La Fabrique des images
VISIONS DU MONDE ET FORMES DE LA REPRESENTATION
sous la direction de Philippe Descola
VILLE DE LYON
BIBLIOTHEQUE
i soMocy
EDITIONS
vusseduquaisranty DART
3.7001 03253231 4Cet ouvrage est publié 4 occasion de exposition «La Fabrique des images»
présentée au musée du quai Branly du 16 février 2010 aw 11 juillet 2011
Exposition Préteurs
Commissariat Allemagne
Philippe Descola Bein, Museum fir Vkerkunde
Munich, Statiches Museum fir Vlkerkunde
Scénegraphie Seutrgart, Linden Museum
Pascal Rodriguee
Brs-Unis
Conception graphique ‘Cambridge, Peabody Museum, Harvard
Marion Soivie Los Angels, Allen F Roberts
ct Mary N. Roberts
Concepion lumire los Angels, UCLA Fowler Museum of Cultural History
Pascal Rodrigue Berkeley, Phoebe A. Hearst Museum
of Anthropology, Berkeley University
Production, Direction Sitka, Sheldon Jackson Museum
dt développement culture!
Helene Fulgence France
direseur Paris, M. Maurice Bloch
Coitena igs Paris, Collége de France
ela production Pais, ENSBA
omnes Paris, muse Marmottan
des expositions
7 4 conservatoire national des Ars
Bie tee et Mater, CNAM
hag de production Pars, mange Guimet
Patricia Morejon Paris, masée du Louvre
coordination nial sonographic Roubaix, La Piscine - Musée d'Art et d'indstrie
Delphine Davenicr Andeé Diigeot
responsable de la ii des expositions
“e i Mesigue
Ciristine Moine-Paton “Mexico, Museo Nacional de Antropologi INAH
giseur dures
‘Sebastien Priollet ot Mare Henry multiméia
(Cline Martin-Raget
responsable du pile image
Mariel Rausch
nsponsable di ple papier
Sophie Chambonniére
chargé d'éiton
Lexposition a été réalisée grice au mécénat du CLUB ENTREPRISES Saison 2009-2010
rurogour —ocpate QE"Auteurs
Philippe Descola
fener a Callie de Foe
distor dees 3 TEHESS, Pari
Frangoie Dust
meee dauhnpslge,
Universi du Conmicat,
Seon
Dimitri Karadimas
hecho au CNRS ot
‘drexcrabont du Labrie
{Anopeloie Sie Paris
Josiea De Langy Healy
‘henheafléa Labnaire
4Amrpoloie Sie, Pari
Frédéric Lawgrand
esr tide, diparcont
‘alropologi
Quite
Johannes Neurath
dceur cn athrpoogie,
Mineo Nacional
de Anal, INAH, Meso
Allen F Robers et
Mary Nooter Roberts
rose itis, pateren
aes as ules du mond,
Université de Californie (UCLA),
Los Angeles
Moni Sicant
chargé de recherche au
Charles Stépanoff
atv de cones, Ele pique
des hates ead, ars
Anne-Christine Taylor
diner du darter de
fa here de ensignenent,
used quai Branly Pais
Michael Taylor
iain ot tdectenr,
Savignaclesklises
ivesté Lav,
NRS, Paris
Remerciements du commissaire de Vexposition
Je tiens 3 remercier tous ceux qui ont rendu cette exposition pos
sible, et tout particuligrement le personnel du nunée du quai
Branly et les préteurs. Parmi les premiers, ma reconnaissance va en
premier liew i Téquipe de la direction du développement culture,
cchangée de mener 3 bien exposition et le catalogue, qui Ia fait
avec un enthousiasme de tous les insants et une compétence
jamais prise en défaut; elle s'adrewe aussi 3 tous ceux qui, at
rmusée, mont fait bénéficier de leurs conse, en particulier
Christine Barthe, Daria Cevoli, Yves Le Fur, Constance de
Monbrison, André Delpuech, Carine Peltier, Philippe Peltier et
[Nanette Snoep. Parmi les préteurs, dont les noms sont mention
je voudrais témoigner une gratitude toute particulgne
Miller, directeur du Staatliches Museum fir
Valkerkunde de Munich, et 3 Vincent Pomaréde, directeur du
Adepartement des peintures du musée du Louvre, pour la généro-
sité de leur accueil et Tampleur de leur collabora
Personnes qui mont aidé 3 un
n. Parmi les
ire ou A um autre Hors de la prépa
ration de cette exposition, je voudrais manifester une re
sance particuliére 3 Aritoteles Barcelo Neto, Maurice Bloch,
Julien Bonhomme, Sophie Bowser, Lucien Castaing- Taylor, Pierre
Corvol, Jesiea De Largy Healy, Barbara Glowezewski, 1
Karadimas, Wazir-Jahan Karim, Alexandre Krainik, Marie Mauzé,
Johannes Neurath, Patrick Pérez, Perig Ptrou, Allen F Roberts et
Mary N. Roberts, Monique Sicard et Romain Simenel. Je sais gre
4 la Karl Friedrich von Siemens Stiftung et 4 som directeur
Munich
cen 2007-2008, me fournissant ainsi la tranquilité desprit néces-
«fellows
Heinrich Meier de m’avoir accueil co
saire 4 Télaboration du projet de Vexposition. Je voudrais enfin
remercier trés chalewreusen
nt Anne-Christine Taylor qui
accompagné pas 4 pas dans cette aventure et gui a quot
-ment ceuvré pour qu'elle aboutise; sans elle «La Fabrique des
images»Préface
‘Si mons powvons espérer donner un sens a la myriade de intiutions dont more plane ofre
{e témoignage, c'est ala condition d’admetire notre dette di 'égard de celles qui nous distinguent et qui nous omt
fer ete capacté unig de les consider toutes comme aunant de manifestations lgitimes d'une condition partage,
PHLIPME DESCOLA, Les Lanes dt ripucle
Apmis «Qu'estce qu'un corps?» et «Planéte Métis», toisitme exposition anthropologie du musée da
«quai Branly ouvre ses porte. Je sis heureux que Philippe Descola soit le commisaine et maitre deeuvre de
ce grand projet, qui met en images le travail de toute tne vie.
Cet éminent anthropologue.éléve et succesweur de Claude Lévi-Strauss, s'est avant tout dstngué parses
recherches sur les Indiens d’Amazonie, Cette exposition reflte son uve qui repose sur la fréquen-
tation conjointe de lethnologie, de la philosophie et de "histoire de Fart. Elle capture la curiosit, celle
li méme de ethnologue sur le terrain qu'il explore
Corps parés, objets composites, miniatures, tiches, masques desprits animaux, peintures exprimant le
temps du Rv... une palette iconographique slectionnée pour si charge symbolique et esthéxigue, en
Provenance de cultures ausi variges qu’éloignées, donne i voir ce qui d'emblée n'est pas perceptible
Philippe Descola reléve le défi avec autant de justesse que d'inelligence en mettant en ével les cing sens
sans jugements de valeur ni discrimination, et en parcourant les cing continents.
A partir du postulat sclon lequel il existe quatre grandes ontologies dans le monde, il se livre 3 un déeryp=
tage des images fabriquées parla main ¢t Mesprit de Phomme.
Si, par exemple, le naturalisme dans Europe de la Renaissance en appelle i Vidée de Beauté et de repro-
duction du rée,'animisme des Inuit ou des Amazoniens, en harmonie avec la nature, vise plutst le prin-
cipe de métamorphose
Dans ces cultures marguées par «!'omniprésence du surnaturel» selon les termes de Claude Lévi-Strauss,
‘a beauté sera plutde éclat, mite, rythme, vibration, efficacit..
Le choix duu mor fabrique, du latin classique fabric, n'est ailleurs pas anodin, car il renvoie tout autant
4 Tidée d'ceuvre d'art, au métier artisan qu’a la notion d'atelier, en fonction des lieux.
artiste, Partisan, le chamane ou le forgeron sont doués d'un soir etd’
ges ne se réduit pas 3 Pacte de eréer, mais asi & celui de t
n sivoir-faire. La fabrique des ima-
nsmettre une connaissance, une source d'infor-
‘mation inscrite dans la mémoire d'un peuple, de tsser les liens qui unissent les groupes humains entre eux.
‘La Fabrique des images» est une exposition pour laquelle Iexpression «prendre corps» a tout son sens.
{La pensée se matérialse, le spirituels‘incarne, le singulier prend les dimensions de universe, le sauvage
et le domestique se réconcilient par le biais des analogies, des rapports de correspondance, la peinture de
ime se fond dans une «nacure en trompe lavls
Jetiens a remercier chaleureusement les nombreux préteurs, qui ont accepté avec générosté de se séparee
de leurs ceuvres durant plus d'une année pour révéler au visiteur du musée, par le bias de Var, les arcanes
de cet univers de signes qui s‘ouvre sur une subtile inelligibilité des cultures.
STEPHANE MARTIN
Président ca muse dh ui Branlyu
53
61
101
113,
214
220
Sommaire
Introduction
Maniéres de voir, maniéres de figurer
PHILIPPE DESCOLA
Un monde animé
Présentation par Philippe Descola
Voir comme un Autre :
figurations amazoniennes
de Vame et des corps
ANNE-CHRISTINE TAYLOR
Miniatures et variations d’échelle
chez les Inuit
FREDERIC LAUGRAND
Corps et imes d’animaux
cen Sibérie : de Amour animique
a ’Altai analogique
CHARLES STEPANOFF
Un monde objectif
Présentation par Philippe Descola
Le peintre et le savant :
la fabrique des images au sigcle
d'or de la peinture hollandaise
MICHAEL TAYLOR,
La «photo-graphie»,
entre nature et artefact
MONIQUE SICARD
Bibliographie
Liste des wuvres exposées
125
127
139
147
163
165
185
193,
203
Un monde subdivisé
Présentation par Philippe Descola
De la terre 8 la toile : peintures
acryliques de ’Australie centrale
FRANGOISE DUSSART
Lart de la connexion : traditions
figuratives et perception des images
en terre d’Arnhem australienne
JESSICA DE LARGY HEALY
Un monde enchevétré
Présentation par Philippe Descola
Animaux imaginaires
ct étres composites
DIMITRI KARADIMAS.
«La répétition pour elle-méme> :
les arts itératifs au Sénégal
ALLEN F ROBERTS ET
MARY NOOTER RODERTS
Simultanéité de visions : le nierika
dans les rituels et l'art des Huichols
i
HANNES NEURATH.Manieéres de voir, maniéres de figurer
PHILIPPE DESCOLA
Les controverses quant la signification des peintures dans les grottes ornées dela préhistoire indiquent asez
‘qu’une image dont le sujet est pourtant tout 4 fait reconnaissable n'est pas immédiatement transparente,
Se mammouth environné dvhumains,est-ce un épisode d'un récit de chasse qu'un conteur aurat dess
pour appuyer son récit? Est-ce une séquence d'un mythe 3 jamais perdu évoquant une période it les
hhumains et les animaux vivaient en bonne intelligence? Est-ce un élément dans un dispositifrituel destiné
4 assurer des prises abondantes? Est-ce une glorification d'un animal qui serait réputé étre i origine d'un
‘groupe humain? Personne ne peut le dire et il est hasanteux de conjecturer une réponse par analogic avec
‘ce que T'on sait des images faites par des populations de chasseurs contemporain, en Australie ou au
Kalahari, tant est immense la distance temporelle qui sépare celles-ci des peintres de Lascaux ou de a grotte
Chauvet. Les images ne parlent pas d’elles-mémes;soit parce que la connaissance des effets que ceux 4
cont créées cherchaient produire sur ceux 3 qui elles étaient destinges demeure impénétrable en raison de
Trécart culture, soit parce que cette connaissance seffloche avec le temps i Tintéricur d'une méme tradi-
tion iconologique, ce qu'une visite & a section médiévale de nos musées nous permet de vérifier sans peine
arrive certes que des effets soient perceptibles par-deli les siécles et ln diversité des provenances.
Pourvu que ce qu’ellesfigurent soit reconnaisable, des images trés anciennes ou trés lointaines peuvent
éxeiller en nous le désir, la peur, le dégoai, la pitié, Famusement ou méme, pls simplement, la curiosité
Il n'est pas sir ~il est mime peu probable — que les émotions par nous ressentes sient exactement iden~
tiques 3 celles qui donnaient i ces images la force d'expression et la causaité agisante dont elles Gaient
innvesties par ceux pour qui elles avaient été faites. Mais, dans Ia majorité des cas, ces effets ne sont plus
uére pergus, hormis un délicieux sentiment inguigude devant Péerangeté de certs images ou, a
‘contraite, cette satisfaction de reconnaitre quelque chose de familier que Yon éprouve devant un équilibre
formel particuliérement réussi ou devant un témoignage évident de virtwosité dans lexécution. Les experts
sauront sans doute nous éclarer sur tel ou tel type d'image qui reléve de leur compétence, de sorte qu'un
amateur attentif pourra espérer sis
quelque chose des intentions d'un sculpteur méanésien, d'un pein~
tre de Espagne du sigcle d’or ou d'un porteur de masque da Brésil central; mais il Tapprendra par bribes
et morceau, en lsant des catalogues et des ouvrages savants, comme autant de coups de projecteur sur
tune esthétique particule, et sans te en mesure de se repérer dans la forét des images qui peuple nos
rmusées et notre vie quotidienne autrement qu'en se racerochant & des eatégories conventionnelles pure-
iment descriptives. Celles-ci sont essenticllement de type historique et géographique :il ya des musées des
beaux-arts qui abritent des collections d'art européen rangées par Gpoques, des musées dart aatique of
reposent des objets que Ion a pris Fhabitade de considérer avec les méies ritéres que les objets dart
foccidentaux, des musées ethnographiques oii Ton range les artefacts qui ne proviennent ni d'Asie ni de
POecid ns large, les musées des sciences et des techniques oi 'on trouve des machines et des
représentations en deux et trois dimensions qui
tavaient pas de finalité artistique initiale, sans compter la
masse immense des images de toutes sortes qui nous asallent sur les murs des villes, dans la presse et sur
les divers écrans que nous fréquentons chaque jour. Mais ces subdivisions de pure commodité ne nous
Eclairent guére sur les rapports et les contrastes entre les images :ai~deli des contextes toujours singuliers
de leur production et de leur réception, au-deli des affinités de style, d'expression et de technique propres
4 des périodes historiques et des aites culturelles, au-deli de certaines fonctions communes qu'elles sontMenidtes de voit, manldves de figarer
ddemander i un animal que l'on chasse de ne pas se venger, ou encore de faire fouctter une montagne
pour l punir de s'@tre mal conduit, ainsi que le fit jadis un gouverneur en Mongolie,
Malgré la grande diversté des qualités que 'on peut détecter dans les étres et les choses, ou que on.
peut inférer partir d’indices offers pas leur apparence et leur comportement, i est plausible de penser
que les systémes de qualités eux-mémes ne sont pas trés nombreux, ne serait-ce que pour des raisons
économie cognitive; les ontologies guident nos inférences quant i la nature des choses, de sorte que
le nombre de mondes au sein desquels nous pouvons vivre simultanément n’est pas illimité. De fait,
il n'y a probablement pas plus de quatre ontologies, chacune organisée selon les continuités ou les
discontinuités que les humains identifient entre eux et le reste des existants — congénéres, onganismes
‘ou artefacts ~ sur le double plan physique et moral’
‘Au vu des indices qu'elle me livre, je peux estimer, par exemple, qu'une entité queleonque observa
ble dans mon environnement posséde une intériorité semblable 3 la mienne : animal, artefact, plante ou
simple «présence perceptible par ses effets, elle semble, tout comme moi, animée d'intentions propres,
«capable dactions et de jugements autonomes. Par contre, Tapparence physique sous laquelle elle soffe 4
sma perception différe grandement de la micnne :couverte de phames, 'éailles ou de fells, dotée dale,
de nageoites ou de racines, incapable de survivre hors de l'eau ou de se déplacer en plein jour, cette entité
ext prédéterminge par son corps 4 occuper une niche écologique tout 3 fat particuliére ety mener en
cconséquence une existence distinctive, Lunivers d'un insecte n'est pas celui d'un poisson, qui n’est pas
non plus celui d'un humain ou d'un arbre, car chacun de ces univers ex Ja fois la condition et le résul~
tat de actualisation de fonctions organiques singuliéres que les autres espéces ne possédent pas. Bref, je
peux penser que la plupart des existants qui menvironnent répondent 8 ces caractéristiques : eur inté-
rior n'est guére différente de la mienne, mais il se dstinguent de moi par leur équipement physique,
pat le ype d'opérations qu’ leur permet d'accomplir et par les points de vue contrastés que, de ce fait,
il leur offre sur le monde,
Lonqu’une telle attitude se généralise et se systématise parmiun groupe "humains, on peut parler
animism, une ontologie commune parmi les Indiens d’Amazonie et du nord de ! Amérique da Nord,
dans aire arctique et en Sibérie septentrionale comme parmi certaines populations d’Asie du Sud-Est et
dde Mélanie. Les animaur, les plantes, les esprit, certains objets, y sont vus et traités comme des person
nes, des agents intentionnels dont on dit qu'il ont une +Ame>, c'est-i-dire une faculté de discernement
nitionnel, de communication et de jugement moral qui en fait des sujets de plein droit avec lesquels
les humains peuvent entretenir des relations de toutes sortes. Du fait de cette position d’agent qui leur
ct reconnue, a plupart des existants sont réputés storganiser selon des modalités analogues 3 celles des
Fhumains : is ont leurs maisons, leurs chef et leurs chamanes, se marient selon les régles en vigueur et
Sadonnent i des ritues. Et si, malgré Ia difference des formes physiques, la communication est possible
~ généralement dans les réves ~ entre les collectif "humains et de non-humains, c'est que les corps des
tuns et des autres sont vus comme de simples vétements recouvrant des intériortéssimilaies,c‘est-i-dine
capables d'échanger des messages significatifs avee d'autres enttés dotées des mimes facul
(Crest exactement Finverse qui prévaut dans la maniére de voir qui nous est la plus familiére car elle
domine en Occident depuis quelques siécles : pour les Modernes, les humains sont les seul 4 posséder
tune intériorité — un esprit, une intentionnalité, une capacité de raisonnement ~, mais ils se rattachent 3u
grand continuum des non-humains par leurs caractéristiques physiques; comme les nuages, les couteau
ou les papillons, leur existence matérelle est régie par des lois dont aucun existant ne saurit s'exempter.
On peut appeler natualisme cette fagon d'inférer des qualités dans les choses car elle a d'abord pour effet
de nettement dissocier dans architecture du monde, et cela pour la premigre fois dans Vhistoire de Phu
imanité, entre ce qui reléve de l nature, un domaine de régularités physiques prévisibles car gouvernées
par des principes universel, et ce qui reléve de la société et de la culture, les conventions humaines dans
toute leur diverstéinstituée. I en résulte une disociation entre la sphére des humains, seus capables de
discernement rationnel, dactivité symbolique et de vie sociale, et la foule immense des non-humains,
vouée & une existence machinale et non réflexive, dissociation inouile qu‘aucune autre civilisation n’avait
su imaginer et systématiser. Bien qu'elle ait rendu possible un développement sans précédent des sciences
et des techniques, cette ontologie a éyalement eu pour effet, non seulement de «désenchanter le monde,LA FABRIQUE DES IMAGES
2. Mare des igs de mes
i mi-corp
Ste Meine
rage om Aone |
Demme quar da x0 le
ile wr boe
Stx dem
Par mnie ds Lou
paemont des Pete 2186
mais aussi surtout de rendre difficilement compril
les 1
bles des cultures qui n'étaient pas fondées sur
1s principes. Car bien des notions au moyen desquelles nous pensons la cosmologie moderne
~ nature, culture, société, histoire, progrés ~ sont en réalité aussi récentes que les réalités qu’elles dési-
sgnent, forgées qu’elles furent 3 partir de la fin du xvur'sidcle pour rendre compte des bouleversements
subis par les socigtés européennes; elles n'ont done aucune pertinence pour rendre compte de ci
tions qui,nayant pas connu la méme trajectoire historique, ne font pas passer les frontiéres entre humains
et non-humains Ii of1 nous les avons nous-mémes établies.
‘Une troisiéme formule, particuliérement bien ilustrée parle totmisme australe, contrast avec les deus
ppremiéres en ce qu'elle choise d'ignorer les discontinuités entre humains et non-humains sur les plans tant
‘moral que physique en mettant plutt Faccent sur le partage, au sein d'une clase nommée, d'un ensemble
‘de qualités appliquant indifféremment a des humains et & des objets nature. Transmises par les semences
d'espce comme les autres de méme qu'un Yerupoho peut enudoser Mhabit gui li pat de
“habiller avec un masque afin de rendre présent un non-humain, incorporant
ains de fagon effective le protorype réel ou imaginsre dont le masque est un avatar tlle espace animale
3 et 24),
ique. Il est ’abord manifete
bbumain pet
ou tele ace d'esprit que Von pourra reconnaitre 3 un détal caractéristique il.2
La cosmologie waa je
que |
e un éelairage
ressant sur la figuration ay
natrice du visible
les ou actuelle, ne sone que des instanciations, Chaque corps ou ¥
et actualistion d'un prototype précis isu d'un gigantesque répertoire mental de p
mans puisent les éléments de leurs réalisations. Figuret, ce n'est
dfone pas imiter le pls fidélement possible un objet déji i, mais bien objectiver une image en la rendant
coneréte dans un corps-vérement ou dans un masque-costume. La physicalté n'est pas un donné de la
is une présentification de invisible dans des
A | limite, on pourrait dire que le monde wauja n'est qu'une forée d'images q
cchamanes font advenir de fagon 4 entretenir la diversté des existants. En outre
ice invisible d'une personne, et la physical
regard d'aucr
deux: plans, Pu jame. On comprend dis lors pourquoi les
masques et les animaux sont des transformations et des variations les uns des autres :la difference entre
‘onganisme et artefact, toujours ténue dans Ua
entre Himage et son réferent
tielles au sein duquel les esprit et les ch
nature
€ les esprits et les
wtériorité, au sens de
au sens de lenveloppe matérielle qu'elle prés
sont ici extrémement dissociges, amplifiant ainsi au maximum T'indépe
des caractéristiques: maje
iste, disparait aussi complétement ici que la difference
2 Por aap dn
No cart
aration te chet
Cony aren Se
mens de Fee de corpsyy
Ae a22 Viiéve ikio
Ro Xing, Ea a Mato Gros, Br
too-1972
Panes, plumes
M2 Bandon
rs mse du gua Bray
fe 0208 1.44
Voir comme un Autre :
Un monde anne
figurations amazoniennes de l’éme et des corps'
ANNE-CHRISTINE TAYLOR
Les ontologies animistes de ' Amazonie se singula-
risent par deux traits principaux : d’une part, Ie
haut degré d'élaboration des pratiques et des
conceptions relatives i la variation corporelle des
sujet 'autre part, le rte prééminent accord la
prédation en tant que modalité @ementaire de
relation entre les étres. Ces deux orientations sont
certes inscrites comme virtualité dans toutes les
ontologies animistes, mais elles ne sactualisent
sous une forme aussi marquée ni dans les cultures
indigénes sibériennes ou nord-américaines, ni dans
celles de I'Asie méridionale et de Tnsulinde, les
autres grands archipels de Vanimisme.
En postulant Phomogénéité des intériorités»
(Descola, 2008), Fanimisme reporte vers la maté
lisation physique des existants toutes les questions
soulevées par le phénoméne des discontinuités
offertes& la perception du ret : celles de leur ori-
gine, celles de leurs implications pour les relations
gu’on peut nouer avee les eréatures dur monde et
peta la connatieance quion pexe’enancic’A lie
verse dt mode didentification dit naturaliste.Pani-
mime se soucie pew de la variabilité des «imess
Dis lors qu'une entité est placée en position de
sujet, Cext-i-dire dotée d'une intentionnalté pro-
pre et d'une capacité d'action, elle est présumée
pposséder, au moins virtuellement, les mémes désirs,
les mémes dispositions gard Autru Jes mémes
aptitudes i la communication et 4 Vinteraetion
réglées — bref, 4 la culture ~ que les humains
Crest bien pour cette raison que Fintériorité des
animaux ou des esprit ext souvent figurée sous la
forme d'un viuge humain 4 la fois stéréorypé ou
générique et néanmoins expressif de sentiment,
comme Fillustrent si bien les masques yupik. La
corporété, par contraste, ese lieu d’expression par
excellence de la difference ~ d'une difference in
dluctble et non pas de surface comme c'est le cas
en régime naturalist
Quiestce que ¢a fait d’avoir wn comps de jaguar?
Du point de vue animist, la variablité des formes
corporlles renvoie en effet 3 des maniéres dstine-
tes d’étre dans le monde : 4 chaque corps corres-
pond une figon spécifique de sarticuler 4 env
ronnement et de le percevoir, en somme une
«nature» particuliére, composée 4 partir des élé-
ments dun réel commun i cous. Ainsi, un jaguar
appréhende comme de la biére de manioc le ang
de ses proies,andis que pour un colibri cst le sue
ddes fleurs qui occupe cette position, Dans cette
combinatoire «multinaturaliste»
selon le terme
inventé par E.Viveiros de Castro (2005) pour
ccaractériser le statut de la différence dans les mon
des animistes, par contraste avec le multicultura~
lisme typique des sociétés occidentales naturlistes
= chaque ément du cosmos change de place en
fonction de sa valence pour une espéce donnée.
Autant Fhomogénéité des intériorités, calquées
sur celles des humains, prédispose a lexercice de
Vempathie entre sujets ~ quelle que soit leur
identité d'espace =, autant Thétérogéndité des
corps oppose une barriére 3 la communication
centre creatures différentes ait
103 la connais-
sance des mondes dans lesquels elles déploient
Teur existence. Il n'est pas surprenant, dans ces
conditions, que dans toutes les sociétés animistes
la spéculation intellectuelle et la pratique rituelle
soient centsées sur exploration des ¢
ces de la diversité corporelle et sur les moyens de
la surmonter. Cependant, parmi ces sociétés, ce
sont certainement les peuples indigenes des bas-
ses terres d’Amérique du Sud qui ont poussé le
plus loin le souci d'expérimenter et dexploiter
Vatérité associge 4 des corporalités non humai-
nes; ceux, aussi, dont la mythologie interroge avec
autant dardeur les origines et les consequences
de la différenciation des corps d'espaces. Qu’est~
ce que ga fait d'avoir un corps de jaguar, ou
anaconda, ou encore dara? Comment se fami-
Tiariser avec, et 'approprir, les capacités d'autres
conps et les perspectives qu’is induisent ~ qu'il
Sragise de corps d’animaux, d'esprts, d’Ennemis,
de Blanes, tous non humains dans la mesure of ils
relevent de collecti& distnets de celui qui définie
localement Phumanité? Voila ce qui focalise la
réflexion et alimente la pratique quotidienne des
Indiens d’Amazonie.|
‘Les usages alimentaires et les manigres de table ~ par-
tout bandés de proscripeions et de prescriptions — en
sont un premier symptme, dans Ii mesure oft le
régime alimentaire ext index d'un type donné de
corporalité, partant Pan des crtéres principaux de
classification des étres duu monde, Manger de la
viande crue, ou de la chair humaine, est une manire
acquérir et de rendre manifeste une corporéite de
Jaguar; Sabstenir de celle ou telle nourriture, une
fagon de identifier 3 une espace
clase d'esprits. Les rituels initiation illustrent éga-
aTin-
plus souvent axés sur Fexpérience subie d'une trans-
formation corporelle, provoquée soit par la douleur
~ flgelltions, morsures insects... = soit par Vin=
igstion de psychotopes soit par autres moyens de
moduler le resenti de son corps et de son environ=
rnement, Les pratiques associées au chamanisme en
sont cependant expression la plus évidente. Le cha
mane se définit en effet par sa eapucité i changer de
corps pour prenatre Fapparence et 'identité des non
hhumains qui agrestent les hommes afin de négocier
avec eux. De fagon corolaire, les malades quill est
appelé& guéri subissent eux aussi~ mais cette fois de
rmaniéte involontaire — une transformation de leur
corps susceptible de les fie basculer vers un statut
de gibier au regard d'un autre collectif.
Les corps indiens sont ainsi sujets 3 de constantes
variations d'état, oseillant entre des conditions de
fiagilté ou de faiblese d'étre. lorsque, malades ou
infortunés, ils se sentent sous lemprise prédatrice
d'une agence malveillante, ct des éats de puissance
existentelle
festés par une capacité excep-
tionnelle 3 influ
wer autrui et i agir sur le monde,
Cette labilité corporelle des Indiens d’Amazonie
(Wilaga, 1992 et 1995) est Tun des traits les plus
caractéristiques de leur forme d’
alfecte toutes les classes dates.
imisme, et elle
Changer de corps
apparent, comme on changerait d'habit, est une
aptitude inhérente 3 coutes les espéces susceptibles
de «faire sujet», Qu'elle soit cultivée, comme le
sdevenir jaguar» du guerrier, ou qu'elle soit invo-
lontairement subie, sous Ia forme d'une maladie
fou d'une alignation mentale transformant le corps
un individu en proie pour Autrui, la métamor-
phose, c'est-i-dire lassomption d'une modalité
corporelle propre Aun Autre, est une virtualieé
toujours présente i Thorizon de
indienne, un procés possible qu'il est essentiel de
Effiges et enttés now humaines
‘Comment ces lignes de force de animisme amazo-
nen sont-lles traduites en termes de figuration?
De fagon générale, Punivers visuel des Indi
d’Amazonie est un monde pauvre en objets, et
«abort en objets qu’on serait spontanément porté a
appréhender comme de Tart. Ges cultures ne pro
duisent guére de peintures ou de compositions poly=
chromes analogues 4 celles des Navajos, des Indiens
des Phaines ou encore des Aborigines australiens;
Jeurs habitations et leur mobilier sont d'une sobriété
qui tranche avec Texubérance ornementale des pro-
dduetions de nsulinde tibale ou de la Méla
leur textiles, aux motifs géomeétriques et aux colo-
ris termes, n’ont ni Flat ni la riches iconographi
que des tisages andins ou méso-américains: leur
céramique, d'uage domestique, ext souvent gros
dre, sauf dans quelques groupes comme les
Quichua Canelos de I'Equateur ou les Wauja du
Xingu bréslien qui perpéwent une tradition de
poterie polychrome certainement plus commune &
Tépoque précolombienne; ent
rudimentaire et du reste peu répandue dans les bas-
ses terres, son excepte le fagonnage de taboures
«en bois en forme animal stylisé sidges réservés aux
chefs de famille et parfois aux chamanes.
LAmazonie est pauyre non seulement en objets
fart mais en objets tout court Les sociétés indien-
nes faient Paccumition, Pencombrement et sur-
charge décoraive. Elles produisent un éventail limite
ustensiles permanents, chacun fbriquant par ses
propres moyens ce dont ila besoin en fonction
dune division sexuelle des tiches : aux hommes le
travail du bois la fabrication d'armes, sénéralement
Ja vannerie; aux ferumes la poterie et souvent le ie
sage. Riches de svoitefaire techniques auxquels ne
correspondent pas dobjets durables, ces. sociétés
fabriquent en revanche nombre d'outils et de jours
phéménes, rapidement fagonnés& partir de produits
collects en forét et abandonnés apres un seul wage
des pitges, des hottes pour transporter le_gibier
abattu, des masses de péche, des abris, des radeaus...
Les outils ciculent peu et ne se wansmettent pas. Is
sont en effet liés 4 leur fabricant et usager habituel
par une sorte d'apprivoisement réciprogue :les outs
sréagissent» 3 la volonté taux pensées de leur pro-
priétaire eta lui seul. Invests par une intentionnalité
identique 3 celle qui part résider dans les mains
dune personne, is sont comme un prolongement
de son corps et sont le plus souvent détruits ou jetés
4 la mort de leur proprigtaire,Dine extrtme prodigalté dans Pattribution de la
‘qualité de «personne» tant i des exemplaires espe
ces naturelles qu’ des productions artisnales, les
‘cultures indigines de TAmazonie accucillent bien
plus de ssujets» que objets
représentations figuratives humains y_ sont txés
rares, Certes les «poupéese en terre cuite des Karaja
du Bri es statuettes en bois grossigrement taille de
certains groupes de la eBte pacifique, sans paler des
visagessyisés modelés sur les poteries ou gravés sur
des ustemiley ~ notamment les ar
yertes. Pourtant, es
= 3¢ distin-
sguent par leur anthropomorphisme. Mais ces figures
ne représentent qu’exceptionnellement des corps
Fhumains + elles Evoquent plutot, par des taits
éempruntés 4 Tapparence humaine, a qualité de per-
sonne propre 4 des entités non humaines, qu’
Sagisee de mort, comme sur les urnes finéraires des
anciens occupants de la base Amazonie, ou desprits
auxilaies des chamanes, comme les fi
bala des Kuna du Panami, des Embera ou des
Cayapa des gions cétiéres du Pacifique, ou encore
dles dies des temps niythiques, comme les effigies
sw des Indiens du Xingu. Les particulaités for-
imelles de ces figures ~ leur shémuatisme, leur aspect
peu fini leur absence de décoration chromatique ou
sgravée,rous ces tats quon prend pour un mangue
fart se justfient par les exigences contradictoires
auxquelles doivent répondre ces images : évoquer
des intentional
identiques 4 celles qui animent
les hommes tout en les associant i des incarnations
corporelles le plus dloignées possible d'une appa-
rence humaine,
Liesthtique des masques amazoniens
De ce point de vue, ces représentations anthropo-
rmorphes ne se distinguentguére des masques
Lage de ceus-ci, em bois, en fibres diverses ou
éventuellem
nt en terre cu
n'est pas répandu dans
‘en haute Amazonie et
dns la région des Guyanes, par exemple, pew de
‘groupes en produisent. Les masques ont pour fonc~
tion, longus existent, de «présentitiers, dans le
‘cadre interactions fixées par un scénario rituel, des
centités ontinairement invisbles, cest--die des
spits. Dans le cadre des performances eérém
les aurxquelles is sont toujours associé, Jes masques
exhibés visent tout i la fois 4 évoquer un état du
monde des temps mythiques avant ly diférencia-
tion des corps d'espéces et & convier les esprits& se
rméler aux humains vivans, en leur présentant, parle
toute Paine amazor
biais d'un costume approprié, une image de corps
Un monde ented
quill puissent identifier comme fimiliére. Les mas
ques sont le plus souvent détruits ou cachés apres
leur usage dans ces contextes rituck.
Méme quand il n'est pas asocié 3 un costume en.
fibres végétales qui dissimule ow recouvte tout le
corps de son porteur, ce qui est assez fréquent, le
«vice figuré par le masque représente un corps
centier de non-humain, Autrement dit, es masques
ment om cipalement
leformées de visages,
ne sont pas set
des images plas ou moins
mais plucot des condensés visuels de corps non
Jhumains, des assemblages délémemts qui matéria-
lisent des proprités conférées des formes corpo~
relles autres, en particulier les capacitéssensorelles
extraordinaire qu'on leur préte. Si les: masques
soulignent toujours Je regard, et souvent Toute
(comme le font les inquigtantes «capuchess en
Ecorce battue des Takano du Nord-Ouest amazo-
nien), c'est qu’ils cherchent avant tout 4
tune autre modalité de perception du monde et de
ses oceupants, une apprehension différente de celle
propre aux humains. Cette diffrence sasortit
dune predisposition a la prédation, signalée par
tune bouche armée de dents; les esprits sont en
effet des étres dévorateurs, portés 4 considéner les
humains comme des ennemis on du gibi
Laspect
suggéré par des traits qui préservent le caracténe
indéfini de leur apparence : une taille ~ dé
‘ou trés réduite ~ et une forme — sphérique, rectan-
_gulaire ~ anormales (comme Tillustrent les grands
rmasques angjuna des Wauj, il. 23 et 24), un
étrange de locomotion évoqué par ondoiement
des longues franges de fibres végétales souvent
accrochées aux pices couvrant la tte,
Les masques doivent toujours étre portés par un
hhumain pour étre «actif», car ils de
més, au sens propre du terme. Leurs «ats "ime
sont signifiés par une gestuelle chorégraphique
plus ou moins éaborée, par leurs «voix» musicales
(chantées ou configes 4 des instruments 3 vent) ou
encore par les énoncés qu’on tie
qu'on leur attribue. Cependant, humain qui
donne vie & un monie
asque au cours d'une cé
nest qu'un accessoire mécanique ;il n'est pas pos
par esprit quill est amené & incarner, et s'il a
tun rapport privilégié avec I'éere dont il anime le
corps-masque, cst au titre de représentant éven~
tuel du clan, moitié ow groupe cérémoniel qui
posséde le masque ou le droit de le fabriquer.Delle pa ree
@geuhe)
23. Mae wn de pun
‘aman dre hal
fence
rac da Ma
aman dtp Uhl ae
ee
Bon, conn, dens dep, cr
a ance gus ra
MaHNS 24.13, donee Radio France
Tee dat oo daa
annem, Egor
fsliss tm
mn Bens
is 0126
Lesthétique des masques amazoniens est comman-
dée en définitive par le souci de combiner en une
image matérialisge Vévocation d'un corps anti~
hhurmain (doté cependane des organes sensoricls et
d'un schéma
aqui ali
tent la proprioception humaine, forme prototypique
de la subjectivté) et la représentation d'un
riorité> parclle& celle des hu
ble identique de dispositions affectives et de cap
tis
ns, soit un ensem=
tions mentales et physiques. Par rapport aus:
effigies satiques comme les statuettes kuna ov les
figurines en terre cuite, les masques se distinguent
par un degré plus élevé de particularisation ls
nent des classes spécifiques de non-humains ~ esprits
de telle sorte ¢’animaux ou de vege
population surnaturelle aquatique ou terteste... =,
nds que les statuettes, plus durables, sont aussi plas
e, dans bt me
receptacles 3 des entités dont
Tidentité visuelle doit rester plus imprécise, soit parce
quelle ext secréte ~ seul les chamanes «voient®
‘génériques dans leur apparen
elles soffrent comm
Tequel de leurs innombrables esprits ausiliaires se
iche dans Pune ou Tautre de leurs figurines
parce qu
c celle des morts ou de certains étres des
le ext imprévisible ou inconcevable,
temps primordiaus.
Les tétes-tophées des Jivaro et des Mundurucw
Les tétes-trophées qui ont fait la notor
de cer
tains groupes amazoniens se situent 4 mi-chemin
centre ces deux modalités de figuration comme les
masques elles doivent tre portées (en sautoir ou
| main) par u
protagonist rituel pour prendre
Hes
représentent doit rester indéfinie en occurrence,
elles sont le support provisoire d'un
spectre
de personnages surnaturels. Soit
celles des Jivaro, soit momifiges comme celles des
Mundurucu, ces tétes préservées, prises 3 Tocea-
mtreprises guerrignes,
mn pas une clase spécifique d'esprits mais plutot
‘une position bien particuliére celle attribue aux
Ennemis, Elles prétent un visage et done une id
tite eréels» A'En
ni en tant que protagoniste
cours de rituels centrés sur l'échange de rales ~ et
de perspective ~ entre le guerrier homicide et sa
vvietime, Cette dynamique, trés commune dans les
wzoniens associés aux actes de guerre,
repose sur un procts complexe 3 la fois ide
cation et de différenciation entre les deux protago-
nistes Te tu doivent étre semblables dy
oii le recours 3
de vue de leur corporiit
ments anatomiques humains, tout en ayant
des visages dont T'identité visuelle soit nettement
importance de cette
igure de Ennemi dans les
ontologies amazoniennes s‘explique par le fit
au'elle est chargée d'énoncer ou de figurer un point
de vue extérieur sur le collectf des preneurs de tte.
En absence d'une perspective pos
end
ceapable de fixer som identté, celle attri-
bbuge §"Ennensi consticue en effet ls méiation pri-
Ge permettant de sabiliser les contours da
tant qu'eespice® dist
i apriori dans une relation de préda-
groupe
semblable
tion par rapport au_collectif d’Ego, une position
te. Tout non-
estériorté est Squivalente en Toccurrence i une
rnnemi, En mé
position ¢ re temps, les trophées
humains prétent leur visage 4 une succession dérox
tante de protagonistesrituels autres que les et
proprement dits. Chez les Jivaro, par exemple, «"ha
bitant» de ta téte passe du starut d'adversare tue 3
celui d'enfane § nate, de celui d’homme & celui de
femme-étoile, d'étre humain a celui de cochon a
consommer... C'est que le trophée désige une
action dextériori
plutst qu'une catégorie
qu'on sait exter et que le
regard cherche, la variation dans la répétition ~ sorte
de transposition en clé viuelle du procédé shétori-
«que du panalléisme —, tous ces traits conférent aux
compositions ggométriques un aspect byrinthigue
‘gui pide le regard. Ces précisément Meffetrecher-
ch parle fabricant: en regardant ces entrelacements
de mocif on doit commencer par sy pert puis les
poursuivre en pensée bien au-deli de la surface qui
les porte. DYoit Tabsence de frontires délimiant
Faeuvre,comme om le voit souvent sur les textiles i=
sé ow peints des sociétés de Amazone sud-occi-
dentale (Gow, 1999). De fit, Peeuvre» veritable et
celle que se représente le spectateur & partir de
image matérille. Ces compositions amazoniennes
sont des embrayeurs de process mentaux, destnés
4 activer une certaine forme d'imagination viel,
des disposi pour faire voir plut6t que des images
faites pour étre contemph
Le corps Iumain, une production cuturlle
A qucle visée cet arts résolument non figuratif or
responubil? Couplge avec une tradition orale d
rément pauvre en descriptions explicites des ées
qui peuplent les mythes et les rituels, mais riche en
allusions ax proprigés de leurs corps la technique
de vision qu'il mobilise est destinée & former esprit
4 se représeter ce que Tart amazonien ne monte
pss: des corps humains, plus exactement des comps
de semblables tes uc les voient les non-hunains
Pour les Indiens, Vhumanité ne consiue pas une
‘spice naturelle parmi d'autres, mais plutot un mode
de relation & autri accessible & tous les res animes
Est humaine la forme que prend un Autre & partir daLA FAMRIQUE DES IMAGES.
27 Pee file ving ore
ponte de copied
‘ecole rags pour
Kayap. ee
groupe cérémoniel ou de «tribu» — et expression
une chair fabri ale. Les
par la soci
‘ornements sont 3 proprement parler de la substance
corporelle, de la relation intersubjective
sée;sans eux, le corps devient invisible & Autrui un
eat qui du reste peut étre recherché en cas de mala-
dlie ou dat rituel liming
Mais alors, pourquoi les parures indiennes sont-
elles fabriquées avec des morceaux de corps d’
res, de dents et de
tous les eres
maux? Pourquoi tant de plu
sgriffes pour représenter lhumai
humains», chacun apporte &
animés peuvent
Phumanité les ressources
1ura doté le processus de la spéciation. Or il
ins animaux ont des
Ja relation qui constin
dont
se trouve que les corps de cert
propriétés qui les rendent spéci
pratiques typiques de la sociabilité ow la culty
went aptes a des
hhumaines. C'est le cas de nombre d’espéces doi-
1ux, dont le comportement manifeste une capa-
cité partculiére 3 «fire famille» D’aueres animaux,
par exemple les grands f@
nnviable puissance dagression, gage di
wurrir et défendre ses
cont des corps habités
par une
vulnérabili
de capacité 3
proces. En iff) et
des plumes de ces animaux, les Indiens s'appro-
des carmess (crOKs,g
prient et exhibent les capacités culturelles attri-
Dudes i ces &
+ (ill.26). Ils montrent qu'ls pos-
dentln
ne prédlisposition 3 la conjugalité que les
aras, la méme surpuissance prédatrice que le ju
Ja méme aptitude 3 lure, ou 4 voir en surplomb,
gue tel
corpore
bie
nsecte ou tel oiseau... Lorn
spectaculaire des Amazoniens est done
dembellisse-
autre chose quiune technique
qu'une héraldique affichane les
attributs identitares d'une unité sociologique telle
¢ aussi tre cea. La parure forme
tout 3 ba fois un vétement identitaite, un apparel de
+ animales ou
fier les capacités corporelles d’un individu et une
pha
res, y-compris les peintures corporelle, incluent
des ingrédients parfumés, astringents, vitalisants ou
\copée portative, puisque nombre de paru-
irritants censés moduler V'état des chairs et des pro-
cessus physiologiques.
Reste & souligner que Torneme idige
sng sur le registre de la mi
joue pas seul
Elle 4 aussi une dimension iconique. Ainsi, Pusage
de matériaus nacrés ou moirés, le port de grands
dliadmes comme ceux des Kayapo du Brésil central
placés comme des nimbes de
re la tate, figurent
Véclat d'un corps «surhumain » tel qu’
dans
tun régime «autres de vision. Par ailleurs, la variété
est produit
‘contexte rituel, et tel qu'il apparait dans
de couleurs et les posibilités infinies dagence.
ment qu’offent les plumes les prédisposent a ser~
vir de matériau élémentaire pour Vélaboration de
codes symboliques, comme on le voit sur les coif-
{es pariko des Bororo : chaque type de cette parure
tun segment précis de organisation
sociale trés complexe de ces groupes, et reléve d'un
patrimoine dapparences virtuelles propre 3 ce seg
1997 ;Vidal, 1992),
Ainsichaque collectifa son «habit d'espace
cen dé dPhumani
‘uctualise sous forme d
ment, de peintures corporlles et de parures singu-
ki
laquelle des étres se présentent reste, depuis Ia perte
En temps normal, Tapparence hu
dda monde mythique et de la transparence corporelle
gui la caractérisit, invisible aux membres de collec
‘iB différents. Cependant, la connaivance de la
forme humaine des autres espices est esenticlle
pour interagir avec eux sans danger, quil Sagisse de
plantes cultivées, 'animaux de chasse ou d'esprits
portés 4 attaquer les hommes. Lacquisition de ce
type de soir, par un travail in
par des pratiques dascése «4
porelle, ex donc une
condition indispensable 3 la plupart des actions
caractéristiques d'un sujet accompli ~ et pas seule
‘ment des chamanes. Ceus-ci se distinguent certes dut
reste de la population par une conmaisance plos
approfondie de
mais surtout par ws
de fagon durable une id
la face cachée des non-humains,
ipacté spécifique & maintenit
té didoublée, celle de
leur collectif origine et celle de la société esprits
animaux ou végétaux qui les a regus et adoptés
comme congénéres, Les techniques du voir asociées
a Tare
que prennent tout leur sens dans
ce contexte : elles dresent Vimagination 3 se repr
sentet ba forme corporelle d'autres espices lorsque
Soffrent 3 étre vues comme des humains, et
de ce point de vue elles constituent de véritables
outils de connaissance. Si est vai que Fart amazo-
fait la reproduction mimétique du corps
dl n'a de cesse, par ailleurs, de stimuler la
1 deb corporaité humaine, ou plusdt
de corporaités imaginées.
1. Cone comin mye une rie mae comin
som deep coe Sime Fer os pos kee ache
‘hole des Amaro: dam ua horde de Cuma de A
‘oma Tengo Le Bree ar 28, 82en forme doen de er
Miniatures et variations d’échelle chez les Inuit!
FREDERIC LAUGRAND
Introduction
Chez es Inuit, comme dans les traditions modernes,
Jes miniatures suscitent admiration et fascination. Les
enfants et les adultes sintéresent depuis longtemps 3
ces représentations 3 échelle réduite dun objet ou
«un dtr vivant. Dans Lat Pens sau, propos des
euvres de Clouet, Claude Lévi-Strauss (1990 [1962],
.37-38) rappelle la vocation esthétique duu mode
réduit de méme que ses vertu «Elle résulte,semble~
til, d'une sorte de renversement du procés de la
‘connaisance :pour connaitre objet rél dans tta-
lite, nous avons toujours tendance 3 opérer depuis ses
partes. La résistance qu'il nous oppose est surmontée
‘en la divisant La réduction d'échelle renverse cette
situation :plus petit, ba totalté de objet para moins
redoutable; du fait d'étre quanttaivement diminuée,
‘lle nous semble qualitativement simplifige. Phas
‘exactement,cetetranspeition quantitative acer et
diversfie notre pouvoir sur un homologue de la
chose: 3 travers hui celle-ci peut tre ssi, soupesée
dans la main, appréhendée d'un seul coup derl. La
poupée de enfant n'est plus un adverse, un rival
‘ou méme un interlocuteur;en elle et par elle, la per~
sone se change en sujet. A Tiere de ce qui se
pase quand nous cherchons 4 connaitre une chose
‘ou un étre en taille réelle, dans le modéle réduit la
‘onmaissance du tou pride cele des pats. Et méme si
est B une illusion, raison du procédé ext de eréer
‘ou dlentetenir cette illusion, qui grate litell=
gence et la sensbilité d'un phisir qui, sur cete seule
base, peut da étre appeléesthétiqu
Dans la miniature le tout Pemporte donc sur les
parties. Limage est identique au mode réel, mais
une autre échelle, Autrement dit, on ne demande
plus aux parties de fonctionner, on attend qu’elles
contribuent 4 fagonner image globale a une
échelle réduite. En cela, la miniature fat toujours
appel i Vimaginaire et 3
La fascination des Inuit pour les miniatures
Sélaire 4 la lumiére d’un autre renversement de
llusoire.
perspective. Les Inuit ne fone plus de It miniature
‘un modéle second gui serait dérivé de objet rée,
mais Torigine méme de cet objets matrice. Dela
“Tehoukotka aux régions du Nunavut, dans Arctique
‘canadien, les miniatures jouent ainsi un r6le crucial
dans de mombreux domaines : chase, éducation,
chamanisme, art rites finéraires etc
Des minuscules objets pour chasser
les plus gros animaux
Froelich G. Rainey rapporte «intéresants détails
ethnographiques sur la fabrique des miniatures dans
Je contexte de la chase j la baleine dns la comm
nauté de Tigara (Tikigag), au nord de Abska.
Rainey (1947, p.248) décrit d'abord les goloegolys,
ces masques, petits bateaux et autres figurines ani-
rmaux ou "humains que l'on suspendait jas & des
laniéres dans les huttes cérémonielles :+Le matin of
‘on les suspendhit, tous les hommes qui souhaitaient
faire bonne chasse nettoyaient chacun & leur tour ls
figurines avec de urine [...J-A Quemaktoygle’ le
plus important ensemble de golygoogs comprenait
tune baleine en bois, deux petits umiaks [des embar-
cations} avec leurs équipages, leur équipement de
chasse et un oiseau, Toutes ces figurines sacrées
étaient suspends en groupe a~dessus dela amp»
1 voque ensuite les pagoks une autre sorte de fig
rines miniatures: « Pago est le nom que Yon donne
aux nombreases figurines sculptées que Ton fabei~
‘quait chaque année au moment du “rituel”; on Tes
brit ensuite dans un endroit spécialement congu
ppour ce, a la fin de la cérémonie. Ces figurines
‘taient généralement fabriquées en bois et représen-
taient des phoques, des ours polaires, des caribous,
des haleines, des morses des oteaux ou des animaux
ythiques, ou encore d'autres figures humaines, par
‘exemple des chamanes entrain de faire leurs perfor~
‘mances» (Rainey, 1947, p.269).
‘On suspendait les qologoglogs de maniére perma-
niente dans les maisons alors que les pogoks étaient
brilés apres usage. Selon Rainey, si lr distinction
‘entre ces deux catégoriesn’apparait pas toujours trés
hire les miniatures sont essentelles pour le succés
del chase I ajoute que lorsq’on célébrat le dees
des chasers il fallait stuer* les pogoset les glo?
logs aprés Vappel de chaque nom. Pendant que les
-vieillandsréctaient le histones propres aux figurines
cexposées, es hommes devaient les uns apris lesLA FAMRIQUE DES IMAGES
Ces de gece rte
29 Cnen
Ae dev Tchoahtches, Ruse
Come de bie
ater Niobe Gombe,
38, Howton en fore de phage
Alaka marion
Inoue de mane
SSa2x ison
ar mnt do il Bent
nau M.Schnir
autres harponner chacune des figurines suspendies
avec des armes nt congues i cet effet.
Ces gestes Sorchestraient au son du tambour. Et,
chaque fois qu'un umdlik, un capitaine wma,
harponnait une figurine a la forme de baleine, i
centamat son chant de chasse, le méme qu'il chante~
nit lorsqu'l harponnerait une vraie baleine. Le jour
suivant, coutes es figurines étaient bres. Ensuite,
chacune des femmes présentes vert un peu deat
de son chaudron sur les cendres. C'est ans, dist
utorisés 3
con, que les pogoks pouvaient étre ibéré
prendre li mers. Les gologygloys, les figurines expo-
sées de fagon permanente, se voyaient démantelées
de toutes leurs parties mobiles, puis suspendu
Vineérieur des qalegis, les maisons cérémonielles
(Rainey, 1947, p.252). Ie, la tuerie des pogoks et des
gologsgolys précéde la véritable chasse et détermine
son succés, Comme Hans Himmelheber et Ann
Fienup-Riordan ont noté dans leurs travis, ces
objets sont & la fois rtuels et atistiques, et is préc
dent les modéles qu‘ls représentent. Lethnologue
Katrin ntaire congruent de
David Boyscout, un ainé de la région de Chevak
des chamanes de jadis. Les chama
nes esayaient dagir sur le fitur en rendant la nour
riure disponible aux humains, comme da poison ou
, attrapent des
thomumes avec leurs cannes a péche travers les mua~
{ges Les «gens» ou les emuitres de la mer» sont les
forques, qui parfoisretrent leurs «coquilles» & Vabri
des regards des Nivkhs pour jouer sur la plage sous
forme dhumains vétus de blanc. Quant aux « gens
de la montagne » (pal nih) principaux partenai-
res d'échange des Nivkhs, ce sont les ours. Trés
logiquement, les « gens de la montagne » appellent
les Nivkhs « les gens de la base terre » (Krejnovic,
1973). Ces différents types de «gens» ne se distin
agent les uns des autres que par un milieu typique,
leur lieu de sociabilité, qui les positionne dans an
espace commun 5 tous les étres.
Des corps comtextels
Ce bref apergu peut donner Fimpression une
orthodoxie animiste un peu doctrinaire, En réalié,
Jes Nivkhsfissient appel& des schemes interpréts-
tif variables selon les situations pratiques. Les ours,
appelés ordinairement yf, ntaient qualifies
<'shommes de la montagne> que dans des contex-
tes particles, comme le dscours rite! et les Kegen~
des. Dans ces demiers eas, Tours ext enviagé parm
les siens dans son environnement propre, comme wn
sujet dans une relation sociale du méme ordre que
celle qui unit les hommes entre eux. Mas, selon les
récitsnivkhhs, longu’il descend dans la forée pour se
présenter aux chasseurs, ours «revét son manteatt
de fourrure> — un théme clssique des animismes
sibériens et amérindiens. La forme animale signale
ainsi lx postion de gibier prise volontairement par
Yours dans les environs des villages des Nivkhs.
D'une manigre générale, les formes corporelles
assumes par les étres dépendlent, non de perspecti-
‘ves fixées dans les corps des observateurs, mais de la
position qu'il’ occupent dans ly mathémarique
complexe du jeu des relations (Stépanoi, 2000)
Un étre avee lequel vous établissez tune relation
sociale vous apparait sous forme hum
vous étes avec Iui dans une relation de violence et
de prédation, il est pour vous, 3 la fois relationnel-
Tement et visuellement, une béte. Dans les contes
nivkhs, Vhomme apparait aux ours comme un
homme ou comme un ours selon le lew oi se pro-
duit la rencontre ct selon les intentions, hoses o8
bienvellantes, des protagonists. Si un homme fai
ble et hargneux arrive 4 Vimproviste chez les ours,
les shommes de la montagne» Tattachent 4 des
poteaux et Iui font subir les étapes de la «fete de
Tourse en vue de le mettre i mort. Cette dfinition
contextuelle des corps a des consequences remat-
‘quables sur le mode de représentation des dere
La fete de Vours :Vours donné a voir
comme personne et comme giier
La eféte de Yours» était le plus grand événement
de la vie collective des Nivkhs. Aprés la mort d'un
enfant, son pére capturait un ourson et T'levait
dans une cage. Harrivait que la mée le noursit au
sein, Au bout de trois ans, 'animal était mis 8 mort
pendant un ritucl de plusicurs jours. Pari les d=
rents représentations sculptées d'ours utilisées au
cours de Ia fete, on peut distinguer deux styles
qu'lvanov a appelés «animistes et «pictographi-
que» ({vanox, 1937). Aprés lh mise 3 more de
Tours, a téte et sa fourrure étaient disposées sur le
bane d'honneur de Is maison 3 c6té d'une Figurine
représentant Ime de animal, Au X1¥'siéele, cette
sculpture de bois représentat selon les cas un ours
ais & la fagon d'un dere humain et vétw habit
Akhs Grenk, 1903, p.82), ou un personnage
amthropomorphe sans membres, sculpté dans une
section de branche (Sternberg, 1916, .185 et 187).
Dans ce dernier cas la figurine était habillée de =
sures de copeaux et conservée apris la Rte dans
tune maisonnette, On déposat devant la figurine
suere, tabac et nourriture comme pour un héte de
manque, Au XX°siele, il semble qu'un autre mode
de représentation de lime ait fat son apparition.
Décrivant les parties de Yours descendies Tune
aprés Fautre dans la maison par une corde 3 travers
te trou i fimée, Krejnovi stue entre le pasage de
1a tte ct celui du coeur la descente d'un petit gat-
gon 3 qui Vassistance s'adresse comme 3 Tours
(Kreinovie, 1973, p. 219). Sachant que dans ce
rituel aucune image sculptée de Mime de Tours
n'est décrite et que la tte et le corur sont dea
supports dime pour les Nivkhs, il est és vatem=
blable que Tenfant figure ici comme une image
nthropomorphe vivante de Time de animal,
‘Aw méme moment la chair de Tours Gait découpée
ct préparée par les anciens avec des inseruments
soerés, Certains pls fibriqués pour Toceaionportent des figures réalistes sculptées formant une
sorte de chronique «pictographique» des événe
hasé, Vitinéraire de sa poursuite est représenté par
des empreintes. Si c'est un ours élevé qui a éeé te
‘on le voit dans certaines tapes du rituel, enchainé
‘ou déja dépecé. Vexemplaire du musée du quai
Branly, avec ses deux ours su
sposés, montre que
ces deus animaux ont été tués ensemble (ill.36)
La féte de Tours mobile done deux figurations
concomitantes d'un méme étre, Mune en rapport
avee Fame, l'autre avec la chair de Yours. Elles sont
fen fait moins des réceptacles de deux substances
‘omposant animal que des matéralisations de deux
aspects relationnels différents sous lesquel il est
concu. Comme héte de lr «mo vent dans ka
basse terres, ila sa place sur la banquette d honnew
pour étre nour. Il est frappant de const
que les
Kets, peuple trés loigné des Nivkhs en Sibérie occi
dentale qui connaissat aussi une fete de Tours labo:
rée, fabriquaient également une image de Time de
Tours défunt sous des
traits anthropomorphes. De
iméme que chee les Nivkhs, cette image placée dans
la partie d'honneur de la tente recevait nourriture et
ceadeaux (Alekseenko, 1968, p. 183-187) (ll 3
Mais ours n'est pas seulement nourri i st simulta
nément mangé. C'est sous cet aspect de gibier que
les plats nivkhs le représentent = y apparait dans sa
position animal poursuivi et mis 2 mort par les
hommes, dane sous des traits zoomorphes comme le
veut la régle des corps contextuels, Ostrowski a fine
crvé que les orelles de Tours sont généra
Jement visibles dans la vaiselle sactée alors qu’elles
sapparassent gure dans les images de Fours comme
Je la montage
chomme Aw contrair, les yeu
sont le plus souvent marques sur ces dernigres tandis
qu'on les observe peu sur les premiéres. Alors que les
ochent Fhomme de Fanima, les orcilles
ours, places sur le haut de a téte,signalent immé
diatement un corps non humain (Ostrowski, 199
p.103-104)
En termes relationnch, les orelles des
ontour propre 3 une espece
jon dénonce un regand de cha
qui identifi et range dans une espace. Mais sous son
aspect d'chomme de la
sujet percevant et interagissant avec homme
comme avee tn partenaie social :les yeux de la fig
rine permettent un échange des regards, support
dintersubjectivité
re de la féte de l'ours, qui taite cet
animal simultanément comme un hote de marque
slinare, est résumé par ces
deux styles de figuration, Dans un systéme anim
le ne pas manger I'animal en tant que sujet
est capi
tal de suivre dures rituelles minutieuses‘mais simplement comme viande prélevée. La figu-
rine anthropomorphe montre que aspect sujet de
ours est mis de e6té et taité avec Mhospitaité qui
i est due. Les
nes figurant sur les plats conte-
ellent que c'est sous son aspect
Jumeaus et noyés
‘Les jumeaux offrent un eas intéresant de pertur-
bation du systme animique qui complexifie le
schéma associant une intériorité humaine com-
4 une forme visible variable selon les espe
ces. En effet les jumeaux sont qualifgs 3 leur nais-
‘comme si leur
apparence humaine cachait une identté bestia.
Cependant, on les nomme également, comme les
oars, «gens de la montagne» (Krejnovic, 1973,
432-433), Les jameaux sont en effet regandés
‘comme le frit d'une relation entre une femme et
tun ours, quis sont supposés rejoindre aprés leur
ort en vertu du principe patrilinéaire. Le rite
fianéraireréservé aux jumeaus est done particulier
‘on ne brie pas leurs corps comme on le fait pour
les humains ordinaires, mais on les insalle ass
dans une cage d'ours, Par ailleurs,on fabrique pour
les jean ure avec des figuri-
nes anthropomorphes identiques 3 celle que Ton
fait lors du rituel de Fours.
Les Nivkhs accomplisent hubitullement au prin-
temps et Fautomne un rituel de enourrissement des
crines d’ours» provenant des (tes de Fours passées
du clan, Les familles ayant compté des jumeaure
rngnent un rituel diffrent appelé pul!” Caw,
senvoyer de ls nourriture [aux gens de} la monta-
amie», A cete occasion, es jumeaur defines sont
nnourris de deus manires:sous leur apect de fgu-
rine anthropomorphe et d'autre part dans leur cage
‘ours avec des bulbs comestibles déposés sur un plat
zoomorphe nommné antral pla del
On leur demande de veiler sur leurs consangains
vivants et demoyer du gibier. On sadresse égale-
ment j eux en cas de maladie et on leur rife des
chiens Stenberg, 1916; Krejnovie, 1973, p. 435).
Nous retrouvons les principes de la représentation
delle idensfés dans la fEte de Tours. Le jumeaus,
‘enfane Tours, pour miliew typique et espace social
1h montagne; ains lorsque son corps se trouve dans
le terrtoire des humains il est, relaivement & ces
demiers, une ebétes. Sa dépouille mise en cage ainsi
aque le «plat de la bate représentent le jumeau-ours
dans sa relation aux hommes, en tant que proie ani-
sance d'sanimaux savages:
male, Mais par rapport ses congénéres ours qu'il ya
rejindre dans la montagne; le jumeau se trouve dans
tune relation sociale c'est cet aspect de sa personne,
intégré 4 un environnement familer, qui est repré
par les figures anthropomorphes dans la m
sonnette. opposition de Mime et du corps suffirait
diffcilement i décrire ce contrage entre un aspect
hhumain et un aspect animal des jumeau. Les figures
anthropomorphes ne sont pas des supports de Time,
car selon le témoignage d'un Nivkh, les ames des
{jumeaus rejoignent les gens de la montagne préct
‘ment quand on leur fabrique des figurines et une
‘maison (Krejnovie, 1973, p. 433),
Qu'est-ce qui autorise les humains & conserver dans
leurs maisons de bi «basse terre» des représentations
des jumeaus tels qu'ils sont dans la «montagne?
Nes-ce pas contrevenir i a rile de définition
positionnelle des corps? La gémellité constitue & vrai
dire un coup de force, dont Vorigine est certes atri-
Due aux ours, mais dont les hommes cherchent &
tirer part, Le eretours des jumeaux, ila fois hom
‘mes et ours, dans la montagne inaugure une relation
de consanguinité entre un groupe hommes et un
groupe d’ours, qui, dit-on, forment dés lors «un
méme clans, Cette relation permet aux humains
d'étre en quelque sorte familiers des ours dans leur
milieu typique, ce qui les autorise 3 les envisager
dans leur aspect d'shommes de kt montagne tout
cen restant dans la chasse terres. La dépouille des
jumeaux elle-méme, abandonnée dans la «basse
terres, est traitée comme un rebis vers leur aspect
dchommes de la montagne». Cela explique que les
familles de jumeaux décédés nomment «nourrisse-
ment des gens de la montagnes ce qui pour les
autres Nivkhs est un enourrissement des ours,
Les noyades représentent pour les Nivkhs un
détournement paralléle d'un des leurs par les «gens
de la mers (Krejnovie, 1975, p. 395-426). Le noyé,
supposé devenir un animal marin, onque, phoque ou
poison, regoit deux types d'images funéraires. Dune
part il ext figuré par une planche de bois anthropo-
morphe instullée verticalement sur le rivage avec
‘une barque, des rames et des instruments de péche.
Diautre part, kt famille du noyé fabrique un pla
horizontal en forme de phoque pour porter Ie.
offrandes qui seront jetées i la mer en son honneur
(il 38). Dans cet objet, les deux cercles au centre des
spirales représentent les yeux de animal; lors des
rites annuels d'offrandes 4 la mer, les familles de
noyés «activent> le plat en déposant sur ces cercles
deux baies qui animent ains son regard.
eeLa planche anthropomorphe montre le noyé dans sa
nouvelle condition Thomme de la mer péchant et
chascant, maniant des outils en fonction dane inten:
conde image «zoomorphe» Fenvisige
comme support corporel de nouriture. A nouveau
ame et le corps s‘opposent, mais en asociation
éroite avec d'autres oppositions, celle d’humanité et
animalité, celle de relation intentionnelle et de rela-
tion dincorporation par lt consommation
Figures de mattres et d’ausiliaires
Les représentations des maitres d'un liew ou d'une
espace sont un révélateur efficace des differences de
nant les animaux & travers Asie
septentrionale. Les espces animales ne sont pas seu
lement congues en Sibérie comme des collections
1 individu partage
tiels communs, A ce modele universel de la biol
ge intuitive, les peuples de Sibérie ajoutent idee
que Tespéce forme une totalité organisée, dans
aquelle les individus occupent des positions relat
ves particultres. Les peuples de Amour consid
rent ainsi que les espices comptent en leur sein un
ow plusieurs individus remarquables qualifés de
samaitre ou de «chamane Les lidvres, les zibelines,
les ours ont leurs maitres qui sont tous de taille
supérieure ila norme de leur espace. Le maitre des
‘ours et celui des tigres sont également considérés
comme maitres de Ia fordt et des animaux qui y
cles représentations sculptées pout
favoriser une guérison ou pour obtenir la chance
la chasse, Les images di maitre des ours sont le plus
souvent zoomorphes, mais elles peuvent aussi pren:
dre Vaspect d'une figure anthropom
phe entiére
ment recouverte de fourrure d'outs.
I est posible dans certains cas de montrer que ces
apparences variables sont indexées 4 une relation
Chez les Nivkhs et les Neghidals, une figurine
anthropomorphe 3 tte conique teprésente un
ours sous son aspect d’shomme de Ii montagne
123)
protégeant les humains» (Ostrowski 199
Au contraire, un ours réalist, alongé au sol, les
pattes étendues, est donné i voir comme proie des
hommes, en position de corps préparé au dépegage
avant d’tre consommé (Ostrovskij, 1997, p.135)
De nombreuses figures zoomorphes d’ours étaient
accompagnées de leurs rejetons sous forme d
Jeux figurines anthropomorphes. Une telle
Position montre Yours comme pére de jumeaux
humains, done dans une relation de parenté ave
les humains qui permet ices Iai
quatre pattes av
comps allongé et une gueule ouverte armée de
crocs est en position de prédateur : on lui confie ba
dévoration des maladies (comme pour l'exem-
plaire du musée du quai Branly, inv.71.1962.11.9,
publié dans Betfa et Delaby, 1999, p. 151)
La posture assise définie animal comme syjet, sou:
vent en position de pouvoir. La version neghidale
ddu maitre de la tiga de Vllostration 39 représente,
i partir d'une souche arbre, un_personnage
anthropomorphe assis surmonté d'une téte deage de gc
Reprise Ws mite deb gs
Neg
Diu die
Bowe
Sit-Pitentoure. Musée
eogrphigue re, 2566-38
40. Denn de gre thropeague
thrpormoephe ee our
Ne
Mics dx she
tigre. Dans le bassin de "As
Sakhal
comme maitre de la forée lui aussi était déerit dans
nour plus qu’a
i, le tigre faisit concurrence 4 Tours
certains contextes comme un homme recouvert
de fourrure. Le nom indigne associé 4 cet objet,
twyjtn, vraisemblabl mposé de uj,
sterres, et byi@, shommes, signifierait done
homme de la terres, Cette composi
bige distingue deux aspects de anim.
Le malade animalisé
De nombreuses figures de bois fibriqui
rituels thérapeutiques étaient composé
comps anthropomorphe soulignant la localisation de
1h soufffance (ventre gonfé, charniére de bois en
cas de douleur 4 un membre, rainure transversale
pour une diarthée, cage thoracique ouverte pour la
tuberculow) surmonté d'une téte d'ours (ill. 40)
Linterprétation de ces images hybrides était varia-
d'un
ble : lle pouvaientreprésenter un esprit (partis
un «hom
malade ou ayant emporté som ame. Dans tous les
cis Vaction rituelle amenait de fit le malade &
regarder aussi objet comme ut
méme. Pour guérir une diarrhée sanglane, ls
Nanais bouchaient ouverture inférieure du sillon
traverant une figure anthropomorphe 3 tite d'ani-
smal (Stemberg, 1933, .517). Les mémes Nana
explain partis es soufances du malade pa le
fai qu'un ous (eo
1¢ de la foréts) installé dans le corps da
image de Iui-
le forestier») avait cap
son ime et tena attache um arbre pour vor-
turer Bimbevie, 1896, p. 39-40) Cette description
wie manque pas dévoquer les tourments que ls
peuples de la région faisiient subir 3 Tours attaché
3 des poteaux pendant la fete de ours. Il est done
légitime de penser que Thybridation d’ééments
humains e¢ animaux dans ces figures n’exprime pas
seulement la justaposition du malade et d'un esprit
rmalfaisant, mais aussi la superposition des relations
dans lesquelles le malade est pris, homme par rap-
port 3 ses proches, mais gibier animal relativement
aux étres qui se sont emparés de lui
Images analegiques
En Sibérie du Sud, oi la steppe le dispute & la aga,
Télevage pastoral conc
rpport & environnement différent. Comme Ta
souligné Roberte Hamayon, Tanimal domestiqn
‘st pas un «partenare d'échange* comme Pani
BS
‘suvage, mais cun Gre infériewr que lon
eet qui
mort sur luis (Hamayon
on posséle, avec droit de vie et de
1990, 614). Lesprit
me, dont les traits sont
putt zoomorphes chez les peuples chasseurs, mon-
tre ici um visage humanisé (Hamayon, 1990, p 607)
‘Ces contrastes ont permis 4 Philippe Deseol de dis-
ccemner en Sibérie méridionale des traits typiques
dun systéme «analogique different des cosmologies
ques» des peuples du Nord (Descola, 2005,
chap. «Histoire de seructures).
sdonneur de gibier» lui4, Doin dv eibour de chaane
hee
Deer da ce
Seti Mane de Minoo
Les peuples res de i région de I'Alta-Satan, en
Sibérie méridionae,attribuent leur suces jl chasse
ila générosté desprit-maitres des montagnes ima-
{ging comme des leveurs dont les animaux sauvages
sont le bétil. Les Tozhu contemporain affirment
ainsi que Mon peut entendre dans la fort les «mai-
tress tate Is ennes auvages tout comme Tes Torhit
traient leurs rennes domestiques. Dans TAlti, on
raconte que les animaux doivent payer un tribut en
fourrure aux maites, ce qui explique ta chute de
Jeurs pols au printemps. Béuil docile ou sujets sou
‘nis, les animaux savages sont lig par une relation de
protection» et de «propriété» (Descola, 2005, chap.
«Les formes de Vattachement») 3 des esprit-maitres
Gui n‘appartiennent pas 3 leur espéce mais leur son
inrinséquemene supérieus. Les spécimens singulers
ne sont pas regardés comme des chef: la fagon des
peuples de TAmour, mais comme ks animaux
domestiques prefers les talons des esprit Ainsi une
tache dans le pelge d'un ours es tenue pour une
marque de propriété posée par le maitre du few ou
par la divinitéinfernale Erik, la fagon dont les
‘yeurs marquent la croupe de leurs chevau
‘On trouvera quelques apergus de cet univers loi~
sonné et higrarchisé dans les dessins complexes qui
couvrsient les tambours des chamanes de VAli=
Sian en Siberie méridionale, vant Pépoque sovieti-
aque. Lexemphire khakawe reproduit en illusta-
tion 41 est parttionné en deux moitis: le secteur
supérieur contient des astres, des oiseaux: et autres
{ares en rapport avec le ciel, tandis que dans la partic
inférieure évoluent des Gees de la terre et du monde
souterrain, La bande séparatrice figure une chaine de
montagne, tands que Tare de cercleentourant Ie sec~
teur supérieur représente un arcen-ciel Les mates
des montagnes® apparaissent sur ce tambour comme
ds cavaliers et non sous des traits animaux comme
dla la région de ' Amour. Leurs fils t leurs filles se
tiennent en fle dans le secteur inféieur,environnés
de chiens et de woupeaux de chevaux. On voit ainsi
que Tékevage et la domination protectrice qu'il
mplique structurent les rapports entre esprit et ani-
‘mau et plus généralement entre clases tes,
“Tout en bas grouillent poisons, serpents et grenouil-
les, qualifis de «serviteurse de empereur Erik divi-
nité trop transcendante pour tre représentée, ours
@ohie A leur e&té car il figure ici comme beta
, Cela suit 2 justifer
absence de débats sur le bien-fondé de la photo-
graphie comme outil de la connaissance scientifi-
‘que. Il y cut, certes, des controverses: mais elles
‘concernérent l'antériorté de la découverte, mirent
‘en compétition la France et Angleterre.
Bien avane les travaux rGalsés par Daguerre’
[Nicéphore Nigpce (il. 70 et 71) inssait sr le carac~
tire spontané de ses images photogéniques : «La
découverte que jai fie et que je designe sous le nom
thaliographie, conse 4 reproduirespontanément, par
Vaetion de la lume, avec les dégradations de tenes
du noir au blanc, les images reques dans la chambre
‘obscure... La humie, dans son état de composition
ct de décompesition agit chimiquement sures corps
Elle est absorbée, elle se combine avec eux et leur
communique de nouvelles propriété...»
La lithogeaphie, disci, a relégué au loin le geste
ddu graveur,par la fixation de image se formant au
foyer de la chambre obscure il sagit désormais de
Saffianchir du geste du dessinateur.
Giissé au sein de la correspondance de Vinventeur
hore Niépce
de Chalon-sur-Saéne, un brouillon sans date ni
signature témoigne de la fascination exercée par le
caractére 'auto-engendrement de la nouvelle
image. Afin de la désigner précisément, lauteur
propose une série de néologismes fondés sur des
nes grec ques, pss, aut, eraphé, eke, pastas,
aléthés : «On ferait Physautegraphic (tableau de la
nature méme), Physautorype (type de la nature
:méme), konawophyse (image de la nature méme)
Parauophyse (représentation de ta nature mem),
‘Alévophyse (veritable nature), Phusléotype (vrai
type de la nature)»
Le 3 octobre 1832, Daguerre écrit 3 Niépee Je
suis bien aise d'apprendre que vous et Monsieur
votre fils physotoryper i force...»
La naturalité de image mise en valeur par les phy-
siciens, ces «philosophes de la nature», contribua 3
maintenir Técart entre les humains et le monde &
‘comprendre et maitriser,limitant en retour toute
réflexion sur les effets sociaux des procédés et
iéthodes d'ineerogation de la nature, «C'est la
nature qui parle d'elle-méme!» se réjouisait
‘Turpin, Cette phrase méme excluait toute discus
sion relative 4 la représentation,
Pour Lorraine Daston (200),la référence
aurait valeur morale, Elle fonctionne it
comme justification scientifque. Le
lésigmait au xvur sicle des propriété etn
ce début de x1x sic parla contingence. Mh
utilisé pour définir des éres ou des
‘outre, le mot enature> qui désgne, pour
«du x0 sigcle, «ensemble des choses
opposes au moral et au spiriuel, rend
objets privikgiés de la photographie: ces
coptibles dmerere ou de rtéchir amie
Le rae joue par a lumiére rence le cacti
de Vnwention. Sa structures «nature, estalon
de vigoureux dats entre scientifiques Les pl
Biot, Arago, Fizeau et Foucault (il. 72), quis
paris de la mare ondulatoire ot
Ja Iumiére, comptent parm es ps acti
frangais de ceee aventure théorique de la hn
sont en outre, tous es quatre, anders dfemeus
nouvelle image photogénique. Dans le monde
dental, a humigre reste un agent mystrien
ct bonne, indspensble 3 la vie, Le mythe
Inisé des traces non seulement cher Pon ou
‘Genése mais encore dans a science moxdeme etl
Tosophie des Lumigres. La lumigre est ton
ax sigele, source de vérité, métaphore dei
Iité Elle est en outre le symbole di progés Ds
1b ephoto-graphies, inscription parla umiére.€6
situcrrésolument du c6té du bien, st fire
seule ds trois grandes inventions du x0 sce —
Valecericité etl vapeur ~ qui serait inotensve
(Or. plaque photographique voit mieux le
solaire que rl human :elle et sensible ses
invisibles (73). En 1800-1801, on sit
longtemps que le nitrate d'argent noircit sous
fluence de bs Iumiére’”. En projetant sur une
ainsi sensbillsée un spectre sore, om pergoit
hoircisement au-deli de ses deux extrémités
es parla luire visible. Ans farent déco
cen moins de deux ans les rayons ulkraviokts
rayon infrarouges. La foi dans le pouvoir surhum
de la plaque photographique est tlle que dans
ouvrage The Pencil of Nature, William a
“Talbot, pionnier anghis de la photographie,
de «séparer ces rayons invisibles des autres en es fi
sant passer dans une pice attenante par une peti
ouverture praiquée dans le mur ow un rand
partition. Cette pidve se remplirit de rayons inv
‘les (nous ne pouvons pas dire qu'elle sécire
{qui seraient diffasés dans toutes les directions p
tune lenille convexe placée derrigre ouvertureLéon Foo Si des gens se erouvaient dans cette pice ils ne se prononcent durant V'année 1839 devant les deux
: verraient pas, et pourtant, si l'on pointait un appa- Chambres et l’Académie des sciences, ils pressen
cil photographique dans la direction de n'imp. tent Paide qu'elle apportera dans le domaine de la
. laquelle de ces personnes, il prendrait son portrait photométrie. Aprés un temps de pose phis ou
et révélerait ce qu'elle ext en train de faire.» — moins long, la lumigre émise par les éeoiles modi
53315. Iajoute :«En effet, pour reprendre une métaphore fie les surfaces sensibles, observation de ces effets
que nous avons déji utilisée, Veil de Tapparcil couplée i des analyses spectrales, permet de
photographique verrait clairement li oi Teril déduire la distance et la nature méme de ces astres
humain ne verrait que ténebres» (Talbot, 1844) inaccessibles.
A Textréme fin du x1¥" sigele,la plaque photogra- Les démarches comparatives: deviennent possibles,
phique sera Youtil de la découverte d'autres rayon-_méme pour des objets dont lintensité kumineus
nnements invisibles i 'cil, méme muni de puissan-_trés diflrente. Les lumigres des rayons éblouissints du
tes lentilles optiques : les rayons X. Soleil les étoiles, de la Lune si pile seront comparées
La plaque photographique ne joue pas seulement —grice & leurs effets «en un méme tableau. Il suffira
le réle d'un instrument de vision, au méme titre soit d'affiblir les plus fortes lumigres, soit de ne lis
ue télescopes et microscopes, mais également ser agir les rayons ls plus brillants que pendant un
celui d'un instrument de mesure; dans la série court lps de temps (une seconde), tout en lasant
le discours que Gay-Lussac et Frangois Arago action des autres s‘effectuer durant une demi-heure73, Abbé Nolet
La rie time
r
Pas, CNUM. ime 12° 14
Sila botanique manifesta son intérét dés Pannonce
de invention du daguerréotype, Vastronomie joua
tun r6le de premier plan dans Thistoire de la pho-
tographie. Elle fut Ia source tant des premigres
interrogations que des premiers doutes. Les astres,
inengendrés, incorruptibles, quasi inconnaissbles
par experience, le toucher et la vue, comptent
alors ~ si 'on excepte la supréme essence (ous) ~
parmi les principaux objets dont la contingence
soit entigrement exclue. La photographie devait
jouer 4 ce titre un réle privilégié.
Loin de ne fonetionner qu’en simple prothise ocu-
hire lls ouvrit un champ action sng, portour
de connaissances 5p ies
sSacerue brutalem
Les figures de I objectivation liges i Varrivée de la
photographie sont trop nombreuses pour étre
recemsées, Remarquons simplement que les instru
‘ments d'optique tels le microscope ou le télescope
possédent deux lentlles: un objectif situé du
de objet, donnant une image de ce dernier: un
oculaire sité dur cOté de Feel, avec lequel on
regarde Vimage fournie par object. Uappareil
photo, lui est démuni doculaire. Il est lui-méme
cavls, erétine artficielle worte qu'un
objectif. Le mot signifiat au xix siécle «ce qui
appartient a Fobjet» et opposait au subjectifd
gant tout attribut propre au sujet. Ainsi image
photographique jouait le role de réalté objective.
Elle semblait Iétre d'autant plas que la qualité et
Vhomogénéité des lentilles optiques s’étaient
averues nettement au cours du sigcle. Elles se
devaient alors de fournir des images trés grossies
aussi exactes que possible : les lignes droites
devaient rester drotes, les contours des objets ne
devaient pas apparaitre irisés, La maitrise de Taber
ration de sphéricité et de Vachromatisme étaien
au cerur méme des préoccupations des opticiens.
Supprimer Vobservateur
La légitimation de la valeur probatoire de la photo-
‘graphic saccompagna d'un rejet vigoureus, sinon
violent, de ls part humaine. En 1864, Vastronome
Auguste Faye dénonce les vereursphysiologiquess
ki ‘individualité» de Tobservateur. Elles
icient les observations, affirme-t-il, au point de
rendre illusoire la haute précision qui leur est atri-
buée. Le moyen radical de les faire disparaitre serait
dle «supprimer observateur» en le remplagant par
usage simulané de deux grandes découvertes
récentes : a photographie et la téléyraphie,
Auguste Faye argumente : Tel, Pouile possédent
des limites au-deli desquelles ils se révélent moins
performants mais si Von combine Mexercice des
deux sens,on se trouve conduit 4 des erreurs telles
que leur valuation provoque Vinerédulité. Or
observation du passage des astres au méridien et
fondée sur un tel exercice Il faut regarder un point
brillant se déplacer dans le champ de la lunette
fen traversant un réseau de films parallles.
‘Simulanément, i faut écouter le battement d'un
pendule et noter. pour chaque fil, Pheure du pas
sage du point lumineux. De ces mesures simulta-
ment temporelles et spatales sont déduites les
positions respectives des astres dans 'Univers
Auguste Faye remarquera que Ia réalisation de
V'expérience par plusieurs observateurs produit des
résultats differents. Les astronomes constatant ee
phénoméne ont eu de la peine 3 le crite. Is ont
cherché 4 Véliminer en imposant Fobligation 4
chacun, dans tous les observatoires, de signer ses
observations. Ils ont également vellé 3 permuter
Jes observateurs
‘Auguste Faye en conclut qu'il ne faut pas compter
sur la machine humaine. Les expériences de Ta
ome italien Ignazio Porto avaient montré Vef-
ficacité du remplacement de observateur par une
plaque photographique. Pour Auguste Faye, il suf
frait alors d'enregistrer électriquement I'instant od
la lumiére est admise dans la chambre noire de bb
Junette méridienne pour obtenir un résultat objec-
tif, «indépendant des sens humains et du cerveau
Faye avait déji utilisé le procédé pour Menregisre-
ment d'une éclipse solaire. Ses arguments porté-
rent leurs fruits. Dix ans plus tard,en 1874, 'atro-
‘nome Jules Janssen partait pour le Japon avec une
@quipe de collaborateurs et son «revolver photo-
graphique», combinaison d'horlogerie et denre-
jstrement photographique, afin d’enregistrer
image ct l'heure exacte du passage du petit dis
que de Vénus devant la grande sphére sobire
La mesure de ce epassge de Venus», obtenue en
plusicurs points du globe, devait permettre dac-
ceroitre la précision de la mesure de Ia distance
Terre-Soleil. La réalsition d'une photographie
séquentielle ouvrait la voie non seulement aux tra
aux chronophotographiques du physiologist
jules Marey, mais encore 3 la mise au
point du cinématographe par les fréres Lumiére.
Dans les années 1880, a mise en cause de Vinfailibi-
licé des sens hurnains, eur Gloignement, trouve un
aboutisement dans es travaux photographiques