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Le cadre qui sert de référence au recensement est celui de la potestas, la terre et les hommes
au pouvoir de Saint-Remi. En matière d'hommes, le polyptyque recense le dépendant et pas
l'étranger. En matière de terre, le polyptyque privilégie le tenancier sur l'habitant. Contre
quelques journées de travail par an ou quelques deniers, les accolae, installés à l'intérieur du
terroir seigneurial en marge des manses et les forains qui ont quitté le domaine, gardent leur
place dans la communauté villageoise et la famille de Saint-Remi. Au rapport mutuel entre
protecteur et protégé, qui les préservent de l'isolement, s'ajoute le droit d'accès aux parcours et
aux bois communs du domaine2.
L'une de ces listes, jointe à l'inventaire du village ardennais de Viel-Saint-Remi, est présentée
par le polyptyque comme une énumération complète de la population, qu'elle réside
effectivement à l'intérieur ou à l'extérieur des limites du domaine : Hic continentur Nomina
totius familiae praefatae villae, interius commanentis scilicet et exterius4. L'examen attentif
du texte permet de reconstituer en familles un groupe de 1202 personnes, réparties, d'après
leur statut domanial en quatre catégories :
*
Publication originale : “La démographie du polyptyque de Saint-Remi de Reims“, Compter les Champenois,
Reims, 1997, pp. 81-94. © Jean-Pierre Devroey. Le texte original a été légèrement corrigé pour la publication
en ligne pour tenir compte d’une datation plus précise du polyptyque de Saint-Remi de Reims.
1
J.-P. Devroey, "Les premiers polyptyques rémois, VIIe-IXe siècles", Le grand domaine aux époques
mérovingienne et carolingienne, Gand, 1985, pp. 78-97, aux pp. 82-85 et 89-90. Réédité dans J.-P. Devroey,
Etudes sur le grand domaine carolingien, Aldershot, 1993.
2
Voyez la somme du domaine de Viel-Saint-Remi (Le polyptyque et les listes de cens de l'abbaye de Saint-Remi
de Reims (IXe-XIe siècles), éd. J.-P. Devroey, Reims, 1984, p. 46 (Travaux de l'Académie nationale de Reims,
163)) : viri mansa tenentes et accole et forenses sunt .CCLXXXVIII. debentes anno tertio pro pasto totidem
porculos.
3
Notamment dans les discordances fréquentes entre les noms des tenanciers attachés aux manses et les listes de
la familia.
4
Le polyptyque et les listes de cens de l'abbaye de Saint-Remi de Reims, voir n. 2, p. 37.
2
Cette première approche du polyptyque de Saint-Remi de Reims illustre bien les écueils d'une
exploitation démographique des inventaires carolingiens5. Le recensement est rarement
complet. A Viel-Saint-Remi, la population installée sur les manses, qui est d'ordinaire la seule
décrite dans les polyptyques carolingiens, ne représente qu'un quart de la population totale.
Les textes les plus riches ne donnent à voir qu’un instantané, déformé par les critères de
l’enregistrement6. Certaines catégories de la population sont systématiquement ignorées ou
omises. L'individu est présent dans le polyptyque parce qu'il est l'homme d'un seigneur,
acteur d'un système de redevances et de prestations de travail et sujet d'un rapport réciproque
de dépendance et de protection. L'analyse doit prendre en compte les règles particulières qui
ont présidé à l'établissement de chaque inventaire. Dans tous les cas, la critique a fait
apparaître des phénomènes complexes de sous-enregistrement ou d'omission de catégories
clefs pour l'analyse de la tendance démographique et des structures familiales7. Les femmes y
sont sous représentées par rapport aux hommes, les enfants par rapport aux adultes, les filles
par rapport aux garçons. L'étranger n'est mentionné que s'il exploite la terre du maître8. La
prise en compte de la variable sociale ou du critère de résidence témoigne de variations
significatives dans la structure ou le profil démographique des groupes étudiés.
5
Une synthèse des problèmes de critique des sources est donnée par P. Toubert, "Le moment carolingien (VIIIe-
Xe siècle)", Histoire de la famille, t. 1, Mondes lointains, mondes anciens, sous la dir. de A. Burguière, C.
Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend, Paris, 1986, pp. 333-358. Trois polyptyques seulement, ceux de
Saint-Victor de Marseille (813-814), de Saint-Germain-des Prés (vers 820) et de Saint-Remi de Reims (après
mai 847) se prêtent par la nature et la richesse de leurs données à une véritable analyse démographique.
6
J.-P. Devroey, "A propos d'un article récent : l'utilisation du polyptyque d'Irminon en démographie", Revue
belge de philologie et d'histoire, 55, 1977, pp. 509-514; le même, "Les méthodes d'analyse démographique des
polyptyques du haut moyen âge", Acta Historica Bruxellensia, 4, 1981, pp. 71-88. Réédités dans J.-P. Devroey,
Etudes sur le grand domaine carolingien, Aldershot, 1993, IV et V.
7
P. Toubert, Le moment carolingien, voir n. 5, p. 336.
8
A Saint-Victor de Marseille, les époux et les épouses étrangers sont mentionnés mais non nommés. Ailleurs, ils
sont purement et simplement omis. M. Zerner, "Enfants et jeunes au IXe siècle. La démographie du polyptyque
de Marseille, 813-814", Provence historique, 31, 1981, pp. 355-384., à la p. 372.
3
"Si l'on veut aboutir à des conclusions d'une approximation satisfaisante (...), il faut sortir des
voies traditionnelles de la démographie historique et mettre au point des méthodes correctives
et substitutives pourvues d'un bon degré de fiabilité"9. Une mise en oeuvre globale et directe
des données à l'échelle de la population du polyptyque aboutit à faire la moyenne de
situations locales, dans des domaines souvent très éloignés les uns les autres et
dissemblables10.
2. Le groupe domestique :
Partout où elle a pu être étudiée, la taille moyenne du ménage paysan se situe à l'époque
carolingienne11 au niveau relativement modeste de 4 à 6 personnes.
Taille des ménages à Viel-Saint-Remi (après mai 847)
manses ingénuiles manses serviles
nombre d'habitants 151 142
nombre de ménages 28 23
moyenne arithmétique 5,4 6,2
9
P. Toubert, Le moment caroligien, voir n. 5, p. 336.
10
M. Zerner, Enfants et jeunes au IXe siècle, voir n. 8, pp. 355-384. L'étude de J. Verdon ("La femme vers le
milieu du IXe siècle d'après le polyptyque de l'abbaye de Saint-Remi de Reims", Mémoires de la Société
d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne, 91, 1976, pp. 111-134) pâtit d'avoir été menée
globalement et sans considération pour les problèmes de datation des diverses parties du polyptyque.
11
A Saint-Germain-des-Prés, vers 820, le coefficient de peuplement du foyer paysan varie de 4,5 à 5,5. Il est
très proche de 5 à Saint-Remi de Reims et Saint-Victor de Marseille. L. Kuchenbuch donne une fourchette de 5
à 6 pour cinq recensements en Rhénanie (804-886). G. Luzzatto, à Farfa en Italie centrale, considère 5 comme
représentatif de la taille moyenne de la cellule familiale des esclaves de l'abbaye. C. Wickham aboutit aux
mêmes conclusions pour les Abruzzes. P. Toubert, Le moment carolingien, voir n. 5, p. 337.
12
P. Toubert, Le moment carolingien, voir n. 5, pp. 337-340.
4
Une théorie du mariage et une idéologie unificatrice de la famille conjugale s'est construite
dans le monde franc entre le milieu du VIIIe et le milieu du IXe siècle. Dans les campagnes, la
constitution des grands domaines bipartis repose sur le choix seigneurial en faveur de la petite
tenure paysanne adaptée à la famille étroite13. Dans la région parisienne, là où plusieurs
familles étaient réunies dans l'exploitation d'un manse, chacune était taxée pour un feu, ce qui
laisse entendre qu'elles constituaient des maisonnées séparées14. Le développement récent des
fouilles d'habitat rural en France, qu'il convient encore d'interpréter avec prudence, témoigne
en même temps de la réorganisation de l'espace rural dans le système double de la villa et du
cloisonnement d'unités qui ne peuvent être que familiales. Ce phénomène n'a pas été observé
sur des sites antérieurs au VIIIe ou à la fin du VIIe siècle15. Dans la région qui nous intéresse,
cette nouvelle organisation des campagnes est sans doute illustrée par la substitution dans de
nombreux noms de lieu de formes terminées en -curtis et en -villa à des anthroponymes déjà
suffixés en (i)acum à partir du VIIe siècle16.
13
P. Toubert, Le moment carolingien, voir n. 5, p. 345.
14
L. Kuchenbuch, Bauerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft im 9. Jahrhundert. Studien zur Sozialstruktur
der Familia der Abtei Prüm, Wiesbaden, 1978 (Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte.
Beihefte, 66), pp. 380-394 . Contra, J. Bessmerny, "Les structures de la famille paysanne dans les villages de la
Francia au IXe siècle", Le Moyen Age, 90, 1984, pp. 165-193, aux pp. 177-178.
15
Un village au temps de Charlemagne. Moines et paysans de l'abbaye de Saint-Denis du VIIe siècle à l'An Mil,
Paris, 1988; D. Bayard, "L'habitat du haut moyen âge en Picardie : état de la question", Aux sources de la
gestion publique, 2, L'invasio des villae ou la villa comme enjeu de pouvoir, éd. E. Magnou-Nortier, Lille, 1995,
pp. 269-293.
16
J. Lusse, Naissance d'une cité. Laon et le Laonnois du Ve au Xe siècle, Nancy, 1992, pp. 110-116. F. Lot, "De
l'origine et de la signification historique et linguistique des noms de lieux en -ville et en -court", Romania, 59,
1933, pp. 199-246.
17
L. Kuchenbuch, Bauerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft, voir n. 14, pp. 86 et sv. P. Toubert, Le
moment carolingien, voir n.5, pp. 337-338.
18
Voyez en dernier lieu, H.-W. Goetz, "Zur Namengebung baüerlicher Schichten im Frühmittelalter.
Untersuchungen und Berechnungen anhand des Polyptychons von Saint-Germain-des-Prés", Francia, 15, 1987,
852-877 et R. Le Jan, "Entre maîtres et dépendants : réflexions sur la famille paysanne en Lotharingie, aux IXe
et au Xe siècles", Campagnes médiévales : l'homme et son espace. Etudes offertes à Robert Fossier, Paris, 1995,
pp. 277-296. La généalogie de plusieurs familles de paysans du domaine de Courtisols est recherchée à
5
Viel-Saint-Remi
Catégories % des solitaires dans la population adulte
Manses 39
Accolae 75
autres dépendants intra 65
villam
forains 98
Une autre voie d'approche consiste à mesurer le rapport entre enfants et adultes. Les valeurs
observées sont, elles aussi, concordantes. Dans cinq domaines de Saint-Germain-des-Prés, le
solde entre les générations était positif, entre 1,1 et 1,222. Une valeur proche d'1,2 apparaît
également dans les villae de Saint-Remi au milieu du IXe siècle.
l’occasion d’un procès qui les oppose en mai 847 au seigneur, Saint-Remi de Reims, pour savoir s’ils sont serfs
ou libres. Le polyptyque et les listes de cens de l'abbaye de Saint-Remi de Reims, voir n. 2, pp. 28-29.
19
J-P. Devroey, Les méthodes d'analyse démographique, voir n. 6, p. 85.
20
J.-P. Devroey, Recherches sur l'histoire rurale du haut moyen âge, 800-1050. Les polyptyques de Saint-Remi
de Reims et de Saint-Pierre de Lobbes, thèse de doctorat inédite, Bruxelles, 1982, pp. 98-100.
21
M. Zerner, Enfants et jeunes au IXe siècle, voir n. 8, p. 371.
22
J.-P. Devroey, A propos d'un article récent, voir n. 6, p. 514.
6
23
M. Zerner, Enfants et jeunes au IXe siècle, voir n. 8, pp. 358 et sv.
24
J.-P. Devroey, Les méthodes d'analyse démographique, voir n. 6, pp. 86-88.
25
J.-P. Devroey, Recherches sur l'histoire rurale du haut moyen âge, 800-1050. Les polyptyques de Saint-Remi
de Reims et de Saint-Pierre de Lobbes, thèse de doctorat inédite, Bruxelles, 1982, pp. 101-104.
7
26
E. Coleman, "L'infanticide dans le haut moyen âge", Annales E.S.C., 1975, pp. 315-335; Id., "Infanticide in
the Early Middle Ages", Women in medieval Society, éd. S. Stuard, Philadelphia, 1976, pp. 47-70. Le rapport
biologique entre hommes et femmes est de 105 garçons pour 100 filles à la naissance. La surmortalité des petits
garçons ramène ce rapport à l'égalité, vers 5 ans, alors qu'à partir de l'âge nubile, le nombre des jeunes hommes a
tendance a dépassé celui des jeunes femmes dans les populations traditionnelles.
27
Cette thèse est défendue contre celle de Coleman par J.-P. Devroey, A propos d'un article récent, voir n. 6.
28
C.-E. Perrin, "Note sur la population de Villeneuve-Saint-Georges au IXe siècle", Le Moyen Age, 69, 1963,
pp. 75-86, à la p. 82.
29
J.-P. Devroey, A propos d'un article récent, voir n. 6., p. 79.
30
Les historiens divergent sur l'âge au mariage au VIIIe-IXe siècles : il aurait été très précoce (10 à 12 ans) pour
Bessmerny; précoce (14-15 ans) pour Devroey; plutôt tardif selon Zerner.
31
G. Halsall, "Female Status and Power in Early Merovingian Central Austrasia : the Burial Evidence", Early
Medieval History, 5, 1996, pp. 1-24, spéc. aux pp. 13-20.
32
Pactus Legis Salicae 24, 7, éd. K.-A. Eckhardt, MGH Leg, Sect. 1, vol. 4, Hanovre, 1962.
8
maternité, alors que pour le garçon, elle marque le début d'un long processus de socialisation,
l'homme se mariant plus tard, sans doute vers la trentaine. K. Leyser, à partir d'un échantillon
limité mais significatif de femmes de l'aristocratie saxonne du Xe siècle, trouve confirmation
d'un âge au mariage précoce (autour de 15 ans) et note une période de fécondité très élevée
entre 15 et 30 ans environ. En revanche, les maternités étaient très rares après la trentaine,
sans que les sources permettent de faire la part de l'usure biologique ou d'une restriction
volontaire?33. Le cycle familial semble donc réglé sur un rythme rapide, accéléré encore pour
la femme, dont le statut social a pu se modifier autour de la quarantaine34.
33
K. Leyser, Rule and Conflict in an Early Medieval Society. Ottonian Saxony, London, 1979.; J.-P. Devroey,
"Femmes au miroir des polyptyques. Une approche des rapports du couple dans l'exploitation rurale dépendante
entre Seine et Rhin au IXe siècle", in Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident (VIe-XIe siècles),
éd. S. Lebecq, A. Dierkens, R. Le Jan, J.-M. Sansterre, Lille, 1999, pp. 227-249.
34
G. Halsall, Female Status, voir n. 31, pp. 17-20.
9
Le groupe âgé y représente 31% de la population adulte des manses. Les couples sans enfants,
qui sont peu nombreux, appartiennent tous à la deuxième génération36. Plus de la moitié des
couples de la génération des grands-parents ont à côté d'enfants adultes, de jeunes enfants
encore qualifiés d'infantes. L'importance et l'évidente jeunesse du groupe des grands-parents
constituent un indice supplémentaire de poids en faveur d'un cycle familial court, avec tout ce
qu'un tel rythme implique pour l'histoire de la famille : dynamisme des jeunes, précocité de
l'âge au mariage, importance de la fertilité et aptitude à réparer les accidents de la
croissance37. A l'intérieur du domaine, la dynamique de la croissance démographique, qui
pourrait entraîner une surpopulation nuisible aux intérêts du seigneur et des habitants est
maîtrisée par des mécanismes de régulation sociale : le célibat pour les hommes qui restent à
l'intérieur du domaine, l'émigration pour les femmes.
A Viel-Saint-Remi, un homme sur trois est classé comme solitaire sans enfant dans la
génération la plus âgée des mansionnaires. La stabilité des hommes est particulièrement forte
dans le groupe des tenanciers des manses où le départ de la tenure est le fait de quatre
hommes pour treize femmes! L'ampleur de la mobilité féminine est entièrement confirmée
dans les autres villae de Saint-Remi de Reims. Il y avait en moyenne 156 hommes pour 100
femmes intra villam, alors que les émigrants n'étaient que 82 pour 100 de leurs compagnes.
C'est dans les domaines les plus petits que la mobilité féminine est la plus forte38.
35
Y compris les accolae et forenses membres de la famille des tenanciers des manses.
36
La proportion importante des couples sans enfants parmi les ménages (30% à Villeneuve-Saint-Georges, dans
la région parisienne) est peut-être un indice supplémentaire d'une succession rapide des générations. En théorie,
ces ménages ont pu se situer aux deux extrémités du cycle familial : jeunes ménages ou couples parvenus au
terme du cycle domestique et dont les enfants sont tous chasés ailleurs. Charles-Edmond Perrin a proposé d'y
voir surtout des représentants de la génération des grands-parents. C.-E. Perrin, Note sur la population, voir n. 5,
pp. 82-83.
37
P. Toubert, Le moment carolingien, voir n. 5, p. 341.
38
J.-P. Devroey, Les méthodes d'analyse démographique, voir n. 6, pp. 77-78.
10
39
J.-P. Devroey, Femmes au miroir des polyptyques, voir n.33.
40
G. Duby, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, Paris, 1962, t. 1, p. 69.
11
Malgré les difficultés d'interprétation et les incertitudes des chiffres, le polyptyque de Saint-
Remi de Reims permet de construire un modèle du régime démographique des populations
rurales du IXe siècle.
Ces caractères fondamentaux sont :
• un cycle familial rapide;
• une très forte fécondité, qui est sans doute une donnée stable de la démographie
médiévale41;
• des taux de natalité élevés, qui devraient, dans des circonstances normales, déterminer
une croissance de la population relativement rapide.
Dès le IXe siècle, les ressorts de la croissance sont donc tendus : la "vague démographique"
qui balaye l'Europe de l'an Mil, prend racine dans le monde rural carolingien. Mais celui-ci
reste inégalement peuplé. Autour de Reims s'étend un monde "plein" - terres bien drainées et
vignobles de l'Ouest du diocèse, vallées alluviales de la plaine champenoise et terres sèches
de la trouée de l'Oise - où le réseau villageois est pratiquement complet vers 900. Dans les
espaces intercalaires du plateau champenois, le semis de peuplement est très lâche, mais
relativement régulier. Les sols les plus pauvres de l’Ardenne, comme le plateau de Rocroi ou
la Terre des Pothées, sont encore un véritable désert. La prospérité relative et le dynamisme
des populations installées dans les zones de peuplement les plus denses, où abondent les
domaines royaux et ecclésiastiques alimentent une lente reconquête des terroirs les moins
peuplées et une exploitation plus intensive du saltus.
Jean-Pierre Devroey
Université libre de Bruxelles
41
J. Dupâquier, "De l'animal à l'homme : le mécanisme régulateur des populations traditionnelles", Revue de
l'Institut de sociologie de l'ULB, 1972, pp. 177-211; G. Bois, Crise du féodalisme. Economie rurale et
démographie en Normandie orientale du début du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle, Paris, 1976, pp. 242 et
sv.
42
J. Dupâquier, De l'animal à l'homme, cité n. 41, p. 202.