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SAMEDI 6 AOÛT 2016 LE PROGRÈS

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LOIRE E NQUÊT E

La situation préoccupante des


La Loire, territoire à composante NDLR), est passé d’une heure à trente
rurale, n’est pas la priorité de l’Admi- minutes. Les rendez-vous mensuels,
nistration pénitentiaire, qui renforce supposés créer un lien de confiance et
assurer une continuité dans le suivi,
d’abord les régions dites à risques. À n’ont lieu que tous les deux ou trois
Saint-Étienne donc, les dossiers mois, et se résument par un bonjour,
s’entassent. En sous-effectif, les contrôle des obligations, au revoir ».
27 conseillers pénitentiaires croulent À côté, un collègue annonçait vingt-
sous le travail. Le suivi des détenus cinq rendez-vous dans son planning
et la réinsertion sont mis à mal. Et le du jour. « C’est de l’abattage. On gère
contexte terroriste rebat les cartes des masses de gens. On se contente de
les renvoyer vers la CAF ou les assis-
des services pénitentiaires. tantes sociales. »
« Il arrive qu’ils nous laissent des mes-

A ccompagner les détenus dans leur


recherche d’emploi, vérifier qu’ils
se soignent ou paient leurs indemni-
sages suicidaires sur le répondeur
quand ils vivent une période difficile.
Mais avec tout le boulot qu’on a, on ne
tés, mettre en place des groupes de pa- prend pas forcément la peine de les
role, repérer ceux qui basculent dans écouter… », ajoute un autre con-
l’islam radical, gérer la paperasse ad- seiller.
ministrative… Les vingt-sept con- À l’association du Grep de la Loire
seillers pénitentiaires d’insertion et de (Groupe réinsertion emploi proba-
probation (CPIP) stéphanois gèrent tionnaires), les détenus ne s’y trom-
chacun cent trente dossiers, quand les pent pas. « Les CPIP, c’est des fonc-
normes pénitentiaires européennes tionnaires de l’État, ils rendent des
en préconisent soixante. comptes. Si t’as envie de parler de tes
problèmes, ils te disent qu’il y a des
« C’est de l’abattage, on psychologues pour ça », résume
gère des masses de gens » Maydhine, 27 ans, les yeux cernés,
condamné à 36 mois de détention
Dans les territoires ruraux, le ratio est pour violences, en régime de semi-li-
aussi plus élevé, avec une moyenne de berté. Samir, 34 ans, voix posée et bra-
cent dossiers par personne, comme, celet électronique au pied, dénonce
par exemple, au Puy-en-Velay. une hypocrisie. « Tant que tu passes
Conscient du rapport déséquilibré pas devant le JAP (juge d’application
(conseillers/personnes prises en des peines), t’es pas leur priorité. »
charge), le ministère de la Justice a an- Marion Saive
noncé un recrutement de mille agents n Pour le milieu fermé, la maison d’arrêt de La Talaudière comptait 329 personnes détenues au 1
en 2014. Avec les départs à la retraite NOTE Contactée, la direction du Service publie plus aucun chiffre depuis le premier trimestre 2015. Au 1er janvier 2015, le Service pénite
et changements de profession, les pénitentiaire d’insertion et de probation de
quatre embauches au Service péni- la Loire n’a pas donné suite à nos
tentiaire d’insertion et de probation sollicitations. 59 % de taux de récidive en France,
de la Loire n’ont pas changé la donne.
20 % en Scandinavie
130
Le 10 juin, quinze agents se sont dé-
placés durant leur pause déjeuner – ils
n’ont pas le droit de grève – devant le Le nombre de dossiers « Soit on fait un service minimum pour tout le monde, soit on fait
Palais de justice de Saint-Étienne. suivi par chacun des vingt-sept con- des choix », tranche Philippe Pottier, ex-directeur de l’École
Lassés, ils sont venus réclamer de nationale de l’Administration pénitentiaire, retraité depuis janvier.
seillers pénitentiaires de Saint-
meilleures conditions de travail. Les condamnés en assises et les agresseurs sexuels sont prioritai-
Une petite blonde, en poste à la mai-
Étienne. En France, un CPIP suit en res sur les auteurs de vols ou braquages. « C’est humain, on va
son d’arrêt de La Talaudière, fulmi-
moyenne 70 dossiers, mais suivant d’abord vers les dossiers pour lesquels on craint le plus la
nait. « On fait de la quantité au détri- les régions et les problématiques de récidive », commente Olivier Caquineau, secrétaire général Sne-
ment de la qualité. Le premier terrain, le ratio n’est pas le même. pap-FSU. Même si les études démontrent que le violeur récidive
entretien individuel (sorte d’analyse À Marseille, « capitale de la criminali- deux fois moins (19 % sur mineur, 39 % sur adulte) que le petit
complète du détenu : situation per- té », les services ont été renforcés et délinquant (74 % pour un vol simple, 76 % pour violences) (1). Ces
sonnelle, familiale, but dans la vie, et chaque CPIP suit environ 60 dossiers. derniers n’ont parfois qu’un seul rendez-vous sur toute la durée de
base du projet d’accompagnement, leur détention. « C’est pourtant avec ces jeunes en manque de
repères qu’on peut agir. Pour beaucoup, il suffirait de leur
ZOOM redonner une place dans la société », commente une travailleuse
sociale d’un foyer d’hébergement pour sortants de prison.
« Je m’interdis de faire des formations, Alors, ce manque d’accompagnement se traduit en « sorties
sinon je rame pour rattraper le retard » sèches » : 80 % des détenus français quittent la prison sans même
que leur pièce d’identité n’ait été renouvelée ou qu’une procédure
L’urgence des conseillers, c’est plus souvent assis devant leurs pour l’accès aux droits sociaux n’ait été lancée. Or, sans suivi,
d’être à jour dans les dossiers. ordinateurs, les conseillers sor- 63 % des sortants de détention y retournent dans les cinq ans.
Aides à la décision judiciaires tent peu rencontrer les familles Avec un taux de récidive global à 59 %, en hausse de sept points
depuis 2014, ils transmettent les ou participer aux formations de depuis la fin des années 90, la France est loin de ses voisins
comptes-rendus d’entretiens aux l’École nationale de l’Administra- nordiques : 20 % environ pour la Finlande et la Norvège, qui ont
magistrats qui jaugent, sur le tion pénitentiaire, à Agen. « Je préféré la réhabilitation à la prison.
papier, le profil des détenus pour m’interdis de les faire, sinon je
leur accorder ou non leur aména- rame pendant des semaines pour (1) Étude de 2011 d’Annie Kensey (chercheuse et démographe de
gement de peine. Bilan, les agents rattraper le retard dans mes dos- l’Administration pénitentiaire) menée sur un échantillon national de
tapent rapport sur rapport. Le siers », dit une CPIP. 7 000 sortants de prison, entre le 1er juin et le 31 décembre 2002.

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ACTU LOIRE ET RÉGION 11

conseillers pénitentiaires
« La loi pénitentiaire de 2014
n’est pas appliquée »
Bernard Lecogne, délégué régional de la Farapej (Fédération
des associations réflexion-action, prison et justice)
« Les actions sont très variables d’un territoire à
l’autre. Il ne se passe pas la même chose à Saint-
Étienne et Roanne, ou à Corbas et Villefranche.
Pourtant, Corbas et Villefranche dépendent du même
service pénitentiaire d’insertion et de probation
(SPIP), Saint-Étienne et Roanne du même également.
Tout dépend aussi des relations qui sont entretenues
entre le directeur d’un SPIP et ses agents. À ce que
j’entends, elles ne sont pas mauvaises dans la Loire. Ce
n’est pas le même cas à Villefranche et Corbas.
Suite à la loi pénitentiaire du 15 août 2014, beaucoup
de choses positives ont été faites pour la réinsertion,
notamment les alternatives à la prison et les aménage-
ments de peine. Mais derrière, ce n’est pas appliqué :
cela demande plus de suivis pour les juges, les Institu-
tions et les SPIP ne sont pas préparés… Sans compter
que ces mesures alternatives dépendent des juges et du
parquet, qui craignent de les mettre en place.
Mais la frilosité n’est pas uniquement du côté des juges
d’application des peines (JAP). Les conseillers doivent
monter un dossier et convaincre le juge de mettre en
place l’aménagement de peine. Un JAP volontaire avec
un CPIP convaincu du bien-fondé de la loi de 2014, ça
fonctionnera, mais c’est très variable suivant les per-
sonnes qui dialoguent ensemble. Sans compter que les
CPIP suivent trop de personnes pour connaître les
dossiers… Leurs missions ont changé : ils sont passés
de la prise en charge des détenus à leur évaluation, ils
1er juillet, pour 7 conseillers d’insertion et de probation. Pour le milieu ouvert, l’Administration pénitentiaire ne ne sont plus dans l’action. »
entiaire d’insertion et de probation de la Loire suivait 1 931 personnes pour une vingtaine de CPIP. Photo LE PROGRÈS

Radicalisation, terrorisme : « Ils ont créé une usine à gaz »


Avec les attentats terroristes qui se- tiaires, cette cohabitation vire au
couent la France depuis un an et demi, fiasco. Faute de consignes claires, les
les fichés S retiennent toute l’atten- deux corps de métiers naviguent à
tion des conseillers pénitentiaires. Dé- vue. « Ils ont zéro expérience en mi-
jà sous l’eau, les conseillers d’insertion lieu pénitentiaire, lâche un CPIP. Ils
doivent repérer les comportements is- assistent aux entretiens individuels,
lamistes radicaux des détenus. Mais ont accès à nos dossiers… On se mar-
avec une sensibilisation express d’une che dessus. Quand t’as un collègue
demi-journée pour la majorité d’entre clairement étiqueté “lutte contre la ra-
eux, qui se résume à différencier sala- dicalisation” à côté de toi, ça facilite
fisme et terrorisme ou visionner un pas le boulot ! Ils ont créé une usine à
film scénarisé sur la radicalisation, les gaz. »
outils sont maigres pour agir sur le ter- Et l’actualité maintient la pression
rain. Barbes trop longues ou soudain dans les services. Après l’assassinat du
rasées, propos anti-français et conver- prêtre de Saint-Étienne-de-Rouvray,
sions à l’islam sont parfois signalés à le 26 juillet, par deux jeunes hommes –
tort et à travers. l’un sous bracelet électronique, l’autre
fiché S – les services pénitentiaires
« Alors est-ce qu’on ouvre n L’assassinat du prêtre de St-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) a été commis sont pointés du doigt. Lorsqu’un dra-
le parapluie ? » par deux hommes, l’un sous bracelet électronique, l’autre fiché S. Photo MaxPPP me de ce type se produit, l’opinion pu-
« Après le 13 novembre, on a entendu blique, mobilisée via les médias,
des “Vous l’avez bien cherché, vu comportement suspicieux ? Ou on vite en février 2015, a été lancé. Il a s’échauffe, désigne des coupables.
comme vous nous traitez, faut vous prend le risque de trier et de passer à permis de créer 483 postes d’éduca- Sous pression, l’Administration péni-
attendre à ce que ça recommence”. côté d’individus radicalisés ? » teurs et dégager un budget de 80 M€. tentiaire demande des comptes aux
Pourtant, ces mêmes personnes trai- « On doit renseigner ? Ou prendre en Après une formation éclair d’un an, services, relit rapports et évaluations
tent Daesh de salauds… C’est comple- charge les personnes qu’on soupçon- les psychologues tout juste sortis de des CPIP, tente de comprendre ce qui
xe, explique une CPIP. Si on ne dit rien ne d’être radicalisées ? », questionne l’Enap ont été engagés pour travailler a pêché dans le suivi du détenu…
et qu’il se passe quelque chose, ça re- un autre. Pour répondre à l’urgence et en binôme avec les conseillers d’inser- Quitte à donner de nouvelles directi-
tombe sur nous. Alors est-ce qu’on renforcer les équipes, le Plat (Plan de tion. ves aux agents, et à rendre leurs mis-
ouvre le parapluie et on signale tout lutte antiterroriste), ordonné à la va- Censée soulager les services péniten- sions encore un peu plus confuses.

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