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Nous sommes mous car nous sommes vivants. Matière en mouvement d'un corps
complexe, le mou se dilate ou se tasse, selon la chaleur, la gravité ou le toucher. Mais aussi
selon la pensée : liant transcendentalement physique et métaphysique, le mou invite à la
métonymie. Âme peaucière ou chair détendue, le mou est un champ concret mais difficile à
délimiter. Le monde du mou est un cosmos instable, fait de courbes et de plis, pouvant se
liquéfier comme se rigidifier, un monde pouvant s'appréhender -de manière privilégiée- à
travers l'observation de l'adolescence : puberté de la matière et bricolage de l'informe.1
Les corps mous, pour le rester, sortent les corps morts. Ils évitent la fixité du solide
en débordant en liquide et rendent ces derniers visqueux pour en dérober la dispersion.
L'expérience du mou est donc l'épreuve du contact : toujours déjà autre, naissant encore et
en corps, le mou incite à la caresse, à la tendre rencontre des présences. Impudique et
complaisante, la caresse cherche -par le nu- à profaner voluptueusement l'indécence du
mou, à tâtons, titillant l'avenir.2 Équivoque et étrange quoique tiède et nourrissant (nos
aliments sont mous et nous devenons ce que nous mangeons), la matière molle entraine
ainsi une confusion et une covariance des singularités, une communauté du tripotage. 3
1 « L’adolescente et l’adolescent essayent de congédier hors de lui, hors d’elle, l’informe du corporel. […] de faire tenir
un point-limite qui découpe le corps, entre un corps qu’on peut s’approprier ne serait-ce que parce qu’il est resserré sur
la source monotone d’une excitation continue et puis un corps qu’on congédie, un corps qu’on met au loin, un corps
dont on ne veut rien savoir qui peut être le corps du sexuel, les substances – le sang, le sperme, la sueur, […]
L’adolescence c’est un grand moment d’errance, déjà, des humeurs et des substances. Et le sujet adolescent, voué à la
métamorphose, y insistant tant et y arrivant parfois si mal, est un sujet qui s’embrouille dans les registres du réel de son
corps, du symbolique de sa filiation, de l’imaginaire de son image. / Voilà, en quelque sorte, ce que serait l’adolescent :
un candidat au bricolage. » - Olivier Douville, “Adolescence entre errance et métamorphose”, 2009.
2 « La caresse consiste à ne se saisir de rien, à solliciter ce qui s'échappe sans cesse de sa forme vers un avenir […] Dans
la caresse, rapport encore, par un côté, sensible, le corps déjà se dénude de sa forme même, pour s'offrir comme nudité
érotique. » - Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, 1971.
3 « […] dans le même temps que le tripotant modifie le tripoté (non en sa forme qui sans cesse se reconstitue, mais en sa
mouité), le tripoté est à même de modifier le tripotant […] » - J.-B. Botul, La Métaphysique du mou, 2007 (1938).
4 « L'espace et le temps sont les deux noms de la naissance, le double nom qu'il faut pour qu'il y ait venue, fléchissement,
levée d'événement […] L'espace-temps de la naissance des seins : l'avoir-lieu comme tel perceptible à l'état pur, saisi
dans son soulèvement […] » - Jean-Luc Nancy, La Naissance des seins, 2006.
5 « les mondes se succèdent les uns aux autres. Gardant éventuellement, une furtive mémoire du cycle précédent. Un
univers en rebond qui se contracte puis se dilate. » - Aurélien Barrau, Big Bang et au-delà, 2013.