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p Alexandre Kotov

Pensez comme un grand maître


Traduit par Michel Benoit et Philippe Kellerson
Collection dirigée
par Christophe Bouton

Le titre original de cet ouvrage est :


TAINII MYCHLENIYA CHAKHMATISTA

Ce titre a déjà paru aux Éditions Solar


sous le titre Confidences sur l'échiquier.

© 1977, VAAP.
© 1979, Éditions Solar, pour la traduction française.
© 2003, Éditions Payot & Rivages, pour la présente édition.
106, bd Saint-Germain - 75006 Paris.
PREFACE

On ne compte plus les livres écrits sur les échecs. Certains


auteurs présentent des parties commentées issues de tournois
récents, d'autres font plutôt de la compilation et rapportent les
dernières trouvailles de la théorie sur une ouverture donnée,
mais aucun jusqu'à présent n'a eu l'idée de décrire les méthodes
employées par les plus grands champions pour atteindre leur si
haut niveau de maîtrise. Pourtant une telle étude faciliterait
grandement la compréhension du jeu pratique.
L'auteur s'efforce dans les pages qui suivent d'expliquer
comment Botvinnik, Tal, Smyslov, Pétrossian, Kérès, Bronstein
et bien d'autres grands-maîtres ont étudié la théorie, se sont
entraînés à percer les mystères de la stratégie et de la tactique.
Quelques-uns ont fait part de ces méthodes à l'occasion d'articles
ou d'annotations de parties, tandis qu'avec d'autres j'ai pu
mener des conversations particulièrement fructueuses.
Le lecteur trouvera également un compte rendu de ma propre
expérience - mes résultats sur l'échiquier sont essentiellement
dus à une étude acharnée et sans relâche de la théorie - et je
suis persuadé que cette expérience peut lui profiter.
Les échecs ont beau être un jeu complexe, ils passionnent
néanmoins des millions d'amateurs enthousiastes. Certains
acquièrent la force de la première ou de la deuxième catégorie,
la plupart se contentent d'être toute leur vie durant traités de
<<mazettes». Il n'empêche que n'importe quel faible joueur aime-
rait obtenir un titre échiquéen et rêve secrètement d'être maître
ou, pourquoi pas, grand-maître. Si une personne montrait à ces
joueurs la marche à suivre, beaucoup parmi eux seraient alors
mieux armés pour aborder le jeu de compétition, avec tout ce
qu'il suppose de courage, de patience et de sang-froid.
Comment devient-on grand-maître? Le talent entre-t-il seul
en jeu et le travail n'y peut-il rien changer? Certaines aptitudes
innées sont bien sûr nécessaires, mais, à l'instar des autres
-5-
domaines de l'activité humaine, le travail tient une part pré-
pondérante dans le succès final.
Le grand penseur des échecs qu'était Emmanuel Lasker pré-
tendait pouvoir en une centaine d'heures amener un jeune
homme d'intelligence moyenne au niveau d'un joueur de pre-
mière catégorie. Que penser d'une telle affirmation ? Lasker n'a
jamais eu l'occasion de prouver ce qu'il avançait, et donc la
question demeure : peut-on, à force de travail, d'études appro-
fondies, réussir à devenir maître ou même grand-maître?
Mon expérience personnelle m'a appris que le travail conduit
à une amélioration certaine, et considérable, des résultats pra-
tiques. Puis-je rappeler au lecteur que, jusqu'en 1938, je n'avais
jamais accédé au degré de la maîtrise, mais que l'étude du jeu
que j'entrepris au cours de la période 1936-37 me fit soudaine-
ment effectuer un énorme pas en avant. J'obtins le titre de maître
en 1938 et seulement un an plus tard celui de grand-maître. Cela
démontre que l'on peut devenir grand-maître grâce à ses seuls
efforts; il suffit de travailler. Comment? L'expliquer, c'est le
but de cet ouvrage.
I. Le désir de rendre ce livre aussi clair et utile 'que possible
m'a conduit à rebaptiser certains concepts et certaines lois
stratégiques - non pas pour conférer à cette démarche un
inutile aspect scientifique, mais simplement pour aider à la
mémorisation de points importants.
2. Le livre se réfère sans arrêt aux parties et aux conseils de
ces grands-maîtres soviétiques que l'on dit appartenir à l'an-
cienne génération. La raison est que, durant toute ma carrière,
je n'ai-cessé de côtoyer des gens comme Botvinnik, Kérès et
Smyslov. Par ailleurs les grands-maîtres plus jeunes sont très
occupés par leurs nombreux tournois et trouvent moins le temps
de confier par écrit les variantes qu'ils calculent ou le processus
de leur réflexion.
3. Le livre contient plusieurs parties jouées par l'auteur
- voulant révéler les secrets de la pensée échiquéenne, j'ai en
effet dû explorer les méandres de mon propre cerveau.
Maintenant, cher lecteur, bataillez ferme et gagnez le combat
pour la maîtrise aux échecs !

-6-
INTRODUCTION : UNE EXPERIENCE
HORS DU COMMUN

.Nous allons maintenant tenter de décrire le cheminement


complexe de la réflexion d'un grand-maître durant la partie.
Pour une plus grande clarté de notre exposé, nous ferons appel à
la méthode dont on se sert à l'université pour appréhender les
phénomènes mécaniques. On étudie d'abord la Statique (l'effet
des forces qui s'exercent sur un corps au repos), puis la Dyna-
mique (le corps étant cette fois en mouvement). De même, nous
considérerons les rouages de la pensée échiquéenne successive-
ment d'un point de vue statique et d'un point de vue dynamique.
Imaginons que nous sommes dans la salle où se déroule un
tournoi de haut niveau. Gagnons l'aire de jeu et prions l'un des
joueurs, disons par exemple Polougaevsky, de nous céder sa
place. Demandons alors à Smyslov de nous livrer spontanément,
sans la moindre retenue, le cours de ses pensées alors qu'il réflé-
chit sur une position où, avec les Blancs, il a le trait.
Je suis persuadé que sa première réaction consistera à compter
le matériel sur l'échiquier. Généralement un grand-maître effec-
tue ce genre d'opération en un clin d'œil, globalement; il ne lui
est pas nécessaire de compter une par une les pièces en présence.
Nous supposerons que ni Polougaevsky ni Smyslov n'ont rien
sacrifié et que donc le matériel est égal de part et d'autre.
Le prochain souci de Smyslov sera de clarifier les points
suivants :
Premièrement, de quelle ouverture provient cette position ? Si
peu de coups ont été joués jusqu'à présent il pourra s'en assurer à
partir de la configuration des Pions et de la disposition des
figures. Si l'on se trouve déjà bien engagé en milieu de partie, il
devra se référer aux vestiges des structures de Pions, aux
diagonales et colonnes ouvertes, aux avant-postes pour les
Cavaliers.
-7-
Secondement, ai-je déjà rencontré cette position, ou bien s'est-
elle produite dans des parties jouées par d'autres grands-
maîtres? Cette question est capitale car si l'on est en mesure de
se rappeler les parties précédentes où étaient survenues des posi-
tions similaires, il sera alors plus aisé de juger la situation pré-
sente, de définir le plan correct et enfin d'analyser les variantes.
Un tel usage du savoir accumulé permet d'économiser du temps
à la pendule, ainsi que d'éviter des erreurs de calcul ou le choix
du mauvais plan.

Cette étape dans la réflexion, que nous appellerons étape de


clarification, est très importante. Y tiennent conjointement la
vedette l'expérience et l'érudition du grand-maître. Bien sûr la
mémoire est aussi sollicitée pour se rappeler les coups joués dans
des parties anciennes. Alékhine et Botvinnik montrèrent dans
leurs parties de remarquables applications de cette technique,
ce qui les aida incontestablement à produire leurs grandioses
œuvres d'art.
Fort de ces considérations préliminaires, le grand-maître
s'efforcera de juger la position. Il a non seulement à répondre à
la question fondamentale de savoir qui est mieux, mais aussi à
repérer toutes les particularités de la position, sans négliger les
moindres finesses. Il notera l'existence des diverses lignes
ouvertes, évaluera leur importance respective, en tenant tou-
jours compte des exigences concrètes : occuper cette colonne,
fermer cette diagonale, neutraliser sur cette autre colonne
l'action des Tours ennemies. Il déterminera aussi quels avant-
postes il devrait offrir à ses Cavaliers et de quels autres il fau-
drait chasser la cavalerie adverse. Il discernera dans les deux
camps les Pions faibles tout comme les forts Pions passés. Il
appréciera, par une démarche plutôt inconsciente, l'harmonie
et la coopération qui règnent dans chacune des deux armées. n
se dira mentalement : voilà ce que je dois rectifier, voici où je
dois me regrouper.
Smyslov reconnaîtra sans mal qui contrôle le centre et quelle
influence telle ou telle pièce a sur ce centre. Ensuite, il estimera
la valeur des chaînes de Pions, et établira les poussées de Pions
possibles. Après cela, il verra plus clairement qui possède la
meilleure position, qui a l'initiative, qui peut et doit attaquer,
qui sera contraint à défendre. Il décidera vers quel point les
Blancs doivent diriger leur attaque si les Noirs se montrent pas-
sifs ou si au contraire ils tentent une contre-attaque latérale
-8-
- tout grand-maître sait parfaitement que la meilleure réplique
à une attaque de flanc est une réaction au centre.
Si enfin la position est égale, Smyslov décidera de manœuvrer
calmement en essayant de provoquer des faiblesses dans le camp
ennemi.
C'est la manière dont s'y prend un grand-maître en tournoi
pour juger une position. Nous ne pouvons affirmer qu'il procé-
dera exactement suivant l'ordre que nous avons indiqué,
d'autant que son intuition lui permettra de brûler la plupart des
étapes. Mais d'une façon ou d'une autre, les divers problèmes
seront abordés et résolus.
Combien de temps ce travail prend-il? Cela dépend bien sûr
des capacités du grand-maître et des caractéristiques de chaque
position. Le tempérament du joueur entre aussi en ligne de
compte. Il est bien connu que certains se contentent d'une ana-
lyse sobre et restreinte, tandis que d'autres soutiennent leur
intuition par des calculs très fouillés.
Ce travail préparatoire achevé, Smyslov se mettra à chercher
un plan. L'orientation des pensées d'un joueur est dictée par la
position elle-même et aussi par le caractère du joueur. Pétrossian
pensera d'abord à défendre ses faiblesses alors que Tal, lui,
tentera probablement de déceler un sacrifice possible.
Bref, notre grand-maître établira un plan de campagne, déci-
dera de la disposition de ses forces, fixera les objectifs d'attaque
ou, selon le cas, organisera la défense. Au-delà de ce plan général
il en établira un plus concret concernant les prochains coups à
jouer- occuper cette case, échanger ce Pion, etc. Il s'intéressera
également au plan de l'adversaire et cherchera comment l'anni-
hiler.
La réflexion du grand-maître était jusqu'à présent basée
sur des idées générales et des principes stratégiques. En tout der-
nier lieu il reste à définir le meilleur coup. Pour cela, il recensera
tous Jes coups plausibles et verra comment ils concordent avec
son plan. Il commencera alors à analyser les variantes. Pour
chaque coup retenu, il envisagera les réponses plausibles de
l'adversaire, et, pour chacune de ces réponses, il cherchera à
nouveau son meilleur coup, et ainsi de suhe. Ce n'est qu'après
avoir accompli cet énorme travail, de nature exclusivement ana-
lytique, que Smyslov déplacera une figurine et pressera le bouton
de sa pendule.
Cette expérience nous a permis de suivre pas à pas la pensée
d'un grand-maître iorsqu'il cherche le meilleur coup dans une
- 9 -
position donnée. Nous avons aussi appris qu'un vrai joueur
d'échecs doit cultiver les qualités suivantes :
1 . Bien connaître la théorie moderne des ouvertures.
2. Avoir en mémoire certaines positions typiques de mittel-
spiel (milieu de partie) pour les avoir étudiées à partir de ses
propres parties et de celles d'autres joueurs. Plus étendues sont
les connaissances d'un joueur et sa mémoire fidèle, plus il lui est
facile de trouver un «précédent», c'est-à-dire une position qui
s'est déjà produite par le passé et qui présente des similitudes
avec la position actuelle. Il n'est bien sûr pas question de mémo-
riser mécaniquement et systématiquement, mais de connaître
des méthodes (voire des coups et des combinaisons spécifiques)
déjà employées et dont la validité a été vérifiée par des analyses.
Nous regrouperons ces deux premières qualités et parlerons glo-
balement d'érudition échiquéenne.
3. Un grand-maître doit pouvoir correctement et avec pré-
cision juger une position.
4. Tout aussi important est de définir le plan juste qui répond
aux exigences de la position.
5. Il convient enfin de calculer vite et bien les variantes
susceptibles de fournir le déroulement ultérieur de la partie.
Voilà donc les principales qualités que, pour progresser, les
joueurs doivent développer en eux par la pratique, l'analyse et
le travail personnel. Nous allons maintenant examiner comment,
au prix d 'efforts intenses, on peut acquérir ces qualités. Pour
faciliter leur étude, nous les aborderons dans un ordre différent.

- 10-
L'ANALYSE DES VARIANTES

Savez-vous analyser ?

Je fus récemment invité à la cérémonie de clôture d'un tournoi


par équipes auquel avaient participé des candidats-maîtres ainsi
que des joueurs de première série. Lorsque je leur demandai de
quel sujet ils souhaiteraient que je les entretienne, des suggestions
fusèrent de toutes parts. Certains proposèrent que j'explicite
une combinaison particulièrement intéressante, d'autres voulu-
rent obtenir des éclaircissements sur la façon de traiter correcte-
ment avec les Noirs la Défense Sicilienne, etc.
j'intervins alors:« Mais savez-vous analyser? »et, sans laisser
à mon auditoire le temps de répliquer, poursuivis : «Je tiens
aujourd'hui à vous montrer comment doit s'effectuer l'analyse
des variantes ; si je fais fausse route, signalez-le moi. Supposons
qu'à un certain moment de la partie vous ayez le choix entre
deux coups, Tdr ou Cg5. Lequel de ces deux coups devez-vous
jouer? Confortablement installé devant l'échiquier vous enta-
mez mentalement l'analyse des coups éventuels. « Bien, si je joue
Tdr il répondra probablement Fb7, ou même il pourra prendre
sur a2 le Pion qui se trouvera alors en prise. A partir de là, com-
ment continuer?» Vous prolongez d'un coup votre analyse et
vous faites la grimace : le coup de Tour ne vous enchante plus
guère. Vous considérez ensuite le coup de Cavalier. <c Que se
passe-t-il après Cg5? Il peut me chasser par h6, je recule en é4
et il me prend avec son Fo·u. Je reprends, il menace ma Dame avec
sa Tour. Tout cela n'est pas satisfaisant ... le coup de Cavalier est
donc mauvais I Revoyons le coup de Tour. S'il joue Fb7 je peux
répondre f 3, mais qu'arrive-t-il s'il prend maintenant sur a2 ?
Que faire dans ce cas ? Non, décidément il nefaut pas jouer T dr ;
je vais étudier à nouveau le coup de Cavalier. Donc: Cg5, h6, Cé4,
Fxé4, Dxé4, Td4. Non ça ne vaut rien I Revenons au coup dt
- 11 -
Tour: Td1, Dxa2. »Incidemment vous jettez un coup d'œil sur
la pendule. «Oh I Alors que j'hésitais entre jouer le Cavalier et
jouer la Tour, trente minutes se sont déjà écoulées. Si je ne me
décide pas rapidement, je vais tomber en zeitnot I » Vous vient
alors une merveilleuse idée - pourquoi vouloir à tout prix
jouer Td1 ou Cg5! ? cc Le Fou sur br, voilà ce qii'ilfaut jouer dans
cette position I » Et sans plus de réflexion, sans contrôler la
moindre variante, vous jouez le Fou. C'est ainsi le coup dont le.c;
conséquences ont été les moins examinées qui aura été effectué.
Mon discours fut interrompu par une salve d'applaudisse-
ments. Mes auditeurs riaient, appréciant visiblement la descrip-
tion que j'avais faite des méandres et de la divagation de leur
mode de raisonnement. Quand je leur révélai que j'étais en train
de rassembler en un livre tout ce que je savais concernant la
démarche analytique, aussi bien ce que j'avais appris d'autres
grands-maîtres que ce que j'avais moi-même découvert, de nou-
veaux applaudissements vinrent me saluer. je vérifiai donc une
fois de plus qu'un tel sujet préoccupait au plus haut degré des
joueurs pourtant très expérimentés. En guise de conclusion
j'ajoutai sur le ton de la plaisanterie : « Botvinnik s'acharne à
construire une machine qui joue aussi bien aux échecs qu'un être
humain, aussi permettez-moi d'apprendre aux hommes à analy-
ser avec la rigueur de la machine. »
Des cas de réflexion aberrante, tels que celui décrit précédem-
ment, se rencontrent sans arrêt, même chez des joueurs de pre-
mière force. Ils mettent tout à coup un terme à leur analyse et
optent pour un coup qu'ils n'examinent pratiquement pas.
Prenons un exemple (diagramme I) :

0°1

ab cdef gh

- 12-
L'attaque blanche sur l'aile-Roi paraît très menaçante ;
aussi le maître qui conduisait les Blancs chercha soit à mater le
Roi ennemi, soit à obtenir un quelconque avantage décisif.
Comme il est facile de s'en persuader, la solution passe par un
sacrifice.
«Je dois sacrifier », se dit le maître « mais quelle pièce ?
Il y a plusieurs possibilités: 26. Fxh6, 26. Cxg6, 26. Cg4 suivi
de 27. Cxh6+. Laquelle choisir? Analysons.
26. Cxg6, Fxg3 27. hxg3, fxg6 28. Txé6, gxh5 29. Txf6+,
Rh7: -une qualité de moins, le Pion-Dame faible, le Fou noir est
fort, non ça ne va pas. Et que se passe-t-il après 26. Fxh6?
Voyons : 26... gxh6 27. Dxh6, Fxé5 28. Txé5, Dg7 29. Dé3
( 29. Txg6, Dxg6!), F d5, après quoi les Blancs n'ont rien obtenu
de concret.
Pe,u,t-étre 26. Cg4 est-il plus fort? Où va la Dame noire? Pas en
f5, car après 27. Cxh6+, gxh6 28. Dxf5+, éxf5 29. Txg6+,
Rh7 30. Txh6+, Rg7 31. Th4 les Blancs seraient mieux grâce
aux deux Pions de plus. 26... Dxd4 est également réfuté, par 27.
Cxh6+, gxh6 28. Txg6+ ou même 28. Txé6!, avec une attaque
gagnante contre le Roi noir.
Ainsi 26. Cg4 semble bon ... Et si 26... Dh4? Sur 27. Cxh6+,
Rf8!. Non, les Blancs ne peuvent accepter cela: après l'échange des
Dames ils restent avec pfasieurs pièces en prise. ] ouer le Cavalier
en g4 ne donne pas non plus satisfaction ; revoyons donc les
captures sur g6 et h6. »
Et à nouveau les pensées du joueur se fixèrent aux ramifica-
tions de ces deux coups (26. Cxg6 et 26. Fxh6), et à nouveau les
positions qui en résultaient ne lui plurent nullement. Il reconsi-
déra alors la possibilité 26. Cg4 qui, une fois encore, ne lui
sembla pas conduire à la victoire. Combien de fois son esprit alla
d'une variante à une autre, combien il tritura et retritura ces
mêmes variantes à la recherche du gain - Dieu seul le sait !
Mais soudainement la perspective du zeitnot se précisa et le
maître se décida à « jouer un coup tranquille», lequel ne nécessi-
tait précisément aucune analyse rigoureuse : 26. Fç3. Las,
c'était aussi et surtout le plus mauvais coup qu'il pouvait
choisir 1Les Noirs répondirent 26 ..• Cf4 ! et après 27. D~4, b5
28. Ddl, h4 ! les Blancs durent abandonner. Notons pour la
petite histoire que les Blancs eurent tort de rejeter 26. Cg4, ils
auraient en effet obtenu une position gagnante après 26... Dh4
-13-
27. Cxh6+, Rf8 28. Dxh4, Cxh4 29. Cxf7, Rxf7 30. Fxé6+,
Rf8 31. Tg4, Cxg2 32. Fb4+, Fd6 33. Fxd6+. Txd6 34.
Fxç8, Cxér 35. Fxb7.

Digression historique

L'expérience nous apprend que seuls peu de joueurs maîtri-


sent parfaitement la technique de l'analyse; les autres, même
s'ils possèdent un bon classement « Elo », affichent des insuffi-
sances. Dans les clubs d'échecs, où vont bon train les aphorismes,
on se plaît à dire qu'il n'existe aucune sorte d'entraînement sus-
ceptible d'améliorer la force d 'un joueur - et de citer les paroles
fameuses d'Ostap Bender(*):« Le blond joue bien, tandis que le
brun joue mal. Et rien ne pourra venir modifier cet état de
choses ! » Pourtant, les expériences permanentes de joueurs de
n'importe quel niveau démentent absolument cette affirmation.
Nous insisterons à nouveau sur la nécessité de se contrôler
soi-même régulièrement, de retirer un enseignement des der-
nières parties que l'on a pu disputer. C'est grâce à une telle auto-
critique qu'il nous devient possible de mettre à jour les failles et
les lacunes de notre propre pensée échiquéenne. Pour me faire
mieux comprendre, je vais vous décrire ce que je fis moi-même
dans ce domaine, travail dont les résultats dépassèrent mes
espérances.
Au cours de la période r935-1936, j'avais réussi à obtenir le
premier prix dans plusieurs tournois de première catégorie.
Bien qu'ayant participé avec succès à deux championnats de
Moscou, je n 'étais pourtant pas satisfait de mon jeu: un examen
critique de mes parties m'amena à conclure que celui-ci souffrait
de graves lacunes. J'ai aujourd'hui sous les yeux l'ensemble des
cahiers que je remplissais alors d'annotations à mes parties; eh
bien, croyez-moi, ils foun;nillent de très sévères autocritiques.
J amais il ne se trouva de commentateur plus àchamé à décrier
mon jeu que moi-même. J'écrivis un jour pour une gazette:« Il
m'apparut surtout que mes plus gros ennuis ne provenaient pas
d'une connaissance superficielle des ouvertures ou d 'une tech-

(•) Personnage des nouvelles satiriques d'Ilf et Petrov, Les


Douze Chaises et Le Veau d'or. Une des nombreusesfarcesimaginées
par les auteurs est que Bender, qui se permet de juger et de conseil-
ler, ne sait même pas jouer aux échecs (ndt).

14 -
nique déficiente en finale, mais d'une faible compréhension des
milieux de partie. Mon pire défaut résidait dans l'inaptitude à
calculer les variantes. Je passais un temps exagérément long à
considérer des positions relativement simples, après quoi je me
retrouvais mal au temps. De plus, je commettais souvent de
grosses erreurs. Enfin, après la partie, je découvrais systémati-
quement que mon adversaire avait vu au cours du jeu beaucoup
plus de choses que moi. Il me fallait donc travailler dur pour
améliorer ma technique d'analyse. »je me montrais encore plus
sévère dans mes · cahiers personnels ; voici ma conclusion au
terme d'une partie avec A. Yeltsov : « Pour avoir étudié très
approximativement les conséquences de mes coups, j'ai été
justement puni par mon adversaire. De telles analyses incer-
taines constituent le défaut majeur de mon jeu et je dois tout
faire pour corriger cela. » Autre note tout aussi sombre : «Un
manque de volonté pour approfondir de façon concrète les
variantes, un relatif laisser-aller, voilà quelles furent mes fai-
blesses caractéristiques durant le championnat de Moscou r936. »
J'étais particulièrement abattu après ma partie contre Panov
(Noirs), où une lutte aiguë dans l'ouverture amena la position
suivante :

n°2

abcdefgh

L'attaque blanche sur l'aile-Dame - du moins me semblait-il


- se développe de façon systématique et logique. J'estimais que
l'« horrible » disposition des pièces noires témoignait de graves
problèmes positionnels. Il suivit dans la partie 22. ç5, Cg5 ! ,
sur quoi il apparut soudain que les Noirs disposaient de très dan-
- 15 -
gereuses menaces. Ainsi les pièces noires de l'aile-Roi qui
m'avaient donné l'impression de s'être empêtrées et de manquer
de coordination coopéraient fort bien entre elles, tandis que mes
troupes «joliment» disposées se révélaient incapables de parer
aux méchantes menaces. Après 23. Tfdl, f3 24. h4, Cxé4
25. Fxf3, Txa2 26. Dxa2, Cç3 27. Dd2, Df6, les Noirs 5e
retrouvèrent avec une position gagnante. La fin fut une puni-
tion méritée pour ma légèreté : 28. Fg2, é4 29. Tbçl, Cxdl
30. Txdl ,'Dç3 31. Dé3, Ff5 32. Rhl, Dxé3, et les Noirs
gagnèrent aisément la finale.
La partie finie, nous analysâmes toutes les possibilités. Panov
pensait qu'après 22 ... Cg5 ! les Blancs n'avaient plus aucune
bonne défense. Si 23. Tfé1, alors 23 ... f3 24. Ffr (ou 24. h4,
Cxé4 25. Txé4, fxg2, avec les terribles menaces 26... Dxd5,
26... Dd7 et 26 ... Ff5), Fxh3l 25. Fxh3, Cxh3 26. Rxh3, Dg5
27. g4, Fé7 28. Rg3, Df4+ 29. Rh3, Dh6+ 30. Rg3, Fh4+
31. Rxf3, Tf8+ 32. Rg2, Txg2+, gagnant la Dame.
Les Noirs ont effectué dans l'ensemble une belle manœuvre
- un plan original ponctué par un sacrifice inattendu. Ces possi-
bilités cachées que recélait la position de départ (celle du dia-
gramme) restèrent pour moi un mystère jusqu'à la fin de la
partie; je n'avais pas envisagé la moindre des opérations tac-
tiques exposées ci-dessus. Voici ce que je rapportai dans mes
notes sur le tournoi au sujet de mes insuffisances au cours de
cette partie : « Je me suis avéré incapable de découvrir sur
l'échiquier une seule de ces variantes compliquées ou de ces
combinaisons cruciales. Je n'ai même pas soupçonné l'existence
de la combinaison qui se déclenche au vingt-quatrième coup
(24... Fxh3!), et ce fut pour moi une réelle surprise lorsque Panov
me la montra - mon mode de raisonnement est ridiculement
borné, fondé sur des principes généraux et l'établissement de
plans trop académiques. »
Par ailleurs voici ce que j'ai pu remarquer concernant mon
temps de réflexion au championnat de Moscou 1936 :

«Sur les dix-sept parties je fus :


en zeitnot terrible dans sept parties,
en léger zeitnot (cinq minutes pour huit à dix coups) dans
cinq parties,
pas du tout en zeitnot dans les cinq autres parties - trois
d'entre elles n'ayant pas duré assez longtemps pour être raison-
nablement prises en compte.
-16-
J'ai mal joué en zeitnot, faisant la plupart du temps un méli-
mélo entre les variantes et les considérations d'ordre général. 11
Tout cela est clair : une autocritique aussi rigoureuse laisse
supposer que la prochaine étape allait consister en des efforts
destinés à corriger ces erreurs. Aussi me mis-je au travail.
Après avoir étudié des parties d'autres joueurs, particulière-
ment de maîtres, et lu les divers commentaires techniques qui
accompagnaient ces parties, je devins encore plus persuadé que
l'aptitude à analyser clairement un nombre suffisant de
variantes de façon à élucider une position constituait la condi-
tion première du succès. Mais j'en déduisis également que cer-
tains joueurs analysaient d'une manière fautive: les uns exami-
nent très profondément un trop petit nombre de suites, les
autres étudient de nombreuses variantes n'excédant pas deux
ou trois coups. Il convient bien sûr de parvenir à un juste milieu,
d'autant plus que l'on joue toujours dans un temps limité.
Je compris aussi que savoir s'orienter dans le labyrinthe des
variantes éventuelles ne résultait pas seulement d'un don natu-
rel mais aussi d'un entraînement sérieux et prolongé. Alors s'est
posé la question : comment s'entraîner? Où se trouvait la des-
cription de la méthode permettant de modeler et de discipliner
notre pensée échiquéenne ? Aucun livre ne traitait de ce sujet et,
d'autre part, il paraissait insensé d'espérer recevoir de l'aide
de quiconque. Je dus me débrouiller tout seul.
Je retins la méthode qui me paraissait la plus rationnelle et
qui fort heureusement s'avéra être la bonne. Depuis cette
époque, je n'ai jamais cessé de penser que c'est la méthode la
plus rentable.
Je sélectionnais, à partir des recueils de tournoi, les parties
dans lesquelles étaient survenues les plus énormes complica-
tions, puis les reproduisais sur l'échiquier, en lisant les commen-
taires, jusqu'à ce que soit atteint le point culminant de l'affron-
tement, ce moment où surgissent les complications .de toutes
sortes, où se présente le plus grand choix de continuations pos-
sibles. Je stoppais alors ma lecture, mettais le livre de côté (ou
plaçais un cache sur la page) et entamais la longue et laborieuse
tâche qui consiste à analyser toutes les variantes possibles à
partir d'une position donnée. Chaque fois, j'essayais de bien
me mettre dans la tête que j'étais assis en face d'un adversaire,
au beau milieu d'une salle de tournoi.
Il m'arrivait, après avoir passé trente à soixante minutes
sur une position - surtout si elle apparaissait particulièrement
-17-
complexe - d'écrire les variantes que j'avais examinées pour
ensuite les comparer avec celles proposées par le commentateur.
Au début, il y eut de nombreuses contradictions qui n'étaient
pas en ma faveur, puis j'appris à élargir mon champ de vision
ainsi qu'à circonscrire chaque variante avec une grande exacti-
tude. Il va sans dire que j'analysais sans toucher les pièces, afin
de respecter les modalités des parties de tournoi.
J'ai de cette façon passé en revue quantité de positions déli-
cates ou inextricables. Je m'en rappelle une plus particulière-
ment et pense que le lecteur aura à cœur d'en étudier les nom-
·breuses variantes, qui sont autant le produit des joueurs eux-
mêmes que des analyses postérieures des annotateurs.

003

ab cdefgh

Cette situation survint après le vingt-troisième coup noir de la


partie Flohr-Fine, Hastings 1935-36. La tension est à son
comble et la moindre imprécision peut déterminer l'issue de la
lutte.
Ce fut le grand-maître Flohr qui commit l'erreur; il joua le
coup évident 24. Cd8?, que Fine réfuta de façon convaincante
en retirant sa Dame sur ç7. Le Cavalier se trouva alors pris au
lasso et toutes les tentatives blanches dirigées contre g1 échouè-
rent.
Cette position fut analysée partout dans le monde. Un gain
pour les Blancs était-il trouvé dans un pays qu'aussitôt ailleurs
en était établie la réfutation. Ce qu'un analyste exhibait comme
une fantastique finesse ne tardait pas à être reconnu par un
autre comme une erreur. Ce fut en définitive le maître anglais
-18-
Winter qui trouva la seule et unique voie vers la victoire ; je
l'avais également découverte lors de ma propre analyse. Exami-
nez les variantes qui découlent du coup gagnant, une avance de
Pion: 24. bSI. L'idée qui se cache derrière ce coup est de dégager
la diagonale a3-f8 pour une attaque ultérieure de la Dame
blanche contre le Roi ennemi. Après 24 ... Fxb5 (forcé) 25. Cxg7
gagne dans toutes les variantes :
A. 25 ... Rxg7 26. Tg4+, et les Noirs ne disposent d'aucun
coup sauveur:
1. 26... Rf8 27. Db4+ ;
2. 26 ... Rh6 27. Tég5!, et les Noirs ne peuvent parer simulta-
nément les deux menaces 28. Dé5 et 28. Dé1;
3. 26 ... Rh8 27. Txb5, Tg8 28. Txg8+, Rxg8 29. Tg5+,
Rh8! 30. Tf5, Rg7 31. g4, et les Blancs doivent l'emporter, non
sans avoir encore à surmonter certaines difficultés d'ordre
technique;
4. 26 ... Cxg4 27. Tgs++, Rf8 28. Dg7+, Ré7 29. Dxf7+,
Rd6 30. Df4+, avec une attaque décisive.
B. 25 ... Fxç4 26. Cf5!. Ce très fort coup crée diverses menaces
de mat et prévoit aussi un échec familial en é7. Les défenses
noires sont variées, mais toutes insuffisantes :
I. 26 ... DÇ7 27. Tg4+, Rh8 28. Té8+ ;
2. 26... Rh8 27. Txç4 suivi de Té8+ ;
3. 26 ... Tç7 27. Tg4+, Rh8 28. Txç4 et 29. Té8+ ;
4. 26 ... Da4 (prive la Dame blanche d'un échec le long de la
diagonale aJ-f8) 27. Té8+, Txé8 28. Tg4+, Rf8 29. Dxf6 et,
lorsqu'ils auront épuisé leurs« échecs de vengeance», les Noirs
devront s'avouer sans défense contre la menace Tg8+.
S'entraîner sur des exercices de cette sorte m'a progressive-
ment amené à augmenter la justesse de mes analyses. Je pouvais
pénétrer plus profondément les secrets de positions très embrouil-
lées. J'en vins finalement à établir un record personnel en cal-
culant une variante qui ne dure pas moins de vi~gt-quatre coups.
Je dois avouer que j'étais très fier de cette performance, même si
depuis il m'est clairement apparu que j'avais été aidé par la
nature exceptionnellement «ligne directe» de la variante en
- 19 -
question, laquelle admettait relativement peu de ramifications.
Voici cette position, extraite de la quatrième partie du match
Tchigorine-Tarrasch :

n° 4

abcdefgh

Tchigorine joua fautivement 48. gxf6 et, après 48 ... Fxf6


49. Dh3, a3 50. Cxf6, Dxf6 51. Tg6, a2 52. Txf6 +,
gxf6, perdit rapidement la partie. Après m'être maintes fois
penché sur cette position je trouvai un gain après 48. Dh3L Je
vous propose uniquement la variante principale de cette combi-
naison : 48... a3 49. Dh8, fxg5 50. f6, Fxf6 5i:. Cxg5, a2
52. Ch7+, Rf7 53. Chxf6, Cxf6 54. Ch6+, Ré6 55. Txf6+.
gxf6 56. Dg8 +, Rd7 57. Tg7+, Dé7 (si 57 ... Rç6 58. Da8+ et
mat en deux coups) 58. Dd5+!, Rç8! (ou 58 ... Ré8 59. Tg8+.
Df8 60. Df7+) 59. Da8+, Rd7 60. Db7+. Tç7 6r. Txé7+.
Rxé7 62. Dxç;+. Ré6.
Malgré leur avantage matériel, les Blancs semblent avoir du
mal à gagner. Mais la belle manœuvre qui suit leur permet de
conclure : 63. Dç8+, Ré7 (63 ... Rd6 64. Cf5 mat) 64. Cf5+.
Rf7 65. Dd7+, Rg6 66. Dg7+, Rh5 67. Dh6+, Rg4 68. Dh4+,
Rf3 69. Dg3+, Ré2 70. Dg2+, Rxd3 7I. Dxb2.
Un nouvel examen de la position me fit par la suite trouver un
gain plus rapide pour les Blancs, mais cela est hors de notre
propos. De tels exercices de calcul, joints à l'écriture sur cahier
de commentaires, aident grandement à améliorer ]a technique
d'analyse. Il ne suffit pas toutefois de s'en tenir à cette seule
méthode, car d'autres existent parallèlement ; ainsi, très profi-
- 20-
table s'avérera la résolution d'études sur diagramme (sans
reproduire la position sur l'échiquier), de même que la lecture
de livres techniques sans échiquier, l'analyse de positions «à
l'aveugle», etc. Tout joueur qui consacre quelque temps à ce
type d'entraînement ne tardera pas à noter une amélioration de
son niveau de jeu.
J'avais donc trouvé une excellente méthode pour développer
les facultés d'analyse, dont je fis ensuite part à plusieurs candi-
dats-maîtres et joueurs de première série qui étudièrent sous ma
direction pendant quelques années dans un club d'échecs de
Moscou. Ils se montrèrent fort satisfaits des résultats obtenus.
Ces expérimentations, jointes aux travaux d'autres experts,
me permirent plus tard de formuler des règles et des recomman-
dations destinées à l'analyse, notamment le concept d'« arbre
d'analyse i> que nous traiterons bientôt.
Je compris rapidement qu'un maître ne doit pas seulement
savoir analyser scrupuleusement des variantes comme un auto-
mate. Il doit pouvoir déterminer les coups plausibles à envisag~r,
puis s'en tenir à l'examen des variantes nécessaires - ni plus, ni
moins. Une analyse superficielle empêche de découvrir toutes les
finesses d'une position, mais s'attarder sur un large éventail de
suites éventuelles peut avoir des conséquences néfastes. Je
connais des joueurs qui considèrent un nombre démesuré de pos-
sibilités, puis tombent systématiquement en zeitnot et perdent
ainsi tous les fruits de leur labeur.
Pour éviter cela, j'ai essayé à partir d'une position d'analyser
le nombre maximal de variantes, je les ai toutes notées puis je
me suis mis à séparer celles qui méritaient réellement considéra-
tion de celles que l'on pouvait ignorer afin d'économiser du
temps. Un maître effectue généralement ce tri par intuition; il
vous faudra donc développer votre intuition. j'ai développé la
mienne par la méthode décrite ci-après, méthode que j'ai eu ·
l'occasion d'expérimenter avec succès au milieu de groupes de
travail composés de joueurs de deuxième et troisième séries.
(] e traiterai plus tard en détail la question du choix des coups
et des variantes. Je m'attarde ici sur l'exemple à partir duquel
démarra l'ensemble de mes recherches.)
Un jour, j'ai analysé de façon approfondie la position appa-
remment simple du diagr. 5, mais en fait pleine d'astuces. Après
quoi j'ai demandé à mes élèves de l'étudier et dans un délai
d'une demi-heure de noter toutes les continuations qui, à leur
avis, réclamaient un examen. Ils n'étaient pas autorisés à tou-
-21 -
n° 5

abcdefgh

cher aux pièces. Ensuite, nous examinâmes ensemble la position,


en épuisant toutes ses possibilités. Il apparut bien difficile de
découvrir toutes les richesses de cette position. Cela est ainsi
illustré par le fait qu'un talentueux maître écrivit sur sa feuille
que les Blancs gagnent par r. é8=D, indiquant la jolie variante
I. .. Txé8 2. Dxg7+, Fxg7 3. Txé8+, Df8 4. Txf8 mat. Il
ajouta que la tentative rusée I ... Tg1 + échoue sur 2. Rh3,
Dfs+ 3. Rh4.
Il ne trouva pas cependant l'excellente réplique r... Td2+!
qui sauve les Noirs. Prendre la Tour est mauvais : 2. Dxd2,
Txé8 3. Txé8, Dç6+ et 4... Dxé8. 2. Rh et 2. Rf3 perdent
après 2... Dfs+. tandis qu'après 2. Rhr, Tdr+ c'est l'échec
perpétuel. Notez une très belle variante de gain pour les Noirs
après 2. Rh3: 2... Df5+ 3. g4, Dfr+ 4. Rh4, Txh2+ 5. Rg5,
Tçs+ 6. Dé5, Df6 mat.
Ainsi- est mis en exergue le deuxième ~pect important de
l'aptitude à analyser : sélectionner les variantes qui valent la
peine d 'être examinées.
Le troisième aspect à considérer est la rapidité de calcul,
capitale dans le jeu pratique. Quiconque s'est déjà trouvé en
zeitnot ne demandera pas à être convaincu - il connaît la
valeur de la moindre poignée de secondes économisées par-ci
par-là.
Je recommande la méthode suivante : placer sur l'échiquier
une position compliquée et s'astreindre à trouver toutes les
variantes possibles en l'espace de vingt à trente minutes. Ecrire
ensuite ces variantes et contrôler dans quelle mesure on a élucidé
tous les mystères de la position. Puis réduire progressivement le
- 22-
temps de réflexion, tout en vérifiant chaque fois ses résultats.
J'appris ainsi à me débarrasser du superflu et à penser de plus en
plus vite.
Si le lecteur remarque qu'il entre souvent en zeitnot et que par
ailleurs il oublie des variantes clefs lorsqu'il s'efforce de gagner
du temps, c'est qu'il y a un vice dans sa manière de réfléchir.
Dans les compétitions habituelles chaque joueur dispose en
moyenne d'à peu près quatre minutes par coup. Cela est tout à
fait suffisant si l'on considère que, dans l'ouverture, des séquences
de coups peuvent être effectuées à une cadence très accélérée. Si
le temps imparti ne vous suffit pas et que vos parties se décident
régulièrement en zeitnot, avec les inévitables erreurs, alors il
vous faut d'urgence améliorer votre technique d'analyse.
En résumé, trouver le coup juste dépend de trois facteurs :
une analyse correcte des variantes qui demandent logiquement à
être étudiées, l'assurance que vous n'avez omis dans votre recen-
sement aucun coup qui s'impose, une économie rigoureuse du
temps de réflexion.
Nous aborderons tour à tour ces trois volets, et disséquerons
les caprices les plus complexes, les fantaisies les plus incom-
préhensibles qui viennent solliciter l'esprit du joueur. Nous
nous efforcerons donc de donner une image aussi fidèle que pos-
sible du processus qui s'engage lorsqu'un joueur part à la chasse
du meilleur coup.

L'arbre d'analyse

Un exemple concret va nous montrer comment s'ordonnent


les pensées d'un grand-maître. La position du diagr. 6 survint
dans une partie Bolesvlasky-Flohr, r950, après le début suivant:
1. é4, ç6 2. Cf3, d5 3. Cç3, Fg4 4. h3, Fxf3 5. Dxf3, é6
6. d4, Cf6 7. Fd3, dxé4 8. Cxé4, Dxd4 9. Fé3, Dd8
10. 0-0-0, Cbd7 11. Fç4, Da5 12. Fd2, Db6 13. Thél,
Cxé4 14. Txé4, Cf6 15. Fxé6, fxé6 16. Txé6+.
Ayant à présent le choix entre jouer son Roi sur f7 ou couvrir
avec le Fou, Flohr essaya 16 ... Fé7 et finit par perdre. Mais ce
qui nous intéresse, c'est de savoir comment aurait évolué la
partie après 16... Rf7 ou, en d'autres termes, ce qu'avait prévu
de faire Boleslavsky face à cette éventualité. Nous ne pouvons
bien sûr pas affirmer que le cheminement de ses pensées fut
exactement tel que nous !'allons décrire, mais il est en revanche
- 23 -
6

n°6

abcdefgh

certain que, dans les grandes lignes, l'esprit et la technique en


seront fidèlement transmis.
Le Roi noir se trouve en f7 et le trait est aux Blancs; que faire?
« Qu'avais-je prévu de répondre à 16... Rf7 quand je me suis
décidé à sacrifier le Fou ? » constitue la première réaction de
Boleslavsky, qui ne tarde pas à se rappeler: «Oui. 17. Txf6+.
] e me souviens aussi avoir établi que j'avais déjà la nullité en
poche tandis que la situation super-exposée du Roi noir m' au,torise-
rait peut-être à trouver un gain. Donc 17. Txf6+, gxf6, et ensitite?
Avec une Tour en moins je dois donner des échecs ou provoquer
des coups forcés ; il faut donc continuer par 18. Dh5+, sinon les
Noirs profiteront du tempo pour ramener leur Dame en défense.
Qu'apporte cet échec de la Dame, est-ce seulement un bon coup ? l l
s'agit de s'en assurer; la position n'est guère compliquée, on p~ut
l'analyser à fond. Au travail ! je dispose d'assez de temps, par
ailleurs le sort de la partie se décide maintenant. Si je parviens au
bout du compte à mater le Roi adverse, les minutes de réflexion qu~
je vais consommer n 'auront pas été gaspillées. Analysons !
Au fait, est-il vraiment nécessaire de sacrifier la Tour? Peut-
être existe-t-il un autre moyen d'exploiter l'initiative dont je dispose
et qui n'implique pas un nouvel investissement de matériel - mais
lequel?» L'espace d'une minute Boleslavsky examine la posi-
tion, s'interrogeant sur la nécessité vitale de sacrifier. La réponse
apparaît vite positive : «Sur 17. Tdé1, les Noirs se défendent
facilement par 17... Db5 ou même par 17... Td8. Il s'ensuit donc
que le sacrifice de la qualité sur f6 est non seulement le coup évident,
mais aussi la seule tentative de gain, étant entendu que les Blancs
se réservent à tout moment la possibilité de faire partie nulle. »
- 24 -
Et le grand-maître se cale dans son fauteuil, prêt à calculer les
variantes.
«]e joue 17. Txf6+, gxf6 18. Dh5+ . Où peut aller le Roi?
Bien des possibilités ! é1, é6, g1 et g8. Quatre défenses. Voyons si
l'on peut forcer le mat ou obtenir un avantage décisif. Etudions
d'abord les déplacements sur é7 et é6 et gardons pour la fin les coups
Rg7 et Rg8, qui doivent donner lieu à des variantes plus ardues. Il y
a donc quatre coups-candidats : A. 18... Ré7; B. 18... Ré6;
C. 18... Rg7 ; D. 18... Rg8.
A . 18... Ré7 19. Tél+. Les Noirs sont dans de sales draps.
19... Rd6 20. FJ4+, Rd7 21. DJ7+ et 22. Té8+ ; ou 19... Rd8
20. Dé8+, Rç7 21. FJ4+, Fd6 22. Té7 mat; ou 19 ... Rd7
20. DJ7+, Rd6 21. FJ4+, Rç5 22. Fé3+ . Vu!
B. 18... Ré6 19. Tél+. Très bien, on retombe dans les suites
précédentes.
C. 18... Rg7. L'échec perpétuel est possible: 19. Dg4+. RJ7
20. Dh5+, mais n'y-a-t-il pas mieux? Mais si, le Fou peut don-
ner échec en h6 ! 19. Fh6+, Rg8 20. Dg4+, Rf7 21. Td7+,
Fé7 22. Dg7+. jusqu'à maintenant tout s'est bien passé; il reste
à voir Rg8. Analysons avec le plus grand soin !
D. 18... Rg8 19. Dg4+. Pas le temps d'effectuer des coups
tranquilles, j'ai une Tour de moins. Deux coups sont alors à envi·-
sager : l. 19 ... Fg7 et Il. 19... Rf7.
l. 19 ... Fg7. Comment continuer? 20. Fh6, Dç7 21. Td7
gagne. Non, non, stop ! Cette descente de la Tour constitue une
bévue de taille, les Noirs sacrifiant leur Dame par 21 ... Dxd7! et
après 22. Dxd7, Fxh6+ ce serait à mon tour de courir après la nul-
lité.L'affaire n'est donc pas si simple. QueJaire contre 19... Fg7 ? n
Boleslavsky en arrive vite à sélectionner deux coups-candidats
qui lui ménagent de bonnes chances d'attaque : 20. Dé6+
et 20. Dç4+. Tour à tour il les passe en revue.
c<a.20. Dé6+.RJ821.Ff4,Td822. Txd8+,Dxd823. Fd6+,
Dxd6 24. Dxd6+ et les Blancs doivent l'emporter.
b. 20. Dç4+, RJB 21. Fb4+, forçant les Noirs à donner leur
Dame. 19... Fg7 n'est donc pas à craindre. Considérons l'autre
possibilité des Noirs :
II. 19... Rf7 20. Dç4+ !. Je ne vais pas me contenter d'une
répétition des coups, cet échec sur f4 est fort. Où fuit le Roi ? En g1
-25-
ou g6. Pas en é8 assurément, où il se trouverait placé sous le feu
conjugué de mes trois figures I Et si pourtant ce coup était jouable ?
Si après tout je ne disposais plus d'assez de forces pour l'exécuter I ?
Ne négligeons donc pas cette éventualité. Par conséquent, a. 20...
Ré8, b. 20... Rg7 et c. 20... Rg6.
a. 20... Ré8 21. Té1+ (mauvais 21. Dé6+ à cause de la cou-
verture par le Fou), Fé7 (ou bien 21 ... Rd8 22. Dd3+, Rç7
23. Ff4+, Rç8 24. TéB+) 22. Fb4!, Dç7 23. Dç5! et les Noirs
n'ont plus qu'à abandonner.
b. 20... Rg7. Les Blancs ne disposent d'aucun échec utile ; ils
peuvent par contre menacer la Dame adverse, ce qui est aussi
forcing qu'un échec. Oui, 21. Fé3 est possible l Cela menace de
donner échec en d7 avec la Tour, les Noirs ont-ils une ressource? Si
21 ... Dç7 alors 22. Dg4+, Rf7 23. Td7+. Il ne reste que 21 ...
Db4 mais il suit 22. Td7+, Rg6 23. Df7+, Rf5 24. g4+, Ré4
25. Dxf6 et les menaces de mat sont trop nombreuses pour être
toutes parées. Le thème du Roi mis à nu au centre de l'échiquier,
quoi l
c. 20... Rg6. Ce coup peut-il le sauver, et donc réfuter le sacrifice
sur f6? Cela semble bien improbable /Contentons-nous de définir
une suite concluante. »
Et, sans trop de peine, le joueur qui conduit les Blancs trouve
une manœuvre de gain, qu'inaugure 21. Dé4+l. Des coups qui,
à première vue, paraissent assez insignifiants peuvent s'avérer
décisifs. 2r ... Rf7 22. Fa5!, menace avec tempo de donner échec
en d1. Restent deux ultimes parades, qui échouent l'une et
l'autre : 22 ... Dç5 23. Td7+, Fé7 24. Fb4, Dg5+ 25. f4, ou
bien 22 ... Fh6+ 23. Rbr, Tad8 (23 ... Thd8 24. Dxh7+, Fg7
25. Dh5+ et 26. Fxb6) 24. Dç4+I, Rg7 25. Dg4+ suivi
pareillement de 26. Fxb6.
cc Eh bien, tout est en ordre ! )), telle est sans doute la réaction du
grand-maître Isaac Efrimovich Boleslavsky. Se lance-t-il pour
autant dans la variante ? Sacrifie-t-il immédiatement en f6 ou
bien prend-il le temps d'une dernière vérification? Tout dépend
du temps de réflexion qui lui reste. S'il lui en reste beaucoup, il
choisira de tout contrôler à nouveau; même à court de temps, il
pourra procéder à une vérification. Le fait que la partie ait
atteint un point culminant justifie un tel investissement de
temps. Les Blancs donnent mat ou gagnent la Dame, aussi
peuvent-ils s'offrir le luxe d'un zeitnot. Cependant, en règle
générale, un grand-maître ne s'autorise pas à vérifier toutes les
-26-
variantes qu'il vient de calculer. Ce serait une impardonnable
perte de temps dont les conséquences pourraient être graves
lors de la phase critique qui précède le contrôle du temps, de
plus une telle attitude traduirait un manque de confiance en ses
propres analyses. Vous devez vous habituer à analyser correcte-
ment et à ensuite accorder une totale confiance à« l'ordina-
teur» dont la nature vous a pourvu à la naissance.
En vue de clarifier les choses, ayons recours à une technique
simple, acquise dès l'école secondaire : le graphe. Voici donc
ramenée sous forme graphique l'analyse précédente (figure r).

,.. .........
~ ····~
17.Txf6+, g:d6 18.DhS+
~
+ ····1'·9,\
······~
····· c.is...Rg7

~
Î' l .19...Fg7

.2.2...f'h6+

Fig. 1

-27-
La vue de ce que nous obtenons évoque irrésistiblement un
arbre généalogique.
Le tronc de l'arbre représente à partir du point de départ la
suite que nous avons choisie; les diverses réponses de l'adver-
saire constituent ensuite les quatre branches principales (A 18...
Ré7, B. 18... Ré6, C. 18... Rg7, D. 18... Rg8). Ces branches se
partagent à leur tour en d'autres ramifications, et le processus
continue. Le nombre de branches est fonction des caractéris-
tiques de la position ainsi que de notre aptitude à découvrir des
coups-candidats; c'est donc un indicateur de notre capacité
analytique.
Nous ne tarderons pas à utiliser à nouveau l'arbre d'analyse,
mais d'ores et déjà nous sommes en mesure d'énoncer une règle
que vous devrez toujours vous efforcer de respecter : lorsque
des variantes compliquées sont analysées, chaque
branche de l'arbre doit être examinée une fois, et une fois
seulement. Gardez-vous d'errer, de sauter d'une branche à une
autre, de ne vous soucier que de vérifications répétées ; une telle
anxiété montre seulement un manque de confiance en soi-même.
Mieux vaut supporter les conséquences d'une éventuelle faille
dans les calculs que s'affoler et paniquer dans des analyses
désordonnées.
Un lecteur soucieux peut s'interroger:« Et si aucun des coups
que j'examine ne me donne satis/action ? Que faire dans ce cas ? »
Je ne puis vous recommander qu'une seule chose : même dans
· une situation aussi critique, ne réitérez pas vos calculs. Pouvez-
vous d'ailleurs affirmer que vous trouverez systématiquement
une ligne de jeu plus séduisante? Non, évidemment 1 De plus
ces vaines recherches vous coûteraient beaucoup de temps.
Optez pour la suite qui vous semble la meilleure; rappelez-vous
l'histoire de l'âne de Buridan, qui mourut de ne pouvoir se
décider à partir de quel tas de foin il allait commencer son repas.
De deux maux, choisissez le moindre ; si vous êtes vraiment en
mauvaise posture faites un nouveau tour d'horizon de la posi-
tion, à la recherche d'un coup salvateur.
Afin que le lecteur se familiarise avec ce nouveau matériau
qu'est l'arbre d'analyse, qu'il s'habitue à analyser chaque
var~ante une fois et une fois seulement, penchons-nous sur un
nouvel exemple intéressant. Le lecteur tirera. pleinement profit
de cet exercice s'il s'astreint à redécouvrir par lui-même l'arbre,
ou tout au moins l'une de ses ramifications; il aura su alors
joindre l'utile à l'agréable.
-28 -
n°7

abcdefgh

Cette position provient d'une partie Rossolimo-Nestler,


Venise 1950. Le grand-maître vient de sacrifier coup sur coup
deux qualités - sacrifices basés autant sur l'intuition que sur
un calcul concret. Nous nous proposons de voir ce qui aurait pu
suivre sur la défense tout à fait plausible 23 ... Dd6 et la forte
réponse 24. Dh5! (*).
Les Blancs ont-ils le gain à portée de la main ? Si oui, com-
ment le démontrer par le calcul? Je tiens à vous avertir que
l'étude de toutes les attaques et défenses possibles représente
une tâche ardue, aussi n'hésitez pas à plancher une demi-heure
ou plus sur cette position. Découvrir seul les diverses parades
noires ainsi que les coups d'attaque blancs vous demandera en
effet beaucoup de temps, mais c'est seulement ainsi que vous
parviendrez à perfectionner votre technique d'analyse 1
Les intentions des Blancs sont claires. Au trait, ils joueraient
25. Dh61 et gagneraient la Dame contre le Cavalier grâce à la
puissante menace 26. Cxf6+, l'échange 25 ... Fxd5 étant impra-
ticable à cause de la double attaque catastrophique sur h7
consécutive à l'ouverture de la diagonale b1-h7. Les Noirs doi-
vent donc prendre des mesures contre la menace 25. Dh6;
lesquelles?
Tout d'abord, en accord avec le principe consistant à analyser
tout à tour chaque possibilité, nous répertorions l'ensemble des
coups-candidats. Ce travail préliminaire ne doit pas être bâclé,

(*) Dans la partie, Nestier joua 23 ••• Fxd5, coup considéré


comme supérieur à 23 ... Dd6 par Kotov lui-même dans ses notes sur
les parties du tournoi (ndt).

-29-
mais effectué avec le plu::; grand soin. Un coup apparemment
négligeable pourra se révéler être celui qui sauve la partie. Nous
répétons la règle : il faut en premier lieu dresser la liste des
coups-candidats et clairement les énumérer. Ce travail
doit se faire d'un bloc ; étudier un coup à fond puis partir à la
recherche du suivant perturberait votre réflexion. L'ignorance
du nombre de coups-candidats pourrait vous amener à consacrer
trop de temps à l'un d'entre eux et, après avoir fini d'examiner
ses ramifications, vous vous apercevriez alors que le temps vous
manque pour analyser les autres.
Aussi dressons systématiquement la liste de tous les coups-
candidats ; il n'est pas difficile de deviner que les meilleures pers-
pectives des Noirs résident dans les réponses suivantes: A. 24...
Rh8 ; B. 24 ... f5 et C. 24... Fxd5.
Mais ce n'est pas tout. Un regard plus attentif sur la position
permet de déceler un mode de défense subtil, à savoir amener
une Tour en é8 pour après 25. Dh6, protéger f6 par 25 ... Té6.
Nous ajoutons donc deux coups-candidats supplémentaires: D.
24... Taé8 et E. 24 ... Tfé8. Assurons-nous avant de nous lancer
dans la phase de calcul si nous n'avons rien oublié. Avez-vous
bien vérifié? Très bien, nous n'avons en effet omis aucun coup-
candidat ; le temps est venu de passer au calcul 1
A. 24 ... Rh8. Maintenant 25. Dh6 est contré par 25 ... Tg8,
et la Tour viendra en g7 défendre le point crucial h7. Comment
gagner? Un effort soutenu conduira l'analyste à trouver dans
cette position une manœuvre gagnante, dont on obtiendra
d'ailleurs ultérieurement un écho dans d'autres variantes :
25. Fç5!, Dé6 26. Fé7!!. Voyons-en les conséquences.
26 ... Fxd5 27. éxd5 avec une attaque de la Dame noire et une
menace de mat sur h7. Insuffisant est également 26 ... Tg8
27. Fxf6+, Tg7 28. Dg5, Tg8 29. Cé7!, Dxé7 (sinon 30. Cf5 ou
30. Cxg8) 30. Fxg7+, Txg7 3r. Dxé7.
B. 24 ... f5. Cette défense paraît excellente puisque la Dame
noire est prête à participer à la défense de l'aile-Roi. Les Blancs
disposent toutefois d'un gain assez caché. 25. Fç5 (toujours le
même leitmotiv), Dé6 (on voit aisément que tout autre coup
de la Dame perd sur-le-champ) 26. Dg5+, Rh8 (26... Dg6
27. Cé7+) 27. Fxf8!, Dg6 (mauvais est 27 ... Txf8 à cause de
28. Cf6 et il n'existe pas de défense contre la menace 29. Dh6
avec double attaque sur h7 et f8) 28. Dxg6, hxg6 (ou 28 ... fxg6
-30-
29. Fd6, Té8 30. Cé7 attaquant le Fou ç6 et menaçant 3x. Fxé5
mat) 29. Fd6 et les Blancs, grâce à leur avantage matériel, doi-
~ent gagner sans difficulté.

C. 24 ... Fxd5 25. éxd5. Les Noirs peuvent parer la menace de


mat sur h7 de plusieurs façons différentes. Les Blancs parvien-
dront-ils au mat, ou non ? Notre analyse doit fournir la réponse
à cette question. A l'abord de ce nouveau carrefour, nous devons
à nouveau, comme précédemment, recenser les coups-candidats :
I. 25 ... Tfé8 ; II. 25 ... Tfd8 ; III. 25 .. . Tfç8 ; IV. 25 ... f5 ;
V. 25 ... é4. Il ne nous reste plus qu'à parcourir ces nouvelles
branches de notre arbre de calcul.
I. 25 ... Tfé8 26. Dxh7+, Rf8 27. Fç5, avec gain de la Dame.
II. 25 ... Tfd8 26. Dxh7+ et de même 27. Fç5.
III. 25 ... Tfç8. La Tour contrôle ç5 ; cependant, la simple
réplique 26. Dh6 suffit pour gagner car la poussée f6-f5 n'est
plus possible à cause de la situation« en l'air »de la Dame sur d6.
IV. 25 ... f5 26. Fxf5. Les Noirs sont aux abois; on ne leur voit
que deux coups possibles : 26 ... Tfç8 et 26 ... h6.
a. 26 ... Tfç8 27. Fxç8, Txç8 28. Dg4+ et 29. Dxç8+ ;
b. 26 ... h6 27. Fxh6, Df6 28. Dg4+, Rh8 29. Fg5, Dg7
30. Ff6!, Dxf6 31. Dh5+ et mat en deux coups. Le fait que les
Blancs l'emportent également par 30. Dh4+ suivi de 31. Ff6
suffira peut-être à consoler les Noirs ...
V. 25 ... é4 26. Fxé4, f5 27. Fxf5, h6 28. Dg4+, Rh8
29. Fd4+, f6 30. Dg6, Ta7 3x. Dxh6+, Rg8 32. Fé6+, Taf7
33. Fxf6 et mat imparable sur h8. Ainsi, la défense séduisante
qui consistait à éliminer le Cavalier d5 puis à Sf' dégager par
l'avance du Pion f se trouve réfutée.
Deux branches principales de notre arbre attendent encore
notre investigation.
D. 24 ... Taé8 25. Fç5, Dd8 (sinon la Dame se trouvera atta-
quée après 25 ... Dé6 26. Dh6, Fxd5 27. éxd5) 26. Fxf8. Les
Noirs ne peuvent à présent plus se maintenir, ni par 26... Txf8
27. Dh6 ni par 26 ... Fxd5 27. Dh6!, Txf8 28. éxd5, avec mat
sur h7.
E. 24 ... Tfé8. Il s'avérera que ce coup offre la résistance la
plus opiniâtre, le gain blanc n'étant dû qu'à une succession de
coups raffinés. 25. Fç5!, Dd8 (cette retraite est à nouveau forcée
- 31-
pour que la Dame ne se trouve pas en prise par le Pion après
.?5 ... Dé6 26. Dh6, Fxd5 27. éxd5) 26. Fb6!, Dd6 27. Fç7!, Df8
.?8. Cxf6+, Rg7 29. Fd6!

n°8

abcdefgb

Une position comique! Les Noirs perdent quoi qu'ils fassent,


par exemple:
a. 29... Dxd6 30. Dg5+, Rf8 3i. Cxh7 mat (ou 30 ... Rh8
31. Dh6, Dxf6 32. Dxf6+ et 33. Dxç6 ).
b. 29 ... Té7 30. Fxé7, Dxé7 31. Dxh7+, Rxf6 32. Dh6 mat.
Il ne reste à présent plus qu'à schématiser notre travail de
Titan à l'aide d 'un graphe (figure 2). 11 faut être un véritable
Tarzan pour se mouvoir sans heurts dans une telle jungle !

Variantes forcées, variantes non forcées

Les exemples considérés jusqu'à présent donnaient exclusive-


ment naissance à des variantes à caractère forcé. Il n'en va
cependant pas toujours de même, et les grands-maîtres ont
souvent à évaluer avec précision des suites non forcées; l'arbre
d'analyse peut alors être très embrouillé. Mais avant d'aborder
ce nouveau stade, je veux soumettre au lecteur une nouvelle posi-
tion qu'il analysera par lui-même. Les Blancs mènent l'attaque ;
les Noirs se dMendent et leurs coups sont forcés - ils ne dispo-
sent souvent que d'une unique réponse. Je ne fournirai pas à la
fin le dessin de l'arbre, dans l'espoir que le lecteur l'aura déjà
- 32-
Fig. 2

tracé. Le calcul soigne.u x et systématique des variantes consti-


tuera un entraînement très profitable et je tiens à souligner
encore une fois qu'il est indispensable de démêler par soi-même
les variantes avant de s'autoriser à consulter la solution donnée
dans le livre. Comme auparavant, je vous recommande une
analyse méthodique des variantes (chacune à leur tour) que vous
aurez retenues. Je suppose qu'en ce moment vous avez déjà
acquis cet état de réflexion disciplinée grâce auquel vous vous
abstiendrez de recalculer les mêmes variantes.
La position du diagramme se produisit au cours d'une partie
Boleslavsky-Ravinsky, championnat des syndicats soviétiques,
1949.
-33-
8
7
6

n°9
4

abcdefgh

Les Noirs jouèrent ici 20 ... Fç5 et perdirent rapidement. C'est


en fait le coup 20 ... Ré8 qui retiendra notre attention et la ques-
tion sera ainsi formulée : quelles variantes surgiraient après
21. Cd6+, Rf8 22. Df3+, Cf6 23. Té1?
L'avantage d'une Tour permet-il aux Noirs de sauver la partie,
à défaut de la gagner? Il semble à première vue possible de
repousser l'assaut des Blancs, mais l'analyse prouvera le
contraire. Considérons toutes les réponses possibles, étant
entendu qu'il s'agit là de la totalité des coups-candidats. Les
voici : A. 23 ... Dg4 ; B. 23 ... Fç5 ; C. 23 ... Fxé5. Seulement trois
coups-candi~ats, mais la suite montrera que notre arbre de
calcul possède de nombreuses et riches ramifications.
A. 23 ... Dg4. On voit que seul 24. Cf5+! réserve des chances
de gain. Les Noirs ont le choix entre trois coups : I. 24 ... Fç5;
II. 24... Rf7 et III. 24... Rg8.
I. 24... Fç5 25. Fxçs+. bxç5 26. éxf6, Dxf3 27. fxg7+, Rf7
28. gxh8= D laissant les Blancs avec une pièce de plus.
II. 24... Rf7 25. Ch6+, gxh6 26. Dxf6+ gagne aisément.
III. 24 ... Rg8 25. Db3+, Cd5 26. Cé7+, Rf7 27. Cxd5, avec
des menaces décisives.
B. 23... Fç5 24. éxf6.
L'échiquier présente à nouveau une position étonnamment
complexe. Les Noirs peuvent essayer plusieurs parades, mais
chacune finit par échouer. Voici la liste de ces coups-candidats
- 34-
(remarquez que nous ne commençons pas la numérotation à
partir de 1, afin qu'il n'y ait aucune confusion avec les suites
issues de la variante A) : IV. 24... g6; V. 24... Fxd6; VI. 24 ...
Dxd6; VII. 24 ... Fxa3.
IV. 24 ... g6 25. Fxç5, bxç5 26. Dé3 menaçant à la fois
27. Dh6+ et 27. Dé7+. Il est temps pour les Noirs d'aban-
donner.
V. 24... Fxd6. De prime abord, les Blancs gagnent par
25. Té7!?, Fxé7 26. fxé7++ , Ré8 27. Df8; l'intrusion de la
Tour est cependant fautive, les Noirs pouvant répondre
25 ... Dxé7! 26. fxé7++, Rxé7, et l'issue de la partie demeure
incertaine. Par contre mène simplement au gain 25. fxg7++,
Rxg7 26. Fb2+, Rg6 (ou 26 ... Rg8 27. Df6) 27. Df6+, Rh5
28. Té6! et les Noirs doivent choisir entre le mat ou de lourdes
pertes matérielles.
VI. 24 ... Dxd6 25. fxg7++, Rxg7 26. Fb2+. Les Noirs ont
ici trois façons de continuer : a. 26... Rg8 ; b. 26... Rh6 ;
c. 26 ... Fd4.
a. 26... Rg8 27. Db3+, Rf8 (27 ... Dd5? 28. Dg3+ et
29. Dg7 mat) 28. Fxh8. Les Blancs émergent avec un Pion de
plus et leur attaque n'est pas éteinte; leur seule préoccupation
est de s'assurer que les pièces noires ne créent pas de contre-
menaces. De telles craintes n'ont en fait pas lieu d'être. Rien ne
donne 28 ... Dd2 à cause de 29. Df3+, Rg8 30. Fç3, Fxfa+
3r. RfII et les Blancs gagnent, ni 28 ... Df4 après quoi les Blancs
obtiennent une attaque gagnante par 29. Db2, Td7 30. Fé5, par
exemple 30 ... Dd2 31. Fg7+, Rg8 32. Té8+, Rf7 33. Tf8+1,
Fxf8 34. Df6+ forçant le mat.
b. 26... Rh6 27. Dg4!. Ce coup tranquille place l'ennemi
devant des problèmes insurmontables. Si 27 ... Dg6, alors
28. Dh4+, Dh5 29. Té6 mat. Rendre le Fou est également
insuffisant : 27... Fxfa+ 28. Rh1, Dg6 (28... Thg8 29. Fç1+)
29. Df4+, Dg5 30. Té6+, Rh5 3r. Df3+, Dg4 32. Té5+.
c. 26... Fd4 27. Fxd4+, Dxd4 28. Té7+. La question est
maintenant de savoir si la Dame et la Tpur vont pouvoir mettre
la main au collet du Roi baladeur. Elles le peuvent 1 Après
28 ... Rg6 suit 29. Df7+, Rg5 30. h4+!, Rxh4 31. Df5!, Tdg8
32. Té4+, Dxé4 33. g3+ gagnant Dame et Tour. Ou encore
28 ... Rh6 29. Dh3+, Rg5 30. Dg3+, Rh5 31. Tés+. Dxé5
- 35-
32. Dxé5+, Rg6 33. Dé6+, Rg7 34. Dé7+, Rg6 35. h4 et la
simple avance des Pions de l'aile-Roi aura vite raison de la résis-
tance adverse.
VII. 24... Fxa3 25. fxg7++. Rxg7 26. Dg3+, Rf6
27. Df4+. Rg7 (ou 27 ... Rg6 28. Té3! avec mat en vue)
28. Dgs+, Rf8 29. Df6+, Rg8 30. Té3!, Fxd6 31. Dg5+, Rf7
(31 ... Dg7 est mauvais : 32. Dxd8+, Rf7 33. Dd7+, Rg8
34. Dé6+) 32. Tf3+, Ff4! 33. Txf4+, Ré8 34. Dé5+, Dé7
35. Dxh8+, Rd7 36. Dç3! avec une attaque persistante et
même l'avantage matériel.
C. 23 ... Fxé5 24. Txé5, h6 25. Db3!, la position noire est sans
espoir.
Les variantes que nous venons de découvrir présentaient
toutes un caractère forcé. L'exemple suivant, volontairement
choisi dans le registre des fins de partie, illustre la possibilité de
calculer de longues séries de coups à partir de positions simples.
Le fait que cette fois les variantes ne sont pas forcées rend bien
sûr la tâche plus ardue, mais il n'empêche que la plupart du
temps le grand-maître analyse avec soin et en détail chaque
possibilité.

n°10

abcdcfgh

Voici un épisode de la partie Levenfish-Flohr, tournoi de


Moscou 1936; les Noirs optèrent pour 33 ••• Cb6. Dans ses
commentaires sur la partie, Levenfish écrit:« Les N ,oirs devaient
à toitt prix provoquer des complications par 33... C b2, menaçant
-36-
34 ... Cxd3+ suivi de 3S··· b6. Pour cette raison les Blancs auraient
da continuer par 34. as, avec comme variantes possibles :
A . 34... Rç7 3S· Ré3, Cxd3 36. Rxd3, b6 37. Ca4!, b:xas
38. bxas, Rd6 39. Rd4, Fg4 40. é3, Fé2 41. Cçs, Ff1 42. é4,
Fé2 43. és+. fxés 44. fxés+, Ré7 4S· h4, Ff1 46. Ré4, Rf7
47· Rfs, Fh3+ 48. g41, g6+ 49· Rf4, Ff1 so. gs, hs s1. é6+,
Ré7 s2. Rés, Fç4 S3· Cd7 !, Fxé6 (S3··· Fbs S4· Cb6 et Cç8+)
54. Cb8, Fç4 5S· Cxç6+, Rd7 56. Cb4, Ré7 57. Rd4, Ffr
58. Rd5, Fé2 S9· Cç6+, Rf7 60. Cé5+, Rg7 61 . Rç6, et gain
blanc.
B. 34... Cdr+ 3S· Rf3, Rç7 36. é4, h5 37. és, fxé5 38. fxés,
Fg4+ 39. Ré4 avec une finale gagnante.
C. 34... Cd1+ 3S· Rf3, Cç3 36. Fç4, Rç7 37. é4, b6!
38. axb6+, Rxb6 39. é5, fxés 40. fxé5, Cds ( 40 ... as 41. é6)
41. Fxd5, çxd5 42. é6, Rç7 43. é7, Fd7 44. Cxa6+, Rd6
4S· Ré3, Rxé7 46. Rd4, Rd6 47. Cçs, Fbs 48. Cb7+, Rç6
49. Cd8+, Rd6 50. Cf7+, Ré6 sr. Cé5, Rd6 52. Cg6, Fç4
53. Cf4 et les Blancs finiront par gagner.»
Ainsi nous constatons que des variantes non forcées sont
néanmoins analysées avec une profondeur de 27 coups. Peut-
être vous demandez-vous combien d'entre elles ont été réelle-
ment calculées sur l'échiquier par le grand-maître - je ne sais
pas, probablement pas toutes. Cet exemple aura toutefois eu le
mérite de prouver qu'il est possible de calculer des variantes à
caractère non forcé.

Diffèrents tyj>"e·s d'arbres

Le tronc unique
Commentant sa partie contre Treybal (tournoi de Pistyan,
1922), Alékhine remarque au suj et de son 33e coup Db5-d7 + :
« Les Noirs for cent l'entrée en une finale de Pions gagnante au
moyen de la plus longue combinaison que j'aie jamais conçue. »
33... Dd7+ ! 34. Rg2, dl= D! 35. Txdl, Dxdl
36. Dxç4+,Tf737. Dxb4,Dxç138. Db8+,Tf839. f7+ !.
Les Blancs récupèrent la Tour, mais cela avait été prévu par
Alékhine, qui a imaginé une élégante manœuvre de Dame por-
- 37-
n°11

abcdefgh

tant sur une vingtaine de coups et qu'il fallait avoir calculée


avant de jouer le 33e coup - de telles performances dans la
pratique des tournois sont rarissimes.
39 ... Rxf7 40. Db3 +.
Ceci perd immédiatement, tandis que la ligne principale de la
combinaison d'Alékhine tient compte de la meilleure réplique
des Blancs, 40. g6+1. Les Noirs ne peuvent ni prendre en g6
avec le Pion - à cause de l'échec perpétuel infligé par la Dame
blanche à partir du complexe de cases b3-b8-f3-a3. le Roi noir
étant sans arrêt obligé de protéger la Tour f8 -, ni remettre le
Roi en g8 à cause de la prise sur h7.
Le gain s'obtient par 40... Rxg61 4r. Dxf8, Dxb2+ 42. Rf3,
Dç3+ 43. Rg2, Dd2+ 44. Rg3, Dé3+ 45. Rg2, Dé4+
46. Rg3, Dés+ 47. Rg2, Rh5! 48. Df3+, Rxh4 49. Dh3+,
Rg5 50. Dxh7, Dé2+ 51. Rg3, Dg4+ suivi de l'échange des
Dames et d'une finale Roi et Pion contre Roi facilement gagnée.
Comment Alékhine put-il calculer une variante aussi longue ?
La réponse est évidente : la position initiale (celle du dia-
gramme) est simple et la combil)aison ne comporte en tout et
pour tout qu'une seule variante. Si nous traçons le graphe de
cette combinaison, nous n'obtenons pas à proprement parler un
•arbre généalogique» (voir figure 3). Plutôt qu'un arbre, cela
évoque un tronc nu affublé d'un vague rejeton.
L'analyse de telles positions ne présente aucune difficulté
particulière, surtout lorsque les réponses de l'adversaire - et
donc les variantes - sont forcées. Je citerai deux exemples
similaires extraits de ma propre pratique.
- 38-
Fig. 3
J'obtins dans ma jeunesse cette position dans une partie
contre Rudakov, joueur dt> Toula :

n°12

abcdefgh

-39 -
Les Blancs, qui ne pouvaient plus roquer, viennent de jouer
I. Rd1, comptant sur une simplification après 1... Dç8 2. TçI.
Mais la réponse des Noirs est cinglante : ils sacrifient la Tour,
ce qui introduit une variante s'étendant sur 14 coups.
La partie se poursuivit ainsi : 1... Da5 ! 2. Rxç2, Dç3 +
3. Rbl.
Reculer sur di signifierait non seulement rendre la Tour mais
aussi abandonner les Pions de l'aile-Dame.
3 .•• Fxd3 + ! 4. éxd3, Dxd3 + 5. Rb2.
5. Rçr est clairement mauvais, les Noirs amenant leur Tour
sur la colonne ç avec tempo.
5 ... Dç3 + 6. Ra3.
Sur 6. RbI gagne la poussée 6... dJ.
6 ..• Dç5 + ! 7. b4.
Ici se situe l'unique ramification d'une variante par ailleurs
«ligne directe». Si 7. Rb2? alors 7... dJ+, tandis que sur 7. R~
suit un mat rapide par 7... b5+ 8. Ra5, Db6+ g. Rb4, as+
10. Ra3, Dçs+ n. Rb2, dJ+.
7 ••• Dç3 + 8. Ra4, b5 + ! 9. Rxb5.
On voit facilement qu'après g. Ra5, Dç6! les Blancs devraient
rendre la Dame pour éviter le mat.
9... é5 ! 10. Dçl, Tb8 + 11. Ra6, Dxb4 12. Dç7,
Da4+ (*) 13. Da5, Tb6+ 14. Rxa7, Dxa5 mat.
Le lecteur pourra considérer l'exemple suivant comme une
authentique curiosité de l'échiquier.
Une partie Kotov-Plater, Moscou 1947, fut ajournée dans la
position du diagramme

n°13

abcdefgh

(*) 12 ... Tb6+ semble faire mat un coup plus tôt (ndt).
Le maître polonais mit sous enveloppe l'excellent coup
43 •.. Dh6 !. En rendant une pièce, les Noirs transposent en une
finale intéressante dans laquelle les Blancs auront beaucoup de
mal à réaliser leurs deux Pions de plus, car leur Roi ne dispose
d'aucune voie de pénétration dans le camp ennemi.
44. Dxh6, Cxh6 45. Fxé8, Cg8.
Durant l'ajournement, j'étudiai cette position à la maison,
recherchant le moyen de frayer un chemin à mon Roi, et mon
analyse s'étendit sur pas moins de ... 50 coups. C'est difficile à
admettre mais c'est la pure vérité. En fait, le lecteur se rendra
compte que cet exploit ne fut rendu possible que grâce à la
nature exceptionnelle de la position initiale et à la présence d'un
arbre d'analyse au tronc totalement nu.
A la reprise, la partie demeura pendant très longtemps dans
le cadre de mon analyse, sans que mon adversaire s'en aperçoive.
46. d6, Cf6 47. Fç6, Rd8.
Comment assurer la pénétration du Roi ? La tentative de
s'infiltrer sur le flanc-est - via les brèches g4 et hs - est facile-
ment contrée par les Noirs : ils installent le Cavalier sur f6 et
font aller et venir leur Roi de ç8 à d8.
La méthode de gain est longue, mais pas très compliquée. En
voici les étapes successives :
Premier point : contraindre les Noirs à avancer leur Pion a1
d'une case, en a6. Cela se fera en amenant notre Roi sur 34,
menaçant de pénétrer en b5, puis ç6 ou a6. Les Noirs devront
donc jouer leur Pion « a ».
Deuxième point : éliminer le Pion «a» des Noirs en l'échan-
geant contre notre Pion d6. Il faudra toutefois prendre garde
qu'à aucun moment les Noirs ne soient en mesure de jouer gs-g4,
la partie devenant alors nulle. Dans cette idée, le Roi blanc
devra s'en revenir à gJ.
Troisième point: après la disparition du Pion a6, transférer le
Fou de a6 en h3 et retourner avec le Roi de gJ en a4. Cela pro-
voquera une position de zugzwang et le Fou en profitera pour
gagner sa nouvelle destination : ds.
Quatrième point : en dS, le Fou rayonnera et contrôlera les
opérations sur tous les fronts. Pour en arriver là le Fou aura dû
passer par h5. C'est pourquoi, une fois le Fou posté en g4, les
- 41 -
Blancs manœuvrent avec leur Roi sur l'autre aile de façon à
obliger le Cavalier à quitter f6 et donc à laisser venir le Fou ends.
Tout cela fut bien précisé lors de l'analyse, mais... ce que
recouvre ce <' mais ll, le lecteur le saura bientôt.
48. Ré2, Rç8 49. Rd2, Rd8 50. Rçl, Rç8 51. Rb3, Rb8.
Les Noirs pourraient également faire osciller le Cavalier entre
g8 et f6.
52. Ra4, a6.
Le premier objectif étant atteint, il s'agit maintenant d'abor-
der la deuxième étape - la liquidation du Pion a6. Cependant le
Roi blanc doit d'abord revenir en g3 pour enrayer la percée gs-g4.
53. Rb3 !, Rç8 54. Rç2, Rb8 55. Rd2, Rç8 56. Ré2, Rb8
57. Rf2, Rç8 58. Rg3.
Le Roi est arrivé à la place qu'on lui avait assignée. Durant ce
voyage à travers l'échiquier, il était sans cesse désavantageux
pour les Noirs de jouer gs-g4, le Roi blanc n'ayant alors aucune
peine à pénétrer par h4.
58 ... Rb8 59. d7!, Rç7 60. Fb7!, Rxd7.
La seule chance; fautif était 60... as à cause de 61. Fç6 et le
Roi revient en ~. la voie vers a6 via bs étant alors ouverte.
61. Fxa6, Rç7.
Voici achevée la deuxième étape du plan. Il convient doréna-
vant de diriger le Fou sur ds; mais comment procéder? h5 se
trouve soigneusement surveillée et l'on ne voit pas d'autre case
de passage...
62. Fb5, Rd6 63. Fa4, Rç7 64. Fdl, Rd6 65. Rf2.
Comme le coup gs-g4 est interdit - le Fou surcontrôle la
case de rupture· - le Roi part pour un nouveau périple.
65 ... Rç7 66. Ré3, Rç6 67. Rd3, Rb7 68. Fé2, Ra7
69. Ffl, Rb7 70. Fh3, Ra7 71. Rç2, Ra6 (Diagr. 14).
Cette imperceptible erreur perd rapidement. La ligne de jeu
que j'avais envisagée lors de mon analyse était :
71 ... Rb7 72. Rb3, Cg8 73. R~, Ra6 74. Fg4, Cf6.
-42-
n°14

abcdefgh

Tout semble en ordre du côté noir mais à l'aide d'une finesse


les Blancs s'ouvrent la route, grâce à un gain de temps: 75. Fh3,
Cg81 76. FfI!, Cf6 77. Fg2, Cg8 78. Fh3!, Cf6 79. Fg4!, et le
Cavalier ne peut plus s'opposer à l'entrée du Fou sur h5, puis à
sa progression vers d5. La grande variante que j'avais bâtie et
consignée dans mes carnets de notes se poursuivait ainsi :
79 ... Cg8 80. Fh5, Cf6 81. Ff7, g4 82. fxg4, Cxg4 83. Fé6!,
Cf6 84. Fç8+, Ra7 85. Rb5, Cx4 86. Rç6, Cf6 87. Fé6!, é4
88. Fd5!, Cxd5 89. çxd5, é3 90. f6, é2 91. f7, él =D 92. f8=D
et les Blancs gagnent.
On concevra facilement le sentiment de fierté que j'ai pu
ressentir - ce n'est pas tous les jours que vous établissez une
belle manœuvre de gain assortie, comme c'est ici le cas, d'une
analyse de cinquante coups 1
Hélas, ma joie devait être de courte durée : quelques heures
avant la reprise de la partie je remarquai qu'en jouant dans cette
variante 77 ... g4l au lieu de 77 ... Cg8, les Noirs semblaient sauver
la nullité.
Dans la partie les affaires se poursuivirent de façon plus
expéditive.
72. Rb3, Ra5 73. Fg4 !, Ra6 74. Ra4, Ra7 75. Rb5,
Rb7 76. a4 ! , Cé8. Menace de mater par Cé8-d6.
77. a5, Cd6+ 78. Ra4, Cé8 79. Fh3!.
L'ultime finesse. La partie fut ici réajournée et les Noirs
abandonnèrent sans reprendre. Au mieux, le jeu aurait pu
se prolonger ainsi : 79 ... Ra6 80. f6!, Cxf6 81. Fç8+, Ra7 82.
- 43-
Rb5, bxa5 83. Rxç5, ~ 84. Rb4, Rb8 85. Ff5, Rç7 86.
Rxa4, et les deux Pions de plus laissent aux Blancs un gain
aisé.
Lecteur, essayez à présent de dessiner l'arbre de cette manœu-
vre forcée. Vous obtiendrez une sorte de palmier, plutôt dénudé
et doté d'une très longue stipe. Cela explique pourquoi l'analyse
était facile à mener.
Nous poursuivrons ce chapitre avec un exemple de type
d'arbre inhabituel. Si nous assimilions le cas que nous venons
d'étudier à un tronc dénudé, il faudrait maintenant parler
d'un buisson peu élevé mais particulièrement riche en petites
pousses. Vous avez deviné qu'il s'agit de ces analyses nécessi-
tant l'examen d'un nombre important de coups-candidats,
parfois pas moins d'une douzaine. Cependant les variantes
sont brèves - beaucoup n'excèdent pas un coup - et tout à
fait claires.

Le buisson
Après avoir travaillé sur des exemples d'analyse à variante
unique nous allons nous entraîner à un exercice radicalement
contraire. Il arrive fréquemment, dans le jeu de compétition,
que le choix du coup juste résulte du calcul d'un grand nombre
de variantes courtes et simples. Une parfaite illustration en est
la partie Alékhine-Réti, Vienne 1922.
Après les coups 1. é4, é5 2. Cf3, Cç6 3. Fb5, a6 4. Fa4,
Cf6 5. Cç3, b5 6. Fb3, Fç5 7. Cxé5, Cxé5 8. d4, Fd6
9. dxé5, Fxé5 10. f4, Fxç3 + 11. bxç3, o-o 12. é5 fut
atteinte la position suivante:

n° 15

abcdefgh

- 44-
Réti appliqua une idée intéressante, basée sur des complica-
tions aux variantes multiples. Il joua 12 ... ç5 ! , coup qui avait
dû tenir minutieusement compte de nombreuses réponses
possibles :
I. 13. éxf6, Té8+ 14. RfI, ç4, avec un beau jeu aux mains
des Noirs.
II. 13. ç4, ds! 14. éxf6, Té8+ 15. RfI, Dxf6. Quand les
Blancs auront protégé leur Tour, alors 16... dxç4 offrira aux
Noirs une excellente partie.
III. 13. o-o, ç4 14. éxf6, Dxf6 15. Dd5, Db6+ suivi de 16...
Fb7 assurant un jeu confortable.
IV. 13. Fd5, Cxd5 14. Dxd5, Db6! 15. Fé3, Fb7 16. Dxç5,
Dg6!, ou 16. Fxç5, Fxd5 17. Fxb6, Fxg2 18. Tg1, Fé4, donnant
un jeu sans problème.
V. 13. Fa3 ! ! , le coup effectivement joué par Alékhine.
Il suivit 13 ... Da5 ! 14. o-o ! , Dxa3 15. éxf6, ç4 16. Dd5,
Da5 17. fxg7, Db6 + 18. Rhl, Rxg7 ! 19. Fxç4 !, et le Fou
s'échappe de sa prison - puisque 19... bxç4 serait contré par
20. Dxa8, Fb7 21. Tab1!.
Regardons le graphe de cette analyse (figure 4) ; c'est un
petit arbre aux troncs multiples, et nous pensons plutôt à un
buisson ou à des fourrés. Nous retiendrons le terme« buisson»
en espérant que cette appellation symbolique aidera le lecteur
lors de ses propres analyses.
. .

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1
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Fig. 4

De tels exemples - un large éventail de variantes pas trop


compliquées - ne manquent pas, loin de là, dans la pratique
des grands-maîtres. En voici deux autres, encore puisés dans
les parties d'Alexandre Alékhine.
Tout d'abortl, cette fin de la partie Alékhine-Tartakover
du même tournoi de Vienne 1922.
-45-
n°16

abcdefgb

Les Blancs ont la qualité en plus, mais comment réaliser cet


avantage? Les Pi,ons passés centraux des Noirs, supportés par
le Fou, présentent un énorme danger et ne peuvent pas être
facilement stoppés. Pour trouver la continuation exacte, Alé-
khine a dû passer en revue une quantité de variantes courtes
mais précises.
I. 36. Rç4, é4 37. Rd4, Ff4 38. Tfa, é3 39. Txf3, é2, gain
des Noirs.
II. 36. Rç2, é4 37. Td4!, é3 38. Rd1, Fg3 39. Té4, é2+
40. Rd2, Fh4 41. Té5, Fg3, partie nulle.
III. 36. gs, é4 37. Td5 (ou 37. g6, Fé5 et la menace é4-é3
donne le gain aux Noirs}, fa 38. Tf5, é3 39. g6. é2 40. g1,
fI=D 41. g8=D+, Rb7 42. Dd5+, Ra7 et pas degain possible
à cause des menaces 43 ... e1=D ou 43 ... Dd1+.
IV. 36. Th2, é4 37. Th8+, Rd7 38. Tf8, Fg3 39. gs, Fd61
40. Tf6, Fé5! 41. Tf7+, Ré6. Les Noirs attaqueront sans cesse
la Tour, qui ne peut quitter la colonne f, d'où la nullité.
V. 36. Td5 ! !.
Voici la façon cachée de gagner découverte par Alékhine
durant la partie. Il suivit 36 ... é4 37. Tf5, Fg3 38. g5, Rd7
39. g6, Ré6 40. g7, Rxf5 41. gS=D et les Noirs abandon-
nèrent peu après.
Le lecteur peut, s'il le souhaite, tracer les cinq .naissances
d'arbuste qui représentent entièrement l'analyse faite à partir
de la position du diagramme 16.
-46-
Le second exemple - partie Alékhine-Sterk, Budapest
1921 - ne se préoccupe plus de finale mais de « mittelspiel ».

n° 17

abcdcfgh

Alékhine porta l'estocade au moyen de 23. Ff6 ! , Tfç8


24. Dé5 ! , ayant calculé avec précision les petites variantes
qui suivent :
I. 24 ... Dxç4 25. Dg5, Rf8 26. Dxg7+, Ré8 27. Dg8+,
Rd7 28. Cé5+, Rç7 29. Dxf7+ et 30. Cxç4.
Il. 24 ... Txç4 25. Dg5, Tg4 26. Dxg4, g6 27. Dx~ .
III. 24... gxf6 25. Tg4+ et mat en deux.
IV. 24 ... Tç5 (le coup joué dans la partie) 25. Dg3 !, g6
26. Txa4, et les Blancs réalisèrent facilement leur avantage
matériel.

Une forêt de variantes


L'analyse de variantes des exemples précédents ne présente
pas de réelle difficulté, et un joueur entraîné doit pouvoir
calculer aussi bien une variante longue mais «rectiligne l>,
linéaire, qu'un groupe de petites variantes. Bien entendu, l'affaire
se complique lorsque le joueur se trouve face à une position
enchevêtrée, comportant de nombreuses variantes qui à chaque
coup se subdivisent elles-mêmes en différentes lignes de jeu.
S'il fallait décrire l'arbre reflétant le mieux cette situation,
il s'agirait plutôt d'une véritable forêt de variantes, d'une
sorte de jungle. C'est particulièrement en ces occasions que se
-47-
fait sentir le besoin impérieux d'une réflexion juste, précise et
disciplinée, c'est ici qu'un joueur prouve vraiment sa maîtrise
de l'analyse.

n°18

abcdefgb

Cette position survint dans la partie Tal-Kérès, tournoi


des Candidats, Curaçao r962.
Le dernier coup blanc 19. Cd4-ç6 menace la Dame. Si les
Noirs répondent tranquillement rg ... Db6, alors les Blancs
s'assurent un sérieux avantage positionner après 20. Fxd3,
Dxç6 2r. Tç1. Au terme d'une longue réflexion Kérès joua
19 ... Cxfl ! . A l'exécution de ce coup a présidé le calcul d'un
tas de variantes.
A. 20. Rxfa, Db6+ avec un excellent jeu noir.
B. 20. Cxd8, Cxdr avec encore une position supérieure.
Jusque-là rien de bien difficile, mais les deux réponses
20. Dh5 et 20. Df3 demandèrent beaucoup de temps et exi-
gèrent une attention sans relâche.
C. 20. Dh5. Un coup très méchant qui menace fortement
21. éS, attaquant le Fou f6 et menaçant mat sur h7. Les Noirs
ont le choix entre plusieurs répliques et le grand-maître esto-
nien dut toutes les étudier afin de définir des variantes concrè-
tes.
Analysons à notre tour ces diverses possibilités.
1. 20... g6 2r. Df3, et les Noirs doivent abandonner soit le
Fou, soit le Cavalier.
-48-
II. 20 ... Db6. Contre ce coup naturel, Tal avait préparé
une jolie réplique : 2r. é5!, Cé4+ (mauvais 2i... Cd3+ à
cause ·de 22. Fé3, Dxç6 23. éxf6, Dxç2 24. Dg5 avec mat
imparable} 22. Rh2, g6 23. éxf6! (un beau sacrifice de Darne;
les Noirs seraient en bonne posture après 23. Dé2, Dxç6 24.
Fxé4, Fxé5+ 25. Rhr, d5}, gxh5 24. Fxé4 avec une très
forte attaque en échange du matériel sacrifié.
(Notons cependant que cet élégant stratagème de Tal se
trouve réfuté, par des moyens découverts apparemment après
la partie. Les Noirs ne sont nullement obligés d'accepter le
sacrifice de Darne et peuvent par 22 ... Fxes+ - au lieu de
22 ... g6- 23. Cxé5, Cf6! 24. Dh4, dxé5 se procurer un très bon
jeu, les Blancs n'ayant rien à espérer ni de 25. Fç3, Té8 ni de
25. Fg5, h6.}
III. 20 ... Cxh3+ !. Toutes les subtilités qui résultent de ce
coup eurent beau être découvertes au cours de l'analyse post-
rnortern, il n'empêche que Kérès dut prévoir ce coup. L'arbre
connaît dès lors de nouvelles ramifications :
a. 2I. gxh3, Db6+.
b. 2r. Dxh3, Db6+.
c. 21. Rh2. La meilleure réponse; plusieurs voies s'offrent
aux Noirs pour tenter de réfuter ce déplacement du Roi. Les
voici :
r. 21 ... Fé5+ 22. Dxé5!, dxé5 23. Cxd8, Txd8 24. Fa5,
avantage blanc.
2. 2r. .. g6!, lais.se aux Blancs un large choix de possibilités,
qui durent toutes être prises en considération par Kérès.
Les voici - nous ne les avons pas numérotées par souci de
simplification :
22. Dxh3, Fé5+ et puis 23 ... DÇJ ;
22. Dd5, Dd7! et puis 23 ... Fb7 ;
22. Cxd8, gxh5, et les Noirs sont mieux;
22. Df3, Fé5 + 23. Cxé5, dxé5 24. Fh6, Dh4!.
En conclusion, expédier la Darne en h5 donne lieu à une
série de variantes complexes, mais dont les Noirs sortent tou-
jours avec un excellent jeu. C'est pourquoi, après une étude
détaillée, Tal préféra jouer sa Darne en f3.
D. 20. Df3.
-49-
n°19

ab cdefgh

La partie peut maintenant prendre des tournures bien


différentes :
l. 20 ... Db6 21. é51, Cg4+ et :
a. 22. Rh1, Cxé5 23. Cxé5, Fxé5 24. Txé5, dxé5 25. Dxa8,
Fb7 26. Fxh7+, Rxh7 27. Dxf8, Dfa! 28. Tg1, Dg3, les
Blancs sont mal.
b. 22. Fé3!, Cxé3 23. éxf61, Cxç2+ 24. Rh2, Cxér 25. Txé1,
et bien que les Blancs aient une Tour de moins, ils disposent
d'une dangereuse attaque.
II. 20 ... Cxh3 + ! , le coup retenu et joué par Kérès. Nous
sommes à nouveau confrontés à une forêt de variantes :
a. 21. gxh3, Db6+.
b. 21. Dxh3, Db6+.
c. 21. Rhr, Db6 22. és, Fg4!, les Blancs sont mal en point.
d. 21. Rfr. Jouer ce coup était l'intention première de Tal,
mais une nouvelle analyse lui permit d'en découvrir les aspects
négatifs. A savoir :
2r... Db6 22. éS; Fg4! 23. Fé3, Fxf3 24. Fxb6, Fxç6 ou
23. Dé3, Dxç6 24. Taçr, Dç4+, et il n'y a pas de salut pour
les Blancs.
e. 21. Rh2. Ce que joua finalement Tal. Il suivit alors
21. •• Fé5+ ! 22. Cxé5 (les Noirs gardent l'avantage après
21. Rhr, Dç7), dxé5 23. Tédl, Cf4 !. Les Blancs sont à pré-
sent aussi mal après 24. Fxf4, Dh4+ qu'après 24. g3, Cé6.
- 50-
Cette dernière continuation fut celle de la partie, et les Noirs
ne tardèrent pas à gagner.
Le moment est venu de tracer l'arbre de cette analyse.
Quelle végétation luxuriante - pratiquement une jungle ! et
pourtant cet ensemble tient totalement dans un espace de
trois à quatre coups.

Les coups-candidats

Il existe au club central des Cheminots de Moscou une loge


confortable d'où l'on a une bonne vue sur la scène. Un jour,
durant une ronde du championnat d'URSS, se rassemblèrent
comme de coutume quelques grands-maîtres qui avaient déjà
terminé leur partie. Les parties qui continuaient de se dérouler
sur la scène étaient toutes peu excitantes, à l'exception de
l'une d'entre elles; comme par ailleurs nous n'avions rien à
faire quelqu'un suggéra :
«Créons une cagnotte; la gagnera celui qui devinera le prochain
coup de Kopylov. >>
Aussitôt dit, aussitôt fait. Chaque grand-maître présent
proposa un coup tout en apportant sa contribution au « pot ».
Celui qui prévoyait le coup réellement joué emportait donc le
pot, tandis que si personne ne trouvait, le jeu reprenait au
coup suivant. Eh bien, cela ne s'avéra pas un jeu d'enfant et,
pendant un certain temps, personne ne toucha à la cagnotte.
Finalement, l'un de nous vit la fortune lui sourire - Bronstein,
je crois.
Eh bien, voilà une chose fort inquiétante, pensera le lecteur,
si même dans un jeu aussi logique que les échecs les plus grands
experts sont dans l'incapacité de prévoir le coup que jouera un
participant du championnat national.
Et pourtant je vous promets qu'il ne s'agit pas là d'une
histoire imaginée. Il est vrai que de tels cas d'incompréhension
de masse arrivent rarement. La plupart du temps, nous parve-
nons à deviner les coups de nos collègues, même si les grands-
maîtres ne pensent pas tous de la même manière. C'est ce qui
nous fait aimer les échecs - leurs possibilités sans fin, lé fan-
tastique champ d'investigation qu'ils offrent à la recherche, à
l'invention, à la fantaisie - et affirmer qu'ils sont un art à
part entière.
-51-
Comment donc, à partir d'une position donnée, un joueur se
décide-t-il pour un coup? La réponse est délicate, chacun
choisissant selon ses propres critères et sa propre méthode.
Le défunt maître Vitaly Tchékover, de Léningrad, répondait le
plus sérieusement du monde que, lorsque c'était son tour de
jouer, il commençait par envisager quelle(s) pièce(s) il pourrait
mettre en prise l S'il ne voyait pas une façon rentable de don-
ner du matériel- la Dame, une Tour ou autre chose ... - ,
alors seulement il se mettait à examiner des coups« normaux».
Nous nous sommes attardés à des considérations d'exception,
qui se situent même probablement dans le cadre des curiosités
et excentricités échiquéennes; malgré tout, chacun reconnaîtra
que la pensée de Pétrossian diffère de celle de Tal lorsqu'il
s'agit de déterminer le meilleur coup. Pétrossian se soucie
d'abord de la mutuelle protection entre ses pièces, avant de
voir s'il peut faire un quelconque sacrifice. Tal, lui, considère
toujours en premier lieu les sacrifices éventuels, sans s'obnubi-
ler sur les risques encourus. Je répète que c'est pour tout ce
qu'ils permettent de création spirituelle et d'expression indi-
viduelle que les échecs s'imposent comme un art.
La quête du meilleur coup est un processus créatif et réclame
plus que des connaissances statégiques et tactiques, plus que
l'expérience et plus que le savoir technique de méthodes stan-
dardisées. C'est dans cette activité que le joueur montre ses
qualités principales : richesse de l'esprit, hardiesse et courage,
génie inventif.
Emmanuel Lasker dit un jour d'un joueur qu'on disait pro-
mis à un brillant avenir : cc Malgré son indiscutable bagage
stratégique et tactique, il lui manque cette imagination bien parti-
culière qui fait appréhender les devenirs cachés d'une position. »
Ce qui revient à dire qu'un fort joueur doit posséder une sorte
de sixième sens grâce auquel il repère les tendances d'une posi-
tion.
Je crois volontiers que Lasker n'entendait pas par là unique-
ment talent inné, dons naturels - lui qui se faisait fort d'ame-
ner quiconque au niveau de la première catégorie par le seul
moyen d'un enseignement systématique. Ce à quoi il fait allu-
sion tient à la fois de l'aptitude innée et d'un entraînement
adapté.
Lasker se souciait de calculer avec exactitude les variantes
et de rechercher constamment les coups nécessaires, les coups
«intéressants». En d'autres termes, le joueur doit pouvoir
- 52 -
repérer tous les coups-candicats relatifs à une position donnée
- je l'ai déjà mentionné dans le paragraphe «Digression histo-
rique », où je disais qu'un entraînement systématique est
indispensable au développement de cette faculté.
Une précision, en passant : cela ne signifie pas découvrir
les coups-candidats seulement à partir de la position initiale
(statique), mais à chaque coup de chaque variante - et aussi
bien pour votre adversaire que pour vous-même. La tâche se
complique évidemment plus nous approfondissons une variante.
Examinons quelques éléments intervenant dans cette recher-
che des meilleurs coups. Pour cela, mettons-nous encore une
fois dans la peau du grand-maître en train de sélectionner
et d'étudier les coups-candidats.
Dur travail! qui est accompli avec plus ou moins d'exacti-
tude selon les capacités et l'état d'entraînement du grand-
maître, selon sa forme physique. Nous avons déjà établi qu'une
réflexion disciplinée et ordonnée constitue la qualité première
d'un fort joueur; la seconde, et non moins importante, consiste
à définir le nombre juste de coups-candidats.
Combien de coups-candidats doivent être examinés? La
réponse n'est pas simple. On a récemment mis au point des
programmes destinés à passer sur ordinateur et dont le principe
est de considérer tous les coups possibles. Cependant, cette
sollicitation se situe au-delà de la capacité des machines les plus
puissantes et c'est la raison pour laquelle les résultats ne sont
de ce côté guère brillants (*). Ce serait encore plus illusoire
pour un être humain de prétendre vouloir tout examiner. Dans
la machine qu'il est en train de mettre au point, Botvinnik
compte créer un« horizon.», sorte de périmètre limitant le choix
des coups - rejoignant ainsi le processus de pensée de l'être
humain.
Combien de coups-candidats un grand-maître examine-t-il ?
A dire vrai, il n'existe pas de réponse universelle à cette ques-
tion : à chaque fois il examine autant de coups-candidats que
l'exigent les circonstances. Nous avons déjà vu sur des exemples
que le nombre et le type des variantes sont très ... variables.
On enregistre des cas exceptionnels, où existent jusqu'à
cinq ou six candidats; dans l'exemple suivant ils sont même
au nombre de sept.

(•) Kotov a rédigé cet ouvrage en 1970. Depuis, les choses ont
pas mal évolué en matière d'ordinateurs (ndt) !

- 53 -
n°20

abcdefgh

Cette position se produisit clans la partie Tartakover-Alé-


khine, Baden-Baden 1925. Dans ses commentaires sur la
partie, Tartakover indique les possibilités qu'il a dû examiner
avant d'effectuer son prochain coup.
I. 17. Dg4, Cxé5 18. Fxé5, f6, ou 18... f5, avec jeu égal.
II. 17. Cg4 (menace 18. Cf6+, Rh8 19. Dh4), h5 18. Cé5,
Cxé5 19. Fxé5 et les Blancs n'ont à nouveau rien obtenu.
III. 17. Cd3, Fd6 18. Dg4, f5 19. Df3, Cas 20. Dx67,
Cxb7 - jeu égal.
IV. 17. Tad1 (ou 17. Tfd1), Cxé5 18. Fxé5, Tad8 suivi
d'échanges simplificateurs.
V. 17. Dd5, Cas (et non 17... Taç8 18. Cd7, Tçd8 19. Dg5)
18. Dxb7, Cxb7 19. Tfd1, Tfd8 - jeu égal.
VI. 17. Dé4, Cd8 18. Dg4, Cé6 19. Tad1, Tad8 et les Noirs
se défendent avec succès.
VII. 17. Cxç6 (la suite finalement retenue par Tartakover),
Dxç6 18. Dg4, Dg6 ! et la partie s'acheva par la nullité.
Un grand-maître se doit d'étudier tous les coups-candidats
que propose une position donnée. En oublie-t-il un seul, c'est
peut-être précisément celui qui lui permet de forcer le gain ou
d'arracher la nullité.
La position du Diagr. 21 provient d'une partie Ragozine-
Boleslavsky, disputée au cours d'un tournoi d'entraînement
en 1953· Les Noirs n'ont qu'un Pion pour la pièce sacrifiée,
mais disposent de terribles menaces. Le sacrifice était basé sur
certaines particularités de la position. La Dame blanche est
- 54-
n°21

abcdef gh

hors jeu, et semble-t-il pour un bon moment; elle ne peut


donc prêter main-forte à son Roi, lequel a été sorti de son
repaire et risque de se trouver directement confronté avec les
figures adverses.
Il est clair que Ragozine a passé beaucoup de temps à cher-
cher un coup sauveur dans cette position critique. Les essais
sont nombreux mais l'analyse montre qu'aucun d'eux n'est
satisfaisant.
A. 24. Fd2, Cd3+ 25. Rfr, Fxd4 26. çxd4, Df6+ 27. Rgr,
sur quoi les Noirs gagnent soit par 27 ... Dfa+ 28. Rhr, Cér!,
soit à l'aide du classique «mat à !'étouffé 1> 27 ... Dxd4+.
B. 24. Db4, Dxg5 25. Dxb6, Dé3+ 26. Rfr, Cd3, et les
Blancs sont impuissants contre les menaces de mat en ér ou fa.
C. 24. Cf3, Cé4+ + 25. Rér! (25. Rfr?, Dxg3!! et gain),
Dé6 26. Cxé4, h6!!.
Apparaît une position intéressante où les Blancs manquent
de défense. Sur 27. Fxh6 suit 27 ... Dxh6 28. Txd5, Dçr+
29. Ré2, Txé4+ 30. Rd3, Dbr+ 3r. Rd2, Fé3+ 32. Ré2,
Fç5+. 27. D~ n'est pas meilleur : 27 ... Dxé4+ 28. Dxé4,
dxé4 29. Cd4, hxg5 avec un gain facile en finale.
D. 24. h4, h6 25. Fçr, Df6+ 26. Rgr, Dxh4+.
Les Noirs ont récupéré un second Pion pour la pièce, et les
problèmes blancs demeurent. Par exemple:
1. 27. Cgf5, Tér+ 28. Txér, Dxér+ 29. Rh2, Dxçr - fin
du coup.
- 55-
II. 27. Cdf5, Cd3+ 28. RfI, Dh2 29. Fé3, Fxé3 30. Cxé3,
Txé3.
III. 27. Cgé2, Txé2 28. Cxé2, Cd3+ 29. Cd4, Dfa+
30. Rh1, Cér 3r. Td2 (31. Txé1, Dxé1+ 32. Rh2, Fç7+ ),
DfI+ 32. Rh2, Fç7+ 33. g3 (ou 33. Rh3, Dh1+ 34. Rg4, g6
avec mat imparable sur h5), Fé5 34. Té2, Fxd4 35. TxéI,
Fgr+ 36. Rh1. Dxér.
IV. 27. CfI, Dg4 28. Td2 (28. b4, Dxd1 29. bxç5, Tér),
Té1 29. b4, Cé4 30. Td3, Dé2 3r. Tf3, Cg3, et les Noirs l'empor-
tent.
De quoi se décourager! Ragozine a certainement étudié ces
cinq coups-candidats (le cinquième étant 27. Fçl, joué durant
la partie) puis en a conclu que sa position était sans espoir.
Cela admis, il s'est mis en quête d'offrir la résistance la plus
opiniâtre possible en mettant des bâtons dans les roues de son
adversaire. Dans cette optique, il estima que 27 .Fçl était le
coup le plus retors.
Cependant le jeu inventif de Boleslavsky vint à bout de cette
défense, comme pourra bientôt le constater le lecteur. C'est
en fait à ce niveau de la partie que les Blancs commirent l'erreur
décisive : dans son analyse, Ragozine ne tint compte que de
cinq coups-candicats, oubliant - malheureusement - qu'il y
en avait un sixième, qui sauvait justement la partie ! En pro-
longeant sa recherche de cinq à dix minutes supplémentaires,
il l'aurait probablement trouvé (c'était lui-même un joueur
très ingénieux!), d'autant plus que la logique de la position
commandait que ce coup fût joué.
D'où vient le malheur des Blancs? Tout d'abord de la situa-
tion esseulée et excentrique de leur Dame, éloignée du véritable
champ de bataille qu'est l'aile-Roi, ensuite de l'énorme potentiel
emmagasiné dans la batterie Fou b6-Cavalier ç5. Aussi, plutôt
que d'attendre passivement, était-il avisé de tester sans tarder
les possibilités de cette batterie - comme l'on dit, de« poser la
question».
Le sixième coup-candidat, peu évident mais salvateur, et que
Ragozine a ignoré, est 24. b4!.
Après 24. b41 les Noirs n'ont rien de mieux que la nullité.
Si 24 ... Cé6 24. Fé3, f5 25. Cdxf5, Df4+ 26. Ré2, ou 24 ...
Cé4+ 25. Cxé4, Dxé4 26. Dç1 ! et la Dame réintègre à temps
la scène du combat. Boleslavsky aurait vraisemblablement
contemplé assez longtemps la position puis accepté la nullité
- 56 -
par échec perpétuel après 24 ... Dxg5 25. bxç5, Dé3+ 26. Rfr,
Df4+ 27. Rgr, Dé3+.
Dans la partie il en alla tout autrement.
24. Fçl?, Df6 + 25. Rgl.
Les Blancs ratent à nouveau le coche en retenant le mauvais
candidat! Après 25. Cf3! le gain ne peut être obtenu que par
une succession de coups très précis, mais pouvait-on affirmer
avec certitude que Boleslavsky trouverait sur l'échiquier la
séquence gagnant(>?

n° 22

abcdefgh

Gagne 25 ... Dg6!, qui menace à la fois 26 ... Dç2+ et 26 ...


Cé4+ 27. Rfr, Dxg3!. Comment réagissent les Blancs? Ils
ont deux possibilités, toutes deux insuffisantes - nous recom-
mandons au lecteur d'étudier lui-même ces suites avant de
découvrir ce qu'a calculé Boleslavsky durant la partie.
Voici les variantes qu'il fallait envisager :
A. 26. Rgr, Dç2 27. Tfr, Cd3+ 28. Rhr (28. Cd4, Cér),
Cfa+ 29. Rgr, Cdr+ 30. Rhr (30. Cd4 perd encore à cause
de 30 ... Tér 3r. h3, Txfr+ 32. Cxfr, Dfa+ 33. Rh2, Fç7+ ),
Dxçr 3r. Cd4, Tér! 32. Dd6, h5 33. Dxb6, Cé3, les Noirs
gagnent.
B. 26. Cd4, Dg4, laissant à nouveau les Blancs sans défense.
Par exemple :
I. 27. Td2, Df4+ .
II. 27. Cgé2, Cd3+ 28. Rfr, Fxd4.
- 57-
+
III. 27. Cdé2, Cé4+ 28. Ré1, Cxg3.
IV. 27. Th, Cd3+ 28. RgI, Fxd4+ 29. çxd4, Dxd4+
30. Rh1, Cfa+.
V. 27. b4. Cé4+ 28. Cxé4, Txé4 29. Td2, Df4.
Le gain existe donc dans toutes les variantes, mais exige que
soient trouvés les coups cachés 25 ... Dg6! et 26... Dg4. En choi-
sissant le mauvais candidat, Ragozine canalise par trop le cours
de la partie. Cet exemple nous conduit à établir une nouvelle
règle : s'il est contre-indiqué d'examiner un trop grand nombre
de variantes, il est encore pire de ne pas considérer tous les
coups nécessaires.
Il reste seulement à ajouter que Boleslavsky réfuta de façon
convaincante le coup de Roi erroné 25. R~l ; la partie continua
par 25 ... Cd3 ! 26. h3 (26. Chr, Té2l 27. D~. Dé5 28. Cg3,
Tér+ 29. Cfr, Dé2 30. Txér, Dfa+ 31. Rhr, Dxér et gain
noir), Tél+ 27. Rh2, Txdl 28. Da4, Tél 29 . Fd2, Cç5
30. Db4, Té8, et les Blancs abandonnèrent peu après.
Ainsi un joueur de la classe de Ragozine, capable d'échafau-
der les combinaisons les plus surprenantes et les plus ingé-
nieuses, ne parvint pas cette fois à inclure dans son analyse tous
les coups-candidats. En conséquence, il perdit une partie nulle.
Il est donc aussi néfaste d'analyser un petit nombre de coups
que de prétendre en passer en revue une grande quantité
- dans ce cas vous vous épuiseriez et ne retiendriez pas les
· meilleures suites. Vous pouvez bien sûr à certains moments de
la partie vous offrir le luxe de quelque « réflexion superflue »,
mais prenez garde de ne pas vous y accoutumer, sous peine de
voir chuter sensiblement votre coefficient de travail utile.
Un élément simplifie heureusement le travail. Une fois les
coups-candidats définis et étudiés par le grand-maître à partir
d'une certaine position, il n'a plus besoin, au prochain coup,
de tout reprendre à zéro car il peut réutiliser les résultats de son
précédent calcul.
Ici se manifeste un autre travers fréquent de la pensée du
joueur d'échecs: ayant terminé son analyse, il l'estime parfaite-
ment juste et n'hésite donc pas à jouer jusqu'au dernier coup
prévu une variante, sans juger utile de la revérifier entre-temps.
Il analyse par blocs, ne se lançant dans des calculs approfondis
que tous les cinq ou six coups. L'expérience ainsi que les recher-
ches d'experts ont démontré le caractère erroné d'une telle
méthode.
- 58-
Essayons d'illustrer ce propos par un exemple concret.
Malheureusement, nos meilleurs joueurs ne font que rarement
part de leur expérience en ce domaine et écrivent peu sur leur
façon de réfléchir. Il nous faudra donc utiliser le moindre
fragment d'information pouvant être glané de-ci, de-là.
Imaginons donc qu'à un moment de la partie, un grand-
maître consacre une demi-heure à analyser «jusqu'au bout»
toutes les continuations possibles. Il joue un coup et l'adver-
saire réplique de la manière prévue et considérée par lui comme
la meilleure. Et maintenant ? Le grand-maître doit-il, confiant
en son analyse précédente, effectuer rapidement le coup prévu
ou bien passer quelques minutes à répéter le calcul fait un coup
plus tôt ? Consultons les spécialistes.

n°23

abcdefgh

Cette position se présenta après le 17e coup noir de la partie


Botvinnik-Smyslov, Groningue 1946. Commentant cette phase
cruciale de la partie, Botvinnik écrit ;
«]'aboutis ici à la conclusion que la variante suivante que
j'avais calculée gagnait un Pion et conduisait à une finale
gagnante, et, sans plus me soucier d'aucune vérification
(après chaque réplique des Noirs) - une impardonna-
ble preuve de négligence - , j'exécutai rapidement les
coups prévus.»
Voici comment évolua la partie :
18. Dxg4, Cxg4 19. Fxb6, axb6 20. dxç6.
- 59-
«Comme le verra le lecteur dans la prochaine note - écrit
Botvinnik -, ce coup laisse s'envoler une bonne part de l' avan-
tage. Correct était de suite 20. és, et si 20 ... ç5 alors 21. a4 suivi
~e 22. b3 et 23. Cb5, avec en effet un Pion de plus et le meilleur
JeU. »

20 ... bxç6 21. é5.


« Avant de jouer mon 18e coup, j'avais· soigneusement analysé
cette position, qui me semblait alors très avantageuse aux Blancs
car 1) le Fou g1 manque d'activité (21 ... Fh6 22. h31), 2) les
Noirs doivent perdre deux temps pour ramener en jeu leur Cavalier
(Cg4-h6-f5), et 3) le Pion ç6 est condamné, 21 ... TaçB étant
contré par 22. Fh3 (22 ...·h5 23. f3) · Les Noirs perdent donc le
Pion ç sans pour autant améliorer la disposition de leurs pièces.
Toutefois à cet instant, en attendant que mon adversaire réponde,
je remarquai à mon grand désespoir qii'après 21 ... Taç8 22. Fh3,
hs 23. f3, les Noirs peuvent par 23... Cé3!! maintenir l'éqit.ilibre
matériel. Si les Blancs décident de capturer le Pion ç6, ils doivent
donc procéder à un échange de Tours, mais après 2I ... Taç8 22.
TxdB+, Txd8 23. Fxç6, la domination de la colonne "d ,, assure
aux Noirs un bon contre-jeu. Il semble qu'après 2r ... Taç8, les
Blancs doivent se contenter d'une finale légèrement supérieure
- 22. Fh3, hs 23. f 3, Cé3 24. FxçB, Cxd1 25. T xd1 . TxçB
26. Td7.
Smyslov était cependant si démoralisé par la vitesse avec laquelle
j'avais joué mes quatre derniers coups qu'il ne prit pas la peine de
vérifier les variantes et se fit à l'idée de perdre un Pion. »
Il suivit dans la partie 21 ••• Ch6 22. Fxç6, Txdl +
23. Txdl, Tç8 24. Cd5 ! et les Blancs gagnèrent rapidement.
Que nous apprend ce curieux épisode? Tout d'abord Bot-
vinnik révèle dans ses notes qu'il s'est fait une règle de vérifier
après clrn.ciue coup les variantes qu'il a déjà calculées (en y
apportanf bien sûr moins de concentration puisque la plupart
des suites lui sont déjà familières) . Il apparaît ensuite que
Smyslov a eu le tort de trop faire confiance à l'adversaire,
comme s'il s'était dit:« Si Botvinnik joue aussi vite. cela signifie
qu'il a tout vu et que ma position est mauvaise 1 »
Doit-on ou non faire confiance à l'adversaire, nous en débat-
trons ultérieurement. A présent écoutons l'avis de B. Blumen-
feld, qui écrivit dans un de ses articles:« Au cours d'une longue
-60-
variante, chaque coup que vous imaginez crée en votre esprit une
position différente, et donc plus vous progressez dans votre investi-
gation, plus la position nouvelle s'éloigne de la position réelle.
Ainsi, chaque nouvelle position prend dans l'esprit des contours
de plus en plus flous. Même si certains joueurs jouissent d'une
imagination très fertile et affirment avoir ime vision claire de la
position finale atteinte au bout d'une longue variante, il ne fait
néanmoins aucun doute que l'affaiblissement de la perception
cité plus haut peut influencer notablement l'appréciation de la
position finale. Tout joueur a déjà vécu la situation où, venant de
calculer correctement une longue variante, il lui a été impossible de
décider si la position résultante lui était favorable ou non - cela
autant que je puisse en juger est dû au manque de clarté avec
lequel son esprit a vu la position finale . La pensée du joueur
d'échecs s'alimente de représentations visuelles. C'est pourquoi
mieux l'image se dessine dans l'esprit, plus grandes sont l'aisance
et la justesse avec lesquelles travaille cet esprit et plus riche s'avère
le contenu de la réflexion. »
Et Blumenfeld poursuit en donnant un précieux conseil
pratique:
«Après qu'a joué votre adversaire, vous devez démarrer votre
réflexion non en fonction de vos précédentes conclusions, mais
comme si vous partiez de zéro. En guise de première approche,
captez visuellement la nouvelle position - si étendues que soient
vos facultés imaginatives, il est clair que l'image gravée dans votre
esprit doit être moins nette que celle fournie par le simple constat
de l'échiquier. Aussi, lorsque votre adversaire joue un coup, même
s'il s'agit de celui que vous attendiez, ne répliquez jamais (sauf
bien sûr en cas d'extrême zeitnot) sans prendre le temps d'une
nouvelle réflexion ; car le coup que vous aviez préparé se fondait
sur une position vue dans votre imagination, et il est tout à fait pos-
sible que, lorsque vous regardez à présent la position directement à
partir de l'échiquier, avec toutes ses caractéristiques - c'est-à-dire
en tenant compte du dernier coup adverse - de nouvelles idées
viennent vous solliciter, à cause de la plus grande clarté avec
laquelle la position vous apparaît. »
Les pensées d'un très grand joueur de compétition concor-
dant avec les conclusions d'un éminent chercheur dans le
domaine de la psychologie échiquéenne, reconnaissons donc
qu'après chaque coup joué par l'adversaire, nous devons
juger la position et calculer les variantes comme si nous
- 61-
nous trouvions confrontés à une position non familière.
Le fait que cette position ait déjà été inscrite dans votre esprit
vous aidera à analyser, mais ne laissez pas votre analyse anté-
rieure prendre le pas sur vos nouveaux calculs.
L'observance de cette règle vous permettra de réduire
considérablement le risque d'oublier des possibilités et d'appren-
dre à déterminer avec précision les coups-candidats que requiert
une position donnée. Pour développer plus avant cette aptitude,
étudiez fréquemment des parties de grands-maîtres accompa-
gnées de leurs notes, et exercez-vous à découvrir, à partir des
coups joués et des commentaires, quelles sont les possibilités
qu'ils envisagèrent. Outre cela, essayez de mieux connaître
vos propres caractéristiques : êtes-vous capable de soutenir
une forte tension, la fatigue vous gagne-t-elle rapidement?
Dans ces conditions, sachez chaque fois décider de façon
concrète si vous avez intérêt à réfléchir longtemps sur la position,
à la recherche de possibilités cachées, ou si vous devez pour
économiser votre énergie vous limiter au calcul d'un minimum
de variantes.
Nous venons d'employer le terme «recherche », et ce choix
était intentionnel. La pensée du joueur d'échecs est perpétuelle-
ment mobilisée par une telle quête. Ne commettez pas l'erreur
de croire que chaque position dissimule des coups tactiques
inattendus et des combinaisons subtiles. Non, la recherche
aux échecs de l'astuce, et en même temps de la beauté, consti-
tue un travail harassant - un travail assimilable aux efforts de
l'artiste dans d'autres disciplines telles que la musique, la
sculpture, la peinture et la littérature. Vos capacités se déve-
lopperont seulement grâce à un travail intensif. Nous avons
déjà évoqué certaines formes d'entraînement; à présent, je ne
saurais trop recommander au lecteur de résoudre des études, de
préférence à l'aveugle sans le support de l'échiquier ni des
figurines. Efforcez-vous également de trouver les combinaisons
proposées régulièrement dans les revues, sous des intitulés du
genre « Trait aux Blancs » ou « Que joueriez-vous avec les
Noirs ? ». Pas un grand-maître ne néglige les études ou les
«colles», s'acharnant toujours au contraire à en trouver la
solution. Cette attitude procède d'une préoccupation bien
ancrée, celle de fourbir ses armes sans relâche.
Je ne sais si un jury littéraire m'accorderait l'expression mais
je suis persuadé que le lecteur me comprendra pleinement si
je lui dis: exercez votre fantaisie - c'est le conseil qu'il convient
-62-
de donner aux étudiants. Le sens de l'invention peut être
stimulé aussi bien par l'expérience que par l'entraînement.
Ainsi au début de sa carrière, alors qu'il avait déjà remporté
de beaux succès, Botvinnik manquait manifestement de fan-
taisie dans son jeu, mais plus tard, pour le plus grand bien du
monde des échecs, il parvint au terme d'un travail énorme à
corriger ce défaut. J'espère que l'on ne me fera pas grief d'immo-
destie si je signale que, jusqu'en 1939, je fus critiqué pour la
sécheresse de mon jeu, tandis qu'après 1939 les critiques allèrent
plutôt dans le sens contraire 1
Soyez à l'affût de l'exceptionnel, recherchez les coups les plus
invraisemblables dans les positions les plus variées. Entendons-
nous bien : il existe évidemment des situations où, quel que
puisse être votre acharnement, vous ne trouverez aucun coup
fantastique - car la position sera simple et trop «sèche i>.
Mais dès que vous entrevoyez la moindre éventualité d'une
combinaison, alors envisagez des coups inattendus. Votre jeu
gagnera en intérêt et en originalité, et vous obtiendrez sur le
plan sportif de meilleurs résultats.
Considérons maintenant des exemples concrets. Les coups
extraordinaires, qui causent généralement une grande surprise
et font même parfois sursauter l'adversaire, peuvent se présen-
ter aussi bien en situation d'attaque qu'en situation de défense.
Dans un cas ils aident à renverser les derniers remparts, dans
l'autre ils permettent de sauver une position compromise.
Pour illustrer ce propos voici quelques exemples tirés de ma
propre pratique.
Dans cette position (Averbakh-Kotov, Zurich 1953), les

n° 24

abcdcfgh

- 63-
Noirs ont l'attaque. Cette attaque aurait cependant piétiné
sans l'impulsion nouvelle que lui communique le coup étour-
dissant 30 ... Dxh3 + !! . Le Roi blanc fut contraint de s'aven-
turer au cœur des lignes ennc>mies, où il finit par périr.

n° 25

abcdefgh

Non moins énergique fut le nouvel élan donné à l'attaque


des Blancs dans cette position extraite de la partie Kotov-
Kérès, tournoi des Candidats 1950.
Les Blancs attaquent, mais cette attaque n'aurait probable-
ment pas percé sans le coup explosif 16. Cf4 ! ! après lequel
la forteresse noire s'écroule comme un château de cartes.
Tout aussi effectifs s'avèrent les coups fantasques effectués à
partir d'une position de défense. Dans la partie Ravinsky-
Kotov, championnat des syndicats soviétiques 1949, fut atteinte
la position suivante :

n° 26

abcdefgh

-64-
Les Blancs disposent de menaces désagréables. Leur Dame
peut venir en h7 quand elle le veut, forçant le Roi adverse à
se diriger vers le centre. Il est bien connu depuis l'époque
d'Anderssen et de Morphy qu'un Roi ainsi exposé au centre
est promis à une existence pleine de vicissitudes !
Il suivit pourtant 23 ... Rf7 ! ! • Le monarque noir gagne de
lui-même le centre, car il a repéré que la place pour lui la plus
sûre est, dans cette position particulière, la case é7. Aussi le
Roi avisé se met en route sans tarder. Ce coup paradoxal fut
une heureuse trouvaille et permit aux Noirs de l'emporter
rapidement. Sur 24. Cg3, Ré7 25. Dé2 (mieux 25. Ch5),
h5 ! les Noirs prirent l'initiative et gagnèrent après 26.
Cxh5., Th8 27. Dxg4, Txh5 28. Dxh5, Th8 29. Fh7,
Fé4 30. f4, Db2 31. Dxg5 +, Ff6 32 . Dxf6 +, Rxf6 33.
Fxé4, Dxa2, etc.
En conclusion, recherchez toujours des coups inattendus,
indépendamment du fait que vous soyez en attaque ou en
défense.

Les cc petits coups » ••• décisifs

Les nombreuses années de ma carrière échiquéenne m'ont


donné l'occasion de voir- et de jouer moi-même - les coups
décisifs les plus divers, tous cependant axés sur l'efficacité.
C'est tantôt un sacrifice spectaculaire qui tout à coup pulvérise
une défense patiemment mise sur pied et apparemment sûre,
tantôt un petit coup de Pion anodin qui réfute une conception
profonde de l'adversaire.
Je peux dire sans crainte avoir vu au cours de mes pérégri-
nations dans les salles de tournoi toutes les sortes de coups
dont puisse accoucher le cerveau humain.
Il existe tout de même un type de coups qui a toujours
forcé mon admiration et mon respect. Il arrive qu'une position
paraisse totalement équilibrée, où l'on ne peut indiquer pour
aucun des deux camps un moyen de prendre l'avantage, quand
soudain se produit un coup très simple, pratiquement insigni-
fiant, et aussitôt les estimations se trouvent bouleversées,
l'adversaire n'ayant plus qu'à constater que sa position est
devenue indéfendable. Pourtant ce coup n'attaque aucun
bastion ennemi, ne mène pas à une quelconque combinaison
forcée; il modifie tout bonnement la disposition des pièces...
- 65-
Un tel coup «patelin» contraint parfois l'adversaire à aban-
donner sur-le-champ.
Prenons pour commencer un exemple récent. Le match final
du tournoi des Candidats 1968 opposa Spassky à Korchnoi
et eut lieu à Kiev. Nous étions alors à Moscou un groupe de
joueurs qui recevions par téléphone des séquences de coups.
A l'occasion de la septième partie, notre correspondant nous
communiqua d'un bloc les 25 premiers coups, sur quoi nous
nous mîmes à examiner la position suivante :

0° 27

abcdefgh

L'avantage blanc est indéniable : les Pions noirs sont faibles,


notamment le Pion ç5, qui est pratiquement indéfendable.
La case dS, tout offerte à la venue du Cavalier blanc, pourra
servir plus tard de tête de pont aux autres figures blanches.
Malgré cela, nous ne pûmes trouver un moyen concret de forcer
le gain. Comment gagner ? Si 26. Cd5, alors 26 ... Dé61 et les
faiblesses noires sont couvertes. D'autres lignes de jeu ne sont
pas plus convaincantes.
Finalement, la sonnerie du téléphone retentit et nous prîmes
connaissance de ce qu'avait joué Spassky. C'était un coup
étonnant, élégant, peu visible, modeste - en un mot un « petit
coup ». Les Blancs venaient de déplacer leur Dame d'une case
sur le côté, 26. Db6 ! , mais comme soudain la position se trouve
métamorphosée en leur faveur ! Les Noirs tombent en zugzwang
car la réplique qui les sauvait dans la plupart des variantes,
26... Dé6, ne marche plus maintenant que la Dame blanche a
déserté ç6 : 26... Dé6 27. Fxç5. Korchnoi se décida pour
-66-
26 .•• Rg7 et après 27. Cd5, Dé6 28. Fxç5, Fxç5 29. DxçS,
Cb5 30. Dé3, Dç6+ 31. Rbl, Cd4 32. Tçl, DbS 33. Cç7,
Dé2 34. Cé6 + , Rh7; un brillant échec exécutoire mit fin
aux débats : 35. Dh6 + !. Mais encore aujourd'hui je ne puis
dire lequel des coups de Dame de Spassky fut le plus beau - le
sacrifice sur h6 pour mater ou l'insignifiant 26e coup. L'un est
spectaculaire, mais relativement facile à trouver, l'autre par
contre ne viendrait pas à l'esprit d'une quantité de joueurs.
Les deux prochains exemples présentent des motifs similaires.
Le lecteur y verra des coups de Dame, aussi peu évidents que
celui de Spassky, décider de parties qui paraissaient jusque-là
totalement égales.
Voici le moment critique de la partie Smyslov-Reshevsky,
championnat du monde 1948.

n° 28

abcdefgh

La position blanche est incontestablement supérieure, mais


comment réaliser cet avantage? Il est difficile de s'en prendre
au Pion arriéré d6 car si 25. Td2, menaçant 26. Ddr, alors
25 ... Cd7 chasse le Fou b6 de son poste actif. Néanmoins, après
25. Fxé6, fxé6, les Blancs effectuèrent un petit coup éton-
namment sournois : 26. Dh4 !. Une fois de plus, une Dame
se trouve déplacée latéralement d'une simple case et, une fois de
plus, la position noire devient soudain intenable. Un échange
des Dames sur h4 entraînerait la chute du Pion d6 et, qui pis est,
le verrouillage de l'aile-Dame noire sans la moindre perspec-
tive de contre-jeu.
Reshevsky préféra garder les Dames par 26 ••• Dd7, mais
-67-
après 27. Dd8 + , Dxd8 28. Fxd8, Cd7 29. Fç7, Cç5
30. Txd6, Tç8 31. Fb6, grâce au Pion de plus et à leur avan-
tage positionne!, les Blancs ne tardèrent pas à marquer un
point.
La partie Kotov-Levenfish, championnat d'URSS 1949,
donna lieu à une lutte tendue. Les Blancs s'étaient assuré un
léger avantage mais ne parvenaient pas à le concrétiser, jus-
qu'au moment où la situation évolua brutalement.

n° 29

a b c d e

La Dame sur éS occupe une place de choix au centre de


l'échiquier, d'où elle soutient efficacement tout l'édifice noir.
Ainsi l'idée de procéder à l'échange des Dames ne résulta pas
seulement du désir d'expérimenter, d'un caprice, mais surtout
d'une estimation objective de la position. 28. Dd4 ! décide en
effet de la partie. Le retrait de la Dame est mauvais, mais
l'échange n'autorise également aucun salut. Après 28 ••• Dxd4
29. éxd4, gs 30. Tç7, Fb5 31. Txb7, gxf4 32. Txé7,
Tç8 33. Fxb5, axb5 34. h4 ! les Blancs réalisèrent sans peine
leur avantage.
Même des joueurs aussi renommés que Smyslov et Pétrossian
passèrent tous deux à côté d'un« petit coup» gagnant. Cela se
passa dans la partie qui les opposait au tournoi des Candidats
de Zurich (1953) : Diagr. 30.
Pétrossian vient de jouer 46 ••• Dé1-é5 ! , pensant forcer le
match nul. Il menace en effet mat en deux coups : 47 ... Cfa+
48. Rh4, Dxh2. Smyslov fait confiance et accepte la nullité
après 47. Dxd3 +, çxd3 48. d8=D. Pourtant le« tranquille»
-68-
n°30

abcdefgh

47. Dd6!1 aurait contraint les Noirs à l'abandon. Cette finesse


fut découverte plusieurs mois après la partie par un amateur
suédois.
Aussi, lecteur, ne négligez pas les petits coups anodins 1

Les fautes grossières

Un tournoi de grands-maîtres provoque l'affrontement de


cerveaux parfaitement entraînés, aptes à fournir un intense
travail mental durant plusieurs heures. A force de pratique
(parties de tournoi) et d'entraînement (exercices solitaires), le
grand-maître s'habitue peu à peu à effectuer les calculs très
approfondis qui lui permettent de prévoir bien à l'avance
le déroulement d'une partie.
Et malgré cela, il n'existe pas un seul grand-maître- a
fortiori ne parlons pas des maîtres et encore moins des amateurs
- qui n'ait au cours de sa carrière commis une énorme faute
élémentaire, une «gaffe» comme l'on dit dans notre milieu.
Par exemple il oubliera un mat en un ou deux coups ou laissera
involontairement en prise sa Dame ou une Tour.
Comment expliquer de pareilles bévues ? Comment se peut-il
qu'un esprit aussi entraîné souffre soudain d'aveuglement,
comment l'analyse systématique se laisse-t-elle d'un coup
envahir par le chaos et la confusion? En fait, à l'instar de la vie
elle-même, tout ce qui arrive par hasard peut être expliqué,
et une curieuse logique régit l'apparition des bourdes. Ces
gaffes qui surviennent à l'improviste ne sont pas uniquement le
- 69-
fait du hasard. Le pourquoi de ces gaffes, nous devons le décou-
vrir à partir de la psychologie du grand-maître. Une fois trou-
vée(s) la (les) cause(s) réelle(s), nous pourrons alors mieux
nous prémunir contre l'occurrence d'erreurs grossières dans
notre propre jeu. Quelle espèce de court-circuit ou de surtension
au niveau de sa mémoire peut conduire un joueur à mettre sa
Dame en prise ou à ne pas remarquer un mat en un coup ? En
dépit des nombreux travaux réalisés sur la psychologie du
joueur d'échecs, jamais une recherche sérieuse n'a été entre-
prise dans cette voie bien particulière, aussi espérons-nous que
l'étude suivante, brève mais systématique, aidera l'étudiant à
éviter de tels égarements.

La griserie du succès
« Quand je donne échec je n'ai peur de personne », affirmait
avec orgueil un joueur de Leningrad. Il faut l'admettre, rien
n'est plus concret, plus intransigeant qu'un échec, si ce n'est
le mat - encore que le mat soit lui aussi un échec, le dernier de
la 1'artie. D'où la grande considération qu'accordent les joueurs
envers l'échec, gardant sans cesse à l'esprit durant leurs ana-
lyses l'éventualité d'une telle ressource.
Un échec imprévu, pour une quelconque raison d'ordre
psychologique, peut à lui seul faire basculer une partie et en
influencer irrémédiablement le résultat final. Si nous parvenons
à établir pourquoi un joueur oublie tout à coup un échec
possible, nous saurons mieux nous préserver nous-mêmes de ces
coups de poignard.

0° 31

abcdefgh

- 70-
Dans ma lointaine enfance, à Toula, j'obtins au cours d'une
partie de tournoi la position du diagramme 31 - je ne saurais
jurer de l'absolue exactitude de la position, mais ses caractéris-
tiques essentielles se sont assez fixées dans ma mémoire pour
que je ne les oublie jamais.
Jouant avec les Noirs, je m'étais procuré une position archi-
gagnante et c'était à présent mon tour de jouer. Je regrettais
seulement que mon adversaire - un certain Golubev - n'ait
pas déjà abandonné, ayant une Tour en moins, mais je comptais
bien que la joie de la victoire ne se ferait plus longtemps atten-
dre : d'ailleurs Golubev ne venait-il pas d'écrire «abandon»
sur sa feuille de partie, de la plier en deux et de la glisser dans
la poche de son veston !? Arborant un air résigné il laissait
errer un regard désabusé et tout dans son maintien incitait à
croire qu'il abandonnerait sitôt mon coup effectué.
Aussi jouai-je le coup le plus évident, la prise de son Fou
sur f7 par ma Tour. Aussitôt, l'autre Fou fendit l'air et atterrit
avec fracas à d8! Tout aussi bruyamment mon adversaire mit
en marche ma pendule, après quoi il défia d'un air vainqueur le
public qui suivait la partie. Puis il ressortit de sa poche la
feuille de partie, y inscrivit son coup et le mien puis biffa la
mention« abandon». En fait c'était alors à moi d'abandonner 1
Autant dire que ma déception était immense. Peu après
cette mésaventure, je tombais sur un article de la revue Shakh-
matny Listok dans lequel le maître Iline-Jenevsky rapportait
avec verve comment il s'était fait surprendre au cours d'une
importante partie par un échec inattendu, gâchant ainsi l'avan-
tage acquis au terme de plusieurs heures de travail.

abcdefgh

-71-
«j'avais une pièce pour deux Pions et de surcroît une bonne
position, écrit Iline-Jenevsky, et souhaitais donc liquider au
plus vite cette partie. ]'imaginai donc une combinaison « spiri-
tuelle» : 1. éxf6, Fxf6 2. Cé5 (menace à la fois la Dame et le
Fou /5), Dé6 (2 ... Fxé5 abandonnerait la paire de Fous et
laisserait définitivement exposé le Pion ds) 3. Fa3 (tout se
déroule comme prévu, ; je pensais à ce moment gagner la qualité),
Tf7 4. Db5 (les Noirs se retrouvent avec plein de choses en
prise), Fxé5 5. Fxd5, et brusquement vint 5 .•. Dg6 +.
Le moindre mal aurait alors été de renoncer au gain de la
qualité et de jouer 6. F g2 en admettant de rendre la pièce, mais
dans le feu de l'action j'optai pour 6. Rhl; après 6 ... Fé4+
7. Fxé4, Dxé4+ 8. Rgl, Dxé3+, je dus abandonner pour
éviter d'être maté. Si vous regardez la position deux coups avant
le funeste échec, vous comprendrez pourquoi il m'a échappé. Le
Fou f6 empêche la Dame de se rendre en g6 tandis que mon Fou
sur g2 protège d'un échec vertical. L'échec ne devient réalisable
que parce que chacun des deux Fous quitte son poste respectif. »

L'explication d'Iline-Jenevsky peut paraître plausible. Il


est en effet exact que l'interception d'une ligne de force d'une
figure suivie du dégagement de cette ligne consécutif au retrait
de la pièce bloquante occasionne parfois une bévue; les exem-
ples sur ce thème ne manquent pas. Toutefois, je ne puis croire
que ces raisons «mécaniques» expliquent à elles seules l'oubli
de l'échec en g6 ou, pour rejoindre l'exemple précédent, le
peu de cas fait de l'inactif Fou blanc en a5.
La cause profonde de ces deux erreurs est un manque de
vigilance dû à la perspective d'un gain imminent. Je suis
persuadé qu'Iline-Jenevsky aurait aperçu l'échec s'il n'avait
pas bénéficié à ce stade de la partie de l'avantage matériel;
idem en ce qui me conœrne. Soyez assuré que ces erreurs
n'auraient pas eu lieu s'il avait été question de défendre des
positions difficiles.
Selon Alékhine il est essentiel pour un fort joueur de faire
preuve d'« une attention de tous les instants, si soutenue qu'elle
isole totalement le joueur du monde environnant ». Cette attention
faisait défaut aux joueurs des deux exemples précédents, et ils
gâchèrent leur partie. Ils étaient au contraire très satisfaits
d'eux-mêmes, trop conscients de leur avantage marqué, et leur
vigilance s'en trouva émoussée.
-72-
Nous baptiserons «griserie du succès» cette suffisance et
ce relâchement fréquents à l'approche du gain.
La position suivante se présenta dans ma partie contre
Smyslov (Noirs) au tournoi des Candidats de Budapest (1950).

n° 33

ab cdef g h

On voit sans mal que les Blancs doivent facilement l'empor-


ter. Dès l'ouverture, Smyslov avait commis une sérieuse faute
positionnelle et, depuis, il jouait «par inertie », faisant aller
et venir ses pièces sans but et sans espoir de salut. Quant à moi,
je ne faisais rien pour forcer les événements.
«Pourquoi jouez-vous aussi nonchalamment ? » m'avait
demandé, étonné, le grand-maître argentin Najdorf, qui partici-
pait également au tournoi.
« ] e vais ajourner et laisser travailler mon secondant, lui
avais-je répondu avec un air entendu. Peut-être même que
Vassili, considérant sa position comme désespérée, ne reprendra
pas après l'ajournement. » .
Les choses traînèrent ainsi deux honnes heures, jusqu'à
ce que je voie tout à coup une combinaison intéressante qui me
fit longtemps réfléchir. j'analyse une variante, puis une autre ...
tout colle bien! Je m'embarque sans hésitation dans la combi-
naison. Smyslov est en zeitnot et n'a de toute façon pas le
choix, il joue donc vite et la partie se poursuit ainsi :
39. Txh7 +?, Cxh7 40. Dh5, Dg8 41. Cé7, Txg2 +
42. Rf3.
On approche des cinq heures de jeu, les Noirs semblent perdus
sans rémission. Smyslov vient de se lever pour se dégourdir les
- 73 -
jambes. Une fois joué mon 42e coup je quitte également la
t able et m'en vais arpenter l'aire de jeu, non sans quelque
fierté.
cc Splendide!» vient me murmurer un Najdorf ravi. Il me
donne l'accolade et nous partons faire quelques pas sur la scène.
Soudain, nous nous figeons tous les deux ; apparemment
la même idée fulgurante vient de nous traverser l'esprit -
nous avons réalisé que les Noirs disposent d'un échec vicieux
qui réfute toute la combinaison. Je reviens à l'échiquier juste
pour me convaincre que l'échec de la Tour en fa m'assassine.
Smyslov arrive à son tour et s'assied, le tout sans se départir
d'une mine assombrie; une minute passe puis brusquement son
regard s'anime d'allégresse. Il me regarde et je comprends que
tout est fini ; en effet, la Tour noire se déplace de gz en fa.
J'abandonne, car 43. Rxfa, Tb2+ est sans réplique.
Il ne fait aucun doute que c'est une confiance en soi exces-
sive qui a été responsable de cette horrible bévue, en me faisant
perdre le sens du danger. Voici donc l'origine de certaines
énormes gaffes : un état euphorique d'autosatisfaction. C'est
au moment où l'ivresse du succès vous étourdit que survient la
gaffe. Donc adoptez co~me règle pratique de demeurer sur le
qui-vive lorsque vous estimez être en passe de gagner. Plus le
gain approche, plus le terrain psychologique devient propice à
l'éclosion d'une faute.
Iline-Jenevsky cite un autre exemple de la même veine :
cc Dans ma partie avec E. Lasker, jouée le 19 novembre 1925 au
tournoi international de Moscou, se produisit après le 13e coup
blanc la situation suivante :

n° 34

ab cdefgh

- 74 -
Au lieu de simplement échanger les Dames, Lasker étonna
tout le monde en jouant 1. .• Dxa2 2. Tat, Dxbl 3. Tfbt,
Dxbt +, donnant sa Dame contre Tour, Fou et Pion. Je dois
avouer qu' aujoud'hui encore je ne comprends guère cette combi-
naison et je partage l'opinion de Bogolioubov qui écrivit dans
ses commentaires sur la partie qit'en jouant ainsi, les Noirs
avaient frôlé la défaite. A l'époque, je crus tout comme les autres
participants au tournoi, Bogolioubov inclus, que Lasker venait
de commettre une erreur. ] e commençais à entrevoir l'avenir avec
sérénité. Pensez donc : la veille, j'avais battu Capablanca et
aujourd'hui je m'offrais le scalp de Lasker. Tout allait décidément
pour le mieux! Comme j'approchai du zeitnot, je décidai de jouer,
de façon aiguë. Il s'ensuivit 4. Txbl, Tfd8 5. ç4, Cé8 6. f4.
a6 7. Rhl, Cç7 8. Dé3, Tb8 9. Tdl, Cb4 10. Dç3, a5 11.
Tal, b6 12. Dé3, mais après 12 ... é5 Lasker gagna d'abord
la qualité puis, dans la foulée, la partie. Mon dernier coup était
bien sûr fautif, toutefois j'avais déjà à ce moment sérieusement
détérioré ma position. Ainsi se trouve-t-on puni pour avoir trop
vite cru au succès. »
Voilà comme l'on dit une histoire qui se passe de tout commen-
taire.
J'ai souvent eu l'occasion d'analyser avec Paul Kérès des
positions issues ou non de parties ajournées et, chaque fois,
j'ai été frappé par un aspect particulier de sa méthode de
travail. Ayant trouvé une variante gagnante, le grand-maître
estonien, loin de s'en tenir là, se met aussitôt à en chercher
une autre. Tout paraît simple - les Blancs gagnent une
pièce-, mais il n'est pas satisfait et recherche une suite encore
plus décisive : ne peut-on gagner la Dame, ou mieux, donner
mat? Sur quoi je m'impatiente et ne peux m'empêcher de lui
dire : «Tout cela est-il vraiment nécessaire ? », mais mon ami
s'abstient de répondre et continue à déplacer en silence les
pièces à travers l'échiquier - c'est chez lui une vieille habitude
dont il ne s'est jamais départi.
Cette attitude s'explique par le besoin pour un esprit cher-
cheur de tirer le maximum de chaque position - découvrir
toutes les finesses, solutionner les problèmes stratégiques,
épuiser les ressources tactiques.
Cette façon d'agir n'est toutefois pas sans dangers. Ainsi,
ayant trouvé une suite gagnante, vous n'en restez pas là pour
autant et vous mettez en quête d'en dénicher une nouvelle.
- 75-
Y étant parvenu, vous vous exclamerez vraisemblablement :
«J'ai vraiment une position formidable 1je peux déjà l'emporter
de deux manières différentes. » C'est alors que vous trouvez
une troisième variante de gain, et que vous devenez vraiment
très fier de votre personne. A partir de ce moment-là, le succès
vous montera à la tête, votre objectivité se transformera en
auto-contemplation, et vous serez tout disposé à faire le faux
pas.
Voici une position atteinte au cours de la partie Kérès-Filip,
tournoi des Candidats, Amsterdam 1956:

n°35

abcdefgh

Les Blancs ont plusieurs façons de gagner. Ils peuvent


ainsi tranquillement retirer leur Fou en b2, ou bien en terminer
rapidement par 38. Df6, Cxé5 39. Dxé5. Le secondant de
Kérès révéla que celui-ci passa en revue pas moins de cinq conti-
nuations gagnantes ... pour finalement en choisir une sixième,
38. Rhl?, et se retrouver avec une pièce de moins après
38. Tç4 ! 39. Df6, Cxé5 (40. Dxé5 n'allant pas à cause de
40 ... Df4+ qui force l'échange des Dames et mène donc à une
finale désespérée pour les Blancs) .
Dans ce même ordre d'idée, il arrive fréquemment qu'un
joueur dispose de deux façons de gagner, l'une simple et sans
appel, l'autre jolie mais requérant un sacrifice. De telles situa-
tions mettent en lumière la personnalité des joueurs : ceux
qui tiennent essentiellement à ajouter une petite barre verticale
supplémentaire sur la grille de tournoi adopteront. la première
méthode; quant aux aventureux qui brûlent de placer un
-76-
sacrifice, ils n'hésiteront pas à prendre le risque de perdre un
point entier.
Le joueur doit se décider en fonction de lui-même, de ses
goûts comme de sa situation dans le tournoi. Il faut toutefois
condamner une recherche excessive et incessante de variantes
spectaculaires, surtout si elle ne procède pas des impératifs
logiques de la position. Un pareil appétit de brillance dénote
une attitude mentale funeste ; vous vous dites : « Je peux
gagner en jouant n'importe quoi! Voyons si même un sacrifice
de Dame n'est pas possible... » D'un langage de la sorte à
l'ivresse favorisant les gaffes, il n'y a qu'un pas.
Voici la position obtenue après le 28e coup blanc d'une partie
Freiman-Kan, championnat d'URSS 1934 :

n° 36

abcdefgh

Les Noirs pouvaient gagner très simplement par 28... Txd4


29. gxf4, Dxé5, les Blancs se trouvant sans défense. Mais une
ligne de jeu aussi prosaïque déplut aux Noirs, et ceux-ci pré-
férèrent« combiner» : 28 ••. Ch3+ 29. Dxh3, Dxé5 (notons
que les Noirs avaient encore la ressource de faire pencher la
balance en leur faveur par 29 ... Txd4 30. Dh7+, Rf8 31. f4,
Dd8 32. Td3, Dd5). Cela est «joli», mais Freiman aurait pu
maintenant aboutir à une finale gagnante par 30. dxé5, Tdr+
31. DfI, TxfI+ 32. Rxh et punir par-là la légèreté des Noirs.
En fait, ce fut au tour des Blancs de «gaffer» : ils jouèrent
30. Dh7 +??puis, après 30 .•• Rf8 31. Té3, Txd4, stoppèrent
la pendule en guise d'abandon.
-77-
Les réflexes conditionnés

j'espère que mes amis les grands-maîtres ne me tiendront


pas rigueur d'appliquer au noble art du jeu d'échecs un concept
développé par les physiologistes dans leurs expérimentations
sur les animaux, mais le terme de« réflexe conditionné» définit
parfaitement bon nombre d'attitudes du joueur durant la
partie. Tout comme un chien peut être amené, sur un son de
cloche, à saliver dans l'attente de sa nourriture, il est certain
que le joueur d'échecs acquiert au fil des ans et de ses expé-
riences tout un ensemble de réactions défensives. Rappelez-vous
par exemple comment inconsciemment vous êtes à l'affût
d'un quelconque mat du couloir, ou comment, sans réelle ana-
lyse, vous jugez de la justesse d'un sacrifice sur h7 ou de l'immi-
nence d'un mat à !'étouffé. Ces réactions automatiques s'avèrent
généralement très utiles, car elles accélèrent le processus de la
pensée tout en aidant à l'évaluation correcte des plans straté-
giques.
Il arrive cependant que de telles réactions spontanées puiS-
sent être néfastes et devenir source d'erreurs, comme nous le
verrons dans les prochains exemples. Admettons que ces cas
sont rares, mais quiconque désire étudier ses propres« réflexes»
en vue d'améliorer ses performances en compétition doit être
familiarisé avec de telles choses.
Lequel d'entre nous n'a pas des milliers de fois, en jouant
!'Espagnole, retiré son Fou de~ en b3 lorsque les Noirs avan-
cent leur Pion en b5, ou dans une Sicilienne, face au même coup,
reculé le Fou de ç4 en b3 ? La main effectue le coup d'emblée,
sans laisser à l'esprit le temps d'intervenir. La plupart du temps,
le coup s'impose indiscutablement, mais il existe des exceptions.
Ainsi considérons cette position tirée d'une partie Grékov-
Iline-Jenevsky, championnat de Moscou 1920 : Diagr. 37.
«j'ai joué 1. .• b5 sans réfléchir, écrit Iline-Jenevsky,
ce coup correspond très bien au début adopté, la Défense Philidor,
d'autant plus qu'ici les Blancs ont roqué du coté-Dame. La réponse
de mon adversaire me semblait évidente : 2. Fd3. Une pièce
attaquée doit en effet se retirer, non!? Il n'en fut rien, car voici la
suite : 2. dxé5 ! , dxé5 (forcé ! si 2 •.. bxÇ4 alors 3. éxf6, Cxf6
4. Dxç4 avec une position gagnante) 3. Cxé5 !, bxç4 4. Cxç6,
Dé8 5. é5 ! - la pointe de la combinaison. Le Cavalier f6 est
cerné, les Blancs regagnent donc la pièce avec un avantage déci-
sif. »
-78 -
n° 37

abcdefg h

«Une pièce menacée doit se déplacer» - combien de parties


ont été perdues parce qu'un joueur a cru aveuglément en cette
idée que la routine avait peu à peu érigée en principe-réflexe
dans son subconscient!
Un autre principe-réflexe très vivace est:<< Ne négliger aucune
précaution». Ce souci obsessionnel est à l'origine de nombreuses
considérations d'ordre stratégique et tactique de la part des
grands-maîtres, et lutter contre cette tendance à la prophyla-
xie paraît bien difficile- même si dans certains cas elle s'avère
désastreuse.
Cette position survint au cours d'une partie Ili ne-Jenevsky-
Grigoriev, comptant pour le match qui opposa ces deux joueurs

n° 38

abcdefgh

-79-
en 1919. (Alexandre Fedorovitch Iline-Jenevsky semble donc
avoir largement contribué à enrichir le chapitre des mésaven-
tures et diverses curiosités de l'échiquier. Soit parce que sa
propre personne s'y prêtait particulièrement, soit parce qu'il
appartient à une époque où l'intrépidité l'emportait sur la
précision.)
r. f4, g6 2. g4! aurait assuré l'initiative aux Blancs, mais
ceux-ci décidèrent mécaniquement de «jouer la sécurité» par
1. h3?. Ce coup se révéla une perte de temps décisive, et les
Noirs gagnèrent en arrivant les premiers sur l'autre aile :
1. •• b5 2. f4, b4 3. axb4, axb4 4. Ffl, bxç3 5. Fxç4,
Dxç4 6. bxç3, Fxh3, etc. Pourquoi les Blancs voulurent-ils
contrôler g4? Après tout, il n'était pas question que le Fou noir
quittât la case é6 sans laisser le Pion ds en prise. Reste alors
une seule explication : automatisme !
L'une des manifestations les plus intéressantes de réflexes
conditionnés consiste en le respect puissamment ancré que nous
portons à la valeur hiérarchisée des figures - hiérarchie dont
nous prîmes connaissance dès nos premiers pas au royaume des
échecs. Ce respect se trouve notamment voué à la Dame, la
pièce traditionnellement la plus forte, même dans des situations
où le gain de la partie implique son sacrifice. Et nul n'échappe à
pareil aveuglement, pas même les meilleurs joueurs.

n° 39

a b c d e f g h

La position du diagramme se produisit dans la 16e partie du


match-revanche Alékhine-Euwe (1937). Il n'est pas difficile de
repérer un sacrifice de Dame qui mène rapidement au gain d'un
- 80-
Pion, et donc de la partie. Pourtant Alékhine, malgré sa fan-
tastique imagination, se montra si « soucieux » envers sa Dame
qu'il en oublia le coup gagnant 26. Dh8+!.
L'excès d'égards dont témoigna également Max Euwe envers
sa Dame priva ce dernier d'une victoire éclair contre Smyslov
lors du championnat du monde 1948.

n° 40

abcdefgh

Euwe joua 27. Dé3, et cette importante partie n'en finit pas
de traîner, alors qu'un gain « visible » lui tendait les bras :
27. Dxf7+I, Txf7 28. Tç8+ suivi après 28 ... Rg7 ou 28 ...
Tf8 29.Txf8+, Rxf8 d'une fourchette par le Cavalier en é6.
Cette position extraite du match Botvinnik-Bronstein, cham-
pionnat du monde 1951, nous offre un dramatique exemple de
coup rendu «évident>> par l'interaction de certains réflexes :

-81-
Dans cette position de nullité, Bronstein (qui menait les
Blancs) tenta un dernier essai par 57. Rç2, estimant qu'après
l'évident 57 ... Rf3, son Cavalier aurait encore le temp? de
stopper le Pion <( é » grâcè à l'échec sur d4. Cependant Botvinnik
joua le coup «non évident » 57 ... Rg3 ! et les Blancs n'eurent
plus qu'à abandonner, le Cavalier se trouvant maintenant
incapable d'empêcher l'avance du Pion. Commentaire de Bot-
vinnik :
« Une faute tragique. Bien sûr, comme le lecteur peut s'en
convaincre, les Blancs au.raient facilement annulé en ramenant
leur Cavalier ... Il semble que les Blancs aient perdu le sens du
danger, mis en confiance par leur avantage matériel I Remarquez
que le coup perdant fut effectué après le contr6le du temps. »
Remarque pertinente, qui souligne à nouveau qu'au plus chaud
de la bataille un joueur peut se montrer excessivement confiant
parce qu'il aura auparavant gagné du matériel. Nous avons
déjà précédemment évoqué cette tendance. Des exemples non
moins significatifs nous montrent Botvinnik lui-même péchant
de la sorte et s'en trouvant puni. Ainsi que dire de la 15e partie
du match-revanche avec Smyslov (1958) où, après le premier
ajournement, Botvinnik obtint une position très supérieure
mais perdit par le temps alors qu'il s'acharnait à trouver la
variante de gain la plus sûre.
Nous attirons aussi votre attention sur la remarque de Bot-
vinnik concernant la perte de la notion du danger, point sur
lequel nous reviendrons. Notons simplement pour l'instant
que, dans le cas de la finale perdue par Bronstein, on peut
assimiler à un réflexe conditionné le fait de croire que le chemin
le plus économique pour aller de f4 en fa passe nécessairement
par f3, ce qui est inexact si l'on s'intéresse à la marche du Roi (ce
qu'omit de remarquer Bronstein durant cette partie). Dévelop-
pons un peu le sujet que nous venons d'aborder, celui de la géo-
métrie particulière de l'échiquier. Nous rapportions tout à
l'heure l'épilogue tragique de la partie Kotov-Smyslov (dia-
gramme 33). L'oubli par les Blancs de l'échec de la Tour sur fa
n'est pas seulement dû à un état d'euphorie mentale. Il dérive
aussi du réflexe conditionné selon lequel la Tour précède la
Dame le long de la colonne g, et que cette disposition ne
saurait être inversée. Si vous songez aux diverses attaques
contre le Roi que vous avez réalisées à l'aide des pièces lourdes,
vous admettrez qu'au niveau du subconscient on détermine
-82-
une bonne fois pour toutes que la Dame se trouve devant
la Tour sur une colonne ouverte, ou vice versa.
S'il y avait eu dans la partie précitée la moindre chance
pour que les pièces noires échangent leurs positions respectives
(soit la Darne en g2 et la Tour en g8), il est clair qu'aucun grand-
maître n'aurait ignoré le danger- alors qu'au contraire les
Blancs s'estimaient en parfaite sécurité du fait même que cette
permutation apparaissait invraisemblable. Une telle certitude
de la non-réalisation d'un événement, cette assurance bien
enracinée comme quoi certaines caractéristiques de la position
sont immuables, constituent la source de nombreuses fautes.
Prenons un autre exemple de la même veine : avez-vous
toujours examiné les conséquences, lorsque dans vos parties les
Blancs avaient le Fou sur d3 et la Dame en ç2, d'un échec
donné sur hJ? Avouez que non! Pourquoi? Parce qu'il n'y a
pas de mat en vue et que dans la grande majorité des cas cet
échec ne sert à rien. Ainsi, petit à petit, l'esprit s'habitue à ne
pas se soucier d'une telle configuration de pièces. C'est bien sûr
une autre paire de manches si les deux pièces se suivent dans
l'ordre inverse, le grand-maître n'hésitant alors pas à consacrer
le temps nécessaire à l'étude de toutes les conséquences de
l'échec en h7 donné par la Dame!
C'est précisément cette indifférence envers l'échec par le Fou
sur la case h7 qui perdit les Noirs dans la position suivante
-partie Lengyel-Kotov, Amsterdam 1968.

n° 42

abcdefgh

Ayant envisagé plusieurs variantes qui me satisfaisaient


pleinement, je venais de jouer mon Fou de é6 en g4. Comme
-83-
la petite salle où nous jouions était enfumée, je me suis levé
(selon mon habitude} pour aller me promener dans le grand
hall voisin. De là, je vis au bout d'un moment mon adversaire
effectuer cette sorte de mouvement ample du bras qui corres-
pond généralement à un coup<< long». Etant trop éloigné pour
discerner le coup en question, je regagnai la table de jeu, et
quelle ne fut pas ma surprise de constater que son Fou se tenait
maintenant à côté de mon Roi en lui donnant échec. Ma pre-
mière réaction fut de considérer cet échec comme un coup
stupide, puis ... puis au terme d'une heure de réflexion, je dus
admettre que ma position était sans espoir. La raison en est
simple : sur l'immédiat I. Ff5 les Noirs échangeaient les Fous.
déplaçaient leur Cavalier menacé de d7 en b6 et tout était en
ordre. Tandis qu'après l'échec le Roi noir va soit en f8 soit en
h8, ce qui conduit à la perte d'un Pion. 2. Ff5 force en effet
l'échange des Fous et après 3. D:xf5 le Pion f7 est perdu si le
Roi est en h8, ou s'il est en f8 la pénétration de la Dame rap-
porte également un Pion. Un simple échec non prévu a donc
semé la panique dans le camp noir.
Voyons deux autres curieux exemples qui mettent également
en cause certains réflexes. Voici la position atteinte dans une
partie Iline-Jenevsky-Nenarokov, championnat de Moscou
1922 :

n° 43

abcdefgh

Regardez bien la case g8. Le Roi noir peut-il s'y rendre ?


Bien sûr que non ! Cette case se trouve sous le double contrôle
de la Dame et du Fou· blancs. Ce détail avait particulièrement
- 84-
retenu l'attention des Blancs, et durant leurs calculs ils n'envi-
sagèrent pas un seul instant que le Roi noir pût un jour aller
en g8.
Iline-Jenevsky, croyant avoir trouvé une variante de gain
forcée, opta pour 1. Ff7 + !, Rf8 (r. .. Rxf7 2. Tf6+, Ré8
3. Dg8+, Rd7 4. Dg7+, Ré8 5. Tf8 mat) 2. Dh6 +, Rxf7
3. Tf6+.

«]'avais prévu que les Noirs joueraient maintenant 3 ... RéB,


sur quoi concluait 4. DJB+, Rd7 5. Dg7+, RéB 6. TJB mat.
Mais, horreur et abomination, il suivit 3 ... Rg8 et de mat, point !
Si par contre je m'étais contenté de 2. Dxg4, mon adversaire
aurait dû abandonner. »

Reportez-vous à vos propres prestations, et voyez si, au


cours de vos réflexions, vous ne vous êtes jamais égaré de la
sorte - « cette case lui est définitivement interdite », ...
Non moins fréquente est la situation où le champ d'action
d'une pièce se trouve réduit sur une quelconque ligne (verticale,
horizontale ou diagonale) du fait de la présence d'un Pion.
Cette ligne que nous n'avons cessé de voir obstruée depuis un
bon moment semble donc ne devoir présenter aucun danger.
Nous risquons fort, s'il arrive que nous envisagions dans nos
calculs un coup qui déplace ou supprime le Pion-bloqueur,
de continuer à « voir » la ligne fermée.
Voici une nouvelle gaffe commise par Iline-Jenevsky, au
cours de la 3e partie de son match contre Nenarokov en 1923.

n° 44

abcdefgh

- 85-
Le Pion sur éS protège bien le Fou blanc des rayons de la
Dame noire; les Blancs jouèrent donc 1. Tfl, g6 2. Dé3,
Cé7 3. f4, et il suivit 3 .•• éxf4 4. Dxf4, Dxb5. «Cette possi-
bilité ne m'avait pas effleuré l'esprit, écrit Iline-Jenevsky, qui
ajoute: L'idée que la Dame ne pouvait nullement inquiéter mon
Fou, à cause de la barrière constituée par le Pion é5, s'était si
ancrée dans mon esprit qu'à l'instant précis où la Dame prit le
Fou, je crus assister à l'exécution d'un coup illégal, à savoir
le saut d'une pièce par-dessus itn Pion. »

Le point aveugle
Dans un de ses ouvrages de récréation, Perelman mentionne
une expérience désormais célèbre : dites à un sujet de fixer
obstinément un carré dessiné sur une table. Au bout d'un
petit moment, cette personne sera incapable de repérer une
tache noire pourtant visible située juste à l'extérieur du
carré ; cela parce que notre œil comporte un point dit
«aveugle» et que tout objet qui s'adresse à ce« point aveugle»
échappe à notre champ de vision. Un phénomène similaire
se produit aux échecs. On connaît d'assez nombreux cas,
où un très fort joueur ne remarqua pas une menace élémen-
taire dirigée contre l'une de ses pièces - comme si durant un
moment cette pièce échappait à son champ de vision et qu'il
l'oubliait tout à fait.
Un exemple classique de «point aveugle» nous est fourni
par la partie Alékhine-Blackbume, Saint-Pétersbourg r9r4.

n°45

abcdcfgh

- 86-
Alékhine joua ici 1. Cd2?? et après 1. .. Da5 2. a4, a6,
les Blancs perdirent leur Fou-Roi. Lorsqu'après la partie on
demanda à Alékhine comment il expliquait cette gaffe, il
déclara qu'il avait tout simplement oublié son Fou, comme
s'il était absent de l'échiquier.
Oui, oublié! Ce super grand-maître, futur champion du monde,
avait omis la présence d'un Fou ... Après cela, on ne peut nier
l'existence du point aveugle.
L'exemple suivant est peut-être encore plus net; il s'agit
encore d'un futur champion du monde qui, cette fois, oublie sa
Dame et perd non pas en deux coups comme précédemment,
mais sur-le-champ.
Dans la partie Pétrossian-Bronstein, tournoi des Candidats
1956, les Blancs avaient après 35 coups une partie absolument
gagnante.

n°46

abcdefgh

N'importe quelle retraite de la Dame blanche suffisait pour le


gain, mais voilà, Pétrossian oublia sa Dame et joua 36. C~S?? ;
bien sûr il abandonna immédiatement après 36 ... Cxd6.
Pétrossian remarqua plus tard avec humour qu'il avait oublié
une attaque provenant pourtant de la seule pièce noire
qui fût active.
Autre cas : pendant une ronde du championnat de Moscou
1946, le traditionnel silence qui régnait dans la salle du tournoi
fut soudainement rompu par un cri épouvantable. Les joueurs
bondirent de leur siège et accoururent auprès de l'échiquier où
- 87-
se déroulait la partie Bronstein - Bontch-Osmolovsky. Ce
dernier- qui était par ailleurs un boxeur renommé et pouvait
donc aussi bien encaisser les coups du sort que les uppercuts de
l'adversaire - était assis la tête entre les mains tandis que le
jeune David Bronstein, lui aussi très troublé par la réaction
surprenante de son adversaire, racontait à tous ce qui venait
d'arriver.

n° 47

abcdef gh

Les Noirs avaient donné échec en br avec la Dame (position


du diagramme). Bronstein répliqua en mettant son Roi sur g2,
sur quoi Bontch-Osmolovsky réfléchit et ... avança son Pion
en éJ. Bronstein prit aussitôt la Dame noire.
cc Quelle horreur I », se lamentait Bontch-Osmolovsky. « Le
Roi sur g2 est une grosse pièce qui dissimule la Tour g1, et je
n'ai pas vu que cette Tour cachée menaçait ma Dame. »

La hauteur du Roi entre peut-être en ligne de compte, mais


il est incontestable que nous avons affaire à une nouvelle
manifestation du point aveugle.
Voici pour finir deux cas indiscutables de cécité échiquéenne.
Dans la partie Romanovsky-Kasparian, demi-finale du cham-
pionnat d'URSS 1938, les Noirs s'étaient assuré une position
gagnante. Le célèbre compositeur d'études G. Kasparian vit
pour sa plus grande satisfaction une possibilité de conclure la
partie à la manière d'une étude.
- 88-
n° 48

abcdefgh

Il sacrifia avec conviction sa Tour : 1. .. Txh3 + ? ? , ayant


prévu 2. Rxh3, Dh4 mat ou 2. Fxh3, Cf3 mat. Les Blancs
capturèrent la Tour avec leur Fou tout en empêchant la main
de Kasparian de saisir le Cavalier. Le Cavalier ne peut en effet
bouger, puisqu'il est cloué.

n° 49

abcdefgh

Ebralidzé-Ragozine, championnat d'URSS 1937. Ce qui se


déroula à partir de cette position appartient déjà au folklore
échiquéen. Afin de se soustraire aux diverses menaces blanches,
Ragozine joua 40 ... Tç7?? avec l'intention, après 41. Txç7,
de regagner la pièce par 41 ... Fd6+. On raconte que les suppor-
ters géorgiens présents parmi les spectateurs remarquèrent
- 89-
tout de suite que le Fou était cloué, et que certains étaient si
excités qu'ils ne purent s'empêcher de crier: (( Archil, prends sa
Tour!" Mais Archil Ebralidzé se contenta de fusiller du regard
les contrevenants; il ne vit pas le clouage et retira sa Tour
attaquée 1... Le point aveugle l

Avec les yeux d'un débutant : la règle de Blumenfeld

Une autre cause est à l'origine de la plupart des erreurs que


nous avons étudiées, une cause que l'on peut considérer comme
étant la plus commune de toutes. Au cours de ses analyses un
grand-maître est naturellement soucieux d'estimer correcte-
ment la position qui, selon lui, devrait se produire d'ici cinq à
six coups. Il est très délicat de prévoir ce qui arrivera alors,
de noter les subtilités et les finesses qui jusque-là émailleront la
partie - aussi le joueur y consacre-t-il toute son attention.
Il arrive souvent que, dès le premier coup de la variante, à
la base même de l'arbre analytique, le joueur passe à côté
d'une menace évidente ou d'une possibilité élémentaire. Lec-
teur, croyez-moi, telle est bien souvent la cause de vos bévues,
et je dois admettre en ce qui me concerne que de tels aveugle-
ments, de telles carences à ne pas voir ce qui est juste ((devant
mon nez», m'ont fréquemment joué de bien vilains tours.
Comment combattre cette tendance? Il y a longtemps
j'évoquai cette question avec le fort maître soviétique Benja-
min Markovitch Blumenfeld ; il avait beaucoup travaillé
les aspects psychologiques du jeu et écrit une thèse universi-
taire sur le sujet. Blumenfeld lui-même avait aussi eu l'occasion
de déplorer une fâcheuse tendance à ne pas voir ce qui s'agitait
((devant son nez», et il prétendait qu'à des degrés divers cela
s'appliquait aux meilleurs joueurs du monde.
Pour remédier à ce grave danger, il proposa la règle suivante,
que j'appellerai la règle de Blumenfeld :
Quand vous avez fini d'analyser toutes les variantes, et
parcouru les branches de l'arbre d'analyse, vous devez en pre-
mier lieu, avant de jouer votre coup, l'écrire sur votre feuille
de partie. J'ai observé les habitudes de beaucoup de mes collè-
gues grands-maîtres et j'ai pu constater que la grande majorité
d'entre eux inscrivaient leur coup avant de le jouer effective-
ment sur l'échiquier.
Efforcez-vous d'écrire le coup en notation complète, en soi-
-90-
gnant la calligraphie. Ecrivez très clairement et très attentive-
ment chaque lettre, chaque chiffre, chaque signe - comme
Botvinnik, Smyslov ou Kérès. En agissant de la sorte, vous
prendrez du recul par rapport aux calculs lointains auxquels
vous viendrez de consacrer une bonne demi-heure, vous réin-
tégrerez la réalité de la position actuelle qui se présente à vous,
sur l'échiquier. Alors, lorsque vous regardez à nouveau l'échi-
quier, avec votre coup écrit mais pas encore joué, vous le verrez
non pas avec la vue d'un rêveur, mais avec les yeux de quel-
qu'un qui est présent dans la salle du tournoi, quelqu'un qui
discerne bien la réalité et les problèmes du moment.
Cela constituait la première étape du chemin qui doit vous
ramener au présent. Même maintenant, il est encore trop tôt
pour que vous jouiez votre coup. Accordez-vous une nouvelle
minute pour regarder la position - vous ne risquez pas de le
regretter-, et regardez cette position comme si vous étiez une
mazette ou un débutant. Imaginez que vous n'êtes ni un grand-
maître ni un maître, simplement un débutant. « Suis-je menacé
d'un mat en un coup? En deux coups? Ma Dame est-elle en
prise, ou ma Tour? Vais-je perdre un Pion? 1> Un contrôle aussi
élémentaire vous garantira sans doute d'une gaffe immédiate et
viendra en complément judicieux de l'analyse approfondie que
vous venez de terminer.
En suivant cette recommandation de Blumenfeld, vous combi-
nerez efficacement profondeur de réflexion, précision pratique et
suppression de gaffes.

Autres conseils pratiques

Analyser ou ne pas analyser ?


Après avoir traité la démarche correcte pour analyser, la
façon de trouver les coups les plus forts pour ensuite choisir
parmi eux, les causes d'erreurs et comment les éviter, il nous
reste à présent à donner quelques précieux conseils complé-
mentaires.
Les maîtres et les grands-maîtres obtiennent souvent des
positions complexes où la recherche du meilleur coup suppose-
rait l'analyse d'un nombre impressionnant de variantes compli-
quées. La plupart du temps, cette analyse doit tenir compte
des conditions pratiques du déroulement du jeu. Il arrive même
- 91 -
que des circonstances particulières amènent Je joueur à
changer radicalement de ligne de jeu. Un exemple va servir à
illustrer notre propos.

0°50

abcdefgh

Partie Kérès-Smyslov, tournoi des Candidats, Zurich 1953·


Le dernier coup de Kérès (19. Tçh3) laisse une Tour en prise;
faut-il la prendre ? On pourrait s'attendre à ce que Smyslov
entreprenne une analyse exhaustive du sacrifice des Blancs.
Logique? Oui, ... mais pas dans cette position donnée ni dans
les conditions spéciales de ce tournoi.
Le joueur ne doit pas toujours s'en tenir uniquement aux
exigences de la position, il lui faut aussi considérer des éléments
qui ressortissent à la tactique de tournoi. Combien de temps
lui reste-t-il à la pendule ? Le zeitnot est-il proche ? Sa position
dans le tournoi commande-t-elle une prise de risques, ou plutôt
un jeu sûr?
Cette partie Kérès-Smyslov eut lieu à la fin d'un tournoi
capital, puisque le vainqueur devrait rencontrer Botvinnik
pour le titre mondial. Smyslov précédait Kérès d'un demi-
point et tenait donc à le battre pour le distancer définitivement;
mais la perte aurait permis à Kérès de passer en tête, tandis que
Reshevsky et Bronstein se seraient rapprochés. Smyslov se
devait donc de bien peser le pour et le contre avant de s'embar-
quer dans les complications résultant de 19... gxh5, avec en
perspective l'éventualité d'un zeitnot où tout peut arriver.
Il ne désirait nullement voir s'envoler et le premier prix et
l'occasion de devenir champion du monde à cause d'un seul coup
joué précipitamment dans l'affolement du zeitnot.
-92-
Voici comment Bronstein décrit les événements dans son
merveilleux livre sur ce tournoi :
«J'ai ici beaucoup réfléchi, confia ultérieurement Smyslov,
j'étais très tenté de prendre la Tour, d'autant plits que je ne pus
voir aucune suite gagnante pour les Blancs ... » D'une part il est
agréable d'avoir une Tour net de plus, d'autre part on peut deviner
combien les Noirs pourront se mordre les doigts s'ils déclinent
le sacrifice puis ne gagnent pas la partie. Surtout qu'au prochain
coup la Tour prendra sur hJ- anéantissons donc cette Tour! Il
n'est pas question de tout étudier sur l'échiquier ; on ne peut
qu'examiner les lignes principales et s'en remettre à son propre
jugement. >>
En fait, Smyslov ne prit pas la Tour et joua 19 ... dxç4,
coup que Bronstein gratifie de deux points d'exclamation.
Bronstein poursuit ainsi son commentaire :
« Smyslov ne fut pas trompé par son intuition et il opta pour le
meilleur coup, comme le démontra l'analyse post-mortem. Mais
comment parvint-il à ce choix ? En d'autres termes, par quel
biais son intuition le guida-t-elle ? Etudia-t-il scrupuleusement
la position, ou bien s'en remit-t-il au pur hasard ?
Le coup élu est évidemment le fruit d'un examen approfondi
de la position. D'abord les Noirs ouvrent la voie à leur Fou-Dame,
qui peut à présent être transféré à g6, via é4. Ils dégagent égale-
ment la colonne « d » et se réservent la possibilité soit de menacer mat
sur g2 en amenant la Dame sur d5, soit de s'acharner sur le Pion
d4. Enfin ils obtiennent dans l'immédiat un Pion passé sur la
colonne« ç », qu'ils s'apprêtent à avancer en ç3 afin de fermer la
dangereuse diagonale a1-h8... De plus, la Tour qui reste en prise
pourrait être supprimée en toute sécurité après 20. bxç4, gxh5
21. Dxh5, Fé4.
Que se serait-il passé si les Noirs avaient tout de suite pris la
Tour ? La fuite du Roi après 19 ... gxh5 20. Dxh5, Té8 suffisait-
elle ? Il semble que les Blancs étaient en mesure de poser les scellés
par 21. a41 ! avec la menace Fa3. Par exemple:
A. 21 ... dxç4 22. Dxh7+, Rf8 23. Fa3+, Té7 24. Tg3.
B. 21 ... Dd6 22. ç5, et maintenant:
I. 22. bxç5 23. Dh6, Fg7 24. Dxh7+, Rf8 25. dxç5.
II. 22... Dd8 23. ç6, Txç6 24. Fa3, Td6 25. Dh6, Fxd4
26. Fd3.
-93-
III. 22... Df4 23. T/3, Dg5 24. Tg3. »
Des facteurs tels que la crainte du zeitnot et la position dans
le classement du tournoi des concurrents ont donc conduit
Smyslov à refuser l'offre de la Tour, sans même qu'il cherchât à
étudier en détail les variantes. Il est vrai qu'il disposait en
réserve d'un excellent coup qui lui fut donc dicté par des consi-
dérations d'ordre général, lesquelles coûtèrent beaucoup moins
de temps qu'une analyse approfondie. La plupart des grands-
maîtres, à l'exception peut-être de M. Tal, auraient agi comme
Smyslov, d'autant plus que cela offrit aux Noirs un gain rapide.
La partie se continua par :
20. Txh7. Kérès pouvait encore saisir la nullité par 20. Dg4,
ç3 21. Fxç3, Txç3 22. Txç3, Dxd4 23. Dxd4, Fxd4 24. Tç7,
gxh5 25. Txb7, mais il tenait absolument à gagner.
20 •.• ç3! 21. Dçl !, Dxd4 22. Dh6, Tfd8 23. Fçl,
Fg7 24. Dg5, Df6 25. Dg4, ç2 26. Fé2, Td4 27. f4,
Tdl + 28. Fxdl, Dd4 + 29. abandon.
Nous retiendrons de cet exemple qu'il est parfois recom-
mandé de fuir l'analyse de tas de variantes compliquées,
afin d'éviter un futur zeitnot et de ne pas prendre des
risques inconsidérés. Cela est possible lorsque vous disposez
en réserve d'un très bon coup, même si, dans l'absolu, ce n'est
pas le meilleur. Vous ne jouerez donc pas le meilleur coup mais
vous économiserez du temps, et vous vous féliciterez d'avoir
pris cette décision pratique quand votre adversaire sera en
crise de temps et qu'à vous il restera les précieuses minutes
préservées auparavant.
Le refus des complications et des risques est une attitude
communément adoptée. Prenons par exemple la partie Kérès-
Taïmanov, jouée dans la dernière ronde du championnat
d'URSS 1951 :
1. ç4, Cf6 2. Cf3, é6 3. Cç3, d5 4. é3, Fé7 5. b3, o-o
6. Fb2, b6 7. d4, Fb7 8. Fd3, dxç4 9. bxç4, ç5 10. o-o,
çxd411. éxd4,Cç612. Dé2,Té813. Tfdl,Tç814. Taçl,
Dd6 15. Fbl, Df4 16. d5 ! , éxd5 (Diagr. 51).
Kérès se trouve en face de deux coups-candidats : 17. Cxd5
et 17. çxd5. On voit sans mal que la prise par le Cavalier mène
à d'énormes complications, tandis que la capture par le Pion
maintient un jeu beaucoup plus calme. L'analyse de 17. Cxd5
-94-
8
7

n° 51

e f g h

prit à Kérès beaucoup de temps. Voici les variantes qu'il calcula


après la séquence de coups forcés 17. Cxd5, Cxd5 (net avantage
blanc après 17... Dh6 18. Té1) 18. çxd5, Ff61 :
A. 19. Dç2, Fxb2 20. dxç6, Fxç1! 21. Dxh7+, Rf8 22. çxb7,
Tçd8, ou 22. Td7, Dh6, et les Noirs gagnent . Les Noirs dominent
aussi après 22. Dh8+, Ré7 23. Td7+ , Rf6 24. Dh5, g6.
B. 19. dxç6! (un sacrifice de Dame auquel Kérès consacra
une longue réflexion), Txé2 20. çxb7.
«] e ne pouvais à ce moment me dérober à l'analyse du faisceau
de variantes complexes qui surgissaient », écrit Kérès. Il fournit
ensuite les suites qu'il vit réellement durant la partie :
I. 20... Txç1 21. Txç1, Fd8 (ou 21... Té8 22. Tç8, D~
23. g3, Dd7 24. Ff5 et gain des Blancs) 22. Tç8, Dd6 23. g3,
Txb2 24. Fé4 avec gain.
Il. 20 ... Tçé8 21. Fxf6 (et non 21. Tç8? à cause de 21 ...
Fxb2l 22. Tdd8, Dç1+I 23. Txçr, Txd8 24. Tç8, Téé8),
gxf6 (les Noirs sont mal après 21... Dxf6 22. Tç8, Dé6 23. Tdçr,
tandis qu'après 21 ... Db8 une forte réplique serait 22. Cd4l)
22. Tç8, Rg7 23. b8=D, Dxb8 24. Txb8, Txb8 25. g3. et les
Blancs ont une finale gagnante.
III. 20... Tb8 21. Fé5I, Txé5 22. Cxé5, g6 (évidemment
mauvais est 22 ... Dxé5 à cause de 23. Tç8+, Dé8 24. Tdçrl,
Fé5 25. Txé8+, Txé8 26. Térl) 23. Cd7, Txb7 24. g3!; les
Noirs perdent encore le Fou f6, après quoi les Blancs possèdent
l'avantage matériel plus l'attaque (24 ... Df3 25. Fé4!).
-95-
IV. 20 ... Tf8 21. Fa3 (plus fort que 21. Fxf6, Dxf6 22. Tç8,
les Noirs disposant d'un contre-jeu satisfaisant par 22 ... Téé8
23. b8=D, Txç8 24. Dxa7, Db2), Fé7 22. Fxé7 (ou 22. Tç8,
Fxa3 23. Tdd8, Dç1+!), Txé7 23. Tç8, g6 24. b8=D, Dxb8
25. Txb8, Txb8, et il n'est pas évident que l'avantage blanc
suffise pour décider en fin de partie.
L'analyse effectuée par Kérès était donc assez poussée.
Il en ressort qu'après la prise naturelle 17. Cxd5, les Blancs
ont l'avantage dans toutes les variantes. Que décida donc ce
grand-maître expérimenté ?
Laissons parler Kérès lui-même : «Cette analyse montre
que les Blancs s'assurent la meilleure partie après 17. Cxd5,
toutefois la nature complexe des variantes qui en découlent m'a
incité à préférer 17. çxd5, pl,us rationnel sur le plan pratique. »
Et en effet les Blancs obtinrent une attaque écrasante sur
tous les fronts après 17. çxd5, Cb8 18. Td4, Dd6 19. Tçdl,
Ff8 20. Cé4, Cxé4 21. Txé4, Txé4 22. Dxé4, Dh6
23. Cg5 !. Il suivit encore, pour mémoire : 23 .•• Fd6 24. h4,
Cd7 25. Df5, Cf6 26. Fxf6, gxf6 27. Cxf7, Dçl 28. Dxh7 + ,
Rf8 29. Cxd6, Dx41 + 30. Rh2, Dxd5 31. Cxb7, Dé5 +
32. g3, Tç7 33. Dh8 +, Rf7 34. b5, Txb7 35. Dh7 +,
Ré6 36. Dxb7, Dxh5 + 37. Rg2, abandon.

Jugement ou analyse?
En nous intéressant précédemment aux méthodes d'analyse,
nous avons passé en revue un certain nombre de positions où
l'un des joueurs ne s'ouvrait la voie vers la victoire qu'en
s'engageant dans le dédale de variantes complexes, la nature
de ces positions étant telle qu'elles ne pouvaient être appréhen-
dées autrement.
Nous avons par ailleurs insisté sur la nécessité pour un joueur
qui souhaite devenir grand-maître d'être en mesure d'analyser
avec exactitude, car c'est ainsi que se gagnent la majorité des
parties. Il y a néanmoins des positions, et même des parties
entières, où l'analyse cède le pas devant le simple jugement
positionne!, l'estimation globale. Dans de telles situations, un
grand-maître s'en remet à ce que nous appellerons sa compré-
hension de la position, ou sens positionne!.
Comment reconnaît-on qu'une position appelle à être esti-
mée, jugée, ou qu'elle exige une analyse approfondie ? Il me
semble que la réponse ne choquera personne. Le caractère
-96-
d'une position est généralement déterminé par la nature de
l'ouverture qui l'a engendrée. Dans une position fermée, où
il n'y a encore aucun contact entre les deux camps, le choix
du meilleur coup se fera normalement sur la base de considé-
rations positionnelles et le jugement s'avérera capital ; lorsque
l'ouverture donne lieu d'entrée à un violent corps à corps,
alors il faut analyser sans relâche.
Pour illustrer cette opposition, prenons deux exemples
d'ouverture. Dans le Gambit de la Dame, après les coups
1. d4, d5 2. ç4, é6 3. Cç3, Cf6 4. çxd5, éxd5 5. F~5, ç6
6. é3, Fé7 7. Fd3, o-o 8. Cf3, Cbd7 9. Dç2, Té8 10. o-o,
Cf8, vouloir analyser les variantes serait vain et coûterait
du temps et de l'énergie.

n° 52

abcdefgh

Dans de telles positions, un grand-maître cherche à bien


disposer ses pièces, quel(s) affaiblissement(s) il peut créer dans
la position adverse et quel(s) point(s) dans son propre camp
demande(nt) à être renforcé(s). La réflexion sera guidée par
des considérations générales et les calculs concrets seront
abandonnés.
Il en va différemment dans la position suivante: 1. d4, Cf6,
2. Cf3, d5 3. ç4, Ff5 4. Db3, Cç6 5. Cç3, é5 6. çxd5
Cb4 7. é4, Cxé4 8. Fb5+, ç6 9. dxç6. bxç6 10. Cxé5, Fé6
(Belavenets-Lissitsine, championnat d'URSS 1937) ( Diagr. 53).
Il est ici clair qu'un joueur qui jouerait uniquement en
fonction de principes généraux irait au-devant de sérieux
déboires. Il faut être attentif, sous peine de perdre du matériel.
- 97-
n° 53

abcdefgh

Cette position exige un calcul précis des variantes, le contrôle


de chaque coup, de chaque menace.
j'espère donc qu'au terme de cet entretien vous saurez
discerner les positions qui réclament un calcul rigoureux des
diverses possibilités tactiques de celles où un jugement sain
vous fera trouver la continuation exacte.
Encore une chose. L'expérience ainsi que les analyses répétées
des positions les plus variées finissent par constituer une somme
de connaissances qui s'emmagasinent dans l'esprit d'un joueur,
lui permettent ensuite d'estimer telle ou telle position d'un
seul coup d'œil. C'est cette érudition qui aide un grand-maître à
élire le coup juste sans trop réfléchir.

0° 54

abcdefgh

-98 -
Alékhine-Flohr, Nottingham 1936. Les Blancs Jouèrent
46. Txé6 ! , et commentent ainsi le coup :
«Une de ces combinaisons que le joueur expérimenté n'analyse
pas jusqu'à la fin, car il sait que les Pions de l'aile-Roi feront
la décision. >>
Aussi assurez-vous d'être en possession d'un tel arsenal,
afin également de savoir ce qui arrivera.

Faut-il faire confiance à l'adversaire ?


Il arrive qu'au cœur de la bataille un grand-maître se trouve
dans la situation suivante : après que son analyse lui ait montré
qu'un des coups-candidats est fort satisfaisant, il remarque que,
s'il diffère ce coup et incite son adversaire à choisir une certaine
réponse, alors le coup-candidat gagnera immédiatement.
Les doutes commencent alors à assaillir notre homme :
doit-il jouer immédiatement le coup en question, ou bien le
différer? Il est tentant d'attendre, l'adversaire étant suscep-
tible de jouer le coup que vous voulez le voir jouer, et alors
vous gagnerez sûrement. Il peut en revanche éventer la mèche
et ne pas marcher dans le chemin que vous lui avez tracé 1
Dans ces situations, seul un esprit fort peut surmonter la
tentation et jouer strictement en accord avec les exigences de la
position. Ceux qui ont un caractère plus facile se laisseront
probablement aller à tenter leur chance.
Dans l'exemple suivant, c'est un joueur pourtant très doué
et d'une grande force pratique qui se rend coupable d'une telle
faiblesse.

n° SS

abcdcfgh

-99-
Ragozine-Levenfi.sh, tournoi d'entraînement :r922. Trait
aux Noirs. Voici les variantes analysées par Levenfish :
A. lJ ... Dxé3+ 14. Rfr, Fxç3 15. bxç3, Cé4! 16. Fxé4,
rlxé4 17. Tér, Dd3+ 18. Rfa, o-o-o 19. Dxé4, Dxç3 20. Tb1,
Cb6 2r. Thç1, Da3, et les Noirs sont mieux.
B. lJ ... Dxé3+ 14. Rfr, Fxç3 15. bxç3, Rf8!! r6. Té1, Cg4!
17. Cé5, Cdxé5 (c'est pour rendre ce coup possible que les
Noirs ont mis leur Roi en f8 plutôt que de faire le grand roque)
18. dxé5, Té8 19. h3, Dxé1+, et gain.
Que souhaiter de plus? La prise sur éJ donne l'avantage
dans tous les cas, et pourtant Levenfish joua le faible
13 .•.h3?. Voici comment il expliqua par la suite son erreur :
« L'appétit vient en mangeant. Dans les deux variantes précé-
dentes les Blancs pouvaient entrer en finale ai1ec un Pion de
moins, aussi je cherchai à obtenir plus et vis alors la combinaison
13... Cg4 l 4. Dxg4, Dxé3+ 15. Fé2, Fxç3+ 16. bxç3, Dxç3+
17. R/2, C/6 18. D/4, Cé4+ forçant un abandon immédiat. Mais les
Blancs peuvent jouer autrement après 13... Cg4: 14. o-o!,Dxé3+
15. Rh1, Fxç3 16. bxç3, C/2+ 17. Tx/2, Dx/2 18. Té1+.
Rd8 19. Dx/7, et ce sont eux qui doivent gagner et non plus les
Noirs. je choisis donc un coup qiû prépare la combinaison intro-
duite par Cg4 et la rend correcte même après le petit roque blanc.»
Levenfish joua donc 13 .•. h3 avec l'idée, sur la réponse auto-
matique 14. gJ - le coup en lequel il avait placé tous ses
espoirs-, de jouer avec encore plus de force 14... Cg4, les
Blancs n'ayant plus la ressource de prendre en f7 avec la
Dame en fin de variante.
Et si les Blancs jouent un autre quatorzième coup ? Cette
pensée n'a pas dû retenir l'attention des Noirs, qui s'attendaient
à ce que Ragozine ne décèle pas toutes les finesses cachées de la
position ·et précipite sa perte par 14. gJ. Ce coup, bien sûr, ne
fut pas joué par Ragozine...
Cet exemple d'estimation catastrophique nous fait énoncer
une nouvelle règle : Ne comptez jamais sur une erreur
de l'adversaire! Combien de positions favorables ont été
gâchées par des joueurs qui, voulant en terminer rapidement.
n'ont pas respecté ce précepte. Jouez logiquement, ne comptez
pas sur votre ennemi pour vous aider!
Considérons un autre cas. Votre adversaire se met à réfléchir
pendant une demi-heure et sacrifie un Pion. Devez-vous
prendre ou ne pas prendre ce Pion? Du point de vue stricte-
ment théorique. vous êtes censé vous atteler à la tâche et à
- 100-
votre tour étudier toutes les variantes de A à Z; seule une ana-
lyse peut vous dicter la réplique exacte.
Mais en pratique un joueur réagit souvent de façon diffé-
rente. Il fait confiance au jugement de son adversaire, estimant
que le sacrifice d'un Pion venant au terme d'une si longue
cogitation ne peut être que correct. L'adversaire l'a bien vérifié
et a dû voir quelque chose. Pourquoi donc dépenser une demi-
heure à son tour pour aboutir vraisemblablement à une conclu-
sion identique? N'est-il pas plus avisé de simplement croire
l'adversaire et ainsi d'économiser du temps?
Si vous connaissez bien votre adversaire, un autre facteur
entre en ligne de compte. Quelle sorte de joueur est-il? Si vous
le savez très précis dans ses calculs, alors vous pouvez d'emblée
refuser le sacrifice. S'il appartient plutôt à ce type de joueurs
peu rationnels qui affectionnent les complications et le jeu risqué,
si vous avez perçu dans son style une tendance au bluff, alors
vous avez tout intérêt à vérifier son analyse, dans la mesure où
votre pendule l'autorise. Si, au cours de ce contrôle, vous décou-
vrez que l'offre du Pion n'est pas fondée, eh bien, vous n'aurez
plus qu'à gober ce Pion 1 La connaissance de votre adversaire
vous aidera donc à établir si vous vérifiez ses calculs, ou si vous
faites confiance en ses capacités d'analyse et économisez du
temps, qui pourra se révéler utile par la suite.
Une dernière remarque. Il est établi depuis longtemps que
de nombreux joueurs pensent au coup exact immédiatement
après que leur adversaire a joué le sien. Ce travail inconscient
provient de ce que l'on appelle l'intuition, qui se développe
avec l'expérience et se nourrit de l'ensemble des parties de
tournoi disputées par le joueur. J'ai personnellement eu l'occa-
sion de remarquer que les coups que j'effectuais à contrecœur,
«comme si je forçais ma main», se révélaient souvent être une
faute décisive.
C'est bien sûr à vous d'étudier vos propres réactions. Le coup
que votre main a une furieuse envie d'exécuter s'avère-t-il
généralement une bonne réplique sur le plan positionne!? Si
oui, vous pouvez dans l'ensemble vous fier à votre inspiration.
Je répète que cette aptitude est le fruit de l'expérience. Votre
réaction spontanée, votre désir impérieux de diriger votre main
vers une pièce pour la jouer sur une certaine case, et cela sans
analyse, proviennent d'un processus de pensée très particulier;
dans l'ensemble, ces impulsions ont du bon, mais dans certaines
limites.
- 101 -
Au sujet du zeitnot
Un grand-maître s'assoit pour des heures devant l'échiquier,
dans le calme feutré de la salle de tournoi. Abîmé dans ses pen-
sées, tout ce qu'il fait, et encore de temps en temps, c'est
bouger une pièce, presser le bouton de sa pendule et changer
de position sur sa chaise. Tandis que se succèdent des périodes
tranquilles d'apparente inactivité ...
Ce tableau, qui décrit assez bien l'ambiance au début de la
ronde, se modifie au fur et à mesure qu'approche la fin de la
séance. L'atmosphère devient dans la salle beaucoup plus ten-
due. Les spectateurs s'excitent, les arbitres s'affairent, les
joueurs eux-mêmes deviennent nerveux. Tels sont les signes
avant-coureurs du zeitnot, cette phase de la partie aussi pas-
sionnante que pénible. Là où la partie se décide parfois en un
éclair, là où la plupart des fautes sont commises. C'est en
zeitnot que se forgent bien des joies imméritées et bien des
chagrins.
Lorsque le drapeau se lève et qu'il ne vous reste plus que
quelques secondes pour atteindre le contrôle, vous ne pouvez
calmer votre nervosité. Certains forts joueurs ne parviennent
pas à se dominer. Ainsi Reshevsky se balance sur sa chaise à
une cadence accélérée, se chuchote à lui-même et lance des
regards effrayés à sa pendule.
Chez d'autres c'est l'inverse qui se produit. Bronstein, même
dans les zeitnots les plus redoutables, prend encore le temps non
seulement d'écrire les coups mais aussi continue à noter en
~arge de sa feuille de partie le temps consommé par chaque
1oueur.
Le zeitnot est un moment privilégié pour les gaffes. Serait-il
raisonnable de vous piaindre, en faisant remarquer combien
vous étiez pressé, quelle misérable poignée de secondes il vous
restait pour prendre des décisions cruciales? Non, personne ne
vous écouterait, pas un arbitre n'irait changer le résultat sur la
grille du tournoi. Je vous conseille d'avoir une attitude extrême-
ment sévère vis-à-vis des erreurs de zeitnot; écoutez ce que
disait Alékhine après avoir gaffé contre Taylor à Nottingham
en 1936 : «Un coup épouvantable. A mon avis, le fait que les
Blancs étaient en zeitnot lorsqu'ils commirent cette erreur ne les
rend pas moins coupables qu'un assassin qui tenterait de faire
valoir au fu.ge qu'il était ivre au moment de son crime. L'incapa-
cité d'un maître expérimenté à résoudre le problème posé par la
- 102 -
pendule doit être considérée comme une faute, au même titre
qu'une omission dans le calcul d'une variante. »
Rappelez-vous bien cela!
Il n'empêche que le zeitnot demeure une réelle épreuve, et il
m'a donné l'occasion au cours de ma carrière d'assister à toutes
sortes de réactions d'humeur ou de comportements inhabituels.
Ainsi cet arbitre qui, ayant perdu son sang-froid, lança aux
joueurs :
«Ne jouez pas si vite, je ne peux plus vous suivre ! »
Je vis une autre fois dans un club de Moscou deux joueurs
de première catégorie expulser les pièces si violemment lors
des échanges qu'elles tombaient systématiquement sur le
sol. On aurait plutôt imaginé qu'ils jouaient aux quilles qu'aux
échecs! Une fois, le maître I. Mazel, qui avait cessé de noter
les coups, voulut savoir s'il avait fait assez de coups en
jetant un regard sur la feuille de son adversaire, le maître
N. Kopaev. Celui-ci, mécontent, cacha sa feuille sous la table
et ne l'exhiba à nouveau qu'après que Mazel eut mis une pièce
en prise au 52e coup, lorsque se trouvait atteint déjà le contrôle
de temps suivant 1
Autant d'événements étranges, autant de tragédies 1 Mais
quelle est la meilleure marche à suivre lorsque vous vous
trouvez en zeitnot? Quels conseils donner? C'est un vaste
sujet qui mériterait que l'on y consacre des pages et des pages et
que nous ne pouvions ignorer dans le cadre de ce livre.
L'approche du zeitnot entraîne une modification du mode de
réflexion du joueur. Il cherche plus à trouver des coups à court
terme qu'à se pencher sur des problèmes généraux ; comme le
remarque Bronstein, « Pfas vous êtes en zeitnot, plus vous délais-
sez la stratégie au profit de la tactique». Lui-même est un expert
en la matière, et ses nombreuses expériences du zeitnot ont
généralement tourné en sa faveur.
Le principal est peut-être de garder son sang-froid. Tout le
monde n'en est pas capable, c'est pourquoi certains joueurs
rusés recherchent délibérément à se trouver en zeitnot à partir
du moment où ils ont obtenu une position difficile. Ils espèrent
que leur adversaire perdra la tête et commettra une faute.
Il faut savoir comment contrer ces joueurs.
Dans une certaine mesure, il est normal que le zeitnot de
votre adversaire vous trouble. Comment en effet rester insen-
sible à ses gesticulations, à ses contorsions et à ses grimaces ?
- 103 -
Smyslov m'a expliqué comment il réagissait face à une telle
conduite. Lorsque je lui avouai que je ne pouvais supporter
les geignements et les soupirs de supplicié de Reshevsky,
comme si on lui brûlait la plante des pieds, Smyslov me dit :
«Vous n'avez qu'à vous éloigner de l'échiquier; votre pendule vous
le permet. Allez faire un petit tour et laissez-le mijoter dans son
jus. Lorsque ce sera à vous de jouer, revenez, et puis recommencez le
procédé. »J'ai essayé cette méthode; même si vous perdez ainsi
un peu de temps, elle vous sera d'un grand secours.
Certains prétendent qu'il faut exploiter le zeitnot de l'adver-
saire en jouant soi-même rapidement, afin de ne pas lui donner
la possibilité de réfléchir sur un temps qui n'est pas le sien.
Conscients du fait qu'on ne peut jouer vite sans risquer de
commettre une bourde, ils tentent de mettre sur pied une longue
variante puis en exécutent les coups à toute allure, avec l'espoir
de désarçonner leur adversaire. Cette méthode de jouer par
à-coups se retourne toutefois très souvent contre le joueur qui
ne subit pas la crise de temps !
Mais les plus graves problèmes surgissent lorsque c'est vous
qui êtes en zeitnot, et non votre adversaire. Avant toute chose,
comment vous y prenez-vous pour tenir la comptabilité des
coups déjà joués et de ceux qui restent à effectuer jusqu'au
contrôle? Il se peut en effet que vous ayez cessé de tenir à jour
votre feuille de partie, et vous ne pouvez alors espérer aucune
aide de l'extérieur - les règles de la FIDE n'autorisent pas
à se renseigner auprès de qui que ce soit. Des joueurs inventifs
ont imaginé divers expédients en guise de solution. Certains
prennent la précaution de disposer une rangée de pièces (parmi
celles qui ont déjà été échangées) à côté de l'échiquier, dont la
quantité correspond au nombre de coups qui restent à jouer.
A chaque nouveau coup ils écartent une pièce, si bien qu'ils
disposent à tout moment d'un contrôle visuel. Mais si, dans leur
hâte extrême, ils oublient de retirer une ou plusieurs pièces,
ils auront à effectuer autant de coups supplémentaires avant
de se sentir en sécurité.
D'autres écrivent sur leur feuille de partie des instructions.
Par exemple en face du 3oc coup ils inscrivent « 2 heures » et
en face du 35e coup<< 2 heures 15 minutes n. Mais dans la pratique
ils n'observent pas leurs propres recommandations et se retrou-
vent régulièrement à court de temps!
Je ne me permettrai qu'un seul conseil : ne soyez jamais en
zeitnot, ou, si cela YOUS arrive tout de même, entraînez-vous à
- 104 -
jouer alors comme si vous n'étiez pas pressé par le temps. Si
votre adversaire se trouve en zeitnot, n'en tenez pas compte et
jouez comme si de rien n'était. Enfin, si vous êtes en zeitnot,
je le répète, ne vous affolez surtout pas. Maintenez la même
écriture claire pour noter vos coups, étudiez toujours aussi
méthodiquement les variantes - mais à un ryt l}me accéléré.
A ceux qui m'objecteront : «C'est très bien de prodiguer des
conseils, mais vous, comment vous comportez-vous? », je
répondrai qu'en principe les meilleurs joueurs du monde jouent
en zeitnot comme s'ils n'y étaient pas. Puissiez-vous donc
suivre leur exemple.

Exercices

Voici quelques «histoires sans paroles » destinées à entraîner


le lecteur. Qu'il exerce ses capacités de calcul, qu'il reconnaisse
les coups-candidats.
Sous chaque diagramme est posée une colle. Analysez à
fond, sans aide extérieure. Puis reportez-vous aux solutions
(à la fin du livre) . j'ai sélectionné des positions célèbres qui
ont été particulièrement fouillées, soit dans les livres de tournoi,
soit dans les recueils de parties, afin que les lecteurs intéressés
puissent approfondir res exemples en se reportant aux ouvrages
en question.

n° 56

ab cd e f gh

Diagramme 56. Les Blancs peuvent-ils jouer I. Cxç7,


Txç7 2. Tx<l6?
- 105 -
n° 57

Diagramme 57. L'agressif 1. Cc4 force-t-il le gain?

n°58

abcdefgh

Diagramme 58. Sur le plan positionne!, I. b4 assure aux


Blancs un certain avantage, mais n'existe-t-il pas une réfutation
à ce coup académique?
N'hésitez pas à citer une cascade de variantes.
- 106-
n° 59

abcdefgh

Diagramme 59. Cinq cases s'offrent au Cavalier blanc.


Quel est le meilleur coup?
Etayez à nouveau votre réponse de variantes précises.

n° 60

abcdefgh

Diagramme 60. Les Blancs jouèrent I. FfI. Pouvaient-ils


se sauver par I. Dxd6 ou I. Txd6?
- 107 -
n°61

ab cde f gh

Diagramme 61. Les Blancs sacrifièrent le Cavalier sur és.


De quels coups-candidats noirs avaient-ils dû tenir compte ?
Quelles variantes avaient-ils calculées?

n°62

ab cdef gh

Diagramme 62. Les Blancs doivent-ils jouer le Cavalier


ou la Dame?
- 108 --
n°63

abcdefgh

Diagramme 63. Les Noirs jouèrent fautivement r. .. Rxb4?.


Pouvaient-ils s'en sortir par I ... Ra4?

n°64

abcdefgh

Diagramme 64. Les Blancs disposent-ils d'une planche de


salut ? Calculez les variantes.
- 109 -
n° 65

abcdefgh

Diagramme 65. Trouvez le meilleur coup noir.

n° 66

abcdefgh

Diagramme 66. Le sacrifice I ... Cxg4+ est-il correct?


- 110 -
n°67

Diagramme 67. Les Blancs seront-ils en sûreté après


1. Cf6, Cf4 2. Cé4?

- 111 -
LE JEU POSITIONNEL

Lorsque, il y a bien des années, un scientifique travaillant


dans le domaine de la chimie avait à analyser un corps et à en
découvrir les propriétés, il faisait essentiellement appel à ses
qualités d'observ.ation. Il ne bénéficiait pas encore de l'apport
immense qu'allaient fournir ultérieurement la déçouverte des
éléments et surtout leur classification périodique, due à Mendé-
léiev. Avec ce nouveau bagage le chimiste disposait de moyens
lui permettant non seulement de déterminer la composition
exacte d'un corps, mais aussi d'en prévoir certaines propriétés
spécifiques.
Parallèlement les joueurs d'échecs du siècle dernier se trou-
vaient généralement dans la situation de notre apprenti chimiste
de jadis, contraints de travailler empiriquement parce qu'ils
n'avaient pas reçu l'enseignement fondamental de \.Vilhelm Stei-
nitz. Il leur fallait estimer la position sur la seule base de leur
expérience, et ils ne pouvaient avoir recours qu'à des analogies.
Sitôt que Steinitz eut fait part au monde de ses travaux, les
maîtres d 'échecs eurent en main une méthode d'analyse qui les
rendait capables de juger n'importe quelle position avec une
assez grande marge de sécurité.
Comment un chimiste étudie-t-il un corps composé ? Il
détermine d'abord la présence de divers corps simples, puis
calcule dans quelle proportion chacun d'eux entre dans la compo-
sition du corps qui leur est soumis.
La décomposition en éléments simples est une méthode
universelle que l'on retrouve dans de nombreux secteurs
scientifiques. Ainsi dans le domaine où je travaillais - l'indus-
trie mécanique - les schémas les plus complexes sont en fait un
assemblage d'élémt->nts. Si compliqué que soit un projet, un
ingénieur entraîné peut en reconnaître les composants de base,
saisir leurs interactions et en fin de compte porter un jugement
sur le plan de la nouvelle machine.
- 112 -
C'est également de cette façon que travaille un maître d'échecs
aujourd'hui - époque d'une technicité avancée dans tous les
domaines de la connaissance humaine. Afin de juger correcte-
ment une position, le maître doit la décomposer en éléments.
Il 5e fait une opinion du dynamisme ou de la passivité de chaque
pièce (aussi bien les siennes que celles de son adversaire), déter-
mine les cases faibles, repère les points forts. Il notera les colon-
nes ouvertes et les diagonales libres, ces véritables autoroutes
par lesquelles ses troupes pourront investir le camp adverse.
Il est tenu compte de chaque élément et de la part qu'il prend
dans l'ensemble, ici la position. Cette analyse élémentaire
consomme une grande part du temps alloué au processus de
jugement.
Enfin, tout comme le chimiste en vient à tirer des conclusions
sur le corps qu'il étudie, le maître d'échecs synthétise ses obser-
vations et parvient ainsi à obtenir une estimation générale de la
position. Il est alors en possession des données qui lui permet-
tront de savoir quel camp a l'avantage et comment devrait
évoluer la partie. Ses conclusions ne seront certes pas aussi
irréfutables qu'un rapport scientifique mais, si tant est que les
échecs soient exclusivement une <l science », elles se seront
hissées à un niveau maximal de précision.
En résumé, juger une position revient à en analyser les
divers éléments auparavant décomposés, puis à opérer une
synthèse.
Pouvoir bien évaluer une position est une qualité primordiale
chez un bon joueur. Ecoutons Botvinnik : «Tout s'améliore, y
compris la technique du jeu positionnez. Les joueurs se f amt'.lia-
risent avec un nombre de plus en plus important de positions
typiques, de nouvelles méthodes sont en cours de développement.
Cependant, l'aptitude à juger une position demeure essentielle,
tout comme l' aptititde à analyser les variantes. n
Steinitz et ses successeurs développèrent les concepts sui-
vants, en tant qu'éléments d'une position:
r. les colonnes ouvertes; les diagonales ;
2. le squelette de Pions, les cases faibles ;
3. la disposition des pièces ;
4. l'espace et le centre.
Ils considéraient également que la paire de Fous constituait
un avantage quasi décisif, mais plus que toute autre cette affir-
mation est aujourd'hui très controversée. Ainsi, je me rappelle
- 113 -
fort peu de cas où la paire de Fous suffit à elle seule à donner
la victoire. Dans presque toutes les finales où j'ai vu un
camp gagner avec la paire de Fous, ce camp bénéficiait d'autres
facteurs favorables (Roi plus actif, avantage spatial, faiblesses
ennemies). Par contre, j'ai en tête de nombreuses positions où
les deux Cavaliers firent preuve d'une activité débordante et
ridiculisèrent carrément les Fous. Je ne crois donc pas qu'il
faille considérer la paire de Fous comme un facteur isolé et
indépendant des autres.
A l'époque de Steinitz et de Tarrasch, une confiance absolue
était apportée aux règles clairement formulées. De nos jours,
grâce principalement aux recherches des théoriciens soviétiques,
chacun des concepts positionnels ci-dessus a été plus ou moins
modifié. Comme le lecteur le verra par la suite, l'école d'échecs
soviétique prône une approche créative et concrète dans l'étude
de toute position. Cette attitude nous a évité de nous enfermer
dans des dogmes et des assertions trop scolastiques, et a favo-
risé un épanouissement de l'art des échecs. Dans ce chapitre
relatif au jugement positionne!, je tenterai d'exposer au lecteur
les notions modernes de jeu positionne!.
Précisons enfin que si un quelconque élément positionne!
n'entre généralement qu'en partie dans notre jugement général,
il peut aussi parfois se révéler le facteur décisif qui assure le
gain (ou la perte... ). Il faut bien comprendre cela afin, le cas
échéant, d'en tirer parti dans la pratique.

Colonnes ouvertes, dia~onales

Tout joueur de club connaît aujourd'hui l'importance vitale


des colonnes ouvertes et des diagonales, il est donc inutile
d'insister sur cette évidence. Nous nous en tiendrons donc
uniquement à quelques exemples percutants, caractéristiques
pour la compréhension actuelle de cet élément.
Voici ce qui justifie l'importance des lignes ouvertes :
I. Ce sont des voies stratégiques qui permettent au camp
ayant l'initiative d'envahir les bases de l'ennemi et de semer la
perturbation parmi ses troupes.
2. Le fait que des colonnes soient ouvertes permet ~·y accu-
muler du matériel et de le diriger contre les Pions faibles adver-
ses.
- 114-
Les exemples suivants sont particulièrement édifiants.
Plater-Botvinnik, URSS 1947 : 1. é4, ç5 ; 2. Cél, Cf6;
3. Cbç3, d5; 4. éxd5, Cxd5; 5. Cxd5, Dxd5; 6. Cç3, Dd8;
7. Fç4, Cç6; 8. d3, é6; 9. o-o, Fé7; 10. f4, o-o; 11. Cé4,
Ca5; 12. Fb3, Dd4 +; 13. Rhl, ç4; 14. ç3, Dxd3; 15. Dxd3,
çxd3; 16. Cf2, Tfd8; 17. Tfdl, Fç5!;18. Txd3, Fd7; 19. Fé3,
Fxé3 ; 20. Txé3, Fb5.

n°68

abcdefgh

Commentaire de Botvinnik : « La position s'est clarifiée.


Les Noirs contr~lent fermement la colonne « d » et leur Fou se
montrera supérieur au Cavalier blanc (après l'inévitable échange
sur b3), surtout si l'on considère la structure ajfai blie des Pions
de l'aile-Roi. »
C'est le jugement d'un champion ! La domination de la
colonne « d » suffit à Botvinnik pour forcer le gain à partir d'une
position qui paraissait à peu près équilibrée. Botvinnik ajoute :
« Pour Rubinstein, le maître incontesté de ce genre de position,
le gain ne serait qu'une question de technique. Le gain noir est ici
facilité par le fait qu'il n'y a qu'à suivre un chemin bien dessiné. >i
Nous reviendrons plus loin sur la nécessité de prendre en
compte l'héritage que nous ont légué les maîtres de jadis. La der-
nière remarque de Botvinnik laisse deviner qu'il a passé beau-
coup d'heures à étudier la manière dont Akiba Rubinstein
avait l'habitude de traiter des positions aussi simplifiées.
21. Cé4, b6. Afin de jouer f7-f5 sans craindre le saut du
Cavalier en g5.
- 115 -
22. Taél, Cxb3 ; 23. axb3, a5. «Dorénavant, les trois Pions
blancs de l'aile-Dame ne valent pas plus que les deux Pions noirs
qui leur font face. Cela se précisera lorsque les Blancs joueront
ç3-ç4. :> - Botvinnik.
24. h3, Taç8 ; 25. Rgl, Rf8; 26. Rh2, Tç7; 27. Rg3, b6;
28. Rh2, Tçd7; 29. Rgl, Tdl ; 30. ç4, Fç6; 31. Cç3, Txél + .
« Dès qu.e les Noirs seront parvenus à améliorer la position de
leur Roi, ils pourront échanger la dernière paire de Tours, car
Rttbinstein démontra en de nombreuses occasions la supériorité du.
Fou sur le Cavalier dans ce type de positions. » - Botvinnik.
32. Txél, Ré7 ; 33. Té2, f6; 34. Rf2, Td3. «La cause est
à présent entendzie », écrit Botvinnik, «les Blancs manquent
de coups utiles. Ils peuvent échanger les Tours, au prix de nouveaux
affaiblissements de l'aile-Roi ; cela ne fait que retarder l'échéance. »
35. h4, h5 ; 36. Té3, Td2 + ; 37. Tél, Td.3 ; 38. Té3,
Td2+ ;39. Tél, Txé2+ ;40. Cxél, Rd6;41. Cd4, g6 !

n°69

abcdefgh

Les Noirs surveillent le point f5 et pourront donc jouer é6-é5.


Leur Roi s'infiltrera ensuite jusqu'en b4 via ç5. A ce plan, les
Blancs n'ont rien à opposer.
42. g3, é5; 43 . fxé5 +, fxé5; 44. Cç2, Fé4; 45. Cél, Rç5;
46. Ré3, Ff5 ; 4 7. Cf3, Rb4 ; 48. Cd2, F·ç 2. Après la chute du
Pion b3, les Noirs l'emportèrent facilement.
Dans cet exemple, les Noirs n'eurent besoin que d'une Tour
installée sur une colonne ouverte pour gagner. Sa pénétration
au cœur <le la position adverse eut pour conséquence de séparer
- 116 -
J'armée ennemie en deux parties disjointes. Cet épisode eut lieu
en finale; l'exploitation d'une colonne ouverte en milieu de
partie est généralement plus difficile. Une partie que je ne suis
pas près d'oublier est celle que je jouai avec Steiner au cours du
match URSS-USA de 1955. Les pièces lourdes blanches imposè-
rent leur loi et empêchèrent leurs homologues adverses de
secourir leur Roi assiégé.

n°70

abcdefgh

Cette position survint après 24 coups; les Blancs ont un avan-


tage manifeste grâce à l'initiative que leur confère le contrôle de
la diagonale b1-h7. Afin de renforcer leur pression sur le flanc-est,
ils décident d'ouvrir la colonne « g n.
25. Tf3!, Cd6; 26. g4, Tf8; 27. Rhl, Rh8; 28. Tgl,
Dd8; 29. Tfg3, Td7; 30. g5 !, Cf5; 31. Fxf5, éxf5; 32. gxh6,
gxh6; 33. Dg2 !.

n° 71

abcdefgh

- 117 -
L'entreprise des Blancs est un succès total : leur artillerie
lourde domine la colonne (( g »et menace de rentrer en gJ. Les
Noirs vont s'y opposer mais la Tour blanche pénétrera tout de
même en g6 pour assener au coup suivant un coup mortel en g8 1
Les Noirs sont impuissants face au triplement des pièces
lourdes adverses le long de la colonne « g ».
33 .•• Tdf7. Se préparant astucieusement à réfuter 34. Tg7
par 34... Dé8; 35. Dg6, Dé4+; 36. Rh2, Dç2+; 37. Tg2, Dxgz+I,
avec avantage noir.
34. Tg6 !. Menace 35. Txh6+, Th7 36. Dg7 mat, et n'auto-
rise aucune défense.
34... Dé7 ; 35. Tg8 +, abandon.
Impressionnant est également le travail des Tours blanches
dans la partie Alékhine-Nimzovitch, San Remo 1930.

n° 72.

abcdefgh

Quelques forts coups positionnels assurent à Alékhine la domi-


nation de l'unique colonne ouverte.
15. a5!, Cç8; 16. Cxb7, Dxb7; 17. a6, Df7; 18. Fb5.
Provoque une mobilisation générale des forces noires pour main-
tenir en place le Cavalier ç6, dont le départ accorderait un trop
grand champ de manœuvres aux Tours blanches sur la colonne
<< ç ». Si en effet ce bastion venait à craquer, ce serait vite l'inva-
sion sur les 7e et Se rangées.
- 118 -
18 .•. C8é7; 19. o-o, h6 ; 20. Tfçl, Tfç8 ; 21. Tç2, Dé8.
Tout le monde doit participer au soutien du Cavalier ç61.
22. Taçl, Tab8; 23. Dé3, Tç7; 24. Tç3 ! ,Dd7 ;25. Tlç2 !.
Une concentration décisive 1 Il est capital que les Tours précè-
dent la Dame dans ce triplement ; investir les deux dernières
rangées sera plus commode, les Tours excellant dans ce genre
d'exercice. Elles constituent dans ce cas l'élément dévastateur.
Par ailleurs, tandis que les Tours seront lancées dans la bagarre
et exposées à des échanges, la Dame demeure en sécurité tout en
supervisant les opérations.
25 ... Rf8. Même le Roi doit venir colmater les points d'entrée
sur la colonne « ç ».
26. Dçl, Tbç8 ; 27. Fa4 ! . Découvre une nouvelle ressource:
l'avance b4-b5.
27 ..• b5. Les Noirs doivent jeter du lest mais l'appétit des
forces blanches ne s'en trouve pas diminué pour autant.
28. Fxb5, Ré8 ; 29. Fa4, Rd8; 30. h4 !, abandon. La posi-
tion finale présente un joli zugzwang.

n°73

ab cdef gh

Il est clair que les Noirs ne disposent pas de coups utiles.


Lorsqu'ils auront épuisé leur réserve de coups de Pion, ils
devront se résoudre à déplacer une figure (disons Dd7-é8), et
l'avance du Pion « b ii gagnera du gros matériel.
Lorsque les Tours pénètrent sur les deux dernières rangées de
l'adversaire, il s'ensuit généralement de sérieux dégâts; même
- 119 -
si elles ne ramassent pas au moins quelques Pions, leur seule pré-
sence peut se révéler décisive. C'est ce qui arrive dans l'exemple
suivant, où la simple installation d'une Tour noire en ç2 désor-
ganise tant le jeu des Blancs que ceux-ci ne peuvent plus qu'op-
poser une résistance symbolique. Cette partie (Stahlberg-Taïma-
nov, tournoi des Candidats, Zurich 1953) illustre d'ailleurs dans
son ensemble les méthodes modernes consistant à profiter des
avantages acquis dans l'ouverture, y compris les colonnes
ouvertes.
Après 1. d4, Cf6; 2. ç4, é6; 3. Cf3, b6; 4. g3, Taimanov
surprit déjà son adversaire en jouant 4 ••. Fa6. Il suivit :
5. Da4, Fé7; 6. Fg2, o-o; 7. Cç3, ç6; 8. Cé5. Laisse les
Noirs s'emparer de l'initiative. Préférable était 8. Ff4!.
8 ... Dé8 ; 9. o-o, d5 ; 10. Tél, b5 ! ; 11. çxb5, çxb5;
12. Ddl, b4; 13. Cbl, Cç6; 14. Cxç6, Dxç6. Les Noirs ont
déjà pris une nette avance dans la course à l'occupation de la
colonne « ç ». Les prochains coups de Taimanov visent tous à
accroître et renforcer le contrôle de cette importante colonne
- la seule qui soit ouverte.
15. Cd2, Db6; 16. é3, Taç8; 17. Ffl, Tç6; 18. Fxa6,
Dxa6; 19. Cf3, Tfç8; 20. Db3, Cé4; 21. Cd2, Tç2 !.

n°74

a b c d e f g h

Cette Tour ne va occasionner aucune perte matérielle mais,


même sans capturer des pièces ou grappiller quelques Pions, elle
ne cessera pas d'empoisonner l'existence des Blancs. Son rayon-
- 120-
nement rendra la défense intenable, elle contraindra les forces
blanches à une lente mais inexorable paralysie.
22. Cxé4. Les Noirs auraient pu au coup précédent obtenir
deux pièces mineures pour une Tour, en jouant 21 ... TxçI puis
22 ... Cxd2, mais ils ont estimé que l'occupation de la 7e rangée
leur rapporterait davantage. Incapable de soutenir la tension,
Stahlberg décide d'éliminer au moins cette menace.
22 ... dxé4; 23. a3, lh5 . A présent se dessine une attaque
contre le roque blanc. Taïmanov mène cette partie avec une
grande énergie.
24. d5, T8ç4; 25 . Tdl, éxd5 ; 26. Fd2, Df6 ; 27. Tbl, h4;
28. Da4, Df5; 29. Dxa7 , Ff8. Permet aux Blancs d'échanger
les Dames et de prolonger la résistance, alors que 29 ... Fg5 aurait
permis d'en finir rapidemen t par une attaque directe contre le
Roi. Des goûts et des couleurs on ne discute pas ; le grand-maître
de Leningrad réalisa tranquillement son avantage en finale et
força l'abandon au 42e coup.
Dans ces derniers exemples, les colonnes ouvertes ont servi à
transférer les pièces vers des postes clefs situés dans le camp
adverse. Tout aussi compréhensible est l'usage que l'on peut faire
d'une colonne ouverte pour exercer une pression (à distance ou
non) sur un Pion faible. Voici un exemple classique de <1 bombar-
dement».

n°75

abcdefgh

Tarrasch-Alékhine, Carlsbad 1923. Le Pion « ç 11 arriéré va


devoir subir la pression des Tours noires massées sur sa colonne.
- 121 -
Le champion russe commence par fixer le Pion, puis force sa
capture par quelques coups énergiques.
18 . •. d4 ! ; 19. Fd2, Taç8; 20. Tél, Tç7 ; 21. b3. Espérant
bloquer la colonne en amenant le Cavalier sur ç4. Mais il n'en
sera rien 1
21. .. Tfç8; 22. Tçl, Df5 ! ; 23. Té4, Cd5; 24. Cb2, Cç3;
25. Fxç3, Txç3 ; 26. Dé2, Fh6 ! . Chasse la Tour qui défendait
trop bien le point ç2.
27. g4, Df6; 28. Té8 +, Txé8; 29. Dxé8 +, Rg7; 30. Tfl,
Txç2. Le Pion n'a pas tenu debout longtemps face à la tempête.
La réalisation de l'avantage noir présente quelques subtilités,
mais Alékhine se montre à la hauteur.
31. Cd3, Df3;32. Cé5, Dd5 ;33. Cd7, Dd6; 34. Tdl,
Fé3 ! , et les Noirs ne tardèrent pas à dominer tout l'échiquier.

Colonnes ouvertes et idées modernes

Les colonnes ouvertes ont toujours été et seront toujours


prisées de tous. Même les inventifs hypermodernes n'ont sur ce
point rien apporté de neuf, eux qui pourtant ont contesté bien
des idées classiques et conduit à réviser le jugement échiquéen.
Toutefois, la signification des colonnes ouvertes n'est pas exacte-
ment la même pour les maîtres contemporains que ce qu'elle
était pour leurs aînés, et vous devez être informé de ces nuances.
D'abord, les théoriciens modernes proclament qu'il ne faut pas
surestimer la possession d'une colonne ouverte. Çet avis prend
toute sa dimension lorsque l'on pense en termes de stratégie.
On pourrait en effet citer d'innombrables parties où le contrôle
absolu d'une colonne ne permit pas pour autant au bénéficiaire
de marquer le point. Soit les cases d'entrée étaient trop bien
gardées parla défense, soit la pénétration ne servait à rien et fai-
sait plutôt penser à un grand coup d'épée dans l'eau ; il n'y avait
donc pas lieu d'immobiliser une Tour sur cette colonne.
Nous devons avoir le souci de la création en abordant cette
question du contrôle d'une colonne ouverte ou d'une diagonale,
et apprendre à combiner ce facteur spécifique avec l'action
générale de nos pièces.
Nous avons cité depuis le début de ce chapitre des cas où le
contrôle de l'unique colonne ouverte assurait le gain. Dans
- 122 -
l'exemple qui suit (Kérès-Stahlberg, tournoi des Candidats,
Zurich 1953) une seule parmi les trois colonnes ouvertes revêt
quelque importance, car elle seule offre un sérieux objectif
d'attaque - un Pion noir.

n°76

abcdefgh

Après 16 ••. ç5 s'ouvre une nouvelle ligne, la colonne« ç ».Les


Noirs contrôlent donc les deux colonnes adjacentes« ç »et« d »,
mais elles n'ouvrent le feu sur aucune cible et de plus il apparaît
difficile de forcer un point d'entrée. C'est pourquoi ces colonnes
joueront un petit rôle dans la suite des événements.
Pendant ce temps, les Blancs contrôlent la colonne '' f », mais
quelle différence avec les colonnes« ç »et« d, l La Tour blanche
attaque le Pion f7 et le Roi noir pourrait être bientôt inquiété.
Si, par un coup de baguette magique, les Blancs pouvaient
décaler un peu leurs pièces lourdes vers la droite, le Roi ennemi
vivrait ses derniers instants l On ne s'étonnera donc pas de cons-
tater qu'à elle seule la colonne « f" l'emporte sur les colonnes
« ç » et « d ».

17. Dél, Fé4; 18. Tf4, Fg6 ; 19. h4, çxd4 ; 20. téxd4,
TaçS; 21.Dé2, Tç7; 22. Tdfl ,h5; 23. Tlf3, TéçS; 24.Fd3,
Fxd3; 25. Txd3, g6. Les Blancs ont tout le jeu, la venue des
Tours noires en ç2 ou en ç1 n'a rien de préoccupant.
26. Tg3, Rh7 ; 27. Tg5, DfS ; 28. Dé4, Dh6 ; 29. d5. Donne
une chance aux Noirs de s'en tirer. 29. Tf6, amenant un blocus
complet sur l'aile-Roi, était plus efficace.
- 123 -
29 ..• éxd5; 30. Dxd5, DfS ; 31. é6, Dç5 +.Les Noirs s'affo-
lent sans raison; ils devaient essayer 31 ... f5, avec des chances
de nullité. A présent, la finale est désespérée.
32. Dxç5, bxç5 ; 33. éxf7, Rg7 ; 34. fS = D,+ Txf8 ;
35. Txf8, RxfS; 36. Txg6, ç4; 37. Tg5, Tb7 ; 38. Txb5,
Txb2 ; 39. Tç5, Tç2 ; 40. Rh2, Ré7; 41. h5, ç3 ; 42. Tç6.
abandon.

Nous venons de voir que la théorie moderne attachait aux


lignes ouvertes une valeur correspondant à l'influence qu'elles
avaient sur le déroulement de la partie. Les grands-maîtres
d'aujourd'hui. ont appris à exploiter les lignes ouvertes en liaison
avec d 'autres éléments de première importance. En établissant
un plan stratégique dès les premiers coups de la partie, ils notent
quelle part aura dans ce plan telle ou telle ligne ouverte -
colonne ou diagonale.
Les parties modernes donnent lieu très tôt à d'âpres affronte-
ments pour le contrôle d'une colonne ou d'une diagonale.
Partout dans le monde les théoriciens mettent au point des sys-
tèmes d'ouverture dont le but est le contrôle d'une ligne, élé-
ment souvent déterminant quant à l'issue de la partie.
Ainsi dans la Défense Est-Indienne, c'est souvent le Fou-Roi
noir, développé en fianchetto sur la case gJ, qui donne la victoire
aux Noirs. Elles sont innombrables, les parties qui ont été
gagnées grâce à ce Fou! Etudiez les prestations des incondi-
tionnels célèbres de cette défense - Geller, Boleslavsky,
Bronstein - et vous découvrirez des exemples de manœuvres
remarquables dont le seul objectif est d'affirmer la puissance du
Fou le long de la diagonale a1-h8.
Une solution concrète au problème des Noirs dans ce début
consiste souvent à bloquer cette diagonale avec leurs propres
Pions. Le Fou sommeille un certain temps, mais le désir de lui
dégager sa diagonale reste aussi vivace et ardent. Des efforts
considérables seront consentis par les joueurs imaginatifs pour
activer ce Fou qui, libéré, fera alors parler la poudre.
J'ai eu l'occasion de jouer une partie sur ce thème. Il me
semble qu'on y perçoit bien la volonté obsessionnelle de rendre
sa liberté au Fou.
Diagr. 77 : Neïstadt-Kotov, demi-finale du championnat
d'URSS 1956. Le Fou est tristement emmuré derrière ses fan-
tassins, et le libérer semble relever de l'utopie. Les Noirs n'en
- 124 -
n°77

abcdefgh

restent cependant pas là et mettent sur pied un plan destiné


à favoriser la mobilité du Fou. Voici les étapes de ce plan:
r. avancer le Pion« b "pour chasser le Cavalier ç3 qui défend
les cases centrales d5 et é4 (nous parlons des cases et non des
Pions qui s'y trouvent, car notre plan s'intéresse plus aux fonc-
tions des cases qu'aux Pions blancs qui éventuellement y sta-
tionnent).
2. jouer ç7-ç6 pour provoquer l'échange du Pion ds et ouvrir
ainsi la colonne « d ».
3. jouer enfin d6-d5 pour liquider le Pion é4 et parvenir à
l'avance és-é+ Le Fou est ressuscité!
19 ... b5; .20. Cfl, b4; .21. Cé.2, ç6 !. Déjà la seconde phase
du plan. 22. dxç6 est mauvais car la Dame reprend en attaquant
le Pion é4, qu'il est malaisé de défendre. Quant à la suite
22. dxç6, Dxç6; 23. Dxd6, Dxd6; 24. Txd6, Cxé4; 25. Td7, Cf5,
elle favorise clairement les Noirs.
.22. ç4, bxç3 e. p. ; 23. dxç6, Dxç6 ; 24. Cxç3, Tab8 !.
Les intentions noires se précisent mais l'attaque contre b2
prendra une ampleur formidable une fois le Fou dégagé. Dans
l'immédiat, le clouage du Pion b2 interdit la prise Dxd6, à cause
de la position en l'air du Cavalier ç3.
25. Cg3, Tb4; 26. Td2, Tfb8; 27. Tçl, Db7 !. Le triple-
ment des pièces majeures sur une colonne ouverte constitue
toujours un stratagème efficace. Les Blancs se hâtent de soute-
nir b2.
- 125 -
28. Tlç2, d5 ! ; 29. éxd5. Equivaut à une capitulation.
Une défense obstinée était 29. Fç5.
29 ... é4 !. Le rêve est devenu réalité! Le Fou revit et toutes
les forces noires coopèrent à l'attaque contre b2.

n°78

abcdefgh

30. Dél, Céxd5 ; 31. Cdl, Cd7. Une nouvelle pièce gagne
le théâtre des opérations. Les Blancs sont débordés, l'arrivée
d'un quatrième agresseur de b2 étant imminente. Ils se décident
pour une suite forcée.
32. Tç4, Txç4 ; 33. Dxç4, Cxé3 ; 34. Cxé3, Fxbl ;
35. Db3, Fg7 ; 36. Txd7. Cette tentative sera facilement réfu-
tée, mais la cause blanche était de toute façon sans espoir.
36. Dxb7, Txb7+ donnait également aux Noirs une finale
gagnante.
36 •.• Dxd7; 37. Dxb8, Dd3 + ; 38. Rçl (38. Cç2, Dd1 mat),
Dxé3 + ; 39. abandon.
Si dans l'Est-Indienne le souci des Noirs est de rendre mobile
leur Fou-Roi, en revanche dans la Défense Nimzo-Indienne ce
sont les Blancs qui tentent d'offrir de l'activité à leur Fou-Dame
à partir de la case b2. L'étudiant que ce début intéresse devrait
prendre connaissance des divers rôles susceptibles d'être tenus
par ce Fou, puis expérimenter ces possibilités dans ses propres
parties. Personnellement, je me suis aperçu que ce Fou pouvait
souvent participer à des attaques.
Quand les Blancs forcent par a2-a3 dans une Nimzo-Indienne
- 126-
leur adversaire à se séparer de son Fou-Roi, celui-ci pratique
volontiers l'échange. En effet, qu'a-t-il à craindre? La grande
diagonale a1-h8, que lorgne le Fou-Dame blanc, est embou-
teillée par les Pions ç3 et d4. Seulement les Blancs ont parfois
l'occasion en milieu de partie de se débarrasser de ces gêne~rs,
soit en les échangeant, soit en les avançant, et leur Fou-Dame
a de bonnes chances de jouer un rôle décisif.
Dans la partie suivante ce n'est pas le Fou qui exécute le coup
décisif; il se contente de stationner sur la grande diagonale, mais
quel support efficace il apporte aux deux Tours 1 Procurez-vous
un Fou de ce calibre, et vos attaques se développeront avec
bonheur!

n°79

abcdefgh

Kotov-Lissitsine, demi-finale du championnat d'URSS 1944·


Le Fou sur çr fait pitié à voir, mais regardez la transformation
qui s'opère en quelques coups 1
10. é4, çxd4; 11. çxd4, Cd7; 12. Fb2. Le monstre entre
en scène.
12 . .• b6; 13. f4, Fb7; 14. Tçl, Tç8; 15. Tf3, Cxd4. Une
grave inconséquence ; il ne fallait pas faciliter rentrée en jeu du
Fou bz, tout faire au contraire pour le mettre sous l'éteignoir. Le
plus simple était de jouer 15... f6.
16. Cxd4, éxd4; 17. Fbl?. Les Blancs se trompent à leur
tour. Correct était 17. Tg3, augmentant la pression sur l'aile-
Roi.
- 127 -
17•.• f5!; 18.Dxd4, Cf6; 19. Tél,fxé4. Aucun des joueurs
ne remarqua que les Noirs pouvaient gagner un Pion par
19... Dé7!.
20. Fxé4, Fxé4; 21. Txé4, Dç7; 22. Tg3, Dç5; 23. Dxç5,
Txç5 24. Té7. Le soutien lointain du Fou confère aux Tours
une très grande activité. La tentative de liquider les Tours sur la
septième rangée par 24 ... Tf7 échoue sur 25. Fxf6.
24 ••. g6; 25. Td3, Txç4 ;26. Txd6, Txf4; 27. g3, Tf5;
28. Txa7, b5 ; 29. Fd4, g5. Les Noirs sont en difficulté. Le
Fou blanc rayonne sur l'échiquier et jette la confusion parmi les
troupes ennemies. Sur 29 ... Tf7 les Blancs gagneraient par
30. Ta8+, Rg7 ; JI. g4, Tf4; 32. g5, Tg4+ ; 33. RhI, Txg5 ;
34. Txf6, Txf6 ; 35. Ta7+.
30. Té6 ! , g4; 31. Téé7, Tç8; 32. Tg7 +, Rh8; 33. Txg4,
Td8; 34. Tg5 !.

n°80

abcdefgh

Victoire totale pour le Fou. La catastrophe des Noirs provient


de la diagonale at-h8.
34 ••• Tf3; 35. Rg2, abandon.
Ces exemples prouvent l'importance du contrôle d'une dia-
gonale. Il se trouve que nous n'avons évoqué que la grande dia-
gonale noire a1-h8, mais d'autres diagonales plus courtes peu-
vent se montrer tout aussi cruciales. L'étudiant trouvera sans
mal des parties où l'attaque se développe le long de la diagonale
- 128 -
b1-h7, d'autres où l'on assiste au sacrifice du Fou çr sur h6, etc.
L'importance d'une diagonale dans une position donnée
dépend des caractéristiques de cette position. De nombreux
systèmes d'ouverture inventés récemment sont directement liés
au contrôle de colonnes ou de diagonales vitales. Les pères de ces
systèmes ont imaginé des moyens pour ouvrir ces lignes et s'en
emparer avec les pièces, obtenant un avantage marqué qu'il
s'agit alors de convertir en gain. Un exemple particulièrement
impressionnant nous est fourni par le système pour les Blancs
dû à V. Rauzer dans !'Espagnole.
Rauzer-Rioumine, tournoi des jeunes maîtres, Leningrad
1936 : 1. é4, é5; 2. Cf3, Cç6 ; 3. Fb5, a6 ; 4. Fa4, Cf6 ;
5. o-o, Fé7; 6. Tél, b5; 7. Fb3, d6 ; 8. ç3, Ca5; 9. Fç2, ç5;
10. d4, Dç7; 11. Cbd2, Cç6.

n° 81

Les Blancs entament maintenant la lutte pour le contrôle des


lignes ar-a8 et hr-a8.
12. a4, Tb8 ; 13. axb5, axb5; 14. dxç5, dxç5; 15. Cfl,
Fé6;16. Cé3, o-o; 17.Cg5, Tfd8; 18.Df3, Td6;19.Cf5!,
Fxf5 ; 20. éxf5 ! , h6; 21. Cé4, Cxé4; 22. Fxé4, Ff6. Les
figures blanches installées sur la grande diagonale blanche par-
tagent pratiquement l'échiquier en deux. Notons que les Noirs ne
pourront jamais opposer les Tours sur la colonne « a »à cause du
sévère contrôle exercé sur a8. Rauzer va encore s'emparer de la
diagonale g1-a7, après quoi les Noirs seront réduits à une
totale passivité.
- 129 -
.23. Fé.3, Cé7; 24. b4!, ç4; 25.g3.Lespièces noires étant à
présent toutes recroquevillées les unes sur les autres, les Blancs
préparent une puissante attaque sur le flanc-Roi.
.25 ••• Td7; .26. Ta7, Dd8; 27. Txd7, Dxd7; ..28. h4, Rh8;
.29. g4, Cg8; 30. g5, Fé7; 31. Tdl, Dç7; 32. f6, Fxf6;
33. gxf6, Cxf6; 34. Fç.2, Td8; 35. Fxh6, Txdl +; 36. Fxdl,
é4; 37. Ff4, Dd8; 38. Dé.2, abandon.
Un vrai massacre. Après cela, les théoriciens du monde entier
s'efforcèrent de trouver un remède pour les Noirs afin qu'ils ne
concèdent pas aussi facilement des lignes vitales. Remarquez
que les Noirs disposent également d'une ligne - la colonne
« d » - mais que peuvent-ils en tirer ?... Il y a ligne et ligne, ne
l'oubliez jamais.
Il a depuis longtemps été établi qu'on pouvait sans risque
sacrifier un Pion en échange d'une pression sur des colonnes
ouvertes, pression appuyée par le soutien à distance d'un Fou.
Le handicap matériel s'avère dans ces cas pratiquement insigni-
fiant, et c'est au joueur qui a un Pion de plus qu'il incombe de
sauver sa partie. Un exempl~ classique sur ce thème est fourni
par la partie Nimzovitch-Capablanca, Saint-Pétersbourg 1914.

n°82

abcdcfgh

Les Blancs ont un Pion de plus, mais cela est sans importance.
Les Tours noires occuperont bientôt les colonnes «a» et « b »
tandis que le Fou g1 coupe l'échiquier en deux. Non seulement
Capablanca accule rapidement son adversaire à une position
désespérée, mais il parvient même à pulvériser la belle ordon-
nance des Blancs sur l'aile-Dame.
-130-
14. Da6, Tfé8; 15. Dd3, Dé6; 16. f3, Cd7 ! ; 17. Fd2, Cé5;
18. Dé2, Cç4; 19. Tabl, Ta8 ; 20. a4, Cxd2 ; 21. Dxdl,
Dç4; 22. Tfdl, Téb8; 23. Dé3, Tb4. Capablanca se refuse
bien sûr à renoncer à sa pression positionnelle pour ramasser un
misérable Pion. Son intention est de démolir l'aile-Dame enne-
rme.
24. Dg5, Fd4 + ; 25. Rhl, Tab8; 26. Txd4. Nimzovitch
cède la qualité car il n'y avait plus de défense contre la menace
Fxç3. Capablanca remporte ensuite la victoire d'autant plus
facilement que ses pièces occupent toujours des positions domi-
nantes.
De telles parties n'ont pas échappé à l'attention des théoriciens
modernes qui, par la suite, se sont penchés sur des variantes où
un Pion est sacrifié en échange d'une pression positionnelle sur
des lignes ouvertes. Nous conseillons à l'étudiant d'étudier les
exemples qu'il trouvera au hasard de ses lectures. S'il parvient à
maîtriser la technique de tels sacrifices de Pions au niveau de
l'ouverture, il pourra en tirer un grand profit. Ainsi, Gligoric a
connu beaucoup de succès avec la variante employée dans la
partie suivante.
Taïmanov-Bronstein, tournoi des Candidats, Zurich 1953 :
1. d4, Cf6; 2. ç4, ç5; 3. d5, g6; 4. Cç3, d6; 5. é4, b5. ;
6. çxb5, Fg7; 7. Cf3, o-o; 8. Fé2, a6; 9 . bxa6, Fxa6;
10. o-o, Dç7; 11. Tél, Cbd7; 12. Fxa6, Txa6.

n°83

Ces coups parlent d'eux-mêmes. Les Noirs ont donné un Pion


pour obtenir une pression durable sur les colonnes « a » et « b », à
- 131 -
laquelle participe de loin le Fou g1. Cela rappelle d'une façon
frappante la pqrtie de Capablanca. Ces sacrifices sont devenus
monnaie courante dans la pratique actuelle des maîtres.
13. Dél, Tfa8; 14. h3, Cb6; 15. Fg5, Cé8; 16. Fd2
Ca4 ; 17. Cxa4, Txa4; 18. Fç3, Fxç3; 19. bxç3, Da5.
Bronstein adopte la continuation la plus simple : dans la finale
qui suivra la chute du Pion az, ses Tours resteront les plus
actives - facteur qui lui assure de très fortes chances de gain.
Taimanov tente de retarder les simplifications.
20. Dd3, Da6; 21. Ddl, Txa2; 22. Txal, Dxa2; 23. é5,
Dxd2;24.Cxd2,dxé5;25.Txé5,Rf8!;26.Cb3,ç4;27.Cç5,
Tal+; 28. Rhl, Cf6 !. Ecarte les menaces blanches tandis que
la Tour noire est solidement implantée dans le camp des Blancs.
Cette situation découle logiquement du sacrifice de Pion initial,
qui a ouvert le jeu sur l'aile-Dame au profit des Tours noires.
29. Cé4, Cd7; 30. Tg5, Tal; 31. Tg4,f5; 32. Tf4, Cb6;
33. Cg5, Cxd5; 34. Td4, Cb6; 35. Td8 +, Rg7; 36. f4, h6 ;
37. Cé6 +, Rf7; 38. Cd4, Ca4; 39. Tç8, Cxç3 ; 40. Txç4,
Cd5; 41. Cf3, Txg2 +; 42. Rhl, Tf2; 43. abandon.

Structure de pions, cases faibles

Les cases faibles


Rappelons quelques définitions.
Les théoriciens de l'époque de Philidor - « Les Pions sont
l'âme des échecs » - ont proposé une large gamme de termes
techniques et de concepts. Tarrasch dit un jour : «je ne me
soucie pas de ma structure de Pions aussi longtemps que mes
figure~ sont bien placées. » Nimzovitch fit un exposé volumineux
sur les chaînes de Pions dans son fameux ouvrage « Mon Sys-
tème», mais peu de ses formules ont surmonté l'épreuve des ans.
On n'éprouve plus aujourd'hui le besoin de souligner la nécessité
qu'il y a de s'attaquer à la base d'une chaîne de Pions ; les joueurs
modernes n'estiment pas indispensable de discourir indéfini-
ment sur les types de chaînes de Pions.
Par ailleurs un Pion isolé sur d6 restera toujours isolé, quelle
que soit la manière dont nos pièces le défendront. La faiblesse
des Pions ou des cases résulte directement du squelette de Pions
- 132 -
et ne dépend pas de la configuration des pièces. Nous traitons
donc simultanément les cases faibles et les structures de Pions
puisqu'iJ existe entre elles une interdépendance directe.
Jugeant une position, un grand-maître prend note des cases
et des Pions faibles dans les deux camps. Même si ces faiblesses
comportent toujours un aspect négatif, il faut néanmoins déter-
miner dans quelle mesure elles constituent une tare dans le
cadre global de la position.
Une seule de ces faiblesses est parfois responsable de la perte
de la partie. C'est probablement Botvinnik qui en a fourni la
meilleure démonstration en exploitant à maintes reprises la seule
force d'une pièce située sur une case faible de l'adversaire. Voici
un exemple classique qui a été cité dans de nombreux ouvrages.

n° 84

abcdefgh

Botvinnik-Kan, championnat d'URSS 1939. La faiblesse de la


case d5 retint l'attention de Botvinnik et guida tout son jeu
ultérieur. Comme la partie est très célèbre, nous la donnons sans
trop de commentaires. Dans un premier temps, Botvinnik
installe son Fou en d5.
11. dxé5, dxé5; 12. Fd3, b6; 13. o-o, o-o; 14. f4, Cd7;
15. f5, Cf6; 16. Cé4 ! , Dd8; 17. Cxf6 +, Dxf6; 18. Fé4, Tb8;
19.Tad1,b6;20.b3,Fa6!;21.Fd5, b5;22.çxb5,Txb5;
23. ç4. Le Fou est bien campé sur la case faible ds. Par la suite,
les Blancs exploitent la puissance du Fou pour exercer une forte
pression sur la position adverse.
- 133 -
23 ••• Tb6; 24. Tbl, Td8; 25. Txb6, axb6; 26. é4, Fç8;
27. Da4, Fd7; 28. Da7, Fé8; 29. Tbl, Td6; 30. a4. Gagne
un Pion.
30 ••• Rh7; 31. a5, bxa5; 32. Dxa5, Ta6; 33. Dxç5.Botvin-
nik prit d'abord la précaution d'annihiler le léger contre-jeu
noir, puis réalisa son avantage matériel.
On pourrait citer d'autres cas où l'occupation d'un point
faible en territoire ennemi, qui semblait à première vue ne don-
ner qu'un léger avantage, mena au gain de la partie. Voir par
exemple Botvinnik-Sorokine, championnat d'URSS 1931, ainsi
queBotvinnik-Panov, championnat d'URSS 1939, etBotvinnik-
Tchékover, demi-finale du championnat d'URSS 1939· Les
Blancs acquirent chaque fois un avantage décisif en exploitant
pour leurs pièces la case ds.
De telles parties, gagnées uniquement à partir d'une case
faible, sont tout de même peu fréquentes. L'exploitation d'une
case faible va généralement de pair avec d'autres facteurs
favorables. Il arrive souvent qu'un camp soit affligé de deux
faiblesses, ce qui facilite la tâche adverse. Ces cases sont alors
investies par les pièces adverses qui s'en servent comme relais et
comme bases d'opérations. Ces avant-postes sont particulière-
ment recherchés pour les Cavaliers.
A ce propos, je trouve édifiante la fin de partie Romanovsky-
Smorodsky, championnat d'URSS 1924.

n° 85

abcdefgh

- 134-
Les Pions blancs agissent comme une tenaille sur la position
adverse, qui souffre également de « trous »en b6 et d6. Dans une
mesure moindre, as et f5 sont également faibles. Les Blancs utili-
sent énergiquement ces plates-formes pour leur cavalerie.
1. Ca5, Tç7; 2. Tdl, h5; 3. Tfd2, Tçd7; 4. Ca4, Ré8;
5. Cb6, Tç7; 6. Caç4, Fd7; 7. Cd6 + , Ré7. Les Cavaliers se
promènent littéralement dans les lignes adverses, grâce aux
points d'appui en b6 et d6.
8 . Cb5!, Tçç8; 9. Cxç8+, Txç8; 10. Cd6, Tb8; 11. Cç4,
g5; 12. Cb6, Fé8; 13. d6 +, Rd8; 14. d7, Ff7; 15. Td6. La
Tour fait elle aussi irruption en d6. Concédez de telles cases
faibles dans votre camp et attendez-vous à des visiteurs indé-
licats 1
15 •.. Fb3; 16. Tld2,Ch7; 17. Cç8,h4; 18. Ca7!.Lecar-
rousel continue 1
18 .•• abandon. La menace 19. Txç6 est en effet imparable.
Nous n'avons pour l'instant discuté que des cases faibles. Le
concept des Pions faibles est tout aussi clair. Combien de fois
avons-nous dû assumer de tels Pions, comme on traîne un bou-
let 1Combien de ces Pions sont finalement tombés dans la gibe-
cière de leur agresseur 1 L'affaire peut toutefois tourner diffé-
remment. Le défendeur assure si bien la protection de ses fai-
blesses que l'attaquant est tenu en respect, ses troupes se heur-
tant à une véritable forteresse. Ou bien le joueur parvient à
liquider ses Pions faibles par des échanges. Enfin, il reste tou-
jours la possibilité de les sacrifier.
Toutes ces possibilités surgissent en permanence dans les
parties de maîtres. Je tiens simplement à souligner que les
concepts de Steinitz relatifs aux faiblesses ont été enrichis et
modifiés par la stratégie moderne. Alors que pour juger une
position Steinitz s'appuyait plutôt sur des considérations figées,
on tient aujourd'hui particulièrement compte, dans le juge-
ment global, de la dynamique d'une position, de son énergie
potentielle cachée. Si, comme nous le disions, les lignes ouvertes
sont toujours à peu près considérées de la même façon qu'il y a
plusieurs décennies, la façon d'envisager les faiblesses a en
revanche bien changé.
Examinons par exemple une position que le lecteur a déjà dû
rencontrer dans ses propres parties.
- 135 -
n° 86

abcdcfgh

Voici comment, dans cette variante, Bronstein commente


la faiblesse du Pion d6 : «Il semble urgent de révéler au lecteur le
mystère qui entoure le Pion d6 dans la Défense Est-Indienne. Il a
beau être exposé sur une colonne ouverte et faire l'objet d'une pres-
sion constante, il s'avère être un dur à cuire. Ce Pion n'est pas
d'un abord facile. On pourrait croire qu'il suffit de déplacer le
Cavalier d4 pour ensuite s'acharner sur le Pion d6, mais il se
trouve que le Cavalier est indispensable en d4 d'où il surveille les
cases bs, ç6, é6, fs et neutralise le Fou g7. Le Cavalier ne pourra
donc quitter son poste qu'une fois que les Blancs se seront défendus
contre des attaques noires telles que a4-a3, Fç8-é6, f7-f5· Mais les
Noirs auront eu entre-temps la possibilité de fortifier leur position.
La faiblesse du Pion d6 est donc illusoire.
La façon moderne de jouer les .ouvertures suppose l'acceptation
de ce genre de faiblesses, alors que, pendant longtemps, l'Est-
Indienne passa pour un début douteux précisément à cause du Pion
«éternellement» faible sur d6. »
Voici pour vous un bel exemple d'estimation dynamique de la
position!
Les débuts modernes fourmillent d'exemples de «faiblesses
dynamiques». Les Noirs ne se retrouvent-ils pas avec un Pion
définitivement faible en d6 dans la variante Boleslavsky de la
Sicilienne ? Ce Pion sera non seulement arriéré mais aussi isolé
lorsque, en réponse à la poussée blanche fz-f4, les Noirs prati-
queront l'échange éS x f4; par contre ils disposeront des plates-
formes ç5 et éS qui leur assureront un jeu actif au centre. Et dans
la Nimzo-Indienne, combien de fois avec les Blancs avons-nous
toléré un Pion arriéré en é3, éventuellement pressé par les Tours
noires le long de la colonne« é »ouverte, dans l'espoir de mettre
- 136 -
plus tard en branle notre masse de Pions ç3-d4-é3-f3 en réalisant
la poussée é3-é4, malgré même la présence d'un Pion noir sur
d5?
Ecoutons Botvinnik juger le coup g. d3 dans la Partie Espa-
gnole (diagramme 87) :

n° 87

«Comme les Blancs prévoient de monter un dispositif d'attaque


sur l'aile-Roi à l'aide de la construction standard Cb1-d2-f1, h2-h3,
g2-g4, Cf1-g3-f5, Rhr, etc., les Noirs doivent naturellement réagir
au centre par la contre-poi1,ssée d6-d5. Les Blancs échangeront alors
les Pions sur ds et obtiendront une pression verticale contre le
Pion és. Le Pion central blanc sur dj, comme le Pion d6 de la Sici-
lienne, ne peut être considéré comme une faiblesse. »

n°88

abcdefgh

En jugeant la position ci-dessus (Najdorf-Boleslavsky, tournoi


des Candidats, Zurich 1953), Bronstein écrit : «La stratégie
- 137 -
moderne du jeu d'échecs a affiné et élargi nombre de concepts. Un
joueur qui aujourd'hui se décide pour un coup ne s'en tient pas à
l'apparence externe de la position, mais à une estimation concrète
des diverses possibilités offertes aux deux camps. Ici les Noirs peu-
vent occuper d4 avec un Cavalier mais ils doivent se rendre compte
qu'ils ne pourront guère renforcer leur position, tandis que les
Blancs auront la possibilité de se créer des menaces sérieuses sur
l'aile-Dame par Ta1-b1, b2-b4, etc., cela en conjonction avec la
pression exercée par le Fou g2 sur la diagonale h1-a8. Le fait
important est l'incapacité des Noirs à s'acharner sur le Pion d3 ,·
le Cavalier d4 abriterait même le Pion blanc de la pression le long
de la colonne« d ».Pour cette raison, au lieu du cou.p «stratégique »
Cç6-d4, les Noirs préfèrent le coup plus tactique Tf8-d8 qui s'en
prend directement au Pion d3. »
Ainsi le nouvel élément apporté par les temps modernes au
jugement des faiblesses est l'aspect dynamique de la question.

Les Pions passés


Même si l'on vient de déceler certains traits positifs dans les
Pions isolés ou arriérés, on n'éprouve pas pour eux un penchant
excessif - d'ailleurs l'épithète «faible » est explicite. En
revanche, les Pions passés sont très appréciés, surtout lorsque,
épaulés par nos pièces, ils se dirigent sous bonne escorte vers la
huitième rangée!
Un Pion passé décide parfois très rapidement. Un exemple
limpide est la phase finale de la partie Smyslov-Kérès, tournoi
des Candidats, Zurich 1953.

0° 89

abcdefgh

- 138 -
Les Blancs ont un Pion de plus mais développer le Fou-Dame
sur la diagonale ç1-h6 reviendrait à rendre le Pion à cause de
Dé7-a3. Aussi Smyslov décide-t-il d'utiliser sans tarder son Pion
passé, lequel menace vite de parvenir à la promotion.

22. Ff4 ! , Tfd8. Sur l'immédiat 22 ... Da3, suivrait 23. Fç6,
Fxç6; 24. dxç6, Dxç3; 25. Dxç3, Fxç3; 26. Taç1, puis; 27. Txç4
avec une finale gagnante.

23. d6, Dé4; 24. Tél, Df5; 25. d7 !. Un cas rarissime où, en
milieu de partie, un Pion s'aventure jusqu'à la septième rangée
et s'y trouve en parfaite sécurité. Désormais l'armée blanche est
appelée à assister le Pion dans son entreprise - la conquête
de d8.
25 .•• h5; 26. Té8+, Rh7; 27. h4, Ta6; 28. Fg5!. Menace
29. Txd8; la Tour d8 serait également condamnée après 28 ...
Fxg5 29. Dxg5. Kérès se résout à donner la qualité, mais cela ne
fait que prolonger le combat.

28 ..• Txd7; 29. Fxd7, Dxd7; 30. Taél, Td6; 31. Fxf6,
Txf6 ; 32 . Db8, et les Blancs gagnèrent vite par une attaque
contre le Roi.

Les îles de Pions

A la suite de l'examen ponctuel des Pions, pris un à un, il


convient de se faire une opinion de la configuration globale de ces
Pions. Nous avons examiné divers facteurs, tels que les Pions
arriérés, isolés, passés ; mais il existe aussi des facteurs relatifs aux
squelettes de Pions dans son ensemble, qui souvent permettent
de définir sans ambiguïté qui a l'avantage ou même qui doit
gagner.
Les disciples de Steinitz et de Tarrasch croyaient énormé-
ment au pouvoir des majorités de Pions sur l'aile-Dame. Si, par
exemple, les Blancs disposaient de trois bons Pions sur l'aile-
Dame contre deux seulement aux Noirs, alors ils estimaient que
le gain était tout proche. La stratégie moderne, elle, nie catégori-
quement qu'une telle majorité constitue un facteur en lui-même
prépondérant. Elle affirme avec assurance qu'il est purement
gratuit de prétendre qu'une majorité de Pions sur une aile.
-139-
considérée en elle-même et en dehors de toute configuration de
pièces, est un avantage.
La pratique n'a cessé de vérifier cette théorie et l'attention
s'est transférée sur un nouveau concept, celui des «îles de
Pions».
Si vous avez sept ou huit Pions reliés en une seule chaîne et
que ceux de votre adversaire sont séparés en petits groupes
isolés (Capablanca parlait alors d'« îlots»), vous possédez un réel
avantage qui s'affirmera au fur et à mesure qu'approchera la
finale. Ce concept apparemment abstrait a maintenant pris une
part importante dans l'évaluation des positions. Voici un
exemple.

n°90

abcdefgb

Gligoric-Kérès, tournoi des Candidats, Zurich I953· Bronstein


écrit en jugeant cette position : «L'avantage noir est de nature
permanente ; il ne réside pas tant dans une plus grande mobilité des
pièces que dans une formation de Pions supérieure :
a. Tous les Pions noirs sont liés entre eux, tandis que les Pions
blancs sont affaiblis du fait de leur répartition en trois groupes ;
b. Les Pions d5 et /5 assurent au Cavalier un avant-poste en é4.
Si les Blancs échangent sur cette case les Cavaliers, les Noirs obtien-
dront un Pion passé protégé. »
Kérès réalisa son avantage, il est vrai sans l'aide de ses Pions
- car ses trois figures suffirent à monter une puissante attaque
contre le Roi blanc. Les formations de Pions jouèrent toutefois
- 140 -
un grand rôle, car elles conduisirent Gligoric à éviter des
échanges qui auraient provoqué une finale défavorable aux
Blancs et à donner donc à son adversaire l'occasion d'attaquer
avec les figures.

n° 91

abcdefgh

Commentant l'échange 14 ... Cxd4 qui eut lieu dans cette


position (Botvinnik-Boleslavsky, match-tournoi pour le titre de
champion absolu d'URSS 1941), Botvinnik écrit : «Une erreur
positionnelle qui accroît l'avantage des Blancs. Ceux-ci se 1'etrou-
vent avec deux « îlots de Pions » (pour employer la terminologie
de Capablanca}, contre trois aux Noirs. De plus, le Pion ds peut
facilement devenir faible. »
Remarquez bien comment, par la suite, l'« îlot »en d5 va res-
treindre les possibilités noires. Finalement, le Pion d5 tombera.
15. éxd4, Taç8; 16. Cç5, a6; 17. Taél, Tç7; 18. Fd3,
Fxd3; 19. Dxd3, Dd6; 20. ç3, a5; 21. Df3, Cg6 ;22. Té3, b6;
23. Cd3, Td7; 24. Tfél, Dç6. La faiblesse des Pions noirs b6
et ds parle nettement en faveur des Blancs. Par son coup sui-
vant, Botvinnik inaugure une manœuvre destinée à assurer
l'entrée des Tours sur é7. Pour cela il faut déloger le Cavalier g6.
25. g3, Td6; 26. h4, f6; 27. Df5, Dç8; 28. Dxç8, Txç8;
29. h5, Cf8; 30. Té7, Tçd8; 31. Cf4, T8d7; 32. g4, Txé7;
33. Txé7, g5; 34. hxg6 e. p., Cxg6; 35. Cxg6. Sans les
Cavaliers, le gain est rendu plus difficile. Les Blancs auraient
donc dû éviter ce dernier échange.
- 141 -
35 •.. hxg6; 36. 1'b7, Rf8; 37. Rfl , Ré8; 38. Ré3, g5;
39. Rd3, Té6 ; 40. b4!, axb4; 41. çxb4, Rd8 ; 42. a5 !.

0° 92

abcdefgh

Démontre la faiblesse du Pion ds. Après 42 ... bxa5 ; 43. bxa5,


Rç8; 44. Tb5, Td6; 45. Rç3, RÇ7 ; 46. Rb4, les Noirs doivent soit
abandonner le Pion dS, soit laisser pénétrer le Roi blanc.
42 ••. Rç8; 43. a6, b5; 44. Txb5 , Txa6; 45. Txd5. Enfin 1
45 •.• Tal; 46. Tç5 +, Rb7; 47. d5, Tfl ; 48. Tç4, f5!;
49. Ré2, abandon.
La cinquième partie du match Pétrossian-Botvinnik de 1963
fournit un merveilleux exemple sur la manière d'exploiter la
création d'îlots de Pions chez l'adversaire.
1. Ç4, g6;2. d4, Cf6;3. Cç3,d5;4. Cf3,Fg7;5. é3,o-o;
6. Fé2, dxç4 ; 7. Fxç4, ç5·; 8. d5, é6 ; 9. dxé6, Dxdl + ;
10. RJcdl, Fxé6; 11. Fxé6, fxé6.
Les Noirs n'ont qu'un seul Pion faible, en é6. Pétrossian
révéla plus tard qu'il avait étudié cette position dans sa prépara-
t~on en vue du match. A son avis, le gain des Blancs ne fait pra-
tiquement aucun doute: « La victoire n'est pas mathématiquement
assurée, mais le pourcentage de chances de gain est très élevé. »
Telles sont les conclusions de la stratégie moderne concernant
les îles de Pions, que va confirmer Pétrossian grâce à un jeu
impeccable.
- 142-
n° 93

ab cdefgh

12. Ré2, Cç6; 13. Tdl, Tad8; 14. Txd8, Txd8; 15.Cg5,
Té8; 16. Cgé4, Cxé4; 17. Cxé4, b6; 18. Tbl, Cb4; 19. Fd2 ! ,
Cd5. 19... Cxa2 est bien sûr réfuté par 20. Ta1, Cb4 21. Fxb4,
çxb4 22. Txa7.
20. a4, Tç8; 21. . b3, Ff8; 22. Tçl, Fé7; 23. b4 !, ç4;
24. b5,Rf7 ;25. Fç3 ! , Fa3;26. Tç2,Cxç3+ ;27. Txç3, Fb4;
28. Tç2, Ré7; 29. Cd2, ç3. La finale de Tours consécutive à
l'échange des dernières pièces mineures serait mauvaise pour les
Noirs, qui perdraient vite leur Pion << ç ». Malgré tout, le Roi
blanc entre à présent dans la position ennemie, par la voie
centrale.
30. Cé4, Fa5; 31. Rd3 , Td8 + ; 32. Rç4, Tdl; 33. Cxç3,
Thl; 34. Cé4 ! , Txh2; 35. Rd4, Rd7; 36. g3, Fb4; 37. Ré5.

n°94

abcdefgh

- 143 -
Annonce la fin. Sa majesté le monarque blanc se charge lui-
même d'aller tondre le gazon chez son infortuné collègue ...
37 ... Th5 +; 38. Rf6, Fé7 +; 39. Rg7, é5; 40. Tç6, Thl;
41. Rf7 ! , Tal ; 42. Té6, Fd8; 43. Td6 + , Rç8; 44. Ré8, Fç7;
45. Tç6, Tdl ; 46. Cg5, Td8 + ; 47. Rf7, Td7 + ; 48. Rg8,
abandon.

Faiblesse périphérique
Selon l'ouverture choisie et les aléas de la partie, les Pions
restant sur l'échiquier assument des fonctions étranges et variées
Nous connaissons tous les allures caractéristiques des configura-
tions de Pions issues de la variante du Dragon de la Sicilienne,
ou les longues chaînes de Pions si particulières à la Française.
C'est généralement l'ouverture qui détermine pour longtemps
les formations de Pions; c'est la raison pour laquelle un joueur
expérimenté peut souvent reconnaître, même à un stade avancé
de la partie, quel fut le début choisi.
Les joueurs disposent parfois leurs Pions de sorte qu'ils soient
tous placés sur des cases de la même couleur. L'aspect positif de
ces chaînes est que les Pions se soutiennent entre eux, mais il y a
en revanche un grave inconvénient : les cases adjacentes de
couleur opposée, totalement délaissées par les Pions, deviennent
accessibles aux pièces adverses. Cela est encore plus sensible
lorsqu'il n'y a plus de Fou pour défendre ces cases. On parle alors
de faiblesse des cases blanches (noires). Abordons cette épineuse
question de « faiblesse périphérique » en rapportant la conversa-
tion que j'eus un jour avec mon adversaire. Cette anecdote
amènera le lecteur à tirer certaines conclusions importantes.
Voici dans quelle position se trouva ajournée ma partie contre
le grand-maître argentin Pilnik (Noirs), au tournoi interzonal
de Stockholm 1952 :
«]e vous offre la nullité», me dit !'Argentin.
«Je souhaite jouer encore un peu », répondis-je, sentant en moi-
même que je devrais gagner cette position.
Pilnik alors insista: «Vous n'avez aucun avantage, sauf peut-
être un peu plus d'espace. D'autre part mes Pions sont bien pro-
tégés. n
«Par quoi ? », ne pus-je m'empêcher de lui demander.
«Par mon Fou», répliqua-t-il, et je ne pus jamais savoir si, en
disant cela, il avait été sérieux ou bien s'il avait voulu plaisanter.
- 144-
n°9S

abcdefgh

A tout hasard je préférai ne pas lui ôter ses illusions, pour le cas
où il trouverait soudain une façon de réarranger ses Pions.
J e déduisis de ce dialogue que même chez les grands-maîtres
le problème du placement des Pions lorsqu'on ne possède plus
qu'un Fou demeurait assez obscur.
Il ne fait pourtant aucun doute que les Pions qui se trouvent
sur la couleur du Fou, et qui donc contrarient sa mobilité, cons-
tituent un désavantage positionne! certain - car les Pions
devraient venir en aide à leurs pièces, et non les gêner.
A la reprise de la partie, les Blancs parvinrent à exprimer leur
avantage - précisément ces Pions noirs «bien protégés par
leur Fou». Voici comment à l'époque je jugeai la position
d'ajournement.
« Les Blancs ont un énorme avantage, qu'un jeu préci's devrait
convertir en gain. V oici les éléments de cet avantage :
r. Tous les Pions noirs sont placés sur des cases de la couleur
du Fou ,·sa mobilité s'en trouve entravée, à tel point qu'il paraît
hors jeu.
2. Les pièces blanches sont toutes mobiles, par opposition aux
pièces noires agglutinées dans une zone retirée.
3. L es Noirs sont accablés par deux faiblesses, en a6 et /7;
une attaque combinée devrait forcer un gain matériel.
Le plan est facile à tracer : après une préparation adéquate,
avancer le Pion cc h »puis sur g6xh5 reprendre du Fou et enfin
exercer une pression victorieuse sur le Pion f7· »
- 145 -
Un jugement correct, plus un plan exact permettent aux
Blancs d'arriver à leurs fins.
42 . Fé2, Cb8; 43. Cd3, Ré7; 44. Cé5, Cç6 ; 45. Rb2 !.
Comptant échanger les Cavaliers puis les Tours par Ta1-ç1,
après quoi les Noirs perdront la finale de Fous à cause de l'effet
auto paralysant de leurs propres Pions.
45 ... Tb7 + ;46. Rç3,Rd6;47. Cxç6, Tç7;48. Rb3, Txç6;
49. Tfl, Tç7; 50 . h5, gxh5. Il fallait bien sûr empêcher les
Blancs de pousser en h6.
51. Fxh5, Tb7 + ; 52. Rç3, Tç7 + ; 53. Rb3, Tb7 + ;
54. Rç3, Tç7 +; 55 . Rd2, Tb7; 56. Txf7. Ce Pion disparu, les
Blancs ne rencontrèrent plus de difficulté majeure et l'emportè-
rent au 73e coup.
Il ne devrait donc plus y avoir de doutes dans v otre esprit :
n 'ayez jamais les Pions sur la couleur du Fou qui vous reste.
L'exploitation d'une faiblesse périphérique dans le voisinage
d'un squelette de Pions fixé représente le leitmotiv de nombreux
plans stratégiques. Voici une démonstration artistique de jeu sur
un complexe de cases affaiblies - Makogonov-Botvinnik,
Sverdlovsk 1943.
1. d4, d5; 2. ç4, é6; 3. Cç3, ç6; 4. é3, Cf6; 5. Cf3, Cbd7;
6. Cé5, Cxé5; 7. dxé5, Cd7; 8. f4, Fb4; 9 . çxd5?, éxd5;
10. Fd3, Cç5; 11. Fç2, Dh4+; 12. g3, Dh3.

n° 96

abcdefgh

- 146-
Dans l'ensemble, la position blanche est satisfaisante, si ce
n'est que les cases blanches de l'aile-Roi sont sérieusement
affaiblies. Cela sera encore plus net lorsque les Noirs auront réussi
à échanger les Fous de cases blanches. Le combat qui suit, oppo-
sant deux joueurs ingénieux de toute première classe, illustre
parfaitement la manière de profiter d'une telle faiblesse de zone,
ainsi que les ressources de la défense.
13. Rf2 !, Fxç3 ! ; 14. bxç3, Ff5 ! ; 15. Fxf5, Dxf5; 16. g4 !.
«Très bien joué», écrit Botvinnik, «car après ce coup, l'affaiblis-
sement des cases blanches devient moins sensible».
Nous devons ajouter que le colmatage de la faiblesse s'effectue
au détriment de la sécurité du Roi, qui doit désormais vivre
dangereusement.
16 ... Dé6; 17. Fa3!, Cé4+; 18. Rf3, b5; 19. b3, f6!.
Excellent. Les Blancs ne peuvent prendre en f6 sous peine de
trop exposer leur Roi; mais cela revient à abandonner un Pion.
20. ç4, hxg4 + ; 21. bxg4, Txhl ; 22. Dxhl, o-o-o ;
23. Tdl, fxé5; 24. çxd5, çxd5; 25. Tçl +, Rb8, et les Noirs
réalisèrent leurs avantages - matériel et positionne!.
Le problème des cases faibles est loin d'être simple, cela sera
montré dans la partie suivante. En guise de présentation de cette
partie, laissons s'exprimer Bronstein: «Lorsque je lisais dans les
livres spécialisés des chapitres concernant la faiblesse des cases
noires, ou l'attaque sur un complexe de cases noires, je me suis
toujours douté que le sujet abordé était aussi peu clair pour les
auteurs que pour moi-m2me. Et je me disais: supposons que les
cases noires de mon adversaire soient faibles parce que ses Pions
sont sur blanc et qu'il n'a plus de Fou noir ,·mais il peut alors
retirer toutes ses pièces des cases noires, et que me reste-t-il à
attaquer?
Voilà comme je voyais les choses jusqu'au jour où je réalisai tout .
d'un coup que la faiblesse des cases noires entraînait nécessaire-
ment la faiblesse des cases blanches. Attaquer sur les cases noires
signifie que mes propres Pions et pièces sont sur noir et qu'ils atta-
quent l'ennemi stationné sur cases blanches, lequel n'a plus de
retraite sûre pour échapper à ma pression. »
Suit alors un exemple concret pour supporter cet intéressant
exp9sé :
- 147-
n° 97

abcdefgh

Szabo-Geller, tournoi des Candidats, Zurich 1953. Les Blancs


viennent de jouer 25. Dd4-ç5. Bronstein pense que le meilleur
moyen de profiter de l'affaiblissement des cases noires de l'aile-
Dame était 25. Da7I. Selon lui, ce coup <c s'emparait des cases
noires et menaçait tout ce qui stationnait sur les cases blanches
périphériques. Une élégante petite combinaison tend à justifier ce
coup: 25 ... Td7 26. D:xb7 !, T:xb7 27. F:xd5+ suivi de 28. Tç8+.
et assez curieusement toutes les pièces noires sont capturées sur des
cases blanches. »
C'est une façon de répondre à la question, étant bien entendu
que Bronstein envisage des situations où les pièces attaquant sur
noir sont autres qu'un Fou. Le Fou est en effet cette pièce qui a
la particularité de n'agir toute la partie durant que sur une seule
couleur de cases.
Une faiblesse périphérique, sur noir ou sur blanc, peut devenir
le facteur décisif d'une partie. J'eus une expérience très désa-
gréable sur ce thème, où je vis que j'allais perdre et que je ne
pouvais absolument rien faire. Mon adversaire dominait toutes
les cases noires et mes pièces étaient tristement entassées sur les
blanches. Et pourtant je ne l'avais pas voulu 1Mais voyez vous-
même comment cela se produisit : Diagr. 98.
C'était une Est-Indienne et j'avais les Blancs contre Gligoric,
au tournoi des Candidats de Zurich en 1953. Rien dans cette
position ne semblait indiquer que j'allais avoir de gros ennuis, et
pourtant ...
- 148 -
4
n°98

abcdefgh

11. •• é4 ! ; 12. fxé4, f4 !. Je n'ignorais bien sûr pas cette


manœuvre - les Noirs sacrifient un Pion pour obtenir le
contrôle de éS et ouvrir la diagonale du Fg7. J e pensais toutefois
pouvoir tenir la position et rester avec un bon Pion de plus.
13. Ff2, Cd7; 14. Cgl. S'inscrit dans le cadre du combat
pour la case és. Les pièces noires auraient t rop de jeu aprè!'
14. és, Cxé5 15. Fxh7+, Rh8.
14... Dg5; 15. Ffl, Cé5; 16. Cf3, Dé7; 17. Cxé5, Dxé5;
18. 0-0-0, Cf6; 19. h3, Fd7. J'ébauchai ici un plan visant à
déloger la Dame noire de sa position superbe sur éS, espérant
obtenir ensuite l'initiative en jouant é4-é5.
20. Fd3 ! • a6 ; 21. Cbl !. Encore deux coups (Cb1-d2-f3) etla
Dame devra évacuer la case és. Mais une surprise désagréable
m'attendait.
21. .• f3 ! !. Splendide! Gligoric donne un second Pion pour
s'octroyer le contrôle des cases noires centrales. Et quel
contrôle 1
22. gxf3, Ch5; 23. Cd2 , Cf4 (Diagr. 99).
Une position bien triste pour les Blancs. Leur Fou-Roi res-
semble à un gros Pion et le Cavalier n'a accès à aucune des cases
d'où il pourrait chasser la Dame és. Bien que découragé, je
n'étais pas encore prêt à abandonner et décidai de faire tout mon
possible pour sauver la partie.
- 149 -
n° 99

abc defgh

Bronstein écrivit plus tard qu'il y a lieu de s'étonner du poten-


tiel défensif contenu dans la position des Blancs, qui réussirent à
maintenir l'équilibre au prix d'immenses efforts. «Au prix
d'immenses efforts», et les Blancs ont deux Pions de plus!
Voici ce que peut vous réserver une faiblesse périphérique 1
24. Ffl, b5; 25. h4, Rh8; 26. Tgl, Ff6; 27. Cb3, Tab8;
28. Fél,b4; 29. Rbl, Ta8; 30. Fg3 , Tg8;31. Dh2, Txg3;
32. Txg3, Cé2 !; 33. Dxé2, Dxg3; 34. Cçl, a5 ; 35. Cd3,
Fd4;36.h5,Dh4;37. Fg2,Tg8;38.Thl,Dg3;39.Ffl,a4;
40. Rç2, a3; 41. b3. Ici fut conclue la nullité. Les Noirs ne
peuvent exploiter les trous béants qui existent chez les Blancs.
Quel horrible exemple !
Le thème d'une faiblesse périphérique sur blanc ou sur noir
est un motif omniprésent dans la stratégie des débuts modernes.
Ainsi dans la Défense Est-Indienne, et plus précisément dans la
variante Samisch, les Blancs ferment le centre par d4-d5, après
quoi le Fou gJ est privé de jeu. Il n'est pas toujours possible de se
libérer comme le fit Gligoric dans la partie précédente. Ce Fou
est parfois échangé grâce à une astuce tactique : on joue Fg7-h6
avec l'idée sur Fé3xh6 de répondre Dd8-h4+ et Dh4xh6. Le
jeu noir se trouve alors soulagé et c'est aux Blancs de souffrir, eux
qui ont affaibli les cases noires de leur camp et ne peuvent plus
compter sur les services de leur Fou noir.
Un autre exemple frappant est procuré par la Défense Rago-
zine. Dans la partie éponyme l'inventeur de ce système parvint
- 150 -
à exploiter les cases blanches affaiblies du camp adverse avec une
simplicité qui laisse rêveur.
Après 1. d4, Cf6; 2. ç4, é6; 3. Cç3, Fb4; 4. Dç2, d5; 5. é3,
o-o; 6. Cf3, Ragozine joua 6 ... Cç6. Son adversaire, le maître
Rioumine (la partie eut lieu au championnat de Leningrad
1934), entreprit de gagner de l'espace du côté Dame et il suivit
7. a3, Fxç3+; 8. Dxç3, Fd7; 9. b4. Mais une série de coups
énergiques mirent en lumière la faiblesse périphérique de l'aile-
Dame des Blancs.
9 .. . a5; 10. b5,Ca7; 11. a4,ç6!; 12. Fa3, Té8; 13. Tbl.
dxç4; 14. b6.

n°100

abcdefgh

Désespoir. D'autres coups conduiraient à des affaiblissements


fatals sur cases blanches, par exemple 14. Fxç4, çxb5; 15. axb5,
Tç8 ; 16. Dd3, Cd5, ou bien r4. Dxç4, çxb5 ; 15. axb5, Tç8 ;
16. Db3, Cd5.
Rioumine essaye désormais de pêcher en eau trouble, mais en
vain.
14... Cb5 ! . Montre la maîtrise tactique de Ragozine. La pièce
sacrifiée sera bientôt récupérée tandis que demeurera la faiblesse
des cases blanches adverses.
15.axb5,çxb5; 16.Cé5,b4;17.Dçl,Fb5!;18. Fé2,Tç8;
19. Fxb4, axb4; 20. Txb4, Fa6, et les Noirs ne tardèrent pac;
à gagner.
- 151 -
Disposition des pièces

Une partie d'échec~. c'est l'affrontement de deux armées. Il


est vrai que ces armées ne sont jamais qu'une collection de figu-
rines en bois, mais pour le vrai joueur ces pièces, comme l'écrivait
Lasker, sont des êtres vivants.
Le joueur d'échecs est un général en chef et le sort de son
armée dépendra de ses capacités, de sa volonté et de son applica-
tion. C'est pourquoi le fait qu'une pièce soit bien ou mal placée
joue toujours un rôle décisif.
Il arrive souvent, pour une raison quelconque (inexpérience,
imprévoyance), qu'une des deux armées soit si inconséquem-
ment déployée qu'il n'y a pratiquement pas de lutte, et on assiste
alors à une catastrophe prématurée. Mais plus fréquent est le cas
où une seule pièce (deux à la rigueur) se trouve mal placée, ce
qui laisse un espoir de redressement.
Le joueur désireux de progresser doit donc être capable de
repérer la position défectueuse d'une ou plusieurs pièces du camp
ennemi, puis d'exploiter ces faiblesses. Nous traiterons assez
longuement ce sujet qui, jusqu'à présent, a rarement été abordé
de façon systématique dans la littérature échiquéenne.

Mauvaise position d'une pièce


Qu'une seule pièce mal disposée soit à l'origine de la défaite est
une chose qui n'a cessé de se produire depuis plus d'un siècle;
Tarrasch eut ce mot mémorable : « Si une seule pièce se trouve mal
placée, c'est toit.te la position qui devient mauvaise. »Dans l'exem-
ple suivant, un Fou est mis en cage de façon inhabituelle.

- 152 -
Kotov-Kashdan, match par radio URSS-EU 1945· Les Blancs
ont un avantage certain, mais la manœuvre suivante, qui met
hors jeu le Fou adverse, accélère le gain :
34. Fxé6!, fxé6; 35. Tb8, Txb8; 36. Fxb8, b4; 37. Rd3,
Fh6; 38. f4 !. Pose les scellés. Le Fou prisonnier ne peut sortir de
sa cage qu'en s'échangeant contre le Fou blanc, ce qui amènerait
une finale de Roi perdante.
38 ... g5; 39. g4, hxg4; 40. hxg4, gxf4; 41. éxf4, abandon.
Les Blancs gagnent très simplement en plaçant leur Fou sur éS
puis en allant prendre les Pions de l'aile-Dame; le Roi gagne
ensuite d], forçant son collègue noir à jouer sur f7, et l'avance
g4-g5 amène un zugzwang total.
La mauvaise position du Fou a donc permis aux Blancs de
gagner. Plus courante est l'exploitation du mauvais placement
d'un Cavalier; les exemples sont légion. L'aphorisme de Tar-
rasch « Un Cavalier sur b3 (b6) est toujours mal placé» est bien
sûr excessif, mais il contient une part de vérité et Tarrasch le
prouva souvent en pratique. Les connaisseurs de la Partie Espa-
gnole savent par exemple que le Cavalier-Dame des Noirs est
généralement mal placé sur la case b7. L'affaire est pourtant
moins claire en ce qui concerne le même Cavalier que l'on
retrouve souvent en as dans des variantes classiques de l'Est-
Indienne. Voyons un exemple favorable aux Blancs.

n°102
4

a b c d e

Kotov-Taïmanov, tournoi des Candidats, Zurich 1953· Les


chances seraient égales s'il n'y avait la position quelque peu
- 153 -
excentrique du Cavalier as. Il est vrai que ce Cavalier n'a pas
atterri en as au sortir d'une Est-Indienne, mais après les coups
1. ç4, Cf62.g3, é6; 3. Fg2, d5 ;4. Cf3, d4; 5. b4, ç5; 6. Fb2,
Db6 ; 7. Db3, Cç6 ; 8. b5, Cas ; 9. Dç2, Fd6; 10. é3, é5 ;
11. éxd4, éxd4.
Les Noirs auraient eu de meilleures chances de maintenir
l'équilibre s'ils avaient essayé de rapatrier via b7 leur Cavalier
en d8 ou en d6, mais ils crurent que ce Cavalier aurait une place
de choix en as et apporterait son concours à une offensive sur
l'aile-Dame.
12. o-o, o-o; 13. d3, Fd7 ; 14. Cbd2, h6. Voici atteinte la
position du diagramme 102. En établissant un plan - ou plus
exactement en cherchant comment continuer à partir de cette
situation - je me fixai un but, assez naïf mais stratégiquement
correct. Je me dis que je ne pourrais pas exploiter directement la
position du Cavalier, mais que je pourrais profiter du fait qu'il
est maintenu éloigné de l'aile-Roi pour organiser d.e ce côté
une attaque dans laquelle je bénéficierais donc d'une pièce de
plus que mon adversaire.
Simple et clair. Voyez maintenant comment fut utilisé dans
la partie cet important facteur positionne!.
15. Taél, Taé8 ; 16. Fçl. Tout d'abord, les Blancs « éva-
cuent en masse» l'aile-Dame, où leurs pièces ne sont plus
d'aucune utilité.
16 ... Txél ;17. Txél, Té8 ;18. Txé8+, Fxé8 ;19. Ch4!.
Le signal de l'attaque. Après l'échange des Tours, et après
chaque nouvel échange de pièce, la« pièce de plus »prend une
importance proportionnellement plus grande.
19 ... a6; 20. a4, Da7; 21. Cf5, Ff8; 22. Cé4. Les Blancs
continuent à voir les échanges d'un bon œil.
22 ... Cxé4 ; 23. Fxé4, b6 ; 24. Ddl !. Toutes les forces
blanches sont appelées au front.
24 ... axb5; 25. axb5, Fd7; 26. Dh5, Fé6; 27. Ff4, Cb3.
Le Cavalier a enfin la possibilité de pénétrer dans le camp
adverse, mais ·cela vient trop tard 1 Il attaque des cases vides
désertées il y a déjà plusieurs coups par les Blancs, qui eux ont un
objectif très concret - le Roi. Réciproquement, les Noirs
n'auront pas l'occasion d'approcher sérieusement le Roi blanc.
- 154-
28. Ddl, Da2; 29. h4, Cal; 30. h5, Cçl ;31. Fé5, Dbl;
32. Fç7, Ca3; 33. Dg4, Dçl + ;34. Rgl, Cbl. De tels coups
laissent entrevoir une catastrophe. Bronstein écrit dans ses
notes:« Le Cavalier erre au bord del' échiquier comme à la recherche
d'une solution au problème bien connu qui consiste à parcourir tout
cet échiquier sans passer deux fois par la même case, tandis que les
Blancs renforcent méthodiquement leur pression contre la position
du Roi.»
35. Ff4, Cd2?. Une gaffe dans une position perdante.
36. Dé2, abandon.
Si vous voyez donc qu'un Cavalier adverse est coincé à la
bande mais que vous ne pouvez l'attraper, entreprenez une
action énergique sur l'aile opposée.
Un exemple classique d'exploitation d'un Cavalier hors jeu est
donné par la fameuse partie de Botvinnik contre Alékhine, au
tournoi AVRO de 1938. Ce fut entre eux la seule rencontre qui
ne s'acheva pas par la nullité.

n°103

abcdefgh

Par un coup de Dame, les Blancs forcent le Cavalier à se coller


à la bande, où il demeurera jusqu'à la capitulation finale.
13. Da4, Cb8. Le Cavalier doit jouer car un Pion serait perdu
après 13... Tç8 14. Fd2!, a6 15. Fxç6, Fxç6 16. Dxa6.
14. Ff4, Fxb5 ; 15. Dxb5, a6 ; 16. Da4, Fd6 ; 17. Fxd6,
Dxd6 ; 18. Taçl, Ta7 ; 19. Dç2 !. Simple, mais convaincant.
- 155 -
Les Blancs s'assurent pour longtemps le contrôle de la colonne
« ç » et sont prêts à rentrer en ç6, ç7 ou ç8, pratiquement comme
il leur plaira. D'où le désir bien compréhensible chez Alékhine de
chercher à pratiquer un maximum d'échanges, d'autant qu'il
doit garder un œil sur les colonnes sensibles « ç » et « é ».
19... Té7 ; 20. Txé7, Dxé7 ; 21. Dç7, Dxç7 ; 22. Txç7, f6.
Une défense adroite. 23. Tb7 se heurte à 23 ... Tç8 24. RfI, bS
car ce sont les Noirs qui contrôlent alors la colonne ouverte.
Grâce à cette variante, les Noirs vont pouvoir chasser la Tour
de la septième rangée.
23. Rfl, Tf7 ; 24. Tç8 +, Tf8 ; 25. Tç3 !. Mais Botvinnik
joue admirablement et obtient un zugzwang peu courant.
Aucune pièce noire ne peut bouger sans autoriser le retour en
force de la Tour sur ç7. Alékhine en est réduit à jouer ses Pions,
mais cette solution n'est que temporaire 1
25 ..• g5 ;26.Cél, b5 ;27. h4 ! , Cd7 ;28. Tç7, Tf7 ;29.Cf3,
g4; 30. Cél ,f5; 31.Cd3,f4; 32.f3,gxf3 ;33. gxf3,a534.; a4,
Rf8 ; 35. Rç6, Ré7 ; 36. Rf2, Tf5 ; 37. b3, Rd8 ; 38. Ré2,
Cb8 ;39. Tg6,Rç7 ;40. Cé5,Ca6 ;41. Tg7 +, Rç8 ;42. Cç6,
Tf6 ;43. Cé7 +, Rb8 ;44. Cxd5, Td6 ;45. Tg5, et les Blancs
l'emportèrent aisément - ils gagnent encore le Pion h5.
Il nous faut à présent envisager le cas d 'une Tou:r mal placée.

n°104

abcdefgh

Kotov-Szabo, tournoi des Candidats 1950. Après 30. é4, les


Noirs commirent une erreur de taille en envoyant leur Tour sur
- 156 -
h5. Cette faute s'explique vraisemblablement par le fait que,
depuis plusieurs coups, Szabo cherchait à faire jouer b3-b4 aux
Blancs. Ceux-ci s'en étaient bien gardés, et il ne vint pas à
l'esprit de Szabo que ce même coup qui, jusqu'à maintenant,
avait été évité pût soudain être joué allégrement. Donc :
30 ... Th5? ; 31. b4 !. Le piège s'est refermé sur la Tour, qui
demeurera immobile jusqu'à la fin de la partie.
31. •. Cé7 ; 32. Rf2, f5 ; 33. Fd2 !. S'oppose à toute idée de
libération par g6-g5.
33 ... fxé4 ;34.fxé4,Cç8 ;35.Rg3,Cd6 ;36.Tél,Cç4;
37. Fçl, a6 38. Rg4, Ré7 39. Tdl, Cd6 40. Td3, Cf7
41. Tdl !. Il faut rester vigilant ; les Noirs menaçaient en effet
de résoudre leur problème par le coup tactique 4r. .. Té5!.
41. .. Cd6 ; 42. h4, Cç4 ; 43 . Td4, Ré6 ~ 44. Tdl, Ré7 ;
45. Tfl, Th6 ;46. Tf3, Th5 ;47. Tç3, Rd7 ;48. Fé3, Cd6.Il
apparaît clairement que la Tour ne participe pas vraiment aux
débats. L'échange des pièces mineures laisserait aussi une finale
de Tours sans espoir.
49. Td3, Rç6; 50. Td4, Cf7 ; 51. Ff2, Ch6 + ; 52. Rf3, Cf7 ;
53. Fg3, b6 ; 54. Tdl !. Un léger répit avant la pénétration
dans les lignes arrière.
54 ... Ch6; 55. Td8, Cf7; 56. Tç8+, Rd7; 57. Tb8, a5.
N'allaient ni 57 ... Rç7 58. f5+, ni 57 ... Rç6 58. Ffa.
58. Tb7 +, Ré8; 59. Txb6, axb4;60. axb4, Cd8; 61. Rg4,
Cf7 ;62. Ff2, Rd8 ;63.Fç5, Rç8 ;64. Tf6, Cd8 ;65.Fb6, Rd7 g
66. Fxd8, Rxd8 ; 67. Tf7, abandon. La Tour noire est tou-
jours aussi impotente !
Nous en concluons que Tours et pièces mineures peuvent faci-
lement se trouver en mauvaise position. Et la Dame ? A-t-on
l'occasion d'exploiter une Dame immobilisée? Après tout, la
Dame est la pièce la plus mobile. Il y a cependant un inconvé-
nient à sa puissance et à sa mobilité. A cause de sa grande valeur,
elle doit se soustraire à toutes les attaques. Cela permet de tirer
parti d'une Dame en mauvaise posture. Nous en avons déjà vu
un exemple ayec la partie Ragozine-Boleslavsky (diagramme 21)
Voici ce que note Bronstein au sujet de la partie que nous
allons à présent étudier (Gligoric-Szabo, tournoi des Candidats,
Zurich 1953) : «En élaborant un plan au niveau de l'ouverture,
- 157-
les joueurs se soucient surtout d'un développement harmonieux
de leurs pièces, mais négligent parfois le développement de la
Dame. La Dame est pourtant la pièce la plus précieuse et la plus
importante, et l'issue de la partie peut dépendre de la façon dont
elle satisfait à ses obligations. »
L'erreur des Noirs fut ici de prêter assez d'attention au place-
ment de leur Dame.
1. é4, é5; 2. Cf3, Cç6; 3. Fb5, a6; 4. Fa4, Cf6; 5~ o-o,
Cxé4 ;6. d4, b5; 7. Fb3,d5; 8. dxé5, Fé6; 9. ç3, Fé7;
10. Fé3, Cç5; 11. Fç2, Fg4; 12. Cbd2, Cé6; 13. Dbl!,
Fh5; 14. a4, b4; 15. a5, Fg6; 16. Cb3, bxç3; 17. bxç3,
Db8. Les Noirs jouent pour échanger, craignant visiblement
18. Td1. Gligoric se dérobe bien sûr à l'échange et pose à son
adversaire la question : sur laquelle des 64 cases va-t-il diri-
ger sa Dame?
18. Da2, o-o; 19. Fxg6, bxg6; 20. Tabl. Plus précis
était 20. Tfb1, Dd8 21. Td1, Dd7 22. Cç5, Cxç5 23. Txd5!,
harcelant à nouveau la Dame. Tandis qu'à présent les Noirs
gagnent un tempo par l'attaque du Pion as.
20 ... Db5.

0°105

abcdefgh

21. Dç2?. Assez curieusement, le tournant de la partie.


Leurs manœuvres infructueuses sur les cases blanches vont
faire perdre aux Blancs leur avantage, et même les amener en
situation d'infériorité. Bronstein indique 21. Cfd41 comme étant
- 158 -
le coup juste, les Blancs obtenant un avantage positionne! après
21. Cçxd4, çxd4 22. Dd7, Tfç1. Bronstein montre également
que les Blancs gagnent - et de brillante façon - après
21 ... Céxd4 22. Cxd4, Dxa5 23. Cxç6!, Dxa2 24. Cxé7+,
Rh7 25. Tb4, gs 26. Fxg5, g6 27. Th4+, Rg7 28. Ff6 mat.
Gligoric aurait donc pu, par 2I. Cfd4, continuer à pour-
chasser la Dame ennemie, alors qu'un échange devient mainte-
nant inévitable.
21. .• Dç4; 22. Cfd2, Dg4; 23. f4, Df5; 24. Dxf5, gxf5.
Nous ne suivrons pas plus longtemps cette partie. Les Blancs
eurent une finale inférieure, ils perdirent. Notre but était de
montrer le genre d'ennuis qui guettent la Dame et comment ici
les Blancs auraient pu obtenir. des chances de gain en choisis-
sant la continuation correcte 20. Tfb1.

6
5
n°106
4
3

abcdefgh

Botvinnik-Denker, match par radio URSS-EU 1945 :


14 ... Fd7; 15. Cd2 ! , et la Dame court de graves dangers.
Il fallut prendre des mesures exceptionnelles pour garder dans
l'immédiat la vie sauve.à Madame ; 15 ... a6 ; 16. Fxç6, Fxç6;
17. Cç4, Df5; 18. Fd6!, é3!; 19. Cxé3,Dxbl + ;20. Dxbl,
Fxd6, mais après 21. Dxb6, les Blancs réalisèrent assez
facilement leur avantage matériel. Il suivit encore :
21. .. Rd7; 22. Db3, Tab8; 23. Dç2, Tb5; 24. o-o, Th5;
25. b3, Tb8; 26. ç4, g6; 27. Cg4, Tf5; 28. Cé5+, Fxé5;
29. dxé5, Txé5; 30. Dd2 +, abandon.
- 159 -
Mauvaise position de plusieurs pièces
Les carences dans la disposition des pièces peuvent être de
plusieurs ordres, mais elles partagent une caractéristique
commune : les pièces ne coopèrent pas, perdent contact entre
elles ; il leur manque l'unité harmonieuse qui fait la force d'un
régiment militaire.
Parfois deux, trois pièces (voire plus) sont immobilisées par
l'ennemi, retenues par certaines contraintes, et perdent donc
leur disponibilité. Voici deux exemples.
Je fus vivement impressionné à l'époque par la victoire de
Botvinnik sur Stahlberg au tournoi de Moscou 1935·
1. ç4, é6;2.Cç3, d5;3.d4, ç5;4.çxd5,éxd5;5.Cra,
Cç6; 6. é3, ç4; 7. Fé2, Fb4; 8. o-o, Cgé7; 9. é3, dxé4;
10. Cxé4, o-o; 11. Fxç4, Fg4; 12. a3, Fa5; 13. Fa2, Fb6;
14. h3, Fxf3; 15. Dxf3, Cxd4; 16. Dh5, Cf5.

n°107

abcdefgh

Le dernier coup blanc créait de sérieuses menaces contre les


Pions f7 et h7, vu la menace 17. Cg5. La réplique noire a pré-
paré la parade Cf5-h6. Le plan original demeurait malgré tout
excellent et donnait aux Blancs une très puissante attaque
dans toutes les variantes: 17. Cg5, Ch6 18. Fb1, f5 19. Fa2+,
Rh8 20. Ff4, Fç7 21. Fxç7, Dxç7 22. Tad1, ou 18... Cb3
19. Fxh7+, Rh8 20. Tb1, Cxç1 21. Tbxç1, f6 22. Fb1!,
fxg5 23. Dg6 etc.
Le fait que les Blancs n'ont pas choisi la suite la plus forte
nous permet néanmoins d'assister à un combat très intéressant
sur le thème de l'exploitation de pièces mal placées.
- 160 - .
17. Fg5, Dd7; 18. Dg4 , Rh8; 19. Tadl, Dç6. Quel est le
trait dominant de cette position? Voici comment Botvinnik
résume la situation : «La construction noire repose entièrement
sur le Fou b6. Si les Blancs parviennent à supprimer cette pièce,
ils gagneront rapidement à cœuse de la situation inconfortable des
Cavaliers, qui se doivent assistance mutuelle. »
Je ne peux m'imposer au lecteur, mais j 'avoue être fortement
troublé par la nature concrète de ce jugement, et par le fait
qu'il est loin d'être évident. La façon dont le champion sovié-
tique prouve par des manœuvres précises la justesse de ses vues
est significative.
20. Cç3, Taé8; 21. Fbl. On pourrait penser qu'il est plus
simple d'aller directement au but - l'anéantissement du
Fou b6 - par 21. Cd5. Mais Botvinnik a vu que les Noirs
disposaient de la surprenante ressource tactique 2r. .. Dg6!! -
un cas où la tactique vient compléter la stratégie. Dans l'ébau-
che de vos plans stratégiques, n'oubliez jamais l'éventualité
d'une réponse tactique. Mauvais sont alors 22. Cxb6 ?, hs
23. Df4, Cé2+ ou 22. Rhû, h5 23. Df4, f6. Rien ne donne
non plus 22. Cf4, Dç6.
21 ... Dé6; 22. Tfél, Dç8?. Après cela, les Cavaliers resteront
<<pendants» au centre et seront une proie facile pour les voraces
pièces blanches. L'unique moyen de résister était 22 ... Dxér +
23. Txér, Txér+ 24. Rh2, Cd6 25. Fd2, f5 26. Dh4, Té6.
23. Cd5, h6; 24. Cxb6, axb6; 25. Fd2, Txél +; 26. Txél,
Td8; 27 . Fç3, Dç5; 28. Dé4 !.

ri 0 108

ab cdef gh

161 -
L'achèvement d'un plan parfait 1 La cavalerie noire est
définitivement enlisée, et, à cause de la menace 29. g4, le
désastre est imminent.
28 ... Dç6; 29. Df4, Db5; 30. Rh2. Rien ne presse, un lasso
s'est abattu sur les Cavaliers. Botvinnik prévient un éventuel
échec en éz.
30 ••. Rg8; 31. Té5, Dfl; 32. Fxf5, Cé2; 33. Fh7 +, Rh8;
34. Txé2, Dxé2 ; 35. Dxf7, abandon.
Cet exemple nous a montré deux pièces liées, mais il y a
des parties, opposant de très bons joueurs, où ce sont toutes
les pièces d'un camp qui sont malheureusement disposées. C'est
généralement la conséquence d'une ouverture mal traitée, d'un
oubli quelconque ou encore d'une hâte excessive. Un seul joli
coup suffit alors parfois à désorganiser l'ennemi, et il peut en
résulter une fin rapide. C'est pourquoi les bons joueurs apportent
un soin extrême à harmoniser leurs troupes et à désorganiser
celles de l'adversaire. Dans la partie qui suit, après un faible
début, les Noirs se retrouvent avec des pièces tristement dispo-
sées et les Blancs en profitent.
Botvinnik-Yudovitch, championnat d'URSS I933.
1. ç4, Cf6 ; 2. d4, g6; 3. Cç3, d5; 4. Cf3, Fg7; 5. Db3,
ç6; ~. çxd5, Cxd5; 7. Fd2, o-o; 8. é4, Cb6. Correct était
8 ... Cxç3 9. Fxç3 avec seulement un léger avantage blanc. Non
seulement le Cavalier b6 est mal placé, mais il obligera plusieurs
autres pièces noires à voler à son secours.
9. Tdl ! , C8d7; 10. a4, a5; 11. Fé3.

n°109

abcdefgh

- 162 -
Commentaire de Botvinnik : « Il s'est produit une position
remarquable ; le Cavalier b6 sera la cause de tous les tracas des
Noirs. Ce Cavalier n'a aucun coup et nécessite sans arrêt une
double protection, les Blancs menaçant à tout moment de jouer
d4-d5. Il en résulte que cinq pièces noires - Dame, Tour,
Fou et les deux Cavaliers - sont liées. »
11. .• Dç7; 12. Fé2, Dd6; 13. Cal, é6; 14. o-o, h6. Les
intentions des Noirs sont claires: jouerf7-f5 afin de conquérir ds
pour leur infortuné Cavalier. Ils pourraient alors démêler leurs
pièces bottelées. Botvinnik avait maintenant l'occasion par
r5. Cé5!! d'immobiliser définitivement l'ensemble des pièces
noires, mais - comme il le reconnut après la partie - il ne
remarqua pas que le coup f7-f5 était devenu possible.
15. Tçl,f5; 16. Cç3,Rh7; 17. Tfdl,fxé4;18. Cxé4,
Db4. Erreur des Noirs, cette fois. Ils pouvaient opposer une
certaine résistance par r8 ... Dé7 ; à présent leur position
tombe en ruines.
19. Dç2, Dxa4;20. b3, Da3;21. Ch4!, Dé7; 22. Cxg6!,
Rxg6; 23. Fh5 + ! ! , abandon. Le mat est imparable.
Une autre tare fréquente dans la disposition des pièces est
l'agglutination. Cela se produit lorsque plusieurs pièces sont
entassées les unes à côté des autres - à l'instar d'une foule
rassemblée dans une ruelle étroite. Un tel état de choses ne
peut bien sûr aboutir qu'à une catastrophe. Empêtrées, les
pièces ne peuvent se défendre normalement.
Zamikhovsky-Botvinnik, championnat d'URSS r93r. Les
Blancs optèrent pour une manœuvre de Fous ...

n°110

abcdefgh

- 163 -
13. Fh3 (Correct était 13. Cé5, Fd6 14. Cd3), Cg6; 14. Fg5,
h6 ; 15. Fé3, Fd6; 16. Ff5, Cé7; 17. Fd3, Dd7; 18. Rg2,
Fç8; 19. Cgl, Cg4; 20. Fd2, Fb7; 21. f3, Cf6; 22. Ch3.
Qu'ont obtenu les Blancs? Regardez leurs pièces. Pourquoi les
ont-ils entassées au centre? Est-ce pour parvenir à quelque fin
d'ordre stratégique? Non, elles sont là- un point c'est tout!
On ne s'étonnera pas de voir Botvinnik se jouer de l'armée
blanche par une série de coups précis !
22 ... ç5 ; 23. é3, ç4; 24. Ffl, b5 25 . Tél, Fç6; 26. Cdl,
Cf5;27.Rgl, b4 ;28.Cf2,Dç8;29 .Fh3,Fd7; 30.Fxf5, Fxf5;
31. é4, Fg6; 32. Da4, dxé4; 33. Cé3, éxf3 ! ; 34. Fxb4,
Fxb4; 35. Dxb4, Tb8 ! ; 36. Dxç4, Db7. Avec la forte menace
36... Tbç8, gagnant le Cavalier é3. La suite se passe de commen-
taires.
37. d5, Dxb2; 38. Df4·, Dxa2; 39. Dxf3, Da3; 40. Tal,
Dç5; 41. Tadl, Tb3; 42. Tçl, Téxé3; 43. Txç5, Txf3;
44. Tç7, Tb2 ; 45. Cd1, Td2 46. abandon.
Dans la partie suivante, r entassement des pièces fut puni plus
vite et plus férocemen t.
Horberg-Kotov, Stockholm 1959· Insensiblement, les pièces
de mon adversaire s'agglomérèrent funestement au centre de
l'échiquier.
1. é4, d6; 2. d4, g6; 3 . Cf3, F g7 4.; Fç4, Cf6; 5. Cç3,
o-o ; 6. o-o, Fg4; 7. h3, Fxf3; 8. Dxf3, Cfd7; 9. Fé3, Cç6;
10. Ddl, Cb6 11.; Fb5, Ca5; 12. Dé2, ç6; 13. Fd3, d5; 14.
Tadt.

n° 111

a b c d c f g h

- 164 -
A première vue, la position des Blancs est enviable, mais si
vous y regardez de plus près vous remarquerez que leurs
pièces ne coopèrent pas. Dans ces conditions, l'énergique
14 ... é5 ! garantit le gain des Noirs. Pour s'opposer à la menace
de fourchette sur d4, les Blancs essayèrent 15. éxd5, éxd4;
16. dxç6 mais se retrouvèrent franchement mal après 16 •••
Cxç6 ! 17.; Fb5, Dç7; 18. Fxç6, dxç3; 19. Fé4, çxbl. Enfin,
ils gaffèrent par 20. Fd4 et 20 ••• bl=D les força à l'abandon.
Un autre défaut que l'on constate souvent dans la disposition
des pièces est l'isolement, qui se produit lorsqu'une partie
de vos pièces ignore ce que fait l'autre. En général, cela ne
présage rien de bon.

n°112

abcdefgh

Botvinnik-Smyslov, 14e partie du championnat du monde


1954. Smyslov sacrifia hardiment la qualité, espérant profiter
alors du manque de coordination des pièces blanches, tandis
que les pièces noires travailleront toutes en étroite coopération.
11... éxd4 ! ; 12. Ca4, Da6 ; 13. hx~4, b5 ; 14. Cxd4,
bxa4; 15. Cxç6, Dxç6 ;16. é5, Dxç4;17.Fxa8,Cxé5.Voici
comment Botvinnik juge cette nouvelle position : «Les Blancs
sont en difficulté. Leurs forces sont éparpillées, les pièces
noires contrôlent le centre, l'aile-Roi blanche est gravement
affaiblie. » Ces avantages permirent à Smyslov de mener les
Noirs à la victoire. Notez la magnifique unité dont feront preuve
les pièces noires jusqu'à l'issue de la partie.
- 165 -
18. Tçl, Db4; 19. a3!, Dxb2; 20.Dxa4, Fb7; 21. Tbl.
Erreur. Botvinnik estima par la suite qu'il aurait pu garder
des chances de nullité après 21. Fxb7, Dxb7 22. Tç3. A présent
les pièces noires, en totale harmonie, développent une offensive
irrésistible.
21. .. Cf3 + ; 22. Rhl, Fxa8 ! ; 23. Txb2, Cxg5 + ; 24. Rh2,
Cf3+ ;25.Rh3,Fxb2 ;26.Dxa7,Fé4 ;27.a4,R~7 ;28.Tdl,
Fé5 ;29. Dé7, Tç8! ;30. a5, Tç2. Admirez le splendide
ensemble que forment les pièces noires. Magnifique exemple de
coordination idéale entre les pièces.
31. Rg2, Cd4+ ; 32. Rfl, Ff3 ;33. Tbl. Cç6 34. abandon.
Enfin, il faut bien sûr éviter le retard dans le développement
des pièces. La façon d'exploiter le fait que plusieurs pièces
adverses stationnent encore sur leurs cases d'origine consiste à
créer des menaces directes et à ouvrir le jeu au plus tôt. Si
vous ne décelez aucun objectif d'attaque immédiat, cherchez à
maintenir votre adversaire occupé par quelque moyen indirect.
Ne lui donnez pas l'occasion d'achever son développement,
auquel cas, une fois ses pièces sorties, votre avantage s'évanoui-
rait. Bref, un jeu très incisif est recommandé, même si cela
implique des sacrifices matériels.

n°113

ab cd ef gh

Kotov-Kalmanok, Moscou 1936. Les Noirs souffrent de


sous-développement, notamment du côté Dame. Si les Blancs
ne se hâtent pas, les Noirs sortiront le Fou sur b7, la Dame
en ç7 et feront le grand roque, obtenant ainsi une partie égale.
- 166 -
Mais les Blancs se gardent bien de lambiner et engagent immé-
diatement le corps à corps.
10. Dh6 !. Menace de gagner le Pion << h » par II . Dg7,
après quoi le Pion passé « h )> des Blancs serait une arme redou-
table. Les Noirs sont donc contraints à reculer leur Fou,
accentuant par-là leur état de sous-développement.
10 ... Ff8 ; 11. Df4, Fb7 ; 12. 0-0-0, h5 ; 13. Rbl, Fé7;
14. D~3 !. Nouvelle menace concrète : 15. Dg7 forçant la
Tour à venir sur f8 et donc à abandonner à nouveau le Pion
« h ». Les Noirs doivent trouver une parade.
14... Cf8; 15. Thél, f5; 16. d5 !. Un coup déjà meurtrier :
16..• éxd5 17. Cf6 mat, ou 16... fxé4 17. dxé6.
16 ... çxd5 ; 17. Fb5 +, Cd7 ; 18. Cé5, Dç7. Les Blancs
prirent à présent le Cavalier d7 et gagnèrent rapidement. Un
finish amusant aurait suivi 18... Fç8 : 19. Dg7, Tf8 20. Txd5,
éxd5 21. Cf6+, Fxf6 22. Cg6+, Fé7 23. Dxf8 mat.
En conclusion, je voudrais mettre l'accent sur l'importance
de la bonne disposition des pièces. Rappelez-vous que, lorsqµ'à
travers le calcul de variantes, vous chercherez une solution
concrète à vos problèmes, il ne faudra jamais vous égarer et
perdre de vue la nécessité pour l'ensemble de vos pièces d'être
unies par un lien harmonieux. Prenez pour règle de considérer
une ou deux fois pendant la partie la position sous un angle
différent. Demandez-vous si vos pièces coopèrent toutes bien,
ou si, dans leurs rangs, l'harmonie n'est pas totale. Un tel
contrôle rapide peut s'avérer d'un grand secours.
Un grand-maître s'en remet généralement à un sentiment
inconscient, développé par des années d'expérience, pour s'assu-
rer qu'il a placé ses pièces sur les cases adéquates. Il est possible
qu'une telle intuition fasse encore défaut au lecteur. Essayez
dans un premier temps de compenser cela en produisant l'effort
conscient d'effectuer le contrôle que nous venons de suggérer,
vous éviterez ainsi tous ces ennuis qui naissent d'un placement
malheureux des pièces.

Espace et centre

Nous avons décidé d'examiner ensemble ces deux importants


concepts positionnels car il existe entre eux un réel lien orga-
- 167 -
nique. Si nous souhaitons obtenir un appréciable avantage
d'espace nous devons disposer d'un contrôle ferme sur le centre,
nous devons y briser la résistance de l'ennemi et en chasser ses
troupes. Réciproquement, si nous nous sommes assuré le contrôle
du centre, l'ennemi n'est plus en mesure d'améliorer la disposi-
tion de ses pièces.
La question du centre a fait l'objet d'études sérieuses dès le
siècle dernier, lorsque perçaient les premiers éléments du jeu
positionne!. Les experts lancèrent d'abord le mot d'ordre
c< Occupez le centre avec vos Pions». Dans des ouvertures
comme le Giuco Piano, le Gambit du Roi et le Gambit Evans,
les deux Pions blancs du centre étaient généralement avancés
de deux cases. Un profond respect était alors voué au centre de
Pions, qui paraissait être le gage d'une victoire imminente.
Vinrent les hypermodernes, qui démolirent l'image de
marque des Pions centraux. Vous n'aviez simplement qu'à
exercer sur eux une pression à distance avec vos pièces, et le
centre de Pions perdait toute force. C'est à cette époque que
furent inventées des ouvertures telles que le Début Réti, la
Défense Alékhine, la Défense Nimzovitch et la Défense Grün-
feld. Dans toutes ces lignes de jeu, un camp bâtit un centre de
Pions tandis que l'autre prend immédiatement ses dispositions
pour le combattre par un quelconque moyen.
Les années passèrent, durant lesquelles les joueurs soviéti-
ques se mêlèrent à cette grande discussion. Depuis, les esprits
se sont calmés et les choses ont retrouvé leur just e place. Le
centre de Pions demeure très prisé, parfois avec autant d'enthou-
siasme qu'à l'époque d 'Anderssen et de Morphy- mais avec
cette réserve que ce centre doit être solidement soutenu par les
pièces, que toute l'armée doit s'unir pour participer au renforce-
ment des positions centrales.
Simultanément ont été entrepris des travaux considérables
en vue de découvrir de nouveaux moyens pour attaquer un tel
centre de Pions. Parmi les méthodes les plus variées qui ont
été expérimentées, une place d'honneur revient à la Défense
Est-Indienne, ce système si compliqué à base de contre-attaque.
Les concepts dynamiques du centre ont donné lieu à une
théorie: il faut admettre que, pour le moment, le centre est aux
mains des Blancs, mais les Noirs ont un contre-jeu qui mettra
à rude épreuve ce bel édifice central.
Ou prenons comme exemple la variante Smyslov de la Défense
- 168 -
Grünfeld: 1. d4, Cf6; 2. ç4, g6; 3. Cç3, d5; 4. Cf3, Fg7;
5 . Db3, dxç4; 6. Dxç4, o-o; 7. é4, Fg4; 8. Fé3, Cfd7.

n° 114

abcdefgh

Tarrasch estimerait que les Noirs sont dans de mauvais


draps! Il déclarerait probablement que la position noire est
sans espoir, et pourtant combien d'intéressantes parties ont été
gagnées par les Noirs à partir de cette position à la suite d'une
contre-attaque dirigée sur le centre blanc 1
Récemment est apparue une tendance à négliger complète-
ment le centre de Pions. Aujourd'hui, vous pourrez trouver dans
n'importe quel tournoi de haut niveau des parties commençant
à peu près ainsi: 1. d4, d6; 2 . ç4, g6; 3. é4, Fg7; 4. Fé3, ç6;
5. Cç3, Dç7; 6. Dd2.

n° 115

- 169 -
Tout le centre est aux mains des Blancs et les Noirs n'ont
même pas encore engagé la lutte pour la moindre case centrale
(si ce n'est l'attaque par le Fou gJ du point d4)· Malgré cela, les
maîtres d'aujourd'hui ne sont nullement impressionnés par ce
formidable centre. Ils reportent leurs espoirs en milieu de jeu,
où ils comptent fortement contester les bastions centraux enne-
mis et finir au terme d'une bagarre tumultueuse par anéantir
ou au moins mettre en fuite une armée blanche qui paraissait
pourtant assise sur des positions inébranlables.
Nous traiterons plus en détail la question du centre lorsque
nous parlerons du plan de jeu. Rappelez-vous pour l'instant que
chaque position doit être estimée de façon concrète et qu'il faut
faire preuve de souplesse lorsqu'une décision d'ordre stratégique
est à prendre. D'une part ne soyez pas effrayé par le centre
adverse, de l'autre ne lui vouez pas que du mépris. Même à
l'ère atomique, un centre de Pions bien soutenu par les pièces
demeure un sérieux atout 1
Ainsi, qui bouderait la position blanche du diagramme sui-
vant?

n°116

abcdefgh

Les Blancs bénéficient d'un fort centre de Pions, et il sera


bientôt clair que les Noirs ont pris des précautions insuffi-
santes contre sa possible mise en branle. Botvinnik, menant
les Blancs contre Levenfish au tournoi de Moscou 1935, punit
énergiquement pareille négligence.
- 170 -
14. d5 !, Fé7. En retard de développement, les Noirs
ne peuvent se permettre d'ouvrir au centre. Ce facteur donne
aux Pions blancs l'occasion de poursuivre leur marche en
avant.
15. é5, Cb5; 16. d6, Cxç3; 17. bxç3, Fd8; 18. Dd4, ç5;
19. Dg4, Tg8; 20. Dé4, Th8 ; 21. Fé3, Cd7; 22. Cd2, f5;
23. Da4, Rf7; 24. f4 !. La pitoyable situation des Noirs ne
vous fait-elle pas frémir d'horreur? On peut seulement s'éton-
ner de la ténacité avec laquelle Levenfish réussit à tenir encore
longtemps une position aussi triste.
Donc, respectez le centre de Pions adverse, mais ne le crai-
gnez pas outre mesure! - c'est l'attitude correcte à observer.
Il en va de même pour un avantage spatial. Certes il est
agréable de presser l'adversaire sur ses deux ou trois rangées
arrière, mais ce n'est en aucun cas la garantie d'un gain auto-
matique. Comme l'écrit Bronstein, «il y a des joueurs qui pré-
fèrent les positions resserrées aux positions bien dégagées et qui
tendent à obtenir de meilleurs résultats lorsqu'ils jouent des posi-
tions à leur goût. En un mot, les notions de cc position resserrée »
et de «jeu libre » appartiennent surtout au jargon des théoriciens et
conviennent moins à la réalité du jeu de compétition qu'on pour-
rait à priori le croire. »
Ayant donné le point de vue de Bronstein je prends à présent
la liberté d'exprimer ma propre opinion concernant les positions
resserrées. Il m'est arrivé de totalement étouffer un adversaire
grâce à une avance généralisée de mes troupes -pièces et
Pions-, mais j'ai également appris à faire face à de telles
ruées. C'est peut-être à cause de mon tempérament que je ne
m'inquiète guère de me trouver ainsi acculé-je parviens
généralement à me surpasser lorsque les plus graves dangers me
guettent. Ainsi, les positions les plus inconfortables ne me parais-
sent jamais perdues ; tant que mon armée reste bien vivace
subsiste l'espoir d'une contre-attaque. Voici un exemple
instructif, ma partie contre Liebert (Blancs) au tournoi de
Sotchi 1967. L'ouverture ne m'avait guère été favorable :
1. é4, d6; 2. d4, Fg7; 3. Cç3, Fg7 ; 4. f4, Cç6; 5. Fé3,
Cf6; 6. Cf3, o-o; 7. Fé2, d5; 8. é5, Cg4; 9. Fgl, f6; 10. h3,
Ch6; 11. g4, f5 ; 12. g5, Cf7; 13. h4, é6; 14. Fé3, Cé7;
15.Rf2, Dd7; 16. h5, Té8; 17. Dgl, b6; 18. Dhl, Ch8;
19. Tagl, Rf7; 20. Tg3, Tg8; 21. Th3, Fb7.
-171 -
n°117

abcdefgh

«A quoi joues-tu ? ! Est-ce vraiment une position / ? »s'étonna


V. Simaguine, comme nous marchions en attendant la réponse
de nos adversaires respectifs.
«Eh quoi ? !, haussai-je les épaules, c'est une position
comme une autre ». Ce qui fit dire à mon regretté entraîneur :
«Ah, toi !... Est-ce ainsi que je t'ai appris à jouer ! ? Donne-moi
la position blanche et je t'écrase en quelques coups ! »
Volodia était très direct et disait toujours ce qu'il pensait.
Je n'envisageais toutefois pas l'avenir aussi sombre. Soit,
j'aurais encore à souffrir un peu, mais j'y étais préparé et je
misais sur une future contre-attaque. Par définition, une
contre-attaque ne peut que succéder à une attaque de l'adver-
saire l Peut-être avais-je cette fois montré trop de tolérance,
toujours est-il que tout restait à faire.
Une période longue et pénible s'écoula avant que je puisse
poser les jalons d'une contre-attaque - après tout Simaguine
n'avait pas eu tort, c'est agir avec légèreté qu'offrir trop de
perspectives à l'adversaire. Et ce n'est pas sans un immense
soulagement qu'au 5oe coup je pus faire pencher la balance
en ma faveur par un sacrifice libérateur de Cavalier :
50 ... Cxg5 ! ; 51. Fxb5 +, Rç8; 52. fxg5, Dxé5 + ; 53. Rf2,
Dxç3 ; 54. Ddl, Dh3 ; 55. Cf3, d4, et les forces noires, si
longtemps confinées dans leurs réserves, firent dorénavant
preuve d'une activité endiablée.
Autrement dit, n'ayons pas peur des fantômes: être à l'étroit
est très désagréable, mais ce n'est pas un défaut positionne!
sérieux 1
- 172 -
n° 118

ab c def gh

Exercices

n° 119

a b c d e· f g h

Diagramme 119. Jugez la position. Quels sont les facteurs


positionnels décisifs et comment les Noirs, au trait, mettent-ils
un point final à la lutte ?
- 173 -
n°120

abcdefgh

Diagramme 120. Trait aux Blancs ; quel facteur leur


donne la possibilité de forcer le gain ? Trouvez la procédure
la plus expéditive.

n°121

abcdefgh

Diagramme 121. Trait aux Blancs; quels facteurs posi-


tionnels leur offrent une manœuvre de gain forcée ? Trouvez
cette manœuvre.
- 174 -
n° 122

Diagramme 122. Au trait, les Blancs peuvent créer une


grave faiblesse positionnelle dans le camp ennemi, puis l'exploi-
ter. Comment ?

n° 123

abcdefgh

Diagramme 123. Trait aux Noirs; quel facteur positionne!


leur permet d'obtenir un avantage décisif? Donnez la ligne
gagnante.
- 175 -
0°124

ab cdef gh

Diagramme 124. Quel est le défaut de la position noire?


Comment les Blancs, au trait, peuvent-ils en tirer parti ?

- 176 -
L'ETABLISSEMENT D'UN PLAN

Un plan unique

Après avoir isolé par l'analyse les divers éléments d'une


position, puis réalisé en esprit la synthèse de ses données, un
grand-maître se fait une idée plus ou moins exacte de la situa-
tion sur l'échiquier. Il sait qui a le meilleur jeu, ou bien qui a
l'initiative ; il sait où se situent les faiblesses de so:i;i propre
camp et où sont les points vulnérables de !"adversaire; il
sait qu'il lui faudra s'emparer du contrôle de certaines colonnes,
rangées ou diagonales, il sait sur quelle case devra être transférée
telle ou telle pièce et quels sont les problèmes posés par le centre.
Le processus laborieux et compliqué de l'évaluation de la
situation est terminé; il doit maintenant trouver comment
continuer; en d'autres termes, le moment est venu pour lui
d 'établir un plan de campagne.
«Concevoir un plan » : c'est probablement le principe straté-
gique que l'on essaie le plus d'inculquer à tout apprenti joueur
d'échecs; et pourtant, le concept de plan est sûrement celui
qu'il comprend le moins bien.
Même le débutant sait déjà qu'en jouant il est censé se
conformer à un plan bien défini qu'il aura préparé. Le plan
dont on parle tant, sur lequel on écrit tant, c'est le plan élaboré
pour le milieu de partie. Eh bien, pour être franc, je dois avouer
que, pendant fort longtemps, je n'arrivais pas à comprendre
pourquoi l'on m'enjoignait d'avoir un plan répondant à toutes
les éventualités. Il me paraissait tout simplement inconcevable
qu'une lutte compliquée, semée d'embûches et de coups inat-
tendus, pût s'inscrire dans le cadre d'un seul et unique plan
d'ensemble.« Ayez un plan tout au long de la partie» recomman-
daient les manuels, mais c'est en vain que je m'efforçais de
suivre ce conseil ; dans mes parties, le plan brillait plutôt
par son absence, et elles souffraient nettement de cette carence.
- 177-
Et puis un jour, la partie Romanovsky-Vilner, dans la pre-
mière édition de l'ouvrage de Romanovsky Le Milieu de partie,
fit sur moi une grande impression. Dans mes efforts pour amé-
liorer mon jeu, les avis de ce grand connaisseur m'avaient
souvent été fort utiles, et la partie en question laissa dans mon
esprit une marque indélébile. La voici, avec un bref exposé du
plan auquel Rornanovsky déclare s'être tenu tout au long des
cinq heures que dura la partie, et que, dans son livre, il décrit
par le menu en un grand nombre de pages.
Romanovsky-Vilner, championnat d'URSS 1924 :
1. Cf3, dS ; 2. é3, Cf6 ; 3. b3, Fg4 ; 4. Fé2, Cbd7;
5. Fb2, Fxf3 ; 6. Fxf3, éS ; 7 . d3, ç6 ; 8. Cd2, Fd6;
9. o-o, Dé7.
'<Les Blancs ont déjà Men mobilisé leu,rs forces, écrit Roma-
novsky, mais avant de dresser un plan de campagne et de décider
des objectifs à atteindre, il leur faut savoir de quel c6té les Noirs
vont roquer ». Le coup suivant des Blancs tranche la question,
car il serait dangereux pour le Roi noir d'aller du côté Darne
où les Pions blancs sont prêts à se ruer à l'assaut.
10. a4, 0-0.

n°125

ab cdefgh

Le moment est venu pour les Blancs d'élaborer leur plan.


Dans une première phase, ils choisissent comme objectif la
case faible des Noirs, fs ; les Blancs désirent y installer leur
Cavalier. Romanovsky examine divers moyens d'y parvenir,
mais opte finalement pour le chemin le plus court : C-fl-é3-f5.
Il faut d'abord frayer le passage.
- 178 -
11. g3, Tad8 ; 12. Fg2, Tfé8 : 13. Dé2, Dé6 ; 14. é4 !
Cf8 ; 15. Tfdl, Cg6 ; 16. Cft. Le Cavalier va maintenant
pouvoir arriver à destination .. Ceci s'avérerait-il gênant pour
les Noirs? Difficile à dire, mais les intentions des Blancs doivent
recevoir notre approbation; il est bien connu qu'il vaut mieux
mettre en œuvre un plan cohérent, même si ce n'est pas le
meilleur, que de ne pas en avoir du tout. Rien n'est pire que
d'évoluer sans but précis.
Vilner estime qu'il ne doit pas laisser le Cavalier aller occuper
son poste, et il le supprime. Cette décision peut aussi se discuter.
Il n'est pas certain qu'elle soit heureuse, mais ce qui est certain
c'est que, aussitôt après l'avoir mise à exécution, les Noirs
jouent mal.
16 ... Fç5; 17. Cé3,Fxé3; 18.Dxé3,d4?.Coupsuicidaire.
Les Noirs se privent de contre-jeu sur l'aile-Dame et laissent
en même temps les mains libres aux Blancs sur l'aile-Roi.
19. Dé2, Cd7 ; 20. Tfl, Dd6 ; 21. Fa3, ç5?. Encore un
très mauvais coup. Les Blancs ont provoqué cette avance de
manière à «geler» l'aile-Dame une fois pour toutes, ce que les
Noirs devraient essayer d'éviter à tout prix, afin de conserver une
chance de pénétrer avec leur Dame sur les diagonales noires.
22. Taél, Cb8 ; 23. Fçl, Cç6 ; 24. f4, f6 ; 25. f5.
Comme on le verra par la suite, les Blancs auraient Il)ieux fait
de différer ce coup et de jouer 25. Dh5 pour contraindre le Roi
noir à demeurer dans son coin. A présent, conformément aux
principes de défense en pareil cas, il va s'empresser de s'enfuir
vers l'autre aile.
25 •.. Cf8; 26. g4?. Ici aussi 26. Dh5 était plus fort. 26 .••
Rf7 ; 27. g5, Ré7 ; 28. Tf3, Rd7 ; 29. Tg3, Rç8 ;
30. gxf6, gxf6 ; 31. Ff3, Cd7 ; 32. Dg2, a5 ; 33. Fh5,
Té7 ; 34. Fh6, Cb6 ; 35. Tg8. Il n'est pas difficile de voir
que le jeu faible des Noirs et leur totale passivité les ont laissés
dans une situation sans espoir. Les pièces lourdes des Blancs,
puis leurs Fous, pénètrent dans la position noire.
35 ... Tç7 ; 36. Tdl !. Prévenant toute tentative de contre-
jeu par ç5-Ç4. Dans cette phase de la partie, tout comme il l'a
fait pour augmenter la pression, Romanovsky joue avec une
grande maîtrise.
- 179 -
36 ... Rb8 ; 37. Td2 , Ra7 ; 38. Dg3 , Cb4 ; 39. Tg2 , Cç8.
Les Noirs auraient dû profiter du relâchement temporaire des
Blancs pour jouer ç5-ç4.
40. Df2 , Cç6 ; 41. T2g3 , Ra6 ; 42. Dg 2, Tçd7 ;
43. Fé8 ,Tç7 ;44. Ff8 ! C6é7, 35. Ff7 , Db6 ; 46. Fxé7,
T xé7; 47. Txd8, Dxd8 ; 48. T g8, Dç7 ; 49. Fé6, Ca7;
50. h4 , Cç6 ; 51. h5, Ra7 ; 52. h6, Cd8. 53. Fd5. Il ét ait
a
plus précis de jouer 53. Fç4. Les Noirs lancent présent une
contre-attaque désespérée.
53 ..• Cf7 ! 54. Dg7 , Db6 ; 55 . Fxf7 , Db4 ; 56. Dxf6,
Dél+ ; 57.Rh2 , Df2+ ; 58. T gl , Df4 +; 59. Rh3,
Df3 + ; 60. T g3, Dhl + ; 61. Rg4, Ddl + ; 62. Rh4,
Dhl + ; 63. Rg5, Del+ ; 64. Rh5, Dhl + ; 65. Dh4,
aba ndon.
Après avoir décrit l'évolution de la partie et fait part de
ses propres réflexions durant le jeu, Romanovsky ajoute :
« La dernière et la principale conclusion à tirer est la suivante :
dans to1tte partie, on doit avoir un seul plan de base, et en le
mettant en œuvre on doit obtenir une 1'.nitiative durable. L'initia-
tive ainsi obtenue a1tra tendance à s'accroître jusqu'à ce qu'elle
atteigne une ampleur telle qu'elle permette de forcer le gain. »
Il demande alors : « pourrait-on dire que dans la partie contre
Vilner plusieurs plans ont été mis en œuvre ? >> et il répond :
<1 certainement pas I !>
Pour ma part, j'éprouvais une immense admiration. Tout
était prévu et calculé du premier coup au dernier. Quelle
continuité dans le dessein, et quelle unHé dans la conception!
Cette partie était une belle œuvre d'art. Mes parties, elles,
n'étaient que des épisodes juxtaposés qu'aucun plan ne reliait
entre eux.
Je m'appliquai dès lors à planifier mon jeu, élaborant dès
après l'ouverture un plan destiné à me mener jusqu'en fin de
partie, mais en dépit de tous mes efforts, malgré d'intenses
réflexions sur le sujet, je n'aboutissais nulle part ! J'e.nvisageais
un long siège systéma.tique du pion de mon adversaire en a6,
mais soudain il m'en détournait complètement par des compli-
cations tactiques sur la colonne « f » ; et quand je projetais de
lancer une attaque contre le Roi ennemi, je m'apercevais qu'il
me fallait parer à une menace redoutable de l'autre côté de
l'échiquier.
- 180 --
Bref, je n'arrivais à rien ; mes parties étaient toujours
composées d'épisodes isolés dont je m'efforçais en vain de
faire un tout harmonieux. Déçu, désenchanté, plongé dans le
désespoir, je finis (quoi d'étonnant 1) par renoncer à toute
idée de plan et me contentai de l'analyse tactique, de simples
solutions intuitives, sans chercher le moins du monde à faire
preuve d'un profond jugement positionne!. Ce ne fut que beau-
coup plus tard, lorsque ma compréhension du jeu se fut considé-
rablement développée, que j'obtins une vue claire sur cette
question du plan unique. Je suis fermement convaincu que,
dans le domaine de la stratégie aux échecs, ce problème demeure
le plus mal compris et le plus ambigu. Voyons donc la chose
d'un peu plus près.
Dans la partie contre Vilner, on assiste à une lutte entre
des forces inégales. Les Blancs ne rencontrent aucune résis-
tance valable et effectuent sans encombre leurs opérations
pour contrôler et envahir le secteur du Roi ennemi. Vu le
manque d'opposition, il est facile de comprendre qu'un plan. de
campagne unique puisse être en l'occurrence exécuté. Mais
lorsque vous vous heurtez à un adversaire coriace et plein de
ressources, qui s'oppose à toutes vos intentions, non seulement
par des mesures défensives mais aussi par des contre-attaques,
mener à bien un plan unique est fort loin d'être simple.
Alors, que faut-il entendre au juste par plan unique? J'ai
beaucoup médité là-dessus, j'ai consulté plusieurs de mes
confrères grands-maîtres, et finalement je suis parvenu à la
conclusion que la définition suivante peut donner quelque
idée du g.enre de processus par quoi se traduit le concept de plan
dans un authentique affrontement:
cc Un plan unique, c'est en fait un ensemble ; c'est la
somme d'opérations stratégiques successives, fondées
chacune sur une idée indépendante répondant logique-
ment aux exigences d'une position donnée.»
Autrement dit, il n'y a pas un seul et unique plan conçu
très tôt et que l'on met en œuvre jusqu'au dernier coup de la
partie; il y a une série de petits plans. On remarque un objectif
souhaitable, on fait un plan pour l'atteindre, on exécute ce
plan, et puis l'on répète ce processus pour un autre objectif;
et ainsi de suite tout au long de la partie. Si l'adversaire vous
contraint à renoncer au milieu de l'entreprise, ou si de vous-
même vous réalisez que l'objectif est inaccessible, alors changez
de plan. Dressez un nouveau plan, ayez un objectif différent.
- 181 -
Si quelque coup inattendu entraîne soudain un grand change-
ment dans la position, pourquoi persister à mettre en œuvre
un plan qui ne répond pas à la situation nouvelle ainsi créée ?
Il faut alors, bon gré mal gré, trouver un autre plan.
A l'appui de la définition ci-dessus, voici quelques lignes de
Bronstein : « C'est à T arrasch que l'on doit cette idée qui est encore
très répandue, ancrée dans les esprits, à savoir qu'il y a les parties
dites logiques où l'un des joueurs met à exécution un plan logique
du début à la fin, comme s'il faisait la démonstration d'un théo-
rème de géométrie. j'estime, quant à moi, qu'il n'y a pas de parties
de ce genre entre adversaires de même force. Bien souvent, le
commentateur qui réussit à donner cette impression n'est autre
que le vainqueur de la partie, lequel s'ingénie à prouver que ce qui
s'est passé est très exactement ce qu'il a voulu qu'il se passe. >1
Ainsi, nos opinions se rejoignent. L'exécution d'un plan
unique, du genre démonstration d'un théorème d'Euclide,
c'est très rare; cela ne se trouve que dans des parties où, comme
on dit en jargon de football,« un des camps monopolise complè-
tement le ballon». Il ne s'agit pas nécessairement d'une partie
entre joueurs de forces très différentes; il peut s'agir d'une
partie entre maîtres où l'un des joueurs est en pleine forme
alors que son adversaire est loin de donner le meilleur de lui-
même. Dans la grande majorité des cas, on voit s'opposer
et s'échelonner de petits plans à court terme, toute une série
d'intentions stratégiques séparées, mais cet état de choses
n'exclut pas du tout que la partie puisse avoir, globalement,
une structure cohérente et logique.

L'absence de plan punie

Dans la partie suivante, les Blancs ont très mal joué, et pour-
tant Sokolsky est un maître de valeur. Mais en l'occurrence il
n'oppose aucune résistance sérieuse à son formidable adver-
saire, qui impose inexorablement sa stratégie d'un bout à
l'autre de la partie et conduit l'attaque finale contre le Roi avec
une implacable rigueur.
Ce n'est hélas pas t ous les jours que l'on tombe sur des
adversaires aussi coopératifs qui semblent vouloir vous aider
à créer une impeccable œuvre d'art 1
On pourrait penser que cette partie serait mieux à sa place
- 182 -
dans la section précédente ; on verra bientôt pour quelle raison
nous la donnons ici.
Sokolsky-Botvinnik, demi-finale du championnat d'URSS
1939.
1. ç4, Cf6 ; 2. Cç3, d5 ; 3. d4, g6 ; 4 . Cf3, Fg7 ; 5. é3,
o-o ; 6. Fé2, é6 ; 7 . o-o, b6 ; 8. çxd5, éxd5 ; 9 . b3,
Fb7 ; 10. Fb2, Cbd7 ; 11. Dç2 .

n° 126

abcdefgh

Botvinnik fait ici une remarque importante à propos du


plan aux échecs : «Peu à peu, il devient clair que les Blancs
n'ont p as de plan et se préoccupent uniquement de développer
leurs pièces. On poiwait peut-être jouer de la sorte il y a cinquante
ans, mais de nos jours, où n'importe quel maître établit un plan
après avoir joué de six à huit coups, se soucier seulement du
développement est sûrement la meilleure façon d'obtenir une
position passive et étriquée. »
Ce qui permet de tirer deux conclusions :
I. Un plan est essentiel.
2. N'importe quel maître élabore un plan pour le milieu de
partie après avoir joué de 6 à 8 coups. Je pense qu'il est inutile
d'insister davantage et que le lecteur saura tenir compte
de ces préceptes dans ses propres parties.
Sokolsky continue à jouer sans plan, et, curieusement, il ne
fait aucun effort pour conserver le contrôle d'un avant-poste
central.
- 183 -
11. .. a6 ; Il. Taçl, Tç8 ; 13. Tfdl, Dé7 ; 14. Dbl,
Tfd8 ; 15. Ffl, ç5 ; 16. dxç5. «Encore une erreur position-
nelle. Comme il y a un grand nombre de pièces mineures sur
l'échiquier, il n'est pas possible aux Blancs de tirer parti de la
présence de pions noirs pendants en ç5 et d5, et en les attaquant à
partir de la première rangée ! Par ailleurs, les Blancs se privent de
leur dernier point fort au centre - le Pion d1. Par la même occa-
sion, le Fou-Dame noir voit son champ d'action s'élargir et le
rythme de la partie s'accélère. » (Botvinnik).
16 ..• bxç5 17. Cél.

o0 127

abcdefgh

Examinez cette position. Les Noirs possèdent un indéniable


avantage, mais qui pourrait aisément disparaître s'ils jouaient
sans plan précis et sans énergie. Botvinnik va mettre en œuvre
un plan bien fondé, découlant logiquement des données de la
position. C'est aussi une continuation de sa stratégie dans l'ou-
verture. Ce plan consiste en une attaque directe contre le Roi
ennemi, que les pièces blanches défendent mal. La principale
cible sera la case fa. Botvinnik fait participer son Fou-Roi
à cette attaque et cède par-là même la longue diagonale
noire. Mais, dans cette position, cette diagonale ne lui est pas
nécessaire.
17 ... Fh6!; 18. Fa3, Cg4; 19. Dd3. La menace était
19... Fxé3; 20. fxé3, Dxé3+.
19 ... Cdé5 ; lO. Cxé5, Dxé5 ; li. Cg3, Df6 ! ; ll. Chi.
Pas le choix : il fallait se défendre contre 22 Cxfa et aussi
contre 22... Dh5 ; 23. h3, Cxé3.
- 184 -
22 ... d4 ! ; 23. Dé2, Cé5 ; 24. éxd4, çxd4 ; 25. Txç8,
Fxç8! ;26. Tél,d3 ;27. Ddl,Fg4 ;28. Dal,d2 ;29. Txé5,
dl = D ; 30. Té8 +, Txé8 ; 31. Dxf6, Fé2, et les Blancs
abandonnèrent peu après.
On trouve un intéressant écho aux conseils de Botvinnik
dans les commentaires de Bronstein sur la partie Pétrossian-
Euwe, tournoi des Candidats, Zurich 1953.
Les coups d'ouverture furent 1. Cf3, Cf6 ; 2. g3, d5 ;
3. Fg2, Ff5 ; 4. d3, é6 ; 5. Cbd2, h6 ; 6. o-o, Fç5 ;
7. Dél, o-o ; 8. é4, dxé4 ; 9. Cxé4, Cxé4.
Bronstein écrit : « Les derniers coups des Noirs me paraissent
assez inconséquents. Parvenus au dixième coup, les Noirs ne
devraient pas seulement avoir déjà conçu un plan ; ils devraient
également s'y tenir. 1>

n°128

abcdefg h

Bronstein estime que les coups de Euwe manquent de logi-


que. Il dispose ses pièces, choisit et modifie sa formation cen-
trale de pions, sans raison précise, sans subordonner ses coups
à un seul objectif. C'est ainsi que l'échange de pions était
illogique. Il aurait dû retirer son Fou en h7 pour maintenir
la tension au centre. En tout cas, s'il tenait vraiment à
procéder à cet échange de Pions, ce qui était à la rigueur
possible, il aurait dû ensuite se débarrasser de son Fou en
l'échangeant contre le Cavalier blanc en é4.
Cet exemple nous montre que, dans le domaine du plan, même
un ancien champion du monde peut se trouver en défaut.
Il est intéressant de voir comment, en raison de ce manque de
méthode, de cette absence de projet rationnel bien défini,
- 185 -
la position des Noirs va devenir de plus en plus inconfortable
et précaire.
10. dxé4, Fh7 ; 11. b4, Fé7; 12. Fb2, Ca6; 13. a3,
ç6 ; 14. Tdl, Dç8 ; 15. ç4, Cç7 ; 16. Dç3. La situation
des Noirs devient critique. Leur Fou en h7 est enfermé, et leurs
autres pièces sont mal placées. bes pièces mal placées, nous
avons déjà vu à quoi cela peut conduire.
16 ... Ff6 ; 17. Cé5, Td8 ; 18. Ff3, Cé8 ; 19. Txd8,
Dxd8 ; 20. Tdl, Dç7 ; 21. ç5, a5 ; 22. Fg2, axb4 ;
23. axb4, Td8 ; 24. Txd8, Dxd8 ; 25. Dç2, Cç7 : 26. Ffl,
Cb5 ; 27. f4, Rf8 ; 28. Rf2, Fxé5 ; 29. Fxé5.
Les Blancs auraient pu jouer plus énergiquement, mais leur
avantage est suffisamment net pour leur permettre de gagner.
Ils forcent la décision par une avance des Pions latéraux du
côté Roi.
29 ... f6 ; 30. Fb2, Ré7 ; 31. Fç4, Fg6 ; 32. Ré3, Ff7 ;
33. g4, Dç7; 34. é5, Dd8; 35. éxf6+, gxf6; 36. h4,
Cç7; 37. Dç3, Cd5+; 38. Fxd5, Dxd5; 39. Dxf6+,
et les Blancs gagnèrent grâce à leur pion de plus et en exploitant
leur avantage positionne!.
D'après les deux opinions citées, la conclusion est claire :
il faut jouer avec cohérence et continuité et, entre les sixième
et dixième coups, élaborer un plan pour la prochaine phase de
jeu. C'est une règle importante que l'on doit connaître et
appliquer. Il arrive en effet que même de très forts joueurs se
contentent de jouer une série de coups « naturels ». A quoi cela
peut mener, l'exemple suivant \·a nous le montrer.

n°129

abcdefgh

- 186 -
Il s'agit de Gligoric-Kotov, tournoi des Candidats, Zurich
1953·
Bronstein écrit : «Les Blancs ont obten-u un avantage certain,
et ils ont effectué tous les coups préparatoires nécessaires. Le
moment est venu pour eux de répondre à la question essentielle :
comment continuer pour avoir des chances de gagner la partie ?
«Parfois il suffit de jouer les coups dits «naturels » : occuper
des colonnes ouvertes avec les Tours, les amener sur la septième ran-
gée, attaquer un pion arriéré, se créer un pion passé protégé, le
pousser à dame ... Bien des parties ont été dûment gagnées de cette
manière franche et directe. On lit de temps à autre des commentaires
de ce genre:« Et les Blancs, grâce à des coups simples (logiques,
évidents), augmentent leur avantage et gagnent», ou bien
«l'attaque des Blancs se développe pour ainsi dire d'elle-même ».
Mais de nos jours, la technique de la défense s'étant considérable-
ment améliorée, il est risqué de s'attendre à ce que la partie vous
mène toute seule à destination, comme un cheval fidèle et bien_
dressé.
« Quand on joue contre un adversaire expérimenté, qui sait
tirer parti de toutes les ressources défensives à sa disposition, il
est parfois nécessaire d'entrer par la porte étroite, c'est-à-dire de
trouver " le seul bon coup ". »
Dans la position du diagramme, les Blancs devaient trouver
une continuation leur permettant de conserver nettement l'ini-
tiative. La suite répondant le mieux aux exigences de la position
était r8. g4, Fg6 ; 19. f4 ; les Noirs auraient alors à faire
un choix douloureux entre 19... éxf4. 20. Fxg7, Tg8; 21. Fd4
et les Blancs dominent, ou bien 19 ... f6 ; 20. f5, Ff7 ; 2r. Cg3,
suivi par une pression croissante du côté-est, où le Roi noir
doit roquer.
C'était donc un devoir pour les Blancs de trouver un plan
répondant aux exigences de la position et qe s'y tenir. Au lieu
de quoi Gligoric joue au coup par coup et laisse finalement
les Noirs s'emparer de l'initiative.
18. f4, Fxél ; 19. Dxé2, Ff6 ; 20. Dç4, o•o: ; 21. Dç6,
Tfd8 ; 22. Taél, Db8 ; 23. Tbl, Ta7 ; 24. Dç4, Tç8 ;
25. Dé4, Db3 ; 26. fxé5, Fxé5 ; 27. Df5, Tf8 ; 28. Df2.
«En pratiquant ce genre de menace au, coup par coup, les Blancs
ont perdu tout leur avantage initial », remarque ici Bronstein.
28 ... Tça8 ; 29. Df5, Dxa4 ; 30. Tf4, Fxf4 ; 31. gxf4,
g6, et les Blancs abandonnèrent quelques coups plus tard.
- 187 -
Soyez souple

Nous avons montré que, dès après l'ouverture, il faut conce-


voir un plan, non pas un plan unique pour toute la partie,
car dans la pratique c'est impossible, mais une idée stratégique
bien déterminée, un plan à court terme en vue d'atteindre un
objectif concret.
Pour n'importe quelle position, ou peu s'en faut, il existe
plusieurs plans de ce genre - et c'est un des attraits des échecs.
Un grand-maître n'est pas limité dans son choix; il n'est pas
en présence d'une seule et unique décision possible (à moins
qu'il ne s'agisse d'une position où une variante d'ordre combi-
natoire s'impose absolument). Il est libre de son choix.
Et ceci entraîne la liberté de création, car c'est du plan que
dépend l'unité et la beauté de la partie. Si l'on choisit un bon
plan, on augmente alors ses chances non seulement de gagner la
partie, mais aussi de la gagner «en beauté», et donc de créer
une œuvre d'art.
Disons tout de suite que choisir un plan n'est pas chose facile.
Dans le choix intervient souvent un facteur décisif, à savoir
votre talent, vos connaissances, votre expérience. Le choix est
un processus créateur exigeant de l'imagination, de la réflexion,
du calcul, de la puissance d'invention, et une appréciation
exacte des caractères spécifiques de la position.

n°130

abcdefgh

Evaluant cette position, survenue après r4. Dç2-a4 dans la


partie Reshevsky-Kérès, Semmering r937, Kérès écrit : «Les
Blancs doivent en fin de compte se résoudre à mettre en œuvre un

- 188 -
plan visant un objectif concret. Leur manœuvre sur l'aile-Dame va
s'avérer erronée ,· au mieux, c'est une perte de temps. Et pourtant,
les Blancs n'avaient pas moins de trois bons plans à leur dispo-
sition, posant chacun de difficiles problèmes aux Noirs.
En premier lieu 14. b4 vaut la peine d'être envisagé. L'intention
des Blancs serait de poursuivre par 15. Db3 et une avance géné-
rale des pions sur l'aile-Dame. Il ne serait pas facile aux Noirs
de se défendre, parce que, telles qu'elles sont placées, leurs pièces
sont passives.
D'autre part, 14. Ch4, g6 15. Dd2! est une continuation
très forte, menaçant de faire passer la Dame sur l'aile-Roi et
puis de jouer f 4 au moment opportun.
Enfin, le doublement des Tours sur la colonne« d » suivi de Fh3
constituerait une fort bonne ligne de jeu. »
On remarquera donc que, selon un grand-maître, cette posi-
tion permet trois plans valables très différents. On peut agir
soit sur l'aile-Dame, soit sur l'aile-Roi, soit au centre. Ceci
donne une idée de l'étendue des possibilités aux échecs et
montre que le choix est en dernier ressort affaire de goût ou
de préférence artistique. Conclusion : il faut jouer conformément
à un plan valable, mais entre plusieurs plans possibles le choix
est entièrement libre ; à vous de voir lequel vous convient.
Kérès a fait un commentaire du même ordre à propos de sa
partie contre Fine (Noirs), au tournoi d'Ostende 1937, après
les dix coups d'ouverture que voici: 1. Cf3, d5 ; 2. d4, Cf6 ;
3. ç4, é6 ; 4. Cç3, ç5 ; 5. çxd5, Cxd5 ; 6. é4, Cxç3 ;
7. bxç3,çxd4 ;8. çxd4,Fb4+ ;9. Fd2,Fxd2+; 10. Dxd2,
o-o.

n°131

abcdefgh

- 189 -
« Les Blancs ont le choix entre deux plans bienfondés du point
de vue positionnel. L'un consiste à essayer de tirer parti de leur
avantage au centre en préparant l'avance d4-d5 pour obtenir
un puissant Pion passé, l'autre à concentrer leurs pièces en vue
d'une attaque contre le Roi ennemi. Il est d11ficile de dire lequel
offre les meilleures chances de gain ; il est donc souhaitable de
pouvoir tenir les deux options en réserve pendant quelques coups.
Comme II. FÇ.J. est un coup utile dans les deux cas, il me paraît
plus logique que I I . Fé2 et II. Fd3 qui ont été joués dans
cette position. »
Ici-encore, les Blancs avaient un choix à faire ; ils ont préféré
faire un choix double et virtuel, c'est-à-dire tenir en réserve les
deux options possibles de manière à pouvoir attendre le moment
où l'une d'elles s'avérera meilleure que l'autre. Les joueurs sont
fréquemment placés devant des décisions de ce genre. Elles
demandent une longue réflexion, car le choix du plan est
indéniablement une affaire cruciale ; le sort de toute la partie
peut dépendre de l'effort que l'on aura fait pour choisir le
meilleur.
Commentant les différents apports en matière de stratégie
et de tactique lors du tournoi des Candidats de Zurich 1953,
Bronstein écrivit dans le livre du tournoi : cc Il y a une caracté-
ristique des échecs modernes que le lecteur pourra maintes fois
constater dans les parties de ce tournoi - c'est l'aptitude des
joueurs à réagir promptement devant un changement de plan de la
part de l'adversaire, à modifier considérablement leur p ropre plan
si cette mesure est véritablement justifiée. ,,
L'exemple suivant montre quel fâcheux résultat peut entraî-
ner l'entêtement c\ maintrnir un plan drYenu défectueux :

n° 132

abcdefgh

- 190 -
Nous voici dans la partie Bondarevsky-Botvinnik, tournoi
match pour le titre de champion d'URSS 1941. Bondarevsky
examina soigneusement les diverses possibilités d'ouvrir le
centre et finit par conclure qu'elles ne lui étaient pas favo-
rables. Il décida donc de laisser le Pion éS .avancer en é4 de
manière à l'attaquer ensuite par f2-f3. Ce plan est parfaitement
valable et s'accorde avec les données de la position.
La partie se poursuivit par 10. Fé2, é4 ; 11. Cd2, Fxé2 ;
12. Dxé2, Fb4. Botvinnik s'empresse de parer à f2-f3, qui
menaçait déjà.
13. a3, Fxç3; 14. Fxç3, Té8 ; 15. f3. Botvinnik remarque
ici : « Il est parfois très ennuyeux de renoncer à son plan. Dès le
dixième coup, en jouant Fé2, les Blancs avaient l'intention de
se livrer à un travail de sape par f 2j3 si le Pion é5 venait en é4.
Mais les Noirs se sont préparés en prévision de ce coup ( f 3) et
se so.n t si bien défendus que les Blancs n'ont désormais plus
aucune chance d'obtenir un avantage quelconque en pratiquant
l'échange au centre.
Les Blancs devraient donc abandonner leur plan initial et
jouer 15. f 4. Il se pourrait que les Noirs s'opposent à cette
avance et répliquent par 15... éxf3 e. p. 16. gxf3, CJ8, avec des
chances à peu près équilibrées. Mais maintenant, voyant que les
Blancs se sont engagés dans la mauvaise voie, les Noirs n'échan-
gent pas les P ions. !>
Très précieuse et judicieuse observation ! Nous avons déjà
dit qu'il vaut mieux se conformer à un plan, même si ce n'est
pas absolument le meilleur, plutôt que de ne pas avoir de plan
du tout. Oui, mais d'un autre côté il importe de vérifier que le
plan choisi demeure toujours valable et ne s'avère pas soudain
contraire aux exigences d'une position qui s'est modifiée.
Il faut savoir virer de bord, changer de cap, et donc de plan,
en temps voulu, sinon l'on s'expose à de graves ennuis.
Ici, l'entêtement des Blancs à poursuivre un plan devenu
erroné les conduit à la catastrophe.
15 ... Cf8 ; 16. Tf2, Dd7 ; 17. Taft, éxf3. Joué au bon
moment. Les Blancs doivent reprendre avec la Tour, car 18.
gxf3, Cg6; 19. Dd3, Dé6. permet aux Noirs de gagner un Pion.
18. Txf3,Té6 ;19. Dd3,Taé8 ;20. Cbl,Cg6 ;21. Fél,
dxç4 ; 22. Dxç4; Txé3, et les Noirs gagnèrent.
Les deux parties suivantes montrent également à quoi peut
- 191 -
aboutir un plan erroné. Elles débutèrent toutes deux par la
même variante d'ouverture.
Première partie: Najdorf-Pétrossian, tournoi des Candidats,
Zurich 1953. Voici la position :

n° 133

abcdefgh

Les Noirs jouèrent alors 12... ç5. Commentaire de


Bronstein : « S érieuse erreur positionnelle. Les considérations
suivantes éclaireront sur ce point le lecteur : les Noirs disposent
d'une colonne ouverte du côté Dame et peuvent provoquer l'avance
du Pion ben bj, après quoi leur plan sera d'attaquer b3 en avan-
çant leur Pion a. Cette attaque a des ch.ances de réussir s'ils
peuvent appuyer leur Pion lorsqu'il parviendra en a4. Avec quoi
l'appuyer? Ils n'ont pas de Fou sur cases blanches, et leur dernier
coup a privé leur Cavalier de la case ç5. En outre, il est clair
qu'ils ne peuvent maintenir indéfiniment leur Cavalier en d4.
Ils n'ont donc plus de plan susceptible de réussir. »
De fait, les Blancs s'emparèrent bientôt de l'initiative et
gagnèrent avec une surprenante facilité. Telle fut pour les
Noirs la conséquence d'un choix incorrect.
13. é3, Cé6 ; 14. Dç2, a5 ; 15. Fd2, Cé5 ; 16. b3,
Dd7; 17. Rh2 , Cç6; 18. Tadl, Céd8; 19. Fél, Rb8.
Les Noirs font pratiquement du surplace. Ils n'ont pas de bons
coups ; ne pouvant mettre en œuvre un plan constructif, ils
doivent attendre passivement de voir ce que les Blancs vont
faire. Attaquer le Roi ennemi n'est certes pas une expérience
nouvelle pour Najdorf; il compte le faire au moyen de la suite
- 192-
logique C~. Fc3, échange des Fous, f4, Ff3, Rg2, avance du
Pion h, Th1, etc.
20. Ca4, Dç8 ; 21. Fç3 , Fxç3 ; 22. Cxç3, Df5. Interrup-
tion dans le déroulement logique des opérations. Les Noirs
tentent de refréner l'ardeur de l'adversaire en livrant un Pion.
23. Dxf5, gxf5 ; 24. Td5, Cé6 ; 25. Txf5, et les Noirs
abandonnèrent peu après.
Vingt rondes plus tard survint la même position, cette
fois entre Najdorf et Geller. Geller, avec les Noirs, joua avec
beaucoup plus de précision et d'efficacité. Il laissa la case ç5
à la disposition de son Cavalier, et, curieusement, ce fut au
tour des Blancs d'avoir bientôt de sérieux ennuis.
12 ... Tb4 ! 13. é3, Cé6 ; 14. Dél, Cé5 ! 15. f4, Cd7 ;
16. Cd5, Tb8. Les pièces des Noirs ont été refoulées, mais
seulement pour un temps. Leur position est fondamentalement
saine ; retraites et difficultés provisoires n'en diminuent pas la
solidité.
17. Dç2, ç6; 18. Cç3, Dç7; 19. Tbl, a5; 20. Fdl,
Céç5 ; 21. Cé2, Db6 ; 22. Rhl, Tfç8 ; 23. Fç3, Fxç3 ;
24. Cxç3, Da6. Tout cela dans un seul but : amener les Blancs
à jouer bz-b3. Cependant 24 ... Db4, rapprochant la Dame de
la zone où doit se dérouler la phase décisive, était plus fort.
25. b3, Tb7 ; 26. Cé4, Cxé4 ; 27. Dxé4, TéS. Plus fort
était : 27 ... é6; 28. g4, dsl
28. f5, Cé5 ; 29. f6 ! Da7 ; 30. Tbdl , Tb4 ; 31. Dd4,
ç5 ; 32. Dh4. Jouer 32. Df4 posait plus de problèmes aux
Noirs. Ceux-ci gagnent à présent rapidement.
32 ... a5 ; 33. Txd6, axb3 ; 34. axb3, Txb3 ; 35. fxé7,
Dxé7 ; 36. Dxé7, Txé7 ; 37. Fd5, Txé3 ; 38. Td8 +,
Rg7 ; 39. Tç8, Cd3 ; 40. Ta8, Tél+ ; 41. Rgl, Td7 ;
42. T8a1, Cb4 ; 43. abandon.
Comment un grand-maître trouve-t-il le plan qu'il convient
d'adopter, et comment sait-il qu'il doit rapidement en changer ?
A cela une seule réponse: c'est en se donnant la peine de se livrer
à une étude approfondie, très fouillée, de la position, afin d'en
évaluer correctement toutes les données. Une évaluation
correcte est toujours le meilleur guide; elle doit permettre de
- 193 -
donner une bonne orientation à la partie. Si l'on s'aperçoit
que l'on a joué un coup, voire une série de coups, qui ne répond
plus aux exigences de la position, on se trouve dans l'obligation
de modifier son plan. C'est par son aptitude à déceler qu'un
changement d'orientation est nécessaire, par la souplesse dont il
fait preuve pour s'adapter aux données nouvelles de la position,
que se révèle toute l'étendue de la compétence d'un grand-
maître.

Le centre

Dans tout ce que fait un grand-maître, un facteur est toujours


présent. Il en tient toujours compte en établissant un plan à
court ou à long terme. Ce facteur, c'est la formation des Pions
au centre. La méthode de jeu à adopter dépend de cette forma-
tion centrale. Nous allons donc examiner les divers types de
formation centrale et indiquer la méthode de jeu appropriée
pour chacun d'eux.

Centre fermé
Dans un certain nombre de variantes de la Ruy Lopez, de la
Défense Nimzo-Indienne et de la Défense Est-Indienne, les
Pions centraux se bloquent mutuellement, de sorte qu'aucun
d'eux ne peut, au moins dans l'immédiat, avancer. On est en
présence d'un centre fermé, avec absence de colonnes ouvertes
ou de longues diagonales. De plus, les cases centrales ne peuvent
pas être occupées par des pièces.
Que faire en ce cas? Quel plan choisir? Le jeu au centre
étant exclu, presque toute l'activité se reporte naturellement
sur les ailes. Chaque camp s'efforce d'avancer sur un des côtés
de l'échiquier, cherche à ouvrir des colonnes et à prendre
l'armée ennemie à revers, à l'attaquer sur ses arrières.
Selon que l'on attaque ou que l'on défend, le genre de plan
que l'on mettra en œuvre sera un des suivants :
Plan actif. Il s'agit d'exercer une pression croissante sur
l'aile où l'on a l'avantage. Dans la majorité des cas, on entre-
prend une avance massive de Pions, car, le centre étant fermé,
on ne court pas de gros risques à découvrir la position de son
Roi. En principe, en effet, la formation centrale des Pions
- 194-
empêche pratiquement le défenseur d'ouvrir les lignes au centre
- ce qui est normalement la plus puissante riposte à une
attaque de flanc.
Plan défensif. Il consiste à dresser des obstacles pour freiner
l'avance ennemie tandis que, par une contre-attaque déclenchée
sur l'autre aile, on espère être le premier à porter un coup
décisif.
Réussir le premier l'attaque ou la contre-attaque : tel est le
principal problème à résoudre dans ce type de position. Mais
par ailleurs les deux joueurs devront constamment surveiller le
centre, car un coup frappé là n'est pas totalement exclu, et c'est,
nous l'avons dit, la meilleure parade à une offensive sur l'aile.
La partie Kotov-Spassky, championnat d'URSS 1958,
est un exemple typique du jeu pratiqué dans ce genre de
position.

n°134

abcdefgh

Il est facile devoir que la position est issue d'une Défense


Est-Indienne. Le centre est fermé; les adversaires se pré-
parent donc à attaquer violemment sur les ailes, les Blancs
à l'est, les Noirs à l'ouest, chacun d'eux espérant toucher au
but le premier. Il est clair qu'en pareil cas on ne peut procéder
lentement.
10. Fd3, b5. Spassky n'hésite pas à offrir un Pion, mais ce
gain matériel n'intéresse pas les Blancs. Dans ce genre de posi-
tion, il ne faut pas permettre à l'adversaire d'ouvrir les lignes du
côté où il attaque.
- 195 -
11. Dd2, bxç4 ; 12. Fxç4. Les Blancs ne demeurent pas
fidèles à leurs principes. En retirant leur Fou en ç2, ils pouvaient
ralentir le développement adverse sur L'aile Dame, alors qu'à
présent Spassky pourra avoir l'occasion de frapper un grand
coup au centre, ce qu'un attaquant sur l'aile redoute le plus.
12 ... Cd7 ; 13. h5, Cb6 ; 14. Fd3, a5 ; 15. hxg6, fxg6 ;
16. Dh2, Cf6 ; 17. Ch3, Dé7 ; 18. Cé2. Les Blancs sous-
estiment manifestement l'activité des pièces noires et les possi-
bilités offertes ou Fou en fianchetto et aux pièces majeures
des Noirs. Le plus sûr était 18. Rd2 et r9. Tag1, mais,
pour être franc, j'ai péché ici par excès d'optimisme; je ne
pressentais aucun danger.
18 ... Tb8 ; 19. Cg3, ç4 ; 20. Fç2.

n°135

ab cdef gh

20 .•• Cbxd5 !. Excellent sacrifice de Cavalier ouvrant le


centre et donnant aux Noirs une initiative décisive.
21. éxd5, Txbl ; 22. Cg5. A présent, Spassky pourrait
parachever son œuvre par un nouveau sacrifice qui n'en serait
pas vraiment un, 22 ... é4!, permettant aux pièces noires d'être
toutes pleinement actives et de forcer rapidement la décision.
Au lieu de quoi il laisse les Blancs s'emparer à nouveau de
l'initiative par 22 •.. h6? 23. C5é4, Cxd5 ; 24. Fxh6 et
juste un coup plus tard les Noirs commettent une erreur déci-
sive.
24 ... Cb4 ; 25. Fg5, Dç7 ? ; 26. Dh7 +, Rf7 ; 27. Th6 !
et les Blancs gagnèrent.
- 196-
Lors de cette épreuve, Boris Spassky n'était pas au mieux
de sa forme.

Centre ouvert
Lorsqu'une armée ne se heurte pas à des obstacles tels que
fleuves ou contreforts, lorsqu'une vaste plaine s'étend devant
elle, permettant de voir et de s'orienter facilement, rien ne
l'empêche de progresser sur un large front et à une allure rapide.
Il en va de même aux échecs. Lorsque le centre est dépourvu
de Pions, le rôle des pièces est plus grand. La réussite d'une
offensive ne dépend pas ici essentiellement d'un travail de sape
effectué par les Pions, mais de la puissance d'attaque des pièces.
La bataille devient souvent une lutte au corps à corps, où toutes
les pièces s'affrontent directement.
Il est aisé de voir quels plans s'imposent dans ce genre de
lutte :
Celui qui attaque essaie de provoquer des faiblesses dans lP
camp ennemi au moyen · de ses pièces, et puis il attaque ces
points faibles. En général, on n'entreprend pas une ruée de
Pions, car, le centre étant ouvert, on risque alors nettement
d'affaiblir sa propre position.
Celui qui se défend s'efforce de repousser l'attaque et évite
autant que possible la création de points faibles dans son propre
camp.
Un exemple classique d'attaque par les pièces avec centre
ouvert est fourni par la phase finale de la partie Alékhine-
Laskeri Zurich 1934.

o 0 136

abcdefgh

- 197 -
Etant donné qu'il n'y a pas de Pions au centre, un vaste
champ d'action s'offre aux pièces de part et d'autre. Mais les
Blancs ont plus lieu de s'en réjouir que les Noirs, car, telles
qu'elles sont placées, leurs pièces sont plus actives. Les Noirs
n'ont apparemment pas de faiblesse pour l'instant, et la ligne
à suivre n'est pas aisément décelable, mais, par une série
de coups bien calculés, Alékhine provoque bientôt l'apparition
de ces points faibles dans la zone des Pions environnant le Roi
noir.

18. Dd6, Céd7. Peu de joueurs apprécieraient 18... Cg6 ;


19. Ch6+, gxh6 ; 20. Dxf6.

19. Tfdl, Tad8 ; 20. Dg3, g6. Première faiblesse. A pré-


sent, Alékhine en provoque une nouvelle.

21. Dg5 !, Rh8. Les Noirs prennent à temps des mesures


contre une double menace : T <4-h4 ou simplement le double-
ment des Tours par Td6.

22. Cd6, Rg7; 23. é4!, Cfg8; 24. Td3, f6. Ceci permet
une conclusion fracassante, mais les Noirs n'avaient pas de
bonne défense. Au meilleur coup 24 ... h6 répondrait 25. Cf5+,
Rh7; 26. Cxh6, f6; 27. Cf5!!, fxg5; 28. Th3+, Ch6; 29. Txh6
mat.

25. Cf5 +, Rh8, 26. Dxg6 ! ! abandon.

Centre mobile

Le joueur débutant se familiarise très vite avec ce type de


centre. Dans le Giuoco-Piano, le Gambit du Roi et le Gambit
Evans, les Blancs obtiennent souvent un front de Pions cen-
traux en d4 et é4, parfois au prix d'un sacrifice de Pion. Dans
bien des ouvertures modernes, telles que la Défense Grünfeld,
les Blancs obtiennent deux Pions mobiles, ou plus, au centre,
tandis que les Noirs n'ont qu'un seul Pion sur leur troisième ou
même leur deuxième rangée pour contrebalancer ou bloquer
les Pions blancs.
Dans les situations de ce genre, toute l'attention des joueurs
se concentre sur ce centre mobile - et leurs plans sont tous
- 198 -
fondés sur les moyens de faire avancer ou d'arrêter ces Pion::;.
Le camp actif, celui qui occupe le centre avec ses Pions, essaie
(sauf si ses Pions sont faibles et doivent être défendus) de
faire avancer ces Pions, en vue d'obtenir au centre un ou
deux Pions passés susceptibles de forcer la décision en sa faveur.
Mais c'est là un idéal qui ne peut pas toujours être atte~nt,
et le plus souvent les Pions servent à chasser du centre des
pièces ennemies et à permettre ainsi de livrer une bataille
décisive sur un des côtés de l'échiquier.
Le plan de défense consiste à s'efforcer d'enrayer la progres-
sion des Pions ennemis en les bloquant. C'est le premier objectif;
après quoi il s'agit de miner le centre ennemi et de le détruire.
En règle générale, le camp de la défense ne peut organiser une
contre-attaque de flanc, car le centre de Pions ennemi l'en
empêche. Toute l'attention du défenseur doit se fixer sur le
centre.
La partie Konstantinopolsky-Kotov, demi-finale du
championnat d'URSS 1945, offre un bon exemple de lutte
pour et contre l'avance d'un Pion central.
Le plan des Blancs est simple : faire avancer leurs Pions
centraux par f2-f3 et é3-é4. Appuyés par les Fous, ces Pions
pourraient aisément balayer la résistance des Noirs s'ils
pouvaient s'avancer suffisamment loin. Les Noirs doivent
concentrer tous leurs efforts pour les contenir puis les bloquer,
voire les détruire ultérieurement si possible. Une vive lutte
s'engage autour de la case é4.

n°137

abcdefgh

- 199 -
Tél, Fç8; 2. f3, Cxç3; 3.Fxç3, Ff5 ;4. Dd2,h5.Les
Noirs font participer ce Pion à la défense; il empêche g3-g4, qui
pourrait être utile aux Blancs dans certaines variantes. En
outre, les Noirs pourraient eux-mêmes avoir éventuellement
l'occasion d'attaquer par h3-h4.

5 . Té2, Dd7! Préparant de nouvelles installations défensives.


Les Noirs se rendent compte qu'ils ne peuvent indéfiniment
empêcher é4-é5, mais aussi qu'ils doivent absolument enrayer
une trop forte progression des Pions blancs ; à cette fin, ils se
préparent à défendre les cases ds et é6 que les Blancs ne peuvent
contrôler. Comme ces deux cases sont blanches, les Noirs
doivent d'abord obtenir l'échange des Fous sur cases blanches.

6. Taél, Fh3 ; 7. Fhl, Té6 ; 8. é4, dxé4 ; 9. fxé4,


Taé8 ; 10. Ff3, Fg4 ; 11. Df4, Fxf3 ; 12. Dxf3, Dé7 ;
13. é5. Forcé. Après 13 ... Cd5, les Noirs auront atteint leur
but : stopper l'avance des Pions par un solide blocage. Suivra
un fort long processus de pression croissante contre ces Pions,
aboutissant à leur destruction. Il ne serait pas d'un grand intérêt
ici où nous traitons du centre.
Il y a bien des exemples de cette lutte pour et contre l'avance
des Pions centraux. On pourrait citer les parties Reshevsky-
Botvinnik, tournoi AVRO 1938, et Kotov-Unzicker, Inter-
zonal de Stockholm 1952.

Centre fixe

Si le centre a pris une forme fixe, il s'ensuit que le jeu tourne


autour des points centraux où chaque camp cherche à installer
ses pièces, et ce n'est que lorsqu'une centralisation suffisante a
été obtenue que les joueurs entreprennent une action sur les
ailes.
Dans les positions à centre fixe, il est difficile de parler de
plans actifs et passifs, car il est plus difficile de savoir qui a la
meilleure position. Le jeu implique dans une large mesure toute
une série de manœuvres de part et d'autre, et la seule chose
certaine, c'est que chaque camp doit accorder une grande
attention aux cases centrales, en vue d'y implanter ses pièces et
d'en chasser celles de l'adversaire.
- 200-
Botvinnik traite ce genre de position avec beaucoup de préci-
sion, d'exactitude et de puissance. Voyez la logique rigoureuse
avec laquelle il s'est servi de fortes cases centrales dans sa
partie contre Stolberg (Blancs) lors du championnat d'URSS
en 1940.

n°138

ab cdef gh

Diagramme 138. Les Blancs disposent de fortes cases en


éS et ç5, les Noirs en é4 et ç4. Quel joueur Téussira le premier à
contrôler et occuper ces cases ? Botvinnik va se révéler le mieux
préparé à ce genre d'épreuve; par son prochain coup, il cherche à
provoquer l'échange des Fous sur cases blanches pour que les
Blancs ne soient pas à même de défendre les cases é4 et ç4.

1. •• FfS ! ; 2. Dç2, Fé4 ; 3. bS. Le jeune maître ne se défend


pas efficacement. et laisse les Noirs s'emparer du contrôle de ç4
aussi bien que de é4. 3. Tad l était meilleur.

3 ... Fxd3 ; 4. Dxd3, CaS ; 5. Cg3. Les Noirs exerceraient


une forte pression après 5. Cxd5, Cxd5 ; 6. Fxa5, Té6.

5 ... Cç4 ; 6. Fçl, Taç8 ; 7. Ta2, Ff8 ; 8. a4, Fb4.


Tous les efforts des Noirs visent à éliminer les défenseurs de é4.
Botvinnik opère avec une logique d'une extrême simplicité
mais aussi d'une immense puissance, car elle répond très exacte-
ment aux exigences de la position.
- 201 -
9. Cdl, Cé4 ; 10. f5, Cxg3 ; 11. Dxg3, Fd6 ; 12. Df3,
Fé7; 13. Dg3, Ff6; 14. Fxh6, Fxd4+ ; 15. Rhl, f6!.
Si l'on considère cette position du point de vue du contrôle
central, on ne peut qu'être frappé par la domination totale des
Noirs dans cette partie de l'échiquier. Dans la lutte pour le
contrôle de l'ensemble de l'échiquier, cette domination doit
peser d'un grand poids, et Botvinnik ne tarde pas à briser la
résistance des Blancs.

16. Fçl,Té4;17. Dd3,Cé5;18. Dbl,Tç4!.Lescasesé4


et ç4 servent de tremplins à toutes les pièces des Noirs ; ils les
utilisent constamment pour augmenter leur pression.

19. a5, Fç5 ; 20. b6, a6 ; 21. Cb2, Tç3 ; 22. Fd2,
Tb3 ; 23. Dç2, Db5 ; 24. Tçl, Fç8 ; 25. Tdl, Té2.
Parvenant par les cases centrales droit au cœur de la position
ennemie. Tel est le résultat de l'impeccable stratégie de Botvin-
nik. Il est temps pour les Blancs d'abandonner.

26. Dçl, Txh3 ; 27. gxh3, d4 ; 28. abandon.

Tension au centre

Si la formation des Pions au centre n'est pas encore nettement


structurée, le jeu peut alors aisément aboutir à l'un des
quatre types que nous avons examinés. Lorsqu'il y a tension au
centre, l'attention des joueurs doit plus que jamais se concen-
trer sur le centre. Chacun d'eux doit s'efforcer d'obtenir le
genre de centre stabilisé qui lui est favorable, et d'imposer à
l'adversaire une formation de Pions défavorable. Il peut arriver
qu'un des joueurs ne soit pas en mesure de clarifier la position
au centre et soit contraint d'attaquer sur l'aile. Cependant,
même en ce cas, il doit constamment tenir compte de la possi-
bilité d'une contre-attaque au centre. Pareille contre-attaque,
lancée au bon moment, peut instantanément réduire à néant
une attaque de flanc.
Voici un exemple de la manière dont un centre tendu devient
soudain un centre ouvert, les pièces ennemies s'affrontant
alors au corps à corps.
- 202 -
n° 139

abcdefgh

Il s'agit de Boleslavsky-Kérès, tournoi des Candidats, Zurich


1953. Pour le moment, il y a de la tension au centre et la
formation de Pions peut se transformer d'un instant à l'autre
en un des t ypes déjà mentionnés.
12. Cbd2, Dd8 ; 13. Cfl, d5 ; 14. éxd5, éxd4 ;
15 . çxd4, Cxd5 ; 16. Dé2, Fb7 ; 17. Cg3, çxd4 ;
18. Cxd4. Un tourbillon d'échanges a éliminé tous les Pions du
centre, lequel, devenu ouvert, permet une forte activité des
pièces et donc tous les plans découlant de cette situation.
18 ... g6 !. Kérès veille à ce qu'un Cavalier blanc ne puisse
s'installer en f5, poste menaçant dans le voisinage du Roi noir.
19. Fh6, Ff6 ; 20. Cb3, Cç4 ; 21. Cé4, Fxb2. Les Noirs
obtiennent l'avantage très peu après le changement de nature
du centre. On doit en conclure que la disposition des forces
noires est mieux adaptée à ce centre ouvert et que les Blancs
auraient dû chercher à obtenir un autre type de formation
centrale.
22. Cbç5, Fxal ; 23. Txal, f5!. Coup d'attaque prévu
par les Noirs plusieurs coups auparavant. Il leur permet de
forcer une série d'échanges.
24. Cxb7, Dxb7 ; 25. Cç5, Dç6 ; 26. Cd3, Cç3 ;
27. Dél, Df6 ; 28. f4, Cé4 ; 29. Rh2, Dç3 ; 30. Dbl,
Cçdl ; 31. Dçl, Txd3 ; 32. Fxd3, Dxd3 ; 33. Dç7,
Cf3 + ! 34. abandon car à 34. gxf3 répond 34... Dé2+ et mat
en trois coups.
- 203 -
Dans les tournois modernes, on trouve énormément de parties
avec tension au centre. On peut même aller jusqu'à dire que
dans chaque partie, dans une certaine mesure, se livre dès les
coups d'ouverture un combat pour l'obtention d'un centre
avantageux. Savoir prendre le dessus dans cette lutte est tout un
art. En choisissant une formation centrale appropriée, on
permet à ses pièces d'être efficaces et l'on crée ainsi les conditions
fondamentales d'une éventuelle victoire.

Exercices

n° 140

abcdefgh

Diagramme 140. La solution correcte du problème posé


par le centre permet aux Blancs d'obtenir une initiative déci-
sive. Comment procèdent-ils?

n°141

abcdefgh

- 204 -
Diagramme 141. La tâche des Blancs est ici de faire
avancer leurs Pions centraux. Quel plan mettent-ils en œuvre
pour placer leurs pièces sur les bonnes cases et forcer cette
avance ? Trait aux Blancs.

n°142

Diagramme 142. Dans cette position, les Blancs, ayant le


trait, choisirent un plan erroné pour former un certain type
de centre et laissèrent ainsi l'initiative à l'adversaire. Quel était
le plan exact ?
Nous avons à présent examiné les trois éléments de base
nécessaires pour bien conduire une partie : analyse des varian-
tes, évaluation de la position (jugement positionne!) et établis-
sement d'un plan. Dans la dernière partie de l'ouvrage, nous
donnons un aperçu de la t echnique de fin de partie et traitons
de divers aspects de la lutte sur l'échiquier. Enfin nous donnons
quelques conseils pratiques en nous appuyant sur une longue
expérience des t ournois et sur des conversations avec les plus
forts joueurs du monde.

-205 -
LA FIN DE PARTIE

Dans la phase finale de la parti~ apparaissent plusieurs carac-


tères spécifiques. La compétence en fin de partie est la marque
du bon joueur, et ce n'est pas un hasard si tous les champions du
monde se sont particulièrement signalés dans ce domaine. Le
lecteur sait probablement déjà par expérience combien il lui
serait utile de posséder la technique requise pour traiter des posi-
tions où relativement peu de matériel se trouve sur l'échiquier.
Pour bien jouer une fin de partie, deux choses sont avant tout
nécessaires. D'abord, il faut connaître sur le bout du doigt le trai-
tement d'un grand nombre de positions élémentaires, telles que
Tour et Pion contre Tour, que l'on rencontre en fin de partie. A
cette fin, il ne vous reste qu'à étudier à fond la question, car vous
aurez parfois à résoudre sur l'échiquier des problèmes qui pour-
raient « coller » de très forts joueurs, s'il ne se trouvait pas qu'ils
se sont déjà livrés à de longues études pour connaître les solu-
tions.
En second lieu, il faut savoir qu'il existe en fin de partie des
critères spéciaux pour trouver les meilleurs coups et le bon plan;
nous en traiterons un peu plus loin.
Dans les années trente, j'ai dû me livrer à un immense travail
pour classer les fins de parties avec pièces mineures et avec Tour
et Pion, au point de remplir plusieurs cahiers épais. Aujour-
d;hui, la tâche est beaucoup plus facile. On dispose de l'œuvre
en trois volumes publiée sous la direction d'Averbach; elle est
d'un grand secours pour l'étude de tous les types de fin de partie.
Ayant renvoyé le lecteur à cette œuvre, nous ne nous occuperons
pas des fins de partie qui ont été étudiées dans le détail, mais
nous allons examiner les qualités particulières qu'il faut s'effor-
cer d'acquérir pour savoir mener à bien une fin de partie.
- 206-
Il y a environ 30 ans, j'ai entendu le grand maître Levenfish
dire dans une conversation à propos d'un jeune joueur: « C'est un
bon joueur, mais il joue mal les positions simples. »J e n'avais pas
très bien compris ce qu'il entendait par positions « simples ». Il
ne s'agissait sûrement pas de ces positions élémentaires qui ont
été classées, disséquées et qu'il faut connaître à fond. Non, il y
avait autre chose là-dessous, et d'utile à savoir.
J'ai su plus tard ce que Levenfish voulait dire. Lorsque les
Dames ont été échangées et qu'il demeure assez peu de matériel
sur l'échiquier, on obtient alors des positions dites simples, qui
ne sont en fait pas simples du tout. Elles peuvent avoir encore
certains aspects du milieu de partie, mais elles relèvent essen-
tiellement de la fin de partie.
Une autre digression me paraît indiquée. Un jour, dans un
local attenant à la salle des Colonnes du Centre syndical de
Moscou(*), un groupe de maîtres était en train d'analyser une fin
de partie. Ils n'arrivaient pas à trouver la bonne manière de
procéder et les discussions allaient bon train. Soudain surgit
Capablanca. Il aimait toujours se dégourdir les jambes lorsque
c'était à son adversaire de jouer. Apprenant l'objet de la contro-
verse, le Cubain se pencha pour examiner la position, dit« Si,
si », puis se mit brusquement à faire une nouvelle répartition des
pièces sur l'échiquier pour montrer quelle était la formation
correcte que devait obtenir le joueur qui s'efforçait de gagner. Je
n'exagère pas. Don José ne joua aucun coup, il se contenta sim-
plement de disposer les pièces à son idée, leur assignant les places
qu'il estimait nécessaires.
Et tout à coup, tout devenait clair. Une fois le schéma correct
établi, le bon « décor » planté, le gain était facile. La maîtrise
de Capablanca nous enchanta, et il nous administra bientôt une
nouvelle preuve de la nécessité de chercher à obtenir certains
schémas, de cc penser schéma », pour mener à bien une fin de
partie.

(•) Salle des Colonnes. Lieu de rencontre consacré aux épreuves


échiquéennes importantes en Union soviétique. C'est là. notam-
ment que s'est déroulé le tournoi-match du championnat du
monde 1948. En de telles occasions, des salles adjacentes sont réser-
vées à des séances de simultanées, ou à. des démonstrations et des
analyses concernant les parties (ndt).

-207 -
n°143

abcdefgh

Dans le bulletin du tournoi de Moscou 1936 parut la partie


de Capablanca contre Ragozine. Dans la position du dia-
gramme, Capablanca conçut une fois de plus un schéma
gagnant, à savoir Roi en é3, Tour en ç3, Cavalier en d4 et Pion
en b4. Plutôt que de faire des coups tactiques séparés, i 1
entreprit de réaliser ce schéma nécessaire, après quoi le reste de
la partie se déroula comme il l'avait prévu.
33. Cd4, Tb7 ; 34. b4, Fd7 ; 35. f4, Ré7 ; 36. Rf2,
Ta7 ; 37. Tç3, Rd6 ; 38. Td3, Ré7 ; 39. Ré3, Ta4 ;
40. Tç3, Rd6 ; 41. Td3, Ré7 ; 42. Tç3, Rd6 ; 43. Cé2.
Les Blancs cherchent maintenant à regrouper leurs forces de
manière à pouvoir faire avancer leurs Pions sur l'aile-Dame. A
cette fin, leur Cavalier doit se placer en ç3.
43 ... g6 ; 44. Td3 +, Ré6 ; 45. Rd4, Ta6 ; 46. Té3 +,
Rd6 ;47. Cç3,f5 ;48. b5, Ta8 ;49. Rç4,Fé6+ ;50. Rb4,
ç5 ; 51. bxç6 e. p., Fg8 ; 52. Cb5 +, Rxç6 ; 53. Td3. A
présent, tous les Pions noirs tombent et les Blancs tirent aisé-
ment parti de leur grand avantage.
53 ... g5 ; 54. Td6+, Rb7 ; 55. fxg5, hxg5 ; 56. Tg6,
Tf8 ; 57. Txg5, f4 ; 58. Cd4, Tç8 ; 59. Tg7 +, Rb6 ;
60. Tg6+, Rb7; 61. Cb5, Tf8; 62. Cd6+ Rb8; 63. h4,
abandon.
Depuis lors, j'ai toujours observé avec le plus grand soin le jeu
des grands spécialistes en fin de partie, et plus précisément leur
façon de l'aborder et de la concevoir. A cet égard, mon amitié
- 208 -
avec SergueiBelavenets m'aété précieuse; juste avant laguerre,il
écrivit avec moi une étude sur le milieu et la fin de partie dont le
manuscrit dactylographié a par la suite été perdu. J e vis qu'en
fin de partie Belavenets pensait toujours en fonction de schémas,
c'est-à-dire fondait son jeu sur telle ou telle disposition, tel ou tel
agencement de ses forces. J'ai constaté plus tard le même sys-
tème de pensée chez les grands-maîtres Flohr et Smyslov, vir-
tuoses de la fin de partie.
Il y a une autre caractéristique sur laquelle je désire attirer
l'attention du lecteur. Vous avez sûrement déjà remarqué que
Capablanca répétait très fréquemment ses coups, revenant sou-
vent à des positions antérieures. Il ne s'agit pas là d'un manque
de décision ou d'une lenteur d'exécution, mais de l'application
d'un principe de base en fin de partie, à savoir cc ne pas se
presser ».
Belavenets écrivit à ce propos : «La règle fondamentale en fin
de partie, c'est de ne pas se presser. Si l'occasion s'offre à vous
d'avancer un Pion d'une case ou de deux, eh bien, avancez-le seule-
ment d'une case, et ne l'avancez encore d'une case qu'après avoir
pris le temps d'examiner bien à fond la position. Répéter ses cou.p s
en fin de partie peut être très utile. Mis à part le gain de temps
évident à la pendule, on pourra constater que le camp possédant
l'avantage en retire un bénéfice psychologique. Souvent, le défen-
seur, qui se trouve en position inférie·ure, su,pporte mal le surcroît
de tension qui en résulte et fait de nouvelles concessions qui facilitent
la tâche de son adversaire. Par ailleurs, les répétitions de coups
permettent dans toute la mesure du possible de se faire une idée
claire et précise de la situation. »
Voici donc deux caractéristiques essentielles de la fin de
partie: (r) Penser en fonction de schémas et (2) S'abstenir
de toute hâte. Souvenez-vous-en et suivez l'exemple des vir-
tuoses en la matière.
Dans les violents affrontements du milieu de partie, l'esprit du
joueur se met en effervescence pour analyser des variantes com-
pliquées et rechercher des coups tactiques. Dès que l'on entre en
fin de partie, il convient d'oublier la tactique. Une nouvelle
phase commence et elle est tout à fait différente de la précédente.
Il s'agit alors de concevoir un schéma en se livrant à une ana-
lyse froide et calme de la situation.
«Je conseille à tout joueur, s'il dispose de suffisa11iment de temps
à la pendule, de consacrer quelques minutes à se calmer les nerfs
- 209 -
après la lutte éprouvante du müieu de partie, écrit Belavenets.
Cette légère perte de temps sera compensée plus tard si le joueur
en profite pour envisager la fin de partie de la bonne façon. ''
En 1950, Smyslov et moi nous rendîmes à Venise pour y parti-
ciper à un tournoi. Nous étions accompagnés par V. Makagonov,
maître très expérimenté, et je n'oublierai jamais le conseil qu'il
nous donna avant l'épreuve : «Ne compliquez pas le jeit. Pour-
quoi donc le feriez-voi"'s ? Echangez les Dames et laissez une Tour
et deux ou trois pièces mineures sitr l'échiquier. Alors vous serez
sûrs de gagner. Il y a peu de joueurs modernes qui sachent quelles
sont les pièces qu'il faut échanger et quelles sont celles qu'il convient
de laisser sur l'échiquier. Ils s'entendent à la tactique, mais dans le
domaine de la transposition, de la simplification en vue d'obtenir
une bonne finale, vous leur êtes supérieurs. »
Quelles pièces échanger, quelles pièces conserver? Pour la fin
de partie, c'est un problème très important; savoir le résoudre
est affaire de compétence et de talent, bien sûr, mais cela dépend
aussi des connaissances du joueur au sujet des multiples types de
finales avec pièces mineures qui peuvent se présenter. Quand un
Fou est-il plus fort qu'un Cavalier, et inversement ? Quand
vaut-il mieux avoir des Tours en même temps que des Cavaliers
en fin de partie et quand vaut-il mieux échanger les Tours et ne
conserver que les Cavaliers ? Les réponses à ces questions, et à
d'autres du même ordre, sont fournies par l'expérience et la pra-
tique ainsi que par l'étude approfondie de tout ce que nous ont
légué les grands joueurs qui se sont illustrés dans les fins de
partie.
Avant de donner quelques exemples qui ont joué un grand
rôle dans ma propre formation de joueur, il me faut encore parler
d'une particularité qui doit déjà être bien connue du lecteur.
En fin de partie, n'oubliez pas de rapprocher le Roi du centre.
Nous savons tous que le Roi, qui est une pièce défensive en milieu
de partie, devient soudain actif et très audacieux en fin de partie.
Il faut absolument le rapprocher du centre pour qu'il participe
à l'action, au cœur de la mêlée. Malheureusement, on est souvent
si absorbé par ce que font les autres pièces que l'on oublie le Roi.
Rappelez-vous donc que, dès qu'interviendra la moindre trêve,
vous devrez en profiter pour déplacer votre Roi vers le centre.
Il se peut que, sur le moment, ce coup de Roi ne paraisse pas
avoir de raison particulière. Peu importe. Effectuez-le à titre de
précaution. En étudiant les exemples classiques de fins de partie
- 210-
vous verrez que le Roi est déplacé de la sorte aussi tôt que pos-
sible, même s'il ne semble pas être urgent de prendre cette
mesure.
Trois exemples de fins de partie ont produit sur moi une très
grande impression et, lorsque je les ai examinées dans le détail,
j'ai été profondément frappé par les finesses qui se dissimulaient
derrière des coups apparemment simples, finesses dont on aurait
peine à trouver l'équivalent dans les plus astucieuses opérations
tactiques du milieu de partie.
En outre, les méthodes utilisées pour les gagner étaient si élé-
gantes et exactes qu'il me semblait que la main qui effectuait les
coups pouvait se comparer à celle d'un tailleur de diamant qui,
d'un mouvement de prestidigitateur, confère soudain un éclat
magique à une pierre auparavant terne.
Voici les trois exemples s'appliquant aux méthodes de jeu
dont nous venons de parler.
La première position est intervenue dans la partie E. Lasker-
Pillsbury, Paris 1900. Elle a l'air tout à fait simple et on serait
tenté d'affirmer que la partie va se terminer rapidement par la
nullité. Pourriez-vous prévoir que les Noirs seront forcés de
perdre un Pion? Quel Pion? Croyez-le ou non, le Pion b7 ! Il faut
une bien grande profondeur de vue pour trouver la manœuvre
suivante.

n°144

abcdefgh

22. Cbl ! !. Début d'un raid tout à fait insolite contre la


position adverse. Les Noirs doivent se préoccuper de leur Pion
- 211 -
arriéré en é6, qui semble être le seul point faible dans leur
jeu, et dont ils aimeraient bien se débarrasser en l'avançant.
Mais 22 ... és n'est pas possible dans l'immédiat en raison de
23. dxé5, Txé5 ; 24. Tf7, Té7; 25. Txg8+.

22... Taé8 ; 23. Cd2, é5. Sinon il sera trop tard et le


Cavalier viendra s'installer sur cette case.

24. dxé5, Txé5 ; 25. Cf3, Té3. Il devient clair qu'il existe
maintes possibilités faisant ressembler cette position à une
<<étude». C'est ainsi qu'à 25 ... Tsé7 peut répondre 26. Cg5,
Fé6; 27. Té1! et les Noirs sont perdus en raison des deux
menaces : 28. Txé6, Txé6 ; 29. Cf7 mat et 28. Tgé3.

26. Cg5, Txg3 ; 27. hxg3, h6 ; 28. Cf7 + , Rg7 ;


29. Cd6, Té7 ; 30. Cxb7, Cf6 ; 31. Cç5. Au cours des dix
derniers coups, les Blancs ont déplacé leur Cavalier huit fois,
et il se trouve que la partie des Noirs est désormais perdue.
Ceci non point tant en raison du Pion en plus des Blancs que
de la faiblesse des Pions noirs du côté Dame. Pillsbury s'acharne
cependant.

31. .. Fg4 ; 32. Tf4, Fç8 ; 33. Ta4, Cg4 ; 34. Fa6, Ff5 ;
35. Tf4, Cé3 ; 36. ç3, Rg6 ; 37. Tf2, Fé4 ; 38. b3, Fxg2 ;
39. Fd3 +, Rg5 ; 40. Tf8, Rg4 ; 41. Tg8 +, Rf3 ; 42. Tg6.
Lasker a trouvé la bonne méthode pour gagner. Il va échanger
les Pions latéraux du côté Roi et puis attaquer à fond les
Pions faibles de l'autre côté.

42 ... Cg4 ; 43. Ff5, h5 ; 44. Tg5, Tél+ ; 45. Rb2, ThJ
46. Fg6, Rxg3 ; 47. Fxh5, Fh3 ; 48. Fxg4, Fxg4 ;
49. Tg6, Th2 + ; 50. Ra3, Tç2 ; 51. Cd3 !, et non pas
5r. Txç6?, Txç3; 52. Cé4+. dxé4; 53. Txç3+, Rfz, et ce sont
les Blancs qui doivent lutter pour obtenir la nullité.

51. .. Rh4 ; 52. Cé5, Ff5 ; 53. Txç6, Rg3 ; 54. Tç5,
et les Blancs forcèrent le gain, bien que l'abandon ne soit inter-
venu qu'au 85{! coup.
C'est une merveilleuse finale. Elle m'incita à me pencher sur
les parties de Lasker, et j'y ai trouvé maints exemples similaires.
J'ai particulièrement apprécié la méthode lente mais sûre qui lui
- 212 --
permit d'améliorer sa position contre Bogolioubov (Blancs) au
tournoi de New York 1924.

n°145

abcdefgh

Cette position, où les effectifs sont si réduits, semble-t-il,


nous réserve pourtant de passionnantes péripéties. Suivez bien
Lasker. J'ai consigné chaque coup de cet exemple dans mon
carnet de notes de 1937 et depuis lors j'éprouve toujours
un grand plaisir à en refaire l'analyse.

32 ... Td2 ; 33. a4. Une autre possibilité était 33. a3. Nous
y reviendrons.

33 ... Txç2 ; 34. Fb4, Tf2 + !. Plaçant les Blancs devant un


cruel dilemme. Doivent-ils abandonner le Pion g2 ou bien se
mettre dans le coin, où de sérieux désagréments les attendent?

35. Rgl. Ou 35. Rér, Txg2 ; 36. Tç8+, Rh7 ; 37. ç5, Tb2
(37... g5 ;38. ç6, g4; 39. ç7, Tç2 ; 40. Rdr, Tç4; 4r. Té8 est
mauvais pour les Noirs) ; 38. Fa5, Tç2 ; 39. ç6, Cd6; 40. Tç7,
Tç4, et les Noirs gagnent en amenant rapidement leur Roi au
centre et en avançant leurs Pions de l'aile-Roi.
35 ... Ta2 ! ; 36. Fél, Txa4 ; 37. Fxh4, Cd2 !.
Les Noirs vont maintenant gagner le Pion ç4 et donc rester
avec un Pion de plus. Que se serait-il passé si les Blancs avaient
joué 33. a3? La Tour noire se trouverait alors en a3 précisé-
- 213 -
n°146

abcdefgh

ment et la ligne de jeu gagnante ne serait pas 37 ... Cd2 mais


37... Tar+ ; 38. Rhz, gs; 39. Fg3, f5; 40. Fé5, Tas; 4i. Fç7,
Ta2 (ou 4i. Fd4, Rf7). Examinant cette position, Alékhine
déclare : « Le jeu des Blancs s'avérerait très difficile, car leur
Roi est dans le coin et doit faire face à de constantes menaces de
mat. Il ne pourrait pas non plus partir de là pendant fort long-
temps. Leur Pion passé est à peu près sans valeur et le Roi noir
menace de parvenir jusqu'à lui. Enfin, les N airs disposent du Pion
passé en a6. 11

38. Fd8, Cxç4 ; 39. g4. Les Blancs ne pouvaient guère


laisser leur Roi dans le coin, exposé à des menaces de mat. Néan-
moins, l'affaiblissement des Blancs du côté Roi offre à Lasker de
nouvelles possibilités. .Manœuvrant ses deux pièces restantes
avec maestria, il provoque l'avance des Pions latéraux blancs
et s'en empare.
39 ... Cd2 ; 40. Tç8, Rh7; 41. Tas, Tal ; 42. Rg2 !,
Cb3 ; 43. Rg3, Cd4 !. Début de toute une série de menaces de
la part du Cavalier; elles permettront finalement aux Noirs
d'augmenter leur avantage.
44. h4, Ta3+ ; 45. Rf2, Cç6; 46. Fç7, Cé7; 47. Fd6,
Ta2+ ; 48. Rf3, Cç6; 49. Fç7, Cd4+ ; 50. Rg3, Ta3+ ;
51. Rf2, Ta4 ; 52. Rg3, Cé6 ; 53. Fb6 , Ta3 + ; 54. Rg2?.
Remarquez que Lasker ne se presse pas, prend tout son temps,
et que son adversaire commet une erreur. Si les Blancs avaient
joué le côup correct 54. Rfa alors après 54... Cf4; 55. Fç7, Cd5;
- 214 -
56. Fd8, les Noirs devraient faire entrer leur Roi en action
pour arriver en fin de compte à briser la résistance des Blancs,
alors qu 'à présent le gain est facile.
54 ... Cf4+ ; 55. Rf2, Cd3+ ; 56. Rg2, Cé5; 57. g5,
Cg6 !. Le Pion h tombe, et avec lui disparaît tout espoir de
sauver la partie pour les Blancs.
58. Ff2,Cf4+ ;59. Rh2,Rg6 ;60. Ta7,a5 ;61. Fg3,
Tal+ ; 62. Rhl, Ch5 ! 63. Fé5, Ta4 ! 64. Rg2, Txh4 ;
65. Ta6 + , Rxg5 ; 66. Txa5, Rg6.

n° 147

ahcdefgh

Triomphe final de la stupéfiante maîtrise technique de


Lasker. 67. Rf3, f6 ; 68. Fd6, Td4 ; 69. Fç7, Tç4 ;
70. Fb8, Rh6 ; 71. abandon.
Pareilles fins de parties ne pouvaient que stimuler mon goût
et mon intérêt pour les finales compliquées et les positions
«simples », et je me mis à les étudier à fond. j'accumulai ainsi
tout un stock de connaissances et améliorai ma compréhension
de cette phase de la partie. Mises à part les finales des joueurs
classiques, je fus grandement impressionné par la maîtrise en fin
de partie de mon contemporain Flohr. Nombre de finales jouées
par lui dans les années trente figuraient dans mon répertoire de
positions clés·en fin de partie, et une place d'honneur revient à
sa partie contre Kan (Blancs) au tournoi d'entraînement
Moscou-Leningrad de 1939.
- 215 -
n°148

abcdefgh

Qui a le meilleur jeu ? Difficile à dire à première vue ; on


ne décèle guère de grand avantage possible pour les Noirs. Mais
voyez donc comment la position va se transformer en quelques
coups. Flohr trouve une manœuvre magistrale révélant toute
la profondeur de son analyse de la position.
21. .. Fd7. Se préparant à placer cette pièce sur la longue
diagonale.
22. Fé3, Cé7 ! ; 23. Fd2, Cd5 ; 24. Rf2, Cf6 ! ;
25. Txé8 +, Txé8 ; 26. Tél, Cé4 ; 27. Rgl, h6 !.
Empêchant le Cavalier blanc d'aller en gs et menaçant aussi
Fd7-g4.
28. Té3, ç5 ; 29. Fél, Fç6 ; 30. b4, Tf8 ; 31. g3, Cf6 !.
Quelques coups seulement après le remarquable regroupement
Ff5-d7-ç6 et Cç6-é7-d5-f6-é4, Flohr commence une nouvelle
manœuvre justifiée par le changement intervenu dans la disposi-
tion des forces blanches. Les Blancs ont affaibli leur case ç4 sous
la pression des pièces noires ; le Cavalier noir se met donc en
route pour aller l'occuper. Un rôle agressif est en même temps
dévolu au Fou noir. A partir de son poste central en é4, et tout
en contrôlant le côté Roi, il sera prêt à attaquer les Pions
blancs de l'aile-Dame.
32. Ch4, Fé4 ! 33. h3, Rf7 ; 34. g4, Té8 ; 35. Fd2,
Cd5 ;36. Té2,Cb6! 37. f5,Cç4 ;38. Fél,Fbl !39. Txé8,
Rxé8 ; 40. bxç5, dxç5 ; 41. Cg6, Fxa2 ; 42. Fg3. Flohr a
réussi à gagner un Pion, mais, compte tenu de la présence de
- 216 -
Fous de couleur opposée, est-ce suffisant pour gagner? La belle
manœuvre des Noirs qui va suivre nous fournit un exemple clas-
sique de la manière dont on peut tirer parti d'un avantage maté-
riel dans des positions de ce genre.
42 ... Fbl ; 43. Cé5, Cd2 ; 44. Cç6, Fé4 ; 45. Ca5, Fd5 ;
46. Fd6,ç4 ;47. Fb4,Cé4 ;48.Rh2, Rf7 ;49.Rgl, h5!.

Un coup de grande portée. Les Blancs ne peuvent permettre


à ce Pion d'avancer plus loin, car leur Pion h et ensuite tous
les autres Pions blancs de l'aile-Roi sur cases blanches, couleur
du Fou des Noirs, seraient condamnés à succomber sous une
attaque conjuguée des pièces noires. Les Blancs doivent donc
affaiblir leur chaîne de Pions.
50. gxh5,Cg3 ;51. Rf2,Cxf5 ;52. Fa3,Rf6 ;53. Fçl,
Ré6 ; 54. Ff4, Fé4 ; 55. Fç7, Rd5 ; 56. Fb8, Rç5 ;
57. Fa7 +, Rd6 ; 58. Fb8 +, Ré6 ; 59. Ff4, Fhl !. Encore
un autre regroupement. La voie est libre ; le Roi noir peut
pénétrer en ds et é4. Flohr, lui non plus, n'est pas pressé!
60. Fç7, Cé7 ; 61. Fb6, Cd5 ; 62. Fd4, Cf6. Nouveau
gain matériel.
63. Ré3, Cxh5 ; 64. h4, Cg3 ; 65. Rd2, g6 ; 66. Fb6,
Cf5 ; 67. Fd8, Rd5 ; 68. Ré2, Ré4; 69. Rd2, Rf3 ;
70. Rç2, Rg4 ; 71. Rb2, Cxh4. Avec la perte de ce Pion, le
moment est venu pour les Blancs d'admettre leur défaite; mais,
par routine et inertie, ils continuèrent à jouer jusqu'au 85e coup.
- 217 -
Cet exemple illustre bien ce qu'est la technique de fin de
partie. Ce n'est pas sans raison que Botvinnik a fréquemment
recommandé que l'on publie un recueil des meilleures parties de
Flohr.
Enumérons une fois encore les principes de jeu spécifiques de
la phase finale de la partie :
1. Penser en fonction de schémas.
2. Ne pas se presser.
3. Amener son Roi aussi rapidement que possible au
centre del 'échiquier.

- 218 -
LES CONNAISSANCES D'UN JOUEUR

Il fut un temps où les échecs n'étaient pas autre chose qu'un


jeu, un passe-temps pour les moments de loisir. De nos jours, ce
jeu est devenu un art. Les grands joueurs créent de véritables
œuvres d'art ; leurs parties, répandues par la presse, l'édition,
la radio et la télévision, sont des sources de plaisir esthétique
pour des millions d'adeptes. Dans bien des pays, les échecs sont
devenus partie intégrante du patrimoine culturel de la nation, et
c'est pourquoi le principal représentant de cette activité cultu-
relle, le grand-maître, a une telle responsabilité. Il n'est pas seu-
lement dans l'obligation de faire œuvre créatrice, de faire
pr~uve d'originalité; il doit aussi s'appuyer sur l'expérience de
ses prédécesseurs, et tenir compte des conclusions tirées par les
principaux théoriciens au cours des siècles. Dans son domaine,
celui des échecs, un grand-maître est un érudit, une autorité, ce
qui entraîne quelques responsabilités. Pour obtenir ce titre, il
a dû subir tout un apprentissage pratique, pragmatique, et se
livrer à des études approfondies, le plus souvent sans assistance,
pour assimiler dans la mesure du possible tout l'acquis humain
en matière échiquéenne.
Dans presque tous les domaines de la connaissance, le pro-
cessus d'éducation s'est stabilisé, organisé. Il y a les écoles pri-
maires et secondaires, puis tous les établissements d'études
supérieures, universitaires ou autres, permettant de gravir des
échelons. Dans le domaine des échecs, on dispose en URSS
d'une sorte d'école primaire, représentée par les cercles d'études
dans les palais des Pionniers et les usines. Au niveau secondaire,
la situation est plus mauvaise. Il existe parfois des cours spé-
ciaux et des cercles d'étude dans les clubs des grandes villes.
Pour ce qui est de s'élever plus haut en augmentant son savoir
et sa compétence, on ne peut guère compter sur le concours de
spécialistes. Et ce n'est pas tout. Il n'y a même pas de manuel
reconnu qui puisse servir de guide et indiquer comment s'y
- 219-
prendre pour se perfectionner, tâche particulièrement difficile.
Le présent ouvrage a pour but de combler peu ou prou cette
lacune.
Le joueur d'échecs doit s'intéresser à bon nombre de choses.
Tout d'abord, il doit savoir comment se préparer pour une com-
pétition, ce qui présuppose quelques notions de sport et de
culture physique, de physiologie et, tout particulièrement, de
psychologie. Il lui faudra aussi trouver quelque part le moyen
de vérifier la valeur de ses performances selon des critères rigou-
reux, car ceci est d'un grand secours pour faire des progrès.
Ces points subsidiaires mis à part, il devra, bien sûr, acquérir
dans sa partie, les échecs, des connaissances étendues reposant
sur des bases solides. Un grand-maître, lui, doit se tenir au cou-
rant des plus récentes recherches théoriques, des innovations en
matière d'ouverture, des dernières découvertes en fin de partie.
Il doit veiller à ne pas manquer une seule partie importante,
quelle que soit la région du monde où elle s'est jouée ; sinon il
courra le risque d'ignorer quelque nouvelle manœuvre astucieuse
et de perdre un point précieux s'il se heurte à un adversaire qui
aura étudié la partie en question. L'analyse de parties et des
positions qui auraient pu s'y produire font partie du labeur quo-
tidien d'un grand-maître ; cela prend beaucoup de temps et
coûte beaucoup d'efforts.
Du temps où, après avoir passé une licence, j'étudiais au
collège technique Bauman de Moscou, j'ai expliqué un jour
au personnel du service de la Résistance des matériaux, où je
travaillais, combien d'efforts nécessitait la préparation d'un
tournoi.
« Supposons que vous ayez à jouer dans un tournoi de 20 concur-
rents. Il faudra vous préparer séparément pour chacun d'eux. Ceci
implique l'étude d'au moins 30 parties par concurrent ; donc, pour
l'ensemble, de plus de 600 parties. Mame en ne comptant qu'une
demi-heure pour chacune d'elles, vous passerez bien 300 heures à les
étudier, ce qui représente 6 heures de travail quotidien pendant
50 jours. Sans parler des conclusions à tirer de ces parties, de la
préparation des ouvertures, et surtout de cette tâche particulièrement
ardue qui consiste à trouver de nouveaux coups, lesquels peuvent
d'ailleurs s'avérer dé/ectueux si on prend la peine de les examiner
de plus près. Oui, un rude labeur vous attend ! »
Sur quoi un grand-maître doit-il concentrer son attention,
qu'est-ce qu'il ne peut absolument pas se permettre de négliger?
- 220-
j'ai déjà expliqué au lecteur que je ne suis pas un joueur « né »
et que ce que j'ai réalisé est essentiellement le résultat d'un tra-
vail laborieux et assidu, à la fois critique et analytique. C'est
pourquoi j'ose espérer que même une simple esquisse de ce que
j'ai entrepris autrefois pourra guider quelque peu le jeune joueur
sur-la voie du progrès, d'autant qu'à cela j'ajoute l'expérience
de mes confrères grands-maîtres, dans la mesure où je puis la
connaître.

L'étude de l'ouverture

L'ouverture est la phase de la partie où l'on pose les fonde-


ments d'une éventuelle victoire. Il y a même des cas où la partie
se gagne dès le stade de l'ouverture. Il est donc évident qu'elle
doit faire l'objet d'une étude approfondie. Comment les grands
joueurs abordent-ils cette tâche? La réponse à cette question
doit être du plus grand intérêt pour l'étudiant ; elle est à la fois
précieuse et instructive.
Il n'y a pas de limite aux connaissances en matière d'ouver-
ture; aussi, beaucoup de joueurs extrêmement forts se refusent-
ils à examiner scrupuleusement de nombreuses variantes. Il
n'empêche que ces sceptiques s'entendent fort bien à arracher la
victoire à partir de l'ouverture dans des épreuves de haut niveau.
C'est ainsi que Bronstein prétendit que tant de possibilités diffé-
rentes s'offrent aux joueurs dans les ouvertures qu'on ne peut
recenser, décrire et analyser pleinement toutes ces options; et
pourtant, comme on le verra d'après les exemples cités plus
loin, Bronstein est à l'origine de nombreuses variantes nouvelles
et importantes dans l'ouverture.
En fait, il y a essentiellement deux attitudes vis-à-vis des
ouvertures, deux façons de concevoir leur étude. Certains grands-
maîtres connaissent à peu près tous les systèmes d'ouverture,
toutes les variantes, et ils s'intéressent à tout coup nouveau,
qu'il soit joué dans la lointaine Argentine ou essayé dans une
épreuve locale mineure. Il est bien évident qu'ils consignent tous
ces coups nouveaux avec le plus grand soin, en font la synthèse et
tirent leurs propres conclusions à leur sujet. Mais de plus, étant
d'un esprit intensément curieux, fureteur, ils s'efforcent eux-
mêmes sans cesse de découvrir des coups et des système~ nou-
veaux dans toutes les lignes de jeu fondamentales établies et
reconnues par la théorie.
- 221 -
Dans la pratique, certes, ces grands-maîtres sont très forts,
mais, à franchement parler, je suis convaincu que ce permanent
souci de compilation et recherche théorique en tous sens consti-
tue un obstacle de taille susceptible de leur barrer la route
menant au sommet.
L'autre attitude est celle des grands-maîtres qui mettent à
leur répertoire certains systèmes d'ouverture mûrement choisis,
puis les étudient absolument à fond, et se préoccupent fort peu
des autres systèmes dans les douzaines d'autres ouvertures.
Pour ma part, je considère que c'est là une méthode à la fois plus
pragmatique et plus efficace.
On ne peut espérer tout savoir sur tous les sujets; la docu-
mentation actuelle, constamment enrichie, est beaucoup trop
volumineuse. Il faut tout connaître dans un certain secteur et
avoir des notions sur quelques autres. j'estime que les grands-
maîtres du premier groupe se chargent d'un fardeau à la limite
intolérable. Il est plus rationnel de se restreindre, de faire une
sélection d'ouvertures et de tout savoir en ce qui concerne les
lignes de jeu que l'on préfère. A ma connaissance, c'est la poli-
tique adoptée par des joueurs tels que Botvinnik, Pétrossian,
Smyslov, Tal, Spassky et Korchnoï.
Peut-être ma propre expérience pourra-t-elle aider le lecteur
à faire son choix. Jusqu'en 1938, année où j'obtins le titre de
maître, j'avais une certaine connaissance générale de la plupart
des ouvertures. En me préparant au championnat d'URSS de
1939, j'essayai de trouver des innovations, et ceci m'amena à me
livrer à une étude approfondie de certaines lignes de jeu. J'en
retirai un bénéfice immédiat et, depuis lors, mes connaissances
en matière d'ouverture se développèrent essentiellement dans
deux directions.
Le lecteur sait, bien entendu, que, pour les Noirs, il s'agit de
trouver une bonne défense contre les deux principaux coups
d'ouverture des Blancs : r. é4 et I. d4. En réponse à I. é4 je
m'appliquai à bien maîtriser sous tous ses aspects la variante
compliquée de Schéveningue dans la Défense Sicilienne, où les
Noirs préparent une contre-attaque, ce qui convient parfaite-
ment à mon style. En réponse à I. d4, je fis le choix apparem-
ment étrange de la Défense Slave, qui est une ouverture d'un
style tout à fait différent, où la connaissance de longues analyses
est nécessaire et où, dans le monde entier, des joueurs décou-
vraient des coups nouveaux à peu près tous les mois.
Donc, dans un cas je jouais conformément à des plans géné-
- 222 -
raux, dans l'autre mon jeu d'ouverture consistait en des coups
concrets bien déterminés menant à des variantes aiguës, où des
améliorations et des réfutations pouvaient aisément se trouver
par l'analyse en dehors de la compétition. Pareilles améliorations
peuvent entraîner une victoire immédiate, cor.ime le montre la
variante que j'ai adoptée contre Bronstein dans la dernière ronde
décisive du championnat d'URSS de 1948. Voici le début de la
partie : 1. d4, d5 ; 2. ç4, é6 ; 3. Cç3, c6 ; 4 . é4, dxé4 ;
5. Cxé4, Fb4 + ; 6. Fd2 .

n°150

abcdefgh

Je réfléchis longtemps, puis échangeai les Fous. Après la


partie, Simagine, qui m'assistait, me demanda, la mine sévère:
« Pourq1toi donc n'avez-vous pas pris le Pion d4? Nous avions
pourtant analysé cette ligne de jeu jusqu'au dernier coup ! »
Je tentai de justifier ma décision, tout en me sentant quelque
peu coupable. Craignant une éventuelle innovation de la part
de mon adversaire, j'avais préféré entrer dans une finale difficile.
Plusieurs mois plus tard, au tournoi des Candidats de Budapest,
j'obtins la même position contre Bronstein et, cette fois, je déci-
dai de mettre à l'épreuve la variante qui avait été analysée
cc jusqu'au dernier coup». Suivit : 6 ... Dxd4 ; 7. Fxç5,
Dxé4 + ; 8. Fé2, Ca6 ; 9. Fç3, Cé7 ; 10. Fx~7, T~8 ;
11. Fç3, Dx~2; 12. Dd2!, Dxbl; 13. 0-0-0, Cd5!;
14. Cf3 ! , Dxdl + ; 15. Fxdl, Cxç3 ; 16. Dxç3, Ré7.
Or, je fus complètement pris au dépourvu par le coup suivant
de mon adversaire, 17. Cé5 ! - coup pas bien difficile à trou-
ver, mais auquel nous n'avions pourtant pas songé lors de notre
- 223 -
analyse préalable; si bien qu'au bout d'une variante forcée je
me trouvai dans une situation sans espoir et que mon adversaire
rafla un point entier sans grand effort de sa part. Après cette
pénible leçon, j'ai décidé d'éviter désormais des variantes que
des théoriciens avaient analysées sur 15 à 20 coups.
En règle générale, mes confrères grands-maîtres adoptent la
même attitude, mais certains d'entre eux, qui aiment jouer avec
le feu, n'hésitent pas à s'aventurer sur ce terrain. Nombre
d'experts en matière d'ouverture, tels que Bronstein, Geller,
Taïmanov, Vasioukov et Furman se spécialisent dans des lignes
de jeu forcées lors de l'ouverture.
Je pourrais recommander au lecteur d'établir un fichier de
toutes les variantes théoriques et de le tenir régulièrement à
jour, mais ceci représente un immense travail qui n'est guère
nécessaire dans les premiers temps pour se perfectionner. Plus
tard, si vous devenez maître ou grand-maître, cela pourrait
s'avérer utile - tout dépend de votre tempérament; mais au
départ, il vaut mieux ne pas se lancer dans pareille entreprise.
La manière la plus rationnelle d'aborder le problème de
l'ouverture, c'est de choisir pour les Noirs deux ou trois iignes de
jeu (dont l'une doit être susceptible d'entraîner des compli-
cations) et de les examiner à fond. En ce qui les concerne, il faut
s'efforcer de tout connaître. Pour ce qui est des autres ouvertures
on peut s'en tenir à un minimum de base.
En étudiant la question de l'ouverture, l'essentiel est de
comprendre l'essence positionnelle de certaines 11 positions clés»,
comme les qualifie Bronstein, autrement dit tout ce qu'elles
impliquent en profondeur du point de vue positionne!. Une fois
qu'un joueur aura bien étudié les positions clés de certaines
ouvertures, il comprendra plus facilement des positions clés
légèrement différentes apparaissant dans d'autres ouvertures;
de fil en aiguille, il parviendra à comprendre la question de
l'ouverture dans son ensemble.
Prenons quelques exemples dont l'analyse aidera le lecteur à
trouver un modus operandi qu'il pourra ensuite appliquer aux
ouvertures qui l'intéressent.
Le diagramme 86 montre une position clé dans le traitement
moderne de la Défense Est-Indienne. Les Blancs ont un avan-
tage spatial, mais la nature étriquée de la position noire est une
des concessions que l'on fait dans cette ouverture pour obtenir
une formation pouvant se comparer à un ressort comprimé sus-
ceptible de provoquer des dégâts en se détendant brusquement.
- 224-
Plusieurs facteurs indiquent une menace potentielle chez les
pièces noires. Les Fous sont à l'affût, bien placés pour entrer
en action, la Tour et le Cavalier attaquent le Pion-Roi ennemi
et dans maintes variantes le Pion-Dame, apparemment faible,
est prêt à avancer. Dans l'affrontement qui se prépare, d'autres
éléments peuvent entrer en ligne de compte. L'avance du Pa
noir crée une situation tendue, étant donné surtout que la
grande diagonale noire est déjà affaiblie. Semblable avance
pourrait être effectuée par le Pion h noir. S'il parvenait en h4,
les Blancs devraient faire face à ce dilemme : le capturer
et affaiblir par là même la position de leur Roi, ou bien le laisser
représenter une menace constante. Bien utilisées par les experts
de l'Est-Indienne toutes ces menaces, réparties sur tout
l'échiquier, peuvent causer aux Blancs bien des soucis. La
tension continue qu 'elle entraîne, et donc la vigilance sans
relâche qu'elle exige de part et d'autre, font de l'Est-Indienne
une ouverture authentiquement moderne.
Une autre position clé survient après les coups 1. d4, Cf6 ;
2. ç4, é6 ; 3. Cç3, Fb4 ; 4 . é3, ç5 ; 5. Fd3, o-o ; 6. Cf3,
d5 ; 7. o-o, Cç6 ; 8. a3, Fxç3 ; 9. bxç3, dxç4 ; 10. Fxç4,
Dç7.

n° 151

ab cd e f g h

Les joueurs d'échecs qualifient parfois cette position de


tabiya («ordre de bataille» en arabe) ; dans une ancienne
forme des échecs, c'était en effet le nom que l'on donnait à
la position à partir de laquelle le jeu, en même temps qu'un
affrontement immédiat, commençait.
Quel est l'intérêt particulier de ce genre de position, qui se
- 225 -
présente si fréquemment dans les parties modernes? L'évalua-
tion de la position fournit la réponse.
La formation de Pions des Blancs contient une grande énergie
potentielle, latente, pouvant se transformer d'un moment à
l'autre en énergie cinétique. Si les Pions blancs centraux peuvent
avancer, ils seront susceptibles de balayer tous les obstacles sur
leur passage tandis que, derrière eux, les Fous et les Tours pour-
ront déployer toute leur activité. C'est pourquoi les Blancs
s'efforceront d'imposer l'avance é4, élargissant par là même, en
vue d 'une attaque, le champ d'action de leur Fou-Dame. Si
le Pion peut encore avancer en éS, il chassera le principal
défenseur de la position du Roi noir. Les Blancs pourront
alors braquer toutes leurs batteries contre les cases affaiblies
en h7 et g1.
Il est facile de voir quelle est la tâche des Noirs. Ils doivent
mettre un frein à la progression des Pions blancs en les attaquant
et en contrôlant les cases situées devant eux. Leur objectif à long
terme doit être d'exercer sur le centre blanc une pression telle
qu'elle permette d'affaiblir les Pions et, en fin de compte, de les
capturer. On se rappellera que nous avons déjà signalé tout cela
en traitant du centre mobile.
On trouvera de semblables évaluations de positions clés
issues de 1'ouverture dans les livres des tournois et dans les
ouvrages de référence sur les ouvertures. Une fois que le lecteur
aura bien compris tout ce qu'impliquent les positions clés, et
connaîtra à fond quelques variantes, peut-être pourra-t-il affron-
ter honorablement des joueurs de première force.

Est-il possible d'étudier le milieu de partie ?

Voilà une question que l'on s'est constamment posé au fil des
générations, et pendant longtemps on y a répondu par la néga-
tive. Cependant, depuis quelques décennies, les connaissances
échiquéennes ont progressé à pas de géant, qu'il s'agisse de
l'ouverture ou d'autres phases de la partie, si bien que laques-
tion se pose avec plus d'acuité et que la réponse ne saurait être
aussi tranchée.
Qu'étudient donc les experts dans le milieu de partie? Nous
avons déjà examiné les points fondamentaux ayant trait aux
divers éléments d'une position, ainsi que le plan qui en découle.
A cela, nous pouvons maintenant ajouter l'étude des combi-
- 226-
naisons, que l'on divise généralement ainsi : d'une part celle des
trois éléments essentiels du motif (base positionnelle permettant
la combinaison, thème, position finale et moyens de l'obtenir),
d'autre part celle de l'ordre exact des coups aboutissant à la
position finale.
Les études modernes sur le milieu de partie concernent aussi
particulièrement les nombreux types d'attaque possibles. On
s'est livré à une étude exhaustive des ruées de Pions avec roques
en sens opposés, ainsi que des divers types d'attaque avec pièces
et Pions lorsque les Rois ont roqué du même côté. Mais l'on a
estimé cela insuffisant, et les grands-maîtres modernes s'efforcent
de classer systématiquement d'autres positions typiques en vue
de découvrir leurs secrets et de trouver les méthodes d'attaque
et de défense appropriées.
Les théoriciens du milieu de partie sont toujours de forts
joueurs dans la pratique, car, à la différence de l'ouverture et de
la fin de partie, le milieu de partie ne peut être compris et traité à
fond que par ceux qui ont une expérience pratique et ont eu
affaire à de nombreuses positions typiques survenues sur l'échi-
quier dans cette phase de la partie. En parlant de l'évaluation
de la position et du jugement positionne}, nous avons signalé que
les parties disputées par Botvinnik en tournoi fournissent
presque intégralement la solution des problèmes soulevés par
une position où les Blancs disposent d'une case forte en d5 (il
peut s'agir en certains cas des Noirs et de d4)·
On trouve de même à maintes reprises dans les parties de
Botvinnik l'exploitation d'une formation de Pions du type
illustré par le prochain diagramme (152).

n°152

abcdefgh

-227 -
Ce dernier est tiré de Kirilov-Botvinnik, championnat
d'URSS, 1931. A partir de ce type de position,Botvinnik a gagné
des parties contre Lilienthal à Moscou 1936, contre Lisitsyn
dans le championnat d'URSS et contre bien d'autres joueurs.
Dans ces parties, l'adversaire s'est défendu d'une façon
passive et a perdu rapidement; l'avance en f4, trouvée ultérieu-
rement, constitue une défense adéquate (Fine-Botvinnik, Not-
tingham 1936, et Kotov-Furman, championnat d'URSS).
La Défense Est-Indienne fait apparaître de nombreuses posi-
tions typiques. Nous en avons déjà examiné une, et j'ajouterai
que j'ai fréquemment vu Boleslavsky et Bronstein analyser des
positions de fin de partie issues de cette variante.
Est-il besoin de mentionner les positions typiques issues de la
variante Rauser, de la Ruy Lopez ou celles issues de la Défense
Sicilienne? Les meilleures méthodes d'attaque et de défense
dans toutes ces variantes ont été analysées par le menu, et
lorsqu'elles se présentent dans les tournois, vous pourrez sou-
vent remarquer avec quelle célérité les coups sont effectués par
des autorités en la matière telles que Bronstein, Shamkovich
et Vasioukov.
De nos jours, les meilleurs joueurs se sont familiarisés avec les
positions typiques à un point surprenant. Lors du tournoi de
Palma de Majorque 1967, Botvinnik, s'entretenant avec Smys-
lov et moi-même après avoir ajourné sa partie contre Matulovic,
nous déclara : «Dans cette position, le gain pour les Blancs est
facile. Au moment opportun doit intervenir un sacrifice de Cavalier
décisif en g6 ou h5. ]'ai analysé des positions similaires quand je
me suis préparé pour mon match contre Tal. » Et il trouva très
vite la bonne façon de procéder pour obtenir le gain. Tel est le
degré de développement de la technique à notre époque.
Le lecteur devra donc à son tour analyser des positions
typiques du milieu de partie. Analysez des parties intéressan"tes
à ce point de vue et recherchez les méthodes qui se présentent le
plus fréquemment dans vos propres parties. De jour en jour, et
de tournoi en tournoi, vous saurez mieux traiter le milieu de
partie en connaissant de plus en plus de positions qui ont déjà
fait l'objet d'analyses théoriques. Ceci ne veut pas dire que les
possibilités aux échecs sont en train de s'épuiser. Bien au con-
traire, leur richesse ne fait que croître; la beauté des combinai-
sons, la profondeur et la complexité des concepts stratégiques,
tout cela ne fait qu'augmenter.
- 228 -
Les parties ajournées

Au bout des cinq heures de la première séance de jeu, un


grand nombre de parties de tournoi demeurent inachevées ; elles
sont reprises et terminées à une date ultérieure. Le joueur dont
c'est le tour de jouer écrit alors son coup sur sa feuille de jeu,
puis, sans la montrer à personne, la met dans une enveloppe et
ferme celle-ci.
Entre la mise sous enveloppe et la séance consacrée aux par-
ties ajournées, les joueurs ont tout loisir pour analyser la position
et pourront donc se représenter devant l'échiquier la tête emplie
de maintes variantes qu'ils auront examinées chez eux.
Cette mise sous enveloppe et l'analyse plus ou moins pro-
longée qui la suit posent certains problèmes sur lesquels il n'est
pas facile de se prononcer si l'on ne connaît pas les diverses expé-
riences de très forts joueurs en ces circonstances. Et puis il y a
ces cas étranges de parties au dénouement dramatique, directe-
ment lié à cette règle de la mise sous enveloppe du coup à jouer
au moment de l'ajournement. Tout cela permet de tirer certaines
conclusions qui peuvent être utiles au joueur inexpérimenté.
La première question qui se pose est celle-ci: a-t-on intérêt à
mettre sous enveloppe soi-même, ou vaut-il mieux essayer de
s'arranger pour que ce soit l'adversaire qui le fasse? Dans
maintes épreuves, même celles du plus haut niveau comme les
matches de championnats du monde, de grands joueurs ont
régulièrement commis l'erreur d'effectuer en toute hâte leur
41e coup, c'est-à-dire celui qui vient après le contrôle du temps.
A cette hâte, qui peut être fatale, il y a plusieurs raisons.
D'abord, ce peut être une précaution quand on est à court de
temps, pour le cas où les coups auraient été mal décomptés, où 39
seulement auraient été joués au lieu des 40 nécessaires. Et puis
intervient aussi le désir d 'un transfert de responsabilité, le désir
de se décharger sur l'adversaire d'un pénible effort pour trouver
le coup juste. Il semble qu'il y ait alors chez le joueur un débat
intérieur de ce genre: cc Pourqùoi devrais-je, épuisé que je suis par
cette course contre la pendule, rester assis là, une vingtaine de
minutes peut-être, pour m'efforcer de trouver un coup juste ? Il se
pourrait qu'il soit très difficile à trouver, ce coup ; il n'y a peut-être
même qu'un seul bon coup. Laissons donc cette rude tâche à l'adver-
saire. Certes, il n'est pas désagréable de savoir quel coup a été joué
et d'être ainsi en mesure d'analyser la position exacte, sans devoir
-229 -
chercher à la deviner, mais tout de même, ne pas avoir à mettre son
coup sous enveloppe, ce n'est pas un avantage à négliger.»
Et c'est ainsi que le grand-maître nerveux, voyant l'homme
chargé du contrôle de temps s'approcher avec l'enveloppe,
s'empresse d'effectuer un coup, souvent sans avoir pu y réflé-
chir convenablement. Et souvent aussi, rentré chez lui, il
s'aperçoit que ce coup était désastreux. Vous souvenez-vous de
la gaffe commise par Bronstein lors de son match contre Botvin-
nik (diagramme 41) ? Le coup de Roi perdant était son 41e coup.
Il y a des cas où il est normal de jouer un coup supplémentaire.
C'est lorsque ce coup est le seul possible; ou bien quand c'est un
coup évident, mais alors il n'est pas mauvais d'attendre un peu
avant de l'effectuer, de manière à priver l'adversaire de la possi-
bilité de répliquer aussitôt par un coup tout aussi évident. Ceci
étant dit, dans la majorité des cas, se hâter, c'est se tromper.
Botvinnik n'effectue jamais son 41e coup et il sait mieux que
tout autre, par expérience, quel est le pour et le contre en ce qui
concerne la mise sous enveloppe. Pour lui, manifestement, jouer
un coup rapide ne saurait procurer qu'un avantage infime en
comparaison du risque encouru en le jouant.
Alors, retenez sa leçon: n'effectuez pas votre 41e coup, mettez-
le sous enveloppe. Vous ne tarderez pas à constater que c'est
nettement préférable.
Voici un joueur qui rentre chez lui, reconstitue la position et se
met à l'étudier; alors, adieu la bonne nuit de repos ! Les heures
passent, on vient lui proposer de se restaurer, de prendre au
moins une collation, mais il ne peut s'arracher à sa méditation.
Il se couchera aux premières heures, et pourtant il devra jouer
une autre partie le jour même. Qu'il aille droit à la catastrophe
n'a rien d'étonn ant. Dans la demi-finale du championnat inter-
syndical de 1936 j'ai ajourné contre Fogelevich dans une posi-
tion sans espoir, une fin de partie avec Tour et Pion, et j'ai
médité là-dessus pendant deux bonnes heures. Découragé et
épuisé, je perdis ma partie de la deuxième ronde contre Iljin-
Zhenevsky sans offrir de résistance sérieuse, puis perdis dans la
troisième ronde contre Yuriev. Et cependant, quand vint la
séance consacrée aux parties ajournées, Fogelevich ne réussit
qu'à obtenir la nullité contre moi 1 Alors, à quoi bon se torturer
les méninges sur les parties ajournées?
Les grands-maîtres qui savent contrôler leurs n erfs n'ana-
lysent jamais une position la nuit du jour où ils ont joué la
partie - ou tout au moins est-ce le conseil qu'ils donnent aux
- 230-
autres 1 S'il arrive au grand-maître d'examiner la position, c'est
seulement pour résoudre certains problèmes d 'ordre général.
Il ne cherche jamais à l'analyser dans le détail ou à trouver le
moyen de gagner. Non, certainement pas. Bon, allez donc vous
coucher et donnez ; une autre partie vous attend demain, et le
point qui sera alors en jeu est tout aussi important que celui
de la partie inachevée.
Il existe parfois des positions ajournées où le résultat est bien
difficile à prévoir. Vous rentrez chez vous en pensant que vous
allez gagner. Vous examinez la position, vous constatez qu'elle
est loin d 'être aussi simple que vous l'imaginiez, et vous êtes
désemparé. Dans ces cas-là, remettez-vous et dites-vous avec
bonne humeur : « Bien, appliquons donc le " principe de Lilien-
thal". »
Voici pourquoi. En analysant une position, ce grand-maître
expérimenté commence toujours par se demander s'il peut annu-
ler, et c'est seulement après avoir découvert qu'il peut au moins
obtenir la nullité qu'il se met à rechercher un moyen de gagner.
Essayez cette méthode, et vous vous apercevrez que votre ana-
lyse devient plus exacte et beaucoup moins tortueuse.
Autre problème à résoudre : vaut-il mieux examiner la posi-
tion tout seul, ou bien avec un assistant, un ami? L'expérience
montre qu'en général une analyse en commun risque d'être
inexacte. J'ai analysé avec l'assistance de Kan, maître de valeur,
cette position ajournée de ma partie contre Boleslavsky
(Blancs), Moscou 1942.

8
7

n°153

abcde gh

Nous avons passé à peu près trente heures à l'examiner, et


pourtant mon premier coup après l'ajournement, coup fondé
- 231 -
sur cette analyse, me coûta une Tour. Quand j'ai joué 1. .. é5,
mon adversaire m'a regardé avec stupeur et a joué 2. g6 ! ,
après quoi je n'ai pas tardé à abandonner.
La gaffe de Taimanov dans la troisième partie de son
match contre Botvinnik, en 1953, ne fut guère moins fâcheuse.

n°154

abcdefgh

Taimanov joua 44. Txf4. Chez lui, il avait analysé des


variantes compliquées découlant de la suite naturelle 44 ...
Dxg3 + ; 45. Tf2, et découvert que toutes permettaient aux
Blancs de gagner. Seulement voilà, Botvinnik joua le coup
«peu naturel» 44 ... Dgl + ! et gagna automatiquement la
Dame blanche; la partie se termina par la nullité après le
55e coup des Noirs.
Dites-vous bien que, même si un joueur est relativement plus
fort que vous, il est moins bien placé, moins qualifié que vous
pour travailler sur la position. Cette position, vous lui êtes
étroitement, intimement associé; elle imprègne votre esprit et
votre subconscient. Toutes vos cellules cérébrales sont sans cesse
plus ou moins au travail pour rechercher la solution du pro-
blème. Qu'il vous suffise de vous rappeler combien il est fré-
quent qu'un joueur trouve la solution d'un problème après avoir
1< dormi dessus ».
L'expérience des grands-maîtres nous enseigne que la bonne
marche à suivre est celle que voici. Tout d'abord, penchez-vous
sur la position avec vos amis. Ils peuvent fort bien faire des sug-
gestions auxquelles vous n'auriez pas songé. Ensuite. il est essen-
tiel d'examiner toutes ces suggestions tout seul. Vous vous aper-
- 232-
cevrez que bon nombre d'entre elles sont superflues. Faites vous-
même une analyse très fouillée, et tâchez de la coucher par écrit.
Enfin, vous devriez demander à votre assistant de la revoir avec
vous pour en vérifier les variantes.
En 1967, lors du tournoi de Palma de Majorque, l'intervalle
entre la séance normale de jeu et celle consacrée aux parties
ajournées était seulement de une heure et demie. Botvinnik,
Smyslov et moi-même commencions par faire une analyse en
commun, puis Botvinnik ou Smyslov (celui des deux qui avait
une partie ajournée) se retirait pendant une demi-heure dans sa
chambre, et, peu avant la reprise, nous nous réunissions tous les
trqis pour vérifier l'analyse finale.
L'aptitude à analyser des parties ajournées dépend bien
entendu des facultés analytiques que l'on possède en général.
D'ordinaire, les grands-maîtres s'acquittent de cette tâche sans
grande difficulté, mais le plus remarquable en ce domaine, et de
loin, est assurément Botvinnik ; il y fait preuve d'une supériorité
qui m'a toujours émerveillé. Il suffit d'ailleurs de se reporter
au recueil de ses meilleures parties. On pourra constater que
la rigoureuse exactitude de ses analyses de positions ajournées
fait penser à une mécanique de haute précision; et à cela
s'ajoutent toutes les nuances psychologiques dont il savait tenir
compte dans ces analyses. Il avait une profonde compréhension
de la personnalité de ses adversaires: un lot qui comprenait les
plus forts joueurs du monde!

Conseils sur diverses questions

Les échecs et la vie


Bien que l'on puisse apprendre à tout âge, c'est le plus souvent
lorsque l'on est enfant ou adolescent que l'on s'initie aux échecs.
Très vite, on s'enthousiasme pour ce jeu et il accapare tous vos
loisirs. Ensuite, pour les uns, le jeu perd de son attrait, tandis
que pour les autres il fait l'objet d'un intérêt toujours plus pas-
sionné. C'est bien évidemment de ce dernier groupe que provien-
nent les joueurs de première catégorie qui deviendront préten-
dants au titre de maître, puis maîtres proprement dits.
Que doit faire l'adolescent qui a obtenu le droit d'être candidat
au titre de maître? Après tout, les impératifs de l'existence
exigent de lui qu'il remplisse ses obligations de travailleur et
- 233 -
d'étudiant. L'activité échiquéenne peut-elle s'inscrire dans ce
cadre? Eh bien, dans l'ensemble, l'expérience montre que les
échecs ne constituent nullement un obstacle. Il n'est pas difficile
de concilier un très puissant intérêt pour les échecs avec le travail
et l'étude. Pour ma part, j'ai pu constater que non seulement les
échecs ne venaient pas entraver mes études scolaires et supé-
rieures, mais qu'ils s'avéraient même utiles en facilitant le déve-
loppement de ma pensée logique.
Les échecs peuvent-ils être une profession? Un jour, en Bul-
garie, un chef d'orchestre demanda àBondarevsky: cc Dites-moi,
grand-maître, avez-vous une profession?» Bondarevsky sourit
et lui demanda à son tour,« Et vous?» Le maestro comprit que
sa question était quelque peu dénuée de tact et s'excusa.
J'estime, quant à moi, qu'il est parfaitement légitime de
consacrer aux échecs tous ses efforts sa vie durant. Il se trouve
que les échecs, désormais, en sont dignes. Pour reprendre un
mot de Botvinnik : « Bien jouer aux échecs n'est en rien moins
estimable que de bien jouer du violon, et nous avons un grand
nombre de violonistes professionnels. » Mais d'un autre côté, je
tiens à mettre en garde le jeune lecteur; je lui conseille de ne
pas renoncer prématurément à son travail et à ses études pour se
plonger uniquement dans les échecs.
Que de fois n'ai-je pas rencontré de soi-disant talents« mécon-
nus». C'est un spectacle pitoyable. Non, la seule attitude rai-
sonnable au départ est de s'attacher à concilier le travail et
l'activité échiquéenne. C'est seulement lorsque votre valeur
aura été pleinement reconnue et que vous serez devenu un grand-
maître que vous pourrez vous consacrer entièrement à l'art des
échecs. Même alors, c'est une décision qui demande une sérieuse
réflexion ; faire dépendre en partie le sort de sa famille d'une
réussite aléatoire dans les tournois pose bien des problèmes. Par
ailleurs, bon nombre de joueurs ont réussi à trouver le moyen de
continuer à exercer le métier qu'ils avaient choisi tout en obte-
nant d'excellents résultats dans les tournois.

Les facteurs du succès


La déclaration suivante du champion du monde Alékhine est
bien connue : «]'estime que, pour réussir, trois facteurs sont néces-
saires. D'abord, bien connaître ses points forts et ses points faibles.
Ensuite, bien connaître les points forts et les points faibles de
l'adversaire. Enfin, avoir un objectif plus élevé qu:une satisfaction
- 234 -
passagère. Par-là j'entends : avoir le désir d'être par son œuvre
à la hauteur de ces valeurs scientifiques et artistiques qui placent les
échecs sur le même plan que les arts majeurs.»
Considérons ces trois facteurs, en commençant par le dernier.
On voit aisément ce qu'Alékhine veut dire. J'ai eu l'occasion de
voir exactement le contraire dans un palais des Pionniers où un
grand joueur donnait une séance de simultanées. Il avait laissé
par mégarde une pièce en prise ; son jeune adversaire, fasciné par
une victoire inopinée en vue, s'empressa, tout fier, de s'en
emparer, et se vit féliciter pour ce haut fait par l'entraîneur
local. Difficile, pourtant, de parler d'objectif élevé en la circons-
tance. En revanche, nous connaissons tous les services rendus
pour le plus grand renom des échecs par d'éminents joueurs tels
que Rioumine, Ragozine et Simagine, pour qui la qualité de la
partie importait plus que le résultat. A leurs yeux, c'est avant
tout la belle qualité de leur jeu qui justifiait leurs efforts, et nous
devrions tous suivre leur exemple.

Connaissez votre adversaire


Les grands-maîtres sont très bien renseignés sur les adver-
saires qu'ils rencontrent fréquemment dans les épreuves de haut
niveau. Du temps où je prenais part aux épreuves de qualifica-
tion pour le championnat du monde, je tenais un dossier spécial
pour chaque adversaire, et, pour autant que je sache, les autres
grands-maîtres font de même. Ces dossiers contiennent un résumé
des caractéristiques du joueur et des notes indiquant sur quoi
il convient de concentrer ses efforts, compte tenu des points forts
et des points faibles du joueur en question.
On doit accorder la plus grande attention aux parties de
l'adversaire. Il faut toutes les étudier et en tirer des conclusions
que l'on ajoutera au dossier. On peut alors projeter d'adopter
telle ou telle ouverture, telle ou telle variante, la prochaine fois
qu'on le rencontrera. En s'appuyant sur l'expérience acquise au
cours de confrontations précédentes, on peut essayer de se faire
une idée de l'attitude qu'il adoptera, voire de l'actuel état de sa
forme.
Il est bon d'observer comment il se comporte en cours de jeu
et de noter les faiblesses qu'il peut avoir en tant que joueur de
tournoi. Ainsi, par exemple, il est bien connu que Yefim Geller
et Mikhail Tal perdent souvent une partie dans les premières
rondes, mais ceci ne fait que stimuler leur ardeur combative et
- 235 -
leur jeu redouble de vigueur. Laszlo Szabo, d'un autre côté,
réagit mal quand il perd et, une fois qu'il a perdu sa première
partie dans un tournoi, son jeu s'effondre.
Cette connaissance de l'adversaire, non point seulement en
tant que joueur mais aussi en tant que personne, est très impor-
tante. Que de fois ai-je entendu Botvinnik faire de remar-
quables et profonds commentaires sur ses confrères grands-
maîtres. Parlant des magnifiques victoires de Korchnoï en
tournoi, il dit un jour: «En tournoi, Korchnoï est un merveilleux
combattant. Il fonce comme un dard sur l'ennemi, mais il est bien
rare que, ce faisant, il ne repère pas en même temps les erreurs. »
Voilà bien résumées cette acuité d'attention et cette précision
dans le calcul que Korchnoï réussit à concilier avec l'énergie et
la fougue dans le combat.
A propos de Pétrossian, Botvinnik a remarqué : « Il a ce don
rare de placer ses pièces de telle sorte qu'elles se défendent toujours
les imes les autres. » D'un grand-maître de grande taille il disait,
«Il aime beaucoup les coups longs. » Un jour, lors d'une séance
d'entraînement en commun, nous étions en train d'analyser une
position où les Blancs avaient des Fous, en d3 et b2, dangereuse-
ment pointés vers le Roi noir. L'ancien champion du monde fit ce
commentaire : « C'est le genre de position où Kotov lui réglerait
promptement son compte. »Ce n'était certes pas la première fois
qu'il me révélait à quel point il connaissait mon jeu sous ses
divers aspects. « Kotov a un sens du danger fort peu développé»,
dit-il un jour, et je compris alors pourquoi j'avais subi tant de
revers. Que de fois ai-je perdu des parties où le danger était
évident, crevait les yeux, alors que j'estimais être dans une
situation très prometteuse. C'est pourquoi il ne me déplaît pas
d'entendre quelqu'un me dire au cours d'une partie que je suis en
mauvaise posture et que je devrais perdre. Mais cela, voyez-vous,
ce n'est pas une chose à dire à Flohr ! Surtout pas!
Nous étudions tous notre adversaire et nous nous efforçons
de découvrir quelles sont les positions qu'il affectionne et celles
qu'il ne peut pas sentir. Nous connaissons aussi les signes exté-
rieurs montrant qu'il n'est pas satisfait de sa position. Ces signes
sont très variés. Chez certains joueurs, les oreilles deviennent
rouges; d'autres saisissent une mèche de cheveux et tirent des-
sus, d'autres encore tapent du pied sous la table. Tout cela, il
faut le savoir, et en tenir compte. Dans la lutte intense d'une
partie de tournoi, la moindre chose susceptible de vous indi-
quer ce que pense l'adversaire a de la valeur.
- 236 -
Connais-toi toi-même !
Il est important de connaître les aspects positifs et négatifs de
l'adversaire, mais il est au moins aussi important d'en savoir
autant sur son propre compte. Ce n'est pas sans raison qu' Ale-
khine a mis ce critère en t ête de liste. Demander l'avis des autres
à ce sujet ne sert pas à grand-chose. Seule une sévère auto-
critique pourra aider le joueur à prendre conscience de ses points
forts et de ses points faibles, et activer ainsi le processus d'amélio-
ration de son jeu.
Durant ce processus d'amélioration, il se peut que le joueur
constate que son jeu demeure stationnaire dans un certain
domaine tandis que dans d'autres il progresse. Pour combattre
cette tendance à l'amélioration boiteuse, je recommande un «check
up ,. périodique.J'en ai fait un moi-même tous les deux ou trois ans
et je sais que nombre de mes collègues en font autant
Ce (( check up » doit consister en une analyse de toutes les
parties que l'on a jouées depuis le dernier contrôle de ce genre, et
les parties que l'on a perdues doivent faire l'objet d'un examen
particulièrement fouillé. Elles doivent être disséquées ; il faut
étudier minutieusement chaque coup et scruter à fond les erreurs,
et là-dessus tirer des conclusions.
On doit en même temps examiner tous les aspects de la partie :
la façon de jouer l'ouverture, la technique de fin de partie, le
traitement du milieu de partie.
Le fait de tirer des conclusions générales sur ses principales
faiblesses peut donner un grand élan pour un nouvel essor. Il fut
un temps où Botvinnik lui-même admettait que son aptitude à
traiter des positions aiguës et compliquées était parfois défail-
lante. « Voici qu'apparaissait mon vieux dé/aut : le manque de
vision combinatoire », écrivait-il dans ses notes sur une de ses
parties, et pourtant il était déjà champion d'URSS à ce moment-
là 1
A force de travail, il réussit à supprimer ce défaut et, par la
suite, ses parties ont contenu maintes combinaisons extrême-
ment ingénieuses, astucieuses et compliquées. De son côté,
Bronstein a dû lui aussi travailler dur pour améliorer son jeu
en fin de partie.
Il vous faut aussi connaitre vos points forts et vos points
faibles en ce qui concerne votre jeu en tournoi. Comment
réagissez-vous quand vous perdez, quel est votre comportement
une fois que vous avez commis une imprécision, une inexactitude
- 237 -
ou une gaffe? Rougissez-vous, pâlissez-vous ou pouvez-vous
conserver une mine impassible? Il ne faut pas que votre adver-
saire sache ce que vous ressentez.
Peut-être sera-t-il utile au lecteur de connaître mes propres
déficiences dans le milieu de partie. Jusqu'en 1937 environ, je
sous-estimais l'importance et la valeur de l'attaque, de la com-
binaison, de vives manœuvres tactiques. Un sévère « checkup »
me révéla ce défaut, et l'analyse de la partie suivante contribua
fortement à me remettre dans le droit chemin.

n°155

abcdefgh

J'avais les Blancs contre Iljin-Zhenevsky lors de la demi-finale


du championnat intersyndical de 1935· J'ai un net avantage
car mes pièces sont plus actives, mieux placées, et la situation
du Roi noir est peu sûre. Que ferait un joueur comme Tal
en la circonstance? Il essaierait de voir s'il n'y a pas moyen
d'ouvrir la position du Roi noir afin de pouvoir le mater rapi-
dement, étant donné surtout que les Noirs n'ont pas encore
achevé leur développement.
Et moi, qu'ai-je fait? Je me suis contenté de manœuvrer sans
projet précis. J'ai joué 1. Txé4, pensant que mon dévelop-
pement supé1ieur et mon avantage spatial me feraient gagner
automatiquement. Les Noirs jouèrent 1. .. b5, puis complétè-
rent tranquillement leur développement et finirent même par
gagner la partie grâce à leurs deux Fous.
Dans l'analyse que je fis plus tard, lors de mon<<check-up», je
trouvai le gain par 1. Cxé4, Rh7; 2. Cg5 + ! ce qui aurait fait
voler en éclats la position des Noirs. 2 .•. hxg5 ; 3. fxg5, Fb7 ;
- 238 -
4. g6+, Rh6; 5. gxf7, Fg5+ ; 6. Rbl, Fd5; 7. Txd5.
Cette analyse révéla que les autres défenses possibles ne sauve-
rai~nt pas les Noirs; ils succomberaient à la violente attaque
obtenue par les Blancs. C'est à ce moment-là que j'ai compris en
quoi consistait ma principale faiblesse.
Alors, je me suis donné des ordres: consacre plus de temps à
l'étude de positions aiguës, apprends à découvrir des possibilités
tactiques cachées, et recherche les moyens d'attaquer le Roi
ennemi. Bref, tranche dans le vif et trouve d'audacieuses combi-
naisons - telle était somme toute la mission que je m'imposai,
et bientôt je pus dire: mission accomplie.
Le moment est venu pour l'auteur de prendre congé de son
lecteur. Quels derniers mots lui dire? Vous améliorerez votre jeu
en supprimant les défauts que nous vous avons signalés, en
faisant avec rigueur votre autocritique et en vous livrant à une
étude approfondie de ce riche héritage que des générations de
joueurs nous ont laissé.
Oui, cher lecteur, si vous faites tout cela, alors l'avenir est à
vous!

- 239 -
SOLUTION DES EXERCICES

Diagramme 56. Alékhine-Koltanovsky, Londres 1932.


Oui. 22. Cxç7, Txç7; 23. Txd6 et: 1. 23 ... Fxb3? ; 24. Dxf6+
et 25. Txb3. 2. 23 ... Cd4? ; 24. Cxd4. ; 3. 23 ... Dç4 24. Cxc5!.
4. 23 ... Cd8 ; 24. Tf3, Tf7 ; 25. Cxç5. 5. 23 ... Ff7 ; 24. Txf6!, Cd4 ;
25. Cxd4, çxd4; 26. Dxç7, Rxf6; 27. Tf3+. 6. 23 ... Té8; 24. Cxç5,
Cd8 ; 25. b4, Cf7 ; 26. Txé6. 7. 23 ... Rf7 ; 24. Tf3, Ré7 ; 25. ~.
Db6 (le mieux) ; 26. Txé6+, Rxé6; 27. Cxç5+, Rd6 (ou 27 ...
Rf7; 28. Dxf6+, Rg8; 29. Cé6) ; 28. Dxf6+, Rxç5; 29. Tç3+,
Rb4 ; 30. Dd6+ et gain.
Diagramme 57. Boleslavsky-Kotov, Groningue r946.
Oui. 24. Cd4! et : 1. 24 ... Dç7; 25. Té7, Cç8; 26. Cé6.
2. 24... Té8; 25. Txé8+, Fxé8 ; 26. Cé6. 3. 24... Cxd5 ; 25. çxd5,
çxd4; 26. Té7, g5; 27. Dg3, Fb5; 28. h4!. 4. 24... gs; 25. Df3
et maintenant: a. 25 ... Cxd5 ; 26. Cxf5, Fxf5 ; 27. Dxf5, Cf4;
28. Dxç5!. b. 25 ... f4; 26. Dh5, Fé8 ; 27. Dh6, çxd4 ; 28. ç5,
T6d7; 29. d6+, Ff7 ; 30. Té7!. 5. 24... Cç8; 25. Dh6 et main-
tenant: a. 25 ... çxd4; 26. ç5, Ta6; 27. d6+ . b. 25 ... b6; 26. Cé2,
Fé8; 27. Cf4.
Diagramme 58. Boleslavsky-Lilienthal, Budapest 1950.
Non, le coup est tout à fait correct. 14. · b4!, Ff6; 15. Taç1
et: 1. 15... d5; '16. çxd5, Dxç3; 17. Dxç3, Fxç3; 18. Txç3, Fxd5;
19. Cé5, Fxg2; 20. Rxg2 avec avantage. 2 . 15 ... Dxç4; 16. Txd7,
Tab8; 17. Cd2, Dç8; 18. Fxb7, Txb7; 19. Cd5!, Txd7I; 20. Dxç8,
Txç8; 21. Txç8+, Rg7; 22. Tg8+, Rh6; 23. Cxf6, Txd2; 24. h3
et gain. 3. 15... Dxç4; 16. Txd7, Fxf3 ; 17. Fxf3, Taç8; 18. Fb7!.
Diagramme 59. Euwe-Kérès, 5e partie du match 1939-40.
1. 21. Céi?, Td8+ et 22... Td2+ . 2. 21. Cé5, Cxg3;
22. hxg3, Ff5! ; 23. f4, gxf3 e. p. 24. Cxf3, Txé3. 3. 21. Cd2,
Td8; 22. Tç2, Ff5I; 23. Fh4, Td7. 4. 21. Cg!? (joué par Euwe),
Td8+ ; 22. Ré1, Td2; 23. f3, Txg2. 5. 21. Ch4I, Td8+ ; 22. R~1,
Cxg3; 23. hxg3, as et les Noirs sont mieux.
-240-
Diagramme 60. Bronstein-Boleslavsky, match 1950.
1. 42. Dxd6, ç4; 43. Fé6, Tb8 ; 44. Rg2, Tb2!. 2. 42. Dxd6, Ç4;
43. Rh, Tb8 ; 44. f4, Tb2 ; 45. Dd4, Da3!. 3. 42. Dxd6, ç4;
43. Tb1, ç3 ; 44. Tç1, ç2; 45. Txç2, Cf3+ avec fourchettes en é1,
ou d4. après un éventuel 46 ... Dai+. 4. 42. Txd6, ç4; 43. Ta6,
Dd4; 44. Td6, Dxé4; 45. Td7+, Rh6.
Diagramme 61. Boleslavsky-Bondarevsky, championnat
par équipes d'URSS 1951.
27. Cxé5! et: 1. 27 ... dxé5; 28. Dxé5+, Ff6; 29. Dxé8gagne.
2. 27 ... Cxh6; 28. Cxd7, Dxd7; 29. Dxé7, Dxé7; 30. Txé7, Tf7;
31. Tçé1!. 3. 27 ... Txç2; 28. Txç2, Cxh6; 29. Cxd7, Dg6+ ;
30. Rh1, Dxç2 ; 31. Cxf8, Fxf8 ; 32. Fxh6, Dxé2 ; 33. Txé2, Fxh6;
34. Té7 gagne le Cavalier.
Diagramme 62. Tal-Kérès, Belgrade 1959·
Jouer le Cavalier est mauvais. 1. 46. Cb3, Dé2+; 47. Rh3,
Cf4+I. 2. 46. Cf3, Dé2+ ; 47. Rh3, Cfa+ ; 48. Rg2, Cd1+ ;
49. Rh3, Dh+ gagne la Dame. 3. 46. Cç6, · Dd2+; 47. Rh3,
Cfa+ ; 48. Rg2, Cg4+ ; 49. Rh3, h5 suivi du mat. 4. 46. Cb5,
Dé2+!; 47. Rg1, Cé5 gagne. Tal joua le meilleur coup, 46. Dd5;
d'autres coups de Dame sont inférieurs. 5. 46. Dg4, Dfa+.
6. 46. Dd7, Dfa+.
Diagramme 63. Spielmann-Lasker, Moscou 1935·
Oui. 28 ... Ra4 et: 1. 29. b5, Txç1 ; 30. Txç1, Rxa5 et les Noirs
sont saufs. 2. 29. Txç4, dxç4 ; 30. b5, Rxa5 ; 31. Td6, Té8 ;
32. Fç5, Fç8 ; 33. Tç6, Fb7 et si 34. Tb6, Ff8 ou 34. Tç7, Fé4.
3. 29. Txç4, dxç4 ; 30. Tb1, Ff5!. 4. 29. Fç5?, Txç5 ; 30. bxç5,
Txa7; 31. ç6, Txa5; 32. ç7, Fç8, et les Blancs n'ont aucun moyen
apparent d'exploiter leur Pion passé.
Diagramme 64. Kotov-Kérès, tournoi des Candidats,
Zurich 1953·
Oui. 42. Td8+, Rg7 et maintenant 43. Td6!1. 1. 43 ... f5 ;
44. Td7+, Rf8 ; 45. Cf6, Txfa+ ; 46. Ré1 et les Blancs sont
assurés de l'échec perpétuel par Cf6-h7-f6. 2. 43 ... f5 ; 44. Td7+,
Rg6; 45. Td6+, Rf7?; 46. Tf6+ et 47. Txf5.
Diagramme 65. Donner-Kotov, Venise 1950.
Le meilleur coup est 19... Ca2!!. 1. 20. Da3, çxd2 ; 21. Txa2,
dxé1=D ; 22. Txé1, Dxd4+. 2. 20. Dç2, Dxd4+ ; 21. RhI,
çxd2; 22. Dxa2, dxé1=D; 23. Tfxé1, Fç6 avec une position
- 241 -
gagnante. 3. 20. Db1, Dxd4+ ; 21. Rh1, çxd2 ; 22. Cç2, Dxé5
gagne aussi. 4. 20. Dd1, Dxd4+ ; 21. Rh1, Dxd2 ; 22. Dxd2,
çxd2 ; 23. Txa2, dxé1=D, etc.
Diagramme 66. Panov-Lissitsine, l\foscou 1939.
Oui. 23 ... Cxg4+ ; 24. fxg4, Df6+ ; 25. Rg3, hs et mainte-
nant : 1. 26. Dfa, h4+· 2. 26. Ch2, hxg4 ; 27. Tgfr, Dh4+
28. Rf4, gs mat. 3. 26. Cd2, hxg4; 27. Thl, Dés+ ; 28. Rfa,
g3+· 4. 26. Dd2, hxg4; 27. Dd4, Té5; 28. Fxé4, Dh4+; 29. Rf4,
gS mat. 5. 26. Thr, hxg4 ; 27. Txh8, Txh8 et gain. 6. 26. g5!,
Dxgs+ ; 27. Rfa, Df6+ ; 28. Rg3, Té5! ; 29. Cd2, Dgs+ ;
30. Rfa, Tf5+.
Diagramme 67. Euwe-Reshevsky, championnat du monde
1948.
Oui.1. 45 ... Ch3; 46. Txh1, Dxhr+; 47. Ré2, Dh2+; 48. Cfa.
2. 45 ... Txg1+; 46. Dxgr, Dh3+; 47. Rfa. 3. 45 ... Cd5; 46. Té2,
Txg1+ ; 47. Dxgr, Dxé5 ; 48. Dç5!. Dans ces trois variantes le
combat demeure équilibré.
Diagramme 119. Neikirch-Botvinnik, olympiade de Leipzig
1960.
La Tour as et le Fou ç1 sont totalement inefficaces. La pre-
mière rangée blanche est faible, les Noirs ont une pression sur les
colonnes centrales et le long de la diagonale a8-h1. Botvinnik
gagna 'rapidement : 23 ... Txd6! ; 24. Dxd6, Dd8! ; 25. Dxé6+,
Tf7; 26. Dé1, Té7; 27. abandon.
Diagramme 120. Kan-Rioumine, championnat d'URSS
1933·
Le triplement des pièces lourdes sur la colonne« g i> assure une
énorme pression. Le Fou blanc est également bien placé car son
collègue noir ne peut soutenir h7, qui sera attaqué après Fé4-b1
et Dg2-ç2. Il suivit : 30. h5!, h6 ; 3r. Tg6, Té8 ; 32. Fb1!, Tg8 ;
33. Txh6+, abandon.
Diagramme 121. Kérès-Szabo, Hastings 1954-55.
Les Blancs occupent la colonne <1 h » et il y a chez l'ennemi
des points faibles en é7 et é6. Le Cavalier est hors-jeu et peut se
trouver en péril dans certaines variantes. Il suivit : 21. axb5,
Dxb5 (ou 21 ... Th8 ; 22. Txh8, Txh8 ; 23. Dç3, Cb7 ; 24. Dé3
avec un Pion de plus et toujours la pression) 22. Dd2!, g5 ;
23. Dé3, Dd7 ; 24. Fg4 (24. Dd3 doit aussi gagner), Dç7
-242-
(24 ... Dxg4? 25. Dxé7+, Tf7 ; 26. Th7+) ; 25. Ff5, Rf7
(25 ... Th8 ; 26. Txh8, Txh8 ; 27. Txa5, Dxa5 ; 28. Dxé7+)
26. Th7+, Ré8 ; 27. Tah1, Db7; 28. Th8, abandon.
Diagramme 122. Smyslov-Golombek, Venise 1950.
Les Blancs exploitèrent par 19. ç5! la faiblesse sur d6, restrei-
gnant par la même occasion la mobilité du Fou d7. Après
19... Cd5 ; 20. Cé4, Fé8 ; 21. Cd6!, b6 ; 22. Df3 ils ne tardèrent
pas à gagner.
Diagramme 123. Panov-Yudovitch, championnat des syn-
dicats 1936.
L'aile-Roi des Blancs manque d'assistance ; ainsi il n'y a pas
de Cavalier pour protéger le roque. Il suivit 14... d5!1 ; 15. éxd5,
Dxé5; 16. g3, Dh5 : lJ. h4, Fxh4! ; 18. Rg2, Cxé3+; 19. Dxé3,
Fg5! suivi de 20... Fh3+.
Diagramme 124. Zukhovitsky-Polyak, Kiev 1936.
Il n'y a pas d'harmonie entre les pièces noires et le Roi est
exposé. Les Blancs prirent un net avantage par 17. b4, Fxb4 ;
18. Db5!, Dxç3 ; 19. Fd2, Dxd2 ; 20. Txd2, Fxd2 ; 21. Dxd7,
Fxé3+; 22. RfI. Une menace est 23. Df5+ gagnant le Cavalier,
tandis que les Tours noires sont toujours inactives dans leur
coin.
Diagramme 140. Lundin-Stahlberg, Margate 1936.
Il faut ouvrir le centre par. 14. é41 car après 14... dxé4
15. Cxé4 les Fous blancs sont bien disposés pour instaurer de
nombreuses menaces. Après 15... Cd5; 16. Cxd6, Dxd6; 17. Tadr.
Tad8 ; 18. Td4, Db6 ; 19. Tfd1, les Blancs l'emportèrent assez
rapidement.
Diagramme 141. Smyslov-Kérès, Moscou 1948.
Les Blancs jouèrent b2-b4, puis Cf3-h4, fa-f3, Ch4-g2, Fé1-f2
et enfin é2-é4, occupant le centre avec les Pions et n'autorisant
pas les Noirs à échanger les pièces mineures.
Diagramme 142. Levenfish-Botvinnik, Moscou 1937.
Les Blancs s'égarèrent en jouant 20. Cb1 suivi de 21. Fa3
et plus tard de Cbr-ç3. Correct était de pousser immédiatement
au centre, la partie étant égale après 20. é4!, dxé4 ; 21. Cxé4,
Cd5 ; 22. Cç3.

- 243 -
SOMMAIRE

Préface 5 Disposition des piè-


ces 152
Introduction : une expé-
rience hors du com- Espace et centre 167
mun 7 Exercices 173
L'analyse des variantes II
L'établissement d'un
Savez-vous analy- plan 177
ser? II
Un plan unique 177
Digression histori-
que 14 L'absence de plan
punie 182
L'arbre d 'analyse 23
Soyez souple 188
Variantes forcées,
variantes non for- Le centre 194
cées 32 Exercices 204
Différents types
d'arbres 37 La fin de partie 206
Les coups-candidats 51
Les connaissances d'un
Les « petits coups :> joueur 219
décisifs 65
L'étude de 1'ouver-
Les fautes grossiè- ture 221
res 69
Autres conseils pra- Est-il possible
tiques d'étudier le mi-
91 lieu de partie ? 226
Exercices 105
Les parties ajour-
Le jeu positionne! II2 nées 229
Colonnes ouvertes, Conseils sur diver-
diagonales l 14 ses questions 233
Structures de Pions,
cases faibles 132 Solutions des exercices 240
- 245-
LES ÉCHECS AUX ÉDITIONS PAYOT

En grand format :

Jacques Baudrier et Christophe Bouton


L'ABC de la stratégie (184 p., 111 diagr.)
Ou comment apprendre la stratégie échiquéenne, se perfectionner sans trop
souffrir et dans la bonne humeur, à travers un match entre deux joueurs fic-
tifs, Attakanski et Defendarov...

Christophe Bernard et Bernard Lerique


Les échecs méthodiques (172 p., 254 diagr.)
Quand un enseignant et un maître international, ancien champion de
France, unissent leur passion pour apprendre à jouer en s'amusant, les
échecs deviennent une partie de plaisir. Cours, exercices et tests jalonnent
cet ouvrage aussi utile pour les enseignants du jeu que pour les débutants
organisés.

Christophe Bouton et Jean-Pierre Mercier


L'almanach des échecs (3 18 p., 274 diagr.)
Tous les événements de 1988 sont résumés mois par mois. 253 combinai-
sons publiées dans Libération permettent un entraînement complet avec les
dix meilleures parties de cette exceptionnelle année échiquéenne.

Frank Brady
Bobby Fischer (386 p.)
Frank Brady a rencontré le « kid de Brooklyn » à l'âge de onze ans et,
depuis. il a suivi toute la carrière du champion le plus controversé des
soixante-quatre cases. La première grande biographie de l'enfant terrible
des échecs.

David Bronstein
L'art du combat aux échecs (473 p., 352 diagr.)
Considéré dans le monde entier comme l'un des plus grands classiques de
la littérature échiquéenne, ce livre dévoile les secrets du milieu de partie.
Bronstein analyse toutes les parties de l'un des tournois les plus fascinants
de l'histoire du jeu : l'interzonal de Zurich 1953. Peu de variantes sont
données. Mais le style est si limpide que l'on revit vraiment une à une ces
pièces d'anthologie.
José-Rau] Capablanca
Principes fondamentaux du jeu d'échecs (177 p., 150 diagr.)
Le champion du monde cubain avait le sens de l'économie aux échecs, car là où
les pédagogues ont développé, Capablanca a dit ce qu'il estimait essentiel. Un
manuel fondamental pour les joueurs de tous niveaux.

M. 1. Cherechevski et L. M. Sloutski
Choisir son ouverture, t.I (318 p., 272 diagr.), t. II (350 p., 281 diagr.)
Transfonner un avantage en un schéma gagnant de finale est un art réservé aux
maîtres. C'est l'art de la transition. Les auteurs nous en livrent tous les secrets et
scrutent à la loupe toutes les ouvertures et les structures de pions qui en décou-
lent.

François Chevaldonnet
L'art de la combinaison (200 p., 658 diagr.)
Beaucoup de livres apprennent la marche des pièces, la stratégie, les finales, etc.
Mais peu d'entre eux sont de véritables livres d'exercices. L'art de la combinai-
son est appelé à devenir un livre de fond mais aussi un incontournable, car le pre-
mier du genre dans la collection. Particulièrement adapté pour les débutants, il
conviendra aussi aux joueurs confinnés avec ses 600 exercices.

MaxEuwe
Les échecs, t. 1 : Position et combinaison (214 p., 132 diagr.), t. II : Jugement et
plan (317 p., 168 diagr.)
Deux grands classiques de la littérature échiquéenne dans lesquels l'ex-cham-
pion du monde détaille de manière analytique comment apprendre et comprendre
le jeu dans toutes ses phases.

MaxEuwe
L'indispensable aux échecs (286 p., 260 diagr.)
Aux échecs, le débutant est très vite confronté à ce qui lui paraît insurmontable.
Comment progresser alors ? En proposant son « chemin d'apprentissage »,
le Néerlandais Max Euwe, ancien champion du monde, trace une voie pour tous,
des enfants aux parents, en passant par les enseignants.

Reuben Fine
Les idées cachées dans les ouvertures d'échecs (280 p., 82 diagr.)
Ce livre fait partie des quelques ouvrages qui ont marqué la littérature échi-
quéenne. Il éclaire le novice, nourrit le praticien et ramène aux sources tous ceux
qui se sont égarés dans la théorie des ouvertures.
Jean Hébert
Secrets des grandes parties au coup par coup (228 p., 157 diagr.)
En démontant une dizaine de grandes parties appartenant à l'Histoire, le mai"tre
international Jean Hébert nous aide à comprendre les mécanismes qui entraînent
la décision sur tel ou tel coup.

Hans Kmoch
L'art de jouer les pions (287 p., 346 diagr.)
«Les pions sont l'âme du jeu d'échecs», écrivait le grand maître Philidor. Près
de deux siècles se sont écoulés depuis et la théorie se penche toujours sur les pro-
blèmes posés par les pions, qui sont le thème essentiel des manuels sur le milieu
du jeu. Si Kmoch n'est pas un philosophe échiquéen comme A. Nimzovitsch, il
est pourtant l'un des plus grands pédagogues de cette discipline, et, à cet égard,
sans aucun doute le plus digne successeur du Dr Tarrasch.

Alexandre Kotov
Pensez comme un grand maître (245 p., 156 diagr.)
Comment pensent les plus forts joueurs du monde? En montrant à partir de nom-
breux exemples les méthodes analytiques employées pour gagner du temps dans
la réflexion, le grand maître Kotov a fait avancer la pensée échiquéenne. En
appliquant avec beaucoup de discipline les principes employés par tous les
grands joueurs du passé comme du présent, de nombreux joueurs, amateurs
comme joueurs plus engagés, ont pu grandement améliorer leur niveau de jeu. La
qualité des exemples est remarquable et les anecdotes rendent ce livre très
agréable.

Bent Larsen
Les coups de maître aux échecs (169 p., 219 diagr.)
Le grand maître, qui fut candidat au titre mondial, fait partie de ces rares joueurs
de haut niveau vraiment pédagogues. En rassemblant des parties et des positions
exemplaires à plus d'un titre, il communique au lecteur l'amour de l'étude, avec
humour et talent.

François Le Lionnais
Les prix de beauté aux échecs (456 p., 477 diagr.)
Cette troisième édition entièrement revue et corrigée techniquement nous fait
redécouvrir de fabuleuses parties des deux derniers siècles founnillant de com-
binaisons et dont le sèul but sera de donner du bonheur aux amateurs comme aux
joueurs de compétition.

Alexandre Nikitine
Kasparov (351 p., 95 diagr.)
Alexandre Nikitine a été pendant des années l'entraîneur de Kasparov. Cette bio-
graphie. unique et spécialement enrichie pour la version française. nous dévoile
la fonnation d' un formidable champion, du petit« Garik »au grand Garri domi-
nateur. Les dessous politiques et techniques des championnats du monde contre
Karpov sont révélés pour la première fois. En complément, l'auteur analyse les
cinquante parties marquantes de la carrière du plus jeune champion du monde de
tous les temps.

Lev Polougaïevsky
Le labyrinthe sicilien. t. I (247 p., 211 diagr.). t. II (209 p., 217 diagr.)
Adepte inconditionnel de la défense Sicilienne. Lev Polougaïevsky fait partager
au lecteur son amour de cette défense. C'est la première fois que la défense
Sicilienne est traitée en français de manière exhaustive dans un ouvrage à la fois
technique et pédagogique. Un modèle du genre.

Robert J. Wade et Kevin O'Connell


Les parties d'échecs de Bobby Fischer (507 p., 434 diagr.)
Une collecte chronologique de toutes les parties de Bobby Fischer. qui nous livre
l'art du champion à l'état brut. Édition revue et augmentée. avec notamment le
match revanche Fischer-Spassky de 1992.

Eugène Znosko-Borovsky
Comment jouer les fins de parties (264 p., 167 diagr.)
Tous les jeunes joueurs ayant commencé par étudier les fins de parties ont mieux
compris ensuite les mécanismes des échecs et sont devenus plus forts que s'ils
avaient démarré par l'étude des ouvertures. Maîtrisant ce qui est à la fois une
technique et un exercice de style en raison du peu de pièces présentes. ils antici-
peront de meilleures positions ... et de meilleurs résultats. Les positions expli-
quées dans ce livre n'ont pas vieilli. car la technique des finales ne se démode
pas.

Au format poche :

Assiac
Plaisir des échecs (240 p., 152 diagr.)
Rendre sensible à autrui la beauté du jeu est l'un des premiers objectifs du péda-
gogue. En s'appuyant sur des exemples venus du monde entier et en abordant de
manière originale et humoristique des thèmes comme l'amitié aux échecs, la
valeur du temps et les aspects historiques. l' auteur a voulu rendre son livre gai et
indispensable.
Michel Benoit
Les échecs en trois jours (279 p., 316 cliagr.)
Dans ce manuel pour tous les débutants, le parti pris du champion de France
Michel Benoit a été de commencer par enseigner les mats fondamentaux et les
fins de partie. Cette approche rare, mais systématiquement recommandée par les
joueurs forts, rend possible une compréhension rapide des bases de la stratégie.
Bernard Cafferty
Les 100 meilleures parties de Spassky (330 p., l 14 diagr.)
Boris Spassky vit en France. S'il joue moins aujourd'hui, son immense expé-
rience fait de lui un champion presque imbattable.

Max Euwe et Walter Meiden


Maftre contre amateur (287 p., 124 diagr.)
Quand l'amateur affronte le mai"'tre... et perd, naturellement. Toutes les fautes
possibles du plus faible, stratégiques, sont expliquées en vingt-cinq parties avec
un grand art de la pédagogie.

Max Euwe et Walter Meiden


L'amateur devient maître (350 p., 177 cliagr.)
Après le succès de Maître contre amateur, Euwe et Meiden invitent toute per-
sonne étudiant le jeu d'échecs dans un voyage périlleux: acquérir cette fameuse
maîtrise de la pensée et du calcul. Leur style concis ravira tous les « candidats-
mai"'tres ».

Edouard Goufeld et Nikolai Kalinintchenko


Encyclopédie des ouvertures (318 p., 125 cliagr;)
Le livre de poche idéal pour être au point sur toutes les ouvertures. Nul besoin
d'ordinateur, les tableaux synoptiques avec notation internationale sans phrase
donnent les chemins à suivre dans la quarantaine de débuts abordés.

Aldo Haïk et Carlos Fornasari


Les échecs spectaculaires (268 p., 203 cliagr.)
En sélectionnant, au cours des cent dernières années, les plus belles créations sur
l'échiquier (parties de champions ou problèmes et études), Aldo Haïk, premier
Français à avoir obtenu le titre de maître international, et Carlos Fornasari, ensei-
gnant, nous font aimer les échecs sous un autre angle que celui de l' apprentissa-
ge: celui du plaisir pur. Par la magie de leurs explications, d'incroyables posi-
tions à priori insolubles deviennent accessibles à tous.

Alexandre Koblentz et Mikhaïl Tal


L'école des échecs, t 1 (189 p., 341 cliagr.)
L'ancien champion Mikhaïl Jfal était connu pour ses combinaisons brillantes.
Avec son entraîneur de toujours, il donne tous les schémas d'attaque sur le roi
qu'un joueur se doit de connaître. Un livre simple et accessible.
Alexandre Kotov
L'école des échecs, t. II (220 p., 251 cliagr.)
À l'aide de parties choisies avec soin, Kotov systématise toutes les méthodes
d'attaque sur le roi ; il répertorie les différents types de sacrifices pour exposer
le roi ennemi.
Bent Larsen
Mes 50 meilleures parties (325 p., 251 diagr.)
Larsen analyse les parties qui l'ont hissé au plus haut niveau mondial de 1948 à
1969, tout en relatant ses péripéties de jeune maître occidental dans un monde
échiquéen alors dominé par les Soviétiques.

Emanuel Lasker
Le bon sens aux échecs (158 p., 35 diagr.)
En douze conférences données en 1895, le jeune champion du monde Emanuel
Lasker (1868-1941) exposa les notions de base du jeu d'échecs. Son succès fut
tel qu'on lui demanda d'en faire un livre.

Pierre Meinsohn
Les secrets des maîtres d'échecs (146 p., 88 diagr.)
Comment les maîtres appliquent-ils les principes fondamentaux aux échecs ?
L'auteur fait le point sur les techniques d'estimation de la position, élabore douze
principes fondamentaux, distille les conseils des plus grands joueurs et donne
une série de tests pour calculer son vrai classement Elo.

Aaron Nimzowitsch
Mon système, t. 1 (189 p., 31 cliagr.) et t. II (139 p., 75 diagr.)
Nimzowitsch (1886-1935) est le premier à avoir su scinder la stratégie du jeu en
plusieurs thèmes. Son livre, qui ne donne pas de recettes mais réapprend l'art de
la réflexion. fut en 1925 le manifeste de J' école « hypermodeme ».

Aaron Nimzowitsch
Pratique de mon système (282 p., 130 diagr.)
Cette traduction inédite, la première à respecter scrupuleusement lédition alle-
mande, est une formidable synthèse de tous les principes de Nimzowitsch, illus
trée par ses parties avec les plus grands de ses contemporains.

Ludek Pachman
Les ouvertures (158 p., 35 diagr.)
Bien connaître les ouvertures est une étape importante si l'on veut ne pas perdre
dès les premiers coups. Ludek Pachman, inlassable pédagogue du jeu d'échecs,
a donc répertorié toutes les ouvertures à l'aide de nombreuses variantes. Un petit
missel indispensable si l'on ne veut pas perdre... dans l'ouverture.
Georges Renaud et Victor Kahn
L'art de faire mat (204 p., 303 diagr.)
Le but de la partie d'échecs, c'est le mat. Les maîtres français G. Renaud et
V. Kahn ont rassemblé dans un seul ouvrage tous les tableaux de mat. Un ouvra-
ge systématique unique.
Richard Réti
Cours scientifique d'échecs (86 p., 55 diagr.)
Après avoir battu en brèche l'école classique, Réti s'est attaché à classer les
grands principes échiquéens de manière scientifique. Les qualités pédagogiques
de ce livre offrent toutes les armes pour bien débuter.

Richard Réti
Les idées modernes aux échecs (88 p., 34 diagr.)
À 1' aide de parties expliquées avec une grande sobriété, mais avec toute la scien-
ce du maître, Réti revient en profondeur sur les principes qui régissent la straté-
gie et la tactique du jeu d'échecs depuis plus de cent ans. Au passage, il brosse
le portrait des grands maîtres d'autrefois et de leur style.

Michael Stean
Les échecs simples (110 p., 83 diagr.)
Pour accompagner le boom des échecs anglais à la fin des années soixante-dix,
le grand maître a voulu expliquer la stratégie en termes simples et pragmatiques.
Pari tenu, dans une sorte de bible pennanente et pratique du jeu d'échecs.

Siegbert Tarrasch
Traité pratique du jeu d'échecs (463 p., 339 diagr.)
Douzième édition de ce grand classique, qui connaît un succès constant depuis
1931. Dans ce modèle de précision sont répertoriés tableaux de mat, finales et
finesses du milieu de jeu. Exception faite de la théorie des ouvertures, ce livre
n'a pas pris une ride.

Xavier Tartacover
Tartacover vous parle (335 p., 140 diagr.)
Le premier grand livre d'échecs de l'après-guerre, resté pourtant inédit depuis
1953. L'auteur du très célèbre Bréviaire des échecs raconte ici ses tournois et
commente ses parties, de 1905 à 1931, le tout dans un français pétillant.
Échecs Payot
Sous la direction de Christophe Bouton

p Comment pensent les meilleurs joueurs du monde ? En


expliquant à partir de nombreux exemples les méthodes
analytiques qui font gagner du temps dans la réflexion, le
grand maître Kotov a fait avancer la pensée échiquéenne.
Il a formulé à haute voix une méthode employée par
nombre de grands joueurs soviétiques mais peu connue
hors de la sphère des grands maîtres.

Contemporain de Botvinnik, Smyslov, Tal, Bronstein et tant


d'autres, Kotov a puisé dans la pratique des champions
comme délls la sienne tous les .. trucs ,. utilisés, tous les
pièges à éviter ... mais aussi toute la discipline qu'il faut
s'imposer pour progresser. Le livre fourmille de conseils
pénétrants systématiquement appuyés sur des exemples
concrets. Le style parfois humoristique et la liberté d'esprit
que l'auteur s'applique à lui-même font de cet ouvrage un
monument unique de la littérature échiquéenne.

Illustration : Jeu d'échecs, galerie « 13 rue Jacob », Paris. Photo : François Tissler.

03·2003

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Code Seuil : 59950
IS8N : 2-228-89718·3

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