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Ami-calement : Ami Bouganim lecteur de Levinas (A propos de La rime et le

rite)

Michael Maidan

En mémoire des maîtres que nous fréquentions


ensemble dans les salles de classe de l’Université
de Haifa : Itzjak Klein, Michael Landammann y
Ephraim Navon.

Au début des années 1990 la pensée de Levinas commença à jouir d’une

grande popularité en France. C’est ce que constate Frédérick Worms, qui

considère Levinas comme “l’une des figures majeures d’un moment qui, sans

se contenter de certitudes faciles, devait (…) se pencher avec inquiétude et

fermeté sur l’éthique” (F. Worms, 522). On peut aller jusqu’à parler d’un

“moment juif” de la philosophie française, c’est-à-dire d’un moment où le juif

apparaît, du moins pendant une courte période, comme l’archétype du

philosophique [1]. C’est ce que constate Alain Badiou, qui mène une

croisade contre ce phénomène dans son Ethique dont une des sections les

plus importantes est consacrée à combattre la pensée de Levinas.

Le livre de Ami Bouganim La rime et le rite s’interroge sur ce phénomène. Il

ne le fait pas depuis l’angle de l’histoire et de la sociologie de la philosophie

française, mais à partir de la logique interne d’une philosophie du dialogue et

de l’altérité qui trouve son inspiration dans l’œuvre tardive de Hermann


Cohen, dans les œuvres de Buber et Rosenzweig, pour culminer ensuite dans

celle de Levinas. Après s’être arrêté sur les principes fondamentaux de la

philosophie de Levinas, Bouganim en arrive à la conclusion que ceux-ci ne

sont pas explicables de manière interne, c’est-à-dire à partir d’une intuition

centrale propre de laquelle dériveraient de manière plus ou moins

axiomatique tous les autres aspects; ils ne semblent pas non plus pouvoir

s’expliquer sur la base de l’histoire de la philosophie en général, ni de la

philosophie française en particulier. La seule option qui s’ouvre alors consiste

à étudier leur «chantier de création» (La rime, 218-219), c’est-à-dire la

philosophie du dialogue. Il s’agit peut-être du seul reproche que j’oppose à

ce livre passionné et érudit: avoir privilégié un point de vue exclusivement

immanent à l’histoire de la pensée juive, pour expliquer tant les origines et

le développement de la « philosophie du dialogue», que le développement

de la pensée de Levinas, et enfin la popularité inédite dont a bénéficié sa

philosophie.

Le principe d’étudier les penseurs du courant dialogique séparément du

développement de la philosophie de la première moitié du XXe siècle

apparaît déjà implicitement dans le titre, qui fait allusion à une série

d’oppositions; la plus importante, l’opposition entre prêche et philosophie

(«Essai sur le prêche philosophique ») n’est ici présente que de manière

tacite. L’auteur ne développe pas explicitement cette distinction, qui apparaît

à plusieurs reprises dans le livre. Le prêche est en général lié à la pratique


religieuse, et se justifie soit par l’interprétation et l’étude de textes sacrés,

soit pour une révélation. La philosophie au contraire, tire sa crédibilité du fait

qu’elle remet sans cesse en question ses propres fondements et son

autorité. D’où l’aspect problématique d’un discours mixte («prêche

philosophique»), la difficulté d’expliquer l’existence d’un tel discours, sa

validité et la vocation à laquelle il répond (La rime, 139). Se référant à

Heidegger, qui n’appartient pourtant pas à ce courant, Bouganim parle de

«baratin de l’être ». Ici le prêche est non seulement suspecte parce qu’il

produit des «lettres patentes» peu claires, mais aussi à cause de son

contenu propre.

A cette opposition s’ajoute une seconde, l’apparente conjonction entre «

rime » et « rite », qui peut avoir plusieurs significations. La relation entre

rime et rite serait-elle la même que celle entre prêche et philosophie ? La

rime peut faire référence à un positionnement comme celui du second

Heidegger, à un renoncement de la philosophie, qui se transforme en

exégèse de grands poètes. Cela indiquerait-il qu’il s’agit d’un même abandon

(une trahison peut-être) que fait Heidegger de la philosophie, et que fait la

philosophie du dialogue de l’essence du judaïsme (rite) en faveur d’un

humanisme édulcoré et christianisé? C’est possible, bien que l’interprétation

du Judaïsme que propose l’auteur ne soit pas claire. Dans une note, il fait

référence à la possibilité d’une interprétation «non pharisienne du

judaïsme», ce qui laisserait plutôt entendre que la philosophie du dialogue


est le point culminant, et non l’abandon, de cette interprétation du

Judaïsme. Mais l’opposition entre rime et rite peut également faire référence

à la différenciation que fait traditionnellement la littérature sacrée juive

entre aggadah et halakha; entre ornement facultatif et rite obligatoire; entre

«l’idéologie », c’est-à-dire le rapport imaginaire qu’entretiennent les

individus avec leurs conditions réelles d’existence, et le mode social selon

lequel ils vivent en réalité.

Quel point de vue adopte Ami Bouganim pour critiquer la philosophie du

dialogue ? L’angle principal, bien qu’il ne soit pas le seul, semble être celui

d’une philosophie du « sens commun », qui se réclame génériquement de la

pensée du second Wittgenstein. Le sujet de la philosophie dialogique est un

sujet appauvri, un fantôme de la subjectivité. Ami Bouganim écrit dans une

note : «l’étrangeté du prochain, sa pauvreté (...) seraient des traits

existentiaux de l’autre comme autre (...) l’étrangeté et la pauvreté

véhiculeraient aussi (...) des connotations morales... Ma propre expérience

de l’autre déterminerait (...) toute ma réserve sur les thèses de Levinas.

L’autre serait plus volontiers enraciné dans son terroir, son intérieur, ses

mœurs (...) qu’il ne serait en exil» (La rime, p. 96-97). Dans les dernières

pages de son livre, il critique la «surdité partielle» de l'interprétation de

Levinas de la religion, et ajoute: «d’autres motivations plus lancinantes et

plus troubles que la motivation humaniste mettent une prière à mes lèvres»

(332).
De ce premier constat découlent les suivants: 1) la construction de l’Autre

chez Levinas (et probablement dans l’existentialisme dialogique juif, sinon

dans l’existentialisme en général) ne serait pas le fruit d’une expérience

phénoménologique, mais une construction fondée a priori sur des notions

morales admises sans critique et sans justification, si toutefois une

justification philosophique en est possible ; 2) sur la base de ce

constructivisme existentialiste, déjà suspect en lui-même, Levinas ajoute

une construction biblico-philosophique, c’est-à-dire hagiographique. L’usage

du terme «hagiographique» pour signifier apologétique n’est probablement

pas arbitraire, et vient souligner à quel point ce mouvement est irrecevable.

Ami Bouganim utilise une expérience extra-phénoménologique pour

critiquer, d’abord une analyse phénoménologique, puis une interprétation

constructiviste basée sur cette dernière. On pourrait argumenter ici qu’il est

possible de mener cette critique sans sortir du domaine de la

phénoménologie. Si la phénoménologie est applicable non seulement au

domaine de la théorie de la connaissance mais aussi à celui de la vie sociale

et de l’anthropologie philosophique, elle devrait être (comme c’est le cas

dans la phénoménologie de la connaissance) neutre face aux valeurs

concrètes et contingentes que suppose l’existence humaine. Sa mission

serait d’expliciter le mécanisme par lequel on évalue, pour ensuite sur cette

base reconstituer l’arbitraire possible de certaines de nos valeurs. La critique

de la philosophie dialogique en général ne nécessitait donc pas d’en appeler


à une expérience préalable, et encore moins à une expérience préalable

impossible à analyser et supra-philosophique. Nous pouvons accepter dans

les grandes lignes la description de la genèse de la subjectivité lors de la

rencontre avec l’Autre (thème qui a d’une forme ou d’une autre une longue

généalogie dans l’histoire de la philosophie occidentale), et rejeter comme

insuffisant, idéologique, etc., la description présumée de la relation avec

l’autre, par exemple dans le cas de l’analyse du féminin [2]. De même, une

éthique comme celle de Levinas ne requiert pas nécessairement une

garantie théologique, même si historiquement et contingentement les

philosophes dialectiques ne furent pas économes en thèmes théologiques.

Dans des écrits postérieurs, Bouganim adopte une position plus appréciative

de Levinas en tant que philosophe. Un de ses écrits ayant pour thème

Levinas et son travail pédagogique, datant de 1998, rappelle l'importance

que Levinas accordait à l'éducation, notamment à l'éducation juive. Dans ce

texte Bouganim souligne que Levinas est une de ces rares personnes pour

lesquelles toute interrogation sur le sens prend une tournure philosophique.

Il ajoute, que si Levinas lui-même se présentait en partie comme un

représentant des grands maîtres du Talmud, il était aussi un personnage

dans l'épique philosophique, à la croisée des chemins de ces deux grandes

conversations (Levinas Pedagoge and Philosopher, 17). Enfin, quelques

années après, Bouganim déplore le peu d'impact de la pensée de Levinas en

Israël (Quand l’hébreu s’ouvrira à l’hébraïsme).


(traduit de l’espagnol par Aude Bidoli et Tatiana Rosette)

NOTES

[1] Cf. le livre récemment publié de Sarah Hammerschlag, The Figural Jew
(2010). Voir aussi l’article de Marc Goldschmitt (Goldshmitt, 2009).

[2] La critique remonte à Simone de Beauvoir et à Derrida. Pour une


analyse complète de cet enjeu, cf. Claire Katz, Judaism and the Feminine
(2003) et ses références bibliographiques.

RÉFÉRENCES

Bouganim, Ami. La Rime Et Le Rite: Essai Sur Le Prêche Philosophique.


Paris, France: L'Harmattan, 1996.

Bouganim, Ami, “Levinas Pedagoge and Philosopher” [in] Egéa-Kuehne,


Denise. Levinas and Education: At the Intersection of Faith and Reason. New
York: Routledge, 2008 (Texte publié initialement dans: Emmanuel Levinas
philosophe et pédagoge, Paris:Les Editions du Nadir, 1998, 55-64)

Bouganim, Ami, “Quand l’hébreu s’ouvrira à l’hébraïsme…”, Les Nouveaux


Cahiers, No, 128, 1997, 39-42.

Goldschmitt, Marc. 1987-2007, La pensée des Juifs dans la philosophie, Les


Temps Modernes, Mai-Julliet 2009, No. 654, 145-174

Hammerschlag, Sarah. The Figural Jew: Politics and Identity in Postwar


French Thought. Chicago: University of Chicago Press, 2010

Katz, Claire E. Levinas, Judaism, and the Feminine: The Silent Footsteps of
Rebecca. Bloomington: Indiana University Press, 2003.

Worms, Frédéric. La Philosophie en France Au xxè Siècle: Moments. Paris:


Gallimard, 2009

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