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"Le Voyage chamanique au tambour.

Des traditions mongoles aux thérapies du troisième


millénaire ."

Article de Laetitia Merli

Dans le chamanisme occidental, riche de multiples cosmologies syncrétiques, hybrides et


multiculturelles, l’apprenti se construit son propre monde par une succession d’interprétations
de ses expériences cognitives, perceptuelles et somatiques qui le fabriquent en tant que
« chaman ». Les stages, initiations et diverses expériences tendent à la fabrication de ce corps
chamanique, pour soi et au regard des autres, capable de se mettre en contact et d’interagir,
dans une relation volontaire et maitrisée, avec l’invisible, mondes-autres vécus comme
extérieurs ou intérieurs à soi, parallèles, subtils ou faisant partie d’une intériorité élargie. Cet
article propose une approche somatique du voyage au tambour dans le chamanisme occidental
et questionne son apport aux thérapies modernes, et, au-délà d’un bien-être individuel et tout
singulier, questionne de façon plus globale l’ouverture à des réalités subjectives et virtuelles
capables de créer de nouveaux « territoires existentiels ».

Le voyage au tambour est caractéristique d’un chamanisme Nord-asiatique (Sibérie-


Mongolie) que l’on va d’ailleurs nommer « chamanisme à tambour » en opposition à un
« chamanisme à psychotropes » utilisant des plantes pour ouvrir les perceptions (ayawasca,
peoytl, iboga…). Le voyage est en principe celui du chamane qui chevauchant son tambour
comme une monture, va dans l’autre monde à la rencontre des esprits avec lesquels il va
négocier la chance, la santé et la prospérité de ses clients. En Mongolie, le chamane confirmé
est appelé « chamane à cheval », celui qui a un tambour, version avancée du « chamane qui
marche à pieds », c’est à dire celui qui joue de la guimbarde en attendant de recevoir
officiellement son tambour des mains de son maitre initiateur. Le rôle du tambour est central
dans le chamanisme nord-asiatique, l’objet est respecté : on ne saurait le poser au sol, le
bousculer, ni le prêter, il est « animé » donc vivant pour ceux qui s’en servent, il est monture,
vaisseau, moyen de transport… une longe est dessinée sur son flanc et des chevrons indiquent
la colonne vertébrale de l’animal. Dans sa partie creuse, il est réceptacle des entités et objets
invisibles, dont le chamane fait l’extraction, déblaye et nettoie son patient, il s’en sert comme
d’un récipient qu’il ira vider au loin ou qu’il fait mine de jeter par la porte de la yourte. En
contact direct avec les entités spirituelles qui vont l’aider dans sa mission, le chamane va
volontairement dans leur monde négocier au mieux les intérêts de ses patients. C’est cette
habilité, contrôlée et maitrisée du voyage volontaire et autonome qui fait du chamane
l’intercesseur privilégié entre les mondes. Son pouvoir vient de cette faculté à voyager à sa
guise et à s’ouvrir à des perceptions que les autres n’ont pas. La peur qu’il suscite aussi :
toujours à la marge, entre le visible et l’invisible, la transe qui lui ouvre les portes de la
perception est vue comme transgressive, sauvage et libre, donc potentiellement dangereuse
pour l’ordre établi.
Dans sa conception musicale, le son est la porte du monde invisible, les percussions sont les
appels du chamane et les messages des esprits, les vibrations sont bénéfiques et curatives. Le
chamane joue littéralement du tambour sur ses clients qui sont enveloppés, touchés, traversés
les vibrations de la peau d’animal tendue. Cette peau plus ou moins travaillée selon les
cultures qu’il faudra chauffer au feu pour la retendre renforce l’aspect vivant de l’objet. Le
tambour sonne différemment, même parfois faux comme un vieux carton, selon l’humidité du
lieu et quand la peau est bien tendue et chauffée, la vibration a une réalité tangible qui se
ressent très profondément dans le corps. Ces effets somatiques ne peuvent pas être rendus par
des enregistrements ou compositions New Age, car il s’agit autant de sons que de vibrations,
de percussions que d’ondulations énergétiques qui se perçoivent dans l’espace et dans les
corps.
Costume, objets, tambours, chants, percussions, tout le décorum, artefacts et performances
sont justement là pour matérialiser cette communication avec l’autre monde des non-
humains ; tout cela consiste à rendre visible l’invisible, à prendre conscience de cette autre
dimension, la concevoir, lui rendre un culte et cristalliser dans ces actions et objets des
intentions particulières (prières, vœux, engagement, parcours initiatique, vécu personnel). Ces
artefacts sont « intentionnels » et évolutifs, loin d’être fixés dans leur production, ils sont en
perpétuelle construction et raconte l’histoire du chamane, sa biographie mais aussi le
processus même de son initiation. Ils sont donc esthétiquement connotés et pourtant à chaque
fois uniques puisqu’ils représentent la carte d’identité du chamane. Ce n’est un objet
biographique, mais véritablement un objet hagiographique co-construit avec les entités
spirituelles et les divers contacts et communications engagés avec l’autre monde. L’objet
n’est pas dissociable d’un parcours singulier, d’une narration qui met en scène le parcours
initiatique du chamane, ses visions, ses rêves, ses ancêtres, ses souffrances… Donc en terme
d’écriture, ces artefacts sont en soi des narrations. Ces objets que j’appelle « artefacts
intentionnels » sont produits intentionnellement dans un cadre thérapeutique ou initiatique
dans lequel l’agent fabricant insuffle de ses prières, mais aussi de son parcours : Objets
intentionnels qui condensent les intentions du chamane, sa vie, son œuvre et le processus de
son initiation, l’objet devient objet mémoire de toutes les expériences vécues dans le corps et
extériorisées : on donne corps au sacré, et devient art-thérapie, objet transfert de
l’expérience…

Dès les années 1960, des études scientifiques sont entreprises : Andrew Neher dans son article
« A physiological explanation of unusual behavior in ceremonies involving drums », relate
des expériences menées en laboratoires autour des stimulations auditives et visuelles, soit
avec des percussions soit avec des stimuli de lumières flash (Neher, 1962). Il note que l’on
peut activer de larges zones d’unité sensorielles autant avec des tambours qu’avec des lampes
flash en stimulant l’oreille ou la rétine en rythme. Un seul battement de tambour comporte
plusieurs fréquences, donc plusieurs battements « enveloppent » la personne dans un bain de
fréquences multiples qui vont agir à des niveaux différents. Pour lui, d’après les expériences
en laboratoires, ce n’est pas le rythme qui compte, car si on utilise un clic ou un ton unique les
effets sont peu probants. Le tambour avec ses multiples fréquences touche une aire plus large
dans le cerveau, les stimulations touchent plusieurs nerfs et se faufilent plus largement. Le
battement de tambour comporte des fréquences basses qui affectent moins l’oreille et
permettent une excitation plus longue sans douleur ou dommages pour l’organe que si c’était
des fréquences hautes. Les expériences en laboratoires montrent que les mêmes effets sont
attendus avec des stimulations lumineuses : activité électrique augmentée dans le cerveau ;
perceptions inhabituelles, contractions musculaires chez certains, mouvements du corps… et
les résultats des expériences qui avaient été faites à partir des stimulation lumineuses sont
étendues aux stimulations avec tambour. En 1949, Gardner and Lucklider montre que
l’activation de zones sensorielles par stimulation avec des flashs lumineux, diminue la
transmission de la douleur au cerveau. En 1953, Walter poursuit les recherches et se demande
si le schéma comportemental en réponse à ses stimuli dépend des cultures auxquelles
appartiennent les cobayes. Et arrive aux résultats que quelque soit la culture d’origine,
l’individu ajuste sa réaction selon les bénéfices qu’il en retire, si cela lui est agréable ou pas
(Walter 1953). On peut en déduire que puisque les notions d’agréables, de confort et de
bénéfices retirés dépendent de notre éducation, des normes véhiculées par notre société, et de
l’inconfort inhérent à la prise de conscience du regard de l’autre, le lâcher-prise menant à la
transe est potentiellement accessible à tous, mais se contrôle inconsciemment ou pas selon
l’image que l’on a de soi. Autre question, que se posent Watson et Davidson en 1957 : « Est
ce héréditaire ? » : la sensibilité au flash light semble suivre des schémas familiaux, de
transmission génétique, donc il y aurait des familles plus sensibles aux stimuli que d’autres.
Ces expériences pionnières posaient déjà les jalons, d’une thérapie possible par la transe, du
fait que nous sommes tous potentiellement apte à vivre des états modifiés de conscience et
que de façon héréditaire, certaines familles sont plus sensibles aux stimuli. Ce pourrait-il que
dans certaines cultures ces facultés aient été plus encouragées que dans d’autres, donc plus
facilement transmises génétiquement alors que dans d’autres plus occidentales et judéo-
chrétiennes, au contraire ces mouvements intérieurs et extérieurs aient été plus généralement
refrénés ? Aujourd’hui, une multitude de terrains ethnographiques montrent des situations
d’initiation interculturelle dans lesquelles les comportements des initiés répondent aux
attentes indigènes quelque soit l’individu engagé dans une telle démarche.
Corine Sombrun, une des premières françaises à avoir été initiée au chamansime mongol avec
transe au tambour, témoigne de ce phénomène et va plus loin dans son « entraînement »
quand il a fallut qu’elle se passe de son tambour : « Maintenant mon cerveau connaît le
chemin ». Elle a ainsi pu participer à un programme d’étude du professeur Flor-Henry et son
équipe de l’Alberta Hospital d’Edmonton au Canada, expérience d’imagerie cérébrale en Etat
Modifié de Conscience sans tambour pour pouvoir rester calme avec les électrodes sur sa tête
et entrer dans les appareils d’imagerie. Elle s’est entrainée de nombreux mois avant pour être
capable de se concentrer et entrer en transe sans les percussions du tambour, juste parce que
son cerveau connaissait déjà le chemin. (Flor Henry, Sombrun 2017). D’année en année, elle
a été initiée par une chamane mongole et a poursuivi son apprentissage de la maitrise de la
transe. Depuis le jour où elle a tapé sur son premier tambour et hurlé comme le loup qu’elle
voit en vision, elle est passée par différentes phases d’adaptation de sa pratique. La chamane
mongole Enkhetuya lui a donné les clefs du chamanisme mongol que Corine a su ajuster à ses
propres conceptions du monde (Merli 2004, 2005, 2010 ; Sombrun 2004). Aujourd’hui, elle
réussit à entrer en transe sans tambour ni costume et se prête volontiers à des expériences
scientifiques. L’équipe du professeur Flor-Henry a étudié le cerveau de Corine en état de
veille normale tout d’abord, puis en état de transe. Ils ont constaté qu’elle ne souffrait
d’aucune pathologie à l’état normal. En revanche, les tracés de l’encéphalogramme en état de
transe étaient ceux d’une personne souffrant de schizophrénie, de troubles bipolaires et de
dépression grave. Les trois pathologies d’un seul coup. Et retour à la normale, en dehors de la
transe. Les chercheurs sont enthousiastes à l’idée de pouvoir observer un aller-retour entre des
états normaux et pathologiques, dans le même cerveau et dans un intervalle de temps assez
bref. Serait-il alors possible d’envisager un aller-retour en sens inverse ? Si on arrivait à
identifier ce processus qui mène d’un état normal à un état pathologique, on pourrait imaginer
que des personnes atteintes de troubles pathologiques retrouvent un état normal. Pour
l’instant, aucune conclusion ne peut être tirée de ces expériences si ce n’est que l’observation
des zones du cerveau activées confirme, notamment, que la transe active fortement les zones
sensorielles perceptives, c’est à dire une stimulation des cinq sens et de l’intelligence
perceptive. Ces conclusions, même balbutiantes, prouvent déjà, et c’est une avancée, que le
chamane n’est pas seulement un acteur mimant une action culturellement codifiée, mais que
la transe a une réalité physiologique et cérébrale tangible.

Ces dernières années, il a également été démontré que l’entrainement régulier à la méditation
pouvait s’observer objectivement dans le cerveau et même qu’une certaine élasticité du
cerveau permettait à celui-ci de se modifier selon les habitudes de son propriétaire. D’autres
recherches ont montré que les percussions du tambour, du hochet ou de la guimbarde, comme
certaines techniques du corps, permettaient également cet accès à un état de conscience
modifiée. Les bienfaits psychiques et physiques de ces techniques sont à l’honneur dans de
nombreuses publications qui enfin admettent que l’esprit peut soigner le corps et que la
détente du corps apaise l’esprit… et vice versa (cf Clervoy, 2018).

Depuis les années 1960, l’ouverture d’esprit et les changements de mentalités font que de plus
en plus de personnes sont prédisposées à vivre l’aventure de la transe. Selon les époques, le
chamanisme s’est vu transformé dans les perceptions occidentales. D’abord, perçu
comme « une sorte de religion diabolique et sauvage » à la fin du XVIIe siècle, il a connu
diverses interprétations jusqu’à nos jours, où la tendance est à l’expérience vécue et au
développement personnel et spirituel créant de véritables processus de subjectivisation. La
figure du chamane n’incarne plus, désormais, la marginalité et la folie, mais au contraire la
sagesse, la connaissance, la créativité, la singularité toute connectée. De la contre-culture des
années soixante-dix à l’actuelle déferlante New Age, avec les succès de Carlos Castaneda et
de Michael Harner, le chamanisme s’est popularisé ; non plus comme un système de
représentations et de pratiques indigènes à étudier ou à combattre, mais comme un système
originel et universel, singulier et subversif adapté à notre vingt-et-unième siècle.

La conception moderne et occidentale du chamanisme pour soi développé par Michael Harner
fondateur à la fin des années 1970 de la Foundation for Shamanic Studies prône un core
shamanism, c’est à dire un chamanisme essentiel, dépouillé de toutes contingences culturelles
Un ensemble de techniques psychocorporelles expérimentées et éprouvées sont enseignées
lors de séminaires, de festivals ou de rassemblements chamaniques un peu partout en France,
en Allemagne et en Suisse. Les stagiaires sont initiés au voyage chamanique mais c’est
l’animateur organisateur du stage qui joue du tambour pour des d’élèves allongés au sol en
totale immobilité. La conception même du voyage chamanique au tambour est alors
complètement renversée. On peut parler de Voyage Inversé, dans lequel ce n’est plus le
chamane qui voyage mais bien le patient à qui le chamane ouvre un monde dans lequel il va
lui-même trouver les réponses à son mal-être, trouver de la force, de l’énergie, des
ressources… Le voyage au tambour popularisé par Michael Harner dans son chamanisme
universel implique la construction d’une cosmologie interne, personnelle et subjective mais qui
va au-delà de soi dans une vision du monde unifié et connectée à plus grand que soi. Les
différentes techniques retenues comme le voyage chamanique au tambour, la rencontre avec
les animaux de pouvoir, l’extraction et le recouvrement d’âme sont très proches des thérapies
dites humanistes, des visualisations guidées et de l’hypnose. Les stagiaires sont invités à
s’allonger sur le sol, les yeux bandés d’un foulard et de se laisser emporter par les percussions
du tambour. La consigne est simple, pour un voyage dans le monde d’en bas : s’imaginer dans
un lieu de nature, connu ou imaginé, à partir duquel, en vision intérieure, repérer un passage
dans la terre, une grotte, souche d’arbre, source, trou dans la terre ou dans un arbre qui
permette d’emprunter un tunnel, un boyau, un canal qui débouche sur un autre monde, celui du
bas qui pareillement au monde du milieu, celui de notre réalité ordinaire, peut comporter le
ciel, les océans, les montagnes et toutes les merveilles du monde réel et plus encore puisque
tout est possible dans la fantaisie visionnaire de chacun. Les stagiaires peuvent expérimenter le
monde d’en haut en s’élevant dans les airs, en visualisations, pour accéder de la même manière
à une autre dimension, intérieure ou extérieure à soi, qui permet d’accéder à un espace virtuel
de possibles infinis. La deuxième consigne, pour un voyage au tambour classique pour aller
rencontrer son animal de pouvoir, par exemple, va être de chercher ou de laisser venir un ou
plusieurs animaux et de vivre somatiquement, dans son corps et ses perceptions, le voyage, les
paysages, les rencontres avec des entités animales ou féériques. Les témoignages sont riches de
détails et de ressentis : visions colorées de paysages et de mondes divers, visions d’animaux
existants ou imaginaires, visions d’entités à formes humaines ou incarnant des divinités ou
autres entités, fusion avec les animaux ou avec les éléments (eau, air, feu..), changement de
forme corporelle, télépathie ou discussion avec les entités, sensations de déplacements (voler,
ramper, courir, nager, couler …) et de vitesse.
Dans les témoignages recueillis, les animaux les plus courants (loup, ours, cerf, lion, baleine,
dauphin, aigle, serpent…) servent de moyen de locomotion pour partir explorer ce monde, et
les sensations de fusion permettent de devenir loup, ours, dauphin ; aigle et de courir, nager,
voler directement. Au bout d’une demi-heure à peu près, les battements de tambour vont
adopter un rythme différent, signe qu’il est temps de « rentrer ». L’animateur va indiquer qu’il
est conseiller de revenir par le même tunnel pour « remonter » au point de départ et enfin
revenir reprendre contact avec son corps allongé « ici et maintenant ». Un moment d’échange
permet au groupe de partager les expériences, de les interpréter, de les fixer aussi dans sa
mémoire pour ne pas les oublier. L’animateur peu notamment donner une dernière consigne
qui consiste à écrire ou dessiner à chaud tout ce qui vient d’être vécu.
Les sens parlent de notre rapport au monde extérieur (vue, ouïe, odorat, toucher, goût)
(Vigarello 2014) mais dans les expériences chamaniques, le sentiment de soi et de son
intériorité, ne sont plus du sensoriel mais de l’ordre des perceptions, du ressenti et des images
intérieures. Le corps chamanique est un corps habité, traversé, soit en plein, soit en creux qui
se vit avec une conscience élargie de soi et du monde (des mondes) et dont chaque ressenti,
perception et mouvement, intérieurs et extérieurs, sont interprétés pour donner forme à des
cosmologies toutes personnelles et idiosyncratiques. David Le Breton note que l’individu
éprouve son existence par les résonnances sensorielles et perceptives qui ne cessent de le
traverser et surtout que toute perception est interprétation. Notre univers sensoriel est lié à
notre histoire personnelle et à notre éducation (Le Breton 2007). Dans le chamanisme
occidental, l’apprenti se construit sa propre cosmologie voire même sa propre légende par une
succession d’interprétations de ses expériences cognitives et perceptuelles qui le fabriquent en
tant que « chamane ». Les ressentis et les images intérieures associée à des techniques du
corps et des mises en contexte (rituel, immersion en nature, contact avec les arbres…) créent
de nouvelles réalités partagées, des mythes d’un nouveau genre puisqu’ils sont
somatiquement vécus. Cette matière sensorielle et somatique, accumulée dans un processus
d’apprentissage va donner lieu à des interprétations, des échanges, des partages et constitue
un capital chamanique que l’initié se construit au fur à mesure des expériences vécues.

Là encore, la différence avec le chamanisme traditionnel est de taille puisqu’on part du


principe que tout le monde a accès au voyage et à la rencontre avec les esprits, alors
qu’ailleurs, seul le chamane voyage entre les mondes. Les adeptes sont invités à mettre en
pratique des techniques déjà reconnues pour faire des expériences chamaniques afin
d’apprendre des choses sur soi et donner du sens au monde et à la vie. Le principe est de faire
voyager la conscience pour entrer en communication avec les esprits, énergies, forces ou
entités conçues comme porteuses de savoir.
En Mongolie, par exemple, mais cela reste valable pour la Sibérie et les Régions arctiques, le
chamane utilise son tambour pour appeler les esprits à descendre dans l’espace sacré et
ritualisé par l’intermédiaire de l’autel qu’il a pris le temps de préparer avec des offrandes.
Les objets chamaniques, costume, tambour, mais également le corps du chamane lui-même
deviennent réceptacles des esprits. C’est le premier mouvement centripète, qui va vers
l’intérieur : Le chamane appelle, dans un mouvement qui va de l’extérieur à lui et son patient,
centre de l’attention rituelle. Juste après cette « descente », c’est le mouvement inverse qui se
met en place, centrifuge qui va vers l’extérieur quand l’agentivité du chamane se transporte
vers des espaces éloignés (Spépanoff). A la suite de Charles Stépannoff, on peut nommer
« espace réel » le lieu de la performance observable par l’assistance et « espace virtuel » les
lieux postulés des actions qu’entreprend le chamane dans l’autre monde. Actions qui se
matérialisent dans l’espace réel par les chants, musique et gestuelles du chamane.

La cohérence entre les deux lieux doit rester forte sinon les actions du chamane dans l’autre
monde restent illisibles pour le public, s’il reste au sol gisant, perdu dans ses visions le rituel
ne sera pas performatif.

Il doit engager le public émotionnellement pour que le rituel soit un succès. Le rituel est une
expérience collective dans lequel les participants accomplissent ensemble une opération
d’imagination qui consiste à percevoir l’autre monde dans l’espace réel immédiat.
Les objets, costumes, et tambours participent à la narration. Tout ce folklore, cette
gesticulation du chamane perçut comme diabolique chez les premiers observateurs renforce
ce dispositif pour une participation cognitive et imaginative qui engage le public dans la
performance.
On comprends bien là déjà le lien avec l’hypnose, le chamane raconte une histoire, suggère
des nœuds existant des dénouements possibles, des obstacles, des échecs et des solution, des
résolutions de problèmes et conflits.
Dans le chamanisme occidental, le dépouillement total est atteint, le cosmos portatif du
chamane devient intériorisé, la pratique est dépouillée complétement jusqu'à intérioriser tout
l’imaginaire, plus de costume plus de tambour, pas de grigri mais des signes d’ancrage, pas de
monde autres peuplé d’esprits mais des visualisations de mondes imaginaires. Roberte
Hamayon nous éclaire sur ce qui est virtuel en analysant la racine « Vir » que l’on trouve dans
virilité et virtuel. Virilité est force et vigueur et virtuel, terme théologique qui se dit de ce qui
n’est point proprement et précisément une certaine chose, mais qui en a la force et la vertu.
(Hamayon 2015). Virtuel ne s’oppose donc pas à réel mais à actuel, ce qui est virtuel n’est pas
vraiment la chose en question mais en garde les propriétés de force et de vertu. C’est
exactement ce qui se vit en monde chamanique virtuel, le voyageur au tambour vit
virtuellement des aventures qu’ils enregistre dans son corps avec les mêmes forces et vertus
que si c’était réel. Les témoignages abondent en ce sens : « ce que j’ai vécu est plus réel que
la réalité, j’étais vraiment un loup qui courait dans les bois ».

Dans le chamanisme occidental, que ce soit avec ingestion de plantes dites « enseignantes »
ou transe induite par les percutions du tambour, une place fondamentale est donnée aux états
modifiés de conscience conçus comme des espaces-temps parallèles, niveaux de conscience
différents, champs énergétiques autres, dans lesquels ce contact avec les entités est possible.
Les messages venant de guides spirituels ou directement de la Nature (Terre-Mère) conçue
comme entité primordiale participent à un mouvement planétaire pacifique, enclin à l’Amour
Universel, au respect de la nature et des animaux. Ces visions sont perçues comme des
perceptions amplifiées d’une autre réalité et non comme des hallucinations, elles donnent des
informations concrètes sur la manière de gérer sa propre vie, son rapport à l’autre et plus
largement son rapport à l’environnement et à l’invisible. On parle alors d’enseignements qui
viennent directement de la plante, des anges, de la Terre-Mère, d’entités diverses ou de la
Source, entité originelle. Les visions issues d’autres plans de conscience ont fait émerger un
art dit « visionnaire » qui peu à peu prend sa place dans les galeries d’art.

L’engouement que connaît actuellement le chamanisme en occident, peut s’expliquer par la


liberté de culte que propose ce système de croyances. Sans cadre dogmatique, ni institution
rigide, en opposition avec les religions à prêtre et hiérarchisées, ce système est vivant dans le
sens où il s’autoproduit, il se régénère en adoptant des nouveaux éléments par accumulation
d’expériences vécues. Le chamanisme attire l’homme moderne de plus en plus individualisé,
qui se veut libre de ses opinions et de ses actes. La figure du chamane est elle-même symbole
de liberté, marginalité, sexualité ambiguë. Il voyage hors de son corps et expérimente le rêve
éveillé, effaçant toutes les barrières physiques et morales, fantasme du pur esprit libéré des
contraintes matérielles. Il participe d’une nouvelle forme de spiritualité, alliant poésie,
imaginaire, regard de l’enfance, perceptions corporelles et des emprunts aux cultures
indigènes dans la volonté de renouer avec une certaine conception de la nature et du cosmos,
et de redonner du sens à la vie occidentale et moderne en crise d’identité et d’idéologie.

Les peuples qui ont souffert de persécutions coloniales et idéologiques prennent leur revanche
aujourd’hui, quand ils voient des étrangers du monde entier venir s’intéresser à leurs
croyances prétendument archaïques. Aujourd’hui le chamanisme connaît un renouveau
planétaire aussi bien chez les peuples chamaniques de tradition, où officiellement il avait
disparu, que chez les Occidentaux qui se l’approprient. Les peuples à chamanes qui ont connu
la colonisation ou la soviétisation et qui redécouvrent leurs traditions, revendiquent le
chamanisme comme marqueur culturel et en même temps sont réconfortés dans la valorisation
de leur culture puisque les étrangers sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Loin de
passer pour des incultes ou des sauvages, les chamanes et chamanistes de la planète se
retrouvent idéalisés par une certaine population occidentale qui vient de loin apprendre d’eux
ce que quelques décennies plus tôt d’autres Occidentaux tendaient d’étouffer. Le chamanisme
se développe à grande échelle car la demande venant de l’Occident augmente et en même
temps, de plus en plus d’Occidentaux viennent au chamanisme car l’offre « traditionnelle » se
diversifie. Il devient aujourd’hui très facile d’aller faire un stage chamanique en Mongolie ou
ailleurs. Les chamanes traditionnels eux-mêmes veulent cette ouverture pour une meilleure
harmonie sur la planète et entre les peuples, une prise de conscience écologique, un meilleur
respect des ressources naturelles… Un groupe de chamanes mongols vient en France chaque
année depuis deux ans participer au Festival du Chamanisme fondé par le Cercle de Sagesse
des Traditions Ancestrales. Ils ont eux-mêmes organisé un rassemblement en septembre 2015
en Mongolie pour inviter les délégations du monde entier dans une grande cérémonie
collégiale pour la Terre-Mère. Les chamanes mongols ont de plus en plus d’apprentis
occidentaux, ils veulent partager leur savoir et pensent sincèrement que le chamanisme doit se
propager au plus grand nombre. Les avantages financiers apportés par ces nouveaux apprentis
ne sont pas négligeables et c’est aussi un moyen de voyager en Europe puisque souvent les
apprentis invitent leur « Maîtres » pour quelques séminaires et cérémonies dans leur pays
d’origine. Internet, les réseaux sociaux, les voyages en avion de plus en plus facile ont
définitivement fait entrer le chamanisme et les chamanes dans nos vies d’occidentaux.
Dans son action purement physiologique, si on ne prend pas en compte l’action éventuelle des
esprits, le chamanisme est souvent rapproché des thérapies psychocorporelles (sophrologie,
hypnose, relaxation, visualisations guidées). On a longtemps considéré le patient passif et seul
le chamane actif sautant, s’agitant et virevoltant avec son lourd costume mais grâce aux
récentes études sur le cerveau et les états modifiés de conscience, on peut dire que pendant le
rituel auquel est soumis le client se joue en lui les mêmes mécanismes d’induction, de
suggestions, de relaxation qui vont agir sur son inconscient, réduire les effets nocifs du stress,
ouvrir à plus de possibilités, etc.

Le chamanisme en Occident participe de ce nouvel état d’esprit où l’esprit n’est plus dissocié
du corps, il a influencé depuis longtemps le développement de thérapies telles que les
constellations familiales ou l’Art-thérapie. Et aujourd’hui, il s’immisce dans les thérapies
dites de troisième génération comme la méditation, la pleine conscience, l’hypnose médicale
et la sophrologie. L’éventail des outils thérapeutiques s’est élargi car les possibilités se
diversifient, les mentalités changent et la demande en matière de spirituel augmente. Grandit
aussi le nombre d’Occidentaux qui souhaitent vivre plus en harmonie avec la nature, ne font
plus confiance à l’industrie pharmaceutique, ni à l’industrie agro-alimentaire et veulent
privilégier leur bien-être avant leur carrière. L’homme d’aujourd’hui, libéré des entraves
d’une éducation judéo-chrétienne trop stricte peut expérimenter ce qui, quelques décennies
plus tôt, était considéré comme marginal, totalement décrié ou infantile et peut enfin courir
dans les bois, embrasser les arbres, hurler comme un loup, jouer à l’indien… Une nouvelle ère
a débuté, lentement, mais sûrement et durablement. Demain, tous chamanes ? Peut-être pas,
mais en tous cas le chamanisme est bien présent en Occident et offre de nouveaux possibles.

Laetitia Merli est anthropologue, réalisatrice de documentaires et thérapeute. Aguerrie


aux recherches de terrain pendant de longues années auprès de chamans mongols et
sibériens, elle s’est intéressée au chamanisme occidental qu’elle pratique aujourd’hui,
synthétisant ses expériences anthropologiques et thérapeutiques. Elle est l’auteur du
livre De l’ombre à la lumière, de l’individu à la nation. Ethnographie du renouveau
chamanique en Mongolie postcommuniste. EPHE, 2010). Ses derniers films « Shaman
Tour » (2009), « La Revanche des chamanes » (2011), « Aujourd’hui les chamanes »
(2015) proposent une démarche de cinéma direct en caméra embarquée, au plus près
des protagonistes, qu’elle nomme « balade phénoménologique ». Hypnothérapeute, elle
a developpé une Hypnose au Tambour s’appuyant sur le voyage chamanique.
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