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Le summum de l'arbitraire naïf est atteint au cours du passage suivant : "Quel est le critère de
l'intolérable ? Il ne peut y en avoir qu'un seul : c'est ce qui ne mérite pas le respect, si le respect
est la vertu de la tolérance au plan culturel. Ce qui ne mérite pas de respect, parce que fondé
précisément sur l'irrespect, à savoir le refus de présumer la liberté d'adhésion dans la croyance
adverse."(P.306)
Cette appréhension éthique est de nature parfaitement sophiste, en effet, les exemples pleuvent
d'individus parfaitement conscients de cette liberté d'adhésion d'autrui, capables même de
tolérer des opinions ou comportements, sans pour autant et à aucun moment les respecter. Il ne
s'agit plus que d'un respect formel de droit, non positif, soumis contrairement au souhait de
Ricoeur à la loi du plus fort, à savoir la crainte des sanctions du Léviathan étatique. Un respect de
soumission, non d'ouverture ou d'adhésion. Ce respect virtuel et imaginaire n'est qu'une
coquille vide, une façade désincarnée, privée de puissance, toujours prête à se fendiller pour
laisser apparaître son envers, "l'intolérable" sécrété par le refus du fameux "vivre-ensemble". Par
ailleurs, Ricoeur, pris dans cette utopie de reconnaissance mutuelle baignée dans un océan de
diversité chatoyante, en appelle au "Grand Code" de William Blake, plongeant dans un
mysticisme de pacotille où, à travers l'altérité, de façon soi-disant latérale, chaque tradition ferait
un pas vers l'autre, au sein d'un grand espace de rencontre symbolique. L'actualité mondiale
nous démontre chaque seconde à quel point ces idées sont pétries de naïveté. Vouloir établir un
schéma de transcendance ne peut se faire avec désinvolture, il faut qu'il s'ancre un minimum
dans de l'effectif, du concret et des exemples historiques. Et en l'occurrence, Ricoeur semble
apprécier l'apport des Lumières, les aveux de finitude qu'il a su imposer au christianisme,
oubliant au passage son terreau de barbarie, d'intolérance maximale et d'intolérable pur. Ce qui
infirme en un sens son refus de l'abjection, puisque sur ce fumier de violence radicale sont
sorties des pensées et un état social qu'il semble nettement respecter. La finitude de l'Esprit en
est son fruit central. Sa conclusion est à l'image de l'aveuglement occidental contemporain :
" L'intolérable n'a de place qu'aux deux niveaux antérieurs : il désigne, d'une part, ce que le
consensus conflictuel de ma culture tient pour inacceptable : l'abject, indigne de respect, parce
que lui-même sans respect, d'autre part, la pulsion toujours renaissante du pouvoir politique à
dire la vérité au lieu de se borner à exercer la justice, ce qui est la suprême ascèse du pouvoir"
(P.312)
Oui, il parle bien de sa culture, de ses consensus, aucun idéalisme transcendant authentique
aussi prisonnier de tels déterminismes ne peut prétendre établir de jonction humaine à vocation
universelle, ni de règles communes, encore moins de valeurs communément acceptables.
Quant à un pouvoir qui se serait borné à exercer strictement la justice sans chercher à dire la
vérité, l'on attendra longtemps un seul exemple.