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PERRIN, LE MEILLEUR DE L'HISTOIRE

usGRANDS auns
OUI ONT FAIT
LA FRANCE
sous la direction de
Alexis Brézet et Jean-Christophe Buisson

Bénédicte Vergez-Chaignon Jean -Christian Petitfils

LOUIS XV

Jean d es Cars NICOLE BACHARAN


DOMINIQUE SIMONNET
LE SC EPT RE
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ET LE SANG

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MAISON BLANCHE
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( \.::Jlt..~~·~ ·_J.j Préface de Jea n Lopez

ROIS ET REINES
DANS LA TOURMEN TE
DES DEUX GUERRES MONDIALES
PERR IN
PFRRIN

www. ed itions-perri n. fr
ÉDIT O RI A L
Par Michel De J aeghere

LA GUERRE D'ALGÉRIE
EST-ELLE TERMINÉE?
1ar rive, parfois, que !'Histoire se venge. Parmi les conflits dans lesquels la l'Algérie française ! »Et encore à Saïda, en août 1959: « Moi vivant, le dra-
France a étéengagée au XX• siècle, la guerre d'Algérie est peu.t~tre celui peau vert et blanc du FLN ne flottera jamais sur Alger. » Mensonge d'une
1 dont les plaies ont été les plus longues à cicatriser. La Grande Guerre apu
se traduire par une saignée des forces vives de la population française ; elle
paix qui se traduisit par un renouveau de violence contre les Européens, les
disparitions, la torture et le massacre de dizaines de milliers de harkis que la
nous émeut par la somme des héroïsmes individuels qui s'y sont manifestés. France avait promis de ne jamais abandonner, l'exode forcé d'un million de
Le deuxième conflit mondial a été l'occasion d'un déchaînement de barba- pieds-noirs, le basculement du pays dans l'anarchie.
rie sans exemple ; il aatteint une dimension eschatologique par le fait même On a beaucoup spéculé, beaucoup écrit sur le retournement qui vit le géné-
que l'Allemagne hitlérienne y avait donné au mal un visage, et qu'elle avait ral De Gaulle, installé au pouvoir sous la pression des plus ardents soutiens
fini par être terrassée. La guerre d'Indochine a signé le recul décisif de notre de l'Algérie française, se faire, derrière« un voile épais de tromperies »(Vers
vocation de grande puissance ; elle reste nimbée par la beauté des paysages l'armée de métier), l'artisan cle l'indépendance après avoir engagé son armée
qui lui avaient servi de théâtre. La guerre d'Algérie échappe à toute transfi- à tous les sacrifices pour obtenir une victoire sur le terrain. On lui fait souvent
gurat ion littéraire, toute idéalisation sentimentale. Soixante ans après son crédit aujourd'hui d'avoir, contre ses propres partisans, compris que l'empire
déclenchement, l'amertume qui marque son souvenirn'a rien perdu de son était devenu pour la France un fardeau insupportable, et que les évolutions
âpreté. Elle est le lieu du sous-entendu, du non-dit, de l'esquive. Comme s'il démographiques allaient rendre la pression migratoire irrésistible si l'on ne
yavait un (ou plusieurs) cadavre(s) dans le placard. tranchait pas les liens qui l'unissaient au Maghreb.
Elle avait commencé par un meurtre abject: celui d'un instituteu r cle 23 ans, C'est balayer d'un revers de main les solutions confédérales qui auraient pu
arrivé dans la région un mois plus tôt pour participer à l'œuvred'a lphabétisa- concilier autonomie et coopération et, créant les conditions de la prospé-
tion. C'était le 1•r novembre 1954, il ya toutjuste soixante ans. Terreur contre rité, fixer les populations sur leur sol. Tenir pour rien l'abandon du pétrole
terreur, elle avait obéi aux lois d'airain de la guerre révolutionnaire : la mon- saharien, qui aurait changé la situation géopolitique de la France. Négliger la
tée aux extrêmes, la spirale du cycle provocation-répression. Elle s'était soumission ultérieure de l'Algérie indépendante à une dictature corrom-
déroulée sur un invisible champ de bataille, contre un ennemi insaisissable. pue qui, en dépit de la rente pétrolière laissée par l'ancienne métropole, l'a
Elle avait vu se succéder les embuscades, les tueries, auxquelles avaient maintenue dans le sous-développement, conduite à l'islamisme et à une
répondu d'impitoyables opérations de ratissage, les douars et les mechtas guerre civile qui a fait plus de 60 ooo morts.
brûlés. Elle avait été ponctuée par les attentats aveugles, qui avaient frappé Mais c'est souligner, en réalité, l'ultime mensonge, celui que la population
les populations au hasard. et auxquels l'armée avait été chargée de mettre fin française s'est fait à elle-même, en soutenant à une majorité écrasante une
par des dirigeants civils peu désireux de savoir quels moyens elle utiliserait. politique présentée comme indispensable à la véritable grandeur de la
Mais ce qui lui donne son exceptionnelle âcreté, c'est sans doute la place France, parce qu'elle donnait un habillage honorable à un abandon dicté
qu'y tint le mensonge. Mensonge d'une guerre qu'on refusa, longtemps, avant tout par un lâche soulagement: celui d'être débarrassé du poids de
d'appeler par son nom, parce que, répétaient des gouvernants promis à l'empire pourjouir sans entraves des délices de la société de consommation.
devenir, plus tard, les icônes de la gauche française, Mendès Fr ance, Mit· Notre paysen a été payé par la crise morale deMai 1968, lechoc pétrolier qui
terrand, l'Algérie, c'était la France. Mensonge d'un FLN qui parvint à se faire l'a trouvé sans ressources énergétiques en 1973, la vague migratoire qui a
recon naître comme le seul représentant légitime du peuple algérien, quand fait passer depuis 1962 la population algérienne en France de 300 ooo à
le nombre de ses militants n'approcha jamais celui des harkis qui servaient 5 millions de personnes (binationaux comp ris).
dans l'armée française ; quand son action se traduisit, sur le terrain, par une On peut penser que la guerre d'Algérie s'est inscrite dans le mouvement
politique de terreur à l'égard de ses propres concurrents, ainsi que des irrépressible de l'émancipation des peuples du tiers-monde. Que la France
musu lmans acquis à l'Algérie française. Mensonge de l'allié américain rui- n'a fait, en quittant ses anciens territoires, que consentir à l'inévitable. Ce
nant à Suez le prestige de la France au lendemain d'une victoire militaire qui n'est pas une raison pour refuser cle scruter les circonstances qui ont fait de
aurait privé la rébellion de ses principaux soutiens. Mensonge d'un général la tragédie algérienne l'un de ces drames qui continuent, longtemps après
De Gaulle proclamant, en juin 1958, à Oran et à Mostaganem : « L'Algérie leur conclusion, à développer leurs conséquences comme la braise sous les
est une terre française, organiquement, aujourd'hui etpour toujours. » « Vive cendres d'un feu mal éteintJ

JLE:rtGAROr
11' 1 l )(Rr-

CoNSED. SOElffiflQ(JE. Président : Jean Tulard, de l'Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l'Institut; Marie-Françoise Basiez, professeur d'histoire
andenne à l'uni versité de Paris-IV Sorbonne; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l'université de Bordeaux-Ill
et à l'ENS Sévres; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l'université de Paris-IV Sorbonne; Jacques-Olivier Boudon,
professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris-IV Sorbonne; Maurizio De Luca, ancien di recteur du Laboratoi re de restauration des musées
du Vatican; Eric Mension-Rigau, professeur d'histoire sociale et culturelle à l'université de Paris-IV Sorbonne; Arnold Nesselrath, professeur
d'histoire de l'art à l 'uni versité Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican;
Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d'archéologie à l'université Aristote de Thessalonique, président du musée de !'Acropole d'Athènes;
Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d'Etat en sciences politiques; Jean-Robert Pitte, de l'Institut, ancien président de l'université
de Paris-IV Sorbonne, délégué à l'information et à l'orientation auprès du Premier ministre; Giandomenico Romanelli, professeur d'histoire de l'art
à l'uni versité Ca' Foscari de Venise, ancien directeur du palai.sdes Doges; Jean Sévillia, journaliste et historien.
DES HISTOIRES QUI FONT L'HISTOIRE
LE SANG LE FER
lfS G~AND~ O~ flS
OUI ONT FAIT
LA FRANCE
so us la direction de
Alexis Brézel et Jean-Christophe Buisson

21 €
423 pages

« Un passionnant récit» «Six siècles de haine sans merci »


Eric Zemmour, LE FIGARO Gérard Courtois, LE MONDE
« Une illustration magistrale « Captivant»
de la théorie d'Ernst Kantorowitz Eric Zemmour, LE fmARO
sur les deux corps du roi », « Un régal »
Eric Branca, SPECTACLE ou MoNDE
Raphaë l Stainville, VALEURS AcrunLES
« Dix-neuf chapitres qui se lisent d'une
«L'intrusion du Western
traite, ou se dégustent séparément» dans le roman national »
OUEST FRANCE
Emmanuel Hecht, L'.ExPREss
«C'est une merveille» «Captivant de bout en bout»
GÉRARD COLLARD
Xavier de Marchis
« Un ouvrage très éclairant»
« Un livre qui a du punch »
LE PARISIEN
Rémi Kauffer, H1s10R1A.FR

www.ed iti ons-perrin.f r


disponibles en numérique
sSffimaire

ACTUALITÉ DE L' HISTOIRE


8. Au royaume de Carrère
Par Marie-Françoise Basiez EN COUVERTURE
16. Pas pleurer, l'histoire en larmes 44. l'étrange défaite Par Guillaume le/Ier
Par jean Sévi/lia 54. Quand De Gaulle avance masqué Par Henri-Christian Giraud
18. le chaudron de la Révolution 60. Anatomie d'une guerre sans nom Par Olivier Dard
Entretien avec jean-Christian Petitfils, 70. les jours les plus longs Par Pierre Pellissier
propos recueillis par Geoffroy Caillet 76. leur après -guerre Par Guy Pervillé
24. Cadavres exquis 84. Des hommes dans la tourmente
Par jean-Louis Thiériot Par Thibaut Dary, illustrations Fabien Clairefond
26. Sous l'étendard de Jeanne 92. SAS en Kabylie
Par Michel De jaeghere 94. Une tragédie inachevée Par Albane Piot
27. Côté livres 1OO. Chroniques algériennes
31. l'avertissement de Soljénitsyne
Par François-Xavier Bellamy
32. Amphipolis,
l'énigme du tombeau macédonien
Par Anne-Laure Debaecker
34. Cinéma Par Geoffroy Caillet L 'ESPRIT DES LIEUX
36. A la guerre comme si vous y étiez 106. Le mirage de Palmyre
Par Marie-Amélie Brocard Par Annie Sartre
38. Expositions Par Albane Piot 114. Au nom de tous les nôtres
et Anne-Laure Debaecker Par Eric Mension-Rigau
41. la cuisine à toutes les sauces 118. Rendez-vous en terre inconnue
Par jean-Robert Pitte, de /'Institut Par Albane Piot
126. les habits neufs du boudoir
En partenariat avec impérial Par Sophie Humann
130 Avant, Après Par Vincent Trémolet de Villers

-
Europef
~ -.

Société du Figaro Siège social 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris.


Président Serge Dassault. Directeur Général, Directeur de la publication Marc Feuillée. Directeur des rédactions Alexis Brézet. Lf~r'OHiStOln
LE FIGARO HISTOIRE. Directeur de la rédaction Michel De Jaeghere. Rédacteur en chef Geoffroy Caillet. tst tmpnmi d ~leresptet
dtl'e1wuonnenwnt.
Enquêtes Albane Piot. Chef de studio Françoise Granddaude. Secrétariat de rédaction Caroline Lécharny-Maratray.
Rédacteur photo Carole Brocha rt.
Editeur Sofia Bengana. Editeur adjoint Robert Mergui. Directeur de la production Sylvain Couderc.
Chefs de fabrication Philippe Jauneau et Patricia Mossé-Barbaux. Relations presse et communication Marie Müller.
LEFIOARO HISTOIRE. Commission paritaire: 0619 K 91376. ISSN: 2259-2733. Edité par la Société du Figaro.
Rédaction 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Tél. : 015708 50 OO. Régie publicitaire Figaro Médias.
Président-directeur général Aurore Domont. 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Tél. : 01 56 52 26 26.
Imprimé en France par lmayeGraphic, 96, boulevard Henri-Becquerel, 53000 Laval. Novembre 2014.
Imprimé en France/ Printed in France. Abonnement un an (6 numéros): 29 €TIC. Etranger, nous consulter au 017037 31 70, du
lundi au vendredi, de 7 heures à 17 heures, le samedi, de 8 heures à 12 heures. Le Figaro Histoire est disponible sur iPhone et iPad.

CE NUMÉRO A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION DE)EAN·lOUIS VOISIN, MARGUERITE DE MONICAULT, )OSÉPHINE DE VARAX, fRÉDÉRIC VALLOIRE,
PHILIPPE MAXENCE, CHRISTOPHE 0JCKÈS, BLANDINE HUK. SECRÉTAIRE DE RÉDACTION, AGNÈS MAINVIALLE, MAQUETTISTE, MARIA VARNIER. ICONOGRAPHE,
SOPHIE Î ROTIN ET CÉLINE POTAGNIK, f ABRICATION. EN COOVERTO RE. © ECPADJFRANCE/1955/ PASCUCCJ, BERNARD. © BRIOGEMAN IMAGES.
©PHOTO )OSSEJLEEMAGE. © MusEO GALILEO, FIRENZE- FOTO Dl SABINA BERNACCHINl/ SERV1CE DE PRESSE.
À L'AFFICHE

Par M arie-Françoise Basiez

AU
Royaume
~ Carrère
Emmanuel Carrère, fait revivre les origines chrétiennes
au rythme d'un roman captivant. Il prouve cependant
qu'il ne suffit pas de s'affranchir des dogmes de l'Eglise
pour atteindre au sérieux del' enquête historique.

e Goncourt n'a pas été au bout, mais le

L livre d'Emmanuel Carrère, Le Royaume,


poursuit sur sa voie triomphale. For-
midable succès de librairie, il multiplie les
.,;
9~
lcONOCLASTE ? Avec
Le Royaume, Emmanuel
Carrère (à gauche)
occasions d'échanges pour les dîners en ~ s'inscrit dans une tradition
ville ou les groupes paroissiaux et il fournit ~ française qui, depuis
même des sujets de réflexion à l'historien. 0 Ernest Renan, érige Jésus
Ce succès ne devrait pas étonner :de Renan ~ en vedette de l'actualité
(1863) à Carrère (2014), en passant par ~ littéraire. En se mettant
Duquesne (1994) entre quelques autres, il g
il:
dans les pas de saint Paul
s'inscrit dans une tradition française, qui ~ et de saint Luc, il donne
érige Jésus en vedette de l'actualité litté- ~ sa version de la naissance
raire dès qu'on revendique d'en présenter a: du christianisme. Adroite :
I' « histoire vraie » sous la forme d'une ~z le Christ de La Résurrection
quête personnelle, hors des sentiers battus ~ (No/i me tangere), détail
par l'Eglise. Surtout, si Ion a affaireà un vrai ~ des Scènes de la vie du
talent littéraire et si c'est écrit avec style, < Christ, par Giotto, 1303-
il:
savant mais simple et direct. -i;; 1305 (Padoue, Cappella
<9> degli Scrovegni).
Quand l' « histoire vraie »
P.rend la forme
êl'une quête particulière
Tel avait déjà été la clé du succès inouï de la les courants intellectuels d'une époque Son histoire du christianisme eut certes
Vie deJésus par Renan, qui fonctionne mani- qui était celle du modernisme (ce courant le mérite de porter sur la place publique le
festement comme un modèle pour Emma- immanentiste qui distinguait pour la pre- cœur d'un débat tout à la fois historique et
nuel Carrère et qui ne connut pas moins de mière fois le« Jésus de la foi »,le« Jésus théologique en s'efforçant de reconstruire
dix éditions l'année de sa parution en 1863. de l'histoire »,celui de la tradition chré- une histoire de Jésus et des origines chré-
Succès et scandale à la fois. puisqu'en même tienne, interprété théologiquement en tiennes différente de celle que proposait
temps Napoléon Ill suspendait l'enseigne- Christ, du « Jésus historique »ou « ter- l'Eglise depuis des millénaires, c'est-à-dire
ment de Renan au Collège de France. restre »)et du rationalisme (qui avait dégagée de tout présupposé dogmatique
Succès paradoxal en un sens. La démar- conduit l'auteur à écarter, par principe, et de toute interprétation théologique. Les '-.....,.
che de Renan s'inscrivait pleinement dans tout miracle). Evangiles étaient à ses yeux à traiter« de la rJ
même manière que l'helléniste, l'arabisant et
l'indianiste traitent les documents légendai-
res qu'ils étudient ». Renan opposait ainsi
l'étude scientifique et l'étude critique à
l'approche croyante des textes, ce que l'exé·
gèse dite« historico-critique »se donnera
au contraire pour objet d'associer en analy·
sant le« Jésus de l'histoire »pour retrouver
le« Jésus historique », le personnage dans
son vécu terrestre. L'histoire selon Renan se
voulait de ce fait objective. Le problème est
qu'elle relevait en réalité continûment
d'une interprétation personnelle. Contem·
porain de Michelet, Renan est en effet aussi
un historien romantique, qui pallie la rareté
des textes et leurs silences par des anachro·
nismes contrôlés, des notations impres·
sionnistes, et qui reconstruit en définitive
un Jésus idéal, qui lui convient.
Il en alla de même cent trente ans plus
tard de Jacques Duquesne, qui associait
étude érudite et lecture croyante des tex·
tes pour y trouver un Jésus correspondant
au mieux au chrétien moderne et critique
qu'il se voulait être :Jésus annonçait un
Dieu d'amour en invitant les hommes à la
construction d'un « Royaume » fraternel.
C'est ce Jésus, aussi, qu'Emmanuel Car·
rère a cru trouver il y a vingt ans.
Dans tous les cas, il s'agit d'une quête du
Jésus historique individuelle et empath ique,
qui se fait à pa.rtir d'une« foi » particulière
et ne peut éviter les projections de la subjec·
tivité de l'auteur. Si Jésus n'est plus prison-
nier du dogme, il devient le reflet de l'histo·
rien qui le reconstitue. Ainsi, on retrouve le
même procédé d'anachronisme calculé
chez Carrère que chez Renan. li éclaire l'his·
toire des premiers chrétiens à la lumière des
doutes et des angoisses contemporains.
L'anachronisme devient flagrant quand il

~ LE PASSEOR D'ÉVANGILE Saint Luc


:E assis, avec son matériel pour écrire posé
~
~ sur la table devant lui. Miniature ouvrant
< l'Evangile de saint Luc dans un Nouveau
~ Testament de Constantinople, milieu
~ du X• siècle (Londres, The British Library).
3 Le Luc de Carrère, véritable double
i!i de l'auteur, entame son enquête pour
~ restituer un Jésus plus authentique
~ que le Christ de Paul ou celui de Jean.
• MYTHMAKER • Ci-contre :
saint Paul, mosaïque,
vie siècle (Ravenne, Cappella
Arcivescovile ). Carrère prend
le parti de minorer le rôle
fondateur de Paul. En bas : trois
fragments d'un manuscrit
sur papyrus appelé« l'Evangile
inconnu »,relatant les mêmes
épisodes que les Evangiles
canoniques, 100-150 (Londres,
The British Library).

dépeint l'impact du christianisme dans le


monde romain comme une dynamique de
substitution venue de l'Orient, analogue à
celle que représente aujourd'hui le boud-
dhisme et autres éléments de culture orien-
tale (incluant les arts martiaux !) dans le
monde occidental contemporain. En réa-
lité, dans 1:-\ntiquité, les religions orientales
(celle d'Isis et celle de Mithra, par exemple)
n'ont pas submergé un monde romain
désabusé, vidé de sa substance spirituelle
où la religion n'aurait plus tenu que du
conformisme politique. Une meilleure
connaissance de la sociologie de rAntiquité,
du judaïsme contemporain de Jésus et des
forces de résistance du paganisme jusqu'à la
fin du IV• siècle, lui aurait permis de savoir originalité est d'avoir réussi à mêler et à arti- ces années 80-90 et celle des Epîtres de Paul
au contraire que la christianisation passa culer dans un récit très bien construit l'his- datées des années 50, période pour laquelle
par le filtre du judaïsme hellénisé, participa toire vécue, la sienne propre, et l'histoire nous ne disposons d'aucune source directe,
des dynamiques de l'époque et les utilisa. narrée, celle de la génération apostolique, esttraitéeàlafaçond'une« Enquête »(titre
Mais Emmanuel Carrère fait-il de l'histoire ? ce qui donne un livre captivant et atta- de la troisième partie) au sens étymologique
chant, en permettant d'aborder un pro- du mot historia en grec, l'accès à Jésus ne
L'histoire au risque blème historique complexe avec des mots pouvant se faire qu'à travers des souvenirs.
de la subjectivite simples et des figures attractives. On est donc bien dans une démarche histo-
Le but du livre est moins de raconter en L'histoire vécue, celle de l'auteur, couvre rique documentaire. La technique narrative
définitive celle d'une période que de la première partie, intitulée« Une crise »,et de l'auteur, extrêmement habile, est de
composer une histoire de la foi, celle que sert de catalyseur à la quête et à l'enquête. déplacer les protagonistes de cette période,
l'auteur a cru avoir pendant trois ans et celle L'organisation des trois séquences suivantes les personnalités du Nouveau Testament,
des premiers convertis à l'Evangile. Son a le grand mérite de faire l'histoire des origi- dans un espace dont la tradition de l'Eglise a
nes chrétiennes en suivant la seule chrono- maintenu le souvenir, en réinventant des
logie qui soit historiquement incontestable, rencontres entre apôtres qui sont autant
celle des sources textuelles conservées. On d'occasions de confrontations. C'est ainsi
ne commence donc pas par Jésus, sa nais- que tous ou presque sont censés se retrou-
sance, sa vie et sa mort, en yaccédant direc- ver à Rome en 62 et le lecteur se demande
tement à travers les Evangiles, mais par d'abord pourquoi, avant de se rappeler que
« Paul » (titre de la deuxième partie), dans cette année-là fournit un des rares repères
la phase d'une religion en train de se consti- en chronologie absolue, celui de la mise à
tuer. La quatrième partie, construite autour mort de Jacques, « frère »de Jésus et chef de
de« Luc »,véritable héros du livre et double la communauté de Jérusalem. Carrère fait
de l'auteur, correspond à la phase d'écriture donc sienne, implicitement, la reconstruc-
des Evangiles, des Actes des apôtres et de tion systématique des Actes des apôtres sui-
('Apocalypse dans le contexte de la fin du vant laquelle c'est la persécution qui crée
l•r siècle. C'est en prenant conscience que une dynamique de mission, même si l'on est
les textes s'élaborent en réaction les uns en droit de penser que Pierre, qui avait pré-
par rapport aux autres, dans un contexte cédé Paul à Corinthe avant 52, avait dû
chaque fois différent, que le Luc de Carrère atteindre Rome avant 62.11 y a beaucoup
entame son enquête pour restituer un Jésus d'implicite dans le livre de Carrère.
plus authentique que le Christ de Paul ou Il n'avance certes pas dans le champ "-=
celui de Jean. La période intemlédiaire entre (parfois miné !) de l'histoire antique en ;==)
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LEs APÔTRES Détail de La Cène, par Léonard de Vinci, 1495·1497 (Milan, Santa Maria
delle Grazie). Autour du Christ sont réunis Judas, Pierre etJean (à gauche), Thomas, Jacques
aventurier isolé, pas plus qu'il n'avance le Majeur et Philippe (à droite). Dans Le Royaume, Carrère rétablit l'importance d'apôtres
masqué. Il cite ses mentors : outre Renan, comme Philippe ou Jacques. La quête de Luc y est déclenchée par un rouleau de paroles du
Paul Veyne, qui interprète la christianisa- Christ remis par l'évangéliste Philippe (il s'agirait en fait de l'Evangile de Thomas).
tion du monde antique comme une rup·
ture, contrairement à la vision dialectique
qu'en propose un Peter Brown; Gérard dans la recherche historique, c'est de faire Paul parcelle de Luc. li s'agit aussi d'opposer
Mordillat et Jérôme Prieur, auteurs à succès, bouger les lignes. Peut-être à n'importe quel l'édification d'un système théologique, qui
on s'en souvient, des trois séries télévisées prix. On peut l'admettre, mais on regrette serait le christianisme de Paul, à un message
Corpus Christi, L'Origine du christianisme qu'il ne procède jamais à un véritable état - révolutionnaire parce que compassion·
(Jésus après jésus) et L'.Apocalypse (Jésus de la question en exposant toutes les pièces nel - qui serait celui du Jésus historique,
sans Jésus), dont la thèse et l'organisation se du dossier, en se contentant de nous trans· celui que l'Evangile de Luc permettrait de
fondaient sur l'affirmation de Loisy : « jésus mettre les fiches de lectures qui l'ont retenu. retrouver, selon lui. Sa bête noire est sans
annonçait le Royaume, et cest l'Eglise qui est On garde l'impression d'une pensée à deux doute Jean et le christianisme apocalypti·
venue. » Ce jugement n'a·t·il pas fourni à termes : celle de l'Eglise et l'autre. que qui est attaché à ce nom.
Carrère le titre de son livre ? La vision d'ensemble que nous propose Traitant de l'incendie de Rome en 64, il
L'enjeu ou le défi de sa quête personnelle Carrère de la période de Jésus et des temps n'hésite pas à soulever une question que,
est quoi qu'il en soit de faire de l'Evangile, du apostoliques n'est donc ni inédite ni in con· dit-il, « on ne soulève jamais » : les ch ré·
message de Jésus, le juge de la religion qui testable. Il fait sienne une interprétation tiens, désignés par Néron comme boucs
s'en réclame -avec, comme question subsi· très courante, même s'il la nuance de façon émissaires, « auraient pu être bel et bien
diaire, « Qui est lefondateur de la religion très personnelle. Mais on en revient tou· coupables » !Certes, il faut bien s'interroger
chrétienne,Jésus ou Paul ? ». Il intègre donc jours aux mêmes objectifs. li s'agit de mino· sur leur efficacité comme boucs émissaires
parmi ses références, sans pourtant s'y rai· rer le rôle fondateur de Paul en rétablissant alors qu'ils étaient si peu importants et en
lier. l'ouvrage radical de Hyam Maccoby, qui l'importance d'autres apôtres comme Phi· rendre compte ; certes, les historiens pen·
fait de Paul un mythmaker, l'inventeur du lippe ou Jacques (c'est là un des progrès sent souvent qu'ils avaient pu prêcher avec
Christ, Grec et nonjuifde naissance, ancien indéniable de l'historiographie récente) et quelque imprudence dans les rues l'urgence
guérillero au service du Sanhédrin. Pour surtout, ce qui est propre à l'auteur, de faire de la conversion en interprétant l'incendie
Emmanuel Carrère, ce qui est important littéralement court-circuiter l'œuvre de comme un signe eschatologique de la fin
IÀLIRE
Hérode. Le roi architecte. Jean-Michel Roddaz (texte)
et Jean-Claude Golvln (aquarelles)
Pour son malheur, Hérode est connu par le massacre
des Innocents, un épisode de l'Evangile de Matthieu dont la réalité
est au demeurant douteuse. On oublie que ce roi de Judée fut
un fin politique, allié fidèle de Rome, ami de l'empereur Auguste,
que son règne fut éclatant, qu'il sut saisir les innovations de son
temps et qu'il se passionna pour l'architecture. Revisiter son règne
en compagnie de Roddaz, le meilleur historien de cette époque,
et de Golvin, le plus exact des dessinateurs du monde antique, est un bonheur. D'autant
que l'un et l'autre savent se mettre à la portée de tous. Leur beau livre satisfait à la rigueur
de l'historien en laissant ouvertes les portes du rêve.J-LV
Editions Errance, 168 pages, 39 €.

Les Chrétiens de l:i\ntiquité tardive et leurs identités


multiples. Afrique du Nord, 200-450 aprèsJ.-C.
Eric Reblllard
Sous-titre capital, tant les habitants de l'Afrique du Nord conservent
leurs spécificités! Ces trois exposés discontinus (Carthage à la fin
du Wsiècle; la persécution et les attitudes des chrétiens au Ill' siècle ;
être cllrétien à l'époque d'Augustin) sont reliés par le thème de
l'identité cllrétien ne. Parfois encombrées de concepts sociologiques
des temps et qu'ils étaient tombés de ce fait et oublieuses du cadre historique qui est censé être con nu, ces
sous raccusation de prosélytisme... mais de études stimulantes reflètent les tendances actuelles de la recherche : quelle est la place
là à poser d'emblée l'hypothèse d'un pas- du christianisme dans le pluralisme religieux de l'époque ? En quoi un chrétien se distingue-
sage à l'acte, fût-ce d' « éléments incontrô- t-il ?Pourquoiveut-0nêtrechrétien ?)-LV
lés »,hypothèse que rien ne vient étayer Les Belles Lettres,« Histoire », 240 pages, 25,SO (.
alorsqu'ilyad'autresexplications possibles,
cela sent le procès d'intention.
On n'est pas dans la fiction romanesque, Théodose. Bertrand Lançon
puisque Emmanuel Carrère se préoccupe Les hasards de l'édition pourraient laisser l'impression que cet
auteur est en compétition avec Pierre Maraval. Ce dernier écrit-il un 8'"'""d L1 nçon
d'établir des critères d'historicité pour
construire une histoire événementielle. Constantin ? Lançon fait le sien. Maraval sort un Théodose en 2009
Mais on n'est pas dans l'histoire non plus, (Fayard), première biographie en français de cet empereur qui régna THÉODOSE
puis.que l'auteurne retient pas les critères de de 379 à395, voici celui de Lançon. En réalité, l'ouvrage date de 2007.
critique textuelle des exégètes, ni ceux de Mais, l'éditeur ayant disparu, le livre a été repris et complété. Si le
l'historien pour qui !'avéré ou le vraisembla- parallèle s'impose, leurs perspectives diffèrent : Maraval opte pour
ble résultent delacontextualisation des tex- une biographie chronologique ; Lançon la complète par des chapitres
tes. du croisement et de la mi.se en série des thématiques. li met l'accent sur la« renaissance théodosienne »
documents. Il utilise en leur lieu et place un et sur les questions religieuses. Théodose ayant interdit le culte païen.
critère-limite, celui du plausible et même Pour autant, ses lois ne sont pas appliquées de façon systématique,
du« non-impossible ». On est là au cœur malgré des « dérapages », telle la destruction du Sérapéion d'Alexandrie en 392.
de la tension entre foi et raison. Dans les Lançon nuance aussi l'image d'un bigot soumis aux évêques. li aurait même, pense-t-il,
récits des Evangiles, beaucoup de choses trouvé un accord avec le terrible Ambroise de Milan pour « inventer une forme indiscutable
apparaissent historiquement possibles, de laïcité dans l'Empire romain ». l'idée est audacieuse. La fameuse bataille de la Rivière
mais peu sont avérées, si bien qu'on peut froide du 5 septembre 394 est bien racontée comme un affrontement de guerre civile, mais
choisir de croire jusqu'à preuve du contraire, on regrette plus généralement que les problèmes militaires soient minimisés ou traités
ou, à l'opposé, de rester critique sinon un peu rapidement. Reste un bel ouvrage, équilibré et agréable à lire.J-LV
sceptique tant qu'on n'a pas d'évidences Perrin, 396 pages, 23 €.
J
aujourd'hui comme l'Evangile de Thomas,
alors que l'Evangile de Philippe, dont on
possède aujourd'hui quelques fragments,
relève de la construction d'une théologie
systématique, que récuse justement Emma-
nuel Carrère: alors, pourquoi ne pas rendre
à Thomas ce qui est à Thomas? Le Luc de
Carrère est une création littéraire, mais cette
figure de« passeur <l'Evangile »,même si
rien de précis ne vient l'étayer dans le cas
particulier de Luc, est néanmoins« non-
~
::> impossible ». Nous possédons au moins un
tf témoignage autobiographique de l'un de
:Z
~ ces« passeurs <l'Evangile »,au début du
~ Il• siècle. Papias, évêque de Hiérapolis, écrit
~
::j
qu'il voulut voyager pour s'« inform[er] des
paroles des presbytres » (il entend par là les
0
u • disciples de Jésus), avant de rédiger son Exé-
~
@
Jl gèse des discours du Seigneur, convaincu
J ACQUES LE MINEUR Sculpture du portail des Apôtres de la cathédrale Notre-Dame comme il l'était que« la parole vivante »
de Dax, fin Xlll•-débutXIV•siècle. Identifié, en Occident, à Jacques le Juste, il fut, selon les devait primer sur les textes, selon une idée
Actes des apôtres (12, 37; 15, 13; 21, 18), le premier chef de la communauté judéo- qui se répandit au tournant des I•' et Il• siè-
chrétienne de Jérusalem. li mourut en martyr, lapidé vers 62. cles, davantage portée d'ailleurs par les
milieux professionnels, comme celui des
médecins, que par les intellectuels.
documentaires suffisantes et concordan- sont lues par lui au premier degré et inter- l'intuition de !'écrivain rejoint ainsi
tes. Compte tenu du critère d'historicité prétées de façon réaliste, puisque dépouil- quelquefois une réalité de l'histoire. Cela
très extensif et même impressionniste qu'a lées de leur sens eschatologique. On reste justifie+il que l'on présente ce livre
retenu Emmanuel Carrère, le débat tourne dans le domaine de l'éthique. comme le parfait vade-mecum, qui fournit
vite court. Par exemple, Carrère ne s'inter- le bagage nécessaire et suffisant pour
roge jamais sur la réalité historique des rap- L'histo ire du passeur apprendre sans peine l'histoire des débuts
ports entre Paul et Luc.Se sont-ils vraiment <l'Evangile de l'ère chrétienne i f
rencontrés et connus? Ou est-ce peu pro- Si Emmanuel Carrère ne veut pas entrer
bable, étant donné les écarts théologiques dans le débat historique et même si son Professeur d'h.istoire des religions
notés par tous les exégètes entre les épîtres interprétation globale de l'âge apostolique de I'Antiquité à l'université Paris-
pauliniennes et les Actes des apôtres? est ainsi discutable, il apporte en revanche Sorbonne, Marie-Françoise Basiez
Emmanuel Carrère n'entre pas dans le une réflexion neuve sur ce qu'a été l'évangé- vient de publie r Chrétiens persécuteurs
débat, mais se sert de ces écarts pour illus- lisation, en s'intéressant à la circulation de (Albin Michel).
trer l'idée d'une rupture entre le disciple ce qu~m appelait au Il• siècle les « Mémoi-
déçu et son maître vieillissant. Quant aux res des apôtres »pour rendre compte de
fameux « passages en "nous" »des Actes leur caractère de souvenirs historiques.
des apôtres, qui insèrent la première per- La séquence de« l'Enquête »,puis la
sonne du pluriel lors du passage de Paul en monographie consacrée à« Luc» construi- ~E ROYAUME
1

Macédoine, lors de son dernier embarque- sent une magnifique figure de« passeur ~manuel Carrère
ment pour laJudéeet,surtout, tout au long <l'Evangile »,et même plusieurs. En effet, la
de son voyage de captivité vers Rome, ils quête de Luc est déclenchée par un rouleau P.O.L
sont ressentis spontanément par l'auteur de logia (paroles de Jésus), que lui remet à 640 pages
comme des témoignages oculaires, qui per- Césarée I'« évangéliste Philippe »,une 23,90 €
mettent d'introduire Luc dans la vie de figure des Actes des apôtres et de la tradi-
Paul, sans que la possibilité qu'il s'agisse de tion chrétienne. Ce qui étonne à nouveau
stéréotypes littéraires ne soit abordée. De le familier de ces textes, c'est que ce rouleau
même, les paraboles évangéliques, définies
comme « us et coutumes du Royaume »,
de logia, tel que le décrit Carrère, ressemble
à s'y méprendre à ce que nous connaissons
_J
UN NUMÉRO ÉVÉNEMENT
consacré au Pape François
par Jean-Marie Guénois

Plus d'un an après 1'intronisation du Pape François,


Le Figaro Ëvénement consocre un dossier complet
au souverain pontife. Un retour sur l'homme sans
concession, charismatique mais accessible qui a
marqué les esprits et bousculé les habitudes.
Jean-Marie Guénois, le spécialiste Religion du Figaro,
internationalement reconnu, dresse un premier bilan
des réformes engagées et des actes attendus.
Sera-t-il l'acteur d'un changement de l.'.Ëglise en
profondeur ? Réforme de la curie romaine et de la
famille, lutte contre l'injustice sociale... Quelle est
la nOtNelle vision du Monde de ce Pape qui a osé
bousculer le Synode.

EPAPEF
AR JEAN-MARIE GUÉNOIS

. rdllsynode
Les leçons~ areuverne I'ÉgliSE!
eornment il go
_..:...ton chunonde
Sa V JO:>& 'il veut enga
Les réformes:ario sergogli
Qui est Jorge is?
le pape FraJlÇO .
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ACTUELLEMENT EN VENTE
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HISTORIQUEMENT INCORRECT
Pa r J ean Sévilli a

PAS PLEURER,
L'HISTOIRE EN LARMES
Sur fond de guerre d'Espagne,
le Goncourt 2014 sacrifie l'histoire
« N ous avons d'abord couronné un
roman d'une grande qualité litté-
aux souvenirs de famille et aux
raire, un livre à lëcriture très origi- partis pris politiques de son auteur.
nale »,déclarait le 5 novembre Bernard
Pivot, le président de l'académie Goncourt, en annonçant que le roi a rompu avec li\ction française, pour un nœud de raisons où il
prix 2014 venait d'être attribué à Lydie Salvayre pour Pas pleurer. est difficile de démêler ce qui relève des divergences d'idées ou du
Avec son écriture heurtée, son constant recours au style indirect choc des humeurs et des personnalités : devenu anti-maurrassien,
et au langage parlé, dont un sabir franco-espagnol, le roman pos- !'écrivain restera monarchiste et antidémocrate.
sède en effet une indéniable force littéraire. Mais s'agissant d'un Autant dire que Bernanos n'éprouve aucune sympathie pour
livre qui a pour trame de fond la guerre d'Espagne, sa valeur histo- la République espagnole, proclamée en 1931, ni pour le Front
rique, en revanche, est nulle. populaire qui gagnera les élections législatives, en Espagne, en
Lydie Salvayre a été psychiatre. Parallèlement, elle a publié une février 1936. En 1935, son fils Yves a adhéré à la Phalange de José
vingtaine de romans ou d'essais dont les thèmes traduisent ses Antonio Primo de Rivera. Lorsque survient le coup d'Etat du géné-
préoccupations d'intellectuelle de gauche: les difficultés de la vie ral Franco, le 18juillet1936, !'écrivain est donc favorable aux natio-
de couple, les inégalités sociales, les misères du travail au bureau, nalistes. En avril 1938, alors qu'il a regagné la France depuis un an
les séquelles de l'histoire. déjà, il publie Les Grands cimetières sous la lune, pamphlet touffu
Née en 1948 de parents républicains espagnols exilés en France, dans lequel, entre autres questions, il fustige la répression fran-
la romancière se livre, dans Pas pleurer, à un double et même triple quiste à Majorque et la collusion de l'Eglise d'Espagne avec l'armée.
exercice de mémoire. Elle y a été conduite par la découverte des Pourquoi ce changement d'attitude ?
Grands cimetières sous la lune, ce livre où Georges Bernanos, en Lydie Salvayre, qui ne dissimule pas les positions premières de
1938, alors que la guerre civile espagnole faisait rage, avait dénoncé Bernanos, présente son revirement comme une conversion subite
la répression nationaliste à Majorque, prenant ainsi parti, lui le à l'antifascisme. Un livre traduit du catalan, Bernanos et la guerre
catholique de droite, contre Franco. Cette lecture tardive a incité d'Espagne (Editions Salvator, 2001 ), permet d'y voir plus clair. L'histo-
Lydie Salvayre à restituer les souvenirs de sa mère qui, nonagénaire, rien Josep Massot i Muntaner, moine bénédictin de l'abbaye de
ne vibrait plus qu'à l'évocation des événements qu'elle avait vécus, Montserrat, né à Majorque, yétudie, en se fondant sur des témoigna-
adolescente, dans l'Espagne républicaine de l'été 1936. ges et des documents locaux, la genèse des Grands cimetières sous
Pas pleurer fait donc alterner trois voix. Celle de Bernanos, que la lune. Ce travail érudit décrit un Bernanos jamais intégré dans la
Lydie Salvayre cite et commente. Celle de sa mère, Montserrat Men- société majorquine, dont il est coupé parson ignorance de l'espagnol
cius Arjona, dite Montse, qui s'exprime à la fois à l'époque et au cré- comme du catalan, et fréquentant exclusivement un cercle d'amis
puscule de son existence. Et enfin la voix de l'auteur : « L'heure est réuni par une Française, née Juliette d'Harcourt, épouse du marquis
venue pour moi de tirer de l'ombre ces événements d'Espagne que de Zayas, le chef local de la Phalange.Jusqu'en décembre 1936, Berna-
j'avais relégués dans un coin de ma tête. » Les trois voix, mal heureuse- nos est du côté des franquistes, et se réjouit de l'engagement de son
ment, véhiculent une interprétation partielle et partiale de la réalité. fils dans une organisation que Les Grands Cimetières qualifient encore
En 1934, Bernanos, auteur de Sous le soleil de Satan, La joie (prix de« parfaitement honorable ». Le tournant survient au début de
Fémina 1929) ou La Grande Peur des bien-pensants, est célèbre, 1937, à la suite de démêlés qui opposent Yves Bernanos au soi-disant
mais chroniquement impécunieux. Attiré par le faible coût de la comte Rossi, un chef fasciste italien appelé à la rescousse par le mar-
vie à Majorque, il s'y fixe avec sa femme et ses six enfants, écrivant quis de Zayas devant la menace d'une contre-offensive républicaine
dans les cafés de Palma. NotammentsonJournal d'un curé de cam- à Majorque. Si les crimes commis par les nationalistes et dénoncés
pagne, qui paraîtra à Paris en 1936. En 1932, cet ancien Camelot du plus tard par Bernanos sont avérés, ils ne sont donc pas en soi la seule
EXERCICE DE MéMOIRE Dans Pas pleurer, Lydie Salvayre restitue les souvenirs de sa mère dans l'Espagne républicaine de l'été 1936
(à gauche, des mlliciens loyalistes, photographiés par Capa à Cordoue en 1936). Elle y a été incitée par la découverte des Grands cimetières
sous la lune, de Georges Bernanos (à droite, en 1929), où !'écrivain catholique de droite dénonçait la répression nationaliste à Majorque.

raison pour laquelle !'écrivain est parti en campagne contre le« spec- la rue » et que « des gens suspects de fascisme sont appréhendés et
tacle dégoûtant » d'une « révolution militaire et cléricale ». exécutés sans jugement ».Sans doute Lydie Salvayre montre-t-elle
Massot i Muntaner disculpe par ailleurs l'évêque de Majorque, son oncle José révulsé par deux miliciens qui se vantent d'avoir
Mgr Miralles, accusé par Bernanos de complicité avec les bour, assassiné gratuitement deux prêtres, mais la véracité de la scène
reaux, en prouvant que le prélat avait exhorté les nouvel les autori- n'est pas anestée, et semble une concession destinée à préserver
tés de l'île à empêcher tout acte de vengeance. L'historien rappelle le caractère merveilleux de l'été 1936. « 80 % des 8 352 assassinats
. par ailleurs - pour le déplorer - que la rupture de l'auteur des de Catalogne, pendant la durée de la guerre civile, ont été perpétrés
~ Grands cimetières sous la lune avec les franqui.stes n'a entraîné à en 1936, dont plus de la moitié avant le 30septembre »,écrit préci-
:;; aucun moment son ralliement au camp républicain, ce que le prix sément Bennassar, qui poursuit : « En Catalogne, le massacre des
ffi Goncourt 2014 passe sous silence. clercs revêtit une ampleur exceptionnelle : 1 189 prêtres, 794 religieux,
~ Montse, la future mère de Lydie Salvayre, a 15 ans quand éclate la soreligieuses,presque tous tués durant l'été 1936. »
a guerre d'Espagne. Son frère José est anarchiste, mais la romancière
~ quai ifieson oncle de« libertaire »,épithète mieux accordé à l'actuel
Lydie Salvayre ironise sur Pie XI et Divini Redemptoris, son encycli-
que contre lecommunisme, publiée le 19 mars 1937. Elle soutient que
~ air du temps. Après le coup d'Etat du 18 juillet 1936, Montse rejoint le pape entrepriten février 1939 « la rédaction d'uneencydiquedénon-
:i::
li Barcelone, bastion républicain, où la villageoise pauvre a une aven- çant les persécutions du nazisme », mais qu'il mourut<< la nuit qui pré-
~ ture avec un Français venu s'engager dans les Brigades internationa- céda sa diffusion ».Signalons-lui que ladite encyclique, Mit brennen-
~ les, un écrivain prénommé André. Etait-ce Malraux? Lydie Salvayre der Sorge, a paru le 14 mars 1937, cinq jours avant la précédente. On
g aime à le croire. Montse, rentrée enceinte chez elle, épouse, pour n'aura pas la cruauté d'ajouter que ce texte antinazi était l'œuvre du
~ plaire à sa mère, le rugueux Diego, que ses origines bourgeoises cardinal Pacelli, le futur Pie XII:« l'écrivaine » ne le croirait pasJ
~ n'empêchent pas d'être communiste. Diego (le futur père de Lydie
~ Salvayre) et José, le mari et le frère de Montse, se haïssent autant
~ pour des raisons politiques que pour des différends personnels.José
~ sera tué dans un règlement de comptes, et Montse, par contrecoup,
"' épousera ses idées, tandis que son mari, exilé en France avec elle
~ après la défaite républicaine, finira dans l'alcoolisme et la folie.
~ « Le récit de ma mère sur l'expérience libertaire de 36 lève en mon
(5 cœur je ne sais quel émerveillement »,écrit Lydie Salvayre. Héritière
~ d'une vision en noir et rouge de la guerre d'Espagne, celle-ci avoue ne
~ pas être une spécialiste.« Je suis allée consulter quelques livres d'his-
~ toire », précise-t-elle. On se demande lesquels. De la page 105 à la
Q page 109 de Pas pleurer, un exposé primaire reprend la légende dorée PRIXGONCOURT
~ selon laquelle la guerre civile espagnole aurait résulté de l'agression 2014
~ unilatérale de l'armée et de groupes fascistes, encouragés par rEglise
~ catholique, contre le peuple, la démocratie et la République. Pas pleurer Les Grands Cimetières
6 Bartolomé Bennassar, qui n'a rien d'un thuriféraire de la croisade
li; franquiste, signale, dans La Guerre d'Espagne et ses lendemains
ô (Perrin, 2004), que « dès le lendemain du 18 juillet, la tragédie corn-
Lydie Salvayre
Seuil
288pages
sous la lune
Georges Bernanos
Points, 352 pages
_J
~ mence à Barcelone », parce que « les anarchistes sont maîtres de 18 ,50€ 8 ,7 0€
ENTRETIEN AVEC JEAN ~ (HRISTIAN PETITFILS
Propos recueillis par Geoffroy Caillet

cPîaudron
de laRévolution
Jean-Christian Petitfils livre avec son Louis XV
un ouvrage magistral, qui montre combien
le long règne du « Bien-Aimé » doit d 'abord être
vu comme le miroir de la Révolution.

cause de Michelet et de quelques qu'il n'aime pas son peuple. li lui est

A autres, la postérité a gardé de


Louis XV l'image d'un roi faible,
dominé par ses maîtresses comme par ses
dévoué et veut faire le bien. Il est animé
d'une gentillesse naturelle et se montre
très agréable en privé. Mais dès qu'il est
18 ministres. Si le caractère particulièrement en représentation, il se raidit, et plus
!Hlî5rô1i'R1E complexe de l'arrière-petit-fils de Louis XIV encore lorsqu'il défend sa fonction en
- alternativement célébré de son vivant s'opposant au Parlement.
comme « le Bien-Aimé » ou vilipendé La seconde explication, c'est la naissance
comme un « nouvel Hérode » -autorise des sous son règne de l'opinion publique, qui
lectures contrastées, c'est bien davantage en va peu à peu devenir une machine de
raison de sa redoutable timidité que d'une guerre contre la monarchie. On peut
quelconque faiblesse, comme l'estime Jean- dater son apparition de 1728, année de
Christian Petitfils. Spécialiste de l'Ancien la création des Nouvelles ecclésiastiques,
Régime et néanmoins auteur d'un Jésus très une publication hebdomadaire jansé-
remarqué, l'historien vient de consacrer à niste, imprimée clandestinement à
Louis XV une somme qui donne à voir son Louis XV a été très mal considéré 6 ooo exemplaires mais diffusée beau-
règne comme le laboratoire où naquirent et par la postérité alors que son coup plus largement. On se la passe sous
se développèrent les conditions de la Révo- long règne a laissé la France au le manteau, on en discute. C'est en quel-
lution française. Au premier chef, la nais- sommet de sa puissance que sorte le premier« réseau social »,
sance de l'opinion publique, qui cristallisa politique, économique et culturelle. qui touche non seulement les cercles
peu à peu toutes lesoppositions-janséniste, Comment expliquer ce paradoxe? bourgeois habituels, les salons, la Cour,
gallicane, parlementaire -jusqu'à la mort du On peut dire que Louis XV a d'abord été mais aussi - et c'est un fait nouveau - les
roi en 1774. En complétant sa série de bio- victime de lui-même. Ce n'est pas un milieux populaires. Là, on voit appa-
graphiesde référence consacrées à Louis XIII, « communicant ». Il est extraordinaire- raître une opinion publique hostile à
Louis XIV et Louis XVI, Jean-Christian Petit- ment timide et a beaucoup de mal à l'Eglise et au pouvoir royal, à cause de
fils achève ainsi d'éclairer la perspective dans habiter la fonction royale. Ce tempéra- son acharnement à imposer la bulle Uni-
laquelle s'inscrivent les deux siècles qui ont ment est lié à son drame personnel, genitus, obtenue par Louis XIV du pape
marqué l'essor de la monarchie dite « abso- puisqu'il a été orphelin de père et de Clément XI en 1713 pour condamner le
lue » : celle de la lente construction de la mère à deux ans et a perdu son arrière- jansénisme. Ces deux éléments vont
monarchie administrative de Louis XIII à grand-père, Louis XIV, à cinq ans. Par faire passer au second plan le bilan du
Louis XIV, puis sa déconstruction, sous ailleurs, roi de droit divin, il redoute règne de Louis XV alors que, par rapport
Louis XV et Louis XVI, par l'effet d'une réac- toute forme de démagogie et ne cherche à la France ruinée de 171 s, c'est un pays
tion de la société contre le pouvoir royal. pas à rencontrer la foule. Ce n'est pas prospère qu'il laisse à sa mort en 1774.
En quoi cette bulle Unigenitus
a-t-elle été désastreuse?
En regardant l'histoire du jansénisme,
on constate qu'il se comporte comme
une sorte de « virus mutant ». Le pre-
mier jansénisme, né d'une controverse
théologique touchant à la grâce, au
libre-arbitre et à la prédestination, est
celui du Grand Arnauld, des Provinciales
de Pascal et de Port-Royal. où s'étaient
exprimées de belles inquiétudes spiri-
tuelles. Par son insistance sur l'impor-
tance de la conscience personnelle, ce
premier jansénisme s'opposait cepen-
dant à la monarchie absolue comme à la
puis.sance romaine. Déjà, il avait beau-
coup plu à la bourgeoisie. Mais la publi-
cation en 1692 des Réflexions moralesdu
père Pasquier Quesnel le fait évoluer
vers un gallicanisme de plus en plus
marqué jusqu'à la fin du XVII• siècle. Ce
manuel de piété était en effet devenu,
au fil de ses éditions successives, un
traité appelant à une réforme générale
de l'Eglise, Rome en tête.
Après avoir insisté pour obtenir du pape
une condamnation de ce nouveau jansé-
nisme par la bulle Vineam Dom ini en
1705, Louis XIV voulut frapper plus fort
en lui arrachant quasiment Unigenitus,
une nouvelle bulle qui condamnait les
réflexions morales du père Quesnel, déjà
mises à l'index et censurées par un décret
du Saint-Office en 1708. Or, à la relire
aujourd'hui, on se rend compte combien
cette bulle est d'abord un texte de cir-
constance, extrêmement maladroit, qui
condamnait la simple lecture de livres ~
pieux et l'étude de YEcriture, et stigmati- ~
sait pêle-mêle des idées de saint Paul et ~
des expressions de saint Augustin. En li(
relançant un combat qui aurait sans g
doute perdu, avec le temps. de sa vigueur, ~
elle plaçait de surcroît le roi de France G
dans le camp romain contre une partie\.:
d.e son Eglise. Mais le pire advint lorsque,,.=)

LEBIEN-AIMÉ Ci-contre : Portrait


de Louis XV en armure, pastel de Maurice
Quentin de La Tour; 1748 (Paris,
musée du Louvre). Page de gauche :
l'historien Jean-Christian Petitfils.
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ô
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Cl
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f-
:J
<( en 1730, le cardinal de Fleury, Premier néo-féodal, dont l'idéal s'harmonise Parlement frondeur, réceptacle
:::;J ministre de facto, fit adopter Unigenitus avec le développement des Lumières. de toutes les oppositions ...
f- comme loi de l'Etat. En dirigeant à nou- Car si les Lumières représentent un Louis XIV ayant prévu dans son testa-
u veau sur la monarchie le combat contre mouvement d'émancipation intellec- ment que le régent ne fût que le prési-
<( tuelle à l'égard de l'Eglise et de la tradi- dent du Conseil de régence, Philippe
Rome, cette surenchère assurait la muta-
tion définitive du jansénisme vers une tion, appuyé sur des découvertes scien- d'Orléans avait dû négocier avec le
opposition politique, qui allait empoi- tifiques, elles peuvent aussi faire l'objet Parlement pour obtenir son appui, en
sonner tout le règne de Louis XV. d'une lecture réactionnaire, qui consiste échange de quoi, il lui avait restitué son
De ce moment, la situation empire à promouvoir, au nom des libertés, un droit de remontrance. li s'était rapide-
donc irréversiblement sous l'influence retour à un système néo-féodal en ment débarrassé de son opposition,
notable de l'avocat Le Paige,quidevient s'appuyant pêle-mêle sur Montesquieu. mais celle<i avait repris après sa mort.
l'un des chefs de l'opposition à la bulle sur Le Paige, sur l'historien Boulainvil- Pendant tout un temps, dans les années
et à la monarchie, multipliant contre liers. En théorisant l'idée que la noblesse 1730, on assiste à un jeu politique assez
elles libelles et pamphlets et excitant du royaume descendait des conqué- traditionnel, où le roi et le Parlement
le Parlement à la révolte. Entretenu rants francs tandis que les classes labo- cherchent à tirer leur avantage au maxi-
pendant des décennies, ce gallicanisme rieuses descendaient des Gaulois, ce mum sans aller jusqu'à la rupture. Puis
devait inspirer en 1790 la Constitution dernier relativisait le pouvoir du roi, il y a comme un emballement de la
civile du clergé. Les jansénistes - dont simple primus inter pares. machine. De graves crises se succèdent,
l'un de ses auteurs, l'abbé Grégoire - la Louis XV n'a donc pas de chance, parce qui voient le Parlement sortir de sa
défendirent alors ardemment, parce qu'il fait les frais de ce mouvement des mission en se considérant comme le
que, en détachant entièrement de idées, mais aussi parce qu'il est élevé défenseur de la nation face au roi en
Rome l'Eglise de France, elle représen- dans la vénération totale de Louis XIV. l'absence des états généraux, et orienter
tait pour eux, à l'autre bout du siècle, la Sous la férule de son gouverneur, Ville- le royaume vers une très mauvaise voie,
riposte à Unigenitus. roy, un personnage très limité sur le plan celle du gouvernement des juges.
intellectuel, il doit copier en tout point le C'est là que l'opinion intervient, en sou-
CJn autre poids pour le roi a été modèle louis-quatorzien et ne surtout tenant l'opposition du Parlement à tra-
l'héritage de Louis XIV ... rien faire d'autre que son bisaïeul. La vers le puissant parti patriote qui se
Oui, pour différentes raisons. La pre- situation perdure sous la longue tutelle structure à partir de 1771 et s'étend des
mière est que Louis XV a été victime de du cardinal de Fleury, homme sage mais princes du sang aux petits artisans de
la réaction aristocratique qui a suivi la très conservateur, dont le mot d'ordre province, des ducs et pairs aux bour-
mort de son bisaïeul. La haute noblesse est que rien ne doit bouger et qu'il faut geois. Ce front patriotique très hostile
veut alors prendre sa revanche sur la prolonger le Grand Siècle. qu'on voit se dessiner sous Louis XV va
politique « absolutiste », la centralisa- rapidement réclamer des réformes et
tion du royaume menée par Louis XIV, La grande affaire de son règne conduire à la Révolution sous Louis XVI.
qui l'a contrainte à s'installer à Ver- semble être le bras de fer incessant Grâce à son soutien, les parlementaires
sailles. Elle aspire désormais à un régime qu'il doit mener contre un ont réussi ce tour de force de se présenter
LE CONSEILLER Ci-contre :André Hercule, cardinal de Fleury,
par François Albert Stiemart d'après Hyacinthe Rigaud,
1728 (château de Versailles). li fut, jusqu'à sa mort en 1743, ....,
le Premier ministre du jeune Louis XV. Page de gauche: ~
Louis XIV recevant Mehemet Raza-Bey, ambassadeur du shah de !il
Perse Tahmasp Il, le 19février1715 dans la galerie des Glaces ~
à Versailles, attribué à Antoine Coypel (château de Versailles). ~
~

comme les défenseurs du peuple, alors auto-administrés, le pouvoir régalien


~
>
~
qu'ils défendaient leurs privilèges. était donc extrêmement léger. :;,
j
Le bémol qu'il faut apporter est que si le !;(
Vous remettez en perspective les gouvernement des juges conduisait g,
deuix mouvements contradictoires à l'Etat dans une impasse, il est certain que \!)

1'œuvre pendant tout le règne : une le pouvoir absolu, tel que Louis XIV ~
monarchie qui depuis Louis XIV veut l'avait conçu, l'y menait aussi, dans la 2
réformer l'Etat et une aristocratie, mesure où il n'incluait aucune représen- ;;::;
notammentjudiciaire, qui s'y tation du peuple. Pour que le pouvoir ~
oppose au nom de ses privilèges. dispose d'une base sociale suffisante, :g;
Cette réalité a été un peu oubliée à afin de s'imposer, il aurait fallu au moins
cause de Tocqueville qui pensait que la une représentation des administrés ou
monarchie était morte d'un excès de des contribuables, comme l'imagineront nobiliaire a.u XVIII• siècle a freiné l'acces-
centralisation alors que c'est exacte- les plans de Turgot, Calonne et Loménie sion de la bourgeoisie à la noblesse. On
ment l'inverse : elle est morte de fai - de Brienne sous Louis XVI. Le maintien n'est donc pas revenu aux effectifs du
blesse, étouffée par les corps sociaux, les d'un pouvoir absolu était à la longue règne de Louis XIV, alors même que la
parlements, l'Eglise en tant qu'ordre impossible dans un contexte marqué société s'était enrichie, que la noblesse de
social. Le pouvoir royal a perdu peu à par la multiplication des réseaux finance était apparue et que la bourgeoi·
peu sa faculté d'imposer, comme on le d'influence. La monarchie devait indis- sie négociante ne demandait qu'à s'inté-
voit très bien dans les années 1750-1760. cutablement se réformer dans un sens grer aux élites dirigeantes.
Au moment de l'institution de l'impôt de représentation du peuple. C'est ce
du vingtième, voulu par le contrôleur que l'Angleterre avait fait lors de la Glo- Le règne de Louis XV semble
général des finances Machault di\rnou- rious Revolution de 1688 en instaurant la longue chronique de la
ville, le roi s'est retrouvé pris entre l'Eglise une représentation aristocratique face désacralisation de la fonction
d'un côté et les parlements de l'autre, au pouvoir royal. Elle mettait un frein à sa royale, qui distingue le roi
incapable d'agir. souveraineté sans la remplacer. de la nation comme corps social.
La faiblesse des effectifs de la fonction La France n'a pas connu ce système car Quelles en sont les étapes?
publique, sous la monarchie dite « abso- l'aristocratie n'a pas été capable de se C'est sous la Régence (1715-1723) que
lue »,est très instructive, car si les titu- faire l'acteur de cette transformation. commence ce processus de distinction
laires d'office, propriétaires de leur Elle a été suffisamment forte pour ren- du monarque et de la nation, alors que
charge, sont environ 50 000 et la ferme verser le pouvoir royal en 1789, puisque dans la théorie monarchique ils ne font
générale compte environ 28 000 person- c'est el le qui a lancé le mouvement, mais qu'un. En 1717, le Conseil du roi casse les
nes, les commissaires (maîtres des requê- trop faible pour contenir ensuite ses décisions de Louis XIV intégrant ses
tes, commissaires, gouverneurs... ), qui débordements. Cette faiblesse est liée en bâtards (le duc du Maine et le comte de
dépendent directement du pouvoir du partie à la crise des effectifs : de plus de Toulouse) dans la succession monarchi-
roi, ne sont guère, eux, que 1 soo. On est 200 ooo nobles sous Louis XIV, on était que. On estime alors qu'en cas d'extinc-
loin de nos cinq millions et demi de fonc- tombé à environ 140 000 sous Louis XV à tion des Capétiens, ce sera à la nation
tionnaires ! Les différents corps étant cause des guerres. Par ailleurs, la réaction réunie en états généraux de se pronon-
cer sur la dévolution de la Couronne.
Ce type de raisonnement, qui fait appa-
ESPRIT CRITIQUE raître l'idée de nation, est tout à fait
Exemplaire de 1735 nouveau. Tout au long du XVIII• siècle
rassemblant les années va ainsi émerger un patriotisme séparé
1728à 1730dela du roi. Sous Louis XIV, on combat pour
publication française le roi, c'est-à-dire pour la France. Sous
janséniste Nouvelles Louis XV, on se met à considérer que le
ecclésiastiques (Paris, roi ne fait plus corps avec la nation. Et
bibliothèque de la lorsque le roi ne fait pas la volonté de
Société de Port-Royal) l'opinion, celle-ci considère qu'il trahit
qui luttait contre la nation et abandonne son peuple.
l'application de la bulle Cette nouveauté aura des prolonge-'-=
Unigenitus. ments. Ainsi, le rapprochement de la ;==)
LE RÉFORMATEOR René Augustin de Maupeou, chancelier
de France, par Pierre Lacour (1745-1814) (château
de Versailles). Pour mettre fin au bras de fer opposant les
parlements au roi, ce magistrat obtint de Louis XV, en
1771, une grande réforme judiciaire avec abolition de la
vénalité des charges, gratuité de la justice et création
de conseils supérieurs remplaçant le parlement de Paris.

met à prier avec une très grande ferveur caractère impénétrable, Le roi n'a pas
pour que le roi se rétablisse. suffisamment montré à l'opinion que
En réalité, le roi est populaire quand Mme de Pompadour n'était qu'un pare-
il se trouve en phase avec l'opinion : feu et que c'est bien lui qui restait aux
par exemple, lorsqu'il se débarrasse de commandes. li a donné l'image opposée
ses maîtresses, parce que malgré la et l'a léguée à la postérité. Croyantse pro-
déchristianisation qui fait des ravages, téger, c'est en réalité lui qui a été atteint,
notamment à Paris, fopinion, façonnée donnant l'image d'un roi faible, incapa-
France avec la maison d'Autriche était par les jansénistes, reste très attachée ble de prendre seul ses décisions.
une nécessité politique. Elle avait été à la morale.
pressentie par Louis XIV, qui avait L'Eglise et le peuple montrent, au Quel bilan dresser de la politique
envoyé le comte du Luc à Vienne en XVIII• siècle, une attitude beaucoup plus extérieure de Louis XV ?
1715 pour se rapprocher de l'ennemi sévère qu'au siècle précédent à l'égard Son règne a été marqué par trois guerres :
héréditaire, et elle s'était concrétisée des maîtresses royales. On a tout passé à la guerre de la Succession de Pologne,
sous Louis XV par le mariage du Dau- Henri IV et à Louis XIV, qui ont eu davan- celle de la Succession d'Autriche et celle
phin avec Marie-Antoinette en 1770. tage de maîtresses et d'enfants naturels de Sept Ans. La première a rapporté la
Mais l'impératif de ce renversement des que Louis XV. Or, si le roi fait preuve d'un Lorraine à la France, mais la suivante
alliances n'est pas compris par le peuple, appétit sensuel prononcé, il reste profon- s'est achevée sur une grande maladresse
qui le juge monstrueux et antipatrio· dément chrétien. li croit en toutes les de la part du roi, qui a refusé d'annexer
tique. Celui-ci devient donc patriote vérités de la foi, con naît parfaitement la les Pays-Bas autrichiens (la Belgique
contre le roi, en prétendant qu'il ne liturgie. Il se sait pécheur et se montre actuelle) alors que l'Angleterre ne pou-
représente pas bien la politique de la beaucoup plus scrupuleux que ses pré- vait l'en empêcher. Cette annexion était
nation. Cet esprit nationaliste avant le décesseurs. Mais cela même se retourne un vieux rêve français depuis le temps de
mot se retrouve sous la Révolution : contre lui, car il choisit dès lors de se pri- Louis XIV, mais Louis XV ya renoncé. Or, il
22 c'est celui qui anime le peuple contre ver des sacrements et renonce à toucher avait lancé sur les champs de bataille des
!Hlî5rô1i'R1E « !'Autrichienne » et l'armée révolu- les écrouelles. Cessant d'être le roi thau- milliers de ses sujets, qui ont eu dès lors le
tionnaire contre 11\utriche. maturge, une partie de son pouvoir s'en sentiment de s'être battus« pour le roi de
Louis XV est resté sous la chape de trouve délégitimée de fait. Prusse »,selon le mot de Voltaire.
Fleury pendant très longtemps, puis- Au point de vue territorial, son règne
qu'il n'a commencé à régner réellement Les maîtresses royales servaient s'achève donc avec l'acquisition de deux
qu'à 33 ans. Louis XIV n'aurait jamais généralement d'exutoire à la haine belles provinces, la Lorraine et la Corse,
supporté cela. De plus, le roi, en créant à du peuple, préservant ainsi mais aussi avec la perte de la majeure
Versailles de « petits appartements » et le souverain. Comment expliquer partie du premier empire colonial -
en instaurant par ce biais un espace pour que Louis XV ait été happé Canada et 1ndes - à l'issue de la guerre de
sa vie privée, a accentué cette désacrali- dans la détestation dont Sept Ans. Cet échec dramatique, mis en
sation et s'est coupé de son peuple. Sou- MmedePompadourfutl'objet? avant à la suite de Lavisse par tous les
vent retiré dans ses petits appartements, C'est encore un effet de la maladresse manuels scolaires, contribuera à laisser
il est moins visible que Louis XIV. du roi. Contrairement à ce que le peu- une image désastreuse du règne. li faut
ple pensait, Louis XV ne s'est pas laissé pourtant reconnaître que Louis XV a
On assiste à des scènes gouverner par ses nombreuses favorites, limité les dégâts lorsque, au traité de
impensables du temps de des sœurs de Nesle à Mme Du Barry. li les Paris de 1763 qui met fin à la guerre de
Louis XIV: le roi est vilipendé par a utilisées comme des« fusibles »,des Sept Ans, il abandonne à la Grande-Bre-
des libelles, il n'est plus acclamé et intermédiaires pour les requêtes des gens tagne le Canada, peu productif, mais
parfois même injurié ... Mais, quand de cour, les gratifications, les bénéfices récupère la Martinique et la Guadeloupe
il frôle la mort à Metz en 1744, ecclésiastiques. Sous son règne, la favo- avec leur richesse sucrière, décisive pour
le royaume se met à prier pour lui. rite royale filtre les demandes en jouant le commerce français, ainsi que Terre-
Cela montre bien que la désacralisation un jeu personnel, mais sous l'entière Neuve et ses pêcheries.
de la monarchie doit être regardée avec surveillance du roi qui conserve son libre Une autre de ses erreurs est de n'avoir
une certaine prudence. Ce n'est pas un arbitre et réserve ses décisions. Les dis- pas suffisamment développé la marine.
mouvement linéaire, il y a des hauts et grâces, celles de Machault dl\rnouville Après la Régence, où Philippe d'Orléans
des bas. A la moindre alerte touchant la ou de Choiseul, par exemple, sont bien le voulait à tout prix maintenir l'entente
santé du roi, le grand frisson de la mysti- fruit d'une décision politique et person- avec 11\ngl eterre à cause de la détresse
que royale s'empare du peuple, qui se nelle de Louis XV. Mais, victime de son financière de la France, il aurait fallu
lAFAVORITE
La Marquise
de Pompadour, en
protectrice des arts,
pastel de Maurice
Quentin de La Tour,
1749-1755 (Paris,
musée du Louvre).

reconstituer une marine d'un niveau du Parlement et des conseillers du roi. De celle-ci, qui s'est ainsi heurtée de plein
très supérieur. C'est ce que fera au fait, sa réforme était contraire à l'organi- fouet à la réaction nobiliaire. Songezque
contraire Louis XVI. sation de l'.A.ncien Régime puisque, dans sous Louis XVI, Duval d'Eprémesnil, un
la répartition tripartite de la société, les parlementaire de fraîche et petite
La fin du règ ne est placée sous deux premiers ordres étaient exemptés noblesse, affirmait crânement:« Il faut
le s igne de l'apaisement, avec les d'impôts, le clergé priant pour le roi et la débourbonnail/er la France. »C'est dire
s uccès de la réformejudiciaire de noblesse versant son sang sur les champs l'ampleur du retour en arrière. Pour que
1771 de Maupeou et les réformes de bataille. L'émergence de la noblesse de la noblesse retrouve toute sa puissance, il
fiscales de l'abbé Terray. Dès lors, robe et de finance avait largement mis à fallait que le roi ne fût plus qu'un simple
la Révolution était-elle inéluctable ? mal ces principes. C'est pourtant en leur fonctionna.ire de la nationJ
Si Louis XV avait vécu dix ans de plus, le nom que s'est dressée en 1776 l'opposi·
régime aurait peut-être survécu dix ans, tion contre une petite taxe destinée à
guère plus. Louis XV n'aurait pas sauvé remplacer la corvée royale, qui consistait
la monarchie, car le problème de la en rentretien gratuit par le peuple de rou- 1 LOUIS XV
représentation du peuple était devenu tes utilisées par tous. n~Christian Petitfils
central. Même si l'on avait pu imposer La monarchie devait se dissocier de cette
un impôt plus égalitaire comme le ving- société de corps et d'ordres, vieil héritage
tième, il aurait fallu réformer la société du Moyen Age, pour s'adapter à la Perrin
en profondeur. modernité. Le problème est qu'elle lui 874 pages
Cette société inégalitaire reposait au était intimement liée. Louis XVI a tenté 29€
XVI Il• siècle sur des fondements devenus de le faire, mais il a échoué du fait de
aberrants. Pensez que, lorsque Turgot a l'esprit de blocage des élites, qui refu-
vouluabolirlacorvéeroyaleet la rempla- saient l'idée d'une égalité sociale à
cer par une taxe payable par tous, il a dû
affronter une levée de boucliers de la part
laquelle la monarchie était prête. Les
moyens pour la réaliser ont manqué à
_J
À L'ÉCOLE DE L'HISTOIRE
Par J ean-Louis Thiériot

CADAVRES EXQUIS
La conquête du pouvoir est toujours
passée par le corps-à-corps, la concurrence
des ambitions. Le recueil que publient
arkozy-Fillon, Sarkozy-Juppé
Alexis Brézet et Jean-Christophe Buisson
S ou Hollande-Valls, le match de
2017 promet de beaux affron-
tements. L'heure sera au combat de
est une leçon de sciences politiques.
fauves. C'est tout l'intérêt des Grands duels qui ontfait la France qui ses yeux sur l'impératifreligieux. Pour le duc de Guise, c'est inaccep-
viennent d'être opportunément publiés sous la direction d'Alexis table. li soutient la Sainte ligue et n'hésite pas à s'allier à l'ennemi
Bréz:et et de Jean-Christophe Buisson. Rédigé par les meilleurs his· espagnol car la défense de la « vraie foi »,la lutte contre les
toriens du moment, à travers une vingtaine de chapitres consacrés « Turcs »de l'intérieur (les huguenots), prend le pas sur tout le
aux duels d'anthologie qui ont façonné l'histoire de France, de reste. L'assassinat du « Balafré »,ordonné par Henri 111le23 décem-
Louis XI et Charles le Téméraire à François Mitterrand et Michel bre 1588, doit d'abord se lire comme le triomphe de l'éthique de
Rocard en passant par le cardinal de Retz et le cardinal de Mazarin, responsabilité sur l'éthique de conviction.
le livre montre magistralementque, le pouvoir ne se divisant pas, la l'exécution en place de Grève de Cadoudal, le 25 juin 1804, est,
lutte pour sa conquête ou sa conservation finit nécessairement en pour sa part, l'épilogue sanglant du conflit de fidélité qu'évoque
duel d'hommes, au corps-à-corps. Brillantes, synthétiques, aussi avec bonheur Jean Sévillia. Depuis 1793, le chef royaliste avait
plaisantes à lire qu'enrichissantes à étudier, chacune de ces contri- chouanné sans trêve. Il avait été de la « virée de Galerne »et s'était
butions met en lumière la nature du combat politique au plus haut rallié de mauvaise grâce à l'armistice de 1796. Après l'échec de la
niveau. li est darwinien. Seuls les plus aptes survivent. A la fin, ils ne bataille du Loc'h, il avait accepté de rencontrer le Premier Consul,
sont plus que deux. Et à la fin des fins, il n'en reste qu'un. le 29 mars 1800. le face-à-face historique qui a inspiré à Dumas
l'ouvrage permet surtout de dresser une typologie de ces que- Les Compagnons de Jéhu le laisse de marbre. Il rejette avec hauteur
relles. li y a le choc des idées, le choc des principes, le choc des les offres melliflues du Premier Consul qui propose de le couvrir
admirations déçues et le choc des ambitions. lis peuvent aussi par- d'honneurs en lui confiant un commandement dans les armées
fois se combiner entre eux. républicaines. Pour Cadoudal, c'est un non possumus. le pouvoir
le duel auquel se sont livrés au XV• siècle Louis XI et Charles venant de Dieu seul, il ne peut se résoudre à servir ce Bonaparte, fils
le Téméraire, le « Grand Duc d'Occident »,a souvent été dépeint de la souveraineté populaire et de la Révolution qu'il accomplit en
comme un affrontement entre le roi et un féodal à lui apparenté. l'assagissant. Cadoudal reprend alors sa liberté. Et le 24 décembre
C'est vrai. Mais ce fut surtout le télescopage de deux conceptions de la même année, il est la cheville ouvrière de l'attentat de la rue
de la souveraineté. Louis XI avait une vision française et nationale Saint-Nicaise qui rate de peu le Premier Consul. Commence alors
alors que le duc de Bourgogne se percevait d'abord comme un la longue traque qui le conduira à l'échafaud. A l'heure même d'y
grand feudataire de l'Empire qui devait hommage aux Habsbourg monter, il ne renie rien. li revendique même les principes qui l'ont
pour ses principautés de Brabant, de Hainaut, de Flandre, de Hol- conduit au bois de justice : « Nos affaires avec le roi de la Terre sont
lande et de Franche-Comté. l'équipée du Téméraire qui finit piteu- terminées. Maintenant, occupons-nous du roi du Gel. »
sement dévoré par les loups sous les murs de Nancy un soir de jan- D'autres duels sont plus déchirants encore, car ils touchent à
vier 1477 est d'abord un épisode de la lutte entre le rêve capétien et l'intime des ferveurs déçues. le chapitre que Pierre Servent consacre
la tradition carolingienne, entre le royaume et l'empire. au face-à-face entre Pétain et De Gaulle apporte un éclairage
Pareillement, le conflit entre Henri Ill et le duc de Guise tire ses d'autant plus intéressant qu'il est moins connu. Avant de s'opposer à
raci nes de deux idées du pouvoir. Roi très chrétien, mais roi de la politique du chef de l'Etat français, c'est d'abord une intense fasci-
France avant tout, Henri Ill pense d'abord à la pérennité de l'Etat. li nation que De Gaulle avait éprouvée pour Pétain. A Arras, il avait
est disposé à ménager les susceptibilités de ses sujets protestants. servi sous lui comme sous-lieutenant. Il avait été son protégé à
la dynastie des Valois s'achevant avec lui, il est prêt à accepter que l'Ecole de guerre, celui dont les foucades hautaines étaient paternel-
lui succède, en vertu de la loi salique, le chef des réformés, Henri, roi lement couvertes par le vieux maréchal. Puis étaient venues les
de Navarre, le futur Henri IV. La continuité dynastique l'emporte à aigreurs, la jalousie d'auteur autour de la paternité de l'ouvrage qui
• E NFIN, JE sais ROI • t:Assassinat du duc de Guise, sur ordre d'Henri Ill, le 23 décembre 1588, peinture anonyme, 1835 (Blois,
musée du Château). L'affrontement entre le chef de la Ligue et Henri Ill tire son origine de deux conceptions du pouvoir : défense
de l'unité religieuse contre émergence d'une sphère auto nome de la politique.

sous la signature de De Gaulle, seul, deviendra La France et son armée le temps long, les évolutions économiques ou les mutations
alors que le Maréchal considérait l'opus comme un travail d'état- sociales, est impuissant à rendre compte, seul, de la complexité de
major. C'estsur ce substrat-là que s'est développée la lutte entre Lon- l'histoire. ln fine, elle n'est écrite nulle part. Ce sont les hommes
dres et Vichy, celle d'un fils qui rompt avec un père spirituel, celle qui en détiennent les clés.
d'un père qui se sent trahi par son héritier. De Gaulle, pourtant si la seconde, c'est que d'une manière ou d'une autre le pouvoir a
pudique, s'exclamera plus tard : «J'ai pris position contre lui. Cela m'a partie liée avec le sacré. Il s'appuie sur une foi : royauté, Républi-
été très dur, très dur. C'était une nécessité nationale. » On est dans que, Etat. li a ses temples : « les palais royaux, avant-hier; la Cham-
l'amour déçu, dans le parricide, dans le drame shakespearien. bre des députés, hier; aujourd'hui, /'Efysée et les plateaux de télévi-
En comparaison, les ambitions qui s'entrechoquent semblent sion ».Il a ses prêtres: chroniqueur jadis, gazetiers et journalistes
manquer singulièrement de hauteur. Mais elles ne le cèdent en aujourd'hui, internautes et blagueurs demain.
rien en violence. Rien (ou si peu) nbppose Necker et Turgot, tous A l'autel des liturgies du combat politique, le duel fera toujours
deux physiocrates libre-échangistes, Guizot et Thiers, bourgeois la loi. Reste une question en suspens : les chocs à venir seront-ils
libéraux et fiers de l'être ou Gambetta et Ferry, dévots de la Répu- des querelles de géants ou des empoignades de nains i f
blique et du laïcisme militant. Qu'importe ! Le combat est féroce.
Pour qu'il prenne fin, il faut que l'un des adversaires morde la pous-
sière. Ce qui fascine dans ces épisodes, c'est qu'ils parlent du pou-
voir, du pouvoir chimiquement pur, débarrassé des scories idéolo- 1 Le~ Grands Duels
giques qui lbbscurcissent, tout entier tourné vers la quête de lui- ~ont fait la France
même.11 est d'abord une passion d'individus qui ne le conquièrent
que pour l'avoir éperdument désiré.
Ce duel, écrit Alexis Brézet dans sa magnifique introduction, Sous la direction
US&BANOSOUllS
« est l'irruption de l'humain, trop humain, dans la grande machine- OUI m
nFAIT d 'Alexis Brézet et
rie de /'Histoire et de la politique. Parce qu'il oppose des individus LA FRANCE J ean-Christ ophe Buisson
* •-*
"'"" ~"' "~'!h:~lll-•
avant de mettre en scène des idées, parce qu'il met en prise directe Le Figaro Magazine/
des "hommes providentiels" (ou qui se croient tels) plutôt que des
groupes sociaux, il estférocement antimoderne. »
le livre refermé, deux leçons, au moins, demeurent. la première
Perrin
424 pages
21€
_J
est que ce qu'on a englobé sous le vocable de« nouvelle histoire »,
À LIVRE OUVERT
Par Michel De Jaeghere

l'ét~Ôdard
<ltJeanne
Après Charette et Saint Louis, Philippe de Villiers fait
revivre Jeanne d'Arc dans un roman éblouissant.

1n'est pas toujours vrai que la victoire est l'enfance heureuse de Domrémy à la cage de

1 belle. Avec Jeanne, Dunois, La Hire, Xain-


trailles et le beau duc d'Alençon, elle eut,
devant Orléans, Patay, Beaugency, le rythme
fer dans laquelle elle est enchaînée, debout,
tenue par le col, dans sa prison de Rouen.
« Il suffisait de chercher un peu »,écrit
étourdissant de l'aventure en même temps Philippe de Villiers. C'est peu dire. Emprun-
que les couleurs de la jeunesse. On jette des tant la voix même de Jeanne d'Arc, il ne s'est
fascines pour combler les fossés, on escalade pas contenté en effet de reconstituer avec
des échelles sous les jets de pierre des Godons, une minutie de chartiste les étapes de son iti·
on force les redoutes, on s'empare des ponts, néraire. Il a mis ses pas dans ceux de son
on chevauche sous le claquement des ban- héroïne pour nous faire humer avec elle les
nières, on entre dans les villes libérées de la odeurs de la campagne, partager les fatigues
tutelle des Anglais et des Bourguignons - les et les joies de ses cavalcades et de ses feux
« Français reniés » - sous les fenêtres pavoi- de camp, avant de frissonner de froid dans
sées et les acclamations. l'humidité de son cachot. li l'a fait descendre
Après Charette et Saint Louis, Philippe de son vitrail pour la rendre, palpitante de vie,
de Villiers consacre aujourd'hui à Jeanne à ses chevauchées et à ses paysages, à ses
d'Arc le troisième tableau de sa galerie des compagnonnages, à ses doutes et à ses colè-
Batailles, le troisième tome de son histoire res, ses fragilités de jeune fille de 17 ans.
des grandes heures du roman national. Sous La force de son livre ne tient pas seule-
les dehors du récit trépidant de la plus singu- ment à la poésie par quoi il excelle à nous
lière des équipées guerrières, s'y affirme avec toujours plus de net- donner l'illusion de nous trouver nous-mêmes au cœur des fumées
teté le dessein qui l'a conduit au roman historique: prolonger par et des détonations des bombardes, à nous faire entendre le bruit
la résurrection de quelques-unes des grandes figures de notre his- sourd des coups de hache dans les portes, et le claquement des
toire, la méditation entreprise, il ya trente-six ans, avec la création herses qu'on descend à l'approche de l'adversaire ; à l'âcreté avec
du Puy du Fou. Le résultat est éblouissant. L'admiration pour laquelle il met en scène les félonies et les chausse-trapes d'un
l'intrépidité et le courage, l'audace d'une jeunesse qui risque tout procès en faux-semblant, la noirceur d'un règlement de comptes
sans calcul, l'exaltation de la naissance du sentiment national et politique maquillé en cérémonie judiciaire. Elle est aussi d'avoir
de la foi des simples s'y conjuguent avec le tableau au vitriol des montré la vulnérabilité de Jeanne. Le doute qui n'a cessé de
grandeurs d'établissement qui régentent l'Eglise et l'Eta.t, comme l'entourer quant à la réalité de ses Voix et de sa Mission, jusque
avec une méditation automnale sur les compromis à quoi parmi ses plus fervents partisans. Elle tient surtout, peut-être, au
condamne le pouvoir, les prudences et les trahisons qui sont le fait d'avoir senti que Jeanne n'avait pas été seulement le plus
quotidien des grands, le délaissement qui est souvent le lot de étonnant des chefs de guerre, mais à quel point, en lui donnant
ceux qui ont eu, trop tôt, le tort d'avoir raison. son caractère sacrificiel, la face d'ombre de son histoire, l'accep-
z Jeanne, captive, est à la veille de son exécution. Elle se confesse à tation, non sans horreur, sans tentations, sans larmes, de son
~ Martin Ladvenu, le frère dominicain qui s'est efforcé, pendant son ultime chemin de Croix, avaient fait autant et plus pour sa gloire
~ procès, de la guider et de la soutenir et qui la suivra, demain, jus- que ne l'avaient fait auparavant ses victoiresJ
~ qu'au pied du bûcher pour lui permettre de mourir en contemplant lt Roman de /tan nt d'Arc, de Philippe de Villiers, Albin Miche l,
~ la Croix. C'est toute sa vie qui se déroule, dès lors, au fil des pages, de 450pages, 22,50 €.
(ÔTÉ LIVRES
Jean-Louis Voisin, Anne-Lau re D eb aeck er, Marguerite de Monic ault,
Alb ane Piot , J oséphine de Varax , Frédéric Valloire, Philippe Maxence,
Marie-Amélie Brocard, J ean-Louis Thiériot et Christo phe Dick ès

La Guerre de Troie a-t-elle eu lieu ? Stéphane Foucart Grand atlas de !'Antiquité romaine
t: Ilia de et l'Odyssée ne sont pas seulement les textes fondateurs Christophe Badel et Hervé Inglebert
de la littérature universelle. Elles ont été depuis le XVII ie siècle au cœur De la constitution de rEmpire romain
de nombre de controverses entre philologues et historiens. On en à la reconquête justinienne, cet atlas
a contesté la paternité à Homère. On a épilogué sur la part qu'il fallait s'impose, en quelque 200 cartes, comme
reconnaître en elles des traditions orales transmises par les aèdes, le un formidable instrument de travail
rôle qu'on pouvait consentir à leur ordonnancement par un (ou deux) pour tous ceux qui s'intéressent à rhistoire
poète(s). Stéphane Foucart fait ici le point sur le crédit qu'on peut romaine. Si les guerres de conquête,
leur faire, l'historicité des événements que rapportent leurs chants. La les révoltes et leurs répressions, les
guerre de Troie ne fut-elle qu'un prétexte légendaire pour broder des aventures imaginaires ? crises militaires, les raids de pillage
Quelles confirmations tirer des découvertes d'Heinrich Schliemann à Hissarlik et à barbares, les réformes administratives,
Mycènes ? Les Troyens parlaient-ils le grec ? Formaient-ils au contraire la pointe avancée de les commandements militaires
l'Empire hittite dont on a découvert, au cœur de li\natolie, la capitale ? Furent-ils victimes ysont éclairés par une cartographie
de l'irruption de« peuples de la mer » qui ressemblent aux Achéens d'Homère comme exceptionnelle, on ytrouve aussi bien
à des frères ? Le récit est fascinant, l'enquête palpitante. Stéphane Foucart yconcilie une les plans de Rome, di\lexandrie,
singulière clarté d'exposition à une science parfaite, un étonnant sens du suspense. MDeJ de Constantinople, de Ravenne ou de
librairie Vuibert, 124 pages, 10,50 €. Carthage que la carte des fortifications
du limes, celles du réseau de la poste
impériale en Maurétanie tingitane,
du maillage des cités gauloises ou
A
...a.t>TOTf • <l\IVl.U C01•UllT U
espagnoles, des routes du commerce
méditerranéen, de rexpansion des premiers
diocèses chrétiens, les généalogies des
RIS
J(lu1.. o.uu1.... 111.r1111C11u1cu11
dynasties impériales et la chronologie
des royaumes barbares installés sur le sol

TOTE romain. Leurs commentaires prennent


en compte les apports les plus récents
de l'historiographie avec un parti pris
pédagogique qui met en lumière
Œuvres complètes. Aristote Les Frontières de l'Empire romain les mécanismes de la construction
Sous la direction de Pierre Pellegrln (Ier siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.) impériale, sa formation, ses processus
Chimie, zoologie, cosmologie, sciences Michel Reddé de gestion et sa décomposition finale.
politiques, morale, mathématique, De l'Ecosse à la mer Rouge, du Maroc Une réussite exemplaire. MDeJ
rhétorique ou métaphysique : Aristote à la Crimée :l'empire territorial de Rome. Autrement, 192 pages, 29 €.
avait abordé toutes les disciplines Un empire que Virgile promettait sans
du savoir de son temps. En distinguant, fin. Et que nous avons imaginé depuis
contre Platon, la science de l'art le XIX• siècle protégé par une sorte de ligne
du gouvernement, et en affectant Maginot avant la lettre, le limes hérissé
au philosophe la mission de former les de fortifications. Or, il n'en est rien.
intelligences, il avait fondé, plus encore, Très au fait des progrès de l'archéologie
l'autonomie d'une discipline destinée qu'il a pratiquée dans plusieurs provinces
à traverser l'histoire. Voici toute son de l'empire, Reddé montre la variété des
œuvre réunie ici en un seul fort volume, lignes de défense que mettent sur pied
dans les excellentes traductions réalisées les Romains. Achaque menace, une
pour la célèbre collection Garnier réponse différente. Impossible de réduire
Flammarion ! Leur édition, agrémentée la garde de l'empire en une formule.
de savantes introductions, avait mobilisé Bien secondé par des cartes, des plans et
les principaux acteurs du renouveau des photographies, l'auteur circule d'un
aristotélicien en France. Leur réunion secteur militaire à un autre avant d'aborder
en un livre auquel un précieux index la vie sur la frontière et les problèmes
don ne toute facilité de recherche et de qui précèdent la dislocation de l'empire.
consultation est un événement. MDe) Une étude neuve, indispensable.J-lV
Flammarion, 2 925 pages, 69 €. Archéologie vivante, 178 pages, 28 €.
~IA.\11.:.lLE
.SCHOLWU\l

Venise. L'art et la foi


Mgr Joseph Doré, Natalino Bonazza et Antonio Meneguo Io
Manua/e scholarium Symbole de Venise, reflet d'une foi, d'un art et d'une histoire, la basilique Saint-Marc
Edition et traduction de Pierre Riché est l'un des trésors les plus visités mais aussi les plus méconnus de la Sérénissime.
« Quelle est cette puanteur qui infecte Véritable bible illustrée, ce patrimoine rare et précieux de la culture byzantine et
cet endroit ? (.. .) - Tu penses que c'est vénitienne déploie l'un des plus grands ensembles de mosaïques au monde, datant
un bizut ? »Voilà de quelle façon on pour la plupart du XIII• siècle. Placées en regard des textes du Nouveau Testament,
accueillait, dans les universités à la fin les 500 photographies de ce livre d'art d'une qualité exceptionnelle offrent une
du XV• siècle, les étudiants récemment découverte de la« basilique d'or » proportionnée à la splendeur du lieu. A-LO
arrivés de leur province. C'est du moins Mengès, 424 pages, 89 €.
ce que met en scène cette succession
de dialogues entre deux étudiants.
Composés à la fin du Moyen Age pour François Ier. Roi de chimères. Franck Ferrand FRANCK
enseigner de façon vivante le latin Et si Louis XII avait vu juste?« Ce gros garçon gâtera tout »,disait le roi FERRAND
parlé, ces dialogues sont ici édités à propos de son successeur. Nourrie de noms glorieux (Marignan, Léonard FRANço1s r· HO I Ot: (.:1 IL'lÙU~

et traduits pour la première fois de Vinci, Chambord), la légende de François ter flirte plutôt avec celle
en français. Dans son introduction, d'un superhéros : « père et restaurateur des lettres »ou « roi bâtisseur ».
Pierre Riché situe lœuvre dans son Des« chimères »pour Franck Ferrand, qui fait voler en éclats ce portrait
contexte et rappelle brièvement mais débonnaire dans le livre qu'il lui consacre à l'occasion des 500 ans de son
de façon très claire le fonctionnement accession au trône. Peu flatteuse, cette biographie dénonce les travers
des universités médiévales. Ces d'un homme influençable qui semble souvent tenir de radolescent plus
dialogues, donnés en bilingue, font que du roi. Avec un parti pris tranché, l'auteur mène son jeu de massacre
plonger le lecteur dans le quotidien au fil des pages d'une plume efficace et savoureuse. Que l'on partage ou non ses conclusions,
de deux étudiants, au cœur de leurs il faut lui reconnaître le mérite de mesurer la légende populaire à l'aune de l'histoire,
28 préoccupations: le contenu des levant le rideau sur une autre Renaissance française et son principal acteur. A-LO
lfllî5rô1i'R1E enseignements, l'inquiétude avant les Flammarion, 238 pages, 19,90 €.
examens, les disputes entre camarades,
mais aussi les questions d'argent, les
femmes et les loisirs. Des problématiques Christine de Suède et la musique. Philippe Beaussant ii ~~irr. ~ .r~.:'l.11~"'1 -, ,

toujours actuelles, qui nous rendent Elle s'autoproclamait l'égale d'Alexandre, fit venir Descartes C/~1~.rJi!11/i'f•.\'.tût11-•
plus proches l'Université médiévale à Stockholm qui y mourut, peut-être de froid, affirmait que la seule
en nous offrant un étonnant voyage chose qui manquait à Louis XIV était la fréquentation de Ninon
à travers les siècles. M deM
Brepols, 1SO pages, SS €.
de Lenclos, réclama dans sa vieillesse des leçons de violon à Corelli ...
Ce fut au hasard de recherches musicologiques que Philippe Beaussant
:··:<·;.:
croisa pour la première fois cette reine sans royaume (elle avait
abdiqué dès l'âge de 24 ans) pour laquelle fut monté le premier opéra
jamais joué à Bruxelles, Ulysse dans 171e de Orcé, d'un certain Gioseffo ~ .
Zamponi. De cette première rencontre est né un portrait subtil et enjoué, composé
au fil des œuvres musicales qu'elle entendit, apprécia, dansa, commanda tout
au long de sa vie. On y traverse, dans son sillage, toute l'Europe du XVII• siècle. AP
Fayard, 220 pages, 19 €.

Joséphine impératrice. Bernard Chevallier (textes) et Marc Walter (photographies)


Une prédiction avait été faite à Joséphine durant son enfance à la Martinique :elle serait plus que reine.
De fait, elle fut impératrice, mais régna aussi sur le cœur de Napoléon, sur la Malmaison, sur rart, la mode
'------==----__. et le bon goût. Bernard Chevallier, grand spécialiste de l'impératrice, et Marc Walter, photographe, poussent
les portes de l'univers - public et privé - de Joséphine. Jeune et jolie, elle vient en France pourse marier, traverse la Révolution, frôle la
décapitation, brille dans les salons du Directoire, rencontre Bonaparte, l'accompagne dans son ascension. Elle sait tenir son rang et apporte
les images de faste et de luxe dont Napoléon a besoin pour asseoir la légitimité de l'Empire. Dans l'intimité, elle est une personnalité
attachante, toujours aimable, experte en botanique, mère et grand-mère aimante.Joséphine est encore trop souvent perçue comme futile
et légère. Les auteurs s'attachent ici à dresser un juste portrait de celle qui fut le grand amour et la meilleure amie de Napoléon.JdeV
Chên e, 216pages, 3S€.
1812 BENOÎT XV

LE CHOIX
DU CONSEIL
1812. La Campagne tragique Benoît XV. Le pape de la paix Par Eric M ension-Rigau
de Napoléon en Russie Yves Chiron
Adam Zamoyski Du fait de sa petite taille, il fut Emile Guillaumin, paysan-écrivain
Un roman, en accord avec l'épopée longtemps surnommé le« piccoletto ». bourbonnais, soldat de la Grande
tragique que fut la campagne Sa carrière se fit principalement Guerre. Nadine-Josette Challne
napoléonienne de 1812? C'est dans la diplomatie pontificale à l'ombre Emile Guillaumin ne quitta Ygrande,
l'impression que donne cet ouvrage. du controversé cardinal Rampolla. au cœur du département de 1:-\llier, entre
Dans ce récit impétueux, l'auteur, Pourtant, en 1914, c'est bien Giacomo Souvigny et Bourbon-1:.\rchambault,
polyglotte, a su maîtriser et critiquer Della Chiesa (1854-1922), un nom qu'à deux reprises: pour son service
une documentation impressionnante, prédestiné, qui devint pape et affronta militaire, de 1895 à 1897, et lors de la
puisée en particulier dans les écrits le séisme de la Première Guerre mondiale Grande Guerre. Authentique paysan,
des divers participants, sans cependant en voulant replacer l'Eglise au centre des il est aussi un écrivain connu depuis
négliger les enjeux globaux de ce relations internationales par une action la publication, en 1904, de La Vie d'un
colossal affrontement. La diversité de en faveur de la paix. Spécialiste de la simple, qui retrace l'existence d'un
ces points de vue colore cette fresque où papauté contemporaine, Yves Chiron métayer bourbon nais au XIX• siècle.
de menues erreurs de détail (la blessure offre ici une biographie remarquable, Avant-guerre, il entretient une abondante
du maréchal Oudinot à la Bérézina) puisant dans des sources peu exploitées. correspondance avec Pierre Loti, Daniel
n'entachent en rien la solidité historique L'auteur retrace l'itinéraire de Benoît XV Halévy ou Valery Larbaud. Pendant la
de l'ensemble et le plaisir de lire. tout en répondant aux accusations guerre, il poursuit son activité épistolaire,
Remarquable dossier iconographique, faciles qui en firent, selon les camps, y ajoutant les lettres adressées chaque
riche de documents peu connus. FV un pape vendu aux« boches » ou aux jour à son épouse, Marie, restée seule à la
Piranha, 654 pages, 26,50 €. Français. Il ne s'arrête pas aux tentatives tête de la ferme. Les lettres ici publiées,
désespérées pour la paix, mais dessine remarquablement présentées et annotées
aussi la riche action ecclésiale de Benoît XV par Nadine-Josette Chaline, spécialiste
qui s'inscrivit dans la continuité de la Grande Guerre, couvrent l'ensemble
de ses prédécesseurs tout en innovant. du conflit. Guillaumin, âgé de 40 ans
Une belle réhabilitation pour et appartenant à l'armée territoriale, part
un pape contesté à son époque. PM le 11 août 1914 à Montluçon d'abord,
Perrin, 382 pages, 22,90 €. où il reçoit la fonction de vaguemestre.
Affecté au 98• régiment territorial
d'infanterie, il passe toute la guerre dans
les Vosges et le sud de 1:-\lsace, le Sundgau.
La Grande Guerre des hommes de Dieu. Alain Toulza Dans l'abondance des ouvrages parus
Le centenaire de 1914 aura été l'occasion de décrypter en cette année de commémoration, cette
l'histoire de la Première Guerre mondiale sous tous les angles. publication se distingue en évoquant
Celui qu'aborde aujourd'hui Alain Toulza n'est pas des plus communs. Vice-président un secteur du front dont on parle peu,
du Drac (Droit du religieux ancien combattant), il met en lumière la place des clercs mais où se sont déroulés des combats
et des religieux dans le conflit armé. La mobilisation de 1914 arriva en effet moins très meurtriers. Et bien sûr, il livre un
de dix ans après les lois de laïcisation de la France et les prêtres, moines, séminaristes, témoignage émouvant des réalités de la
furent appelés au front comme tout le monde et durent échanger la soutane contre guerre, durant ces quatre longues années.
l'uniforme. Comme aumôniers militaires, infirmiers, brancardiers, mais aussi hommes Presses de l'université Paris-Sorbonne,
du rang dans les tranchées. De nombreux religieux exilés à la suite des lois de 1905 « Mondes contemporains », 350 pages, 27 €.
revinrent en France pour servir sous les drapeaux. L'ouvrage est d'abord un hommage
passionné à ces héros atypiques. Soigneusement documenté, il démonte également
la « rumeur infâme »,lancée dès le début de la guerre par les anticléricaux, qui ne
désarmaient pas, faisant du clergé français un repaire de planqués et de traîtres vendus
aux« boches ».Leur comportement souvent exemplaire leur valut au contraire
de redorer l'image de l'Eglise auprès de leurs compagnons d'armes. li ne fut pas étranger,
après-guerre, au remaniement des lois sur la laïcité. M -AB
Editio n s du Drac, 192 pages, 20 €.
LA Ah.K)l'd•OS't.n'l.(lf

GRANDE.GUERRE
OUBLIEE

La Grande Guerre oubliée. Russie, 1914-1918. Alexandre Sumpf Rideau de fer


C'est la guerre oubliée. Quand on pense à la guerre de 1914, on pense au front de l'Ouest, Anne Applebaum
éventuellement à la guerre d'Orient, presque jamais au front de l'Est. Pourtant, la bataille Dans une Europe ravagée par
de Tannenberg. celle des lacs Mazure, les campagnes de Galicie, les sièges de Lvov ou la guerre, Staline entame une politique
loccupation de l'Ukraine par les Allemands après la paix de Brest·Litovsken 1918 furent de soviétisation dans plusieurs pays.
aussi importants pour l'issue du conflit que Verdun ou le Chemin des Dames. Remettre A travers les exemples de l'Allemagne
en lumière ces champs de bataille oubliés est le grand mérite du livre di\lexandre Sumpf. de l'Est, de la Hongrie et de la Pologne
Un regret cependant. La lecture en est ardue en raison du choix délibéré de ne pas faire des années 1944 à 1956, l'auteur décrit
d'histoire-bataille et de s'affranchir des contraintes de la chronologie ... J·LT le développement dans les consciences
w Perrin, 450 pages, 25 €. de la mentalité totalitaire. L'originalité
0:::
de sa démarche réside dans sa capacité
~
0:::
à mettre en valeur la vie quotidienne des
populations qui tombent sous l'emprise
w d'un système totalitaire. Le lecteur
> .,.. '':.:·"··,, découvre ainsi les supplétifs d'un régime
::J
0 qui s'emparent des moyens de
u J_,a loi d u sana:
communication, créent une police secrète
z: et déstructurent les cadres de la société
w civile. Un ouvrage qui, dans son approche,
renouvelle complètement la lecture
des événements d'après-guerre. CD
Grasset, 608 pages, 28 €.

La Loi du sang. Johann Chapoutot Pie XII. Pierre Mllza


« Nicht schuldig », non coupable : Cinquante-six ans après sa mort, Pie XII
c'est ce que dirent la plupart des accusés (1876· 1958) suscite toujours l'interrogation
du Il ie Reich lors des procès qui suivirent des historiens. On ne s'attendait pas à voir
le deuxième conflit mondial. Non par Pierre Milza se pencher sur ce lourd dossier,
cynisme, provocation, mais parce qu'ils d'autant qu'il confesse lui-même n'être
étaient convaincus d'avoir bien agi. pas un spécialiste de l'histoire de l'Eglise.
Des fous, des barbares ? « Des hommes, On le sent d'ailleurs à plusieurs endroits,
tout simplement, écrit Johann Chapoutot, par exemple, lorsqu'il fait du futur Paul VI
qui ne considéraient pas leurs actes comme un cardinal en 1933 alors qu'il ne sera élevé
des crimes, mais comme une tâche, certes àœrangquepar Jean XXIII en 1959. La Dynastie rouge
pénible, mais nécessaire. » Pourquoi ? Sa biographie du pape Paœlli, qui fit jusqu'à Pascal Dayez~Burgeon
La réponse est à chercher dans l'univers son élection toute sa carrière au sein de L'actualité a récemment remis sur
mental nazi né dans une société en crise. la diplomatie vaticane, représente un effort le devant de la scène la Corée du Nord.
A partir d'une masse de documents de synthèse, même si le lecteur butte Comme le montre avec succès Pascal
théoriques et pratiques, ce germaniste par moments sur des incohérences dues Dayez-Burgeon, malgré son aspect criminel,
hors pair donne une cohérence interne à une relecture un peu trop rapide. Pierre ce pays abrite un phénomène politique
au discours nazi axé sur la préservation Milza a surtout voulu évaluer l'action du en soi : la seule dynastie communiste au
de la race germanique que menacent pape pendant la Seconde Guerre mondiale. monde. En prenant le pouvoir en 1945, Kim
le judaïsme, le christianisme, les Lumières, Il voit en lui essentiellement un diplomate. ll~ung. alors marionnette des Soviétiques,
le libéralisme, l'universalisme et leur avatar, L'auteur donne l'impression de balancer a su utiliser toutes les recettes de la
le bolchevisme. En naissent une morale, entre les affirmations des défenseurs propagande et installer son pays dans un
des normes et des préceptes d'action, avec de Pie XII et ses accusateurs, avant de se état de guerre permanente, recourant dès
trois impératifs catégoriques qui disent retrancher derrière la conclusion de Jean lors à la transmission héréditaire comme
ce qu'il faut faire envers soi, envers l'autre, Chélini (en 1989 !) en faveur d'un « non-lieu facteur de stabilité. Son fils, Kim Jong·il, en
envers le monde :procréer, combattre, pour Pie XII ». Une prudence qui fait perdre a profité de 1994 à 2011 et, aujourd'hui, son
régner. Un très grand livre. FV à son livre une partie de son mordant. PM petit-fils yassoit son effroyable autorité. PM
Gallimard, 576 pages, 25 €. Fayard, 480 pages, 25 €. Perrin, 320 pages, 24 €.
L A SU I TE DANS LES I DÉES
Par François -Xavie r Bellamy

L'AVERTISSEMENT
DE SOLJÉNITSYNE
La réédition du discours de Harvard
permet de mesurer le caractère prophétique
e 8 juin 1978, l'université de Harvard
de l' avertissement lancé à l'Occident
L accueille en grande pompe un écri-
vain de renommée internationale,
invitéàprononcerlediscoursdeclôture
l d" .d ·1
par e ISSI ent russe en eXI .
de l'année universitaire.Alexandre Soljé-
nitsyne a reçu huit ans plus tôt le prix
Nobel de littérature, et publié en 19731.'Archipel du Goulag, révé- déjà les signes avant-coureurs de la décadence d'une civilisation.
lant au monde entier l'ampleur de la répression politique et du sys- Pour lui, ces renoncements s'appellent Cuba ou le Vietnam; pour
tème concentrationnaire en Union soviétique. L'année suivante, nous, sans doute s'appellent-ils Mossoul, Kobané et Alep. A cha-
expulsé de Russie, Soljénitsyne s'est installé en Suisse, puis aux que fois, nos vieux pays abandonnent par lâcheté le terrain à leurs
Etats-Unis. C'est donc un dissident banni de son pays, réfugié sur ennemis mortels, faute de croire encore que la liberté qu'ils ont
le continent américain, qui se présente en cette fin d'année dans reçue mérite le courage du sacrifice.
l'une des plus prestigieuses universités occidentales. Toute l'assis- L'avertissement de Soljénitsyne à l'Occident qui l'avait accueilli
tance connaît son combat contre le communisme, dont il a payé fut reçu comme une insulte, et valut à !'écrivain un long et durable
le prix fort, par la déportation et l'exil ... Et l'on s'attend donc, logi- ressentiment. Mais en le relisant, à quelques années de distance, on
quement, à voir !'écrivain rendre hommage à l'Occident qui l'a ne peut qu'être saisi de son caractère prophétique. C'est pourquoi
accueilli, et faire l'éloge de la liberté qui y règne. les éditions des Belles Lettres ont fait œuvre utile en rééditant ce dis-
Pour qui a déjà connu des cérémonies de cette nature, avec leur cours sous la forme d'un bref opuscule, qu'il est absolument urgent
cara.ctère protocolaire et compassé, il est aisé de deviner la stupé- de relire et de méditer... En cette période marquée par la commé-
faction qu'éprouvèrent les auditeurs de cette conférence. Au lieu moration de la chute du mur de Bertin, il devient clair en effet que la
du compliment habituel, des politesses de rigueur, Soljénitsyne victoire apparente du monde occidental n'a en rien empêché son
développe en effet une longue méditation historique et philoso- déclin; l'évidence de sa crise multiforme nous reconduit à une
phique sur le déclin de l'Occident. Le public espérait des dou- source unique. L'effacement des repères essentiels de la civilisation,
ceurs, l'orateur lui promet « l'amertume de la vérité ».On atten- la désagrégation de la société dans le consumérisme individualiste,
dait Philinte, c'est Alceste. la dissolution de la culture dont nous étions les héritiers au profit
C'est pourtant« en ami »que parle Soljénitsyne. Un ami venu de des divers communautarismes, la fragilisation de notre modèle éco-
l'Est, avec le recul que lui donne son regard - un regard sans facilités nomique dont l'efficacité semblait pourtant incontestable, tout
et sans concessions. Dans la complexité du monde, il faut refuser les cela provient finalement d'une seule et même cause - de cet écrou-
choix binaires; et ce n'est pas parce qu'on lutte contre le commu- lement intérieur qui engendre partout « le déclin du courage »J
nisme que l'on doit regarder le libéralisme occidental comme le
meilleur des mondes. En somme, affirme Soljénitsyne, les deux systè-
mes sont deux symptômes d'un même déclin : le bloc soviétique est
« une société sans lois »,où règne la violence d'un Etat qui opprime
les consciences. Le bloc occidental est, quant à lui, traversé par « un Le Déclin
juridisme sans âme » ; et si les esprits ysont aliénés, c'est par l'indivi- du courage
dualisme matérialiste dans lequel il trouve son unique acte de foi. l',LEXANDRE Alexa ndre
Deux blocs antagonistes, mais au fond deux formes concur- SOLJENITSYNE
Soijénitsyne
rentes d'appauvrissement de l'humanité à l'intérieur même de
l'homme, deux formes de menace contre toute vie spirituelle. Et O U COUR oll.( ;E Les Belles
par conséquent, deux royaumes qui ne peuvent, avertit Soljénit- Lettres
72 pages
syne, que s'écrouler tôt ou tard, faute de pouvoir susciter un
authentique courage chez leurs dirigeants et leurs citoyens. Dans
les renoncements successifs de l'Occident, le sage russe discerne
9,90 € _J
A RC H ÉO L OG I E
Par Anne- Laure Debaecker

du,. oçnbe~u
maceaoruen
Les dernières découvertes du fastueux
mausolée mis au jour en Grèce vont-elles
permettre d'identifier enfin son occupant ?

epuis plusieurs mois, la Grèce et la

D communauté archéologique inter-


nationale ont les yeux braqués sur la
colline de Kasta, à Amphipolis - un haut
32 lieu de la guerre du Péloponnèse -, en
lfllî5rô1i'R1E Macédoine centrale. Dominant la plaine,
l'étrange tumulus abrite dans ses profon-
deurs un tombeau monumental qui date-
rait du dernier quart du IV• siècle av. J.-C.
A 20 mètres de profondeur, ce sépulcre
exceptionnel est flanqué d'un mur
d'enceinte en pierres calcaires recouvertes
de marbre, de 497 mètres de circonférence
et de 3 mètres de haut, également enseveli
sous les gravats. Les archéologues ont aussi
identifié la partie haute du monument: le SosPENSE Ci-dessus: schéma du tombeau en cours de fouilles. Un escalier
lion de pierre qui dominait autrefois la val- de 13 marches descend jusqu'à la porte d'entrée dont le linteau est orné de deux sphinx
lée d'Amphipolis. La qualité du monument se faisant face (page de droite), et dont l'une des têtes (page de gauche, en haut) a été
laisse penser qu'il pourrait être l'œuvre de retrouvée dans la 3• salle. Trois pièces en enfilade ont été dégagées, la 2• se révélant la plus
l'architecte grec Deinokratis, chargé par spectaculaire. Son sol est recouvert d'une superbe mosaïque figurant l'enlèvement
Alexandre le Grand de concevoir le plan de Perséphone par Hadès, Hermès courant devant l'attelage (page de droite, en haut).
de la ville d:A.lexandrie.
Abandonnée au VIII• siècle, la cité
d'Amphipolis fut redécouverte à partir du destinées à une élite sont en effet construi- infime partie de l'enceinte de la tombe
XIXe siècle par de nombreux voyageurs et tes selon le même schéma : une chambre dl\mphipolis fut découverte en 1965 par
archéologues dont Michel Feyel, qui, en funéraire souterraine quadrangulaire et rarchéologue Dimitris Lazaridis, mais faute
1934, reconstitua le fameux lion à partir de voûtée qui abrite le défunt. Elle est générale- de ressources suffisantes, ce n'est qu'à partir
fragments épars. Mais ce n'est qu'après la ment précédée d'un ou deux vestibules et de 2012 que les fouilles, menées sous la
Seconde Guerre mondiale que la Société peut être accessible par un couloir incliné direction de Katerina Peristeri, son ancienne
archéologique grecque entreprit de fouiller ou dromos. Certaines tombes sont ceintes assistante, l'ont entièrement dégagée.
le site. Ses archéologues soupçonnaient d'un enclos et rensemble est recouvert d'un Lorsque Le Figaro Hors-Série avait évo-
déjà l'existence d'une tombe sous la butte tumulus, sur lequel Platon rapporte que les qué en 2011 le mystérieux tombeau - le
artificielle. Les sépultures macédoniennes Macédoniens plantaient un bois sacré. Une plus grand jamais découvert en Grèce -
à la particularité du monument. Couvrant
entièrement le sol de cette deuxième
pièce, une incroyable mosaïque de plus de
3 mètres de long sur 4,5 mètres de large a
été découverte, qui représente l'enlève-
ment de Perséphone par Hadès, scène fré-
quente dans un monument funéraire.
Au cours du mois dbctobre, la tête de l'un
des sphinx, haute de près de 60 centimètres,
a été retrouvée dans la troisième chambre
du tombeau. Dans l'espoir de trouver une
quatrième salle, souterraine, son sol a été
creusé, ce qui a permis une découverte cru-
ciale, annoncée le 12 novembre dernier par
le ministère grec de la Culture : celle d'un
squelette placé dans une tombe en pierre
calcaire. Le corps reposait à lbrigine dans un
cercueil en bois, dont ne restent que les clous
en bronze et fer et des décorations en os et
dans son numéro consacré à Alexandre L'intérêt suscité par ce tertre funéraire verre. En attendant les résultats de l'étude
le Grand, il faisait déjà l'objet de nombreu- s'est brusquement accru cet été. Après de scientifique des ossements, la magnificence
ses interrogations. L'aspect monumental longs mois de fouilles destinées à dégager de la sépulture, dont la construction a néces-
du mausolée comme le lion indiquent son enceinte, les archéologues ont pénétré sité « la plus importante quantité de marbre
qu'il a dû abriter une personne d'impor- à l'intérieur de la tombe, dont l'entrée est jamais employée en Macédoine antique »,
tance. Depuis deux ans, les spéculations située quelques mètres en dessous du mur rend en tout cas improbable la possibilité
sur l'identité de son occupant vont donc qui l'entoure. Dès lors, les découvertes se quelle ai tété destinée à un simple particulier.
bon train. S'agit-il d'Olympias, la mère sont multipliées, jusqu'à former un vérita- Le Premier ministre grec, Ant6nis Sama-
d'Alexandre? De Roxane, sa femme, et de ble feuilleton à rebondissements. Deux râs, avait annoncé que l'exploration du tom·
leur fils ?Seul héritier légitime du conqué- splendides sphinx sans tête se faisant face beau devrait être terminée à la fin du mois
rant, celui-ci fut exilé avec sa mère près ont d'abord été mis au jour avec l'arche d'octobre. Un calendrier bouleversé par les
d:.\mphipolis et leurs tombes n'ont jamais d'entrée de la première pièce. Les archéolo- derniers rebondissements, qui laissent espé·
été retrouvées. Pour d'autres experts, il gues ont ensuite découvert deux caryati· rer que cette nouvelle découverte donnera
pourrait s'agir de la sépulture de l'un des des de plus de 2 mètres, soutenant l'arche des éléments déterminants pour résoudre
fidèles généraux d'Alexandre, nombre d'entrée de la deuxième. Des éléments rares l'énigme passionnante que renferme ce
d'entre eux s'étant établis dans la région. dans les tombes grecques, qui concourent sépulcre unique en son genreJ
CIN ÉMA
Pa r Geoffroy C a illet

Les h ·
J9}•"f.: emm~
~ 1uerte
Avec L'Homme du peuple, Andrzej Wajda
( ce film est destiné à tous ceux qui
se cherchent un héros »,a affirmé
Andrzej Wajda à propos de L'Homme
livre un film de haute volée sur Lech Walesa
et la chute du communisme en Pologne.
du peuple, dernier volet, après L'Homme de
marbre et L'Homme de fer, de sa trilogie
consacrée à fopposition politique en Polo- UNE VIE
gne. Ceux qui cherchent aussi une œuvre DE COMBAT S
de premier ordre sur le renversement du Robert Wieckiewicz,
communisme dans ce pays et le rôle central i:t saisissant Lech
qu'y joua Lech Walesa y trouveront tout ~ Walesadans
autant leur compte. L'implication de ses ~ le dernier film
auteurs (Wajda à la réalisation, !'écrivain ~ d:A.ndrzej Wajda,
Jan uszGlowacki au scénario) dans l'histoire ~ fait revivre
polonaise récente n'y est pas étrangère : ~ les années de lutte
l'un et l'autre se trouvaient à Gdansk en z de cet« homme
août 1980 lors de la grève d'où partit la ~i du peuple », prix
contestation, avec Lech Walesa dans le <12> _ Nobel de la paix.
double rôle de l'allumeur de la mèche et de
l'agent d'entretien de la flamme.
La singulière contre-révolution que emprisonné, soumis à des pressions, Walesa stimulant, parce que, contre la tendance
déroule L'Homme du peuple est retracée résiste, temporise, tient bon, appuyé par sa de l'esprit humain à la circonscrire aux évé-
avec la force des vrais classiques, à travers femme, Danuta (Agnieszka Grochowska, nements qui ont précédé sa mémoire,
l'interview de Walesa (Robert Wieckiewicz admirable en épouse et mère courage). Pen- L'Homme du peuple oblige celui-ci àla recon-
en double bluffant de l'ancien président dant dix ans, il accompagne l'émergence du naître dans le passé récent et à s'en saisir.
polonais) menée en 1989 par Oriana Fallaci futur Solidarnosc, dont il prend la tête en Ce qui frappe aussi dans le film de Wajda,
(Ma ria Rosaria Omaggio, austère et incisive à août 1980. Nouvelle grève historique et pre- c'est sa fidélité à la personnalité rugueuse de
souhait) dans son HLM minable de Gdansk. miers accords avec le gouvernement. Entre- Lech Walesa et au sens de son combat, soit à
« C'est là que vit le chef d'un syndicat de temps, Jean-Paul Il a été élu pape. Avant la correspondance absolue qui exista entre
1omillions de membres ? »,demande Fallaci même l'estampille du prix Nobel de la paix les deux. Devant Oria na Fallaci comme
en débarquant chez l'homme qui est sur le en 1983, le combat de Walesa et de la Polo- devant le Congrès américain, il peut procla-
point d'inverser le destin de tout un peuple. gne est devenu international. mer : « Je suis un simple ouvrier sans com-
Un mois après, Solidarnosc, premier syndi- La première qualité de L'Hommedu peuple plexe envers les généraux, les Premiers minis-
cat ouvrier indépendant du bloc de l'Est, tient à son utilisation époustouflante des tres ou vous-même. » On est obligé de le
obtient une table ronde avec le pouvoir images d'archives (noir et blanc et couleurs), croire car il a toujours agi ainsi. Si Wajda
communiste. Dix mois plus tard, le mur de que Wajda et son chefopérateur Pawel Edel- montre largement l'homme privé, c'est pré-
Berlin tombe. Le 15novembre1989, l'ancien man sont parvenus à fondre avec les images cisément pour faire voir qu'il n'y a pas deux
électricien de Gdansk fait un discours de fiction en une matière unique, indispen- Walesa. L'ouvrier et le mari, le père et le poli-
devant le Congrès des Etats-Unis, honoré sable pour rendre avec le réalisme voulu tique ne font qu'un. C'est bien ce qui a tou-
comme un chef d'Etat. Celui de la Pologne l'épaisseur et le souffle de l'histoire. Cette jours étonné ses interlocuteurs, dans un
libre, qu'il deviendra l'année suivante. fusion opère par un moyen : le traitement monde politique où la schizophrénie est la
Avant cet épilogue, le spectateur assiste sotto vocedes imagesde fiction, où prévalent règle. Appuyée sur une telle personnalité, la
en rétrospective à la genèse et à l'essor de gris et bleus ouatés, au point qu'on peine leçon suprême de L'Homme du peuple, c'est
cette lutte de vingt ans contre la dictature ici ou là à les distinguer des images d'archi- le caractère déterminantde la pâte humaine
communiste. En 1970, la hausse du prix ves. Elle vise un but: faire sentir que si 1980, dans le cours de l'histoire. L'histoire, au fond,
des denrées alimentaires provoque émeu- ce n'est plus hier, ça n'est jamais qu'avant- ce ne sont que les hommesJ
tes et grève à travers tout le pays. Arrêté, hier. Et c'est déjà de l'histoire. L'exercice est L'Homme du peuple, d' Andnej Wajda, 2 h 08.
à t~~tit prix
a place occupée par la dernière reine Bothwell, qui fait assassiner Darnley. Lors- affrontement armé. Rien que des plans de

L d'Ecosse dans le panthéon des destins


tragiques valait bien un nouveau film.
S'inspirant, comme Marie Stuart, reine
qu'elle épouse Bothwell, la noblesse et le
peuplese dressent contre elle. Forcée d'abdi-
quer, elle cherche refuge chez Elisabeth.
landes brumeuses et des intérieurs étriqués.
Certes, la cour d'Edimbourg n'était pas celle
des Valois, mais elle ne ressemblait pas non
d'Ecosse (1971), de la biographie romanes- Quelques habiles trouvailles (des por- plus à une gentilhommière de province.
que de Stefan Zweig, le Suisse Thomas traits, une marionnette, un sosie) viennent Quant aux comédiens, même si Camille
lmbach a conçu sa Mary, Queen of Scots suggérer l'omniprésence dans la vie de la Rutherford insuffle à son personnage une
selon une structure épistolaire, où l'on reine d'une Elisabeth pourtant invisible. Et dignité de bon aloi, ils manquent cruelle-
entend Marie lire en voix-off les lettres écri· pour cause: ces deux ennemies politiques ment de charisme, excepté Mehdi Dehbi
tes à sa cousine, rivale et future bourreau Eli- ne se rencontrèrent jamais. Mais le film dans le rôle de Riuio, le favori de Marie. En
sabeth. Enfant heureuse à la cour des Valois, pèche par son parti pris intimiste et la fai· dépit d'un sujet pourtant riche en la matière,
Marie devient par son mariage une éphé- blesse assumée de sa narration. A ne jamais aucune émotion véritable ne se dégage dès
mère reine de France, avant de retourner sortir de la tête de Marie, le spectateur peine lors de Mary, Queen of Scots et, au bout de
dans une Ecosse qu'elle ne connaît pas, à saisir la. réalité des enjeux politiques qui deux heures, la captivité de la reine d'Ecosse
déchirée par les luttes religieuses. Elle se l'agitent. Faut·il y voir la cause de ce parti qui lui sert de point final fait plutôt, pour le
remarie avec son cousin, lord Darnley, donne pris ?Ses moyens limités le privent du moin- spectateur, reffet d'une libérationJ
naissance à un fils, puis prend un amant, lord dre souffle épique. Ici, nulle cavalcade ni Mary, Quttn of Scots, de Thomas lmbach, l h.

..
PATRICK
DE CAROLIS 1-r···.
-
"- ;, ... . . j • ~ ·i... .. -~
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.D ~12 pages - 7,90 € '


INTERNET
Par Marie-Amélie Brocard

Ala
9M~[S1.
vous y eue
La tradition du roman-feuilleton ressuscitée par un site
Internet pour retracer avec une scrupuleuse honnêteté la vie
d 'un régiment d'infanterie pendant la Grande Guerre.

L
'Histoire est désormais soumise à L'Histoire, c'est, sans grande originalité, à direct », un récit feuilleton en temps réel de
ce paradoxe qu'elle a besoin d'être l'école qu'il a appris à l'aimer, auprès d'un la Grande Guerre. Les éditions 12-21 sont
d'actualité pour attirer l'attention. professeur qui n'hésitait pas à la mettre en séduites par le projet. La machine est lancée.
L'année du centenaire de 1914 aura été scène pour faire revivre le passé. Le goût lui Début juillet 1914, Antoine Drouot, jeune
l'occasion de la publication d'un tombereau en est resté. li a donc fait des études d'his- Parisien travaillant dans une imprimerie,
de livres sur le premier conflit mondial. La toire, poursuivant avec un master de pro- noircit les premières pages d'un journal dont
commémoration touche désonnais à sa fin tection du patrimoine(« ce qui est tangible il ne se doute pas qu'il est appelé à devenir
et il est bien possible que la vague d'intérêt dans /'Histoire »),avant de devenir profes- le journal de guerre d'un mobilisé du 24e RI.
pour la Grande Guerre retombe avec elle, la seur d'histoire au lycée pour tenter à son C'est donc ce personnage que le lecteur va
laissant aux seuls passionnés, qui n~mt pas tour de communiquer sa passion. Mal à suivre. Tous les jeudis, Antoine raconte la
besoin d'anniversaire pour aiguiser leur l'aise avec des consignes qui lui semblaient semaine qu'il vient de vivre. En jetant son
intérêt. Julien Hervieux est de ceux-là. A « trop mécaniques » - une conception de la dévolu sur le 24• RI, l'auteur a choisi non seu-
30 ans, il s'est lancé, depuis début juillet et transmission du savoir qui lui paraissait axée lement un régiment symbolique,« le régi-
avec le soutien des éditions 12-21, dans un sur la nécessité de faire obtenir le bac à ses ment de Paris »,mais aussi un régiment qui
défi inédit : la composition d'un roman- élèves -, il n'est pas resté longtemps dans bouge, qui est de tous les secteurs, un régi-
feuilleton numérique en temps réel, qui l'enseignement. Entre-temps, cet enfant de ment qui a« fait Verdun »,quiestdetousles
ambitionne de suivre pendant quatre ans la Champagne avait redécouvert la Grande coups du début à la fin de la guerre. Toute-
un jeunesoldat mobilisé au sein du 24•régi- Guerre, qui a profondément marqué sa fois, parce qu'il ne peut pas non plus être
ment d'infanterie (RI). Chaque jeudi, le blog région. D'abord par curiosité, puis saisi peu à partout en même temps, en complément
« Ala vie, à la guerre » propose donc d'ache- peu par une passion qui ra conduit à se jeter du journal di\ntoine, trois fois par semaine,
ter en version ebook ou Kindle un chapitre sur tout ce qu'il trouvait sur le sujet. Au bout un article vient apporter, sur le blog« A la
de ce roman nouvelle génération. de deux ans, le système scolaire a donc rai- vie, à la guerre »,un point de vue complé-
En abordant l'auteur de ce projet atypi- son de lui etilestrecrutéparlarégion Cham- mentaire : celui des soldats engagés sur
que, on hésite sur le crédit qu'on peut lui pagne-Ardenne pours'occuperde la culture d'autres fronts, des familles restées à l'arrière,
accorder. Sévissant sur Internet depuis et du tourisme. li monte une société qui du bureau du ministère des Armées, des
cinq ans derrière le masque d' « Odieux développe des produits numériques dans ce marins, des Allemands, des Anglais, des
connard »,il s'est construit un personnage domaine, avant de devenir consultant. Canadiens... Si le roman se suffit à lui-même,
dont cynisme et mauvais esprit sont les Encouragé par des amis qui le poussent le blog permet de voir ce quise passe ailleurs,
maîtres mots, avec une prédilection pour la à mettre par écrit les « bêtises et histoires » de multiplier les fronts, d'explorer une multi-
destruction méthodique des grandes pro- qu'il raconte, ilse met surtout à écrire. Grâce tude de faits, de connaître le destin de ceux
ductions hollywoodiennes. Son humour à son blog il rencontre un agent enthou- qu'évoquent les personnages, de suivre des
noir séduit, et le blog enregistre trois mil- siaste à l'idée d'éditer quelques « connardi- batailles du point de vue de l'ennemi.
lions de vues dans l'année. C'est donc avec ses ».Mais lui a une meilleure idée. L'appro- Si un livre d'histoire retranscrit les dates,
surprise que ses lecteurs l'ont découvert che du centenaire de 1914 est l'occasion les chiffres, les mouvements, comme une
s'essayant à la littérature historique. rêvée de se lancer dans une écriture« en carte d'état-major, le roman permet, lui, de
BLOG À PART
Historien de INAZI
formation, Julien
Hervieux (ci-contre)
~GASTRUCTURES
s'est, depuis Il n'y a pas que dans la géographie
juillet, lancé dans politique que la fo lie nazie
l'écriture d'un a cherché à repousser les limites .
roman-feuilleton L'archite cture et la technologie
numérique en temps
militaires o nt également do nné
réel. Tous les jeudis,
naissance à des monuments
son héros, un jeune
de démesure. C'est s ur cet aspect
soldat mobilisé dans
le 24• RI, raconte peu connu ma is passio nnant
sa semaine. Avec, que revient Nazi Megastructures.
en supplément, des Au moyen d 'images d 'arc hives,
articles apportant d 'entretiens avec des s pécia listes,
des points de vue de recons titutio ns histo riques
complémentaires. ou de vis ites de ce qu'il en rest e,
la série de dloc umentaires a mè ne
le téléspect ateur à la découverte
multiplier les perspectives, les thématiques, déplacements, dates, horaires, lieux craver- de chefs-d 'œuvre d 'ingénierie nés
de poser sur les événements un regard qui sés par le régiment, les photos d'époque qui du gé nie militaire nazi. Q ue lles ont
est celui de l'époque et non celui, rétrospec- permettent de comparer l'état des villes été leurs origines ? Comme nt a-
tif, des historiens. li offre une vision subjec- avant et après le conflit, la presse contempo- t -on pu réaliser de tels monuments
tive à un instant précis. On joue également raine, en particulier L'intransigeant, journal en pleine gue rre ? Quel fut leur
avec le filtre de la censure, la propagande. qu'imprimait le héros avant la guerre. Her- destin ? C'est également l'his toire
L'auteur ne craint pas de perdre son lec- vieux tient àsortir des lieux communs et des des ho mmes qui ont pa rticipé
teur : « Ce n~st pas grave d'être perdu. Parce idées reçues. Loin du préjugé qui fait systé- à ces aventures t echnologiques
qul\ntoine, lui, est perdu. Lui non plus ne sait matiquement des gradés des planqués, il hors du commun. Forte du s uccès
pas où il va, où se situent les villes qu'il tra- meten scène des officiers qui savent prendre
d 'une première saison de grande
ve~. » Al'école de Fabrice del Dongo et de leur part de risque et des hommes politiques
qua lité qui s 'intéressait a ussi bien
La Chartreuse de Parme, son personnage soucieux de leurs responsabilités. La seule
n'est pas omniscient. Le mois de septembre liberté qu'il s'autorise tient à la mise en scène à la tour mo numentale cons truite
est ainsi l'occasion de raconter qu'il va à de personnages imaginaires. li s'interdit en en huit mois pour prot éger
droite, à gauche, qu'il participe à des assauts, revanche d'inventer des intrigues aux per- Berlin qu'au prototype d 'avion
sans qu'il soit lui-même en état de dire qu'il sonnages qui ont réellement existé. lis ne de chasse assemblé dans
participe à la célèbre bataille de la Marne. font en général que des passages, ou alimen- des us ines soute rra ines, Na tional
L'ambition de Hervieux est, par cette tent les conversations de nos héros. Geographic Channel rediffuse
immersion, de sortir des sujets obligatoires, Son livre reste, pour autant, un roman, la saison originale avant de livre r
des partis pris, et de mettre en lumière des avec ses intrigues propres. « Je nC:li pas envie s ix no uveaux é pisodes qui no us
événements tus. Ainsi, s'il est devenu com- que ce soit vu comme un livre historique, mais emmènero nt a u cœur d 'Aix-
mun de mettre en avant le rôle joué par les comme un roman avec unfond d'histoire. Un la-Chapelle ou s ur la ligne Siegfried.
contingents de l'armée coloniale d:A.frique, roman où l'on apprend des choses. »Si toutes National Geographic Channel, 6 épisod es
il est rarissime qu'on évoque les milliers de les anecdotes ont un fondement historique, de 52 min par saison. Saison 1 : de ux diffusion s
soldats venus d'Indochine. Hervieux, lui, en des événements fictifs viennent relancer d e chaque épisode les jeudis et samedis à 20 h 40
parle. Comme il connaît une multitude de l'histoire. Gardez-vous cependant de trop à p artir du 1" jan vie r 2015.Saison 2: à p artir
0
faits et anecdotes qu'il tient à partager avec vous attacher aux personnages : l'auteur est !) du 12 février 2015, tous les jeudis à 20 h 40.
ses lecteurs. Pour ce faire, il a réalisé un travail aussi impitoyable que la guerre le fut. Alors ""~
de fond. Il a lu tout ce qu'il a pu trouver qu'on ne l'attendait plus, le blagueur cyni- ~
comme récits de soldats français, allemands, que reparaît pour rappeler avec un sourire ~
alliés, ainsi que nombre de témoignages et énigmatique que nul n'est à l'abri, pas même ~
::>
de lettres conservés aux archives.« Plus je Antoine:« Unobusestsivitearrivé. »J :i:
"'~
foui/Je leurs histoires, plus j~n découvre. » La www.alaviealaguerre.fr
partie historique est réalisée à partir du jour- Un ch apitre tous les je udis à 0,99 €. Des articles ~
nal de bord du 24• RI où sont notés tous les gratuits trois fois par semaine. "'""
<12>
J
EXPOSITIONS
Par Albane Piot et Anne -La ure Debaecke r

Pour célébrer ses mille ans, l'église parisienne se peuple


de tableaux animés, à la manière du théâtre médiéval.

ondée en 1014sous le règnede Robert

F le Pieux, Saint-Germain-des-Prés fête


cette année son millième anniversaire.
Le site avait été choisi par le roi mérovingien
Childebert pour y édifier une basilique
dédiée à saint Vincent, dont il avait rap-
porté la tunique de Saragosse, lors de son
expédition contre les Wisigoths. Mais après
que l'évêque Germain y fut inhumé, en 576,
la basilique changea de titulature, saint
Vincent cédant la place à saint Germain.
Si la basilique de Childebert avait subsisté ffi
jusqu'à la fin du X• siècle, malgré les atta- ~
ques normandes qui la mirent à mal, l'abbé c;:
Morard (990-1014) entreprit de la recons- ~J:
truire : la tour occidentale, édifiée à son ini- ~
tiative demeure aujourd'hui le plus ancien <12>
doc her de Paris. Ancien moine de l'abbaye
Saint-Symphorien, Germain avait installé
là des moines de sa communauté, dont les intellectuelle qui l'environna depuis les pre- dans des décors de cinéma : bibliothèques
successeurs adoptèrent, cinq siècles plus mières heures de l'université voisine et si médiévales, lutrins, tapisseries, lustres, lan-
tard, la règle bénédictine. Depuis, l'abbatiale souvent sa rivale (les deux institutions se ternes, tonneaux, montagne de charbon,
a veillé les riches heures de tout un quartier, disputèrent la possession des terrains alen- fontaine Wallace, tables de café, lampadai-
les travaux érudits des bénédictins de Saint- tour) jusqu'aux débats philosophiques et res 1900. Déambulant de l'un à l'autre, le visi-
Maur, Dom Mabillon et Bernard de Mont- littéraires enfiévrés du XX• siècle. teur se fera spectateur des moines à rœuvre
faucon, la Terreur et les destructions de la C'est toute cette histoire qui sera évo- au scriptorium, des ouvriers et ouvrières de
Révolution, au cours de laquelle l'abbaye fut quée les 5, 6 et 7 décembre sur le parvis et à la salpêtrerie, des efforts de Victor Hugo
transformée en raffinerie de salpêtre, les l'intérieur même de l'église, en musique et pour sauver l'abbaye de la ruine ... Un tri-
travaux des architectes Victor Baltard et à la lumière de plus de mille bougies, à la duum qui promet d'être spectaculaire ! AP
Jean-Baptiste-Antoine Lassus et du peintre manière des mystères médiévaux. Plus de Paris, église Sain t -Germain-des-Prés,
Hippolyte Flandrin qui la ressuscitèrent chaises, mais des tableaux vivants incarnés les 5, 6 et 7 décembre 2014. Accès gratuit.
dans les années 1840, et toute l'effervescence par une centaine de figurants évoluant w -.1OOOans.org
L'âge d'or des dynasties berbères
rop souvent réduit à l'Andalousie du califat de Cordoue, l'Occident islamique incluait
T également le Maghreb et les empires berbères du Maroc médiéval qui y fleurirent et
dont l'influence culturelle, politique et artistique s'étendait des royaumes chrétiens du nord
de l'Espagne jusqu'aux dunes du désert subsaharien. L'exposition que leur consacre le musée
du Louvre invite à voyager au cœur d'une civilisation méconnue, carrefour entre l'Occident
et l'Orient. Trois cents œuvres exceptionnelles - dont certaines n'avaient jusque-là jamais quitté
le Maroc, tel l'incroyable lustre-cloche de la mosquée al-Qarawiyyin de Fès - retracent cinq siècles
d'une histoire tumultueuse, entre affrontements idéologiques et militaires et échanges culturels
et commerciaux. Eléments architecturaux ou objets d'art, les pièces sont replacées dans un
contexte historique précis, suivant de manière chronologique les trois principales dynasties du
Maroc médiéval : les Almoravides, les Almohades et les Mérinides. les trois minbars (chaires de la prière du vendredi) exposés pour
chacune de ces périodes témoignent de l'évolution de l'esthétisme de l'art marocain : d'abord influencé par l'art du Moyen-Orient,
il acquiert son caractère propre, né d'un syncrétisme entre l'art espagnol et les traditions berbères. Lustres millénaires, céramique
lustrée, frise en bois sculpté, soieries chatoyantes, cuivres ciselés, manuscrits à l'élégante calligraphie, portes imposantes ou automates
de bronze sont autant de trésors, petits ou monumentaux, qui témoignent de la splendeur du patrimoine marocain. Des autochromes
de la fin du XIX• et du début du XX• siècle enrichissent le parcours et favorisent l'immersion dans un monde fascinant.A-LO
« Le Maroc médiéval. Un empire derAfrique à l'Espagne »,jusqu'au 19 janvier 201 S, musée du Louvre, Paris. Tous les jours, saufle mardi, de 9 h à 18 h, le mercredi
et levendredi,jusqu'à21 h 45. Tarifs : 16 €/13 €. Rens. : www.louvre.fr; 01 40 20 53 17. Catalogue de l'exposition par Yannick Linn, Claire Oéléry, Bulle Tuil-Leonetti
et Adil Boulgl>allat, coédition Huan/Musée du Louvre Editions, 432 pages, 49 €.

Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient


Célèbre pour le Colosse de bronze qui veillait à l'entrée
de son port, l'île de Rhodes n'est pour le reste que trop méconnue.
Et pourtant les fouilles successives, anglaises, danoises, grecques
et italiennes qui y furent menées dès le XIX• siècle ont révélé un
riche patrimoine archéologique daté du XV• au V• siècle av. J.-C.,
un art original qui mêle les influences orientales et celles de l'art
grec traditionnel pour créer in fine une esthétique sans équivalent
dans le monde hellénique. Cette exposition, la toute première
A l'o mbre des murailles.
à s'attacher exclusivement à l'île, rend hommage aux travaux
Quand le château était prison
~ patients des archéologues qui mirent aujourtant de créations
~ Les châteaux ne servent pas seulement de prison aux
:I: originales : büoux funéraires, délicats vases en argile,
-lrl princesses éplorées de nos livres d'enfants. Palais carolingien céramiques mycéniennes, amulettes e:n faïence, autant de trésors
~ au X• siècle, château fort au XDI•, celui de Mayenne, véritable
~ qui témoignent de la richesse du monde grec oriental. A-tD
z forteresse, devint, du fait de son mauvais état qui le rendait
~

Jusqu'au 1Ofévrier2015, musée du Louvre, Paris. Tous les jours,


~ inhabitable, un véritable lieu d'incarcération dès la fin
saufle mardi, de 9 hà 18 h, le mercredi et le vendredi, jusqu'à 21 h 45.
~ du XVD• siècle et cejusqu'en 1934. Ce sont ces deux cent
Tarif: 12€. Rens. :www.louvre.fr ;01 40 20 53 17. Catalogue sous
~ cinq·uante ans de vie carcérale qui ont tant affecté l'allure
la direction d'Anne Cou lié et Melina Filimonos-Tsopotou, coédition
g du château que retrace cette nouvelle exposition, en mettant
Somogy/Musée du Louvre Editions, 360 pages, 39€.
:::> particulièrement 1' accent sur un parcours audiovisuel interactif.
0
.::l A l'appui, des tablettes numériques, des maquettes, mais
Î aussi des meubles à odeur, une camisole de force, des lettres PLONGÉE EN MÉDITERR ANÉE
z d'évasion et plus d'une centaine d'autres objets qui plongent
~ Cuillère à fard en forme de femme
<9> le visiteur dans le quotidien des détenus du XIX• siècle. portant un bassin, vers 600 av. J.-C.,
~ Une expérience inédite qui intéressera petits et grands. A-lD musée du Louvre.
.._, Jusqu'au 21 septembre 2015, musée du château de Mayenne.
ë: Tous les jours, saufle lundi,de 10hà12h30etde14hà17 h. Fermeture
"'
;g en janvier. Tarifs : 4 €/3 €. Rens. : www.museeduchateaudemayenne.fr
Vu du front. Représenter
la Grande Guerre
Parmi les nombreuses expositions
consacrées cette année à la Première
Guerre mondiale, celle du musée
de 1'Armée dénote par son parti pris
original : y sont présentées les images
produites par les soldats eux-mêmes,
soit à leur retour soit sur le front même,
et par les artistes qui y furent officiellement
missionnés. L'exposition se visite
comme on feuillette un livre d'images,
mêlant photographies, peintures,
dessins de presse. Elle constitue un
Fra Angelico, Botticelli ... chefs-d'œuvre retrouvés terrible reportage visuel sur la guerre
Avec une muséographie qui rappelle le da ir-obscur et les volumes des églises toscanes, telle qu'ellefutvue, vécue et transmise
l'exposition évoque la production des peintres florentins et siennois des XIV• et XV• siècles, par ceux qui lont faite. AP
magnifiquement représentés dans les collections du duc d' Aumale (des peintures Jusqu'au 25 janviêr 201 S, musêê dê I'Armêê,
de Filippo Lippi, Botticelli, Léonard de Vinci, Sassetta et d'autres, conservées au domaine hôtel des Invalides, Paris. Tous les jours,
de Chantilly). L'occasion de se prêter aujeu des reconstitutions, de réunir les fragments de 10hà17 h. Tarifs: 12€/8,50€.
d'œuvres découpées et dispersées au cours du temps. Ainsi de la Thébaïde de Fra Angelico, Rens. : www.musee-armee.fr
dont les fragments sont aajourd'hui disséminés entre Chantilly, Anvers, Cherbourg,
Philadelphie et une collection particulière (ce dernier fragment étant passé l'année dernière
en salle des ventes). On bel hommage au travail des historiens d'art et à la délicatesse
toute particulière des peintres de ce temps-là. AP
Jusqu'au4janvier2015,domainede Chantilly,salleduJeudepaume. Tous les jours, de 10h30à17 h.
Tarifs : 10 €/5 €. Rens. : www.domainedechantilly.com

INMEMORIAM
Ci-contre : portrait
en trois poses d'Eugène
Viollet-le-Duc par Félix
Nadar, le 30 janvier 1878.
Ci-dessus : Dormition de
la Vierge, Maso di Banco
(1300-1348), Chantilly,
musée Condé. Le Christ
reçoit l'âme de sa mère
sous la forme d'un
enfant emmailloté.
Viollet-le-Duc, les visions d 'un architecte
Eugène Viollet-le-Duc, personnalité étrange et complexe, architecte hyperactif et génial, restaurateur controversé autant
qu'admiré de Notre-Dame de Paris, Pierrefonds et Carcassonne, naquit en 1814, il y a deux cents ans. En guise de commémoration,
la Cité de l'architecture et du patrimoine, qui souhaite présenter la masse considérable de dessins et d'écrits de l'artiste
récemment reçue en dation, consacre une rétrospective à son œuvre et à sa vie. Maquettes, projets, croquis, photographies illustrent
une formation ponctuée par les voyages à la recherche du Beau idéal et du patrimoine pittoresque, les grands chantiers de sa carrière,
les cours de dessin que cet ennemi de !'Ecole des beaux-arts s'employa à dispenser comme il l'entendaitJusqu 'au projet de musée
de Sculpture comparée auquel il travailla durant près de quarante ans, et qui ne devait voir lejourqu'après sa mort, ancêtre de la galerie
des moulages de la Cité de l'architecture qui l'honore aajourd'hui. Portrait d'un personnage fascinant et passionnant. AP
Jusqu'au 9 mars 2015, Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris. Tous les jours, sauf le mardi, de 11 h à 19 h. Tarifs : 9 €/6 €. Rens. : www.citechaillot.fr
À LA TABLE DE L'HISTOIRE
Par Jean-Robert Pitte, de l'Institut

LA CUISINE
À TOUTES LES SAUCES
Quelle que soit leur base, les sauces font,
depuis la nuit des temps, partie intégrante
de l'art culinaire.

outes les cuisines du monde comportent des sauces et ce beurre est la base de la béchamel et de ses déclinaisons, parmi les-

T depuis les temps néolithiques au cours desquels le bouilli et le


mijoté ont été inventés. Les Romains utilisaient legarum, à
base d'entrailles de poisson fermentées et d'épices. Son équivalent
quelles la Mornay, la mousseline et la garniture de la bouchée à la
reine. Les réductions de vin (meurettes, daubes) sont la gloire de
toutes les régions de vignobles. Dans le dernier quart du XX• siècle,
asiatique est le nuoc-mâm des Vietnamiens. Tous les pays d'Extrê- les sauces sont tombées en disgrâce, pour des raisons essentielle-
me-Orient font usage de la sauce de soja, elle aussi fermentée, qui ment diététiques. Les meilleurs chefs, comme Michel Guérard, les
peut s'améliorer en vieillissant et dont la recette diffère d'un pays ou ont maintenues, mais en les allégeant. Puis est venue la mode des
d'une région à l'autre, également de diverses sauces à base de traînées, balayures et autres gouttelettes de sauces, joliment colo-
sésame, d'huîtres, de piment, etc. Héritées du Moyen Age, les sauces rées mais indécelables au palais tant leur usage est devenu homéo-
des pays d'Europe du Nord sont aigres, aigres-douces et épicées, pathique et surtout pathéti·
parfois très épicées : la sauce au vert des Flamands, la mint sauce ou que. On ne peut que se réjouir
la Worcestershire sauce des Anglais, la sauce au raifort des peuples de voir un grand chef étoilé
germaniques et slaves, les innombrables variétés de moutarde. comme Yannick Allé no
Dans les pays méditerranéens, les sauces comportent de l'huile, de décidé à ramer à contre-cou-
l'ail, du piment, des herbes (basilic du pesto) et, souvent, du citron. rant et à réhabiliter Escoffier
L'Italie est le pays où la tomate, arrivée d:.\mérique au XVI• siècle, a et les vraiessaucesJ
connu le plus grand succès: elle donne lieu à de nombreuses inter· Sauces. Réflexions d'un cuisinier,
prétations saucières qui accompagnent la pasta. de Yannick Alléno et Vincent
La cuisine française s'est émancipée de ces traditions à partir de la Brenot, Hachette Pratique, 2014,
fin du XVII• siècle, sous l'influence de la cuisine de cour voulue par 80 pages, 12 €.
Louis XIV dès sa majorité. Sous son impulsion sont publiés des
recueils de recettes qui comportent de nouvelles sauces élaborées à
base de fumets de parures de poissons, de bisques de crustacés et de DEL'ART D'APPRÊTER
fonds de carcasses de gibier ou de viandes d'élevage. Ces bases sont ET D'ASSAISONNER
ensuite montées au beurre ou à la crème. Les émulsions de jaune Frontispice gravé
d'œuf et de beurre ou d'huile donnent naissance à la sauce hollan- du Cuisinier françois,
daise, à la béarnaise, à la mayonnaise. Le roux à base de farine et de de La Varenne, 1664
(Chantilly, musée Condé).

c:::::
1 SAUCE HOLLANDAISE
Cette sauce inventée par La Varenne a été baptisée
un peu plus tard en hommage a ux victoires
de Louis XIV lors de la guerre de Hollande ( 1672-
1678). Faire réduire du vinaigre additionné d'un
peu d'eau , de poivre et de seL Après refroidissement,
émulsionner au bain-marie desjaunes d'œufs
et du beurre ajouté progressivement, dans
une proportion d'unjaune pour 1OO g de beurre~
C'est l'accompagnement idéal des asperges
et des poissons blancs pochés.
L'étrange
défaite
Par Guillaume Zeller
Soixante ans après la « Toussaint rouge »,
la guerre d'Algérie continue d'apparaître comme
un affrontement paradoxal dont la France est
sortie vaincue en dépit de sa victoire sur le terrain.
CHEMIN DE TRAVERSE .
Une section de soldats français
en patrouille dans les montagnes
del'Oranais.Oe 1959à 19~ lie
la mise en œuvre du plan a
a permis la dislocation des
principaux maquis du FLN.
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e 10 juin 1960 au soir, trois hommes sont discrètement De Gaulle ne le souhaite pas. Il entend que la branche politique

L introduits dans le bureau du général De Gaulle, au palais


de l'Elysée. Arrivés la veille d'Algérie, ils ont été hébergés
dans un pavillon du château de Rambouillet. Si Salah est le chef
du FLN soit la seule interlocutrice de la France. Deux ans plus
tard,!' Algérie sera indépendante, les pieds-noirs connaîtront
larrachement de l'exode, les harkis, le couteau des bourreaux,
de la wilaya IV, une zone stratégique de la rébellion algérienne. et les militaires, l'amertume de l'abandon.
Si Mohammed et Si Lakhdar sont ses adjoints. Un an et demi
après l'offre de• paix des braves •, formulée le 23 octobre 1958 Des autorités désemparées
par celui qui n'était pas encore le premier président de la Pour remporter la victoire militaire, la France avait pourtant
V• République, ces trois chefs majeurs envisagent de cesser le payé le prix fort. Alors qu'il vient de réprimer les émeutiers du
feu. Laminés par le rouleau compresseur militaire conçu par le 8 mai 1945 à Sétifetà Guelma, le général Raymond Duval aver-
général Maurice Challe, abandonnés des hauts responsables tit les responsables politiques et militaires : • Je vous ai donné
du Front de libération nationale (FLN) établis à l'extérieur des la paix pour dix ans. • La série d'attentats qui frappe le sol algé-
frontières, ils sont prêts à abandonner le combat, tandis que rien lors de la • Toussaint rouge •, dans la nuit du 31 octobre au
plusieurs wilayas voisines pourraient s'effondrer à leur tour. Ce } er novembre 1954, confirme sa prophétie. Un jeune instituteur
soir-là pourtant, face à ces hommes qui arpentaient le djebel venu de métropole et un caïd musulman, Guy Monnerot et Hadj
quelques jours auparavant, le chef de l'Etat se montre évasif, Sadok, tombent ensemble sous les balles des rebelles dans les
évoque les contacts en cours avec le Gouvernement provisoire gorges de Tighanirnine, dans les Aurès. En dépit des avertisse-
de la République algérienne (GPRA) puis les congédie sobre- ments des services de renseignements, les autorités sont
ment sans leur serrer la main. Conjuguer une victoire politique désemparées face à ce mystérieux FLN. Les hommes qui le
à la victoire militaire était peut-être possible ce jour-là. Charles dirigent ont pour la plupart une expérience de la clandestinité,
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EN EMBUSCADE Ci-dessus et à gauche: des soldats du 2e régiment étranger d'infanterie (REi), acheminés par hélicoptère, progressent
dans les montagnes de la région de Géryville, dans l'Oranais, durant l'opération « Prométhée »du plan Challe, en avril 1960.

nourrie au sein de !'Organisation spéciale (OS), la branche mili- gouvernement général de l'Algérie le 26 janvier 1955, est
taire du Mouvement pour le triomphe des libertés démocrati- d' abord influencé par les vues de ses collaborateurs, Vincent
ques (MTLD) de Messali Hadj, opposant historique à la présence Monteil et Germaine Tillion, qui préconisent un traitement éco-
française en Algérie. D'autres, parfois les mêmes, comme nomique et social de la crise, plutôt que la répression. Mais le
Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim, Mostefa Ben Boulaïd, massacre du personnel des mines d'El-Halia, commis le 20 août
connaissent aussi les bases de l'art militaire pour avoircombattu 1955, bouleverse Soustelle. Pas moins de 123 personnes, Euro-
les Allemands sur les flancs de Monte Cassino, les plages de Pro- péens et musulmans, hommes, femmes et enfants, sont tuées
vence ou dans les forêts des Vosges. Face à eux, les moyens mis par des individus fanatisés, qui se livrent aux pires exactions :
en œuvre ne sont guère appropriés. Les 50 000 hommes dispo- mutilations, viols, éventrations, dépeçages. Le gouverneur
nibles - militaires et policiers- ne peuvent effectuer un ratissage général, ethnologue réputé, venu des rangs de la gauche, se
suffisamment fin pour piéger des• fellaghas • pourtant très infé- convertit alors à l' idée d'une intensification des opérations mili-
rieurs en nombre. Le matériel dont ils disposent, lourd., bruyant, taires. La répression est impitoyable. Si l' armée prend soin de
ne convient pas face à un adversaire souple, sur un terrain acci- demeurer auprès des populations civiles, pari 'intermédiairedes
denté. Les meilleures unités de l'armée, enfin, sont toujours Sections administratives spécialisées (SAS) créées en novem-
déployées en Indochine dans l'attente de leur rapatriement. bre 1955 pour œuvrer au développement économique, médi-
Il faut à l'armée française plus de deux années pour reprendre cal, sanitaire et scolaire des campagnes, elle devient surtout un
l'initiative et porter des coups de plus en plus efficaces au FLN. outil opérationnel de plus en plus redoutable. En 1957, la mise "-=
Jacques Soustelle, qui remplace Roger Léonard à la tête du en place de barrages imperméables aux frontières tunisienne et ;:=)
Le plan Challe { /9;9-/96/)

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> • Zones d 'opérations débutées en 1959 • Zones d 'opérations débutées en 1960
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0 (j'b,Yr-aPril 19!!9) li.I (jt<d/d 19!!9) (no.. l 9:J9 -depf. 1960) (j117ùd-.vpt. 1960) (mai 1960)
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a (mai-octobre 19!!9)
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1111 (jt<d/d 19!!9 - mar. 1960) 11111 (no.. 19!!9 -depf. 1960) mProméthée m 11-ident
(a ..n1-nownwre /960) lllol (ort 1960 -aPril/961)
E!9 PC de zone opérationnelle
z: Courroie .... Rubis m Topaze D Commando de chasse
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So11ree: A11trement -AtlM <*lag11erre d'AlgtriL, nowmbre20/ I G
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CONTRE-GUÉRILLA De 1959 à 1961, de grandes opérations menées par l'armée française sur tout le territoire algérien ont pour
objectif la destruction des unités de l:A.rmée de libération nationale (ALN), la branche armée du Front de libération nationale (FLN).
Cette guerre de maquis se déroule essentiellement dans les massifs montagneux (photo à droite) où se cachent les réseaux de l:A.LN.

marocaine (les deux pays sont in dé pendants depuis 1956 et la


Tunisie abrite des bases arrières de la rébellion) pennet de tarir
les canaux d'approvisionnement du FLN. Les effectifs sont
étoffés avec l'envoi progressif du contingent et l'allongement
de la durée du service militaire, tan dis que des unités d'élite -
parachutistes et légionnaires- intègrent l'ordre de bataille, for-
tes de leur expérience indochinoise et pétries d'idées nouvelles
sur la guerre révolutionnaire.C'est sur ces régiments, comme le
'z~""'
1er régiment étranger de parachutistes ( REP), le 3e régiment de
~ parachutistes coloniaux (RPC) ou le 1er régiment de chasseurs
~
~ parachutistes (RCP), rattachés à la 1 Qe division parachutiste du
~
général Massu, que se heurte le FLN lors de la bataille d'Alger
~
déclenchée en janvier 1957 pour mettre un terme à la vague
~
ô d'attentatsà la bombe commis à partir de septembre 1956dans
~
~
les bars, les dancings, les casinos ou sous les lampadaires par
les hommes et les femmes commandés par le duo YacefSaadi et
CHASSÉ-CROISÉ Le 12 décembre 1958, le général Ali la Pointe, responsables de dizaines de morts et de centaines
Raoul Salan (à gauche) est informé par un courrier de blessés. Les• paras •, commandés par des chefs mythiques
de Charles De Gaulle que sa mission en Algérie est comme les colonels Jeanpierre o u Bigeard, pourchassent et
terminée. li est rappelé en France et nommé inspecteur détruisent en neuf mois l'organisation clandestine, recourant
général de la Défense. A Alger, il est remplacé par Paul au besoin à la torture pour localiser les caches des poseurs de
Delouvrier à la Délégation générale et par le général bombes et déjouer les attentats. Des protestations sont émises
Maurice Challe (à droite) au commandement en chef par des figures comme le général Jacques Pâris de Bollardière,
des forces armées. Raoul Salan et Maurice Challe François Mauriac, Henri Alleg, Pierre Vidal-Naquet et d'autres,
seront, en avril 1961, parmi les généraux putschistes mais les responsables politiques ferment les yeux, trop heureux
opposés à la politique algérienne de De Gaulle. d' avoir délégué ce cas de conscience tragique aux militaires.
Au prix de centaines de disparus- le secrétaire général démis- gaullistes très efficaces, elle finit parfaire appel au• reclus de
sionnaire de la préfecture d'Alger, Paul Teitgen, évoque un Colombey-les-Deux-Eglises•. Charles De Gaulle intervient
total de 3 000 cas- les paras sont maîtres du terrain. pour éteindre le feu que les plus fidèles des siens attisent en agi-
tant le spectre de l'opération• Résurrection• qui vise à faire
Une crise politique profonde croire en l'imminence d'un coup d'Etat militaire. Le 1er juin
Pendant que l'armée reprend l'initiative, l'impossibilité de par- 1958, il devient le dernier président du Conseil de la IV• Républi-
venir à un règlement du conflit conduit à une profonde crise poli- que. Son retour, comme les grandes manifestations de fraterni-
tique. La valse des cabinets ministériels entraîne des change- sation entre musulmans et Européens, défilant ensemble à! 'ins-
ments de cap permanents dans la conduite des• opérations de tigation des SAS et réclamant une harmonisation des droits et
maintien de l'ordre•. Le 13 mai 1958, après des mois d'instabi- des devoirs au sein d'une Algérie restant française, suscitent un
litéouverte avec la dérnissionde Guy Mollet,le21mai 1957,sui- grand espoir. Lorsque, le4 juin, De Gaulle clame • Jevousai
vie des éphémères cabinets Bourgès-Maunoury et Gaillard, la compris ! ., les Français d'Algérie, les militaires, les Arabes et
foules' empare du Gouvernement général à Alger et acclame les Kabyles rétifs à la tutelle de !'Organisation politico-admi-
larmée et Soustelle, considérés comme les seuls recours possi- nistrative (OPA) du FLN en sont persuadés: c'est à eux qu'il
bles face à la tentation d'abandon qui semble traverser le per- s'adresse. Ne crie-t-il pas aussi • Vive l'Algérie Française!., à '-""""
sonnel dirigeant de la IV• République. Travaillée par des groupes Mostaganem le 6 juin? N'est-il pas entouré par des proches, rJ
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LA BATAILLE D'ALGER Le 7 janvier 1957, à la suite des nombreux attentats perpétrés par le FLN depuis septembre 1956, les pleins
pouvoirs de police sur le Grand Alger sont confiés au général JacquesMassu. Au bout de neuf mois, l'armée française parvient à démanteler
le réseau terroriste à Alger. Mais l'usage répété de la torture suscite de vives protestations au sein de la communauté internationale.

Michel Debré et Jacques Soustelle en tête, qui comptent parmi Les opérations d'intoxication menées par les services spéciaux,
les défenseurs les plus farouches de la présence française en au premier rang desquelles figure la• Bleuite • conçue et exécu-
Algérie ? Certes, sa proposition de• paix des braves •fait tiquer tée par le capitaine Paul-Alain Léger, portent encore leurs fruits :
dans les popotes, tout comme le rapide éloignement en métro- les cadres de l'OPA, victimes de sanglantes purges internes,
pole du général Raoul Salan, commandant supérieur interar- menées notamment par Amirouche dans la wilaya Ill (Kabylie),
mées et délégué général, acteur clé du 13 mai. Mais son succes- manquent cruellement aux djounoud, les combattants du FLN.
seur, l'aviateur Maurice Challe, a tôt fait de mettre en place une Au début del' année 1961, l'Algérie ne saurait être qualifiée cer-
stratégie qui témoigne de sa volonté de mettre définitivement le tes de pacifiée : des unités FLN continuent d'agir ici et là ou ten-
FLN hors d' étatde nuire. Le plan qui porte son nom est déclenché tentde se reconstituer, mais l'éradication de leurs bandes semble
en février 1959 et balaye durant deux ans le territoire algérien de inéluctable. C'est pourtant au moment où la situation militaire
l'ouest vers l'est. Ces opérations successives, aux dénomina- bascule en faveur de la France que celle-ci cède politiquement.
tions célèbres-• Courroie •, • Jumelles • ou• Etincelle • - , dislo- Le contexte international dans lequel s'inscrit la guerre
quent le dispositif du FLN. Les• katibas • sont pulvérisées tandis d'Algérie ne joue pas en faveur de la France. La défaite subie à
que des commandos de chasse, dans lesquels s'illustrent de Diên Biên Phu a porté un coup sévère au prestige du pays qui y
nombreux harkis, pourchassent et achèvent les survivants. affrontait seul le Viêt-minh. En outre, le tiers-monde émerge
DANS LA RUE En haut: après un attentat
à la bombe par le FLN, à Alger, le 20 avril 1959.
Au centre: des passants sont fouillés par
des soldats français dans la Casbah di\lger,
en janvier 1957. En bas :Jean-Paul Sartre et
Simone de Beauvoir manifestant pour la paix
en Algérie, le 1er novembre 1961, à Paris.

comme acteur des relations internationales lors de la confé-


rence de Bandoeng en avril 1955, à laquelle le FLN parvient à
envoyer une délégation, ce qui constitue une première victoire
diplomatique. Ce contexte lui permet de bénéficier de pré-
cieux points d'appui dans les capitales de la région, au Caire, à
Tripoli ou à Tunis d'où il peut organiser son action et dévelop-
per sa propagande malgré les opérations du service Action du
Service de documentation extérieure etde contre-espionnage
(SDECE) destinées à éliminer ses leaders et ses relais.
En pleine guerre froide, l'Algérie devient un enjeu pour
l'Union soviétique qui veut en faire une zone d'influence. La
France, qui aurait pu espérer trouver chez les Américains des
alliés naturels, connaît cependant de vives déconvenues.
L'épisode de Suez, en 1956, en est la spectaculaire démonstra-
tion : les forces françaises et britanniques, épaulées par un dis-
positif israélien, voient le succès de leurs armes transformé en
défaite diplomatique en raison de l'opposition de Moscou et
Washington. Moins d'un an plus tard, les Etats-Unis proposent
de jouer un rôle de médiateur international après le bombarde-
ment par l'aviation française du village de Sakiet Sidi Youssef,
base avancée du FLN en Tunisie, en février 1958. Au cours de
cette mission, encadrée par le Conseil de sécurité de l'ONU, ils
ne manifestent à nouveau aucune disposition à appuyer la
France, objet de vives critiques sur la scène internationale.

Un affrontement atypique
La défaite politique de la France s'explique aussi par sa difficulté
àmenerlaguerrepsychologiquequ'imposececonflitasymétri-
que . Dès 1954, et surtout à partir de 1955, le FLN a imposé un
affrontement atypique expérimenté avec succès en Chine par
Mao, puis par le Viêt-minh en Indochine. L'objectif est de pren-
dre le contrôle des masses afin d'y évoluer• comme un poisson
dans l'eau •. Deux moyens permettent d'y parvenir: s'imposer,
si besoin par la terreur, au sein de la population civile musul-
mane et révéler à 1'opinion métropolitaine et internationale un
visage effrayant de l'adversaire, en l'occurrence le• colon •.
Les grands massacres commis par le FLN, comme dans le
Constantinois en 1955 contre les populations européennes, ou de protection (DOP) a un effet ravageur sur l'action de la
à Melouza en 1957 contre des musulmans, permettent de France. Aujourd'hui encore, cette question surgit dès I' évoca-
s'imposer dans le sang mais aussi de déclencher de violentes tion de la guerre d'Algérie et en noie la complexité, comme
répressions, rapidement exploitées par la propagande. Les ! 'indique la passion que déclenchent toujours des noms
séries d'attentats perpétrés en secteur urbain visent tant à terro- comme celui de Maurice Audin ou de Paul Aussaresses, asso-
riser les Européens qu'à montrer aux musulmans que l'OPA est ciés aux aspects les plus obscurs de la bataille d'Alger.
le maître invisible du terrain. Le FLN veille enfin à décourager Ni les vues innovantes des spécialistes français de I' • action
toute velléité de concurrence en éliminant les membres de cou- psy •comme les colonels Trinquierou Lacheroy, ni l'œuvre des
rants rivaux ou en obtenant leur ralliement de gré ou de force : SAS, ni les timides ouvertures politiques, ni les ambitions du plan
les partisans de Messali Hadj en feront durement les frais. de Constantine de 1959-qui prévoit notamment la construction
Face à ses adversaires, la France paie le prix politique de son de logements, la scolarisation de tous les enfants, la relance de
efficacité militaire. Les grandes opérations de ratissage, avec lemploi industriel- ne parviennent à contrebalancer les acquis
leurs zones interdites, leurs strafings (mitraillages au sol) parfois psychologiques du FLN. A cela s'ajoute l'appui sans réserve
aveugles, leurs douars et leurs mechtas brûlés, ont des effets d'une partie de l'intelligentsia française, des communistes aux
psychologiques désastreux. Le recours régulier à la torture face chrétiens progressistes, qui dénonce l'action de la France en '--...,.
au terrorisme urbain ou dans les Dispositifs opérationnels Algérie dans les colonnes d'organes de presse influents et rJ
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w LE RECLOS DE COLOMBEY Ci-dessus:« Je vous ai compris! »,en juin 1958. En haut, à droite: un réserviste des Unités territoriales
monte la garde sur les barricades érigées en janvier 1960 à Alger, suite au limogeage du général Massu. En bas, à droite: les leaders du FLN,
en 1962, Ahmed Kaïd, le colonel Mohamed Chaaban i, Ah med Ben Bella, Houari Boumediene et Ali Mendjeli (de gauche à droite).
52
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apporte parfois un soutien logistique concret via les réseaux de Charles De Gaulle. Il a souvent été souligné que sa vision de la
• porteurs de valises•. Alors qu'il est étrillé par le plan Challe, le politique algérienne est ancrée dans des convictions ancien-
FLN bénéficie toujours de ces précieux soutiens en cette période nes esquissées lors de la conférence de Brazzaville de 1944.
critique.Ainsi,le6septembre 1960,le• manifestedes 121 •,qui Qu'il nourrit une certaine aversion pour les Français d'Algérie,
affirme le • droit à l'insoumission • pour les militaires engagés engagés en masse dans les combats de la libération au côté de
en Algérie, connaît un retentissement considérable grâce aux leurs camarades musulmans, sous les bannières de la Pre-
célébrités qui le signent, de Vercors à FrançoiseSagan, de Fran- mière Année et non à 1'ombre de la croix de Lorraine. Que pour
çois Truffaut à Alain Robbe-Grillet, en passant, inévitablement, lui, les musulmans d'Algérie ne sont pas assimilables aux
par Jean-Paul Sartre etSimone de Beauvoir. Le• manifeste des Français, • peuple européen de race blanche, de culture grec-
intellectuels français• lui répond en octobre. II est notamment que et latine et de religion chrétienne •, au risque sinon de voir
paraphé par le maréchal Juin, Pierre Nord, le colonel Rémy, son village de prédilection rebaptisé • Colombey-les-Deux-
Gabriel Marcel et les• hussards • : Antoine Blondin, Michel Mosquées •,comme le rapporte Alain Peyrefitte. Au regard des
Déon, Jacques Laurent et Roger Nimier. Mais il connaît un écho nouveaux équilibres géopolitiques, la possession d'un empire
bien moindre en dépit du prestige des signataires, signe de colonial ne semble plus prioritaire à De Gaulle, soucieux
l'hégémonie des partisans du FLN dans la sphère intellectuelle d'assurer au pays une place éminente dans le concert des
et culturelle et d'un irréductible déséquilibre médiatique. Si le nations et une indépendance stratégique grâce à l'arme
sort tragique de la petite Delphine Renard, défigurée en nucléaire -testée dans les sables du Sahara.
février 1962dans un attentat de l'OASqui visait André Malraux, Cesargumentss'entendent,maisilsn'expliquentnilesrevire-
est légitimement connu du grand public, qui connaît en revan- ments ni les mensonges qui jalonnent les quatre années de ges-
che celui de Nicole Guiraud, fillette amputée d'un bras après tion gaullienne du dossier algérien, de 1958 à 1962. Lorsqu'il
avoir été blessée par une bombe posée au Milk Bard'Alger par affirme, lors de la tournée des popotes de 1959, • Moi vivant,
la militante du FNL Zohra Drif, aujourd'hui sénatrice, accueillie jamais le drapeauFl..J'{ ne flottera surAlger•, comment imaginer
régulièrement en France ? Ce déséquilibre mémoriel est la que trois ans plus tard il acceptera de voir le pouvoir confié au
conséquence toujours visible, plus de cinquante ans après, de GPRAàl'issuedesaccordsd'Evian, le 18 mars 1962 ?Que le
la défaite de la France surie front de l'action psychologique. rebelle de 1940 fera réprimer durement les rebelles des barrica-
A ces différentes explications tendancielles s'ajoute le fac- des de janvier 1960, du putsch d'avril 1961 etdel'OAS? Qu'il
teur humain, imprévisible, centré sur un personnage clé : refusera de rapatrier (ou d'expatrier?) les musulmans fidèles à la
LAGUERRE
D'ALGÉRIE

Europe1
~

Lund i 1er décembre,


retrouvez
Michel
De Jaeghere,
Directeur de la rédaction
du Figaro Histoire,
dans
Au cœur de l'Histoire,
présentée par
Franck Ferrand
de 14 h à 15 h
Franceetd'éviterl'exoded'un million de Français? Cynisme? sur Europe 1
Opportunisme ? Lassitude ? Exaspération ? Il est bien difficile de
livrer une interprétation de la politique algérienne de Charles
De Gaulle qui puisse laisser place à la • Grandeur• revendiquée.
L' • étrange défaite •de la guerre d'Algérie fut vite mise sous le
boisseau. Le 5 juillet 1962, le jour de l'indépendance, 700 Euro-
péens sont tués et enlevés dans les rues et les faubourgs d'Oran
au cours de la journée la plus sanglante de ce qui n'est déjà plus
la guerre d'Algérie. De nombreuxmusulmans,jamais décomp-
tés, sont aussi massacrés. Nul ne s'en soucie. Pendant que
Gaston Defferre conseille aux pieds-noirs qui arrivent d'Algérie
d'aller se réinstaller ailleurs qu'à Marseille et que les dockers
CGT du port balancent leurs containers à la mer, les Français de
métropoles' apprêtent à prendre leurs congés payésJ

Oran, Sjuillet
ORAN 1962.Un
5JUILLET
1962 massacre oublié
Guillaume Ze ller
240pages
17,90€
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DÉCRYPTAGE
Par Henri-Christian Giraud

Quand
De Gaulle
avance,,

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Face à la question de l'indépendance de l'Algérie,
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~ De Gaulle a-t-il changé d 'avis ou délibérément choisi
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w de tromper ses propres partisans ?
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«D epuis Brazzaville, je n'ai jamais cessé
d'affirmer que les populations qui COMPRÉHENSIF
54 dépendaient de nous devaient pou- Ou 4 au 7 juin 1958, Charles
lfllî5ôr1i'R1E voir disposer d'elles-mêmes »,déclarait De Gaulle, qui vient d'être
De Gaulle, le 11 avril 1960, laissant entendre investi par li\ssemblée
ainsi que depuis sa mythique conférence ~ nationale, entreprend un
de janvier 1944 (au cours de laquelle il avait :E voyage en Algérie. Après
cependant écarté « toute idée d'autono- § son célèbre« Je vous ai
mie » et la « constitution éventuelle même iE compris »,le 4 juin, à Alger
lointaine de selfgovernments [sic] dans les ;;:; (.à gauche), le général semble
colonies »)il tenait, comme ill'écritdansses 2 vouloir rassurer la population
Mémoires, l'Algérie française pour une ~ européenne, deux jours
« ruineuse utopie »... ~ plus tard, à Mostaganem
A ce« depuis Brazzaville », il est tentant ""
V
(.à droite), où il conclut son
d'opposer pourtant la politique du Comité
français de libération nationale (CFLN) qui
i
<9>
discours par un:« Vive
l'Algérie française! »
avait visé, à la même époque, sous sa prési-
dence, à rendre li\lgérie vraiment française
par des réformes accélérant l'intégration de d'enquêt e du général Tubert avant son que sur toute autre terre française. Les Algé-
l'ensemble de ses habitants. Ce que traduit déplacement pour enquêter sur la terrible riens d'origine métropolitaine doivent conti-
d'ailleurs son ordre du 11 mai 1945 à Yves répression qui avait fait plusieurs milliers nuer avec confiance tout ce qu'ils ont entre-
Chataigneau, gouverneur général de li\lgé- de victimes indigènes. pris, sans avoir à redouter d'être jamais
rie, au lendemain des tragiques événements Ceci sans compter son engagement du submergés(... ). A ceux des Français, musul-
de Sétif:« Veuillez affirmer publiquement la 18 août 1947 : « La France, quoi qu'il arrive, mans ou non, qui s'égarent dans le rêve de je
volonté de la France victorieuse de ne laisser n'abandonnera pas l'Algérie »,et sa déclara- ne sais quelle sécession, je dis aujourd'hui
porter aucune atteinte à la souveraineté tion à Alger, du 12octobre1947: « Le bien devant tous : vous vous trompez et vous
française sur l'Algérie. Veuillez prendre toutes de l'Algérie consiste en ceci : que la France y trompez les autres ! Votre avenir d'hommes
les mesures nécessaires pour réprimer tous poursuive et y développe l'œuvre admirable fiers et libres, et celui de vos enfants, vous ne
agis.sements antifrançais d'une minorité qu'elle a entreprise depuis cent dix-sept pouvez le trouver qu'avec la France et dans
d'agitateurs ... » Ordre suivi de sa décision années(... ). L'autorité de la France doit donc la France. »Concluant ainsi - ce qui expli-
personnelle de bloquer la commission s'affirmer ici aussi nettement et fortement quera plus tard certaine démarche : « Les
gens qui excitent du dehors vos prétentions et
vos colères ne sont que les serviteurs d'une
puissance et d'une idéologie étrangère, dont le
triomphe vous serait plus cruel qua per-
sonne », cene puissance n'étant autre que
l'URSS particulièrement agressive en cene
année 1947,dite « l'année terrible ».
La doctrine gaulliste pour l'Algérie est
alors définie sans ambiguïté par le chef du
Rassemblement du peuple français (RPF)
en 1947. Il préconise, en effet,« un système
dans lequel la France exercera pleinement les
droits et les devoirs de sa souveraineté, et
dans lequel les deux grandes catégories de la
population seront associées et équilibrées
dans la délibération des affaires proprement
algériennes ». Il condamne, surtout,« toute
politique qui, sous le prétexte fallacieux d'une
évolution à rebours, aurait pour effet de
réduire [en Algérie] les droits et les devoirs de
la France ».Rien que de très logique, en
somme, de la partdeceluiqui,enaoût 1945,
avait donné pour instruction à Leclerc de
« rétablir la souveraineté française à
Hanoï »... C'est donc à juste titre que Jac-
ques Soustelle peut écrire: « Contrairement
à ses allégations et aux panégyriques de ses
flatteurs, le général De Gaulle n'était nulle-
ment disposé à tolérer, encore moins à réali-
ser, la •décolonisation• dont il aurait été. nous
dit-on maintenant, Je prophète depuis Braz-
zaville en 1944. Cela nest pas vrai. Toutes les
paroles et tous les actes du général, jusqu'à la
tragédie algérienne, démentent cette auda-
cieuse falsification de /'Histoire. »
Précisons toutefois : toutes les paroles et
tous les actes« publics ».Car il est non
moins vrai qu'à partir d'une certaine épo-
que, De Gaulle s'est convaincu de l'inélucta-
bilité - voire de la nécessité, peut-être pour
des raisons ethniques - d'une modification
du starut de l'Algérie, et qu'il s'est engagé à
pas comptés dans une démarche« indé-
pendantiste » concernant son avenir. A en ..(
croire Alfred Sauvy, venu rinformerdes pro- ~
blèmesdémographiques posés à notre pays, ~ ~~
il aurait officieusement évolué sur laques- c1
tlon avant même le début des troubles puis·
que ce dernier écrit qu'en raison du« coat ~
élevé »qu'auraient entraîné le mainàen de ~
l:<\lgériefrançaiseetson « développement », ~
(( dès juin 1954, donc avant la révolte, legéné- '-..:
rai De Gaulle était résigné à /abandon ». rJ
Officiellement, en tout cas, on peut dater
précisément ce tournant du 30 juin 1955.
Ce jour-là, lors d'une conférence de presse
à l'hôtel Continental, il ne craint pas d'évo-
quer I'« intégration »de l'Algérie, mais,
précise-t-il, « dans une communauté plus
largequelaFrance ».Ajoutantqu'« aucune
autre politique que celle qui vise à substituer
l'association à la domination dans l'Afrique
du Nord française, en y apportant, bien sûr,
w la fermeté qui est nécessaire et en châtiant ~
œ: tous les crimes, ne saurait être ni valable ni ~
digne de la France ». ~
~
œ: Sur le plan international, cette déclaration ~
s'inscrit dans le sillage de la conférence de ::o
w tt
>
::J
0
Bandoeng (18 avril 1955), dite« des non-
alignés »,qui marque l'arrivée de laques-
tion des rapports Nord-Sud sur le devant de
1
2
u la scène (modifiant la don ne internationale >=
z: jusque-là dominée par l'affrontement Est- S
w Ouest), et dont la résolution publiée à l'issue
des travaux avait rendu public« l'appui
z
<12>

donné porta Conférence asiatique et africaine


aux peuples d'Algérie, du Maroc et de Tunisie,
à disposer d'eux-mêmes et à être indépen- moyens qu'une victoire militaire sur le ter- pour une solution fédérale en Algérie ou
dants ».Ce qui ouvrait les portes de l'ONU rain, c'est-à-dire par l'octroi d'une autono- n'est-ce dans son esprit et sa stratégie per-
au Front de libération nationale (FLN) mie interne limitée, car visant à maintenir sonnelle qu'une étape vers l'indépendance
admis comme observateur. li\lgérie sous l'influence et la domination comme il l'a affirmé plus tard ?
Sur le plan national, l'intervention gaul- françaises. Ce que confirme le comman- Si la question se pose c'est que tant pour
liste tombe quelques mois après les prémi- dant Vincent Monteil, arabisant distingué, l'ensemble de la classe politique que pour
ces de la reconnaissance, par le gouverne- qui affirme que le général se serait pro- l'o pin ion publique la séparation de la
ment Edgar Faure, de l'indépendance du noncé devant lui pour une« entité » algé- France et de l'Algérie (département fran-
Maroc et de la Tunisie jusqu'alors sous pro- rienne dotée d'un gouvernement auto- çais et plus anciennement française que
tectorat français. Elle laisse légitimement nome, et intégrée dans l'Union française. Nice et la Savoie) est, à l'époque, difficile-
penser que De Gaulle chercherait, s'il était De Gaulle livre+il cependant toute sa ment recevable. A peine sept mois plus
au pouvoir, à obtenir la paix par d'autres pensée en se prononçant publiquement tôt, le président du Conseil adonné le ton :
« On ne transige pas lorsqu'il s'agit de
défendre la paix intérieure de la nation,
l'unité, l'intégrité de la République. Les
départements d'Algérie constituent une
partie de la République française. Ils sont
français depufs longtemps et d'une manière
irrévocable »,a déclaré Pierre Mendès

STRATÈGE Durant son voyage


en Algérie, en juin 1958, De Gaulle
nomme le général Raoul Salan
(deuxième à partir de la gauche)
délégué général du gouvernement
et commandant en chef des
forces armées en Algérie. Avant
de l'éloigner dès l'automne 1958.
seulement que l'Algérie va basculer dans
l'indépendance s'il n'arrive pas assez tôt aux
affaires pour convaincre les Algériens de
leur intérêt à rester associés à la France.
Quant à l'historien américain Irwin Wall,
il va même jusqu'à affirmer, en 2006, que
De Gaulle voulait que l'Algérie reste fran-
çaise et qu'il n'avait pas l'intention de déce-
voir les espoirs de ceux qui l'avaient porté
au pouvoir; que la guerre d'Algérie avait
sous-tendu quasiment toutes les initiatives
diplomatiques qu'il avait prises de 1958
à 1962 avec cette idée en tête; que la raison
principale de l'échec de ses initiatives,
pendant cette période, est qu'il n'était pas
parvenu à convaincre les Américains de
coopérer avec lui et que c'est seulement
alors qu'il avait commencé à penser à une
« indépendance diplomatique ». Donnant
à voir la weltpolitik gaulliste comme l'arti-
culation de trois cercles faisant de rAlgérie :
1) le cœur de !'Eurafrique 2) le fondement
BIENVEILLANT Le général De Gaulle, entouré par la foule, à sa sortie de l'hôtel de ville de l'influence et du prestige de la France en
de Tlemcen, le 1odécembre 1960. Il vient de prononcer un discours appelant les Europe 3) le pilier de son statut de grande
communautés européennes et musulmanes à coopérer« pour bâtir li<\lgérie de demain ». puissance occidentale aux côtés des Etats-
Mais de violentes manifestations à Alger et à Oran l'obligeront à abréger son séjour. Unis et de la Grande-Bretagne, Wall sou-
tient que, sur le plan diplomatique, la vic-
toire gaulliste aurait consisté à« obtenir
France devant l'Assemblée nationale, le Mais si la question de l'intention vérita- que le monde reconnaisse li<\lgériefrançaise,
12 novembre 1954. Aussi bien lui que son ble de De Gaulle se pose avec plus de force celle-ci permettant à la France de prendre
ministre de ('Intérieur, François Mit- encore, c'est qu'il aurait dit un jour à André sa place parmi les nations dirigeantes du
terrand, se sont dits résolus à défendre Philip évoquant devant lui l'autonomie monde »,et que ce ne fut qu'après l'échec
li\lgérie qui « est la France ». de li\lgérie : « L'autonomie ? Allons, Philip, de sa politique algérienne qu'il entama une
« Cette défense, précise Jacques Sous- vous savez bien que tout cela finira par autre phase de sa politique extérieure.
telle, ils la concevaient à juste titre comme l'indépendance ! »Et aussi et surtout parce
devant prendre deux aspects : d'une part qu'Edmond Michelet, l'un de ses visiteurs Des intentions cachées
résister à l'offensive terroriste, d'autre part les plus réguliers, affirme que l'ermite de A cette reconstruction intellectuelle, qui
concevoir et appliquer au plus tôt des réfor- Colombey lui a confié dès février 1955 (soit trouve des arguments dans le double lan-
mes qui, sur la base du statut voté en 1947 deux mois avant Bandoeng et quatre mois gage gaulliste, on peut opposer néanmoins
mais le dépassant autant que ce serait avant sa conférence du Continental) : certains propos plus lapidaires, mais qui
nécessaire, aient pour but et pour résultat « l'Algérie est perdue, l'Algérie sera indé- sonnent plus vrai d'autant qu'ils sont
de liquider ce qui demeurait "colonial" dans pendante »,et qu'un certain nombre de recueillis par des proches de toute
les structures de l'Algérie. L'objectif à attein- personnalités aussi diverses que Maurice confiance issus de la France libre, comme
dre, me dit Mitterrand, cëtait d'intégrer réel- Clavel, Alain Savary ou Jean Amrouche Georges Boris, ou du RPF, comme Louis
lement li<\ Igérie à la France. Et c'est pourfaire confirment la « prophétie désespérée » Terrenoire. Celui-ci notamment : « Nous
cette politique à la fois française et libérale (l'expression est de Jean Daniel) et affirment sommes en présence d'un mouvement géné-
que Mendès me proposa, en janvier 1955, le qu'ils ont bien entendu au même moment ral dans le monde, d'une vague qui emporte
gouvernement général de li<\lgérie.)'acceptai le mot« indépendance » de la bouche de tous les peuples vers lëmancipation.11 y a des
avec l'accord du général De Gaulle. »Quant De Gaulle s'agissant de li\lgérie. cons [sic] qui ne veulent pas le comprendre,
à Edgar Faure, successeur de Mendès Poursa part, on le sait, dans la biographie ce n'est pas la peine de leur en parler. .. »
France, il a lui aussi affirmé que l'Algérie qu'il lui a consacrée, Jean Lacouture croit Quisontœs« cons »àsesyeux ?Mystère.
« compose avec la métropole une unité que pouvoirsoutenir que De Gaulle exclut cette Mais on peut dire sans se tromper que le
rien ne saurait compromettre... » indépendance et que ses propos signifient gros de leurs troupes est constitué de ses
PÉREMPTOIRE Le 26 mars 1962, le général
De Gaulle annonce la tenue d'un référendum
(ci-contre) pour adopter« solennellement » les
mesures prévues par les accords signés à Evian
le 18. Page de droite: Belkacem Krim (à gauche),
chef de la délégation du FLN, et Lakhdar
Bentobal (au milieu), membre de la délégation
du Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA), arrivent à Evian, en mars
1962, pour négocier un cessez-le-feu.

registre, remarque-t-il, est encore plus sen-


sible en matière coloniale que sur laques-
tion européenne : « //semble loin le temps
où De Gaulle campait sur des positions
propres partisans, nombre des défenseurs conservatrices (. .. ).A présent, le mouvement
w à son propre camp, que l'on égare à dessein
œ: les plus acharnés de l:A.lgérie française, non
des moindres (Michel Debré, Jacques Sous-
ceux-là mêmes qu'on médite d'employer et
que, par astuce calculée, on utilise pour
dëmancipation des peuples sous tutelle lui
semble inéluctable, l'avenir de l'Algérie ne lui
~
œ:
telle), étant alors ses fidèles les plus zélés. répandre de trompeuses hypothèses tant de paraît pas obligatoirement lié à celui de
Est-ce parce qu'il les considère comme tels moyens qui, de nos jours, permettent à cha- la métropole et il le dit parfois assez crâ-
w qu'il les maintient dès cette époque dans que parti de discerner ce qui se passe chez nement en privé. » C'est le moins que l'on
> l'ignorance de ses intentions ou parce qu'il l'autre, on pourra derrière le mensonge cacher puisse dire. Il n'est d'ailleurs pas interdit de
::J
0 juge pouvoir ainsi mieux les manœuvrer la réalité(... ). La ruse doit être employée pour penser que son évolution, si l'on en croit
u quand l'occasion se présentera ? Peut·être faire croire que l'on est où l'on n'est pas, que Alain Peyre fi tee, est due à la crainte de
z: au fond leur a-t-il à tous les deux déjà assi- l'on veut ce que /On ne veut pas. » voir Colombey-les-Deux-Eglises devenir
w gné leur sort comme l'indique cette apos-
trophe de mars 1953, à un Soustelle, alors
Dans la suite de son commentaire radical
du 18 mai 1956 devant Terrenoire, De Gaulle
« Colombey-les-Deux-Mosquées ».
Ajoutons que Christian Pineau rapporte
président du groupe du RPF à 1:-\ssemblée ajoute que notre maintien en Afrique du qu'en septembre 1956 De Gaulle« ne lui a
nationale, écartelé entre la fidélité à sa Nord exige d'accomplir des« choses énor- pas caché que, dans son esprit, l'indépen-
personne trop encline à ses yeux à choisir mes, spectaculaires » et de « créer les condi- dance était, à plus ou moins brève échéance,
la« politique du pire »et des propositions tions d'une nouvelle association ». « Or, dit-il, inéluctable.J'ai eu un haut-le-corps, et je lui
de participation du RPF à un gouverne- ce n'est pas le régime [de la IV• République] ai aussitôt dit: "Mais mon général, dites-le,
ment d'union:« Votre rôle consiste à être qui peut lefaire. Moi-même je ne suis pas sûr ça clarifiera la situation ! - C'est trop tôt...
déchiré, à recevoir des coups des deux côtés. de réussir. »Et comme Terrenoire esquisse Pas question que je parle tant que je n'ai
Ce sera votre façon de participer à la grande un geste de protestation, il ajoute:« ... mais pas les moyens d'action:' »
épreuve nationale qui nous atteint tous. » bien sûr, je tenterai/a chose ».
En 1958, sans compter l'ambigu« Je vous Si tant est que De Gaulle y croie encore Un choix précoce
ai compris »susceptible de plusieurs inter- et ne veuille pas seulement rassurer son vis- les témoignages abondent donc, qui per-
prétations, la tonalité de ses déclarations à-vis qui a en charge le groupe des députés mettent d'y voir assez clair dans les inten-
à Alger, Oran, et ailleurs allant du : « Je gaullistes, ce terme d' « association » laisse tions gaulliennes. Mais plus importantes
déclare qu'à partir d'aujourd'hui, la France penser (par le flou qui l'enrobe) que son que toute autre source d'information
considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a auteur a évolué depuis l'option fédérale quand on sait l'étroitesse des relations entre
qu'une seule catégorie d'habitants: il n'y a présentée un an plus tôt. lors d'un entre- le chef de la France libre et le Kremlin depuis
que des Français à part entière avec les tien précédent, ne précisait-il pas devant juillet 1941, les archives soviétiques appor-
mêmes droits et les mêmes devoirs » au : ce même interlocuteur que« l'Union tent une confirmation décisive de la préco-
« La France est icipour toujours »en passant française elle-même ne devait être qu'une cité du choix gaulliste en faveur de l'indé-
par le« Vive l'Algériefrançaise! »à Mosta- étape »... Or, l'Union française était déjà pendance de l'Algérie: le 10 octobre 1956,
ganem, explique cependant que pour les une sorte de Commonwealth à la française. De Gaulle délègue son ancien directeur de
gaullistes comme pour l'o pi ni on, il ait Eric Roussel, son plus récent biographe, cabinet et principal intermédiaire avec
incarné, par rapport aux dirigeants de la note qu'à partir de janvier 1956, date à Moscou, Gaston Palewski, auprès de
IV• République, celui qui voulait mais, sur- laquelle Guy Mollet succède à Edgar Faure l'ambassadeur soviétique à Paris, Serge
tout, qui pouvait maintenir l:A.lgérie dans la et mène une politique de force en Algérie Vinogradov, pour lui tenir le propossuivant:
France. Ainsi qu'il le dit sans fard dans ses (envoi du contingent) qui lui aliène une « De Gaulle n~t pas loin d'accéder au pou-
Mémoires, il a décidé alors d'avancer mas- partie de la gauche, De Gaulle ne cache plus voir. La dégradation de la situation en Algérie
qué, mettant ainsi en pratique la stratégie de son espoir de revenir au pouvoir et que c'est et les actes terroristes des rebelles algériens
la surprise qu'il avait théorisée dans son livre « en homme d'Etat responsable et non plus vont amener la chute de Guy Mollet. Le prési-
Vers l'armée de métier : « Pour peu que l'on en polémiste qu'il s'exprime sur les grands dent Coty est pour De Gaulle. De Gaulle sera
consente à donner sur ses intentions le change problèmes de l'heure ». le changement de le premier qui va s'occuper du règlement du
problème algérien. Dès qu'il sera au pouvoir,
le général sera prêt à entamer des négocia-
tions avec les représentants des Algériens. »
En ce mois d'octobre 1956, à quelques
jours de l'affaire de Suez et de la révolution
hongroise, le mot important est évidem-
ment « négociations ».Car De Gaulle n'est
pas sans savoir que dans sa note du 7 janvier
1956 au président du Conseil, Edgar Faure,
Soustelle, juste avant son retour d'Algérie, a
mis en garde contre« l'annonce d'une quel-
conque négociation avec le FLN [qui] aurait
pour résultat immédiat /'effondrement de
toute résistance, le passage en masse de la
population musulmane du côté des vain-
queurs et, de la part des Européens, le déses-
poir prenant les formes les plus diverses et
les plus dangereuses »,et qu'il a averti que
11 lbption théorique entre intégration etfédé-
ralisme se ramène à l'option pratique entre
intégration et sécession ».
Depuis, redevenu député du Rhône et
président du groupe gaulliste à l'.A.ssemblée,
Soustelle s'est transformé en missionnaire
de l'Algérie française, et va partout répé-
tant : « Négocier sur quoi ? Sur la souverai-
neté française ? C'est y avoir déjà renoncé.. »
Prévenir secrètement le Kremlin, parrain
et protecc.eurdu FLN, de sa volonté de négo-
cier avec les dirigeants de la rébellion une Q
fois au pouvoir; c'est, pour De Gaulle, pren- t:j
dre date. Et se présenter dans l'habit du ~
u
décolonisateu r. Avec cette conséquence !<
~
cependant que, instruit de cette nouvelle ""
disposition desa part, le FLN pourra se mon- i
0
trer intraitable sur la question du cessez- ~
le-feu comme préalable à toute négocia- o
tion. Et qu'il finira par l'emporter par K.-O. ~
sur tous les points qui faisaient débatJ 111>

~ lire
,.... 1
Chronologie

Chronologie
.1gaullienne
d 'une tragédie
d'une tragédie
g:iullienne Henri-Christian
A.'91•\t Gira ud
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~ Mie ha Ion
320pages
22€ _J
cnmando
or o:t L11 te des force-;
pec1ales de la marine frança1Se,
dars la •egJOn de Gt yv1lle,
au sud ~t d Oran, en 1960.
Anatomie
~guerre
-osans om
Par Olivier Dard
Double guerre civile au nom longtemps occulté,
marquée par le terrorisme et la brutalité des
interrogatoires, la trahison de la parole donnée
et les abandons, la guerre d'Algérie a laissé
dans la mémoire nationale une blessure profonde.
LE DÉSERT DES Î ARTARES
Un goumier monte la garde
> aux abords de Tiffelfel,
dans les Aurès, en août 1955.
C'est dans ces paysages que
se déclenche, en novembre
1954, la guerre d:A.lgérie.
Le Front de libération
nationale (FLN) rêvait
de faire des Aurès le bastion
de la conquête du pays.

Comment et pourquoi la guerre d'Algérie a-t-elle éclaté?


arler de guerre d'Algérie n'est pas neutre car l'histoire de difficultés : crise• berbériste •, déma:ntèlementde l'OS, assigna-
P ce conflit est aussi celui de sa dénomination. On sait que
les autorités françaises de l'époque ne le nommaient pas et
tion à résidence en France métropolitaine de Messali Hadj. Le
chef historique du nationalisme radical algérien est contesté par
évoquaient des • opérations de maintien de l'ordre • . Du côté la majorité de son comité central ce qui débouche en 1954 sur
des nationalistes algériens, les dénominations contemporai- l'éclatement du MTLD entre messalistes et centra listes. Les
nes pouvaient être aussi bien • guerre de libération nationale ., anciens de l'OS s'allient aux seconds dans un Comité révolu-
mais aussi • révolution ., que dans certains cas • jihad • . La tionnaire d'unité et d'action qui prépare une insurrection prévue
chose est d'importance car elle a influé sur le regard des pour la nuit du 31 octobre au J er novembre sous le nom de Front
acteurs tout comme sur celui des historiens qui ne peuvent de libération nationale (FLN) et d' Armée de libération nationale
s'affranchir de la prise en compte de ces enjeux sémantiques. (ALN). Le choix du lieu du • soulèvement général • se porte prin-
La date de l'éclatement de la guerre d'Algérie est bien cipalement sur le massif des Aurès, dont ils' agit de couper les
connue : nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954. L'éclate- communications avec le reste del' Algérie pour en faire, selon le
ment de la• Toussaint rouge •sanctionne l'évolution d'un natio- mot de Ben Bella, • la principale forteresse révolutionnaire de
nalisme algérien constitué sous une forme partisane durant l'Algérie •. Les résultats des attaques de postes de police ou de
l'entre-deux-guerres sous l'égide de Messali Hadj (Etoile nord- gendarmerie, que ce soit dans les Aurès, en Kabylie, dans la
africaine puis Parti du peuple algérien). Ce nationalisme s'est Mitidja ou à Algerne sont pas à la hauteur des espoirs nationalis-
affermi durant le second conflit mondial à travers un manifeste tes. Mais l'émotion est profonde au matin du 1ernovembre avec
de février 1943 complété au mois de mai suivant et qui réclame l'annonce de l'assassinat, parles insurgés, d'unjeune institu-
de voir la nation algérienne reconnue et un Etat algérien créé. teur, Guy Monnerot, très récemment arrivé dans les Aurès pour
La fin du second conflit mondial se traduit en Algérie par prendre son service à l'école du village de Tiffelfel.
l'insurrection du 8 mai 1945, marquée par des massacres Du côté français, qu'il s'agisse du gouvernement général en
d'Eu ropéens, et sa répression brutale autour de Sétif et de Algérie ou du gouvernement français, on ne prend pas, alors, la
0 Guelma. Le choc est profond. Le nationalisme algérien poursuit mesure du conflit quis' annonce. Surplace, les événements sont
~ sa marche en avant, en ordre dispersé, puisqu'en 1946 deux considérés comme des épisodes isolés et, concernant les Aurès,
~ mouvements voient le jour. En mars, naît l'Union démocratique l'héritage de révoltes antérieures contre l'autorité coloniale
§ du manifeste algérien (UDMA) de FerhatAbbas, alors partisan ( 1859, 1879, 1916). A Paris, le président du Conseil, le radical
u d'une République algérienne fédérée à la République française ; Pierre Mendès France, est catégorique devant l'Assemblée
~ puis, en octobre, le Mouvement pour le triomphe des libertés nationale, le 12novembre: • On ne transige pas lorsqu'ils'agit
~ démocratiques (MTLD), constitué sous l'égide de Messali Hadj de défendre la paix intérieure de la nation, l'unité, l'intégrité de la
iij et qui se dote d'une structure clandestine, l'Organisation spé- République. Les départements d'Algérieconstituent une partie
\,i
~ ciale (OS), chargée de préparer l'action armée. de la République française. ( .. .)Cela doit être clair une fois pour
- L'insurrection de 1954 n'a donc rien de spontané, mais elle toutes etpourtoujours, aussi bien en Algérieet dans la métropole
~ intervient dans un contexte de division profonde du nationalisme qu'à l'étranger. • Et Mendès France de conclure après avoir
<9 algérien. Entre 1949 et 1952, le MTLD a connu de sérieuses balayé toute comparaison avecla Tunisie : • /ci, c'est/a France!•
En quoi la guerre d'Algérie a-t-elle été une double guerre civile?
l'évidence,laguerred'Algérie musulman" qui honorent l'Islam et une lutte féroce opposera les
A n'oppose pas seulement deux notre race. Mais ces empires se sont militants des deux partis pour rallier
camps homogènes que seraient éteints . .. Et Abbas d'enconclure à leur cause les populations émigrées
la France d'un côté et les Algériens alors vouloir • lier définitivement notre d'Algérie, obtenir de leur part un
regroupés sous la bannière du FLN avenir à celui de l'œuvre française appui financier et marquer ainsi
de l'autre même si sa propagande dans ce pays. • Précédant la guerre leur suprématie. En Algérie, il s'agit
martèle au • peuple algérien • que d'Algérie, les oppositions entre Arabes aussi pour le FLN de briser les
• le FLN est ton Front, sa victoire et Kabyles n'ont pas cessé avec soutiens que la France trouve chez
est la tienne •. Les oppositions et les elle et se sont poursuivies au-delà. de nombreux Français musulmans.
fractures au sein des communautés Au plan politique, Guy Pervillé évoque On sait que 2 50 000 d'entre eux
et des forces en présence sont une • double guerre civile • pour (combattants des forces régulières
nombreuses. En France métropolitaine, souligner notamment l'opposition ou supplétives, élus, fonctionnaires)
! 'unanimité originelle pour défendre entre le FLN et le Mouvement national sont de fait directement engagés
l'Algérie française s'amenuisera algérien (MNA) qui se considère dans le camp français. La question
au fil du temps : les partisans de comme le seul représentant des effectifs du FLN reste controversée.
l'Algérie française (qui ne se limitent authentique du nationalisme algérien. Si l'étude de ses cadres est bien
pas, loin de là, à• l'extrême droite•) A partir du printemps 1955, le FLN connue, celle de sa sociologie
ne seront plus qu'une • peau de parvient à fédérer un arc-en-ciel à la base l'est beaucoup moins faute
chagrin • (Serge Berstein) pour politique qui inclut aussi bien l'UDMA de sources. On constate cependant
s'opposer à la ratification des accords de FerhatAbbas que le mouvement que dans son souci de rallier à lui
d'Evian au printemps 1962 face des oulémas, né en 1931 (dont l'essentiel de la population algérienne,
au gaullisme, aux forces de gauche les dirigeants sont partie prenante le FLN recrute des militants dont
et aux intellectuels signataires du de la direction du FLN après le la moyenne d'âge est plus jeune
• manifeste des 121 •, concurrents congrès de la Soummam d'août 1956) que celles des cadres (près de 60 %
victorieux de ceux du Comité tout en trouvant les voies d'un ont moins de 30 ans) et le niveau
de Vincennes. En Algérie même, accommodement, délicat, avec d'instruction est très faible. Mais c'est
les Européens partisans de l'Algérie le Parti communiste algérien. en réalité l'ensemble d'une population
fran.çaise sont en revanche très Entre lui et le MNA, le conflit sera civile que le FLN entend gagner
largement majoritaires, à défaut dès lors ouvert et sanglant, notamment à sa cause, par sa propagande,
de pouvoir se réunir en un mouvement en métropole où, de Paris à Marseille, l'intimidation et au besoin la terreur.
de masse structuré et homogène
(ce qu'avaitentrepris le Front pour
l'Algérie française en 1960). llfaut
également compter panni eux
une composante libérale à laquelle
on doit rattacher des ecclésiastiques
en vue comme le cardinal Duval.
Le nationalisme algérien,
de son côté, est profondément divisé,
divisions qui renvoient à l'histoire
d'un territoire à propos duquel Ferhat
Abbas refusait de parler de• patrie
algérienne •et proclamait dans
un célèbre article du 23 février 1936
paru dans L'Entente (l'organe officiel
des élus) : • Je ne mourrai pas pour
la "patrie algérienne" parcequecette
patrie n'existe pas. Je ne l'ai pas
découverte. J'ai interrogé /'histoire,
j'ai interrogé les vivants et les morts;
j'ai visité les cimetières: personne FRÈRES ENNEMIS Messali Hadj en résidence surveillée, à Niort
ne m'en a parlé. Sans doute aije (Poitou-Charentes). Les fidèles du père fondateur du nationalisme algérien
trouvé "l'Empire arabe", "l'Empire firent l'objet de sanglants règlements de comptes de la part du FLN.
à la bombe sont perpétrés en mai 1955
à Constantine, Bône et Philippeville,
suivis d'attaques de véhicules enjuillet
puis, le 20 août, de massacres
programmés dans une quarantaine
de localités. Cejour-là, une bande
d'émeutiers prend d'assaut le village
d'AïnAbid et se livre à une tuerie.
La presse a raconté le calvaire de la
famille Mello : une fillette de cinq jours
est coupée en morceaux sous les yeux
de sa mère, puis replacée de force
dans son ventre et le reste de la famille
massacrée à coups de hache. A la
même heure, des bandes années de
couteaux, gourdins et serpes déferlent
surlevillagedemineursd'El-Halia,
MASSACRE À LA HACHE Le 30 mai 1957, le FLN massacre les habitants près de Philippeville, et égorgent
du bourg de Melouza, au sud de la Kabylie, pour les châtier de leur soutien 33 Européens. Leurs femmes sont
au MNA de Messali Hadj. L'armée française identifiera 315 victimes. violées, des enfants fracassés contre les
murs. Au total, 133 Français d'Algérie,
53 militaires et policiers, et 36 Français
En quoi la guerre d'Algérie fut-elle musulmans seront tués dans cette

64 une guerre révolutionnaire ? journée. La répression de l'année sera


terrible. Le 18 mai 1956, une section
IHlisrôTRlE de 21 appelés français tombe dans
e FLN a mené différents types propagande et contrainte (le symbole une embuscade tendue par 1'ALN
L de guerre en fonction du contexte
spatio-temporel. AI' origine, les
en est l'ichtirâk, • l'impôt patriotique•)
afin d'imposer le FLN et ses normes face
à Palestro. Un seul survivra. Les corps
de 16 militaires retrouvès mutilés
combattants de I'ALN sont très peu à l'administration française et au MNA font forte impression sur l'opinion.
nombreux et la technique de guérilla (315 personnes sont ainsi massacrées A partir de 1956-1957, lesattentats
s'impose d'elle-même. Parla suite, le 30 mai 1957 à Melouza, mechta pro- se multiplient : élus réputés comme
même lorsque I' ALN se développe, ses messaliste située au sud de la Kabylie). Amédée Froger (28 décembre 1956),
effectifs sont inférieurs à ceux de l'armée Le défi du FLN est aussi urbain. Ils' agit jeunes Européens (explosions du Milk
française (qui compte 400 000 hommes d'encadrer les masses musulmanes, Bar, le 30 septembre 1956) en sont
à l'été 1956 contre 50 000 en novembre de les mettre sous pression et, le cas victimes. Larbi Ben M'hidi, 1'homme fort
1954). En regard, les forces de l'ALN échéant, de mobiliser sous la fonne d'Alger, veut alors faire de la Casbah
semblent réduites. Ainsi, en octobre de grèves ou de manifestations. Comme un second Diên Biên Phu. Sur Alger, il
1957, on compte 18 300 • mujâhidûn • à la campagne, le rôle de l'impôt est semblequ'en 1956-1957,YacefSaadi,
pour l'ensemble de l'Algérie du Nord fondamental et sa collecte un instrument responsable de la zone autonome, ait pu
qui compte 8 820 000 habitants. Cela de financement, de mobilisation et s'appuyer sur 1 500 hommes, auxquels
reprèsente 7,99 • mujâhidûn • pour d'intimidation. Au fil du temps, il devient il fautajouter des femmes bien connues
1OO km'. Dans ce conflit asymétrique, de plus e:n plus difficile d'échapper au comme Zohra Drif, pour le transport
I' ALN est à l'offensive, marquant • collecteur •, symbole tout à la fois du et la pose des bombes. Les chiffres des
des points jusqu'au printemps 1957. maillage réalisé par le FLN et de son attentats sont éclairants : on en compte
Mais la construction de la ligne Morice souci d'encadrement de la population ; quatre en janvier 1956, près d'une
et le plan Salan changent la donne. un maillage et un encadrement qui centaine durant les mois d'été, l'acmé
Dès lors, l'objectif de I' ALN sera valent autant en Algérie qu'en métropole étant atteint en décembre. Si durant
moins de lemporter sur le terrain vis-à-vis des populations émigrées. la bataille d'Alger ( 1957) les attentats
que de fixer les forces militaires Dès 1955, le FLN ajoute le recours se maintiennentjusqu'en juillet
françaises et de les user. Ils' agit au terrorisme, par des attentats qui visent à une quarantaine par mois, ils refluent
aussi pour elle de prendre le contrôle très directement les Européens. Dans le nettement pa.r la suite du fait de la
des populations rurales en mêlant Constantinois, des attentats individuels répression menée par l'année.
F-·
LA QUESTION Dans le quartier de la vieille mosquée, à Alger, des soldats français font du porte-à-porte afin de débusquer les caches
terroristes. Ce raid surprise du 30 mai 1956 entraîne l'arrestation de 200 hommes armés et l'interrogatoire de 2 000 musulmans.

Quel usage l' armée franç aise a-t-elle fait de la torture ?


n sait la charge symbolique, politique et morale qui nous oblige à utiliser des méthodes de travail dites "policiè-
0 s'attache à la torture et les campagnes de presse qui ont
été menées en France pour dénoncer son usage, notamment
res". lin 'y a pas à s'en offusquer, caria destruction de l'adver-
saire, but ultime du combat, est à ce prix. •
durant la bataille d'Alger (janvier-octobre 1957). La Légion La torture a marqué les militaires qui l'ont pratiquée ou y ont
étrangère et certaines de ses unités ( 1er régiment étranger de été confrontés (• la plus amère des épreuves • , écrit Hélie
parachutistes) ont été au centre des polémiques. Par torture, deSaintMarc). Elle a suscité, pendant et après coup, des réac-
nous entendons l'ensemble des sévices (eau, électricité, etc.) tions contrastées. Le général de Bollardière, fondateur des
qui accompagnent les interrogatoires. Pour ses détracteurs bérets noirs (brigades de commandos parachutistes d'élite en
contemporains, la torture est assimilée à une violation 1955), s'est opposé aux méthodes de Massu durant la bataille
insupportable des droits de l'homme et ils n'hésitent pas à d'Alger en demandant d'être relevé de son commandement. Il
établir un parallèle avec les méthodes de la Gestapo durant est alors très isolé parmi les officiers. Des décennies plus tard,
!'Occupation. Du côté de l'armée, les sources parlent d'inter- si Massu se repentira au final de ce passé douloureux, le géné-
rogatoires • musclés •, • serrés • OU • sous la contrainte •. llssont ral Aussaresses suscitera l'incompréhension et le scandale
justifiés par les militaires qui les conduisent comme une lorsqu'il relatera en termes crus et non sans provocation sa
réponse nécessaire et légitime au combat contre le ter- carrière d'officier de renseignement : • La torture était systé-
rorisme du FLN. Son éradication passe par l'obtention de matiquement utilisée si le prisonnier refusait de parler, ce qui
renseignements, renseignements qu'il n'est pas évident était trèssouventlecas. • Aussaresses reste ainsi droit dans ses
d'obtenir • spontanément • mais qui, une fois recueillis, per- bottes pour évoquer un des aspects essentiels de la réalité
mettent de démanteler la structure • rebelle • et de briser en d'alors. Sur le département d'Alger, à partir de janvier 1957,
ville la spirale terroriste. Yves Godard, cadre essentiel de la l'armée est alors en charge des pouvoirs de police, fonctions
sûreté militaire, a été catégorique dans des notes du début de inhabituelles pour elle. Quels que soient par ailleurs les agisse-
1957: • La lutte contre les réseaux de clandestins d'action et ments et les responsabilités des militaires concernés, il ne sau-
de propagande doit être considérée par nous comme une rait être question d'occulter dans ces matières les pressions
action de guerre • dont l'objectif est la • destruction des d'un gouvernement en attente de résultats, celui du socialiste
groupes terroristes •. Et le même d'ajouter: • Cette action Guy Mollet ( l•rfévrier 1956-21mai 1957).
LE GRAND RAÏS En 1956, dans
le train qui le ramène au Caire
après la nationalisation du canal
de Suez, Nasser est acclamé
par une foule enthousiaste.

comprise sans référence à ce contexte


bien particulier. On ne détaillera
pas les conditions qui président au
rapprochement entre Grande-Bretagne,
France et Israël après que Nasser a
décidé de nationaliser la compagnie
du canal de Suez. Si les motivations de
la participation française à l'expédition
de Suez sont diverses, il faut prendre
w en compte lobjectif d'affaiblir le FLN
O::'.
~
en faisant plier Nasser. L'échec politique
de lopération, sous la pression conjointe
O::'. des Etats-Unisetdel'URSS, aboutit
w au résultat inverse et renforce le FLN,
> ~ qui se bat pour obtenir de voir sa
::::i
0 z cause reconnue à l'ONU en s'appuyant
u ~ sur- lesfrèœsarabes • duMachrek,
5 le tiers-monde africain ou asiatique
z:
w ...........,...
i:ll"
~
~
et le monde communiste.
Au grand dam du gouvernement
~<(
français, l'ONU accepte tacitement,
<9 à partirde la fin de 1957, que des
66 observateurs algériens, dotés
IHlisrôTRlE notamment de passeports tunisiens,
Quelles ont été les interférences participent aux séances annuelles
internationales ? de lAssemblée générale. Surtout,
à partirde la 13esessionde l'ONU
(septembre 1958) des motions

L 'internationalisation du conflit
est au cœur des préoccupations
du FLN, dont les dirigeants ambitionnent
du Maroc ou de lAfrique noire
sous administration française. Fort
logiquement, les gouvernements
reconnaissant l'indépendance
de lAlgérie sont mises au vote.
Les premiers échecs ne découragent
devoircréersoussonégideun français ne cessent de répéter, à partir pas leurs partisans qui font voter
Etat algérien et s'emploient pour de 1954, que laffaire algérienne est le 19 décembre 1960 une motion
ce faire à obtenir une reconnaissance une question intérieure qui ne touche reconnaissant le droit à l'indépendance
internationale. Le contexte est porteur en rien la politique internationale. de lAlgérie tandis que l'année suivante
à l'heure où le tiers-monde s'organise Cette séparation de principe est (20 décembre 1961 ) l'ONU demande
(la première conférence afro-asiatique cependant difficile à tenir. En premier l'ouverture de négociations entre la
de Bandoeng se tient en avril 1955) lieu, parce que le FLN, qui a fait le choix France et le Gouvernement provisoire
et où la décolonisations' affirme comme d'installer son exécutif hors d'Algérie (au de la République algérienne (GPRA).
un processus mondial considéré Caire ou à Tripoli), se voit soutenu par La France n'a de son côté cessé de
par b eaucoup comme irréversible. ses Etats hôtes, nombre de mouvements perdre du terrain et s'est vue même
Dans le même temps, la France, ou de régimes alors acquis au condamnée par l'ONU à la suite de son
seconde puissance coloniale après •nationalisme arabe• et plus largement attaque sur Bizerte. Si on ajoute à lappui
la Grande-Bretagne, s'est vue défaite par tous les tenants de lémancipation onusien les nombreux soutiens que
en Indochine en 1954 et contestée du tiers-monde (la conférence de Brioni le FLN a su obtenir d'organisations
dans ses protectorats de Tunisie et du réunissant en juillet 1956 Tito, Nasser humanitaires, religieuses et partisanes
Maroc qui deviennent indépendants et Nehru a officiellement condamné la en Europe (en Allemagne, Grande-
en 1956. Un enjeu essentiel concerne politique de la France en Algérie). Dans Bretagne, Belgique et Suisse), il apparaît
la singularité de l'Algérie dont le ces conditions, comme le montre la crise qu'au fil desannéesc'estle FLN qui a
statut, départementalisé, n'est en rien de Suez de l'automne 1956, la politique gagné, à l'international, la bataille de la
comparable à ceux de la Tunisie, extérieure de la France ne saurait être reconnaissance et de la médiatisation.
FRATER NISATION
Manifestation
commune des pieds-
noirs et des musulmans
pour 11\lgérie française,
à Alger, le 17 mai 1958.
L'appel de De Gaulle
lève alors en Algérie
un immense espoir en
faveur de l'intégration
à la France de toutes
ses populations.

Comment l'opinion publique française a-t-elle évolué


face à la guerre d'Algérie?
es 10 % obtenus par les adversaires de la ratification des pessimisme d'une société face au conflit en cours même si la
L accords d'Evian montrent que les partisans de l'indépen- perspective d'une intervention à Suez regonfle les énergies,
dance de l'Algérie l'ont largement emporté en métropole au car on y voit en frappant Nasser le moyen d'affaiblir le FLN.
bout de sept ans etdemi de conflit. L'attachement sentimental à On sait l'année 1957 marquée par la bataille d'Alger, les
!'idée impériale, qui a sans doute atteint son apogée vers 1939, débats sur la torture et les premiers succès de Salan. L'opinion
afai:tplaceàundésirdeliquidationd'unhéritagedeplusdecent s'en félicite, mais au début de 1958, l'Algérie ne vient toujours
trente ans. Du côté des pieds-noirs et des Français musulmans qu'au sixième rang des préoccupations des Français soucieux
partisans de l'Algérie française, un tel retournement est incom- d'abord des dysfonctionnements du régime. Le retour de
préhensible moins de vingt ans après leur participation à la De Gaulle, salué en métropole, se traduit en mai-juin par une
libération de la France occupée au sein de l'armée d'Afrique. poussée des tenants de l'intégration. Mais si 52 % y voient une
L'évolution de l'opinion en métropole n'a pas été celle de la bonne chose, seuls 40 % la croient possible tandis que 41 %
colonie car les perceptions et les relations aux• événements• y pensent que l'indépendance est à terme inéluctable. Les mois
ont été différentes. En décembre 1955, seul un quart des Fran- suivants, malgré le plan de Constantine et la perspective d'une
çais interrogés par! 'Institut français d'opinion publique considé- paix des braves, voient une opinion métropolitaine gagnée à
rait que les questions d'Afrique du Nord (et pas seulement l'idée de négociation etde cessez-le-feu (71 % en mai 1959).
lAlgérie) devaient requérirprioritairementl' attention du gouver- De Gaulle a doncles mains libres pour en finir avec • l'Algérie de
nement. C'est la décision d'envoyer le contingent qui met le pro- papa • et se voit largement suivi après son allocution du 16 sep-
blème algérien au coeur des préoccupations car il touche doré- tembre 1959 appelant à l'autodétermination de l'Algérie.
navant le quotidien des familles (avec le cortège des morts et des L'opinion métropolitaine veut très majoritairement solder la
blessés). Au printemps 1956, interrogées pour savoir si elles question algérienne, ce qui explique par contrecoup la difficulté
sont favorables à un statu quo de la situation en Algérie (maintien des tenants de l'Algérie française pour y trouver des relais lors-
des départements français) ou pour• la définition de liens moins que la situation se radicalise avec la semaine des barricades
étroits ., 40 % des personnes se prononcent pour la première (janvier 1960), le putsch des généraux (avril 1961) et la montée
option, 33 % pour la seconde (27 % ne se prononcent pas). en puissance de l'OAS quis' efforce, non sans difficultés ni divi-
L'indicateur est instructif car, à ce moment-là, au plan des sions, de s'implanteren métropole. A ce moment-là, l'opprobre
forces politiques (le parti communiste soutient encore Guy qui frappe les tenants de l'Algérie française, qualifiés de• fas-
Mollet), un consensus domine quant à la politique de force cistes •, devient profond. Les campagnes menées contre la tor-
conduite par la majorité de Front républicain (gauche) issue ture et la dénonciation du colonialisme et les pieds-noirs répu-
des élections du 2janvier 1956. En juillet 1956, lorsqu'on tés nantis et exploiteurs semblent avoir porté leurs fruits. .,.;
demande aux Français si en cas d'aggravation de la situation Le vote de 1962, pourtant, ne se comprend pas seulement~
ils seraient pour des négociations débouchant vers I' indépen- par les prises de positions de ces éléments déterminés. Il tra - ~
dance ou la répression de l'insurrection par une mobilisation duit un divorce entre la France métropolitaine et son empire j
d'envergure des moyens militaires, 45 % penchent pour la pour lequel dorénavant il ne vaut pas la peine de mourir. Il 5
première option et seulement 23 % pour la seconde. Si on signifie aussi l'entrée d'un pays, après deux guerres mondia- ~
ajoute qu'au même moment 19 % des sondés pensent que les et une reconstruction difficile, dans une société de~
l'Algérie sera encore frança ise cinq ans plus tard, on mesure le consommation dont ils' agit de profiter. <12>
Comment est née l'OAS ? Qu'en fut-il de son action ?
L 'OASest née à Madrid au début
de 1961 sur ('initiative de Pierre
Lagaillarde et de Jean-Jacques Susini.
Il existe également une antenne
espagnole del 'OAS, divisée et menée
par Pierre Lagaillarde, qui a fait le choix
des commandos (en particulier les
commandos Delta dirigés à Alger par
Roger Degueldre) qui organisent des
Un an après léchec des barricades de mener le combat depuis l'extérieur. attentats et pratiquent des• opérations
d'Alger, alors que s' échafaude chez C'étaitsanscomptersurFrancoqui ponctuelles • contre les adversaires de
les activistes un projet de putsch, ne souhaite nullement voir ses relations l'Algérie française (militants du FLN,
ils entendent bâtir une organisation s'envenimeravecla France de • libéraux •, responsables des forces
disciplinéeetstructurée, une la Ve République et place donc les de l'ordre). L' OAS mène aussi une
Organisation armée secrète en dirigeants des antennes espagnoles en propagande active via l'imprimé (tracts,
référenceàl'ASdesannées 1940. résidence surveillée à l'automne 1961. journaux) mais aussi les moyens de
Enfin, l'OAS s'efforce de s'implanter en communication audiovisuels modernes
w Malgré les apparences, l'OAS
ne sort pas du néant. Elle est le produit métropole mais les structures censées (radio et télévision) en proposant
O::'.
la représenter (OAS-Métro, Mission Ill)
~
des expériences nées depuis 1955 ses propres émissions• pirates •.
des groupements contre-terroristes ne s'entendent pas, ce qui dessine une Enfin, l'OAS s'emploie à encadrer
O::'. (Organisation de résistance de l'Afrique carte de réseaux plus ou moins emboîtés la population sur un mode horizontal
w française) et des organisations ayant davantage que le maillage d'une et vertical en la mobilisant dans des
> défendu l'Algérie française par des organisation structurée. actions de propagandes diverses (dont
::::i
0 moyens musclés (Union française L'OAS choisit aussi de pratiquer le les concerts de casseroles) et en mettant
u nord-africaine, poujadistes, Front terrorisme urbain en mettant en place sur pied un impôt révolutionnaire.
z: national français). La dernière en date,
w le Front pour l'Algérie française, lancé
ena.vril 1960, s'était même dotée
d'une structure clandestine. li existe
donc une préhistoire de l'OAS qui est,
pour nombre de ceux qui la rejoignent,
un point d'aboutissement davantage
qu'un point de départ.
Peu active à l'heure du putsch,
AUX ARIES CITOYEIS
l'OAS se structure véritablement après
son -échec, où elle agrège civils et
militaires décidés à allerjusqu'au bout
du combat en faveur de l'Algérie
française. Loin d'être un monolithe,
l'OAS doit se comprendre comme une
nébuleuse territorialisée dont l'épicentre
est à Alger, mais qui est aussi très
implantée à Oran. Il faut leur ajouter
notamment Constantine et Bône, ce qui
fait de l'OAS en Algérie un mouvement
à dominante urbaine, qui se développe
et se structure durant l'été 1961 où il
combine une action de propagande
imprimée aussi bien qu 'audiovisuelle
à des attentats et des• opérations
ponctuelles • (exécutions) menées
par des commandos organisés.

MARSEILLAISE REVISITÉE
Affiche de propagande de !'Organisation
armée secrète d'avril 1961, quelques
mois après sa création. Son sigle, OAS, est
apparu sur les mursdl\lgeren mars 1961.
~
<9>
DÉRACINÉS Le porte-avions français La Fayette fait débarquer des réfugiés de Mers el-Kébir, à Toulon, le 19 juillet 1962.
Au total, 700 000 personnes furent rapatriées en France, en 1962.

Quel est le bilan humain de la guerre?


ous nous contenterons d'évoquer des éléments du bilan novembre 1962. En réalité, un décompte scientifique est très
N chiffré de la guerre d'Algérie. Il fait l'objet de polémiques difficile pour ne pas dire impossible même si les chiffres pro-
qui renvoient à des dossiers sensibles, qu'il s'agisse des posés sont nombreux (65 000 pou r le général Faivre, etc.).
morts algériens, du sort des harkis et des disparus. Ainsi, Les polémiques concernent aussi les disparus (civils• Euro-
l'Algérie officielle a parlé d'un million etdemi de• martyrs • péens • ou• Français musulmans • ). tout particulièrement
au sein de la population algérienne musulmane quand les après le cessez-le-feu et le drame du 5 juillet 1962 à Oran. Là
historiens reconnus (Charles-Robert Ageron) avancent le encore, les chiffres proposés ont été très variables mais le der-
chiffre de 250 000. Concernant les combattants, le s pertes nier établi par Jean-Jacques Jordi de• personnes disparues
des• rebelles • tués par les• forces de l'ordre• entre le présumées décédées •durant la guerre d'Algérie s'élève à
1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 sont estimées à envi- 1 583 personnes. On retiendra que cette liste concerne essen-
ron 143 000 contre 24 000 pour les• forces de l'ordre • . Le tiellement des• Européens• ( 1 438, parmi lesquels 156 fem-
bilan du terrorisme se chiffre à près de 20 000 morts civils meset35 enfants de moins de 16ans) etque314 nomssonten
pour le FLN et le MNA (les morts sont dans leur très grande lien direct avec les événements d'Oran des 5, 6 et 7 juillet
majorité des musulmans) tandis que les estimations, concer- 1962. Comme pour d'autres conflits, compter les morts n 'a
nant l'OAS tournent autour de 3 000. pas seulement une fonction historique mais aussi mémorielle.
Les polémiques concernent aussi les harkis, à propos
desquels certaines associations ont brandi le chiffre de Professeur d'histoire contemporaine à l'uni versité Paris-IV-Sorbonne,
150 000 morts proposé par le sous-préfet Robert en 1963 et Oli vier Dard est spécialiste d'histoire poli tique du XX• siècle.
opposé aux 10 000 morts avancés par Jean Lacouture en Il est notamm ent l'auteur de travaux sur l'histoire de l'OAS.
DÉCRYPTAGE
Par Pie rre Pe llissie r

w Alors que depuis le référendum du 8 janvier 1961,


O::'.
la marche à l'autodétermination semble irréversible,
~
O::'.
w quatre généraux tentent le tout pour le tout à Alger.
>
::::i
0
u EN AVRIL 1961, àAlger,quacregénérauxà la
z: retraite tentent de prendre le pouvoir. Leur
w objectif est simple : empêcher le général
De Gaulle de livrer 11\lgérie au Front de libé-
ration nationale (FLN). Leurs motivations
tien nent aux évolutions politiques du chef
70 de l'Etat, qui n'a pas répondu aux espoirs
IHlisrôTRlE que l'armée mettait en lui depuis trois ans.
En mai 1958, la IV• République est à l'ago-
nie. L'armée, qui ne veut pas revivre le
drame indochinois, attend un sursaut des
hommes politiques. Des complots se tra-
ment dans les garnisons. Un accord paraît
se faire sur le nom de Charles De Gaulle. Or,
celui-ci a également ses partisans à Alger, §
installés par le ministre de la Défense, if
Jacques Chaban-Delmas. Les intérêts des Au GRAND BALCON Le 24 avril 1961,
militaires et des gaullistes convergent lors- des milliers dl\lgérois sont massés devant
que Pierre Pflimlin, président du Conseil braves », offrir des négociations aux rebel- la Délégation générale à Alger (ci-dessus)
désigné, laisse entendre qu'il est décidé à les, lancer l'autodétermination, évoquer pour écouter le discours des généraux
négocier un cessez-le-feu avec le FLN. « une Algérie algérienne, liée à la France » ... Edmond Jouhaud, Raoul Salan, Maurice
Au terme des journées du 13 mai 1958, Durant ce même temps, les chefs militai- Challe et André Zeller (à droite). Opposés
entre manifestations de masse et scènes res en fonction en Algérie - Jouhaud, Salan, à la politique du général De Gaulle en
de fraternisation entre les deux commu- Challe - sont mutés en métropole. En jan- Algérie, ils sont les auteurs d'une tentative
nautés, les militaires appellent au retour vier 1961, le rappel du général Massu, de putsch dans la nuit du 21 au 22 avril.
du général De Gaulle. Celui-ci est investi sévère en vers De Gaulle dans une interview
président du Conseil dès le 1er juin. Mais il accordée à un journaliste allemand, déclen-
apparaît vite aux yeux des officiers que che la semaine des barricades. Désormais, Algérie algérienne : « La France ne fait
De Gaulle ne les suit pas suffisamment. Il la fracture est évidente entre les intentions aucune objection et n'entend élever aucun
est plus que réservé sur l'intégration. du général De Gaulle et les espérances des obstacle contre le fait que les populations
Depuis son discours de Mostaganem, le officiers attachés à l'Algérie française. algériennes décideraient de s'ériger en un
6 juin, il n'a jamais plus cité « l'A.lgérie fran- De nouveau fleurissent des complots... Etat qui prendrait leur pays en charge. »
çaise ».Progressivement, il va parler de 11 AVRIL. Dans la conférence de presse 12 AVRIL. Un groupe d'officiers et quel-
l'avenir de l'Algérie dans le cadre d'une qu'il tient à l'Elysée, le général De Gaulle ques politiques, qui redoutaient une telle
large communauté, proposer« la paix des fait un pas de plus sur le chemin d'une annonce et envisageaient une révolte de
w
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72
IHlisrôTRlE QUATRE GRADÉS À LA UNE
Les généraux André Zeller, Edmond
l'armée depuis des semaines, hâtent leurs la politique algérienne du chef de l'Etat. Jouhaud, Raoul Salan et Maurice
préparatifs. Une réunion d'urgence est Les cadres de l'armée auraient donné leur Challe (de gauche à droite), quittent
organisée à Paris, boulevard Malesherbes. accord, à la seule condition que Challe soit la Délégation générale dl\lger
S'y retrouvent les généraux Challe, ancien à la tête du mouvement. Celui-ci demande après s'être adressés à la foule,
commandant en chef en Algérie, qui a encore un temps de réflexion : « La mariée le 24 avril, en fin d'après-midi.
démissionné de son poste à l'OTAN quel- était trop belle, je voulais me renseigner plus
ques semaines plus tôt, Jouhaud, ancien avant », écrira+il.11 consulte son entou-
inspecteur général de l'armée de l'air, Zeller, rage. Seul le commandant Cogniet, un vols réguliers au départ de Paris ou de
ancien chef d'état-major de l'armée de ancien du cabinet de Challe à Alger, doute Marseille, ou à bord d'avions militaires
terre, Faure, Gardy, Vanuxem, le colonel de cet éventuel engagement de l'armée. partant d'Istres ou de la région parisienne.
Godard, le commandant Robin, un ancien 18 AVRIL. C'est la dernière réunion Challe, qui s'est enfin décidé, Zeller et le
légionnaire du 1er régiment étranger de parisienne des conjurés, autour des géné- colonel Broizat s'envolent du terrain
parachutistes (REP), Roger Degueldre, qui a raux Faure et Gardy. L'action sera déclen- militaire de Creil, à bord d'un avion fourni
déserté après avoir été mis en cause dans chée dans la nuit du jeudi 20 au vendredi par Jouhaud. Ils se posent dans la nuit à
un complot contre De Gaulle et muté au 21 avril. lls paraissent certains des concours Maison-Blanche, où l'aéroport est désert.
4• régiment étranger d'infanterie (REi), de plusieurs unités : les commandos de la Ils repartent pour Blida où ils sont hébergés
ainsi que Georges Bidault. réserve parachutiste du commandant chez un capitaine qui les informe que l'opé-
Maurice Challe est encore hésitant.11 sait Robin, le 27• dragons du colonel Puga, les ration est reportée de vingt-quatre heures.
que le projet de rébellion est très avancé, 14• et 18• régiments de chasseurs parach u- 21 AVRIL. A Alger, les conjurés sont
qu'il devrait partir dans la semaine pour tistes (RCP) que commandent les colonels inquiets: ilssontsans nouvelle de Challe et
Alger et y prendre la tête d'un gouverne- Lecomte et Masselot, les 1•r et 2• régi- de Zeller. Ceux-ci se trouvent pourtant,
ment militaire avec André Zeller, Edmond ments étrangers de cavalerie (REC) des depuis le matin, dans une villa des Taga-
Jouhaud et Raoul Salan, qui n'est pas encore colonels de La Chapelle et Coatgoureden. rins, qui est le PC des commandos para-
informé. Le prédécesseur de Challe en Algé- Le 1er REP, lui, n'est pas encore prévenu. chutistes du commandant Robin. C'est là
rie a en effet choisi l'exil volontaire en Espa- 20 AVRIL. Les officiers engagés dans le que Challe reçoit et consulte. li passe ainsi
gne, après avoir publiquement condamné complot quittent la métropole par des un long moment avec le commandant par
MAîTRE oo JEO Le 23 avril, à 20 heures,
à la télévision, Charles De Gaulle condamne
la prise du pouvoir par« un quarteron de
généraux à la retraite »et informe les Français
de la mise en application de l'article 16de la
Constitution lui donnant les pleins pouvoirs.

intérim du 1•• REP, Hélie Denoix de Saint


Marc, prévenu peu de temps avant par l'un
de ses officiers, le capitaine Besineau,
gendre du général Gardy.
« Mon commandant, j'ai un message très
important et très grave à vous transmettre.
- Si vous pouviez ne pas me le dire, Besi-
neau, je préférerais.J'ai assez de souci avec le
régiment, j'aimerais ne pas en avoir d'autres.
- Jmpossible, mon commandant, c'est un
message du général Challe.
- JI est à Alger ?
- Depuis cette nuit, il vous attend. »
Denoix de Saint Marc donne son accord
lorsque le général lui révèle ses intentions:
il ne s'agira pas d'une guerre civile, ni même
de renverser le gouvernement, mais d'obte-
nir la victoire par les armes qu'il pensait soudain devant les premiers camions du Depuis Madrid, Raoul Salan téléphone à
tenir avant d'être muté en métropole, 1er REP qui entrent dans Alger et tentant sa femme, qui se demande pourquoi son
d'aller vers une indépendance négociée d'arrêter le convoi, au prix d'un étrange dia- mari veut se joindre à cette aventure. li dis-
avec les seuls combattants des maquis et logue avec le lieutenant Durand-Ruel, bien pose d'un avion, mis à sa disposition par
surtout pas avec leurs leaders politiques décidé à neutraliser le général s'il le fallait: Serrano Suner, le beau-frère de Franco.
réfugiés au Caire, à Tunis ou au Maroc. « Quand j'étais lieutenant, les lieutenants Il partira avec son aide de camp Jean
Den oix de Saint Marc rallié, le 1er REP suivra n'arrêtaient pas les généraux »,assène Ferrandi et Jean-Jacques Susini, l'ancien
donc. Le reste de la journée est consacré Gambiez. « A lëpoque, les généraux ne bra- président des étudiants di\lger.
aux ultimes préparatifs : itinéraires des daient pas l'Empire »,répond Durand-Ruel. Le soir, le général De Gaulle, qui reçoit
unités, minutage, prise de contrôle des Gambiez, comme le ministre Robert Léopold Senghor à dîner, fait un aparté avec
bâtiments officiels, des centres de trans- Buron, d.e passage à Alger, et le délégué Gaston Monnerville, le président du Sénat,
mission, de la radio ... général Jean Morin, sont arrêtés et iront pour lui confier que les engagements de
22 AVRIL Dès 2 heures du matin, les passer quelques journées à ln Salah, dans Zeller etJouhaud ne l'étonnent pas. Seul
conjurés lancent leur opération. Depuis le le Grand Sud. Les gendarmes, placés sur le Challe l'inquiète : « Challe n'a pas l'habitude
début de la nuit, pourtant, d'étranges chemin des légionnaires, les laissent de de s'embarquer sans biscuits », souligne-t-il.
détails se sont succédé, qui inquiètent les toute évidence filer vers le Gouvernement 23 AVRIL. Challe voudrait persuader les
rebelles. Pourquoi le général Vézinet, com- général. où d'autres gendarmes leur font unités hésitantes de les rejoindre. li envoie
mandant le corps d'armée d'Alger, a-t-il savoir que leurs armes ne sont pas approvi- Gardy à Oran et Zeller en Kabylie. Avant
prescrit une« vigilance accrue » ? Pour- sionnées. A 3 heures du matin, les rebelles son départ, celui-ci règle un problème
quoi le délégué général du gouvernement, contrôlent Alger et les trois généraux vont essentiel : obtenir des services compétents
Jean Morin, a-t-il pu, dès la veille au soir, pouvoir installer leur PC au quartier Rignot. les salaires des fonctionnaires et les soldes
demander au préfet de police et au direc- A 8 heures, le général Challe intervient à des militaires, soit deux milliards de francs.
teur de la Sûreté d'Alger de renforcer la sur- la radio d'Alger. Il déclare être décidé à Une rumeur court Alger en ce dimanche
veillance des bâtiments publics, du camp « tenir le serment de l'armée pour garder matin : aucun des trois généraux annoncés
de Z:éralda et le contrôle des voies d'accès à l'Algérie à la France, pour que nos morts ne ne serait présent à Alger, des officiers se
Alger ? Pourquoi le général Gambiez, com- soient pas morts pour rien ... ». Il ajoute serviraient de leurs noms ... Les voici obli-
mandant en chef des forces armées en qu'il parle en son nom, mais aussi pour gés de paraître ensemble à la télévision.
Algérie, a-t-il téléphoné à Denoix de Saint Zeller, Jouhaud et en liaison avec Salan. Il manque encore Salan, dont l'avion se
Marc, dans la nuit, pour lui demander si ses Or, celui-ci est toujours en exil à Madrid. pose dans la matinée à Maison-Blanche. li
troupes étaient calmes ? Pourquoi le géné- Il apparaît aussi que bien des renforts file sur Alger en voiture, accompagné de sa
ral Saint-Hillier, commandant de la 1o• divi- espérés par les rebelles se décommandent femme et de sa fille. Observant les militai-
sion parachutiste, surgit-il à Zéralda, la base ou oublient leurs engagements. L'Oranais res du contingent qu'ils croisent, il décou-
du 1er REP, alors que les parachutistes com- ne suit pas, la Kabylie se désiste, bon vre des visages fermés qui l'inquiètent.
mencent leurs préparatifs ? Pourquoi tant nombre d'officiers généraux ou supérieurs Avec l'aplomb de ses 15 ans, sa fille lui dit
de barrages de police à travers Alger pour se sont découvert des permissions en même : « A les voir, votre affaire n'est pas '-=
une nuit calme ? Et Gambiez, surgissant retard ou viennent de tomber malades... gagnée. » Il en a rapidement conscience : r=)
<
~ devraient pas se contenter de tenir Alger et
~
li la Mitidja. lis hésitent. Le général Challe
~
.1'
avance des arguments pour et d'autres
z contre. Puis, aux environs de 13 heures, il
C2 envisage de renoncer.
§ Informé de ce possible renoncement,
<12>
>-' Susini demande à Salan de lui faire rencon-
~
Q trer Challe. li tente de le persuader de rester
~ à Alger, de reprendre le combat avec la
~
population civile, d'armer les Algérois.
Challe n'entend pas faire couler du sang
w ô
français. Il ne veut pas de guerre civile.
O::'. ~
Susini comprend qu'il ne le décidera pas à
~
~
O::'.
<12> poursuivre l'aventure. Salan tente à son
P EUR SUR LA VILLE Au matin du 23 avril, les journaux parisiens (ci-dessus, place tour d'influer sur Challe qui, les larmes aux
w de /'Opéra) font les gros titres de la prise de pouvoir militaire à Alger. Dans la nuit, yeux, lui répond : « Salan, n'oubliez pas que
> des chars ont pris position devant Ji\ssemblée nationale (ci-dessous). Craignant l'armée a marché sur mon nom. »
::::i
0 un coup de force des putschistes en métropole, Je Premier ministre Michel Debré C'est au général Zeller, vers 15 h 30, que
u appelle les Parisiens à défendre la République« à pied, à cheval et en voiture ». Challe explique pourquoi il renonce:
z: « Depuis trois jours je mëvertue, sans résul-
w « Les contacts que je pris, que je rencontrai, matin, accepte un compromis : il gardera le
tat, à réveiller les commandants de zone, à
pousser aussi à l'action les unités qui se
les discours que j'entendis au cours de la jour- pouvoir militaire, mais il délègue à Salan le disent à nous. La résistance, dans le« réduit
née me confirmèrent dans mon opinion du pouvoir civil. Acelui<i d'entraîner les Algé- algérois »,est parfaitement utopique.Je me
74 matin : nous allions à un échec ... » rois. Mais lorsque Salan imagine de leur don- refuse à ouvrir le feu sur des unités françai-
IHlisrôTRlE Le ministre des Armées, Pierre Messmer, ner la garde des bâtiments confiée à l'armée, ses et à terminer par une bataille de rue
et le ministre des Affaires étrangères, qui serait plus utile ailleurs, Challe refuse. La l'action ouverte sous le signe de l'union de
Maurice Couve de Murville, sont à Rabat population restera à l'écart : aucun mouve- l'armée. Dans ces conditions, j'ai décidé de
pour les cérémonies du transfert des cen- ment de foule, aucune adhésion enthou- mettre un terme au soulèvement militaire
dres du maréchal Hubert Lyautey. Le sultan siaste qui puisse rappeler le 13 mai 1958, ni et de me livrer personnellement aux auto-
du Maroc leur apprend les événements même les barricades de janvier 1960. rités de métropole. C'est en accord avec vous
d'Alger. Les ministres regagnent Paris, où 2s AVRI L C'est le jour des derniers pro- tous que j'ai exercé ce commandement.
Messmer est informé que les généraux jets, des premiers désenchantements, des C'est à moi d'en assumer et d'en revendiquer
rebelles s'apprêteraient à envoyer des interrogations sur l'avenir immédiat. Les jusqu'au bout toutes les responsabilités,
unités parachutistes sur la métropole. li quatre généraux se demandent s'ils ne même les plus dures. »
ordonne aux avions militaires d'Algérie de
gagner des bases métropolitaines. Les
deux tiers des équipages obéissent.
En fin de journée, le général De Gaulle
décide de s'adresser solennellement aux
Français. A 20 heures, il enfile son uniforme
pour une intervention télévisée qui va
peser lourd sur rentreprise des putschistes :
« Ce pouvoir a une apparence: un quarte-
ron de généraux à la retraite. Il a une réalité:
un groupe d'officiers partisans, ambitieux et
fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possè-
dent un savoirfaire expéditifet limité... »
24 AVRIL. Depuis son arrivée, Raoul Salan
s'étonne qu'aucun appel n'ait été lancé à la
population di\lger, comme si ses trois com-
pars.es avaient décidé de rester entre eux. La
discussion s'engage avec Challe qui, ce lundi
NON, RIEN DE RIEN
Des légionnaires du
l er régiment étranger
de parachutistes (REP)
quittent le camp
de Zéralda, le 28 avril,
en entonnant la célèbre
chanson d'Edith Piaf,
Non, je ne regrette rien.
Le 30 avril, le régiment
est dissous à la demande
du ministre des Armées,
Pierre Messmer.

Jouhaud et Salan tentent une dernière Challe d'embarquer avec ses légionnaires caches de la Mitidja par un agriculteur
manœuvre : annoncer la démobilisation de pour le camp de Zéralda.11 n'a plus d'autre parmi les plus influents de la région,
tous les appelés du contingent ayant effec- choix. li voulait reprendre le combat Robert Martel, dit« le Chouan ».Les deux
tué plus de dix-huit mois de service, décider contre le FLN et le réduire à néant pour pri- généraux ont un dernier espoir : relancer la
que huit classes de jeunes Algériens les rem- ver De Gaulle d'interlocuteurs. Des colo- révolte avec les toutes dernières troupes
placeront et que les unités territoriales, nels, qui ont refusé de participer au putsch, disponibles. lis n'y parviendront pas.
dissoutes après la semaine des barricades, paraissent l'avoir compris, puisqu'ils ont Le putsch des généraux, qui a inquiété la
seront reconstituées. li est trop tard. li poursuivi les combats dans le bled. C'est métropole, qui va laisser les Algérois dans
ne reste déjà plus que le l er REP autour des désormais impossible. le désarroi et l'amertume, s'achève dans un
quatre généraux. Les gendarmes appro- Le général Zeller enfile le veston civil qu'il climat tendu. L'OAS existe depuis des
chent du Gouvernement général, face aux portait en arrivant de Paris et disparaît semaines déjà. Salan et Jouhaud vont en
légionnaires qui gardent encore le bâtiment, dans la nuit. Jouhaud et Salan se coiffent de devenir les chefs. Avant de découvrir que
les armes à la main. Challe, qui avait pensé bérets verts que leur tendent des légion· commander des clandestins sans connaî-
quitter Alger dès ce mardi soir, attendra un naires et montent dans un camion du tre les réseaux qui se mettent en place, pra·
peu : il entend protéger Alger des coups de ler REP partant pour Zéralda. tiquement sans moyens de liaisons, est
sang, de cette bataille de rue qu'il disait Ce même 26 avril, Pierre Messmer arrive une tâche compliquée, lourde de risques
redouter. Apprenant la décision de Challe, à Alger. li vient, comme il le dira,« faire le et de conséquences...J
le commandant Robin s'insurge : « C'est cri- ménage »,c'est-à-dire dissoudre le ler REP,
minel d'avoir si mal préparé le coup ! »Challe et les 14e et 18• RCP. Après quoi, il offrira
lui répond : « J'ai reçu des promesses. Je n'ai sa démission au général De Gaulle, qui la
fait qu'une seule erreur d'estimation :jamais lui refusera :
je n'aurai cru qu'il y avait autant de salauds « Je suis un ministre auquel ses subordon-
dans l'armée française. » nés nont pas obéi. Pierre Pd lis.sîcr
Salan.
Susini est plus brutal encore lorsque - Vous serez mieux obéi désormais. » Quarante
Cha lie lui demande si c'est la guerre civile 27 AVRIL. A Zéralda, Challe prépare sa SALAN années de
qu'il luiconseille :« Oui,sicelaestnéœssaire, reddition. li vide ses poches, donne à commandement
mais à condition de la gagner, répond-il.Si Jouhaud tout l'argent qu'il a sur lui. Denoix Pierre Pellissier
vous attachez une importance sacrée à ce
que vous voulez, vous allez jusqu'au bout. »
26 AVRIL. Vers l h 30 du matin, Hélie
de Saint Marc fait rendre les honneurs au
général qui part, sous escorte, pour une
prison parisienne. Salan etJouhaud dispa-
Perrin
600pages
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raissent à leur tour, entraînés vers des 26€
Denoix de Saint Marc conseille au général
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NAISSANCE
D'UN É TAT
Le 3 juillet 1962,
les Algériens
w viennent
O::'.
, d'apprendre
~
O::'.
le résultat du
référendum sur
w l'indépendance
> de leur pays.
::::i
0 Le« oui» l'a
u emporté à 99, 72 %
z: des suffrages
w exprimés. L:A.lgérie
devient« un
Etat indépendant
coopérant avec
la France dans les
conditions définies
par les déclarations
du 19 mars 1962 »
(accords d'Evian ).

i la date du début de la guerre d'Algérie n'est pas contes- poursuivie ici depuis tantôt quatre ans • . En effet, la France

S tée, celle de sa fin reste problématique. 19 mars 1962?


C'est la date du cessez-le-feu prévu par les accords
d'Evian, mais a-t-il été vraiment respecté ? 3 juillet 1962 ?
appliqua tous ses engagements : cessez-le-feu à partir du
19 mars, ratification des accords par un référendum en métro-
po 1e le 8 avril, installation d'un Exécutif provisoire
C'est celle de la fin de la souveraineté française sur 1'Algérie et franco-algérien à Rocher Noir auprès du haut-commissaire
de la reconnaissance officielle de l'Etat algérien par la France, Christian Fouchet, fixation, le 15 mai, de la date du référen-
mais elle n'a pas mis fin à la violence en Algérie, bien au dum d'autodétermination de l'Algérie au 1erjuillet.
contraire. 25 septembre 1962 ? C'est la date de la réunion de la Mais le cessez-le-feu signé avec le seul Front de libération
première Assemblée nationale élue sur une liste unique le nationale (FLN) ne concernait pas !'Organisation armée
20 septembre, mais elle n'a pas suffi à donner immédiatement secrète (OAS), qui recourut à un t errorisme de plus en plus
au premier gouvernement algérien une autorité suffisante pour systématique, suivant l'exemple donné naguère par le FLN,
rétablir l'ordre dans tout le pays. Fin décembre 1962 ?Cette contre ce dernier mais aussi contre les forces de l'ordre.
dernière date, la moins connue de toutes, est celle de la sépa- Jusqu'à la fin juin, la lutte implacable menée contre l'OAS-qui
ration entre le Trésor français et le Trésor algérien. Mais en réa- aboutit au ratissage de Bab el-Oued et à la fusillade sanglante
lité, il y a en encore d'autres à considérer, par exemple celle de de la rue d'lsly, commise le 26 mars 1962 par un barrage de
la nationalisation du pétrole du Sahara, le 12 avril 1971. En fin tirailleurs contre une foule de pieds-noirs manifestant pacifi-
de compte, nous pouvons même nous demander si la guerre quement, une semaine après le cessez-le-feu -fut la priorité du
d'Algérie est vraiment finie, et si elle finira un jour. gouvernement. La protection des Français d'Algérie et des
La période allant du 19 mars au 3 juillet 1962 fut caractéri- • Français musulmans •contre le FLN, censé appliquer les
sée, du côté du gouvernement français, par une volonté sans accords, ne fut pasjugée prioritaire par les autorités françaises.
faille d'appliquer les accordsd'Evian, que le général De Gaulle Or le FLN, lui non plus, ne respecta pas les accords.D'abord,
avait définis le 18 mars comme étant • la solution du bon sens, ses forces n'appliquèrent pas la stabilisation de leurs positions
prévue par le cessez-le-feu ; l'armée française s'opposa par
les armes à leurs empiétements jusqu'à la démission du
gouvernement Debré le 12 avril, mais elle leur laissa le champ
libre sous le gouvernement Pompidou. Puis, à partir du 17 avril,
commença dans I'Algérois et 1'0ranais une campagne d' enlè-
vements de civils européens que Jean Monneret a qualifiée de
• terrorisme silencieux •.Justifié selon le FLN parla lutte contre
le terrorisme de l'OAS-qui provoqua une rupture ouverte du
cessez-le-feu par la Zone autonome d'Alger le 14 mai 1962-, o;
ce fut une lutte indirecte visant à priver le poisson OAS de son ~
<
~ 1 --
eau en provoquant la fuite des Français d'Algérie par des enlè- CHAMP DE RUINES Un char déblaie les décombres dans
vements à la limite des quartiers européens et musulmans, le la cour du lycéeArdaillon,à Oran, après un attentat à la bombe
long des routes et dans les campagnes colonisées. de !'Organisation armée secrète (OAS), le 16 mai 1962.
En même temps, des enlèvements et des massacres de har-
kis commencèrent, surtout dans la wilaya V (Oran), même si
son colonel Si Othmane avait ordonné, par sa directive du Robert Boulin, secrétaire d'Etat aux Rapatriés, cette loi fixait
10 avril, d'attendre le départ des Français pour régler les comp- les principesd'uneaidedel'Etatà leur réinstallation en métro-
tes. Malgré quoi, les autorités françaises voulurent limiter les pole. Le dernier alinéa ajoutait : • Une loi distincte fixera, en
départs vers la France de • Français musulmans • menacés, et fonction des circonstances, le mon tant et les modalités d'une
interdirent les transferts non officiels par peur d'une manœuvre indemnisation en cas de spoliation et de perte définitivement
de l'OAS. Le désaveu des accords d'Evian par le programme établies des biens. • Ils allaient attendre cette indemnisation
de Tripoli du FLN (juin 1962) ne semble pas avoir été -connu du pendant de longues années.
gouvernement français avant le début de septembre : le Gou- Alors qu'Alain Peyrefitte avait confirmé, en décembre 1961,
vernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au général De Gaulle son pronosti<: d'un million de rapatriés
n'avait-il pas fait voter oui au référendum du 1erjuillet ? si l'Algérie était remise au FLN, celui-ci persista à ne s'attendre
qu'à 1 OO 000 ou 200 000 départs. Après la signature des
L'exode des rapatriés accordsd'Evian, le problème du rapatriement fut donc considéré
Le gouvernement français, rendu optimiste par l'effondre- comme marginal et il ne s'imposa que tardivement à l'attention
ment de l'OAS au début de juillet, mit trois semaines à perdre du gouvemementetdu Parlement. Robert Boulin nia au contraire
toutes ses illusions. Après quelques jours de fête,[' Algérie, la réalité d'un exode définitif lors du Conseil des ministres du
remise par la France à l'autorité fictive de !'Exécutif provi- 30mai 1962. Ses propos, résumés parle ministre de !'Education
soire, bascula dans la violence à partir du 5 juillet. Violence nationale Pierre Sudreau en qualifiant de simples • vacanciers •
dirigée plus quejamais contre les Français d'Algérie malgré la les Français d'Algérie candidats au retour, devaient lui être long-
fin de l'OAS : plus de 3 000 enlèvements de civils entre le temps reprochés. Il eut le tort de confirmer ce faux diagnostic le
19 mars et le 31 décembre 1962, parmi lesquels près de 1 700 27 juin, mais le fait est que cette erreur de jugement était avant
ne furent pas retrouvés vivants, dont près de 700 enlevés le tout le fait de De Gaulle lui-même, qui multiplia les propos
5 juillet à Oran. Mais aussi contre les harkis qualifiés de traîtres restrictifs sur lampleur et la durée de ce• repliement •.
qui furent enlevés, torturés, assassinés par milliers. Après le référendum algérien du 1er juillet 1962 et la recon-
L'ambassadeur Jeanneney, arrivé le 6 juillet, ordonna de naissance de l'indépendance de l'Algérie le 3, l'exode des
recueillir et d'évacuer vers la France toutes les personnes • rapatriés •ne fit en réalité que s'intensifier, démentant les
menacées cherchant refuge dans les camps militaires, mais déclarations lénifiantes du gouvernement. Les pieds-noirs firent
interdit de reprendre des opérations offensives sans l'accord directement les frais de cet aveuglement. Suries 700 000 rapa-
des autorités algériennes. triés en 1962, 450 000 débarquèrent ainsi par paquebots
Les ex-• Français musulmans• avaient perdu leur nationa- entiers à Marseille, où ils se heurtèrent à un manque évident de
lité française par suite du référendum algérien du 1er juillet moyens et à l'hostilité d'une partie de la population. Dépassé par
1962, même s'ils pouvaient la récupérer en souscrivant en le flot des rapatriés, Gaston Defferre lâcha ainsi dans une inter-
France, suivant l'ordonnance du 21juillet1962, une• décla- view de juillet 1962 un violent : • Que les pieds-noirs aillent se
ration recognitive de nationalité française • qui les soumettait réadapter ailleurs •, qui fit écho aux banderoles des dockers de
à toutes les lois françaises, y compris le Code civil. Les Fran- la CGT les accueillant avec les slogans : • Pieds-noirs, rentrez
çais d'Algérie avaient, eux, le statut de• citoyens français de chez vous! • ou • Pieds-noirs à la mer •, sous les accusations de
droit commun • ; ils retrouvaient en arrivant en métropole tous • capitalistes • et de • racistes • quand ils ne jetaient pas leurs
leurs droits de citoyens français et ils devaient bénéficier de containers à l'eau. Rapidement submergés, les deux centres de '-=
la loi Boulin de décembre 1961. Œuvre du député gaulliste transit ne purent accueillir qu'une infime minorité des rapatriés, ;:=)
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LA MORT EN FACE Le 26 mars 1962, rue d'lsly, à Alger, des
partisans de l'Algérie française sont mitraillés par l'armée française
qui durent dès lors s'en remettre à l'aide du • Comité de liaison durant une manifestation pacifique. La fusillade fait 63 morts.
des organismes participant à l'aide aux Français r apatriés
d'outre-mer •,mis en place en mars 1962.
En réalité, l'hostilité dont ils firent l'objet ne faisait que remis ses pouvoirs au GPRA quand celui-ci était rentré à Alger
relayer celle des pouvoirs publics. Ainsi Louis Joxe, ministre le 3 juillet. Mais le GPRA était lui-même contesté par le Bureau
des Affaires algériennes, considérait-il ces repliés co:mme des politique du FLN proposé par Ben Bella au Conseil national de
indésirables, à cause de leur soutien à l'OAS, comme il le dit la révolution algérienne (CNRA) de Tripoli en juin, et par létat-
au Conseil du 18 juillet: • Dans beaucoup de cas, il n'est pas major général de I' Armée de libération nationale (ALN) com-
souhaitable qu'ils retournent en Algérie ni qu'ils s'installent mandé par le colonel Boumediene, officiellement destitué par
en France, où ils seraient une mauvaise graine! Il vaudrait le GPRA mais allié au Bureau politique. Après deux mois
mieux qu'ils s'installent en Argentine, ou au Brés il, ou en d' anarchie, la crise fut dénouée par un début de guerre civile
Australie. • A quoi De Gaulle répondit : • Mais non ! Plutôt en entre deux coalitions instables, qui permit à Boumediene
Nouvelle-Calédonie ! Ou bien en Guyane, qui est sous-peu- d'imposer son autorité suries wilayas et sur le GPRA et d'ouvrir
plée et où ondemandedesdéfricheursetdespionniers ! • les portes d 'Alger à Ben Bella. L' élection d' une Assemblée
Le 11 juillet, le député Pierre Battesti protesta contre constituante sur une liste présentée par le FLN amorça un début
l'absencedelaloid' indernnisationquiavaitétéannoncéepour de stabilisation par l' installation d'un régime de parti unique.
avant le 30 juin 1962: • Gouverner, c'estprévoir, dit-on cou- Après un bref moment de soulagement devant la formation
ramment. Hélas, on a prévu faux et gouverné mal. • Le gouver- du gouvernement Ben Bella et un début de remise en ordre, la
nement dut prendre conscience de ses erreurs et adapter sa France s' impatienta de sa lenteur à la menerà bien, de la pour-
politique d' accueil et de reclassement aux exigences de la suite des violences contre des Français et surtout contre les
situation. Mais la France attendit 1970 pour accorder aux anciens harkis, ainsi que des multiples atteintes aux biens
rapatriés une première loi de• contribution à! 'indemnisation •. français. Elle exigea le 12novembre la séparation des Trésors
Juridiquement, en Algérie, l' autorité appartenait désor- français et algérien dont la réunion permettait jusqu'alors à
ma is à !' Exécutif provisoire, en attendant l' élection d ' une l'Algérie d 'éviter la faillite en faisant payer par la France son
Assemblée nationale constituante, mais cet organisme énorme déficit budgétaire, creusé par la fuite massive de ses
administratif n'avait aucun pouvoir contraignant, et il avait principaux contribuables qui étaient les Français d'Algérie.
et les réfugiés durent être transférés pour l'hiver à Rivesaltes
0 (Pyrénées-Orientales) et Saint-Maurice-l'Ardoise (Gard)
~ dans des conditions matérielles particulièrement précaires :
~ les tentes y suppléaient encore à des baraquements en nom-
~
eJ
bre insuffisant, l'électricité et les douches y faisaient souvent
défaut. li fallut attendre l'année suivante pourvoir une amélio-
z
;;::! ration. A ces difficultés s'ajouta l'indifférence ou l'hostilité que
~
0 les harkis suscitaient dans l'opinion, l'image d'un FLN résis-
i!f tant venants' imposer, par un parallèle avec la Seconde
~
<12> Guerre mondiale, sur celle d'un harki collabo.
Sous LE FEU Ci-dessus : des soldats français ripostent Au total, 21 000 personnes furent rapatriées en 1962, 15 000
aux tirs de l'OAS dans les ruelles de Bab el-Oued, à Alger, en 1963et5340en1964-1965,soitprèsde42 000. L'accueil
en mars 1962. En bas, à droite :des soldats harkis, en 1959. fait à ces réfugiés que l'on ne voulait pas considérer en France
comme des• rapatriés •à part entière a donné l'impression justi-
fiée d'une volonté de les tenir à l'écart, aussi bien des Français de
Huit mois après leur signature, l'échec des accords d'Evian France (auxquels on ne voulait pas faire prendre conscience de
était ainsi devenu évident, puisque les garanties de non-repré- la gravité des violations des accords d'Evian) que des Algériens
sailles qui en étaient la base avaient été massivement violées. en France (toujours encadrés par l'ancienne Fédération de
Les Français d'Algérie, auxquels le gouvernement français France du FLN transformée en• Amicale • ), auxquels on voulait
avait voulu permettre de rester dans leur pays natal, avaient fui dissimuler leur présence afin d'éviter de nouvelles violences. Il
en masse parce que leur sécurité passait après la guerre contre en résulta une tendance très nette à la ségrégation. Quand le
l'OAS, puis après la lutte pour le pouvoir entre les factions reclassement des réfugiés s'accéléra ( 1963-1965), Saint-Mau-
algériennes. Et le gouvernement algérien avait montré qu'il ricefuttransformé en• cité d'accueil •et Bias ouvert pour les per-
n'avait pas la volonté de permettre durablement le retour ni le sonnes jugées• inclassables • et leur famille : inaptes au travail,
maintien en Algérie de ceux qui n'avaient pas fui, puisque le veuves et vieillards, malades psychologiques. Plusieurs centai- 81
programme de Tripoli définissait les accords d'Evian comme nes de harkis y vécurent jusque dans les années 1970, soumis à lfllis'T01i'R1E
une • plate-forme néocolonialiste •. la promiscuité et à des conditions d'hygiène déplorables. Il fallut
la violente révolte des jeunes à Saint-Maurice à l'été 19 75 pour
Les sacrifiés de la paix attirer lattention des pouvoirs publics sur leur situation.
Les ex-• Français musulmans •,qui n'étaient même pas nom- L'armée française avait été, de son côté, ébranlée par les évé- \.::
més dans les accords d'Evian, étaient protégés en principe nements. Si la plupart des appelés métropolitains retrouvèrent ,.=)
par la déclaration des garanties, qui promettait une absence
de représailles pour toutes les opinions exprimées et pour
tous les actes commis durant la guerre. Avant la proclamation
de l'indépendance, les violations de ces promesses furent
limitées par le souci de ne pas inquiéter la France, mais après
celle-ci, des vagues d'arrestations suivies de tortures et de
supplices frappèrent toute l'Algérie durant la lutte pour le
pouvoir, et continuèrent dans les premiers mois du gouver-
nement Ben Bella. Deux bilans différents estiment le nombre
des victimes à 30 000 ou à 150 000 par extrapolation à partir
de témoignages localisés. Les survivants furent détenus dans
des prisons ou des camps, et libérés entre 1965 et 1969. Le
gouvernement français, qui avait d'abord interdit les trans-
ferts d'anciens harkis et moghaznis vers la métropole organi-
sés clandestinement pard 'anciens officiers de Sections admi-
nistratives spécialisées (SAS), fut obligé d'accueillir les
réfugiés dans le cadre d'un plan de• rapatriement•.
En mai etjuin 1962, l'armée ouvrit ainsi deux camps à Larzac
(Aveyron) età Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), transformés en
villages de tentes pour accueillir les Français musulmans. Fin
juillet, leur nombre se montait à 12 000. Marqué par! 'imprépa-
ration, le plan empêcha un accueil et un reclassement rapides,
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z: avec soulagement leurs familles, les militaires de carrière rapide malgré Evian, ça suffit comme ça •, avait-il déclaré au
w avaient eu à choisir entre la discipline militaire et le reniement
des promesses qu'ils avaient été conduits à faire aux popula-
Conseil des affaires algériennes du 16 novembre 1962.
Le gouvernement français fut au contraire amené à plu-
tions d'Algérie. Ils en ressortirent meurtris. Certains étaient sor- sieurs reprises à élargir les contingents des travailleurs algé-
tis de la légalité en participant au putsch d'Alger ou à l''OAS. Au riens admis en France. L'immigration algérienne n'a plus
82 lendemain d'une guerre à laquelle ils s'étaient entièrement don- cessé depuis. La dernière tentative d'inverser le mouvement
IHlisrôTRlE nés et qu'ils avaient eu le sentiment de gagner sur le terrain, ils migratoire par un accord prévoyant un retour au pays volon-
subirent des peines d'emprisonnement. Un certain nombre taire date de septembre 1980, ma is le président Mitterrand y
d'officiers démissionnèrent de l'armée par solidarité. Le renonça dès 1981, reconnaissant ainsi le caractère définitif de
17 décembre 1964 une première loi d'amnistie fut votée, suivie, l'immigration algérienne. Quant aux enfants d'Algériens nés
le 21 décembre, d'une grâce présidentielle pour 173 anciens en France à partir du 1er janvier 1963, ils devinrent automati-
membres de l'OAS. Les autres ne le seraient que le 7 juin 1968. quement français à leur majorité (rabaissée à 18 ans par le
La loi du 17 juin 1966 amnistiait les • infractions contre la sûreté président Giscard d'Estaing), soit à partir de 1981.
de l'Etatou commises en relation avec les événements d'Algé-
rie ... Mais c'est seulement le 24 juillet 1968 que l'Assemblée Une réconciliation sans cesse différée
nationale vota une loi effaçant les peines liées aux• événements Le gouvernement français s'était ainsi trouvé confronté dès
d'Algérie •sans prévoir encore la réintégration dans les fonc- novembre 1962 à un échec total d e sa politique algérienne.
tions publiques et le droit au port des décorations. Ce sera l'effet Après un mois de très forte tension, durant laquelle le général
de la loi du 3 décembre 1982, qui réhabilitera entièrement par De Gaulle avait voulu redéfinir la politique de coopération avec
une nouvelle amnistie les officiers survivants. lAlgérie en fonction de • l'incapacité actuelle du gouvernement
Enfin, les luttes pour le pouvoir en Algérie et la profonde algérienàassurerlaman::hede l'Etat •, celui-ci finit par accepter
crise économique due au départ massif des Français d'Algérie les exigences françaises. La séparation des Trésors ne devint
eurent une conséquence capitale : contrairement à ce pourtant effective qu'à la fin décembre, et la France ne put pas
qu'avaient espéré les nationalistes algériens, l'indépendance interrompre son aide financière et technique avant de longues
ne permit pas le retour massif des émigrés algériens dans leur années sans replonger l'Algérie dans le chaos.
patrie, mais elle fut au contraire rapidement suivie par une Les présidents Ben Bella ( 1962.-1965) puis Boumediene
émigration vers la France plus forte que jamais. Le nombre de (seul maître du pouvoir à partir de son coup de force du 19 juin
résidents algériens en France passa ainsi de 350 000 en 1962 1965) appliquèrent le programme de Tripoli, considérant les
à 710 000 en 1975. Selon I' AIDA, I' Association internationale accords d'Evian comme un • programme néocolonialiste • à
de la diaspora algérienne, ceux-ci seraient de 5 millions démanteler progressivement. Du côté français, la politique
aujourd'hui, en incluant les binationaux. Ce fait imprévu, algérienne du général De Gaulle peut se résumer ainsi d'après
contraire à la raison fondamentale pour laquelle le général les propos qu'il a tenus devant Alain Peyrefitte : une vision très
De Gaulle avait préféré l'indépendance à l'intégration, scellait sévère de l'état de l'Algérie (mêmes' il reconnaissait l'injustice
l'échec des accords d'Evian: • Immigration, mettre un terme du sort imposé au peuple algérien par le régime colonial) ; une
E XODE Des pieds-noirs réfugiés dans
le port d'Oran sont sur le point d'embarquer
pour la France, le 7 juillet 1962.

vision des intérêts de la France qui reposait avant tout sur la de ces islamistes par les services secrets algériens, qui auraient
poursuite des essais de bombes atomiques et de fusées au voulu obtenir un soutien inconditionnel de la France;
Sahara, et sur l'exploitation du pétrole et du gaz sahariens le -enfin, depuis 2005, échec du projet de traité d'amitié
plus longtemps possible; enfin, l'espoir d'une coopération franco-algérien proposé par Jacques Chirac en 2003 à cause
durable, fondée sur la réciprocité des intérêts à long terme. La du vote de la loi du 23 février 2005 rendant hommage à la colo-
France acheva l'évacuation de ses troupes ( 1964) et de ses nisation française. Jacques Chirac l'a reconnu dans ses Mémoi-
bases militaires au Sahara (1967), à Mers el-Kebir ( 1968) et res: • Le principal obstacle viendra de l'acte de repentance que
Bou-Sfer ( 1970), remplacées parcelles de Guyane etde Poly- le gouvemementalgérien nous demande quelques mois plus
nésie française pour la mise au point de son armement atomi- tard de faire figurer dans le préambule, acte par lequel la France
que, mais elle continua sa coopération. exprimerait ses regrets pour"les torts portés à l'Algérie durant
Après la séparation des Trésors français et algériens, la la période coloniale". (. ..) Je ne l'ai naturellement pas accepté,
France continua en effet à accorder une aide fmancière décrois- consentant tout au plus à souligner, dans une déclaration
sante mais importante de 1963 à 1970 pour combler le déficit parallèle et distincte du traité, "les épreuves et les tourments"
du budget algérien, et elle accepta d 'apurerparun accord secret que l'histoire avait imposés à nos deux pays. •
en décembre 1966, à des conditions très généreuses, I.e conten- Depuis lors, les présidents Sarkozy et Hollande ont l'un et
tieux financier entre les deux Etats qui portait sur 7 ,5 milliards l'autre refusé cette revendication algérienne. Enjanvier2013,
de francs et près de 20 milliards de francs de bien nationalisés l'intervention française au Mali contre les groupes armés islamis-
sans indemnité. Le total de l'aide budgétaire accordée par la tes se fit avec laccord tacite de 1'Algérie, qui subit en représailles
France à l'Algérie s'élèverait à 3,307 millions de francs de 1963 la grave prise d'otages d'ln Amenas. En 2014, les invitations
à 1970, ouà 2,306millionsdedollarsde 1962à 1969. acceptées par lAlgérie à participer au défilé du 14juillet à Paris et
Les concessions pétrolières françaises au Sahara furent sau- à la revue navale de Toulon le 15 août semblent avoir scellé une
vegardées le temps que l'Algérie se dote de sa propre société quasi-alliance franco-algérienne. Mais comment croire à sa
pétrolière. Mais en dépit de l'accord du 29 juillet 1965, qui avait durée quand le ministre algérien des Anciens Moudjahidin,
relevé la fiscalité algérienne sur le pétrole et associé paritaire- Tayeb Zitouni, déclare le 17 octobre : • Notredevoirestdeconti-
ment I' ERAP et Sonatrach pour la recherche de nouveaux gise- nuerà dévoiler les massacres et les crimes barbares perpétrés par
ments, l'Algérie exigea en 1969 et 1970 la révision des clauses l'armée coloniale française en Algérie au temps de l'occupation.
fiscales et la prise de contrôle des sociétés concessionnaires à Nous organiserons des séminaires, colloques et produirons des
51 %. Elle annonça ces mesures avec promesse d'indemnisa- documentsécritsetaudiovisuelssurcettepériodejusqu'àceque
tion le 24 février 1971, puis abolit le régime des concessions le vienne une génération en France qui reconnaîtra les crimes de
12 avril après l'échec des négociations entre gouvernements. ses ancêtres et demandera pardon. Cejour-là, nous refuserons ce
Confrontées à cette nationalisation, les sociétés françaises pardon, parce que tout ce que la France a commis en Algérie est
boycottèrent le • pétrole rouge • algérien, puis signèrent des impardonnable • (Le Soir d'Algérie, 17 octobre 2014) ? f
accords d'indemnisation et de participation minoritaire de juin
à décembre 1971. Ainsi les grandes sociétés furent-elles mieux Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université de
traitées que les simples particuliers, dont les• biens vacants • Toulouse-Le Mirail, Guy Pervillé est l'auteur de nombreux ouvrages
avaient été saisis par l'Etat algérien sans indemnité. Trois ans sur l'histoire de lAlgérie coloniale et sur la guerre d'Algérie.
plus tard, en avril 1974, la première hausse massive du prix du
pétrole décidée par !'Organisation des pays exportateurs de
1 A lire
pétrole (OPEP), dont l'Algérie était membre, plaça la France
dans une situation de dépendance que le général De Gaulle L.Q!_Guy Pervillé
n'avait pas prévue quand il avait décidé de laisser à l'Algérie la
souveraineté sur le Sahara en septembre 1961.
De 1974 à nos jours, à trois reprises, les relations franco-
algériennes ont traversé des crises suivies de tentatives de
u Les A ccords
d 'Evian (1962)
Armand Colin
réconciliation : 288pages
-de 1976 à 1978, crise aiguë entre l'Algérie et la France du 29,40€
président Giscard d'Estaing au sujet du conflit du Sahara ex-
espagnol, dans lequel la France soutenait le Maroc et la Mauri- La Guerre
tanie alors que l'Algérie soutenait le Front Polisario ; d'Algérie
-durant la guerre civile algérienne des années 1990, tensions PUF
croissantes dues à la volonté des islamistes d'impliquer la « Que sa is-je~?
»
France sur son territoire (attentats de 1995 et 1996), mais aussi LA<lUtR!RI! O'Al.GtlUl
128pages
à la méfiance de Jacques Chirac soupçonnant une manipulation G. , ........1~
9€
DICTIONNAIRE

Par Thibaut Dary


Illustratio ns Fa bie n Clairefo nd

w Civils et militaires, Fran çais


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et Algériens, OAS et FLN : « guerre
> sans nom », la gue rre d'Algéri e
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0 eut de nombre ux protagonistes.
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Les civils

GUY MOLLET (1905, FLERS, ORNE - 1975, PARIS)


Né dans une famille catholique, Guy M ollet est marqué par la perte de son
père, gazé en 1917. A 18 ans, il adhère à la Section française de l'Internationale
ouvrière, la SFIO. Elle sera son tremplin et son destin. Car s'il entame en 1925
une carrière de professeur d'anglais, il mène surtout la vie de militant, qui
le conduit vite aux plus hautes responsabilités. Son engagement précoce dans
la Résistance le propulse à la mairie d'Arras en 1945 ; il est élu député du Pas-
de-Calais en 1946, et la même année, secrétaire général de la SFIO : il occupera
le poste jusqu'en 1969. traversant toute la IV• République et les débuts de la V•.
Ministre d'Etat dans les gouvernements Blum Ill et Pleven 1, vice-président
du Conseil sous Queuille 111, Mollet s'allie à Mendès France, Mitterrand
et Chaban-Delmas pour créer. en 1956, la coalition du « Front républicain »,
qui le porte à la présidence du Conseil. La situation algérienne, qui se dégrade,
foblige à faire le choix de rautorité et du déploiement d'appelés, quand
lui-même eût préféré une paix négociée, pour laquelle il ne trouve cependant
aucune majorité à l'Assemblée. Dès lors, la tension prend une tournure
militaire, d'autant que Mollet a fait voter les pouvoirs spéciaux à l'armée.
M is en minorité en mai 1957, son gouvernement finit par chuter, non
sans avoir jeté les bases et de la décolonisation par la loi-cadre Defferre,
et de la Communauté économique européenne.
(
FRANÇOIS MITTERRAND
/
( 1916, JARNAC, CHARENTE - 1996, PARIS)
Fils doué d'une famille de la bourgeoisie
catholique charentaise, François Mitterrand
monte à Paris en 1934 pour y suivre des
études de droit, de lettres et de sciences
politiques. li y fréquente un milieu proche
de la droite nationaliste. Durant la Seconde
Guerre mondiale, après une blessure au
combat et dix-huit mois de captivité, il est
employé, en 1942, dans le service aux
prisonniers du gouvernement de Vichy.
Décoré de la francisque par le maréchal
Pétain, il monte, en 1943, son propre
réseau de résistance. Au sein de l'Union
démocratique et socialiste de la Résistance
(UDSR), parti charnière situé entre le MRP
(Mouvement républicain populaire) et la
SFIO, de tendance libérale et progressiste,
il devient, après-guerre, l'une des jeunes
personnalités de la IV• République, onze fois
ministre ou secrétaire d'Etat entre 1947
et 1957. Ouvert à l'indépendance de
11\frique noire, il affirme à l'inverse que
« l'.t\lgérie, c'est la France ».Ministre de
!'Intérieur puis ministre de la Justice entre
1954et1957, il prendra sa part de la politique
répressive de Mollet, qui se soldera par
des dizaines de peines de mort A partir de
1958, Mitterrand confirme son glissement
à gauche et son opposition à De Gaulle,
qu'il affronte à la présidentielle de 1965.
Elu président de la République à son tour
en 1981, il abolira la peine capitale et saura
longtemps faire oublier au corps électoral
les engagements de ses jeunes années.

ALBERT CAMUS
( 1913, MONDOVI, ALGÉRIE - 1960, VILLEBLEVIN, YONNE)
Pied-noir né en Algérie, fils d'une veuve pauvre et dévouée qui s'éreinte en ménages,
élevé à Alger entre une grand-mère sévère et un oncle infirme, Albert Camus brille
dans ses études. Alors que la philosophie lui tend les bras, la tuberculose lui interdit
l'enseignement. Ce sera donc l'écriture tous azimuts :journalisme, théâtre, romans,
essais. Sa série de reportages, Misère de la Kabylie, sonne déjà en 1939 comme une
mise en accusation du colonialisme. A partir de 1940, Camus vit en métropole, où il
publie L'Etranger, Le Mythe de Sisyphe, Caligula, puis, après-guerre, La Peste et Les justes.
Sa critique des impérialismes, son empathie pour les pauvres, son passé fugace
au parti communiste en feraient un « compagnon de route » idéal. Mais L'Homme
révolté, en 1951, signe la rupture avec son ami Jean-Paul Sartre et l'intelligentsia :Camus
a le tort de ne pas choisir de camp. Face à la question algérienne, même esprit de paix
et de pondération dans son Appel pour une trêve dvile de janvier 1956, hostile au
terrorisme; et quand il reçoit son prix Nobel de littérature en 1957, illâche sa fameuse
phrase: face à une« justice »qui s'exprime par des bombes dans les tramways,
«je préfère ma mère ».Idéaliste plus que politique, favorable à une Algérie française
mais non coloniale, incompris et critiqué, Camus a échoué à pacifier l'embrasement ~.....,.
algérien. Un accident de voiture, en janvier 1960, lui épargnera d'en voir la fin. • ='
GÉNÉRAL RAOUL SALAN (1899, ROQUECOURBE, TARN -1984, PARIS)
Admis àSaint-Cyren 1917, Raoul Salan est affecté dès l'été 1918 à un poste
de combatcommechefdesection. Laguerre dévore alors l'Occident sur son propre
sol, mais Salan, à sa demande, partira vers l'empire colonial où il effeauera la
majorité de sa carrière. C'est un officier brillant, déterminé, qui prend pour modèle
l'idéal civilisateur de Gallieni.Gravement blessé en Syrie en 1921, il partira vers
le Tonkin en 1924, dont il deviendra un grand connaisseur. En 1938, i1est nommé
chef du Renseignement intercolonial. Affecté en Afrique durant la guerre, il se
rallie aux Alliés, participe au débarquement de Provence en août 1944, et à la prise
de Toulon. En 1945, Salan est de retour en Indochine, où il passera neufans,
le temps de voir la puissance française décliner face au Viêt-minh. Impénétrable,
calme et souverain, il y gagne le surnom de« Mandarin ».Fin 1956, il estnommé
commandant supérieur interarmées de la 10< région militaire, c'est-à-dire de 11\lgérie
entière. Lacrisede mai 1958 levoitjouerun rôlestabilisateurde premier plan en
faveur de racces.sion du général De Gaulle. Mais si ces deux destins coïncident alors,
c'est pour se croiser puis s'éloigner: Salan est rappelé en France en 1959 et mis
w à la retraite en 1960. Pourtant, en désaccord avec la politique algérienne du pouvoir,
a::: il rejoint le putsch d'avril 1961 puis, jusqu'en avril 1962 où il est arrêté, dirige

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!'Organisation armée secrète (OAS). Sa condamnation à la prison fera enrager
De Gaulle, qui eût voulu le voir puni de mort. li le graciera pourtant en juin 1968.

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w Les militaires
Les putschistes

GÉNÉRAL ANDRÉ ZELLER ( 1898, BESANÇON-1979, PARIS)


Le peât général Zeller, trapu et souriant, qui est en charge de l'intendance
au sein du quatuor des officiers putschistes, est le plus âgé des quatre, ce qui lui
permet d'être un vétéran de la Première Guerre mondiale. A 17 ans, il s'est engagé
volontaire : Verdun, la Somme, les Flandres, la Marne, il yétait. Sorâ du conflit
comme lieutenant, il commence une longue carrière de commandement entre
les colonies et les états-majors. Muté en Afrique du Nord en 1940, il parâcipe
à la campagne de Tunisie (1942-1943), puis sert sous les ordres du général Juin
dans le corps expéditionnaire français en Italie_ Passé à l'état-major du général
de Lattre, il débarque sur les côtes de Provence avant de commander l'arâllerie
de la ire DB. Général de division en 1950, il est nommé chef d'état-major de l'armée
de terre en 1955 et promu au rang de général de corps d'armée.11 démissionne
en 1956 pour manifester son opposition au recul gouvernemental sur rAlgérie ~
et se reconvertit dans la banque. Ason retour au pouvoir en mai 1958, le général SI
De Gaulle le rappelle et le rétablit dans son poste. !:idylle est de courte durée : d
en octobre 1959, Zeller démi.ssionne à nouveau, conscient que la politique ~
engagée va à rinverse de ses convictions. Sa participation au putsch le voit 3
prendre en charge les affaires économiques et financières, et tenter de rallier ~
le général Gouraud, commandant le corps d'armée de Constantine. Quand a
l'opération échoue, après avoir tenté de se cacher, André Zeller se rend le 6 mai. S
A l'instar des autres généraux putschistes, il sera condamné et interné Libéré §
en 1966, il bénéficie de la même grâce que ses comparses deux ans plus tard. ;;;!
GÉNÉRAL MAORICE CHALLE
(1905, LEPONTET, VAUCWSE - 1979, PARIS)
Officier de rarmée de l'air, Maurice Challe a intégré Saint-Cyr en 1923, avant
de choisir l'aviation. Tout juste sorti de rEcole supérieure de guerre aérienne
en juillet 1939, il prend part aux combats face à l'invasion allemande en 1940,
puis rejoint !'Organisation de résistance de l'armée en 1943, qui lui permet
de faire transiter aux Alliés des informations de premier ordre. L'après-guerre
offre à Challe de grimper tous les échelons de la hiérarchie, jusqu'à devenir
chef d'état-major général en 1955. En octobre 1958, li\lgérie l'appelle : le voici
nommé adjoint du général Salan, dont il prend la succession moins de trois mois
plus tard. li va mettre en œuvre le plan dit« Challe »à partir de février 1959,
qui prévoit d'épuiser la résistance armée des wilayas de li\rmée de libération
nationale (ALN) en déportant l'effort militaire des régions pacifiées vers
l'arrière-pays. Le succès est au rendez-vous. li ne sera pas exploité :Challe est
au contraire muté en 1960 à Fontainebleau, commandant en chef du secteur
Centre-Europe de l'OTAN. Chez lui, la politique d'autodétermination
de li\lgérie ne passe pas : il démission ne en janvier 1961 et se laisse convaincre
de prendre la tête du putsch du 22 avril. Son appel aux forces armées contre
le« gouvernement d'abandon » tient en trois mots : « tenir notre serment »fait
aux populations et aux harkis engagés aux côtés de la France.
Mais radhésion partielle des troupes est fatale à l'entreprise. ~
Le 27 avril, digne et dépité, Challe se rend, seul. li sera
condamné à quinze ans de réclusion, et amnistié en 1968. ~

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GÉNÉRALEDMONDJOGHAUD
( 1905, BOU SFER, ALGÉRIE - 1995, ROYAN)
Du quatuor de généraux à la tête du putsch, il était
le plus impliqué affectivement dans le destin
de li\lgérie : sa fami lie y était installée depuis 1870,
et il y était né. Le titre d'un des livres qu'il publia,
ô mon pays perdu, racontant son parcours « de Bou
Sfer à Tulle »,de la maison de ses parents à la
captivité, résume combien Jouhaud joua son va-
tout le 22 avril 1961. Ayant grandi à Oran, il rejoint
Saint-Cyr à 19 ans et s'oriente, à l'instar de Challe,
vers l'aviation. Le service le conduit en Afrique
occidentale française et, en 1939, il est promu
commandant. Fidèle au départ à l'Etat français,
il finit par obtenir un congé, qu'il met à profit pour
rejoindre la Résistance. A partir de 1944, il reprend
du service, devient colonel en 1946, et progressera
jusqu'à être fait chef d'état-major de l'armée de l'air
en 1959 par le général De Gaulle. En 1960, pourtant,
Jouhaud demande son départ en retraite : sur
li\lgérie, « la Grande Zohra » n'est plus crédible.
Parmi les généraux du putsch, on comptera sur lui
pour rassurer la population. L'échec le conduit dans
la clandestinité, à la tête de l'OAS aux côtés de Salan.
Muni de faux papiers, il finit par être démasqué
fin mars 1962. Condamné à mort trois semaines plus
tard par un tribunal militaire, il attend la sanction
durant sept mois. Elle sera commuée en perpétuité. } )
Libéré en 1967,Jouhaud est amnistié un an après.
COMMANDANT HÉLIE DENOIX DE SAINT MARC
(1922, BORDEAUX - 2013, LA GARDE-ADHÉMAR, DRÔME)
Résistant dès 1941 dans la région de Bordeaux, arrêté
en 1943etdéporté à Buchenwald où il échappe
de justesse à la mort, Hélie Denoix de Saint Marc rejoint
la Légion étrangère à sa sortie de Saint-Cyr et part
pour l'Indochine en 1948.11 est témoin de l'essor du
communisme et de l'abandon sur ordre des populations
vietnamiennes désespérées. li en conserve ce credo :
plus jamais ça, plus jamais moi. Aussi, quand, en avril 1961,
Challe a besoin de troupes de confiance pour tenter de
sauver la présence française en Afrique du Nord, il trouve
Saint Marc, commandant par intérim le 1er régiment
étranger parachutiste (REP), disposé à lui obéir. Question
.... d'honneur et de fidélité. Le 1er REP sera le dernier carré
w -.r de rebelles à se tenir droit, dans la dissidence comme
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dans la reddition. Jugé, Saint Marc est condamné à dix ans
~
O::'.
de prison et sera gracié en 1966. S'il retourne à la vie civile,
son histoire ne s'arrête pas là. Ses souvenirs et réflexions
w sur le métier de soldat et d'homme, publiés à partir
> de 1988, rencontrent un succès continu. De soldat paria,
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0 il devient un modèle de conscience. En 2011, cinquante
u ans après la désobéissance d'Alger, il est fait grand-croix
z: de la Légion d'honneur, en manière de point final
w à l'un des destins militaires français les plus singuliers
de la seconde moitié d.u XX• siècle.

Le légitimiste

GÉNÉRALJACQOESMASSU
( 1908, CHÂLONS-SUR-MARNE- 2002, CONFLANS-SUR-LOING)
Pas tendre, mais efficace : voici Jacques Massu, qui semble si bien porter
son nom. Officier dans l'infanterie coloniale, il sert à partir de 1930 au Maroc,
au Togo et au Tchad : c'est là qu'il choisit le camp de la France libre en 1940.
Depuis li\frique, il participe à l'effort allié de reconquête de l'Europe et servira
sous les ordres de Leclerc lors de la libération de Paris en 1945. Libérateur
de Hanoï occupée par le Viêt-minh en 1946, il écrase son adversaire, gagnant
une réputation de brutalité. Massu rejoint les parachutistes en 1947 et, en
décembre 1956, est de l'expédition de Suez à la tête de la 1oe division parachutiste.
Deux mois plus tard, ses troupes reçoivent de Robert Lacoste les pleins
pouvoirs pour déloger le FLN de la capitale algérienne et démanteler son réseau
terroriste : c'est le début de la« bataille di\lger ».La mission policière menée
sans ménagement par l'armée est couronnée de succès et Massu devient l'homme
fort de li\lgérie. Lors de la crise de mai 1958, il fonde et préside le comité de salut
public, et De Gaulle, revenu au pouvoir, le nomme commandant du corps d'armée
d'.A.lger en décembre. En 1960, Massu est rappelé en métropole, nommé à Metz.
Il deviendra commandant en chef des forces françaises en Allemagne en 1966,
à Baden-Baden, où De Gaulle viendra énigmatiquement le visiter en mai 1968.
COLONELANTOINEARGOUD
( 1914, DARNEY, VOSGES - 2004, VllTEL, VOSGES)
Polytechnicien, Antoine Argoud choisit la voie des armes et rejoint la cavalerie
en 1934. En 1942, il combat aux côtés des Forces françaises libres en Afrique du Nord,
sous les ordres du général de Lattre, dans le cabin et duquel il deviendra conseiller
technique après 1945. En 1954, Argoud est nommé conseiller militaire aux Affaires
algériennes auprès de Jacques Chevallier, secrétaire d'Etat à la Guerre. Il reprend pied
sur le terrain en 1956, à la tête du 3• régiment des chasseurs d'.A.frique. La fronde
antigaulliste ne le laisse pas indifférent: en janvier 1960, lors de la semaine des barricades
qui succède au rappel de Massu en métropole, il réclame au Premier ministre Michel
Debré la définition urgente d'une nouvelle politique, sous peine d'une insurrection
militaire. Quand le putsch d'avril 1961 se dévoile, Argoud lui emboîte le pas, devient
clandestin et rejoint l'OAS Madrid. Il sera run des quatre membres d'un nouveau
« Conseil national de la résistance »fondé à Rome en mai 1962,auxcôtésdeGeorges
Bidault, Jacques Soustelle et Pierre Sergent, qui prétendait préserver l'intégrité du
territoire de la France. En février 1963, le colonel clandestin est enlevé à Munich et retrouvé
ligoté le lendemain à Paris près de la préfecture de police. Un coup des barbouzes !
Jugé et condamné à la réclusion à perpétuité, Argoud sera à son tour gracié en 1968.

L'Organisation
armée secrète
(OAS)

LIEUTENANT ROGER DEGUELDRE


(1925, LOUVROIL, NORD -1962, FORTD'IVRY)
Issu d'un milieu populaire du Nord, le jeune Roger Degueldre doit fuir,
à 15 ans, devant l'invasion allemande. A partir de ses 17 ans, et durant
vingt ans, il ne cessera de se battre pour son pays. Maquisard aux côtés
des communistes, engagé volontaire à la Libération, soldat à la Légion
étrangère qui l'emmène risquer sa vie en Indochine, il yest promu sous-
ci lieutenant et plusieurs fois décoré. Médaille militaire, croix de guerre des
i5 Théâtres d'opérations extérieurs (TOE), Légion d'honneur : le fils du peuple
~ a mérité de la patrie. Tout bascule en 1960, quand Degueldre est accusé de
d complicité avec les mouvements insurrectionnels antigaullistes et favorables
~ à rAlgérie française :s'il nie son implication, il confirme les opinions quon
~ lui prête en passant dans la clandestinité, où il crée et dirige les commandos
"?. Delta au sein de l'OAS. Arrêté en avril 1962, Roger Degueldre est condamné
~ à mort et fusillé au fort d'Ivry trois mois plus tard. Son exécution est
~ tragique, la plupart des soldats et officiers refusant d'appliquer la sanction
~ fatale. Dans l'histoire de la guerre d'.A.lgérie, Degueldre figure parmi les ~.....,.
~ braves broyés par des calculs que leur idéal patriotique refusait d'accepter. • -=-'
AHMED BEN BELLA (1916,MARNIA,ORANIE - 2012,ALGER)
D'origine marocaine, Ahmed Ben Bella combat comme sous-officier dans les troupes
françaises d:A.frique du Nord à Monte Cassino en 1944, puis participe à la libération
de la France et à la conquête de l'Allemagne en 1945. Un vrai serviteur de la nation,
décoré de la médaille militaire... par le général De Gaulle en personne. Mais l'épisode
des massacres de Sétif, en mai 1945, le fait basculer dans l'engagement partisan. Non
seulement il adhère au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD)
de Messali Hadj en 1947, mais, en 1949, il choisit le banditisme et dévalise la poste
d'Oran. Fuyard, il est arrêté en 1950 à Alger et condamné à sept ans de prison. Ben Bella
parvient à s'échapper en 1952 et se réfugie en Egypte, où il participe à la constitution
du FLN en 1954. En 1956, l'avion civil dans lequel il voyage est détourné par la France, qui
l'emprisonne. li restera captif jusqu'en 1962, pour devenir président du Conseil des
ministres du nouvel Etat, puis premier président de la République algérienne, de 1963
à 1965. Sa vision est celle d'un socialisme panarabique et d'un tiers-monde émergent
non aligné. Happé par la personnalisation du pouvoir, il n'achèvera pas son mandat,
destitué par son vice-Premier ministre Houari Boumediene, qui l'évince lors d'un coup
d'Etat. Pour Ben Bella, c'est le retour à la case prison ... jusqu'en 1979 ! Exilé en Suisse,
w il reviendra en Algérie en 1990, pour s'impliquer sur des questions internationales. Sa mort,
O::'.
en avril 2012, sera saluée d'un deuil national de huit jours.
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Les Algériens

BELKACEM KRIM
( 1922, OUED KSAR!, KABYLIE -1970, FRANCFORT)
Lors de son passage dans l'armée française, de 1943 à 1945, le jeune
Belkacem Krim se montre doué au tir. De 1947 à 1962, il va se montrer tout
aussi qualifié pour mener une guerre de maquis. Adhérent du Parti du peuple
algérien (PPA), il constitue des cellules clandestines qui ne cessent de prospérer
jusqu'en 1954, à la veille de l'insurrection. ! nsaisissable, il est condamné à mort
par contumace. Krim, qui a progressivement rompu avec le mouvement
de Messali Hadj, fait partie des six fondateurs historiques du FLN en novembre
1954, et crée la wilaya Ill qui couvre la Kabylie en 1955. Habile, il retourne
à son avantage l'opération française« Oiseau. bleu »,qui voulait créer un faux
maquis FLN piloté par les services secrets. li ygagne une réputation inégalable
et le surnom de « lion du djebel » de la part de ses adversaires. Quand
le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) est formé,
Krim en est le numéro deux, vice-président chargé des forces armées. Et c'est lui
qui, en mars 1962, signe les accords d'Evian pour l:A.lgérie. Très vite, il se voit
écarté du pouvoir. Devenu opposant à Boumediene, dans le climat de règlements
de comptes fratricides qui règne alors en Algérie, il est condamné à mort
en 1967 et ne doit son salut qu'à la fuite vers le Maroc. De passage en Allemagne,
il est assassiné par strangulation à Francfort, en 1970. Il sera réhabilité en 1984.
MESSALI HADJ
( 1898, TLEMCEN -197 4, GOUVIEUX, OISE)
Né dans une famille modeste mais éduquée,
Messali Hadj élabore dès sa jeunesse la pensée
d'une autonomie politique de li\lgérie et
du Maghreb, qui va devenir la cause de sa vie.
Militant infatigable, ayant fréquenté le parti
communiste en France, il fonde et dirige
plusieurs mouvements précurseurs sur cette
thématique : !'Etoile nord-africaine (ENA)
en 1926, le Parti du peuple algérien (PPA)
en 1937, le Mouvement pour le triomphe des
libertés démocratiques (MTLD) en 1946,
jusqu'à la création, en 1954, du Mouvement
national algérien (MNA). Condamné par
la justice française, régulièrement emprisonné
et placé en résidence surveillée entre 1934
et 1959, Hadj reste à la fois fidèle à sa vision
politique et modéré dans ses méthodes,
favorable à la conscientisation des Algériens.
Il s'opposera, dès lors, aux partisans de
l'indépendance adeptes de l'insurrection
violente, réunis sous la bannière du FLN.
Des« fanfaronnades »et du « gauchisme
stupide », en dira-t-il. Une lutte sanglante
opposera cependant le MNA et le FLN
à partir de 1956, conclue par la victoire sans
appel de ce dernier. Messali Hadj, père
de l'indépendantisme, est mis à l'écart. Libre
à partir de 1959, il doit rester en France
pour sa sécurité, même quand la nationalité
algérienne lui est accordée en 1965.
Il meurt en 1974, sans avoir revu li\lgérie,
où il sera néanmoins inhumé.

HOUARI BOUMEDIENE
( 1932, AÎN HASSAINIA - 1978, ALGER)
De son vrai nom Mohamed Boukharouba, Houari Boumediene
milite au MTLD fondé par Messali Hadj dès la fin de son adolescence.
Attiré durant ses études par l'effervescence indépendantiste,
il gagne l'Egypte au début des années 1950, où l'initiation militaire
s'ajoute à la formation politique. A partir de 1954, il organise
le trafic de matériel qui alimente la lutte armée et, en 1957, prend
la tête de la wilaya V, qui couvre l'ouest du pays. Son PC est situé 0
au Maroc : il forme autour de lui le« clan d'Oujda »,appelé à peser ~
sur l'avenir de li\lgérie. Boumediene (le pseudonyme est emprunté ~
à un mystique musulman) devient chef de l'état-major général d
de li\rmée de libération nationale (ALN) en 1959. Durant l'été 1962, as
une crise oppose le GPRA et les maquis à« l'armée des frontières », ~ =
forte de 23 ooo hommes, qu'il dirige. Elle lui permet de placer Ahmed ~
Ben Bella au pouvoir et, en 1965, d'y accéder à son tour: président ~
du Conseil de la révolution à partir de juin 1965, Boumediene devient ~
le deuxième président de la République en décembre 1976. Frappé ~
d'une maladie du sang. il meurt en 1978.11 n'avait que 46 ans. ;!
CHRONOLOGIE
Par Albane Piot

Tfae édie
flJ•liiipgr<I Pour la première fois, la reven-
dication de l'indépendance de l~lgérie est
exprimée publiquement sur le sol algérien :
achevée
lors d'une réunion du Congrès musulman
au stade municipal d'Alger, Messali Hadj, Après plus d'un siècle d'occupation
leader de l'association de travailleurs Etoile
nord-africaine, sous influence commu- française, l'Algé rie s'abîme
niste, proclame son refus de renoncer au
droit du peuple algérien à disposer de lui-
même.11 est porté en triomphe par la foule.
dans une guerre fratri cide à laquelle
IOMHilpiij L'Etoile nord-africaine est
interdite. Elle est remplacée en mars 1937
l'indépendance ne met pas fin.
par le Parti du peuple algérien (PPA).
mD Le PPA forme le Comité d'action
révolutionnaire nord-africain, organisa-
tion clandestine qui s'emploie à obtenir 1:1.1.!·llfüi Le jour de l'armistice, des émeu- mettant les courants nationalistes dans
des armes de l'Allemagne et de l'Italie. tes sanglantes éclatent à Sétif puis à Bône, l'impasse électorale. Des militants nationa-
ll11iî?;M;ipUI La plupart des élus musul- Constantine, Batna, Biskra et Guelma. listes prennent le maquis.
mans signent le« Manifeste du peuple L'armée et la police réagissent avec force. ICI L'OS est alors renforcée. Découverte
algérien »,rédigé par Ferhat Abbas, l'un Le gouvernement général interdit les AML par la police, elle sera dissoute en 1950.
des leaders nationalistes. Ce manifeste et arrête les principaux chefs. œJ Messali Hadj effectue une tournée à
condamne la colonisation, réclame une lf.tilHfl Ferhat Abbas fonde l'Union travers l'Algérie et rencontre un accuei 1fer·
nationalité et une Constitution algérien- démocratique du manifeste algérien vent qui inquiète les pouvoirs publics. li est
nes, la libération des prisonniers politiques (UDMA), qui revendique un Etat libre arrêté et transféré en résidence surveillée.
et la participation immédiate des musul- fédéré à la France, refuse autant l'assimila- lfiH:!.jfüUes difficultés françaises en lndo-
mans algériens à leur gouvernement. tion que la scission avec la France. chi ne incitent les nationalistes algériens
QlllHIHJI Formation du Comité français Jijijd.fü:!ijiijfüMessali Hadj fonde le Mou- à agir (Diên Biên Phu tombera le 7 mai).
de libération nationale (CFLN) à Alger par vement pour le triomphe des libertés Le 23 mars, le comité central du MTLDet les
le général De Gaulle. le général Catroux, démocratiques (MTLD), un parti qui se anciens cadres de l'OS fondent le Comité
nouveau commissaire d'Etat aux Affaires veut national, populaire et révolution- révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA).
musulmanes et gouverneur général de naire, réclame une Assemblée algérienne Du fait d'un conflit entre Messali Hadj et la
l'Algérie rejette le« Manifeste du peuple souveraine et le départ des troupes fran - direction du parti, le MTLD éclate.
algérien » et élabore un programme de çaises. li se dote, les 15 et 16 février 1947, @llllHfüi Trente-trois activistes décident
mesures destinées à faire de l'Algérie fran- d'une Organisation spéciale (OS), organi- à l'unanimité d'engager la lutte armée. lis
çaise une réalité. Si quelques élus musul- sation militaire clandestine destinée à pré- désignent une direction collégiale de neuf
mans s'y rallient, ce programme est rejeté parer méthodiquement l'insurrection. membresqui prépare deux tracts: une pro-
par les nationalistes convaincus. 20 SEPTEMBRE 1947 l'Assemblée nationale clamation du Front de libération nationale
HIKfH'PHj Ces nationalistes fondent élue en novembre 1946etchargéedef1Xer le (FLN) indiquant au peuple algérien les rai-
l'association des Amis du manifeste et de la statut politique de l'Algérie propose une sons et les buts de la guerre et au gouverne-
liberté (AML), qui revendique la fondation solution de compromis qui inquiète les ment françai.s les conditions de la paix; un
d'une République algérienne fédérée à la Européens et se situe en deçà des aspirations appel de l'Armée de libération nationale
République française. Mais les nationalis- des Algériens les plus modérés. Le gouver- (ALN) invitant chaque Algérien à se mobili-
tes intransigeants qui prennent la direc- neur mis en place pour appliquer ce statut, ser. Un responsable est désigné à la tête de
tion du mouvement en mars 1945 prê- Marcel-Edmond Naegelen, truque les élec- chaque région (appelées wilayas à partir du
chent l'indépendance totale. tions à l~ssemblée algérienne en avril 1948, congrès de la. Soummam en août 1956).
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~ du 1.. nov<-mbre 1954

ŒRR/10/RES Il Principaux foyers d 'insurrection


Dl'Sl'D Ouargla O
Zone d 'implantation d ... m<-ssalistes
~ Expansion de linsurr<-crion
~
O SJwv :Â11lttmcnl ·Al/J.1NLlg111~ )i4/g1N, 11/0tYhlhn 2011

ExPLOSIF La « Toussaint rouge » est un succès par la surprise causée aux autorités françaises. Malgré la répression, guérilla et terrorisme
s'installent dans la moitié orientale du pays. Les chefs de l'Oranais réfugiés au Maroc espagnol se préparent à repasser à l'action.

L'offensive est fixée au 1" novembre. La i)itMlllE}.J.1 Le FLN déclenche une explo- pieds-noirs. Le général présente sa démis-
consigne : saboter les objectifs, saisir les sion de violence dans les zones de Philippe- sion par téléphone et est remplacé le
armes et ne pas s'en prendre aux civils. ville, Constantine et Guelma. 236 civils sont 9 février par le socialiste Robert Lacoste. Le
fJleliHl:lijlfitfl Le CRUA s'institue en FLN tués. La répression militaire fait officielle- mois suivant, le FLN aggrave sa pression
doté d'une armée : l'.ALN. ment 1 273 victimes (12 000 selon le FLN). dans !'Algérois et l'Oranais. 200 000 jeunes
1'" NOVEMBRE 19S4 Dans la nuit, une vague 30 SEPTEMBRE 19SS L'ONU inscrit la« ques- gens des classes 1951à1954 sont rappelés,
d'attentats éclate en trente points du terri- tion algérienne »à l'ordre du jour. de mars à mai. La durée du service militaire
toire algérien. La plupart des objectifs 2 DECEMBRE 19SS L'Assemblée nationale lui est allongée à vingt-sept mois.
importants sont manqués. Malgré les ayant refusé sa confiance, Edgar Faure pro- E&WHUfii Indépendance du Maroc.
consignes, des civils sont frappés. On clame sa dissolution. L'Algérie est l'un des fJ,l\füHUfii 1ndépendance de la Tunisie.
compte au cotai neuf mores et trois bles- principaux enjeux de la campagne électorale i!:IW!lffü Une section de jeunes rappelés
sés. La répression est musclée : deux mille qui s'ensuit. Le président René Coty désigne de la région parisienne tombe dans une
arrestations en France et en Algérie, et le comme président du Conseil Guy Mollet, embuscade de l'.ALN à Palestro. On retrouve
réseau du FLN démantelé à Alger. Messali investi le 31janvier1956, dont le programme vingt corps atrocement mutilés. Le même
Hadj, soucieux de reprendre la main, pour l'Algérie est le suivant: cessez-le-feu, jour, à la gare de Grenoble, 2 000 manifes-
constitue un nouveau parti, rival du FLN : élections libres, négociations entre les élus tants, en majorité communistes, se heur-
le Mouvement national algérien (MNA). de !'.Algérie et le gouvernement français pour tent aux CRS pour empêcher le passage
l!il#M'*IQ}}JJacques Soustelle est nommé convenir d'un nouveau statut, respect de la d'un train de rappelés.
gouverneur de l'Algérie. L'insurrection se personnalité algérienne et maintien de liens fJiKHMUtJ Mendès France, ministre
répand. ce qui l'oblige à donner la priorité au indissolubles entre les deux pays. d'Etat, estima nt que Guy Mollet ne prend
rétablissement de l'ordre. fjja@mlfü1 Quand Soustelle quitte Alger. pas les mesures nécessaires en Algérie,
H-SM'PM Une loi institue l'état d'urgence la foule des Français d'Algérie lui fait un donne sa démission.
et confie les pleins pouvoirs à un chef mili- triomphe. Pour le remplacer, le nouveau 1HjoliiiFf1J A Alger, un attentat contre-
taire dans les régions troublées. Soustelle président du Conseil Guy Mollet nomme terroriste tue 15 à 70 musulmans selon les
met en place les SAS (Sections administra- « ministre résidant »le général Catroux, sources. En réponse, les attentats du FLN
tives spécialisées) tenues par des officiers intronisé le 6 février. Connu comme un par- redoublentàAlgerà partir du 30 septembre.
arabisants venus du Maroc et disposant de tisan de la décolonisation, Catroux est 20AOÙT· 10 SEi>TEMBRE 1956 Un congrès des
groupes de partisans armés musulmans. accueilli par une manifestation violente des chefs musulmans tenu dans la vallée de la
ESPAGNE

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ALGÉRIE

Do11arc1 &rragtJ (conatruits Limites de Wilaya


(division admùûatracive) par l'arm4e françai1e
pour i.oler l'ALN
• acquis aux rebelles de H• baHa au Maroc E:ll Faileks (bataillons)
et en Tunisie)
majoritairement
E::l Katibas (compagnies)
favorables aux rebelles - continus
Cl Forkas (sections) ..,.;
pénétrés par les rebellea · -- discont-inus
et autres groupes 0 ~
DÉCOUPAGE Le congrès de la Soummam (été 1956) définit l'implantation des forces de l'l>.LN selon les possibilités du terrain.
ü\LN se renforce jusqu'au début de 1958 grâce aux stocks d'armes et aux camps d'entraînement installés en Tunisie et au Maroc.

Soummam conduit à la création d'une Nasser en juillet, et pour porter un coup au controversées - recherche du renseigne-
direction collégiale, le Conseil national de nationalisme arabe, les gouvernements ment par tous les moyens, y compris la tor-
la révolution algérienne(CNRA), coiffé par français et britanniques lancent l'expédi· ture, retournement et manipulations de
cinq membres d'un Comité de coordina- tion de Suez. Une force franco-britanni- ralliés, etc. - font l'objet de grands débats
tion et d'exécution (CCE) siégeant à Alger. que débarque à l'entrée du canal, mais doit dans la presse française en 1957.
Dès leur installation à Alger, ses cinq mem- s'arrêter dès le 7 novembre après l'inter· flf!t!lfüJ Victime à la fois de la guerre et
bres décident de renforcer le terrorisme vention diplomatique des Etats-Unis et de des déficits, Guy Mollet« tombe ».li est
au moyen d'attentats à la bombe dans les l'URSS, et céder la place aux forces de remplacé par un gouvernement radical
lieux publics des quartiers européens. l'ONU. Cette reculade donne au FLN un formé le 12 juin, renversé à son tour dès le
22 OCTOBRE 19S6 La coopération militaire regain d'audience internationale inespéré. 30 septembre. Après une crise ministé·
prévue entre la France et la Tunisie et la 16 NOVEM BRE 1956 A l'ONU, réinscription rlelle de plus d'un mois, Félix Gaillard est
France et le Maroc au moment de leur de la question algérienne à l'ordre du jour. nommé président du Conseil.
accession à l'indépendance est démentie Dans le mois, Raoul Salan remplace le ftfllml§fD Le ministre de la Défense
par la solidarité que Tunisie et Maroc mani· général Lori Ilot. A la fin de l'année 1956. André Morice fait construire un barrage
festent envers le FLN. Le général d'aviation l'ALN tient toujours le terrain. Ses moyens électrifié de 300 km, la ligne Morice, le long
Fran don et le général Lorillot (commandant se sont amplifiés. de la frontière tunisienne dans le but
en chef interarmées de l'Algérie), avec Qtj§§Jli;IÇfil Robert Lacoste confie le d'empêcher le passage des combattants et
l'acoorddusecrétaired'EtatauxarméesMax maintien de l'ordre à Alger au général du ravitaillement.
Lejeune, font intercepter et détourner à Massu, commandant la 10• division de ij!i!IOilQ;ff Discours du sénateur Kennedy
Alger l'avion qui transportait de Rabat à parachutistes. Cent douze bombes explo- en faveur d'un règlement international de la
Tunis les chefs de la délégadon extérieure du sent dans le seul mois de janvier. Une grève guerre d'Algérie, posant les Etats-Unis en
FLN. C'est la fin de la coopération militaire générale est lancée par le FLN, le 28 janvier champion des guerres d'indépendance.
entre la France et ses anciens protectorats. 1957. Elle est brisée en deux jours par le 10 O(CEMBRE 19S7 Les Etats-Unis votent à
Pour boucler les frontières de l'Algérie, un général Massu et sa division, qui obligent l'ONU une motion favorable à l'ouverture
premier barrage est édifié par le général le CCE à fuir la ville et à s'exiler à l'extérieur, de négociations pour régler le problème
Pédron le long de la frontière marocaine. et démantèlent les réseaux terroristes. algérien.
5 NOVEMBRE 1956 A la suite de la nationali- Massu s'impose ainsi en vainqueur de la 26 O(CEMBRE 1957 Jacques Chaban-Delmas,
sation du canal de Suez par le colonel bataille d'Alger. Cependant, leurs méthodes nouveau ministre de la Défense, confie une
« antenne » gaullîste à Léon Delbecque à les Français le projet de Constitution de la 25 OCTOBRE 1958 Ferhat Abbas refuse la
Alger. Le FLN accepte l'appui de l'URSS. V• République, et par les colonies la créa- « paix des braves » :il considère que le ces-
Hbfojlj;lfül Sakiet-Sidi-Youssef, un village tion d'une Communauté française. sez-le-feu ne peut être que la conséquence
tunisien d'où partaient des tirs de DCA, est Q!l!i§HM De Gaulle est accueilli triompha- d'un accord politique et non l'inverse. Le
bombardé par des avions français utilisant lement à Alger. Lors d'un discours, il lance GPRA invite à « la lutte à outrance ».
leurdroit de poursuite avec l'accord du gou- son fameux« Je vous ai compris ! ».Toute 21 O(CEMBRE 1958 De Gaulle est élu prési-
vernement. L'objectif militaire est détruit, la ville scande : « Algérie française! » dent de la République par 78,5 % des
mais le président tunisien Bourguiba fait état @IQOiffi:I A Mostanagem, le général grands électeurs. li nomme Michel Debré
de 70 civils tués. Le gouvernement français s'écrie : « Vive l'A.lgérie... française! » Premier ministre le8janvier1959 et charge
est donc contraint par l'OTAN d'accepter les QllMif}fl De Gaulle nomme Salan délé- le général Challe de régler la situation mili-
bons offices des Etats-Unis et du Royaume- gué général du gouvernement et comman - taire en Algérie sous six mois.
Uni. Leur médiation n'aboutit pas. Le gou- dant en chef en Algérie. li demande au EJi&M'fiPM Aux opérations« coups de
vernement Gaillard tombe le 15 avril. Comité de salut public de ne pas empiéter poing »antérieures, Challe a substitué des
fif!MHM Le FLN annonce l'exécution par sur le champ de la politique et félicite attaques massives à fort appui aérien, opé-
l'.ALN de trois soldats français. l'armée pour le travail qu'elle accomplit en rées d'ouest en est depuis l'Oranais jusqu'à
IUl$§i1Çfi~I Lacoste, convaincu qu'on va vue de« garder l'Algérie à la France et la Bône et doublées par des actions de com-
vers un« Diên Biên Phu diplomatique », garderfrançaise ». mandos de chasse. Le plan Challe ne laisse
quitte son poste. iii!l!liliifüi De retour à Alger. De Gaulle aucun répit à l'ALN, qui y perd près de la
ll*&tlilfüi Une manifestation organisée refuse de revoir une délégation du Comité moitié de ses effectifs et de son armement.
par Salan en hommage aux soldats exécu- de salut public, provoquant l'étonnement et Il intensifie le recrutement des harkis.
tés dégénère et se traduit par la mise à sac l'humiliation de la population pied-noire. 16 SEPTEMBRE 1959 De Gaulle dévoile son
du bâtiment de la Délégation générale en Q!i!!Uiifü:I A la radio d'Alger, il met plan de solution politique du problème
Algérie. Massu fait acclamer la création l'accent sur l'égalité entre tous les Français, algérien. Il invite les Algériens à l'autodé-
d'un Comité de salut public où Delbecque '' de Dunkerque à Tamanrasset ». termination sur la base de crois options :
parvient à entrer. Salan, en sa qualité de 19 SEPTEMBRE 19S8 Le CCE proclame un Gou- la sécession, la francisation complète ou
commandant en chef interarmées, en vernement provisoire de la République algé- l'association.11 incite les insurgés à déposer
reçoit la direction. Au même moment, à rienne (GPRA) établi au Caire, sous la prési- les armes et refuse de négocier avec le
Paris, Pierre pflimlin est investi chefdugou- dence de Ferhat Abbas, reconnu par les GPRA. Cest un coup de tonnerre, qui signe
vernement à une force majorité. Son nom, Etats arabes et les Etats communistesd'Asie. la rupture des pieds-noirs avec De Gaulle.
pour les pieds-noirs, est synonyme d'aban- 28 SEPTEMBRE 1958 En Algérie, le GPRA a 28 SEPTEMBRE 1959 Le GPRA salue la recon-
don, et son autorité désavouée par les gaul- condamné toute participation au référen- naissance du principe de l'autodétermina-
listes et l'extrême droite. Entre la métro- dum comme faute punissable de more; tion comme une première victoire, mais
pole et la colonie, l'affrontement semble l'armée s'emploie quant à elle à faire voter demande des négociations sur les garanties
inévitable. Pour l'éviter, Pflimlin confirme et à protégerles votants. Au final, il y a 80 % de son application avant tout cessez-le-feu.
Salan dans les pleins pouvoirs. de votants et 96 % de oui. 10 NOVEMBRE 1959 Le général De Gaulle
ILi.§tJlfü:I Salan, acclamé par la foule sur ilolito@ifüi De Gaulle vient à Constan- répète ses propositions et son refus de
le forum d'Alger, se laisse entraîner par tine et annonce un plan économique et négocier avec le GPRA.
Del becque à crier« Vive De Gaulle ! ». social sur cinq ans tout en jugeant« inutile Wt·SijNlii@A·i Un nouveau GPRA est
FUUJIÇfü Communiqué de De Gaulle de fixer davance par des mots ce que l'entre- constitué, présidé par Ferhat Abbas, avec
annonçant qu'il a entamé le processus prise elle-même va façonner peu à peu ». Il un nouvel état-major général de l'ALN
régulier nécessaire à l'établissement d'un ordonne à Salan que les élections législati· commandé par le colonel Boumediene.
gouvernement et demandant aux forces ves d'octobre se déroulent dans des condi - mm@HkM Le général Massu est rappelé
armées de rester << exemplaires sous les tions de« liberté et de sincérité absolue ». à Paris et privé du commandement du
ordres de leurs chefs ». Les généraux et colonels du 13 mai sont corps d'armée d'Alger pour avoir déclaré à
fkHCHPM Pierre Pflimlin ayant démis- déplacés les uns après les autres. Salan sera un journaliste allemand que l'armée ne
sionné la veille, le président René Coty fait nommé gouverneur militaire de Paris en comprenait plus la politique du général
appel au « plus illustre des Français » pour décembre. Il sera remplacé par le délégué De Gaulle et qu'elle ne lui obéirait plus
résoudre le problème algérien. De Gaulle, général Paul Delouvrier aux affaires politi· inconditionnellement. Les organisations
nouveau président du Conseil, entre en que et par le général d'aviation Maurice patriotiques appellent à manifester le
fonction le 1«juin et obtient trois jours plus Challe, corn mandant en chef interarmées. 24 janvier devant le Gouvernement général
tard les pleins pouvoirs pour une durée de 23 OCTOBRE 1958 De Gaulle déclare : « Que pour exiger le retour du général Ma.ssu et le
six mois.11 annonce un référendum pour le vienne la paix des braves. » Il invite à demi- désaveu de l'autodétermination. Des barri-
28 septembre, destiné à faire ratifier par mot le GPRAà rendre les armes et à négocier. cades sont élevées, à l'initiative notamment
La bataille d :1Jqer (/ 956-19 5 7)
POI NTE
PECSAOE.

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.ll.111/11A.•

SAfNT-EUCÈNE
~
des faux papiers pour les agents du FLN
(les« porteurs de valises "). Il déclenche
une bataille dans l'opinion. De Gaulle
déclare que « li\lgérie algérienne est en
marche »et qu'elle se fera soit par séces-
/' 1/ f1 Ji lllm
sion soit en association avec la France.
J NO\EMBRE 1'>60 Ouverture du procès des
barricades. Les responsables des émeutes
LA BOUZARlt\ 11 de janvier 1960 comparaissent devant un
t'ltiunl
1>11'iv11«'t tribunal militaire. L'affaire courne au pro-
cès du gouvernement.
16 NOVEMBRE 1960 De Gaulle an nonce un
référendum sur l'organisation des pou-
voirs publics en Algérie en attendant
l'autodétermination.
U NUVtMtiKt 1%U La responsabilité des
affai res algériennes esc confiée à l'ancien
secrétaire d' Etat du CFLN Louis Joxe,
acqui~ àla cMse de l'indépendance.
q. n OfC!M8Rf 1%0 Le voyage de De Gaulle
en Algérie est marqué par de violentes
manifestations. Le 11 décembre, des mil-
liers de musulmans brandissant le d rapeau
du FLN à Alger et dans les grandes villes.
Le 13, l'armée, débordée, ouvre le feu.
DeGaulley lie la« cristallisation » de lopi-
n ion musulmaneautourduFLN et conclut
qu'il doit rraiter avec lui.
19 DECEMBRE 1960 L'assemblée générale de
l'ONU reconnaît au peu pie algérien le droità
l'indépendance. De Gaulle précise que, lors
ll YDRA
~1111nv: .11"/xlm 17Z ( /916),
rn111' tJ/.t.' '~ /q <l:J{iJf'Ù, "'""mhrt !f1/ (
t lrtl/'i'mt11I •
'--~~~~~~~~~~~~~~-'--~--'~~~~~~~~~~~~~~_,@
,(INIYY ~ C~ du référendum, les Français devront se pro-
noncer pour ou comrel'aucodérermination.
CoHTRE.OFFENSIVE La bataille d:Alger est l'offensivemilîraire et policière menée 111.lDfaj:hlj('ld.IDans un discours portant
par le général Massu en janvier 19S7 contre le FLN qui, basé dans la Casbah, provoque sur le référendum, De Gaulle s'adresse ainsi
l'affronLemenl depuis plusieurs mob pour obliger l'armée française à disperser ~es force~. aux pieds-noirs : « Bien entendu et quoi
qu'il arrive, la France protégera ses enfants
dans leur personne et dans leurs biens,
du cafetier Joseph Ortiz et du député Pierre Si Salah, qui s'étaient entremis secrètement quelle que soit leur origine, comme elle sau-
Lagaillarde. Lesgendarmes mobiles chargés pour la mise en place d'un cessez-le· feu et vegardera les intérêts qui sont les siens. »
de les balayer sont mitraillés par des ma ni· l'ouverture de négociations, une délégation QM§P.Uf+Çiji Au référendum, le oui rem-
festan ts armés. Challe sait qu'une bonne du GPRA est à Melun pour préparer une porte 75,2 % des suffrages exprimés. Signe
paniede sessubordonnésest favorable aux rencontre encre FerhatAbbas et De Gaulle. de son revirement politique,DeGaullechoi-
insurgés et ne peut ordonner de tirer. Elle est finalement renvoyée à Tunis faute sit alors de reprendre contact avec le FLN
&Jtj@HÇfüii De Gaulle défend sa poli· d'accord. Le GPRA ordonne la reprise du avant d'instituer une République algérienne.
tiq ue d'autodétermination, rejette éga· combat, rejetant la responsabilité de la rup- Mij;ifüi§l61A Madrid où ils se sont réfu-
lement les prétentions du FLN et des lllre sur le gouvernement français. Les offi- giés, Pier re Lagaillarde et Jean-Jacques
« ultras » de l'Algérie française, et exige ciers français accusent De Gaulle d'avo ir Susini fondent !'Organisation de l'armée
l'obéissance de l'armée. les émeutiers se volontairement saboté l'affaire pour éviter secrète (O AS). Ses membres tentent
rendent (Pierre Lagaillarde) ou s'enfuient une victoire qui aurait empêché la France de d'empêcher l'ouverture des négociations,
(Joseph Ortiz) le 1er février. se débarrasser de l'.A.lgérie française. multipliant les attentats, tandis que le
t4tpiiillMMfüH Après l'iniciative des corn~ ; SEPTEMBRE 1960 Procès du réseau Jeanson désespoir gagne les pieds-noirs et l'armée :
mandants de la wilaya IV, Si Mohammed et qui collectait et transportait des fonds et c< Ils ne voyaient pas pourquoi des hommes
devaient continuer à risquer leur vie de
manière absurde pour animer le décor pen·
dont qu'en coulisses les négociations corn·
mençaient » (Saine Marc).
Uf&MiPtil De Gaulle décide d'engager des
négociations officielles. Prévues pour le
Stnt«ur.uion
7 avril, elles sont ajournées par le FLN pour dufLN
en méttopolc
protester contre les déclarations de Louis - Limiw
d~wila,)'"•
Joxe, favorable à des négociations avec le ··--· li.mitir
MNA ou d'autres mouvances politiques. ~
HfN@l(!till De Gaulle déclare lors d'une ;g; S.w11r:AMffl/Mll .Atl.ukh!fUNTAP.1to1~JJJ/
conférence de presse qu'il envisage l'indé· LA OUERRE D' ALaÉRJE EN FRANCE La Fédération de France du FLN a pour mission
pendance « d'un cœur parfaitement tran· de fournir des fonds au FLN et à l'ALN, d'influencer l'opinion publique et les milieux
quille ».Le putsch se prépare. intellectuels et politiques français, aussi bien par des attentats que par des manifestations.
fJ,f4ijml(rtjl Les officiers engagés dans le
complot, donc Challe a pris la céte, s'envo-
lent pour li\lgérie. HJW!HIH Le colonel Godard met en des officiers de la sécurité militaire et des
fJMfü!ilfüi Challe renconcreHélie Denoix place l'organisation de l'OAS. « barbouzes »chargés de la combattre.
de Saine Marc, alors commandant par inté- fJiiMJ!11@il Les négociations s'ouvrent à HUpH!Hptjj Les accords préliminaires
rim du 1er rég.imenc étranger de parachu- Evian. Elles achoppent sur le statut des des Rousses sont approuvés par le CN RA.
tistes (REP) à Alger. qu'il rallie au projet. Français di\lgérie et sur l'appartenance du Le contre-terrorisme de l'OAS redouble de
fiM@l§tji Dans la nuit, dès 2 heures du Sahara que la France voulait conserver. violence en Algérie sous la pression du
matin, les conjurés s'emparent d'Alger, De Gaulle offre une suspension unilatérale FLN. Les attentats perpétrés en métropole
arrêtent le général en chef Gambiez, le des opérations offensives et la libération se heurtent à l'incompréhension de l'opi-
délégué général Jean Morin et le ministre de 6 000 prisonniers et internés, sans obte- nion publique.
Robert Buron. Challe proclame à la radio nir de trêve du FLN. fllilfüiJifüj Les accords préliminaires
d'Alger : « Je suis à Alger avec les généraux W@i!iifül Quatre jours durant, le FLN sont officiellement négociés à Evian. Les
le/Ier et)ouhaud et en liaison avec/e général organise de grandes manifestations pour accords signés le soir du 18 mars convien-
Salan pour tenir notre serment, le serment l'unité de l'Algérie et du Sa ha ra. Il relance sa nent d'un cessez.le.feu prévu le 19 mars, à
de l'armée de garder 1:41gérie, pour que nos propagande et intensifie son terrorisme. 12 heures. Mais les violences ne cessent
morts ne soient pas morts pour rien. » WIN!l!llP@I Crise de Bizerte. Bourguiba pas et se déchaînent de plus belle entre
fJ'4tJ311Wijl Oran est aux mains des pues. exige le retrait des troupes françaises de OAS, FLN et forces gouvernementales.
chistes. Salan arrive de Madrid (où il s'est Tunisie. li tente de s'emparerde la base fran · ijifül!iifül Reconnaissance officielle de
exilé le 31octobre1960) à Alger. li constate çaisede Bizerte. La riposte française est rude l'Etat algérien par la France.
que l'affaire est loin d'être gagnée. De Gaulle et rapide. Bourguiba en appelle à l'ONU. La fjiiliuiiijfifl Massacre d'Oran. Près de
ordonne de barrer la route par cous les crise devient un épisode de la guerre froide 700 Européens sont tués ou enlevés sans
moyens à ce« quarteron de généraux en inquiétant les Etats-Unis et la Grande-Bre- laisser de trace sous les yeux des forces
retraite ».Ses paroles dissuadent les hési· tagne, partisans de négociations pour l'éva- françaises, qui ont ordre de rester dans
tantsde suivre les putschistes. cuation de Bizerte, et l'URSS et la Chine qui leurs casernesJ
HH@l(rtjl Grande manifestation à Alger dénoncent l'agression de la France.
en présence des quatre généraux. Nombre QWo!ilifüi Le GPRA est refondu. Ferhat
de leurs pairs manquent au dernier moment
Le contingent n'a pas suivi. Challe veut que la
Abbas, suspect de modération, est rem-
placé à la présidence par Benyoucef Ben
~re
population algéroise reste à l'écart, contrai- Khedda, ancien secrétaire général du MTLD.
rement à Salan qui veut rarmer. S SEPTEMBRE 1961 De Gaulle renonce à dis·
Atlas de la
f!l-Mll§tji Il ne reste plus que le 1" REP joindre le Sahara de l'Algérie. La Fédération guerre d'Algérie
autour des quatre généraux. de France du FLN multiplie les attentats. --~~tc~~ei.q Guy Pervillé
*Htt'@llHH Challe se rend. Salan et lm&(o]";!IQfU Une manifestation orga- Autrement
Jouhaud entrent dans la clandestinité. nisée par le FLN à Paris est durement répri- 72pages
De Gaulle institue le Haut Tribunal mili- mée par le préfet de police Maurice Papon. 17€
taire et la Cour de sûreté de l'Etat.
llM@ifüiSaint Marc entre à la Santé.
L'OAS, présidée par Salan, obtient le soutien
massif des Français d'Algérie. Ses comman-
~~~
_J
«N1'41PI§I Zeller se rend. dos passent à l'action directe contre le FLN,
LI VRES
Par Philippe Maxence, Frédéric Valloire ,
Jean-Louis Thiériot , Geoffroy C aillet et Guillaume Zeller

Chroniques
~
P Chronologie
algériemes~
d'une tragédie
gaullienne
Alg:1ic :
l ~ mJ i HI S.q

5 joJDet L962
w
O::'.
~
O::'. Chronologie d'une tragédie La France en Algérie, 1830-1954. Guy Pervlllé
w gaullienne. Henri-Christian Giraud Remettre en perspective historique la guerre d'Algérie,
> Du soulèvement populaire du 13 mai c'est l'ambition de cette étude. Pari gagné. Elle signale l'enchaînement fortuit
::::i
0 1958 au 19 septembre 1962, Henri- de décisions qui conduisent à une conquête de l:A.lgérie qui sera justifiée
u Christian Giraud retrace quasiment jour a posteriori. Elle noce l'importance des années 1830· 1840 quand est décidé
z: par jour, en s'éclairant de sources de coloniser ces terres nouvelles par un peuplement européen. Elle souligne
w étrangères, les événements qui rythment
la mise en place de la politique gaulliste
l'originalité de Napoléon Ill qui imagine un« royaume arabe » puis les contradictions
et les erreurs de la Ill• République, l'inaptitude du régime de Vichy à préciser
en Algérie, la reconnaissance du FLN une politique nouvelle, les pressions anglo-américaines, l'émergence
comme interlocuteur, l'abandon de mouvements nationalistes. Quatre politiques furent conduites sans jamais
100 des harkis, les tentatives désespérées aboutir : assujettissement, assimilation, association, autonomie. FV
IHlisrëiRlE de soulèvement, la répression, Vendémiaire, 2012, 523 pages, 26 €.
les massacres et les épurations parmi
les indépendantistes. Pire: il montre
que les filières d'évacuation refusées La Guerre dJ\lgérie des harkis, 1954-1962
,•...,..,...... __
aux harkis furent accordées aux François-Xavier Hautreux
indépendantistes rejetés par Ben Bella Harkis ? Pour les Algériens d'aujourd'hui, des traîtres. Pour les Français,
et le nouveau pouvoir en place à Alger, un groupe mal défini de Français d'origine algérienne installés en
permettant même à 1:-\lgérie de connaître métropole depuis 1962. Plutôt que de partir de leur massacre en 1962,
un pic migratoire entre le 1er septembre ZM~~~~ Hautreux pose la question suivante :pourquoi l'armée française a-t-elle
et le 11 novembre 1962. PM enrôlé des centaines de milliers d:.\lgériens dans des unités spécifiques ?
Mich alon, 2012, 320 pages, 22 €. Si les raisons sont variées (tradition de troupes auxiliaires, propagande,
théorie de la guerre« contre-révolutionnaire »,etc.), la réalité de leur
engagement demeure complexe, évolue avec le temps et reste soumise
Matthew Connelly à des conditions locales. Une étude neuve, solidement étayée et qui touche. FV
rarme soorète du FLN Perrin, 2013, 468 pages, 24 €.
Commtnt êt'G3ul.lc # 11erd11
ia 9ue1fe 4'J.lge11e

L'Arme secrète du FLN. Matthew Connelly


Ecrit par un Américain, professeur à Columbia University, ce livre vient opportunément rappeler que la guerre
d:.\lgérie fut autant une guerre mondiale qu'une guerre franco-algérienne ou franco-française. Dans le contexte
de la guerre froide, elle fut l'enjeu d'une concurrence acharnée entre le panarabisme, le panislamisme, l'Union
soviétique qui voulait prendre pied en Afrique du Nord et les Etats-Unis qui oscillaient entre inclination
anticolonialiste et désir de ne pas trop déplaire à l'allié français. Matthew Connelly met en lumière avec brio
la manipulation de l'ONU par le FLN, le rôle des médias internationaux dans le dénigrement de la France et
- - - - -- ' l'impuissance d'une IV• République si endettée qu'elle était soumise au bon vouloir du bailleur de fonds américain.
li livre deux conclusions originales : c'est sur la scène internationale qu'a été, pour l'essentiel, perdue une guerre militairement gagnée. C'est
pour éviter les flux migratoires que De Gaulle s'est résolu à l'indépendance. Les années qui ontsuivi ont cruellement démenti cette illusion. J-LT
Payot, 20 11, 512 pages, 30,50€.
Piu re Pe'.11 issier
vovaiye a" cœii
de l"OAS
OHMc-DarJ

SALAN

Salan. Pierre Pelllssler Voyage au cœur de l'OAS


Salan, ce n'est pas seulement le putsch d'Alger de 1961, l'OAS et la prison. C'est aussi Olivier Dard
l'histoire d'une vie vouée à la France, à travers le parcours d'un officier, de la Première Aujourd'hui encore, l'OAS garde une part
Guerre mondiale au conflit algérien, en passant par 1939-1945 et le terrible engagement de son mystère. Un pan en est levé ici par
en Indochine. C'est encore un officier républicain, énigmatique, général le plus l'exploitation des archives de la branche
décoré de France, artisan du retour de De Gaulle au pouvoir et qui échappa de peu algéroise, même si d'autres composantes
à la condamnation à mort. En plongeant dans les archives privées de la famille, ne sont pas laissées de côté. Issue de trois
Pierre Pellissier donne à comprendre la fin de son parcours en retraçant l'itinéraire sources - des pieds-noirs, des militaires et
de celui qui voulut, selon son épitaphe, n'être qu'un « soldat de la Grande Guerre ». PM des militants nationalistes-, forganisation
Perrin, 2014, 600 pages, 26 €. clandestine a buté sur trois écueils : le FLN,
la volonté de De Gaulle d'abandonner
li\lgérie et l'hostilité d'une majorité de
De Gaulle et l'Algérie Journal d'un prison nier. André Zeller Français. Créée en 1961, revigorée par
française, 1958-1962 Document jusqu'ici inédit, le Journal l'échec du putsch di\lger, l'OAS se révèle
Michèle Colntet d'un prisonnier du général André Zeller surtout une constellation d'engagements et
Revenu au pouvoir en révèle le quotidien d'un illustre prisonnier d'individualités, réunis, non sans tensions,
mai 1958 pour conserver politique au lendemain du putsch di\lger. par un combat de la dernière chance. PM
rAlgérie au sein de la De 1961à1966, l'ancien chef d'état-major Perrin,« Te mpus »,20 11,544pages, 11 €.
République, De Gaulle fut de l'armée, compagnon des généraux
accusé quatre ans plus tard de Challe, Salan et Jouhaud lors de la révolte
·-·· ravoir bradée, d'avoir contraint militaire d'avril 1961, suit l'actualité, ALGÉRIE, LE VRAI ÉTAT
à rexode un million de pieds-noirs et analyse la politique, critique, juge et 1 DES LIEUX. Frédéric Pons
d'avoir laissé commettre les tueries envers prépare l'avenir. Son journal fait apparaître Cinquante an s après l'indépenda nce,
les harkis. Cette excellente historienne un homme exigeant envers lui-même, la s ituation de l'Algérie est
cherche à comprendre comment et qui entend régler sa conduite sur désespérante. Riche de son pétrole,
pourquoi. Selon elle, De Gaulle abandonne sa foi chrétienne et qui côtoie en prison forte de saj eunesse nombreuse,
vite l'hypothèse de li\lgérie française, pour rien de moins favorisée de s ites magnifiques,
lui une chimère, parce que les musulmans que l'élite de elle devra it être un îlot de prospérité.
lui semblent inassimilables à cause de leur l'armée française. Pourta nt, Je cons tat que dresse
démographie et surtout à cause de l'islam. Prisonnier, mais Frédéric Pons est accablant :
La grandeur de la France ne se trouve plus pas abattu, André corruption, clie ntélis me, chômage,
dans son empire mais dans l'Europe, dans Zeller reste, malgré pauvreté, t erroris me, ma inmise
la défense militaire et l'émancipation des les barreaux, de l'armée et des services de
jeunes nations. Une fois le tournant pris, fidèle à son renseignement s ur la vie économique.
il fut implacable et sans pitié pour ceux qui engagement. PM
Avec la plume brillante dujoumaliste
avaient eu foi en ses proclamations. FV Tallandier, 2014,
de terrain et l'amour chevillé au corps
Perrin,« Tempus »,2012,425 pages, 10,50€. 608 pages, 25,50 €.
d' une terre qui autrefois fut nôtre,
il dresse une généalogie magis trale
De Gaulle et IJ\lgérie, 1943-1969 du malheur algérien : guerre
Sous la direction de Maurice Vaïsse d' indépendan ce, élimination du
Vingt et un exposés. Qui donnèrent lieu à des débats Mouvement national a lgérien (MNA)
contradictoires et animés qui sont ici rapportés. Tour à tour par le FLN, coup d'état de Boumediene,
sont examinés le temps de la Seconde Guerre mondiale guerre civile contre le
au cours de laquelle De Gaulle mena une politique d'assimilation Front is la mique du salut Frédéric Pons
des Algériens et affirma le principe de la souveraineté française (FIS), gérontocratie
sur l'Algérie, sa position en 1958, son entourage, son attitude des années Bouteflika. Algérie
devant les pressions internationales, la paix ratée avec li\LN Un livre à lire pour LEVRAi ÉTAT
et l'affaire Si Salah, ses rapports avec l'armée, son face-à-face comprendre un pays DES LIEUX
avec l'OAS, sa position envers les pieds-noirs et les harkis vois in où s'écrit aussi une
et pour finir, les accords d'Evian et leurs suites. En définitive, une histoire quasi complète part de notre destin. J·l T
du drame algérien à travers l'un de ses principaux acteurs. FV Calmann· l évy, 2013, 50 ANS
Arma nd Colin/ Ministère de la Défense, 2012, 360 pages, 34 €. 424 pages, 20,90 €. D'INDÉPENDANCE
Guilli:iume Zellc r

IO\vf'<t>1Ul'1.-:U.Yl1oi!)
lES A.CCOIWS D'( Vt-\N 11%?)
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lz,jjillllHJ Oran, 5 juillet 1962. Un massacre oublié. Guillaume Zeller Les Accords d'Evian (1962)
Jusqu'au bout, la guerre d'.A.lgérie fut un conflit horrible. Et si on a parlé d'abondance des Guy Pervlllé
méfaits attribuables aux Français, la mémoire est souvent courte quand il s'agit des tueries l'auteur est run des meilleurs spécialistes
qui ont suivi l'indépendance. le 5 juillet 1962, à Oran, des centaines de civils européens et de la politique algérienne de la France
musulmans sont massacrés par des membres de l'.A.LN, alors que les 18 ooo soldats français et de la guerre d'.A.lgérie, en tout cas le plus
restent consignés sur ordre du général Katz. Retraçant pas à pas le cours des événements, objectif et le moins soumis aux humeurs
l'auteur éclaire de la lumière de !'Histoire l'une des tragédies oubliées de rindépendance. PM du temps et des médias.Sur ce compromis
Talla.ndier, 2012, 240 pages, 17,90€. signé le 18 mars 1962, Pervillé signe une
mise au point enrichie de nom breux
documents. Ce fut en réalité« une utopie
Des harkis envoyés à la mort juridique ».A la place du cessez-le-feu,
w Fatima Besnaci-Lancou les mois qui suivirent ces accords furent
O::'.
Si l'on connaît assez bien le sort des harkis les pires de la guerre. Pour tout savoir
~
O::'.
qui ont pu se réfugier en France ou qui sur leur contenu, sur les négociations
furent assassinés sitôt les accords d'Evian qui les précédèrent et sur leurs
w signés, celui qui leur fut réservé par rAlgérie conséquences, un seul livre, celui-ci. FV
> indépendante l'est beaucoup moins. Armand Colin, 2012, 288pages, 29,40 €.
::::i
0 Appuyé sur l'étude des archives inédites
u de la mission effectuée sur place par
z: Oran, 5 juillet 1962. Leçon le Comité international de la Croix-Rouge
w d'histoire sur un massacre
Guy Pervlllé
et sur des témoignages, le travail de
l'auteur l'éclaire tragiquement :prison,
En se plongeant dans les travaux torture, travaux forcés, massacres au LES VAMPIRES
d'historiens et dans les Mémoires mépris des engagements pris par l'.A.lgérie. ÀLA FINDE LA,GUERRE
102
IHlisrëiRlE
des protagonistes, aussi bien français
qu'algériens, Guy Pervillé ne tente
Quand les derniers de
ces dizaines de milliers -- D'ALGERIE
pas seulement d'éclairer le massacre de harkis quitteront MYTHE OU RÉALITÉ?
d'Européens à Oran le 5 juillet 1962, les geôles algériennes
mais il retrace l'évolution de son traitement en 1969, ce sera pour
historique tout en cherchant à déterminer une « mort dvile »
les responsabilités exactes des parties évidente. Poignant. GC
en présence. Si la thèse de la culpabilité Editions de I'Atelier, 2014, UN CRIME D'ETATS Il Les Vampires à la fin de la guerre
de l'OAS s'efface et si celle de la réaction 224 pages, 22 €. d'Algérie. Mythe ou réalité ?

--- -
tard ive du général Katz, commandant Gregor Math las
du corps d'armée d'Oran, est confortée, C'est une page particulièrement
des trous noirs demeurent quant à la horrible que révèle cet ouvrage dont
responsabilité algérienne, notamment UN SILENCE le titre pourrait laisser croire à une
en ce qui concerne la guerre entre factions D 'ÉTAT plaisanterie littéraire. Entre mars et
rival es. Une belle réflexion sur !'Histoire juillet 1962, des centaines d'Européens
à partir d'un drame oublié. PM Lts ~u.., d ,-iJs
disparaissent. Massacrés, comme
Vendémiaire, 2014, 320 pages, 20 €. °"'"l'(en~
œ la ~1me d'Al~rft
le 5 juillet à Oran ? Pas seulement!
Pour certains d'entre eux, ils servent
de réserve de sang frais pour les troupes
Un silence d'Etat. Jean-Jacques Jordi t.»n<"l. du FLN. Gregor Mathias a enquêté dans
Aquelques kilomètres au nord-ouest de l'usine Renault d'Oran, inaugurée le 10 novembre les archives. Sans occulter la passivité
2014 par Laurent Fabius et Emmanuel Macron, des dizaines ou des centaines de corps française, il montre que le FLN recourt
d'Eu.ropéens enlevés et massacrés le 5 juillet 1962 reposent probablement dans le secteur à cette méthode barbare devant
du Petit lac. la diplomatie française s'est bien gardée d'évoquer cette tragédie sur l'absence de banque de sang, en raison
laquelle Jean-Jacques Jordi a jeté, en 2011, un éclairage accablant dans un ouvrage essentiel. notamment de la méfiance de la population
Archives et témoignages à l'appui, il y révèle combien les enlèvements d'Européens musulmane envers le don de sang,
perpétrés par le FLN après les accords d'Evian du 19 mars 1962 furent massifs et Une pièce de plus au terrible dossier des
coordonnés. S'ils culminèrent à Oran, ils touchèrent toutes les régions d'.A.lgérie. GZ débuts de l'indépendance algérienne. PM
Soteca, 2011, 206 pages, 25 €. Michalon, 2014, 186 pages, 16 €.
Aa SECOURS
DES HARKIS
J ean-Marie Schmitz, président
du Secours de France.
COMMENT LE SECOURS DE FRANCE
A-T-IL VU LE JOUR 1
Il a été créé le 15août1961 pour venir en
aide aux familles des militaires emprison-
nés ou exilés à l'issue de la tragédie algé-
rienne. Ayant cru aux propos solennels du
général De Gaulle, en mai 1958, à Alger, ils
avaient voulu bâtir une Algérie nouvelle
et fraternelle et fait le serment de ne pas
abandonner, comme en Indochine, les
populations qui leur avaient fait confiance.
la première raison d'être du Secours de France fut donc de soute-
nir leurs familles, matériellement et moralement. Dès l'année sui-
vante, l'exode de vaincus de l'Algérie française fit se démultiplier
vers eux son action et plus particulièrement vers les harkis arrivés
en France, où ils ne disposaient guère de soutien familial, amical, et
encore moins gouvernemental.
revivre ce que j'ai subi au Tonkin : la honte
QUELLES SONT LES DIFFÉRENTES MISSIONS DE L'ASSOCIATION 1 et le drame de l'abandon de populations
Celle-ci présente une caractéristique assez rare : plus de cin- auxquelles, au nom de mon pays, j'avais
quante ans après sa création en réponse à une tragédie spécifique,
demandé un engagement au péril de leur
son activité s'est non seulement maintenue mais développée au
cours des récentes années. Elle doit cette longévité et le renou- vie.
vellement de ses donateurs - notre unique source de financement Mals la France abandonna la plupart des
- à l'adaptation de ses missions. Nous avons bien sûr gardé celle Harkis et des musulmans qui lu/ étalent
que symbolise saint Martin, notre« protecteur »,de secourir les favorables. Plusieurs dizaines de m/11/ers
détresses : d'abord celles de nos anciens frères d'armes harkis, dont d'entre eux furent assassinés.
le vieillissement accentue la précarité, mais depuis plusieurs Ce que demande le SECOURS DE FRANCE est
années nous avons aussi accentué notre aide aux communautés
bien peu de chose en échange de l'honneur
chrétiennes du Proche-Orient, en finançant des projets précis
conduits par des personnes que nous connaissons. d'assister ceux qui ont voulu sauver /'his-
Nous y avons progressivement adjoint deux autres missions. toire de notre patrie en Algérie. ,.
D'abord préparer l'avenir en accordant des« bourses d'excel-
lence » aux petits-enfants de harkis, pour leur permettre de mener
à bien leurs études supérieures ou leur projet professionnel. En sou-
tenant aussi des initiatives aussi prometteuses que celle de l'école
libre de Montfermeil en Seine-Saint-Denis, qui prouve que l'assimi-
lation de « jeunes issus de la diversité » à notre culture, le partage
de ce trésor exceptionnel que constituent l'histoire et le patri-
moine de notre pays sont possibles. Créée en 2012 avec six élèves,
elle en compte près d'une centaine aujourd'hui, et une deuxième
école de ce type vient d'ouvrir dans les quartiers nord de Marseille.
la seconde consiste à faire entendre, sur les conflits qui ont suivi la
Seconde Guerre mondiale,« notre part de vérité »,comme le disait
notre ami Hélie de Saint Marc. Nous le faisons à travers un site 1nter-
net (www.secoursdefrance.com), une lettre électronique, un bulle-
tin trimestriel, des livres, des films documentaires projetés sur
France 3 ou la chaîne Histoire et disponibles en DVD. Ces actions,
nous paraissent essentielles pour faire comprendre aux jeunes géné-
rations que la France mérite d'être servie et aiméeJ
Dans leur livre consacré à la reine Zénobie,
Annie et Maurice Sartre font magistralement
revivre Palmyre et sa splendeur menacée.
Voyage au cœur d'une Syrie désormais
dévastée par la guerre.

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LA VALLÉE DES MORTS C'est sur
les flancs de la butte d'Umm Belqis,
dans la nécropole ouest de Palmyre,
que les grandes familles fortunées
se faisaient édifier un tombeau.
La position dominante de ces
sépultures ainsi que les hautes tours
qui les surplombent manifestent
la puissance de ces notables et leur
souci d'afficher leur réussite.

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'est d'abord une simple ligne des bâtiments ont été mis au jour récem- sans doute depuis longtemps des rela-
sombre au loin sur l'hori zon. ment. Plusieurs temples édifiés en bor- tions avec les roitelets de la région (un
Puis, lorsque le voyageur appro- dure du site ouvraient leur façade dans la Palmyrénien est gouverneur de l'île de
che, le vert de la palmeraie se déploie direction de la ville. La prospérité acquise Bahreïn pour le compte du roi de Mésène
derrière les murs en pisé de l'oasis. Quel- au fil du temps par Palmyre devait être au ll•siècle apr. J.-C.). Certains d'entre
ques tours funéraires à moitié ruinées, suffisamment fameuse pour qu'en eux possèdent même des navires qui font
étagées sur le flanc du djebel, signalent 41 av. J.-C. le triumvir Marc Antoine voile vers l' Inde, mais l'essentiel de leur
bientôt que la ville approche. Enfin, entreprenne une expédition contre elle flotte est constitué de chameaux et de
après un brusque virage, surgit la grande danslebutdefairedubutin.Maisleshabi- chevaux organisés, une fois par an au
colonnade dont le beige orangé tranche tants, avertis du danger, avaient emporté moins, en caravane à travers le désert
sur le ciel bleu, tandis que la masse du leurs richesses en direction du désert et jusqu'à l'Euphrateetau Golfe. C'estlà la
temple de Bel se détache sur fond de pal- Antoine repartit bredouille. Ce n'est tou- source de la fortune des entrepreneurs de
miers. Lorsque le château de Fakhred- tefois qu'après son annexion par Rome caravanes qui fournissent les bêtes et les
Din, au loin, s' encadre sous le grand arc, que la vilJe prit un essor spectaculaire. accompagnateurs armés pour affronter
le voyageur prend conscience d'avoir Rome, bien que présente en Syrie le désert et ses dangers ; lors du retour, la
atteint plus qu'une ville célèbre, l'un des depuis 65-64 av. J.-C., n'annexa Pal- cité et ses marchands les remercient par
sites archéologiques les plus spectacu- myre qu'un peu avant 19 apr. J .-C., sous de très nombreuses inscriptions et sta-
laires du monde antique. le règne de l'empereur Tibère. Devenue tues placées en leur honneur dans les
La plus ancienne attestation de Pal- une cité de l'Empire comme les autres, lieux les plus en vue de la ville.
myre sous son nom araméen, Tadmorou celle-ci se dota des institutions locales Ce sont ces mêmes hommes, carava-
Tadmer,remonteauXIX•siècleav.J.-C., habituelles : un conseil, une assemblée niersetmarchands, qui, devenus riches,
où on le lit sur des tablettes de marchands populaire et des magistrats. Mais elle vont contribuer à partir du ter siècle à la
assyriens. Tout au long du Il• millénaire conserva cependant une originalité transformation spectaculaire de la ville
av. J. -C., les Tadmoréens apparaissent culturelle, celle de maintenir la langue par la construction de somptueux
épisodiquement dans plusieurs docu- araméenne dans les inscriptions officiel- monuments qui constituent encore 109
ments provenant de villes de la vallée de les, comme dans celles d'ordre privé, aujourd'hui l'intérêt du site. !Klis'TOTRlE
!'Euphrate tantôt comme des commer-
çants, tantôt comme des pillards. La pré-
sence de sources etde points d'eau fut Une situation d'intermédiaires
sans aucun doute à l'origine de la séden-
tarisation de plusieurs groupes humains entre la Méditerranée et la Mésopotamie.
sur le site et, plus que les produits de
loasis même, ce sont sans doute déjà les
transports de marchandises entre la conjointement avec le grec qui était De grands travaux font sortir du sol au
Méditerranée et !'Euphrate qui firent la devenu depuis le III• siècle av. J.-C. la nord du wadi une ville nouvelle à laquelle
fortune de Tadmor, placée idéalement à langue de! 'Orient hellénisé. vinrent s'ajouter des remaniements
égale distance des deux. On ne sait pas L'entrée de Palmyre dans l'Empire dans le goût du jour des édifices anté-
grand-chose de la ville à ces époques, entraîna des changements importants. rieurs. L'un des aménagements les plus
sinon qu'elle devait occuper I' emplace- Le commerce, déjà florissant, connut un impressionnants fut la construction de
ment de!' actuel temple de Bel où l'on a développement spectaculaire. Désor- grandes avenues bordées de portiques à
retrouvé des traces matérielles d'une mais, un marché beaucoup plus étendu colonnes abritant de multiples bouti-
occupation humaine remontant au s'offre aux Palmyréniens qui savent pro- ques. Dès la fin du ter siècle, on édifia à
Vll•millénaireav.J.-C. fiter de leur situation d'intermédiaires l'extrémité occidentale de la ville la
Jusqu'au III• siècle av. J. -C., les docu- entre la Méditerranée et la Mésopotamie. • colonnade t ransversale •. Elle se pro-
ments manquent pourfaire le lien avec Bons connaisseurs des routes du désert longeait sur plus de 200 mètres depuis le
les époques précédentes, mais à cette et présents dans les vallées du Tigre et de nord-est jusqu'au sud-ouest où elle se
date une véritable agglomération s'est !'Euphrate grâce à leurs comptoirs (à terminait pa:r une grande place ovale.
développée au sud du wadi as-Suraysir Séleucie, Ctésiphon, Babylone), ils assu- Cette grande voie quasi triomphale
qui traverse le site, comme l'ont montré rent le transit des marchandises venues d'une largeur de 40 mètres servait sans
des prospections et des fouilles récentes. de l Inde, de l'Arabie Heureuse, de I' Afri- doute lors des processions religieuses,
Dans cette ville qui couvrait près de que via le golfe Persique où des Palmyré- mais aussi de vitrine aux familles de
20 hectares et qui était totalement niens sont aussi implantés (à Spasinou notables qui avaient contribué à l'édifier
enfouie jusqu'à il y a peu, des maisons et Charax, Phorat) et où ils entretiennent en même temps que les sanctuaires qui })
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la bordaient et qui le faisaient savoir en quis' édifia alors. Les temples existants où se déroul.aient peut-être des céré-
--l ('inscrivant sur les colonnes et leurs (ceux de Nabu, Arsu, Baalshamin) monies. On ne sait pas grand-chose de
consoles. Avant même l'achèvement de n'échappèrent pas aux transformations celles-ci, sin.on que l'on organisait des
cette voie, une autre grande avenue fut et ils furent entourés de colonnades, processions au cours desquelles on pro-
mise en chantier, la• grande colonnade • s'ouvrirent par des porches monumen- menait ('image de la divinité, que 1'on fai-
qui traversait la ville du nord-est au sud- taux et s' ornèrent de sculptures dans le sait des sacrifices d'animaux, des liba-
est sur plus d'un kilomètre. Composée style gréco-romain (colonnes à chapi- tions et que l'on faisait brûler beaucoup
de trois tronçons non rectilignes, pour teaux corinthiens, rinceaux de feuilles, d'encens. Des collèges de prêtres, mem-
épargner quelques monuments qui se panneaux historiés). Parmi ces sanc- bres des riches familles de l'oasis, se
trouvaient sur son passage, elle reliait la tuaires, le plus important, celui de Bel, chargeaient à leurs frais de faire fonc-
colonnade transversale au temple de était consacré au dieu principal de tionner ces cultes et d'entretenir le tem-
Bel. Le long de son parcours s'embran- l'oasis, mais il accueillait aussi de nom- ple ; le sacerdoce le plus prestigieux était
chaient des rues transversales desser- breuses autres divinités (larhibol, Agli- celui de chef du collège des prêtres de
vant la ville ancienne au sud-ouest et la bol, Astarté, Malakbel, Héraclès ... ). Les Bel, le symposiarque, chargé aussi
ville nouvelle au nord-est. A l'une de ses inscriptions retrouvées sur le site témoi- d'organiser les banquets auxquels
intersections se dressait un tétrapyle, gnent pour certaines d'entre elles de ces étaient conviés les fidèles et les dieux.
monument constitué de quatre bases travaux de rénovation et d'embellisse- Mais la richesse à Palmyre se manifes-
massives surmontées chacune de qua- ment commencés au début du (er siècle, tait aussi par les demeures d'éternité des
tre colonnes. li matérialisait le carrefour payés exclusivement par les notables familles. Outre les monuments de la ville
en obligeant la circulation à le contour- locaux et par les commerçants des romaine, les nécropoles qui cernent la
ner et servait de lieu d'exposition pour comptoirs commerciaux de ('Euphrate ville en sont un des éléments spectacu-
des statues honorifiques. De chaque et du Golfe. On mesure à travers ce sanc- laires. Les hautes tours funéraires, et
côté de la colonnade, on construisit des tuaire l'originalité de l'architecture pal- notamment celles qui dominent le site
monuments indispensables à la vie civi- myrénienne qui, en dépit des apparen- depuis la butte de Belqis, sont tout parti-
que (un bouleutérion, siège du conseil ces gréco-romaines (cour d'enceinte, culièrement caractéristiques des com-
municipal, un théâtre où se réunissait entourage de colonnes, éléments sculp- pétitions ent re notables pour avoir le
aussilepeupleenassemblée)eturbaine: tés), conserve de nombreuses traces de meilleur emplacement, et rivaliser par la
des fontaines et des habitations dans le la culture mésopotamienne comme les taille et le décor du monument familial.
goût méditerranéen avec des cours merlons de la toiture, les fenêtres dans le Destinées à abriter les corps de plusieurs
entourées de colonnes, des mosaïques mur du temple et l'aménagement inté- générations d'une même famille, certai-
de sol, des stucs et des peintures mura- rieur avec deux grandes niches cultuel- nes possèdent plus de trois cents empla-
les. Carc'estbienuncondenséde I' archi- les (les tha/amoi) flanquées chacune cements. C'est dans ce même esprit
tecture en vogue en ces (er et Il• siècles d'unetour-escalierpour accéder au toit d'affichage d.e leur fortune familiale que
LA CITÉ DES CARAVANES La grande
colonnade, percée d'arcades donnant
vers la fin du lie siècle, les plus riches n'est pas épargné avec l'arrivée au pou- accès à des rues transversales, était
adoptèrent un nouveau modèle de tom- voir en Iran, en 224, d'une nouvelle bordée de portiques ouvrant sur des
beau, le tombeau-temple, plus au goût dynastie, les Sassanides, qui entrepren- boutiques ou des monuments.
du jour, plus caractéristique de l'adhé- nent de contester violemment à Rome sa
sion à la culture grecque. Le plus somp- présence en Mésopotamie et en Syrie. 111
tueux à ce jour est celui qui fut construit Trois grandes offensives perses, entre à Rome. Toutefois, huit ans plus tard en !HlfSî"'ô-ORlE
au milieu du III• siècle dans la nécropole 232 et 259, eurent des conséquences 267, il fut assassiné avec son fils dans
ouest par un certain Worod, et qui res- dramatiques sur les villes romaines de des circonstances obscures laissant
semble à véritable palais, alliant subtile- Mésopotamie et de Syrie du Nord qui place à sa veuve qui reprit le pouvoir au
ment des éléments gréco-romains et furent chaque fois pillées et détruites, nom de son jeune fils Wahballath. Zéno-
des éléments mésopotamiens. Les clas- leur population tuée ou réduite en escla- bie à son tour entra dans l'histoire pour
ses moyennes, enrichies elles aussi, vage. La dernière offensive porta un coup quelques années seulement, mais dans
firent creuser des tombeaux souterrains fatal à Rome avec en plus un événement la légende pour longtemps.
Pas plus que pour son mari, nous
n'avons d'informations sur les origines et
La richesse à Palmyre se manifestait aussi les ascendants de Zénobie. La seule
chose assurée est qu'elle était la fille d'un
par les demeures d'éternité des familles. certain Antiochos, la femme d'Odainath
etlamèred'unjeuneWahballath ;lereste
n'est que spéculation ou légende : elle
(hypogées), non moins somptueuse- inouï, la capture de l'empereur romain n'est pas plus la descendante de Cléopâ-
ment décorés de stucs et de peintures Valérien parle roi des rois, leperseSha- tre que celle des rois séleucides ayant
(l'hypogée des Trois Frères), que cer- pur. Mais déjà depuis les années 250, un régné sur la Syrie après la conquête
tains propriétaires n 'hésitaient pas à hommejusque-làinconnu,unnotablede d'Alexandre comme le laissent croire
revendre par portions à des membres de Palmyre du nom de Septirnius Odainath, certaines sources et elle n'est pas non
leur famille comme à des étrangers avait pris avec son fils aîné la tête d'une plus la• reine de Palmyre • au sens où elle
moins fortunés. armée et entrepris de défendre l'Orient. Il aurait restauré un ancien royaume.
Trois siècles durant, Palmyre profita connut son heure de gloire en 259 quand Zénobie est bien• reine •, en témoignent
pleinement de sa position géographique il parvint à battre le roi des Perses, à les documents où elle est désignée parce
et de la paix romaine pour prospérer, confisquer son butin et ses concubines. titre gravé en grec, mais elle est reine
mais au milieu du III• siècle, Rome s' affai- Fort de sa victoire, il se para alors du titre parce qu'elle était la femme du roi des
blit face aux attaques répétées d 'enne- du vaincu en se proclamant à sa place rois et qu'elle est la mère du nouveau roi
mis sur toutes ses frontières. L'Orient • roi des rois •, mais tout en restant loyal des rois. Palmyre n'a jamais été un >::::>
LA REINEZÉNOBIEAntoninien frappé
à Antioche à l'effigie de Zénobie Augusta
(Paris, BnF). Elle s'octroya ce titre
d'impératrice en 271 et le porta jusqu'à
sa capture par Aurélien en 272.

royaume, et niOdainath ni Zénobie n'ont réussir si l'empereuren Occident avait la présence tout au long de l'époque
prétendu être roi ou reine de Palmyre. été faible tourne à la catastrophe face à byzantine et jusqu'à l'aube du XVII• siè-
D'ailleurs, la cité qui a été érigée au début celui que ses troupes avaient proclamé cle. A ce moment-là, l'ensemble de ce
du Ill• siècle en colonie romaine voit ses en septembre 270 sur le Danube. Auré- qui restait de la population de Palmyre se
institutions habituelles demeurer durant lien, m ilitaire aguerri, est un homme tenait dans l'enceinte du temple de Bel.
toute cette période, et fonctionner énergique bien décidé à ne pas laisser C'est aussi le moment où la redécouvri-
comme avant. C'est toujours le conseil et s'installer un pouvoir concurrent. Son rent les premiers voyageurs qui osèrent
le peuple qui décernent les honneurs et offensive en 272 aboutit à la défaite finale s'aventurer dans le désert et affronter les
les mêmes magistrats continuent d'y de Zénobie et à sa capture alors qu'elle pillards bédouins. Leur émerveillement
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assumer leurs fonctions traditionnelles. tentait de fuir au-delà de !'Euphrate. face aux ruines fut unanime et il ne s'est
M.ais, dans le contexte troublé des Emmenée à Rome, elle figura au triom- jamais démenti chez tous ceux qui eurent
w années 267-270 au cours desquelles les phe de son vainqueur. Mais ici com- la chance d'aller à Palmyre ensuite. Les
:J empereurs de Rome se succèdent après mence la légende : fut-elle tuée comme colonnades, les tours des nécropoles, les
(/) des règnes très courts, Zénobie tente une c'était en général le cas après la parade monuments enchantaient les regards à
w aventure plus risquée. Après avoir paré pour les vaincus? Fut-elle graciée et ins- toutes les heures du jour et de la nuit.
0 son fils de tous les titres et fonctions de tallée dans une villa proche de Rome où Aujourd'hui, Palmyre est menacée,
1- son père (consul, chef des Romains, roi elle se remaria et eut de nouveaux les pillages sauvages dans les tom-
02 des rois), elle entreprend de rallier les enfants ? Toutes les sources qui évo- beaux, les destructions infligées à cer-
o.. populations de! 'Orient romain en faisant quent la question sont sujettes à caution. tains monuments bombardés, la pré-
(/)
w successivement la conquête de I'ensem- Après:la capture de Zénobie, Palmyre, sence de l'année dans le château et les
ble des provinces romaines de Syrie, faiblement protégée car dépourvue de manœuvres de chars dans les ruines
--l inquiètent la communauté de tous ceux
qui travaillaient à mettre le site en valeur
Zénobie et son fils se sont bien proclamés et à en diffuser la riche histoire. La cité
antique souffre, mais aussi les habitants
empereur et impératrice de Rome. actuels si accueillants et si fiersd'uneville
qu'ils contribuaient à rendre vivante. f

d'Arabie, d'Egypte et d'une partie de remparts, préféra faire sa reddition à Professeur émérite d'histoire ancienn e
l'Asie Mineure. Devant l'absence de Aurélien afin d'éviter le pire ; mais à l'uni versité d 'Artois, Anni e Sartre est
réaction des empereurs à Rome, y com- l'empereur n'avait pas atteint les Détroits spécialiste du Proche-Ori ent.
pris quand elle fit frapper, en 270, des pour s'en retourner à Rome que la ville se
monnaies laissant entendre un partage révolta et tenta de proclamer un nouveau
du pouvoir suprême entre son fils chef. Aurélien, revenu sur ses pas, prit à 1 ~.~IRE
Wahballath et le nouvel empereur Auré- nouveau Palmyre, mais ne semble pas y ~ nie et Maurice Sartre
lien, elle se crut autorisée à la fin de 271 à avoir ordonné de destructions massives.
faire prendre le titre d'empereur (Augus- L'archéologie n'a trouvé que de très fai-
Annll' r 1 M ~mice S1 rtrt Zénobie.
tus) à Wahballath tandis qu'elle-même bles traces de démolitions, et aucune
De Palmyre
assumait de celui d'impératrice d'un incendie général. Après cet épi-
ZÉNOBIE à Rome
(Augusta). Car il s'agit bel et bien pour sode, la ville ne joua plus de rôle politi- ~~·'"""°"°'
eux de revêtir la pourpre impériale et non que, mais elle resta debout et devint au Pe rrin
pas, comme certains l'ont prétendu, de IV• siècle un maillon du système de 352pages
faire sécession ou de se poser en héros de défense de l'Orient. Dioclétien y installa 23,50 €
l'indépendance de Palmyre face à Rome. un vaste camp militaire, fit construire un
Les titres du nouvel empereur et de sa grand établissement thermal ainsi que
mère, les types de monnaies qu'ils frap- les premiers remparts. Le christianisme
pent, les bornesmilliairesqu'ils regravent s'y développa et au moins deux églises
par-dessus le nom des empereurs précé- furent construites, sans parler des tem- Palmyre. la cité
dents ne laissent aucun doute sur leurs ples qui furent transformés en lieu de des caravanes
intentions d'être les nouveaux dirigeants culte chrétien (Bel et Baalsha min). Pal- « Découve rtes
de l' Empire. Ils se sont bien proclamés myre était même devenue un évêché. II y Galli ma rd »
empereur et impératrice de Rome. Mal- avait donc encore une population suffi- 144 pages, 15 €
heureusement pour eux, ce qui aurait pu samment nombreuse dont on peut suivre
@:: 1 1 · 1 · 1 '· Gi 1 Gi · '·' Il I ' Gi · 1 · 1

~~--· ••·. ;.. ·,.~,...,T , .._. ..,__,.- .,_'i.."!rv.i4, •1~fr~:':'"~9,._:..!:..<.t:~ • .·, __-,;, .~:!'".-.(.' ,~t - ,·-

~I . .
~~
L IEUX DE MÉMOIRE
Par Eric Mension-Rigau

Inauguré le 11 novembre par François


Hollande, le mémorial de Notre-Dame-
de-Lorette rend hommage à tous
les combattants de la Grande Guerre.
L'ANNEAU DE MÉMOIRE Ci-dessus : érigé sur un terrain de 2,2 hectares jouxtant
le plus grand cimetière militaire français qu'est la nécropole nationale de Notre-Dame-
de-Lorette, le Mémorial international a été conçu par l'architecte Philippe Prost. Ce
vaste anneau qui se déploie sur un périmètre de 328 m est constitué de 500 panneaux
rappelant les pages d'un livre sur lesquels ont été gravés 579 606 noms de combattants
u haut des 165 mètres de la colline de toutes nationalités, morts en Flandre française et en Artois, de 1914 à 1918. En bas,

D de Notre-Dame-de-Lorette, sur
la commune d:A.blain-Saint-Nazaire,
la vue s'étend au loin :d'un côté, les plaines
à gauche : François Hollande lors de l'inauguration du Mémorial, le 11 novembre 2014.

artésiennes jusqu'à la mer du Nord; de (à Neuville-Saint-Vaast se trouve le plus en direction de la côte, dbù le nom
l'autre, le bassin minier qui, en 1913, assurait grand cimetière militaire allemand en de« courseàlamer »donnéàcettesérie
la moitié de la production charbonnière France, avec plus de 44 000 tombes). Des de combats aussi furieux que vains.
française. Depuis le XVIII• siècle, le site mémoriaux à caractère national gardent La plus grande partie du département du
est surmonté d'une chapelle qui, avant· le souvenir des soldats disparus ou non Nord (Lille, Douai, Cambrai, Valenciennes)
guerre encore, était un important lieu identifiés, tel le Mémorial canadien à Vimy. est alors occupée par les Allemands.
de pèlerinage marial. Aujourd'hui, il est Recommandons la lecture d'un très bon En octobre 1914, Joffre lance une offensive
le principal lieu de mémoire des combats livre, La Grande Guerre dans le Nord et le entre Arras et Armentières, à la jonction
effroyables qui se déroulèrent, de 1914 Pas-de-Calais (La Voix). publié dans le cadre des deux départements. Arras, occupée par
à 191 S. dans les deux départements du du centenaire et écrit par Yves le Maner. les Bavarois dès le6septembre 1914,a été
Nord et du Pas-de-Calais, encore désignés directeur de la mission« Histoire, mémoire, repri.se. La ville, désormais sur le front, est
à l'époque sous les noms de « Flandre commémorations »au conseil régional du assiégée pendant quatre ans. Les combats
française » et d' « Artois ». Dans le triste Nord-Pas-de-Calais. li propose une synthèse font rage aux alentours, car l'armée
palmarès des départements ayant subi le régionale des corn bats apocalyptiques qui allemande s'esc installée aux portes de la
plus de destructions, celui du Nord occupe se déroulèrent sur ce front de 90 kilomètres, ville sur deux lieux stratégiques : les collines
la première place et celui du Pas-de-Calais de la frontière belge, près d'Armentières, de Vimy et de Notre-Dame-de-Lorette.
la troisième, derrière l:A.isne. Trois cents jusqu'à Bapaume à la lisière de la Somme. En mai-juin 1915, le commandement
communes y furent anéanties. Le paysage En automne 1914, après la bataille de français, qui veut reprendre la guerre de
mouvement, lance une nouvelle offensive
est parsemé de près de mille cimetières
français, mais aussi anglais et allemands
la Marne, Français et Allemands cherchent
àse déborder mutuellement au nord-ouest, pour percer le front. Cette« deuxième >)
COMMÉMORATION
Ci-contre: inaugurée
en 1925, la nécropole
nationale de Notre-
Dame-de-Lorette
abrite les dépouilles de
40 ooo combattants
français, dans huit
ossuaires et dans des
tombes individuelles
que dominent une
tour-lanterne et une
basilique romano-
byzantine. En bas : des
soldats canadiens
creusant des tranchées
près de la crête de
Vimy. lis parvinrent à
s'emparer de ce point
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:::J
stratégique le 10 avril
1917, au prix de très
w lourdes pertes.
:J
(/)
w bataille dl\rtois »,entre Arras et Lens, est tour-lanterne des morts, inaugurés en 1925. trois rappelleront les grandes nations qui
0 marquée par des combats d'une sauvagerie S'y ajoute dorénavant le « Mémorial se sont affrontées: coquelicots (Grande-
1- inouïe, avec des pertes françaises énormes international »,construit à proximité de Bretagne et Commonwealth), bleuets
02 (40 ooo tués). Les Français s'emparent de la la nécropole, sur un terrain de 2,2 hectares. (France) et myosotis blancs (Allemagne).
o.. colline de Lorette en mai 1915. Inauguré le 11 novembre par le chef de A la tombée du jour un dispositif d'éclairage
(/)
w En avril-mai 1917, une nouvelle bataille l'Etat, ce monument commémoratif, l'un permet de continuer à voir les noms. Le
d'Arras provoque une saignée de rarmée des plus grands du monde, est constitué site est ouvert en permanence, jour et nuit,
--l britannique avec des taux de pertes d'un ruban de béton d'un périmètre avec deux accès, run par la nécropole,
supérieurs à ceux d'Ypres ou de la bataille de 328 mètres d'un gris sombre,« couleur l'autre par un chemin rural en contrebas.
de la Somme. Les Canadiens parviennent de guerre »,comme muet puisqu'il ne Qu'apporte ce monument d'un coût
à s'emparer de la crête de Vimy, le lOavril laisse rien apparaître de ce que ron voit de 8 millions d'euros (financé par l'Etat,
1917. Enfin, à partir de mars 1918, quand à l'intérieur. Le site étant classé monument la région Nord-Pas-de-Calais, le
reprend la guerre de mouvement, se historique, l'architecte, Philippe Prost, département du Nord et la communauté
succèdent deux cents jours de très violents a dû travailler dans rhorizontalité : d'agglomération de Lens-Liévin)?
combats, au sud dl\rras et à l'ouest de Lille. le nouvel édifice ne dépasse pas la hauteur Par son ampleur, qui crée un effet
Le site de Notre-Dame-de-Lorette des croix installées devant le parvis de la de sidération devant la mort de masse,
était déjà bien pourvu en monuments basilique et n'altère pas la vue sur la plaine il renforce l'inscription, dans la mémoire de
commémoratifs qui, à l'occasion de Flandre et les collines de 11\rtois. la Grande Guerre, d'un troisième pôle
du centenaire de la guerre de 1914, ont De la nécropole, on accède au Mémorial commémoratif, après le champ de bataille
bénéficié d'une rénovation plus que par une saignée, pratiquée dans la terre, de Verdun, sur lequel s'est concentré en
nécessaire :le plus grand cimetière militaire qui rappelle une tranchée. Elle devient un France le souvenir de la Grande Guerre, et
français (sur 27 hectares reposent tunnel s'ouvrant sur le monument. Un ceux de la Somme et d'Ypres, sur lesquels se
40 ooo combattants dont 22 ooo dans seul regard tournant permet de découvrir focalise la mémoire de la Grande-Bretagne
8 ossuaires), des monuments en hommage l'ensemble. Sur 500 panneaux d'inox et du Commonwealth. Par ailleurs, il a le
aux unités combattantes, une basilique trempé dans un bain métallique qui lui mérite d'être le fruit d'un double projet :
romano-byzantine édifiée sous l'impulsion a donné une couleur dorée reflétant mémoriel, qui implique toujours une
de Mgr Julien, l'évêque dl\rras, et une la lumière, 579 606 noms ont été griffés au reconstruction, et historique, qui repose sur
laser. D'une lisibilité parfaite, ils sont ceux des faits. Certes l'historiographie militaire
de combattants tous tombés en Flandre soulignait le nombre considérable de
et en Artois. Pour 40 % d'entre eux, leur morts, mais elle ne fournissait que des
corps n'a jamais été retrouvé. Pour procurer chiffres partiels, par bataille ou site isolé. Un
une surfa.ce suffisante pour tous les noms, très important travail dans les archives
le cercle a été déployé en ellipse et les a permis l'établissement de la liste complète
feuilles de métal ont été disposées en plis, des soldats ayant péri sur le sol des deux
qui rappellent les pages d'un livre. départements. Elle sera prochainement
Une pelouse vallonnée laisse la vue accessible à tous les visiteurs dans le Centre
entièrement libre sur les murs écrits. d'interprétation, proche du Mémorial,
Apartir du printemps prochain, elle se qui ouvrira ses. portes en mai 2015. Cette
transformera en une vallée de fleurs dont liste a été établie à partir de trois bases
J'ÉCRIS TON NOM Pour établir la liste complète des soldats qui ont péri
sur le sol des deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, un remarquable
travail d'archives a été effectué. La présentation des noms par ordre
alphabétique, sans distinction de nationalité ou de religion, insiste sur
la communauté d'expérience etde destin de ces hommes.

N de don nées : la Commonwealth War Enfin, ce nouvel édifice a la particularité


g Graves Commission a transmis d'être un « mémorial international »
R293 966 noms anglais, écossais, gallois, qui rend hommage aux vainqueurs comme
< irlandais, canadiens, sud-africains, aux vaincus. Sa forme d'anneau, rappelant
ê indiens, australiens, néo-zélandais; la ronde que forment ceux qui se tiennent
~ le Volksbund Deu&he Kriegsgriiberfürsorge, par la main, symbolise la fraternité.
~ 173 876 noms et le ministère français La présentation des noms par ordre
~ de la Défense 106 012 noms. Sy ajoutent alphabétique, sans distinction de
5 des soldats belges (2 326 noms), nationalité ou de religion, insiste sur le
Sl portugais (2 266 noms) russes et roumains sentiment d'une communauté d'expérience
~ (1 160 noms), prisonniers des Allemands et de destin. Le Mémorial exprime ainsi une
ffii5: qui les avaient amenés sur le front Ouest fraternité posthume entre les combattants
;! pour construire la ligne Hindenburg. Ce qui furent exposés aux mêmes dangers
~ travail a ainsi révélé que le tiers des soldats et endurèrent les mêmes souffrances. Les
~ britanniques morts au combat ont péri nationalismes ont été à l'origine de la guerre
~ dans le Nord et le Pas-de-Calais, soit plus de 1914. Un siècle plus tard, les peuples
8: que dans la Somme ou la Flandre belge. européens ont appris qu'ils ont intérêt
~ Le chiffre allemand est moindre car rétat- à vivre en paix. En plaçant une partie de
6 major allemand, dès la fin de l'année 1914, l'ellipse en porte-à-faux, au-dessus du vide,
~ a pris foption de la défense moins coûteuse Philippe Prost a toutefois voulu rappeler
~ en vies humaines. Les pertes françaises combien la paix demeure toujours fragilef
~ sont inférieures aux pertes britanniques
&: car, en mars 1916, l'armée française Professeu.r d'histoire contemporaine
~ quitte le front di\rtois pour aller combattre à l'université Paris-Sorbonne (Paris-IV),
~ à Verdun : il n'y a plus de victimes Eric Mension-Rigau est spécialiste Commandez en appelant au
<12> françaises entre mars 1916et1918. des élites dans la France contemporaine.
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la lol lnformatiqu& et Libanés. vous dispos9Z d'un droit
de 1'Arméejusqu 'au 25janvier 2015. 450 œuvres montrent d'accès, de rectification et de radiation dêS infonna--
tionsvous concernant en vous adressant à notre siège.
la diversité des représentations de la guerre, vue par les combattants Photos non contractuelles. Soci4té du Figaro, 14 bou-
levard Maussmann 75009 Paris. SAS au capital de
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Musée de I'Armée, Hôtel des Invalides, 75007 Paris. Rens. : www.musee-armee.fr
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TRÉSORS VIVANTS
Par Sophie Humann

Jkes b.t
11a l Sneufs
~boudoir
impérial
La restauration du mobilier
et des précieux textiles du boudoir Turc
de Fontainebleau s 'achève.
Il rouvrira ses portes au printemps.
D'OR ET DE LUMIÈRE Page de gauche, en haut : le boudoir Turc du château
de Fontainebleau a retrouvé son éclat et les turqueries des décors (ci-dessus, à droite)
'était une cachette, une cachette sont magnifiées par l'or des tissus. C'est à Lyon, sur un ancien métier Jacquard,

C de reine puis d'impératrice. Le


boudoir Turc de Marie-Antoinette,
au château de Fontainebleau, fermé
qu'Agnès Alauzet (page de gauche, en bas) a tissé à l'identique un velours de soie blanc
dont les fonds sont lamés dbr fin (ci-dessus, à gauche, sur une des bergères).
Un travail de longue haleine. Installer les bobines de soie du cantre (au milieu,
au public depuis des années, soigne son en haut) prend déjà beaucoup de temps.
ultime toilette avant de rouvrir au mois
de mai. Ceux de Versailles ayant disparu,
ce charmant joyau est le dernier exemple Celui-ci fit appel aux meilleurs artisans : une glace. li suffisait à la reine de tirer
des turqueries royales si prisées après les frères Rousseau s'attelèrent aux décors sur une corde pour faire sortir la glace
que Louis XV eut entrouvert aux Français peints et sculptés des lambris. Les et d'appuyer sur un bouton pour que
les portes de l'Empire ottoman. amours, 1es papillons et autres évocations celle-ci rentre dans la cloison. Ce système
En 1777, Marie-Antoinette, âgée de champêtres côtoyaient les turbans, les astucieux existe toujours et vient d'être
22 ans à peine, avait souhaité moderniser bustes d'eunuques, les plumes, les glaives, restauré grâce à l'aide de l'l nsead (Institut
un peu les appartements arrangés les croissants de lune... Le marbrier européen d'administration des affaires).
avant elle pour Marie Leszczynska Bocciardi et le bronzier Pierre Gouthière Dans le Garde-Meuble personnel
à Fontainebleau. Dans une toute petite s'unirent pour réaliser une délicate de la reine, un mobilier raffiné fut choisi
pièce de l'entresol, elle avait rêvé d'un cheminée de marbre blanc rehaussée pour son boudoir Turc de Fontainebleau.
boudoir raffiné et secret, où elle pourrait d'une frise de bronze mêlant, sur un fond On en ignore le détail car le tout fut
se réfugier loin de l'étiquette, et goûter de rinceaux, des étoiles ou ces épis de dispersé lors des ventes révolutionnaires.
aux charmes de cet Orient dont l'époque maïs qu'on appelait aussi blés de Turquie ... li ne reste que les feux à sujet de chameaux
s'enivrait. Les plus grands artistes s'étaient La reine voulait qu'à la nuit tombée, conservés au musée du Louvre... Dans
alors réunis pour exaucer son vœu. les lumières, derrière le lit à la turque, ses Souvenirs d'un page à la cour de
Le premier architecte, Richard Mique, puissent se refléter dans la fenêtre d'en Louis XVI, le comte de France d'Hézecques
avait dressé les plans et délégué les travaux face. Un artisan ingénieux, Jean-Tobie évoque ainsi le boudoir : « J'ai pourtant
à Nicolas-Marie Potain, fraîchement Mercklein, conçut un mécanisme conservé le souvenir d'un petit cabinet
nommé contrôleur des Bâtiments du roi qui permettait à la croisée donnant sur de la reine, meublé dans le goût oriental,
au département de Fontainebleau. le jardin de Diane de se dérober derrière et éclairé, le soir, par des lampes placées
HABIT DE VELOURS
Ci-contre: un des
artisans tapissiers
de la maison Brazet
à Paris ajuste la
passementerie et
le velours neufs
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:::J
sur une des chaises
gondole créées
w pour l'impératrice
:J Joséphine et signées
(/) Jacob-Desmalter.
w En bas : les feux à sujet
0 de chameaux,
1- conservés au Louvre,
02 seuls rescapés du
o.. mobilier de la reine
(/)
w Marie-Antoinette. '. ~ 1
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dans une garde-robe séparée du cabinet Des étoiles rappelaient celles des lambris. doré. Par-dessus, une draperie en gros
par une grande glace doublée d'un taffetas Deux bergères, un lit de repos ou chaise de Tours lancé à motifs de vermicelles en
128 dont on changeait la couleur à volonté; longue - nommée aussi à l'époque soie ponceau et lame d'or encadré
!HlîSfüi'RlE ce qui donnait une lumière aussi douce « pommier » -,un tabouret de pieds, de franges d'or. Sur la croisée, les étoffes
que te reflet en était agréable. » quatre chaises gondole, un écran de se superposaient de la même façon,
En 1804, Joséphine hérita du boudoir cheminée et un guéridon, tout aussi ornés, répondant aux scintillements des tissus
royal, qui lui plut. Elle décida d'en faire complétaient la série. L'exotisme ne d'en face lorsque la glace était tirée.
une petite chambre. Deux ans plus tard, se ressentait plus tant dans les motifs que De 1-0r irradiait encore les broderies de la
le boudoir reçut ses meubles, créés dans la richesse et le mélange des tissus. courtepointe et des traversins en satin
spécialement dans l'atelier de Jacob- L'Orient mystérieux et sensuel était surtout corail. L'étoffe la plus précieuse du boudoir
Desmalter. Le clou de cet ensemble était suggéré par 1-0r mêlé à chacun des tissus. était peut-être le velours qui recouvrait
un large lit d'alcôve en acajou. De chaque Picot, brodeur de la cour impériale, fournit le mobilier. « Proche des velours dits
côté, un lévrier assis veillait sur le sommeil pour l'alcôve et la croisée des mousselines "miniatures" de /afin du XVl//e siècle, il est
de l'impératrice. Sur la traverse, deux de coton parsemées de pavots, orné d'un dessin à géométrie savante,
amours tenaient fermement les rênes d'un de palmettes, de couronnes de myrte réminiscence de l'expédition d'Egypte,
char antique lancé au galop et, au centre, et de laurier. D'autres rideaux de taffetas précise Vincent Cochet, conservateur du
dans un médaillon entouré de palmettes blanc galonnés dor étaient serrés dans patrimoine au château de Fontainebleau.
doubles, un aigle, assis sur une coupe, des embrasses frangées dor attachées Ce dessin est formé par le poil de soie
annonçait l'arrivée d'Hébé, 1:-\urore. à des croissants de lune en bronze sur un fond finement animé par le liage
des lames d'or. »
Après Joséphine, Marie-Louise prit
possession des petits appartements de
l'entresol, dont le boudoir Turc. Elle
y vint fort peu. Sous la monarchie de Juillet,
le boudoir servit à loger une femme de
chambre, puis il abrita la trésorière de la
cassette de l'impératrice Eugénie... Depuis,
ces pièces exiguës n'ont guère été utilisées.
Le mobilier est donc parvenu au
XXIe siècle dans un assez bon état. L'acajou
a été nettoyé, 1es bronzes décrassés,
qui s'attaque à ses mains qui empêcheront
Agnès Alauzet de poursuivre ce métier
très physique. De ses mains, de ses bras,
du mouvement de ses pieds, elle crée
des tissus de rêve. N'a-t-elle pas recréé
il y a quelques années le tissu qui servit
lorsque l'électeur de Saxe Auguste le Fort
fut couronné roi de Pologne en 1697?
Jusqu'en 2002, elle possédait son propre
atelier sur les pentes de la Croix-Rousse,
EFFET DE MATI ÈRES Retenues dans la Cour des Voraces, puis elle s'est
par des croissants de lune en bronze doré, retirée dans un village aux confins
les vernis régénérés par les ateliers de trois étoffes (ci-dessus) se superposent de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme.
restauration d'ébénisterie du château. L'état devant l'alcôve : une mousseline de coton, Mais elle était un peu isolée, et lorsque
des tissus était plus précaire.« Nous un taffetas blanc, une draperie en gros Philibert Varenne et sa femme ont
essayons de préserver les originaux le plus de Tours. En bas: le guéridon en acajou, obtenu la gestion de la Maison des canuts,
possible, précise Vincent Cochet. Nous bronze doré et marbre. récemment rachetée par la Ville de Lyon,
avons pu conserver les garnitures originales Agnès Alauzet est revenue dans l'ancienne
de la croisée et de l'alcôve. Les mousselines capitale des Gaules.
brodées ont été lavées au savon neutre, dans cette aventure sur un métier à bras Aujourd'hui, les vingt-huit mètres
et les effilés dor refixés sur chaque pièce. Les équipé d'une mécanique Jacquard de la fin de velours ont été livrés au château
rideaux de taffetas, pourtant en lambeaux, du XIXe siècle.« Sur les quelque cent mille de Fontainebleau. Ils sont chez le tapissier
ont été démontés et leur passementerie métiers utilisés dans la région lyonnaise Brazet à Paris et vont bientôt
remontée à /'identique sur des taffetas neufs. vers 1860, explique Philibert Varenne, retrouver leur place parmi les habits 129
Cest la restauratrice textile Isabelle Bédat qui dirige la Maison des canuts, il en reste d'or du boudoir TurcJ !HlfSî"'ô-ORlE
qui sest chargée de ce minutieux travail. » vingt-cinq dont quatre chez nous, sans
Les conservateurs de Fontainebleau compter le dernier, un métier à la tire
ont choisi en revanche de faire retisser d'Europe, qui date du XVIe siècle. »
la passementerie des sièges par la maison Agnès Alauzet a mis près de six mois
Declercq. Leur précieux velours a été pour monter son métier. li lui a fallu
lui aussi retissé à l'identique. Manquant remplir et monter les dizaines de bobines
par endroits, très usé, il n'était déjà de fils de soie installées dans un carré de
plus décrit dans l'inventaire de 1855 bois, le cantre. Elle a dû ensuite régler tous
comme un velours blanc, mais couleur les poids - un par bobine ! Puis s'attaquer
« chamois » et ses lames d'or étaient à la chaîne de liage, à celle de fond ...
devenues noires. Si l'ancien tissu restera Enfin, il a fallu tisser, entrer dans cette
pieusement conservé dans les réserves grande cage de bois qu'est le métier, passer
de la maison, le nouveau contribuera et repasser les navettes avec les mains,
à restituer réclat oriental du boudoir. pendant que les pieds jouent de la pédale
Combien de personnes peuvent-elles à contretemps. Le corps d:A.gnès danse,
aujourd'hui tisser« un velours de soie de droite à gauche. Créer le même effet
coupé simple corps blanc à un lat de lancé de fond que dans le velours original
constitué d'une lame dor » ? On les compte est difficile. li faut trouver le bon rythme,
sur les doigts d'une main. C'est pourson le bon geste, tâtonner, s'arrêter, examiner
savoir-faireque la manufacture Tassinari et la bande de velours qui avance peu à peu,
Chatel s'est vu confier cette opération. être heureuse quand on a tissé ses huit
L'absence de métier disponible dans l'atelier centimètres dans une journée.« Mon seul
au moment de la commande l'a incitée problème, explique-t-elle avec un sourire
à faire appel à Agnès Alauzet. A la Maison réservé, cest mon corps qui peine parfois.
des canuts, en plein cœur du quartier de Alors jefais du yoga, je fais très attention
la Croix-Rousse, cette héritière de la grande à mon alimentation. » Ce n'est pourtant ni
tradition des canuts lyonnais s'est lancée la tendinite de son épaule ni l'arthrose
A VA NT , A PR ÈS
Par Vincent Trémolet de Villers

Zemmour
à l'index
es historiens qui, dans un siècle, se pencheront sur notre épo- si 1-0n en croit les réactions qu'elle a provoquées. Zemmour aura tour

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L que étudieront-ils seulement les traités diplomatiques, les dis-
cours politiques, les leçons des universitaires ou aborderont-ils
aussi l'écume des choses: une émission de télévision, une chanson
à tour été qualifié de révisionniste, de vichyste, d'homophobe, de
misogyne, de raciste. On lui aura accolé les adjectifs olfactifs de cir-
constances: rance, nauséabond, fétide. Une pluie d'aérosols qui
de Daniel Balavoine, un film de Bertrand Blier? En mêlant les évolu- piquerait les yeux du plus chevronné des polémistes.
:J tions institutionnelles et politiques et l'atmosphère culturelle de la Ils sont pourtant des dizaines de milliers, bientôt des centaines, à
(/) fin du XX• siècle, Eric Zemmour leur a d'une certaine façon mâché le avoir acheté, sans honte, ce livre« honteux ».Ils y ont trouvé 7 pages
w travail. Dans Le Suicide français, le livre qui a dominé cette rentrée sur Robert Paxton et Vichy et 525sur la fin de l'industrie, la construc-
0 intellectuelle et politique, l'essayiste a choisi de ne pas choisir. Puis- tion européenne, l'immigration, l'école, la télévision, la variété, le
1- que l'indifférenciation,« lëgalité de tout avec tout » (Fin kielkraut) football, le cinéma... Ils ont été saisis par la vigueur des formules - ce
02 poursuit sa marche triomphale pourquoi établir une hiérarchie qui nous attend c'est« l'alliance du doux commerce et de la guerre
o.. entre Hélène et les garçons et le traité de Maastricht, la loi Veil et la civile >>-,la férocité des portraits (celui de Louis Schweitzer n'a rien à
(/)
w naissance de Canal+? En plus de cinq cents pages, il a cherché où envier à ceux de Daumier), la variété des références (on passe de
avaient été placées les charges qui ont dynamité une à une les struc- Christopher Lasch à Jean-Claude Michéa et de Jean Baudrillard à
--l tures sur lesquelles se fondait notre société. A lire Zemmour, en Pierre Gaxotte). lis ont jugé certaines conclusions hâtives (le conti-
quarante ans, nous ne sommes pas seulement passés de Georges nuum libéral-libertaire devenu dogme), certains partis pris discuta-
Pompidou à François Hollande : la gloriole a remplacé le mérite, la bles (la féminisation de la société).1 ls y auront surtout trouvé la cause
dérision l'héroïsme, le marché la politique. Nous avons couvert profonde de la polémique inouïe qu'a suscitée Le Suicidefrançais. Elle
notre histoire d'un voile sombre, nous avons culpabilisé notre popu- se résume en une phrase - le monde d'avant 1968 est irréconciliable
lation, nous avons ringardisé les symboles du monde d'hier (l'église avec celui qui lui succède -et une mise en garde : malheur à celui qui
au milieu du village, l'instituteur de Pagnol au tableau noir, le père le proclame, et s'il a du courage et du talent, qu'il soit anathème i f
de famille, la famille elle-même), pour établir une forme d'évidence
dans tous les esprits : c'était pire avant, ce sera mieux demain.
Cette approche gramscienne de notre histoire immédiate éclaire
d'une lumière neuve Je demi-siècle qui nous précède. C'est là le
mérite et l'originalité de cette fresque. Elle est étourdissante par la
frénésie de changements et de renversements qu'elle met en scène :
la politique, l'économie, la culture, la publicité jouent ensemble la
même rengaine consumériste. Elle est déprimante par la superficia-
lité qu'elle révèle : le forfait illimité résiliable à tout moment semble
devenu l'alpha et 1-0méga de toute existence. Elle est discutable parce
que « peindre, c'est choisir » et que nous n'aurions pas forcément
choisi les mêmes figures, les mêmes événements. Elle est scandaleuse

1 Le Suicide français

ER}) ZEll'l:\100R &icZemmour


LESUJCIDE Albin Michel
FRANÇAIS 544pages
22,90€

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Retrouvez Le Figaro Histoire le 29 janvier 2015
Ce minotaure était un
cannibale, et de l'espèce
. des plus ~ces. Il ne se
sentait lui-même qu'après
avoir tout dévoré. Il suscite
aujourd'hui une admiration
quasi-unanime, et la réou-
verture du Musée que Paris lui a consacré
est certes l'occasion de souligner son rôle
irremplaçable dans r(( intense travail de cor-
ruption des signes qui fonde l'art moderne "
(Anne Baldassari). Il avait su tout dessiner,
tout peindre, épouser tous les styles. N'em-
pêcha : ce qui frappe dans l'incroyable
rétrospective du musée Picasso, ce sont
moins ses dons indéniables que le senti-
ment d'être en présence d'un génie virtuel,
dissipé dans la jonglerie, la faconde ;
détourné de son cours par le sentiment
d'être arrivé trop tard dans un monde trop
vieux et dès lors acharné à détruire un idéal
que les malheurs du temps lui avaient rendu
inaooessible, oomme pour oonjurer un désir
éternenement insatisfait.
Michel DE JAEGHERE
Directeur de la rédaction du Figaro hors-série

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