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América : Cahiers du CRICCAL

Diego Rivera et les débuts du muralisme mexicain. Etude


iconologique
Claude Fell

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Fell Claude. Diego Rivera et les débuts du muralisme mexicain. Etude iconologique. In: América : Cahiers du CRICCAL, n°1,
1986. Politiques et productions culturelles dans l'Amérique latine contemporaine. pp. 11-28;

doi : 10.3406/ameri.1986.881

http://www.persee.fr/doc/ameri_0982-9237_1986_num_1_1_881

Document généré le 12/03/2016


DIEGO RIVIERA ET LES DEBUTS DU MURALISME
MEXICAIN. ETUDE ICONOLOGIQUE

Claude FELL
Université de Paris ni

II n'est pas question de reconstituer ici l'histoire du mouvement muraliste


mexicain à ses débuts. Pas question non plus d'en rechercher les "causes", dans la
mesure où, comme l'a souligné Benedetto Croce, cette notion fait référence à un
déterminisme étroit entre l'évolution de l'art et le devenir historique : nous lui
préférerons celle de "conditions", qui laisse au génie de l'artiste sa part de
responsabilité. Il nous a semblé important de tenter de cerner, à la suite de Pierre
Francastel, une "pensée plastique" qui tend à proposer à la société mexicaine, non
point tant des "objets figuratifs de ses certitudes antérieures" que des "matrices où se
révèlent de nouvelles relations, de nouvelles valeurs" (1), correspondant, dans le cas
présent, à l'avènement de nouvelles formes esthétiques dans lesquelles viendraient
s'investir une "vision du monde" déterminée.
Nous ne nous situerons pas au niveau de "l'iconographie" de la première
production muraliste de Diego Rivera, mais, pour reprendre la distinction établie par
Edwin Panofsky (2), nous tenterons une étude "iconologique" de ses peintures, aidé
en cela par les articles et les déclarations de Rivera à partir de juillet 1921, date de
son retour au Mexique, ainsi que par l'analyse de lettres qu'il envoie à Alfonso Reyes
et que nous avons retrouvées dans les archives de ce dernier. Par ailleurs, la presse -
qui réagit abondamment et passionnément aux premières productions du muralisme -
nous fournit un certain nombre d'éléments concernant la réception de ce mouvement
pictural naissant par une partie de l'opinion mexicaine de l'époque.

Diego Rivera :
prolégomènes à l'élaboration d'une "pensée plastique"

Pour Rivera, l'oeuvre d'art est avant tout communication et, en premier lieu,
instauration d'un "nouvel ordre libérateur*1 pour le public mais aussi, et plus encore,
pour l'artiste lui-même. L'acte esthétique consiste à édifier, non pas une "tour
d'ivoire" mais une "tour de Babel", "qu'il construira tout seul pour éviter le risque de
la confusion des langues et qu'il dotera, bien entendu, d'une bonne architecture" (3).
12 AMERICA

L'œuvre picturale sera donc ouverte à tous, sans distinction d'origine sociale ou
culturelle, mais cette "lisibilité" maximale implique qu'elle soit organisée,
"construite", afin de se préserver de la cacophonie et de la confusion.
Tous les "langages" (cubisme, futurisme, impressionnisme) y auront droit de
cité, à condition que l'unité de l'œuvre soit préservée et que l'ensemble reste
solidement structuré : "Tout est architecture", souligne Rivera, qui ne dédaignera
pas, par la suite, faire des incursions dans cette discipline qui n'était pas exactement
la sienne. Cette notion de "construction" est donc primordiale à ses yeux et à ceux
qui lui objecteraient que "l'instinct" peut s'estomper dans l'instauration d'un "ordre",
Rivera répond que les organismes les plus simples, comme par exemple, une cellule
ou un cristal, ont des mouvements instinctifs "accordés et conséquents". Reprenant
une expression employée par Alfonso Reyes dans El suicida (1917), Diego Rivera
accorde à l'artiste un "super-instinct" qui peut établir entre les choses des rapports
tout aussi harmonieux que ceux d'origine naturelle, même s'ils s'effectuent "dans un
ordre différent ou en sens contraire". La peinture n'a pas une vocation
"photographique" : la nature possède ses lois et l'art les siennes. Sa fonction (ne
parlons pas de "mission" ou de "message") (4) consiste à élaborer et à introduire une
"structure", c'est-à-dire un ordre imaginaire nouveau qui servira désormais de réfèrent
à la connaissance, à l'interprétation et à la représentation du monde sensible. La
démarche suivie par les muralistes correspondra donc à une remise en cause des
rapports artiste/univers, artiste/société, artiste/public et artiste/technique. Cette
nouvelle structure intègre également de nouveaux rapports de l'artiste avec la
"tradition" et "l'avant-garde".
Par ailleurs, les six mois passés par Rivera en Italie (décembre-mai 1921),
avant son retour au Mexique, ont laissé des traces profondes dans l'élaboration de son
système iconique. Ce séjour a été une véritable "retraite spirituelle", selon le mot de
Jean
hommes"
Chariot
à Ravenne,
(S), au cours
à Venise,
de laquelle
en Etrurie,
il a admiré
à Padoue,
et assimilé
à Assise,
les "choses
et en Sicile
faites (6).
par Sa
les
première peinture murale, "La Création", exécutée entre 1921 et 1922 à l'Ecole
Nationale Préparatoire, montre à l'évidence combien cette influence a été forte (7).
L'expérience italienne lui a révélé l'absence de solution de continuité entre l'art et le
quotidien : "Ce voyage marque le début d'une nouvelle période de ma vie - écrit
Rivera. Grâce à lui je possède de la matière pour plusieurs années de travail. Rien de
tel pour éclairer et humaniser. Ici il n'y a pas de différence entre la vie des gens et
l'œuvre d'art. Les fresques ne se terminent pas une fois franchies les portes des
églises ; elles vivent dans la rue, sur les maisons, de quelque côté que l'on tourne les
yeux. Tout est familier, populaire ; les peintres les plus racés sont des peintres de
"pulqueria". Tout est simple, domestique, populaire, aristocratique, rien n'est vieux ;
rien, sauf la Renaissance et l'Art Nouveau 1900. Les aciéries, les mines, les
arsenaux s'accordent à merveille avec les temples, les campaniles et les palais. En
Sicile les frontons sont le portrait des collines et les maisons villageoises bâties par
de simples maçons ont la même harmonie". L'acte esthétique, jadis décrit et envisagé
dans son "mystère", dans sa soudaineté, entouré d'un halo romantique, sacralisé par
les affres de la création, devient ici - et pour Rivera il devra constituer l'orientation
dominante du muralisme mexicain - l'expression de la mentalité et des sentiments
collectifs.
Autre conviction de Rivera, qui s'affirme dès son retour au Mexique : son
opposition aux "académies" et, plus précisément, au représentant de l'académisme à
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 13

cette époque, le peintre néo-impressionniste Alfredo Ramos Martinez, créateur d'une


"école de peinture en plein air" ("al aire libre") à Coyoacan. Lorsqu'il visite, en
octobre 1921, l'exposition de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, Rivera met l'accent,
dans un compte rendu publié dans la revue Azulejos, sur la fraîcheur de
l'inspiration populaire et enfantine, telle qu'elle apparaît dans certaines œuvres
exposées ; il considère que l'ouverture sur la nature des écoles officielles de peinture
et de sculpture a entraîné la disparition de la "crasse académique" ("la mugre
académie a"), mais qu'un autre danger guette ces écoles : transformer la peinture
d'extérieur en "photographie artistique" : en effet, "si un ouvrier peintre ou un
sculpteur ne CREE pas, à quoi bon perdre son temps à faire des tableaux à la
main ?". Au risque de tomber dans la peinture purement répétitive et décorative,
Rivera ajoute
"recettes" techniques
celui dequi
faner
les dépassent
la spontanéité
(8). des jeunes peintres en leur inculquant ces
Peu à peu les attaques de Rivera contre ce qu'il appelle "le bloc
postimpressionniste de Coyoacan" (9) deviendront de plus en plus mordantes. Quelques
semaines après son retour au Mexique, il déclarait : "Je crois que le fondement de
tout art est le sentiment populaire. L'art "d'école" n'a été en réalité, dans ses
meilleures périodes, qu'un prolongement de l'art populaire". Il compare les
techniques mises en œuvre dans les "écoles" à des échafaudages entourant une
maison que l'on ne terminerait jamais. Il a encore foi dans "les écoles qui naissent",
parce qu'elles ouvrent des "chemins ignorés, des voies obscures" qui conduiront peut-
être l'humanité "jusqu'à l'océan non encore traduit des choses belles" ; par contre, il
rejette les "écoles d'art" qui, selon lui, se sont en général constituées autour de la
forte personnalité d'un peintre, qui écrase ses disciples, même si certains d'entre eux
"découvrent parfois, au terme de routes déjà tracées, l'étonnant spectacle de terres
nouvelles". Trop souvent les peintres académiques - que Rivera assimile aux
"peintres du passé" - se sont contentés de transcrire, de "calquer" une réalité brillante
dont ils n'ont restitué que la surface ; leur peinture s'arrête aux "vêtements du
monde" ; elle respecte les couleurs et les lignes, mais jamais, en aucune façon, "le
substantiel enchantement des volumes".
A ces peintres de l'apparence Rivera oppose Picasso qui, "oubliant la surface
des objets, a compris que leur vie ne réside pas uniquement dans leur potentiel
décoratif, mais dans leur surprenante constitution interne, c'est-à-dire dans la
substance même qui leur donne la beauté, la vie, une formidable palpitation" (10).
Autrement dit, Rivera, tout en se félicitant de ce que des enfants aient pu s'exprimer
grâce aux écoles de peinture en plein air craint - à juste titre, semble-t-il, si l'on en
juge par les reproductions présentées dans une monographie publiée en 1926 sur ces
écoles (1.1) - que l'exactitude de la représentation ne soit imposée aux élèves, au
détriment de leur créativité personnelle : il est frappant de constater, par exemple,
qu'il n'y a aucun "naïf' parmi ces peintres amateurs.
Sur ce plan, les réserves émises par Diego Rivera rejoignent les critiques
formulées par David A. Siqueiros et Jean Chariot dans une série d'articles publiés en
juillet et en août 1923 dans le journal El Democrata, sous le pseudnyme de Juan
Hernandez Araujo (12). Tous trois se rejoignent pour affirmer que l'ouverture des
écoles en plein air (Santa Anita, puis Coyoacan), la survivance de l'impressionnisme
et l'introduction de l'Art Nouveau (avec Roberto Montenegro, entre autres) avaient
évité à l'expression plastique mexicaine d'être frappée de sclérose irréversible ; elles
avaient arrêté sa "décadence" et avaient orienté la production picturale vers des
14 AMERICA

thèmes nationaux (paysages, types sociaux, coutumes). Néanmoins l'expression


de leurs épigones mexicains restait aliénée par un respect "fétichiste" des modes
étrangères, qui confinait l'art mexicain dans un rôle purement transcriptif ou
décoratif, n'affectant que la "surface des choses", "sans approfondir - pour reprendre
une formule que Jean Paulhan appliquera au cubisme (13) - les structures intimes des
objets, de la société, de l'homme même et les réduire à des composés d'éléments dont
chacun porte en lui sa lumière".
On a souvent tendance à croire, a posteriori, que le muralisme, même s'il
reprenait la tradition de ce qu'on appelait "la pintura de pulqueria", a jailli au cœur
d'une sorte de désert pictural, au lendemain de la phase armée de la Révolution de
1910. En fait, il n'en est rien. Trois tendances, impliquant des esthétiques
différentes, s'expriment à cette époque au Mexique : le post-impressionnisme de
Ramos Martinez ; la tendance "Art Nouveau", folklorique et décorative, avec Adolfo
Best Maugard, Roberto Montenegro, Fernandez Ledesma ; le groupe des muralistes.
De ces trois tendances, c'est évidemment la plus novatrice pour l'époque - le
muralisme - qui se retrouvera en situation difficile et qui sera à deux doigts, à
plusieurs reprises, de devoir interrompre ses activités.

L'action de l'Etat

Si le muralisme a vu, à ses débuts, sa permanence plusieurs fois directement


menacée, ce n'est pas faute d'avoir obtenu le soutien des plus hautes autorités de
l'Etat (14) et, en particulier, de l'homme qui est depuis 1921 à la tête du Ministère de
l'Education Publique reconstitué par Alvaro Obregon, José Vasconcelos. Avant
d'assumer cette charge, Vasconcelos, en 1916, dans un essai intitulé El m on is m o
estético, avait affirmé la prééminence du musical sur le visuel ; pour lui, la
musique a une vocation cathartique, alors que la fonction de la peinture est
essentiellement instauratrice et prospective (15). Néanmoins, le rôle joué par
Vasconcelos dans l'essor du muralisme est décisif. C'est lui qui rappelle au Mexique
des peintres qui séjournaient à l'étranger, comme Rivera et Siqueiros, et qui permet à
José Clémente Orozco de s'exprimer à nouveau ; c'est également lui qui propose aux
muralistes des surfaces à peindre dans les bâtiments officiels tout en leur assurant un
salaire modeste qui leur permet de vivre de façon décente (16).
En novembre 1923, alors que le mouvement muraliste est attaqué de toutes
parts dans la presse de Mexico, Vasconcelos profite d'un entretien avec un journaliste
de El Universal Ilustrado pour définir sa position dans cette affaire : "En tant
que Ministre de l'Education Publique, je n'ai pas le droit d'avoir de préférence entre
les peintres et les autres artistes. Je me limite à tenter d'offrir à tous de quoi
travailler, sans beaucoup me préoccuper du travail lui-même. Sur le plan personnel,
j'avoue que j'ai tendance à considérer la peinture comme un art servile, quand il n'est
pas caricatural. Je ne trouve un message que chez fort peu de classiques ; la couleur
me séduit momentanément, mais je ne sais pas voir le détail ; néanmoins, j'apprécie
l'impression générale et je sens qu'un bâtiment est annobli par la rêverie des
pinceaux. On a beaucoup peint au cours des trois dernières années. J'ai réussi à
attirer tous les peintres qui séjournaient en Europe ; je crois qu'ils se sont
"défrancisés" et aujourd'hui ils peignent comme l'on peignait du temps de la
Colonie, bien ou mal, mais sur une grande échelle. Une des premières observations
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 15

que je leur ai adressées a été de leur dire que nous devions liquider l'art de salon, pour
rétablir la peinture murale et la toile de vastes dimensions. Je leur ai précisé que le
tableau de salon est représentatif d'un art bourgeois, d'un art servile que l'Etat ne doit
pas patronner, car il est destiné à servir d'ornement aux maisons des riches et non
pas à plaire au grand public. Un véritable artiste ne doit pas sacrifier son talent à la
vanité d'un sot ou à la pédanterie d'un "connaisseur". Le véritable artiste doit
travailler pour l'art et pour la religion moderne, le fétiche moderne, c'est-à-dire l'Etat
socialiste, organisé pour le bien de tous ; c'est pourquoi nous n'avons pas organisé
de ces expositions où on vend de petits tableaux, mais nous avons décoré les écoles
et les édifices publics. Ensuite j'ai dit aux peintres que toute mon esthétique se
réduisait à deux impératifs : qu'ils peignent rapidement et qu'ils couvrent un
maximum de murs : vitesse et surface. Comme je sais qu'ils ont du talent, ces
consignes sont suffisantes. En réalité, j'ai de l'estime pour les peintres et je crois que
si nous avions une génération de musiciens comparable à celle des peintres et
caractérisée par une production autochtone abondante, le nom du Mexique serait
connu du monde entier. Pour ce qui est du problème de la durée, que considère-t-on
comme une œuvre durable ?" (17).
Pour Vasconcelos, la peinture murale est avant tout complémentaire de
l'architecture. L'activité picturale s'intégrait mal à sa théorie de l'élan mystique, ne
serait-ce qu'à cause de la matérialité même du support émotionnel : le tableau ou la
fresque. Aussi, à ses yeux, la peinture de Diego Rivera, José Clémente Orozco, Jean
Chariot, Fermin Revueltas, David Alfaro Siqueiros, Xavier Guerrero, Carlos Mérida
devra- t-elle inciter le spectateur à l'action plus qu'à la contemplation.
Néanmoins il défendra avec constance les peintres de la "Secretarîa de Education
Publica" contre les attaques qui se multiplient à partir de juin 1923. En mars de cette
même année, l'Université de Mexico avait organisé, dans le grand amphithéâtre de
l'Ecole Nationale Préparatoire, une cérémonie en l'honneur de Diego Rivera, présidée
par Vasconcelos et par Antonio Caso. Dans la courte allocution qu'il prononce, le
Ministre souligne que Rivera "a été un esprit inquiet, un chercheur de nouveaux
procédés techniques et un éternel rebelle contre les méthodes classiques consacrées
par la tradition et la routine" (18). Plus tard, en mai 1924, alors que les agressions
redoublent contre les peintures de l'Ecole Nationale Préparatoire (19) et que les
fresques de la S.E.P. sont vivement critiquées, Vasconcelos - qui a associé les
peintres à ce qui doit être l'apothéose architecturale de la présidence d'Obregon :
l'inauguration du Grand Stade de Mexico - prend la défense des muralistes en réfutant
l'un après l'autre les griefs exprimés dans la presse : "Rivera, Montenegro, Enciso,
les sculpteurs et les autres personnes qui sont intervenues dans les travaux de
construction du Ministère - déclare Vasconcelos - ne l'ont pas fait par effraction,
mais sur ma très pressante insistance. C'est moi qui les ai imposés aux ingénieurs et
aux architectes. On a très justement donné à ces derniers, par contrat, des honoraires
élevés pour leur participation ; en revanche, les peintres, qui ont fourni les idées les
plus lumineuses, l'ont fait gratuitement. En règle générale, ils ont offert leurs
services par amour pour la beauté et par dévotion envers l'action menée par le
Ministère. (...) Par ailleurs, je n'hésite pas à affirmer que je suis persuadé que
beaucoup parmi nos modestes réalisations actuelles laisseront un souvenir grâce aux
peintres qui les ont décorées. Certains architectes doivent se sentir fiers d'avoir eu à
travailler à une telle renaissance artistique. En outre, comme je me suis moi-même
16 AMERICA

montré critique à l'égard de Diego Rivera, je crois convenable d'ajouter qu'à mon avis
Diego Rivera a du génie" (20).
Au-delà de la réfutation circonstanciée d'attaques précises, cette réponse à
Vasconcelos est une reconnaissance de l'action créatrice et inventive du mouvement
muraliste. On retrouve également dans ces affirmations la volonté du Ministre de
faire collaborer les artistes de disciplines différentes à une œuvre commune, dont les
objectifs, à la fois sociaux et esthétiques, étaient clairement revendiqués. Plus que
jamais, la croyance de Vasconcelos dans les "fonctions aménageantes" (Francastel) de
l'art, révélateur de la beauté du monde, organisateur de l'espace vital et garant de
l'harmonie sociale, était proclamée. A la différence des musiciens, pourvoyeurs
d'émotions cathartiques, les peintres travaillaient à la fois pour le présent, en
l'embellissant, et pour l'avenir, en créant une sorte de réserve d'objets esthétiques
exploitables à long terme.

Un nouveau code figuratif

Un certain nombre de thèmes dominants vont peu à peu composer le code


figuratif de la nouvelle peinture mexicaine : l'exaltation de l'homme mexicain (il
apparaîtra fréquemment sous les traits d'un Indien) dans ses activités productrices,
dans ses luttes syndicales, dans sa régénération par l'éducation, dans sa participation
à la Révolution (c'est en 1922 qu'Orozco peint sa fameuse fresque de l'Ecole
Nationale Préparatoire intitulée "La tranchée" ; la dénonciation des abus et de
l'injustice dont pâtit le monde des travailleurs ; la proclamation de l'idéal socialiste
(21). En novembre 1921, Rivera définit le contenu idéologique qui devra donner au
muralisme sa véritable unité : "Le peintre qui ne ressent pas d'affinité envers les
aspirations des masses ne peut pas produire une œuvre durablement valable. Ce ne
doit pas être le cas de celui qui peint des murs, décore des maisons, des palais, des
édifices publics. Un art coupé des objectifs pratiques n'est pas un art" (22).
Le Syndicat des Peintres et des Sculpteurs, présidé par Diego Rivera, publie
en 1922, l'année même de sa création, une "déclaration sociale, politique et
esthétique", qui radicalise les prises de position antérieures de Rivera et à laquelle se
rallient des écrivains et des enseignants (Pedro Henriquez Urefia, Antonio Caso, José
Juan Tablada, Julio Torri, Genaro Estrada, Carlos Pellicer, Vicente Lombardo
Toledano, Manuel Toussaint, Alfonso Carvioto, Salomon de la Selva, etc.).
S'adressant "aux races humiliées au cours des siècles, aux soldats devenus bourreaux
aux ordres de leurs chefs, aux ouvriers et aux paysans soumis aux coups des riches,
aux intellectuels qui ne flattent pas la bourgeoisie", le Syndicat proclame son
attachement et son admiration envers les dispositions dont fait preuve le peuple
mexicain pour "créer de la beauté" : "L'art du peuple mexicain est la plus saine
expression spirituelle qu'il y ait au monde, et sa tradition notre plus grand bien".
Le credo esthétique de la nouvelle génération de peintres aspire à épouser la
sensibilité collective du peuple : "Notre objectif fondamental est de socialiser
l'expression artistique, qui tend à effacer totalement l'individualisme, lequel est
bourgeois". Désormais
"condamnation" de la peinture
les conditions
de chevalet,
de la création
parce qu'elle
impliquent
est foncièrement
à la fois la
"aristocratique" et la "glorification de l'art monumental, parce qu'il est propriété
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 17

publique". L'art doit être porteur de "valeur idéologique pour le peuple", il devient
une "puissance d'éducation et de lutte" (23).
Ce texte, que José Clémente Orozco qualifiera, vingt ans plus tard, dans son
Autobiographie, d"'extraordinairement important", dans la mesure où il engageait
l'avenir du mouvement muraliste et l'orientation d'une peinture mexicaine qui se
voulait "officielle", soulevait une foule de questions : qu'entendait-on exactement par
"socialisation de l'art" ? La peinture doit-elle être le porteur prioritaire des critères
esthétiques "du peuple" (24) ? Cette socialisation de l'art était-elle possible sans un
bouleversement profond des tinctures de la société mexicaine ? Pouvait-on répudier
impunément toute la peinture de chevalet et condamner Rembrandt, Le Greco, Le
Titien au bûcher ? La contemplation d'un tableau pouvait-elle pousser le spectateur à
l'action révolutionnaire ? Le fait de privilégier le contenu ne conduit-il pas à
réduire la représentation picturale à n'être plus qu'une simple illustration anecdotique
et décorative ?

L'avènement d'un art de masse

Cette profession de foi de Diego Rivera et de ses contemporains en faveur


d'un art de masse, d'une expression picturale lisible par tous et intégrée à
l'architecture publique, leur posa un double problème - de représentation et
dénonciation - dont les deux volets sont indissociables. Les peintres qui couvrent les
surfaces murales que leur propose Vasconcelos (Ecole Nationale Préparatoire,
Couvent San Pedro y San Pablo, Ministère de l'Education Nationale) doivent d'abord
vaincre l'obstacle de la technique de la fresque et de l'organisation des volumes sur un
plan vertical. A plusieurs reprises, Diego Rivera s'est longuement expliqué, dans la
presse de la capitale, sur les méthodes que ses "aides" (Xavier Guerrero, Carlos
Mérida, Fermin Revueltas) et lui-même ont employées : traitement des couleurs et
des surfaces à peindre, peinture à l'encaustique ou à la fresque, etc. (25). Certains
commentateurs en ont même conclu que la seule utilisation de ces procédés
techniques était responsable de la naissance d'une esthétique nouvelle (26).
Néanmoins, ces informations techniques ont eu le mérite de démystifier, aux
yeux d'uneetpartie
"bohème" frivole,
de fainéant
l'opinion,et l'image
irresponsable
banale ; mais
en outre,
encore
elles
vivace
ont montré
de l'artiste
aux
partisans de l'art pour l'art que "la peinture et la sculpture sont des métiers techniques
très proches de la maçonnerie et de l'orfèvrerie, et assez proches de la mécanique et de
l'architecture, exigeant, par là-même, la connaissance des lois claires et concises
établies par l'expérience des peuples à différentes époques" (27). Elles ont enfin
montré que la surface à peindre jouait un rôle "créateur" et qu'entre elle et la peinture
devait s'établir un "équilibre plastique" où les proportions et les formes du mur
s'harmoniseraient avec la répartition et la disposition des volumes peints. Sur ce
dernier point, il est évident que certains muralistes tireront d'utiles leçons de
l'expérience cubiste qu'ils ont vécue en Europe.
A ces questions techniques vient s'ajouter un problème dénonciation, que l'on
cernera facilement à travers une très brève comparaison entre la peinture russe et la
peinture mexicaine de cette époque. Alors qu'après 1923 la peinture russe glisse peu
à peu vers un mode d'expression naturaliste (appelé abusivement par la suite
"réalisme socialiste"), le muralisme mexicain refuse l'art "photographique".
18 AMERICA

Comparant, en 1923, l'activité débordante dont faisaient preuve les peintres


mexicains à un cours d'eau, Diego Rivera concluait : "L'eau qui coule fait ; ce qui,
en tout état de cause, est mieux que de refléter" (28).
Très vite, Rivera a compris que le "nationalisme pictural" recelait un piège de
taille : le "mexicanisme", c'est-à-dire une peinture "décorative" selon Rivera (29),
"touristique et excentrique" selon Chariot et Siqueiros (30), qui s'attache surtout au
pittoresque, à ce que les étrangers considèrent comme "exotique", donc aux aspects
les plus superficiels de l'expression nationale. Les peintres qui se réclament de cette
tendance (Best Maugard, Fernandez Ledesma, Montenegro), ont emprunté leurs
motifs décoratifs à la poterie et à la céramique populaires, ce qui leur attirera les
reproches de Chariot et de Siqueiros : "La décoration d'un vase - écrivent-ils -, plus
que celle de toute autre architecture ou matière volumineuse, est uniquement
complémentaire ; l'arracher au milieu qui l'a engendrée aboutit à la tuer et à mutiler
l'ensemble, et vouloir la transposer sur un mur ou sur n'importe quelle surface
différente est une énorme bévue plastique". Le signe distinctif de la "véritable
peinture mexicaine" doit donc être sa "nature organique", c'est-à-dire un sens de la
composition, des proportions, de la couleur lui appartenant en propre.
Cette recherche d'un énoncé propre au muralisme conduit Rivera, Orozco et
Siqueiros à abandonner la symbolique plus ou moins ésotérique qui marquait leurs
premières fresques - celles de l'Ecole Nationale Préparatoire. Désormais, les
muralistes s'intéressent moins à la représentation allégorique des origines de
l'homme et de ses rapports avec le cosmos et les "éléments" (une fresque de
Siqueiros et une d'Orozco, peintes à cette époque, portent ce titre), qu'à l'évocation
symbolique (leur but - dira plus tard Orozco - était de "créer des symboles lisibles
de loin par tous") du paysan et de l'ouvrier dans une société de classes, régie par des
rapports de force, de domination et d'oppression. Le langage pictural, au même titre
que le signe écrit, tente d'instaurer une connaissance et une communication par le
regard, en s'adressant à un public ne fréquentant pas les musées en en transcrivant des
gestes qui n'avaient jamais eu droit de cité jusque-là dans la peinture mexicaine.
Le travail - sous ses deux aspects : source de richesse mais aussi
d'exploitation - tend à devenir le thème central du muralisme. Certaines fresques de
Rivera au Ministère montrent l'effort de l'homme producteur de richesses ("Le haut-
fourneau", "Le moulin à sucre", "Les teinturiers") ; sur d'autres, on voit le
travailleur des villes et des campagnes soumis à l'exploitation, à l'arbitraire et à la
violence (Siqueiros peint T'Enterrement d'un ouvrier sacrifié"). De même, de la
Conquête espagnole ne subsistent, dans la fresque peinte par Jean Chariot à l'Ecole
Nationale Préparatoire en 1922, que des scènes de massacre, où les Indiens
emplumés et inoffensifs sont fouaillés, dépecés, transpercés par des conquérants
changés en robots criminels (31). L'art de la fresque s'éloigne de la sérénité italienne
et évolue vers un expressionnisme de plus en plus violent. En 1923, José Clémente
Orozco peint, sur les murs de 1*E.N.P., la nouvelle "Trinité" : paysan, ouvrier et
soldat. La première version de cette œuvre - dont nous conservons des clichés
photographiques - représentait le paysan et l'ouvrier au travail, sous la protection du
soldat. Mais dans la fresque définitive, le paysan se tient la tête dans les mains, dans
une attitude de désespoir total, l'ouvrier a les mains coupées et le soldat la tête dans
les plis d'un drapeau qui l'aveugle. Les expressions sont farouches ou accablées, les
corps tendus, les membres déformés. Dans cette représentation aux limites de la
caricature - "La révolution - a écrit Baudelaire - est amie de la caricature" -, à laquelle
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 19

Orozco sacrifiera dans d'autres fresques de rE.NP. ("Le banquet des riches", "La Loi
et la Justice", "Dieu, les riches et les pauvres", "Ordure", peints en 1923 et 1924), la
fonction picturale consiste à accumuler les chocs émotifs et à donner une stature
mythique à de nouvelles figures, jadis exclues ou ignorées : l'homme et la femme du
peuple. Ici, plus que le "donné", l'image exprime le "voulu" (32) : les fresques se
veulent dénonciatrices des rapports conflictuels entre la masse et ceux qui
l'exploitent ; elles sont également une interpellation adressée au pouvoir politique :
la dignité et la vitalité du peuple ne s'accommoderont plus de la moindre
tergiversation dans le secteur social et économique.
On assiste donc à une "exaltation" du prolétariat, même si Orozco a tendance
à le montrer, comme Mariano Azuela dans ses romans, floué, bafoué, meurtri. Ces
fresques, "populaires" dans leurs thèmes, utilisent les techniques les plus novatrices
pour ce qui est de la répartition des volumes, afin de conférer une troisième
dimension à la surface murale, sans avoir uniquement recours aux lois de la
perspective. La palette elle aussi a évolué : les bruns, les gris, les rouges, les noirs
deviennent les tons dominants. A la symbolique des formes répond celle des
couleurs : "La tranchée" de José Clémente Orozco baigne dans une lueur rouge qui
est celle du sang des sacrifiés ; dans "Le mineur fouillé", peint par Rivera à la
S.E.P., l'ouvrier, crucifié sur l'autel de la mine et vêtu du coton blanc de
l'innocence, se découpe sur un ciel noir.

Esthétique et engagement

Diego Rivera est revenu à Mexico précédé d'une réputation flatteuse : en


Europe, Ramon Gomez de la Serna, Elie Faure, Picasso et d'autres ont parlé de lui
de façon élogieuse ; Vasconcelos, dans une de ses conférences prononcées à Lima en
1916, Martin Luis Guzman dans un article inclus dans A orillas del Hudson,
publié en 1917, ont célébré son savoir-faire, son sens des volumes et des couleurs.
Après son retour, des critiques écoutés comme José Juan Tablada (33) et Walter Pach
(34), des spécialistes de la littérature et de la culture comme Pedro Henriquez Urefta
(35), de jeunes sociologues comme Manuel Gomez Morin (36) soulignent la force
intuitive de Rivera, qui lui a permis de révéler la "spiritualité" secrète du Mexique.
Tous reconnaissent l'impression de maîtrise, de vigueur, d'harmonie et de profondeur
qui se dégage des fresques de la S.E.P., et l'incontestable rayonnement de Rivera sur
ses disciples.
"engagé"
Cependant,
de l'art mural
pratiquement
pratiqué par
aucun
Rivera
de ces
à partir
laudateurs
de 1922.
ne met
Lorsqu'ils
l'accentlesur
font,
l'aspect
c'est
pour affirmer qu'il s'agit là d'une fonction subsidiaire de la peinture et que le
prosélytisme idéologique devrait rester l'apanage exclusif du texte écrit ou du
discours public : "Peindre des idées socialistes - écrit Gomez Morin en février 1925 -
ne saurait être le principal ressort de la réalisation esthétique. Ces idées ont déjà été
exposées mille fois avec une éloquence convaincante, avec une émotion profonde, à
travers le discours. Le fait de les exprimer graphiquement peut engendrer une œuvre
intéressante mais mineure, illustrative, caricaturale dans la mesure où elle atteste
de la laideur, du ridicule, de la perversité, de la douleur d'une exploitation, d'une
injustice, d'une attitude".
20 AMERICA

Ces réserves exprimées, Gomez Morin considère, comme d'autres


commentateurs à l'époque, que le grand mérite de l'œuvre de Rivera a été de
réconcilier le Mexique avec lui-même, avec ses hommes, ses objets, ses paysages,
tout en proposant des "formes" nouvelles d'expression que l'académisme ou le
néoimpressionnisme semblaient incapables d'offrir.

La controverses à propos du muralisme

Cette nouvelle forme d'expression qu'est le muralisme pratiqué par Rivera et


ses compagnons est loin de rallier tous les suffrages. Les attaques se développent sur
plusieurs fronts, avec une extrême virulence. Au-delà des fresques de rE.NP. et de la
S.E.P., c'est parfois l'action culturelle de Vasconcelos et son utilisation des fonds
publics qui sont visés.
On reproche tout d'abord à Rivera et aux peintres commandités par le
Ministère de se faire payer leurs fresques à des prix "fabuleux", de toucher des
salaires "substantiels" et de "dilapider" l'argent de l'Etat On les accuse de faire de la
propagande politique, dans le sillage de Plutarco Elias Calles qui compte se présenter
aux élections présidentielles de 1924. En ce qui concerne Rivera lui-même, on met
en cause sa trop grande liberté de langage, ses attaques contre l'Académie des Beaux-
Arts et son directeur, Ramos Martinez, ses plaidoyers en faveur d'une peinture "pour
les masses" que ses détracteurs jugent trop incohérente et trop abstruse pour être
comprise du grand public (37).
Mais la réaction de rejet qui se manifeste à l'égard du muralisme n'est pas
seulement sociale ou politique, elle est également esthétique : ces peintures sont
condamnées parce qu'elles sont laides. On parle de "plaisanterie de mauvais goût",
de "désir d'épater le bourgeois", de "culte de la laideur" ("feismo"), de "manifestations
de délire artistique" que les générations futures se verront dans l'obligation d'effacer à
grands frais (38).
Le débat tourne essentiellement autour de cette notion de "beau", de ses
sources et de ses critères. Cependant, la discussion va se focaliser sur trois points

essentiels
1° II
: est nécessaire de reconnaître la valeur et la dignité des activités
artistiques : le rayonnement d'un pays ne s'identifie pas uniquement, comme le
soutenaient les positivistes, à son potentiel économique, agricole ou industriel, mais
aussi à ses productions artistiques. Une "renaissance" - le mot revient constamment -
artistique et culturelle est souvent le signe annonciateur d'un "renouveau" national
(39).
2° Chacun des deux "camps" doit faire preuve d'une plus grande tolérance au
nom de la pluralité des expressions esthétiques : pourquoi condamner sans appel le
muralisme, animé par des peintres confirmés comme Rivera ou Orozco, dont chacun
reconnaît l'expérience et le talent, au-delà d'une certaine agressivité dans le traitement
des sujets qu'ils abordent ? Pourquoi rejeter la peinture de chevalet (que Rivera
continue d'ailleurs à pratiquer) ou la "pintura de pulqueria", naïve, populaire,
fréquemment satirique, qui témoigne de la volonté de s'exprimer propre à une partie
de la population
3° Ces excommunications
trop souvent condamnée
réciproques
au silence
- c'est
(40)
José
? Juan Tablada qui pose la
question mais dans son esprit elle s'adresse surtout aux contempteurs du muralisme,
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 21

que, pour sa part, il défend - ne sont-elles pas dues en premier lieu à un exercice
abusivement "sentimental" de la critique esthétique, pratiqué par des personnes non
qualifiées : "Nous ignorons - écrit Tablada - la critique affirmative et créatrice,
surtout pour ce qui est des arts plastiques, celle qui aide le public à se rendre compte
des objectifs de l'artiste et à distinguer clairement les beautés qu'un observateur non
averti décèlerait péniblement". Tablada reconnaît que, pendant des années, la peinture
mexicaine est restée "anecdotique", "littéraire", "sentimentale" ou "photographique",
ce qui a eu pour conséquence de faire perdre au public la notion de l'autonomie de
l'objet plastique et de son droit à être jugé en fonction de critères particuliers. Il faut
donc bannir "l'analyse de l'amateur frivole, de la demoiselle de bon goût, du
littérateur ou du musicien qui ignorent trop souvent les lois de leur propres
profession et qui viennent grossir le troupeau des pédants et des représentants de la
corruption intellectuelle" (41).
En juillet 1924, des étudiants de 1TLN.P. passent à l'action directe contre les
fresques d'Orozco, de Siqueiros et de Rivera, avec l'approbation apparemment
unanime de la population de la capitale. De plus, Vasconcelos, qui démissionne à
cette époque, a pris à la fin du mois de juin 1924 une série de mesures qui sont en
contradiction totale avec la politique qu'il avait lui-même suivie jusque-là : les
peintres qui travaillaient pour la S.E.P. ne reçoivent plus aucune nouvelle
commande et doivent se contenter de terminer les travaux en cours ; certaines
fresques de José Clémente Orozco sont recouvertes de chaux. Un décret du Président
Obregon, en août 1924, confirma ces dispositions.
Cette volte-face de Vasconcelos marquait-elle son désarroi devant une peinture
qui ne semblait plus emprunter les voies pythagoriciennes de l'élévation vers la
Beauté et vers la Pureté, mais choisir au contraire une orientation plus
"newtonienne", celle de l'endoctrinement des masses (42) ? On touche là au cœur du
problème. Ainsi, dès juillet 1923, certains commentateurs se demandaient si
l'inspiration "indigéniste" des fresques peintes par Jean Chariot, Fermin Revueltas et
Fernando Leal sur les murs de l'E.N.P. n'étaient pas un alibi démagogique derrière
lequel s'abritait l'impuissance des peintres modernes à vaincre certaines difficultés
techniques, et si derrière ce "primitivisme artificiel" ne se dissimulait pas un
"archaïsme glacé et vide" (43). Sur cette question de l'indigénisme vient se greffer
celle du prosélytisme idéologique. Des personnages politiques influents, comme
Alberto Pani, interviendront auprès de Vasconcelos pour qu'il fasse disparaître
certains slogans d'inspiration libertaire du poète Carlos Gutierrez Cruz qui
encadraient les fresques de Rivera et qui leur paraissaient impropres à figurer sur les
murs d'édifices publics (44).
Si Vasconcelos et les puralistes coïncidaient sur la nécessité d'une éducation
sociale et esthétique du peuple, les moyens préconisés de part et d'autre divergeaient
profondément. Pour le Ministre, un enseignement primaire et universitaire bien
conçu doit se préoccuper de l'instruction civique du peuple ; dans un second temps,
l'art est chargé de proposer une nouvelle "mystique" à des foules alphabétisées et
policées. Pour Diego Rivera, l'art "pur" n'existe pas et la prise de conscience
politique prime sur l'éveil de l'esprit à l'émotion esthétique et mystique :
"Vasconcelos - ; déclare
"unanimistes" c'est pourquoi
Rivera -ilest
voit
un en
de Berta
ces hommes
Singermann
qu'en France
la rénovatrice
on appelle
du
spectacle en plein air et qu'il la croit capable d'éveiller le sentiment de la beauté chez
les foules. Il est vrai que tout a un début, mais il faut quelque chose de plus fort et
22 AMERICA

de plus noble" (45). Le peuple ne prendra conscience de sa puissance que si on lui


montre l'iniquité de ses exploiteurs et la grandeur de ses sacrifices. L'artiste ne doit
pas être un "voyant", comme le prétend Vasconcelos, mais un "travailleur
intellectuel", uniquement chargé de restituer au peuple l'image ou le spectacle de sa
propre hégémonie.
Détracteurs et défenseurs du muralisme se renvoient dont la balle : alors que
les premiers dénoncent le "matérialisme" et le "bolchevisme" des fresques peintes par
les muralistes, les seconds en exaltent la "spiritualité". On s'accusa tantôt de vouloir
pérenniser le goût "bourgeois" ou "pompier" de l'académisme, tantôt de pratiquer une
forme d'impérialisme esthétique excluant toute autre forme expressive et se
substituant abusivement au champ opératoire traditionnel du texte écrit. Les uns
dénoncent "l'illusion de l'art pur", les autres la "collusion" démagogique entre la
peinture et la politique. Certains pensent que Rivera est un novateur, d'autres
affirment que ses fresques marquent une incontestable régression par rapport aux
premiers tableaux exposés à l'Ecole des Beaux-Arts et consacrés pour l'essentiel au
paysage mexicain (46). Les uns approuvent la synthèse opérée par Rivera entre
l'avant-garde européenne et une inspiration nationale, les autres considèrent que sa
peinture s'est banalisée et ne s'est pas adaptée au contexte mexicain (47) ; certains
lui reprochent même, comble de l'ironie, un certain "académisme" (48).
Enfin c'est également à cette époque qu'apparaît un reproche à rencontre du
muralisme, qui sera maintes fois repris par la suite et développé dans une foule
d'articles et d'essais (un seul exemple : l'article d'Octavio Paz intitulé "Tamayo en la
pintura mexicana" et inclus dans Las peras del olmo, publié en 1957) : en
juillet 1924, dans un article de El Universal ("Imposiciones estéticas"), le
mouvement muraliste naissant se voit accuser d'impérialisme esthétique par
Nemesio Garcia Naranjo, ancien responsable de l'Education Publique sous la
dictature de Victoriano Huerta. Celui-ci remarque que, périodiquement, le "bon goût"
est monopolisé par une chapelle, tantôt littéraire, comme à l'époque de la Revista
Moderna, tantôt philosophique, comme ce fut le cas avec le Positivisme, tantôt
esthétique. Il lui semble que les coutumes du porfïrisme se perpétuent, puisqu'à une
"philosophie d'Etat" a succédé une "peinture d'Etat", qui a proclamé que "Diego
Rivera était un génie" (le mot, nous l'avons vu, est de Vasconcelos) et que par
conséquent "il ne restait au peuple d'autre recours que de l'accepter". Il s'agit là d'un
point très important, celui de l'instauration d'une culture d'Etat, alors qu'il eût été
souhaitable que "le triomphe de la Révolution entraînât l'abolition des cénacles
officiels". L'art mexicain paraissait avoir succombé à un nouvel académisme,
d'autant plus puissant qu'il était soutenu par le pouvoir central.
Certes, Rivera et ses amis avaient montré du courage en peignant à contre-
courant de la tradition qui avait été suivie jusque-là ; Vasconcelos avait fait preuve
d'" audace intellectuelle, en ne se montrant pas effrayé par cette œuvre déconcertante
qui déplaisait à la majorité". Mais cette attitude novatrice a été ternie, selon Garcia
Naranjo, par l'obligation, "imposée à tous", d'admirer "les tableaux ce ce peintre
discuté". Une fois le porfirisme aboli, on pensait que les artistes chercheraient
l'appui du peuple et non plus celui de l'Etat. Au contraire, dit Garcia Naranjo, le
fossé s'est creusé entre les peintres qui "ne sentent plus les palpitations de la vie
nationale", et un public qui les assimile à "des étrangers amoureux des nuages". S'il
s'agissait de tableaux de chevalet (la même argumentation se multiplie à l'infini dans
les articles de l'époque), on pourrait toujours les remiser dans quelque réserve, en
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 23

attendant que le jugement de la génération présente soit infirmé par celui de la


suivante ; mais "le défaut capital de cette œuvre est de ne pas être separable des
murs". Il faut T'accepter ou la détruire" ; il n'y a pas de juste milieu. En outre, fort
de l'appui des plus hautes sphères de l'Etat, l'artiste s'est transformé en juge, alors
qu'il n'est "qu'un accusé dans le box, attendant le verdict du public".
Dans cette affaire du muralisme, deux éthiques et deux esthétiques s'opposent,
recouvrant deux conceptions contradictoires de la société et de son évolution. Tout le
monde, ou presque, est d'accord au Mexique pour transformer les canons traditionnels
de ce qu'on appelle le "goût", c'est-à-dire l'ensemble des choix esthétiques, conscients
ou inconscients, des citoyens. Mais la tactique à suivre pour mener à bien cette
"révolution du goût" est loin d'être la même pour tous. Selon Vasconcelos et
certains de ses collaborateurs, il est nécessaire de proposer au peuple une série de
modèles, qui tiennent compte à la fois de son "idiosyncrasie" et de l'apport culturel
universel : on encouragera la diffusion de la chanson et des danses folkloriques
mexicaines et on offrira aux nouveaux alphabétisés la possibilité de lire Dante ou
Euripide, dans des éditions soignées et bon marché mises au point par la S.E.P.
Diego Rivera et ses partisans, au contraire, défendent des thèses beaucoup plus
nationalistes, au nom de la créativité populaire : "Dans l'action de toute
administration constructive - écrit Rivera - une place primordiale doit être occupée
par la création de possibilités de développer le goût, facteur capital et négligé par
tous, non pas en tant qu'ornement ou que raffinement, mais au même titre de
nécessité que les mesures d'instruction élémentaire et d'hygiène publique ; pour que
s'instaure un goût véritable et favorable à l'économie du pays, il faudra prendre des
mesures tendant à l'expansion et à l'éclosion de tout ce qui peut naître du sol, pour la
même raison que celle qui fait que pour qu'un pays ne meure pas de misère, il faut
que le paysan cultive en priorité la terre qui donnera les fruits les plus nourrissants et
les meilleurs" (49).
En fait, il s'agit moins de faire l'éducation esthétique du peuple que d'obliger
la "bourgeoisie de Mexico", "centre anesthésiant et corrupteur de tous les
mouvements vivifiants", à renoncer à admirer systématiquement tout ce qui vient de
l'étranger et à décrier la production nationale. Pour Rivera, le peuple est un
"producteur instinctif et spontané de beauté" ; on ne doit rien lui imposer, mais au
contraire lui donner l'occasion de s'exprimer : il faut donc prendre en compte
"l'instinct plastique de la race" (50), qui la porte à admirer et à approuver la nouvelle
peinture, en fonction du "travail" qu'elle représente.
A l'opposé, Vasconcelos se veut le chantre et l'artisan d'une nouvelle culture
"synthétique", "une véritable culture qui marque l'éclosion des éléments natifs dans
un contexte universel, l'union de notre âme avec toutes les vibrations de l'univers
sur un rythme joyeux semblable à celui de la musique et selon un heureux processus
de fusion, semblable à celui que nous allons connaître, quand se mêleront dans notre
conscience les sonorités naïves du chant populaire entonné par des milliers de voix
enfantines et les mélodies profondes de la musique classique ressuscitées par notre
Orchestre Symphonique. Le populaire et le classique unis, sans passer
par le pont de la médiocrité" (SI).
Le syncrétisme dont se réclame Diego Rivera est d'essence nationaliste ;
lorsqu'on l'interroge, en juillet 1921, sur les raisons de son retour au Mexique, il
répond : "C'est avant tout mon désir d'étudier les manifestations de l'art populaire,
les ruines de notre étonnant passé, dans le but de cristalliser certaines idées sur l'art,
24 AMERICA

certains projets que je nourris et qui, si je parviens à les réaliser, donneront


indubitablement un sens nouveau et plus large à mon oeuvre" (52). Quand
Vasconcelos démissionne, en juillet 1924, il semble que Diego Rivera a déjà en
grande partie atteint son objectif.

Claude FELL

NOTES

(1) Pierre Francastel, La réalité figurative, Paris, Gonthier, 1965, p. 18.


(2) L'iconographie relève de la description, l'iconologie de l'interprétation. Cf.
l'avant-propos de Bernard Tesseydre au livre de Erwin Panofsky, L'œuvre d'art et
ses significations. Edition Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1969,
p. 14. Voir également Llana Lowy, "Le Mexique d'aujourd'hui et de demain (tentative
d'interprétation iconologique d'un mural de Diego Rivera)", in Essais sur les
formes et leurs significations. Denoël/Gonthier, Médiations, N° 223, 1981,
pp. 189-217.
(3) Lettre de Diego Rivera à Alfonso Reyes du 7 août 1917. Archives Alfonso Reyes.
Capilla Alfonsina. Mexico.
(4) P. Francastel, op. cit., p. 208 : "L'art est une fonction, et il n'a d'autre raison
d'être que l'activité humaine".
(5) Jean Chariot, The Mexican Mural Renaissance. New Haven and London,
Yale University Press, 1963, p. 76.
(6) Lettre à Alfonso Reyes du 13 mai 1921. Archives A. Reyes.
(7) A ce propos, cf. Antonio Rodriguez, A History of Mexican Mural
Painting. (London : Thames and Hudson, 1969), p. 165.
(8) Diego Rivera, "La Exposiciôn de la Escuela National de Bellas Artes", Azulejos,
3, octobre 1921, p. 25.
(9) D. Rivera, "De pintura y de cosas que no lo son". La Falange, 5, août 1923,
p. 269.
(10) Roberto Barrios, "Diego Rivera pin tor". El Universal Ilustrado, 28 juillet
1921, pp. 22-23 et 42.
(11) Monografias de las escuelas de pintura al aire libre. Prôlogo de
Salvador Novo. Mexico : Publicaciones de la S.E.P., Editorial "Cultura, 1926.
(12) Juan Hernandez Araujo, "El movimiento actual de la pintura en Mexico. La
influencia benéfica de la Revolution sobre las artes plasticas. El "nacionalismo" como
orientation pictôrica intelectual". El Demôcrata, 11, 19, 26 juillet et 2 août 1923.
(13) Jean Paulhan, La peinture cubiste. Denoël/Gonthier, Médiations, 1970,
p. 188.
(14) A plusieurs reprises, a posteriori, Rivera a fait état du soutien actif que lui
avait apporté le Président Alvaro Obregôn. Cf. Luis Suarez, Confesiones de
Diego Rivera. Mexico, Ediciones ERA, 1962, p. 133 et Lolo de la Torriente,
Memoria y razôn de Diego Rivera (Mexico : Editorial Renacimiento, 1959)
t. II, pp. 157 et suiv.
(15) José Vasconcelos, Obras complétas, Mexico, Libre ro s Mexicanos Unidos,
1961, t. IV, p. 11.
(16) Cf. Jean Chariot, op. cit., p. 141.
(17) "José Vasconcelos, por Ortega". El Universal Ilustrado, 23 novembre 1923,
pp. 35, 88-89.
(18) "Homenaje de la juventud al pintor Diego Rivera". Excélsior, 10 mars 1923.
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 25

(19) Cf. El Universal et Excélsior du 20 juin 1924 et J. Chariot, op. cit.,


p. 291.
(20) J. Vasconcelos, "Los pintores y la arquitectura". El Universal, 3 mai 1924.
(21) A ce propos voir : Samuel Ramos, Diego Rivera, Mexico, UNAM, 1958,
p. 28.
(22) José D. Frias, "El fabuloso pintor Diego Rivera". Revista de Re vistas, 27
novembre 1921.
(23) Reproduit dans : Raquel Tibol, Siqueiros, introductor de realidades.
Mexico, UNAM, 1961, p. 230.
(24) David A. Siqueiros, L'art et la révolution. Paris, Editions Sociales, 1973,
p. 40 : en 1932, dans une conférence, Siqueiros dénoncera les dangers d'un ralliement
inconditionnel à une esthétique fondée uniquement sur les "goûts" du peuple : "Le
prolétariat, pour sa part, est le réceptacle final de tous les mauvais goûts esthétiques
de la classe qui le domine et l'exploite".
(25) Cf., par exemple : Juan del Sena, "Diego Rivera en la Preparatoria". El
Universal Ilustrado, 6 avril 1922, pp. 26 et 47.
(26) Renato Molina Enrfquez, "La pintura al fresco". El Universal Ilustrado, 31
mai 1923, p. 50.
(27) Juan Hernandez Araujo, "El moviento actual de la pintura en Mexico". El
Demôcrata, 26 juillet 1923.
(28) D. Rivera, "De pintura y de cosas que no lo son", art. cit., p. 270.
(29) Ibid., p. 269.
(30) Juan Hernandez Araujo, art. cité, 2 août 1923.
(31) Renato Molina Enriquez, "El fresco de Chariot en la Preparatoria". El
Universal Ilustrado, 26 avril 1923, pp. 40, 48.
(32) P. Francastel, Etudes de sociologie de l'art. Paris, Denoël/Gonthier, 1970,
p. 67. Sur ce plan, la position de Rivera est parfaitement claire : "La pintura es una
escritura, y como tal, el medio de expresar el sentimiento de quien se sirve de ella ;
sus normas y canones los contiene ella misma, y el hecho de que un cuadro sea feo o
hermoso, no dépende de sus relaciones o parecido con la imagen del mundo exterior,
sino de la armonfa, medida y ritmo establecidos entre los elementos que la
componen ; por eso un maestro considerado por miles de hombres como el mâs
grande pintor del mundo, dijo que la obra de arte no es "natural" o "verdadera" cuando
es un espejo que refleja el espectâculo del mundo, sino cuando se desarrolla
paralelamente a la Naturaleza, de acuerdo con las leyes universales, por lo que
concierne a su propia estructura, y no por su parecido a determinado objeto a
determinado ser". "El caso del pintor Diego Rivera". El Heraldo, 10 juillet 1923.
Dans le même journal il déclarait, le 8 juin 1923 : "Yo quisiera que todos pensaran que
la pintura es un medio de expresiôn como cualquier otro, y no un medio de
reproducciôn de las cosas ; para que sf asf se ensefiaran a ver desde el punto de vista
del pintor y no desde las mismas cosas". "Diego Rivera, el pûblico y la crîtica". El
Heraldo, 8 juin 1923.
(33) Hernân Rosales, "Tablada y los artistas mexicanos". El Universal Ilustrado,
15 mars 1923, pp. 25-26, 48. Rosales cite de longs passages d'un article de Tablada
paru dans International Studio de New York, où celui-ci analyse les influences qui
se sont exercées sur Rivera : les peintres espagnols (et plus particulièrement Le
Greco), Cézanne et le cubisme.
(34) Walter Pach, "Impresiones sobre el arte actual de Mexico". Mexico Moderno,
II, 3, octobre 1922, pp. 131-138.
(35) Pedro Henriquez Urefla, "Diego Rivera". El Mundo, 6 juillet 1923.
(36) Daniel Cosfo Villegas, "La pintura en Mexico". El Universal, 19 et 20 juillet
1923.
26 AMERICA

(37) Manuel Gômez Morïn, "Los frescos de Diego Rivera". La Antorcha, 20, 14
février 1925, pp. 13-14.
(38) Cf. "El caso del pintor Diego Rivera". El Heraldo, 10 et 19 juin 1923.
(39) "Pintura Oficial". El Demôcrata, 2 juillet 1923.
(40) "Renacimiento y nacionalismo". El Demôcrata, 16 juillet 1923.
(40) "Pintura de caballete y pintura de pulqueria". El Demôcrata, 20 juillet 1923.
Cet editorial contient une attaque très violente contre Rivera. Cf. également : "Pintura
y opiniones", ibid., 5 juillet 1923.
(41) José Juan Tablada, "El arte, los artistas y el publico". Revista de Revistas, 2
septembre 1923, p. 82.
(42) C'est la thèse de Jean Chariot, op. cit., pp. 295-296.
(43) "Renacimiento y nacionalismo". El Demôcrata, 16 juillet 1923.
(44) "Diego Rivera, ratimo", por Ortega. El Universal Ilustrado, 10 janvier
1924, p. 48 : "En sus frescos iniciales - "Los mineros", "Los tejedores", etc. - del
Ministerio de Educaciôn Publica, inscribiô versos libertarios de Carlos Gutierrez Cruz.
Por gestiones de don Alberto Pani, se borrarôn, mâs estân en una botella, dentro del
muro, para "cuando llegue el dfa".
(45) Ibid., p. 33
(46) "Un paisajista que se echô a perder." El Universal, 10 juillet 1923.
(47) C'est le cas de Renato Molina Enrfquez, jadis un des plus chauds partisans de
Rivera. Cf. Manuel Montenegro (comp.), "i Que importancia tiene la obra de Diego
Rivera ?". La Antorcha, 7, 15 novembre 1924, pp. 17-18 (Réponses de Fernando
Bolanos Cachi, Renato Molina Enriquez, Nicolas Puente, Fermln Revueltas et Diego
Rivera. Repris de la revue Survey Graphic).
(48) Ibid., p. 18. Réponse du peintre Nicolas Puente.
(49) "Diego Rivera diserta sobre su extrano arte pictorico". El Demôcrata, 2 mars
1924.
(50) "El caso del pintor Diego Rivera". El Heraldo, 10 juillet 1923.
(51) J. Vasconcelos, "Discurso inaugural del Edificio de la Secretaria". Obras
Complétas, II, p. 800.
(52) Roberto Barrios, "Diego Rivera pintor". El Universal Ilustrado, 28 juillet
1921, p. 22.

Deux lettres de Diego Rivera à Alfonso Reyes

I. Paris 29 nov 1920

Mi querido Alfonso :

Aquf van las gracias por el Piano Oblicuo que Angelina y yo releemos
cada dfa un poco reviviendo las horas de Madrid durante los primeros tiempos de
guerra y dificultades. No me coja Ud demasiado desprecio retroactivo si le digo que
ahora me gustan mâs algunas de las piezas que cuando Ud me las leyô alla, y no
porque entonces me faltara entusiasmo por ellas, ya Ud se acuerda, pero han pasado
afios, quizâ entonces fuese "aun oh ! demasiado joven !" este pobre hombre de mi.
Ahora las cosas me aparecen con mayor profundidad y mâs incisivas. Decididamente
habrâ cosas que en 1914-1915 me pasaron delante de la nariz.
DIEGO RIVERA, ETUDE ICONOLOGIQUE 27

Se por Don Francisco A. de Icaza que Don Alfonso se va a Mexico ; puede


que alla nos veamos, tengo g anas de ir a trabajar con las manos en la masa de mi
propio maiz, a ver que vale.
Vi bastantes veces y le di bastantes latas al Senor Icaza que es persona
amabilisima, buena y simpâtica, un cumplido caballero. Lâstima que yo sea
demasiado contradictorio e incohérente para él.
Ya sabe Ud querido Alfonso nosotros que somos asi, claro no tenemos
afirmaciôn sin contradicciôn, chistoso que los que no tienen peso mâs que un
platillo de la balanza se crean "equilibrados". Nunca entenderân que motor, balanza,
vida por Dios vida, implican contradicciôn orgânica y necesaria y si uno se los dice
encuentran que lo que uno les dice es viejo. Entonces el juego consiste a poner ellos
nueces en un platillo y peso del otro lado y fuera nueces y han construido un sistema
filosôfico nuevo. Después misma experiencia con tomates, etc. Nosotros sabemos
que huevos por un lado pesos al adarme del otro : ojo a la aguja, atenciôn al fiel son
necesarios. i Verdad mi querido Alfonso ? Verdad que Pero Grullo el gran bolchevick
acaba por tener razôn y es mâs equilibrado, y verdad que explosion contra inercia
hacen cuarenta caballos y la hélice da vueltas... que se le da eso a la academia de la
Historia, Jésus si era tan dificil saber que un senor productor por insignificante que
sea no puede para vivir crear que sentir una catégorisa de cosas = gasolina : su
propio magin o lo que sea = chispa encendedora, explosion dentro del cilindro duro
y estrecho, al diâmetro del émbolo y adelante.
Imposible de saber para las personas sensatas que no hay vida de productor sin
tragedia, es decir que no se puede repicar y andar en la procesiôn, es decir ser crîtico
de arte y pintor.
Aqui le mando cinco fotografias de cosas recientes, en seguida que tiren
pruebas le enviaré otras mâs.
Escribame algo y salude a Manuela su esposa, déle muchos besos a Alfonsito
y reciba muchos abrazos de su agradecido amigo

Diego Rivera

Figûrese Ud, han expuesto en el basurero que es el Salon de Otofio, 30


cuadros de Renoir que es como si el padre Platon se hubiese vuelto pintor de genio,
los del Olimpo deben estar que se mueren de gusto y al marcharse el sefior Icaza para
descargo de su conciencia me dijo : "mejor se lo digo, los cuadros de Renoir que me
enseftô son cerdos pelados". Mujeres desnudas son y estoy seguro que tata Dios da
nos bien emplada la costilla de Adan, a pesar de las manzanas que Renoir pin ta
también. Pensemos en Cézanne.
28 AMERICA

H. 19 de mayo de 1961

Mi querido Alfonso :

Acabo de recibir su carta, gracias por acordarse siempre de mî. Ahora mismo
voy a escribir a Orozco pidiéndole me indique en cuanto sea posible el formato, la
calidad del material y el tipo que comportarâ la ediciôn, de manera de hacer los
dibujos lo mâs ûtilmente posible, encantado del encargo y lleno de deseos de
cumplirlo los menos mal que se pueda para ver si le gusta a Ud una vez hecho.
Gracias a Ud y a los amigos de Mexico he hecho un viaje estupendo por Italia
- acabo de llegar a Paris encontrando su carta, me fui desde fines de Diciembre. Inûtil
tratar de contarle a Ud nada, pero le dire que el viaje marca el comienzo de un nuevo
periodo de vida. Me encuentro gracias a él con material para algunos afios de trabajo.
Nada como aquello para aclarar y humanizar. Allî no hay diferencia entre la vida de
las gentes y la obra de arte. Los frescos no se acaban fuera de las puertas de las
iglesias, viven en las calles, en las casas, por dondequiera que uno vuelve los ojos
todo es familiar, popular. Los pintores mâs linajudos son pintores de pulquerîa.
Todo es llano, casero, popular y aristôcrata, nada es viejo, nada, aparté el
renacimiento y el "art nouveau" 1900. Las acierîas, minas, arsenales van a
maravilla con templos, campaniles y palacios. Los frontones en Cicilia (sic) son el
retrato de las colinas y las casas aldeanas se levantan por los simples albaniles bajo
la misma harmonîa. Solo lo romântico "hace viejo" alli ; v. g. el futurismo
cinquecentismo, 16ismo, 17ismo, 18ismo, 19ismo, es decir la civilizaciôn burguesa
salida del Romano burgués = derecho civil y casco * apelotoniamento pompier y
magistral, apefiuscamiento suntuoso = pero se acabô = Italia esta magnifica en este
momento. Que estilo, que energia, que sobriedad ! Los vi a las manos muchas veces
y que eficacia, corecciôn y elegancia, y que industria, y que mujeres querido Alfonso.
Ademas no sabia yo hasta que punto pueden retorcer las tripas cosas hechas por los
hombres (Ravenna, San Marco, El Tintoretto en su ciudad, Etruria y los Etruscos,
San Antonio en Padua, Asis, Paestum y la Cicilia entera). Pero enfin, hemos de
vernos un dia y ya le daré la lata con mis charlas. Espero darle algo, tal vez, de
hecho con las manos gracias al viaje a Italia, es decir gracias a Ud.
El 7 de junio saldré para Mexico, antes de poner el pie en el estribo que le
parece a Ud ? Digame luego.
Mis respetos y muchos saludos mios de Angelina para su esposa de nosotros
dos. Carinos a Alfonsito de Angelina y para Ud tantos y tan afectuosos saludos
como para Manuela, y este su servidor para su merced las pilas de abrazos los mâs
fuertes posibles.

Diego Rivera

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