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© Fondation Louis Vuitton/Marc Domage.

CONCERTS – RÉCITALS – MASTER CLASSES

Retrouvez la programmation complète de l’Auditorium


sur fondationlouisvuitton.fr

8, AVENUE DU MAHATMA GANDHI, BOIS DE BOULOGNE, PARIS.


#fondationlouisvuitton
France métropolitaine 7,90 € - Belgique 8,10 € - Luxembourg 8,10 € - DOM 8,10 € - Espagne 8,10 € - Italie 8,10 € - Portugal 8,10 € - Grèce 8,10 € - Allemagne 8,40 € - TOM/S 1 050 CFP - Canada 11,99 $C - Suisse 13,40 FS - Maroc 85 MAD

EASTWOOD...
TOUS PIANISTES

MACRON, NIXON,
NUMÉRO EXCEPTIONNEL

EINSTEIN, SARTRE,
PIANO
50 chefs-d’œuvre indispensables

N°204 - Juillet-Août 2018


LA DISCOTHÈQUE IDÉALE

M 03813 - 204 - F: 7,90 E - RD


CLASSICA
Société éditrice :
EMC2
SAS au capital de 600 000 a
ÉDITO
18, rue du Faubourg-du-Temple, 75011 Paris
Tél.: 01 47 00 49 49

AOÛT
N°204
JUILLET-

2018
RCS 832 332 399 Paris
Président et directeur
de la publication : Jean-Jacques Augier
Directeur général : Stéphane Chabenat
Adjointe : Sophie Guerouazel
Directeur de la rédaction

L’esprit de corps
Jérémie Rousseau
jrousseau@classica.fr
Chef de rubrique disques et hi-fi
Philippe Venturini
pventurini@classica.fr
Secrétaires de rédaction
Valérie Barrès-Jacobs,

L
avec Chantal Ducoux
vjacobs@emc2paris.fr e rideau se lève, furtivement des images
Éditorialistes : Alain Duault,
Benoît Duteurtre, Emmanuelle Giuliani, un vaste cyclo- du Radeau de la méduse, du
Jean-CharlesHoffelé,Éric-EmmanuelSchmitt ra m a c l i g n o te Boléro de Béjart,tandis qu’on
Grand reporter : Olivier Bellamy
Directrice artistique alors de milliers songe au Sacre du printemps
Isabelle Gelbwachs de diodes, peut- de Pina Bausch et aux défla-
igelbwachs@emc2paris.fr
Service photo
être celles d’une autoroute grations des ballets de Wil-
Cyrille Derouineau galactique, d’un cyclone liam Forsythe. Mais tout cela
cderouineau@emc2paris.fr informatique, d’un feu à travers une quête éperdue
Ont collaboré à ce numéro immémorial. Ainsi s’ouvre d’harmonie,grâcesansdoute
Jérémie Bigorie, Louis Bilodeau, Jacques
Bonnaure, Fabienne Bouvet, Vincent Borel, The Seasons’ Canon de la à la musique de Vivaldi réé-
Jean-Luc Caron, Damien Colas, Michel chorégraphe Crystal Pite crite par Max Richter,ces Four
Fleury, Pierre Flinois, Elsa Fottorino,
Romaric Gergorin, Pascal Gresset, Lou Heliot,
que le Ballet de l’Opéra de Seasons Recomposed dont
Jean-Pierre Jackson, Bertille Lefort, Aurore Paris vient de reprendre à guichets fer- les mélodies ont été samplées jusqu’à
Leger, Laurent Lellouch, Michel Le Naour, més: un choc comme on en vit rarement. l’épuisement,sur fond de marches harmo-
Sarah Léon, Franck Mallet, Pierre Massé,
Jean-François Medelli, Jérôme Medelli, Envérité,onnesaittropcommentexpliquer niques obsessionnelles et de soudures
Yannick Millon, Aurélie Moreau, Clément le miracle de cette pièce virtuose de vingt- électroniques étranges: des Quatre Saisons
Serrano, Dominique Simonnet, Sévag
Tachdjian, Marc Vignal, Isabelle Werck cinq minutes, réclamant cinquante-quatre génétiquement modifiées, hybrides, à
danseurs et puisant à tant de sources. l’image d’ailleurs de ce ballet inclassable,
Publicité
Team Media Pôle musique Le corps de ballet se fait grappe humaine, que Dominique Simonnet qualifiait d’ovni
10, boulevard de Grenelle, CS 10817, sollicité comme un organisme mouvant, à sa création (voir Classica n°187, ainsi que
75738 PARIS Cedex 15 la page 44 de ce numéro).
Tél.: 01 87 39 75 18
avant que des chaînes d’humanoïdes se
Présidente forment,se dissolvent,que des pas de deux À défaut de pouvoir revivre – pour l’ins-
Corinne Mrejen au bord de la brèche s’enchaînent, payant tant – cette merveille en live,on profitera de
Directrice générale
Cécile Colomb au passage leur écot à Jirí Kylián. Mais sou- la captation réalisée pour Arte le 24 mai
Directrice commerciale dainlachaînesereformesurlerythmepulsé dernier par Cédric Klapisch, disponible en
Emmanuelle Astruc
eastruc@teamedia.fr de Summer 3 de Vivaldi/Richter, ronde ligne jusqu’au 23 novembre.Et il faudra s’en
Directrice adjointe de la publicité dionysiaque, course à la survie où les dan- contenter, car aucun DVD ne paraîtra à
Stéphanie Gaillard
Courriel : sgaillard@teamedia.fr
seurs se font arthropodes, électrons à la la suite de problèmes de droits. On espère
Chef de publicité musique vivante dérive, figures esseulées aux torses nus, d’ores et déjà une reprise, tout en guettant,
Judith Atlan parées de treillis et portant, au cou, un à l’automne 2019, la nouvelle pièce que
Courriel : jatlan@teamedia.fr
Chef de publicité hi-fi/instruments maquillage tribal comme sorti de Matrix! Crystal Pite dédiera à cette troupe dont elle
Clémence Maury Que de mystères, et quelle beauté ! Passent a déjà marqué l’histoire. X Jérémie Rousseau
Courriel : cmaury@teamedia.fr
Service abonnements
4, route de Mouchy, 60438 Noailles Cedex
Tél.: 01 70 37 31 54.
Courriel : abonnements@classica.fr
Tarif d’abonnement
1 an, 10 numéros : 49,90 u
Ventes au numéro
Tél.: 04 86 77 81 28
Diffusion : Presstalis
Prépresse
Maury Imprimeur
Imprimerie : Roularta Printing,
8800 Roeselare
Imprimé en Belgique/Printed in Belgium

Dépôt légal à parution


N° de commission paritaire : 1120 K 78228
N° ISSN : 1966-7892 Retrouvez votre magazine Classica sur tablettes et smartphones. L’application Classica est disponible sur App Store.
Illustrations des portraits de Jérémie Rousseau, Philippe Venturini et des éditorialistes: Dominic Bugatto.
Classica est édité par EMC2 SAS. Photo de couverture: David Coleman / Alamy Stock Photo
© EMC2
Ce numéro comporte un encart FVF pour les abonnés France.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 3


ILLUSTRATION : FRANÇOIS OLISLAEGER
SOMMAIRE

10 40

50 84

70
Q L’ACTUALITÉ Q LE MAGAZINE
03 Éditorial 50 En couverture
07 Ça cartoon ! Dix pianistes et vingt compositeurs de légende sélectionnés
Lully mène la danse par Classica pour une discothèque idéale du piano
09 La petite musique 68 Passion musique
d’Éric-Emmanuel Schmitt Daniel Prévost
La petite vie des grands 70 L’entretien
10 Planète musique Nathalie Stutzmann se confie
Les coulisses de l’anniversaire du Rotterdam 76 Compositeur
Philharmonic, l’hommage à Philip Roth… Alfred Schnittke, ce fauteur de troubles
29 L’humeur d’Alain Duault 80 L’écoute en aveugle
Passé, avenir… Sonate n°3 de Frédéric Chopin
30 Un air de famille 84 L’univers d’un musicien
Les Casadesus Entrez dans l’intimité de Gérard Caussé
33 À voix haute
La chronique de Benoît Duteurtre
34 Spécial festivals - 2nde partie Q LE GUIDE
Les cahiers d’été de juillet à septembre 88 Les CHOCS du mois
40 On a vu 98 Les disques du mois
Phaéton à Versailles, Don Pasquale à Garnier, 124 Les DVD du mois
GerMANIA à Lyon, Les Rencontres d’Évian… 126 Le jazz
49 Les carnets d’Emma 128 Hi-fi : test de sept écouteurs intra-auriculaires
La chronique d’Emmanuelle Giuliani 138 Jeux

5 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


CHÂTEAU DE VERSAILLES
10e saison

© Bruce Zinger
CHARPENTIER : ACTÉON / RAMEAU: PYGMALION
Nouvelle production
Opera Atelier Toronto
David Fallis, direction
Marshall Pynkoski, mise en scène
Chœur Marguerite Louise (direction Gaétan Jarry)

Ven. 30 novembre, sam. 1er et dim. 2 décembre

© Simon Fowler
Opéra Royal

PURCELL : KING ARTHUR LE CARNAVAL BAROQUE


10e anniversaire de la production
Le Poème Harmonique
Le Concert Spirituel, chœur et orchestre Vincent Dumestre, direction et
Hervé Niquet, direction conception HAENDEL À L’OPÉRA LES COMPOSITEURS DE
Shirley et Dino, mise en scène Cécile Roussat, mise en scène Philippe Jaroussky, Emöke Baráth LOUIS XIV
Ensemble Artaserse Katherine Watson, soprano
Ven. 7, sam. 8, dim. 9 décembre Ven. 14, sam. 15, dim. 16 décembre Les Ambassadeurs
Opéra Royal Opéra Royal Mer. 19 septembre Alexis Kossenko, direction
Opéra Royal
Mar. 2 octobre
GAY – PEPUSCH : SACRATI : LA FINTA PAZZA Opéra Royal
THE BEGGAR’S OPERA Nouvelle production
Nouvelle production Cappella Mediterranea
Les Arts Florissants Leonardo García Alarcón, direction DESTOUCHES : ISSÉ LULLY : TE DEUM
William Christie, direction Jean-Yves Ruf, mise en scène Les Chantres du Centre de musique BIBER : MISSA SALISBURGENSIS
Robert Carsen, mise en scène baroque de Versailles Les Pages du Centre de musique
Sam. 16, dim. 17 mars Ensemble Les Surprises baroque de Versailles
Ven. 11, sam. 12, dim. 13 janvier Opéra Royal Louis-Noël Bestion de Camboulas, Collegium 1704
Opéra Royal direction Václav Lucks, direction

Sam. 13 octobre Sam. 20 octobre


Opéra Royal Chapelle Royale
LEGRENZI : MONTEVERDI :
LA DIVISIONE DEL MONDO LE RETOUR D’ULYSSE DANS
Nouvelle production SA PATRIE
Les Talens Lyriques Ricercar Consort
Christophe Rousset, direction Philippe Pierlot, direction
Jetske Mijnssen, mise en scène William Kentridge, mise en scène

Sam. 13, dim. 14 avril Jeu. 18, ven. 19 avril


Opéra Royal Opéra Royal

PURCELL : DIDON ET ÉNÉE JEAN-JACQUES ROUSSEAU:


Nouvelle production LE DEVIN DU VILLAGE
© Chris Christodoulou

Artistes du Juilliard Opera – New York Les Nouveaux Caractères


Juilliard 415 Sébastien d’Hérin, direction
Avi Stein, direction Caroline Mutel, mise en scène
Mary Birnbaum, mise en scène
Ven. 21, sam. 22 juin
Sam. 15, dim. 16 juin Petit Théâtre de la Reine
Opéra Royal

MOLIÈRE : CHARPENTIER : 2019 ANNÉE BERLIOZ


LE BOURGEOIS GENTILHOMME LES ARTS FLORISSANS
Nouvelle production
Ensemble Marguerite Louise LA DAMNATION DE FAUST
Jérôme Deschamps, mise en scène Gaétan Jarry, direction
SYMPHONIE FANTASTIQUE
Compagnie Jérôme Deschamps Damien J. Jarry, mise en scène Orchestre Révolutionnaire et Les Siècles
Académie des Musiciens du Louvre Romantique François-Xavier Roth, direction
Marc Minkowski, direction Dim. 7 juillet Sir John Eliot Gardiner, direction
Cour de Marbre Mar. 6 novembre
Mer. 19, jeu. 20, ven. 21, sam. 22, dim. 23 juin Dim. 21 octobre Opéra Royal
Opéra Royal Opéra Royal

INFORMATIONS – RÉSERVATIONS
01 30 83 78 89 • www.chateauversailles-spectacles.fr
@chateauversailles.spectacles @OperaRoyal @chateauversailles
ÇA CARTOON !
LULLY MÈNE LA DANSE

Extrait de L’Histoire de la musique en bandes dessinées de Michael Sadler, Denys Lemery et Bernard Deyries.
© Éditions Van de Velde, Paris. Reproduit avec l’aimable autorisation des Éditions Van de Velde.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 7


Graphisme : Fabrice Petithuguenin – Portrait © Musée Hector-Berlioz — Licences 1-1034156 / 2-1034110 / 3-1034111

Berlioz : L’Enfance du Christ, Messe solennelle, Requiem, Le Temple universel, La Symphonie fantastique
Haydn : La Création / Bach : Cantates / Beethoven : Symphonie no 9 / Saint-Saëns : La Danse macabre…
— avec —
Sir John Eliot Gardiner / François-Xavier Roth / Laurence Equilbey / Hervé Niquet
Véronique Gens / Antoine Tamestit / Roger Muraro…

FESTIVALBERLIOZ.COM
LA PETITE MUSIQUE
D’ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT

La petite vie des grands


N
e le niez pas : vous
l’avez fait, comme La vie n’éclaire N’en est-il pas de même avec la vie?
Quand je lis des biographies de Bee-
moi!Vous avez visité
l’immeuble natal de
Mozart à Salzbourg
pas l’œuvre. thoven, je n’y repère ni l’Hymne à la
joie, ni l’allégresse de la Huitième Sym-
phonie, ni la méditation souveraine
puis son apparte-
ment à Vienne, vous avez parcouru C’est, au des dernières sonates pour piano ou
des ultimes quatuors. J’y décèle plutôt

contraire,
les demeures de Haydn et Beethoven, lecontraire:uneenfancedifficileauprès
exploré la villa de Bougival où Bizet d’un père violent,des amourettes sans
conçut Carmen, arpenté le chalet conclusion, l’irruption de l’infirmité
Troldhaugen où Grieg composa, sans
parler d’un passage à Saint-Germain- l’œuvre qui à vingt-huit ans, la coupure avec les
autres qu’entraîne la surdité, l’accu-

éclaire la vie
en-Laye chez Debussy ou à Montfort- mulation des problèmes matériels,
l’Amaury chez Ravel… Chaque fois, familiaux, sociaux, sentimentaux.
vous étiez mus par un désir ardent, Quel rapport entre les élégies beetho-
noble,légitime,la volonté d’approcher véniennes – troisième mouvement de
le génie, de saisir où il s’élaborait, de quoi il se nourrissait la Neuvième Symphonie – qui atteignent le sublime de la ten-
au jour le jour. Chaque fois, vous avez été déçus. dresse et l’existence concrète de Beethoven, fui par les femmes,
La maison d’un génie se révèle cruellement identique à trahi par son neveu? Quel lien entre un lourd handicap qui
celle d’un médiocre ou d’un homme de goût. Le pot ne fait l’isole et la bacchanale qui conclut la Neuvième Symphonie?
pas la fleur. Il n’y a pas continuité, mais discontinuité.
Quand je sors d’une de ces pieuses expéditions, si je m’abîme La vie n’éclaire pas l’œuvre. C’est, au contraire, l’œuvre qui
dans le dépit, je sens croître en une même proportion mon éclaire la vie, lui apportant une deuxième existence, plus vraie
admiration envers celui qui m’échappe: le mystère de l’inspi- que la réelle. Elle est riche quand l’autre est pauvre, atteint
ration flamboie. Renonçant alors à comprendre l’incompré- la perfection quand l’autre touche le fond.
hensible, je mesure l’immensurable et lui voue un respect Je songe souvent au Schubert malade qui explore le paradis
supérieur. C’est à Saint-Pétersbourg que j’ai vécu le plus dans ses quintettes, au Chopin agonisant qui écrit la lumi-
intensément ce phénomène: parce qu’ils aiment mes livres, neuse Barcarolle, au Bach surmené, essoufflé, courant pour
les Russes m’avaient offert un cadeau exceptionnel, l’apparte- des patrons odieux de classe en classe, de répétition en répé-
ment de Dostoïevski pour moi seul durant une tition, d’office en office au milieu d’enfants brail-
soirée entière. Ah mes amis, si le talent s’attrapait lards, lequel, néanmoins, réinvente l’ordre dans
par la fréquentation des objets, sachez que, depuis ÉRIC-EMMANUEL Le Clavecin bien tempéré et exprime une foi
cette nuit-là,j’aurais dû rédiger Les Frères Karama- SCHMITT sereine au cœur de ses cantates.
zov ou Crime et Châtiment, tant j’ai usé mon séant est écrivain, dramaturge Leur œuvre ne doit pas grand-chose à leur vie.
sur la chaise de Fiodor, posé mes coudes sur son et réalisateur. En revanche, leur vie doit beaucoup à leur œuvre!
bureau, observé les voisins, mangé ses bonbons Son dernier ouvrage, Et nos vies à nous, identiquement, doivent tant à
préférés en tripotant sa plume. Hélas… Madame Pylinska et leurs œuvres qui nous consolent, nous apaisent,
Le quotidien d’un créateur ne dévoile rien sur sa le secret de Chopin, est nous recentrent, nous rassurent, nous régénèrent,
création; l’ordinaire échoue à éclairer l’extraordinaire. paru chez Albin Michel. nous agrandissent… X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 9


PLANÈTE MUSIQUE I COULISSES

ÉRIC GARAULT POUR CLASSICA


Anniversaire
ROTTERDAM EST
UNE FÊTE
R
otterdam, le EN JUIN, L’ORCHESTRE NÉERLANDAIS orchestre et l’émotion pure
samedi 9 juin. procurée par la voix de la mezzo
Yannick Nézet- CÉLÉBRAIT SON CENTENAIRE. MEDICI.TV Joyce DiDonato (photo),autant
Séguin,l’un des AVAIT INSTALLÉ SES CAMÉRAS POUR de facteurs qui font qu’une
chefs d’orches- soirée devient unique.
treparmilesplus FILMER L’ÉVÉNEMENT. REPORTAGE. C’était également le dernier
talentueux de sa génération, et concert de Yannick Nézet-
Joyce DiDonato, l’enfant ter- de musique classique Medici.tv. ce jour-là en fait partie. Pour Séguin en tant que directeur
rible du chant lyrique, étaient Ils sont rares ces concerts à cause : la ferveur d’un public musical du Rotterdam Phil-
réunispourcélébrerle100e anni- l’issue desquels vous avez la qui se lève comme un seul harmonic, lequel fête donc
versaire de l’orchestre de la ville. certitude qu’ils demeureront homme après les derniers cette année ses cent ans d’exis-
Nous étions dans les coulisses à jamais gravés dans les accords des Pins de Rome de tence. Ce qui fascine dans la
de l’événement capté par la mémoires. Celui organisé dans Respighi, une complicité évi- direction du chef canadien,
plate-forme en ligne de vidéos une des salles du De Doelen dente entre un chef et son c’est que tout son corps dirige

10 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


dans un élan et une énergie
communicative – intentions Ensuite, pour 14,90 1 par
justes et claires dans un réper- mois ou 149 1 par an, la plate-
toire varié allant de Haendel à forme est accessible en illimité
Berio. C’est avec beaucoup sur tous les supports. Une
d’émotion que Yannick Nézet- véritable salle de concert
Séguin reçoit, ce soir-là, des virtuelle !
mains officielles d’un repré-
sentant de la ville le Cultuur- SUCCESS STORY
penning Rotterdam, une Medici.tv captait son premier
médaille d’or pour la culture, concert au Festival de Verbier,
devenant aussi chef honoraire dans leValais suisse,il y a dix ans.

SDP
de l’Orchestre de Rotterdam. Avec 300 abonnés au comp-
« Je sais maintenant que je ferai teur, l’aventure était risquée à
toujours partie de la famille, l’époque. « Aujourd’hui, nous
c’est la seule raison pour laquelle avons 15000 abonnés, cela fait
je ne pleure pas », a-t-il déclaré. un bon chemin », se réjouit
À quarante-trois ans, le Qué- Hervé Boissière. Ce cinquan-
bécois a signé pour prendre tenaire branché est avant tout
les rênes du prestigieux un passionné de musique clas-
Metropolitan Opera de New sique : « Quand je reçois des
York à compter de la saison témoignages d’auditeurs comme
2020-2021: le Rotterdam Phil- celui de cette habitante de la
harmonic a eu du flair il y a banlieue de Buenos Aires qui
dix ans en recrutant ce jeune m’a écrit pour me dire qu’à
chef bourré de talents. soixante-dix-neuf ans, elle avait
enfin pu voir sa déesse vivante,
DIX ANS DÉJÀ ! Martha Argerich, au Carnegie
Point de mire de cette soirée: Hall dans le Troisième Concerto
SDP
la mezzo-soprano américaine pour piano de Prokofiev, cela
Joyce DiDonato. La diva me bouleverse! »
incarne tantôt Ariodante et du travail du réalisateur en à la production des extraits et Originaire de Beaune, en Côte-
Sesto de Haendel, tantôt Nelly partenariat avec le conseiller des éventuelles corrections. d’Or, Hervé Boissière se définit
de Bellini et Rosina de Rossini, musical. Le son, lui, est capté Corrections ? Oui, vous avez comme un autodidacte habité
sous l’œil des caméras de la par la régie de la salle de bien lu ! « On donne toujours par une envie de se nourrir
chaîne de musique classique, concert qui enregistre toutes le dernier mot à l’artiste, dans le « désert culturel environ-
Medici.tv… qui fête elle aussi les prestations de l’orchestre. s’anime Hervé Boissière. Notre nant ». « Je n’ai pas de formation
son 10e anniversaire. « Pour « Une console son nous envoie job, c’est de nous adapter ! » musicale et j’ai vécu dans un cli-
certains artistes, être filmé crée un signal audio que l’on syn- Avec 170 captations par an, mat familial et social où per-
une pression supplémentaire », chronise avec notre signal l’ouverture d’un blog cet été sonne ne savait qui était Schu-
nous explique Hervé Boissière, vidéo », précise Hervé Bois- et la possibilité de visionner bert. » Si, aujourd’hui, il veut
directeur et fondateur de sière. Le soir, durant le plusieurs centaines de docu- rendre la musique classique
Medici.tv. Joyce DiDonato, concert, deux ou trois techni- mentaires, le classique se porte accessible au monde entier,c’est
elle, le vit plutôt bien et semble ciens s’assurent, depuis les plutôt bien chez Medici.tv. parce qu’elle l’a « sauvé » alors
presque aussi à l’aise devant bureaux de la rue de Paradis, L’inscription gratuite prend qu’il « écoutait France Musique
les caméras que dans la vie. à Paris, que le film est dispo- quelques minutes et offre avec un petit poste de radio ».
Pour ce direct de Rotterdam, nible sur tous les supports. l’opportunité de visionner Au-delà de la prouesse techno-
marquant donc un double Après le concert, ils procèdent tous les concerts en direct. logique réalisée par Medici.tv,
anniversaire, cadreurs, ingé- il y a une véritable volonté de
nieur de la vision, conseiller
musical et réalisateur sont à Le chef canadien démocratiser le grand réper-
toire. Pour l’heure, les États-
pied d’œuvre depuis l’aube.
Les sept caméras, dont six Yannick Nézet-Séguin Unis représentent le premier
marché de la plate-forme, mais
robotisées, sont pilotées par
joystick depuis une petite et la mezzo américaine Hervé Boissière ne compte pas
s’arrêter là.La prochaine étape?
pièce jouxtant la salle de
concert. En amont, il faut Joyce DiDonato étaient La conquête de la Chine. Mais
d’ici là, les vingt-cinq ans du
décider des plans à effectuer,
partitions sur la table : il s’agit réunis sur scène Festival de Verbier, en Suisse,
cet été. X  Aurélie Moreau

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 11


PLANÈTE MUSIQUE I WEB

NOTES ET
Blogs, Facebook,
Twitter, Instagram,
YouTube, Pinterest…

FAUSSES NOTES
Classica a surfé
sur Internet pour y
dénicher des pépites.
PAR CLÉMENT SERRANO

LA NONNE SUR

le divan
A
u cabinet du psy l’échec ? Père trop
Marc-Olivier autoritaire?Âmedéme-
Fogiel, la cheffe surémentromantique?
d’orchestre Laurence À moins que ce ne soit ALLEZ
Equilbey semble avoir cette fameuse nonne
été témoin d’une bien sanglante qui hante le
LES CUIVRES!

E
étrange histoire : l’un château de ses aïeux… n souvenir d’une
À TERRAIN BATTU, de ses amis,Rodolphe,
éprouverait une fasci-
Affaire à suivre dans la
vidéo en deux parties
tournée fructueuse
sur le sol asiatique,

MUSIQUE nation sans faille pour


une certaine Agnès,
mais refuserait, selon
intitulée « La Nonne
sur le divan », consul-
table sur le compte
la Berliner Philharmoniker
a posté sur son compte
Twitter les temps forts

CONQUISE l’artiste, d’« assumer


son désir ». Peur de
YouTube de l’Insula
Orchestra. X
£ www.youtube.com/watch?v=xgiqB927pyg
d’un match amical
de football opposant
ses meilleurs « athlètes »

N
ewYork, 1959. Ce qui n’était encore qu’un vaste à ceux du Shanghai
terrain vague de la 66e Rue de Manhattan allait Symphony. Résultat des
devenir l’un des plus hauts lieux musicaux courses : 4-0 pour l’équipe
du monde : le Lincoln Center for the Performing de sir Simon Rattle. X
Arts. Grâce à de précieuses images d’archives, £ https://twitter.com/
la chaîneYouTube Great Performances vous propose berlinphil
de revivre la pose des premières pierres sur fond de
Copland. On peut y voir notamment Leonard
Bernstein, la Philharmonie de New York, l’Orchestre
du Metropolitan Opera et le 34e président des États-
NE PAS
Unis, Dwight D. Eisenhower. X MANQUER
£ www.youtube.com/watch?v=908b95fudQ8 DE SOUFFLE
Caricature publiée
sur la page Facebook
BREL CHANTE POULENC Classical Music
Humour : « La lumière

L
’Histoire de Babar, le petit éléphant contée te dérange ? » X
par la voix suave du grand Jacques Brel… Col
roulé sur le dos et cigarette à la main, le maître
chanteur de Bruxelles nous entraîne dans les péripéties
du célèbre personnage et nous en dit un peu
plus sur son amour pour la musique classique.
À découvrir sur le compte YouTube de l’Ina. X
£ www.youtube.com/watch?v=6UGD2GbUn_s

12 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


16 juillet 20h30 5€ Grange Ste-Lucie, St léger de
Peyre: Sonates en Grange Majeure, Francesco
Bottigliero, piano Marcin Misiak, violoncelle
19 juillet Château Roquedols, Meyrueis:
Concours de chant Emma Calvé
20 juillet 21h 10€ Temple de Meyrueis:
« A ma ille » Francesco Bottigliero Compositeur et piano,
Marcin Misiak violoncelle, Christian Danowizc violon
25 juillet 21h libre participation:
Eglise de Camprieu: "La voix dans tous ses états”
La troupe Fogs
26 juillet 21h 15€ Château Roquedols, Meyrueis:
Monumental Tango, Gilles Z. San-Juan ténor, Lucia
Abonizio piano, Gilberto Pereyra bandonéon
27 juillet 21h 15€ La Rosée du Matin, Nasbinals:
Monumental Tango, Gilles Z. San-Juan ténor, Lucia
Abonizio, Gilberto Pereyra
31 juillet 21h 5€ Moulin de Méjean, Hures-la-Pa-
rade: Mélodies Don Quichottesques la troupe Fogs
1er août 21h - GRATUIT Temple de Meyrueis:
Jean Marc & Friends
2 août 21h - de 16 ans 16€ Adultes 24€ Grotte
Aven Armand, Hures-la-Parade: Voyages ibériques
Aleksandra Kudas-Kruc soprano, F Bottigliero Piano
3 août 20h 30 - GRATUIT Eglise de Meyrueis:
Jean Marc & Friends
5-6-7 août 21h 27€ Château Roquedols, Meyrueis:
Don Quichotte
9 août 20h 30 - GRATUIT Cathédrale de Mende:
VERDI Grands airs du Compositeur Italien par les
Solistes de Fogs, Guest stars: Guy Bonfiglio et Elisabeth
Aubert
10 août - GRATUIT Domaine équestre de la
Crouzette, Marvejols: la troupe du Fogs
12 août 21h 27€ Domaine équestre de la Crouzette,
Marvejols: Don Quichotte
15 août 15h 6€ Salle des fêtes de Meyrueis:
Les rocambolesques aventures de Don Kiki
(spectacle d’initiation pour enfants)
15 août Halle de Meyrueis: Scène ouverte au cœur
du village
15 août 21h 10€ Temple de Meyreuis:
Quatre saisons de Vivaldi par l’ensemble de
chambre de Fogs, Glen Rouxel, violon
18 août Eglise d’Aumont Aubrac:
Jean Marc & Friends
19 août Grande Halle d’Aumont-Aubrac:
Don Quichotte
21 août 21h 10€ Château Roquedols, Meyrueis:
Concert de gala.
22 septembre 20€ Théâtre de Mende:
Récital Mathieu Sempéré
PLANÈTE MUSIQUE I HOMMAGE
Dans les romans
ou dans la vie
de ce géant de la
littérature disparu
le 22 mai dernier,
la musique a
toujours acquis
ses lettres de
noblesse.

P
hilip Roth a
vingt-trois ans
quand on lui
offre un billet
pour un concert
à la bibliothèque
du Congrès de Washington.
C’est sa première révélation
musicale. Stationné dans un
hôpital militaire de la ville, il s’y
rend par simple curiosité, vêtu
de son plus bel uniforme, dans
l’espoir de « lever quelques
filles ». Roth entend pour la pre-
mière fois le Quintette pour cla-
rinette de Mozart,interprété par
le Quatuor de Budapest. Pour
le futur romancier, né en 1933,
au sein d’une famille d’immi-
grés juifs du New Jersey, c’est
une expérience transformatrice.
Durant toute sa vie,Philip Roth
ne cessera d’aller au concert,
de fréquenter des musiciens et
de faire de la musique une
matière de son œuvre.
C’est dans le troisième roman
de Roth, Portnoy et son com-
plexe (1969), dont la crudité et
l’irrévérence lui valent à la fois
les foudres de sa communauté
et la reconnaissance internatio-
PHILIP ROTH nale, que ressurgit ce fameux

UNE PASTORALE
Quintette qui l’avait tant bou-
leversé. L’écrivain fait en effet
vivre à son personnage, Sara
NANCY CRAMPTON / OPALE / LEEMAGE

Abbott Maulsby, la même


expérience fondatrice. Mais à la

AMÉRICAINE
place de se découvrir une pas-
sion pour la musique, l’amante
de Portnoy, elle, franchit un
nouveau cap dans sa sexualité.
Dans toute l’œuvre de Roth,
sexe et musique sont en effet

14 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


inextricablement liés. Pour
David Kepesh, un des alter ego
Bach ? « Trop obsessionnel-
compulsif. Il est comme un type Bach ? « Trop obsessionnel-
du romancier, le grand réper-
toire classique est l’élément clé
qui vérifie tout le temps ses
poches. » Beethoven ? « C’est compulsif. » Beethoven ?
de son rituel de séduction.
Dans La bête qui meurt (2001),
comme Bach qui se drogue ! »
Mais au-delà de ces reparties « C’est comme Bach
Kepesh fait entendre à sa future
maîtresse les Quatuors de
bravaches et provocantes rap-
portées par la biographe Clau- qui se drogue ! »
Dvorák, les Préludes de Rach- dia Roth Pierpont, on devine
maninov ou ceux de Chopin, chez lui un respect profond et
parce qu’ils « électrisent » : réel pour la musique. Philip pouvoir raconter son histoire. il se tient nu devant nous. »
« Elle aimait que je joue du piano, Setzer, violoniste du Quatuor Quant à Silk, le héros de La L’écrivain américain s’est sans
ça créait une atmosphère de Emerson, raconte que Roth, Tache, de la même génération doute fortement identifié au
romance et de séduction qui lui qui le surnommait « Other- que son auteur, c’est dans compositeur allemand,puisque
plaisait. […] Ça faisait partie de philip », « l’autre Philip », le swing des années 1940 lui-même, âgé de soixante-
l’ivresse, pour nous deux. » l’appelait souvent pour discuter qu’il cherche refuge : dans les quatorze ans, clôt le cycle Zuc-
Musique et érotisme vont éga- de musique et de littérature et ne chansons de Vaughn Monroe, kerman en se séparant du dou-
lement de pair dans La Tache manquait jamais aucun concert d’Helen O’Connell ou de Dick ble qui l’accompagnait depuis
(2000) où c’est un air de de la formation à New York. Haymes. « Une demi-heure de quarante ans.
Gershwin qui va cette fois-ci Roth était un véritable mélo- Benny Goodman », son rituel Inséparable de tous ses thèmes
jouer le rôle de catalyseur.Cole- mane. La musique dans son hebdomadaire, l’émeut à cha- de prédilection, que ce soient
man Silk tombe en effet éper- œuvre ne se limite pas à accom- que fois jusqu’aux larmes : la mort, le sexe, la violence ou
dument amoureux de Faunia pagner les scènes sulfureuses, « Tout stoïcisme m’abandonne, la quête de sens, la musique fait
en la regardant danser sur elle est également consolatrice, et alors mon désir de ne pas mou- donc partie intégrante de l’œu-
« The Man I Love », interprété presque amicale. rir est presque insupportable. » vre de Roth. Et c’est à travers
par Roy Elridge à la trompette. Après avoir joué ensemble les la figure d’un pianiste que le
Il ne veut pas que le morceau séducteurs dans La bête qui LE CHANT DE LA MORT romancier aura sans doute
finisse et ne peut s’empêcher de meurt, le piano n’abandonne Car c’est bien là l’enjeu princi- le mieux décrit sa propre
passer et repasser le disque : pas David Kepesh, lorsque pal de l’œuvre de Roth: l’omni- démarche artistique. À propos
« Elle sait bien que c’est juste- ce dernier est quitté par son présence de la mort et com- de son ami, le pianiste Yefim
ment sa danse qui le fait tomber amante: « J’avais le piano, qui ment s’en accommoder. Dans Bronfman, interprétant le
amoureux d’elle. Et c’est telle- m’a permis de m’en sortir. […] Exit le fantôme (2007),Roth fait Concerto pour piano n°2 de Pro-
ment facile. » Pendant ces années, j’ai joué dire à son alter ego à propos kofiev, Roth écrit : « Tout ce
les trente-deux sonates de Bee- des lieder de Strauss dont on qu’il a dans le ventre doit sortir,
DU PIANO AUX RIFFS thoven, chaque note visant à retrouve l’influence dans tous et sortir les mains en l’air. Et
DE GUITARE ÉLECTRIQUE chasser Consuela de mon ses derniers romans : « Pour quand tout sort en effet, quand
Les références musicales de esprit. » Roth va jusqu’à confé- la pureté avec laquelle s’exprime tout est dehors, jusqu’à la der-
l’écrivain ne se limitent pas au rer à la musique une dimension le sentiment de la mort, de la nière pulsation, le pianiste se lève
seul répertoire classique. De cathartique. Elle aide ses per- séparation et du deuil, pour la et s’en va en nous abandonnant
Chopin à Jimi Hendrix en pas- sonnages à sortir des affres où façon dont on est entraîné dans à notre rédemption. » Quelques
sant par Dvorák, Rachmani- le récit les a précipités. Dans la puissante courbe parabolique semaines seulement après sa
nov, Gershwin et Sinatra, Roth Professeur de désir (1977), c’est de la douleur. Le compositeur mort, on mesure le vide que
possède une culture musicale grâce aux sonates de Bach laisse tomber tous les masques et, laisse Philip Roth dans la littéra-
inépuisable et un avis sur tout: qu’un survivant du nazisme va à l’âge de quatre-vingt-deux ans, ture contemporaine. X Lou Héliot

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 15


PLANÈTE MUSIQUE I CINÉMA

PHOTOS : PROKINO
OPÉRA À CŒUR OUVERT
À la mi-août sortira dans nos salles obscures l’adaptation du roman de Ian McEwan,
Sur la plage de Chesil ou l’art de transposer sur grand écran une œuvre lyrique.

C
e que la jeune vio- par un lent et douloureux prélassés dans l’herbe,le regard Mozart –, la routine – Partita
loniste Florence crescendo. Un bref insert sur fleuri d’un amour sincère et pour violon n°3 de Bach –,
Ponting (Saoirse le numéro de la chambre dévoué. Que ce soit au niveau la mélancolie – Non allegro des
Ronan) attend de d’hôtel en introduction suffit du cadre, du choix des cou- Danses symphoniques de Rach-
l’amour est un sen- à nous en convaincre: la cham- leurs et de la composition des maninov, magnifique plan-
timent inexprimable. Une bre n°8, dernière note de la plans, tout semble avoir été séquence d’un récital de piano –
« question sans contenu, aussi gamme, à la fois point culmi- conçu à l’échelle d’un certain et le deuil – Allegro du Quatuor
pure qu’un point d’interroga- nant et balise de non-retour. regard : celui d’un spectateur « La Jeune Fille et la Mort » de
tion ». Prenant forme lorsque C’est également une utilisa- dans une salle d’opéra. Schubert. On y trouve égale-
son mari Edward Mayhew tion ingénieuse de la forme La bande sonore y est d’ail- ment du jazz et du rock’n’roll,
(Billy Howle) tente désespéré- opératique, visible à travers leurs pour beaucoup. Passant annonciateur d’un vent nou-
ment de la courtiser le soir de ses nombreuses séquences de de la lumière à l’obscurité, elle veau qui s’abattra sur la
leur nuit de noces, elle devient flash-back: impossible en effet retraduit les étapes nécessaires Grande-Bretagne conservatrice
son ultime refuge, son Quin- de ne pas songer à la trilogie à l’éclatement du drame, sym- des années 1960. X
tette de Mozart. Elle s’imagine italienne de Mozart lors des bolisant tour à tour la joie Clément Serrano
alors jouer avec son quatuor scènes de jardin, Edward et – Premier mouvement de la
à Wigmore Hall « […] une Florence insoucieusement Symphonie n°35 « Haffner » de £ Sortie en salles le 15 août 2018.
simple phrase musicale, solen-
nelle, qui s’était répétée, aussi
évanescente et insaisissable
qu’un souvenir auditif ». Mais
rien n’y fait. Le corps excité de
son époux la rappelle à lui,
tandis que la radio crache à
plein poumons les accords
endiablés de Chuck Berry.
En filmant l’incommunica-
bilité de deux êtres que tout
oppose, Dominic Cooke n’a
pas seulement adapté l’œuvre
de Ian McEwan (L’Enfant volé,
Solaire, Samedi). Il a su en cap-
ter l’essence musicale, prolon-
ger la déliquescence du couple

16 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


festival concert
.06
20 pique-nique

12 2018 .07 21.07


2018

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PLANÈTE MUSIQUE I PÊLE-MÊLE
GASTRONOMIE

L’OPÉRAGOURMAND
DEROSSINI,ACTEI
Des macarons mettent à l’honneur les plus
grandes œuvres lyriques du compositeur italien.

R
osine, la belle ingé- pimente la pâte d’amande et de
nue du Barbier de noix, La Pie voleuse, blanc de
Séville, revêt un nacre bariolé de vert, ou Le
orangé « allegro, pré- Siège de Corinthe, qui mêle
MAIKE HELBIG

lude au caramel de vinaigre raisins de Corinthe marinés


de Xérès parfumé à la fleur et groseille acidulée.
d’orange ». Le Voyage à Reims Toutes les notes et tous les
se veut une vocalise de sucre parfums sont imaginables,
rose, soutenue par un arpège pourvu que l’idéal du maca-
CONCOURS GÉZA ANDA DE ZURICH de crème au champagne rosé ron soit respecté, « croquant
vivifiée de pêche de vigne, tan- de la coque et ultramoelleux à

TOUCHES dis que Moïse en Égypte, seul


macaron sucré-salé de la col-
lection, propose une purée de
l’intérieur », explique le pâtis-
sier Yannick Lefort, fondateur
des Macarons Gourmands,

D’EXPÉRIENCE haricots rouges sur une crème


de lie de vin : on le recom-
mande plutôt pour l’apéritif.
au 62, rue de Seine, à Paris. À
l’automne, huit autres créa-
tions originales viendront
La pianiste américaine Claire Huangci a Mais « L’Opéra gourmand de enrichir la collection,deuxième
Rossini » compte encore les acte rossinien où se croise-
remporté l’édition 2018 de la compétition. macarons L’Italienne à Alger, ront Guillaume Tell, Otello et
dont la cannelle citronnée

L
Tancrède. X J. R.
eConcoursGézaAnda, Concours de Dublin en 2009
organisé à Zurich tous et possède une solide expé-
les trois ans en hom- rience. Dans le Concerto n°1
mage au célèbre pia- de Brahms, il fait preuve
niste suisse d’origine hongroise d’assurance et de contrôle,
(décédé en 1976), a rassemblé mais se montre souvent per-
trente et un candidats au cours cussif, aux dépens du lyrisme
d’une semaine très dense et et de la fantaisie.
chargée de tension.Trois d’entre Le Russe Sergey Tanin (vingt-
eux ont été retenus en finale et quatre ans), Troisième Prix,
l’Américaine Claire Huangci formé au Conservatoire Tchaï-
(vingt-huit ans, photo) s’est kovski de Moscou, se révèle
imposée grâce à un parcours plus inventif et d’un engage-
très musical, marqué tout par- ment juvénile dans le même
ticulièrement par une interpré- Concerto. D’ailleurs,le président
tation stylée du Concerto n°4 du jury, Christian Zacharias, à
de Beethoven, à la fois fluide et la tête de l’Orchestre de la Ton-
naturelle.Lerésultatnesurprend halle de Zurich, se montre bien
pas car cette artiste n’est pas plus engagé et vif-argent dans
une inconnue: elle mène depuis sa manière d’accompagner
une décennie une carrière inter- un soliste qui ne demande qu’à
nationale remarquée. s’épanouir. X
PATRICK AUFAUVRE

Deuxième Prix, le Sud-Coréen Michel Le Naour


Jong-Hai Park (vingt-huit ans)
était déjà monté sur la deu- £ Zurich, Tonhalle Maag,
xième marche du podium au 12 juin 2018.

18 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Illustration : Suleyman Yazki
PLANÈTE MUSIQUE I PÊLE-MÊLE

D
L’ALPHABET DE VINCENT BOREL

SUR LE CD

COMME CLASSICA
LE MAGAZINE
SCHUMANN

DOPAGE
par Nelson Freire
1 • Arabesque 6’28
Extrait du CD Decca 473 902-2

BRUCH
par Gérard Caussé
2 • Romance pour alto
et orchestre 7’44
Extrait du cofret Erato 0190295681586

CHOPIN
par Nelson Goerner
3 • Sonate pour piano n°3 :
Largo 9’17
Extrait du CD Warner 5099963656

BLOW
par Lucile Richardot
et l’Ensemble
Correspondances
4 • « Poor Celadon,
He Sighs in Vain » 5’10
Extrait du CD Harmonia Mundi HMM
902269

BACH
par Dominique Merlet
Le Clavier bien tempéré, Livre I
5 • Prélude n°7 en mi bémol
majeur 4’06
6 • Fugue n°7 1’40
7 • Prélude n°8 en ré dièse
mineur 3’17
GETTY IMAGES

8 • Fugue n°8 4’08


Extrait de l’album Le Palais
des Dégustateurs PDD015

DVORÁK
par le Quatuor Pavel

K
Haas et Pavel Nikl
irsten Flagstad tenait Les conservatoires dressent et l’efet inhibant du trac. Mais 9 • Quintette à cordes op. 97 :
une fiasque de cognac les corps comme des bêtes sa gestion est avant tout question Allegro non tanto 9’06
Extrait du CD Supraphon SU4195-2
dans un coin de décor à concours. Les exercices de modulation. Dominante,
FAURÉ
pour endosser et la compétition s’imposent l’adrénaline contracte l’épaule, par Jean-Claude
Brünnhilde. Andreas au détriment d’une éducation le poignet,provoque tremblements Pennetier
Scholl, condamné à vingt jours holistique du geste. Le trac fait et mains moites. L’engrenage 10 • Nocturne n°11 en fa dièse
de cortisone par un sable de des ravages. C’est une angoisse maudit va s’entretenir de mineur 4’34
Extrait du CD Mirare MIR 356
liège allergène, fut un Giulio par anticipation, le sentiment lui-même, une fausse note
Cesare d’anthologie dans la que l’on va marcher vers sa mort déstabilisante en provoque HAYDN
mise en scène d’Irina Brook. au moment de monter sur scène, une deuxième, etc. Mais, par le Quatuor Doric
Quatuor op. 64 n°2
L’une combattait le trac, traqué par sa peur. Cette panique dominée, l’adrénaline est 11 • Menuet 3’00
l’adrénaline ; l’autre s’en a brisé des légendes, Renée convertible en énergie positive. 12 • Finale. Presto 4’09
Extrait de l’album Chandos CHAN
nourrissait, par surproduction Fleming, Glenn Gould, Vladimir C’est le bon trac, l’aiguillon qui 10971(2)
de cette hormone. En concert, Horowitz. Pour la combattre, pousse à se surpasser. Voilà
sur scène, l’interprète est seul les musiciens ont parfois bu. ce qu’apprennent à cultiver
RETROUVEZ CHAQUE MOIS
à l’afronter. On dit qu’il a le trac. Ils disposent aujourd’hui le sport, le yoga, voire le coaching. LES CHOCS DE CLASSICA SUR
Le mot entre au dictionnaire de bêtabloquants, comme Mieux vaut un(e) bonn(e)
en 1833, sous le règne de la les performers du show-biz assistant(e) sur qui passer
Malibran, tandis qu’émerge et de la télé. Le propanolol réduit ses nerfs plutôt que de compter
la figure du soliste prométhéen. en efet les battements du cœur sur une plaquette d’Avlocardyl. X

20 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


AOÛT
vendredi 03/08 - 21h
La Tempête
NOCTURNE - SERGUEÏ RACHMANINOV
mardi 07/08 - 21h

JUILLET Ensemble VOCES8


EQUINOX - GABRIEL FAURE, GREGORIO ALLEGRIH &
mardi 24/07 - 21h M. PRAETORIUS, G. GABRIELI, P. CASALS, J. DOVE, J. TAVENER…
Insula orchestra / accentus vendredi 10/08 - 21h
LA CREATION - JOSEPH HAYDN
Sonia Wieder-Atherton
vendredi 27/07 - 21h MUSIQUE DE CHAMBRE - JOHANN SEBASTIAN BACH,
Orchestre Régional de Normandie LUIGI BOCCHERINI
UNE NUIT D’ETE EN ITALIE - HECTOR BERLIOZ mardi 14/08 - 21h
mardi 31/07 - 21h Akademie für Alte Musik Berlin
Le Concert de la Loge JOHANN BERNHARD BACH, JOHANN SEBASTIAN BACH
WOLFGANG AMADEUS MOZART, vendredi 17/08 - 21h
LUDWIG VAN BEETHOVEN
Les Siècles / Ensemble Aedes
FRANCIS POULENC, GABRIEL FAURE, CLAUDE DEBUSSY

RESERVATIONS
Les Heures Musicales www.heuresmusicalesdelessay.com
de l’Abbaye de Lessay Tel : 02 33 45 14 34
PLANÈTE MUSIQUE I PÊLE-MÊLE
LE CHŒUR
À L’OUVRAGE

A
près des siècles
de louanges divines
et royales, elle fut
contrainte au silence:
la musique chorale fut en effet
muselée par la Révolution
française qui lui assigna ensuite
la glorification de forces
supérieures et d'une nouvelle
ère lors de rassemblements
monumentaux. Bernadette
Lespinard raconte comment
le chœur et les institutions
qui le régissent, amatrices

FESTIVAL BERLIOZ
ou professionnelles, ont évolué
au gré des monarchies, empires
et républiques durant le XIXe siècle.
BRUNO MESSINA Instrument politique, serviteur
de l’Église, porte-drapeau des

LE CULTE DE BERLIOZ métiers, mémoire du folklore,


terrain de recherche et de
renouveau pour les compositeurs,
Depuis une dizaine Suivront un Requiem, un Te possibilité d’échapper à la bar- outil pédagogique, le répertoire
Deum, L’Enfance du Christ et barie en mettant l’amour et choral a connu durant le siècle
d’années, il dirige même Le Temple universel, la musique au-dessus de tout. et demi que visite la musicologue
le Festival Berlioz inspiré par la quête, laïque En 2019, on fêtera de profonds bouleversements.
mais sacrée, de la fraternité le 150e anniversaire D'une plume alerte, elle présente
qui se tient à La entre les peuples européens. de la mort de Berlioz : une patiente étude qui révèle
Côte-Saint-André. Quel bilan tirez-vous quels événements peut-on un univers méconnu, voire
Il nous parle de de votre dizaine d’années déjà annoncer ? mésestimé, en France qui,
passées à la tête La ministre de la Culture m’a du Concordat au régime
sa passion pour du festival ? confié la mission d’imaginer de Vichy, oscilla sans cesse
le compositeur. Le bilan réjouissant d’une un programme de commé- entre le savant et populaire.
grande aventure humaine et moration nationale pour le cent Utile et passionnant. X
musicale dans les paysages cinquantenaire de sa dispari- Philippe Venturini
magnifiques de l’Isère, avec tion.Jesuisheureuxquesonpays £ Les Passions du chœur.

V
ous nommez un développement constant pense à le célébrer. Je veux par- La musique chorale et ses
votre édition 2018 de la manifestation et la ticiper à mieux faire connaître pratiques en France,1800-1950,
« Sacré Berlioz ! ». conviction que le génie de ce musicien génial,autodidacte, par Bernadette Lespinard,
Comment bâtir Berlioz est une source d’inspi- provincial, libre, entreprenant, Fayard, 684 p., 29 B.
une telle programmation ration inépuisable. si français et déjà européen
face à un compositeur qui En quoi l’art de Berlioz avant l’heure.Seront organisées
rejetait « la foi catholique, est-il toujours aussi des manifestations de toutes
apostolique et romaine » ? éloquent de nos jours ? sortes, de toutes tailles, en tous
Et qui disait aussi que c’est En ce qu’il est la modernité lieux, avec le désir de laisser
« une religion charmante même ! L’invention des festi- la jeunesse le découvrir et se
depuis qu’elle ne brûle plus per- vals, la révolution de l’orches- l’approprier… Mais il est encore
sonne » ! Mais Berlioz est un tre symphonique, le dépasse- un peu tôt pour en parler. X
homme de contradictions. Il a ment des formes musicales, Propos recueillis par
sa première émotion musicale l’autofiction et la mise en Jérémie Rousseau
à l’église et sa première œuvre scène de sa vie personnelle, £ L’édition « Sacré Berlioz ! » du
d’envergure, à vingt ans, alors le goût de l’aventure et de la Festival Berlioz de La Côte-Saint-
qu’il n’a jamais pris un cours nouveauté… Berlioz a boule- André se tiendra du 18 août au
au conservatoire, est la vive et versé les règles et les usages. Et, 2 septembre. Renseignements :
lumineuse Messe solennelle. en premier lieu, il a cru en la www.festivalberlioz.com

22 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Les Musicales
de Saint-Genou
JUILLET-AOÛT 2018 CLASSIQUE / JAZZ / CRÉATIONS

SAMEDI 21 JUILLET À 18H …


« Le Concert impromptu » quintette à vent
Œuvres de Rameau, Debussy, Ravel…

DIMANCHE 22 JUILLET À 17H †


« Boréales »
Hermine Horiot, violoncelle
Œuvres de Bach, Sibelius…
et compositeurs d’Europe du Nord à découvrir !

SAMEDI 28 JUILLET À 17H


…
RP Quartet : le jazz des 60’s cuisiné à la sauce Django…
Édouard Pennes, guitare - Rémi Oswald, guitare -
Bastien Ribot, violon - Damien Varaillon, contrebassse

DIMANCHE 29 JUILLET À 17H ‡


Les grands trios à cordes
Magdalena Sypniewski, violon
Anna Sypniewski, alto
Caroline Sypniewski, violoncelle

SAMEDI 4 AOÛT À 17H † … SALLE JEAN BÉNARD


À BUZANÇAIS
Ensemble Balbec
Trios et quatuors pour piano et cordes ! † ÉGLISE DE SAINT-GENOU
Œuvres de Ravel & Dvorak... ‡ CHÂTEAU DE BOISRENAULT
À BUZANÇAIS
DIMANCHE 5 AOÛT À 17H†
« Musique & Littérature » RÉSERVATIONS
Michael Lonsdale et Patrick Scheyder 06 64 03 95 68

La Haute Ecole de Musique de Lausanne (Vaud Valais Fribourg)


et Conservatoire de Lausanne (HEMU-CL)
recherche son/sa futur·e

DIRECTEUR·TRICE GÉNÉRAL·E (100%)


La Haute École de Musique de Lausanne (HEMU) et le Conservatoire de Lausanne (CL) sont réunis au sein d’une
même institution rassemblant 285 professeurs et 65 collaborateurs administratifs. Le Conservatoire de Lausanne
initie plus de 1200 élèves au plaisir de la musique dans son jeu individuel et collectif. Présente sur les cantons
de Vaud, du Valais et de Fribourg, l’HEMU offre un enseignement pluridisciplinaire et de niveau universitaire
(Bachelor/Master) en musique classique, jazz et musiques actuelles, à quelques 500 étudiants de 39 nationalités
différentes. Elle fait partie du domaine « Musique et arts de la scène » de la Haute école spécialisée de Suisse
occidentale (HES-SO).
À la tête de l’équipe de Direction, vous assurez le développement, la conduite et la gestion académique et
ßQDQFLUH GH OÄLQVWLWXWLRQ GDQV XQ HVSULW FROOJLDO 9RXV GYHORSSH] XQH YLVLRQ VWUDWJLTXH HQ V\QHUJLH DYHF
le corps enseignant et professoral, et contribuez à renforcer les collaborations entre les différents sites de
OÄLQVWLWXWLRQ HW  OÄLQWJUDWLRQ GDQV OH SD\VDJH DFDGPLTXH VXLVVH HW LQWHUQDWLRQDO 9RXV  WHV JDUDQWH GH OD TXDOLW
de l’enseignement, dans le respect des programmes et en conformité avec la législation en vigueur et représentez
l’HEMU-CL auprès des partenaires cantonaux, suisses et internationaux.
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Délai de candidature : 15 septembre 2018
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Candidature : recrutement@vicario.ch
Plus d’informations sur : www.hemu.ch, page emplois
PLANÈTE MUSIQUE I DISQUES LES
MEILLEURES
LANCEMENT VENTES
DU STUDIO À LA SCÈNE
Yves Riesel produit « Les Concerts de Monsieur Croche », DU 4 AU 10 JUIN
une série de récitals avec des grands du clavier. Orfeo ed Euridice

P
de Gluck
ro d u c t e u r, au service de musiciens interna- 1 Philippe Jaroussky/
Diego Fasolis
cofondateur du tionaux du plus haut niveau. (ERATO)
distributeur Tout ceci avec une approche
Abeille Musique fraîche et sans contraintes. » Intuition
et du site de Sous les feux des projecteurs 2 Gautier Capuçon
(ERATO)
musiqueenligne se succéderont les pianistes
Qobuz, Yves Riesel revient sur Vladimir Feltsman (photo), « The Unreleased
le devant de la scène avec « Les qui n’a plus donné de récitals
Concerts de Monsieur Cro- dans la capitale depuis vingt 3 Recitals »
Emil Gilels
che », une série de récitals (sept ans (10/10), Henri Barda (FONDAMENTA)
pianistes et un claveciniste) qui (20/11), Lukas Geniušas
se tiendra à Paris, salle Gaveau, Perpetual Night
(5/12), Daniel Wayenberg
à partir du 10 octobre 2018.
« En dépit de sa richesse,la saison
(23/01), Pavel Kolesnikov
(6/02), Idil Biret (16/04), Kun-
4 Lucile Richardot/
Sébastien Daucé
(HM)
de concerts parisienne a perdu Woo Paik (22/05) et le clave-
la mémoire, estime Yves Riesel. ciniste irano-amér icain La Reine de Chypre
d’Halévy
5
SDP

Elle oublie des artistes, et même Mahan Esfahani, entouré Véronique Gens/Hervé
reste timorée au moment de d’invités, pour son premier Niquet (PALAZZETTO BRU ZANE)
faire passer les meilleurs talents détriment d’autres est navrante. concert parisien. X
mondiaux à l’étape supérieure. “Les Concerts de Monsieur J. R.
L’offre est pourtant tellement Croche” naissent de la volonté £ Renseignements :
pléthorique, mais la surexpo- de retrouver à Paris un espace www.sallegaveau.com,
sition de certains artistes au de liberté de programmation www.monsieurcroche-sas.com LES
MEILLEURES

Alain Christian Francis Drésel Lionel Esparza Marie-Aude


ÉCOUTES
CLASSICA
LES COUPS DE Q no 203
Duault
(France 3)
Merlin
(Le Figaro)
(Radio
Classique)
(France
Musique)
Roux
(Le Monde)

Haydn/Trios avec piano


Trio Wanderer RRR RRR RR RRR RR RRR DU 11 AU 17 JUIN
HM
Abendmusiken
Beethoven/Triple Concerto
de Buxtehude
A. Gastinel, G. Shaham,
N. Angelich, P. Järvi Naïve
RRR RRR RR RRR RRR RR 1 Olivier Fortin/Lionel
Meunier (ALPHA)
Couperin/Pièces de clavecin
Blandine Verlet
Aparté
RR — RRR RR RRR RRR Quatuors
Bach/Le Jeune Héritier
Benjamin Alard RRR — RR RR RR RRR 2 de Beethoven
Quartetto di Cremona
Harmonia Mundi (AUDITE)
Majesté/Lalande
Les Quatre Saisons
Aedes, Le Poème Harmonique, RR — RRR R RR RRR de Vivaldi
Vincent Dumestre Alpha
Brahms/Symphonies
3 Rachel Podger
Orchestre de chambre d’Écosse,
R.Ticciati Linn
RRR — RR RR — RR (CHANNEL CLASSICS)

Nuove Invenzioni
Liszt/Concertos pour piano
Beatrice Berrut, Julien
Masmondet Aparté
R RR RR RR R — 4 Rolf Lislevand
(SONY)
Home
— — Haydn 2032, volume 6
5
Kian Soltani, Aaron Pilsan R RR R R
Deutsche Grammophon Giovanni Antonini
(ALPHA)
Nous aimons… R Un peu RR Beaucoup RRR Passionnément X Pas du tout — N’a pas écouté

24 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


T HÉÂTRE DE LA B ATTERIE • C ASINO DE B EAULIEU
R OTONDE L ENÔTRE

 %  :,7;
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ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE
M O N T E - C A R LO / M . K U LT YS H E V
:
photos

O RC H E ST R E D E C A N N E S - PAC A
V.JULIEN-LAFERRIERE • QUATUOR
DEBUSSY / F. MONNET • ORCHESTRE
PHILHARMONIQUE DE NICE / CH.SIEM
t a n g o
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PLANÈTE MUSIQUE I MÉDIAS
RADIO CLASSIQUE

À LA SOURCE
DE LA MUSIQUE

RADIO CLASSIQUE
Début juillet, notoriété et d’une popularité à
l’échelle nationale. C’est donc
la station installe tout naturellement que la radio
ses micros installe,cet été encore,ses micros
dans la superbe Grange au Lac
à la Grange dont on ne vantera jamais assez lefonctionnement de la radio. » Hagen, l’offre sera contrastée.
au Lac, lors des à la fois la poésie architecturale La programmation des émis- Sans oublier, exclusivité Radio
Rencontres et la splendeur acoustique. sions diffusées depuis Évian Classique, l’émission-concert
Les auditeurs fidèles pourront s’en trouvera évidemment du3 juilletà14hdepuislecasino,
Musicales d’Évian. assister en direct à la diffusion influencée par celle du festival: présentée par Olivier Bellamy,

A
des émissions de Laure Mézan, « L’objectif est de mettre l’audi- autour d’un programme de
lors que l’on ne Olivier Bellamy et Jean-Michel teur au cœur de la manifestation, musique de chambre. X
cesse d’annoncer Dhuez. Ce dernier délocalise d’une part, en décrivant les lieux, Sévag Tachdjian
un appauvrisse- pour la première fois « Le Plaisir l’atmosphère, et d’autre part, £ Rencontres Musicales d’Évian,
ment de l’offre du Classique » jusqu’aux rives en préparant des émissions qui du 30/06 au 7/07. Les émissions
culturelle,notam- du lac Léman avec un réel s’inscrivent dans la continuité de Radio Classique en direct
ment en matière de musique enthousiasme: « J’adorais assis- des concerts du soir. » et en public, de 15 h à 19 h, les 2,
classique, la renaissance des ter aux émissions de radio quand Des concerts d’une grande 3 et 4/07 à la Grange au Lac,
Rencontres Musicales d’Évian j’étais plus jeune, se souvient-il. variété, que les auditeurs pour- avec Jean-Michel Dhuez,
en 2014, et leur succès fulgu- Le ton est forcément différent ront suivre en direct. Du récital Olivier Bellamy et Laure Mézan.
rant, est une source de satisfac- lorsque les auditeurs sont physi- de piano de Nikolaï Lugansky £ Émission-concert gratuite
tion dont on aurait tort de se quement présents en face de dans un programme Debussy, au casino d’Évian le 3/07 à 14 h,
priver. D’autant plus que grâce nous. On est attentif à leurs réac- Chopin et Rachmaninov au présentée par Olivier Bellamy.
au partenariat avec Radio Clas- tions, on discute avec eux pen- concert symphonique de la Sin- £ Six concerts en direct
sique, le festival haut-savoyard dant la diffusion des morceaux, fonia Grange au Lac en passant du 30/06 au 7/07: le programme
a rapidement bénéficié d’une on répond à leurs questions sur par les Quatuors Modigliani et sur www.radioclassique.fr

3
3 JUILLET À 14 H
Émission-concert gratuite présentée par Olivier Bellamy
en direct du casino d’Évian, mêlant le Quatuor avec piano
de Fauré, le Quatuor à cordes de Borodine et la Sonate
pour violon d’Ysaÿe, par les violonistes Joseph Spacek,
Marc Bouchkov, Fanny Robilliard et Gregory Ahss,
le pianiste Matan Porat, ainsi que les altistes Lise Berthaud
Les
TODD ROSENBERG

et Grégoire Vecchioni.

7 JUILLET À 19 H 30
Concert de clôture des Rencontres Musicales d’Évian
avec la Sinfonia Grange au Lac, sous la direction d’Esa-Pekka

temps Salonen (photo), dans un programme allemand :


Métamorphoses de Richard Strauss et Symphonie « Héroïque »
de Beethoven en direct de la Grange au Lac.

24 AOÛT À 21 H

forts
26 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018
Petite Messe solennelle de Rossini dans sa version originale
pour douze chanteurs, par l’Ensemble Exosphère et le chef
Jean-Philippe Billmann depuis le Festival de Rocamadour.
SUR
LE WEB
Les grands concerts www.culturebox.
francetvinfo.fr
Z La Nonne sanglante
de Gounod, par
FRANCE MUSIQUE 22/07 À 20 H M. Spyres, V. Santoni,
Concerto pour la main gauche M. Lebègue, J. Teitgen,
5/07 À 20 H 30 de Ravel, Le Sacre du printemps Orch. Insula, dir.
Requiem de Berlioz, par Ch. de de Stravinsky, par B. Cha- L. Equilbey, ms. D. Bobée.
Enreg. à l’Opéra-Comique
l’Accademia S. Cecilia, Orch. mayou (piano), Orch. philh. de en 2018.
national de France, dir.V. Ger- Radio France, dir. S.-M. Rou- Z Boris Godounov
giev. En direct de Saint-Denis. vali. En direct de Montpellier. de Moussorgski, par
11/07 À 22 H 25/07 À 16 H I. Abdrazakov, A. Anger,
Ariane à Naxos de R. Strauss, Lohengrin de Wagner, par D. Golovnin, E. Nikitin,
Orch. de l’Opéra de
par L. Davidsen, E. Cutler, R.Alagna,A. Harteros (photo), Paris, dir. V. Jurowski,
S. Devieilhe, Orch. de Paris, dir. Orch. du Festival de Bayreuth, ms. I. van Hove. Enreg.
M. Albrecht, ms. K. Mitchell. dir. C. Thielemann, ms.Y. Sha- à Bastille en 2018.
En direct d’Aix-en-Provence. ron. En direct de Bayreuth.
concert.arte.tv/fr
13/07 À 19 H 30 12/08 À 21 H Z Sonates pour violon
L’Ange de feu de Prokofiev, Œuvres de Mompou, Schu- de Debussy et Ravel,
M. BORGGREVE
par A. Stundyte, S. Hendricks, mann, Grieg, Barber, par Pelléas et Mélisande
A. Popov, Orch. de Paris, dir. D. Trifonov (piano). En direct de Schoenberg, par
R. Capuçon (violon),
K. Ono, ms. M. Trelinski. En de La Roque d’Anthéron. Orch. philh. de Radio
direct d’Aix-en-Provence. 18/08 À 21 H France, dir. L. Shani.
17/07 À 21 H Israël en Égypte de Haendel, par Boieldieu, Massenet, par Enreg. à la Maison
Œuvres de Schubert, Brahms, le King’s Consort, dir. R. King. V. Gens (soprano), Y. Beuron de la Radio en 2018.
Chopin, Poulenc, par N. Goer- En direct de La Chaise-Dieu. (ténor), Orch. OSE !, dir. Z Concerto pour piano
n°3 de Prokofiev,
ner (piano). En direct de 24/08 À 21 H D. Kawka. En direct de la Côte- Symphonie n°5 de
Montpellier. Extraits d’opéras de Gounod, Saint-André. Tchaïkovski, par B. Rana
(piano), Orch. national
de France, dir. E. Krivine.
Enreg. à la Maison
de la Radio en 2018.

www.operavision
Orch. symph. de Berlin, dir. par M. Goerne, M. Peter, Z Les Troyens de Berlioz,
À LA TÉLÉVISION par E.-M. Westbroek,
T. Sokhiev. Enreg. en 2015. C. Karg,Orch.philh.deVienne, B. Hymel, Y. Naef,
FRANCE 2 11/07 À 22 H dir. C. Carydis, ms. L. Steier. J.-F. Lapointe, S. Droy,
14/07 À 20 H 55 Ariane à Naxos de R. Strauss, En direct de Salzbourg. Nederlands Philh.
« Le Concert de Paris », par par L. Davidsen, S. Devieilhe 5/08 À 18 H 20 Orch., dir. J. Nelson,
A.Garifullina, J. DiDonato, J.-F. (photo), Orch. de Paris, dir. Symphonie n°2 de Mahler, par ms. P. Audi. Enreg.
à Amsterdam en 2017.
Borras, M. Goerne, J. D. Flórez, M. Albrecht, ms. K. Mitchell. L. Crowe, B. Fink, Orch. philh. Z Norma de Bellini, par
R. Capuçon, K. Buniatishvili. En direct d’Aix-en-Provence. de Vienne, dir. A. Nelsons. M. Devia, C. Remigio,
En direct du Champ-de-Mars. 4/08 À 20 H 50 Enreg. à Salzbourg en 2018. S. Pop, L. Tittolo,
17/07 À 00 H La Flûte enchantée de Mozart, Orch. de la Fenice, dir.
R. Frizza, ms. K. Walker.
La Flûte enchantée de Mozart, MEZZO Enreg. à Venise en 2018.
par A.-C. Gillet, A. Zorzi, 21/07 À 20 H 30
M. Cassi, Orch. de l’Opéra de Saul de Haendel, par L. Crowe, www.medici.tv
Wallonie, dir. P. Arrivabeni, ms. S. Bevan, C. Purves, I. Davies, Z Lessons in Love and
C. Roussat et J. Lubek. Enreg. Orch. of the Age of Enlighten- Violence de Benjamin,
par S. Degout,
à Liège en 2016. ment, dir. I. Bolton, ms. B. Hannigan, G. Orendt,
14/08 À 00 H 45 B. Kosky. Enreg. à Glynde- P. Hoare, Orch. de Covent
Pages réalisées par Sévag Tachdjian

Les Fêtes vénitiennes de Cam- bourne en 2015. Garden, dir. G. Benjamin,


pra, par E. de Negri, M. Mauil- 27/07 À 20 H 30 ms. K. Mitchell. Enreg.
à Londres en 2018.
lon, C. Auvity, Les Arts floris- Concerti de Gondai, Paisiello, Z Carnet de voyage de
sants, dir. W. Christie, ms. Bruch, Rhapsodie de Rachma- Shor, Symphonie n°5
R. Carsen. Enreg. à l’Opéra- ninov, par V. Repin (violon), de Tchaïkovski, par
Comique en 2015. Y. Bashmet (alto), D. Matsuev N. Arghamanyan
(piano), D. Carpenter
(piano),A.Avital (mandoline), (alto), Orch. philh. de
ARTE Youth Symph. Orch. of Russia, Malte, dir. S. Smbatyan.
1er/07 À 18 H 30 dir. C. Vandelli. Enreg. à Sotchi Enreg. à Vienne en 2018.
SDP

Symphonie n°2 de Brahms par en 2017.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 27


26 août
16 septembre CONCERTS
2018 RÉCITALS
MASTER CLASSES
SAINT-JEAN-DE-LUZ
ANGLET
ASCAIN
BAYONNE
BIARRITZ
CIBOURE
SAINT-PÉE-SUR-NIVELLE
URRUGNE

© Dessin de Jean-Paul Chambas/ Collection Ville d'Anglet


22 septembre ~ 13 octobre
2018

Nicholas Angelich
e Natalie Dessay
35 ÉDITION Béatrice Uria Monzon
Katia et Marielle Labèque
Didier Sandre
Laurent de Wilde
Philippe Cassard
Henri Demarquette
Philippe Graffin
Miguel da Silva
WEEKEND IRLANDAIS
Ribeauvillé Jérôme Pernoo
Marie-Josèphe Jude
Alsace ˜ France Dmitri Makhtin
Fayçal Karoui
Robert Trevino
Hegiak
Orchestre symphonique d’Euskadi
Renseignements : Orchestre de Pau Pays de Béarn
Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine

03 89 58 97 75
(répondeur)
www.festivalravel.com
www.musiqueancienneribeauville.eu
L’HUMEUR
D’ALAIN DUAULT

Passé, avenir…

P
our clore cette saison,
comment ne pas déplo-
Les arbres ou à l’opéra, dans les livres, les revues,
tous ces lieux de passage. Nombre de
reruneétonnanteingra-
titude? Voici soixante-
dix ans exactement,
meurent sans figures, populaires ou plus confiden-
tielles, ont permis ainsi à tant d’être
touchés, émus, concernés, les Pierre
à l’été 1948, Gabriel
Dussurget créait le Festival d’Aix- qu’on se Dumayet ou Rolf Liebermann,
les Jacques Chancel ou Pierre Dux,

souvienne de
en-Provence en y offrant un opéra les Alain Decaux ou Claude Santelli,
de Mozart alors un peu mis de côté, tant d’autres… Ils ont su être des pas-
Cosí fan tutte.C’était le point de départ seurs de culture. Mais Apollinaire
d’une belle aventure qui rayonne
encore. On aurait pu penser que ceux qui les l’écrivait déjà: « Passons passons puis-
que tout passe / Je me retournerai sou-

avaient plantés
le festival actuel aurait eu envie de vent / Les souvenirs sont cors de chasse /
saluer la mémoire de son fondateur, Dont meurt le bruit parmi le vent. »
espérer par exemple que le prestigieux Tout passe,oui,comme le jour,la nuit,
Théâtre de l’Archevêché prenne à les saisons, la jeunesse, les certitudes.
cette occasion le nom de son fondateur, ou que soit imaginée L’eau du temps coule irrémédiablement et les arbres qu’elle a
toute autre forme de salut mémoriel à ce formidable inventeur. arrosés l’oublient. Et puis les arbres meurent sans qu’on se
Mais la mémoire s’efface aujourd’hui à la vitesse d’un tweet: souvienne de ceux qui les avaient plantés. Gabriel Dussurget a
Gabriel Dussurget est bien oublié. ensemencé le Festival d’Aix, d’autres ont poursuivi son geste
Bien sûr, il y aura encore, ce 30 juin à Aix, au Conservatoire et le festival dure, mais rien n’empêche de se souvenir. Ainsi
Darius-Milhaud, la remise du Prix Gabriel Dussurget qui a les responsables filent,dans la presse ou à la radio,à la télévision,
couronné ces dernières années aussi bien Stéphane Degout que dans les livres, dans les institutions, laissant des bouquets
Julie Fuchs, Sabine Devieilhe ou SonyaYoncheva. Cette année, de mémoire qu’on voudrait prolonger.
ce sera une jeune basse,Krzysztof Baczyk,auquel José van Dam, À l’Opéra de Paris par exemple, depuis l’arrivée de Stéphane
venu spécialement pour cela, remettra le prix. On entendra Lissner, la maison se porte bien, les spectacles font honneur à
quelques jeunes chanteurs et on assistera à la créa- sa réputation internationale (fût-ce ceux, icono-
tion du Magicien d’Aix par un compositeur qui clastes, qui suscitent polémique), les distributions
s’appelle (ça ne s’invente pas) Claudio Gabriele!… sont brillantes, les salles pleines. La logique serait
C’est l’Association des Amis de Gabriel Dussurget qu’il puisse y prolonger son action encore quelques
qui organise cet hommage: on eût aimé que le Fes- années. Mais, là encore, l’ingratitude oublieuse
tival d’Aix, à défaut d’en avoir eu l’initiative, risque de le pousser vers la sortie parce que des
au moins s’y associât… Mais l’ingratitude, petite règles tatillonnes élaborées pour d’autres temps ne
Retrouvez
sœur de l’oubli, règne en maîtresse amère dans pourraient être transgressées pour le bien public!
tant de lieux, et pas seulement en politique. ALAIN DUAULT OnespèrequeleprésidentdelaRépublique,homme
dans
Se souvient-on de tous ces inventeurs qui ont per- « Duault classique » de culture, saura faire fi de ces contraintes et peser
mis que s’épanouisse la culture sous des formes tous les jours, de son poids pour que l’excellence continue de
à partager, au théâtre ou à la télévision, à la radio de 17 h à 18 h régner à l’Opéra de Paris grâce à son directeur. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 29


UN AIR DE FAMILLE
Pères et fils, frères et sœurs… La musique serait-elle inscrite
dans les gènes ? En tout cas, elle est souvent affaire de famille.
Tous les mois, nous présentons le portrait d’un clan de musiciens.

Les Casadesus
UNE SYMPHONIE
FANTASTIQUE PAR ELSA FOTTORINO

J
’ignorais, de prime abord, qu’en me penchant sur la hauteur de la légende. « Quand j’ai voulu m’appeler Casadesus,
lignée des Casadesus, j’allais m’embarquer dans un mon père Jean-Claude m’a mise en garde. Il avait peur que ce ne
véritable jeu de piste. Impossible de savoir « qui » est soit un handicap. Quelque part, j’ai compris qu’il fallait le mériter,
« qui » sans passer par une étude détaillée de l’arbre ce nom », confie la soprano Caroline Casadesus.
généalogique : tout le monde ou presque a changé Justement, je suis allée à la rencontre de Jean-Claude dans son
de nom. Il y a ceux qui ont choisi de s’appeler Pascal domicile montmartrois. Ici se sont forgés les destins de plusieurs
en hommage au philosophe, ceux qui ont troqué leur nom de générations d’artistes. Perché au sixième étage, et offrant une
naissance pour Casadesus, ceux qui ont pris le nom de jeune fille vue panoramique sur Paris, l’appartement est flanqué d’un long
de leur mère, ceux qui s’appellent Probst, ceux qui font des ana- balcon filant qui communique avec celui de sa mère, l’actrice
grammes… Il y a les pianistes (Robert, Gaby, Jean, Thomas), Gisèle Casadesus, sociétaire de la Comédie-Française, décédée
les photographes (Sebastian Copeland), les compositeurs (Gréco à l’âge de cent trois ans. Ce lieu, elle y est née, elle y a passé sa vie.
Casadesus, Dominique Probst)… Heureusement, le site Internet
dédié à la famille est venu à ma rescousse. En cliquant sur l’arbre, ORIGINES CATALANES
j’ai vu s’afficher en toutes lettres « Les Casadesus. Profession : Faisons un saut dans le temps pour mieux saisir cette énigme
artiste ». Le patronyme Casadesus nourrit la fierté familiale dont généalogique. Luis Casadesus, comptable et typographe catalan
les membres rayonnent sur les arts depuis la fin du XIXe siècle. féru de violon, de guitare et de mandoline, a eu neuf enfants
Ceux qui le portent aujourd’hui ont le devoir de se hisser à la dont huit sont devenus musiciens professionnels. Parmi eux,
Henri, le grand-père de Jean-Claude et, donc, le père de Gisèle.
Henri occupait l’appartement qui est devenu celui de son petit-
fils. Ce fondateur de la Société des instruments anciens a même
joué devant Tolstoï, dont Jean-Claude conserve précieusement
la dédicace. Chez les Casadesus défilent alors les musiciens
du Tout-Paris. Notamment le chef d’orchestre Pierre Monteux
qui lui met un violon entre les mains à l’âge de quatre ans.
« Ils ont décrété avec mon grand-père que j’avais un sens du rythme
qui sans doute me conduirait à être chef d’orchestre. » La prophé-
tie s’est réalisée. Et Jean-Claude, né Probst, adopte le nom
PHOTOS: COLLECTION PRIVÉE

Casadesus en hommage à son grand-père : ce dernier souhaitait


qu’il se perpétue parmi les artistes de la famille.
Caroline épouse elle aussi un destin de musicienne. Mais sur
le tard. C’est seulement à l’âge de vingt-cinq ans qu’elle devient
chanteuse. « Je n’ai pas pris l’autoroute mais le chemin des noi-
settes », me dit-elle dans un ses sourires flamboyants qu’elle
La famille Casadesus presque au grand complet. distribue avec générosité tout au long de notre entretien. « Je me

30 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


suis accrochée comme une folle. Heu- À l’adolescence, les deux frères se
reusement, j’avais une très bonne cherchent un nom de scène. Pour
oreille. » Si elle a reçu un héritage l’état civil, ils sont Cohen-Séat.
musical « par imprégnation », elle n’a Sur une idée de Didier Lockwood,
pas eu d’éducation artistique structu- ils décident d’inverser les lettres
rée dans l’enfance, à regret. « Je me de leur nom. « Enhco, c’était cool,
suis acharnée à donner à mes enfants ça sonnait bien », déclare Thomas.
ce qui m’avait manqué. » David, Tho- « C’était comme une blague »,
mas et Mathilde se mettent à la ajoute David. Avec Caroline,
musique très tôt. Il arrive même à les quatre musiciens montent un spectacle : « Le Jazz
Caroline de faire elle-même les devoirs de l’aîné en imitant son et la Diva, opus II ». Il connaît un succès fou, la famille recom-
écriture pour qu’il puisse se consacrer davantage à sa trompette. posée sillonne sans répit les scènes de Paris et d’ailleurs.
La musique passe avant le reste. En Seine-et-Marne où ils vivent, Il est aussi arrivé à Caroline de partager la scène avec son père.
elle se démène pour trouver les meilleurs professeurs. Pour « Nos chemins ne se sont croisés que quand l’excellence était
Thomas, ce sera la pianiste Gisèle Magnan. Il ne pouvait pas au rendez-vous », souligne Jean-Claude. Cela m’énerve beaucoup
mieux tomber. de voir la presse parler de nous comme d’une “tribu” ou d’un “clan”.
Il n’y a jamais eu de népotisme dans la famille. »
L’ESPRIT DU JAZZ S’il a déjà monté des projets avec sa fille, c’est en 2012 qu’il lui offre
Si la cadette, Mathilde, a rangé son violoncelle pour creuser son un grand rôle,celui de LaVoix humaine de Poulenc avec l’Orchestre
sillon sur les pistes équestres, David et Thomas deviennent deux national de Lille qu’il dirige.« J’avais un trac fou! m’avoue Caroline.
excellents jazzmen. Le premier, trompettiste, a fondé son jazz Et je crois que mon père aussi… » Plus récemment, Thomas a joué
band (The Amazing Keystone Big Band), tandis que le second le Concerto en sol de Ravel sous la direction de son grand-père qui
réalise une brillante carrière de pianiste, à la croisée du classique se dit « très fier d’avoir des petits-enfants aussi doués ».
et du jazz. « Ma mère nous a énormément structurés. Mais en ce Dans les familles d’artistes, il faut savoir se faire un prénom. « C’est
qui concerne le jazz, on doit tout à Didier Lockwood », reconnaît génial de grandir en ayant cette ouverture sur le monde. J’ai toujours
Thomas. Le célèbre violoniste, décédé en février dernier, s’était fait de la musique avec les copains ou en famille. Mais quand on passe
épris il y a plus de vingt ans de Caroline, cette rousse incendiaire à la vitesse supérieure, il faut faire deux fois plus ses preuves », affirme
au charme britannique. Le jazz entrait alors dans leur vie. Didier David. Pour autant, les plus jeunes n’ont pas grandi dans la sanc-
Lockwood met une trompette entre les mains de David (six ans), tuarisation du mythe familial. « J’ai attendu l’âge de dix-huit ans
un violon dans celles de Thomas (quatre ans) et la vie devient pour écouter un disque de Robert Casadesus », révèle Thomas, qui
alors une joyeuse improvisation. « J’ai l’image d’une enfance très comme son frère,nourrit une reconnaissance sans réserve vis-à-vis
bohème », se souvient Thomas. Didier expérimente ses méthodes de celui qui les a lancés, Didier Lockwood. Thomas vient d’ailleurs
pédagogiques sur les deux frères. « Nous étions ses cobayes avant dereprendreleflambeauetenseigneleviolonàl’écoledeDammarie-
qu’il ouvre son école de musique à Dammarie-les-Lys », se rappelle les-Lys. L’héritage, ce n’est pas qu’une question de gènes. X
David. Tous deux y feront leurs classes.
Mais, surtout, Didier les convie régulièrement sur scène dès leur
plus jeune âge. « La première fois qu’il m’a invité à jouer du violon
tout seul avec lui, j’avais neuf ans. C’était au Festival d’Antibes
Actualités
Juan-les-Pins ! Un truc énorme. Il savait que ça me faisait complè- £ 24 juillet: Caroline Casadesus, La Voix humaine de Poulenc, Lacoste (84)
tement rêver. Il représentait un modèle total pour moi. Jusqu’à £ 25 juillet:Thomas Enhco,Festival Radio France Occitanie Montpellier (34)
l’âge de quinze ou seize ans, j’étais persuadé qu’il n’y avait rien de £ 30 juillet : David Enhco, Duc des Lombards (75)
mieux que Didier Lockwood », se remémore Thomas.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 31


ESPACE GARTEMPE
MONTMORILLON(86)
23 — 25 août 2018
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des Lumières

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violoncelle
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clarinette
jean delesc use
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création graphique > © mathieu desailly / www.lejardingraphique.com / prise de vue © nicolas joubard
visuel à partir des créations du collectif tout/reste/à/faire / licences 1-1062367 2-1063642 3-1062368
À VOIX HAUTE
PAR BENOÎT DUTEURTRE

La mémoire au Kärcher
C
’est l’un de ces petits actes de vandalisme ordi- de la société Fimalac, ont préféré simplifier le décor en blan-
naire qui, mine de rien, transforment un lieu chissant tout. Quant à la Ville de Paris, elle ne semble s’intéres-
sous prétexte de le restaurer. À Paris, sur le fron- ser à son patrimoine musical que pour y imprimer ses exigences
ton du Théâtre Marigny, un des plus jolis de morales: ainsi lorsqu’elle faillit annuler la pose d’une plaque
la capitale en son jardin des Champs-Élysées, à la gloire de Dutilleux supposément « collabo » ou lorsqu’elle a
l’architecte chargé de la rénovation vient d’effa- débaptisé le collègeVincent-d’Indy,coupable d’avoir appartenu
cer les noms des compositeurs qui avaient fait la gloire du lieu: à l’Action française! On cherche en revanche les efforts accom-
certains fort oubliés comme Paul Lacôme,ami plis pour mettre en lumière l’épopée musicale
de Chabrier ; d’autres plus célèbres comme
Hervé, l’inventeur de l’opérette, ou Audran
dont La Mascotte soulevait l’enthousiasme de
Marigny populaire de cette cité où fut inventée l’opérette,
mais où il n’y a plus un seul théâtre d’opérette;
où l’accordéon atteignit des sommets artis-
Nietzsche –,mais surtout Offenbach lui-même
qui surplombait l’entrée du théâtre en lettres
gravées.C’est en effet à cet emplacement précis
sans ses tiques,mais où il n’existe pas un lieu pour célé-
brer cette tradition; où le music-hall fut le plus
brillant du monde, mais où il n’existe pas
que le génial musicien avait ouvert ses pre-
miers Bouffes Parisiens et mis au point une maîtres même un vrai musée de la chanson.
Les passionnés peuvent compter sur les efforts
fantaisie musicale dont l’influence allait de l’Opéra-Comique ou de l’Athénée qui
s’étendre dans le monde entier, fécondant l’opérette viennoise, accueillait ce printemps Les P’tites Michu de Messager. Mais,
l’opérette anglaise, mais aussi la comédie musicale américaine. pour ceux qui aiment l’esprit de Paris, le mieux est désormais
Ironie du sort, la direction du nouveau Marigny vient d’être de filer du côté de la Méditerranée où quelques villes sauvent
confiée à Jean-Luc Choplin, ancien directeur du Châtelet et l’honneur en faisant revivre un répertoire délaissé. Marseille,
fou de spectacle musical… On espère qu’il n’a pas approuvé d’abord, où le théâtre Odéon reste la dernière scène perma-
l’éradication de ces glorieux maîtres de la fin du xixe siècle qui nente à proposer une vraie saison d’opérette sous l’égide de
mériteraient de trouver une place dans sa programmation Maurice Xiberras,directeur de l’Opéra (on y retrouvera au cours
auprès des spectacles chantants qu’il produit avec bonheur! de la saison prochaine Lecocq,Hervé,Offenbach ou Marguerite
Un raisonnement simpliste ne manquerait certes pas de nous Monnot).Mais aussi Montpellier où le Festival de Radio France,
rétorquer qu’il est impossible de tout conserver, et que mieux à l’initiative de Jean-Pierre Rousseau,propose en ce début d’été
vaut effacer les noms d’artistes oubliés… comme s’ils risquaient une superbe programmation intitulée « Douce France » :
d’indisposer la clientèle branchée! Mais n’est ce pas précisément l’occasion d’applaudir une Périchole dirigée par Minkowski,
le rôle des monuments que de maintenir ces pans de redécouvrir l’opéra Kassya de Léo Delibes
de mémoire qui aiguisent notre curiosité? Voilà et quantité de chefs-d’œuvre instrumentaux et
ce que nous faisons en admirant la décoration du BENOÎT orchestraux, sans oublier les trésors de la chanson
palais Garnier et en nous demandant pourquoi DUTEURTRE française. « Ça, c’est Paris! », même loin de Paris,
Auber, Halévy ou Meyerbeer y font jeu égal avec est écrivain. tandis que Paris ponce ses murs et gomme
Mozart,Beethoven et Rossini.De même à Marigny, son dernier ouvrage, un passé ringard ! À moins que cette opération
l’édification du bâtiment actuel en 1894, puis sa La Mort ne soit une fâcheuse bévue… que M.Marc Ladreit
rénovation en 1925 avaient mis à l’honneur de Fernand Ochsé, de Lacharrière, président de Fimalac, rectifiera
quelques figures de l’histoire théâtrale.En 2018,les est paru sans délai en rendant leur place aux compositeurs
responsables de cet établissement, sous la houlette chez Fayard. sur les frontons du Théâtre Marigny. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 33


LES CAHIERS D’ÉTÉ I JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018
Dossier réalisé par Clément Serrano

Isère, Haute-Savoie, Luberon, Alpes-Maritimes

Reliefs et variations Lacoste, danseurs et pianiste se


réuniront dos à do pour un pro-
gramme empreint d’osmose et
de métaphysique, sur des notes
de Janácek, Berio, Chopin…
(25). Enfin, la manifestation
s’achèvera sur un hit de Rossini,
la Petite Messe solennelle (8/08),
avec le chef Samuel Coquard et
le Chœur Asmarã.
Les amateurs de quatuors trou-
veront, quant à eux, leur bon-
heur au Festival international
de Quatuors à cordes du Lubé-
ron:QuatuorÉbène(17,19/08),
Quatuor Zemlinsky (18, 20),
Quatuor Béla (23,25),Quatuor
Debussy(26,28),QuatuorZaïde
(30 et 1er/09). Sans oublier, au
Festival de Saint-Paul-de-Vence
(21 au 31/07, photo), la parti-
cipation, autour du Quatuor
Modigliani, de Michel Dal-
berto, Seong-Jin Cho, Richard
Galliano, Jakub Józef Orlinski,
SDP

Victor Julien-Laferrière et
Gérard Caussé (voir p. 84).
Cette année, côté festivals, ce n’est pas morne plaine, Vents du Nord et mers du Sud
communieront à La Côte-
avec de nombreuses rencontres au sommet. Saint-André pour célébrer
ensemble la nouvelle mouture

A
du Festival Berlioz, baptisée
ux abords de la majeur K. 136, version pour Leonardo García Alarcón, aux cette année « Sacré Berlioz! ».
Chartreuse et du violon et violoncelle de la Sym- côtés de la Cappella Mediter- Au programme, le Requiem de
Vercors se tiendra phonie concertante K. 364 – et ranea, avec un périple à Venise Berlioz offert par François-
la 54e édition du inaugurée, comme il se doit, (Seythenex, 27), et Alexandre Xavier Roth (21/08), des mélo-
Festival internatio- par la Sinfonia « La Veneziana » Kantorow qui voyagera en Rus- dies du (Grand) Nord interpré-
nal de Musique de d’un certain Salieri… Direction sie (Viuz-la-Chiésaz, 10/08). tées par Simone Lamsma (22)
chambre du Prieuré de Chirens assurée par Alexandre Sos- et quelques « Méditerranées
(Isère) : elle accueillera cette novsky (28/07). musicales » de Berlioz propo-
année le Trio Messiaen (14/07), À 80 kilomètres et 1000 mètres TEXTOS INTERDITS sées par sir John Eliot Gardiner
le duo Claire Désert et Pascal d’altitude plus haut, François- Sur le massif du Luberon, et l’Orchestre révolutionnaire
Moraguès (21), le Quatuor René Duchâble donnera, en les Musicales feront la guerre et romantique (31). X
Takács (4/08), le Quintette à compagnie du Praga Camerata, aux SMS avec le spectacle lyri- En savoir plus :
cordes de la Philharmonie de un concert Beethoven pour le que « Correspondance(s): à bas £ www.prieuredechirens.fr
Berlin(5)etleQuatuorJohannes 20e anniversaire du Festival le SMS » de Nadine Duffaut £ www.musiqueetnature.fr
(10). Notons également la pré- Musique & Nature en Bauges (21/07). En dignes défenseurs £ www.musicalesluberon.fr
sence de l’Orchestre à cordes de (17, 18/07). À ce road trip festif de ces jeux épistolaires : Ludi- £ www.quatuors-luberon.org
Minsk pour une soirée consa- se joindront aussi les Chœurs vine Gombert, Julien Dran, £ www.festivalsaintpaul
crée à Mozart – Adagio et fugue de l’ar mée fr ançaise et Fiona McGown et Célia Oneto devence.com
K. 546, Divertissement en ré Sequenza 9.3 (Doussard, 20), Bensaid. Dans les carrières de £ www.festivalberlioz.com

34 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Vendée, Morbihan
Bolée d’airs frais
Nord, Aisne
I
l y en aura pour tous les goûts

Dans le nord
à l’ouest! À commencer par
la 20e édition des Nuits Musi-
cales en Vendée romane et son

coule la scène
ouverture « Gospel et Negros
Spirituals » (Joniece Jamison et
Pascal Liberge,12/07).Suivront

SDP
un programme « Musiques du
monde » par l’ensemble Quai
n°5 (30) et des récitals de Pascal à Dinan prendra, quant à lui,
Amoyel (6/08) et de Thibault ses quartiers au Théâtre des
Cauvin (9, photo). Jacobins, en compagnie entre
Au pays de Vannes, Les Musi- autres de Shani Diluka (5/08),
cales du Golfe verront se réunir duTrioCasadesus(7)etdu Duo
pianistes et quatuors de haute Ochi-Daverio (11). X
tenue avec Éric Le Sage (31/07), En savoir plus :
Jean-Paul Gasparian (1er/08), le £ www.festival-vendee.com
Quatuor Manfred (3), le Qua- £ www.francefestivals.com
tuorZahir(7)etleQuatuor Fine £ www.ete-musical-dinan.fr/
Arts (13). Le festival Été musical programmation-2018
JULIA WESLEY

Sarthe, Indre, Vendée


Dans les Hauts-de-France, la musique
creuse son lit entre Cambrai et Laon. Joyaux de la Loire
(25). Dans l’Indre, Les Musicales

L
ascèneprendrasasource (18/08), le duo Mercier et Lor- de Saint-Genou se plieront avec
dans le Cambrésis où tie (20), Khatia Buniatishvili grâce à l’art des mots.On y enten-
la 3e édition des Ren- (21,photo) et Boris Berezovsky draleConcertimpromptu(21/07),
contres Musicales de (22). Enfin, elle se jettera dans l’Ensemble Boréale (22), le RP
J. QIN - J. GAZEAU

Cambrai célébrera en le Festival de Laon : Concerto Quartet (26) et une soirée « Musi-
ouverture le centenaire de pour piano n°2 de Brahms par que et littérature » (5/08).
Bernstein avec le Quatuor Face Adam Laloum (22/09),Sonates Les Arts Florissants, quant à
à Face (5/07), suivi de la ren- de Beethoven par Renaud eux, cultiveront leur talent lors
contre Alain Duault et David Capuçon et Kit Armstrong (29, de la 7e édition du festival Dans

C
Bismuth autour de la figure de 30), Symphonie « Du Nouveau haos et calme inspireront les jardins de William Christie
Beethoven (6), de mélodies à Monde » de Dvorák par Chris- la 40e édition du Festival (photo), avec L’Orfeo de Monte-
la française par le Quatuor 212 tian Arming (7/10), Symphonie de Sablé. S’y déchaîneront verdi (25, 26/08), Répons de
(10) et de swings américains n°1 de Mahler par François- Les Éléments de Rebel par Justin Gesualdo(27,29)ouTheBeggar’s
par Pierre Génisson (11). Puis Xavier Roth (19)… X Taylor, le Lachrimae de Dowland Opera de Gay (31 et 1er/09). X
elle suivra son cours au Touquet En savoir plus : par Romina Lischka et Il Terre- En savoir plus :
Paris-Plage avec la 10e édition £ www.lesmusicales-cambrai.fr moto de Draghi par le Poème Har- £ www.lentracte-sable.fr
des Pianos Folies où se succé- £ www.lespianosfolies.com monique (22/08), puis Bach et £ www.valdelindrebrenne.com
deront Andreï Korobeinikov £ www.festival-laon.fr Telemann par l’ensemble Amarillis £ www.arts-florissants.com

L’inspiration à son point d’orgue


O
livier Vernet (8/07), Eberhard Le Fantôme de l’Opéra de Rupert (21/07), Hendrik Burkard (11/08)
Lauer (15), Benjamin Righetti Julian (12,photo).Écho d’Orgues en et Thierry Escaich (14) insuffleront
(22) et Mami Sakato (19/08) Normandie donnera de la voix avec tout leur art à la musique française. X
mettront leur touche à la 13e édition « Orgue et hip-hop » (17/07),« Orgue En savoir plus :
du Festival d’Orgue de Monaco. Au et harpe » (24) et « Orgue et flûte £ www.festivalorguemonaco.com
menu,Couperin,Bach et une impro- traversière » (31). Au Festival du £ Page Facebook d'Echo d'orgues
SDP

visation de David Cassan sur le film Comminges, Elisabeth Amalric £ www.festival-du-comminges.com

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 35


LES CAHIERS D’ÉTÉ
JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

Saint-Ursanne, Besançon

Boucles
musicales

OSCAR VAZQUEZ
En Suisse ou en Franche-Comté, le Doubs
nous entraîne dans des méandres de notes. Paris, Pontoise
Sacrées fugues
L
ors de sa 33e édition, le fes- Ho & friends (28, 29/09),
tival Musique en l’Ile met- les Vêpres à la Vierge de Monte-
tra en notes un peu de verdi par la compagnie La Tem-
Corse, beaucoup de Russie et pête (9/10), les Concertos
pas mal de sacré: Trio Sarocchi brandebourgeois de Bach par
et Ensemble Marani (8/07), l’Ensemble Le Caravansérail
Vincent Rigot et Ienissei Ramic (14) et des Folias italiennes par
(22), les Nouvelles Voix de la violoniste Amandine Beyer
Saint-Pétersbourg (29), Jean- (photo) et Gli Incogniti (20). X
Paul Poletti et le Chœur En savoir plus :
d’hommes de Sartène (15/08). £ https://www.infoconcert.com/
Au Festival baroque de Pon- festival/musique-en-lile-6181/
toise, Les Nations de Couperin concerts.html
FESTIVAL SAINT-URSANNE

seront interprétées par Jean-Luc £ www.festivalbaroque-pontoise.fr

Dordogne, Corrèze
À pied d’œuvre
P
as moins d’une ving- Au Festival international de

C
taine d’artistes seront musique Besançon Franche- ette année,le thème du Festi- la Fondation Safran » (19, 20). Côté
à l’affiche du festival Comté, l’accent sera mis sur val du Périgord Noir est dédié baroque, Sinfonia en Périgord signe
Piano à Saint-Ursanne l’éclectisme : musique fran- auconceptlisztiendela« pen- lerendez-vousdesensembles:LaFugi-
(photo) et, avec eux, çaiseparl’HarmoniedelaGarde sée visible »aveclesciné-concerts de tive(27/08),Pulcinella(29),Masques
deux cartes blanches (Alexan- républicaine (7/09), les Vêpres Karol Befa (7, 8/08, photo), Il Trionfo (30) ou Vedado Musica (1er/09).
draConunova,3,4/08),unenoc- de Rachmaninov par la com- del Tempo e del Disinganno de Haen- En Corrèze, la 38e édition du Festival
turne (« La Nuit du concerto », pagnie La Tempête (10), plu- del par Iñaki Encina Oyón (10 au 20), delaVézèreseramarquéeparlavenue
7), une entrée libre (soirée sieurs grands classiques l’instant Boris Vian par l’HEMU Jazz du violoniste Nemanja Radulovic
jeunes artistes,11) et un instant – le Boléro de Ravel, la Sara- OrchestradeLausanne(12)etlessoi- (5/07) et de la trompettiste Lucienne
évasion (Beethoven par Gio- bande de Haendel, Dans rées « Carte blanche au Concours de Renaudin Vary (21/08). Côté poésie,
vanni Bellucci, 11). Notons l’antre du roi de la montagne Genève » et « Lauréats 2018 de le pianiste Iddo Bar-Shaï accompa-
également la présence de de Grieg, Mars de Holst… – gnera l’ombromane Philippe Beau
Michel Dalberto qui interpré- revisités par des instruments pour un « Couperin en noir et blanc »
tera des pièces de Franck, Bee- électriques (14) et quelques (12/07). Sans oublier le week-end
thoven,Schumann et Ravel (2), airs de jazz et de musiques du opéraavec L’Enlèvementausérail(10,
de Philippe Bianconi, invité monde joués par des collectifs 12)etLaChauve-Souris(11),tous deux
spécial de la manifestation (6), internationaux – African Salsa dirigés par Bryan Evans. X
ASTRID DI CROLLALANZA

de François Dumont, en duo Orchestra (7) et Las Herma- En savoir plus :


avec la violoncelliste Estelle nas Caronni (15). X £ https://www.festivalmusique
Revaz (8), et de Nelson Goer- En savoir plus : perigordnoir.com
ner dans un programme Schu- £ www.crescendo-jura.ch £ www.sinfonia-en-perigord.com
bert, Brahms et Debussy (10). £ www.festival-besancon.com £ www.festival-vezere.com

36 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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Mécène principal
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3BD6E<GDHE:E>DH=GHHGF;CG
Bouches-du-Rhône, Haute-Provence, Alpes-Maritimes
Au doux chant
des cigales
U
n premier grand couplet
sera consacré au Festival
de La Roque d’Anthéron
où l’on entendra entre autres
Eliane Reyes (24/07),Jean Ron-
deau (25), Pierre Hantaï (27),
Maria João Pires (28, 29),
Víkingur Ólafsson (30),Kotaro

ERIC DAHAN / DECCA


Fukuma (5/08), Lucas Debar-
gue (7), Nelson Freire (11,
photo), Gidon Kremer (11) et
Aimi Kobayashi (12).
En Haute-Provence, les Ren-
contres Musicales Estivales connaissent le refrain, à com-
feront rimer leur programma- mencer par la soprano Emöke
tion avec des instruments à Baráth et le contre-ténor Phi-
cordes (20 au 28/07): Bocche- lippe Jaroussky (28/07), Chris-
CASTANET

rini, Fauré, Chostakovitch, tophe Rousset et les Talens


Murail, Brahms, Biber… Lyriques (31), Isabelle Faust
À Salon-de-Provence,le Festival (8/08), Elisabeth Leonskaja et
international de Musique de le Quatuor Signum (10) ou
Aveyron, Aude, Lot, Haute-Garonne chambre donnera la parole encore Lars Vogt et le Royal

Balades
entre autres au Quatuor Van Northern Sinfonia (11). X
Kuijk (30/07), à Geoffroy Cou- En savoir plus :
teau (31), Michel Portal (31), £ www.festival-piano.com/fr

occitanes
Claudio Bohórquez (2/08) et £ www.rmhp.fr
Emmanuel Pahud (8). £ www.festival-salon.fr/fr
Au Festival de Musique de £ www.festival-musique-
Menton, les grands interprètes menton.fr
De Rocamadour à Toulouse, le Sud-Ouest
explore tous les répertoires. Normandie, Alsace, Oise
Pourune
E
mblème de la musique (5/08), le Quatuor Erell (19)…
sacrée par excellence, Dans le département du Lot,

rentrée
le Festival de l’abbaye de le Festival de Rocamadour
Sylvanès (photo) a tou- cheminera dans la joie : Dixit
jours su, au fil de ses Dominus de Haendel par Marc
nombreuses éditions, concilier
l’amour de la tradition avec
la découverte de nouveaux
Minkowski et Les Musiciens
du Louvre (5/08) en ouverture
et Messe en si mineur de Bach
enfanfare
S
répertoires. Une fois de plus, par Vox Luminis (15). i l’été s’achève, la musique
l’année 2018 ne dérogera pas à À Toulouse, le festival Piano perdure! En Normandie,le fes-
SDP

la règle: Stabat Mater de Pergo- aux Jacobins ne restera pas non tival Septembre musical sur
lèse (14/07),Requiem pour deux plus cloitré. Parmi ses invités l’Ornefourniraàvosoreillesundépay-
sopranos et orgue de Huillet (15), de marque: Joaquín Achúcarro sementprolongé,duQuintetteàvents Clermont présenteront Albéric
cantate Saint Nicolas de Britten (5/09), Ishay Shaer (7), Nicolas Ouranos (14/09) à Augustin Dumay Magnard, le « Bruckner français »,
(22) et rhythm’n’blues par les Horvath (8), Sergei Babayan (29,photo),toutenpassantparOfen- l’Octuor de Schubert (23/09) et des
Como Mamas (29). (11), Alexandre Tharaud (12) bach (15) et Les Chanteurs d’Oiseaux Cantates de Haendel (13/10). X
Dans le département de l’Aude, et Teo Gheorghiu (13). X (5/10).EnAlsace,le Festival de musi- En savoir plus :
la 19e édition des Théophanies En savoir plus : que ancienne de Ribeauvillé propo- £ www.septembre-musical.com
se promènera aux côtés de jeu- £ www.sylvanes.com sera un week-end irlandais (6, 7/10) £ www.musiqueancienne
nes artistes: Constant Despres £ www.les-theophanies.org avec conte musical et chansons tra- ribeauville.eu
au piano (21/07), Valentin £ www.rocamadourfestival.com ditionnelles par Vincent Inchin- £ www.rencontresmusicales.
Tournet à la viole de gambe £ www.pianojacobins.com golo. Les Rencontres Musicales de clermont-oise.fr

38 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Cévennes, Paris

Le temps
d’un week-end

SDP
Des causses au parc de Bagatelle, des chœurs Bretagne, Normandie
au piano, en passant par la musique tzigane.
Cap à l’ouest
E
n Bretagne, la 29e édition de l’Abbaye de Lessay s’ouvri-
du Festival international de ront avec Laurence Equilbey et
Dinard accueillera, entre l’Insula Orchestra (24/07).Puis
autres, l’Histoire de Babar, le un concert Berlioz par l’Or-
petit éléphant de Poulenc et Ma chestre régional de Norman-
mère l’Oye de Ravel (8/08), un die, Catherine Trottmann,
concert lecture de Madame mezzo-soprano et Adrien
Pylinska et le secret de Chopin Tournier, altiste (27). Une soi-
d’Éric-Emmanuel Schmitt par rée avec l’Akademie für Alte
lui-même (10) ainsi qu’un Musik Berlin et la violoniste
concert à deux pianos avec des Isabelle Faust (14/08), le
œuvres de Debussy, interpré- Requiem de Fauré et Les Litanies
tées par François Chaplin et à la Vierge noire de Poulenc par
ELIAS S.

Marie-Josèphe Jude (14). À Mathieu Romano,Les Siècles et


noter également, les concerts l’Ensemble Aedes (17) X

P
our sa 3e édition, le fes- une importance accordée à de trois jeunes talents : Kenji En savoir plus :
tival Les Romanesques la carte blanche. Les artistes Miura, Ragaa Eldin (7) et £ www.festival-music-dinard.com
se déroulera pendant concernés seront Lise de la Sergeï Pchelin (12). En Nor- £ www.heuresmusicales
le dernier week-end Salle (1/09), François Chaplin mandie, les Heures musicales delessay.com
d’août avec balades (8), Jean-François Heisser (15)
champêtres et paysannerie et François-Frédéric Guy (16).
dans les Cévennes, mais aussi
et surtout avec le Requiem de
Des concerts-tremplins seront
également proposés au cours Lozère, Pays basque
Mozart par l’ensemble baroque
Arianna et le chœur Ars Voca-
lis (25/08). Le dimanche sera
de ces week-ends : un récital
ibérique par Nathanaël Gouin
(2) et un récital à dominante
Jouer la carte du sud
L
dédié à la forme libre : Duo wagnérienne par Gaspard e5e Festivald’OpéraduGrandsudproposeDonQuichottedeMassenet(6/08).
Micha pour la musique tzi- Dehaene (9).Notons également Ilseraprécédédedeuxsoiréestango(26,27/07)etdemélodies« donquichot-
gane, Susanna Sheiman et le le récital de Jean-Paul Gaspa- tesques » (31).Côté basque,le Festival Ravel invite à sa traditionnelle « Messe
Swing Ambassadors Septet rian (2) et celui d’Anastasya des corsaires » (26/08), suivie d’un hommage à Thelonious Monk par Laurent de
pour le jazz. Les week-ends de Terenkova (9). X Wilde(28),un« matchallerDebussy-Ravel »parPhilippeCassard(29),les« Miroirsde
septembre seront consacrés En savoir plus : Faust »avecBéatriceUriaMonzon(2/09),etuneviréeaveclessœurs Labèque (14). X
au festival Solistes à Bagatelle £ www.lesromanesques.fr En savoir plus : £ www.festivaldoperadugrandsud.fr
(Paris) avec pour 18e édition £ ars-mobilis.fr £ www.festivalravel.fr

C'EST DANS L’AIR…


70e FESTIVAL FESTIVAL DE GSTAAD MENUHIN
D’AIX-EN-PROVENCE MONTPELLIER FESTIVAL
Du 4 au 24 juillet Du 9 au 27 juillet 13 juillet au 1er sept.
P. VICTOR

Ariane à Naxos, La Flûte La Périchole ou Chopin? András Schif, les King Singers,
SDP

SDP

enchantée, L’Ange de feu, le Trio Zadig ou Michel Philippe Jaroussky, Rudolf


Didon et Énée: Bernard Dalberto? Issé de Destouches Buchbinder et tant d’autres:
Foccroulle lance un feu ou tout Scarlatti au clavecin? le Festival de Gstaad propose
d’artifice pour sa dernière Terre d’aventures musicales, un mois et demi de concerts
édition à la tête du festival. Montpellier vous tend les bras! éblouissants. Vertigineuse Suisse!

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 39


ON A VU

Lully, Roi-Soleil
de Versailles
LE PHAÉTON DE BENJAMIN LAZAR ET VINCENT DUMESTRE, FORTS DE DEUX
DÉCENNIES DE COMPLICITÉ LULLYSTE, A RAYONNÉ GRÂCE À UNE DISTRIBUTION
FLAMBOYANTE ET UNE SCÉNOGRAPHIE ÉBLOUISSANTE.

ANDREY CHUNTOMOV

O
n s’impatientait tableau de Poussin.Lazar comme des doigts transmet sans peine À Victoire Bunel et Léa Trom-
d’entendre le sa consœur Louise Moaty, une émotion universelle.Les cou- menschlager reviennent les des-
Surintendant les pionniers de la reconstitution lants duos retrouvent cette puis- sus tendres, nombreux et incar-
dialoguer à nou- radicale, optent désormais pour sance particulière de la parole nés. Lisandro Abadie, racé,
veau avec Benja- une esthétique de super-8 et de dansée qui provoqua tant animal, incarne quant à lui
min Lazar et zapping vidéo.Ainsi l’« Âge d’or » d’émoi dans l’Atys de Villégier. la détresse d’Epaphus.
Vincent Dumestre,les artisans du chanté au Prologue est celui de La distribution, mi-russe, MusicAeterna joue sans faillir,
Bourgeois et de Cadmus. Phaéton notre enfance, abîmée. Cet exil mi-française, pouvait buter sur le continuo du Poème Har-
est une pure tragédie. Pas de des images voulu par le scéno- la prononciation à l’ancienne. monique irradie. La danse
happy end, mais un cataclysme, graphe Mathieu Lorry-Dupuy a Mais, surligné par l’emphase, des sons est irréprochable.
chose rare chez Lully.ÀVersailles, des propositions éblouissantes, les mots frappent partout clair. Cette fosse ne convainc pour-
ce spectacle, coproduit avec comme le sol de la scène réverbé- Elizaveta Sveshnikova leur prête tant pas. Il y manque une assise
le Théâtre de Perm et les équipes rant ses lumières au plafond de un soprano séducteur. Eva Zaï- de bois et de vents. On a compté
de Teodor Currentzis, a décon- Durameau.Le baroque n’est plus cik est une pharaonne trou- quatorze cordes, pincées ou
certé. Nul ne descend plus d’un à exhiber,il est intériorisé.Celui-ci blante. La palme du mieux- frottées, pour quatre pupitres
garde son âme d’art intime en disant revient à Cyril Auvity. de bassons, flûtes et hautbois.
PHAÉTON DE LULLY, même temps que total. Mathias Vidal joue plutôt Un déséquilibre de couleurs que
Versailles, Opéra royal, L’éloquence des corps jus- la carte tenorino pour camper Lully n’aurait pas cautionné. X
le 1er juin qu’au bout des mots comme le capricieux fils d’Apollon. Vincent Borel

40 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Elle SAMSON ET DALILA
Roberto Alagna impérial,

et lui
Marie-Nicole Lemieux
tout en nuances, Laurent
Naouri racé, Mikhail
Tatarnikov mobile à la tête
UN COUPLÉ du National et des
GAGNANT Chœurs de Radio France:
éblouissementque

L
e couple est à la fête dans le chef-d’œuvre de
ce diptyque sur les vicis- Saint-Saëns en version

ELISABETH DE SAUVERZAC
situdes de l’amour. Créé de concert (Paris,
en 2018, Manga-Café, opéra en TCE, 12/06)!
un acte de Pascal Zavaro, se foca-
lise sur un jeune geek qui, après RADU LUPU
être intervenu dans le métro À soixante-douze ans,
pour sauver une jeune femme le pianiste épate encore
importunée, tente de vaincre par la rondeur de sa
sa timidité pour la conquérir. aborder l’ultra-contemporaine face à son épouse aliénée, Eléo- sonorité et l’égalité de son
Ce héros timoré est joué avec solitude des réseaux sociaux. nore Pancrazi, dont la voix qui toucher. On quitte la salle
éclat par une mezzo travestie, Puis surgit la déflagration Trouble peut tout est soutenue par un défait, ému aux larmes
Eléonore Pancrazi, qui se in Tahiti, continuum de swing talent d’actrice extravertie.Julien par ses Schubert emplis
confronte aux vertiges de l’éros ironique de Bernstein qui Masmondet insuffle à l’ensemble de tendresse (Paris,
suscités par la soprano Morgane emporte tout sur son passage, Les Apaches un impeccable sens Philharmonie, 11/06).
Heyse, une belle découverte. exploration cinglante de la psy- du rythme. La mise en scène de
L’œuvre, vive et altière, cite toute ché d’un couple américain en Catherine Dune, mouvante et MAXIME PASCAL
une tradition lyrique française déréliction. Laurent Deleuil légère, valorise les fluctuations Le chef français fait
et synthétise un prestigieux campe avec justesse Sam, très mentales de ces couples inutiles des débuts éclatants
passé musical enfoui pour satisfait de sa réussite matérielle, et incertains. X Romaric Gergorin à l’Opéra de Paris, joignant
la précision à l’urgence
MANGA-CAFÉ DE ZAVARO, TROUBLE IN TAHITI DE BERNSTEIN, pour les reprises vivifiantes
Paris, Théâtre de l’Athénée, le 8 juin de L’Heure espagnole
et de Gianni Schicchi, deux
trésors de mise en scène

Entrée
Petite voix, trop pauvre en har- signés Laurent Pelly
moniques,Nadine Sierra (photo) (Opéra-Bastille, 30/05).
agace : Norina n’est pas cette

ratée meneuse de revue se déhanchant


sur des jambes magnifiques,mais
exige délicatesse et aigu autre-
UN SPECTACLE ment ébouriffants. Lawrence
VULGAIRE Brownlee possède une voix déli-
cieuse, mais son rappeur débile ORPHÉE ET EURYDICE

D
on Pasquale entrant désespère. Michele Pertusi ne On a connu Robert Carsen
enfin au palais Garnier, joue qu’appuyé et sans émotion. plus inspiré que dans
VINCENT PONTET / ONP

ce pouvait être délice. Reste le joyau du Dottor de Flo- cette lecture surtout
Ileut fallu alors une distribution rian Sempey (photo), décidé- esthétisante
résistant aux pléonasmes de la ment absolu dans le bel canto du chef-d’œuvre de Gluck,
mise en scène. Si Damiano bouffe. Evelino Pidó fait bien sûr et Diego Fasolis autrement
Michieletto s’est un peu calmé le job, mais sans jamais trouver plus précis à la tête de
par rapport à son horripilant la sensibilité et le sourire qui Barocchisti bien incertains.
Barbier (décor léger mais chic et donne : berné, Pasquale, mais conviennent: l’Esprit est ce soir Pas sûr enfin que Philippe
toc, et désastreux pour la projec- son neveu aussi. Malatesta et ailleurs, et l’ennui le remplace Jaroussky trouve son
tion vocale, agitato scénique Norina sont plus que complices peu à peu. X Pierre Flinois meilleur rôle en Orfeo,
moins obsessif ), il n’a rien pour s’approprier les biens de trop grave pour lui
perdu de son sens de la vulga- ces deux idiots, qui n’en tire- DON PASQUALE (Paris, Théâtre des
rité, façon vidéo d’aujourd’hui. ront aucune leçon. Amoralité, DE DONIZETTI, Champs-Élysées, 25/05).
Et il a cru bon de changer la tu gagnes ! Paris, palais Garnier, le 11 juin

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 41


ON A VU

La belle saison
d’Évian
LORS DU PRINTEMPS DE LA GRANGE, LE PIANO
S’EST PARÉ DE MAGNIFIQUES COULEURS GRÂCE
AUX CLIMATS DISTILLÉS PAR LES INTERPRÈTES.

L
es Rencontres Musicales en bois, qui fait de chaque
d’Évian poursuivent, spectateur un auditeur privi-

M. BORGGREVE
depuis leur réveil en 2014, légié. Si Gautier Capuçon et
un brillant parcours. Le pro- Jean-Yves Thibaudet visitent
chain rendez-vous, du 30 juin chacun de leur côté la Sonate
au 7 juillet, réunira ainsi des pour violoncelle n°1 de Brahms,
artistes de la trempe de Frank ils se retrouvent dans celle de On redevient sérieux en com- Vinnitskaya (photo) qui lui
Peter Zimmermann, du Qua- Chostakovitch dont ils consta- pagnie de Grigory Sokolov vole la vedette, impériale dans
tuor Hagen, et d’Esa-Pekka tent amèrement le sombre qui, avec son allure de major- des préludes de Debussy et de
Salonen. Le succès aidant, il a horizon. On pouvait heureu- dome d’un autre temps, Chopin. Poigne d’acier et
été décidé de proposer plusieurs sement compter sur le concert empile minutieusement trois doigts de fée, elle fait aussi bien
saison à l’année. Avant la voix à deux pianos et quatre pia- sonates de Haydn comme une entendre la prudente progres-
à l’automne et le jazz en hiver, nistes pour remonter le moral. vaisselle précieuse ; sa blan- sion Des pas sur la neige que
c’est le piano qu’accueille le Florent Boffard, Frank Braley, cheur immaculée en révèle le souvenir tumultueux de
printemps dans l’acoustique Claire Désert et Emmanuel le moindre détail. En revan- Ce qu’a vu le vent d’ouest. Puis
miraculeuse d’une salle tout Strosser rivalisent de malice che, il amidonne avec un zèle elle porte un regard d’une rare
pour conter les malheurs de excessif les Impromptus D.935 acuité sur le recueil de Chopin,
ÉVIAN, LE PRINTEMPS L’Apprenti sorcier de Dukas de Schubert comme s’il voulait grand roman du piano où
DE LA GRANGE, et faire claironner le finale de en effacer tout faux pli de chaque personnage affirme
Théâtre du casino, la Symphonie « Avec orgue » roture. Et c’est finalement son caractère. Prodigieux. X
du 18 au 20 mai de Saint-Saëns. sa jeune compatriote Anna Philippe Venturini

Une fervente Nonne


UN MICHAEL SPYRES codes de l’opéra romantique
MORTEL défilent ici, troussés par Scribe
et Delavigne, aiguisant une

Q
uel compositeur lyrique palette mélodique où le lyrisme
Charles Gounod était-il tendre de Gounod flamboie
avant son Faust? Créée déjà. Quelle surprise d’enten-
en 1854, La Nonne san- dre s’amorcer, au détour
glante apporte la meilleure des d’une valse ou d’une cavatine,
PIERRE GROSBOIS

réponses : un artisan solide, ces tournures qui feront


doté d’un instinct théâtral sûr. les succès de Faust ou de Roméo
Dès l’« ouverture dramatique », et Juliette!
les cuivres disent la veine noire Habilement secondée par la
du sujet, tandis que les bois vidéo, la mise en scène de
excellent à peindre le climat David Bobée ose un premier Vannina Santoni et de Marion triomphe mérité (voir la
spectral qui resurgira au finale degré réjouissant et concilie Lebègue, le ténor américain chronique d’Emmanuelle Giu-
de l’acte II : c’est diablement réalisme atemporel et clarté Michael Spyres relève le défi du liani, p. 49). Dommage alors
efficace. D’autant que tous les de la narration. Autour de rôle écrasant de Rodolphe avec que Laurence Equilbey et son
vaillance, musicalité et diction orchestre ne fassent pas preuve
LA NONNE SANGLANTE DE GOUNOD, parfaite,maissurtoutavecunart de plus de tension et d’unité. X
Paris, Opéra-Comique, le 12 juin du chant venu d’un autre âge:  Jérémie Rousseau

42 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


mécène principal

Louvre,
Nicholas Angelich, Les Musiciens de
Vox Luminis, Gilles Binchois...
ère sur:
24 août: Captation en direct d’Exosph
DANSEZ,
MAINTENANT PAR
DOMINIQUE SIMONNE

et légèreté. L’obsession de Shech-


ter, c’est de confronter ces pôles
DANS THE ART OF NOT LOOKING BACK DE HOFESH SHECHTER, BANDE-SON opposés afin de provoquer
ET TABLEAUX DANSÉS SONT SOUS HAUTE TENSION. UN ÉLECTROCHOC. l’explosion comme s’il rappro-
chait les deux bornes d’un géné-
rateur. Comme Pite, comme
Thierrée, il met ainsi en scène
lapropensiondumondeauchaos
et, en trente minutes trauma-
tiques, il nous fait passer de la
quiétude au déchaînement, de
l’harmonie à la destruction.
Portées par une bande-son qui,
elle aussi, joue sur l’opposition
(splendeur du Concerto pour deux
violons en ré mineur de Bach sou-
dain parasitée par des bruitages
et des voix),neuf excellentes dan-
seuses se laissent traverser par une
gamme d’émotions contradic-
toires : les corps jaillissent, ils
expulsent les mouvements en
AGATHE POUPENEY / ONP

saccades,ils coupent l’air de leurs


membres tranchants,mus par des
pulsions primitives et tribales. Et
ils forment des ensembles disci-
plinés qui, en un instant, se désa-

L
grègent comme autant de reven-
aisser fonctionner serpentent dans les escaliers, Looking Back (L’Art de ne pas dications autonomes. C’est beau
le chaos en paix », dit ondulent entre les jambes des regarder en arrière) de l’Israélien et éprouvant. On songe aux élec-
malicieusement spectateurs avant de les guider Hofesh Shechter. trifications scéniques d’Ohad
James Thierrée,illu- jusqu’à leur fauteuil. Ce joyeux Cela commence en une déflagra- Naharin qui, à Tel Aviv, a inventé
sionniste, poète, désordre intitulé Frôlons (que tion, un long cri rauque lancé une gestuelle particulière pour
danseur, acteur, touche-à-tout l’on aurait aimé voir se dévelop- dans le noir qui ébranle la salle et raconter la brutalité du monde.
qui adore déstructurer les espa- per sur scène) précédait trois foudroie les spectateurs. Le cho- À l’évidence, la scène chorégra-
ces, brouiller les repères et trom- ballets : la reprise du fulgurant régraphe l’indique simplement phique israélienne impose un
per les sens. Invité à ouvrir une The Seasons’ Canon de Crystal en voix off: « Ma mère m’a aban- nouveau style, une danse de
soirée chorégraphique de l’Opéra Pite déjà célébré ici (voir l’édito donné à l’âge de deux ans. » Il est l’urgence et du déséquilibre inter-
de Paris, il a convoqué Kafka : de Jérémie Rousseau p. 3), une donc question de perte et de prétéecomme une nécessité vitale
cinquante-huit interprètes méta- création de l’Espagnol Iván Pérez peine, mais aussi de la difficulté quinoussecoueetnousbouleverse.
morphosés en créatures fantas- vaniteuse et insignifiante que l’on pour l’individu de trouver sa On songe encore à cette phrase
tiques à la carapace dorée s’extir- a déjà oubliée (The Male Dancer) place dans une société ébranlée, de Pina Bausch, autre familière
pent des sous-sols du palais et, révélation, une pièce à très écartelé entre liberté et soumis- du chaos: « Dansez,dansez,sinon,
Garnier, envahissent les couloirs, haute tension : The Art of Not sion, violence et beauté, tragique nous sommes perdus! » X

44 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Apocalypse
now
UNE PRODUCTION de Chostakovitch, mais sans
QUI TUE rien perdre d’une personnalité
forte, se charge de ces prurits

G
erMANIA : dix scènes, humains avec virtuosité, qui en
seize chanteurs,le double ténor hystérique, qui en basse
de personnages. En une profonde, tandis que s’agite
heure trente,sans continuité nar- le vaste monde des victimes,
rative, mais avec un sens réel du universel, dont John Fulljames
coup de poing,Alexander Raska- peint le grouillement infect sur
tov, en remodelant deux textes le tas d’ordures et de cadavres
ravageurs de Heiner Müller, inventé par Magda Willi, pour
revient sur les horreurs du une condensation de tout ce qui
nazisme et du communisme. fut le XXe siècle. Avec l’équipe
Convoqués, Hitler et Goebbels, vocale, qui est de celles où les
Staline et Trotsky, tout comme individualités se fondent en un
un serial killer des années 1990 à tout magistral, l’orchestre
Berlin,sont montrés rapidement, enlevé par un Alejo Pérez sub-
sans indulgence, pour dire: tous juguant, tout tend vers ce
égaux dans l’horreur de l’anéan- requiem final qui dit bien le
tissement des foules ou des indi- désastre de notre Histoire. Dif-

BERTRAND STOFLETH
vidualités. La partition, entre ficile à digérer certes, mais
citations heureuses et influence quelle réussite ! X P. F.

GERMANIA DE RASKATOV, Lyon, Opéra, le 21 mai

Crise du comme un cruel interlude


expressionniste. Puis Les Sept
Péchés capitaux, dérive de Weill

monde et Brecht sur la décadence de


deux sœurs dans une Amérique

moderne
pleine de turpitudes matéria-
listes, donnent à la direction de
Roland Kluttig une allégresse qui
UN SURPRENANT DUO prend le pas sur son exactitude
EXPRESSIONNISTE un peu sèche dans la partie
Mahagonny/Pierrot.

D
étonante et décadente, Pour homogénéiser cette trame
la vision hallucinée du dadaïste, les deux voix féminines
cabaret berlinois que de Mahagonny amènent à
propose le metteur en scène dédoubler les sopranos du Pier-
David Pountney se déploie en rot lunaire et des Sept Péchés,
associant deux compositeurs que mariage admirable du timbre
tout oppose : Arnold Schoen- voluptueux de Lauren Michelle
KLARA BECK

berg et Kurt Weill. Mahagonny: avec la transparente clarté de


Ein Songspiel, courte cantate Lenneke Ruiten. La danseuse
scénique de l’opéra éponyme, Wendy Tadrous triple la repré-
ouvre ce spectacle sur la déli- sentation de ces avatars de Louise
PIERRE LUNAIRE DE SCHOENBERG quescence du monde moderne, Brook dans une chorégraphie
ET LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX DE WEILL, mais juste avant le finale survient déchaînée. X
Strasbourg, Opéra du Rhin, le 20 mai inopinément le Pierrot lunaire, R. G.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 45


ON A VU

Un tsar sans
couronne
UN BORIS QUI MANQUE DE MAJESTÉ, AVEC
UNE FOSSE ET UNE DIRECTION D’ACTEURS
TROP PEU ABOUTIES.

L
a mode est au Boris ori- absent de Paris depuis une quin-

AGATHE POUPENEY / ONP


ginal de 1869, coup de zaine d’années, dont l’engage-
poing si dense, si nouveau ment, incontestable, pour gérer
en son temps, que les autorités le flux et le lyrisme de l’œuvre,
d’alors n’en voulurent point. semblenepasenjustifierlanature
Notre époque le comprend même. Le détail déçoit, qui
mieux, tant pis pour l’acte polo- donne à l’orchestration originale
nais et la forêt de Kromy de 1872, un ton tendant un peu trop vers Mais, autour, d’excellents chan- superbe pourtant sur le plan
pas si négligeables pourtant. le raffiné, l’arrondi des nerfs de teurs, russes pour la plupart, ne visuel, manque son propos.
Encore faut-il donner à ce formi- la révision de Rimski-Korsakov deviennent pas des personnages S’il inscrit Boris dans une boîte
dable précipité d’histoire, dense plus qu’à la crudité sonore de marquants, entre le Chouiski de fermée de hautes projections
et tendu, sa véritable force de Moussorgski. Maxim Paster, plus bonasse que portant commentaire parfois
frappe. Les atouts rassemblés à De même, la distribution, renard, le Pimène profond hallucinant (la foule), parfois
l’Opéra de Paris, qui le propose d’excellent niveau, laisse un rien d’Ain Anger qui ne dégage que touristique (les blés d’or),parfois
enfin quatre-vingt-dix ans après sur sa faim. Ildar Abdrazakov est peu d’émotion au couvent, face absent (la cellule de Pimène),
sa création à Leningrad, mais certes, pour sa prise de rôle, un au faux Dimitri sonore de Dmi- tout en réduisant le champ de
un peu après tout le monde, tsar de haute lignée, qui fait try Golovnin, bien fade, et l’action à un escalier monumen-
promettaient. Pourquoi alors autant ressentir la puissance même le Varlaam d’Evgeny tal tendu de velours rouge pour
cette impression d’inabouti ? du personnage que sa solitude Nikitin, impeccable, mais sans l’ascension et la chute du tsar,
On admire certes la leçon de la et sa détresse profonde. La voix vraie trogne. il n’en donne qu’un jeu d’images
battue de Vladimir Jurowski, est impériale, le jeu tout autant. On comprend vite que la direc- plus ou moins fortes, et non
tion d’acteurs d’Ivo van Hove a la nature de la tragédie du peuple
BORIS GODOUNOV DE MOUSSORGSKI, sa part de responsabilité dans (les chœurs, formidables) et
Paris, Opéra-Bastille, le 7 juin cette mise en retrait. Son spectacle, du tsar. Décevant. X P. F.

Ennui bovaresque
LE CAPTIVANT TRIO dont aucune lubricité n’est
DE TÉNORS cachée. Ce sera la faiblesse d’une
production riche d’idées, mais

P
our sa nouvelle mise où trop d’intervenants, mal diri-
en scène, Max Emanuel gés, polluent le propos. Pour-
Cencic, qui chante aussi tant, cette lecture érotique sied
Malcolm, voit en l’héroïne de au brillant bel canto pratiqué par
ALAN HUMEROSE

Walter Scott à la fois Traviata et le contre-ténor et ses amis.


Madame Bovary. Serait-ce parce La Donna del lago, opéra de
qu’Elena est courtisée par trois ténors, offre peu d’espace à la
hommes, Malcolm, Uberto et musicalité innée de Cencic.
Rodrigo ? Le décor opulent Daniel Behle, dont les vocalises
exhibe un lupanar Napoléon III pointées sont un régal d’oreille, Sans oublier Tristan Blanchet, adoucirait le tranchant de son
se taille une place de choix. ténor ici de second rôle et qu’on agilité. En fosse, George Petrou
LA DONNA DEL LAGO Deuxième ténor, de timbre plus rêve au premier rang. L’Elena millimètre Rossini sans jamais
DE ROSSINI, solaire mais de ligne plus incer- de Lena Belkina brille, mais le laisser s’emballer. X
Lausanne, Opéra, le 28 avril taine, Juan Francisco Gatell. sans le velours chaleureux qui V. B.

46 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


ORCHESTRES
Entre terre et ciel
À PARIS, EN FIN DE SAISON, LES CHEFS ONT OFFERT UNE CONSTELLATION
D’ŒUVRES SYMPHONIQUES OU CONCERTANTES PLUS OU MOINS BRILLANTES.

D
aniele Gatti,
à la tête du
Concer tge-
bouw d’Ams-
terdam – dont
il est le nou- Daniele
veau directeur musical –, Gatti
confère à la Symphonie n°1
« Titan » de Mahler une
dimension quasi métaphy-
sique, alors que le pianiste
Daniil Trifonov ne fait qu’une
bouchée du Concerto n°3 de
Prokofiev (Philharmonie,
17/05). Lyrique et coloré dans
la Sérénade n°1 de Brahms
avec l’Orchestre de chambre
d’Europe, Antonio Pappano
accompagne de manière plus
académique la solaire Lisa
Batiashvili dans le Concerto

SDP
pour violon de Brahms (Cité
de la Musique,22/05).Susanna
Mälkki projette sur la Sympho- dans Don Quichotte de (Philharmonie, 5/06). Après Santtu-Matias Rouvali marche
nie n°9 de Mahler un regard Richard Strauss (avec la parti- « l’hénaurme » Toccata et sur les traces de ses aînés
analytique, et les musiciens de cipation rayonnante du vio- Fugue en ré mineur de Bach (Symphonie n°1 de Sibelius) et
l’Orchestre philharmonique loncelliste Gautier Capuçon), (transcrite pour orchestre par enflamme les musiciens du
d’Helsinki, d’une discipline Philippe Jordan aère avec élé- Leopold Stokowski), Emma- Philhar. Fantaisie pour piano
hors pair, répondent sans fré- gance Une vie de héros servi nuel Krivine, l’Orchestre et orchestre de Debussy trans-
mir à ses intentions de clarté par ses Wiener Symphoniker national, les Chœurs et la Maî- cendée par Leif Ove Andsnes
et de précision (Seine Musi- stylés et au charme pénétrant trise de Radio France se font (Radio France, 8/06). Pro-
cale, 27/05). (Philharmonie, 4/06). les messagers d’un Requiem de gramme de musique française
Aux côtés de Christian Thie- Fauré pur, sensible et racinien autour de l’Orient dirigé de
lemann, une Staatskapelle de UN MÊME LANGAGE au sein du vaisseau de la basi- main de maître par Fabien
Dresde des grands soirs dans Le Concerto n°3 pour piano de lique de Saint-Denis. Partici- Gabel : somptueux Orchestre
les ouvertures d’Obéron et Prokofiev bénéficie du dia- pation remarquée du baryton de Paris au service de Roussel
d’Euryanthe de Weber. La géné- logue complice entretenu par Stéphane Degout, parfait (extrait de Padmâvatî),
rosité des cordes sert d’écrin à Nicholas Angelich et Tugan de justesse (6/06). Debussy/Koechlin (Khamma)
la surpuissance de Denis Mat- Sokhiev avec un Orchestre Requiem de Verdi dans le texte et Schmitt (renversante suite
suev (Concerto n°2 pour piano national du Capitole qui se parRiccardoChaillyetl’Orches- AntoineetCléopâtre).Lasoprano
de Liszt), et le chef impres- montre ensuite très idioma- tre de la Scala ; chœurs mila- canadienne Measha Bruegger-
sionne sans convaincre dans tique dans La Mer de Debussy nais au zénith, mais solistes gosman investit avec naturel
une Symphonie n°4 de Brahms et, surtout, la Suite n°2 de moins convaincants (Phil- Shéhérazade de Ravel (Phil-
qui manque de tendresse Daphnis et Chloé de Ravel, harmonie, 7/06). Charisma- harmonie, 10/06). X
(TCE, 29/05). Très contrôlé enthousiasmante de vitalité. tique, le jeune chef finlandais Michel Le Naour

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 47


LES RENCONTRES
DU 5 AU 11 JUILLET 2018

MUSICALES
JOCELYN AUBRUN
DAVID BISMUTH
EMMANUEL CEYSSON
MARIE CHILEMME
FRÉDÉRIC DEFOSSEZ
CLAIRE DÉSERT
ALAIN DUAULT
PIERRE GÉNISSON

CAMBRAI
JÉRÔME GUICHARD
MARIE-JOSÈPHE JUDE
VICTOR JULIEN-LAFERRIÈRE
DAVID KADOUCH
GENEVIÈVE LAURENCEAU
ROMAIN LELEU
GHISLAIN LEROY
JEAN-PIERRE WIART
QUATUOR 212 (SOLISTES

DU METROPOLITAN OPÉRA DE NEW YORK) 

QUATUOR FACE À FACE


ORCHESTRE PHILHARMONIQUE
DES HAUTS-DE-FRANCE

Direction artistique
JEAN-PIERRE WIART

Réservation : 03 27 74 55 20
DE
C. Graphique: D. Braillon - Photos © Pascal Gérard
LES CARNETS
D’EMMA

Merci Messieurs !
Q L’été est là avec toutes ses promesses.
Pour le mélomane, elles s’appellent Témoignages et entendre Simon Keenlyside: serait-il
encore, après tant de flamboyantes et

de gratitude
bien souvent « festivals », musique électrisantes prestations, à son meil-
sous les étoiles, enveloppée de par- leur niveau? Serait-il encore ce Don
fums enivrants, bercée par une tiède Giovanni élégant et inquiétant « traî-
brise… Mais avant de goûter ces délices
– dont j’imagine volontiers que notre
billet de rentrée sera tout vibrant –,
à trois nant tous les cœurs après soi »?
Vaillante doublure, Franco Pomponi
s’est lancé à corps perdu dans la mise
l’envie est grande de clore l’année
avec un triple témoignage de grati- chanteurs en scène hyperactive de David Bösch,
voix juvénile et solide, présence char-

de haut vol
tude adressé à trois chanteurs. nelle assumée. On croit à son person-
Q Le premier, Alain Buet, baryton nage plus méchant homme que grand
français apprécié notamment des seigneur, presque touchant quand
amateurs de répertoire baroque, s’est il tue le Commandeur sans vraiment
illustré au Théâtre des Champs-Élysées dans Pelléas et Méli- le vouloir, parfaitement odieux quand il trahit Elvire, encore
sande1. Il y remplaçait l’excellent Jean-François Lapointe et encore. Et, exigence absolue, il sait mourir avec un panache
dans le rôle de Golaud. J’avoue avoir été déçue à l’annonce, jusqu’au-boutiste, saisissant dans l’une des plus stupéfiantes
dans le programme, de cette « substitution », moi qui me scènes d’opéra jamais écrites.
réjouissais de découvrir le Golaud du Canadien qui,des années Q Le troisième homme, lui, vient de triompher à l’Opéra-
durant,avait incarné son jeune demi-frère avec tant de flamme Comique dans La Nonne sanglante de Gounod3. Omnipré-
et de charme. Pourtant, dès le premier tableau, impression sent, omnichantant, Michael Spyres est l’incontestable héros
qui ne fit que se renforcer au fil de la soirée, le public a senti de la soirée, livrant une performance explosive dans le rôle
combien, sombre et las, passionné et désespéré, le Golaud le plus difficile que, de son propre aveu, il ait jamais chanté.
d’Alain Buet allait se hisser très haut par sa noblesse musicale Aigus surmultipliés, scènes dramatiques ou élégiaques, com-
impressionnante et sa puissance psychologique contenue bat avec un orchestre déchaîné ou rêverie suave en évoquant
mais intense. Sans parler de la diction idéale de l’artiste, « sans l’amour perdu de sa belle Agnès… le tout dans un français
affectation d’ailleurs »… A posteriori, j’ai éprouvé quelque parfait flottant sur une ligne de chant jamais sacrifiée au
honte au souvenir de ma déconvenue première à la lecture profit de la griserie héroïque. Et quelle délicatesse dans les
de son nom sur le programme… ensembles, quelle écoute de ses partenaires ! Légitimement
Q Autre remplaçant et autre belle surprise à Genève, lors de la ovationné, le ténor américain aurait mérité qu’on baissât
deuxième représentation du Don Giovanni de Mozart à l’Opéra le rideau derrière lui pour le laisser, un instant, triompher
des Nations2. Simon Keenlyside, souffrant, déclarait en effet seul face au public médusé. Vœu un brin grandiloquent
forfait,remplacé au pied levé dans le rôle-titre par peut-être, mais à la mesure de son immense
Franco Pomponi dont je découvrais en même talent et de sa générosité. X
temps et l’existence et le parcours sur la feuille EMMANUELLE 1. Le 2 mai dernier, au côté de la Mélisande
volante distribuée aux spectateurs, chagrins de GIULIANI ensorcelante de Sabine Devieilhe.
manquer la prestation du baryton britannique. est chef 2. Le spectacle s’est donné du 1er au 17 juin
L’honnêteté me pousse à écrire qu’une pointe de du service Culture sous la direction incandescente de Stefan Soltesz.
soulagement se mêlait à la tristesse de ne pas voir du journal La Croix 3. Donnée du 2 au 14 juin.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 49


EN COUVERTURE

LA
DISCOTHÈQUE
IDÉALE DU
PIANO
Classica a sélectionné dix interprètes
et vingt compositeurs de légende qui ont marqué
leur temps, le nôtre et l’histoire de la musique,
pour un clavier bien représenté.
Dossier réalisé parJacques Bonnaure

50 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


une série de mythes : œuvres, compo-
siteurs, pianistes mythiques. Vous vous
rappelez le début d’Un amour de
Swann de Marcel Proust : « Pour faire
partie du “petit clan” des Verdurin »,
il fallait confesser « que le pianiste pro-
tégé par Madame Verdurin “enfonçait”

D
à la fois Planté et Rubinstein » [Anton,
ix pianistes ? Et pas Arthur, ndlr !]. Nous ne prétendons
pourquoi pas pas que tel pianiste ou quelque com-
vingt ou cent ? positeur présent dans notre sélection
Vingt composi- « enfonce » quiconque parmi les
teurs ? Et pour- absents. Mais tous ont quelque chose
quoi ceux-là et d’important à nous dire sur leur temps,
pas d’autres ? sur le nôtre, sur la musique. Un mythe
Pourquoi cette est une parole. X
œuvre-ci et pas celle-là ? Nous enten-
dons bien vos objections, chers lec-
teurs. Nous pourrions bien vous
répondre : « Parce que c’est ainsi et pas À RETROUVER
autrement. » Mais ce serait discourtois SUR LE
et nous aimons mieux justifier nos choix
en soulignant que, dans les limites qui
nous sont imparties, nous avons réuni CD
CLASSICA

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 51


EN COUVERTURE

10 GÉANTS
DU PIANO
De Rubinstein à Argerich en passant par Gould et Richter,
ces virtuoses ont donné des lettres de noblesse à l’instrument roi et ont
apporté leur touche personnelle à leurs pièces de prédilection.

ARTHUR
RUBINSTEIN
(1887-1982)

I
l était polonais, mais chambre, mais le lustre
également de forma- céda! Il fut adoubé par
tion allemande. Par laFrancedanslesAnnées
son éducation, s’il se folles,devenantlacoque-
rattache tout à fait au luche du public pari-
XIXe siècle, son incroya- sien : Francis Poulenc
blelongévitéenfaitnotre lui dédia ses Promena-
quasi-contemporain, des, Igor Stravinsky des
vieillard glorieux plein fragmentsdePetrouchka;
de vitalité et d’humour. il défendit d’ailleurs la
Pour beaucoup, Rubin- musique de son temps,
stein fut d’abord un de Manuel de Falla à
spécialiste de Chopin, Karol Szymanowski.

EMI MUSIC / CLR ARCHIVES


et ce n’est pas tout à fait Puis Rubinstein décida
faux : avec le composi- de s’établir aux États-
teur polonais, il parta- Unis. Et en un temps où
geait une nationalité et de nombreux pianistes
la condition d’exilé – il jouaient à l’esbroufe ou
conte dans sa passion- prenaient de larges liber-
nante autobiographie tés avec les textes, il sut
comment, se trouvant à semontrerprofond,mais
Londres dans une situa- ni pédant ni démons- l’on retrouve dans ses de chambre, témoins musicien, tout comme
tion d’extrême pauvreté tratif. De la simplicité, enregistrements de d’une tradition authen- ses gravures de Beetho-
et de désespoir, il se du charme, du naturel, Brahms, piano solo, ses tique recueillie dans ven qui sont loin d’être
pendit au lustre de sa voilà sa formule que concertos et sa musique l’entourage direct du négligeables. X

Chopin Brahms Beethoven


Valses. Impromptus. Concerto n°1. Sonates nos8, 14, 23, 26
Ballades. Scherzos Chicago Symphony, (RCA)
(2 CD, RCA) dir. Fritz Reiner
(RCA)

52 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


WILHELM
KEMPFF
(1895-1991)

D
e stricte forma- Bach
tion prussienne Variations Goldberg.
et luthérienne, il Le Clavier bien tempéré
incarna longtemps dans (extraits). Suite anglaise n°3.
le monde entier le meil- Transcriptions
(2 CD, DG)
leur de la tradition alle-

MANUEL BIDERMANAS / AKG-IMAGES


mande, moins par la
rigueur que par la poé-
sie, le sens de l’intimité
lyrique, puissant mais
sans agressivité, laissant
chanter l’âme des com-
Beethoven
positeurs qu’il abordait
Sonates nos8, 14, 21, 22
amoureusement. Pen- (version 1965)
dant longtemps, sa car- (DG)
rière ne fut pas très cos- Chopin et même Fauré. de chambre.Ses enregis- demi-siècle. Après que
mopolite. Il restait en La France, après la trements de Bach, l’âge et la cécité eurent
Allemagne pour appro- Guerre, le reçut réguliè- Mozart, Beethoven mis fin à sa carrière,
fondir la musique de rement avec dévotion, (deux intégrales des il continua à trans-
son pays, qui consti- tout comme le Japon. Il sonates et des concertos, mettre sa conception
tuait l’essentiel de son fut le pianiste phare de presque trois),Schubert, humaniste de la
répertoire, malgré de Deutsche Grammo- Schumann, Brahms musique en son acadé- Brahms
remarquables excur- phon, en soliste, en n’ont guère quitté les mie musicale de Posi- Klavierstücke op. 116 à 119
sions du côté de Liszt, concertos et en musique catalogues pendant un tano. X (DG)

CLAUDIO ARRAU
les concertos de Tchaï- Schumann,Liszt,Brahms,
kovski et de Grieg où Debussy – qu’il marque
(1903-1991) il fait preuve d’un tact d’une empreinte puis-
parfait. sante: avec une sonorité

L
e jeune Chilien fut répertoire assez large, Au cours des trente der- sculpturale, des tempos
éduqué à Berlin avec notamment une nières années de sa car- retenus, un art sublime
Chopin
Nocturnes et
auprès d’un des intégrale des Variations rière, chez Philips, il ne de la respiration et de la
Impromptus derniers disciples de Goldberg de Bach, alors joue plus que quelques gradation des volumes,
(Philips) Liszt. Après la Grande peu connues. Le jeune compositeursdepremier il impose un son et un
Guerre, il participa à Arrau programme alors plan – Bach, Mozart, ton singulier, à la fois
l’effervescence culturelle l’exubérant Islamey de Beethoven, Schubert, sensible et intellectuel. X
de la capitale allemande, Balakirev, grave les Rha-
auréolé du Prix Liszt qui psodieshongroisesdeLiszt
n’avait pas été décerné auxquelles il ne revien-
depuis quarante-cinq dra plus par la suite.
Debussy
ans. Il s’installa aux Dans les fifties, Walter
Arrau joue Debussy États-Unis peu avant la Legge, le directeur artis-
(3 CD, Philips) Seconde Guerre et mena tique de EMI, lui pro-
longtemps une très pose une somme des
HERITAGE-IMAGES / KEYSTONE ARCHIVES / AKG-IMAGES

active carrière améri- concertos de Beethoven


caine. À noter que la avec le dynamique Gal-
France, qui l’adulera à liera,puislesdeuxBrahms
partir des années 1970, avec Giulini. Cette nou-
lui fit longtemps la velle époque le montre
sourde oreille. aux prises avec des œu-
Liszt
Pour le discophile, sa vres moins extraverties
Études d’exécution
transcendante
carrière se divise en trois dans lesquelles il expose
(Pentatone) périodes : la première, un style désormais sobre
chez RCA, Brunswick et et classique – Beethoven,
divers labels américains, Brahms, Chopin, Schu-
est marquée par un mann, mais également

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 53


EN COUVERTURE
VLADIMIR HOROWITZ Scarlatti
Les enregistrements
(1903-1989)
CBS et RCA
(2 CD, Sony)

A
ses débuts, il fas- ment enregistrer à son
cine le monde rythme. Dès lors, un
par son style élec- public fervent attendra

SUZIE MAEDER / LEBRECHT / LEEMAGE


trisant et sa puissance chaque nouveau disque
de feu. Lorsqu’il quitte comme la parole d’un
l’URSS en 1925, il est évangile musical, que
déjà précédé d’une for- recevront en direct
midable réputation. ses proches disciples, Liszt
L’Allemagne, puis la dont Gary Graffman et Sonate en si mineur.
France l’accueillent avec Byron Janis. Moussorgski: Tableaux
transports. Comme Mais on aurait tort de d’une exposition
Rubinstein, il se fixe un s’en tenir à l’image d’un (live Carnegie Hall)
(Sony)
temps à Paris où il réalise interprète trop brillant. gistrements du Concerto Tableaux d’une exposi-
ses premiers enregistre- Horowitz fut en effet un n°1 de Tchaïkovski,sous tion de Moussorgski ou
ments notables, réédités formidable recréateur, la direction de Tosca- la Sonate n°2 de Rach-
par EMI. Mais peut-être dans la lignée des grands nini,son beau-père,sont maninov. Encore, à la
usé par la pression pianistes russes post- pour beaucoup une toute fin de sa carrière,
médiatique, il inter- romantiques,doté d’une révélation, décapant le après 1985, il concevait
rompt une première fois imagination sonore peu tropcélèbrechef-d’œuvre ses programmes comme
sa carrière – il vivra une commune qui lui per- de toute complaisance un gourmet,multipliant Rachmaninov
nouvelle phase dépres- mettait de réinventer sentimentale. Il avait les pièces brèves virtuo- Concerto n°3.
sive de 1953 à 1965. Les tout ce qu’il jouait, aussi pourtant conservé un ses ou non,mineures ou Sonate n°2
ingénieurs de la RCA bien Scarlatti et Cle- côté XIXe siècle et n’hési- non,fuyant les intégrales (dir. Eugene Ormandy)
(RCA)
Victor installent alors un mentiqueRachmaninov tait pas à l’occasion à encyclopédiques et les
studio à son domicile et Scriabine. En 1941 intervenir sur les textes, menus trop chargés de
où il pourra tranquille- et 1943, ses deux enre- adaptant quelque peu les grandes œuvres. X

SVIATOSLAV RICHTER
(1915-1997)
apparemment jamais en Occident, il est déjà si le piano n’était pas
LEBRECHT / RUE DES ARCHIVES

certaines pièces phares auréolé d’une réputa- excellent,et il ne souhai-


comme les Sonates tion flatteuse: ses débuts tait guère planifier ses
« Clair de lune » et européens sont fulgu- programmes à l’avance.
« Waldstein » de Beetho- rants, notamment mar- Plus tard, on ne sut plus
ven ou le Concerto n°3 de qués par un enregistre- très bien si l’on célébrait
Rachmaninov.Il n’enre- ment du Concerto n°1 de sonincroyabletechnique,
gistra jamais d’inté- Tchaïkovski avec Kara- la profondeur de ses
grales,ni même de cycles jan. Plusieurs anecdotes interprétations ou le

L
e répertoire de par les pianistes de pre- complets (Préludes ou ont couru sur sa fantaisie mystère qui entourait la
Richter s’étendait mier plan, comme le Valses de Chopin, par qui faisait de lui un pia- carrière atypique d’un
de Bach à Britten, Ludus Tonalis de Hinde- exemple), préférant nistesingulier:ilaimaitse musicien absolu, totale-
mais il abordait quanti- mith ou certaines pages picorer çà et là selon son produire dans de petites ment voué à la musi-
tés d’œuvres rarement rares de Schubert. En inspiration. Lorsqu’il villes, devant de petits que conçue comme un
ou jamais interprétées revanche, il ne joua commence à se produire auditoires, qu’importe sacerdoce mystique. X

Beethoven Schubert Scriabine


Sonates nos7, 12, 23 Sonates D. 958 Préludes. Études.
(Supraphon) et D. 960 Sonates nos2, 5, 9
(Regis) (Parnassus)

54 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


GLENN GOULD
(1932-1982)

S
i le pianiste cana- au service d’une lecture
dien fut et reste innovante de Bach,mais Bach
controversé, il également de l’école de Variations Goldberg
marqua incontestable- Vienne et de composi- (version de 1981)
ment le dernier demi- teurs moins centraux, (Sony)
siècle. Peu d’interprètes de Byrd à Hindemith
ont suscité autant de en passant par Bizet.
gloses, d’essais philoso- Gould n’hésitait pas à
phiques, et les passion- massacrer les musiques
nants documentaires de qui lui déplaisaient
Bruno Monsaingeon (sonates de Mozart) ou,
ont beaucoup fait, mieux, il les ignorait : Beethoven
notamment en France, Chopin, Schumann et Les trois dernières sonates
pour nourrir le mythe Liszt lui étaient étran- (Sony)
Gould, « dernier puri- gers, voire ennemis. X
tain » d’une telle inté-
grité artistique qu’il
refusa assez tôt de don-
INGI PARIS / AKG-IMAGES

ner des concerts,se limi-


tant à des enregistre-
ments réalisés dans des
Schoenberg
conditionsextrêmement
L’œuvre pour piano
rigoureuses. (Sony)
Il privilégia une appro-

GEORGES CZIFFRA
che intellectuelle, chi-
rurgicaleetd’uneextrême
(1921-1994) clarté polyphonique

SDP
qu’il mit notamment

V
enu de Hongrie l’habitude en France.
où il avait connu On comprit vite que

MARTHA ARGERICH
une existence dif- ces dons exceptionnels
ficile, György s’installa portaient une grande
dans notre pays où il exigence expressive. (Née en 1941)
deviendra Georges, Mieux, l’athlète qui

L
heurtant d’abord bien mettait le feu à Liszt ’interprétation, a ce que j’aime aussi chez
des âmes sensibles par pouvait aussi ciseler de affirmé la pianiste les autres. Quand ils sont
Bach
le torrent de virtuosité merveilleux bijoux clas- « argentine,doit libé- maîtres de leurs moyens,
Toccata BWV 911. Partita
sous lequel il les englou- siques de Rameau ou rer ce qui est inconscient cela ne m’intéresse pas. »
n°2. Suite anglaise n°2
tissait : on n’avait pas de Couperin. X en nous. Ce qui est bien, Voilà pourquoi celle (DG)
c’est quand je peux que l’on qualifia sou-
me laisser aller à des vent de « lionne du
Liszt choses que personne ne piano » n’est jamais
Rhapsodies hongroises connaissait en moi – les aussi stupéfiante que
(EMI) impromptus, les sur- sur scène, seule ou avec
prises du concert, c’est des amis sûrs. X
Liszt: Sonate
Liszt en si mineur.
Études d’exécution Schumann: Sonate n°2.
transcendante Brahms: Rhapsodies
(EMI) op. 79 (DG)
KLAUS RUDOLPH / EMI CLASSICS

Chopin
11 Polonaises.
Fantaisie. Barcarolle
(EMI)
Schumann
Kreisleriana. Scènes
d’enfants (DG)

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 55


EN COUVERTURE
MARIA JOÃO
PIRES
(Née en 1944)
Schumann

D
e manière signifi- il va droit au cœur de Scènes d’enfants.
cative, elle a enre- l’intimité schuma- Scènes de la forêt.
gistré les Scènes nienne, sans effets, ni Bunte Blätter
d’enfants et de la forêt et traits pittoresques. (Erato)
les Bunte Blätter, tout Onpeutyvoirl’influence
comme l’avait fait avant du pianiste suisse Karl
elle Clara Haskil (1895- Engel, qui avait lui-
1960).Etentrel’ancienne même enregistré une
et la jeune, les rappro- intégrale Schumann et
chements ne manquent avait été un maître
pas. En particulier, la unique pour la jeune Mozart
concentration autour Portugaise. Mais c’est Sonates K. 331 et K. 457.
de quelques composi- chez Mozart, surtout Fantaisies K. 475 et K. 397
teurs, Bach, Mozart, dans les concertos (aux (DG)
Beethoven, Schubert, côtés d’Armin Jordan
Schumann, auxquels et de Claudio Abbado),
JULIEN MIGNOT / DG

s’ajoutent, chez Pires, que Pires reste la plus


Chopin et Brahms,ainsi appréciée, la mieux dif-
que la pratique de la fusée. Mais quoi qu’elle
musique de chambre, joue, on pressent chez
avec Arthur Grumiaux elle une artiste qui s’est Chopin
MAURIZIO POLLINI chez Haskil, avec
Augustin Dumay chez
toujours efforcée de lais-
ser son ego au second
Nocturnes
(DG)
(Né en 1942) Pires. Son album Schu- plan dès qu’elle touchait
mann est précieux, car le clavier. X

L
e pianiste italien est conception élitiste de la
crédité d’une image musique. Plus tard, il se
rigoureuse et aus- concentrera pourtant
tère pour s’être retiré sur le noyau dur du
quelques années de la répertoire classique, de
scène musicale après Bach à Debussy.Il sidère
son succès au Concours souvent le public et la
Chopin de Varsovie, critique par l’intensité
pour avoir programmé expressive de son jeu,
Boulez et Stockhausen, pourtant dépourvu de
pour avoir refusé une tout effet.X

Beethoven
Les cinq dernières sonates
(DG)

Schubert
Les trois dernières sonates
(DG)
MARCO CASELLI NIRMAL / DG

Chopin
Préludes. Nocturnes.
Mazurkas. Scherzo n°2
(DG)

56 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


20 GÉNIES
AU CLAVIER
Au fil des perfectionnements techniques et de l’évolution du langage musical, ils ont écrit les plus
belles pages du repertoire pianistique.De l’époque baroque à aujourd’hui,voici quatre siècles de création
ponctués par leurs chefs-d’œuvre et enregistrés par des interprètes au service de leur musique.

JOHANN SEBASTIAN WOLFGANG AMADEUS


BACH (1685-1750) MOZART (1756-1791)
onçues dans d’une idée rythmique,le catalogue de tous les a Fantaisie en ut

C l’esprit de la suite
française, les
Partitas proposent
parcours harmonique,
les jeux polyphoniques,
la structure générale
états d’âme possibles
comme dans les Varia-
tions Goldberg ou les
L mineur K. 475
(1785), la plus lon-
gue du genre chez
comme une version sont du domaine de Suites françaises et Mozart, est souvent
abstraite des danses qui l’invention. Bach nous anglaises. Et à chaque couplée, au disque et au
la composent. À partir y offre un véritable fois qu’il le visite (il a concert, avec la Sonate
également enregistré K. 457 de même tona-
les œuvres précitées), lité,et de peu antérieure.
Murray Perahia privi- Cependant, il s’agit de
légie une approche deux œuvres distinctes
sereine, détendue, et qui, outre la tonalité,
BARBARA KRAFFT

pourtant d’une grande possèdent quelques


élévation, fondée sur caractères communs :
un culte du son épuré, un climat sobre et
quoique sensuel. Cette tendu, de brusques évo-
lecture n’est toutefois lutions harmoniques
ni désincar née, ni provoquant des change- ton plus positif et clair.
monotone, car le pia- ments d’éclairage. Bref, Comme toujours,il allie
niste américain rend on découvre ici un un classicisme parfait,
bien compte de la Mozart noir, presque issu de la pure tradition
diversité des climats, du romantique. autrichienne, et un
plus ludique au plus Friedrich Gulda (1930- engagement personnel
gravement spirituel. X 2000) associe cette Fan- puissant qui trouve à
taisie avec deux autres s’investir dans ces pages
sonates plus tardives pathétiques, à la fois
AKG-IMAGES / DE AGOSTINI PICTURE

(K. 570 et K. 576), d’un sobres et intenses. X

Fantaisieen ut mineur
Friedrich Gulda
Partitas (DG)
Murray Perahia
(Sony)

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 57


EN COUVERTURE
LUDWIG VAN
BEETHOVEN (1770-1827)
a Sonate n°23 en fa à l’arraché sur le « Des-

L mineur,dite«Appas-
sionata » (1804),est
une partition extrême
tin », comme dans la
Symphonie n°5, en lente
maturation à la même
Sonate en
si bémol majeur
D. 960
Alfred Brendel

AKG-IMAGES
(le titre, toutefois, n’est époque. (Philips)
pas de Beethoven). Les bonnes versions de
Extrêmement difficile cette sonate ne sont pas
d’abord,cela va de soi,et légion. Certes, un grand

FRANZ SCHUBERT (1797-1828)


nécessitant tous les der- virtuose peut y faire
niers perfectionnements beaucoup d’effet, et cer-
techniques quant à la tains passages, notam-
mécanique pour pou- ment le début, avec ses ssue de la trilogie de 1828,la dernière signifie pas grand-chose ! Il est vrai
voir affronter sans dan-
ger la rapidité des traits.
Dès le premier mouve-
contrastes d’intensité,
ou l’étourdissant finale
s’y prêtent bien. Pour-
I Sonate D. 960 est particulièrement
ambiguë. Son lyrisme est-il inquiet,
serein? La musique de Schubert semble
qu’aveclui,onn’assisterapasàdes« rap-
tus » délirants, mais il saura contrôler
ses dérapages dans les moments les
ment (Allegro assai), tant, là n’est pas l’essen- parfois au-delà de l’expression des sen- plus dramatiques, ce qui fit écrire à
tout est ici hors norme. tiel et c’est pourquoi timents personnels.Brendel s’est abon- un critique que l’on y entendait « tout
damment expliqué sur son approche ce que la musique de Schubert annonce
de ce compositeur. Il n’en fallait pas de cette hystérie nostalgique qu’on trou-
plus pour que certains trouvent ses vera pus tard chez Gustav Mahler et
interprétations « doctorales », ce qui ne Alban Berg ». X

FELIX MENDELSSOHN (1809-1847)


alheureusement, parfois des charmantes d’exceptions près, dont

M samusiquepour
piano n’a jamais
connu auprès des musi-
facilités de la musique de
salon,mais à quel niveau
de qualité mélodique et
Daniel Barenboim qui a
su trouver le ton juste
pour ces Lieder ohne
cologues la renommée de variété de tons! Worte. Belle sonorité,
J.K STIELE

de celle de ses contem- Les grands pianistes du simplicité de ton,parfait


porains immédiats, dernier demi-siècle dosage de la sensibilité
Chopin, Liszt ou Schu- n’ont guère enregistré mais sans afféterie. Un
L’Andante con moto est l’enregistrement d’Emil mann. Sa virtuosité est Mendelssohn, à peu monument classique! X
basé sur un choral à Gilels (1916-1985) est légère et aérienne,ce qui
quatre voix et revisite précieux. Le grand peut la faire soupçonner
le concept classique de maître soviétique s’y de futilité. Enfin, son
la variation. Le finale montre sobre et retenu, cycle le plus connu, les
(Allegro ma non troppo) économe de ses moyens, Romances sans paroles,
est un prodigieux mou- et l’impression d’énergie souvent accessible aux
vement donnant l’im- est plus sous-entendue doigts moins expéri-
pression d’une victoire que puissamment affir- mentés, se rapproche
mée. Mais là, comme
dans d’autres sonates de
Beethoven (la mort
l’empêcha de terminer
son intégrale), il se
révèle un prodigieux
Sonate constructeur dans une Romances
AKG-IMAGES

« Appassionata » œuvre où la perception sans paroles


Emil Gilels de l’architecture compte Daniel Barenboim
(DG) plus qu’ailleurs. X (DG)

58 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


FRÉDÉRIC CHOPIN (1810-1849) FRANZ LISZT (1811-1886)
inouï (au sens étymo- ycle colossale- de fait, remarquable
logique). Les Vingt-
quatre Préludes op. 28,
très brefs ou assez déve-
C ment atypique,
les Études d’exé-
cution transcendante
parce que sans conces-
sion, sobre, mais égale-
ment imaginative. Il se
loppés, très faciles ou (1851) tiennent à la fois montresensibleàl’aspect
exceptionnellement des études de virtuosité narratif, dramatique, de
ardus, donnent une technique et du poème l’œuvre,refusant par ail-
très bonne idée de cette symphonique narratif leurs d’épater l’auditeur:
différence. pour piano. On peut y le prodige dispose pour-
Pourquoi, parmi tant voir des pièces de haute tant de tous les moyens
de versions, dont pas voltige, prétexte à un techniques pour cela,
mal d’excellentes, avoir investissement du pia- comme le prouve claire-
choisi la lecture du pia- niste démiurge, mais il ment la suite de son pro-
niste tchèque Ivan serait absurde de s’en gramme, les Trois Études
Moravec (1930-2015) ? tenir là car elles com- de concert et les Six Étu-
RMN - GRAND PALAIS - MICHEL URTADO

Certes pour honorer portent aussi des aspects des d’après Paganini. X
un immense interprète intimistes et même
trop peu médiatisé, presque impression-
toujours très à l’aise nistes (Chasse-Neige).
chez Chopin qu’il a Surtout, l’interprète,
abondamment prati- quand il joue le cycle
qué, mais surtout parce complet,doit se montrer
qu’il réunit beaucoup capable de tenir la lon-
de qualités éparses chez gueur en intéressant
ans le monde bruyante et conqué- les autres interprètes : l’auditeur à la manière

D musical de son
temps, Chopin
fut une sorte d’ovni.
rante. Au XIXe siècle, il
est le seul compositeur
de premier plan à avoir
la beauté du son, bien
onctueux, assez charnu,
la discrétion dans l’ex-
d’un conteur, et ne pas
perdre de vue la forte
structure d’ensemble.
Un ovni policé, très à consacré quasiment pression des affects, le Le jeune Daniil Trifonov
l’aise dans les salons les toute sa production à sens des parcours har- a réalisé une version
plus huppés, et absolu- un seul instrument. moniques, des jeux de remarquée des Études et,
ment pas porte-parole Mais, surtout, il est fon- résonances, la variété
d’une modernité cièrement différent. d’approches selon les
Que l’on écoute ce qui morceaux, un parfait
se compose pour le é q u i l i b re e n t re l a
piano dans ces années-là rigueur et la liberté. Sur
et l’on comprendra le même CD figure la
qu’il est radicalement Ballade n°4 en fa
ailleurs. Rien ne res- mineur, autre exemple Études d’exécution
RMN - BULLOZ

Préludes semble à Chopin, ne de fantaisie visionnaire transcendante


Ivan Moravec fût-cequeparlesenshar- tempérée par un jeu Daniil Trifonov
(Supraphon) monique, proprement sobre. X (2 CD, DG)

ROBERT SCHUMANN (1810-1856)


e Brésilien Nelson souvent en Europe ou fondée sur une exigence

L Freire n’est ni un
intellectuel de la
musique, ni une star
en Amérique du Nord.
Avec lui, toute musique
est un impromptu
pointilleuse. C’est bien
ce qui ressort de son
superbe enregistrement
médiatique et, comme mais un impromptu du Carnaval où la briè-
d’autres pianistes nés en rigoureux, car la variété veté de chacun des vingt
Amérique du Sud, il a des effets, en particulier morceaux correspond Carnaval
connu par cet écart géo- le travail du son, n’est bien à son sens de l’ins- Nelson Freire
(Decca)
graphique une carrière jamais laissée au hasard. tant musical (figurent
AKG-IMAGES

décalée par rapport aux Il y a, derrière cette im- au même programme


formatages acadé- provisation, une grande Papillons, Kinderszenen
miques qui prévalaient rigueur intellectuelle et Arabesque). X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 59


EN COUVERTURE
JOHANNES
mais lumineux: il mène ni à aucun maniérisme.
le discours comme un Sur le même disque
BRAHMS batelier impassible au
milieu des courants.
figure une version de
référence du Premier
(1833-1897) C’est rigoureux mais Concerto de Brahms
pas raide. Et son appro- (Cleveland Orchestra,

D
ans les Variations che intellectuelle, qui direction George Szell). X
Haendel (1861), sait si bien disséquer les
Brahms com- arcanes des partitions,
pose une ample cathé- n’empêche nullement
drale pleine d’imagi- des instants de grâce

AKG-IMAGES / WHA / WORLD HISTORY


nation, mais d’une lumineuse, en particu-
imposante architecture lierdanslamontéehéroï-
et d’une impeccable que de la fugue finale.
logique. Rudolf Serkin Comme on l’imagine
(1903-1991) a beau- bien, cette interpréta- Variations et Fugue
coup pratiqué Brahms tion ne souffre aucune sur un thème de Haendel
qu’il a toujours abordé concession à quelque Rudolf Serkin
en intellectuel rigoureux romantisme superficiel (Sony)

MODESTE LEOŠ
MOUSSORGSKI (1839-1881) JANÁCEK
(1854-1928)

L
’œuvre pour piano le Capriccio pour piano
de Janácek com- et vents et le Concertino
prend essentielle- pour piano et petit
ment trois opus, la ensemble (Orchestre
Sonate 1.X.1905, qui de la Radio bavaroise,
Tableaux relate un fait divers tra- direction Rafael Kube-
d’une exposition gique, et les deux cycles lik), une lecture sobre,
Byron Janis Dans les brumes et Sur sans effusion fausse-
(Mercury)
le sentier herbeux, qui ment romantique, avec
sont comme le journal des sonorités allégées et
intime du compositeur, des plans bien dégagés,
brèves figurant un particulièrement après qui rendent justice à
tableau d’un ami pein- la mort de sa fille. un compositeur encore
tre, reliées par un motif Rudolf Firkušny (1912- trop mal connu. X
intitulé Promenade. Si 1994) avait eu la chance
Horowitz s’en était fait le de travailler un peu
spécialiste, Byron Janis, avec Janácek au cours
immense pianiste dont de son adolescence : il
la carrière fut interrom- donne de ces œuvres,
TRETYAKOV GALLER

pue par des accès d’ar- auxquelles s’ajoutent


thrite rhumatoïde, en a
réalisé en 1961 (mais
publiée seulement en
1994) une lecture exal-

S
eule œuvre pia- l’imagination visuelle tante, bondissante, élec-
nistique d’enver- qu’ils requièrent, leur trique, fantaisiste en
gure du composi- sens pittoresque, leur diable.À noter qu’elle est
teur de Boris Godounov, virtuosité et leur puis- couplée avec la version L’œuvre
les Tableaux d’une expo- sance symphonique. des Tableaux orchestrés pour piano
sition ont tenté les plus Moussorgski a réalisé par Ravel et dirigés par Rudolf Firkušny
SDP

grands interprètes par une suite de pièces Antal Dorati. X (2 CD, DG)

60 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


ISAAC ALBÉNIZ (1860-1909)
èsquel’onévoque c’est là que les rythmes

D l’œuvre d’Albé-
niz, on pense
aussitôt à Alicia de Lar-
bondissent le mieux.
Plus tard, dans celles de
Decca et, surtout, de
rocha (1923-2009). RCA, elle recherchera,
Même si la grande pia- au prix de la perte d’un
niste espagnole n’a pas certain brio extérieur,un
limité son répertoire à sonpluscharnu,des har-
la musique ibérique monies plus sensuelles,
(elle fut aussi une grande dépouillant Albéniz
mozartienne),c’est tou- d’une partie, certes
jours à ses fameuses séduisante, de son his- Préludes
interprétations d’Albé- panisme, pour attein- Arturo Benedetti
niz que l’on revient et, dre une beauté plus… Michelangeli
notamment, à ses diver- délocalisée. X (DG)

AKG-IMAGES / WHA / WORLD HISTORY


ses gravures d’Iberia
(1905-1908), la célèbre
suite de douze pièces
de vaste envergure,dont
chacune figure une ville
ou un site espagnols. La
première version (His- Iberia
pavox/Erato/EMI/Alto) Alicia de Larrocha
est la plus pittoresque (Decca)

CLAUDE DEBUSSY (1862-1918)


n ne peut sûre- de bréviaire merveil- également transmise par

O ment pas réduire


lesPréludes(1910-
1912) à l’impression-
leux, propre à susciter
chez l’auditeur l’enchan-
tement sonore et le rêve
le pianiste allemand
Walter Gieseking,consi-
déré depuis longtemps
nisme musical (il y a imaginatif. comme la référence.
loin des formes indéfi- Lorsqu’en 1971, Arturo Michelangeli, lui, pro-
nies de Bruyères au ton Benedetti Michelangeli pose une vision certes
anguleux, sec et net de (1920-1995) publie son contrastée mais très
Minstrels; du ton lugu- enregistrement du Pre- rigoureuse,un peu sèche
bre et désolé de Des pas mier Livre (le Second en apparence, mais sur-
AKG-IMAGES / ALBUM / ORONOZ

sur la neige à la lumière suivra en 1988),les ama- tout très soucieuse de


rayonnante des Collines teurs de Debussy sont bien dessiner les lignes,
d’Anacapri).S’ils restent surpris et parfois parta- de ne laisser aucun détail
aujourd’hui le cycle le gés car il rompt avec au hasard, de souligner
plus joué et le plus enre- toute une tradition l’originalité des harmo-
gistré de Debussy, c’est quelque peu brumeuse nies et de travailler les
qu’il s’agit là d’une sorte et « impressionniste », sonorités. X

ERIK
au contenu souvent possèdent une conci-
décapant, Croquis et sion scarlattienne et une
SATIE agaceries d’un gros
bonhomme en bois,
netteté de composition
qui les placent très haut,
(1866-1925) Embryons desséchés, mais en position décalée
Véritables préludes par rapport à tous ses
près avoir donné flasques (Pour un chien), contemporains. Il y faut

A dans le registre
mystico-antico-
ésotérique, Satie se mit
Trois Valses distinguées
du précieux dégoûté,
Trois Morceaux en forme
un interprète méticu-
leux et modeste : Aldo
Ciccolini (1925-2015)
Pièces pour piano
Aldo Ciccolini
à composer de nom- de poire, etc., qui consti- est l’un des rares à en
BRIDGEMAN

(Erato)
breuses pièces brèves tuent le meilleur de sa avoir compris le mode
aux titres burlesques et production. Celles-ci d’emploi. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 61


EN COUVERTURE
ALEXANDRE SERGUEÏ RACHMANINOV (1873-1943)
SCRIABINE es vingt-quatre
(1872-1915)

xact contempo- Le Canadien Marc-


L Préludes de Rach-
maninov (1901-
1910) sont comme le

E rain de Rachmani-
nov, Scriabine est
moins « grand public ».
André Hamelin, incon-
testablement l’un des
plus grands virtuoses de
bréviaire du piano post-
romantique russe.Assez
loin du style parfois
Son monde musical et notre temps, et des plus un peu déclamatoire de
philosophique est plus originaux aussi,maîtrise ses célèbres concertos,
complexe et tourmenté. pleinement cet univers. Rachmaninov y déploie

LIBRARY OF CONGRESS
Parti d’un romantisme Il en restitue l’intensité unelargepaletted’affects
assez classique, il est expressive, le carac- et d’atmosphères.
parvenu à un univers tère visionnaire, l’art Si l’on devait définir en
extrêmement original de la sonorité, fondé unmotlacaractéristique
du point de vue formel sur une utilisation très essentielle du style de
et harmonique,ouvrant imaginative des pédales Nikolaï Lugansky, qui
sur une conception et un grand sens de la s’est d’emblée imposé n’est pas ici synonyme
radicalement différente gradation des intensi- comme un grand spé- de brutalité. L’impres-
du langage musical et de tés, pouvant atteindre cialiste du compositeur, sion « volcanique » pro-
la technique pianistique. le cataclysme sonore. X on noterait avant tout vient seulement du jeu
sa simplicité. Bref, tout des volumes,du rapport
ce qui pourrait être sur- des intensités car il ne Préludes
joué pour créer une suffit pas d’appuyer fort Nikolaï Lugansky
impression de roman- sur les touches et de (HM)
tisme tourmenté se cogner pour que « ça
trouve retenu. L’énergie sonne ». X

MAURICE RAVEL (1875-1937)


eu importante en poncif de la musique dès 1947 avec son fabu-

P quantité, l’œuvre
pour piano de
Ravel ne comprend qua-
française raffinée, élé-
gante et pleine d’esprit,
Ravel a composé là une
leux enregistrement de
Scarbo, la dernière pièce
du cycle qu’il enregis-
siment que des pages partition noire, grin- trera plus tard en entier.
de premier plan. Gas- çante, inquiétante, De son propre aveu,
pard de la nuit est un d’une immense diffi- il vivait douloureuse-
triptyque inspiré par les culté technique. ment l’interprétation de
poèmes d’Aloysius Samson François (1924- cette œuvre tendue et
Bertrand, un roman- 1970) s’était fait un nom violente. X
AKG-IMAGES

tique mineur mais fasci-


nant, que l’on qualifie-
rait aujourd’hui de
gothique. Bien loin du
Les sonates
Marc-André Hamelin
(Hyperion)
RUE DES ARCHIVES

Gaspard de la nuit
Samson François
(Erato)

62 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


SERGUEÏ PROKOFIEV
(1891-1953)

ladimir Ashke- percutants ou d’amples

V nazy a mené chez


Decca l’une des
plus belles carrières dis-
et complexes dévelop-
pements. Il y faut des
doigts d’acier, mais éga-
cographiques qui soient, lement un sens de la
par la durée, la variété sonorité et une intelli-
et la qualité, tant il a gence approfondie qui
apporté à tout ce qu’il a permette d’unifier ces
joué une sorte d’évi- pièces disparates. X
dence dans la perfec-
tion. Les trois sonates
« de guerre » de Proko-
fiev couronnent l’œuvre

AKG-IMAGES / HORST MAACK


pianistique du compo-
siteur, tour à tour acides
et agressives ou extrê- Sonates nos6, 7 et 8
mement tendres, pro- Vladimir Ashkenazy
posant de brefs épisodes (Decca)

OLIVIER MESSIAEN
(1908-1992)

i e r re - L a u re n t conceptions occiden-

P Aimard rappro-
chetroismoments
de la production pianis-
tales, fondé notamment
sur les rythmes hin-
dous. Grand défenseur
Huit Préludes.
La Bouscarle.
L’Alouette Lulu.
tique d’Olivier Messiaen du répertoire d’aujour-
Îles de feu I et II
pour en montrer la d’hui, Aimard, à qui
Pierre-Laurent Aimard
cohérence et l’unité de le piano contemporain (DG)
pensée. Les Préludes de doit beaucoup, maîtrise
jeunesse, deux extraits le langage complexe de
LIBRARY OF CONGRESS

du magnifique Cata- Messiaen et rend parfai-


logue d’oiseaux et les Îles tement claires et acces-
de feu qui proposent sibles ces pages fonda-
un système rythmique mentales de la musique
en rupture avec les du XXe siècle. X

HENRI DUTILLEUX
(1916-2013)
’est l’outsider de puissante et engagée de style encore classique

C notre sélection. l’unique sonate de évoluait considérable-


AKG-IMAGES / MARION KALTER

Un e p i a n i s t e Dutilleux, incontesta- ment (1946-1948). Au


encore peu médiatisée blement une œuvre même programme, la
dans un programme phare du répertoire Ballade et le Thème et
rigoureux et un éditeur contemporain, compo- Variations de Gabriel Sonate
audacieux nous offrent sée et créée pour sa Fauré confirment le Aline Piboule
une version extrême- jeune épouse,Geneviève talent plein de maturité (Artalinna)
ment intéressante, Joy, à l’époque où son de l’interprète. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 63


EN COUVERTURE

CES AUTRES
PIANISTES
De Jean-Paul Sartre à Emmanuel Macron, d’Albert Einstein à Clint Eastwood,
qu’ils soient philosophe, homme politique, physicien ou cinéaste, le piano
est leur autre passion, qu’ils pratiquent en amateurs. Portraits.

JEAN-PAUL SARTRE
qui le dit. » Comme tout
enfant de la bonne bour-
(1905-1980) geoisie, Sartre prend des
leçons de piano, mais

O
n connaît Jean- Schumann ou Franck. abandonne assez vite
Paul Sar tre La musique décuple son pour se former en auto-
comme écrivain, imagination et nourrit didacte.Tantquesasanté
philosophe et drama- ses jeux.Au gré des mor- le lui permettra,il jouera
turge. On sait moins ceaux interprétés,le petit quotidiennement.
qu’il était aussi musicien. Sartre est tour à tour Même lorsqu’il travaille
Dans son essai auto- cow-boy, guerrier ou aux côtés de Simone de
biographique Les Mots, prince: « Je protège une Beauvoir,il consacre sys-
il revient pourtant sur sa jeune comtesse contre tématiquement deux

SDP
jeunessemélomanedans le propre frère du Roi, heures à la musique pen-
une famille de musi- quelle boucherie ! Mais dant que sa compagne lit
ciens. Il raconte com-
ment, enfant, il guette
mamèreatournélapage;
l’allegro fait place à un
un livre.Sartre privilégie
les classiques, il aime CLINT EASTWOOD
avec impatience les tendre adagio; j’achève le Bach, Beethoven, Schu- (Né en 1930)
moments où sa mère carnage en vitesse, je sou- mann, et refuse de se

C
s’installe au piano fami- ris à ma protégée. Elle mettre au jazz.Le phrasé lint Eastwood plusieurs bandes origi-
lial pour jouer Chopin, m’aime; c’est la musique jazz est trop éloigné à ses découvre le piano nales,dontcelles de Mys-
yeux du phrasé classique trèsjeuneenécou- tic River et Grace is Gone,
pour qu’il se sente capa- tant Fats Waller sur les qui seront largement
ble de le jouer correcte- disques de sa mère. Il se récompensées.
ment. L’âge venant, prend de passion pour Clint Eastwood s’est
Sartre perd la maîtrise le jazz et joue du piano aussi toujours engagé
de ses mains et sa vue en autodidacte. Devenu pour la diffusion du jazz
décline.Il remplace alors acteur, il continue la contemporain à travers
la pratique de son ins- musique et utilise même le monde.Il est membre
trument par une écoute ses talents de pianiste actif du Festival de jazz
intensive de la musique. de jazz chevronné dans de Monterey en Califor-
Chaque soir, il se plonge certains de ses longs nie et a consacré un
dans sa riche collection métrages, comme le documentaire au grand
de disques et, la journée, mythique Bird. Thelonious Monk.
EMI MUSIC / CLR ARCHIVES

il se branche sur France Le réalisateur américain Piano Blues, l’un de ses


Musique. Quelques est également un com- films documentaires les
années avant sa mort, positeur de musiques de plus personnels, est un
il confie : « Dès que j’ai film confirmé. Avec son hommage aux grands
envie de jouer, je tourne collègue et ami Lennie pianistes de blues qui
le bouton de la radio! » X Niehaus, il compose l’ont inspiré. X

64 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


ELFRIEDE JELINEK
(Née en 1946)

R
écompensée du le fragment d’opéra.
prix Nobel de lit- Tapant sur son ordina-
térature en 2004, teur comme sur un cla-
L. HONNORAT

l’écrivaine autrichienne vier de piano, Elfriede


est une musicienne Jelinek écrit comme
accomplie. Dans la elle joue: « J’utilise le son
grande tradition vien- de chaque mot comme

THIBAULT DAMOUR noise, elle passe toutes


ses années d’adolescence
s’il s’agissait d’une com-
position musicale. » X
(Né en 1951) au conservatoire où elle
étudie le piano, l’orgue

P
our Thibault l’argent de son Grand et la composition. En
Damour, spécia- Prix de l’Académie des 1983, elle publie son
listedestrousnoirs Sciences pour ses tra- célèbre roman, La Pia-
et médaille d’or du vaux sur les ondes gra- niste, qui fait scandale et
CNRS, physique quan- vitationnelles, il s’offre sera ensuite adapté au
tique et piano font visi- un magnifique Steinway cinéma par son compa-
blement bon ménage. de concert. triote Michael Haneke.
Adolescent, le physicien Aujourd’hui encore, il Jelinek y décrit la rela-
en herbe dévore les écrits lui arrive de donner des tion masochiste qui unit
d’Albert Einstein, tout petits concerts à l’Insti- une professeure de
en étudiant le piano tut des Hautes Études piano destructrice à un
avec Pierre Giriat, lui- Scientifiques où il ensei- jeune étudiant soumis.
même élève de D’Indy gne. Comme le père de Dans ce roman très noir,
SUDDEUTSCHE ZEITUNG / RUE DES ARCHIVES

et de Roussel. Jeune la relativité, Thibault fortement autobiogra-


chercheur à l’université Damour est convaincu phique, Jelinek règle ses
de Princeton aux États- que la musique permet comptes avec l’Autriche
Unis, il a le grand privi- d’aborder les pro- et son rapport pervers
lège de pouvoir jouer blèmes scientifiques au génie musical. Dans
quelques pièces de Rach- sous un angle diffé- ses livres acerbes, la
maninov et de Schu- rent : « La musique musique est partout
mann sur un Bechstein apporte des réponses, présente,à la fois triviale
ayant appartenu à Eins- sans qu’on sache quelle et sublime : le jingle
tein. En 1990, avec est la question. » X publicitaire y côtoie

CONDOLEEZZA RICE (Née en 1954)

P
rem i è re A f ro - bien résolue à devenir Auprogramme:Brahms,
américaine et pianiste professionnelle. Chostakovitch ou Schu-
deuxième femme Vivement intéressée par bert.Ses talents de musi-
à occuper le poste de les relations interna- cienne sont tels qu’elle
secrétaire d’État aux tionales, Condoleezza est parfois invitée à
États-Unis,Condoleezza Rice se décide finale- jouer lors d’événements
Rice est également une ment pour une carrière diplomatiques. Elle a
pianiste accomplie. Née diplomatique. Secré- par exemple eu l’occa-
dans une famille de taire d’État dans l’admi- sion d’accompagner le
mélomanes et douée nistration de George violoncelliste Yo-Yo Ma
d’un réel talent musical, W. Bush, elle parvient ou la chanteuse Aretha
la future politicienne toujours à se ménager Franklin et même de
enchaîne pendant un peu de temps pour donner un récital devant
plusieurs années les jouer avec son ensemble la reine d’Angleterre,
DO

concours et les festivals, de musique de chambre. Elizabeth II. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 65


EN COUVERTURE

ALBERT EINSTEIN
(1879-1955)

A
lbert Einstein ne avec tous les scienti- Einstein faisait de fré-
concevait pas sa fiques mélomanes qu’il quents allers-retours à
vie sans musique. rencontrait. Mais il pra- son piano pour y pla-
Il a souvent déclaré qu’il tiquait également le quer quelques accords
aurait été musicien s’il piano, qui faisait partie ou improviser un thème,
n’était pas devenu phy- intégrante de sa réfle- avant de retourner,satis-
sicien. Mozart a été le xion scientifique. Pour fait, à ses équations. En
déclencheurdecettepas- lui, l’intuition musicale 1929, il décrivait cette
sion qui l’accompagnera allait de pair avec l’intui- philosophie en ces ter-

LIBRARY OF CONGRESS
toute sa vie.Le père de la tion mathématique, et mes : « Je pense souvent
théorie de la relativité ne jouer l’aidait bien sou- en termesdemusique.Jevis
se séparait jamais de son ventàsurmonterdesobs- mes rêveries dans la musi-
violon et ne ratait pas tacles théoriques. Ainsi, que. Je vois ma vie en
une occasion de jouer lorsqu’il travaillait, termes de musique. » X

RICHARD NIXON (1913-1994)

L
a Maison Blanche Blanche.Il aimait à don-
a connu de nom- ner des petits récitals
breux présidents devant les hauts digni-
mélomanes. On sait par taires de passage, les
exemple que Bill Clin- divertissant avec des
ton était saxophoniste chansons traditionnelles
et Barack Obama un ou patriotiques comme
fameux chanteur. Mais « Missouri Waltz » et
c’est le 37e président des « God Bless America ».
États-Unis qui aura sans En 1961, en pleine cam-
doute été le plus enthou- pagne présidentielle,
siaste d’entre eux.Outre le candidat Nixon ira
ses talents d’accordéo- même jusqu’à se rendre
LIBRARY OF CONGRESS

niste, Richard Nixon dans un célèbre talk-


jouait également du show pour y interpréter
piano.Il aurait d’ailleurs une composition de
fait venir plusieurs ins- son cru: Richard Nixon
truments à la Maison Piano Concerto #1. X

EMMANUEL MACRON
(Né en 1977)

S
urnommé le reçu le Troisième Prix, Rossini. Cet intérêt ne
« Mozart de l’Ély- Emmanuel Macron se se limite cependant pas
sée », Emmanuel rend au concert dès qu’il à la seule musique clas-
Macron est sans doute en a l’occasion et n’hésite sique. L’homme poli-
l’un des présidents pas à faire partager sa tique serait également
SOAZIG DE LA MOISSONNIERE

les plus mélomanes passion pour le grand un grand amateur de la


de la Ve République. répertoire classique, chanson française, qu’il
Ayant lui-même étu- tout particulièrement interpréterait volontiers
dié le piano pendant les pièces pour clavier au piano dans l’inti-
dix ans au Conserva- de Bach, Liszt et Schu- mité de ses apparte-
toire d’Amiens où il a mann et les opéras de ments à l’Élysée. X

66 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Gérard Bekerman
Comment naissent
des pianistes
FONDATEUR DU CONCOURS INTERNATIONAL DES GRANDS AMATEURS DE PIANO,
ET PIANISTE LUI-MÊME, CET ÉCONOMISTE ÉVOQUE LES CANDIDATS :
GRANDS PARCE QU’ILS SONT RESPONSABLES, AMATEURS PARCE QU’ILS AIMENT…

Q
uelle place la musique, et plus
particulièrement le piano, a dans
votre vie ?
La plus belle. Pendant longtemps je
n’ai pas souhaité faire de choix entre
le piano et mes études d’économie
politique. Pour les pianistes j’ai toujours été un
économiste et pour les économistes un pianiste.
Mais il a tout de même fallu que je me décide. Je
pense que je ne suis pas devenu professionnel
de la musique par raison. La vie d’artiste est très
complexe. Lorsque vous ne faites pas partie des
meilleurs, votre carrière est aléatoire, il est diicile
de décrocher un label, des cachets, une situation

LEDROIT - PERRIN
stable… Une vie est la somme de plusieurs vies qui
ne s’opposent pas mais se complètent.Aussi suis-
je devenu universitaire puis président de l’Afer, une
association d’épargne et de retraite, tout en res-
tant attaché à la musique: en 1989, j’ai ainsi créé
le Concours international des grands amateurs Il permet à chacun de se donner la motivation de
de piano. Je suis également vice-président de la pratiquer et de se perfectionner.
Fondation Cziffra à Senlis, une passion. Quels sont les moments et les personnes
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer qui vous ont le plus marqué en bientôt
ce concours international et comment trente ans de concours ?
fonctionne-t-il ? Je me souviens de la performance d’un candidat:
Sans doute l’envie de partager avec d’autres Alexandre Bodak, un cardiologue, qui a remporté
amateurs. Communiquer avec des hommes, des le concours de 1992. Il jouait La Mort d’Isolde,
femmes d’horizons professionnels divers : des une transcription de Liszt, magnifique! C’était un
juristes, des employés, médecins, étudiants, bref, ACTUALITÉS grand moment. Il est, par la suite, devenu un ami
des personnes qui ne vivent pas par la musique et grâce au concours,il a continué à jouer dans des
Z Prochain Concours
mais pour la musique, fédérées par l’amour du hôpitaux, des prisons… Je pense aussi à certains
des grands amateurs
piano. Nela Rubinstein [la veuve d’Arthur Rubins- de piano participants qui auraient pu gagner mais n’y sont
tein, ndlr] a aimé l’idée et a soutenu le concours Du 20 au 23 mars 2019. pas arrivés. Je me souviens d’une avocate, Géral-
depuis 1989 jusqu’à la fin de sa vie.J’ai voulu créer Inscriptions ouvertes : dine Pellerin.Elle jouait Papillons de Schumann,elle
une sorte d’anti-concours : il n’y a pas de règle- www.pianoamateurs.com a véritablement frôlé la finale sans y accéder.À vrai
ment, le programme est libre, les candidats sont dire, je pense aux 2000 candidats des 75 pays du
de tous niveaux. Passer le concours est une véri- monde entier que le Concours des grands ama-
table épreuve, vis-à-vis de soi-même, qui permet teurs a accueillis depuis sa création.Les plus belles
à chaque candidat de s’améliorer, de se dépasser. rencontres sont celles qui arriveront demain. Les
Le concours permet de donner une échéance aux beaux moments sont encore à venir… X
participants qui doivent être prêts à un instant T. Propos recueillis par Bertille Lefort

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 67


PASSION MUSIQUE
D’OLIVIER BELLAM

L’invité DANIEL
PRÉVOST
du mois

PRINCE DE L’ABSURDE, HÉRITIER DES SURRÉALISTES, L’ARTISTE EST L’UN


DE NOS GRANDS ACTEURS COMIQUES. IL SAIT AUSSI FAIRE TOMBER LE MASQUE
DE L’AMUSEUR POUR PARLER DU MANQUE, DE MUSIQUE ET DE POÉSIE.

J
e suis né fou furieux. j’étais démoli,mon institutrice, j’avais vu Jeux interdits avec
Avec le temps, on Mme B., m’a éveillé avec dou- Georges Poujouly et Brigitte
devient plus sen- ceur à la poésie. Ça ne m’a Fossey. La célèbre musique est
sible, mais il ne faut jamais quitté. Au fil des événe- une romance populaire adap-
pas être pleurni- ments de la vie, des vers me tée par Narciso Yepes. C’est un
chard. Alors, la rigo- reviennent:« Que sont mes amis moment de grâce et de pureté
lade est un substitut. J’essaie devenus / Que j’avais de si près dans l’horreur de la guerre.
de m’accrocher désespérément tenus ? » (Rutebeuf.) Eh oui,
à la vie et de produire quelque il n’est pas un jour où je ne ACCORD MAJEUR
chose. Un jour, un copain pense à Jean Yanne, Michel Un camarade,Jacques,qui était
du métier m’a dit : « Prévost, Serrault, Desproges… Mais chef de chorale chez les scouts,
tu racontes que des conneries. » je ne veux pas être envahi par m’a appris des rudiments de
J’ai répondu: « Je peux raconter le chagrin, alors avançons ! guitare. Quelques accords. La
des choses si tristes à te ficher Quand mon épouse est morte, mineur, mi mineur et, mon
le bourdon, alors choisis. » Je ne j’ai récité : « Arrête toutes les préféré, do majeur… J’ai tra-
revendique rien,j’essaie d’avan- horloges, coupe le téléphone, fais vaillé une gavotte de Bach, une
cer sur mon petit chemin. Inu- taire les pianos. » (Auden.) bourrée de Robert de Visée
tile de se révolter, je crois qu’on La mort de García Lorca m’a (le professeur de guitare de
n’a pas le choix. André Breton bouleversé.Comment peut-on Louis XIV)… Ça m’a donné
Retrouvez a dit: « Dieu est mort, épuisé par tuer un poète ? Et quand j’ai un grand bol d’air. Dès qu’un
OLIVIER sa Création. » C’est comme ça entendu Paco Ibáñez chanter guitariste se produisait à Paris,
BELLAMY et on est programmé pour « Andaluces de Jaén » sur un j’y allais. J’ai pu entendre
et son invité dans
« Passion Classique » environ quatre-vingt-cinq ans, poème libertaire de Miguel Alexandre Lagoya, Ida Presti,
tous les jours, alors faut pas se gourer [rire]. Hernández, j’ai pleuré. J’étais ensemble et séparément, et
de 18 h à 19 h La poésie et la musique nous mûr pour le sanglot de la gui- Narciso Yepes. Après le concert
aident à avancer. Alors que tare. Avec ma grand-mère, d’Andrés Segovia, j’ai fait la

68 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


NIESZAWER / LEEXTRA / LEEMAGE
queue pour obtenir un auto- la Symphonie « Du Nouveau pirouette, un pied de nez.
graphe et puis j’y ai renoncé Monde », qu’elle aimait parti- Je n’arrive pas à prendre tout ça Ses
pour ne pas salir ce moment.
J’ai eu un coup de cœur pour
culièrement, et puis Smetana,
Sibelius, qu’elle m’a appris à
au sérieux, alors une blague me
vient.Jen’aipasd’autresolution. musiques
Léo Ferré quand je suis allé aimer. Son père lui jouait les Les choses profondes, comme
l’entendre à Dejazet. Il a su Nocturnes de Chopin, qu’il m’a la mort, sont accompagnées de
Z Sibelius: Valse triste
mettre les grands poètes en été difficile d’écouter après sa choses médiocres,inutiles,dont
Z Smetana: La Moldau
musique. Je me souviens de disparition. C’est trop violent, on aimerait bien se débarrasser
Z Chopin: Étude
« Merde à Vauban », une ça m’arrache le cœur. pour alléger le poids de tout ce
révolutionnaire
chanson de bagnard, sur un L’humour, c’est venu petit à qui nous encombre.Mais on est
Z Jeux interdits
texte de Seghers.Tout le monde petit. J’étais déconstruit, alors fait de tout ça, la Création n’est (joué par Narciso Yepes)
n’aime pas la poésie. Certains il a bien fallu combler ce vide. pas parfaite [rire].
sont mal à l’aise quand ils en Je me suis construit avec des Le deuil des proches n’est pas
entendent. La chanson, c’est facéties. Et puis, quand je parle facile, mais le deuil des ani-
un peu la poésie pour tout le sérieusement, j’ai peur de maux non plus. Quand j’ai Ses
monde.« L’AmouretlaGuerre »
de Bernard Dimey, que j’ai
m’ennuyer, alors je fais une perdu mes chiens et mon chat,
j’étais à la ramasse. Le jour où madeleines
entendu dans la voix de Char- mon chat est mort, je prenais
lesAznavour à l’Alhambra,est à mon petit déjeuner en atten-
mes yeux le plus beau manifeste
contre la guerre. Quand les
« La chanson, dant de le voir surgir… Je n’ai
pas grandi sur ce point comme
Z Léo Ferré:
« Merde à Vauban »
choses sont belles, tout le
monde se tait,un vrai silence se
c’est la poésie sur beaucoup d’autres. Je mour-
rai enfant. X
Z Charles Aznavour:
« L’Amour et la Guerre »
fait. Quand la folie me prend, pour tout
le monde »
je me chante cette chanson. £ À lire : Tu ne sauras jamais
Avec mon épouse, j’ai découvert combien je t’aime (Cherche-Midi).

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 69


L’ENTRETIEN

Nathalie Stutzmann
SON PACTE
AVEC LA MUSIQUE
Connue comme l’une des rares contraltos, DVD va sortir. Pour Mefistofele, il m’a dit que ça
n’avait jamais été donné à Orange et qu’aucune
cette artiste au geste naturel de chef femme n’avait dirigé dans l’arène. Le défi était
a une connivence profonde avec tentant, mais je n’ai pas tout de suite dit oui. J’ai lu
la partition. Cela m’a semblé fou et comme je suis
les ensembles qu’elle dirige. Fervente un peu folle, j’ai dit oui.
Comment se présente l’ouvrage ?
et énergique, elle enflammera cet été les C’est une suite de scènes comme La Damnation de
Chorégies d’Orange dans un programme Faust. Boito n’aimait pas du tout le Faust de Gounod
qu’il jugeait indigne du chef-d’œuvre de Goethe. Il
diabolique: Mefistofele d’Arrigo Boito. a réuni les deux Faust du poète, ce qui est très ambi-
tieux pour un jeune homme qui avait vingt-six ans
à la création, il a écrit le livret lui-même, comme

V
Wagner qu’il admirait, et produit un monstre en
quatre actes, aussi long que Parsifal avec prologue
ous êtes le fruit d’un et épilogue. Dans la foulée, il a aussi écrit un livre de
mariage entre une cent pages expliquant comment il fallait le mettre
soprano et un baryton. en scène. Il a même dirigé la première à la Scala de
Ce qui est rare à l’Opéra Milan, alors qu’il n’était pas chef d’orchestre. S’il
est heureux dans la vie. avait pu chanter tous les rôles, il l’aurait probable-
Oui [rires] et j’ai travaillé ment fait. La création en 1875 a été un four reten-
avec eux de manière tout à tissant. Sans se décourager, il a écouté les critiques
BIOGRAPHIE fait naturelle. Ma voix étant et remanié l’ouvrage. Six mois plus tard, le succès
EXPRESS peu ordinaire, beaucoup de gens ont voulu me
conseiller, mais j’ai dû réduire le cercle à mes
était au rendez-vous à Bologne, un repaire de
wagnériens, et en 1881, Mefistofele recueillait enfin
1965
Naissance à Suresnes parents, Michel Sénéchal et Hans Hotter. C’est les vivats des Milanais. Il faut dire qu’entre-temps,
1982 important de s’adresser aux bonnes personnes. Faust était passé de baryton à ténor… chanté par
Premier Prix de piano et
de musique de chambre
Surtout pour le chant et la direction d’orchestre Caruso, que le Diable n’était rien moins que Cha-
1993 qui, par leur nature impalpable, attirent tous les liapine, le tout placé sous la baguette de Toscanini.
Enregistre des Mélodies charlatans du monde. Quel est votre sentiment personnel
de Fauré avec Catherine C’est peut-être Hans Hotter qui a nourri votre sur Mefistofele ?
Collard (RCA) passion de chef d’orchestre pour Wagner. Boito n’est pas un mélodiste du même acabit que
1994
Il y a contribué. Dès que j’ouvre une partition de Verdi, même si de belles pages se détachent. En
Crée Ombra Felice au
Festival de Salzbourg Wagner, je suis à la maison ; c’est inexplicable. revanche, il fait montre d’un incroyable talent har-
1999 Et Mefistofele de Boito. Vous connaissiez monique et rythmique. Je ne compte plus les chan-
Enregistre Elephant Man l’œuvre avant de l’interpréter ? gements de tempos, l’alternance du ternaire et du
de Laurent Petitgirard Je connaissais des airs, comme tout le monde. Et binaire,l’écriture chromatique,l’usage de la septième
(Le Chant du monde) j’avais vu la production dirigée par Riccardo Muti diminuée… Il expérimente tout le temps. C’est un
2009
Fonde Orfeo 55, à la Scala de Milan. vrai novateur des timbres instrumentaux et de la
son orchestre de chambre Pourquoi avoir accepté ce défi aux Chorégies couleur avec un orchestre en coulisses, un grand
2014 d’Orange ? orgue,deux harpes,un double chœur,un harmonica
Enregistre Heroes C’est Jean-Louis Grinda qui me l’a proposé. Je de verre… Bref, on ne s’ennuie jamais. Il se passe
from the shadows viens de diriger la version parisienne de Tannhaü- toujours quelque chose pendant quatre heures.
avec Orfeo 55 (Erato)
2017 ser, chez lui, à l’Opéra de Monaco. C’était un travail Ça ne vous fait pas peur ?
Dirige Tannhaüser à passionnant. En langue française, on entend déjà J’adore les gros bazars, ça me stimule [rires].
l’Opéra de Monte-Carlo Pelléas. La production a eu un tel succès qu’un Depuis que j’ai survécu à la Neuvième de OOO

70 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


STÉPHANIE LACOMBE POUR CLAISSICA

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 71


L’ENTRETIEN

JEAN-PIERRE MULLER / AFP


Nathalie Stutzmann Beethoven, l’armure s’est solidifiée. Et puis comme livre Absolutely on Music écrit avec Haruki Mura-
dirige l’ensemble disait ma grand-mère avec philosophie : « La peur kami (auteur notamment de Kafka sur le rivage),
baroque Orfeo 55 n’enlève pas le danger. » Seiji Ozawa raconte que du temps où il était en
qu’elle a fondé en Comment avez-vous travaillé ? poste à Boston il se levait à cinq heures du matin
2009. De retour de D’abord, je lis la partition plusieurs fois pour en pour effectuer l’indispensable travail seul à la
sa première tournée avoir une vision globale. Je m’imprègne de l’écri- table. Murakami lui répond que c’est aussi la
en Asie, l’orchestre ture, du parcours harmonique. Puis je chante tous meilleure heure pour écrire.
de chambre est en les rôles et je joue toute l’œuvre au piano avec la Vous avez aussi chanté durant cette période ?
résidence à l’Opéra partition complète sous les yeux (pas la réduction). Oui, deux semaines de tournée en Asie avec mon
de Montpellier Sur le papier, je note les carrures en couleur, je orchestre Orfeo 55, soit dix concerts de trois pro-
jusqu’en 2020. balise le chemin, je signale les « accidents » dans grammes différents.
Son dernier album une autre couleur. Regardez ici : 206 à la noire ! Vous dirigez en chantant ?
est consacré aux airs C’est un tempo vertigineux dans le contexte. J’ai En quelque sorte. Je prépare l’orchestre avant. Au
antiques, Quella aussi comparé les éditions pour repérer les erreurs concert, c’est aussi naturel que de la musique de
Fiamma (Erato). d’impression. Ça prend un temps fou ! Bref, il y en chambre, on respire ensemble.
a pour des semaines de travail. À Kristiansand (Norvège), vous êtes…
Et pendant ce temps, vous avez dirigé Je suis « chef principal désigné » de l’Orchestre
d’autres œuvres ? symphonique de Kristiansand.
Oui, c’est ça le plus difficile : se brûler totalement Vous préparez aussi la saison avec eux ?
à des feux différents et simultanés. Pendant le Ils me réclament déjà 2019-20. J’essaie de monter
travail de Mefistofele, j’ai dirigé la Neuvième, la des programmes originaux. Ça prend du temps.
Cinquième et la Première de Beethoven. Et aussi Des programmes originaux comment ?
la Deuxième Symphonie et le Concerto pour violon Je dirigerai le Concerto « Empereur » de Beethoven
de Brahms, le Deuxième de Rachmaninov, la avec Francesco Piemontesi et la Cinquième de
Septième de Dvorak, le Concerto pour violoncelle Beethoven qui encadreront Flammenschrift de
d’Elgar… J’oubliais Ravel : Valse, Menuet antique, Connesson écrit comme un hommage à la Cin-
Barque sur l’océan. Je ne parle là que des œuvres quième. Ce programme me paraît cohérent et fort
que j’ai dirigées pour la première fois ! Dans son sur le plan musical. J’ai prévu aussi un concert avec

72 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Prélude et Liebestod de Wagner, Concerto pour
hautbois de Strauss qu’on programme rarement,
Georges Prêtre assurait qu’on naissait chef. C’est
mystérieux.On ne produit pas de son,mais on le crée ACTUALITÉS
Mort et Transfiguration, pour terminer sur le Pré- quand même. Deux individus vont faire la même Z Nathalie Stutzmann
lude des Maîtres chanteurs. C’est radical. Et puis je levée et les deux sons seront différents. C’est une dirige Mefistofele de Boito,
veille au répertoire de l’orchestre. Par exemple, ils vision qui se transmet par le corps,le bras,les yeux… au Théâtre antique
n’ont jamais joué la 25e Symphonie de Mozart ; on Question inévitable : est-ce plus difficile d’Orange, les 5 et 9 juillet,
la jouera! Je me partagerai avec Dublin (Orchestre d’être chef quand on est femme ? avec Erwin Schrott,
Béatrice Uria-Monzon,
symphonique de la radio-télévision irlandaise) où Je l’ignorais jusqu’à ce que j’entre en classe de Jean-François Borras,
je suis « principal guest conductor » et j’irai aux direction d’orchestre à quatorze ans. Le prof m’a les Chœurs des Opéras
États-Unis où je dirigerai les orchestres de Phila- dit : « Je ne peux pas t’empêcher d’être là, mais tu ne d’Avignon, Monte-Carlo et
delphie, Washington, Seattle, Minnesota, Cincin- dirigeras pas l’orchestre. » Voilà ! Ce qui est difficile, Nice, le Choeur d’enfants
nati, Saint-Louis… c’est qu’on vous fasse confiance. Je suis alors entrée de l’Académie Rainier III
de Monaco et l’Orchestre
Pensez-vous qu’être chanteur donne en classe de basson où j’étais la seule fille. Je pense philharmonique de Radio
quelque chose de plus organique à la direction avoir fait évoluer les mentalités puisqu’à ma sortie France, dans une mise
d’orchestre ? du Conservatoire, il y avait autant de filles que de en scène de Jean-Louis
Je m’en rends compte de plus en plus. L’obsession garçons en première année. Il faut oser, car Grinda.
du chef est de faire respirer la phrase, de gérer les aujourd’hui la conjoncture est favorable. Quand Z Le 30 août, elle sera
équilibres, la couleur. Or, c’est ce que j’ai cherché j’ai commencé à vouloir diriger, il y a six ans, je n’ai à la tête de l’Orchestre
symphonique de
toute ma vie sur mon propre instrument. Face à pas voulu devenir une femme qui dirige, j’ai voulu Kristiansand (Norvège),
un orchestre, je peux tout leur chanter et je sais que diriger. Je n’ai pensé qu’à la musique. Naïvement, dans un programme
ça les aide beaucoup plus qu’un beau discours. je n’ai pas pensé que le fait d’être une femme serait Wagner, Tchaïkovski,
Autre chose, un solo dans l’orchestre, il faut laisser un frein. Or les organisateurs m’ont demandé de Brahms.
chanter le musicien et ne pas le bloquer. Les chefs chanter la première partie pour pouvoir diriger la Renseignements : www.
nathaliestutzmann.com
purement symphoniques seront toujours limités. deuxième partie. On parle beaucoup des femmes
À l’opéra, un chef passe son temps à écouter ce qui chefs en médiatisant quelques rares exemples, mais
se passe. Ça oblige à une flexibilité de chaque ins- la profession reste masculine à 99 %. Et je ne parle
tant. Et il faut néanmoins porter tout le monde et pas des directeurs musicaux !
donner la direction. Certaines sont pour la méthode forte.
Une voix grave permet-elle d’être en phase Pas moi. Comme assistant, je n’engagerai pas for-
avec le registre grave de l’orchestre, la base cément une femme parce que c’est une femme. Si
de la polyphonie ? elle est nulle, je n’en veux pas. Sans être bêtement
Vous êtes la première personne à me le dire. C’est militant, on peut s’inspirer de l’ouverture d’esprit
vrai que je suis très attentive aux fondations, à la dont font preuve les pays nordiques. Mais les filles
structure.Si ce n’est pas stable,je me sens mal à l’aise. elles-mêmes sont encore prisonnières de schémas.
La force repose sur une fragilité bien sentie ? Celles qui veulent franchir le pas me demandent
À condition de la vivre ensemble, car la musique toutes comment s’habiller en répétition ! Cette
se fait à plusieurs. La prise de risque, je connais. Un question les préoccupe beaucoup. Moi, je me suis
premier violon m’a dit un jour : « You’re so risky ! » toujours mise en jeans et tee-shirt sans me poser
J’ai répondu : « ‘cause I trust you. » Les moments de questions et sans chercher à me masculiniser.
magiques viennent toujours d’une prise de risque. C’est plus confortable, c’est tout. Cela dit, il me
Sans risque, il n’y a plus de magie. Or c’est ce qu’on semble que le métier de « chef » attirera toujours
cherche en permanence. Tout le travail sert donc plus les garçons que les filles tant que la fonction
à préparer la prise de risque. portera ce nom, car le phantasme du pouvoir
Vous comprenez les musiciens ? s’inscrit davantage dans une mythologie mascu-
Ayant été bassoniste dans un orchestre, je sais que line, même si l’essentiel est ailleurs. OOO

ça peut être le plus beau métier du monde ou le


plus ennuyeux. Le pouvoir ne m’intéresse pas. Par
exemple, en récital, j’ai toujours recherché l’égalité
pour aller le plus loin possible. Inger Södergren
n’est pas mon « accompagnatrice » (quel horrible
Être chanteur donne quelque chose
mot) mais une grande artiste.
Et la technique, ça s’apprend ?
d’organique à la direction.
Bien sûr, mais tout dépend ce qu’on a à dire. J’adore
Klaus Tennstedt qui a été critiqué pour son prétendu
L’obsession du chef est de faire
« manque de technique ». Jusqu’au jour où Carlos
Kleiber a fait taire les imbéciles en disant qu’il avait,
respirer la phrase, de gérer
au contraire, une immense technique puisqu’il arri- équilibres et couleur; c’est ce que j’ai
cherché toute ma vie avec ma voix
vait à transmettre tout ce qu’il avait en lui.
Devient-on chef d’orchestre?

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 73


L’ENTRETIEN
Rattle qui m’a dit : « Après les deux premiers
mouvements, tu seras morte. Dis-toi que c’est tout
à fait normal, et continue. » Il m’a aussi dit : « Si
tu survis à l’expérience, tu ne seras plus la même
personne après. »
Quelle est votre relation avec Simon Rattle ?
C’est avec lui que j’ai chanté ma première Sympho-
nie n°2 de Mahler. Il m’a engagée régulièrement et
une amitié est née. Quand j’ai manifesté le désir de
diriger, c’est vers lui que je me suis tournée. Il m’a
dit : « Va voir Panula. » J’y suis allée. Le professeur
de Salonen, Mikko Franck, Saraste m’a regardé
diriger la Troisième de Brahms au piano et m’a
sèchement demandé de revenir le lendemain pour
diriger l’orchestre. J’ai balbutié : « Dois-je com-
prendre que vous me gardez ? » Il a répondu d’un
ton rogue: « Of course! » En fait, il sélectionne ceux
qui ont un bras naturel. Plus tard, l’un de mes
concerts s’est retrouvé sur YouTube (je dirigeais
Brahms et Schönberg). Simon l’a vu. Il m’a aussi-
tôt envoyé un e-mail : « Nathalie, tu es faite pour
ça. Si tu as besoin de moi, je suis là. » Sa générosité
m’a profondément émue. Il a enchaîné : « Quand
j’avais des angoisses, Giulini était toujours là pour
moi. Je ferai de même avec toi. » Et il l’a fait. Quand
STÉPHANIE LACOMBE POUR CLAISSICA

j’ai abordé la Première Symphonie de Brahms pour


la première fois à Dublin, les musiciens étaient
dans leurs petits souliers. En me retournant, j’ai
aperçu Simon au troisième rang. Après la répéti-
tion, nous avons parlé de la partition pendant une
heure dans ma loge.
Grâce à Yannick Nézet-Séguin, vous avez
aussi une belle relation avec l’Orchestre
de Philadelphie.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans la direction Ça a tout de suite été organique, naturel. Ce sont
d’orchestre ? des gens qui vont très loin, avec bienveillance. Ils
Le répertoire ! C’est quand même l’apothéose vous donnent votre chance, à vous de la saisir. Nous
d’une vie musicale de pénétrer au cœur de ce avons beaucoup de beaux projets ensemble.
répertoire si riche. Et puis c’est un rêve de gosse, Y a-t-il des artistes qui vous ont
comme je vous l’ai dit. J’ai toujours voulu faire ça, particulièrement marqué au disque ?
j’en ai rêvé toute ma vie. Je pense à Dietrich Fischer-Dieskau dans Schu-
En quoi est-ce un avantage d’être une femme mann. On l’a dit intellectuel, mais il y a une telle
quand on est à la tête d’un orchestre ? douceur, une élégance, une intériorité dans son art.
Question rarement posée. Un orchestre est un Je pense aussi à Teresa Stratas dans Kurt Weil. C’est
peu comme une famille et nous en sommes le tout ce que j’aime. On ne pense plus à la voix.
cœur. De plus, les femmes ne sont pas à l’aise dans L’instrument est dépassé. Elle a son âme au bout
les conflits. Elles se rongent les sangs, dorment des notes, c’est le grand frisson. Et puis Jacqueline
mal et cherchent une solution. Tandis que les du Pré. Ce sont des êtres qui sont allés puiser au
hommes auront tendance à se braquer ou à se plus profond d’eux-mêmes.
carapater. J’ai en outre l’impression que les Y a-t-il une œuvre qui vous colle à la peau ?
femmes s’investissent davantage dans la vie À brûle-pourpoint, si j’oublie le Liebestod, je dirais
sociale. Regardez ce qu’a bâti Marin Alsop à Bal- Mort et Transfiguration de Richard Strauss. La
timore, tous ces programmes éducatifs dans les première fois, c’était avec le London Philharmonic,
quartiers difficiles, bien avant El Sistema. et c’est ce qui m’a permis d’avoir le poste à Kris-
Comment s’est passée votre première tiansand. C’est une œuvre de jeunesse où le héros
Neuvième de Beethoven ? se demande à l’âge mûr s’il est vraiment allé
Avant de vouloir la diriger, je n’avais chanté que jusqu’au bout de son art. Une question qui m’a
la partie d’alto du finale qui n’est pas d’un inté- toujours habitée et qui continue de m’obséder. X
rêt renversant. J’ai demandé conseil à Simon Propos recueillis par Olivier Bellamy

74 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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Alfred Schnittke
LE FAUTEUR
DE TROUBLES
avec Andreï Khrjanovski, Andreï Smirnov, Elem
Son goût pour l’ironie ou la spiritualité, Klimov et Larissa Chepitko. Comme Mahler qui
le mélange des styles et les collages en ont composait dans les rares moments de temps libre
que lui laissait son poste de directeur de l’Opéra
fait un des emblèmes de la postmodernité. de Vienne, Schnittke passe les deux tiers de l’année
Vingt ans après sa mort, le musicien à écrire pour le cinéma et poursuit ses propres
recherches quand il le peut. Néanmoins, ses travaux
n’en finit pas de déconcerter. Retour sur « alimentaires » contiennent en germe bien des idées
un parcours aux multiples détours. qui viendront à maturité dans le reste de sa produc-
tion. Tout au long de sa carrière, il subira de fait
les vexations du régime communiste. À de nom-

L
breuses reprises, l’exécution de ses œuvres sera
bloquée, certains concerts annulés au dernier
a vie d’Alfred Schnittke est exem- moment; ses partitions attendront parfois dix ans
BIOGRAPHIE plaire de ce que vécurent au avant d’être éditées (en général, disponibles à l’Ouest
EXPRESS xx e siècle nombre d’artistes
soviétiques, obligés de composer
avant de paraître de l’autre côté du rideau de fer).
1934
Naissance à Engels,
(dans tous les sens du terme) avec UNE DAME QUI NE SE TIENT
capitale de la République le régime, de trouver leur voie en
autonome des Allemands dépit de la censure prête à tomber PAS À CARREAU
de la Volga comme un couperet, de louvoyer Sa première œuvre, l’oratorio Nagasaki, qui devait
1946 entre les exigences de la modernité musicale et celles valider son cursus d’écriture au Conservatoire,
La famille Schnittke
s’installe pour deux ans
du « réalisme socialiste ». Ses origines ? Du côté connaît déjà un destin dont l’absurdité reste typique
à Vienne paternel, des spartakistes exilés en Russie dans les du système de l’époque: trop moderniste aux oreilles
1948 années 1920. Du côté maternel, des membres de de certains, elle fut bel et bien interprétée par
Études de musique la République autonome des Allemands de la Volga l’Orchestre de la Radio de Moscou… mais sans public
à Moscou (qui seront déportés en Sibérie en 1941…). Autant et sans radiodifusion à la clé! Pendant des années,
1961
Première commande
dire que le jeune Schnittke grandit dans une atmos- Schnittke échouera de surcroît à obtenir un visa pour
de musique de film ; phère germanique. Deux années passées à Vienne l’Europe occidentale et manquera nombre de créa-
inscription à l’Union des (1946-1948) constituent une révélation pour l’ado- tions de ses œuvres à l’étranger. Il lui faudra attendre
compositeurs soviétiques lescent, qui découvre la musique de Beethoven et 1977 pour sortir de Russie: Gidon Kremer parvient
1962 de Bruckner sous la baguette des chefs les plus pres- alors à l’engager comme pianiste pour une tournée
Poste d’enseignant
au Conservatoire de
tigieux (Klemperer, notamment). De retour à Mos- avec l’Orchestre de chambre de Lituanie. C’est la pre-
Moscou cou, il entame des études musicales qui débouche- mière fois qu’il retourne à Vienne depuis trente ans.
1972 ront sur l’obtention de son diplôme en 1961, année L’année suivante, il se retrouve au cœur de tensions
Mort de sa mère ; au cours de laquelle il adhère à l’Union des compo- diplomatiques entre les services culturels soviétiques
quitte son poste au siteurs soviétiques – un organe incontournable qui et français: c’est l’afaire de la Dame de pique. Avec
Conservatoire
fait la pluie et le beau temps (la pluie surtout). le metteur en scène Iouri Lioubimov, il est approché
1974
Création de la Première Comme nombre de ses confrères (que l’on songe par l’Opéra de Paris pour travailler à une version
MARION KALTER / AKG-IMAGES

Symphonie seulement à Prokoiev et à Chostakovitch), il est dès remaniée de l’opéra de Tchaïkovski. Mais le chef
1982 lors accablé de commandes de ilms – façon pour d’orchestre Algis Juraitis, qui a réussi à se procurer
Conversion les autorités de contrôler la production musicale? les notes de Schnittke, alerte les autorités soviétiques
au christianisme En trente-cinq ans, ce ne sont pas moins de quatre- de cette atteinte au génie national. Moscou lance
1985
Première attaque cérébrale vingts bandes originales de ilms, productions télé- un ultimatum à Rolf Liebermann, alors directeur
1998 visées, documentaires ou dessins animés qui sortiront del’OpéradeParis,luiintimantdepréférerauxfrancs-
Mort à Hambourg de sa plume. Citons entre autres ses collaborations tireurs des artistes respectueux de la tradition, OOO

76 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


COMPOSITEUR
s’airme comme un héritier de Mahler, le premier
peut-être à avoir osé mêler trivial et sublime, fanfares
militaires et chants angéliques dans ses symphonies.
De fait, il ressort d’un certain nombre de ses pièces
un sentiment d’ironie corrosif : Schnittke, en se
jouant des codes et des catégories établies, remet
toute la musique savante en question. L’œuvre-
manifeste du polystylisme, c’est sans doute la Sym-
phonie n°1, écrite entre 1968 et 1972, donnée
pour la première fois à Gorki (aujourd’hui Nijni-
Novgorod) en 1974 – les autorités avaient refusé
de la monter à Moscou, redoutant son caractère
subversif, mais l’information de sa création s’était
rapidement répandue dans le milieu musical et,
le jour du concert, la salle était comble.

SUZIE MAEDER / LEBRECHT/LEEMAGE


RECONSTRUCTION
La pièce est souvent qualiiée d’« anti-symphonie »,
et Schnittke reconnaît lui-même : « C’est une
confrontation critique, une tentative de reconstruire
les morceaux et les restes de la forme classique de la
symphonie en quatre mouvements, forme qui a été
détruite par l’évolution de la musique. » (Lettre à
Hannelore Gerlach.) Les musiciens s’accordent dans
Le violoncelliste dûment adoubés par l’Union des compositeurs. le brouhaha, le chef tente vainement de ramener
et chef Mstislav Sans surprise, Rolf Liebermann refuse la proposi- l’ordre ; accords d’ut majeur et clusters dodéca-
Rostropovitch, tion. C’est la in du projet. phoniques s’entrechoquent; des fragments de fox-
Alfred Schnittke Plusieurs étapesjalonnentlaviecréatricedeSchnittke. trot, de symphonies de Beethoven, d’airs de jazz,
et l’altiste Iouri Jeune compositeur, il s’intéresse aux avant-gardes de valses de Strauss, de suites baroques (elles-mêmes
Bashmet à Londres occidentales, mais prend bientôt ses distances, autocitations de Schnittke) émergent du chaos et
en 1990. considérant que le sérialisme n’est qu’« une solution y retournent aussitôt, comme pulvérisés.
mécanique manquant de dimension esthétique ». Le Dies Irae se transforme en chansonnette à la
« Le train sériel dans lequel j’étais monté m’est vite mode, ultime outrage à la « musique sérieuse ».
apparu trop encombré et condamné par ses rails Mais, dès cette époque, la disparition de sa mère
à faire toujours le même trajet. Je décidai alors de (1972) amorce une inflexion vers le tragique.
descendre à la prochaine station et de continuer à Le Quintette avec piano écrit en sa mémoire consti-
pied mon propre chemin », expliquera-t-il plus tard. tue l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, pièce
En 1971, il rédige son manifeste « Tendances sombre marquée du sceau de la mort, où des échos
polystylistiques dans la musique moderne » qu’il de valse voisinent avec de douloureuses déplora-
présente au cours du septième congrès du Conseil tions en motifs chromatiques ou microtonaux.
international de musique. Ni son allocution, ni celle Une version orchestrée, intitulée In memoriam,
du président du Conseil, Yehudi Menuhin, qui lance voit également le jour. Entre outre, Schnittke se
en russe un vibrant plaidoyer pour les échanges lance dans la composition d’un Requiem qui mêle
Est-Ouest, ne seront publiées, ni même mention- chants catholiques et orthodoxes, et introduit un
nées par la Pravda. Il faudra attendre dix-sept ans instrumentarium rock dans le Credo. Problème :
pour que ce texte fondateur du postmodernisme
soit enin accessible à tous. Pour Schnittke, il s’agit
de concilier musique sérieuse et musique légère,
ÀDÉCOUVRIR tonalité et atonalisme, de ne pas reculer devant
les hybridations, les citations, les collages, les paro- En se jouant des codes
Z Le livre de Paul
Greveillac, Cadence
secrète. La vie invisible
dies: en un mot, d’intégrer dans un même creuset
tout le fonds musical potentiellement présent à et des catégories
d’Alfred Schnittke,
paru chez Gallimard
l’esprit d’un auditeur cosmopolite.
Un mot d’ordre qui deviendra celui de nombre de établies, il remet
toute la musique
l’an passé, a été couronné compositeurs après lui. Comme le note le musico-
il y a quelques mois logue Christian Leblé, « la musique de Schnittke
par le Prix Pelléas.
savante en question
laisse toujours croire que l’on écoute Berg pendant que
le voisin du dessus écoute Schubert ». Dès lors, Schnittke

78 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


LES ESSENTIELS
sous Brejnev, impossible de faire jouer une œuvre CONCERTO GROSSO N°1
ouvertement religieuse… La solution sera de trans- Gidon Kremer,Youri Smirnov,
former la messe en une musique de scène pour Tatiana Grindenko
le Don Carlos de Schiller. DG
Cette même année 1972, Schnittke prend une déci- Gidon Kremer créa, en 1977, le Pre-
sion radicale : il quitte le poste de professeur au mier Concerto grosso; plongée sans
Conservatoire de Moscou qu’il occupait depuis merci dans l’acide du polystylisme,
dix ans pour se consacrer tout entier à la composi- « un jeu entre trois univers, le baro-
tion. Sans cette décision, peut-être son catalogue que, le moderne et le banal », dit
serait-il moins pléthorique… Qu’on en juge: quatre son auteur. En complément: Moz-
quatuors à cordes, de multiples sonates (trois pour Art à la Haydn et Quasi una sonata.
piano, trois pour violon et piano, deux pour violon-
celle et piano) et concertos (quatre pour violon, deux MUSIQUE DE CHAMBRE
pour violoncelle, trois pour piano, plus six concertos Roland Pöntinen, Tale Quartet
grossos), quatre opéras et dix symphonies comme Bis
il se doit. Sans compter une masse non négligeable Désolation et puissance incanta-
de partitions pour orchestre ou pour chœurs. toire: dans un même élan, Schnittke
revisite un millénaire de musique
occidentale, du grégorien à la valse
PROFESSION DE FOI viennoise, jusqu’au chaos de l’aléa-
1982, autre tournant: Schnittke, dont le père était toire; ses Quatuor et Quintette avec
d’origine juive, se convertit au christianisme. piano sont indispensables.
Son inspiration se tourne alors vers la spiritualité.
Il multiplie les œuvres chorales à caractère religieux:
CONCERTOS ET SONATES
le Concerto pour chœur (1985) se base sur le livre POUR VIOLONCELLE
des lamentations de Grégoire de Narek (poète mys- Alexander Ivachkine, Orchestre de l’État
tique arménien du xe siècle), tandis que les Psaumes de Russie, dir. Valeri Polianski
de repentance reprennent des textes de moines russes Chandos
de la fin du xvie siècle. En 1983, la cantate Seid Couplages parfaits autour du violon-
nüchtern und wachet (« Restez sobres et veillez »), celle, voix du désespoir absolu chez
aussi dite « Faust-Cantata », réalise la synthèse entre le Russe; on pense à son aveu: « Il
inspiration religieuse et polystylisme. Il s’agit d’une suffit que je couche un bel accord sur
sorte de « Passion négative », puissamment expres- le papier pour qu’il se mette tout d’un
sionniste, qui narre les dernières heures de Faust, coup à rouiller ».Quatre chefs-d’œuvre
déchiqueté par le diable au terme de son contrat de chauffés à blanc par Ivachkine.
vingt-quatre ans. Si l’ensemble de la pièce se coule
dans le moule traditionnel de la Passion (chœurs,
récitatifs du narrateur tenant lieu d’évangéliste, etc.), PSAUMES DE LA PÉNITENCE
le climax est atteint lors de la mort de Faust, narrée RIAS Kammerchor,
par Méphistophélès sur un air glaçant de tango. dir. Hans-Christoph Rademann
Kurt Weill n’est pas bien loin. Harmonia Mundi
À partir des années 1980, Schnittke reçoit de plus Créés en 1988, les Douze psaumes,
en plus de commandes de la part de l’Ouest; en 1990, amers et revendicatifs à la fois,
il prend même la décision de s’installer à Hambourg. s’appuient sur des textes de moines
Mais, parallèlement, sa santé se détériore: une pre- anonymes du XVIe siècle. Comme le
mière attaque cérébrale en 1985, suivie de deux Concerto pour chœur, écrit troisans
autres en 1991 et 1994, l’afaiblit considérablement. plus tôt, une page vocale essentielle.
Il continue néanmoins à travailler avec acharne-
ment, achevant même ses trois opéras durant cette REQUIEM
période: Life with an Idiot (1991), Gesualdo (1993) Chœur de la radio Suédoise,
et Historia von D. Johann Fausten (1994), dont le der- dir.Tõnu Kaljuste
nier acte reprend la Faust Cantata. Caprice
En 1998, une ultime attaque a raison de lui. La France Page la plus accessible d’Alfred
a reconnu avec retard le génie de Schnittke dont Schnittke, ce Requiem, renforcé par
les orientations esthétiques étaient peu prisées par la basse et guitare électriques, est
doxa avant-gardiste; à présent que les débats se sont magnifié par Tõnu Kaljuste. Pour le
faits plus sereins, il est temps d’écouter sa musique et versant vocal profane, une virée
de lui rendre hommage. Le vingtième anniversaire satanique vers sa Faust-Cantata peut
de sa mort nous en donne l’occasion. X Sarah Léon valoir le détour (Segerstam/Bis).

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 79


L’ÉCOUTE EN AVEUGLE
AVEC L’INVITÉ DE LA RÉDACTION PHILIPPE CASSARD*,
AURÉLIE MOREAU ET MICHEL LE NAOUR

SONATE N°3
de Frédéric Chopin
Pièce de prédilection
de tout grand chopinien,
summum du piano
romantique, celle-ci
contiendrait « certaines
des plus belles pages
jamais écrites
pour le piano »**.
Quel interprète saura
mettre la touche ultime
à ce chef-d’œuvre ?

F
aire l’inventaire de la bonne cen-
taine de Sonate en si mineur
op. 58 n’est pas une mince afaire:
une sélection drastique s’est
imposée. D’emblée, aucun des

RMN / GRAND PALAIS / MICHEL URTADO


premiers témoignages discogra-
phiques ne nous a semblé sui-
samment captivant au point de
igurer dans notre écoute comparée: nous écartons
donc Alfred Cortot (1931), Dinu Lipatti (EMI,
1947), Julius Katchen (Decca, 1954) et Claudio
Arrau (EMI, 1960). L’exécution de Nikita Magalof
(Philips, 1977), éminemment poétique et rainée,
semble cependant trop précautionneuse, ce qui
vient conirmer l’évolution des attentes esthétiques de Varsovie: à vingt-quatre ans, la pianiste argentine
au il des ans : moins de classicisme et davantage parle déjà ! Avançons dans le temps : Van Cliburn
de romantisme échevelé. Assez fébriles, Samson (RCA, 1967) se livre à une interprétation bien trop
François (EMI, 1965) et Shura Cherkassky (Decca) personnelle pour relever le challenge de l’écoute en
ne seront pas des nôtres non plus. Le premier inter- aveugle. Parmi les forts tempéraments, c’est Bruno
prète des décennies 1950-1970 à retenir l’attention Leonardo Gelber que nous retiendrons (EMI,
est la jeune Martha Argerich:en1967pourDeutsche 1979). En revanche, nous évitons Alexis Weis-
Grammophon, elle offre une lecture totalement senberg (RCA), qui ne se montre pas ici sous
débridée, tout en prise de risques et dans l’atta- son meilleur jour.
que constante ; pour autant, nous lui préférons Un discours morcelé qui ne permet pas de goûter
son premier enregistrement, capté par EMI en aux harmonies de Chopin, voilà ce qui éconduit
1965, au soir de son 1er Prix au 7e Concours Chopin Murray Perahia (Sony, 1974) du choix de nos

80 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


huit versions. Au contraire d’Emil Gilels (Deutsche Le inale de cette Sonate est un déi. Certains inter-
Grammophon, 1979), qui prend le temps de dégus- prètes empruntent une trajectoire unilatérale.
ter chacune d’entre elles, et entrant de facto dans la C’est le cas de Nikolaï Lugansky (Onyx, 2009),
compétition. Extrêmement bien construite mais Kotaro Fukuma (Arts Production, 2017) et Marc-
désincarnée et desservie par un piano métallique, André Hamelin (Hyperion, 2008), mais également
la Sonate n°3 de Vladimir Ashkenazy (Decca, 1993) de William Kapell (RCA, 1951) : versions élimi-
se retrouve sur la touche, tout comme le Chopin nées. Toujours aussi farfelu, Glenn Gould (Sony,
brut de décofrage de Jean-Philippe Collard (EMI, 1970) cumule les contresens jusque dans ce inale,
1990) et la lecture passée sous la loupe de Paul jouant chaque note du triolet détachée : rédhibi-
Badura-Skoda (Naïve, 1993). Nous décidons toute- toire ! Les années 2000 apportent décidément leur
fois de donner sa chance à celle de Maurizio w moisson de Sonate en si mineur : Stephen Hough
(Deutsche Grammophon, 1985), qui est dans la (Hyperion), Momo Kodama (Triton, 2003) et Katia
même veine, mais transcendée par une technique Skanavi (Lyrinx, 2007) passent à l’as, le dessin de
irréprochable. Quant au concert d’Evgeny Kissin leur Chopin demeurant bien flou. De son côté,
capté par RCA en 1993, s’il ne laisse pas indiférent, Lang Lang (Deutsche Grammophon, 2005) force
la prise de son réverbérée du live vient ternir ce constamment les traits, tout comme Ingolf Wunder
bouillonnement d’idées: dommage! Hélas encore, (Deutsche Grammophon, 2011), Leif Ove Andsnes
la gravure de Maria João Pires (Deutsche Grammo- (Virgin, 1992) et, dans une moindre mesure, Joseph
phon, 2008) nous est apparue dépourvue de vitalité: Moog (Onyx, 2016): nous leur préférons, et de très
nous nous consolerons avec la vision lamboyante loin, Daniil Trifonov qui a déjà ofert deux versions
de Nelson Goerner (Warner, 1997), l’exaltation d’un du chef-d’œuvre (Institut Chopin, 2010, et Decca,
Nelson Freire (Decca, 2002) et – surprise! – la vision 2010), et optons pour la seconde, captée en concert
engagée de l’Uruguayenne Dinorah Varsi, assez au Fazioli Concert Hall de Sacile. Nous avons
oubliée (Genuin, 1989): quel style! Cette prise de maintenant nos huit versions. X
parole évidente et romantique mérite véritablement ** Cette citation extraite de la biographie de Chopin
sa place au sein des huit versions. d’Arthur Hedley.

L’ŒUVRE EN BREF avec George Sand, et sa santé, qui n’a


jamais vraiment été bonne, décline de
classique. C’est dans l’expression et
dans le déroulement des atmosphères
Q La Troisième Sonate en si mineur jour en jour. Il ne reste plus que cinq ans que Chopin libère toute sa poésie
est écrite en 1844, au même moment de vie à Chopin, dont cette Sonate au fil de ces quatre mouvements,
qu’une œuvre radicalement différente, sera la dernière œuvre de grandes successivement, un Allegro maestoso
la Berceuse op. 57. À cette époque, la vie dimensions pour piano seul. Il la dédiera en si mineur où le bel canto est
de Chopin n’est pas particulièrement à la comtesse Élise de Perthuis à l’honneur, un Scherzo (molto vivace)
heureuse. La période féconde des étés (1801-1880), l’une de ses amies qui en mi bémol majeur, un Largo en si
à Nohant touche à sa fin, en raison tient un salon à Paris où il se produit. majeur et un Finale, Presto non tanto
de la détérioration de ses rapports La facture de cette pièce est assez en si mineur.

Les huit versions


E
tonnant ! « Comment peut-on jouer lequel « tout est calculé et prévisible ». De l’avis général,
une musique aussi belle avec cette neu- le jeu de Pollini ne s’adapte pas à cette musique. Cha-
tralité ? » s’étonne PC. Cette lecture cun en rajoute une dernière fois: « fade » (MLN) et
« rigide » (AM), « classique » (PC) et « cérébral » (AM), « encéphalogramme plat ! »
« standard » (MLN) est totalement s’exclame PC. Non seulement Pollini laisse de marbre,
« dépourvue de fièvre romantique » mais pour un pianiste qui a remporté le Concours
(PC). Pourtant, tout est là sur le plan purement ins- Chopin en 1960, il se montre un piètre chopinien. *Pianiste et producteur
trumental : les doigts sont solides et les différents La version de l’Argentin Bruno Leonardo Gelber, sur France Musique,
Philippe Cassard a
épisodes sont soigneusement enchaînés. Mais il man- que chacun cherche à reconnaître depuis le début de enregistré une intégrale
que l’essentiel pour PC, à savoir « le chant et le legato ». l’écoute, ne suscite guère plus d’enthousiasme. Elle est Debussy et des Schubert
MLN remarque, lui, un Chopin « cousu main » dans « trop séquentielle », « voire incohérente » pour OOO qui font référence.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 81


L’ÉCOUTE EN AVEUGLE
souligne-t-il.MLNyentendun« charme »,du« style »
et des « intentions très bien calculées ». Hélas, avec
un troisième mouvement « souple » (MLN) mais
« évanescent » (PC), Trifonov perd des points, et il faut
tendre l’oreille pour percevoir son projet: cela fait dire
à AM qu’il « manque une dimension » et à PC que
ce Largo reste avant tout « joli ». Cet « éloge de la tran-
quillité » (MLN) est totalement mis de côté dans
le Finale: MLNtrouvequ’ilya « trop de doigts » et PC
que ce mouvement est « rempli de clichés » et « uni-
quement spectaculaire ». Pour couronner le tout,
le son du Fazioli est « très laid » lâche PC. Avant de
conclure: « Dans dix ans, il jouera ça très bien. »

LA COHÉRENCE D’EMIL GILELS


Voici la version anticonformiste par excellence. « On
s’écoute beaucoup » (MLN) chez Emil Gilels, où PC
décèle une pointe de « narcissisme ». Cette lecture
ne séduit pas naturellement, elle intéresse au il de la
comparaison. MLN note « une recherche » et une
« véritable écoute intérieure ». Mais PC renchérit en
expliquant qu’il entend surtout un pianiste où tout
est « calibré », au risque de sembler parfois « précau-
tionneux ». En revanche, les trois voix s’élèvent pour
louer la narrativité du Soviétique, qui sait prendre
M. BORGGREVE

son temps pour s’extasier devant les superbes har-


monies – cela lui donne un « côté schubertien »,
constate PC. Dans la continuité du premier mouve-
ment, le troisième impose une « lecture inégale dont
La version de MLN. PC s’avère, lui aussi, totalement hermétique à la scansion suit le récit » (PC). Malgré un « beau son
Nelson Goerner ce Chopin, dont « la ligne générale est distendue », global », MLN regrette les nombreux « arrêts sur
s’impose en tête précisant que tout y est « trop fort, trop rapide et trop images », tandis qu’AM ne peut s’empêcher d’être
de notre discographie brillant ». S’il fait preuve d’un art consommé du bel « fascinée par la réalisation ». Dans le inale, Gilels
comparée. canto, Gelber n’en reste pas moins excessif. Son rubato sera le seul à respecter l’indication « Presto non
exagéré amuse nos auditeurs qui lui reprochent tanto ». Si on salue à l’unanimité sa vision d’une
un« manque de goût dans ses épanchements » (PC) grande cohérence, certains choix demeurent trop
et une forme de « sensiblerie » (MLN). Ce piano personnels pour qu’elle s’impose.
« musclé » (PC) et « brutal » (MLN), doublé d’un Une lecture « rhapsodique, plus lisztienne que chopi-
« héroïsme poussé dans ses derniers retranchements » nienne » résume PC. Le discours « tendu comme
et de « coups de patte démesurés » (MLN), donne un arc » (PC) de Nelson Freire, « lamboyant » pour
l’impression d’avoir afaire à une sorte de combat. MLN, ne manque pas d’inspiration « fantasque »
Gelber est hors-jeu. (MLN).L’écouteavaitpourtantmalcommencé.MLN
L’interprétation de Daniil Trifonov a le panache et pointait son côté « chaotique », PC un Sostenuto
la bravoure de la jeunesse: du haut de ses dix-neuf ans, dans le premier mouvement « fait de bric et de broc »
il est le plus jeune pianiste sélectionné. « C’est poétique et AM son « impression d’avoir afaire à un interprète
et de très haut vol », estime un PC conquis par les qui cherche à tout prix à combler un vide ». Mais
« subtilités » de la cantilène dans le premier mouve- la sonorité superbe du pianiste prend peu à peu le pas
ment. La précision de la main gauche est « une leçon », sur tout le reste. Le Brésilien séduit par ses prises de
risques, sa « virtuosité exubérante » (PC) et son « natu-
rel »(AM),certainspassagesétantdepuresmerveilles,

Avec un discours qui fait autorité, comme les « petites arabesques centrales du quatrième
mouvement exécutées avec beaucoup de grâce » (PC).

une vision d’ensemble et un sens Le discours est fiévreux et enivrant, la sonorité à


couper le soule et Freire prend un plaisir contagieux

du détail impressionnant, Nelson


à « réinventer la matière de cette partition » (AM).
Elle était la première à passer sur le gril de notre écoute

Goerner emporte l’adhésion


comparée et elle en ressort très bien placée. D’emblée,
sa remarquable sonorité est celle d’une pianiste ayant

82 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


de la bouteille, assure un auditeur. Erreur! Martha
Argerich n’a que vingt-quatre ans au moment de cette
interprétation, mais elle possède déjà une sonorité
« moelleuse,brillante »(PC),dontMLNvantela« qua-
RETROUVEZ
LE GAGNANT
SUR LE 1 NELSON GOERNER
Warner
1997
L’âme réincarnée du piano
lité des tuilages : c’est la classe ». Dans le troisième
mouvement, « contrôlé et naturel à la fois » (MLN),
elle avance « sans épanchement » (PC); et puis, cette
CD romantique. Tout est là. L’Argentin
réinvente la Sonate n°3. À l’unanimité,
la version de référence.

urgence et cette façon de prendre les choses à bras-

LE BILAN
le-corps dans le inale sont « grisantes », s’enlamme
AM. PC admire « la projection du son », tout en
regrettant le côté un rien « démonstratif » de l’ensem-
ble. « C’est vain, ça sonne un peu creux », observe-t-il.
2 DINORAH VARSI
Genuin
1989
Un engagement de chaque instant
et une hauteur de vue : avec
Quant à MLN, il juge le inale « musclé, voire un peu la pianiste uruguayenne, on frôle
crispé », s’agaçant au fur et à mesure de la « course à la perfection.
l’abîme » dans laquelle s’est engagée Martha Argerich.

DINORAH VARSI ENGAGÉE


« Une respiration constante, une hauteur de vue
et un engagement de chaque instant » (MLN),
3 MARTHAARGERICH
EMI
1965
Un Chopin d’une sonorité brillante
et d’un naturel qui enchante
nos trois auditeurs, même
le Chopin de Dinorah Varsi – surprise ! – saisit s’il est un brin trop démonstratif.
son auditoire par l’émotion et l’enthousiasme
qu’il inspire. Sa prise de parole est « évidente »,
jauge MLN, et dès la première note, on sait où Varsi
veut nous conduire. C’est extraordinaire de « vision
et de construction », s’émerveille PC, qui est encore
frappé par « l’économie de pédale forte ». Quant à
4 NELSON FREIRE
Decca
2002
Flamboyant et exalté mais
parfois chaotique, le Brésilien,
AM, elle se montre très sensible aux « variétés d’une virtuosité exubérante, séduit
de toucher faisant entendre toutes les possibilités par ses prises de risques.
du piano ». Ces impressions plus que positives se

5
confirment avec le troisième mouvement qui EMIL GILELS
représente pour PC « un grand air parlando Deutsche Grammophon
au geste naturel » et à la « sonorité timbrée » (MLN). 1979
Le inale en impose, lui, grâce à « un récit épique, Une interprétation d’une grande
fantastique, incarné, tout le temps intelligent et inté- cohérence, avec de sublimes
harmonies, malheureusement
ressant » (PC). Une interprète engagée, qui possède trop personnelle pour convaincre.
un point de vue, malgré une sonorité « atypique »
(PC) qui peut-être ne « séduit pas spontanément ».
On approche de l’idéal !
Avec Nelson Goerner, tout est là! Pour PC, cette lec-
ture est « splendide ». Il conie : « Je me laisse aller
d’un bout à l’autre. » Avec un discours qui fait auto-
6 DANIILTRIFONOV
Decca
2010
Le jeune Russe se montre poétique
et subtil, mais devient vite
rité, « une vision d’ensemble » (MLN) et « un enga- trop cliché. De plus, il est desservi
gement » (AM), l’Argentin tire très nettement par le son laid de son Fazioli.
son épingle du jeu. « Le soin apporté à chaque détail

7
est stupéiant », s’écrie AM, qui plonge comme MLN BRUNO LEONARDO GELBER
« dans un rêve éveillé » avec le troisième mouvement. EMI
Contemplatif, mystérieux et tendre, le Largo ofre 1979
« un éventail de sonorités d’une beauté irréelle » loue Si Bruno Leonardo Gelber sait faire
encore PC, qui remarque aussi la beauté de « la can- chanter son piano, son caractère
tilène, commençant sostenuto et se déployant peu à excessif le fait tomber dans
la sensiblerie ou la brutalité.
peu, tant l’interprète lâche du leste dans le timbre ».
Dans le inale, MLN est fasciné par « l’intégration
totale de la main gauche » à la structure globale.
« Le jeu de piano est parfait sans être ennuyeux »,
conclut PC. À l’unanimité, et sans aucune diiculté,
Nelson Goerner, immense chopinien, emporte
8 MAURIZIO POLLINI
Deutsche Grammophon
1985
La technique de l’Italien est
irréprochable, mais son jeu neutre
l’adhésion. La version reine de cette Sonate. X et trop prévisible, sans une once de
 Aurélie Moreau romantisme, ne touche personne.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 83


L’UNIVERS D’UN MUSICIEN

A. ISARD POUR CLASSICA


Gérard Caussé
LE SACRE DU TEMPS

L
a maison de Gérard Caussé se fait
discrète dans un décor composite
Un lutrin XVIIe, de l’écrivain français. Ce grand altiste, qui vient de
fêter ses soixante-dix ans, nous accueille, solaire,
d’immeubles anciens, de tours un Steinway dans une tenue en accord avec la saison – pull jaune
des années 1970 et de maisons sur pantalon blanc –, longue silhouette élancée.
individuelles. C’est tout juste si
de 1903, Chic et charme.
on la remarque dans ce quartier des toiles Plus qu’une simple maison, ce lieu est pour le musi-
résidentiel du 13e arrondissement cien un centre de gravité. « J’ai toujours beaucoup
de Paris. Mais à peine a-t-on d’artistes voyagé et,quand il s’agit de rentrer,il faut je me retrouve
poussé la porte que nous voici transportés dans d’aujourd’hui, dans un endroit qui me donne l’impression d’être
un ailleurs. Un ailleurs qui fait rêver. Un rayon de coupé du monde. Je suis amoureux de la campagne,
soleil traverse le jardin, un écrin sauvage serti de le monde de mais j’ai besoin du souffle et du rythme de la ville. »
bambous, d’iris, de pivoines… Nous pourrions l’altiste mêle Voilà donc, à travers sa première maison parisienne
aussi bien être à Singaraja au milieu d’une végéta- qu’il occupe avec sa femme, Loïse, depuis dix ans,
tion exotique ou, quelques pas plus avant, dans une les époques, le compromis idéal.
de ces maisons rustiques qui peuplent les romans Nous voilà happés dans le salon baigné de lumière
de Balzac, de l’Auvergne ou du Dauphiné. D’ail- entre passé qui donne de plain-pied sur le jardin, un recoin
leurs, de nombreuses chaises que Gérard Caussé a et présent. bucolique où il fait bon vivre. Tomettes anciennes,
chinées proviennent d’une ancienne demeure canapés moelleux qui appellent livre et tasse de thé,

84 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Ne pas
large cheminée pour les soirées tamisées au coin ventes chez Drouot. « Un jour, il y a plus de vingt ans,
du feu,bref,on s’y sent bien.Accrochées aux poutres, il m’a parlé de ce piano. Je lui ai dit: “Achète-le.” C’est
des suspensions de nacre tombent en cascade. « J’ai
une passion pour la nacre et, surtout, pour le son de camoufler un instrument qui parle tout de suite. Il a une diction
et une sonorité qui lui sont propres. » Un lutrin
la nacre. » Gérard Caussé souligne l’infini des reflets,
la matière à la fois solide et friable et ce tintement les défauts, Louis XIV rivalise avec le piano.Et supporte des kilos
de partitions. L’objet est, dirait-on, taillé à sa mesure.
délicat quand les pastilles s’entrechoquent sous
l’effet d’une brise légère. La nacre est d’autant plus bref, Et son emplacement savamment étudié. « C’est ici
que vient la meilleure lumière. Je m’installe là,
précieuse qu’elle orne la hausse des archets. Chez
Gérard Caussé, tout est musique, tout est matière. laisser faire en contre-jour avec le soleil qui vient éclairer ma par-
tition », nous explique-t-il en mimant la scène.
Nous ne visiterons pas les pièces voisines du rez-
de-chaussée : c’est le territoire de sa femme, psy- la vie, Il y a aussi un meuble hollandais avec une écritoire.
Gérard Caussé collectionne d’ailleurs les encriers,
chanalyste. D’ailleurs, il ne s’agit pas de s’attarder
trop longtemps : « Je n’ai pas le droit de croiser
comme les couteaux artisanaux, les archets. Et s’il est ques-
tion de matière, c’est aussi la matière première,
ses patients, c’est une règle d’or. »
pour ce le souffle de la création qui le fascine, qui l’anime.
Il sort de sa bibliothèque un fac-similé du Concerto
CAVERNE D’ALI BABA vieux tapis pour alto de Bartók, une de ses œuvres fétiches.
« On ne sait toujours pas où il a voulu aller », dit-il
Il nous conduit dans sa pièce de travail. « J’ai
toujours rêvé d’une grande salle de musique », nous
persan en épousant de l’index le tracé mystérieux de la par-
tition. Il possède également une copie du manuscrit
déclare-t-il en montant les escaliers, son chien
Pollux frétillant à sa suite. « Au départ, je voulais
usé par du Voyage au bout de la nuit de Céline. Et même
une petite lettre signée de la main de l’auteur.
une pièce dépouillée et c’est complètement raté,
s’amuse-t-il. J’avais envie que ce soit mon monde. »
endroits Sur ses étagères, on croise aussi un pavé de Mai 68
– même s’il souligne qu’il n’en a jamais lancé de
Et quel monde ! Il commence par nous décrire
ce meuble Louis XIV, massif, brut – chiné lui aussi.
jusqu’à sa vie –, une lourde sculpture en forme d’oreille
qui fait office de serre-livres ou, accrochés au mur,
« J’ai été séduit par son poids, sa forme, la façon dont la trame des moules de cuillères à gâteaux ici et là, OOO
le bois a été travaillé, sculpté. Il me rappelle que nous
restons simplement des artisans. » Le bois, donc, aussi
précieux pour ce musicien – qui joue sur un magni-
fique alto en érable et en épicéa du xvie siècle – que
la nacre. Il y a également les bibliothèques en chêne
qui attendent la patine du temps.Car,ici,pas de faux
vieux.« Surtout pas! » Tout est authentique.Comme
cet immense tapis persan qui appartenait à un cheikh
et qui est par endroits usé jusqu’à la trame. « Je l’ai
trouvé à Bruxelles. Il était tellement lourd à transpor-
ter, ça a été toute une aventure! Ce tapis porte les traces
de son passé. Pour cette raison, je n’ai pas envie de
le faire restaurer. » Ne pas camoufler les défauts,
les imperfections, bref, laisser faire la vie. Les objets
dont il s’entoure sont tous chargés d’histoire.
Comme ce Steinway américain de 1903, acheté par
son fils Alban, qui est lui aussi un aficionado des

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 85


L’UNIVERS D’UN MUSICIEN
poussé par une curiosité, une énergie insatiables et,
surtout, une disponibilité à l’inattendu. L’escargot
orange fluo, un des derniers arrivants de sa pièce
de musique, qui trône sur un bibelot, en témoigne.
C’est un cadeau de l’artiste albanais Anri Sala, à la
suite d’une performance réalisée à sa demande par
Gérard Caussé dans une galerie new-yorkaise.Anri
Sala a réalisé un film dans lequel l’altiste joue l’Élé-
gie de Stravinsky avec un, puis deux escargots sur
l’archet. « Je n’imaginais pas l’influence de la pré-
sence d’un escargot. Notamment au niveau du poids.
Cela perturbait mes équilibres. Au lieu d’une pièce de
six minutes, elle s’est étirée sur dix. Ça a été une expé-
rience merveilleuse. » Cette chorégraphie de
l’étrange sera présentée à Paris, en octobre pro-
chain, dans la galerie Chantal Crousel.
Au mur, il y a aussi des œuvres de Vieira da Silva,
Michel Haas (là aussi, une épopée pour la transpor-
ter sur un toit de voiture), une grande fleur mal
éclose. « C’est pour moi une évocation de ma vie
intime, de mon passé. Pour ma femme, cette toile est
des bouchons pour tonneaux de vins en verre,des bis- trop macabre. » On n’en saura pas davantage. Plus
cuits de porcelaine,une statuette masculine en papier ACTUALITÉS lumineux, un dessin de sa fille Sarah quand elle était
à cigarette,d’ailleurs,on dirait du bronze,une assiette Z Vient de paraître, chez
enfant. Ou encore une toile de jeunesse de sa belle-
ajourée, une sculpture à base d’instruments anciens, Erato, « Gérard Caussé, fille, l’artiste Agnès Thurnauer. Autant de mondes
une figurine d’art primitif posée sur le radiateur et Viola Legend : The Erato qui peuplent cet espace volontiers ouvert aux autres.
un buste à son effigie que Gérard Caussé a exhumé Years », un cofret de Gérard y convie régulièrement ses amis musiciens.
de la cave à cause du vert-de-gris qui se formait en 13 CD (CHOC dans notre François-René Duchâble, Gidon Kremer, Julian
surface.On devine,à travers cette profusion d’objets, précédent numéro, p. 113),
Rachlin, Janine Jansen, Nicholas Angelich… sont
avec les enregistrements
une gourmandise pour les menus détails remontés à légendaires de l’altiste venus répéter ici. Le jeune pianiste Alexandre Kan-
la surface du réel, auxquels d’autres regards seraient (Schubert, Berlioz, Brahms, torow est lui aussi venu se frotter au Steinway.
facilement indifférents. Bruch, Chostakovitch…). Un tableau retient notre attention. Il représente une
Z Le 16/07, Gérard Caussé femme traversant la chaussée sous la pluie. « Je l’ai
se produira à Eygalières. acheté à un jeune peintre handicapé sur la place
PEINTURES DE L’ÂME Le 21/07, il fêtera
ses cinquante ans du Capitole, à Toulouse. Cette silhouette me faisait
Il y a surtout beaucoup de tableaux. Comme ces de carrière au Festival penser à Loïse. » Dans sa bibliothèque,une photo date
aplats de couleur dans les teintes ocre,grises ou noires de Musique de chambre de l’année de leur rencontre, en 1976. Ils sont l’un à
qui recouvrent trois fenêtres d’un habit de mystère. de Saint-Paul-de-Vence. côté de l’autre, lui dans un duffle-coat, la chevelure
Il s’agit d’une fresque picturale réalisée par l’artiste Le 31/07, il jouera en broussaille, elle dans un col en fourrure, belle à se
à Mazaugues, aux côtés
franco-autrichienne Nieves Salzmann. « C’est de François-René Duchâble, damner. C’est avec elle qu’il a façonné cette maison.
ma femme Loïse qui m’a offert ce magnifique cadeau. le 19/08 aux Rencontres « Cela nous fait toujours rêver les choses qu’il faut
Elle a commandé cette œuvre alors que j’étais en tour- de Calenzana en Corse, restaurer. Nous avons toujours adoré faire des lieux. »
née. Je l’ai découverte à mon retour. On distingue le 23/08 au Festival des C’est l’artisan qui parle,celui qui façonne les volumes
des maisons, des lignes. Cela me parle. En tant que Lumières de Montmorillon, en harmonisant les époques et en laissant paraître
avec Renaud Capuçon,
musicien, on est toujours dans une transmission qui puis à la Philharmonie sans fard les coutures du temps. X Elsa Fottorino
passe par un écrit avec la ligne. » Et quand le soleil de Paris les 24 et 25/09,
traverse les peintures, la pièce s’éclaire d’une lumière dans le cadre du Festival
tendre. Les lignes composent également la toile de de Jérusalem.
Félix Rozen, « un des premiers peintres que j’ai ren-
contrés. Il était passionné par la musique. Un jour, il a
décidé de traduire en peinture ce que pouvait être
l’écriture musicale ». Le résultat est sous nos yeux,
rectiligne, multicolore.
Pas étonnant,pour ce membre fondateur de l’Ensem- À RETROUVER
ble Intercontemporain,que la création d’aujourd’hui SUR LE

CD
occupe toujours une place centrale.« Avec la musique
contemporaine, il n’y a pas de tradition d’interpré-
tation, on peut donner sa griffe. » Et il n’hésite pas à
s’aventurer sur des chemins toujours plus surprenants, CLASSICA

86 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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que Sébastien Daucé et Lucile Richardot
sont allés dénicher en Angleterre,
pour les faire revivre avec lamme.
Retrouvez notre chronique Choc
en page 92

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LES CHOCS DU MOIS

CD CLASSICA / PLAGES 5 à 8

MERLET REPASSE
SON BACH
Dans le Premier Livre du Clavier tempéré, le maître
réécrit les pages didactiques du Cantor de Leipzig.
Une copie sans fautes : mention très bien.

E
n janvier 2016, Goillotte, un nom familier aux chaque composition ». D’une
Dominique amateurs de grands vins) et sa page à l’autre, le pianiste modi-
Merlet enregis- réverbération discrète se per- fie en effet la perspective,
trait à Vosne- çoivent davantage. Cet envi- l’espace,la couleur sansle moin-
Romanée le ronnement favorable incite à dre effet de manche, sans
Second Livre s’installer confortablement volonté de faire l’original, de se
du Clavier bien tempéré (voir pour parcourir cet épais livre distinguer dans une discogra-
Classica n°187). Il y retourna en quarante-neuf chapitres : phie abondante et riche depuis
en juillet de l’année suivante cet enregistrement propose Edwin Fischer (EMI, 1933-
pour le Premier Livre. Même en effet deux versions de la 1936) jusqu’à Zhu Xiao-Mei
lieu, même équipe technique, Fugue n°19 en la majeur. (Mirare,2007-2009) en passant
même piano, semble-t-il : Pédagogue recherché et par Friedrich Gulda (Philips,
le son n’en est pas moins dif- admiré, Dominique Merlet 1972-1973), Glenn Gould
férent, plus onctueux, plus n’appréhende pas ce recueil (Sony,1974) et Evgeni Koroliov
enveloppant, comme si l’ins- éminemment didactique en (Tacet, 1998-2002). On admire
trument avait été capté de plus professeur un peu sévère, mais ainsi la plénitude quasi vocale
près alors que, paradoxale- bien au contraire, en artiste de la foisonnante Fugue n°4,
ment, l’acoustique du lieu (la accompli. Ce jeune homme de les croches papillonnantes du
quatre-vingts ans étonne Prélude n°5, le charme du Pré-
même par son enthousiasme, lude n°9, le caractère enjoué
sa spontanéité, ses tempos du Prélude n°15, la plénitude
enlevés. Il s’empare ainsi du orchestrale du Prélude n°17
Prélude n°1 avec une gour- et la dimension cosmique de
mandise impatiente, le geste la Fugue n°24.
cursif mais jamais brusque,
CONCENTRATION
PHILIPPE-STIRNWEISS

les doigts déliés, les phrasés


souples, le chant prioritaire, ET RÉFLEXION
malgré une détermination Comme le rappelle Jean-
manifeste. La même vigueur Jacques Eigeldinger dans son
anime le Prélude n°2, torrent texte de présentation, certains
Johann Sebastian impétueux de doubles croches couples de prélude et fugue

BACH qui sort de son lit dans son


dernier coude et éclabousse
« sont dans un rapport d’oppo-
sition […], d’autres dans un lien assaut de virtuosité (Prélude
(1685-1750) l’auditeur de lumière. d’analogie ou de complémenta- n°7 comme improvisé). Pas
Le Clavier bien tempéré, Dominique Merlet a manifes- rité ». Cette diversité, Domi- pour épater, redisons-le, mais
Livre I tement eu à cœur de se souve- nique Merlet la restitue dans pour approcher au plus près le
Dominique Merlet (piano) nir de Czerny, publiant Le Cla- un jeu concentré et pensé.Mais mystère de cette musique. Autre
Le Palais des Dégustateurs PDD015. vecin bien tempéré en 1837 et si la tête reste froide (du moins tour de force, ce toucher qui
2017. 1 h 50 signalant qu’il avait tâché de en apparence), les doigts sont reste délicat et ce son mordoré
« considérer le vrai caractère de souvent chauffés à blanc et font et moelleux sans jamais

88 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


embrumer les lignes. En orga- n°8, la répétition régulière de les accords brisés du Prélude Aller à l’essentiel sans prendre
niste qu’il est également, l’artiste groupes de deux notes dans la n°21), une froide radiographie, des airs de donneur de leçon,
sait équilibrer les registres pour Fugue n°14, la marche solen- une articulation artificielle être grave sans chausser des
conserver la lisibilité de la nelle du Prélude n°24. Cette ou une exploitation tapageuse semelles de plomb, faire
polyphonie (Fugue n°22) et maîtrise de la partition ne se des possibilités du piano. montre de puissance intellec-
parvenir à une juste intensité révèle jamais dans une ascèse Au contraire, elle surprend sou- tuelle sans jouer au savant :
expressive sans jamais alourdir sonore (la Fugue n°19 qui vent par de malicieux sourires est-ce cela la maturité ? X
les mains : les accords du Prélude semble aller dans tous les sens, (Fugues nos7 et 9). Philippe Venturini

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 89


LES CHOCS DU MOIS

CD CLASSICA / PLAGE 9

DVORÁK SUR
LA CORDE RAIDE
Le Quatuor Pavel Haas livre une interprétation vertigineuse
de deux quintettes du compositeur de Rusalka. Antonin
Dvorák

N
ous avons le Quintette à cordes, idem, Rudolfinum de Prague, lieu de (1841-1904)

«
encore beau- 2013) et Smetana (les deux qua- la création, en 1888, du Quin- Quintette avec piano n°2.
coup à faire tuors, idem, 2015, Classica tette avec piano n°2. Les Haas Quintette à cordes op. 97
avec la musi- n°177). Leur lecture de deux y sont rejoints par le pianiste Boris Giltburg (piano), Pavel
que de Dvo- quintettes est par ailleurs l’occa- Boris Giltburg et son jeu expres- Nikl (alto), Quatuor Pavel Haas
rák », décla- sion de découvrir le quatuor sif. Dès les premières mesures, Supraphon SU4195-2. 2017. 1 h 14
rait le Quatuor Pavel Haas en dans sa nouvelle composition, le ton est donné : l’ouverture,
2015. Il y revient donc, après l’altiste Radim Sedmidubský feutrée et lyrique, laisse vite
avoir déjà enregistré ses Qua- succédant à Pavel Nikl, parte- place à une envolée dramatique
tuors op. 96 et op. 106 (Supra- naire demeuré fidèle puisque puissante. Les orages des cres- des couleurs à la limite du
phon, 2010) et effectué un présent dans l’Opus 97. cendos du premier mouve- symphonique et creusent un
détour par Schubert (Quatuor Clin d’œil historique, cet enre- ment, Allegro, ma non tanto, saisissant relief. Après une
« La Jeune Fille et la Mort » et gistrement a été réalisé au explosifs, évocateurs, déploient dumka d’une tendre mélan-
colie, jamais larmoyante,
s’élancent,sur des tempos enle-
vés, guidés par une conduite
rythmiqueimpérieuse,leScherzo
et le finale.
La recherche d’un propos
partagé et d’une couleur
d’ensemble frappe particuliè-
rement dans le ténébreux
Quintette à cordes op. 97, riche
d’un second alto. Les silences,
habités, jouent les contrastes
avec des forte puissants et
rugissants, intégrés dans un
grand geste : pas un instant
la tension ne faillit. Le traite-
ment soigné des plans sonores
conjugue expressivité indivi-
duelle et ligne directrice com-
mune (Larghetto).
Au sein d’une discographie
de haut vol (Quatuor Talich,
La Dolce Volta, 2002), le Qua-
tuor Pavel Haas se distingue
par sa lecture sans concession,
aux lignes clairement dessinées
et au pouls palpitant. Tout
entier au service de Dvorák,
MARCO BORGGREVE

il émeut, surprend, bouscule,


et tient l’auditeur en haleine.
On n’en sort pas indemne. X
Fabienne Bouvet

90 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


CRÈME ANGLAISE
Deux Britanniques, très large orchestre, incorpo-
rant euphonium, piano, xylo-
le grand compositeur phone et célesta, expérimente
Havergal Brian des alliages de timbres inso-
lites. Comme avant lui Myer
et l’excellent chef Fredman (belle version, adop-
Alexander Walker, tant des tempos sensiblement
plus lents, parue sous le label
pour un savoureux pirate américain Aries et attri-
trio de symphonies. buée à Colin Wilson dirigeant
le Wales Orchestra) ou Charles

E
Groves (EMI), le chef sait tra-
nfin l’enregistrement duire les extases cosmiques, PA
SSION
de la n°26 permet les vastes plages d’immobilité
de disposer de l’inté-
grale des trente-deux
surnaturelle, les hymnes lyri-
ques plus « pompes et circons-
DEPUIS
FOR

60 ANS
YEARS

EX

E
symphonies de l’un des com- tances » que nature ou les érup- C C
ELLEN
positeurs anglais les plus ori- tions de violence de marches
ginaux, quarante-six ans après militaires cauchemardesques

Photo © Fernando Sancho


le coup d’envoi donné par la (Mahler reste loin derrière !) ;
n°21 dirigée par Eric Pinkett, son allant cultive la vigueur et
à la tête de l’Orchestre des les contrastes,alors que ses pré-
lycées du Leicestershire (Uni- décesseurs, plus enclins aux
corn). La Symphonie n°8 est ralentissements, privilégiaient
le chef-d’œuvre de Brian. la dimension métaphysique.
Alexandre Walker y montre L’orchestre, accoutumé à des
une remarquable sûreté pour partitions russes aussi som-
une partition si complexe, bres, tragiques et complexes,
dont il fait ressortir la solide répond à merveille aux fuligi-

HMM 902310
charpente dissimulée sous neuses ruminations du com-
la structure libre d’une vaste positeur anglais.
« ballade tragique », dont le Dans la Symphonie n°21, plus
expansive et moins rugueuse,

Debussy
Alexander Walker est plus
claude

enlevé qu’Eric Pinkett dans


les deux premiers mouve-
ments (le tempo un peu accé-
léré de l’Adagio s’avère fina-
lement très expressif) et plus La Mer / Le Martyre
lent dans les deux derniers, et
sans aucun doute, l’orchestre
de saint Sébastien
des Russes prend l’avantage Prélude à l’après-midi d’un faune
sur les enthousiastes lycéens
du Leicestershire. Avec les Philharmonia
joviales éructations de ses tutti, Orchestra
Havergal la Symphonie n°26 est, quant

Brian à elle, une truculente fête


rabelaisienne, feu d’artifice
Pablo Heras-Casado
(1876-1972) d’alertes contrepoints (du Bach
Symphonies nos 8, 21 et 26 malicieux et pimenté) dont
New Russia State l’allant juvénile et l’étonnante
Symphony Orchestra, modernité stupéfient chez
dir. Alexander Walker un compositeur âgé de harmoniamundi.com
Naxos 8.573752. 2016. 1 h 10 quatre-vingt-dix ans… X
Michel Fleury

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 91


LES CHOCS DU MOIS

CD CLASSICA / PLAGE 4

LA NUIT TRANSFIGURÉE
Le timbre ténébreux de la mezzo-soprano Lucile Richardot et la subtile
mélancolie distillée par l’Ensemble Correspondances de Sébastien
Daucé illuminent un répertoire méconnu d’airs baroques anglais.
« Perpetual
Night »
Ayres et Songs de Johnson,
Lawes, Coprario, Ramsey,
Lanier, Banister, Webb,
Hilton, Hart, Blow, Purcell
et Jackson
Lucile Richardot
(mezzo-soprano),
Ensemble Correspondances,
dir. Sébastien Daucé
Harmonia Mundi HMM 902269.
2017. 1 h 12

glisser sur la pente de la rêve-


rie (« Powerful Morpheus, Let
thy Charms », hommage au
dieu du Sommeil). Aux deux
extrémités du spectre drama-
tique,on trouve l’esprit des folk-
songs cher à John Coprario
(« Go, Happy Man »), les élé-
gies mortuaires de Robert
Johnson (« Care-charming
Sleep ») et, surtout, de vérita-
IGOR STUDIO

bles scènes dramatiques minia-


tures comme chez Robert
Ramsey (« Howl Not, You
Ghosts and Furies »).

L
L’aisance quasi instrumentale
a nuit et ses table de travail, les musiciens On se persuade bien vite de Lucile Richardot lui permet
étoiles n’ont pas enrichissent le vocabulaire qu’un tel programme ne pou- de s’immiscer dans les inter-
attendu la venue harmonique, expérimentent vait être conçu que pour une stices douloureux, voire de
des romantiques de nouveaux genres où le réci- voix hors norme. Mezzo- détimbrer à des fins expres-
pour titiller les tatif italien et le ballet de cour soprano avec des graves d’alto sives. Réuni en petit comité,
muses: le présent à la française se greffent sur le et des aigus rayonnants, Lucile l’Ensemble Correspondances,
récital en témoigne, qui mask. Autant de pépites soi- Richardot est notre guide, que Sébastien Daucé dirige
« retrace une histoire de l’art gneusement consignées dans notre flambeau aux teintes du clavecin ou de l’orgue, colle
vocal anglais de 1620 aux der- les manuscrits des bibliothè- subtiles et raffinées. Dans les au plus près des affects. Épi-
nières décennies du siècle » ques de Londres et d’Oxdord airs déclamatoires de William logue de choix avec « Sing,
(Sébastien Daucé) – c’est- comme dans les recueils édités Lawes et William Webb s’invi- Sing,Ye Muses » de John Blow,
à-dire après la disparition de par le célèbre John Playford tent tour à tour la véhémence dont la jubilation chorale
John Dowland –, tandis que que nos interprètes sont allés (« Whiles I this Standing opère une ouverture salvatrice
fait rage la lutte entre catho- compulser de leurs doigts Lake ») et les inflexions vacil- dans l’épaisseur de la nuit. X
liques et protestants. À leur de sourciers. lantes propres à nous faire Jérémie Bigorie

92 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


KARELANCERL,
ANGE IMMORTEL
Le seul enregistrement du plus grand chef
tchèque du XXe siècle d’« Asraël » de Suk.

L
e mois dernier, nous de la SWR aussi affûté que
présentions des réédi- son habituelle Philharmonie
tions proposées par tchèque. Dans ce concert
SWR Classic issues des d’anthologie, l’orchestre est
archives de la radio allemande chauffé à blanc: cordes et cuivres SSION
PA
du Südwestrundfunk à la suite se montrent impitoyables et élec-
de la fusion récente de ses deux
orchestres historiques : le SWR
triques dans le développement
du premier mouvement.Suivent
DEPUIS
FOR

60 ANS
YEARS

EX

E
C C
Baden-Baden und Freiburg et un Andante sur le fil du rasoir, ELLEN
le RSO Stuttgart. Parmi des glaçant par les tenues de trom-
concerts bien connus, dont une pette révélant une désolation

Photo © Julien Mignot


mémorable Symphonie n°7 de angoissée face à l’ange de la mort,
Bruckner par Kurt Sanderling et un Vivace lapidaire. Un son
(CHOC), on a eu la surprise d’orchestre tranchant comme de
de découvrir un inédit de l’acier, une discipline de chaque
l’Orchestre du Südwestfunk instant: le CHOC s’impose.
Baden-Baden sous la baguette Le néoclassicisme de la Serenata
de Karel Ancerl. d’Iša Krejcí, moins essentielle,
En mai 1967, un an avant son moins aboutie et colorée que
exil provoqué par l’entrée des la version officielle Supraphon,

HMM 902302
chars soviétiques dans Prague, mais brillante et enlevée,offre un
le maestro était invité dans le sas de décompression bienvenu
Bade-Wurtemberg à diriger une après la noirceur d’« Asraël ». X
grande œuvre quasi inconnue à Yannick Millon
l’Ouest, la Symphonie « Asraël »

Debussy
de Josef Suk, qu’il n’enregistra
claude

jamais en studio. S’il circule


depuis une dizaine d’années,
publiée par un obscur label ita-
lien indépendant (une vidéo
YouTube permet de l’écouter
dans des conditions correctes),
Préludes du 2e Livre
une captation pirate d’un autre La Mer (transcr. Debussy)
concert, du 2 octobre 1971, avec
l’Orchestre de Cleveland,aucune Alexander Melnikov
édition officielle du document
allemand n’existait à ce jour. Josef Olga Pashchenko
piano
Aubaine immense, donc, de
découvrir un tel trésor aussi bien Suk
enregistré, documentant l’art du (1874-1935)
plus grand chef tchèque du siècle Symphonie « Asraël »
dernier dans cette partition mor- + Krejcí : Serenata
tifère. En un temps ridiculement Orchestre du Südwestfunk
court, Karel Ancerl parvenait à Baden-Baden, dir. Karel Ancerl
imprimer sa marque à chaque SWR CLASSIC SWR19055CD. 1967.
harmoniamundi.com
orchestre où il était invité, 1 h 15
comme en atteste un ensemble

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 93


LES CHOCS DU MOIS

ATOUT CŒUR POUR


LA DAME DE PIQUE
Puissance expressive et justesse du sentiment, tel est le jeu qu’abattent
le chef Mariss Jansons et les chanteurs dans cet opéra de Tchaïkovski.

C
ette captation de d’aspect grâce à des murs En plus d’un Orchestre du
LaDamedepique mobiles et à des éclairages très Concertgebouw d’Amsterdam
du duo Jansons- travaillés contribuant à créer en état de grâce, il peut comp-
Herheim resti- des atmosphères hallucinantes. ter sur des chœurs dans une
tue à la perfec- Certaines images cauchemar- forme superlative et une dis- Piotr Ilitch
tion la puissance
dramatique exceptionnelle
desques nous hantent longue-
ment, en particulier celle du
tribution de haut niveau.
Si Misha Didyk et Svetlana Tchaïkovski
d’un spectacle dont l’effet en lustre qui devient un encensoir Aksenova ne possèdent pas (1840-1893)
salle était sidérant. Dans la démesuré se balançant de plus les voix intrinsèquement les La Dame de pique
vision de Stefan Herheim, enplusviteau-dessusdelascène plus séduisantes, ils sont tou- Misha Didyk (Hermann),
l’action gravite autour de où se déroulent les funérailles tefois prodigieux de vérité en Svetlana Aksenova (Liza),
Tchaïkovski (alias Eletski), qui de la Comtesse. Hermann et Liza. La Comtesse Larissa Diadkova (la Comtesse),
compose fiévreusement son Au sommet de son art, Mariss de Larissa Diadkova s’impose Vladimir Stoyanov (prince
opéra, s’identifie corps et âme Jansons offre une interpréta- moins par un timbre un peu Eletski), Anna Goryachova
à ses héros et vit par anticipa- tion magistrale du chef- clair que par une incarnation (Pauline/Milovzor), Alexey
tion son propre suicide. Tous d’œuvre de Tchaïkovski, dont saisissante, notamment lors- Markov (Tomski/Zlatogor),
les tableaux se déroulent dans il sait traduire le romantisme que celle-ci esquisse quelques Pelageya Kurennaya (Prilepa),
un salon élégant qui change exacerbé et l’âpre beauté. pas de danse en susurrant : Chœurs de l’Opéra national
des Pays-Bas, Orchestre royal
du Concertgebouw d’Amsterdam,
dir. Mariss Jansons, mise
en scène Stefan Herheim
Cmajor 743908 (2 DVD). 2016. 3 h 01

« Je crains de lui parler la nuit. »


Sur le plan de l’hédonisme
vocal, la palme d’or revient
au Tomski châtié d’Alexey
Markov, à l’Eletski admirable
de Vladimir Stoyanov et à la
Pauline envoûtante d’Anna
Goryachova.
Une version à revoir pour en
goûter pleinement la richesse
inépuisable et qui s’inscrit
d’ores et déjà au sommet
d’une vidéographie où l’on ne
retenait guère que deux cap-
tations datant de 1992 : celle
extrêmement traditionnelle
du Mariinsky (Valery Gergiev,
Youri Temirkanov) et le spec-
tacle saisissant filmé à Glyn-
debourne (Andrew Davis,
Graham Vick). X
DNO

Louis Bilodeau

94 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


NOUVEAUTÉ

CD CLASSICA / PLAGES 11 et 12

UN HAYDN MAJEUR ENSEMBLE ZENE


BRUNO KELE-BAUJARD

Pas un bémol mouvements de forme sonate,


sauf la deuxième du finale
dans cette lecture du Quatuor en si mineur n°2 :
tout en nuances ils ont raison, cette fin dans
l’aigu sur la pointe des pieds
et contrastes des ne peut que déboucher sur le
six Quatuors op. 64 silence. Dans l’Allegro spiritoso
du même quatuor, le pizzicato,
oferte par les Doric. juste avant la première barre de
reprise, est asséné d’un coup

E
sec, et la cadence parfaite
n dehors des conclusiveestjouéelapre-
intégrales des mière fois dans la nuance
« soixante- piano, la seconde fois
huit », les Qua- Le choix de dans la nuance forte :
tuors op. 64, composés FRANCIS démarche très apprécia-
DRÉSEL
en 1790, ont été enregis- ble, qui se retrouve ail-
trés tous les six par plu- leurs. Les mouvements
sieurs formations dont deux lents plongent souvent dans
se détachent : les Quatuors le mystère, et les menuets sont
Lindsay (ASV, 1999) et Mosaï- pris vigoureusement, en parti-
ques (Naïve, 2001-2003). Sans culier celui du n°3 en si bémol,
les surclasser, les Doric, dont aux effets de cor. Dans son trio,
les Opus 20 et Opus 76 ne nous le violoniste devient presque
sont, sauf erreur, jamais parve- violoneux, effet renforcé en fin
nus, les rejoignent au sommet, de parcours par un ralentisse-
avec leurs caractéristiques ment efficace.
propres: nuances et contrastes Du Quatuor n°6 en mi bémol,
fortementaccusés,miseenvaleur le triopeutêtrejouéuneseconde
de nombreux détails. Ils obser- fois ad libitum, avec un premier
vent toutes les reprises des violon dans l’extrême aigu :
c’est le cas ici.Son Allegro initial,
ouvert sur un thème des plus
mémorables, est parcouru de
coups de boutoir admirable-
VIA DOLOROSA
PURCELL · BYRD · SCARLATTI · LOTTI · ALLEGRI
ment rendus. La subtilité et
les traits d’humour du finale
reçoiventtoutleurdû.Onatten-
dait les Doric dans le Quatuor
n°5 en ré majeur « L’Alouette »,
l’un des plus enregistrés isolé-
ment de Haydn : on n’est pas
déçu, même en se souvenant &21&(576
du Quatuor de Jérusalem (Har- : Musicales de Quimper · BACH / HAENDEL
Joseph monia Mundi, 2003), et le sou- : Musicales de Normandie · VIA DOLOROSA

Haydn dain forte précipitant la conclu- : Festival des Abbayes · CAIONI / BUXTEHUDE
sion intervient au bon moment.  Collège des Bernardins · D'ENCRE ET DE PIERRE
(1732-1809) Cette interprétation qu’offrent
Les six Quatuors op. 64 les Doric témoigne d’une pro- WWW.ENSEMBLEZENE.COM
Quatuor Doric fonde réflexion sur ces œu-
Chandos CHAN 1097 (2 CD). vres et s’inscrit parmi les plus
2017. 2 h 22 recommandables. X
Marc Vignal

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 95


LES CHOCS DU MOIS

CD CLASSICA / PLAGE 10

PROFONDEURFAURÉENNE
Dans son dernier volet de son intégrale dédiée au compositeur français,
Gabriel
le pianiste Jean-Claude Pennetier s’attaque à des pages rares dont
il restitue avec simplicité toute la vérité et la pureté. Fauré
(1845-1924)

A
« Intégrale de l’œuvre
vec ce qua- à 11). Si elles sont dépouillées LaméthodePennetierpourtrans- pour piano, volume 4 »
trième volume de toute sensualité extérieure, mettre ces pages rares,dont bien Jean-Claude Pennetier (piano)
s’achève l’inté- qu’elles sont âpres et réduites à des pianistes et des auditeurs Mirare MIR 356. 2017. 1 h 05
grale Fauré de l’essentiel, Jean-Claude Penne- se méfient? Une simplicité qui
Jean-Claude tier éprouve pour ces musiques confine parfois à l’ascèse,
Pennetier, qui unetendressemanifestecarilleur un discours très clair avec un jeu l’architecture interne de chaque
marquera durablement la dis- confèreuncharme certain.On a de pédale juste et parcimonieux, morceau apparaît vigoureuse-
cographie fauréenne, comme supposé que les problèmes comme Fauré le souhaitait. ment pensée et les gradations
celle de Jean-Philippe Collard auditifs de Fauré étaient la cause Mais aussi un réel frémissement sontparfaitementmenées.Cette
(EMI) dans les années 1970. de cette cure d’amaigrissement intérieur,évocateur des « grands qualitéserévèleparticulièrement
Ce programme chronologique sonore, mais rien n’est moins départs inassouvis » du vieil appréciable dans des pièces
réunit,outre les deux Impromp- sûr parce qu’à l’extrême fin homme, qui donne de l’élan comme les deux derniers Noc-
tusoù unecertaine superficialité (Barcarolles nos 12 et 13, Noc- au discours, et puis, comme on turnes, assez développés, dans
inhérente au genre se trouve turnes nos 12 et 13), alors que l’avait déjà noté dans les volets lequel la maîtrise du discours
transcendée, les pages les plus sa surdité s’était encore accrue, précédents, une sonorité déli- évite à l’auditeur de s’égarer
profondes, mais aussi parfois un nouveau lyrisme se fait jour, catement travaillée, de toute dans les méandres de l’harmo-
les plus étranges de Fauré (Bar- plus solaire et moins crispé, beauté. Cet élan se montre nie. Bref, une merveille de tous
carolles nos 8 à 11, Nocturnes nos 9 mais jamais déclamatoire. en outre solidement conduit, les instants. X Jacques Bonnaure

JEAN-BAPTISTE MILLOT

96 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


DANSLEMONDED’ARVOPÄRT
Le voyage stylistique du compositeur estonien à travers ses quatre
symphonies raconté par son compatriote, le chef Tõnu Kaljuste.
Arvo

E Pärt
n 1989, Neeme Järvi (importance de la monodie, en valeur par l’excellent niveau
et l’Orchestre sym- organum, doubles sensibles), des différents pupitres. S’y
phonique de Bamberg mais y superpose des motifs ajoutent un dynamisme et une (né en 1935)
avaient enregistré les fulgurants et conserve les effets dramaturgie propices à l’esprit Symphonies nos 1 à 4
trois premières symphonies orchestraux spectaculaires. de cette musique, une belle res- Orchestre philharmonique
d’Arvo Pärt (Bis). Ce nouveau On retrouve dans les quatre titution d’ambiances chroma- du NFM de Wrocłav, dir. Tõnu
cycle, complété par la Sympho- symphonies un certain nombre tiques qui doivent beaucoup Kaljuste
nie n°4 « Los Angeles » (2009) de constantes : importance aux effets de percussions,tantôt ECM New Series 481 6802.
permet de retracer l’évolution des pupitres solistes, usage « liquides », tantôt incisives. 2015-2016. 1 h 20
stylistique du compositeur, accru des percussions, persis- Le chef et les musiciens éclairent
depuis sa période sérielle tance des dissonances, atmos- par ailleurs le discours contra-
(la Symphonie n°1 date de phère de désolation. puntique complexe des deux restitués avec force par un
1963) jusqu’à l’écriture Le projet de Tõnu Kaljuste et de premières symphonies. orchestre qui semble investi
post-tintinnabuliste de ses l’Orchestre philharmonique du Dédiée à Mikhaïl Khodorkov- d’une mission supérieure.
dernières années qui confine NFM de Wrocłav est éminem- ski et à « tous les prisonniers D’écriture fondée sur un ancien
à une forme de romantisme. ment réussi. On peut ainsi sans droits en Russie », la Sym- canon orthodoxe, elle conclut
Œuvre charnière,la Symphonie mentionner un travail d’équi- phonie n°4 enchaîne des dans une atmosphère intros-
n°3 inclut bien plus de référen- librage aussi minutieux que momentsdelyrisme,d’angoisse, pective cet album de très haute
ces au Moyen Âge et à la Renais- nécessaire à la restitution d’une de dramatisme et de solennité. volée. X
sance que les deux précédentes orchestration fragmentée, mis Ces différents climats sont Laurent Lellouch

LA VOIX DES FEMMES


Le quatuor féminin Méliades enchante les textes de onze poétesses
et le Cantique des Cantiques mis en musique par Patrick Burgan.

L
e projet des Spirituelles quatre chanteuses, Anaïs Vin- les notes de Patrick Burgan et
(2015) de Patrick Bur- tour, Delphine Cadet, Marion les voix des Méliades.
gan pourrait rappeler Delcourt et Corinne Bahuaud, Le Cantique des Cantiques
celui de l’Office des qui ont à cœur de défendre (2014) s’inscrit dans la même Patrick
naufragés (1998) d’Olivier
Greif : pour chacun des deux
la musique d’aujourd’hui. Si
l’œuvre de Greif est tragique,
veine lyrique et célèbre la pas-
sion amoureuse en empruntant Burgan
compositeurs, il s’agissait funèbre, parfois âpre ou déses- les mots du plus érotique des (né en 1960)
d’écrire un cycle de mélodies pérée, celle de Burgan frappe livres de la Bible.On appréciera Les Spirituelles.
à partir de textes de poétesses avant tout par la beauté que la beauté du corps féminin Cantique des Cantiques
d’époques et d’origines diverses, des voix entremêlées, tantôt soit ici chantée précisément par Quatuor vocal féminin Méliades
entretenant toutes un lien étroit lyriques, tantôt élégiaques, qui des voix féminines, plutôt que Ad Vitam Records AV 180315. 2018.
avec le religieux ou le mystique. chantent l’amour et la mort sur d’être l’objet d’un dialogue 1 h 18
Mais la comparaison s’arrête là: un mode intemporel.D’Érinna, convenu entre « le bien-aimé »
Greif avait choisi d’introduire poétesse grecque du IVe siècle, et sa fiancée.
une soprano soliste dans un à Emily Dickinson en passant Ces deux œuvres de Patrick Machuel ou Philippe Hersant.
ensemble instrumental de par Hildegarde von Bingen, Burgan semblent ainsi partici- Le retour à une poésie et à une
chambre,là où Burgan a préféré Louise Labé ou encore Emily per du renouveau de la musique spiritualité marquées semble
faire appel à un quatuor vocal Brontë, ce sont au total onze vocale et chorale française, tel bien être l’une des voies les plus
féminin. De fait, l’œuvre est femmes qui s’expriment dans que peuvent l’incarnerdescom- stimulantes de la création
une commande des Méliades, sept langues différentes à travers positeurs comme Thierry contemporaine. X Sarah Léon

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 97


LES DISQUES DU MOIS JOHANN SEBASTIAN
BACH
(1685-1750)
+++++
Sonates pour violon
et clavier BWV 1014 à 1019
Nicolas Dautricourt (violon),
Juho Pohjonen (piano)
La Dolce Volta LDV 63.7 (2 CD).
2017. 1h 52

L’air de soprano de la Cantate BWV


JOHN 115,transcritpourviolon,violoncelle JOHANN SEBASTIAN
ADAMS
(né en 1947)
(Bertrand Raynaud) et piano,
« prièreàl’indulgencedivine»(Gilles
Cantagrel) placé en prélude laisse
BACH
(1685-1750)
++++ deviner quelle voie vont emprunter ++++
Concerto pour violon les sonates : celle de la spiritualité, Prélude largo et fugue
Leila Josefowicz (violon), de la contemplation, de la ferveur. BWV 545.
St. Louis Symphony, Aussi, dès l’Adagio liminaire de la Préludes et fugues BWV 535
dir. David Robertson Sonate BWV 1014, le violon de Nico- et 544.
Nonesuch 7559 79351 O. 2018. 33’ las Dautricourt fait sereinement Fantaisie et fugue BWV 537.
planersesrondesblanchespointées Fugue BWV 578.
En2016,LeilaJosefowiczavaitenre- dans un azur éthéré que ne saurait Toccata et fugue BWV 538.
gistré,déjàpourNonesuch,la«sym- troubleruntempodespluspaisibles. Pièce d’Orgue BWV 572
phonie dramatique avec violon » La présence d’un piano à la place du James Johnstone (orgue)
Scheherazade.2 (2015) de John clavecin attendu donne un ton Metronome METCD 1095. 2017. 59’
Adams,encompagnieduchefDavid presque romantique à cette poi-
RobertsonetduSt.LouisSymphony gnantecantilène.L’équilibremiracu-
(Classica n° 187). Ces mêmes inter- leuxentrelesdeuxartistes,conservé James Johnstone est un musicien
prètes s’intéressent cette fois à son par la prise de son Manuel Mohino qui n’a pas froid aux yeux ! C’est en
Concerto pour violon (1993), après (voir p. 133), l’humilité du violoniste effet avec une fougue à toute
Gidon Kremer (Nonesuch, 1994), qui refuse de jouer le soliste et le épreuve que l’organiste anglais se
Robert McDuffie (Telarc, 1998), toucher si finementnuancé, la lisibi- saisit des plus beaux diptyques du
Chloë Hanslip (Naxos, 2005), Chad lité polyphonique et la netteté ryth- jeune Bach et les fait sonner avec
Hoopes (Naïve, 2013), Tamsin mique du pianiste, font d’emblée unevéhémentegrandeursurl’orgue
Waley-Cohen (Signum, 2016). Les oublier les éventuelles querelles historique (1554) de la cathédrale
trois mouvements présentent stylistiques. deRoskilde(Danemark).Johnstone
autant de climats différents. Le pre- La clarté des énoncés magnifie la a assurément de la virtuosité à
mier, très chromatique, contraste virtuosité des fugues. Le parfait revendre. D’aucun dirait « un peu
avec le deuxième, mystérieux et dosagedescouleursetdupoidsdes trop ». Sa nervosité se fait ainsi agi-
solennel, qui se base sur une cha- lignesdynamiseleséchangesinces- tation dans le Prélude BWV 545,
conne , ligne de basse répétée tout sants entre les deux instruments. violence dans le très pathétique
au long du morceau. L’atmosphère, Nicolas Dautricourt semble à peine BWV 544 et tendrait même à la cari-
d’abord nocturne, s’éclaire peu à effleurerlescordesdesonStradiva- caturedansletroisièmemouvement
peu, jusqu’à une aube radieuse. Le riuscommes’ilcraignaitdebouscu- de la Pièce d’orgue BWV 572.
troisièmes’apparenteàunetoccata lerlechantéperduqu’ildéploiedans Mais c’est cette même verve qui
au cours de laquelle le violon fait les mouvements lents, berceuse transcende avec une justesse
entendre un perpetuum mobile eni- rassurante (BWV1017/1) ou doulou- confondantelePréludeetfugueBWV
vrant. Ce n’est pas à proprement reuse méditation (BWV1018/1). Tel 535, révèle la Fugue « dorienne »
parler à un dialogue entre le soliste un funambule, il avance les yeux dans toute sa rythmicité et trans-
et l’orchestre que l’on assiste au fil vers le ciel, assuré du soutien incon- forme la petite Fugue en sol mineur
du Concerto : le violon est quasi ditionnel de Juho Pohjonen. Lec- en véritable récit épique. Assuré-
omniprésent,etils’agitlaplupartdu ture très personnelle et assumée. ment tout n’est pas juste. L’on ne
LES NOTES temps de suivre simultanément sa Du grand art. Philippe Venturini pourra néanmoins que louer le sens
DE CLASSICA ligne mélodique et les plages du geste et la conscience drama-
orchestrales d’une grande richesse tique d’un organiste qui, outre une
Coup de cœur
+++++ qui l’accompagnent. Comme dans maîtrise technique incontestable,
Excellent leur précédent disque, on apprécie une grande souplesse et une endu-
++++ l’engagementdesartistes(lefinale), rance éprouvée, démontre avant
Bon la maîtrise et la palette de couleurs tout une personnalité musicale
+++ de Leila Josefowicz. On regrettera assuméesuffisammentrarepourne
Moyen néanmoins la brièveté du disque. pas être découverte.
++ Peut-être aurait-il été envisageable Aurore Leger
Décevant decouplerceconcertoavecceluide
+
Inutile
Glass,voiredel’enregistrerdès2016
+ à la suite de Scheherazade.2.
Sarah Léon

98 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


JOHANN SEBASTIAN quelechêne,capableainsid’onduler LUDWIG VAN
BACH
(1685-1750)
au gré du souffle continu des
doubles croches sans la moindre
raideur (premier mouvement de
BEETHOVEN
(1770-1827)
+++++ BWV 1041) ou de se tendre souple- +++
Concertos pour violon ment comme un arc (finale de BWV Concertos nos 2 et 4
BWV 1041, 1042, 1052 1042). Mais on regrette que l’arbre pour piano et orchestre
et 1060* soit un peu caché par la forêt de Royal Northern Sinfonia,
Frank Peter Zimmermann l’Orchestre de chambre de l’Or- Lars Vogt (piano et dir.)
(violon), Serge Zimmermann chestre symphonique de la Radio Ondine OD 1311 2. 2017. 1 h 02
(violon)*, Berliner Barock Solisten bavaroise. Mené par le premier vio-
Hänssler Classic CD HC17046. 2017. lonRadoslawSzulc,ildéploieeneffet Par ce disque s’achève l’intégrale
1 h 01 un jeu qui semble d’une autre des concertos de Beethoven par
époque:longstraitsd’archet,legato LUDWIG VAN Lars Vogt qui assure la partie de
quasi permanent, contrastes dyna-
miques limités, texture plutôt opa-
que. On ne sait si la salle August
BEETHOVEN
(1770-1827)
piano, la direction d’orchestre et
mêmelecommentairedulivret,très
personnel. Au début du Concerto
Everding, à Grünwald, en Bavière, ++++ n° 2 se dégage une certaine fluidité
pourtant très moderne et en bois, Symphonies nos 4 et 5 mozartienne,etlacéléritéduclavier
dispose naturellement de cette Orchestre symphonique passeraitpourdésinvoltesilesplans
réverbération prononcée ou si la de Vienne, dir. Philippe Jordan sonores n’étaient pas si correcte-
technique s’en est mêlé, mais la WS 014. 2017. 1 h 06 mentenplace.Ledeuxièmemouve-
sonorité, plus globale et voilée que ment est chantant, mais on se
détaillée,accentuecetteimpression On savait le directeur musical de demande pourquoi il lui manque
deBach«àl’ancienne»,sansarêtes. l’Opéra de Paris amateur de beau l’indéfinissable sensibilité roman-
Daniel Lozakovich cite d’ailleurs son, on le découvre pugnace, atta- tique. C’est dans le rondo final que
parmi ses modèles Heifetz, Kogan, ché à l’élaboration de lignes de ten- l’interprétationserévèlelaplusheu-
+++ Szeryng,Ferras,MenuhinetHassid. sion par la répétition, d’une exubé- reuse, pétillante, d’une virtuosité
Concertos pour violon Face à un orchestre aussi terne, rancerythmiquequ’onneluiconnaît perlée où le tempérament du pia-
BWV 1041 et 1042. voire éteint (la gigue finale de BWV guère dans la fosse. À la tête de niste-chefreflète très bien les inten-
Partita pour violon seul n° 2 1041) il ne peut seul faire des l’OrchestresymphoniquedeVienne tions primesautières du composi-
Daniel Lozakovich (violon), miracles. depuis2014,PhilippeJordanchoisit teur : « Il y a au milieu du troisième
Orchestre de chambre Débarrassé de cet encombrant par- de coller au maximum aux indica- mouvement un passage très hon-
de l’Orchestre symphonique tenaire et dans l’acoustique plus tions métronomiques controver- grois, dansant, un peu fou, de carac-
de la Radio bavaroise définie du Studio Teldex de Berlin, il sées de Beethoven, reprenant le tère populaire, confie Lars Vogt.
Deutsche Grammophon 479 9372. faitentendre,danslaPartitan°2,des credo de certains baroqueux mais C’est très amusant à jouer ».
2017. 1 h 04 phrasés souples (le rebond de la aussi de chefs marginaux en leur Le Concerto n° 4 commence par un
Gigue)maismaîtrisés(laChaconne) temps comme René Leibowitz. mouvement très long où la partie
soutenus par un vibrato généreux. Par-delà une interprétation racée et soliste se montre beaucoup plus
Ce discours lyrique, presque can- féline, d’une superbe tenue, une intéressante que sa contrepartie
dide, ne peut se comparer avec les formederectitude,unlégermanque orchestrale : à ce piano expressif,
prises de paroles autrement plus de respiration accentue ici ou là un rêveur quand il le faut, répond un
affirmées de Julia Fischer (Penta- sentiment de raideur à force de gar- orchestre sans épaisseur (effectif
tone, 2004) ou, tout récemment, der les yeux rivés au compteur, réduit), sans accents et pour tout
Anna Göckel (NoMadMusic, 2017). notammentdansl’AdagiodelaSym- dire insuffisamment dirigé. Le
Le bois manque encore un peu de phonie n° 4, dont le rythme initial fameuxantagonismedramatiquedu
sève. Patientons. apparaît bien corseté et carré. De mouvement central entre solo et
Frank Peter Zimmermann, qui a lar- même, si les rouages de ce Beetho- orchestre déçoit : un orchestre pas
gementl’âged’êtrelepèredeDaniel ven sont impeccablement huilés et assezmenaçant,unpianointroverti.
Lozakovich, se montre bien plus tournent avec les chevaux néces- La cohésion revient dans le finale
déterminéetentreprenant.Legeste sairessouslecapot,onregretteune mené d’une main alerte, conqué-
Le hasard des parutions met en millimétré, l’articulation nette vraie verticalité qui aurait fait la dif- rante et un peu explosive par
perspective deux enregistrements (orchestre compris) toujours sur le férence, la plupart des grands endroits. D’inégales beautés se
des concertos pour violon de Bach qui-vive, il rappelle comment accords étant privés du tranchant découvrent ainsi dans cet enregis-
pardesnon-baroqueuxdirigeantde l’anacrouse répétée de BWV 1041/1 d’une timbale un cheveu avant l’or- trement de concert.
leur Stradivarius, « Lady Inchiquin » donneuneimpulsionrégulièreàtout chestre comme c’est le cas en cer- Isabelle Werck
de 1711 pour Zimmermann et « ex le mouvement. Capable de relever tains endroits du très beau finale de
Rothschild » de 1713 pour Lozako- d’impressionnantsdéfistechniques la Symphonie n° 5. Reste que les
vich, des orchestres modernes. (BWV1052/1),leviolonisteallemand petits frères des Philharmoniker
DanielLozakovichestunSuédoisné sait aussi danser sur la pointe des sontd’unetenueabsolumentimpec-
en2001,adoubéparArgerich,Capu- pieds (BWV 1041/3) ou déployer un cable dans les tutti, d’une belle
çon et Gergiev, déjà invité aux festi- chant radieux malgré un style d’une expressivité dans les vents, jusque
vals de Verbier, Gstaad, Lugano, rare concentration (les mouve- dans ce hautbois à balustre inimi-
Aix-en-Provence. Il pratique le foot- ments lents). Voilà sans conteste table, donnant son court solo quasi
ball, le tennis, la boxe, les échecs, et une des versions modernes les plus senza vibrato, dans ce deuxième
choisit Bach pour son premier recommandables, à placer aux volet d’une intégrale en devenir.
disque car « il permet de montrer de côtésdecelledeThomasZehetmair Yannick Millon
quel bois on est fait ». C’est un bois (Berlin Classics, 1994).
qui évoque davantage le peuplier Philippe Venturini

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 99


Les disques du mois

MARIO CARL
CASTEL CZERNY
NUOVO- (1791-1857)
++++

TEDESCO
(1895-1968)
Symphonies nos 2 et 6
Orchestre de la Radio
de Kaiserslautern,
++++ dir. Grzegorz Nowak
Le danze del Re David. SWR Music SWR 19419CD.
Questo fu il carro della morte. 2005 2006. 1 h 14
Alt Wien. I naviganti.
Piedigrotta Connu surtout comme pédagogue
ANTON Mark Bebbington (piano) DMITRI du piano, élève de Beethoven,

BRUCKNER Somm Recordings SOMMCD 0172.


2003. 1 h 07 CHOSTA- maître de Liszt, Carl Czerny fut un
compositeur très prolifique : huit
(1824-1896)
+++
Symphonie n° 7
LetimbreronddeMarkBebbington,
sonsensdesnuancesetsonimpec-
KOVITCH
(1906-1975)
cent soixante numéros d’opus,
nombre d’ouvrages encore supé-
rieur.Onluiattribuesixsymphonies,
+ Wagner: Marche funèbre cable technique sont particulière- +++ voire sept ou même huit. Il n’en
de Siegfried mentadaptésàce musicien toscan, Symphonie n° 7 publia que deux, en 1845, dont les
Orchestre du Gewandhaus chezquisemêlentunhéritagejuifet Orchestre philharmonique manuscrits autographes ont dis-
de Leipzig, dir. Andris Nelsons une fervente italianita cultivant l’at- de Londres, dir. Kurt Masur paru: la n° 1 en ut mineur op. 780 et
Deutsche Grammophon 479 8494. mosphère et les paysages. Les LPO Live LPO 0103. 2003. 1 h 11 la n° 2 en ré majeur op. 781, dédiées
2018. 1 h 17 Danses du roi David évoquent le l’une au Conservatoire de Vienne,
monarque, tour à tour emporté, Symbole de l’anti-nazisme, la Sym- l’autre à celui de Paris. Elles ont été
sauvage, méditatif ou chef guerrier, phonien° 7«Leningrad»peuts’envi- enregistrées il y a une vingtaine
DeutscheGrammophonpubliedéjà autraversd’uneécriturepianistique sagertoutaussibiencommeunacte d’années chez Christophorus par
ce troisième volet de l’intégrale des éblouissante qui retient le meilleur derésistance(celledel’Arméerouge l’Orchestre d’État de Brandebourg.
symphonies de Bruckner avec deLiszt,DebussyetStravinski,dans face à la Wehrmacht) que sous un Les deux réunies sur ce CD, en
Andris Nelsons dont, jusqu’alors, le le contexte d’un orientalisme angle plus psychologique et distan- quatre mouvements avec introduc-
plus marquant restait les complé- authentiquement hébraïsant, diffé- cié,refletdes sentimentscontradic- tion lente, sont d’heureuses sur-
ments wagnériens. Cette Septième, rentdeceluideBloch,plustributaire toires des populations. C’est cette prises. On perçoit d’où vient l’Opus
si liée à l’Orchestre du Gewandhaus de la tradition germanique. seconde option que défend Kurt
qui en fut le créateur en 1884, lan- Une nature tourmentée et pessi- Masurdansceconcertdedécembre
çant le début de la consécration miste se perçoit au travers du Char 2003 où il tourne le dos à l’artillerie
internationale d’un compositeur, delaMort,pagelisztiennespectacu- lourde et privilégie tempi rapides et
changerait-elle la donne? Partielle- laire,etsurtoutdelarhapsodievien- légèretédutrait,envisageantlecom-
ment, car même si le chef letton noiseAltWiendontl’étrangefox-trot bat central de l’Allegretto initial dans
semble à nouveau courir plusieurs tragique final résonne du cliquetis une pure horizontalité, en rien rou-
lièvres à la fois, alternant mysti- des squelettes des morts de la leau compresseur, se refusant à
cisme,gestecursif,monumentalité, guerredansuncontexteexpression- appuyerlesdissonancesjusqu’àune
dans une synthèse par trop éparpil- niste noir typique des années 1920. manière de superficialité. Chaque
lée, la nature même de l’œuvre y I naviganti est de la même veine : la épisoderythmiquedecettepartition
résiste mieux. Un vrai parfum cré- barque funèbre du nautonier riche en contrastes est d’ailleurs
pusculaire parvient à se dégager, conduisantsacargaisond’âmessur traité avec une forme de désinvol-
par-delà des tempos peu cohérents une mer glauque, agitée de tourbil- ture, voire de déréliction.
dans leurs enchaînements et des lons de virtuosité ravéliens. Piedi- L’essentiel est ailleurs, dans le res- 781 : en son Allegro initial de celui de
choix affaiblissant la structure glo- grottanousramèneenpleineclarté: senti intérieur, dans une échappa- la Deuxième de Beethoven, en ses
bale:lecaractèredusecondgroupe avec les rythmes vertigineux de la toire enracinée dans la vie d’avant mouvements centraux plutôt de
thématique du finale, plus tarentelle, le chant d’amour sous le symbolisée par tout le début du Schubert, mais il s’agit d’une œuvre
« hénaurme » que chez un Thiele- ciel étoilé ou les fanfares rutilantes premier mouvement, au climat très personnelle, puissante, avec un
mann, les codas du premier et du sous le soleil, Mark Bebbington joliment brossé, d’une nostalgie finale enlevé, vraiment conclusif.
dernier mouvement qui cherchent mène ce feu d’artifice pianistique teintée d’innocence qu’on retrouve Elleoccupeuneplacedechoixparmi
àbattreCelibidachesurleterrainde vers un éblouissant bouquet final. dans un Moderato plutôt lumineux, les symphonies hors du « premier
l’embrasementcosmique.Leciment Michel Fleury àlarecherched’optimisme,passant rayon », et l’interprétation surclasse
de cette interprétation, outre un vitesursestensionscentrales.Dans celledeChristophorus.Lanerveuse
orchestre au niveau stratosphé- ce contexte, l’Adagio est finalement Symphonie n° 6 en sol mineur, la
rique, reste finalement l’hommage le seul moment vraiment poignant, dernière de Czerny (autographe
à Wagner en filigrane, à travers une avec ses cordes façon thrène, enfin daté de 1 854), arrive en première
pâtesonoredense,burinée,quesert poussées à leur acmé, et son choral mondiale. On pense parfois à Schu-
avec éloquence l’Orchestre du consolateur. Petite erreur, enfin, mann,parfois(commeensonSche-
Gewandhaus. Ce nouveau volet pour un label d’ordinaire plus rigou- rzo) à Mendelssohn, mais là aussi,
s’ouvre là encore sur Wagner: une reux: la biographie de Kurt Masur, la musique se suffit à elle-même,
Marche funèbre de Siegfried aux reprise telle quelle de publications sans laisser l’esprit vagabonder
accents poignants, aux cuivres anciennes, oublie de préciser que le ailleurs. Les CD consacrés à Czerny
impériaux, au sentiment d’urgence chef allemand est mort en 2015, à n’ont pas tous cet intérêt.
assez rare. l’âge de quatre-vingt-huit ans. Marc Vignal
Yannick Millon Yannick Millon

100 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Quelques années

JEAN-CHARLES
LE BILLET DE
HOFFELÉ
avant J.-C.
SERGE

KOUSSEVITZKY 1874-1951

L’art du chef, mécène de toute une génération de jeunes compositeurs


de son temps, à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston.

Q
uelle vie ! Né juif dans une famille de musiciens, Ils seront mariés un quart de siècle! Les saisons sont brillantes, qui
formé au plus ingrat des instruments à cordes, équilibrent musique moderne et répertoire classique. Si les souf-
la contrebasse,Serge Koussevitzky pouvait-il se dou- fleurs sont idéaux, Koussevitzky, qui fut d’abord un string conduc-
ter, entrant l’année de ses vingt ans dans l’Orchestre tor, fait travailler son quatuor d’arrache-pied pour un des plus
du Bolchoï, quel flamboyant destin transatlantique brillants ensembles de symphonies de Mozart que le 78-tours ait
l’attendait? Un mariage argenté y pourvoira. À Ber- captés: la discipline des coups d’archet,la précision du jeu et sa vita-
lin,Nikischleveutbienpourélèved’autantqu’illedélestedesesdettes lité irrépressible sont mieux que parfaites, elles sont inspirées et
de jeux. Secret de Koussevitzky tout au long de sa vie, sa cassette d’une exactitude textuelle faramineuse pour l’époque. La radio-
privée. La carrière est lancée en 1908, Rachmaninov est au piano diffusion popularise cet art altier, solaire, vigoureux, le disque
pour son Deuxième Concerto, la nou- documente les facettes de cet art, ses Ravel (il lui écrit « sur com-
velle decesuccès l’accueille à son retour mande » le Concerto en sol, l’orchestration des Tableaux),
à Moscou où il crée son orchestre et ses Debussy, ses Prokofiev, ses Stravinsky, son Sibelius pionnier
samaison d’édition,les ÉditionsRusses demeurent inaltérés. Mais aussi, surtout !, Mozart, Beethoven,
de Musique : Scriabine, Prokofiev, Brahms, le grand répertoire relu,
le jeune Stravinsky seront ses premiers modernisé en somme, prêt pour les
auteurs. Concerts en Europe, tournée nouvelles générations d’auditeurs
fastueuse arrosée de champagne avec d’autant qu’il aura également inspiré
son orchestre tout au long de laVolga: la relève des chefs d’orchestre améri-
quelle cocagne! Puis, en 1917, cueilli cains, Leonard Bernstein en tête.
par la Révolution,il accepte la direction Vint la retraite, mot impossible pour
de la Philharmonie de Leningrad.La dèche de ses musiciens l’effraie, un tel caractère ; mais Koussevitzky
tout comme la confusion idéologique qui s’empare du pays. restait mécène, gardant l’oreille alerte
En 1920, exil à Berlin puis Paris où les Concerts Koussevitzky pré- et ouvrant sa cassette pour le Peter
senteront dix années de rang le gratin des jeunes musiciens, russes Grimes de Britten. Il reviendra au stu-
certes, mais pas seulement: Maurice Ravel deviendra un habitué, dio d’enregistrement dans les splendeurs de l’été de Tanglewood,
Koussevitzky sculptant avec sensualité son Daphnis, sa Rhapsodie, moins d’un an avant sa mort, pour accompagner, l’œil toujours
en vrai magicien des sons qu’il savait être. Puis les amarres sont vif, son irrésistible sourire moqueur aux lèvres, Eleanor Roosevelt
larguées: 1924 le voit remplacer l’ami Monteux à Boston,un fluide se prenant sans peine tout à la fois pour Pierre et pour le Loup,
mystérieux passe entre sa direction intuitive et les musiciens dont adieux savoureux d’un artiste aimé des dieux, mais oublié
la plupart sont français, langue que Koussevitzky parle à la perfection. aujourd’hui de son éditeur historique, RCA. X

Les disques mentionnés


Z Ravel: Rapsodie espagnole, Ma mère l’Oye, Boléro. Naxos 8.110154 Z Moussorgski: Tableaux d’une exposition. Naxos 8110154 Z Sibelius:
Symphonies nos 4,6 et 7. Naxos 8111399 Z Sibelius: Symphonies nos2 et 5. Naxos 8110170 Z Brahms : les quatre symphonies, Music & Arts CD 1108.

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 101


JAN LADISLAV MANUEL DE
DUSSEK
(1760-1812)
FALLA
(1876-1946)
++++ ++++
Sonates op. 10 nos 1, 2 Quatre Pièces espagnoles.
et 3. Sonate op. 31 n° 2 Trois Danses du Tricorne.
« Pastorale » Chant des bateliers
Bart van Oort (pianoforte) de la Volga. L’Amour sorcier.
Brillant Classics 95599. 2017. 1 h 01 Homenaje « Pour le tombeau
de Claude Debussy ».
Dussek commence à émerger de Seconde Danse espagnole.
sonsemi-anonymat,etdesonconfi- Fantaisie Bétique
CLAUDE nement dans les Classiques Favoris EDWARD Garrick Ohlsson (piano)

DEBUSSY
(1862-1918)
destinés aux pianistes de petite
force,pouroccupersaplacelégitime
parmi les classiques. Tel est l’objec-
ELGAR
(1857-1934)
Hyperion CDA 68177. 2016. 1 h 10

Deux pôles opposent les interprètes


+++++ tif d’un tel disque, qui rend justice à ++++ du corpus pianistique de Falla : la
« Dialogue de l’Eau et de l’Air » l’enjouementnatureldeceTchèque, « Ecce sacerdos magnus » pointesèchedeQueroletl’orchestre
Images. Préludes. Estampes. à son aisance dans le style galant de Œuvres pour chœur imaginaire de Larrocha. Ohlsson se
Petite Suite. Épigraphes son temps, mais aussi à sa palette et orchestre situeàleurmi-chemin,clavierample
antiques. La Mer (extraits) expressive, voire profonde par Brighton Festival Chorus, etdébordédecouleurspourcesmer-
Véra Tsybakov et Romain Hervé moments. Ses mouvements BBC Concert Orchestra, veilles de l’impressionnisme pianis-
(piano) peuvent atteindre les dix minutes dir. Barry Wordsworth tique (espagnol comme l’Iberia d’Al-
Paraty PTY118166. 2017. 1 h 02 sansuneseconded’ennui.Latrilogie Somm Recordings SOMMCD 267. beniz,françaiscommelesNocturnes
de l’Opus 10 offre un bon échantil- 2016. 1 h 17 de Debussy) que sont les Quatre
« Debussy est resté toute sa vie un lonnage des différentes manières Pièces, mais aussi piano vertical et
grandamantdelanature,ilaaiméen chez Dussek. Est-ce du Clementi ? Elgar a laissé de courtes pages pour orantpouruneFantaisie bétiquesur-
elle tout ce qui ravit l’œil ou l’oreille, Du Haydn ? On peut confondre. chœur et orchestre échelonnées prenanteoùOhlssonsembleamincir
tout ce qui berce, miroite, change et Mozartn’estpasloindanscertaines entre son apprentissage et sa ses marteaux pour les transmuer en
disparaît : les nuages et le vent, l’eau phrases touchantes des adagios. grande maturité. L’anthem qui sert uneguitare,mieux,yévoquerleclave-
et ses reflets. » Véra Tsybakov et Les allegros en mineur couvent un de titre à cette anthologie est une cin brûlant, âpre, du Concerto, seule
Romain Hervé, en choisissant de sens dramatique qui annonce Bee- œuvre de circonstance par autreœuvrenéedecetteveineabra-
décliner soit en alternance au piano thoven, né à peine dix ans après moments calquée sur la Harmonie- sée. Il ne réussit pourtant pas abso-
seul soit à quatre mains ce dialogue Dussek et l’on peut supposer que le messe de Haydn et montrant la lument la quadrature du cercle qui
de l’eau et de l’air debussyste, grand Beethoven a déchiffré son tenue, le sérieux et la qualité d’Elgar pourraitréunircesdeuxuniversentre
répondentauxproposdeMessiaen. aîné avec fruit. Mais l’histoire n’en àsesdébuts.TeDeumetBenedictus, lesquels doivent briller les imagi-
Pour ce regard croisé, chaque inter- est pas à sa première iniquité et les contemporains de l’oratorio The naires soit baroque soit gitan des
prète représente un élément : l’eau pionniers sont souvent éclipsés, en Light of Life (1897), rivalisent avec transcriptions de ballets.
pour Véra Tsybakov, l’air pour renommée, par leurs successeurs. ce dernier en matière de martiale
Romain Hervé. On sera sensible à la Sur un pianoforte Longman-Cle- vigueur, de grandeur majestueuse
sonorité dense de la première menti de 1798-1799, restauré en ou de noblesse méditative ; leur
(Reflets dans l’eau, Jardins sous la 2002, Bart von Oort interprète ces wagnérisme contraste avec les
pluie, Cathédrale engloutie...) et à la pages avec un souci de justesse et scènes bavaroises croquées sur le
liberté de ton du second (Voiles, Le de pertinence qui laisse s’exprimer vif lors de vacances près de Gar-
Vent dans la plaine, Ce qu’a vu le vent la voix du compositeur. Jamais il ne misch, danses rustiques, idylle pas-
d’ouest...). hâte le tempo, au motif discutable torale ou paysages alpestres évo-
Les œuvres pour piano à quatre que ces pièces, faciles d’écoute, qués avec un sens de la couleur et
mainsextraitesdelaPetiteSuite(En gagneraient à être expédiées. Au du pittoresque proches de Dvorák.
bateau) ou des Épigraphes antiques contraire, l’équilibre du style clas- Une délicieuse Sérénade espagnole
(Pour invoquer Pan, dieu du vent sique est servi par un pianiste à pour une pièce hispanisante de
d’été)profitentdel’osmoseentrete- l’éloquence tranquille. Longfellow illustre une veine elga-
nue par deux solistes qui se sont Isabelle Werck riennelégèresouventnégligée.Mais
connusauConservatoiredePariset les deux grands Psaumes 48 et 29 Le sens du récit lui manque un rien
forment, selon Romain Hervé, « un (1912 et 1914) constituent le plat de dansL’Amoursorcier,etleséclats,la
véritablecouple»commeilleprécise résistance : l’attaque en puissance, foliedigitaled’unLatchoumia,splen-
dans la notice. Leur exécution de La franche et soutenue par de belles et dide à l’égal de Larrocha. Les for-
Mer, dans la transcription de riches couleurs, déploie un noble mulesbaroques,letonnéoclassique
Debussy, atteint des sommets d’in- tannin qui reste longtemps en des danses du Tricorne ne font
tensité (Dialogue du Vent et de la bouche, à l’instar de la Symphonie entendreniletaconeoduMeunierni
Mer) dans une progression savam- n° 2 ou du Concerto pour violon. Le les castagnettes de la Meunière :
ment conduite qui met en valeur les BBC Concert montre ici autant d’ai- Ohlssonvoudrait-ilfairevoirledécor
structures de l’œuvre mais aussi la sance que dans la musique légère, avant d’animer les personnages ?
subtilité des nuances ou la vitalité et, épris de savoureux coloris, Barry Certainement, etpour beaucoup ce
des rythmes à l’instar de la version Wordsworthleslaisses’épanouiren ne sera en rien un empêchement,
des Crommelynck (Claves) qui n’a sybarite, comme à l’accoutumée, car le piano est de bout en bout
pas perdu une ride. avec ses tempos largesetgénéreux. superbe, de timbres, d’ampleur,
Michel Le Naour Michel Fleury d’accents, et la vision assumée.
Jean-Charles Hofelé

102 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


NUMÉRO
EXCEPTIONNEL
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ce numéro

AVEC

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Les disques du mois

CHRISTOPH WILLIBALD ARAM


GLUCK KHATCHA-
(1714-1787)
++++
Orfeo ed Euridice
TOURIAN
(1903-1978)
Philippe Jaroussky (Orfeo), +++++
Amanda Forsythe (Euridice), Concerto pour violoncelle
Emöke Baráth (Amore), Choeur + Penderecki : Concerto
de la Radio-Télévision suisse pour violoncelle n° 2
italienne, I Barocchisti, Astrig Siranossian (violoncelle),
dir. Diego Fasolis Sinfonia Varsovia,
Erato 0190295707941. 2017. 1 h 17 dir. Adam Klocek
GIOVANNI HENRYK Claves 50 1802. 2018. 1 h 10

GABRIELI
(c.1554/57-1612)
Cettepremièrediscographiqueper-
met de découvrir Orfeo ed Euridice
tel que le donna le Palais royal de
GÓRECKI
(1933-2010)
La jeune Astrig Siranossian choisit
de se confronter à deux œuvres de
+++ Naples en 1774, dans une version +++++ compositeurs soviétiques majeurs
« Gabrieli For Brass: très voisine de celle réalisée pour Quatuor à cordes n° 3 associées à des noms d’interprètes
Venetian Extravaganza » Parme en 1769 où le rôle-titre était Quatuor Dafô prestigieux.LeconcertodeKhatcha-
Sonates et Canzone confiéàuncastratsoprano.Lecom- Dux 1 302. 2017. 48’ turian fut en effet créé à Moscou en
+ Œuvres de Lappi, Frescobaldi, positeur dilettante Egidio Lasnel, 1946 par Knouchevitski et celui de
Massaino, Viadana et Gussago pseudonymedeDiegoNaselli,modi- Renégatdel’avant-gardeaprèsavoir Penderecki à Berlin en 1983 par
Royal Academy of Music fia le troisième acte en réécrivant le été dans un premier temps séduit Rostropovitch. Ils sont néanmoins
and Julliard School Brass, duetto « Vieni, appaga il tuo par le modernisme de Boulez et de conceptions très différentes. Le
dir. Reinhold Friedrich consorte » et en supprimant l’air Stockhausen,Góreckin’endemeure premier est avant tout d’essence
Linn Records CKD 581. 2017. 1 h 16 d’Euridice « Che fiero momento ». pas moins intéressant. Il occupe en mélodiqueetjouesurlesressources
En toute honnêteté, il faut recon- effetlaplacesingulièred’uncompo- expressives du violoncelle : thèmes
Le trompettiste allemand Reinhold naître qu’on y perd au change... siteur mutique finalement incas- populaires,successionrhapsodique
Friedrich,membredel’Orchestredu L’autre inconvénient est de réunir sable, à l’écriture pleine de disso- de cavalcades, de danses ou de
Festival de Lucerne, réunit des une distribution composée unique- nances,aveccescouchesplanantes, déplorations.Safactureclassiquefut
jeunescuivresdesfameusesJulliard ment de voix de soprano. Touchant ces motifs répétitifs mais évolutifs néanmoinsjugéetropformalistepar
School de New York et Royal Aca- parsafragilitéetsoncaractèrequasi qui orientent un discours musical lesautoritéssoviétiquesdel’époque,
demy of Music de Londres pour un éthéré,l’OrfeodePhilippeJaroussky étal vers une destination incertaine, et contribua à l’éviction de Khatcha-
hommage au polyphoniste vénitien neconvainccependantqu’àmoitié: un chemin qui ne mène nulle part. tourian de la fameuse Union des
GiovanniGabrieli.Organisteetcom- la palette vocale se montre limitée, Le Quatuor à cordes n° 3 fut écrit compositeurs. Citons parmi les ver-
positeur principal de Saint-Marc au le timbre se décolore dès qu’il faut dans les années 1990 mais n’a été sions récentes Wallfisch (Chandos,
tournant des cinquecento et sei- pousser la voix et les attaques créé qu’en 2005, le compositeur 1987) et Lidström (Bis, 1995).
cento, Gabrieli dresse un pont entre manquent souvent de netteté. l’ayant laissé de côté sans raison Leconcerto de Penderecki a intégré
la Renaissance et le Baroque, entre Le plaisir absolu se retrouve plutôt identifiée. Cette œuvre au temps les innovations musicales et les
la musique vocale et instrumentale. du côté de l’Amour et d’Euridice, suspendu s’avère un écho cham- recherches sonores du second
Installés en l’église Saint-Jude de avec Amanda Forsythe et Emöke briste de la Symphonie n° 3, œuvre XXe siècle, tout en revenant volontai-
Hampstead, au nord de Londres, et Baráth, admirables de naturel, de phare de Górecki au succès plané- rement à un style dramatique d’al-
servis par une belle prise de son, les taire incroyable, dû sans doute aux lure postromantique. Le composi-
jeunes musiciens, équipés d’instru- émanations spirituelles que cette teur a dirigé deux enregistrements,
ments modernes, s’attachent à pièce émet. l’un avec Rostropovitch (Warner,
respecter l’esprit de la Venise Encinqmouvementslecompositeur 1986),l’autreavecNoras(Finlandia,
d’alors. polonais dissout les structures du 2001). S’y ajoutent les versions de
Legroupedetrompettessedétache quatuor à cordes dans des phases Thedéen (Bis, 1998) et Vassiljeva
parfois rapidement des trombones amples mais obscures, déplorant la (Naxos, 2008). Par son lyrisme
et pétarade à l’occasion dans les mort de certains hommes, inspiré généreux mais maîtrisé, son jeu à la
staccati (par exemple dans la pièce par un poème de Khlebinkov : fois puissant et raffiné, sa sonorité
d’ouverture) mais dans l’ensemble, « Quand les chevaux meurent ils ample et mordorée, Astrig Siranos-
les chœurs instrumentaux, malgré soufflent,Quandlesherbesmeurent sian peut dignement figurer à leurs
des émissions de son pas toujours elles sèchent, (…) Quand les gens côtés.
nettes et l’impossibilité de restituer meurentilschantentdeschansons.» Sarah Léon
en trois dimensions les effets de la Parfois un lyrisme viscéral évoque
construction spatiale de la musique fraîcheur et d’engagement. Ner- Wagner, on retrouve aussi la Sym-
deGabrieli,nousoffrentuneintéres- veux,voireimpétueux,DiegoFasolis phonie n° 7 de Beethoven, mais
santeimmersiondansunrépertoire et ses Barocchisti font bien sentir plane surtout une mélancolie
typique d’une époque charnière de l’urgence dramatique, mais immarcescible, à la plasticité chan-
la musique occidentale. abordent la partition avec une geante,prenantdiversesformesqui
Jérôme Medelli rigueur confinant parfois à une cer- toutessontparfaitementexécutées
taine sécheresse. Très bonne inter- parleQuatuorDafô,plussensitifque
prétation du chœur de la Radio-Té- le Quatuor Kronos (Nonesuch).
lévision suissei italienne, Romaric Gergorin
particulièrement éloquent dans les
interventions des démons en furie.
Louis Bilodeau

104 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


ILS NE
MANQUE PAS
D’AIRS!

DEUX GRANDS PORTE-VOIX


DE LA MUSIQUE FRANÇAISE
Entre opéras et mélodies célèbres, deux coffrets
ZOLTAN
pour fêter Gounod et Massenet.
KODÁLY
(1882-1967)
+++ Bicentenaire oblige, Van Dam, Denize (1994), a
COMPOSITEURS

Danses de Galánta. Warner ressort de ses révélé à beaucoup ce péplum


Concerto pour orchestre.
fonds (essentiellement magnifique, tandis que la
Danses de Marosszék.
Variations sur « Le Paon » EMI) les ouvrages les Thaïs de Maazel, avec Sills,
Orchestre philharmonique plus connus de Gou- Milnes, Gedda (1976), n’a
de Buffalo, dir. JoAnn Falletta nod (photo) dans des jamais été égalée. On garde
Naxos 8.573838. 2018. 1 h 17 versions qui ont fait beaucoup de tendresse pour
date : le Faust dirigé par Le Jongleur de Notre-Dame de
Le son ample et généreux de l’Or- Prêtre, avec Domingo, Freni, Boutry, avec Vanzo et Bastin
chestre philharmonique de Buffalo Ghiaurov, Allen (1978), des (1978), et l’on redécouvrira
met l’accent sur le romantisme de
Kodály. Si la nature colorée des
extraits de Margarethe, sa ver- avec intérêt la rarissime
DansesdeGalántaestmiseenvaleur sion allemande, avec Gedda, Sapho, à nouveau de Boutry,
par les bois qui y tiennent le rôle Moser,Fischer-Dieskau,Moll, avec Doria et Sirera (1977).
principal, le lyrisme permanent de sous la direction de Patanè Last but not least, le Don Qui-
l’interprétation fait parfois perdre le (1973), Mireille par Plasson, chotte de Plasson, avec Van
côté rythmique, percussif et riche avec Freni, Vanzo, Van Dam Dam, Fondary, Berganza
en appogiatures de cette musique (1979),Roméo et Juliette, éga- (1992), reste la grande réfé-
d’essence populaire. Dans le
lement par Plasson, avec rence. Intéressantes notices
Concertopourorchestre,l’épaisseur
constante du son renforce les cou- Kraus, Malfitano, Van Dam signées par Gérard Condé
leurs sombres mais affaiblit les (1983). À quoi s’ajoutent un (Gounod)etJean-Christophe
contrastes de caractères pourtant CD de mélodies et d’extraits Branger (Massenet), et
bienprésentsdansunemusiquequi d’opéras, tirés de divers réci- Ángeles, Legay, Dens, Bor- pochettes d’époque. X
passe du lyrique à l’espiègle, du tals (Hendricks, Horne, Vil- thayre (1955), n’a jamais Jacques Bonnaure
populaire au mystérieux. La struc- lazón, Van Dam, Carreras, quitté les catalogues. Le Wer- £ « The Gounod Edition ».
ture formelle des Variations sur un Pollet, Fischer-Dieskau, Ber- ther de Prêtre, avec Gedda, Warner Classics
chantpopulairehongrois«LePaon»,
très diversifiée, permet d’éviter cet
nac, etc.), où l’on trouve Los Ángeles, Soyer, Mesplé 0190295648879 (15 CD).
écueil. Les effets de couleur y sont quelques raretés, l’oratorio (1968),fut injustement snobé 1959-2004. 16 h 35. ++++
habilement rendus, comme dans la Mors et Vita (Plasson), une par la critique, mais se tient £ « Massenet Operas ».
Variation XIV où la harpe et les bois version depuis longtemps tout à fait. L’Hérodiade de Erato 0190295683474 (16 CD).
entremêlés créent un bel effet de disparue de la Messe de sainte Plasson, avec Studer, Heppner, 1955-1992. 15 h 14. +++++
texture. Mais le son de l’orchestre, Cécile (Hartemann),d’autres
toujoursépais,nuitparfoisauxéqui- mélodies par Souzay, Mau-
libres,commedanslaVariationIXoù rane et Lott,la Petite Sympho-
lesmotifsdesclarinettessetrouvent
noyés dans la masse orchestrale. nie pour vents (Barbirolli),
L’ensemble manque de plans les deux Symphonies (Plas-
sonores et les vents restent parfois son) et la Messe chorale (Cor-
prisonniers de la masse des cordes. boz). L’ensemble fournit une
Plusromantiquesetrichesenoppo- image assez complète du
sitions orchestrales, les Danses de compositeur.
Marosszék présententune interpré- Selon le même principe,
tationintéressante,soutenueparun
Erato rassemble les sept opé-
jeu virtuose des cordes et des
pupitres solistes qui s’affirment au ras les plus célèbres de Masse-
premierplan.Onresteradoncfidèle net dans des versions vintage
auxenregistrementsdeDorati(Mer- de haut niveau. La célèbre
SDP

cury), Fricsay (DG) et Solti (Decca). Manon de Monteux, avec Los


Laurent Lellouch
CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 105
Les disques du mois

GUSTAV FELIX
MAHLER MENDELS-
(1860-1911)
++++
Symphonie n° 1
SOHN
(1809-1847)
Düsseldorfer Symphoniker, ++++
dir. Ádám Fischer Symphonie nos 4 et 5
Avi music 8553390. 2017. 53’ NDR Radiophilharmonie,
dir. Andrew Manze
De ce côté-ci du Rhin, on ignore Pentatone SACD PTC 5186 611.
l’existence des Düsseldorfer Sym- 2016 2017. 1 h 04
phoniker, fleuron instrumental du
FRANZ Land de Rhénanie-du-Nord-West- BOHUSLAV Devenu un ambassadeur du réper-

LISZT
(1811-1886)
phalie. Ádám Fischer, frère aîné du
célèbreIvánFischer,estpourtanten
train de construire avec cet
MARTINU
(1890-1959)
toire baroque, le violoniste et chef
britanniqueAndrewManze,enposte
depuis2014danslarégiondeBasse-
++++ ensemble une intégrale des sym- ++++ Saxe, explore aujourd’hui le réper-
Les Années de pèlerinage phonies dont voici déjà le troisième Concerto pour deux violons toire romantique aux côtés de la
(Suisse). Saint François volet. Et loin de toute routine ou de H. 329. Rhapsodie-concerto NDR Philharmonie, formation
de Paule marchant sur les flots l’image de vieux routier de province pour alto H. 337. Concerto orchestrale la plus réputée de
Francesco Piemontesi (piano) quiluicolleàlapeau,lechefhongrois pour deux pianos H. 292 Hanovre. Après un premier volume
Orfeo C 9441821 (+ 1 DVD). 2017. 55’ surprend par la personnalité impri- Sarah et Deborah Nemtanu consacré aux Symphonies nos 1 et 3
mée à ce répertoire, reconnecté à (violon), Magali Demesse (alto), de Mendelssohn (Classica n° 193), il
Francesco Piemontesi fait partie de ses racines d’Europe centrale. Non Mari et Momo Kodama (piano), poursuit avec l’« Italienne » et la
cette génération de pianistes tren- à la manière extrêmement étudiée Orchestre philharmonique « Réformation », dont il donne des
tenaires qui a invariablement des de Neumann ou Ancerl, sans non de Marseille, dir. Lawrence Foster lectures extrêmement équilibrées,
choses à dire. Son Liszt, architec- plus le style dégraissé d’un Kubelik, Pentatone SACD PTC 5186658. parfaitement adaptées à l’esthé-
turé,séduitparadoxalementparson mais avec un retour aux sources 2018. 1 h 02 tique de classicisme romantique du
absence d’effets pyrotechniques sans mystique ni panthéisme, par- compositeur, mettant tout du long
gratuits. La virtuosité du pianiste fois un rien prosaïque dans les Compositeur complexe mêlant l’ex- enrelieflafinessedutrait,lesensde
suisse n’est jamais démonstrative moments de mystère. Cette lecture cellencetchèqueauxinspirationsde l’architecture globale. Tout au plus
car tout entière au service de la rythmique vive, aux angles saillants son pays d’adoption, la France de pourrait-on regretter des cordes-
musique. Il suffit d’écouter sa et au tranchant typiquement Roussel (de Poulenc et de l’Hélve- sans grand rayonnement, par-delà
superbe Vallée d’Obermann pour se magyarrappelleraitlesmanièresde to-Parisien Honneger) jusqu’à l’in- uneimagesonoretrèschâtiée.Dans
faire une idée de son phrasé, Dorati, qui, on le sait, n’a pas touché vasion allemande, c’est en exil aux cette vision limpide, où chaque voix
construit à partir d’une constante à Mahler. États-UnisqueMartinucomposales se fait entendre avec clarté, on
économie de moyen. Ce même art trois concertos assez méconnus découvre des entrelacs fascinants
estaussiremarquabledansAubord proposéssurcedisque.LechefLaw- de mobilité dans le premier mouve-
d’une source avec, en prime, un rence Foster et les sœurs Nemtanu ment (8’ 22 à 8’ 42) de la Quatrième.
magnifique toucher perlé. Il y a un ont beau mettre en avant leurs Sans jamais sortir d’une certaine
engagement total dans Orage, cin- racinesroumainespourjustifierleur convention – l’Andante a même ten-
quième pièce de ces Années de collaboration sur le Concerto pour danceàtraîner–,onévoluedansune
Pèlerinages : Piemontesi créé une deux violons, ce n’est pas cet argu- voie moyenne entre les versions
masse sonore quasi orchestrale, ment mais leur musique qui nous traditionnelles et la pratique histori-
appuyée sur des basses rondes et convainc. quement informée. On aura plus de
charnues. Le son n’a rien de forcé, Plein d’une énergie sans excès, le surprisesdanslaSymphonien° 5,ne
tout comme dans la Chapelle de jeu entre les solistes comme leur serait-ce que par le choix de la mou-
Guillaume Tell où le texte est pris à dialogue avec l’orchestre met en ture de l’œuvre, qui amende cer-
bras-le-corps. valeur les deux mouvements de ces taines coupures effectuées tardive-
Encomplément,Piemontesiachoisi pages de 1950 respirant intelligem- mentparlecompositeur,etprésente
la deuxième Légende. Cette pièce, Et force est de constater que cette ment les siècles passés. Ce notamment, en prélude du choral
véritable défi pour la main gauche vision énergique, premier degré, concerto devance de deux ans la ouvrantlederniermouvement,deux
del’interprète,metenvaleurlatech- volontiers terrienne, se tient de pièce pour alto interprété ici par minutes de recitativo confié essen-
nique d’acier du musicien. L’éditeur bout en bout, même si l’on avait Magali Demesse. Les indéniables tiellement à la flûte.
ajoute sur un DVD, un portrait de perdu l’habitude d’épisodes bohé- qualités de cette dernière sont mal- Yannick Millon
l’artiste réalisé par Bruno Monsain- miens aussi descriptifs et enlevés, heureusement amoindries par une
geonpourlaRadiotélévisionSuisse., couleur locale et assumant leur retenue qui bride certains traits,
où iI évoque les excursions de Liszt collage, dans la Marche funèbre. Le nerveuxouélégiaques.QuantàMari
à travers la Suisse en compagnie de finale est en outre d’une redoutable et Momo Kodama, elles s’emparent
Marie d’Agoult, vingt ans avant la efficacité, avec un orchestre affûté avec panache du Concerto pour
compositionducycledeneufpièces et puissant, jamais seconde zone. deux pianos de 1943 en s’illustrant
desAnnées de pèlerinagesenSuisse. On ne sait comment cet te particulièrement dans les clocks de
Aurélie Moreau approche concrète, guère nourri- l’œuvre, moins dans ses clouds.
cière, vieillira, mais par sa fran- Jérôme Medelli
chise, son refus de l’embonpoint,
elle vaut de tenter l’expérience.
Yannick Millon

106 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


UNE HISTOIRE
CLAUDIO
HELVÈTE
MONTE-
VERDI
(1567-1643)
++++
« Lettera amorosa »
Mariana Flores (soprano),
LE SÉRIEUX SUISSE
Cappella Mediterranea, Une rétrospective inédite sur la
dir. Leonardo García Alarcón
Ricercar RIC 390. 2016 2017. 1 h 05 Tonhalle de Zurich et les chefs
Après un hommage à Cavalli pour le CLAUDIO en poste ou invités qui l’ont dirigé.
même éditeur (CHOC, Classica
n° 177), Mariana Flores et Leonardo MONTE- C’est en 1868 que cordes chauffées à blanc,

ORCHESTRE
García Alarcón présentent une lec-
ture pénétrante du « divinissime »
MonteverdicommelequalifiaitD’An-
VERDI
(1567-1643)
Friedrich Hegar créa
’Orchestre de la Ton-
par Blomstedt, « Résurrec-
tion » de Mahler limpide,
halle de Zurich. Pour selon David Zinman,et Cin-
nunzio. L’esthète soulignait l’impor- +++
célébrer ce cent cin- quième de Sibelius à l’élan
tance chez le compositeur du Vêpres de la Vierge
mariageentrelapoésieetlamusique Solistes,Collegium Vocale Gent, quantenaire, Sony irrésistible, donné par Esa-
dansunartvoulucommetotal.C’est dir. Philippe Herreweghe Classical propose un coffret Pekka Salonen.
danscetespritquel’enregistrement PHI LPH029 (2 CD). 2017. 1 h 27 rétrospectif (1942-2016) On n’oublie pas le XXe siècle
met l’accent sur une expressivité concentré sur les directeurs et la rare Penthésilée de
portée, à la sortie de l’âge polypho- Entendue aprè s la version musicauxetquelquesgrands Schoeck par Gerd Albrecht,
nique des premiers temps de jusqu’au-boutiste de John Butt chefs invités. À l’issue de qui complétera idéalement
Monteverdi, par la voix seule, avec (Classica n° 196), celle de Philippe l’écoute de ces quatorze CD, son fameux enregistrement
un grand souci des textes : citons en Herreweghe agit comme un baume
particulier une poignante déclama- apaisant. Réflexion approfondie
une constatation s’impose: salzbourgeois (Orfeo, 1982),
tion intime de la Lettera amorosa. aboutissant aux mêmes conclu- contrairement au grand ainsi que le Concerto pour
À travers une sélection de titres sions?SaconceptiondesVêpresn’a concurrent de la Suisse violon de Holliger, avec le
emblématiques, tels le Lamento pas fondamentalement évolué romande, le TOZ n’a jamais compositeur au pupitre.
d’Arianna et « Disprezzata regina » depuis 1986 (Harmonia Mundi) : eu une sonorité typée, aisé- Notons enfin la remar-
du Couronnement de Poppée, l’en- antienne grégorienne ajoutée à ment reconnaissable. On quable notice signée Peter
semble Cappella Mediterranea chaque psaume, élégance et délié saluera pourtant la volonté Hagmann, en rien complai-
nous transporte à Mantoue. Sans des lignes, agogique souple. Le
de ne présenter ici que
la transgression jazzy d’une Chris- Magnificat offre une mosaïque
tina Pluhar, l’Ohimè ch’io cado pleine de contrastes, de couleurs, des inédits issus des
swingue tout de même. Il manque que le geste serein et inspiré de Her- archives de la radio SRF.
toutefois, pour le Lamento de la reweghe assemble avec maestria. Forcément inégale,cette
Ninfa, l’engagement du surprenant Plus problématiques apparaissent somme n’en présente
disque Monteverdi-Piazzolla certaines sections où le manque pas moins d’excellents
(Ambronay, 2012), dans lequel le d’italianità joint à une constante documents historiques
couple argentin Flores-Alarcón était sagesse fait regretter la jubilation comme une Symphonie
chorale de Gardiner (DVD, Alpha), la
ferveurdeSavall(Aliavox),ledrama-
n°7 de Bruckner au pas
tisme d’Alarcón (Ambronay) et de decharge(59’),parVolk-
Jacobs (Harmonia Mundi) : le Dixit mar Andreaen, et une
Dominus fait du surplace, quand la QuatrièmedeSchumann
Sonata sopra Sancta Maria appelle foudroyante (mais fort mal sante, loin des textes hagio-
davantage d’accentuation des enregistrée), avec Othmar graphiques habituels, qui
rythmes. Schoeck, au milieu de reconnaît, après une Sym-
Homogène et précise, la conduite témoignages oubliables phonie fantastique de Ber-
instrumentale doit hélas composer
avec un clavecin redondant dans le (interminable Concerto de lioz « sans signature person-
Pulchra es où officient les magni- Busoni avec Eschenbach, nelle », que la volonté de
fiques Dorothee Mileds et Barbora « Nouveau Monde » triturée renouveau attendue avec la
Kabatkova. Si la basse Peter Kooij, par Maazel). nomination de Lionel Brin-
soutenu par le souffle d’un bando- déjà présente dans le précédent Le meilleur se trouve fina- guier en 2014 n’était pas née
néon. Et quitte à oser, pourquoi ne enregistrement, présente quelques lement dans les trente « sous une bonne étoile ». X
pas faire entendre, dans l’inéluc- signes de fatigue, le ténor Reinoud dernières années: Sympho- Yannick Millon
table Lamento d’Arianna, une trans- VanMechelendispenseuntrèsstylé
nie n°3 de Saint-Saëns très
mutation nietzschéenne chez la Nigra Sum où plane l’esprit de l’air
princesse abandonnée avec, pour decouràlafrançaise.Maislatension inspirée, avec Charles £ « Tonhalle Orchestra Zurich
changer, « la puissance féminine retombe dans le Laudate pueri et le Dutoit, Symphonie n°5 de Celebrating 150 Years ».
affranchie, devenue bienfaisante et Duo Seraphim, desservis par des Bruckner magnifique, par Sony Classical (14 CD).
affirmative » (Deleuze). solistes insuffisants. Bernard Haitink, et n°9 aux 1942-2016. 15h. ++++
Jérôme Medelli Jérémie Bigorie

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 107


Les disques du mois

JACQUES SERGE
OFFENBACH
(1819-1880)
PROKOFIEV
(1891-1953)
+++ ++++
Mélodies et lieder Les deux Sonates pour violon
Fanny Crouet (soprano), Mariam et piano
Sarkissian (mezzo soprano), Alexandra Conunova (violon),
Daniel Propper (piano), Michail Lifits (piano)
Julian Milkis (clarinette), Aparté AP171. 2017. 51’
Levon Arakelyan (violoncelle)
Brilliant Classics 95641. 2016. 1 h 07 La Moldave Alexandra Conunova,
née en 1988, lauréate de nombreux
WOLFGANG AMADEUS Offenbach n’est devenu le grand IGNACY JAN concours (Joachim, Tchaïkovski,

MOZART
(1756-1791)
spécialiste du spectacle lyrique
comique qu’à partir de 1855. Aupa-
ravant,ilabeaucoupcomposé,pour
PADEREWSKI
(1860-1941)
Enesco, Tibor Varga) a étudié avec
Renaud Capuçon à Lausanne. Elle
forme avec le pianiste allemand
+++ son instrument, le violoncelle, pour ++++ Michail Lifits, premier prix du
Six Quatuors dédiés à Haydn la voix aussi ; est-ce dû à la langue, Pièces pour piano seul. Concours Ferruccio Busoni à Bol-
Quatuor Auryn les trois lieder du programme Concerto pour piano zano en 2009, un duo soutenu par
Tacet 972 (3 CD). 2017. 3 h 35 semblentempreintsd’unsentiment Dang Thai Son (piano), la Fondation Borletti-Buitoni qui a
authentiquementromantiquemoins Orchestre Philharmonia, aidé à la réalisation de ce disque.
Impressionné par l’Opus 33 de présent dans les pages françaises. dir. Vladimir Ashkenazy Dans les deux sonates composées
Haydn (1781), Mozart, qui avait déjà Cetteproductionnemanquepasde The Frederyk Chopin Institute par Prokofiev à l’attention de David
seize quatuors à son actif, dédiait variété, et l’on trouve des romances NIFCCD 051. 2015 2017. 1 h 10 Oïstrakh, les interprètes font
affectueusement«aupère,àl’ami», louis-philippardes parfois un peu montre d’une belle entente et
cessixchefs-d’œuvreécritsendeux mièvres (Dors mon enfant, J’aime la Depuis son prix en 1980 au savent exploiter toutes les res-
ans avec beaucoup de peine. Fami- rêverie...), parfois plus enlevées ou ConcoursChopindeVarsovie,Dang sources d’une écriture particulière-
lier de la musique de l’aîné dont il a pittoresques (Sérénade du torero, Thai Song est resté discret. C’est ment élaborée. Sur un violon Santo
enregistré l’intégrale, le quatuor Ronde tyrolienne...) et même des lors de cette dixième édition que Serafino de 1735, la violoniste, à la
allemand Auryn les appréhende pièces comiques comme le duo Martha Argerich quitta le jury avec sonorité épanouie, joue avec une
avecsonstyleparticulier,développé Meunièreetfermière.LejeuneOffen- pertes et fracas suite à l’élimination technique accomplie ces partitions
auprèsduQuatuorAmadeuspuisdu bachpossèdeunjolisensmélodique d’Ivo Pogorelich dès le deuxième parfois périlleuses qui demandent
Quatuor Guarneri, cherchant ainsi et surtout sa musique n’est jamais tour. Dang Thai Son a à peine plus sûreté et justesse. Aussi à l’aise
le difficile équilibre entre l’homogé- quelconque. Dans sa sagesse très d’une vingtaine d’enregistrements dans la gravité et la profondeur de
néitédu son acquisechez lesuns,et « comme il faut », elle ne maque à son actif et ses apparitions la Sonate n° 1 que dans le classi-
les polyphonies transparentes, l’in- jamais de chic ni de finesse. publiques sont rares. Toutefois, ce cisme épuré de la n° 2,elle sait créer
dépendance des pupitres cultivées disque consacré au compositeur une diversité d’atmosphères suivie
par les autres. polonais Paderewski permet d’en- fidèlement mais avec autorité par
La synthèse est plutôt réussie, dans trer dans l’univers d’un artiste son comparse. Ces versions
leurs phrasés ciselés et convain- accompli dont les sonorités sont peuvent, sans frémir, se comparer
cants, le naturel du discours et sa naturellement chatoyantes. Le dis- à celles de Kremer et Argerich (DG),
limpidité,l’impressiondesoinquise cours est inspiré, et suggéré avec Repin et Berezowsky (Erato), Ehnes
dégage de toute leur interprétation. une simplicité et une sensibilité et Armstrong (Chandos), voire
Il est vrai que leurs instruments ne confondantes dans le Nocturne op. Amoyal et Chiu (Harmonia Mundi)
peuvent que les aider : un Stradiva- 16 n° 4, la Légende op. 16 et les Kra- et ne pâlissent pas face à Oïstrakh
rius ayant appartenu à Josef Joa- kowiak. Son jeu plein de couleurs et et Oborine pour la Sonate n° 1 ou
chim, deux Guarneri, un Amati, d’où de nuances ne se contente pas de Oïstrakh et Yampolski pour la n° 2
cestimbresrondsetdélicieusement plaire : il conquiert immédiatement (toutes deux chez Melodiya). Une
patinés qui exaltent Mozart. L’effet, l’auditeur. Avec grâce et élégance réussite incontestable qui aurait
trèsréussidanslaplupartdesvingt- Dang Thai Son fait preuve de sincé- mérité un complément, par
quatremouvementsetsurtoutdans Mariam Sarkissian est dotée d’un rité et d’un sens aiguisé de la exemple les Cinq Mélodies pour vio-
les andantes, n’atteint pas toujours beau timbre de mezzo chaleureux polyphonie (Légende op. 16 no 1) et lon et piano ou la Sonate pour violon
le même degré d’élégante émotion. qui donne du corps à ces morceaux on appréciera d’autant plus ce seul, car le minutage de ce disque
On aurait aimé, dans l’introduction de salon. Dommage que la diction disque que le répertoire pour piano se révèle bien chiche.
du Quatuor « Les Dissonances », un laisse à désirer. Fanny Crouet, que seul de Paderewski est très peu Michel Le Naour
peu plus de déchirement tragique, l’on avait appréciée dans un CD de enregistré. Son Concerto en la
une lecture moins sage. De même, mélodies de Delibes, incarne préci- mineur l’est davantage, mais la plu-
le premier mouvement du Quatuor sément le soprano agile et brillant part des versions sont dénuées
en ré mineur K. 421 évolue genti- idéal qu’aima et promut le Second d’intérêt car imparfaite stylistique-
ment, dans une retenue sans ten- Empire. Là encore, la diction est ment et techniquement (excepté
sion. Le Quatuor Auryn ne perdrait perfectible. Ces raretés, c’est là le celle de Nelson Goerner, pour le
rien à se montrer légèrement plus mérite de ce programme, révèlent même éditeur). La direction de Vla-
théâtral. un pan quasiment inconnu du futur dimir Ashkenazy gomme ici les
Isabelle Werck auteur de La Vie parisienne.Très joli clichés dont pourrait souffrir cette
accompagnement de David Prop- œuvre et Dang Thai Son la fait
per, tout à fait dans l’esprit. revivre avec un sens de la forme et
Jacques Bonnaure un goût extraordinaires.
Aurélie Moreau

108 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


PÉPITES
EDMUND RÉÉDITÉES
RUBBRA
(1901-1986)
++++
Symphonies nos 2 et 4*
Orchestre symphonique
de la BBC, dir. Adrian Boult LE VIOLONCELLE
DORÉ
et Edmund Rubbra*
Somm Recordings SOMMCD 0179.
1942* et 1954. 1 h 12

L’influence de ses maîtres Holst et Pour son centenaire, le brillant Leonard


ALBERT Vaughan Williams a renforcé l’incli-
Rose tout en sonates et concertos.
ROUSSEL
(1869-1937)
nationdeRubbrapourunepolypho-
nie naturelle, fondée sur la combi-
naison en contrepoints et la
++++ progression dynamique de longues La plus belle sonorité Mitropoulos recueille avec

CORDES
Évocations. Suite en fa. mélodies souvent modales. À l’op- jamais émise par un plusd’émotionqu’Ormandy.
Pour une fête de printemps posé du modernisme tapageur, il
violoncelle ? La per- Qui voudra se persuader de
Kathryn Rudge (mezzo-soprano), rejetteégalementlaformesonateet
Alessandro Fisher (ténor), fait redécouvrir par l’auditeur les fection du jeu de Leo- la virtuosité dont Rose était
François Le Roux (baryton), processus les plus simples de la nard Rose,si surveillé, capable, entendra les Varia-
CBSO Chorus, Orchestre création musicale, se situant par là si raffiné, passait tions rococo dirigées comme
philharmonique de la BBC, dans le sillage des maîtres de pourtant après la pure un ballet par Szell,merveille
dir Yan Pascal Tortelier l’époque élisabéthaine. La monu- beauté de son grand registre oubliée enfin retrouvée.
Chandos CHAN 10957. 2017. 1 h 10 mentale Symphonie n° 2 (1938) est d’alto où toutes les couleurs Côté chambre, la moisson
œuvre d’orfèvre sinon de génie, où de son célèbre Amati se est tout aussi abondante.
AprèslaSymphonien° 1etRésurrec- s’épanouitunesortedeprimitivisme
tion, le triptyque symphonique Évo- sophistiqué : Vaughan Williams et
mariaient pour composer
cations marque le premier accom- même Brahms viennent à l’esprit à cette voix éloquente mais
plissement de Roussel comme l’écoute de cet immense motet toujours contenue : savoir
compositeur symphonique. Cette orchestral, dont les tranquilles susciter la nuance piano et
ample composition, réalisée polyphonies se densifient graduel- le jeu en retrait qui créent
entre 1910 et 1912, est la transcrip- lement vers de puissants climax. d’infinies variations des
tion impressionniste d’images L’exécution radiophonique dirigée plans sonores, creusent
recueillies par le jeune officier de par le dédicataire Adrian Boult est
l’espace des dialogues avec
marine au cours de ses voyages en d’une noblesse et d’une rigueur à la
Orient. La partition, qui requiert mesure de l’œuvre. La Symphonie l’orchestre, osant dans le
dans sa troisième partie un chœur n° 4(1942),commandedeSirHenry concert symphonique une
ettroissolistes(FrançoisLeRouxs’y Wood pour ses célèbres Proms, fut dimension chambriste qui
montre étonnant dans un curieux créée sous la direction de Rubbra. invite à l’introspection. Si les albums avec le pia-
récit exotique), n’a jamais connu un Sœur jumelle de la Cinquième de L’élégance de cet archet si niste Leonid Hambro sont
succèsenrapportavecsesmérites: Vaughan Williams, sa force tran- bien éduqué relisait avec bien connus – leurs sonates
deux enregistrements seulement quille et réconfortante allume en esprit tous les grands concer- de Brahms demeurent
par Kosler (Supraphon) et par Plas- pleineguerreunegrandelueurd’es-
son (EMI). Mais aucun des deux ne poir à l’horizon, particulièrement
tosdurépertoire:sonDvorák impérissables, toujours
possédait le fini, le raffinement des intense dans la grandeur polypho- est resté légendaire, si bien fêtées outre-Atlantique,
timbres, la précision rythmique de nique brucknérienne du finale. Le accordé à l’orchestre expan- mais ignorées chez nous –,
YanPascalTortelieretdel’Orchestre commentaire radio de l’auteur par- sif d’Eugene Ormandy, le deux sonates de Beethoven
philharmonique de la BBC. La prise ticipe à ce témoignage irrempla- ton de confidence lyrique de font regretter l’absence
desonestenoutrenettementsupé- çable. On prendra garde à la numé- son Schumann, éclairé par d’une intégrale : les dialo-
rieure. Pour une fête de printemps rotation des plages : la deuxième la battue chambriste de gues avec Horszowski poé-
(1920) marque une étape nouvelle regroupe le Scherzo et le mouve- Bernstein, est unique dans tisentavec nostalgie laSonate
dansl’évolutiondeRousselversune ment lent de la Symphonie n° 2.
écriture plus concise, des sonorités Michel Fleury
la discographie, mais quelle n°3, seul écho au studio de
parfois plus sèches et des rythmes surprise de l’entendre leur collaboration. Autres
plus anguleux mais aussi vers une presque déboutonné dans merveilles, les deux ver-
grande sensualité harmonique. La le Triple Concerto de Beetho- sions de l’« Arpeggione »,
Suite en fa (1926) marque une radi- ven et plus encore dans le édéniques. X
calisation de l’esthétique vers un Double de Brahms, entraîné Jean-Charles Hofelé
néoclassicismepuissammentpulsé. par le lyrisme irrépressible
Là encore, si Tortelier tire de son
de Bruno Walter. Ses deux £ « Leonard Rose,
orchestre de belles sonorités goû-
teuses, il se montre avant tout un Schelomo, sans rien de The Complete Concerto
implacable rythmicien, analysant démonstratif, produisent and Sonata Recordings ».
avec précision les rouages de l’or- pourtant la même parole Sony Classical 8985490172
chestration. prophétique que Dimitri (14 CD). 1945-1974. CHOC
Jacques Bonnaure

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 109


Les disques du mois

ROBERT BEDRICH
SCHUMANN
(1810-1856)
SMETANA
(1824-1884)
+++++ ++++
« Es war einmal » Quatuors à cordes nos 1 et 2.
Märchenerzählungen. Trio pour piano et cordes
Fantasiestücke. Märchenbilder Quatuor Pražák,
+ Widman : Es war einmal Nathalia Milstein (piano)
Tabea Zimmermann (alto), Praga Digitals SACD PRD350151.
Jörg Widmann (clarinette), 2017. 1 h 15
Dénes Várjon (piano)
Myrios Classics MYR020. 2015-2017. LamusiquedechambredeSmetana
HENRI 1 h 10 ALEXANDRE constitue une sorte de journal

SAUGUET
(1901-1989)
Un très bon clarinettiste, une très
bonne altiste et un très bon pianiste
SCRIABINE
(1872-1915)
intime:lecompositeurécritsonTrio
avecpianosuiteaudécèsdesapetite
fille de quatre ans et il consigne la
++++ décidentdefixerleurlongueentente ++++ dernière décennie de sa vie, mar-
Les trois Quatuors à cordes musicale dans un enregistrement Les dix Sonates pour piano quée par la surdité puis la démence,
Quatuor Stanislas sur le thème des contes de fées, Anna Malikova (piano) dans ses deux quatuors.
Timpani 1C1244. 2017. 1 h 17 intitulé : « Il était une fois ». Un texte Acousence Classics OCD12214 Le Quatuor Pražák avait déjà donné
de livret substantiel sur les relations (2 CD). 2014. 2 h 14 une interprétation remarquée des
Une fois encore, le Quatuor Stanis- entre les contes et la musique, les deux quatuors (Praga Digitals,
las, fondé à Nancy voici plus de illustrations de Kay Nielsen dont le Enregistrer les dix sonates de Scria- 1999). Il y revient dans sa nouvelle
trente ans, aura bien mérité de la style Art nouveau évoque Arthur bine révèle la personnalité de son configuration,JanaVonaskovarem-
patrieendécouvrant,aprèsRopartz, Rackham : ces choix démontrent interprète,tantsontcontrastéesces plaçant Vaclav Remes au premier
Thirion, Schmitt, Cartan, Emma- une stratégie cohérente. étapessuccessivesversl’expressive violon, et une sonorité plus ample.
nuel, des raretés françaises du L’association alto, piano, clarinette, folie furieuse du compositeur qui L’alto angoissé de Josef Klusoñ
répertoire pour quatuor. Que déjà expérimentée par Mozart dans finira par brûler tous ses vaisseaux. ouvre le Quatuor n° 1 avec une inten-
connaît-on aujourd’hui de Sauguet son Trio « des Quilles », possède AnnaMalikovaproposeuneinterpré- sitédéchirante,échodumalheurqui
dans le grand public ? Au mieux son autant d’originalité que de séduc- tation sensible, délicate et tenue, frappe dans le dernier mouvement.
ballet Les Forains qui donne de lui tion.LestroisœuvresdeSchumann, sanssensationnalisme,obtenantde Le Vivace manque cependant de
uneimageunpeu«GroupedesSix», l’unepourcetrio(Märchenerzählun- bellessonoritésauxeffetsmaîtrisés. souffle. Les Pražák font preuve d’un
ce qui est très réducteur. D’ailleurs, gen), les deux autres pour clarinette Aprèslapremièrephaseromantique sens aigu de la forme dans le Qua-
au cours de sa longue carrière, il a de Scriabine, parcours obligé des tuor n° 2 dont l’écriture heurtée
beaucoup évolué. Le Quatuor n° 1 quatre premières sonates dont elle préfigure la confusion mentale du
(1927, révisé en 1941) est ouverte- se sort honorablement, cette partie compositeur.Lacouleurd’ensemble
ment néoclassique, quoiqu’il ne de l’œuvre du compositeur étant apparaît moelleuse (Allegro) et les
s’agisse en rien d’un pastiche, avec réussie mais tout de même moins voixintérieuresdialoguentavecflui-
quelques influences sagement attractive que les furies suivantes dité(Allegrononpiù moderato),mais
romantiques ou académiques. que sont les Sonates n° 5 à 10. lePrestofinalserévèlefrileux.LeTrio
Le Quatuor n° 2 (1948), qu’avait Anna Malikova aborde ce pan volca- engageuneconversationpoignante
enregistréjadisleQuatuorParrenin, nique sans perdre cette approche entre le violon et le violoncelle, au
est plus personnel, ouvertement calme et mesurée, ce qui surprend vibrato serré, rejoints par le piano
autobiographique et expressif quelque peu compte tenu de la rup- feutré de Nathalia Milstein, dont
puisqu’ils’agitd’unedéplorationsur ture avec la forme sonate que pose l’authenticité du discours (finale)
la mort sa mère. Le Lento molto le compositeur. Néanmoins cette illumine cette lecture.
espressivo est particulièrement attitude contenue fonctionne par Cet album ne sacrifie pas l’expressi-
émouvant et réussi, et abandonne et piano (Fantasiestücke), ou pour son rendu sonore plus chaleureux vité mais on attend plus de crudité
le style néoclassique au profit d’une alto et piano (Märchenbilder) sont que l’enregistrement de l’intégrale dans un répertoire si tourmenté.
écriture très expressive et plus per- interprétées avec grâce, finesse, de Vladimir Ashkenazy (Decca), Cette version ne fait pas oublier
sonnelle (mais à l’époque, une telle aplomb quand il le faut ; les trois gâchée par une prise de son métal- l’énergiehaletanteduQuatuorPavel
démarche commençait à devenir musiciens s’identifient à l’émotivité lique. Si on se focalise sur les trois Haas dans les deux quatuors
inactuellejusqu’àlaprovocation).Le de Schumann, à la fièvre que lui ins- sonates symptomatiques de Scria- (Supraphon, 2015) ni le premier
Quatuor n° 3 (1978), dédié à la pire sa culture littéraire si intensé- bine, la Cinquième, point de départ enregistrement des Pražák.
mémoire de son compagnon, le ment vécue. verslesenvolsetrupturessidérants, Fabienne Bouvet
peintre Jacques Dupont, est égale- L’œuvre de Jörg Widmann répartit la Neuvième, démoniaque « Messe
ment un chant funèbre. Les trois en cinq volets ses impressions sur noire », la Dixième lumineuse et
mouvements adoptent des sché- les contes, dans un style atonal libre rédemptrice, évidemment il faudra
mas complexes, et une harmonie oùaffleureparfoisunboutdethème réécouter Horowitz qui les a
parfois plus tendue que jamais. Une chantantetpopulaire.Commedans préemptéespourlongtempsencore
œuvresaisissante,inquièteetpassi beaucoup de pièces actuelles, la (Sony), par son énergie rayonnante,
facile. Les Stanislas, une formation recherche porte sur les sonorités son art de la syncope. Malgré ce
très homogène, ont effectué un curieuses, mystérieuses, et sur des manque de folie, d’inquiétude et
beau travail sur l’expressivité dis- effets qui ne dépareraient pas des d’une once de transe nécessaire à
crèteetlesimpondérablesdusonet scènesdefilms.Lalignegénéralese cette musique, Anna Malikova par-
de l’harmonie. départit rarement d’une certaine vient à imposer sa vision d’un Scria-
Jacques Bonnaure douceur. bine réconcilié.
Isabelle Werck Romaric Gergorin

110 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


LA MAGIE
RICHARD
DE LA SCÈNE
STRAUSS
(1864-1949)
++
Don Quichotte. Sonate pour
violoncelle. Romance. Morgen
Ophélie Gaillard (violoncelle), LA MÉTAMORPHOSE
DE BACKHAUS
Béatrice Uria Monzon (mezzo-
soprano), Vassilis Varvaresos
(piano), Orchestre
symphonique national tchèque,
dir. Julien Masmondet En concert, l’objectivité parfois
GEORGY
Aparté AP174. 2017 2018. 1 h 19
intimidante du pianiste allemand se
Passion,chaleuretromantismesont
au rendez-vous de la Sonate pour
SVIRIDOV
(1915-1998)
transmue en une extase musicale.
violoncelle et piano de Strauss dont ++++
OphélieGaillardproposeiciunebelle Russia Cast Adrift Si le jeune Wilhelm fifres et tambour, lestement

PIANO
réhabilitation. Cette partition Dmitri Hvorostovsky (baryton),
Backhaus (1884- emmenée, la « Waldstein »,
mineure, qui regarde sans cesse Style of Five, Orchestre d’État
vers Mendelssohn, d’un jeune com- de Saint-Pétersbourg, 1969) conduisit sa fabuleuse de sfumato et
positeur surdoué de dix-neuf ans, dir. Constantine Orbelian révolution chez Cho- d’éclats, peinte dans une
gagne ses lettres de noblesse, Delos DE1631. 2017. 36’ pin, enregistrant la profusion de couleurs, et
notamment dans son Andante cen- première intégrale la « Hammerklavier », scul-
tral,déjàpluspersonneletrarement OnretrouvedansRussiaCastAdrive, des Études, délestées de tout ptée mais pourtant ailée.
aussi bien défendu. Malheureuse- présenté dans un arrangement iné- romantisme, Beethoven Elle déploie dans son Ada-
ment, le cœur du disque, Don Qui- dit pour orchestre d’Evgeny Stet- recueillera l’apogée de son gio un cantabile où les
chotte, n’est clairement pas son syuk, tout le lustre du timbre de
sommet, desservi par une concep- Hvorostovsky récemment disparu,
art. Deux intégrales des nuances dolce dorent litté-
tion trop sérieuse tant de la soliste, sa ligne vocale extraordinaire sonates, la seconde restée ralement la fluidité d’un
expressiveetpleinedestylemaisen capable de maîtriser les orages inachevée, ont ainsi docu- cosmos de notes. Pour cette
manquechroniquedefantaisie,que orchestrauxettransmettredessen- menté sa façon singulière soirée magique, l’album est
de l’orchestre (avec ses cordes tout timents puissants par la morsure d’éclairer les textes:
sauf enveloppantes), scrupuleux et incisive de sa diction. Sur des ce clavier si lumi-
volontiers rêche. Nulle émulation à poèmes d’Essenine célébrant une neux se doublait au
attendre non plus avec la battue Russie immémoriale, Sviridov
disque d’une objec-
raide(LeDuel)etsanssouffle(Intro- construit un cycle de mélodies poi-
duction) de Julien Masmondet, pri- gnant, créant un courant d’une pro- tiv ité assumée,
vée des lignes de fuite, des fulgu- fonde spiritualité, célébrant le folk- mieux,revendiquée,
rancesnécessairesdanscetunivers lorerusse,bienserviparl’ensemble qui tournait le dos
coloré. La volonté de bien faire ne Style of Five qui utilise des instru- à la poésie de Wil-
s’autorise aucun écart d’humeur, mentstraditionnels.Lalongueurdu helm Kempff ou
aucune ruade (la Bataille contre les souffle, l’ampleur vocale de Dmitri aux introspections
moutons, très collet monté) et fera Hvorostovskyseretrouventdanscet de Claudio Arrau.
réécouter d’urgence Rudolf Kempe enregistrement qui fait se succéder
et surtout Clemens Krauss pour des perles poétiques d’une facture
Lors du récital du
l’ironie. Quant à Morgen avec la assez classique, mais sublimés par 12 décembre 1953
mezzo Béatrice Uria Monzon, pré- une concision, une efficacité au ser- au château de Lud-
senté dans un arrangement pour vice de la voix. wigsbourg,leclaviers’envole, impérissable. S’y ajoutent
violoncelleetpiano,disonspudique- On peut préférer la version originale et les rythmes dansent, un « Empereur » très tenu
ment qu’il ne vaut mieux pas trop de Russia Cast Adrift pour piano qui emportés par des tempos (direction posée de Keil-
avoir Elisabeth Schwarzkopf ou déploie une fragile ambiguïté, avec au bord de la rupture, rap- berth) et un Concerto n° 2
Diana Damrau dans l’oreille au le baryton russe alors au sommet pelant quel virtuose trans- de Brahms ombrageux,
moment de l’écouter. (Philips,1996).Onnepeutaussique
Yannick Millon constater que son legato est moins cendant Backhaus fut tou- magnifique de puissance
cohérent qu’à la grande époque. jours. Il jouait vite, par pur sonore contrôlée, aux phra-
Néanmoinscederniertourdechant plaisir, mais aussi parce que sés éloquents, aux rythmes
impressionne par l’implication, le la syntaxe audacieuse de impérieux. Mais c’est au
dévouement émouvant d’Hvoros- Beethoven se forme plei- récital que vous reviendrez
tovskyquiréussitàtransmettreune nement en cette urgence. encore et encore. X
ultime fois sa voix soyeuse qui Programme parfait, quasi Jean-Charles Hofelé
tourne au granitique dans les pics
didactique, proposant en
narratifs des poèmes d’Essenine,
rendant le monde plus vaste. trois sonates un voyage £ « Wilhelm Backhaus spielt
Romaric Gergorin dans les âges du piano bee- Beethoven, Brahms ». SWR
thovénien : la n°3 est déjà Classic SWR19057CD (3 CD)
une vraie symphonie avec 1953-1962. 2 h 49. CHOC

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 111


Les disques du mois

HENRI ROBERT
VIEUXTEMPS
(1820-1881)
DE VISÉE
(v. 1650-1665 – après 1732)
++++ +++++
L’œuvre pour alto et piano Suites pour théorbe.
Christian Euler (alto), Suites pour guitare
Paul Rivinius (piano) Xavier Díaz-Latorre (théorbe,
MDG 903 2063 6. 2017. 1 h 06 guitare baroque)
Passacaille 1038. 2016. 1 h 10
On connaît Henri Vieuxtemps, une
des personnalités les plus mar- Au théorbe et à la guitare baroque,
quantes de l’école de violon fran- Xavier Díaz-Latorre ouvre une
ERKKI-SVEN co-belge, par ses concertos. Sa HEITOR double porte d’entrée vers l’univers

TÜÜR production pour l’alto est assez peu


abondante mais de grande qualité : VILLA- du Maître de guitare du Roy. La
musique de Robert de Visée est
(né en 1959)
++++
Illuminatio. Whistles
son œuvre la plus consistante est
incontestablement la Sonate en si
bémol op.36 (1863). Vieuxtemps y
LOBOS
(1887-1959)
rarement enregistrée et cet album
souffle un vent de fraîcheur : les ver-
sions de référence n’ont certes pas
and Whispers from Uluru. exploite les possibilités expressives ++++ pris une ride, mais elles remontent
Symphonie n° 8 de son instrument, profitant de son Symphonies nos 1 et 2 au siècle dernier. Pensons au travail
Lawrence Power (alto), timbre émouvant et chaleureux. La Orchestre symphonique de São deRafaelAndiaàlaguitare(Harmo-
Geneviève Lacey (flûtes à bec), Barcarolle qui sert de mouvement Paulo, dir. Isaac Karabtchevsky nia Mundi, 1986) et Hopkinson
Tapiola Sinfonietta, dir. Olari Elts lent constitue à elle seule un mor- Naxos 8.573829. 2017. 1 h 15 Smith au théorbe (Astrée, 1989).
Ondine ODE-1303-2. 2016-2017. ceau de genre qui mériterait d’âtre Pour appréhender l’œuvre de
1 h 03 plusconnu.Mais,silavirtuositén’est Les symphonies de Villa-Lobos Robert de Visée, il faut en saisir
pasexcluedecettesonate,c’estune dévoilent son identité musicale à toute la portée chorégraphique - le
Tüür a étudié la composition avec virtuosité peu démonstrative et l’état brut, en marge de toute réfé- compositeur occupe une place pri-
deux maîtres, Jaan Rääts et Lepo cettesonatesiexpressivenetourne rence au folklore. Saisie ainsi à l’état vilégiée auprès de Louis XIV et les
Sumera.S’ilfondeungroupederock jamais à l’exercice de haute voltige. pur, la musique du maître brésilien ballets rythment la vie de la cour.
en 1979 et un festival de musique C’estdanscetespritqu’ilacomposé reste à l’image de la forêt tropicale : L’art de la musique rejoint ici celui
contemporaine NYYD, il doit sa un Capriccio pour alto seul, évidente puissante, luxuriante, touffue, mys- de la danse, et de ce point de vue,
renommée à son remarquable cor- référence aux Caprices de Paganini térieuse et chargée de senteurs Xavier Díaz-Latorre sert très bien le
pus de neuf symphonies écrites maisceLentoconmoltaespressione fortes et capiteuses. Ces deux sym- répertoire. Il en livre une lecture
entre 1984 et 2017.Tüürs’abreuve à met en évidence la densité affective phonies, remontant à 1916 et 1917, variée et dynamique, qui alterne
de multiples sources avec délecta- de l’alto plus que son agilité. sontdéjàdespagesdematuritétrès entre introspection (Prélude de la
tion et réalise une synthèse capti- Plus tard, il mettra en chantier une personnelles, déployant un métier Suite en do mineur) et enjouement
vante s’inscrivant dans le courant éblouissant acquis sur le tas plus (Gigue de la Suite en ré mineur). Les
postromantique, la tendance mini- que sur les bancs de l’école. D’une tempossontcontrastés,l’accentua-
maliste, la polyphonie, les micro-in- richesse de détail foisonnante, la tion maîtrisée, le phrasé élégant.
tervalles, les rythmes répétitifs ou texture frise la saturation : les mélo- Danslespiècespourguitarenotam-
singuliers,latonalité,l’atonalité...De dies s’imbriquant les unes dans les ment, l’interprète ponctue l’harmo-
ces inspirations multiples naît une autres transposent en musique nie sans jamais alourdir le discours,
beauté sonore envoûtante mais l’exubérant contrepoint des lianes en usant de batteries (technique de
dénuée de complaisance. Whistles delajungle,larutilanceracoleusede main droite qui consiste à frapper
and Whispers from Uluru (Sifflets et l’harmonie et de l’orchestration les cordes et non à les pincer) déli-
chuchotements) de 2007 lui inspire reflète les nuances crues et écla- cates et légères.
unpaysageconfiéàl’utilisationdela tantes de la végétation tropicale et À mi-chemin entre l’intériorité pro-
famille des flûtes, parfois modifiées la rumeur des bêtes sauvages. Les fonde de Hopkinson Smith et l’éner-
électroniquement, splendidement mélismes pathétiques du chant, gie parfois rugueuse de Rafael
miseenavantparl’excellentesoliste avec leurs grandioses marches har- Andia,cetteversionprésentel’avan-
GenevièveLacey.Illuminatio(2008) nouvellesonate,dontseulslesdeux moniques à la Bach, affichent une tagederéunirsurunmêmesupport
enrichit le répertoire de l’alto, « un premiers mouvements ont été affinité atavique avec le fado. Le la musique tant pour théorbe que
pèlerinage vers la lumière éter- conservés. On trouvera encore une rythme s’impose, obsédant, scan- pour guitare de Robert de Visée.
nelle»,qu’ilpared’unentrelacement Étude d’un style plus brillant et dant de ses envoûtants ostinatos Convaincant.
subtil entre les participants. animé mais sans esbroufe, et une quelque carnaval bariolé et criard. Fabienne Bouvet
LaSymphonien° 8,prochedelasym- belle Élégie. Christian Euler signe ici Un subtil primitivisme se conjugue
phonie de chambre, embellie de son troisième CD chez MDG après à la fibre foncièrement romantique
contrastesheureuxetdesynthèses les sonates de Hindemith et un pro- de l’auteur dans ces pages cinéma-
innovantes, connaît une lecture gramme britannique. L’interpréta- tographiques d’une irrésistible sen-
rigoureuse, colorée et captivante, tion est impeccable de sobriété, la sualité. La concurrence entre l’inté-
grâce au travail du Tapiola Sinfo- sonorité parfaitement contrôlée et grale de la Radio de Stuttgart (CPO)
nietta et de son chef Olari Elts, aussi sans complaisance, car jamais et cette nouvelle parution est ser-
précis que convaincus. Vieuxtemps ne donne dans la com- rée : la version allemande est plus
Jean-Luc Caron plaisance et conserve toujours un contrastée et riche de nuances, Sao
style rigoureux. Accompagnement Paulo prenantl’avantage pourl’exu-
très souple et équilibré du pianiste bérance, le dynamisme et la cohé-
Paul Rivinius. sion d’ensemble.
Jacques Bonnaure Michel Fleury

112 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


DIEUX
EUGÈNE DU CLAVIER
YSAŸE
(1858-1931)

APOLLON
++++
Poème élégiaque pour violon
et piano. Extase. Caprice

ET SATURNE
d’après Saint-Saëns
+ Fauré : Sonate pour violon n° 1
Saténik Khourdoïan (violon),
Alexander Gurning (piano)
Fuga libera FUG747. 2017. 55’ Deux sacrées anthologies, l’une d’Emil
CARL MARIA VON
Gilels, flamboyant, l’autre de Sviatoslav
WEBER
(1786-1826)
Lesviolonistesvirtuosesproduisent
souvent de la musique virtuose. Tel
n’estpaslecasd’EugèneYsaÿe:ses Richter, plus austère.
++++ compositions sont certes très diffi-
Quintette avec clarinette. ciles mais d’une difficulté qui exaltent dans les poly-
Grand duo concertant n’éblouit pas, sauf quand il se fonde
pour clarinette et piano. sur un texte d’une éblouissante vir-
phonies une démesure
Variations op. 33 tuosité joyeuse comme l’Étude en saisissante – son Humo-
Roeland Hendrikx (clarinette), forme de valse de Saint-Saëns. reske, sa sélection des
Liebrecht Vanbeckervoort Sa musique ne ressemble à rien de Fantasiestücke op. 12, son
(piano), Ensemble Hendrikx connu dans son entourage et on ne Concerto avec Rowicki
Etcetera KTC 1588. 2017. 1 h 09 peut pas vraiment le rattacher à restent au sommet de
l’école postfranckiste : ce qu’il écrit sa discographie –, ses
Nousprésentionsendécembre 2017 est parfois très avancé et d’une har- Brahms sans abandons,
dans ces colonnes la version de monie audacieuse pour un homme
Raphaël Sévère et Frédéric Neubur- de sa génération. Sa musique est
tenus, avares de lyrisme,
ger du Concerto n° 1, du Grand duo marquée par le post-romantisme sinon de couleurs,m’ont
et des Variations op. 33. À ces deux mais il pousse très loin les consé- toujours laissé au bord
derniers, Roeland Hendrikx, clari- quences de ce souci d’expressivité, L’album Gilels – pre- du chemin d’autant qu’ici,
PIANO

nettesolodel’Orchestrenationalde quiéclatedanssonPoèmeélégiaque miervolume,annonce les doublons du Concerto


Belgique,etsonensembleassocient et Extase. Dans les deux cas, il ’éditeur – fait la part n°2, les Sonates avec Rostro-
le Quintette pour clarinette, chef- échappeàtoutdéveloppementaca- belle aux XVIIIe siècle, povitch, distantes, le Quin-
d’œuvredemusiquedechambre.Si démique. La Sonate de Fauré, bien répertoire illustré tette, massif, se substituent
FabioCasolas’illustraitavecorigina-
lité en gravant ce dernier avec d’abondance par le à des œuvres pour piano
orchestre (Sony Classical, 2008) et pianiste au long des années seul qui pour la plupart
si Pierre-André Taillard se singulari- 1940-1950, clavier plein manquent. En coda, une
sait en présentant une version avec mais clair,accentué mais vif, vraie surprise: le Quintette
instruments anciens (Harmonia fusant dans Bach et Scarlatti, n°2 de Reger, ample et
Mundi, 2001), l’originalité éclate ici scintillant chez les Français, émouvant. X
grâce à la personnalité et aux choix sculpté chez Haydn et Jean-Charles Hofelé
des musiciens qui se dégagent tout
au long du programme.
Mozart. C’est la part la plus
Lavirtuositéoulesqualitéssonores, accomplie de l’ensemble £ « Emil Gilels Edition
indéniables, sont avant tout au ser- (et en concert souvent), vol. 1 ». Hänssler Profil
vice d’une vision d’ensemble qui alors que les cinq disques PH17065 (13 CD). 1933-1963.
retientl’attentiondel’auditeurgrâce de Beethoven, exaltants et +++++
àunemusicalitéprofonde,uncarac- antérieure et célébre, marque, elle, composites (concertos pris « Sviatoslav Richter Plays
tère assurément chambriste et un le grand début du compositeur. en concert et en studio, Schumann & Brahms ».
art de la surprise permanent. Les Saténik Khourdoïan, actuelle « l’Archiduc » avec Kogan!), Hänssler Profil PH17067
partis pris sont nombreux et assu- Konzertmeisterin de l’Orchestre du
més. Il n’est que de considérer le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, soulignent quel voyage il (12 CD). 1948-1963. +++
tempo particulièrement lent du possède d’incontestables affinités aura effectué d’ici jusqu’à
thèmedesVariationspours’enassu- avec cette musique du tournant de ses ultimes sillons pour
rer.Lesmoindresinflexionssonores deux siècles. L’expressivité com- DeutscheGrammophon.
et la conduite du phrasé com- plexe,l’intérioritéetlechantprofond À quoi s’ajoute la Sonate
pensentsalenteurenimposantune de l’âme lui siéent bien. Dès qu’on D. 850 de Schubert, fer-
direction à l’ensemble. Ces œuvres entend son Guarnerius, on perçoit mée, âpre, terrible.
de Weber étant dédiées au clarinet- bien une voix et un timbre singulier,
Ensemble stupéfiant au
tiste et compositeur Heinrich Bär- particulièrementprenantetchaleu-
mann, un Adagio de ce dernier clôt reux dans le registre grave. Elle contraire du nouveau
le programme. formeunduoparfaitavecle pianiste volume Richter. Si ses
Pascal Gresset Alexander Gurning, au style délié Schumann, y compris
mais profond et subtil. les Lieder avec Dorliac,
Jacques Bonnaure

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 113


Les disques du mois

UN CORNETTO
RÉCITALS TITRES
A ROMA SOLO
+++++
+++++ Œuvres de Telemann,
Œuvres de Festa, Soriano, Takemitsu, Karg-Elert, Womann,
Frescobaldi, Pasquini, des Prez, Helps, Honegger, Pintscher,
Palestrina, Magini et Rognoni Ferroud, Nielsen, Berio, Pärt,
Alice Foccroulle, Griet de Geyter Varèse et Marais
(soprano), Guy Hanssen, Adam Emmanuel Pahud (flûte)
Woolf, Charlotte van Passan, Warner 0190295701758 (2 CD). 2017.
Bart Vroomen (sacqueboute), 2 h 26
Marleen Leicher (cornet),
Sebastien Proisy (cornet d’écho), Fidèle à sa quête musicale et à la
Bernard Foccroulle (orgue), V FOR nécessité d’offrir une vision renou-

MOTHER-
Lambert Colson (cornet et dir.)
Passacaille 1033. 2017. 53’ VALSE
++++
velée du répertoire, Emmanuel
Pahud ne pouvait offrir une énième
anthologie chronologique rassem-

LAND
+++
C’est avec une science et une musi-
calité inégalables que l’organiste
Bernard Foccroulle et le cornettiste
Œuvres de Liszt, Schumann,
Tchaïkovski, Scriabine,
Rosenthal et Ravel
blant les titres attendus. On ne trou-
vera ni Syrinx de Debussy ni les
pages de Johann Sebastian et Carl
Œuvres de Walton, Dvorák, Lambert Colson nous plongent Vassilis Varvaresos (piano) Philipp Emanuel Bach, qu’il a d’ail-
Bartók et Shor dans les fastes musicaux des Aparté AP172. 2017. 1h09 leurs déjà enregistrés.
David Aaron Carpenter (alto), débuts de la Rome moderne. La Sortir des sentiers battus imposait
Orchestre philharmonique de tradition de la musique vocale a Ce disque présente la valse dans une mise en perspective. Associer
Londres, dir. Vladimir Jurowski, cappella, si emblématique de la toussesétats.Leprogrammeséduit untitreenvironàchacunedesdouze
Kazushi Ono et David Parry cour papale, a longtemps été au d’emblée car le pianiste grec n’a pas célèbres Fantaisies pour flûte seule
Warner Classics 10190295697693 cœur des recherches musicolo- choisi la facilité en puisant dans le de Telemann est justifié. D’une part,
(2 CD). 2018. 2 h 35 giques au point d’éclipser la corpus des Valses de Chopin, préfé- celles-cisontnombreuses,diverses
richesse de la littérature instru- rant présenter des pages qui et empruntent à différents styles,
LesœuvresréuniesparDavidAaron mentale. Cet enregistrement s’éloignent des danses de salon de d’autre part le soliste a su trouver sa
Carpenter sur ce double album répare cette injustice. Grandeur et l’époque. De Liszt à Ravel, elles sont voie, comme nous l’avons déjà écrit
évoquentl’exil.Leurintérêtmusical, majesté saisissent l’auditeur dès le classéesdansunordreparfaitement dans ces colonnes, en nourrissant
variable, ne saurait faire oublier les Contrapunto 93 de Costanzo Festa. chronologique. Varvaresos fait son interprétation sur instrument
qualités d’interprétation du Elles ne seront démenties à aucun preuve d’une vélocité et d’une duc- moderne des apports baroques.
Concerto pour alto de Bartók et de moment. Le mélange subtil des tilitéàtouteépreuve.Telunguerrier,
celui, trop rare, de William Walton voix, des cuivres et de l’orgue révèle il est paré à surmonter tous les obs-
(1929), emporté par la direction les pages de Soriano, Pagini et Bor- tacles et fait montre d’une aisance
vitaminée de Vladimir Jurowski. Si boni dans toute leur complexité manifeste dans la redoutable
la plénitude et la chaleur du son de contrapuntique et harmonique. Méphisto-Valse n° 1 de Liszt.
Carpenter ne remplacent pas l’art L’extraordinaire palette de jeu de Varvaresos convainc par la hauteur
de Yuri Bashmet, elles donnent de Colson, tantôt batailleur dans la de vue avec laquelle il appréhende
nouvellescouleursàuneœuvreque, Canzon detta la Bernardinia de Fres- ce répertoire souvent considéré
depuis la version historique de cobaldi, tantôt mélancolique dans comme léger, voire frivole. Les
Riddle (1937), nous entendons sou- le Pulchra es amica de Palestrina, contrepoints s’imbriquent naturel-
vent par des violonistes passant à toujours extrêmement chantant et lementlesunsdanslesautres(Inter-
l’alto tels Menuhin, Kennedy ou presque signifiant, fait de chacune mezzo du Carnaval de Vienne de
Ehnes (voir Classica n° 203). Le de ces miniatures un véritable Schumann).Enrevanche,onappré-
Concerto de Bartók est, lui aussi drame. Les musiciens, démontrant ciemoinslamaingauchesautillante
prenant, marqué par un souci à la fois une parfaite maîtrise de leur danslaValsesentimentaleop.51n°6 La mise en perspective n’est cepen-
constant du beau son ; mais l’assu- instrument et une profonde de Tchaïkovski, où le discours perd dant pas nouvelle. Après quelques
rance de l’interprète nous dérobe le connaissance des traités, insufflent de l’intensité et les saveurs harmo- parutions partielles, Musiques
mystère de ce bijou. Pour le décou- à cet hymne au cornet une vitalité niques sont reléguées au second suisses avait publié en 2001 un
vrir, on préférera les gravures de grisante. Ce disque a assurément plan. Ce défaut se révèle également double CD («Fantasia Telemania»)
Primrose (1951), Bashmet (DG, un goût de « reviens-y ». dans une œuvre aux larges dimen- associant les Fantaisies à des solos
2008) ou Nobuko Imai (Pan Clas- Aurore Leger sions comme La Valse de Ravel. La de compositeurs suisses, dans
sics, 2008). Il est moins nécessaire vision d’ensemble est excellente, la lequel Felix Renggli imposait une
de s’attarder sur la transcription du technique, forgée à la Juilliard version raffinée de référence. Aux
Concerto pourvioloncelle deDvorák School,àNewYork,époustouflante, classiques d’hier et de notre temps
aux frustrants changements d’oc- maislapalettedecouleursdemeure magistralement interprétés, le pré-
taves : l’altiste s’y montre plus tout de même restreinte. Vassilis sent CD associe des titres rares de
démonstratif qu’expressif et Ono Varvaresos compense alors en Jörg Womann, Robert Helps et Mat-
dirige sans beaucoup de nuances. jouant davantagesurlescontrastes. thias Pintscher dans lesquels s’af-
Enfin,Carpenterpersisteàpromou- Aurélie Moreau firme toute la force de conviction
voir la musique d’Alexeï Shor, né en d’Emmanuel Pahud, en particulier
1970,quiressembleavanttoutàune dans la pièce on ne peut plus vir-
bande originale n’ayant jamais tuose du dernier. Une réussite.
trouvé son film. Pascal Gresset
Jean-François Medelli

114 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


PASSION CLASSIQUE
OLIVIER BELLAMY
TOUS LES JOURS, DE 18H À 19H

Vous êtes bien avec Radio Classique


ÇA TOURNE!
VOCALISE
+++++
PREMIER RÔLE Œuvres de Piazzolla,
Villa-Lobos et Vivancos.

POUR LA BANDE-SON
El Cant dels Ocells
Nuria Rial (soprano), Huit
violoncelles de l’Orchestre
Gros plan sur la B.O. de la saison 3 de symphonique de Bâle
Sony Classical 88883754452.
Twin Peaks concoctée par David Lynch. 2017. 55’

Formé en 2013, l’ensemble de Huit


violoncellesdel’Orchestresympho- TOYS
nique de Bâle présente un pro-
gramme qui décline avec bonheur
lescouleurschatoyantesdel’Argen-
FOR
++++
TWO
tine, du Brésil et de la Catalogne. La Œuvres de Dowland, Robinson,
part du lion revient à Piazzolla, dont Locke, Byrd, Philips, Holborne,
lesrythmestantôtlancinants,tantôt Page, Plant et Jones
voluptueux des Quatre Saisons de Margret Köll (harpe),
Buenos Aires constituent la moitié Luca Pianca (luth)
des pièces d’un disque qui prouve Accent ACC 24340. 2017. 1 h 03
avec éloquence les qualités expres-
sives de ce type de formation . Entre Cet album audacieux, sous-titré
les différentes sections du cycle de «FromDowlandtoCalifornia»,asso-
Piazzolla prennent place les trois cie d’une part le luth à la harpe, de
SDP

œuvresvocalesoùlesvioloncellistes l’autre, la musique de Led Zeppelin


témoignent d’une connivence évi- àcelledes XVIe et XVIIe sièclesanglais.
La loge noire fantas- « Snake Eyes » enregistré par dente avec la soprano Nuria Rial. Les deux instruments à la sonorité
CINÉMA

ique, présente au Trouble et la violence sourde Dès que celle-ci entame la cantilène très proche s’équilibrent au mieux
cours des trois sai- de « She’s Gone Away » par de la fameuse Bachianas Brasileiras estseprêtentparfoisàunjeuintime
ons de la série Twin Nine Inch Nails, l’un de ces n° 5 de Villa-Lobos, un charme puis- d’imitations, comme c’est le cas
Peaks, possède un titres poisseux et électriques sant opère : la longueur du souffle, dans The woods so wild de William
double dans la saison 3:c’est dont le réalisateur a le secret. le legato quasi miraculeux, la pureté Byrd. Cet équilibre est renforcé par
le Bang Bang Bar sur lequel Au cours de ce voyage sen- du timbre où perce une pointe de laqualitédesarrangementsquiétof-
nostalgie, tout concourt à amplifier fent la richesse du contrepoint et de
s’imprime le générique de soriel entre bien et mal,
le pouvoir délicieusement entêtant la texture de l’ensemble. L’alter-
fin. Boîte noire isolée dans Lynchprendsoind’agrandir decettemusique.Lamêmeaisance nance de pièces de la Renaissance
l’espace-temps,dont le néon sa palette sensorielle avec vocale souveraine se retrouve dans et du début de l’ère baroque avec
s’inscrit en rouge et qui des musiques extatiques, tel lepoignantVocalIce(2017)ducom- des compositions du groupe Led
n’apparaît qu’à la nuit cetexceptionnel« NoStars » positeur catalan Bernat Vivancos Zeppelin, pétries de folklore britan-
comme les vampires. C’est par Rebekah Del Rio, blues (né en 1973), qui s’est inspiré de la nique, relie ces musiques distantes
là que se produisent la plu- stratosphérique extrait de PietàdeMichel-Angepource«chant dans le temps mais issues d’une
part des artistes qui figurent son album solo All My Life, d’amour et de consolation » sans même ère géographique.
paroles, où soprano et violoncelles Elles s’apparentent par leur carac-
sur cette bande-son miton- le « Viva Las Vegas » d’Elvis s’unissent dans une atmosphère à tère modal, parfois populaire (O’Ca-
née par David Lynch. dans la reprise de Shawn lafoiscontemplativeetvoluptueuse. rolan’s dream), par la présence de
Atmosphère lancinante et Colvin ou « The World Dernière réussite éclatante de cet grounds (basses obstinées souvent
mystérieuse jusqu’au non- Spins » signé par Lynch/ album : El Cant dels Ocells (Le Chant descendantes),debourdonsetd’os-
sens d’un monde parallèle, Badalamenti pour Julee desoiseaux),airtraditionnelcatalan tinatos (Twenty ways upon the bells
totalement ésotérique. Cruise,égérie du réalisateur. devenuaufildesannéessymbolede de Thomas Robinson). La fraîcheur,
Après le générique, signé Hormis des classiques de paixetauquelVivancosconfèreune ledynamismeetlavirtuositéd’inter-
Angelo Badalamenti,Lynch Booker T. & The MG’s, grandeur tragique insoupçonnée. prétation des pièces élisabéthaines
Louis Bilodeau répondent à merveille à l’atmos-
enchaîne avec « Shadow », d’Otis Redding ou des Plat- phèreentêtantedecellesdugroupe
chanté d’une voix éthérée ters,cetteB.O.inclutd’autres derock.Seuldéfautconcernantces
par Ruth Radelet du groupe surprises, comme ce « Just dernières : l’instrumentarium ne
électro de Portland Chro- You » par James Marshall, permet pas de restituer la richesse
matics.Rythme nonchalant, sous le cuir de James Hurley, de la sonorisation et de l’électrifica-
nuages de synthé et mélodie beau gosse à moto et éternel tion de Led Zeppelin, malgré un
minimale se prolongent Wanderer de Twin Peaks. X travail louable d’adaptation des
techniquespropresàlaguitareélec-
dans la country revisitée des Franck Mallet
trique (bend, glissando…).
Cactus Blossoms, guitares à £ « Twin Peaks – Music Laurent Lellouch
la Shadows et voix légères. from the Limited Event
Plus obscur, le hip-hop de Series ». Rhino 081227933982
Blunted Beatz est, avec (Warner). 1 h 19. CHOC

116 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


procède de Pesson et Sciarrino, CROSSING
Lazkano reprend à Lachenmann
l’idée d’une démarche « négative »
- le papier à musique étant moins
BORDERS
++++
vierge que rempli d’automatismes Œuvres chorales de Nielsen,
et éléments connus qu’il s’agit de Gade, Stenhammar,
conjurer -, quant à Srnka, son Holmboe et Tjørnhøj
usage de la micropolyphonie puise Ars Nova Copenhagen,
à grands encriers dans Ligeti ; dir. Paul Hillier
certes, nos trois musiciens ont en Dacapo 6.220626. 2015 2017. 58’
commun un goût du filtrage qui les
fait recourir à des modes de jeu Le thème du franchissement des
particuliers : « altération des hau- frontières, littéraire, musical ou
PRINTEMPS DES ARTS teurs répertoriées » chez Srnka, BALLAD humain,nourritlatramedecetenre-

DE MONTE- « bruits minutieusement préparés »


chez Filidei, « écriture en micro-in- IN RED gistrement. Paul Hillier et l’Ars Nova
Copenhague nous mènent du

CARLO
+++++
tervalles » chez Lazkano. La meil-
leure attitude consiste simplement
à se laisser séduire par ces trois
+++++
Œuvres de Renié, Caplet, Leone,
Hindemith, Salzédo et Debussy
romantisme germano-scandinave
de Niels Gade au modernisme ins-
piré de Line Tjørnhøj, compositrice
Srnka : Move 03. magnifiques partitions : on flottera Emmanuel Ceysson (harpe), danoise née en 1960, avec Vox
Filidei : Sull’essere angeli. sur « la mouvance orchestrale » de Quatuor Voce Reportage composé en 2014-2016.
Lazkano : Hondar Move03avant de planer, par le biais Aparté AP179. 2017. 1h12 Ilsintègrentégalementl’apportd’un
Mario Caroli (flûte), Orchestre d’un spectaculaire crescendo, Carl Nielsen ébloui par la redécou-
philharmonique de Monte-Carlo, dans les espaces inconnus de Trop souvent considérée comme verte de la musique de Palestrina,
dir. Pierre-André Valade Sull’essere angeli où la flûte de l’instrument aux ruissellements qu’il renouvelle à sa manière singu-
Printemps des Arts de Monte-Carlo Mario Caroli dessine ses mélodieux et élégants, la harpe que lièredanslesTroisMotetscomposés
PRI023. 2017. 1 h 01 arabesques vacillantes, puis on dévoile Emmanuel Ceysson révèle vers la fin de sa vie en 1929.
sondera les interactions subtiles sa face obscure et fantastique. Dès Peu connu mais souvent passion-
qui lient et délient la matière en 1909, André Caplet en avait perçu nant, Vagn Holmboe (1909-1996),
fusion d’Hondar. de nouvelles possibilités sonores, maillon incontournable reliant Carl
L’univers sonore de George Crumb, associées au quatuor à cordes avec Nielsen à Per Nørgård, s’affranchit
véritable « cosmologie moderne du une œuvre fulgurante, le Conte fan- sansviolencemaisindubitablement
piano », n’appartient qu’à lui. Le tastique d’après Le Masque de la du passé au profit d’une maîtrise
compositeur demande à l’inter- mortrouged’EdgarA.Poe.Troisans néoclassique dans Two Border Bal-
prète de parler, chuchoter, frotter plus tard, Henriette Renié s’inspirait lads pour chœur mixte (1972). Son
les cordes avec des verres ou de du Cœur révélateur (encore Poe) esthétique contraste fortement
siffler debout une passacaille pen- poursaBalladefantastique,ausujet avecladélicatessedeWilhelmSten-
dant que les doigts farfouillent particulièrement gore. À peu près à hammar, admirateur de Brahms,
dans le ventre béant de l’instru- la même époque, Carlos Salzédo NielsenetSibeliusdansTreKörvisor
ment. Autant de sollicitations hors composait sa Ballade dans laquelle, (TroisChantschorals,1890)dontles
des sentiers battus qu’accomplit dépassantlescodestraditionnelsde célèbres September et I Seraillet
avec un instinct déconcertant Sté- la harpe impressionniste, il envisa- Have (Dans le jardin du sérail) ont
GEORGE phanos Thomopoulos. Dans ce qui geait de nouvelles sonorités. enchanté des générations de chan-

CRUMB
(né en 1929)
constitue désormais - au même
titre que les Études de Ligeti- un
classique du XXe siècle, son inter-
LesdeuxDanses,avecaccompagne-
ment d’orchestre ou de quatuor,
composées par Debussy pour pro-
teursetd’auditeurs dans leur Suède
natale.

+++++ prétation rejoint la réussite de mouvoir la harpe chromatique sans


Makrokosmos, volumes I et II Toros Can (L’empreinte digitale) en pédale produite par la firme Pleyel,
Stéphanos Thomopoulos (piano) conférant une unité insigne à ce qui sont légèrement antérieures et
Printemps des Arts de Monte-Carlo peut apparaître, de prime abord, recherchent plutôt des sonorités à
PRI025. 2017. 1 h 01 comme une masse d’emprunts l’antique. C’est encore un récit fan-
arbitraires. Signalons l’excellente tastique du poète préromantique
On pourrait choisir d’insister sur la qualité des textes de présentation. Ludwig Hölty qui inspire à Paul Hin-
génération commune à laquelle Jérémie Bigorie demith sa Sonate pour harpe, en
appartiennent ces trois composi- 1939.Etc’estàl’œuvredeCapletque
teurs quadragénaires avant de rendhommageGustavoLeonedans
mettre en exergue ce qui les diffé- Red Quintet (2002), qui reprend
rencie. Mais ce nouveau volume l’effectif du Conte fantastique. Pour
édité par la collection du Printemps un tel programme, il ne suffit pas
des Arts de Monaco nous frappe d’êtreungrandvirtuose,ilfautaussi Les belles qualités d’Ars Nova
surtout en ce qu’il démontre la déborder d’imagination sonore. On Copenhagen faites de limpidité,
santé et l’intérêt constant que sus- sera par exemple confondu devant d’ardeurexpressive,dedictionquasi
cite l’orchestre symphonique tra- les sortilèges que Ceysson et ses théâtrale, de panache permanent,
ditionnel - en l’occurrence le Phil- partenaires de l’excellent Quatuor font de ce disque éclectique un pré-
harmonique de Monte-Carlo, Voce tire du Conte fantastique de cieux témoignage de l’art choral en
remarquablement conduit par Caplet ou du Red Quintet de Leone. général et du monde scandinave en
Pierre-André Valade. L’inventivité Un récital aussigothiquequ’original. particulier. Une écoute parfois exi-
ne se fait pas aux dépens de Jacques Bonnaure geante mais riche en émotions.
quelques grandes figures : Filidei Jean-Luc Caron

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 117


Les disques du mois

trois oranges. Et à côté de cela, un ŒUVRES POUR


grand chef-d’œuvre, d’accès moins
évident,laSonatepourvioloncelleet LA MAIN
piano de Rachmaninov.
Cela dit, on reconnaîtra que l’on a
affaire à un duo de fort tempéra-
GAUCHE
++++
ment. Passons sur les petits mor- Œuvres de Mantovani,
ceaux, évidement bien joués, qui Dubugnon, Louvier, Kondo,
font passer de bien agréables Ohana, Menut, Bacri et Dubé
moments et bénéficient de la sono- Maxime Zecchini (piano)
ritéparticulièrementchaleureusede Ad Vitam Records AV 180115.
Christian-Pierre La Marca et allons 2018. 57’
droit à la Sonate de Rachmaninov.
PARIS- Ici, le duo fonctionne à merveille. On MODERN Voilà plusieurs années que Maxime

MOSCOU
+++
pressent une respiration commune
entre les deux interprètes. Le grand
piano profond de Lise de La Salle
LIED
++++
Zecchini se consacre à une vaste
anthologie de la littérature pianis-
tique pour la main gauche. Bien
Œuvres de Fauré, Saint- magnifie l’œuvre (après tout, Rach- Œuvres de Holliger, Sciarrino, qu’étant lui-même valide de ses
Saëns, Massenet, Stravinsky, maninov était d’abord pianiste!) et Lachenmann, Kurtág, deuxmains,ilesteneffetfascinépar
Prokofiev, Rimsky-Korsakov Christian-Pierre La Marca joue avec Rihm et Lang ce répertoire singulier qui a inspiré
et Rachmaninov une ardeur éperdue, une tension et Sarah Maria Sun (soprano), les plus grands : on pense bien sûr à
Christian-Pierre La Marca une chaleur qui font de chaque ins- Jan Philip Schulze (piano) Ravel, mais ses trouvailles
(violoncelle), Lise de La Salle tant un moment urgent. Avec d’ail- Mode Records 297. 2016. 1 h 05 remontentàBach.Zecchiniadécidé
(piano), Camille Bertault (voix) leurs bien de la variété dans le ton et deconsacrerleseptièmevolumede
Sony Classical 190758099622. 2017. bien de l’imagination sonore. Aux Ancien membre des Neue Vokalso- la série à des œuvres contempo-
1 h 14 côtés d’autres excellentes versions listen Stuttgart, Sarah Maria Sun a raines,presquetoutesdemusiciens
assezrécentes,ChaushianetSubdin étéàbonneécolepourinterpréterle français, exception faite de Snow on
(Bis), Isserlis et Hough (Hyperion), répertoire vocal contemporain the Seashore (Neige sur le bord de la
CapuçonetMontero(Erato),ontient même s’il semble difficile de parler mer) du Japonais Kohei Kondo.
là une belle interprétation. Le pro- de répertoire et d’école tant les D’emblée, on est fasciné par la vir-
gramme s’achève sur une étrange œuvreschoisiesreflètentdesesthé- tuosité de cette fameuse main
improvisations autour du Vol du tiquesvariées.Holligerseconfronte,
bourdon de Rimski-Korsakov , avec àdix-septans,auxpoèmesdeChris-
vocalises intégrées. Cette version tian Morgenstern, et marche dans
aussi fun que virtuose ne s’imposait lespasdeBerg.Sciarrinoenrobeles
peut-êtrepasmaisseravraisembla- trilles coloratures des diaprures
blement très appréciée. scintillantes du piano dans ses Due
Gautier Capuçon a lui aussi princi- Melodie.Kurtágrevientàlapoétesse
palementchoisidespiècesdegenre russe Rimma Dalos dans son
mais moins uniformément dans le Requiempodrugu,nonsansrenouer
style MusicforRelaxation. On y trou- avec la concision d’un Hugo Wolf à

INTUITION
+++
veraquelquessuavités,interprétées
avec la sentimentalité voulue et
même un peu plus, comme la Médi-
qui un hommage est explicitement
rendu. Plus encrées dans la tradi-
tion, les Ophelia Sings de Rihm
Œuvres de Massenet, Ducros, tation de Thaïs, Le Cygne, Salut demandent la contribution du pia-
Saint-Saëns, Sollima, Dvorák, d’amour ou Après un rêve, qui siéent niste dans la restitution du texte. gauche qui donne l’illusion d’avoir
Elgar, Popper, Paganini, à sa sonorité discrètement Jan Philip Schulze est un musicien dix doigts, se déplace à une allure
Tchaïkovski, Rachmaninov, ombreuse et mystérieuse, mais accompli,avecuntouchercaméléon vertigineuse de l’extrême grave à
Joplin, Fauré et Piazzolla aussi des pages de haute voltige qui s’adapte à toutes les exigences. l’extrême aigu, multiplie les plans
Gautier Capuçon (violoncelle), commelaDansedeselfesdePopper, Lachenmannn’enestpasavaredans sonores et enchaîne avec aisance
Jérôme Ducros (piano), l’étonnant Encore de Jérôme son Golt Lost, pièce-maîtresse du des traits périlleux. Notons en parti-
Orchestre de chambre de Paris, Ducros, aussi brillant accompagna- programme où la table d’harmonie culierletourdeforcequereprésente
dir. Douglas Boyd teur que compositeur, et un mor- et les cordes manipulées à même le l’exécution de la Fugue à quatre voix
Erato 190295883059 (+ 1 DVD). 2017. ceau de plus ample dimension et corps de l’instrument sont autant (déjà une prouesse d’écriture) de
1 h 21 assez sophistiqué, Violoncelles sollicitéesqueleclavier.SarahMaria RichardDubugnon.Maisau-delàdes
vibrez de Giovanni Sollima. Plus Sun impressionne par son investis- particularités techniques de ce
Le programme de Christian-Pierre quelques excursions extra-euro- sement de tous les instants : sa répertoire, c’est un véritable pano-
LaMarcaetLisedelaSalleestassez péennes avec un rag de Joplin et le décomposition des phonèmes rama de l’école française que nous
curieusement composé. Il mêle des Grand Tango de Piazzolla, qui plaît comme son articulation des diph- donne à voir Zecchini : de Bruno
pages célèbres, belles mélopées toujours.Petithommage aupèrede tongues ne sont pas sans rappeler Mantovani à Nicolas Bacri, divers
parfoisagilesunbrincomplaisantes tous les violoncellistes, Gautier l’art de Cathy Barberian, même si le styles sont convoqués, mais on
de Fauré, Saint-Saëns et Massenet, Capuçon joue El Cant dels ocells (Le timbre la rapproche davantage de reste néanmoins frappé par l’unité
dont deux transcriptions d’airs Chant des oiseaux) , vieille chanson Barbara Hannigan. Ce récital de de l’ensemble.
d’opéras (« Mon cœur s’ouvre à ta catalane par laquelle Pablo Casals liederhorsdessentiersbattusoffre, Sarah Léon
voix » de Samson et Dalila et « Pour- terminait souvent ses concerts. Un pour reprendre la belle expression
quoi me réveiller » de Werther) ainsi « Bonus DVD » montre quelques d’Antoine Goléa sur la Cantate pour
que d’intéressants petits morceaux clipsdenotrevioloncellistedansses elle d’Ivo Malec, « un microcosme
comme la Chanson russe de Mavra œuvres. Un bonrécitaltouspublics. d’humanité ».
ou la célèbreMarchedeL’Amour des Jacques Bonnaure Jérémie Bigorie

118 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


UNE
ALMA BAGUETTE
ESPANOLA
+++
AIGUISÉE
Œuvres de Falla, Garcia
Lorca, Granados, Rodrigo,
Montsalvatge, Lara et Tarrega
Isabel Leonard (mezzo-soprano),
Sharon Isbin (guitare)
CANTELLI SUR LE VIF
Bridge 9491. 2016. 1 h 06 DesRossini,SchumannetBrahmsalertes,
Jolie mezzo Mozart dont les Sesto, par le chef italien trop tôt disparu.
les Dorabella se sont imposés des
deux côtés de l’Atlantique, Isabel
Leonard professe un goût pour la TRANSATLAN- Walter Legge décou- le violon de Manoug Pari-

DIRECTION
mélodie ibérique, comme jadis son
illustre compatriote Nan Merriman,
Dorabella irrésistible et interprète
TIQUES
+++++
vrant le jeune Guido
Cantelli (1920-1956)
kian conduisant l’irrépres-
sible prestissimo de la coda
n’eutdecessedelefaire si loin qu’il manque de faire
fulgurante des Canciones de Falla. Œuvres de Rachmaninov, signer pour His Mas- perdre leurs archets aux
Son timbre est plus lisse, les mots y Tchaïkovski, Prokofiev,
er’s Voice, se recon- violoncelles.
glissent un rien, justement dans les Gershwin, Bernstein et Jackson
Falla qui manquent de duende, plus Gershwin Piano Quartet naissant danscetterecherche On retrouve cette ivresse
lumineuxquesombres,plusAlham- Sony Classical 19075801432. 2017. de la perfection. Il lui offrit dès le grand choral qui
bra qu’Albaicin, affaire de timbre 1 h 18 l’orchestre Philharmonia, ouvre la Symphonie n° 1 de
mas pas seulement : cette voix est le meilleur de Londres, Brahms, menée vif comme
si belle, si équilibrée dans ses Réunion de pianistes de hauts vols, qu’Herbert von Karajan le faisait Toscanini, et d’ail-
registres, une fêlure ne saurait y le Gershwin Piano Quartet présente avait modelé à son image. leurs avec les mêmes clartés
paraître. Mais l’humour désinvolte, un enthousiasmant programme Cantelli enregistrera alors
un peu créole, de deux des Cinq d’arrangementspourquatrepianos
Chansons nègres la déboutonne, et de leur cru. Rêveuse et évocatrices,
quelques albums impéris-
c’est merveille alors. uneVocalisedeRachmaninov,suivie sables, fruits d’un travail de
Moins dans les Garcia Lorca, qui d’une Tarentelle du même composi- studio acharné où il défaisait
n’ont pas les subtilités entre fau- teurvenuedesaSuiten° 2,sontdeux méticuleusement lelegatode
bourg et campagne qu’y mettait piècesvertigineusesdevirtuositéet son aîné. La variété et la net-
avec génie Victoria de Los Angeles degénérositémélodique,d’unepro- teté des attaques, le tran-
oùletonrésolumentpopulaired’une fondeur mélancolique toujours en chant des accents ont rendu
Teresa Berganza les stylisant avec mouvement, parfaitement arran-
ces disques d’autant plus
la guitare de Narcisso Yepes : en gées par Benjamin Engeli. Pour le
comparaisonlestimbresdel’instru- Casse-Noisette de Tchaïkovski, précieux que les concerts où
ment joué par Sharon Isbin, volup- chaque pianiste adapte une section s’éprouvaient leurs recher-
tueux, ne portent pas assez la dic- decejoyaupostromantique,faisant ches furent rarement captés opalescentes, les mêmes
tion de la chanteuse. Et comme son ressortir le son du collectif, fait de et sauvegardés. tensions qui exposent une
français est pâle dans Aranjuez, ma ludisme et vivacité, signe d’une La publication de la soirée architecture parfaite, clas-
pensée,bijouxparmilesmélodiesde osmose entre les pianistes pour du 11 mai 1953 au Royal sique par la rigueur, la net-
Rodrigo dont les ornements moza- créer une matière vivante, claire et Albert Hall (Cantelli gravera teté, l’épure. Cantelli choi-
rabes sont seulement esquissés. ondoyante.
Pourtant l’album s’écoute avec plai- L’adaptation du Lieutenant Kijé de
les deux symphonies quel- sit dans le finale les ajouts
sir, les charmes des œuvres, l’élé- Prokofiev par Mischa Cheung quesjoursplustardauKings- de timbale que s’y autori-
gance de la voix faisant tout, sans pousse cette pièce inspirée de la way Hall) surprendra par sa sait son mentor, contre
pourautantéchapperauxsouvenirs nouvelleéponymedeIouriTynianov furia générale. L’ouverture la tenace légende qui aurait
d’une discographie aussi mesurée vers un minimalisme scintillant, deSémiramide,dontCantelli voulu qu’Arturo Toscanini
qu’exceptionnelle. fusion du postmodernisme avec la faisait éclater les crescendos fût respectueux des textes
Jean-Charles Hofelé spiritualité russe, avec une Troïka enbondissantsurlepodium, à la lettre. Comme lui, Can-
devenant un pastiche de Steve donne le ton : cravachée, telli dessine un Brahms
Reich. Porgy and Bess, adapté par
Benjamin Engeli et Stefan Wirth, portée par un brasier de solaire, altier, à revers de
permet au quatuor de sortir leur cordes, elle annonce une celui dont il aurait pu être
grand jeu, restituant la féerie de Symphonie n°4 de Schu- l’absolu rival : Herbert von
cetteœuvrelégendairedeGershwin. mann ivre de mouvements, Karajan. X
West Side Story arrangé principale- alerte, sans aucun appui, Jean-Charles Hofelé
ment par Cheung et Engeli fait res- avecparfois desraffinements £ Rossini: Sémiramide
sortir toute la diversité de l’éventail mendelssohniens (Trio du (ouverture). Schumann:
de Bernstein, avec un Cha-Cha et un
Scherzo).Ces textures fuligi- Symphonie n°4. Brahms :
Mambo de belle facture. La cerise
sur le gâteau est l’arrangement irré- neuses,tout cet art de la sug- Symphonie n° 1. Orchestre
sistible de Bad de Michael Jackson, gestion, supposent une élé- Philharmonia, dir. Guido
aussidansantetfunkyquel’original, gance dans la battue qui Cantelli. ICA Classics ICAC5143.
si ce n’est plus. s’entend par chaque pupitre, 1953. Mono. 1 h 19. CHOC
Romaric Gergorin

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 119


Les disques du mois

MIDNIGHT AT I GOT
ST ÉTIENNE RHYTHM
DU MONT
+
++++
Œuvres de Ives, Carter,
Gershwin, Joplin, Moreau
Œuvres de Tournemire, Gottschalk, Copland, Barber,
Vierne, Duruflé et Briggs Albright et Bolcom
Joseph Nolan (orgue) David Lively (piano)
Signum Classics SIGCD470. 2018. La Musica LMU 011. 2017. 1 h 13
1 h 18
Remarquable pianiste américain,
Il est devenu assez rare d’entendre installé en France, David Lively pro-
EN au disque le très impressionniste JOURNEY TO pose un parcours dans la musique

TRAVESTI
+++
orguedel’égliseparisiennedeSaint-
Étienne-du-Mont. Élaboré dans le
souvenir du film de Woody Allen,
MOZART
+++
de son pays natal en puisant aux
racinesdurag,cettemusiquepopu-
laire syncopée croisant musique
Airs de Haendel à Mancini MidnightinParis,leprogrammepro- Œuvres de Gluck, Haydn, afro-américaine et danses des
Anna Bonitatibus (mezzo- posé par Joseph Nolan a de quoi Myslivecek, Mozart et Salomon Blancs. Scott Joplin, musicien noir
soprano), Orchestre de la radio séduire.Hommagepresqueattendu Orchestre de chambre de Zurich, descendant d’esclaves, ouvre le
de Munich, dir. Corrado Rovaris à Maurice Duruflé dont la Suite op. 5 Daniel Hope (violon et dir.) chemin avec l’entraînantMaple Leaf
BR KLASSIK 900318. 2016. 1 h 07 constitue la pierre angulaire, il per- Deutsche Grammophon 479 8376. Rag. On apprécie la nostalgie créole
met d’apprécier des œuvres plus 2017. 1 h 08 cadrée par le classicisme européen
Curieux récital que celui d’Anna rares comme les Fantômes ou le deLouisMoreauGottschalk.Charles
Bonitatibus,mêmesisonprécédent Scherzo de la Symphonie n° 6 de CeregardcroiséportésurMozartet Ives apparaît avec les deux minutes
« Semiramide » (DHM, 2014) suivait Louis Vierne, admirablement servis ses contemporains par le violoniste depolyrythmiespétillantesdeSome
la même logique. Le parcours est par la vaste palette sonore de l’ins- DanielHopetémoignedelasupério- Southpaw Pitching. Des extraits du
chronologique, du Radamisto de trument, volontiers mystérieuse et rité du Divin Amadeus dans la Songbook de Gershwin permettent
Haendel (1720) à Victor, Victoria de narquoise, plongeant l’édifice dans musiqueconcertante.Nilesœuvres à David Lively de déployer avec sou-
Mancini (1982). La chanteuse ita- l’atmosphère d’une nuit de sabbat. de Gluck (Danse des Furies et Danse plesse et expressivité toute son
lienne,l’unedesplusdemandéesde S’y ajoute le Tombeau de Duruflé, du des Esprits extraites d’Orphée et éloquence. Four Blues de Copland
sa génération pour Haendel et Ros- Eurydice), ni même le Concerto en assemble une matière homogène
sini,démontreunepaletteélargiede solmajeurdeHaydnn’atteignentles assimilant divers folklores dans
ses talents, notamment dans les mêmes cimes que le Concerto n° 3 l’écriture personnelle du composi-
répertoires français, allemand et la dans la même tonalité composé par teur moderniste.
musique de film américaine. Mais le la grâce d’un jeune homme de dix- Les altières Excursions de Samuel
disque risque aussi de décontenan- neuf ans. Le Larghetto du Concerto Barber maintiennent son élégance
cerlesfansdeladiva,lesbaroqueux en ut de Josef Myslivecek, sans toutewaspmalgréuneplongéedans
n’étant pas forcément sensibles au saveur, peine à se comparer à l’Ada- les idiomes de l’américanisme lum-
répertoire des XIXeet XXe siècles. gio K. 261 onctueux et finement pen. Avec Hoedown, une danse des
Le CD est en fait constitué de deux ciselé. La Romance pour violon et Appalaches,WilliamAlbrightcaptive
moitiés : la première présente le cordes de Johann Peter Salomon par une introduction hallucinée vir-
répertoirevirtuosedesgrandsnoms (l’organisateur des concerts londo- tuoses’interrompantpar« unthrène
de l’école italienne, jusqu’à Pauline niens de Haydn) reste au niveau digne de Miles Davis » selon Lively.
Viardot. Curieusement, ce n’est pas d’une simple découverte et la trans- On quitte un instant la musique
la partie la plus séduisante : on compositeur et organiste britan- cription ludique pour violon et populaire avec Eliott Carter et ses
connaît depuis longtemps les voca- niqueDavidBriggsqui,surlemodèle orchestre de chambre de la Marche Two Thoughts about the piano, pour
lises impressionnantes de Bonitati- de Tombeau de Titelouze de Marcel Turque par Olivier Fourès avec force retrouver avec plaisir le raffinement
bus, sa longueur de souffle stupé- Dupré, explore, dans un langage percussionsdemeureanecdotique. cérébral propre à cette musique
fiante, mais on aurait aimé plus de modal raffiné, le répertoire grégo- Ongoûteraavecdélectationlasono- contemporaine baignée d’une sen-
panache et surtout des variations rien qui fut au cœur de l’inspiration rité délicate et sensuelle de Daniel sualité épurée. Ce voyage enchan-
plusfluidesetnaturelles.Laseconde de celui auquel il rend hommage. Si Hope qui fait corps avec les musi- teurportéparuneinterprétationvive
partie est un éblouissement. Boni- le programme est irréprochable, la ciens de l’Orchestre de chambre de et subtile finit par les variations
tatibusymetlasuavitédesontimbre réalisation est, elle, extrêmement Zurich. Sa légèreté d’archet, sa flui- fantasques d’un rag de William
et la chaleur de son vibrato au ser- décevante. Il est incontestable que dité naturelle (à aucun moment il ne Bolcom.
vice d’un répertoire lyrique hors de le Scherzo de Vierne et la Toccata de force le ton ou le vibrato et n’appuie Romaric Gergorin
sa zone de confort, mais qui lui sied Duruflésoientdesœuvresvirtuoses jamais sur la corde de sol), l’élan
comme un gant. La métamorphose débordantes de nervosité. C’est rythmiquequ’iltransmetàlaforma-
s’opère avec l’air de Nicklausse, précisément pour ces raisons tionzurichoisepeuventsecomparer
« Vois sous l’archet frémissant », et qu’elles doivent être tenues, ce à à l’interprétation des meilleurs
atteint des sommets avec le mono- quoi Nolan échoue. En y ajoutant un mozartiens (Goldberg, Grumiaux,
logue d’Octavian « Wie du warst » et toucherimprécis,untempoinstable Suk, Dumay, Faust…). Le reste, en
un touchant « le cœur de la rose » de et les nombreuses fausses notes dépit d’une exécution pleine de vie
L’Enfantetlessortilèges.L’accompa- ayant résisté au montage, l’impres- (final du Concerto de Haydn), a le
gnement de l’Orchestre de la radio sion globale est celle d’un ensemble méritedesusciterlacuriosité.Signa-
de Munich, sous la direction de Cor- bâclé particulièrement regrettable lons la belle balance entre le soliste
radoRovaris, estsuperbe dans tous sur un instrument et un répertoire et ses musiciens suisses d’ailleurs
les répertoires. qui bannissent l’approximation. captés avec soin.
Damien Colas Aurore Leger Michel Le Naour

120 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


RÉCITALS TITRES TOBIAS DUO
FELDMANN
(violon)
GAZZANA
(violon et piano)
++++ +++
Rautavaara : Ravel : Sonate posthume.
Concerto pour violon. Franck : Sonate.
Sibelius : Concerto pour violon Ligeti : Duo. Messiaen :
Orchestre philharmonique de Thème et Variations
Liège, dir. Jean-Jacques Kantorow Natascia Gazzana (violon),
Alpha 357. 2018. 58’ Raffaella Gazzana (piano)
ECM Records 481 6781 . 2017. 55’
Lauréatdeconcoursinternationaux,
déjà salué en 2017 pour son album JEAN-BAPTISTE Les deux sœurs Gazzana ont conçu

CÉLIMÈNE
« Polychrome » réunissant Proko-
fiev, Strauss et Ravel (Classica
n° 194), Tobias Feldmann se lance à
FONLUPT
(piano)
un programme assez original qui
illustre,pourtroisdescompositeurs,
notre dossier du numéro des vingt

DAUDET
(piano)
son tour dans le Concerto de Sibe-
lius.Difficiledenierletalentdujeune
Allemand mais on est frappé d’em-
+++++
Chopin : Prélude op. 45.
Ballade n° 4. Schumann :
ans de Classica « Que faisaient-ils à
vingt ans ou à peu près ? » (n° 202).
Certes, Ravel, Ligeti et Messiaen
+++++ blée par le déploiement d’effets Arabesque. Novellette n’étaient pas encore eux-mêmes,
Messiaen : Huit Préludes. sonores et l’absence de mystère. Ils op. 21 n° 8. Liszt : Bénédiction mais leur art était déjà abouti. Ravel
Debussy : Préludes, Livre II sont loin les paysages enchanteurs de Dieu dans la solitude. a composé en 1897 une magnifique
NoMadMusic NMM046. 2017.1 h 18 suggérés par les versions de Cho- Rhapsodie espagnole Sonate en un mouvement, bien peu
Liang Lin, Mutter, Fischer ou Esprit du piano EDP 04. 2016.1 h 09 ravélienne.Ilpencheducôtédechez
Entre le piano de Messiaen et celui Batiashvili. La sonorité lumineuse Franckavecuneécriturepianistique
deDebussyexistentdescorrespon- queleviolonistetiredesonGagliano Enregistréennovembre 2016àBor- assez personnelle. Le jeune Ligeti,
dancesetdeseffetsdemiroir:«une devient parfois acide, peut-être en deaux lors du festival L’Esprit du qui compose en 1946 son bref Duo,
transpositionquiestunnouveaupas raison d’une prise de son au plus piano, ce récital de Jean-Baptiste ici enregistré pour la première fois,
enavant »,selonJeanRoy.Célimène proche de l’instrument, et le dia- Fonlupt capte immédiatement l’at- estencoretoutpleindeBartóketde
Daudetquis’estfaitremarquerentre logue du soliste avec un orchestre tention. L’urgence, l’intensité et la folklore. Le jeune Messiaen qui écrit
autres par deux enregistrements prise de risques contribuent large- pour sa jeune épouse violoniste
consacrés à Bach (Arion) réussit ment à l’impression ressentie tout Thème et Variations est déjà fasciné
avec intelligence à rapprocher les au long d’un parcours qui débute par la modalité et les atmosphères
Huit Préludes du jeune Messiaen sereinement par une interprétation éthéréesetcélestes.Pourautant,ce
(1929)duSecondLivredesPréludes intimiste du Prélude en ut dièse cycledevariationsn’estpascompa-
de la maturité de Debussy (1913). mineur de Chopin et prend ensuite rable avec ce qui va venir. Dans un
Au-delà du charme immédiat, du son envol avec une Ballade n° 4 plei- tel programme, Franck fait alors
senspoétique,duchatoiementdela nementmaîtriséequineperdjamais figured’outsideravecsaSonatemais
couleur, d’une préoccupation com- de vue le sens discursif ; seule la on pourrait dire que, la soixantaine
mune pour les effets de résonance coda, quelque peu emportée, s’en- bien sonnée, il est enfin lui-même !
ou les études de timbre, s’affichent flamme de manière trop abrupte. Le duo Gazzana fonctionne bien :
pour chacun des compositeurs un Sansdoutelatensionliéeauxcondi- Raffaellatiredesonpianodessono-
langage très personnel et immédia- tions du concert y est-elle pour ritéstrèsintéressantes,notamment
tement identifiable comme le pré- quelque chose. chez Ravel et Messiaen. Natascia
cise la soliste dans la notice de son un peu pesant déçoit. L’Arabesque de Schumann se privilégie la pureté du chant et la
disque. D’une inventivité parfois S’il n’a pas fait preuve d’originalité dérouleavecfluiditéetsansaffecta- qualité du timbre et du phrasé, tou-
proche de l’improvisation, le jeu de dans le concerto de Sibelius, Feld- tion, puis la lecture de la Novellette jours élégant. Cela dit, l’interpréta-
l’interprète se meut avec aisance mann nous ravit en le couplant non op. 21 n° 8 dessine des paysages à la tion de la Sonate de Franck semble
dans ces univers dont elle saisit les sans brio avec celui d’Einojuhani fois poétiques et inquiets, où der- un peu prudente, surtout dans les
atmosphères avec une subtilité de Rautavaara (1928-2016), composi- rière les apparences transparaît premier et dernier mouvements,
toucher qui n’interdit pas les éclats teur prolixe mais rarement donné l’enversangoissédudécor.Morceau comme si les interprètes avaient
sans aucune brusquerie. malgré son Cantus Arcticus, achevé de résistance, Bénédiction de Dieu souhaité prendre au mot le surnom
L’enregistrement bénéficie de la en1977àNewYork. Onpeinecepen- dans la solitude extraite des Harmo- dePaterseraphicusquesesdisciples
qualitéd’unYamahaprofondetbien dant à discerner dans cet opus la 5e nies poétiques et religieusesde Liszt attribuaient à Franck.
harmonisé qui sert tout particuliè- Avenue, si ce n’est à percevoir Cen- témoignenonseulementd’alchimie Jacques Bonnaure
rementcettelectureoùl’intelligence tral Park en Taïga. En oubliant les sonore, mais aussi d’un art quin-
d’approche le dispute à la clarté et à titres à contre-pied des deux mou- tessencié du discours. La notion du
la fluidité du propos. Au-delà de la vements (un Tranquillo qui ne l’est temps semble abolie pour élever la
virtuosité propre, du prix apporté franchement pas et un Energico narration sur des hauteurs contem-
aux attaques et aux variations de énigmatique),onselaisseguiderpar platives. Enfin, théâtrale et contras-
rythmes,d’unartdelaconstruction, un Feldman qui installe et explore tée, la redoutable Rhapsodie espa-
transparaissent une beauté pure et une atmosphère envoûtante. gnole, d’une perfection digitale
une plasticité picturale très étudiée, Jean-François Medelli aboutie, achève somptueusement
proches des incontournables ver- cette invitation au voyage roman-
sions de Benedetti Michelangeli tique. Au jeu des comparaisons,
(pourDebussy)oudeRogerMuraro Jean-Baptiste Fonlupt, pour cha-
(pour Messiaen). cune de ces pièces, prend place
Michel Le Naour parmi les premiers de cordée.
Michel Le Naour
CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 121
Les disques du mois

TRIO ZALA
KARENINE
(trio avec piano)
KRAVOS
(piano)
+++++ +++
Fauré : Trio. Ravel : Trio. Brahms : Quatre Ballades.
Tailleferre : Trio Liszt : Ballade n° 2. Chopin :
Mirare MIR376. 2017. 1 h 01 Impromptus op. 29, 36, 51 et 66
Petrovic-Vratchanska :
Le premier album du Trio Karénine Crystal dream
(Schumann) avait fait dresser Ars Production ARS 38 753. 2017. 1h04
l’oreille. Celui-ci confirme bien que
cette réussite n’était pas un feu de Son nom ne vous dit vraisembla-
QUATUOR DE paille. Après neuf ans de travail PAUL blement rien et c’est tout à fait

JÉRUSALEM
+++++
intensif, la formation a désormais
atteint une maturité sonore et sur-
tout une intelligence des textes qui
KIEFFER
(luth, vihuela)
normal : Zala Kravos n’a pas seize
ans. Elle a néanmoins conçu un
premier enregistrement au pro-
Debussy : Quatuor. la situent au plus haut niveau. Pre- ++ gramme ambitieux. Déjà en pleine
Ravel : Quatuor nons par exemple le Trio de Fauré. Il barbarino. Musica per liuto possession de moyens impression-
Harmonia Mundi HMM902304. C’est l’œuvre d’un vieux monsieur e viola da mano nants, elle dévore la Ballade n° 2 de
2017. 53’ fatigué, attaché à la forme et à une Œuvres de Dentice, Palestrina, Liszt avec gourmandise. On
expressivité que l’on peut qualifier Severino, Maymón, da Milano, découvre une main gauche parti-
Dès les premières mesures du Qua- deromantique,oùprimentpourtant Perino Fiorentino, Cardone. culièrement développée, capable
tuor de Debussy, on comprend où la sensualité et l’élégance d’une Œuvres anonymes de créer un bruissement continu
les Jerusalem veulent en venir. Leur forme épurée. On retrouve tout cela Arcana AD105. 2016. 59’ grâce aux traits chromatiques qui
style est grave, équilibré, réfléchi, dans l’interprétation des Karénine, lui sont confiés. Sur le plan de la
exceptionnellement homogène de qui voient les choses de haut, Paul Kieffer confirme son goût pour construction, cette Ballade est très
sonorité, très raffiné, quitte à arron- refusentd’accuserlesanglesetl’ex- les répertoires confidentiels. Après aboutie même si elle reste un peu
dir voluptueusement les angles et à pression, et donnent du Trio l’image un premier disque consacré à en surface musicalement. Nous lui
gommer quelques aspérités la plus juste et la plus raffinée. A Jacques le Polonais (Ævitas, 2015), préférons les versions de Georges
expressionnistes. Par rapport aux propos de raffinement, on appré- ilseplongedansl’universducinque- Cziffra (EMI, 1978), de Leslie
récentes versions, ils se montrent cento napolitain. Cet album ras-
un peu plus personnels que les semble des œuvres rarement voire
Ellipse, un peu plus mystérieux que jamaisenregistrées,principalement
les Psophos, un peu plus charnels extraites du manuscrit Barbarino,
que les Van Kuijk. Le Scherzo danse anthologie de pièces compilées par
avec une légèreté arachnéenne, leluthistedumêmenom.Lesformes
l’Andantino est parfois très vivant et savantes (ricercares et fantaisies) y
animé, plus que de coutume, mais côtoient les danses et les arrange-
avec des épisodes élégiaques aux mentsdechansons.Unprogramme
frontièresdusilence.Lefinale,enfin, de qualité inégale mais qui réserve
comported’intéressantesprisesde quelques belles surprises, à l’instar
risque dans la transition entre la de la fugue de Francesco Cardone.
sectionlenteetlasectionrapide,qui Au luth et à la vihuela, Paul Kieffer
s’écoule avec fluidité et une énergie dévoile une sonorité claire qui s’ac-
parfaitement maîtrisée. La struc- ciera aussi l’équilibre du Trio de corde bien aux œuvres contrapun- Howard (Hyperion, 1988) et de Nel-
ture de l’ensemble et de chaque Ravel,danslequellaperfectiondela tiques. La polyphonie est lisible, les son Freire (Decca, 2011). Même
mouvement en particulier semble formeconjurelesterriblesangoisses lignes épurées. Mais l’austérité du constat avec les Impromptus de
parfaitement réfléchie et dénote qui assaillaient le compositeur en répertoirelerenddifficiled’accès,et Chopin. Le respect du texte est là,
une longue maturation. cette année 1914. L’expression, une ce jeu appliqué, concentré, laisse l’interprétation n’est pas dénuée de
LeQuatuordeRaveln’estpasmoins foisencore,n’estpassurlignéemais l’auditeur à distance. Les tempos sens mais on restera fidèle à
intéressant. On y retrouve le même passe par le travail des sonorités et manquent de contraste, le phrasé Georges Cziffra (EMI, 1974-1975),
travaildeconstructionetlesmêmes la conduite très naturelle des mou- de souplesse (Tenore di Napoli) et ClaudioArrau(Decca,1980),Murray
qualités dans le travail des sonori- vements. l’ensemble se révèle un peu fade. Perahia (CBS, 1985) ou encore
tés. Leur conception de la sonorité Bien moins connu, quoi qu’il en L’interprète livre ainsi une Volta de Eugen Indjic (Andante Spianato,
ravélienne est intéressante : on existe déjà au moins deux enregis- Spagna bien peu pétillante - on pré- 2012).
pressent à chaque instant que les trements,leTriodeGermaineTaille- fère la version de Catalina Vicens au Enfin, s’il y a bien un compositeur
quartettistes tiennent à s’inscrire ferre offre la particularité d’avoir été clavecin (Carpe Diem Records, dont les œuvres nécessitent une
dans une lignée classique mais composé en deux fois, à six décen- 2017). Quant au second Ricercar de véritable intériorité, c’est Brahms et
aussidiscrètementprécieuse.C’est nies d’intervalle (1917 et 1978). On y Francesco da Milano, on ne peut cela se vérifie avec cet album : les
très bien vu, et ce couplage se situe sent bien un petit côté Groupe des s’empêcher de penser à la lecture quatre Ballades op. 10,quoique bien
très haut dans la discographie plé- Six charmant et spirituel mais sur- plusexpressiveetgénéreusedePaul jouées, sont sans grande densité.
thoriquedecesœuvres.Anoterque tout une belle écriture dense et châ- O’Dette (Harmonia Mundi, 2013), Laissons donc encore un peu de
ce nouveau disque fera partie de tiée, et que les interprètes prennent récompensée d’un CHOC (Classica tempsàZalaKravospouraffinerson
l’importante édition Harmonia vraiment au sérieux. En somme, un n° 153). La proposition est forte et la caractère et creuser ses interpréta-
Mundi du Centenaire. trèsbeautravaild’uneformationqui démarche approfondie, mais on tions. C’est au demeurant une
Jacques Bonnaure porte un regard original sur des regrette la sécheresse de l’interpré- artiste à suivre.
pages connues et révèlent une tation. Un bilan en demi-teinte. Aurélie Moreau
rareté de prix. Jacques Bonnaure Fabienne Bouvet

122 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


La chronique un peu

DE PHILIPPE
VENTURINI

VERSION DE
RÉVÉRENCE ?
N
elson Goerner et Dinorah Varsi (qui?) devancent Bien sûr, il arrive fréquemment qu’un artiste, un orchestre, un
Martha Argerich, Nelson Freire et Maurizio Pollini, ensemble, un enregistrement renouvelle la lecture d’une partition
ce mois-ci, dans notre Écoute en aveugle consacrée à ou, tout simplement, impressionne par l’intensité avec laquelle
la Sonate n°3 de Chopin. En juin, Benjamin Britten il s’en empare, la passion avec laquelle il l’appréhende ou l’intel-
surprenait tout le monde en reléguant John Eliot ligence avec laquelle il la conduit. Les Beethoven de Karajan,
Gardiner dans lesdernièresplacesduclassement avecsaFairy Queen. les Mahler de Walter et Klemperer, les Bruckner de Jochum,
Le 27 mai dernier, lors de « La Tribune des critiques de disques » les Strauss de Böhm, le Don Giovanni de Giulini ont ainsi parti-
qu’anime Jérémie Rousseau le dimanche à 16 heures sur France cipé à l’aventure de la musique enregistrée. Mais la dernière page
Musique,Fritz Reiner,régulièrement recommandé,finit bon dernier de ce récit ne sera heureusement jamais écrite. La connaissance
dans le Concerto pour orchestre de Bartók. Le 29 avril c’était au tour des styles s’approfondit : on ne reviendra pas sur les apports
d’Alexis Weissenberg de triompher dans des Préludes de Rachma- des « baroqueux » et des versions historiquement informées qui
ninov et, le 25 mars, Michel Tabachnik et le Brussels Philharmonic nous ont fait redécouvrir Bach, Haendel, Vivaldi, mais aussi
faisaient tanguer Simon Rattle et l’Orchestre Haydn, Mozart, Beethoven, voire Brahms
philharmonique de Berlin, Pierre Boulez et et Ravel. Et les goûts évoluent. Le Brahms
l’Orchestre de Cleveland dans La Mer de cosmique de Furtwängler nous parle-t-il
Debussy. La liste pourrait s’allonger à l’infini, toujours avec autant d’autorité ? Le Tchaï-
alignant les artistes fameux, interprètes histo- kovski imprévisible de Mengelberg nous
riques et emblématiques en fin de peloton. électrise-t-il encore alors que le Beethoven
L’objet de telles écoutes n’est pourtant pas de de Schnabel enjambe fièrement les modes?
déboulonner les idoles, ni de contester systé- Il ne saurait certes être question d’oublier
matiquement l’ordre établi.Cela dit,elles rap- l’Histoire; notre société contemporaine s’en
pellent que ledit ordre ne saurait être établi charge déjà diligemment. Et dans chaque
pour toujours et que les appréciations des numéro de Classica, Jean-Charles Hoffelé
disques n’ont rien de définitif. Aussi faut-il se nous rafraîchit la mémoire et nous signale
méfier des versions dites de référence dont on des archives susceptibles de nous causer
recopie paresseusement les mérites d’année en encore une forte émotion, un choc: Cantelli
année sans se donner la peine de les réécouter, ou Rose, ce mois-ci. Les enregistrements
ni de les réévaluer dans une discographie en du passé peuvent encore nous bouleverser
perpétuelle évolution.CHOC un jour,CHOC mais prenons garde à ne pas confondre ver-
SDP

toujours ? Assurément pas. Et tant mieux. sion de référence et version de révérence. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 123


LES DVD DU MOIS ANTON
BRUCKNER
(1824-1896)
++
Symphonie n°8
+ Messiaen: Couleurs
de la Cité céleste
London Symphony Orchestra,
dir. Simon Rattle, Pierre-Laurent
Aimard (piano)
LSO Live LSO3042. 2016. 1 h 44

Comme souvent lorsqu’il dirige les


romantiques, Rattle a tellement
peurdesombrerdansleformalisme
ou une approche trop analytique
ANTON qu’ilenvientànégligerlanettetédes CLAUDE
BRUCKNER
(1824-1896)
contours, au point de déléguer à
l’orchestreunecertaineautogestion
en termes de stratification sonore,
DEBUSSY
(1862-1918)
+++++ lacune qui ne pardonne pas chez +++
Symphonie n°1 Bruckner.D’emblée,sirSimonlaisse Préludes – Livre I
Staatskapelle Dresden, leLondonSymphonyronronneràsa Daniel Barenboim (piano)
dir. Christian Thielemann convenance,sanstrops’attardersur EuroArts 2013118. 1999. 59’
C Major 744608, 2017. 56’ des équilibres précaires, chaque
tutti presque immanquablement Centenaire Debussy toujours, avec
Brucknérien assidu longtemps can- débordé par la sonorité flasque la réédition par EuroArts du docu-
tonnéauxderniersopus,Thielemann du tuba et attaqué avec paresse. mentaireauxcontoursestompésde
s’attaque enfin aux premières sym- Meilleur moment de cette Hui- PaulSmaczny(1999)autourduPre-
phonies pour les besoins de son tième, le mouvement lent au cours mierLivredesPréludesdontl’exécu-
intégrale vidéo. Après la Troisième duquel le chef britannique pose tionparDanielBarenboimestentre-
l’an passé, le voici à l’assaut de la un temps sa baguette et qui, bien lardéeenfondu-enchaînédecourtes
Symphonien°1(inéditeauDVD),don- qu’ici ou là légèrement amoindri lecturesdetextesdecontemporains
née dans la mouture dite « de Linz », par des violons qui n’ont pas le du compositeur ou du maître. Bien
maisélaboréeàVienneen1877.Mais rayonnement de ceux des Wiener plus qu’une analyse de ces courtes
pourquoi diable la « petite effron- ou des Berliner dans ce répertoire piècesaussiévocatricesquemysté-
tée », comme le compositeur aimait où les longues tenues vibrées sont rieuses, il s’agit ici d’une approche
à la surnommer, partition bouillon- légion, propose quelques belles globale sur l’esthétique debussyste
nanteettrèsactive,est-elleiciprivée plages d’introspection, des nuan- prenant appui sur le fameux cycle,
de sa toute première mesure? ces expressives et d’enviables soli. le plusjouédesdeux,leseuld’ailleurs
Mystère,quin’empêchepasd’assis- Il manque néanmoins la grande que Cortot accepta d’enregistrer.
ter à une impressionnante montée ligne à ce Bruckner cyclothymique, Satie, Dukas, l’éditeur Durand et
en tension après deux premiers grassouillet, à l’ossature molle, qui Debussy évoquent l’individualisme
mouvements cossus où le Berlinois semble décider du climat à adopter d’un art singulier, conscient et
cède parfois à son péché mignon au fil d’une humeur instable. même revendicateur de n’avoir rien
de l’amorti et du relâchement ryth- On trouvera nettement plus de inventé pour seulement emprunter
mique, malgré des cuivres qui matière à satisfaction dans les Cou- de nouveaux chemins sans cher-
grondent au sommet de l’Adagio. leurs de la Cité céleste de Messiaen cher une gloire suspecte.
Mais on n’a surtout pas le souvenir avec Pierre-Laurent Aimard, com- Le relatif conservatisme bourgeois
du chef allemand se démarquant plément de programme au demeu- du compositeur s’oppose ici à son
autant d’un tempo de tradition rant bien incongru. Y. M. progressisme musical dont Baren-
ailleurs que dans ce Scherzo très boim loue avant tout l’art de l’illu-
rapide,verticaletaiguisé,auxarchets sion sonore. Entrecoupé aussi de
accrochant puissamment la corde. courts extraits du Faune, de Nuages
LES NOTES Un sentiment qui se confirme tout et de la Sonate pour flûte, alto et
DE CLASSICA au long d’un Finale au tranchant harpe, cette petite heure musicale
comme Thielemann en a rarement est une invitation à un art raffiné
Coup de cœur
+++++
osé, sauf dans une dernière mesure dont le pianiste, sur un Steinway
Excellent aux accords allongés. un rien monochrome à la longue,
++++ Magistrale, la Staatskapelle de retranscrit plus ou moins bien
Bon Dresde, captée ici à la Philharmonie ce qu’il qualifiecomme laspécificité
+++ deMunich,demeurelamerveilleuse française absolue : le mélange à
Moyen phalangebrucknériennequ’elleétait priori antithétique d’imagination et
++ déjà pour Jochum dans les années de rigueur. Et de s’illustrer au mieux
Décevant 1970, et dont les sonorités de « vieil dans la première catégorie, avec
+
or » se fondent avec un naturel une Sérénade interrompue, une
Inutile
+ confondant dans l’univers du Maître DansedePucketdesMinstrelshauts
de Saint-Florian. Yannick Millon en couleur et en fantaisie. Y. M.

124 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


WOLFGANG AMADEUS GIUSEPPE
MOZART
(1756-1791)
VERDI
(1813-1901)
Lucio Silla La Force du destin
++ +++++
Kurt Streit (Lucio Silla), Patricia Nina Stemme (Leonora), Carlos
Petibon (Giunia), Silvia Tro Santafé Álvarez (Don Carlo), Salvatore
(Cecilio), Inga Kalna (Lucio Cinna), Licitra (Alvaro),Alastair Miles
María José Moreno (Celia), (le Marquis, Padre Guardiano),
Kenneth Tarver (Aufidio), Chœurs Nadia Krasteva (Preziosilla),
et Orchestre du Teatro Real Madrid, Tiziano Bracci (Melitone), Chœurs
dir. Ivor Bolton, mise en scène et Orchestre du Staatsoper
Claus Guth/Tine Buyse de Vienne, dir. Zubin Mehta,
BelAir BAC 450. 2017. 3 h mise en scène David Pountney
C Major 2 DVD 75. 2008. 2 h 41
UnSillaépuisé,uneGiuniasebattant
contre une voix devenue rétive, un GIUSEPPE Courez à cette réédition de la MARIA
chef agité mais sans vrai nerf, une
direction d’acteurs qui semble pla-
quée et non vécue: fallait-il publier
VERDI
(1813-1901)
Forza de 2008, c’est une fête pour
l’oreille. De chair, de ligne, d’aigus
flottants ou dardés, de style autant
CALLAS
Magic Moments
cettereprisemadrilènedelaproduc- Otello qued’investissement,NinaStemme of Music – Tosca, 1964
tiondeClausGuthcrééeàVienneen ++++ n’est que splendeur : son meilleur +
2005(avecHarnoncourt)quimontre Jonas Kaufmann (Otello), Verdiassurément.LeregrettéSalva- Film de Holger Preusse
ici,fauted’incarnations,sesressorts Maria Agresta (Desdemona), Marco toreLicitraalacouleurbarytonnante Interviews d’Antonio Pappano,
plusquesongéniepropre?Sielleest Vratogna (Iago), Frédéric Antoun qui convient au sombre Alvaro, qu’il Rolando Villazón, Rufus Wainwright,
sombre comme celle de Chéreau, (Cassio), Chœurs et Orchestre rend tout en legato, sans jamais Kristine Opolais,Thomas Hampson…
enfermée dans une tournette de du Covent Garden de Londres, forcer : superbe, malgré quelques En bonus, Puccini: IIe acte
béton et de carrelage sale, qui évo- dir.Antonio Pappano, mise libertés. Face à lui, Carlos Álvarez de Tosca
que Brazil plus que la Rome républi- en scène Keith Warner est un Carlo impérieux, timbre racé, C Major 745008 37802. 2018. 1 h 37
caine,ellemanquesurtoutàsusciter Sony 88985491969. 2017. 2 h 30 + 10’ évidenceduton,expressionparfaite (52’ : documentaire + 45’ : Tosca)
l’émotion. Ivor Bolton n’arrange rien de son obstination. Trio historique! Voici une parution absolument inu-
avec un orchestre ici plat, là sans C’étaitlaprisederôlede2017.Après Si l’italianità et la beauté du grave tile qui n’intéressera que les collec-
six mois d’arrêt et un retour prudent manquentunpeuàMiles,Bracciala tionneurs invétérés tenant à acqué-
àlascène,JonasKaufmannselivrait trogne,etKrastevalerentre-dedans rir le moindre document relatif à
enfin à Otello. Il en a le génie de la qui conviennent, sans qu’aucun soit Maria Callas. Or, ces derniers pos-
déchirure, l’ombre parfaite du tim- aussi marquant que le trio de tête. sèdent déjà depuis longtemps le
bre,maispasl’histrionismevocal.Ne Zubin Mehta domine le propos d’un légendaire IIe acte de Tosca filmé à
cherchant jamais à rivaliser avec les geste ample, qui trouve peu à peu CoventGardenen1964etn’appren-
défoncesd’unDelMonaco,d’unVic- l’engagementviscéralattendu,avec drontstrictementrienenvisionnant
kers,d’unDomingo,ilnes’ybrûlepas la séduction, sinon la pure émotion. le « documentaire » de Holger
encore,àraisonplutôtqu’àtort.Son C’est aussi qu’il a Vienne (chœurs Preusse. Il est en effet bien pré-
Maure, c’est plutôt celui de « Dio! mi et fosse) en majesté. Et l’œil alors? somptueux d’appeler ainsi un film
potevi », génial d’introspection, La production de David Pountney a où des interviews ridiculement
ouvrant enfin la dimension des ver- sesridicules(leballetcow-boyCrazy brèves et superficielles viennent
tiges, qui ne s’accomplit dans le Horse de l’acte II) qu’on oublie face entrecouper de très larges extraits
grand ensemble du III que par un à sa simple efficacité : le couvent de l’opéra de Puccini, dont tout
rendu plus intime encore du jeu, du – bien peu catholique –, l’acte III, le IIe acte est par ailleurs donné
ton,d’undésespoirplussensibleque malgré les tripatouillages, le finale, en « bonus ».
d’un délire trop théâtral. Le person- aussi nus que tenus, lâchent la Onresteconfondudevantlavacuité
nageresteàmagnifier,l’assuranceà bride au chant et à la vérité des générale du propos, qui alterne
éclat, trop à la traîne d’une battue affermir,quipermettrontlepetitrien interprètes. Tant mieux! P. F. entre lieux communs les plus écu-
vide de sentiment et d’expression. d’effet qui sera alors magistral. Res- lés sur l’art de la cantatrice et bana-
Pour la voix éteinte de Kurt Streit, tera aussi à trouver un environne- lités rebattues sur ses problèmes
l’énergiesauveseuleuntyranalcoo- ment plus inspirant qu’ici. de poids, les affres de sa relation
lique et vicieux, miracle qui ne se Le Cassio de classe d’Antoun, avec Onassis ou le caractère tra-
reproduit pas pour la Giunia de l’imposant Lodovico d’In Sung Sim, gique de son destin. Seuls Antonio
Patricia Petibon. Inga Kalna reste l’orchestre somptueux de Pappano Pappano et Thomas Hampson
un Cinna de bon ton, María José n’yferontrien,lascèneresteglacée. semblent vouloir développer quel-
Moreno est une fraîche Celia, Ken- C’est que la production de Keith ques idées intéressantes, mais
neth Tarver insupporte. C’est Silvia Warner, banale, sans dimension, le réalisateur s’empresse d’inter-
Tro Santafé qui domine la soirée, ici noire, là blanche, n’inspire pas rompre ce qui pourrait vaguement
entre chair vocale superbe, chant lesacteurs,àcommencerparleIago s’apparenter à l’ébauche d’une
stylé et présence crédible, sinon monolithique de Vratogna et la Des- véritable réflexion. Enfin, par leur
fascinante. On ira, en attendant demona peu investie d’Agresta, côté insupportablement poseur,
un absolu, à la version Minkowski qu’on aimerait plus parfaite de son Rufus Wainwright et Wolfgang Joop
de Milan (Classica n°199), irregar- avantleseulacte IV.SeulKaufmann, achèvent de discréditer un DVD
dable certes, mais autrement réus- se battant pour conquérir le rôle, manifestement bâclé.
sie sur le plan musical. Pierre Flinois vous happera. P. F. Louis Bilodeau

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 125


LE JAZZ
DE JEAN-PIERRE JACKSON

SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ


Le Quatuor Turtle Island qui ressuscite l’esprit de Charlie Parker, Michel Legrand réinventé
par Erik Berchot, Willie Smith et Jo Jones réenchantant les standards… Rêver éveillé.

A
vec plus d’une eux, aux grands Russes: Rach- Trois des plus belles compo- (Michel Legrand by Erik Berchot.
vingtaine de maninov (Six Moments musi- sitions de Michel Legrand, Hexogen.UVMDistribution.+++)
disques à son caux, Prélude op. 23 n°1), Stra- Les Parapluies de Cherbourg, On se laissera enfin entraîner
actif, le Turtle vinsky (Tango) et, surtout, Les Moulins de mon cœur et par deux monstres sacrés du
Island Quartet Moussorgski (Tableaux d’une Yentl, sont sollicitées en piano jazz, le légendaire pianiste Wil-
n’acesséd’inno- exposition). Si les pièces brèves solo par Erik Berchot, qui lie « The Lion » Smith, roi du
ver et de surprendre par les font l’objet d’un traitement raf- n’hésite pas à insérer quelques style stride, et le grand batteur
arrangements sophistiqués et finé et intimiste, la Baba Yaga passages en re-recording. Si Jo Jones qui dialoguèrent en
la liberté de ton qu’il met et, surtout, La Grande Porte de l’élégance et la beauté diaphane 1972,revisitant pour notre plus
constamment en œuvre.Après Kiev manquent évidemment de des mélodies sont mises en grand bonheur des standards
un hommage à John Coltrane l’ampleur nécessaire. Le défi, valeur, les improvisations par- qu’ils maîtrisent jusqu’au bout
en 2007, il consacre ce nouvel tout à fait intéressant,n’est qu’à fois marquées d’emphase des doigts et des baguettes. (Wil-
opus à l’esprit de Charlie Parker demi remporté. (MicheleCampa- contredisent momentanément lie « The Lion » Smith/Jo « The
davantage qu’à la lettre : une nella et Javier Girotto, Vers la la grâce d’un projet où domi- Tiger »Jones,TheLionandtheTiger.
seule composition du génial grande porte de Kiev. CamJazz nent une concentration et une Frémeaux 5678, Socadisc.
altiste (Dewey Square). Mais 7933-2, Harmonia Mundi.+++) inventivité de belle venue. ++++)
l’aspect le moins connu de Par-
ker, qui rêvait de voir Edgar
Varèse composer pour lui et
passa à NewYork quelques soirs LA DISCOTHÈQUE IDÉALE 90
sous ses fenêtres, est ici magis-
tralement évoqué. Loin des Peter Beets
formes classiques héritées de
Haydn, Mozart, Beethoven et Chopin Meets the Blues – Live
Schubert ou même des formi- Un disque Challenge paru en 2015.
dables créations de Bartók,Mil- Le nom du pianiste néerlandais est scandaleusement
haud ou Chostakovitch, les ignoré en France : c’est pourtant un musicien époustouflant
quatre musiciens renouvellent dont l’œuvre mérite notre attention enthousiaste.
à chaque instant les possibilités
presque infinies de cette for- Interpréter Chopin en trio avec contrebasse et batterie
mule orchestrale. La suite en au Concertgebouw d’Amsterdam représente un challenge inouï.
quatre mouvements qui ouvre Trois Nocturnes, deux Préludes et une Mazurka constituent
l’album, Harmonies of Imper- le répertoire. Si la cinquantaine disponible des interprètes a souvent donné du Nocturne en fa mineur
manence, constitue à cet égard opus 55 n°1 une version éthérée et délicate (Arrau, Moravec, Claire Huangci, Rubinstein, Garrick
une magistrale miniature sans Ohlsson), Guiomar Novaes et Samson François l’ont fait balancer. Peter Beets en fait, lui, un feu
équivalent. Y souffle l’esprit de d’artifice. Improvisant sur l’enchaînement harmonique qui le sous-tend, sa prodigieuse dextérité,
Charlie Parker, que l’on com- son swing ravageur, son engagement total et l’incessant renouvellement du phrasé, la rigueur
para souvent à un bouddha. magistrale de ses accompagnateurs, le bassiste Marius Beets et le remarquable batteur Martijn Vink,
(TurtleIslandQuartet,Bird’sEyeView. font de l’interprétation de ce Nocturne en particulier un moment inoubliable auquel le public averti
Azica ACD71318, Naxos. CHOC) de ce temple de la musique classique fait un triomphe et une ovation. Il s’agit là d’un accomplissement
Michele Campanella au piano dont seuls peuvent s’approcher Bill Charlap et Cyrus Chestnut. Par ailleurs, la vidéo du concert
et Javier Girotto aux saxo- regardée au bon volume (https://www.youtube.com/watch?v=4FE13TyNygk) permet de le revivre
phones, s’attaquent, quant à et de s’enthousiasmer une fois encore. X

126 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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AVEC FIL, ET D’UN PRIX ACCESSIBLE. SI LA PRÉSENTATION VARIE ASSEZ PEU,
LA QUALITÉ DE L’ÉCOUTE PERMETTRA DE FAIRE LA DIFFÉRENCE.

Prix: 149 u
AUDIO-TECHNICA ATH-LS70IS
Impédance: 24 Ohms Ces écouteurs temps, mais devient rapide- haut de gamme. Avouons-le,
Longueur du câble: 1,20 m se distinguent ment une habitude. La mar- aucun modèle ne semble abso-
Origine: Japon par leur mode que propose un simple étui de lument parfait et équilibré,
Distribution: Audio-Technica de restitution transport en matière souple. l’un favorisant plutôt la clarté
SAS sonore, non à et donc les aigus, l’autre la ron-
Tél.: 0143728282 une seule membrane, mais à Écoute deur et donc le médium-grave.
deux, de 8,8 mm de diamètre, Ces quelques efforts et cette L’Audio-Technica ATH-
Pour: l’équilibre entre l’une derrière l’autre, recou- manipulation, parfois hasar- LS70iS réussit avec une aisance
précision et plénitude, vertes de carbone. La princi- deuse, se font vite oublier et, insolente le grand écart et
timbres très justes pale est ainsi secondée par surtout, sont récompensés par gagne sur tous les tableaux.
Contre: rien un autre transducteur réservé une qualité d’écoute vraiment Non seulement il présente une
aux basses fréquences. sonorité aérée, détaillée, qui
Timbres: ++++ Le corps principal uti- permet de facilement dis-
Transparence: ++++ lise un matériau com- tinguer les prises de son,
Restitution spatiale: ++++ posite (ABS), choisi mais il parvient à cette
Finition: ++++ pour son inertie, qui clarté sans jamais aveu-
Rapport qualité/prix: +++ neutralise les résonances gler par une lumière trop
et autres parasites indé- crue et fatigante.Si le contour
sirables. Le canal qui des instruments se dessine
conduit le son vers le tym- sans peine, leur timbre est
pan est un tube à base également respecté avec un
d’acier et de résine. La conne- goût parfait : pas de piano
xion s’effectue via un câble métallique ni de violon
détachable, équipé d’une télé- strident. L’orchestre conserve
commande et d’un micro. une belle lisibilité dans les tutti
Ledit câble doit passer der- et les cordes graves.Sans oublier
rière l’oreille, ce qui demande les voix, superbes, toujours
un peu d’exercice les premiers articulées avec soin. X

128 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Prix: 120 u
FOCAL SPARK
Impédance: 16 Ohms Dans une cel-
Longueur du câble: 1,20 m CLASSICA
lule cylindrique
Origine: États-Unis HI-FI
THINKSOUND MS02 Distribution: PPL
en aluminium
se range une
Comme le cas- couleur sable qui se glisse dans Tél.: 04 50 17 00 49 membrane en matériau de
que On2 pré- un boîtier peu encombrant synthèse de 9,5 mm de dia-
senté dans Clas- en aluminium (9 x 6 cm), pré- Pour: un peu coloré mètre. L’ensemble est doté
sica n°203, les servant l’ensemble des chocs dans le bas-médium… d’un câble plat et d’une télé-
écouteurs ms02 adoptent une lors des transports. Le fabri- Contre: … mais diablement commande. Un petit étui
ligne sobre et utilisent le bois. cant américain y ajoute quatre séduisant semi-rigide, quasi carré, est
Dans ces coques joliment usi- paires d’embouts en silicone livré d’origine. Le modèle
nées logent des membranes de et une petite pince pour fixer Timbres: ++++ existe en noir, blanc ou bleu.
8 mm de diamètre. La le câble sur un Transparence: +++
présentation se veut vêtement. Restitution spatiale: +++ Écoute
volontairement sim- Finition: ++++ Le Focal Spark réussit un assez
ple. Les écouteurs Écoute Rapport qualité/prix: ++++ bon équilibre entre clarté et
se rangent ainsi On ignore si douceur.On peut certes consta-
dans un sachet cela relève de ter un léger manque de trans-
en tissu de la volonté des plus neutres de ce panorama parence dans le bas-médium
ingénieurs de (légère coquetterie dans le (orchestre), mais les voix n’ont
Thinksound bas-médium),mais ils figurent rien d’épais, ni de visqueux
ou dépend de sans conteste parmi les plus (bonne articulation).On appré-
l’utilisation savoureux et les plus char- cie également une belle lisibi-
du bois ; tou- meurs. On ne peut résister à lité et l’absence de stridence
jours est-il que la suavité des voix, au grain dans l’aigu (triangle, glockens-
ces écouteurs évo- des cordes, à la richesse har- piel et piano). X
quent furieusement monique du pianoforte. Cette
le casque de la mêmemai- écoute jamais agressive, volup-
son. Ils ne sont sans doute tueuse, nuancée, fera de nom-
pas les plus objectifs, ni les breux adeptes. X

FOSTEX TE05
Le TE05 est le dans un cylindre d’aluminium Prix: 99 u
premier modèle relié à un câble en cuivre sans Impédance: 16 Ohms
haut de gamme oxygène (OFC), qui a la par- Longueur du câble: 1,20 m
d’écouteurs ticularité d’être détachable, Origine: Japon
intra-auriculaires de la marque donc facile à remplacer en cas Distribution: Hamy Sound
japonaise dont la qualité des d’usure ou de rupture.Ce câble Tél.: 01 47 88 47 02
casques est désormais connue est par ailleurs équipé d’un
des lecteurs de Classica qui lui commutateur de contrôle Pour: une écoute détaillée
ont vu aligner de nombreux pour smartphone ou lecteur et vive, sans agressivité
CHOC. Les membranes de MP3. Le TE05 dispose de Contre: léger manque de Prix: 69 u
8 mmdediamètresontinstallées quatre tailles d’embouts, plénitude dans le médium Impédance: 16 Ohms
de façon à s’adapter à toutes Longueur du câble: 1,20 m
les morphologies. Timbres: +++ Origine: France
Transparence: +++ Distribution: Focal
Écoute Restitution spatiale: ++++ Tél.: 04 77 43 57 00
Conformément à son esthé- Finition: ++++
tique sonore, Fostex propose Rapport qualité/prix: ++++ Pour: bon équilibre général
un modèle qui se garde bien Contre: léger manque
de verser dans des effets spec- de transparence dans
taculaires ou une coloration le médium
aguicheuse. On pourra bien il permet de percevoir de très
au contraire le juger un peu nombreux détails, de s’instal- Timbres: +++
austère. Il est vrai que le ler dans l’espace tridimension- Transparence: +++
registre central pourrait se nel d’une salle de concert ou Restitution spatiale: +++
montrer un peu plus généreux encore de goûter les nuances Finition: ++++
et un peu plus voluptueux sur du pianiste sans aucune lumi- Rapport qualité/prix: ++++
les voix et les cordes. Cela dit, nosité artificielle. X

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 129


LA HI-FI SENNHEISER
MOMENTUM
IN-EAR
Prix: 99 u CLASSICA La gamme
Impédance: 16 Ohms Momentum de
HI-FI
Longueur du câble: 1,20 m Sennheiser
Origine: Japon comprend un
coques asso- Distribution: Denon France casque et des écouteurs sans fil.
ciant l’alumi- Tél.: 01 41 38 32 40 Les écouteurs In-Ear se com-
nium moulé sous posent de deux coques d’acier
pression et la résine. Le Pour: beaucoup de détails soigneusement usinées que
modèle est livré avec une pince et de finesse sans la moindre prolonge un câble plat qui évite
et quatre paires d’embouts. agressivité les nœuds, sur lequel se greffe
Il existe en noir ou en blanc. une télécommande. Le boîtier
DENON Contre: registres médium
et grave trop en retrait de rangement,de forme carrée,
AH-C621R Écoute intègre un système d’enrouleur
Très aérée mais sans aucune Timbres: +++ très bien pensé.
Dans un sobre dureté, la restitution musicale Transparence: ++++
CLASSICA
emballage en duDenondévoiledenombreux Restitution spatiale: ++++ Écoute
HI-FI
carton et sur un détails.On entend beaucoup de Finition: +++ Comme d’habitude, la firme
lit de mousse nuances,le souffle d’un flûtiste, Rapport qualité/prix: +++ allemande bannit toute agressi-
synthétique est déposé un le jeu de pédale du pianiste. vité et garantit ainsi des écoutes
épais disque en caoutchouc Quant à l’orchestre, il laisse prolongéessansfatigue.Lechant
extrudé qui permet de fixer entendre ses différents pupitres du violoncelle se montre très
les écouteurs et d’enrouler le et l’acoustique de la salle dans le médium, comme si les vio- séduisant et la sonorité du qua-
câble. Le AH-C621R emploie laquelle il évolue. On regrette lons étaient privés de table tuor à cordes très confortable.
un transducteur de 11,5 mm malheureusement un manque d’harmonie pour assurer la Aucune dureté métallique
de diamètre installé dans des manifeste de plénitude dans résonance du son. X dans l’aigu (clavecin),mais bas-
médium un peu rond. X

Prix: 149,90 u BOWERS & WILKINS C5 S2


Impédance: 32 Ohms Fort de sa répu- paires d’embouts de tailles dif-
CLASSICA
Longueur du câble: 1,20 m tation interna- férentes.La restitution musicale
Origine: Royaume-Uni HI-FI
tionale, le fabri- s’effectue par une membrane
Distribution: B&W Group cantbritannique de 0,92 cm de diamètre logée
France s’offre un emballage de grandes dans une capsule en tungstène.
Tél.: 04 37 46 15 00 dimensions (21 cm de hauteur Un système d’arceau souple
et 11 cm de largeur). Cela per- assure un parfait maintien des
Pour: beaucoup de détails, met de présenter de façon très écouteurs.
de l’énergie élégante les écouteurs,les câbles Prix: 99 u
Contre : aigu un peu saillant joliment alignés par un jeu de Écoute Impédance: 18 Ohms
guides sur un support en plas- Fidèle au credo sonore de Longueur du câble: 1,30 m
Timbres: +++ tique. En plus du C5 S2, déjà Bowers & Wilkins, le C5 S2 Origine: Allemagne
Transparence: ++++ muni d’embouts, le carton affiche une restitution musi- Distribution: Sennheiser
Restitution spatiale: ++++ enferme une housse de trans- cale définie sur tout le spectre, France
Finition: ++++ port noire, en forme de demi- finement détaillée. On ne peut Tél.: 01 49 87 03 00
Rapport qualité/prix: +++ lune et matelassée, façon haute cependant pas taire une évi-
couture, qui contient trois dente proéminence de l’aigu. Pour: une sonorité
Celle-ci permet évidemment chantante, sans la moindre
de disposer d’une large image acidité
stéréophonique, très piquée Contre: bas-médium
et bien organisée. Malheureu- un peu rond
sement, en contrepartie,
le médium manque un peu Timbres: +++
de densité, comme en témoi- Transparence: +++
gne le piano ou le quatuor à Restitution spatiale: +++
cordes. En revanche, les basses Finition: ++++
restent bien tenues, fermes et Rapport qualité/prix: +++
vigoureuses. X

130 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Le tweeter dôme “Carbone” offre un
niveau de précision inégalé.

Le tweeter “Solid Body” a été conçu


pour obtenir une clarté ultime, sans
résonance.

Le cône “ContinuumTM” basé


RTQ TMD kDWHAHKHSġ BNMSQNKġD DS
optimisée offre une transparence
DS CDRCġS@HKRDWBDOSHNMMDKR

Le chassis en aluminium optimisé


découplé “FSTTM” permet de limiter
@TL@WHLTLKDRQġRNM@MBDR

La membrane “AerofoilTM”
apporte une meilleure précision
dans les basses fréquences.

La nouvelle série 700


Née de la série CM hautement récompensée à travers le monde, la
nouvelle série 700 est la meilleure gamme d’enceintes jamais créée
par Bowers & Wilkins dans cette catégorie. Inspirée de la série 800
Diamond, la série 700 intègre des technologies révolutionnaires pour
CDR ODQENQL@MBDR @BNTRSHPTDR DWBDOSHNMMDKKDR $MjM KDTQ CDRHFM
LNCDQMD @TW KHFMDR ġOTQġDR BNMUHDMCQ@ O@QE@HSDLDMS Đ UNSQD HMSġQHDTQ
La nouvelle série 700 vous apporte le son studio, chez vous. www.bowers-wilkins.fr

Pour tous renseignements, veuillez contacter Bowers & Wilkins - 04 37 46 15 00 - Info-fr@bowerswilkins.com


LA HI-FI I NOUVEAUTÉS

L’utopie sonore selon Focal


D
epuis plus de vingt ans, (Neutral Inductance Circuit)
Focal a confié à Uto- permet en outre de maîtriser Prix Grande Utopia EM Evo :
pia, sa gamme de pres- le champ magnétique dans 90000 u (l’unité)
tige, la folle mission d’appro- lequel évoluent les membranes Prix Stella Utopia EM Evo :
cher la perfection. Aussi des haut-parleurs et d’assurer 50000 u (l’unité)
profite-t-elle régulièrement une image la plus précise Prix Maestro Utopia Evo :
des innovations technolo- 26000 u (l’unité)
giques pour mettre à jour son
équipage et améliorer ses
Prix Scala Utopia Evo :
16000 u (l’unité) Sensa
chances. Le haut-parleur de
médium est ainsi équipé
d’une suspension appelée
Origine: France
Distribution: Focal
Tél.: 04 77 43 57 00
et sans fil
L
TMD (Tuned Mass Damper), a marque française
inspirée des techniques anti- Triangle présente
sismiques développées pour possible ainsi qu’une large deux nouveaux modèles
les gratte-ciel qui recourent à échelle dynamique. d’enceinte connectée, les Sensa
un pendule pour diminuer L’ébénisterie des enceintes a SN01A et SN03A. Toutes deux
l’oscillation indésirable. par ailleurs été renforcée avec disposent d’un récepteur
Deux bourrelets circulaires l’ajout de pièces en aluminium Bluetooth apt-X permettant
moulés dans la masse de la massif placées à l’arrière du d’y connecter un smartphone,
suspension remplissent alors baffle frontal et la qualité des une tablette ou un ordinateur.
cet office. Ils sont censés linéa- composants du filtre encore S’y ajoutent un préamplificateur
riser la courbe de réponse améliorée. La nouvelle série phono, de façon à pouvoir
entre 1 et 4 kHz, tout en rédui- Utopia III se présente désor- brancher directement
sant très fortement la distor- mais dans de nouvelles fini- une platine tourne-disque,
sion dans cette zone, et garan- tions, d’origine automobile : une entrée optique pour
tir une restitution la plus Metallic Blue,Ash Grey, British un téléviseur, un ordinateur
objective possible du registre Racing Green,Black Lacquer et ou un lecteur, une prise jack
central. La technologie NIC Carrara White. X de 3,5 mm et une RCA pour
une entrée analogique.
Une sortie RCA permet d’y
adjoindre un caisson de grave

Hymne à la musique ou de mettre en série plusieurs


paires d’enceintes en simultané.
Les deux enceintes, équipées

U
n amplificateur inté- et à la salle d’écoute grâce à un ajoutant même six courbes de d’un tweeter à dôme soie
gré, un préamplifica- système de mesures.Un micro- correction. Ils sont également de 2,5 cm, se distinguent
teur et un amplifica- phone, fourni, connecté à un dotés d’un convertisseur par leur puissance: 2 x 40 W
teur de puissance : Anthem ordinateur, une tablette ou un capable de traiter des signaux pour la SN01A et 2 x 50 W
propose trois nouveautés bap- smartphone, permet d’obtenir en haute résolution jusqu’à pour la SN03A. Par ailleurs,
tisées STR. Les deux premiers ces données précieuses. 32 bits/384 kHz en PCM et la première fonctionne avec un
appareils disposent de la tech- Ces deux mêmes modèles pré- 5,6 MHz en DSD, et alignent haut-parleur de médium-grave
nologie ARC (Anthem Room sentent aussi une double entrée des entrées optiques, coaxiales, de 10 cm et la seconde
Correction) issue de l’expé- phono pour aimant et bobine XLR et USB audio pour ordi- avec un de 13 cm. Leur prix
rience du constructeur cana- mobiles, le préamplificateur nateur. Les deux amplifica- serré les met en compétition
dien, basé non loin de Toronto, teurs, organisés autour de avec de simples enceintes
en Ontario,dans le domaine de puissants transformateurs Bluetooth. X
l’audio-vidéo.Comme on peut toroïdaux, développent des
l’imaginer, cela donne la pos- puissances de 2 x 200 W (ampli Prix SN01A: 349 u la paire
sibilité d’adapter au mieux intégré) et de 2 x 400 W (ampli Prix SN03A: 399 u la paire
l’amplificateur aux enceintes de puissance). X Finition: blanche ou noire
Origine: France
Prix amplificateur intégré: 5490 u • Prix préamplificateur: 3990 u • Prix amplificateur Distribution: Triangle
de puissance: 5 990 u • Origine: Canada • Distribution: Hamy Sound • Tél.: 01 47 88 47 02 Tél.: 03 23 75 38 20

132 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


Ampli à prix d’ami LE TEST ENCEINTE
ACOUSTIQUE

T
andis que la plupart des
constructeurs laissent
les prix de leurs appa-
Prix: 2450 u
Finition: noire ou argentée
ACOUSTIC ENERGY 309

A
reils dériver, persuadés que Origine: Japon coustic Energy conserve ainsi son volume
le mélomane est prêt à dépen- Distribution: Pioneer-Onkyo vient de renouve- et son timbre naturels.
ser sans compter pour assouvir Europe ler sa série 300 Cette justesse chro-
son besoin de musique,Pioneer Tél.: 01 84 88 47 12 qui compte quatre matique s’inscrit dans
a l’heureuse idée de proposer modèles. La 309 utilise un large cadre stéréo-
un amplificateur intégré fort deux haut-parleurs de la der- phonique, bâti sur les trois
bien conçu, répondant aux directement à la partie amplifi- nière génération du construc- dimensions,révélateur infaillible
demandes du marché et abor- cationdepuissancedel’A-40AE. teur britannique, dotés de des acoustiques de salles. Et
dable. L’A-40AE aligne cinq Le circuit d’amplification est membrane en céramique et jamais la tension ne faillit grâce
entrées analogiques, dont une en classe D, ce qui signifie que en aluminium. Elle y adjoint un à une échelle dynamique très
pour platine tourne-disque le modèle chauffe peu et accuse tweeter en aluminium,spéciale- large et à une belle réserve de
(cellule à aimant mobile), et une perte d’énergie minime, ment développé pour cette nou- puissance. Acoustic Energy :
deux numériques, une optique bien qu’il puisse alimenter deux velle gamme, capable de sup- promesse tenue. X
et une coaxiale (24 bits/ paires d’enceintes. La façade porter de fortes puissances
192 kHz) qui pourront par avant en alliage d’aluminium et et conçu pour faire rayonner les
exemple accueillir la sortie le châssis renforcé, susceptible fréquences aiguës grâce à un
audio d’un téléviseur. de limiter les vibrations et les guide d’ondes. Cet équipement
Cemodèleestéquipédecontrô- interférences entre les sections loge dans un coffrage en MDF
les de tonalité et de balance qu’il préamplificateur et amplifica- de haute densité de 18 mm
est possible de neutraliser teur, participent à une concep- d’épaisseur,de façon à augmen-
(touche Direct), mais aussi de tion soignée. X ter l’inertie de l’enceinte et à
la fonction Power réduire les colorations indési-
Amp Direct qui rables. La base de cette colonne
court-circuite la est lestée (22 kg pièce) afin d’en
gestion du volume assurer une meilleure stabilité
et permet d’accéder et,à nouveau,de la rendre la plus
neutre possible. Elle repose sur
un jeu de pointes métalliques.
Prix: 1490 u la paire
JOHANN SEBASTIAN BACH Écoute
PRISE DE SON
DU MOIS

Rendement: 89 dB
Sonates pour violon et clavier BWV 1014 à 1019 Les différentes propositions Nombre de voies: 2,5
Nicolas Dautricourt (violon), Juho Pohjonen (piano) techniques mises en œuvre Bi-câblage: non
La Dolce Volta LDV 63.7 (2 CD) prouvent leur efficacité.Les pre- Dimensions (H × L× P):
mières qualités que révèle la

N
90 ×17,5 × 28 cm
icolasDautricourt,avecsonStra- 309 sont en effet la clarté, Poids: 22 kg
divarius de 1713 « Château l’objectivité, la célérité ; comme Finition: laque noire
Fombrauge »,etJuhoPohjonen, si les enceintes étaient en prise ou blanche, noyer
avec son Steinway D, ont pris directe avec les musiciens. Origine: Royaume-Uni
place dans la Salle philharmonique Le staccato du piano, les atta- Distribution: JFF Difusion
de Liège. De conception à l’italienne ques des sautereaux du clavecin, Tél.: 0952572360
et édifiée à la fin du XIXe siècle, elle doit le roulement des timbales se
sa réputation à son acoustique à la fois perçoivent alors avec une saisis- Pour: de la vigueur,
généreuse et précise. C’est ainsi que sante véracité,sans pourtant se des détails, une large
nous la présente Manuel Mohino qui y réduire à de secs mouvements palette de couleurs
a diligemment posé ses micros. Ils permettent de capter le jeu délicat mécaniques. Sur cette géomé- Contre : rien
du violoniste, archet ailé et main gauche funambulesque, comme celui trie précise s’accroche en efet
du pianiste, fluide et lyrique. L’équilibre entre les deux instruments, une large palette de couleurs Timbres: ++++
on le sait, n’est pas facile à trouver, le plus lourd pouvant facilement toujours dosées avec soin. Le Transparence: ++++
masquer le plus léger. Les artistes y sont pourtant parvenus grâce à violoncelle dispose d’une solide Restitution spatiale:++++
une écoute réciproque. La prise de son restitue ce prodige, installant base harmonique,mais il ne sau- Finition: ++++
l’auditeur à proximité des musiciens, pour ne pas perdre la moindre rait être confondu avec une Rapport qualité/prix: ++++
nuance, dans un environnement chaleureux où il fait bon rester. X contrebasse : chaque instrument

CLASSICA / Juillet-Août 2018 Q 133


LA HI-FI I NOUVEAUTÉS

Armoire à glace Rêve


californien
O
n compte 80 kg pour fréquences. À l’intérieur,
1,70 m. Ce ne sont pas une ligne acoustique dite ATL

N
les mensurations de (Advanced Transmission uPrime présente
Peter Thomas, fondateur en Line) guide les ondes générées un amplificateur
1991 de PMC (Professional par les mouvements des haut- de puissance
Monitor Company), mais de parleurs vers l’évent selon un monophonique aux
la dernière création de l’entre- parcours censé en éliminer performances uniques,
prise anglaise, la PMC Fact les effets indésirables.Les flancs l’Evolution One. Certes,
Fenestria. Ce modèle impo- de l’enceinte ont également il ne laisse rien apparaître
sant se constitue de deux cais- un rôle important dans la sous son sobre capot
sons de grave indépendants et chasse aux vibrations. métallique n’était, à l’arrière,
symétriques, superposés l’un À la jonction des deux struc- une double entrée RCA et XLR.
sur l’autre et équipés chacun de tures de basses se fixe un épais À l’intérieur, une alimentation
deux haut-parleurs de 16,5 cm panneau en aluminium qui en classe D voisine avec une
de diamètre à membrane en accueille le tweeter et le haut- impressionnante batterie
fibre de carbone. En haut et parleur de médium de 7,5 cm de condensateurs. Cet appareil
en bas de l’enceinte se remar- de diamètre, tous deux à a été conçu, de par sa vitesse
que un évent frontal au profil dôme. La connexion s’effectue de commutation de 700 MHz
étudié pour neutraliser les par un bornier en cuivre pur et son impédance d’entrée
éventuels parasites engendrés plaqué de rhodium. Une de 1 MOhms, pour faciliter
par les mouvements des haut- écoute est impatiemment la connexion avec
parleurs et affermir les basses attendue. X le préamplificateur, diminuer
la distorsion harmonique et
Prix: 54000 u la paire • Rendement: 86 dB • Dimensions (H x L x P): 170 x 37 x 62,3 cm assurer un son à la fois précis,
Poids: 80 kg • Finition: noyer, ébène, graphite ou blanche • Origine: Royaume-Uni généreusement distribué
Distribution: DEA International • Tél.: 0155091835 dans l’espace et plus
chaleureux que la plupart
des amplificateurs de classe D.
Puisqu’il est monophonique,
ce modèle doit fonctionner

Croqueuse de diamants par paire pour garantir


une restitution musicale
stéréophonique. La société

D
ix-huit mois. C’est le Le corps de ce modèle à déjà utilisé dans la cellule MC californienne annonce un
temps qui a été néces- bobine mobile est en titane, Anna (hommage à la soprano préamplificateur spécialement
saire pour mettre au façonné selon une découpe russe Anna Netrebko), est conçu pour l’Evolution One.
point la cellule MC Century, au laser qui minimise les réso- censé s’approcher au plus près À suivre, donc. X
comme l’explique Christen H. nances internes, ennemies des burins employés pour la
Nielsen, le directeur général jurées de la haute-fidélité. gravure des disques et assure
d’Ortofon. À l’occasion de Il enferme une structure ainsi une surface de contact
son centenaire, la firme magnétique à base d’alliage optimale, gage d’une restitu-
danoise a en effet voulu pré- de fer et de cobalt. Le dia- tion la plus précise et la plus
senter un modèle très haut de mant, appelé Replicant 100, détaillée possible des nuances,
gamme en série très limitée : des couleurs et des espaces de
ne seront fabriqués que cent la musique. Il repose sur un Prix: 3999 u
exemplaires pour la commu- levier porte-pointe (cantilever Puissance: 1 x 240 W
nauté internationale des pas- en anglais), lui-même en dia- Dimensions (L x H x P):
sionnés de disques vinyle. mant. L’ensemble loge dans 43 x 5,7 x 37,5 cm
une structure en matériau Poids: 7 kg
Prix: 10000 u synthétique choisi pour son Finition: noire ou argentée
Origine: Danemark pouvoir amortissant. Avec un Origine: États-Unis
Distribution: Audio tel appareillage, il ne fait aucun Distribution: Next-Audio
Marketing Services doute que les disques micro- Contact: next.audio@
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134 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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136 Q CLASSICA / Juillet - Août 2018


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LES CD DE A À Z
ADAMS, JOHN : VIOLIN CONCERTOS - CONCERTO POUR VIOLON
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BACH, JEAN-SÉBASTIEN : 6 SONATAS FOR VIOLIN & PIANO BWV 1014
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BEETHOVEN, LUDWIG VAN : BEETHOVEN SYMPHONIES 4 & 5 1046058A p. 99 1 9, 3 3 € U
CHOSTAKOVITCH, DIMITRI : CHOSTAKOVITCH : SYMPHONIE N° 7. MASUR. 1051845A p. 100 1 8 ,4 7 € U
CASTELNUOVO-TEDESCO, MARIO : OEUVRES POUR PIANO 1035202A p. 100 25,86 € U SERVICE CLIENT
BRUCKNER, ANTON : BRUCKNER, SYMPHONY N°7 1053617A p. 100 24,23 € U
CZERNY, CARL : SYMPHONIES NO. 2 & 6 1050115A p. 100 2 7, 7 1 € U du lundi au vendredi de 10 h à 17 h au 01 48 59 07 32
DUSSEK, JAN : JAN LADISLAV DUSSEK : INTÉGRALE DES SONATES… 1051826A p. 102 1 2 ,0 2 € U SAV et COMMANDE : commandes@classicavpc.fr
DEBUSSY, CLAUDE : DIALOGUE DE L'EAU ET DE L'AIR 1056135A p. 102 24,64 € U
BEECHAM, SIR THOMAS : ECCE SACERDOS MAGNUS 10 524 8 2A p. 102 25,86 € U
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FRESCOBALDI, GIROLAMO : VENETIAN EXTRAVAGANZA 1 0 5 2476 A p. 104 2 7, 7 1 € U via le site : www.classicavpc.fr
GLUCK, CHRISTOPH WILLIBALD VON : ORFEO ED EURIDICE 1 0 5 6737 A p. 104 26,83 € U
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KHACHATURIAN, ARAM : KHACHATURIAN, PENDERECKI : CONCERTOS… 1051863A p. 104 2 6, 2 1 € U VOTRE COMMANDE DE JUILLET - AOÛT 2018
KODALY, ZOLTAN : CONCERTO FOR ORCHESTRA 10 4 6 478 A p. 105 1 2 ,0 5 € U
MAHLER, GUSTAV : MAHLER : SYMPHONIE N° 1 - FISCHER. 1046054A p. 106 2 7,4 9 € U MONTANT DE VOTRE COMMANDE (1 + 2)
LISZT, FRANZ : ANNÉE DE PÈLERINAGE : PREMIÈRE ANNÉE, SUISSE… - Epuisé - p. 106 -------- € U
MARTINU, BOHUSLAV : DOUBLE CONCERTOS FOR VIOLIN AND PIANO 10 5 6 3 47 V p. 106 2 7, 7 1 € U PARTICIPATION AUX FRAIS DE PORT (Voir ci-dessous)
MENDELSSOHN, FELIX : SYMPHONIES N°4 EN LA MAJEUR ET N°5 EN… 1 0 5 0 1 24 V p. 106 2 7, 7 1 € U
MONTEVERDI, CLAUDIO : VESPRO DELLA BEATA VERGINE 1 0 570 87 A p. 107 40,76 € U
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MONTEVERDI, CLAUDIO : LETTERA AMOROSA 1055039A p. 107 2 7, 7 1 € U
MOZART, MOZART : MOZART : QUATUORS DÉDIÉS À HAYDN. QUATUOR… 1 0 5 1 8 0 1 A p. 108 42,96 € U
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PROKOFIEV, SERGE : VIOLIN SONATAS 1051662A p. 108 2 7, 9 2 € U
RUBBRA, EDMUND : SYMPHONY 2 - SYMPHONY 4 1051202A p. 109 25,86 €
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ROUSSEL, ALBERT : EVOCATIONS : POUR UNE FÊTE DE PRINTAMPS 1 0 5 8 0 17 A p. 109 24,64 € U
SAUGUET, HENRI : TROIS QUATUORS (LES) 10 4 6 5 57 A p. 110 2 7, 9 2 € U France Métropolitaine : 2,99 € 4,99 € 7,99 €
SCHUMANN, ROBERT : ES WÄRE EINMAL... 10 4 2470 A p. 110 24,64 € U Europe et DOM : Nous consulter
SCRIABINE, ALEXANDRE : PIANO SONATAS (THE) 1031041A p. 110 38,42 € U
SMETANA, BEDRICH : STRING QUARTETS N° 1 & 2 1 0 4 3 0 14 V p. 110 20,62 € Autres destinations : Nous consulter
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STRAUSS, RICHARD : DON QUIXOTE & CELLO WORKS 10 4 9 6 0 1 A p. 111 2 7, 9 2 € U
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VIEUXTEMPS, HENRI : WORKS FOR VIOLA AND PIANO 10 5 37 92 A p. 112 2 9, 1 5 € U par notre service clients. Quel que soit le moyen de paiement, aucun envoi ne sera effectué par
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WEBER, CLARINET : CLARINET QUINTET, GRAND DUO CONCERTANT, ADAGIO 10 5 0 0 5 1 A p. 113 26,32 €
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FAURÉ, GABRIEL : OEUVRES POUR VIOLON ET PIANO 1054483A p. 113 2 7, 7 1 € U
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GOUNOD, CHARLES : GOUNOD EDITION (THE) 1 0 573 4 3 A p. 105 58,00 € U
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BACH, JEAN-SÉBASTIEN : EMIL GILELS EDITION VOL.1 1933 10 5 2 8 2 5 A p. 113 6 0, 14 € U
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BADALAMENTI, ANGELO : TWIN PEAKS : MUSIC FROM THE LIMITED… 1 0 2 5 24 2 A p. 116 8 , 9 2€ U
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FOCCROULLE, BERNARD : UN CORNETTO A ROMA 103 9 8 5 5 A p. 114 2 7,4 9 € U Code postal : Ville :
BERIO, LUCIANO : SOLO 1055091A p. 114 26,83 € U
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VARVARESOS, VASSILIS : V FOR VALSE 1056156A p. 114 2 7, 9 2 € U
RIAL, NURIA : VOCALISE 10 4 676 6 A p. 116 2 8 ,6 1 € U E-mail :
KÖLL, MARGRET : TOYS FOR TWO : FROM DOWLAND TO CALIFORNIA 1045761A p. 116 2 7, 7 1 € U
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I. Gamme antique. II. Robe à paon. Fleur typique des Alpes. Véto allemand. III. Donne le choix.
Fosse. Ré.

Très lent dans l’interprétation. Élément essentiel de la mécanique du piano. IV. Suit l’introït.
14. Nier. Vif. Élue. 15. Enrobé.

Un tempo pour une petite musique de nuit. V. Lac des Pyrénées. Monter sur scène pour
Otage. 13. Neige. Broderies.

la première fois. A un appétit féerique. VI. Destin de salmonidés. Première note. Champion
11. Elgar. Aranais. 12. Envers.

du volant. Cale d’usinage. VII. Chose bête. Lawrencium au labo. Le bismuth du chimiste.
Octave. 10. Cello. Lucide. Mi.

VIII. Fournisseur de blé. Cousin de l’autruche. Auteur de Carmina Burana. IX. Détestables.
8. Rio. Rueda. Rut. 9. In.

Opposé au legato. X. Danse de couple. Déclarations théâtrales. XI. Une musique dans le style
7. Orgue. Intrépide.

de Boulez. Un mouvement lent pour commencer le pas de deux. XII. Voile d’avant. Cité
Wagner. 6. Ger. Erras. Laon.

des Alpes. Adorée. XIII. Fut un temps présidée par Nicolas Hulot. S’accroche à la portée.
4. Hélicon. Son. Té. 5. Aérien.

Pronom personnel. XIV. Déployé. Tel le sol de l’été de Vivaldi. XV. Pistolet très courant dans
Piston. 3. Tu. Mailloches.

la police. Soutiens à la construction. Il créa les lycées de jeunes filles.


1. Prokofiev. Affût. 2. Youyou.
VERTICALEMENT
Mineur. XV. Taser. Étais. Sée.

VERTICALEMENT XIII. FNH. Noire. Il. XIV. Étendu.

1. Un compositeur mort le même jour que Staline. Transport militaire. 2. Entonné lors de
Adage. XII. Foc. Gap.Vénérée.

noces africaines. Pièce de cuivres. 3. Resté secret. Dans les mains du percussionniste.
X. Slow. Tirades. XI. Atonale.

4. Un instrument cher à Boby Lapointe. Une musique popularisée par le Buena Vista Social
Nandou. Orff. IX. Vils. Staccato.

Club. Ferrure. 5. Léger comme l’air. Auteur d’une tétralogie musicale. 6. Pic des Pyrénées.
VII. Ânerie. Lr. Bi. VIII. Épi.

Marchas au hasard. Préfecture de l’Aisne. 7. Quand il sort de l’église, c’est la Barbarie.


Ogre. VI. Fumoir. Ut. As. Vé.

Décidé à ne pas avoir peur. 8. Berceau de la bossa nova. Danse cubaine. Sexe temps.
IV. Kyrie. Allegro. V. Oô. Créer.

9. Programmation de festival. Consonance parfaite. 10. Violoncelle anglais. Il voit clair dans
Érine. Nein. III. Ou. Largo. Levier.

son esprit. Dans la gamme. 11. Un compositeur britannique à qui l’on doit Pomp and
I. Pythagoricienne. II. Roue.

Circumstance. Dialecte catalan. 12. De l’autre côté. Personne ravie. 13. Or blanc. Dissonances
HORIZONTALEMENT

passagères. 14. Démentir. L’allegro des Italiens. N’est pas restée sans voix. 15. Bien
SOLUTION

enveloppé. Place à l’orchestre. Mineur pour un requiem.

138 Q CLASSICA / Juillet-Août 2018


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