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Paul Ricoeur, les sentences du banal.

En guise d'introduction de son article "Tolérance, intolérance, intolérable (1990, Lectures 1,


autour du politique, Seuil éditions, 1991), Ricoeur prévient : "Le discours sur la tolérance court
deux dangers : celui de la banalité et celui de la confusion". Il tombera malheureusement dans
l'un et l'autre de ces écueils. Tout au long d'un chapelet de rappels naïfs, de voeux pieux, de
distinctions spécieuses, et d'interrogations stériles, loin de contribuer à dissiper la confusion des
niveaux entre droit, mentalités, traditions culturelles, concept de tolérance, d'intolérance, ou
d'intolérable, tout l'article s'en sort par des pirouettes sémantiques évasives, déresponsabilisant
l'auteur quant à son incapacité à fournir des concepts stables qui tiennent le corps de sa pensée.
Il va emprunter à John Rawls son idée de justice, non sans l'égratigner au passage d'une pique
narcissique : "Je laisse de côté l'habillage contractualiste dont Rawls revêt ce principe et que je
tiens pour une fable dialectique" (P.300). Il sera donc question au fil des pages de minimiser la
victimisation des individus via un Etat de droit assumant une "égalité des chances". Trouver la
juste répartition pour s'opposer au principe sacrificiel du bouc émissaire. Le grand Saint-Augustin
se verra accuser d'une "déplorable exégèse"(p.297) quant à sa lecture du verset de l'Evangile de
Luc, tiré de la Parabole du Grand Festin : "Contrains-les d'entrer". Au sein d'un rare passage
instructif se détachant notablement de ces tartines de mièvrerie, l'on pourra apprécier son
analyse de l'échange symbolique entre l'Etat et l'institution écclésiastique véhiculant onction et
sanction, la République récupérant des miettes de sacralité symbolique contre sa protection
séculière des croyances désormais mises en minorités. L'on apprendra, plus loin, ébahi, que "la
fonction de la loi est ici d'empêcher que l'expression de la liberté de l'un empiète sur
l'expression de la liberté de l'autre"(p.300). Quelle révélation. Le bal des évidences se poursuit
avec la régularité d'un escargot rencontrant une limace, la citoyenneté égale implique que
chacun a droit à une liberté égale à celle de tout autre individu ou groupe, qu'il y a des inégalités
matérielles, patrimoniales ou financières, culturelles, de tradition ou d'autorité morale, et qu'il
faut diminuer tant que faire se peut ces désavantages. Autre grande révélation : "L'impulsion à
imposer à autrui nos propres convictions. Cela est vrai qu'il y a quelque chose de
potentiellement intolérant dans la conviction : nous n'admettons pas facilement que ceux qui ne
pensent pas comme nous aient le même droit que nous à professer leurs convictions, parce que,
pensons-nous, ce serait donner un droit égal à la vérité et à l'erreur" (P.304). Nietzsche a traité
cette problématique de façon nettement plus convaincante avec la question des rapports de
puissance. Comment Mr Ricoeur compte quant à lui régler ce problème radical ? Puisque les
principes de justice ne peuvent trancher ces questions affectives et psychologiques, limités par
leur formalisme institutionnel, seule "la présomption que l'adhésion d'autrui à ses croyances est
elle-même libre"(P.305) instaurerait l'accès au respect, à la dignité et à l'égalité générale. Il
suffisait d'y penser. Le seul frein à la violence, accepter l'erreur d'autrui, en envisageant ses
propres convictions du dehors, via on ne sait quelle perspective objectivante, cela n'est pas
précisé, pour les relativiser et faire baisser la violence intrinsèque à toute forme de conviction ou
de système de valeurs. Bienvenue au Royaume des voeux pieux. Il faudra expliquer tout cela aux
laïcs forcenés qui refusent le port de signes religieux au motif que cela affecterait la liberté de
leurs porteurs, même quand ces derniers crient haut et fort les assumer en toute conscience et
liberté..

Le summum de l'arbitraire naïf est atteint au cours du passage suivant : "Quel est le critère de
l'intolérable ? Il ne peut y en avoir qu'un seul : c'est ce qui ne mérite pas le respect, si le respect
est la vertu de la tolérance au plan culturel. Ce qui ne mérite pas de respect, parce que fondé
précisément sur l'irrespect, à savoir le refus de présumer la liberté d'adhésion dans la croyance
adverse."(P.306)

Cette appréhension éthique est de nature parfaitement sophiste, en effet, les exemples pleuvent
d'individus parfaitement conscients de cette liberté d'adhésion d'autrui, capables même de
tolérer des opinions ou comportements, sans pour autant et à aucun moment les respecter. Il ne
s'agit plus que d'un respect formel de droit, non positif, soumis contrairement au souhait de
Ricoeur à la loi du plus fort, à savoir la crainte des sanctions du Léviathan étatique. Un respect de
soumission, non d'ouverture ou d'adhésion. Ce respect virtuel et imaginaire n'est qu'une
coquille vide, une façade désincarnée, privée de puissance, toujours prête à se fendiller pour
laisser apparaître son envers, "l'intolérable" sécrété par le refus du fameux "vivre-ensemble". Par
ailleurs, Ricoeur, pris dans cette utopie de reconnaissance mutuelle baignée dans un océan de
diversité chatoyante, en appelle au "Grand Code" de William Blake, plongeant dans un
mysticisme de pacotille où, à travers l'altérité, de façon soi-disant latérale, chaque tradition ferait
un pas vers l'autre, au sein d'un grand espace de rencontre symbolique. L'actualité mondiale
nous démontre chaque seconde à quel point ces idées sont pétries de naïveté. Vouloir établir un
schéma de transcendance ne peut se faire avec désinvolture, il faut qu'il s'ancre un minimum
dans de l'effectif, du concret et des exemples historiques. Et en l'occurrence, Ricoeur semble
apprécier l'apport des Lumières, les aveux de finitude qu'il a su imposer au christianisme,
oubliant au passage son terreau de barbarie, d'intolérance maximale et d'intolérable pur. Ce qui
infirme en un sens son refus de l'abjection, puisque sur ce fumier de violence radicale sont
sorties des pensées et un état social qu'il semble nettement respecter. La finitude de l'Esprit en
est son fruit central. Sa conclusion est à l'image de l'aveuglement occidental contemporain :

" L'intolérable n'a de place qu'aux deux niveaux antérieurs : il désigne, d'une part, ce que le
consensus conflictuel de ma culture tient pour inacceptable : l'abject, indigne de respect, parce
que lui-même sans respect, d'autre part, la pulsion toujours renaissante du pouvoir politique à
dire la vérité au lieu de se borner à exercer la justice, ce qui est la suprême ascèse du pouvoir"
(P.312)

Oui, il parle bien de sa culture, de ses consensus, aucun idéalisme transcendant authentique
aussi prisonnier de tels déterminismes ne peut prétendre établir de jonction humaine à vocation
universelle, ni de règles communes, encore moins de valeurs communément acceptables.

Quant à un pouvoir qui se serait borné à exercer strictement la justice sans chercher à dire la
vérité, l'on attendra longtemps un seul exemple.

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