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Ce volume réunit mes principales communications
des dernieres années (1992-1998). Le Iecteur y rencon-
trera parfois ce qui, d'un texte à I'autre, peut apparaitre
comme des récurrences. Cel1es-ci ne font que refléter
I'insistance d'un theme qui justifie Ie titre du recueiI,
motif directeur qu'on pourrait désigner comme celui de
Ia « situation anthropologique fondamentale I).
De grandes oppositions traversent Ia psychanalyse
contemporaine dans Ia mesure ou el1es'interroge sur ses
fondements: Celles entre « biologie» et « psychoge-
nese I), entre « nature » et « culture » ; et, de façon plus
pressante car plus Iiée à notre pratique, I'opposition
entre Ia vue classique, ou l'enfance est considérée
comme ce qui détermine Ia destinée adulte, et l'option
dite herméneutique qui fait de I'adulte Ie grand maitre
de I'interprétation, conférant seul un sens au donné de
l'enfance.
Remarquons que ces trois types d'opposition sont Dans cette « situation anthropologique fondamen-
loinde se recouvrir. Faire coincider notamment I'en- tale ) qui confronte adulte et infans, Ia dissymétrie est
fance,Ia « nature}) (voire I'animalité) et Ie biologique structurante. Elle n' est pas, dans son essence, Ia distinc-
pelltaboutir aux plus graves confusions conceptuelles. tion parents-enfants, puisqu'elle peut aussi exister, en
Pourne donner que deux exemples, Ie fameux « roc du I'absence de parents, entre I'enfant et teI adulte « secou-
biologique})freudien s'avere au départ être lié, non pas rable ) (Freud). Elle n'est pas réductible à Ia différence
à Iabiologie réelle, mais à Ia perception, elle-même Iar- d'âge, d'expérience ou de savoir. Cette différence, que
gementhumanisée, de Ia différence morphologique des même Ies psychanalystes ont tendance à oublier, c'est
sexes.De même, il y a tout Iieu de penser que, dans Ie tout simplement que I'un n' a pas encore d'inconscient
developpementde I'individu humain, Ia sexualité biolo- sexueI, et que I'autre en a.
gique,instinctuelle apparait non pas avant mais apres Ia La théorie de Ia séduction ne peut tenir, contre son
sexualitépulsionnelle infantile, liée au fantasme et abandon ou son éclipse, que si I'on prend pleinement en
entierementinformée par Ia relation interhumaine. compte, dans Ia situation originelle, d'une part Ie fac-
teur communication, d'autre part l'immixtion de I'in-
Maisrevenons à cette opposition apparemment moins conscient de I'adulte dans son propre message.
contestable,celle d'un avant et d'un apres, d'un enfant L' autre dont iI est ici question est donc un autre
etd'un adulte. Freud a eu beau Iancer, à ce sujet, Ie concret, habité par un ça (C à Iui-même ignoré ), et non
termeprophétique d' « apres-coup}) (Nachtraglichkeit), pas une (C instance}) (comme un « A}) ou un « a) Iaca-
ce1lli-ci
reste indéfiniment écartelé entre deux interpréta- niens, dont on serait bien en peine de dire IequeI a un
tions apparemment inconciliables: déterminisme à inconscient) .
retardementdu présent par Ie passé, ou bien, à I'inverse,
souveraineattribution rétroactive de sens, mise en narra- La pensée postfreudienne semble se donner pour
tionherméneutique du passé par Ie présent. objectif de réduire I'inconscient freudien, individuel et
Sansprétendre invalider I'opposition déterminisme- réel, cette (C réalité psychique}) dont Ia situation ana-
hermeneutique,j' essaye au contraire de Ia mobiliser et Iytique ne cesse par ailleurs de nous imposer I'exis-
deIa déplacer, en rappelant ceci, dans Ie domaine tence. Car c'est Ià Ie véritable « roc }),qui - pour n'avoir
proprede Ia psychanalyse, alors que nous ne cessons de rien d'animaI, ni de biologique - n'en est pas moins
l'oublier:I'avant et I'apres, I'adulte et I'infans, « avant }) (C résistant }).

quede se succéder, sont « d'abord}) des coexistants Le primat de I'autre et son énigme ne se (C referme })
rellosdans une communication premiere. « D' abord ), pas nécessairement quand disparait Ia relation concrete
ou~d'emblée })? Osons donc des formules étranges. Il y adulte-enfant. Il constitue Ie vif de Ia situation anaIY-
a un d'abord ) de « I'avant-apres ) ; il y a un « coup
(C tique, et aussi de ce qu'on peut tenter de décrire comme
d'clnblée})mettant en marche « I'avantlapres-coup ). I'ouverture à - et par -I'inspiration.
Séduction, persécution, révélation *

Je ne cacherai pas mon jeu. 11tient en trois donnes :


- Je dis « séduction}) et on me répond : « bien sur !
fantasme de séduction I).
Le psychotique dit « persécution I), on lui répond :
« bien sur ! délire de persécution }).
- L'homme de Ia religion dit « révélation I), on lui
répond: « bien sur mythe de révélation I).
« Bien sur }),dit-on dans les trois casoBien sur, ça ~s- 'I'i
sure contre l'idée que le névrosé, le psychotique, le reli-
iIêux doivent avoir « d'une certaine façon raison I). C'est
Ia phrase de Freud, mais, lorsqu'il adopte ce point de
vue, c'est par référetlce,au ~ontenudu symptôme. Et il
faut bien dire que~IJhl ê-Ôt~d~~~;;tel:lii')ies fantaisies,
des délires ou des ê~oYãncé-s~-iiY·a plutôt pl~!Qore l'
d'interprétation. Mais ici, j'entends aller beaucoup plus aJo,,"
(y c:
* Exposé présenté aux Journées de l' Association psychanalytique de
France,12 décembre 1992. Psychanalyse à l'Université, 1993, 18, 72,
p.3-34.
Ioin'l'0llLS!,éceler Ia part de « raison» qui se retrouve et en particulier avec son récent exposé sur « Ies fantas-
danslli_f0rlne)nême de I'assertion : séduire, persécuter, mes originaires et leurs mythes correspondants »2.
révéler sont; apres tout, des verbes actifs, et c' est cette En écho, ce qui signifie à Ia fois résonance, harmoni-
activité de I'autre que j'entends interroger. ques, qui sont profondes, mais aussi des divergences,
Ce « on » qui répond par un « bien sUr », c'est Freud, dont lui seul, à vrai dire, peut juger si elles sont mineu-
1,,1 et c'est tout un chacun. S'il est vrai que tout Ie mouve- res ou importantes.
I' "*' ment de l'être humain est de nier, de réin~Illr~ I'altérité,
et que Ie mouvement théorique de Freud reproduit
cette fermeture et cette recentration.
Est-il paradoxal que Ia découverte Ia plus radicale de
l'altérité, Ia découverte par Ia psychanalyse de l'autre Mon premier theme sera donc le débat :sé4yçJ.i.QJ1,,1
chose en moi, et celle de Ia Iiaison de I'autre chose à fantasme d~~§gyctÜZ119~!l.:~ lequel je donne~pri()l:'it,~à Ia',
i<r • l'autre personne, que cette découverte aboutisse à tra- séd~çtioIl.~llr17faIl.!liSI!le;~Ceen quoi je passerais volon-
vers des avatars divers à U1).Êêêentrem~t;;~j~~rs plus tie~s pour' ~;;"d~~ .~~- selon les cas - un ~~4~~table.•
" net? .' _,.
maniaque. Ne sait-on pas ou mene toute vision uni-
Le mouvement de refermeture chez Freud n' est taire ? La psychanalyse ne nous enseigne-t-elle pas le
.'." pourtant pas Iinéaire, à sens unique. Les parcours sont pluralisme, Ia pluralité voire Ia juxtaposition ? Celle pré-
divers, qui menent par exemple de Ia séduction au fan- cisément qui regne dans l'inconscient, ou tout demeure
tasme de séduction, puis du fantasme au biologique, ou côte à côte, sans obligation de synthese. « A côté » de Ia
encore, sur un autre plan, de Ia puIsion (Trieb) à séduction, m'objecte-t-on avec une obstination qui n'est
I'instinct (Instinkt). A lire attentivement un texte tardif, pas moindre que Ia mienne, n'y a-t-iI pas « aussi » Ies
comme Ie Moise, on s'aperçoit que Ie retour au terme autres scénarios, non moins importants ni moins origi-
d'instinct est beaucoup plus marqué et extensif qu'on naires. Scene originaire - quoi de plus originaire ? Cas-
ne l'avait soupçonnél• tration - quoi de plus fondamentaI ? Et retour au ventre
I~" En li!!!.inai..reà cet exposé, et avant d'aborder mes maternel - quoi de plus primordial ?
trois themes, les trois décentrements-recentrements, je Pourquoi donc privilégier Ia séduction parmi les trois
tiens à le situer en écho avec les idées de Guy Rosolato ou quatre scénarios majeurs ? Et puis, entêtement sup-
plémentaire, pourquoi ne pas accepter ce petit mot qui
. 1. Par exemple : «Nous constatons que, dans nombre de relations nous réconcilierait tous : « fantasme de ». Apres tout, Ia
Importantes, nos enfants ne réagissent pas d'une maniére correspondant à psychanalyse ne se centre-t-elle pas sur Ie fantasme ? Sa
leur p~opre vécu, mais instinctivement, à Ia maniére des animaux, ce qui ne pratique ne le postule-t-elle pas comme le seul champ
s'exp1tque que par une acquisition phylogénétique ') (L'homme Moise et
Ia religion monothéiste, in GU7, XVI, p. 241 ; trad. franç., Paris, Galli-
mard, 1986, p. 238).
";ou elle fonctionne de.iJout eIl bout, de son instauration La séduction est-elle plus réelle que l'observation de Ia
à sa fin3• . . sd:ne originaire? Au nom de quelle confirmation expé-,{",,~
Les deux objections qui me sont faites : oublier que rimentale, statistique, pourrais-je soutenir une telle
i",c/h Ia séduction est un fantasme, lui donner à tort Ia priorité absurdité? De même, on pourrait, à juste titre, me
sur d'autres facteurs non moins originaires, n'en font mettre au défi de prouver que les enfants sont mastur-
finalement qu'une. Si Ia séduction n'est que fantasme, bés par un adulte, plus souvent qu'ils ne sont menacés
.'elle n'a aucun droit de préséance sur les autres produc- de castration par lui. C'est que toute Ia question réside
'tions de ma fantaisie. Scene originaire, castration, toutes ici dans le terme de « réalité )},dans le type de réalité en
ces imaginations se valent, comme scénarios créés par cause. Ce qui est en question, c' est de savoir si oui ou
moi sous Ia pression de Ia pulsion ou du désir. non Ia psychanalyse a apporté du nouveau en ce
Mais à l'inverse, soutenir Ia réaIité de Ia séduction~ c'est domaine, si elle a affirmé l'existence d'un tiers domaine
• affirmer sa priorité, sa primauté par rapport aux autres de réaIité4•
« Réalité psychique )}: j'ai eu plus d'une fois l'occa- U
scénarios dits originaires.
sion d'insister sur le fait que Freud pose ce terme
3. Je me fais ici l'avocat du diable, mais un diable qui emporte Ia comme index d'un domaine bien à part dans le psy-
majorité des suffrages. Dans Ia cure, à l'origine: Ia régle fondamentale chisme, mais aussi qu'il §,c.!!2!!eà en maintenir ferme- '"
implique,:ait une réduction au subjectif; et celle-ci, à son tour, une mise
sur le meme plan de tous les contenus. « 11n'y a pas d'indice de réalité ment Ia définition, précis~ment par différence avec Ia
dans l'inconscient», rappelle Freud quand il explique l'abandon de sa réalité du champ psychologique, pris dans sa généralité.
+ théorie en 1897. Mais Freud éteI!ci, sans précautions, cette absence La réalité psychologique c' est le fait que, de toute façon,
d'indice de réalité à Ia cure elle-même ; sans doute en raison du fait que
celle-ci, d'une certaine façon, veut être au plus prés de l'inconscient. Tout ,ç:~est~moT'qu(p;~~V « séduction )},que Ia séduction ne
dire et ne faire que dire implique, assurément, une certaine irréalisation peut être áui:fé-chose que ma façon de l'appréhender.
dans le « dire ,),et ceci au profit de l'imaginer. Mais, à partir de là, toutes Par rapport au psychologique, Ia réalité matérielle semble
les confusions sont possibles : prétendre que Ia réalité psychologique de Ia
cure est Ia réalité psychique de l'inconscient - prétendre que le discours de se distinguer aisément : ce sont les gestes constatables,
Ia cure réussit à abolir Ia dimension référentielle de toute parole -, etc. J'ai sexuels. Mais, si on veut bien y réfléchir, ce « consta-
longuement discuté les modalités de cette réduction de Ia situation analy-
tique à l'illusoire, dans Problématiques V: Le baquet. Transcendance du table)} devient vite contestable. Constatable si l'on en
transfert, Paris, PUF, 1987, p. 88-134. revient à une conception génitale de Ia sexualité : tou-
Quant à Ia jinalité de Ia cure, il semble également admis, de façon cher le pénis de l' enfant peut sans doute être considéré
I
?onsensuelle, .et comme un plus petit dénominateur commun, qu'elle vise
comme une séduction réelle. Mais toucher les l~~,~s ou'"'.
a assumer plemement Ia position de celui qui dit « Je ,).Les arguties gram-
maticales sur le wo Es war, sol! Ich werden sont certes intéressantes, mais, toucher l'anus ? Dira-t-on qu'il y a séduction parce que
que le Ich de Freud soit un moi ou un je, etlou un je, finalement ce qui
« doit advenir,) est toujours une recentration (cf. La révolution coperni-
4. 11se trouve que mes premiers balbutiements devant Ia comm.u-
cienne inachevée, Paris, Aubier, 1992, p. XXXII-XXXV). 11en va souvent de
nauté analytique, il Ya déjà fort longtemps, c'était à Ia Soeiété françalse
même pour Lacan : plus d'une formule nous raméne à cet idéal d'une
de psychanalyse, avaient pour théme : « La réalité dans Ia névrose et Ia
.-' parole pleine ,), c'est-à-dire finalement, autocentrée. Nous verrons
(I

cependant que son apport va plus loin. ,,~..~-~.~,~ psychose ,),Paris, Soeiété française de psychanalyse, 1961.
ce sont des zones érogenes préformées ? Mais, malgré qu'un mot correctement prononcé. Mais('ur0~'est
les apparences, c' est là une conception encore préfreu- pas non plus réductible aux imaginations que forge à
dienne, si l'on veut bien admettre avec Freud que son sujet chacun des interlocuteurs, imaginations sou-
l'ensemble du corps, au départ, est une zone érogene vent bien pauvres et réductrices.Ilyéhicule un message
potentielle. A partir de ce postulat de base, qu'en est-il détectable, observable, en partie interprétable par Ia
•.du geste de toucher le gros orteil de l'enfant? Est-ce psychanalyse. C'est en fonction de ce tiers domaine de
une séduction ou non ? A qu~ll~ condition est-ce une réalité et non pas en fonction de Ia réalité matérielle que
séduction ? Que1 est le type de réalité en cause ? Que1s je persiste à parler « séduction ), et non pas « fantasme
sont les « indices ~)de cette réalité ? de séduction ~).
La solution qui se propose, c' est Ia présence d'un fan-
..: tasme sexuel çhêi Padül'ifff Mais ici il faut encore distin- Quant à Ia priorité que je lui donne, elle tient en ceci
1··-··········-···
- guer: ou bien on postule une communication imma- que les autres grands scénarios invoqués comme origi-
térielle d'inconscient à inconscient, de fantasme à naires ont comme noyau une séduction, dans Ia mesure
fantasme, ce qui postulerait de façon tout à fait injus- ou ils véhiculent eux aussi un ou des messages de
tifiée, Ia préexistence d'un fantasme et d'un inconscient l'autre, toujours d'abord dans le sens adulte-enfant.
chez le bébé. Ou bien on commence à approcher cette Je laisse de côté le retour au sein matemeI et son
corrélatif Ia nouvelle naissance. Freud, dans son plus
pure matérialité du geste (à supposer même qu'elle soit grand moment de lucidité, montre qu'il est loin d'être

tid.e'
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possible
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cemer),

clll'rn~ssâge)\
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domaine de réalité,du
psychologie quioun'des
est pro-
ni Ia aussi fondamental que Jung le prétend. II prend racine
dans Ia scene originaire, et repg§e.surJes.q~§~E~o~~~us
celle-ci , notamment ce1uid'être cOlté par le
-_ .p~!"~~
de
.Réalit~
"0 irréductibilité du fait de commu-
nication. Ce qu'y ajoute Ia psychanalyse, c'est un fait de Ce qui m'int~ress~isi~ ..~_:~~t,
- _
ce qú'il y a de séduction,
c'est-à-dire de(fjtesiâgetnconscierttj\,dans-!ascene primitivé et .
I
son expérience, à savoir que ce message est fréquem-
l11entcompromis, à Ia fois manqué et réussi5• Opaque à dans Ia castration. Ên ce qui conceme Ia prem~ere, il y a !
celui qui le reçoit, opaque aussi à ce1ui qui l'émet. Pour chez Freud comme une espece d'exerCice de force qui
consiste à vouloir Ia fabriquer à partir de deux seuls
If~ire ent~ndr~ Ies ;hoses ~implement, Ia séduction n'est
U1 pIus nt moIOSreelle qu un lapsus ou un acte manqué.
ingrédients : Ia réalité perceptuelle d'une part et Ia fan- .,
taisie de l'enfant d'autre part, en variant à l'infini les
La réalité d'un Iapsus n'est pas réductibIe à sa matéria-
lité. Dn Iapsus n'est ni plus ni moins rée1matériellement proportions de l'une et de l'autre. C'est Ia vieille histoire
.de I'Homme aux loups sur laquelle je ne reviens pas.

5. 11 est remarquable que l'Introduction à Ia psychanalyse introduise


6. A partir de I'histoire d'une névrose infantile, in OCF-P, XIII, Paris,
tout le développement de Freud, non pas par le rêve mais par le lapsus et
!'acte manqué : des phénomenes de Ia vie de communication. PUF, 1988, p. 97-100.
Mais jamais n' est questionnée cette réalité autre que I'individu qui se voit figurée. »8 Je dirai a posteriori toute
matérielle, mais aussi autre que purement subjective : ma méfiance envers cette affirmation et j'aimerais être .•0>
l'adulte proposant Ia scene, à voir, à entendre ; suggérant clair à ce~ujet. Éliminons, tout d'abord, l'idée d'une
par une conduite, un geste, voire un baiser conjugal. énigme pour ainsi dire ({objective ». De quel droit, en
Laisser voir, n'est-ce pas, bien souvent, donner à voir? cffet, penser que le spectacle du coi'tparental peut ouvrir
Mais il y a des façons plus explicites que ce laisser voir .- pour le petit chercheur qu'est l'enfant - sur Ia question
par négligence. Lorsque le pere de I'Homme aux loups de Ia fécondation ? et de celle-ci, à l'enfantement ? et de
emmene l'enfant assister à des coi'ts d'animaux, com- là enfin au probleme de sa propre origine? Comme je l'ai
ment penser qu'il s'agit là d'une promenade innocente soutenu à l'instant, il n'y a d'énigme - à Ia différence du
et sans intention7 ? probleme purement scientifique - que ce dont les élé-
(' La scene primitive véhicule des messages. Elle n'est ments se retrouvent, non pas dans I'objectivité des don-
trauma tisante que parce qu' elle propose, impose ses nées, mais pour celui quipropose l'énigme. C'est donc du
énigmes, qui compromettent le spectacle adressé à côté des protagonistes adultes de Ia scene originaire qu'il
t)'enfant. Loin de moi l'idée de vouloir recenser ces mes- faut se placer, pour savoir si l'énigme en question se rap-
sages. A mon sens, en effet, il n'y a pas Cí.';SI;Iimes
objec- porte aux origines, c'est-à-dire à Ia procréation de l'être
tives : il n'y a d' énigmes que proposées, que celles qui se humain. Il faudrait donc admettre que le coi't humain est
redoublent d'une façon ou d'une autre dans le rapport finalisé et comme habité par le désir de procréation ; une .,
du destinateur du message à son propre inconscient. idée contre laquelle Freud n'a cessé de se battre, depuis
Les messages de Ia scene originaire sont tres souvent de les Trois essais de 1905, pour proposer, chez l'homme
violence, de sauvagerie, de castration et d'analité. Un comme chez Ia femme - une genese du désir sexuel qui le ..;
message d' exclusion est quasi inhérent à Ia situation déconnecte d'abord du désir d'enfant, pour ne rétablir ,-
,<:~
même : je te montre - ou je te laisse voir - quelque avec celui-ci que des liens complexes, contingents, indi-
chose que, par définition, tu ne peux comprendre, et ou viduellement tres variables. t;
tu ne peux participer: ce que Melanie KIein définit Avant d'entonner à propos des fantasmes originaires '1' "',
comme ({parent com!>i~~_)~désigne précisément ce (et commenolisi'avons fait nous-mêmes) le péán desi
;J\ n~~.d, énigmatique,Y2!reengouble lien. ++
,1 grandes interrogations philosophiques: d'ou venons-
Pontalis et moi-même,dãns un moment un peu rhé- nous? Ou allons-nous ?, etc., il faut donc se rappeler
torique sur les fantasmes des origines, avons énoncé que le désir d'enfant, conscient ou non, est loin d'être
ceci: ({Dans Ia scene primitive, c'est l'origine de général et prépondérant, et qu'il est loin d'être un irré-
ductible du désir sexuel. Mais, cela ne suffit pas. Il faut
7. Quoi de moins innocent qu'une promenade? Je me souviens que
du te~ps. de l'occupation allemande, les quelques mots français que 8. Fantasme originaire, fantasmes des origines, origine du fantasme,
connalssalent les soldats allemands, c'était: (' Promenade, mademoi- in Les Temps modernes, 1964, 215, p. 1133-1168; révisé et réédité en
Relle ? ,) Invite sexuelle, codée comme telle. ouvrage, Paris, Hachette, 1985.
aussi se rappeIer que Freud ne se prive pas, par ailleurs, La castration. La question est compIexe, recouverte,
de prendre en compte Ie questionnement du petit notamment depuis Lacan, de tout un pathos qui en a
humain sur I'origine et Ia procréation. Mais iI Ie situe gonflé Ie concept, jusqu'à Iui faire signifier indistincte-
:1 tres précisément autre part que dans te spectacle de Ia ment Ia mort, Ia finitude et tout simpIement Ia condi-
\, *
(,

scene originaire: dans I'arrivée d'un petit pu~é. J'y tion humaine. Mais déjà chez Freud elle n'est pas
ajoute que cette venue n'est pas, elle non pIus, un fait simpIe, même à Ia ramener, comme il y insiste sans
purement objectif : « On va te donner un petit frere l)est cesse, à son contexte anatomique précis, génital. C'est
aussi un message énigmatique venant de I'autre. qu'elle est faite de différents « ingrédients », eux-mêmes
li est intéressant de remarquer ici que c'est presque situés à différents « niveaux »12. Au niveau de Ia
dans Ies mêmes termes que Freud traite des énigmes de « théorie » (Ia « théorie de Hans et Sigmund l»)13,elle se
Ia naissance et de Ia morto Il est faux, dit-iI, que propose comme réponse, mise en ordre, et, comme
,J
I'investigation sur Ia naissance résuIte « d'un besoin inné .'!- telle, comme rempart contre l'angoisse. Mais, à un h
'l
de causalité l)9.De même, concemant Ia mort, « Ies phi- niveau pIus profond: clk...r!!:~§2Etit ªJª ..
çª!~g().r:!c:._cf.~
~.
Iosophes [dit-iI] pensent ... trop philosophiquement» en X~!!ig1!l~:tºl.lj()1.l.!:~J?()s~~1p.!:()1'()~~c:pat:I'
a..l.ltt:~.Parmi
Yvoyant une énigme purement intellectuelle : I'homme Ies ingrédients de cette énigme, je m'arrête un instant à
des origines - lisons aussi : I'enfant - ne croit pas à sa Ia menace de castration. Et ceci pour noter que chez c
propre morto Et il ne « se casse pas Ia tête pres du Freud on trouve une sorte d'index du probIeme que je (,'
cadavre de I'ennemi abattu l)IO:.!-it..eD:<::_()!'e
l'énig'!i~Jui esL souIeve, avec Ia présence et Ie jeu de deux termes : Dro- (
~,apportéepar le message adressé par I~~t!~ll~_J:n~t.!!ent_.<i~ hung et Androhung. Et dans Ia traduction des (Euvres
,. samort: Ia mort dé-T;être cher.-- completes, nous avons soigneusement différencié I'un et
Il y alàbien -sur,-unelimite de Ia catégorie du mes- I'autre. Drohung, nous I'avons traduit par menace, et
sage : ceIui 'Lue I'al.l.!r_e_~_o~~_C:!!':'()_!C:
..C:.l1_QQ1!s_
manqua~! Androhung, par menace prononcée ou menace pro-
définitivement~jene I'ai mentionné que pour rappeIer férée: c'est Ia menace adressée.
que i~'d~cil~-saurait être repensé -Iui non pIus - avec La pure menace est objective : I'orage menace, sauf ~
Ies deux seules catégories de Ia réalité matérielle et de Ia justement à supposer un Jupiter qui brandit Ia foudre ;"
fantaisie, c'est-à-dire sans tenir compte du message - à mais aIors précisément elle devient Androhung. Mãis Ia
jamais interrompu, irrémédiabIement interrompu 11. menace adressée n' est pas réductibIe à son trop simpIe
énoncé : on va te Ia couper. On ne peut Ia supposer sans
9. Les théories sexuelles infantiles, in La vie sexuelle, Paris, PUF, substratum inconscient. Qu'un pere, ou une mere, pro-
1969, p. 16.
10. Actuelles sur Ia guerre et Ia mort, in OCF-P, XIII, Paris, PUF,
1988, p. 148. 12. Ingrédients et niveaux que je me suis attelé à démêler dans Problé-
>( 11. Cf. Le temps et I'autre (1990), in La révolution copernicienne ina- matiques II: Castration. Symbolisations, Paris, PUF, 1980.
chevée, Paris, Aubier, 1992, p. 374-379. 13. Ibid., p. 170.
nonce Ie : « On va te Ia couper ), cela ne saurait être
assimiIépurement et simpIement à Ia Loi, comme on Ie cale pour faire surgir I'autre cl.1lchapeau du même. ;lf
veutdepuis Lacan. La réduction à cet aspect IégisIateur L'idée de base est celle d'une aliénation, une Entfr.em~ (,\\
et univoque me parait avoir surtout pour effet de mas- dung, d'une extériorisation, une Entaüsserung. MaIs ~1 I
qUerIes désirs inconscients sous-jacents. La menace de péremptoire que soit cet « extérieur », cet « étranger », tI \'.,
ca~t:r:lti2gIl~.pellt-elle être - chez celuiq~ii;-p~o_ n'est finalement pas si sérieux que cela. C'est pour me
reconnaitre au bout du compte que je crée l' étranger ;
nonce - k_'y~ç!~l!r2..J.ª .._~º!:1.Y~.~!!':!:~L~tl!.ll.!!.~_s
désirs ? Et,
Pourne mentionner que Ie plus fréquent d'~~treeux, Ie pour, à Ia fin, me Ie réapproprier.
~.f.Çl_n~i~nt "C!~..P~~!~~ti0l1.: Au contraire de ces délires. autocentré~~.l~.l'sycha!1a.:_
Pour conclure, trop brit~vement, sur Ia scene origi- Iys-epOI1:~ .I.1!~~.~(~{)ll~=ê?germ.e
~ij~rtlPi:u~e.~y~~}.ep!2-
naire et sur Ia castration, je dirai donc que ce qui íéffiéisllle. En germe avec Ia théone de Ia seductlon chez
manque, aussi bien chez Freud que chez Lacan, c'est Ia Freud, en germe avec Ie transfert. Mais elle est to~te
Q!~~..t?º.SgQS!9:~Ea.:!!.2!!
..de J~imension éni~me, altérité, prête, à son tour, à inverser Ie mouvement, c~mme SIIa
d-Esôté des protagonistes aduhes·de-Fenfant-: "ies "autres séduction et Ie transfert n' étaient, eux aUSSl,que des
de lã scen~oriiin~ire:F~"iltrede lamen:acede castration extériorisations, des aliénations, I'essentieI étant de s'y
SOntcomme s'ils n'avaient pas eux-mêmes de relation à retrouver, de s'y reconnattre.
Ieur propre inconscient, selon Ia formule de Lacan 11 est d'autres traces encore, d'autres témoignages de
valable aussi pour Freud (et gue je récuse), « iI n'y a pas cette priorité de I'autre. Parmi ces traces, Ie surmoi, que
d'A.utre de I'Autre ). ~_ .._--"--=='=.= ._ . je ne mentionne qu'en passant, et Ia psychose, ou plus
----------,-_. ~._~-"
exactement, Ia persécution.

Avant de parler de Schreber, je raconterai, non sans


scrupules, cette histoire soi-disant drôle, que be.au~oup
L'être humain est-iI définitivement refermé sur Iui- connaissent; car Ie rire qu'elle provoque est m.dls~o-
même ? Est-il irrémédiablement ptoléméique, autocen- ciable de son caractere insondable. C'est donc I'hlstOlre
trique ? On pourrait Ie croire sans Ia psychanalyse, et du fou qui se prend pour une graine et qui ~ed?~t~
même parfois dans Ia psychanalyse, à Ia voir s'efforcer d' être mangé par les poulets. Le voilà donc hospltahse a
ridiculement de reconstruire I'extérieur, I'objectivité, à I'hôpital psychiatrique, traité non seulement par ?es
partir de l'intérieur. Certaines constructions psychana- psychiatres, mais par des psychanalystes. Dans ce q~ on
Iytiques de l'objectalité n'ont rien à envier aux systemes nomme Ia « critique ) du délire, le psychanalyste dIgne
Ies plus complexes, et précisément Ies plus délirants des de ce nom va beaucoup plus loin que Ie psychiatre clas-
grands idéalistes, BerkeIey, Fichte ou même Hegel. sique : il ne se contente pas de le confro?ter a,u réeI,
Avec ce demier on a peut-être Ia tentative Ia plus radi- mais il explique tres clairement c,omment, a ~artlr de l~
proposition : « Moi un homme, Je veux Ie devorer, 1m,
Entre séduction et inspiration : l'homme

ul1po~~et »~on arrive - par négation du désir et seIon aussi Ies textes freudiens explicitement consacrés à ce
ul1edenvatton dont Freud a bien momré Ie schéma 14 _ '
Iaprop~sition : « Lui un pouIet, iI veut me dévorer mot theme, vous n'y trouvez pas mot du Schreber; une
impasse étonnante faite sur ce qui reste Ie témoignage et
Ul1~grame »: Voil~ donc tout cela bien expliqué, (:criti~ Ie développemem psychanalytique Ie plus complet sur
q~e )},et amve Ie Jour de Ia sortie de I'hôpitaI psychia- un rapport individuel de l'homme à Dieu. Le « Schre-
tnque. C'est un asile vieux modele, en province ou I'on ber », c'est donc cette persécution amoureuse par FIech-
esCencore b~en proche, de Ia nature, et, dans Ia cour, il y sig (ouvertement dite: transfert à partir du pere), puis
a un pouIatIIer. Or, a peine l'homme est-iI sorti du par Dieu. C'est cette extraordinaire construction reli-
bu;.eau du p,sychia.tre et passe-t-il devam Ie poulailler, gieuse, englobam Dieu, sa multiplicité (le Dieu d'en
qu ti se met a counr. Le psy aussitôt Ie rattrape : « Mais haut, Ie Dieu d'en bas, de devant, de derriere, etc., Ies
e?tin que se pas,se-t-il, vous étiez bien guéri, vous savez âmes examinées, Ies nerfs, etc.), son rapport à I'h~~IJ:le
bIen q~~ cela n est qu' ~rreur et projection de vos pro- fait de révélation et d'incompréhension fondamentale.
pres .desIrs ?» Et Ie pattent de répliquer: « Je sais bien Ce-quTde'mõti"p'õíni--devue-=-celuCdê-Iasêductiõn - est _ . ti
que Je ne SUISp~s ~e gr~ine, je sais bien qu'il ne peut
pas me,~anger, Je saISmeme qu'iI ne veut pas me man-
tout à fait extraordi~aire : Dieu ne c~mpren~ rien aUXj ~
hommes, et, pourralt-on sans doute aJouter, tI ne com- .>
ge:, .qu tI ne peut pas vouIoir me manger. Mais Iui, Ie prend rien à Iui-même ; englobam enfin Ia destruction
saIr-ti? »
du monde, sa rédemption et sa néo-construction. i
Le caractere de cette imerrogation est irréductibIe. Ce Mais cette destruction et reconstruction, si on lit
n' estpas une affirmation, ce n' est pas une croyance déli- attentivement Ie texte, - n;est pas cellé'du monde en
.r~~ce: Ia cr?yance, elle, a été réduite, expliquée, intério- général, mais du monde humain, interhumain, et tres
n~ee. Un; ~nterrogation sur I'autre, ça ne s'explique pas. précisément du monde sexuel. La réalité en cause dans
C es.tIe resIdu de toute explication. C'est du domaine de cette destructlon=reconstruc1:1on n' est qu' accessoire-
Ia foI ou de Ia méfiance, du domaine de ce qu'on pourrait ment Ia réalité matérielle, celle que je nomme (d'un
>I nontmer: Ia « fiance ».
terme un peu restreint), « autoconservatrice ». Notons
bien que le Schreber se situe, dans l'reuvre de Freud,
La persécution nous renvoie évidemmem au cas explicitement à cette période ou sont encore heureuse-
Schreber, que je suppose bien connu, et dom Freud ment bien distinguées autoconservation et sexualité. Et
~ote C0rnn;te en passam qu'iI pourrait être un apport Ia discussion avec Jung que l'on rencontre aussi bien
Importam a Ia psychoIogie religieuse. Mais si vous allez dans ce texte que dans celui sur « le narcissisme» est
voir le chapitre du « Freud » de Jones sur Ia religion et toute marquée de cette distinction, qui va tres précisé-
ment à l'encontre du monisme puIsionneI jungien. Cela
14, (,Cas Schreber I), GH7, VIII, p. 299 sq .. OCF-P X P . est capital: Ia notion de « perte de Ia réalité », à ce
1993, p. 285 sq. ' J, ans, PUF,
moment-Ià, n'est pas encore unifiée, comme elle le sera
Entre séduction et inspiration: l'homme

pIus tard dans Ies textes de 1924-1925, ou justement


l'autoconservation aura disparu comme dimension in- . . t Car bientôt, Freud va
nous allons I~vOlr~~::a:~:~q~e de fond, ce qui est à
dépendante, se trouvant compU~tementengIobée dans Ie
rappeler que e pro, , me aranolaque, Ia forme du
second dualisme puIsionnel. De sorte que Ies textes
expliquer, c'est I~ ~~cam: sa ~rme persécutive. Or, Ia
de 1924-1925 sur {< névrose et psychose })15 souffrent délire et plus preClsemen , et des psychoses est
absoIument d'une absence de distinction entre Ia réalité . fr d' ne des nevroses
sexuelIe et Ia réaIité... tout COUtt. doctrme eu len ", 't-'I (Ia sexua-
" . le contenu SI mteressant SOl 1
preCIse . , , , I l'homosexualité, Ia. castra-
Schématiquement Ie Schreber de Freud se compose lité génitale et pregemta e, I ~ e dans toutes Ies
de deux parties : I'une concemant Ie contenu, et I'autre osé être e mem
tion, etc.) est suP~ . {<Dans tout cela, il n'est rien
explicitement consacrée au mécanisme paranoi'aque. affections, il est umversel . c rme de maladie qu' est
Ayant décidé de consacrer l'essentieI de mon exposé, .' , ' t'que de cette 1.0
qUI SOltcaractens.. . n que nous ne pu l'ssions trouver dans
1
et de ma critique, à Ia seconde partie, iI me faut d'abord
Ia paranOla, ne , L s écificité de Ia paranola ...
insister fortement sur ceci: Ia premiere partie du Schre-
ber est une démonstration émerveillée de l'intérêt de ce
d'autres cas de nevrose'
d t
a forme de manifestation
il nous faut Ia situer ..: ans tade ceux-ci nous ne nous
délire, l6de par sa concordance avec Ia théorie psychana- . I' , des symptomes, e
partlcu lere sables Ies complexes,
Iytique • L'utilisation brillante et démonstrative de Ia attendrons, pa~ à rednd;e ;,e:~~ion du symptôme, ou
méthode anaIytique va au pIus Ioin de ce qu'on peut mais Ie mecamsme e a o
espérer de Ia (< psychanaIyse hors Cure }).Mais iI y a pIus c I t »18
celui du reJ.ouem~n . , à ce ui suit : il va y avoir
étonnant : Ie Contenu psychanaIytique de cette premiere Mais soyons tres attent1fs __. ~_--~ rt ' e parla .r. d
partie va être presque totaIement oubIié, pratiquement ' , unetontradlctlO~yPO e
un reVlrement maJeur, '~'ãUtre part, ce revi-
passé par profits et pertes, quand Freud va passer à 1·
c lmq , ue à ce point de doctrme -
I . e ,
l'étude du mécanisme }): je Veux dire que seront
(<
rement ne va pas ~ller.assez o:~ nous ne devrions plus
négIigés Son contenu sexueI et Ies ouvertures qu'il pou- Revirement maJeur . alors qd e'canisme : défense et
vait permettre sur Ia théorie de Ia séduction17• ' I 'en termes em
désormals par e~~u faut admettre que le {<contenu »
Ce COntenu va certes se retrouver, mais sous Ia forme
retour du refou~e,ti no~ rôle capital: l'expérience nous
~ édulcorée
" -.,.. et sublimée du (< compIexe l) patemeI, comme
_"_~"--, ..

n'est pas sans Jouer ~b 'cisément à Ia fantaisie de


averti~ {<hd'avoirà :~~~ u~:rr~~:tion tres intime, peut-être
15. Névrose et psychose. La perte de Ia réalité dans Ia névrose et Ia
psychoSe, in OCF-P, XVII, Paris, PUF, 1992. souhalt omosexu ,I e de Ia maladie »19.
16. Une concordance sm laquelle Freud ne cesse d'insister, aussi bien une relation constante, a a form , . , du plus clas-
à lu fin de Son« Schreber,} (Gw, VIII, p. 315), OCF-P, X, op. cit., p. 301, ' - et nous revenons lCl a .
que dans sa correspondance ave c Jung.
' Deautre
Slqu part
-, dans , '
le mecamsme l'Ul-me~me, il convient de dlS-
17. Ce COntraste entre les deux parties du Schreber est bien relevé par
Bertrand
en 1988. Vichyn, dans sa these tres novatrice sur Ia paranOla, SOutenue
18. G,w: VIII ,. p 295' ; OCF-P, X, op. cit., p. 281.
19. Ibid., mot souligne par nous.
tinguer Ie refouIemen1:, d'une part, et d'autre part Ie entre telle zone du cerveau et teI récepteur périphé-
retour du refouIé. Mais Freud y insiste et c'est pour Iui rique de sensations. Ce modele de Ia « projection nor-
un point de doctrine,e!1!!_~~I'_tlll!~~ne_s()11t
pas symétri- male ) est donc constructiviste, un peu seIon le schéma
-gll~~)~~~!()llr ne s'eflfectue pas nécessairemen~ sur Ies IIcnsualiste, qui reste prégnant dans toutes les tentatives
refouIel:iieni~Or-~ce-qurdétermUieTe'al01x' de'Ia
_"~()_i_~s_du
pllychanalytiques d'une soi-disant genese de Ia réalité :
CluIesten
-~~~()i~:-ç'~~~~i_~n-<:~.<!t:~1~ú~~.p~_c!iÚ:~tour- Ia first not me possession (selon Ie terme de Winnicott)
dr~!!indépendant20 .-- ---- -- -----
rcnvoie invincibIement à Condillac et à Ia fameuse
En -fin--d~compte Ie développement de Freud, dans
« odeur de rose ). Enfin, tel qu'iI est exposé dans cette
cette seconde partie, va successivement s'attacher à ces page du Schreber, ce modele fait fi précisément de Ia
trois points : Ie complexe (homosexuel), Ie retour (Ia distinction entre deux domaines de réalité - autocon-
projection) et Ie refoulement. Mais Ie paradoxe, c' est servation et sexualité - dom je Iouais Freud, à I'instant,
- '" qu'iI. va ºªttre.en j)reçhe ce qui, en bonne doctrine, de Ies maintenir indépendants à cette étape de sa
aurait dl1 s'imposer : I'indépendance du mécanisme du
pensée.
retour, soi-disant seul spécifique du « choix de Ia
Finalement, dans ce texte, I'attitude de Freud vis-à-
névrose ), c'est-à-dire I"indépendance du mécanisme de
vis de Ia projection est des pIus curieuses : d'une part,
Ia projection, puisque c'est d'elle qu'il s'agit.
nous sommes renvoyés, sans plus, à une future étude
La projection, nous dit Freud, doit être l' essentieI de exhaustive sur Ia projection, Iaquelle ne sera jamais
Ia paranoia : or voiIà qu'ilIa liquide en une page21.IIse écrite. Mais, d'autre part, l'essentiel de Ia paranoia, qui
c~n~ente d'en donner une définition psychoIogique devait soi-disant se situer dans Ie « retour ) projectif au J
generale, pour remarquer aussitôt qu'iI s'agit Ià d'un
monde extérieur, se trouve en fait déplacé sur ce qui ,
i
<
processus universeI; de sorte que Ia projection para- prétendument n'était pas spécifique, c'est-à-dire sur Ies -k. o

~oiaq~e se trouve rabat:tue sur Ie modele de Ia projec- deux autres éléments : Ies contenus et Ie processus du =to
tlon dite normale : je vais chercher à I'extérieur et non ~,,,II
refoulement. Mais, comme pour compliquer encore Ies ~
pas en.moi « Ies causes de certaines sensations d'origine \'
I choses, cette projection, (~~~~Oaux ~~fê~ et -1'\~
sensonelle ), qui sont supposées être d'abord « à I'in- A
r .\ comme éjectée du passage quideválTI'éiudier, va venir
térieur ). Le modele est franchement psychoIogique,
hanter sous des aspects divers Ies deux autres études : '"
avec une sorte de réminiscence de Ia signification I ceÜ~clu refoulement et celle du « complexe ).
« neurologique) classique, selon Iaquelle Ia projection J I
Quant à Ia description du refoulement, je n'entrerai
I'
est conçue comme une correspondance point par point I

\ pas dans Ie détail, sauf à souligner que nous so~es~ Ià


I
aussi, en pleine ambiguité. Freud donne une descnptlon
~Ooefo J. Laplanche, J.-B. Pontalis, Vocabulaire de Ia psychanalyse, canonique, abstraite dans sa généralité, du refoulement
Pans, PUF, 1967, art. (,Retour du refoulé I).
névrotique avec ses trois phases, et iI essaye en même
21. GW. VIII, po 303 ; Oc,'F-P, X, op. cito, po 288-289.
temps, mais en vain, d'y faire entrer Ie processus para-
noi'aque·le . n' aI. pas 1"mtentlon . d' entrer dans une con-
firontatl0l1 1 . et ramene de nouveau Ia libido aux personnes qéIª!ssées >\:
, entre e processus psychotlque et Ie refoule- par elle. Il s'effectue dans Ia paranoi'a par Ia voie de Ia (l.(
ment nevr tI' . d bI'
\: L bI' o que qUl pose es pro emes considérables. projection. Il n' était pas exact de dire que Ia sensation
e pro em.
-I
d ralt-l Pa~ e"1pr~ª .. d'
. ª
' 1 bI . ,
e maJeur etant selon moi: ne fau-
d th' .
intérieurement réprimée est projetée vers l' extérieur ;
à Ia Iumiê .re~v,ªLI.~r; ..,,~~l'qtc_J~;,e.,~r:~~c.i.Ll.r~f~t:l!~_~~!!t, nous nous rendons bien pIutôt compte que ce qui a été
-,Pidée de r~c.i.y~~~e<:>~~que J appell<:._t~~c.i.,t:lc;~iye, Iiée à intérieurement supprimé fait retour de I'extérieur.
. ~eductlOnet de message ?22-'- L'investigation approfondie du proces de Ia projection,
MaIgré " ·.-,..- -- ----"'----.",",",','-
· toute Ieur ambigui'té, Ia description de Freud que nous avons ajoumée à une autre fois, nous appor-
et sa d IScu"', oSIonsont d'une gran d'e nchesse. Mais je dois
coupera t1,' h . tera à ce sujet Ia demiere certitude. })23
. avers c amps pour amver au passage majeur Si on résume I'ossature du raisonnement, on trouve
sur 1a proJe t' . d'~ .
, c lOn, qUl vaut etre mentlOnné et discuté Ies affirmations successives suivantes : c'est une projec-
apres que . ,
certams autres I'aient fait. tion - iI n'est pas exact de dire que c'est une projection
« Ce qUi f:" .
, 1 se alt a grand brUlt remarquer par nous ( « il n' était pas exact de dire que Ia sensation intérieure-
c est e prGcessus d e guenson ' . qUl. d e'f:alt
.
Ie refoulement ' ment réprimée est projetée vers l'extérieur » ) - I'inves-
tigation de Ia projection édaircira tout cela. C'est une
22. La fa ,
ber, une des~?n .dont Freud mtroduit, da~s. sa discu~sion du cas Schre- projection, ce n' en est pas une, et « vous allez voir ce
interrogation IptlOn du refoulement en general, souleve de nombreuses que vous allez voir })Ie jour ou je parlerai enfin de Ia pro-
distinction tes. Notons d'abord, pour ne pas nous en tirer par une simple
simple synon tJnmologlq~e, que Freud n'emplo!e pas ici le terme comme
jection!
nique que pYlne de « defense ». C'est bel et blen une description cano-
I'article de l~~ud en d~nne, as~ez proche de ~elle qui reviendra dans Lacan, pour ceux qui connaissent ses textes et
essentielles p 15. ~xamm~ns des lors un certam nombre de questions
I ()\1r debroussmller ce texte : notamment son artide sur Ia psychose, s'appuie sur ce
- Q ue s~n '1' I' ,
l'inconscient à s y a-t-I a app Iquer un modele du refoulemem dans passage comme une anticipation de Ia fordusion. « Ce
_ Le sch ~Oute forme psychopathologique ?
qui a été intérieurement supprimé fait retour de
Ia psychose ~ma du reroulen;tent p:ut-il pour ainsi dire être utilisé dans
de 1924 (cités fe façon mversee? C est un peu le schéma des articles l'extérieur}) serait à comprendre : « Ce qui a été fordos
Ain SI'1 e d'~~'plus bas).
, du symboIique réapparait dans Ie rée1. » Ce à quoi - une
psychose, au ci .1t;tvestJ~sement de l'objet viendrait correspondre, dans Ia
l'analogie par st:sm~e~t1ssen:ent de Ia représentation dans Ia névrose. Mais fois de pIus - je demande qu'on s'interroge préaIabIe- (
du refoulé se fi ~etne ne t1ent pas Iongtemps : par exempIe, Ie « retour ') ment sur Ie « réeI » dont il s'agit, parmi Ies (trois) caté-
_ Une au (ht, dans les deux cas, dans Ia même direction.
gories du réeF4.
du refouIeme tte faç?n de concevoir Ia défense psychotique dans le cadre
voie qui ne n~~ seralt d'en, faire .un éch~c fo~da~ent.al de celui-ci; une Ce texte sur les psychoses est un grand texte, c'est un
réexamen aPPt"'us es~ pas et;~ngere, n;tals qUI n~cesslte à notre avis un texte inspiré. Son attitude vis-à-vis de Freud est machia-
_ Enfin, ()fondl, av:c I mtroductlOn ~e Ia dlmension «traductive ,).
aussi du refou~()ur con:phql;'er les ch?ses, I1 faut garder à I'esprit qu'i! y a
toute psychos ment ~evrotJque classlque, et du « retour » classique, dans 23. GW, VIII, p. 308 ; OCF-P, X, p. 294.
e concrete,
24. Voir plus haut, p. 5-6,
vélique, puisque Lacan critique Ies successeurs classi- Je ne ferai pas un cours de Iacanisme. Je ne sais pas
ques de Freud (ses adversaires à Iui, Lacan) en Ieur s'iI est encore de mo de, de nos jours, de Iire Lacan.
attribuant Ia responsabilité de certaines idées qui sont Cette pratique serait, en tout cas, à relancer parmi ceux
explicitement celles de Freud, tout en prêtant à Freud qui ne sont pas des Iecteurs de stricte obédience. Ce
\: ses propres idées, à Iui, Jacques Lacan. Dans Ia critique texte n'est pas des plus facHes. La partie centrale, celle
(:'1 de Ia projection qu'iI amorce, Lacan attribue à ses qui présente Ia théorie Iacanienne, devient de plus en
adversaires Ia formulat:iô;;'~lmpliste suivante: « Le plus difficile à saisir avec ses schémas d'allure mathéma-
tnagasin des accessoires est à I'intérieur, et on Ies sort au tique ou géométrique. Personnellement, je trouve que
f ~é<:l.esbesoins. ~)25 Or, une telle formule est directement l'altérité de l'autre s'en trouve plutôt ~ffu4ie. Le persé- f
dé~~rquée de Freud Iui-même : « Le monde de Ia fan- cuteur est devenu de plus en plus abstrait, « strUcturé
taisie... constitue Ie magasin à provisions dans IequeI on comme un langage» pourrait-on dire. Et surtout de
\Tachercher Ie matériau ou Ies patrons pour Ia construc- moins en moins sexuel. Ainsi en va-t-il pour l'intro-l
tion de Ia nouvelle réalité. »26 duction du concept de forclusion : Ia « forclusion du
Lacan s'est toujours refusé à porter Ie couteau dans nom du pere » est un curieux euphémisme par rapport à
t'reud. Non pas Ie couteau (selon une image conven- ce qui, chez Schreber, « revient dans le réel~) - pourj
tionnelle ...) du meurtre, mais celui du clivage et de Ia . '\ reprendre ces termes -, c'est-à-dire une persécution
't cl.ialectique: faire jouer Ia contradiction chez Freud qui, sadique anale, sodomiste, caractérisée.
{: ~ deux ligues de distance, s'appuie sur Ia bonne vieille
théorie de Ia projection ... puis Ia refuse. Ceci nous ramene à Freud et au premier aspect qu'il
$ Si je devais, à mon tour, porter Ia discorde dans ce développe: le contenu du délire, Ia pulsion, le désir
t texte de Lacan, je dirais: Ie début de ce texte est homosexuel, condensé dans Ia formule: « Moi (un
.J ,\j'c époustouflªlll, à montrer que Ia conception du délire homme) je l'aime lui un homme.» Peut-on dire que
Qli·-de'--l"'halIucination ne saurait se satisfaire du retour ~" Freud, dans Ia déduction grammaticale du délire qu'il
au primat du percevant sur Ie perçu : ce vieux percipiens ~' propose, est déjà lacanien ? Probablement, par Ia façon
"i i~crevable, dont Lacan met en cause Ia fonction de dont il développe, comme des propositions logiques,
'! sYniliese, l'unité, voire l'unicité. Ce début\rÍ1~~eliêf) toutes les formes de négation de cette formule, comme
/~ de_i~<!~,saj!;issante, ce que j'appe-iIe'T~·-dimeiiSíOD.--d~ autant de types de délire: persécution, jalousie, éro-
~!l:lessage,.et7e-que-kdéiire-f~it;iálllii'~~~~ê~itê~ité tomanie, etc. Une telle matrice structuro-Iogico-
, --'-- _.._-- ~ _ --.._--~-_
..-._._,,-~,
_ ..,._,
.._~-.
__.,..-_.,-_.._..'"'~----!--- .._.--_
.._.~_.
__
._.
__._._
..'._._---
ltréductible. ./- .. 0./ linguistique, vraiment structuraliste avant Ia lettre, n'a
--- ---- ,----.---- _- () ~y-t0'{VV\'1r,
rien à envier aux formules de permutation qui, par
exemple, permettront à Lacan de définir les fameux
25. In Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p, 542.
« quatre types de discours ~).Mais, dans cette déduction
26. La perte de Ia réalité dans Ia névrose et Ia psychose, OCF-P,
XVII, p. 41. freudienne, nous avons de bonnes raisons pour tenter
d'y regarder de plus pres, sans nous extasier trop Iong- Mais, à un autre moment du texte28, c' est Ia projec-
temps sur Ia beauté de Ia démonstration. tion qui est décrite comme premiere :
1/ Tout d'abord, notons comme un signe l'éton-
nement de Freud devant ceei : alors que Ia forme de Ia
maladie devrait être, en bonne doctrine, uniquement
'\~~::a:~.;---. ,~.,'.
I Je l'aime ;
.?"J do
_
~:~ 'o. ? I :{:."
dépendante du mécanisme, c'est-à-dire de Ia métapsy- lei, Ia transformation en haine ne serait qu'une défor-
chologie du retour, I'expérience oblige à constater que mation secondaire, accessoire, afin de permettre à Ia 1\
Ia persécution est chaque fois liée à un contenu IibidinaI projection de n'être pas reconnue. .'
précis. Ceci reste pour Freud un fait d'expérience, con- 2/ D'autre part, I'homosexualité qui est postulée est
tredisant Ia théorie, mais qui ne I'amene nullement à une bien curieuse homosexualité. Au même moment
creuser pour autant Ie rapport entre ce qu'iI nomme que Ie Schreber, Freud développe une psychogenese
« projection » et ce qu'il nomme « homosexualité I). Au complexe de I'homosexualité avec Ie Léonard, une
contraire, il Ies maintient séparées dans Ies fameuses genese qui passe par I'identification nareissique à Ia
négations du « je I'aime I). La projection reste un méca- mere. Plus tard il évoquera une autre psychogenese
nis1l1eextrinseque au mouvement libidinaI, comme une possible, passant aussi par Ie conflit psychique. lei,
« contrainte» (Zwang) supplémentaire inexpliquée. Ce c'est bien différent; nous sommes en présence d'une
qui montre bien que Ia projection reste extrinseque, sorte d'homosexualité C!!!:e..~!~,
préconflictuelle, ne pas-
sans être vraiment déterminée par Ie contenu, c' est son sant pas par I'inconscient, un amour direct pour Ie
utilisation arbitraire par Freud, à des moments diffé- pere, un amour primaire, on pourrait presque dire:
rents et comme ad libitum. C'est ainsi que, du méca- J2réhistorique.
nis1l1epersécutif, iI nous est donné deux schémas fort 3/ Cette homosexualité n'est pas seulement étrange
différents. Dans Ie premier27, I'évolution est décrite par sa genese (son absence de genese, plutôt) mais aussi
ainsi : par sa formulation qui tend à Ia désexualiser, c'est-à-
I 1 / Je I'aime ; dire à Ia formuler en termes d'amour et aussi de haine.
< 2 / Je Ie hais ; L~ o Cette désexualisation contraste de façon criante avec ce
\ 3 / Il me hait. que décrit ouvertement Schreber et que Freud a suivi
Il y a deux inversions bien distinctes, Ia premiere fai- dans sa premiere partie, alors qu'iI n'en tient plus guere
sant passer de I'amour à Ia haine, Ia seconde, correspon- compte désormais : d'une part, un alliage indissociable I(

dant à une projection ultérieure Ie moi ne pouvant tolé- d'avances sexuelles et de persécutiõn~~-nant de Dieu,
rer Ia haine au-dedans. d'autre part, Ie caractere principalement sadique-anaI
du comportement divino RaJ!1~!1"e..!'ce véritable ~::l:t"~~Ie-
"
"'\

28. Ibid., p. 302-303; ibid., p. 288-289. _\00< I'i'_


.,e),Jey,; (

(~V\Ot:,'J •.•)
ment sexueI à l'amour et à Ia haine, est-ce vraiment un masochisme pathologique, Ie masochisme schreberien,
progres dans I'analyse ? serait un cas particulier, et bien sur aberrant, de cette
4 / Demier point, capital de mon point de vue : ce position originaire du masochisme. ,)
sur quoi Freud fait porter ses transformations, ce ne Ce qui est remarquable aussi, c' est que Freud Iui- 'T
'-
"
sont pas des fantaisies ni des scénarios. Que I'on com- même (comme Ie rappelle d'ailleurs Rosolato) va appro- ~
pare, par exemple, avec Ies descriptions de « puIsions et cher de tres pres cette théorie, en 1919, bien apres le .,.(:~
destins de puIsions }); Ià Ies inversions, renversements, Schreber, dans « Vn enfant est battu I). ParIant, à propos .~ ~i
retoumements sur Ia personne propre, portaient sur de sa fameuse séquence, de Ia seconde phase, maso- j .:~
des actions libidinales, voir, regarder, battre, etc. Ici, chiste et inconsciente - « être battu par Ie pere I), iI -o J

dans Ie Schreber, Ies renversements portent sur des for- s'exprime ainsi : « Je ne serais pas étonné si I'on parve- ~ 6
mulati~~---;b~t~~it~~--d~'--s~IltimeÍÍts--Píus--ou---"ll10Ins nait un jour à montrer que ce même fantasme est à Ia v .~[ <
~~i~!ii~i}.ê~i
-: -de-soi=<'fisant-mo·úvements-- puIslonneis, base du délire quérulent des paranoiaques. })31 =t :
!w-

mais sans Ies fantaisies de souhait, qui, en bonne Cette remarque est à mon sens capitale et bouleverse '!'-- j; j
êtreTessupports
théorle:-devr'alenten représentatifs, Ies completement toute Ia séquence précédemmenTd6crite
« représentants-représentation I). par Freud.
1 / Avec cette formule « Je suis battu par mon pere })
(qui est d'ailleurs donnée comme strictement équiva-
Guy Rosolato, dans son article désormais classique lente de « Mon pere me bat I), une équivalence conforme
« Paranoia et scene primitive })29, a mis l'accent sur Ies à Ia structure du fantasme inconscient), nous sommes
théories qui placent Ie masochisme au centre du délire au niveau du scénario sexueI concret et non plus dans Ia
paranoiaque. Parmi ces auteurs R. Bak qui considere Ia Iogique affective désincamée du « Je I'aime I).
paranoia comme un « masochisme délirant}) et décrit
2/ Freud, dans « Vn enfant est battu I), fait succéder
comme premier stade une « régression de I'homo-
cette phase (2) inconsciente à une expérience vécue
sexualité sublimée au masochisme I). Position qui, à consciente (1) ou le pere bat un petit frere ou sreur.
mon sens, retoume à juste titre toute Ia séquence du
3/ Je me suis attaché Ionguement dans un texte sur
Schreber : l'homosexualité est sublimée et non pas ori-
I'interprétation32 à souligner Ie caractere de message
ginaire ; ce qui est au fondement, c' est Ie masochisme,
énigmatique de Ia phase (1) : mon pere bat un petit
comme je ne cesse de I'affirmer depuis Vie et mort en
puiné, devam moi, il me le montre. J'ai tenté de montrer
psychanalyse et mon article « La position originaire du
comment Ie refoulement, agissant de (1) à (2), peut être
masochisme dans Ie champ de Ia puIsion sexuelle })30. Le

29. In Essais sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969, p. 236 sq. 31. lu Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 235.
30. 1968, in La révolution copemicienne inachevée, Paris, Aubier, 1992, 32. L'interprétation entre déterminisme et herméneutique (1991), in
p.37-58. La révolution copemicienne inachevée, op. cit., p. 385-416.
conçu selon le modele traductif, traduct~Q!l,_.Qª!:!Íelle
du dans le corps. Bref, qu'il n'estEl:!~_:p~i~':~.<:~JEEtepar un
;1<- message avec les «moyens du bord » ;Ctêchec;partlênde moio:u·un]e~IrTãuieneffei-Ú1sister sur ceci : le ref()ll:!~-=--\
Ia traduction laissant un reste non---tradult~" mais ment orlginaire est corrélatif~~_!~ __ ~<?lls.~!~ll:!~()~_~_~oi,
déformé, « anamorphotique » : Ia fantaisie inconsciente. celuiquI dlt«je ». Iffalltdonc arriver à penser un pro-
Avec ce que nous pressentõns-de-I.l-psychose~ce cessus-qur-ne soit pas en premiere personne, ni même
modele ne saurait être invoqué que pour montrer son peut-être, en personne. Mais tout modele, qu'il soit '7
échec radical. Cet échec que Freud nomme parfois même de forclusion ou de séclusion, est nécessairement "f •
rejet, parfois déni, Lacan : forclusion. En nous avançant en risque d' être capté par Ia pensée identitaire : modele
seulement pas à pas, peut-être faut-il supposer que fina- tinalement ptoléméique. Ça rassure, bien sur ...
lement, dans Ia psychose, entre Ia phase (1) et Ia
phase (2), il n'y a que peu ou pas de différence. Ce qui
précede « mon pere me bat » ce serait ... « mon pere me
bat » ; bien sur avec toute Ia dimension sexuelle, éven-
tuellement métaphorique, de cet acte. Cela concorde Dans ces Joumées, nous sommes supposés parler de
bien avec ce qu'on sait du pere de Schreber, et aussi de Ia religion. Je ne suis absolument pas un savant en ce
l'absence d'un petit frere ou sreur, qui aurait pu être domaine - pas même en catholicisme, qui est Ia religion
battu en présence de son ainé. de ma famille et de ma jeunesse -, encore moins dans
les autres religions, leur histoire et leur particularité. lei
Faut-il donc supposer que, dans Ia psychose, le mes- encore un ouvrage comme celui de Rosolato sur Le
sage reste inchangé, en attente, suspendu ? Dans quel sacrifice33 offre une connaissance en profondeur, admi-
état? Et ou? rable - une mine -, et aussi un ensemble capital de
Les modeles se pressent et tous nous font courir le réflexions et de rapprochements.
danger de les inclure « dans » : malgré tout, « dans un J'ai voulu prendre aujourd'hui Ia religion sous l'angle
sujet ». Notre insatisfaction avec Ia notion de refoule- de Ia révélation. Les « religions révélées », non pas seule-
ment et d'inconscient est notoire; mais faut-il pour ment les trois religions « du livre », mais bien d'autres :
autant réinventer d'autres modes d'inclusion? La ainsi, semble-t-il, celle des Étrusques.
crypte suppose le moi; le clivage du moi suppose le Le choix de ce theme de Ia révélation correspond,
moi, des deux côtés du clivage. La forclusion? C'est pour ne pas le cacher, à mav181onde-rã-·psychânãlYse et
encore moi - ou je - qui forclôt. à Ia priorité que je donne au IUessa~~~~'autre. J'aurais ~
Pour ma part, j'ai proposé un jour, avec le modele p~ me documenter sur Ia théologie ou Ia philosophie de
1!l1cluctifdtl.refoulement en deux teml'8, cene image Ia révélation, mais ne l'ai fait que tres ponctuellement.
gtl'.~1!_tl11.P~~J:Il!t':E_~t':mps
_le message_cl.e_Xl1tl!1"~,8exuel-
PE~s_~~tl~1,é11.igtn.111:i9tl~'
_est comme_i~pll111~~réellement
En revanche, je suis allé voir un texte fort intéressant ciataire (celui qui reçoit l'annonce) et l'annoncé. Fichte
dont l'auteur est Fichte, en 1792-1793, et qui s'intitule donc, sur le mode kantien, développe deux points : Ia
Versuch einer Kritik aller Offenbarung (Tentative de cri- nécessité de Ia Bekanntmachung et sa possibilité. Quant à
tique de toute révélationj34. Ia «( nécessité », iI montre que, à I'exception des vérités
C'est un texte dont l'histoire est amusante: nous démontrées a priori, tout Ie champ de ce que nous
sommes dans les années de gloire de Kant vieillissant, et savons est « historique », donc nous est transmis, nous
Fichte, un illustre inconnu, publie ce texte, qui se pré- est communiqué, annoncé, rendu connu (bekanntge-
sente sous Ia forme et le titre d'une Critique. Son éditeur macht) par Ia médiation d'un autre. Cela est même Ie
croit bien faire, par habileté, de publier sans nom cas pour Ia plupart des vérités par ailleurs démontrables,
d'auteur, et tout le monde aussitôt de supposer qu'il dans Ia mesure ou nous n' en refaisons pas à chaque ins-
s'agit de Ia quatrieme Critique de Kant. Aussitôt le tant Ia démonstration, nous contentant de notre
public philosophique dispense les appréciations élogieu- confiance dans Ie raisonnement d'un autre. Nous vivons
ses. Mais voilà que Fichte, par honnêteté et aussi par quasi exclusivement dans le domaine de Ia vérité histo-
souci de reprendre son bien, dévoile le fait qu'il en est rique, c'est-à-dire de I'annonce par l'autre.
J'auteur: revirement immédiat des critiques qui procla- Quant à Ia «( possibilité » de Ia Bekanntmachung, elle
ment Ia nullité de cet écrit ... pose un probleme typiquement kantien: alors que le
Ce travail, selon moi, ouvre sur une théorie de Ia monde sensible est entierement déterminé, voué à une
communication, donc sur une décentration possible, détermination sans faille par des causes dites efficientes,
alors que Kant reste dans ce que j'appelle le ptolé- Ia «( communication » d'une vérité doit être d'un autre
méisme. Le paragraphe central du texte, qui s'intitule ordre, obéissant à une finalité. La réponse de Fichte est
(I Exposition formelle du concept de religion », est pour ici strictement kantienne : l'existence d'un sujet libre
J'essentiel une exposition du concept de Bekanntma- (supposée par une communication de sujet à sujet) est
chung. La Bekanntmachung, au temps de l'occupation un postulat de Ia Ioi morale35•
allemande, c' était l'intitulé de ces affiches placardées
sur les murs, que, par dérision et peut-être influencés 35. Fichte se référe ici à Ia 3' antinomie de Ia Raison pure, selon
Kant, qui oppose directement le déterminisme du monde sensible et Ia
par le surréalisme, nous avions déformé en «( bécane nécessité de poser un sujet libre, évidemment le sujet moral.
machin ». La Bekanntmachung avisait que les cartes de La question serait de savoir si cette antinomie ne serait pas plus exac-
pain seraient distribuées à telle heure, mais, aussi bien, tement formulée en opposant au déterminisme (le monde des lois physi-
ques) l'inéluctabilité d'une communication de vérité qui postule que cette
qu'on allait fusiller telle personne ..., c'était un avis ou communication ne soit pas régie par une causalité physique : si mon
une annonce, ce dernier terme permettant de distinguer, interlocuteur est un « automate », un « animal-machine », je ne devrais
comme le fait Fichte d'ailleurs, I'annonceur, l'annon- porter intérêt qu'aux lois qui le meuvent, et non au prétendu contenu de
ce qu'il énonce. L'antinomie kantienne reste extrinséque: el1e oppose
une thése et une antithése qui se situent sur deux terrains différents (phé-
noménal et nouménal; science et morale) et peuvent cohabiter sans véri-
Ce qui est important dans cette discussion, c'est Ia Ia Bekanntmachung de Fichte d'un message qui soit
Promotion de Ia catégorie de Ia communication venant énigmatique, compromis par l'inconscient.
de l'autre et Ia subordination de Ia révé1ation - comme Interrogeons un instant le titre de ces Joumées
1ln cas particu1ier et fina1ement sans beaucoup de spéci- d' étude : « Commencements », ou p1utôt son sous-titre :
ficité - à cette catégorie. Je pose cette pierre en attente, « Formations névrotiques, formations religieuses ». For-
tout en notant qu'i1 n'est évidemment pas question dans mations ou modeles, i1y a une p1uralité des modeles de
Ia religion chez Freud, une diversité et peut-être une
unité diffici1eà maintenir. Tout d'abord, comme 1erap-
table conflitoLa véritable antinomie est beaucoup plus aigue et conflic-
pelle nettement Roso1at036, il faut distinguer ~odeIe
tl.\elIe; c'est elIe qui ronge toute affirmation, ou plutôt toute
cOJnmunicationde Ia these du déterminisme achevé : au moment ou j'écris
(Il'homme neuronaI '), je me contredis moi-même en m'adressant à un
I~teur et en essayant de Ie convaincre selon l'ordre des raisons, et non
..~t~~.~~i·~~J~~():~~i1
;~if~:1~~
selonI'ordre des neurones. 1e cadre de Ia croyance, 1e modele freudien est p1us
L'antinomie se reformulerait donc: 1 II'homme est un être de Ia comp1exe et p1us éc1até qu'il n'y parait. 11y a d'abord ce
nature et (,tous ses actes devraient pouvoir s'expliquer suivant Ies Iois de qui est donné d'emb1ée dans L'avenir d'une illusion,
Ianature ') (Critique de ia raison pure, Paris, Barni, 1900, lI, p. 83) ; 2 lIa
c()mmunication d'un homme à un autre, en particulier celle de I'énoncé c'est-à-dire justement 1e schéma de l'illusion : se10n Ia
Ptécédent, postule que je n'entende pas cette communication comme définition de Freud, une cro~nce co!!.f2.!:m~al!...§2}lhait
déterminée par Ies Iois de Ia nature.
A cette antinomie, dont les deux termes sont inéluctables, on a sou-
et qui ne peut être prouvée. Tres explicitement 1e délire
Ventcherché à échapper en tentant de trouver dans Ia science physique un est rangé dans ce cadre, comme une partie de l'illusion,
Utopiquepoint de déhiscence ou s'introduirait Ia liberté : ce que j'appelle cette partie dont on peut démontrer qu' elle est en con-
Ia solution du type « glande pinéale ». On sait que Descartes supposait
que «1'âme '), en un point particulier du cerveau, pouvait agir sur Ie corps tradiction avec Ia réalité. L'insu:ffisance de cette théorie
ell. influant sur Ia direction des mouvements des ('esprits animaux ').Dn tel du délire saute aux yeux : une illusion pourrait devenir
cb.angement de direction ne nécessiterait pas l'intervention d'une force
délire, se10n l' état de nos connaissances, à te! ou te1
aQditionnelle. C'est là une conception fondée sur un énoncé erroné du
Ptincipe de conservation de I'énergie sous Ia forme d'une soi-disant momento Ce1ui qui croit à Ia génération spontanée avant
(ICOnservationde Ia quantité de mouvement '). La «solution » moderne Ia découverte de Pasteur est dans l'illusion, mais à partir
- «type glande pinéale ,)- est de tenter d'introduire une (,liberté ,)ou du
"Sens,) par Ia porte entrouverte avec les relations de Heisenberg, et Ia du moment ou Pasteur a démontré l'erreur, celle-ci
tb.éoriequantique. devient délire. Chez des individus au niveau de connais-
La 3" antinomie, sous Ia forme que je Iui donne plus haut, n'est sup- sances différent, mais aussi si l' on compare une civi1isa-
P\)rtable (d'un point de vue spéculatif) que grâce à Ia reconnaissance du
fait que Ia science n'est pas et ne sera jamais une totalité achevée, et que tion à une autre, 1eprob1eme devient quasi inso1ub1e : A
Ie déterminisme - tout autant que son opposé : Ia communication de partir de que! moment commençons-nous à délirer en
vérité - est un principe régulateur de Ia pratique théorique. Je dis ('d'un
P\)int de vue spéculatif '), car, de toute façon, au quotidien, elle est parfai-
croyant à Ia génération spontanée ? Peut-on se conten-
tement tolérée, comme une inconséquence sans conséquences, y compris
Par Ies adeptes d'un déterminisme absolutiste, à partir du moment ou ils
c()mmuniquent.
ter, pour définir le délire, de le mettre en balance avec d'autre parto Avec cependant une nette différence
une « critique rationnelle ~)? d'accem entre Ia façon dom, par exemple, Ia religion est
Je reviens au modele de l'illusion appliqué à Ia reli- qualifiée d'infantilisme dans les textes des années 20, et
gion. Le~ésir qui Ia sous-tend, en premiere analyse, est l'évaluation du « progres dans Ia spiritualité }),dans le
__!~é.au~~~aide de- l'êtrehumain (aduTte~--au-d~pa-rtdê MoiSe.
I'analyse de-Freud)~sõ-n-lncap-aC1té-ã s'aider face aux for-
ces de Ia nature, face à Ia cruauté du destin et à Ia mort, Enfance de l'individu, enfance de l'humanité ? Peut- ';;"
et enfin face aux souffrances et privations imposées par Ia on faire correspondre I'CEdipe de l'un à I'CEdipe de
vie en commun. Conception dont on a noté qu' elle l'autre? Dans le Moise, le grand mot est ~ch~, il fait le ~
n'avait en soi rien de spécifiquemem psychanalytique, titre d'un sous-chapitre, et il est un des points de
qu'elle est même un héritage de Ia .Ph-H()sophie des réflexion majeurs : c'est le terme d'analogie. Comment
Lumieres à travers éventuel1ement(fellerbã~ Freud concevoir l'analogie entre un individu et un peuple? Le
lui-même se fait d'ailleurs cette obje~ti~ndaiisL'avenir probleme heureusement n'est pas posé dans toute sa
d'une illusion et il y répond clairement. Cette fonction généralité, mais sur une question précise, Ia mémoire,
consolatrice pour l'adulte n'est que l'aspect manifeste de ou plus précisément encore, _~_.!!"~~s.!!1~~i2.!1.
Iacroyance religieuse. Ce qui est latem, c' est le complexe Combien de fois Freud ne s'est-il pas essayé à cette
d'CEdipe et, plus précisémem, le complexe patemeI (je analogie, pour tenter d'éclairer tantôt Ia transmission
parcours ici, en tres rapide, l'exposé de Freud). Mais, chez l'individu, tantôt Ia transmission collective !
théoriquement, il y aurait deux voies pour faire dériver Dans le Malaise, c'est Ia fresque grandiose, déployant
du complexe patemeIles religions de l'adulte modeme : sous nos yeux dans l'espace-temps, l'archéologie de Ia
d'une part, Ia voie individuelle, consistam à remomer au Rome antique : ceci comme un modele de Ia conserva-
désaide et à l'ambivalence de l'enfant-individu face au tion de l'inconscient dans Ia « mémoire })individuelle37•
pere. Or Freud ne se contente jamais de cette voie. Par Dans le Léonard, un passage méconnu38 compare deux
ex:empledans « L'homme aux loups })il ne lui suffit pas façons d' écrire l'histoire - Geschichtschreibung - et deux
de remomer des croyances de I'Homme aux loups à sa types de mémorisation individuelle : l'un qui est inscrip-
relation personnelle au pere. L'édifice religieux adulte tion au jour le jour, « chronique }),l'autre qui est reconsti-
est irréductible aux famaisies et aux désirs de tel enfant tution ordonnée et rétroactive. Notons qu'il n'est PIUS\ l
donné face à teI pere. Ce n'est en aucun cas une création question ici du refoulemem, ni de l'inconscient.
individuelle, c' est une création culturelle. II faut, dans Dans le Moise, à l'inverse des deux texte~_~l:s,
tous les cas, une articulation entre I'CEdipe individuel et c' est le processus individuel qui est appelé~:~~_~;\f
I'ffidipe de l'humanité. En fait, en ce qui conceme Ia '(l L(hÀI~

religion, c'est l'enfance de l'humanité, Ia préhistoire, qui


37. Cf. in La révolution copernicienne inachevée, op. cit., p. 398 sq.
cst prévalente, avec Totem et tabou d'une part et le MoiSe 38. GU7, VIII, p. 151-152; OCF-P, X, p. 107-108.
pour jeter des 1umieres sur Ia mémoire collective. Dans également l'idée des fantaisies ongmaires. C'est là le
l'histoire des peup1es, p1usieurs types de transmission fameux modele phylogénétique de Totem et tabouJ et de \,..
sont évoqués, à distinguer nettement, précisément lors- Vue d'ensemble; je ne veux pas le discuter pour lui- }
qu'il s'agit de Ia re1igion.
même: je l'ai fait souvent.l
Tout_E'a~~!E_!~_t.~nsmission -par communicationJ.)a Comment intervient-i1 ici ? Soi-disant à l'appl!i, mais "'~
.!!-.a~iti2!?:~_freud1ui consacre de long~--dé~~i~pp~~~nt~~ en fait pour brouiller les choses. A l'appui,cl:I.f i~;agit de"-f
notamment pour comparer Ia tradition religieuse à prouver l'existeliêe d'une transmission pour ainsi dire
l'épopée. L'essentie1 c'est que Ia tradition linéaire Ia interne, qui ne passe pas par Ia tradition, par le culturel,
pure et simp1e transmission par 1e manifeste et 1e lan- par le « dire ». Mais ce modele de transmission phy1ogé-
gage, est insuffisante pour Ia religion. nétique brouille les choses, car c'est un modele
Le second modele c'est refoulement et retour' c'est d'inscription par répétition, par sommation et non un
c:1~i qui fait ~ecentre du Moise. La doctrine mos;ique a modele par refou1ement4°. De plus, c'est un modele
'- du etre effacee par 1e meurtre de Moise, pour resurgir d'inscription passant nécessairement par 1e biologique
} ave~ une ~orce de symptôme. « Une tradition qui ne '" de chaque individu. Alors que dans 1e devenir de Ia reli-
(. c seralt fondee que sur de Ia communication ne pourrait gion mosaique, ils'agit précisément de tout autre chose :
,.,~/ pas pro?uire ,1e carac~e~e de c<?E!!~inte qui appartient le refoulement d'un événement unique, ou éventuelle-
~ux .phenomenes rehgleux ["0] elle ne parviendrait ment en deux temps (et non pas Ia mu1tiplicité addition-
--- ~ JamaISau privi1ege d' être affranchie de Ia contr~i~tede Ia nelle de Ia répétition), et, qui p1us est, son inscription
)/:pensée logique. Elle doit a'Vüir-subi d'abord 1edestin du dans l'individu-peuple juif, considéré non pas comme
1< refou1ement, l'état de ce qui séjoume dans l'inconscient une succession génétique d'individus, mais comme ana-
''f avant de.pouvoir plier les masses à son empireooo »39 ' logue dans sa tota1ité, à ce que Freud dans d'autres tex-
I Je reVIendrai dans un instant SUrce modele du refou- tes41 appelle les grands-individus (Grossindividuenj42 o

'. v le~en: collec~if et historique, aVec latence et retour,


~als je ~ent1onne d'abord le troisieme modele, qui 40. Freud est explieite à ee propos : « ..• à quelles eonditions un tel
~, Vlent se juxtaposer aux deux autres. C'est celui de souvenir pénêtre-t-il dans l'héritage arehalque ?... lorsque l'événement
~ l'atavisme, de Ia transmission héréditaire des traces mnési- était suffisamment important ou qu'il s'est répété un nombre de fois suffi-
sant, ou les deux.) (GU7, XVI, p. 208; trad. franç., op. cit.>p. 197).
queso Freud s'y attarde un moment, en donnant comme 41. Par exemple : Aetuelles sur Ia guerre et Ia mort, in OCF-P> XIII,
preuve, vous le savez, les éléments découverts _ ou soi- p. 231 sq.
42. En fait, i1y a, là-dessous, sous-jaeente, une eonfusion eneore plus
disant - par Ia psychana1yse, comme Ia symbolique du
importante: l'assimilation freudienne du refoulement avee une mise en
langage menant à l'hypothese d'une langue originaire, et mémoire, un eertain type de mémoire. lei, je suis foreé de faire allusion à
ma eoneeption personnelle : selon moi, les différenees sont fondamenta-

39. L'homme MoiSe et ia reiigion monothéiste> trad. franç., 0'P. .


les : Ia mémoire porte, virtuellement, sur toute pereeption ou tout véeu ; 1 i
p. 198. Clt.~ J
le refoulement porte exc1usivement sur un message, sur du signifiant (voir
dans ee volume: « eourt traité de l'ineonseient », p. 67 sq.).
Quelle serait donc l'analogie de l'épisode-Molse, te! cette impossibilité: cOmp1_~.tl~c()n<::e,,()i!~<i:ilIl~!~c()l
...
qUe le voit Freud, avec un refoulement ? Ce qui est en lectif, un lieu et-------_
-
un statut_-------------_
..
du refoulé. En revanche Ia
...

question, c' est Ia genese de quoi ? De Ia religion ? certai- notion de psychose collective reste séduisante et ce
llement pas : le MOIse ne revient pas sur les explications n' est pas sans raison que le statut de paranola collective a
<iéjà proposées. Est-ce Ia genese du monothéisme ? oui été revendiqué pour Ia religion, notamment par Roso-
~t non, mais finalement non, puisque le monothéisme, lato, pour les trois monothéismes et aussi par E. Enri-
~elui d' Ahkenaton, a une origine antérieure. Freud lui- quez et par J.-F. Lyotard plus spécialement pour le
q; ~ême semble désarç0ntlé de s'apercevoir qu'il n'a peut- judalsme.
~tre rien gagné à relllplacer le monothéisme juif par le Si le processus paranolaque n'a pas de sujet, de moi
tnonothéisme égyptien43. Et ceci d'autant plus qu'une qui refoule, ou (pour dire les choses de façon plus
~J{plicationsociologique se propose tout naturellement nuancée) si Ia paranola correspond à un secteur ou il n'y
, ç.
POur l'Egypte : Ia constitution d'un grand empire cen- -[ :$ a pas de moi qui refoule, il est tentant de prendre les
tr~lisé rp.~E.~~t~omme naturellement à une religion uni- :t-"t: choses au pied de Ia lettre à propos également du
« grand-individu >} collectif. li est suggestif de dire, par
tall'e. Le probleme est donc : que se passe-t-il entre Ia ç \\J

Croyance égyptienne et celle apportée par MOIse ? La <J


exemple, ce que fait me semble-t-il Lyotard, que l' écrit
Croyance devient comme par miracle, révélation et élec- sacré ~!!t êt!'e liel!..ill!.I!!~~ªg~_,l!Q.[l__!!"a4l!i~iº1~,_=_.t?!_
tion. Mais révélation et élection ne suffisent pas ; il ne d' ~~?:d_~o~ _JZ.~.?~~~~_a?!e
__
~_~~!o~~lo~!.
Suffit pas que MOIse ait élu son peuple et lui ait révélé le
,_ tnonothéisme pour lui donner force de contrainte : il y Religion et paranoi"a. Freud est loin de s'avancer dans
Z,..-- faut le refoulement. ' "- cette voie. L'importance de ce rapprochement n'est pas
explicitée, même dans le Schreber. A propos de Ia reli-
r
9 ~~
<S',, Individu-société. C'est ici que « l'analogie >} se heurte à Q gion, Freud parle bien dans le MoiSe, de Wahn, de
Qne difficulté majeure et, à mon sens, toute simpl~-:pour ~ ç'; délire45, mais il y a là un probleme d~ traduction curieu-
qu'un message soit refoulé, il faut que se constitue un .} S sement révélateur. Le traducteur de l'édition Gallimard,
~oi qui refoule ..U~ re(~~leI1!.~tlt_~~f~it ~ IS.-
e..tl-_p~_~1l1~~.~.J~~r- Comelius Heim, se donne Ia peine d' expliquer que
~.!Ule.La constltutlOn du moi est corrélative du refoule- L"-t
Wahn, à trois lignes de distance dans le texte de Freud,
"tu ,!!!<:nt.MalS'ãIõrs, Tanotwil'<Ie névrose c-õilective'ren- ~ :~ doit être traduit une fois par illusion, une fois par délire.
,( l<. Contre d'em~!~_e-lorsqu'elle est prise au sens propre, et .J A mon avis bien sur il a tort quant à Ia théorie de Ia tra-
. I(I'! non comme une addition de névroses individuelles44 - duction puisqu'il rend inaccessible l'ambigulté du texte
lui-même, en changeant le mot français traduisant
43. Ceci est souligné par M. Moscovici, dans sa préface, op. cit., p. 53.
d' 44., ~L'~ys~é?e collective » peut être considérée comme une somme Wahn. Mais, ce qui est remarquable c'est qu'il le fait
hystenes mdlVlduelles.Il y a une convergence des inconscients et sur-
lClutun lieu de convergence des instances refoulantes : le leader dans
equelles moi s'identifient.
non sans apparence de raison, en interprétant un certain La question de l'énigmatique est encore plus caracté-
mouvement de Ia pensée freudienne : car c' est Freud lui- ristique. Pour Ia prendre du côté de l'inconscient de
même qui ramene constamment le délire à une simple I'allocuteur, aucun des protagonistes de cette histoire
variété d'illusion. n'a d'inconscient : ni Moise, ni Akhenaton, ni surtout le
Je ne m'engagerai pas dans un modele délirant de Ia pere originaire. Le pere de Ia horde ne communique
religion. En revanche, je dirai quelques mots du modele rien, i! n'a pas d'inconscient. Pas davantage - pour se
séductif dans Ia religion, englobant le modele délirant rapprocher de nous - que les peres de I'Homme aux
comme un cas particulier. La notion de séduction me loups, de I'Homme aux rats, de Hans ou de Dora. A
semble être lisible, de façon presque omniprésente, dans I'origine de I'CEdipe, i! n'y a pas d'CEdipe. Dans Moise,
Ia Bible. Sur le mot, une recherche serait à faire, en c' est Ia succession des refoulements qui crée un tet:l3El-
remontant par le grec des Septante ou le grec du Nou- lieu de Ia priorité de l'autre. Le refoulementcrée,
;li veau Testament (1tÀIXVIXW = égarer-séduire) ; i! est certain comme ex machina, Ia force contraignante, le Zwang de
que le verbe « séduire » se retrouve notamment pour Ia Ia croyance religieuse. L' énigme est pour ainsi dire
séduction par le Christ e.Lª_!!§sipour Ia séduction par reportée dans Ia succession, sans être jamais repérée
Dieu, notamment dans\J~rémi;;;')Mais du mot « séduc- dans Ia simultanéité d'un message énigmatique, dans Ia
tion » au Jait séductif, i! y a un élargissement à faire. Le contrainte d'un « à traduire ». La « pulsion de traduire »,
fait séductif se retrouve des Ia Genese : un savoir pro- on sait que j'y vois l'origine de Ia temporalisation de
posé, interdit, et de plus proposé par quelqu'un de l'être humain, et que j'en situe le moteur, non pas dans
duplice, si l' on veut bien englober le tentateur à le traducteur, mais dans le déséquilibre interne, intem-
li l'intérieur de Dieu Iui-même. « Tentation » est peut-être porel, simultané, du message énigmatique, qui propose
Il inséparable de « révélation » et de « séduction ». Ia force d'un « à traduire »46.
Qu'en est-il alors de ces ingrédients, de ces pré- Cela est loin de Freud. Est-ce si loin d'une certaine
s~:PE?~~~_~~_).a séduction-quesoni-!emessage- et conception de Ia « révélation » ? Que Dieu soit un dieu
l'énigmati~? -Ã- mon sens, c'est précisément ce q..rl qui parle et qui contraint à écouter, cela est-ce évident
manque dans Ia théorie de Freud, sa théorie de Ia reli- dans tout le Livre, qui n' est qu'une variante du para-
gion comme bien sÍlr sa théorie générale. Ce que trans- digme « écoute, Israel! ». Que Dieu soit énigmatique,
met Moise, selon lui, c' est Ia croyance monothéiste qu'il contraigne à traduire, cela parait évident dans
d' Akhenaton, c' est un dogme (Lehrsatz), un objet de toute Ia tradition judéo-chrétienne de l'exégese. Que
croyance (Glauben), qui estrefoulravec-l'assassiI!~!.c:i:tJ: cette énigme suppose que le message soit opaque à lui-
.§E:<:i~!e.!:1~;-Le
refouTement-ne -faiic.ill.:~c:i()nÍ1eiforce de même, c'est évidemment une autre questiono Dieu a-t-i!
contrainte à Ia croyance monothéiste d'Akhenaton,
inais~Jlon_ª-:tJ:.l!
__ º_~_.c~fi1F~L~
1!lessag~__ doÍ1t.iI.J:l'i~jjgi~Ts 46. Cf. par exemple : Le mur et l'arcade (1988), in La révolution
.'l..ll~~!!on.
_ copernicienne inachevée, op. cit., p. 287-306.
un inconscient? ren Iaisse Ia discussion (voire I'ana- Iangues. La Iangue qui n'a qu'un mot pour deux est-elle
theme) aux théologiens, citant ici Rosolato : « L'énig- dans un état de richesse ou dans un état d'in,firIl:üté? A
matique des signifiants (analogiques originaires) est propos de Lust, un peu dans Ia même situation, plaisir
transposé et recueilli dans Ies mysteres religieux. )}47 En et désir, Freud hésite entre une polysémie de I'alle-
ce sens ne peut-on considérer Ie mystere trinitaire, avec mand ou Ia confusion serait féconde, et une sorte
Ies querelles sanglantes auxquelles iI a donné lieu, d'inc;pacité à établir Ies différences conceptuelles indis-
,: comme une tentative d'appropriation manquée, de tra- pensables48. Pour Glauben je n'hésite pasà dire qu'il
c duction, d'un énigmatique originaire ? s'agit d'une infirmité fondam~ntale de Ia Ian~e a~Ie-
,6 En fait de message énigmatique et d'histoire de mande. La différence entre fOI et croyance est a peme
séduction, Job, par exemple, nous en offre un beI perçue par Ies germanophones et il faut Iongtemps pour
v\ exemple. Le paralleIe avec Schreber s'imposerait sur Ia Ieur expliquer. Quand elle est perçue elle est mal
plus d'un point, avec Ia destruction originaire du monde comprise. Ainsi teI dictionnaire philosophique, apres
et sa reconstruction finale, avec Ia duplicité du séduc- avoir relevé en effet que I'allemand n'a pas Ie correspon-
j teur (qui est du même ordre que Ia « perfidie )}dont par- dant de ;«rói»)\ (jaith en anglais), assimile celle-ci à
~J- Iait Schreber), si I'on veut bien y indure, dans une unité ..iê.~í~.~~.~~.Jª.<cSmYªBc:.~~
I'l:l~J?~s~ ou encore à I'aspect
I~ sulfureuse, Satan lui-même. Avec même l'aspect anal de affectiid~~elíe~~i. En généraI, Ia distinction n'est même
L'f Ia persécution, repérable dans Ie ~, voire dans cet pas perçue : c'est Ie cas pour I'homme Freud. Un texte
.,. excrément J?ll~t qu'est devenu Job Iui-même. Enfin et tout à fait révélateur de ce point de vue se trouve dans
surtout avec Ia tentative réitérée de traduction, de justi- I'artide intitulé « Une expérience religieuse». L'inter-
fication, de délimitation et de maitrise, qui fait Ie corps Iocuteur de Freud est un Anglais qui décrit dans une
du débat entre Job et ses interlocuteurs. Iettre comment iI a perdu et retrouvé Ia foi face au spec-
. Cette traduction est l' reuvre d'un moi, son aspect tade d'une personne sur Ia table de dissection - per-
achevé est Ie dogme, même sous cette forme domes- sonne qui évidemment Ie fait penser à sa mere. Freud,
{ tiquée de l' énigme qui est Ie mystere, soit des modalités apres avoir magistralement analysé tout cela, cite a~ors
de Ia croyance. un autre fragment de Iettre ou Ie correspondant expnme
Ie vreu que Dieu donne à Freud the faith to believe. Une
Croyance: Glaube, Glauben. Le terme est difficile à expression que te français rendrait sans peine, par « Ia
traduire ; chez Freud, par exemple, iI est tantôt rendu foi de croire)} mais pour Iaquelle Freud montre son
par croyance, et tantôt par foi (artide de foi; Ia foi:
:.
incompréhenslOn, en tradUlsant de façon spontanee
'

vertu théologale, etc.). Un mot en allemand, deux mots


en français et également en anglais et dans bien d'autres 48. Cf. Traduire Freud (en collaboration avec A. Bourg~.lignon,
P. Cotet, F. Robert), Terminologie raisonnée, art. (,Lust », Pans, PUF,
1989.
I1\aisparfaitement aplatie par das rechte GIauben ; mot à Mais voilà que, comme une contre-offensive à cette
I1\Ot: « Ia croyance juste I).
priorité du message de I'autre, on assiste à une véritable
,Benveniste affirme que « c'est ce qu'on peut dire qui invasion par Ia croyance, à une sorte de reconquête de Ia
dei' . .
11l1lteet orgamse ce qu'on peut penser 1)49. Est-ce Ie foi par Ia croyance, à travers Ies Kantiens, à travers
q
c &même Iorsqu'iI s'agit de Iangues appartenant à une Freud, et bien évidemment à travers Ia psychanalyse.
sellleet même civilisation, comme I'al1emand d'une Des travaux entiers sont publiés sur Ia croyance, sans
Pqtt,I'anglais et Ie français d'autre part ? Comment, par interrogation sur Ia foi. Je pense à un numéro spéciaI de
eltemple, doit-on traduire ce passage fameux de Ia Ia Nouvelle Revue de psychanalyse sur Ia croyance 51', ou
deUXiemepréface de Ia Critique de Ia raison pure de personne n'a exploré Ia piste indiquée par J.-B. Pontalis
I\ant : « Je pus donc abolir Ie savoir, afin d'obtenir une dans son Introduction qui porte Ie titre « Se fier à, sans
P1acepour Ia croyance (das GIauben). ) Kant, je l'ai croire en I). « Ne croyez pas à Ia psychanalyse I, dit-il,
~rmé, est un apôtre du ptoléméisme et non du coper- fiez-vous à el1e I), ajoute-t-il. Cette phrase -estpeut-être
nl<:isme,maIgré sa référence à Copemic50. L'un des cha- intraduisibleeü-ãl1emand et en freudien. Je Ia trouve
P1tresde cette même Critique de Ia raison pure s'intitule parfaitement en accord avec I'idée que Ie transfert,
lI1einen, glauben, wissen (opiner, croire, savoir) définis-
c::o~~~I~X()i,yi~Et de l'a~tre52.
s3.tltpar Ià diverses positions possibles du sujet connais-
,~aQ.tface à ~'ob~et. 11n'est. évidemment pas question,
II iItls cette tnlogte, de tradUlre glauben par « foi ) : c' est 51. 1978, n° 18.
:U~iquement de croyance qu'iI s'agit ... 52. « Opiner, savoir, croire» (selon l'expression de Kant) sont des
modalités de l'attitude subjective face au vrai. Ils sont convertibles I'un
Foi (faith). Le Robert distingue d'abord ce qu'iI dans I'autre : ce qui est cru peut être su, par I'intermédiaire de Ia vérifica-
n()tnm
d e un sens « ob'JectI'f I), c ' est-a-
'd' Ire un sens du côté tion. C'est bien ainsi que Freud s'en tire avec cette objection que Ia quasi-
totalité de notre vie ne se fonde que sur Ia croyance en des « dogmes »
,lllocuteur, de I'annonceur pour reprendre Ia distinc- (Lehrsiitze) transmis par d'autres : on peut toujours aller y voir, refaire
~1()t1de Fichte de tout à l'heure : c' est celui qui est fidele soi-même Ia démonstration (cf. L'avenird'une illusion, début du chap. V).
a,~aparole, dans des expressions comme : jurer sa foi, A I'homme de Ia croyance (et du savoir), le seul que connaisse Freud,
s'oppose I'homme de Ia foi, dans cette anecdote rappelée par Claude
:()Ier sa foi. Et d'autre part un sens « subjectif) : Ia Imbert, à propos de saint Thomas : « Dn disciple demande à 1?~mas :
}"tl.fiance en Ia parole de I'autre; donc du côté de "Maitre, si je te disais : il y a un bceuf ailé dans Ia cour, me crotrals-tu ?
- Je te dirais d'y retoumer voir, - Mais si je revenais en te disant, encore
d:ltterl?cutaire: de l'~nnon~iataire. En religion on parle une fois, qu'il y a un bceuf ailé dans Ia cour, que répondrais-tu ? - Alors,
~fideles, maIS on dlt aUSSIque Dieu est fidele. C'est Ia dit Thomas, je préférerais croire que Dieu a voulu faire un miracle plutôt
c°tl.trainte du message qui force à traduire. que de penser qu'un fils de Dominique a voulu me tromper"» (Claude
Irnbert: Pour une structure de Ia croyance: I'argument d'Anselme, in
Nouvelle Revue de psychanaryse, 1978, 18, p. 43).
Soulignons-Ie, Ia foi ici en cause n'est pas Ia foi en Dieu, mais celle en
ti '\9, Catégories de langue, catégories de pensée, in Problemes de linguis-
q~egérlérale, Paris, Gallimard, 1966, p, 70, un modeste disciple, qui ne peut « vouloir tromper », Saint Thomas ne
remonte nullement Ia série des causes comme le prétend Claude Imbert
'SO, La révolutiorl copernicierlrle inachevée, op. cit., p. VIII-IX.
( « ton dire est le signe de ce que tu as VU, et ce que tu as vu est le signe de
moi traite une partie de cet afflux de réalité aux fins d' en
atténuer le niveau d'investissement, et de l'intégrer dans
son systeme. Mais il reste toujours une part d'altérité
Au départ, j'ai pris une position critique par rapport irréductible: peut-être ce que Romain Rolland nomme
auxnotions, pourtant centrales pour Ia psychanalyse : le « sentiment océanique I), et qui serait, précisément, Ia
fantasme, Ia persécution comme délire projectif, et le perception de l' énigmatique comme tel.
mythe.
lR
Je n'ai pas, bien sur, voulu nier leur existence, ni leur Réductionnisme. 11 y a une évidente volonté réduction-ll
itnportance, mais tenter de montrer qu'ils sont corréla- niste de Ia psychanalyse, concernant Ia religion. Cette
tifs d'un processus de refe_~eture _~r rapport __à attitude n' est cependant pas spécifique, ni de Ia part du
J~dr~_~!l~ __
<!c;:l'~:u.~~l
adresse énigmatique et séductrice. « réducteur I), ni du côté du « réduit ~).Car Ia réduction
_ Jedois dire aussi :-~d~~~~~-~~~~cll~~-L~-di;1:in~1:i<:ln--de ne vise pas seulement Ia religion, et, d'autre part, Ia te~-
c: -rordre ~tal -et de l' ordre humain -=-culturel et sexuel - tative psychanalytique se rattache à un mouvement hlS-
c:, {estcapitale. Quand je parle d'un décentrement origi- torique qui Ia dépasse immensément. Le réduc;io~isme
',) naire,d'un copernicianisme de base, je ne parle pas en de Ia religion n' est bien souvent qu'un avatar d un r~duc-
'J général,mais spécifiquement dans le domaine sexuel. tionnisme plus général, corrélatif de l'illusion centrlfuge.
t La confusion du sexuel et de l'autoconservation, Je crée l'objet, Ia réalité à partir de mon fanta~me. J 7
~ admisepar Freud apres 1920, n'est probablement pas dois passer par un « first not me» po~r a:remd~e a
'L_ ~pourrien dans l'impasse ou ~lE l~_discussion ~~! le l'objectalité-objectivité. Je crée Ia persécutlon a part~r d~
(Isentiment océanique» allégué par Romain Rolland. mes démons internes. La révélation n' est que le correlatlf
IIL'océanI), si l'on veut garder ce mot, est bel et bien du mythe, création de l'imagination collective. En tout
eeluidu sexuel. C'est dans ce seul domaine, celui du cela, on retrouve toujours « l'increvable percipiens ~),tou-
messageet de Ia réalité psychique que le mouvement est jours Ia projection comme mécanisme universel, normal
eentripete et non centrifuge. La « réalité psychique» et pathologique, voire neurologique.
n'est pas créée par moi, elle est invasive. Dans ce Ce que j'oppose à ce réductionnisme-là, et dans tous
domainedu sexuel, il y a trop de réalité au début; et les domaines, c'est l'inaltérabilité de ce que j'ai appelé à
e'est à ce « trop de réalité» que peut s'appliquer le un certain moment « transcendance ~).J'ai parlé ~ªgy}~re 'K '1

modeledu « projet de psychologie scientifique »53: le de « transcendance du transfert ~): le terme est plus ou
moins bien choisi, car il n' est pas question de vefficªlité"
Ia chose » ) : sa foi s'appuie sur Ia « fidélité ,) du « fils de Dominique
l).
ni non plus de d~pa~se111~~t,et encore moins ,d'auto- f
L'hypothésecartésienne du « malin génie » viendrait ici comme une piéce
II1ajeureau débat. Et d'un autre côté, I'autre saint Thomas, celui qui « ne dépassement. A prendre les choses au sens de ~expres-
croit que ce qu'i! voit et auquel il est répondu : heureux qui n'a pas vu
l),
sion: « je me transcende vers I), je ne garderal pas ce
et qui« adhére l) (selon le terme de Chouraqui).
53. Vie et mort en psychanalyse, Paris, Flammarion, 1970, p. 96 sq. terme de transcendance.
Mais ce qui est en cause c'est I'existence d'un vecteur Cette priorité de I'autre n'excIut nulIement que des
et Ie sens de ce vecteur. Ce qu'on nomme en technoIogie mouvements centrifuges puis réciproques, des interac-
un ({guide» (parfois une « aiguilIe »), c'est ceci: vous -X tions, se produisent. Mais précisément, ils sont guidés
k avez ce qu'on appelIe une gaine, un gros tuyau dans .J
(au sens précis du ({guide » technoIogique) par Ie vec-
lequeI on veut faire passer pIus-iard des câbles, ou des T
teur originaire, centripête.
tuyaux pIus petits. Dans cette gaine, au moment de Ia Cette priorité de l'autre n'excIut nulle tentative
~ poser, on laisse en pIace un filin auqueI on pourra uIté- d'établir une hiérarchie, une genese, une corréIation
rieurement, a~cr~her Ie câbIe en question, afin' de Ie
voire une réduction entre Ies trois vecteurs paralleIes. Le
tir_er.Au lieu de pousser ce câbIe, dans un mouvement
vecteur 2, persécutif, est assurément un avatar, mais
centrifuge (par ({projection »), on Ie tire précisément vers
aussi un témoignage du vecteur 1. Quant au vecteur 3
l'extérieur, Ià ou Ie guide trouve originairement son point
(révéIation), j'ai seuIement voulu rappeler sa parenté
de départ. Le mouvement du câbIe reste bien centrifuge,
avec les deux autres, sans voIonté a priori ni de le dépré-
mais une reIation antérieure avait été établie un vecteur
, , • • , '-'''''':'~'''''.'-'.~':''': ":>'.'_""-"~ cier en Ie subordonnant, ni, à I'inverse, de Iui donner
0pl'0sepreeXIstalt, permettant de Ie tirer54•
une queIconque priorité.
J'ai essayé de tracer ce vecteur venant de I'autre dans
Apres tout, Ia « religion » y perd-elle ou y gagne-t-elle
trois champs paralIeIes: séduction infantil e, persécu-
tion, révéIation : à être confrontée aux coordonnées majeures de l'hu-
maine condition? C'est dans Ie sens d'une telle con-
autre -7 ego 1) séduction infantiIe frontation que j'ai vouIu rappeIer, apres Fichte, que Ia
autre -7 ego 2) persécution révélation n'est qu'un mode de Ia BY-~(l/I'!!!~'f!l!!:E~,,!!!g
; j'ai
autre -7 ego 3) révéIation vou~- rappeI~~- ~~~;i- que_]~oi, _i1!!du~g1?}_~_~_~
croyance, cOII!~~!Uouv~II1~!l:!_gui _..p~~1:!~·Ls~!l:__()_rigine
dans ~tre, n'est .e~s seuIement ~_~~!!~trl:en.!EeIigie':!X,
54. Au moment ou je propose cette image du guide, je tombe sur ce au sens étroit du terme.
~,~,._----------------
passagede Freud ; « Nous avons le sentiment de décrire de maniére trés
insuffisantele comportement du paranolaque, le jaloux comme le persé-
cute,en disant qu'ils projettent vers I'extérieur, sur d'autres, ce qu'ils ne
veuIentJ?a~percevo~r dans leur propre intérieur. Certes, c'est ce qu'ils
font,maiSI1~ne proJettent pas pour ainsi dire dans le vague, pas là ou ne
se·trouve nen d'analogue, au contraire ils se laissent guider par leur
connaissancede I'inconscient ... » (Jalousie, paranola, homosexualité, in
OCF-P, XVI, p. 91).
Lebesoin d'un « guide » centripéte pour sous-tendre Ia projection cen-
trifuge~emble nettement pressenti par Freud. C'est précisément là qu'il Séduire, persécuter, révéIer sont des verbes ac~ifs.~arler de
introdUlt.Ia « c?mmuni.ca~ion d'inconscien~ à inconscient ». Vn concept ({fantasme de séduction », de {{délire de persecutlOn », de
dontIa dlscusslOn seralt a reprendre, en s appuyant sur Ia théorie de Ia « mythe de Ia révéIation» apparait comme. un retoume~ent
scductiongénéralisée.
de Ia passivité en activité, par lequel Ie sUJet autocentre, ou
plutôt recentré, prétend être à I'origine de ce que, primaire-
.f:' ment, il ~!.!it. On doit se demander si, en alléguant Ieur passi-
vité originelle, Ie névrosé, Ie paranoiaque, Ie religieux n'ont
pas « d'une certaine façon raison» (Freud) : non pas seuIe-
ment pour ce qui est du « contenu » des fantaisies, déIires et
croyances, mais en ce qui conceme Ia vectorisation centripete,
et non centrifuge, de l'intervention de I'autre.
En ce qui conceme Ia séduction, iI est affirmé qu'elle n'est
pas primairement une fantaisie, mais une situation « réelle »,
qui se trouve au creur des deux autres grands scénarios pré-
tendument originaires: castration et scene primitive. Mais
pour que cette assertion ne soit pas confondue avec un réa-
Iisme événementieI, il importe de mettre en avant Ia troisieme
catégorie de réalité, constamment rabattue sur celles de Ia
réalité matérielle et de Ia réalité psychoIogique : Ia réalité du
message, et, pIus spécifiquement pour I'anaIyse, du message
énigmatique.
La priorité de I'autre dans Ia paranoi"a est réexaminée à
propos du cas Schreber. L'autre sexueI et son intrusion font
l'essentieI de I'anaIyse pratiquée par Freud dans Ia premiere
parti e de son étude. Mais dans Ia seconde partie triomphe Ia
désexualisation (au nom de l'amour) et Ia recentration subjec-
tive, toutes deux visibIes dans Ia phrase soi-disant premiere
dont Freud veut tout faire dériver: « Moi (un homme) je
l'aime (lui, un homme). »
Le domaine reIigieux est enfin pour nous I'occasion de
nous référer à Ia notion fichtéenne de Bekanntmachung,
« l'annonce » par l'autre, qu'il met au principe d'une « critique
de toute révéIation », et d'autre part à celle de foi (trouvant sa
source dans l'autre), à différencier nettement de celle de
croyance, Iaquelle seuIe présente pour Freud, se prête trop
aisément à Ia dévalorisation dans « l'illusion ».
Nous avons vouIu mettre en évidence I'existence d'un
même vecteur venant de I'autre, irréductibIe à une projection
du sujet, dans Ies trois champs paralleles de Ia séduction origi-
naire, de Ia paranoia et de Ia reIigion ; ceci quelles que soient
Ies articuIations, Ies priorités, voire Ies « réductions» qu'on
puisse être tenté de proposer par ailleurs entre ceux-ci.

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