millions qu’il met
sur le marché du CO2 lui en rap-
portent neuf quelques mois plus
tard. « Poulet » ou « le Maigri-
chon », comme il est surnommé,
a encore gagné de quoi offrir
l’automne toute l’année. p
s. pi. et p. r.-d.

échanges plafonnent à 5 000 tonnes par
mois, les volumes de transactions s’envo-
lent : 700 000 tonnes en avril 2008, 4 mil-
lions en mai, 30 millions en septembre.
Les gains des escrocs suivent la même
courbe. Sur les comptes des gérants fanto-
ches, les compteurs explosent. Marco Mouly
rit de « ces gamins de 18 ans qui se retrouvent à
la tête d’une société avec 20 ou 30 millions
d’euros sur leur compte », sans le savoir évi-
demment. Un soir qu’il a bu un peu plus de
whisky que d’habitude, Samy Souied se vante
d’avoir gagné 200 millions d’euros dans le
carbone. Mais comme il a une méfiance vis-
cérale des banques, il en garde le maximum
chez lui en Israël et chez des « nourrices » de
confiance. Un témoin raconte que, dans sa
villa, lorsqu’on ouvre un placard de cuisine
pour prendre un verre, des liasses de billets
vous tombent dessus. A l’un de ses cousins re-
ligieux, Samy Souied confie 40 millions à
planquer dans son jardin à Jérusalem et lui
promet en échange 1 million pour sa yeshiva,
un centre d’études religieuses.
LA « SALADE DJERBIENNE »
Sinon, pour faire circuler discrètement et en
toute sécurité son argent, il y a la filière djer-
bienne. Une poignée de familles séfarades, is-
sues du même village, exercent depuis plu-
sieurs générations la fonction de « décais-
seur ». On leur apporte des espèces à Paris, el-
les se chargent de les transformer moyennant
2 % de commission en virement sur un
compte à l’étranger et réciproquement. Ra-
phaël Haddouk est l’un de ces « ténors de la
compensation ». « Mon rôle est de faire l’inter-
médiaire entre deux personnes sans qu’elles
aient à se connaître. J’achète et je vends de l’ar-
gent. Je fais changer l’argent de main. Du coup,
je contribue à le réinjecter dans l’économie »,
explique-t-il. On peut lui confier – en plu-
sieurs fois tout de même – 9 ou 10 millions
d’euros, on est sûr qu’il saura se débrouiller
pour les compenser à Singapour ou à Hong-
kong. Et lorsqu’on a besoin en urgence d’une
centaine de milliers d’euros en cash, Raphaël
Haddouk monte sur son scooter, fait la tour-
née de quelques-uns de ses clients parisiens
– parmi lesquels des commerçants prospères
et de célèbres joueurs de poker – et apporte la
somme quelques heures plus tard dans des
sacs en plastique.
Le principe de la « salade djerbienne » re-
pose sur la confiance. Aucun papier n’est si-
gné. Pour tout instrument de travail, Raphaël
Haddouk a une machine à compter les billets.
Si les montants sont très élevés et les calculs
complexes, il les griffonne devant le client sur
une feuille qui est toujours déchirée à l’issue
du rendez-vous. L’avantage, c’est qu’en cas de
perquisition les enquêteurs ne retrouvent ja-
mais rien chez lui.
Le mieux, avec le cash, c’est encore de le dé-
penser. Et avec le carbone, il en pleut en quel-
ques mois des dizaines de millions. Alors les
escrocs claquent. En voitures (Rolls-Royce
Phantom, Lamborghini), en diamants, en
montres, en soirées, en fringues – Marco
Mouly dit qu’il achète tous les jours sa tenue
du lendemain « pour rester frais » –, en fem-
mes qu’ils couvrent de bijoux ; et en parties
de casino à Las Vegas où ils s’envolent en
bande, logent au Wynn ou au Bellagio et sont
accueillis comme des seigneurs. Le patron
d’une boîte de nuit fait sonner La Marseillaise
quand Arnaud Mimran fait son entrée, la pro-
priétaire d’un casino leur offre aussitôt un
crédit de 1 million de dollars, ils en perdent
cinq fois plus en une soirée. Peu importe, le
carbone les remet à flot le lendemain.
PHARRELL WILLIAMS À LA BAR-MITZVA
Mais le plus important, c’est la famille, et les
fêtes religieuses, qu’ils ne manquent pour
rien au monde. Pour la bar-mitzva de son fils,
Marco Mouly voit grand. Lui qui, enfant, récu-
pérait les dattes invendues sur les marchés et
les enduisait de miel pour les revendre plus
cher, loue pour son garçon le Showcase, la dis-
cothèque installée sous le pont Alexandre-III,
avec Cyril Hanouna en guest-star et Gad El-
maleh en maître de cérémonie. Un mois plus
tard, Arnaud Mimran organise celle de son
fils au pavillon d’Armenonville, près du bois
de Boulogne. Chacun des six cents invités re-
çoit un iPad en guise de carton d’invitation.
Sur la scène se succèdent MC Solaar, Puff
Daddy et Pharrell Williams. En smoking
blanc, Arnaud Mimran préside la table d’hon-
neur, baptisée « Ali Baba et les quarante vo-
leurs ». Marco Mouly arbore un ruban rouge à
la boutonnière : « C’est une vraie ? » lui de-
mande un convive. « Tu veux la même ? C’est
100 000 euros », rigole-t-il.
A Marseille aussi, on fait la fête. Christiane
Melgrani et Angèle Porcaro convient famille
et amis à des soirées au Carlton Beach, sur la
Corniche, d’où sont tirés de spectaculaires
feux d’artifice. Le clou du spectacle est assuré
par un tigre et un lionceau livrés pour l’occa-
sion. Aznavour assure un concert privé qui
« À CHYPRE, LES enchante les invitées bronzées et tatouées.
BANQUIERS NOUS Dany Brillant est là lui aussi, qui chante « J’ai
perdu la tête depuis que j’ai vu Suzette / je
ATTENDAIENT, perds la raison chaque fois que j’ vois Suzon ».
A Noël, une Bentley et une Abarth trônent
ILS ÉTAIENT parmi les cadeaux. Felicita, la mère nonagé-
TOUS DEHORS naire d’Angèle, qui vit toujours dans son petit
deux-pièces du Panier, assiste à ces réjouis-
POUR ATTRAPER sances, vêtue de son éternel gilet en laine
boutonné jusqu’au cou. Mais quand Claude
DES FRANÇAIS Barzotti entonne « Je suis ritaaal et je le
reeeste », et que les invités reprennent les pa-
QUI FAISAIENT roles qu’ils connaissent par cœur, Felicita la
DU CARBONE » Napolitaine dodeline de la tête de bonheur. p
simon piel et pascale robert-diard
MARCO MOULY
associé de Samy Souied Les propos cités dans cette série sont extraits de
procédures judiciaires, d’entretiens ou de déclara-
tions à l’audience et dans la presse. La plupart des
protagonistes font l’objet de poursuites, tous res-
tent présumés innocents tant qu’une condamna-
tion définitive n’a pas été prononcée.
Prochain article : La surchauffe
18 | L’été en séries 0123
JEUDI 17 AOÛT 2017

Le zoo Réparer les corps et les âmes,

CARTE POSTALE
MARA GOYET après des mutilations sexuelles
Les hyènes, dans leur enclos, ont quand même CEUX QUI FONT 2|5 Le chirurgien Pierre Foldès a ouvert avec Frédérique
une sale tronche. Plus que d’habitude encore. Mais
le panneau nous prévient. Les cicatrices, les pela-
Martz un centre d’accueil pour les femmes victimes de violences
des ici ou là, rien de plus naturel : « Certaines de nos
hyènes tachetées présentent une plaie au niveau du

I
dos. Ces blessures sont liées aux interactions socia- l arrive au rendez-vous en
les naturelles au sein du groupe pour le maintien de blouse et pantalon de chirur-
la hiérarchie. » Force est de reconnaître que ce n’est gien, sabots aux pieds, tout
pas exactement le type de projet de société qui me juste sorti du bloc opéra-
plaît : je veux bien respecter les lois de la nature toire. Dans l’univers feutré de
(enfin, je voudrais bien le vouloir), la spontanéité l’Institut de santé génésique, à
animale, mais il ne me semble pas non plus totale- Saint-Germain-en-Laye (Yveli-
ment aberrant d’intervenir lors d’une rixe, de pro- nes), la carrure de demi de mêlée
téger les plus faibles et de ne pas se plier totale- de Pierre Foldès ne passe pas ina-
ment aux us et coutumes du monde animal. perçue. Son bureau de chirurgien
Un peu plus tôt, une autre pancarte avait déjà est ailleurs, dans la clinique toute
sommé le visiteur de laisser la tortue, éventuel- proche où il reçoit les futures opé-
lement retournée sur le dos, se démerder toute rées. « Ce centre, on l’a conçu tous
seule comme une grande et d’éviter d’alerter, les deux, mais c’est Frédérique qui
dans un élan chevaleresque, la moitié du parc en est la directrice », dit l’urologue,
animalier. La visite qui se devait d’être paisible et qui partage sa vie entre l’hôpital
récréative se transforme en dystopie des plus public de Saint-Germain-en-Laye,
angoissantes, en miroir social perturbant. Lais- sa consultation privée en clinique
ser faire… J’en viens alors, dans les chemins et les formations qu’il dispense
fleuris de ce zoo somptueux, aux mille espèces, en France et en Afrique.
aux lamantins ondulants et koalas alanguis, à Aussi menue que lui est carré,
méditer sur les conditions de possibilité d’une Frédérique Martz assure l’accueil
ingérence humaine dans un enclos quérulent, au de ce centre pour les femmes vic-
sol artificiellement authentique, aux parois vi- times de violences ; elle est en
treuses. Dans la foulée vient ensuite, sortie ré- train d’orienter une femme vers
cente de La Planète des singes oblige, la perspec- les aides dont elle a besoin : psy-
tive d’une revanche des animaux qui, depuis leur chologue, assistant social, ju-
cage, notent tout, consignent chaque remarque, riste… Ce matin, elles sont trois
mémorisent tout mime vexant en vue du grand qui patientent dans le salon d’at-
jour, du Grand Soir. Voilà pour le for intérieur. En tente aux canapés blancs. Une in-
mots, les choses sont tout à fait différentes. firmière retraitée sert le café.
Frédérique Martz et Pierre Fol-
On profère des banalités devant les cages dès se sont rencontrés en 2008,
Dire quelque chose d’un tant soit peu élaboré lors d’une conférence où le méde- Frédérique Martz dans son bureau avec Pierre Foldès, à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).
dans un parc zoologique relève de l’exploit. L’es- cin était venu présenter la techni- ÉRIC GARAULT/PASCO & CO POUR « LE MONDE »
prit est tant absorbé par le trouble suscité – la do- que de réparation chirurgicale
mination humaine justement – qu’il semble entiè- des mutilations sexuelles qu’il a
rement anesthésié. Pas un enclos devant lequel inventée. Un sujet sensible et
on ne profère une banalité : une ressemblance longtemps tabou, malgré les tés des femmes réparées », à restau- avait vendu la mèche au père, qui
avec une vieille cousine, une évocation de Disney 65 millions de femmes excisées rer leur confiance en elles et dans « CE CLITORIS, voulait la remarier. Des jours heu-
(Baloo, Bagheera, Simba, Mufasa : la qualité du
zoo se mesure à l’exhaustivité de la filmographie
dans le monde, et dont beaucoup
souffrent de douleurs toute leur
leurs corps. « La souffrance est
aussi morale, il manquait une prise
ON NE SAIT PAS CE reux aussi. « Celles qui passent par
le centre deviennent souvent des
évoquée), une remarque désolée sur l’air triste du vie, notamment lors des rapports en charge plus globale. J’assurais QUE C’EST, COMMENT militantes, constate Frédérique
pélican (il avait une inclinaison mélancolique du sexuels. moi-même le suivi avec quelques Martz. Elles protègent leurs filles
bec ? la plume en berne ?). Ça, c’est pour les fa- correspondants, mais ce n’était pas IL FONCTIONNE, coûte que coûte. »
milles les plus joyeuses.
Pour les autres, c’est plus difficile : au silence
Une souffrance aussi morale
Pierre Foldès était en mission hu-
suffisant. La somme de souffrances
que racontent les patientes en con-
ON NOUS L’A ENLEVÉ, Astou (elle n’a pas souhaité que
son nom soit cité), agente immo-
des animaux qui se refusent de faire la pute en manitaire au Burkina Faso pour sultation est inimaginable. Elles ON DÉCOUVRE ÇA bilière de 40 ans, ne fera pas exci-
glatissant, pupulant, grouinant, jabotant, caca- Médecins du monde quand une avaient besoin d’autre chose, ser ses trois filles. Elle dit « ne pas
bant, s’oppose, dans un contraste saisissant et femme excisée dans l’enfance est d’écoute, de conseils, de temps. » COMME UN ENFANT » en vouloir à [sa] mère », qui l’a fait
pourtant mimétique, l’exaspération familiale. Les venue consulter. « En osant braver La rencontre avec Frédérique ASTOU
mutiler lorsqu’elle avait 3 ans au
enfants chutent, pleurent, les glaces s’effondrent, sa famille pour me parler, cette Martz est décisive. Elle cherche un patiente, excisée à 3 ans Sénégal. « Réparée » en janvier,
les doudous se perdent et les parents crient. Ça femme a fait bouger les choses », nouveau départ après vingt-cinq elle est venue cet après-midi par-
hurle, ça gueule. Mais il faut sans doute laisser raconte-t-il. Rentré en France, le ans chez un éditeur médical. C’est ticiper à un groupe de parole au
faire, car tout cela est « lié aux interactions familia- chirurgien cherche des publica- elle qui lui souffle l’idée d’un cen- centre. « C’est important de pou-
les naturelles au sein de la lignée pour le maintien tions scientifiques sur le clitoris. tre d’accueil pour toutes les fem- deux-là. « Ils sont complètement voir poser des questions, de racon-
de la hiérarchie ». Ce serait dommage, en effet, de « Je n’ai rien trouvé. La médecine mes victimes de violences, pas investis, on les sent habités, con- ter ce qu’on ressent, d’écouter les
se priver de tous ces grands moments de hyène est centrée sur l’homme, on sait ré- seulement sexuelles. « Il fallait firme Florence Foresti, qui les ac- autres femmes qui ont été opérées.
qui rendent la visite plus humaine. p parer la verge depuis presque deux éviter la stigmatisation, l’excision compagne depuis quatre ans. Ils Ce clitoris, on ne sait pas ce que
mara goyet siècles, mais le clitoris, lui, n’exis- est une violence parmi d’autres, m’ont tout de suite proposé d’assis- c’est, comment il fonctionne, on
tait pas pour les médecins. C’était explique-t-elle. Les femmes victi- ter à une intervention, je ne re- nous l’a enlevé, on découvre ça
Prochain article : L’affaire du soulier un organe nié. » mes, au-delà de la prise en charge grette pas, cela permet de dépasser comme un enfant. »
L’intervention qu’il a mise au physique, ont le même besoin les tabous. On est tous révoltés par
Mara Goyet est notamment l’auteure de point permet de reconstituer le qu’on les écoute et qu’on les ac- la souffrance, mais eux ont un sup- « Peser les enjeux »
« Sous le charme du fait divers » (Stock, 2016). clitoris, dont seule une petite par- compagne dans leurs démarches plément de passion qui leur donne De Pierre Foldès et Frédérique
tie est coupée lors d’une excision. juridiques. » l’énergie d’agir. » Martz, Astou dit qu’« ils se complè-
L’essentiel, plus de dix centimè- L’Institut de santé génésique de Dans le rapport annuel de l’asso- tent, c’est plus facile de poser cer-
tres, reste caché sous la peau. Vali- Saint-Germain-en-Laye a ouvert ciation, la liste des violences faites taines questions à une femme ».
dée par une étude publiée dans la ses portes en janvier 2014, parrainé aux femmes donne une idée des L’une de ses amies, opérée
revue The Lancet, la technique de par l’humoriste Florence Foresti. Il ressources illimitées de l’imagina- en 2010, n’a pas bénéficié d’ac-
réparation est désormais ensei- a fallu convaincre, se faire recon- tion humaine : « Violences psycho- compagnement. « Elle a été per-
gnée dans les facultés de chirur- naître par les institutions, monter logiques, sexuelles, spirituelles, due, elle pensait que l’opération
gie. Elle est aussi remboursée de- des dossiers de subvention. Fi- mariages forcés, excisions… » Fré- suffisait. En fait, cela se travaille,
puis 2004 par la Sécurité sociale nancé par des fondations d’entre- dérique Martz dit qu’elle se met dans le corps et la tête. »
en France, condition pour que prise, le conseil régional d’Ile-de- « parfois en apnée face à tant de Prochaine étape, la création
toutes les femmes qui le souhai- France et la préfecture des Yveli- souffrances. C’est comme un tor- d’un réseau international de cen-
tent puissent y avoir recours. nes, il fonctionne avec une équipe rent. On a l’impression de se battre tres, qui pourrait démarrer en
Le médecin aurait pu se satis- de psychologues vacataires, des contre plus fort que soi ». Pierre Suisse, au Burkina Faso et en Côte
faire d’un tel parcours. Mais il permanences d’autres associa- Foldès, quarante ans de métier, d’Ivoire. « Il faut peser les enjeux,
constate que « la chirurgie ne suffit tions et une vingtaine de bénévo- lui, se sent « comme en début de ne pas risquer la vie des médecins
pas toujours à résoudre les difficul- les, médecins, avocats, infirmiers… carrière, avec l’impression qu’il y a ou des femmes opérées sur place,
Depuis trois ans, le centre a reçu tellement à faire ». De ses années dit le chirurgien. Dans certains
près d’un millier de femmes, qui se de « French doctor », il a appris que pays, le fait de s’intéresser au sexe
transmettent l’adresse par le bou- « les femmes sont les premières vic- féminin n’est pas bien vu, cela
« LES FEMMES SONT che-à-oreille. Trente pour cent con-
sultent pour des douleurs liées à
times des crises. Avec les révolu-
tions des “printemps arabes”, on
expose à des menaces. » Dans le
couloir blanc où s’affichent pho-
LES PREMIÈRES l’excision. Les autres sont en voit resurgir des mutilations qui tos et témoignages de femmes,
grande majorité victimes d’abus et avaient disparu ». on peut lire cette phrase près du
VICTIMES de coups dans leur couple et orien- Il y a des jours sombres, comme comptoir d’accueil : « Ceux qui
MARA GOYET

DES CRISES » tées là par les services de la préfec-

ture, de la mairie ou de santé.
PIERRE FOLDÈS Il y a un engagement militant,
chirurgien presque sacerdotal, chez ces
celui où une jeune fille est reve-
nue au centre en larmes parce
qu’elle avait été à nouveau excisée
à son retour au pays. Une cousine
pensent que c’est impossible sont
priés de ne pas déranger ceux qui
essaient. » p
claire legros
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
La troisième guerre mondiale aura lieu en 2050
RETOURS SUR LE FUTUR 2|5 Des auteurs ont anticipé la société à venir dans
des livres qui se sont vendus à des milliers d’exemplaires. En 2009,
George Friedman met en avant la contestation de la puissance des
Etats-Unis dans « Les 100 Ans à venir : un scénario pour le XXIe siècle »
G
eorge Friedman aime
à le rappeler sans le
moindre trait d’ironie
et avec une froide con-
viction : en matière de géopoliti-
que et de prévision, il faut savoir
mettre l’actualité entre parenthè-
ses. Lorsque son livre Les 100 Ans
à venir : un scénario pour le
XXIe siècle (traduit en français par
Denis Lejeune, Zdl Editions, 2011)
paraît, en janvier 2009, la banque
Lehman Brothers a fait faillite
quelques mois plus tôt, annon-
çant une crise qui va ébranler le
système financier mondial.
C’est, a priori, le moment le
plus inopportun pour publier
un essai défendant l’idée selon
laquelle les Etats-Unis domine-
ront le XXIe siècle grâce à leur
puissance économique et mili-
taire. « Certains ont estimé que
ma prévision était mort-née, se
souvient George Friedman, puis-
que l’économie américaine s’ef-
fondrait et ne se relevait pas. »
Quelques mois après la publi-
cation, l’économie américaine
est toujours debout. L’ouvrage
signé par le fondateur de Stratfor
(une société américaine privée
de renseignement) se retrouve
en cinquième place des meilleu-
res ventes de livres recensées par
le New York Times (dans la « New
York Times Best Sellers List »).
Deux blocs, deux coalitions
Les Etats-Unis traversent une crise
financière grave, devenue réces-
sion, mais elle est loin de rappeler
la Grande Dépression des années
1930. Il ne s’agit pas non plus, pour
le politologue, de la pire récession
que le monde connaisse depuis la
seconde guerre mondiale. Il cons-
tate néanmoins qu’elle révèle une
fois de plus que l’Amérique est le
centre de gravité du système
mondial ; lorsqu’elle entre en
crise, le monde entier se retrouve
concerné. En outre, la crise est
plus violente en dehors des Etats-
Unis qu’en leur sein. Friedman en
tire donc la conclusion suivante :
le reste du monde a besoin que
l’Amérique sorte du marasme
pour se redresser à son tour.
Il invoque d’autres variables : la
récente intervention catastrophi-
que en Irak pèse moins qu’on ne
le croit. Les Etats-Unis y ont en-
voyé moins de 200 000 hommes,
pour en perdre moins de 5 000, ce
qui représente entre 6 % et 8 % des
pertes enregistrées au Vietnam,
et seulement 1 % de celles enregis-
trées pendant la seconde guerre
mondiale. Autre appui à son argu-
mentation : le trait géopolitique
structurant des Etats-Unis, à sa-
voir le fait que ce pays contrôle
toutes les mers, n’a pas changé. Ce
contrôle n’est pas uniquement la
base de la sécurité américaine, il
est aussi celle de sa capacité à in-
former le système international.
Au-delà de l’épiphénomène de la
crise financière, George Friedman
souhaite insister sur la manière
dont il jauge la géopolitique : elle
nous apprend, selon lui, que peu
d’événements sont sans précé-
dent et que les occasions de redis-
tribuer les cartes sont quasi nulles.
La géopolitique consiste donc,
pour lui, à se rappeler les types de
comportement et comprendre ce
pourquoi ils se répètent. Ses prévi-
sions dans Les 100 Ans à venir sont
audacieuses. Elles tiennent à l’ho-
rizon fixé par l’auteur : un siècle.
Un horizon qui lui évite de rester
comptable de ses prophéties. Le
politologue annonce que les puis-
sances émergentes que sont la
Russie et la Chine vont très rapide-
ment décliner. Il prévoit égale-
ment une troisième guerre mon-
diale, en 2050, qui mettrait aux
prises deux blocs entre eux. Le
premier serait formé par les Etats-
Unis, la Pologne – qui aurait pris le
leadership en Europe centrale –, la
Grande-Bretagne, l’Inde et la
Chine. Le second prendrait la
forme d’une alliance entre la Tur-
quie et le Japon. Ce conflit se pro-
duirait après une attaque surprise
coordonnée par les Turcs et les Ja-
ponais. Ces derniers ne cherche-
raient ni l’occupation ni la destruc-
tion des Etats-Unis, mais à aboutir
à un accord garantissant leurs
sphères d’influence : le nord-ouest
du Pacifique pour le Japon, et le
Moyen-Orient pour la Turquie.
« Américanocentrisme »
De manière encore plus ambi-
tieuse et bien plus lointaine – aux
alentours de 2080 –, George
Friedman imagine un conflit en-
tre les Etats-Unis et le Mexique.
Alors que les Etats-Unis ont
aujourd’hui tendance à fermer
leurs portes aux migrants mexi-
cains, cette dynamique pourrait
s’inverser, dans vingt ans, pour
des raisons démographiques :
POUR FRIEDMAN,
PEU D’ÉVÉNEMENTS
SONT SANS
PRÉCÉDENT
EN GÉOPOLITIQUE,
ET LES OCCASIONS
DE REDISTRIBUER
LES CARTES SONT
QUASI NULLES
afin de pallier une force de travail
toujours plus âgée et déclinante,
les Etats-Unis pourraient offrir
un visa de travail facilité et jus-
qu’à des incitations financières à
ceux qui seraient prêts à tra-
vailler chez eux, à commencer
par les Mexicains, avec qui ils par-
tagent une très longue frontière
commune. Vers 2080, alors que
ce pays sera devenu une puis-
sance économique avec une forte
diaspora aux Etats-Unis, il pour-
rait devenir une menace pour les
intérêts nationaux américains et,
dès lors, une confrontation pour-
rait naître entre les deux pays.
Le livre a été diversement appré-
cié au moment de sa sortie. Le
Washington Post a considéré
l’analyse soutenant que les Etats-
Unis resteraient la superpuis-
sance dominante du XXIe siècle
comme très pertinente et que le
reste de l’argumentaire était plus
hasardeux. Le New York Times a lui
aussi estimé que les Etats-Unis
étaient un pouvoir dont la puis-
sance allait s’accroître. Le San
Francisco Chronicle a dénoncé
l’« américanocentrisme » du livre,
« une stance étonnamment provin-
ciale qui serait celle d’un insomnia-
que effrayé qui ne peut s’empêcher
de jouer à l’Age des empires car il a
désespérément besoin de gagner
avant que le soleil se lève ». En
France, le livre a été traduit en 2011
chez un petit éditeur, Zdl éditions.
George Friedman fonde sa mé-
thode sur le bon sens. « Il est essen-
tiel, dans la prévision, de déceler ce
qui est évident. Notre monde ne
fonctionne pas sur des secrets mais
à partir de forces très visibles ; ce qui
nous empêche de comprendre ces
forces est l’inertie. Il est très difficile
de croire que les grandes institu-
tions qui existent aujourd’hui
n’existeront plus, ou qu’un change-
ment radical va se produire. Or,
L’été en séries | 19
tous les vingt ans environ, il se pro-
duit un changement radical. » Il
s’agit donc de rester attentif à ce
que pourrait être ce changement
radical. Il rappelle qu’en 1900, les
puissances européennes domi-
naient le monde et qu’elles étaient
en miettes en 1920, après la pre-
mière guerre mondiale. « Tout le
monde pensait l’Allemagne finie et,
vingt ans plus tard, elle occupait la
France et devenait la première puis-
sance continentale, relève-t-il.
En 2000, après la chute du mur de
Berlin, la géopolitique était termi-
née, il n’y aurait plus de guerre. »
Mais est survenu le 11-septembre.
Nationalisme européen
« Dans vingt ans, qu’est-ce qui
nous semblera évident ? Se de-
mande-t-il. J’écris dans mon livre
que le renouveau du nationalisme
en Europe est inévitable. C’était
en 2009, ce qui semblait alors in-
concevable car l’Union euro-
péenne s’est fondée sur l’abolition
des frontières, une idée à l’opposé
des nationalismes. Aujourd’hui, je
ne vois rien qui puisse stopper le
déclin de l’Union européenne. »
Sur ses pronostics à court terme
– la décennie 2010 –, George
Friedman se reproche seulement
d’avoir prédit que les déclins de la
Russie et de la Chine intervien-
draient plus tard. Le défi chinois
qui consiste à progressivement
transférer les riches des régions
côtières vers l’intérieur lui appa-
raît complexe. La Chine est pas-
sée d’un taux de croissance hors
du commun à des rythmes plus
ordinaires, comme le Japon
autrefois. Sauf qu’elle affiche un
milliard de pauvres. Le pays est
aussi, pour le politologue, limité
par sa géographie : il ressemble à
une île qui ne serait pas entourée
d’eau mais par un relief et des ter-
res incultes, autant de barrières
naturelles qui l’isolent du reste
du monde et le condamnent à li-
miter son hégémonie à l’Asie du
Sud-Est. La Russie survit, elle,
principalement grâce à l’exporta-
tion d’hydrocarbures. Leur prix a
baissé, continue de baisser, et
l’Etat russe ne peut que décliner.
Conviction véhémente
En revanche, Friedman concède
une erreur d’appréciation de
taille : il n’avait pas prévu l’inten-
sification des conflits au Moyen-
Orient. Mais il doute toujours du
défi lancé par l’islam, tant en Oc-
cident que dans les pays arabes.
« Le problème de l’islam est qu’il
est divisé en groupes religieux et
ethniques. L’objectif de l’Etat isla-
mique est de reconstituer le califat.
Il faudrait chercher une unité du
Maroc aux Philippines, ce qui ne se
produira pas durant ce siècle. »
La prévision la plus hardie et la
plus détaillée est celle d’un troi-
sième conflit mondial. Friedman
est, sur ce sujet, très véhément. « Il
y a eu, à chaque siècle, une guerre
systémique. Ces guerres se produi-
sent car des puissances apparais-
sent et d’autres déclinent. Durant
la seconde guerre mondiale, trois
puissances émergent : l’Allemagne,
les Etats-Unis et le Japon. La France
et l’Empire britannique sont en dé-
clin. Il serait étonnant que le
XXIe siècle ne soit pas le lieu d’un
changement systémique. »
On lui objecte qu’un nouveau
conflit mondial est difficilement
pensable en raison de la moder-
nité des armements. Il répond :
« Les guerres sont toujours impos-
sibles… Jusqu’au jour où elles se pro-
duisent. Et de poursuivre : J’ai cité le
Japon et la Turquie comme puis-
sances émergentes. Le Japon va re-
devenir une puissance régionale
dont les forces aériennes et mariti-
mes auront besoin de s’améliorer,
ce qui signifie qu’elles se heurteront
à la puissance américaine qui, elle,
veut dominer tous les océans. »
La Turquie constitue un autre
cas de figure. Il estime qu’au re-
gard de l’Empire byzantin et otto-
man, les cent dernières années
ont été une anomalie pour le pays.
« La logique voudrait que ce pays
très puissant affirme son hégémo-
nie dans une région instable » et
qui cessera de l’être avec une do-
mination turque.
Quand il fait l’inventaire du
XXe siècle, le politologue cons-
tate qu’il était assez simple de
deviner que l’Allemagne et l’Ita-
lie, nouvellement unifiées dans
les années 1930, et le Japon in-
dustrialisé depuis peu, allaient
essayer de redéfinir le système
international. Il n’était pas non
plus malaisé de voir que les
Etats-Unis et la Russie seraient
prépondérants durant la se-
conde moitié du XXe siècle.
Enfin, dans un XXIe siècle do-
miné par les Etats-Unis, la contes-
tation se fera par vagues ; par l’is-
lam, la Russie, la Turquie, le Japon
et le Mexique. Mais plus compli-
qués sont, effectivement, les dé-
tails des théories de Friedman
où, il le reconnaît, « il est souvent
probable que l’on se trompe ». p
samuel blumenfeld
Prochain article : « La Fin de
l’histoire et le dernier homme »,
de Fukuyama
20 | L’été en séries
Saïd Hajjarian, « cerveau de la réforme » en Iran
Cinq penseurs
influents
Le Monde a demandé à cinq
spécialistes de l’islam,
généralement des
universitaires, de dresser
le portrait d’intellectuels
contemporains influents
dans le monde musulman.
Par leur diversité, les cinq
personnalités qu’ils ont
retenues illustrent
la richesse des débats
qui traversent ces sociétés.
INTELLECTUELS DU MONDE ARABO-MUSULMAN 2|5 Le parcours de
cet ancien pilier des services de renseignement devenu
militant, expert politique et journaliste est un paradoxe
qui illustre la complexité de la République islamique.
Le journaliste iranien Saïd Asgharzadeh l’a rencontré
A l’époque, j’étais englué dans un
monde de contradictions. Figurez-
vous : je dirigeais en Iran un jour-
nal réformiste indépendant, sans lien avec
le parti de même tendance de Mohammad
Khatami. Tous les jours, j’étais chargé de
l’éditorial, à un moment où l’on voyait en
nous des opposants. Un dimanche, ce de-
vait être en février ou en mars 2000 (trois
années après l’élection de Khatami à la pré-
sidence de la République), j’avais rendez-
vous avec Saïd Hajjarian, le « cerveau de la
réforme », à la mairie de Téhéran. Il voulait
me voir, peut-être au sujet de la manière
dont je critiquais le président. Je sortais de
mon bureau quand j’appris qu’il venait
d’être victime d’une tentative d’assassinat.
Cela faisait dix ans qu’on se connaissait,
depuis l’époque où on bossait ensemble au
quotidien Salam. L’ancien guide de la révo-
lution Khomeyni était mort depuis un an,
mais les groupes de « gauche », futurs « ré-
formistes », s’étaient vu refuser l’accès à
l’Assemblée des experts – la chambre haute
du Parlement. Hajjarian, de son côté,
s’était taillé un petit royaume : il était con-
seiller politique du directeur de Salam. Or
celui-ci supervisait le Centre de recherche
dont devait sortir la fine fleur de l’intelli-
gentsia réformiste, de l’intellectuel reli-
gieux Mohsen Kadivar ou de l’éditorialiste
Abbas Abdi à Khatami lui-même, que tous
devaient rejoindre en 1996-1997, à l’aube de
sa campagne présidentielle victorieuse.
Cela faisait un an qu’Hajjarian avait
quitté les services secrets et, sous sa direc-
tion, nous faisions tourner le journal. Il
nous rejoignait souvent au beau milieu de
la nuit et je dois dire que, sans son aide,
tous nos efforts seraient restés vains. Car,
en matière d’information, il était le seul à
disposer de vraies « rentes », comme nous
nous en sommes encore mieux rendu
compte quand il a dirigé le journal Sobh-e
Emrouz. Nous étions au début des réfor-
mes et il fallait lutter contre tout essai de
retour en arrière. Ce qui comptait, c’étaient
les urnes, qui, si on continuait à en priver
d’accès toute une partie de nos conci-
toyens, risquaient fort de se muer en
boîtes de Pandore.
Bien sûr, Hajjarian n’était pas le seul à sor-
tir des renseignements – comme on pou-
vait s’en rendre compte en côtoyant le per-
sonnel du ministère de la culture, voire la
rédaction de Salam. Mais il était le centre de
toute cette société et, en le regardant, on
pouvait observer la mutation d’un pilier des
« services » en activiste mâtiné d’expert po-
litique. Imaginez : ce type avait des dossiers
sur presque toutes les crises que la Républi-
que islamique a dû surmonter pendant les
dix premières années de son histoire… En
juillet 1980 déjà, il avait éventé un projet de
coup d’Etat pour le retour de Shapour
Bakhtiar, dernier premier ministre du chah.
Ce projet de coup d’Etat, c’est un commu-
niste, Nasrallah Qadesi, qui le lui avait livré.
Contribution non négligeable des commu-
nistes à la défense de la révolution. Cela n’a
pas empêché leurs chefs de tomber trois
ans plus tard. A qui la faute ? A Hajjarian, en-
tre autres, qui a dévoilé le rôle de Vladimir
Kouzitchkine, un officier du KGB chargé du
parti Toudeh, le parti communiste iranien.
Kouzitchkine avait livré à Londres tout ce
qu’il savait sur le Toudeh. Des informations
vite tombées dans les mains des Pakista-
nais, puis dans celles des Iraniens…
J’avais très envie, moi, de revoir le « cer-
veau de la réforme », mais voilà qu’on lui ti-
rait dessus. Dire que, dès la victoire de
Khatami, en juin 1997, Hajjarian se plaignait
de la faiblesse de la société civile en Iran. Il
nous appelait à encadrer les masses, sur une
SAÏD HAJJARIAN AVAIT
DES DOSSIERS
SUR PRESQUE TOUTES
LES CRISES QUE LA
RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE
A DÛ SURMONTER
PENDANT LES DIX
PREMIÈRES ANNÉES
DE SON HISTOIRE…
base la plus large possible, pour pouvoir
mieux prévoir au moins leur comporte-
ment politique. Pour lui, les conseils muni-
cipaux créés en 1999 devaient être le socle
d’une nouvelle vie publique. Tout en conti-
nuant de conseiller le président, il avait été
élu, cette année-là, premier adjoint au
maire de Téhéran et, à partir de ce moment,
avait lutté pour qu’on multiplie le nombre
des institutions civiles, garantie de leur in-
fluence et de leur pérennité.
L’homme qui avait tiré sur lui s’appelait
Saïd Asgar. Hajjarian lui a par la suite par-
donné. On a même pu les voir ensemble,
avec l’homme qui enquêtait sur la tentative
de meurtre, sur un plateau de télévision,
pendant la campagne de Mir Hosseïn
Moussavi, en 2009. L’assaillant, la victime
et l’enquêteur dans un même plan, faisant
face au conservateur Mahmoud Ahmadine-
jad. Le problème, c’est qu’Ahmadinejad a été
réélu tandis qu’Hajjarian prit bientôt le che-
min de la prison et qu’Asgar s’en retourna à
son destin.
CITÉ DANS DES HISTOIRES SOMBRES
Ce genre de paradoxe abonde dans la vie
d’Hajjarian. L’un d’eux n’est autre que sa
femme, Vadjiheh Marsusi. Révolutionnaire
elle aussi, elle avait commencé à militer
contre la monarchie aux côtés du sociolo-
gue Ali Shariati, avant de passer trois ans
dans les geôles du chah. Cela ne l’empêchait
pas d’avoir des opinions à rebours de celles
de son époux et, l’année de la victoire de
Khatami, en 1997, d’avoir fait campagne
pour un autre candidat, Ali Akbar Nategh-
Nouri. Le « cerveau de la réforme », comme
beaucoup de ses homologues, a toujours
éprouvé le plus grand mal à faire triompher
son point de vue à l’intérieur de son foyer.
Un autre paradoxe est encore une histoire
d’attentat. Un jour, on s’est rendu compte
que l’ayatollah Chariat-Madari, qui recyclait
les idées d’Hajjarian, habitait le même bâti-
ment que lui. Si entre leurs quatre murs
ne régnaient que bienveillance et courtoi-
sie, leurs partisans respectifs ne rêvaient
que d’en venir aux mains. Chariat-Madari
régnait sur le journal Kayhan, qui dénonçait
les réformistes comme agents de l’étranger
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
et creuset en Iran d’une « révolution de ve-
lours » téléguidée par l’Occident. En même
temps, c’est à Kayhan que l’aventure intel-
lectuelle des réformistes avait commencé :
paradoxe supplémentaire.
En 1998, Hajjarian a lancé Sobh-e Emrouz,
qui se donnait pour but l’information. Il est
bien possible que l’attentat dont il a été vic-
time s’explique par l’enquête que le journal
a menée sur les assassinats en série d’intel-
lectuels qui ont marqué le début de la prési-
dence Khatami. Le procès des assassinats
eut lieu, au printemps 2000, après une
vaste campagne de fermeture de journaux
– Sobh-e Emrouz entre autres. L’accusé
principal était un certain Saïd Emami, dont
l’entourage répandait le bruit que le modus
operandi des assassins était, en fait, signé
Hajjarian. Le suicide d’Emami, en juin 1999,
n’a pas dissipé les équivoques d’une des
affaires les plus sombres des premières dé-
cennies de la République islamique dans
lesquelles le nom d’Hajjarian apparut.
HASSAN ROHANI, L’ESPOIR DÉCHU
Les assassinats en série, le suicide d’Emami,
les fermetures de journaux font partie des
événements qui ont marqué le premier
mandat de Khatami. De sorte que, à la prési-
dentielle de 2001, Hajjarian s’est distingué
par une attitude critique, dénonçant la dis-
solution du mouvement réformiste dans la
bureaucratie. Bien sûr, nous l’avons encore
entendu crier quatre ans plus tard, pasti-
chant Trotski : « La réforme est morte, vive la
réforme ! » Mais il était tard, alors, pour Ha-
jjarian comme pour la réforme : Ahmadine-
jad est arrivé au pouvoir avec les slogans po-
pulistes que l’on sait, et la société civile pour
laquelle Hajjarian avait failli perdre la vie
était à terre.
Ses idées de moralisation de la vie publi-
que l’ont encore convaincu de participer à la
campagne de 2009, mais avec comme ré-
sultat la victoire contestée d’Ahmadinejad,
les combats de rue et le triomphe ultime de
l’amoralisme le plus débridé. Persuadés de
la fraude massive, les héros du mouvement
« vert » (soulèvement qui suivit l’élection
présidentielle), Mir Hosseïn Moussavi et
Mehdi Karoubi, ont laissé leurs partisans af-
fronter la police. Les réformistes se sont re-
trouvés sous les verrous, tandis que le Front
de la participation de Khatami était dissous.
Quand il est sorti de prison l’année sui-
vante, Hajjarian s’est mis à retravailler sa
stratégie – inspirée cette fois du constitutio-
nalisme iranien du début du XXe siècle et
dont les termes de référence étaient
devenus : équilibre, apaisement, pression
par le bas et non-implication directe dans
l’exécutif. Puis ce fut, en 2013, l’élection
d’Hassan Rohani, qui avait pour symbole
une clé dont Hajjarian aurait aimé, disait-il,
devenir une dent…
Le problème, c’est que Rohani s’est éloigné
des réformistes pour, selon Hajjarian, faire
comme s’il n’était élu de nulle part et pou-
vait se passer des partis. Pour lui, la prési-
dence Rohani, marquée par les huit ans
d’instabilité de la précédente, sous
Ahmadinejad, tend moins à démocratiser la
situation héritée qu’à la normaliser. Il se dit
que le président, même s’il a toujours en po-
che la feuille de route des réformes, ne voit
pas d’alternative tant qu’une troisième
force n’a pas fait son apparition dans le
pays, ou que ne s’est produit quelque cata-
clysme imprévisible… Aujourd’hui, il prati-
que une forme de soutien critique.
En même temps, la vie de Saïd Hajjarian a
toujours été riche en contradictions et en
ambiguïtés qui la rendent attachante. Une
fois remis de ses blessures, il a demandé à
me voir, histoire de m’expliquer pourquoi
nous n’avions pu nous rencontrer le jour de
la tentative d’assassinat. Je suis allé le re-
trouver dans un immeuble situé près de
l’ancien siège du syndicat de la presse, dont
il ne reste rien… Il s’exprimait en bégayant
et je me suis dit qu’il fallait peut-être que je
fasse pareil ! Il ne s’est pas formalisé, appa-
remment. Il m’a dit que des amis à lui vou-
laient m’interroger sur la source dont j’avais
disposé, à la présidence de la République,
pour écrire certains passages de mes Mé-
moires. Saïd leur avait dit qu’il me poserait
la question lui-même. J’ai ri. Lui aussi. Il
n’était plus le seul à disposer de « rentes »
d’information. p
saïd asgharzadeh
(Traduit par Stéphane Dudoignon,chargé
de recherches au CNRS, spécialiste de l’Is-
lam en Asie centrale et au Moyen-Orient )
Prochain article : Nawal El Saadawi, une
féministe égyptienne
¶
Saïd Asgharzadeh a travaillé pendant
trente ans comme journaliste ou rédac-
teur en chef d’une vingtaine de titres de
la presse iranienne. Il collabore au journal
« Shahrvand »
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
LA TRANSGRESSION
SANS PRÉCÉDENT
DE DONALD
TRUMP
Q u’ils le veuillent ou non, les
Américains ont été obligés de
s’habituer aux provocations
assumées, aux saillies à l’em-
porte-pièce et aux Tweet intempestifs
de Donald Trump, incessants depuis
son installation à la Maison Blanche, il
y a huit mois. Mais il semble bien que
la tempête soulevée depuis quatre
jours soit en passe de créer une rupture
irrémédiable entre le président des
Etats-Unis et les valeurs fondamenta-
les qu’il est censé incarner et défendre.
L’affaire, on le sait, remonte au sa-
medi 12 août. Ce jour-là, l’extrême
droite américaine la plus activiste – su-
prémacistes blancs, néonazis, antisé-
mites et membres du Ku Klux Klan,
nombre d’entre eux lourdement ar-
més – avait décidé, après plusieurs ras-
semblements ces derniers mois, de
Réguler l’économie du tourisme
pour la démocratiser
Ce secteur engendre un
profit facile et rapide, mais
la France doit analyser ce
phénomène de masse pour
prévenir les désagréments
qu’il cause, selon le
sociologue Jean Viard
Par JEAN VIARD
U n milliard deux cents millions
d’humains vont visiter un autre
pays que le leur en 2017. Ils
étaient 60 millions en 1968. Quatre-
vingt-neuf millions vont probablement
venir en France avant la fin de l’année,
pays où nous sommes 62 millions « à l’an-
née ». Le gouvernement vise les 100 mil-
lions de touristes en 2020, pour une re-
cette de 50 milliards d’euros. L’humanité,
peu à peu, se connecte ainsi dans une
mondialisation vécue, massive, exponen-
tielle. Ce flux gigantesque – et ses poids
médiatique et économique – en a fait par
ailleurs une cible pour les terroristes. La
France, historiquement cœur du mouve-
ment touristique, en a fait largement les
frais – comme de nombreux pays de Mé-
diterranée. Pensons Bataclan, Nice,
Champs-Elysées.
Des forces politiques radicales se met-
tent aussi à contester ce « tourisme de
masse ». Ce phénomène est certes
aujourd’hui très minoritaire, mais il faut y
être attentif car on ne déplace pas des mil-
lions d’humains sans conséquences, ni
pour eux ni pour les habitants « à l’année »
du pays d’accueil. Surtout dans une
période de montée des nationalismes,
d’ultra-gauche violente et de mobilisation
des sentiments écologiques. Pensons aux
oppositions au Center Parcs dans la
Drôme, aux manifestants de Barcelone ou
de Dubrovnik. Mais pensons aussi à cer-
taines critiques contre la société Airbnb.
LA VILLE
TOURISTIQUE
CHASSE
EN PÉRIPHÉRIE
UNE PART
DES HABITANTS
MODESTES
faire une démonstration de force à
Charlottesville (Virginie). Le prétexte
était la défense de la statue de Robert E.
Lee, chef militaire des sudistes durant
la guerre de Sécession, que la munici-
palité a décidé de déboulonner. Mais
pour cette « alt-right » raciste, encoura-
gée par l’élection de Donald Trump, il
s’agissait de se compter et de frapper
les esprits. Après des affrontements
violents avec les militants antiracistes,
la démonstration s’est terminée de fa-
çon dramatique, un jeune manifestant
d’extrême droite ayant foncé avec sa
voiture dans la foule, tuant une jeune
femme et blessant gravement une
vingtaine de personnes.
La réaction du président américain,
comme souvent erratique et imprévi-
sible, menace désormais de cristalliser
contre lui une indignation qui dépasse
largement le camp de ses opposants
politiques. Dès le lendemain des af-
frontements de Charlottesville, Do-
nald Trump a renvoyé dos à dos les
deux camps, condamnant de la ma-
nière la plus ferme « cette énorme dé-
monstration de haine, de sectarisme et
de violence venant, a-t-il martelé, de di-
verses parties ».
Devant le malaise et l’indignation
provoqués par cette déclaration, le
président américain a semblé changer
d’attitude. Lundi 14 août, la Maison
Blanche rendait publique une déclara-
tion assurant que sa condamnation de
la veille incluait « bien sûr, les supré-
macistes blancs, le Ku Klux Klan, les
De plus en plus, l’humanité va « se visi-
ter ». Car le premier but du voyage, c’est
l’autre, son territoire, sa culture, ses pay-
sages, ses œuvres, ses divertissements… La
démocratisation en cours du voyage est un
enjeu mondial immense pour faire terre
commune. Dans certaines régions, c’est la
principale source d’emplois. En France, de
7 % à 8 %. Près de 12 % à Barcelone et dans
les grandes régions touristiques. Les entre-
prises de l’Hexagone exportent leur savoir-
faire en la matière partout dans le monde,
en particulier en Chine. Pensons Club Med,
Pierre et vacances.
Mais pensons aussi à la reprise de notre
modèle des parcs naturels régionaux et à
Airbus, au TGV, dont la plupart des passa-
gers sont des touristes. Car, dans tourisme,
il y a mobilité, et donc toutes les inventions
pour la rendre rapide, facile et sûre. En
Europe, nous sommes passés d’une société
sédentaire à une société quasi birésidente
où plus de 60 % des gens séjournent cha-
que année hors de leur domicile. On dit
alors « partir en vacances ». Mais comment
ce flux considérable est-il vécu par les
sociétés d’accueil ? Car, si le tourisme est
désir de l’autre, il est aussi pour une part sa
caricature et sa submersion.
SENTIMENT D’ENVAHISSEMENT
Pensons à Gordes, au cœur du Luberon :
quel rapport entre cette station touristique
et le village paysan en ruine, « découvert »
dans les années 1930 ? Le site, certaine-
ment ; les vues, le climat, la végétation, l’ar-
chitecture (et encore). Certes, sans le tou-
risme, il ne resterait probablement là qu’un
piton en ruine mais, enfin, comment ne
pas comprendre un certain sentiment local
d’envahissement et de « colonisation » ?
Alors, pensons cela au niveau de Barce-
lone ou de Prague. Le phénomène est le
même, mais à une tout autre échelle – sur-
tout dans des villes vivantes, peuplées,
créatrices. Souvent, la mise en tourisme a
été un projet politique rapide – là pour accé-
lérer la sortie du franquisme, ici pour faire
renaître la richesse après le communisme.
Localement, on a d’abord le sentiment
que la vie revient, l’animation, la foule…
Mais ensuite, comment vivre à l’année
dans une station touristique avec des hô-
tels partout, des logements loués quelques
mois par an, des résidences secondaires
fermées onze mois sur douze ?
En outre, la désorganisation par le terro-
risme du tourisme au sud de la Méditerra-
née a brutalement augmenté les flux sur la
rive nord, et ce pour des populations sou-
vent plus modestes. Certes, au niveau
d’une grande ville, c’est moins perturbant
que dans un village. Certes, avec le temps,
Paris ou les villes italiennes montrent que
les deux cultures peuvent se mêler – les lo-
débats & analyses | 21
néonazis et tous les groupes extrémis-
tes ». Mais le naturel est revenu au
galop, mardi.
Comme exaspéré par les multiples
commentaires jugeant sa réaction tar-
dive et ambiguë, M. Trump a réitéré
son premier jugement. Depuis sa
Trump Tower new-yorkaise, il a réaf-
firmé qu’il y avait eu, à Charlottesville,
« des torts des deux côtés », mettant sur
le même plan l’extrême droite et une
extrême gauche (une « alt left » inven-
tée pour l’occasion) « très très vio-
lente ». L’un des responsables du Ku
Klux Klan n’a pas tardé à saluer cette
condamnation des « terroristes de gau-
che », tandis que plusieurs responsa-
bles des républicains, et jusqu’au chef
des marines, dénonçaient ce nouveau
revirement.
Car la faille est profonde. En éta-
blissant une équivalence entre les
mouvements antiracistes et une ex-
trême droite pure et dure (qui l’avait
ostensiblement soutenu durant sa
campagne et dont il avait déjà tardé, à
l’époque, à se démarquer), Donald
Trump assume une transgression sans
précédent. Il a été élu à l’instinct, en
rupture avec l’histoire des Etats-Unis et
en guerre contre la « bien-pensance »,
surfant sur les mauvais démons d’une
Amérique blanche hérissée par sa
transformation en une nation multi-
culturelle. Il entend, à l’évidence, user
des mêmes ressorts pour gouverner le
pays. Pour le meilleur, veut-il croire.
Pour le pire, hélas. p
caux vivent et se divertissent des touristes
qui vivent et se divertissent des locaux.
Mais la ville touristique chasse en périphé-
rie une part des habitants modestes, les
travailleurs saisonniers sont mal logés et
souvent très exploités.
UNE MONDIALISATION PAR LES HUMAINS
Bien sûr, tout bouleversement d’un terri-
toire change celui-ci. Comment penser
aujourd’hui Clermont-Ferrand sans Miche-
lin ? En son temps, l’arrivée de l’entreprise a
pourtant profondément modifié la capi-
tale auvergnate mais nul ne proteste
quand il s’agit d’un « vrai » métier, fabri-
quant des choses avec des ouvriers et des
ingénieurs. Le farniente, la fête, l’amour ne
sont-ils pas aussi légitimes à bousculer une
culture ? Drôle de société qui préfère les
objets au lien entre les humains ! Mais
n’est-ce pas ce lien qui caractérise notre
culture moderne ? Tels sont l’enjeu et la va-
leur à défendre. Le tourisme est mondiali-
sation par les humains, les cultures, les arts
de vivre et de créer. Mais encore faudrait-il
l’étudier, le valoriser, le dire, l’organiser.
Or le tourisme semble une ressource fa-
cile, rapide, sans études ni recherche et dé-
veloppement. On oublie que l’hospitalité
impose une certaine égalité dans le droit
au voyage entre habitants et visiteurs. On
oublie donc le savoir, et le pouvoir organi-
sateur, pour un profit rapide et qui semble
facile. Jusqu’au jour ou un extrémiste
balance une bombe sur la plage !
Alors oui, je pense qu’on ne peut pas faire
venir 100 millions de touristes sans se mo-
biliser pour le départ en vacances des 40 %
d’entre nous qui ne partent pas. On ne
peut pas continuer à laisser se développer
sans analyse et connaissance cet extraor-
dinaire mouvement des foules qu’est le
tourisme de masse. Et il est temps pour la
France – qui est le premier et parmi les
plus anciens des pays touristiques – de dé-
velopper la recherche et la formation sur
ces sujets. Il faut réguler l’économie touris-
tique pour permettre son développement
et sa démocratisation. Par exemple, en
créant un ministère du tourisme qui en
régule le territoire, l’économie, la démo-
cratisation, les règles. Et en favorisant,
aussi, un grand centre de recherche et
d’enseignement sur ces sujets. En France,
puis au niveau de l’Europe. N’attendons
pas les prochaines explosions. p
¶ que, à l’ONU par exemple. L’hypo-
Jean Viard est sociologue,
directeur de recherche associé
CNRS-Cevipof et auteur du
« Triomphe d’une utopie.
Vacances, loisirs, voyages :
la révolution des temps libres »
(Editions de l’Aube, 2015)
Corée du Nord :
« Ni résolution
diplomatique
ni conflit militaire »
François Godement, professeur à Sciences Po,
juge que l’hypothèse d’une attaque de la part
de Pyongyang « relève de la fantaisie »
Entretien
L’ historien François Gode-
ment est spécialiste de la
Chine et des relations
internationales en Asie. Directeur
du programme Asie et Chine à l’Eu-
ropean Council on Foreign Rela-
tions (ECFR) et professeur à Science
Po, il a fondé, en 2005, Asia Centre,
un institut de recherche indépen-
dant, dont il a assuré la présidence
jusqu’en 2009. Il a publié Que veut
la Chine ? (Odile Jacob, 2012).
Quel regard portez-vous
sur la crise nord-coréenne ?
La crise que nous vivons entre la
Corée du Nord et les Etats-Unis
était attendue depuis une dizaine
d’années. Si les progrès balistiques
nord-coréens ont été plus rapides
que prévu, le pays n’a jamais cédé
face à quelque sanction internatio-
nale que ce soit. A court terme, il
n’y a pas de résolution diplomati-
que possible, car celle-ci n’arrêtera
pas le régime de Kim Jong-un.
Quand la Corée du Nord dit qu’elle
va procéder à des essais nucléaires
ou balistiques, elle le fait.
Toutefois, cela ne veut pas dire que
nous nous dirigeons vers un conflit
militaire. L’actuelle situation de
crise n’est pas nouvelle. Elle nous ra-
mène à l’administration Bush, qui,
comme Donald Trump, traçait des
« lignes rouges » à ne pas franchir,
puis les déplaçait quand la Corée du
Nord les franchissait. Quant à l’ad-
ministration Obama, elle a cru agir
par le biais des sanctions.
Quelle est la stratégie chinoise ?
La Chine a toujours été réactive et
opportuniste, car son objectif pre-
mier reste le maintien du statu quo,
ou à peu près. Devant les avancées
nord-coréennes, la Chine cherche à
minimiser l’effet domino dans la
région, d’où sa virulence à dénon-
cer l’installation de défense anti-
missile en Corée du Sud, et même
les sanctions informelles prises
contre Pyongyang.
La Chine essaie aussi de positiver
la crise : ce fut longtemps un moyen
de valoriser son rôle potentiel
auprès des Etats-Unis. Mais la limite
de ce rôle, c’est que Pékin ne veut
pas d’un bouleversement dans la
péninsule, et en particulier ne veut
pas d’une chute du régime nord-co-
réen, aussi inamical soit-il à son en-
droit. C’est également le cas des
Etats-Unis, qui, malgré leur rhétori-
que, ne souhaitent pas le renverse-
ment du régime, porteur de risques
humains et économiques énormes.
Le président Trump avait, après son
élection, déclaré vouloir rencontrer
le dictateur nord-coréen, ce que Bill
Clinton lui-même n’avait pas fait en
phase de détente relative.
Enfin, la Chine a moins de pou-
voir qu’on ne pense sur la Corée du
Nord, sauf à imposer un blocus
complet, en particulier sur le pé-
trole. Kim Jong-un a réussi à purger
l’influence interne de la Chine,
comme son grand-père Kim Il-
sung l’avait fait en son temps.
Si confrontation il y a, de quel
côté la Chine se placerait-elle ?
Je ne pense pas que la Chine pren-
drait le risque d’un engagement
comme dans la guerre de Corée. Elle
assurerait une défense diplomati-
thèse d’une attaque non provoquée
de la part des Nord-Coréens relève
de la fantaisie. Depuis toujours, ils
défient leurs adversaires, mais c’est
pour garantir la survie du régime.
La stratégie nord-coréenne est de
menacer de dommages inaccepta-
« DEPUIS TOUJOURS,
LES NORD-CORÉENS
DÉFIENT LEURS
ADVERSAIRES,
MAIS C’EST POUR
GARANTIR LA SURVIE
DU RÉGIME »
bles son voisin sud-coréen, et pour
cela, elle doit rester imprévisible.
Mais passer à l’acte, ce serait se sui-
cider devant des forces infiniment
supérieures. C’est cet équilibre – un
coût inacceptable pour la Corée du
Sud et sans doute pour les Etats-
Unis, la perspective d’une dispari-
tion du régime nord-coréen – qui
constitue le sentier de survie du ré-
gime et de ses entreprises.
Les Etats-Unis peuvent-ils
s’opposer à la Chine ?
La Chine a des demandes classi-
ques : prudence et négociations di-
rectes entre les Etats-Unis et Pyon-
gyang. Elle en a aussi une nouvelle, à
laquelle la Russie s’est jointe : échan-
ger une pause nucléaire et balistique
contre l’abandon par les Etats-Unis
et leurs alliés de déploiements con-
ventionnels. Mais l’abandon par les
Etats-Unis d’une posture de défense
de l’avant mettrait par terre leurs al-
liances régionales – Corée du Sud et
Japon ont besoin d’un soutien mili-
taire et de dissuasion étendue.
La posture de la Chine est donc
rhétorique, comme l’idée d’une re-
connaissance rapide du régime
nord-coréen, car jusqu’ici, la Corée
du Nord n’a jamais appliqué le résul-
tat de négociations sur le plan nu-
cléaire. En revanche, les Etats-Unis
sous Donald Trump inaugurent un
levier nouveau : établir un lien entre
leur attitude à l’égard de la Chine en
matière de commerce et la persua-
sion que la Chine exerce sur la Corée
du Nord. Le calendrier des dernières
semaines et les fuites orchestrées
ces derniers jours sont éloquents.
Or le maintien des exportations
chinoises est un objectif fondamen-
tal pour le pays, qui pourrait bien
équilibrer sa réticence à laisser la pé-
ninsule coréenne se bouleverser. Là
où aucune administration améri-
caine n’a réussi à faire changer la po-
litique chinoise sur la Corée, l’admi-
nistration Trump a obtenu, le 7 août
à l’ONU, un succès sans précédent
en matière de sanctions, mais cela
reste à vérifier sur le terrain.
Peut-on comprendre la logique
nord-coréenne : se doter
de l’arme nucléaire pour
se protéger alors que celle-ci
met le régime en danger ?
Le raisonnement de la Corée du
Nord ne s’adresse pas qu’aux Etats-
Unis, mais aussi à la Chine. « Vous,
Chinois, possédez l’arme nucléaire.
Pourquoi ne l’aurions-nous pas ? »,
leur disait-elle. Son défi actuel suit le
vote par la Chine des sanctions au
Conseil de sécurité de l’ONU. Même
la formulation précise par Pyon-
gyang concernant les tirs à venir est
un reproche à la Chine. Les militai-
res nord-coréens déclarent vouloir
tirer des missiles au-dessus du Ja-
pon et à 30-40 milles de l’île de
Guam. Or, en 1996, la Chine a tiré au-
dessus de Taïwan des missiles qui
sont tombés à 23 et 35 milles des cô-
tes de l’île. Brandir ces menaces en
situation de faiblesse, c’est aussi ré-
tablir un équilibre menacé avec l’es-
poir que les autres ne vont jamais al-
ler au bout de leur réplique. p
propos recueillis par
fatoumata diallo
22 | L’été en séries
Le stilton pris dans la tempête du Brexit
stilton, colston bassett, cuckney
(royaume-uni) - envoyé spécial
L
a fourme vient d’Ambert
et le bleu, de Bresse. Mais
le stilton ? La plupart des
clients du Bell Inn, un hô-
tel de charme en plein cœur du vil-
lage de Stilton, y font étape en
pensant visiter la fabrique du fro-
mage que George Orwell qualifiait
de « meilleur du monde dans sa ca-
tégorie ».
« Tous les clients me demandent
où est l’usine. Je suis obligée de leur
avouer qu’il n’y en a pas ici », ra-
conte Johanna Grimshaw, la gé-
rante de l’élégante demeure bâtie
en 1642 sur la route menant de
Londres à Edimbourg. Pourtant,
au restaurant du Bell Inn, la carte
propose des épinards au stilton,
un poulet au stilton et, évidem-
ment, un plateau de huit variétés
du fromage de vache bleu, goû-
teux et crémeux. Un cheesecake
au stilton y figura même un
temps. Mais le stilton de Stilton
n’existe pas. « Ce serait pourtant le
top », admet l’hôtelière, discrète
sur la guerre commerciale qui ex-
plique cette étrange situation.
Au Royaume-Uni, le stilton est
associé aux fêtes de Noël. Les Bri-
tanniques creusent alors un trou
au centre du bloc cylindrique
veiné de bleu et y versent du
porto. Mais sur ses lieux de pro-
duction, une campagne ver-
doyante typiquement anglaise,
parsemée de clochers carrés an-
glicans, à quelque 160 km au nord
de Londres, le fromage servi à
Buckingham Palace a ses zones
d’ombre. Les incertitudes sur ses
origines servent de prétexte à
d’intenses rivalités, qui souli-
gnent à la fois l’étrange lien des
Britanniques avec ce que les Fran-
çais nomment « terroir » et l’im-
portance prise outre-Manche par
la notion d’appellation d’origine
protégée (AOP).
On était parti au pays du stilton
en rêvant de prendre un peu l’air
et d’échapper à la saturation du
débat sur le Brexit. Et voilà que la
« guerre du stilton » nous y re-
plonge. Les AOP, l’une des rares ré-
glementations de l’Union euro-
péenne introduite avec succès au
FROMAGES D’EUROPE 2|5 La fameuse pâte persillée anglaise doit sa survie
à l’appellation d’origine protégée, l’une des rares réglementations
européennes introduite avec succès outre-Manche. Aujourd’hui,
la sortie de l’Union menace ce fleuron de l’identité britannique
Royaume-Uni, ont fait la prospé-
rité du fromage bleu qui utilise la
même souche Penicillium roque-
forti que le roquefort. Et voilà que
le Brexit remet tout en cause. Iro-
nie de la situation, le divorce avec
l’Union européenne menace un
fleuron de l’identité britannique.
Seules six laiteries situées dans
trois comtés contigus – Derby,
Nottingham et Leicester – sont ha-
bilitées à baptiser « stilton » leur
production. L’association des pro-
ducteurs de stilton y veille jalou-
sement. Lorsque Liam McGivern,
le propriétaire du Bell Inn, situé
dans le comté voisin de Cam-
bridge, s’est lancé dans la produc-
tion en 2012, elle lui a interdit de
donner à son fromage le nom du
village. « Nous ne pouvons pas fa-
briquer du stilton à Stilton, c’est ri-
dicule ! », a-t-il alors plaidé.
Appelé à trancher le litige, le mi-
nistère de l’agriculture a invoqué
la réglementation européenne
sur les AOP, qui, en l’occurrence,
avait bon dos. Les producteurs la-
bellisés n’ont pas attendu l’UE
pour protéger leur pré carré : la
marque « stilton » est déposée de-
puis 1966. L’hôtel a dû appeler son
fromage « Bells blue », avant
d’abandonner la partie.
Appelés à la rescousse, les histo-
riens locaux se sont mis au service
de chacun des protagonistes. Ri-
chard Landy dit avoir découvert
une recette du XVIIIe siècle prou-
« NOUS NE POUVONS
PAS FABRIQUER
DU STILTON
À STILTON,
C’EST RIDICULE ! »
LIAM MCGIVERN
propriétaire du Bell Inn
vant une production locale au vil-
lage de Stilton. Mais Trevor Hick-
man assure que cette spécialité, de
couleur blanche, n’avait rien à voir
avec le stilton bleu, inventé, selon
lui, par Frances Pawlett, une entre-
preneuse établie au début du
XIXe siècle dans la petite ville de
Melton Mowbray.
Pasteurisation et rébellion
Le lien entre le village de Stilton et
la large zone de production du fro-
mage semble en revanche docu-
menté par l’itinéraire d’Elizabeth
Orton, une fermière établie au
XVIIIe siècle à 50 km de Stilton qui,
au début du XVIIIe siècle, démarre
la production d’un fromage bleu.
Sa fille épouse Cooper Thornhill,
propriétaire du pub The Bell Inn à
Stilton. L’aubergiste aime la fille,
mais aussi le fromage de la mère. Il
en négocie l’exclusivité de la vente
et prospère grâce à sa clientèle de
passage. Dans un récit de voyage
de 1724, Daniel Defoe raconte être
« passé à Stilton, une ville célèbre
pour son fromage, que l’on appelle
le “parmesan anglais” ». Moins ap-
pétissant, il précise : « On le sert ac-
compagné de ses mites ou asticots,
si gros qu’on vous apporte une
cuillère pour les manger avec. »
C’est le genre d’image qu’il vaut
mieux éviter devant Billy Kevan,
le directeur de la laiterie de Cols-
ton Bassett, un village que l’on at-
teint après un gymkhana sur une
enfilade de routes à voie unique.
En 1989, après une plainte sani-
taire, l’exploitation a été con-
trainte de détruire sa production,
en pleines fêtes de Noël. « Plus ja-
mais ça », répète Billy Kevan, fils
de fromager. Dernier des fabri-
cants de stilton à utiliser du lait
cru, Colston Bassett a alors adopté
la pasteurisation. Depuis son bu-
reau, par un écran relié aux camé-
ras disséminées dans la fromage-
rie, Billy Kevan présente fière-
ment les étapes de la fabrication
manuelle dont il est l’un des der-
niers promoteurs.
Née en 1913 de l’initiative d’un
médecin local désireux de lutter
contre la pauvreté des produc-
teurs de lait, la coopérative re-
groupe quatre fermes, emploie
27 salariés et produit 430 des
9 000 tonnes de stilton mises cha-
que année sur le marché. La pas-
teurisation, devenue la norme, est
pour lui une question de principe,
destinée à « protéger notre mar-
ché » et à limiter le risque d’une
nouvelle catastrophe.
« Absurdité ! s’exclame Joe Sch-
neider dans sa ferme de Col-
lingthwaite, à une heure de route
de là. Des centaines de fromages
au lait cru existent dans le
monde ! » Américain d’origine,
l’apôtre du « vrai » stilton élève
150 vaches à proximité de sa fro-
magerie, installée dans une belle
grange ancienne.
Bottes de caoutchouc, blouse,
charlotte, lavage minutieux des
mains. On pénètre comme dans
une unité de soins intensifs dans
l’univers du « stichelton ». Car Joe
Schneider n’a pas obtenu le droit
d’appeler « stilton » son fromage
au lait cru, l’AOP décernée par
Bruxelles en 1996 exigeant la pas-
teurisation. « Les AOP devraient
protéger le patrimoine d’une popu-
lation, elles les en privent, tonne-
t-il. Les grandes fromageries ont
pris ces appellations en otage pour
en faire de simples instruments de
marketing et protéger leurs mar-
ques. » Pour lui, l’incrimination du
lait cru, en 1989, ne repose que sur
des rumeurs ; et la pasteurisation
« rompt le lien avec le terroir ».
« Terroir » ? « Quand on prononce
ce mot devant des Britanniques, ils
comprennent “terreur”, sourit Ma-
rion Demossier, anthropologue à
l’université de Southampton.
L’idée d’un patrimoine gastrono-
« LES GRANDES
FROMAGERIES ONT
PRIS LES AOP EN OTAGE
POUR EN FAIRE DE
SIMPLES INSTRUMENTS
DE MARKETING »
JOE SCHNEIDER
producteur du stichelton
mique diversifié relié à des régions
n’existe pas. Ici, la révolution indus-
trielle a très tôt vidé les campagnes
et affaibli les traditions locales. »
Pour elle, la version britannique
des AOP renvoie « davantage à
une marque qu’à un goût attaché à
un territoire ».
Dès les années 1840, le Royau-
me-Uni a été inondé de nourri-
ture américaine bon marché, ce
qui a tué l’idée de « terroir », ana-
lyse de son côté Peter Atkins, pro-
fesseur de géographie à l’univer-
sité de Durham : « Tandis que les
Britanniques se focalisaient sur
l’hygiène du lait, les Français se
sont concentrés sur la qualité du
vin, explique-t-il. La crise du phyl-
loxéra les a incités à promouvoir
une politique de protection des ap-
pellations, adoptée par l’Etat après
1918, puis exportée dans toute
l’Union européenne. »
Le Royaume-Uni a été le pays le
plus lent à l’adopter, mais
aujourd’hui, le whisky écossais,
comme la cornish pasty (tourte de
Cornouailles) et le stilton, sont
protégés par une AOP, qui risque
de disparaître avec le Brexit. En
rompant avec les Français et les
Italiens, pionniers en la matière,
« nous allons perdre nos alliés », dé-
plore Joe Schneider. L’homme du
stichelton espère cependant que
le Brexit, en remettant tout à plat,
0123
JEUDI 17 AOÛT 2017
va lui permettre de plaider la
cause du lait cru.
Nick Clegg, ancien dirigeant des
libéraux-démocrates (proeuro-
péens), est moins optimiste : après
la sortie de l’UE, avertit-il, le stilton
ne sera plus protégé sur le conti-
nent, les exportations seront com-
promises et les pâles imitations
pourraient entrer librement sur le
marché. Abandonner les AOP « se-
rait très préjudiciable. C’est l’UE qui
a sauvé le patrimoine alimentaire
britannique », assène Matthew
O’Callaghan, de l’association des
producteurs de tourte au porc, elle
aussi protégée. « Les partisans du
Brexit prétendent défendre l’iden-
tité nationale en rompant avec l’UE,
renchérit Pelin Keskin sur le blog
Eater. En réalité, ils la bradent. »
« Il existe d’autres marchés ! »
Billy Kevan aborde, lui, le Brexit
avec l’optimisme des europhobes.
Si l’AOP disparaît, « notre marque
déposée continuera de nous proté-
ger, comme avant notre adhésion à
l’Europe », veut croire le directeur
de la laiterie de Colston Bassett, en
prédisant même « l’écroulement de
l’UE ». Pour lui, les fromagers conti-
nentaux ont besoin du marché
britannique et finiront ar signer
un accord de libre-échange. Sinon,
fanfaronne-t-il, « il existe d’autres
marchés ! »
Pour le professeur Atkins aussi,
l’esprit des appellations protégées
va survivre au Brexit. « Nous ne
croyons pas, comme les Français, à
la nécessité d’un contrôle d’une
autorité centrale. Ce sont les con-
sommateurs, et non plus l’UE, qui
arbitreront entre des marques dû-
ment étiquetées. » Bien plus exis-
tentielle pour les Anglais que tous
les enjeux du Brexit, la guerre du
stilton a commencé ! p
philippe bernard
Prochain article : le manchego