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Études platoniciennes

10 | 2013 :
Platon et la technè
Varia

L’identité ontologique du
« nous » (ἡµεῖς) chez Plotin
Ontological identity of the “we” in Plotinus

CHRISTIAN GIRARD

Résumés
Français English
Plotin n’est pas l’inventeur du sujet moderne, produit de la déconstruction de l’ego cartésien.
Même si les Ennéades font bien affleurer la figure d’un sujet, le « nous », qui cherche à se
saisir dans l’exercice de la réflexivité, ce sujet est tout à fait étranger à la personne ou au moi
modernes : le « nous » est une ousía sensible – le vivant rationnel – qui procède d’un eîdos
intelligible – l’homme noétique –. Pour le philosophe, la question du « nous » se pose et se
résout dans celle plus large de l’identité de l’homme. S’inscrivant dans la filiation de l’ontologie
platonicienne, Plotin propose une définition de l’homme qui cherche à faire la synthèse des
motifs de l’Alcibiade et de la psychologie du Phédon. Pour répondre aux objections majeures
adressées par les doctrines péripatéticienne et stoïcienne aux présupposés du fondateur de
l’Académie, il élabore progressivement une définition de l’homme qui, en articulant monisme
de l’âme et dualisme du vivant, permet de sceller et de ratifier dans l’ontologie les présupposés
dualistes de l’axiologie platonicienne. La nécessité de surmonter la dichotomie entre principe
d’identité – l’homme noétique impassible – et principe d’individuation – l’homme sensible –
conduit Plotin à assimiler le « nous » à la diánoia promue au rang de principe d’identité du
vivant rationnel : la diánoia, conçue à la fois comme hégémonique rationnel et intellect
possible, atteste la participation de la morphē sensible à l’eîdos intelligible en même temps
qu’elle garantit la conversion de la morphē vers son eîdos.

Plotinus did not invent the modern subject, which emerged from the deconstruction of the
Cartesian ego. Although the Enneads do bring to light a subject, the “we”, striving to
apprehend itself in a reflexive process, that subject is totally unrelated to the modern
individual or self : the “we” is a sensible ousía – the rational living being – which proceeds
from an intelligible eîdos – the noetic human being. For the philosopher, the issue of the “we”
is raised and resolved within the larger issue of human identity. In line with Plato’s ontology,
Plotinus proposes a definition of man which is a synthesis of the themes of the Alcibiades and
the psychological theory of the Phaedo. He answered the advocates of the Peripatetic and the
Stoic doctrines, who objected to the assumptions of the founder of the Academy, by
elaborating a definition of the human being, which, by basing a monism of the soul on the
dualism of the living being, leads to sealing and confirming the dualist presuppositions of
Platonic axiology. Plotinus’ attempt to overcome the dichotomy between the principle of
identity – the noetic human being who is free from bodily affections – and the principle of
individuation – the sensible human – leads him to consider the “we” as tantamount to a
diánoia which has been elevated to the principle of identity of a rational being. This diánoia,
which can be seen both as the rational and hegemonic part of the soul and as the possible
intellect, is the proof that the sensible morphē partakes in the intelligible eîdos, while it
guarantees that the morphē identifies itself with its eîdos.

Entrées d’index
Mots-clés : âme, faculté dianoétique, hégémonique, homme, sujet
Keywords : dianoetic faculty, hegemonic, human being, soul, subject

Texte intégral

Introduction
1 La question du sujet, qui a été une préoccupation centrale de la pensée occidentale
depuis la Renaissance jusqu’au XXe siècle, bénéficie aujourd’hui d’un statut tout à fait
particulier. En effet, alors que la philosophie analytique, les sciences humaines et les
neurosciences semblent avoir irrévocablement congédié au département des fossiles
métaphysiques l’hypothèse d’un sujet-substance, auteur de ses pensées, responsable de
ses intentions et agent de ses actes, on a vu se multiplier ces dix dernières années, dans
le champ de l’histoire de la philosophie, des études qui attestent une réticence à clore
définitivement le chapitre. Ainsi, plusieurs exégètes1 ont consacré à l’historiographie du
sujet et de ses avatars une attention sans précédent.
2 Toute une tradition, influencée notamment par les analyses critiques de Kant et de
Heidegger, a imputé à Descartes l’invention du sujet.2 Cependant, des historiens de la
philosophie plus circonspects ont fait observer qu’on trouvait déjà dans l’Antiquité
tardive les traces d’un questionnement réflexif sur l’identité personnelle : E. Bermon,
par exemple, a montré que le cogito n’était pas le produit d’une génération spontanée et
qu’on en repérait toutes les prémices chez Augustin.3 D’autres auteurs, comme G. O’
Daly4, P. Remes5 ou G. Aubry6, ont décrit dans des études approfondies que, dès le
troisième siècle de notre ère, on trouvait dans les Ennéades de Plotin toute une
réflexion sur le soi dont on n’avait pas encore suffisamment mesuré l’étendue et la
profondeur.
3 C’est précisément ce problème que nous souhaitons envisager dans cet article. Nous
voudrions confirmer qu’apparaît bien chez Plotin la figure d’un sujet, le « nous ».
Néanmoins, nous estimons que ce « nous », quoique complexe à définir, n’a rien
d’énigmatique. Nous soutenons la thèse générale que le « nous » plotinien n’est pas la
préfiguration de l’ego cartésien déconstruit et qu’il n’est assimilable à aucune des
définitions du sujet moderne, mais qu’il s’inscrit dans la filiation du « nous »
platonicien de l’Alcibiade ou du « nous » hégémonique des Stoïciens, conçu chacun
comme l’élément pivot autour duquel se modélise une définition de l’homme.
4 Pour cerner au plus près le « nous » plotinien, nous commencerons par dresser un
panorama critique des principales définitions que les lecteurs modernes en ont
proposées. Puis nous mesurerons l’écart qui existe entre ces définitions et les
définitions littérales du « nous » que donne Plotin, notamment dans ses derniers
traités. Enfin nous proposerons un nouveau cadre d’analyse, à l’intérieur duquel –
croyons-nous – se résorbent la plupart des antinomies qu’on impute à la psychologie
du philosophe.
1. Analyse critique des définitions
modernes du sujet plotinien

1.1. L’apparition du sujet plotinien : l’assimilation


problématique du « nous » à un « moi »
5 Existe-il chez Plotin quelque chose comme un sujet ou comme un « moi » ? Pour de
nombreux spécialistes, la question pourrait sembler pour le moins saugrenue : non
seulement l’anthropologie de Plotin penserait la possibilité d’un sujet, mais encore,
Plotin serait, avant Augustin et Descartes, l’inventeur du sujet et même du « moi ».
Ainsi c’est la thèse développée par trois éminents pionniers de l’exégèse plotinienne
moderne, respectivement E. Bréhier, J. Trouillard et E. R. Dodds :

1. Cette hypostase qui constitue notre âme, ce n’est pas nous-mêmes, ou, du
moins, ce n’est pas tout à fait nous-mêmes ; à cette réalité existant en soi qui
constitue notre âme s’ajoute notre propre attitude à son égard ; nous pouvons
être en elle à des niveaux différents ; nous pouvons nous séparer de cette partie
supérieure.

Mais qu’est donc ce nous qui est distinct de l’âme sans en être tout à fait
distinct ? Il semble parfois que Plotin ait l’intuition d’une activité proprement
subjective qui, elle, ne peut se transformer en chose et s’hypostasier. Notre âme
s’étend devant nous comme un objet ; ce n’est pas en elle qu’il y a, à proprement
parler, mouvement et descente […].7

2. Le moi est donc partout, mais il est surtout ce qu’il veut être effectivement. Il
fait prévaloir un plan en intensifiant l’activité qui lui correspond : perception,
action, raison, contemplation…

[…] le moi est curseur. Il ne cesse d’aller d’un bout à l’autre de lui-même et d’en
parcourir les degrés. Il est polyvalence et oscillation perpétuelle.8

3. Finally, is not Plotinus the first to have clearly distinguished the concepts of
soul (ψυχὴ) and ego (ἡµεῖς) ? For him the two terms are not coextensive. Soul is
continuum extending from the summit of the individual ψυχὴ, whose activity is
perpetual intellection, through the normal empirical self right down to the
εἴδωλον, the faint psychic trace in the organism ; but the ego is a fluctuating
spotlight of consciousness.9

6 Ces trois citations formulent à quelques nuances près deux assertions identiques :

Plotin aurait inventé un sujet qui serait différent de l’âme ou de l’intellect,


instances auxquelles on assimile le plus souvent dans la philosophie antique le
principe d’identité de l’homme.
Plotin serait un visionnaire. Il a fallu que la figure du sujet émerge à l’époque
moderne pour qu’on puisse rétrospectivement se rendre compte qu’elle avait
déjà été thématisée par le philosophe sous la forme d’un impensé.

7 Ce sur quoi diffèrent les trois auteurs, c’est sur l’identité qu’il faut assigner au sujet.
Pour E. Bréhier, qui élabore son cours au début des années 1920, en plein triomphe du
bergsonisme et à l’orée du basculement phénoménologique, ce qui caractérise le sujet
plotinien c’est qu’il est un « nous » assimilable à « une activité proprement
subjective », et non pas « une réalité existant en soi », « une chose » ou « une
hypostase », c’est-à-dire une essence ou une substance : autrement dit le « nous » est
l’antithèse de la res cogitans cartésienne. Pour J. Trouillard, le sujet n’est plus
un « nous », mais un « moi » : labile et instable, c’est dans l’affirmation de sa volonté
qu’il échappe à la dispersion et à la volatilité. E.R. Dodds, enfin, fond les deux thèses
précédentes. Le sujet n’est pas, comme l’avait déjà souligné Bréhier, une substance,
mais, comme l’avait par ailleurs remarqué Trouillard, un « moi » : préfiguration de la
personne lockéenne, il s’unifie dans l’identité de conscience (« the ego is a fluctuating
spotlight of consciousness »).
8 L’argument fort, et en partie exact, pensons-nous, de ces trois définitions du
« nous », consiste dans l’affirmation que Plotin poserait la question de son identité
dans une aire relativement indécise – et qu’il convient justement de préciser – qui se
situerait entre essence et existence. Le discours explicite du philosophe, en raison de
son ancrage historique et de son obédience platonicienne, traiterait davantage de
l’essence, celle de l’homme, mais les critiques multiples qu’a suscitées la proclamation
d’un ego-substance par Descartes nous mettraient en mesure d’identifier un
questionnement existentiel souterrain et précurseur à l’œuvre dans les Ennéades.
9 Cette concession faite, il faut préciser que, si l’on veut bien admettre que la question
du « nous » s’élabore dans le registre de l’existence, rien ne permet, contre le discours
explicite de Plotin, de la couper de l’ordre de l’essence. Pourtant, les auteurs que nous
venons de citer s’autorisent largement cette latitude. E. Bréhier et E. R. Dodds
élaborent leur définition du sujet sur la base d’une antithèse (« une activité proprement
subjective »/« Notre âme s’étend devant nous comme un objet » ; « la ψυχὴ
individuelle, dont l’activité consiste en une intellection perpétuelle »/« the ego is a
fluctuating spotlight of consciousness ») qui oppose l’âme comme factualité au « nous »
ou au « moi » comme subjectivité. Quant à J. Trouillard, il envisage le « moi » comme
une entité autonome (« polyvalence », « oscillation perpétuelle ») affranchie de tout
principe d’identité normative. Or une première objection s’impose : il n’est pas possible
de dissocier chez Plotin la subjectivité de l’âme, car chez lui il n’y a pas de vie sans âme,
ni d’ailleurs aucune existence possible sans participation à une essence. Ce postulat
ontologique est implicitement admis par les trois auteurs qui sont obligés de mobiliser
paradoxes et modalisations pour en esquiver la difficulté. E. Bréhier concède que le
sujet est dans un entre-deux : « ce nous distinct de l’âme sans en être tout à fait
distinct ». J. Trouillard fait reposer sa définition du « moi » sur le dédoublement,
problématique d’un point de vue logique, du « moi » en un tout et l’une de ses parties :
« il ne cesse d’aller d’un bout à l’autre de lui-même et d’en parcourir les degrés ».
Autrement dit, le « moi » est tantôt l’ensemble des puissances de l’âme, tantôt l’une de
ces puissances. E. R. Dodds distingue l’âme du « moi », en réduisant arbitrairement
l’âme à sa puissance intellective. Or « la trace psychique de l’âme dans l’organisme »
qu’il évoque, la puissance végétative, appartient encore à l’âme. Les stratégies de
contournement que convoquent ces définitions pour dissocier le sujet de l’âme nous
indiquent déjà que, s’il est légitime de se poser la question de l’identité dans le registre
de l’existence, rien n’autorise à l’envisager en dehors du régime de l’essence.

1.2. La désubstantialisation contemporaine du


10
« nous » : le « nous », un « moi » sans identité ?
10 La thèse de l’insaisissabilité ontologique du « nous » des Ennéades est devenue un
lieu commun des études plotiniennes, dont voici quelques exemples :

The “we” is not bound to any particular level, or to a restricted range.11

The self is not a static datum, even if it exists potentially in its entirety (11, 7) : it
is essentially a faculty of conscious self-determination, a mid-point which can
be directed towards the higher or the lower, 11, 6.12

Plotinus’ concern with the self was a novelty. His predecessors had make
remarks to the effect that we are identical with our souls or that we are identical
with the faculty of reason. But nobody before Plotinus had put the question of
the self in the foreground.13
Inge holds that contrary to what goes on in modern thought, Plotinus’ soul is
not a fixed center of experience but rather consists in an entity which travels
within and across experience – a wanderer.14

A l’image de l’âme, le moi est curseur entre les différents niveaux


ontologiques.15

The way in which Plotinus poses the question is not the third-personal “What
are human beings”, but the first-personal and reflexive “Who are we ?” (tines de
hēmeis ; VI.4.14.16).16

11 Elle trouve son achèvement dans les travaux récents de G. Aubry :

Au seuil du Traité 53 surgit donc quelque chose comme un sujet au sens


moderne du terme, c’est-à-dire une conscience réflexive, capable de s’interroger
sur ses opérations et son identité.17

Le sujet, précisément, n’est pas une substance : le « nous » n’est ni l’âme


essentielle, acte pur, pure forme (l’âme que l’on pourrait dire
« platonicienne »), ni la substance (que l’on pourrait dire « aristotélicienne »),
composée de forme et de matière, mêlée du corps et de la puissance émanée : il
est, on le verra, la puissance de devenir l’une ou l’autre ; il n’est rien d’autre, en
fait, que l’une ou l’autre en-puissance. Sujet non substantiel, le sujet plotinien
devra être pensé comme un sujet sans identité, une pure puissance
d’identification.18

12 On retrouve dans ces deux dernières formules les deux affirmations que nous avons
soulignées :

Plotin n’est pas l’inventeur du sujet moderne, mais il pense un quasi-sujet qui
ressemble (« surgit quelque chose comme ») au sujet moderne et plus
particulièrement au sujet cartésien, parce qu’il se saisit dans la réflexivité.
Ce quasi-sujet est un impensé. Il n’a pas d’antécédent dans l’histoire de la
philosophie ancienne, puisqu’on ne peut l’affilier à aucun référent ontologique
traditionnel, ni à l’âme « platonicienne », ni à la substance « aristotélicienne ».
D’autre part, ce quasi-sujet relève tout entier du registre existentiel : c’est un pur
phénomène (« un sujet sans identité, une pure puissance d’identification »).

13 G. Aubry élargit son analyse, sur la base des conclusions auxquelles ont abouti ses
investigations antérieures sur le sujet plotinien, à la question plus générale des
enseignements qu’une meilleure connaissance du « moi » antique pourrait nous
apporter pour mieux thématiser la figure d’un sujet contemporain :

Interroger le moi antique, dès lors, c’est tenter de penser un rapport à soi qui
n’en passe ni par une intériorité immédiate, ni par une unité donnée. Mais c’est
aussi, et du même coup, remettre en cause l’évidence du « moi-je », la fiction
philosophique d’un sujet-substance unitaire, assuré en l’intimité de sa
conscience. A ce « moi-je », il faudrait, peut-être, opposer un « moi-nous » : un
moi pluriel, éclaté, qui intègre la multiplicité sans la constituer ni la rassembler
mais, bien plutôt, comme ce qui est constitué par elle. Un « moi-jeu », donc,
aussi bien : non pas tant un centre que l’espace d’un rapport – qui peut être de
conflit, d’ordonnancement, ou d’exclusion – entre une diversité. Autant que la
multiplicité, ce « moi-nous » intègre l’extériorité, comme le moyen de son
rapport à soi, ou encore comme le terme même assigné à celui-ci. Enfin, il laisse
place à une altérité (sur laquelle on peut apposer les noms de soi, d’intellect, de
raison, ou de démon), un excès qui est en lui sans être lui mais par rapport à
quoi, pourtant, il se définit.19

14 Reprenant les conclusions de Jean-Pierre Vernant qui invite à penser le « moi


antique » indépendamment des critères d’ « intériorité » et d’ « unité »20, G. Aubry
commence par nous mettre en garde contre le préjugé (« fiction philosophique ») qui
consisterait à penser le sujet antique, désormais rebaptisé « moi », selon un
agencement qui mêlerait la définition cartésienne du sujet (« sujet-substance
unitaire ») et la définition lockéenne (« intimité de sa conscience »). Elle poursuit son
propos en évoquant quatre caractéristiques du « moi » antique qui pourraient
constituer autant de critères nouveaux pour définir un sujet moderne, le « moi-nous ».
Le point commun entre ces caractéristiques anciennes et ces critères nouveaux, c’est
qu’ils constitueraient une rupture avec le « moi-je », l’ego-substance cartésien à partir
duquel s’est construit le sujet classique :

1. L’unité du « moi-nous » est subie : il n’est pas agent de son unité, mais patient.
Il intègre la « multiplicité sans la constituer ni la rassembler mais, bien plutôt,
comme ce qui est constitué par elle ».
2. L’unité du « moi-nous » peut être modélisée selon la configuration d’un espace
non coordonné et non hiérarchisé : il n’est pas « centre », mais « espace d’un
rapport […] entre une diversité ». La nature du rapport, puisqu’il peut se
manifester selon les modalités contradictoires du « conflit », de
l’ « ordonnancement », ou de l’ « exclusion », est indifférente.
3. On ne peut pas définir le « moi-nous » selon la
dichotomie intériorité /« extériorité », puisque l’extériorité loin d’être
assimilable à une quelconque altérité est le « moyen » et, même, le « terme » du
rapport « à soi ».
4. Le « moi-nous » ne coïncide pas avec les critères qui le définissent – « soi »,
« intellect », « raison », « démon » –, parce que ces critères constituent « un
excès », « une altérité » par rapport à lui.

1.3. Le « nous » : non pas un « moi », mais un


principe d’identité normatif
15 Il n’est pas dans notre intention de nous prononcer sur la pertinence philosophique
du « moi » moderne que définit G. Aubry. Cependant, nous voulons montrer que la
définition du « nous » plotinien qu’elle propose est improbable d’un point de vue
historique et philologique. Ainsi, si nous voulons bien admettre que l’assimilation du
« nous » plotinien à « l’intimité de sa conscience » constituerait un anachronisme –
puisque Plotin distingue soigneusement la phantasía comme conscience sensitive,
passive et inapte à juger des valeurs de la diánoia comme conscience intellective,
volontaire et normative – nous ne sommes pas convaincu que G. Aubry échappe
complètement à l’écueil qu’elle veut éviter en identifiant, d’une part, ce « nous » à un
« moi » et en refusant, d’autre part, de lui conférer le statut de « sujet-substance
unitaire ». Il est sans doute plus périlleux encore d’assimiler la possibilité d’un sujet à
un concept de « moi », alors que cette notion n’est jamais thématisée dans l’Antiquité,
qu’à un concept de « sujet-substance unitaire ». D’une part, nous ne croyons pas que
les auteurs de l’Antiquité emploient le « nous » pour suggérer que le « moi » serait
multiple ou pluriel.21 En effet, le « nous » plotinien, comme le « nous » platonicien et le
« nous » stoïcien, a une valeur générique : c’est le critère universel ou intersubjectif –
identifié à la rationalité, le lógos – qui permet de fonder une définition de l’homme. Ou,
si l’on préfère, le « nous » c’est l’autós, c’est-à-dire comme le dira Proclus dans son
commentaire de l’Alcibiade, l’essence de l’homme.22 D’autre part, l’unité substantielle
d’un sujet peut très bien être garantie par un agent – l’âme, l’intellect, ou une faculté de
l’âme comme l’hégémonique chez les stoïciens – qui n’est pas nécessairement
l’équivalent d’un « moi ». Or dans l’histoire des concepts, la figure du « moi » émerge
bien après celles de l’âme ou de l’intellect-agent et semble même en être comme une
particularisation.23 On peut encore admettre qu’il existe un « moi » sans « intériorité »,
mais qu’est ce que peut bien être un « moi » sans « unité », sans « je », un moi-pluriel,
un « moi-nous », un « moi-jeu » ? Si le « moi » est divers et multiple, n’existe-t-il pas
quelque part en lui un principe d’unité qui fédère ses parties et qui autorise justement à
le penser comme une unité ? Or n’est-ce pas cette instance organique ou substantielle
qu’il conviendrait de qualifier de « moi », ou plutôt, c’est tout notre propos, de principe
d’identité ?
16 Ces réserves n’ont pas échappé à la vigilance de V. Carraud qui demande s’il est
encore légitime de désigner la permanence d’un concept – le « moi » – au moyen d’un
mot qu’on a vidé de ses acceptions conventionnelles pour lui faire assumer des
significations qui les contredisent :

A supposer accordée la thèse de l’ouvrage d’une déliaison du moi et de


l’intériorité, pourquoi maintenir un concept de moi pour affirmer la pluralité, le
décentrement, l’éclatement, la multiplicité sans constitution ni rassemblement,
etc., de ce que les éditrices appellent, en référence à Plotin, un « moi-nous » (le
nous ne suffit-il pas ?) ou un « moi-jeu » (sic) ? Pourquoi appeler « moi » le
souci de l’homme antique pour ses actions, ses pensées, ses affects ? Bref,
pourquoi vouloir maintenir a priori l’idée d’un « moi antique » ?24

17 Il conclut son examen sur la préhistoire du « moi » dans l’Antiquité par une
récusation sans appel :

C’est toujours et fondamentalement de l’âme qu’est l’homme et de son principe


démonique ou de sa partie hégémonique – qui n’est pas moi – que les Grecs,
depuis l’Alcibiade, sont en quête. Pierre Courcelle, à sa manière, le disait
d’emblée : « C’est sur une anthropologie que débouche normalement la
connaissance de soi ».25

18 L’argument semble imparable : c’est bien l’ « homme » qui intéresse Plotin au


premier chef.26 Pour autant, si V. Carraud a raison, croyons-nous, de suggérer que la
recherche d’un « moi » dans les Ennéades risque de conduire tout droit dans une
impasse, est-ce que la thèse de l’existence d’un quasi-sujet, capable de s’identifier dans
un questionnement spéculaire, est définitivement disqualifiée ? Assurément non, car le
texte de Plotin est explicite. L’enquête réflexive recherche un sujet dans le premier
paragraphe du Traité 53 et l’identifie dans le dernier :

Il faut considérer ce que peut bien-être ce qui observe, conduit l’examen et


forme un jugement.27

Et toutes ces questions qui les a examinées ? Est-ce nous ou bien l’âme ?
– C’est nous, mais au moyen de l’âme.
– Et comment faut-il comprendre ce « au moyen de l’âme » ? Est-ce que nous
avons mené cette étude parce que nous possédons une âme ?
– Non, nous l’avons menée en tant qu’âme.28

19 Il faut seulement tenir pour acquis désormais que le « nous », d’une part, ne réfère
pas à un « moi ». On observe d’ailleurs que G. Aubry force légèrement sa traduction de
ce même passage puisqu’elle arrive à faire émerger du texte un « qui », alors que Plotin
n’emploie comme référent du pronom « nous » qu’un participe présent substantivé au
neutre (tò episkopoûn) et un pronom interrogatif lui aussi au neutre (tí)29 :

Ceci même qui recherche, qui examine et tranche ces questions : qui peut-il
bien être ?30

20 D’autre part, il faut remarquer que ce « nous » a rapport à l’âme (« nous l’avons
menée en tant qu’âme »), sans toutefois coïncider avec elle de manière immédiate.

2. Recontextualisation historique de la
question du « nous » plotinien
2.1. Les définitions explicites du « nous »
données par Plotin dans ses derniers traités
21 Le quasi consensus qui porte sur la définition du « nous » sujet est d’autant plus
étonnant, qu’à plusieurs reprises dans les derniers traités, le philosophe en donne une
définition sans équivoque qui, pensons-nous, n’a pas reçu tout l’intérêt qu’elle
méritait :31

1. Chacun de nous, si l’on se réfère à notre corps, est loin de la réalité ; mais si
l’on considère notre âme, c’est-à-dire ce que nous sommes avant tout, nous
participons à la réalité, et nous sommes une réalité (ousía), ce qui veut dire que
nous sommes en quelque sorte un composé de différence et de réalité. Nous ne
sommes pas une réalité à proprement parler, ni même une réalité en soi. Voilà
pourquoi nous ne sommes pas maîtres de notre propre réalité. D’une certaine
façon en effet, autre est la réalité, autre ce que nous sommes nous-mêmes, et
nous ne sommes pas maîtres de notre propre réalité, mais c’est la réalité en soi
qui l’est de nous, s’il est vrai que c’est aussi elle-même qui s’adjoint la
différence. Mais puisque nous sommes, d’une façon ou d’une autre, cela même
qui est notre maître, par ce biais, il n’est pas moins possible de dire que nous
sommes maîtres de nous, même ici-bas.32

2. L’homme et surtout le sage n’est pas un composé : la séparation d’avec le


corps et le mépris pour ce qu’on appelle les biens du corps en témoignent.33

3. Non, il faut dire que c’est nous-mêmes qui raisonnons et qui pensons les
pensées mêmes qui sont dans la pensée discursive : cela, en effet, c’est nous.
Les activités de l’Intellect sont ainsi en haut, alors que les activités de la
sensation se situent en bas, et nous sommes cela, « la partie dominante
en l’âme », intermédiaire entre deux facultés, l’une étant inférieure, l’autre
supérieure, et celle qui est inférieure, c’est la sensation, celle qui est supérieure,
c’est l’Intellect.34

4. De ces formes, dont l’âme seule tire sa souveraineté sur le vivant,


proviennent aussi bien les pensées que les opinions et les intellections. Et c’est
là avant tout que se tient notre « nous ». Ce qui vient avant est certes à nous,
mais « nous » se tient au-delà et domine le vivant. Mais on n’objectera
pas au fait d’appeler la totalité du composé « vivant », qui est un mixte dans ses
éléments inférieurs, quand ce qui est au-delà correspond à peu près à l’homme
véritable. Ces éléments inférieurs sont l’élément « léonin » puis la « bête
sauvage multiple ». Dans la mesure où l’homme véritable coïncide avec l’âme
rationnelle, tant que nous raisonnons c’est « nous » qui raisonnons, car les
raisonnements sont les activités de l’âme.35

5. « Nous » se dit en deux sens, selon que l’on prend en compte la bête sauvage
ou bien ce qui est déjà au-dessus d’elle. La bête sauvage est un corps qui a reçu
la vie ; mais l’homme véritable est autre ; il est pur de ces affections parce qu’il
possède les vertus qui consistent dans l’intellection, lesquelles ont leur siège
dans l’âme qui se sépare, soit dans l’âme en train de se séparer, soit dans l’âme
qui est déjà séparée alors même qu’elle est ici-bas.36

6. Et toutes ces questions qui les a examinées ? Est-ce nous ou bien l’âme ?
– C’est nous, mais au moyen de l’âme.
– Et comment faut-il comprendre ce « au moyen de l’âme » ? Est-ce que nous
avons mené cette étude parce que nous possédons une âme ?
– Non, nous l’avons menée en tant qu’âme.37

22 L’identité du « nous » est circonscrite dans un réseau d’associations et d’oppositions


établies autant sur des critères psychologiques qu’éthiques qui formulent une définition
de l’homme :

Le « nous » est le sujet de la pensée dianoétique : 3. « C’est nous-mêmes qui


raisonnons et qui pensons les pensées mêmes qui sont dans la pensée discursive,
cela, en effet, c’est nous-mêmes » ; 4. « C’est là <la faculté qui accueille les
Formes > avant tout que se tient notre « nous » ».
Le « nous », c’est-à-dire la faculté dianoétique, est principe de souveraineté. Il
exerce une autorité sur le vivant : 1. « puisque nous sommes, d’une façon ou
d’une autre, cela même qui est notre maître, par ce biais, il n’est pas moins
possible de dire que nous sommes maîtres de nous, même ici-bas » ; 3. « nous
sommes cela, “la partie dominante en l’âme” ».38
Le « nous » est différent du vivant et du composé, puisqu’il peut s’en séparer : 4.
« Ce qui vient avant est certes à nous, mais “nous” se tient au-delà et domine le
vivant ». En conséquence, il ne peut en aucun cas être identifié au « moi »
moderne qui se manifeste dans l’immanence de l’existence sensible.
Le « nous » coïncide avec l’homme véritable, c’est-à-dire l’âme. C’est dans la
figure du sage que se manifeste au mieux sa réalité : 2. « L’homme et surtout le
sage n’est pas un composé ». 6. « nous l’avons menée <l’enquête> en tant
qu’âme » Autrement dit, l’identité ontologique est ordonnée à l’activité éthique
dont les normes résultent de la structure ontologique.
Le « nous » peut désigner deux référents : la « bête » et l’ « homme véritable ».
Cependant ces deux référents ne peuvent pas être mis sur le même plan, car la
modalisation de « homme » par l’adjectif « véritable » a pour fonction de
spécifier que l’assimilation du « nous » à la bête est illégitime, tandis que
l’identification du « nous » à l’homme est légitime. Cette hypothèse est
corroborée par le fait que Plotin assimile la bête au vivant (5. « La bête sauvage
est un corps qui a reçu la vie »), alors qu’il a antérieurement affirmé que le
« nous » dirigeait le « vivant » (2).
L’âme ne coïncide pas avec le « nous », mais le « nous » authentique coïncide
avec l’âme, et plus particulièrement avec la faculté de l’âme qui est apparentée à
l’Intellect (1. « si l’on considère notre âme, c’est-à-dire ce que nous sommes
avant tout, nous participons à la réalité, et nous sommes une réalité » ; 4.
« l’homme véritable coïncide avec l’âme rationnelle ».

23 Les critères de définition du « nous » que convoque Plotin ratifient la thèse de V.


Carraud qui affirme l’impossibilité théorique d’assimiler le « nous » à un « moi ». On
voit bien qu’à partir du moment où Plotin dissocie le « nous » authentique du « nous »
factice, l’identification du « nous » à un « moi » suscite beaucoup plus de confusion
qu’elle n’apporte de clarté : le « nous » que le philosophe définit en le dissociant de
l’affectivité et de la corporéité du vivant est absolument incommensurable au « moi »
moderne, puisque la définition du « moi » s’est élaborée dans la réhabilitation par la
philosophie et les sciences humaines du rôle fondamental que jouent dans sa
constitution le corps et les émotions. Dans le même temps se trouve confirmée
l’objection selon laquelle le « nous » doit être conceptualisé dans la problématique plus
large d’une définition de l’homme, inscrite elle-même dans le cadre analytique
traditionnel d’un dualisme âme/corps.

2.2. Mise en perspective des définitions du


« nous » de Plotin avec celles de G. Aubry
24 Si l’on confronte, maintenant, la définition du « nous » que propose Plotin aux
quatre critères de définition avancés par G. Aubry, on constate qu’ils ne sont pertinents
que si, d’une part, l’on n’admet pas la distinction explicite établie par Plotin, dans le
cadre d’une définition de l’homme, entre « nous » authentique, c’est-à-dire l’âme
comme siège de la pensée dianoétique, et « nous » factice, c’est-à-dire le vivant ou le
composé et que si, d’autre part, on assimile exclusivement le « nous » au « nous »
factice, soit le vivant :
1. Le « nous » est une unité constituée par une multiplicité, « l’espace d’un
rapport » indifférencié uniquement si on l’envisage au niveau du vivant, c’est-à-
dire de la « bête ».39
2. Le « nous » véritable, l’ousía, se situe au niveau de la faculté dianoétique, qui
relie le vivant à l’Intellect et qui constitue une autorité souveraine, un pouvoir
hégémonique, à l’intérieur du vivant. La nature du rapport entre les éléments
divers qui constituent le « nous »-vivant n’est pas accessoire, mais cruciale,
puisqu’elle engage son identité intramondaine et sa destinée eschatologique.
Le « nous » a une intériorité, l’âme qui le relie à l’Intellect, et une extériorité, le
corps. Le « terme du rapport à soi » n’est pas l’extériorité, mais l’intériorité.
L’extériorité est non seulement altérité, mais encore aliénation.40
Le « nous » coïncide avec les critères qui le définissent : la raison, le soi.

25 Ce qui, croyons-nous, fait défaut à l’interprétation de G. Aubry, c’est qu’elle fonde sa


définition du « nous » sur une dissociation de l’éthique et de l’ontologie qui ne permet
pas de percevoir comment s’articulent le « nous »-vivant, l’homme factice, et le
« nous »-diánoia, l’homme authentique. Ainsi elle écrit :

Le sujet qui surgit au terme du Traité 53 et au seuil des Ennéades paraît être,
avant tout, le sujet de l’éthique : il n’admet pas de détermination ontologique
(dès lors qu’il n’est pas une substance, mais une situation, intermédiaire entre
deux substances dont l’une, seulement définit son essence), mais uniquement,
une caractérisation fonctionnelle41.

26 Or le présupposé de l’existence d’un sujet de l’éthique qui n’admettrait pas de


déterminations ontologiques est tout à fait discutable, car il n’y a dans l’Antiquité
aucune éthique qui ne soit fondée sur une ontologie, une physique et une psychologie
normatives. Le « nous » plotinien n’est pas une pure « caractérisation fonctionnelle »
mais l’existant d’une essence et une puissance de communication entre le sensible et
l’intelligible : le vivant rationnel.
27 La thèse que développe G. Aubry, qu’on pourrait qualifier de structuraliste, dans la
mesure où elle place davantage la vérité dans les rapports entre les objets que dans la
définition des objets eux-mêmes, n’est pas complètement nouvelle, puisque c’est déjà
celle que développe M. Foucault.42 En effet, c’est l’auteur de l’Herméneutique du sujet
qui a appliqué le premier à l’Antiquité l’hypothèse post-métaphysique de l’autoposition
d’un sujet dans l’éthique. Les philosophes grecs et romains auraient compris que
l’identité du sujet n’était pas à découvrir dans « l’illusion cartésienne » de la
transparence à soi, mais qu’elle s’élaborait dans l’apprentissage empirique d’un
autocontrôle. C’est dans l’exercice même du souci de soi que se révèlerait la véridiction
du soi, et c’est en s’exerçant à devenir sage que l’apprenti philosophe se serait éveillé
sujet postmoderne :

Il ne s’agit pas de découvrir une vérité dans le sujet ni de faire de l’âme le lieu
où réside, par une parenté d’essence ou par un droit d’origine, la vérité ; il ne
s’agit pas non plus de faire de l’âme l’objet d’un discours vrai. Nous sommes
encore très loin de ce qui serait une herméneutique du sujet. Il s’agit tout au
contraire d’armer le sujet d’une vérité qu’il ne connaissait pas et qui ne résidait
pas en lui ; il s’agit de faire de cette vérité apprise, mémorisée, progressivement
mise en application, un quasi-sujet qui règne souverainement en nous.43

28 L’auteur, prenant pour point de départ les analyses devenues célèbres de P. Hadot,
rappelle que la philosophie ancienne, à la différence de la philosophie moderne, n’est
pas tout entière préoccupée de théorie et de spéculation, mais qu’elle est au service de
techniques et de pratiques du soi. Cependant, il dénature les propos de son inspirateur,
parce que là où celui-ci établissait une corrélation entre théorie et pratique, il pose, lui,
un régime d’exclusion44 : la vérité de la pratique n’est pas à rechercher en amont de la
pratique, mais à l’intérieur même de cette pratique (« armer le sujet d’une vérité qu’il
ne connaissait pas et qui ne résidait pas en lui »). L’argument n’est pas complètement
inexact, car les philosophies de l’Antiquité, souscrivant largement à un dualisme
éthique de la raison et des passions, même quand elles récusaient toute forme de
dualité ontologique de l’âme et du corps, distinguaient très clairement les dispositions
de caractère, fortifiées par des exercices sollicitant la volonté, des dispositions
intellectuelles, nourries par l’enseignement. Cependant, cette distinction ne peut être
redéfinie en un rapport d’opposition qui se solderait par l’exclusion des dispositions
intellectuelles et la promotion des seules dispositions de caractère. En effet, d’une part,
dans une large majorité, les éthiques anciennes sont intellectualistes et, d’autre part, le
corporalisme et le matérialisme ontologiques, attestés par exemple chez les Stoïciens et
les Epicuriens, ne sont jamais l’envers d’un anti-intellectualisme axiologique : même si
elle a une origine matérielle, l’âme reste toujours un principe souverain et régulateur
qui doit gouverner les appétits.45

2.3. Les insuffisances de l’herméneutique


foucaldienne pour définir le sujet dans l’Antiquité
29 Il semble donc bien qu’il faille complètement renverser les termes de la
problématique foucaldienne. En effet, l’éthique et l’épistémologie anciennes, au moins
à partir de Platon, reposent sur une psychologie, c’est-à-dire une ontologie normative
du vivant, qui a pour fonction de légitimer les conditions de possibilité de telle vertu ou
de telle compétence cognitive. Le soi se constitue dans l’éthique, parce que l’éthique
manifeste une ontologie qui la fonde. Les critères qui permettent de définir la valeur
d’une existence sont les normes axiologiques que produit l’ordonnancement
métaphysique. Ainsi l’âme peut, chez Plotin, qui systématise des motifs déjà esquissés
chez Platon, connaître le Bien, et partant elle-même, par une « parenté d’essence »,
parce qu’elle est de la forme du Bien et, par un « droit d’origine », parce qu’elle a été
dotée d’un Intellect. La vérité n’est pas « apprise, mémorisée », mais c’est une
puissance immanente à l’âme, garantie non par un conditionnement ou un « quasi-
sujet », mais par un sujet doté de compétences noétiques : l’intellect de l’âme se
remémorant dans l’exercice du raisonnement et de la pensée les objets de l’Intellect.
30 Il faut remarquer que, même s’il n’en tient pas compte, M. Foucault avait
parfaitement identifié comment s’articulaient ontologie et éthique dans la psychologie.
Un résumé de ses analyses par C. Mercier nous permet de le vérifier :

Certes il n’y a pas encore de moi dans l’Antiquité, mais avec l’examen de
conscience stoïcien apparaît une expérience de soi que le christianisme n’aura
qu’à reprendre pour l’infléchir dans la direction d’un déchiffrement d’une
intériorité secrète. En effet, avec cette pratique de soi stoïcienne apparaît un
élément essentiel à la formation d’un moi : la dénivellation, à l’intérieur de soi,
entre deux réalités, plus exactement entre le soi comme identité et un nouveau
champ phénoménal. D’un côté, la raison – qui est dans l’individu un principe
impersonnel – de l’autre, le « cours des représentations », « les mouvements
dans la pensée, les opinions, les passions », sur lesquels la raison doit exercer
son contrôle.46

31 La distinction entre « soi comme identité » – assimilé à la raison et conçu comme


« principe impersonnel » – et « nouveau champ phénoménal » – identifié « au cours
des représentations » et aux « passions » – nous apparaît comme tout à fait pertinente
pour penser la modélisation psychologique de l’homme que façonnent les Stoïciens et
Plotin. Cependant pour que cette description soit complète, il faut ajouter trois
corollaires :

La dénivellation n’est pas à l’intérieur du soi, mais elle établit une césure entre
soi et non soi. Autrement dit « le nouveau champ phénoménal » dont va
émerger le « moi » est extérieur au soi.47 Pour Plotin, comme pour les Stoïciens,
il y a une priorité de l’homme de droit, le vivant rationnel, sur l’homme de fait, le
vivant potentiellement irrationnel. Ainsi alors que pour un moderne, le corps,
les émotions et le corps font partie du « moi », pour Plotin et le Stoïciens, ils
sont étrangers au « nous » qui coïncide avec la capacité rationnelle de l’homme à
s’ordonner à l’ordre ontologique.48
Le soi comme identité de Plotin n’est pas étranger à ce que les Stoïciens
appellent l’hégémonique ni à l’âme platonicienne. Même si la psychologie
stoïcienne est moniste, elle reconduit et même radicalise au niveau axiologique,
le dualisme platonicien de l’âme et du corps. C’est cette parenté qui permet à
Plotin de faire de la diánoia hégémonique un principe d’identité dans une
modélisation anthropologique inspirée de l’Alcibiade.49

On ne doit pas penser le statut du « soi comme identité » à partir du « nouveau


champ phénoménal » : c’est au contraire le « statut du nouveau champ
phénoménal » qu’il faut penser à partir du soi.50 Le « nouveau champ
phénoménal » n’a de dignité qu’à partir du moment où il est organisé et
gouverné par le soi.51

3. Le sujet plotinien dans l’entrelacs


de l’ontologie et de l’éthique

3.1. La nécessité de problématiser la question du


« nous » à l’intérieur de la définition ontologique
de l’homme
32 Si l’on admet le cadre théorique que nous venons de fixer, qui implique de penser en
permanence l’articulation entre métaphysique et existence, entre ontologie et axiologie,
on constate que les définitions du sujet plotinien proposées par G. Aubry font affleurer
toute une série de problèmes :

Y a-t-il une quelconque place dans la pensée de Plotin pour une entité – à
l’exception de la matière et éventuellement de l’Un – qui ne participerait pas
d’une essence ?
Admettons que le « nous » soit « une pure puissance d’identification » : d’où
vient cette « puissance » ? En effet, il n’y a pour Plotin d’en-puissance que par
participation à une réalité ontologique. A quelle réalité ontologique le « nous »
est-il affilié ? Qu’est-ce qui le constitue en puissance d’unification ? Les éléments
qu’apporterait l’élucidation de ces questions ne sont-ils pas à intégrer à la
définition du « nous » ? Plotin thématise-t-il, au niveau psychologique, une
faculté capable de conférer cette puissance ? Le « nous » ne peut-il être identifié
à cette faculté ?
Le référent auquel s’identifie cette puissance est-il indifférent ? Le philosophe ne
développe-t-il aucune théorie de la motivation ? Est-ce que cela revient au même
de s’identifier à l’Intellect ou au vivant ? Peut-on dissocier chez Plotin la
puissance de la souveraineté ? Quel statut conférer à la « puissance
d’identification » orientée vers le corps, quand justement Plotin définit la
sollicitude comme défaillance et impotence ? Le moteur de l’identification, le
siège de l’impulsion est-il unique ou multiple ?
Si le sujet est « l’espace d’un rapport » « entre une diversité », est-ce que les
éléments de cette diversité sont d’égale dignité ? Comment se pense la différence
à l’intérieur même de la « diversité » ? Quels critères permettent de définir si le
rapport relève du « conflit » ou de l’ « exclusion » ? Sur quelles valeurs s’établit
l’ « ordonnancement » ?

33 Le départ qu’institue Plotin, fondé sur des critères axiologiques, entre le


« nous » conçu comme réalité ontologique, c’est-à-dire l’homme véritable, et le
« nous » conçu comme chimère phénoménologique, c’est-à-dire l’homme ordinaire ou
la bête, rend tout à fait caduc le présupposé selon lequel l’identité du
« nous » s’élaborerait dans un registre de l’existence coupé de l’ordre de la
métaphysique. L’identité plotinienne se définit moins dans la mesure d’un écart par
rapport à une norme objective, qu’elle ne se constitue dans l’assimilation à cette
norme : le « nous » n’est authentiquement « nous », c’est-à-dire homme, que lorsqu’il
satisfait aux critères onto-axiologiques selon lesquels l’homme est défini. Pour
employer un vocabulaire anachronique : le « nous » n’est substance qu’à condition de
s’identifier à son essence. Ce qui dans l’idiolecte philosophique de Plotin peut être
retranscrit en ces termes : le « nous » n’est une ousía sensible qu’à condition de
s’assimiler à son ousía intelligible, c’est-à-dire l’eîdos de l’homme52.
34 Une fois qu’on a compris que la question de fait – le « nous » est l’homme – doit être
posée à l’intérieur de la question de droit – à quelle condition le « nous » est-il un
homme ? –, et qu’on s’est convaincu que pour Plotin, en réalité, c’est la question de
droit qui résulte de la question de fait – le « nous » factice peut non seulement, mais
encore doit être « nous » authentique, parce qu’il est déjà homme, parce qu’il dispose
d’une diánoia, inscrite dans son âme, grâce à laquelle il participe, au niveau cognitif, de
l’Intellect et, au niveau éthique, de l’Un-Bien – la question rectrice d’une investigation
sur le sujet plotinien, n’est plus : comment faut-il définir le « nous » pour unifier toutes
ses facettes contradictoires dans un plan d’horizontalité unique ?, mais : dans quel
agencement conceptuel vertical, qui garantisse une parfaite équivalence de l’ordre
ontologique et de l’ordre axiologique, Plotin ordonne-t-il le « nous » factice
au « nous » authentique, de manière à ce qu’ils constituent encore le soi, l’autós de
l’homme ?

3.2. L’ordonnancement processif des modalités


ontologiques du « nous »
35 Pour répondre à ces questions, on peut reprendre la récapitulation des différentes
acceptions du « nous » proposées par B. Ham dans son commentaire du Traité 49 et
montrer que ces acceptions ne sont plus disparates si, au lieu de les juxtaposer, on les
unifie dans un agencement vertical ordonné selon des critères explicitement énoncés
par Plotin. L’auteur qui assimile, lui-aussi, le « nous » à un « moi », repère quatre
occurrences différentes :53

1. « Le “moi” comme principe de “localisation”, de décision. […] Cette “activité


proprement subjective”, pour parler comme Bréhier (La Philosophie de Plotin,
Paris, 1982, p. 68), détermine telle ou telle localisation ontologique qui
correspond à l’un des sens suivants » :
2. « Le “moi” véritable, le plus haut degré où puisse se situer l’action humaine,
c’est-à-dire le “moi” dans l’Intellect, le “moi” identifié à l’Intellect, le “moi
primitif” ».
3. « Le “moi” inférieur, le niveau inférieur auquel on a choisi de vivre, selon lequel
on vit ».
4. « Le “moi” discursif, le dianoètikon, où se situe l’activité “statistiquement”
caractéristique de l’homme. Ce “moi” milieu, intermédiaire, par sa position
stratégique entre intellect et sensation (meilleur-moins bonne) incarne le mieux
(et le plus souvent) le “moi” comme principe de localisation ».

36 Cette classification, qui fait relativement consensus, si on l’envisage terme après


terme, n’est pas inexacte. Cependant elle nous paraît insuffisante, car elle ne montre
pas l’extrême cohérence selon laquelle s’articulent et se hiérarchisent les différentes
acceptions du « nous » dans la double perspective onto-axiologique de l’anthropologie
plotinienne. Pour mieux comprendre comment se résout la question du « nous » dans
la doctrine du philosophe, nous proposons de la formuler dans ces termes :
37 Dans la perspective ontologique de la procession, la notion d’homme se décline à
trois niveaux : 1. l’homme est un eîdos intelligible ; 2. une première ousía sensible, ou
ousía dianoétique, le lógos générique de l’homme, c’est-à-dire le vivant rationnel ; 3. et
une seconde ousía sensible, ou plus exactement une quasi-ousía par homonymie, le
vivant non rationnel ou morphē singulière.54 Dans la perspective axiologique de la
conversion, l’homme sensible est un vivant duel dont le principe d’identité coïncide
avec un hégémonique rationnel, la diánoia, qui désire s’assimiler à son idéal
surplombant, l’Intellect. L’unification de la perspective ontologique et de la perspective
axiologique s’opère dans l’articulation du lógos de l’homme et de la diánoia à l’intérieur
d’une éthique intellectualiste : la diánoia, conçue comme une boúlēsis dotée des
compétences épistémiques dérivées de l’Intellect, permet l’assimilation de l’homme de
fait, l’homme sensible, à l’homme de droit, l’homme noétique. Un vivant rationnel qui
agit en-deçà du lógos de l’homme, c’est-à-dire un homme sensible chez qui ce n’est pas
la diánoia qui gouverne, mais l’epithumía, n’est plus un homme, mais stricto sensu un
animal.
38 Le problème des distinctions de B. Ham et de G. Aubry, c’est qu’elles rangent les
différentes acceptions du « nous » sous un terme générique, le « moi », qui ne réfère
chez Plotin à aucune réalité explicite. En effet, la notion de « moi » fond en un seul
terme identité et individualité. Or non seulement ces deux termes sont disjoints dans la
doctrine du philosophe, mais encore il convient d’ajouter que l’individualité sensible
éloigne de l’identité intelligible. Pour résoudre la question de l’identité de l’homme, il
faut donc renverser la perspective adoptée par les deux auteurs : les différents degrés
de l’homme qui le constituent en une identité ne s’unifient pas par le bas dans un
« moi », mais par le haut dans l’Intellect et in fine dans l’Un dont tout procède.
39 Si l’on essaie maintenant d’ordonner les différentes définitions du nous inventoriées
par B. Ham à l’intérieur du paradigme anthropologique on obtient les résultats
suivants :

Ce qui unifie les différents « nous », ce n’est pas qu’ils constituent des modalités
variées d’un « moi », mais qu’ils procèdent de l’Intellect et de l’Un à des degrés
divers.
Si on veut ranger toutes ces acceptions sous un terme générique, il vaut mieux
parler d’ousía que de « moi » : l’homme est une ousía générique, un eîdos ; une
ousía sensible dianoétique, le lógos générique, le vivant rationnel ; une quasi-
ousía sensible potentiellement irrationnelle, une morphē singulière, un vivant.
« Le “nous” véritable » (2), c’est l’ eîdos de l’homme, le principe d’identité dans
le monde intelligible ; « le “nous” discursif » (4), c’est le lógos de l’homme : il
n’est ni « une activité “statistiquement” caractéristique de l’homme », ni un
« principe de localisation », mais le principe souverain d’identité dans le monde
sensible : c’est le « nous » du tò eph’ hēmîn stoïcien redéfini comme « intellect
possible » et inscrit dans une structure ontologique platonicienne ; le « nous »
comme « activité proprement subjective » (1), c’est l’autexousía qui peut être
rationnelle, quand elle coïncide avec la boúlēsis ordonnée à la causalité
intelligible, ou irrationnelle, quand elle a pour moteur les facultés inférieures du
vivant ; « le “nous” inférieur », le niveau « selon lequel on vit » (3), ce sont les
différents lógoi de l’âme à partir ou en-deçà de la diánoia.

3.3. Fonction de la diánoia hégémonique dans le


paradigme anthropologique
40 Les hésitations de Plotin afférentes à l’identité du « nous » révèlent un remaniement
souterrain de sa psychologie pour résoudre le problème suivant : que devient l’essence
de l’homme à l’épreuve de la procession ? Est-ce qu’elle se maintient ou est-ce qu’elle se
désagrège ? Nous proposons l’hypothèse que Plotin développe un paradigme
anthropologique qui permet de penser la persistance ontologique de l’homme dans les
vicissitudes de l’altérité et de la contingence.
41 L’homme empirique a une existence amphibie. C’est une entité partagée entre deux
pôles dissymétriques : l’eîdos de l’homme, le point de départ de la procession, et le
vivant, le terme de la procession, constitué de puissances variées qui servent des
finalités intellectuelles ou biologiques susceptibles d’être antagonistes.55 Le
« nous » constitue le point d’intersection où le double mouvement inverse de la
procession et de la conversion s’intériorise en expérience subjective. S’éprouvant
primitivement dans le régime de la temporalité, le « nous » équivaut au vivant
passionné. Cependant, l’usage de ses compétences cognitives lui indique que, de droit,
il coïncide avec l’homme noétique. Le paradigme anthropologique a pour fonction
d’exprimer la continuité hiérarchique qui unit l’homme noétique au vivant en
assimilant le vivant au principe rationnel qui fédère sa diversité.
42 La généalogie du paradigme anthropologique peut être reconstituée à partir de
l’élucidation du statut ontologique de la diánoia. Plotin n’a pas complètement renoncé
au dualisme de l’âme platonicien, mais il l’a déplacé de l’âme dans le vivant. Le
paradigme anthropologique a pour fonction de concilier une conception moniste de
l’homme, héritée du stoïcisme, davantage appropriée à l’ensemble de la structure
métaphysique que Plotin décrit, et une conception dualiste, héritée du platonisme. De
droit, l’homme est le soi, avatar de la définition juridico-politique de l’homme dans
l’Alcibiade et du principe hégémonique rationnel des Stoïciens. De fait, l’homme est un
sujet d’inhérence où s’affrontent des puissances antagonistes, la faculté rationnelle et
les facultés irrationnelles, dont la définition dérive de la tripartition de l’âme dans la
République. Ces deux définitions difficiles à combiner sont articulées l’une à l’autre au
moyen du paradigme anthropologique qui les ordonne selon une architecture verticale.
Cette hiérarchie est légitimée ontologiquement par le renversement des concepts
aristotéliciens de l’en-puissance et de l’en-acte. Au niveau psychologique, l’homme
sensible détient toutes ses puissances de l’homme noétique. La continuité entre ces
deux hommes est garantie par la diánoia, intellect possible, qui assure, comme
puissance de communication, le lien entre le monde sensible et le monde intelligible, et
principe hégémonique qui empêche la déhiscence de l’identité noétique dans l’altérité
sensible. Parce que l’ordre ontologique et l’ordre temporel ne coïncident pas, l’homme
de fait n’a pas une conscience immédiate de son ascendance substantielle : c’est dans
l’exercice de l’éthique de la conversion que l’instance subjective, le « nous », authentifie
sa nature objective d’homme intelligible. L’expérience de la subjectivité n’ouvre pas
vers l’infinité des existences possibles, mais permet l’accès proprement humain à la
structure immuable de l’être. Pour autant, la conversion de l’homme sensible vers
l’homme noétique n’est pas dépossession ou déréalisation de soi. En effet, c’est,
paradoxalement, en résorbant tout ce qu’il contient d’altérité en lui et en s’assimilant à
ce qui le constitue essentiellement que l’homme sensible s’éprouve le plus intensément
comme ce qu’il est vraiment.
Conclusion
43 Il est impossible d’établir la généalogie et l’identité du « nous » plotinien, sans tenir
compte du système de valeurs, élaboré à l’intérieur d’une définition ontologique de
l’homme, qui les supporte. La philosophie plotinienne est dogmatique : elle souscrit à
une conception réaliste de la vérité. Penser un système dogmatique à partir des
présupposés sceptiques du structuralisme débouche nécessairement sur un jugement
d’apparence. L’assimilation du « nous » au « moi » ou au sujet modernes implique un
redoutable anachronisme : définir l’anthropologie de Plotin selon les présupposés du
sensualisme, de l’empirisme ou de la phénoménologie qui affirment le primat de la
sensation comme rapport authentique au monde et érigent la vie au rang de valeur
cardinale. Une telle interprétation n’est pas complètement inexacte, puisque Plotin
définit aussi une psychologie du vivant, mais elle repose sur un perspectivisme qui, au
mieux, délie l’ontologie de l’axiologie, au pire, les met en porte-à-faux. Or, et c’est là le
point capital, cette perspective ne permet plus de penser comme unifiés et solidaires –
ce qui importe au premier chef au philosophe – l’ordre métaphysique et le régime de
l’existence56 : dans la perspective du vivant, non seulement il n’y a aucune raison de
s’assimiler à l’âme plutôt qu’au corps, mais il y aurait même plutôt de bonnes raisons
de faire l’inverse.57
44 A l’aune des catégories conceptuelles modernes, l’anthropologie de Plotin n’est pas
descriptive, mais normative58 : l’identité intelligible prévaut sur l’individualité sensible
et la détermine. De ce présupposé résultent trois corollaires conçus comme des vérités
positives par Plotin, mais tout à fait étrangers à la modernité : si la question de
l’identité de l’homme s’accomplit bien dans l’éthique, elle s’enracine dans l’ontologie ;
l’individu sensible doit vivre à la hauteur de la diánoia pour éprouver subjectivement
qu’il participe de l’eîdos de l’homme ; le « vivant rationnel » peut déchoir
physiquement de son identité d’homme, s’il déroge moralement à sa dignité d’homme,
comme le confirme le mythe eschatologique de la métensomatose. Ces trois traits de
doctrine disent suffisamment à quel point il est peu fondé de penser que l’identité du
« nous » pourrait s’élaborer dans une éthique qui ne serait pas adossée à une ontologie
normative du vivant.

Bibliographie
ARMSTRONG, A. H., « Plotinus », The Cambridge History of Later Greek and Early
Medieval Philosophy, Cambridge Univ. Pr., Cambridge, 1967, p. 193-268.
AUBRY, G., « Conscience, pensée et connaissance de soi selon Plotin : le double héritage de
l’Alcibiade et du Charmide », Études Platoniciennes IV. Les puissances de l’âme selon Platon,
Paris, Belles Lettres, 2007, p. 163-182.
DOI : 10.4000/etudesplatoniciennes.910
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Notes
1 Nous pensons, pour nous limiter à l’édition française, aux synthèses magistrales d’Alain de
Libera — Archéologie du sujet I. Naissance du sujet, Paris, Vrin, 2007 ; Archéologie du sujet
II. La quête de l’identité, Paris, Vrin, 2008 – et de Vincent Carraud – L’invention du moi,
Paris, PUF, 2010 – ou aux approches nominalistes non moins stimulantes telles que Le moi et
l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008 ; les Généalogies du sujet. De saint
Anselme à Malebranche, éd. O. Boulnois, Paris, Vrin, 2008 ; et Moi qui suis le sujet, éd. J.-F
Courtine, Les Etudes philosophiques, 2009, 1, n° 88.
2 Il semble qu’en réalité le sujet moderne soit l’invention de Kant. Cf. O. Boulnois,
op. cit., 2008, p. 11 : « Kant reproche à Descartes une thèse qu’il a construite ad hoc, et qui est
l’interprétation dogmatique de la sienne propre : le Descartes de Kant n’est que le négatif dont
il est le positif ». Sur l’invention du sujet-substance cartésien par Kant, Nietzsche, Husserl et
Heidegger, voir « Descartes hors sujet », J.-L. Marion, PUF, Les études philosophiques,
2009/1, n° 88, p. 51-62.
3 Cf. les références données par E. Bermon dans Le « cogito » dans la pensée de saint
Augustin, Paris, Vrin, 2001, p. 9-30.
4 G. O’ Daly, Plotinus’ Philosophy of the Self, Shannon Ireland, Irish University Press, 1973.
5 P. Remes, Plotinus on the Self, Cambridge University Press, 2007.
6 G. Aubry, « Conscience, pensée et connaissance de soi selon Plotin : le double héritage de
l’Alcibiade et du Charmide », Études Platoniciennes IV. Les puissances de l’âme selon Plotin,
Paris, Belles Lettres, 2007, p. 163-182 ; « Individuation, particularisation et détermination
selon Plotin », Phronesis, 53, 3, 2008, p. 271-289 ; « Un moi sans identité ? Le ἡµεῖς
plotinien », dans Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 107-
127.
7 E. Bréhier, La Philosophie de Plotin, Paris, 1928 ; Paris, Vrin, rééd. 1982, p. 68.
8 J. Trouillard, La Purification plotinienne, Paris, PUF, 1955, p. 26-27.
9 E. R. Dodds, à propos de H.-R. Schwyzer : « “Bewusst” und “Unbewusst” bei Plotin », in Les
sources de Plotin, Entretiens, Tome V, Fondation Hardt, Genève, 1960, p. 384-385.
10 Nous reprenons là le titre d’un article de G. Aubry, op. cit., 2008.
11 H. J. Blumenthal, Plotinus’ Psychology, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971, p. 111.
12 G. O’ Daly, op. cit., 1973, p. 49.
13 E. K. Emilsson, Plotinus on Sense-Perception, A Philosophical Study, Cambridge, 1988,
p. 29.
14 G. Leroux, « Human Freedom in the Thought of Plotinus », dans L. P. Gerson (édit.), The
Cambridge Companion to Plotinus, Cambridge University Press, 1996, p. 305. Dans ce
passage, G. Leroux, souscrivant à une analyse d’Inge, explique que si la vocation de l’âme est
plutôt de tendre vers le Bien, elle peut faire aussi le choix de la sollicitude pour la vie
incorporée.
15 A. Schniewind, L’Ethique du sage chez Plotin. Le paradigme du spoudaios, Paris, Vrin,
2003, p. 102.
16 P. Remes, op. cit., 2007, p. 9.
17 Traité 53 (I, 1), introduction, traduction française, commentaire et notes par G. Aubry,
Paris, Cerf, 2004, p. 17. Il faut observer que le « nous » ne fait pas son apparition dans le
Traité 53, mais qu’il est omniprésent dans les Ennéades. Ainsi on constate que dès le Traité 2
(IV, 7) 1, 1-25, Plotin établit une distinction entre un « nous » sujet d’inhérence, c’est-à-dire le
vivant composé d’une âme et d’un corps et un « nous » principe d’identité assimilé à l’« âme
immortelle », au « soi » et à l’ « homme ».
18 Ibid., p. 18.
19 Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 14.
20 L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard,
Folio Histoire, 1989, p. 224-227.
21 Comme le souligne Christopher Gill, dans la tradition platonicienne de l’Alcibiade, le
« nous » désigne l’interlocuteur avant le « moi » et la subjectivité se définit davantage dans
l’intersubjectivité que dans la réflexivité. Cf. The Structured Self in Hellenistic and Roman
Thought, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 344-359.
22 Cf. Proclus : « Le but du dialogue est de révéler l’essence (ousía) de l’homme et de tourner
chacun d’entre nous vers lui-même » Proclus. Sur le premier Alcibiade de Platon, texte établi,
traduit et annoté par A.-Ph. Segonds, Paris, Les Belles Lettres (CUF), 2003, 14, 3-4.
23 C’est tout l’objet de la vaste entreprise d’Alain de Libera : « Concernant notre “ concept
actuel de personne ”, le problème archéologique est de rendre compte de ce que j’ai appelé le
“ chiasme de l’agence ” : le double passage qui s’est opéré, dans le cours de l’histoire, d’une
thèse comme (a) toute action requiert un agent à une thèse comme (b) toute action requiert
un sujet, et de (a)-(b) à (c) toute action requiert un agent qui est UN sujet et (puis ?) à (d)
toute action requiert un sujet qui est SON agent », op. cit., 2008, p. 83.
24 Op. cit., Paris, PUF, 2010, p. 177.
25 Ibid., p. 181.
26 Cf. A.-P. Segonds : Plotin « se contente de brèves allusions à l’Alcibiade, alors que l’on peut
dire sans exagération qu’il lui doit l’essentiel de son anthropologie », op. cit., 2003, p. XIX-XX.
Pour une recension très précise des différentes formules de l’Alcibiade et de leurs variations
dans les Ennéades, on peut lire les pages 95 à 101 de J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et
sur dieu, Paris, Les Belles Lettres1971. Voir aussi O’Daly, op. cit., 1973, p. 10-11.
27 Traité 53 (I, 1) 1, 9-11, traduction de J.-F Pradeau dans Plotin. Traités 51-54, traductions
collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F. Pradeau, Paris,
Flammarion, GF, 2010.
28 Ibid., 13, 1-3.
29 Il y a là plus qu’un détail. En effet, en 27 (IV, 3) 1, 8-12, Plotin désigne de la même manière,
par un participe neutre substantivé, l’objet de l’enquête réflexive sur l’âme et le soi. Autrement
dit, une enquête sur la connaissance de soi ne débouche pas sur l’authentification d’un « moi »,
mais sur l’identification – dans le raisonnement et non dans une saisie spéculaire de la
conscience par elle-même – de l’instance impersonnelle qui garantit la connaissance de soi.
Cette instance est explicitement assimilée à la diánoia en 49 (V, 3), 4, 15-31.
30 Op. cit., 2004, p. 74.
31 Plusieurs auteurs soulignent l’équivalence établie par Plotin entre le « nous » et la diánoia,
mais, à l’exception notable de R. Chiaradonna, la plupart des exégètes n’en tirent aucune
conséquence. Cf. E.W. Warren: « Our substantial activity, which makes us men, is that of
dianoia or discursive reason ». « Consciousness in Plotinus », Phronesis, 9, 1964, p. 83 ; P.
Hadot : « Tout un ensemble de textes plotiniens situe le moi dans la conscience et dans l’âme
rationnelle, c’est-à-dire au niveau intermédiaire entre la Pensée pure et la sensation, entre la
partie supérieure de l’âme et la partie sensible », « Les niveaux de conscience dans les états
mystiques selon Plotin », Journal de psychologie, 1980, p. 247 ; A. H. Armstrong : « Our true
self, the “man within”, is our higher soul which exists eternally close to and continually
illumined by Intellect. This does not sin or suffer and remains essentially free and unhampered
in its rational and intellectual activities by the turbulence of the body and its world, into which
the higher soul does not “come down” », The Cambridge history of later Greek and early
Medieval Philosophy, Cambridge University Press, 1967, p. 224-225; L. Lavaud: la diánoia
assume l’ « enjeu anthropologique, qui est d’être le lieu de l’unité de l’homme », « La diánoia
médiatrice entre le sensible et l’intelligible » dans Etudes platoniciennes III, Les Belles Lettres,
Paris, 2006, p. 30 ; R. Chiaradonna : « Il “noi”, in quanto modo di essere dell’anima, non può
essere considerato independentemente dalla sostanza a cui appartiene », « Plotino : Il “noi” e il
ΝΟΥΣ », dans Le moi et l’intériorité, op. cit., 2008, p. 283.
32 Traité 39 (VI, 8), 12, 4-13. Le texte est cité dans la traduction de L. Lavaud. Plotin. Traités
38-41, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F.
Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2007.
33 Traité 46 (I, 4), 14, 1-4. Le texte est cité dans la traduction de T. Vidart, Plotin. Traités 45-
50, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F.
Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2009.
34 Traité 49 (V, 3), 3, 35-40. Le texte est cité dans la traduction de F. Fronterotta, Plotin,
Traités 45-50, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson
et J.-F. Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2009.
35 Traité 53 (I, 1), 7, 14-24.
36 Ibid., 10, 5-11.
37 Ibid., 13, 1-3.
38 Voir aussi Traité 52 (II, 3), 9, 14-16.
39 Traité 9 (VI, 9), 8, 8-10 et 16- 22.
40 Traité 3 (III, 1), 9, 4-16 ; Traité 6 (IV, 8), 8, 1-11 ; Traité 10 (V, 1), 12, 5-21 ; Traité 39 (VI,
8), 3, 2-20 ; Traité 46 (III, 7), 10, 12-21.
41 Op. cit., 2004, p. 55.
42 Cf. G. Aubry : « On vérifie ainsi la pertinence des analyses de Foucault selon lesquelles le
précepte delphique reçoit, dans le champ de la philosophie antique, une détermination
pratique : l’injonction à se connaître soi-même (gnôthi seauton) serait moins importante que
celle à se soucier de soi (epimelei eautou) et le privilège accordé à la première sur la seconde
serait, finalement, un trait de la modernité, une conséquence du moment cartésien », op. cit.,
2004, p. 56.
43 Op. cit., 2001, p. 481.
44 Sur cette question, voir Pierre Hadot : « Un dialogue interrompu avec Michel Foucault »
dans Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 1993, p. 305-311.
45 Cf. Paul Veyne, préface à Sénèque. Entretiens, Lettres à Lucilius, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1993, p. XLII.
46 C. Mercier, « Ce que pourrait être une réponse foucaldienne » dans Le moi et l’intériorité,
op. cit., 2008, p. 193.
47 Traité 46 (I, 4), 4, 6-11.
48 Traité 53 (I, 1), 10, 5-7.
49 La trame de l’anthropologie plotinienne est tout entière contenue dans les paragraphes
129b-133c de l’Alcibiade : nous/l’homme coïncide avec l’âme, parce que l’âme commande au
corps.
50 Cf. Christopher Gill, « Le moi et la thérapie philosophique », dans Le moi et l’intériorité,
op. cit., 2008, p. 92 : « Le « moi » vers lequel nous nous tournons est la capacité innée ou
constitutive qui est la nôtre en tant qu’êtres humains (ou animaux rationnels) de nous
développer de la sorte : ce n’est pas un moi privé ou uniquement individuel ».
51 Traité 47 (III, 2) 15, Traité 52 (II, 3), 9, 14-16 et 30-31.
52 Cf. Traité 39 (VI, 8) 12, 4-6 : « Chacun de nous, si l’on se réfère à notre corps, est loin de la
réalité ; mais si l’on considère notre âme, c’est-à-dire ce que nous sommes avant tout, nous
participons à la réalité, et nous sommes une réalité (ousía) ».
53 Op. cit., 2002, p. 116-117.
54 Dans la mesure où la morphē dérive de l’eîdos via le lógos, il n’est pas illégitime de parler
d’ousía sensible. Cf. L. Lavaud, D’une métaphysique à l’autre. Figures de l’altérité dans la
philosophie de Plotin, Paris, Vrin, 2008, p. 97 : « Il y a une partie de la réalité sensible qui reste
préservée de l’indétermination et de l’irrationalité de la matière et qui conserve un lien vivant
avec le lόgos dont elle dérive : c’est cette partie que Plotin appelle l’ousía ».
55 Traité 46 (I, 4), 6.
56 Comme l’a montré H. F. Cherniss – in « L’économie philosophique de la théorie des idées »,
Platon. Les formes intelligibles, éd. J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2001, p. 155-176 –, dans un
système d’inspiration platonicienne, la structure hyperréaliste vise à rendre compte
simultanément de trois types de phénomènes qu’on considère comme incommensurables :
éthiques, épistémologiques, ontologiques. Il s’agit d’expliquer chacun de ces domaines dans un
cosmos rationnellement unifié.
57 Traité 5 (V, 9), 1, 1-7.
58 Cette contradiction qui saute aux yeux d’un moderne, parce qu’il fait une différence nette
entre objectivité et subjectivité, n’existe pas pour un penseur ancien. Il n’y a pas d’un côté une
science dont la légitimité se fonde sur ses principes et une éthique dont la validité se mesure à
ses effets. Le discours philosophique n’est pas apophantique, mais performatif. Il façonne le
réel : l’objectivité des valeurs se vérifie, dès qu’on entre dans le choix de vie. Les principes de la
science sont définis aussi à partir de la validité des effets de l’éthique.

Pour citer cet article


Référence électronique
Christian Girard, « L’identité ontologique du « nous » (ἡµεῖς) chez Plotin », Études
platoniciennes [En ligne], 10 | 2013, mis en ligne le 01 mars 2014, consulté le 21 juin 2018.
URL : http://journals.openedition.org/etudesplatoniciennes/340 ; DOI :
10.4000/etudesplatoniciennes.340

Auteur
Christian Girard
Christian Girard est agrégé de Lettres Classiques et Docteur en philosophie. Il enseigne
depuis 2009 la philosophie et le latin au Lycée International Français Louis-Charles Damais de
Jakarta. Il a soutenu une thèse de Doctorat portant sur « L’identité de l’homme chez Plotin »,
sous la direction de M. Luc Brisson, à l’Université Paris I Panthéon–Sorbonne en février 2013.
Il s’intéresse dans ses travaux aux sources de la psychologie de Plotin, à l’évolution de son
anthropologie et à la réception de sa doctrine dans la tradition néoplatonicienne ultérieure.

Droits d’auteur

Études Platoniciennes est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
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