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FRÉDÉRIQUE WOERTHER
Dans son essai publié en 19851, F. H. Sandbach entend réfuter l’idée selon
laquelle le stoïcisme doit être envisagé comme un développement de l’aristo-
télisme, et montre que « les preuves dont nous disposons semblent généralement
indiquer que les stoïciens n’ont ni lu, ni appris la doctrine des œuvres contenues
dans notre Corpus Aristotelicum »2. Il ne s’agit pas ici d’apporter de nouvelles
preuves à la thèse de F. H. Sandbach – ni d’ailleurs de la contester3 : la question
d’une éventuelle influence aristotélicienne sur la constitution de la doctrine
stoïcienne porte en elle plus d’incertitudes et d’hypothèses que l’assurance de
réponses définitives. La perte des traités exotériques et des dialogues d’Aristote
quand seuls les cours du Maître sont aujourd’hui conservés, l’importance de la
dimension orale dans la diffusion de la pensée aristotélicienne à l’époque hellé-
nistique, le fait que, loin d’être le gardien d’un système orthodoxe, Théophraste
fut un véritable penseur autonome prêt à critiquer son maître, l’obscurité qui
entoure les conditions dans lesquelles les philosophes ont (ou non) consulté les
œuvres de la bibliothèque de l’École péripatéticienne au IIIe s. av. J.-C., le peu
d’informations, enfin, disponibles sur les stoïciens eux-mêmes, conservées sous la
forme de fragments et de témoignages4 : tout, en effet, invite à délaisser le
problème s’il est posé en ces termes. On s’attachera donc, plus modestement, à
fournir une esquisse de ce qui pouvait constituer – compte tenu des traités
1. F.H. Sandbach, Aristotle and the Stoics, coll. « Cambridge Philological Society,
Supplementary Volume » 10, Cambridge, 1985.
2. F.H. Sandbach, Aristotle and the Stoics, p. IV.
3. Ce que tente de faire par exemple P. Sakezles, dans « Aristotle and Chrysippus on the
Physiology of Human Action », Apeiron 31, 1998, p.127-165, et « Aristotle and Chrysippus on
the Psychology of Human Action : Criteria for Responsibility », The British Journal of the
History of Philosophy 15, 2007, p. 225-252.
4. Cf. F.H. Sandbach, Aristotle and the Stoics, p. 1-3.
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7. Sur ce point, voir J.-L. Labarrière, « Désir, sensation et altération », dans A. Laks,
M. Rashed (édit.), Aristote et le mouvement des animaux. Dix études sur le “De motu
animalium”, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 149-165.
8. Cf. DMA 6, 700 b 13-15 : διὸ καὶ πέρας ἔχουσιν αὐτῶν πᾶσαι αἱ κινήσεις· καὶ γὰρ
καὶ αἱ τῶν ἐμψυχῶν. Πάντα γὰρ τὰ ζῷα καὶ κινεῖ καὶ κινεῖται ἕνεκά τινος, ὥστε τοῦτ’
ἔστιν αὐτοῖς πάσης τῆς κινήσεως πέρας, τὸ οὗ ἕνεκα (c’est pourquoi tous leurs mouvements
ont une limite, car les mouvements des êtres animés ont une limite. En effet, tous les animaux
meuvent et sont mus en vue de quelque chose, si bien que la limite de tout mouvement pour eux,
c’est le ‘ce en vue de quelque chose’).
9. Physique VIII 5, 256 b 14 sq. Sur les différentes manières d’être mû, cf. Aristote,
Physique VIII, 4, à comparer avec Origène, Traité des Principes III 1, 2-4 (SVF II 988 ; LS53A).
Sur la division des mouvements, et notamment les conceptions de l’automotricité, chez Aristote
et les stoïciens, cf. Th. Bénatouïl, « Échelle de la nature et division des mouvements chez
Aristote et les stoïciens », Revue de Métaphysique et de Morale 48, 2005, p. 537-556, où l’on
trouve, en particulier, une discussion du témoignage d’Origène.
476 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
Aussi, c’est toujours l’objet du désir qui meut, et il est soit le bien, soit le bien
apparent ; et ce n’est pas tout bien, mais le bien qui peut être réalisé, et ce qui peut être
réalisé, c’est ce qui peut être autrement qu’il n’est (DA III 10, 433 a 28-31).
Cependant, alors qu’Aristote assimilait, dans le DMA, l’objet du désir et de la
pensée au premier moteur immobile, seul l’objet du désir est identifié ici à ce
premier moteur12. Comment concilier ces deux affirmations ? La réponse est
apportée par Aristote lui-même lorsqu’il s’agira d’identifier le moteur mû du
mouvement animal, assimilé tantôt au désir, tantôt aux deux facultés psychiques
que sont l’intellect et le désir : il faut ainsi poser que le moteur immobile est
l’objet du désir – le bien ou le bien apparent – car c’est le désir qui déclenche en
effet le mouvement, tout en reconnaissant que cet objet du désir se trouve être
identifié comme tel – à savoir comme un bien ou un bien apparent – grâce à
l’intellect.
1.1.2. Le moteur mû
On trouve, tant dans le DA que le DMA, l’idée que le moteur mû est tantôt le
désir et la faculté désirante, tantôt les deux facultés psychiques que sont l’intellect
et le désir.
Quand il cherche dans le DA13 ce qui imprime le mouvement à l’animal,
Aristote exclut en effet successivement la « capacité nutritive » (ἡ θρεπτικὴ
δύναμις) – parce que les plantes seraient alors capables de mouvement –, le
« sensitif » (τὸ αἰσθητικόν) – parce que bien des animaux possèdent cette partie
sans pour autant être capables de mouvement – et « l’intellectif ou ce qu’on
appelle intellect » (τὸ λογιστικὸν καὶ ὁ καλούμενος νοῦς), puisque le théoré-
tique n’intellige aucune action à réaliser et ne dit rien de ce qui doit être fui ou
poursuivi alors que le mouvement est quelque chose qui relève de ce qui doit être
fui ou poursuivi – de plus, quand bien même le théorétique considère de tels
objets et ordonne de fuir ou de poursuivre quelque chose, il ne s’ensuit aucun
mouvement. Dans ces conditions, ce serait donc donc bel et bien la faculté dési-
rante qu’il importerait d’identifier comme le moteur mû dans le mouvement
animal.
Mais il ne faut cependant pas identifier le moteur mû à la seule faculté
désirante :
Ἀλλὰ μὴν οὐδ’ ἡ ὄρεξις ταύτης κυρία τῆς κινήσεως· οἱ γὰρ ἐγκρατεῖς ὀρεγό-
μενοι καὶ ἐπιθυμοῦντες οὐ πράττουσιν ὧν ἔχουσι τὴν ὄρεξιν, ἀλλ’ ἀκολουθοῦσι τῷ
νῷ.
12. Cf. aussi DA III 10, 433 a 21 (en adoptant la leçon ὀρεκτόν de Par. 1853 et Vat. 253, et
l’autre leçon mentionnée par Simplicius, contre le choix de W.D. Ross qui, suivant Par. Coisl.
386, Vat. 260, Ambr. 435 (olim ii.50) et la citation de Simplicius, conserve ὀρεκτικόν) : ἓν δή τι
τὸ κινοῦν τὸ ὀρεκτόν (il n’y a donc qu’un seul moteur, l’objet du désir).
13. DA III 9, 432 b 15 – 433 a 6.
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Mais pourtant ce n’est pas non plus le désir qui est souverain dans ce mouvement,
car ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes, malgré leur désir et leur appétit, ne font pas ce
dont ils ont le désir, mais suivent l’intellect (DA III 9, 433 a 6-9).
Il importe donc de poser, comme le fait Aristote dans le DMA, deux principes
au mouvement, l’intellect et le désir :
Ὁρῶμεν δὲ τὰ κινοῦντα τὸ ζῷον διάνοιαν καὶ φαντασίαν καὶ προαίρεσιν καὶ
βουλήσιν καὶ ἐπιθυμίαν. Ταῦτα δὲ πάντα ἐπάγεται εἰς νοῦν καὶ ὄρεξιν. Καὶ γὰρ ἡ
φαντασία καὶ ἡ αἴσθησις τὴν αὐτὴν τῷ νῷ χώραν ἔχουσιν· κριτικὰ γὰρ πάντα,
διαφέρουσι δὲ κατὰ τὰς εἰρημένας ἐν ἄλλοις διαφοράς. Βούλησις δὲ καὶ θυμὸς καὶ
ἐπιθυμία πάντα ὄρεξις, ἡ δὲ προαίρεσις κοινὸν διανοίας καὶ ὀρέξεως· ὥστε κινεῖ
πρῶτον τὸ ὀρεκτὸν καὶ διανοητόν. Οὐ πᾶν δὲ τὸ διανοητόν, ἀλλὰ τὸ τῶν πρακτῶν
τέλος.
Nous voyons que ce qui meut l’animal, c’est la pensée, la représentation, le choix
préférentiel, le souhait et l’appétit. Tout cela peut être ramené à l’intellect et au désir.
Car la représentation et la sensation tiennent la même place que l’intellect : ils per-
mettent tous de juger, mais se distinguent toutefois l’un de l’autre selon des différences
que nous avons mentionnées ailleurs. Le souhait, l’emportement et l’appétit sont tous un
désir, tandis que le choix préférentiel est quelque chose de commun à la pensée et au
désir. Aussi le premier moteur, c’est ce qui est à la fois objet de désir et de pensée – pas
n’importe quel objet de pensée cependant, mais la fin dans la sphère des choses qui
peuvent être réalisées (DMA 6, 700 b 17-25).
Aristote n’affirme rien d’autre dans le DA :
Φαίνεται δέ γε δύο ταῦτα κινοῦντα, ἢ ὄρεξις ἢ νοῦς, εἴ τις τὴν φαντασίαν
τιθείη ὡς νόησίν τινα· πολλοὶ γὰρ παρὰ τὴν ἐπιστήμην ἀκολουθοῦσι ταῖς φαντα-
σίαις, καὶ ἐν τοῖς ἄλλοις ζῴοις οὐ νόησις οὐδὲ λογισμός ἐστιν, ἀλλὰ φαντασία.
Ἄμφω ἄρα ταῦτα κινητικὰ κατὰ τόπον, νοῦς καὶ ὄρεξις.
Il semble donc qu’il y a deux moteurs, soit le désir soit l’intellect, si l’on veut bien
poser la représentation comme une sorte d’intellection, car nombreux sont ceux qui
suivent les représentations en dérogeant à la science, et chez les autres animaux, il n’y a
ni intellection ni calcul, mais représentation. Il y a donc deux choses qui mettent en
mouvement selon le lieu : l’intellect et le désir (DA ΙΙΙ 10, 433 a 9-13).
Cet intellect se caractérise comme un intellect pratique et non théorétique ou
spéculatif : il a en vue une action14.
Le moteur mû du mouvement animal est donc le désir, parce que lui seul
déclenche le mouvement (tandis que l’intellect ne le déclenche pas), mais il faut
reconnaître dans le même temps que ce désir se conjugue ou s’associe à l’intellect
– ou à ce qui joue un rôle équivalent à l’intellect chez les animaux qui sont
dépourvus de raison – et que cet intellect n’est moteur qu’en tant qu’il a pour
14. Cf. DA III 10, 433 a 14-15 : Νοῦς δὲ ὁ ἕνεκά του λογιζόμενος καὶ ὁ πρακτικός·
διαφέρει δὲ τοῦ θεωρητικοῦ τῷ τέλει (c’est l’intellect qui raisonne en vue de quelque chose, et
qui est pratique : il diffère de l’intellect théorétique par sa fin).
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 479
point de départ l’objet du désir : pour reprendre les mots de R. Bodéüs15, le désir
n’est pas le premier moteur dont l’intellect prendrait le relais, car l’objet du désir
ne se découvre que dans un acte de connaissance ; l’inconnu ne peut être désiré.
Le désir et l’intellect vont donc de pair. Et ce que veut indiquer Aristote, c’est que
le principe du mouvement n’est pas un objet simplement connu, mais un objet
connu comme désirable.
Si la faculté désirante, dont Aristote mentionne, dans le passage du DMA cité
plus haut, les trois espèces que sont le souhait (βούλησις), l’emportement (θυμός)
et l’appétit (ἐπιθυμία), est un élément clair et non problématique puisqu’il est
partagé par tous les animaux concernés par le mouvement local, il n’en va pas de
même de ce qu’il nomme l’intellect, à propos duquel il affirme que la représen-
tation (φαντασία) et la sensation (αἴσθησις) sont susceptibles de jouer un rôle
équivalent – « la représentation et la sensation tiennent », dit-il, « la même place
que l’intellect ». Tout ce qui tient, dans ce passage du DMA, le rôle de l’intellect
se distingue des espèces du désir non par la présence ou l’absence d’un élément
rationnel – en effet, le souhait est par exemple une espèce rationnelle du désir, et
la sensation, dont usent tous les animaux, ne s’accompagne pas nécessairement de
raison. Ce qui, semble-t-il, distingue la représentation, la sensation, la pensée
d’une part, du souhait, de l’emportement et de l’appétit d’autre part, c’est la
propriété qu’ont les premiers à être « critiques », c’est-à-dire qu’ils sont suscepti-
bles d’opérer des distinctions et de collecter des informations (sans qu’intervienne
nécessairement un jugement explicite et réflexif), et qu’il faut par conséquent
ranger du côté des facultés « cognitives », par opposition aux facultés « désiran-
tes ». Aristote a d’ailleurs souligné au début du chapitre 9 du livre III du DA la
dimension « critique » de la sensation et de la pensée16.
Le mouvement local des animaux suppose donc la collaboration d’un élément
désirant et d’un élément critique, lequel peut prendre une forme rationnelle
(l’intellect, la pensée) ou non (la sensation). Mais la représentation tient-elle un
rôle vraiment équivalent à celui de la pensée et de la sensation, ou constitue-t-elle
– comme ce sera le cas avec les stoïciens – une « étape » obligatoire dans
l’émergence du mouvement animal ?
15. R. Bodéüs, dans : Aristote, De l’Âme, coll. GF, Paris, Flammarion, 1993, n. 2, p. 245. Il
ne s’agit pas d’une reprise verbatim de la note de l’auteur, mais d’une adaptation qui prend en
compte nos propres traductions des mots grecs engagés dans l’analyse d’Aristote.
16. Cf. DA III 9, 432 a 15-16 : Ἐπεὶ δὲ ἡ ψυχὴ κατὰ δύο ὥρισται δυνάμεις ἡ τῶν ζῴων, τῷ
τε κριτικῷ, ὃ διανοίας ἔργον ἐστὶ καὶ αἰσθήσεως… (Puisque l’âme est définie selon deux
puissances quand il s’agit des animaux : à la fois par la puissance critique, ce qui est la tâche de
la pensée et de la sensation…). Sur la capacité critique de la sensation chez Aristote, voir par
exemple M. Narcy, « ΚΡΙΣΙΣ et ΑΙΣΘΗΣΙΣ (De anima, III, 2), dans G. Romeyer Dherbey (dir.),
Corps et Âme. Sur le “De Anima” d’Aristote, études réunies par C. Viano, coll. « Bibliothèque
d’Histoire de la Philosophie », Paris, Vrin, 1996, p. 239-256.
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17. Cf. DMA 6, 700 b 19-20 : ἡ φαντασία καὶ ἡ αἴσθησις τὴν αὐτὴν τῷ νῷ χώραν
ἔχουσιν.
18. J.-L. Labarrière, « Imagination humaine et imagination animale chez Aristote »,
Phronesis 29, 1984, p. 17-49, notamment p. 23-24.
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 481
Où l’on voit que la φαντασία n’est pas attribuée à tous les animaux, mais
seulement à certains ; car contrairement à ce que soutient Martha Nussbaum, les
φθαρτά dont il est ici question ne semblent pas renvoyer au-delà des vivants
animaux, aux plantes par exemple, mais aux αἰσθητικά du début de ce passage,
qui s’insèrent dans une progression des plantes aux hommes. Ainsi les φθαρτά
privés de φαντασία sont bien des animaux, et non des êtres périssables autres que
les animaux. J’ajouterai encore sur ce point que dans De An. III, 3 même s’il est
difficile de se fonder sur un passage contesté (428 a 11), il n’en reste pas moins
que dans la suite du texte, lorsqu’Aristote s’interroge sur la nature de l’imagina-
tion [i.e. la représentation] et sur son appartenance aux bêtes, il l’attribue à
“beaucoup d’entre elles” (πολλοῖς, 428 a 22) ou à “certaines” (ἐνίοις, 428 a 24),
ce qui n’est pas l’attribuer à toutes ».
Pourtant, d’autres passages d’Aristote tendent à faire de la représentation un
élément nécessaire au mouvement local des animaux19. Ainsi, le DA explique que
la représentation est une condition du désir, lequel meut, comme on l’a vu,
l’animal :
Ὅλως μὲν οὖν, ὥσπερ εἴρηται, ᾗ ὀρεκτικὸν τὸ ζῷον, ταύτῃ αὑτοῦ κινητικόν·
ὀρεκτικὸν δὲ οὐκ ἄνευ φαντασίας· φαντασία δὲ πᾶσα ἢ λογιστικὴ ἢ αἰσθητική.
Ταύτης μὲν οὖν καὶ τὰ ἄλλα ζῷα μετέχει.
De façon générale, donc, comme on l’a dit, c’est dans la mesure où il est capable de
désir que l’animal se meut lui-même ; or il n’est pas capable de désir sans repré-
sentation, et toute représentation est soit rationnelle, soit sensitive. Donc les autres
animaux aussi ont part à cette [représentation] (DA III 10, 433 b 27-30).
Le DMA fait également une place privilégiée à la représentation, quand il
affirme qu’elle « prépare le désir » (DMA 8, 702 a 18), ce qui semble suggérer
ainsi qu’elle est une condition nécessaire du mouvement20.
19. M. Nussbaum, qui est consciente que les trois facultés critiques peuvent opérer sans la
présence des deux autres d’après plusieurs passages du DMA – en 700 b 19-20, où il est dit que
la représentation et la sensation tiennent la même place que l’intellect ; en 701 a 29 et 701 a 32,
où la sensation, la pensée et la représentation sont présentées comme des instances distinctes, et
où la représentation n’endosse pas de rôle spécifique par rapport à la sensation et à la pensée –
écrit cependant : « In the first (sc. passage), any one of the three can present the object of desire.
In the second, any one of the three can offer the information about the concrete situation that
constitutes the minor premise of a practical syllogism. Both of these passages occur in the
discussion of the syllogism, where Aristotle is concerned to show how cognition and desire must
be combined in order for action to result, less concern to analyze the interrelationships of the
various cognitive faculties » (« Essay 5. The Role of Phantasia in Aristotle’s Explanation of
Action », dans Aristotle’s “De Motu Animalium”, Princeton, Princeton University Press, 1978,
p. 232-233).
20. C’est par exemple l’opinion soutenue par F. Dugré dans « Le rôle de l’imagination dans
le mouvement animal et l’action humaine chez Aristote », Dialogue 29, 1990, p. 65-78 : « Puis-
que, on l’a dit, le mouvement implique nécessairement le désir et que celui-ci doit être “préparé”
par l’imagination, on peut conclure que tout mouvement présuppose l’imagination. La sensation,
loin de suffire à expliquer le mouvement animal (…) doit être préparée par le désir, qui l’est, à
482 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
son tour, par l’imagination. Si maintenant on se tourne vers le De anima, on trouvera confir-
mation de cette thèse. Aristote note que “c’est en vue d’une fin que le mouvement de locomotion
s’accomplit, et il s’accompagne de l’imagination et (kai) du désir” (DA III 9, 342 [en réalité 432]
b 15-16)). Il est honnête cependant de signaler que certains manuscrits donnent ê (ou) plutôt que
kai (et). En conséquence, on pourrait objecter qu’ici le désir n’appelle pas impérativement
l’imagination et que le texte du De motu animalium n’est qu’un cas isolé. Toutefois, un autre
passage autorise la lecture de kai et vient confirmer la phantasia comme condition nécessaire du
mouvement : “En général donc, on l’a dit, c’est parce qu’il désire que l’animal se meut lui-même.
Mais la faculté désirante n’est pas sans l’imagination (orektikon de ouk aneu phantasias) […]”.
On le voit, Aristote tient à bien marquer qu’il serait faux de prétendre que l’animal puisse se
mouvoir grâce uniquement au désir et à la sensation, l’imagination étant encore requise.
Pourquoi Aristote insiste-t-il pour faire de la phantasia une condition nécessaire et suffisante du
mouvement animal ? Ou, pour le dire autrement, pourquoi la sensation ne suffit-elle pas pour
présenter à l’animal un objet désirable qui le fasse mouvoir ? » (p. 66).
21. Pour une synthèse critique des traductions et des interprétations – par D. Ross,
M. Schofield, D. Modrak, V. Caston, M. Nussbaum entre autres – de la notion de φαντασία,
cf. R. Lefebvre, « La crise de la phantasia : originalité des interprétations, originalité d’Aristote »,
dans D. Lories, L. Rizzerio (édit.), De la “phantasia” à l’imagination, Collection d’Études
Classiques, 17, Louvain / Namur / Paris / Dudley, MA, Peeters / Société des Études Classiques,
2003, p. 31-46.
22. M. Nussbaum, « Essay 5. The Role of Phantasia in Aristotle’s Explanation of Action »,
dans Aristotle’s “De Motu Animalium”, Princeton, Princeton University Press, 1978, p. 221-269.
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 483
(433 b 26-30). Même les animaux imparfaits possèdent – à un faible degré, certes,
mais ils la possèdent – cette représentation parce qu’ils se meuvent.
D’une part, la représentation suppose la sensation et constitue la même
capacité que la sensation, différente d’elle cependant par l’essence. Étant par elle-
même incapable de présenter un objet de façon que l’animal se meuve puisqu’elle
est une simple faculté, passive, de réception, la sensation doit « préparer » la repré-
sentation, qui, à son tour, préparera le désir. En d’autres termes, la représentation
permet à l’animal de prendre conscience de l’objet qu’il perçoit en tant qu’objet
d’une certaine sorte – un objet qu’il faut poursuivre ou qu’il faut fuir – et acquiert
par là une fonction interprétative, qui n’est toutefois pas séparable de la sensation
puisqu’elles constituent toutes deux la même capacité :
The theory of phantasia, then, helps Aristotle to account for the interpretive side of
perception ; and it does more. The claim that aisthēsis and phantasia are “the same
faculty” now amounts to the contention that reception and interpretation are not sepa-
rable, but thoroughly interdependant. There is no receptive “innocent” eye in
perception. How something phainetai to me is obviously bound up with my past, my
prejudices, and my needs. But if it is only in virtue of phantasia, and not aisthēsis alone,
that I apprehend the object as an object, then it follows that there is no uninterpreted or
“innocent” view of it, no distinction – at least on the level of form or object-perception
– between the given, or received, and the interpreted. Aisthēsis still seems to present
uninterpreted colors, sounds, etc. ; to this extent Aristotle is still a believer in the
given23.
D’autre part, il faut également reconnaître que l’intellect, de son côté, suppose
la représentation, parce que cette dernière lui fournit les représentations (φαντάσ-
ματα) qui sont nécessaires à son activité et accompagnent tout acte d’intellection :
Τὰ μὲν οὖν εἴδη τὸ νοητικὸν ἐν τοῖς φαντάσμασι νοεῖ, καὶ ὡς ἐν ἐκείνοις
ὥρισται αὐτῷ τὸ διωκτὸν καὶ φευκτόν, καὶ ἐκτὸς τῆς αἰσθήσεως, ὅταν ἐπὶ τῶν
φαντασμάτων ᾖ, κινεῖται.
Donc, la faculté intellective intellige les formes immanentes aux représentations, et
comme, dans ces formes-là, ce qui doit être poursuivi ou fui est déterminé par elle, on se
met en mouvement, même s’il n’y pas de sensation, quand elle s’attache aux
représentations (DA III 7, 431 b 2-5).
L’objet de l’intellection ou de la pensée doit en effet être présent à la
conscience de l’animal en tant qu’objet de désir avant qu’il ne se meuve dans sa
direction.
Ainsi la représentation intervient toujours dans les cas où la sensation et/ou la
pensée sont en acte, parce qu’elle constitue la faculté par laquelle un animal prend
conscience de l’objet qui lui est fourni initialement par la sensation ou la pensée,
en tant qu’objet à poursuivre ou à fuir. Mais cette représentation peut également se
produire en l’absence de sensation en acte, ou même sans la pensée (dans le cas
des animaux non rationnels). Dans tous les cas, la représentation apparaît comme
une étape nécessaire dans le processus de l’action.
Pour expliquer le mouvement local d’un animal, le DA et le DMA distinguent
donc le premier moteur immobile – l’objet du désir, qui est le bien ou le bien
apparent objet de l’action (τὸ πρακτὸν ἀγαθόν) –, le moteur mû – la faculté
désirante (τὸ ὀρεκτικόν) – et ce qui est mû, l’animal (τὸ ζῷον)24. Ce simple
schéma demande cependant à être affiné, puisque l’objet du désir doit être senti,
représenté ou intelligé par l’animal afin de susciter son désir. Aristote fait donc
intervenir en outre une faculté critique qu’il appelle l’intellect, mais dont d’autres
facultés peuvent jouer, selon les animaux concernés (s’ils disposent ou non d’une
capacité rationnelle), un rôle équivalent : la sensation ou la représentation. La
représentation est-elle indispensable au mouvement animal ? Ou joue-t-elle un rôle
strictement équivalent à la sensation et à la pensée ? Certains passages d’Aristote
tendraient à faire penser que, outre le désir, la seule sensation suffit à mouvoir les
animaux, sans l’intervention de la représentation. Pour d’autres commentateurs,
comme M. Nussbaum, la représentation est un élément central de la théorie du
mouvement animal, car c’est la faculté par laquelle l’animal prend conscience de
l’objet qu’il perçoit (ou qu’il a antérieurement perçu, s’il n’y a pas de sensation en
acte) ou qu’il pense (s’il est un animal rationnel) en tant qu’objet à poursuivre ou
à fuir, et qui « prépare » ainsi le désir, qui est le moteur mû du mouvement.
Le déroulement du mouvement ne suit pas un ordre chronologique, et l’ana-
lyse aristotélicienne a seulement permis de distinguer les différentes facultés
mises en jeu dans ce processus : la sensation, en acte, est représentation (ce sont
deux versants d’une même capacité), laquelle conçoit l’objet en tant qu’objet de
désir, ce qui meut l’animal.
Comme l’indique J.-L. Labarrière, « il ne faut (…) pas se laisser abuser par la
présentation sous forme de monologue intérieur » du syllogisme pratique : « c’est
là un trait pédagogique et non un point de doctrine, destiné à faire comprendre le
mécanisme qui aboutit au mouvement et à l’action et non pas à réduire la portée
de l’explication à l’humain »25. C’est en effet en tant que modèle explicatif, et non
comme une description des opérations de l’âme mettant en mouvement le corps
que le syllogisme pratique doit être envisagé. En ce sens, on considérera qu’il
constitue simplement une autre forme de discours, analogue26 à celui qui a
Dans son sens le plus large, ὁρμή désigne le mouvement naturel et spontané
d’une chose ou d’un être qui ne subit aucune contrainte extérieure30 :
SIGLA
E : Par. gr. 1853, saec. X ineuntis
F : Laur. 87.7, saec. XIV
I : Vind. 241, saec. XIII
J : Vind. 100 (olim 34), saec. X
Λ : FIJ
A : Alexander apud commentaria Simplicii
Π : codices omnes collati
V : Versio Arabo-Latina
P : Philoponi commentaria
S : Simplicii commentaria
T : Themistii paraphrasis
30. L’édition utilisée est celle de W.D. Ross, Aristotelis Physica, coll. « Oxford Classical
Texts », Oxford, 1950, repr. with corrections 1956, 1960. Sauf mention contraire, les éditions
utilisées ici sont celles des Oxford Classical Texts.
488 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
Τῶν ὄντων τὰ μέν ἐστι φύσει, τὰ δὲ δι’ ἄλλας αἰτίας, φύσει μὲν τά τε ζῷα καὶ
τὰ μέρη αὐτῶν καὶ τὰ φυτὰ καὶ τὰ ἁπλᾶ τῶν σωμάτων, οἷον γῆ καὶ πῦρ καὶ ἀὴρ
καὶ ὕδωρ (ταῦτα γὰρ εἶναι καὶ τὰ τοιαῦτα φύσει φαμέν), πάντα δὲ ταῦτα φαίνεται
διαφέροντα πρὸς τὰ μὴ φύσει συνεστῶτα. Τούτων μὲν γὰρ ἕκαστον ἐν ἑαυτῷ
5 ἀρχὴν ἔχει κινήσεως καὶ στάσεως, τὰ μὲν κατὰ τόπον, τὰ δὲ κατ’ αὔξησιν καὶ
φθίσιν, τὰ δὲ κατ’ ἀλλοίωσιν· κλίνη καὶ ἱμάτιον, καὶ εἴ τι τοιοῦτον ἄλλο γένος
ἐστίν, ᾗ μὲν τετύχηκε τῆς κατηγορίας ἑκάστης καὶ καθ’ ὅσον ἐστὶν ἀπὸ τέχνης,
οὐδεμίαν ὁρμὴν ἔχει μεταϐολῆς ἔμφυτον, ᾗ δὲ συνϐέϐηκεν αὐτοῖς εἶναι λιθίνοις ἢ
γηΐνοις ἢ μικτοῖς ἐκ τούτων, ἔχει καὶ κατὰ τοσοῦτον, ὡς οὔσης τῆς φύσεως ἀρχῆς
10 τινὸς καὶ αἰτίας τοῦ κινεῖσθαι καὶ ἠρεμεῖν ἐν ᾧ ὑπάρχει πρώτως καθ’ αὑτὸ καὶ μὴ
κατὰ συμϐεϐηκός.
1 μὲν2] δὲ φαμεν εἶναι EP || 2 τὰ φυτὰ καί… καὶ alt. om. J1 | γῆ ΛT : γῆν E |
3 ὕδωρ καὶ ἀέρα EV : ὕδωρ ἀὴρ T || ταῦτα…φαμέν ΠS : secl. Prantl || ταῦτα2 VS et ut
vid. E1 : τὰ ῥηθέντα Ε2Λ || 4-5 τούτων…ἔχει EVAPT : τὰ μὲν γὰρ φύσει ὄντα πάντα
φαίνεται ἔχοντα ἐν ἑαυτοῖς ἀρχὴν Λ || 6 καὶ εἴ ΛPST : ἢ E1 : καὶ E2 || 8 ὁρμὴν ΠPS :
ἀρχὴν T γρ. S || λιθίνοις ἢ γηίνοις εἶναι ΛT | 9 καὶ om. FIPT | τοσοῦτον ἀρχὴν
κινήσεως καὶ στάσεως ὡς I || 10 τοῦ om. E | πρώτως EFIJ2P : πρώτῳ J1T || 11 κατὰ
ΛPST : om. E
Parmi les étants, les uns sont par nature, les autres pour d’autres causes : sont en
effet par nature les animaux et leurs parties, les plantes, les corps simples comme la
terre, le feu, l’air, l’eau (car nous disons que ces choses et celles qui leur sont sem-
blables sont par nature), et ces choses sont apparemment toutes différentes de celles qui
ne sont pas par nature. Chacune d’elles en effet possède en elle-même un principe de
mouvement et d’arrêt, les unes selon le lieu, d’autres selon l’augmentation et la dimi-
nution, d’autres selon l’altération ; en revanche, un lit, un manteau et tout ce qui est du
même genre, d’une part en tant qu’ils ont reçu chacune de ces dénominations et dans la
mesure où ils sont le produit d’un art, ne possèdent aucune impulsion innée au chan-
gement ; mais, d’autre part en tant qu’ils sont, par accident, faits de pierre, de terre ou
d’un mélange de cela, ils possèdent <cette impulsion> et dans cette mesure seulement,
étant donné que la nature est un certain principe, c’est-à-dire la cause du fait d’être mû
et d’être au repos pour ce à quoi elle appartient immédiatement par soi et non par
accident (Physique II 1, 192 b 8-23)31.
Cet emploi d’ὁρμή se retrouve dans d’autres passages parallèles : ainsi, dans la
Physique, où ὁρμᾶν désigne le mouvement de la flèche qu’on lance ou d’un autre
mobile ; dans la Métaphysique (Δ 5), où le nécessaire (ἀναγκαῖον) est défini
comme contraint (βίαιον) et contrainte (βία), c’est-à-dire « ce qui, malgré
l’impulsion (ὁρμή) et le choix délibéré (προαίρεσις), empêche et arrête »32 ; ou
encore dans les An. Post. (II 11, 94 b 36 – 95 a 3), où il est dit que la nature
produit tantôt en vue d’une fin, tantôt par nécessité ; la nécessité est double : l’une
est conforme à la nature et l’impulsion (κατὰ φύσιν καὶ τὴν ὁρμήν), l’autre est
par violence (βίᾳ) et est contraire à l’impulsion (παρὰ τὴν ὁρμήν), comme la
31. La leçon à retenir dans ce passage est sans hésitation ὁρμήν, face à ἀρχήν. ὁρμήν
apparaît en effet dans tous les mss, les commentaires de Philopon et de Simplicius, tandis
qu’ἀρχήν est attribué à la paraphrase de Thémistius et à une note dans le commentaire de
Simplicius.
32. Cf. aussi Mét. Δ 23 et Λ 7.
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 489
pierre qui se porte par nécessité vers le haut et vers le bas, mais pas en raison de la
même nécessité. Enfin, dans le De Caelo, le verbe ὁρμᾶν désigne l’impulsion
naturelle selon laquelle certains corps sont portés vers le haut.
Comme dans les An. Post., on parle d’ὁρμή aussi bien dans le cas des êtres
inanimés que des êtres animés. C’est la tendance naturelle et spontanée d’une
chose ou d’un être, à laquelle une contrainte extérieure (βία) peut s’opposer. Cette
notion apparaît à l’occasion des analyses de « plein gré » (ἑκούσιον) et ce qui est
« malgré soi » (ἀκούσιον), et de leurs relations avec la contrainte (βία).
Καθόλου δὲ τὸ βίαιον καὶ τὴν ἀνάγκην καὶ ἐπὶ τῶν ἀψύχων λέγομεν· καὶ γὰρ
τὸν λίθον ἄνω καὶ τὸ πῦρ κάτω βίᾳ καὶ ἀναγκαζόμενα φέρεσθαι φαμέν. Τοῦτο δ’
ὅταν κατὰ τὴν φύσιν καὶ τὴν καθ’ αὑτὰ ὁρμὴν φέρεται, οὐ βίᾳ, οὐ μὴν οὐδ’ ἑκούσια
λέγεται, ἀλλ’ ἀνώνυμος ἡ ἀντίθεσις. Ὅταν δὲ παρὰ ταύτην, βίᾳ φαμέν. Ὁμοίως δὲ
καὶ ἐπὶ ἐμψύχων καὶ ἐπὶ τῶν ζῴων ὁρῶμεν βίᾳ πολλὰ καὶ πάσχοντα καὶ ποιοῦντα,
ὅταν παρὰ τὴν ἐν αὐτῷ ὁρμὴν ἔξωθέν τι κινῇ.
De façon générale, nous parlons aussi de contrainte et de nécessité à propos des
êtres inanimés, car nous disons que la pierre est portée vers le haut et le feu vers le bas
par contrainte et par nécessité. Mais quand ils sont ainsi portés conformément à la
nature et l’impulsion qui leur est propre, on ne dit pas qu’ils le sont par contrainte ni,
évidemment, de plein gré ; ce contraire n’a pas de nom. Quand en revanche ils sont
portés contrairement à [l’impulsion qui leur est propre], nous disons qu’ils le sont par
contrainte. Il en va de même pour les êtres animés et les vivants que nous voyons la
plupart du temps subir et agir par contrainte, quand quelque chose les meut de
l’extérieur contrairement à leur impulsion interne (EE II 8, 1224 a 15-23).
Les choses inanimées sont mues soit conformément à leur impulsion naturelle
(ce mouvement, qui n’est ni contraint ni « de plein gré », ne reçoit pas de quali-
fication particulière), soit contrairement à cette impulsion naturelle (les choses
inanimées sont alors mues par contrainte, βίᾳ). Il en va de même pour les êtres
animés autres que l’homme, dont la vie est toute entière sous l’emprise du désir
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 491
(ὄρεξις) : ils n’agiront ou pâtiront par contrainte que si quelque chose d’extérieur
s’oppose à leur impulsion naturelle, leur désir. Chez l’homme en revanche, qui est
un être animé doué de raison, la tendance interne et naturelle n’est pas un simple
désir mais coexistence d’un désir (ὄρεξις) et d’une raison (λόγος) qui ne s’accor-
dent pas toujours et s’opposent même dans le cas de l’ἐγκρατεία (continence) et
de l’ἀκρασία (incontinence) :
Διὸ περὶ τὸν ἐγκρατῆ καὶ τὸν ἀκρατῆ πλείστη ἀμφισϐήτησις ἐστίν. Ἐναντίας
γὰρ ὁρμὰς ἔχων αὐτὸς ἕκαστος αὑτῷ πράττει, ὥσθ’ ὅ τ’ ἐγκρατὴς βίᾳ, φασίν,
ἀφέλκει αὑτὸν ἀπὸ τῶν ἡδέων ἐπιθυμιῶν (ἀλγεῖ γὰρ ἀφέλκων πρὸς ἀντιτείνουσαν
τὴν ὄρεξιν), ὅ τ’ ἀκρατὴς βίᾳ παρὰ τὸν λογισμόν.
C’est pourquoi il y a une très grande controverse à propos du continent et de
l’incontinent. Chacun des deux agit en effet avec des impulsions contraires à lui-même,
si bien que le continent, dit-on, s’arrache lui-même par contrainte des appétits agréables
(car il souffre en s’arrachant [à ces appétits agréables] pour aller vers le désir (sc.
rationnel) qui s’oppose [à ces appétits agréables]), et que l’incontinent se contraint lui-
même contre le raisonnement (EE II 8, 1224 b 31-36).
L’incontinence n’est pas à proprement parler un vice, tout comme la conti-
nence ne peut être identifiée à une véritable vertu. Elles concernent en tout cas le
même domaine que la tempérance (σωφροσύνη) et l’intempérance (ἀκολασία), à
savoir les plaisirs du toucher et de certaines parties du corps, objets de l’ἐπιθυμία
(appétit). Tempérance et intempérance sont respectivement une vertu et un vice au
sens strict : la tempérance est un état d’harmonie, ignorant les mauvaises passions
puisque les mouvements de l’âme désirante ont été soumis par l’habitude à ce que
prescrit la droite règle et s’accorde avec elle ; l’intempérance, qui est le vice par
excès, opposé à la tempérance, se caractérise par des plaisirs excessifs parce qu’on
prend goût à ce qu’on ne doit pas désirer, ou qu’on dépasse la mesure courante, ou
qu’on prend son plaisir d’une mauvaise manière. Proche de la tempérance, la
continence n’est pas une vertu véritable. Loin d’être une harmonie, elle se
caractérise en effet par un état de lutte intérieure où la raison s’oppose aux
passions et les domine. La définition de l’incontinence semble plus problématique.
Définie dans les Éthiques comme une disposition qui appartient au même genre
que le vice au sens propre, elle en reste toutefois distincte. Cependant, l’incon-
tinent est tantôt présenté comme celui qui fait le mal tout en sachant où est le bien
parce que, manquant d’empire sur lui-même, sa raison est trop faible pour résister
aux passions et il échoue alors là où le continent réussit ; tantôt il apparaît comme
celui dont la raison est défaillante et qui ne possède pas toutes les parties du bon
syllogisme pratique. Quoi qu’il en soit, la continence et l’incontinence sont toutes
deux des dispositions caractérisées par une lutte intérieure (ce qui n’est pas le cas
de la tempérance et de l’intempérance) où les impulsions naturelles, rationnelles et
irrationnelles, s’opposent.
L’EN présente un passage parallèle sur le continent et l’incontinent, qui
possèdent un principe rationnel les poussant à accomplir de nobles actions, et un
autre principe, irrationnel celui-là, opposant de la résistance au principe rationnel :
492 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
Cette remarque établit à juste titre que la possibilité qu’ὁρμή puisse être
remplacé par un autre mot chez Aristote indique que ce terme n’a pas de valeur
technique. Toutefois, il n’est pas vrai, comme l’affirment R.A. Gauthier et
J.Y. Jolif, qu’ὄρεξις désigne exclusivement les désirs irraisonnés dans l’EE : ce
traité dipose en effet déjà du concept d’ὄρεξις, dont les trois espèces sont l’appétit,
l’emportement et également le souhait, désir raisonné :
Ἀλλὰ μὴν ἡ ὄρεξις εἰς τρία διαιρεῖται, εἰς βούλησιν καὶ θυμὸν καὶ ἐπιθυμίαν
Mais le désir se divise en trois choses : le souhait, l’emportement et l’appétit (EE II
7, 1223 a 26-27).
Ὅτι μὲν οὖν οὐκ ἔστιν ὄρεξις φανερόν· ἢ γὰρ βούλησις ἂν εἴη ἢ ἐπιθυμία ἢ
θυμός
Et d’abord, qu’il (sc. le choix préférentiel) ne soit pas le désir, cela est évident, car il
serait souhait, appétit ou emportement (EE II 10, 1225 b 24-25).
d’Aristote, soit elle a composé le traité dans son intégralité après la mort du philo-
sophe. S’appuyant sur cette dernière conjecture, certains commentateurs ont sou-
tenu que la GM étaient un traité postérieur à Aristote : pour J. Burnet, ce traité est
« un manuel péripatéticien écrit après Aristote »38. En revanche, H. von Arnim et
J. Cooper considèrent que ces livres sont les notes prises par un étudiant lors d’un
enseignement ancien du Stagirite39.
La spécificité de la Grande Morale apparaît encore avec évidence lorsqu’il
s’agit d’y examiner les emplois d’ὁρμή. Rassemblant près du tiers des occurrences
de ce terme chez Aristote (cf. tableau infra), la Grande Morale présente en effet
des significations d’ὁρμή qui s’écartent de celles qui sont attestées dans les autres
traités aristotéliciens, puisqu’elles tendent à se rapprocher du sens d’autres notions
comme ἐνέργεια (actualisation), ἕξις ἠθική (disposition éthique) ou encore
πάθος (passion).
38. J. Burnet, The Ethics of Aristotle, London, Methuen & Co, 1900, p. XI, cité par
P. Pellegrin, dans Aristote, Les Grands Livres d’Éthiques, p. 14.
39. H. von Arnim, « Die drei aristotelischen Ethiken », Publications de l’Académie des
Sciences de Vienne, 1924, et J. Cooper, « The Magna Moralia and Aristotle’s Moral Philo-
sophy », dans C. Müller-Goldingen (édit.), Schriften zur aristotelischen Ethik, Hildesheim, Olms,
1988, p. 311-333. Tous deux sont cités par P. Pellegrin, dans Aristote, Les Grands Livres
d’Éthiques, p. 14.
ARISTOTE : L’EXPLICATION DE LA ΚΊΝΗΣΙΣ 497
Donc là où il y a ἐνέργεια, il y a ὁρμή. Cette liaison est si étroite entre les deux
notions que l’ὁρμή paraît généralement, dans la GM, moins du côté de la
disposition, de la puissance, que de l’actualisation, surtout si on la compare à la
notion d’ἕξις (disposition) dans la définition des vertus dans la GM.
40. Sur cette question, cf. P. L. Donini, L’etica dei Magna Moralia, Torino, Giappichelli
Editore, 1965, p. 179-207 : « La virtù come ὁρμὴ μετὰ λόγου ».
498 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
ὀρθὸν λόγον (λέγω δέ, ὡς ἂν ὁ λόγος ὁ ὀρθὸς κελεύσειεν, οὕτως ἔπραξεν)· ἀλλ’
ὅμως ἡ τοιαύτη πρᾶξις οὐκ ἔχει τὸ ἐπαινετόν. Ἀλλὰ βέλτιον, ὡς ἡμεῖς ἀφορίζομεν,
τὸ μετὰ λόγου εἶναι τὴν ὁρμὴν πρὸς τὸ καλόν· τὸ γὰρ τοιοῦτον καὶ ἀρετὴ καὶ
ἐπαινετόν.
Réaliser de belles actions conformément à la raison droite, c’est cela, dit-on, la
vertu. Mais ceux [qui donnent cette définition] n’ont pas raison non plus. Car on
pourrait réaliser des actions justes sans aucun choix préférentiel ni connaissance du
bien, par une sorte d’impulsion irrationnelle, tout en les réalisant correctement, confor-
mément à la raison droite (je veux dire qu’on agirait comme la raison droite l’aurait
ordonné). Pourtant une action de ce genre n’aurait pas lieu d’être louée. Mais il vaut
mieux dire, comme nous l’avons définie, que [la vertu], c’est l’impulsion vers le beau,
accompagnée de raison. Car c’est cela, la vertu, et ce qui mérite l’éloge (GM I 34, 1198
a 14-21).
Selon cette définition, l’ὁρμή apparaît comme l’équivalent de l’ἕξις ἠθική de
l’EN, mais avec cette différence qu’elle possède un degré d’actualisation supé-
rieur : c’est une disposition « activante », proche de l’ἐνέργεια (cf.supra).
Ἁπλῶς δ’οὐχ, ὥσπερ οἴονται οἱ ἄλλοι, τῆς ἀρετῆς ἀρχὴ καὶ ἡγεμών ἐστιν ὁ
λόγος, ἀλλὰ μᾶλλον τὰ πάθη. Δεῖ γὰρ πρὸς τὸ καλὸν ὁρμὴν ἄλογόν τινα πρῶτον
ἐγγίνεσθαι (ὃ καὶ γίνεται), εἶθ’ οὕτως τὸν λόγον ὕστερον ἐπιψηφίζοντα εἶναι καὶ
διακρίνοντα. Ἴδοι δ’ ἄν τις τοῦτο ἐκ τῶν παιδίων καὶ τῶν ἄνευ λόγου ζώντων· ἐν
γὰρ τούτοις ἄνευ τοῦ λόγου ἐγγίνονται ὁρμαὶ τῶν παθῶν πρὸς τὸ καλὸν πρότερον,
ὁ δὲ λόγος ὕστερος ἐπιγινόμενος καὶ σύμψηφος ὢν ποιεῖ πράττειν τὰ καλά.
En un mot, il n’est pas vrai, comme les autres le croient, que la raison soit le prin-
cipe et le guide de la vertu, mais ce sont plutôt les passions. Car il faut que se produise
d’abord une certaine impulsion irrationnelle vers le beau (et c’est ce qui se produit,
justement) et qu’ensuite on ait ainsi la raison qui donne son suffrage et juge. On peut le
voir à partir [de l’exemple] des enfants et des animaux dépourvus de raison : en eux,
sans le concours de la raison, surviennent d’abord des impulsions des passions pour le
beau, et ce n’est qu’ensuite que la raison s’y ajoute et apporte son suffrage pour faire
exécuter de belle actions (GM II 7, 1206 b 17-25).
L’auteur, qui montre ici que le principe de la vertu n’est pas la raison mais
l’impulsion naturelle qui nous pousse vers le beau, assimile cette impulsion à une
passion. Cette nouvelle situation révèle un brouillage certain dans les catégories
utilisées par la GM, l’ὁρμή aparaissant tantôt comme l’équivalent d’une dispo-
sition éthique plus proche de l’actualisation que l’ἕξις ἠθική de l’EN, tantôt, dans
un sens plus aristotélico-platonicien, comme une passion qui meut vers le beau.
Ainsi le mot ὁρμή n’est pas employé chez Aristote comme un terme technique.
Il désigne, dans le corpus aristotélicien, une tendance, un penchant, une impulsion
naturelle contre laquelle peut s’exercer une contrainte, et que l’on reconnaît aux
étant naturels (inanimés ou animés), et à ceux qui sont produits par l’art dans la
mesure où ils sont faits d’un matériau naturel. Chez les vivants doués de raison,
cette impulsion est volontaire (aucune contrainte extérieure ne s’exerce sur elle) et
peut être rationnelle ou irrationnelle. Quand elle est irrationnelle, elle est sembla-
ble à la φυσικὴ ἀρετή (vertu naturelle) décrite dans l’EN comme la disposition
des gens favorisés par la chance, que leur bon naturel pousse spontanément vers le
beau ; elle peut alors accompagner un mouvement psychique rationnel, comme
dans le cas du θυμός (emportement). L’ὁρμή peut ainsi recouvrir chacune des
trois espèces de l’ὄρεξις : ἐπιθυμία (appétit), θυμός (emportement) et βούλησις
(souhait). Dans la Grande Morale, son emploi est beaucoup mieux représenté (26
occurrences), mais s’écarte beaucoup de traits caractéristiques qui viennent d’être
soulignés. Le terme renvoie en effet à une disposition relative à la partie désirante
(autrement dit, une disposition éthique) dont le degré d’actualisation est supérieur
à celui de l’ἕξις ἠθική de l’EN. L’ὁρμή entre ainsi dans la définition de la vertu,
présentée comme une « impulsion vers le beau, accompagnée de raison ». Bien
qu’assimilée la plupart du temps à un désir, l’ὁρμή est aussi définie dans la GM
comme une passion (πάθος), dans la mesure où elle est un mouvement irrationnel.
500 FRÉDÉRIQUE WOERTHER
41. Comme l’indique P. L. Donini, l’influence d’autres écoles philosophiques sur la Grande
Morale est difficile à prouver : si l’auteur utilise Théophraste, il reste en revanche encore à
démontrer qu’il recourt aux autres péripatéticiens ; une influence stoïcienne sur la GM a été
évoquée – notamment pour ce qui touche la terminologie –, mais elle semble malgré tout
relativement superficielle étant donné le rôle que les stoïciens accordent aux passions dans la
définition de la vertu. Cf. P. L. Donini, L’Etica dei Magna Moralia, p. 209-227 : « Aristotelismo
e non aristotelismo nei Magna Moralia », et notamment p. 208-209.
Tableau : Répartition des occurrences d’ὁρμή et de ses dérivés verbaux, adjectivaux et adverbiaux dans le corpus aristotélicien
ὁρμή ὁρμᾶν et ses composés ὁρμητικός εὐπαρόρμητος ὁρμητικῶς
ὁρμᾶν παρορμᾶν προεξορμᾶν συμπαρορμᾶν συνεξορμᾶν
An. Post. II 11, 95 a 1 (2 occ.)
De Audib. 804 b 32
804 b 34
De Caelo IV 6, 313 b 4
Const. Ath. 19, 4, 7
28, 3, 5
Éth. Eud. II 8, 1224 a 18 VIII 2, 1247 b 23
II 8, 1224 a 22 VIII 2, 1248 a 30
II 8, 1224 a 33
II 8, 1224 b 8
II 8, 1224 b 9
II 8, 1224 b 12
VIII 2, 1247 b 18
VIII 2, 1247 b 29
VIII 2, 1247 b 34
VIII 2, 1248 b 5
VIII 2, 1248 b 6
Éth. Nicom. I 13, 1102 b 21 III 8, 1116 b 35 X 9, 1179 b 7
III 8, 1116 b 30 VII 6, 1149 a 31
X 9, 1180 a 23 VII 6, 1149 a 35
De Gen. An. 750 b 20 769 b 32
788 b 3
ὁρμή ὁρμᾶν et ses composés ὁρμητικός εὐπαρόρμητος ὁρμητικῶς
ὁρμᾶν παρορμᾶν προεξορμᾶν συμπαρορμᾶν συνεξορμᾶν
Hist. An. VI 18, 572 b 8 V 8, 542 a 24 VII 10, 587 b 1 VI 18, 573 a 27 VI 18, 572 a 8
VI 21, 575 a 15 V 14, 546 a 15 VIII 12, 597 a 29 VI 18, 572 b 24
VI 29, 578 b 33 V 18, 552 b 3
VII 2, 582 a 34 VI 19, 574 a 13
VII 11, 587 b 32 VII 1, 581 b 12
VII 2, 582 b 9
VII 8, 586 b 5
VIII 13, 599 a 6
IX 39, 623 a 17
De Mot. An. VII 5, 701 a 34
Magn. Mor. I 4, 1185 a 28 I 13, 1188 a 29 II 7, 1206 a 9 ΙΙ 10, 1208 a 6
I 4, 1185 a 29 I 20, 1191 a 24
I 4, 1185 a 31 I 34, 1198 a 27
I 4, 1185 a 33 (2 occ.) II 4, 1200 b 2
I 16, 1188 b 25 II 6, 1202 b 19
I 17, 1189 a 30 II 8, 1207 a 38
I 20, 1191 a 22 II 13, 1212 a 34
I 20, 1191 a 23
I 33, 1194 a 27
I 34, 1197 b 38
I 34, 1198 a 8
I 34, 1198 a 9
I 34, 1198 a 17
I 34, 1198 a 20
II 3, 1199 b 38
II 3, 1200 a 5
II 6, 1202 b 21
II 6, 1202 b 23
II 6, 1202 b 33
ὁρμή ὁρμᾶν et ses composés ὁρμητικός εὐπαρόρμητος ὁρμητικῶς
ὁρμᾶν παρορμᾶν προεξορμᾶν συμπαρορμᾶν συνεξορμᾶν
II 7, 1206 b 19
II 7, 1206 b 23
II 8, 1207 a 36
II 8, 1207 b 4
II 8, 1207 b 8
II 16, 1213 b 17
Mechan. 849 a 27
Met. Δ 5, 1015 a 27
Δ 5, 1015 b 2
Δ 23, 1023 a 9
Δ 23, 1023 a 18
Δ 23, 1023 a 23
Λ 7, 1072 b 12
Météor. II 4, 364 b 5 II 8, 366 a 8 II 4, 361 b 14
II 8, 366 a 7 II 8, 366 a 10
II 8, 368 a 9 II 8, 368 b 10
II 8, 368 b 20
II 8, 370 b 12
Mirab. Ausc. 86, 837 a 22
De Mundo 401 b 3
Phys. II 1, 192 b 18 VI 9, 239 b 17
VIII 8, 262 a 17
VIII 8, 262 b 14
Physiogn. V, 809 a 38
Protr. 29, 5
ὁρμή ὁρμᾶν et ses composés ὁρμητικός εὐπαρόρμητος ὁρμητικῶς
ὁρμᾶν παρορμᾶν προεξορμᾶν συμπαρορμᾶν συνεξορμᾶν
Poét. 4, 1449 a 3
Polit. I 2, 1253 a 29 V 7, 1307 b 14
V 10, 1312 a 31
V 10, 1312 b 13
Probl. II, 867 b 7 I, 864 a 16 II, 869 b 13
II, 868 b 31 III, 873 b 15 III, 872 b 22
III, 876 a 21 IV, 876 a 33 V, 880 a 12
IV, 879 a 1 IV, 878 b 13
IV, 880 a 15 IV, 879 a 2
VII, 886 a 35 IV, 879 b 28
XI, 903 b 21 X, 895 a 34
XXXIII, 961 b 25 X, 895 b 16
XXXIII, 962 a 5 X, 897 a 32
XI, 902 b 38
XXIII, 932 a 16
XXV, 937 b 36
XXVI, 942 a 37
XXVI, 945 a 6
XXXIII, 962 a 12
XXXIII, 962 b 25
Rhét. II 19, 1393 a 3 III 9, 1409 b 20 II 2, 1379 a 18
III 3, 1406 a 24
De Somn. et 457 a 25
Vigil.
De Virt. et Vit. 2, 1250 a 11
4, 1250 a 41
5, 1250 b 13