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F.-G.

FRUTAZ
--

LES ORIGINES
DE LA

LANGlJE FRANCAISE
DANS LA VALLÉE D'AOSTE

Etude publiée sous les auspices de la " Ligue Valdôtaine ,,

Comité Italien pour la protection de la langue française

dans la Vallée d'Aoste

A OSTE
IMPRIM�;RJE JOSEPH l\IAR(fUERETTAZ
191:-l
F.-G. FRU'T'AZ

LES ORIGINES
DE LA

IjANGlJE FRANCAISE
DANS LA VALLÉE D' AOS11E

Etude publiée sous les auspices de la " Ligue Valdôtaine ,,

Comité Italien pour la protection de la langue franc;aise

dans la Vallée d'Aoste

AOSTE
IMPRJM!;;RIE .JOSRPH MARGU!;;RETTAZ
191:�
'

lies ottigines de la Iiangue fttançaise

dans la Vallée d'Aoste

Cette étude très incomplète n'est qu'une modeste con tributi on


à l'œuvre de notre Comité pou1· la p r ot ection de la langue fran­
çaise et de son dévoué Président M . le docteur Anselme Réan.
Nous la publions pour rectifier des erreurs, pour diss i pe r des pré­

ventions et pour p rot es te r contre le gâchis que font de no tre his­


toire locale et de nos t1·aditions des rafistoleurs qui viennent mani­
puler nos publications et qui manquent de toute culture sérieuse.
Un h isto r i en de la Vallée d'Aoste, d ig ne de ce nom, un vald<ltain
aut hentiqu e , le consciencieux et labo1·i eux De Tillier, qui a passé

cinquan te ans à fouiller nos a rchi ves, qui a laissé plus de vi ngt
vo l um es t o u s m a n us cri ts , po urra it nous répéte1· à cette heure le

sic 1•ox non i:obis !


La Vallee d' A os te est en Italie le plus ancien d o m ai ne de la
Maison de Savoie et personne ue sa u l ' a i t doute1· de notre pa tri o­
tisme et d'une fidélité qui compte neuf siècles d ' a tt ache m e n t à la
plus• an ci e nne dynastie de lEurope. Les jamais
Valdcltains n'ont
eu et n'auront jamais la mo i n dr e tendance sépa ratiste et c'est p ré ­
cisément cet inj u s te sou pçon qui les a to uj ours blessés. Ils sont
profon dément italiens de cœur; ils se sont fait u n devoir, non
seulement d'adopter, mais de réclamer eux-mêmes l'enseignement
de la langue nationale qui domine presque exclusi vement dans nos
écoles, mais ils tien nent plus que jamais à 111 conservation du français
comme souvenir de leurs ancêtres et d'un passé glorieux, comme
un élément de culture générale, nécessaire à la libre manifestation
de leur pensée, et aussi comme une ressource pour leurs émigrés
d ans la France, la Belgique et la Suisse.
Cette question doit être envisagée avec une objectivité serei­
ne et c' est ce que nous tâcherons de faire, sans nous préoccuper
de quelques publications aussi inconcl uantes et inconvenantes que
superficielles. Tous les hommes d'une éducation et d'une culture
él eYée nous comprennent et, dans nos efforts pour conserver le
c ara ctère et le cu lte sacré de la langue d'un petit peuple, il
nous est permis de constater que ces attaques contre le v ieux
français de la Vallée d'Aoste ont leurs origines dans un nationa­
lisme exagéré ou dans un patriotisme de ca lcul, dans une concep­
tion éh'oite et faussée de l histoire et dans l ' ignorance ou l'oubli
des principes et des déco uve1·tes les plus èlémentaires de la phi­
lologie modeme.
I.

J,es grondes voles romaines - Coexistence des Salasses et des Romains,


du latin cl11sslqne, du latin populaire et du celti<1ue - Invasion

des Burgondes - J,es royaumes ile Bourgogne, les R01lolphiens

et les Carolingiens - La montagne ralliait les populations an lieu

de les séparer - Les Comtes ile Snrnie " portiers des AlÎ1fls " -:-­
Les Audiences Générales - Ln viabilité et les communications

au moy11n fige.

Les ti·avaux de Raynouard, Ampère, Genin, Edelestand du


Méril et Faurie!, rectifiés ou complét8s pa1' Littré, Brachet, Hatz­

feld, Darmestete1· et Thomas, Chevalet, Paul Meye1', Gaston et


Paulin Pàris, Léon Gauthier, d'Arhois de Jubainville, Granier de

Cassagnac, Belloguet, Desjardins , Pictet, Grenot et pa1· les 1·édacteurs


de la ReL•ue celtique et de la Ro1nania, en France, par Diez, Bartsch,

Hii1·11ig, Zeuss, Ebel, etc. en Allemagne, ont fixè à peu p1·ès définiti­
vement les origines de la langue française. L'application de la phoné­

tique expérimentale faite par"'· Foerster en Allemagne et par l'abbé

Rousselot en France, a donné à la linguistique une contribution


préciense. lis ont visité la Vallée d'Aoste; ils y ont emmagasiné

· quelques-uns de nos patois et ils sont arrivés à la même con­


clusion, à la souche du 1·oman-wallon et du roman-provençal.
Dans leur collection des parlers, ils ont donné en quelque sol'te

une fo1·me vivante aux profondes études de Diez et de Gaston


Pâris, les deux fondateurs de la philologie romane. Leurs travaux
jalonnent la route à ceux qui veulent. s'aventurer dans le dédale
périlleux de l'origine des patois qui précèdent, accompagnent et
expliquent toujours le développement de la langue. Une langue

classique n'est que le perfectionnement d'un ancien dialecte. Nous


n'avons qu'à expose1· en quelques lignes les derniers résultats de
ti

lcu1·s reche1·ches, mais nous devons les faire précedet• d'un aperçu
sur les vicissitudes politiques de la Vallée d'Aoste depuis la domi -
nation romaine jusqu' à l'avènement de la Maison de Sa\•oie.
Notre Vallee a été pour les Romai ns et les barbat•es un
pays de passages fréquents. L'l tiné raire d·Antonin et la Table de
Peutinger nous ont conse1·vé des indications et un tracé fort pri­
mitif sur les gt·andes voies de communication et leurs relais. De
Plaisan�e, deux grandes routes consulaires conduisai ent dans la
Gaule transalpine. L'une a llait à Turin, Suse et tra ve1·sait les Al­
pes Cottiennes. L'autre passait pa r Vercei l , Clavaxium (Ch i vasso) ,
Epoi·edia, Augusta P1·œtoria, Amebi·igiurn (Pré-Sai nt-Did ier?),
Ariolica (La-Thuile ou Pont-Serran) , in Alpe Gi·aia (Petit-Saint­
Bernard), Axima ( Ai m e) Damntasia (Moùtiers ?) , etc. Un autre
,

embranchement partait d'Aoste, touchait Eudracinum (Saint-Oyen


ou Saint-Remi) et, par le Summum Pœninwn (Grand-Sai nt­
Bernard), se dirigeait sut· Aventicum (Avanches), Strasbourg et
Mayence. Ces routes et ces cols si fréquentés des A lpes ont fait
que, dans notre Vallee, les transformations se sont effectuées plus
v ite· que dans l a Gaule. De l'an 23 à l'an 22, la conq uête romaine
s'y était définitivement consolidée et l'Augusta Praetoria était
construite avec le l uxe et l'appareil que les Roma ins savaient don­
ner a ux postes de frontière. Une inscription découverte en 1884
dans les fouil les de la Po1'la p1·incipalis dextra L nous prouve que
les Salasses n'avaient pas éte tous dét1·uits, mais qu' ils s' étaient
constitués en colonie romaine.2 Le fond de la va llée a dû être

1 V. llfémoire sw· mie inscription ruuwine (X VI '"0 bulletin de la So­


ciété de Saint Anselme, pp. 61-R4). Aoste, Mensio, t894, et FERRERO: Di
un' iscrizione di Aosta (Atti della R. Accademia delle Scienze di Torino,
vol. XXX, 1895).
2 Dans son intéressant opuscule La langne française. dans ln Vallée
à' Aoste, Aoste, Lyboz, t862 (pp. 19-25), le chanoine E. Bérard a deviné la
survivance des Salasses que devait nous révéler l'inscription romaine.
M. Bérard a pu exagérer involontairement dans l'at·deur de la lutte, mais
7

occupé p<1r des légio1111aires, comme l'indiquent les noms romains


des bourgades et des postes militaires Vitricium, Castellio, ad
Qum·tnm, Se;dwn, Nonum lapidem, et surtout des fundi Ca l­
ventianus (Calvenzol, puis Charvensod), Tarentianus (Tarensod),
Gratianus (Graczan, puis Gressan), Jo/Jentianus (Jovensan), Be­
bz"anus (Bebian), P01·nctianus (Porreczan, puis Po1·ossan), la ·villa
d'Aimus et d'Avilius qui nous a laissé le nom d'Aymavilles, etc.
C'est surtout dans les chartes de la Chancellerie d'Aoste au Xll'"0
siècle que nous 1·etrouvo11s encore le type des noms primitifs. Les
Salasses se sont retirés dans les vallées latérales et sur les mon­
tagnes, et la fusion entre les deux races a étè l'œuvre des siècles.
Charles Promis (Anticltitâ di Aosta) , Mommsen (Corpus
insc,riplionum) et Bérard (Antiquitès romaines) ont publie le
texte de qua1·a11te-cinq inscriptions romaines de la Vallée d'Aoste.
Quelques autres ont éte dècouve1·tes récemment. Elles appartien­
nent p1·esque toutes au latin classique, connu par la classe culti­
vée. Les prétoriens et les colons, pas plus ici que dans tout l'em­
pire, ne connaissaient et ne pouvaient connaitre la const1·uction
savante et difficile du latin classique. Ici, comme à Rome, ils par­
laient le senno mtlga>'is, le latin du peuple. Les Salasses avaient
leur langue ou leur dialecte. Vainqueurs et vaincus devaient pour­
tant se comp1·end1·e dans leurs rappo1·ts et lem·s transactions. Ç'a
étè le phénomène qui se vérifie de nos jours entre les enfants des
familles piémontaises et valdôtaines, e11t1·e nos villageoises et les
fripières de la Val de Brosso. L'adaptation crée un parler; les
plus fo1·ts absorbent les plus faibles, mais en emp1·u11tent aussi une
partie du vocabulaire. Pendant les pl'emiers siècles de la conquête
romaine, nous aurions pu assiste1· dans la Vallée a des conversa-

il avait compris tout ce quïl y a de noble et d'èlevé dans la défense du


caractère et de la langue séculaire d'un petit peuple qui, au nom de
l'-unité, rèagissait contre l'wiifo1·mité et contre les travestissements de
J' histoire, devenue l' instrument d' ambitions politiques.
tions singulières d'un lati n dètèriol'è dans lequel se faufi lait l' e lè­
ment celtique. Les mariages assaison nèrent le tout; la fusion se
fit lentemen t et I'èlèment germa nique des bourguigno ns y apporta
aussi une partie de son vocabulaire. De ces mèlanges sorti t un dia­
lecte auquel se superposa lentement, pow· les publications officiel­
les, la langue roma ne, puis la parleur·e de I' Ile de France dev enue
la la ngue francaisc. Notre patois actuel, avec ses accents de terroi r
et ses variétés, ne conserve plus même la moitie des mots si ca­
ractéristiques des siècles passés, que nous ret1·ouvons dans les i n­
ventai res et l es actes notariels, un pêle-mêle de roman, de v ieux
frança is et ne terminologie locale.
Vers l'an :�68, avant les invasions des barbares, la ville ro­
maine était encore intacte, car Aoste devint le siège d'un évêché
qui prècèda ceux de Grenoble, de Ta1·entaise, de Belley, de Mau­
rienne, de Martigny et d' Av anches. La dèlimitation des diocèses,
à cette èpoque, nous se1·t pour dèterminer l e territoire des peu­
ples primitifs. Au V"'" siècle com mencent les grandes in vasions et
l'histoire devient muette. Il est im possible de se fixer dans le re­
mous de ces peuplades qui vont et viennent à t ra v ers les cols des
A l pes, se chassent, se superposent et se confondent, jusqu'à la
constitution définitive du second royaume de Bourgogne. En dè­
gageant ces vastes galeries souterraines qu'on appelle le f(wum
d'Aoste, nous y avons t rouvè des crànes et des ossements en pa1·­
tie brûlès, des blocs calcinès et les traces de trois incendies.
·

Dans là première moitié du V"'" siècle, les Burgondes occu­


pèrent l es provinces gallo-romaines de la Haute-Saône, du Jura,
des A l pes Pœnines et Graies. En 470, i l s obtinrent aussi les pro­
vinces de Lyon et de Vienne qui, avec l es p1·écédentes, formèrent
le premier royaume de Bourgogne (456-5a4). Vers la fin du vm•
siècle, les Bourguignons passèl'ent les Alpes et etendirent leur i n­
vasion j usqu'au Pô. La Vallèe d'Aoste fit-elle partie de ce royau­
me ? li est probable, mais nous ne saurions l'affirmer. Tout ce qui
a ètè ècrit à ce sujet ne repose que sur des conjectu1·es ou snr
des textes interpolès et fort suspects. La donation d' une tour et
de quelques terres de la Vallée d'Aoste faite par Sigismond, vers
l'an 515, à l'abbaye d'Agaune, n' i mplique pas une souveraineté
réelle sur to ut not1·e pays et la copie de cette cha1·te est trop
dèfectucuse.1 Les Clausurae Augustanae,2 mentionnèes dans une
lett1·e de Théodoric au préfet Fa ustus. sont ausssi une expression
trop vague. La lettre du même 1·oi à Eustorge, archevêque <le
Milan, au sujet <l'un èvêque d'Aoste, ne suffit pas non pl us pour
affirmer la domination de ce roi dans notre Vallèe dont l'histoi1·e,
à cette époque, est à peu p1·ès inco nn ue. Gontran, roi de Bourgo­
gne, l'aurait reconquise sur les Lomba1·ds en 576. Notre cathé­
dra le le reconnaît comme son restau1·ateur. La domi na tion de
Gontran et lincorporation de la Val lée d'Aoste au second royau­
me de Bourgogne sont des fai ts plus certains. Elle suivit la for­
tune de la monarchie fra nque j usqu'à la ch ute des Mé1·o v i ng ieus.
Constatons d'abo1·d deux faits qui nous intéressent pour l' é­
tude des 01·igines et de la fol'lnation de la la ngue . Le royaume de
.
Bourgogne, sous les Mérovingiens et les Cai·oli ngiens, quoique
subdivisé, conserva son autonomie, et Charlemagne, après la dé­
faite des Lomba rds, rendit la v a llée de Suse au 1·oyaume d' Ita lie,
mais se reti nt la val lée d'Aoste. Après la chute de l'empi1·e caro­
lingien, a vec la déposition de Charles-le-Gros à la diète de T1·i bur
et sa mort en 888, Rodolphe, comte d'A u xerre, s'attribua les pro­
v inces de la Bo urgogne Transj u rane (Franche Comté, Su isse et
Savoie) et se fit reconnaître par les évêques et les seigneu1•s as­
semblés à Saint-Maurice d'Agaune. A vec l' Helvètie proprement
dite, a vec le Valais, le Chablais, le Genevois et le pays de Vaud,

1 Elle a été reproduite par le P. Sigismond, capucin, dans son His­


toire dit glorieux Sainct Sigismond marty1", p. 375, Sion, i666.
2 V. l'édition de Cassiodore, par Mommsen.
10

l a Val lée d'Aoste fit partie du troisième roya ume de Bo u1·gogne,


mais elle dût subir, en 924, !' invasion des Hongrois et, de 939 à
980, celle des Sai·rasins. Rodolphe 1 mourut en 91L En 92 1, son
fils Rodolphe II fut procla mé roi d'Italie, après la défaite de Bé­
renger. Une sœur de Rodolphe Il était entrèe dans la maison des
marquis d1vrée. Il se tro uv ait à Aoste en 92:3 et assistait à une
donation faite a ux deux Chapitres par l'évêque Ansel me 1"' qui
pol'te l e tit1·e de comte (d'Aoste). Notons que l e comté i mpliquait
une juridiction civile, tandis que le ma1·quisat a vait des att1·ibutions
essentiellement militai res. Avec Rodolphe III, moi·t en 10::32, finit
le troisième roya ume de Bou rgogne, et la domination d' Humbe1·t
a u x-blanches-mains commence à s'affirmet' dans notre val lée.
La domination bu rgonde et cel le des Carolingiens ont eu chez
nous une influence considérable au point de vue de 1'01·ganisatio11
religieuse et civile, de la législation, des mœurs et su1·tout du lan­
gage. La Savoie doit à Charlemagne une division administ1·ative,
des ècoles de latin et de chant, des dotations à ses abbayes, des
soins intelligents pour ses routes. Plusieurs capitulaires sont datés
de Genève. Les chroniques de Mari us d'Ava nches et les récits de
Grégoire de Tours établi ssent l' i mportance du r<'ile socia l et poli­
tique de certaines abbayes, comme celle de Condat. Nous pou vons
en dire de même des colon ies de bénéd ictins qui se sont fixées
dans la Vallée d'Aoste bien avant le X"'" siècle. Une école rema1"
quable de paléographie existait à Saint-Bénin d' Aoste qui, avec le
monastère de Saint-Ours, fut chez nous, pendant des siècles, le
seul refuge de toute cultui·e littéraire. Les relations fréq uentes
des Rodolphiens avec leurs évêques-électeurs ont fait que ceux-ci
ont contribué puissamment à la fusion des races et à l'organisa­
tion du royaume. D u V" a u X0 siècle, les évêques de chaque pro­
vince, ré unis en conciles, se concertaient et imprimaient à la po­
litiq ue la direction qui l e u r paraissait la plus util e a u bien non
seulement des fidèles, mais aux intérêts de leu1·s administrés. Il
tt

en résulta non seulement un état, mais une nation, avec identité


de mœurs, de langue et de religion.1
On a toujou1·s oublié ou ignoré un fait capital: c'est que, dans
la formation et la constitution des royaumes créés à la suite des
invasions bal'bares, les montagnes, les Alpes surtout rattachaient
les populations des deux versants, au lieu de les séparer. Les cols
des Alpes les plus fréquentés, comme ceux du Mont-Joux, de Co­
lonne-Joux et du Mont-Cenis fu1·ent des traits d'union, des moyens
de fédération, puis de fusion, comme ils l'avaient été pour les tri­
bus celtiques. N'envisageons pas la pé1·iode qui va du V• au XI''
siècle avec nos idées et nos principes modernes de nationalité qui
font maintenant de la mo ntagne ou du fleuve une barrière infran­
chissable. Les mêmes c lans se fixaient sur les deux versants des
Alpes pour en avoir les passages, et on savait alors ce qu'ils valaient.
Ou n'est pas certain si, en 10n. Hem·i IV a traversé le Saint­
Bernard ou le Mont-Cenis pour se rendre à Canossa, mais il a
été forcé de demander un passage au comte de Savoie qui sut
profiter de sa situation stratégique, car tous les autres passages
étaient fermés à l'empereur.2
Le long règne d'Amé III, qui admi nistra pendant plus de
quarante ans (1103-1148) ses fiefs bourguignons, hérités en partie
de sa mère Gisèle, et ses fiefs du Piémont, fut très utile pour
l'unification et la fusion de ces domaines sur les deux versants
des Alpes, car il créa et enrichit de nombreuses abbayes et il
protégea surtout celle du Saint-Bernard. Après sa mort, les comtes
de Savoie adoptèrent un emblème particulier pour leurs enseignes
et la croix blanche de Savoie remplaça l'aigle des rois de Bour­
gogne.3 Jusqu'à la croisade dans laquelle Amé Ill accompagna le

1 üi;: SAINT-G1•:N 1s, Histoire de Savoie, I. l '1 I.

� Pg1nz, Scriptores, \1, 255.


;i naos le monumenL de Thomas Il (t en 1259), qui se trouve dans
12

roi de France Louis VH, ses domaines n'étaient qu'un grand fief.
Ils deviennent depuis lo rs u n état et, ce qui est i nté ressant pou r
nous, cet état prend p l u s ta1·d u n e div ision ethnographique com­
pre nant les cinq pat1·ies de Savoie, de Vaud, d'Aoste, de Pié mont
et de Nice. De là la nécessité d'entretenir les routes et de proté­
ger les hospices des Alpes.
En 1422, l'empereur Sigis mond, intéressé à ménager le por­
tier des Al pes, comme on appelait le comte de Sa voie, inféoda
le Genevois à Amédée VIII, et, en 1518, François I fit adresser
au duc Charles Ill ce sa nglant reproche : « Jfauvais p01·tie1· qui
a laschè ses clefs aux mains des Suisses ! » Le prince se re­
dressa sous l' injure et fit celte fière réponse au héra ut d'armes
qui lui si gnifia i t la ruptu re: « Mon amy, dis à ton maistre que
s'il luy plait p1·end1·e mes païs, je me trouveray à l'ent'l'·ée et
qu'avec l'ayde de Dieu et de ce1·tains amys que j'ay j'espè1·e les
garde1·. »1 Plus de qua rante fois, nos comtes et nos ducs, escortés
par la fleur de la noblesse sav oisienne, sont venus, pa r le Petit­
Saiut-Bernard, tenir à Aoste les A udiences Génér11les. Notons ce
fait i mportant que les comtes de Sa voie, pour se rend1·e a ux
Grands Jours d'Aoste, devaient enti·er dans notre vallée par la
route d u Petit-St-Berna rd, s'ils voulaient èb·e reçus avec les
honneurs dûs à leu1· mng. S'ils y pénétraient du côté du Pie­
mont, les autorités locales n'etaient pas ten ues à les 1·ecevoil' avec
ce céremonial. A Aoste, le premier acte que le prince dev ait faire,
a vant de se 1·end1·e chez lui, etait d'aller prêter ser ment sur l'au­
tel de la Cathédrale, de respecte1• les franchises, les libertes e t les
pi·i vilèges du pays. La Va llée d'Aoste 1·eco1rnaissait a lors dans la
Savoie son centre politique, adminisll'atif et j udiciaire. Aussi, nos

notre Cat.hèùrale, nous voyons encore l'aigle ùe Rourgogne sur la colle


ùe mailles ot sur le bouclier.

1 Gl.llCllENON, FRÉZET, DE SAINT GièNlS, !, 50l.


13

prmces, depuis le XII" siècle, füent de nombreuses dotations aux

deux hospices du Saint-Bernard et leur accordè1·ent des franchises


et des privilèges ainsi qu'aux habitants de Saint Germain et de

Saint Remi qui devaient pourvoir à la manutention des routes et

à la sécurité des voyageurs. L'historien du chàteau de Ripaille,


M. Max .Bruchet, qui nous a donné une si riche contribution
d'études, nous dit dans une de ses inté1·essantes publications:
« Les difficultés des anciens chemins, comparées aux facilités des

comm unications actuelles, semblent aujourd'hui décourager les

f rts. 011 a peine à s'imaginer ces longues


efo files de mulets, de

bêtes de somme, de gens de pied, de cavaliers franchissant le


Grand-Saint-Bernard ou le Mont-Cenis en hiver. La nature était­

elle plus clémente, la route meilleure que nous l'imaginons? Non,

sans doute, puisque nous voyons au contraire l'homme arrête par

la tempête ou les accidents du chemin. Mais l'entrainement et la


né cessité sur montaient la fatigue. li fallait passe1· les monts parce
que l'on ne pouvait pas faire autrement, et les messagers d'Amé­

dée VIII s'en tfraient si bien que l'un d'eux n'était plus connu
que sous le nom significatif de Tranche-Montagpe. C'était au

m oyen àge un va-et-vient constant entre le Piémont et la Sa­

v oie, le Val d'Aosle et le Valais reunis sous Ull même sceptre.

Ces deplacements etaient nécessaires dans des temps. où il 11 'y

avait pas de capitale, où le centre administratif suivait le p1·ince.


D'<tilleurs, les services de la trésorerie et des approvisionnements,

la co1·respondance diplomatique ne pouvaient être interrompus. »1

Ces grandes institutions que la charité chretienne a relevées sui·


les cols des Alpes et sui· l'emplacement des mansions romaines,
en secourant les voyageurs, ont servi puissamment à fusionner

1 es peuples et à crèe1· la langue. Remontons le cours des siècles,

1 MAx BRUCHET, La Savoie d'après les anciens voyageurs, Annecy,


1908, p. 13.
si nous voulons comprendre !' i mportance et le rôle historique de
ces maisons providentielles a lim entées par la piété des fidèles,
protégées alors par des princes clairvoyants et appauvries par les
états modernes.
Les seigneurs de Cly et ceux de Nernier, première branche
des vicomtes d'Aoste ; à chev a l sur le col Saint-Théodule, et les
puissants sires de Quart et de Val pelline, dominant les vallées
aboutissa ntes a u Mont-Joux et a u col Dura nd, continuaient les do­
maines impéria ux de Rome, les p1·ata i·egis, des barbares et des
dynasties féodales qui avaient régné dans les A lpes. La montagne
était alors un symbole d' indépendance et de nationalité, et nous
voyons encore de noR jours des clans germaniques enracinés de­
p uis bien des siècles sur l es flancs opposés du Mont Rose, à Ala­
gna, Macugnaga, Formazza et Gressoney. 1 Les glaciers avaient
aussi une autre configuration et pl usieurs passages ont été obstrués.
Le croirait-on de nos jours? Mal gré l'étendue de montagnes et de
glaciers qui les séparaient, les habitants de la Val Anzasca et ceux
de la v a l lée du Marmore, se disputaient les pâturages et se vo­
laient les troupeaux, 11 y a cinq cents ans. Les hau ts chàlets de
I' Ossola et ceux de Valtornenche ont vu alors des meurtres et

d es batailles sanglantes. Le 30 juin ·1 381, fut conclu un traité de


paix et de .confédération entre les habita nts de Tornion , d'Antey
et de Valtornenche d'u ne part et ceux de Maq uignyey (Macu­
gn a ga) qui se pardonnent leurs vols et leurs offenses. L'acte fu t
écrit dans l'église de Saint Maurice à Pra born az (Ze1·matt) par le
notai1·e Jean Mu leti, de Mognyo (Tornion).2 On con naît les batailles
en tre Bagna1·ds et Valdôtains au XI V" siècle et surtout en 1040

1 Parmi les travaux les plus sérieux sur les colonies allemamles eu
Italie, nous avons ceux d'Albert Schott, de H. l:lrcsslautl, tic P:rnl Kiml,
de Charles et François Cipolla et d'Arthur Galanti.

2 Archives du chùteau de Chàt.illon, vol. :�o. N. 3.


15

pour la possession des pâtu rages de Chermontanaz où se tenait


une foire très frèquentèe.1 Déj à au XIII• siècle une route traver­
sait le col D u rand, appelè plus tard la fenêtre de Calvin, et les
Bagna rds pouvaient commercer d irectement, par ce passage, avec
les Vald<>tai ns, sa ns ê tre assujettis aux droits de souste et de péa­
ge. Au XIII• et au XIV• siècle, les châtelaines de Cly se ren­
da ient, au milieu des neiges de l ' hiver, dans le Haut-Valais pour
passer les fêtes de la Noël dans leurs domai nes de Viège, Loëche
et du val d'Anniviers où les mœurs, les habitudes, le dialecte, les
n o ms de l ocalités et de familles nous accusent d'anciennes rela­
tions avec la Vallée d'Aoste.
Le problème aussi intéressan t que difficile des or1grnes féo­
. claies dans les A l pes a été ètudié par Lèon Menabrea qui a fait
au ssi des recherches dans nos archives. ffautres historiens, après
lui, ont relevé l ' importance des com m u n ications à travers les A l­
pes, sur le parcours de ces voies 1·omai nes signal ées par l ' Itiné­
raire d'A ntonin et la Table de Peutinger, d'Augusta Pmetoria à
Vesuntio et à Vienna, et nous renvoyons le lecteu r aux ouvra­
ges de Valckeuaer, Bergier, Durandi, Albauis-Beaumont, Ducis,
Max Brnchet, Mellé, Vaccarone, Coolidge, etc. Nous ne pouvons,
dans cet al'ticle, ètudie1· les vicissitudes de la Vallée d'Aoste sous
les Ro<lolphiens et sous les premiers comtes de Savoie jusqu' à son
é1·ection en Duché (12��8). Après tou t ce qui a été publié, qu' i l
nous suffise d e citer u n docu ment inconnu d e l'an 1226, d'après
lequel Guillau me, com te de Gene vois, donna la terre de Salagine
(man dement de Humil ly), avec ses habita n ts, à Godefroy, fils du
vicomte d'Aoste.2 De part et d'au t1·e, i l y avait écha nge de fiefs;
la Savoie nous donnait des évêques et des baillis, et nous l u i ren-

1 HoccAHD, Histoire d11 Valais, JR2. - GRENAT, llistoire moderne du


Valais, 28-30.
� A1•chives ùu chitteau <le Chàlillon, vol. 61, N. 2.
<lions des châteiaines et des magistrats ; les relations ètaient con­
tinuelles, tandis que notre ra llèe est restée à peu près en dehors
du Pièmont et de la Lombardie, sa uf pendant les guerl'es de l a
fi n du XIV" et du commencement du XV" siècle, quand lblet,
Boniface et A médèe de Chal lant luttaient pour la Maison de Sa­
voie contre les V isconti et les marquis du Montferrat. Toujours la
V allée d'Aoste a été considériie comme la clef des Alpes; elle a
vécu des institutions, elle a subi l'influence du Royaume de Bour­
gogne et ensuite de la Savoie et de la Suisse Romande pour la
l a ngue, les mœurs, la lègislation et l'organisation municipale. De­
puis le XII" siècle, la la ngue fra nçaise s'y est formée tout natu­
rel le ment, avec les mêmes procèdés phonétiques et philologiques,
avec les mêmes lois historiques que clans la France du nord et
dans les a nciens Etats de Savoie.

Il.

IHsparltlon du celtique et altérations 1111 latin - Les Gallo-Romains

- I,e Roman - Coexistence du Latin, du Français, du Roman et

1111 dialecte bourguignon.

La culture romaine de la Gaule du midi n'aura pas été sans


influence sur celle du nord. Qua n d Cèsar en entreprit la con­
quête, environ sept millions d'hommes pa1·l aient le celtique et se
comprenaient, ma lgrè la diversité des dialectes, depuis la Garonn 'e
jusqu'au Rhin. Nous pou vons èvaluer à soixa nte o u soixante-dix
mille les celtes qui habitaient la Vallèe d'Aoste avant la conquête
romaine. Les cromlechs, les dolmens, les menhi1·s ont presque
tous disparu et nous n'a vons plus aucune trace du centt·e admi­
ni stralif n i des habitations de ce peuple. Les rares souven irs que
nous ayons des Sal asses sont linscription romaine de la porta
principalis dextra, t1·ois monnaies e11 or découve rtes à Ve1'l'ès,
à Aoste et à Sa int Mal'tin de Corléan, une épée en bronze re­
trouvée aussi dans cette derniè1·e localité et quelques annea ux
a ussi en bronze décou verts à Aoste, au nord de la Porte Pertuis.
Les carac tè1·es des monnaies se rapprochent du phénicien e t ac­
cusent une civilisation fort avancée. Les tombes néoli thiques dé­
couvertes à Montjovet en 1909 sont de bea ucoup antérieures.' La
langu e des celtes ne disparut presque complètement que huit
siècles après la conquête romaiue. Au VI• siècle, Grégoire de
Tou 1·s nous pa 1·lc encore du cel tique comme d'une langue co nnue
et qui contin uait à avoir cours. Da ns nos montagnes, il a laissè
ce1· tai neme11t des t1·aces dans les dia léctes et les noms de loca lités.
Ce ne fut qu'en 813 que le concile de Tours 01·donna aux évê­
ques de traduire les homél ies des pè1·es en langue romaine rus­
tique ou en langue tudesque, selon les loca lités, pou r les mettre
à la portée du peuple.
Dans les val lées des Alpes, comme dans la Gaule, le moyen
le plus radical que Rome employa pour s'assi miler ses nouvea u x
s ujets fut cel ui dont certains hommes d'Etat s e servent encore
dan s n os temps rle liberté. Elle proscrivit, pour l es a c tes officiels,
la langue du pays, comme si l' idiome national, dit un auteur, en
dis pa 1·aissa nt, devait emporter avec l u i les idées et les sentiments
qu' i l avait servi à exprimer. Ver·s la fin du I V• siècle, nos ancê­
t re s étaien t devenus des Gallo-Romains, mais saint Hilaire, saint
Marti n, sai n t Remi, qui ont certainement èvangèlisè nos popu lations,
n' ont pu se servir que du celtique ou du latin populaire, rlu sei·­
mo ple ùeius ou 1·usticus qui comme11çait à se transforme r en ro­
'
man, ta ndis que le latin classique se détériorait chaque jou r jus­
qu'à ce que les gl'a ndes invasions l u i eussent donné le cou p de

1 G. E. Rizzo, Sepvlcri neolitici di Jr/o11f;joret (Alt.i della R. Acatlemia


delle Scienze di Torino, lfl!O).

2
18

grâce. lpsa latinitas et 1·egionibus quotidie mulatur et tempore,


écri vait saint Jérôme,- et Mamert Claudien faisait cette amère ré­
flexion: Grammaticam video solœcisnii ac bm·ba1'ismi pugno et
calce p1·opelli. Au V• siècle, saint Prosper i n vite les prêtres à

laisser de côté le latin et à se servi1· de la langue rustique. Char­


lemagne et l ' école palatine remi1·ent quelque peu en honneur le
l a ti n parmi le clergé et nous voyons se développer para llèlement
deux li ttératu res distinctes : les clercs et les moines écrivent leurs
traités et leurs chroniques en latin, les laïques en roman. Dans
la Gaule, comme dans les vallées des Alpes qui en faisaient par­
tie, le latin populaù·e, nous le répétons, ne doit pas être confondu
avec le bas la tin Ce dernier n'était chez nous que le latin litté­
.

rai re qui, chaque siècle, s'a l térait dans les mots, les constructions
et les règles grammaticales, avec un mélange bizarre d'expressions
populaires. Ducange l'a collectionné en gr·ande pa rtie dans son
Glossaire monumen tal . On s'en servait dans les actes publics, mais
la flex ion ·e t l a grammaire étaien t étrangement mutilées. Des frag­
ments de cha1·tes du xu· siècle que nous avons retrouvés dans
nos archives sont écrits en u n lati n barba re qui n'a plus conservé
que deux cas. N o tons q ue les caractères, les abréviations et les
s igles de notre paléographie sont ceux. des anciens Etats de Sav oie
et de l a Suisse Romande.
Ce fut non pas ce bas latin du clergé, des scribes et des
tabe l lions, mais ce fu t le latin du peuple q u i donna naissance a u
1·oman, p1·emiè1'e forme du fmnçais mode1·ne. Cette thèse a été
développée dans la G1 ·amm ai re des langues romanes, de F. Diez
(traduction de Gaston Pâris et Morel-Fatio), dans celle de Meyer­
Lubke (tra duction de Habiet et Doutrepont), dans les Grammaù·es

hist01·iques de Brachet et de Darme1·steter, dans les 01·igines de

la langue f1·ançaise de G ranier de Cassagnac, dans !'Histoire des

institutions politiques de l'ancienne France de Fustel de Cou-


19

langes, etc.. Dans son i mportante Histoire de la langue française


(vol. I, pp. 39-357), F. Brunot a fait une étude profonde et minu­
tieuse su r le lati n classique et le l atin populaire, sur les dialectes
du latin, la distinction des parlers provinciaux, les ca ractères du
latin parlé, sur l'a ncien francais ou francien du IX0 au XII" siècle
et sur ses va riations phonétiques. li nous est i mpossible dé résu­
mer dans un article cette longue métamorphose que Brunot a
exposée dans tous ses détails. Solécismes et barba rismes, mots cel­
tiques affu.blés d'une forme latine, constructions étranges altéri:>­
rent chaque jour le latin populaire pendant la période ga llo-ro­
maine j usqu'aux invasions germaniques et surtout celle des B u r­
gondes. Comme l'observe A. Hen ry, l'amalgame germanique avec
le parler antérieur accéléra la décomposition du latin et produisit
la formation d u roman. La syntaxe disparut sensiblement et, de
de la flexion latine, il ne resta que deux cas, l'un pour exprimer
le sujet et l'autre pou r i ndiquer un régime quelconque. « Le latin
et le fra nçais, dit A. Brachet, ne sont a u fond que les états suc­
cessifs de l a même langue ». Gaston Pâris affirme à son tour:
« Le français n'est a utre chose que l ' une des formes du latin
, v u lgaire ou roman, et les fils des Ga ulois parlent depuis dix-huit
siècles une langue formée aux bords du Tibre » . A part l' i nfil­
tràtion récente de l'élément piémontais, les Valdôtains appartien­
nent a ussi à ce clan celtique auquel s'étaient superposés l'élément
romain, puis les Bou rguignons.
Du x• au XIII• siècle nous voyons, dans les vallées des· Al­
pes et sur les deux versants, la coexistence du latin déna tu ré, d u
r oman q u i se l'assimile, du francien qui s'affirme, tend à devenir
une langue, et du bou rguignon qui va disparaître en se confon­
dant dans le nouveau dialecte local, avec des proportions qui va­
ri ent selon les cou1·ants et les localités. Nos patois valdc'itains sont
un dérivé de tous ces éléments. Après avoil' étudié les 01·igines
socia les dans les anciens Etats de Sa mie, de li 12 à !)fl(i, Victor
20

de Saint-Genis concl ut pa r cette observation: « Un a utre fait se


produisit dans la règion savoyenne des Alpes exactement comme
en Bourgogne et en Dauphinè, c'est la transformation du langage
et l'apparition de l' idiome moderne. Au VI", a u VII• et au VIII"
siècles, on aperçoit, dans la vallèe du Rhône et dans les val lèes
adjacentes, la langue germanique, langue du vainqueur·, m ais
dont il ne fait point usage dans le gouvei·nement et qu'il n'im­
pose pas aux Gallo-Romains; puis la langue lati ne, langue des
èvêques et des diplomates, langue des affaires. De vingt en vingt
ans, on peut suivre une altèration progressive du lan gage; les
restes des anciens idiomes celtiques, que la conquête romaine, con­
tinuèe par la prédication chrètienne, avait effacés aux deux tiers,
reparurent dans les vallées plus reculées; quelques mots usuels
apportés pa r les B u rgondes, les Goths ou les Francs s'introduisi­
rent avec des désinences latines. Puis, dans l'ignora nce universelle
qui du peuple monta j usq u'a ux classes riches et cultiv ' é es, où le
golit des arts se perdit avec les cha rmes du loisir, ces désinence�
deviment un embarras; on les supprima. L'idiome nouveau qui
naissait chaque jour de l'entretien d'hommes g1·ossiers n'eut rien
de régulier, d' unifol'me, j usqu' à ce que, dans chaque région, fa
la ngue parlèe, mobile et variable, s' écrivit, puis d' écrite devin1
littéraire et, pa1· un phènomène inverse à celui qui dût préside1
à sa créa tion, s' i mposa peu à peu à la foule pa r l 'ascendant de!
lett 1·ès et des prêtres. C'est ainsi que d u latin naquit l a langui
romane, et que se formèrent ensuite les dialectes pa rticuliers qu'o1
appela le français, l' italien, J' espagnol, tandis que la langue aile
mande s'a ccentuait pou r sa part et se précisait.1 Les découverte:
de la philologie ont confirmé les assertions de Vil lemain dans soi
Tableau de la littérature au moyen rige.2

1 Histoire de Savoie, 1, ta8.


2 I, 59.
21

U n e étude s u r les pa tois d e l a Vallée d'Aoste ser a i t ici à sa


place et nous voudrions établir leurs rapprochements et l ' i dentité
de famille avec l es dialectes voisins, mais le temps, l'espace et les
ressources nous manquent poui· un tra vail a ussi vaste. Nous ren­
voyons le lecteur à la riche bibliographie qui précède le Diction­
naù·e Savoyard où M. Désormaux a signalé plus de 1 40 publica­
tions toutes relati ves aux patois de la Savoie, de la S uisse ro­
mande et des vallées des Alpes. Depuis 1 902, nous avons encore
de nombreux articles de M. Désorma ux t qui, dans la Savoie, s'est
spécialisé en ce genre d' études avec MM. Constantin , B rachet,
D uret, Fenouillet, Gonthier, Marteaux, Charles B utti n , etc. Le
Dau phiné, le Lyonnais et surtout l a S uisse nous ont donné aussi
une riche contribu tion.
Les patois parlés dans les anciens Etats de Savoie a ppartien­
nent au groupe des pa1·lers romans a uxquels M. Ascol i 2 a donné
le nom un peu générique de franco-provença l . Le provençal a eu
certai nement une grande influence sur not1·e langage populaire,
mais n'oubl ions pas que nos populations ont fait partie i ntég rante
des royaumes de Bourgogne. Une déli mi tation précise des influe n­
ces d u roman-wallon et du roman-provençal est impossible a éta­
blir, d'autant plus que nos patois o nt perdu u ne partie de leurs
éléments, surtou t depuis deux siècles. Pour la Savoie, une . partie
du Lyonnais, le Dauphiné septent1·ional, la Bi·esse et le B ugey,
les cantons de Vaud, Genève, Neuchàtel, Fribom•g, le bas Valais,
et pour les vallées d'Aoste, de S use et d u Pellice, . nous préfére­
rions, à notre modeste avis, le qualificatif plus générique de patois
bourguignon et fi·anco-p1·ovençal.
Nous n 'avons presque p l us que les débris des a nciens patois
de la Vallée d'Aoste et le parler si caractéristique de nos ancê-

1 Revue savoisienne, 1 11 1 U e t 1 9 1 1 .
Schizzi franco-p rovenzali - V. Dictionnaire Savoyard, p . XVII.
22

tres a disparu en grande partie avec les progrès de l instruc tio n


et a vec l'émigration. S i nous p renons pourtant le matériel i ns é ré
dans son Dictionnaù·e par notre bon abbé Cerlogne, certaineme nt
plus poète q ue romaniste, et si nous l e comparons aux dialectes
des régions voisi nes,1 nous les retrou vons tous de famille, ayant
la même communauté d'o1•igine, nous rappelant des traditions, des
mœurs et des usages identiques.
A la chapelle de La Balme sur Pré-St-Didier, une inscription
de l'an 1 340 rappelait les bienfaits d' Ai mon Balma, fondateur de
la chapelle. Elle offre un mélange curieux de latin barbare, agré­
menté de quelques mots patois :

Ay · Jo' Balma · continyat · ycrndia · -�ancta

q-1û · mentit · tanta · jam · sentit · premia · quanta

nnno · inilleno · tercenteno · bis q · viceno

capellam · fundavit · ellimoseinam · quoque · donavit

ecclexia · sane · vixitabat · tempore · mane

v i te · pro . pane · non · duxit · tempu.� · inane

paup eribus · noram ! · donabat · en · mont · et · en · plnn

denarios · en · man · inopibus · donabat · to plan

infi rm as · sempei- · vixitabat · mttltmn · libenter

salvet · ipsmn · Christus · qui · regnat · trin.us · et. · unus · amen. 3

On commence à comp rendre de nos jou rs l im porta nce de


l'étude des patois. Nous empruntons le passage suivant à un spé -

1 V . les d i ction n a i res de Bonhôte et de Gui llebert pour le canton de


Neuchâtel, de Bride! pour la Suisse rom a n d e , de Gra ngier pour le Fri­
bourgeois, de Humbert pour le Ge nevois, de Collet pour le pays de V a u d ,
de Gariel p o u r Je Da uphiné e t s u rtou l, cel ui de Constantin e t Désor m a u x
p o u r l a Savoie en général.

2 Nora, a u mône qu'on faisa i t à l ' heure de none.

3 Cette inscrip l ion nous a é té co m m u n iquée par M .11" Rosalie Chénoz.


Son pêre l ' a v a i L recopiée a va n t la démoli tion de l'an tique chapelle de
Sa i n t A n toi ne. M. le chanoine A. Marguerettaz l'a publiée dans son Mé­
moire sn1· les ancien.� hôp itaux, li partie, p . 45 .
23

cialiste de haute valeu r, à M. l'abbé Rousselot q u i a, comme nous


l'avons dit, étudié aussi les parl ers de notre pays:
« L'observateul' a ttentif, di t-il, qui traverse nos campagnes et

q u i en étudie le!s patois, voit reparaître à ses yeux tout le tra­


vail qui s'est accompli au sei n du gallo-roman depuis près de deux
mille ans. Il retrouve des fa its dont l hi stoire n'a pas ga rdé le
souvenir et q u i remonte n t au latin l u i...même ; des phénomènes
auciens que J' induction seule faisait connaît1·e et qui sont r a menés
par le hasard des combinaisons récentes ; les intermédiaires qui
rattachent entre elles des formes, des significations supposées j us­
qu'alors isolées . . . . Le passé l u i devient présen t ; bien plus, il peut
prévoir le sort réset'vé aux mots qu'il étudie et décrire à l'avance
leurs transformations futures.
e Les patois ne sont donc pas seulement i ndispe nsables pour
l'étude particulière du groupe de langues auquel ils appartienne n t,
ils fou rnissent encore les données les plus sûres à la philologie
générale ; et, si je disais toute ma pensée, je réclamerais pour
eux, en regard des langues cultivées, la préférence que le bota ­
niste acc01·de aux plantes des champs sur les fleurs de nos jar­
dins . . . . Mais la philologie n'est pas seule à profiter de l'étude des
patois. L' h istoire des races, des mœurs, des i ns ti tutions, de la re­
l i gion, la psychologie elle-même y trouveront d"utiles renseigne­
ments. Toutes les phases pa r lesquelles est passée la vie d' un peu­
ple ont laissé des traces dans sa langue. La date, l'origine d'un
mot peuvent souvent être déterminés avec certitude par la pho­
nétique. Or la date et l'origine du mot donnent la date et l'ori­
gine de la chose. De plus, l a l utte incessante de la pensée contre
la condition matérielle du la ngage, l'accomodation perpétuelle de
formes anciennes à des besoins nouveaux, offrent au philosophe des
é léments précieux pour juger du travail intérieur de la pensée. » 1

1 Revue des Patois Uallo-Romam>, 1 ( 1 887) - DÊSORMAUX, Préface.


24

Dans les patois de la basse va l lée d'Aoste, qui sont encore

bou rguignons dans l e u r ensembl e, nous voyons déjà l' i n fil trati o n

d'un certain no mbre de mots p i è montais. On y sent le voisi nage

du Ca na vais. Dep uis un demi-siècle, . dans quelques bourgades, le

pièmontais a absorbé le français et le patois, en d é n a t u 1·ant auss i


l ' italien dans l es ecoles.

Si nous prenons comme type le patois de la v i l l e d 'Aoste,

nous y ret1·o u v o ns tous les éléments du bourguignon et une pal'­

tie de ceux du franco-p rovençal.

Dans u n a rticle publié par le Valdôtain, un artiste doublè


d ' u n fi n lettré, notre c o m pa triote Joseph Favre faisa i t , à propos

de nos dialectes, une observa tion parfa i tement exacte, qui a été

reprod uite par Mgr. Duc dans son Histoù·e de l'Eglise d'Aoste : 1

Notre patois est un composé de prov ençal et de bourgu igno n. Si

les populations, qui parlent les patois t1·ansalpin et inalpin, se


levaient a ujourd' h u i en masse et déclaraient l e u r i ndépendance, on

verrait se relever tout d' un bloc et pour la quatrième fois l' ancien
royaume de Bourgogne.

1 1 l.

Q uelle langue 11arlaie11t uos gmudes familles féodales ! - Troubadours

et trouvères - Anciens textes sur les m urs et ouvrages français

dans les bibliothèques il e nos châteaux - Actes officiels en lati n ,

traduits e n langue romane pour l e peuple.

Les premiè res fa m i lles de notre ancienne noblesse, les Chal­

la nt, les V a l l a ise, les N us, les d'A v ise, q u i frèq uentaient la Com·
de Savoie, q u e nous voyons so u v e n t dans l ' a r mée, la magistrature

et les ambassades, pal'ia i e n t et écr i vaient habi tuellement le fran-

1 ! , ::l75.
25

cais, co mm e l eurs princes, co mme l es g randes famill es d e la Sa­


voie et de la Suisse Rom'llnd e. lb l e t et Boniface de Cha l lant avaient
fa i t l eur éduca ti on com m e pages à la Cour du duc de Bourgogn e,

P hilippe du Rouvre, et à la Cour de F1·anc e. Ils èonnaissaient,

comm e le comte René, p lusi eurs langues, mais leu r correspo ndanc e
é tai t toujours en fra nçais qu' i ls éc1·ivaient pa l'fait ement. Galéas
Visconti lui-mê me, en 1:173, éc rivai t de Pavie en f rançais au
Com te Ver t. 1 Avan t le XIII" sièc le, la la ngue usuel l e dans l es clas­
s es cu ltivées devai t ê tre l e ro man, avant que les troubadours et
l es trouvères eussen t c hanté en ce fra nçais qu e popular isè ren t
da ns nos c hàteaux les romans d e c h evaler ie et l es c hansons de
ges tes, av ec l es souv eni rs d es C1·oisades. No tons que l es Assises
de Jél'usaleni son t déjà réd igées en un français pri miti f, l equ el
deva it être connu d e Godefroy d e Bouil lon et probab lement de
sa int Ans elme, a mi de sa fami l l e.
La Loir e, ou mieux une lign e qui v i endrai t de la Roc hel le
à G1·cn o b l e et à Sai u t Jean d e M auri enn e , pou r1·ai t, vers le x··
siècle, servil' d e dé ma1·cation e ntre l e roman welcho, ou wallon
et le roman prnvençal ou limousin. Par te1·ri toir e. la Va llé e
d'Aost e appar tiend ra it à l a langue d'oll o u d'ouï et à u u e d e ses
quatre for mes, c 'est-à-dire a u d ial ect e bourguignon qu i fut l ente­
m en t absorbé et supp lan té par le fi ·ancien d e !' Il e de France
qua nd, à par tir du X J 1 • sièc le, l es g ran ds ro is Capé ti ens él evèr ent
la puissance roya l e a u -d essus d es pouvoi1·s féod aux et quand, dans
une s phè re p lus modes te, nos co m tes de Savoie, avec A mé V, co m­
mencè ren t à organis er l eur p et i t état des Alpes. Mais no tr e vallée a

subi auss i l'influenc e de la langue d 'oc, d e c e ll e d es troubad ours q ui


ont visi te souv ent nos demeur es fèo dales en se r enda nt à la cour des
Mont fer1 ·at ou à c ell e des marq uis de Saluc es et d es princes d 'Achaïe,
ou en revenant d es c hàt eaux d e Milan et d e Pavie où i ls allai ent

1 ClBRA Rto e PROMIS, Documenti, monete, 1Jigilli, 287.


26

charmer les loisirs des Visconti et des Sforza. Parmi les trouba ­
dours i taliens, qui chantaient en provençal au xrn· siècle et par­
couraient la haute Ital ie, nous rappellerons Nicoletto de Turin et
Cal v i de Gênes. 1 Les troubadours d'Aix et de Toulouse visitaient
la Lomba rdie et le Pié mont et rentraien! souvent en France par
les vallées d'Aoste et de Suse. Ar naud de Marveil et le fameux
Bertrand de Born ont certainement visité nos contrées où nous
retrouvons encore des fragments de l eurs poésies au xv· siècle.
Pa rmi les trouvères, nous savons que le vagabond Rutebeuf a
traversé le Grand-Saint-Bernard en revenant du Canavais.2 Il y a
environ trente ans, nous avons pu encore relever d'un graffite,
sur un des m u rs du chàteau de Quart, le quatrain suivant :

Les doulces doulors

Et les niaulx playsans

Qui viennent d' amors

Son t dols et cuysans.

Ces vers sont de Thiba ut de Cha mpagne qui mourut en 1253,


mais il ne nous conste pas q ue le roi-troubadour ait visité la Val­
lée d'Aoste. Il est infiniment regrettable pour l'étude de la langue
et des i nstitu tions de nos ancêtres que la plupart des a rchives et
des bibliothèques de nos chàteaux et de nos maisons religieuses
aient été détruites ou dilapidées à la fin du X V ll l• et a u com­
mencement du X 1 x• siècle. Les restaurations faites a ux églises et
aux chàteaux ont effacé bea ucoup d' inscriptions qui seraient si
intéressantes pour l'histoire, mais nous a vons encore Fènis et ls­
sogne. La bell e famille d'Aimon de Cha llant et de Florine Pro-

1 P. M 1·: nr n , Les dernie1·.� tro ubadours de la Provence, Paris, Vieweg.


- MJl,LOT, Histoi t'e littérafre des troubadow·s, 1, 278.
� SISMONDI, Littératures du midi de l' Ettrope. - VILLEMAIN, Tableau
de la li ttérature ait moyen âge. - RAYNOUARD, Recueil.
27

vana, née et é levée a u manoir de Fénis, cette fa m i l l e q u i nous a

donné un ca rdinal a rchevêque de Tare ntaise et légat au concile

de Constance, un év êque de La usan ne, un des plus i l l ustres ma-

1·èchaux de Sa voie, des guerriers et des d i ploma tes, cette fa m i l l e a

a ussi exercé une grande i nfluence pou r la cul ture l ittérai re et ar·tis­
tique dans la Vallée d'Aoste au X I V• et au XV e siècl e. P é n J trons

da ns la cour si poétique, si recuei ll i e , si moyenageuse d u chàteau

de Fènis. Nous nous y ret1·o uvons en pleine langue française de

Joinv i l le, de Froissart, de V i ll eha rdouin et de Marie de Fra nce. Les


fresques qui décorent la ga lerie i n térieure représentent une série

de prophètes et de sages tenant des phylactères avec de curie uses


réflexions philosophiques. En voici deux que nous prenons au

hasard :

Pw souffrir
· va on au besoingn

Par souffrir fait on aiûcun mestier


Par souff?,· ù· est son tort amende1·
Pm· soutfi'ir a on damours les grez.
* *
*

nu1·s lions et chat et chien


Ces !III bestes apren on bien
Jlais on ne peult pa;· nul en,qien
A 1naise feme app1 ·end1·e bien.

Ces peintu res ne s o n t pas postérieures à Aimon de Cha l l a n t

qui fit construire le c h â t e a u et m o u r u t vers 1 380, car so n fils

Boniface, marécha l de Savoie, passa ses rares m o m e n ts de loisir

e t la demière pa1·tie de sa vie au châ teau d'Ayma v i l l e et m o u r u t

à l ' à ge de c e n t a ns, le 24 fév rier '1426. D u temps de Boniface II,


seigneur d e Fénis e t de Villarsel, m o r t en 1 469, la fortune de

cette branche des Challa nt com mençait à dècl i n e r . 1

1 V. C . CttAUVKT, L'art fmnçais e n Italie au moyen-âge, Puteaux, V .


28

Les i nscriptions françaises o u latines (mais jamais i ta lien nes)


de la cour d' Issogne, placées par le prieur Georges <le Challant,
sont de la fin d u X V" siècle. mais i l y a sur les murs de nom­
breux. gl'affites, surto ut en français, et bien antérieurs. L' italien
n'y fait son apparition qu'avec les Madruzzo de Trente, héri tiers
d' Isabelle de Chal lant. D'autres anciennes inscriptions relevées s u r
les m urs <l e nos cbùteau x nous p rouvent que déjà a u x r ve siècle
le français étai t la l angue habituelle de tou te la noblesse val­
dùtai ne.
A part le Vocabulaù·e de Saint Gall,édité par Wakel'Ilagel,
les Gloses de Paris et celles de Schledstadt que Diez a ttribue
a u V I I• et au I X" siècle,1 nous avons <le cette derniè1·e epoque les
G loses de Reichenau et les Sei·ments de Strasbourg entre Louis­
le-Germanique e t Cha rles-le-Chauve, en 842. 1 Mais les documents
qui nous intéresseut pour l es ol'igines du français dans la Vallée
d'Aoste sont la Cantiléne de sainte Eulalie, la Vie de saint Lé­
ger et la Vie de saint A lexis, bien connues cl;i ns nos monastères,
nos églises, nos châteaux. et même dans l es demeu res villageoises.
La p t�emière est de la fin du I X" siècle et les deux. autres appa r­
tiennent à la fin d u x•. Quelques antiphonaires rie nos églises
(Aoste et St-Vincent) contiennent des fragments en la ngue ro­
mane composés sur la métriqu e des poèmes populaires latins. Des
éléments précieux. pour la thèse q u i nous occupe sont q uelques
inventaires des bibliothèques de nos anciens châteaux. (Aymavill es,
Fénis, Issogne) et entre a utres l' i nventaire dressé en français par
un notaire piémontais, en 1 565, à la mort d u comte René de
Challant. A Aymavilles existe une église bénédictine d u I X0 o u d u

M u racc, 1 9 ! 0 . Da n s sa cu n féronce, faite à Pa ris l e ô a v r i l 1 9 1 0 , M . C h a u­


vet s'occupe surtout de la Va llée d'Aoste.

1 A.nciens glossaires romans, traduils par B a ue r ( B i l.J l iothéque de J ' g.


cole J.es Hautes Etudes) Paris, 1870.
29

X• siècle, dont le titulaire est saint Lèger. Sur le teri·itoire de


cette paroisse se t rouve le château qui a subli plusieurs transfo r ­

mations. D'anciens feudataires en furent dèpossèdés par· Amè IV,

et quelques dèbris de leurs fiefs furent acquis ensuite par les


comtes de Savoie qui avaient, dans ce château, un pied-à-terre sur

leur route entre le Petit-Saint-Bernard et Aoste. Le Comte Vert


. vendit ces fiefs, en 1354 et 1 357, à Aimon de Challant de la
branche d e Fènis. Les archives d'Aymavilles, disparues depuis

plus d' un siècle et dont nous ne possèdons qu' un inventaire,

avaient des documents bien antèrieurs aux Chal lant et nous y

trouvons en t1·e autres une Vie de Sainct J.egieJ '.1 Dans les biblio­
thèques de Fènis et d' Issogn e, nous voyons figurer u n e Vie de

:--. ainct A lexis,2 des Contes et fabliaux pour damoysaux,3 La

Berle ou grnns p ies,4 Le l1"eso1 · de Messire B1·unetto (Latini),

Mù ascle s et faictz rnerveilleux de Sainct Martin ,5 Cng Ovidius


·

et L ays d'amow', La ch ante d'Eula lie (cantique de sainte Eula­


lie), le Roman de la rose, le Virgile (1 'ançois, les Ch1·onicques

de France, Roland le fol (Orl ando · furioso), Les Belles cousines,6


Saine! Anthoyne, la Lëgende du cordelliei-, le G(l'rgantue,7 les
Risrnes d'amour de messire français (Pètra rque), La cuysine par·­

faiCte, la Chronicque de Bergoingne (Bourgogne), les Haults /aictz

1 Foerster et Koschwi l z ont publiê une Vie de Sainct Legier, Leip­


zi g, 1 870.

2 Gaston Paris et L. Pa n n i e r en ont publiê des tex tes d u XI, XII,


X l ll et X I V s i ècles (Bibliothèque de ! ' Ecole des Hau tes Etudes - Collcc-
1.ion philologique - N ouvelle sèrie, 5me fascicule, Paris, Vieweg, 1 885) .
3 V. l ' è d i tion dt> Mëon , Paris, 1 808.
4 V. Li roumans de Bel'ie aux grons pié.ç, êdi tion Scheler, Bruxel-
les, 1 87 4 .
:; V . l'êdi tion de Gastineau, Tou rs , Marne, 1 860.
6 V. Chronicque de Saintré, êd . G u i chard, Paris, 1 863.

ï Lêgende pl'Obablt>ment antêrieure à Rabelais et en vogue dans n os


châteaux et d a n s tou te la Vallèe.
:10

darme de longe espèe, 1 etc., etc. Parmi ces ouvrages et bien


d'a utres, la plu part manuscrits, nous remarquons su rtout la Vie
Saint Léger a u chàteau d'Aymavilles et le Tresor de Brunetto
Latini à la bibliothèque d' Issogne, laquelle a ètè dèpouillèe et trans­
formèe par l es Madruzzo et les Balestriu, tandis que les textes fran­
çais sont plus nombreux à Fènis et à Aymavi lles. Dèjà au X I I I•
siècle, le p1·écurseur du Dante appelait le français la parleure la
p lus delitable et la plus comune a t ou tes gens. D'ailleurs, à cet­
te èpoque, un des caractères du français était précisèment son uni­
versal ité. Le Saint d'Assise, mort en 1 226, a eu son nom de Jean
transformé eu cel u i de Françoil'I, à cause de la facilitè avec la­
quelle il parlait la langue fra nçaise.
Nous pourrions multi pl ie1· ces citations. Qu' i l nous suffise de
rappeler encore deux anciens documents français inèdits : ce son t
les lettres patentes d e 1 386, p a r lesquelles le d u c d e Bourgogne
Philippe-le-Hardi accorde une rente a nnuelle de cinq cents liv res
à !blet de Challan t 2 et une lettre de ce dernier a u comte de Sa­
voie, du 14 décembre 1 408, sur les anciens usages du Duché
d'Aoste. en matière de subsides.
A propos des actes officiels et des ordonnances des mistra ux,
il i m po rte d 'ètablir la distinction en tre Zingua latina et Zingua
romana. Cette dernière, qui s'appelait aussi sermo vulgaris, n'é­
tait a utre chose que le roman qui était compris d u peuple à cau­
se de ses affinitès avec le patois bou rguignon. Le mistral ou le
m andier lisait d'abord en latin, p u is expliquait en roman les dé­
crets et les ordonnances au peuple assemblé à l ' issue des offices
divins. Cet usage s'est pratiquè jusqu"au commencement du X V II•
si ècle. Aux audiences générales tenues à Aoste le 20 mars 1 �87,

1 I l s ' a gi t probable ment d ' u ne chron ique des fai ts d ' armes en Syrie
contre S al a d i n , dans lesquels s'est i l l ustré le marquis G u i l la u m e I V de
Mon t ferrat, surnommé Longaspada, mort en 1 1 83.
2 A rchives du chàteau d e Chàti l lon, vol. 4, n. i .
31

en prèsence de toute la noblesse, des coûtumiers, des pairs et des


non pairs et des barons savoyards qui avaient accompagnè le
prince, cel ui-ci voulut que les sentences fussent aussi reudues en
langue roma ne : « . .. . . legi pubZice alla voce et intelligibili lingua
romana fecimus pei · nosf1·u.m secretarium , etc. De nombreux
».1

documents confirment cet usa ge. Le 24 février 1 488, devant la


gt·ande porte de l'église, le mandie1· de Chàtillon Jean-André de
Vessan (sic) fait une inti ma tion pour le compte de Philibert de
Chal lant Zingua romana, riwi·e solito. Dans les préliminai1·es pour
dresser )' i n ventaire du com te Renè de . Chal lant (mort à Am­
b1·onay le 1 t juillet 1 5G5), le mandier d' Issogne Jacques Rosier,
l e 7 octobre sui vant, fit l es i nti mations d'usage aux crèa nciers qui
a u raient pu a vance1· des d1·oits a hauZte ·voix de crie en langue
romayne 1node accoustumë. Le v rai roman avait dèjà disparu de­
puis longtemps et 1ïnteltigi/Jilis Zingua romana n'ètai t presque plus
que le dialecte local mêlé de français. Depuis lors l e français prend
d èfinitivement place dans les actes judiciai t·es ; en 1 536 il fait son
apparition dans les actes et l es délibè1·ations des Trois Etats et i l
devient la langue officielle d u Consei l des Commis, de la Cour des
C onnaissances, de la Royal e Dèlégation, des vi-baillis puis des in­
tendants d'Aoste et de toutes nos administrations jusqu'en 1 860.

IV.

I n fluence il es évêques et dn clergé - Préd ication - .Maîtrises e t écoles

presbytérales - Couvents - Collège d1� Saint-Bénin - Noms do

familles et de localités - Travestissements 1lnns l'orthographe.

Dans cette modeste ètude, nous ne sau rions oublie1· l'influence


exercèe par les évêques et le clergè pour vulgariser et conserver
la langue frança ise.

1 A rchi ves ùes com tes de La Tour.


32

Avant le X l" siècle, la sèrie chronologique et l'origine de l a


plupart d e nos èv êques sont incertaines. D e l 'èpiscopat d'Arnul phe
d'Av ise, mort en 1 1 59, à cel ui de Jacques Ferrandin, mort en
1 399, nous comptons vingt èvêques dont treize sont certainement
valdotains, et les autres originaires du Pièmont ou de la Savoie.
De 1 �-WO à 1 867, pendant 517 ans, nous constatons un fait singu­
l ier, nous n'avons plus un seul evèque ·valdôtain. Disons-le sans
euphemisme, car on a dèj à trop adapte l histoire ad usum Del­
phini : à Aoste, l'èvêque ètait devenu aussi un èlèment utile pour
la polit ique de nivellement des ministres de la Cour de Turin ,
politique avisée et su rtout constante, qui commence avec le règne
<l'Amé V, et qui con tinue sans in terru-ption j usqu'à Charl es-Em­
manuel 1 Il. La Fl'ance et les autres nations ne favorisaient pas
mieux la liberté de l'Eglise. Durant cinq siècles, la noblesse de
la Sa voie et celle du Piémont eurent le pri vilège presque exclu­
sif de nous fournir des èvêques, tous très dignes et zélés pour le
b ien des â mes, mais pa rfois mal se1·vis par des neveux et insou­
ciants de nos pr·i vilèges, de nos habitudes et des traditions loca­
les. Pl usieurs oubliaient souvent la l'éside11ce pou r les a mbas­
sades et les négociations diplomatiques. Au X V I" siècle, nous
avons eu des luttes regrettables au sujet des attributions du
juge temporel de I' évêchè. La propagande luthérienne d'abord
et la calv iniste ensu ite en profitèrent aussitt>t, mais sans rèsul­
tats. Au XV • siècle, de 1 4 1 '1 à 1 51 1 , les èvêques Oger Mo­
risel, Jean de Prangins, Antoi ne et Fran c::-ois De P1·ez fixèrnnt dé­
finitivement, dans nos èglises et nos paroisses, l'usage du fra nc;ais
et abolirent, pour la prèdication, celui du patois et les derniers
restes du roman qui s'y ètait confond u. Les èvêques originaires
du Piém ont conna issaient presque tous le français, et, pal'mi ceux
que nous a donnés la Savoie, èmerge, pa r sa culture littérai re, ses
mandemen ts et ses préd ications, Mgr. Bally (1 659- 1 691). Depuis
lors jusq u' à nos jours, to us les èvêques ont èc1·it, pa rl e et con-
serve la langue qui était la seule comprise par nos popula tions.
Pendant que notre diocèse fu t suffragan t de la métropole de Cham­
béry et su rto u t durant les longs épiscopa ts de Pierre-François de
Sales ( 1 7 41 -1 783) et ·d 'André Jourdain ( l 832-1 85D), la chaire de
notre cathédrale a été i l l ust1·ée par les premiers orateurs 'de la
de la Savoie et même de la France, et nos ancêtres rappellent
encore les foules q u i s'y pressaien t pour goûter les sermons
classiques , la langue h a rmonieuse des Pères Tellier, Besson,
Cha tea ubriand, l ' éloquence sévère et vigoureuse de Mgr Hen­
d u , de Mgr Tu rinaz et du ca1·dinal Ril liet. Le v ertueux et cha1·i­
table évêque Jean-Baptiste Vercellin, ècrivant aux Commis d"Aoste,
l e u r disait : « (Juel cite p1w tanlo mi dua le, non conosco alJa­
stan:a la lingua /rancese pe1· com:ei ·sw·e coi m iei am ati (igli » .

l i sut pou rta n t sc faire comprendre pa r s a charité, son dèsintè­


ressement et son zèle pendan t la pesle de 1 G30.
Les anciennes ordonnances épiscopales, déjà au X V I" siècle,
prescriven t au cle1·gè de prècher lingua gallica, sive Zingua t'ul­
gari. Le 18 mai HiGG, Mgr Bally « faciendo L'isitaliones gene­
rales pe1 · diœeesim Augustenùm , invenit pw Tocltianos et incolas
Ih ·ussonii levite1 · im lJ u tos doclrina clwistiana proptei· defectwn
Cw ·ati dicti loci qui n on utitiw Zing u a gallica neque ruf.gm·i,
sed italica, admodum diffîcili in te l lectu » . Pour obvier à ce t in­
convénient, il nomma vicai r·e de Brusson Jean-M ichel Ma rquis.
d'Ayas, auquel le curè et la comm u n a utè s'engagèren t de foumir
u n trai temen t cou v enable.1 Dans nos bibliothèques et nos a rchives,
nous 1·et1·ou r ous dèjà quelques fragments de sermonnaires c n fran­
çais du XV" siècle. La bibliothèque du Sèrninaire contient q uel­
ques vol umes m a n uscrits du chanoine thèologal Michel Pe1Tet, de
Cogne, qui fit · ses ètudes à Aoste, puis au Col lège Chappuisien

1 A rchi ves ùe l ' èvèché - ALIJ J N I , Mémoire hù;torique .rn r Phitibert­


A l ber t Bolly, ét-Pq u e d'A oste, p . 1 3� .

3
cl ' A r meC)' et p r i t ses gr·ades a ux u n i v e rsi tés de Louv a i n et de

P a ri s , d e 1 5G5 à ·t r>83. l i écri v a i t d 'a bord ses sermons en latin,

p u i s l es traduisa i t e n fra ne,;ais, a fi n q u ' i ls fussent compris p a r n os

populations, q u i a vai ent é tè évangé l i sées p a r s<1 i11 t V i ncent Ferrier,

en t-102, en su ite par de nom breux ca p u c i n s de la provi nce de


Savoie et en tre a utres pa r les deux célèbres pèr·es Chérubins, rie
Saint-Mau rice et de Sai nt-Jean de Mau rienne . Voici l ' exorde d ' u n

· sermon prêché dans notre Cathédrale, le premier d i m a nche de


l ' avent de 1G02, par l e chanoine Perret :
« Vénérable, noble et ch restie n n e assista nce, il est plus que

croyable que vous dési reriez a vo i r u n a utre p rédica teu r pou r ces

A d v ents que moy pour v o u s p1·escher la parole de Dieu a vec tel le


efficace qu'el le peut bien p ro fiter. Et moy a ussi ie vous assure

que ie ! eusse desirè et d'ouïr un a u tre pour mon é d i fication et


salut. Touteffois, depuis q u e Dieu YOus a co m ma nd é et a moy d'obei r

a noz su perieurs, i l sera v ostre office et patience accoustumee d o u i r


p a r moy la parole d e D i e u depuis q u e l es su perieurs l e com m a n­
d e n t a i nsi en ces A d vents a près l equel temps, s' i l p l a i t a Dieu,
(comme i 'ay en ten d u ) vous a u rez u·n h o m me de bien e t des p l u s

habiles et fameux préd icate u rs d e l a Sa voye, e t c. . . . . . » L' a n née


s u i v a nte, il prononça, nous ignorons d e v a n t q uel a u d i to i re, un dis­

cours s u r l ' éloquence, q u i commence ainsi : « l i y a beaucoup de


choses et mesme fol'l excellen tes - a u d i te urs bénév oles et lres

h u m a i n s - q u i son t estes données com m e pa 1· un singulier béné­

fice par les di eux i m mo1·telz a ux hom mes, entre lesq u e l l es il ny a

poi n t certainement u n e plus excel lente, p l u s noble et plus magni ­

fique q u e I 'èloq u e11ce et l a facu l té d e bi en d i re, l a q u e l l e env ers


tou te sorte d' hommes est de si grande efficace quelle a t tire a soy

n on seulement les bons et v ertueux mais a u ssy ceux qui son t m a ­

l ings, ennemis d e toute v ertu e t hon nesteté .. . . . ». La forme est

moins co1·recte, m a i s l ' a l l ure de la phra se est celle de Bourda loue.


Il n o u s 'conste positi vement que d éjà a u xv· siècle, des ëco-
35

les existaient dans l es principaux centres de notre Vallée, q u i


fournissait d e nombr·eux maitres d'école à la Savoie. l i s s'y ren­
daient aux foires de l ' a u tomne et s'engagea ien t avec l es commu­
nautés po u r enseigner les rudiments pendant les mois d ' hi ver. lis
pol'ta ient une, deux ou t rois plumes a u chapeau, selon les ma tiè­
res qu' ils é taient aptes à enseigner, la lecture et I ' éc1·iture, l a
grammaire, l e cha n t. lis n 'y enseignaien t p robablement pas l'italien,
ni la pèdagogio. La gymn astique, ces instituteurs la faisaient pour
leur compte en traversant les cols des Al pes. A Aoste, nous avions
une grande esclwle de g?·mmnain q u i a va i t des pr·i vilèges, de
l' ingé rnnce et de la survei llance s u r toutes les autres. A la séa nce
des T l'ois E tats d u 2:3 juin 1 0G:3, maîtt'e Jean Mathon, recteur de
la grande école d' Aoste, protesta contre l 'ouverture, sans a utori­
sation, de pl usie urs écoles qui faisaient déser·ter la sienne.1 Malgré
ce pédagogue, qui anticipait sur le privilège u n i v ersitairn de Fran­
ce et sur notre législation actuelle, 011 continua à s'i nstruire dans ·

la Vallée. Dans les maîtr'ises de l a Cathéd rale et de la Col légiale


de Saint- O u rs, dans les écoles très fréq uentées de Saint-Jacquême
et de Saint-Gilles, dans tous nos presbytères oli des prêtres cha­
ritables 1·ecrutaient et instruisaient les aspi rants au sace1·doce, on
ne connaissait que l'enseignement du latin et de la langue fran­
çaise. Elle éta i t pal'lée p resque excl usivement dans les monastères
de Sain te Ca therine, des Lorraines,et s u r·tout de la Visita tion au­
quel était confiée l 'éducation dos pri ncesses et des demoiselles des
grandes fam i l les de la Savoie et du P iémont.
Venons au Col lège de Saint Benin. Ce fut là que se perfec­
tionna l ' idiome local déjà connu et par·lé depuis des siècles.
Nous avons publié ailleurs 2 la co1·1·espondance du min is tre

1 HoLLATI, Co11yreyazioui dei Tre Stati di Aosta, 1, l:i08.


2 V. Pie rre-Léonard Roucas et la bulle d' érection du Collèye d' Ao.�te
(X IX• b u l l e t i n de la Sociètè de Sa i n t Ansel me), Hl06.
36

Pie rre-Lèona1·d Honcas avec les Commis relative à la b u l le d' é­


rection du prieuré de Saint Bénin eu collège aux études. Ces let­
t res nous révèlent un esprit souple et délié et u n e con naissa nce
pa rfaite de la la ngue française telle qu'on pou vait l ' écrire à la
fi n du X V I0 siècle. Le Collège s'ouvrit en Hl04 et depuis lors
jusqu'en 1 859, pendant 255 ans, la langue instru mentale y fut
excl usivement le français. L'ital ien n'y était pas con n u . Les cha noi­
nes Lorrains (1641-1748), l es anciens Barnabites (1î48-1800) et
les Jés uites ( 1 834-184 8) comptèrent dans l'enseignemen t de la rhé­
toriq ue et de l éloquence pl usieu1·s .littérateurs distin guès.1 Les der­
niers en seignants de langue et de littérature française, qui nous
continuèrent le gp(lt et les traditions cl assiques des anciens maî­
ll'es, furent .Jean-Oyen Mellé, les chanoines Edouard Bérard, Louis
Lau rent, François Beuchod et l 'abbé Ferdinand Fenoil.
Dans une sphère plus modeste, mais aussi très utile, rappe­
lons encore l'influence exercée à Aoste pa r les Frères de la Doc­
trine Chrétien ne et actuellement encore par les Sœu rs de la Con­
grégation de Saint Joseph.
Les noms patronymiques se ressentent aussi des or1gmes ·de
la l a ngue et leu r forme est parfaitement fra nçaise, quand il s'agit
d'anciennes familles. Beaucoup de ces noms se retrouvent dans la
Savoie, le Dauphiné et la Suisse romande. Nous pêchons au ha­
sard pa rmi l es plus anciens : Jolibois - Chat1•inn - Besen val - Ch ris­
til lin - Derriard - Pignet - Granie1· - Dossigny - Contesson - Ma 1·­
tignène - Chappuis - Glarey - Chabloz - Thomasset - Réan -
Cel'iogne - Novallet - Paris T1·uchet - Barmave1·ain - Coquill<1 rd

- Promeut - Deffeyes - Durand - Bochatey - Glarey - Perrier -


Dogie1· - Gérard - Bérard - Jeantet - Rigollet - füocherel - La­
voyer - Sal ua1·d - Macastial - Ha udemand - Blanchet - 1frèdy -

1 LAURENT, Mémoire histol'ique sur le Col lège royal de Saiut Bénig ne


d' Ao,,.te, Aoslo, �1e11sio, t859.
37

Pessein - Thérisod - Chenuil - La vanche ..- Andrion - Le tey -


Denabian - Bo1·bey - Berlier - Berguet - Gabe ncel - G rosjean -
G 1·osj acques - Peti tpier1·e - C1·étier - Chi ncheré - Cha n d iou - Goyet
- Da l le - Thè rivel - Lanier - Ca ra bel - Colmar - Pompignan -
.
Foll ioley - Joly - Machel - Pe1·rin - Mi lliéry - Cheille - Fe noil -
Lèa val - Huffier - Be rtoll i n - Cha monal - Laurent - Vincent -
Sa voye - Daguin - Nicollet - Baudel - Buillas - Ducly - Sorreley
- Montet - Dufour - Vari ney - Fenoillet - Hérin - Terci nod -
Rosa ire - Berruquier - Dal ba1•d - Cullet - Enga z - Colliard - Ber­
l ue - Page - Cla passon - Messelod, etc. e tc. Les noms p rovenant
de mètiers ou <le professions sont identiques à ce ux des contrées
voisines, comme : Fa v1·e - Magn i n - Tisseur - Battendier - Soc­
quier - Excoffie1· (cordonnier) - Fèteur ( ta nn eur) - Pellissier -
Sarteur - Barbier - M unier - Fou rnier - Be1·ger - Pastoret -
F1·uitier - Cha rbonnier - Mercier - Ba1·athier, etc. Ces noms sont
pris à l'aventure dans la plupart des loca lités de la Val lèe et suf­
fisent pou1· nous prouve1· q ue les noms de familles se sont formés
e t se sont fixés av ec l es mêmes p 1·océdés que l a langue. 2
La plupart des noms de localités se perdent dans la n uit des
temps ; un ce1·tain nomb1•e sont d'origine celtiq ue ; d ' a u tres rap­
pellent les funcli des pré toriens romai ns ; quelques a utres l ocalités
enfin ont empr unté , d ans le haut moyen âge, le nom du p 1•oprié­
,
tai 1·e. cel ui des p roduits ou de l a configuration d u sol. Sans nous
a 1·1·ê ter à l 'a musement da 11ge1·eux des é tymologies, il n ou s est per­
mis de con state1· qu'un très g1·a nd nombre de ces noms se re­
trouv ent ai nsi dans les co11t1·èes qui ont fo 1·mè le dernier roya u-

1 V. EUG È N E H r rT�:R : Les noms de famille ( Recu ei l de tra vaux rela­


ti fs à la p h i lol ogie et à l ' h i s t o i re, V 0 t'asc.), Paris, V iewcg, 1 875 - J . - F.
GoNTHIE!\ : Origi ne des noms d e f'ami:tle savoisiens ( Mémoires de l' Acadé­
_
m i e Salésie nne, t\Jl O) - F1·: N o u1LLET : Origine des noms de famille en
Savoie (Revue Savoisi e n n e , 1 893) .

2 V. HÉRARD : La l a ngue fra nçaise dans la Vallée d'Aoste, pp. 63-64.


me <le Bou rgogne, c�>m me Aoste, Chà t i l l o n , Bel leco mbe, Breu i l ,
La-Th u i l e, C 1·est, Montjovet, Pl anet, P a l l u d , E ntrèves, Faverges,
Chèsod, �forge, Chav a n ne, Mellier, Martinet, Cluse, Bosses, Bea u­

rega1·<l, Pàquier, Perrière, Les Cours, La Pesse, Verney , Chùte�

l a rd, etc. D a ns q u e l q ues c o m m u nes certai ns h a m eaux ont e m p rn ntè

l e nom d\rn i ndividu prècè<lè d e l a préposition chez, com me C h ez­


Percher, Chez-Courtil, Ch ez-Hem·i, Chez-S e n t i n (Gignod). Com m e n t

pou rra it-on traduire o u dèriver de l i ta l ie n l ' ètymologie de ces


noms de locali tés qui s' écriven t dep uis des siècles Chamba ve,

Chùti l l on , Chamois, Cha l l a nt, Cham porcher, Hô ne, L i l l ia nes, P o n t­


bozet, A r na d , Donnas, Ema rèse, e tc. ? Il en est de même pour
les noms des pa roisses et des co m m u nes e m p rn n tès à des sai nts
.
rie la G a u l e qui ont p a rcou r u et è vangél isé notre V a l l ée, com m e

Sai n t-M a rti n , Sai nt-Denis, Saint-Léger, Sai nt-Remi , S a i nt-Oyen ?


Les sobriquets eux-mêmes, affublés à nos p o p u l a tions et recuei l l is,
en t ï74 , pa1· l'abbé Jean-P a u l Ca ntaz, d ' Aoste, nous rappel l e n t
ceu x d 'ou tre-mo n ts . 1

M a l h e u 1·eusement, depuis en v i ron vi ngt-cinq ans, les noms de


pl usieurs de nos loca l i tés o n t été étrangeme n t déformés par la
bu reaucratie, les cartes de l'éta t m ajo1', l es gares, l e s b u reaux <le

poste et les récl ames d ' hùtels. li faud rai t un voca b u l a i 1·e qui en
fixe de nouv ea u l' orthog1·a phe primiti ve et exacte, car si ces a ltè­

rations continuent, a près un siècle, les phi l ol ogues fi ui l'On t pa 1·


nous croire un c l a n de ùarba res. Nous pou rrions ci te1· de nom ­
breux docu men ts, du XII• a u x 1 v • siècle, q u i nous donnent e ncore

le type p r i mitif des noms d e loca l i tés. En voici un du 1'i a v r i l


l :füD. pat• lequel l e comte A m é de Savoie i nfeode au seigneu r

J ea n de Cou l'llrnye u r , les hom mes, redeYances, usages, etc. « . .


. o

molendinis de Sau.ria, prout p1·otendit mons Carwinus et ga l-

l V. r' R I TZ Ct-I A HLtlZ : Les subriq ni>fs de CQ l//, 1/1 / 1. / / tl,� dans la Su i.�se '/'0·

1111111de, Gorgier, r no:_l.


39

lice mons Lhoiti, pe1 · ai ·1 ·estmn seu c1·istam dicti montis usq ue

ad swmnitatem monti.s de la Loy Blanchi, et ab aliis p�» c1·e­


stas usque ad summitatem rnontis de Fon·a::. p1·out mons de

Sau:.ia, cù ·cuendo versus summitatem dicti montis . . . . » Notons


d'abord le mot gallice. En 1359, le français était connu à Cour­
mayeur. Le mons Cap rinus, montagne des chè vres, est devenu le
C1·ammo11t. La Loy (Lex) blanchi, l'eau blanche, est devenue l ' Al lèe
Blanche, la Sauzia, la Saxe, le Berrio (rocher), Berrier. Le mons
Fo 1Ta::., couvert de forêts, de feu i llages, a étè transforme en Ferret ;

le Choiti, 1 dé pour v u de plantes, terrain glissant, est devenu le Mont


Chélif; la Valdanea, l'ancienne l1audagne, est devenue le Valdigne ;
la Vallis Helia, val lèe de la le.r (de l'eau), puis de l ' Hellex, a èté
poétisée en Va l du Lys ; !' Avinczon a ètè métamorphosé en Even­
çon, le Mw ·moire en Ma rmore. Le nom de Valt01·11enche (iiallis
to1 ·nionis, toi·nina), 1 dont MM. Carrel et Gorret ont respecté l'èty­
mologie, a ètè appesanti en Valtou rnanche ; Ea z est devenu Ayas ;
· Axime (Axima), lssime. lTn poétique chàlet de Charvensotl, ap­

pelé la conibe des dt11v1·es, a pris le nom sonore et féodal de


Combatissière ; le i ·û a eyviei · ( r uisseau d'arrosage) est devenu
Reverrie1·. La crase du g devant n s'est accentuée dans le patois
et a pris sa place dans les noms Conie, Brissouie, Issonie, Tor­
nion, Moniod, Giniod, Tarniod, etc., qui sont devenus Cogne, Bris­
sogne, Issogne, Torgnon, Mognod, Gignod, Targno<l . Ces transfor·­
mations datent à peine d'un ou <le deux siècle s ; elles sout dùes
aux tendances du dial ecte, à r ignora nce des notaires et elles
n'entrent pas dans la formation de la langue. Nous avons signalé
quel ques exem ples, que nous pout·rions mu ltiplier, uniquemeut pour
démontret· comment se dènat u1·e11 t insensibl ement les noms de lo­
ca lités qui remontent au lati n , au bou rguignon et au fra nco­
pro veuç.a l .

1 llistoriae Patriae Mo numenta, CHA RTARUM, Il.


A ce sujet, nos a rchives offrent des maté r i a u x à une é tu <l e
phi l o l ogique d e s p l u s i n tèressan tes q u i , p o u r l es o r igi nes, la lan­
gue, l e caractèl'e et les in stitutions loca les, 1·ectifie1· a i t bien des

erl'eu1·s ré pétèes <lans ces co m p i l a tions et ces plagiats qui s'affu­

blent du ti tre pompeux d' ftistoh·e.

V.

.\.ncieus tt·a ités d i plomatiq ues et 1l ocnments relatifs i1 la 1'1:tison tle


Savo ie - E d i t s d Mémoriaux des •r ro is Etats - I.e " Co1îtum illr ,,

d 'Aoste - Les E d i ts tl' Em 1111rn1wl l' h i l ibert et il e Clrnl"les- E m m a·

n u el 1 - Actes n o tnriels en français.

Depuis le XW siècle, l a l a ngue offici e l l e de l a V a l lée d ' A oste,


l a l a n gue l i ttéraire ne pouvait ê t re que cel l e de l a Maison de Sa­

voie. Les documen ts officiels et les t1·aitès d i plomatiq ues de nos


pri nces étaient p u b l i és, puis conservés dans nos a1·chives. Déjà en

1 245, le français éta i t pal'lé et écrit à la Co ur de Savoie. Ci tons


q uelq ues docu ments. Nous a v o n s, en français : l a Iett1·e de Tho­

mas de Savoie, comte de F l a ndre et de Ha ina ut, à T h i b a u t, roi <le

N a v a rre, aolit, 1 2 15 - l e t1· a i tè entre le comte P h i l i ppe de Sa­

voie, Alix de B o u rgogne, sa fe m m e , et Hugues, d uc de Bourgo­


gne, en a v r i l 1 270 - la concession faite par la même com tesse

A l i x aux cha noines de Dôle, en m a 1·s 1 277 - le testa ment de l a

même en no vembre 1278 - la l ettre de T homas de Savoie à


P h i l ippe-le-Ha 1·di, en 1 280 - le traité de mariage entre P h i l i p pe

de Savoie, comte de P i é m o n t , et la pri ncesse Isabell e d" Achaïe, du


7 fé vriel' 1 30 1 - la d o n a ti o n fa i te par le comte P h i l i ppe et sa

fe m me des châtea n x de Ca ri tey 1fo et de Bosselet à Ma 1·guel'ite de

Savoie, le 4 décembre 1 303, et la co nfi r m a ti o n de ce t acte, e n

1:304 - le traité e n tre l a d u chesse Agnès, A mé, comte de Savoie


-I l

et Jea n, c omte d 'Auxe rre, au sujet du mariage e nt re Rober t de


Boul'gogno et Je an ne de Chùlons , en l 32 L - le vœu fait à Hau ­
tecom be , p ou r l'ég lise de B1·ou , pa t· l e comte A i m on de Savoie ,
en 1 :H:3 - les a rmes , noms et dev ises des tenants, s o us le Comte
Ve rt, en 1 : {48, a u t ou t·noi de C hambéry auque l p ri rent pa rt p l u­
sieu rs Cha l lant et autres no bles de la Va l l ée d 'A oste - l os let­
tres d'Amè VI pa t• les que l les i l députe des ambassadeurs pour son
mariage, en 1 352, a insi que le t t·aité du 7 ma i 1372 - les n oms
des se igneu rs qui ont guer roy é pour le roi de France , aux ordres
du comte de Sav oie , en 1 :355 - le t rait é de mariage entre Am é ­
dée Vl l l e t Marie d e Bourgogne , n ég ocié pa r· l ble t cle Cha l lant,
du 1 1 n ovemb re 1386 - le d èn o m b re men t des fiefs de la princi­
paut é d'Achaïe, en 1:39 1 :_ le t raité du 8 ma i 139:�. aurr ue l t n­

tervient lblet de C hal lant, en t t·e B on ne de B ou rbon et Bonne de


Berry, p our la r égence des Eta ts de Savoie - la fame use Or­
do1rna11ce de Gira rd d 'Esta vayè, à la que l le p t·e 1rnen t pa rt Boni fac e
et Am é d ée de Cha l lant , e n 1 :3!)ï - les instructi ons p ou r c onc l m'e
le traite d e paix., négoc ié en 1 4W pa r· le c om te A m è de Savoie
et Amédée de Chal lant, entre les Mais ons de France et de Bour­
gogne - la l igue ent r·e P hi l ipp e, duc de Bourg ogne, et le co m t e
Amé de Sav oie c ont re le duc de Bour bon - la d esc ript ion des
fê tes p ou r l 'ent rée de Felix V à Bùlo, en 1 440 - la lett re de
Juvéna l des U1·sins au sujet de la ren onciation au p onti ficat pa r
Félix V, <ln 23 mai 1 4 49, etc., etc.1 Toute la c o rresp ondance qui
n ous 1·esto du XV0 sièc le e nt1·e les p rinces de Sa voie, les Cha l­
lan t et la noblesse va ldiitai ne est en f rançais.

Avant 1 4GO, tous les docume nts officiels r elati fs à la Va l l ée


d'A oste sont e n la t in ; i l en éta it do m ème dans les c ont rées voi­
s ines. C o mme n ous l 'avons observé, on les tradui sait au peuple en

1 H. P . i\I . , Ill - G u rcHi>NON : Pre u ves - i\toNOD : Hechei'ches his­


torÙJ nes.
42

roma n ou en dialecte . 1 L' édit du 10 septembre 1 522, par lequel


C h a rl es llI réorga nisa la C h a m b 1·e des Comptes , est e n fra nçais
(Recueil <le Jol l y ) . Le pre mier Mémorial en fra nçais ad ressé au D u c

Cha rles l par l es E tats de Sa voie et d' Aoste e s t du ï septembre


1 4 8ï. Le premier docu ment que nous possédons en i ta l i e n dan s

les archi ves des Co m mi s est l ' édit d ' E m manuel-Ph i l ib e r t au sujet
des j u ges ecclésiastiq ues, du 22 décembre ·I 072, mais nous avons
de nouveau en fra nçais l'édit do la D u chesse d e Savoie, Marguer i te

de France, relatif aux pri v i l èges de la m i l ice, du 29 mai 1 573.


A pa1· t i r du 24 mai 1 57.1 , les Lettres P a t e n tes d' E mmanuel­
P h i l ibert pour l a rédaction du Coûtumie1 · d 'Aoste et les s u i v antes
son t en français, ai nsi que tous les Mémoriaux des E ta ts d ' Aoste

et l es réponses <l' E mm a n uel -Philibert et de Cha 1·les-E m m a nu e l .

Q u e l q ues documents officiels qui se rapportent a u ssi au Piémont

sont en italien, mais sou v e n t a v ec la tradu ction fra nçaise, comme


les Le ttres Paten tes de Cha l'les-Emma n u e l rela ti v es a ux ma gistra ts

q u i <leY a ie n t exa m i ner le texto du Co ùturrU :er - le déc ret du


mème, du 4 octob r·e 1 503, re l a t i f a u com m e rce de l a V a l lée d'Aoste
a v ec le Ca n a Y a is - le :Vl èmorial des Eta ts d' Aoste à l'a mbassa­
deur de S. l\l . Catho l i q u e D o m Joseph de Acuna, du B août 1 595

( Capitoli che propane il Ducato d' ,los ta pe1 · il passaggio di li ·e

mita C1 ·binati ed altra gente di g ue1 ··1 ·a di S. M. che haveva da

passrl/ 'e pe1 · quel paese) - I' èdit général dé Charles-E m m a n u e l


con te n a n t la création d u Consei l d e s Nota i 1·es et de I' I n s i n u ation
dans to u t l e P iémo n t et dans notre V a l l é e - et e n fi n l'édit de l a

du chesse Ca therine d' Au triche sui· l a douane du v i n , du 1"r a o ù t


'17>94 . Sont en fra nçais l e Mémoi re et les Instru ctions des Etats

d' Aoste à leurs délégués a u près de la du chesse Catherine, du lî


octobre 1 590. Le Mémor· i a l d u 6 aoùt 1 5tl:3 ad ressé à Cha1·l es-

1 V . l ' i n téressante é l u1 le de l\1. J. Désorma u x : Notes philolog iques


s11 1· les ·1w111s donné.� au patois et an (rançais dans le.� 1rnriens ilocnments
sacoyard.,· (Revue Savoisienne, �"'" LrimesLre 1\11 a).
E m ma n ue l , sui· d i ffe rents obj ets, a l es d e m a ndes en fra nçais et les

ré ponses en i ta l i e n . La b u l le d' é rection du Col lège d' Aoste par


Clément V III, e n l :JDG, est n a t u rel lement en l a t i n , m a i s le placet
de Charles-E m m a n uel, du ter septembre ·1 5\.lo, qui a u torise la con­

cession du prie u ré de Saint B é n i n pour un coll ège d' é tudes est


en fra nçais.
Depuis lors, tous les docu ments des Trois E tats d'A oste et du
Consei l des Commis, a v ec les réponses de l a Cou r de Turin, sont
e n fra nça i s .
A u pa ragr·aphe 9• du M é m o 1 · i a l du D uché d'Aoste à Chal'les-
E m manuel II, du 4 octobre t!l50, nous lisons : « (I l s dema ndent)
que l es é d i ts, ord r•es, patentes tant de V. A. R. que de ses

magistr·ats ne se p uisse n t publier qu 'en l a ngue fra nçaise à pei ne

de n ul li t e des di ttes p u b l i ca tions, attendu que . le peuple n'a pas in·

telligence de la langue italienne, comme par p riv i l ège . d u 24 j u i l l et


1 G88 ». La réponse en m a rge d i t : « S. A. R. ! 'accor1le, déclarant

nulles les publications faites en autre langue que française. » 1

Dans l es .-erbaux de nos Trois E tats, le franc:ais commence


à fai re son a ppari tion eu 1 037, mais il ne se substitue dèfin i ti v e­

ment au l a ti n qu'en 1 55 1 .2 C'est l' époque oi1 Fra nc:.o i s , .... , en


F1·ance, par u n e ordonna nce de 15:39. et Emmauuel-P!tilibe 1·t, dans

son D uché, e n 1 5tl7 et 1 578, a bolissaient l ' usage d u l a tin dans les
actes p u b l i cs, à cause des abus et des procès qui en déri v aien t.
Le président F a v re, une gloire d u S é n a t de Savoie, signa l a i t ces
i ncon vénients dont p ro fi ta i e n t les leguli ( pro.cureurs de m u ra i l les

dans les prétures), qui exerce n t encore de nos j o u rs.


Le Coûtwnie1 · d ' Aoste a é té compilé de 1 57 4 ù 1 5t:i l pa1· une
commiss i o n d e do uze j u ristes, sous l a p résiden ce de Jean-Geoffi·oy
Gi nod, é vêque de Bel ley et p1·e mier sénate u r de S a v oie. Les nom­

breux. recuei l s de coù tumes locales, qui o n t ser v i à la r<'i daction

1 Arch i v e s du Conseil des Comm i s : /�'dit.� e t !1Iémo1·ù1. ua!.


2 BoLLATI, Cony 1·eyazioni dei 'Pre Stati di Aosta, l, 85 cL 3i4.
44

du code valdùta i n , ètaient tous en fra nçais, comme a ussi les dècrets
d' E m m a n uel- P h i li bert i nsé1·és dans le procès- verbal.1 La fo1· m e
claire et prècise de not1·e Coûtwniet· nous dénote dans les mem­

bres de l a Com missi on. tous v a l d ô tains, sauf G i nod, la connaissance

parfai te et l h abi tude de la l a ngue fra nça ise et des for m u les j u r i ­

diq ues en usage dans l e s Sénats d e France e t d e Sa voie. Dans s o n


a m b i a n t m i n uscule, l a paii ·ie d'Aoste avait, c o m me magistra ture,

l a même a u toritè e t les mê mes p r i v i lèges que les anciens pairs


de France.2
En '1 770, Charl es-E m ma n uel I l l suppri ma le Coûtumier, les
priv ilèges et l ' a nti que orga nisa tion du Duché d ' Aoste et fit publier
pa1·all èlement en deux la ngues les Royal e s Constitutions. Le Rè­
gle1nent padiculie1· pou1· le Duchè d'1loste, app rou v é par paten­

tes du t: 3 août 178:3, fut p u b l i é excl usivement en fra nçais.


N o u s croyons u ti l e de repro d u i re l e texte exact des édits
d' E m m a n u el-P h i l i b e r t de l ;)() 1 , 1G72 et 1 578, a uxquels un rafis­

tole u r de j o u r n a u x et de p u b l i c a tions v a ldota i n es a donné u ne

i nterp 1·ëta tion des pl us ètra nges.

Lett1 ·es paténtes du 22 septembi·e l;]fj l. - « Faiso ns sa voir


q u ' ay a n t touj o u rs e t de tout tem ps esté la l a ngue française, en
nostre pais e t d uché daou ste, p l us commune e t gé néra l e q u e poi n t

d'a ul tre, e t aya n t l e peu ple e t sujects dudict pais a ver ti e t accous­

tumè de pa1·ler ladicte l a n gue pl us aise m e n t que tou tte a u l tre, au­
rions entendu que, non obsta n t nos dicts sta t u ts et ordonnances,
aulcuns désobéissa n ts usent en leurs pi·océdures, ta n t de justice

que a u l ti·es, de la l a n g u e latine laquel le, o u l tre ce q u ' ils ne la


s a v ent pas user pa rfaictement, n'est si i nte l l i gi b l e a u peuple com­

me l a l a ngue française, à cette ca use déclarons nostre vouloir es­


tre resol u m e nt que, au dict pais et du ché dao uste, n u l l e perso n n ne

1 Co nstn ines générales ll n Dnché 1l' Aonste, Chambèry, Loys Po m a r ,


MDXXCVll l. - Aoste. Riondet, 1 684 .
Reüizione sopra la Pa ria netla Vatle d' A osta, Fi re n z e , Cive l l i , 1 804.
45

quelle qu'elle soit, ait à user, tant ès procèdu res et actes de j us­
tice que a tous conlracts, instruments, enquestes et aul tres sem­
blables, daul tre langue que française, a pei ne de nullité desdicts
con t1·acts et procedu res et de cent livres damende. »
Jlèmorial du i9 decernb1·e 137 2. - A u dernier paragraphe,
nous lisons : « Finalement q u' il plaise à Sa dicte A ltesse ordon­
n e r et permettre que tous escrits et procedu res qui se feront au­
dict pais, tant en jugement que dehors, seront esc1·its et couchés
en latin, comme souloint estre auparavant et de toutte antiqui tté,
et ce pou r eviter p rolixité et confusion de langage mesme que le
la ngage patoys dudit pais n 'est entendu par les dits ill ustres se­
n a ts, mesme cel l uy de piémont par devant lequel ressortent la
plus part des causes pa i· appel, lequel n'en tend souv antes fois le
dit langage, et par ce les pa 1·ties se treuvent frustrées <le leurs
droits, aussi que l e latin est universellement entendu . »
A cette dema nde, le prince fit répondre en marge : « Au
cinquiesme (a rticle) requérant pe nnission de coucher en latin tous
escrits et procédures, néa nt. Fait à Turin le dix-neuf décembre
mille cinq cen t septante deux:. Emman uel-Philibert - Stroppiana
- La Creste. » 1
Cette demande et la réponse négative méritent une expli­
cation.
Les hommes de loi et les anciens notaires qui rédigèrent leurs
actes en l a ti n jusque vers 1550, etaient tous munis de formula ires
pour l es differentes espèces d'actes a uxquels ils ne faisaient q u'a­
joute1· le nom des prop1·iétès et des parties contractantes. A p1·ès
l a redaction de l 'acte, le notai re en expliquait verbalement le
c ontenu en français ou en dialecte aux interessés qui e n général
ne connaissaien t pas le latin. Le mandier en faisait de même pour
l es ci ta tions, les mesures de police et l es sen tences de la Com· des

1 Ceux q u i o n t donné à ce docu m e n t la date d u 29 décembre t 5l13


n ' ont pas lu le texte ori gi nal.
Conna issances. Mais ce système a v a i t de g1·aves i ncon vènie n ts et
èta i t u n e sou rce conti n u e l l e ile procès. A l 'exemple d e F1·ançois 1
en Fra n ce , E m man u el-P h i l i bel' t v o u l u t y o b v i e r en ordon n a n t clans

ses E tats d ' A oste, d e Savoi e et d e V a u d . pays de langue /ranraise,


la redaction des actes en français, langue con nue d u peuple.

O n a v o u l u en co n c l u re q u' E m manuel-Ph il ibe1t a tout sim­


plement i m pose à l a Val lee d ' A oste une l a n gu e q u' e l l e ignora i t .

Nous nous dem a n dons com m e n t o n ose encore rabùch er et


servir a u p u b l i c de p a r e i l les a me n i tes ? P � r q u e l procède psycho­
logi q u e ou physiol ogique, le D u c de Savoie a u ra i t-i l pu i n fuse1·
dans l e cerveau des Va l d ô t a i n s l a con naissance d ' une la ngue nou­
v e l l e ? C'es t un probl è m e d o n t nous la issons la solu tion à ces co­

pistes etran gers, qui v i enne n t m a n i p u l e r nos p u b l i cations et cher­


ch e n t à se donner une ètique tte loca l e .

Lettres paten tes du ?.J juillet J;)Îi'l.1 - E l les se rapportent


aux commissions extrao r d i n a i res. au patri m o i n e du S o u v e ra i n ,
aux œ u v r es pies, an j u ge temporel de r e vêche, à l a sa n te p u b l i ­
que, a u peage de S u s e e t enfi n à la p u b lica tion d e s e d i ts qui co n­
cernent l e D u ch ë . « . . . Finalement q u e l'on publie
. bea ucoup de
nos E d i ts au dit pais q u i n'ont estes fai ts proprement pour eux
e t desquels la mesme raison n e s'estencl jusque vers eux qui sont
et par leurs coutumes et par distinction d' Estal et diversité du langage
séparés des autres, ce consi dère q u ' i l n o u s p l ai se décl a re r u n e fois
po ur t o u ttes q u ' i l n e se1·a loisible à aucu n de q u e l l e q u a l it tè que
ce soi t de p u b l i e r ny fai rn p u b l i e r au d i t pays aucuns ed its ny
au tre mandement procè d a n t de nos mag i s t r a ts ta nt de Sa voye

1 On e n a pu blié u n e x tra i t , avec la date fa u t i v e du 28 j u i llet. Les


plagiaires, q u i i g nore n t les recherches d ' archi ves, o n t e rnpru n t ë ce pas� .

sage à une feu ille volante i n ti tulée : Pét ition mt Sén at dn Roynume itn­
lien par le col lège des notaires de l ' a r rondissement d'Aoste pou1· le main­
tien de la langue fl'ançaise dans les actes publ ic.� - Aoste, 26 aoù l 1 868.
Impr. Men s i o .
comme de Pièmont sinon ceux que nous constit uerons pour le
bien de nostre service de devoir publier a u di t pais, les quels
nèan tmoi ns se feront a part et tout expres pour icelluy, signès de
nostre main p 1·opre e t en langage et termes de parler français et non
italien pour estre entendu d ' un chaqu' un et qu' iceux s' entendront
encore qu' i l n'en soit faitte 1 expresse men tion suivant et à la for­
me des coutumes et franchises du dit pais, ce qui nous semble rai­
sonnable, et partant dècla rons et ordonnons, par ces prèsentes de
nostre certaine science, pl eine puissance et au torittè souve1·ai11e,
qu' i l ne sera loisi ble <1 aucun de quelque qualittë que ce soit de
publier ny fa i re publier au pais aucuns èdi ts ny commandemen ts
gènèra ux p1·ocèdants de nos di ts magistrats, ta nt de Sa voye com­
me de Piemout, si non ceux que no11s constituerons pour le bien
de nostre se1•v ice de Savoie au dit pais, les quels nèan tmoins se
feront a part tout expres pour icelluy, signès de not1'e main prop1·e
et, en nostre absence hors de nos Etats, pl1 r nos lieutenants génè­
ra ux et en langage et termes de parler français et non italien, le tout
suivant et à la forme de leurs coutumes et franchises. Si donnons e11
mandement a tous nos magistra ts, m i nistres et officiers et mesme
a notre G�nd Chancell ier, Sénats, magistrats de la santé et
Cha m bre des Comptes, ta nt deça que dela les monts, qu' ils ayent
a garder, entreten i r et observer in violablement to ut le contenu
aux présentes sa ns jamais y con trevenir e n tan t quils craignen t
nous désobeir, ca r tel est nostre vou loir, non obsta n t tous éd its,
loix, statuts, droi ts, reglements et autres choses a ce contraires
aux quelles, pour ce regard, avons dèrogè et dérogeons par les
présen tes signèes de nostre main, données a Turin le vingt quat­
trieme jour du mais de julliet mille cinq cent septa nte huit.
« Em manuel-Philibel't - Ottav iano Osasco - La Creste. » 2

1 Forme i ta l i e n n e c it e ne sia (atta, pou r qu'it en .� oit (aite, etc.

Y Ocln v i e n Mnlabaila d ' Osasco, marq u i s ùe Rocca d ' A razzo, s é n a teur,


48

Nous a v o n s dèjà m e n tionnè l a d e m a n d e fa ite par l es Eta ts


d'Aoste, à Cha 1·I es-E m m a 1 1 u e l , le 4 octob 1·e 1U00, à l ' article :
! Y,

pour que les magistrats ne puissent fa ire l e u rs publ ications qu'en


l angue fra nçaise, attendu que te peuple n'a pas . intelligence de
la langue üa lienne, et la rèponse du sou v erai·n dècla1·a nt nulles
les puù licalions faittes en autre la11gue que jmnçaise. 1

D a n s les Le ttrns Pa ten tes du 1°1• ma 1·s t ô80, rela tives à l a


douane e t an pèage p o u r l e s ma1·ch a n dises q u i ent rn n t cla n s not1·e
V < d lèe, E m manuel- P h i l i bert reconna i t qu ' e l l e est « une province sé­
parée qui n e dépent de nos aultres provinces deça ny dela les monts,
et qui a ses loilt et impositions a part, mesme que le dit pais entre­
tient a ses propres frais les gardes et autres officiers entendants aux
affaires de la santé, e tc. »2
Emmanuel -P h i l i b ert savai t ce quo l e s V a l dtJtains a v aient t;té
pour l a Ma ison cle Savoie.
Les plus anciens ac tes des no taires de la V a l l èe d 'Aoste dont
n ou s avons t r o u v é quelques fra gmen ts, sont d u XI' siècle, en u n
l a t i n qui accuse u n e profonde dècadence, tandis q u e l es a ctes q u e
r ecev a i t la Cha ncel lerie d ' A oste s o n t p l u s corrects, m a i s a v e c un
fo r m u l a i re to uj o u 1·s i denti q u e . A l ' époque d e l a loi Go_:nbette, des
Capilulaii·es d e Charlemagne et j usq u' après l a prom ulgation d e s
Sla tuta �aùaudiae, les notai1·es de n o s con trées s e recr·u taient e t
s' i n s t a l l a ient d ' u n e façon assez p1·i m i ti v e . C'est c e q u i n o u s e x pli-

p u i s g r a n J cha n ce l i e r Je Savoie, m o r t en 1 580, fu t u n d e s com m i ssaire s


du D u c de Savoie au l ra i l è d e Ca lea u-C11mbrèsis. A m i de R e n è d e C h a l­
l a n t , i l tra n i l l a avec l u i a consolider le t1·oue d ' E m m a n u el-Ph il ibert.
Jea n-Fra nçois de la Crète, baron de G i g nod, fu t secrètaire d' Etat de
1 58 1 à 1 588.
1 A rchiv es du Consei l des Com m i s ; Mémori1111.r.
2 P l u s ie u rs de c:es èd i l s o n t é l è i n sèrès dans le grand Rec ue i l de
l' avocat F.-A . Du bo i n , q u i a publiè aussi u n e descl'iplion d è t a i l lèe et l a
reprod u c t i o n des mon n a i e s frappèes à A o s t e . Cet ou vrage s i i m porta n t
co m m ence à èlre ou bliè du gra n d p u bl i c ; les p l a g i a ires l e s a v e n t e t e n
font l e u r protl l.
que la triple gara n ti e def; testes, des laudat01·es et des garan tes
que l a Cha ncel lerie exigea i t pour ses actes. N i les Statuts d'Ame­
dee Vlll, n i ceux de la duchesse Yolande (14 î0). n i les autres
poste1•ieu1·s jusqu'à ceux de Charles II ( 1 5 1 :3) ne parlent de l a
langue d o n t devaient s e servir les notaires, qui e s t censee être le
latin. Notrn Co iltumier (livre I, titre XV II, a1·t. 3) dit expresse­
ment : « Ser·o n t tenus tous notai res coucher les contracts et i ns­
t1'L1 me n ts q u ' ils recevront, en langage vulgaire, le plus clai re­
ment qu · ils pourront afin que les con traha As puissent mieux en­
tendre leurs affa ires et négociations, excepte ceux qui ont faculte
et privilege de Monseigneur au contraire. » C'est ce que rappe­
lait notre Collège des notaires, dans sa petition du 26 août ·1 8fî8
au Senat, pour le maintien de la la ngue fran<,:aise dans les actes
publics. 1
D'après les min utes d"Aoste, le notaire Juglai r écrivait en­
co1·e ses actes en latin en 1 54 4 et le notai re Ducou rti l en 1550 .
A Sar1·e, l e n o ta i rn Ottino recev a i t encore des actes e n latin en
1 :J() l , mais i l c11m mence à les dresser en français en 1 502. A u x
minutes d e Mo rgex nous avons du nota i re Maillet des actes e n
l a tin e n 1 5:10, en fr ança is e n 1 5î0 ; du notaire Guillaume Der­
r · i a rd, en latin en 1 560, en français en 1. 5î0 : du notai re Antoi ne
Guion, latins et franc.ais en 1 !)()2.2
A propos de l' Edit général de S. M. concernant la consigna­
t i o n des biens féodaux et le payement des cava l cades, Jea n-Bap­

ti ste de Tillier", secréta i re des Trois E ta ts, ecrivait d'Aoste, le 28


a ni! 1 W1, ù Jean-Gaspard de La Tour : « Parmi les papiers que
Y ous m'avez communiqués, tou t ce qu' il peut y avoi r dans cet
Edit qui peu t toucher à nos exemp tions, c'est qu'il est conçu en

1 Aoste, i mpri merie Mensio.

2 I n form a l ions comm u n iq u ëes par M. le nota i re F . O l l i e t t i . arch i v i ste,


e t par M. V . Rondaz.

4
50

langue italienne et q ue ce pays, qui doit avoir ses èdits à part,


y est comp ris, mais à cela je me persuade qu'on ne manquera
pas de nous l'envoyer en langue françoise et tou t exprès pour
nous 1> . 1
Depuis tre n te a ns Je fra nçais a disparu rle notre Tribunal ;
des v exations burea uc1·atiques en stèrilisent J ' enseignement dans
nos ècoles, mais les notai res continuent à stipuler presque tous les
actes dans cette langue que le clergè conserve da ns nos èglises
et nos i nstitutions religieuses.
Pour rectifier des assertions inexactes et i n tè ressèes, pour
rèagir con tre une sophistica tion historique, nous avons tùchè de dé­
montrer la forma tion naturelle et progressive du français sui· les
rui nes du celtique, d u latin et du roman, dans la Vallèe d'Aoste,
comme dans la Fra nce et dans les a nciens Etats de Savoie. Noûs
publions encore quelques documents antérieu rs à 1 8GO, relatifs
aux l uttes pour la conservation de cette langue pal'lée chez nous
depuis huit siècles. Dan s les grandes agglomèrations politiques, on
oublie si facilement l e caractère, l a v ie locale et les droits histo­
riques de ces petites pati·ies, qui ont tou t sacrifiè pour la grande,
et q u 'on cherche à n iveler au nom de J' uni/oi·mitè.
Depuis l 'opuscule agressif et inopportun de M . Vegezzi-Ru­
sca l la, paru en 1 862 et combattu par M . Bérard, nous avons eu de
nombreux a rticles de journaux, des rev ues et des b1·ochu res qui ont
traitè cette question avec des idées préconçues, e t notre Gouver­
nemen t a étè souvent trompé sui· les senti ments <les Valdôtains,
comme i l a été mal servi pa1· des fonctionnaires maladroits ou
trop zélés. On nous !1 affiigès a ussi rle quelques p1·oductions exo­
t iques où l' histoi1·e est aussi maltraitée que l a langue ita lienne,
a vec ries citations latines èmaillées de contre-sens et de barbal'Îs­
mes. Ignoti nulla fonido !

1 Archives de La Tour.
5f

Pl usieurs publ ications fra n<::aises, sèrieuses et élevèes, sont


inspi rées à une sincère bien veil lance pou r la Vallée d' Aoste, mais
nous devons faire des réserves sur quelques unes de leurs con­
clusions. Dans notre œuvre pour la protection de la langue de
nos ancêtres, dans un pays de frontière, nous l 'avons dit et nous
le répétons, nous nous plaçons au-dessus et en dehors de toute
question pol itique.
Dans son His toire de la langue française ( 1 , :370-382), Ferdi­
nand B r•unot, parlant du français en Italie et dans nos vallées, n'a tenu
compte que d e la configuration géogra phique et ne s'occu pe presque
pas de l' histoire dès populations des Alpes. L' Histoire de la Lang,ue
et de l a Littèmture /1'Cmçaise des 01·igines à i!iOO, publiée sous
la direction de L. Petit de Julleville, inférieure comme étude de
philologie, a des aperçus historiques sobres et précis. Aux actes
du Con grès de Rome, en 1 904, vol. IV, M. Paul Meyer a prése ntè
une étude tr·ès profonde sur ! 'Expansion de la langue fi ·ançaise
en Italie pen dan t le moyen dge. Délns la Nouvelle Revue de 1 901 ,
M. Paul Melon a publié un article très in téressant sur Le Fran­
çais dans la Valle e d'Aoste. M. H. Gaidoz dans Les Va llées fi· an ­
i:uises du Piémont (A nnales de l' Ecole des sciences politiques, II,
.5:1). a env i(';agé su1·tout au poi nt de vue pol itique cette question
que M. Albert Dauzat a présentée avec des ape rc:us nou veaux,
avec une imp;i rtial ité dont nous lui sommes reconnaissants, dans deux
ouV l'ages : f,a l angue fmnçaise d'aujourd'hui (pp. l i'>H- 1 90 - Pa1·is,
A . Coli n) et f, ' ltulie nouvelle (pp. 2î-1-:300 - Paris, Charpentier).
Une riche contribution d'ètudes série uses et élevées nous a
été donnée dans le Numfro Unique, publié en mai 1 9 1 :2 pa r M. le
docteu1· Anselme Réan, sous les a uspices de notre Comité pou1· la
pro tection de la langue franc;.aise : La Vallée d'Aoste pow· sa
lang u e française, Aoste, impr. J. Marguerettaz. Avec les v a ldô­
t a i ns qui y ont collaboré, plusieurs personna lités éminentes, des
s avants et des écrivains distingués ont revendiqué nos droits et
52

traité cette question sous rli v ers points de vue. Nous citerons les
noms de l'avt. Bobba , de Gi useppe Cassa no, Napoleone Colajanni,
Benedetto C1·oce, A l'tUro Graf, Robel't He1·z, Annibale Pastore,
Silvio Pollini, Gi useppe P 1·ezzoli11 i , Guido Rey, Francesco Ruffini,
Lino Vacca ri et de Mg1· T . Valfrè di Bonzo. Tous se sont élevés
au-dessus du cri tèl'C des co n ven ances pol itiques et ont in voquè le
respect du ca ractè1·e, des traditions et des souvenil'S.
Nous av ons dit, en commençant cette étude, que les Valdô­
tai ns se sont fait un devoi1· de réclamer eux-mêmes l 'enseigne­
men t de l' ital ien. C'est ce qu'ont affi rmé presque tous nos repré­
sentants poli tiques quand ils prirent la défense de la langue locale
et de l 'enseignemen t simultané de l ' italien et du français et sur.:.
tuut les députés Ca rntli, Berti , Compans, De Rolland et Rattone.
Voici ce qu'on en pensait à Aoste en 1 84 1 . I l s'y publiait
alors une Feuille d' A n nonces, un journal littérai re et poly­
chrome, une tribune publique oil s' escri maient les meilleures
pl umes de l'époque, le percepteur Ferd ina nd et l'a voca t Alcide
Hochet, les chanoi nes Géra rd , Can·el, Gorret, Orsiè res, le spiri­
tuel F. Dela pierre, l'a vocat Ma rtinet, le professeur Mellé, le mé­
decin Vagneur, le baron Emmanuel Bich, l'a bbé Ca vagnet, !' In­
génieur Joseph A lby , etc. On y pa rlait du pays, de ses monu­
ments, de ses gloires, de ses espérances, et toutes ces p1·oduc tions
sen ta ient bon la terre natale. Lam·ent Pléoz y foul'Ilissait aussi sa
prose un peu te1•ne et terre-à-terre, mais assaisonnée de bon sens
et de con sidé1·ations p ratiq ues. Nous en publions quelques extra its,
en laissa nt à l'auteur la responsabi lité de certai nes observations.
Ce sont des documents qui nous révèlent l 'état des esprits à Aoste
il y a soix ante-douze ans, l'attachement à la la ngue maternelle
et le dèsir· de connaître en même temps la langue nationale. On
n'était pas plus sépara tistes alors que 1_10us ne le sommes aujour­
d' hui où des fol l icules et des Congrès qui n'ont ri�n à voir chez
nous osen t nous la ncer· des accusations aussi inj ustes que peu loyales.
_
53

Dans l a Feuille cl' Annonces d u 1 5 j uillet 1 8-1 l , nous l isons


d'abord un n r ticle de Plèoz, i n ti tulè : Convenance et itlilite de
l ' introduction de la langue it a lienne da ns ce D11,,che. Le voici
a vec sa forme un peu su1•a nnèe et ses considè1·a tions qui l'èflèten t
les senti ments et les idèes de l'èpoque :

« Ava ncer qu'il y a convenance de mettl'e en usage dans ce

Duchè la langue i talienne, parce que sa position topographique est


dans l' I talie et que, pal' la gèographie politique, il appartient au
Pièmont, èe sera i t peut· être chose u n peu hasa1·dèe ; mais avancer
qu'il convient d'introduire cette l a ngue parce que les habitants de
cette pro v i nce ont des rappol' ts ètroits, des relations fréquentes et
indispensables avec l' I talie prise dans sa plus grande acception,
c'est-à-di re pou!' tous les Eta ts de l' I talie places en de-çà des
monts, c'est ce q ue je crois qu'on n 'osera contester. En effet, sans
ènumérer les individus i taliens dissèminés dans les différentes com­
munes de la Vallèe, depuis la Ville d'Aoste j usqu'à St-Martin, les
bourgades qui bordent la rou te provi nciale comptent parmi leurs
habita n ts des pièmontais et des i taliens qui, transpla ntès ici, puis
na turalisès, pal'lent la langue de leur pays, je veux d i re leur
dialecte empruntè presqu e entièrement de l italien, et le commu­
n iquent à leurs voisi ns. Dans la Citè même, faisons des excu rsions
de 1·echerche ou de cu 1·iosi tè ; sillonons-la dans tous les sens ; en­
trons dans les plus sombres appentis ; visitons les boutiques et les
magasins ; pol'lons nos rega rds observateurs dans l' intè1·ieur des
cCJfés, dans les a teliers, qu'y verrons-nous ? Des italiens p l'esque
partout, des indigènes fort peu ; et encore ceux qui en ont la
qualitè sont-ils e n partie originai1·es de l' Italie ou de l a Savoie.
D'où son t les scul pteurs, les peintres, les marchands d'objets colo­
niaux ? De l ' I talie. D'oli nous viennent les faïenciers, l es vi triers,
les fol'gerons, les ferbla ntiers, les ébénistes, les pâtissiers, etc. ?
De r I talie. Ainsi i l est couve11able q ue nous sachions l' italien,
q u i nous 1·approche de la langue de ceux a v ec qui nous av ons de
continuelles et d' indispensables com munications, de ceux avec qui
nous ne formons qu'une sociètè.
« L' util itè, j ' oserais même dire la nècessitè, de connaitre
l ' i talien se prèsente avec des preuves plus saillantes et telles à
ècarte1· tou t doute . .Je me bornerai aux suivantes. Depuis l'actif,
!' infatigable et h u m ble aspirant à une carriè1'e, depuis l e modeste
secrè taire de commune j usqu'aux plus ha uts èchelons de la classe
sociale fonctionnai r·e, tous ont chaque jour besoin d' interprèter, de
comprendre et pa rfois de traduire ! ' i talien pour remplit• honora­
blement et utilement leur mission et pour èv i ter des bèv ues. Les
employès qui nous règissent ètant presque tous ita l iens, fot·ce est
de tenter à s'expliquer dans leur langue pour leur comm uniquer
nos intèrêts, nos besoins ou nos pensées.
« Dans quelle langue sont ècrits l es brevets, les lettres-pa­
tentes, les èdits, la plupart des i nstructions qui èmanent de l a
haute b u reaucratie, les règlements, le� circulaires des diffè renls
bureaux de l a Capitale, leurs manifestes et leurs lettres respon­
sives, ainsi que leurs missives ? Dans la langue du Da nte, qui est
celle des M i nistères et de leurs <lèpenda11ces.1 Dans cette langue
encore sont écrits beaucou p d'ouv rages èlémentai 1·es et scientifi­
ques à l' ètude desquels on sou met la jeu nesse dans les Acadè­
mies de Turin et à l' Uni versitè . Ainsi, comme je l'ai d it, le mo­
deste se"crè taire de com m une doit connaitre l i talien pour expli­
quer· les lois et les i nstructions <le l'au tori tè supérieure a u x auto­
ritès municipales, dont il est l'organe et r interprète : <le même le
volontaire qui veut s' instruire de ses devoi1·s et opèrer avec as­
surance et prècision les trav aux q u i l u i son t confies ; ai nsi tou t
employé dans l a partie admi nistrative o u j udiciai re, pou r puiser
dans une source sùre les connaissances dont il doit fai re un em-

1 La l a n g u e de la Jmreaucra lie u 'esl pas lo ujo u rs celle d u Da n le .


55

ploi èclairè et con tinuel. Ayez des connaissances pour briller ;


soyez profonds dans les mathèmatiques, le droit, la procèdu re o u
l'administration ; vous n'au rez pas encore tout. Parlez-vous, ècri­
vez-vous a vec facil i tè en italien ? Vous a u rez ajouté un beau fleu­
ron à vos autres qualités ; vous a u rez beaucoup plus d'appréciation
et de droit à une recommandation ou à un avancement.
De l a dèmon!stration de l ' utilité de mettre en usage chez nous
la langue italienne, doit naturellement découler l a rechercl).e des
moyens propres à promou v oi r et à assurer l' ètablissement d'une
chaii'e ita lienne, d'où l 'on verra partir les principes qui initieront
la jeu nesse valdôtaine à cette langue et la lui rendront sensible­
ment familière. Ces moyens, à mon avis, sont les suivants :
1 ° Substitution dans notre Collège de l' italien a u grec ;
2° Intervention des premières autorités de cette Division ;
3° Concours de l a P rovince ;
4 ° Concou1's de la citè d'Aoste et des habitants aisés et
gènèreux de l a Vallèe. » 1
Laurent Plèoz continua sa dèmonstration da ns les nu mèros
suiva n ts du journa l. Da ns celui du 31 aoùt 1 845, l'avocat Bochet
s'y occupait déjà, un peu à sa fa\.on, des origines de la langue
fra n<:aise ; i l cita i t les œuvres de Marot, Montagne, Amyot, la
Satii'e Mèni ppèe, etc. On y voit la cul ture classique que notre
ancien col lège sa vait rlonner à ses èlèves. Le 15 avril 1 846, Plèoz
publiait enco1·e u n al'ticle un peu fi landreux, mais qui ne manque
pas d'origi nalitè et de saveur locale. Après a voir réclamè une
chaire d' italien a u collège, i l prend main tenant la défense du
français dans les actes administratifs. Cet article a pour titre :
« Doit-on se se1 ·vù· de la lang1œ italienne dans les bu1'eaux de
la P1 ·011ince d'Aoste, ou bien la langue fmnçaise doit-elle ètJ·e
exclusivement employee ? ,,

1 Le docte u 1· L. Cerise li L u ne s p i r i t u e l l e rëponse à cet article d'une


a l l ure u n peu bou rgeoise .
5o

«
I l n'est, dit-il, aucune réponse plus facile à donne!', car
mille moti fs mi litent · en faveur de la langue française et la récla­
ment dans tous les coins de cette Vallée. Le Vald<ltai11 s'y habi­
tue dès l'enfance ; adolescent, il apprend ses prières en fra nc:a is ;
a l ' école, à l' église, partout on l u i parle en fra nçais, tandis que
lïta lien n'a jamais eu une école publique a u chef lieu cle la P 1·0-
v i nce ou au Collège. Le patois même du pays n 'est que l'ancien
gaulois avec quelques inflexions et les modifications qu'ont adop­
tées certaines localités 1 ou q u'ont i ntroduites les relations sociales
-
et commerciales. Depuis la suppression du latin dans les actes p u­
blics, la langue française fut constaminent celle qu'ont employée
tous les fonctionnaires. Avant et pendant la Révol ution fra nçaise,
les lois, les instructions et les règlements pou 1· ce D uché ont été
constamment écri ts en français. La langue italien ne, toute belle,
toute riche qu'elle est, n'a trouvé que très peu d'am a teurs dans
ceux qui se sont liv rés aux sciences, ou que des ci 1·constances ont
tirés du sein nata l pour exercer leur métier ou leur emploi dans
une partie du Piémont ou de l'Italie. li est vrai que dans la ville
d'Aoste la plupart des employés con naissent l ' italien parce qu' i ls
viennent de l'Italie, ainsi qu' une bonne partie des négociants et
des a rtisans qui y sont domiciliés, et q ue dans les bou rgades qui
sont traversées pa l' la l'ou te provinciale, depuis Chàti llon j usqu'aux
confins d' lvrée, ceux qui ont des 1·elations commel'ciales avec le
Piémont comprennent et parlent le piémontais ; mais c'est la frac­
tion la p l us petite des communes dont le chef-l ieu est s u r· la l'oute
p rovinciale . . . . .
« L' ignorance de l a langue italienne est complète dans tou­
tes nos communes ru r·ales et montagneuses, de sorte qu'on voit
avec étonnement que, lorsqu'on publie des actes du Gouvernement
en italien, les assista nts abandonnent incontinent le publicateu1· qui

1 Cette atfi rmaLion n ' est p a s complète m e n t exacLc.


leur pa r l e la ngage i ncon nu et insaisissable. De li1 deri v e l a
un

non obse rvation des lois ou d'au tres disposi tions a d m i n i s t r a t i v es

ou règl emen ta i res. L'on peut a ffi rmer q u e ce r t ai ne s lois n'ont été
connues et o bs e 1 · v é es dans celte P rovince q u ' à l'appui de nom­
breuses a m endes encourues pa r les pa r t i culie rs . T � ll e est la loi
du 18 j u i n 1 82 1 é tab l i ss a n t les redevances da n s l es successions,
et celle· du 8 j a n vi e r '183D re la t iv e a u x mu t a ti o n s de cadastre . . . . »

L'autou1· continue sa demonstration, puis il finit par les con­

sid é1·a tions sui rnntes :

« l l " a i l l e u r s l ' inten tion fo rme ll e du sage et paternel Gouve1·­

nement a uquel nolis a ppal'tenons, v e u t que ses em ployés· soient


également versés dans les deux langues. Le besoin profondéme n t
s e n t i rle l'emploi excl usif dans les relations sociales de l a langue

fra nçaise i n v ite ha u teme11t les a u tori tés qui ont pris n aissance
d a n s cette Vallée, les admi nistrateurs de la V i l l e , tous les per­
sonnages de con s i d è 1·atio11 qui s' in téressent pou 1· ce pays à pren­
d 1·e l ' in i t i a t i v e pour obtenir du Souve1·a i n ce privilège .... Heureu­

sement i l ex iste encore de vrais patri otes e t l'on n 'est p a s a nivé

à cette i n d i ffé rence et à cet égoïsme q u i fe 1·ait d i re des amis de


la p a tr i e : appm ·er d 1 ·m·i nan tes in gurgite rasta. Ils sont v i v a nts
ces hommes de cœu 1· qui ne re co nn ai ss e n t que trois passions, l'a­
·
m o u r pour la 1 ·el i g i o n , pour l e u r roi el pour la patrie. Ils consa-
cre ron t leurs r ffo1·ls pour l ' a v an ta ge de cette Vallée, pour l u i

procurer le renouvel lemen t de l'exécution des P a tentes ci-bas


tènorisées, observées par les plus h a u ts dignitai 1·es de cette P ro­

v i n ce et non abolies par des provisions postérieu res ; ils pro u v e-

1·ont qu' i ls portent l e civisme au po i n t de fa i 1·e d i re d 'eux qu' ils


ont bien m é r i té de la patrie. »

Pléoz p u b l i e ensuite le texte de !' édit d ' E m m a n u el-P h i l i bel'l


du 22 septe m b 1·e l :'1() l et l ' a r ticle V I I I " de SC's lett1·es-pa ten tes du

24 j u i l l e t 1 5î8. pu i s i l ajo u te :
« lTne circonstance de poids a détermi11é à J ' égard de cette
Province (<l'Ao5te) l ' usage de la la ngue i talienne dans les l ois,

les actes ad ministratifs et les règlements.


« Par patentés royales du 1G octobre '179 1 , S. M . le 1·oi
Victor-A médée I I I , sur les suppl iques réitérées du Conse;l des
Commis et d'une grnnde partie des communes de ce Duché, or­
donna au Sena t de Piemont d'exei·cer sur les officiers de j ustice
1

e t sur les habitants du même Duché la même juridiction qu"y


exerçai t a u paravant l e Sénat ne Savoie.
« De là dérivèrent la nécessité de s'adapter à l 'usage de la
l a n gue en vigueur en deçà des monts e t l' i mplicite, absol ue dé-
1·-0ga tion a ux ordres anté1·ieurs, à l'exception de quelques rares
exemples, comme dans le Règlement su r les bois et forêts, du 1 1
septembre 182 1 , qui, pou1· ce Duché, fut fai t en langue française. »

Dans la Feuille d'Annonces du :30 octobre 1 848, dirigée alors


par Fe1·dinaud Bochet, nous tro uvons encore les deux articles
suivants, d'u n auteu r anonyme :

Une plainte légitime.

« Déjà en 1 846, un col laboi·ateur de ce journal a cru, dans


un a1·ticle sagement élaboré, dans l ï n té1·êt le p l us palpable de ses
conci toyens, élever· assez énergiquement sa captive v oix pour si­
gnaler l 'abus qui s'est glisse depuis q uelques années e n cette
P rovince, de la part de divers employés subalternes, de se servir,
a u l ieu de la française, de la langue i talien ne, au mépris de nos
HS et co1itu m es tant de fois sanction nés par les Princes de la Mai­
son de Savoie, ainsi qu'il conste de dive1·s édits et R R . PP. dont
deux se trouvent transcrites au bas de son article. Nous croyons
aujourd' h u i rem p l i r un devoir, en revenant sur ce sujet, de d i re :
«Q uand de tous cùtés l'on répète que 1'011 doit conserve1· à
chaque pays sa na tiona li té, q u'on do i l la 1·especte1·, n ·aurions-nous
pas raison, n ous V aldê1tai ns, q u i ne nous trouvons sous la domi-
1rntion toute paternel le de l' i l l ustre Maison de Sa voie, qui j adis
nous nous som mes mis sous sa protection, sans qu'on puisse
di re que nous lui a ppartenions par droit de conquête, n·aurions­
nous pas raison, dis-je, de réclamer à son Gouvernement de­
venu heureusement constitu tionnel, de pouvoir, à l' i nsta r de la
Savoie, co11se1·ver notre langue natu rel le, notre langue mère qui
est la française ? Je dis conserver, parce qu' à mes yeux , c'est
vouloi1· nous la rav i r que de fai re promulguer des lois dans une
langue à laquelle les neuf dixièmes de la population ne compren­
nent rien, qu' ainsi i ls n ' écou tent pas et ont raison de ne pas
écou ter, lorsque le crieu1' public. en essaye la lecture, comme s'il
avait de ! ' hébreux sous l es yeux. Gest bien le cas ici de sig11ale1'
un gra ve abus de la part de M?iL les secrétaires communaux.
Quand il est public et notoire q u ' u ne loi n'a pas é té promulguée
va l idement, pourquoi cette complaisance de leur part d·en t1·;1 11s­
mett1·e au Gouvernement le certifica t de pub l ica tion 1·equis pou1·
rend1·e les lois obl igatoires dans les communes. Ils ne r i gnoren t
pas que l h uissier publicateur est resté sans un auditeur dès la
première ligne en i talien qu' i l a bégayé à J'albe pré toire. Passe
e11co1·e si au moins l\1 �1 . les secrétai res les comp1·enaien t eux­
mêmes ces lois en langue étrangère, s' ils pouvaient en donner
l'explica tion aux admi nistl'a teurs communa ux et aux principaux
prop1·iétai 1·es pour en propager la co11 naissance ; mais non : quand
je dis que les 11euf d i xièmes de l a popu latio11 n'y comprennent.
1·ien, j e n'exclus pas les 11euf dixièmes des secrètai1·es et adminis­
t1·atem·s communaux qui sont dans la même igno1•ance.
« Le préj udice qui 1•ésu l te de ce défa ut de promulgation pour

notre pays et sul'lou t pou 1· les pauvres habitants de la campagne


est i n ca lculable ; citons quelques exemples récents.
« Les déc1·ets des ï et 1 2 septemb1·e del'!lier qùi sont des l ois

financières pa r excellence et q ui comportent pour leur non exè-


60

cution des amen des tr•ès fortes, ces lois, dis-je, a i nsi que les nom­
b reuses explications qu'elles ont nécessité pour leur i ntell igence,
mème en langue italienne, n'ont point été com prises par les a<l­
ministrations comm unales : les rîiles dressés en force cle ces dis­
posi tions législatives offrent des i rrégu lari tés sans fiu et lèsent l a
pl upart iles individus q u i y figurent comme cotisables. li est v rai
que l'art . 20 du décret du 1 2 septembre donne la faculté de r·é­
clamation en cas de su rcharge, mais nous l'evenons ab oi;o : cet
article-là le cont1·i buable l ' ignore ; il ignore peut-être même, s' il
n'en reçoit ! "avis en fra nçais, d'ùtre porté au rôle, car celui-ci est
encore d ressè en i talien. Supposon s poul'ta11t la pleine connaissance
de la fa veu1· portée pa1· cet a rticle. Maintena nt que, grùce à la
classification de 11ot1·e D uché parmi les provi nces de dernier rang,
nous dépendons de I ' Intenda nce Générale d' I vr ée, l e co11t1'ibuable
lésé ne devra pas moins fafre à g rands frais 20, .1 0 et même 56
milles pour obtenir de 1 · Inte ndant Géné 1·al à qui seul i l appartient
de statuer, la répara tion d'une erreur qui ne provient n u llement
de sa faute, pour laquelle il n'en peu t mais.
« N'y a-t-il pas là <le quoi s'aliéne1· le cœur de la population

e n lui rendant si gravatoi res des lois dont une con naissa nce plus
précise l ui fera it senti r qu'elles ne sont pas si rigou reuses qu'elles
l u i paraissent par suite d'une fa usse i11te1·prétation : et si le pau­
v re public murmure, n'en a-t-il pas l e droit ? Est-ce sa fa ute à
lui, si sa langue n'est pas celle q u'emploie le Mi nistère pour l u i
.
dicter la l o i , pou 1' l u i prescrire ses devoirs ? Et poui'q uoi, s i à
Turin l 'o n ne veut pas se donner la pei ne de rédiger dans les
deux langues l es lois, les décrets, les circu la i res, enfin tout ce qui
dema nde u ne publici té, l e Gouvernement n'en a u toriserait-i l pas à
Aoste méme, comme à Chambéry, la ti·aduction dans notre lan­
gi;e, pour les mander ensuite en publication et en assurer de cette
manière la fidèle et régulière exécution, anêtant ainsi de la part
du public tout sujet de mécon tentemen t et de plai n te ?
111

« C'est à MM. les syndics com m u na u x , dans l ï nterêt de leurs

a d m i u istres, de fa ire re�sorti r les i n co n v e n i e n ts, l es preju di ces no­


ta bles q u i de1·i vent d' une pareille i n fraction a ux 1·ègles d ' u ne sa i n e

admi nist1·ation, de bien d i 1•e et repete1· que, si l ' o n v eut que nous

soyons Italiens, not1·e langue n'en est pas moi ns la franç.aise, que

c'est en français qu'on doit nous parler, et non en ita l i en, s u 1· tout
q u a n d il s'agit de lois financières, fisca les, administrati v es, com m i­

natoi res, dont on ne saurait assez se pene t1·er du conte n u . Qu' ils
ad resse n t col lecti v e ment l e u 1·s l egiti mes plai ntes à. ce sujet au

Ministère ; s' il le fa ut, qu' ils e n fassent cas au Parlemen t Nati o­

na l , q u i ne manque1·a pas <le senti r· la legitimite de nos recla ma­


tions et d 'y faire droit. Que si , contre toute attente, il en était

aufrement, u n moyen nous res te1· a i t encore pour pa r v eni r à ce


b u t ; je me rése 1·ve de le s uggérer p l us ta rd si le cas échoi t. »

Deux mots sur la nouvelle loi relative à l administration communale.

« La loi s u i· l ' ad ministration co m m u n a l e décrétée le î octo- •

b1·e dern ier vi ent d'ètre trans mise aux secretaires com m u n a u x

pou r êt re promulguée, m a i s l e s exemplai res qui l e u r sont ad ressés


sont encore en la ngue ita lienne. D i sons donc bien ha u t au Gou­

v ernement qu' i l est de toute né cessité et d e toute urgence q u ' o n

l e u r e n fasse tenir u n no u vel exe m p l a i re en la ngue française, si

l'on veut e v i te1· les mille qui proquo, les bévues, les fa usses i n ter:

prétations, les i r 1·égul a r i tés de tout genre que le d é fa u t de con­

naissance de cette loi entraî nerait dans son exécution et qui ne

pour1·ait que n u i re considerable ment à cette branche de sel'Vice


q u ' i l est de la plus haute i m porta nce de bien étudier en ce m o-
ment . . . . »

Le 30 mars 1 849, l e mê me j o u r nal publiait un article inti tule

les cris dt! la Savoie et le silence du Val d'Aoste. Il y est dit


e n t1·e a u tres que la Sa voie se p lai n t de ce que les nombreux fonc -
62

tionnai res qui 1 ui sont envoyés du P ié mont « ne connaissent ni sa


langue, ni ses habitudes, qu' ils ne la reg�l'dent que com m e un
moyen de promotion, qu' ils cherchent à la quitter a ussitôt après
s'y ê tre instal lés et qu'ils ne peuvent ni connaître exactement ses
besoins, ni les appuyer, efo. » Le journal ajoute ensuite :
«
Quel Va l<lôtain pou i·rait mécon naitre ici son identité de posi­
tion a vec la Savoie ; ta ndis que presque tous les employés <lu Gou­
vernement en cette provi nce (d'Aoste) sont piémontais, i l n'en est
pas un dixième de Vald<ltains corresponda n t à leur nombre qui
occupe des places hors de sa patrie. Mais voti·e ignorance de la
langue italienne, nous di ra-t-on. y est un obstacle. Vrai men t !
pourquoi ne serai t-on pas aussi indu lgents à notre éga1·d, que
nous le sommes a vec ceux qui viennent chez nous torture1', estro­
pier notre langue ? » 1

Le :30 avril 1 849, l a Penille d'Annmices insérait une adresse


aux conseil lers provinciaux qui allaient se réunir pour leu rs séan­

ces. L'auteur ne nous est pas con n u ; il se dit « une â me patrio­
tique qui ose fa i r·e entendre ses accen ts pou1· éveiller u n des gra nds
intérè ts de la Province d'Aoste, celui de ses droits méconnus et
surtout cel ui de sa national i té. Cel u i -ci du moins doi t être res­
pecté par·ce qu' i l ne touche en rien a u x intérêts de l Etat ni de
la Couronne ; i l l'end même plus p1·om pte l 'exécution de leurs
v.olontés ; si m u l tanément i l resserre les nœuds d'attachement et
de fidélité à l a Ma ison de Savoie. »

« Cet intéi·èt, dit-il , 1·appelle l a �a tioualité Vald<itai ne ; oui,


i l en est u ne fidèle expl'ession ; et quand cet avantage nous se­
rait enlevé, nous a u 1·io11s perd u tous nos droits.

1 O n se se r v i ra peu L-èLre tle quelques passag·es de ces a rticles pour


tra vp,sti 1· de n o u vea u not1·e thèse, p o u r nous représe n l.e1· c o m m e a n t i ·
·
i tal i e n s , rétro)lrades o u sépa1·a L i stes. No u s fa i sons s i m pleme n t de l ' histoire
dor·11 111e11tée sur les v i ciss i t udes Li u t'ra n <,: a • s J a n :> la V a l l e e r l ' .\ o s l.e .
( ., ..,,

« A v a n t d'entrer en matière, il paraît nècessaire de pmser


dans les meilleurs lexicographes la dèfinitio11 du mot nation , sa
racine, afin que quelques lecteurs de cet a rticle ne se mèprennent
pas sur sa Yèritable a cception.
« Le mot na tion ti re son origine du mot lati n nasci, 11ai tre ;

i l comprend tous les habitants d'un même E ta t ou d'un même


pays. Les populations d'une provi nce, unies par dive1•s rapports
ou pa1· des liens communs constituent une nation com me elles for­
ment un E tat ; autrement on ne sa urait expliquer les mots Etats
Sanies. Une nation comprend les natu rels du pays et ses autres
habi ta nts : ainsi le D uchè ou la Vallèe d'Aoste, qui forme une
p1•ovi 11ce, qui a des liens com muns, des intèrêts pa1·ticuliers, des
habitants propres, et qui fu t toujours une sociétè dis tincte des
a utres pays par son origine, son caractère, ses mœurs, ses besoins,
ses usages et sa langue constitue u n e nation, un E tat ; e.l le a tous
l es ca ractères de la nationalitè.
« Un de ses i n tè1·êts spèciaux rèside dans l e maintien et
l 'emploi exclusif de la langue fran<:.a ise pom· les bureau x de cette
province et les actes rela ti fs du Gouvernement.
« La Savoie unie aux Eta ts Sa1'des jouit de ce droi t ; la Val­

lèe d'Aoste doit, elle aussi, en jouir, parce qu'elle se l 'est réservé
en se 1·éunissant a u Piémon t sous le sceptre de l a Maison de
Savoie, et qu' il lui a è té ga ranti. Elle a rempli religieusement
les devoirs que l u i i m posait son ag1·égation, et de leur cùté les
Rois et les Princes de la Maison de Savoie ont confii · mè à di­
verses époques la ga ran tie de ce droit precieux : edit du 22 sep­
tembre 1 fi 6 1 , lettl'es patentes du 24 j u i llet '1 578 et bil let royal du
2 f) octobl'e 1 721 . Euco1·e e11 1 832 ce pays reçut en langue fran­
çaise, ent1·e aut1·es lois, le Règlement sur les bois et forèts.
« L'on objecte ordi nairement que la Valle e d'Aoste, ètant d u

r essol'l d e la Cour d'appel d e Turin par patentes roya les du 1G


o ctob1 ·e 1 ï ! l L doit adopter la langue de cette Cour ; mais jamais
fl.\

le Consei l des Com m is el les com m u nes de ce Duchè, qm ont

demandè d' ê tre sous la j u 1·idi ction de la Cour de T u rin, n·ont


pensè renonce1· au d roit et à . r emploi de la l a ngue fra nça i se ; l es

P . P. de concession n'en font a uc u n e mention. Ça étè une fa ve u r


q u i n 'a pu l e u 1· porter attei n te.

« En deh ors de res considèrations d ' u n g1·a nd poids, i l en est


encore d ' a u tres qui doi v e n t ent1·er d a ns la ba la nce des besoins de

l a province et qui proc l a m e n t h a u tement la n è cessitè de la con­

ser v a tion de l a l a n gue fra nçaise po ur l es l ois, l es actes a d m i n i s­

tratifs ou j u rl iciai res, les 1·èglemen ts, les circu l a i res, etc., la lan­

g u e i t a lienne n"y èta n t p a s con nue. To us l es sta tistes et l es èco-


1wmistes de bonne foi a p p u i eron t par l e u rs p u issan tes dèpositions
ce droit et cette nècessitè. »

En 1 8ô0, l'avocat Ba rbie1·, dép uté du Col l ège de Q u a rt, fit


u n e motion a u P a r lem·ent subal pi n contre la publica tion des a c tes
officiels en i ta l i en que nos paysans ne comprenaient pas. I l pa raît

que la Cha mb1·e ne l u i fut pas fa vorable. Le d è p u tè d' Aoste Lau­

rent Ma r ti ne t, indign é, donna a l ors ses démissions qui furen t re­


jetées à la presq ue u n a n i mité. Dans u n e lettre très è nergi que, rl u

19 juin 'f 850, arl ressée à son coll è g u e L a u rent V a lerio, Ma rtinet,

don r personne ne pou v a i t soupço n n e 1· l 'a t ta chement à J' I ta l i e, m o­


t i v a i t ses démissions. I l q u a l i fia i t la délibération de la Cha mbre

une injustiCP, un ou tJ·age à la 7 ; r·orince d'Aoste, don t on sem ble

m}connaît1·e le pafl·iotisrn e et les sentiments italiens. On y sen t


J ' i 1 1 d igna tio11 d'un v a ldôta i n de v iei l l e 1·ace, et 011 a dopta a l ors un

tempè1·ament pour l es deux la ngues para l l èles.

Nous reprodu isons encore u n article d'un ma gistrat distingué

qui n ' éta i t ni clé rica l ni a n li-uni tai re, mais qui pa r l a i t l e l a ngage

du bon sens e t d u d roit, de M. l'a v ocat Bnrno Fa v re, ancien syn­


dic d ' A oste (Feuille d'Annonces du 30 m a i ·1 85:-l) :
65

De la langue française à Aoste.

« Témoi n des plai ntes incessantes que font u ne partie des


j usticiablPs des j udica tures de Chà til lon et Don nas, de ce . que les
i n terrogatoires se font, j e ne dirai pas dans u ne langue, mais
da ns !' idiome piémontais, dans un idiome qui, s' i l est in tel ligible
pour quelques-uns du bas Val d' Aoste, peut-êtrn pl us que le fran­
çais l ui-même, ne l'est cependant pas pour la général ité des ha­
bitants de ces cantons ; forcé de regretter avec quelques- uns de
ceux-ci le triste résul tat de leu r·s enquêtes, résulta t qui n'est dù
qu'au mode, à l'idiome dont les témoins son t i n terrogés ; voyant,
d'au tr·e part, que ces j uges se permettent parfois de faire la pr·o­
cédure orale en une la ngue qui est tou t a utre que la langue lé­
gale, la langue officielle de la province ; ayan t même eu occasio'n
de voir de la procédure criminelle écri te en cette la ngue, je veux
dire en i talien ; témoi n, dis-je, de ces procédés i l léga ux qui vont
en prena n t de nouvelles proportions, i l me sera i t i m possi�le de
garder plus longtemps le si lence, quoique je sache très bien q u e
c e t a r· ticle n e sera pas d'un goû t généra l . Mais q u e m' i mporte, à
moi, la critique de quelques-uns, quand je sais que je parle le
droit, la raison à la main ?
« I l est i ncon testable que, s ' i l existe pou r· u n peuple u n droit
sacré, c'est cel u i de faire respecte1· sa l a ngue. La langue fra n­
çaise forme, depuis un temps i mmémorial , la langue v ulga i re de
ce D uché. Voilà un titre. Ce droit, ce titre, s'il n'est reconnu par
de simples j uges de canton, il l'a 8 té par les princes de la royal e
Maison d e Savoie. Son Al tesse le d uc E mmanuel-Phi libert a 01'­
donné par l'art. s e de ses Lettres-Pa tentes du 24 juillet 1 578
que tous les Edits seraient publiés rière le Duché d'Aoste en
·
la ngue fran�aise et non en langue italienne. I l y a e u une a utre
loi q u i a frappé de nullité tous les actes q u i seraient faits dans
ce d uché en une l a ngue autre que la langue française.
« li y a une loi spèciale, expresse. Mais ces lois ne peu­

vent être abrogèes ou dèrogées que par une autre loi postérie u re
de même natu re, ou par une loi spéciale et expresse. Ce sont les
princi pes du droit.
« Or, où est cette loi spèciale et expresse qui a ab rogé ces
dispositions a n té1·ieures de nos législateurs ? Que mes contradic­
teurs la cherchent.
« Croiront-i ls peut-ètre avoir t1'ouvè un argument dans le
fa it que ce duchè a ètè dètache du · ressort du Sena t de Savoie
pou r ê tre i nco1·poré au Sénat rlu Piémont ? Cet a rgu ment serait
bien loin d'ê tre pla usible. Il n'y a pas là une ré vocation expresse ;
parta nt, i l n'y a n i abrogation ni dèrogation.
« S"étayeront-ils peu t-ê tre de ce que le Gouvernement nous
à transmis penda nt de longues a n nées les lois en langue italienne ,
pou r conclure qu' i l y a eu abrogation ? Ce serait encore u n rai­
sonnement faux, i llégal. Un fait n'est pas une loi ; il est d'autant
moins une loi expresse.
Et puis, s' il faut dire le tout, je ferai observer que les lois
de finances, d' i mpôts ont toujours été suivies d' i nsll'UClions redi­
gées en langue franç.a ise. C'est qu' i l ne fallait pas que ces lois
fussent mal comprises ; e lles ne devaient pas demeurer à l état
d' hièroglyphes .... Nos go uvernants savent donc que la langue ita­
lienne n'est pas bien comprise, qu'elle n'est pas connue ! Mais si
cela est, pourquoi nous en voient-ils les lois en cette langue ? Et
commen t prétendent-ils qu'elles soient obligatoi res· ?
« Il est cependant un principe de droit constant qu'une loi
n'est obligatoire qu'autant qu'elle a été connue par le moyen de
l a publication. Le code civil sarde, à l'instar de tous les codes de
l ' u n ivers, ne rend obligatoire une loi qu'a p1·ès la publica tion (art. 8).
Mais cette formalité ne serait-elle pas i llusoire, si ce tt'1 publication
se faisait en hébreux, ou grec ou en u ne a u tre langue non connu� ?
I l y aurait contradiction entre le fa it et le but ou l ' intention.
Gi

« Ces droits, ces princi pes étaient tenus en vénération par


notre ancienne Cha mbre des Commis. Ils sont répétés, toutes les
a nnées, et dans le Conseil provi ncial et dans les séances de !'Ad­
m i nistration communale de cette v ille. C'est que les mandataires
du pays failliraient à leur devoir, a u mandat qu' ils ont reçu de
leurs conci toyens, s' ils n'adressaient constamment leurs représen­
tations à l'a utorité supérieure pour l a reconnaissance et le m a i n ­
tien des droits d e leurs mandants.
« Tout confiant dans les sentiments de légalité qui ont cons­
tamment guidé les chefs de la magistratul'e de cette Province, je
crois, j"aime à croi re qu' ils donneront à leurs subalternes la di­
rection que leur com mande le devoir, et q ue nous ne serons plus
forcés de recourir à l a voie de la presse pom· faire entendre nos
griefs, nos j ustes réclamations. Avocat FA YRE.

Ces articles étonneront ceux qui n'ont pas une notion exacte
de l ' histoire de la Vallée d'Aoste, indignemen t travestie par des
plagiaires qui l'adaptent à leurs étroites conceptions et à un soi­
disant patriotisme que nos ancêtres ont comp1·is d ' une autre façon.
Nous les avons reproduits - nous le répétons - pour documenter
une étude absolument objecti v e sur l 'origine et les v icissitudes d u
fra nçais dans notre pays. Depuis lors, chaque année, les journaux
d'Aoste, sans disti nction de couleur et de parti, sont revenus sur
cet a rgument.
Depuis l a mort de Jean-Baptiste de Tillier, en 1 7 H , notre
histoire est à peu p rès i nconnue et nous nous permettons de citer
encore quelques-uns des décrets les plus i m portants relatifs à no­
tre Vallée à la fin du X V I l l " siècle. Tous ont été impri més et
publiés en français.
Edit de 8. M. et Règlement pour la conservation des forêts,
28 a vr i l 1 757 - E dit de S. M. au sujet du Conseil des Commis,
ôR

1 8 janvier 1 758 - Edit pour l établissement de ! ' Insinuation, 1 5


avril 1 758 - Patentes de S . M . portant dérogation a u Coûtumier
a u sujet des i nstances criminelles, 1 3 février 1 76 1 - Edit de
Charles-Emmanuel pour l 'administration économique du Duche, 1 5
décembre 1 762 - Lettres patentes de S. M . e t Règlement d e
santé e t de police pour le Duche, 1 5 décembre 1 762 - Manifeste
du Conseil des Commis au sujet de la sortie des bois, du charbon
et de l introduction dans la Vallée du mi nerai étranger, 2 aoùt
1 853 - Manifeste des Commis concernant la gabelle du sel, 2
aoüt '1763 - Patentes de Charles-Emmanuel sur l'observance des
fè tes, 4 mai 1 767 - Patentes du mème pour le mesurage et ï'é ­
valuation des fonds, 4 aoùt 1 767 - Edit royal du 1 9 décembre
1 7 7 1 pour l 'affranchissement des fonds sujets à des redevances
feoda les. Ces deux dernie1·s documents préludent à la création de
la Royale Délégation dont tous les écri ts sont en fra nçais. -
Manifeste de la R. Chambre des Comptes sur la j u ridiction du
conse1· vateu1· des Gabelles, 18 septembre 1773 - Edit royal re­
latif a ux courses en poste, 21 mai 1 779 - Lettres-patentes de
Victor-Amédée I l l, relatives aux consorteries et aux canaux d' i r­
rigation , 24 aoùt 1 7 8 1 - Manifeste d u Bu1·eau de r I nspection
pour un denombl'ement généra l du D uché, 20 j u i n 1 78:? - Let­
tres-patentes au sujet des mariages, 1G j ui l let 1 782 - Edit royal
sur la péréquation des impôts dans le Duché, 7 octobre 1 783 -
Manifeste de l a Chambre des Comptes au sujet des hauts-fours et
des fabriques de fe1', 21 mai 1 784 - Manifeste du Conseil des
Commis exe1·çan t la j u ridiction de Magistrat de santé 14 décem­
bre 1 7115, etc. etc.
Mentio1111ons a ussi les circulai1·es impri mées de tous nos I nten ­
dants j usqu'en 1 85!) e t s u dout cell es de Vignet d e s Etoles ( 1 774),
Somatti de Mombel ( 1 788). Réan ( 1 8 1 4 ), De Grey fié ( 1 822). De Fer­
n ex (1 825), Allamand (1 835). Orsi ( ! 842), Racca ( 1 853) et De Rolland
(1 858), des commandants et gouverneurs militai1·es, le comte de Loche
69

( 18 14), le comte Louis Chianea (1 823-32), le comte P rovana ( 1 835),


De Bellon (1 838). Cornuty (1 843), De Asarta (1 844), du comman­
deur Linty, réformateur des études (1 790), du commandeu r Aimé
Passerin d'Entrèves, major d'i nfa nterie et commissaire de levée
(1 822), les p u blications du Protomédicat et de la Junte d ivision­
naire de santé, de 1 81 5 à 1 840, etc., et on peut constater que l e
français n'est p a s d'importation récente dans la Vallée d'Aoste, où
il existait cinq siècles avant l'occupation française ( 1 794-1814),
et où il a continué à lui surv i v re.

*
* :*

Notre tâche est finie, car nous n'avons pas pour b u t de nous
occuper des difficultés su l'gies depuis la cession de la Savoie à la
France. Une étude sur l es origines de la langue dans u n pays,
qui a une histoire et une configuration spéciales comme la Vallée
d'Aoste, exigerait un plus ample développeme�t et nous pourrions
consolide1· notre thèse avec de nombreux documents i nédits qui exis­
tent aux a rchi ves de Turin, de Sion (Valère) et de Genève, mais
c ela dépasse les limites de n otre modeste brochu re où nous a vons
essayé de démoutrer la formation na turelle, len te et progl'essive
du fra nçais dans notre pays a vec l es tl'ansformations politiques
qui ont suivi l'ancien royau m e <le Bou 1·gogne. Ce fut l 'œuv re des
siècles, reconnue et sanction n ée par Emmanuel-Phil ibe1·t et ses
successeurs qui n'ont pas oublié l'attachement sécu laire des Val­
dôtains à la Maison de Savoie, ni ce qu'ils ont fait pour le Pié­
mont et ! ' I talie.
Nous ne parlons pas des v i cissitudes de la langue depuis la
cession de la Savoie à la France. Nous nous sommes occupés es­
sentiellement <les origines et puisqu'on a osé publier cette a ménité,
q u' u n p1·ince de la Maison de Savoie a impose aux Valdôta i ns la
ÎO

connaissance et l' usage du français, nous finissons par cette lettre


d' Emman uel-Philibert adressée en 1 555 à ses biens aniès, fèals
et fidèles subjects de la 'Wl et duchè d'Aauste, dont i l Joue la
fidélité et le pa triotisme : 1

Nous avons entendu la bonne disposition en laquelle vous


«

estes mis dung commung accord, tant selon Dieu que selon le
moncie, pour vous ga rde1· des en ne mys et mainteni1· soubs nostre
obeissance, d'ond avons prins le plaisir que pouvès penser et vous
en sçavons le bon grez que mérités. De mesme heussiés vous desja
heu nouvelle de la bonne souvenance qu'avons de vous et l' inten­
tion en laquel le som mes de v ous preserver et deffe ndre, ne fust
estè l'empeschernent d'une i ndisposition qui nous a tenu environ
qui nze jours . Mais puisque la Dieu mercy en sommes resso1·t, nous
entrerons en besoigne de si bonne sol'te que vous en ape1·cevrès.
Car v eritablemen t nous voulons mettl'e tout le demeurant avant
que v ous défaillir, voire la personne propre, estan t bien tout as­
seurè de v ostre sincere affection, qu'exposerés l es propres vies
pour llOUS. Or vous sç.a vès asses a qui havés a faire : c'est enfin
a vos mortels ennemys et dau tant plus a craindre quils feignent
l estre moi ngs quils ne sont, l'effo rt des quelz ne fa u t point trop
estimer que les ruses. Vous estes cloz et environnés d'aultes et
puissa ntes murailles et de portes non moings estroites que aspres.
Vous n'estes point petit nombre de gens et croyons avès tous bon
courai ge et grand, et <laultant plus que serès aydès et secou rus.
Par q uoy nous reste ta nt seulement v ous a<lviser si l'ad versaire
s'ava nce s u r v ous, sil vous v ient assail li1·, souvenez-vous que c'est
a son grand desavantaige. Vous estes eu vostre tanniere pour
soustenir votre foy, vostre serment, pou r deffe nse1• vostre patrie,

1 De tou s les d o m a i nes de son pt'>re, le jeune p ri n ce n e possëda i l. plus


al ors quo les fideli.� simae civitates Aoste, Verce i l , Coni et Nice.
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v os femmes et enfans. Ung en doibt battre cent en ce cas. La


justice e t bon . d roit sont de v ostre couste et Dieu l es accompaigne
et fav01·ise tous jours. Vous ne combattes pas pou r oul trager aul­
trui mais pour vous ga rder d'oültrage, ni pou r estre tirans mais
pour repousser tirannie. Souvenes vous q u e la libe1·te de vos voy­
sins est une miserable servitude · et que la subjection que nous
a ves est une liberte heureuse . Sou venes vous aussy que n'aves
pas en no� s un prince humain tant seulement, mais u n bon père
qui vous tient pas tant en compte d'obeyssantz et affectionnes sub­
jectz comme tres chers et très ames e n fans. Ensomme l'on ne se
peult deffend re des a 1·mes que par a rmes et abba ndonneres vous
doncquc les v ostres pour recevoir celles de vos ennemys . .J'espere
s\. (qu'ainsi) vous voules et m'asseure quit est ainsi quilz ne rap­
po l'teront de leurs entrep1·ises que dommaige et honte et vous
.
honneur et avantaige, Dieu aydant, lequel prions vous donne1· sa
saincte grace.
« De Brusselle ce '2:3 de septembre 1. 555.
« E M�IANl.'EL-P H I L l l.JERT
F .um1 .1 »

1 Archi v es du Conse i l des Com m is, L�ttres et 111éruorù111x. - F. Hochet


a p uhliè celle lettre, m a i s a v ec quelques e rreurs ù e trausc1·i p l i o n qui n ' a l­
tëre n t pas le sons du d ocu m e n t don l i l n ' a v a i t peu t - è lre pas vu l " origi n a l .

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