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Superfinale 2005

COLLEGE DE FRANCE
27 novembre 2005

Des mots et des outils

Agrégé(*) de grammaire, je sais démonter les phrases, décortiquer la syntaxe,


jongler avec les hypallages(1) hardies et les tmèses(2) incongrues. Mais, de mes dix
doigts, je suis d’une maladresse inouïe. Un manche ! Et dire que de mon nom j’ai
signé – ô ironique langue française ! – des manuels…
Enfant, à peine m’essayais-je, dans notre jardinet de banlieue, à couper des
aches(3), des brizes(3) et des éclaires(3) que mon sang coulait sur-le-champ(4).
Recousais-je un bouton ? Un moustique excédant(5) n’eût pas mieux piqué mes
phalangettes. Qu’il m’en a cuit de m’être risqué(*) en cuisine pour y préparer des
bonnottes(6), des cappellettis(6) et des kouign-amann(6) ! Réellement tout feu tout
flamme, je dus un jour partir goûter la cuisine de l’hôpital.
Je sais écrire, sans faute aucune, les noms de quantité d’outils et d’instruments :
les hies(7) des paveurs, les asseaux(8) des couvreurs, les besaiguës(9) acérées des
charpentiers, les écangs(10) des chanvriers, les turluttes(11) des pêcheurs. Mais, aïe
aïe aïe ! aurais-je dû m’en servir, combien de blessures mes impairs m’eussent-ils
causées(12) ?
Danger public ! Avec moi, jamais la bonne pioche ! Je démens toutefois être
responsable, par mes coups, de l’éparpillement des floes(13) polaires.
Avec les mots, au contraire, rien à craindre. Étymologiste, philologue et
mots-croisiste(14), sans le moindre dommage j’épluche, je taille des apocopes(15)
osées, je couds, j’accommode. Aux adjectifs alléchants je salive, aux mots
sexuels(16) je vibre. Homo sapiens(17), j’ai évolué intello ; néanmoins, pour la
dextérité, l’homme de Cro-Magnon(18) m’en eût remontré !

Texte établi par Bernard PIVOT et Line SOMMANT, et révisé par le Jury national.

(*) Ou agrégée et risquée, selon le genre du narrateur choisi par le concurrent.


Commentaires de la dictée

1. hypallages [hardies] : ce mot est formé de deux éléments grecs : hupo, « sous », et
allassein ou allattein, « changer ». Il s’agit d’une figure de style par laquelle on attribue à un
ou à plusieurs mots d’une phrase ce qui convenait à un ou à d’autres mots de la même phrase.
Exemple : Ce marchand accoudé sur son comptoir avide (V. Hugo). L’emploi de l’adjectif
avide est attribué au comptoir et non au marchand. On dit une hypallage, donc hardies.

2. tmèses [incongrues] : mot issu du latin tmesis, lui-même formé sur le verbe grec temnein,
« couper ». Autre figure de style, qui consiste en la rupture de l’ordre habituel des mots dans
une phrase par l’intercalation d’un ou de plusieurs autres mots.
Exemple : Quelle et si fine et si mortelle / Que soit ta pointe, blonde abeille (Paul Valéry).
On dit une tmèse, donc incongrues.

3. aches, brizes, éclaires : voici trois noms qui possèdent chacun un homonyme mais qui,
dans ce contexte précis, désignent évidemment des plantes.
L’ache, nom féminin, est une plante ombellifère dont une espèce est cultivée comme
alimentaire : le céleri (ne pas confondre avec la hache, l’outil).
La brize est une plante (graminée) à épillets verts ou roussâtres très sensibles au vent. On
l’appelle aussi amourette (ne pas confondre avec la brise, le vent).
L’éclaire, nom féminin, est l’autre nom de la chélidoine. Ce mot régional vient du verbe
éclairer, car on tirait de cette plante un collyre (ne pas confondre avec l’éclair de l’orage).

4. sur-le-champ : cette locution adverbiale, qui signifie « immédiatement », s’écrit avec deux
traits d’union, pour bien signifier qu’il s’agit d’une expression figée et non pas du sens littéral
« sang coulant sur un champ ».

5. excédant : excédant est ici un adjectif verbal qui se termine en -ant, et qui signifie
« exaspérant ». Il ne fallait pas le confondre avec son homonyme, le nom masculin excédent
(surplus), en -ent.

6. bonnottes, cappellettis, kouign-amann :


La bonnotte est une pomme de terre primeur, variété petite et ronde, à chair jaune pâle,
cultivée à Noirmoutier. Attention, ce mot prend deux n et deux t.
Des cappellettis : le mot cappelletti est, en italien, le pluriel de cappelletto, « petit chapeau ».
En français, au pluriel, il prend un s (comme spaghetti/is). Il désigne des pâtes alimentaires en
forme d’arc de cercle fourrées de viande ou de légumes hachés.
Le kouign-amann : ce mot breton, invariable, signifie « gâteau au beurre ». Cette spécialité
de Douarnenez est une galette riche en beurre et en sucre, caramélisée sur le dessus.

7. hies : ce nom féminin vient d’un verbe néerlandais signifiant « enfoncer ». Il s’agit d’un
instrument formé d’une lourde masse et d’un manche, qui sert à enfoncer les pavés.

8. asseaux : l’asseau est un marteau de couvreur qui possède, à une de ses extrémités, une
lame tranchante utilisée pour couper les ardoises, les lattes. Ne pas confondre avec un assaut,
une attaque. On dit aussi une assette.
9. besaiguës [acérées] : la besaiguë vient du mot latin bisacuta, « deux fois aiguë ». Cet outil
de charpentier possède deux bouts acérés. C’est aussi un marteau de vitrier. Besaiguë étant
un mot féminin, il fallait écrire acérées.

10. écangs : l’écang est issu d’un mot francique signifiant « mouvement ». C’est un outil qui
sert à écanguer, c’est-à-dire à broyer le lin, le chanvre, pour séparer de la partie ligneuse la
matière textile.

11. turluttes : le mot turlutte, d’origine inconnue, désigne un ustensile de pêche en mer,
formé par une tige de plomb armée d’hameçons disposés en couronne. Attention : deux t.

12. [eussent] causées : le verbe causer, employé avec l’auxiliaire avoir, est conjugué ici au
conditionnel passé 2e forme. Son participe passé s’accorde au féminin pluriel avec le COD
combien de blessures, placé avant.

13. floes [polaires] : ce nom masculin anglais (au singulier, floe) désigne une plaque de glace
résultant de la dislocation de la banquise. Il ne fallait pas le confondre avec flots, qui ne
pouvait ici avoir de sens, car un coup de pioche casse un élément solide, les floes, et non
liquide, les flots.

14. mots-croisiste : le mots-croisiste est un verbicruciste, c’est-à-dire un auteur de grilles de


mots-croisés. Attention, ce nom – cas rare – prend un s au singulier (au premier élément) :
mots. Ce pluriel se justifie par le fait que le mots-croisiste croise obligatoirement plusieurs
mots.

15. apocopes [osées] : vient du grec apokoptein, « retrancher ». Il s’agit de la chute de la fin
d’un mot.
Exemples : télé pour « télévision », perso pour « personnel », sympa pour « sympathique ».
Apocope étant un mot féminin, il fallait écrire osées.

16. aux mots sexuels : il y avait un parallélisme de construction entre aux adjectifs alléchants
et aux mots sexuels ; l’orthographe « homosexuel » en un seul mot n’avait aucun sens ici.

17. Homo sapiens : vient du latin homo, hominis, « homme », et sapiens, « sage ». Il s’agit du
nom de genre de l’espèce humaine. L’homme moderne est un Homo sapiens. C’est le seul
représentant actuel du genre Homo, qui compte plusieurs espèces fossiles. Homo sapiens est
l’homme en tant qu’espèce capable de pensée abstraite, de connaissance.

18. homme de Cro-Magnon : Cro-Magnon est un site de Dordogne. En 1868, il a livré les
premiers restes d’une population de Homo sapiens qui peuplait l’Europe occidentale et
centrale au paléolithique supérieur (le paléolithique est la première période de la préhistoire).

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