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asiatique. En France, la première alerte a eu lieu il y a près de Pour vous, le lien entre pression migratoire accrue et mon-
quarante ans, avec la percée du Front national aux élections tée des populismes est évident ?
municipales de 1983, qui était une réaction à la régularisation Oui, même si cette corrélation est tout sauf simple. Les dégâts éco-
massive d’immigrés effectuée par François Mitterrand. La ques- nomiques et sociaux de la mondialisation ont aussi leur rôle, mais
tion migratoire est donc à l’agenda depuis une quarantaine d’an- les migrations sont un aspect de la mondialisation dans l’esprit des
nées. Mais elle a été traitée au départ avec une idée fausse : « On populations. Encore une fois, il faut prendre le problème par ses
légalise, on intègre, et puis on ferme la porte. » On n’a pas intégré aspects les plus concrets, loin des généralités moralisatrices. La
l’idée de pression migratoire continue. Nous continuons de trai- sécurité, par exemple, c’est la question du lien social au quotidien.
ter le problème avec les outils légaux du passé. Le droit d’asile a Pouvez-vous faire confiance à votre voisin quand vous oubliez la
été élaboré en fonction de notre propre histoire des persécutions clé sur la porte ? La mise en scène du débat sur l’immigration est
politiques. Ces critères s’appliquent mal à l’afflux actuel de désastreuse. Si on oppose d’un côté « les fachos » et de l’autre « les
populations déshéritées pour lesquelles la distinction entre asile belles âmes », on n’en sort pas. On risque même de jeter l’électorat
politique et motivation économique est un casse-tête, et dont la qui se sent méprisé dans les bras d’un Donald Trump…
présence suscite souvent le rejet des populations autochtones. Ce n’est quand même pas anormal de convoquer la morale
Parce qu’il y a un « seuil de tolérance », comme l’avait dit lorsqu’il s’agit du sort d’êtres humains…
François Mitterrand ? Bien entendu. Mais les débats qui se limitent à la morale sont sté-
C’est une vision comptable et abstraite d’une question qu’il faut riles. Il est vrai que le consensus est extrêmement difficile sur ce
au contraire regarder très concrètement. Ce prétendu « seuil » sujet. Deux sensibilités se heurtent : celle des gens qui ne rai-
varie complètement en fonction des caractéristiques de popu- sonnent qu’à l’échelle collective et politique – « On est chez nous,
lations qui ne se définissent pas par leur nombre. Ce n’est pas à on les met dehors » – et celle de ceux qui ne raisonnent qu’en
« l’Autre » en général qu’on a affaire, mais à des autres bien par- termes individuels et humanitaires – « Nous devons accueillir ».
ticuliers, avec leurs cultures, leurs religions, leurs mœurs, leurs Chacun de ces camps détient une part de vérité. Ils représentent
comportements, etc. Le vrai problème est ailleurs. Il est poli- deux positions aussi inévitables qu’inconciliables. Le problème, à
tique : nos gouvernements ont-ils le contrôle de ce processus qui partir de là, est néanmoins de bâtir un compromis praticable et
change profondément la vie collective ? acceptable. Le moment est venu de définir une politique en se
On a occulté la réalité ? posant les vraies questions : devons-nous sélectionner les migrants,
Les gouvernements n’ont pas assumé la réalité du phénomène comme le fait le Canada avec un système à points ? Si oui, sur quels
migratoire. Je vous rappelle qu’officiellement, en France, l’im- critères ? Faut-il accueillir les plus démunis, avec les tensions que
migration est arrêtée depuis des décennies. Le décalage entre le cela suppose sur nos systèmes sociaux, ou bien seulement les plus
discours officiel et la réalité perçue est donc tout simplement diplômés, avec le risque de favoriser la fuite des cerveaux ?
interprété comme un mensonge. D’où le succès rencontré par Vous écrivez que la pression migratoire « sert de révélateur »
les populistes ces dernières années en Europe. à la crise de la démocratie (2). Que voulez-vous dire ?