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LES « RISQUES PSYCHOSOCIAUX » : ENTRE RÉMANENCE ET

MÉCONNAISSANCE
Dominique Lhuilier

ERES | « Nouvelle revue de psychosociologie »

2010/2 n° 10 | pages 11 à 28
ISSN 1951-9532
ISBN 9782749213217
Article disponible en ligne à l'adresse :
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psychosociologie-2010-2-page-11.htm
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Pour citer cet article :
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Dominique Lhuilier, « Les « risques psychosociaux » : entre rémanence et
méconnaissance », Nouvelle revue de psychosociologie 2010/2 (n° 10), p. 11-28.
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DOI 10.3917/nrp.010.0011
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Les « risques psychosociaux » :
entre rémanence et méconnaissance

Dominique Lhuilier

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FIGURES DES MAUX ET MOTS POUR LES DIRE


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L’avènement des « risques psychosociaux » s’inscrit dans une


histoire : celle des mots et concepts pour désigner, pour dire les épreuves
négatives du travail, sa pénibilité, son coût vécu et perçu. Un bref retour
sur cette histoire peut permettre de retracer la généalogie, de repérer les
rémanences, les constances dans les modalités de saisie de la problé-
matique santé et travail. Quelles sont les traces de cet héritage dans les
approches contemporaines condensées dans cette nouvelle catégorie ?

L’usure au travail et la « fatigue nerveuse »

On peut repérer les prémisses au début du XVIIIe siècle d’une nouvelle


sensibilité à l’usure au travail, celles des classes laborieuses constituées
essentiellement par les artisans et les ouvriers agricoles. En 1700, le
médecin italien Ramazzini, dans son célèbre Traité des maladies des
artisans, produit une cinquantaine de monographies professionnelles
dans lesquelles sont recensées les caractéristiques les plus usantes pour
la santé. S’appuyant sur les pratiques et les réflexions élaborées dans

Dominique Lhuilier, professeure des universités, chaire de psychologie du travail


du CNAM, Centre de recherche sur le travail et le développement,
dominique.lhuilier@cnam.fr

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chacun de ces métiers, il relève aussi les savoirs pratiques ouvriers, les
formes de « sagesse et prudence » mobilisées pour éviter une usure
prématurée. Avec la révolution industrielle, la notion d’insalubrité des
professions change de contenu : la nature de l’activité passe au second
plan au profit d’une investigation des conditions générales de la fatigue
et de l’intensité des tâches. L’accroissement de la vitesse d’usure des
ouvriers a été un thème explicite d’inquiétude au fur et à mesure de l’ex-
tension de la révolution industrielle, inquiétude au fondement de l’hygiène
industrielle comme « projet politique visant à la poursuite d’une industria-
lisation dont on découvre les revers » (Moriceau, 2009, p. 13).
L’enquête présentée en 1840 par Villermé constitue un tournant :
dans son tableau de l’état physique et moral des ouvriers, il renonce au
concept « d’insalubrité des professions » tel que formulé par Ramazzini et
ses successeurs au profit d’une investigation de « la condition ouvrière ».
Son analyse repose sur le principe que la santé de l’ouvrier n’est pas
dissociable de ses conditions générales d’existence : elle s’oppose à
toute analyse causale directe entre profession et santé. Et « l’insalu-
brité » est explorée à travers des conditions de fatigue, d’asservisse-

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ment, d’excès de rythmes, de sous-alimentation, de « découragement »
moral : « Seules certaines conditions générales contingentes, liées à l’ex-
ploitation industrielle, pouvaient rendre nocives la nature environnante,
la nature des matières travaillées, la nature des exercices corporels »
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(Cottereau, 1983, p. 83).


Mais en ouvrant la perspective des considérations médicales à l’éco-
nomie politique, Villermé ouvre aussi à des considérations morales qui
vont peser tout au long de l’histoire du traitement de la problématique
santé-travail. En intégrant l’usure et la fatigue dans un modèle de la santé
englobant l’ensemble des conditions de vie et les « mauvaises habitudes
de vie » (« débauche », « intempérance », « imprévoyance »), il trace
les fondements d’un enjeu méthodologique mais aussi politique majeur :
le partage dans la recherche des « causes » d’une maladie de ce qui
relève de l’exercice professionnel et de ce qui est produit par les facteurs
liés à l’individu et à son mode de vie. Au programme donc, la question
de la responsabilité et les jeux d’imputation causale. Seuls les enfants
ne peuvent pas être reconnus comme totalement responsables de leur
sort : « Trop souvent victimes des débauches et de l’imprévoyance de
leurs parents, ils ne méritent jamais leurs malheurs » (Villermé, 1840,
p. 413).
À partir de 1880, les travaux sur la fatigue se multiplient. Les
discours hygiénistes relativisant fortement l’influence du travail indus-
triel sur la santé au profit « des écarts de toutes sortes que les ouvriers
commettent », sont rattrapés au tournant du XXe siècle par une dénon-
ciation violente dans la grande presse des conditions sanitaires de travail
des ouvriers, puis par l’émergence d’un discours ouvrier sur l’hygiène au
travail. La prise de conscience d’un droit nouveau – le droit à la santé

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au travail – s’accompagne de celle de nécessaires devoirs individuels et


collectifs à l’égard de l’hygiène (Rébérioux, 1989).
L’attention portée aux peines ouvrières par les pouvoirs publics, les
employeurs et les philanthropes tient à la fois à des principes affichés
comme « humanitaires » mais aussi à d’autres préoccupations manifes-
tes. Trois types d’arguments soutiennent les discours des partisans d’une
hygiène industrielle scientifique, arguments qui, semble-t-il, ont traversé
les siècles jusqu’à aujourd’hui : ils soulignent tout d’abord les enjeux
scientifiques contenus dans la nécessité d’approfondissement de la noso-
logie et de l’étiologie des maladies, des enjeux politiques car les souffran-
ces professionnelles favorisent les grèves et élans révolutionnaires. Ces
discours témoignent encore de préoccupations démographiques (déclin
quantitatif, mais aussi qualitatif, versus usure et « dégénérescence ») et
économiques du fait du coût de la souffrance au travail. L’hygiène des
ouvriers peut permettre de réduire les dépenses occasionnées par un
ouvrier malade ou blessé et relevant donc de l’assistance. Mais la raison
économique qui peut servir d’argument à l’hygiène industrielle lui est
aussi manifestement un obstacle : « Encouragement à agir dans le sens

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d’une amélioration sanitaire des conditions de travail, au nom des deniers
publics et par espoir de gain à terme pour l’industriel, les exigences de
l’économie sont aussi une entrave quotidienne que doit subir, contourner
ou affronter l’hygiène industrielle » (Moriceau, 2009, p. 73). Elle est
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condition de bonne gestion économique si elle n’entrave pas les allures


de l’industrie : ce qui lui impose un « devoir de modération » dans ses
recommandations, préconisations.
Au cœur des travaux sur la fatigue développés à partir des années
1880, s’inscrivent alors le projet d’identification des règles optimales
d’utilisation de la machine humaine et la promotion d’une gestion scienti-
fique de la main-d’œuvre : comment augmenter la productivité du travail
tout en réduisant l’usure prématurée de la force de travail ?
Deux axes de recherche sont privilégiés : celui des « gestes efficaces
économes en effort ». On peut citer ici notamment J.-M. Lahy (1916)
qui dénonce les dangers du taylorisme pour la santé des ouvriers comme
pour la productivité. Et celui de la sélection rationnelle des travailleurs
pour chaque poste : la fatigue ici est le signe des effets néfastes sur le
plan physiologique et psychique des « mauvaises orientations profes-
sionnelles ». Ce mouvement est représenté entre autres par la Ligue de
prophylaxie et d’hygiène mentale créée en 1921 par É. Toulouse. Les
travaux des psychophysiologistes montrent l’unicité de la fatigue : il est
impossible de dissocier, dans le travail humain, ce qui relève de la fatigue
musculaire et de « l’épuisement nerveux ». Le sentiment subjectif de fati-
gue doit être pris en compte, au même titre que les mécanismes physio-
logiques. Et Lahy insiste sur la composante mentale du travail manuel :
les ouvriers travaillent aussi avec leur tête.

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Le paradigme de prophylaxie sociale de Lahy, Toulouse, comme de


nombre de psychotechniciens de l’époque, et qui repose sur l’idée que
le progrès passe par l’utilisation rationnelle des aptitudes de chacun,
scientifiquement diagnostiquées, est présenté comme l’antidote savant
du taylorisme (Clot, 1996). Et pourtant, l’équivocité du projet de sélec-
tion des travailleurs (« the right man in the right place ») l’a conduit sur
la pente de l’adaptation de l’homme à la rationalisation industrielle plus
qu’à « l’innovation sociale » annoncée. Il a été rattrapé en somme par
une tendance récurrente, repérable dès le milieu du XIXe siècle : la tenta-
tion chronique de contourner la question de « l’insalubrité du travail »,
voire de la nier, en reportant le problème sur l’inadéquation de l’ouvrier
au poste occupé. Il s’agit alors moins d’adapter l’exercice professionnel
aux exigences de l’organisme humain que de choisir le bon organisme,
pour un travail qu’on ne modifiera guère. F. Heim, qui assure le premier
cours d’hygiène industrielle installé au CNAM en 1905, affirme lui aussi un
même idéal scientiste de prophylaxie sociale au fondement des tendances
eugénistes rémanentes infiltrant les modes de saisie de la problémati-
que santé-travail : « Rejeter vers des travaux plus salubres que ceux de

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l’usine, vers le travail de la terre s’il le faut, les sujets prédisposés aux
affections professionnelles de l’industrie est une œuvre de haute portée
sociale » (Heim, 1912, p. 31).
La figure de la prédisposition se profile ; elle ne sera jamais abandon-
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née : prédisposition des « tarés », prédisposition aux accidents comme


propriété intrinsèque à certains individus (Monteau, Pham, 1987), prédis-
position aux maladies professionnelles par faiblesse constitutionnelle…
Le glissement de l’identification de situations de travail pathogènes
à celle des « individus à risques » pour cause de fragilité, susceptibilité,
vulnérabilité est une propension qui trouvera sa traduction durable dans
les textes législatifs et les dispositifs institués dans le champ de la santé
au travail. Ainsi, ce principe de sélection est entériné par la législation dès
1909 : elle instaure, dans certains cas, l’obligation du certificat médical
à l’embauche attestant que le recruté ne montre pas de prédisposition à
tel ou tel risque. Il se prolonge dans le principe d’aptitude et d’inaptitude
dont l’évaluation est du seul ressort de la médecine du travail (Dômont,
1999). L’aptitude au travail a toujours été frappée du sceau de l’ambi-
guïté et reste massivement exposée aux risques de dévoiement de la
pratique médicale du travail au cœur desquels s’inscrit la contradiction
entre l’évaluation de l’aptitude et l’amélioration des conditions de travail
(ASMT, 1998).
Ce retour aux travaux sur la fatigue – physiologique mais aussi
nerveuse – et les discours sur les avantages sociaux de sa prophylaxie
(la prévention du gaspillage des forces productives), nous amènent à citer
encore les travaux bien connus d’E. Mayo et son équipe à la Western
Electric Company dans les années 1930. Les interprétations psycho-
physiologiques initiales de la fatigue liée à la tâche sont abandonnées au

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profit d’hypothèses psychosociologiques : la fatigue et « l’état mental »


des ouvriers sont liés à la vie sociale de l’atelier. Le dispositif expérimen-
tal a permis la transformation d’une « horde de solitaires en un groupe
social ». Il démontre que l’individu réagit aux conditions pratiques du
milieu non pas tant pour ce qu’elles sont, mais telles qu’il les ressent.
Et la manière dont il les ressent dépend en grande partie de l’action qu’il
peut avoir sur elles, comme des normes et du climat du groupe dans
lequel il travaille et de son degré d’appartenance à ce groupe (Anzieu,
Martin, 1968).
H. Wallon apporte lui aussi une contribution majeure à ces investiga-
tions sur la fatigue à travers sa critique du taylorisme dès le début des
années 1930. L’organisation taylorienne alimente une fatigue mentale qui
supplante la fatigue physique, et ce par l’amputation de l’initiative : ce qui
« aboutit à l’effort le plus dissociant, le plus fatiguant, le plus épuisant
qui se puisse trouver ». Cette contention « l’ampute d’une grande partie
de ses disponibilités, qui laisse dans le silence toute une série d’activités
nécessaires, de mouvements qui sont nécessaires parce qu’ils forment
un tout en quelque sorte organique avec les gestes exigés. On condamne

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l’homme à une immobilité qui est une tension continue. Or, cette tension
qui ne peut se dépenser en mouvements entraîne des “troubles”, des
dissociations qui détraquent la machine humaine » (Wallon, 1932-1976,
p. 210). L’activité refoulée, empêchée (Clot, 1995, 2008) est sans doute
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un des éclairages majeurs de la santé mentale au travail aujourd’hui


encore, nous y reviendrons.
Mais, comme le souligne Marc Loriol (2000), il n’y a pas d’unanimité
dans le champ scientifique sur la définition de la fatigue. Le seul point d’ac-
cord réside dans la distinction entre une fatigue provoquée par un effort
et récupérée grâce au repos, et une fatigue « autre », non réparée par le
sommeil et non expliquée par une pathologie organique. Cette distinction
est supportée par un jugement de valeur qui articule mauvaise fatigue à
mode de vie malsain et bonne fatigue à résultat d’une activité saine.

La figure du stress

La figure du stress vient relayer celle de la fatigue. Le stress recentre


l’analyse sur l’individu et la problématique de l’adaptation : « Le stress est
la réaction de l’organisme face aux modifications, exigences, contraintes
ou menaces de son environnement en vue de s’y adapter » (Selye, 1976).
Les travaux sur le stress ont donné lieu à de nombreuses controverses
entre différentes approches : par les caractéristiques individuelles et varia-
bles de personnalité, par le contexte organisationnel, par les processus
transactionnels (évaluation de la situation par le sujet et stratégies d’adap-
tation, dépendantes de ses ressources personnelles), par son objectiva-
tion à travers des symptômes ou la mesure du stress perçu. Travaux qui
témoignent des ambiguïtés sémantiques du concept de stress qui perdu-

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rent dans le temps : il recouvre à la fois des « facteurs » ou déterminants


(voire « stresseurs »), des mécanismes de régulation (physiologiques,
psychologiques) et des effets (biologiques, psychiques, pathologiques ou
non). La distinction entre bon et mauvais stress est reprise, soutenue là
encore par un jugement porté sur l’adaptation…, ou mieux encore, sur la
« performance » : « Entre les deux extrêmes (trop de stress/pas de stress),
il existe un niveau optimal de fonctionnement de stress qui nous permet de
nous mobiliser suffisamment pour faire face le plus efficacement possible
aux nombreux stresseurs professionnels qui nous assaillent sans mettre
en péril notre santé […]. Lorsque la réaction de stress est inexistante,
l’efficacité est nulle. Au fur et à mesure que le stress croît, la performance
augmente […] ce qui peut être considéré comme “le bon stress” (l’eustress
en anglais). Le stress continuant de croître, la performance pour sa part va
au contraire décroître. C’est le mauvais stress (ou distress en anglais, qui
veut aussi dire “détresse”) » (Légeron, 2004).
Jusqu’au début des années 1980, les recherches sur le stress multi-
plient les facteurs de stress en une liste qui s’allonge au fil des publi-
cations : surcharge/sous-charge du travail, pression temporelle, excès

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ou manque de responsabilités, promotion excessive ou insuffisante,
ambiguïtés et conflits de rôles… Puis, l’émergence de deux modèles de
stress recadre et fédère les travaux sur « les dimensions psychosociales
du travail » : le modèle « exigences-contrôle » de Karasek (1990) et le
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modèle « efforts-récompenses » de Siegrist (1996).


Le premier souligne que la détérioration de la santé n’est pas direc-
tement fonction de l’accroissement des exigences liées au travail mais
aussi du degré de contrôle que l’individu exerce sur son activité, et donc
du degré d’autonomie dont il dispose. Une troisième dimension sera ulté-
rieurement ajoutée à ce modèle : le soutien social ou soutien technique
et émotionnel. L’isolement est repéré comme un facteur de morbidité
et de mortalité. Le deuxième, le modèle « efforts-récompenses », met
l’accent sur la réciprocité perçue entre les investissements de l’individu
et la rétribution reçue en termes d’estime, de statut et de gratifications
monétaires. De reconnaissance en somme. À la différence du modèle de
Karasek, celui-ci articule des éléments situationnels et individuels, tels
que les « styles de faire face » ou coping.

Violences au travail

Dans le même temps, mais dans d’autres sphères, non plus épidé-
miologiques mais sociales, politiques et médiatiques, la thématique de
la violence et de l’insécurité gagne du terrain. Non pas tant d’ailleurs
telles qu’analysées par Boltanski et Chiapello (1999) à propos de la
« déconstruction du monde du travail » ou par Castel (2003) à propos
de « l’insécurité sociale » produite par l’érosion des protections collec-
tives, mais telles que condensées dans la multiplication des figures de

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la peur et ses causes, entendre ses responsables (Ackermann et coll.,


1983). « Séismes, viols, hold-up, rackets, suicides… La violence s’affi-
che sur nos écrans, dans la rue, dans nos têtes, et remplit notre quoti-
dien » (Debout, 1999). Sur ces mots s’ouvre donc le rapport du Conseil
économique et social sur « Travail, violences et environnements » qui
rend compte des travaux réalisés sur les phénomènes de violence dans
l’entreprise à partir du constat à l’origine de la commande : un nombre
croissant de professionnels sont exposés à des agressions de nature
diverse. Ce rapport privilégie les « violences externes à l’encontre de
personnes en situation de travail » et qui sont essentiellement le fait de
clients ou publics (violences physiques, menaces, insultes). On y cherche
désespérément la trace des liens entre organisation du travail et agres-
sions, violence des usagers. Comme si celles-ci procédaient d’un phéno-
mène aussi inéluctable qu’un séisme ou un tsunami, ou ne pouvaient être
traitées autrement qu’à travers l’usuelle distinction pénale entre auteurs
et victimes. Pourtant, mais dix ans après, l’enquête Sumer (Bué et coll.,
2008) signale que « les agressions de la part du public sont fortement
associées à une organisation du travail contraignante ». Rythme et charge

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de travail, manque de moyens, d’informations ou de collègues pour réali-
ser un travail de qualité sont les facteurs particulièrement relevés. Ces
résultats rejoignent les travaux qualitatifs de la Commission « Violence,
travail, emploi et santé » dirigée par Dejours (2007).
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En 1998 paraît le livre de M.-F. Hirigoyen sur Le harcèlement


moral. Il traite des mécanismes de harcèlement moral dans le couple,
dans la famille et enfin au travail. Et c’est essentiellement l’analyse de
« la violence perverse » dans l’entreprise qui a retenu l’attention qu’on
connaît. La réception de cet ouvrage tient sans doute à la congruence de
cette approche avec une manière contemporaine de penser les rapports
sociaux comme des rapports interpersonnels. Et en quatre ans, on est
passé d’une notion étayée sur des références psychopathologiques à une
loi (loi n° 2002-73 du 27 janvier 2002) qui offre donc une reformulation
« légale » de conflits du travail en conflits interpersonnels. Ce mouve-
ment reproduit là encore la dichotomie pénale usuelle (un coupable – une
victime) et vient conforter l’évitement d’une analyse des contextes orga-
nisationnels comme des conflits de valeurs relatifs au travail (Lhuilier,
2005 ; Lhuilier, 2006b).
Cette notion de harcèlement moral s’est imposée à une vitesse
record sans doute aussi parce que la loi pénale sanctionnait depuis 1992
le harcèlement sexuel au travail. Le deuxième rapport du Conseil écono-
mique et social sur le harcèlement moral, présenté encore par Debout
(2001), fait place cette fois à l’organisation du travail et ses évolutions :
« Un investissement personnel plus poussé », « compétition et individua-
lisme », « autonomie, responsabilisation, réalisation des personnes dans
leur travail mais aussi obligation de résultat individuel pouvant favoriser
l’éclosion de relations interpersonnelles perverses » (p. 8).

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Le dernier né : « les RPS »

C’est en 2000 qu’apparaît pour la première fois la formule « risques


psychosociaux » notamment dans la presse (Thebaud-Mony, Robatel,
2009). Une notion forgée dans l’urgence, révélatrice de l’emballement
devant la montée des préoccupations, indicateurs, symptômes de
« nouvelles pathologies », de « nouveaux phénomènes » et notamment
la multiplication des dépressions et des suicides sur le lieu de travail ou
en lien avec lui (Lhuilier, 2009a, 2010b).
Cette nouvelle catégorie vient rassembler tout ce qui se situe au-delà
de la classification des risques somatiques classiquement répertoriés :
risques physiques, biologiques, chimiques. Reste donc le « social »
comme risque et le « psychologique » (versus santé mentale) comme
troubles. Voici donc un nouvel ensemble rassemblant, comme sa figure
antérieure, le stress, des « facteurs » et des « effets », dans une collec-
tion surprenante : stress, harcèlement moral, souffrance, suicides,
dépressions, TMS, addictions, violence… Le rapport Nasse et Légeron sur
« La détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au

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travail » (2008) accorde une place centrale au stress dans les analyses et
axes de prévention. Comme le Bureau international du travail d’ailleurs,
dans son récent rapport intitulé « Risques émergents et nouvelles formes
de prévention dans un monde du travail en mutation » (2010).
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La prévalence de la référence au stress ne peut seulement s’expliquer


par la multiplication des experts sur ce marché de « gestion du stress »
devenu fort lucratif. Elle tient plutôt à la congruence des modèles du
stress avec une double perspective qui domine aujourd’hui les modes de
traitement de la problématique santé et travail : perspective d’adaptation
et de mesure. Pourtant, l’histoire nous offre d’autres perspectives pour
éclairer les rapports subjectivité et travail, et santé et travail (Lhuilier,
2006a). Notamment celles tracées par les fondateurs de la psycho-
pathologie du travail et qui sont trop ignorées par les modèles dominants
en matière de recherche et d’action dans le champ santé-travail. Pourtant
ce sont ces perspectives – avec l’ergonomie francophone – qui ont
constitué une alternative au moment où la psychotechnique, dans les
années 1950, révélait tous ses « défauts de fabrication ».

LES RESSOURCES DE LA PSYCHOPATHOLOGIE DU TRAVAIL

Les pionniers de la psychopathologie du travail sont des psychiatres


engagés dans le tournant psychiatrique des années 1945-1950 et dans
le développement des thérapeutiques actives (Billiard, 2001). Ils affir-
ment d’emblée l’unité de la psychopathologie du travail en tenant tout à
la fois le travail comme outil thérapeutique majeur et comme source de
potentialités pathogènes. Ces psychiatres ont été à la fois confrontés au
problème de la réadaptation sociale des malades mentaux et aux ques-

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tions posées par des psychologues et des médecins du travail à propos


des critères et des processus d’adaptation au travail. Paul Sivadon (1952)
a posé les premières pierres de cette nouvelle discipline. Il s’agit, nous
dit-il, de « considérer le trouble mental dans sa dimension relationnelle,
sans négliger pour autant les aspects biochimiques, neurophysiologiques,
etc., mettre l’accent sur les rapports de l’individu avec son milieu matériel
et social, et orienter une part de la thérapeutique vers la réorganisation
de ces rapports, ce qui implique une action non seulement sur l’orga-
nisme individuel mais aussi sur les structures du milieu » (1952, p. 456).
Sivadon conçoit le raisonnement causaliste linéaire comme un piège et
préfère la pensée systémique « plus apte à traiter les problèmes qui nous
occupent ». Et ce qu’il appelle « les névroses du travail » sont le signe
d’une « mauvaise adaptation » qui résulte à la fois des ressources du
sujet et des caractéristiques nocives du travail, notamment de l’organisa-
tion du travail : « L’équilibre entre la responsabilité et l’initiative semble
être un des facteurs les plus importants pour éviter les tensions patho-
gènes » (ibid., p. 467).
Claude Veil, psychiatre lui aussi, tient dans ses propres travaux les

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deux fils représentés par le sujet et ses marges de tolérance d’une part,
l’organisation et les normes de travail d’autre part. Son orientation, à la
fois phénoménologique et psychanalytique, conduit ses investigations
moins sur la pathologie que sur ses frontières. Dès 1957, C. Veil souli-
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gne les deux polarités du travail, tantôt « peine », tantôt « joie », et il


précise encore que c’est cette dialectique qui fait l’unité de l’expérience
du travail, comme le socle de la psychopathologie du travail. Il récuse la
notion de névroses du travail mais s’intéresse à l’expérience du sujet, au
travail d’élucidation, avec le sujet « désadapté », des processus de désa-
daptation. Celle-ci est toujours relative à une situation et à la saturation
des mécanismes de défense du sujet. L’étiologie est toujours mixte. Il
souligne encore l’unité dialectique des activités humaines et des sphères
de vie, et précise que si les médecins du travail ont tendance à ignorer
que l’homme au travail et l’homme dans sa vie familiale sont le même
homme, les préoccupations ou échecs dans une sphère se répercutent
sur l’autre.
C. Veil s’appuie sur les travaux de G. Friedmann (1956) concernant
la parcellisation des tâches, leur incomplétude, l’initiative empêchée et la
déqualification du travail : il souligne, comme ce dernier, que « des dizai-
nes voire des centaines de millions de travailleurs de par le monde sont
plus grands que leur tâche ». La centralité du travail est réaffirmée : « Le
travail nous est apparu comme activité humaine fondamentale. Il pose
les problèmes des rapports entre la vie et la matière, entre la pensée et
l’action, des rapports entre le moi et le monde, l’individu et la société »
(Veil, 1957-1999, p. 34).
Louis Le Guillant (2006) se situe dans une perspective un peu diffé-
rente de celles de ses collègues dont on vient de présenter brièvement

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20 Nouvelle Revue de psychosociologie - 10

les travaux. Sa position est ainsi résumée, empreinte de matérialisme


dialectique : « L’unité indissoluble de l’individu et du milieu, unité histo-
rique bien entendu dialectique, est la loi fondamentale, loi à laquelle le
psychisme normal ou malade ne peut échapper. Dans cette conception,
en outre, le psychisme est le reflet de la réalité, reflet imparfait sans
doute, mais fait des seuls éléments de la réalité. » La dialectique annon-
cée semble se rétracter dans une relation univoque : le psychisme sous la
domination du conditionnement social et des conditions de travail. Cette
sociogenèse des troubles mentaux peut être discutée, d’autant que l’ap-
proche de Le Guillant est loin d’être homogène (Clot, 2006). Quoi qu’il en
soit, les travaux de L. Le Guillant restent d’une brûlante actualité. Ainsi,
sa recherche sur « le travail et la fatigue : la névrose des téléphonistes et
mécanographes » (1955-2006) ou celle qui a pour intitulé « les inciden-
ces psychopathologiques de la condition de bonne à tout faire » (1963-
2006). La première s’attache à explorer un « syndrome subjectif commun
de la fatigue nerveuse » et ce en procédant à une analyse de la fatigue
sur trois plans : biophysiologique, psychoaffectif et psychosocial ; et en
partant du travail et de son organisation. L’importance des taux de morbi-

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dité chez les travailleurs de l’industrie est mise en relation avec les trans-
formations du travail qui réduisent la fatigue musculaire mais intensifient
le rythme de travail. C’est cette nouvelle pathologie de la productivité, du
travail répétitif sous contrainte de temps qui est là explorée ; y compris
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en soulignant comment l’adaptation peut s’opérer en termes d’aliénation,


c’est-à-dire par la répression du fonctionnement psychique.
L’autre recherche sur les « bonnes à tout faire » porte moins sur
l’incidence des conditions de travail que sur une condition sociale carac-
térisée par la servitude et la domination. La synthèse de l’analyse est
forte, non seulement par l’effet de condensation des affects sollicités
mais parce qu’elle peut constituer une référence éminemment actuelle
pour nombre de situations de travail, notamment les activités dites de
« service à domicile ».

Il nous faut rappeler aussi les ressources que nous offre le courant
de la psychothérapie institutionnelle et notamment celles proposées par
François Tosquelles (1967-2009). Si l’objet de ses réflexions est d’abord
le travail des malades à l’hôpital psychiatrique, s’il défend une concep-
tion du travail thérapeutique, son élaboration a une portée beaucoup plus
générale : elle traite de la fonction individuelle, collective et sociale du
travail, du rôle du travail dans le processus d’humanisation de l’homme. En
soulignant que l’homme n’est pas un animal (et que le psychiatre ne peut
être un zoothérapeute ou un vétérinaire visant à faciliter à tout prix l’adap-
tation), il précise que « son destin et le processus d’humanisation qui lui
est propre ne se posent jamais sous le dilemme de s’adapter ou de périr »
(ibid., p. 38), mais de convertir le milieu naturel en monde dans lequel il
« se fera homme ». Cette élaboration de l’homme par lui-même repose sur

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Les « risques psychosociaux » : entre rémanence et méconnaissance 21

deux fonctions spécifiquement humaines : le langage et le travail. Mais


pas n’importe quel travail. Un travail qui offre la possibilité d’y développer
son activité. La définition que Tosquelles donne de l’activité mérite qu’on
s’y arrête : « L’activité, écrit-il, s’oppose à la simple bougeotte, et même
au mouvement entrepris, imposé ou proposé par l’autre que soi-même. La
notion d’activité, ici, connote une activité propre : l’activité personnelle et
personnalisante, celle qui prend source et s’enracine chez tout un chacun »
(ibid., p. 25). A contrario, le travail dépersonnalisé et dépersonnalisant
transforme l’activité qui devient « désaffectée et désabusée » en un devoir
social dont on s’acquitte sans perspective de développement personnel et
culturel, au sens de l’être culturel de l’homme par opposition à l’être biolo-
gique ou zoologique. Ces analyses s’inscrivent aussi dans une critique de
l’hôpital psychiatrique et de « la maladie institutionnelle » qui favorise la
chronicité : « Pour soigner le malade, il faut commencer par soigner l’hô-
pital […] faire travailler les malades et le personnel soignant pour soigner
l’institution » (ibid., p. 79).
Le fil conducteur de ces travaux est bien de soutenir l’investigation
des fonctions psychologiques du travail et les processus d’aliénation

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comme de subjectivation, et donc de ne pas, comme de nombreuses
approches contemporaines en témoignent, dissoudre le travail derrière
une focalisation sur le sujet solipsiste, ou dissoudre le sujet derrière une
option déterministe et causaliste qui fait du travail le déterminant univo-
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que des symptômes identifiés.


Cette perspective rejoint la transformation du paradigme de la
psychologie du travail opérée dans les années 1950 et qui conduit à
définir le travail non plus par ses conditions mais par l’analyse de ses
processus (Ombredane, Faverge, 1955). D’où la distinction aujourd’hui
entre trois niveaux d’analyse : celui des conditions internes et externes
du travail, celui de l’activité de travail et celui des effets de travail. Ce qui
suppose de rompre avec deux modèles réductionnistes :
– la réduction de l’activité de travail à ses conditions internes, c’est-à-
dire aux caractéristiques du sujet au travail (en termes d’aptitudes, de
personnalité, de style cognitif, psychoaffectif…, éventuellement mesurés
par des tests) ;
– la réduction de l’activité à ses conditions externes, c’est-à-dire les objec-
tifs assignés, les prescriptions, les machines, les modes de management…
Ces deux approches laissent l’activité dans l’ombre : on passe direc-
tement des conséquences aux causes sans prendre en compte ce que
font réellement le travailleur ou les travailleurs de ce qu’on leur impose ou
de ce qui leur arrive (Curie, 2005). Or, l’activité est bien cette « variable
intermédiaire » essentielle qui régule la relation entre le sujet et sa tâche,
entre la santé et la situation de travail, et qui leur donne une histoire et
un devenir éventuel. Il n’y a de causalité directe entre santé-travail, d’al-
tération de la santé par le travail que quand il n’y a pas d’activité, quand
elle est empêchée.

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22 Nouvelle Revue de psychosociologie - 10

CONCLUSION

Le survol historique proposé ici n’échappe pas aux risques de la sché-


matisation comme de l’incomplétude. Notre propos, on l’aura compris,
n’est pas la fresque historique, ni l’analyse exhaustive de l’ensemble des
travaux sur les transformations du monde du travail et leurs incidences
sur la santé.
Nous avons tenté de dégager, à travers ce retour sur l’émergence
de différentes catégories désignant les « maux » du travail, à la fois la
rémanence des enjeux associés à ces constructions socio-historiques et
la méconnaissance qui les accompagne.
Les modalités de saisie contemporaine de la problématique santé-
travail sont encastrées dans un héritage historique : la perception du
lien entre santé et travail a été, dès le XIIIe siècle, construite à travers le
prisme maladie et travail, ou plus largement à travers la mise au jour des
effets délétères du travail sur la santé. C’est dans une combinaison de
luttes, d’enquêtes, de lois, d’institutions ayant pour objet la prévention
et l’indemnisation des dommages subis au travail que s’est cristallisée la

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question « santé au travail », réduite à celle de la protection de la santé et
ses empêchements (Duclos, 1984, Buzi et coll., 2006). Cette perspective
laisse dans l’ombre le rôle déterminant du travail dans le développement
de la santé. Y compris pour ceux qui vivent avec une santé précaire, du
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fait de maladies chroniques par exemple (Lhuilier et Litim, 2009 ; Lhuilier


et coll., 2010d).
La catégorie « RPS » vient s’inscrire dans ce prisme réducteur, faisant
du « psychosocial » un risque, dans la lignée de ceux identifiés par la
toxicologie industrielle. Pourtant des recherches, y compris épidémiologi-
ques, sur la santé psychique des « sans-travail » pourraient sans doute
nous donner à voir autrement les « RPS » : le « psychosocial » est bien
une ressource essentielle révélée par les dégâts de l’inactivité imposée.
Celle-ci est synonyme de perte des étayages qui soutiennent les proces-
sus de subjectivation : étayage sur le corporel, la pulsion étant ici répri-
mée par l’amputation du pouvoir d’agir ; étayage sur l’intersubjectivité, la
relation aux autres étant ici suspendue par l’isolement, voire la relégation
(Lhuilier, 2002).
Les bégaiements de l’histoire se répètent encore et massivement du
côté des jeux d’imputation causale : où – à qui – attribuer la responsabi-
lité des problèmes de santé identifiés, ici en termes de stress, souffrance,
TMS, pathologies post-traumatiques, dépressions, suicides, addictions ?
Les controverses se radicalisent opposant les tenants de « l’exposition
aux risques » (qu’il s’agira donc d’identifier et de mesurer), à ceux qui
s’inscrivent plutôt dans la tradition de la « prédisposition », celle qui
permet de catégoriser des « individus à risques ». Dans les deux cas,
l’activité est évacuée et la seconde témoigne des tendances eugénistes
récurrentes mais aujourd’hui en pleine expansion (Lhuilier, 2010b).

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Les « risques psychosociaux » : entre rémanence et méconnaissance 23

Les glissements de termes et de sens entre « facteurs psycho-


sociaux », « risques psychosociaux » et « troubles psychosociaux »
révèlent un risque majeur aujourd’hui : celui de la chasse aux « fragi-
les », aux « vulnérables », au-delà de la classique catégorie des « bras
cassés », renvoyés aux dispositifs institués de traitement et recyclage
des rebuts du monde du travail. Dans nombre d’entreprises et d’admi-
nistrations, la prévention des « RPS » s’organise essentiellement autour
de deux types de dispositifs : détection et signalement des « individus
à risques » ; perfusion psychologique via moult coachs, numéros verts
ou autres tickets psy. Les premiers instituent une sorte de surveillance
généralisée : chacun est tenu de surveiller chacun, stimulé par le spectre
de la juridiciarisation, versus « non-assistance à personne en danger ».
Les deuxièmes alimentent et s’alimentent d’une représentation duale du
monde du travail : les sains, robustes, battants, performants…, aptes ;
les autres, fragiles, vulnérables, déficitaires…, et perfusés pour prévenir
l’inaptitude. L’évaluation de l’aptitude, traditionnellement dévolue à la
médecine du travail est devenue une tâche ventilée, déléguée non seule-
ment à la fonction RH ou à l’encadrement mais à l’ensemble du milieu

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de travail.
Cette individualisation des questions de santé a de beaux jours
devant elle : elle n’est pas qu’une des manifestations des enjeux socio-
politiques qui imprègnent massivement et depuis toujours la problémati-
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que santé-travail. Elle n’est pas que la traduction du « cynisme patronal »


aujourd’hui mondialisé. Elle est aussi un des effets des transformations
du travail. L’intensification des exigences productives et la diversification
des conditions d’emploi et des temps de travail ont des répercussions
marquées par une forte variabilité entre les individus. Ces transforma-
tions compromettent les modes opératoires construits individuellement et
collectivement pour préserver la santé et elles mobilisent plus fortement
les ressources physiques et psychiques de chacun (Volkoff, 2008). Le
recours à l’explication causale par les vulnérabilités individuelles est favo-
risé par cette « dispersion » des problèmes de santé au travail.
Dans un tel contexte, on peut comprendre le développement de
postures de résistance : résistance à l’individualisation, à la psychologi-
sation et la psychopathologisation, qui rabat l’étiologie des troubles ou
symptômes du côté de dimensions personnelles, privées, renvoyant à la
structure de personnalité, à la vie extraprofessionnelle voire à l’histoire
infantile. Résistance au panoptique qui se profile dans la transformation
du milieu de travail en instrument au service de la « veille » et du signa-
lement. Résistance à la stigmatisation des diagnostiqués « vulnérables »,
ceux-là mêmes qui représentent un risque aujourd’hui mais ici pour les
managers et directions qui ont à intégrer l’« obligation de résultats » en
matière de santé du personnel.
Pourtant, s’arc-bouter à la double dénonciation du travail pathogène
et du traitement de cas singuliers pourrait bien renvoyer chacun au traite-

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24 Nouvelle Revue de psychosociologie - 10

ment d’une contradiction délétère si elle ne peut être assumée et régulée


collectivement.
L’incitation à taire ses difficultés, professionnelles comme privées,
dans un contexte caractérisé par une augmentation massive des proces-
sus de compétition et de sélection, est forte. La prévention du risque de
stigmatisation, voire d’éviction pousse chacun au silence, à la dissimu-
lation et à la simulation. Il s’agit alors de s’assurer de l’invisibilité des
signes susceptibles de révéler des difficultés, des impossibilités ou plus
généralement des fluctuations des capacités productives. La figure imagi-
naire du « héros de travail » promue dans les attendus organisationnels
s’accompagne d’un déni du réel, de ce qui résiste au projet d’action, de
l’inconnu, de la fragilité, de l’impuissance et de la perte. Chacun peut se
faire complice de cette vision duale opposant les « bons pour le service »
et les « fragiles » : la catégorisation alimente une projection du négatif
et sa localisation-contention dans l’altérité ainsi balisée. Pourtant, la
vulnérabilité n’est pas un trait caractérisant certains, elle est ontologique,
structurelle au vivant.
La dissimulation des difficultés et problèmes comme la simulation

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de la conformité à cette figure idéale du « performant à toute épreuve »
ont un coût physique et psychique très lourd. Aux risques d’une usure
accrue, d’une altération de la santé et de processus de retrait suite
à l’épuisement des ressources nécessaires au maintien dans l’emploi
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(Lhuilier et coll., 2010).


Les services de santé au travail, comme les services sociaux des
entreprises et des administrations, connaissent le même dilemme qui se
radicalise aujourd’hui : comment accompagner sans nuire, traiter ou faire
traiter des « problèmes » sans signaler des personnes, sans les exposer
au stigmate, comment tenir le secret professionnel tout en agissant pour
la transformation de situations de travail ? Les délégués du personnel
comme les syndicalistes sont confrontés à cette même contradiction
entre demandes individuelles et actions collectives.
Les consultants, intervenants massivement convoqués aujourd’hui
sur ce vaste chantier des « RPS », reproduisent la même controverse :
répondre aux demandes d’accompagnement individuel ou récuser ces
dispositifs au profit d’un travail en collectif sur le soin à apporter au
travail. La radicalisation des postures pourrait bien s’avérer contre-
productive si elle renvoie les « demandes individuelles » au registre de la
clandestinité ou à la sous-traitance à du thérapeutique classique (enten-
dre traitement de l’intrapsychique délesté de la question du rapport au
travail).
La reconnaissance de l’épaisseur des singularités individuelles, des
interdépendances des différentes sphères d’activités dans lesquelles sont
engagés les sujets, des histoires de vie non réductibles à l’ici et mainte-
nant de la situation de travail, peut être au service du soin de la vie au
travail (Lhuilier, 2010a). A contrario, l’omerta sur l’individuel, le singulier

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Les « risques psychosociaux » : entre rémanence et méconnaissance 25

renvoie chacun à la solitude dans l’expérience inéluctable de la fragilité


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Lecture d’H. Wallon, Choix de textes, par Gratiot-Alphandéry, Paris, Éd.
Sociales.

DOMINIQUE LHUILIER, LES « RISQUES PSYCHOSOCIAUX » : ENTRE RÉMANENCE ET


MÉCONNAISSANCE

RÉSUMÉ
À partir d’une revue de la littérature sur l’émergence de différentes catégories
désignant les « maux » du travail, telles que l’usure, le stress, la violence et le

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harcèlement, nous tentons de repérer à la fois les rémanences dans les moda-
lités de saisie de la problématique santé et travail et la méconnaissance qui les
accompagne. La nouvelle catégorie des « risques psychosociaux » s’inscrit dans
cet héritage. Elle reproduit et renouvelle partiellement les enjeux associés à ces
constructions socio-historiques. En effet, le lien entre la santé et le travail est
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toujours saisi à travers le prisme des effets délétères de ce dernier : la ques-


tion de la santé des « sans-travail » et le travail comme source de santé sont
occultés. Les jeux d’imputation causale se prolongent opposant les tenants de
« l’exposition aux risques » et ceux de la « prédisposition des fragiles ». Face
à l’individualisation des questions de santé et à l’amplification des tendances
eugénistes, l’omerta sur les difficultés et problèmes de santé « personnels » se
développe. Mais ce pourrait être là une forme de résistance contre-productive car
elle contribue à l’usure et à la solitude de chacun face à l’expérience inéluctable
d’une fragilité qui n’est pas personnelle mais humaine, ontologique.

MOTS-CLÉS
Risques psychosociaux, usure, stress, violence, psychopathologie du travail,
imputation causale, fragilité.

DOMINIQUE LHUILIER, « PSYCHOSOCIAL RISKS » : BETWEEN REMANENCE AND MISAP-


PRECIATION

ABSTRACT
From a review of the literature about the emergence of various categories indi-
cating the work « harms », such as attrition, stress, violence and harassment,
we try to identify both the remanences in the form of exploration of the issue
« health and work » and the ignorance which seems to go along with it. The
new « psychosocial risk » category is part of this legacy. It reproduces and
partly renews the stakes which are linked to these socio-historical constructions.

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Indeed the link between health and work is always grasped through its negative
and deleterious effects. Thus, it denies the important issues of the health of the
« unemployed » as well as work as a source of health. The « games » around
causal attribution are still alive between the supporters of the « risk exposure »
and those of the proneness to illness of the « fragile » people. As the issues
about health appear to be individualized and eugenics trends seem to be growing,
it leads to a sort of « omerta » about the question linked to work and health
because of the fear of the stigma. Such a silence may be a counterproductive
form of resistance as it contribuets to the fatigue and loneliness of each one in
front of the unavoidable experience of fragility which is not a personal one but
a human one.

KEYWORDS
Psychosocial risks, attrition, stress, violence, work psychopathology, causal
attribution, fragility.

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