Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
Ainsi, Avalon nous fait éprouver, via une expérimentation complexe et ardue de
lʼimaginaire, la hantise de lʼabsence, revenance risquant de sʼabsolutiser en
kénose du sens. Cʼest donc un film fantastique dont lʼinspiration la plus explicite
et revendiquée vient du court-métrage de Chris Marker, La Jetée (1962).
Pour y parvenir, Ash doit parcourir les deux systèmes de sens que nous allons
vous développer dans nos deux premières parties :
Ce sont les rapports entre ces deux systèmes de sens qui nous amèneront à
notre troisième partie, plus directement ancrée à notre problématique :
1/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
A - Forces en présence.
Une héroïne paraît très vite comme en survivance dans le film, cʼest-à-dire
présente entre réalité et virtualité -sa réalité se résumant à un quotidien
minimalisé par le réalisateur-. Cette héroïne se mouvant dans une vie où la
banalité du quotidien pèse comme la mort (présence dʼune absence, celle -
diffuse- de la mort) sʼappelle Ash.
Si Ash est héroïne du film, cʼest donc au sens où elle incarne et symbolise (réel
et symbolique) les potentialités inhérentes à la survivance dans le fantastique.
2/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
Dans la réalité, Ash survit entre son petit appartement, le bâtiment obscur où
lʼon peut se connecter au jeu, le tramway, la cantine, lʼhôpital, la bibliothèque, et
un bistro (banal) : sept lieux “réals” (réel voilé dʼimaginaire), en tout et pour tout.
Ils sont plongés dans une ambiance étrange où seules de mornes silhouettes
se détachent du fond grisâtre. Dans le bâtiment où lʼaccès à la virtualité devient
possible, se trouve un hall principal (commun) et diverses cellules (singulières).
Cʼest dans la cellule, via un casque (un peu comme dans la trilogie Matrix) que
les joueurs (« the Party ») accèdent à la virtualité du jeu : dans cette dimension
de potentialités, divers rôles liés à Avalon sont à imager dans une guerre
militarisée, cʼest-à-dire une guerre visant la pacification par unification. Cette
guerre systémique sʼoppose à la guerre civile, idéal oshiique :
« La guerre civile est le libre jeu des formes-de-vie »
[Tiqqun, Introduction à la guerre civile, point 10]
3/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
elles ne sont pas filles de Mémoire mais bien filles dʼOubli. La présence
immortelle serait donc une présence oubliée, mais une absence souvenue.
Jouer à Avalon signifie donc conjurer lʼabsence, faire avec des fantômes et
réaliser les potentialités de cette virtualité. Par un système projectif, la
survivance ici montrée -via le métavers- se trouve jouée comme apaisement
nécessaire à lʼangoisse née dans lʼatmosphère fantastique.
C - Esthétique de lʼabsence.
4/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
« le neutre : cela qui porte la différence jusque dans l'indifférence à son égalité
définitive. Le neutre […] reste le surplus inidentifiable. »
[Maurice Blanchot, Entretien Infini, P. 450]
« Cette différence trace l'épreuve qui n'est pas celle d'une dissolution, mais
d'une indifférenciation. Je ne suis plus qu'indifférence, un homme quelconque
[…] Le neutre n'est ainsi pas un état, mais une complète instabilité, celle d'une
foule en fuite, mouvement de transition, épreuve du seuil. »
[Anaël Marion, L'Expérience de la pensée chez Maurice Blanchot, La ruine de
l'écriture comme traversée du neutre, mémoire M2 LAPC, inédit, P. 126]
- Le spectacle conceptualisé par Guy Debord rejoint, en tout cas dans ce film,
ces propositions, car le système neutre, adaptant filmiquement le neutre
littéraire, indifférencie par inidentifiabilité sa production de simulacres :
5/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
A - Y entrer.
Le métavers virtuel a plusieurs niveaux. La classe “A” est le niveau qui requiert
le plus dʼexpérience et dʼintelligence, cʼest le niveau officiellement le plus
intense du système fantastique de survivance. Ash réussit la classe A grâce à
une équipe reformée pour lʼoccasion car ce niveau nécessite des forces
communes. Cʼest là que Stunner deviendra un “non-revenu”. Le passage de la
classe A à la classe “Spéciale A” -classe expérimentale, absence du système
de survivance, rumeur et mystère qui nʼapparaît quʼavec la rencontre dʼun
“Bishop”- nécessite un “faire avec les fantômes”. Hors des systèmes, les
“Bishops” sont des indépendants, mercenaires libres permettant le passage
entre systèmes. “Bishop” signifie “fou” dans le jeu dʼéchec, en anglais : il se
déplace déplace en diagonale par rapport au jeu. Le préfixe “dia-” indique ce
rôle de passeur. Après avoir réussi la mission de la classe A -en un temps
défini-, un Bishop permet de tenter la classe “SA” (ou “réelle”).
Mais entre les deux, il y a une ultime épreuve : “The Ghost” (le fantôme). Il faut
pouvoir lʼaccueillir, puis le suivre, et enfin le détruire. Achever la classe A donne
la possibilité de voir apparaître “The Ghost”. Mais comment le suivre et le
détruire ? Pour cela, et seule Ash y parviendra dans le film, il faut dʼabord
lʼaccueillir, attendre quʼil se déplace; il faut ensuite trouver le moment où “The
Ghost” sortira de la matière, quʼil nʼy soit pas réfugié. Cʼest à sa sortie dʼun mur
que Ash le trouvera vulnérable : là elle le détruira. Cʼest rendu possible par le
fait que ce soit un revenant virtuel, cʼest-à-dire un fantôme animé par les
“bishops” et créé par les neuf sœurs, filles dʼOubli. Distinguer le fantôme de la
virtualité des phénomènes de la virtualité donne accès au système neutre du
spectacle, ou plus exactement à un lieu secret -une faille- de ce système.
B - Y séjourner.
6/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
C - En sortir.
Dans la classe “réelle”, la mission officielle, outre la survie, est de tuer un non-
revenu (le détruire). Mais pour Ash, cela signifie aussi en finir avec son ancien
amant, Murphy. Cela signifie le “désimmortaliser”, le transformer en revenant, le
faire revenir à un simple souvenir, faire travailler lʼoubli. Ainsi, la mission -
7/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
politique, par rapport aux systèmes- se trouve changée -ou enrichie- en travail
de deuil. Il y a cependant un point commun à la mission politique entre le
spectacle et le deuil : les deux sʼarticulent autour dʼun choix décisif, pouvant
faire passer Ash de la survie à la vie : le choix consistant à tuer son amour
aliéné (au spectacle) et aliénant (à la survivance).
La fonction “RESET” permet de distinguer entre les deux systèmes : elle existe
dans celui de la survivance et non dans celui du spectacle. En effet, le joueur -
le survivant- peut faire une coupe dans la temporalité virtuelle réale en
abandonnant sa mission dans le métavers; cʼest le temps donné et compté qui
en légitime la possibilité. Il est possible de revenir dans la virtualité après le
RESET sans que lʼintégrité du système nʼait été modifiée. Ainsi, la survie dans
le système fantastique de survivance est faite dʼessais et de ratages. À
lʼinverse, dans la classe dite “réelle”, la temporalité reste figée et continue, pas
de coupe possible, éternité des immortels, retour du même ou plutôt, simulacre
de temporalité dans la répétition éternelle du neutre : ni-vie-ni-mort.
“The ghost”, enfant au regard sombre, symbolise le “lost future” cyberpunk mais
aussi les revenants du film. Si elle est un revenant dans le système fantastique
de survivance elle ne peut quʼêtre un non-revenu pour le système neutre du
8/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
spectacle, cela signifie que lʼEmpire des simulacres considèrent les revenants
comme la réalité fantastique considère Murphy : un corps spectral inanimé, au
sens dʼune impossibilité à penser-et-vivre. Cependant, le meurtre du non-
revenu par Ash fait basculer les rapports : Murphy devient un revenant dans la
survivance et un non-revenu dans le spectacle alors que “the Ghost” devient un
revenant dans le spectacle (elle y apparaît à la fin du film) mais un non-revenu
dans la survivance. En outre, “the Ghost” est plus particulièrement un revenant
fantomatique, cʼest-à-dire un virus.
Ash permet donc une double transformation : Murphy passe dʼimmortel à mort
pour elle -le deuil- et de résidu virtuel à virus pour le spectacle alors que “The
Ghost” passe de revenant à non-revenu pour elle et de spectre à virus pour le
spectacle. Donc Ash passe de la survie à la vie et le spectacle commence à se
détruire par viralisation. Toutefois, cette destruction nʼest pas le sujet dʼAvalon
mais plutôt des autres films dʼOshii ou de ceux de Richard Kelly.
9/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
C - Dimensions de la réalité.
Le chien de Ash nʼa pas de nom. Pourtant, ou justement parce quʼil nʼa pas de
nom, il est le compagnon le plus proche dʼAsh, dans le système fantastique de
la survivance. Il apparaît dʼabord par sa nourriture. Ainsi, Ash nourrit plus son
chien quʼelle-même. Lui vit - elle survit. Un jour, il disparaît, mystérieusement.
Cette disparition se fait à notre insu, hors camera. Mais elle laisse place, ou
plutôt elle donne lieu à lʼapparition dʼun “Bishop”, apparition surprise. Cʼest donc
la disparition du chien, disparition du seul vivant, qui semble lʼinitium de lʼaccès
au système neutre du spectacle, même si “The Ghost” en est le moyen. En
outre, le chien devient le fil conducteur de la mission de Ash dans le système
neutre du spectacle. Le chien est une forme-3D dans le premier système et une
forme-2D -puisque affiché sur les murs- dans le second : à lʼinverse des non-
revenus (comme Murphy). Lʼaffiche présentant le chien parmi les simulacres est
une affiche pour un spectacle nommé “Avalon” : spectacle dans le spectacle,
Avalon en est évidemment le piège. Lieu où la transgression des lois
systémiques est possible, le virtuel étant la part de réalité du spectacle.
Ash, quant à elle, passe dʼune forme-3D à une forme-2D pour aboutir à une
forme-3Dʼ, cʼest-à-dire une forme dimensionnelle différente de tous les autres
personnages. Cʼest en ça que nous pouvons parler dʼhéroïne : seule elle
éprouve lʼentièreté de la disparition et de lʼapparition. En passant dʼun système
à lʼautre, elle montre la nécessité des deux et la nécessité de les dépasser. En
effet, le principe du Système est binaire, il y en a deux, il sʼopposent tout en
étant complémentaire. Mais en les traversant, Ash va pouvoir passer de cette
survie binaire à la vie expérimentée comme plurielle. Cette traversée est une
transgression, la dramaticité du fantastique.
Cette vie, Oshii en montre, par moments, quelques éclats, traçant un lieu,
ailleurs, par la constellation de ces éclats. Ainsi, il arrive que la transparence de
la troisième dimension à la deuxième dimension coïncide avec le reflet de la
10/11
- Flora Holler & Aurélien Marion - - 2009/2010 - Littérature comparée -
Ces ébauches laissent dans lʼombre ce que la plupart des films essayent
traditionnellement de montrer : la vie dʼune présence. Mais cʼest pour mieux
nous faire découvrir la présence de la vie. Au fond, la quatrième dimension est
la vie libre, et les trous de ver sont des instants de bonheur.
Pour ouvrir, nous pourrions évoquer la théorie développée dans la série LOST
quant aux voyages spatio-temporaux : pour y survivre, donc pour parvenir à
passer lʼépreuve initiatique du trou de ver, il faut obligatoirement une présence
constante qui puisse continuer à unifier inconscient et conscience du survivant.
Pour Ash -comme dans toute lʼœuvre oshiique-, cette constante, cʼest son
chien. Peut-être est-ce même réciproque, laissons la question en suspens.
11/11