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Tijana Asic
Faculté de Philologie et des Arts de Kragujevac
Veran Stanojevic
Faculté de Philologie de Belgrade
1
1. INTRODUCTION
Parmi les expressions linguistiques servant à représenter les relations tempo-
relles en français, deux types attirent particulièrement l’attention des chercheurs :
les temps verbaux et les prépositions temporelles 2 . Pour ce qui est des temps
verbaux, ce qui est en cause c’est la multitude de leurs usages et la complexité
des instructions qu’ils donnent. De nombreux travaux proposent de définir
leur sémantisme en essayant de rendre compte de leurs fonctions diverses (Bar-
celó & Bres 2006 ; Gosselin 1996 ; Kleiber 1993 ; Martin 1971 ; Verkuyl et al. 2004 ;
Vet 1980 & 2008 pour ne citer que quelques références). Par ailleurs, certains
auteurs montrent que les paramètres servant à décrire les temps verbaux peuvent
aussi être utilisés pour décrire d’autres types d’expressions tels que les adjectifs
et les adverbes temporels dits relatifs : prochain, suivant, futur, etc. 3 (Borillo 2001).
Quant aux prépositions temporelles, elles sont linguistiquement d’autant plus
intéressantes qu’elles partagent un certain nombre de propriétés avec les prépo-
sitions spatiales (voir Vandeloise 1999 ; Anscombre 1992 ; Vaguer 2008). Alors
que les temps verbaux constituent une catégorie grammaticale relativement indé-
pendante, ayant pour fonction de situer les éventualités sur l’axe du temps, les
1. Nous remercions Jacques Bres, Francis Corblin, Dejan Stosic, François Gourlet ainsi que les relecteurs
anonymes pour leurs précieux commentaires et leurs remarques avisées sur certains points discutés dans cet
article. Il va de soi que les auteurs sont seuls responsables d’éventuelles erreurs d’analyse.
2. Cette recherche contribue aux projets scientifiques N° 178002 et N° 178014 financés par le Ministère de la
Science et du Développement technologique de Serbie.
3. Il s’agit des adjectifs et des adverbes qui opèrent une localisation dans le temps en fonction de repères déjà
établis. Le repère peut être fourni par le moment de la parole ou par tout autre événement situé dans le passé
ou dans le futur. Cependant, dans les deux cas, la localisation s’effectue de manière relative, par rapport à un
point de référence déjà précisé.
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4. Il s’agit notamment des paramètres discutés dans Stanojević & Ašić (2008), que nous présenterons dans la
suite de cet article.
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5. Le contexte, dans son sens pragmatique, est l’ensemble des propositions que le destinataire considère
comme vraies ou probablement vraies et qui, conjointement à la forme logique de l’énoncé, constituent les
prémisses utilisées dans le processus inférentiel de l’interprétation. Elles proviennent de sources différentes :
l’interprétation des énoncés précédents (les informations qui se trouvent dans la mémoire à moyen terme), la
situation de communication (il s’agit des données perceptives tirées de celle-ci) et le savoir encyclopédique
(Moeschler & Reboul, 1994 : 237).
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que les prépositions temporelles dénotent uniquement des relations entre entités
temporelles (pendant, durant, lors de). Enfin, les prépositions spatio-temporelles
(avant, après, dans, etc.) désignent des relations entre les deux types d’entités.
Cette classification soulève plusieurs questions dont nous ne mentionnerons
que les plus importantes : i) Est-il possible de définir ces trois types de prépo-
sitions en se servant des mêmes concepts ? ii) Comment expliquer l’existence
des prépositions exclusivement spatiales ou exclusivement temporelles, si les
prépositions spatio-temporelles existent aussi ?
La réponse à la première question pourrait se fonder sur l’hypothèse du loca-
lisme linguistique, selon laquelle les expressions non spatiales sont dérivées de
mots servant à décrire l’espace et, partant, les relations entre objets dans l’espace
(Lyons, 1977 : 718). L’hypothèse du localisme linguistique est étroitement liée
à une autre hypothèse, de nature cognitive, à savoir l’hypothèse des relations
thématiques (Jackendoff 1985). Celle-ci postule que les notions abstraites sont
conçues selon des figures qui, originellement, servaient à concevoir l’espace.
Dans cette perspective, le temps est vu comme un pseudo-espace unidimen-
sionnel dans lequel on situe des éventualités, des moments et des intervalles
(Jackendoff 1992). Il faudrait donc trouver des prédicats suffisamment abstraits
pour pouvoir représenter tant les relations entre les entités spatiales que les
relations entre les entités temporelles.
S’il est vrai qu’ontologiquement et conceptuellement il n’y pas de différence
essentielle entre la nature ontologique des relations spatiales et temporelles,
il est légitime de se demander pourquoi toutes les prépositions spatiales ne
peuvent pas être employées dans l’expression des relations entre entités tempo-
relles et vice versa, pourquoi toutes les prépositions temporelles ne sont pas en
mesure de désigner des relations entre entités spatiales ? L’existence de prépo-
sitions exclusivement spatiales (en face de, dans le dos de, à gauche de, à droite de,
le long de, etc.) s’explique facilement par la complexité de l’espace par rapport
au temps. En effet, le temps est conçu comme unidimensionel et comme intrin-
sèquement ordonné, alors que l’espace est tridimensionnel (voir, entre autres,
Berthonneau 1992). Le sémantisme des prépositions spatiales repose donc sur
des relations qui n’existent pas toutes dans le domaine temporel.
Il convient d’ajouter ici que la manière dont les prépositions représentent
les relations spatiales n’est qu’une simplification des relations effectives entres
entités spatiales. En effet, les données perceptuelles dont on dispose lorsque
l’on observe les référents spatiaux et leurs positions relatives sont très riches
et fluctuantes, et les prépositions spatiales n’en révèlent qu’une petite partie
pertinente pour le discours (Aurnague, Vieu & Borillo, 1997 : 73).
Le problème qui subsiste, cependant, est celui des prépositions à usages
exclusivement temporels (par exemple, lors de, au moment de, durant et pendant).
Nous y reviendrons une fois que nous aurons présenté l’ontologie nécessaire
pour la définition des prépositions.
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Ajoutons qu’il est possible de définir toutes les prépositions spatiales, tem-
porelles et spatio-temporelles en recourant aux prédicats et entités méréoto-
pologiques telles que inclusion, contact, connexion externe 6 , bornage, localisation
totale ou générique, trajet, etc. enrichies par la notion d’orientation, nécessaire pour
décrire les prépositions dites projectives (p. ex. devant, derrière) (voir aussi Van-
deloise 1986 ; Casati & Varzi 1999 7 ; Ašić, 2008 : 98-150).
La notion d’orientation est basée sur l’existence de cadres de référence. Les
cadres de référence servent à établir les coordonnées de l’objet référentiel (le
site), à partir desquelles on situe l’objet focal (la cible). Nous adopterons ici
l’approche de S. C. Levinson qui, dans ses analyses, opte pour trois types de
cadres de référence (Levinson 2003) 8 : 1. Le cadre de référence intrinsèque, 2. Le
cadre de référence relatif, 3. Le cadre de référence absolu. Le cadre de référence
intrinsèque est basé sur les parties inhérentes à l’objet-site 9 . Le cadre de référence
relatif s’appuie sur les axes corporels de l’observateur, qui peuvent être différents
de ceux du locuteur. Enfin, le cadre de référence absolu est basé sur des points
de référence abstraits et prédéfinis (comme les notions de Nord ou de Sud).
La majorité des langues et des cultures ont conjointement recours au cadre de
référence relatif et au cadre de référence intrinsèque.
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Nous avons besoin des cadres de référence pour introduire la notion de région
frontale (positive/négative) nécessaire pour définir, entre autres, les prépositions
devant et derrière.
(ii) La région frontale positive/négative à un objet : rfpy =df ιw (Pw(ny) ∧ ¬Pyw
∧ Rw ∧ Clw ∧ fpw(ry)) 10 (La région frontale positive à Y est égale par définition
à il existe un et un seul W tel que W est une partie du voisinage 11 de Y et Y n’est
pas une partie de W et W est une région et W est fermé et W est frontalement
positif/négatif relativement à la région de Y)
Un objet (la cible) peut se trouver soit du côté positif soit du côté négatif du
site : la région frontale positive/négative est définie par la structure intrin-
sèque du site (p. ex. Le ballon est devant la voiture) ou par la perspective du
locuteur/observateur (p. ex. Le ballon est devant le puits) 12 .
Cette définition est basée sur le prédicat « localisation totale » qui, lui aussi, est
de nature spatiale.
(iv) Localisation totale : WLxy =df ∃z (Pzy ∧ Lxz) (x est complètement localisé à y
est égal par définition à il existe z tel que z est une partie de y et x est exactement
localisé à z 15 .)
Notons que cette définition de pendant vaut pour les deux types d’emploi de
cette préposition, illustrés par les exemples suivants :
(1) Dusan a dormi pendant deux heures.
(2) Dusan a dormi pendant la journée.
10. Toutes les définitions utilisées dans la suite de cet article sont reprises de Ašić (2008).
11. L’opérateur de voisinage se définit comme suit (Ašić, 2008 : 103) : ny =df ιw (Pyw ∧ Opw ∧ ∀z(Pyz ∧ Opz
→ Pwz)) (Opérateur de voisinage)
(Le voisinage de y est égal par définition à il existe un et un seul w tel que y est une partie de w et w est ouvert
et pour tout z, si y est une partie de z et si z est ouvert, alors w est une partie de z.)
12. En l’occurrence, entre le locuteur et le puits, ce dernier n’ayant pas de partie frontale.
13. La substitution de l’une des deux prépositions à l’autre est possible sans changement de sens.
14. Définition de la borne : Bxy =df BPxy ∨ BPx(∼y) (x borne y est égal par définition à x est une partie de la
borne de y ou x est une partie de la borne du complément de y.)
15. Lxy → PLxy ∧ WLxy (Localisation exacte)
(Si x est exactement localisé à y, alors x est partiellement localisé à y et x est complètement localisé à y.)
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16. Leurs usages avec des arguments spatiaux (p. ex. pendant la route) doivent aussi être analysés comme des
usages temporels dans lesquels l’idée du temps est suggérée par la nature des entités qui fonctionnent comme
des trajets.
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aux entités spatiales, encore que ces relations puissent être définies au moyen
de prédicats spatiaux. Cette inaccessibilité provient de l’impossibilité pour un
objet A d’être localisé exactement dans la région spatiale (et au même moment)
totalement occupée par un objet B, alors que deux éventualités peuvent être
situées dans la même région temporelle (voir Casati & Varzi 1999). Autrement
dit, le pendant spatial de la simultanéité temporelle est difficilement envisa-
geable. Cette différence rappelle un vieux débat philosophique concernant la
nature ontologique des objets et des événements (Bennett 1996 ; Hacker 1982).
Un objet a une extension limitée mais une durée illimitée ; de plus, il ne peut pas
occuper tout l’espace, mais il pourrait occuper la totalité du temps ; enfin, dans
l’espace, il doit y avoir suffisamment de place pour une multitude d’objets qui
ne se recouvrent pas obligatoirement dans le temps.
D’autre part, un événement a les propriétés suivantes : il a une durée limitée
mais une extension illimitée ; il ne peut pas occuper la totalité du temps, mais
il pourrait occuper la totalité de l’espace ; il doit y avoir suffisamment de place
dans le temps pour beaucoup d’événements qui peuvent ou non se recouvrir
(Casati & Varzi 1999 ; Mayo 1961).
Qu’en est-il des prépositions considérées comme spatio-temporelles, telles
que avant et après ? Avant de les aborder, nous proposons les définitions des
prépositions spatiales devant et derrière.
(vii)Définition de devant: x devant y =df ∃w (Pw(rfpy) ∧ RLxw)
(x est devant y est égal par définition à il existe w tel que w est une partie de la
région frontale positive de y et x est exactement co-localisé à w.)
(viii)Définition de derrière: x derrière y =df ∃w (Pw(rfny) ∧ RLxw)
(x est derrière y est égal par définition à il existe w tel que w est une partie de la
région frontale négative de y et x est exactement co-localisé à w.)
17. Notons qu’il y a des langues (comme le kikuyu) dans lesquelles l’opposition spatial/temporel dans ce
domaine n’est pas lexicalisée : mbere (devant, avant), thuda (derrière, après) – voir Ašić (2008).
18. Bien évidemment, dans le cas des éventualités, on ne peut parler que du cadre de référence relatif, étant
donné que le concept de partie frontale n’a de sens que pour les entités spatiales.
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19. Loin d’être indépendants, les nivaux géométrique, fonctionnel et pragmatique forment entre eux une
structure hiérarchique : le second niveau introduit des informations fonctionnelles en se fondant sur des
données géométriques et permet, dès lors, de représenter la sémantique « brute » des expressions spatiales.
De son côté, le niveau pragmatique modifie les résultats obtenus au second niveau de manière à adapter cette
sémantique à la situation « réelle » (Aurnague, Vieu & Borillo, 1997 : 6).
20. Voir aussi Vandeloise (1986, 1987).
21. Cet exemple implique qu’une partie des fleurs se trouve en dehors du vase en question.
22. Les crayons en question sont totalement inclus dans la boîte.
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4.1. Introduction
Dans cette section, nous allons aborder la sémantique des temps verbaux du
français afin d’examiner si les concepts qui servent à les définir dérivent de
concepts spatiaux. S’il s’avère qu’un tel rapprochement entre la sémantique tem-
porelle et la sémantique spatiale est faisable, cela peut constituer un argument
sérieux en faveur de l’hypothèse du localisme linguistique, selon laquelle la
sémantique temporelle découlerait de celle de l’espace. Plus précisément, nous
allons examiner si les paramètres nécessaires pour définir les temps verbaux du
français peuvent se ramener à des concepts servant à définir les prépositions
temporelles, à savoir la localisation totale, la localisation générique et la région
antérieure/postérieure (voir les sections 3.2 et 3.3).
23. Pendant {la guerre / les vacances / cette année / cette période, etc.}...
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24. S = le moment de la parole ; E = le moment de l’événement ; R = le point référentiel, par rapport auquel se
situe le moment de l’événement.
25. Il s’agit d’une application de son système au français, Reichenbach ayant fondé sa théorie sur le système
temporel de l’anglais.
26. Pour les avantages et les inconvénients des définitions des temps au moyen des trois coordonnées reichen-
baciennes, voir Verkuyl et al. (2004), entre autres.
27. Rappelons que le concept servant à décrire les prépositions avant et après, à savoir la région anté-
rieure/postérieure, dérive lui-même du concept spatial de région frontale positive/négative (voir § 3.2).
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L’idée est qu’à une suite de phrases P1 , P2 ... Pn-1 , Pn , ne correspond pas toujours
le même ordre des éventualités que ces phrases introduisent, c’est-à-dire : e1 <e2 ...
en-1 <en . Qui plus est, certains temps ne sont pas aptes à déterminer par eux-
mêmes l’ordre chronologique des éventualités qu’introduit une séquence de
phrases : P1 ...Pn-1 , Pn . Il s’agit, notamment, du passé composé et du futur simple.
Soit l’exemple (16), comportant une suite discursive de deux phrases au passé
composé 29 :
(16) Paul est tombé. Il s’est évanoui.
28. Il convient de noter ici que c’est loin d’être un fait universel. Il y a des langues, comme le serbe,
qui n’expriment pas des oppositions aspectuelles par le recours aux temps verbaux, mais par des moyens
dérivationnels, tels que la préfixation et la suffixation (Stanojević & Ašić 2010).
29. Pour le futur simple, voir Vet (1994), Ašić & Stanojević (2009). Pour le comportement du passé composé
vis-à-vis de l’ordre temporel, notamment dans les discours narratifs, voir Swart & Molendijk (2002).
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Dans la section suivante, nous examinerons s’il est possible de définir les
instructions données par les temps verbaux à partir des concepts méréotopo-
logiques utilisés pour définir les prépositions spatiales, spatio-temporelles et
temporelles.
30. Par exemple, le sens résultatif des temps composés, que certains sémanticiens abordent en enrichissant
l’ontologie de leur modèle par l’introduction des états résultatifs (voir Swart 1998 ; Vet 2010).
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31. Voir la différence : Dusan mangea une pomme vs. Dusan mangeait une pomme.
32. Voir Swart (1998) pour la notion de coercion aspectuelle.
33. Celui auquel réfère le complément temporel de la préposition.
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Alors que avant peut servir à signifier l’antériorité par rapport à un moment
autre que S, c’est l’expression il y a (ou ça fait) que l’on utilisera pour désigner
l’antériorité par rapport à S.
Il convient de remarquer que pour l’espace, une opposition analogue à S=R
et S6=R, à savoir celle entre ici=R (ici=le lieu de la parole) et ici6=R est exclue, du
moins en ce qui concerne la sémantique des prépositions spatiales. En effet, en
français, peu importe que le site soit identique ou non à l’endroit où se trouve
le locuteur. Ainsi, pour désigner que la cible se trouve dans sa région frontale
négative on emploiera toujours la même préposition :
(21) Dušan est derrière moi. (S=R) / oui, il est ici/là (*là-bas).
(22) Dušan est derrière la maison. (S6=R) / oui, il est là/là-bas (*ici).
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34. L’opposition entre l’usage descriptif et l’usage interprétatif a été introduite par Sperber & Wilson
(1986 : 347). Dans l’usage descriptif, la forme propositionnelle représente un état de choses, alors que dans
l’usage interprétatif la forme propositionnelle représente une autre représentation – p. ex. une pensée – en
vertu de ressemblances entre les deux formes propositionnelles. Ainsi, dans son usage standard (descriptif), le
présent décrit ce qui se passe au moment de la parole. Par contre, dans son usage non-standard ou interprétatif
(p. ex. le présent narratif ou le présent à référence future), le présent représente une éventualité qui a lieu dans
le passé ou dans le futur, mais qui est envisagée comme si elle se déroulait devant les yeux d’un observateur
fictif.
35. On sait en effet que pour que l’on puisse descendre d’un avion, il faut que la porte s’ouvre préalablement.
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6. CONCLUSION
Dans ce travail, nous sommes partis du fait qu’il est possible de décrire partielle-
ment la sémantique des prépositions temporelles par le recours à des prédicats
spatiaux (voir Vandeloise 1999 ; Ašić 2008), ce qui est en accord avec l’hypothèse
du localisme linguistique qui postule la primauté de l’espace par rapport au
temps, l’expression et la représentation du temps étant fortement dépendantes
de celles de l’espace (Anderson 1971 ; Lyons 1977). Par ailleurs, si on conçoit
le temps comme un pseudo-espace unidimensionnel dans lequel on situe des
éventualités, des moments et des intervalles (Jackendoff 1992), on est en droit
de se demander si les temps verbaux, tout comme les prépositions temporelles,
peuvent être réduits à des concepts spatiaux. Nous avons donc envisagé la
possibilité de définir les prépositions temporelles et les temps verbaux par le
recours aux prédicats spatiaux issus de la méréotopologie de R. Casati et A. Varzi
(1999) et enrichis par la notion d’orientation qui provient du « cadre relatif » de
S. C. Levinson (2003).
Cependant, nous avons montré que les temps verbaux ne peuvent pas être
réduits aux notions et aux prédicats qui servent à définir les prépositions tempo-
relles.
La diversité des interprétations des temps verbaux, la possibilité qu’ils offrent
de changer la perspective de l’observateur et les différentes manières dont ils
représentent et ordonnent les éventualités suggèrent que notre conceptualisation
du temps structurée par les temps verbaux est beaucoup plus complexe que
celle qui découle de la sémantique des prépositions temporelles. Ceci dit, elle
n’est pas totalement basée sur notre conceptualisation de l’espace et des relations
spatiales dont la complexité est d’un ordre différent.
Cette impossibilité de nature cognitive (car, la sémantique représente dans
une certaine mesure notre conceptualisation et catégorisation du monde et des
relations entre ses entités) n’est peut-être qu’une image d’une opposition méta-
physique entre le temps et l’espace. Nombreux sont les travaux philosophiques
qui suggèrent que le temps est ontologiquement autonome par rapport à l’espace.
En effet, à la différence des auteurs tels que Russell, Einstein, Reichenbach qui
disent que le temps n’est qu’une séquence d’événements inchangeables et indé-
pendants de la temporalité, les philosophes tels que A. N. Prior (1968), P. Ludlow
(1999), H. Stein (1968), L. Sklar (1974) stipulent que la distinction métaphysique
entre les événements futurs, présents et passés est beaucoup plus profonde que
la simple suite des événements.
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Cela dit, on pourrait supposer que les temps verbaux ne servent pas unique-
ment à représenter les relations d’antériorité, de postériorité et de simultanéité
(à savoir les relations dénotées par les prépositions), mais aussi à marquer cette
distinction profonde entre le maintenant et le non-maintenant ainsi que le point de
vue du locuteur qui peut observer les éventualités sous plusieurs perspectives.
Enfin, il est utile de mentionner que certains travaux psycholinguistiques
portant sur l’acquisition des temps verbaux et sur celle des prépositions donnent
des arguments contre le localisme linguistique et cognitif : la capacité de l’enfant
à comprendre et à utiliser les prépositions avant/après vient beaucoup plus tard
que son emploi des temps verbaux (Cromer 1968).
La raison en est probablement le fait que pour l’enfant la question fondamen-
tale est de savoir si quelque chose se passe au moment de la parole ou à un autre
moment.
À la fin de cette modeste contribution à l’étude linguistique de l’espace
et du temps, nous ne pourrons que constater que le problème exprimé par
la question emblématique de Saint Augustin (Quid est enim tempus ? Quis hoc
facile breviterque explicaverit ?) ne cesse d’intriguer des chercheurs d’orientations
théoriques diverses et reste d’actualité même de nos jours. Nous espérons tout
du moins avoir ouvert quelques pistes nouvelles en vue de sa résolution.
Références bibliographiques
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