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Constans Ellen. « Votre argent m'intéresse ». L'argent dans les romans de Paul de Kock. In: Romantisme, 1986, n°53.
Littérature populaire. pp. 71-82;
doi : https://doi.org/10.3406/roman.1986.4926
https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1986_num_16_53_4926
énoncés. Le mariage peut bien être parfois d'amour, il est toujours la somme
de deux fortunes et l'assurance que le couple qui se forme aura des moyens
financiers.
L'argent que l'on gagne par le travail intéresse d'ailleurs tout autant le
romancier. On apprend le montant des appointements des employés. Robineau
{La Maison blanche) travaille au Trésor, il gagne 1.500 francs par an. Edmond
Rémonville (L'Homme de la nature et l'homme policé) entre dans une banque
où ses appointements annuels se montent d'abord à 800 francs ; son ardeur au
travail et sa compétence lui valent des augmentations : cinq mois plus tard, son
traitement est de 2.000 francs. Ici encore on pourrait multiplier les exemples. Les
salaires des ouvriers et des ouvrières sont, eux aussi, mentionnés. P. de Kock
souligne la précarité et la faiblesse de leurs ressources. Charlotte, frangère dans
un magasin de modes, gagne 25 à 30 sous par jour ; sa camarade de chambrée,
Ninie, 25 sous (La Femme, le mari et l'amant) ; Virginie, la modiste de La Laitière
de Montfermeil, travaille de l'aube à la nuit tombée pour gagner 15 sous ; Lise,
ouvrière blanchisseuse à son compte, 20 sous (Gustave). Dans Jean, le fils d'un
pauvre laboureur va louer ses bras pour 20 sous par jour.
L'effet de réel ainsi obtenu est corroboré par les informations fournies sur
le coût de la vie. Les employés comme Robineau vont manger chez un « modeste
traiteur » pour 32 sous : on leur sert quatre plats, un dessert et du pain à
discrétion. Au Cadran bleu un repas moyen coûte 2 francs par personne ; dans un
restaurant renommé quatre amis font un bon souper pour 66 francs (La Femme,
le mari et l'amant), etc.
Le prix des logements à Paris est également l'objet des préoccupations des
personnages. Au cinquième étage sous les toits, une petite modiste loue une
chambre meublée pour 130 francs par an ; le mobilier y est miséreux : un mauvais
lit, quatre chaises, un buffet, un pot à eau, un miroir, quelques pièces de
vaisselle ; il faut mettre le loyer en relation avec les 20 sous que gagne par jour la
locataire (Le Cocu). Ailleurs (Moustache), trois étudiants louent en commun
une chambre tout aussi minable pour 120 francs. Un joli appartement de garçon
coûte 600 francs par an à Deligny (La Femme, le mari et l'amant). Les jeunes
gens oisifs, ruinés par leur prodigalité et leur insouciance, doivent souvent
quitter ces logements pour de mauvaises chambres mansardées ; c'est ce qui arrive
à Auguste Dalville (La Laitière de Montfermeil) qui peut à peine payer les 15
francs par mois d'un garni sous les toits. La spéculation et la malhonnêteté
interviennent dans le marché du logement : Adam Rémonville, l'homme de la nature,
et Tronquette, sa maîtresse, trouvent, à leur arrivée à Paris un deux-pièces meublé
dans un hôtel garni douteux pour 100 francs par mois payables d'avance et par
quinzaine ; le patron leur réclame, en outre, 20 francs par mois pour la lumière
et le linge et encore 10 francs pour le brossage des chaussures et le battage des
vêtements (L 'Homme de la nature et l'homme policé).
On connaîtra le prix des vêtements, des parures, des bijoux, des places
d'omnibus — qui s'appelle « la voiture à 6 sous » — . On saura que pour des
trajets plus longs à destination des environs de la capitale, les clients marchandaient
le prix des places : pour aller de Paris à St-Germain-en-Laye « 20 sous quand
on marchande et 25 sous si l'on ne dit rien », et le cocher entasse le plus de
voyageurs possible dans sa voiture (Jean, III, 57).
Les romans de P. de Kock permettraient de dresser une véritable
comptabilité de la vie quotidienne ; on pourrait établir le budget d'un individu ou d'une
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« Le prix de l'argent » : les fils de famille, oisifs et viveurs qui sont les
protagonistes de ces romans, apprennent souvent à le connaître à leurs dépens. La
comptabilité de P. de Kock n'a donc pas pour seul objet l'exactitude et la
vraisemblance ; elle a aussi une fonction pédagogique et/ou moralisatrice. Certes, P. de
Kock n'est ni le Sue des Mystères de Paris ou du Juif errant ni le Victor Hugo
des Misérables. Ses romans disent, néanmoins, le besoin, la pauvreté, la misère.
Sans trop y insister, sans renoncer au parti pris de gaieté, mais tout de même...
Les ouvriers, les ouvrières surtout, manquent du nécessaire, faute de travail.
Marguerite raccommode le linge « quand on veut bien lui en donner », car sa
jeunesse (elle a seize ans) n'inspire pas grande confiance aux clients potentiels.
« Elle mange des pommes de terre plus souvent qu'autre chose » (Le Cocu, IV,
10). Charlotte, la frangère qui gagne 25 à 30 sous par jour, remarque, sans se
plaindre, que « les femmes ont bien de la peine à gagner leur vie »8. Le
narrateur écrit d'une petite blanchisseuse qu'« elle se conduisait aussi honnêtement
que peut le faire une jeune fille qui gagne 20 sous par jour et veut porter des
chapeaux. »
La légèreté et la facilité des grisettes constituent le thème gai qui court dans
toutes ces œuvres. Mais à l'arrière-plan, se profile une autre thématique plus
pathétique. Avoir vingt ans, travailler dix à douze heures par jour, sans pouvoir
pour autant acheter le chapeau ou le châle dont on a envie, sans pouvoir aller
au théâtre ou au restaurant, sans avoir la perspective de « s'en sortir », est-ce
vivre ? Il faut donc bien qu'apparaisse l'homme, jeune ou vieux, qui procurera
ces plaisirs au prix d'autres moins innocents. Ainsi se met en marche l'engrenage
qui va des aventures légères et sans lendemain à la situation de femme entretenue
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« J'ai fait des folies ; j'ai mangé depuis quatre ans presque toute la fortune
que m'avait laissée ma mère [...]. J'en ai mangé le tiers avec mes maîtresses et mes
amis. Pour rattraper ce tiers-là j'ai voulu faire quelques spéculations, m'associer
à des entreprises et je suis maintenant réduit à mon dernier tiers avec lequel je
L 'argent dans les romans de Paul de Kock 77
crois que je ferai bien de ne pas courir après les deux autres [...]. Il me reste à peu
près 3.600 livres de rente ; avec cela un garçon ne peut-il pas vivre heureux ? Oui,
quand il est sage, économe, [...] ce ne sont pas là mes vertus. N'importe, je me
rangerai ; puis je finirai par faire un beau mariage » (I, 22 et IV, 60-61).
Il se laisse entraîner dans des spéculations malheureuses, mais finit par épouser
celle qu'il aime et qui lui apportera avec la sagesse, une aisance confortable.
A vint-sept ans, Auguste Dalville, le héros de La Laitière de Montfermeil,
jeune officier retiré de l'armée après la guerre d'Espagne (celle de 1822), vit à
Paris avec 20.000 francs de rente. Il a eu de nombreuses aventures galantes aussi
bien avec des femmes du monde qu'avec des grisettes auxquelles il n'a refusé
aucun plaisir, car il a un cœur d'or ; il joue gros jeu dans les salons pour se
conformer aux mœurs mondaines ; il confie de grosses sommes à des « capitalistes »
de ses amis dans l'espoir de refaire sa fortune. Il vit au-dessus de ses moyens,
en dépit des sages avertissements de Bertrand, son ex-ordonnance devenu son
factotum : « Un homme, dans la position où je suis, doit-il mener la vie d'un
petit commis à 1.200 francs ? » II finit, cependant, par promettre à Bertrand de
« proportionner [ses] dépenses à [son] revenu » (XI, 186-187). Promesse vaine ;
il dépense à tort et à travers, pour le pire et le meilleur : 2.000 francs pour régler
les dettes (sans doute inventées) d'une maîtresse, 50 louis de pertes au jeu en une
soirée ; 100 louis prêtés à un marquis parasite et escroc, 30 francs donnés à des
pauvres ; plusieurs centaines de francs à Denise la laitière pour l'éducation de
Coco son petit protégé. Il confie 250.000 francs à une de ses relations, Destival,
qui se lance dans la spéculation et qui lui promet 10 °/o d'intérêts, mais s'enfuit
en Angleterre avec l'argent. Dalville fait ses comptes : il lui reste 15.000 francs
environ pour tout bien, il doit vendre son cabriolet, et aller loger dans un deux-
pièces au cinquième étage. Il prend ces revers avec philosophie. Au dénouement,
Bertrand aura fait rendre gorge à Destival ; Auguste recouvre 160.000 francs qu'il
confie à un notaire pour des « placements sûrs » ; il épouse Denise qui, elle, sait
gérer le peu qu'elle possède ; le couple va vivre à la campagne où, comme on
le sait, le climat est plus « sain » que dans la capitale. L'expérience a enfin porté
ses fruits.
La morale de ces jeunes viveurs oisifs est simple et banale : jouir de la vie
au jour le jour sans s'inquiéter du lendemain. C'est celle de Dubourg (Sœur
Anne), 30 ans, sympathique, sans souci ni scrupules d'ailleurs. Son curriculum
vitœ est intéressant : n'ayant pas de fortune personnelle, il a dû travailler. Dans
l'administration où il était employé avec un traitement de 1.500 francs par an,
il a voulu imiter son sous-chef qui ne faisait rien : il a été renvoyé. Il a été
embauché ensuite dans une banque où les employés, à son goût, travaillaient trop ; il
a démissionné. Il s'est fait renvoyer de plusieurs autres emplois et a alors décidé
de ne plus rien faire : « état superbe et à la portée de tout le monde, profession
charmante quand elle est appuyée d'inscriptions sur le grand livre ». Il n'est, écrit
de Kock, « ni avare, ni économe, ni prévoyant, [il] ne désire l'argent que pour
avoir du plaisir de le dépenser »(I,2). Ces jeunes gens ont toujours la bourse
ouverte à tous vents... jusqu'à la ruine. Ils en sont alors réduits aux expédients :
emprunts aux amis ou à des usuriers, recours à des spéculations hasardeuses
dont ils sont toujours victimes. Certains se font eux-mêmes escrocs ou complices
d'escrocs ; ils se laissent entraîner dans une machinerie infernale à laquelle ils
ne comprennent rien ou qu'ils ne maîtrisent pas et qui finit par les broyer. Chez
les uns, l'honnêteté et la dignité persistent dans le malheur : c'est le cas d'Auguste
Dalville (La Laitière de Montfermeil), de Gustave (dans le roman qui porte ce
titre), de Paul Deligny (La Femme, le mari et l'amant). D'autres, plus faibles,
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se laissent aller et font une mauvaise fin. Edouard Murville {Frère Jacques) se
retrouve au bagne parce qu'il a fait de faux billets d'escompte ; il assassinera
de surcroît. Charles Darvillé {Un bon enfant), réduit femme et enfants à la
misère; au dénouement, il n'est plus qu'un mendiant. Armand de Bréville
{Madeleine) en arrive à voler sa propre famille et se suicide. Tous subissent
l'influence pernicieuse d'amis malhonnêtes. La leçon ressassée de leur itinéraire
romanesque, c'est que la prodigalité, le goût immodéré des plaisirs, joints à
l'imprévoyance et à l'ignorance des réalités économiques, conduisent
immanquablement au désastre.
« C'est juste [répond-il]. Moi, je donne l'argent, je paie les mémoires. Des
1.200 francs à une marchande de modes... c'est un peu cher... mais il faut bien que
madame ait ce qu'il y a de mieux [...] Vous savez bien que quand il s'agit de donner
de l'argent, je ne me fais jamais prier. C'est une chose toute naturelle... quand on
est riche, il faut faire gagner les marchands ». (IV,54)
« Les gens vraiment riches ne sont pas ceux qui veulent le plus le paraître ;
mais celui qui veut faire des dupes dépense l'argent avec profusion ; et pourquoi
le ménagerait-il? ce n'est pas sa fortune qu'il mange, c'est celle des autres [...] Il
brille, il s'amuse avec l'argent d'une pauvre veuve, avec le fruit du travail d'un
artiste, avec les économies d'un modeste commerçant. Ah ! de tels êtres sont cent
fois plus vils, plus méprisables que le voleur de grand chemin qui, du moins, expose
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sa vie en vous demandant votre bourse ; tandis que ces élégants voleurs de salon,
ces impudents banqueroutiers ont l'air de se moquer de ceux qu'ils ruinent et rient
aux dépens des malheureux qu'ils ont faits. » (La Femme, le mari et l'amant, XVI,
285-286).
« Que la fortune est bizarre ! [...] Pourquoi ses dons ne sont-ils pas toujours
la récompense de la vertu, du mérite, des talents? Pourquoi voit-on si souvent
l'honnête homme dans la misère et l'intrigant dans l'opulence ? La femme
vertueuse dans le besoin et la femme galante dans l'abondance ? Le talent à pied et
la médiocrité en carrosse ? Pourquoi ceux que la naissance ou le hasard a rendus
possesseurs de ce qui ferait le bonheur de cent familles emploient-ils si mal leur
superflu, lorsque tant d'honnêtes gens manquent du nécessaire ? Pourquoi les
riches trouvent-ils les moyens d'augmenter sans cesse leur fortune, tandis que
l'artisan laborieux gagne à peine de quoi nourrir ses enfants ? » (Monsieur
Dupont, XXIX, 425-429).
Cette diatribe pathétique ressasse, une fois encore, des lieux communs, y
compris dans l'invocation paradigmatique. Tout homme qui vit d'un travail
honnête est plus méritant, fût-il pauvre, que le riche oisif. C'est la morale de
L 'Homme de la nature et l'homme policé et d'André le Savoyard, en particulier.
Le premier met en scène deux cousins du même âge, Adam, l'homme de la
nature, et Edmond, l'homme policé. Celui-là ne veut suivre que ses instincts et
ses plaisirs : il sombrera dans la crapule et la clochardise. Après une période de
frasques, Edmond comprend qu'il doit travailler et gagner sa vie. Il devient petit
commis de banque ; ses capacités sont rapidement reconnues : « II est si doux
de pouvoir se dire : c'est à mon travail que je dois le bonheur [...] les seuls biens
durables sont ceux que l'on acquiert par son seul mérite. » (XXV, 330) Son père
lui apprendra, à la fin du récit, que sa fortune est suffisante pour qu'il puisse
vivre de ses rentes ; Edmond refuse parce que « l'oisiveté [lui] semble une honte,
tant qu'on est en état de travailler » (XXVII, 361).
André le Savoyard est un des romans les plus moraux de P. de Kock. André
est né dans une famille de montagnards pauvres, honnêtes et bons : son père lui
a appris que la probité, le travail et le courage sont les plus belles des vertus ;
son deuxième père, Bernard le porteur d'eau, lui répète les mêmes leçons.
Lorsqu'il vend son premier tableau (le peintre qui l'a adopté lui a transmis son
talent), il éprouve un grande fierté : « C'est le produit de mon travail, c'est le fruit
de mon talent » (XXXII, 82). Aussi n'est-il pas étonnant de lire, au dénouement,
82 Ellen Constans
(Université de Limoges)
NOTES
Note bibliographique : Nous avons utilisé pour les titres suivants l'édition des « Œuvres» de Paul
de Kock parue chez Barba à partir de 1835 : Gustave (t. 2), Frère Jacques (t. 3), Mon voisin Raymond
(t. 4), M. Dupont, la jeune fille et sa bonne (t. 5), La Laitière de Montfermeil (t. 10), Jean (t. 11),
La Maison blanche (t. 12), La Femme, le mari et l'amant (t. 13), L 'Homme de la nature et l'homme
police (t. 14), Madeleine (t. 16), Un bon enfant (t. 17), Ni jamais ni toujours (t. 21 et 22). Pour les
titres qui suivent, nous avons utilisé l'édition des « Romans populaires illustrés » (livraison à 20
centimes) chez Barba, s.d. -.André le Savoyard, Le Cocu, Sœur Anne, La Pucelle de Belleville. Les
Mémoires de P. de Kock ont paru chez Dentu (1873) en un volume.
(1) Voir le n° 40 de Romantisme, « L'argent » (1983).
(2) Mémoires, ch. II, p. 37.
(3) Arthur, dans Ni jamais ni toujours, 1. 1, ch. II, p. 46 (cf. 1. 1, ch. IX, p. 273) ; et 1. 1, ch. IV, p. 117.
(4) Mémoires, ch. VIII, p. 266. Cf., sur le « but moral », la préface du Cocu.
(5) Voir notre article « A la recherche du peuple dans les romans de P. de Kock », dans la revue
Trames, p.p. l'Université de Limoges (1986).
(6) Comme le signale A. Berkovicius (« Visages du bourgeois dans le roman populaire »,
Romantisme, n° 17-18, 1977), on pourrait composer une longue litanie des fortunes et des rentes de la plupart
des personnages.
(7) 40,
n° Déjà1983,
formulée
p. 88 àpar94.Jean-Claude Nabet et Guy Rosa : « L'argent des Misérables », Romantisme,
(8) La Femme, le mari et l'amant, ch. III, p. 44, et Gustave, ch. X, p. 114.
(9) M. Dupont, la jeune fille et sa bonne, ch. II, p. 21-22.
(10) Les commerçants de P. de Kock ont souvent un fils ou une fille unique ; ce malthusianisme
est significatif de leur idéologie de l'argent.