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Vies communes - Complicités

« Lorsque deux corps affectés, en un certain lieu, à un certain moment,


par la même forme-de-vie viennent à se rencontrer, ils font l'expérience
d'un pacte objectif, antérieur à toute décision. Cette expérience est
l'expérience de la communauté. [...] Il n'y a de communauté que dans
des rapports singuliers. Il n'y a jamais la communauté, il y a de la
communauté, qui circule. [...] La rencontre d'un corps affecté par la
même forme de vie que moi, la communauté, me met en contact avec
ma propre puissance. » 1

« La commune, c'est ce qui se passe quand des êtres se trouvent,


s'entendent et décident de cheminer ensemble. La commune, c'est
peut-être ce qui se décide au moment où il serait d'usage de se
séparer. C'est la joie de la rencontre qui survit à son étouffement de
rigueur. C'est ce qui fait qu'on se dit "nous", et que c'est un événement.
[...] Une commune se forme chaque fois que quelques-un, affranchis
de la camisole individuelle, se prennent à ne compter que sur eux-
mêmes et à mesurer leur force à la réalité. [...] L'exigence de la
commune, c'est de libérer le plus de temps possible. » 2

Des "êtres", c'est-à-dire des formes de vide -mêmeté mathématique du


vide de tout étant- s’excèdent en formes de vies. Des êtres se trouvent : leurs
formes de vide finissent, via l’altération de leur répétition, par faire collisionner
des formes de vies. Répétition altérante (touchante) des êtres en corps, de
l'organisation du vide en désorganisation de la vie. Formes de vies qui,
corporées, s’entendent : elles deviennent des présences vivantes à coup
d'événement -fractures du chaos-. Les êtres qui viennent en corps se donnent
le vide en formes et le déforment en danses, métamorphoses du corps
présentifié vivant, par le vivace surgissant et la décision agissante. Rencontres
de présences vivantes. Prises de contact avec leurs puissances. Libérations.

1 Tiqqun, Introduction à la guerre civile, points 13, 14, 16


2 Comité invisible, L'insurrection qui vient, p. 89, 90, 93

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Ces libérations joyeuses de forces qui, dansantes, décident d’agir en tant


que présences vivantes se contactant -par événements-, font communauté.
Ainsi : “la communauté n'est pas le résultat d'une construction. C'en est
l'incidence aléatoire. […] Elle est souvent le fruit imprévu de quelque contrainte.
Elle n'est pas ce qui équivaut à un peuple, à un groupe : il peut être question
d'une communauté entre deux êtres; ou d'une communauté aux frontières
constitutivement indéterminées, susceptible de concerner quiconque. Il y a de
la communauté là où existe une somme indénombrable d'évidences partagées,
en tant qu'elles nourrissent les gestes les plus quotidiens.”3 Le partage,
opérateur de commun; le quotidien, opérateur de vie. Fil répétitif des actions
liant les deux opérateurs au gré du saugrenu, de l'impromptu, de l'inattendu.
Insolentes insolites solitudes du quotidien ontologique partageant de
l’événement. Insolitudes4. “Insolances” des êtres qui partagent des évidences et
des gestes, des corps qui partagent des singularités quelconques, des
présences vivantes qui partagent des actions, des situations, des affections.
Des corps se déforment en présences vivantes, leurs singularités pures -
leurs rôles, leurs pseudos- se partageant librement par un usage propre mais
commun des situations les affectant. L’aire d’action où chaque présence vivante
fait des événements communs un usage libre peut mettre de la communauté à
l’“aise” : "le terme aise désigne, en effet, selon son étymologie, l’espace à côté
(adjacens, adjacentia), le lieu vide où il est possible à chacun d’évoluer
librement, dans une constellation sémantique où la proximité spatiale confine
avec le temps opportun (à l’aise, avoir ses aises) et la commodité avec la juste
relation."5 Limbes -squats, grèves, friches- où chaque action s’ajuste de telles
manières que l’impropriété des vies singulières de corps quelconques et
désorganisés contacte l’évidente puissance propre à chaque forme de vie. Ces
aires “limbiques” sont les lieux même où les corps -vivants- qui ont désertés
l'Empire se rencontrent librement. Lorsque dans ces limbes, de la communauté
s’agit à l’aise, chaque présence vivante devient une altérité altérante.

3 Bernard Aspe, L'instant d'après, p. 113


4 Nom dʼun chapitre du livre de Bernard Aspe.
5 Giorgio Agamben, La communauté qui vient, point 5

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Les altérités s'altèrent (agissent) dans la “comparution” (là où les


situations les touchent) de leurs affections : venirs des corps amis, devenirs des
présences aimables. Naissances et mourirs des communautés complices. “Les”
communautés -archipels : constellations- font des mondes (nos vies
communes). Politiquement, ces mondes sont des partis imaginaires (nous y
prenons part). Les communautés s'y écartent (entre elles, d'elles, au sein
d'elles, les liens s’y distendent). Elles se rapprochent en bandes : pirates,
polissons, amis anonymes ou amants, que le feu anime, compagnons ou
copines, potes et putes, que la joie détermine. Communautés invisibles à
l'abandon complice, communautés tactiles aux doux délices.
Mais : face aux mondes, il y a l'Empire. Face aux vies communes, il y a
les "communautés terribles"6 et les communions pénibles. Face à nos
complicités, il y a des dispositifs (Spectacle, Biopouvoir) et des normes
(patriarcales, démocratiques, économiques, communicationnelles). Nous
sommes hostiles à l’Empire. Nous est hostile à l’Empire. Nous voulons le
détruire. Nos communautés complices sont les ennemies des communautés
terribles, nous ne pouvons pas cohabiter. Les communions sont notre danger.
Dans celles-ci, nous risquons de nous perdre, à jamais. Dans celles-là, où tout
est déjà perdu, ce sont les militants et les activistes, les mafieux et les méfiants,
les habitués et les nihilistes, les terrorisés et les terroristes qui visent et divisent.
Ces “dividus” sont identifiés et prévisibles, comme des grandes familles ou des
groupes d'entraides, des associations ou des syndicats. Bref, des représentants
de la démocratie, terreau terrible : revendications et reconnaissances,
disponibilité et discipline, autocritique et schizophrénie comme autant de
principes de la lutte aveugle de ces corps en sursis. Exilés du désastre -désir
détruisant son origine-, les dividus des communautés terribles sont toujours
déjà captés et neutralisés par le Biopouvoir, via les démocraties étatiques.
Inertie agitée et telos mélancolique font persister ces milieux usés par le
patriarcat (famille, école, travail) et le capitalisme (marché, consommation,
publicité). Ils survivent alors que nous vivons. Nous - le désastre.

6 Tiqqun, Thèses sur la communauté terrible, chap. I à IV

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Nos désirs -manques à vide s’excédant en vies- détruisant leur origine


pulsionnelle, les événements vitaux -désastres- traumatisent nos présences
vivantes quand les corps survivants restent insensibles et les communautés
inconstructibles. Vigueurs des rencontres (joie) conduites en complicités (fête).
Complicités sans universalité possible mais complicités avec impossible
“pluriversalité”. "Résistance du sans" - "Vérité de l'avec" (Gérard Bensussan).
"Conatus du cum" - “Exubérance séminale” (Jean-Luc Nancy). Désertion et
résistance à la dispersion. Potlatch de l'aimance 7 et gratuité de la commune.
Dons et abandons. "Désastre de l'amitié"8 ou -pire- de l’amour, et complicité.
Lors de tout désastre, le chaos s'altère en forme (organisme - vide puis
vie) par le désir (toucher - affection puis action). Le désir corpore lorsque
l’événement métamorphose. Sinon, c’est la peur qui s’en charge et les corps
n’aboutissent pas en présences vivantes mais en morts-vivants. L'excès de la
mort sur la vie crée effectivement du corps (lacaniennement parlant, l'excès de
symbolique sur le réel crée de l'imaginaire) mais seul l'événement lui donne
présence vivante. L'affect en fait naître traumatiquement la rencontre
(métamorphose), l'art en révèle transgressivement la monstrueuse vigueur
(transformabilité). Par lui, il est possible de profaner les normes. Mais seule de
la communauté permet de désactiver les dispositifs de lʼEmpire. Ce qui crée de
la communauté est un “rien à donner” dont l'acquiescement (l’abandon
complice) est le secret. Ce dernier est la responsabilité des communautés.
Responsabilité vis-à-vis de ce qui vit (danse). Secret vif
(désorganisation) de l’actif, en nous. Métamorphose et désorganisation
garantissent les multiplicités singulières de la vie, conduisant son excès
chaotique dans nos morts corporées (modes d’être) en désirs. "La
métamorphose est le mode de la communauté [...] la communauté est le lieu
même de la modalisation. [...] Elle est, en plus, le lieu même de la
métamorphose -ou de l'altération- où les singularités s'altèrent sous l'effet des
événements qui com-posent les reliefs finis de leur exposition infinie. [...]
L'altération est le mode singulier de la venue en présence de l'être (toujours

7 Selon le joli mot remis au goût du jour par Jacques Derrida, notamment.
8 Jacques Derrida, Politiques de l'amitié, p. 329

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modale et modalisante) : la venue de l'autre en tant que seule possibilité de la


présence [...] L'altération de l'être est la dynamique immanente de l'en-
commun. La puissance de l'altération est son intensité. Et cette intensité est
l'autre nom de la coïncidence des singularités."9 Infiniment exposées au vide,
les formes de vies risquent de se perdre dans l’ouverture totale, la communion.
Les dispositifs de l’Empire tendent à révéler tout secret afin qu’il n’y ait jamais
rien à donner : simplement pur abandon (communion pénible) ou
représentation absolue (communauté terrible). Corps en torpeur ou en terreur.
C’est pourquoi il n’y a de la communauté complice qu’à la condition que
l’événement commun métamorphose la venue en présence de chaque altérité
altérante mise en contact avec sa puissance (affective) propre. La vigueur de la
présence vivante dépend de ce contact car la puissance -"infini de la
transformabilité"10 du corps- de chaque forme de vie intensifie nos complicités à
l’aune de la coïncidence de nos répétitions excessives. Evidences de nos
danses. Gestes de nos désorganisations.
La répétition tient le fil de la transformabilité entre deux événements. Le
vide de la répétition se transforme en rien, même s'il reste du manque à la
métamorphose. L'altération présente du rien dans l'ensemble vide des altérités :
la communauté des fantômes fait coïncider nos fantasmes en affections. Nos
évidences hantent nos danses comme nos gestes hantent nos
désorganisations. Le spectre des dispositifs de l’Empire hante nos complicités.
Mais notre secret donne de l’esprit à nos complicités : commune responsabilité
(coïncidence de nos singularités) quant au destin de nos fantômes. Tenue de
l’événement ou conduite du désastre, la communauté hantologique se forme là
où toute communauté ontologique se sépare, là où ils n’auront jamais pu dire :
nous allons “[...] commencer à vivre, c'est-à-dire à remplir le vide de rien."11
Vivre, c’est-à-dire croire en nos affections communes malgré les
fantômes de chaque situation. Croire en la possibilité complice de désactiver
les dispositifs de l’Empire capitaliste par nos agissements surgissants.

9 Boyan Manchev, La métamorphose et lʼinstant, p. 125-134


10 Ibidem, p. 135-138
11 Charles Pennequin, Comprendre la vie, p. 171

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Intensités communes de la coïncidence équivoque des présences


singulières -complicités- où ça vit au gré de la transformabilité. La
transformabilité (de nos fantômes) insiste en répétition et perce en excès
(singularité aréale de l'événement). Rigueur ou vigueur -de la communauté.
Donnant du rien -mettant à l’aise- (donnant du corps -mettant à l’aire-), nous
illimitons l’affectation de la présence vivante à l’instant vif de la coïncidence.
Affections de nos corps vivants par l’affectation de leur présence vivace :
coïncidence des corps singuliers et des présences vivantes. Rencontres (lieux
de métamorphoses) et encontres (lieux de résistances) où notre
transformabilité hantologique donne corps au mourir dans le sexe et donne
corps au naître dans la création : situations.
Complices, coïncidant sexe (présences répétant de la jouissance) et
création (corps excessif du surgissement), nous transgressons intensément les
lois des communautés terribles : métonymie du chaos en eros (profanations
sériées des normes) désactivant les dispositifs capitalistes pour l'usage libre du
commun. Créations effectives désaltérantes et sexuations affectives des
altérités. Il y a création lorsque l'affection (présence même de la pulsionnalité
du corps) émeut de la matière vive pour en faire œuvre et il y a sexe lorsque
l'affect émeut de la matière morte pour en faire aimance. Le toucher profane en
modifiant corps et présences - la transformabilité transgresse en modalisant
sexe et création. L'amour s'incarne dans le toucher trouvant son site dans le
sexe -orgasmes- et son réel dans le rien événementiel -chaos-. Lʼamitié est la
revenance de ce toucher. Aimance et œuvre font de nos vies communes des
affections complices : l'affection fait consister ce qui déborde de l'événement…
D'une intensité insoutenable, l'événement commun ouvre l'aire singulière de
l'affection en communautés transgressives : réel inactuel et intemporel, réserve
de toute puissance, onde de choc où les excès langagiers de représentation et
de vide se dé-pensent à lʼaise. Affections complices - désactivations du
Biopouvoir. Le contact injecte de l'affection pour la contamination du savoir de
ce-qui-est par la connaissance transgressive (quand celle-ci se trouve trouée
par celui-là), rendant la langue (paroles - écrits) à son usage libre et commun
(équivoque) - désactivations du Spectacle.

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Communautés hantologiques où nos distances tendent à faire vivre nos


présences par affections complices, nos utopies font respirer l’imaginaire propre
à notre quotidien d’évidences. A l’inverse, les dystopies impériales
(communautés terribles, communions pénibles) saturent le souffle commun par
l’éternité du temps et la mêmeté de l’être (l’état fixé à l’Etat). Terreau des
dystopies : la démocratie. L'Empire gère nos différences en arguant du spectre
démocratique : “faites entendre votre voix” (le vote), “créez votre entreprise” (le
travail), “exprimez vos envies” (la consommation), “soyez écolos” (la morale),
“respectez la loi” (la sécurité), et surtout, “soyez critiques” (le divertissement).
Le temps mécanique du simulacre de vie fonctionne à plein régime : chacun a
droit à sa petite initiative car “ça n'a pas de prix”, et, à force d'agir dans le vide,
plus rien n'a de prix, tout se vaut. Un monde d'équivalence, sans évolution
puisque toujours déjà temporalisé, calculé et mesuré. L'acte revendicatif, l'acte
défensif, l'acte représentatif : tous immédiatement récupérés, interprétés,
encadrés. Etiquettes à lister. Pilules à avaler. C'est pourquoi, pour ne plus
souffrir, certains massacrent, dʼautres se suicident, certains s'enferment,
d'autres s'enchaînent, certains se résignent, d'autres oublient. Dystopies. A ce
stade là, plus rien ne peut leur arriver. car ils ne sont déjà plus là. Des morts-
vivants. Des zombies, des spams, des trolls. De la matière à Spectacle.
Il s’agit alors pour nous de croire en nos utopies, avoir confiance en nos
complicités, trouer leurs possibilités par nos impossibles : "mais l'impossible ne
peut se faire qu'à condition de s'exposer au possible, c'est-à-dire au dialogue
amical au cours duquel la mort est partagée."12 L'amour ne peut se faire qu'à
condition de s'exposer à l'amitié et au sens commun (le mourir) : partage
(métamorphoses) et passage (transformabilités). Donner corps au partage de la
mort, c'est sexer et ses excès. Donner corps au partage du désir, c'est créer et
ses secrets. Donner corps au partage de la vie, c'est s'aimer et ses émeutes.
Donner corps au partage du désastre, c'est déborder et ses bordels. Nos
utopies donnent corps à nos présences complices. Temps du don, laps de la
donation, abandon exorbitant du sens. Croyance en l’impossible partage -infinie
finitude du sensible- et confiance en nos possibles complices -dé-finition du

12 Aïcha Liviana Messina & Andrea Potesta, Le partage du désir, p. 64

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corps donné à la vie- : communauté du désastre, sans appartenance et sans


savoir, partage du secret inavouable du désir en corps vivants -vibrants-
débordants de création et de sexe. Insensés. Inventés. Interstitiels.13 Impuretés
de nos complicités désœuvrant nos présences communes : "s'il y a un sens au
désœuvrement il est bel et bien dans son impureté, dans la démesure d'un
partage impossible."14 Courage -croyance en l’impossible- des utopies qui nous
touchent, effectivité -saut du discontinu au continu- du désastre prenant corps
commun, communication -nouage convulsif, fièvre des débords- de nos
partages tactiles. Orgie (usage excessif, débauche - potlatch, gratuité) sexuelle
ou créative : “partouze” pornographique des coïncidences complémentaires,
"expeausition et vulnérabilité devant toute autre singularité, devant la distance
intime -ou l'instance infime- de son événement"15 vital.
Affections complices de nos conduites du désastre, singularités
supplémentaires et présences complémentaires coïncidant en utopies
corporées, "la communauté est le débordement de l'image figée de la mort,
l'ouverture de la puissance sans limites de la métamorphose de la vie/la
mort"16 . Vies singulières des corps désorganisés en actions. “Blessures et
caresses”, violences et douceurs, douleurs et réjouissances. Abandons et dons
dans et par l’action partagée -complice et confiante- : libérations du temps, de
l’espace, des langues. Nuages de visages, ciel vide mais constellé de
communes, nouage de nus en nous, nuées de communautés. Dilatations
(temporelles, spatiales, langagières) dans la répétition des singularités
présentes, nos communautés du désastre complice peuvent installer le jeu d'où
la désactivation naîtra. Actions excessives ou gratuites, actions fortuites ou
risquées. Actions politiques (émeutes, insurrections, communismes).
D’abord : libérations du temps. Libérer du temps (résister), se libérer du
temps (rencontrer) : intensifier la coïncidence des évidences et des singularités.
Temps -banalité vide de l'être (mêmeté)- troué de vies. "Temps libre.

13 "Communauté interstitielle" est le titre dʼun article de Philippe Combessie sur le sexe à
plusieurs, utopies échangistes ou partagistes.
14 Aïcha Liviana Messina & Andrea Potesta, Le partage du désir, p. 78

15 Boyan Manchev, La métamorphose et lʼinstant, p. 135

16 ibidem, p. 138

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L'expression rassemble peut-être à elle seule l'enjeu (l'utopie, l'enjeu en partie


utopique) qui se cache derrière l'organisation des hommes, derrière la
civilisation. Avoir du temps à soi. Temps gratuit. Temps donné. Un monde dans
lequel on ait du temps à donner. / A l'origine du marché capitaliste, il y a la mise
en vente du temps humain, notre vie. Le marché capitaliste n'existe pas s'il ne
parvient à sectionner notre temps de vie, à en transformer au moins une partie
en marchandise. Il faut que nous procédions à cette mise en vente pour pouvoir
obtenir en échange ce qui est présenté sur le marché. Et comme le marché
étend son empire sur des biens qui nous sont absolument nécessaires, il nous
est absolument nécessaire, pour survivre, de vendre une part de notre vie et
d'en perdre ainsi le contrôle.”17 Face au temps vendu -et son éternité “cratique”-
des dispositifs de l’Empire, notre temps complice -celui de la gratuité et du don-
active nos actions libératrices. Profusion inaltérable et disponibilité infinie
comme gratuités naturelles; partage utopique et action performative comme
gratuités culturelles mettent langage, images et réel en un même trésor : celui
de la puissance événementielle et de la potentialité sérendipe.
Sans principe et sans fin, libre d'accès, libre d'usage et libre de fuites,
nos gratuités échappent à l'emprise du destin quotidien et à toute détermination
systémique. Nos actions gratuites éclatent, elles explosent la routine
spectaculaire qui vend nos corps, nos espaces et notre vie à un temps
programmatique, normatif et nihiliste. L'Empire nous fait toujours (tout) payer.
Dès lors, ce que les médias capitalistes nomment “vol” devient une libération
temporelle et une ouverture spatiale, ce qu'ils appellent “piratage” devient un
don salutaire et une offrande complice, ce qu'ils dénoncent comme “sabotage”
devient une création vitale et une désertion locale. Gestion temporelle des
indidualisations et des subjectivations dans la neutralité modulaire de la
Machine capitaliste contre actions turbulentes des présences vivantes dans
l'événementialité réticulaire de la communauté gratuite. Temps dis-joint à coups
d’événements contre temps joint et plein; "libération des corps, réouverture de
l'espace que le capitalisme concentre et surinvestit en temps toujours plus

17 Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Pour la gratuité, chap. III

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resserré, plus aigu, plus strident. Corps made in time." 18 contre corps made in
life. Temps libre de nos complicités gratuites et espaces libres de nos lieux
désastraux. Agir pour mettre notre liberté à l’aise.
Libérations d’espaces : aires gratuites et lieux donnés. Alors que le
conditionnement normopathe, dans lequel les dispositifs temporels de l'Empire
voudrait nous retenir prisonniers -comme pris dans la Matrice marchande ou
parqués en Camp de rétention-, voudrait nous numériser pour nous mesurer à
l'aune de l'utilité capitaliste, alors qu’“on” essaye de nous compter comme des
différences qu'il s'agirait de réduire à l'Identité citoyenne et de fixer en un même
cocon vide, nous désertons pour nous débaucher dans les décombres
désastraux du désir débarrassé de la peur. Terrains vagues, routes floues, no
man’s land, squats, interstices, vacuoles, impasses, culs-de-sacs, clairières… :
lieux dévastés de la communauté, friches de nos complicités... Déserts (lieux
de résistance extrême), oasis (espaces de vie inhabitables) et caravanes
(présences de corps vivants). Il s’agit de faire des camps impériaux des déserts
-mais pas nécessairement des déserts de sable ou de glace (là où
effectivement l'Empire capitaliste est en difficulté), cela peut être aussi des
déserts de ruines, des décombres de machines- où, d’oasis en oasis, nos
caravanes libérerons des espaces, confiance en nos sables complices : "sur le
sable, il y a aussi des traces de pas, des marques laissées par d’autres.
Ambivalence des empreintes : elles peuvent nous livrer à la police, mais elles
sont aussi la preuve que nous ne sommes pas seuls."19
Enfin : libérations de langues. Parole incessante, toujours autre : échos
polyphoniques de murmures gratuits. Squats de voix. Réalisations du virtuel et
virtualisations du réel : lignes tracées, nouées, dis-corps aréal d'un rien vibrant -
au souffle de la vérité mi-dite- entre virtuel et réel. Entre paroles et écrits.
Communautés de lecteurs et dʼécriveurs, dʼécouteurs et de parleurs. L'Internet,
utopie numérique, corpus mondial, ailleurs de nos manques; le dialogue,
partage des paroles entre potes ou entre amis, entre putes ou entre amants; les
traces, langues complices que seuls nous, pirates et polissons, comprenons...

18 Jean-Luc Nancy, Corpus, p. 96


19 Bernard Aspe, L'instant d'après, p. 242

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Nous prenons soin à agir selon le libre usage de nos complicités


affectives. Nous faisons ainsi attention à nos vies communes, par-delà la
conduite de notre désastre -illimitations, décombres d'identité, ruines de sujets,
débris de l'un : conditions à la communauté-. Nous devenons donc ceux qui
jouent, ceux qui glandent, qui se promènent, qui se baladent. Ceux qui
transgressent, ceux qui sont de trop, qui sont au trou, et... qui se trouvent. Nous
rencontrer, nous toucher, créer. Sexer, s’aimer, agir. Gratuitement. L'acte gratuit
n'est pas sans prix. Au contraire, c'est le risque de nos vies. C'est l'accueil de
l'événement ou l'ouverture au désastre, c'est la possibilité de ne pas choisir, de
ne plus rien avoir à perdre, d'être prêt à tout pour l'autre. L'acte gratuit joue
avec le chaos en son devenir impossible. Gratuitement, nous agissons pour
nous révéler. En communes vitalités. En communes intensités. Et puisque les
zombies nous surveillent, il nous faut veiller à ce qu'il y ait suffisamment
d'espaces de libertés, d'archipels de gratuités, de lieux où l’Empire peux
tomber. Par le feu et par la fête, par émeutes et galipettes, nous ressentons la
nécessité de la danse du chaos. "Face à vos dispositifs policiers réticulaires,
aux tactiques chrono-stratégiques de vos forces spéciales, à la généralisation
de l'État d'exception, à la diffusion rhizomatique des relations de pouvoir
enserrant la vie et la ravalant à la zoê nue, nous cherchons à ce que le temps
de l'émeute, i.e. le temps de la profanation, devienne le temps de la vie même.
Ainsi c'est dans l'émeute que la vie redevient bios."20 Nous nous nourrirons des
débris de l'Empire et habiterons des demeures bâties avec les déchets du
cadavre capitaliste. Pas de la vengeance, mais le devenir pratique des ruines
post-apocalyptiques. Cela signifie que la virtualisation du monde n'est pas une
fatalité spectaculaire mais une force supplémentaire pour viraliser tout système,
une chance inédite pour fissurer de rage et de joie toute temporalité fixée et
figée. Fondamentalement, le virtuel devient pour nous une arme gratuite, arme
à réaliser au sein de nos complicités désastrales. Pour faire de nous des
guerriers vivants plutôt que des soldats survivants. Des émeutiers de l’aimance,
des poètes du pire. Des “piroètes”. Des aimeutiers.

20 Chaleur de l'émeute (anonymes), posté le 27 décembre 2010

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Regards de voleurs et tacts de joueurs contre les conventions tristes et


la prévisibilité des communautés terribles; situations insurrectionnelles, actions
gratuites et émeutes affectives contre les fusions et les totalisations des
ouvertures à la communion; nous sursauterons, nous surprendront, nous seront
de connivence... Nous : vies communes de héros ratés, de guerriers rigolos,
d’”Une armée noire. Des sales gens. Des puants. Des qu’on voit bien qu’ils ont
de mauvaises intentions. Des pauvres rien”21 , complicités des occasions
manquées, des sorties foireuses et "à la con"... mais parfois heureuses et à
frissons... ce “nous” urgent mais patient, ce “nous” précipité mais paresseux, ce
“nous” rythmera -de ses expérimentations et de ses partages- un temps troué
d'utopie trash. Nous voulons contaminer votre Empire morbide de nos cris
gratuits. Nous désirons déborder et saboter ensemble. Déserter en bandes.
Les contingences complices -solitude, finitude et exposition- des bandes
de déserteurs que nous devenons "éprouvant en nous-mêmes l'être étranger
qui nous a toujours-déjà désertés et qui fonde toute possibilité de vivre la
solitude comme condition de la rencontre, la finitude comme condition d'un
plaisir inouï, l'exposition comme condition d'une nouvelle géométrie des
passions"22 nous donnent de la liberté car "déserter veut dire : agencer les
conditions d'épanouissement de rapports moins mutilés que ceux que
commande la domination marchande." Déserter veut aussi dire : désactiver les
dispositifs de l'Empire capitaliste, faire entrer en eux le chaos car "le chaos sera
notre grève générale." Il nous faudra faire grève de la représentation ! Les
nécessités complices -toucher, secret, gratuité- des bandes de désastres que
nous devenons nous donnent de l’intensité : "dans l’ombre des bars, des
imprimeries, des squats, des cages d’escalier, des fermes, des salles de sport,
des complicités offensives peuvent naître; de ces complicités depuis lesquelles
le monde prend soudain comme une tournure plus appuyée."23
Les insurrections que nous vivront feront de nous des désastres
corporés en présences complices, des vies communes se touchant en des

21 Charles Pennequin, Comprendre la vie, p. 40


22 Tiqqun, Thèses sur la communauté terrible, 0, point 10 (puis suivants)
23 Comité invisible, Mise au point, 22 janvier 2009

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- Aurélien Marion - - Communautés -

mondes différents car “le monde [de l’Empire] est un abattoir et nous n’avons
plus faim” 24. Votre Empire nous fait vomir. Nous -complices- avons soifs de
vivre.

AGAMBEN, Giorgio
- La communauté qui vient, éd. du Seuil, 1990
- Profanations, traduit par Martin Rueff, éd. Rivages, 2005
ASPE, Bernard, L’instant d’après, éd. La Fabrique, 2006
BATAILLE, Georges, Œuvres complètes, X, éd. Gallimard, 1987
BLANCHOT, Maurice,
- L’Écriture du désastre, éd. Gallimard, 1980
- La communauté inavouable, éd. de Minuit, 1983
CLARO, Cosmoz, éd. Actes Sud, 2010
COLLECTIF, “Que faire de la communauté ?”, Les Cahiers philosophiques de
Strasbourg, n°24, second semestre 2008
COMITE INVISIBLE
- L'insurrection qui vient, éd. La Fabrique, 2007
- Mise au point, Internet, 22 janvier 2009
DERRIDA, Jacques, Politiques de l’amitié, éd. Galilée, 1994
KACEM, Mehdi Belhaj, L’affect, éd. Tristram, 2004
MANCHEV, Boyan, La métamorphose et lʼinstant, éd. de La Phocide, 2007
NANCY, Jean-Luc
- La pensée dérobée, éd. Galilée, 2001
- Corpus, éd. Métailié, 2006 (1992)
PENNEQUIN, Charles, Comprendre la vie, éd. P.O.L., 2010
SAGOT-DUVAUROUX, Jean-Louis, Pour la gratuité, Desclée De Brouwer,1995
TIQQUN
- Contributions à la guerre en cours, éd. La Fabrique, 2009 (2001)
- Tout a failli, vive le communisme !, éd. La Fabrique, 2009 (2002)

24 Claro, Cosmoz, p. 90

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