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Ce volume réunit mes principales communications
des dernieres années (1992-1998). Le Iecteur y rencon-
trera parfois ce qui, d'un texte à I'autre, peut apparaitre
comme des récurrences. Cel1es-ci ne font que refléter
I'insistance d'un theme qui justifie Ie titre du recueiI,
motif directeur qu'on pourrait désigner comme celui de
Ia « situation anthropologique fondamentale I).
De grandes oppositions traversent Ia psychanalyse
contemporaine dans Ia mesure ou el1es'interroge sur ses
fondements: Celles entre « biologie» et « psychoge-
nese I), entre « nature » et « culture » ; et, de façon plus
pressante car plus Iiée à notre pratique, I'opposition
entre Ia vue classique, ou l'enfance est considérée
comme ce qui détermine Ia destinée adulte, et l'option
dite herméneutique qui fait de I'adulte Ie grand maitre
de I'interprétation, conférant seul un sens au donné de
l'enfance.
Remarquons que ces trois types d'opposition sont Dans cette « situation anthropologique fondamen-
loinde se recouvrir. Faire coincider notamment I'en- tale ) qui confronte adulte et infans, Ia dissymétrie est
fance,Ia « nature}) (voire I'animalité) et Ie biologique structurante. Elle n' est pas, dans son essence, Ia distinc-
pelltaboutir aux plus graves confusions conceptuelles. tion parents-enfants, puisqu'elle peut aussi exister, en
Pourne donner que deux exemples, Ie fameux « roc du I'absence de parents, entre I'enfant et teI adulte « secou-
biologique})freudien s'avere au départ être lié, non pas rable ) (Freud). Elle n'est pas réductible à Ia différence
à Iabiologie réelle, mais à Ia perception, elle-même Iar- d'âge, d'expérience ou de savoir. Cette différence, que
gementhumanisée, de Ia différence morphologique des même Ies psychanalystes ont tendance à oublier, c'est
sexes.De même, il y a tout Iieu de penser que, dans Ie tout simplement que I'un n' a pas encore d'inconscient
developpementde I'individu humain, Ia sexualité biolo- sexueI, et que I'autre en a.
gique,instinctuelle apparait non pas avant mais apres Ia La théorie de Ia séduction ne peut tenir, contre son
sexualitépulsionnelle infantile, liée au fantasme et abandon ou son éclipse, que si I'on prend pleinement en
entierementinformée par Ia relation interhumaine. compte, dans Ia situation originelle, d'une part Ie fac-
teur communication, d'autre part l'immixtion de I'in-
Maisrevenons à cette opposition apparemment moins conscient de I'adulte dans son propre message.
contestable,celle d'un avant et d'un apres, d'un enfant L' autre dont iI est ici question est donc un autre
etd'un adulte. Freud a eu beau Iancer, à ce sujet, Ie concret, habité par un ça (C à Iui-même ignoré ), et non
termeprophétique d' « apres-coup}) (Nachtraglichkeit), pas une (C instance}) (comme un « A}) ou un « a) Iaca-
ce1lli-ci
reste indéfiniment écartelé entre deux interpréta- niens, dont on serait bien en peine de dire IequeI a un
tions apparemment inconciliables: déterminisme à inconscient) .
retardementdu présent par Ie passé, ou bien, à I'inverse,
souveraineattribution rétroactive de sens, mise en narra- La pensée postfreudienne semble se donner pour
tionherméneutique du passé par Ie présent. objectif de réduire I'inconscient freudien, individuel et
Sansprétendre invalider I'opposition déterminisme- réel, cette (C réalité psychique}) dont Ia situation ana-
hermeneutique,j' essaye au contraire de Ia mobiliser et Iytique ne cesse par ailleurs de nous imposer I'exis-
deIa déplacer, en rappelant ceci, dans Ie domaine tence. Car c'est Ià Ie véritable « roc }),qui - pour n'avoir
proprede Ia psychanalyse, alors que nous ne cessons de rien d'animaI, ni de biologique - n'en est pas moins
l'oublier:I'avant et I'apres, I'adulte et I'infans, « avant }) (C résistant }).
quede se succéder, sont « d'abord}) des coexistants Le primat de I'autre et son énigme ne se (C referme })
rellosdans une communication premiere. « D' abord ), pas nécessairement quand disparait Ia relation concrete
ou~d'emblée })? Osons donc des formules étranges. Il y adulte-enfant. Il constitue Ie vif de Ia situation anaIY-
a un d'abord ) de « I'avant-apres ) ; il y a un « coup
(C tique, et aussi de ce qu'on peut tenter de décrire comme
d'clnblée})mettant en marche « I'avantlapres-coup ). I'ouverture à - et par -I'inspiration.
Séduction, persécution, révélation *
cependant que son apport va plus loin. ,,~..~-~.~,~ psychose ,),Paris, Soeiété française de psychanalyse, 1961.
ce sont des zones érogenes préformées ? Mais, malgré qu'un mot correctement prononcé. Mais('ur0~'est
les apparences, c' est là une conception encore préfreu- pas non plus réductible aux imaginations que forge à
dienne, si l'on veut bien admettre avec Freud que son sujet chacun des interlocuteurs, imaginations sou-
l'ensemble du corps, au départ, est une zone érogene vent bien pauvres et réductrices.Ilyéhicule un message
potentielle. A partir de ce postulat de base, qu'en est-il détectable, observable, en partie interprétable par Ia
•.du geste de toucher le gros orteil de l'enfant? Est-ce psychanalyse. C'est en fonction de ce tiers domaine de
une séduction ou non ? A qu~ll~ condition est-ce une réalité et non pas en fonction de Ia réalité matérielle que
séduction ? Que1 est le type de réalité en cause ? Que1s je persiste à parler « séduction ), et non pas « fantasme
sont les « indices ~)de cette réalité ? de séduction ~).
La solution qui se propose, c' est Ia présence d'un fan-
..: tasme sexuel çhêi Padül'ifff Mais ici il faut encore distin- Quant à Ia priorité que je lui donne, elle tient en ceci
1··-··········-···
- guer: ou bien on postule une communication imma- que les autres grands scénarios invoqués comme origi-
térielle d'inconscient à inconscient, de fantasme à naires ont comme noyau une séduction, dans Ia mesure
fantasme, ce qui postulerait de façon tout à fait injus- ou ils véhiculent eux aussi un ou des messages de
tifiée, Ia préexistence d'un fantasme et d'un inconscient l'autre, toujours d'abord dans le sens adulte-enfant.
chez le bébé. Ou bien on commence à approcher cette Je laisse de côté le retour au sein matemeI et son
corrélatif Ia nouvelle naissance. Freud, dans son plus
pure matérialité du geste (à supposer même qu'elle soit grand moment de lucidité, montre qu'il est loin d'être
tid.e'
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possible
tagonistes.
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cemer),
clll'rn~ssâge)\
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domaine de réalité,du
psychologie quioun'des
est pro-
ni Ia aussi fondamental que Jung le prétend. II prend racine
dans Ia scene originaire, et repg§e.surJes.q~§~E~o~~~us
celle-ci , notamment ce1uid'être cOlté par le
-_ .p~!"~~
de
.Réalit~
"0 irréductibilité du fait de commu-
nication. Ce qu'y ajoute Ia psychanalyse, c'est un fait de Ce qui m'int~ress~isi~ ..~_:~~t,
- _
ce qú'il y a de séduction,
c'est-à-dire de(fjtesiâgetnconscierttj\,dans-!ascene primitivé et .
I
son expérience, à savoir que ce message est fréquem-
l11entcompromis, à Ia fois manqué et réussi5• Opaque à dans Ia castration. Ên ce qui conceme Ia prem~ere, il y a !
celui qui le reçoit, opaque aussi à ce1ui qui l'émet. Pour chez Freud comme une espece d'exerCice de force qui
consiste à vouloir Ia fabriquer à partir de deux seuls
If~ire ent~ndr~ Ies ;hoses ~implement, Ia séduction n'est
U1 pIus nt moIOSreelle qu un lapsus ou un acte manqué.
ingrédients : Ia réalité perceptuelle d'une part et Ia fan- .,
taisie de l'enfant d'autre part, en variant à l'infini les
La réalité d'un Iapsus n'est pas réductibIe à sa matéria-
lité. Dn Iapsus n'est ni plus ni moins rée1matériellement proportions de l'une et de l'autre. C'est Ia vieille histoire
.de I'Homme aux loups sur laquelle je ne reviens pas.
scene originaire: dans I'arrivée d'un petit pu~é. J'y tion humaine. Mais déjà chez Freud elle n'est pas
ajoute que cette venue n'est pas, elle non pIus, un fait simpIe, même à Ia ramener, comme il y insiste sans
purement objectif : « On va te donner un petit frere l)est cesse, à son contexte anatomique précis, génital. C'est
aussi un message énigmatique venant de I'autre. qu'elle est faite de différents « ingrédients », eux-mêmes
li est intéressant de remarquer ici que c'est presque situés à différents « niveaux »12. Au niveau de Ia
dans Ies mêmes termes que Freud traite des énigmes de « théorie » (Ia « théorie de Hans et Sigmund l»)13,elle se
Ia naissance et de Ia morto Il est faux, dit-iI, que propose comme réponse, mise en ordre, et, comme
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I'investigation sur Ia naissance résuIte « d'un besoin inné .'!- telle, comme rempart contre l'angoisse. Mais, à un h
'l
de causalité l)9.De même, concemant Ia mort, « Ies phi- niveau pIus profond: clk...r!!:~§2Etit ªJª ..
çª!~g().r:!c:._cf.~
~.
Iosophes [dit-iI] pensent ... trop philosophiquement» en X~!!ig1!l~:tºl.lj()1.l.!:~J?()s~~1p.!:()1'()~~c:pat:I'
a..l.ltt:~.Parmi
Yvoyant une énigme purement intellectuelle : I'homme Ies ingrédients de cette énigme, je m'arrête un instant à
des origines - lisons aussi : I'enfant - ne croit pas à sa Ia menace de castration. Et ceci pour noter que chez c
propre morto Et il ne « se casse pas Ia tête pres du Freud on trouve une sorte d'index du probIeme que je (,'
cadavre de I'ennemi abattu l)IO:.!-it..eD:<::_()!'e
l'énig'!i~Jui esL souIeve, avec Ia présence et Ie jeu de deux termes : Dro- (
~,apportéepar le message adressé par I~~t!~ll~_J:n~t.!!ent_.<i~ hung et Androhung. Et dans Ia traduction des (Euvres
,. samort: Ia mort dé-T;être cher.-- completes, nous avons soigneusement différencié I'un et
Il y alàbien -sur,-unelimite de Ia catégorie du mes- I'autre. Drohung, nous I'avons traduit par menace, et
sage : ceIui 'Lue I'al.l.!r_e_~_o~~_C:!!':'()_!C:
..C:.l1_QQ1!s_
manqua~! Androhung, par menace prononcée ou menace pro-
définitivement~jene I'ai mentionné que pour rappeIer férée: c'est Ia menace adressée.
que i~'d~cil~-saurait être repensé -Iui non pIus - avec La pure menace est objective : I'orage menace, sauf ~
Ies deux seules catégories de Ia réalité matérielle et de Ia justement à supposer un Jupiter qui brandit Ia foudre ;"
fantaisie, c'est-à-dire sans tenir compte du message - à mais aIors précisément elle devient Androhung. Mãis Ia
jamais interrompu, irrémédiabIement interrompu 11. menace adressée n' est pas réductibIe à son trop simpIe
énoncé : on va te Ia couper. On ne peut Ia supposer sans
9. Les théories sexuelles infantiles, in La vie sexuelle, Paris, PUF, substratum inconscient. Qu'un pere, ou une mere, pro-
1969, p. 16.
10. Actuelles sur Ia guerre et Ia mort, in OCF-P, XIII, Paris, PUF,
1988, p. 148. 12. Ingrédients et niveaux que je me suis attelé à démêler dans Problé-
>( 11. Cf. Le temps et I'autre (1990), in La révolution copernicienne ina- matiques II: Castration. Symbolisations, Paris, PUF, 1980.
chevée, Paris, Aubier, 1992, p. 374-379. 13. Ibid., p. 170.
nonce Ie : « On va te Ia couper ), cela ne saurait être
assimiIépurement et simpIement à Ia Loi, comme on Ie cale pour faire surgir I'autre cl.1lchapeau du même. ;lf
veutdepuis Lacan. La réduction à cet aspect IégisIateur L'idée de base est celle d'une aliénation, une Entfr.em~ (,\\
et univoque me parait avoir surtout pour effet de mas- dung, d'une extériorisation, une Entaüsserung. MaIs ~1 I
qUerIes désirs inconscients sous-jacents. La menace de péremptoire que soit cet « extérieur », cet « étranger », tI \'.,
ca~t:r:lti2gIl~.pellt-elle être - chez celuiq~ii;-p~o_ n'est finalement pas si sérieux que cela. C'est pour me
reconnaitre au bout du compte que je crée l' étranger ;
nonce - k_'y~ç!~l!r2..J.ª .._~º!:1.Y~.~!!':!:~L~tl!.ll.!!.~_s
désirs ? Et,
Pourne mentionner que Ie plus fréquent d'~~treeux, Ie pour, à Ia fin, me Ie réapproprier.
~.f.Çl_n~i~nt "C!~..P~~!~~ti0l1.: Au contraire de ces délires. autocentré~~.l~.l'sycha!1a.:_
Pour conclure, trop brit~vement, sur Ia scene origi- Iys-epOI1:~ .I.1!~~.~(~{)ll~=ê?germ.e
~ij~rtlPi:u~e.~y~~}.ep!2-
naire et sur Ia castration, je dirai donc que ce qui íéffiéisllle. En germe avec Ia théone de Ia seductlon chez
manque, aussi bien chez Freud que chez Lacan, c'est Ia Freud, en germe avec Ie transfert. Mais elle est to~te
Q!~~..t?º.SgQS!9:~Ea.:!!.2!!
..de J~imension éni~me, altérité, prête, à son tour, à inverser Ie mouvement, c~mme SIIa
d-Esôté des protagonistes aduhes·de-Fenfant-: "ies "autres séduction et Ie transfert n' étaient, eux aUSSl,que des
de lã scen~oriiin~ire:F~"iltrede lamen:acede castration extériorisations, des aliénations, I'essentieI étant de s'y
SOntcomme s'ils n'avaient pas eux-mêmes de relation à retrouver, de s'y reconnattre.
Ieur propre inconscient, selon Ia formule de Lacan 11 est d'autres traces encore, d'autres témoignages de
valable aussi pour Freud (et gue je récuse), « iI n'y a pas cette priorité de I'autre. Parmi ces traces, Ie surmoi, que
d'A.utre de I'Autre ). ~_ .._--"--=='=.= ._ . je ne mentionne qu'en passant, et Ia psychose, ou plus
----------,-_. ~._~-"
exactement, Ia persécution.
ul1po~~et »~on arrive - par négation du désir et seIon aussi Ies textes freudiens explicitement consacrés à ce
ul1edenvatton dont Freud a bien momré Ie schéma 14 _ '
Iaprop~sition : « Lui un pouIet, iI veut me dévorer mot theme, vous n'y trouvez pas mot du Schreber; une
impasse étonnante faite sur ce qui reste Ie témoignage et
Ul1~grame »: Voil~ donc tout cela bien expliqué, (:criti~ Ie développemem psychanalytique Ie plus complet sur
q~e )},et amve Ie Jour de Ia sortie de I'hôpitaI psychia- un rapport individuel de l'homme à Dieu. Le « Schre-
tnque. C'est un asile vieux modele, en province ou I'on ber », c'est donc cette persécution amoureuse par FIech-
esCencore b~en proche, de Ia nature, et, dans Ia cour, il y sig (ouvertement dite: transfert à partir du pere), puis
a un pouIatIIer. Or, a peine l'homme est-iI sorti du par Dieu. C'est cette extraordinaire construction reli-
bu;.eau du p,sychia.tre et passe-t-il devam Ie poulailler, gieuse, englobam Dieu, sa multiplicité (le Dieu d'en
qu ti se met a counr. Le psy aussitôt Ie rattrape : « Mais haut, Ie Dieu d'en bas, de devant, de derriere, etc., Ies
e?tin que se pas,se-t-il, vous étiez bien guéri, vous savez âmes examinées, Ies nerfs, etc.), son rapport à I'h~~IJ:le
bIen q~~ cela n est qu' ~rreur et projection de vos pro- fait de révélation et d'incompréhension fondamentale.
pres .desIrs ?» Et Ie pattent de répliquer: « Je sais bien Ce-quTde'mõti"p'õíni--devue-=-celuCdê-Iasêductiõn - est _ . ti
que Je ne SUISp~s ~e gr~ine, je sais bien qu'il ne peut
pas me,~anger, Je saISmeme qu'iI ne veut pas me man-
tout à fait extraordi~aire : Dieu ne c~mpren~ rien aUXj ~
hommes, et, pourralt-on sans doute aJouter, tI ne com- .>
ge:, .qu tI ne peut pas vouIoir me manger. Mais Iui, Ie prend rien à Iui-même ; englobam enfin Ia destruction
saIr-ti? »
du monde, sa rédemption et sa néo-construction. i
Le caractere de cette imerrogation est irréductibIe. Ce Mais cette destruction et reconstruction, si on lit
n' estpas une affirmation, ce n' est pas une croyance déli- attentivement Ie texte, - n;est pas cellé'du monde en
.r~~ce: Ia cr?yance, elle, a été réduite, expliquée, intério- général, mais du monde humain, interhumain, et tres
n~ee. Un; ~nterrogation sur I'autre, ça ne s'explique pas. précisément du monde sexuel. La réalité en cause dans
C es.tIe resIdu de toute explication. C'est du domaine de cette destructlon=reconstruc1:1on n' est qu' accessoire-
Ia foI ou de Ia méfiance, du domaine de ce qu'on pourrait ment Ia réalité matérielle, celle que je nomme (d'un
>I nontmer: Ia « fiance ».
terme un peu restreint), « autoconservatrice ». Notons
bien que le Schreber se situe, dans l'reuvre de Freud,
La persécution nous renvoie évidemmem au cas explicitement à cette période ou sont encore heureuse-
Schreber, que je suppose bien connu, et dom Freud ment bien distinguées autoconservation et sexualité. Et
~ote C0rnn;te en passam qu'iI pourrait être un apport Ia discussion avec Jung que l'on rencontre aussi bien
Importam a Ia psychoIogie religieuse. Mais si vous allez dans ce texte que dans celui sur « le narcissisme» est
voir le chapitre du « Freud » de Jones sur Ia religion et toute marquée de cette distinction, qui va tres précisé-
ment à l'encontre du monisme puIsionneI jungien. Cela
14, (,Cas Schreber I), GH7, VIII, p. 299 sq .. OCF-P X P . est capital: Ia notion de « perte de Ia réalité », à ce
1993, p. 285 sq. ' J, ans, PUF,
moment-Ià, n'est pas encore unifiée, comme elle le sera
Entre séduction et inspiration: l'homme
~oiaq~e se trouve rabat:tue sur Ie modele de Ia projec- deux autres éléments : Ies contenus et Ie processus du =to
tlon dite normale : je vais chercher à I'extérieur et non ~,,,II
refoulement. Mais, comme pour compliquer encore Ies ~
pas en.moi « Ies causes de certaines sensations d'origine \'
I choses, cette projection, (~~~~Oaux ~~fê~ et -1'\~
sensonelle ), qui sont supposées être d'abord « à I'in- A
r .\ comme éjectée du passage quideválTI'éiudier, va venir
térieur ). Le modele est franchement psychoIogique,
hanter sous des aspects divers Ies deux autres études : '"
avec une sorte de réminiscence de Ia signification I ceÜ~clu refoulement et celle du « complexe ).
« neurologique) classique, selon Iaquelle Ia projection J I
Quant à Ia description du refoulement, je n'entrerai
I'
est conçue comme une correspondance point par point I
dant à une projection ultérieure Ie moi ne pouvant tolé- d'avances sexuelles et de persécutiõn~~-nant de Dieu,
rer Ia haine au-dedans. d'autre part, Ie caractere principalement sadique-anaI
du comportement divino RaJ!1~!1"e..!'ce véritable ~::l:t"~~Ie-
"
"'\
(~V\Ot:,'J •.•)
ment sexueI à l'amour et à Ia haine, est-ce vraiment un masochisme pathologique, Ie masochisme schreberien,
progres dans I'analyse ? serait un cas particulier, et bien sur aberrant, de cette
4 / Demier point, capital de mon point de vue : ce position originaire du masochisme. ,)
sur quoi Freud fait porter ses transformations, ce ne Ce qui est remarquable aussi, c' est que Freud Iui- 'T
'-
"
sont pas des fantaisies ni des scénarios. Que I'on com- même (comme Ie rappelle d'ailleurs Rosolato) va appro- ~
pare, par exemple, avec Ies descriptions de « puIsions et cher de tres pres cette théorie, en 1919, bien apres le .,.(:~
destins de puIsions }); Ià Ies inversions, renversements, Schreber, dans « Vn enfant est battu I). ParIant, à propos .~ ~i
retoumements sur Ia personne propre, portaient sur de sa fameuse séquence, de Ia seconde phase, maso- j .:~
des actions libidinales, voir, regarder, battre, etc. Ici, chiste et inconsciente - « être battu par Ie pere I), iI -o J
dans Ie Schreber, Ies renversements portent sur des for- s'exprime ainsi : « Je ne serais pas étonné si I'on parve- ~ 6
mulati~~---;b~t~~it~~--d~'--s~IltimeÍÍts--Píus--ou---"ll10Ins nait un jour à montrer que ce même fantasme est à Ia v .~[ <
~~i~!ii~i}.ê~i
-: -de-soi=<'fisant-mo·úvements-- puIslonneis, base du délire quérulent des paranoiaques. })31 =t :
!w-
mais sans Ies fantaisies de souhait, qui, en bonne Cette remarque est à mon sens capitale et bouleverse '!'-- j; j
êtreTessupports
théorle:-devr'alenten représentatifs, Ies completement toute Ia séquence précédemmenTd6crite
« représentants-représentation I). par Freud.
1 / Avec cette formule « Je suis battu par mon pere })
(qui est d'ailleurs donnée comme strictement équiva-
Guy Rosolato, dans son article désormais classique lente de « Mon pere me bat I), une équivalence conforme
« Paranoia et scene primitive })29, a mis l'accent sur Ies à Ia structure du fantasme inconscient), nous sommes
théories qui placent Ie masochisme au centre du délire au niveau du scénario sexueI concret et non plus dans Ia
paranoiaque. Parmi ces auteurs R. Bak qui considere Ia Iogique affective désincamée du « Je I'aime I).
paranoia comme un « masochisme délirant}) et décrit
2/ Freud, dans « Vn enfant est battu I), fait succéder
comme premier stade une « régression de I'homo-
cette phase (2) inconsciente à une expérience vécue
sexualité sublimée au masochisme I). Position qui, à consciente (1) ou le pere bat un petit frere ou sreur.
mon sens, retoume à juste titre toute Ia séquence du
3/ Je me suis attaché Ionguement dans un texte sur
Schreber : l'homosexualité est sublimée et non pas ori-
I'interprétation32 à souligner Ie caractere de message
ginaire ; ce qui est au fondement, c' est Ie masochisme,
énigmatique de Ia phase (1) : mon pere bat un petit
comme je ne cesse de I'affirmer depuis Vie et mort en
puiné, devam moi, il me le montre. J'ai tenté de montrer
psychanalyse et mon article « La position originaire du
comment Ie refoulement, agissant de (1) à (2), peut être
masochisme dans Ie champ de Ia puIsion sexuelle })30. Le
29. In Essais sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969, p. 236 sq. 31. lu Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 235.
30. 1968, in La révolution copemicienne inachevée, Paris, Aubier, 1992, 32. L'interprétation entre déterminisme et herméneutique (1991), in
p.37-58. La révolution copemicienne inachevée, op. cit., p. 385-416.
conçu selon le modele traductif, traduct~Q!l,_.Qª!:!Íelle
du dans le corps. Bref, qu'il n'estEl:!~_:p~i~':~.<:~JEEtepar un
;1<- message avec les «moyens du bord » ;Ctêchec;partlênde moio:u·un]e~IrTãuieneffei-Ú1sister sur ceci : le ref()ll:!~-=--\
Ia traduction laissant un reste non---tradult~" mais ment orlginaire est corrélatif~~_!~ __ ~<?lls.~!~ll:!~()~_~_~oi,
déformé, « anamorphotique » : Ia fantaisie inconsciente. celuiquI dlt«je ». Iffalltdonc arriver à penser un pro-
Avec ce que nous pressentõns-de-I.l-psychose~ce cessus-qur-ne soit pas en premiere personne, ni même
modele ne saurait être invoqué que pour montrer son peut-être, en personne. Mais tout modele, qu'il soit '7
échec radical. Cet échec que Freud nomme parfois même de forclusion ou de séclusion, est nécessairement "f •
rejet, parfois déni, Lacan : forclusion. En nous avançant en risque d' être capté par Ia pensée identitaire : modele
seulement pas à pas, peut-être faut-il supposer que fina- tinalement ptoléméique. Ça rassure, bien sur ...
lement, dans Ia psychose, entre Ia phase (1) et Ia
phase (2), il n'y a que peu ou pas de différence. Ce qui
précede « mon pere me bat » ce serait ... « mon pere me
bat » ; bien sur avec toute Ia dimension sexuelle, éven-
tuellement métaphorique, de cet acte. Cela concorde Dans ces Joumées, nous sommes supposés parler de
bien avec ce qu'on sait du pere de Schreber, et aussi de Ia religion. Je ne suis absolument pas un savant en ce
l'absence d'un petit frere ou sreur, qui aurait pu être domaine - pas même en catholicisme, qui est Ia religion
battu en présence de son ainé. de ma famille et de ma jeunesse -, encore moins dans
les autres religions, leur histoire et leur particularité. lei
Faut-il donc supposer que, dans Ia psychose, le mes- encore un ouvrage comme celui de Rosolato sur Le
sage reste inchangé, en attente, suspendu ? Dans quel sacrifice33 offre une connaissance en profondeur, admi-
état? Et ou? rable - une mine -, et aussi un ensemble capital de
Les modeles se pressent et tous nous font courir le réflexions et de rapprochements.
danger de les inclure « dans » : malgré tout, « dans un J'ai voulu prendre aujourd'hui Ia religion sous l'angle
sujet ». Notre insatisfaction avec Ia notion de refoule- de Ia révélation. Les « religions révélées », non pas seule-
ment et d'inconscient est notoire; mais faut-il pour ment les trois religions « du livre », mais bien d'autres :
autant réinventer d'autres modes d'inclusion? La ainsi, semble-t-il, celle des Étrusques.
crypte suppose le moi; le clivage du moi suppose le Le choix de ce theme de Ia révélation correspond,
moi, des deux côtés du clivage. La forclusion? C'est pour ne pas le cacher, à mav181onde-rã-·psychânãlYse et
encore moi - ou je - qui forclôt. à Ia priorité que je donne au IUessa~~~~'autre. J'aurais ~
Pour ma part, j'ai proposé un jour, avec le modele p~ me documenter sur Ia théologie ou Ia philosophie de
1!l1cluctifdtl.refoulement en deux teml'8, cene image Ia révélation, mais ne l'ai fait que tres ponctuellement.
gtl'.~1!_tl11.P~~J:Il!t':E_~t':mps
_le message_cl.e_Xl1tl!1"~,8exuel-
PE~s_~~tl~1,é11.igtn.111:i9tl~'
_est comme_i~pll111~~réellement
En revanche, je suis allé voir un texte fort intéressant ciataire (celui qui reçoit l'annonce) et l'annoncé. Fichte
dont l'auteur est Fichte, en 1792-1793, et qui s'intitule donc, sur le mode kantien, développe deux points : Ia
Versuch einer Kritik aller Offenbarung (Tentative de cri- nécessité de Ia Bekanntmachung et sa possibilité. Quant à
tique de toute révélationj34. Ia «( nécessité », iI montre que, à I'exception des vérités
C'est un texte dont l'histoire est amusante: nous démontrées a priori, tout Ie champ de ce que nous
sommes dans les années de gloire de Kant vieillissant, et savons est « historique », donc nous est transmis, nous
Fichte, un illustre inconnu, publie ce texte, qui se pré- est communiqué, annoncé, rendu connu (bekanntge-
sente sous Ia forme et le titre d'une Critique. Son éditeur macht) par Ia médiation d'un autre. Cela est même Ie
croit bien faire, par habileté, de publier sans nom cas pour Ia plupart des vérités par ailleurs démontrables,
d'auteur, et tout le monde aussitôt de supposer qu'il dans Ia mesure ou nous n' en refaisons pas à chaque ins-
s'agit de Ia quatrieme Critique de Kant. Aussitôt le tant Ia démonstration, nous contentant de notre
public philosophique dispense les appréciations élogieu- confiance dans Ie raisonnement d'un autre. Nous vivons
ses. Mais voilà que Fichte, par honnêteté et aussi par quasi exclusivement dans le domaine de Ia vérité histo-
souci de reprendre son bien, dévoile le fait qu'il en est rique, c'est-à-dire de I'annonce par l'autre.
J'auteur: revirement immédiat des critiques qui procla- Quant à Ia «( possibilité » de Ia Bekanntmachung, elle
ment Ia nullité de cet écrit ... pose un probleme typiquement kantien: alors que le
Ce travail, selon moi, ouvre sur une théorie de Ia monde sensible est entierement déterminé, voué à une
communication, donc sur une décentration possible, détermination sans faille par des causes dites efficientes,
alors que Kant reste dans ce que j'appelle le ptolé- Ia «( communication » d'une vérité doit être d'un autre
méisme. Le paragraphe central du texte, qui s'intitule ordre, obéissant à une finalité. La réponse de Fichte est
(I Exposition formelle du concept de religion », est pour ici strictement kantienne : l'existence d'un sujet libre
J'essentiel une exposition du concept de Bekanntma- (supposée par une communication de sujet à sujet) est
chung. La Bekanntmachung, au temps de l'occupation un postulat de Ia Ioi morale35•
allemande, c' était l'intitulé de ces affiches placardées
sur les murs, que, par dérision et peut-être influencés 35. Fichte se référe ici à Ia 3' antinomie de Ia Raison pure, selon
Kant, qui oppose directement le déterminisme du monde sensible et Ia
par le surréalisme, nous avions déformé en «( bécane nécessité de poser un sujet libre, évidemment le sujet moral.
machin ». La Bekanntmachung avisait que les cartes de La question serait de savoir si cette antinomie ne serait pas plus exac-
pain seraient distribuées à telle heure, mais, aussi bien, tement formulée en opposant au déterminisme (le monde des lois physi-
ques) l'inéluctabilité d'une communication de vérité qui postule que cette
qu'on allait fusiller telle personne ..., c'était un avis ou communication ne soit pas régie par une causalité physique : si mon
une annonce, ce dernier terme permettant de distinguer, interlocuteur est un « automate », un « animal-machine », je ne devrais
comme le fait Fichte d'ailleurs, I'annonceur, l'annon- porter intérêt qu'aux lois qui le meuvent, et non au prétendu contenu de
ce qu'il énonce. L'antinomie kantienne reste extrinséque: el1e oppose
une thése et une antithése qui se situent sur deux terrains différents (phé-
noménal et nouménal; science et morale) et peuvent cohabiter sans véri-
Ce qui est important dans cette discussion, c'est Ia Ia Bekanntmachung de Fichte d'un message qui soit
Promotion de Ia catégorie de Ia communication venant énigmatique, compromis par l'inconscient.
de l'autre et Ia subordination de Ia révé1ation - comme Interrogeons un instant le titre de ces Joumées
1ln cas particu1ier et fina1ement sans beaucoup de spéci- d' étude : « Commencements », ou p1utôt son sous-titre :
ficité - à cette catégorie. Je pose cette pierre en attente, « Formations névrotiques, formations religieuses ». For-
tout en notant qu'i1 n'est évidemment pas question dans mations ou modeles, i1y a une p1uralité des modeles de
Ia religion chez Freud, une diversité et peut-être une
unité diffici1eà maintenir. Tout d'abord, comme 1erap-
table conflitoLa véritable antinomie est beaucoup plus aigue et conflic-
pelle nettement Roso1at036, il faut distinguer ~odeIe
tl.\elIe; c'est elIe qui ronge toute affirmation, ou plutôt toute
cOJnmunicationde Ia these du déterminisme achevé : au moment ou j'écris
(Il'homme neuronaI '), je me contredis moi-même en m'adressant à un
I~teur et en essayant de Ie convaincre selon l'ordre des raisons, et non
..~t~~.~~i·~~J~~():~~i1
;~if~:1~~
selonI'ordre des neurones. 1e cadre de Ia croyance, 1e modele freudien est p1us
L'antinomie se reformulerait donc: 1 II'homme est un être de Ia comp1exe et p1us éc1até qu'il n'y parait. 11y a d'abord ce
nature et (,tous ses actes devraient pouvoir s'expliquer suivant Ies Iois de qui est donné d'emb1ée dans L'avenir d'une illusion,
Ianature ') (Critique de ia raison pure, Paris, Barni, 1900, lI, p. 83) ; 2 lIa
c()mmunication d'un homme à un autre, en particulier celle de I'énoncé c'est-à-dire justement 1e schéma de l'illusion : se10n Ia
Ptécédent, postule que je n'entende pas cette communication comme définition de Freud, une cro~nce co!!.f2.!:m~al!...§2}lhait
déterminée par Ies Iois de Ia nature.
A cette antinomie, dont les deux termes sont inéluctables, on a sou-
et qui ne peut être prouvée. Tres explicitement 1e délire
Ventcherché à échapper en tentant de trouver dans Ia science physique un est rangé dans ce cadre, comme une partie de l'illusion,
Utopiquepoint de déhiscence ou s'introduirait Ia liberté : ce que j'appelle cette partie dont on peut démontrer qu' elle est en con-
Ia solution du type « glande pinéale ». On sait que Descartes supposait
que «1'âme '), en un point particulier du cerveau, pouvait agir sur Ie corps tradiction avec Ia réalité. L'insu:ffisance de cette théorie
ell. influant sur Ia direction des mouvements des ('esprits animaux ').Dn tel du délire saute aux yeux : une illusion pourrait devenir
cb.angement de direction ne nécessiterait pas l'intervention d'une force
délire, se10n l' état de nos connaissances, à te! ou te1
aQditionnelle. C'est là une conception fondée sur un énoncé erroné du
Ptincipe de conservation de I'énergie sous Ia forme d'une soi-disant momento Ce1ui qui croit à Ia génération spontanée avant
(ICOnservationde Ia quantité de mouvement '). La «solution » moderne Ia découverte de Pasteur est dans l'illusion, mais à partir
- «type glande pinéale ,)- est de tenter d'introduire une (,liberté ,)ou du
"Sens,) par Ia porte entrouverte avec les relations de Heisenberg, et Ia du moment ou Pasteur a démontré l'erreur, celle-ci
tb.éoriequantique. devient délire. Chez des individus au niveau de connais-
La 3" antinomie, sous Ia forme que je Iui donne plus haut, n'est sup- sances différent, mais aussi si l' on compare une civi1isa-
P\)rtable (d'un point de vue spéculatif) que grâce à Ia reconnaissance du
fait que Ia science n'est pas et ne sera jamais une totalité achevée, et que tion à une autre, 1eprob1eme devient quasi inso1ub1e : A
Ie déterminisme - tout autant que son opposé : Ia communication de partir de que! moment commençons-nous à délirer en
vérité - est un principe régulateur de Ia pratique théorique. Je dis ('d'un
P\)int de vue spéculatif '), car, de toute façon, au quotidien, elle est parfai-
croyant à Ia génération spontanée ? Peut-on se conten-
tement tolérée, comme une inconséquence sans conséquences, y compris
Par Ies adeptes d'un déterminisme absolutiste, à partir du moment ou ils
c()mmuniquent.
ter, pour définir le délire, de le mettre en balance avec d'autre parto Avec cependant une nette différence
une « critique rationnelle ~)? d'accem entre Ia façon dom, par exemple, Ia religion est
Je reviens au modele de l'illusion appliqué à Ia reli- qualifiée d'infantilisme dans les textes des années 20, et
gion. Le~ésir qui Ia sous-tend, en premiere analyse, est l'évaluation du « progres dans Ia spiritualité }),dans le
__!~é.au~~~aide de- l'êtrehumain (aduTte~--au-d~pa-rtdê MoiSe.
I'analyse de-Freud)~sõ-n-lncap-aC1té-ã s'aider face aux for-
ces de Ia nature, face à Ia cruauté du destin et à Ia mort, Enfance de l'individu, enfance de l'humanité ? Peut- ';;"
et enfin face aux souffrances et privations imposées par Ia on faire correspondre I'CEdipe de l'un à I'CEdipe de
vie en commun. Conception dont on a noté qu' elle l'autre? Dans le Moise, le grand mot est ~ch~, il fait le ~
n'avait en soi rien de spécifiquemem psychanalytique, titre d'un sous-chapitre, et il est un des points de
qu'elle est même un héritage de Ia .Ph-H()sophie des réflexion majeurs : c'est le terme d'analogie. Comment
Lumieres à travers éventuel1ement(fellerbã~ Freud concevoir l'analogie entre un individu et un peuple? Le
lui-même se fait d'ailleurs cette obje~ti~ndaiisL'avenir probleme heureusement n'est pas posé dans toute sa
d'une illusion et il y répond clairement. Cette fonction généralité, mais sur une question précise, Ia mémoire,
consolatrice pour l'adulte n'est que l'aspect manifeste de ou plus précisément encore, _~_.!!"~~s.!!1~~i2.!1.
Iacroyance religieuse. Ce qui est latem, c' est le complexe Combien de fois Freud ne s'est-il pas essayé à cette
d'CEdipe et, plus précisémem, le complexe patemeI (je analogie, pour tenter d'éclairer tantôt Ia transmission
parcours ici, en tres rapide, l'exposé de Freud). Mais, chez l'individu, tantôt Ia transmission collective !
théoriquement, il y aurait deux voies pour faire dériver Dans le Malaise, c'est Ia fresque grandiose, déployant
du complexe patemeIles religions de l'adulte modeme : sous nos yeux dans l'espace-temps, l'archéologie de Ia
d'une part, Ia voie individuelle, consistam à remomer au Rome antique : ceci comme un modele de Ia conserva-
désaide et à l'ambivalence de l'enfant-individu face au tion de l'inconscient dans Ia « mémoire })individuelle37•
pere. Or Freud ne se contente jamais de cette voie. Par Dans le Léonard, un passage méconnu38 compare deux
ex:empledans « L'homme aux loups })il ne lui suffit pas façons d' écrire l'histoire - Geschichtschreibung - et deux
de remomer des croyances de I'Homme aux loups à sa types de mémorisation individuelle : l'un qui est inscrip-
relation personnelle au pere. L'édifice religieux adulte tion au jour le jour, « chronique }),l'autre qui est reconsti-
est irréductible aux famaisies et aux désirs de tel enfant tution ordonnée et rétroactive. Notons qu'il n'est PIUS\ l
donné face à teI pere. Ce n'est en aucun cas une création question ici du refoulemem, ni de l'inconscient.
individuelle, c' est une création culturelle. II faut, dans Dans le Moise, à l'inverse des deux texte~_~l:s,
tous les cas, une articulation entre I'CEdipe individuel et c' est le processus individuel qui est appelé~:~~_~;\f
I'ffidipe de l'humanité. En fait, en ce qui conceme Ia '(l L(hÀI~
question, c' est Ia genese de quoi ? De Ia religion ? certai- notion de psychose collective reste séduisante et ce
llement pas : le MOIse ne revient pas sur les explications n' est pas sans raison que le statut de paranola collective a
<iéjà proposées. Est-ce Ia genese du monothéisme ? oui été revendiqué pour Ia religion, notamment par Roso-
~t non, mais finalement non, puisque le monothéisme, lato, pour les trois monothéismes et aussi par E. Enri-
~elui d' Ahkenaton, a une origine antérieure. Freud lui- quez et par J.-F. Lyotard plus spécialement pour le
q; ~ême semble désarç0ntlé de s'apercevoir qu'il n'a peut- judalsme.
~tre rien gagné à relllplacer le monothéisme juif par le Si le processus paranolaque n'a pas de sujet, de moi
tnonothéisme égyptien43. Et ceci d'autant plus qu'une qui refoule, ou (pour dire les choses de façon plus
~J{plicationsociologique se propose tout naturellement nuancée) si Ia paranola correspond à un secteur ou il n'y
, ç.
POur l'Egypte : Ia constitution d'un grand empire cen- -[ :$ a pas de moi qui refoule, il est tentant de prendre les
tr~lisé rp.~E.~~t~omme naturellement à une religion uni- :t-"t: choses au pied de Ia lettre à propos également du
« grand-individu >} collectif. li est suggestif de dire, par
tall'e. Le probleme est donc : que se passe-t-il entre Ia ç \\J
modeledu « projet de psychologie scientifique »53: le de « transcendance du transfert ~): le terme est plus ou
moins bien choisi, car il n' est pas question de vefficªlité"
Ia chose » ) : sa foi s'appuie sur Ia « fidélité ,) du « fils de Dominique
l).
ni non plus de d~pa~se111~~t,et encore moins ,d'auto- f
L'hypothésecartésienne du « malin génie » viendrait ici comme une piéce
II1ajeureau débat. Et d'un autre côté, I'autre saint Thomas, celui qui « ne dépassement. A prendre les choses au sens de ~expres-
croit que ce qu'i! voit et auquel il est répondu : heureux qui n'a pas vu
l),
sion: « je me transcende vers I), je ne garderal pas ce
et qui« adhére l) (selon le terme de Chouraqui).
53. Vie et mort en psychanalyse, Paris, Flammarion, 1970, p. 96 sq. terme de transcendance.
Mais ce qui est en cause c'est I'existence d'un vecteur Cette priorité de I'autre n'excIut nulIement que des
et Ie sens de ce vecteur. Ce qu'on nomme en technoIogie mouvements centrifuges puis réciproques, des interac-
un ({guide» (parfois une « aiguilIe »), c'est ceci: vous -X tions, se produisent. Mais précisément, ils sont guidés
k avez ce qu'on appelIe une gaine, un gros tuyau dans .J
(au sens précis du ({guide » technoIogique) par Ie vec-
lequeI on veut faire passer pIus-iard des câbles, ou des T
teur originaire, centripête.
tuyaux pIus petits. Dans cette gaine, au moment de Ia Cette priorité de l'autre n'excIut nulle tentative
~ poser, on laisse en pIace un filin auqueI on pourra uIté- d'établir une hiérarchie, une genese, une corréIation
rieurement, a~cr~her Ie câbIe en question, afin' de Ie
voire une réduction entre Ies trois vecteurs paralleIes. Le
tir_er.Au lieu de pousser ce câbIe, dans un mouvement
vecteur 2, persécutif, est assurément un avatar, mais
centrifuge (par ({projection »), on Ie tire précisément vers
aussi un témoignage du vecteur 1. Quant au vecteur 3
l'extérieur, Ià ou Ie guide trouve originairement son point
(révéIation), j'ai seuIement voulu rappeler sa parenté
de départ. Le mouvement du câbIe reste bien centrifuge,
avec les deux autres, sans voIonté a priori ni de le dépré-
mais une reIation antérieure avait été établie un vecteur
, , • • , '-'''''':'~'''''.'-'.~':''': ":>'.'_""-"~ cier en Ie subordonnant, ni, à I'inverse, de Iui donner
0pl'0sepreeXIstalt, permettant de Ie tirer54•
une queIconque priorité.
J'ai essayé de tracer ce vecteur venant de I'autre dans
Apres tout, Ia « religion » y perd-elle ou y gagne-t-elle
trois champs paralIeIes: séduction infantil e, persécu-
tion, révéIation : à être confrontée aux coordonnées majeures de l'hu-
maine condition? C'est dans Ie sens d'une telle con-
autre -7 ego 1) séduction infantiIe frontation que j'ai vouIu rappeIer, apres Fichte, que Ia
autre -7 ego 2) persécution révélation n'est qu'un mode de Ia BY-~(l/I'!!!~'f!l!!:E~,,!!!g
; j'ai
autre -7 ego 3) révéIation vou~- rappeI~~- ~~~;i- que_]~oi, _i1!!du~g1?}_~_~_~
croyance, cOII!~~!Uouv~II1~!l:!_gui _..p~~1:!~·Ls~!l:__()_rigine
dans ~tre, n'est .e~s seuIement ~_~~!!~trl:en.!EeIigie':!X,
54. Au moment ou je propose cette image du guide, je tombe sur ce au sens étroit du terme.
~,~,._----------------
passagede Freud ; « Nous avons le sentiment de décrire de maniére trés
insuffisantele comportement du paranolaque, le jaloux comme le persé-
cute,en disant qu'ils projettent vers I'extérieur, sur d'autres, ce qu'ils ne
veuIentJ?a~percevo~r dans leur propre intérieur. Certes, c'est ce qu'ils
font,maiSI1~ne proJettent pas pour ainsi dire dans le vague, pas là ou ne
se·trouve nen d'analogue, au contraire ils se laissent guider par leur
connaissancede I'inconscient ... » (Jalousie, paranola, homosexualité, in
OCF-P, XVI, p. 91).
Lebesoin d'un « guide » centripéte pour sous-tendre Ia projection cen-
trifuge~emble nettement pressenti par Freud. C'est précisément là qu'il Séduire, persécuter, révéIer sont des verbes ac~ifs.~arler de
introdUlt.Ia « c?mmuni.ca~ion d'inconscien~ à inconscient ». Vn concept ({fantasme de séduction », de {{délire de persecutlOn », de
dontIa dlscusslOn seralt a reprendre, en s appuyant sur Ia théorie de Ia « mythe de Ia révéIation» apparait comme. un retoume~ent
scductiongénéralisée.
de Ia passivité en activité, par lequel Ie sUJet autocentre, ou
plutôt recentré, prétend être à I'origine de ce que, primaire-
.f:' ment, il ~!.!it. On doit se demander si, en alléguant Ieur passi-
vité originelle, Ie névrosé, Ie paranoiaque, Ie religieux n'ont
pas « d'une certaine façon raison» (Freud) : non pas seuIe-
ment pour ce qui est du « contenu » des fantaisies, déIires et
croyances, mais en ce qui conceme Ia vectorisation centripete,
et non centrifuge, de l'intervention de I'autre.
En ce qui conceme Ia séduction, iI est affirmé qu'elle n'est
pas primairement une fantaisie, mais une situation « réelle »,
qui se trouve au creur des deux autres grands scénarios pré-
tendument originaires: castration et scene primitive. Mais
pour que cette assertion ne soit pas confondue avec un réa-
Iisme événementieI, il importe de mettre en avant Ia troisieme
catégorie de réalité, constamment rabattue sur celles de Ia
réalité matérielle et de Ia réalité psychoIogique : Ia réalité du
message, et, pIus spécifiquement pour I'anaIyse, du message
énigmatique.
La priorité de I'autre dans Ia paranoi"a est réexaminée à
propos du cas Schreber. L'autre sexueI et son intrusion font
l'essentieI de I'anaIyse pratiquée par Freud dans Ia premiere
parti e de son étude. Mais dans Ia seconde partie triomphe Ia
désexualisation (au nom de l'amour) et Ia recentration subjec-
tive, toutes deux visibIes dans Ia phrase soi-disant premiere
dont Freud veut tout faire dériver: « Moi (un homme) je
l'aime (lui, un homme). »
Le domaine reIigieux est enfin pour nous I'occasion de
nous référer à Ia notion fichtéenne de Bekanntmachung,
« l'annonce » par l'autre, qu'il met au principe d'une « critique
de toute révéIation », et d'autre part à celle de foi (trouvant sa
source dans l'autre), à différencier nettement de celle de
croyance, Iaquelle seuIe présente pour Freud, se prête trop
aisément à Ia dévalorisation dans « l'illusion ».
Nous avons vouIu mettre en évidence I'existence d'un
même vecteur venant de I'autre, irréductibIe à une projection
du sujet, dans Ies trois champs paralleles de Ia séduction origi-
naire, de Ia paranoia et de Ia reIigion ; ceci quelles que soient
Ies articuIations, Ies priorités, voire Ies « réductions» qu'on
puisse être tenté de proposer par ailleurs entre ceux-ci.