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Daniel Bensaïd Ainsi, la Russie de la fin du XIXe siècle est telles) dans le camp commun de l’économisme.
caractérisée par Lénine, dans son livre Le Mais cette croisade contre l’économisme donne
À propos de « Fascisme et dictature » Déve loppement du capitalisme en Russie, l’occasion à Poulantzas non seulement d’affir-
comme dominée par le mode de production mer la place de la politique au poste de com-
Poulantzas, la politique capitaliste, bien que les éléments hérités du mande, mais d’autonomiser la superstructure
de l’ambiguïté mode de production féodal y gardent une place politique suffisamment pour tenter d’en
importante, bouleversée, remaniée, envelop- construire le concept théorique. La mécanique
I pée par l’essor du capitalisme. structuralisante saisit le vif politique, préala-
Dans un article du n° 9 de Critiques de l’éco- Il semble, à travers ses deux livres, que Pou- blement disjoint du mouvement de la totalité.
nomie politique, Jean-Luc Painant abordait lantzas s’efforce de fonder une distinction ana- On comprend qu’Althusser, évitant la cri-
rapidement la critique de Poulantzas sous le logue à celle établie entre mode de production tique historique du stalinisme, ait été amené
titre : « Contre la mécanique politique ». Le et formation sociale, au niveau des superstruc- à chausser les brodequins positivistes.
livre de Poulantzas Fascisme et dictature tures politiques. On a aussi tendance à fonder Il s’est emparé avec enthousiasme de la dis-
constitue l’application à un problème histo- l’existence de modèles de pouvoir concrétisés tinction stalinienne (déjà critiquée par
rique concret de l’appareil conceptuel mis en dans la formation sociale concrète par la redis- Gramsci) entre le matérialisme historique,
place dans le livre précédent, Pouvoir politique tribution des éléments : idéologie, parti, appa- science de l’histoire, et le matérialisme dialec-
et classes sociales. Cet essai représente donc, reils de répression, appareils idéologiques. tique, science de la méthode. L’histoire est éva-
pour la méthode de Poulantzas, l’épreuve de la L’entreprise est discutable et aléatoire. Par cuée ; entre le poids objectif des structures et
pratique. Comment ressaisir, du point de vue défiance envers l’historicisme, elle encourt le la lecture théorique, il n’y a plus place pour la
du matérialisme historique défini comme risque de figer et défigurer le mouvement réel responsabilité politique.
« science de l’histoire », le mouvement réel de de l’histoire. Elle tire dans un sens structura- Poulantzas, bien que recueillant d’Althus-
la lutte des classes vis-à-vis duquel on a liste le concept de mode de production et tend ser la définition positiviste du matérialisme
d’abord, par crainte d’historicisme, pris ses à lui faire correspondre un concept non expli- historique, est attiré par l’histoire. Ne l’abor-
distances ? cité encore de « mode de pouvoir ». dant pas d’un point de vue de parti, d’un point
La tentative, inspirée à l’évidence de cer- L’interprétation structuraliste ou structu- de vue d’articulation de la théorie et de la pra-
tains travaux d’Althusser, est globalement dis- ralisante du marxisme, à laquelle Althusser a tique, il demeure prisonnier des carcans aca-
cutable. Nous y reviendrons. Mais les contra- donné sa couverture académique, se fait au démiques de l’althussérianisme. Pourtant, il
dictions qui lui sont inhérentes apparaissent détriment de la notion de totalité dialectique. contribue déjà à les faire éclater : la mécanique
plus aiguës encore dans son application à La structure, c’est la totalité statique, démem- althussérienne ne supporte pas la fréquenta-
l’objet choisi par Poulantzas. brée, d’où la subjectivité révolutionnaire a été tion, même à distance, de l’histoire concrète.
L’une des idées centrales de son livre précé- évacuée. Poulantzas, en dépit de certains Poulantzas en manifeste parfois le senti-
dent consistait en la reprise d’une distinction efforts visibles pour dépasser l’héritage ment, si ce n’est la conscience. Dans Fascisme
fondamentale : celle du mode de production et althussérien, en reste tributaire. et dictature, il écrit : « La crise politique qui
de la formation sociale. Le mode de produc- Ainsi, sous prétexte de mettre, selon les pré- peut aboutir à une forme d’état d’exception
tion est un concept théoriquement élaboré ceptes du président Mao, la politique au poste réside essentiellement dans des caractéris-
dont aucune formation sociale, c’est-à-dire au- de commande, il voit dans le péché d’écono- tiques particulières du champ de la lutte des
cune société concrète, historiquement définie, misme, repris de la IIe Internationale, la domi- classes, celui des rapports sociaux. Elle est
ne représente la pure illustration. Une forma- nante fatale du Komintern. Staline, Trotski, pourtant accompagnée de fissures profondes
tion sociale est toujours caractérisée par un Zinoviev, Boukharine, tous en sont frappés. Au du système institutionnel, c’est-à-dire des
« chevauchement » de modes de production point que les batailles internes au Komintern appareils d’État, tout comme la situation
dont l’un est dominant. deviennent secondaires (et sont traitées comme révolutionnaire est de ce point de vue caracté-
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risée par une situation de double pouvoir, trait (dans La Faillite de la IIe internationale, pas Là est la question. Le livre de Poulantzas
spécifique concernant l’instance étatique : c’est une fois cité dans le livre de Poulantzas) et marque les limites de l’entreprise et annonce
entre autres à ces fissures que répond l’état par Trotski (dans L’Histoire de la révolution son possible dépassement.
d’exception » (p. 65). russe) n’ont rien à voir avec la politique abs-
À la crise politique l’état d’exception, à la traite de Poulantzas. Elles sont la synthèse II
crise révolutionnaire le double pouvoir : la dialectique d’un ensemble de déterminations La construction du livre offre une première
mécanique politique décharnée reste en deçà dans lesquelles entrent en compte les facteurs indication sur le projet de l’auteur. Il se divise
de la politique révolutionnaire. Ce n’est ni vrai subjectifs : existence et orientation d’un parti en sept parties : 1) la question de la période du
ni faux, ni fait ni à faire, c’est inopérant. Dans révolutionnaire. fascisme ; 2) le fascisme et la lutte des classes ;
la conclusion, Poulantzas affirme qu’au tra- Utilisant certaines analyses de Gramsci, 3) fascisme et classes dominantes ; 4) fascisme
vers de l’analyse du fascisme il a voulu déga- Poulantzas laisse entrevoir, sinon des doutes, et classe ouvrière ; 5) fascisme et petite bour-
ger « les caractères généraux de la crise poli- du moins des interrogations : « J’en ai fait la geoisie ; 6) le fascisme et les campagnes ; 7)
tique et de l’état d’exception ». Mais, « pour critique ailleurs [de Gramsci] et je n’y revien- l’État fasciste.
éviter une typologie abstraite », il a dû laisser drai pas. Il m’avait semblé important alors, Après la quatrième partie s’insère une
tomber diverses « formes de régime d’excep- étant donné la conjoncture théorico-politique, annexe sur le Komintern et l’URSS.
tion » (bonapartisme, dictature militaire) et d’insister sur cette critique [de l’histori- Il nous semble que la deuxième partie sur
s’efforcer de serrer de près le cas du fascisme : cisme]. » Tiens, tiens ! Et en quoi consistait « le fascisme et la lutte des classes » aurait dû
l’histoire a ses exigences, et quand on y pose cette conjoncture théorico-politique ? L’offen- occuper la place principale, rendant compte
le pied, on ne s’en évade pas à si bon compte ! sive contre Gramsci, commune à Althusser et du fascisme par l’ensemble de ses détermina-
Ainsi, Poulantzas oscille entre la forma- Poulantzas, ne paraissait pas alors d’ordre tions sociales et politiques. Or, cette partie est
lisation peu commode du politique et les conjoncturel et circonstanciel, mais d’ordre la plus brève de toutes (elle tient en dix pages
exigences politiques de l’histoire réelle qui stratégique. Elle participait de la lutte géné- sur les quatre cents que compte l’ouvrage). Et,
l’entraînent loin d’Althusser. « Il faudrait néan- rale contre la perversion hégélienne du mar- surtout, elle se limite à quelques considéra-
moins signaler que ces crises et régimes d’ex- xisme qui hante les nuits et les livres d’Al- tions méthodologiques. Ainsi, par rapport aux
ception, théoriquement établis, se présentent thusser. Disons plutôt qu’à la veille de Mai 68 « caractéristiques générales de la crise poli-
souvent dans la réalité concrète de façon com- la lecture structuraliste du marxisme pouvait tique », le fascisme est défini comme une ré-
binée » (p. 393). Utile précaution qui reprend connaître un certain succès lié à l’apparent ponse politique à une crise spécifique définie
la distinction entre le modèle théorique (mode (très apparent) immobilisme de la lutte des par « les caractéristiques particulières des rap-
de production, mode politique « théoriquement classes. ports sociaux », en particulier par la « crise des
établi ») et la réalité concrète, la formation so- Depuis, l’histoire a forcé le pas. Et comment! institutions ».
ciale. Devant son bouillonnement, le danger histo- Ensuite seulement, dans chacune des par-
Lénine, auquel Poulantzas reconnaît le mé- riciste, si tant est qu’il existe, est plus fort ties, le fascisme est étudié sous l’angle de ses
rite d’avoir rompu avec l’économisme en pen- aujourd’hui qu’alors. Ceux qui l’ont dénoncé rapports aux principales forces sociales, mais
sant la Russie comme « maillon faible de la devraient le combattre avec plus d’intransi- il s’agit alors d’analyser des relations unilaté-
chaîne impérialiste », a eu la faiblesse de défi- geance. Poulantzas ne précise pas en quoi la rales du fascisme à chacune des classes sans
nir la politique comme « du concentré d’écono- conjoncture théorico-politique a changé. Sur rendre compte de la place du phénomène dans
mie ». Définition grossière, de circonstance, qui quoi reposaient les urgences d’alors? N’étaient- la totalité. Cela aboutit en particulier à rela-
a pourtant le mérite d’interdire la dissocia- elles pas avant tout validées par l’effort des tiviser le rôle de la faillite subjective du mou-
tion du politique de la totalité, sur laquelle re- Althusser ou des Bettelheim pour fournir au vement ouvrier, de l’absence de réponse révo-
pose la tentative de formalisation de Poulant- stalinisme décadent des alibis théoriques pro- lutionnaire à la résistible ascension du
zas. Aussi les définitions données par Lénine visoires ? fascisme. La place du développement sur le
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Komintern et l’URSS, en annexe à la partie Il en ressort essentiellement une redistri- monarchie absolue – n’ont les capacités d’ato-
sur « fascisme et classe ouvrière », est signifi- bution des structures étatiques, une nouvelle miser et de démoraliser une classe ouvrière
cative de cette réduction. combinaison des appareils à laquelle on doit consciente de plusieurs millions de membres,
En conséquence, le couronnement du livre confronter les régimes d’exception pour juger et de prévenir ainsi la réapparition des luttes
est bien la partie sur « l’État fasciste ». Il sem- de leur degré de parenté avec l’État fasciste. de classes les plus élémentaires qui sont pério-
ble bien que cette systématisation des traits Il est intéressant de comparer cette tentative diquement produites par le simple jeu des
de l’État fasciste, constituant bien la cible choi- de dégager un squelette de l’État fasciste à la lois du marché.
sie par l’auteur, justifie en dernière instance synthèse que donne Ernest Mandel de l’ana- Pour arriver à ses fins, la grande bourgeoi-
la démarche suivie. Or, comment cette partie lyse du fascisme par Trotski 1/. sie a besoin d’un mouvement qui puisse mobi-
est-elle conçue ? Elle traite successivement de Pour Mandel, c’est le concours de six fac- liser les masses à ses côtés, qui puisse briser
« propositions générales sur l’État fasciste, teurs généraux qui permet de rendre compte et démoraliser les parties les plus conscientes
forme particulière de l’état d’exception », puis des conditions d’émergence du fascisme : du prolétariat par la terreur de masse systé-
des cas particuliers de l’Allemagne et de l’Ita- 1. « La montée du fascisme est l’expression matique et la guerre de rue, et qui puisse,
lie. Chacun de ces développements est traité d’une sévère crise sociale du capitalisme dé- après la conquête du pouvoir, détruire complè-
en deux temps : le système en place dans le clinant, d’une crise structurelle qui peut, tement les organisations de masse du
procès ; les propositions générales récapitu- comme dans les années 1929-1933, coïncider prolétariat et laisser les éléments les plus
lent les caractéristiques du système en place. avec une crise de surproduction, mais qui va conscients non seulement atomisés, mais
beaucoup plus loin que de simples fluctuations encore démoralisés et résignés ».
Résumons ces caractéristiques qui sont au conjoncturelles […]. La fonction historique de 4. « Un tel mouvement de masse ne peut sur-
nombre de cinq : la prise du pouvoir par le fascisme est de chan- gir que sur les bases de la petite bourgeoisie
1. « L’existence au sein des appareils idéolo- ger soudainement et violemment les condi- […]. Il combinera le nationalisme extrême et,
giques d’État d’un parti de masse à caractères tions de production et de réalisation de la plus- au moins, la démagogie verbalement antica-
particuliers. » value au profit des groupes principaux du pitaliste avec la haine la plus intense du mou-
2. « Les rapports particuliers, suivant les éta- capitalisme monopoliste. » vement ouvrier organisé. »
pes du parti fasciste et de l’appareil répressif 2. Quand des développements objectifs mena- 5. « La montée du mouvement fasciste est
d’État » : d’abord « exogène à l’appareil d’État », cent, à l’époque de l’impérialisme, l’équilibre comme l’institutionnalisation de la guerre
le parti fasciste stabilisé de la deuxième étape, très instable des forces économiques et civile dans laquelle chaque partie, objective-
« dûment transformé », est dominé par l’appa- sociales, « la grande bourgeoisie n’a guère d’au- ment considérée, a une chance de succès. His-
reil d’État et lui est subordonné. tre solution que d’essayer d’établir une forme toriquement considérée, la victoire du fascisme
3. «C’est une branche particulière de l’appareil supérieure de centralisation du pouvoir exé- exprime l’incapacité du mouvement ouvrier à
d’État qui domine les autres branches […]. cutif d’État pour réaliser ses propres intérêts, résoudre la crise structurelle du capitalisme
Cette branche… c’est la police politique. » même au prix d’un renoncement à l’exercice en déclin dans son propre intérêt et à ses pro-
4. « Un ordre de subordination » des appareils immédiat du pouvoir politique ». pres fins. Une telle crise offre toujours, dans
d’État : police politique – administration – ar- 3. Compte tenu des conditions de la société ca- un premier temps, une chance de victoire au
mée, dans lequel il est important de « remar- pitaliste et de l’immense disproportion mouvement ouvrier… »
quer le rôle secondaire de l’armée par rapport numérique entre les travailleurs salariés et 6. Si le fascisme l’emporte, le mouvement de
à l’administration bureaucratique ». les grands capitalistes, « il est pratiquement masse qui l’a porté se bureaucratise et dans
5. « Réorganisation des rapports au sein des impossible de mener à bien une aussi violente une grande proportion s’assimile l’appareil
appareils idéologiques d’État. » centralisation par des moyens purement tech- d’État bourgeois. « La dictature fasciste a ten-
1/ The Struggle against Fascism In Germany, introduction niques […]. Ni une dictature militaire ni un dance à miner et à désintégrer sa propre base
by Mandel, éd. Pathbinder Press, New York. État purement policier – sans parler d’une de masse. Les bandes fascistes deviennent des
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appendices de la police. Dans sa phase de dente. Leur seul lien de continuité selon Pou- les rapports de production, il avance qu’elle
déclin, le fascisme revient à une forme parti- lantzas, c’est la ligne générale économiste qui s’est réfugiée comme force sociale dans les
culière de bonapartisme. » les parcourt, comme une malédiction héritée appareils d’État. Ou encore, c’est «la ligne géné-
La richesse de la démarche de Mandel et, de la social-démocratie déchue. rale suivie par le Komintern » qui constitue « la
à travers lui, de Trotski, saute aux yeux. Elle Autre remarque : la façon dont Poulantzas brèche essentielle » par laquelle passe la consti-
saisit le fascisme non comme un agencement définit l’État fasciste par une redistribution tution de la « bourgeoisie soviétique ». Cet idéo-
particulier de structures, mais comme une des superstructures étatiques et idéologiques logisme sur lequel nous reviendrons est rendu
réponse politique globale du grand capital à le porte à minimiser, si ce n’est à omettre, les possible par l’autonomie des superstructures
une situation donnée. Elle permet d’y impli- contradictions vivantes du fascisme lui-même. qui résulte du démembrement structuraliste
quer directement la responsabilité subjective Ainsi, parmi les caractéristiques de l’État fas- de la totalité.
du mouvement ouvrier. Trotski, que Poulant- ciste, Poulantzas note l’extériorité dans un
zas renvoie avec Staline dans les poubelles de premier temps du mouvement fasciste par rap- 2. S’étant débarrassé pêle-mêle de Trotski,
l’économisme, a émis dans la préface au pro- port à l’appareil d’État. Il note que dans un Staline et Boukharine sous le commun travers
gramme de transition l’idée (qui pourrait être deuxième temps, au contraire, le mouvement d’économisme, Poulantzas n’éprouve plus le
considérée comme l’expression achevée du sub- fasciste se subordonne à l’appareil d’État. Et besoin de rendre compte de la lutte politique
jectivisme révolutionnaire) selon laquelle la ce, sans mentionner la contradiction qui en en URSS après la mort de Lénine. Mieux, il la
crise de l’humanité se réduit d’abord à la crise résulte : la perte de la base de masse qui tend, passe pratiquement sous silence et le justifie
des directions révolutionnaires ! comme le note Mandel, à ramener le fascisme ainsi : « Tout au long de la période qui nous oc-
Ainsi, si l’on considère la montée du fas- déclinant vers une forme particulière de bo- cupe, on assiste en URSS même à une lutte de
cisme, Poulantzas se penche sur les échecs du napartisme. classe acharnée entre les deux voies (la voie ca-
prolétariat allemand et italien des années pitaliste et la voie socialiste, car il n’en existe
1918 à 1923 essentiellement pour mentionner III pas de troisième); je dis bien lutte entre les deux
les modifications qui en résultent dans l’équi- 1. Si Poulantzas réduit l’importance des don- voies, et non entre les deux lignes [souligné
libre des forces, créant les conditions de déve- nées subjectives, c’est aussi parce que sur le dans le texte], car en URSS et dans le Komin-
loppement du fascisme. Trotski s’y penche, en terrain de leur critique, il ne se sent pas à son tern, il n’y a pas deux lignes, les diverses ‹oppo-
revanche, non pour mesurer seulement la aise. L’idée centrale qui, selon lui, explique la dé- sitions › se situant finalement sur le même ter-
dégradation objective du rapport de force mais faite du mouvement ouvrier face au fascisme, rain que celle officielle » (p. 250).
pour avancer l’alternative révolutionnaire qui c’est l’économisme de ses directions. L’éco - Autrement dit, les deux voies existant objec-
eût été possible, pour évaluer les prolonge- nomisme de l’Internationale communiste stali- tivement n’ont pas trouvé d’expression
ments présents de la faillite passée des direc- nisée s’exprimerait à travers l’attente « catas- consciente. Du moins la voie socialiste n’a-t-
tions ouvrières. Cette continuité fondamen- trophiste » de l’inéluctable crise finale. elle pas trouvé de défenseurs conséquents.
ta le du f ac teur subjec ti f est atténuée L’économisme de Trotski, par une imminence L’argumentation est un peu courte. Faut-il ou
considérablement chez Poulantzas qui n’ana- constante de la révolution que Poulantzas im- non en déduire que la voie capitaliste était
lyse pas la situation d’un point de vue parti- pute hâtivement à la théorie de la révolution inévitable ? Ou bien l’absence d’alternative
san, c’est-à-dire du point de vue des dévelop- permanente. révolutionnaire, selon Poulantzas, tient-elle
pements stratégiques de la théorie. Quoi qu’il Encore une fois, la lutte contre l’économisme seulement à une bévue théorique, à une défail-
en dise, il a tendance à découper le mou - donne à Poulantzas une couverture commode lance d’ordre intellectuel ? La première
vement historique en séquences d’équilibres pour se livrer à des acrobaties politistes ou idéo- réponse reviendrait à rejoindre les menche-
nouveaux dans lesquelles les erreurs des logistes du plus mauvais goût. Ainsi, à propos viques dans leur appréciation positive d’un
directions ouvrières sont relativement indé- de l’URSS, sans discuter des racines sociales développement du capitalisme en Russie; nous
pendantes des erreurs de la séquence précé- qui pourraient être celles de la bourgeoisie dans serions alors loin de la théorie du « maillon
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faible »… et plus profondément engagés dans Il ne s’agissait pas, à chaud, d’un débat aca- lantzas oscille entre l’idée selon laquelle c’est
les eaux de l’économisme que Lénine a tou- démique. Pour Trotski, la politique du Komin- une ligne fausse qui a ouvert la voie à la bour-
jours considéré comme un attribut des men- tern en Allemagne sanctionne la faillite irré- geoisie (par carence théorique, en somme !) et
cheviques. Quant à la seconde réponse, elle versible de la direction stalinienne, et justifie l’idée selon laquelle la ligne fausse était quasi
est peu satisfaisante : toute la tradition et le projet de fondation d’une nouvelle interna- irrésistible sur la base de la reconstitution de
toute l’expérience révolutionnaires d’un mou- tionale, la IVe Internationale. la bourgeoisie réfugiée dans l’appareil d’État.
vement ouvrier n’auraient même pas donné Ce qui devrait amener en toute logique une cri-
naissance à l’embryon d’une ligne juste ? On 3. La ligne générale de l’économisme estompe tique de fond de la tentative désespérée que re-
risque d’être amené à expliquer le cours de en outre, pour Poulantzas, la signification des présentait la révolution d’Octobre !
l’histoire par l’absence à telle période d’un zigzags de la politique stalinienne. C’est pour- Mais, surtout, on comprend mal comment
superman théorique ; ce qui nous amène cette quoi il peut estimer qu’il y a contradiction peut être fondée en toute rigueur cette vision
fois assez loin du matérialisme historique. entre la ligne droitière de Dimitrov et l’élimi- quelque peu conspirative de l’histoire. La bour-
Ainsi, la vision de Poulantzas se réduit-elle nation physique de l’opposition de droite à geoisie chassée des usines se serait réfugiée
à celle d’une dégénérescence économique l’occasion des procès. D’abord, il n’y aurait pas dans l’appareil d’État… Mais nous avons
linéaire du Komintern : « On remarque aussi forcément contradiction entre un tournant droi- appris de Marx que la bourgeoisie se définit
que, progressivement, et selon un procès tier et l’élimination d’une opposition de droite, d’abord comme classe par sa place dans les
contradictoire, une ligne générale – écono- de même que le tournant vers l’industrie rapports de production, que la possession des
misme et absence de ligne de masse – domine lourde et la dékoulakisation ont été précédés moyens de production, l’asservissement du
dans le Komintern, ligne qui commande à la par l’élimination de l’Opposition de gauche ir- salariat constituent la base sociale de sa domi-
fois ses tournants gauches et ses tournants réductible. Mais, surtout, les grandes purges nation idéologique. D’où une bourgeoisie (l’est-
droits. » Poulantzas traite en conséquence d’un des procès n’ont pas la signification limitée elle encore ?) réfugiée dans l’appareil d’État
point de vue idéologique les différents congrès « d’une lutte intense contre l’opposition de tirerait-elle sa force ? De son idéologie ? Mais
du Komintern, sans les resituer par rapport à droite » (p. 244). Elles revêtent bien davantage nous ne connaissons pas d’exemple de contre-
l’affrontement politique en son sein qui a bel la signification de l’anéantissement physique révolution idéologique : l’idéologie féodale s’est
et bien existé. Et pas des broutilles ! Sur de l’ossature du parti bolchevique, celle qui a maintenue en France bien au-delà de 1789,
chaque problème décisif (la révolution alle- fait la révolution, et de la consolidation de la sans pour autant ramener la société du capi-
mande, la question chinoise, la planification bureaucratie au pouvoir ; les victimes des pur- talisme au féodalisme. En revanche, Poulant-
et les priorités en URSS, le comité anglo-russe), ges recoupent en fait un large éventail des ten- zas ne dit rien sur la reconstitution, bien réelle
les positions en présence se sont affrontées. Il dances antérieures. celle-là, d’une bourgeoisie agraire à travers
ne s’agit pas d’une interprétation a posteriori. Comme nous l’avons déjà vu, dans son l’enrichissement des koulaks, ni du fait que
Les textes existent et témoignent pas à pas annexe sur le Komintern et l’URSS, Poulant- ce processus a été brutalement brisé par la
de la lutte menée par Trotski et l’Opposition zas aborde la question de l’URSS, en parlant collectivisation forcée. Il y a pourtant là des
de gauche : la plate-forme de l’Opposition de d’un « procès de reconstitution de la bourgeoi- processus sociaux dont le fondement est intel-
gauche, L’Internationale communiste après Lé- sie » soviétique, la ligne générale économiste ligible sur la base de l’organisation de la pro-
nine, de Trotski, en particulier. Dans le cas de étant présentée comme l’un des « effets princi- duction, et non sur la base d’une thèse qui fait
l’Allemagne, les articles de Trotski jalonnent paux » de ce procès. Dans le paragraphe précé- des appareils d’État la matrice d’une classe
la montée du fascisme et, malgré les résultats dent, il était écrit que la ligne générale repré- qui n’aurait de racines que dans les super-
désastreux de la politique du Komintern, pro- sente «la brèche essentielle qui permet l’amorce structures, les institutions, et non dans les
posent à chaque pas une réponse politique al- du procès de reconstitution de la bourgeoisie ». rapports de production.
ternative et combattent dès le début la ligne La circularité de la cause et de l’effet, ce n’est Dans son argumentation, Poulantzas
délirante du social-fascisme ! pas forcément la dialectique ! Là encore, Pou- effleure un problème crucial qu’il élude aus-
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sitôt. Ou bien la révolution d’Octobre a bel et bataille est connue dans son contenu comme sa conception de la bureaucratie. Ce qui ren-
bien été une révolution prolétarienne, et alors, dans ses conséquences ; et elle prouve que la voie à l’ensemble du débat sur la nature de
si l’on parle de processus de reconstitution de rupture avec l’internationalisme ne coïncide l’URSS qui a été largement abordé dans le
la bourgeoisie, il faut dire quand et comment pas avec le tournant de 1928 : elle lui est no 7-8 de cette même revue.
elle a reconquis le pouvoir. À travers quelles antérieure. Enfin, Poulantzas découvre à Trotski une
luttes et non par grignotages progressifs. Ou autre incapacité théorique, celle de distinguer
bien on s’attaque frontalement à l’analyse 4. Pour Poulantzas, l’interprétation que donne les périodes. Prisonnier d’une conception
d’Octobre en y voyant d’emblée une révolu- Trotski des zigzags bureaucratiques de la homogène du temps, marqué par l’omnipré-
tion bourgeoise spécifique dans laquelle l’in- politique stalinienne révèle son inconséquence. sence de la révolution imminente, Trotski
telligentsia aurait utilisé la classe ouvrière Ainsi (p. 174), Poulantzas relève deux tenta- serait insensible aux mouvements de flux et de
comme marchepied ; c’est la thèse qu’ont défen- tions qui lui paraissent contradictoires dans reflux de la révolution mondiale : « La carac-
due Pannekoek et les conseillistes. Poulant- la position de Trotski : térisation par Trotski de l’ère de la révolution
zas semble pencher pour la première hypo- l idée du maintien des zigzags opportunistes comme de celle de la révolution permanente
thèse, mais sans préciser le moment de la de 1928 a 1935 ; semble abolir pour lui le temps, en ce sens
reconquête du pouvoir par la bourgeoisie. Il l idée que rien d’essentiel ne se passe après qu’il ne peut fonder une périodisation. »
est vrai qu’il s’inspire visiblement de Bettel- 1928. Il y a là un problème réel. Mais il est im-
heim en la matière, et que Bettelheim ne s’est Contrairement à ce que suggère Poulant- possible de le traiter par une affirmation lapi-
pas montré d’une grande précision sur ce zas, Il n’y a pas là de contradiction. Après 1928, daire, surtout si l’on repense aux analyses de
point. Poulantzas paraît pencher, sans le dire, l’Opposition de gauche est défaite politique- Trotski sur 1905, à son Histoire de la révolu-
pour dater aux alentours de 1928 cette recon- ment et réprimée physiquement. Thermidor tion russe, à des textes comme L’Internatio-
quête bourgeoise du pouvoir. a triomphé, la bureaucratie a consolidé son nale communiste après Lénine, comme Europe
En tout cas, si telle est l’idée sous-jacente, pouvoir. Mais, en tant que bureaucratie, elle et Amérique, aux écrits sur la France ou sur
elle permet de comprendre une remarque reste tributaire des équilibres sociaux qui ren- l’Allemagne, ou encore à un texte intitulé La
comme celle qu’on trouve à la page 253 : « Tant dent compte de ses oscillations opportunistes. Troisième Période d’erreurs de la IIIe Interna-
que la nature de classe de l’État soviétique Il y a donc bien un changement important en tionale dans lequel il critique précisément la
reste prolétarienne, le mot d’ordre « défense 1928, mais au-delà une continuité de la poli- conception mécanique de la notion de radica-
de l’URSS », qui domine progressivement dans tique bureaucratique. lisation telle que l’utilise le Komintern. La cri-
le Komintern, ne signifie pas forcément – je Poulantzas, qui interprète l’histoire du tique de Poulantzas apparaît d’autant moins
dis bien : pas forcément – l’abandon de l’inter- Komintern à la lumière de la ligne générale rigoureuse qu’elle figure dans un livre où la
nationalisme, et la soumission mécanique du économiste, accuse Trotski de ne pas dégager question allemande occupe une place centrale,
Komintern aux intérêts de la politique exté- le même type d’explication globale : « S’arrê- et où lui-même, parlant de la rectification de
rieure de l’URSS. » Là encore, le glissement est tant à la bureaucratie, il n’a jamais tenté de Dimitrov, reconnaît en note en bas de page :
significatif. Poulantzas a raison sur un point ; dégager une ligne générale qui commanderait « Il est vrai que Trotski signalait ces points
ce n’est pas la défense de l’URSS érigée en mot cette politique, mais s’est contenté, conséquent déjà en 1930. » Pour un infirme en périodisa-
d’ordre qui marque la rupture avec l’internatio- avec lui-même, d’une conception des zigzags tion, ce n’était pas si mal.
nalisme. En revanche, ce qui ouvre la voie à bureaucratiques » (p. 247).
cette rupture, c’est le triomphe de la ligne de Poulantzas reconnaît qu’il y a là une cer- 5. De notre part, la défense de Trotski contre les
construction du socialisme dans un seul pays. taine cohérence dont la clé de voûte est l’ana- appréciations à l’emporte-pièce, plus brillantes
Or, ce problème fut l’objet d’une bataille rude lyse de la bureaucratie. La position de Trotski que rigoureuses, de Poulantzas ne relève pas
entre l’Opposition de gauche, d’un côté, Sta- ne peut être critiquée comme inconsistante d’une manie idolâtre. Il ne s’agit pas d’un
line et Boukharine, de l’autre. Cette ou inachevée, si n’est pas analysée sur le fond pieux respect outragé par le sacrilège. Il s’agit
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d’une bataille théorique dont l’importance est ment l’inévitabilité après 1923 de la montée férentes de celles de l’entre-deux-guerres. Le
actuelle, et pratique. En effet, ce que nie Pou- du fascisme. Aussi inévitable que la reconsti- capitalisme d’Europe occidentale et des États-
lantzas à travers sa critique superficielle de tution d’une bourgeoisie en URSS. Il n’y avait Unis a connu un essor prolongé au lendemain
Trotski, c’est l’existence historique d’une alter- selon lui ni orientation ni direction de rechange. de la Seconde Guerre mondiale. Il en résulte
native révolutionnaire au stalinisme. Et le pro- Par ailleurs, il définit le procès de fascisa- une profonde modification des structures
longement de cette négation, c’est en fait un tion comme résultant, du point de vue de la sociales : le poids social de la petite bourgeoisie
suivisme aveugle par rapport aux courants idéo- classe ouvrière, d’une période « politiquement en particulier s’est affaibli, surtout celui de la
logiques et politiques nés de la décomposition défensive » et d’un tournant à partir duquel petite bourgeoisie possédante traditionnelle
du stalinisme. « l’aspect économique prend le pas sur l’aspect que Poulantzas amalgame trop facilement aux
Ainsi, pour Poulantzas, « l’analyse de ce qui politique de la lutte de classe » (p. 152). C’est salariés non productifs dans une seule et même
s’est passé en URSS […] devrait être précisé- insuffisant. Qu’est-ce qu’une période « poli- classe. La jeunesse, notamment la jeunesse
ment fondée sur l’expérience historique de la tiquement défensive », ou du moins quelles en universitaire, qui a fourni la base militante
révolution chinoise et des principes dégagés sont les conséquences ? Sont-elles semblables initiale du fascisme, se politise sur la gauche.
par Mao » (p. 249). Au cas où Poulantzas main- à celles que le leader de la social-démocratie Comme l’écrit Ernest Mandel : « La prochaine
tiendrait une telle appréciation après les der- autrichienne Otto Bauer déduisait de la ca- vague en Europe se produira à gauche et à l’ex-
nières retombées de la révolution culturelle, il ractérisation de la période comme défensive : trême gauche : le sismographe de la jeunesse
nous intéresserait de savoir en quoi le maoïsme à savoir se tenir prêt à résister à l’attaque di- l’annonce, et la jeunesse est toujours de plu-
de Mao donna une grille d’intelligibilité du sta- recte contre les organisations ouvrières, sans sieurs années en avance sur le mouvement des
linisme et de l’histoire de l’URSS. L’analyse des prendre l’initiative. On connaît le résultat : la masses. »
textes produits depuis 1956 nous inciterait plu- défaite du prolétariat autrichien, malgré l’hé- Le stalinisme en crise n’a plus la même
tôt à y voir une prise de conscience confuse et roïque défense du Schutzbund de Vienne en fé- mainmise sur le mouvement ouvrier interna-
empirique de réalités historiques qui ne pou- vrier 1934. tional que pendant les années vingt et trente.
vaient plus être ignorées. La pauvreté théorique Ce n’est pas ici le lieu de reprendre une Enfin, le degré d’interprétation des capitaux
du maoïsme n’empêche pas à nos yeux la direc- anthologie de textes, mais dans les Écrits sur en Europe rend difficile le recours à une poli-
tion chinoise d’avoir été une direction révo- l’Allemagne Trotski donne des réponses pré- tique économique autarcique, qui alimente
lutionnaire mais c’est là un autre débat que cises, sous forme de mots d’ordre et de pro- l’idéologie nationaliste du fascisme.
nous sommes prêts à mener. gramme, à l’évolution de la situation. Il faut Pour toutes ces raisons, une solution fas-
d’abord reconnaître que cette alternative ciste est peu concevable dans l’immédiat. Seul
IV révolutionnaire a été formulée au moment un changement profond de la période sur le
Poulantzas affirme en introduction et en voulu et non a posteriori, qu’elle était possible. plan économique pourrait recréer des condi-
conclusion de son livre qu’il l’a écrit en fonction Autre chose est d’analyser les raisons de sa tions favorables à son développement de
de l’actualité du problème fascisme. Or, ce li- défaite. Mais nier son existence, c’est glisser masse. Et même alors, on peut se demander si
vre nous laisse sur notre faim à propos des vers un fatalisme qui, en d’autres circonstances, le fascisme tel qu’il a existé ne représente pas
deux questions d’actualité essentielles : pourrait conduire droit à la capitulation. une solution originale liée à une phase propre
l La victoire du fascisme était-elle évitable ? de l’impérialisme. On imagine aujourd’hui
l Quel est l’avenir du fascisme aujourd’hui ? 2. Dans sa conclusion, Poulantzas met en beaucoup plus des solutions fantoches, du type
garde contre une utilisation abusive de la sud-vietnamienne, directement soutenues par
1. Poulantzas décrit l’ascension du fascisme. notion de fascisme. Mais cela ne suffit pas à l’impérialisme dominant capable d’entretenir
Niant l’existence d’une ligne révolutionnaire évaluer les chances du fascisme aujourd’hui. à des fins politiques un appareil bureaucra-
alternative au stalinisme en URSS et dans le Les conditions, comparées à celles présentées tico-militaire assez large, appuyées sur un vaste
Komintern, il est conduit à accepter implicite- par Mandel, sont aujourd’hui radicalement dif- système de corruption et de pourboires, sans
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bénéficier pour autant de la réelle base de tueux, que nous sommes prêts à poursuivre. politique et demeure infirme face au présent.
masse qu’a pu fournir au fascisme la petite Cependant, cette préface, ouvertement polé- Le mouvement de Poulantzas procède du sens
bourgeoisie désespérée. La multiplication des mique, ne désigne pas ses interlocuteurs. C’est inverse. Il part d’une théorie ossifiée pour reve-
interventions de la CIA et de ses ramifications regrettable. L’interprétant peut-être de façon nir à la pratique, pour la confronter au mouve-
irait dans ce sens. malveillante, nous avons cru y déceler une ment de la lutte des classes.
Enfin, si Poulantzas pense, comme il le laisse réfutation ferme des thèses de Baudelot et D’où les contradictions aiguës qui rendent
entendre, que le fascisme n’est pas le danger Establet. Si c’est bien le cas, il eut été préféra- possible la discussion avec Poulantzas.
principal de la période, alors il devrait condam- ble d’annoncer la couleur car derrière les po- En dernière analyse, cette évolution du
ner plus ouvertement qu’il ne le fait la dou- sitions de Baudelot et Establet, c’est la ma- débat théorique depuis le début des années
ble erreur des groupes comme L’Humanité trice althussérienne qui est en jeu. soixante est pour nous un autre témoignage de
rouge ou l’ex-gauche prolétarienne attaquant Sur le problème de l’école, comme en d’au- l’actualité de la révolution. Un retour du posi-
le PCF comme social-fasciste ou social-impé- tres circonstances, cette matrice sert de justi- tivisme, de la science socialiste (dernier refuge
rialiste, répétant en farce la politique tragique fication commune au révisionnisme réformiste théorique du stalinisme décadent), vers la théo-
du PC allemand. du PCF et aux théorisations ultra-gauches rie révolutionnaire, vers le socialisme scienti-
L’essai de Poulantzas nous semble intéres- « provisoirement » du maoïsme français. Elle fique qui ne dissocie pas le sujet de la révolu-
sant, en particulier dans la mesure où il fonde aussi bien la possibilité d’investir les tion prolétarienne de son objet, le jugement
s’efforce de faire déboucher certains emprunts appareils d’État sans les détruire que les vel- de fait du jugement de valeur. Le regain d’in-
méthodologiques à l’école althussérienne sur léités d’entreprendre la révolution culturelle térêt pour les travaux de Lukacs, de Korsch,
le terrain de l’analyse concrète. La préface, (idéologique et institutionnelle) avant de ren- de Gramsci, de Jakubowsky, procède du même
postérieure à Fascisme et dictature, qu’il a pro- verser l’ordre bourgeois. En un mot, Juquin et mouvement.
duite pour l’anthologie de Lindenberg sur son « sens du réel » s’accommodent du scien- Beaucoup de problèmes restent ouverts au
L’Internationale communiste et l’école de classe tisme d’Althusser, Mavrakis et son dogmatisme sujet de ces auteurs, mais ils se situent à l’in-
(éditions Maspero) confirme cette préoccupa- aussi. Leur point commun réside dans l’éva- térieur du camp qui rassemble des défenseurs
tion. Il y combat frontalement la déformation cuation de l’histoire et, par voie de conséquence, du matérialisme dialectique contre celui de
institutionnaliste qui verrait dans l’école le de la relation entre théorie et pratique. ses interprètes mécanistes, de Bernstein à Sta-
nœud social de la division en classes. En dépit Le néopositivisme d’Althusser (plus ample- line, d’Althusser à Juquin.
de recours conceptuels qui nous paraissent ment abordé dans le no 9 de la présente revue, 28 janvier 1973
discutables, cette courte préface témoigne d’une en particulier dans l’article de Michael Löwy) Critique de l’économie politique, n° 11-12,
problématique rendant possible un débat fruc- est l’expression d’une théorie qui fuit son passé avril-septembre 1973, éditions Maspero

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