Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
10 | 2013 :
Platon et la technè
Varia
L’identité ontologique du
« nous » (ἡµεῖς) chez Plotin
Ontological identity of the “we” in Plotinus
CHRISTIAN GIRARD
Résumés
Français English
Plotin n’est pas l’inventeur du sujet moderne, produit de la déconstruction de l’ego cartésien.
Même si les Ennéades font bien affleurer la figure d’un sujet, le « nous », qui cherche à se
saisir dans l’exercice de la réflexivité, ce sujet est tout à fait étranger à la personne ou au moi
modernes : le « nous » est une ousía sensible – le vivant rationnel – qui procède d’un eîdos
intelligible – l’homme noétique –. Pour le philosophe, la question du « nous » se pose et se
résout dans celle plus large de l’identité de l’homme. S’inscrivant dans la filiation de l’ontologie
platonicienne, Plotin propose une définition de l’homme qui cherche à faire la synthèse des
motifs de l’Alcibiade et de la psychologie du Phédon. Pour répondre aux objections majeures
adressées par les doctrines péripatéticienne et stoïcienne aux présupposés du fondateur de
l’Académie, il élabore progressivement une définition de l’homme qui, en articulant monisme
de l’âme et dualisme du vivant, permet de sceller et de ratifier dans l’ontologie les présupposés
dualistes de l’axiologie platonicienne. La nécessité de surmonter la dichotomie entre principe
d’identité – l’homme noétique impassible – et principe d’individuation – l’homme sensible –
conduit Plotin à assimiler le « nous » à la diánoia promue au rang de principe d’identité du
vivant rationnel : la diánoia, conçue à la fois comme hégémonique rationnel et intellect
possible, atteste la participation de la morphē sensible à l’eîdos intelligible en même temps
qu’elle garantit la conversion de la morphē vers son eîdos.
Plotinus did not invent the modern subject, which emerged from the deconstruction of the
Cartesian ego. Although the Enneads do bring to light a subject, the “we”, striving to
apprehend itself in a reflexive process, that subject is totally unrelated to the modern
individual or self : the “we” is a sensible ousía – the rational living being – which proceeds
from an intelligible eîdos – the noetic human being. For the philosopher, the issue of the “we”
is raised and resolved within the larger issue of human identity. In line with Plato’s ontology,
Plotinus proposes a definition of man which is a synthesis of the themes of the Alcibiades and
the psychological theory of the Phaedo. He answered the advocates of the Peripatetic and the
Stoic doctrines, who objected to the assumptions of the founder of the Academy, by
elaborating a definition of the human being, which, by basing a monism of the soul on the
dualism of the living being, leads to sealing and confirming the dualist presuppositions of
Platonic axiology. Plotinus’ attempt to overcome the dichotomy between the principle of
identity – the noetic human being who is free from bodily affections – and the principle of
individuation – the sensible human – leads him to consider the “we” as tantamount to a
diánoia which has been elevated to the principle of identity of a rational being. This diánoia,
which can be seen both as the rational and hegemonic part of the soul and as the possible
intellect, is the proof that the sensible morphē partakes in the intelligible eîdos, while it
guarantees that the morphē identifies itself with its eîdos.
Entrées d’index
Mots-clés : âme, faculté dianoétique, hégémonique, homme, sujet
Keywords : dianoetic faculty, hegemonic, human being, soul, subject
Texte intégral
Introduction
1 La question du sujet, qui a été une préoccupation centrale de la pensée occidentale
depuis la Renaissance jusqu’au XXe siècle, bénéficie aujourd’hui d’un statut tout à fait
particulier. En effet, alors que la philosophie analytique, les sciences humaines et les
neurosciences semblent avoir irrévocablement congédié au département des fossiles
métaphysiques l’hypothèse d’un sujet-substance, auteur de ses pensées, responsable de
ses intentions et agent de ses actes, on a vu se multiplier ces dix dernières années, dans
le champ de l’histoire de la philosophie, des études qui attestent une réticence à clore
définitivement le chapitre. Ainsi, plusieurs exégètes1 ont consacré à l’historiographie du
sujet et de ses avatars une attention sans précédent.
2 Toute une tradition, influencée notamment par les analyses critiques de Kant et de
Heidegger, a imputé à Descartes l’invention du sujet.2 Cependant, des historiens de la
philosophie plus circonspects ont fait observer qu’on trouvait déjà dans l’Antiquité
tardive les traces d’un questionnement réflexif sur l’identité personnelle : E. Bermon,
par exemple, a montré que le cogito n’était pas le produit d’une génération spontanée et
qu’on en repérait toutes les prémices chez Augustin.3 D’autres auteurs, comme G. O’
Daly4, P. Remes5 ou G. Aubry6, ont décrit dans des études approfondies que, dès le
troisième siècle de notre ère, on trouvait dans les Ennéades de Plotin toute une
réflexion sur le soi dont on n’avait pas encore suffisamment mesuré l’étendue et la
profondeur.
3 C’est précisément ce problème que nous souhaitons envisager dans cet article. Nous
voudrions confirmer qu’apparaît bien chez Plotin la figure d’un sujet, le « nous ».
Néanmoins, nous estimons que ce « nous », quoique complexe à définir, n’a rien
d’énigmatique. Nous soutenons la thèse générale que le « nous » plotinien n’est pas la
préfiguration de l’ego cartésien déconstruit et qu’il n’est assimilable à aucune des
définitions du sujet moderne, mais qu’il s’inscrit dans la filiation du « nous »
platonicien de l’Alcibiade ou du « nous » hégémonique des Stoïciens, conçu chacun
comme l’élément pivot autour duquel se modélise une définition de l’homme.
4 Pour cerner au plus près le « nous » plotinien, nous commencerons par dresser un
panorama critique des principales définitions que les lecteurs modernes en ont
proposées. Puis nous mesurerons l’écart qui existe entre ces définitions et les
définitions littérales du « nous » que donne Plotin, notamment dans ses derniers
traités. Enfin nous proposerons un nouveau cadre d’analyse, à l’intérieur duquel –
croyons-nous – se résorbent la plupart des antinomies qu’on impute à la psychologie
du philosophe.
1. Analyse critique des définitions
modernes du sujet plotinien
1. Cette hypostase qui constitue notre âme, ce n’est pas nous-mêmes, ou, du
moins, ce n’est pas tout à fait nous-mêmes ; à cette réalité existant en soi qui
constitue notre âme s’ajoute notre propre attitude à son égard ; nous pouvons
être en elle à des niveaux différents ; nous pouvons nous séparer de cette partie
supérieure.
Mais qu’est donc ce nous qui est distinct de l’âme sans en être tout à fait
distinct ? Il semble parfois que Plotin ait l’intuition d’une activité proprement
subjective qui, elle, ne peut se transformer en chose et s’hypostasier. Notre âme
s’étend devant nous comme un objet ; ce n’est pas en elle qu’il y a, à proprement
parler, mouvement et descente […].7
2. Le moi est donc partout, mais il est surtout ce qu’il veut être effectivement. Il
fait prévaloir un plan en intensifiant l’activité qui lui correspond : perception,
action, raison, contemplation…
[…] le moi est curseur. Il ne cesse d’aller d’un bout à l’autre de lui-même et d’en
parcourir les degrés. Il est polyvalence et oscillation perpétuelle.8
3. Finally, is not Plotinus the first to have clearly distinguished the concepts of
soul (ψυχὴ) and ego (ἡµεῖς) ? For him the two terms are not coextensive. Soul is
continuum extending from the summit of the individual ψυχὴ, whose activity is
perpetual intellection, through the normal empirical self right down to the
εἴδωλον, the faint psychic trace in the organism ; but the ego is a fluctuating
spotlight of consciousness.9
6 Ces trois citations formulent à quelques nuances près deux assertions identiques :
7 Ce sur quoi diffèrent les trois auteurs, c’est sur l’identité qu’il faut assigner au sujet.
Pour E. Bréhier, qui élabore son cours au début des années 1920, en plein triomphe du
bergsonisme et à l’orée du basculement phénoménologique, ce qui caractérise le sujet
plotinien c’est qu’il est un « nous » assimilable à « une activité proprement
subjective », et non pas « une réalité existant en soi », « une chose » ou « une
hypostase », c’est-à-dire une essence ou une substance : autrement dit le « nous » est
l’antithèse de la res cogitans cartésienne. Pour J. Trouillard, le sujet n’est plus
un « nous », mais un « moi » : labile et instable, c’est dans l’affirmation de sa volonté
qu’il échappe à la dispersion et à la volatilité. E.R. Dodds, enfin, fond les deux thèses
précédentes. Le sujet n’est pas, comme l’avait déjà souligné Bréhier, une substance,
mais, comme l’avait par ailleurs remarqué Trouillard, un « moi » : préfiguration de la
personne lockéenne, il s’unifie dans l’identité de conscience (« the ego is a fluctuating
spotlight of consciousness »).
8 L’argument fort, et en partie exact, pensons-nous, de ces trois définitions du
« nous », consiste dans l’affirmation que Plotin poserait la question de son identité
dans une aire relativement indécise – et qu’il convient justement de préciser – qui se
situerait entre essence et existence. Le discours explicite du philosophe, en raison de
son ancrage historique et de son obédience platonicienne, traiterait davantage de
l’essence, celle de l’homme, mais les critiques multiples qu’a suscitées la proclamation
d’un ego-substance par Descartes nous mettraient en mesure d’identifier un
questionnement existentiel souterrain et précurseur à l’œuvre dans les Ennéades.
9 Cette concession faite, il faut préciser que, si l’on veut bien admettre que la question
du « nous » s’élabore dans le registre de l’existence, rien ne permet, contre le discours
explicite de Plotin, de la couper de l’ordre de l’essence. Pourtant, les auteurs que nous
venons de citer s’autorisent largement cette latitude. E. Bréhier et E. R. Dodds
élaborent leur définition du sujet sur la base d’une antithèse (« une activité proprement
subjective »/« Notre âme s’étend devant nous comme un objet » ; « la ψυχὴ
individuelle, dont l’activité consiste en une intellection perpétuelle »/« the ego is a
fluctuating spotlight of consciousness ») qui oppose l’âme comme factualité au « nous »
ou au « moi » comme subjectivité. Quant à J. Trouillard, il envisage le « moi » comme
une entité autonome (« polyvalence », « oscillation perpétuelle ») affranchie de tout
principe d’identité normative. Or une première objection s’impose : il n’est pas possible
de dissocier chez Plotin la subjectivité de l’âme, car chez lui il n’y a pas de vie sans âme,
ni d’ailleurs aucune existence possible sans participation à une essence. Ce postulat
ontologique est implicitement admis par les trois auteurs qui sont obligés de mobiliser
paradoxes et modalisations pour en esquiver la difficulté. E. Bréhier concède que le
sujet est dans un entre-deux : « ce nous distinct de l’âme sans en être tout à fait
distinct ». J. Trouillard fait reposer sa définition du « moi » sur le dédoublement,
problématique d’un point de vue logique, du « moi » en un tout et l’une de ses parties :
« il ne cesse d’aller d’un bout à l’autre de lui-même et d’en parcourir les degrés ».
Autrement dit, le « moi » est tantôt l’ensemble des puissances de l’âme, tantôt l’une de
ces puissances. E. R. Dodds distingue l’âme du « moi », en réduisant arbitrairement
l’âme à sa puissance intellective. Or « la trace psychique de l’âme dans l’organisme »
qu’il évoque, la puissance végétative, appartient encore à l’âme. Les stratégies de
contournement que convoquent ces définitions pour dissocier le sujet de l’âme nous
indiquent déjà que, s’il est légitime de se poser la question de l’identité dans le registre
de l’existence, rien n’autorise à l’envisager en dehors du régime de l’essence.
The self is not a static datum, even if it exists potentially in its entirety (11, 7) : it
is essentially a faculty of conscious self-determination, a mid-point which can
be directed towards the higher or the lower, 11, 6.12
Plotinus’ concern with the self was a novelty. His predecessors had make
remarks to the effect that we are identical with our souls or that we are identical
with the faculty of reason. But nobody before Plotinus had put the question of
the self in the foreground.13
Inge holds that contrary to what goes on in modern thought, Plotinus’ soul is
not a fixed center of experience but rather consists in an entity which travels
within and across experience – a wanderer.14
The way in which Plotinus poses the question is not the third-personal “What
are human beings”, but the first-personal and reflexive “Who are we ?” (tines de
hēmeis ; VI.4.14.16).16
12 On retrouve dans ces deux dernières formules les deux affirmations que nous avons
soulignées :
Plotin n’est pas l’inventeur du sujet moderne, mais il pense un quasi-sujet qui
ressemble (« surgit quelque chose comme ») au sujet moderne et plus
particulièrement au sujet cartésien, parce qu’il se saisit dans la réflexivité.
Ce quasi-sujet est un impensé. Il n’a pas d’antécédent dans l’histoire de la
philosophie ancienne, puisqu’on ne peut l’affilier à aucun référent ontologique
traditionnel, ni à l’âme « platonicienne », ni à la substance « aristotélicienne ».
D’autre part, ce quasi-sujet relève tout entier du registre existentiel : c’est un pur
phénomène (« un sujet sans identité, une pure puissance d’identification »).
13 G. Aubry élargit son analyse, sur la base des conclusions auxquelles ont abouti ses
investigations antérieures sur le sujet plotinien, à la question plus générale des
enseignements qu’une meilleure connaissance du « moi » antique pourrait nous
apporter pour mieux thématiser la figure d’un sujet contemporain :
Interroger le moi antique, dès lors, c’est tenter de penser un rapport à soi qui
n’en passe ni par une intériorité immédiate, ni par une unité donnée. Mais c’est
aussi, et du même coup, remettre en cause l’évidence du « moi-je », la fiction
philosophique d’un sujet-substance unitaire, assuré en l’intimité de sa
conscience. A ce « moi-je », il faudrait, peut-être, opposer un « moi-nous » : un
moi pluriel, éclaté, qui intègre la multiplicité sans la constituer ni la rassembler
mais, bien plutôt, comme ce qui est constitué par elle. Un « moi-jeu », donc,
aussi bien : non pas tant un centre que l’espace d’un rapport – qui peut être de
conflit, d’ordonnancement, ou d’exclusion – entre une diversité. Autant que la
multiplicité, ce « moi-nous » intègre l’extériorité, comme le moyen de son
rapport à soi, ou encore comme le terme même assigné à celui-ci. Enfin, il laisse
place à une altérité (sur laquelle on peut apposer les noms de soi, d’intellect, de
raison, ou de démon), un excès qui est en lui sans être lui mais par rapport à
quoi, pourtant, il se définit.19
1. L’unité du « moi-nous » est subie : il n’est pas agent de son unité, mais patient.
Il intègre la « multiplicité sans la constituer ni la rassembler mais, bien plutôt,
comme ce qui est constitué par elle ».
2. L’unité du « moi-nous » peut être modélisée selon la configuration d’un espace
non coordonné et non hiérarchisé : il n’est pas « centre », mais « espace d’un
rapport […] entre une diversité ». La nature du rapport, puisqu’il peut se
manifester selon les modalités contradictoires du « conflit », de
l’ « ordonnancement », ou de l’ « exclusion », est indifférente.
3. On ne peut pas définir le « moi-nous » selon la
dichotomie intériorité /« extériorité », puisque l’extériorité loin d’être
assimilable à une quelconque altérité est le « moyen » et, même, le « terme » du
rapport « à soi ».
4. Le « moi-nous » ne coïncide pas avec les critères qui le définissent – « soi »,
« intellect », « raison », « démon » –, parce que ces critères constituent « un
excès », « une altérité » par rapport à lui.
17 Il conclut son examen sur la préhistoire du « moi » dans l’Antiquité par une
récusation sans appel :
Et toutes ces questions qui les a examinées ? Est-ce nous ou bien l’âme ?
– C’est nous, mais au moyen de l’âme.
– Et comment faut-il comprendre ce « au moyen de l’âme » ? Est-ce que nous
avons mené cette étude parce que nous possédons une âme ?
– Non, nous l’avons menée en tant qu’âme.28
19 Il faut seulement tenir pour acquis désormais que le « nous », d’une part, ne réfère
pas à un « moi ». On observe d’ailleurs que G. Aubry force légèrement sa traduction de
ce même passage puisqu’elle arrive à faire émerger du texte un « qui », alors que Plotin
n’emploie comme référent du pronom « nous » qu’un participe présent substantivé au
neutre (tò episkopoûn) et un pronom interrogatif lui aussi au neutre (tí)29 :
Ceci même qui recherche, qui examine et tranche ces questions : qui peut-il
bien être ?30
20 D’autre part, il faut remarquer que ce « nous » a rapport à l’âme (« nous l’avons
menée en tant qu’âme »), sans toutefois coïncider avec elle de manière immédiate.
2. Recontextualisation historique de la
question du « nous » plotinien
2.1. Les définitions explicites du « nous »
données par Plotin dans ses derniers traités
21 Le quasi consensus qui porte sur la définition du « nous » sujet est d’autant plus
étonnant, qu’à plusieurs reprises dans les derniers traités, le philosophe en donne une
définition sans équivoque qui, pensons-nous, n’a pas reçu tout l’intérêt qu’elle
méritait :31
1. Chacun de nous, si l’on se réfère à notre corps, est loin de la réalité ; mais si
l’on considère notre âme, c’est-à-dire ce que nous sommes avant tout, nous
participons à la réalité, et nous sommes une réalité (ousía), ce qui veut dire que
nous sommes en quelque sorte un composé de différence et de réalité. Nous ne
sommes pas une réalité à proprement parler, ni même une réalité en soi. Voilà
pourquoi nous ne sommes pas maîtres de notre propre réalité. D’une certaine
façon en effet, autre est la réalité, autre ce que nous sommes nous-mêmes, et
nous ne sommes pas maîtres de notre propre réalité, mais c’est la réalité en soi
qui l’est de nous, s’il est vrai que c’est aussi elle-même qui s’adjoint la
différence. Mais puisque nous sommes, d’une façon ou d’une autre, cela même
qui est notre maître, par ce biais, il n’est pas moins possible de dire que nous
sommes maîtres de nous, même ici-bas.32
3. Non, il faut dire que c’est nous-mêmes qui raisonnons et qui pensons les
pensées mêmes qui sont dans la pensée discursive : cela, en effet, c’est nous.
Les activités de l’Intellect sont ainsi en haut, alors que les activités de la
sensation se situent en bas, et nous sommes cela, « la partie dominante
en l’âme », intermédiaire entre deux facultés, l’une étant inférieure, l’autre
supérieure, et celle qui est inférieure, c’est la sensation, celle qui est supérieure,
c’est l’Intellect.34
5. « Nous » se dit en deux sens, selon que l’on prend en compte la bête sauvage
ou bien ce qui est déjà au-dessus d’elle. La bête sauvage est un corps qui a reçu
la vie ; mais l’homme véritable est autre ; il est pur de ces affections parce qu’il
possède les vertus qui consistent dans l’intellection, lesquelles ont leur siège
dans l’âme qui se sépare, soit dans l’âme en train de se séparer, soit dans l’âme
qui est déjà séparée alors même qu’elle est ici-bas.36
6. Et toutes ces questions qui les a examinées ? Est-ce nous ou bien l’âme ?
– C’est nous, mais au moyen de l’âme.
– Et comment faut-il comprendre ce « au moyen de l’âme » ? Est-ce que nous
avons mené cette étude parce que nous possédons une âme ?
– Non, nous l’avons menée en tant qu’âme.37
Le sujet qui surgit au terme du Traité 53 et au seuil des Ennéades paraît être,
avant tout, le sujet de l’éthique : il n’admet pas de détermination ontologique
(dès lors qu’il n’est pas une substance, mais une situation, intermédiaire entre
deux substances dont l’une, seulement définit son essence), mais uniquement,
une caractérisation fonctionnelle41.
Il ne s’agit pas de découvrir une vérité dans le sujet ni de faire de l’âme le lieu
où réside, par une parenté d’essence ou par un droit d’origine, la vérité ; il ne
s’agit pas non plus de faire de l’âme l’objet d’un discours vrai. Nous sommes
encore très loin de ce qui serait une herméneutique du sujet. Il s’agit tout au
contraire d’armer le sujet d’une vérité qu’il ne connaissait pas et qui ne résidait
pas en lui ; il s’agit de faire de cette vérité apprise, mémorisée, progressivement
mise en application, un quasi-sujet qui règne souverainement en nous.43
28 L’auteur, prenant pour point de départ les analyses devenues célèbres de P. Hadot,
rappelle que la philosophie ancienne, à la différence de la philosophie moderne, n’est
pas tout entière préoccupée de théorie et de spéculation, mais qu’elle est au service de
techniques et de pratiques du soi. Cependant, il dénature les propos de son inspirateur,
parce que là où celui-ci établissait une corrélation entre théorie et pratique, il pose, lui,
un régime d’exclusion44 : la vérité de la pratique n’est pas à rechercher en amont de la
pratique, mais à l’intérieur même de cette pratique (« armer le sujet d’une vérité qu’il
ne connaissait pas et qui ne résidait pas en lui »). L’argument n’est pas complètement
inexact, car les philosophies de l’Antiquité, souscrivant largement à un dualisme
éthique de la raison et des passions, même quand elles récusaient toute forme de
dualité ontologique de l’âme et du corps, distinguaient très clairement les dispositions
de caractère, fortifiées par des exercices sollicitant la volonté, des dispositions
intellectuelles, nourries par l’enseignement. Cependant, cette distinction ne peut être
redéfinie en un rapport d’opposition qui se solderait par l’exclusion des dispositions
intellectuelles et la promotion des seules dispositions de caractère. En effet, d’une part,
dans une large majorité, les éthiques anciennes sont intellectualistes et, d’autre part, le
corporalisme et le matérialisme ontologiques, attestés par exemple chez les Stoïciens et
les Epicuriens, ne sont jamais l’envers d’un anti-intellectualisme axiologique : même si
elle a une origine matérielle, l’âme reste toujours un principe souverain et régulateur
qui doit gouverner les appétits.45
Certes il n’y a pas encore de moi dans l’Antiquité, mais avec l’examen de
conscience stoïcien apparaît une expérience de soi que le christianisme n’aura
qu’à reprendre pour l’infléchir dans la direction d’un déchiffrement d’une
intériorité secrète. En effet, avec cette pratique de soi stoïcienne apparaît un
élément essentiel à la formation d’un moi : la dénivellation, à l’intérieur de soi,
entre deux réalités, plus exactement entre le soi comme identité et un nouveau
champ phénoménal. D’un côté, la raison – qui est dans l’individu un principe
impersonnel – de l’autre, le « cours des représentations », « les mouvements
dans la pensée, les opinions, les passions », sur lesquels la raison doit exercer
son contrôle.46
La dénivellation n’est pas à l’intérieur du soi, mais elle établit une césure entre
soi et non soi. Autrement dit « le nouveau champ phénoménal » dont va
émerger le « moi » est extérieur au soi.47 Pour Plotin, comme pour les Stoïciens,
il y a une priorité de l’homme de droit, le vivant rationnel, sur l’homme de fait, le
vivant potentiellement irrationnel. Ainsi alors que pour un moderne, le corps,
les émotions et le corps font partie du « moi », pour Plotin et le Stoïciens, ils
sont étrangers au « nous » qui coïncide avec la capacité rationnelle de l’homme à
s’ordonner à l’ordre ontologique.48
Le soi comme identité de Plotin n’est pas étranger à ce que les Stoïciens
appellent l’hégémonique ni à l’âme platonicienne. Même si la psychologie
stoïcienne est moniste, elle reconduit et même radicalise au niveau axiologique,
le dualisme platonicien de l’âme et du corps. C’est cette parenté qui permet à
Plotin de faire de la diánoia hégémonique un principe d’identité dans une
modélisation anthropologique inspirée de l’Alcibiade.49
Y a-t-il une quelconque place dans la pensée de Plotin pour une entité – à
l’exception de la matière et éventuellement de l’Un – qui ne participerait pas
d’une essence ?
Admettons que le « nous » soit « une pure puissance d’identification » : d’où
vient cette « puissance » ? En effet, il n’y a pour Plotin d’en-puissance que par
participation à une réalité ontologique. A quelle réalité ontologique le « nous »
est-il affilié ? Qu’est-ce qui le constitue en puissance d’unification ? Les éléments
qu’apporterait l’élucidation de ces questions ne sont-ils pas à intégrer à la
définition du « nous » ? Plotin thématise-t-il, au niveau psychologique, une
faculté capable de conférer cette puissance ? Le « nous » ne peut-il être identifié
à cette faculté ?
Le référent auquel s’identifie cette puissance est-il indifférent ? Le philosophe ne
développe-t-il aucune théorie de la motivation ? Est-ce que cela revient au même
de s’identifier à l’Intellect ou au vivant ? Peut-on dissocier chez Plotin la
puissance de la souveraineté ? Quel statut conférer à la « puissance
d’identification » orientée vers le corps, quand justement Plotin définit la
sollicitude comme défaillance et impotence ? Le moteur de l’identification, le
siège de l’impulsion est-il unique ou multiple ?
Si le sujet est « l’espace d’un rapport » « entre une diversité », est-ce que les
éléments de cette diversité sont d’égale dignité ? Comment se pense la différence
à l’intérieur même de la « diversité » ? Quels critères permettent de définir si le
rapport relève du « conflit » ou de l’ « exclusion » ? Sur quelles valeurs s’établit
l’ « ordonnancement » ?
Ce qui unifie les différents « nous », ce n’est pas qu’ils constituent des modalités
variées d’un « moi », mais qu’ils procèdent de l’Intellect et de l’Un à des degrés
divers.
Si on veut ranger toutes ces acceptions sous un terme générique, il vaut mieux
parler d’ousía que de « moi » : l’homme est une ousía générique, un eîdos ; une
ousía sensible dianoétique, le lógos générique, le vivant rationnel ; une quasi-
ousía sensible potentiellement irrationnelle, une morphē singulière, un vivant.
« Le “nous” véritable » (2), c’est l’ eîdos de l’homme, le principe d’identité dans
le monde intelligible ; « le “nous” discursif » (4), c’est le lógos de l’homme : il
n’est ni « une activité “statistiquement” caractéristique de l’homme », ni un
« principe de localisation », mais le principe souverain d’identité dans le monde
sensible : c’est le « nous » du tò eph’ hēmîn stoïcien redéfini comme « intellect
possible » et inscrit dans une structure ontologique platonicienne ; le « nous »
comme « activité proprement subjective » (1), c’est l’autexousía qui peut être
rationnelle, quand elle coïncide avec la boúlēsis ordonnée à la causalité
intelligible, ou irrationnelle, quand elle a pour moteur les facultés inférieures du
vivant ; « le “nous” inférieur », le niveau « selon lequel on vit » (3), ce sont les
différents lógoi de l’âme à partir ou en-deçà de la diánoia.
Bibliographie
ARMSTRONG, A. H., « Plotinus », The Cambridge History of Later Greek and Early
Medieval Philosophy, Cambridge Univ. Pr., Cambridge, 1967, p. 193-268.
AUBRY, G., « Conscience, pensée et connaissance de soi selon Plotin : le double héritage de
l’Alcibiade et du Charmide », Études Platoniciennes IV. Les puissances de l’âme selon Platon,
Paris, Belles Lettres, 2007, p. 163-182.
DOI : 10.4000/etudesplatoniciennes.910
— « Individuation, particularisation et détermination selon Plotin », Phronesis, 53, 3, 2008,
p. 271-289.
— (et ILDEFONSE F.), éd., Le moi et l’intériorité, Paris, Vrin, 2008.
— Plotin. Traité 53 (I, 1), introduction, traduction française, commentaire et notes, Paris, Cerf,
2004.
— « Un moi sans identité ? Le ἡµεῖς plotinien », dans Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F.
Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 107-127.
BERMON, E., Le « cogito » dans la pensée de saint Augustin, Paris, Vrin, 2001.
BLUMENTHAL, H. J., Plotinus’ Psychology, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971.
BOULNOIS, O. éd., Généalogies du sujet. De saint Anselme à Malebranche, Paris, Vrin, 2007.
BRÉHIER, E., La Philosophie de Plotin, Paris, 1928 ; Paris, Vrin, rééd. 1982.
BRISSON, L. et PRADEAU, J.-F. éd., Plotin. Traités 38-41, Paris, Flammarion, GF, 2007.
— Plotin. Traités 42-44, Paris, Flammarion, GF, 2008.
— Plotin. Traités 45-50, Paris, Flammarion, GF, 2009.
— Plotin. Traités 51-54, Paris, Flammarion, GF, 2010.
CARRAUD, V., L’invention du moi, Paris, PUF, 2010.
CHERNISS, H. F., « L’économie philosophique de la théorie des idées », Platon. Les formes
intelligibles, éd. J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2001, p. 155-176.
CHIARADONNA. R, « Plotino : Il “noi” e il ΝΟΥΣ », dans Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry
et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 277-293.
COURTINE, J.-F, éd., Moi qui suis le sujet, éd., Les Etudes philosophiques, 2009, 1, n° 88.
DODDS, E. R., Les Sources de Plotin, Entretiens Hardt, Entretiens sur l’Antiquité classique, t.
V, dix exposés et discussion par E. R. Dodds, W. Theiler, P. Hadot, H.-CH Puech, H. Dörrie, V.
Cilento, R. Harder, H. R. Schwyzer, A. H. Armstrong, P. Henry, (Vandoeuvres-Genève, 1957),
Genève, 1960.
EMILSSON, E. K., Plotinus on Sense-Perception. A Philosophical Study, Cambridge, 1988.
FOUCAULT, M., L’Herméneutique du sujet, Cours au Collège de France (1981-1982), Paris,
Gallimard et Seuil, 2001.
GILL, Ch., « Le moi et la thérapie philosophique », dans Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et
F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 89-92.
— The Structured Self in Hellenistic and Roman Thought, Oxford, Oxford University Press,
2006.
HADOT, P., « Les niveaux de conscience dans les états mystiques selon Plotin », Journal de
psychologie, 1980, p. 243-266.
– « Un dialogue interrompu avec Michel Foucault » dans Exercices spirituels et philosophie
antique, Paris, Albin Michel, 1993, p. 305-311.
HAM, B., Traité 49 (V, 3), introduction, traduction française, commentaire et notes, Paris,
Cerf, 2000.
LAVAUD, D’une métaphysique à l’autre. Figures de l’altérité dans la philosophie de Plotin,
Paris, Vrin, 2008.
— « La dianoia médiatrice entre le sensible et l’intelligible », Etudes platoniciennes III, Paris,
Les Belles Lettres, 2006, p. 29-55.
LEROUX, G., « Human Freedom in the Thought of Plotinus », dans L. P. Gerson (édit.), The
Cambridge Companion to Plotinus, Cambridge University Press, 1996, p. 292-314.
LIBERA, A. DE, Archéologie du sujet, I. Naissance du sujet, Paris, Vrin, Bibliothèque
d’histoire de la philosophie, 2007.
— Archéologie du sujet, II. La quête de l’identité, Paris, Vrin, Bibliothèque d’histoire de la
philosophie, 2008.
MARION, J.-L, « Descartes hors sujet », Les études philosophiques, 2009/1, n° 88, p. 51-62.
DOI : 10.3917/leph.091.0051
MERCIER, C., « Ce que pourrait être une réponse foucaldienne à la question de la présence du
moi dans l’Antiquité », Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008,
p. 165-194.
O’DALY, G. J. P., Plotinus’ Philosophy of the Self, Shannon Ireland, Irish University Press,
1973.
PÉPIN, J., Idées grecques sur l’homme et sur dieu, Paris, Les Belles Lettres, 1971.
REMES, P., Plotinus on the Self, Cambridge University Press, 2007.
DOI : 10.1017/CBO9780511597411
SCHNIEWIND, A., L’Ethique du sage chez Plotin. Le paradigme du spoudaios, Paris, Vrin,
2003.
SEGONDS, A.-Ph., Proclus. Sur le premier Alcibiade de Platon, édition et traduction, Paris,
Les Belles Lettres (CUF), 2003.
TROUILLARD, J., La Purification plotinienne, Paris, PUF, 1955.
VERNANT, J.-P., L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris,
Gallimard, Folio Histoire, 1989.
VEYNE, P., SÉNÈQUE. Entretiens, Lettres à Lucilius, préface, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1993.
WARREN, E. W., « Consciousness in Plotinus », Phronesis, 9, 1964, p. 83-97.
Notes
1 Nous pensons, pour nous limiter à l’édition française, aux synthèses magistrales d’Alain de
Libera — Archéologie du sujet I. Naissance du sujet, Paris, Vrin, 2007 ; Archéologie du sujet
II. La quête de l’identité, Paris, Vrin, 2008 – et de Vincent Carraud – L’invention du moi,
Paris, PUF, 2010 – ou aux approches nominalistes non moins stimulantes telles que Le moi et
l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008 ; les Généalogies du sujet. De saint
Anselme à Malebranche, éd. O. Boulnois, Paris, Vrin, 2008 ; et Moi qui suis le sujet, éd. J.-F
Courtine, Les Etudes philosophiques, 2009, 1, n° 88.
2 Il semble qu’en réalité le sujet moderne soit l’invention de Kant. Cf. O. Boulnois,
op. cit., 2008, p. 11 : « Kant reproche à Descartes une thèse qu’il a construite ad hoc, et qui est
l’interprétation dogmatique de la sienne propre : le Descartes de Kant n’est que le négatif dont
il est le positif ». Sur l’invention du sujet-substance cartésien par Kant, Nietzsche, Husserl et
Heidegger, voir « Descartes hors sujet », J.-L. Marion, PUF, Les études philosophiques,
2009/1, n° 88, p. 51-62.
3 Cf. les références données par E. Bermon dans Le « cogito » dans la pensée de saint
Augustin, Paris, Vrin, 2001, p. 9-30.
4 G. O’ Daly, Plotinus’ Philosophy of the Self, Shannon Ireland, Irish University Press, 1973.
5 P. Remes, Plotinus on the Self, Cambridge University Press, 2007.
6 G. Aubry, « Conscience, pensée et connaissance de soi selon Plotin : le double héritage de
l’Alcibiade et du Charmide », Études Platoniciennes IV. Les puissances de l’âme selon Plotin,
Paris, Belles Lettres, 2007, p. 163-182 ; « Individuation, particularisation et détermination
selon Plotin », Phronesis, 53, 3, 2008, p. 271-289 ; « Un moi sans identité ? Le ἡµεῖς
plotinien », dans Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 107-
127.
7 E. Bréhier, La Philosophie de Plotin, Paris, 1928 ; Paris, Vrin, rééd. 1982, p. 68.
8 J. Trouillard, La Purification plotinienne, Paris, PUF, 1955, p. 26-27.
9 E. R. Dodds, à propos de H.-R. Schwyzer : « “Bewusst” und “Unbewusst” bei Plotin », in Les
sources de Plotin, Entretiens, Tome V, Fondation Hardt, Genève, 1960, p. 384-385.
10 Nous reprenons là le titre d’un article de G. Aubry, op. cit., 2008.
11 H. J. Blumenthal, Plotinus’ Psychology, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971, p. 111.
12 G. O’ Daly, op. cit., 1973, p. 49.
13 E. K. Emilsson, Plotinus on Sense-Perception, A Philosophical Study, Cambridge, 1988,
p. 29.
14 G. Leroux, « Human Freedom in the Thought of Plotinus », dans L. P. Gerson (édit.), The
Cambridge Companion to Plotinus, Cambridge University Press, 1996, p. 305. Dans ce
passage, G. Leroux, souscrivant à une analyse d’Inge, explique que si la vocation de l’âme est
plutôt de tendre vers le Bien, elle peut faire aussi le choix de la sollicitude pour la vie
incorporée.
15 A. Schniewind, L’Ethique du sage chez Plotin. Le paradigme du spoudaios, Paris, Vrin,
2003, p. 102.
16 P. Remes, op. cit., 2007, p. 9.
17 Traité 53 (I, 1), introduction, traduction française, commentaire et notes par G. Aubry,
Paris, Cerf, 2004, p. 17. Il faut observer que le « nous » ne fait pas son apparition dans le
Traité 53, mais qu’il est omniprésent dans les Ennéades. Ainsi on constate que dès le Traité 2
(IV, 7) 1, 1-25, Plotin établit une distinction entre un « nous » sujet d’inhérence, c’est-à-dire le
vivant composé d’une âme et d’un corps et un « nous » principe d’identité assimilé à l’« âme
immortelle », au « soi » et à l’ « homme ».
18 Ibid., p. 18.
19 Le moi et l’intériorité, éd. G. Aubry et F. Ildefonse, Paris, Vrin, 2008, p. 14.
20 L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard,
Folio Histoire, 1989, p. 224-227.
21 Comme le souligne Christopher Gill, dans la tradition platonicienne de l’Alcibiade, le
« nous » désigne l’interlocuteur avant le « moi » et la subjectivité se définit davantage dans
l’intersubjectivité que dans la réflexivité. Cf. The Structured Self in Hellenistic and Roman
Thought, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 344-359.
22 Cf. Proclus : « Le but du dialogue est de révéler l’essence (ousía) de l’homme et de tourner
chacun d’entre nous vers lui-même » Proclus. Sur le premier Alcibiade de Platon, texte établi,
traduit et annoté par A.-Ph. Segonds, Paris, Les Belles Lettres (CUF), 2003, 14, 3-4.
23 C’est tout l’objet de la vaste entreprise d’Alain de Libera : « Concernant notre “ concept
actuel de personne ”, le problème archéologique est de rendre compte de ce que j’ai appelé le
“ chiasme de l’agence ” : le double passage qui s’est opéré, dans le cours de l’histoire, d’une
thèse comme (a) toute action requiert un agent à une thèse comme (b) toute action requiert
un sujet, et de (a)-(b) à (c) toute action requiert un agent qui est UN sujet et (puis ?) à (d)
toute action requiert un sujet qui est SON agent », op. cit., 2008, p. 83.
24 Op. cit., Paris, PUF, 2010, p. 177.
25 Ibid., p. 181.
26 Cf. A.-P. Segonds : Plotin « se contente de brèves allusions à l’Alcibiade, alors que l’on peut
dire sans exagération qu’il lui doit l’essentiel de son anthropologie », op. cit., 2003, p. XIX-XX.
Pour une recension très précise des différentes formules de l’Alcibiade et de leurs variations
dans les Ennéades, on peut lire les pages 95 à 101 de J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et
sur dieu, Paris, Les Belles Lettres1971. Voir aussi O’Daly, op. cit., 1973, p. 10-11.
27 Traité 53 (I, 1) 1, 9-11, traduction de J.-F Pradeau dans Plotin. Traités 51-54, traductions
collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F. Pradeau, Paris,
Flammarion, GF, 2010.
28 Ibid., 13, 1-3.
29 Il y a là plus qu’un détail. En effet, en 27 (IV, 3) 1, 8-12, Plotin désigne de la même manière,
par un participe neutre substantivé, l’objet de l’enquête réflexive sur l’âme et le soi. Autrement
dit, une enquête sur la connaissance de soi ne débouche pas sur l’authentification d’un « moi »,
mais sur l’identification – dans le raisonnement et non dans une saisie spéculaire de la
conscience par elle-même – de l’instance impersonnelle qui garantit la connaissance de soi.
Cette instance est explicitement assimilée à la diánoia en 49 (V, 3), 4, 15-31.
30 Op. cit., 2004, p. 74.
31 Plusieurs auteurs soulignent l’équivalence établie par Plotin entre le « nous » et la diánoia,
mais, à l’exception notable de R. Chiaradonna, la plupart des exégètes n’en tirent aucune
conséquence. Cf. E.W. Warren: « Our substantial activity, which makes us men, is that of
dianoia or discursive reason ». « Consciousness in Plotinus », Phronesis, 9, 1964, p. 83 ; P.
Hadot : « Tout un ensemble de textes plotiniens situe le moi dans la conscience et dans l’âme
rationnelle, c’est-à-dire au niveau intermédiaire entre la Pensée pure et la sensation, entre la
partie supérieure de l’âme et la partie sensible », « Les niveaux de conscience dans les états
mystiques selon Plotin », Journal de psychologie, 1980, p. 247 ; A. H. Armstrong : « Our true
self, the “man within”, is our higher soul which exists eternally close to and continually
illumined by Intellect. This does not sin or suffer and remains essentially free and unhampered
in its rational and intellectual activities by the turbulence of the body and its world, into which
the higher soul does not “come down” », The Cambridge history of later Greek and early
Medieval Philosophy, Cambridge University Press, 1967, p. 224-225; L. Lavaud: la diánoia
assume l’ « enjeu anthropologique, qui est d’être le lieu de l’unité de l’homme », « La diánoia
médiatrice entre le sensible et l’intelligible » dans Etudes platoniciennes III, Les Belles Lettres,
Paris, 2006, p. 30 ; R. Chiaradonna : « Il “noi”, in quanto modo di essere dell’anima, non può
essere considerato independentemente dalla sostanza a cui appartiene », « Plotino : Il “noi” e il
ΝΟΥΣ », dans Le moi et l’intériorité, op. cit., 2008, p. 283.
32 Traité 39 (VI, 8), 12, 4-13. Le texte est cité dans la traduction de L. Lavaud. Plotin. Traités
38-41, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F.
Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2007.
33 Traité 46 (I, 4), 14, 1-4. Le texte est cité dans la traduction de T. Vidart, Plotin. Traités 45-
50, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson et J. F.
Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2009.
34 Traité 49 (V, 3), 3, 35-40. Le texte est cité dans la traduction de F. Fronterotta, Plotin,
Traités 45-50, traductions collectives (du texte de Henry-Schwyzer) sous la dir. de L. Brisson
et J.-F. Pradeau, Paris, Flammarion, GF, 2009.
35 Traité 53 (I, 1), 7, 14-24.
36 Ibid., 10, 5-11.
37 Ibid., 13, 1-3.
38 Voir aussi Traité 52 (II, 3), 9, 14-16.
39 Traité 9 (VI, 9), 8, 8-10 et 16- 22.
40 Traité 3 (III, 1), 9, 4-16 ; Traité 6 (IV, 8), 8, 1-11 ; Traité 10 (V, 1), 12, 5-21 ; Traité 39 (VI,
8), 3, 2-20 ; Traité 46 (III, 7), 10, 12-21.
41 Op. cit., 2004, p. 55.
42 Cf. G. Aubry : « On vérifie ainsi la pertinence des analyses de Foucault selon lesquelles le
précepte delphique reçoit, dans le champ de la philosophie antique, une détermination
pratique : l’injonction à se connaître soi-même (gnôthi seauton) serait moins importante que
celle à se soucier de soi (epimelei eautou) et le privilège accordé à la première sur la seconde
serait, finalement, un trait de la modernité, une conséquence du moment cartésien », op. cit.,
2004, p. 56.
43 Op. cit., 2001, p. 481.
44 Sur cette question, voir Pierre Hadot : « Un dialogue interrompu avec Michel Foucault »
dans Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 1993, p. 305-311.
45 Cf. Paul Veyne, préface à Sénèque. Entretiens, Lettres à Lucilius, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1993, p. XLII.
46 C. Mercier, « Ce que pourrait être une réponse foucaldienne » dans Le moi et l’intériorité,
op. cit., 2008, p. 193.
47 Traité 46 (I, 4), 4, 6-11.
48 Traité 53 (I, 1), 10, 5-7.
49 La trame de l’anthropologie plotinienne est tout entière contenue dans les paragraphes
129b-133c de l’Alcibiade : nous/l’homme coïncide avec l’âme, parce que l’âme commande au
corps.
50 Cf. Christopher Gill, « Le moi et la thérapie philosophique », dans Le moi et l’intériorité,
op. cit., 2008, p. 92 : « Le « moi » vers lequel nous nous tournons est la capacité innée ou
constitutive qui est la nôtre en tant qu’êtres humains (ou animaux rationnels) de nous
développer de la sorte : ce n’est pas un moi privé ou uniquement individuel ».
51 Traité 47 (III, 2) 15, Traité 52 (II, 3), 9, 14-16 et 30-31.
52 Cf. Traité 39 (VI, 8) 12, 4-6 : « Chacun de nous, si l’on se réfère à notre corps, est loin de la
réalité ; mais si l’on considère notre âme, c’est-à-dire ce que nous sommes avant tout, nous
participons à la réalité, et nous sommes une réalité (ousía) ».
53 Op. cit., 2002, p. 116-117.
54 Dans la mesure où la morphē dérive de l’eîdos via le lógos, il n’est pas illégitime de parler
d’ousía sensible. Cf. L. Lavaud, D’une métaphysique à l’autre. Figures de l’altérité dans la
philosophie de Plotin, Paris, Vrin, 2008, p. 97 : « Il y a une partie de la réalité sensible qui reste
préservée de l’indétermination et de l’irrationalité de la matière et qui conserve un lien vivant
avec le lόgos dont elle dérive : c’est cette partie que Plotin appelle l’ousía ».
55 Traité 46 (I, 4), 6.
56 Comme l’a montré H. F. Cherniss – in « L’économie philosophique de la théorie des idées »,
Platon. Les formes intelligibles, éd. J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2001, p. 155-176 –, dans un
système d’inspiration platonicienne, la structure hyperréaliste vise à rendre compte
simultanément de trois types de phénomènes qu’on considère comme incommensurables :
éthiques, épistémologiques, ontologiques. Il s’agit d’expliquer chacun de ces domaines dans un
cosmos rationnellement unifié.
57 Traité 5 (V, 9), 1, 1-7.
58 Cette contradiction qui saute aux yeux d’un moderne, parce qu’il fait une différence nette
entre objectivité et subjectivité, n’existe pas pour un penseur ancien. Il n’y a pas d’un côté une
science dont la légitimité se fonde sur ses principes et une éthique dont la validité se mesure à
ses effets. Le discours philosophique n’est pas apophantique, mais performatif. Il façonne le
réel : l’objectivité des valeurs se vérifie, dès qu’on entre dans le choix de vie. Les principes de la
science sont définis aussi à partir de la validité des effets de l’éthique.
Auteur
Christian Girard
Christian Girard est agrégé de Lettres Classiques et Docteur en philosophie. Il enseigne
depuis 2009 la philosophie et le latin au Lycée International Français Louis-Charles Damais de
Jakarta. Il a soutenu une thèse de Doctorat portant sur « L’identité de l’homme chez Plotin »,
sous la direction de M. Luc Brisson, à l’Université Paris I Panthéon–Sorbonne en février 2013.
Il s’intéresse dans ses travaux aux sources de la psychologie de Plotin, à l’évolution de son
anthropologie et à la réception de sa doctrine dans la tradition néoplatonicienne ultérieure.
Droits d’auteur
Études Platoniciennes est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.