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MASTER 2 INGÉNIERIE PÉDAGOGIQUE EN FORMATION D’ADULTES

ANNÉE UNIVERSITAIRE 2018-2019

CARL ROGERS
PSYCHOLOGUE ET PÉGAGOGUE HUMANISTE

Auteurs :
Myriam BENHADRIA et Laurent PAILHAC

Décembre 2018
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Table des matières

Introduction ........................................................................................................................... 3
I. De la théologie à la psychologie ..................................................................................... 3
II. Une théorie centrée sur la personne .............................................................................. 5
La congruence ..................................................................................................................... 8
La compréhension empathique ....................................................................................... 10
Le regard positif inconditionnel........................................................................................ 11
III. Une « Liberté pour apprendre »................................................................................. 12
Conclusion ............................................................................................................................ 14
Bibliographie ........................................................................................................................ 16

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Introduction

Par son approche centrée sur la personne, Carl Rogers va influencer largement la psychologie du 20ème
siècle. Son expérience au centre de guidance de Rochester largement exposée dans l’ouvrage La relation
d’aide et la psychothérapie paru en 1942, lui permet de développer une conception pragmatique de
l’entretien thérapeutique. Professeur universitaire, il transpose son approche à l’enseignement sans
jamais renoncer à son intérêt pour autrui. Liberté pour apprendre, paru en 1969, propose une vision
innovante de la place et de la posture de l’enseignant et par là même de l’apprenant. Son parcours,
l’évolution de ses idées, de sa pratique, alimentent toujours aujourd’hui la réflexion des personnels
soignants, des enseignants, des chercheurs, des éducateurs, des formateurs et ingénieurs pédagogiques.

Dans ces quelques lignes, nous proposons de comprendre le cheminement de la pensée de Carl Rogers
via son histoire de vie, d’en saisir les concepts clés et de cerner son impact dans la conception et
l’animation des formations d’adultes.

I. De la théologie à la psychologie

Carl Rogers naît au tout début du 20ème siècle, en 1902, dans une famille dont les racines américaines
étaient déjà bien ancrées. Ses parents instruits ont certainement contribué à son développement
intellectuel et spirituel. La religion prenait en effet une place importante au sein de la famille. Ayant
déménagé des faubourgs de Chicago à une ferme plus éloignée lors de son adolescence, Rogers fit le
choix d’étudier l’agronomie à l’Université du Wisconsin. Ce fut au terme de sa première année d’études
qu’il choisit de suivre sa vocation pastorale et se réorienta alors vers l’étude de l’Histoire.

C’est dans ce contexte qu’il fut choisi avec d’autres étudiants pour participer à un voyage en Chine dans
le cadre de la conférence de la Fédération mondiale des étudiants chrétiens. Il semble que ce voyage fut
la source d’un grand bouleversement personnel, grâce aux stimulations du groupe et de
l’environnement nouveau qu’il découvrit alors (Thorne, 1994). Il poursuivit ses études théologiques à
l’Union Theological Seminary de New York où son groupe d’étudiants organisa, avec l’accord de la
direction, un cours officiel sans professeur, élaboré en fonctions de leurs propres questions. Cela les
conduisit pour la plupart à une remise en question de leur vocation pastorale. Ce fut également le cas
pour Carl Rogers qui parallèlement suivait d’autres cours au Teachers’ College de Columbia, dont celui
de psychologie. C’est là un parfait exemple de l’auto-détermination de l’apprenant, facilité par la
souplesse du système universitaire de l’époque. Il finit d’ailleurs par abandonner ses études au séminaire
pour épouser totalement sa carrière de psychologue.

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Lors de ses travaux de recherche de doctorat, Rogers travailla auprès d’enfants et il y prit goût. C’est
ainsi qu’il prit un poste au département d’études de l’enfant de Rochester. Nous sommes alors dans
l’entre-deux guerres, à la fin des années 30 et il s’investira dans ce travail pendant une douzaine
d’années, afin de donner des réponses concrètes aux problèmes traversés par les enfants inadaptés et
souvent démunis qu’on lui adressait. Il confronta ainsi les théories qu’il avait pu adopter avec la dure
réalité du terrain, ce qui fut le point de départ de nouvelles idées qu’il formula par la suite. C’est à partir
de là qu’il commença à publier, en commençant par proposer sa vision du thérapeute « idéal », que nous
exposerons dans la deuxième partie.

Suite à cette première expérience, un poste de professeur lui fut proposé à l’université d’état d’Ohio où
il fut très prolifique. C’est là qu’il écrivit l’un de ses ouvrages majeurs : La relation d’aide et la
psychothérapie. De plus, il tissa une relation particulière avec ses étudiants, respectueuse et
encourageante.

En 1940 il donna une conférence à l’université du Minnesota, avec pour public des étudiants et leurs
professeurs de psychologie. Il s’adressait alors à des personnes convaincues que la psychothérapie se
devait d’être directive. Ce ne fut pas sans conséquences qu’il critiqua vivement ces théories avant de
développer son approche. Cela lui valu à la fois d’être admiré mais aussi d’être vivement critiqué.

Cela n’empêchera pas de présider pendant deux ans quelques années plus tard l’American Psychological
Association de 1946 à 1947.

Il fut ensuite invité à créer un centre d’aide personnelle par l’université de Chicago où il resta 12 ans.
Mais il refusa de le diriger au sens traditionnel du terme et s’efforça à établir un fonctionnement
démocratique où chacun avait sa place et son mot à dire. Cela ne fut pas aisé et vit l’émergence de
nombreux désaccords entre les protagonistes du centre. Néanmoins, cette époque fut très prolifique
jusqu’à ce que Rogers eût une période très difficile de crise personnelle due à une cliente complexe à
gérer. Il réussit à s’en sortir grâce aux collègues qu’il avait formés à sa vision de la thérapie. Il publia alors
en 1951 un autre ouvrage majeur : Client centered therapy.

Il prit un nouveau poste à l’université du Wisconsin, persuadé alors qu’il pourrait ainsi « répandre son
message » (Thorne, 1994). Les années qu’il y passa ne furent pas à la hauteur de ses espérances, malgré
son investissement. Il y publia néanmoins l’un des ouvrages les plus importants de sa carrière, Le
développement de la personne, qui reçut un succès phénoménal auquel il ne s’attendait certainement
pas.

Il finit par s’installer à La Jolla en Californie, pour intégrer l’Institut des sciences du comportement de
l’Ouest, qui s’intéressait aux relations interpersonnelles dans une vision dite « humaniste ». Il y travailla

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beaucoup sur les « groupes de rencontre », groupes restreints permettant de développer la
communication autour d’expériences vécues. Il en tira un livre : Les groupes de rencontre, qui reçut
encore un très grand succès, tout comme son livre précédemment publié une année plus tôt en 1969,
Liberté pour apprendre.
La fin de sa carrière et de sa vie fut marquée par plusieurs axes. Tout d’abord il créa le Centre de
recherches sur la personne où il réunit une quarantaine de personnes venues de différentes disciplines
qui avaient pour objectif commun de mieux connaitre l’être humain. Rogers y resta actif pendant une
vingtaine d’années encore, jusqu’à sa mort en 1987. Il dédia les dernières années de sa vie à l’étude de
problématiques plus généralistes tel que le couple ou la politique. Il usa de sa notoriété bien établie
pour donner des conférences sur ses théories centrées sur la personne à travers le monde, en particulier
là où se jouaient des conflits internationaux. Son souhait était en effet de voir émerger une paix
mondiale et éviter un conflit nucléaire, lui qui avait déjà vécu deux guerres mondiales.

II. Une théorie centrée sur la personne

« Je suis un psychologue ; un psychologue clinicien, à mon avis, un psychologue humaniste


sans aucun doute ; un psychothérapeute profondément intéressé par la dynamique du
changement dans la personnalité ; un chercheur, étudiant ces changements au mieux de ses
possibilités ; dans une certaine mesure un philosophe, en particulier dans le domaine de la
philosophie des sciences ou dans celui de la philosophie et de la psychologie des valeurs
humaines. En tant qu'homme, je me perçois comme essentiellement optimiste dans ma
manière de considérer la vie ; une sorte de solitaire dans mes activités professionnelles ;
plutôt timide dans mes relations quotidiennes mais aimant l'intimité avec autrui. » (Rogers,
1971)

Ainsi se raconte Carl Rogers en introduction d’un ouvrage autobiographique paru en anglais en 1967.
Ces quelques lignes invitent le lecteur au cheminement de la pensée de ce psychopédagogue. Rogers se
présente avant tout en psychologue clinicien s’appuyant notamment sur son expérience au centre de
« guidance » de Rochester à New York comme « conseiller pédagogique ». Pendant douze ans, il
accueillera des enfants, adolescents présentant des problèmes scolaires ou familiaux, de jeunes
délinquants dans le cadre d’entretiens thérapeutiques. C. Rogers appuie son expertise clinique sur des
expériences diversifiées avec un public adulte, notamment à travers des thérapies de couple.

Psychologue humaniste par cette vision positive de l’autre, s’intéressant à la « dynamique de


changement dans la personnalité », curieux de la rencontre. Il se raconte dans sa relation à l’autre,

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s’intéresse à son propre rapport à la relation. En cela, Carl Rogers est un chercheur, un philosophe
optimiste aimant à côtoyer l’intimité de l’autre.

Dans son ouvrage Counseling and psychotherapy paru en 1942 (traduit en français par La relation d’aide
et la psychothérapie), Carl Rogers présente la relation d’aide. Il s’agit pour lui, d’une « relation unique »
(Rogers, 2008) en ce sens qu’elle n’est pas une relation parent-enfant, pas plus une relation maître-
élève, médecin-patient, chef-subordonné, prêtre-paroissien. C’est une relation contenue dans le cadre
de l’entretien thérapeutique et/ou éducatif.

La relation d’aide se construit à partir de quatre qualités de l’aidant.


Premièrement, une posture chaleureuse et ouverte qui rend le lien possible. L’aidant accepte, il autorise
une relation affective dans ce cadre spécifique de l’entretien. Il montre un authentique intérêt pour la
personne en face de lui.
La seconde qualité de l’aidant réside dans sa capacité à se présenter dans une absence de jugement.
Son attitude compréhensive en toutes circonstances offre un espace dans lequel ce qui est
habituellement contenu peut s’exprimer. L’autre n’est jamais trop agressif, trop coupable, trop pervers,
trop fou, il peut venir avec ses pulsions, ses désirs les plus inavouables.
Pour que tout cela puisse se dire, il faut un cadre clair. Ainsi la troisième qualité de l’aidant est de garantir
un cadre suffisamment rassurant pour cette relation affective. L’aidant contraint la relation dans les
limites fixées par l’exercice de l’entretien : respect des horaires, des rendez-vous. Il s’agit pour lui de
gérer l’expression d’immédiateté, l’angoisse de la séparation exprimée par l’autre.
La dernière qualité de l’aidant est de savoir ne pas user de moyens de pression sur la personne. Il ne la
soumet pas à ses propres désirs, à ses interprétations, à ses avis. Il ne conseille pas, ne suggère pas mais
laisse à l’autre l’espace de sa propre élaboration.

Dans Counseling and psychotherapy, C. Rogers considère le counseling et la psychothérapie « comme


une seule entité dont la caractéristique essentielle est la relation d’aide à la personne » (Segrera, 2012).
Les deux font référence à la mise en place de plusieurs consultations directes avec une personne en vue
de l’aider à produire un changement.

Le terme counseling n’a pas son équivalent en français. Il pourrait se traduire par « conseil » mais cela
reste restrictif et peu en adéquation avec l’idée de Rogers. Selon Denise Vincent et Nazir Hamad (2001),
le counseling est « un ensemble de pratiques aussi diverses que celles qui consistent à orienter, aider,
informer ou traiter ».

S. Segrera écrit « de nos jours, le counseling se situe dans le monde éducatif» (2012). En cela, il l’oppose
au modèle médical qui a vocation à traiter la maladie. Le counseling facilite un apprentissage par la
personne elle-même. Ce travail passe par le respect et l’estime de soi pour prendre conscience de ses

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empêchements, ses attitudes, ses comportements et mettre en œuvre ce qui est nécessaire. Ce modèle
est en opposition à une représentation du modèle médical qui considère la personne comme un patient,
dans une posture d’attente, en situation d’infériorité.

Dans « La relation d’aide et la psychothérapie », Carl Rogers prend l’exemple d’un entretien avec Sam.
Cet élève est scolairement doué mais pose des problèmes de comportement en classe. Au second
entretien, le psychologue se propose d’expliquer à Sam les raisons de son comportement. Il lui dit que
son comportement est lié au fait qu’il se sent méprisé, qu’il cherche à affermir sa confiance en lui.

L’analyse du psychologue est juste, elle n’est pour autant pas acceptable pour Sam.

Autre exemple, C. Rogers raconte un de ses entretiens. Arthur est orienté en cours de rééducation par
un professeur qui pense que ses habitudes de travail ne sont pas bonnes. Les résultats d’Arthur s’en
ressentent. Arthur vient chercher une aide auprès de Carl Rogers sans que l’on sache si cela est une
démarche personnelle. Il explique que c’est Madame G. qui lui a suggéré de participer au cours de
rééducation. Rogers souligne donc que s’il vient au cours, c’est pour Madame G. Arthur s’offusque, il
oppose son besoin de se perfectionner. Il aménage une version transitoire : « je ne viens pas parce
qu’elle le veut et je trouve un intérêt dans cette démarche. » Finalement, dans un énième entretien,
Arthur déclarera : « j’ai pensé que j’en avais besoin, et c’est pourquoi je me suis inscrit (Rires) » (Rogers,
2008).

C. Rogers offre à ce moment un espace autre que celui du psychologue de Sam. Arthur est écouté,
accompagné dans son propre cheminement. Il élabore lui-même la solution face à la difficulté qui le
préoccupe. Au début de l’entretien, Arthur ne prend pas de responsabilités. Il va au cours parce que le
professeur le lui impose. Il connaît ensuite une seconde phase en acceptant une responsabilité partagée
pour aboutir à sa pleine et entière responsabilité dans le choix de ce cours en fin d’entretien. La
résolution du problème d’Arthur par Arthur lui offre la valeur de la résolution. Il est dédouané de toutes
dépendance à « celui qui sait », le docteur, le savant pour devenir l’acteur de la résolution de ses
difficultés.

La démarche de Carl Rogers permet de mieux saisir ses choix terminologiques. Dans ce processus
thérapeutique, émerge le « client ». Le client sort de la condition du patient. Il n’est plus le patient passif
qui reçoit sans s’y opposer la solution proposée par le thérapeute. Il est acteur. Il ne fait plus face à celui
qui sait. Il participe à l’élaboration de sa propre solution.

Dans ce même processus thérapeutique, Rogers se propose comme un « aidant ». Loin de ce que
propose le psychologue de Sam. Carl Rogers offre le droit à la personne de faire son propre

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cheminement. Il crée un espace relationnel qui interroge le thérapeute au même titre que le patient. Il
installe les protagonistes dans un rapport de face à face.

Cette question du face-à-face peut s’invoquer dans diverses dimensions. Georg Simmel, sociologue et
philosophe sur cette question écrit : « mais tout l’entretien entre hommes, leur compréhension
mutuelle ou leur répulsion réciproque, leur intimité et leur froideur changeraient d’une façon
incalculable s’il n’y avait le regard face à face : à la différence de la simple vision ou observation d’autrui,
ce regard implique une relation avec lui entièrement nouvelle et incomparable» (Depenne, 2013).

L’entretien offre à l’aidant un même espace qu’à celui du client. Tous deux se rencontrent dans ce face
à face qui permet que chacun se reconnaisse. Loin de la simple observation d’autrui par le thérapeute,
conseiller, éducateur, soignant, la question centrale pour Rogers est la relation.

En cela, il reconnait l’autre comme une extériorité, met au centre la question de l’altérité, interroge une
éthique de la primauté de l’autre au même titre que Levinas.

La mise en œuvre de cette éthique de travail chez Rogers s’exprime de façon pragmatique. Il construit
la posture de l’aidant sur trois grands principes : la congruence, la compréhension empathique et le
regard positif inconditionnel.

La congruence

« Congruence » est un mot mathématique, l’expression d’une égalité : « relation exprimant que deux
nombres donnent le même reste » (Petit Larousse en couleurs, 1980). Ce qui est congru prend dans son
origine latine la signification de « conforme, convenable, juste, correct » (Rey, 1998) qui prend ses
racines dans « Congruere », se rencontrer, être en accord.

Si la congruence invite à la conformité, la convenance, la justesse, à la correction, elle n’est pas la


sincérité. Dans le contexte de l’entretien rogérien, il ne s’agit pas pour l’aidant d’indiquer
systématiquement ce qu’il ressent, de faire état de ses états (Temaner Brodley, 2013). Selon Barbara
Temaner Brodley, la sincérité crée des distorsions. En laissant apparaitre systématiquement, sans
discernement ses réactions, l’aidant est dans la réaction. Les distorsions naissent de ses propres
interprétations et représentations.

La congruence est un concept évolutif dans la pensée rogérienne. Les premières traductions françaises
nous amènent vers l’idée de l’adaptation. En 1951, Carl Rogers écrit :

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« L’adaptation psychologique existe lorsque le concept du self1 est tel que toutes les
expériences viscérales et sensorielles de l’organisme sont assimilées ou peuvent l’être au
niveau symbolique dans une relation compatible avec le concept du self. » (Temaner
Brodley et al., 2013)

Cette idée de l’adaptation telle qu’elle est définie alors par Rogers invite à concevoir que l’aidant soit
lui-même dans une propre acceptation de ses expériences de tout ordre. En psychanalyse, le Self de D.
W. Winicott est à la fois le moi, le ça et une partie du surmoi. C’est la voie de la créativité et comme pour
Rogers un chemin d’accès au symbolisme qui permet d’accueillir l’autre dans une acceptation de ce qu’il
est.

Au terme d’adaptation, Rogers substituera dès 1957 les idées de congruence ou d’authenticité,
aujourd’hui encore usités. L’évolution du concept prend tout son sens à la lumière du contexte de
l’entretien. La congruence met l’accent sur la connaissance de l’aidant de ce qui est agissant en lui. Il ne
s’agit plus de la simple adaptation à l’autre mais bien d’être soi-même dans le contexte spécifique de
l’entretien.

C. Rogers écrit en 1957 :

«[…] le thérapeute, dans le cadre de cette relation, doit être une personne intégrée,
authentique, congruente. Cela signifie que, au- dedans de la relation, il est profondément
et librement lui-même, avec son expérience réelle exactement représentée par la prise de
conscience qu’il a de lui-même (…). Cela inclut clairement qu’il soit lui-même, y compris
de manières qui ne sont pas considérées comme idéales pour la psychothérapie. »
(Temaner Brodley et al., 2013)

Ainsi, la congruence n’est rien d’autre que cette faculté de l’aidant à être lui, face à l’autre. Il n’est pas
lui dans une absolue sincérité, il est lui dans ce cadre si particulier de l’entretien. La congruence propose
à l’aidant de ne pas être dans la seule question de l’autre mais dans celle du moi avec l’autre. La
congruence, c’est être soi-même, dans son authenticité. C’est être soi dans cet appétit de l’autre, pour
la rencontre. La congruence est l’expression d’un altruisme dans ce contexte de l’entretien
thérapeutique à vocation éducative ou thérapeutique.

La congruence est un concept, le concept d’un psychologue clinicien qui côtoie son public. Elle est
innovante dans la relation thérapeutique, a un réel intérêt éducatif encore aujourd’hui dans le contexte
de la formation des adultes.

1
En anglais « self » est un mot variable, non unitaire et parfois sujet. En cela il diffère du français « soi » dont
l’utilisation grammaticale est plus restrictive.

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Pourtant la congruence, selon Carl Rogers, ne suffit pas. L’aidant doit aussi être en capacité de faire
preuve de compréhension empathique.

La compréhension empathique

Qu’est-ce que l’empathie ? Une force de l’intelligence qui met en jeu notre expérience ? L’expression
d’une aptitude naturelle, absolument normale, banale d’un rapport à l’autre ? Et si l’empathie n’était
que l’expression d’une nécessité de survie physique et sociale (Shlien, 2010). L’empathie n’est pas le
propre de l’homme, elle est, à minima, l’expression d’une fonction de communication de tous les
mammifères sociaux.

Empathie : « n. f. attesté au XXème siècle, est composé, d’après sympathie, de


em « dedans » et pathie du grec « pathos » ce que l’on éprouve. Cette formation
semble s’être effectuée en anglais, où empathy est attesté dès 1904, pour traduire
l’allemand Einfühlung, mot employé par T. Lipps, créateur du concept en
psychologie (1903) » (Rey, 1998)

C. Rogers raconte sa rencontre avec Otto Rank2 , à Rochester dans le cadre d’un atelier. En engageant
une travailleuse sociale de la Philadelphia School of Social Work émerge l‘idée que la meilleure réponse
aux sentiments est de respecter ces sentiments. La compréhension empathique pour C. Rogers est une
attitude, une démarche intentionnelle. Elle est « l’adoption volontaire d’une disposition intérieure et
extérieure face à autrui » (Priels, 2016).

Ainsi, l’empathique se réfère à l’idée qu’un vécu personnel offre la possibilité d’une compréhension du
vécu de l’autre. S’il ne s’agit pas de « je l’ai vécu et je comprends ce que tu vis », nous sommes plutôt
dans « peu importe ce que j’ai vécu, je suis dans ce que tu vis ».

Edmund Husserl (1859-1938) amène la notion d’empathie dans ce « moi » qui ressent l’autre. Il introduit
ainsi l’idée d’altérité qui sert à la compréhension de la démarche de Rogers. Husserls ouvre une double
compréhension de l’empathie, celle de voir l’autre comme un être incomparable et celle de l’épreuve
de la rencontre. Il invite à accueillir la rencontre avec l’autre comme un moment unique, premier, aussi
formidable que la découverte d’une ville, d’une région, d’un pays, d’une planète. De cette rencontre,
l’aidant ne sort pas indemne. Il est impliqué, il est le joueur et le joué. (Depenne, 2013)

Ainsi, l’empathie n’est pas cette simple idée d’accueillir l’autre. L’empathie nécessite cette congruence
précédemment évoquée, la nécessité d’être en accord avec soi-même, son self, pour accueillir l’autre.

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Otto Rank, psychanalyste autrichien, proche de S. Freud. Auteur de Traumatisme de la naissance.

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Dans cette condition et uniquement dans cette condition peut émerger ce troisième impératif essentiel
au counseling rogérien, le regard positif inconditionnel.

Le regard positif inconditionnel

Le regard positif inconditionnel répond à un besoin humain, pas une évidence. Il nécessite de l’avoir
éprouvé soi-même de la part d’un autre avant de pouvoir l’exprimer. Il affecte l’autre comme il nous a
affecté. Le regard positif inconditionnel accompagne logiquement la congruence et une compréhension
empathique bien au-delà de la seule relation thérapeutique.

Ruth Sanford, enseignante psychothérapeute qui a travaillé avec C. Rogers, interroge cette acceptation
inconditionnelle (Sanford, Stora, & Ducroux-Biass, 2009). Cela veut-il dire que je suis d’accord avec tout,
même l’inacceptable ? Elle écrit :

« Lorsque je peux regarder au-delà de l’acte que je déplore pour voir l’auteur de cet acte
comme une personne unique, humaine et faillible comme je le suis, et faire toujours
confiance à mon expérience personnelle profonde ; lorsque je peux être ferme dans mes
convictions et laisser de la place à celles de l’autre, j’apprends à vivre le regard positif
inconditionnel dans une grande variété de relations. »

Ainsi, le client n’est pas vu comme l’auteur d’actes mais tel qu’une personne à part entière. Dans cette
perception, l’aidant peut tout entendre, tout accepter de la parole de l’autre en restant cohérent avec
ce qu’il est lui. Par le regard positif inconditionnel, l’aidant ouvre l’espace d’une liberté d’expression.

C. Rogers explique sa démarche :

« L’aidant encourage l’expression libre des sentiments en ce qui concerne le problème.


Dans une certaine mesure cela est déterminé par l’attitude amicale, intéressée, réceptive
du psychologue. Dans une autre mesure cela est dû au perfectionnement de la
technique de l’entretien de traitement. Petit à petit nous avons appris à nous abstenir
de bloquer le flot d’hostilité et d’anxiété, les sentiments d’inquiétude et de culpabilité,
les ambivalences et les indécisions qui s’expriment librement… » (Rogers, 2008)

Ainsi le regard positif inconditionnel offre la perspective d’une double compréhension. Celle de l’accueil
de la parole de l’autre, de son problème quel qu’il soit et celle de sa capacité à accueillir l’anxiété,
l’agressivité de l’autre avec bienveillance. Cette attitude nécessite une technicité, une capacité à
maitriser l’agressivité de l’autre dans une pleine conscience qu’elle n’est que l’expression de son
angoisse.

La congruence, la compréhension empathique, le regard positif inconditionnel sont les trois attitudes
fondamentalement indispensables à la relation d’aide. Elles sont à la fois simples et d’une extrême

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complexité. C. Rogers n’a eu de cesse d’en affiner la conceptualisation tout au long de son expérience
de thérapeute.

III. Une « Liberté pour apprendre »

Nous l’aurons compris, l’approche centrée sur la personne bouscule les codes établis concernant la
relation thérapeutique ou éducative. Le thérapeute n’est plus considéré comme celui qui possède le
savoir ou la clé qui permettra au patient de guérir mais bien comme un facilitateur pour son client qui
trouvera avec son aide la solution à ses problèmes. Ce que Rogers met en lumière, c’est la relation
éducative et non plus thérapeutique du psychologue pour son client. En effet, « de nos jours, le
counselling se situe dans le monde éducatif […]. Dans ce modèle, le travail consiste à faciliter un
apprentissage pour la personne concernée et à l’aider dans la recherche d’une voie. » (Segrera, 2012)

Carl Rogers a beaucoup enseigné au cours de sa vie et a beaucoup écrit à ce sujet. Afin de synthétiser
ses pensées sur sa vision de l’éducation, il a écrit « Liberté pour apprendre », publié en 1969.

Au travers d’exemples d’expérimentations réalisées par des enseignants et lui-même à différents


niveaux (secondaire, études supérieures et doctorants), il montre qu’un autre type d’éducation est
possible. L’enseignement traditionnel est largement adapté au public. La créativité est de mise, qu’il
s’agisse des apprenants ou des enseignants. La question de la motivation est cruciale : comment faire
en sorte que les élèves du secondaire ou les étudiants se sentent concernés par les enseignements qu’ils
doivent suivre tout en leur laissant une liberté quasi-totale ?

Rogers parle de sa propre expérience à l’Institut des sciences du comportement de l’Ouest où il a pris
part à un programme de doctorat pour lequel il avait été décidé qu’il serait original et non conventionnel.
Cela passait par faire « confiance à l’étudiant plutôt que de chercher à l’évaluer ou à le punir » et de les
encourager plutôt que de les menacer continuellement par les examens » (Rogers, 2013) . Par ailleurs
« le programme serait aménagé de manière à rencontrer au maximum les besoins de chacun plutôt qu’à
faire avancer les étudiants selon des schèmes préétablis » (Rogers, 2013). Cela dénote avec la tradition
universitaire parfois rigide concernant les programmes et les évaluations. On a souvent à tort assimilé
Rogers au terme de « non-directivité ». Or bien que ce soit un terme qu’il a effectivement utilisé, il a fini
par l’abandonner. Il y préférera en effet le terme d’ « autodirection » (Marquet, 1972). Cela permet en
effet de mettre l’apprenant au centre du processus éducatif plutôt que le maître. Le terme « non-
directif » peut paraître en effet négatif et faisant référence à l’attitude du maître plutôt qu’à celle de
l’étudiant.

Dans son ouvrage, Carl Rogers remet en cause l’action d’enseigner. Pour lui, enseigner ne servirait à rien
car cela ne modifie pas le comportement des apprenants. C’est en substance ce qu’il avait exprimé une

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quinzaine d’années auparavant en 1954 lors d’un séminaire à Harvard. Cela avait été vécu comme un
réel choc par tous ceux dont c’était l’activité principale, d’autant plus qu’il l’exprimait au sein-même de
cette université qui s’érigeait déjà comme un temple du savoir.

Dans ce cadre-là, l’enseignant n’est plus vu comme quelqu’un qui dirige, mais plutôt comme un
facilitateur. Rogers établit une différence entre enseigner et apprendre. Enseigner signifie « transmettre
des connaissances ou une technique […]. Faire savoir […]. Montrer, guider, diriger. […] Pour moi,
enseigner constitue une activité relativement peu importante et largement surfaite » (Rogers, 2013).
Voilà ce que pense Rogers de l’activité d’enseignement, qui se perpétue à peu de choses près de la
même manière depuis des siècles. Il nous enjoint à accepter que l’enseignement se doit d’être
simplement de « faciliter le changement et l’apprentissage » et que « le seul individu formé, c’est celui
qui a saisi qu’aucune connaissance n’est certaine et que seule la capacité d’acquérir des connaissances
peut conduite à une sécurité fondée » (Rogers, 2013). Il précise que selon ses observations, le seul
apprentissage qui permet à l’individu de changer ses comportements c’est celui qu’il effectue seul ou
du moins qu’il découvre lui-même au cours de ses propres expérimentations. Le fait qu’il se le soit
approprié lui-même lui permet alors de lui accorder une plus grande valeur et de le prendre en compte
comme une expérience vécue qu’il pourra remobiliser ultérieurement.

Carl Rogers explique en outre que « l’ingrédient le plus important que le facilitateur apporte au groupe,
c’est la confiance » (2013). Cela rejoint les théories qu’il a développées autour de la psychothérapie.
C’est finalement la confiance qu’il accorde à son interlocuteur, qu’il soit client ou apprenant, qui conduit
celui-ci à l’atteinte d’un but, le plus souvent la guérison ou la réussite. Avoir confiance dans les capacités
de chaque individu amène l’enseignant à passer d’un rôle de maître omnipotent à celui de facilitateur
permettant à chacun de s’auto-diriger dans sa formation. Cette confiance nécessite d’être entière et
non feinte et rejoint le concept de regard positif inconditionnel. Cela sous-entend que l’on apprécie la
personne dans son entièreté, ou encore qu’on l’accepte, quelles que soient ses expériences (Rogers,
2016).

Au regard de ce changement de façon d’enseigner, Rogers a pu observer des modifications des


comportements de ses étudiants. Dans les témoignages qu’il a pu recueillir, certains expliquent avoir lu
pour la première fois pour leur propre satisfaction et non pas pour faire plaisir au professeur et avoir eu
des lectures qui les ont fortement marqués. A propos des groupes dans lesquels ils ont évolué, ils
évoquent pour la plupart le fait d’avoir été eux-mêmes pour la première fois (Rogers, 2013). Et d’ajouter :

« Il paraît évident que lorsque les étudiants perçoivent qu’ils sont libres de poursuivre leurs propres
objectifs, la plupart d’entre eux s’engagent personnellement davantage, travaillent avec plus
d’acharnement, retiennent et utilisent plus de choses que dans les cours traditionnels. » (2013)

13
Afin de donner des clés aux enseignants afin de passer à un rôle de facilitateur, Rogers utilise plusieurs
méthodes. Celle des groupes de rencontre qu’il utilise en psychothérapie est la principale, transposée à
un contexte éducatif. Il précise que les enseignants doivent prêter attention à répondre à des problèmes
que les personnes perçoivent comme réels pour elles afin de réussir leur enseignement (2013). Cela fait
évidemment écho à la phrase « culte » de Bertrand Schwartz qui dit qu’ « un adulte n’est prêt à se
former, que s’il trouve, ou s’il peut espérer trouver dans la formation qu’on lui offre, une réponse à ses
problèmes, dans sa situation3 ».
Rogers préconise par ailleurs l’utilisation de contrats à établir conjointement entre l’enseignant et les
apprenants. Cette méthode a été largement reprise dans les formations d’adultes, surtout lorsque
certains d’entre eux se trouvent en difficulté.
La simulation lui parait également importante à utiliser afin de constituer de l’expérience proche des
situations qui peuvent être vécues dans la réalité et ainsi participer à l’engagement de l’individu. Cela
ramène à l’apprentissage en situation de travail, méthode très souvent employée aujourd’hui dans les
formations d’adultes professionnalisantes.

L’apport de Carl Rogers à la pédagogie est très large et nous interroge sur nos pratiques de
professionnels de l’éducation des adultes. Il semble primordial d’accorder une place centrale à
l’apprenant et de lui donner les clés qui lui permettront de se sentir pleinement investi de son propre
apprentissage. La confiance qui lui est témoignée par le formateur est un moteur, une motivation
supplémentaire à celle qu’il s’est fixé en entrant en formation. Il est donc du devoir de chaque acteur de
la pédagogie de prendre conscience que son métier ne se limite pas à la transmission unidirectionnelle
d’un savoir.

Conclusion

S’il se définissait aisément comme psychologue clinicien, psychologue humaniste, philosophe, les
apports des travaux de Carl Rogers sont indéniables pour la pédagogie. Sa perception de l’autre, son
intérêt pour la rencontre ont ouvert la voie à des pratiques multiples et innovantes. Son expérimentation
des groupes de rencontre trouve écho aujourd’hui dans les micro-communautés d’apprentissage qui
proposent la co-élaboration d’un savoir. Ces expériences suggèrent un repositionnement de
l’enseignant, devenu facilitateur des apprentissages. Son rôle consiste alors à aider à la bonne utilisation

3
B. Schwartz, L’Éducation demain, 1973, Paris, Aubier-Montaigne.

14
des sources d’information et à la reformulation de la réflexion collective, à l’image de ce que Carl Rogers
a pu initier au milieu du XXème siècle.

L’ingénieur pédagogique est au cœur de ce monde en mutation. Il peut trouver son inspiration dans la
pensée rogérienne tout en restant attentif aux changements technologiques et sociétaux. La conception
de la formation formelle comme seul espace d’apprentissage des adultes semble définitivement
obsolète dans ce monde qui nous apparait en constante accélération.

Aussi, ne trouve-t-on pas chez Rogers « la légitimation la plus éclatante de l’autoformation comme
moyen de recouvrer la « liberté pour apprendre » (Carré, in Carré et al., 2010), figure incontournable
d’un apprentissage par et pour soi-même, commençant à la création de nos premiers réseaux neuronaux
pour s’éteindre avec la dernière étincelle électrique de notre cerveau ?

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Bibliographie

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