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Romantisme

La Société des Amis du Peuple


Jean-Claude Caron

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Caron Jean-Claude. La Société des Amis du Peuple. In: Romantisme, 1980, n°28-29. Mille huit cent trente. pp. 169-179;

doi : https://doi.org/10.3406/roman.1980.5349

https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1980_num_10_28_5349

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Jean-Claude CARON

La Société des Amis du Peuple.

Dans la trilogie des révolutions françaises, 1 830 apparaît


fréquemment comme une révolution mineure. Coincée entre « la » Révolution
française d'une part et, « 48 » d'autre part, 1 830 n'est que trop souvent
limité aux éclats des Trois Glorieuses. A cet égard, le tableau d'Eugène
Delacroix « Le 28 juillet 1 830 : la liberté guidant le peuple » est
extrêmement révélateur d'une vision de 1 830 qui a eu la vie dure.
Pourtant, le mouvement révolutionnaire n'est pas mort en juillet
1830 ; sans aller jusqu'à fixer une date précise à partir de laquelle le
gouvernement de Louis-Philippe se serait définitivement affirmé, il
semble incontestable qu'au moins jusqu'en juin 1832 la nouvelle
dynastie doive faire face à de violents soubresauts révolutionnaires ; au
premier rang de ses adversaires se trouvent les républicains.
1830 occupe aussi une place mineure dans la trilogie des
révolutions françaises parce qu'elle n'a pas été suivie de l'instauration de la
république, à l'égal de ses deux sœurs. Révolution bourgeoise,
révolution de type anglais, révolution de transition : autant de formules
attribuées à la révolution de juillet par l'historiographie. Ces formules
plus ou moins contestables ne doivent pas cacher que le mouvement
républicain existe en 1830 : le livre de Georges Weill, Histoire du parti
républicain en France, 1814-1870, paru en 1900, a montré que l'idée
républicaine n'était jamais morte en France, bien que les tentatives
pour l'étouffer aient été nombreuses. Soyons précis : il n'y a pas de
parti républicain en 1 830, mais un certain nombre de sociétés secrètes
avant Juillet, publiques après Juillet, qui se réclament de la république
telle qu'elle exista en France à partir de 1 792 ; mais la plupart de ces
sociétés regroupent aussi des saint-simoniens, des francs-maçons, des
bonapartistes, des libéraux, des carbonari. Numériquement très faibles,
elles sont poussées à des alliances souvent contre-nature, qui ne
résisteront pas à la révolution de 1 830.
La Société des Amis du Peuple connut elle aussi ces vicissitudes
mais plus tardivement ; car elle n'existait pas avant la révolution. La
société est en effet née de la Révolution.
Il existe de nombreux témoignages sur les Trois Glorieuses. Tous
se recoupent pour noter l'absence de cris, de slogans républicains, dans
la bataille. Ainsi, Juste Olivier écrit dans son Journal, à la date du 29
juillet : « J'ai entendu différents cris, les uns Vive la Charte ! et ce sont
les plus fréquents, les autres : Vive la Liberté ! Vive Napoléon II ! Vive
la Nation ! » (1). Pourtant des républicains — et futurs membres de la
Société des Amis du Peuple - participent activement à l'insurrection.

1. Juste Olivier, Paris en 1830, Mercure de France, 1951, p. 268-269.


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F.-V. Raspail est blessé lors de l'attaque de la caserne de Sèvres-Baby-


lone ; Ch. Teste fait partie du groupe qui occupe la Bourse ; L.A. Blan-
qui participe à la prise du Palais de Justice ; C. Thomas, J. Bastide, A.
Guinard, G. Cavaignac — alors membres de la société « Aide-toi, le ciel
ťaidera » — combattent avec ceux qui plantent le drapeau tricolore sur
le Louvre. Nombreux seront les Amis du Peuple à recevoir — et à
refuser — en avril 1831 la Croix de Juillet, « donnée par le Roi des
Français ».
Mais si Ton peut soutenir avec Heinrich Heine que
« le cri Vive la Charte ! qu'on a interprété plus tard comme le désir général
. de maintenir la Charte n'était pas alors autre chose qu'un mot d'ordre pour la
circonstance, mot employé comme signe de ralliement » (2),
il n'en reste pas moins vrai que l'idée de république est alors fort peu
populaire à Paris : le couple République-Terreur fait encore peur.
Victor Hugo, témoin attentif des événements résume bien un état d'esprit
alors fort répandu : « Après juillet 1 830, il nous faut la chose
républicaine et le mot monarchie. » (3)
Faiblesse, donc, de cette « chose républicaine », d'autant plus
qu'elle est peu et mal structurée. Pour lutter contre ce manque
d'organisation, un certain nombre de républicains vont réagir, se réunir,
et former une société républicaine, la Société des Amis du Peuple.
Dans le Manifeste de celle-ci, publié en octobre 1830 (4), il est
précisé : « ce fut le 30 juillet que se réunit pour la première fois la
Société des Amis du Peuple ». Notons que le 30 juillet fut aussi le jour
où fut affichée la « Proclamation du duc d'Orléans », rédigée par
Thiers, avec l'appui de l'opposition constitutionnelle. Thiers y faisait
l'éloge de ce « prince dévoué à la cause de la Révolution » et qui
« était à Jemmapes », mais surtout s'opposait à l'instauration d'un
régime républicain : « La République nous exposerait à d'affreuses
divisions, elle nous brouillerait avec l'Europe ».
Ce chef d'oeuvre d'habileté politique poussa les républicains à
réagir promptement. Plusieurs d'entre eux se réunissent le même jour
au 104 rue de Richelieu, chez le restaurateur Loin tier ; on trouve là
J.-L. Hubert, U. Trelat, C. Teste, A. Guinard mais aussi Béranger, Cabet,
Cauchois-Lemaire et M. Chevalier. Ces quatre derniers soutenaient
Louis-Philippe estimant impossible l'instauration de la République pour
l'instant : ils furent mis en minorité.
Au sortir de la réunion une adresse est portée à la Commission
municipale (formée de Casimir-Perier, de Schonen, Mauguin, Laffitte,
Lobau, Audry de Puyraveau), qui siégeait à l'Hôtel de Ville. Dans cette

2. H. Heine, De la France, Paris, éd. Montaigne, 1932, p. 86.


3. Choses vues, 1830-1846, « Folio », Gallimard, 1972, p. 105.
4. Tous les textes de la Société des Amis du Peuple sont regroupés dans le
volume II de la collection « Les Révolutions du XIXème siècle », intitulé La
Société des Amis du Peuple, 1830-1831, éd. Edhis, 1974. Une exception : la Déclara-
ration des principes, publiée par la Société le 8 septembre 1830, que l'on retrouve
in extenso dans Les Sociétés populaires de 1830, par un négociant, officier de la
Garde Nationale, Paris, Everat impr., 1830 (B .N. Lb 5 1 225).
La Société des Anás du Peuple 1 71

adresse, il est demandé : « qu'aucune proclamation ne soit faite qui,


déjà, désigne un chef lorsque la forme même du gouvernement ne
peut être déterminée ». L'entrevue avec la Commission municipale
n'aboutit à rien. Hubert « accompagné de plusieurs de ses amis encore
en armes et le fusil en bandoulière » (5) sortit de l'Hôtel de Ville et lut
la proclamation suivante :
« La France est libre. Elle veut une constitution. Elle n'accorde au
gouvernement provisoire que le droit de la consulter. En attendant qu'elle ait
exprimé sa volonté par de nouvelles élections, respect aux principes suivants : plus
de royauté ; le gouvernement exercé par les seuls mandataires élus de la
nation ; le pouvoir exécutif confié à un président temporaire ; concours médiat
ou immédiat de tous les citoyens à l'élection des députés ; la liberté des
cultes, plus de culte de l'État ; les emplois de l'armée de terre et de l'armée de
mer garantis contre toute destitution arbitraire ; établissement des gardes
nationales sur tous les points de la France ; la garde de la Constitution leur est
confiée ; les principes pour lesquels nous venons d'exposer notre vie, nous
les soutiendrons au besoin par l'insurrection légale. » (6)

A plus d'un titre, ce texte est fondamental. Tout d'abord il fut


repris dans le numéro 218-219-220 des 1er, 2 et 3 août 1830 de La
Tribune des départements, journal républicain dirigé par A. Marrast
membre de la Société des Amis du Peuple ; très légèrement remanié
dans sa forme, précédé d'une courte introduction et surtout de la
formule suivante : « Déclaration du Comité Central des Amis du Peuple »,
ce texte est donc bien la première expression écrite que nous ayons de
la Société des Amis du Peuple dont la création, selon toute
vraisemblance, fut décidée par Hubert et ses amis au retour de l'entrevue avec
la Commission municipale.
Fait plus important, ce texte marque le renouveau éclatant de
l'idée républicaine après plus de trente ans d'étouffement. Bien que
maladroite dans sa forme et assez imprécise sur le fond, cette
déclaration est un véritable programme républicain. Paradoxalement, ce
programme est plus radical que ne le seront pendant longtemps les textes
issus de la Société des Amis du Peuple.
Peut-être traduit-il une sorte de sursaut désespéré de la part des
républicains. Pris de vitesse, ceux-ci n'ont pas un chef reconnu par
tous. La Fayette, sur qui ils comptaient, s'est empressé d'accepter le
commandement de la Garde Nationale que lui offrait la Commission
municipale et s'est rallié au Lieutenant-Général. Pour La Fayette le
nouveau régime est « un trône populaire entouré d'institutions
royales », mieux » une république royale » (7).
De son côté Thiers aménage le 3 1 juillet une rencontre entre le
Lieutenant-Général et des républicains au Palais-Royal. Parmi ceux-ci

5. F. Rittiez, Histoire du règne de Louis-Philippe 1er, V. Lecou, 1855, p. 34.


6. Texte cité dans Histoire populaire contemporaine de la France, dirigée par
Victor Duray, Hachette, 1864, tome l,page 266.
7. La Fayette, Mémoires, Correspondance et manuscrits, H. Fournier, 1837-
1838, t. 6, p. 41 let 422.
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se trouvent G. Cavaignac, E. Arago, J. Bastide, C. Thomas etc. Cette


rencontre n'aboutit à rien, si ce n'est à un succès de prestige pour le
duc d'Orléans.
Dans ses Souvenirs Alexandre Dumas écrit : « La révolution de
1830 avait été si instantanée qu'un moment, nous autres républicains,
la crûmes complète » (8). Espoir déçu : la lutte de rue a rapidement
cédé le pas à la lutte de cabinet à laquelle les républicains ne pouvaient
participer. Le journal La Révolution de 1830 lui-même, organe
officieux des milieux républicains, dirigé par E. Plagniol et James Fazy,
membres de la Société des Amis du Peuple, traduit le désarroi qui s'est
emparé des républicains :
« Malgré nos sentiments et nos affections, malgré nos désirs sur la
souveraineté du peuple, nous n'avons pas une seule fois prononcé le mot de
république, de peur que ce mot ne portât dans notre beau pays le trouble et
l'agitation. » (9 août 1830)
Dans ces conditions, quel pouvait être le rôle de la Société des
Amis du-Peuple ? Celle-ci se devait d'abord de rassembler et structurer
les républicains. A ses débuts, elle compta environ 1 20 membres, puis
très vite plus de 300. « L'admission s'obtenait par une notoriété ou une
déclaration de patriotisme. » (9) Délaissant rapidement les bureaux
exigus du journal La Révolution, la Société tint des séances publiques
au manège Pellier, rue Montmartre, à partir de la fin août ; ces séances
rassemblaient 1 200 à 1 500 curieux ou sympathisants. Sur le plan
idéologique, la Société regroupait différentes tendances. En principe tous
ses membres étaient républicains ; mais on trouvait aussi bien d'anciens
carbonari (Flottard, U. Trelat) que des Orléanistes (F. de Corcelles), des
Jacobins (A. Caunes père et fils ; puis L.A. Blanqui, G. Cavaignac) ou
des saint-simoniens (Ph. Bûchez). A ses débuts la Société des Amis du
Peuple est donc un amalgame de courants politiques, certains
défendant un républicanisme fort modéré qui, à l'instar de Lafayette, se
satisfaisait du nouveau régime.
Il semble qu'il ait alors été de bon ton d'être un Ami du peuple.
Par F.-V. RaspaÛ, nous savons que « Monseigneur le duc d'Orléans fils
lui-même fit demander par l'un de ses amis [...] l'insigne honneur de
voir son nom figurer sur la liste des sociétaires » (10) ; la Société
compta à ses débuts de nombreux adhérents de marque, artistes, savants,
manufacturiers, écrivains et même (selon La Tribune du 3 octobre
1830) des procureurs du Roi, avocats généraux, juges ou substituts.
Information d'autant plus difficile à contrôler que l'on ne possède pas
de registre des adhérents de la Société des Amis du Peuple.
En revanche — et ce grâce aux nombreux procès qui furent
intentés à des Amis du Peuple — nous savons que la Société regroupait

8. Souvenirs de 1830 à 1842, A. Cadot, 1854-1855, t. 5, p. 1 13.


9. L. De la Hodde, Histoire des sociétés secrètes et du parti républicain,
de 1830 à 1848, Junion-Lanier et Cie, 1850, p. 37.
10. F. - V. Raspail, Lettres sur les Prisons de Paris, Tannisey et Champion,
1839, t.l, p. 300-301.
La Société des Amis du Peuple

surtout des avocats, des marchands, des rentiers, des médecins, des
étudiants, et au sens le plus large du terme des hommes de lettres ;
l'élément ouvrier y fut quasi-inexistant.
Du 31 juillet au 7 août, la société va multiplier les manifestations
vers la Chambre des Députés pour empêcher — sans succès — que le duc
d'Orléans ne devienne Louis-Philippe 1er, roi des Français ; on entend
les cris de « Vive la République ! La République ou la mort ! » ( 1 1 ) ;
le 6 août une délégation d'Amis du Peuple est reçue par des députés ;
mais le 9 août, la cérémonie d'investiture de Louis-Philippe 1er se
déroula sans incidents. Remarquons que les manifestations organisées par
la Société des Amis du peuple ne regroupèrent jamais plus de 4 à 5000
personnes.
La société, déroutée pendant un temps, reprit très vite une intense
activité, de nombreuses questions politiques, sociales et économiques
furent débattues dans les séances parfois houleuses du manège Pellier.
Mais le gouvernement s'inquiétait de l'agitation politique qui persistait
à Paris. Guizot, ministre de l'Intérieur, accusa la Société des Amis du
Peuple d'être responsable du désordre, et aussi du marasme
économique. Une partie de l'opinion publique ne fut pas insensible à ses
arguments.
F.-V. Raspail écrit de manière ironique :
« C'est l'épicier du coin, ou le marchand de vin de l'autre coin, les deux
magistrats permanents de la police des rues, qui donnent le signal de la
fermeture à tous les volets du quartier, à l'approche de l'Ami du Peuple. » (12)

La Société s'efforça de rassurer l'opinion publique notamment


en publiant une Circulaire aux électeurs dans laquelle était abandonnée
l'idée de suffrage universel, au profit d'une « nouvelle loi électorale sur
le principe le plus large du droit d'élection », formule qui pouvait se
prêter à toutes les interprétations.
Ceci n'empêcha pas que le manège Pellier soit fermé le 25
septembre 1830, ce qui porta un rude coup aux Amis du peuple ; cela fit
« descendre à zéro le thermomètre de l'influence de la société » (13).
L'article 291 du Code Pénal sur le droit d'association n'avait pas été
aboli : le 2 octobre, à la suite du procès intenté au président et au
secrétaire de la société, Hubert et Thierry, pour la publication d'une
affiche jugée séditieuse, la Société des Amis du Peuple fut dissoute. De plus
la société avait enregistré la scission des Orléanistes, menée par F. de
Corcelles qui dénonçait le jacobinisme de la société.
De fait malgré sa dissolution — plus formelle que réelle — la
société ne va pas disparaître. Et plus unie idéologiquement, elle va sortir
renforcée du départ de l'élément modéré. C'est surtout sur le plan de la
politique extérieure que se fait l'unité des Amis du Peuple, avec une

11. Juste Olivier, Paw en 1830, éd. citée, p. 288.


12. Lettres sur les prisons de Paris, éd. citée, t. 1 , p. 299.
\3.Ibid.,v. 305.
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référence constante à l'œuvre de la Convention Nationale. Révision des


traités de 1815, secours aux peuples opprimés, guerre aux tyrans, tels
sont les points défendus par la société, qui ne se contente pas de mots.
Lorsqu'elle fit paraître son Manifeste début octobre, elle précisa que
celui-ci était vendu « au profit des volontaires qui partent pour aller
soutenir la cause de la liberté en Belgique ». Depuis août 1830, les
Belges s'étaient soulevés contre les Hollandais, pour acquérir leur
indépendance. Les Amis du Peuple organisèrent un bataillon pour aller
combattre au côté des Belges ; d'après F. Guizot, « Mr Mauguin et le général
Lamarque étaient à la tête de ce travail » (14) ; ce bataillon fut doté
d'un drapeau noir avec comme devise : « Vaincre ou mourir ».
Henri Bonnias, membre du bureau de la société, ex-fondateur de
la Charbonnerie à Marseille, puis secrétaire de Voyer d'Argenson
pendant six ans, fut le chef civil de ce petit corps de troupe ; les effectifs
passèrent d'une centaine d'hommes au départ à environ 600 en
Belgique ; plusieurs Amis du Peuple furent tués, dont A. Caunes fils ;en
novembre 1830, après l'indépendance de la Belgique, Charles Teste fut
envoyé à Bruxelles pour rapatrier le bataillon de la société des Amis du
Peuple.
La Société s'intéressa également à la Pologne qui en décembre
1830, se révolta contre la Russie. Le peuple polonais fut rapidement le
symbole des peuples opprimés, des peuples martyrs. Des manifestations
très violentes, auxquelles participèrent les Amis du Peuple, furent
organisées à Paris ; des ministres furent molestés. Après la chute de Varsovie
en septembre 1831, la société accueillit avec enthousiasme les réfugiés
politiques polonais (dont plusieurs furent logés par des Amis du Peuple
et adhérèrent à la Société), organisa des souscriptions en leur faveur, et
leur offrit un banquet. Pour la Société des Amis du Peuple, la cause de
l'oppression politique passe avant la cause de l'oppression sociale. Le
recours à la guerre est envisagé sans crainte. « Seconder l'émancipation
des peuples contre les efforts des tyrans est un devoir sacré pour une
nation libre. » (15)
1830 c'est aussi l'affirmation d'une véritable foi en la république,
capable de faire le bonheur de toute l'humanité, et dont l'avènement
est inévitable. « Le parti républicain a une foi » reconnaît Guizot (16)
à qui répond en écho Mazzini :
« Le parti républicain n'est pas un parti politique ; c'est un parti religieux
ou bien ce n'est rien [...] ; il doit avoir l'inviolabilité du dogme, l'infaillibilité de la
foi, le dévouement et le cri d'action des martyrs. » (17)

14. Mémoires pour servir à histoire de mon temps, Lévy frères, 1859, t. 2,
p. 91.
15. Gaussuron-Despreaux, dans la publication de la société du 9 oct. 1831.
16. Mémoires, éd. citée, t. 2, p. 202.
17. Cité dans A. Gabourd, Histoire contemporaine, comprenant les principaux
événements qui se sont accomplis depuis la Révolution de 1830 jusqu'à nos j ours ,et
résumant le mouvement social, artistique et littéraire, Firmin-Didot, 1863-1874,
t. 2, p. 59.
La Société des Amis du Peuple

Mais c'est G. Cavaignac, un des principaux dirigeants de la société


des Amis du Peuple qui exprimera le mieux sa foi en la république, lors
du procès de la conspiration dite républicaine d'avril 1 83 1 .
1 9 républicains étaient accusés de complot lors des émeutes de
décembre 1830 qui avaient éclaté à l'occasion du procès des ministres de
Charles X ; parmi les 19 prévenus, une dizaine étaient des Amis du
Peuple. Toute la défense de Cavaignac fut une sorte d'acte de foi en la
république :
« Aujourd'hui que l'occasion s'offre enfin à moi de prononcer un mot que
tant d'autres proscrivent, je le déclare sans affectation comme sans crainte, de cœur
et de conviction : je suis républicain. »
Cette déclaration, « acte de naissance du parti républicain » pour
Georges Lefebvre, se double d'une confiance absolue dans la venue de
la République : « J'ai compris qu'il était impossible que le mouvement
qui domine aujourd'hui le monde aboutit à rien d'autre que la
république ».
Phrases fortes, phrases limpides, et non pas simple exercice de
style ; le jury acquittera les prévenus. Pourtant Cavaignac et ses amis
s'étaient affirmés héritiers de la tradition révolutionnaire de 1793, une
date qui en 1830 faisait encore peur. Pour Cavaignac, dont le père,
ancien conventionnel, mourut en exil à Bruxelles, ce n'est pas tant la
politique économique ou sociale de la Convention que sa politique
extérieure qui est une référence :
« Nous ne savons rien de ces temps-là, sinon qu'après avoir commencé
par l'envahissement de la France, ils ont fini par sa délivrance et son
agrandissement. »
La Société des Amis du Peuple voua un véritable culte aux
martyrs de la première république. Elle fit couler les bustes de Robespierre
et de Marat ; F.-V. Raspail admirait fortement Saint-Just « républicain
beau et vierge comme Jésus » (18) ; quant à Marat n'est-il pas l'Ami du
Peuple par excellence ?
La Société des Amis du Peuple s'occupa aussi de problèmes
économiques et sociaux. Elle subit fortement l'influence des thèses saint-
simoniennes, jusqu'au départ des Saint-Simoniens au printemps 1831.
Ph. Bûchez développa une théorie de l'association ouvrière dès
l'automne 1830, mais de son propre aveu il ne rencontra que « de
l'indifférence et de l'incrédulité » ; Bûchez avait oublié que beaucoup de
ces républicains « voyaient surtout dans la révolution la guerre aux
rois » pour reprendre l'expression de G. Weill.
Dans le Manifeste de la Société d'octobre 1 830, il est question des
classes inférieures de la société et de « l'amélioration de leur condition
physique et morale » formule que n'aurait pas désavoué Enfantin.
Plus élaborée est la Lettre au duc d'Orléans, prince royal, écrite à
la même époque par Hippolyte Auger, auteur de théâtre, Ami du
Peuple et disciple de Bûchez :
1 8. Lettres sur les prisons de Paris, t. 1 , p. 320-2 1 .
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« dans le passé, l'esclave est devenu serf, le serf est passé à l'état de salarié ;
aujourd'hui le salarié réclame un nouveau progrès vers le but définitif de
l'espèce humaine » .

Ce but, c'est « l'égale répartition du bien-être social ». Et Auger


conclut : « II n'y a plus d'autre royauté possible que celle qui s'appuie
sur la masse des travailleurs ».
Cette formule montre que pour les saint-simoniens le problème,
fondamental pour les républicains, de la nature du régime, est
secondaire : la rupture était inévitable.
La Société des Amis du Peuple dut aussi prendre parti lorsqu
'éclata la révolte des Canuts à Lyon en novembre 1 83 1 . Ce n'était pas chose
facile ; d'une part le gouvernement essayait de démontrer que la
Société était solidaire des canuts, voire qu'elle les poussait ; d'autre part, à
Lyon, les républicains furent divisés : les uns se rangèrent dans le camp
des révoltés, les autres dans le camp des autorités.
La Société publia un texte à ce sujet dans sa brochure de
décembre 1831 : c'était un soutien inconditionnel aux Canuts ; L.-A. Blanqui
évoquera lors du Procès des Quinze (procès de presse intenté à 1 5 Amis
du Peuple en janvier 1832) « cette armée de spectres à demi consumés
par la faim, courant sur la mitraille pour mourir au moins d'un seul
coup ».
Mais ce discours reflète surtout la pensée de la fraction la plus ro-
bespierriste, la plus montagnarde de la Société des Amis du Peuple
(Blanqui, N. Lebon, A. Caunes, F. Sugier...). La partie modérée,
constituée de marchands, de rentiers, attachés à la liberté du travail et du
commerce, pouvait-elle soutenir cette insurrection sociale ? A la séance
du 23 novembre 1831, la société « dont l'assemblée devait être très
nombreuse comptait à peine une trentaine de sociétaires » (Bulletin de
Police du 5.12.1830). Cette désertion massive semble pouvoir
s'expliquer par la prudence de ceux qui préférèrent rester chez eux plutôt que
d'avoir à cautionner une insurrection qu'ils réprouvaient.
Les actions de la Société des Amis du Peuple en faveur des classes
inférieures de la société se placèrent sur un tout autre registre. C'est
surtout sous l'influence de F.-V. Raspail, président de la société de mars
1831 à janvier 1832 que furent élaborés de nombreux projets — dont
beaucoup ne furent pas réalisés. Le droit à l'instruction fut une des
questions à laquelle s'intéressa le plus la société : elle décida la création
d'écoles d'adultes dans chaque quartier, ainsi que des écoles pour
enfants ; le chant, la grammaire, l'écriture, l'arithmétique, l'histoire,
l'hygiène devaient y être enseignés.
Le monopole de l'enseignement empêcha la réalisation de ce
projet ; Raspail ouvrit un cours gratuit de chimie organique, pour les
étudiants ; Laponneraye, ex-instituteur, organisa chez lui un cours gratuit
d'histoire de France depuis 1789, à l'intention des ouvriers, tous les
dimanche matin (!). Ce cours rassembla jusqu'à 300 auditeurs, puis
ayant été interdit, il fut imprimé et distribué gratuitement aux ouvriers;
au début de chaque séance, Laponneraye distribuait et commentait à
La Société des A mis du Peuple 177

ses auditeurs la Déclaration des droits de l'homme de 1793. Arrêté en


janvier 1832, il sera condamné à deux ans de prison ferme et 1000 F.
d'amende.
Raspail fit également adopter le projet suivant, qui, pour des
raisons matérielles, ne vit jamais le jour :

« Chaque membre (de la Société) a pris rengagement de prendre sous son


protectorat cinq ou six familles pauvres ou peu aisées dont il se constituera
l'avocat dans la poursuite de leurs droits matériels et le précepteur dans
l'éducation ou la surveillance des enfants en bas âge ; il se chargera du soin de
procurer de l'ouvrage à leur bonne volonté, des débouchés à leurs produits, des
remèdes à leurs maux physiques, des consolations à leurs souffrances
morales. » (19)

Vaste programme utopique, où se trouvent combinées l'influence


saint-simonienne et la tradition de charité chrétienne. D'autres Amis du
Peuple tentèrent de réaliser à titre personnel divers projets : G.
Desjardins voulut lancer, sans succès, un quotidien, Le Tribun du Peuple ;
Ricard-Farrat, auteur de multiples brochures, ne put lancer sa société
des Instructeurs devant les poursuites dont il fut l'objet ; Le
Mouvement, quotidien lancé par A. Roche échoua aussi et se réunit à la
Tribune des départements, d'A. Marrast. La tentative la plus originale et qui
rencontra le plus de succès fut celle de F. Sugier, ancien scieur de long
du Puy de Dôme ; il monta à Paris et lança le Véritable May eux dont le
style évoquait un Père Duchêne très atténué ; il publia aussi des
pamphlets aux titres curieux : François le Fataliste^ Jérôme le
Franc-Parleur, Mathurin l'Epilogueur, Simon le Prolétaire.
Quant à la Société des Amis du Peuple, elle fît paraître 13
brochures de fin juin 1831 à décembre 1831 ;le tirage maximum fut de 8000
exemplaires ; l'actualité y était commentée et les grands principes de la
Société y étaient exposés ; mais les saisies furent fréquentes, et les
principaux rédacteurs subirent le procès des 15 en janvier 1832.
Publications saisies, principaux chefs arrêtés, lieux de réunion
successifs fermés : la Société des Amis du Peuple — de plus
officiellement dissoute par décision de justice — avait du mal à survivre. Son
action fut souvent entravée, surtout sous le ministère Casimir-Périer.
Ainsi lors de la célébration du 14 juillet 1831 : avec d'autres sociétés,
les Amis du Peuple devaient planter un arbre de la liberté sur la place
de la Bastille, après un défilé avec musique guerrière et rameaux ornés
de guirlandes et de rubans tricolores « dont les vétérans de 89 et les
blessés de la Grande Semaine tiendront les extrémités », précisait le
Programme de la Fête.
Mais la police avait recruté et armé de gourdins une bande «
d'auxiliaires » qui mirent en déroute les manifestants. Parmi les Amis du
Peuple arrêtés, se trouvait Evariste Galois, qui avait .sur lui couteaux,

19. Lettres..., ouv. cité, t. 1, p. 327.


1 78 Jean-Claude CARON

pistolets et carabine chargée : cela vaudra au jeune mathématicien six


mois de prison, d'où il ne sortira que pour se faire tuer en duel.
La création, sur l'initiative d'A. Caunes, de sections ouvrières
affiliées à la société, en avril 1832, loin de renforcer celle-ci, la divisa
entre ceux qui voulaient limiter les pouvoirs de ces sections des Droits
de l'Homme (qui devinrent la Société des Droits de l'Homme) et ceux
qui voulaient leur donner une place à part entière dans la Société des
Amis du Peuple.
Enfin l'insurrection républicaine et ouvrière qui éclata les 5 et 6
juin 1832 à Paris, à l'occasion des funérailles du général Lamarque,
accéléra le processus de désintégration de la Société des Amis du Peuple.
Celle-ci décida de participer au convoi ; mais ses membres furent divisés
sur la conduite à tenir lorsqu'éclatèrent les premiers coups de feu et que
furent érigées les premières barricades. De son côté, le gouvernement
s'empressa de faire arrêter les principaux chefs républicains de Paris,
y compris les députés : « Les prisons sont combles. Rien qu'à Sainte-
Pélagie se trouvent plus de 600 prisonniers politiques » note H.Heine(20).
Quant aux chefs des Amis du Peuple, la plupart était déjà en prison
avant la manifestation, à la suite de différents procès.
Gisquet, Préfet de police, triompha :
« Les républicains ne forment plus un parti, ce sont des hommes isolés qui
[...] n'osent pas réunir les membres épars de leurs bandes découragées » (21).
Symbole de ce découragement : la Société des Amis du Peuple
chercha un prêtre qui accepterait de célébrer le 27 juillet 1832, un
service funèbre d'apparat en l'honneur de la mort de la Révolution de
juillet ! (Bulletin de Police du 18 juillet 1832).
De nouvelles associations furent créées et remplacèrent peu à peu
les Amis du Peuple ; ainsi la Société des Droits de l'Homme, qui
recrutait dans la classe ouvrière ou l'Association en faveur de la presse
patriote, qui regroupa « l'intelligentsia » républicaine de Paris, de
Lafayette à Cavaignac, en passant par Raspail, Cabet, Garnier-Pages, A.
Carrel, Marrast, etc.
Le procès du droit d'association, en décembre 1832, sera le
dernier triomphe — éphémère — de la Société des Amis du Peuple : 1 9 de
ses membres était accusés du délit d'association, donc d'avoir enfreint
l'article 291 du Code Pénal.
Les 1 9 prévenus furent acquittés par le jury présidé par l'avocat
républicain P.- A. Fenet qui déclara : « C'est donc solennellement, au
nom du jury, que je déclare ici qu'il a jugé dans sa conscience le fait
d'association non coupable ». La Cour, outrée par cette déclaration,
prononça la dissolution de la Société des Amis du Peuple. Cette
deuxième dissolution semble avoir été inutile, puisque la Société n'existait
plus que de nom.

20. De la France, éd. citée, p. 209.


21. Cité dans G. Perreux, La Propagande républicaine au début de la
Monarchie de juillet, Hachette, 1930, p. 49.
La Société des A mis du Peuple 1 79

Faible sur le plan des effectifs, divisée sur le plan idéologique,


incapable d'attirer à elle la classe ouvrière, la Société des Amis du Peuple
n'eut jamais une grande popularité. Néanmoins, l'acharnement avec
lequel les différents ministères s'employèrent à la détruire prouve que
son rôle politique ne fut pas négligeable à Paris.
En plus de son action dans la vie politique des années 1830-1832,
deux autres points relatifs à cette société méritent d'être soulignés.
Tout d'abord, il est frappant de relever le nombre d'hommes
politiques qui jouèrent un rôle important dans la vie politique française
(ou européenne) et qui furent d'abord des Amis du Peuple : citons,
entre autres E. Arago, A. Marrast, F.-V. Raspail, C. Teste, G. Cavaignac,
Kersausie, L.-A. Blanqui, J. Fazy, F. Flocon, C. Delescluze, Michel de
Bourges.
Ensuite, la Société des Amis du Peuple apparaît bien comme la
première grande société républicaine du XIXème siècle français. La
simple enumeration, ci-dessus, de quelques Amis du Peuple, témoigne
de la diversité de conceptions de la république que l'on pouvait
rencontrer au sein de la Société. Celle-ci ne réussit pas à imposer l'idée d'une
république démocratique et libérale, idée qui pourtant était partagée
par la majorité des Amis du Peuple ; bien plus, ce fut l'élément robes-
pierriste qui, par le biais de sections ouvrières puis de la Société des
Droits de l'Homme, l'emporta et prit le relais de la lutte
insurrectionnelle.
Cependant, à long terme, l'influence de la Société des Amis du
Peuple n'est pas à négliger : à bien des égards, cette Société n'apparaît-
elle pas comme la première étape du long chemin qui mènera la France
de la monarchie constitutionnelle à la proclamation de la république,
dans un esprit finalement assez proche de l'esprit républicain de 1830 ?

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