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En effet, cette objection du solipsisme de l’ego pose son attention expressément dans les
prétendus failles de l’égologie husserlienne. Comment échapper au solipsisme, c’est-à-
dire à la solitude ontologique de l’ego replié sur lui-même ? Car, ce que je vois depuis
ma place, depuis ma position dans le monde, les autres le voient aussi ; mais, il n’y a
pas d’immédiateté de la pensée de l’alter ego en moi. C’est l’idée du « je ne suis pas
dans sa tête » : les vécus de l’alter ego ne me sont pas donnés originairement.
La structure-même de l’empathie permet de contrer cette objection hâtive, qui néglige
les deux pôles fondateurs de l’empathie de la phénoménologie de Husserl, que
sont Einfühlung et Analogisierung. Quand je rencontre un alter ego, je le vois, je le
perçois en chair-et-en-os, mais je ne connais rien de ses vécus. C’est la même chose
lorsque nous avons affaire à un objet. Par exemple, si je perçois un cube, je ne perçois
pas le cube dans sa totalité, et pourtant je reconnais cet objet en tant qu’il est un cube, et
non pas autre chose : autrement dit, je me l’apprésente. L’apprésentation ne se limite
pas à la perception partielle d’un corps étendue devant ma conscience perceptive. Face à
un alter ego, à l’expérience de l’autre doit appartenir, écrit Husserl dans ses Méditations
Cartésiennes :
« Une certaine intentionnalité médiate, partant de la couche profonde du « monde
primordial » qui, en tout cas, reste toujours fondamentale. Cette intentionnalité
représente une « coexistence » qui n’est jamais et qui ne peut jamais être là « en
personne ». Il s’agit donc d’une espèce d’acte qui rend coprésent, d’une espèce
d’aperception par analogie que nous allons désigner par le terme d’apprésentation. »
Selon Husserl, cette médiateté de l’intentionnalité, permettant l’expérience d’une autre
conscience, sans réduction au flux de ma propre conscience, montre que la
manifestation de l’alter ego au sein de ma vie se dévoile, dans sa corporéité en tant que
corps vivant d’autrui. Son corps se constitue à l’intérieur-même de mon flux de
conscience, se rapportant à une autre vie intentionnelle. Celle-ci demeure étrangère et
inaccessible à l’ego. Comment attribuer à autrui une vie psychique analogue à la
mienne, alors que je n’ai pas accès à ses vécus ? Pour Husserl, c’est la ressemblance
physique, comme une transposition par analogie qui me fait reconnaître un corps animé
par une vie psychique analogue, comme dans une association d’idée : c’est
« l’accouplement associatif » entre les deux corps (qui n’a a priori rien de sexuel ou
d’érotique). Ainsi, le seul donné phénoménologique essentiel c’est que l’autre est un
sujet identique à moi. La ressemblance entre les deux corps détermine une synthèse
d’association par laquelle un ego attribue à l’autre corps, c’est-à-dire à l’autre ego, une
vie psychique similaire à la mienne. Nous lui conférons la capacité de sentir, de
percevoir, de sorte que j’ai pour moi un alter ego et une communauté de sujets
entrelacés, intersubjectivement.
Ceci, dans une certaine mesure et par extension, se rapproche fortement de l’idée
d’ « airs de famille » [Familienähnlichkeiten] que développe Wittgenstein dans
ses Recherches philosophiques, notamment à propos de la notion de « jeu », dans les
jeux de langage, dans les paragraphes §65-66-67. Nous pouvons à ce moment précis
mettre en parallèle l’accouplement associatif et cet apparentement dont parle
Wittgenstein. Dans le dessin ci-dessous, nous avons quatre personnes, sur lesquelles,
progressivement un trait est modifié : pourtant ils sont tous de la même famille, ils sont
reconnus comme étant entrelacés. Wittgenstein écrit : « Nous voyons un réseau
complexe de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent. Des ressemblances à
grande et à petite échelle ». Ainsi, nous les reconnaissons comme étant de la même
famille, car ils sont « apparentés ». Dans l’analogie dans l’empathie de Husserl, je puis
reconnaître l’autre car il y a une appartenance visible à la même famille, l’humanité.
© Jonathan Daudey