M Le magazine du Monde no 309. Supplément au Monde no 22581/2000 C 81975 — SaMedi 19 août 2017.

Ne peut être vendu séparément. disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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 3

carte blanche à

Wolfgang Tillmans.
Le photographe aLLemand, figure de L’art contemporain,
exprime sa Liberté de ton avec des images qui mêLent
abstraction et réaLisme documentaire. un univers
intime et engagé qu’iL présente Jusqu’à La rentrée.
Courtesy of Wolfgang Tillmans et Galerie Chantal Crousel, Paris

Greifbar 23, 2015.

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 19 août 2017

La semaine Le magazine
9 14 21 28
En Israël, des touristes L’étoile noire Sziget, hymne européen. Amour, gloire et népotisme.
armés pour les vacances. d’Hollywood Boulevard. Des milliers de jeunes La fille du président
12 16 venus de toute l’Europe angolais est aussi la femme
Et l’Amérique Le divorce se retrouvent chaque année la plus riche d’Afrique.
s’en prit à ses migrants. des Abramovitch met le à Budapest pour l’un Avec son mari, héritier d’un
monde de l’art en émoi. des plus importants festi- ancien dignitaire congolais,
18 vals du continent. Un îlot Isabelle dos Santos incarne
Le grand défilé de liberté dans la Hongrie une élite décomplexée.
PJ Harvey. de Viktor Orban. Et pleine d’ambitions
politiques.
34

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Juan Manuel Castro Prieto/Agence VU pour M Le magazine du Monde. Bonton Maison
42 Avocats du diable.
En-cas prisés par une
clientèle branchée, les
toasts à l’avocat font le buzz
sur les réseaux sociaux.
Et suscitent la polémique.
36
Coup de foudre à l’italienne.
C’est l’histoire d’amour
d’une star de cinéma lassée
de son statut de sex-symbol
et d’un alpiniste accro à
l’aventure. Rossana Podestà
et Walter Bonatti se sont
rencontrés à Rome en 1981,
et ne se sont plus quittés.
5

Le portfolio Le style La culture

42 53 70 76
Belle fille. Quoi de neuf ? Melting-pots Musique.
De ses déambulations en Les tendances Buffet froid. Therapie Taxi.
Martinique, le photographe de la rentrée. 72 Et aussi : festival de photo,
espagnol Juan Manuel 64 Dessous de sable cinéma et BD.
Castro Prieto rapporte Posts et postures La baie des coquins. 80
des images qui, loin #montauk. 73 Les jeux
des clichés, teintent l’île 65 Maison de vacances 82
d’une note mélancolique. Fétiche Force bleue. Le totem
Cubi sur l’ongle. 74 La feuille blanche
66 La grande illusion d’Ismaïl Bahri.
Variations De rouille et d’ocre.
Toile de maîtres.
67
Librement inspiré
Eau en couleurs.
68
Lieu de vacance
L’envie de palace.
69
Rencontre
53
Hans Janssen,
commissaire
de l’exposition
«La découverte
de Mondrian».

La photo de couverture
a été réalisée par Andi Galdi
Vinko pour M Le magazine
du Monde.

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 6

80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 —Tél. : 01-57-28-20-00/25-61

Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr —
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(édition numérique). Avec Alexandra Bogaert et Valentin Ehkirch Michaëlle Goffaux, Tél. 01-57-28-38-98

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

révision (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr)
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rédaction numérique directeur délégué - activités digitales
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Marie-France Willaume M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA).
Imprimé en France: Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes.
photogravure
Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé
Fadi Fayed, Philippe Laure. Avec Gilles Kebiri-Damour chez Maury certifié PEFC. Eutrophisation : PTot = 0.018kg/tonne de papier.
documentation Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP :
Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet 2000 C 81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart
« Relance abonnement » destiné à la vente au numéro France métropolitaine.
infographie
Le Monde
directeur de la diffusion et de la production
Hervé Bonnaud

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 7

Ils ont participé à ce numéro.

Journaliste — Photographe — Illustrateur
Styliste — Chroniqueur — Grand reporter
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Le Monde. Andi Gáldi Vinkó. Joan Tilouine. Lea Kloos. Lincoln Agnew. Pascale Nivelle. Juan Manuel Castro Prieto

Jean-BaPtiste Chastand, andi galdi vinko, photo- Joan tilouine, journaliste

reporter au service international
du Monde, a passé trois jours au
milieu des festivaliers du Sziget, à
Budapest. « C’est la première fois
que je venais en Hongrie pour
écrire sur un événement culturel
et non politique. Dans un pays
qui se renferme de plus en plus, le
festival représente une ouverture
vers l’autre qui fait plaisir à
voir… » (P. 21)
graphe hongroise, vit entre Paris
et Londres et a étudié à l’univer-
sité Moholy-Nagy et à Pennin-
ghen. Elle a promené son œil
dans un festival qu’elle connaît
bien. « Adolescente, la liberté du
Sziget me fascinait. Depuis, j’y
retourne presque chaque année
avec mes amis pour y retrouver
ces souvenirs… » (P. 21)
au Monde, couvre l’actualité afri-
caine. C’est en travaillant en RDC
fin 2016 qu’il s’intéresse à Sindika
Dokolo et Isabel dos Santos. « Ils
forment l’un des couples les plus
discrets, riches et glamour d’Afrique,
à cheval entre la RDC et l’Angola
– dont la richesse des ressources
naturelles et des élites n’a d’égale
que la pauvreté de la grande majo-
rité des habitants. » (P. 28)

sylvain Besson, rédacteur
en chef adjoint du quotidien
suisse Le Temps et spécialisé dans
la finance offshore, a couvert les
scandales juridico-financiers qui
ont éclaté depuis vingt ans dans
son pays. C’est dans ce cadre qu’il
s’est penché sur les réseaux
d’affaires de la famille du prési-
dent angolais Dos Santos. Il a
coécrit avec Joan Tilouine l’article
consacré au couple Dokolo-
dos Santos. (P. 28)
linColn agnew, illustra-
teur canadien, a croqué Isabel dos
Santos et Sindika Dokolo, ce
couple qui prétend incarner une
nouvelle élite africaine. Quand il
n’est pas en train de se promener
dans un parc ou de regarder des
méduses, il aime faire des collages
pour des revues telles que Vanity
Fair, Entertainment Weekly ou
The New Yorker. (P. 28)
PasCale nivelle, journa-
liste et collaboratrice régulière à
M, a bien connu la spectaculaire
star de péplum Rossana Podestà
et le plus grand alpiniste du
monde Walter Bonatti. Elle
raconte leur histoire d’amour,
de montagne et de cinéma. Ils
avaient rendez-vous le 3 juin 1981
à 11 h 30 place du Capitole, à
Rome, mais ont failli ne jamais se
rencontrer… (P. 37)
Juan Manuel Castro
Prieto, photographe espagnol, a
rapporté de Martinique un repor-
tage tout en douceur. Scientifique
de formation, ce membre de
l’agence VU a su faire cohabiter
ses passions en devenant l’un des
plus subtils tireurs européens. En
2015, il remporte le Prix national
de la photographie, décerné en
Espagne par le ministère de la
culture. (P. 42)

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 Le M
de la semaine.
llustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Gérard Donnat
«Au nord de Porto,
un M protecteur de dunes.»
GÉRARD DONNAT

Pour envoyer vos photographies de M : lemdelasemaine@lemonde.fr (sans oublier

de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m-le-mag, la galerie).
Pour nous écrire : mediateur@lemonde.fr ou M Le magazine du Monde,
courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13.
9
1 — En Israël,
des touristes armés
pour les vacances.
« Alignez-vous ! Évitez de prendre votre Arme
comme une guitAre, pointez-lA vers le sol.
QuAnd vous êtes prêts, relevez-lA, visez et
Docilement, les participants
tirez. »
s’exécutent sous le regard attentif de l’ins-
tructeur. La crosse calée contre l’épaule,
chacun crie « ech ech ech » (feu, en
hébreu) pour parodier le tir. Après quoi,
les armes en bois sont mises de côté :
on passe à l’exercice suivant. En cet
après-midi d’août, ils sont une vingtaine
à participer à l’atelier « Shooting Adven-
ture » proposé par Caliber 3, un centre
israélien de formation à la lutte antiterro-
riste fondé en 2002 dans le Goush Etzion,
en Cisjordanie occupée. Eitan Cohen
supervise la petite troupe composée
majoritairement de vacanciers juifs améri-
cains et français. Pantalon kaki, larges
épaules et crâne rasé, il est instructeur
depuis quatre ans, après vingt années
passées dans les unités antiterroristes
de l’armée israélienne.
19 août 2017 — Photo Tanya Habjouqa/NOOR pour M Le magazine du Monde
Simulation d’attaque d’un tireur embusqué
dans un marché, agression au couteau,
démonstration en direct avec un chien
de défense et, enfin, séance de tirs : le
parcours initiatique alterne entre mises
en situation et exercices pratiques. Coût
de la formation : 115 dollars (97 euros) par
personne. Sauf qu’en deux heures, « l’en-
seignement tactique reste très superficiel,
reconnaît un des instructeurs. C’est sur-
tout le message sur l’armée israélienne
et ses valeurs qui importe ».
Originaire de la Guadeloupe, Fabien
Bénichou s’est d’ailleurs inscrit avec •••
Pour une centaine
d’euros, les visiteurs
étrangers ont
deux heures pour
apprendre à se
défendre contre des
terroristes. Une initia-
tion succincte qui
permet surtout de com-
muniquer les valeurs
de l’armée israélienne.
 10

la première foiS que

le monde a écrit…
Les vacanciers
stagiaires s’entraînent
au maniement des
armes (ci-dessous) et
airbnb. évasion fiscale,
assistent à des mises concurrence déloyale, loca-
en situation (ci-contre,
la maîtrise d’un homme tions illégales, aggravation
armé d’un couteau de la crise du logement…
à un checkpoint).
accusée de toutes parts,
la plateforme américaine
de location temporaire est
devenue le symbole du
dévoiement de la très mal
nommée économie du par-
tage. le 28 décembre 2010,
deux ans après sa création,
le site est évoqué au détour
d’une phrase dans un article
consacré au boom de
la location en tous genres.
mais c’est dans M, le
25 février 2012, que paraît
••• sa famille dans cette optique : « Je le développement de cette nouvelle forme
le premier article consacré
voulais voir Tsahal [l’armée israélienne] de tourisme peut paraître opportun…
à airbnb. Sous le titre
de l’intérieur. » De confession juive, ils se voire opportuniste. « La problématique
« chez l’habitant, c’est
rendent régulièrement en Israël. À l’issue sécuritaire est devenue mondiale : dans le
payant », le magazine
de la formation, il a « bien compris le mes- secteur du tourisme, ça commence à être
constate que le site déna-
sage ». « Ils nous montrent comment aussi à la mode, reconnaît Joe Yudin,
ture le couchsurfing, pra-
neutraliser rapidement un terroriste. C’est directeur de l’agence israélo-américaine
tique consistant à prêter
spécial, mais ici [en Israël], ils n’ont pas Touring Israel, qui organise des séjours sur
gracieusement son canapé.
le choix. » La formule fait recette : mesure. Pendant des années, nous avons
« Si le principe de la
15 000 clients civils suivent chaque année emmené des groupes dans des bases de
gratuité disparaît, les fon-
à Caliber 3 le « Shooting Adventure » l’armée, notamment sur le plateau du Golan
dateurs d’Airbnb jurent
ou bien des cours de krav maga – une [territoire syrien annexé par Israël]. Mais
à qui veut les entendre
méthode d’autodéfense pratiquée par aujourd’hui, ce n’est plus possible. » Alors
que l’idée de base est res-
l’armée et les services spéciaux israéliens. une nouvelle offre, diffusée par les réseaux
pectée : partage, convivia-
Si celui de caliber 3 exiSte depuiS 2007, les sociaux, s’est développée sous le contrôle
lité et communauté d’esprit
programmes d’initiation à la lutte antiter- scrupuleux de l’État. « Le phénomène
avec ceux qui aiment
roriste pour les étrangers ne cessent de s’inscrit dans la diversification du tourisme
voyager autrement. »
se développer en Israël. Une douzaine de en Israël, longtemps fondé sur l’économie
le magazine prévient : « Le
centres ont déjà vu le jour. Depuis deux du pèlerinage, relativise Joe Yudin.
phénomène, s’il se déve-
ans à Jérusalem, Kapon Defense propose Aujourd’hui, les gens s’y rendent pour la
loppe, pourrait inciter les
ainsi une initiation de deux heures aux plage ou les restaurants. L’offre militaire
pouvoirs publics à imposer
visiteurs étrangers, moyennant 100 à est seulement un des volets du tourisme
des taxes aux particuliers
200 dollars (de 85 à 170 euros) par tête, d’aventure qui émerge en parallèle. »

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

selon la taille du groupe. Après une car-
rière à l’Autorité israélienne des aéroports,
et donc rompu à la problématique sécuri-
taire, Avi Kapon, son fondateur, veut
transmettre des réflexes « qui permettront
peut-être de sauver des vies » au public
non israélien. Ses concitoyens, eux, n’en
ont généralement pas besoin : la plupart
d’entre eux font leur service militaire et
maîtrisent donc déjà les techniques
basiques de défense.
À l’heure d’une menace terroriste plané-
taire, comme vient encore de le montrer
l’attentat de Ouagadougou, le 13 août,
tentés par une vocation
Tandis que la colonisation se poursuit en
d’hôteliers occasionnels. »
Cisjordanie, et que le processus de paix
des taxes, et désormais des
israélo-palestinien est au point mort,
amendes pour qui voudrait
les initiations à la lutte antiterroriste
s’y soustraire : au premier
seraient-elles aussi un moyen pour Israël
semestre 2017, 31 parisiens
de redorer son blason ? « Avec un pays
ayant omis de déclarer
où tout le monde fait l’armée, il est logique
leurs locations ont été
que la thématique militaire influence
condamnés à payer
l’offre touristique, avance Joe Yudin. Cela
des amendes à la Ville,
permet également de mieux comprendre
pour un montant total
les Israéliens, d’appréhender une réalité
de 615 000 euros.
qui leur est très familière, alors qu’elle
ne l’est pas du tout pour d’autres. »
Du moins pas encore. Claire Bastier

Photos Tanya Habjouqa/NOOR pour M Le magazine du Monde — 19 août 2017


2 — Et l’Amérique
s’en prit à ses migrants.
Quatre-vingt-dix ans ont passé depuis l’exé-
cution de sacco et de vanzetti, sorte d’affaire
dreyfus à l’américaine. Le contexte des
années 1920 ressemblait à celui d’au-
jourd’hui, en plus brûlant encore, avec
l’arrivée de millions de migrants fuyant la
misère, des inégalités sociales sordides,
des attentats meurtriers, un gouverne-
ment xénophobe et un Ku Klux Klan au
sommet de sa puissance. Sans oublier
de nouveaux médias, qui raccourcissent
les distances et échauffent les esprits :
le parallèle avec l’actualité est tentant.
L’affaire Sacco et Vanzetti, c’était
l’Amérique réactionnaire accusant l’immi-
gration de masse. En particulier les
Italiens, considérés comme une race infé-
rieure. En 1920, Nicola Sacco, jeune père
de famille, et Bartolomeo Vanzetti,
vendeur de poissons au regard doux et
aux splendides moustaches, sont accusés
du braquage d’une usine et d’un double
meurtre dans le Massachusetts.
Le procès est une mascarade, dans
laquelle trempe l’élite WASP de Boston,
y compris des cadres de Harvard. Des
preuves balistiques sont fabriquées,
des témoignages inventés. Dans une
ambiance cocardière (les cercueils des
soldats américains revenaient encore des
tranchées françaises), les questions du
procureur tournent autour de leur fidélité
à la bannière étoilée, alors que Sacco et
Vanzetti, anarchistes convaincus, avaient
fui au Mexique pour éviter la conscription.
Au fil d’un procès perdu d’avance, le duo
s’aperçoit qu’il représente une cause qui le
dépasse. La défense exploite un climat de
lutte ouvrière dans le pays pour monter
une stratégie à la Jacques Vergès : elle veut
faire exploser le cadre du procès, mettre
le capitalisme américain en accusation aux
yeux du monde. La presse à grand tirage
et la radio transforment l’affaire en
feuilleton du Bien contre le Mal, et les
condamnés en martyrs. Leur exécution
par la chaise électrique, le 23 août 1927,
entraîne des émeutes à Paris, Tokyo, en
Afrique du Sud, et signe peut-être les
grands débuts de l’antiaméricanisme.
On sait aujourd’hui que Sacco et Vanzetti
n’étaient pas les anarchistes fleur bleue
décrits par les grandes plumes de
l’époque (John Dos Passos, Upton Sinclair,
Romain Rolland). En quête d’un idéal pur,
M Le magazine du Monde — 19 août 2017
Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti à leur arrivée
au pénitencier de Charlestown, Massachusetts,
en 1927 (en haut). Comme des millions de migrants
italiens, ils avaient débarqué à Ellis Island (en bas),
dans la baie de New York, vingt ans plus tôt.
ils fréquentaient des durs de durs, adeptes
de l’action violente et de l’assassinat poli-
tique. Les attaques anarchistes visaient
des procureurs, des industriels, jusqu’au
ministre de la justice. Une bombe explose
à Wall Street le 16 septembre 1920 : elle
tue 38 personnes et en blesse 200. Les
travaux de Topp confirment que Sacco
et Vanzetti se trouvaient sur les lieux de
plusieurs attentats lors de leur déclenche-
ment, et qu’ils connaissaient personnelle-
ment plusieurs de leurs auteurs. Ce qui
n’en fait pas pour autant les coupables du
braquage et du double meurtre pour les-
quels ils ont été condamnés. « Leur appar-
tenance au groupe anarchiste a joué un
rôle crucial dans l’issue du procès », sou-
ligne Michael Topp, historien des mouve-
ments sociaux à l’université du Texas à El
12
Paso, et auteur d’un ouvrage sur l’affaire
en 2004.
Entre 1880 et 1920, les États-Unis ont
absorbé 20 millions d’immigrants, en
grande partie venus d’Europe. Parmi eux,
4 millions d’Italiens dans le collimateur
des Anglo-Saxons, qui les pensaient
inassimilables. À New York, les Irlandais,
arrivés avant eux et à qui l’on n’avait fait
aucun cadeau, les forçaient à prier dans
les caves des églises. Dépeints comme
sales, criminels et violents, ces Italiens
d’hier étaient en quelque sorte les Latinos
et les musulmans d’aujourd’hui. « L’atmos-
phère actuelle du pays est similaire à l’ère
Sacco et Vanzetti, selon Michael Topp. Les
immigrants, surtout ceux aux croyances
considérées comme suspectes, ne sont
pas les bienvenus. Si un procès équivalent
avait lieu aujourd’hui, je ne suis pas sûr
qu’il inspirerait une telle révolte. »
Des 4 millions d’Italiens de la grande
migration, la moitié repartira, certains
victimes de rafles et de déportations de
masse. L’autre moitié réalisera le rêve
américain. Leurs descendants ont plutôt
voté Trump en 2016. « Je dirais à 60 %
pour Trump et à 40 % pour Clinton,
comme les autres Blancs. Le vote italo-
américain est devenu un vote de Blancs »,
explique Richard Alba, sociologue des
migrations, qui a grandi dans le Bronx, et
dont le grand-père est sicilien. Alba incite
à la prudence sur ces questions : à la suite
de plusieurs générations de mariages
mixtes, on n’est plus vraiment italo-améri-
cain à 100 %. Un signe d’intégration totale.
« De nombreux descendants d’immigrés
italiens votent à droite, ajoute Michael
Topp. Pour certains, ce n’est pas un bas-
culement : Mussolini était populaire dans la
communauté jusqu’à l’entrée en guerre de
l’Italie. Pour d’autres, il s’agit d’un tournant
à droite, personnel ou générationnel,
qui a sans doute à voir avec un sentiment
d’appartenance à la nation. »
Un hommage est organisé à Boston le
23 août par la Sacco and Vanzetti Com-
Keystone France. Rue des Archives/PVDE
memoration Society. Il n’attirera pas des
foules de millenials américains. Ceux-ci ont
d’autres causes à défendre aujourd’hui,
même si l’affaire soulève des questions
intemporelles sur les libertés civiles, l’indé-
pendance de la justice et les droits des
immigrés aux États-Unis. Elle reste un
mythe, où s’entrechoquent l’Amérique
telle qu’elle aime se voir et l’Amérique telle
qu’elle se comporte. Maxime Robin
 14

L’étoile de Donald Trump

sur le Walk of Fame de
Los Angeles est régulièrement
vandalisée. Une pétition deman-
dant son retrait aurait recueilli
plus de 40 000 signatures.

Le photographe irlandais Kenneth

O Halloran a rassemblé cette série
dans un livre publié à compte d’au-
teur et intitulé Bing, Bing, Bong,
Bong, Bing, Bing, Bing, en réfé-
rence à une formule utilisée par
Trump dans un discours en 2015.

L’étoile noire
3—
d’Hollywood Boulevard.
photos Kenneth O hallOran

Des Doigts accusateurs, Des visages grimaçants… lors D’une

visite à los angeles, Kenneth o halloran fut témoin Des
réactions Des passants Devant l’étoile De DonalD trump
sur hollywooD BoulevarD. Décidant d’immortaliser ces
gestes et mimiques, le photographe irlandais revint
avec son appareil en avril 2016. « Je voulais capturer
ce moment entourant la nomination controversée de
Donald Trump comme candidat républicain. L’attitude
de ces personnes est saisie comme si elles se trouvaient
face à l’individu », explique-t-il.
Donald Trump avait obtenu cette étoile en 2007 pour
l’émission de télé-réalité « The Apprentice » dont il était
le producteur. Avec la campagne présidentielle, The
Walk of Fame s’est transformé en un défouloir public.
Pour Kenneth O Halloran, les images prises sur ce lieu,
« qui incarne le rêve américain », montrent comment
« la campagne présidentielle a altéré la nature policée
des discours ». En octobre 2016, un Américain, James
Lambert Otis, s’était attaqué avec une pioche à la dalle
consacrée à Donald Trump : il voulait la vendre aux
enchères au profit des femmes que l’homme d’affaires
aurait agressées sexuellement. Trois mois plus tôt,
après les déclarations du candidat à la Maison Blanche
sur les migrants mexicains, Plastic Jesus, un artiste
américain, avait érigé un mur haut de 15 centimètres
autour de l’étoile de Trump. L’élection du milliardaire
n’a pas mis fin à ces pratiques. En juin, l’étoile a
été recouverte d’autocollants clamant notamment
« Je résiste au racisme », lors d’une marche d’opposants
au président des États-Unis. Valentin Ehkirch

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

FRED & FARID Paris

* Vous vous attendiez à quoi ?

P O U R V O T R E S A N T É , É V I T E Z D E G R I G N O T E R E N T R E L E S R E PA S . W W W. M A N G E R B O U G E R . F R

4 — Le divorce des Abramovitch
met le monde de l’art en émoi.
pendant dix ans, iLs ont formé un coupLe gLamour, habitué
des carnets mondains. L’un est connu pour sa fortune
colossale, évaluée à plus de 9 milliards de dollars par
Forbes, l’autre pour son goût immodéré des soirées
fréquentées par les célébrités. L’oligarque Roman
Abramovitch, 50 ans, propriétaire du club de foot
de Chelsea, et sa compagne, Dasha Zhukova,
36 ans, ont officialisé leur séparation le 7 août.
Ce divorce, le troisième pour le magnat russe, ne
devrait a priori émouvoir que les rubriques people.
Mais c’est compter sans l’importance du couple dans
le monde de l’art. À eux deux, ils ont créé quelques-
uns des plus grands centres d’art en Russie et possé-
deraient une collection inestimable. Alors, à peine
le divorce était-il annoncé que beaucoup s’interro-
geaient : leurs trophées risquent-ils de se retrouver à
l’encan au terme du partage ? Les centres culturels
qu’ils ont créés à Moscou et à Saint-Pétersbourg
pourraient-ils réduire la voilure ?
Roman Abramovitch et Dasha Zhukova ont défrayé la
chronique en mai 2008 en achetant le portrait d’une
femme obèse par Lucian Freud pour 33,6 millions de
dollars chez Christie’s. Il s’agissait alors du prix le plus
élevé payé pour un artiste vivant. Dans la foulée, ils ont
remporté chez Sotheby’s un triptyque de Francis
Bacon pour le montant record de 86,3 millions de
dollars. On se ferait remarquer pour moins que ça.
L’idée de ces achats hypermédiatisés viendrait de
Dasha Zukhova, qu’il a rencontrée en 2005. Fille d’une
biologiste réputée et d’un baron du pétrole, elle a tâté
de la médecine homéopathique avant de bifurquer
vers la mode et l’art. Pour la courtiser, le milliardaire
Après leur lui aurait offert une sculpture de Giacometti d’une
séparation, qui va
garder Le Garage valeur de 14 millions de dollars, croit savoir le tabloïd
(à gauche) ? Roman
Abramovitch britannique Daily Mail. La jolie poupée russe est d’une
et Dasha Zhukova réserve rare. De leur collection commune, elle avait
(à droite, lors d’un
vernissage, en mars) bien voulu nous lâcher quelques noms en 2015 – Dash
ont déclaré vouloir
pérenniser l’activité Snow, John Baldessari, une quarantaine d’œuvres
de leur musée des Kabakov, couple d’artistes russes de renommée
d’art contemporain
à Moscou. mondiale, ou de la jeune Américaine Tauba Auerbach –
M Le magazine du Monde — 19 août 2017
16
sans confirmer d’autres emplettes qu’on leur prête,
notamment des œuvres de Mark Rothko.
Moins « nouveaux Russes » que d’autres oligarques,
ils ne se sont pas contentés de bâtir une collection.
Ils ont voulu laisser leur empreinte dans le paysage
culturel de leur pays. En 2008, le couple ouvre le
centre d’art Le Garage dans un ancien terminal de
bus appartenant à la communauté juive de Moscou.
L’argent n’ayant pas de limite, les époux se paient
le luxe d’inviter la chanteuse Amy Winehouse pour
un concert inaugural, puis de reprendre des exposi-
tions étrangères comme « Marina Abramovic :
the Artist is Present », originellement conçue par le
MoMA de New York. On leur reproche alors d’agir
en caisse de résonance de l’Occident plutôt qu’en
promoteurs des talents russes.
La tonalité change lorsque Le Garage migre en 2012
dans un espace temporaire d’inspiration nippo-
scandinave conçu par l’architecte Shigeru Ban dans
le Parc Gorki, et bien plus encore, quand il s’installe
en 2015 dans un spectaculaire bâtiment soviétique
réaménagé pour 27 millions de dollars par l’architecte
Rem Koolhaas. Ces deux projets sont les plus ambi-
tieux que la Russie a vu fleurir dans le champ de l’art.
Les anciens époux ont décLaré qu’iLs continueraient
à œuvrer ensembLe pour la pérennité du Garage et du
grand complexe culturel et de loisirs de New Holland
Island, dans le centre de Saint-Pétersbourg, où Roman
Abramovitch a investi 400 millions d’euros depuis
2010. Mais d’après Kommersant, ces quelques
hectares auraient été l’objet de la discorde. Selon
un homme d’affaires russe interrogé par le quotidien
économique, Roman Abramovitch aurait voulu
donner au lieu une coloration plus culturelle,
alors que Dasha Zhukova voulait y construire
une boîte de nuit en plein air façon Ibiza.
Quid de la collection? Avec les décès et les dettes, les
divorces alimentent régulièrement le marché de l’art.
Lorsque le richissime promoteur immobilier Harry
Macklowe a annoncé en 2016 sa séparation avec son
épouse, Linda, les hypothèses sont allées bon train sur
le destin de sa collection évaluée à 1 milliard de dollars.
Le partage des œuvres après le divorce en 2010 d’Elaine
et Steve Wynn, magnat des casinos de as Vegas, s’est,
lui, réglé à l’amiable, les deux époux ayant des goûts
diamétralement opposés. Roxana Azimi
Ulf Mauder/dpa/picture-alliance/MaxPPP. Team Boyko/Getty Images
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RCS Paris n° 493 455 042 – BPCE, intermédiaire en assurance inscrit à l’ORIAS sous le n° 08 045 100 – Crédit Photo : Diane Sagnier – Réf. : 07/2017 – –

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 18

II
1995, brIllant oracle.
Trois ans plus tard, toute ambiguité est dispersée. En
I concert dans l’Illinois, PJ Harvey porte des sequins,
reprenant à son compte l’une des tendances les plus
1992, jeune mage.
anciennes de l’histoire. Toutankhamon, célèbre
Elle a 23 ans, est anglaise, fait du rock et toute la presse blogueur de mode égyptien, avait été placé dans un
spécialisée dit le plus grand bien de son premier album, tombeau recouvert de petites pièces semblables à
Dry. En somme, tout irait bien pour la jeune PJ Harvey si des sequins, censées lui assurer une stabilité finan-
les critiques ne se plaisaient pas à la ranger dans la case cière post mortem. On n’est jamais trop prévoyant.
« grunge », laissant supposer que ses mélodies élec-
triques s’accompagnent d’une hygiène douteuse et d’un
goût vestimentaire incertain. Alors que cette veste en
jean Wrangler, reconnaissable au fameux W cousu sur les
deux poches poitrine, est parfaitement présentable. Et
que, visiblement, PJ, cheveux mouillés, sort de la douche.

III
2004, couturIère ImprovIsée.
Neuf ans ont passé et PJ Harvey se
produit à l’Hammersmith Apollo
de Londres. Pour l’occasion, elle arbore
une robe faite maison à partir d’un
vieux tee-shirt à son effigie. L’Anglaise
a même poussé le sens du détail jusqu’à
se confectionner un semblant de paire
de gants opéra. Preuve que la rockeuse
a le sens de l’humour. À défaut
d’un vrai talent de styliste.

John Gunion/Redferns/Getty Images. Eva Vermandel/Contour/Getty Images. Shirlaine Forrest/WireImage/Getty Images

le grand défilé

PJ

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Gie Knaeps/Getty Images. Paul Natkin/Getty Images.
5—

Harvey.
Iv
2007, pythIe vIctorIenne.
On retrouve PJ Harvey dans le Dorset, dont elle est
originaire. Elle vient de sortir l’album White Chalk,
essentiellement fait de ballades au piano, et s’est
AVANT SAINT-cLOuD LE composé un look d’inspiration victorienne en parfaite
adéquation. En l’occurrence, on notera ses belles
26 AOûT, L’ANgLAISE fAIT HALTE manches gigot, très en vogue au début du xixe siècle,
À SAINT-MALO cE VENDrEDI. et particulièrement prisées par la reine Victoria.
MAIS DANS QuELLE TENuE ? Si, si, vous savez, la blogueuse de mode.
par marc beaugé

v
2016, prêtresse rock.
Neuf ans plus tard, changement d’ambiance. Sortie de
sa période victorienne, l’Anglaise, en concert à la Victoria
Warehouse de Manchester, porte du noir, du cuir,
des rideaux, des lauriers et surtout des boots à semelles
plateformes perforées de la créatrice belge Ann
Demeulemeester. Qui elle aussi, visiblement, a de l’humour.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

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4 E
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21

La plage du
festival, au bord
du Danube,
le 11 août 2017.
Des habitués ont
écrit « Sziget »
sur la barrière,
avec des
canettes de
bière.

Sziget, hymne européen. Il y a soixante ans

le traité de Rome mettait la première pierre à l’édifice européen. L’occasion pour “M”
de raconter les liens qui se sont créés grâce à cette Union aujourd’hui décriée. Cette
semaine, pour le dernier volet de notre série, direction l’île d’Obula, à Budapest, qui
vient d’accueillir la 25e édition du Sziget. Chaque été, 300 artistes répartis sur 50 scènes
attirent plus de 400000 spectateurs, ce qui en fait l’un des plus gros festivals d’Europe.
Pendant sept jours, des jeunes venus de tout le continent communient à coups
de décibels. Une oasis de liberté unique dans la Hongrie nationaliste de Viktor Orban.
par Jean-Baptiste Chastand — photos andi Galdi Vinko

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

E
22

n se préparant pour la soirée

sur le sol de sa tente, parmi ses
affaires étalées dans un joyeux
capharnaüm, Jette Niehaus
fait la liste. « On est arrivés
hier à six heures et on a immé-
diatement rencontré des gens
de Pologne et d’Irlande avec qui on a fait la fête. Aujourd’hui,
on a croisé des Autrichiens, des Australiens et des Anglais. Et à
la plage des Espagnols. C’est bien simple : je n’ai jamais côtoyé
autant de nationalités différentes. » Venue de Düsseldorf, la
jeune Allemande de 19 ans en mini-short se dit plus que ravie
de son premier voyage en solo à l’étranger, même s’il lui a fallu
vingt-deux heures de car pour rallier Budapest et son célèbre
festival, le Sziget. Sa copine, une brune en maillot serré, éga-
lement. « Elle est restée très tard hier soir avec les Irlandais.
Mais moi, je ne suis pas comme ça, hein!», glisse Jette dans un
clin d’œil avant de s’éclipser, légèrement pompette, aux bras
de voisins de tente britanniques et autrichiens.
Ces joyeuses scènes de fêtes paneuropéennes se répètent
chaque mi-août dans la capitale hongroise. Revendiquant le
titre de « plus grand festival d’Europe », le Sziget assure
accueillir des centaines de milliers de visiteurs venant de tout
le continent. Et même désormais d’Australie, des États-Unis
ou d’Israël.Tous veulent participer à un événement qui a déjà
obtenu deux fois le titre de «meilleur d’Europe» grâce, notam-
ment, à son emplacement exceptionnel au milieu du Danube,
75 hectares sur l’île d’Obuda (Sziget signifie «île» en hongrois),
légèrement en amont du centre-ville. Près de 300 artistes s’y
produisent sur 50 scènes différentes, pendant sept jours, ce qui
fait du Sziget l’un des plus longs d’Europe. Clôturée mardi
15 août, sa 25e édition a réuni environ 450000 personnes, selon
les organisateurs, pour danser devant la chanteuse américaine
Pink ou le groupe de rock britannique Kasabian, dans une
atmosphère caniculaire qui donnait à Budapest des airs de
Cancun européen. Les festivaliers peuvent même profiter
d’une « plage » au bord du Danube, où ils se baignent sous
haute surveillance dans quelques centimètres d’eau boueuse, et nous avons retrouvé des amis britanniques et néerlandais,
avant de s’étaler à l’ombre pour récupérer des longues nuits c’est si facile de se parler ici. Rien à voir avec nos festivals »,
très arrosées, sans compter les autres substances... On peut confie Eibhlin, Irlandaise de 22 ans, tout en faisant des tresses
aussi y pratiquer du yoga, du stretching et de la danse. à sa copine pour l’aider à supporter la chaleur. Juste à côté, son
Le cocktail Sziget est simple. Des artistes de premier rang « copain d’hier » comate doucement sur un matelas au milieu
– du moins sur le plan commercial – comme Rihanna, David des déchets qui s’accumulent de plus en plus après trois jours
Guetta, Robbie Williams ou Manu Chao, qui y ont joué ces de festivités. De l’aveu d’Eibhlin, ce qui se passe au Sziget
dernières années, des boissons à prix doux (2,60 euros la reste bien souvent au Sziget, mais ces amours transnationales
pinte) et une ambiance de fête ininterrompue. La jeunesse n’en sont pas moins émouvantes. « Le Sziget, c’est une ré-
du public et l’éloignement des parents agissent comme un Union européenne », résume avec humour un des deux fon-
principe actif, générant chaque été un melting-pot européen dateurs, Peter Müller.
d’une ampleur unique sur le continent. Qui plus est dans un À 66 ans, ce musicien rock excentrique, célèbre en Hongrie, a
pays aussi conservateur et souverainiste que la Hongrie du certes lâché depuis dix ans les rênes du festival, – «je ne voulais
premier ministre Viktor Orbn... Pendant sept jours, «l’île de pas devenir businessman » – mais continue d’y jouer chaque
la Liberté », telle qu’elle est rebaptisée lors du festival, année en clôture avec son groupe de rock, Sziami. Lorsqu’il l’a
devient une oasis pour jeunes Européens. Histoire de renfor- fondé en 1993, avec son ami et ancien manager, Karoly Geren-
cer cette impression d’extraterritorialité, le Sziget imprime ses dai, rien ne prédestinait le Sziget à connaître un tel destin. Dans
programmes sous forme de passeports et baptise ses visiteurs l’atmosphère de liberté post-communiste, ce rockeur, mal vu
des « Szitizen » en anglais (jeu de mot autour de «citoyen»), par l’ancien pouvoir, éprouvait d’abord un manque. « Sous le
malheureusement traduit par un moins ambitieux «Szigoto» régime communiste, il y avait un réseau de maisons culturelles,
pour les Français. « Nous sommes déjà venues l’année dernière mais elles ont toutes fermé après 1990. Avec le capitalisme, •••

Photos Andi Galdi Vinko/La belle façon Talents pour M Le magazine du Monde — 19 août 2017
 “On est arrivés hier soir
et on a fait la fête avec des
gens de Pologne et d’Irlande.
Aujourd’hui, on a croisé des
Autrichiens, des Australiens,
des Anglais, mais aussi
des Espagnols à la plage.
Je n’ai jamais côtoyé autant
de nationalités différentes.”
Jette Niehaus, festivalière allemande de 19 ans

À gauche, Ci-dessus, et une consigne

Peter Müller, un camping à bagages
cofondateur du « amélioré », ouverte 24 h/24.
festival et chan- où pour 79 euros Ci-dessous,
teur du groupe de plus, les festi- des fans du
de rock hongrois, valiers ont accès rappeur américain
Sziami : « Sziget, à des sanitaires Wiz Khalifa, tête
c’est une ré-Union entretenus, d’affiche de cette
européenne ». un spot Wi-Fi 25e édition.
 La jeunesse son premier a opté comme
européenne se voyage en solo de nombreux
lâche au Sziget. à l’étranger. francophones
À droite, À droite, pour « l’Apéro
Jette Niehaus, Ludovic Camping ».
Allemande de Marques, 21 ans, Au menu : pastis
19 ans, a choisi originaire et petit déj’
le festival pour de Bordeaux, à la française.

La majorité des Européens vient avec

un “pass sept jours” à 325 euros.
D’un prix légèrement inférieur au smic
local, il est devenu inaccessible
pour une grande partie des Hongrois.
25
••• tout le monde est devenu self-made-man en Hongrie, mais
les parents n’avaient plus de temps pour leurs enfants. Je me suis
dit qu’il fallait trouver quelque chose pour fédérer les jeunes. J’ai
pensé à faire des camps d’été vraiment pas chers avec de la
nourriture, de la culture, du sport, des loisirs... ». À l’heure du
bouillonnement démocratique du début des années 1990, tout
est possible. Après le succès d’un premier camp à la campagne
en 1992, Peter Müller et Karoly Gerendai s’installent l’année
suivante sur l’île d’Obuda. À Peter les aspect artistiques, à
Karoly la gestion administrative et financière. Le festival prend
alors le nom de « Diáksziget » («Île des étudiants», en hongrois)
et fait un énorme carton dès la première édition, alors consacrée
au public hongrois et à la scène musicale locale. Mais Peter et
Karoly sont ruinés. «On s’est rendu compte qu’on n’avait pas
vendu les tickets assez chers, et on a dû mettre la main à la poche.
Il n’y avait qu’une seule possibilité pour se renflouer : faire
encore plus grand l’année suivante. On a alors eu l’idée de célé-
brer les 25 ans de Woodstock, en baptisant la deuxième édition
“Eurowoodstock”... Elle a connu un franc succès et a vu conver-
ger beaucoup d’étrangers. Mais cette année-là, nous avons perdu
de l’argent..., alors il a fallu continuer.»
Grossir, grossir et encore grossir pour ne pas couler. «Il nous a
fallu six ou sept ans pour devenir bénéficiaires », se souvient
Peter Müller. Les deux associés acceptent même, à la fin des
années 1990, de renommer brièvement leur festival « Pepsi
Sziget», du nom de la marque de soda qui le finance, avant de
le baptiser « Sziget » tout court en 2001. De 40000 spectateurs
la première année, le festival passe à 100 000 en 1994, puis à
300000 en 2000.Très vite, la Hongrie se révèle trop petite pour
les ambitions des deux fondateurs. «On n’aurait pas pu évo-
luer sans s’ouvrir à l’étranger », assume Karoly Gerendai.
Dans les années 2000, ils ont l’idée de génie d’ouvrir des
bureaux un peu partout sur le continent pour assurer sa pro-
motion, repérer des artistes locaux et surtout vendre des tic-
kets sur place. En France, la femme du chanteur Bertrand
Cantat, Krisztina Rády, une Hongroise proche de Müller et
Gerendai, lance la première filiale, qu’elle dirigera jusqu’à son
suicide en 2010. Elle réussit à attirer à Budapest des dizaines
d’artistes français. Le public suit. La France était cette année
le quatrième pays représenté après les Pays-Bas, la Hongrie et
le Royaume-Uni, mais devant l’Allemagne et l’Italie. La majo-
rité des Européens vient avec un «pass sept jours» à 325 euros.
D’un prix légèrement inférieur au smic local, ce pass est en
revanche devenu inaccessible pour une grande partie des
Hongrois. Ceux-ci doivent souvent se contenter de venir un
seul jour (pour 70 euros), ou se faire embaucher comme petite
main. « C’est un problème, convient Karoly Gerendai, mais
nous n’avions pas le choix : la capacité de l’île est limitée et il
nous fallait un budget de plus en plus important pour attirer
V
les plus grands artistes. »
enu de LiLLe, CharLes naden, 22 ans, est
un pur produit de Cette génération de
Français de 18-25 ans qui économise
toute l’année pour venir au Sziget. «On
a regardé l’Aftermovie [sorte de résumé
commercial en vidéo du festival] de l’an-
née dernière. Cela nous a tout de suite plu, il y avait une pro-
grammation très diversifiée et un melting-pot qui faisait envie.»
Il a prévu environ 1 000 euros, économisés sur son contrat de
communication et marketing en alternance, pour payer le ticket
d’avion, le transport, l’hébergement et les consommations sur
place. Même si la nourriture et l’alcool sont beaucoup moins
chers que dans les festivals français, le budget peut vite explo-
ser car certains bars et restaurants restent ouverts 24 h/24. Ce
melting-pot reste toutefois limité pour Charles, qui s’amuse à
se maquiller et à s’arroser avec d’autres Français. Parmi eux,
Ludovic Marques, venu de Bordeaux et rencontré à «l’Apéro
camping». Nommé ainsi parce qu’il est destiné en priorité à un
public francophone réputé pour hurler « Apérooooo » à toute
heure du jour et de la nuit. Sur le coup des six heures du matin,
après trois «Apérooooo», on y entend aussi parfois un salvateur
«Ta gueule !». Moyennant un surplus de 79 euros, les Français,
mais aussi les Belges et les Suisses pas effrayés par ce genre
d’ambiance, peuvent y bénéficier des avantages d’un « cam-
ping amélioré», qui offre davantage de douches et de sanitaires
que le commun des festivaliers. Et aussi un personnel franco-
phone qui sert du pastis. Un avantage non négligeable pour des
Français dont l’anglais est souvent très hésitant… En sirotant
leur bière du petit déjeuner, un groupe de garçons de Besançon
avoue sans difficulté avoir choisi le camping, car «l’anglais, c’est
galère, surtout pour exprimer ses sentiments». «Même si ce n’est
pas un ghetto, jamais on n’aurait pensé à faire ça pour les Néer-
landais», convient Andras Derdak, qui a pris la succession de
Krisztina Rády à la tête de la branche francophone du Sziget.
La présence de clôtures pour bien délimiter ce camping du
reste du festival atténue sérieusement l’esprit libertaire originel
du festival. Un soir, on a quand même vu un Français dra-
gouiller une Italienne dans un anglais hésitant. Il lui disait
qu’elle avait de «bioutifoul eyes», et lui proposait de l’accom-
pagner le lendemain à la fameuse plage boueuse. Il faut dire
que les Italiens ne sont pas plus à l’aise dans la langue de
Shakespeare. D’ailleurs, ce sont eux qui ont eu en premier
l’idée du camping fermé : l’« Alternativa camping », avec ses
pizzas et ses pâtes. «Ils n’avaient pas l’habitude de gros festi-
vals, il leur fallait un peu plus d’assistance. D’autant qu’au •••
19 août 2017 — Photos Andi Galdi Vinko/La belle façon Talents pour M Le magazine du Monde
 ••• début des années 2000, beaucoup de parents hésitaient à
laisser partir leurs enfants seuls à l’étranger et voulaient par
exemple avoir un numéro de téléphone pour les appeler », justifie
en souriant Orsolya Vörös. Cette Hongroise de 34 ans dirige la
filiale italienne avec son compagnon, Ettore Folliero, qu’elle a
rencontré durant le festival, en 2004. Le couple habite entre
Bari et Budapest et surnomme affectueusement son nouveau-
né « bébé Sziget ». Une histoire typique pour un événement
qui reste dirigé par une bande de copains et leurs familles. En
plus de la gestion du camping, l’une des tâches du couple
consiste aussi à repérer et à faire venir des artistes parfois com-
plètement inconnus ailleurs que dans la péninsule à destination
du public italien. « Ce n’était pas facile au début, il y avait
beaucoup de préjugés sur la Hongrie, en tant qu’ancien pays
communiste, mais maintenant tout le monde vient. Le Sziget est

C
devenu Le festival des artistes italiens », assure-t-elle.

e mélange de stars internationales et de

musiciens connusuniquement dans leur
pays fait d’ailleurs toute l’originalité du
Sziget. Cette année, on a pu y entendre
aussi bien le rappeur américain Wiz
Khalifa, qui a électrisé la scène principale
– 45 000 spectateurs – en fumant joint sur joint, que Majka, le
dernier groupe de hip-hop à la mode en Hongrie, ou une chan-
teuse de pop finlandaise,Alma. Parmi la vingtaine de pays qui
le représente, le Sziget sélectionne aussi des groupes débu-
tants dans le cadre du concours Tremplin. Ils viennent ensuite
jouer sur la scène Europe du festival, soutenus par leurs congé-
nères, des drapeaux à la main... En trois jours, on n’en aura vu
qu’un seul aux couleurs européennes, brandi par une Alle-
mande nous assurant qu’elle ne «pourrait pas en faire autant
avec le drapeau de son pays ». Mais le Sziget c’est aussi de la
danse, avec Pixel du chorégraphe français Mourad Merzouki,
du cirque, du théâtre et même – un peu – de musique clas-
sique et de jazz. On peut également y faire du beach-volley,
du « teqball » – une sorte de foot sur table de ping-pong –,
peindre ou se perdre dans un labyrinthe gonflable...
Dans ce gigantesque parc d’attractions se produisent de petits
moments de magie qui feraient rêver n’importe quel program-
mateur culturel de la Commission européenne. Devant la
scène principale, on croise David, 18 ans, et sa bande de
copains venus de Suède. Arborant leur drapeau jaune et bleu
en cape, ils sautillent joyeusement devant le groupe d’électro-
ska bosnien Dubioza Kolektiv, originaire de Sarajevo. Même
s’il ne parle pas très bien la langue de ses parents, ce fils de
réfugiés bosniens en Suède a tenu à faire découvrir à ses cama-
rades ces stars venues de Sarajevo. « Il nous a fait écouter et
ça nous a plu tout de suite », raconte l’un d’entre eux.
Tout cela n’aurait probablement pas été possible sans l’Union
européenne à laquelle la Hongrie a adhéré en 2004. « Même si
le Sziget a commencé à s’internationaliser avant, cela a claire-
ment motivé les étrangers, surtout les plus jeunes », avance le
directeur des relations internationales du festival, Andras
Berta. Interrail, Eurolines ou Easyjet... Ces héritiers de la
construction européenne, permettent tous aux festivaliers de
rejoindre facilement la capitale hongroise sans se ruiner… Un
tel brassage ne se passe d’ailleurs pas toujours sans tension
dans la Hongrie de Viktor Orban. Proche du premier ministre,
l’actuel maire de Budapest a voulu faire interdire une scène
consacrée aux musiciens LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et
trans, NDLR] en 2001, lorsqu’il était maire d’arrondissement,
et menacé le festival. Les organisateurs ont alors dû signer une
déclaration certifiant qu’ils n’y feraient pas de « propagande
homosexuelle ».… Depuis la première année, le Sziget invite
aussi des ONG à tenir des stands pour présenter leurs actions.
Au fil des éditions, certaines, comme Amnesty International
et Transparency International, sont devenues des cibles de
Viktor Orban. Bien qu’elles soient toujours présentes au festi-
val, elles évitent de trop parler des pressions qu’elles subissent
en Hongrie. Sziget a aussi appelé son public à aider les
migrants durant l’été 2015, lorsqu’ils traversaient Budapest par
milliers pour rallier l’Allemagne. Et depuis 2016, le Musée
français de l’histoire de l’immigration y tient aussi un stand.
Tout cela permet à Karoly Gerendai d’affirmer que l’événe-
ment porte un « message d’ouverture et de tolérance entre toutes
les cultures » et « montre que le monde est meilleur quand on
vit tous ensemble ». Pas question toutefois d’aller jusqu’à cri-
tiquer ouvertement Viktor Orban, dont la fille Rahél est
d’ailleurs employée du festival. Bien que les subventions
publiques comptent pour moins de 1 % du budget et que le
Sziget apporte une contribution majeure au secteur du tou-
risme en Hongrie, tout le monde convient qu’il serait impos-
sible de le faire tourner sans maintenir de bonnes relations
avec le pouvoir. Trop dangereux pour cet énorme business.
Le festival a dégagé 19 millions d’euros de recettes en 2016,
année record avec 496 000 entrées revendiquées. Et après
vingt-quatre ans à sa tête, Karoly Gerendai a décidé en janvier
de revendre 70 % des parts de la société qui gère le festival,
mais aussi deux autres gros événements en Hongrie, Balaton
Sound et Vold Festival. L’acheteur est un fonds d’investisse-
ment américain, Providence Equity, totalement nouveau dans
le business du festival. Gerendai ne regrette aucunement
d’avoir vendu ce morceau de rêve européen à des Américains.
« S’ils avaient été Russes, j’aurais probablement réfléchi trois

Photos Andi Galdi Vinko/La belle façon Talents pour M Le magazine du Monde — 19 août 2017
27

Les organisateurs délivrent

À gauche,
Orsolya Vörös
et Ettore Folliero
avec leur

un message de tolérance et
« bébé Sziget ».
Le couple, qui
s’est formé au
festival en 2004,

d’ouverture. Mais pas question

dirige sa filiale
italienne et gère
« l’Alternativa
camping », une

de critiquer ouvertement
version transal-
pine de « l’Apéro
camping ».
Ci-dessous,

Viktor Orban. Trop dangereux

lendemain de fête
sur la plage
de Sziget.

pour cet énorme business.

fois, mais peu importe si c’étaient des Américains ou des

Français. » Visiblement au fait des avantages de la construc-
tion européenne, Providence Equity a immédiatement placé
sa participation dans une très opaque société luxembour-
geoise, dont les véritables bénéficiaires sont gardés secrets.
Impossible de connaître la somme exacte qu’a déboursée le
fonds. Gerendai évoque tout juste une fourchette comprise
entre «six et dix fois» le bénéfice annuel. Soit potentiellement
entre 30 millions et 50 millions d’euros. Une jolie culbute
quand on sait que son ami, Peter Müller, affirme avoir vendu
ses parts à des proches de Gerendai il y a dix ans pour
500000 euros... «L’argent ne m’intéresse pas trop, je suis fier de
ce succès», répond l’artiste dans sa modeste villa, sans aucune
aigreur apparente vis-à-vis de son ancien manager, devenu
riche. Les représentants du fonds au conseil d’administration
du Sziget, issus du géant américain du spectacle Live Nation,
auraient promis de conserver la même équipe de direction pen-
dant quatre ans. Gerendai reçoit d’ailleurs toujours dans les
luxueux backstage climatisés de la scène principale, et Müller
dispose encore de son badge AAA (pour « Access All Areas »,
«accès toutes zones»). Mais les représentants de Providence
Equity sont restés invisibles pendant tout l’événement, préfé-
rant probablement garder les yeux rivés sur les chiffres…
Or ceux-ci ont été mauvais. Dénuée de toute grosse tête d’af-
fiche, la programmation a été jugée unanimement décevante,
surtout pour une 25e édition qui compte parmi les plus gros
budgets du continent. La fréquentation a baissé d’au moins
10 % par rapport à 2016, repoussant l’espoir de franchir le cap
symbolique des 500 000 entrées cette année. La rentabilité
n’est plus garantie, du propre aveu de Gerendai. Le fondateur
met en avant la concurrence féroce de nouveaux festivals en
Europe sur «un modèle de plus en plus similaire au nôtre». La
mort accidentelle du programmateur du festival en 2016 a aussi
compliqué la réservation de stars qui se vendent de plus en plus
cher. Mais l’ancien patron se veut rassurant. Les Américains ne
sont «probablement pas très heureux, mais n’ont pas l’air d’être
tristes, ils ont une réflexion de long terme ». Pour oublier cette
mauvaise passe, le festival revient à sa stratégie : grossir. Au
risque de se banaliser encore un peu plus. Le Sziget est entré
en négociation pour organiser un Sziget Israël à Tel-Aviv, et
lance même une agence de voyages à son nom pour faire venir
des touristes toute l’année à Budapest. On parle encore d’ouvrir
une auberge de jeunesse Sziget. Ça tombe bien, Gerendai
compte justement utiliser sa nouvelle richesse pour faire des
investissements dans le tourisme. Un autre secteur en plein
boom à Budapest, depuis l’adhésion à l’Union européenne.
À partir des photos de Dave M. Benett/amfAR14/WireImage. George Rose/Getty Images
29

Amour, gloire
et népotisme. Elle est la femme la plus riche d’Afrique et… la fille aînée du
président angolais. Lui est entrepreneur, collectionneur d’art et
héritier d’un ancien dignitaire congolais. À la tête d’un empire allant
des diamants au pétrole, Isabel dos Santos incarne avec son époux
Sindika Dokolo une nouvelle élite africaine décomplexée.
Et qu’importe si certains s’interrogent sur l’origine de leur fortune.
Mais ce couple glamour résistera­t­il à la fin du règne de José
Eduardo dos Santos? L’Angola élit son nouveau président le 23 août.
par Sylvain BeSSon et Joan Tilouine — illustrations lincoln agnew

L e soleil se couche sur la

pointe du cap d’antibes.
d’Afrique est coutumier de ces soirées
extravagantes où il se plaît à incarner une
Sous les palmiers de fierté africaine décomplexée.
l’Eden Roc, un échan­ Le luxe, l’excellence, le beau, voilà leur credo.
tillon de la jet­set se Et la maison suisse, qu’ils contrôlent depuis
r é u n i t . C e m a r d i 2012 à l’aide de montages de sociétés, s’inscrit
23 mai, en marge du dans ce triptyque. De Grisogono est une
7 0 e F e s t i v a l d e lubie, un petit caillou qui scintille au sein d’un
Cannes, le joaillier genevois De Grisogono empire bâti sur des secteurs moins fascinants
organise sa fête annuelle, intitulée « Love on mais qui rapportent des milliards.
the rocks », en présence de milliardaires et de Seule ou avec son époux, Isabel dos Santos,
stars d’Hollywood. Le maître de cérémonie, 44 ans, dirige des sociétés de télécommu­
Fawaz Gruosi, fondateur de la marque, nications, de pétrole, des cimenteries, des
s’affiche aux côtés de Naomi Campbell et banques, un parc immobilier, en Angola et au
couvre d’attentions un couple élégant, aussi Portugal. Un empire dont la puissance a décu­
l’est pas par stratégie », justifie l’homme d’af­
faires Richard Attias, qui n’est pas peu fier de
la compter au conseil d’administration de sa
société de communication. Une discrétion
doublée d’une vigilance sans faille à l’égard
de la moindre ligne écrite à son sujet. Elle n’a
accordé qu’une poignée d’interviews, et se
réserve pour des conférences bien cadrées sur
les vertus de l’entrepreneuriat en Afrique. Sol­
licitée à plusieurs reprises, elle n’a pas sou­
haité s’exprimer dans le cadre de cet article.
Son époux semble plus décontracté. De retour
de Chine où il a acheté une usine de ciment,
il nous a donné rendez­vous dans un quartier
huppé de Londres, à la lisière de Hyde Park,
discret que riche et puissant. plé en juin 2016 lorsque son père lui a confié où il promène son allure d’éternel étudiant.
On ne le dit pas, mais les initiés savent que, ce la tête de la société pétrolière nationale, Homme d’affaires et esthète, né de parents
soir­là, on célèbre aussi la femme la plus riche la Sonangol, la plus grande d’Afrique sub­ congolais et danois, Sindika Dokolo est à la
d’Afrique. Isabel dos Santos, fille aînée du saharienne, la plus opaque sans doute aussi. tête de l’une des plus importantes collections
président angolais José Eduardo dos Santos, En 2017, Forbes a estimé la fortune d’Isabel mondiales d’art africain.
qui quittera la tête de l’État fin août après dos Santos à plus de 3 milliards de dollars. Lui aussi est un héritier. Un disciple de son
trente­huit ans de pouvoir, est accompagnée Comme son père et son régime, comme la père, feu Augustin Dokolo Sanu, précurseur
de son époux, Sindika Dokolo, ami et action­ Sonangol, Isabel dos Santos cultive le secret. du secteur bancaire dans le Zaïre de Mobutu.
naire de M. Gruosi. Le couple le plus glamour « C’est dans sa nature d’être discrète, elle ne Il fut l’un des hommes les plus riches du •••

19 août 2017 — M Le magazine du Monde


••• pays avant de tomber en disgrâce à la fin
des années 1980. « Mon père m’a transmis
cette confiance en soi, cette dignité africaine et
ce goût pour l’aventure entrepreneuriale »,
dit celui qui voue désormais une admiration
sans limites à son « père adoptif », José
Eduardo dos Santos, qui règne d’une main de
fer en Angola voisin.
Puisque Isabel, mère de leurs cinq enfants, ne
s’exprime pas, c’est lui qui parle d’elle ou car-
rément à sa place. « On ne peut plus vivre
caché, commence-t-il. C’est impossible de nier
qu’elle doit une partie de son succès à sa
proximité avec le président. Elle peut appeler
un ministre, accéder à l’information de
manière privilégiée, c’est indiscutable.
So what? On ne peut pas la réduire à ça. »
Ensemble, ils assument ce qu’ils sont, reven-
diquent leur réussite avec une morale toute
nietzschéenne, se glorifient par le beau qu’ils
achètent et la puissance qu’ils se constituent
au fil de leurs acquisitions. Leurs modèles, ce
sont les milliardaires des pays émergents
qu’ils fréquentent assidûment. « On connaît
quelques oligarques russes, explique Sindika
Dokolo, et un jour lors d’un dîner, l’un
d’entre eux me dit : “Tu penses que ta femme,
L
c’est une Africaine riche. Mais tu n’as pas
compris : c’est une oligarque russe. Quand elle
est avec nous, elle parle comme nous, et on
réfléchit à la façon de contrôler ensemble un
secteur entier.” Il n’avait pas tort. »
La biographie d’Isabel dos Santos est pleine
de secrets, de non-dits, de trous, de passages
effacés – comme il sied à une enfant chérie
d’un régime communiste, relève le journaliste
d’investigation angolais Rafael Marques,
auteur d’enquêtes fouillées sur les affaires de
sa famille. Car au tréfonds de son être, Isabel
est russe ou plus exactement soviétique. Elle
est née en 1973 à Bakou, URSS, en pleine
guerre froide. Son père est un jeune et beau
militant indépendantiste, sorti d’Angola pour
étudier chez le grand frère du « camp progres-
siste ». Il y rencontre Tatiana Kukanova, jolie
et brillante joueuse d’échecs aujourd’hui éta-
blie à Londres, à qui l’on prête toujours des
liens étroits avec les services secrets russes.
Mais sous ses airs taciturnes, José Eduardo
dos Santos est un grand séducteur, et le
couple se sépare vite. Leur fille n’a que
6 ans quand il succède à Agostinho Neto à
la tête du tout jeune État angolais. Ce
président mutique a une vision du pouvoir
qui est celle d’un Machiavel tropical, qui
humilie et écarte les ambitieux ou les
opposants sans recourir aux assassinats. On
le dit solitaire, sans amis, à la façon d’un
Poutine africain. « Ce n’est pas l’idéologie
soviétique qui l’anime, mais l’essence du
pouvoir », a dit de lui l’écrivain José Mena
Abrantes, éternel porte-voix du régime.
Sa fille va lui ressembler.
Illustrations Lincoln Agnew pour M Le magazine du Monde — 19 août 2017
Au début des années 1980, l’Angola est plon-
gée dans la guerre civile et Isabel s’exile à
Londres avec sa mère. « C’était une ado
sympa, discrète et sans prétention », se souvient
la députée européenne et ancienne diplomate
portugaise Ana Gomes, qui l’aidait notamment
à obtenir ses visas pour l’Europe. Mais son joli
minois cache des fêlures. Ses papillonnages
sentimentaux et ses coups de déprime préoc-
cupent son père, qui l’envoie soigner son
vague à l’âme au Cap, en Afrique du Sud.
Au sortir de cette période de doute, l’ado
fragile fait place à une femme d’acier, au CV
de surdouée: ingénieure de formation, Isabel,
qui parle six langues (portugais, russe, anglais,
espagnol, français et italien), commence sa
vie professionnelle comme consultante. En
2002, quand la guerre civile se termine enfin,
elle devient l’oligarque la plus en vue
d’Angola. Si elle n’a pas de fonctions poli-
tiques, elle jouit d’un statut de First Lady
dont témoignent les limousines noires qui
l’attendent chaque fois qu’elle rentre à
Luanda. Elle voue toujours une admiration
sans borne à son père, même s’il s’est remarié
deux fois et a eu au moins sept autres enfants.
Sur les réseaux sociaux, elle salue « ce grand
homme et grand Africain ».
’autre amour de sa vie,
c’est sindika. L e
Congolais porte lui
aussi les stigmates
d’une guerre civile.
Lorsque Mobutu est
renversé et que son
pays plonge dans le
chaos, en 1997, la maison kinoise de la famille
Dokolo, désargentée, est en ruine. Il tente de
gagner le Brésil, mais reste coincé à Luanda.
« Ça a été un coup de poing dans la figure,
dit-il. Il y avait ce truc qui résonnait en moi
et que mon père m’avait raconté : l’indépen-
dance et son atmosphère en RDC. Confiance
en soi. Fierté. Des gens debout. J’ai retrouvé
cette ambiance en Angola. »
Un ami issu d’une famille belge de Kinshasa,
Jonathan Johannessen, le présente à Isabel.
« C’est le coup de foudre, ils tombent amoureux
alors que ce n’était pas prévisible: en Angola, il
est très difficile pour un Congolais de s’établir
et les “Zaïrois” sont mal vus », se souvient
M. Johannessen de Kinshasa, où il dirige une
société financière.Au contact d’Isabel, Sindika
va totalement « s’angoliser ». C’est désormais
de Luanda qu’il bataille pour le rapatriement
des œuvres d’art volées en Afrique durant la
colonisation. Un hobby qu’il médiatise et qui
lui vaut de s’exprimer dans les grands raouts
d’art comme la Biennale de Venise. Intello de
30
la famille Dos Santos autant que fou du roi, il
se tient à l’écart de la politique, comme sa
femme. Officiellement du moins, les deux
beautiful people se concentrent sur leur empire
économique, fruit d’une longue marche qui a
pris vingt ans, a précisé Isabel sur la BBC.
En Angola, personne ne la croit quand elle dit
avoir démarré sa carrière en vendant des œufs
à l’âge de 6 ans. D’abord consultante chez
Coopers & Lybrand, elle se lance officielle-
ment en 1996 avec un restaurant-boîte de nuit
branché sur la plage, le Miami Beach Club.
Tout en s’essayant à la collecte de déchets et
en gérant son business de diamants en osmose
avec les généraux.
Le diamant, dont l’Angola est l’un des plus
gros producteurs, est le cœur de sa réussite, sa
poule aux œufs d’or. Isabel dos Santos domine
les exportations du secteur depuis bientôt
vingt ans. Mais elle ne s’expose jamais, tirant
les ficelles dans l’obscurité grâce à des amitiés
cachées et des structures indéchiffrables. Son
homme de confiance attitré est un coureur
automobile et businessman ultradiscret,
Juan Barazi. Habitué des 24 Heures du Mans,
où ses voitures de course ont porté les couleurs
de l’Angola, c’est un ancien petit ami, issu
d’une grande famille de Kurdes syriens, qui a
fréquenté le très sélect internat suisse du
Rosey. « Il est totalement mystérieux »,
raconte un diplomate occidental qui a étudié
son rôle dans la galaxie Dos Santos.Un homme
à lunettes fumées qui sort d’un jet privé pour
grimper dans un 4×4, et inspecter les mines
qu’Isabel et sa mère contrôleraient dans
l’intérieur des terres. Il n’apparaît dans aucun
organigramme et ne répond jamais aux
questions des médias.
Souvent extrait dans des conditions terribles
par des « creuseurs » qui fouissent les terres
rouges du nord de l’Angola, contrôlées par les
généraux, le diamant génère des marges
considérables. Grâce à elles, au tournant des
années 2000, Isabel se diversifie partout.
Téléphonie, banques, supermarchés, ciné-
mas, télévisions : sa boulimie d’investisse-
ments ne connaît pas de limites. Elle part à
l’assaut de l’ancien colon portugais, où elle
rafle tout, de la finance à l’énergie en passant
par les télécoms. Pour gérer son empire
– souvent à travers des prête-noms et des
structures offshore – , elle s’entoure du nec
plus ultra, du cabinet de conseil Boston
Consulting Group au grand patron des avo-
cats portugais, Proença de Carvalho, dont le
groupe de média Diário de Notícias est
détenu par des capitaux angolais.
Tout en s’occupant de haute stratégie, elle ne
dédaigne pas le micromanagement. Chez
De Grisogono, dans laquelle elle n’a officiel-
lement aucun rôle, Isabel impose le relooking
de la marque par une agence de communica-
tion portugaise, Born. Avec l’ambition de •••
À partir des photos de GlobalImagens/AtlanticoPress. Bruno Fonseca/4SEE-REA
À partir des photos de Fernando Veludo/Publico/AFP Photo. Louise Gubb/Corbis Saba/Corbis via Getty Images. Olivier Polet/Corbis via Getty Images
33
••• transformer la maison genevoise en poids
lourd de la haute joaillerie. « Il n’y a pas
un Noir fort et légitime dans le diamant,
commente Sindika Dokolo. On va créer une
véritable empreinte africaine sur ce secteur. »
A-t-elle construit tout cela parce qu’elle est
fille de président ? Ou Isabel dos Santos est-
elle une vraie entrepreneuse? Les avis diver-
gent. « Ce n’est pas parce qu’Isabel est “fille
de” qu’elle-même ou Sindika ont réussi,
estime un ami du couple. La raison de leur
succès, c’est ce qu’ils partagent : l’audace,
l’esprit d’entreprise, la rigueur, la force de
caractère, l’intelligence. »
D’autres sont plus sceptiques. Dans son
bureau surchargé de bibelots tiers-mondistes
du Parlement européen, la députée socialiste
Ana Gomes se montre sévère sur l’« ado
sympa et réservée » dont elle s’est autrefois
occupée. « Tout ce qu’elle a, elle l’a obtenu à
partir de concessions de son père, affirme-t-
elle. Elle se finance par les banques où elle est
actionnaire, notamment au Portugal, et par
ses sociétés offshore qui reçoivent des prêts de
sociétés d’État angolaises. » Sindika Dokolo
assume: « Je suis ouvert aux critiques sur la
corruption, le népotisme… Si la seule solu-
tion est une sorte de népotisme éclairé, ça ne
me dérange pas. Le plus important pour moi
est de créer une élite africaine pensante,
capable de tenir tête aux Occidentaux et
M
d’inverser le rapport de force. »
a lg r é l e u r
r h é to r i q u e
tiers-mon-
diste, isabel
et sindika
parcourent
le monde
c o m m e
n’importe quel milliardaire, en jet privé ou en
yacht de 40 mètres, et ne fréquentent que des
lieux choisis: La Voile Rouge à Saint-Tropez,
le restaurant Song Qi de Monaco ou l’Hôtel
The Dorchester à Londres, où Isabel aime
fixer ses rendez-vous. Avec son côté girly,
voire bling-bling, elle dîne avec Lindsay
Lohan ou son amie le mannequin angolais
Maria Borges, paie des millions de dollars pour
convier la rappeuse Nicki Minaj à Luanda.
Mais quelque chose coince dans cette vie de
luxe. Comme un stigmate qui ramène le
couple au vieux cliché du kleptocrate africain.
En passant devant un distributeur d’argent en
plein cœur de Londres, Sindika Dokolo sort
sa carte de crédit angolaise, pour montrer qu’il
ne peut pas ouvrir un compte en Occident.
Dans le jargon bancaire, lui et sa femme sont
des PEPs, des « personnalités exposées poli-
tiquement », autrement dit qui présentent un
risque de corruption. Contrairement à d’autres
personnalités angolaises – sa demi-sœur
Tchizé, le vice-président Manuel Vicente –
Isabel dos Santos n’a jamais été la cible d’en-
quêtes pour blanchiment ou corruption en
Occident. Mais son argent et celui de son mari
sentent le soufre. Quid de l’origine de leur
fortune ? La question, cette fois, agace. « Je
n’accepte pas que nous, les Africains riches,
devions nous excuser ou nous justifier »,
rétorque Sindika Dokolo, avant d’avouer sans
complexe : « Je préfère que la richesse du
“Je préfère que la richesse
du continent revienne à
un Noir corrompu plutôt qu’à
un Blanc néocolonialiste”
Sindika Dokolo
continent revienne à un Noir corrompu plu-
tôt qu’à un Blanc néocolonialiste. »
Placée sous surveillance des autorités euro-
péennes, Isabel dos Santos se fait discrète au
Portugal. Rien de tel en Angola. En devenant
présidente de la Sonangol en 2016, la
« Princesse », ainsi qu’on la surnomme dans
son pays, s’est emparée de la trésorerie du sys-
tème Dos Santos. La décision, prise par son
père, a provoqué la stupeur, car Isabel avait été
jusque-là tenue à l’écart du secteur pétrolier.
Face aux critiques sur son inexpérience, Isabel
surjoue l’entrepreneuse à poigne, postant des
photos d’elle sur Instagram en compagnie des
patrons d’ExxonMobil, de Chevron et de
géants chinois.
Pourtant, derrière les conseils d’administration,
les soirées jet-set et les déclarations aux accents
panafricains, le couple est fragilisé. La baisse
des prix du pétrole a mis fin au boom écono-
mique que l’Angola connaissait depuis quinze
ans. « Le silence d’Isabel dos Santos sur la crise
dans son pays est assourdissant », relève le
politologue Didier Péclard, de l’Université de
Genève, spécialiste de l’Angola.
Et le pétrole n’est pas le seul facteur déstabili-
sant. Le 23 août, José Eduardo dos Santos, que
l’on dit malade, laissera la place à son dauphin
désigné, le ministre de la défense João
Lourenço. L’hégémonie d’Isabel risque de
vaciller. « Beaucoup de gens aujourd’hui ont des
ambitions politiques, des gens riches mais aussi
au sein de l’armée, constate Ricardo Soares de
Oliveira, spécialiste de l’Angola et professeur à
19 août 2017 — Illustrations Lincoln Agnew pour M Le magazine du Monde
Oxford. Elle, comme base de pouvoir, elle n’a
pas grand-chose d’autre que son père. »
Sûre d’elle au point d’être parfois arrogante,
Isabel n’a pas cultivé toutes les amitiés qui lui
permettraient de pérenniser son pouvoir.
Sindika Dokolo se veut néanmoins serein :
« Si on était inquiet et que l’argent était notre
unique moteur, on serait en train de tout
vendre pour prendre nos cliques et nos
claques. » Mais comme on n’est jamais trop
prudent, il s’affiche sur Twitter aux côtés de
João Lourenço, comme pour prouver qu’il a le
soutien du futur pouvoir.
De fait, si ses circuits financiers se trouvent
loin, à l’abri du risque, le couple n’est pas
pressé de quitter l’Afrique. Au contraire,
Sindika Dokolo s’investit de plus en plus dans
son pays natal, la République démocratique
du Congo. Depuis quelques mois, il a pris
position contre le régime autoritaire de Joseph
Kabila, qui s’accroche au pouvoir malgré la fin
de son dernier mandat le 19 décembre 2016.
Un engagement qui lui a valu d’être
condamné à un an de prison pour fraude
immobilière, le 4 juillet dernier. Car le pouvoir
congolais le sait bien, les déclarations de Sin-
dika Dokolo ont du poids: nul dans la région
n’ignore que la puissance militaire angolaise
peut faire et défaire le pouvoir à Kinshasa. Les
mesures de rétorsion dont il fait l’objet dans
son pays d’origine ne semblent d’ailleurs pas
effrayer le mari d’Isabel dos Santos. Il a lancé
le 10 août un « mouvement citoyen » baptisé
« Les Congolais debout », pour « l’alternance
en 2017 ». « Si, comme nous, vous pensez que
la RDC souffre d’avoir été trahie par ses
dirigeants, devenez un Congolais debout »,
clame-t-il. Auprès de son beau-père, Sindika
Dokolo prêche en faveur de Moïse Katumbi,
l’ancien gouverneur de la province minière du
Katanga devenu candidat à la présidentielle.
« Il a un game plan pour le pays », assure-t-il
en répétant son expression favorite. Moïse
Katumbi apprécie le soutien. « Sindika est
courageux et on a besoin de lui pour bâtir la
démocratie en RDC », dit-il. À son poignet,
une montre De Grisogono.

Avocats du diable.
Manger sainement à un prix exorbitant et, surtout, le faire savoir sur
Instagram.Voici la clé du succès du toast à l’avocat, qui a conquis les jeunes
branchés de New York à Paris. Un en-cas du riche qui nourrit la polémique.
par
à la rentrée, on mangera
de l’« avocado toast ».
L’œuf dur mayonnaise
a longtemps été la plus
grosse arnaque de la
restauration, réussis-
sant à se faire passer pour une entrée en met-
tant dans une assiette deux ingrédients très
bon marché réclamant le degré zéro de l’assem-
blage.Dans ma famille,où l’on ne pouvait com-
mander au restaurant que ce que ma mère ne
savait pas faire, jamais on aurait eu l’idée de
prendre un œuf dur mayonnaise.
Tendance venue d’Australie et des États-
Unis, l’avocado toast pousse la provocation
plus loin. On vend de l’avocat mal écrasé sur
une tranche de pain pour 10 à 20 dollars. Plu-
tôt entre 7 et 10 euros en France, sans doute
parce que « tartine à l’avocat », ça sonne moins
riche qu’« avocado toast ».
L’explication la plus simple voudrait que ce
soit un produit de l’époque, un plat conçu pour
Instagram (on compte un demi-million de
photos d’avocat écrabouillé sur du pain avec le
hashtag avocadotoast). On le décore à l’occa-
sion d’une pincée de paprika ou de piment, pas
tant pour en relever le goût que pour la com-
plémentarité des couleurs quand on utilise le
filtre Mayfair d’Instagram… De l’actrice
Gwyneth Paltrow à l’homme d’affaires Marc
Simoncini, ils mettent tous des photos de pain
à l’avocat sur leur compte Instagram.
L’autre piste est nutritionnelle : l’avocat est
désormais présenté comme le bon gras, surtout
depuis que les saumons ont été élevés et colo-
risés on ne sait trop comment. C’est le légume
de ceux qui n’aiment pas les légumes. Dans les
sandwichs et les salades à la mode, il permet
de faire passer tout ce qui est bon pour nous et
dont on n’aurait pas trop envie. Des chaînes de
hamburgers ou des pizzerias proposent même
des suppléments avocat, nouveau pendant
salé de la chantilly.
L’avocado toast est aussi devenu un symbole de
la guerre des générations depuis qu’un magnat
australien de l’immobilier a déclaré en mai que
M Le magazine du Monde — 19 août 2017
Les toc de l’époque
Guillemette Faure — illustration mrzyk & moriceau
les jeunes actifs ne risquaient pas de devenir
propriétaires s’ils continuaient à manger des
avocado toasts chaque jour: « Quand je me suis
acheté ma première maison, je ne dépensais pas
19 dollars pour de l’avocat écrasé, pas plus que
quatre cafés à 4 dollars pièce », a lancé Tim
Gurner sur une chaîne australienne. Ses décla-
rations ont provoqué un tollé sur les réseaux
sociaux, jusqu’à des opérations de fact-checking
sur le nombre de toasts à l’avocat dont il fau-
drait se priver pour s’acheter un loft à Detroit.
Sans parler des récupérations: l’entreprise de
crédit Sofi offre un mois d’avocado toasts à ceux
qui empruntent chez elle.
Comme souvent sur les réseaux sociaux, le
débat a été amputé de la fin de sa phrase: « Les
attentes des jeunes sont très très élevées. Ils veulent
manger dehors tous les jours, voyager en Europe
chaque année… Ceux qui sont propriétaires
aujourd’hui ont économisé leur argent dollar
après dollar… » L’avocado toast serait une
amplification de « l’effet latte » déjà déploré par
les spécialistes de l’économie domestique,
autrement dit l’impact sur les fins de mois des
capuccinos à 4 dollars. « La nature virale de
cette controverse est folle mais ses principes fon-
damentaux rejoignent ceux de mon blog », réagit
« Mr. Money Mustache », un millionnaire amé-
ricain, retraité à 35 ans, dont le blog est devenu
extrêmement populaire, en rappelant aux
Américains qu’ils ne deviendraient pas riches
en gagnant plus, mais en dépensant moins.
« La plupart des gens – surtout les “millenials”,
les urbains avec des bons jobs – considèrent que
les restaurants sont une dépense mineure et y
consacrent une part disproportionnée de leurs
revenus. Manger dehors devrait être un luxe rare
quand on n’a plus de dettes, pas un automa-
tisme. » L’avocado toast serait le symbole de
cette dérive à cause de l’écart entre son prix de
revient et son prix de vente.
À l’idée que cet en-cas se soit répandu alors
qu’il est très cher répond une autre analyse,
qui voudrait qu’il se soit popularisé justement
parce qu’il très cher. « Le phénomène est lié à
des éléments de distinction sociale souvent
34
négligés lorsqu’il s’agit d’analyser les compor-
tements alimentaires, note Clément Bellet,
post-doctorant à la London School of Econo-
mics. Il se consomme en public, sur les terrasses
de restaurants, dans les cafés et on en discute
autour de soi par les réseaux sociaux… C’est le
bien Veblen par excellence » (de l’économiste du
même nom), autrement dit un produit dont la
consommation augmente avec le prix. Or,
explique le chercheur en s’appuyant sur des
recherches conduites en Inde sur le végéta-
risme entre les castes, « la consommation de
biens associés aux individus de statut élevé per-
met de compenser une perte de statut liée à un
revenu relativement plus faible ». En forçant
un peu le trait, ce serait donc parce qu’ils ne
peuvent plus acheter de maison mais qu’ils
veulent se faire croire qu’ils sont presque
riches que les millenials commanderaient de
l’avocat sur du pain.
Par ailleurs, observe encore clément bellet,
toujours dans une logique de distinction,
« l’avocat renvoie au corps et à la nourriture
saine en opposition au fast-food ou aux plats
préparés dont on ne contrôle pas le contenu et
qui renvoient à la pauvreté ». Non seule-
ment l’avocat est riche mais il « fait » riche.
Quelles que soient les causes de cet engoue-
ment, la consommation américaine d’avocat a
été multipliée par six au cours des vingt-cinq
dernières années. En France aussi, sur d’autres
indicateurs, l’avocat fait une énorme percée :
+ 30 % de recherches sur le site de Marmiton
entre décembre 2015 et décembre 2016.
Conséquence, le prix de l’avocat augmente
dans le monde entier.Y compris au Mexique –
où le développement de sa culture entraîne
également une importante déforestation.
« C’est la rançon du succès, a déclaré le ministre
mexicain de l’économie Ildefonso Guajardo
Villarreal. Les avocats sont devenus si popu-
laires sur le marché international que cela
entraîne une pression sur les prix sur le marché
intérieur. » Aux États-Unis, la hausse se fait
déjà sentir.Voilà qui va enfin pouvoir justifier le
prix scandaleux des avocado toasts.
 Lorsqu’ils se (4), lors de son
rencontrent en ascension du
1981, l’alpiniste mont Cervin par
et l’actrice la face nord ;
ne tutoient plus Rossana Podestà
les sommets en 1953 sur le
depuis longtemps. tournage du
Ici, au faîte Filet, d’Emilio
de leur gloire : Fernández,
Walter Bonatti le préféré de sa
en 1961 à filmographie (2),
Courmayeur (1) et en 1956 dans
et durant l’hiver le rôle d’Hélène
1965 à Zermatt de Troie (3).

1 2

3 4

Mondadori Portfolio/Leemage x2. Diltz/Rue des Archives. Everett/Rue des Archives

37
R ome, 1981. derrière les lunettes noires, inco-
gnita, c’est rossana Podestà. La Podestà,
comme on l’appelle à Cinecittà. Voilà
presque deux heures qu’elle arpente l’im-
mense escalier de Santa Maria in Aracoeli
en plein soleil, sous le regard lourd des
hommes. L’actrice se dit qu’elle devrait
s’enfuir, tant cette histoire avec un
inconnu devient insensée. La veille au téléphone, il lui a donné ren-
dez-vous devant la plus célèbre église de Rome, en haut du Capitole,
pour être bien certain de la retrouver. « Je ne connais pas la ville »,
a-t-il expliqué, embarrassé. Quelque chose la retient. Encore dix
minutes et elle lâche l’affaire.
Tout a commencé il y a quelques semaines, quand un journaliste lui
a demandé : « Avec qui partiriez-vous sur une île déserte ? » Les
questions coquines, Rossana y est habituée. À 47 ans, elle aimerait
qu’on l’interroge sur sa passion pour l’art étrusque et les jardins de
pivoines. Mais sa réputation de sex-symbol est plus forte. Il y a
trois ans, elle a encore fait la « une » de Playboy dans une toge trans-
parente, comme celle qu’elle portait dans Hélène de Troie (1956), son
premier grand rôle dans les années1950. Elle a pris la pose, sugges-
tive. Pour conjurer son angoisse d’actrice aux portes de la cinquan-
taine, la tristesse de son récent divorce, les aventures décevantes. Les
hommes, c’est la Podestà qui les fait rêver. Pas la Rossana prête à
jeter aux orties son passé en Technicolor.
En 1951, elle avait à peine 17 ans quand le réalisateur franco-russe
Léonide Moguy est tombé en arrêt devant elle à Gênes, la ville de sa
famille. En quelques mois, Carla Dora Podestà, fille de la classe
moyenne, devient une star. « La plus belle femme du monde avec
Sophia Loren », s’extasie un journaliste de Cine Cinema après son
Coup de foudre
à l’italienne.
Au printemps 1981, la star de péplums et
sex-symbol italien Rossana Podestà déclare
dans une interview qu’elle suivrait le grand
alpiniste Walter Bonatti jusqu’au bout
du monde. L’explorateur s’en émeut et
lui donne rendez-vous sur la colline du
Capitole, à Rome. Le début d’une romance
digne de Cineccittà, qui durera trente ans.
par Pascale Nivelle
apparition dans Demain est un autre jour (Domani è un altro giorno),
mélo dans la veine néoréaliste de l’époque. En 1953, elle épouse un
acteur-réalisateur-producteur de dix ans son aîné, Marco Vicario,
devient mère d’un premier garçon, vit entre Hollywood et Cinecittà
et tourne sept films dans l’année. En Italie, la mode est aux péplums,
sommets de kitsch et d’érotisme.
La plastique irréprochable de Rossana se prête à ravir aux mini-
tuniques et aux spartiates qui remontent haut sur la jambe. Elle est
Nausicaa dans Ulysse, avec Kirk Douglas et Silvana Mangano. Puis
Hélène de Troie, dans le film du même nom de Robert Wise et
Sergio Leone. Ses rôles sont de plus en plus suggestifs, les dialogues
de moins en moins compliqués. Des paparrazzi enragés la poursui-
vent, de Rome à Los Angeles. Coachée par son mari, sans aucun plan
de carrière, elle enchaîne les tournages, Sodome et Gomorrhe, La
Vierge de Nuremberg, Sept hommes en or.
Trente ans après, le seul film (sur une cinquantaine) qu’elle peut
encore regarder sans rougir est Le Filet (La Red, 1953), du réalisateur
mexicain Emilio Fernández. Cette histoire d’un trio amoureux en
cavale, deux bandits et une fille réfugiés sur une plage, a valu à Rossana
Podestà d’être comparée à Silvana Mangano dans Riz amer, et de faire
la « une » des Cahiers du cinéma dans un numéro spécial titré « La
femme et le cinéma ». Dans les interviews, elle laisse souvent tomber
son masque de séductrice et cite Le Filet. « Mon seul film d’auteur »,
dit-elle avec regret : « On a toujours vu mon corps, pas mes talents
d’actrice. » La Nouvelle Vague, qui a embarqué Brigitte Bardot,
Jeanne Moreau et tant d’autres, l’a laissée de côté.
Au printemps 1981, lors d’une conférence de presse sur son film du
moment (Les Séducteurs, un film à sketches coréalisé par Dino Risi),
pas de nostalgie ni de prise de tête. Rossana fait son habituel numéro
de pin-up avec humour, charmante et charmeuse.À la question sur •••
19 août 2017 — M Le magazine du Monde

En 1985, La Podestà
a arrêté le cinéma.
Elle a jeté ses tuniques
grecques, laissé
pousser ses cheveux
blancs et s’installer
les kilos du bonheur.
Son amoureux a
continué à l’appeler
“la plus belle femme
du monde”.
••• l’île déserte, elle répond du tac au tac, sans réfléchir: « Walter
Bonatti. » La Podestà et Le Bonatti ? L’actrice et l’aventurier ? Un
scoop ! À 51 ans, Walter Bonatti est un héros en Italie et ailleurs. Un
baroudeur que le journal Epoca a envoyé au péril de sa vie dans les
déserts, sur les volcans et nombre d’îles désolées. Faim, soif, serpents,
crocodiles, scorpions, rien n’effraie ce photographe et écrivain, qui a
l’art de faire rêver d’une autre vie. Et de se mettre en valeur, pectoraux
en avant et sourire Colgate, devant les plus beaux paysages du monde.
Un sex-symbol lui aussi, genre condottiere.
Avant cette carrière d’envoyé très spécial, Walter Bonatti a surtout été
« le plus grand alpiniste du monde », selon la presse italienne jamais
avare de superlatifs. Dans son cas, il se trouve que c’est vrai. Cervin,
Grand Capucin, pilier des Drus, éperon de la pointe Walker, K2…
Bonatti a enfilé les aiguilles rocheuses les plus pointues comme des
perles. Il a failli laisser ses doigts, et sa peau, dans plusieurs faces nord.
Et il a souvent sauvé des vies, dont celle de Pierre Mazeaud, futur
président du Conseil constitutionnel en France et grand alpiniste.
L’été 1961, Mazeaud croise Walter Bonatti au refuge de la Fourche,
dans le massif du Mont-Blanc. Le lendemain, avec cinq autres grim-
peurs, ils font cordées communes sur le pilier central du Freney,
flèche de granit de 800 mètres de hauteur. Une tempête approche.
Les alpinistes vont rester coincés pendant cinq jours le long de la
paroi la plus haute d’Europe, à 4 500 mètres d’altitude, dans les
éclairs, le vent et la neige. Sans Bonatti, qui les a conduits jusqu’aux
sauveteurs, ils seraient tous morts. À l’arrivée, il y a trois survivants,
les jeunes copains de Mazeaud sont restés dans la tempête. Bonatti
et Mazeaud deviennent amis pour la vie. Pendant cinquante ans, ils
s’appelleront « frères ».
M Le magazine du Monde — 19 août 2017
38
En 1981, Pierre Mazeaud s’inquiète pour Walter. Ruiné depuis qu’il a
été remercié par la nouvelle direction d’Epoca, fraîchement séparé de
Giulia, une héritière italienne, il survit en donnant des conférences
dans toute l’Italie. « J’avais le cul à terre », dira-t-il à La Repubblica
en 2000. Un soir, en voyage dans le sud de la Péninsule,Walter Bonatti
tombe sur la phrase de Rossana, reprise en boucle dans les gazettes.
On fait dire à la Podestà qu’elle voudrait « suivre Bonatti au bout du
monde », ou « être son appareil photo » au chaud dans son sac à dos.
La plus belle femme du monde pense à lui la nuit? De son hôtel de
province, Walter écrit à Rossana: « Je rêve de partir sur une île déserte
avec vous. » Des années plus tard, elle confiera à L’Écho de Bergame,
la ville natale de Walter Bonatti : « Le sentiment que donnait cette lettre
était sans équivoque. Walter me disait : “Prépare ta valise, je passe
te prendre”. » Ce printemps-là, dans son immense appartement de
L
Rome, Rossana Podestà se fait tout un cinéma.
e 3 juin devant l’aracoeli, furieuse, elle s’apprête
pourtant à tourner les talons. Puis elle se sou-
vient de la voix émue de Bonatti au téléphone,
et de sa confidence pleine de confusion : « Je
ne connais pas la ville. » Il a pu se perdre, se
tromper d’endroit… Juste derrière l’Aracoeli, il
y a l’autre monument incontournable de Rome,
construit en l’honneur du premier roi de l’Italie
unifiée, Victor-Emmanuel II. La pâtisserie en marbre blanc que les
Romains surnomment « La machine à écrire ». Rossana grimpe en
haut des marches, passe de l’autre côté du Capitole. Sur la piazza Vene-
zia, une dizaine de vigiles entourent un homme excité qui semble
défendre sa petite Fiat garée devant l’Altare della Patria (l’autel de la
Patrie), à l’emplacement réservé au président de la République.
Depuis deux heures,Walter Bonatti tente d’expliquer aux carabinieri
qu’il a rendez-vous avec Rossana Podestà.
Ils s’enfuient ensemble à bord de la Fiat et la diva fait sa première
scène : « Mais quel explorateur es-tu si tu te perds sur la piazza
Venezia ? » Bonatti, très énervé, explique qu’il a confondu l’Aracoeli
et l’Altare della Patria, qu’il a roulé toute la nuit, qu’il déteste la ville :
« Ici, je me sens un immigré. » Il conduit à toute allure, les poings
appuyés sur le volant. « Il a dû perdre tous ses doigts dans une ascen-
sion », pense Rossana, un peu refroidie. Un rouleau de papier toilette
dépasse de la boîte à gants. Elle se dit qu’il est peut-être malade. Mais
qu’il a aussi les pectoraux attendus, sous sa chemise froissée. Walter
n’a qu’une soirée, il doit repartir pour le Gran Sasso, dans les Apennins.
Ils se séparent sur des baisers fougueux et la promesse de l’île.
Un alpiniste, ça tient sa parole. L’été suivant, les voilà tous les deux,
sac sur le dos, en route pour le col du Géant, dans le massif du Mont-
Blanc. C’est la première sortie en montagne de Rossana, l’air est
translucide, le ciel immaculé. Le soir, Walter s’inquiète, il démonte
leur tente à toute allure, et l’entraîne se mettre à l’abri loin du cou-
loir de neige. Quelques minutes plus tard, une avalanche déferle sur
leur ancien campement. Il lui a sauvé la vie, comme dans les récits
d’Epoca. « À partir de maintenant, je le suivrai au bout du monde,
se promet-elle. Mais en ville, c’est moi qui conduirai. » Elle décide
de mettre fin à sa carrière. Encore deux films, dont un péplum, Her-
cule, et en 1985 La Podestà a arrêté le cinéma. Elle a jeté ses
tuniques grecques, laissé pousser ses cheveux blancs et s’installer
les kilos du bonheur. Son amoureux a continué à l’appeler « la plus
belle femme du monde ».
Leur histoire, ils l’ont répétée pendant trente ans, toujours émer-
veillés. Chaque visiteur y avait droit, dans la ferme près du lac de
Côme que Walter Bonatti a reconstruite pierre par pierre, ou dans le
domaine de Rossana Podestà, une superbe villa sur la presqu’île •••
 39

Malgré son rôle

1 2 dans Le Filet
qui lui valut
la « une »
des Cahiers
du cinéma en
1953 (2), Rossana
Podestà resta
longtemps
abonnée aux
péplums
(4, en 1960
dans Toryok,
la furie des
barbares).

Qualifié de « plus
grand alpiniste
du monde » par la
presse italienne
(1, en 1964, lors
de son ascension
du mont Blanc),
Walter Bonatti
devint grand
reporter pour
l’hebdomadaire
Epoca (3) après
avoir abandonné
en 1965 les expé-
riences extrêmes.

4
Mario de Biasi/Mondadori Portfolio. Mondadori Portfolio/Rue des Archives
Giorgio Lotti/Mondadori Portfolio/Getty Images. DR/Cahiers du cinéma.
 40

Rossana Podestà
et Walter Bonatti
en 2000, devant
leur maison dans
la Valteline, près
du lac de Côme.

•••

••• toscane de l’Argentario, le vestige de ses années de star. C’était « Plutôt mourir », et avait attaqué la Recherche. « Longtemps je me
la dolce vita. On dévorait la pasta de Rossana, devant les Alpes ou la suis couché de bonne heure… » Quand elle a refermé Le Temps
Méditerranée, on visionnait les diapositives de Walter aux quatre retrouvé, une semaine s’était écoulée, dont quatre jours de terrible
coins de la planète et les vieux films de Rossana qui la faisaient hurlertempête. Plus de piles dans sa lampe, presque plus de nourriture…
de rire. Dans ces deux paradis, quand ils ne partaient pas au bout du Un soir, elle a porté un toast d’adieu à ses deux fils, à ses neuf petits-
monde, ils se chamaillaient, cultivaient des pivoines, des vignes et enfants, à ses amis, à Rome. Walter a fini par revenir sain et sauf.
des oliviers. « Ils étaient inséparables, dit Pierre Mazeaud. Walter a Vainqueur de son sommet et de la peur qu’il n’avait cessé d’éprouver
été extrêmement heureux avec Rossana, elle l’a tranquillisé. ». Il se pour elle pendant cette interminable semaine. En 1988, il a raconté
souvient d’un bivouac avec Bonatti à Chamonix, une promenade de à une radio suisse italienne : « Quand je suis arrivé, Rossana m’a
santé pour les deux alpinistes. Walter, qui avait arrêté la montagne dit : “Regarde…” Autour de la tente, il y avait des empreintes de
de haut niveau dans les années 1960, y prenait grand plaisir. « Je n’ai pumas partout. Je l’ai admirée pour ça. » Après la Patagonie, ils se
jamais réussi à l’emmener à l’Everest », regrette aujourd’hui Pierre sont fait le serment devant un notaire de s’aider jusqu’à leur mort.
Mazeaud, premier Français parvenu sur le toit du monde, en 1978. À Qui serait douce et heureuse.
la nuit tombée, au-dessus de Chamonix, Walter faisait des signaux Leur dernière expédition date de janvier 2011 : 3 800 kilomètres dans
avec sa lampe de poche. Des phares de voiture lui avaient répondu le désert de Libye, du Soudan et d’Égypte. Walter Bonatti, qui allait
dans la vallée. C’était Rossana, inquiète comme toujours. « Souvent, avoir 81 ans, s’est plaint d’une douleur dans le dos. Un cancer déjà

L
on s’échappait en douce », se souvient Mazeaud. généralisé, que Rossana Podestà a préféré lui cacher pour lui offrir
un dernier été en paix à l’Argentario. Mais la mort et les hommes ne
lui ont pas fait de cadeau. Le 13 septembre, l’alpiniste a agonisé seul
et dans la douleur à Rome, ville qu’il détestait. La luxueuse clinique
privée religieuse où il avait été admis, à cheval sur l’éthique catho-
a Podestà, qui Préférait sa deuxième vie à la lique, lui a interdit la morphine. Et lui a défendu aussi de mourir dans
Première, aimait raconter comment elle avait lu les bras de Rossana, au prétexte qu’ils n’étaient pas mariés. Elle est
« tout Proust en français » dans « La Pléiade ». restée derrière la porte. Quand elle a pu pénétrer dans la chambre, il
En janvier 1987, elle avait suivi Walter Bonatti ne respirait plus. « Un médecin chauve et bronzé essayait de le rani-
Giorgio Lotti/MP/Leemage

et deux autres alpinistes en Patagonie jusqu’au mer avec un gros ballon rose, a-t-elle raconté à la presse italienne.
pied du San Lorenzo, sommet à escalader entre On aurait dit un film de Buñuel. » Le temps d’un dernier film, un
hommes. Après une semaine de marche, il documentaire sur Bonatti, W comme Walter, et Rossana Podestà s’est
avait planté la tente et annoncé : « Si je ne suis éteinte doucement à son tour, deux ans après son « amorino ». Leurs
pas rentré dans quatre jours, tu repars. » Elle avait regardé l’immen- cendres reposent sur la falaise de Porto Venere, dans les Cinque
sité désertique derrière elle, sans chemins ni repères, s’était dit : Terre, où la montagne tombe dans la Méditerranée.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 La plage des Salines,
sur la côte caraïbe,
dans le sud de l’île.
Bordée de cocotiers,
cette magnifique
grève de sable blanc
est très fréquentée
le week-end par
les familles martini-
quaises, mais aussi
par les « métros »,
lors des vacances
scolaires.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

43

Outre-France

Belle fille.
Cet été, “M” part en voyage aux
confins de la République. Forêts
tropicales, massifs volcaniques,
plages idylliques... Blottie entre la
mer des Caraïbes et l’océan Atlan-
tique, la Martinique n’est pas avare
en paysages de carte postale. Des
clichés que le photographe espagnol
Juan Manuel Castro Prieto a
détournés, utilisant une palette de
couleurs pastel. Ses images fausse-
ment surannées confèrent à “l’île aux
Fleurs” une mélancolie inattendue.
photos Juan Manuel Castro Prieto
 Ci-contre, qui recèle aussi allures de maison
une fillette une réserve de poupée
dans sa maison naturelle entre face au rocher
de Tartane, sur forêt, savane du Diamant.
la côte Atlantique. et mangrove. À l’aube du
Meilleur spot Ci-dessus, xixe siècle, cet
de surf de un vendeur de ancien repaire
la Martinique, fruits à la sau- de pirates servit
ce village de vette, sur la route de site fortifié
3 000 âmes de Basse-Pointe. durant les com-
se situe sur Page de droite, bats opposant
la presqu’île restauration les Français
de la Caravelle, d’une case aux aux Anglais.
45

19 août 2017 — Photos Juan Manuel Castro

00 mois
Prieto
2017
pour
— M Le magazine du Monde
 46

Ci-dessous, par une éruption charme suranné,

une rue de volcanique en décadent.
Saint-Pierre, 1902, avant Page de droite,
dans le nord- de renaître de kiosque à jus
ouest de l’île. ses cendres de fruits marti-
Surplombée par vingt ans plus niquais (ananas,
la montagne tard. Aujourd’hui, papayes,
Pelée, la ville ses maisons de goyaves...),
fut entièrement style colonial sur la plage
détruite lui donnent un du Diamant.
19 août 2017 — Photos Juan Manuel Castro Prieto pour M Le magazine du Monde
Photos Juan Manuel Castro Prieto pour M Le magazine du Monde — 19 août 2017
49
Page de gauche, importée par les montagne Pelée,
combat de coqs colons espagnols un paradis pour
au Pitt’Agot. au xviie siècle, amoureux
Fondé en 1952, qui se raréfie de treks et de
sur les hauteurs à la Martinique. nature sauvage.
du François, Tout comme les Ci-dessous, l’une
ce bar-restaurant combats entre des innombrables
perpétue cette mangoustes fresques qui
tradition antillaise. et serpents... ornent les façades
Une pratique, Ci-contre, la de Saint-Pierre.
 Ci-contre,
le restaurant
Caraibe Pizza
aux Anses-d’Arlet,
un village
de pêcheurs.
Ci-dessous, un
triptyque mural,
à Saint-Pierre.
Page de droite,
retour de pêche
à Bellefontaine,
petite commune
dans le nord-
ouest de l’île.
Au menu du jour :
thons, rascasses
rouges et lambis.
51

19 août 2017 — Photos Juan Manuel Castro Prieto pour M Le magazine du Monde
 Une collection

Zeus brandit le foudre que les Cyclopes avaient forgé pour lui, afin qu’il règne
sans partage sur le vaste ciel et l’immensité de la terre…

MYTHOLOGIE
Les prodigieuses aventures ZEUS
des dieux et des héros
ET LA CONQUÊTE DE L’OLYMPE

Le triomphe de Zeus, les douze travaux

d’Hercule, les voyages d’Ulysse…
Plongez dans les récits fascinants
des mythes fondateurs de l’humanité.

Une collection
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3
LE VOLUME 1

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Catherine Clément MYTHOLOGIE

Philosophe et écrivain
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53

Quoi de neuf ?
La mode dans ses meubles — Le design ne perd pas le Nord — La santé de fer
des compléments alimentaires — Un parfum d’hommages — Le double sacre
d’Yves Saint Laurent — Affaires de goûts — La maison à 21 briques.

19 août 2017 — Illustration Jean-Michel Tixier/Talkie Walkie pour M Le magazine du Monde

 1 — Modes de vie.
Habillement, design, beauté, restauration… Sur le
modèle de l’industrie du luxe, les marques de
prêt-à-porter abordables se diversifient à leur tour.
Avec ses vêtements bien taillés et durables pour
homme, femme et enfant, ses objets de décoration
à l’esthétique scandinave et sa bonne table aux
recettes saines pour se restaurer entre deux achats,
Arket, la nouvelle chaîne du groupe suédois
H & M, prend ainsi des airs de grand magasin.
Prévu pour le 25 août, le lancement de la première
boutique londonienne de Regent Street – et du
e-shop dans 17 pays européens, dont la France –
est emblématique de ce désir du moment de décli- 1 – La lunchbox Monki. 1 – La boutique-appartement de Sézane, à Paris.
ner tout un art de vivre autour d’une seule marque.
Un filon marketing que l’on appelle « lifestyle »,
un anglicisme qui renvoie à la diversification des
activités : le textile cherche désormais à créer des
marques globales.
Dès les années 2000, le luxe est parti en éclaireur.
Aujourd’hui, rares sont les maisons haut de gamme
à ne pas avoir étendu leur univers à la joaillerie, la
décoration, les cosmétiques ou même à l’hôtellerie.
Récemment, Louis Vuitton a fait son entrée sur le
marché des montres connectées, alors que Gucci
lance en septembre sa ligne de mobilier, Gucci
Decor. Le prêt-à-porter de masse a commencé par
s’étendre à la décoration. Après l’Espagnol Zara, qui
a lancé Zara Home en 2003, ou l’irlandais Primark, 1 – Le coussin Inouitoosh.
qui vend indifféremment mode et déco, Cyrillus, 1 – La collection Arket.
Monki et Pimkie ont décliné en 2016 leur offre pour
la maison. Le 25 octobre, c’est au tour de la marque souvent : pourquoi ne vous lancez-vous pas dans les objets
pour enfants Bonton de lancer Maison Bonton avec de maison? », raconte la créatrice Élisabeth Guitton.
parures de lit, miroirs et fauteuils couleur pastel pour Cette incursion design va de pair avec une nouvelle
constituer « une entreprise à 360° », se félicite la fon- boutique dans le Marais, à Paris. « Cela va être l’inverse
datrice Irène Cohen. « Le marché de la mode accessible des chaînes aseptisées, un espace où nos produits seront
reste atone depuis la crise de 2008 et a perdu 3 milliards mélangés à des meubles Napoléon III et du mobilier chiné,
d’euros de sa valeur, rappelle Yves Marin, spécialiste pour avoir un univers personnel. »
de la consommation au sein du cabinet Wavestone. Développer un lifestyle exige un effort scénogra-
Les marques ont compris que, pour vendre, une diversité phique différent de celui d’une simple boutique de
d’articles fonctionne mieux que le monoproduit. C’est une mode. « Ces nouveaux espaces qui font cohabiter des
façon de tabler sur du “cross-selling” – les achats trans- produits disparates tablent sur des mises en scène plus
versaux – et de générer de l’achat d’impulsion. » Une cosy, inspirées des pays du Nord, avec papiers peints
manière, évidemment, de multiplier les sources de dépareillés et accumulation de tapis. Cela vise à donner
profit. « Cette amélioration du chiffre d’affaires est pro- une impression d’authenticité, à l’inverse des boutiques
bable, mais s’ouvrir à la décoration ne fait pas doubler de vêtements des années 2000, qui ressemblaient à des
l’activité, prévient Patricia Romatet, directrice cliniques bien rangées », observe l’architecte d’inté-
d’études à l’Institut français de la mode. La fréquence rieur Karine Mazeau. En la matière, la griffe Sézane,
d’achat n’a rien à voir avec celle de la mode : on ne change qui s’est d’abord fait un nom sur Internet, a été pré-
pas son mobilier tous les six mois. » curseur en développant un format de boutique-
La diversification peut se faire à plus petite échelle, appartement avec des espaces pour la mode et la
à l’image d’Inouitoosh. En septembre, la marque déco, une librairie, un café… « Nous voulions faire
française d’écharpes, qui fête ses 7 ans, recycle ses vivre une expérience unique à nos clientes en leur permet-
imprimés félins et géométriques sur des coussins, tant de découvrir, toucher, essayer nos créations, explique
des tapis et des plaids. « Les clients me demandaient la fondatrice Morgane Sézalory. Je n’ai jamais défini

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 55

Sézane comme une simple marque de mode : c’est un envi-

ronnement esthétique qui propose également des exposi-
tions, un cinéma, un Photomaton et cela peut s’enrichir
au fil des rencontres et des voyages. » Le lieu, reconnais-
sable à sa file d’attente le week-end, s’exporte cet
automne à New York.
Mais la mode n’est pas la seule à étendre son terri-
toire. Comme un effet miroir, la décoratrice Sarah
Lavoine introduit dans ses boutiques « des basiques
intemporels : pull en cachemire, tee-shirt minimal acces-
sible, chemise bien coupée. De la mode antimode, capable
de durer. » De même, si le mastodonte Ikea ne défile
pas encore pendant les Fashion Weeks, ses pro-
chaines collaborations annoncées pour 2018 et 2019
avec le créateur de streetwear Virgil Abloh de Off-
White et le parfumeur Byredo suggèrent un désir de
s’aventurer au-delà de son domaine de prédilection.
« À l’avenir, nous n’irons plus simplement nous habiller
chez Zara et nous meubler chez Ikea, comme nous l’avons
fait pendant tant d’années, résume Patricia Romatet.
Nous n’accepterons de nous déplacer que si l’on nous
propose de réelles expériences dans des lieux globaux. »
Le futur est à la transversalité. V. Pe.

1 – Le mug Monki. 1 – Maison Bonton (ci-dessus et ci-contre).

1 – La collection Sarah Lavoine.

“Ces nouveaux espaces qui

font cohabiter des produits
disparates tablent sur des mises
en scène plus cosy inspirées
Monk x2. Sézane. Inouitoosh. Arket. Jules Faure. Maison Bonton

des pays du Nord, avec papiers

peints dépareillés et accumula-
tion de tapis. Cela vise à donner
une impression d’authenticité.”
KARINE MAZEAU, ARCHITECTE D’INTÉRIEUR

2 — Un ange passe.
Chaque année, plus de 600 nouveaux parfums sor-
tent, et ce uniquement en Europe (selon le cabinet
NPD Group). Parmi eux, très peu marquent leur
temps. Depuis le célèbre No 5, Chanel sait que
pour produire une fragrance remarquable, il faut du
culot et une alchimie parfaite entre le jus, le flacon
et l’histoire que l’on raconte. Pour Gabrielle, son
premier grand lancement depuis Chance, il y a
quinze ans, la marque rend hommage à la femme
insoumise et passionnée qu’était Gabrielle
Chasnel, alias Coco Chanel. Le nez Olivier Polge a
composé pour elle une « fleur rêvée » à partir d’un
bouquet lumineux de fleurs blanches : du jasmin,
2 – Pour son nouveau parfum, Chanel rend hommage à sa fondatrice.
56
dont il a accentué l’intensité ; de la fleur d’oranger,
accompagnée d’écorce d’orange pour rehausser sa
fraîcheur ; une pointe de tubéreuse de Grasse, dont
le bois de santal lacté pousse l’onctuosité ; de
l’ylang-ylang. Mais l’audace créative réside plus
encore dans l’épure du flacon, un carré de verre aux
parois si fines que plusieurs années ont été néces-
saires à ce résultat. Alors que beaucoup de marques
font le choix de verres très lourds et de formules
puissantes, Chanel suit le précepte de son illustre
créatrice : « Le luxe, c’est ce qui ne se voit pas. » C. Dh.
Gabrielle, de Chanel,
97 € les 50 ml. À partir du 1er septembre.
www.chanel.com
Chanel
 4 – Le château de Nanterre,
reconverti en temple du bien-manger.
3 — Ikea se met au danois.
Cette année, Ikea profite de la Paris Design Week,
la semaine parisienne du design (du 8 au 16 sep-
tembre), pour dévoiler sa collection phare de l’au-
tomne. Baptisée Ypperlig (« excellent »), elle compte
cinquante références élaborées par le studio créatif
de HAY. Cet éditeur danois créé en 2002 s’est fait un
nom dans la décoration en développant du mobilier
néoscandinave et de petits objets colorés et bien
pensés, signés par des stars du design comme Ronan
et Erwan Bouroullec. Pour Ikea, ses fondateurs Rolf
et Mette Hay ont mis au point une collection aux
teintes profondes (vert sapin, rouge terracotta…).
Figures de proue de cette gamme qui débarque en
magasin en octobre, les vases bicolores en terre cuite
et le canapé futuriste taillé dans un bloc de mousse
pourraient s’installer durablement dans le catalogue
du géant suédois. M. Go.
3 – Ikea a choisi le studio danois HAY pour sa collection
phare de l’automne (ici, chaise et canapé Ypperlig).
Marcus Hansen. Ikea. ETIC Foncièrement Responsable x2. Foodentropie
4 – Alexia Soyeux.
4 — “ Foodentropie se
veut une vitrine pour
l’innovation sur le plan
gastronomique et social.”
L’espace de restauration et d’événements
Foodentropie ouvrira à La mi-septembre au
château de nanterre, considéré comme Le nouveau
“Laboratoire de L’aLimentation durabLe”. La tête
pensante du projet aLexia soyeux détaiLLe Les
ambitions de cette méga-structure du bien-manger.
Qu’est-ce Que Foodentropie ?
Nous voulons être une vitrine pour l’innovation, sur
le plan gastronomique et social. Le restaurant, situé
au rez-de-chaussée du château de Nanterre, tra-
vaillera des produits de saison, achetés auprès de
fournisseurs locaux, et sensibilisera les clients à
« l’anti-gaspi ». Nous accueillerons en résidence de
jeunes chefs et des entrepreneurs du secteur, qui
veulent tester leur offre. Outre cette proposition
pop-up, beaucoup d’activités seront organisées pour
les enfants : histoires, cueillettes, ateliers… Nous
développerons également une programmation pour
tous, par exemple autour de l’agriculture urbaine
pendant les Journées du patrimoine.
QueL est Le projet du château de nanterre,
dans LeQueL vous vous inscrivez ?
Cette ancienne fabrique de dentifrice, classée
monument historique, sera entièrement consacrée
à l’alimentation durable : au sous-sol, United
Kitchens, des cuisines partagées pour les profes-
sionnels ; à l’étage, un espace de coworking destiné
aux start-up du secteur ; à l’extérieur, un potager en
permaculture. L’idée est bien sûr de créer des
synergies entre ces acteurs.
comment expLiQuez-vous Le succès rencontré
par Les Fermes urbaines ?
On se pose tous la même question : comment agir
sur notre consommation et, plus généralement,
changer notre monde ? C’est dans ce contexte que
les fermes urbaines se développent. Elles n’ont pas
vocation à nourrir les villes, mais à retrouver une
certaine autonomie, à (re)créer du lien social et
un contact avec la nature, tout en relançant la
biodiversité. E. Th.
19 août 2017 — M Le magazine du Monde
 58

5 — Particules
complémentaires.
Aujourd’hui encore, on a tendance à considérer les
compléments alimentaires comme des remèdes
d’apothicaire. À chaque pilule, sa promesse : favo-
riser la digestion, perdre du poids, avoir un teint de
pêche… Fabriqués à base de vitamines, de miné-
raux ou de plantes, ces produits sont généralement
conditionnés dans un packaging désuet et distri-
bués en pharmacie ou dans des boutiques spéciali-
sées. Ils existent toujours, mais sont concurrencés
par une offre nouvelle lancée par des marques amé-
ricaines (Ritual, Hum Nutrition, Care/of, Fountain
par Deciem). L’objectif : rajeunir l’image des com-
pléments alimentaires, en faire une étape indis-
pensable de la routine bien-être, au même titre que
le yoga ou les jus bio. « Les marques ne jouent plus la
carte de la solution miracle. Elles présentent les complé-
ments alimentaires pour ce qu’ils sont : de simples com-
pléments. Le positionnement est moins thérapeutique que
lifestyle », analyse Charlotte Boisdron, du bureau de
style Nelly Rodi.
Porté par le succès des médecines douces et du
végétarisme (qui peut entraîner des carences), le
secteur est en plein essor. Selon le syndicat français
Synadiet, près de 30 % des Français consomment
des compléments alimentaires, soit 10 % de plus
qu’il y a huit ans. D’ici à cinq ans, le marché devrait
atteindre186 milliards d’euros à l’échelle mondiale
(Zion Market Research). Pour répondre à la
demande, plusieurs acteurs traditionnels se reposi-
tionnent – Estée Lauder vient d’investir dans
Deciem – tandis que de jeunes pousses font de ces
pilules leur spécialité.
Commercialisée début septembre, la marque fran-
çaise Herbaer Labs prône «la prévention plutôt que la
guérison », dans une approche « holistique », indique 5 – Biocol Labs.
l’une des fondatrices Rebecca Herrera. Le produit 7 – Les
d’appel, le pack My Cure Detox, est un cocktail d’in- partitions
d’Art
grédients naturels à base d’extraits secs censés aider Meets Art.
l’organisme à retrouver de l’énergie et se détoxifier.
Bôn (Bonheur ô naturel) propose des produits natu- française est très stricte, tant sur la composition (les
rels, transparents et traçables comme Mg marin, substances utilisées doivent avoir un effet nutrition-
association de magnésium d’origine marine et d’al- nel et/ou physiologique) que sur la procédure de
gue Lithothamne, qui réduirait le stress et permet- mise sur le marché. « Nous sommes les meilleurs élèves
trait de retrouver énergie et « équilibre émotionnel » en Europe », rassure Delphine Dupont, du syndicat
(disponible le 21 septembre). Synadiet. Pour achever de séduire les jeunes géné-
«Les frontières deviennent plus floues entre santé, beauté, rations, les laboratoires misent sur des packagings
alimentation, compléments et médecine », constate plus graphiques et colorés et privilégient la commu-
Christine Pausewang. Sa marque portugaise Biocol nication digitale, la distribution en ligne et les pop-
Labs, livrable en France à la fin de l’année, aban- up stores aux bons vieux rayons des boutiques et des
donne elle aussi l’«optique pharmaceutique» pour «se pharmacies. E. Th.
concentrer sur le consommateur et sa façon de vivre ». Au
sein de son catalogue 100 % naturel, la gamme « excès Les marques, françaises ou étrangères, qui livrent en France :
modernes » présente, par exemple, un produit anti- Bloomizon : www.bloomizon.com
Bôn – Bonheur ô naturel : www.bonheur-o-naturel.com
gueule de bois, à base de chardon-marie, d’artichaut Fountain (Deciem) : www.fountain.co
et de choline. Lancée l’an dernier, la française Bloo- Herbaer Labs : www.herbaer-labs.com
mizon opte pour le sur-mesure avec un programme Biocol Labs : www.biocollabs.com
personnalisé, établi avec un algorithme.
Aux sceptiques qui douteraient de l’efficacité de ces
produits ou, pis, soupçonneraient les marques de
vouloir nous faire avaler n’importe quoi, les profes-
sionnels du secteur rappellent que la législation

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 6 — Patine artistique.
Longtemps, la palette chromatique des montres
mécaniques a été réduite, les noirs, gris, dorés, blancs
représentaient la quasi-totalité des choix. Puis l’in-
fluence de la mode, la multiplication des modèles et
le besoin de se différencier ont poussé les marques à
6 – Seiko. développer le bleu. Cette saison, c’est au tour du mar-
ron d’envahir les cadrans. Cette teinte fait référence
aux montres vintage,en particulier aux Rolex,dont les
cadrans brunis par le soleil et l’humidité ont pris le
surnom de «tropical», un défaut qui fait exploser leur
cote. C’est dans cette lignée que s’inscrivent les
montres à boîtier en bronze, qui se patinent naturel-
lement,et dont la couleur chaude se marie à merveille
avec les différents marron. La nouvelle et abordable
Presage de Seiko est baptisée Cocktail en référence à
son choix de sept couleurs, dont un marron ambré
comme un whisky, baptisé Manhattan. Le cas de
Louis Vuitton est particulier. Le marron faisant partie
des codes de la marque, la maison a été l’une des pre-
mières à habiller ses montres de brun (laTambour,qui
5 – Bloomizon. célèbre ses 15 ans cette année). Et comme toute ten-
dance cède sa place à une autre, le vert semble être la
prochaine sur la liste. D. Ch.
Tudor Heritage Black Bay Bronze, boîtier en bronze
de 43 mm. 3 750 €. www.tudorwatch.com

Porté par le succès Seiko Presage Cocktail SRPB46, boîtier en acier

PVD doré de 40,5 mm. À partir de 410 €. www.seiko.fr

des médecines douces et

Louis Vuitton Tambour Essentiel Brun Chronograph,
boîtier en acier de 41,5 mm. 4 750 €. www.louisvuitton.com

du végétarisme, le secteur 7 — Notes olfactives.

des compléments alimen- Capturer l’essence des tubes de la chanson popu-
taires est en plein essor. laire, et la traduire en fragrances qui parlent autant à
l’imaginaire qu’aux sens, voilà la contrainte créative
que se fixe la nouvelle marque de parfums Art Meets
Art. «Nous avons voulu transposer la démarche du pop
6 – Tudor. art dans l’univers du parfum, en mélangeant les univers
8 – Collection Emmanuelle Khanh. et en bousculant les codes avec un peu d’humour», raconte
son fondateur, Ali Kashani, un ancien de L’Oréal et
d’Unilever. Pour interpréter les accords langoureux
d’un Sexual Healing, la feinte innocence de Like A
Virgin ou l’envoûtant I Put A Spell on You, le studio
Biocol Labs. Art Meets Art. Bloomizon. Seiko. Tudor. Louis Vuitton. Emmanuelle Khanh

de création indépendant a fait appel à des pointures,

comme l’Espagnol Alberto Morillas, créateur de CK
One et Acqua Di Giò, ou le Français Christophe
Raynaud (1 Million, So Givenchy). La première col-
lection compte quatre parfums, disponibles à l’unité
ou en coffret d’échantillons. C. Ml.
75 € les 50 ml. www.artmeetsart.com
Printemps de l’Homme, 64, bd Haussman, Paris 9e.

8 — Résurrection.
6 – Louis Vuitton.
On ne cesse de ranimer les belles endormies. C’est au
tour d’Emmanuelle Khanh, marque de prêt-à-porter
mythique des années 1960 et 1970.Après avoir épuré
toutes les licences hasardeuses puis relancé les
lunettes en 2010, un jeune directeur artistique, Sam
Attyé, a été chargé, cet automne, de relancer une col-
lection de vêtements féminins. De la maille, des
volumes exagérés et des silhouettes à l’allure tra-
vaillée : une vision moderne de l’ADN de celle que
l’on surnommait la «Mary Quant française». V. Ch.
 60

9 — Aux goûts du jour.

AgApes de BogotA. Pour se frotter à la cuisine colom-
bienne, généreuse et colorée, rendez-vous au festival 9 – Le chef Eduardo Martinez. 9 – Lisboeta, de Nuno Mendes.
Food Temple, du 22 au 24 septembre, à Paris. Ne pas
manquer le festin d’Eduardo Martinez et Antonuela
Ariza, du Mini-Mal, à Bogota.
30 €, sur réservation. www.carreaudutemple.eu/food-temple

lisBonne À lA pAge. Portée par les chefs étoilés João

Rodrigues et José Avillez, Lisbonne est prise d’une
frénésie gastronomique : de nouveaux restaurants
valorisent les produits locaux, au-delà des tradition-
nels pasteis de nata. Une cuisine aussi célébrée par
Nuno Mendes, installé à Londres, qui publie un
livre le 19 octobre.
Lisboeta. Recipes from Portugal’s City of Light (Bloomsbury).

douceuRs d’oRient. Le livre de Reem Kassis est l’oc- 9 – Maison Aleph.

casion de découvrir la cuisine palestinienne qui
transcende les clivages et invite à un banquet frater-
nel. Côté sucré, goûter les pâtisseries au miel et aux
pistaches d’Iran de la Maison Aleph, créée par une
Parisienne originaire de la ville syrienne.
The Palestinian Table (Phaidon), en librairie le 2 octobre.
Maison Aleph, 20, rue de la Verrerie, Paris 4e.

l’ARt du cochon. La charcuterie gagne ses lettres de

noblesse grâce à des artisans comme Yohan Lastre,
qui fait des merveilles dans sa boutique du 7e arron-
dissement parisien, ou le chef Arnaud Nicolas,
meilleur ouvrier de France, qui vient d’ouvrir un
restaurant-boutique sur le thème de la charcuterie
cuisinée. 9 – Terrine de saison, Arnaud Nicolas. 9 – Salle Favart, Opéra-Comique. 9 – Camille Becerra.
Lastre sans apostrophe, 188, rue de Grenelle, Paris 7e.
Arnaud Nicolas, 46, av. de la Bourdonnais, Paris 7e.
À lA tABle du Roi-soleil. Alain Ducasse fait l’objet
opéRA Bouffe. À l’occasion du spectacle La Flûte d’un documentaire sur l’ouverture, en 2016, de son
enchantée à l’Opéra-Comique, du 6 au 14 novembre, restaurant Ore, au château de Versailles. Il édite aussi
un dîner aura lieu dans le foyer après la représenta- un beau livre pour jouer au Roi-Soleil à la maison.
tion. Le chef d’orchestre donnera carte blanche à un La Quête d’Alain Ducasse, de Gilles de Maistre.
chef, pour un repas d’une centaine de convives où se En salle le 11 octobre. La Table du Roi à Versailles,
mêleront musiciens et chanteurs. d’Alain Ducasse (AD Éditions).

www.opera-comique.com
les Belles légumes. Camille Becerra est la cheffe du
restaurant De Maria à New York. En septembre,
elle débarque à Paris avec ses recettes flexitariennes
pour prendre les commandes de Merci. Le légume
y sera roi, dans une version multiculturelle. Et
photogénique.
111, bd Beaumarchais, Paris 11e. Du 6 au 12 septembre.
effets de mAnche. On pensait avoir fait le tour de la
starisation des chefs. C’était compter sans Eurostar
et son offre «Interludes», qui propose, entre autres,
un dîner à… leur domicile. Le temps d’une soirée,
les touristes gastronomiques découvriront ces
9 – Anahi.
Top Gun de la cuisine. Le prochain départ pour Paris
est le 18 novembre. Et en 2018 pour Londres.
Citadelles&Mazenod/ Sabine Hartl

La Condesa d’Indra Carrillo,

& Olaf-Daniel Meyer. Liz Barclay.

cuisines nouvelles.
flAmBAnt Bœuf. La bidoche poursuit son saut quali- jeune chef mexicain formé chez René Redzepi et
Caspar Miskin. Betül Balkan.
DR. Bloomsbury Publishing.

tatif. Le produit qui débarque sur les bonnes tables: Yannick Alléno, sera inaugurée fin août rue Rodier
le jamón de buey, une charcuterie de bœuf venue (Paris 9e). À l’Odéon, le retour du cuisinier prodigue
d’Espagne.Après avoir repris Anahi, au mois de mai, Yoshi Morie qui ouvre – enfin ! – son restaurant,
Adrien Daste

le Monégasque Riccardo Giraudi ouvrira un Beefbar Yoshinori, mi-septembre. Plus rock, Déviant, de
en février 2018 (Paris 8e), qui servira sa version, Pierre Touitou, sera un comptoir à boire et à manger,
réalisée avec du bœuf de Kobe. situé à quelques mètres de Vivant (Paris 10e). B. Co.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 10 — Yves Saint Laurent, carrés est un assemblage de cubes surmontés de
les racines marocaines. revêtements en brique de terre cuite, écho aux
constructions locales.
Cet automne ouvriront deux musées consacrés à
À l’intérieur, les collections d’Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent. Le premier, dans les locaux pari-
seront présentées par thèmes: «Masculin-Féminin»,
siens de la Fondation Pierre Bergé [président du
«le Noir», «l’Afrique et le Maroc»… En plus d’ac-
conseil de surveillance du Monde], le second, à Mar-
cueillir le travail d’artistes locaux, le musée consacrera
rakech, lieu de villégiature du couturier, mais plus
chaque année une exposition à un photographe. La
encore – «les audaces qui sont (...) les miennes, disait-il,
première, «Trente ans de la maison de couture à
je les dois à ce pays». La démarche «à demeure » est
Marrakech », portera sur l’œuvre de l’Allemand
rare, le patrimoine des marques étant le plus souvent
André Rau, qui, en 1992, photographia pour le maga-
présenté dans des expositions éphémères.
zine Elle Catherine Deneuve au souk et le couturier
Situé à quelques mètres du jardin Majorelle qu’Yves
dans sa villa. Une manière de montrer que l’ancrage
Saint Laurent avait, en 1980, sauvé de la ruine avec
marrakchi d’Yves Saint Laurent est inépuisable et
son compagnon Pierre Bergé, le musée marrakchi est
naturel, chacun de ces clichés faisant revivre une
signé par les architectes Olivier Marty et Karl
époque bénie pour celui qui a marqué son époque en
Fournier, du Studio KO, qui ont déjà construit au
déroulant le fil de ses obsessions. C. Gh.
Maroc – une condition nécessaire aux yeux de Pierre
Nicolas Mathéus

Bergé.Après s’être plongés dans les archives du créa- Musée Yves Saint Laurent Paris,
5, av. Marceau, Paris 16e. Ouverture le 3 octobre.
teur, ils se sont inspirés des lignes nettes et simples Musée Yves Saint Laurent Marrakech, 10 – Musée Yves Saint Laurent
de ses vêtements. Le bâtiment de 4 000 mètres rue Yves Saint Laurent, Marrakech. Ouverture le 19 octobre. Marrakech.
 11 — Derniers carats.
Longtemps écartelé entre la fantaisie et le très
précieux, le bijou se positionne depuis quelques
années dans l’entre-deux. Dernière nouveauté cette 11 – Yvonne Léon. 11 – 5 Octobre (ci-dessus et ci-contre).
rentrée : le déclin du carat. Ainsi, 5 Octobre lance sa
première collection en or 14 carats, en reprenant la
finesse qui a fait son succès. Quant à Yvonne Léon,
elle décline ses créations emblématiques en 9 carats
avec des pierres moins précieuses. À l’image de ses “Le patrimoine doit s’intégrer
boucles d’oreilles crocodiles, qui ont perdu leurs
diamants au profit de tsavorites. Moins cher et moins
dans le présent par un usage
lourd que le 24 carats, mais plus durable que le pertinent, sinon il disparaît.
vermeil. V. Ch.
La conservation est donc aussi
12 — Costes toujours. un projet de création.”
FRANÇOIS CHATILLON, ARCHITECTE
Dans cet ouvrage intitulé Beaumarly, du nom de leur
empire d’hôtels, de cafés et de restaurants parisiens,
Gilbert Costes et son fils Thierry laissent architectes,
cuisiniers et designers parler pour eux. India
Mahdavi raconte les travaux du Café Français,
Christian de Portzamparc revient sur la genèse des
colonnes percées du café Beaubourg, Xavier Veilhan
explique que sa statue n’aurait jamais pu traverser le
plafond du Germain sans le concours d’un sapin de
Noël… Entre ces signatures VIP et les photos qui
subliment l’Hôtel Amour ou Chez Castel, ce livre
rend un bel hommage à ceux qui, selon Frédéric
Beigbeder, ont «dépoussiéré la vie parisienne». C. L. N.
Beaumarly, de Laure Verchère, Assouline, 85 €.
À paraître en septembre.

13 — Maître restaurateur.
Il est peu connu du grand public. Pourtant, le spécia-
liste de la restauration du patrimoine architectural,
c’est lui. Après avoir livré, en mars, la Maison des
sciences de l’homme, rénovée après quatre ans de
travaux, François Chatillon, architecte en chef des
Monuments historiques, dévoilera fin septembre la
nouvelle Piscine des Amiraux. Construit dans les
années 1920 et lové au cœur d’une cité HLM dans
le 18e arrondissement de Paris, cet ensemble com-
posé d’un bassin et d’habitations est un témoin
unique de l’entre-deux-guerres. «J’aime faire redécou-
vrir la modernité des bâtiments anciens. Mais ce patri- 12 – Dans un livre hommage aux Costes,
retour sur l’installation de la sculpture
moine doit s’intégrer dans le présent par un usage perti- de Xavier Veilhan au Germain, Paris 6 e,
ou sur la genèse des colonnes percées
nent, sinon il disparaît. La conservation est donc aussi un de Christian de Portzamparc au café
projet de création », note-t-il. Grâce aux outils de Beaubour, Paris 4 e (ci-contre).

pointe dont dispose son agence (scanners pour son-

der les façades, outils de modélisation pour ressusci-
ter virtuellement l’architecture passée), il a retrouvé
Benjamin Loyseau. Café Beaubourg

certains éléments gommés au fil des rénovations.

« J’ai notamment réintégré les détails qui signaient la
Yvonne Léon. 5 octobre x2.

volonté hygiéniste de son architecte Henri Sauvage, comme

l’éclairage au fond du bassin, développé pour montrer la
clarté de l’eau, donc sa propreté. » Il achève actuelle-
ment la rénovation du Palais de la découverte, et
poursuit la refonte du Musée Carnavalet, qui devrait
rouvrir fin 2019. M. Go.
Pages réalisées par Chloé Aeberhardt, Vicky Chahine et Fiona Khalifa.
Avec Anne-Lise Carlo, Boris Coridian, Claire Dhouailly, Clément Ghys, Marie Godfrain,
Claire Le Nestour, Claire Mitchell, Valentin Pérez et Éléonore Thery.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 63

14 – The Lego House.

15 – Kenzo (ci-contre
et ci-dessous).

14 — Jeu de construction.
À 42 ans, l’architecte danois Bjarke Ingels, fondateur
du cabinet BIG, est déjà un grand nom. Il dessine
des tours à Manhattan (Two World Trade Center),
signera les futures Galeries Lafayette des Champs-
Élysées… Mais pour lui, la construction « la plus
importante » de sa carrière est la Lego House, qui
ouvre ses portes le 28 septembre dans la commune
danoise de Billund. Ville de naissance de la marque,
dont elle héberge toujours le siège social, elle
accueille aussi le parc d’attractions Legoland.
Pour réaliser cette «maison du Lego», l’architecte a
empilé vingt et une briques blanches, qu’il a ensuite
coiffées d’une structure plus importante, surnom-
mée la keystone (clef de voûte). Une exposition cen-
trale permettra de se plonger dans l’histoire de la
marque, de découvrir des sculptures Lego en taille
réelle ainsi que des constructions extravagantes réa-
lisées par des fans. Les 12 000 m2 comprendront
aussi des zones de jeux, trois restaurants, un maga-
sin. « Quand j’étais enfant, j’ai passé des heures à jouer
aux Lego. J’accumulais tant d’idées que j’avais besoin de
les exprimer ainsi, je me créais des mondes », confie
Bjarke Ingels. Un clin d’œil du destin, donc, pour
celui qui continue d’envisager la construction
comme un jeu. « De manière générale, Lego est ce que
l’architecture devrait être, une source de créativité perma-
nente. » Lego House mise sur une fréquentation de
Lego/Big x2. Kenzo. Mohamed Khalil. Benjamin Loyseau

250000 visiteurs par an. A.-L. C.

Lego House, Ole Kirks Plads 1, Billund, Danemark.
Accès gratuit aux terrasses extérieures, au magasin et
aux restaurants. 26 € l’entrée aux zones d’expérience
et d’exposition. Pré-réservation : www.legohouse.com

15 — Mémoire vive.
Alors que le design réédite à tour de bras, la mode
semble plus hésitante. En septembre, Carol Lim et
Humberto Leon, directeurs artistiques de Kenzo,
sautent le pas et consacrent aux archives de la
marque une collection biannuelle baptisée
Memento. Le duo remet ainsi au goût du jour un
kimono matelassé à pois de 1978 ou un sweat à l’ef-
figie d’animaux datant de 1980, autant de modèles
signés du fondateur Kenzo Takada. «C’était un vrai
challenge de réimaginer des pièces qu’il a créées dans les
années 1970 et 1980, commentent les deux créateurs.
C’est une façon de montrer aux fans historiques de Kenzo
qu’ils peuvent toujours porter les vêtements de leur garde-
robe, mais aussi de parler du patrimoine de la marque aux
nouveaux clients.» Bien vu. V. Ch.
Memento no 1, à partir du 25 septembre. www.kenzo.com
 posts et postures

#montauk.
Chaque été, les aCCros des réseaux soCiaux
mettent en sCène leurs vaCanCes sur instagram
à Coups de hashtags et de selfies. Cette semaine,
stop à montauk, sur la Côte est des états-unis.
par Carine Bizet — illustration aline zalko

les lieux sont aussi Ce qui fait un sacré contraste avec le

que les gens en font et les réseauxciel gris furieux et les plages au
soCiaux en donnent la preuve sable humide et sauvage qui
C h aq u e j o u r . Montauk, par n’ont pas demandé tant d’agita-
exemple, est un joli hameau tion vaine. S’il reste du temps, les
accroché au bord de l’eau sur la ateliers de peinture sont ouverts :
Côte est des États-unis, célèbre ils permettent d’immortaliser
pour son phare très Nouvelle- deux des célébrités de #mon-
Angleterre qui a inspiré de nom- tauk : le phare du xviiie siècle et
breux artistes. Le lieu pourrait les buissons d’hortensias bleus
être un paradis. Mais que qui donnent à la côte un faux air
découvre-t-on sous le #Montauk? de Bretagne (la région, pas la bras-
Cette station balnéaire idyllique serie qui s’est offert un nom fran-
est devenue les Hamptons des çais pour faire genre). Évidem-
hipsters, l’éden des branchés- ment , la cuisine de #montauk est
décalés prétentieux qui trouvent « organique » (en gros, locale et
les « vrais » Hamptons trop clin- fraîche), et le vin importé de Pro-
quants et pas assez authentiques vence. Pour les hommes ? La
à leurs goûts. Ils y ont importé pêche est une activité tradition-
leurs habitudes les plus absurdes, nelle ici, cooptée par les hipsters
reformatées pour les vacances. Le qui se font bronzer sur des gore de gros poissons éventrés et hipster : il boit de la bière artisa-
#Montauk permet de découvrir bateaux rapides et bruyants en sanguinolents, et des images du nale... à la pastèque, puisque c’est
une drôle d’utopie en toc.Au pro- jouant de la guitare pendant que concours de « qui a la plus l’été. Antiguide touristique par
gramme : lectures d’auras et cris- leurs copains réalisateurs freelance grosse » (prise) : des types en ber- excellence, Instagram permet de
taux thérapeutiques pour les filment la scène pour leur compte muda J.Crew brandissant des découvrir à quel genre de voisins
dames – les cours de yoga et de Instagram. Le hipster de #mon- poissons morts pour mesurer la affligeants on a droit, même au
pilates sont donnés par des gou- tauk veut à tout prix montrer sa taille de leur exploit. Mais le bout du monde. Car, en vacances
rous importés de New York. Voilà virilité.Attention donc aux photos hipster de #montauk reste un aussi, l’enfer, c’est les autres.

le théorème

À pieds joints.
Santoni. ToiletPaper. Santoni x ToiletPaper

santoni toiletpaper baskets à sornettes

Fondée en 1975 dans la région des
Marches, l’entreprise italienne s’est
construit une solide réputation avec
ses souliers patinés à la main. Cet
automne, Santoni lance sa première
collection de prêt-à-porter sous la
houlette du créateur Marco Zannini.
Avec ce magazine visuel créé en 2010,
Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari
développent un univers au regard
décalé sur la société. Le duo fraie
aussi avec la mode, et est en
charge de la direction artistique
des campagnes Galeries Lafayette.
Les deux artistes ont habillé l’emblé-
matique basket de Santoni, la
« Clean Icon ». Avec serpents entre-
lacés et colorés, dans l’esprit qui a
fait la signature de ToiletPaper. V. Ch.
Santoni × ToiletPaper, baskets, 520 €.
www.santonishoes.com.
65

fétiche

Cubi sur l’ongle.

Aux dernières nouvelles, qui remontent à 2014, les Français
étaient les plus grands consommateurs de vin au monde (après
le Vatican). L’été, apéritif oblige, c’est le rosé qui remporte la palme.
Bouteille ou cubi, à chacun son camp, le cubi présentant l’avantage
d’être plus économique et facile à transporter. Inventé en 1955
par le chimiste américain Scholle, ce conditionnement est d’abord
fabriqué en plastique rigide, avant de prendre la forme, en 1977,
du « bag-in-box », une poche souple qui empêche l’air d’entrer,
permettant au vin de mieux se conserver (jusqu’à plusieurs
semaines après l’ouverture). Les Niçois, une jeune épicerie
spécialisée dans l’apéritif, a choisi de promouvoir un cubi au
design épuré, histoire de le « déringardiser ». Si le contenant
a ici son importance, le contenu n’est pas laissé au hasard :
un côtes-de-provence bio 2016 aux notes de groseille,
cédrat et pomelo, et à la robe pâle aux reflets argentés. F. Kh.
Rosé de Pétanque bio 2016, Les niçois, 16 €, 1,5L. www.Lesnicois.com

19 août 2017 — Photo Paul & Henriette pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa
 66

variations

Toile de maîtres.
Destinée à l’origine aux vêtements de travail, la toile denim quitte
l’indémodable paire de jeans pour habiller des collections d’accessoires.
Notamment chez la créatrice Stella McCartney, engagée pour la cause
animale, où le jean joue depuis des années le rôle d’alternative au cuir.
Cette matière est également une façon d’insuffler de la modernité,
comme sur cette besace Marc Jacobs, ces mules à talon Tabitha
Simmons ou ce bandeau Maison Michel. À porter sans jeans
et à petite dose pour éviter le style cow-boy. F. Kh.
De haut en bas, sanDales Celia en Denim Clouté, 667 €,
tabitha simmons. www.tabithasimmons.Com
saC nomaDe en Denim Clouté, marC JaCobs, 495 €. www.marCJaCobs.Com
banDeau tina bow, 150 €, maison miChel. www.miChel-paris.Com

Photo Paul & Henriette pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa — 19 août 2017
 esprit des lieux
librement inspiré
À plein tubes.
Eau en couleurs. Le 20 août, prendre la vague
au championnat de surf
Caraïbos Lacanau Pro.
ACteurS, DéCOrS, COStumeS… Le CinémA jOue LeS PremierS
par Fiona KhaliFa
rôLeS DAnS L’imAginAire DeS CréAteurS. POur SA PALette
De fArDS OffLine, L’ALLemAnDe ZOe BOikOu S’eSt rePLOngée
DAnS “LA PiSCine” De jACqueS DerAY.
par Claire Dhouailly

Une eau turquoise, la végétation qui se
découpe sur le ciel azur de Saint-Tropez, les
peaux chauffées à blanc de Romy Schneider
et d’Alain Delon : le film de Jacques Deray,
vert. » En mixant les nuances de l’eau et du
végétal, le ton de fard vert obtenu est comme le shorT De Bain
Seagull, en Nylon,
tamisé par l’ombre des arbres. Le même Timberland, 35 €.
vert habille le packaging et plante le décor. www.timberland.fr

huis clos centré autour de la fameuse piscine,
est saturé de couleurs autant que de sex-
appeal. Une source d’inspiration formidable
pour Zoe Boikou, qui crée ses palettes en
partant d’un paysage, d’une chanson ou d’une
exposition. « Plusieurs scènes de La Piscine
sont à l’origine des fards d’Offline, explique la
jeune femme. Quand, après être sortie de
l’eau, Romy Schneider se fait poursuivre par
Alain Delon, qui la taquine, la caméra passe
du turquoise de la piscine au jardin luxuriant de
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. ProdDB/SNC. Zoeva. Yoga Connect
« Quant aux nuances de rouge et de violet,
je les ai trouvées en regardant le passage où
Romy Schneider et Jane Birkin se garent
devant un parterre de fleurs aux teintes vives,
presque exotiques. » La Piscine, ce sont aussi les luneTTes De soleil
des grains de peau, omniprésents, sensuels, Kendall I, Michael Kors, 170 €.
www.michaelkors.fr
oscillant de la couleur chair au doré satiné.
Des facettes déclinées par Zoe Boikou à tra-
vers cinq nuances de beige seconde peau.

Palette de fards à paupières Offline, Zoeva, 22 €.

la villa, dévoilant de très belles tonalités de www.sephora.fr

les Tongs
Molokai, Quiksilver,
19,99 €.
www.zalando.fr

mise en appli

Libre cours.
On ne compte plus le nombre de personnes qui se reconvertissent
dans le secteur du yoga. Laure Bouys a quitté son job en Web
le spray
marketing pour lancer Yoga Connect, une application de cours en UV Defense Sport,
PF 30, résistant
ligne accessibles en illimité. Prix de l’abonnement mensuel : 18 euros. à l’eau, Biotherm Homme,
Soit peu de chose, quand on sait qu’à Paris, un cours à l’unité 30,20 €.
www.parapharmacie-
revient à 20 euros au minimum. Le choix des séances, animées par en-ligne.com
des professeurs confirmés, se fait par type de yoga, par bénéfice
recherché (détox, anti-stress, soulager le dos, bien dormir…) ou par
durée (de 5 minutes à 2 heures). De quoi permettre à tous de pratiquer
à son niveau, n’importe où, n’importe quand. C. Dh.
myyogaconnect.com
 lieu de vacance
L’envie de palace.
“M” explore ToUT l’éTé des endroiTs abandonnés.
CeTTe seMaine, l’hôTel belvédère dU rayon verT, dans
les pyrénées-orienTales. aveC ses Casino, CinéMa,
ThéâTre eT CoUrT de Tennis, le bâTiMenT offraiT aUx
riChes voyageUrs Une halTe diverTissanTe en aTTendanT
de passer la fronTière espagnole. Un lUsTre passé
qUe TenTe de reCoUvrer Ce Trésor Classé.
par anne-lise carlo
Un navire affalé en bord de rails. Imaginé par
Léon Baille dans le style Art déco « paquebot »,
cet ovni architectural de béton et d’acier
surplombe le petit port de pêche de Cerbère,
à la pointe sud-est des Pyrénées-Orientales.
À l’époque de sa construction, entre 1928
et 1932, le franchissement de la frontière
franco-espagnole nécessitait de longues
formalités douanières : arrivés en gare de
Cerbère au petit matin, les voyageurs atten-
daient le précieux sésame toute la journée,
voire plus, avant de reprendre la route.
L’Hôtel Belvédère du Rayon Vert constituait
une halte bienvenue pour cette clientèle hup-
pée, peu désireuse de patienter en gare. À
disposition, 25 chambres, mais aussi et surtout
de quoi se divertir : un restaurant panoramique,
un salon de lecture, un casino, un bar, une
salle de théâtre et de cinéma et même un
court de tennis, sur l’immense toit-terrasse
cerné de filets, pour retenir les balles…
En 1936, la guerre d’Espagne signe la fin de la
période faste. L’établissement est réquisitionné
par les Allemands en 1941. Si, dans les
années 1950, on y vient de nouveau chanter et
danser, le Belvédère périclite au fil des années
1970-1980. Certains souhaiteront même la
démolition de cette « verrue ». Aujourd’hui, sur
les murs de l’ancien restaurant, des peintures
d’artiste un peu effacées donnent à l’endroit
des airs mélancoliques de ruine antique.
Décor de clip et de film, la salle de cinéma
semble s’être enfoncée, elle aussi, dans un
profond sommeil. Chaque année, en octobre,
elle reprend des couleurs, avec les Rencontres
cinématographiques de Cerbère-Portbou
– les spectateurs racontent comment, par
instants, se mêle à la bande-son des films
projetés le vrombissement des trains qui
filent quelques étages plus bas vers l’Espagne,
confondant ainsi fiction et réel.
Des appartements peuvent encore être loués.
Mais la dégradation des lieux est telle que Jean-
Charles Sin, l’arrière-petit-fils du premier pro-
illustration de satoshi hashimoto pour m le magazine du monde. jmn/cover/Getty
priétaire, n’a d’autre choix que de restaurer dou-
cement ce trésor familial, classé depuis 2002.
y aller
Depuis perpignan — compter une heure
en voiture ou quarante minutes en train
jusqu’à l’avenue de la côte-vermeille.
sur place — visites possibles chaque jour
à 15 h, sur réservation uniquement.
contact : 04-68-88-41-54.
tarif : 5 € (aide à la rénovation).
 69

L’exPosition PHare des cent ans du mouvement
de stijL est consacrée à L’un de ses fonda-
teurs, Piet mondrian. comment avez-vous
montré son cHeminement vers L’aBstraction ?
Notre musée possède un grand nombre
de dessins et de peintures de Mondrian.
Pour cette exposition, nous avons sorti
des réserves plus de 300 pièces, de ses
premiers travaux classiques, paysages
et natures mortes inspirés de l’âge d’or, à
ses toiles aux motifs géométriques et aux
couleurs primaires. L’exposition, qui nous
plonge dans les origines de l’art abstrait,
est le prélude à une installation perma-
nente composée d’objets, de meubles
et d’œuvres emblématiques du mouve-
ment, que nous inaugurerons en octobre.
Robin de Puy/Gemeentemuseum Den Haag. Gemeentemuseum Den Haag. Charles Karsten/Collection RKD/Netherlands Institute for Art History. Collection Het Nieuwe Instituut
comment de stijL est-iL Passé d’un mouvement
d’art néerLandais à un mouvement internatio-
naL et GLoBaL, intéGrant L’arcHitecture et
Le desiGn ?
Bart van der Leck (1876-1958) a été le
premier peintre à créer des abstractions
à partir de situations réelles en utilisant
des couleurs primaires sur fond blanc.
Autour de 1916, il rencontre Piet Mondrian.
Ensemble, ils mettent en place un voca-
bulaire fait de formes géométriques,
d’à-plats de couleurs et de lignes horizon-
tales et verticales. Mondrian théorise cette
approche en 1917, dans la revue De Stijl
(« Le Style »), qu’il crée avec le peintre et
architecte Theo van Doesburg. Mais dans
sa pratique, Mondrian ne se contente pas
L’école De Stijl
de composer des tableaux. Il peint par
exemple des rectangles et des carrés sur
les murs de son studio parisien, à Montpar-
nasse, que nous avons reconstitué en taille
réelle dans l’une des salles du musée. Ce
type de travaux constitue un « pont » qui
permet de comprendre pourquoi ce mou-
vement a influencé, et continue d’influen-
cer le design (les célèbres assises Zig-Zag,
Rouge-Bleu, Utrecht de Gerrit Rietveld), la
mode (la robe Yves Saint Laurent), le gra-
phisme (la pochette de l’album De Stijl, des
White Stripes) et, bien sûr, l’architecture.
où sont situés Les Bâtiments
Les PLus emBLématiques ?
Dans les années 1920, Theo van Doesburg
se voit confier la conception du cinéma-
discothèque L’Aubette, à Strasbourg.
Il casse la forme cubique des halls exis-
tants, créant une composition spectacu-
laire de panneaux colorés positionnés
en diagonale. À Alkmaar, au nord

a touché à tout : d’Amsterdam, le même van Doesburg

au mobilier
(fauteuil de Gerrit
libère la maison dite « Huis De Lange »
Rietveld, vers 1918, de sa structure classique en introduisant
ci-contre), à la
peinture (Piet des palettes de couleurs vives sur les murs
Mondrian en 1933, de chaque pièce. Peu après avoir emmé-
ci-dessous), à l’ar-
chitecture (en bas, nagé, les occupants ont tout repeint…
dessin de Theo
van Doesburg, Depuis vingt ans, les nouveaux proprié-
rencontre 1926-1927, pour un taires travaillent à la restauration de

“De Stijl et
mur de l’Aubette,
à Strasbourg)… ces couleurs et formes fondatrices.
Pour le commis-
saire d’exposition

Mondrian
Hans Janssen de stijL est contemPorain du mouvement aLLe-
(à gauche),
ses membres ont mand du BauHaus qui se caractérise aussi Par
« mis en place

continuent
un vocabulaire ». une aPProPriation des cHamPs de La création.
où réside La différence entre ces deux écoLes ?
Contrairement au Bauhaus, De Stijl ne

d’influencer
propose pas d’innovations techniques.
En outre, ses membres ne s’intéressent pas
à la production de masse. Ils ne réalisent

le design.” que du sur-mesure, ce qui leur dégage

du temps pour se consacrer à leurs
recherches. Essentiellement tournés vers
Les Pays-Bas céLèBrent Le le sens de la couleur et de la forme, leurs
centenaire du mouvement travaux anticipent le style international
artistique de stijL à et le modernisme.
travers des dizaines « La découverte de Mondrian », Gemeentemuseum,
d’événements. à La Haye, La Haye. Jusqu’au 24 septembre. www.gemeentemuseum.nl
sous La HouLette du Et aussi : www.holland.com/fr/tourisme.htm
commissaire d’exPosition
Hans janssen, Le musée
d’art Gemeente Part
à “La découverte de
mondrian”, L’un des fon-
dateurs de ce courant.
propos recueillis par Marie Godfrain

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 melting-pots

Buffet froid.
C’est l’une des aCtivités préférées des français. surtout l’été…
mais l’apéritif n’est pas l’apanage de l’hexagone. Cette semaine, le
“smörgåsbord”. loin du snaCk vite avalé, Cette tradition sCandinave
mêle tartines et eaux-de-vie, et peut se transformer en festin.
par Camille labro

en terre nordique, on dîne généralement
avec les poules. Difficile, dans ces conditions, de
trouver le temps pour l’apéritif. Il existe pourtant un
rituel approchant: le smörgåsbord. Mot composé de
smörgås (« pain beurré », ou « sandwich ouvert ») et
de bord (« table »), soit, littéralement, « tablée de
tartines », ce buffet festif à tendance gastronomique
se pratique été comme hiver, de la Finlande à la
Suède, les mets changeant selon les saisons et les
régions. Son incarnation la plus extravagante se
manifeste à la fin de l’année, avec le julbord, table de
Noël, qui peut compter plusieurs centaines de mets.
À l’origine, le smörgåsbord était une sorte d’apéritif.
Entre le xve et le xviiie siècle, les riches marchands
suédois avaient coutume de dresser de petites tables
annexes avec pain, beurre, fromages et poissons
marinés, accompagnés d’alcools clairs, type schnaps,
aquavit ou vodka, pour rassembler et faire patienter
les convives, parfois plusieurs heures avant le souper.
Cela s’appelait le brännvinsbord.Au xixe siècle, la pro-
position de plats est devenue de plus en plus variée,
se substituant peu à peu au repas principal: le smör-
gåsbord était né.Aux antipodes du snack vite englouti,
celui-ci se déguste longuement et s’apprécie debout,
 71

J’ai découvert le plaisir de manger

et de cuisiner à l’étranger. car, en
suède, mon pays natal, les gens
sont très inhibés dans ce
domaine. Nous n’avons pas du tout le
les toasts
même rapport à la nourriture, ni la même
au concombre
culture des repas familiaux bruyants et
de svante
bons-vivants : dans les pays du Sud, la cui- forstorp
sine rassemble tout le monde, c’est une
passion qui concerne toutes les couches IngrédIents
sociales. Au nord, nous avons quand même (pour 2)
le smörgåsbord, qui est devenu une tradi- 2 tranches de pain
de seigle noir ou pain essene
tion au sein des classes populaires : on peut (aux graines)
manger à volonté, l’abondance du buffet 4 à 8 filets d’anchois
contraste avec le passé de la Suède, où l’on à l’huile d’olive
½ concombre bio, non pelé
a longtemps souffert de la faim. J’ai étudié ½ c. à c. de graines d’anis
la cuisine au Kendall College de Chicago, Jus d’½ citron frais
j’ai travaillé dans des restaurants à San sel, poivre
purée de noisettes non
Francisco, à New York, à Rome, et j’ai fina- sucrée
lement atterri à Paris en 2011, où j’ai été
embauché aux Deux Amis, le bar populaire râper le concombre à l’aide
d’une râpe à fromage.
de David Loyola. C’était la folie des tapas et presser pour extirper
des petites assiettes à partager. C’était le maximum de jus
nouveau pour moi et aussi pour les Pari- (ce jus peut être ajouté
au cocktail ci-dessous).
siens. On utilisait des produits français qui Mélanger le concombre
m’épataient par leur qualité, j’ajoutais mon râpé avec l’anis, le jus
approche nordique épurée, un peu de créa- de citron, sel, poivre.
disposer les filets d’anchois
tivité italienne et espagnole, et ça faisait sur les tranches de pain noir.
des plats magiques. J’aime faire des choses placer une belle masse
de concombre râpé
à la fois bonnes au goût et pour la santé.
par-dessus, et une cuillerée
Dans ma cuisine, je préfère utiliser l’huile de purée de noisettes.
d’olive au beurre, et j’avoue que j’aime
d’avantage les anchois que les harengs. Sur le punch
u n e t r a n c h e d e p a i n n o i r, av e c d u de pêche
concombre pressé bien assaisonné, c’est IngrédIents
extra. Accompagné d’un verre infusé de 2 pêches, coupées en 2
gingembre et de fruit de saison, c’est un 2-3 branches de laurier
2 belles noix de gingembre
apéritif maison sain et surprenant.” coupé en rondelles
½ citron
Svante ForStorp,
1 bouquet de persil
36 anS, cheF au achille
1 c. à s. d’algues wakame
43, rue Servan, Paris 11e. ½ l d’eau filtrée

Un avion DC3
transformé placer les pêches sur
en restaurant, le laurier au fond d’une
Stockholm, 1956.
cocotte. Couvrir et mettre
sur le feu, pour les fumer
pendant 10 min.
dans une marmite, mettre
Illustration satoshi Hashimoto pour M Le magazine

en circulant autour du buffet. Il peut même se
dérouler en plusieurs actes, débutant par un round
de harengs, pommes de terre, œufs durs et fromages;
puis gravlax, pâtés de poisson, anguille, caviar ou
du Monde. Bert nilson/getty Images
Évidemment, le poisson (hareng, saumon, cabillaud, les pêches fumées,
merlan, églefin) est roi: mariné, fumé, séché, sucré- le gingembre, le demi-citron
(jus + fruit), le persil,
salé, infusé d’herbes ou d’épices, en sauce ou en les algues et l’eau. porter
gravlax, c’est l’embarras du choix. Mais le pain a

à ébullition, laisser réduire

langoustines; suivis de charcuteries, légumes aigres-
doux et salades variées; gratins, saucisses et boulettes
en quatrième round ; pour finir avec un buffet de
douceurs, présenté sur une table à part, fruits, biscuits
et entremets divers. Bref, un festin qu’il faut consom-
mer par petites portions, lentement, avec un flegme
tout nordique, en évitant d’associer trop de prépa-
rations dans l’assiette.
également toute son importance: pain noir au seigle, de moitié, éteindre, couvrir,
laisser infuser et refroidir.
aux céréales, pain blanc dit « polaire », moelleux servir cette infusion avec
et plat, il s’associe aux produits de la mer 1/3 de vin blanc pétillant
pour composer toutes sortes de tartines. Côté (crémant ou prosecco).
liquide, les plus téméraires oseront le shot d’eau-de-
vie, à moins d’opter, comme le suggère le chef
suédois Svante Forstorp, pour un punch fruité,
pétillant et revigorant.

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 dessous de sable
La baie des coquins.
L
par
’accueil au téléphone n’est pas des plus plaisants, un
peu rêche, pas franchement gentil. Les apprécia-
tions sur les réseaux sociaux n’y vont pas par
quatre chemins (« nasse à pigeons », « beau mais
désagréable », « attrape-touristes »). Régulièrement,
des anecdotes témoignent de la propension un peu cavalière de
La Baie des singes à pousser à la consommation. Parfois, ce
n’est pas plus mal d’être au parfum et d’arriver ainsi cuirassé.
D’autant que la petite promenade dans les rochers entre les par-
kings et ce restaurant de crique vous ouvre un appétit de chien.
À l’arrivée, un coquin en chapeau vous toise, vous jauge,
impose son aplomb, vous refile une table de deuxième
rideau. Avant d’essayer de vous vendre son plateau de
poissons le plus gros, masquant les spécimens abordables
(attention, ça peut dévisser dans les 320 € pour deux).
Heureusement, les serveurs sont prévenants et compré-
hensifs, une chance que notre compagnon de déjeuner
porte un tee-shirt de l’OM (le club de foot local, pardon,
y aller séjourner à emporter
En voiture À Marseille, Le souvenir d’une
depuis Marseille, le légendaire incroyable calanque.
compter 40 minutes Sofitel Vieux-Port,
via le tunnel 36, bd Charles-Livon.
Prado-Carénage. Tél. : 04-91-15-59-00.
À partir de 200 €.
françois simon
mondial), et parle avec l’accent. Le rapport de force est ainsi
placé, et le coquin recadré. Ne suffit plus qu’à se pencher sur
cette énigme magnifique. Pourquoi diable se colleter de la sorte,
la beauté rend-elle marteau ? La réponse est dans le paysage.
Oui, il est magnifique. Les calanques sont splendides, inouïes
dans leur fraîcheur, l’assaut des roches et de l’azur fumant. Il y a
de quoi être ivre de fierté et un brin perché. Quelle ville au
monde peut servir pareil chaud-froid, aussi exaltant, stimulant ?
On imagine ici que la terre entière est envieuse. Les tablées sem-
blent prospères, en tout cas elles le suggèrent, même en maillot
de bain (grosses patates au poignet, bijoute-
ries variées). Juste à côté, huit loustics bien
baraqués ont l’air de participer à une sorte de
séminaire de travail. Fronts sérieux, mentons
volontaires. Tendons l’oreille : « Lorsqu’elle m’a
dit “Je suis mariée”, explique l’un d’eux, j’ai tout
de suite compris que j’avais ma chance. »
L’assemblée opine gravement du bonnet.
Devant eux, de magnifiques plats : bombar-
diers débordant de pâtes sauce tomate, de
langoustes, de cigales de mer, des flacons
embués. Et le service bouillonnant de ferveur
madrée. La cuisine ? Banale.
Côté mer,
des calanques
splendides. Côté
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. François Simon x5. Getty Images x3
cuisine, des plats
magnifiques à
vue de nez mais
banals au palais
et... surtout très
salés (320€ le
plateau de gros
poissons pour
deux, ci-contre
au centre).
dommage p a s s a g e à l’a c t e
Limite détestable La Baie des singes, Cap Croisette,
et arnaque, Marseille. Tél.: 04-91-73-68-87.
mais bon… Décibels
Plaisant babil estival.
Mercure
Selon les variations saisonnières.
L’addition
Ça part vite en vrille, si vous
n’êtes pas expressément debout
sur les freins : 70 € par personne.
Minimum syndical
Linguine aux palourdes, 26 €.
Logiquement, on vous fait
la tronche gratis.
Verdict
Non, non, non !
Au huitième degré, cela dit, extra.
 73

maison de vacances

Force bleue.
célébré pour ses structures de résille en béton au MuceM,
à Marseille, l’architecte rudy ricciotti livrera, en janvier,
la salle de spectacle de bordeaux Métropole arena. aiManté
par l’azur Marin des calanques de cassis, il aiMe se retirer,
été coMMe hiver, dans son cabanon.
propos recueillis par Marie Godfrain

j’habite un cabanon, entre un J’y suis en vacances, au travail,

cap et une calanque, sous l’auto-
rité magique de la Méditerranée.
La sérénité suprême qui émane de
ce lieu peut très vite se transformer ;
comme ces bleus qui m’encerclent :
bleu argenté comme un lac le matin
lorsque le cap Canaille cache le soleil,
outremer par mistral, Klein par mer
Rudy Ricciotti
modérément, et surtout à l’air libre
et salin.La puissance magnétique
du paysage est telle qu’elle oblige
souvent au silence et parfois à l’oubli
de soi-même. C’est un terrain de
transfiguration, un fertilisant mental
fabuleux. C’est ici que je vivrai toujours,
avec mon barbecue pour l’été, ma

d’huile ou encore gris acier lorsque la cheminée pour l’hiver et mon bateau,
tempête enrage. Je refuse de voyager, pour ne pas oublier que l’horizon
j’aime ce paysage, il m’aimante. construit l’homme.”

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 la grande illusion

De rouille et d’ocre.
L’exotisme se trouve au coin de La rue, ou presque. pour contempLer
Les vastes étendues fLamboyantes du bush, inutiLe de partir carnet
en austraLie. GorGées de fer, Les terres du rouGier de camarès, pratique
dans L’aveyron, offrent La même paLette de couLeurs saturées. Y aller
En voiture : depuis
par Marie Godfrain — stylisme fiona Khalifa Paris, prendre l’A75
jusqu’à la sortie
Saint-Affrique, puis
la D999 et sillonner
dans le Rougier
entre Montlaur,
Belmont, Gissac
et Camarès.
En train ou en avion :
la gare et l’aéroport
de Montpellier sont
à 140 km, ceux de
Toulouse à 150 km.

dorMir
La résidence du
Rougier est un vaste
domaine arboré
composé d’un hôtel,
d’appartements, de
places de camping
ombragées, et agré-
menté d’une piscine
pour se rafraîchir
après une marche
au soleil. 18 €/nuit
(emplacement
pour 1 tente),
495 €/semaine
(le plus grand
appartement).
19, av. de Saint-
Affrique, Camarès.
Tél.: 05-65-99-59-36.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Marianna Massey/Corbis/Getty. Paul Palau/onlyfrance.fr
www.residence
durougier.com

dîner
Ris d’agneau,
Le phénomène d’oxydation du fer dans la terre donne leur teinte safranée aux bush feuilletés au
australien (Alice Springs, à gauche) et aveyronnais (Rougier de Camarès, à droite). roquefort, melsat
(saucisse au pain

C
aveyronnaise),
pérail (fromage
de brebis) : le chef
de l’Oustalet de
’est un pays rouGe, fLamboyant comme château de Montaigut (xe-xve siècles), qui domine Montlaur célèbre
un coucher de soLeiL. À l’époque fort toute la région. Puis redescendre, pour admirer de près la riche production
lointaine où le climat y était tropical, cette curiosité géologique. De Montlaur à Briols jusqu’à agricole locale.
Aire du Seigneur,
une terre gorgée de fer s’est accu- Sylvanès et son abbaye cistercienne, une route specta- 12400 Montlaur.
mulée, formant des collines sur des culaire, taillée dans la roche, serpente à travers ces Tél. : 05-65-49-75-47.
kilomètres. Sous l’effet de l’humidité, le fer s’est oxydé reliefs, desservant des villages de pierre couleur sang. et aussi
et a donné au sol cette teinte saturée. Ce pays, ce Une fois parvenu au cœur du Rougier, de bonnes L’abbaye de
pourrait être le bush australien, dont l’immensité chaussures de marche, un VTT, voire un cheval, per- Sylvanès est un
bâtiment cistercien
désertique et obstinément rouge est née du même mettent de découvrir les sentiers et les vallées. Ici, pas du xiie siècle.
phénomène géologique. C’est le Rougier de Camarès, de kangourous, de dingos ou de wallabies, mais des Le Bourg, Sylvanès.
situé aux confins des départements de l’Aveyron, troupeaux de brebis de race lacaune, qui paissent Tél.: 05-65-98-20-20.
www.sylvanes.com
du Tarn et de l’Hérault. Moins aride et plus vallonnée paisiblement en attendant la traite – leur lait sert à la
que son homologue de l’hémisphère Sud, cette région confection du fromage de Roquefort, tout proche. Rougier (Aveyron).
agricole présente des essences familières comme Autour de Sénégas et du village d’Andabre, mieux vaut www.tourisme-
rougier-aveyron.com
le thym et le genêt, qui distillent généreusement voyager léger pour se faufiler dans les minicanyons Découverte à pied,
leurs effluves au cœur de l’été. creusés par les ruisseaux qui parsèment le chemin. à cheval ou à VTT.
Pour embrasser d’un coup d’œil ses paysages où le Les amateurs de glisse se retrouveront, eux, au lesponeysdurougier.
jimdo.com
rouge mordoré se mêle au bleu du ciel et au vert des skatepark de Montlaur, construit, lui aussi, dans cette vttrougier.weebly.
prairies et des bosquets de chêne, il faut grimper au pierre rouge si chère aux habitants de la région. com
75

1 2 3

4 5 6

8 9

1/Casquette Japan 4/Lunettes en métal, 7/Biscuits Apérothym,

Pack, imprimé Hugo Boss chez Safilo, Les Délices du
palmiers, New Era, 35 €. 250 €. safilo.com/fr Rougier, 3,20 €
www.neweracap.com les 100 g.
5/Caméra Fish Eye www.lesdelices
2/Gourde LifeStraw Gear 360 2017, durougier.fr
Go2, 65 cl, Samsung, 249 €.
LifeStraw, 54,95 €. www.samsung.com 8/Short en denim,
www.lifestraw.com Peter Max × Wrangler,
6/Valisette 139,95 €.
3/Tee-shirt Sunny Side Up, www.wrangler.fr
en coton mélangé, La Grande Pharmacie
Majestic Filatures Bailly × Colette, 70 €. 9/Tennis en denim
× Arizona Muse, 98 €. www.pharmaciebailly. brut, Rivieras, 70 €.
www.majesticfilatures. com www.rivieras.com
com

19 août 2017 — Photo Pierre Lucet-Penato pour M Le Magazine du Monde

 Le groupe
Therapie Taxi,
en juin, à l’hôtel
Le Pigalle, à Paris.
77
EllE a bEau sE cachEr dErrièrE unE mouE dE joliE blondE pas
commodE et lui se vieillir avec une fine moustache de dandy brun,
Adélaïde et Raphaël peinent à camoufler qu’ils sortent juste de
l’adolescence. Leur musique s’y accroche d’ailleurs. Leur groupe,
Therapie Taxi, fuit l’âge adulte à coups de chansons borderline,
tanguant entre rock et électro, dérèglement des sens et cruauté
lucide. En attendant un premier album prévu en janvier 2018, EP
déluré, vidéos gentiment trash et concerts estivaux, notamment le
26 août à Rock en Seine, permettent de faire connaissance avec
ces Parisiens.
« Adé » n’a que 17 ans quand « Raph » – alors 20 ans à peine –
répond, en 2013, à la petite annonce que la guitariste-violoncelliste
a laissé sur un site de rencontre pour musiciens. « Je suis allée au
rendez-vous sans le dire à mes parents, reconnaît aujourd’hui
la demoiselle. Je suis partie de chez moi en cachant ma guitare. »
Elle est d’abord impressionnée par ce garçon plein de projets qui
la reçoit dans son quartier de Pigalle (même s’il est natif
d’Avignon). Lui est convaincu par la version tremblotante de
Jimmy, la ballade country-folk de Moriarty, qu’Adé lui chante,
accompagnée d’un harmonica.
Les premières répétitions se font le dimanche, chez papa et
maman, tâtonnant en mauvais anglais dans une trop sage veine
acoustique. Avant une émancipation francophone ouvrant la porte
à des désirs autrement décoincés.
Quelques modèles convainquent le duo que la langue de Brassens
peut s’accorder à leur fièvre. L’intensité poétique de Fauve ou de
Radio Elvis, l’élégance noire de Lescop, le lyrisme charismatique
d’Arthur (« Mon idole ! », s’exclame Raphaël), chanteur de Feu !
Chatterton. Et bien sûr, le swing décomplexant de La Femme qui,
au début des années 2010, conteste l’hégémonie de la pop
Ils n’ont pas 25 ans et chantent sans détour la fièvre
de la vie postadolescente. Avec leur mélange
de rock et d’électro, les Parisiens débridés de
Therapie Taxi
incarnent fièrement la nouvelle scène pop fran-
çaise. À découvrir à Rock en Seine, le 26 août, au
Domaine de Saint-Cloud, en attendant le premier
album, en janvier 2018. Par Stéphane Davet — Photo Melchior Tersen
hexagonale mais anglophone. « Avec La Femme, le français rede-
venait cool et sexy. Cela nous a donné envie », assure Adé.
D’autant que la première chanson écrite dans leur langue reçoit
un bien meilleur accueil que tout ce qu’ils avaient bricolé aupara-
vant. « Une bonne chanson repose sur une bonne histoire et celle-ci
devient beaucoup plus pertinente racontée en français, explique
Raph, ancien élève d’école de journalisme. C’est réjouissant de pou-
voir se démarquer par la plume autant que par la mélodie. »
Quitte à choquer certaines oreilles. Mise en son provocante de
la guerre des sexes, Salop(e) ouvrira le bal du buzz en échangeant
les insultes. « Un matin de gueule de bois, le lendemain d’une vio-
lente rupture amoureuse, j’ai ouvert l’ordi, choisi des beats et
balancé tout ce que j’avais sur le cœur », se souvient Raphaël. Il a
ensuite rééquilibré le morceau en donnant la parole à une fille qui
ne s’en laisse pas compter, tout en jouant avec le contraste d’un
refrain tendre, chanté en duo.
D’abord baptisé Milky Way, le groupe devient Therapie Taxi à
l’arrivée de Félix (guitare et claviers) et Renaud (batterie). Plus
carré, le quatuor ne reste pas moins voué aux chroniques débri-
dées de la postadolescence. Nourris de concerts de rock autant
que de clubbing déjanté, Raphaël et sa bande plongent dans la
fête et les excès, avant de se regarder dans des miroirs renvoyant
de vilains réveils. Ode amphétaminée aux paradis artificiels
(Crystal Memphis), délire trop arrosé (Coma idyllique), dérives
dans les rues de Paris (Pigalle), surtension amoureuse (Adena)
ou zouk affriolant (Jean-Paul)… Therapie Taxi n’a pas l’intention
de guérir de sa jeunesse.
concerts : le 26 août, à saint-cloud, au festival rock en seine ;
le 21 octobre, à Vitry-sur-seine, au Festi’Val de marne ;
le 26, à Troyes, au festival nuits de champagne.
19 août 2017 — M Le magazine du Monde
 Triste cire.

Arwed Messmer, avec l’usage d’une photographie des archives du Land de Bade-Wurttemberg
Plein les yeux.

À Mannheim, Ludwigshafen et Heidelberg (Allemagne),

la Biennale für aktuelle Fotografie scrute des projets
visuels complexes. À l’instar du travail d’Arwed
Messmer, qui interroge l’histoire de son pays. À
Mannheim, il expose des images de la Rote Armee
Fraktion, groupe terroriste d’extrême gauche des
années 1970. Dans ces photographies, issues d’archives
policières, se dévoilent les meubles et objets du quoti-
dien utilisés par ses membres. Comme ce tourne-disque
ayant appartenu à Gudrun Ensslin, cofondatrice du
groupe, retrouvée morte dans sa cellule en 1977.
Un destin qui donne à cette platine vinyle une dimen-
sion aussi fantomatique que glaçante.
« RAF - No Evidence / Kein Beweis ». Du 9 septembre au 5 novembre. www.biennalefotografie.de
 79

Et Hollywood
Sur le plateau.

découvrit le féminisme. Par Clément Ghys

R é a l i s é p a R H o wa R d
Hawks en 1940, La Dame du ven-
dredi est l’un des films embléma-
tiques de la screwball comedy.
Soit un sous-genre de la comé-
die hollywoodienne, en vogue
avant la seconde guerre mon-
diale, dont les dialogues sont
très agités et où l’intrigue a tou-
jours trait à des questions
d’amour. Le sel de la Dame du
vendredi tient à l’alchimie tour-
billonnante du couple formé par
Cary Grant et Rosalind Russell :
deux journalistes travaillant pour
la même publication, récemment
séparés, et dont le film va suivre
la réunion, entre sentiments
amoureux contrastés et scoops.
Les tenues de Rosalind Russell,
chapeau très haut et tailleurs
aux imprimés excentriques,
y sont pour beaucoup dans
l’impression que le film laisse
au spectateur. Un personnage
très fort, que de nombreuses
auteures féministes ont par la
suite érigé en modèle.
Sauf que le film de Hawks ne
devait pas du tout ressembler à
cela. À l’origine, le cinéaste vou-
lait adapter la pièce The Front
Page, signée Ben Hecht et
Charles MacArthur, jouée à
Broadway en 1928. L’intrigue se
passe dans le milieu journalis-
tique, mais elle ne comporte pas
de premier rôle féminin. Alors
qu’il est en pleine préparation du
scénario, Hawks veut répéter les
dialogues et demande à sa secré-
taire de lui donner la réplique. Il
prend conscience que l’intrigue
serait plus originale en incluant
une héroïne, et transforme ce qui
était l’histoire d’une amitié rivale
entre deux hommes en une
comédie romantique hilarante.
Si le personnage de Rosalind
Russell est resté dans l’histoire
du cinéma, c’est surtout grâce à
son débit de voix rapide et à
ses punchlines désopilantes, lan-
cées à l’adresse de Cary Grant.
Pourtant, sur le plateau, elle s’es-
timait flouée par rapport à son
partenaire, jugeant qu’elle avait
moins de dialogues percutants.
Comme elle le décrivit dans son
autobiographie, Life Is a Ban-
quet, l’actrice embaucha, en
secret et sur ses propres fonds,
un scénariste afin qu’il rende son
texte plus drôle. Seul Grant était
au courant de ces fausses impro-
visations qui ont fait du person-
nage l’un des plus marquants de
la comédie hollywoodienne du
milieu du XXe siècle.
La Dame du vendredi (1 h 22),
de Howard Hawks. Version
restaurée, en salle le 23 août.

Culture strip. Masque attaque. Par Simon Landrein

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

19 août 2017 — M Le magazine du Monde

 80

Mots croisés g r i l l e n o 309 Sudoku n o 309 - très difficile

PhiliPPe duPuis yan georget

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Compléter toute
I la grille avec des
chiffres allant de 1
à 9. Chacun ne doit
II être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
III par colonne et par
carré de neuf cases.
IV

VI

solution de la grille
VII précédente

VIII

IX

X
Bridge n o 309
Fédération Française de bridge

XI

XII

XIII

XIV

XV

Horizontalement I Pour lui chaque voix compte. Pour lui aussi chaque voix compte. II Armer
le chevalier. A aidé à lutter contre la malaria. III Patron en Bigorre. Doit être alimenté pour
fonctionner. Gouverne autour de François. IV N’iront pas droit au but. Raccourci pour faire
court. V N’oublient personne. Mises de côté. En Béotie. VI Finit par s’envoler. Fait mauvais
ménage. Bien pourvu. VII Bonne disposition au départ. Essaie de gagner du temps.
VIII Agréables en bouche, sans intérêt en bourse. Bout de métal. Donne de bons muscadets.
IX Fixas solidement. Homme politique vietnamien. X Interjection. Homme de paille. Bien
placé. Personnel. XI Distributions de coups. Bosse fort. XII Conviendra. Donne belle allure à
la monture. XIII Donnent belle allure. Maîtresse du foyer. Souverain défait. XIV Fait l’inno-
cent. Partage le pouvoir. XV Alimentent les fumoirs et les étals.
Verticalement 1 Donnent de la valeur aux entreprises. 2 Met les glandes en danger. Mena
en bateau. 3 Drame à Tokyo. Protection féminine. Doit être représentatif. 4 Attention quand
elle pète. A beaucoup tourné entre les mains de Rodin. 5 Établis en Espagne à l’époque ro-
maine. S’installa plus tard en Espagne. 6 Fait baisser la pression. Donné pour être suivi.
7 Fournisseur de cachous. Chaudes périodes. Un peu de chance. Romains. 8 Mornes et mous.
Compositeurs tchèques. 9 Tendre la main pour faire le plein. Considéré comme mort. 10 Bon
conducteur. Point. Fournit la polenta et le pop-corn. Lame mal emmanchée. 11 Pose problème.
Pose aussi des problèmes. Communication de la main à la main. 12 Se bat pour la paix. Per-
sonnel. Regarda de très près. Pour les proches. 13 Irlande libre. Bon conservateur. Travaille à
la chaîne. 14 Assurent la cohésion. Fin avril. Cabillaud quand elle est fraîche. 15 Ressaisi par
les feuilles. À eux les beaux rôles à la Bastille.

Solution de la grille no 308

Horizontalement I Cartomanciennes. II Agiotages.Viole. III Unetelle. Fade. IV Cela. Sosies. UDR. V Ha. Lias.
Léandre. VI Eugénistes. Osât. VII Amenais. PS. Ma. VIII Altère. Aï. RER. IX Rient. Caisses. X Dentifrice. Para.
XI Eut. Éos. Ixer. It. XII. Se. PSU. Un. Rg. XIII La. Réélection. XIV Unilingue. Réglo. XV Extériorisation.
Verticalement 1 Cauchemardesque. 2 Agneau. Lieue. Nx. 3 Riel. Gâtent. Lit. 4 Totalement. Pale. 5 Ôté.
Inerties. Ir. 6 Malsaine. Fourni. 7 Aglossa. CRS. Ego. 8 Nées. Tirai. Leur. 9 Cs. Îles. Ici. Lei. 10 Fées. Asexué.
11 Évasa. Pis. Encra. 12 Nid. Nos. EPR.Têt. 13 Nœuds. RSA. Rigi. 14 El. Drame. Rigolo. 15 Secrétariat. Non.

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

 L'al bum

En 1971, la bande d’insuffler la bonne vibration.

de Mick Jagger
et Keith Richards Archétype salace de cet
est au sommet
de son art.
album, Brown Sugar (N° 1
Et enterre l’idéa- aux États-Unis, N° 2 en
lisme des sixties
à coups de Grande-Bretagne) est l’un des
riffs cinglants. trois titres (avec Wild Horses
et You Gotta Move) enregistrés
aux studios Muscle Shoals de
Sheffield (Alabama), haut lieu
de la soul sudiste. Le groove
maniaque de l’intro comme
la moiteur provocante des
textes doivent cette fois tout
à Mick Jagger, parlant, dans
le désordre, de sexe défendu
entre maître et esclave, de
cunnilingus, d’héroïne… « C’est
the rolling stones nisme avec une gouaille bien symbolise la gourmandise un tel méli-mélo, analysait peu
consciente des effets pervers avec laquelle le groupe après le chanteur. Tous les
“Sticky Fingers”, de cette décadence. croque dans la concupiscence. sujets crados d’un coup… »
la vertu du vice. Jamais les Londoniens Des histoires d’entre-jambes Ces hymnes dévergondés ont
“Falling stones” de peter Webb, de “sticky Fingers–The Lost session” (ormond Yard press).

n’avaient conçu avec autant
“Le Monde” propose de classe et de culot un tel
une coLLection de assemblage de chansons
dix aLbuMs du groupe consacrées au sexe débridé,
angLais. cette seMaine, aux drogues dures et aux
Le soMbre hédonisMe amours maudites. Jamais ils
de Leur neuvièMe n’avaient poussé aussi loin l’effi-
disque. cacité de leur son. Endurcie et
assombrie depuis 1968 et les
par Stéphane Davet
riffs cinglants de Street
Fighting Man et Jumpin Jack
Décrivant la musique des Flash, la patte stonienne gagne
Rolling Stones du début des encore en puissance et en arro-
années 1970, le journaliste rock gante nonchalance dans cet
américain Lester Bangs écri- album synthétisant quantité
vait : « La fête est indéniable. de leurs fantasmes américains.
www.snapgalleries.com.
incarnées aussi par la mythique
pochette du disque, conçue
par Andy Warhol, avec
une vraie braguette, à ouvrir
les « doigts poisseux ».
Les ambiances fêtardes
explosent au son de Dead
Flowers, Can’t You Hear Me
Knocking, Bitch et Brown Sugar.
Keith Richards a beau s’abîmer
dans l’héroïne, sa guitare
multiplie les éclairs de génie.
Enregistré d’abord sans lui par
Mick Taylor et Mick Jagger,
Bitch s’enlise jusqu’à ce que
le « riff humain » descende de
aussi leurs échos désespérés,
souvent sublimés par l’élé-
gance mélodique du guitariste
Mick Taylor. Cosigné par
l’ex-petite amie de Jagger,
Marianne Faithfull, Sister Mor-
phine s’abandonne avec une
glaçante morbidité. Quand
Sway constate les dégâts avec
lucidité (« It’s just that demon
life has got me in its sway »,
« C’est juste cette vie démo-
niaque qui me tient sous
son emprise »). Avant que
Moonlight Mile et ses cordes
concluent l’album par

Les victimes sont inévitables. » Apparaissant pour la première sa chambre, un bol de céréales un sommet de mélancolie.
Enregistré entre décembre fois comme emblème de leur à la main. « Passe-moi cette “Sticky FingerS”, collection
1969 et octobre 1970, Sticky tout nouveau label, Rolling putain de guitare! », ordonne-t-il the rolling StoneS. 9,99 € en kioSque

Fingers enterre les illusions des Stones Records, le logo à à l’ingénieur du son, avant La semaine prochaine :
sixties en célébrant l’hédo- l’énorme langue rouge d’accélérer le morceau et Beggars Banquet
Artworks © 2015 ABKCO Music & Records, Inc. & Universal Music and Promotone B.V., sous licence exclusive Universal International
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Inclus « Brown Sugar »,
« Wild Horses »,
complète compte 30 albums et 2 DVD.

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 82

La feuille blanche
d’Ismaïl Bahri.
L’artiste Franco-tunisien présente “instruments”, au Jeu de paume,
à paris. dans ses vidéos, iL sonde Le monde invisibLe avec des obJets
du quotidien. comme cette FeuiLLe de papier, dont iL a FiLmé Les
onduLations et Les variations de couLeur dans Les rues de tunis.
propos recueillis par ClémenCe de Blasi

Nous sommes tous peuplés de
feuilles blanches. Ce papier, c’est
un objet qui nous est à tous familier, une
sorte de trait d’union entre les êtres. C’est
devenu pour moi un instrument, parce qu’il
m’a permis de capter des choses presque
imperceptibles, comme les infimes mouve-
ments de couleur. Ce matin, j’ai apporté
cette feuille de chez moi, elle était immacu-
lée, parfaite, et voilà que déjà elle se froisse,
elle se fissure, elle est même bosselée par
endroits. Elle est marquée de mon trajet, de
ce qui nous sépare. C’est un matériau qui
s’affecte de ce qui l’entoure, une écriture
naturelle s’y imprime. Le film Foyer, que je
présente au Jeu de Paume parmi un corpus
d’œuvres, c’est un peu ça. À l’aide d’une
structure de métal, j’ai accroché une feuille
de papier blanc à quelques centimètres de
l’objectif de ma caméra, que j’ai promenée
dans les rues de Tunis, dans toutes les situa-
tions possibles. Le papier ondule avec à voir
les courants d’air, rougit, bleuit. Au premier “instruments”,
abord, on a l’impression qu’il n’y a pas d’ismaïl Bahri.
musée du Jeu
d’images, mais il y en a des milliards, c’est de Paume, à Paris.
Jusqu’au
une projection sans film. La feuille accroche 24 sePtemBre
le regard d’un enfant ou d’un policier qui ne www.Jeu
dePaume.org
comprend pas et se méfie : la feuille devient
un foyer d’attention. Les passants sont
intrigués, viennent me poser des questions,
ils y voient, ou croient y voir, des choses ;
la feuille s’emplit de leurs voix.
Certains se sont étonnés de l’absurdité de
mon geste, de son inanité. Cela m’intéres-
sait beaucoup de filmer quelque chose de
neutre, qui ne présente aucune intention.
Un objet plat, inerte, sans beaucoup d’inté-
rêt. À force, je me suis rendu compte que
les choses se créaient d’elles-mêmes. C’est
à tout cela que je pense, en voyant cette
simple feuille blanche, un espace
vierge qui ne l’est jamais tout à fait.
Clémence de Blasi

M Le magazine du Monde — 19 août 2017

Artworks © 2015 ABKCO Music & Records, Inc. & Universal Music and Promotone B.V., sous licence exclusive Universal International Music B.V. - "ROLLING STONES" et Tongue and Lip Design Musidor B.V. - Visuels non contractuels. Photos © D.R. La collection complète compte 30 albums et 2 DVD.

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