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LES REPÈRES FONDAMENTAUX

LES REGISTRES
CHAPITRE

1 Le registre comique
(PAGES 20 à 29)

Le registre comique permet de rendre compte d’une attitude de l’homme


devant la vie. La littérature témoigne de cette dimension essentielle de
l’humain, qui se retrouve à travers les diverses formes du comique, qu’il
s’agisse des jeux du langage, des situations provoquant le rire (quiproquo,
sous-entendu, exagération, répétition), de tout ce qui relève des effets de
la mécanique plaquée tout à coup sur le vivant (Bergson). Du burlesque
au plus subtil, entre la farce et l’humour, le comique naît ainsi d’une
rupture dans l’ordre logique, d’une contestation des habitudes et des
valeurs sociales qui sont mises à nu. « Quand il rit, quand le vin gargouille
dans sa gorge, le vilain se sent le maître, car il a renversé les rapports de
domination », écrit Umberto Eco dans Le Nom de la rose. Le corps – habi-
tuellement refoulé – s’exhibe ; le puissant est tourné en dérision ; les pré-
tentions, les vanités, les ridicules s’effondrent dans le rire, dont les autorités
ont toujours redouté la formidable puissance de subversion.

OBSERVATION
(PAGES 20-21)

Introduction
Molière utilise merveilleusement la tradition héritée de la comédie antique et de
la farce médiévale pour développer ses propres comédies de caractère. Désormais
la réflexion et le rire se confondent. Le comique n’est plus limité aux genres «bas»
de la littérature. Les faiblesses et les défauts des hommes sont étalés sur la scène,
pour essayer de les corriger, ou de leur donner – au moins le temps d’une repré-
sentation – un regard lucide sur eux-mêmes. « C’est une entreprise hardie que
d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose. » Cette hardiesse est aussi le
courage de dénoncer toutes les formes d’aveuglement, tous les abus de l’autorité.
La Fontaine et La Bruyère partagent la même intention. C’est dans le comique
que Molière trouve le moyen de relever ce défi.
7
Réponses aux questions
I. La rupture dans l’ordre logique
1. La réaction d’Orgon étonne car elle n’est pas celle qu’on attendrait :
il aurait dû se préoccuper de la santé de son épouse malade et il préfère
s’enquérir de l’état de celui qui se porte admirablement ; ce qui fait rire, c’est qu’il
s’agit d’une sorte d’inversion du comportement logique.
2. La chute de Sganarelle vient clore un raisonnement qui tend à prouver que la
machine humaine est merveilleusement conçue et qu’elle répond à une nécessité
supérieure. Elle prête à rire car la chute physique coïncide avec l’échec de la
démonstration. S’il y a un point commun entre le rire provoqué par Orgon et le
rire provoqué par Sganarelle, c’est que dans les deux cas on joue sur la logique :
les comportements des deux personnages se révèlent absurdes.

II. Les surprises du langage


3. Le procédé de la répétition dans l’extrait de Tartuffe produit un effet comique
car il montre avec insistance combien Orgon est ridicule de plaindre Tartuffe qui
se porte au mieux.
Remarque. Le nom de Tartufo (truffe) était le nom d’un personnage de la comédie
italienne. Le nom commun « tartuffe » était employé bien avant la pièce de
Molière, dans le sens de « simulateur », « trompeur ». Mais, comme l’écrit Fure-
tière, « Molière a enrichi la langue de ce mot par une excellente comédie à qui il
a donné ce nom ». Le mot a également donné le dérivé « tartuferie » (ou « tartuf-
ferie »), encore vivant aujourd’hui.
4. Sganarelle tente de raisonner mais le burlesque de son argumentation fait
sombrer sa bonne volonté dans le ridicule. C’est un flot de paroles, où le valet
s’écoute parler, car il a une haute opinion de lui-même : « personne ne saurait se
vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit juge-
ment, je vois les choses mieux que tous les livres ». Noyé dans son flot de paroles,
il se perd et s’embrouille. Il considère aussi que l’énumération a un pouvoir de
conviction alors qu’elle ne fait qu’alourdir ses inconvenances. Ce discours est
donc une parodie grotesque de démonstration théologique qui aboutit à l’inverse
du résultat recherché.

III. La situation comique


5. La situation d’Orgon et de Sganarelle est comique car, pour chacun d’eux, il
y a un écart entre les réactions ou les propos tenus et le sérieux du sujet ; il y a
inadaptation des comportements à la situation.
6. Les deux personnages ont des ridicules liés à leur caractère : Sganarelle,
par la fréquentation quotidienne de son maître, croit pouvoir parler en philo-
sophe ; d’ailleurs, c’est cette forme de cuistrerie qui apparaissait dès sa première
phrase dans la première scène : « quoi qu’en pense Aristote… ». Orgon, lui, est
« amoureux » de Tartuffe bien plus qu’il ne l’est de sa femme, au point d’en être
aveuglé de façon fatale pour sa maisonnée et ses biens.
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EXERCICES
(PAGES 25 à 28)

Étudier la rupture dans l’ordre logique


Exercice 1B
1. Ce texte de Jean Anouilh fait référence à une fable de La Fontaine : « La Cigale
et la Fourmi ». La mise en relation est immédiate, puisque les premiers mots sont
les mêmes que ceux de La Fontaine : « La cigale ayant chanté/Tout l’été… ».
Ensuite, la fable de référence est à plusieurs reprises répétée par le recours à la
citation: « se trouva fort bien pourvue quand la bise fut venue » reprend le fameux
«se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue»; «elle alla trouver un renard»
reprend « elle alla crier famine ».
2. Si la situation de départ est similaire à celle de la fable de La Fontaine, l’écart
se crée rapidement, et l’on précisera même qu’il s’agit d’une situation inversée :
la cigale plutôt que de se trouver « fort dépourvue » au contraire « en avait à
gauche, en avait à droite » (v. 6) et cherche les meilleurs placements pour sa for-
tune. Quant au renard, il se révèle être un prêteur professionnel, alors que « la
fourmi n’est pas prêteuse ».
Remarque. Le recueil de Jean Anouilh permet un certain nombre de comparai-
sons de ce type. Après avoir mis en évidence, avec « La Cigale et la Fourmi »
comment fonctionnent les reprises et les écarts, on peut proposer aux élèves d’ima-
giner à leur tour la parodie d’une autre fable choisie par Anouilh. À l’issue de
leur propre travail, on peut alors leur montrer ce qu’en a fait Anouilh.

Exercice 2B
1. On découvre un jeune homme au sourire narquois vers lequel sont tournés les
regards d’un couple dont la tenue indique qu’ils vont se marier. L’ironie mani-
festée par le jeune homme fait sourire car elle est inattendue dans de telles cir-
constances. Il est d’usage que chacun félicite les jeunes mariés en se réjouissant
de leur choix.
2. La photographie d’Elliot Erwitt joue sur l’écart. Le jeune homme et le couple
ont des attitudes opposées : corps incliné pour le premier, raideur des seconds ;
sourire ironique qui s’oppose à la mine interrogative ou craintive des jeunes
mariés. Le rapprochement des deux attitudes dans le même espace (peut-être la
salle des mariages) souligne l’écart. Le spectateur peut penser que le jeune homme
est le témoin du mariage et qu’il n’est pas dupe de cette institution. Il semble pos-
séder une expérience supérieure au jeune couple qui craint la signification de son
sourire. Le spectateur, habitué aux situations vaudevillesques, peut lire dans cette
image que le jeune homme a été amant de la future mariée ou qu’il imagine des
stratégies pour la séduire.
3. « Pour le moins bon et pour le pire » (détournement d’une expression atten-
due) ou bien « Cupidon s’en fout » (allusion à une chanson de Brassens).
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Analyser le jeu sur les mots
et sur les niveaux de langage
Exercice 3B
1. Deux réseaux lexicaux dominent dans le texte d’Albert Camus. D’abord celui
de la boxe : « ring », « rallonge », « puncheur ». Ensuite celui du débat contradic-
toire : « défend », « discussion », « plaidoyer », « persuasion », « contradicteur ».
2. L’utilisation des deux réseaux lexicaux rend insolite et amusant le récit du
match de boxe. En effet, on a l’impression que le combat tient à la fois du sport
mais aussi d’un débat contradictoire. Ce mélange est comique dans la mesure où
les coups sont ici assimilés à des arguments. On a une sorte de comique par ren-
versement, puisque d’ordinaire on recourt aux arguments précisément pour ne
pas recourir aux coups !

Exercice 4BB
1. La première expression détournée par Queneau se trouve à la première ligne :
« Il pleuvait à pierre fendre » qui est formée à partir de l’expression courante « Il
gèle à pierre fendre » dont l’auteur a transposé le verbe. La seconde expression
figure à la ligne 9 : « testa du hochet ». Raymond Queneau a inversé certaines
lettres ainsi que la place des termes, transformant ainsi une expression qui ini-
tialement était « il hocha de la tête ».
2. À deux reprises Queneau utilise des mots anglais mais qu’il écrit à la façon
française, ce qui les rend étranges et amusants : « ouateurproufe » (l. 8), « oué-
zeur » (l. 18).

Exercice 5BB Vers le commentaire


1. Dans cet extrait du Malade imaginaire, Argan, une fois de plus, s’inquiète de
son état de santé. À l’occasion d’une rencontre avec les Diafoirus, père et fils,
médecins de leur état, il leur demande de bien vouloir vérifier comment il se porte.
2. Les termes en italique sont tous d’origine grecque ou latine. Ils appartiennent
parfois à un vocabulaire pseudo-scientifique (exemple : parenchyme spiénique),
mais, avant tout, ils traduisent la déformation professionnelle des Diafoirus qui
apprécient de faire valoir leur prétendu savoir en utilisant un langage incompré-
hensible pour le commun des mortels.
3. À travers cet extrait du Malade imaginaire, Molière se moque des médecins
en montrant quelques-uns de leurs travers ridicules. C’est notamment le cas de
leur prétention, de leur pédantisme, qui s’affichent à travers l’utilisation d’un
vocabulaire emprunté au latin : ainsi, même s’il s’agit d’apporter des réponses
simples, les deux Diafoirus préfèrent utiliser le latin comme pour mieux donner
l’illusion de leur supériorité intellectuelle.
Remarque. Le personnage du médecin vaniteux est un des personnages de la
commedia dell’arte. C’est à travers des personnages comme Monsieur Diafoirus
et Monsieur Purgon que l’on mesure tout ce que Molière doit à la tradition de
la farce, qu’il sait cependant parfaitement intégrer à ses comédies nouvelles. Au
10
début du XVIIe siècle, qu’il s’agisse de l’Histoire comique de Francion de Sorel
ou du fragment de son Histoire comique qu’a laissé Théophile de Viau, le mot
« comique » désigne immédiatement une représentation du corps, dans sa maté-
rialité, dans ses fonctions organiques, dans ses désirs charnels. Les farces, les
fabliaux, Rabelais, le Parnasse satirique : tout ce qui se donne comme « comique »
est suspect. Il est le levier d’une subversion contre la censure esthétique, poli-
tique ou religieuse. Molière poursuit cette tradition en donnant cependant, à
travers le renouvellement complet qu’offre son théâtre, ses lettres de noblesse à
la comédie.

Exercice 6B
– Pourquoi tant d’ADN : référence à « pourquoi tant de haine ». Jeu sur la proxi-
mité sonore entre les deux termes, qui laisse supposer la polémique dont il peut
être question dans l’article.
– La cage aux fioles : référence au titre de la pièce (et du film) La cage aux folles.
Jeu sur la proximité sonore suggérant la folie qui a gagné le monde du sport,
envahi par le dopage.
– L’offensive du général Cyber : même principe que les titres précédents avec le
détournement de l’expression « le général hiver ».
– En letton armé : cet autre titre du Canard enchaîné joue sur le même procédé
en détournant l’expression « en béton armé ».
– L’igloo du spectacle par référence au « clou du spectacle ».
– Toubib or not toubib pour « to be or not to be », l’expression par laquelle com-
mence le monologue de Hamlet chez Shakespeare.
– Tour de France : des contrats au dope niveau au lieu de « top niveau ».

Rechercher et étudier le quiproquo


Exercice 7B
1. Dans ce résumé de la pièce d’Eugène Labiche, plusieurs quiproquos sont exploi-
tés pour provoquer le comique. Dans la scène 3, les invités se croient à la mairie
alors qu’il s’agit d’un magasin de chapeaux, le quiproquo est renforcé par l’in-
tervention d’un commis avec des écharpes tricolores, qui bien entendu est pris
pour le maire. Ce quiproquo se poursuit puisque, dans la scène 9, les invités au
mariage continuent de suivre le commis, le prenant pour le maire.
2. Il existe donc deux types de quiproquos dans cet acte. Le premier est un qui-
proquo sur les lieux puisque les invités se croient à la mairie alors qu’il s’agit d’un
simple magasin, le second est un quiproquo sur l’identité d’un personnage : le
commis est pris pour le maire.

Exercice 8BB Vers l’écrit d’invention


1. Monsieur de Perleminouze découvre avec surprise son épouse chez sa maî-
tresse (exemple: embarrassé). Madame de Perleminouze finit par se rendre compte
des agissements de son mari (exemple : avec sévérité ; les larmes dans la voix).
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Puis, à son retour, l’amante, ignorant d’abord ce qui se passe (ne se doutant de
rien), comprend vite qu’ils sont découverts, puisqu’elle fait un aparté.
2. Le double sens de certains mots contribue à renforcer le comique de la situa-
tion. Ainsi :
– « Fiel » pour « ciel » montre à quel point la rencontre est désagréable et risque
d’entraîner des propos « fielleux ».
– « ma pitance » fait de la femme légitime un produit de consommation courante
et peu appétissante.
– « zébu » : le mari ne semble ainsi ni très beau, ni très fringant.
– « bardez » et « raviner » peuvent par jeu de mots se rapprocher de significations
très vulgaires dont il ne saurait être question à mots découverts.
– « je grippe tout » : effectivement, elle est le grain de sable dans l’engrenage, elle
vient troubler un système de tromperie qui fonctionnait bien.
3. – Ciel ! Mon épouse !
– (S’arrêtant de chanter) Ciel ! Mon mari !…. (Avec sévérité) : Adalgonse, quoi,
quoi, vous ici ? Comment êtes-vous entré ?
– (Désignant la porte) Mais par la porte !
– Et vous entrez souvent ici ?
– Mais non mon amie, ma douce,… mon amour. Je… j’espérais vous rencon-
trer…, c’est pourquoi je suis entré ! Je…
– Il suffit ! je comprends tout ! C’était donc vous, le mystérieux amant dont elle
était la maîtresse et la passion ! Vous, oui, vous qui veniez faire ici l’intéressant,
le beau, le joli-cœur, pendant que moi, moi, eh bien, je m’abîmais les mains à
nourrir mes pauvres enfants… Allez !…. Vous n’êtes qu’un…
– Alors Irma, c’est bien d’accord, n’est-ce pas ? (On peut imaginer que la com-
mande concerne un menu, d’où une série de variations possibles sur ce thème :)
« Deux petits aspics au jambon, des filets très minces, avec du citron, un bouquet
de petits légumes sur canapé et des petites lamelles de calamars rôtis au vin »…
– (Apercevant le Comte. À part) Ciel !…. Mon amant !….

Analyser la répétition et l’exagération


Exercice 9BB
1. Dans ce texte, le narrateur raconte comment le Chalet polyvalent de Roger-
Martin Courtial des Pereires est détruit, emporté, laminé par la foule. Des mots
créent un effet de brutale accélération : « balayé » (l. 5), « s’engouffra », « effré-
née » (l. 6), « arrachée », « épluchée » (l. 7), « déglutie » (l. 8), « aspiré », « absorbé »
(l. 11), « digéré » (l. 12). La succession de ces mots est accentuée par des effets de
sonorités, comme par exemple l’accumulation des participes passés en « é », ou
le couple formé par « fiévreuse » et « désireuse ». L’accélération est également ren-
forcée par la gradation : « arrachée, épluchée, complètement déglutie » ; « aspiré,
absorbé, digéré ».
2. Cette scène, par son rythme, par l’exagération du récit, s’inscrit dans le registre
comique. Ce sont à la fois les procédés de la répétition et de l’hyperbole qui
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créent ce rythme débouchant sur le burlesque. Ainsi la foule est-elle montrée
comme une sorte de vague déferlante que rien ne peut arrêter : « la foule rompit
tous les barrages » (l. 4 et 5), « s’engouffra » (l. 6) et dont les conséquences sont
immédiates : « la merveille fut à l’instant arrachée, épluchée, complètement déglu-
tie ! » (l. 7 et 8). La destruction, la disparition complète du chalet est signifiée
par l’usage de la répétition : « il n’en restait plus une trace, plus une miette, plus
un clou, plus une fibre de tarlatane » (l. 13 à 15). C’est évidemment l’écart (voir
l’ironie du mot « merveille ») entre le slogan « Il plie beaucoup, mais ne rompt
pas » et cette scène de destruction qui se termine par une comparaison triviale
(dont le comique est renforcé par le jeu de sonorité sur le « f » initial) qui ajoute
au comique du récit.
3. Le récit est régulièrement ponctué de points d’exclamation et de suspension.
Les phrases exclamatives expriment à la fois la surprise du narrateur (« elle com-
burait la matière ! », l. 9 et 10), mais aussi la rapidité des événements (« la foule
rompit tous les barrages ! Service de garde balayé ! », l. 4 et 5). Les trois points,
laissant la parole comme en suspens, ajoutent à l’effet de surprise (« digéré entiè-
rement sur place… », l. 12).
Remarque. Courtial des Pereires est sans doute le personnage le plus comique
de toute l’œuvre de Céline. Chacune de ses apparitions déclenche le rire : ses
projets formidables échouent immanquablement ; ses discours grandiloquents
s’effondrent, une fois confrontés à la réalité. Mais rien n’est plus attachant que
ses efforts continus pour faire fortune et triompher d’un sort adverse ; rien n’est
plus humain que ses fuites, ses travestissements, ses vanités, son désordre. Le
rire de Céline est un rire cruel, qui met à nu la cruauté de l’ordre social, l’aveu-
glement des hommes, la pauvreté, la misère. La chute dans le tragique n’est
jamais loin. À bout de force, ayant achevé le tour de ses illusions, au terme de
son voyage Courtial des Pereires finit ainsi par se suicider.

Exercice 10BB
1. Dans Les Caractères, La Bruyère dresse souvent le portrait type de certains
« fâcheux ». Théodecte en fait partie. Ce dernier apparaît comme un être imbu
de sa personne, qui n’est intéressé que par le fait de se faire remarquer : « il ne
revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises » (l. 6
et 7), « il se met le premier à table » (l. 12). L’exagération tend à montrer qu’il
occupe tout l’espace et envahit tout.
2. On observe l’emploi des procédés suivants :
– L’accumulation : celle de la dernière phrase est particulièrement longue :
« il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt ».
– La gradation : à la ligne 3, « il rit, il crie, il éclate » permet d’insister sur le carac-
tère excessif du personnage et son comportement outrancier.
– L’hyperbole : les expressions « c’est un tonnerre » (l. 3 et 4), « il interrompt tout
à la fois » (l. 15) renforcent dans la description le trait de caractère principal du
personnage.
– L’antithèse : le fracas se résout en bredouillage (l. 6-7).
13
3. Les images, comparaisons et métaphores, le rythme des phrases, les jeux sur
les sonorités constituent les autres procédés utilisés par La Bruyère.

Identifier et étudier les formes du comique


Exercice 11BB
1. Pour imiter le langage enfantin, Pierre Desproges recourt aux onomatopées
– « Poum-poum » (l. 2) – qui renvoient au monde du jeu. L’expression « pour de
vrai » employée aux lignes 10 et 15 a le même rôle puisque l’enfant affirme
souvent que le jeu n’en est pas vraiment un. L’humoriste reprend des expressions
que les enfants aiment employer pour se défier : « bisque, bisque, rage » (l. 25) ou
« c’est çui qui le dit qu’y est » (l. 32 et 33). Il joue enfin du goût manifesté par les
enfants pour les répétitions et les longues phrases solennelles en répétant à de
nombreuses reprises le terme « missile » et ses dérivés dans les lignes 21 à 31.
2. L’exagération est un procédé comique qui repose sur la démesure, le change-
ment de proportions d’une situation par rapport à la réalité. Ce procédé est le
fondement de ce texte puisqu’il y a un décalage très grand entre le jeu enfantin
et la guerre nucléaire. Ce rapprochement de deux univers opposés met en évi-
dence le ridicule de la guerre.
3. Le texte de Pierre Desproges s’inscrit dans le registre de l’humour puisque son
objectif de faire rire est dissimulé sous une apparence de sérieux. Au premier
degré, on peut penser que l’auteur expose avec sérieux une manière qu’ont les
adultes de jouer (« pas con, l’adulte »). En rapprochant deuxunivers aussi opposés
que celui du jeu enfantin auquel le texte emprunte des expressions et des atti-
tudes, et celui de la guerre nucléaire, l’auteur recourt à l’exagération qui permet
de saisir la dimension comique du texte. L’efficacité du texte repose sur l’écart
existant entre l’innocence enfantine et la monstruosité de la guerre. Il s’agit d’hu-
mour noir puisque l’auteur fait sourire en soulignant l’absurdité et la cruauté de
la guerre quand elle n’est pas un jeu.

Exercice 12**
1. Le narrateur de Podium exerce une profession peu commune puisqu’il est sosie
de chanteur célèbre. La situation dans laquelle il se trouve est amusante car il a
dû abandonner son premier rôle sous la pression de la concurrence et s’est replié
sur un chanteur de moindre notoriété (C. Jérôme). Il relate la situation avec le
ton de n’importe quel salarié qui évoque la vocation, les lois du marché ou les
conditions de travail et cette apparence de sérieux au sujet d’un métier qui ne l’est
pas renforce l’inscription du texte dans le registre comique.
2. L’extrait de Podium de Yann Moix comporte trois énumérations dans son
premier paragraphe : « pas une ville en France, pas un village, pas un bourg, pas
un lieudit, pas un mas » ; « Luc François, Chris Damour, Claude Flavien »,
« Bécaud, Johnny, Hugues Aufray, Frank Alamo et Sacha Distel ». Ces énuméra-
tions relèvent du procédé de l’exagération : la situation triviale du sosie qui exerce
ses talents dans les boîtes de nuit est amplifiée jusqu’à devenir un phénomène
14
national qui concerne un grand nombre de personnes. Cela donne au texte un
ton humoristique puisqu’il présente sous une apparence de sérieux une situation
plutôt triviale.
3. Le texte évoque le milieu du show business : le vrai nom des vedettes est
souvent très banal et leur pseudonyme assez grossier fait appel aux clichés. C’est
ainsi que Jean-Philippe Smet devient Johnny Hallyday ou Claude Dhotel
C. Jerôme. Yann Moix caricature cette tendance en baptisant ses sosies Chris
Damour (jeu de mot transparent), ou Luc François et Claude Flavien qui télé-
scopent la moitié du pseudonyme de leur idole Claude François avec leur nom
réel. Le surnom de « Couscous » attribué à Jean-Baptiste Cousseau joue sur l’eu-
phonie et le ridicule de la connotation. Enfin, le narrateur pousse la logique
jusqu’à succéder à C. Jérôme en D. Jérôme au nom d’un raisonnement aussi impa-
rablement alphabétique que grotesque.
4. Le début du roman Podium relève de la satire. Yann Moix s’appuie sur la cari-
cature des sosies des vedettes de la chanson populaire pour évoquer les mœurs de
l’époque actuelle. Le texte a une apparence de sérieux puisque les chanteurs
évoqués existent et renvoient explicitement à la variété française des années 1970 ;
les chansons sont citées et situées dans le temps comme le seraient des textes lit-
téraires… Le personnage principal analyse sa profession de sosie en tenant compte
de la concurrence (« la profession était déjà saturée »), du marché (« ça marche
toujours mieux qu’Hervé Vilard… ») comme un cadre pourrait envisager sa car-
rière. Les trois énumérations présentes dans le premier paragraphe créent une exa-
gération qui donne au phénomène des sosies une grande importance apparente.
La carrière des sosies est racontée en mêlant le vocabulaire stéréotypé habituelle-
ment utilisé dans la presse pour les parcours artistiques triomphants – « fait auto-
rité », « feu sacré » « trouver ma voie » – à celui de la compétition économique :
« m’incliner », « lâche l’affaire », « recyclé », « sosie officiel »… En s’appuyant sur
ces procédés, l’auteur dénonce la logique économique qui domine tellement notre
société qu’elle a même envahi le champ de la variété. Il suggère que la culture popu-
laire a acquis le même statut que la culture savante au risque de la confusion. On
peut lire aussi dans ce texte une satire du personnage vaniteux qui ne juge sa réus-
site que selon des critères économiques.

EXO-BAC
(PAGE 29)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
Le collage de Jacques Prévert s’inscrit dans le registre comique en rapprochant
des détails épars trouvés dans des illustrations différentes. C’est ainsi que sur
l’image proposée, on découvre ce qui, apparemment, appartient à l’une des tours
de Notre-Dame avec ses gargouilles. Dans un autre support Prévert a puisé un
visage féminin aux traits pleins d’humour mais assez caricaturaux. Ce rappro-
15
chement crée un effet inattendu qui fait sourire. Cela, d’autant plus que le mou-
vement de la main de la statue donne l’impression que la femme est en train d’in-
terpeller le spectateur.
Les courbes, La tête de la
associées aux gargouille semble
obliques, créent participer à la scène
un effet d’harmonie. et vouloir harceler
l’autre personnage :
effets de symétrie
et d’opposition.

La tête est tournée


vers le lecteur,
la main esquisse Les obliques créent
le geste de une impression
la confidence. de dynamisme.

Joël Guenoun suscite le sourire en jouant avec les mots et leurs surprises. Le signi-
fiant et le signifié d’un mot ont dans le langage courant un rapport arbitraire. Le
graphiste donne du sens à la graphie des mots en jouant sur la forme des lettres.
Ainsi, le « z » du mot « nez » prend la forme d’un appendice nasal. Le « E » de
« Ève » devient empreinte de dents plantées dans la chair d’une pomme. Le « i »
de « obéir » symbolise un militaire saluant. Guenoun joue également des conno-
tations associées aux mots. La pomme croquée évoque l’un des épisodes bibliques
de la création du monde ; le verbe « obéir » connote le garde-à-vous, l’armée, le
soldat…
Le poème de Robert Desnos joue sur un montage de clichés (« avoir le cœur sur
la main ») qu’il renouvelle (« la cervelle dans la lune » pour « être dans la lune »).
Il utilise la répétition : « il avait » (vers 1, 5, 7, 15), « c’était un […] copain » (vers
4, 7, 11, 14, 18, 22, 23). Le poète emploie également des expressions familières :
« le feu là où vous pensez » ; du verlan : « le feu au erèirred » ; des paroles de
refrains à boire : « Étienne à la tienne mon vieux ». Par ailleurs, la mise en page
d’André Belleguie renforce ces aspects comiques en jouant sur la graphie des mots.
Il compose des formes de calligrammes dans le texte : le cœur du premier vers ;
l’ascension vers la « lune » dans le troisième vers ; la composition renversée de
« l’envers » au vers 8, la forme d’une dent avec le décrochement souligné d’un
trait vertical (vers 15-16 et 17) pour évoquer la dent contre Étienne ; la compo-
sition oblique de « Ni la main » qui descend dans « la poche du voisin » matéria-
lisée par des traits ; la composition oblique de « ne pleurait » (vers 21) qui offre
l’aspect d’un bas de gilet de cérémonie.

Écriture
Le collage de Jacques Prévert comme les mots-images de Joël Guenoun et le poème
de Robert Desnos s’inscrivent dans le registre comique en troublant l’ordre habi-
tuel des choses, en créant des ruptures inattendues. C’est ainsi que Prévert rap-
16
proche une image appartenant à l’une des tours de Notre-Dame d’un visage
féminin, ou que Joël Guenoun met en relation le signifié et le signifiant des mots
dont le couple est habituellement arbitraire. L’une des lettres formant le mot
« nez » devient appendice nasal ; le « E » de Ève se fait empreinte de mâchoire dans
une pomme, en renvoyant ainsi à l’épisode biblique ; le « i » d’obéir se transforme
en militaire au garde-à-vous. La mise en page d’André Belleguie joue également
sur le graphisme en disposant les mots de manière à faire écho à leur sens : « Il
avait sur le cœur » s’inscrit dans une forme de coeur, le mot « poche » est rangé
dans un carré, le mot « envers » est retourné, « la lune » s’envole comme un esprit
distrait…
Le poème de Robert Desnos repose davantage sur les effets comiques qui nais-
sent des surprises du langage. Son poème comporte de nombreux clichés qu’il
détourne en les associant de manière à surprendre le lecteur. Pour décrire le
« bon copain », il égrène des clichés concernant les différentes parties du corps :
« avoir le cœur sur la main », « avoir l’estomac dans les talons », « les yeux dans
les yeux », « avoir le feu au derrière », « prendre ses jambes à son cou », « mettre
ses yeux partout », « avoir une dent contre quelqu’un », « avoir sa langue dans sa
poche ». Ces formules banales prennent ainsi un nouveau sens. Le poète joue sur
les mots en détournant les clichés – « Être tête en l’air » devient « avoir la cervelle
dans la lune ». Il procède également par associations d’idées : le mot « Étienne »
fait naître deux vers inspirés de chansons à boire, l’expression « la langue dans
la poche » est prise au pied de la lettre et « ni la main dans la poche du voisin »
s’impose logiquement. Ces nombreux jeux de mots font sourire le lecteur mais
sont aussi une manière tendre et sensible d’évoquer l’amitié.

Critères de réussite
• Construction et progression de deux paragraphes.
• Explication des procédés du comique communs aux trois documents.
• Analyse du poème de Desnos et de ce qui fait son originalité.

17
LES REGISTRES
CHAPITRE

2 Les registres tragique et pathétique


(PAGES 30 à 39)

Le registre tragique s’appuie sur une situation dramatique à travers laquelle


l’homme est condamné, vaincu par les dieux, la société ou le destin. L’étude
de l’univers tragique permet de rencontrer la diversité des situations, des
procédés et des formes que prend, dans les textes, l’expression de la
« terreur ». Le registre tragique traverse ainsi tous les genres littéraires et
se développe en fonction de l’évolution de la sensibilité. Dans la tradition
antique, le malheur tragique est l’occasion d’une confrontation de l’homme
avec ses limites ; elle lui permet – alors même que la situation est sans
issue – un dépassement. Au tragique « extraordinaire » que l’âge classique
reprend aux auteurs de l’Antiquité répond le tragique « ordinaire » dans
lequel la littérature contemporaine voit le propre de la condition humaine.
Le registre pathétique, pour sa part, s’appuie sur des situations particu-
lièrement douloureuses et tourmentées, catastrophes auxquelles le lecteur
lui-même peut être confronté. L’émotion – comme la situation qui la pro-
voque, comme le langage qui l’exprime – apparaît souvent comme « spec-
taculaire », témoignant dans ce débordement de son intensité.

OBSERVATION
(PAGES 30-31)

Introduction
C’est dans les années 1630-1640 que s’est forgée la dramaturgie « classique », qui
reprend des éléments déjà présents dans les œuvres de Jodelle (Cléopâtre, Didon)
et se poursuivra jusqu’à Voltaire et Crébillon. Conformément à la théorie de
l’Imitation, les auteurs s’inspirent de l’Antiquité, comme le fait Racine. Celui-ci
introduit cependant une part nouvelle d’humanité dans la tragédie à travers la
passion de Phèdre pour Hippolyte et le désespoir de Thésée qui a lui-même causé
la mort de son fils : la tragédie ne se limite plus aux « grands intérêts d’État » et
aux « passions plus mâles que l’amour » qui caractérisent le théâtre de Corneille.
C’est également sa sensibilité qui fait de l’œuvre de Prévost une œuvre moderne,
ouverte aux désarrois, à la mélancolie, à la cruauté de la passion amoureuse. Des
Grieux se confond avec cette voix émue qui, en faisant le récit de son amour pour
Manon, tremble au souvenir des situations pathétiques traversées.
19
Réponses aux questions
I. L’univers tragique
1. On trouve dans la tirade de Théramène deux allusions aux forces divines.
D’abord au vers 15 : « Le ciel… » et ensuite au vers 23 : « où des dieux… ».
Hippolyte et Thésée reprochent aux divinités d’être impitoyables en arrachant
une « innocente vie » (v. 15).
2. Le récit de Théramène à propos de la fin abominable d’Hippolyte met en évi-
dence certaines qualités chez ce dernier : noblesse de caractère et courage (v. 10,
15), générosité de l’amour puisque ses dernières paroles sont pour Aricie dont le
sort l’inquiète : « Dis-lui qu’avec douceur il traite sa captive » (v. 20).

II. La situation pathétique


3. L’héroïne du roman de l’abbé Prévost, Manon Lescaut, se trouve prisonnière :
« enchaînée par le milieu du corps, assise sur quelques poignées de paille » (l. 5
et 6). À cela s’ajoute une impression d’insécurité, puisque « ses gardes » « crai-
gnaient d’être attaqués », « son linge était sale et dérangé », « ses mains délicates
exposées à l’injure de l’air » (l. 11 et 12). Tous ces détails prouvent que sa situa-
tion est particulièrement pénible.
4. De nombreux mots et expressions visent à susciter la pitié du lecteur : « le
visage pâle et mouillé d’un ruisseau de larmes » (l. 7 et 8), « ses mains délicates
exposées à l’injure de l’air » (l. 11 et 12), «… un abattement inexprimables »
(l. 14). On peut y ajouter l’effet que produit sur le narrateur la vue de Manon :
« Mes soupirs et mes exclamations fréquentes… » (l. 17).

III. La douleur tragique et pathétique


5. Dans les trois derniers vers, les phrases exclamatives se multiplient.
Elle permettent de marquer la force, la virulence de la douleur de Thésée :
« Ô mon fils ! cher espoir que je me suis ravi ! » (v. 25). Il peut s’y ajouter des
termes qui marquent la souffrance et les remords d’un père face à la mort de son
fils : « Inexorables dieux » (v. 26), « mortels regrets » (v. 27). Tout ne fait que ren-
voyer au père son propre chagrin, comme l’exprime par exemple l’hypallage
« triste objet ».
6. Dans le texte de Racine, les phrases exclamatives apparaissent dans les
propos tenus par Thésée. Elles servent à accentuer l’expression de sa douleur.
Dans le texte de Prévost, on trouve une phrase interrogative de la ligne 1 à la ligne
3 : « Vous dirai-je […] d’approcher de son chariot ? » Elle marque le trouble du
narrateur. À la ligne 3, la simple exclamation «Ah!» exprime la souffrance morale
de des Grieux qui va dépeindre la situation pitoyable dans laquelle se trouve sa
maîtresse.

20
EXERCICES
(PAGES 35 à 38)

Étudier la situation et le héros tragiques


Exercice 1*
1. Dans cet extrait, les mouches symbolisent les Érinyes, les antiques déesses qui
tourmentaient les humains de remords sans fin. C’est ce qu’indique Electre aux
lignes 8 et 9 du texte : « elles nous suivront partout en épais tourbillons ».
2. Les personnages se trouvent soumis à un destin fatal : être poursuivis de
remords continuels (la question « où fuir ? » n’a pas de réponse). Voilà en quoi
leur situation s’inscrit dans le registre tragique.

Exercice 2BB
1. Texte 1. Dans l’extrait de Sauver Ispahan de Jean-Christophe Ruffin, la situa-
tion est tragique puisque la masse noire des Afghans, « les barbares », va attaquer
les habitants d’Ispahan qui semblent sans défense : mères, enfants, maris, épouses,
vieillards. L’opposition de la « masse noire » des agresseurs et le « bleu dans ce
ciel » donne l’impression qu’une force supérieure est à l’œuvre, qu’il ne s’agit pas
seulement d’un conflit entre deux armées mais plutôt d’un affrontement entre le
bien et le mal.
Texte 2. La situation d’Iphigénie est tragique puisque l’héroïne se dit prête à sacri-
fier sa vie pour obéir à la volonté de son père qui veut l’assassiner. Elle obéit à
des impératifs moraux qui la dépassent. Elle va perdre la vie, tuée par celui à qui
elle la doit. Son destin la dépasse puisqu’elle va être exécutée pour obtenir la
faveur des dieux.
2. Dans le texte de Jean-Christophe Ruffin, le héros n’apparaît pas en tant qu’in-
dividu. On peut néanmoins qualifier les habitants d’Ispahan de héros tragiques
puisqu’ils ont conscience que le combat qui va s’engager contre les Afghans est
perdu d’avance, que la beauté de la nature niée par la noirceur des assaillants
dit leur échec prévisible : ce peuple a donc la lucidité caractéristique du héros
tragique. L’Iphigénie de Racine présente toutes les caractéristiques de l’héroïne
tragique. C’est une femme d’une exceptionnelle grandeur d’âme, pourvue d’un
sens exacerbé du devoir et de la vertu puisqu’elle déclare à son père qui veut sa
mort : « Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre./… j’acceptais l’époux
que vous m’aviez promis,/Je saurai, s’il le faut, victime obéissante… ». Elle est
lucide en acceptant son destin : « cœur aussi soumis », « victime obéissante ».
Enfin, Iphigénie est courageuse en affirmant qu’elle tendra elle-même la tête au
bourreau (vers 9-10). Grandeur d’âme, lucidité, courage : Iphigénie est l’incar-
nation de l’héroïne tragique.

Exercice 3B
1. Le tableau de Théodore Géricault montre des rescapés du naufrage de la
21
frégate La Méduse embarqués sur un radeau de fortune. Ils tentent d’attirer l’at-
tention d’un bateau qui pourrait les secourir.
2. Cette scène s’inscrit dans le registre du pathétique car les personnages vivent
une situation d’extrême douleur : ils ont été victimes d’un naufrage, ont été ignorés
par les secours, subissent la faim, la soif et les rudesses de la mer. Le tableau invite
le spectateur à la compassion, à l’attendrissement et à la pitié devant le sort de
ces victimes. (Le registre ne peut être tragique puisqu’unincident et un concours
de malheureuses circonstances sont à l’origine de la situation : il n’y a pas eu inter-
vention d’une force supérieure ou d’une divinité.)
3. Pour amplifier le registre pathétique, le peintre multiplie les procédés qui sus-
citent la compassion. Le spectateur est placé dans le même axe que les
personnages : il se sent ainsi impliqué dans la scène, comme s’il guettait lui aussi
les secours tant attendus. Cette implication du spectateur est renforcée par la
composition du tableau qui est dominée par une puissante diagonale dessinée des
bras tendus au chiffon agité qui aspire le regard. Le peintre a choisi de montrer
les diverses manières de se comporter dans une situation aussi dramatique : la
résignation du vieil homme, la mort, le désespoir impuissant, le renoncement,
l’espoir… Cela facilite l’identification du spectateur qui ne peut que se projeter
dans une situation identique. En outre, le peintre a donné aux corps un aspect
très réaliste (il a pris des cadavres pour modèles). Les tons de chairs grisâtres
comme les muscles ordinaires font de ces naufragés des êtres proches de nous.
Une Un point de
diagonale fuite est
s’achève situé
sur le à l’extérieur
chiffon du tableau.
agité.

L’œuvre se découpe
La diagonale découpe le tableau en deux parties :
en trois parties égales.
– à gauche, en bas, la résignation et la mort ;
– à droite, en haut, la vie et l’espoir.

Exercice 4BB
1. On peut qualifier la situation de Jacques Thibault de tragique car ce person-
nage va mourir pour une cause noble, une obligation morale qu’il s’était fixée :
faire cesser la guerre. Malheureusement pour lui, et c’est ce qui rajoute au tra-
gique de la situation, son action a été inutile : « Les tracts ! Il meurt sans en avoir
jeté un seul ! »
22
2. Jacques Thibault peut apparaître comme un héros tragique car il sait faire
preuve de vertu et de courage en mourant pour une cause qu’il défend : le paci-
fisme. Il est tellement lié à sa cause qu’il ne pense pas à sa propre dis-parition,
mais à l’impossibilité de remplir sa mission.

Étudier les indices du registre pathétique


Exercice 5B
Le texte évoque la destruction de Lisbonne par un tremblement de terre. Ce sont
tous les détails liés au séisme qui rendent la situation pathétique : « Les maisons
s’écroulent, écrasent ceux qui fuient » (l. 6 et 7), « Des crevasses s’ouvrent de tous
côtés » (l. 8 et 9), « Partout, on crie miséricorde » (l. 9 et 10), « l’incendie est
général » (l. 13), « Des enfants nus courent se blottir dans les jambes de gendarmes
en pleurs » (l. 13 à 15).

Exercice 6BB
1. La situation vécue par le narrateur apparaît pathétique car elle est une des plus
douloureuses qui soit pour un amoureux : il aime encore au moment où il n’est
plus aimé. Il doit donc faire le deuil de tout ce qui a été le bonheur de sa vie : « Je
lui rappelai tous les moments de bonheur que nous avions passés ensemble ». Et
Carmen est inflexible. « Je me jetai à ses pieds, je lui pris les mains, je les arrosai
de mes larmes » (l. 15 et 16), mais « cette femme était un démon ».
2. La répétition peut permettre d’amplifier l’expression des sentiments, par
exemple « sauver » est repris deux fois au début de l’extrait. De la même façon
« tout » est répété à trois reprises dans la ligne 19 : « Tout, monsieur, tout ! Je lui
offris tout… ». L’utilisation de phrases exclamatives dans ce passage permet de
renforcer le registre pathétique de même que la proximité avec un interlocuteur
pris à témoin.
3. Carmen apparaît avant tout comme une femme libre : « mais Carmen sera tou-
jours libre » (l. 9), et volontaire. Lorsqu’elle a pris une décision, elle la respecte
quitte à en mourir : « T’aimer encore, c’est impossible. Vivre avec toi, je ne le veux
pas » (l. 21 et 22).
Remarque. La référence à cette scène dans l’opéra de Bizet peut permettre de
montrer ce que la musique ajoute au pathétique : on a alors recours à un support
seulement auditif, pour mieux centrer la recherche sur le rôle de la musique. On
peut aussi, à partir de ce même opéra, recourir à l’audiovisuel cette fois-ci, et ana-
lyser la scène telle qu’elle est filmée par Peter Brook dans La Tragédie de Carmen,
ce qui permet d’étudier le glissement du pathétique au tragique.

Étudier la proximité avec le lecteur


Exercice 7BB
1. La situation présentée dans l’extrait de Paul et Virginie s’inscrit dans le registre
pathétique car elle met en scène une héroïne dont le sort tourmente tous ceux qui
23
assistent à la scène. Virginie, en effet, se trouve à bord d’un navire naufragé et
finit par être engloutie par les flots : « une montagne d’eau d’une effroyable gran-
deur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le
vaisseau. » (l. 20 à 22).
2. Le récit s’inscrit aussi dans le registre pathétique car il cherche à susciter la pitié
du lecteur. C’est d’abord la situation délicate de Virginie, « tendant les bras vers
celui qui faisait tant d’efforts pour la joindre » (l. 3 à 5) ; sa résignation : « elle nous
faisait signe de la main, comme nous disant un éternel adieu » (l. 9 à 11) ; son atti-
tude face à la mort : « Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses
habits, l’autre sur son cœur, et levant les yeux sereins, parut un ange qui prend son
vol vers les cieux » (l. 25 à 28), qui vont provoquer la compassion du lecteur. C’est
ensuite l’emploi des pronoms « on » et « nous » qui renforce la proximité avec le
lecteur : « On vit alors un objet digne d’une éternelle pitié » (l. 1 et 2), « La vue de
cette aimable personne… nous remplit de douleur et de désespoir » (l. 6 à 8), « On
entendit aussitôt ces cris redoublés des spectateurs : “Sauvez-la, sauvez-la !” »
(l. 17 à 19).
3. Le réseau lexical de la douleur présent dans le texte exprime les sentiments du
narrateur et des spectateurs du drame. Ainsi, « douleur » et « désespoir » sont
employés à la ligne 8. L’adjectif « affreux », employé dans une phrase exclama-
tive à la dernière ligne de l’extrait, connote aussi la douleur. Cette douleur res-
sentie par les témoins contraste avec le calme de Virginie et contribue à en faire
une héroïne.
Remarque. Nombreuses sont les scènes pathétiques qui ponctuent le récit de
Bernardin de Saint-Pierre et lui donnent ce caractère émouvant, dans lequel on a
pu voir parfois naïveté et sensiblerie : l’esclave en fuite battu par son maître, les
deux enfants perdus dans la forêt, le souvenir des épreuves traversées par les deux
mères, le désespoir de la petite communauté au moment du départ de Virginie
pour la France. Bernardin de Saint-Pierre oppose ces situations au petit paradis
recréé dans l’île de France. Simplicité, abondance et délicatesse. Transparence des
cœurs. Le bonheur est-il donc impossible ? L’utopie ne pourra-t-elle jamais être
réalisée ? Dans le temps cyclique du paradis, chaque événement que suscite la
société est porteur de malheur : en partant pour la France, Virginie scellait son
destin malheureux. L’ironie veut que ce soit au moment du retour qu’elle trouve
la mort, sous les yeux de tous, figure nouvelle de la Vierge qui monte aux cieux.

Étudier l’expression de la douleur


Exercice 8BB Vers le commentaire
1. Le texte de Samuel Beckett s’inscrit dans le registre du pathétique puisque les
personnages subissent l’emprise du temps, l’imminence de la mort sans pouvoir
s’y opposer. Ils sont proches de notre quotidien et concernent donc chacun d’entre
nous. La didascalie initiale a pour fonction de définir le décor : « vieux draps »,
« fauteuil à roulettes », « immobile »… L’espace ainsi délimité est marqué par le
vieillissement et la réduction de l’espace. Les didascalies « un temps » et « bâille-
24
ments » répétées à onze et à cinq reprises dans la tirade de Hamm créent une
atmosphère oppressante d’accablement et d’ennui. Les autres didascalies concer-
nent les gestes des personnages et insiste sur leur aspect dérisoirement méticu-
leux : « soigneusement, délicatement ».
2. Samuel Beckett répète à onze reprises la didascalie « un temps » puis cinq fois
« bâillements ». Le personnage de Hamm multiplie les interrogations : « Mon
père ? Ma mère ? Mon… chien ? ». La tirade de Hamm est dominée par la répé-
tition du verbe « finir » et de ses variations ainsi que par le mot « souffrance ». La
remarque finale de Clov suggère que les personnages en sont réduits à accomplir
toujours les mêmes gestes (se lever, se recoucher). Toutes ces répétitions partici-
pent au registre tragique puisqu’elles indiquent le poids du temps qui se répète
inlassablement mais progresse pourtant inéluctablement vers la mort.
3. La représentation théâtrale de Fin de partie amplifie la douleur de la situation.
Cela se marque d’abord dans l’utilisation des accessoires – « fauteuil à roulettes »,
« vieux draps » – qui suggère la maladie et le vieillissement. La répétition des
didascalies « un temps » et « bâillements » souligne la lenteur du temps qui passe
et l’ennui accablant. Les gestes dérisoires des personnages – se lever, se coucher,
essuyer ses lunettes – miment le dérisoire de la vie. Les indications de l’écrivain
imposent au comédien interprétant Hamm de dire son texte avec une extrême
lenteur, comme s’il cherchait chacun de ses mots et cela contribue à créer une
ambiance d’ennui pesant et indiscutablement terrifiant.

Étudier le lexique et les images


Exercice 9BB
Les métaphores du texte que l’on peut souligner :
– « peindre le désespoir » (ligne 1)
– « les pleurs qu’ils versèrent à sa lumière » (ligne 6)
– « cette lune se lassera d’éclairer les solitudes » (ligne 8)
– « le fleuve qui porte… nos pirogues, suspendra son cours » (ligne 9)
Le réseau lexical : la fin (désespoir, dernier soupir, fermés, pleurs, se lassera, sus-
pendra, larmes, cessent).

Exercice 10BB
1. La scène est d’abord perçue par le regard de Mâtho, au début de l’extrait :
« Mâtho regarda autour de lui, et ses yeux rencontrèrent Salammbô » (ligne 1).
Mais le foyer de perception bascule ensuite et c’est le regard de Salammbô qui
perçoit dès lors la scène pour le lecteur (« elle n’avait aperçu que Mâtho », l. 7).
2. Le point de vue de la focalisation interne amplifie la dramatisation de la scène
car le lecteur découvre les actions et perçoit les sentiments des personnages à
mesure qu’ils apparaissent. Le discours indirect libre (l. 20-21) amplifie cet effet.
3. Chacun des paragraphes met en évidence un sentiment : l’attirance pour le
premier (« Cet homme qui marchait vers elle l’attirait », l. 10) ; l’horreur pour le
25
deuxième (« et le misérable marchait toujours ! », l. 20) ; la compassion pour le
troisième (« elle ne voulait pas qu’il mourût », l. 30).
4. Salammbô est d’abord inexorablement attirée par Mathô : « un de ces abîmes
où le monde entier disparaît sous la pression d’une pensée unique… » (l. 9 et 10).
Cette attirance laisse ensuite place au sentiment qui avait auparavant uni les deux
personnages, l’amour : «… des paroles douces : elle avait soif de les sentir encore,
de les entendre » (l. 28 et 29). Le lecteur, lui, est plutôt amené à ressentir un sen-
timent d’épouvante à la fin du texte après avoir découvert le châtiment réservé à
Mathô.
5. À la dernière phrase du texte, c’est un sentiment d’épouvante, accompagné de
pitié, qui s’empare du lecteur : le portrait du deuxième paragraphe, le retour en
arrière effectué dans le troisième paragraphe et le contraste saisissant ainsi mis
en place contribuent à la dramatisation de l’agonie.
6. Le lexique concerne d’abord l’état dans lequel se trouve Salammbô dans les
lignes 4 à 12 : « involontairement », « s’effaçant », « silence », « abîmes », « dis-
paraît ». Puis, dans la suite du texte, le lexique dominant est celui du corps et de
la souffrance qui nous livre un portrait saisissant de Mathô torturé : « yeux »,
« apparence », « forme », « tendons », « poignets », « rouge », « pendaient »,
«dénudés», «souffert», «agonisât»… Les deux images principales qu’on retrouve
dans l’extrait correspondent à ce lexique. La métaphore de la ligne 9 (« un de ces
abîmes où le monde entier disparaît») rend compte de la fascination de Salammbô
à l’égard de Mathô, tandis que l’image (métaphore) des lignes 18 à 20 (« de ses
orbites sortaient deux flammes qui avaient l’air de monter jusqu’à ses cheveux »)
suggère la vie qui brûle encore en lui mais peut-être aussi la haine qu’il peut
nourrir à l’encontre de Salammbô.

Étudier l’exclamation,
l’interrogation et l’apostrophe
Exercice 11BB
1. Milady tente d’abord de convaincre les hommes qui l’entourent de la livrer à
la justice : « conduisez-moi devant un tribunal ; vous n’êtes pas des juges, vous,
pour me condamner. » (l. 8 et 9). Elle cherche ensuite à les émouvoir en évoquant
son âge : « parce que je suis trop jeune pour mourir ! » (l. 13 et 14), avant de
revenir à un argument plus pragmatique : « je me ferai religieuse » (l. 18 et 19).
Enfin, elle s’adresse à celui qu’elle a aimé, d’Artagnan, en le suppliant (l. 40 et
41).
2. Pour émouvoir ses « juges », Milady utilise diverses stratégies. D’abord, elle
utilise une forme d’imprécation puisqu’elle manifeste sa révolte contre ces hommes
qui veulent l’exécuter sans la juger : « vous n’êtes pas des juges, vous, pour me
condamner ». Ensuite, elle emploie la lamentation, exprimant son regret de devoir
mourir si jeune (l. 13 et 14), avant d’exploiter la supplication : elle implore
d’Artagnan, lui demandant de se rappeler quels sentiments les liaient.
26
EXO-BAC
(PAGE 39)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. La situation rapportée par Dante apparaît sans issue : Francesca est condam-
née à l’éternité de l’Enfer, elle est sous l’emprise de la passion amoureuse («Amour,
qui force à l’amour ceux qu’on aime, me fit, en lui, prendre un plaisir si fort ») à
laquelle elle ne peut se soustraire (« toujours ce feu me blesse »). La scène met aux
prises des forces supérieures: «le roi de l’univers», «la Caïnie». Francesca possède
en outre un caractère d’héroïne tragique. Elle met en avant sa noblesse (« rapide
à croître dans un cœur noble »), fait preuve de lucidité quand elle explique les
ravages de la passion amoureuse et montre sa grandeur d’âme en déclarant : « s’il
nous aimait, le roi de l’Univers, nous le prierions de t’accorder sa paix. »
L’expression de ladouleur de Francesca comporte ainsi de nombreuses marques
du registre tragique : elle implore le poète (« Ô créature gracieuse et douce ») ou
exprime sa révolte contre la cruauté du destin en soulignant qu’on ne saurait
échapper à la passion amoureuse. Le lexique utilisé par la jeune femme possède
une forte charge émotive. Sa tirade est dominée par les champs lexicaux de
l’amour (« amour, cœur, feu, aime, plaisir ») et de la fatalité (« feu, force, ravies,
nous fit trouver »). Les neuf premiers vers qui sont uneapostrophe au poète (« Ô
créature gracieuse et douce », « ce que vous désirez dire et entendre ») sollicitent
sa compassion. Toutes ces caractéristiques permettent d’inscrire cet extrait de La
Divine Comédie dans le registre tragique.
2. Dans la peinture de Cabanel, c’est particulièrement l’attitude du couple qui
suscite l’émotion : la tête de Francesca repose sur l’épaule de Paolo tandis que le
bras de celui-ci semble la soutenir. C’est aussi avec sa main que Paolo se tient le
flanc, main qui indique l’endroit où la lame a frappé. La sculpture de Rodin fait
naître l’émotion en présentant les amants nus : cela donne à leur étreinte une
dimension universelle ; chaque spectateur peut s’identifier à un des deux amants.
L’émotion naît également de la position des visages, des bras et des jambes qui
sont étroitement enlacés. Cela donne l’impression d’une union totale des deux
jeunes gens.
Le tableau de Cabanel peut s’inscrire dans le registre tragique puisqu’il présente
la mort violente d’un jeune homme. Cette présence de la mort suscite une émotion
vive car elle est liée au couple, à l’amour. La sculpture de Rodin relève plus par-
ticulièrement du registre pathétique car ce baiser universel crée une proximité
avec le spectateur, suscite sa compassion.

Écriture
Gianciotto Malatesta, seigneur de Rimini ; Paolo Malatesta, frère de Gian-
ciotto ; Francesca da Rimini, épouse de Gianciotto, amante de Paolo
27
Verticales qui suggèrent l’ordre : Les obliques soulignent
c’est l’endroit où se tient le meurtrier. la fusion des deux amants.

Le regard est dirigé vers la main Les lignes de fuite se rejoignent


crispée sur la blessure mortelle. aux visages et les mettent en valeur.

La scène se passe dans l’une des salles du palais du seigneur de Rimini. Paolo
Malatesta et Francesca da Rimini sont assis côte à côte sur le divan.
FRANCESCA (très pâle et avec hésitation). – Un trouble s’élève dans mon âme
éperdue… Mes yeux ne voient plus, je ne puis plus parler. Je sens mon corps
brûler… Ô Paolo, je dois me détourner. Je crains de ne pouvoir me soustraire
au feu qui me blesse !
PAOLO (la voix un peu étranglée, mais avec une grande douceur). – Que dites-
vous ? Ah ! vous changez de visage ! Je n’ose espérer entendre ce que vous me
confessez. Tant de regards croisés, tant de gestes réprimés… Depuis que je
vous ai vue, mon coeur se consume.
FRANCESCA (se masquant les yeux des deux mains). – Taisez-vous! Je ne puis plus
longtemps endurer ce chagrin. Que faisons-nous? Comment pouvons-nous tenir
de tels propos ? Je ne puis pourtant quitter ces lieux. Le devoir m’ordonne de
songer à Gianciotto. (À part.) Cruel destin qui me fait préférer son frère Paolo.
PAOLO (lui ôtant les mains des yeux). – Madame, jugez de ma douleur, moi
qui n’aime nulle autre que vous-même, moi dont l’ardeur extrême…

Critères de réussite de la transposition


• Le lexique : il doit multiplier les termes à forte connotation affective.
• La syntaxe : présence d’exclamations, d’interrogations, de ruptures suscitées
par l’émotion.
• La mise en scène : les didascalies doivent évoquer des comportements révélant
la force des émotions et des sentiments.

28
LES REGISTRES
CHAPITRE

3 Le registre lyrique
(PAGES 40 à 49)

Le registre lyrique se développe à partir d’une voix qui ne craint pas de


confier des sentiments personnels. L’amour et la mélancolie, la passion et
le chagrin recréent avec le lecteur une intimité qui repose sur le partage
des mêmes émotions. Le moi intime va à la rencontre de l’autre. Le registre
lyrique s’appuie sur la diversité des procédés qui permettent d’intensifier
l’expression des sentiments. Mais le lyrisme est aussi chez de nombreux
écrivains, comme Gide ou Giono, le chant du monde. Le texte rapporte
alors la plénitude de l’instant vécu au contact de la nature : lyrisme de la
sensation, expression immédiate du bonheur, célébration des paysages et
des nourritures de la terre.

OBSERVATION
(PAGES 40-41)

Introduction
On ne peut comprendre Romances sans paroles sans connaître le contexte bio-
graphique de la rencontre avec Rimbaud et l’explosion lyrique que celle-ci pro-
voque dans l’œuvre de Verlaine. C’est dans le vagabondage tumultueux des deux
poètes que Verlaine puise l’inspiration des Romances sans paroles. Le titre du
recueil rappelle que toute poésie est d’abord soupir, murmure, mélodie. Ainsi, les
« Ariettes oubliées » qui inaugurent le recueil font entendre au lecteur un chant
de l’âme, une voix lyrique qui s’exprime en motifs impressionnistes. Cet art de
la suggestion est porté à la perfection dans l’ariette de la pluie.
Céline cherche quant à lui à recréer dans le roman l’émotion et la musicalité du
parler. Le narrateur trouve dans le désordre et la misère du monde l’occasion de
chanter quelques instants magiques. Moments bénis où le sujet est libéré un
instant de la pesanteur des êtres et des choses. « Les hommes sont lourds, lourds,
lourds », se plaint Céline. À travers les tribulations de Ferdinand, le romancier
emporte le lecteur et le monde dans ce qu’il appelle son « métro émotif ».

Réponses aux questions


I. La voix de l’émotion
1. Le sentiment qui domine le poème de Verlaine est celui de la tristesse : les deux
29
premiers vers mettent en place une identification immédiate entre les pleurs et la
pluie à travers la comparaison qu’ils contiennent (« Il pleure dans mon cœur/
Comme il pleut sur la ville »). L’émotion ressentie par le poète est soulignée par
la répétition du mot « peine » dans la dernière strophe.
Le texte de Céline propose de son côté une évocation du passé. Mais l’émotion
ressentie n’est pas de la peine, car l’évocation se fait sur fond de nostalgie d’un
temps que l’on trouvait bon. Le texte met ainsi en place une forme d’attendris-
sement, de douceur provoquée par le bruit doux du chant de Nora.
2. L’expression du lyrisme dans le texte de Céline passe par les sens. Deux sensa-
tions apparaissent dans la progression du texte : la vue d’abord, qui est sollicitée
à travers des termes comme « discernait » (l. 11), « reflets » (l. 13), « scintillent »
(l. 14), « incendie » (l. 15) ; puis le souvenir auditif qui fait surface avec l’émotion
de Nora : « entendait », « chantait » (l. 17), « mi-voix » (l. 18), « murmure » (l. 19),
« voix » (l. 20).

II. La création d’une intimité


3. Dans la description du paysage aussi bien que dans l’évocation de Nora, cer-
tains termes créent une impression de douceur, par exemple « tremblote »
(l. 14). On peut aussi relever « mi-voix » (l. 18), « murmure », « petite romance »
(l. 19), « doucement » (l. 20), « ondoyait » (l. 21), « petits échos » (l. 23).
4. Dans le poème de Paul Verlaine, la première personne apparaît à deux reprises
associée au mot « cœur » (« mon cœur »), au premier et dernier vers du poème.
Ce cœur qui s’ouvre et se referme permet au lecteur de pénétrer dans l’intimité
du poète, de son ennui et de sa langueur.
Dans le texte de Céline, les indices personnels qui témoignent de la présence du
narrateur au début du texte (« je », l. 3, 5 et 19 ; « me », l. 1, 3 et 5) laissent place
au pronom indéfini « on » dans la suite du passage. Le narrateur rappelle ainsi la
présence de Jongkind, son ami, à ses côtés. Le pronom « elle » renvoie quant à
lui à Nora, objet de toute l’attention du héros.

III. L’écriture des sentiments


5. Dans le troisième paragraphe, les procédés d’insistance permettent de renfor-
cer l’expression de la douceur des sentiments, la peinture du bonheur. On peut
relever l’anaphore « Elle » dans la ligne 18, qui désigne Nora dont la chanson
touche tellement le narrateur et son ami. Le procédé de la gradation, lui, dans le
passage des lignes 18 à 23, montre comment l’air chanté par Nora semble s’am-
plifier et planer au-dessus de toute la vallée : « murmure », « s’élevait tout dou-
cement », « ondoyait dans la vallée », « ça résonne, ça amplifie ». Enfin, la
comparaison des lignes 22 et 23 (« c’était comme de l’oiseau sa voix ») suivie de
la métaphore « ça battait des ailes », évoque la légèreté, la vivacité du chant de
Nora qui est assimilé au vol d’un oiseau.
6. Les sentiments sont d’abord exprimés par la trame mélodique du poème.
À travers le jeu sur les répétitions et les assonances, Verlaine fait coïncider le bruit
de la pluie et celui de ses pleurs, les sensations et les sentiments. Mais les senti-
30
ments sont également exprimés au moyen de l’interrogation (v. 3 et 4, v. 10) et
de l’exclamation (v. 5 et 6, v. 7 et 8, v. 10 et v. 13 à 16), qui traduisent une forme
de stupeur attristée devant l’univers.

EXERCICES
(PAGES 45 à 48)

Étudier le lyrisme amoureux


Exercice 1B
1. Les indices de la première personne tels que « je » (l. 1, 2, 5, 7), « moi »
(l. 6), « ma » (l. 3, 9), « mon » (l. 10), soulignent et renforcent la présence du per-
sonnage dans le texte.
2. C’est l’amour que La Princesse exprime, ainsi que l’indiquent ses propos
(l. 9) « Car ma voix est celle de l’amour ».

Exercice 2BB
1. On peut relever trois séries de pronoms dans le poème : ceux de la troisième
personne du singulier (« elle ») qui désignent la femme aimée ; ceux de la première
personne (« je », « moi ») qui marquent la présence de l’auteur ; et enfin, ceux de
la première personne du pluriel (« nous-mêmes ») qui concernent à la fois l’au-
teur, le lecteur et la femme désirée.
2. Le glissement du « elle », désignant la femme aimée, vers le « nous-mêmes »
marque une progression de l’expression du sentiment amoureux : une sorte de
fusion se crée entre l’auteur et cette présence féminine. Ce jeu sur les pronoms est
renforcé par la confrontation entre le « elle » et le « je » dans les trois derniers
vers : « qu’elle ouvre son sourire pour que je puisse y entrer » suggère que c’est la
femme qui est maîtresse de l’amour auquel l’auteur aspire.

Étudier le lyrisme mélancolique


Exercice 3BB
1. Dans le premier poème d’Apollinaire, ce sont les thèmes de la tristesse et de
la mort qui ressortent (« Comme passe un enterrement »), sur fond d’ennui (« len-
tement ») et de nostalgie anticipée (« tu pleureras l’heure »). Dans le second c’est
le thème de l’emprisonnement qui domine (« prisonnier sans horizon »).
2. La tristesse est exprimée dans les deux poèmes, d’abord à travers certains
termes : « lentement », « pleureras », « pleures » (texte A), « prisonnier », « nus »,
« prison », « seuls » (texte B). On peut y ajouter ensuite les deux comparaisons
du texte A : « Que lentement passent les heures/Comme passe un enterrement »
et « Qui passera trop vitement/Comme passent toutes les heures ». La première
fait un rapprochement direct avec la mort, la seconde évoque le temps qui fuit.
31
3. Dénotation et connotation des mots peuvent exprimer la tristesse ; c’est le cas
du verbe pleurer. Mais les sonorités des mots, comme toujours chez Apollinaire,
jouent un grand rôle : syllabes longues (« lentement »), mais aussi assonances,
comme le « en » des deux premiers vers, où le « eu » de « heures » auquel répond
en écho le « eu » du verbe pleurer, ou encore le cri du « i » qu’on retrouve, dans
le deuxième poème, dans « bruits », « ville », « prisonnier », « horizon », « rien »,
« ciel », « hostile ». Une image, d’autant plus forte qu’elle est unique et surtout en
vers, donne la raison d’être ultime de la tristesse : on n’échappe pas à la mort.
Dans le deuxième poème, de la même façon, l’unicité de l’image fait sa force : une
lumière bien réelle, celle de la prison, conduit à faire de la raison une « clarté »,
renouvelant ainsi l’image éculée des lumières de la raison.

Exercice 4BB
1. C’est surtout l’expression «qui nous remuait le ventre» à la ligne 4 qui exprime
l’émotion du narrateur lorsqu’il évoque un personnage qu’il a connu durant son
enfance au Brésil. Ce sont aussi au début et à la fin du texte les verbes « je me
souviens » et « on n’oublie pas » qui marquent l’ancrage de cette émotion au plus
profond de l’être (« au fond de nous »).
2. Cet extrait appartient au registre lyrique car on y retrouve le thème de la mélan-
colie : celle liée au souvenir d’un homme plutôt qu’à la nostalgie de son pays d’ori-
gine : « Au fond de nous, ce n’est pas un pays qui a grandi mais un homme » (l. 16
et 17). On y découvre aussi, à travers les propos du personnage de Waldemar
Cuzco, l’expression du plaisir des sens, de la communion avec un pays : « Vous
aurez envie de ces fruits secs et sucrés, de ces chants lancinants et tendres qui déchi-
rent nos ciels plus net que les orages » (l. 11 à 13).

Étudier le lyrisme des sensations


Exercice 5BB Vers le commentaire
1. Lamartine et Baudelaire choisissent d’évoquer tous les deux la même
saison : l’automne qui est propre à symboliser la mélancolie et l’approche de la
mort, elle-même symbolisée par l’hiver.
2. Dans l’extrait du poème de Lamartine, l’évocation de l’automne annonce une
mort prochaine, non seulement mort de la nature mais aussi mort de l’homme,
comme l’indiquent les deux derniers vers : « C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier
sourire/Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.» Le choix des termes permet
de créer des correspondances entre le monde humain et le monde naturel : « Ce
soleil pâlissant » (v. 3), « la nature expire » (v. 5), « À ses regards voilés » (v. 6).
Chez Baudelaire, il y a correspondance entre la saison et l’état psychologique.
Ainsi « l’automne des idées » (v. 5) s’oppose-t-il à la jeunesse (« traversé… par de
brillants soleils », v. 2). Ici l’automne est aussi annonciateur de la mort comme le
suggèrent les images développées dans les trois derniers vers : « il faut employer
la pelle et les râteaux/Pour rassembler à neuf les terres inondées,/Où l’eau creuse
des trous grands comme des tombeaux. »
32
Exercice 6BB
1. Des cinq sens, on retrouve :
– l’ouïe : « je te parlerai » (l. 1) ;
– la vue : « j’ai vu » (l. 1), « éclat du jour » (l. 11 et 12) ;
– le toucher : « légère », « souffle » (l. 4) ;
– l’odorat : « les parfums » (l. 7 et 8).
2. La métaphore filée qui traverse le passage transfigure la nature en être vivant :
il s’agit d’une personnification. Ainsi, la plaine « attend » la pluie (l. 2 et 3) ; la
terre « se gerce » de la sécheresse (l. 6) ; tout « se pâme » (l. 9) ; les arbres « agitent
leur branches » avec aisance (l. 12 à 14)… On assiste à un élargissement progres-
sif de cet élan vital qui trouve sa conclusion dans la dernière phrase de l’extrait :
« Le ciel s’était chargé d’orage et toute la nature attendait. »
3. La première phrase du texte met en place un dialogue dans lequel le narrateur
s’adresse à un lecteur fictif : Nathanaël. L’emploi de la deuxième personne du sin-
gulier crée un lien de proximité, d’intimité entre les interlocuteurs.
Remarque. Gide exprime dans Les Nourritures terrestres le secret d’un ressus-
cité. Celui que ses amis surnommaient « Ci-Gide » abandonne la pose du jeune
poète symboliste, élégant et mélancolique au milieu des salons parisiens, fermé
au monde, pour s’ouvrir au domaine des sens. Gide a en effet découvert dans son
voyage en Algérie – où il a, du reste, failli mourir, victime de la tuberculose – la
réalité de son homosexualité vécue radieusement. Il chante le plaisir physique du
contact, la saveur des fruits, la plénitude des sens et des sensations. Le lyrisme est
un chant à la gloire des surprises du monde, cueillies dans l’abandon des richesses
matérielles. Il témoigne de la ferveur de celui qui a posé un pied nu sur un sol
neuf. D’abord complètement négligées par le public, Les Nourritures terrestres
s’imposeront pour plusieurs générations de lecteurs adolescents comme « une
Bible », qui apaise et exalte la fièvre et l’inquiétude de la jeunesse.
4. Il y a communion avec la nature car le narrateur semble souffrir autant qu’elle
de la chaleur (« sous le soleil tout se pâmait », l. 9) et partager de la même façon
qu’elle l’attente : « Je te parlerai des attentes » (l. 1), « Le ciel s’était chargé d’orage
et toute la nature attendait » (l. 15 et 16).

Analyser l’expression du moi intime et la sollicitation de l’autre


Exercice 7BB
1. Pour désigner le destinataire de la lettre, le « vous » est d’abord employé
(l. 1 et 3), puis il laisse la place au pronom de la deuxième personne du singulier
« tu » (l. 5) et aux autres marques de cette personne : « te », « ton », « tes ».
2. Le « vous » qui est d’abord utilisé marque une distance entre l’émetteur et le
destinataire de la lettre, distance qui est sans doute le fait d’une certaine retenue
de la part de Lady Sidley, qui dissimule encore ses véritables sen-timents sous le
couvert des conventions. Le passage au tutoiement indique « l’explosion » de
l’émotion qui ne peut plus être contenue : c’est le discours de la femme amou-
reuse qui ne supporte plus l’absence de son amant.
33
3. Les images renvoient à un rapprochement unique : ce qui est ressenti par la
femme amoureuse est une sorte de plongée dans la nuit glacée : « Le soleil n’a
point paru ici après ton départ» (l. 6 et 7); «l’obscurité est affreuse, le froid insup-
portable » (l. 7 et 8). Ces métaphores indiquent la solitude de Lady Sidley. Le
comte de Mirbelle est celui qui lui apporte une raison de vivre.
Remarque. Au regard de ses contemporains, Dorat s’affirme d’abord comme
poète, auteur d’une œuvre facile et abondante. Petit maître de la poésie, il suscite
ainsi la raillerie des écrivains et des critiques, qui se moquent du grand nombre
de ses ouvrages, édités soigneusement, joliment illustrés, souvent à ses frais.
« Que cet auteur est pesant dans sa légèreté », écrit Voltaire. Et l’on raconte qu’un
lecteur, entré chez un libraire pour acheter un volume de Dorat, a découpé les
gravures avec des ciseaux, emportant les images, et laissant le texte sur le comp-
toir. Mais c’est l’auteur de romans que retient la postérité. Les Malheurs de l’in-
constance s’impose en effet comme l’un des meilleurs romans par lettres du XVIIIe
siècle, qui représente les intrigues et les manœuvres impitoyables des aristocrates
libertins.

Exercice 8BB Vers l’oral


1. – Réseau lexical du mouvement : « voyageuse » (v. 1), « roulante » (v. 3),
« passés » (v. 4), « s’animeront » (v. 6), « s’étendront » (v. 7), « marcherons » (v. 8),
« suivre » (v. 11), « chemin » (v. 11).
– Réseau lexical de la nuit : « rêver » (v. 2), « paisible » (v. 3), « ombre » (v. 8),
« sombre » (v. 10).
Le premier réseau marque le sentiment du temps qui passe (« ceux qui sont passés
et ceux qui passeront ») ; le second, un sentiment de tristesse (« Où tu te plais à
suivre un chemin effacé », v. 11).
2. Le poète s’adresse d’abord à cette « voyageuse indolente » qu’il interpelle en
usant de la deuxième personne du singulier (« Mais toi »). Puis l’utilisation de la
première personne du pluriel – « Nous marcherons ainsi » (v. 8), « Nous nous par-
lerons » (v. 10) – marque un rapprochement entre le poète et cette femme : pro-
messe de consolation. La fin du poème (v. 11 et suivants) indique d’ailleurs la
reprise du dialogue avec cette interlocutrice qu’il sollicite.
3. L’usage des pronoms « tu » et « nous » permet au poète de créer une atmo-
sphère d’intimité entre lui et son interlocutrice (« ne veux-tu pas […] rêver sur
mon épaule… ») et même de suggérer un rapprochement (« Nous nous parlerons
d’eux »). À cela on peut ajouter l’utilisation d’un vocabulaire qui accentue l’im-
pression de douceur et d’intimité (« indolente », « paisible »…).

Exercice 9BB
1. Le destinataire du message du narrateur s’appelle Marima (l. 1), et on sait
qu’elle est née à l’endroit évoqué dans l’extrait (le Biafra) : « à toi qui est née sur
cette terre rouge où le sang coule maintenant » (l. 16 et 17).
2. Le narrateur s’exprime à la première personne : on ne trouve pas moins de
onze occurrences du pronom « je ». C’est par l’évocation de ce pays où il a vécu,
34
à travers cette nostalgie qui semble faire « remonter » (« Je n’ai rien oublié », l. 1)
des odeurs, des saveurs, des sons (« j’ai dans la bouche le goût très doux de la
soupe d’arachides. Je sens l’odeur lente des fumées […] j’entends les cris des
enfants », l. 4 à 7), que le narrateur établit une relation d’intimité.

Analyser le jeu de l’exclamation et de l’interrogation


Exercice 10BBB
1. Dans la tirade de Fortunio, le pronom personnel « vous » qui désigne ici
Jacqueline, la femme qu’il aime, et le pronom de la première personne se côtoient
sans cesse ; l’un appelle perpétuellement l’autre : « vous donner ma vie » ; « vous
voudriez faire de moi » ; « vous m’aviez choisi ! Ma place était à votre table » ;
« j’allais compter dans votre existence » ; « me sourire comme vous » ; « je vous
perds »… Mais, malgré ce rapprochement incessant, on ne parvient jamais au
« nous » car la fusion est impossible, et c’est l’impossibilité de cette fusion qui fait
la souffrance de Fortunio.
2. Dans les lignes 2 à 6, les différentes interrogations : « Et à quoi suis-je bon […]
sinon à vous donner ma vie ? Sinon au plus chétif usage que vous voudrez faire
de moi ? Sinon à vous suivre, à vous préserver, à écarter de vos pieds une épine ? »
montrent un Fortunio s’offrant corps et âme à celle qu’il aime, et se dévalorisant,
comme le suggère l’usage des antithèses (« ma vie » par rapport à « chétif usage »
par exemple). Mais il ne s’agit encore que de questions pour soi, de questions qui
accompagnent une analyse. Dans les lignes 12 à 16, les autres interrogations sont
exprimées sous la forme d’une gradation : « Est-ce que je vous perds ? », « Est-ce
que j’ai fait quelque chose pour que vous me chassiez ? », « Pourquoi donc ne
voulez-vous pas faire encore semblant de m’aimer ? », la dernière interrogation
n’étant plus qu’une sorte de question oratoire contenant sa cruelle réponse : je
sais que vous ne m’aimez pas.

Exercice 11BBB
1. Bérénice reproche à Titus de trahir leur amour (« s’avouant infidèle ») et ceci
par ambition (« contentez votre gloire »). Elle l’accuse même de le faire avec faci-
lité : « L’ingrat, de mon départ consolé par avance » (v. 17).
2. On trouve des interjections : « Eh bien ! » (v. 1), « Ah ! » (v. 9) qui marquent la
vivacité des sentiments de la reine Bérénice. Il y a aussi d’autres exclamations aux
vers 15 et 16 indiquant l’incompréhension, la déception, l’impossibilité de conce-
voir la vie sans Titus. Les interrogatives des vers 9 à 12 ainsi que du vers 17 mon-
trent combien Bérénice est blessée par le comportement de Titus qu’elle interpelle
d’ailleurs pour essayer de le ramener à la raison : « songez-vous en vous-
même/Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? »
3. Aux vers 3 et 5, Bérénice utilise le mot « bouche » pour s’adresser à Titus. Aux
vers 14 et 15, c’est le nom du roi qu’elle emploie. Si elle cesse alors d’employer
le « vous », c’est pour une mise à distance qui peut prendre plusieurs sens :
– elle l’éloigne de son intimité : elle fait comprendre que c’est simplement la parole,
35
la raison d’État qui donne cet ordre (« bouche ») ; dans le second cas, Titus désigne
davantage la fonction, celle de roi, que l’époux ;
– mais en même temps, par une sorte d’ambivalence des sentiments très vrai-
semblable étant donnée la situation, en le mettant ainsi à distance, elle le voit
avec toute cette force de la vision de l’être aimé, et l’évocation de la bouche peut
même alors prendre une connotation sensuelle.

Étudier les procédés de l’insistance et de l’interpellation


Exercice 12BB
1. Jean-Pierre Otte utilise l’accumulation dans les lignes 2 à 6 (« Là, dans les
sierras, […] des corniches rocheuses ») qui décrit la diversité et l’immensité des
paysages. Dans le passage des lignes 8 à 11, il exploite une hyperbole : « trois
saisons ou trois siècles » qui s’oppose à la « poignée de jours et de nuits » qu’il va
passer dans la montagne. De cette façon il suggère l’isolement du lieu, sa coupure
d’avec le reste du monde. On peut même considérer comme une gradation le
passage de « domaines » à « étendues » puis à « abîmes », l’espace prenant ainsi
progressivement plus d’ampleur.
2. Ces procédés permettent de mettre en valeur le simple bonheur de vivre, mais
aussi le sentiment d’être quelque temps l’égal des dieux (l. 7).

Exercice 13BB
1. Le poète s’adresse à une femme appelée Georgia. Il utilise le procédé de l’in-
sistance puisqu’il répète ce prénom à 20 reprises. Ce prénom conclut vingt des
vingt et un vers de ce poème. Son intention est de faire comprendre à cette femme
qu’elle l’obsède et qu’il ne saurait vivre sans elle.
2. La présence de l’auteur est marquée par l’utilisation du pronom personnel
« je » qui structure le poème en étant placé au début de 15 vers sur 21. Ce
pronom s’oppose au prénom Georgia qui est répété en fin de vers. L’éloignement
dans les vers entre le pronom personnel et le prénom de la femme aimée suggère
que cet amour n’est pas partagé, que la fusion des deux individus est impossible.
3. Le poème de Philippe Soupault s’inscrit dans le registre lyrique. L’auteur mani-
feste l’exaltation du sentiment amoureux ; il confie à Georgia, la femme aimée,
son trouble, l’intensité de l’émotion qui l’envahit. L’utilisation du pronom per-
sonnel « je » qui ouvre 15 vers sur les 21 que compte le poème souligne l’expres-
sion des sentiments individuels et le souci de mettre en place une relation d’intimité
qui est caractéristique du registre lyrique. La forte présence du pronom person-
nel de la première personne du singulier est une anaphore qui renvoie à l’ex-
pression directe des sentiments éprouvés par l’auteur. Dans le registre lyrique,
l’auteur cherche à partager ses sentiments avec celle à qui il s’adresse : dans le
poème, les marques de cette sollicitation apparaissent à travers la répétition du
prénom Georgia qui structure le texte en concluant la quasi-totalité des vers. Il
s’agit d’un procédé d’insistance fondé sur la répétition qui donne un tour obses-
sionnel au poème. Pour suggérer l’intensité des sentiments qu’il éprouve, le poète
36
recourt à l’hyperbole (« le feu est comme la neige », « j’écoute les bruits tous sans
exception », « les nuages sont bas ils vont tomber ») comme à la gradation (« je
vois », « je marche », « je cours » puis « j’appelle », « je crie »). Les connotations
des termes utilisés par le poète sont plutôt négatives : « je ne dors pas », « le froid
silence et la peur », « les nuages sont bas »… Le lyrisme se teinte de mélancolie
voire de désespoir. L’amour passionnel éprouvé par le poète semble ne pas être
partagé ainsi qu’en témoigne l’éloignement entre le pronom « je » et le prénom
« Georgia » qui ne fusionnent jamais en un « nous ». Ce poème incantatoire bou-
leverse tant il fait partager avec justesse ce que le sentiment amoureux peut avoir
d’obsédant et de monstrueux. Chaque lecteur ne peut que se sentir ému par un
amour exprimé d’une manière aussi déchirante.

EXO-BAC
(PAGE 49)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. Les deux poèmes évoquent des souvenirs de bonheur et la mélancolie
du temps qui passe. Ils font tout deux référence à la danse et à des amours de jeu-
nesse.
2. Apollinaire multiplie les répétitions lexicales : « dansiez » (vers 1) et « danse-
rez » (vers 2), « cœur » (vers 14), « changeant » (vers 14 et 15), « sais-je » (vers 15,
16 et 18). Le vers « Sais-je où s’en iront tes cheveux » est repris à deux reprises
(vers 16 et 18). Le poète reprend également des structures syntaxiques : « quand
donc reviendrez-vous Marie » (vers 5) ; « quand donc finira la semaine » (vers 25).
L’insistance apparaît en outre dans les répétitions sonores : « silencieux » (vers 6),
« si lointaine » (vers 7), « cieux » (vers 8) et « délicieux » (vers 10). Le procédé de
l’anaphore avec la répétition du verbe « penser » au début des vers 3, 9, 11 et 27
permet à Hardellet d’insister sur la nécessité de se souvenir. La répétition en écho
de la première et de la dernière strophes participe du même procédé. Le souve-
nir est évoqué en litanie. Ces procédés d’insistance participent au lyrisme des
poèmes car ils permettent d’insister sur le temps qui passe, sur les bonheurs enfuis
dont on se souvient sans cesse.
3. Apollinaire marque sa présence dans le poème par l’utilisation de la première
personne du singulier : « je veux » (vers 9), « mon mal » (vers 10), « que n’ai-je »
(vers 13), « un cœur à moi » (vers 14), « ma peine » (vers 23). Son interlocutrice
apparaît à travers la deuxième personne du pluriel (« Vous y dansiez », vers 1,
« reviendrez-vous Marie », vers 5, « je veux vous aimer », vers 9), puis du singu-
lier (« tes cheveux », vers 16, « tes mains », vers 19) : le poète semble retrouver
peu à peu l’intimité qui le liait à Marie. Hardellet utilise également la première
personne du pluriel : « nous avons aimé » (vers 18), « comme les nôtres » (vers
28), mais accorde la plus grande place à son interlocuteur qui apparaît à travers
des expressions comme « souviens-toi », « pense à ta jeunesse » ou « pense aux
37
bonheurs qui sont passés ». L’utilisation de la première personne permet de
montrer que les poètes partagent les mêmes émotions car ils ont vécu au même
endroit les mêmes événements. Le recours à l’apostrophe souligne cette commu-
nauté de sentiment mais aussi le thème principal des poèmes qui est le souvenir
lié au temps qui passe.

Écriture
Les deux poèmes communiquent avec intensité des émotions et des sentiments
personnels. Apollinaire comme Hardellet exaltent le sentiment amoureux : « je
veux vous aimer » (v. 9), « nous avons aimé » (v. 18). C’est ainsi que les deux
textes sont marqués par la mélancolie liée au temps qui passe inexorablement et
à l’amour enfui.
L’auteur d’Alcools insiste sur la distance : « Quand donc reviendrez-vous » (v. 5),
« la musique est si lointaine » (v. 7). Le bal de chez Temporel (v. 2 et 26) est pour
Hardellet un endroit qui suscite le retour vers le passé (à ce nom de Temporel se
rattachent d’ailleurs des connotations liées à la fuite du temps). Le procédé de
l’anaphore, avec la répétition du verbe « penser » aux vers 3, 9, 11 et 27, par
lequel l’auteur invite son interlocuteur à se pencher sur son passé, contribue à
donner un ton mélancolique au Tremblay. Dans « Marie », ce sont les répétitions
lexicales : « dansiez » (v. 1) et « danserez » (v. 2), « cœur » (v. 14), « changeant »
(v. 14 et 15), « sais-je » (v. 15, 16 et 18) et syntaxiques (« Quand donc reviendrez-
vous Marie », v. 5, puis « Quand donc finira la semaine », v. 25) qui donnent cette
impression.
Les poètes essaient en vain de ressaisir la réalité de la femme aimée. Les images
employées par Hardellet montrent son désarroi : « il n’est demeuré qu’un reflet »
s’oppose au souhait prononcé au vers 12 (« qui garderait son vrai contour ») et
révèle le travail du temps qui passe en effaçant tout : « sur le tain écaillé des
glaces. » Apollinaire exprime des sensations proches à travers des images : « Les
brebis s’en vont dans la neige » (v. 11), «des soldats passent» (v. 13) ou «tes mains
feuilles d’automne » (v. 19). Le recours aux pronoms de la première personne
souligne que les poètes expriment directement ce qu’ils éprouvent. Ils créent ainsi
une relation d’intimité, une proximité avec le lecteur. Les pronoms personnels
(« vous y dansiez ») et les adjectifs possessifs (« ta jeunesse », « tes cheveux ») sug-
gèrent que les auteurs cherchent à partager leurs sentiments avec leurs interlo-
cuteurs en les apostrophant. Ces sollicitations contribuent à impliquer le lecteur.
Ces deux textes sont enfin marqués par le regret et le chagrin. Apollinaire utilise
l’image du fleuve qui est comparé à sa peine car « Il s’écoule et ne tarit pas »
(v. 24), tandis que Hardellet fait allusion à « une jeunesse gâchée » (v. 9). Ces émo-
tions complexes liées à la mélancolie et aux bonheurs passés sont caractéristiques
du registre lyrique.

Critères de réussite
• Présence d’une idée directrice par paragraphe.
• Présence d’exemples extraits de textes étudiés.
• Correction de la syntaxe et du vocabulaire de l’analyse stylistique.
38
LES REGISTRES
CHAPITRE

4 Le registre épique
(PAGES 50 à 59)

L’épopée a pendant longtemps été considérée comme le genre poétique le


plus noble : dans la tradition classique d’origine grecque (epos = la parole),
elle est un long poème destiné à être récité en public, récit d’aventures
exemplaires, qui retrace l’histoire d’une société, d’une nation ou d’une
famille.
Si l’histoire moderne de l’épopée, de Ronsard à Voltaire, est jalonnée
d’échecs, le XIXe siècle puis le XXe renouvellent le genre épique en l’éten-
dant à la prose : La Comédie humaine, Les Rougon-Macquart, Les
Thibault, La Condition humaine, inscrivent le roman dans le registre
épique en transformant l’histoire d’un héros ou d’un groupe en un système
cohérent de symboles et de mythes. En dépassant le genre de l’épopée,
l’époque moderne conserve ainsi une tradition épique, renouvelée notam-
ment par le cinéma (le western par exemple) et le journalisme (les comptes
rendus sportifs).

OBSERVATION
(PAGES 50-51)

Introduction
Les deux textes de la double page d’observation, aussi différents soient-ils, se
rejoignent à travers le registre dans lequel ils s’inscrivent. Tous deux s’inspirent
de l’épopée pour rendre compte, en les glorifiant, d’exploits héroïques dans un
cadre épique.
Le journaliste sportif inscrit volontiers son compte rendu dans le registre épique
lorsqu’il s’agit de mettre en valeur l’exploit des athlètes : les Jeux olympiques, la
Coupe du monde de football, le Tour de France sont autant d’occasions d’expri-
mer en un « chant épique » la démesure d’une performance qui fait du sportif le
héros glorifié de la société contemporaine.
Les Trophées constituent l’unique recueil de José-Maria de Heredia. Chacun des
cent dix-huit sonnets qui le composent se présente comme un « microcosme
verbal », un monde en miniature dans lequel les mots rares, les couleurs violentes
et les décors antiques rappellent les grands moments de l’Histoire.
39
Réponses aux questions
I. Le chant épique
1. Les marques de la présence du journaliste, narrateur de l’exploit sont :
– « Je dirai que » (l. 1) ;
– « de plus terribles encore nous attendent » (l. 4) ;
– « je ne suis pas de ceux qui ménagent leurs adjectifs […] ou qui lésinent sur
l’épithète. » (l. 5-8) ;
– « Je ne mâcherai donc pas mes mots » (l. 10 et 11) ;
– « je n’ai pas besoin de vous l’apprendre » (l. 20 et 21) ;
– « à mon avis » (l. 22) ;
– « nous dûmes y cheminer à l’aveuglette » (l. 34).

II. Le combat épique


2. Les adjectifs qui qualifient les circonstances de l’exploit :
« dantesque » (l. 2) ; « terribles » (l. 3 et 4) ; « infernale » (l. 13) ; « fameux »
(l. 18) ; « tortueux » (l. 32) ; « torride » (l. 33) ; « déchirants » (l. 36) ; « vol-canique »
(l. 37) ; « fabuleux » (l. 41) ; « affreux » (l. 42 ; « affolées » (l. 43) ; « émouvant »
(l. 45) ; « grandiose » (l. 46 ; « affolées » (l. 50) ; « lugubres » (l. 51) ; « pathétique »
(l. 53) ; « fumant » (l. 57) ; « stupide » (l. 59) ; « ultimes » (l. 62) ; « derniers »
(l. 63) ; « consumée » (l. 65) ; « sidéral » (l. 66).
Les différents réseaux de sens mis en évidence par le relevé renvoient au voca-
bulaire de la guerre, des éléments naturels ou des légendes. Ils sont conformes à
la tradition épique et soulignent les différentes épreuves traversées par les héros
de l’épopée moderne constituée par le Tour de France, que les journalistes spor-
tifs, depuis Albert Londres, comparent volontiers à une odyssée.
3. Le réseau lexical de la guerre :
– Strophe 1: «choc», «rude», «tribuns», «centurions», «cohortes», «vibraient»,
« carnage ».
– Strophe 2 : « morne », « compagnons », « défunts », « soldats », « mortes »,
« archers », « sueur ».
– Strophe 3 : « flèches », « rouge », « flux », « blessures », « airain ».
– Strophe 4 : « fracas », « buccins », « fanfare », « cheval », « effare », « enflammé »,
« sanglant ».
La guerre est omniprésente tout au long du poème, de même que les sensations
qu’elle provoque. L’ouïe, la vue, l’odorat et surtout le toucher, tous les sens sont
mis à contribution pour exprimer la violence du combat :

Ouïe Vue Odorat Toucher


« voix fortes » ; « œil morne » ; « humaient » ; « choc », « rude » ;
« fracas » ; « regardaient » ; « air » ; « vibraient »,
« fanfare ». « rutilant », «acres parfums». « blessures
« superbe ». fraîches »,
« enflammé ».
40
III. Le héros épique
4. Le sujet de la phrase constituée par les deux sonnets est repoussé à la fin du
dernier vers, créant une attente pour le lecteur, attente comparable à celle vécue
par les témoins de la scène.
Les deux groupes qui composent la proposition principale – « C’est alors qu’appa-
rut […] l’Imperator sanglant » – sont ainsi séparés par un grand nombre de
groupes apposés qui retardent et mettent en valeur l’apparition du héros, tout en
créant un effet de suspense.
Les différents réseaux de sens mis en évidence par le relevé renvoient au voca-
bulaire de la guerre, des éléments naturels ou des légendes. En cela, ils sont
conformes à la tradition épique et soulignent les différentes épreuves traversées
par les héros de l’épopée moderne constituée par le Tour de France.

IV. Les procédés du registre épique


5. Exemples de comparaisons, métaphores ou hyperboles qui mettent en valeur
l’intensité de l’exploit :

Texte A Texte B
Comparaisons – «comme dans une émanation – « comme des feuilles
volcanique » mortes » (v. 6).
(l. 36-37) ;
– « ils passaient comme ces
ultimes détenteurs du verbe»
(l. 61-62).
Métaphores – « je ne suis pas de ceux qui – « la chaleur du carnage »
ménagent leurs adjectifs (v. 4) ;
pour ne pas les fatiguer » – « tourbillonner les archers »
(l. 5-7) ; (v. 7) ;
– « je ne mâcherai donc pas – « ciel enflammé » (v. 14).
mes mots » (l. 10-11) ;
– « le clou de la journée »
(l. 22) ;
– « la horde automobile qui
s’engouffra soudain »
(l. 30-31) ;
– « les klaxons en avaient
plein la gueule »
(l. 41-42) ;
– «le cortège des mécaniques
affolées » (l. 49-50) ;
– « toboggan d’automobiles »
(l. 57-58) ;
– « stupide colère des avertis-
seurs » (l. 59-60).
41
Texte A Texte B
Hyperboles – « nettement dantesque » – « très rude » (v. 1) ;
(l. 2) ; – « tout hérissé de flèches »
– « infernal(e) » (l. 13 et 17) ; (v. 9) ;
– « bruits déchirants » (l. 36) ; – « flux vermeil de ses
– « piège fabuleux » (l. 40-41) ; blessures fraîches » (v. 10) ;
– « le plus émouvant » – « fracas des buccins »
(l. 45) ; (v. 12).
– « les interstices du chaos »
(l. 56-57) ;
– «cataclysme sidéral» (l. 66).

EXERCICES
(PAGES 55 à 58)

Repérer le narrateur et
la dimension orale du registre épique
Exercice 1B
1. La présence du narrateur est marquée par l’utilisation des pronoms person-
nels « je » (l. 6, 10 et 14), « moi » (l. 1) et « me » (l. 6). Il apparaît également à
travers les adjectifs possessifs « ma » (ligne 6), « mon » (l. 13). Les marques de
jugement suggèrent que le narrateur est épanoui : « pleinement libre » (l. 5), « ma
chance » (l. 6), « heureux accord » (l. 8 et 9).
2. Cet extrait des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar prend une
dimension solennelle par le choix des termes qui soulignent le caractère excep-
tionnel et unique du voyage entrepris par le narrateur : « première fois » (l. 4),
« pleinement » (l. 5), « des siècles passeraient » (l. 7 et 8), « aveu […] jamais fait »
(l. 11). La répétition des négations : « jamais » (l. 10), « pas même » (l. 13 et 14)
soulignent l’importance du moment. Les personnages cités – « Pythagore »,
« Platon » – comme les noms de lieux – « Athènes », « Rome » – sont extrême-
ment prestigieux. Le narrateur recourt en outre à des procédés de style qui
rendent l’intensité du voyage. « Quelques hommes avant moi » (l. 1) est un euphé-
misme puisque ces hommes ne sont rien moins que « Pythagore, Platon, une dou-
zaine de sages ». L’utilisation des gradations « de voir, de réformer, de créer »
(l. 5 et 6) puis « d’une fonction, d’un tempérament, d’un monde » (l. 9 et 10)
donne au texte une ampleur solennelle. La longueur des phrases, marquées par
un rythme ternaire, ainsi que les parallélismes (« pas même à mon Athènes »/« pas
même à Rome » ; « étranger partout »/« isolé nulle part ») produisent un effet
d’ampleur et de puissance.

Exercice 2BB
1. Les détails qui représentent le soldat comme un vieil homme pauvre : il est
assis sur une « botte de foin » (l. 10 et 11) et possède un « regard noir tout chargé
42
de misère, d’événements et de souffrances » (l. 11 à 13) ; le narrateur compare sa
veste au « sac où jadis étaient ses hardes, ses souliers, toute sa fortune » (l. 15 à
17) ; ses cheveux sont « gris » (l. 20).
2. Les indications qui montrent que le soldat s’apprête à raconter un récit épique
sont les suivantes :
– il met en garde son auditoire sur la longueur du récit qu’il s’apprête à com-
mencer : « Vous le voulez, répondit Goguelat. Eh ! Bien, vous verrez que ça ne
signifie rien quand c’est dit au pas de charge. » (l. 3 à 5) ;
– le vocabulaire de la guerre est utilisé : « charge », « bataille », « cartouches »,
« baïonnette », etc. ;
– la posture du soldat, se levant pour prendre la mesure de l’auditoire ; le regard
solennel qu’il jette sur l’assemblée ;
– l’hyperbole de la dernière ligne du texte : « il porta la tête vers le ciel afin de se
mettre à la hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire. »
3. Le fantassin est détenteur du savoir ; il a participé à des événements historiques
qui ont décidé du destin de la nation pour laquelle il a combattu : il prend donc,
aux yeux de l’assemblée, une dimension supérieure qu’il ne se prive pas de mettre
en évidence par sa gestuelle : « il porta la tête vers le ciel afin de se mettre à la
hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire » (l. 21 à 23).

Analyser l’affrontement des hommes


Exercice 3BB
1. Exemples de termes qui soulignent le caractère exceptionnel du combat :
« spectacle formidable » (l. 3) ; « sabres levés, étendard et trompettes au vent »
(l. 4 et 5) ; « fond redoutable » (l. 10) ; « nuage de mitraille » (l. 14) ; « épouvan-
table pente » (l. 15) ; « Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables » (l. 16
et 17) ; « piétinement colossal » (l. 19) ; « immenses couleuvres d’acier » (l. 23 et
24) ; « prodige » (l. 25).
2. Les images utilisées sont surtout la comparaison, la métaphore et l’hyperbole.
Elles participent au registre épique en soulignant l’intensité de l’action ou en unis-
sant les soldats en un groupe soudé et invincible.
Comparaisons : « Cela traversa la bataille comme un prodige » (l. 24-25).
Métaphores: «sortant de cette ombre» (l. 11-12); «à travers un nuage de mitraille
crevant sur elle » (l. 14-15) ; « On croyait voir de loin s’allonger […] deux immenses
couleuvres » (l. 22-24).
Hyperboles : « Les escadrons énormes » (l. 1-2) ; « spectacle formidable » (l. 3) ;
« comme un seul homme » (l. 7) ; «piétinement colossal» (l. 19).

Exercice 4BB
1. Les termes qui soulignent l’intensité de l’affrontement : « âpre fièvre » (v. 1) ;
« s’ameuter et éclater » (v. 3) ; « fureur réenflammée » (v. 6) ; « bruit », « fumée »
(v. 9) ; « on se bat » (v. 10) ; « peur », « terreur » (v. 13). On peut également relever
le réseau lexical du bruit et du mouvement, omniprésent dans ce passage : « voler »
43
(v. 2) ; « éclater » (v. 3) ; « crépiter » (v. 4) ; « fureur » (v. 6) ; « monte » (v. 8) ; « bruit
« (v. 9) ; « gestes » (v. 11) ; « tourbillons » (v. 12) ; « hâte » (v. 14) ; « dépassent »
(v. 15).
2. L’ensemble de ces termes amplifie le spectacle de la bourse et des boursier : la
corbeille devient le champ de bataille où les fortunes changent de main.

Étudier le déchaînement du monde


Exercice 5BB
1. Les termes qui évoquent la nature sont les suivants : « glacier » (l. 2) ; « racines »
(l. 5) ; « granit » (l. 6) ; « rameaux » (l. 11) ; « chêne » (l. 12) ; « une ruche d’abeilles »
(l. 13).
2. L’accumulation, de la ligne 6 à la ligne 15, est le procédé choisi par Giono
pour montrer le spectacle de la violence irrépressible de l’eau : 25 verbes partici-
pent ainsi à l’énumération des effets produits par le jaillissement de l’eau, énu-
mération entrecoupée de comparaisons qui renvoient à l’image de la circulation
sanguine (l. 8-9), à celle des branches d’un chêne (l. 11 et 12) puis à celle d’une
ruche (l. 13) et d’une « arche de verre » (l. 15). Tous les domaines de la nature
sont représentés : l’humain, l’animal, le végétal et le minéral.
3. La personnification de l’eau s’effectue au moyen des verbes d’action : « a com-
mencé », « s’est cherché », « les trouve », « entre », « écarte », etc. L’eau se trouve
ainsi dotée d’une intelligence mise au service d’une puissance destructrice. En per-
sonnifiant l’eau, Giono souligne la violence du combat qui oppose l’homme aux
éléments naturels, met en scène la lutte de l’humanité contre la menace du chaos.

Exercice 6BB
1. Les thèmes du monde moderne évoqués par le Manifeste du futurisme sont :
Les transports L’industrialisation Le sport
– « les gares » ; – « les usines » ; – « gymnastes » ;
– « les ponts » ; – « leurs fumées » ; – « grands poitrails » ;
– « les locomotives » ; – « la coutellerie » ; – « claquements
– « les rails » ; – « longs tuyaux ». de drapeau » ;
– « chevaux d’acier » ; – « applaudissements
– « aéroplanes » ; de foule enthousiaste ».
– « l’hélice ».

2. Le texte « chante », à la manière d’un récit épique, les transformations du


monde, la naissance d’un monde nouveau au paysage radicalement transformé.
Il utilise les images poétiques, et notamment la métaphore et la comparaison
– « les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument » (l. 1 et 2) ; « les loco-
motives aux grands poitrails, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux
d’acier » (l. 6 et 8) – pour inscrire cette modernité dans l’univers naturel. C’est le
mouvement qui est ainsi souligné, la transformation radicale d’un monde qui s’ef-
fectue sous les « applaudissements de foule enthousiaste » (l. 10 et 11).
44
Analyser les caractéristiques du héros épique
Exercice 7B
1. Bonaparte semble grandi par une vue en contre-plongée qui le détache sur le
ciel et par l’échelle : sa place au premier plan le rend gigantesque parcomparai-
son avec les soldats mais aussi par rapport au cheval (on sait qu’en réalité
Bonaparte franchit les Alpes à dos de mulet).
2. L’héroïsation par les éléments du décor :
– les noms gravés d’illustres conquérants (Hannibal, Charlemagne) inscrivent
l’épopée de Bonaparte dans la lignée de ses prédécesseurs ;
– les couleurs les plus vives et complémentaires font ressortir Bonaparte ;
– le ciel tourmenté, le vent violent, le cheval cabré, les hauts sommets participent
à mettre en place le décor de l’épopée ;
– les violents contrastes dramatisent la scène.
3. Bonaparte regarde et interpelle le spectateur en lui indiquant du doigt la voie
de l’avenir, le chemin de la conquête. C’est le héros antique en costume moderne.
Remarque. « C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’Antique… Bonaparte est
mon héros », déclare David à ses élèves. David est le représentant officiel du néo-
classicisme français. Par ses œuvres, il a soutenu le pouvoir de Bonaparte, puis
de Napoléon. Le simple reportage relatant le franchissement des Alpes par l’armée
avec Bonaparte à sa tête est élevé au rang de manifeste politique qui exalte l’au-
torité d’un homme, son héroïsme. En tant que peintre voulant toucher le peuple,
David sait que, pour frapper, il faut simplifier et agrandir.

Exercice 8BB
Les épreuves qui font de l’aviateur un héros épique :
– la longue marche « sans piolet, sans cordes, sans vivres » (l. 2-3) ;
– l’escalade « des cols de quatre mille cinq cents mètres » (l. 3-4) ;
– le sang qui témoigne des souffrances endurées dans le froid (l. 5-9) ;
– l’errance obstinée vers une issue incertaine (l. 8-13).

Exercice 9BB Vers l’oral


1. « Il met sous lui son épée et son olifant » (v. 5) : Roland, jusque dans la mort,
veut conserver ses attributs de guerrier, qui constituent sa raison de vivre et jus-
tifient son destin héroïque.
2. Les valeurs de la chevalerie auxquelles Roland est attaché :
– l’amour des armes et la passion de l’art militaire (« il met sous lui son épée et
son olifant », v. 5) ;
– la fidélité au roi et le désir de gloire (« il veut véritablement que Charles et tous
les siens disent qu’il est mort en vainqueur », v. 7-9) ;
– la défense de la religion (« il tourne la tête du côté de la gent païenne »,
v. 6 ; « Il proclame ses fautes, se frappant la poitrine à petits coups répétés, pour
ses péchés », v. 10-11 ; « Il tend vers Dieu son gant », v. 11).
45
3. Roland veut laisser de lui l’image d’un héros épique. Il meurt au combat et les
armes à la main, le devoir accompli. En se mettant «face contre terre», il témoigne
de l’attachement porté au territoire qu’il défend contre ses ennemis. Cette mise
en scène de sa propre mort par le héros rappelle son attachement aux valeurs de
la chevalerie et font de lui un modèle de héros épique.

Exercice 10BB
1. Le héros collectif est représenté aux vers 1 à 4 :
« Alors tout se leva. – L’homme, l’enfant, la femme,
Quiconque avait un bras, quiconque avait une âme,
Tout vint, tout accourut. Et la ville à grand bruit
Sur les lourds bataillons se rua jour et nuit. »
La syntaxe et les figures de style participent à faire du peuple un héros collectif :
l’hyperbole (« tout se leva »), la métonymie (« la ville… se rua »), l’utilisation sys-
tématique du singulier créent une unité à laquelle participent l’ensemble des révo-
lutionnaires.
2. Aux armes des «lourds bataillons» («boulets», «obus», «balle», «mitrailles»,
« canons »), les révolutionnaires ne peuvent opposer que leur « bras » et leur
« âme ». Seul le nombre, l’effet de masse, l’union permettent d’envisager la vic-
toire : cette union est soulignée par les termes « tout », « quiconque », « la ville »,
« mille efforts », « foule », « faubourgs ». Le héros n’est donc plus un guerrier au
service d’un destin individuel, mais un être collectif, uni dans le combat et les
valeurs qui fondent la cité.

Étudier le mouvement du récit épique


Exercice 11BB
1. Les différentes étapes du combat :
– Le corps-à-corps (l. 1 à 13) : la chèvre affronte le loup sans relâche, durant toute
la nuit ;
– l’arrivée de l’aube (l. 14 à 18) : le jour se lève alors que le combat arrive à son
apogée ;
– la victoire du loup (l. 19 à 24) : la chèvre, qui a rempli l’objectif qu’elle s’était
fixé – tenir jusqu’à l’aube – laisse le loup la dévorer.
2. L’ensemble du passage contribue à faire de la chèvre de M. Seguin une héroïne
épique grâce :
– à la disproportion des forces en présence (le « monstre » face aux « petites
cornes », l. 1) ;
– aux qualités de cœur, à la bravoure de la chèvre (« brave chevrette », « bon
cœur », l. 3 et 4) ;
– à la résistance physique et morale (« Plus de dix fois… elle força le loup à
reculer », l. 4 et 5 ; « elle retournait au combat », l. 8 ; « Blanquette redoubla de
coups de cornes », l. 15) ;
46
– à la dignité dans la défaite, au courage face au destin et à la mort (« et elle
s’allongea par terre, dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang », l. 20
à 22).
Parallèlement, l’attitude du loup met en relief toutes les qualités de l’héroïne : le
« monstre » fait preuve de faiblesse, il recule « plus de dix fois » ; lorsque la chèvre
est à bout de forces, il se « jette » sur elle pour la « dévorer », sans aucun égard
pour le courage de la « pauvre bête ».
3. Le décor, l’atmosphère contribuent à faire basculer le récit dans le merveilleux,
à travers un certain nombre de signes :
– l’image des cornes qui entrent en danse (l. 1 et 2) ;
– la durée exceptionnelle du combat ;
– les étoiles dansant dans le ciel clair (l. 11) ;
– le « chant du coq enroué » (l. 17) ;
– le contraste entre le rouge du sang et la blancheur pure de la fourrure
(l. 21 et 22).

Exercice 12BBB
1. Le réseau lexical du mouvement : « relais » (l. 1) ; « porteurs » (l. 1) ; « marche
rigide » (l. 2) ; « geste » (l. 2 et 6) ; « repartaient » (l. 4) ; « sentier » (l. 7) ; « avan-
çaient » (l. 9) ; « pas » (l. 9) ; « ralenti » (l. 9) ; « long chemin » (l. 11) ; « battement »
(l. 13) ; « marche funèbre » (l. 14).
Le récit déroule une série d’actions, de péripéties qui s’enchaînent au rythme de
la marche. Les pauses sont brèves alors que le chemin est rendu long et difficile
par la mission que se donnent les porteurs : descendre les blessés de la montagne,
tout en veillant à ce qu’ils ne souffrent pas.
2. L’attitude des villageois trahit les valeurs qu’ils défendent : la solidarité
(«relais», «pas ordonné», «rythme accordé à la douleur»), la compassion («geste
prudent et affectueux », « ne pensant qu’à ne pas secouer les civières »), la modes-
tie et la pudeur (« comme s’ils eussent voulu cacher aussitôt ce que leur geste
venait de montrer de leur cœur »).
3. Le rythme des phrases adopte celui de la marche des porteurs ; les phrases sont
longues et segmentées de manière régulière afin de recréer le rythme de la des-
cente : « et ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait emplir
cette gorge immense où criaient là-haut les derniers oiseaux, comme l’eût empli
le battement solennel des tambours d’une marche funèbre. » Les phrases longues
et complexes amplifient l’action représentée.
4. Les images (l. 10 à 14) :
– « ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait emplir cette
gorge immense » : la métaphore ajoute à l’impression de puissance irrésistible
dégagée par la marche des hommes ; celle-ci absorbe le cadre naturel, l’emplit
tout entier, comme si la nature assistait en silence (les oiseaux se taisent) au spec-
tacle ;
– « ce rythme… semblait emplir cette gorge immense… comme l’eût empli le bat-
tement solennel des tambours d’une marche funèbre » : la comparaison souligne
47
l’atmosphère quasi religieuse de la marche, en même temps qu’elle marque, par
ses sonorités (allitérations en « r » et en « b »), le rythme des « tambours » imagi-
naires.
Les deux images, subordonnées dans la même phrase, amplifient la scène de
manière à l’accorder au registre épique choisi par l’auteur.

Repérer et analyser les procédés du registre épique


Exercice 13BBB
1. Les mots qui appartiennent à l’univers antique et leur définition (extraites du Petit
Robert) :
• HOMÉRIQUE : • 1546 ; lat. homericus.
1° u Qui appartient, qui a rapport à Homère. L’Iliade et l’Odyssée, poèmes homé-
riques.
2° u Qui est digne d’Homère, de sa manière. Personnage homérique. Lutte homé-
rique.
u Loc. (1836) Rire homérique : fou rire bruyant, pareil à celui qu’Homère prête
aux dieux de l’Olympe. « un éclat de rire immense, homérique, olympien »
(Gautier).
• NEFS : • XIe ; lat. navis Navire. – Spécialt. Grand navire à voiles du Moyen Âge.
Une nef figure sur les armes de Paris.
• CHAR : (XVIe) Antiq. Voiture à deux roues, utilisée dans les combats, les jeux. Char
tiré par quatre chevaux Þ quadrige. Courses de chars (Þ 2. carrière, cirque).
Conducteur de char Þ aurige. Captifs enchaînés au char du vainqueur. – Poét. Le
char du soleil, de la nuit. Fig. Le char de l’État.
• AIRAIN : • XVIe ; arain XIIe ; bas lat. œramen, du class. œs, œris. Vx ou littér. Bronze.
« C’est l’angélus qui sonne […], l’air s’emplit de vibrations d’airain » (Loti).
u Fig. D’airain : dur, implacable. Cœur d’airain. – La loi d’airain : nom donné par
Lassalle à la loi qui, en régime capitaliste, limite le salaire de l’ouvrier au minimum
vital.
• HÉROÏQUE : • 1361 ; lat. heroicus, du gr. hêrôs.
1° u Qui a rapport aux anciens héros. «Chez les Grecs, dans les temps héroïques »
(Montesquieu). – Par plais. Remonter aux temps héroïques, très reculés. – Par anal.
En parlant d’un temps où se sont déroulés des événements mémorables, qui, avec
l’éloignement, prennent un caractère de légende. Les temps héroïques du cinéma,
de l’aviation. « Marie [d’Agoult] et Franz [Liszt], au temps héroïque de leur
liaison » (Henriot).
2° u Littér. Qui célèbre, conte les exploits des héros, des hommes illustres. Poète
héroïque Þ aède, barde, rhapsode. Légendes héroïques. Poème, poésie héroïque.
Þ épique.
3° u (1552) Qui est digne d’un héros ; qui dénote de l’héroïsme. Une âme
héroïque. Courage héroïque Þ fort, impavide, stoïque. Combat, lutte, résistance
héroïque.
48
u Par ext.
Les heures héroïques de la libération de Paris. Une décision héroïque.
4° u Qui fait preuve d’héroïsme Þ brave, courageux. « Wellington fut là froide-
ment héroïque. Les boulets pleuvaient » (Hugo). Les héroïques défenseurs de
Verdun.
• DIEUX (XIIe) Dans le polythéisme UN DIEU, LES DIEUX : être(s) supérieur(s), doué(s)
d’un pouvoir sur l’homme et d’attributs particuliers. Dans les grandes religions
antiques Þ divinité ; déesse, démon, esprit, être, génie, principe. Histoire des
dieux.
Þ mythologie ; théogonie. Ensemble des dieux d’une religion Þ panthéon. Les
dieux égyptiens, assyriens, celtiques, scandinaves, germaniques. Le dieu Wotan.
Toutatis, dieu gaulois. Les dieux de la Grèce. Les dieux de l’Olympe. Mars,
dieu de la guerre. Les dieux de la famille, protecteurs du foyer domestique. Þ
lare, mânes, pénates. Les dieux et les héros. Þ demi-dieu. Invoquer les dieux.
faire des offrandes, des sacrifices aux dieux. Mettre au rang des dieux. Þ déifier,
diviniser.
Les termes empruntés au vocabulaire de l’Antiquité rappellent les origines de
l’épopée : le titre du poème (« Le combat homérique ») fait d’ailleurs directement
référence, avec l’ensemble du vocabulaire défini plus haut, à l’univers de l’Iliade
et de l’Odyssée d’Homère.
2. Les procédés du registre épique dans le poème :
Le lexique : les termes empruntés à l’univers antique (voir question 1) ; «Et voici
que»: le présentatif crée un effet d’emphase et d’amplification qui souligne l’en-
chaînement des actions et annonce la pointe finale du poème.
La syntaxe : phrases longues et complexes qui amplifient l’action représentée (une
phrase par strophe) ; effets de symétrie et de parallélisme qui soulignent l’affron-
tement (second quatrain).
Les figures de style : des comparaisons et des métaphores qui ajoutent à l’im-
pression de puissance (« tourbillon guerrier de peuples chevelus », v. 3) et de vio-
lence (« flux et reflux/Des boucliers d’airain hérissés d’éclairs louches », v. 7-8) ;
énumération qui marque la profusion des combattants (les deux quatrains).

Exercice 14BBB Vers le commentaire


Éléments de réponse :
– présence d’un narrateur qui adopte un ton solennel (« Moi aussi, je regardais
insatiablement… », l. 1) ;
– dimension orale du récit (notamment à travers les fausses questions) ;
– affirmation du déchaînement du monde et des éléments naturels (la tempête
mêle les quatre éléments et semble marquer le retour du chaos) ;
– dimension fantastique du tableau : références à l’Antiquité, caractère mons-
trueux de la tempête ;
– présence de figures de style soulignant la puissance et la violence de la
tempête.

49
EXO-BAC
(PAGE 59)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Le texte de Jean Rouaud évoque un épisode de la Première Guerre mondiale :
il met en scène un peloton de soldats subissant une attaque de gaz asphyxiant.
La nuisance du gaz est amplifiée par le vent : le violent combat opposant les
hommes aux gaz toxiques s’inscrit dans le registre épique. Jean Rouaud utilise
des phrases longues et complexes qui amplifient l’action représentée : la première
phrase occupe 8 lignes et donne à l’irruption du vent une dimension effrayante.
Le choix du lexique relève également du registre épique : allusion à l’Antiquité
avec la mer Rouge et le pharaon (lignes 7 et 8), niveau de langue soutenu, nom-
breux termes insistant sur la violence du moment : « bouillonnante », « effarés »,
« dérisoire », « tuer le vent ». La présence d’images telles que « marée verticale
comme celle en mer Rouge » ou « on cherchait à tuer le vent », la personnifica-
tion du nuage de gaz en « grand corps mou » et les amplifications (« poussait,
s’engouffrant, engloutit ») confirment qu’il s’agit d’un récit épique. Le texte de
Barbusse appartient au contraire au registre réaliste car il comporte des dialogues
quotidiens, un niveau de langue familier (« probable », « moyens pas propres »)
et décrit les événements du point de vue d’un des soldats (effet de réel).
2. Le tableau de Vallotton représente les violents combats qui se sont déroulés à
Verdun pendant la Première Guerre mondiale. Il s’agit donc d’un « tableau de
guerre ». Le peintre précise qu’il est « interprété ». En effet, plutôt que de donner
une image réaliste, l’artiste a préféré recomposer la réalité pour mieux suggérer
la violence extrême du conflit. Les soldats sont absents du tableau : l’inhumanité
des combats est soulignée. Le titre indique les éléments retenus : « terrains dévas-
tés, nuées de gaz ». Les terrains éventrés par les obus apparaissent dans le tiers
inférieur de l’image. Les nuées de gaz dominent le reste de la toile.
Les nombreuses diagonales qui créent un effet de déséquilibre et quadrillent le
tableau produisent un effet d’étouffement : nul ne pouvait échapper à la mons-
truosité de ces attaques. Les « projections colorées noires, bleues et rouges »
concernent à la fois les tirs d’obus et les gaz asphyxiants. Les dégâts, les victimes
sont symbolisés par la présence de la couleur rouge dans le coin inférieur droit.
Les projections bleues et rouges qui traversent la toile peuvent se lire comme des
allusions au drapeau tricolore français.
Ce tableau s’inscrit dans le registre épique car il évoque une scène de combats en
lui donnant une dimension exceptionnelle. Le peintre a choisi d’insister sur le
chaos et le déchaînement du feu et de la terre. Toutefois en tentant de faire par-
tager ce qu’il a ressenti en voyant l’inconcevable, l’artiste mêle les registres fan-
tastique, lyrique et épique pour montrer le profond sentiment d’horreur qui guide
son témoignage.

50
Marque Présence des
référentielle du couleurs bleu,
lieu des combats blanc et rouge,
(des collines). mais aussi
du noir.
Opposition entre
les volumes du Enchevêtrement
quart inférieur des obliques
du tableau et qui soulignent
les obliques la violence
des trois quarts des combats.
supérieurs.

Écriture
Et voici ce que, brusquement, nous découvrîmes stupéfaits… une ombre déme-
surée vint s’étendre sur les prisonniers. Le ciel semblait s’assombrir, comme si
Vulcain et Mars eux-mêmes refusaient d’assister au terrible spectacle. L’air vibrait
d’un formidable silence, un gigantesque nuage verdâtre avait éteint le soleil. Ce
lourd paquet de ouate étouffait tous les sons, épousant les moindres aspérités du
terrain, s’asseyant pesamment sur les bosses. Quelques poings levés tentèrent de
défier le ciel, de s’insurger contre cette terrible malédiction. Mais très vite, les pri-
sonniers s’étaient immobilisés, soudain changés en horribles gargouilles, pétri-
fiés par la terreur. Les esprits eux-mêmes étaient asphyxiés. Les vapeurs
méphitiques s’attaquèrent aux bronches, se jouant des dérisoires remparts des
masques de caoutchouc en s’insinuant au plus profond des corps dont elles incen-
diaient les chairs.

Critères de réussite
• Présence d’un narrateur qui prend en charge le récit.
• Évocation d’un combat, d’un conflit qui justifie le registre épique.
• Respect de la situation des personnages présents dans le texte de Barbusse.
• Utilisation du vocabulaire et des procédés du registre épique.

51
LES REGISTRES
CHAPITRE

5 Le registre fantastique
(PAGES 60 à 67)

Le registre fantastique se développe à partir des situations et des procé-


dés littéraires qui suscitent un sentiment de peur. Il s’agit en effet d’un jeu
avec la peur qu’éprouve le lecteur. L’écrivain peut recourir aux moyens les
plus divers pour entraîner la confrontation avec l’inexplicable. La repré-
sentation brutale des monstres cède la place à l’exercice d’une ambiguïté
qui entretient le doute et l’incertitude. Aux images terrifiantes succède
l’expression d’une inquiétude lente, continue, qui mène progressivement
aux bords de la folie, sans que l’on sache à quel moment s’effectue le
passage. C’est du quotidien lui-même que procède le fantastique chez de
nombreux auteurs contemporains. C’est en jouant avec le langage, la struc-
ture du texte et l’ordre du récit que l’écrivain fantastique met en scène la
rupture de l’ordre du réel.

OBSERVATION
(PAGES 60-61)

Introduction
Cazotte (que Nodier avait rencontré dans sa jeunesse, à qui Nerval a consacré
une longue étude) a écrit, outre des contes de chevalerie comme Olliver (en
1763), des récits fantastiques inspirés fortement des Mille et Une Nuits : La Patte
du chat (en 1741), Les Mille et Une Fadaises (en 1742), la Suite des Mille et Une
Nuits (en 1788-1789) qui montrent en lui un écrivain habile, à la fois malicieux
et parodique, mais aussi sensible au renouvellement de l’imaginaire qui conduira
bientôt au romantisme. On le voit dans Le Diable amoureux, son chef-d’œuvre,
qui s’inscrit à la suite des innombrables romanssuscités par le succès du Diable
boiteux de Lesage, et qui tire aussi profit des rêveries de l’alchimie et des mys-
tères de la franc-maçonnerie… Au-delà de ses Contes cruels, le fantastique de
Villiers de L’Isle-Adam se plaît à jouer dans les marges des « mystères de la science
positive » et de la philosophie : Wagner, Poe, Baudelaire sont ses maîtres, alors
même que Villiers se laisse fasciner par les inventions, les formes du raisonne-
ment et les hypothèses de l’esprit scientifique qu’incarne Edison dans L’Ève
future !
53
Réponses aux questions
I. L’univers fantastique
1. Dans le texte de Jacques Cazotte, c’est l’apparition étonnante du diable appelé
par le narrateur qui fait basculer le récit vers l’étrange. Dans le récit de Villiers
de L’Isle-Adam, une apparition se produit qui semble aussi venue de l’au-delà :
« le souffle de l’autre monde enveloppait ce visiteur ».
2. Les phrases exclamatives : « Il me le tendait, comme pour me l’offrir !… »
(l. 14 et 15), « Oh ! Je ne voulais pas voir cela ! » (l. 16 et 17), traduisent les réac-
tions d’angoisse du narrateur face à la présence étrange.

II. L’expression du fantastique


3. Le récit à la première personne permet à l’auteur de mieux exprimer les sen-
timents, les réflexions d’un personnage et au lecteur de mieux les partager, de
s’identifier davantage à ce personnage.
4. Dans le premier texte on découvre l’inquiétude ou la peur du narrateur à
travers des termes comme : « frisson » (l. 3), « hérissaient » (l. 3 et 4), « plus
effrayant» (l. 15), «une sueur froide» (l. 16), «ma terreur» (l. 20). Dans le second
texte, ce sont les mots suivants qui désignent les mêmes sentiments : « m’oppres-
sait », « paralysé », « frayeur » (l. 10), « affreux » (l. 17), « angoisse » (l. 20), « cris-
pées » (l. 21), « les cheveux dressés » (l. 22).
On remarquera qu’il s’agit du même champ lexical, avec d’un texte à l’autre des
termes synonymes (« terreur » et « frayeur » par exemple), ou des mots de la même
famille (« effrayant » et « frayeur » par exemple).

III. La rupture avec le réel


5. Dans le texte A, des lignes 1 et 2, c’est l’évocation du Diable qui provoque la
manifestation physique de la peur (l. 3 et 4). Des lignes 5 à 19, on découvre
l’apparition monstrueuse de Belzébuth et les réactions du narrateur. Enfin, de la
ligne 20 au terme de l’extrait, le narrateur maîtrise sa peur et donne des ordres
au Diable. Dans le texte B, l’atmosphère et le décor inquiétants sont plantés dans
les quatre premières lignes. Un long passage (lignes 5 à 19) marque la montée de
la frayeur chez le narrateur face à l’apparition fantastique. Les dernières lignes
de l’extrait (lignes 20 à la fin) racontent la réaction de panique du narrateur qui
tente d’échapper à cette vision horrible.
On peut remarquer des différences dans la progression de la peur. Alors que dans le
second texte elle va crescendo, dans le premier, on voit un narrateur qui, après avoir
failli abandonner, rassemble ses forces et fait face: il parvient à se rendre maître du
Diable lui-même.
6. Il est impossible d’expliquer de manière rationnelle les événements du premier
récit. En effet, le narrateur appelle sciemment Belzébuth qui apparaît presque
immédiatement. En revanche, dans le second récit, on peut supposer que le nar-
rateur est tellement effrayé, troublé par la silhouette qu’il découvre sur le pas de
la porte, qu’il perd tout sang froid et se retrouve dans une sorte d’état second.
54
EXERCICES
(PAGES 65 à 66)

Étudier la rupture dans l’ordre logique


Exercice 1B
1. Le personnage se trouve confronté à des manifestations étranges : il n’arrive pas
à ôter l’anneau du doigt de Vénus et il lui semble que cette dernière a resserré son
doigt. Il en conclut que si la statue ne veut plus lui rendre cette bague c’est parce
qu’elle se considère comme son épouse : « C’est ma femme, apparemment, puisque
je lui ai donné mon anneau » (l. 17).
2. Le personnage a des répliques qui sont de plus en plus longues, qui apportent de
plus en plus d’explications, ce qui traduit son effort pour maîtriser la situation mais
aussi son angoisse.
Remarque. Le mariage que le malheureux héros de La Vénus d’Ille a contracté
avec la statue de Vénus, en lui passant au doigt son anneau, trouverait aisément une
source lointaine dans les nombreux récits de l’Antiquité qui mettent en jeu des
statues. Les statues sont en effet des objets énigmatiques, qui peuvent prendre la
parole, changer de couleur, suer ou même saigner en guise de mauvais présage.
Fort nombreuses dans les temples, les rues, les maisons et les jardins, terrifiantes
parfois à la faveur de l’orage, elles doublent le monde réel d’une présence à la
fois familière et inquiétante, comme si elles ouvraient sur un autre univers.
Mérimée retrouve ainsi le sens du simulacre lié au sacré : comme dans les contes
de Gautier dont l’action se déroule dans les ruines de Pompéi, la statue exhumée
remonte du passé pour entraîner les humains à leur perte.

Analyser le témoignage du narrateur


Exercice 2BB
1. Dans l’extrait du texte de Villiers de L’Isle-Adam, on trouve des modalisateurs
tel que « réellement » (l. 5) qui indique la certitude du narrateur quant à ce qui
vient de se produire. D’autres termes comme « me paraissait » (l. 8), « en vérité »
(l. 13), « l’impression » (l. 14), suggèrent que le narrateur observe un phénomène
dont il est parfaitement conscient (une lueur) mais qu’il ne parvient pas à expli-
quer. Dans le second récit, les premiers modalisateurs expriment une phase d’incer-
titude : « je me demandais », « je n’avais pas été ». Puis dans la phrase suivante
l’explication rationnelle semble s’imposer : « certes » (l. 3), « j’avais eu », sans
aucune atténuation. Au moment où cette certitude semblait s’imposer (« j’allais
croire »), la découverte des cheveux, ruinant cette hypothèse, n’en est que plus
saisissante.
2. Chaque personnage cherche une réponse logique et rassurante pour expliquer
ce qui s’est produit (ou ce qui est en train de se passer dans le cas du premier
récit). Or, le contraste entre ce que perçoit le personnage et ce qu’il imagine pro-
voque une interrogation qui débouche sur le fantastique.
55
3. C’est en proposant un récit «à la première personne» où un narrateur témoigne
sur ce qu’il a vécu que chacun des deux auteurs parvient en grande partie à susci-
ter une atmosphère de mystère. Ainsi le lecteur est-il davantage tenté de s’identi-
fier à un narrateur présent, participant aux événements, et il se montre d’autant
plus attentif à la tension dramatique, à l’angoisse exprimée par ce même narra-
teur. C’est ce qu’on constate aussi bien dans le texte de Villiers de L’Isle-Adam que
dans celui de Maupassant. Dans ce dernier cas notamment, le lecteur partage la
même terreur que le narrateur : « je me demandais anxieusement » (l. 1 et 2), « un
de ces affolements du cerveau » (l. 5), « des tremblements dans les doigts » (l. 13).
Cette progression est d’autant plus forte que dans un premier temps, tout comme
le narrateur, on est prêt à accepter une explication logique : « j’avais eu un de ces
incompréhensibles ébranlement nerveux » (l. 4), « j’allais croire à une vision »
(l. 7), jusqu’à ce que l’incroyable ne soit dévoilé à travers l’indice des cheveux
enroulés autour des boutons. Dans le texte de Villiers de L’Isle-Adam, l’atmosphère
mystérieuse provient davantage des sensations du narrateur et des doutes, des
imprécisions qu’il exprime: «Une chose me paraissait surprenante» (l. 8), «D’autre
part comment se faisait-il… » (l. 11), « me causait l’impression… » (l. 14). Cette
difficulté à expliquer ce qui est en train de se produire se retrouve dans l’utilisation
d’images originales : « une tache de braise » (l. 2), « une lueur glacée, sanglante »
(l. 10), « regard phosphorique d’un hibou » (l. 15).

Exercice 3B
1. Le narrateur se montre d’abord curieux devant cette situation inattendue,
et cette curiosité se manifeste par des questions: il a l’impression de quelque chose
qui demande explication. Il a ensuite une impression de « déjà vu » (« où je me
souvenais d’avoir vécu » à la ligne 5) liée à une attirance indépendante de sa
volonté (« non mû par la curiosité mais par une force indépendante de ma
volonté », à la ligne 8). Enfin la troisième impression est celle que le mort est lui-
même.
2. La découverte du visage du mort le plonge dans une terreur sans nom car il y
reconnaît son propre visage : « j’entendais distinctement s’entrechoquer mes
mâchoires tandis que mes yeux restaient rivés à cette face immobile. Le mort de
la chambre, c’était moi ! » (l. 12 à 15).
Remarque. Le fait de reconnaître les lieux sans y être auparavant venu fait partie
des impressions dont il est fréquemment question dans les textes fantastiques
(voir par exemple dans Louis Lambert de Balzac). Cela tient au fait que ce type
d’expérience, que nous avons tous eu l’occasion de connaître (l’impression
d’avoir déjà vécu l’événement), peut recevoir à la fois une explication surnatu-
relle et une explication rationnelle. L’explication rationnelle a effectivement été
tentée en psychologie, où il est question de « paramnésie » ou « fausse recon-
naissance » : ce serait la fatigue de l’être surmené ou malmené qui le conduirait à
ne plus être capable, psychologiquement, de faire clairement la distinction entre ce
qui appartient au passé et ce qui appartient au présent, une forme de baisse de vigi-
lance de la conscience qui conduirait à prendre pour du passé ce qui est du
présent.
56
Étudier les images et les connotations
Exercice 4BB
1. « Malgré son apparence », « singulièrement », « strictement personne », « elles
ne changèrent pas », « tous vides », « des décors minutieusement reconstitués »
sont les principaux mots et expressions qu’on peut relever dans les lignes 9 à 23
marquant le caractère étrange du cadre du récit.
2. L’événement insolite auquel le narrateur est confronté est qu’un taxi sans âge,
roulant sans bruit et à une vitesse étonnante pour ce type d’automobile, le mène
à travers une ville complètement déserte.
3. Face à ces événements insolites le narrateur cherche des réponses logiques. Le
caractère ancien du taxi ne doit pas étonner, puisqu’il ressemble à des taxis réels,
ceux de la bataille de la Marne. Le narrateur prend d’abord pour une coïncidence
le fait que les rues soient désertes : « il se trouvait que les gens avaient tous affaire
ailleurs » (l. 16). Ensuite, le fait que le chauffeur ne se soit pas trompé ramène à
la réalité de la course commandée. La dernière « explication » n’appartient plus
au domaine de la logique, il s’agit de donner corps à une impression difficile à
rendre : « j’avais l’impression que le parcours s’effectuait à travers des décors
minutieusement reconstitués, avant l’arrivée des acteurs » (l. 21 à 23).
4. Comme dans tout récit fantastique, le lecteur (à la suite du narrateur) peut
être amené à hésiter entre deux explications face aux événements insolites : une
explication de type rationnel, et une de caractère fantastique. En ce qui concerne
le récit d’André Hardellet, on pourrait très bien reprendre l’explication logique du
narrateur : c’est une coïncidence, tous les gens sont occupés ailleurs. De même,
le conducteur du taxi, en disant « je sais » à propos de la direction, affirme sim-
plement qu’en attendant sur cette route, son passager ne pouvait que vouloir se
rendre à Paris. L’heure explique l’absence de promeneurs : il est plus tard qu’il
n’y paraît et les gens sont tous chez eux… On peut aussi supposer que le narra-
teur s’est en fait endormi en attendant son taxi et qu’il rêve tout cela. Pour ce qui
est du fantastique, on serait par contre en droit de supposer que le narrateur est
amené vers Paris par un taxi qui revient du passé (d’où son aspect de « taxi de la
Marne»). L’inquiétude provient du silence («sans ce bruit»), de la solitude («stric-
tement personne ») et d’une impression d’illusion (« des décors reconstitués »).
Le taxi qui vient d’ailleurs peut être rapproché de la charrette de l’Ankou dans
les légendes bretonnes, annonciatrice de la mort.

Interpréter l’insolite
Exercice 5BB Vers le commentaire
1. L’événement insolite concerne la disparition mystérieuse de la jeune fille qui
avait guidé le narrateur, mais aussi l’inexistence attestée d’un lieu qu’il recher-
chait : « depuis cinquante ans qu’il habitait le pays, il n’avait jamais entendu parler
de la ferme de la Croix-du-Fau » (l. 16 à 18).
57
2. Sur les traces du narrateur, le lecteur peut hésiter entre deux explications : la
première, de type rationnel, peut suggérer que « la gamine en blue-jeans » s’est
perdue dans le brouillard, et le narrateur insiste sur l’existence de ce brouillard.
D’autre part, les affaires classées constituent une situation réelle assez fréquente,
puisque les disparitions et les assassinats ne débouchent pas nécessairement sur
la découverte des corps et des coupables. Pour l’explication surnaturelle, la jeune
fille pourrait être une revenante, un « spectre » qui aurait volontairement attiré
les gendarmes vers les marais et la mort. La première explication est du domaine
de la logique car elle fait appel à des faits plausibles alors que la seconde appar-
tient au fantastique car elle fait appel à des interprétations qui ne sont pas de ce
monde.

EXO-BAC
(PAGE 67)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Les sensations évoquées dans le texte créent une atmosphère marquée par l’hos-
tilité des éléments : manque de lumière, violence de le tempête… Ce sont d’abord
les sensations liées à la vue qui apparaissent : « obscurci » (l. 1), « ne se distinguait
en rien […] les plus sombres » (l. 3 et 4), « ténèbres » (1. 5). Les sensations liées à
l’ouïe sont majoritaires : sifflante » (l. 2), « les bruits » (l. 6), « échos » (l. 15),
« plaintes » (l. 16), mugissement » (l. 16 et 17), « criaillement » (l. 17), « entendre »
(l. 21). Le lecteur peut ainsi partager l’inquiétude du narrateur. Les images contri-
buent également à suggérer le surnaturel. Les éléments du paysage sont animés.
Dès la première ligne, la bruine « rude » et « sifflante » associe la nature à une bête
inquiétante. L’ouragan est personnifié dans les lignes 9 à 12 : « l’ouragan […] se
traînait en gémissements ». La comparaison «comme la voix d’un enfant qui pleure
ou d’un vieillard blessé à mort qui appelle du secours » prolonge la personnifica-
tion. « Ces affreuses lamentations » (l. 13 et 14), « des plaintes » (l. 16) et « l’aigre
criaillement » (l. 17) associés au vent renforcent le caractère angoissant de la
tempête. Un événement naturel prend ainsi un caractère surnaturel : ces éléments
permettent d’inscrire le texte dans le registre fantastique.
2. Le dessin de Victor Hugo donne à un paysage de campagne une atmosphère
inquiétante. L’utilisation de l’encre induit une palette de teintes réduite – blanc,
gris, noir – qui oblige à considérer autrement le quotidien. Le château (qui connote
le mystère) est rejeté à l’arrière-plan comme s’il était dominé par les forces de la
nature. Les nombreuses lignes verticales des arbres et de la tour du château
donnent au dessin une rigueur qui crée un malaise. Le ciel tourmenté, le sol nu,
les multiples traits de plume qui dessinent les arbres créent un décalage dans ce
paysage. Nous pouvons reconnaître les éléments qui le composent mais ils sont
symbolisés, organisés de manière à faire naître un décalage entre le quotidien et
le mystérieux : il s’agit d’un des ressorts essentiels du fantastique.
58
Écriture
Cerné par la vallée de la Dordogne, au nord, et celles du Lot et du Célé au sud,
il forme le plus imposant des causses du Quercy. Cet immense plateau calcaire,
s’élançant à 350 mètres, présente d’étranges curiosités naturelles et des paysages
insolites.
Deux canyons avancent leurs bras maigres, noueux et osseux au coeur d’hori-
zons monotones. Au nord, le canyon de l’Ouysse et de l’Azlou, dont les falaises
escarpées recouvrent Rocamadour de leur ombre menaçante. Au sud, le canyon
du Célé. Entre ces deux blessures dans un paysage morbide, est tapie la Braunhie,
aride et exsangue ; cette région solitaire est mangée de gouffres et de grottes ainsi
que le sol de la plus désolée des planètes : aucune vie ne coule dans ses veines ; les
ruisseaux disparaissent dans le ventre de la terre, et, après leur gestation souter-
raine, renaissent mystérieusement un jour.
Toute vie est quasiment absente sur le causse où presque rien ne bouge. Le plateau
est réduit à une suite de prés infertiles, cernés de murets de pierres sèches où l’on
devine quelquefois de squelettiques moutons. Des chênes nains et des érables
coriaces forment les seules silhouettes qu’on croise là.

Critères de réussite
• Mise en place d’une forme d’ambiguïté, à travers l’utilisation du vocabulaire
appartenant au registre fantastique.
• Respect des éléments du décor proposés par le texte B.
• Présence et originalité d’une métaphore filée, d’une personnification et d’une
gradation.

59
LES REGISTRES
CHAPITRE

6 Le registre réaliste
(PAGES 68 à 79)

Le registre réaliste traverse toutes les époques et toutes les formes d’art.
Il connaît son apogée en littérature et en peinture au XIXe siècle devenant
une école artistique à part entière. C’est dans le roman que le réalisme
trouve alors son moyen d’expression privilégié. Être réaliste, c’est d’abord
vouloir représenter la réalité, ou tout au moins offrir une représentation
de celle-ci, en accord avec le moment où elle est perçue. C’est pourquoi
le chapitre du manuel s’attache à traverser les époques et les genres, du
fabliau du Moyen Âge au roman contemporain : il s’agit en effet de mettre
en évidence cette capacité du registre réaliste à exprimer les préoccupa-
tions de chaque époque, de justifier l’affirmation de Champfleury, le théo-
ricien du mouvement réaliste en littérature, lorsqu’il affirmait que « le
réalisme est aussi vieux que le monde et, en tout temps, il y eut des réa-
listes ».

OBSERVATION
(PAGES 68-69)

Introduction
Le fabliau est un diminutif du mot fable: il désigne le conte au sens large du terme.
Il se donne donc pour objectif essentiel de raconter une histoire, « toujours dans
les limites du vraisemblable et excluant tout surnaturel » (Montalglon). Le genre
proprement dit tombe en désuétude au XIVe siècle, progressivement remplacé par
le conte et la nouvelle, qui en conservent souvent le registre. C’est en tout cas le
registre réaliste qui triomphe avec les quelque trois cents contes et nouvelles écrits
par Maupassant : retrouvant la simplicité et la verve des fabliaux, l’écrivain réa-
liste parvient, tout aussi bien que Balzac ou Zola, à faire le tableau de la société
du XIXe siècle. Ses courts récits, publiés d’abord dans des journaux, proposent au
lecteur un cadre dans lequel s’inscrivent son quotidien, ses passions ou ses
angoisses… Si le réalisme, en tant qu’école littéraire, est de l’aveu même de
Maupassant un leurre, le registre réaliste traverse bel et bien les siècles, comme
s’il était le passage obligé de toute forme d’expression artistique.
61
Réponses aux questions
I. La représentation du réel
1. Les lieux évoqués dans chaque texte sont des lieux familiers, qui appartien-
nent à l’univers quotidien du lecteur : il s’agit du marché pour Garin, et du chemin
qui y mène ; le tramway, le café, le pavillon de banlieue sont les lieux familiers
évoqués par la nouvelle de Maupassant.
2. Le fabliau veut mettre en évidence la gourmandise du prêtre : la vue des mûres
suffit à le mettre en appétit : « Il en a grand-faim, grand désir » (l. 12). Dès lors, le
prêtre se laisse guider par son instinct, sans plus réfléchir aux conséquences éven-
tuelles de ses actes. « Aussitôt le prêtre se hisse ; sur la selle il monte à deux pieds
et se perchant sur le roncier il mange avec avidité les plus belles qu’il a choisies. »
Cette représentation peut être qualifiée de réaliste car elle renvoie à une réalité
proche du lecteur du Moyen Âge qui sait combien, même lorsqu’on est prêtre, il
est difficile de résister à ses instincts.

II. Les personnages de l’univers réaliste


3. Le prêtre fait partie de l’univers quotidien du lecteur. Il est l’un des sujets
favoris des fabliaux parmi lesquels on peut relever les titres suivants : « Le prêtre
crucifié », « Le prêtre teint », « La vessie au prêtre »… Il incarne l’autorité reli-
gieuse, les interdits bafoués, l’intermédiaire entre le petit peuple et ses seigneurs.
Garin tourne en dérision le monde chevaleresque en faisant l’épopée des «vilains»,
auxquels appartient ce prêtre. Il le rend proche du lecteur en lui donnant les
mêmes appétits que lui, en lui faisant enfreindre les lois qu’il est censé incarner :
ici le péché de gourmandise. En définitive, c’est la jument qui semble être le per-
sonnage le plus « sage » du récit.
4. Les personnages mis en scène par Maupassant appartiennent également à l’uni-
vers quotidien du lecteur : M. Chenet, Caravan, les amateurs de dominos et le
patron du café incarnent la petite bourgeoisie et le monde ouvrier. La famille de
Caravan, sa femme et ses enfants représentent une famille de banlieue à laquelle
le lecteur peut immédiatement s’identifier. Le registre réaliste s’intéresse ainsi aux
sphères sociales habituellement délaissées par la littérature. C’est la réalité sociale
du XIXe siècle qui est décrite dans la nouvelle de Maupassant, un univers peu relui-
sant où la pauvreté domine.

III. Les effets de réel


5. Les « petits détails vrais » qui produisent l’intention de réalité sont constitués
par l’ensemble des indications qui évoquent concrètement pour le lecteur un lieu
(le « rond-point de Courbevoie », l. 10), une situation (« l’appartement que Mme
Caravan passait son temps à nettoyer », l. 15) ou un personnage (« trois amateurs
de dominos, attablés là depuis midi », l. 5) et le renvoient à son univers familier
en lui donnant l’impression de la réalité.
62
Texte A Texte B
– « il voulait aller au marché » (l. 3-4) ; – le « vermout » (l. 2) ;
– le « son » et l’« avoine » (l. 5) ; – « au café du Globe » (l. 2) ;
– « je sais que c’était en septembre – «leur allongea deux doigts» (l. 3-4);
où les mûres sont à foison » (l. 7-8) ; – «les bouteilles du comptoir» (l. 4);
– « ses heures, ses matines et ses – « trois amateurs de dominos,
vigiles » (l. 8-9) ; attablés là depuis midi » (l. 5) ;
– « presque à l’entrée de la ville », – « le « Quoi de neuf ? » inévitable »
« à distance d’un jet de fronde », (l. 6-7) ;
« un chemin creux » (l. 9-10) ; – « auprès du rond-point de
– « il redoute les épines » (l. 13) ; Courbevoie » (l. 10) ;
– « pour cent onces d’argent fin » – «Deux chambres, une salle à manger
(l. 23) ; et une cuisine où des sièges recollés
– « traînant les rênes, la selle tournée erraient de pièce en pièce» (l. 13-14);
de travers » (l. 24). – « les ruisseaux de l’avenue » (l. 17).

6. Le niveau de langage utilisé est courant (« on leur souhaita le bonsoir »), voire
familier dans les dialogues (« Dieu, si l’on disait hue ! », « Quoi de neuf ? »), de
manière à entretenir une forme de proximité avec le lecteur. L’histoire racontée
doit être immédiatement compréhensible et le niveau de langage adapté aux
milieux sociaux représentés : le choix du niveau de langage courant ou familier
participe donc à l’inscription du texte dans le registre réaliste.

EXERCICES
(PAGES 74 à 78)

Étudier les lieux et le temps


Exercice 1B
La narratrice évoque son père, les circonstances de la rencontre de celui-ci avec
sa mère. Cette thématique s’inscrit dans le registre réaliste en dépassant les clichés
de la rencontre amoureuse, telle qu’elle est traditionnellement présentée dans le
roman : les personnages sont communs, il s’agit d’un couple d’ouvriers qui se ren-
contrent « à la corderie » (l. 7) ; le père de la narratrice est un personnage banal,
« ni feignant, ni buveur, ni noceur » (l. 2), qui fait des économies pour s’acheter
une bicyclette (l. 4-5). Les personnages représentés sont semblables à la grande
majorité des Français des années d’après-guerre.
Le texte, dans la représentation du réel, évoque l’espace domestique (« mettait de
l’argent de côté », « Mon mari… »), le lieu du travail (les « chefs », « ni syndicat,
ni politique », « la corderie », « la fabrique »), les espaces de rencontre et les loisirs
(« cinéma… charleston… un vélo »).

Exercice 2BB
1. et 2. Les termes qui renvoient aux lieux du réel ou à un temps familier et à la
réalité quotidienne qu’ils évoquent :
63
– strophe 1 : « propriétaire », « toit » Þ l’appartement, la maison en location, dont
on ne peut plus payer le loyer ;
– strophes 2 et 4 : « rendez-vous », « robe à froufrous », « cou » Þ le rendez-vous
amoureux, les baisers échangés ;
– strophe 3 : « gargotière », « sous », « table » Þ le petit restaurant où l’on peut
manger à crédit.
3. Brassens chante les plaisirs de la vie, l’amour, une misère tenace mais secon-
daire, une forme de bohème. La chanson de Brassens s’inscrit dans le registre réa-
liste en évoquant un temps et un espace familiers, des moments, des lieux, des
personnages proches du lecteur, immédiatement identifiables par ceux qui ont
vécu l’époque évoquée par la chanson.

Exercice 3B
En citant le nom d’Édith Piaf, le texte s’inscrit dans la vie quotidienne du lecteur.
Le narrateur évoque ainsi les « obsèques populaires » de la chanteuse, faisant
appel à la mémoire du lecteur de 1979, date de la parution du roman. Le narra-
teur évoque ensuite sa propre existence, ses espoirs et ses regrets : ses rêves sont
comparables à ceux de sa génération, entre nostalgie (« les années trente-cinq,
trente-huit, juste avant la guerre », l. 7-8) et désillusion (« Moi, à vingt-neuf ans,
c’est fini. », l. 4). L’univers évoqué, l’avant-guerre, l’après-guerre, le présent (« la
pub, la télé, les photos », l. 10) font du narrateur le complice du lecteur, un proche
qui partage avec lui une mémoire commune.

Analyser l’affirmation réaliste du corps


Exercice 4B
1. Gargantua se trouve confronté à une double réalité : la naissance de son fils,
Pantagruel, et le décès de sa femme, Badebec.
2. Gargantua se trouve placé devant un dilemme, exprimé dans le texte à travers
le couple de termes d’articulation « d’un côté »/« de l’autre », qui renvoie à la tris-
tesse du deuil pour le premier, à la joie de la naissance pour le second. Gargantua
se trouve ainsi partagé sur l’attitude à adopter, comme le serait tout homme en
de pareilles circonstances.
3. L’image de la dernière phrase s’inscrit dans le registre réaliste en faisant appel
à des comparants proches de l’univers quotidien du lecteur : la « souris prise au
piège » ou le « lapin au collet ». L’analogie fait contraste avec les « arguments
sophistiqués » dont Gargantua ne parvient à se dépêtrer : elle permet cependant
de refléter de manière juste et exacte les sentiments de Gargantua à ce moment
du récit.

Exercice 5BB
1. Le texte évoque « la cordonnerie » – une prison dans laquelle est enfermée l’hé-
roïne, mais aussi un lieu de travail – et lui associe un vocabulaire technique :
« ourlage » (l. 4 et 5) ; « mouchoirs à carreaux » (l. 5) ; « délissage » (l. 6) ; « chif-
fons » (l. 6) ; « travail » (l. 7) ; « madras » (l. 17 et 18).
64
2. L’héroïne tombe dans une « contemplation hébétée et un ruminement gro-
gnonnant » (l. 8 et 9) annonçant l’abandon progressif de toute activité intellec-
tuelle au profit de la simple satisfaction des sens, et notamment du toucher et du
goût : c’est ainsi qu’on la voit « passer sa main à plusieurs reprises sur la coton-
nade » (l. 19 et 20) ou rester « les yeux allumés de gourmandise, les lèvres humides
et appétantes » (l. 26 à 28) devant une assiette de prunes. Élisa compense ainsi la
dégradation de sa situation morale par un assouvissement des instincts les plus
primaires : la faim, la soif, le désir.

Exercice 6BB
1. Les sens évoqués dans le texte sont essentiellement le toucher et le goût : cette
présence reflète l’obsession du « pauvre » pour la nourriture qui lui manque cruel-
lement et qu’il dispute aux chiens. Les différents plats évoqués au début du
passage sont destinés aux seigneurs, tandis que les pauvres n’ont « pas de place
à table » (l. 5 et 6) et « doivent se contenter d’une seule tournée », « d’un seul plat »
(l. 9 et 10). Dans ces conditions, chacun « serre son pain dans son poing » (l. 12),
pour empêcher que les chiens ne s’en emparent, mais aussi pour en apprécier phy-
siquement la présence. Le goût de la nourriture est, de plus, dénaturé par sa
consistance : c’est ainsi que les os lancés par les valets sont « plus secs que des
charbons ardents » (l. 11 et 12).
2. Le texte dénonce les injustices de la société féodale, en opposant les seigneurs
aux pauvres. Les premiers sont servis dès qu’ils en manifestent le désir (l. 2-3)
tandis que les seconds sont tenus à l’écart du repas, rejetés loin du feu et de la
table, comme exclus de la société féodale (l. 3-6). Mais plus que les seigneurs, ce
sont leurs valets, « la valetaille », qui sont attaqués. Ceux-ci profitent de leur situa-
tion pour voler ce qui est dû aux pauvres, et pour servir « chichement » les sei-
gneurs eux-mêmes. Le texte dénonce ainsi tous ceux qui, par leur malhonnêteté,
empêchent la société de fonctionner correctement, abusant à la fois ceux qui leur
sont socialement inférieurs, mais aussi leurs maîtres : l’invective finale résume le
sentiment du narrateur à leur égard : « Ah ! S’ils pouvaient être brûlés et leurs
cendres dispersées par le vent ! »

Exercice 7BB
Le tableau de Maximilien Luce s’inscrit dans le registre réaliste car il présente
une scène de la vie quotidienne : un homme à sa toilette. La scène se déroule dans
un espace domestique comme en témoigne la présence d’une table, d’une bassine,
d’un vêtement jeté sur une chaise. Ce tableau montre un moment familier, quo-
tidien qui est une des marques du réalisme. Le peintre accorde une grande impor-
tance au corps : l’homme est montré torse nu. Le corps n’est pas celui des modèles
antiques : les abdominaux sont relâchés. Le décor (une simple table, une chaise,
une petite pièce), les vêtements du personnage (une tenue de travail) situent la
scène dans un milieu modeste. Enfin, Maximilien Luce témoigne d’un souci du
détail vrai, de la précision en montrant une bouteille de vin posée le long du mur,
le vêtement jeté, le petit tableau accroché près de la bassine… Le souci du peintre
est donc de se rapprocher le plus possible de la réalité, de permettre au specta-
teur de retrouver un univers et des personnages familiers.
65
Composition extrêmement rigoureuse,
le tableau s’inscrit dans des verticales
et des diagonales qui structurent toute
l’œuvre.
La répétition de la figure du rectangle
(le miroir, les cadres, la table) et de
celle de l’ovale contribue à l’équilibre
du tableau.

Exercice 8BB
1. Le passage donne une place importante au corps, qui apparaît dans sa vie orga-
nique et manifeste tous les signes de la dégradation et de la déchéance. Le duc
d’Orléans n’est pas encore habillé, assis sur sa chaise percée. La situation peut
être qualifiée de réaliste car l’auteur, loin de cacher les détails qui relèvent de l’in-
timité du personnage évoqué, les relève et les commente. Les lieux décrits sont
eux-mêmes réalistes : de la chambre du duc d’Orléans, le lecteur découvre le
« caveau », la chaise percée et une fenêtre, qui inscrivent le personnage dans un
univers purement utilitaire.
2. Le Régent est « tête basse, d’un rouge pourpre, avec un air hébété » (l. 6 et 7).
Les épreuves de la maladie et de la vieillesse l’ont physiquement transformé. Il
tourne la tête « lentement » (l. 8), comme si ce simple geste était une épreuve ; sa
langue est « épaisse » (l. 10), comme s’il avait des difficultés à s’exprimer… Telles
sont les caractéristiques du duc d’Orléans qui justifient la surprise et l’effroi de
Saint-Simon.

66
Caractériser les personnages et le héros réalistes
Exercice 9B
Le registre réaliste L’univers merveilleux
– « assis sur une souche » (l. 1) ; – « un vilain qui ressemblait fort
– « une massue en main » (l. 1-2) ; à un Maure » (l. 2-3) ;
– « un vilain » (l. 2) ; – « il avait plus grosse tête que
– « laid et hideux » (l. 3) ; roncin ou autre bête » (l. 4-5) ;
– « cheveux mêlés en broussailles, – « vêtu de très étrange façon » (l. 8).
front pelé » (l. 5-6) ;
– « appuyé sur sa massue » (l. 7-8) ;
– «deux cuirs nouvellement écorchés,
cuir de taureaux ou cuir de bœufs »
(l. 9-11) ;
– « juché sur un tronc » (l. 16).

On remarque que ce sont surtout les images qui renvoient à un univers mer-
veilleux : la comparaison avec un « Maure », les images renvoyant au monde
animal, la tenue vestimentaire générale ; tandis qu’au contraire les détails inscri-
vent le texte dans le registre réaliste en donnant une vision précise des attitudes,
des traits et des vêtements du « vilain ».

Exercice 10BB
1. Les deux personnages présentés dans l’extrait appartiennent au même type
puisque ce sont des policiers. Ils sont donc ancrés dans une réalité sociale.
2.
Nom Guilvinec Crémieux
Aspect physique grand, épaules larges, vêtu de gris
costume bleu, cravate yeux et cheveux gris
bleue, cheveux brun mince et ramassé
foncé, yeux humides,
visage couperosé
Caractère irascible sans éclat mais attire
(« il se mit à jurer ») quand même l’œil
Profession représentant de la loi représentant de la loi

Ces deux personnages peuvent être qualifiés de réalistes puisqu’ils appartiennent


à un milieu social caractérisé qui est celui des forces de l’ordre. Il sont précisément
décrits et leurs vêtements comme leurs traits physiques renvoient au quotidien.
Les détails vrais – ils écoutent la « Marche consulaire à Marengo exécutée par la
musique de la Garde républicaine », « une carte barrée de tricolore qu’il détenait
dans sa poche intérieure » – donnentl’impression qu’ils existent vraiment.
3. Jean Echenoz joue avec les codes du roman réaliste quand il précise « au son
de la Marche consulaire à Marengo exécutée par la musique de la Garde répu-
67
blicaine ». Le roman réaliste s’attache à donner l’illusion du vrai en multipliant
les détails authentiques, les effets de réel : Jean Echenoz pousse cette logique
tellement à l’extrême qu’il en devient évident que c’est un artifice. Le choix des
métaphores utilisées pour décrire les personnages est également humoristique :
« son visage couperosé s’ornait d’un réseau de veinules écarlates, d’une densité
comparable à l’hydrographie de la Beauce » puis « comme une flamme qui va
s’éteindre ». Les rapports entre comparés et comparants sont tellement loin-
tains qu’ils brisent l’illusion réaliste en feignant de la respecter dans le souci du
détail.

Exercice 11BB
Le personnage de Julien Sorel est caractéristique de l’univers réaliste, même s’il
demeure chez lui un grand nombre de traits hérités du romantisme. L’extrait met
symboliquement en scène l’ascension sociale du héros (« Cette position physique
le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral », l. 7 à
9). Julien se situe en marge de l’univers bourgeois dans lequel il tente de s’insérer,
et même de la société tout entière (« bien sûr d’être séparé de tous les hommes »,
l. 6). Ses motivations reposent sur l’argent et une certaine forme de vanité sociale.
Enfin, le héros porte sur la société qui l’entoure un regard neuf, dénonçant l’hypo-
crisie des nantis et des puissants qu’il rencontre sur son chemin : « Le maire de
Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous
les insolents de la terre » (l. 11 à 13). Ses attitudes, ses faiblesses, sa naïveté lui per-
mettent de s’attirer la sympathie du lecteur.

Exercice 12BBB Vers l’oral


1. Liste des personnages :
– M. Madinier : ouvrier dans le cartonnage, l’emballage en carton ;
– Lorilleux : doreur, ouvrier qui travaille dans la dorure ;
– Coupeau : couvreur ;
– Mme Lerat : fleuriste ;
– Bibi-la-grillade : ouvrier ;
– Mme Fauconnier : blanchisseuse.
Remarque. L’ensemble de ces personnages appartient au monde ouvrier. Tous
ont également en commun une forme d’amour, de fierté revendiquée pour le
travail qu’ils effectuent, qu’ils valorisent en le comparant à une forme d’art.
Madinier exalte les cartons peints, Lorilleux la noblesse du matériau qu’il utilise,
Coupeau la technique nécessaire au couvreur, tandis que Mme Fauconnier se
plaint des difficultés qu’elle rencontre pour former ses ouvrières… Le lecteur du
XIXe siècle retrouve dans la conversation les clichés qu’il a l’habitude d’entendre
ou de prononcer.
2. Les passages au discours indirect libre :
– Madinier : « il y avait de vrais artistes dans la partie » (l. 3 et 4), « des merveilles
de luxe » (l. 5 et 6) ;
– Lorilleux : « Enfin, disait-il souvent, les bijoutiers au temps jadis portaient l’épée ;
et il citait Bernard Palissy, sans savoir » (l. 8 à 11) ;
68
– Coupeau : « racontait une girouette, un chef-d’œuvre d’un de ses camarades ;
ça se composait d’une colonne, puis d’un drapeau ; le tout très bien reproduit,
fait rien qu’avec des morceaux de zinc découpés et soudés » (l. 11 à 15) ;
– Mme Fauconnier : « un petit chausson d’apprentie qui lui avait encore brûlé, la
veille, une paire de draps » (l. 22 et 23).
3. Le registre réaliste et le discours indirect libre :
Dans cet extrait, Zola rapporte les paroles et les pensées de ses personnages, un
groupe d’ouvriers qui discutent de leurs métiers réciproques, en utilisant le dis-
cours indirect libre. En effet, rien n’indique, dans le texte, de changement de
système d’énonciation au moment où les paroles sont prononcées : « Chacun
parlait de son métier. M. Madinier exaltait le cartonnage: il y avait de vrais artistes
dans la partie ; ainsi, il citait des boîtes d’étrennes, dont il connaissait les modèles,
des merveilles de luxe. »
Dans cette phrase, rien n’indique que le narrateur ne prend plus en charge le dis-
cours. Seules des expressions, identifiables au niveau de langage utilisé, permet-
tent de comprendre que c’est en fait Madinier qui s’exprime (« dans la partie »)
et que le point de vue a donc changé. Le discours indirect libre se signale ainsi
par des détails : présence de verbes de perception et de parole (« chacun parlait » ;
« Lorilleux, pourtant, ricanait » ; « Coupeau, lui, racontait »), emploi d’un lexique
familier (« un petit chausson d’apprentie ») ou spécialisé (« des morceaux de zinc
découpés et soudés ») qui reproduit les termes employés par les personnages ; uti-
lisation de l’imparfait, qui inscrit les paroles prononcées dans le système du récit
(« ça se composait d’une colonne, puis d’un drapeau »).
En utilisant le discours indirect libre, Émile Zola donne de la présence à ses per-
sonnages en même temps qu’il les caractérise. Le lecteur a le sentiment de mieux
les connaître car, grâce à la focalisation interne, il pense avec eux, entend leur
vocabulaire, et participe de cette manière à la conversation dont il n’est plus seu-
lement le témoin.

Analyser les effets de réel


Exercice 13BB
1. Les indicateurs de temps et de lieu présents dans l’extrait :
– « 14 septembre » (date inscrite en tête de page) ;
– « Aujourd’hui, 14 septembre, à trois heures de l’après-midi » (l. 1 et 2) ;
– « la douzième en deux ans » (l. 4) ;
– « j’ai roulé, ici et là, de maisons en bureaux, de bureaux en maisons, du Bois
de Boulogne à la Bastille, de l’Observatoire à Montmartre, des Ternes aux
Gobelins, partout » (l. 10 à 13) ;
– « maintenant » (l. 15 et 16).
La fonction de ces indications est d’inscrire le texte dans un univers conforme à
une réalité immédiatement identifiable par le lecteur. Les autres détails qui donnent
une impression de réalité sont les indications données sur le temps météorolo-
gique (« par un temps doux, gris et pluvieux », l. 2) ainsi que l’allusion faite au
Figaro, journal que tous les lecteurs connaissent en 1900.
69
2. Le titre même du roman, Le Journal d’une femme de chambre, inscrit celui-
ci dans le registre réaliste. Le journal intime est en effet une forme privilégiée du
roman réaliste : il donne une impression de témoignage, en utilisant la première
personne du singulier (« je suis entrée dans ma nouvelle place »), des dates pré-
cises (« 14 septembre ») et le système du discours (« Aujourd’hui », « mainte-
nant ») qui donne l’illusion au lecteur d’avoir face à soi un interlocuteur en chair
et en os.

Exercice 14B
1. Le document reproduit est la lettre reçue par le héros. Il se distingue du récit
par l’italique, qui donne une forme d’authenticité au document.
2. La reproduction d’un document « réel » par Montherlant contribue à créer,
aux yeux du lecteur, un effet de réalité. Celui-ci est renforcé par les termes qui
renvoient directement à l’univers notarial : « maître », « notaire », « affaire », « suc-
cession », « étude ».

Exercice 15BB
1. Les éléments du décor qui participent à la création d’une atmosphère antique
sont : « surplombant » (l. 2), « rocailles » (l. 3), « grotte » (l. 4), « statues » (l. 4),
« péplums » (l. 5), « colonnes » (l. 10), « piliers » (l. 15).
2. Malgré la présence de ce décor antique, le texte présente un univers ancré dans
la réalité du XIXe siècle. En effet, chacune des allusions à l’Antiquité est accom-
pagnée d’une indication : la grotte est « fausse », les statues sont « de plâtre rose »,
les « péplums » sont « écornés », les colonnes en fonte… À chaque fois, l’auteur,
dénonce le caractère factice et délabré du décor, qui renvoie du coup à une simple
salle de bal dont la description s’inscrit dans le registre réaliste : les indicateurs
de lieu qui organisent la description sont très précis, comme s’il s’agissait d’un
endroit réel (« Un peu au-dessus de moi », « à droite », « à gauche ») ; le nom de
la salle renvoie de la même manière à un univers connu du lecteur : « le bal de la
brasserie Européenne ».
3. Les connotations qui se dégagent de la description sont très négatives : l’eau
du bassin est « morte » ; les rocailles se « hérissent » ; la grotte est « fausse » ; les
toiles qui ornent le plafond sont « jadis vertes et maintenant pourries par les feux
du gaz et les suintements de l’eau » ; la salle est comparée à une « halle » au toit
en « dos d’âne »… L’ensemble de ces termes et de leurs connotations participent
à l’effet de réel : il s’agit d’un lieu banal et sans fard, ancré dans la réalité du XIXe
siècle par son aspect misérable, caractéristique du réalisme par la profusion des
détails qui recréent l’univers quotidien.

Exercice 16BB
1. L’expression des sensations constitue un effet de réel car elle s’attache à retrou-
ver les « petits détails vrais » qui vont rappeler au lecteur les sensations qu’il a
lui-même éprouvées : tous les sens sont sollicités, mais c’est l’ouïe qui domine. La
salle est bruyante, le tumulte règne, mais elle est également colorée. Le lecteur se
retrouve ainsi en position de participant à la fête.
70
L’ouïe Le goût Le toucher L’odorat La vue
– « les – « cigares » – « en – « les – « les poses
détonations (l. 6) ; marchant sur bouffées abandonnées
du champagne, – « sauces » les mains » des cigares, et repues,
le choc (l. 6) ; (l. 4) ; l’odeur les gestes
des verres, – «vins» (l. 7); – « chaleur des sauces, débraillés,
le tumulte des – « cham- du gaz » (l. 5) ; les fumées les corsets
rires, la course pagne » – « les voi- des vins » éclatants,
des assiettes, (l. 7-8). sinages » (l. 6-7). les yeux
les voix (l. 13) ; émerillonnés,
éraillées, – « les teints les paupières
les chansons échauffés et battantes »
commencées», martelés par (l. 10-13).
(l. 7-10) ; le masque »
– « les (l. 13-14).
tutoiements »,
(l. 13) ;
– « un solo de
pastourelle »,
(l. 20-21).

2. Malgré leurs déguisements, les différents personnages présentés par le texte


gardent un caractère éminemment réaliste : les costumes sont « éreintés » (l. 15)
et les rosettes «aplaties» (l. 16); les chemises sont «chiffonnées» (l. 16), les Pierrot
« débarbouillés d’un côté » (l. 17-18) ; les bergères et les ours ne ressemblent plus
à rien car « à demi rhabillés en homme » (l. 18)…
Finalement les conversations et les attitudes sont celles d’une fin de soirée trop
arrosée, ce que souligne la dernière phrase du texte, en renvoyant implicitement
à une situation vécue par le lecteur lui-même : « tout disait l’heure : il était cinq
heures du matin. »

Exercice 17BBB
1. Les procédés employés dans le dialogue pour contribuer à recréer le sentiment
de la réalité sont :
– l’usage d’un niveau de langage familier : « V’là » (l. 3) ; « Eh bien, on ira le cher-
cher, c’t’fant » (l. 14), etc.
– l’usage du patois normand : « Quel âge qu’il a, ton petiot » (l. 1) ; « une potée »
(l. 26) ;
– l’usage d’une syntaxe relâchée, de constructions incomplètes et de mises en
valeur expressives : « Pourquoi que tu me l’as pas dit ? » (l. 5).
2. Le réalisme de la scène contribue à la rendre émouvante. Outre la rudesse des
dialogues, qui renvoient à l’univers des paysans normands, la précision des
détails, qui caractérisent de manière indirecte les personnages, laisse percevoir
plus qu’ils ne les décrivent les sentiments de Rose et de son maître. La servante
« murmure » (l. 2) en confessant sa faute tandis que lui reste « debout, immo-
bile » (l. 7). Le rire soudain du maître (l. 11) surprend à la fois la servante et le
71
lecteur, car il s’agit « de son gros rire des bons jours ». L’opposition des attitudes
crée une tension croissante jusqu’à la fin de l’extrait. Le baiser sonore final, bon
enfant, et l’allusion à la soupe mettent un point final à la conversation et au sus-
pense : alors qu’on craignait une réaction violente du fermier, celui-ci accepte
cet enfant tombé du ciel comme un cadeau inespéré. Cette attitude pleine d’hu-
milité chez un personnage qu’on devine dominateur et brutal dans les paroles
qu’il prononce, suscite l’émotion du lecteur tout en contribuant à inscrire le texte
dans le registre réaliste.

EXO-BAC
(PAGE 79)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. De nombreux effets de réel contribuent à donner l’illusion du vrai : les che-
minées d’usine à l’arrière-plan qui situent la scène dans un quartier industriel ; la
technique picturale qui donne à la toile l’aspect d’une photographie ; le choix de
l’instantané (les ouvriers sont montrés en pleine action) qui donne l’impression
que la réalité est saisie sur le vif. Dès son origine, le registre réaliste donne une
place importante au corps à travers la présence duquel l’homme construit son
rapport au monde : le peintre souligne les musculatures et l’énergie du corps pour
suggérer l’effort physique intense.
Les obliques contribuent à la dynamique
de l’œuvre. Témoin qui
adopte un
point de vue
spectateur.

L’opposition L’ancrage dans


entre la masse le quotidien
du cylindre et du travail
la musculature individuel.
du travailleur
montre l’effort
physique.
Vue en contre-plongée : elle souligne la puissance
du travail et le réalisme de la scène.

2. Le vocabulaire technique est présent avec les termes de « cuve » (l. 1), « meu-
leuses » (l. 4 et 10), « baladeuse » (l. 5 et 10), « agrégats » (l. 5), « tambours »
(l. 7) ou « disques à air comprimé » (l. 13 et 14). Le lexique du temps domine à
la ligne 8 : « trois jours, à dix heures par jour » et « deux heures ». Les images uti-
lisées par François Bon sont empruntées à la réalité très concrète et familière : « la
72
tôle criait » (l. 7), « comme des phoques en sueur » (l. 9), « nous faisait des ombres
de fantômes » (l. 11). Tous ces procédés sont caractéristiques du registre réaliste.
Le vocabulaire technique et les images familières donnent un effet de réalité
comme les indications de temps qui renvoient au quotidien du travail.

Écriture
L’œuvre réaliste montre au lecteur et au spectateur des situations concrètes et
familières qui font écho à celles qu’il rencontre dans sa propre vie : elle représente
le monde réel. Cette intention est très perceptible dans le tableau comme dans
l’extrait de roman qui prennent tous deux pour thème des ouvriers sur leurs lieux
de travail. Les deux œuvres renvoient à un monde connu, inscrit dans un temps
familier. Le tableau de Malyuev donne l’impression d’être un instantané saisi sur
un chantier tandis que le texte comporte des notations précises renvoyant au
temps du travail : « trois jours, à dix heures par jour » (l. 8). Les personnages mis
en scène sont également fort proches : des ouvriers du bâtiment pour le peintre,
des ouvriers de maintenance pour F. Bon. Ce choix de « héros » modestes ancrés
dans la réalité sociale est une des marques du réalisme. La manière dont les corps
sont traités est un autre procédé commun aux deux œuvres : le peintre insiste sur
la musculature saillante de l’ouvrier au premier plan tandis que le romancier
utilise de nombreuses notations relatives à l’effort physique dans ses manifesta-
tions les plus concrètes : « trembler sous les pieds » (l. 7), « en sueur » (l. 9),
« accroupis » (l. 9), « pesait dans les bras » (l. 10), « effort physique poussé jusqu’à
la fatigue » (l. 12), « travailler à bout de bras » (l. 14 et 15).
Pour produire un effet de réel, le peintre comme le romancier multiplient les
détails empruntés à la réalité. Boris Malyuev donne à voir le gant de sécurité de
l’ouvrier ; il détaille l’arrière-plan en peignant les échafaudages et les cheminées
d’usines. François Bon donne une impression de réalité en employant un lexique
spécialisé – « cuve » (l. 1), « meuleuses » (l. 4 et 10), « baladeuse » (l. 5 et 10),
« agrégats » (l. 5), « tambour » (l. 7), « disques à air comprimé » (l. 13 et 14) – qui
ancre le texte dans l’univers quotidien des ouvriers. Il utilise également des images
familières qui ajoutent à l’effet de réalité du texte : « la tôle criait » (l. 7), « comme
des phoques en sueur» (l. 9), « nous faisait des ombres de fantôme » (l. 11). Enfin,
les deux auteurs créent une proximité avec le lecteur ou le spectateur en utilisant
des personnages relais. Les personnages situés à l’arrière-plan du tableau regar-
dent la scène tandis que le texte de F. Bon est écrit du point de vue d’un ouvrier
(« on y accédait », l. 1, « nous faisait », l. 11) : le lecteur ou le spectateur peut ainsi
plus facilement s’inclure dans la scène et ressentir une impression de réalité.

Critères de réussite
• Mise en évidence des caractéristiques de l’univers réaliste proposé par le texte
et l’image (lieux, temps, personnages).
• Étude des procédés propres au registre réaliste (effets de réel).
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés, qui confrontent le texte et
le document iconographique.
73
LES REGISTRES
CHAPITRE

7 Le registre polémique
(PAGES 80 à 87)

La démocratie autorise l’usage contradictoire de la parole qui devient un


instrument de pouvoir : discuter/disputer évite de combattre. La parole,
lorsqu’elle est liée à l’expression d’un jugement et à la défense de valeurs,
met en évidence l’essence polémique du langage. L’étude du registre polé-
mique est donc intimement liée à celle de l’argumentation : le registre polé-
mique souligne l’expression des idées, leur opposition, un échange entre
l’attaque et l’apologie. L’argumentation polémique, la controverse s’im-
posent comme un outil de la vie sociale ou politique qui transpose la vio-
lence dans le champ verbal.

OBSERVATION
(PAGES 80-81)

Introduction
La critique cinématographique est l’un des lieux privilégiés de l’affrontement
polémique. Le regard critique met en évidence les qualités et les défauts d’une
œuvre : ici, l’adaptation pour le cinéma du roman de Jean Giono, Le Hussard sur
le toit. Les deux articles proposés sur le film de Jean-Paul Rappeneau illustrent
l’opposition polémique des points de vue : le premier attaque le film tandis que
le second en fait l’apologie. Le lecteur – l’élève en l’occurrence – se trouve ainsi
pris à partie : à lui de choisir son camp, de trancher en fonction des valeurs défen-
dues par l’un ou l’autre des journalistes…

Réponses aux questions


I. La situation polémique
1. Les deux textes proposent des jugements radicalement opposés sur la récep-
tion du film de Jean-Paul Rappeneau, Le Hussard sur le toit. Le premier le tourne
en dérision tandis que le second en fait l’éloge. La confrontation des textes crée
ainsi une situation polémique autour du film, comme toujours lorsque les idées
et les opinions s’opposent. Elle met en évidence le trait essentiel de l’argumenta-
tion : toute thèse suppose l’existence d’une thèse inverse, tout argument suppose
l’existence d’un argument contraire. La « vérité » est donc inaccessible : une argu-
75
mentation n’est ni vraie ni fausse, mais efficace ou inefficace. Tout débat, sur
quelque sujet que ce soit, est donc polémique.

II. Les valeurs invoquées


2. Les valeurs défendues par chacun des articles :
Texte A (l. 58 à 74) Texte B (l. 35 à 54)
– les valeurs morales : « Le film a – les valeurs esthétiques :
au moins un mérite : celui d’éluder « On repense à ce film longtemps
le débat sur l’adaptation-trahison » après l’avoir quitté, à ses images
(les journalistes reprochent au film fulgurantes et envoûtantes, etc. »
de Rappeneau de parodier le roman (la journaliste invoque le Beau
de Giono, de ne pas lui être fidèle) ; pour justifier son point de vue) ;
– les valeurs esthétiques : « Le film – les valeurs morales : « nous
a au moins un deuxième mérite : devrions faire un triomphe à l’un
celui de susciter l’envie de lire ou des rares films contemporains
de relire le livre » (les journalistes soucieux d’exalter les grandes vertus»
renvoient le cinéphile à un autre (la journaliste se félicite de présenter
genre, invoquant une valeur un film moral, qui respecte une
commune, celle d’une culture certaine forme de tradition délaissée
littéraire partagée). par ses contemporains).

III. Les stratégies de la polémique


3. Les procédés de l’attaque dans l’article de Libération reposent sur :
– le vocabulaire péjoratif : « machin » (l. 30) ; « pub de lui-même » (l. 48 et 49) ;
« chiffonné » (l. 50) ; « pique-assiette » (l. 54) ; « bouffer » (l. 55) ; « brouillon
filmé » (l. 68) ;
– la caricature : « à part la présentation de la météo, on ne voit pas ce que Juliette
Binoche a évité » (l. 5-7) ; « son jeu, réduit ici à l’unique expression d’un sourire
tout plein de mystérieuses énigmes secrètes » (l. 34 à 36) ; « à la fois rêve de jeune
fille et de vieille fille » (l. 42 et 43) ; « le travail de Jean-Paul Rappeneau est telle-
ment « d’après », que d’après en après, il est plutôt tout proche […] d’une parodie
littéraire qui reste à écrire : Zorro contre le choléra, Hardi Hussard ! ou Angelo,
marquis aux anges » (l. 63-71) ;
– l’ironie : « poutres apparentes » (titre) ; « un film qui a raison de compter sur les
scolaires » (l. 14 à 16) ; « À qui s’en prendre, etc. » (l. 24) ; « Le saviez-vous ? C’est
Juliette Binoche qui fait Pauline. » (l. 32 et 33) ; « Histoire d’oublier » (l. 77).
4. Les procédés de la défense dans l’article de Première reposent sur :
– l’hyperbole : « un des plus lyriques et sensuels chefs-d’œuvre de la langue fran-
çaise » (l. 4 à 6) ; « tous s’y étaient cassé les dents » (l. 10 et 11) ; « une des plus
belles scènes qui se puissent imaginer entre un homme et une femme » (l. 20 à
23) ; « jamais sa voix, ses yeux, sa force, son intelligence n’ont été aussi bien mis
en valeur » (l. 27 à 29) ;
76
– le vocabulaire mélioratif : « force » (l. 28) ; « intelligence » (l. 28) ; « images ful-
gurantes et envoûtantes » (l. 37 et 38) ; « triomphe » (l. 50) ; « rares » (l. 50) ;
« grand spectacle » (l. 54) ;
– la louange : « Jean-Paul Rappeneau et son producteur René Cleitman resteront
dans l’histoire du cinéma comme ceux qui auront relevé ce défi. » (l. 12 à 16) ;
« Juliette Binoche… atteint la perfection dans le rôle de Pauline » (l. 23 à 26).

EXERCICES
(PAGES 85-86)

Étudier l’objet et les acteurs


Exercice 1B
L’objet de la polémique : les impôts et diverses taxes (institution).
L’emploi des pronoms (« nous ») : complicité entre l’émetteur (Boris Vian) et le
destinataire (le lecteur ou l’auditeur de la chanson) qui partagent un sort commun
(« C’est nous les pauvres gens/Les pauvres contribuables »).

Exercice 2B
Cette œuvre d’art s’inscrit dans le registre polémique par le choix des matériaux
qui la constituent et la manière dont ils sont traités. Les boîtes de Coca-Cola sym-
bolisent la société de consommation. Leur compression sous forme de cube peut
donner lieu à toutes sortes d’interprétations : la destruction revendiquée, le recy-
clage, la primauté du hasard sur le geste artistique. Elle laisse libre cours à l’ima-
gination du spectateur convié à se forger sa propre opinion.

Identifier les valeurs invoquées


Exercice 3BB
1. Les termes qui renvoient aux valeurs invoquées par l’auteur peuvent être classés
ainsi :

Valeurs morales Valeurs sociales Valeurs artistiques


– l’amour (l. 3) ; – l’égalité (l. 10). – la beauté (l. 3).
– la dignité (l. 10) ;
– la justice (l. 11).

2. L’auteur, pour désigner l’attachement de l’homme aux valeurs qu’il a inven-


tées, utilise un néologisme : le mot « humanitude » (l. 17 et 22). Le terme pour-
rait être défini de la manière suivante : « Capacité de l’homme à se distinguer des
autres espèces en se créant des valeurs comme l’égalité, la dignité, la liberté ou la
justice. »
77
Analyser les stratégies du registre polémique
Exercice 4BB
1. Philippe Muray s’implique dans son texte en le rédigeant à la première per-
sonne du singulier. Il utilise en outre des modalisateurs de certitude : « depuis tou-
jours » (l. 4 et 5), « évidemment » (l. 14) et de très nombreux termes évaluatifs :
« pires mauvais » (l. 1), « abomine » (l. 3), « répugnance instinctive » (l. 7), « espèce
d’insulte » (l. 11), « enfonçons » (l. 19), « club ridicule » (l. 21). Il s’implique enfin
en faisant appel à son expérience personnelle : « une journée de lycée qui com-
mençait par la gymnastique ne pouvait pas se terminer bien » (l. 11 à 13).
2. L’attaque est marquée par l’utilisation d’un vocabulaire péjoratif qui dévalo-
rise la pratique sportive : « pires mauvais moments » (l. 1 et 2), « espèce d’insulte »
(l. 11), « club ridicule de musculation » (l. 21). L’auteur recourt aux sarcasmes :
« je n’en sais pas grand-chose, sinon que je l’abomine allégrement » (l. 2 à 4) ou
« L’époque a les héros qu’elle mérite. L’humanité s’achève en survêtement avec
Adidas » (l. 22 et 23). Philippe Muray n’hésite pas à recourir à la caricature en
assimilant tous les sports « du foot au saut à l’élastique, et de la planche à voile
aux courses automobiles » (l. 5 et 6), « le sport est devenu la métaphore même de
la société » (l. 17 et 18). Il use de l’argument d’autorité en faisant appel à son
expérience personnelle : « c’est une sorte de répugnance instinctive, chez moi, qui
remonte à loin » (l. 6 à 8). Il n’hésite pas, enfin, à recourir à la mauvaise foi puis-
qu’il avoue mal connaître son sujet : « je n’en sais pas grand-chose » (l. 2 et 3)
sans pourtant se priver de l’attaquer violemment.

Exercice 5BB Vers l’oral


1. L’objet de la polémique dans le texte : Émile Zola et le naturalisme.
2. La valeur invoquée par l’auteur : l’art.
3. À l’occasion d’une critique sur Le Ventre de Paris, Jules Barbey d’Aurevilly
développe une caricature d’Émile Zola, attaquant férocement le thème et les tech-
niques d’écriture choisis pour son roman sur les Halles. Cette caricature sché-
matise à l’extrême l’objet de la polémique : le roman de Zola devient ainsi une
immense « charcuterie » (le mot est utilisé à trois reprises), et Zola un « charcu-
tier ». Comme un dessinateur, le critique choisit un trait particulier à caricaturer,
et en modifie les proportions. En fait, Barbey reproche à Zola ses descriptions
des « genres comestibles », des « choses du ventre » (l. 4-5). Pour le critique, le
sujet est indigne d’une œuvre d’art : c’est pourquoi il insiste sur le détail en le gros-
sissant démesurément, jusqu’à la dernière phrase de l’extrait, qui relève de l’at-
taque polémique : « Il croit dire le dernier mot de l’art en faisant du boudin,
monsieur Zola ! »

Exercice 6BB
1. Giono exprime son aversion pour un comportement social : le camping. Il fait
la satire des mœurs de ses contemporains qui préfèrent partir en vacances en
« troupeau » plutôt que de rechercher la solitude.
78
2. Les procédés du registre polémique peuvent être classés ainsi :
L’attaque L’indignation L’ironie
– « Ils ne sont à leur – « Ils me l’ont avoué, – « C’est bruyant : tant
aise (et insolents) que ils ne peuvent pas mieux, ça sent mauvais:
dans la foule, que dans supporter un jour de bravo! On s’y bouscule!
le commun, le banal, confrontation avec la à merveille ! surtout que
le vulgaire » (l. 6-7) ; nature telle qu’elle est» rien de particulier ne
– «Ils ne savent rire que (l. 3-5) ; leur soit proposé ! »
tous ensemble, que – « ils ne savent ni voir, (l. 8-10) ;
dormir tous ensemble, ni entendre, ni goûter, – « Entendre ronfler
que se soulager tous ni surtout se tailler le voisin sous sa tente
ensemble » (l. 15-17) ; une part personnelle de toile, quel délice !
– « hors du troupeau, de joies » (l. 13-15). rencontrer le voisin à
point de salut » (l. 21). l’abreuvoir, quelle joie !
respirer ce que le voisin
vient d’expirer, voilà
la vie ! » (l. 17-21).

Exercice 7BBB Vers le commentaire


1. Les faux rapports logiques établis entre des éléments créent l’ironie. Ainsi
« prendre l’avion » n’a pas pour conséquence voyager et partir, mais « être traité
comme une merde ». Le même procédé établit un rapprochement entre le voyage
et la souffrance.
2. Le texte s’inscrit dans le registre polémique par :
– l’objet de la polémique, c’est-à-dire un comportement social, « prendre l’avion » ;
– l’implication de l’émetteur et du destinataire : « on, vos, vous » ;
– les valeurs invoquées qui sont des valeurs sociales : la liberté (celle-ci est entra-
vée), l’égalité (celle-ci est bafouée), le respect ;
– l’indignation qui s’exprime à travers l’amplification, l’ironie et la provocation.

EXO-BAC
(PAGE 87)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. La métaphore dévalorisante utilisée par Maupassant pour attaquer le carna-
val est la suivante: «Voici venus les jours du carnaval, les jours où le bétail humain
s’amuse par masses, par troupeaux, montrant ainsi sa bestiale sottise » (l. 1 à 3).
En comparant les participants au carnaval à du « bétail » et à un « troupeau »,
Maupassant dévalorise le carnaval qu’il accuse d’entretenir les plus bas instincts
de l’homme. La métaphore est filée dans la suite du texte à travers les termes péjo-
79
ratifs suivants : « stupide » (l. 4), « mouvements inutiles et violents » (l. 9 et 10),
« saletés » (l. 12), « déchaîne » (l. 17), « bête » (l. 17), « chien » (l. 18), « chaîne »
(l. 19), « bête humaine » (l. 22), « nature de brute » (l. 23).
Les fausses questions (lignes 5 à 19) expriment l’indignation de l’écrivain devant
le comportement des participants au carnaval. En posant ces questions, il implique
le lecteur et le force à s’interroger sur les plaisirs supposés du carnaval qui sont
niés en bloc : les confettis, le « plâtre » qu’on jette, la danse, les chants, la joie par-
tagée… L’ensemble des questions posées trouve une réponse unique aux lignes
16-17 : « Uniquement parce qu’on déchaîne la bête ce jour-là ! » L’exclamation
exprime la colère et la conviction de Maupassant, sentiments qu’il veut faire par-
tager au lecteur.
2. Peintre belge, James Ensor réalise d’abord une peinture d’inspiration impres-
sionniste. Ses compositions, faites de pâte épaisse et sombre, témoignent d’une
grande liberté picturale. Plus tard, sa manière évolue vers une peinture plus claire
et franche que l’on peut rapprocher des Fauves. En 1883, à 23 ans, Ensor parti-
cipe à la création du groupe « Les XX ». S’il se heurte à l’hostilité de la critique
et au refus de présenter ses œuvres dans les Salons, notamment celui de Bruxelles
en 1894, il trouve des défenseurs parmi des écrivains, tels Maurice Maeterlinck
et Émile Verhaeren.
Dès 1885, James Ensor perfectionne sa technique, sa palette s’éclaircit, il aban-
donne ses effets de couteau et conçoit toute une série de nouveaux thèmes : les
squelettes, les carnavals et les scènes de la vie du Christ.
L’Intrigue illustre les moqueries qui avaient accompagné le mariage de la sœur
du peintre avec un marchand d’art chinois de Berlin : ce sont les personnages cen-
traux. Les couleurs dominantes sont le bleu et le blanc, celles du chapeau de la
mariée. Les personnages semblent porter des masques qui leur donnent une allure
inquiétante et grotesque, proche de celle des participants à un carnaval.

Écriture
Guy de Maupassant regrette que soit venu le temps du carnaval. Il se demande
quel bonheur « stupide » ceux qui y participent peuvent bien y trouver.
Commençons par lui répondre que personne n’est obligé de se joindre à ceux qui
aiment le carnaval et que nous n’avons pas besoin de la présence de Guy de
Maupassant pour fêter dignement cet événement. La danse, les chants font partie
des traditions populaires qui permettent à chacun de se défouler le temps d’une
sortie, d’oublier les soucis du quotidien. Les grandes réunions comme le carnaval
favorisent les rencontres et suppriment les barrières sociales. Le sociologue Michel
Maffesoli ne rappelle-t-il pas que les grands rassemblements tels que le Mondial,
la Techno Parade ou l’Armada des voiliers sont des occasions fortes de rassem-
bler et de conforter la communauté? Les confettis dont les gens se couvrent mutuel-
lement symbolisent ainsi le bonheur d’être ensemble. La « foule délirante de joie »
que déplore Guy de Maupassant ne fait qu’exprimer sa satisfaction d’être réunie
au sein d’une communauté de goûts et de traditions. Comment ne pas être sen-
sible à des manifestations comme la Fête de la musique dans laquelle toutes les
musiques se fondent, portées par des musiciens professionnels comme par des ama-
80
teurs ? Non, ce n’est pas la bête qui se déchaîne le jour du carnaval : c’est l’homme,
l’homme entier et naturel, l’homme libre et heureux de crier sa joie ! Lecteurs,
n’ayez crainte… Comme tant d’autres, profitez du carnaval pour oublier, le temps
de quelques chants, les tracas du quotidien, car il n’y a nulle honte à cela !

Critères de réussite
• Inscription du texte dans le genre de la lettre ouverte et respect du système énon-
ciatif ainsi déterminé.
• Appui sur des valeurs opposées à celles de Maupassant.
• Adoption d’une stratégie relevant du registre polémique : attaque, indignation,
ironie ou provocation.

81
L’IMAGE
CHAPITRE

8 L’analyse de l’image
(PAGES 88 à 103)

Pendant des siècles, la peinture a été reconnue comme l’image par excel-
lence, le modèle de toutes les images. L’image s’est d’abord imposée avec
évidence, avec autorité, comme représentation fidèle du réel ou de l’ima-
ginaire. Mais le développement de la photographie a bouleversé ce rapport.
Désormais, l’image est multiple et présente partout. Elle est narrative, inci-
tative, explicative, descriptive. Elle s’inscrit dans un registre, elle s’appuie
sur des codes.

OBSERVATION
(PAGES 88-89)

Réponses aux questions


I. La construction de l’image
1. Le point de fuite du tableau de Caillebotte se situe en haut à gauche de la toile,
à la conjonction des lignes de fuite. Une des lignes de fuite principales invite le
spectateur du tableau à épouser le regard du personnage appuyé à la balustrade.
Le peintre cherche donc à créer une impression d’identification en guidant le
regard du spectateur qui contemple le tableau. La scène précise observée par le
personnage, qui correspond au point de fuite, est masquée par une partie de bâti-
ment. Une partie de ce que voit le personnage échappe donc au spectateur et ce
tableau garde son mystère.
2. Dans le tableau de Pierre Bonnard dominent nettement les lignes horizontales
(balustrade, table, encadrement de la fenêtre) et verticales (montant de la porte-
fenêtre, barreaux de la balustrade, vase, bouteille). Les lignes verticales suggè-
rent la hauteur et contribuent à ralentir le regard. Les lignes horizontales donnent
une impression de calme et d’immobilité. La ligne de l’horizon confère une grande
profondeur au tableau. La composition crée un fort sentiment de sérénité et de
douceur.
83
3. Dans le tableau de Gustave Caillebotte, le nombre d’or se situe au niveau de
l’épaule gauche du personnage. Il met en évidence l’équilibre qui règne entre un
personnage paisible et un paysage urbain lumineux.
Dans le tableau de Pierre Bonnard, le nombre d’or se trouve à l’intersection de
la balustrade, de la mer et du montant de la porte-fenêtre. Il met l’accent sur le
thème du tableau – Fenêtre ouverte sur la mer –, qui met en valeur l’harmonie
entre l’intérieur et l’extérieur, entre la quiétude d’un appartement et la beauté de
la Méditerranée.

II. L’interprétation de l’image


4. Le tableau de Gustave Caillebotte donne une impression de sérénité conqué-
rante. Le spectateur est invité à épouser le regard d’un bourgeois en haut-de-forme
qui contemple la ville en plongée. Son regard porte loin, son corps est tran-
quillement appuyé au balcon, solidement campé : on peut penser à un person-
nage ambitieux, qui s’apprête à conquérir une ville qu’il voit à ses pieds.
Le tableau de Pierre Bonnard fait naître une grande sensation de tranquillité et
d’harmonie. La pièce dans laquelle se trouve l’observateur est à contre-jour, jouis-
sant d’une ombre bienfaisante qui s’oppose à la lumière éclatante de l’extérieur
dont on voit des reflets sur la balustrade. Le mariage des lignes verticales et hori-
zontales ainsi que la domination des couleurs bleutées et du jaune-orangé per-
mettent de fusionner le soleil, le ciel et la mer, et de les associer harmonieusement
à l’intérieur qui apparaît au premier plan.
5. Les deux peintures présentent une vue de l’extérieur depuis un balcon. Chez
Caillebotte, il s’agit d’un paysage urbain et l’observateur est présent sur la toile.
Chez Bonnard, le paysage est marin et c’est le spectateur lui-même qui découvre
la scène. Ces deux tableaux peuvent être également rapprochés dans leur construc-
tion : un premier plan occupé par l’intérieur d’un appartement (en contre-jour),
une porte-fenêtre ouverte et un balcon qui créent le lien entre intérieur et exté-
rieur, et un arrière-plan dominé par l’extérieur observé (un boulevard ou la côte
méditerranéenne).

III. Le registre de l’image


6. De nombreux éléments permettent d’inscrire le tableau de Gustave Caillebotte
dans le registre réaliste. Le personnage est ancré dans la réalité sociale puisqu’il
s’agit d’un bourgeois. La présence de son corps est fortement affirmée par la place
qu’il occupe sur l’image comme dans le soin porté aux détails des cheveux ou aux
rougeurs de la peau. Le tableau représente un paysage urbain ordinaire proche
du quotidien du spectateur. Le personnage est montré dans un temps familier,
intime, sans événement exceptionnel. La facture de la peinture se montre très
attentive à représenter le réel de manière objective, presque photographique (plis
du vêtement, bouquet de fleurs, tissu de l’auvent…).
7. Le tableau de Pierre Bonnard semble relever du registre lyrique. Le peintre
cherche à faire partager au spectateur l’émotion ressentie face à ce paysage estival.
L’auteur s’implique dans le tableau et y implique le spectateur en l’invitant à
84
épouser son point de vue. Bonnard ne cherche pas à reproduire mécaniquement
la réalité : la bouteille ou la porte-fenêtre sont simplement suggérées. Les bar-
reaux du balcon n’ont pas de contours bien définis et semblent vibrer dans la
lumière. Les larges touches de couleurs unifient les éléments du tableau : c’est la
subjectivité du peintre qui lui donne sa cohérence. La toile de Pierre Bonnard
témoigne du bonheur d’une communion avec la nature, de la plénitude des sen-
sations, du plaisir des sens et de l’harmonie avec le monde.

EXERCICES
(PAGES 95 à 102)

Étudier la construction de l’image


Exercice 1B
1. Les principales lignes de force correspondent à des lignes verticales dessinées
par les piliers de l’église. On trouve aussi une ligne horizontale délimitée par la
grille et les têtes des personnages.
2. Les lignes verticales contribuent à créer une impression de gigantisme : l’église
est majestueuse et écrase les êtres humains qui la fréquentent. Ces verticales créent
aussi une atmosphère de rigueur et de solidité qui renvoie à la foi et à la puis-
sance divine.
3. Le tableau d’Emmanuel de Witte est composé au tiers. Les deux tiers supé-
rieurs de l’image sont occupés par l’église tandis que le tiers inférieur montre les
fidèles qui la fréquentent. Cette opposition est renforcée par l’utilisation des cou-
leurs : le bâtiment est peint dans des teintes monochromes tendant vers le blanc
tandis que les fidèles ont des couleurs vives. Cela conforte l’opposition entre le
monde divin de la pureté et le monde profane bigarré. Le tableau est structuré
par de puissantes verticales : celles des piliers imposants qui se trouvent de part
et d’autre du tableau sont relayées par des droites qui apparaissent à l’arrière-
plan : une impression de rigueur se dégage. Le détail qui se situe à la place du
nombre d’or correspond au chapeau du personnage de dos. Il s’apprête à entrer
dans l’église comme le spectateur entre dans le tableau : il sert de relais.

Exercice 2B
1. Les principales lignes de force du tableau de Degas sont des diagonales dis-
posées en parallèle. Une ligne courbe relie les coiffures de trois danseuses et guide
le regard du spectateur (voir page suivante).
2. Le tableau oppose le bleu, couleur froide, avec des couleurs plus chaudes, qui
sont le rose et le marron.
3. L’image est équilibrée grâce à une diagonale qui part du haut du tableau à
droite vers le bas à gauche, en traversant le visage d’une danseuse et le bras d’une
autre. Une autre diagonale relie trois visages des danseuses. D’autre part, la figure
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composée par les quatre danseuses représentées en gros plan s’inscrit dans un
losange qui ferme l’espace et insiste sur la gestuelle et l’harmonie qui lie les quatre
femmes. Cette unité est renforcée par le recours à une palette réduite dans laquelle
le bleu, le blanc et le marron dominent et se fondent.

Exercice 3BB
1. Les principales lignes de force sont les verticales qui créent des bandes qui indi-
vidualisent les coureurs. À chaque bande correspondent une teinte et un coureur :
cela permet au peintre d’insister sur l’isolement des coureurs dans l’épreuve. Ils
courent ensemble mais sont motivés par leur réussite personnelle.
2. Les lignes de fuite suivent, sur la gauche, les lignes formées par la piste de
course. Le point de fuite se trouve à l’extérieur du tableau. Le peintre suggère
ainsi la longueur de la piste et l’intensité de l’effort fourni. Il donne également
une impression de vitesse.
3. Pour souligner le fait que les athlètes disposent chacun d’un couloir de la piste,
le peintre les a isolés dans des bandes de couleur. Chacun semble empiéter sur
l’espace de l’autre. Le tableau donne l’impression que l’espace est trop étroit pour
permettre à chaque coureur de trouver sa place : il traduit plastiquement la riva-
lité qui oppose ces sportifs. En outre, les visages sont vides ; l’accent est mis sur
les jambes et les poings serrés. Les coureurs apparaissent comme des corps iden-
tiques qui cherchent à imposer leur force.

Exercice 4B
1. La photographie de William Eggleston fait appel à de nombreux codes sym-
boliques. Elle joue sur les codes chromatiques : la couleur rouge-orange très vive
du pont qui domine l’image est complémentaire du bleu du ciel qui apparaît en
arrière-plan. Le pont se détache ainsi par contraste et se trouve valorisé. L’image
s’appuie également sur les codes des formes géométriques. Le pont se décompose
en rectangles élémentaires qui se répètent et lui donne une grande puissance. La
répétition des lignes horizontales et verticales donne un rythme rigoureux à
l’image. Le spectateur a l’impression que le pont va dévorer la ville. Cette asso-
ciation du pont à une sorte de bouche monstrueuse est un code culturel. Le beffroi
qui apparaît à l’arrière-plan suggère le pouvoir, la ville traditionnelle.
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2. Le titre de la photographie, Spirit of Dunkerque, peut d’abord désigner sym-
boliquement ce qui fait l’esprit de la ville de Dunkerque : une cité ancienne sym-
bolisée par son beffroi qui s’est développée grâce à l’industrie portuaire (l’énorme
pont évoque les docks, les containers…). La complémentarité des couleurs, l’har-
monie des formes géométriques invitent à cette lecture. Cependant, on peut aussi
interpréter cette image en y lisant la métaphore d’une ville en crise qui s’est vue
dévorer par une industrie aveugle et qui a perdu son âme : le beffroi est relégué
à l’arrière-plan, la forme du pont connote une industrie ancienne et monstrueuse.
Remarque. William Eggleston est aujourd’hui considéré comme l’un des maîtres
de la photographie couleur et, à ce titre, l’un des grands artistes du XXe siècle.
Exposé pour la première fois en 1976 au MoMA, à New York, il a ouvert la voie
à une nouvelle génération de photographes que le public, habitué au noir et blanc,
jugeait vulgaires et aux sujets banals.

Exercice 5BB
1. Les lignes de force du tableau de Chardin sont des lignes obliques qui mettent
en évidence le château de cartes. Une première oblique traverse le bras gauche
du jeune garçon. D’autres obliques correspondent à l’angle de la table et à ceux
du tiroir ouvert (dont l’ouverture invite le spectateur à entrer dans le tableau en
accompagnant son regard). Les lignes horizontales sont formées par le bras droit
et le plateau de la table. Les verticales des cartes qui apparaissent sur la droite
de l’image sont reprises avec le cadre de la table, le tiroir et le haut du bras droit :
elles donnent une impression de stabilité.
2. Le nombre d’or se situe à l’intersection d’une horizontale et d’une verticale
placée à un tiers des bords du tableau. Il correspond au château de cartes.
3. Le château de cartes est mis en évidence par le nombre d’or. Cela correspond
au titre du tableau et attire l’attention du spectateur sur la fragilité de l’édifice
dans la construction duquel le jeune garçon est absorbé.
4. Le bicorne et le costume que porte le jeune garçon disent son appartenance à
la bourgeoisie. Ses bras posés sur la table ainsi que son visage penché et fermé
suggèrent une intense concentration. Le château de cartes symbolise la fragilité.
Au-delà de l’instantané d’un simple amusement puéril, on peut voir, dans ce
Château de cartes, une résurgence, à une échelle plus domestique, du thème de
la Vanité, telle qu’elle était couramment pratiquée au XVIIe siècle : quoi de plus
menacé et éphémère, en effet, qu’un édifice fait de cartes, quoi de plus fugace que
l’enfance et ses jeux ? Le temps s’enfuit, semble nous dire Chardin, et seule
demeure la fragilité de nos existences.

Identifier le registre d’une image


Exercice 6B
1. En dénotation, nous pouvons relever, sur le tableau d’Edward Ruscha, Félix
le chat, personnage de dessin animé américain ayant connu une grande célébrité
vers 1930, qui occupe le centre de l’image. Il est encadré de deux bandes hori-
87
zontales et de deux bandes verticales brossées de larges touches de bleu, de blanc
et de rouge. Ces bandes inscrivent le personnage dans une sorte de cadre.
2. Le tableau mêle deux thèmes : celui de la culture populaire, qui apparaît à
travers un personnage universellement célèbre, et celui de la peinture, qu’on
retrouve à travers les codes du portrait (figure au centre du tableau, encadre-
ment…). Ce tableau est caractéristique du pop art, mouvement artistique apparu
dans les années 1950 en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Les artistes se réap-
proprient des images existantes souvent issues de la culture de masse des maga-
zines. Ce mouvement introduit au cœur de la peinture une esthétique marquée
par l’effacement de l’artiste. On peut interpréter ce tableau comme une interro-
gation sur la place de l’artiste dans un monde dominé par des images reproduites
partout de manière industrielle. Edward Ruscha joue également avec les codes
du portrait en désacralisant ce genre pictural très ancien : les célébrités qui méri-
tent un portrait ne sont plus les chefs politiques, économiques ou militaires, mais
de simples personnages de la culture populaire.
3. Cette image s’inscrit dans un registre comique puisqu’il rapproche de manière
inattendue culture populaire et « haute » culture en faisant accéder un person-
nage de la culture populaire à la dignité de sujet digne d’être peint et exposé dans
les musées.

Exercice 7BB
1. Les lignes de force qui dominent dans ces deux tableaux sont les courbes. Le
spectateur perçoit immédiatement les courbes formées par les corps des mois-
sonneurs endormis. Ces courbes sont relayées par les meules de foin, les serpes,
les sabots… Elles donnent aux tableaux un puissant mouvement de vague, créé
par de vigoureux coups de pinceau, qui berce les deux silhouettes endormies.
Elles se marient à la droite horizontale de l’horizon pour créer une impression de
douceur, de calme et d’harmonie. Les points forts sont les tâches claires qui cor-
respondent aux vêtements des dormeurs. Ils se situent à l’emplacement du nombre
d’or. Les peintres insistent ainsi sur le lien paisible du sommeil qui unit les mois-
sonneurs. Le regard du spectateur est ensuite attiré par l’arrière-plan très clair
qui magnifie la lumière du soleil sur les meules et exalte l’harmonie de la nature.
Les lignes de fuite qui convergent vers l’horizon et la lumière du soleil renforcent
cette impression de grande sérénité.
2. Les deux peintres jouent sur les codes chromatiques en privilégiant les cou-
leurs chaudes (jaune, rouge) qui créent une atmosphère apaisée. Les touches de
bleu, couleur froide, sont teintées de rouge et s’intègrent harmonieusement aux
couleurs chaudes. Le blanc de la tenue des dormeurs symbolise leur pureté, l’in-
nocence de leur repos. Les formes géométriques sont rares dans ces tableaux : les
différents éléments qui composent l’image – meules, dormeurs, charrette, bœufs…
– semblent s’intégrer les uns ou autres. Le code géométrique dominant est celui,
omniprésent, de la ligne courbe. Elle confère aux tableaux une grande fluidité
qui donne une puissante impression d’harmonie. Les sabots, la serpe, les meules
de foin sont des codes culturels qui renvoient immédiatement au travail agricole.
88
Ce travail est habituellement associé à la douleur, à la difficulté du travail phy-
sique. La représentation de la sieste déjoue cette assimilation du travail des champs
à une activité pénible et donne une vision bucolique de la scène. Les traits peu
individualisés des personnages, le fait qu’ils forment un couple, la tendresse qui
les lie, hors de toute connotation sexuelle, leur donnent une dimension univer-
selle. On peut lire dans ces tableaux une évocation d’un paradis perdu dans lequel
êtres humains, animaux et nature vivaient dans une sereine harmonie.
3. Les deux tableaux sont tellement proches qu’il est tentant de les inscrire dans
le même registre. Un examen attentif invite cependant à nuancer. Le tableau de
Jean-François Millet s’inscrit dans le registre réaliste : la scène représentée est
banale et quotidienne, la présence des corps est forte et les détails nombreux
(rendu des pieds meurtris, précision photographique des sabots et d’une partie
de la paille…). Le tableau de Van Gogh s’inscrit davantage dans le registre lyrique.
Le peintre juxtapose les couleurs pures par touches fragmentées et donne une
vision subjective de la scène en stylisant les meules ou en gommant les traits des
visages. Il cherche à faire partager au spectateur l’émotion qui naît de cette pai-
sible scène bucolique.
4. Le tableau de Van Gogh est, de manière évidente, un hommage à celui de
Millet, peint une vingtaine d’années plus tôt. Il l’a peint d’après une gravure de
Millet. Il en a repris le sujet, les figures, la composition, en orientant simplement
les personnages dans le sens inverse. Les deux toiles sont néanmoins profondé-
ment différentes puisque Millet donne plutôt une version réaliste de la scène tandis
que Van Gogh propose une vision marquée par la subjectivité. Le monde de la
campagne lui donne un sentiment de pérennité et renvoie à l’image biblique de
l’homme gagnant son pain à la sueur de son front.

Exercice 8B
1. Une distinction peut être effectuée entre les textes figurant dans les cartouches
jaunes et ceux qui apparaissent sous forme de phylactères. Les phylactères repren-
nent, au discours direct, les propos échangés par les protagonistes de l’action au
moment où elle se déroule. Dans les cartouches est retranscrit le discours d’un
narrateur, le photographe, qui revient sur son voyage en Afghanistan. À la manière
d’une voix off, ses propos tentent de restituer l’état d’esprit dans lequel il se trou-
vait au moment du voyage pour faire revivre au lecteur les événements tels qu’il
les a vécus. Ce système de narration est caractéristique du récit autobiographique.
2. Le dessin, permet de prendre du recul par rapport à l’action rapportée. Le
recours à un illustrateur contribue à donner à l’expérience personnelle d’un pho-
tographe qui accompagne une mission humanitaire en Afghanistan une dimen-
sion universelle qui est celle d’un Européen découvrant une culture dont il ignore
tout. Les photographies donnent une crédibilité aux faits rapportés : elles contri-
buent à renforcer le pacte autobiographique scellé entre l’auteur et le lecteur.
3. Cette planche de bande dessinée s’inscrit clairement dans le registre réaliste.
Les auteurs s’attachent à représenter le réel en évoquant le quotidien d’un repas.
L’action se déroule dans un espace domestique. La mention du plaisir pris à se
89
nourrir renvoie au registre réaliste qui attache une grande importance au corps
et à ses besoins physiologiques instinctifs. Les personnages sont des individus
ordinaires de milieu modeste puisqu’ils sont paysans. Ils sont animés par des moti-
vations élémentaires : se reposer après une longue marche ou se nourrir. La pré-
sence de noms tels que « Najmudin » ou « Bassir Khan » ancre la scène en
Afghanistan. Les photographies qui présentent en gros plan des objets fort simples
appuient la véracité du récit en jouant un rôle d’effet de réel.

Exercice 9BB
1. Les quatre vignettes de la planche de Joann Sfar sont dominées par les lignes
courbes qui correspondent aux corps des musiciens et des danseurs ou à leurs
vêtements. Les phylactères eux-mêmes s’inscrivent dans des lignes courbes. Les
couleurs dominantes sont le blanc, le bleu et le rouge-orangé. L’utilisation des
deux couleurs complémentaires que sont le bleu et le rouge contribue à rendre
les vignettes harmonieuses. L’harmonie entre les danseurs et les musiciens est sug-
gérée par l’utilisation de couleurs aquarellées identiques pour les deux groupes.
L’omniprésence des courbes donne l’impression que danseurs et musiciens forment
un seul corps habité par la musique, qui apparaît sous forme d’onomatopées dans
les phylactères servant de fil conducteur à la planche.
2. Cette suite d’images s’inscrit dans le registre lyrique. Joann Sfar vise à faire
partager au lecteur l’émotion qui naît de la musique : les corps se mêlent et s’aban-
donnent aux rythmes. Le dessin n’est pas réaliste. La salle dans laquelle dansent
les personnages est simplement suggérée. Les fenêtres sont de guingois, comme
si elles étaient elles-mêmes en train de danser. Les personnages ne sont pas indi-
vidualisés et ne forment qu’un seul corps décliné en plusieurs postures. L’utilisation
des couleurs privilégie l’harmonie des complémentaires plutôt que la reproduc-
tion du réel. Le dessinateur tente de donner un équivalent plastique des multiples
sensations que l’on peut éprouver en dansant.

Exercice 10BB
1. La Tempête de Vernet peut être qualifiée d’image narrative car l’image à elle
seule suggère une histoire. Le spectateur peut reconstituer les événements en asso-
ciant différents détails du tableau. L’histoire racontée dans le tableau se lit d’abord
de l’arrière-plan au premier plan. L’arrière-plan montre un ciel et une mer déchaî-
nés. Un deuxième plan, plus proche, présente un bateau fortement incliné qu’on
devine être victime de la tempête. Au premier plan, apparaissent des êtres humains
que leur attitude (bras implorants, corps épuisés) permet d’assimiler à des nau-
fragés. Sur la droite du tableau, au premier plan, on remarque deux embarca-
tions et des individus qui se dirigent vers les naufragés. Le spectateur, respectant
le sens de lecture occidental, peut donc reconstituer l’histoire. Un bateau pris dans
une violente tempête a fait naufrage. Des naufragés ont pu s’échapper du navire
en détresse et attendent des secours. Des sauveteurs vont leur venir en aide.
2. Diderot écrit un vif éloge de cette toile. Des termes tels que « bel ensemble »
(l. 1), « harmonieux » (l. 2), « sans effort et sans apprêt » (l. 3 et 4), « beaux »
90
(l. 6), « pittoresque » (l. 7), « vraies, agissantes, naturelles, vivantes ; comme elles
intéressent » (l. 9-10), « la force » (l. 11), « la vérité » (l. 13-14) soulignent l’en-
thousiasme de l’écrivain.
3. Le jugement de Denis Diderot, « tout est harmonieux », se justifie d’abord par
la construction de l’image qui multiplie les effets d’harmonie. Le tableau se divise
verticalement en deux parties : le ciel qui occupe les deux tiers de la surface et la
côte qui apparaît sur le tiers inférieur. Le nombre d’or correspond au navire en
détresse. Le tableau est dominé par des lignes horizontales (horizon, nuages) qui
suggèrent un calme inattendu pour une scène de tempête. Les verticales qui appa-
raissent avec la tour à gauche et le haut rocher à droite forment une sorte de cadre
qui ralentit le regard et donne de la hauteur à la scène. La perturbation créée par
la tempête se lit dans les diagonales parallèles : celles des bateaux à droite et, à
gauche de l’image, celles des bras des naufragés. Cette composition contribue à
donner à la tempête une dimension extraordinaire : au-delà de la péripétie, ce
tableau suggère la modestie de l’homme face aux forces éternelles de la nature.
L’harmonie apparaît également dans le camaïeu des couleurs chaudes et sombres
qui parcourt toute la gamme chromatique entre le jaune et le marron.
4. En concluant que « le fond est privé de lumière et le devant éclairé », Diderot
insiste sur une spécificité de ce tableau. En effet, la peinture classique privilégie
l’éclairage venant de l’arrière-plan (le soleil se situe habituellement derrière l’ho-
rizon). Vernet a choisi d’éclairer les personnages du premier plan par quelques
rayons de soleil, que l’on voit poindre dans le coin supérieur droit du tableau. Il
met ainsi en relation les hommes et la nature, et invite le spectateur à porter son
attention sur le sort des naufragés et à partager leur détresse.

Exercice 11BBB
1. Les lignes de force horizontales donnent une impression de calme : tous les per-
sonnages sont absorbés par leurs sens. Elles permettent aussi d’approfondir l’image
en lui donnant une grande profondeur de champ. Le tableau comporte de nom-
breux plans : les courtisanes, le fils prodigue, deux personnages sur un pont et la

91
ville de Paris (identifiable grâce à la cathédrale Notre-Dame). Les lignes courbes
unissent les différents groupes de personnages du premier plan, qui symbolisent
chacun un sens. Les deux diagonales qui dominent le tableau lui donnent un grand
dynamisme et en unifient les différents éléments.
2. Les points forts de L’Enfant prodigue sont les masses claires qui attirent l’at-
tention du lecteur sur les différents sens représentés. À droite et à gauche du
tableau, la main d’un personnage et la gorge d’une femme évoquent le toucher.
La table portant des fruits ainsi qu’une main tenant une pomme correspondent
au goût. L’ouïe est mise en valeur par la clarté du luth, des partitions et des visages
des musiciennes. L’odorat apparaît avec les deux personnages de droite dont une
même masse claire réunit les nez. Enfin, la partition sur la table, le regard des
musiciens, la femme debout mise en évidence sur le fond clair, renvoient à la vue
puisqu’elle surplombe la scène.
3. Les lignes de fuite convergent vers la cathédrale Notre-Dame en reliant cour-
tisanes, fils prodigue et édifice religieux. Elles mettent en évidence l’épisode reli-
gieux qu’évoque ce tableau : la parabole du fils prodigue.
4. Le peintre use des codes chromatiques pour mettre en évidence les figures du
premier plan et la ville de Paris qui apparaît en arrière-plan. Les figures sont bros-
sées dans des dominantes de bleu et de rouge, deux couleurs complémentaires,
qui alternent. Cela donne une unité au groupe. La ville de Paris est représentée
par une gamme de gris qui donne l’impression qu’elle est lointaine et lui donne
le statut d’une sorte de décor. Les formes géométriques dominantes sont des
courbes qui rythment le tableau : elles contribuent à souligner l’harmonie des sens
symbolisés par les différentes courtisanes. Ce tableau joue fortement des codes
culturels. Nous pouvons y lire une allégorie des cinq sens avec, de gauche à droite,
le toucher, le goût, l’ouïe, la vue et l’odorat. Le titre et la scène renvoient à l’une
des paraboles les plus connues de l’Évangile selon Luc du Nouveau Testament :
le fils prodigue qui retourne à la maison après avoir gaspillé sa fortune. L’histoire
met en parallèle deux personnages visibles de profil dans la partie droite du
tableau. Le fils aîné, qui respecte les règles, et le fils plus jeune (le prodigue), qui
va à la découverte du monde, sans respecter les commandements de son père. Ce
père, tout à sa joie de le retrouver vivant, lui pardonne son inconduite à travers
le banquet. Le tableau suggère que le fils prodigue retrouve le chemin de la foi
(la cathédrale) et du respect.
5. Ce tableau s’inscrit dans le registre pathétique. Sa composition très rigoureuse,
le choix d’une palette de couleurs sombres et la référence à une scène biblique
traduisent la volonté du peintre de susciter la compassion par rapport au destin
du fils prodigue. Il s’agit aussi de favoriser la médiation autour de la célèbre para-
bole du Nouveau Testament.

Exercice 12BB
1. Robert Rauschenberg détourne un des tableaux les plus célèbres du monde :
La Joconde (ou Portrait de Mona Lisa), peinte par Léonard de Vinci entre 1503
et 1507, et titrée ici Pneumonia Lisa.
92
2. Le rythme est marqué par la répétition à quatre reprises du motif original
qu’est le Portrait de Mona Lisa, qui est repris toujours dans le même format. Le
tableau fait penser à une série d’affiches collées sur les murs qui auraient été macu-
lées, lacérées et dégradées de manières différentes.
3. La Joconde est une des œuvres d’art les plus connues du monde et constitue
en tant que tel une icône populaire. Elle marque l’aboutissement des recherches
du XVe siècle sur le portrait. Elle fascine les artistes de l’époque romantique qui
contribuent à faire grandir sa légende. L’artiste désacralise La Joconde en cou-
vrant la toile de larges touches de peinture. Sa démarche est représentative du
pop art, mouvement artistique né dans les années 1950 aux États-Unis et en
Grande-Bretagne, qui se caractérise par le réemploi d’images préexistantes, en
particulier d’images de masse pour interroger sur la place de l’artiste et de l’art
dans une civilisation dans laquelle l’image est omniprésente. Il rappelle qu’avant
d’être un signe universellement reconnu, La Joconde est un tableau.
4. Le registre dans lequel s’inscrit ce tableau est celui du comique. Robert
Rauschenberg détourne une image très célèbre en la désacralisant à grands coups
de pinceau. Cela fait sourire le lecteur habitué à une grande révérence envers les
arts. On peut aussi y lire une manière amusante pour le peintre du XXe siècle de
se confronter à un autre peintre du XVIe siècle.

Rédiger une légende ou un commentaire


Exercice 13BBB
1. Le tableau de Samuel Van Hoogstraten représente un intérieur habité et
momentanément désert perçu à travers une porte ouverte. Le premier plan est
occupé par un balai posé sur un mur dans lequel est découpé l’encadrement d’une
porte. Au second plan apparaissent, à l’entrée d’une pièce, sous les clés de la porte,
les pantoufles qui donnent son titre au tableau. À l’arrière-plan, une pièce meublée
d’une table, sur laquelle repose un chandelier, et d’une chaise jaune. Sur le mur
du fond, deux tableaux dont le sujet d’un seul est visible: deux personnages devant
un lit à baldaquin.
2. Le tableau est dominé par les horizontales et les verticales. Les verticales de
l’encadrement de la porte créent un tableau dans le tableau. Elles sont renforcées
par celles du tissu qui pend, de la table, de la chaise et des bords des tableaux que
l’on aperçoit en arrière-plan. Les horizontales sont également fort présentes : le
seuil d’entrée, le cadre de la porte puis la table et les tableaux. L’ensemble donne
une forte impression de rigueur.
3. Le critique d’art Daniel Arasse décrit le tableau (dénotation) dans les lignes 1
à 18, il en analyse la construction dans les lignes 19 à 29, avant de conclure le
texte par une interprétation: «mettant ainsi leur spectateur en position de voyeur»
(l. 31-32).
4. Le tableau intitulé Femme au cabaret ou L’Estaminet (musée d’Orsay), peint
par Louis Valtat en 1896, est ostensiblement construit sur deux plans. Au premier
93
plan, une femme assise dans ce qu’on identifie comme étant un intérieur grâce à
la présence d’une table et de chaises ainsi que d’un chauffage. Au second plan,
on devine à contre-jour l’intérieur d’un cabaret avec son comptoir et la porte
d’entrée. La construction du tableau est marquée par les lignes verticales : l’ar-
rière-plan, de couleurs sombres, est découpé à la manière d’un cadre dans le cadre.
Au premier plan, les lignes du poêle ainsi que celles tracées par les dossiers de
chaises et par les murs renforcent cette rigueur. Les courbes des vêtements et du
visage de la femme introduisent un effet de douceur, de calme, et créent, associées
aux droites, un effet d’harmonie. Il se dégage de ce tableau une grande sérénité :
le cabaret est vide, la femme est inactive, en attente paisible. Le tableau oppose
fortement le premier plan, coloré, habité, qui renvoie à l’intérieur domestique, et
le second plan, sombre, à contre-jour, qui concerne l’intérieur de l’estaminet.
L’opposition des teintes ainsi que l’utilisation des lignes donnent l’impression que
l’intérieur du cabaret est un tableau dans le tableau, que les deux espaces coexis-
tent mais sont différents : le privé s’oppose au public, l’ombre à la lumière, le
calme à l’agitation. L’intérieur du cabaret est perçu à travers le regard de la femme
qui sert de relais à un spectateur placé en position de voyeur. On peut imaginer
qu’elle est la tenancière de l’estaminet et qu’elle prend un moment de repos dans
son logement attenant au commerce, en attendant le retour des clients. À moins
qu’elle ne soit une consommatrice qui a éprouvé le besoin de s’isoler dans une
pièce plus calme de l’établissement pour des raisons qui n’appartiennent qu’à elle.

Écrire un développement personnel


Exercice 14BB
1. L’intention de l’affiche est de sensibiliser au respect de l’article 4 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme (en anglais dans le bandeau infé-
rieur) qui stipule : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et
la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
2. L’image s’appuie sur les codes géométriques en insistant sur les courbes, qui
donnent une impression de vie, de liberté. Les codes culturels apparaissent dans
la présence des chaînes qui symbolisent l’esclavage. Ces chaînes remplacent les
cheveux tressés, les dreadlocks, qui sont une coiffure caractéristique de l’Afrique
et des Caraïbes (Jamaïque). Les deux codes culturels se télescopent pour donner
une grande efficacité à l’image.
3. Éléments pour enrichir la réponse de l’élève .
« Le monde a connu avec la traite négrière et l’esclavage l’une des pages les plus
tragiques de son histoire. Cette entreprise de déshumanisation, contraire aux fon-
dements mêmes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, unanime-
ment condamnée par la communauté internationale, appelle la réflexion de tous
et la vigilance de chacun. L’année 2004, qui marque le 200e anniversaire de l’avè-
nement de la première République noire, Haïti, a été proclamée par l’Assemblée
générale des Nations unies “Année internationale de commémoration de la lutte
contre l’esclavage et de son abolition”. Elle offre ainsi l’occasion au monde entier
94
non seulement de se livrer au nécessaire devoir de mémoire de cette tragédie sans
précédent, mais aussi de faire connaître les innombrables influences que ce dia-
logue forcé a imprimées sur les cultures et civilisations d’Europe, des Amériques
et des Caraïbes. Au-delà de ce regard rétrospectif, elle veut aussi alerter sur toutes
les formes de racisme, de discrimination et d’intolérance contemporaines, et être
ainsi l’occasion d’une prise de conscience renforcée du nécessaire respect de la
personne. Institutionnaliser la mémoire, empêcher l’oubli, rappeler le souvenir
d’une tragédie longtemps occultée ou méconnue et lui restituer la place qui doit
être la sienne dans la conscience des hommes, c’est en effet répondre à notre devoir
de mémoire. Il faut pour ce faire promouvoir et vulgariser l’histoire de la traite
négrière et de l’esclavage, et se livrer à un travail scientifique rigoureux mettant
en lumière toute la vérité historique de ce drame dans une optique constructive.
Il est urgent que cet épisode majeur de l’histoire de l’humanité, dont les consé-
quences sont à jamais scellées dans la géographie et l’économie mondiales, prenne
toute sa place dans les manuels scolaires et les curriculum de tous les pays du
monde. Cette restitution historique devrait pouvoir aménager un cadre propice
à la promotion d’un dialogue équitable entre les peuples dans le respect de l’uni-
versalité des droits humains et sceller l’engagement de lutter contre toutes les
formes contemporaines de l’esclavage et du racisme. Appréhender et analyser de
manière approfondie cet épisode historique permettra sans nul doute de mieux
comprendre la discrimination qui se manifeste dans la vie d’aujourd’hui et d’ad-
hérer avec une conviction renforcée aux valeurs fondamentales de la dignité de
la personne en vue de bâtir un avenir digne et durable. Universaliser la prise de
conscience de la tragédie de la traite négrière et de l’esclavage est donc une exi-
gence qui concerne non seulement le passé, mais aussi le présent et l’avenir. Son
importance pédagogique, éthique et civique peut être considérable si nous savons
lui accorder une juste attention. » (Discours de Koïchiro Matsuura, directeur
général de l’UNESCO.)

Exercice 15BB
1. Les détails du texte de Claude Esteban qui renvoient à la solitude de la jeune
femme sont les suivants : « Elle s’ennuie » (l. 1), « Elle a eu tout le temps » (l. 1),
« Elle a le temps » (l. 5-6), « Elle semble un peu lasse, ou peut-être s’ennuie-t-elle »
(l. 10-11), « On dirait qu’elle boit sa tasse de café sans plaisir, juste pour attendre »
(l. 17-18), « Elle leur tourne le dos, elle ne les voit pas » (l. 35-37).
2. Le texte s’appuie d’abord sur la tasse à café (l. 1 à 10) pour évoquer par méto-
nymie les établissements dans lesquels on consomme rapidement un café. Claude
Esteban interprète son allure et la posture de son corps : « Elle a dix-huit ans,
vingt ans au plus. C’est une femme assez grande. […] des bas clairs» (l. 12 à 16).
L’auteur s’appuie alors sur le décor pour nourrir son développement personnel :
« grande table ronde » (l. 19), « table de bois noir » (l. 20), « grande baie de verre »
(l. 27-28). Il émet des hypothèses : « Mais sans doute n’est-ce pas » (l. 21-22) à
partir de détails. La fin du texte s’attache à interpréter ce qui apparaît d’abord
comme étant un bouquet de roses (l. 28-29) avant d’être identifié comme un com-
potier (l. 33).
95
3. Claude Esteban continue son texte de la manière suivante :
« On dirait qu’elle attend quelque chose, elle ne sait pas quoi. En face d’elle, une
chaise de bois noir, lisse, impeccable. Elle est juste contre la table et personne,
évidemment, ne va s’y asseoir. Mais cette jeune fille songeuse n’est là que pour
un moment. Sa tête est prise dans un chapeau à la mode, avec une large coiffe et
des bords rabattus qui lui cachent les cheveux. Ses sourcils semblent suggérer
qu’elle est brune, mais elle a le teint clair, les joues roses comme une paysanne.
Sa main gauche est gantée. Elle a libéré l’autre main pour saisir la tasse. On
n’aperçoit pas le gant de la main droite. Peut-être l’a-t-elle glissé dans son sac
pour ne pas l’oublier. Son manteau est en velours vert avec des parements de four-
rure autour du coup et au bas des manches. C’est une jeune fille très sage et, natu-
rellement, elle regrette d’être assise là, à une table où n’importe qui peut venir lui
parler. Son manteau ne dissimule pas tout à fait le décolleté de sa robe rouge. Il
s’est ouvert un peu quand elle s’est assise, et l’on découvre un buste très clair, très
blanc, juvénile. Elle pense d’une façon appliquée, presque comme une étudiante,
à ce qu’elle doit faire. Elle est trop maquillée, pourtant. C’est, peut-être, une jeune
femme qui veut se faire engager dans une grosse maison de commerce. Elle s’est
maquillée plus que d’ordinaire, et cela lui déplaît. Elle est très pudique. Peut-être
qu’elle vient d’une petite ville, et qu’elle est habillée comme à New York ou à
Chicago, pour qu’on ne remarque pas, en la regardant, ses origines provinciales. »

EXO-BAC
(PAGE 103)

Vers le sujet d’invention


Lecture
L’explication technique occupe les lignes 1 à 8, le commentaire thématique les
lignes 8 à 13, tandis que le jugement personnel est présent dans les lignes 14 à
20. Selon Raymond Depardon, la photographie de cet instant saisi par Marion
Poussier est intemporelle dans son thème : « Les garçons ne se lèvent pas. On s’ob-
serve. Une des filles parle plus que l’autre. Elles ne regardent pas les garçons dans
les yeux. Cette brume rend la scène intemporelle » (l. 10 à 13). Marion Poussier
montre un aspect universel de l’adolescence : la gaucherie des corps pas encore
adultes, les premiers rapprochements maladroits entre les sexes, la timidité…, ce
que Raymond Depardon résume par : « toujours la même histoire de séduction
entre les ados » (l. 8-9).

Écriture
Cette photographie d’Alex Majoli est parfaite. Sa composition très rigoureuse
la rapproche de la peinture. Les lignes de force verticales soulignent la barrière
qui sépare jeunes filles et jeunes garçons. Pourtant, les diagonales suggèrent la
tentative de rencontre, lui donnent une grande dynamique. L’axe de symétrie
96
qui divise l’image en deux présente la scène et son reflet. Les questions posées
par la manière d’aborder l’autre, qui sont si importantes à l’adolescence, concer-
nent les filles comme les garçons. Aucun des deux protagonistes de la scène n’est
plus à l’aise que l’autre. Ce n’est ni un instant décisif, ni une photo volée. Le
photographe n’apparaît pas dans le reflet du miroir. Il s’est tenu hors champ
pour laisser à cette scène son intimité.
La scène est publique puisqu’elle se déroule dans un magasin, mais aussi privée
en se situant dans ce qu’on devine être une cabine d’essayage. Il y a un jeune
garçon et une jeune fille, et toujours la même histoire de séduction. On s’ob-
serve. Le garçon est debout, dominant de toute sa taille la jeune fille assise. Cela
lui donne peut-être un peu de l’assurance qui lui manque. Leurs regards fusion-
nent dans une diagonale. Leurs sourires éclatants disent leur volonté de séduire,
de nouer une relation heureuse.
Alex Majoli, jeune photographe de l’agence Magnum, célèbre pour ses repor-
tages à travers le monde, montre aussi son immense talent dans le quotidien.
On peut réaliser de grandes photos à côté de chez soi. Il regarde ces adolescents
avec empathie. On devine que lui-même ne doit pas être très âgé. Comme Marion
Poussier avec sa photographie prise au cours d’une colonie de vacances à Saint-
Jean-du-Doigt, Alex Majoli part de l’anecdote, d’une banale scène entre deux
adolescents, pour lui donner une dimension universelle. Cette scène d’approche
maladroite apparaît dans toute sa fraîcheur. Dans ces domaines, l’expérience
aide peu. Les films, les livres, les peintures ont interrogé depuis des siècles les
mystères de la séduction. Pourtant, cela n’est d’aucun secours quand il s’agit de
vivre ses premiers émois, de se lancer à son tour dans la rencontre bouleversante
de l’autre. Les photographies d’Alex Majoli et de Marion Poussier rendent avec
simplicité l’entrée dans le monde adulte.

97
CHAPITRE

9 La construction d’un film


(PAGES 104 à 115)

Les mouvements de caméra, les effets spéciaux, le montage font du cinéma


un art qui maîtrise parfaitement le temps narratif. L’image cinématogra-
phique donne l’illusion, comme le rêve au cours du sommeil, de partici-
per, de vivre la réalité. Le spectateur retrouve dans l’ombre le plaisir de la
fascination, parce que les films sont, comme le dit François Truffaut, « des
trains lancés dans la nuit ».

OBSERVATION
(PAGES 104-105)

Réponses aux questions


I. L’écriture du film
1. Les termes qui, dans l’extrait du roman Un long dimanche de fiançailles, indi-
quent l’état d’esprit de Mathilde sont : « Mathilde voit bien que Sylvain s’inquiète
pour elle » (l. 1-2) et « Elle n’a pas envie de parler, pas envie de larmoyer, elle a
envie de se retrouver seule dans sa chambre » (l. 2 à 4). Mathilde refuse donc la
compassion qu’elle devine chez Sylvain, pour qui elle éprouve de la sympathie.
Sylvain, quant à lui, a envie d’aider Mathilde en l’écoutant : « Sylvain s’inquiète
pour elle » (l. 1-2), « il voudrait qu’elle épanche sa peine » (l. 2). L’adaptation du
cinéaste rend compte de ces états d’esprit en explicitant celui de Sylvain dans une
réplique : « Mathilde, si t’arrives pas à pleurer, tu peux parler… si t’arrives pas à
parler, ne dis rien, mais… tu sais, parfois on commence à parler et c’est là qu’on
se met à pleurer… » Le désir de solitude et de silence de Mathilde est transposé
par son mutisme et la sympathie qu’elle ressent pour Sylvain est suggérée par le
fait qu’elle « ne peut s’empêcher de sourire ».

II. Les images du film


2. La photographie des sept hommes est décrite dans le livre de la manière sui-
vante : « cinq assis, la tête nue et les bras dans le dos, un debout sous son casque,
l’air plutôt fier de lui, et un dernier en profil perdu, à l’avant-plan, qui fume sa
pipe » (l. 12 à 14). Dans le film, la photographie (simplifiée à cinq hommes)
apparaît rapidement. Cependant, le film apporte des informations supplémen-
99
taires puisque le spectateur peut voir précisément l’apparence physique des cinq
personnages. Le gros plan sur Manech (plan 32/3) correspond fidèlement à l’évo-
cation qui en est faite dans le roman entre les lignes 15 et 19.

III. Le point de vue


3. Le roman adopte le point de vue de Mathilde. Dans le premier paragraphe, le
verbe de perception « voit » (l. 1) montre que la scène est perçue du point de vue
de l’héroïne. Le lecteur ne connaît que ses pensées au sujet de Sylvain et de son
envie de solitude. Dans la deuxième partie de l’extrait, on retrouve des verbes de
perception, « regarde » (l. 9), « voit » (l. 15), qui marquent la focalisation interne.
Les photographies sont perçues à travers le regard de Mathilde.
4. Le plan 32/1 est filmé du point de vue de Mathilde qui ouvre l’enveloppe. Le
plan 32/2, qui figure en gros plan les yeux de l’héroïne, annonce les trois plans
suivants, qui sont filmés en caméra subjective. Le plan 32/5 rappelle ce choix du
cinéaste en montrant à nouveau le regard de Mathilde. La découverte du contenu
de la boîte (plan 32/7) épouse le point de vue de l’héroïne.

IV. Le rythme de la narration


5. Dans l’extrait du roman, une ellipse temporelle se situe entre les lignes 5 et 6 :
le romancier ne raconte pas ce que fait l’héroïne entre le moment où elle se trouve
dans la voiture avec Sylvain et celui où elle est seule dans sa chambre. La rupture
temporelle est marquée par « Quand » (l. 6). Dans le film, le cinéaste marque cette
rupture en changeant soudainement de plan (du plan moyen au gros plan) et d’es-
pace (« Route de campagne » puis « Int. Soir – Chambre de Mathilde »).

EXERCICES
(PAGES 110 à 115)

Étudier le découpage en séquences


Exercice 1B
1. La chronologie des événements est la suivante : Lucien se rend au New York
Herald. Il descend les Champs-Élysées à la recherche de Patricia. Il rencontre une
étudiante avec laquelle il a une légère altercation. Lucien retrouve enfin Patricia,
qui s’étonne de le croiser là.
2. Plan 1 : Lucien se rend au New York Herald.
Plan 2 : Lucien, dans le hall du New York Herald, se renseigne auprès d’une jeune
fille à un guichet.
Plan 3 : Lucien, sur les Champs-Élysées, rencontre une jeune fille en maillot jaune.
Plan 4 : Lucien s’en prend, de l’autre côté de l’avenue, à une étudiante qui propose
des brochures en faveur de la jeunesse.
Plan 5 : Lucien suit Patricia. Elle se retourne et découvre Lucien avec surprise.
100
3. Ce photogramme correspond aux lignes 19 à 26 du scénario. On reconnaît la
tenue de la jeune fille : « maillot jaune avec les initiales du N.-Y. Herald sur la poi-
trine » (l. 20-21), « blue-jeans » (l. 23). Elle est en train de parler à Lucien : « Elle
ouvre de grands yeux : qu’est-ce que Lucien est venu faire à Paris ? » (l. 24-25).

Exercice 2BB
1. Le décor qui doit figurer dans la séquence est celui d’un « club de jazz »,
« confortable à la lumière tamisée » (l. 1-2). « Un photophore » (l. 8), « un verre
de vin blanc » (l. 8) et un verre de « Perrier » (l. 9) sont les accessoires indispen-
sables. La musique de jazz est celle d’« un groupe qui laisse sa place à un autre
sur la petite scène » (l. 3-4). Deux personnages sont à l’écran : la commissaire
Vaudieu et le juge Clermont.
2. Vaudieu est une « commissaire de retour dans son service après avoir vaincu
son alcoolisme » (l. 5-6), même si elle risque toujours la rechute : « Ça l’est tou-
jours. Surtout à cette heure-là dans les endroits comme ça » (l. 21-22). Elle est
encore jolie : « t’es encore pas mal » (l. 16). Elle a rompu avec un passé marqué
par l’alcool et les nuits blanches (l. 26-30). Elle fait allusion à la perte d’un être
cher (sans doute un enfant) et à la douleur qu’elle ressent toujours : « J’imagine
souvent les choses que j’aurais pu faire avec lui. Il aurait l’âge de mon petit lieu-
tenant » (l. 32-34). Elle est intime du juge puisqu’elle le tutoie (l. 18) et qu’il
connaît son alcoolisme : « Ça a été dur d’arrêter ? » (l. 20). Ils ont probablement
souvent travaillé ensemble.
Clermont est un juge un peu las de son travail : « J’ai dû signer 1 000 commis-
sions rogatoires […] l’idée de faire ça pendant encore dix ans me fout la trouille »
(l. 10-14). Comme il se situe à dix ans de la retraite, nous pouvons estimer son
âge à cinquante-cinq ans. Son caractère est marqué par la générosité et la sym-
pathie : il cherche à comprendre les sentiments éprouvés par Vaudieu.
3. Un plan d’ensemble permettrait de situer la scène dans son contexte : deux
personnes dans un club de jazz. Un plan moyen attirerait l’attention sur les deux
personnages principaux attablés. On pourrait ensuite tourner cette séquence en
privilégiant les plans rapprochés et les gros plans afin de souligner les réactions
et les émotions des personnages. Cela conviendrait pour cette scène psycholo-
gique.

Analyser le cadrage et le point de vue


Exercice 3B
1. Le cadrage choisi par Edward Hopper est le plan d’ensemble puisque nous
voyons l’ensemble du décor : vitrine du café, serveur et clients. Wim Wenders a
opté pour le plan moyen en cadrant les personnages en entier, de la tête aux pieds.
2. Wim Wenders a choisi d’adopter le point de vue du serveur ou du consom-
mateur, qui apparaît de dos dans le tableau de Hopper. Le peintre présente la
scène du point de vue d’un observateur qui se situe à l’extérieur du café.
101
3. En s’inspirant d’un tableau d’Edward Hopper, Wim Wenders rappelle que le
cinéma est un art de l’image comme la peinture et qu’il nécessite le même soin et
mérite la même dignité. L’intertextualité donne une dimension culturelle à la
scène : les personnages deviennent des archétypes.

Analyser les mouvements de l’image


Exercice 4B
1. Dans la nouvelle comme dans son adaptation, un homme avance seul dans un
paysage lugubre. Il découvre une maison. La nouvelle apporte plus d’informa-
tions sur les pensées du personnage. Le paysage est perçu de son point de vue. Il
est qualifié de « sombre » (l. 2), « lugubre » (l. 5), « mélancolique » (l. 7). Il confie
qu’un « sentiment d’insupportable tristesse pénétra [son] âme » (l. 9-10). Le choix
de la focalisation interne permet à Edgar Poe de faire vivre la scène du point de
vue du personnage.
2. L’écrivain multiplie les notations tristes pour évoquer le moment et le paysage.
Il s’agit d’une « journée d’automne » (l. 1), « les nuages [pèsent] lourds et bas dans
le ciel » (l. 2-3), l’« étendue de pays [est] singulièrement lugubre » (l. 4-5). La
maison est qualifiée de « mélancolique » (l. 7) et le personnage confie son « insup-
portable tristesse » (l. 9-10). Pour rendre la même atmosphère, le cinéaste pré-
sente un plan de demi-ensemble d’arbres dénudés et d’herbes folles. Pour suggérer
la tristesse du personnage, le plan 2 le montre en plongée (et donc écrasé par les
éléments), pataugeant dans les fondrières. Le plan 3 insiste sur le paysage désolé
avec des « eaux mortes » (l. 9-10). Enfin, la maison apparaît au plan 6 « derrière
les arbustes dénudés » (l. 18-19).

Exercice 5
1. Le champ du premier photogramme représente le visage tourné d’une femme
en gros plan. À l’arrière-plan, on aperçoit une maison et son jardin. Le champ
du second photogramme montre des corbeaux perchés en grand nombre sur une
structure en bois. À l’arrière-plan, des corbeaux sont juchés sur une sorte de tour.
2. Le spectateur est incité à suivre le regard de l’héroïne. Son visage tendu et
l’inquiétude qui se lit dans son regard suggèrent qu’elle voit quelque chose qui
l’effraie. Le spectateur ne peut voir ce qu’elle voit et cela crée une tension confir-
mée par le plan suivant, qui présente des corbeaux ayant envahi tout l’espace.

Étudier le rythme de la narration filmique


Exercice 6B
1. Anthony Mann a choisi un montage de type chronologique : l’action est
montrée dans son déroulement linéaire. Un convoi de chariots traverse un paysage
désertique.
2. Dans cette séquence qui ouvre le film, le réalisateur veut situer l’action et le
genre de son film ainsi que donner de premières informations sur les person-
102
nages. Le premier plan est général : il situe l’action dans un vaste paysage aride
dans lequel des chariots avancent de la gauche vers la droite. Le plan 2a, de
demi-ensemble, reprend le premier chariot et met en évidence deux personnages
perçus en légère contre-plongée. On identifie immédiatement un personnage
jeune qui s’oppose à l’autre, plus âgé. La caméra pivote autour de son axe
(panoramique) pour suivre le mouvement du chariot, qui est montré de trois
quarts arrière : le spectateur accompagne l’avancée du convoi. Le plan 3 montre,
en contre-plongée et en plan d’ensemble, le deuxième chariot du convoi. Le
cinéaste procède à la manière des romanciers réalistes : le lecteur accompagne
les personnages dans la découverte d’un lieu. La présence du paysage aride, des
chapeaux de cow-boys et des chariots renvoient à la mythologie de la conquête
de l’Ouest, et donc au genre du western.

Exercice 7BB
1. Cette séquence de film comporte toutes les caractéristiques d’une scène d’ex-
position telle qu’on peut en trouver au théâtre. Le lieu de l’action est précisément
situé : dans un appartement à Barcelone : « les volets sont entrebâillés, et il y a
une sorte de pénombre caractéristique des pays chauds » (l. 3-4), « Soledad est
espagnole, c’est la seule à être d’ici » (l. 21). Le héros, Xavier, rencontre pour la
première fois les personnages qui joueront un rôle majeur dans le film. Ils sont
présentés au spectateur d’une manière qui semble naturelle. C’est ainsi une
réplique d’Alessandro (lui-même nommé par Tobias à la ligne 32) qui permet au
spectateur d’identifier les divers protagonistes : « Je suis italien, Tobias est alle-
mand, Wendy est anglaise, Lars est danois et Soledad est espagnole… » (l. 19 à
21). Chacun des personnages est caractérisé. Tobias est soucieux de tester le
nouveau locataire. Il pose des questions précises qu’il a listées. Cela montre qu’il
est très ordonné, soucieux de prendre la direction des opérations. Wendy s’ex-
cuse pour cet interrogatoire, qu’elle juge ridicule. Elle apparaît comme attentive
aux autres. Alessandro n’est pas d’accord avec les autres mais se range facilement
à leur avis. Il est conciliant. Soledad ne participe pas vraiment à la conversation.
Elle semble d’un naturel enjoué. Lars parle peu. Ce personnage, qui semble conci-
liant et juste, se comporte en observateur. Le spectateur dispose ainsi très rapi-
dement des informations qu’il attend dans une exposition : identification des lieux
et personnages, début d’une intrigue (Xavier va-t-il être accepté comme locataire ?
Comment cette petite communauté va-t-elle évoluer ?).
2. Pour situer la scène, on peut recourir à un plan d’ensemble montrant l’ap-
partement et ses occupants. L’image pourrait ensuite présenter une alternance de
plans rapprochés et de gros plans s’attachant aux personnages qui s’expriment
afin de les individualiser et de montrer leurs émotions. L’angle de vue pourrait
être une légère contre-plongée pour suggérer que ces locataires fascinent le
nouveau venu.
3. La caméra subjective, adoptant le point de vue de Xavier, semble préférable.
Le spectateur découvre les locataires à travers le regard du jeune homme qui les
rencontre pour la première fois. Cela rendrait la scène vraisemblable. D’autre
part, le spectateur pourrait s’identifier à Xavier et se sentir impliqué dans le film.
103
Exercice 8BB
1. Les plans 43-2 sont perçus du point de vue d’Amélie qui découvre Nino près
d’un photomaton ; les plans 43-3 sont perçus par Nino qui regarde dans la direc-
tion d’Amélie. Le plan 43-4 est à nouveau du point de vue d’Amélie, comme le
43-5. Cette alternance donne du rythme à la scène et permet de comprendre que
les personnages sont fascinés l’un par l’autre, qu’ils éprouvent un coup de foudre.
2. Le rythme de l’action s’accélère à partir du plan 43-4, qui correspond au
moment où Nino se met à courir. Dans les plans précédents, le cinéaste usait des
champs/contrechamps. À partir du plan 43-4, la caméra suit l’action grâce au
travelling ou à un demi-tour. Elle accompagne la course du personnage et accé-
lère donc le rythme du film.
3. Le cinéaste utilise les gros plans (images 1, 4, 5, 6, 7 et 11), le plan rapproché
(images 3 et 9), le plan américain (image 8), le plan d’ensemble (image 10) et le
plan moyen (image 2). Le type de plan dominant est donc le gros plan, qui met
l’accent sur les détails ou les visages. Ce choix contribue à émouvoir en insistant
sur les émotions ressenties par les personnages. Cette volonté d’insister sur les
émotions, très présente, par exemple, dans l’image 6, qui s’éloigne du réalisme
pour montrer le cœur d’Amélie battre en transparence dans sa poitrine, inscrit la
scène dans le registre lyrique. Il s’agit de faire partager l’émoi amoureux ressenti
par les deux personnages qui se rencontrent pour la première fois.

Exercice 9BBB
1. Antoine Doisnel, un jeune garçon, flâne avec un ami dans les rues de Paris. Ils
font l’école buissonnière. Au détour d’une rue, Antoine reconnaît sa mère qui est
en train d’embrasser son amant. Il est stupéfait et décide de cacher ce qu’il a vu
à son ami. Ils s’éloignent de la scène.Cette scène s’inscrit dans le registre réaliste
puisqu’elle se déroule dans des lieux quotidiens (rues parisiennes) avec des per-
sonnages ordinaires et qu’elle relève du temps de l’intime.
2. Le plan général revient à deux reprises : les plans 1 et 2 permettent de com-
prendre qu’Antoine et son ami déambulent dans les rues de Paris. Les plans 3
puis 4 d’ensemble montrent un couple s’embrassant près d’une bouche de métro.
Ces quatre plans permettent de situer l’action et de préparer la rencontre. Les
plans rapprochés qui montrent alternativement le couple d’amants et le couple
d’adolescents ont pour fonction de faire partager au spectateur les réactions des
deux partis. Quatre gros plans (photogrammes 5, 7, 9 et 12) insistent sur le
baiser et la réaction de la mère : ces moments sont mis en évidence car ce sont
les plus importants de la séquence. Le plan américain qui conclut la séquence
suggère que les deux adolescents sont en train de s’éloigner.
3. Les plans 4, 5, 7, 9, 11 et 12 sont perçus du point de vue d’Antoine tandis que
les plans 8, 10 et 13 le sont du point de vue de la mère. Le spectateur comprend
que les deux personnages se sont vus. Antoine a reconnu sa mère avant que celle-
ci ne s’en aperçoive : le spectateur peut alternativement emprunter le point de vue
de chaque protagoniste et mesurer l’intensité de la scène.
104
4. François Truffaut révèle les sentiments des personnages à travers leurs regards
et leurs gestes. Les plans sur lesquels ils apparaissent soulignent la complicité qui
unit Antoine et son ami puisque leurs corps sont toujours montrés côte à côte.
La mère et l’amant sont d’abord éloignés (plan 3), puis ils se rapprochent étroi-
tement (plans 4, 5, 7, 9 et 11). Le plan 12 montre qu’une distance s’est instaurée
entre eux une fois qu’ils ont été surpris. La stupéfaction ressentie par Antoine se
lit à travers son regard dans les plans 6, 8 et 10 tandis que celui de son ami, qui
tourne son regard vers Antoine plus que vers la mère, montre qu’il ne comprend
pas vraiment la scène. La mère ne voit pas dans un premier temps (plan 5) ; un
coup d’œil de côté lui fait mesurer qu’elle se trouve prise en flagrant délit (plan
7) tandis que le plan 11 traduit son désarroi. L’amant, quant à lui, n’a d’yeux que
pour la mère : il en est sans doute très amoureux.
5. Éléments de réponse : Une scène célèbre du film de François Truffaut, Les 400
Coups, montre le héros du film, Antoine Doisnel, surprendre sa mère dans les
bras d’un amant dans les rues de Paris. Les deux personnages sont en situation
gênante puisqu’Antoine devrait être à l’école tandis que sa mère est censée tra-
vailler. Pour donner à cette rencontre toute son intensité dramatique, le cinéaste
recourt à divers procédés cinématographiques. Deux plans d’ensemble, qui mon-
trent d’abord Antoine et son ami, puis la mère et son amant, situent la scène dans
les rues de Paris. Un travelling avant sur le couple en train de s’embrasser permet
au spectateur de comprendre que c’est de la mère d’Antoine qu’il s’agit. Le plan
suivant, avec Antoine et son ami en train de regarder le couple, montre que le
spectateur a découvert la scène en même temps que les deux jeunes gens. Un gros
plan sur le couple souligne le regard de la mère qui vient de réaliser qu’elle a été
surprise. Pour souligner les émotions des deux personnages, le cinéaste alterne
les gros plans qui adoptent alternativement les deux points de vue. Deux plans
finals sur les personnages vus de dos suggèrent qu’ils décident de s’ignorer et de
taire cette rencontre aussi gênante pour l’un que pour l’autre. Dans cette séquence
au rythme très rapide, le cinéaste parvient, sans recourir à la parole, à faire par-
tager la gravité du moment en suggérant finement les réactions de chacun des
personnages : profonde gêne de la mère, irritation de l’amant, incompréhension
de l’ami d’Antoine, stupéfaction d’Antoine.

Analyser un reportage ou un documentaire


Exercice 10B
1. Ce reportage, diffusé dans l’émission Envoyé spécial en septembre 2006, est
consacré au pain et aux boulangers. Il est lié à l’actualité : « le prix de la baguette
pourrait augmenter cet automne » (l. 2-3).
2. On retrouve dans cette présentation quelques-unes des caractéristiques du
reportage : la visée informative apparaît puisqu’il s’agit de répondre à la ques-
tion : « Le bon pain est-il vraiment de retour dans les fournils des artisans bou-
langers ? » (l. 5 à 7). L’adverbe « vraiment » et le recours à un « spécialiste » (l. 14)
montrent que le reportage se présente comme étant objectif. Il cherche à donner
105
au spectateur l’impression de vivre l’événement en suivant, par exemple, des
témoins qui accentuent l’effet de réel. Dans ce reportage, trois cas particuliers
vont illustrer le sujet traité en l’incarnant : le meilleur ouvrier de France (l. 12),
un inventeur et homme d’affaires (l. 13-14) et un spécialiste américain du pain
français (l. 14-15).

Exercice 11BB
1. Comme le titre du documentaire l’indique, Agnès Varda aborde le thème des
glaneurs, c’est-à-dire ceux qui ramassent les produits restés au sol après la récolte.
Cela lui permet d’aborder le thème du gaspillage et de la pauvreté dans nos riches
sociétés et aussi de s’attarder sur la beauté des produits naturels.
2. La subjectivité se repère d’abord dans le choix de ce qui est montré : Agnès
Varda a choisi un glaneur qu’elle filme et donne à entendre. Elle est touchée par
une pomme de terre en forme de cœur et abandonne les glaneurs pour se montrer
elle-même en train de ramasser la pomme de terre puis se filmer chez elle. Elle a
alors l’idée d’organiser une récolte de pommes de terre rejetées et pense aux Restos
du cœur. Le lien entre les séquences de ce documentaire repose donc entièrement
sur la subjectivité de son auteur. Dans l’image, cette subjectivité se marque par
le fait qu’elle se montre, filme son propre corps et révèle l’intérieur de son domi-
cile en utilisant la caméra comme son œil. La multiplication des plans rappro-
chés et des gros plans souligne cette subjectivité. Dans la bande-son, elle apparaît
à travers la voix off de la réalisatrice. Le point de vue sur la réalité défendu dans
ce documentaire est explicitement subjectif : l’auteur suit sa sensibilité et le fil de
ses idées pour présenter ses réflexions sur la pauvreté, la relation à la nature ou
le gaspillage à notre époque.
3. La voix d’un glaneur utilisée dans les plans 1 et 2 crée un effet de réel. Le
documentaire part de la réalité et se rapproche en cela du reportage. La voix
off d’Agnès Varda souligne la subjectivité du film. Elle se met en scène, plans
3,4 et 5 – « Je les ai filmées de près et j’ai filmé d’une main mon autre main » –,
contrairement au journaliste qui s’efface de son propos. Elle fait partager au
spectateur le cheminement intellectuel et sensible qui a été le sien pour construire
le documentaire : « Une idée m’est passée par la tête », plan 7. Nous pouvons
enfin noter, plan 6, l’utilisation d’une musique douce qui suggère l’émotion
esthétique ressentie à la vision de la pomme de terre en forme de cœur.

EXO-BAC
(PAGE 115)

Lecture
1. Le scénario de Claude Chabrol reprend scrupuleusement les indications
données dans le roman de Flaubert. Il situe la scène dans la maison des Rouault
(nom de jeune fille d’Emma), respecte la mention de l’armoire dans laquelle se
trouve « la bouteille de curaçao et deux verres ». Flaubert écrit qu’Emma « alla
106
chercher dans l’armoire », qu’elle emplit un verre « jusqu’au bord » et « versa à
peine dans l’autre » : le cinéaste suit exactement ce déroulement. Le romancier
donne des indications très précises sur les mouvements d’Emma qui boit : « elle
se renversait pour boire et, la tête en arrière, les lèvres avancées, le cou tendu, elle
riait de ne rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents fines,
léchait à petits cous le fond du verre ». Le scénario comporte les mêmes indica-
tions à l’exception de la précision « elle riait de ne rien sentir » qui n’est pas direc-
tement filmable. Claude Chabrol modifie légèrement le dialogue écrit par Flaubert
en transformant le discours indirect en discours direct (« elle lui proposa de boire
quelque chose » devient « Vous allez bien boire quelque chose ? ») et en le déve-
loppant.
2. En adaptant Madame Bovary, Claude Chabrol tentait l’impossible puisqu’il
avoue lui-même que « la perfection du livre rend son adaptation impossible ». Il
a donc pris le parti de la fidélité absolue au roman sans rien y ajouter : « J’ai tout
pris dans le roman. Pas une phrase qui ne soit pas de Flaubert. » La confronta-
tion du scénario et du roman montre que Chabrol a atteint son objectif puisqu’il
reprend scrupuleusement les moindres détails donnés par le romancier. Il a cepen-
dant dû adapter le roman aux contraintes du cinéma : un dialogue qui peut être
rapidement résumé à l’écrit doit être entièrement rédigé pour le grand écran.

Écriture
Elle se rassied et reprend son ouvrage, un bas de coton où elle fait des reprises.
Un silence s’établit que Charles ne rompt pas. Emma se rafraîchit les joues en y
appliquant la paume de sa main.
EMMA. – Depuis un mois, de temps en temps, j’ai des étourdissements.
CHARLES. – Oh !
EMMA. – Pensez-vous que les bains de mer me feraient du bien ?
CHARLES. – Les bains de mer ? Euh ! oui… C’est bon pour les étourdissements.
EMMA. – Je me souviens que quand j’étais au couvent, j’avais déjà des étourdis-
sements. Et vous avez raison, les bains de mer le dimanche les calmaient.
CHARLES. – Vous avez étudié… euh… au couvent ?
EMMA. – Oui. Cela n’a pas toujours été très facile mais j’y ai acquis de solides
bases. C’est là que j’ai appris à repriser le coton !
CHARLES. – Ah… Oui. Le coton. Cela ne faisait pas partie de mes matières au
collège…

Critères de réussite de l’adaptation


• Le respect des règles de présentation d’un scénario.
• La fidélité aux indications données par Flaubert.
• Le respect de la psychologie des personnages : Emma est beaucoup plus à l’aise
que Charles.

107
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION
CHAPITRE

10 Le travail de l’écriture
(PAGES 116 à 127)

Le chapitre s’attache à étudier les étapes successives du travail de l’écri-


vain, telles qu’elles ont été mises en évidence par la critique génétique.
L’élève peut ainsi mieux comprendre le travail du texte, de l’ébauche du
projet à la rédaction de la dernière phrase. Il peut également acquérir une
méthode de travail qui souligne l’importance du titre, des brouillons et
des versions définitives. L’élève peut, à la manière d’un chercheur, obser-
ver les étapes successives de la création littéraire.
Les activités d’écriture vont plus loin : elles placent l’élève en position
d’écrivain de manière à ce que, tout en étant guidé par des consignes pré-
cises, il puisse parvenir à produire des textes de qualité.

OBSERVATION
(PAGES 116-117)

Introduction
On trouve dans Le Horla la trace des préoccupations de Maupassant au moment
où il écrit la nouvelle : de 1884 à 1886, l’écrivain a suivi les cours de Charcot sur
l’hystérie et sur l’hypnose.
Deux versions successives furent rédigées. La première parut en octobre 1886
dans le Gil Blas ; la seconde, trois fois plus longue, parut en recueil l’année sui-
vante. Dans la première version, le docteur Marrande convoque l’un de ses
patients devant une assemblée d’aliénistes afin qu’il leur raconte les troubles dont
il est victime. Dans la seconde version, le récit se présente sous la forme d’un
journal intime, dont la première page est datée du 8 mai, jour anniversaire de la
mort de Gustave Flaubert.
109
À sa parution, la nouvelle laissa croire à la folie de Maupassant, tant les pages
qu’elle contient paraissaient, à travers leur violence et leur intensité, témoigner
d’une expérience vécue par l’auteur.

Réponses aux questions


I. La naissance du projet
1. On retrouve dans cette première page un certain nombre d’indications qui
relèvent des souvenirs de l’auteur, des « choses vues » grâce auxquelles il construit
son récit : « j’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines », « la
terre où sont nés et morts ses aïeux », les « locutions locales », les « intonations
des paysans ». On reconnaît la Normandie natale de Maupassant, cadre d’un
grand nombre de nouvelles. D’autres indices permettent d’identifier ce cadre : la
Seine, la localisation entre Rouen et Le Havre, la cathédrale que le narrateur voit
de sa fenêtre.
Remarque : Le Horla est le rendez-vous des fantômes dans l’œuvre de
Maupassant. C’est d’abord l’ombre de Flaubert qui hante le texte. La première
page du Horla est, en effet, datée du 8 mai, jour anniversaire de la mort de
Flaubert. Surtout, la maison qu’habite le narrateur est très exactement la pro-
priété de Croisset, que Maupassant connaissait fort bien. Hommage au Maître,
dont il s’agit aussi de se débarrasser en mettant le feu à la maison, à la fin du
récit…
Plusieurs hypothèses se sont succédé pour trouver une explication au nom Horla :
génitif du russe Oriol (l’aigle) ? combinaison de hors et là ? variation sur le horsain,
l’étranger dans les dialectes normands ? anagramme de Lahor (le pseudonyme
du docteur Cazalis, ami de Maupassant et de Mallarmé) ? renversement de
choléra ? ou de Rolla ?….
Le Horla est une manière de Lorelei dont le chant attire aussi bien le narrateur
que le lecteur ou encore le chercheur, également captivés.

II. L’établissement du plan


2. Si l’histoire demeure identique dans ses grandes lignes, le récit est entièrement
remanié par rapport à la première version. Le récit enchâssé (un médecin donne
la parole à un personnage qui raconte son histoire) – technique courante chez
Maupassant – laisse place à la forme d’un faux journal intime.
Ce choix entraîne un certain nombre de conséquences :
– il renforce l’illusion réaliste et entretient une forme de confusion entre l’auteur
et le narrateur ;
– la date (« 8 mai ») rapproche le moment de l’énonciation de l’époque de la
fiction ; les événements sont vécus dans l’ordre chronologique de leur apparition
et le début du récit nous propose un personnage qui semble tout à fait sain d’es-
prit ;
– le narrateur ne s’adresse plus à des médecins mais à lui-même, plaçant ainsi le
lecteur en position de témoin privilégié.
110
Remarque. Dès les lignes suivant le passage étudié, le lecteur assiste, sans le savoir,
à l’événement déclencheur du récit.
Dès lors, le Horla, ainsi que le montre le passage suivant, s’installe progressive-
ment dans l’existence du narrateur…
« Comme il faisait bon ce matin !
Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, comme
une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant
ma grille.
Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, un
superbe trois-mâts brésilien tout blanc, admirablement propre et luisant.
Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.
12 mai. – J’ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou
plutôt je me sens triste.
D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre
bonheur et notre confiance en détresse ? […] »

III. La rédaction des brouillons


3. Les corrections apportées par Maupassant :
Suppressions Substitutions Ajouts
– « blanche » (l. 3) ; – « aux usages, aux – « la vaste ville aux
– « aux traits » (l. 9-10) ; nourritures particu » toits bleus » (l. 21) ;
– « aux inton» (l. 10-11); Þ « à ce qu’on pense et – « m’apporte » (l. 30).
– « devant ma porte » à ce qu’on mange, aux
(l. 16). usages et » (l. 9-10) ;
– « au goût spécial de »
Þ « aux » (l. 10) ;
– « je suis né »
Þ « j’ai grandi » (l. 14) ;
– « le chemin »
Þ « la route » (l. 17) ;
– « et qui semble »
Þ « presque » (l. 18) ;
– « que domine son »
Þ « sous » (l. 21) ;
– « en pierre »
Þ « gothiques » (l. 23) ;
– « et jetant jusqu’à moi »
Þ « jetant jusqu’à moi »
moi » (l. 28).

Remarque. L’observation des corrections permet de suivre la pensée de l’écrivain


au travail, ses hésitations et ses doutes : certains mots ne sont pas achevés avant
d’être raturés ; ils peuvent être supprimés (« blanche ») ou repris plus loin dans
le texte, signe de l’oubli d’un détail important (« aux inton », remplacé par « aux
111
locutions locales », est repris immédiatement après sous la forme « aux intona-
tions des paysans »).
Elle permet également de mettre en évidence l’importance de la relecture : une
expression, écrite deux fois par l’auteur, (faute fréquente chez les élèves, signe
d’une pause, d’une hésitation) est ensuite barrée (« et jetant jusqu’à moi », l. 28) ;
un terme oublié lors de la première rédaction, important pour la construction de
la proposition, est ajouté lors de la relecture (« m’apporte », l. 30).

EXERCICES
(PAGES 121 à 126)

Étudier l’ébauche d’une œuvre


Exercice 1B
Cadre Thèmes Histoire Rôles Registres
« un grand « intrigue «Une boutique « les parents « poème de
magasin d’argent » qui ira en de Mme l’activité
absorbant, (l. 2-3) ; agonisant, Hédouin, un moderne »
écrasant tout « triomphe de absorbée par mercier, une (l. 2) ; « je
le petit com- l’activité le grand lingère, un ne pleurerai
merce d’un moderne » magasin » bonnetier et je pas sur eux,
quartier » (l. 9-10). (l. 14-16) ; les montrerai au contraire »
(l. 3-5). « une histoire ruinés » (l. 8-9) ; « le
de bail » (l. 5-7) ; drame d’un
(l. 19). « Trouver une immeuble
figure grande longtemps
d’homme, ou convoité et
plutôt de enfin conquis»
femme, dans (l. 18-19).
lequel je per-
sonnifierai le
petit commer-
ce agonisant »
(l. 12-14).

Remarque. Ce sont tout particulièrement les recherches menées sur les écrivains
réalistes-naturalistes, qui ont permis et suscité le développement des études géné-
tiques. Le travail préparatoire fait pleinement partie de la conception que l’écri-
vain se fait de l’œuvre littéraire. Pour inscrire le réel dans le texte, il faut se
documenter, se rendre sur les lieux où se déroule l’action du roman. L’écrivain
manifeste par ses carnets une proximité avec la réalité, qui est le gage de l’œuvre
à venir.
112
Exercice 2B
1. Les caractéristiques de l’ébauche :
– utilisation du conditionnel présent (« il serait », l. 1) ;
– les abréviations (« ds », l. 2 ; « tt », l. 4) ;
– les répétitions (« et il y aurait », l. 1 et 4) ;
– les corrections (« son » existence Þ « sa vie tout entière » ; « pos » pour
« posés » Þ « rassemblés »).
2. Le thème suggéré par l’ébauche est celui du peintre et de l’autoportrait.
Exercice 3BB
1. Marguerite Yourcenar choisit la vie de l’empereur Hadrien pour son roman.
Ce choix correspond à celui d’« une vie connue, fixée par l’Histoire » : il s’agit
d’un être réel, dont l’existence est ancrée dans un cadre spatio-temporel bien
défini, qu’il s’agira de reconstituer.
2. Pour « faire en sorte qu’il se trouve dans la même position que nous », Margue-
rite Yourcenar place son personnage devant la mort : c’est le sens de la première
page du roman, qui détermine l’ensemble du récit à venir, un récit rétrospectif
qui justifie l’appellation de Mémoires.

Observer le dossier documentaire


Exercice 4BB
1. Les termes qui permettent à Flaubert d’organiser le repérage minutieux des
lieux sont : « à gauche », « à l’extrême gauche », « en face, au-delà de l’Orne »,
« çà et là », « juste en face », « À droite », « Au premier plan », « à une lieue der-
rière moi ».
2. Les phrases sont généralement nominales : seul importe leur caractère des-
criptif pour Flaubert car il s’agit de notes.
3. Flaubert éprouve le besoin de relever tous ces détails pour inscrire son roman
dans le registre réaliste : on les retrouvera dans les descriptions futures du cadre
romanesque.

Exercice 5BB
1. Balzac, dans cette lettre à madame Hanska datée du 18 octobre 1834 (texte
B), explique les raisons pour lesquelles il s’est documenté avant de rédiger La
Recherche de l’Absolu (texte A) : « laisser le livre vrai scientifiquement » (l. 2-3).
Cette démarche témoigne d’un souci de réalisme de la part de l’auteur qui veille
cependant à « ne pas ennuyer de chimie les froids lecteurs de France en faisant
un livre dont l’intérêt se base sur la chimie » (l. 6-8).
2. Le réseau lexical dominant dans le premier texte est celui de la chimie : « eau
distillée », « soufre », « substances », « analyse », « potasse », « chaux », etc. Sa
présence se justifie par la volonté de l’auteur d’inscrire son œuvre dans le registre
réaliste.
113
Étudier un plan
Exercice 6BB
1. L’auteur met en valeur les éléments importants de son futur récit en les souli-
gnant dans le plan qu’il en établit. Les passages soulignés correspondent aux
futures scènes de son roman (« Ils le soignent ») ou aux détails importants dans
la progression de l’intrigue (« se tutoient »). Chacune des entrées du second plan
correspond, dans l’esprit de l’auteur, à une étape – passage à dominante narra-
tive, descriptive ou dialoguée – du futur récit : 1. description ; 2. narration ;
3. narration ; 4. description ; 5. description ; 6. narration ; 7. narration et dia-
logue ; 8. narration et dialogue ; 9. narration ; 10. narration et dialogue ; 11. dia-
logue ; 12. narration.
2. et 3. Certaines idées du premier plan sont abandonnées dans le second : elles
seront développées dans la suite du récit et feront l’objet d’autres chapitres (les
pillards, les paniques, etc.). On peut expliquer cette évolution par une volonté
d’amplification : la mort du petit garçon est suivie dans le second plan par la mort
symbolique du médecin ; l’épisode se termine avec l’arrivée des soldats qui veulent
placer le héros en quarantaine.
Remarque. On voit là combien l’évolution d’un plan peut être importante : le
récit est sans cesse en construction, et il peut être intéressant de lire avec la classe
le passage correspondant dans le roman (chapitre 2), afin de constater que de
nouvelles évolutions se sont produites, entre la rédaction du second plan et la
rédaction définitive du récit.

Étudier le nom et la fonction des personnages


Exercice 7BB
1. Les caractéristiques du personnage lors de sa première apparition :
– « la cinquantaine » ;
– « déjà d’un blanc de neige » ;
– « grande barbe », « grands cheveux » ;
– « belle figure régulière » ;
– « finesse pleine de bonté ».
Remarque. Le personnage incarne la figure idéalisée du savant, du vieillard bon
et généreux. Zola, à l’époque où il écrit La Faute de l’abbé Mouret, c’est-à-dire
en 1875, n’avait pas encore établi l’arbre généalogique définitif des Rougon-
Macquart (celui-ci sera publié avec Une page d’Amour, en 1878). Mais Zola,
pour rédiger Le Docteur Pascal, dernier roman de la série, a dû relire les dix-neuf
volumes déjà publiés car, dans la fiction romanesque, c’est le personnage du
docteur Pascal qui reconstitue l’arbre généalogique de sa famille.
2. Le personnage évolue d’un roman à l’autre : dix-huit années séparent la rédac-
tion de La Faute de l’abbé Mouret de celle du Docteur Pascal. Mais cette évolu-
tion n’est pas liée à celle de l’écrivain qui aurait « oublié » les caractéristiques de
ses personnages : Zola reprend l’ensemble des informations apportées sur le per-
114
sonnage lors de ses deux précédentes apparitions (La Fortune des Rougon et La
Faute de l’abbé Mouret) pour commencer la rédaction de la fiche d’identité du
docteur Pascal. Il conserve l’âge du personnage et son allure générale.
3. De nouvelles caractéristiques apparaissent et le personnage se retrouve, en
définitive, singulièrement transformé : désormais, « il paraît son âge » (l. 5) ; il est
« malade » (l. 16). Surtout, Zola insiste sur la toilette négligée du savant ainsi que
sur sa vitalité, sa « passion de la vie » (l. 16 et 17).
Remarque. Si le docteur est « négligé », c’est qu’il n’est plus désormais un simple
médecin : il est un savant sans cesse au travail, penché sur le destin des membres
de sa famille et lui donnant une explication rationnelle. De même, s’il déborde
de vitalité, c’est qu’il n’est plus un vieil homme uniquement préoccupé de la santé
de ses malades : il est l’amant de Clotilde, la nièce qu’il a recueillie et élevée.

Caractériser le titre
Exercice 8BB Vers l’oral
1. La thématique évoquée par les différents titres envisagés est celle du double,
évoquée explicitement (« Deux frères », « Le Bien et le Mal ») ou non (« Ombre »,
« Les Thibault »).
2. Le dernier titre se donne comme ambition de faire le portrait d’une famille,
comme Zola l’a fait auparavant pour les Rougon-Macquart. Mais l’objectif de
Martin du Gard n’est pas, comme celui de Zola, de mettre en évidence les consé-
quences de l’hérédité et du milieu sur les personnages ; elle est de montrer l’évo-
lution des personnages face à l’éducation et surtout à l’Histoire.
3. Roger Martin du Gard envisage plusieurs titres pour le roman qu’il intitulera
finalement Les Thibault. Des quatre titres initialement envisagés, trois sont infor-
matifs : Le Bien et le Mal renseigne le lecteur sur le contenu thématique du roman ;
Deux frères et Les Thibault donnent des indications sur les personnages. Le qua-
trième titre envisagé, Ombre, possède une autre fonction : il cherche à séduire le
lecteur en l’intriguant sur le contenu du roman. Le titre finalement choisi se donne
pour ambition de faire le portrait d’une famille, inscrivant par la même occasion
le roman dans le registre réaliste (le lecteur perçoit d’emblée la proximité avec
Zola).

Exercice 9BB
1. La fonction des titres imaginés par Umberto Eco :
– Titre 1 : informer le lecteur sur le personnage principal ;
– Titre 2 : informer le lecteur sur le lieu et le thème de l’œuvre ;
– Titre 3 : séduire le lecteur en l’intriguant.
2. Le dernier titre est plus mystérieux : il évoque le Moyen Âge (Le Roman de la
rose) tout en comportant une dimension poétique (la rose et ses connotations).
Le second est probablement écarté car trop réducteur : il n’évoque que l’intrigue
(« crime ») et fait songer au roman policier. Le premier est trop mystérieux et pas
115
assez attirant : on ne comprend pas forcément qu’il s’agit du nom du personnage
principal.

Exercice 10BB
Construction des différents titres contenus dans la liste :
Nom propre Groupe nominal Phrase verbale
– L’Automne – L’Écume des jours (nom + – Elles se rendent
à Pékin (lieu de complément de nom) ; pas compte (l’élision
l’action) ; – Les Fourmis (article + nom) ; de la négation
– Trouble dans – En avant la zizique (préposition + suggère l’atmosphère
les Andains (lieu nom) ; policière) ;
de l’action). – Textes et chansons (nom + nom) ; – J’irai cracher sur
– L’Arrache-cœur (article + nom vos tombes (volonté
composé – néologisme) ; de provoquer le
– L’Herbe rouge (nom + adjectif) ; lecteur) ;
– Le Loup-garou (article + nom – Et on tuera tous
composé) ; les affreux (niveau
– Chroniques de jazz (nom + de langage familier :
complément du nom). atmosphère
policière).

Remarque. On peut faire étudier aux élèves la fonction des différents titres choisis,
généralement provocateurs. Par exemple, un titre comme L’Automne à Pékin a
étonné à la parution du roman car l’action ne se déroule ni en automne, ni à
Pékin… Lorsque le titre désigne le genre auquel appartient l’ouvrage, il s’agit de
textes relevant de la chronique musicale (Vian était également musicien).

Étudier les corrections


Exercice 11B
Observation des corrections apportées par les écrivains :
– Chateaubriand (substitution de termes) : « Il y avait » a semblé à Chateaubriand
un peu plat ; « s’étendait » est précis et pittoresque. « Semée de grosses pierres »
est quelconque, une simple constatation ; « semée de pierres druidiques » donne
au récit une touche de mystère, en même temps qu’elle évoque le lieu de l’action.
– Hugo (introduction de termes) : Hugo donne de l’ampleur à la phrase, lui faisant
gagner en majesté et en précision. Il développe la métaphore, dotant la cathédrale
d’un « squelette » ; il commente également l’expression « l’esprit l’a quitté », afin
de ne pas entretenir de confusion sur son sens.
– Aragon (substitution de termes) : les corrections apportées découpent la longue
phrase de la première version en deux phrases plus courtes. La première phrase
replace l’héroïne au centre de l’intrigue en effaçant le « si » initial et en datant le
moment de l’action. L’auteur supprime l’adverbe « bien » à la seconde phrase afin
de lui donner un ton plus ferme ; il transforme également la subordonnée en pro-
position infinitive.
116
Exercice 12BB
Les corrections apportées sont à la fois des substitutions de termes (passage de
la première à la troisième personne), qui recherchent une précision plus grande,
et des ajouts qui amplifient le texte (la « sergent-major ») et donnent au poème
sa pointe finale (les deux derniers vers). Le passage de la première (« je ») à la
troisième personne (« le poète », « il », « on ») donne au poème un caractère d’uni-
versalité qu’il n’a pas dans sa première version.

Exercice 13BBB
Texte 1. Marguerite Yourcenar use de la suppression de termes : le mot entre
« une » et « fois » est biffé ainsi que celui entre « ces » et « bois » ou « les » et « spé-
culations ». Elle recourt également à la substitution de termes : « forêts » est rem-
placée par « grandes futaies » et « ces » par « leurs ».
Texte 2. Jean Giono procède par suppression puisqu’il barre un tiers de son
manuscrit.
Texte 3. Gustave Flaubert introduit de nouveaux termes (« les paupières entre-
closes, le regard perdu ») puis substitue d’autres termes à ceux qu’il avait ajouté
(« les paupières entrecloses et humant le vent du soir »).

Exercice 14BBB
La page du manuscrit des Immémoriaux de Victor Segalen indique que l’écrivain
utilise plusieurs moyens d’améliorer son brouillon. Il supprime des termes ainsi
qu’en témoignent les ratures qui suivent « disparaître », « la nuit », « la brise
lente », « sommets endormis », « frôlements hargneux », « et surtout » et « la
face ». Ces corrections semblent avoir pour objectif de clarifier son propos, d’ôter
des informations redondantes. L’écrivain recourt également à l’introduction de
nouveaux termes comme le montrent les indications manuscrites qui envahissent
les marges. Il utilise peu la substitution de termes : l’étude de ce brouillon suggère
que Segalen écrit un premier jet en notant les multiples formules qui lui viennent
à l’esprit et que son travail de correction consiste surtout à élaguer, à améliorer
la lisibilité et le style de son texte.

EXO-BAC
(PAGE 127)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Les exemples des caractéristiques d’écriture du carnet de notes :
– tournures nominales Þ « En face, le trou noir du buffet, avec les consomma-
teurs. » ; « L’odeur spéciale », « poussière », « vernis vague », « l’humanité. » ;
« toujours en bataille avec le vrai, et toujours vaincu, la lutte contre l’ange… » ;
117
– mots et phrases juxtaposés Þ « L’horloge au-dessus. Grouillement de foule. Les
gens debout, ceux qui marchent. » ;
– énumérations Þ « Des familles, la mère, les filles. Des curés, des soldats. ».
2. Le thème du roman en préparation est bien sûr la peinture, le milieu artiste
que fréquentait Zola depuis son arrivée à Paris, tandis que son ami d’enfance,
Paul Cézanne, est lui resté à Aix-en-Provence. L’écrivain inscrit son roman dans
le registre réaliste : la démarche même du naturaliste se confond avec l’explora-
tion de la réalité. Le carnet d’enquête, les notes sur la salle ou le public, les « mots
entendus » : comme pour tous ses autres romans, Zola mène une véritable enquête
sur les lieux (texte intitulé « la salle d’exposition »), les milieux (texte intitulé « le
public ») et le langage (« les mots entendus ») qui deviendront ceux du récit. Même
le héros de L’Œuvre sort tout droit de la réalité : Zola prend pour modèle son
ami d’enfance Paul Cézanne pour écrire le portrait de Claude Lantier… ce qui
entraîne une brouille définitive entre les deux hommes.

Écriture
On peut proposer comme corrigé le texte définitif de Zola (L’Œuvre, ch. X), dont
voici quelques extraits :
– « Claude étouffa un peu en entrant dans le salon d’honneur, le cœur battant
d’avoir monté vite le grand escalier. Il faisait dehors un limpide ciel de mai, le
velum de toile, tendu sous les vitres du plafond, tamisait le soleil en une vive
lumière blanche. »
– « Des espaces restaient vides, des groupes se formaient, s’émiettaient, allaient
se reformer plus loin ; toutes les têtes étaient levées, les hommes avaient des
cannes, des paletots sur le bras, les femmes marchaient doucement, s’arrêtaient
en profil perdu ; et son œil de peintre était surtout accroché par les fleurs de leurs
chapeaux, très aiguës de ton, parmi les vagues sombres des hauts chapeaux de
soie noire. Il aperçut trois prêtres, deux simples soldats tombés là on ne savait
d’où, des queues ininterrompues de messieurs décorés, des cortèges de jeunes filles
et de mères barrant la circulation. »
– « Alors, Claude se mit à chercher son tableau. »
– « Comme il se retrouvait dans la salle de l’Est, cette halle où agonise le grand
art, le dépotoir où l’on empile les vastes compositions historiques et religieuses,
d’un froid sombre, il eut une secousse, il demeura immobile, les yeux en l’air.
Cependant, il avait passé deux fois déjà. Là-haut, c’était bien sa toile, si haut, si
haut, qu’il hésitait à la reconnaître, toute petite, posée en hirondelle, sur le coin
d’un cadre, le cadre monumental d’un tableau de dix mètres, représentant le
déluge, le grouillement d’un peuple jaune, culbuté dans de l’eau lie-de-vin.
– « Claude s’en alla, revint à trois reprises, le coeur battant, chaque fois qu’un
rare visiteur stationnait et promenait un lent regard de la cimaise au plafond.
Un besoin maladif l’enrageait d’entendre une parole, une seule. Pourquoi
exposer ? comment savoir ? tout, plutôt que cette torture du silence ! Et il étouffa,
lorsqu’il vit s’approcher un jeune ménage, l’homme gentil avec des petites mous-
taches blondes, la femme ravissante, l’allure délicate et fluette d’une bergère en
Saxe. Elle avait aperçu le tableau, elle en demandait le sujet, stupéfiée de n’y
118
rien comprendre ; et, quand son mari, feuilletant le catalogue, eut trouvé le titre :
l’Enfant mort, elle l’entraîna, frissonnante, avec ce cri d’effroi :
« Oh ! l’horreur ! est-ce que la police devrait permettre une horreur pareille ! »
Alors Claude demeura là, debout, inconscient et hanté, les yeux cloués en l’air,
au milieu du troupeau continu de la foule qui galopait, indifférente, sans regard
à cette chose unique et sacrée, visible pour lui seul. »
Émile Zola, L’Œuvre, 1886.

Critères de réussite
• Mise en place du cadre, des personnages, de l’atmosphère suggérés par le dossier
documentaire.
• Respect des règles d’écriture du récit (temps verbaux, mode de narration, dis-
position en paragraphes, etc.).
• Insertion des formes du discours rapporté (discours direct, indirect ou indirect
libre).

119
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION
CHAPITRE

11 Écrire, publier, lire


(PAGES 128 à 135)

L’étude des différents contextes qui accompagnent l’écriture et la publi-


cation d’une œuvre littéraire est essentielle à la compréhension de cette
dernière : elle permet de lui donner un certain nombre de significations
qui, sans l’éclairage des contextes historique, biographique ou artistique,
seraient restées cachées. Le contexte de la publication d’une œuvre est lui
aussi déterminant : il fixe les conditions matérielles et techniques de l’écri-
ture, et impose à l’écrivain des contraintes esthétiques et politiques qui
influent sur son œuvre.
Les contraintes mais aussi les choix stratégiques et artistiques effectués
par les différents auteurs sont déterminants pour la réception des œuvres.
Celles-ci répondent – ou ne répondent pas – à l’horizon d’attente du lecteur
contemporain. Et c’est l’évolution de cet horizon d’attente qui détermi-
nera le devenir de l’œuvre littéraire : le succès d’un jour peut être oublié
de tous quelques mois ou quelques années après sa publication ; l’œuvre
restée obscure ou en situation d’échec commercial peut, au contraire, resur-
gir brusquement pour devenir emblématique d’une époque.

OBSERVATION
(PAGES 128-129)

Introduction
L’œuvre de Guillaume Apollinaire est significative de l’importance qu’il faut accor-
der aux différents contextes de la création littéraire. Elle s’inscrit dans la tradi-
tion d’un genre – la poésie – qu’elle renouvelle de manière spectaculaire. Elle est
le reflet d’un contexte historique fort – la Première Guerre mondiale – dont elle
restitue une perception originale. Elle dialogue, en lui rendant hommage à sa
façon, avec la tradition. Enfin, elle interroge une existence abrégée de manière
121
prématurée : Apollinaire, victime de la grippe espagnole, est enterré le jour de
l’Armistice.
L’œuvre d’Apollinaire est l’expression immédiate d’une modernité recherchée,
revendiquée, par le poète sensible aux formidables mutations de la civilisation
européenne au début du XXe siècle. Le temps, le rythme du temps n’est plus le
même, les images mentales se superposent selon une logique nouvelle, les bruits,
les couleurs, la vision du monde ont changé, et la poésie célèbre cette transfor-
mation de la sensibilité de l’homme moderne. Mais Apollinaire est aussi habité
par le souvenir mélancolique de la tradition lyrique. La chanson populaire, la
ballade médiévale, l’expérience de l’écoulement – du temps, des sentiments, des
choses – se conjuguent dans son œuvre avec l’explosion fulgurante du simulta-
néisme, cher aux peintres cubistes qu’il admire.

Réponses aux questions


I. Le contexte historique, social et culturel
1. Le poème d’Apollinaire évoque explicitement le contexte de la Première Guerre
mondiale (« Feu d’artifice en acier », « Deux fusants », « Son revolver au cran
d’arrêt », « Les obus »). Et en effet, Apollinaire est directement impliqué dans
cette guerre : engagé volontaire après avoir obtenu la nationalité française (il est
d’origine polonaise), il est grièvement blessé au combat et a écrit dans les tran-
chées la plupart des poèmes qui constituent le recueil intitulé Calligrammes. La
Une du Matin éclaire ce contexte historique : elle est entièrement occupée par la
guerre et donne une illustration de l’état d’esprit qui anime l’Europe en 1915.
La lettre à Lou évoque elle aussi les batailles (« grande victoire », « batterie »)
vécues par le poète. Elle évoque également les pénibles conditions de vie réser-
vées aux soldats dans les tranchées (« dormir cette nuit à la belle étoile sous la
pluie »). La « fête » évoquée dans le poème laisse place à une réalité plus triviale,
même si l’ivresse et la joie évoquées dans le poème restent bien présente dans la
lettre.

II. Le contexte biographique


2. On peut répondre à cette question en relevant et en commentant le réseau
lexical des termes qui désignent ou suggèrent des sentiments dans le poème :
– strophe 1 : « charmant », « grâce », « courage » Þ Apollinaire exprime sa vision
du combat, encouragé dans son héroïsme par un spectacle qu’il s’agit de rendre
beau, esthétique ;
– strophe 2 : « AIMER », « épitaphe » Þ L’amour devient le moyen d’endurer la
souffrance, mais la mort qui rôde est omniprésente ;
– strophe 3 : « indifférence », « mourir », « espérance » Þ La strophe s’oppose au
début du poème, comme si le poète éprouvait un moment de découragement ;
– strophe 4 : « songe » Þ la rêverie, la poésie constituent un refuge dans lequel
exercer le travail de la mémoire pour oublier le présent ;
– strophe 5 : « terrible », « caressent », « reposes », « mortification » Þ les thèmes
des strophes précédentes se mêlent, mais c’est la proximité de la mort qui domine,
122
une mort dont le dernier vers semble affirmer qu’elle est capable de s’attaquer à
la poésie même.

III. L’horizon d’attente du lecteur


3. Apollinaire décide de supprimer la ponctuation de ses poèmes en relisant les
épreuves de son premier recueil, Alcools, en 1913. Il veut de cette manière donner
libre cours au rythme naturel du vers libre, même si de nombreux poèmes
d’Alcools sont de facture classique. C’est pour le poète un moyen de revendiquer
son appartenance à la modernité et aux avant-gardistes dont il est un porte-parole.
Les blancs sur la page, la mise en espace du poème renforcent cette impression
de modernité.
4. Apollinaire rejette les critiques qui lui ont été adressées, dans cette lettre à
André Billy, qui est lui-même un critique littéraire de renom :
– « le reproche d’être un destructeur » : Apollinaire revendique une forme de
modernité, d’avant-gardisme qui influent sur son écriture poétique (voir ques-
tion 3), mais, au contraire de Tristan Tzara et des dadaïstes, il rejette toute idée
de destruction ;
– « le vers classique […] battu en brèche » : Apollinaire s’inscrit dans une évolu-
tion (le vers classique « était battu en brèche avant moi »), et revendique même
l’inscription de sa poésie dans la tradition (« j’ai donné une nouvelle vie aux vers
de huit pieds, par exemple ») ;
– « dans les arts, je n’ai rien détruit non plus, tentant de faire vivre les écoles nou-
velles, mais non au détriment des écoles passées » : on sait combien Apollinaire
est proche des milieux artistiques de son époque ; il contribue ainsi, par ses textes
critiques, à la renommée de nombreux amis peintres, parmi lesquels Pablo Picasso.
Remarque. Apollinaire ajoute, à propos de ses Calligrammes, dans cette même
lettre à André Billy les propos suivants, qui confirment une conscience lucide de
l’influence des différents contextes sur l’écriture :
« Quant aux Calligrammes, ils sont une idéalisation de la poésie vers-libriste et
une précision typographique à l’époque où la typographie termine brillamment
sa carrière, à l’aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma
et le phonographe.
Si je cesse un jour ces recherches, c’est que je serai las d’être traité en hurluberlu
justement parce que les recherches paraissent absurdes à ceux qui se contentent
de suivre les routes tracées.
Mais Dieu m’est témoin que j’ai seulement voulu ajouter de nouveaux domaines
aux arts et aux lettres en général, sans méconnaître aucunement les mérites des
chefs-d’œuvre véritables du passé ou du présent. »
Lettre à André Billy, publiée dans les Œuvres poétiques d’Apollinaire, Pléiade,
p. 1079, Éd. Gallimard, 1965.

123
EXERCICES
(PAGES 133-134)

Étudier le contexte historique, social et culturel


Exercice 1B
1. Il est nécessaire de connaître le contexte historique et social pour comprendre
les revendications de Figaro.
2. Le sentiment de révolte qui anime Figaro est causé par les injustices qu’il
dénonce : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! ». Figaro
va plus loin encore en dénonçant les privilèges accordés à la naissance : « Vous
vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. »

Exercice 2BB
1. On peut relever dans la tirade de Chateaugredin, personnage type du bour-
geois sous le Second Empire, un certain nombre d’informations sur le contexte
social de la seconde moitié du XIXe siècle :
– les rapports sociaux : la présence d’un portier, la rente constituée par un
immeuble en location, les rapports de force entre locataires et propriétaires
(le terme à régler tous les trois mois) ;
– les mentalités : le mensonge, l’adultère, les bains de mer à Trouville ;
– les valeurs dominantes : l’argent, la transmission du patrimoine, la rente, la
famille (l’oncle Hérissart, la tante Lognon, les Ripincel mère et fille).
2. L’intention de l’auteur est de tourner en dérision la bourgeoisie du Second
Empire : il représente sur la scène ceux qui viennent applaudir ses vaudevilles en
riant d’eux-mêmes.

Étudier le contexte biographique


Exercice 3BBB
1. Confrontation du sommaire et de la Préface :
L’âme Les luttes Pauca Au bord
Aurore En marche
en fleur et les rêves Meae de l’infini
« impres- « rayon » « fantômes «désespoir» « clairon » « cercueil »
sions » (l. 7) ; vagues » (l. 13) ; (l. 16) ; (l. 11) ;
(l. 4) ; « soupir » (l. 6) ; « sanglot » « esprit qui « abîme »
« réalités » (l. 8) ; « illusion » (l. 15). marche » (l. 16).
(l. 5) ; « jeunesse » (l. 13) ; (l. 11).
« berceau » (l. 12) ; « combat »
(l. 10) ; « amour » (l. 13) ;
« sourire » (l. 13). « lueur »
(l. 15). (l. 11).
124
2. Le drame qui justifie la séparation du recueil en deux parties (« Autrefois » et
« Aujourd’hui ») est constitué par la mort de la fille du poète, Léopoldine, dans
des circonstances tragiques.
3. L’ambition de Victor Hugo est d’écrire un recueil de poèmes qui couvrirait toute
une vie et constituerait « Les Mémoires d’une âme ». Il y mêle donc les registres,
passant du lyrique au tragique, en fonction des événements qui ponctuent son exis-
tence : « Une destinée est décrite là au jour le jour » (suite du texte, l. 17).

Analyser le contexte de la publication


et l’attente du lecteur
Exercice 4BB
1. Jean Dubuffet dénonce l’hypocrisie de ceux qui n’apprécient pas les œuvres
jugées comme étant l’expression de la plus haute culture sans oser l’avouer. Il
déplore d’abord que ce sont ceux qui ne connaissent pas ces œuvres qui les défen-
dent avec le plus de ferveur au nom d’un respect dans lequel il ne voit qu’aliéna-
tion. Il regrette ensuite que les intellectuels qui fréquentent ces œuvres et
pourraient les remettre en cause plus aisément ne le fassent pas de crainte de
perdre leur autorité. Ils poussent l’imposture jusqu’à se persuader eux-mêmes
d’aimer des œuvres qui les laissent pourtant indifférents.
2. Dans cet extrait du pamphlet Asphyxiante culture publié en 1986, le peintre
Jean Dubuffet s’insurge contre le fait qu’il est devenu impossible de réfléchir serei-
nement sur la valeur des œuvres d’art. La culture fait l’objet d’un consensus tel
que personne n’ose le remettre en cause. Les personnes qui ne fréquentent pas les
œuvres d’art n’osent pas affirmer qu’elles leur portent peu de considération car
elles se sentent intimidées, écrasées par des « valeurs mythiques » que l’école, les
médias et les musées présentent comme l’expression suprême de notre civilisa-
tion. La culture apparaît davantage comme un moyen pour les classes dominantes
qui y ont accès d’imposer leur pouvoir plus que comme une source d’enrichisse-
ment personnel et d’émerveillement. L’artiste explique que les intellectuels qui
connaissent les œuvres d’art se gardent de les interroger de peur de perdre leur
crédit. Ils redoutent l’effondrement de leur pouvoir s’ils reconnaissent qu’une
partie de ce qui le fonde n’est qu’une imposture. Le rapport à la culture est donc
tellement faussé que certains vont jusqu’à tricher avec leurs émotions en faisant
semblant d’être touchés par des œuvres qui les laissent indifférents. Dans ce texte,
Jean Dubuffet ne remet aucunement en cause la valeur des œuvres d’art. Il rap-
pelle plutôt qu’une œuvre d’art quelle qu’elle soit doit pouvoir être appréciée –
ou détestée – librement, qu’il ne faut pas se laisser imposer ses goûts comme signe
de distinction sociale ou par adhésion aveugle. Il cherche à redonner toute sa
place à la culture qui mérite bien davantage qu’une révérence de façade.

Exercice 5B
1. « Depuis quelques temps, on a changé cette façon de penser : le bon goût est
revenu » (l. 10 à 12).
125
2. L’auteur oppose le passé (« autrefois », l. 1) au présent (« depuis quelques
temps », l. 10) pour établir le constat d’un horizon d’attente qui a évolué radi-
calement :

Exercice 6BBB Vers la dissertation


Le roman d’autrefois Aspirations nouvelles des lecteurs
– « amas d’aventures tragiques qui – le « vraisemblable » (l. 10) ;
enlevaient l’imagination et déchiraient – « le bon goût » (l. 11) ;
le cœur » (l. 1-3) ; – le « raisonnable » (l. 12-13) ;
– « chimères […] nuisibles » (l. 5-6) ; – la « narration simple, vive et
– « surnaturel » (l. 12) ; soutenue par des portraits » (l. 15-16) ;
– « idées vagues et gigantesques de – « l’agréable et l’utile » (l. 16).
ces Héros inventés » (l. 7-8) ;
– « incidents qui surchargeaient les
moindres faits » (l. 13-14).

1. L’ambition essentielle de l’auteur en publiant son premier roman est évidem-


ment d’être lue par le plus grand nombre de lecteurs possible. Pourtant, la fin du
texte montre que l’auteur a également des préoccupations économiques : elle
espère que « ce livre lui ouvrira des portes » et lui permettra d’accéder à des acti-
vités rémunérées telles que la lecture des manuscrits pour un éditeur ou la rédac-
tion d’articles de journaux.
2. L’auteur envisage le livre comme une « ouverture de portes ». Cela montre
donc que les ventes d’un livre, surtout quand il s’agit d’un premier roman, ne
sont pas une source de revenu. Celui-ci permet seulement à son auteur d’être
reconnu comme écrivain et d’accéder à des activités réservées à ce statut comme
la rédaction de critiques ou la lecture de manuscrits. Ce témoignage suggère aussi
que certains écrivains, dont fait partie Marie-Odile Beauvais, sont prêts à tout
pour être publiés : elle accepte que son manuscrit soit profondément modifié
(scènes coupées, ajouts, transformation des personnages) et semble davantage
respecter son éditeur que son texte. Le livre apparaît comme le produit d’un auteur
retouché pour plaire au plus grand nombre de consommateurs possible. L’auteur
semble avoir fort peu de pouvoir quand l’éditeur paraît régner en maître absolu.
3. Les représentations du lecteur que se font l’éditrice et l’auteur sont opposées.
Pour l’auteur, le lecteur est un individu qu’elle espère toucher par son style et
l’histoire qu’elle raconte. Elle a envie de donner un peu de mystère, de « susciter
la curiosité ». Pour elle, le lecteur est un être intelligent qui prendra le temps de
lire son livre et appréciera « l’ellipse, l’allusif ». L’éditrice en revanche ne semble
voir dans le lecteur qu’un consommateur. Le livre est conçu comme un produit
qui doit toucher le public le plus large possible et ne doit donc pas dérouter : elle
demande donc de préciser les « ellipses ». Cette conception du lecteur est ouver-
tement méprisante : « le lecteur lambda est un animal paresseux ». Le souci prin-
cipal de l’éditrice est de maintenir l’attention du lecteur qui, selon elle, est très
volatile. Elle préconise donc d’expliciter le plus possible le propos et de ne pas
126
jouer sur les ambiguïtés des pronoms (lignes 24-25). Le rapport entre l’auteur et
l’éditeur est inégal puisque c’est ce dernier qui possède le pouvoir de décision,
qui a un droit de vie et de mort sur le livre. Ainsi, la conception méprisante du
lecteur s’impose et il ne lui sera proposé qu’un texte affadi, normalisé.

EXO-BAC
(PAGE 135)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Lucien de Rubempré incarne une image du romancier chère à Balzac, tel que
l’auteur de La Comédie humaine a pu l’être lui-même lors de ses débuts à Paris :
honnête, sérieux, ayant foi dans le livre, persuadé de rencontrer dans ses inter-
locuteurs le même intérêt passionné qu’il porte à la littérature. Dès lors, c’est un
personnage naïf que Balzac met en scène, et qui sera confronté à la réalité comme
le sont la plupart des personnages de ses romans.
2. Qu’il s’agisse de son roman historique ou de son recueil de poésies, Lucien a
foi dans son œuvre, à laquelle il a consacré toute son énergie, tout son temps,
tout son talent : il a foi dans une certaine vérité du livre. Tout au contraire, les
deux libraires qu’il rencontre ne voient dans l’édition qu’un commerce parmi
d’autres. Pour eux, les livres sont « comme des bonnets de coton pour les bon-
netiers, une marchandise à vendre cher, à acheter bon marché ». Le malentendu
est complet entre l’auteur et les deux « libraires-commissionnaires », cyniques et
brutaux, indifférents à l’émotion du jeune auteur qui vient présenter son premier
manuscrit.

Écriture
Paris, le 12 juillet 1840
Mon cher vieux,
Je n’en reviens pas, je suis au comble de l’indignation ! Jamais je ne me suis senti
autant humilié. Imagine-toi que je viens de proposer mes deux manuscrits, ces
deux œuvres qui me sont si chères, sur lesquelles j’ai tant peiné dans ma triste
mansarde cet hiver, sur lesquelles je fondais tant d’espoirs, à deux libraires pari-
siens… Eh bien ! L’Archer de Charles IX comme mon recueil de poésies ont été
bien reçus ! Porchon et Vidal, les deux libraires, ne leur ont même pas jeté un
coup d’œil ; ils m’ont renvoyé brutalement sous prétexte qu’ils ne s’occupent que
des livres fabriqués.
Ces deux commerçants se fichent complètement de l’art, de la littérature, de tout
ce à quoi nous croyons, de ce qui est pour nous la fonction sacrée du poète. Pour
eux, le livre n’est qu’une vulgaire marchandise, comme les autres. Ils m’ont ri au
nez. Pour moi, le libraire doit au contraire être à l’écoute des auteurs, il doit les
127
conseiller, les soutenir, les encourager… La solitude de l’écrivain, les angoisses
devant l’œuvre à écrire sont déjà une telle épreuve ! On pourrait au moins espérer
de l’éditeur et du libraire qu’ils accordent un minimum de respect et d’attention
aux auteurs qui les font vivre.
Enfin, je ne renonce à rien, je continue d’écrire, car j’ai foi dans mon œuvre et
suis sûr de trouver, un jour ou l’autre, celui qui me comprendra.
Je t’adresse une amicale et vigoureuse poignée de mains.

Critères de réussite
• Respect de la forme : l’épistolaire.
• Respect de l’objectif d’écriture : développer la fonction du livre et le rôle de
l’éditeur
• Prise en compte de la situation d’énonciation imposée par le sujet (énonciateur,
contextes…).

128
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION

CHAPITRE

12 Les mouvements littéraires et culturels


aux XIXe et XXe siècles (PAGES 136 à 145)
L’étude des mouvements littéraires et culturels du XIXe et du XXe siècle met
en évidence une succession de ruptures qui permettent de mieux com-
prendre la littérature contemporaine. Tous les genres littéraires sont éga-
lement touchés et nombreux sont les écrivains qui revendiquent leur
appartenance à l’un ou l’autre des mouvements qui se succèdent durant
ces deux siècles. Chaque mouvement apparaît ainsi comme une famille,
un clan dans lequel on découvre des amitiés et des admirations, mais aussi
des complots et des disputes, des maîtres vénérés ou abandonnés, ou
encore des disciples affirmés ou affranchis.
Si le romantisme, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme, le surréalisme
ou l’absurde dominent tour à tour le champ de la littérature, on peut
cependant noter que l’esprit collectif qui anime ces différents mouvements
se fait moins fort au fil du temps. Les individualités prennent ainsi le pas
sur les écoles, au point que la notion de mouvement littéraire et culturel
peut apparaître aujourd’hui comme appartenant au passé.

OBSERVATION
(PAGES 136-137)

Introduction
Le naturalisme apparaît comme l’un des mouvements les plus structurés de l’his-
toire littéraire. Derrière Zola, le « maître de Médan », une multitude d’auteurs
en quête de reconnaissance s’engouffre dans l’énorme succès de L’Assommoir
(1877) pour faire du naturalisme la principale forme d’expression du roman des
années 1870-1890. Les premiers participent aux Soirées de Médan, recueil de
nouvelles naturalistes (1881) qui apparaît, à la suite du manifeste intitulé Le
Roman expérimental (1879), comme l’acte fondateur du mouvement. Parmi eux,
Guy de Maupassant, qui s’affranchira bien vite, immédiatement remplacé par
une myriade d’auteurs aujourd’hui presque oubliés : Paul Alexis, Paul Bonnetain,,
Lucien Descaves, Gustave Guiches, Paul et Victor Margueritte, Octave Mirbeau,
les frères Rosny…
129
Toute une génération de jeunes auteurs trouvent dans le naturalisme un tremplin
vers la gloire, parfois éphémère, parfois renouvelée à coups de disputes et de scan-
dales, tel le « Manifeste des cinq » publié à la suite de La Terre (1887) : « Nous
répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique, cet effort
vers la gauloiserie mixte d’un cerveau en mal de succès. Nous répudions ces bons-
hommes de rhétorique zoliste, ces silhouettes énormes, surhumaines et biscor-
nues, dénuées de complication, jetées brutalement, en masses lourdes, dans des
milieux aperçus au hasard des portières d’express. » Le coup est rude pour le
maître, qui s’attendait à davantage de reconnaissance. L’enquête de Jules Huret
sur le naturalisme, en 1891, semble sonner le glas du mouvement en tant que tel.
Zola poursuit cependant son œuvre, tandis que ses disciples cherchent chacun
leur propre voie.

Réponses aux questions


I. La volonté de rupture
1. Zola affirme vouloir faire « une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple
qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple » dans la Préface de L’Assommoir.
Cette vérité revendiquée se retrouve dans la description de l’atelier qui, malgré
une part de lyrisme et d’impressionnisme, s’inscrit pleinement dans l’esthétique
naturaliste. Outre les informations d’ordre technique apportées par l’auteur (car
recueillies lors de ses célèbres enquêtes), tels le nombre de chemises repassées par
les ouvrières, la longueur d’une journée de travail, le nom donné aux différents
outils utilisés, « l’odeur du peuple » est omniprésente dans le roman. On la
retrouve ici, amenée par les « bras nus » (l. 4), la « grosse chaleur » (l. 7), l’« étouf-
fement » (l. 9). Aux senteurs naturelles de l’atelier se mêle progressivement l’odeur
des ouvrières qui y travaillent (l. 11 à 14).
2. Ce souci constant d’explorer la réalité dans ses aspects les plus crus (qui sera
d’ailleurs très vite reproché aux romanciers naturalistes) se retrouve dans l’ar-
ticle d’Harry Allis : « Vive le naturel, les ouvriers et les bourgeois tels qu’ils sont ! »
Cet ami de Maupassant, qui délaissera la littérature pour des expéditions colo-
niales, exprime dans son article son rejet du romantisme : Dieu, l’amour, l’inno-
cence sont ravalés d’un même geste au rang de « vieux clichés ».

II. L’affirmation du renouveau


3. Le mouvement naturaliste revendique au contraire l’exigence de vérité,
s’appuyant sur « des faits conformes aux lois de la nature, à la raison, à l’usage
commun » (Harry Allis). Cette dimension scientifique de l’observation de l’homme
et du monde est au cœur du Roman expérimental de Zola, qui met en avant la
physiologie de Claude Bernard et les toutes récentes et encore mal comprises théo-
ries de l’hérédité de Darwin.
4. On retrouve ainsi le lexique de la science développé tout au long du passage :
« expérimental », « mécanisme », « phénomènes », « rouages », « manifestations
intellectuelles et sensuelles », « physiologie », « hérédité », « circonstances
130
ambiantes », « milieu »… Zola se présente en homme de laboratoire, plongeant
ses personnages dans différents milieux afin d’observer comment, en fonction de
leur hérédité et de leur éducation, ils s’y adapteront.

III. L’organisation du mouvement


5. Le terme « naturalisme » évoque d’abord la nature. Mais le suffixe qui lui est
accolé en fait un terme abstrait qui le place dans le domaine de la science. Le natu-
ralisme, jusqu’au XIXe siècle, renvoie à une philosophie essentiellement tournée
vers l’observation de la nature. Buffon, Linné puis Darwin se présentent ainsi
comme des naturalistes. Avec l’émergence du mouvement naturaliste (l’invention
du terme est revendiquée à la fois par Edmond de Goncourt et par Émile Zola),
le mot sert de cri de ralliement aux écrivains qui se donnent pour ambition de
décrire la nature profonde de l’homme, d’en explorer « le mécanisme » profond.
6. Le rôle des revues est essentiel pour chaque mouvement littéraire. La Revue
Moderne et Naturaliste aura une existence éphémère, comme la plupart des revues
de ce type, essentiellement destinées à assurer la promotion du mouvement à ses
débuts. Elles peuvent être une tribune pour les auteurs revendiquant leur appar-
tenance à un mouvement littéraire, qu’ils y publient articles critiques, nouvelles
ou poèmes. La revue permet une rencontre avec les lecteurs ; elle permet égale-
ment à ceux qui y participent de lier des liens et de confronter leurs points de vue.
7. « J’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endroit dans mes pages, quelques-
uns de vos tableaux » : Zola revendique une dette envers Degas, dont il est l’un
des défenseurs les plus ardents dans ses comptes rendus critiques des Salons. En
effet, on peut retrouver de nombreux points communs entre les préoccupations
du peintre et celles de l’écrivain. Le choix du sujet place le monde ouvrier au cœur
de l’œuvre d’art. Le tableau comme la description fixent un instant de la vie quo-
tidienne de la repasseuse appliquée au travail, en mouvement. Le souci du détail
vrai (les outils) et de la vraisemblance (le contre-jour) ajoute à cette conception
réaliste de l’art. Enfin, l’atmosphère de la description semble vouloir reproduire
la dimension impressionniste de la toile : « on voyait la grosse chaleur monter
dans le rayon, une flamme invisible dont le frisson secouait l’air » (l. 7 à 9).

EXERCICES
(PAGES 140 à 144)

Étudier la volonté de rupture d’un mouvement littéraire


Exercice 1B
1. Dans cet extrait, Victor Hugo affirme avoir révolutionné la poésie (« les
bataillons d’alexandrins carrés », v. 3) et le vocabulaire (« Je mis un bonnet rouge
au vieux dictionnaire », v. 5) : il fait allusion à la bataille d’Hernani dont les repré-
sentations furent chahutées par les partisans du théâtre classique, choqués par
les audaces rythmiques de l’alexandrin utilisé dans les dialogues et par l’emploi
131
d’un vocabulaire jugé trop familier. Il revendique ainsi le droit au mélange des
genres et des registres qui est l’une des caractéristiques du romantisme.
2. Hugo donne de lui-même l’image d’un révolutionnaire combattant, à travers
les mots ou expressions « douairières » (v. 1), « bataillons » (v. 3), « bonnet rouge »
(v. 5), « sénateur » (v. 6), « roturier » (v. 6), « peuple » (v. 9). Il apparaît comme un
meneur (forte présence du pronom « je »), n’hésitant pas à joindre l’acte (multi-
plication des verbes d’action conjugués au passé simple) à la parole (« l’essaim
blanc des idées », v. 9).
3. Sur la caricature du poète, assis sur ses propres œuvres, la main gauche sou-
tient une tête trop pleine tandis que la main droite tient une plume. Le regard
plonge sur un coffre de rentes, laissant penser que l’attitude du poète ne serait
qu’une posture. L’ambition de l’écrivain est symbolisée par les pieds posés sur
l’Académie et sur le Théâtre-Français. Derrière la dimension caricaturale de la
représentation, Victor Hugo apparaît cependant comme le chef de file du mou-
vement romantique : c’est lui et nul autre qui est ainsi représenté, écrasant de son
génie et le présent et le passé, et c’est vers lui que chacun se précipite pour suivre
le mouvement qu’il a lancé.

Exercice 2BB
1. On retrouve le thème de la nature dans les deux textes. Il s’agit pour Rousseau
d’une « campagne encore verte et riante, mais défeuillée en partie et déjà presque
déserte » (l. 1 et 2). Pour Chateaubriand, « de grandes bruyères terminées par des
forêts » (l. 1 et 2), traversées par « une feuille séchée que le vent chassait » (l. 3 et
4). Dans les deux cas, il s’agit donc de l’arrivée de l’automne, dont la dimension
symbolique emplit les narrateurs d’un même sentiment de solitude et de peine :
« impressions douces et tristes » (l. 5), « déclin d’une vie innocente » (l. 7 et 8),
« flétries » (l. 10), « tristesse » (l. 10), « ennuis » (l. 11)… chez Rousseau ; tandis
que Chateaubriand affirme : « Un secret instinct me tourmentait » (l. 14 et 15).
Les deux passages explorent ainsi les mêmes thèmes, qui seront les thèmes privi-
légiés du romantisme.
2. Avec Julie ou la nouvelle Héloïse (1761), Rousseau innove par son culte du
sentiment individuel, par la place qu’il accorde à la sensibilité, à l’imagination, à
la rêverie, par sa passion pour la nature, son idéal de vie simple, son dédain pour
les contraintes sociales. Il aura une grande influence en France, en Allemagne, en
Angleterre, en Suède. Rousseau apparaît donc aux yeux des écrivains roman-
tiques, et notamment des romanciers, comme un précurseur : le titre même de ses
Rêveries semble en constituer le programme.

Analyser l’affirmation du renouveau


d’un mouvement littéraire
Exercice 3BB
1. L’idée de La Comédie humaine repose essentiellement sur « une comparaison
entre l’Humanité et l’Animalité » (l. 11 et 12). La société est considérée comme
132
un univers peuplé d’espèces différentes – des « Espèces Sociales » (l. 23) – qu’il
convient d’étudier au même titre que les espèces animales. Cette vision de la
société est originale car elle applique aux humains les observations scientifiques
alors effectuées sur les animaux par les grands naturalistes, tels Buffon ou Cuvier.
Elle renouvelle le regard porté par l’écrivain sur l’homme et les fonctions de la
littérature.
2. L’écrivain, le romancier sont implicitement comparés à un savant observateur
du monde et de la nature. Mais c’est l’homme qui est ici au centre de l’observa-
tion scientifique, ou pseudo-scientifique : Balzac compare en effet d’emblée son
ambition à un « rêve » (l. 2), à « une chimère » (l. 4) impossible à atteindre.
3. La caricature de Boilly intitulée Les Gueux semble faire écho à l’ambition de
Balzac : les faces des paysans, leurs regards et leurs attitudes dégagent une forme
d’animalité que Balzac systématisera dans les descriptions de ses personnages. La
comparaison n’est pas seulement psychologique ; elle attribue aux êtres les carac-
téristiques physiques du comparant.

Exercice 4B
1. La casquette de Charles Bovary, d’une « laideur muette » (l. 15), a « des pro-
fondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile » (l. 15 et 16). C’est pour-
tant par son intermédiaire que le lecteur, comme ses camarades de classe, prennent
connaissance du personnage, identifiant immédiatement le pauvre Charles à un
anti-héros. La casquette apparaît d’abord comme un mélange « composite » (l. 11)
de « bonnet à poil », de « chapska » (l. 12), de « chapeau rond, de la casquette de
loutre et du bonnet de coton » (l. 12 à 14). Le patchwork indescriptible laisse
ensuite place à une forme : « Ovoïde et renflée de baleines » (l. 16 et 17), la cas-
quette se construit peu à peu. Les verbes et les indicateurs spatio-temporels per-
mettent à la description de mettre progressivement en place un tableau (« elle
commençait par », l. 17 ; « puis, s’alternaient », l. 18 ; « venait ensuite », l. 20 ;
« d’où pendait », l. 22 et 23).
Le couvre-chef se construit ainsi progressivement, dans une réalité qui demeure
improbable car insaisissable. La dernière phrase de cette description, brève, se
veut cependant rassurante : « Elle était neuve ; la visière brillait. » (l. 25).
2. Ce n’est pas tant à travers la description de la casquette que Flaubert met en
place l’univers réaliste du roman qu’à travers celle de la salle de classe. Le « nous »
initial laisse ainsi supposer une existence réelle du narrateur, de même que l’em-
ploi de l’italique, appliqué aux termes utilisés alors par les enfants de la classe
(« le genre », l. 6 ; « le nouveau », l. 9). De même, le premier paragraphe met en
place une atmosphère réaliste, un moment probablement vécu par l’auteur lui-
même et dans lequel le lecteur peut retrouver sa propre enfance.

Exercice 5BB
1. Maupassant conteste à l’écrivain réaliste l’ambition, selon lui illusoire, de dire
le vrai, de décrire la réalité telle qu’elle est. Il prend ainsi ses distances avec l’école
naturaliste et ses excès. Pour lui, le roman réaliste donne une « vision plus com-
133
plète, plus saisissante, plus probante que la réalité même » (l. 13 à 15). L’écrivain
est d’abord un artiste qui, comme tel, se doit de faire œuvre d’art, plutôt que de
montrer « une photographie banale de la vie » (l. 12 et 13).
2. La casquette de Charles décrite par Flaubert, le maître spirituel de Maupassant,
reflète l’ambition affirmée par Maupassant. Sous les apparences du réalisme, elle
présente l’acte d’écrire comme une reconstruction purement esthétique de la
réalité. Ce n’est pas tant la casquette qui impressionne que la description qu’en
fait Flaubert. Seule compte, en définitive, la virtuosité de l’écrivain et non le sujet
qu’il a choisi.

Exercice 6BB
C’est le peintre lui-même qui donne au spectateur la clé d’interprétation de sa
toile : « Dans son sommeil, l’Amour, la Gloire et la Richesse lui apparurent. » Le
tableau de Puvis de Chavannes explore l’un des thèmes privilégiés du symbo-
lisme : le rêve. Couché dans un paysage onirique, un homme endormi voit ainsi
apparaître en songe l’allégorie de ses désirs. La composition du tableau, en plans
horizontaux, entraîne le regard vers l’horizon. Les couleurs foncées du premier
plan laissent progressivement place à une lumière de plus en plus vive, produite
par la pleine lune. Les trois personnages sont ainsi baignés dans un halo qui leur
donne une apparence surnaturelle. La couleur dominante, le bleu, assure le
passage de la réalité à l’univers des songes, renforcée par l’omniprésence du flou.

Exercice 7BB
1. Le symbolisme repose sur l’idée que le monde réel n’est que le reflet d’une
réalité transcendante. C’est cette dimension supérieure que l’artiste, poète, peintre
ou musicien, doit atteindre grâce à ses œuvres. Mallarmé préfère donc la sug-
gestion à l’explicite (« Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la
jouissance du poème », l. 1 et 2). Et le symbole lui apparaît comme l’outil le plus
propre à réaliser ses desseins : métaphores, images, objets concrets évoquent ainsi
dans la poésie symboliste des états d’âme ou des idées.
2. Le poème de Verlaine insiste davantage sur le rôle prépondérant de la musique,
derrière laquelle les mots s’effacent. Pour Verlaine, c’est la musicalité qui permet
d’exprimer les états d’âme : « De la musique avant toute chose » (v. 1). Mais la
seconde strophe met aussi l’accent sur le choix des mots : « Rien de plus cher que
la chanson grise/Où l’Indécis au Précis se joint » (v. 7 et 8).

Comprendre l’organisation
d’un mouvement littéraire
Exercice 8B
1. Pour André Breton, le surréalisme est d’abord une exploration nouvelle des
possibilités du langage (« exprimer, soit verbalement, soit par écrit […] le fonc-
tionnement réel de la pensée », l. 2 à 4), reposant sur l’exploration de l’incons-
cient (« automatisme psychique », l. 1).
134
2. On trouve dans cet extrait des Champs magnétiques de nombreux exemples
d’écriture automatique : un mot en appelle un autre (« vent », l. 1/« soleil », l. 3 ;
« gares », l. 6/« couloirs », l. 7 ; « minutes », l. 8/« siècles », l. 9…), sans aucune
logique autre que celle des associations d’idées.
3. Le texte de Jean d’Ormesson évoque le mouvement surréaliste dans sa réalité
quotidienne. « Mouvement » (l. 2), « groupe » (l. 6), « bande survoltée » (l. 7) : il
met l’accent sur le caractère tumultueux des relations entretenues par ceux qui
ont participé au mouvement. À leur tête, un homme, André Breton, qui s’impose
incontestablement comme le chef de file (« génie », l. 9 ; « goût du pouvoir »,
l. 10) du mouvement.

Exercice 9B
1. Les caractéristiques attribuées au théâtre de l’absurde sont les suivantes :
– il trouve son origine dans la réflexion menée avant la Seconde Guerre mondiale
sur la condition humaine par Camus ou Sartre, philosophes, romanciers et dra-
maturges ;
– il ne naît réellement qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’apparition de
l’expression « théâtre de l’absurde », en donnant au terme un sens différent de
celui qu’il avait jusqu’alors. Le mot « absurde », désormais réservé au théâtre,
désigne « l’aspect dérisoire de la condition humaine » (l. 9).
2. Eugène Ionesco affirme que le théâtre traditionnel est « prisonnier » (l. 1),
victime des habitudes et des conventions qui le figent. Pour lui, le théâtre ne
remplit plus son rôle dès lors qu’il est saisi par la « peur » de choquer le public
en lui donnant une vision ou bien trop comique ou bien trop tragique du monde
(l. 8 à 11). Il veut au contraire dénoncer à travers ses pièces le « caractère déri-
soire d’un langage vidé de sa substance » (l. 14 et 15), tout en remettant en cause
l’action, « connue d’avance » (l. 16). L’expression de la dernière phrase (« tout
oser au théâtre ») résume le point de vue du dramaturge de l’absurde.
3. Le projet de Ionesco correspond à la définition donnée dans le texte A car il
a pour ambition de bousculer « les conventions et les principes du théâtre bour-
geois » (l. 10 à 11).

Exercice 10BBB Vers le commentaire


L’extrait de Fin de partie illustre à la fois « l’aspect dérisoire de la condition
humaine » et la remise en cause des conventions du « théâtre bourgeois ». En effet,
le personnage principal de la pièce incarne une humanité blessée, sans espoir,
incapable d’utiliser le langage. Le héros se déplace ainsi « dans un fauteuil à rou-
lettes », réclamant de la graisse en pure perte.
Par ailleurs, la mise en scène laisse apparaître un décor fondamentalement nova-
teur et pessimiste : la lumière est « grisâtre », les fenêtres « petites » et « haut per-
chées », des poubelles et un vieux drap font office d’accessoires… Dès cette
première scène de la pièce, le spectateur se trouve ainsi plongé dans un univers
qui lui est totalement étranger et qui remet en cause toutes ses certitudes sur le
genre théâtral.
135
Exercice 11BBB
1. Le principal reproche adressé par Nathalie Sarraute au roman traditionnel
repose sur le statut du personnage : « non seulement le romancier ne croit plus
guère à ses personnages, mais le lecteur, de son côté, n’arrive plus à y croire »,
affirme-t-elle (l. 1 à 4). C’est « l’ère du soupçon » (titre de l’œuvre), qui entraîne,
selon l’écrivain, un effacement progressif du « héros de roman », qui ne peut plus
être un type psychologique ou social, pour laisser place à la restitution fragile et
hésitante d’un univers intérieur.
2. Ce texte apparaît comme un manifeste littéraire car il remet fondamentale-
ment en cause une conception traditionnelle du roman en tant que genre litté-
raire. Il généralise un point de vue en l’exprimant au nom du « romancier » et du
« lecteur » en général. Il évoque l’histoire littéraire pour affirmer la fin d’un modèle
(le modèle balzacien) qui doit, inévitablement, laisser la place à une conception
renouvelée du genre : le Nouveau Roman.
3. Les deux extraits de roman proposés s’inscrivent dans l’esthétique du Nouveau
Roman en faisant apparaître des personnages anonymes, une voix ou un regard
qui apportent leur perception, nécessairement limitée ou fragmentée, de l’uni-
vers.
Le texte B fait entendre au lecteur deux voix anonymes qui communiquent entre
elles sans passer réellement par l’intermédiaire de la parole. Les personnages du
Nouveau Roman partagent un même sentiment de solitude que les outils de com-
munication modernes sont inaptes à leur faire surmonter. Étrangers au monde,
ils errent dans un labyrinthe (ici, « le dédale souterrain des câbles, des relais, des
tunnels par-dessous les millions de tonnes de pierres », l. 8 à 10) dont ils ne par-
viennent à s’extirper.
Le texte C met en place un personnage dont le lecteur ne connaît finalement que
le nom : Wallas. Comme dans le texte précédent, le personnage se trouve confronté
à la complexité et à l’anonymat du monde moderne, dont le distributeur est le
symbole. La scène elle-même est évoquée de manière mécanique, faisant du per-
sonnage une sorte de robot parmi les robots : le choix d’un aliment est inutile
(premier paragraphe) ; les repas sont décrits de façon quasi entomologique, sans
susciter une quelconque sensation chez le personnage (deuxième paragraphe) ;
l’action est comme suspendue au fonctionnement de la machine dont le « ron-
ronnement agréable » (l. 18 et 19) apparaît comme la seule indication d’ordre
psychologique de l’extrait.
En définitive, les deux extraits illustrent bien les caractéristiques évoquées dans
le dernier paragraphe du texte de Nathalie Sarraute, en présentant des person-
nages qui ont « tout perdu », sinon leur nom, tout au moins leur caractère, auquel
le lecteur n’a pas accès.

136
EXO-BAC
(PAGE 145)

Vers le sujet de dissertation


Lecture
1. La toile de Salvador Dali met en place un univers onirique : comme tous les
surréalistes, le peintre cherche à transfigurer le réel pour lui donner les couleurs
et les formes surgies de son inconscient, provoquant la fascination et l’étonne-
ment. Le spectateur découvre ainsi dans Le Sommeil un visage aux yeux clos,
dont les formes évoquent une baleine traversant l’océan lourdement posée sur
des échasses… En arrière-plan apparaît un paysage marin d’où surgissent ça et
là divers objets. Le rêve évoqué par le titre semble surgir de ce visage errant, à la
manière d’un univers parallèle, « surréel », qui laisse deviner un certain nombre
d’images surgies de l’inconscient.
2. En associant la femme aimée à l’univers, Eluard assure le surgissement d’images
poétiques – comparaisons ou métaphores – qui évoquent le fonctionnement du
rêve, par leur caractère incontrôlé :
– « Elle s’engloutit dans mon ombre/Comme une pierre sur le ciel. » (v. 5 et 6) ;
– « Ses rêves en pleine lumière/Font s’évaporer les soleils » (v. 9 et 10).
Les images sont difficiles à analyser car, comme dans toute la poésie surréaliste,
elles sont dictées par l’inconscient plus que par la raison. L’image doit faire naître
une « illumination » surgie de l’inconscient : elle s’impose comme une vision quasi
picturale dans laquelle le comparé et le comparant sont intimement liés.

Écriture
Le rêve est l’un des thèmes privilégiés du mouvement surréaliste. Il ouvre une
porte sur un monde merveilleux où tout devient possible, car aucun contrôle de
la raison ne s’y exerce. C’est ainsi qu’on retrouve l’univers du rêve dans la pein-
ture surréaliste. L’artiste ne cherche plus à représenter la réalité mais à fixer des
images surgies de son inconscient, exprimant ses désirs et ses obsessions, ses
angoisses et sa part de folie. La toile de Salvador Dali est à cet égard caractéris-
tique d’une œuvre immédiatement reconnaissable en tant qu’œuvre surréaliste :
elle affirme l’indépendance de l’esprit et sa capacité à s’affranchir des contraintes
de la raison ou de la logique. Le poème de Paul Eluard ne fonctionne pas autre-
ment : le poète vit comme un rêve l’amour qu’il éprouve. L’anaphore obsédante
du pronom « elle » débouche de manière systématique sur la création d’images
surréalistes car dictées par l’inconscient : « Elle ne me laisse pas dormir », affirme
Eluard, l’esprit empli de celle qui hante ses nuits et ses jours, obsédante car objet
d’un amour fou. Ce dernier caractérise l’amour surréaliste, en bouleversant l’uni-
vers réel par l’exaltation continue qu’il provoque.

137
LES REPÈRES FONDAMENTAUX

LES GENRES
CHAPITRE

13 Le roman (PAGES 146 à 161)

Le roman est d’abord une langue, en opposition à la langue savante, le


latin. C’est en roman que sont écrits les premiers « romans », qui séculari-
sent des mythes anciens comme ceux de l’Iliade ou de l’Énéide. À l’appa-
reil du merveilleux se mêle déjà un souci du réel qui ira en augmentant au
fil des siècles.
Le roman est ainsi devenu le genre dominant, se développant au détriment
des autres genres littéraires, allant parfois jusqu’à les intégrer. Mais il faut
attendre le XIXe siècle pour voir le roman prendre la place qui est la sienne
aujourd’hui, celle d’un genre libre, affranchi de toutes les contraintes et
qui s’invente ses propres lois au fur et à mesure qu’il évolue.
Le personnage semble être au cœur du genre romanesque qui, depuis ses
origines, s’est attaché à raconter son histoire, soit par tranches, soit par épi-
sodes, soit par milieux, soit de sa naissance à sa mort. Malgré les multiples
tentatives pour le faire disparaître, le personnage résiste et triomphe. Cette
extraordinaire résistance vient probablement du fait que nous nous proje-
tons en lui, que nous nous y reconnaissons : aimant ou répulsif, le person-
nage ne laisse pas indifférent.

OBSERVATION
(PAGES 146-147)

Introduction
D’une incroyable créativité, Hugo a transformé tous les genres qu’il a abordés –
poésie, théâtre, roman – pour faire de la littérature le moment d’une avancée. Les
romans de Hugo, Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatre-vingt-treize, ont
touché un vaste public et inspirent encore aujourd’hui cinéastes et musiciens. Le
romancier utilise les conventions du genre romanesque, coïncidences invraisem-
blables, personnages idéalisés, pour composer des fresques complexes où il s’in-
139
terroge sur les forces à l’œuvre dans l’histoire humaine. S’il se moque des règles
de la littérature réaliste, c’est pour mieux dénoncer les aspects les plus scanda-
leux de la réalité sociale et politique. Les Misérables, le roman le plus célèbre de
Hugo, a imposé certains personnages, comme Javert, Jean Valjean, Cosette ou
Fantine. Il a aussi donné une grande force à des personnages secondaires qui ne
traversent que quelques épisodes, chacun illustrant à sa manière une question
morale ou politique. Mais le véritable héros du roman est incontestablement Jean
Valjean : tour à tour père de famille, forçat, industriel, maire, bourgeois parisien,
il affronte sans cesse son destin, témoin de toutes les injustices et de toutes les
misères de son temps.

Réponses aux questions


I. Les modes de narration
1. Le narrateur apparaît dans le texte par l’intermédiaire du pronom « nous »
(texte B). D’autres indices dans le texte A permettent au lecteur de percevoir sa
présence à travers l’expression d’explications («une heure environ avant le coucher
du soleil », l. 1 et 2) ou d’opinions (« Il pouvait avoir quarante-six ou quarante-
huit ans », l. 7 et 8). Mais ce narrateur reste extérieur à l’histoire racontée : à
aucun moment il n’intervient dans l’action ou les dialogues. Il s’agit d’un narra-
teur témoin, omniprésent mais invisible.

II. L’écoulement du temps


2. Le texte A fixe de manière précise l’époque de l’action : « Dans les premiers
jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil »
(l. 1 et 2).
3. Dans le texte B, le dialogue entre Jean Valjean et Cosette permet au lecteur de
mesurer l’écoulement du temps romanesque : elle a désormais huit ans (l’action
se situe en 1823). Dans le texte C, Cosette se marie. Le temps de la fiction s’étale
ainsi sur une longue période : le mariage de Cosette et Marius a lieu le 16 février
1833, jour de mardi gras.
4. L’espace romanesque change également. Des rues de Digne où le lecteur ren-
contre Jean Valjean, l’action se déplace à Montfermeil, où résident les Thénardier,
puis à Paris, où Jean Valjean trouve refuge avec Cosette.
Dans le texte C, l’action prend pour cadre la salle à manger de Marius. La des-
cription des lieux se fait à partir d’indicateurs qui organisent l’espace : « Au centre,
au-dessus de la table » (l. 1 et 2), « autour du lustre » (l. 4), « entre les candé-
labres » (l. 7 et 8), « Dans l’antichambre » (l. 9), « sur une chaise dans le salon »
(l. 11), etc. Le lecteur peut ainsi se figurer de manière précise les lieux dans les-
quels se meuvent les personnages. L’atmosphère qui caractérise cette scène est
celle d’une fête familiale : la nappe blanche, le lustre bariolé, les girandoles, les
miroirs, « tout étincelait et se réjouissait » (l. 7), bercé par « des quatuors de
Haydn » (l. 10).
140
III. Les personnages
5. L’intrigue des Misérables se construit autour du couple formé par Jean Valjean
et Cosette. Les deux héros apparaissent comme en constante évolution, physique
et psychologique : Jean Valjean, dans le texte A, apparaît comme un passant «d’un
aspect […] misérable » (l. 6), mais « robuste » (l. 7) et à la « poitrine velue » (l. 11).
Il cache son visage « brûlé par le soleil » (l. 9) derrière une casquette. Le person-
nage à l’apparence inquiétante est un forçat évadé.
Dans le texte B, le héros a changé : le narrateur insiste sur le fait qu’il ne fait pas
peur à l’enfant. Le dialogue nous fournit des indications sur son caractère : il
utilise le « vous », puis le « tu » pour s’adresser à l’orpheline, pour laquelle il
éprouve immédiatement de la pitié.
Dans le texte C, Cosette et Jean Valjean sont unis par un même sentiment de
bonheur. Cosette apparaît comme une jeune fille « espiègle » (l. 15), heureuse et
insouciante. Jean Valjean semble songeur et inquiet : il est assis « derrière la porte,
dont le battant se repliait sur lui de façon à le cacher presque » (l. 11 et 12).

EXERCICES
(PAGES 155 à 160)

Identifier le narrateur
Exercice 1B
1. Dans le texte A, le narrateur utilise la première personne (« Je me suis assis »,
l. 7 et 8). Il s’impose comme le personnage central du récit, le héros du roman :
« Tous me regardaient » (l. 10). Dans le texte C, le narrateur apparaît à la fois
comme un témoin et un personnage de l’histoire qu’il raconte. Il n’est pas au
centre du récit (répétition de « je suivais ») car il raconte l’histoire d’un autre per-
sonnage : son père, le « Nain jaune », qui donne son titre au roman.
2. Dans le texte B, le narrateur est totalement extérieur à l’histoire racontée. A
aucun moment la première personne n’est utilisée dans le récit. Le narrateur appa-
raît comme un être invisible mais omniscient, une voix anonyme qui connaîtrait
tout de la vie des personnages (« ne redoutait au monde que deux choses », « ne
prenait jamais le ton sérieux avec son fils »).

Exercice 2BB
1. Dans les deux textes, la fiction est identique : Oliver est venu déclarer son amour
à la femme de son meilleur ami Stuart. Dans les deux cas, le récit est pris en charge
par un narrateur-personnage. Dans le texte A, il s’agit d’Oliver tandis que le point
de vue adopté dans le texte B est celui de Gillian. En adoptant successivement le
point de vue des différents protagonistes de l’intrigue, Julian Barnes permet au
lecteur de mieux comprendre la psychologie de chacun. Le lecteur a le plaisir de
constater qu’un même événement est nécessairement vécu de manière différente
141
par les personnages : il se sent supérieur à eux. L’écrivain peut également adopter
son style d’écriture à chaque personnage et ainsi montrer sa virtuosité.
2. Oliver est très sensible à son apparence. Il compose soigneusement son atti-
tude pour ne pas « avoir l’air d’un livreur » (l. 4). Il se présente comme étant sûr
de lui et rassurant : « en répétant calmement » (l. 11) ou « pour l’apaiser » (l. 10).
Oliver apparaît en outre comme un pédant qui use de formules un peu ridicules
telles « une alarme a pris la mer dans le havre de ses yeux » (l. 9 et 10) et d’un
vocabulaire soutenu. Il se considère à l’égal d’un dieu puisqu’il est assisté dans
son entreprise par la « seule déesse Flora » (l. 6) elle-même. Le point de vue de
Gillian apporte de sérieuses nuances. Elle perçoit Oliver comme un personnage
ridicule : « blanc comme un linge et tenant ses deux bras à l’horizontale et aussi
raides qu’un dessus d’étagère » (l. 15 à 17) ou « un maître d’hôtel robot ayant
oublié son plateau » (l. 23). Contrairement à ce que pense Oliver qui est satisfait
de sa déclaration, Gillian n’y a entendu que bredouillements incompréhensibles
puis hurlement. Oliver vit la scène comme un intense moment, une solennelle
déclaration d’amour tandis que Gillian n’en saisit pas le sens et n’y voit qu’un
épisode comique : « Naturellement, j’ai éclaté de rire » (l. 27). Oliver n’en appa-
raît que davantage comme un personnage fat et grotesque.
Les informations données sur Gillian sont moins nombreuses : elle est fidèle à son
mari puisqu’en découvrant le bouquet de fleur, elle pense à « Stuart » (l. 5) et la
déclaration amoureuse d’un autre homme ne peut lui apparaître autrement que
ridicule. Oliver lit dans son regard une émotion sentimentale quand il ne s’agit
que de la surprise. Gillian semble dotée d’un solide sens de l’humour dans le choix
des expressions qu’elle emploie (« aussi raides qu’un dessus d’étagère »). Enfin,
Gillian semble être très franche, très naturelle : elle éclate de rire « naturellement »
(l. 27).

Exercice 3B
1. La scène est racontée par une voix anonyme, extérieure à l’histoire. Le narra-
teur, placé en position d’observateur, rapporte les gestes et les paroles des per-
sonnages avec un regard impartial (« deux hommes entrèrent », l. 2). Il n’évoque
ni leurs sentiments ni leurs pensées et n’apporte des informations à leur sujet que
par l’intermédiaire du dialogue qu’il retranscrit. C’est de cette manière que le
lecteur apprend que l’un des deux personnages se prénomme Al (l. 7). La focali-
sation externe est renforcée par les indications données sur l’atmosphère: «Dehors
il commençait à faire sombre » (l. 10).
2. La porte du restaurant s’ouvrit et les deux hommes entrèrent. Ils s’assirent
devant le comptoir, face au barman qui se demandait qui pouvaient bien être ces
inconnus. Il leur demanda ce qu’ils voulaient prendre, du ton le plus enjoué qu’il
put.
– J’sais pas, répondit celui qui était entré le premier. Qu’est-ce que tu veux bouffer,
Al ? demanda-t-il à son copain, songeant qu’ils n’avaient pas un sou en poche et
qu’ils étaient juste entrés pour se réchauffer.
– J’sais pas, a répondu Al. J’sais pas ce que je veux bouffer.
142
Dehors, il commençait à faire sombre. Al songeait au barman, qui attendait leur
commande. La lueur du réverbère s’alluma derrière la vitre, le rappelant brus-
quement à la réalité. Ils consultèrent alors le menu.

Exercice 4B
1. La scène, dans ce passage, est perçue par Saccard, le héros du roman. On passe
de la focalisation zéro à la focalisation interne à partir de la ligne 4 : « Et ses
regards, amoureusement, redescendaient toujours… » En effet, à partir de ce
passage, le lecteur perçoit la scène à travers les regards et les pensées du person-
nage, le narrateur s’effaçant derrière lui.
2. Le réseau lexical dominant de la fin de l’extrait est celui de la richesse : « pous-
sière d’or» (l. 13 et 14), «rosée d’or» (l. 14), «émeraude» (l. 17), «saphir» (l. 18),
« rubis » (l. 18), « lingot d’or » (l. 21 et 22), « pièces de vingt francs » (l. 24). Cette
transformation du paysage de Paris en conte des Mille et Une Nuits souligne pour
le lecteur combien Saccard est attiré par l’argent. Le regard du personnage dévoile
en lui un être ambitieux, sensuel et jouissif.

Exercice 5BB
1. Le narrateur apporte quantité d’informations sur le personnage : son adresse,
son caractère (« un excellent homme », l. 2 et 3), son nom, son identité, son âge,
etc. Rien n’est caché au lecteur de son aspect physique ou physiologique.
2. Le point de vue utilisé est le point de vue omniscient, dans la tradition du genre
romanesque. L’auteur évoque le personnage à différents moments de son exis-
tence (« En hiver », l. 8 ; « à la belle saison », l. 9 et 10) et effectue un retour en
arrière pour expliquer comment il a eu la révélation de son « don ». Le narrateur
connaît aussi bien le passé de son personnage que son présent ou son avenir.
Il est omniscient.

Étudier les temps verbaux et l’ordre du récit


Exercice 6BB
1.
Temps verbaux Verbes conjugués Valeur d’aspect

Passé simple « alla » (l. 2) Action accomplie


« trouva », « décida » (l. 3)
« entendit » (l. 6)
« vit » (l. 7)
« s’avança », « salua » (l. 16)
Imparfait « maniait » (l. 9) Action non accomplie
« sortait » (l. 18) (durée)
Plus-que-parfait « étaient assises » (l. 11) Aspect non limitatif
« avait commencé » (l. 14) (antériorité)
143
2. Le passé simple marque une succession d’actions considérées comme accom-
plies. Il est le temps privilégié du récit. Il permet au narrateur de rapporter les
faits qui se sont déroulés dans le passé et de les situer les uns par rapport aux
autres : « Ugolin alla faire une visite à ses pièges du vallon. Il y trouva une fort
belle perdrix […] ». Il sert à raconter l’action car il met en valeur le caractère
accompli des événements racontés. L’imparfait est utilisé pour évoquer l’arrière-
plan sur lequel se détachent les événements racontés au passé simple. Il souligne
la durée de l’action : « il maniait un pic de mineur » (l. 9 et 10). Le plus-que-parfait
souligne l’aspect non limitatif de l’action, sans considérer son début ou sa fin :
« sa femme et sa fille étaient assises » (l. 11), ou souligne l’antériorité d’une action
par rapport à une autre : « Il avait commencé le puits » (l. 14 et 15).

Exercice 7B
1. On trouve deux repères temporels dans l’extrait : le premier fixe l’époque de
l’action (« Le 16 juillet 1907 », l. 1), le second évoque sa durée (« dix ans après »,
l. 9 et 10). L’auteur emploie le présent de narration (« voit », « s’étonne »,
« meurt ») afin d’actualiser les événements, de les rendre plus vivants.
2. Le retour en arrière se situe à la ligne 6 du passage : « On avait l’habitude de
le voir vivre ». La phrase évoque le passé de l’histoire racontée, un passé dans le
passé, précédant la mort du personnage. Cela explique l’utilisation du plus-que-
parfait. L’anticipation, au contraire, est caractérisée par l’utilisation du futur
simple : « il faudra », « il viendra », « demanderont ».

Exercice 8B
Dans le texte A, le retour en arrière commence à la ligne 5. Il est introduit par les
deux-points et signalé par l’utilisation du plus-que-parfait. Sa fonction est d’éclai-
rer un détail du récit pouvant apparaître étonnant au lecteur : l’utilisation d’un
taxi pour un très long trajet (« cinq heures », l. 1). Dans le texte B, le retour en
arrière apparaît à la ligne 6. Le narrateur revient sur son enfance pour souligner
combien l’attachement de son père à la ferme familiale était fort.

Analyser le rythme du récit


Exercice 9*
Les repères temporels qui marquent l’écoulement du temps dans cet extrait de
Un cœur simple sont : « Des années » (l. 1) ; « [les] grandes fêtes » (l. 2 et 3) ;
« 1825 ; 1827 ; 1828 » ; « Révolution de juillet » (l. 16 et 17).
Il s’agit d’un sommaire. Le narrateur condense en quelques phrases, et quelques
repères temporels, les événements qui se sont déroulés.
Exercice 10*
1. – Les ralentissements : la scène de la ligne 1 à la ligne 11, dans laquelle le nar-
rateur nous présente les événements comme étant en train de se dérouler.
– Les accélérations :
• ellipse : « Elle l’aimait tendrement… » (l. 12) ;
144
• sommaire : « Des années passèrent » (l. 16) ;
• ellipse : « Mais quand il revint de nouveau » (l. 17).
– Les procédés utilisés :
• scène : dialogue entre les deux personnages ;
• sommaire : indication temporelle ;
• ellipse : 1. brusque rupture de la narration, 2. oppositions.
2. Les effets à produire : enchaînement des événements. Tout part de la discus-
sion qui semble aboutir à la mort de la jeune épouse, d’une part, présentée comme
la conséquence de son amour : « [Elle] n’avait jamais rien su luirefuser. Elle
mourut. » ; et, d’autre part, au départ de Robinson vers son île (« Aussitôt »),
comme si le personnage n’avait attendu que cela.
Le narrateur ne s’en tient qu’à l’essentiel, c’est-à-dire à ce qui fait avancer le récit.
Ce qu’éprouve Robinson, à la mort de sa femme, visiblement, ne l’intéresse pas.

Étudier le lexique et les temps de la description


Exercice 11B
1. Les sens dominants qui organisent la description sont l’odorat, la vue et l’ouïe.
2.
Vue Ouïe Odorat Toucher

« admirateurs » « chantaient » « embaumée » (l. 1) « fraîcheur »


(l. 3) (l. 9) « senteur » (l. 2) (l. 1)
« contemplaient » « suave, sourde « encens »,
(l. 4) mélodie » « enivraient » (l. 3)
« verdure » (l. 6). (l. 10 et 11) « fleurs » (l. 5)

Exercice 12B
1. a) La description fait découvrir au lecteur un paysage de campagne : « terre »
(l. 2), « métairies » (l. 4), « champ de seigle » (l. 5 et 6), « une seule route » (l. 7),
« chemin plein d’ornières » (l. 8), « sentiers sablonneux » (l. 9), « de marécages,
de lagunes, de pins grêles, de landes » (l. 11 et 12).
b) Les indicateurs spatiaux structurent la description : « ici » (l. 3), « autour d’un »
(l. 5), « à dix kilomètres du bourg de Saint-Clair » (l. 6 et 7), « jusqu’à l’Océan »
(l. 10), « quatre-vingts kilomètres » (l. 10 et 11).
c) Les verbes utilisés sont essentiellement des verbes d’état ou des présentatifs,
qui soulignent l’absence d’action.
2. Argelouse apparaît comme un hameau perdu au sein d’une campagne immense
et morne, dans lequel le temps semble s’être arrêté.

Exercice 13BBB
1. Les procédés de la description : voir tableau ci-après.
145
Lexique Indicateurs Réseaux Emploi
de la perception spatiaux lexicaux des verbes

« ardente » (l. 1), « À cette hauteur » Réseaux lexicaux – L’imparfait


« vaporeuses » (l. 2), (l. 5-6), de la montagne descriptif :
« éclat » (l. 2), « Là » (l. 13), et de la verticalité : « était » (l. 1),
« reflets lumineux » « au milieu de « vallées » (l. 2), « remplissait »
(l. 3-4), l’éclat du soleil » « glaces » (l. 2), (l. 2-3),
« pureté » (l. 4), (l. 14-15), « pureté » (l. 4), « semblait » (l. 4),
« respirais » (l. 5), « par-dessus « hauteur » (l. 5-6), « divisaient » (l. 7),
« exhalaison » (l. 6), l’atmosphère » « lieux bas » (l. 6), etc. dans le
« lumière » (l. 7), (l. 17-18). « profondeur » premier para-
« sombre » (l. 8), (l. 8), graphe.
« couleur » (l. 9), « plaines » (l. 10), – Le passé simple
« bleu pâle et « éther » (l. 13), qui marque
éclairé » (l. 9-10), « glaciers » (l. 15), l’action :
« doux » (l. 10), « s’élevèrent » « s’élevèrent »
« délicat » (l. 11), (l. 20), (l. 20),
« œil » (l. 12), « nuages » (l. 21), « fatigua » (l. 22),
« éther » (l. 13), « neiges » (l. 22), « devint » (l. 23),
« vue » (l. 13), « Alpes » (l. 24), etc. dans le second
« sans bornes » « pics » (l. 25), paragraphe.
(l. 14), « neige » (l. 26),
« éclat » (l. 15), « granit » (l. 28),
« nuits » (l. 17), « dôme neigeux
« feux » (l. 18), du Mont Blanc »
« plus sombre (l. 29),
encore » (l. 23), « amoncelées »
« plus noir » (l. 31),
(l. 28), « abîmes » (l. 33),
« mer grise » « aigle des Alpes »
(l. 30), (l. 34-35).
« point noir »
(l. 32),
« œil farouche »
(l. 35-36),
« cri sinistre »
(l. 37).

2. L’irruption du passé simple coïncide avec la découverte par le narrateur de


nuages sous ses pieds, au début du second paragraphe : dès lors, l’univers qui l’en-
toure se met en mouvement. Le ciel devient « plus sombre » (l. 23) et « plus
profond » (l. 24). On retrouve le passé simple à la ligne 32, avec l’irruption de
l’aigle dans le paysage («Un point noir parut dans leurs abîmes»). Le passé simple,
qui souligne le mouvement dans ce paysage immobile et majestueux, vient inter-
rompre l’ascension du narrateur vers le sommet.
146
3. Le lexique oppose la pureté des sensations éprouvées à cette altitude (la vue
et l’odorat surtout) à l’« exhalaison des lieux bas » (l. 6), « l’immensité sans
bornes » (l. 14), à « l’enceinte visible où l’œil se repose et s’arrête » (l. 12 et 13)
de la terre habitée. La fin du passage met en évidence la mélancolie du person-
nage à travers « l’œil farouche » (l. 35 et 36) et le « cri sinistre » (l. 37) de l’aigle
apercevant l’homme, qui apparaît dès lors comme un intrus dans l’immensité de
pureté.

Analyser le portrait
du personnage de roman
Exercice 14B Vers le commentaire
1. Le personnage évoqué apparaît comme un personnage profondément antipa-
thique. Son identité souligne ses origines bretonnes (« Née Pluvignec », l. 3 et 4 ;
« devenue totalement Rezeau », l. 5 et 6) et sa richesse (« cette riche, mais récente
maison Pluvignec », l. 4 et 5). Sa beauté passée n’a d’égale que sa laideur présente
(l. 7 à 14).
2. « Madame mère », ainsi que la nomme le narrateur (l. 2), apparaît comme un
personnage profondément antipathique. Elle se caractérise d’abord par son âge
(« trente-cinq ans », l. 1) et sa taille : elle est plus grande que son mari (l. 3). Le
portrait aborde ensuite les caractéristiques physiques, opposant le passé au
présent : « elle avait été belle » (l. 7). Tous les traits physiques se caractérisent par
leurs connotations négatives : « grandes oreilles », « cheveux secs », « bouche
serrée », « visage agressif », « menton en galoche » (l. 8 à 14). Portrait physique
et psychologique sont mis en relation au moyen du témoignage du personnage
appelé Frédie : « Dès qu’elle ouvre la bouche, j’ai l’impression de recevoir un coup
de pied au cul » (l. 11 à 13).
Dès lors, le portrait met en évidence une femme méchante, qui considère ses
enfants comme des ennemis et les traite comme tels. Le portrait moral du per-
sonnage la montre ainsi passionnée par les timbres, ennemie des mites, des épi-
nards et de ses enfants : « elle avait de larges mains et de larges pieds, dont elle
savait se servir » (l. 19 et 20).

Exercice 15BB
1. Les caractéristiques physiques du personnage sont les suivantes :
– « jolis bras » (l. 4) ;
– « mains […] un peu carrées » (l. 4 et 5) ;
– « jambes très moyennes, grasses aux genoux » (l. 5 et 6) ;
– « cheveux d’un blond distingué quoique paraissant artificiel et qui ondulaient
d’eux-mêmes » (l. 8 et 9) ;
– « visage acceptable bien que peu marquant » (l. 14 et 15) ;
– « menton proéminent et de trop lourdes proportions » (l. 19 et 20) ;
– « quarante-six ans » (l. 27) ;
– « rides étroites et profondes » (l. 30).
147
2. Le personnage effectue en quelque sorte son autoportrait (« Catherine s’était
accordé… », l. 3 ; « Elle sut tôt que… », l. 10), un autoportrait peu flatteur et sans
concession, qui la dévalorise probablement. On peut dire d’elle qu’elle apparaît
comme un être lucide mais pessimiste, légèrement complexé, voire tourmenté.

Définir la fonction
des personnages dans un récit
Exercice 16B
– Frédéric Moreau : sujet de la quête. Le héros de L’Éducation sentimentale aime
Mme Arnoux qu’il ne peut posséder ; il possède Mme Dambreuse et Rosanette,
qu’il n’aime pas. Ceci résume sa vie qui a été un échec.
– Deslauriers : adjuvant. Il est l’ami du héros, avec lequel ce dernier réfléchit sur
le sens de la vie ; pour lui aussi, sa vie aura été un échec.
– Mme Dambreuse : opposant. Elle représente l’ambition mondaine de Frédéric :
elle sera, un court instant, son amante, mais ce dernier sera incapable de la garder.
– Jacques Arnoux : opposant et adjuvant. Il est le mari complaisant de Mme
Arnoux mais représente un obstacle pour Frédéric.
– Mme Arnoux : objet de la quête. Elle est le grand amour de Frédéric, prise entre
ses devoirs de mère et d’épouse ; elle ne saura prendre la décision qui la rendra
heureuse en compagnie de Frédéric.
– Rosanette Bron : opposant. La demi-mondaine représente pour le héros une
échappatoire facile ; maîtresse de Frédéric, elle représente le côté sensuel de
l’amour.

Étudier les formes


du discours rapporté
Exercice 17BB Vers l’écrit d’invention
1. Le discours indirect est omniprésent dans le passage. Il est signalé par des
verbes de paroles conjugués au passé simple : « rendit compte » (l. 1), « dit » (l. 2),
« répondit » (l. 7).
2. Le passage réécrit au discours direct :
Mademoiselle de Chartres avait pris la décision de rendre compte à sa mère de
la conversation qu’elle avait eue avec le prince de Clèves :
– Mère, lui dit-elle un jour, le prince de Clèves m’a demandée en mariage…
– Mon enfant, il y a tant de grandeur et de bonnes qualités dans cet homme. Il
fait preuve de tant de sagesse pour son âge que, si votre inclination vous porte à
l’épouser, j’y consentirais avec joie, répondit madame de Chartres.
– J’ai moi aussi remarqué ces mêmes bonnes qualités en lui, confia à sa mère la
jeune femme. J’ajouterai que je l’épouserais avec moins de répugnance qu’un
autre ; mais je ne ressens cependant aucune inclination particulière pour sa per-
sonne.
148
Exercice 18BB
1.
Récit Discours direct

Temps verbaux – Passé simple – Présent


(ex. : « dit Athos », l. 1) (ex. : « Ils sont cinq », l. 1)
– Imparfait – Futur simple
(ex. : « c’était là », l. 10) (ex. : « je reprendrai »,
– Présent intemporel l. 21)
(ex. : « décident », l. 11) – Passé composé
– Présent (ex. : « disons-le (ex. : « Vous avez dit »,
à sa louange », l. 18) l. 22-23)

Pronoms Pronoms de la troisième Pronoms de la première


personnels personne du singulier personne du singulier
(« il » = d’Artagnan) (« je » = d’Artagnan)
ou du pluriel (« ils » = les ou du pluriel (« nous »
mousquetaires) = les mousquetaires)

Indicateurs « à l’instant » (l. 6-7) « ici » (l. 3)


de temps « là » (l. 10)
et de lieu « une seconde » (l. 19)

2. Le dialogue possède dans cet extrait une triple fonction :


– il rend le récit plus vivant en ménageant des pauses dans la narration. Le duel
est suspendu à la décision de d’Artagnan, qu’il ne livre qu’à la fin du dialogue,
ménageant ainsi un effet de suspense ;
– il fait avancer l’action en faisant basculer d’Artagnan dans le camp des mous-
quetaires. Les paroles qu’il prononce (« Mon cœur est mousquetaire, je le sens
bien », l. 28 et 29) vont avoir des conséquences immédiates sur l’intrigue, modi-
fiant les rapports des personnages entre eux et déclenchant une série de péripé-
ties ;
– il apporte des informations sur les intentions des personnages, et notamment
de d’Artagnan, ses préoccupations, son caractère, et complète ainsi son portrait.

149
EXO-BAC
(PAGE 161)

Vers le sujet de dissertation


Lecture
1. Résumé de l’intrigue du récit : le narrateur est face à un inspecteur de police
qui lui demande de lui présenter un alibi pour la soirée du 17 juillet 1994.
Incapable de répondre, persuadé de son innocence, le narrateur se rend progres-
sivement compte qu’il est pris au piège de sa mémoire. Lorsque le jour se lève,
après une garde à vue épuisante, le narrateur comprend qu’il risque de passer le
reste de son existence en prison.
2. Seuls deux personnages apparaissent dans cette nouvelle : l’inspecteur de police
et le narrateur, son seul et unique suspect. Le narrateur est persuadé de son bon
droit, se montre logique mais impuissant à prouver son innocence. Le policier est
également sûr de son bon droit, persuadé d’être face au coupable qu’il recherche
depuis tant d’années.
3. La nouvelle prend la forme d’un huis clos classique : un seul lieu, une seule
intrigue, deux personnages face à face. C’est en développant une intrigue très
simple (un personnage innocent injustement accusé d’un crime) que la nouvelle
est efficace : la seule issue possible pour le narrateur est de retrouver dans sa
mémoire un événement passé, anodin, oublié depuis longtemps.

Écriture
Contrairement au roman, dont la narration s’étale sur plusieurs chapitres ou plu-
sieurs livres, la nouvelle n’occupe que quelques pages de manière à présenter une
intrigue resserrée. C’est ainsi que l’intrigue de la nouvelle intitulée « Le 17 juillet
1994 entre 22 et 23 heures » occupe un cadre temporel limité à une nuit : la durée
de la garde à vue endurée par le narrateur dans le cadre d’une enquête criminelle.
Elle occupe également un cadre spatial limité, celui d’un bureau de police sur
lequel aucune information n’est donnée, car inutile au progrès de l’intrigue. Le
lecteur est donc confronté aux pensées de l’accusé, qui vagabondent au gré des
questions qui lui sont posées.
La nouvelle est ainsi une forme de récit bref. Sa brièveté permet au récit d’at-
teindre rapidement une tension dramatique qui trouve son couronnement dans
la chute, aux dernières lignes du texte. Dans la nouvelle de Tonino Benacquista,
la chute repose sur la fin de la garde à vue. L’enquête n’a pas avancé, elle ne peut
pas avancer. Les dernières phrases de la narration évoquent l’avenir du narrateur
auquel le lecteur peut maintenant s’identifier, car il sait, sans aucun doute pos-
sible, qu’il est innocent : « J’irai peut-être en prison pendant les vingt années à
venir si cette heure-là ne me revient pas en mémoire. Ça me laissera le temps d’y
réfléchir. » En même temps que la nouvelle trouve sa chute, son titre s’éclaire,
plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité et d’horreur.
150
LES GENRES
CHAPITRE

14 L’écriture du poème
(PAGES 162 à 173)

Dans l’Antiquité, la poésie a une dimension sacrée. En effet, par la beauté


de son chant, le poète est perçu comme l’intermédiaire entre l’homme et
les dieux. Le Moyen Âge et la Renaissance préservent cette dimension
élevée du texte poétique : Marot, Ronsard, Malherbe expriment la beauté
de la femme aimée, la gloire ou la mélancolie, adaptent et fixent les formes
poétiques héritées de l’Antiquité. Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles,
reconnue par les institutions littéraires et les académies, la poésie reste le
genre noble. Mais au XIXe siècle, une rupture apparaît : la poésie conteste
désormais l’idéologie dominante. Elle exprime les déchirements du poète,
partagé comme Baudelaire entre sa sensualité et son désir de révolte. Elle
aborde tous les problèmes de la société et renouvelle les formes consacrées
par la tradition. Au XXe siècle, la poésie ouvre de nouveaux horizons à
travers la recherche de thèmes inexplorés, les expériences graphiques et
les jeux sur le langage. Les surréalistes, mais aussi René Char, Pierre
Reverdy, Jacques Prévert, Francis Ponge ou Philippe Jaccottet, font de la
poésie un lieu de recherche et d’invention.

OBSERVATION
(PAGES 162-163)

Introduction
Au tournant des années 1850, c’est une esthétique neuve que proposent les
« poètes maudits » : ils créent les moyens d’une mutation radicale de la poésie, en
rupture avec le goût classique. Baudelaire fait de la poésie une quête de soi, par
les « correspondances » qu’elle dévoile entre le monde sensible et des vérités
cachées ; Verlaine donne au langage poétique une musicalité neuve ; Rimbaud
progresse vers la connaissance des pouvoirs cachés du langage. Les premières
années du XXe siècle voient Cendrars et Apollinaire s’engager dans l’affirmation
d’une nécessaire modernité de l’art, pensant que le langage poétique peut traduire
une nouvelle perception du monde.
151
Réponses aux questions
I. Les règles de la versification
1. La forme du texte de Paul Verlaine affirme d’emblée sa dimension poétique :
il est constitué de strophes, elles-mêmes constituées de vers, chaque vers com-
mençant par une majuscule. Le texte de Verlaine affirme donc immédiatement le
genre littéraire auquel il appartient.
2. La forme du texte de Blaise Cendrars est plus difficile à identifier : absence de
strophes, vers qui ne sont pas disposés de manière classique, différences de carac-
tères à l’intérieur même du texte : la forme est déroutante pour le lecteur qui n’est
pas habitué à rencontrer ce type de disposition. Contrairement au texte de
Verlaine, il faut lire le texte de Cendrars pour identifier le genre auquel il appar-
tient ; on s’aperçoit alors qu’il s’agit d’un poème car son intention est celle de tout
texte poétique : jouer sur le langage, produire des effets poétiques en « jonglant »
avec les mots, affirmation contenue implicitement dans le premier vers.

II. Le rythme et les effets sonores


3. Les répétitions qui participent à la dimension musicale du texte :
– répétition de la même mesure des vers : chaque vers comporte douze syllabes ;
– répétition des rimes, des sons situés à la fin de chaque vers, qui trouvent des
échos sonores dans l’ensemble du poème ;
– répétition des deux premières strophes, qui comportent chacune cinq vers, la
troisième étant scindée en deux parties inégales par la mise en valeur du dernier
vers.
L’ensemble de ces répétitions participent à la dimension musicale du poème en
lui imprimant un rythme régulier (le rythme de l’alexandrin) mais aussi en répé-
tant des sonorités identiques qui constituent l’architecture sonore du poème.

III. Les répétitions lexicales et syntaxiques


4. Les répétitions lexicales ou syntaxiques dans le poème de Cendrars :
– répétition du mot « langue » aux vers 1 et 18 ;
– « Mesure les beaux vers mesurés et fixe les formes fixes » (v. 5) ;
– « Il faut que ta langue passe à la caisse
fasse l’orchestre » (v. 18).

IV. La puissance du langage poétique


5. Les comparaisons et métaphores présentes dans le poème de Verlaine relèvent
surtout de la personnification ou de l’allégorie :
– « Les violons mêlaient leurs rires au chant des flûtes » (v. 1) ;
– « ses cheveux blonds jouant sur les volutes/De son oreille où mon Désir comme
un baiser/S’élançait et voulait lui parler » (v. 3-5) ;
– « la mazurque lente/La portait dans son rythme indolent comme un vers »
(v. 6-7) ;
– « ma Pensée – immobile – contemple/Sa splendeur » (v. 11-12) ;
152
– « Et dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,/Mon amour entre » (v. 13-
14) ;
– « Et je crois que voici venir la Passion » (v. 15).
La seconde strophe compare la musique à la poésie: le rythme lent de la mazurque
est comparée au rythme du vers, de l’alexandrin, souligné par la rime « mélo-
dieuse » et l’image « étincelante ». Verlaine rappelle de manière explicite la dimen-
sion musicale de la poésie : poésie et musique sont intimement liées depuis leur
origine par la répétition de mêmes sons et de mêmes rythmes ainsi que par leur
capacité à transfigurer la réalité.
6. Le poème joue sur la forme des mots, à travers leur disposition et leur typo-
graphie. Il devient la scène sur laquelle se déroule le spectacle des mots en liberté :
la beauté des « belles lettres » est soulignée par leur typographie ; les « Affiches »
et les « Billets » affirment leur présence à travers les caractères gras ; certaines
expressions – « Saut périlleux », « Coup de fouet », « Exprime-ça » – voient leurs
lettres inversées par mimétisme… Le poème, à travers lui, le langage, devient
le cirque dans lequel l’écrivain peut exprimer son originalité – voire sa mons-
truosité.

EXERCICES
(PAGES 168 à 172)

Étudier la métrique
Exercice 1B
– 12 syllabes : alexandrin
– 12 syllabes : alexandrin
– 10 syllabes : décasyllabe
– 2 x 8 syllabes : deux octosyllabes.

Exercice 2B
1. et 2.
– Extrait 1 : six alexandrins (les e muets sont soulignés)
Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant.
N’était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu’à lui survivre, hélas ! je fusse condamnée ?
Et fallait-il encor que pour comble d’horreurs,
Je ne pusse imputer sa mort qu’à mes fureurs ?
Racine, Bajazet, 1672.
Remarque. La licence poétique « encor » permet au poète de respecter le mètre ;
la graphie « encore » aurait en effet ajouté au vers une syllabe prononcée.
153
– Extrait 2 : quatre octosyllabes (les e muets sont soulignés)
Elle buvait mes petits mots
Qui bâtissaient une œuvre étrange ;
Son œil, parfois, perdait un ange
Pour revenir à mes rameaux.
Valéry, Charmes, 1922.
Remarque. Le « e » placé en fin de vers (rime féminine) est toujours muet car suivi
d’un blanc.

Exercice 3BB
1. Il s’agit de quatre vers de dix syllabes (décasyllabes).
2. La diérèse se situe au dernier vers : « violente », habituellement prononcé en
deux syllabes, en comporte ici trois ; l’adverbe qui précède ce terme (« lentement »)
permet d’expliquer quel est l’effet produit : la diérèse souligne, tout comme l’ad-
verbe « lentement » la douleur lancinante qui anime le poète.

Exercice 4BB
L’extrait se compose de quatre vers de douze syllabes (des alexandrins, v. 1, 2, 4,
5) et de deux vers de six syllabes (des hexamètres, v. 3 et 6). Le changement de
mètre correspond à un changement de rythme qui souligne l’attente exaspérée
du poète.

Exercice 5BB Vers le commentaire


1. Ce poème se caractérise par des vers de longueur irrégulière : le premier vers
comporte ainsi dix-sept syllabes, le second treize, etc. Il ne comporte pas de
strophes ni de ponctuation. Les rimes sont irrégulières : « nom » (v. 1) rime avec
« clairon » (v. 2), « gémit » (v. 5) avec « midi » (v. 6) ; mais les autres vers ne sont
reliés par aucune rime, seule une assonance permettant de faire le lien d’un vers
à l’autre : « sténo-dactylographes » (v. 3) et « y passent » (v. 4), « murailles » (v. 7)
et « criaillent » (v. 8), ou encore « industrielle » (v. 9) et « Ternes » (v. 10). L’aban-
don des règles de la versification offre ainsi plus de liberté à Apollinaire qui, avec
Blaise Cendrars, participe au renouveau de la poésie au début du XXe siècle pour
exalter le rythme du monde moderne.
2. La longueur irrégulière des vers crée un certain nombre d’effets : l’alternance
de vers longs et de vers plus courts produit ainsi de brusques changements de
rythme, qui soulignent le sens du poème (« Une cloche rageuse y aboie vers midi »,
v. 6). La poésie d’Apollinaire – et notamment « Zone » – évoque le monde
moderne ; elle adapte à ce dernier son rythme mais également son lexique : les
« sténo-dactylographes », la « rue industrielle » font leur entrée en poésie au son
du « clairon » et de la « sirène ».
3. Toutes les règles de la versification ne sont pas rejetées : les vers demeurent, et
l’on trouve même, en alternance avec des vers très longs, des mètres traditionnels
comme l’alexandrin (v. 5 et 6) ; les rimes, quant à elles, si elles ne sont pas systé-
154
matiques, apparaissent encore (v. 1-2 et 5-6) ; les sons se font échos pour créer
un rythme mélodieux, notamment à travers les répétitions de mots (« matin »,
aux vers 1, 4, et 4 ; « rue » aux vers 1, 9 et 10), les allitérations (« perroquets
criaillent », v. 8) et les assonances en fin de vers. Si le poète allait plus loin et aban-
donnait toutes les contraintes de la versification, il ne s’agirait plus d’un poème
en vers, mais d’un poème en prose.

Étudier la rime
Exercice 6B
Qualité Genre Disposition
vers 1 et 2 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies
vers 3 et 4 pauvre rimes masculines rimes plates ou
suivies
vers 5 et 6 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies
vers 7 et 8 suffisante rimes masculines rimes plates ou
suivies
vers 9 et 10 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies

Exercice 7BBB
1. Les règles du sonnet, rappelées par Tristan Corbière :
– un même mètre pour l’ensemble des vers (« d’un pied uniforme », v. 1) ;
– la construction des strophes : deux quatrains (« par quatre en peloton », v. 2) et
deux tercets (« Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,/En posant trois et trois ! »,
v. 12) ;
– les variations de rythme (« Qu’en marquant bien la césure, un des quatre s’en-
dorme…/Ça peut dormir debout comme soldats de plomb », v. 3 et 4) ;
– la disposition des rimes et leur importance sonore (« Chaque vers est un fil, et
la rime un jalon », v. 8).
2. Les reproches adressés par le poète aux règles de la versification :
– strophe 1 : un rythme trop régulier (« uniforme »/« s’endorme » ; « peloton »/
« plomb ») ;
– strophe 2 : une forme trop contraignante (« forme »/« chloroforme » ; « long »/
« jalon »).
3. Les termes appartenant au réseau lexical de la poésie et leur définition (d’après
le Petit Robert) :
• SONNET : 1537 ; it. sonnetto, du fr. sonnet « chansonnette » (1165). Poème de
quatorze vers en deux quatrains sur deux rimes (embrassées), et deux tercets.
155
« Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème » (Boileau). Les sonnets de
Ronsard. Sonnets irréguliers de Baudelaire.
• VERS : v. 1138 ; plus souvent « laisse, strophe, couplet » en a. fr. ; lat. versus
« sillon, ligne, vers ».
1. r Un vers : fragment d’énoncé formant une unité rythmique définie par des
règles concernant la quantité (vers mesurés, métriques), l’accentuation ou le
nombre de syllabes. Vers grecs, latins, composés d’un certain nombre de mètres
ou de pieds : hexamètre, pentamètre, tétramètre ; … Scander des vers de Virgile.
Vers accentués de la poésie anglaise. Vers syllabiques, assonancés puis rimés,
de la poésie française. Vers de six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze syllabes,
etc. Vers faux, boiteux. Vers blanc. Nombre d’un vers. Coupe du vers : césure,
enjambement, rejet. Vers réguliers, conformes aux règles de la versification
traditionnelle. « Si on en est arrivé au vers actuel, c’est surtout qu’on est las
du vers officiel » (Mallarmé). Vers libres : suite de vers réguliers mais de lon-
gueur inégale et dont les rimes sont combinées de façon variée (dans la poésie
classique) ; vers non rimés et irréguliers (depuis les symbolistes). Vers-librisme :
Suite de vers (laisse, strophe, tercet, quatrain, etc. ; poème). Vers de mirliton.
De bons, de mauvais vers. Un vers de Dante, de Corneille.
2. r Les vers : l’écriture en vers. L’idée se fait jour « qu’il existe des vers qui
ne sont pas de la poésie et qu’il est au contraire de la poésie en dehors des
vers » (Caillois). Composer, écrire, faire des vers, de la poésie. « Et Mallarmé,
avec sa douce profondeur : « Mais, Degas, ce n’est point avec des idées que
l’on fait des vers… c’est avec des mots » » (Valéry). Faiseur de vers. k rimeur,
versificateur. Recueil de vers. Œuvre en vers. Dire, réciter, déclamer des vers.
Mettre en vers, écrire en vers. k rimer, versifier. Vers de circonstance : poèmes
inspirés par l’actualité, les menus faits de la vie de l’auteur.
• PIED : 1580 ; unité rythmique constituée par un groupement de syllabes d’une
valeur déterminée (quantité, accentuation). Les pieds employés dans la
métrique ancienne. Abusivement syllabe (dans un vers français).
• CÉSURE : 1537 ; lat. cœsura « coupure », de cœdere « couper ».
Repos à l’intérieur d’un vers après une syllabe accentuée. La césure classique
coupe le vers en hémistiches et en marque la cadence.
• RIME : v. 1160 ; de rimer.
1. r Disposition de sons identiques à la finale de mots placés à la fin de deux
unités rythmiques; élément de versification, procédé poétique que constitue cette
homophonie. Rime et assonance. Mot employé pour la rime. «Rime, qui donnes
leurs sons Aux chansons » (Sainte-Beuve). « nous ne pourrons jamais secouer le
joug de la rime ; elle est essentielle à la poésie française » (Voltaire). « Ô qui dira
les torts de la Rime». (Verlaine). – Rime riche, comprenant au moins une voyelle
et sa consonne d’appui (ex. image – hommage). Rime pauvre (ex. ami – pari).
– Rime féminine, masculine, terminée par e muet ou non. Rimes plates, rimes
croisées (ou alternées), rimes embrassées. Rime intérieure, à l’hémistiche. – Rime
pour l’oreille (rime véritable) et rime pour l’œil (ex. aimer – amer). Rime en
-age, en -ment, etc., mots terminés par ces finales. Dictionnaire de rimes.
156
2. Loc. Sans rime ni raison : d’une manière incompréhensible, absurde. Il est
parti sans rime ni raison. Ça n’a ni rime ni raison, aucun sens. – (Au sens 1)
« Il faut que la rime soit raison » (Alain).
• MUSE : XIIIe ; lat. musa, gr. moûsa.
1. r Chacune des neuf déesses qui, dans la mythologie antique, présidaient
aux arts libéraux. Les neuf Muses : Clio (histoire), Calliope (éloquence, poésie
héroïque), Lempomène (tragédie), Thalie (comédie), Euterpe (musique),
Terpsichore (danse), Érato (élégie), Polymnie (lyrisme), Uranie (astronomie).
Le Parnasse, séjour des Muses. Apollon et les Muses. Spécialt. Muse qui inspire
le poète. « J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal » (Rimbaud).
2. r Fig. La Muse : la poésie. luth, lyre. La muse épique des anciens.
3. r Vx ou plaisant : Inspiratrice d’un poète, d’un écrivain. C’est sa muse.
• LYRE : 1548 ; lire v. 1155 ; lat. lyra, gr. lura.
1. r Instrument de musique, connu depuis la plus haute Antiquité, à cordes
pincées, fixées sur une caisse de résonance d’où partent deux montants courbes
soutenant une barre transversale. La lyre, attribut d’Apollon. – Par compar.
En forme de lyre, en lyre, galbé comme les montants de la lyre antique. Cornes
en lyre.
k Au Moyen Âge, instrument de la famille des violes.
2. r Littér. Symbole de la poésie, de l’expression poétique. Accorder, essayer
sa lyre. « Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain ! » (Hugo). – Fam. et vx Toute
la lyre : toutes choses ou personnes du même genre.

Exercice 8BB
1. La qualité, le genre et la disposition des rimes dans les deux quatrains de
Rodenbach :
Qualité Genre Disposition
vers 1 et 4 suffisante rimes masculines
rimes embrassées
vers 2 et 3 suffisante rimes féminines
vers 5 et 8 suffisante rimes féminines
rimes embrassées
vers 6 et 7 suffisante rimes masculines

2. Les termes rapprochés à la rime – « hiver »/« fer » ; « province »/« grince » ;
« angoisse »/« paroisse » ; « trottoirs »/« noirs » – expriment un rejet violent de la
province et de ses dimanches. La grisaille, le froid, l’omniprésence de la religion
sont mis en évidence par l’association des termes situés à la rime, qui présentent
tous des connotations négatives. On peut rapprocher cette thématique du titre
du recueil, La Jeunesse blanche, qui s’oppose aux « capuchons noirs » des femmes
du peuple hantant les rues des villes de province.

157
Analyser l’unité de la strophe
Exercice 9B
1. La mesure des vers est régulière : il s’agit d’octosyllabes.
2. Les deux strophes sont composées de six vers : il s’agit donc de sizains. Leurs
rimes sont suivies pour les deux premiers vers, puis embrassées. On retrouve donc
le schéma traditionnel du sizain (un distique + un quatrain aux rimes embras-
sées), soit AABCCB.

Exercice 10BB
1. Le schéma des rimes : ABAB CDCD (deux quatrains aux rimes croisées).
Les rimes intérieures – « étés »/« blés » ; « blés »/« sentirai » – crée un jeu d’échos
sonores dans le poème, en associant des termes rimés à la fin du premier hémis-
tiche de deux vers. On retrouve les mêmes sonorités disséminées dans la première
strophe du poème : « j’irai », « Picoté », « laisserai », « baigner ». L’assonance
suggère la gaieté du poète, son bonheur devant le spectacle de la nature et la pers-
pective d’une totale liberté.
2. Chaque strophe possède une unité syntaxique : elles sont toutes deux compo-
sées d’une seule phrase et se terminent toutes deux par un point. Mais les strophes
possèdent également une unité thématique : la première strophe évoque la nature
dont elle développe le réseau lexical (« été », « sentiers », « blés », « herbe », « fraî-
cheur », « vent », « baigner », « tête nue ») et toutes les sensations qu’elle procure
(« picoté », « sentirai », « fraîcheur », « baigner ») ; la seconde évoque les senti-
ments ressentis par le poète (« amour », « âme ») et définit la bohème : l’absence
de soucis, l’amour et le spectacle de la nature.

Repérer les accents et les coupes d’un poème


Exercice 11B
1. Les accents et les coupes des deux quatrains de Ronsard :
Te regardant/assise// auprès/de ta cousine (4 + 2 + 2 + 4)
Belle/comme une Aurore,// et toi// comme un Soleil (1 + 5 + 2 + 4)
Je pensais voir/deux fleurs// d’un même teint/pareil, (4 + 2 + 4 + 2)
Croissantes/en beauté,// l’une à l’autre/voisine. (2 + 4 + 4 + 2)
La chaste,/sainte,/belle// et unique/Angevine, (2 + 2 + 2 + 3 + 3)
Vite/comme un éclair,// sur moi/jeta son œil : (1 + 5 + 2 + 4)
Toi/comme paresseuse,// et pleine de sommeil (1 + 5 + 2 + 4)
D’un seul/petit regard// tu ne m’estimas digne. (2 + 4 + 3 + 3)
Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578.
2. Dans le premier quatrain, la régularité du rythme binaire souligne la symétrie
qui caractérise les deux femmes évoquées par le poème :
« Je croyais voir deux fleurs d’un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l’une à l’autre voisine. »
158
Dans le second quatrain, le rythme plus saccadé des deux vers centraux marque
l’émoi du poète devant le regard de la « chaste, sainte, belle et unique Angevine ».

Exercice 12BB
Saisir,/saisir/le soir,// la pomme/et la statue, (2 + 2 + 2 + 2 + 4)
Saisir l’ombre/et le mur// et le bout// de la rue. (3 + 3 + 3 + 3)
Saisir le pied,/le cou/de la femme/couchée (4 + 2 + 3 + 3)
Et puis ouvrir/les mains.// Combien d’oiseaux/lâchés (4 + 2 + 4 + 2)
Combien d’oiseaux/perdus// qui deviennent/la rue, (4 + 2 + 3 + 3)
L’ombre,/le mur,/le soir,// la pomme/et la statue ! (1 + 3 + 2 + 2 + 4)
Jules Supervielle, Le Forçat innocent, Éd. Gallimard, 1930, DR.
Le rythme binaire des premiers vers laisse place, dans le dernier vers du poème,
au rythme accumulatif : celui-ci traduit l’impatience du poète à « saisir » le monde
qui l’entoure, souligne et renforce l’énumération finale du poème. Le premier mot
du vers 6, en s’écartant du schéma rythmique du poème, est mis en valeur :
« ombre » est le mot-clé, riche de connotations.

Repérer et étudier les enjambements


Exercice 13B
Le poème de Jaccottet compte trois enjambements. Le premier, aux vers 1 et 2,
est un rejet. Le mot « aussi » est mis en valeur. Le second, aux vers3 et 4, est un
contre-rejet. Les termes « pour un peu de temps » sont mis en valeur. Le troisième,
aux vers 6 et 7, est un rejet qui met en valeur l’expression « notre langue ». Les
mots mis en relief sont des clés du poème : celui qui passe la frontière perd
« aussi », « notre langue ». Il est condamné à devenir définitivement étranger en
peu de temps.
Remarque. Pour les théoriciens de l’âge classique, dont Boileau est le plus célèbre
représentant, il faut absolument que la syntaxe de la phrase obéisse à la mesure
des vers, et se confonde avec elle. La phrase commence nécessairement au début
d’un vers et la fin de la phrase coïncide avec une rime.
À l’intérieur de la phrase, les groupes syntaxiques épousent également les exi-
gences de la métrique. Pour l’alexandrin par exemple, on trouvera souvent la
virgule à l’hémistiche, soulignant la césure. De sorte que tous les enjambements,
rejets et contre-rejets, sont prohibés, considérés comme brisant le rythme, l’har-
monie fondamentale du poème. La poésie s’émancipe de ces règles au XIXe siècle
et tire de l’enjambement des effets nouveaux qui enrichissent le texte poétique,
plus conforme à la sensibilité déchirée, angoissée ou pleine d’humour de l’homme
moderne.

Exercice 14BB
1. Tous les vers de ce court poème de jeunesse de Baudelaire comportent douze
syllabes : ce sont des alexandrins.
159
2. Les accents et les coupes :
Il aimait/à la voir,// avec ses jupes/blanches,
Courir/tout au travers// du feuillage/et des branches,
Gauche/et pleine de grâce,// alors// qu’elle cachait
Sa jambe,/si la robe// aux buissons/s’accrochait.
Charles Baudelaire, Poèmes de jeunesse, publié en 1872.
3. C’est, au dernier vers, le mot « jambe » qui est mis en valeur, à travers le rejet.
D’autant plus que la ponctuation se confond jusqu’alors avec la métrique. Le
poème donne l’impression fugitive de la course de la jeune fille à travers les
feuillages, expression de la grâce, de la pudeur et de la naissance du désir amou-
reux.
4. Critères dévaluation de la lecture du poème :
– respect des liaisons ;
– respect de la règle du e muet ;
– coïncidence des accents du poème avec l’intonation.

Analyser le rythme d’un poème


Exercice 15BB
1. Les coupes et le rythme des vers :
La foule hait/cet homme/et proscrit/cette femme ; (4 + 2 + 3 + 3)
Ils sont maudits./Quel est leur crime ?/Ils ont aimé. (4 + 4 + 4)
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.
De ces baisers puissants/comme un dictame*, (6 + 4)
De ces transports plus vifs/que des rayons, (6 + 4)
Que reste-t-il ?/C’est affreux,/ô mon âme ! (4 + 3 + 3)
Rien qu’un dessin fort pâle,/aux trois crayons (6 + 4)
(*) Dictame : plante aromatique.
Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857.
2. et 3. Dans le poème de Victor Hugo, le rythme binaire du premier vers laisse
place au rythme ternaire dans le second, soulignant l’indignation du poète. Dans
le poème de Baudelaire, le rythme binaire des vers 1, 2 et 4 (deux accents) est
brisé par le rythme ternaire du vers 3 (trois accents) qui souligne le désespoir du
poète.

Étudier les sonorités d’un poème


Exercice 16BB
1. et 2. Les allitérations et les assonances :
a. Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèles
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. (Hugo)
Þ L’allitération en « f » imite le bruit du vent.
160
b. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos. (La Fontaine)
Þ L’assonance en « ou » et l’allitération en « k » reproduisent le bruit des
« coups » évoqués par la fable.
c. Dans les étables lamentables
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes. (Verhaeren)
Þ L’assonance en « a », redoublée par les sons « k » et « o » s’accordent bien
avec le mouvement répétitif des « loques falotes ».
d. Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf qui brame au bruit de l’eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S’amuse à regarder son ombre.
Þ L’allitération en « br » et l’assonance en « i » correspondent au bruit de l’eau.
L’assonance en « an » accompagne et intensifie le mouvement d’inclinaison
vers le bas. Le rappel du son « a » est lui-même comme un jeu.

Exercice 17BBB Vers l’oral


1. Les échos sonores :
– pl. : « pleure » (v. 1 et 9) ; « pleut » (v. 2) ; « pluie » (v. 5 et 8) ;
– eu : « cœur »/« langueur » Þ « pleut » (v. 2) ; « cœur » (v. 7 et 16) ; « pleure »
(v. 9) ; « s’écœure » (v. 10) ; « deuil » (v. 12) ;
– i/ui : « ville »/« pluie »/« ennuie » Þ « bruit » (v. 5) ; « pluie » (v. 8) ; « pire » (v. 13) ;
– k : « cœur » (v. 1, 4, 7, 10 et 16) ; « comme » (v. 2) ; « quelle » (v. 3) ; « qui »
(v. 4) ; « quoi » (v. 11) ; « pourquoi » (v. 14) ;
– oi : « toits » (v. 6) ; « quoi » (v. 11), « savoir pourquoi » (v. 14).
Le deuxième vers de chaque strophe est toujours un vers isolé du point de vue de
la rime. Mais un système de rimes intérieures empêche ces fins de vers de paraître
incongrues : dans la première strophe, « ville » vient après la répétition de « il » ;
dans la deuxième strophe, c’est peut-être le « ô » de l’exclamation qui fait écho à
« toits » ; dans la troisième strophe, on va jusqu’au jeu de mots (« cœur qui
s’écœure ») ; dans la quatrième strophe, le « oi » de « pourquoi » est devancé par
celui de « savoir ».
2. L’allitération dominante du poème imite le bruit de la pluie: le son «pl» revient
à intervalles réguliers, au début de chaque strophe, mais laisse place peu à peu à
une allitération en « p » qui n’évoque plus le bruit de la pluie mais suggère la peine
du poète.
3. Le poème s’organise autour du mot « cœur », répété six fois, qui désigne par
synecdoque le poète. Par ses sonorités, le mot est associé à des termes suggérant
la souffrance (série en « eu ») et à des termes exprimant le désarroi du poète (série
en « k »). La série en « i » charge le mot « ville » de connotations négatives et la
désigne comme une cause de cette peine sans raison.
161
Remarque. Verlaine enfreint constamment la règle classique qui interdit de rimer
avec le même mot. Il le fait systématiquement à la première et à la dernière rime
de chaque strophe, ce qui crée comme un court refrain et contribue à l’effet de
monotonie triste que donne l’ensemble du poème.

Étudier les répétitions lexicales et syntaxiques


Exercice 18B
L’anaphore repose sur la répétition au début de chaque vers de l’expression « Que
voulez-vous ». Elle est d’autant plus forte que le poème, composé de huit déca-
syllabes, repose sur une rime unique en « é » : l’anaphore, la mesure des vers et la
répétition d’une rime identique donnent une impression d’enfermement qui sou-
ligne le thème du poème. Par sa répétition, l’anaphore retarde l’annonce au lecteur
d’un événement empreint de gravité, en même temps qu’elle suggère un sentiment
de culpabilité de la part du poète. Le dernier vers, rapproché du contexte histo-
rique de la publication du poème, explique l’anaphore : l’amour apparaît comme
indécent, immoral, étant données les circonstances dans lesquelles il naît. Le
dernier semble ainsi présenter les excuses du poète au lecteur.

Exercice 19BB
1. Les répétitions lexicales apparaissent dans « aucun express » (dans le titre et
dans les vers 1 et 29), « aucun » (v. 1, 3, 4, 5, 7, 9, 23, 25, 26, 27, 29, 31, 32, 33,
34), « j’ai tout essayé » (v. 11, 12), « je me suis emporté/trans-porté » (v. 15, 16,
21, 22). Le texte est structuré par une répétition syntaxique : l’anaphore « aucun »
+ moyen de transport.
2. Le champ lexical dominant du texte est celui des moyens de transports :
« express, tacot, Concorde, navire, trolley, vapeur, escalator, chariot ailé, trans-
porté, grands axes, landau, astronef ».
3. La chanson joue sur le double sens du mot « transport » qui désigne le moyen
de se déplacer d’un point à un autre mais aussi le sentiment amoureux. L’« enver-
gure » (v. 4) désigne à la fois la largeur des ailes du Concorde et la personnalité
de l’être aimé. « Fondre » (v. 9) renvoie à la chaleur de la vapeur comme à l’at-
tendrissement amoureux. Les « méandres » (v. 14) sont à la fois les courbes d’un
fleuve et celles du corps de l’être aimé, le « landau » (v. 23) renvoie au moyen de
transport de l’enfant et à la pater-nité (« bouche bée », v. 24).
4. La chanson d’Alain Bashung aborde les thèmes du rapport amoureux en filant
la métaphore à partir de la polysémie du mot « transport » qui désigne à la fois
les moyens de locomotion et l’état amoureux. Lointain écho à « L’invitation au
voyage » de Baudelaire, ce texte dédié à la femme aimée (« sinon toi », v. 28) exalte
la grandeur des sentiments que son auteur éprouve. Aucun moyen de transport,
fût-il un astronef, ne peut emporterl’auteur comme le fait la femme aimée. La
chanson peut être interprétée comme une déclaration d’amour aussi originale
qu’hyperbolique.
162
Étudier les caractéristiques
du langage poétique
Exercice 20BB
1. Les répétitions sonores, syntaxiques et lexicales qui rythment le poème :
– répétition des quatrains, qui constituent chacun une phrase ;
– présence de rimes croisées, qui développent leurs sonorités dans la strophe (ex. :
ABAB) ;
– répétition du mot-clé du poème : « jeune fille » (v. 1 et 11).
2. Le terme « harmonie » (v. 11) est polysémique ; on peut lui donner différents
sens. Il peut renvoyer à l’harmonie entre deux êtres (« C’est peut-être la seule au
monde/Dont le cœur au mien répondrait ») ou encore à l’harmonie du poète avec
le monde et lui-même (« Adieu, doux rayon qui m’a lui »). Mais il peut également
désigner l’harmonie musicale du poème, celle du refrain évoqué au vers 4 : la
jeune fille est une figure de la muse inspiratrice ; seule sa présence permet au poète
de trouver les mots justes.

Exercice 21BB
1. Les réseaux lexicaux développés par le poème de Charles d’Orléans :
Les saisons Les habits La nature
– « temps » (v. 1, 7 – « manteau » (v. 1, 7 – « bête », « oiseau »
et 13) ; et 13) ; (v. 5) ;
– « vent », « froidure », – « vêtu », « broderie » – « Rivière, fontaine et
« pluie » (v. 2) ; (v. 3) ; ruisseau » (v. 9) ;
– «soleil luisant» (v. 4). – « portent », « livrée » – « gouttes » (v. 11).
(v. 10) ;
– « s’habille » (v. 12).
La présence des réseaux lexicaux des saisons et des habits s’explique par la per-
sonnification qui parcourt le poème : le poète compare le temps météorologique
à un être humain, dont les habits varient en fonction des saisons.
2. Le poème est un rondeau, première forme fixe à apparaître à la fin du
XIIIesiècle : le rondeau est lié au chant et à la danse ; il signifie « danse en rond ».
À l’origine composé d’une strophe unique, dont la particularité est la présence
d’un refrain, le rondeau se transforme au XIVe siècle pour s’organiser en plusieurs
strophes : ici, trois strophes de respectivement quatre, trois et cinq vers.
Le refrain se retrouve d’une strophe à l’autre (« Le temps a laissé son manteau »,
v. 1, 7 et 13) tandis que les rimes, qui se répètent d’une strophe à l’autre, adop-
tent le schéma suivant : ABBA ABA ABBAA. Toutes les combinaisons possibles
se retrouvent, comme si le poème était constitué de trois quatrains aux rimes
embrassées, puis croisées, puis suivies : ABBA ABAB BBAA.
La première strophe développe le thème du temps qui échange le manteau qu’il
utilise en hiver pour la broderie qu’il revêt au printemps. Les vers 2 et 4 oppo-
sent ainsi le « vent », la « froidure » et la « pluie » au « soleil luisant, clair et beau ».
163
La seconde strophe met en scène le spectacle du réveil joyeux de la nature qui
reprend en chœur le refrain. La troisième strophe établit le constat des change-
ments produits par l’arrivée du printemps : chacun change sa façon d’être,
« Chacun s’habille de nouveau :/Le temps a laissé son manteau ».

Exercice 22BB
1. Le réseau lexical dominant du poème est celui de la mer : « sables » (titre et
vers 6) ; « vents et marées » (v. 2, 8 et 13) ; « mer » (v. 3 et 9) ; « algue », « vent »
(v. 5) ; « vagues » (v. 11 et 14).
2. et 3. Le premier vers (« Démons et merveilles ») joue sur l’expression « monts
et merveilles ». Quels sont ces démons auxquels le poète fait allu-sion ? On peut
supposer qu’ils renvoient aux « yeux entrouverts » évoqués au vers 10, regard qui
promet monts et merveilles à celui qui s’y plonge… Plus généralement le titre du
poème pourrait évoquer un danger, mais le lyrisme amoureux et le rythme lan-
cinant du poème créent une atmosphère doucement envoûtante à laquelle cède
l’homme amoureux.

EXO-BAC
(PAGE 173)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. Les caractéristiques du sonnet :
– quatorze alexandrins répartis en quatre strophes ;
– deux quatrains et un sizain, lui-même découpé en deux tercets ;
– un schéma des rimes ABBA/ABBA/CCD/EDE ;
– le dernier vers crée un effet de surprise à travers la fusion des sensations audi-
tives et olfactives.
2. Les thèmes communs aux deux poèmes (le parfum, le souvenir, l’exotisme, la
nature, la forte présence des sensations) développent les mêmes réseaux lexicaux.
C’est pourquoi on retrouve de nombreux termes d’un poème à l’autre, concen-
trés surtout dans les lignes 11 à 23 du poème en prose : « parfumée », « charmants
climats », « fruits », « port », « chants », « vigoureux », etc. De même, les images
se répètent : c’est ainsi par exemple que l’image contenue dans le dernier vers du
sonnet est reprise à la ligne 19 du poème en prose (« un port fourmillant de chants
mélancoliques »).

Écriture
Éléments de réponse :
– le texte A est un poème en vers, un sonnet d’apparence classique, tandis que le
texte B est un poème en prose, écrit postérieurement ;
164
– le poème en prose partage avec le sonnet un certain nombre de thèmes
communs : le parfum, le souvenir, l’exotisme ; mais il s’en distingue également :
le « sein chaleureux » du sonnet y laisse place à « l’odeur de tes cheveux » ;
– le sonnet présente un univers plus condensé, dispose d’un espace moindre ; le
poème en prose est plus long, il peut s’étendre pour développer les mêmes impres-
sions et sensations ;
– les procédés : le sonnet utilise les ressources de la versification (métrique, rimes,
sonorités), tandis que le poème en prose joue surtout sur les effets de répétitions
sonores et lexicales ; les deux textes ont en commun les images poétiques, les alli-
térations et les assonances ;
– les deux poèmes évoquent, chacun à leur manière, un même univers, fait d’har-
monie et de sensualité.
Remarque. Le parfum révèle l’univers des souvenirs. Baudelaire ne précise pas
que tel parfum lui rappelle tel lieu, tel moment ou tel événement : le parfum le
place dans une ambiance où se reconstruit l’univers rêvé : « Parfois on trouve un
vieux flacon qui se souvient,/D’où surgit toute vive une âme qui revient ». Le
parfum se présente ainsi comme l’occasion de lier les sensations et les impres-
sions, une ressource artistique, une trouvaille esthétique qui permet de donner,
vers ou prose, une unité au monde surgi de l’écriture. Dans la mesure où les sen-
sations olfactives sont particulièrement sensuelles, le parfum est aussi le moyen
privilégié d’évoquer la femme et de la caractériser.

Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés.
• Affirmation, pour chaque paragraphe, d’une idée directrice guidant la confron-
tation des deux poèmes.
• Utilisation du vocabulaire de l’analyse du texte poétique ; interprétation des
procédés repérés.

165
LES GENRES
CHAPITRE

15 Le théâtre
(PAGES 174 à 191)

Le premier chapitre consacré au genre théâtral attire l’attention sur les


particularités du texte de théâtre. En première, un objet d’étude porte sur
le théâtre, texte et représentation. Ces notions peuvent être utilisées soit
dans le cadre d’études de fragments théâtraux, soit pour préparer ou pour
accompagner l’étude d’œuvres intégrales. En dehors des Discours de
Corneille, des Préfaces de Racine et de Molière, des textes de Diderot, de
Hugo, de Ionesco, de Brecht, d’Artaud, de Genet, on trouve des articles
précis sur tous les domaines de l’art théâtral dans le Dictionnaire ency-
clopédique du théâtre, publié sous la direction de Michel Corvin aux édi-
tions Larousse dans la collection « In extenso » en 1998. Avec un tel
ouvrage, on sera sans doute armé pour répondre à la question que pose
Pécuchet : « Si les pièces sont absolument écrites pour être jouées, comment
se fait-il que les meilleures soient toujours lues ? »

OBSERVATION
(PAGES 175-176)

Réponses aux questions


I. Le dialogue théâtral
1. On distingue les noms en majuscules désignant les personnages qui parlent,
les caractères courants pour les paroles prononcées par les personnages et les
mots en italique indiquant l’attitude des personnages.
Remarque. Il faudra sûrement rappeler que l’italique entre parenthèses au début
des deux extraits n’appartient pas aux textes reproduits. Ces différences de carac-
tères rendent possible la lecture du texte de théâtre, qui se lit différemment d’un
poème, d’un essai ou d’un roman.
2. Le lecteur sait immédiatement le nom des personnages en scène, ce qui n’est
pas le cas du spectateur. Pour les deux passages cités, le spectateur connaît immé-
diatement le nom de la suivante, Ormène (v. 3, rappelé au vers 17), ou de la ser-
vante, Toinette (l. 2, rappelé lignes 7 et 19), mais ignore le nom du protagoniste
167
principal. Le spectateur sait qu’il s’agit d’une princesse de haut rang dans la tra-
gédie de Corneille et d’une jeune fille dans la comédie de Molière. Les deux jeunes
filles tutoient les confidentes, qui les vouvoient.

II. L’action, le lieu et le temps


3. La princesse Euridyce doit épouser en grandes pompes un prince choisi par
son père alors qu’elle aime en secret un autre homme qui assistera à ce mariage.
Dans les premiers vers de la tragédie, elle avoue cet amour à sa confidente.
La jeune Angélique est amoureuse d’un jeune homme : depuis six jours, elle ne
parle que de lui à la servante de la maison, Toinette.
4. L’aveu d’Eurydice se produit alors que son mariage est imminent à Séleucie,
«cette superbe ville» (v. 5) qui sera honorée de la présence de la reine. L’expression
« ces beaux lieux » (v. 8) désigne la ville magnifique, mais peut aussi qualifier le
luxe du palais où se déroule la scène.
Angélique est follement éprise, apparemment depuis six jours, et c’est dans une
pièce de la maison où elle vit, une maison bourgeoise qui n’a rien de « superbe »,
qu’elle parle avec sa servante Toinette.

III. Les personnages


5. Eurydice se révèle déchirée entre son sens du devoir (devoir filial, devoir poli-
tique) qui l’a conduite à accepter la décision paternelle et la passion qu’elle
éprouve pour un autre homme. Elle a résisté, a gardé sa passion secrète, a com-
battu cette passion en s’éloignant et en se raisonnant, et a cru pouvoir « sans
peine » épouser le prince choisi par son père. Mais cette vertueuse maîtrise était
illusoire.
Angélique, récemment éprise d’un jeune homme rencontré par hasard, frappe par
sa fraîcheur, sa volubilité : elle voudrait trouver un encouragement, un soutien
auprès de sa servante car il n’est pas sûr que son père soit d’accord avec ce
« quelque chose du Ciel » (l. 26 et 27).

IV. Le genre et le registre


6. La question 4 a permis d’apporter quelques éléments de réponse. Pour
Corneille, la tragédie met en jeu les grands intérêts d’État, et c’est bien au plus
haut sommet du pouvoir que se déroule la tragédie de Suréna. La comédie se
déroule dans un espace familier. On insistera sur le niveau de langue qui inscrit
des situations identiques, deux jeunes filles déclarant leur amour, dans des registres
différents. Le recours à l’alexandrin ne suffit pas à distinguer la comédie de la
tragédie puisque de fameuses comédies de Corneille et de Molière sont en vers,
mais il contribue à la hauteur de ton sensible dans ce début de Suréna. On notera
le rang des personnages de la tragédie : reine, roi, princesse, prince, et l’effet de
distance créé par l’exotisme des noms propres que Corneille se plaît à faire sonner
magnifiquement au vers 6 et les beaux pluriels du vers 10. L’ampleur des phrases
de la tragédie s’oppose à la brièveté des phrases de Molière. Mais Corneille sait
aussi jouer de la densité des formules, comme on le voit au vers 15.
168
Si élégantes et charmantes que soient les formules d’Angélique (l. 23-24 et 27-
28), on n’y retrouve pas les expressions « cœur esclave », « vœux captifs » (v. 12)
par lesquelles la princesse décrit son tourment.

EXERCICES
(PAGES 180 à 190)

Analyser l’énonciation théâtrale


Exercice 1B
• Texte A : les didascalies montrent que l’acteur doit marquer deux temps forte-
ment distincts qui mettent en valeur la formule proposée par Lady Hure : « faire
le trottoir ». Le passage de la modalité interrogative à la modalité exclamative est
certes lui-même parfaitement clair. La didascalie indique un style de jeu qui inscrit
la réplique dans le genre de la comédie. Son évanouissement révèle son émotion.
On voit que la didascalie joue le rôle que jouerait un narrateur dans un récit.
Mais les didascalies sont toujours au présent puisqu’elles décrivent ce qui se passe
en scène.
• Texte B : les didascalies orientent la compréhension de paroles qui auraient pu
être comprises différemment. La réplique de Laura aurait pu exprimer un reproche
ou la colère : la didascalie indique un désespoir si profond qu’elle ne s’adresse
même plus à son interlocuteur. La didascalie marque l’incompréhension de
Giorgio, qui impose un silence à l’interprète, mais le mot « abasourdi » reste
ambigu : il peut exprimer des nuances bien différentes de la colère à l’angoisse.

Exercice 2B
1. Le spectateur sait ce qu’ignore Éraste, qui croit s’adresser à Angélique. Cet
effet de la double énonciation est source de comique et tient le spectateur en
suspens : jusqu’à quand durera la confusion ? Que dira le père à son fils ?
2. C’est le taffetas du domino qui abuse Éraste et rend vraisemblable un qui-
proquo causé par l’obscurité.

Exercice 3BB Vers l’écrit d’invention


1. Le passage montre les diverses fonctions des didascalies. Certaines indiquent
l’emplacement des acteurs sur la scène : « Il contourne […] et remonte » (l. 8, le
plateau est légèrement incliné vers la salle) « dégageant vers la gauche » (l. 21).
D’autres indiquent les gestes des acteurs : « feuilletant rapidement » (l. 9), « s’ar-
rêtant à une page » (l. 12), « parcourant la colonne » (l. 14). D’autres encore pré-
cisent une réaction soulignée parfois par un geste : « interloqué » (l. 2), « avec
pitié » (l. 4, haussant les épaules), « sur un ton triomphant » (l. 21-22), « décon-
tenancée » (l. 25), « sur un ton rageur » (l. 27). Toutes ces didascalies soulignent
des réactions qu’on aurait pu facilement deviner à la lecture des seules répliques.
Elles donnent des indications qui ne sont pas indispensables mais qui facilitent
169
sans doute la lecture et la représentation ; surtout, elles imposent une certaine
façon de jouer. En multipliant ainsi les didascalies, l’auteur cherche à garder la
maîtrise de la représentation.
2. Les spectateurs sont censés connaître l’orthographe du mot « Hébrides »,
qu’ignorent les deux personnages en scène : le public est ainsi placé dans une posi-
tion de supériorité et peut rire avec l’auteur des deux ignorants. Ceux qui igno-
raient l’orthographe du mot se désolidariseront très vite des deux époux. La
double énonciation met les deux personnages à distance et facilite le rire. Mais
la scène joue aussi la comédie de l’arroseur arrosé puisque Julie, d’abord mépri-
sante (l. 4 et 13), se retrouve « interloquée » (l. 17) comme l’avait été son mari
(l. 2).
3. L’exercice d’invention permettra de rappeler la différence entre texte théâtral
et texte narratif. Le récit devra être assumé par un narrateur qui commentera l’at-
titude des époux Follavoine. On peut imaginer qu’il se moque des deux ignorants
qui cherchent les Hébrides à la lettre Z. Les didascalies sont toujours au présent
alors que le récit racontera les faits en les situant dans le passé, ce qui sera l’oc-
casion de vérifier la maîtrise des formes du passé simple.

Exercice 4BB
Le spectateur connaît l’innocence d’Hippolyte puisqu’il a assisté à sa tentative de
séduction par Phèdre et qu’il a vu à l’œuvre la noirceur de sa belle-mère. En écou-
tant Thésée demander au plus redoutable des dieux de punir son fils, le specta-
teur voit l’aveuglement du roi, victime de son épouse mais aussi des dieux
eux-mêmes. Cet égarement qui montre la faiblesse du roi, la fragilité de la vertu
et qui fait d’Hippolyte une victime innocente rend le passage particulièrement
tragique. Les vers 5 et 6 où Thésée avoue l’amour et la confiance qu’il a pour son
fils rendent la scène encore plus poignante. L’effet tiré de la double énonciation
renforce ici le tragique de la scène.

Étudier les formes du dialogue


Exercice 5BB
1. Après la première phrase qui renvoie à Perdican la question qu’il vient de poser,
Camille accuse Perdican, en trois phrases lancées par la reprise anaphorique de
« vous », d’être menteur et incrédule (l. 6 à 17). Le mouvement central (l. 17 à 22)
est une interrogation sur la place de la femme dans la société. Le troisième et dernier
mouvement (l. 22 à 33) reprend une réponse de Perdican pour souligner sa frivo-
lité. La métaphore de la monnaie s’achève par une chute véhémente fort réussie.
Une tirade véhémente, parfaitement équilibrée (deux mouvements d’une dizaine de
lignes encadrent un mouvement central plus bref de moitié), un rythme soutenu,
des images fortes, immédiatement lisibles : voilà de quoi passer la rampe !
2. Camille reproche à son cousin de ne pas savoir ce qu’est l’amour. Elle lui
reproche d’abord son inconstance : passant d’une femme à l’autre, il les oublie
170
toutes. Les plaisirs et les souffrances de l’amour lui semblent alors sans valeur
(l. 7 à 13). L’amour est une comédie sociale, profondément injuste : l’un fait son
« métier de jeune homme » tandis que l’autre, noyée dans le pluriel des « femmes
désolées », est méprisée par celui-là même qui prétend l’aimer. Elle accuse enfin
son cousin de prendre l’amour pour une activité touristique, monnayable et sans
valeur (l. 22 à 33). Elle reproche ainsi à Perdican d’être inconstant, méprisant et
frivole. C’est lui qui dévalorise l’amour.
3. Camille serait « orgueilleuse » parce qu’elle se refuse à Perdican ? Le mot qui
pourrait être élogieux sonne comme un blâme qui est immédiatement suivi d’une
menace : « prends garde à toi ». Orgueilleuse sans doute parce que le reproche
essentiel qu’elle adresse au séduisant séducteur est de « mépriser les femmes »
(l. 19). Rendues anonymes (l. 9), réduites au désespoir (l. 15), transformées en
paysage pittoresque à voir en passant (l. 25), les femmes sont des objets qui n’ont
même pas le droit de se refuser. Orgueilleuse, parce qu’elle se fait une autre idée
de l’amour. Mais ce réquisitoire contre les faiblesses des amants et de leurs trop
passagères passions implique un idéal, une exigence. Camille refuse d’être une de
ces maîtresses désolées qui passent de main en main. Orgueilleuse parce qu’elle se
fait une haute (en tout cas une autre) idée d’elle-même ? Faut-il se méfier d’un tel
orgueil ?
4. La réplique de Perdican rompt avec la véhémence de la tirade. Le cousin amou-
reux n’a guère écouté le discours: rien ne comptait que l’éclat du regard, la beauté
de la cousine. Il n’est plus interlocuteur mais spectateur intéressé. La jeune fille
peut toujours causer, il la regarde d’un autre œil. Ainsi, le touriste s’émerveille
devant le pittoresque d’un paysage qu’il vient de découvrir. On se souvient de la
réaction de Don Juan de nouveau séduit par Dona Elvire quand elle a décidé de
rentrer au couvent. Tel est l’attrait de l’être de fuite. Perdican y ajoute l’insolence :
ne suggère-t-il pas que sans colère, Camille reste bien froide ?
5. Les propositions des élèves devront être justifiées par la façon dont ils imagi-
nent les personnages : Camille est-elle une jeune fille piquée à vif, révoltée par un
reproche injuste ? Est-elle simplement aveugle ou influencée par le discours des
nonnes ? Cherche-t-elle à maquiller sa peur devant les risques de la passion ?
Perdican est-il séduit, attendri, méprisant ? Comment ces lectures peuvent-elles
influencer le jeu des acteurs, leurs gestes, leurs déplacements ?

Exercice 6B
1. Florindo est d’abord seul (l. 1 à 4) puis il est observé par Ottavio (l. 6 à 10),
s’aperçoit de la présence d’Ottavio (l. 10) et lui adresse la parole (l. 12 et 13).
2. Le recours au monologue est justifié par la timidité de Florindo. Nous appre-
nons ainsi cet amour que Florindo n’ose déclarer.
3. Le monologue permet au personnage de s’exprimer librement, d’autant plus
librement que l’interlocutrice désirée et redoutée est absente. L’aparté réagit à la
présence d’un personnage en scène : il pourrait difficilement se prolonger aussi
longuement que le monologue.
171
4. L’humour naît d’abord de la timidité de l’amoureux volubile tant que la dame
aimée est absente. On sourit ensuite du brusque changement de ton de Florindo :
le discours amoureux qui célèbre l’« adorable balcon » (l. 1) se transforme en dis-
cours culturel et convenu sur « la belle architecture » (l. 12 et 13).

Exercice 7BB
1. Aux vers 3 et 4, Agamemnon, dans sa colère, s’adresse au bouillant Achille
qui vient de quitter la scène. Il le tutoie alors qu’il le vouvoyait lorsqu’il était en
sa présence. Les deux vers révèlent la colère d’Agamemnon blessé dans son orgueil
par le jeune héros qui vient de le menacer. Apostrophant ainsi Achille, il le rend
responsable du meurtre d’Iphigénie qu’il va ordonner.
2. Les deux verbes à l’impératif sont le tournant de ce monologue. Agamemnon
a décidé de livrer sa fille aux prêtres chargés de la sacrifier. Sous le coup de sa
colère, qu’il accentue peut-être pour mieux se justifier, il n’a pas eu à délibérer
longtemps pour se décider.
3. Les motivations d’Agamemnon sont hélas très claires. Le roi des rois s’est senti
défié, menacé par Achille, et devant de telles menaces, la vie de sa fille ne compte
plus. Ce qui est effrayant, c’est la tranquille lucidité de ce père pourtant aimant.
Ce qui le décide, c’est sa « gloire intéressée » (v. 6). On ne peut pas être plus clair.
Achille, du reste, avait été trop content de le menacer. On est entre hommes, entre
héros, entre rois : pauvre Iphigénie !

Exercice 8BB
1. Texte A : le premier parallélisme, en chiasme, est : « amant d’aujourd’hui » (l.
3) et « demain mon mari » (l. 4). Le second unit la question et la réponse (l. 9 à
12). La reprise de la conjonction amène le parallélisme entre « m’en parler du
matin jusqu’au soir » et « te le prouver du soir jusqu’au matin », que renforce le
chiasme final, matin-soir/soir-matin.
Texte B : le parallélisme entre la question et la réponse joue sur la reprise de l’im-
personnel « il faut » (l. 8) ainsi que l’identique brièveté (quatre syllabes) des deux
répliques.
2. Texte A : le premier parallélisme montre l’esprit de Suzanne et la met à l’unis-
son de son futur mari toujours fertile en mots qui font mouche. Le second crée
un effet d’écho qui unit les deux personnages dans le même jeu amoureux : com-
plicité que soulignent, s’il en était besoin, les didascalies.
Texte B : le parallélisme souligne la présence d’esprit mais aussi l’insolence du
valet qui ose répondre. En répondant et sur ce ton et à cette vitesse, le valet rejette
toute culpabilité alors que la question du temps est une question sensible pour
les pouvoirs ; il sait bien que, comme le dit Corneille, « ce n’est pas obéir qu’obéir
lentement ».
3. La question attire l’attention sur le passage de la réplique à la maxime que le
public retiendra car sa validité ne se limite pas à l’échange des seuls personnages
en scène. La réplique de Figaro, à laquelle le pluriel et le présent de vérité géné-
172
rale donnent l’extension de la maxime, permet à l’auteur de s’adresser directe-
ment au public : l’ambiguïté propre au théâtre (est-ce le personnage ou est-ce l’au-
teur qui parlent ?) fait toute la saveur du mot d’auteur, qui est différente dans le
roman, où les maximes sont aussi courantes.

Exercice 9B
1. Les élèves repéreront facilement l’opposition entre les expressions adressées à
l’interlocuteur, « Ma petite Amélie » (l. 3), « Et moi donc » (l. 10), et les formules
insultantes mises en aparté « Petite traînée » (l. 4), « Salaud » (l. 11). Ces apartés,
si explicites, jettent le doute sur les autres répliques : « je suis bien content » (l. 9),
« Aux anges » (l. 13) se comprennent comme des antiphrases.
2. Le comique naît de la situation et de l’impossibilité de tout dialogue véritable
entre les personnages. La fausseté des formules de politesse ou d’amitié éclate
ouvertement et l’effet comique est d’autant plus fort que la confusion est géné-
rale et affecte tous les personnages en scène.

Exercice 10BB
1. Le recours à l’aparté est nécessaire car un véritable dialogue est impossible
entre la jeune reine et le jeune messager. Le dialogue officiel, celui que toute la
cour peut entendre, est doublé par les pensées inavouables des deux personnages:
Ruy Blas ne peut montrer sa jalousie, la reine ne peut montrer qu’elle est inté-
ressée par le jeune homme. L’aparté rend ainsi sensible la force de l’interdit qui
sépare les deux jeunes gens.
2. Ces apartés font avancer l’action car ils montrent que la reine n’est pas insen-
sible au jeune homme et qu’elle commence à se douter qu’il est le mystérieux
auteur de la déclaration d’amour reçue trois jours plus tôt.
3. Les apartés contribuent à la tension dramatique puisqu’ils font pressentir que
quelque chose est possible. La reine se montre « émue » et l’attitude de son royal
époux justifie ou excuse ce trouble qu’elle éprouve. Si elle reconnaît l’auteur du
message, comment réagira-t-elle ? Comment Ruy Blas surmontera-t-il la jalousie
qu’il éprouve, l’amour qui le consume ? Le spectateur sait qu’ils sont, sans le
savoir, en train de sombrer dans le piège que leur a tendu l’ennemi de la reine.

Étudier le développement de l’action


Exercice 11B
1. Dès le troisième vers, les deux personnages sont nommés. La surprise et la joie
de cette rencontre imprévue justifient l’exclamation.
2. Dès le troisième vers, le spectateur sait que la scène se situe à Corinthe et que
« dans peu » (v. 6), on va fêter le mariage de Jason. Un tel mariage, alors que la
redoutable Médée est encore vivante (Médée sans qui Jason n’aurait pas conquis
la toison d’or !), stupéfie Pollux, qui a bien raison de s’alarmer (v. 10).
173
3. Jason est sûr de lui et ne semble pas redouter la douleur de Médée, à laquelle
il doit tant et dont il a eu deux enfants. Le héros se moque de la douleur des
femmes qu’il abandonne en des termes d’une désinvolture méprisante. Le vers 9
en est presque amusant, qui fait de lui le simple témoin de ce qui se passe dans
son lit : ce n’est pas Jason, c’est « un objet nouveau » qui chasse Médée de son lit.
Il se moque de l’impuissance des femmes réduites à jeter vainement « les cris en
l’air » (v. 13). Mais attendons la fin, comme le dit le roseau de La Fontaine.
4. Jason doit expliquer la situation à Pollux qui vient d’arriver à Corinthe sans
savoir ce qui s’y trame. Il est donc naturel, nécessaire que Jason donne à Pollux
toutes les explications dont le spectateur a besoin. Ces réponses dessinent, comme
on l’a vu, le portrait de Jason.

Exercice 12BB
1. Les circonstances du dialogue qui s’engage de même que le nom et la situa-
tion des personnages ne sont pas indiqués dans ces premières répliques. Le lecteur
sait que le troisième personnage est Le Fils et il peut se douter que Elle et Lui sont
ses parents, mais rien ne l’indique au spectateur. Cependant, surgit immédiate-
ment l’expression d’un désaccord entre les deux personnages, désaccord que l’in-
tervention du troisième personnage approfondit. Ainsi, l’action est lancée avec
une remarquable économie de moyens. On est d’emblée devant l’essentiel : les
relations, accord, désaccord, entre les personnages.
2. Face à Lui, qui appelle à l’euphorie de l’accord, Elle se refuse à partager la joie
qu’appelle la formule « c’est beau ». Les didascalies « hésitante » (l. 2), « comme
à contrecœur » (l. 4) marquent sa timidité, sa réticence : il s’agit d’une nuance
presque imperceptible mais Lui sent bien qu’il s’agit d’un refus, d’une rupture,
d’où son inquiétude, son incompréhension. Nathalie Sarraute éclaire avec une
force incisive les effets d’une intonation. À bien écouter ce « Oui… » (l. 2), c’est
une véritable rupture, une révolte, un refus, un « non » en tout cas qui s’entend.
Le jugement esthétique, en soi sans doute indifférent, révèle des abîmes entre les
êtres et met à jour les rapports de force. Elle s’écarte de Lui parce que Le Fils est
là et qu’elle redoute sa réaction.

Exercice 13B
1. Le recours au monologue souligne la solitude absolue à laquelle Jason se voit
réduit : ses enfants ont été tués, la fille du roi qu’il comptait épouser est morte et
Médée vient de lui échapper. Solitude absolue, impuissance absolue : il ne lui reste
plus qu’à mourir.
2. La comparaison de l’exposition et du dénouement est cruelle pour le pauvre
Jason. Que reste-t-il de son arrogante désinvolture, du cynisme avec lequel il évo-
quait l’abandon de Médée et d’Hypsipile ? Il justifie son suicide par l’impossibi-
lité de punir Médée ; il regrette de ne pouvoir venger Créuse : tel était son devoir.
Il se révèle pressé de retrouver celle qu’il voulait épouser et s’en remet aux dieux
pour rétablir une justice qu’il avait oubliée en trahissant Médée.
174
3. Ce terrifiant dénouement est tragique puisqu’il donne une image de la faiblesse
essentielle de l’être humain. Jason, certes, a trahi la confiance de Médée, mais il
est réduit à l’impuissance par une « sorcière » (v. 8) et s’en remet aux dieux pour
rétablir la justice. Cette pitoyable image de l’humanité est propre au registre tra-
gique.

Exercice 14BB
1. La conversation continue et le trio familial est toujours au complet. Les mêmes
tensions déchirent les personnages. Le fils continue à affronter le père et la mère
continue à soutenir son fils. Le conflit reste toujours aussi vif et ne connaît pas
la résolution attendue dans un dénouement.
2. La réplique finale, cependant, cherche à mettre fin à la conversation par un
retour autoritaire à l’ordre : le fils doit se taire devant son père et ne pas usurper
la posture magistrale. À partir de là, les mots que le fils utilise sont mis en ques-
tion. Coup de force pour finir, mais que l’on sent aussi fragile qu’arbitraire.

Analyser le lieu et le temps de l’action


Exercice 15B
1. Le discours de La Flèche dénonce l’avarice du « seigneur Harpagon », le maître
des lieux. Aucune indication n’est donnée sur l’action en cours.
Grâce à l’intervention du Marquis, nous apprenons le rôle que Turcaret joue
auprès de la marquise.
Le conflit est déclaré entre le Marquis qui accuse, Turcaret qui regrette d’être
resté et la Baronne qui tente de calmer la colère du Marquis.
2. Les deux passages qui évoquent directement l’action en cours évoquent des
conflits d’intérêts ; rappelons que le jeune Marquis a dû abandonner un diamant
à l’usurier Turcaret. Ce type de conflit est caractéristique de la visée réaliste de la
comédie classique et du drame bourgeois.

Exercice 16BB
Les deux intrigues des œuvres de lonesco et de Beckett éliminent les conflits, fami-
liaux, sociaux, religieux, politiques, idéologiques dont se nourrissent tant d’œuvres
théâtrales. Il n’y a pas d’histoire : de là le sentiment qu’il n’y a ni début ni fin puis-
qu’on pourrait imaginer un troisième acte semblable au deuxième : on peut
attendre longtemps Godot et les Smith pourront toujours prendre la place des
Martin. Comme aucune action n’est nouée qui opposerait des obstacles aux désirs
des personnages, il n’y a ni exposition, ni dénouement. N’est-ce pas ce vide même,
cette absence d’une action qui donnerait sens aux dialogues, que les deux intrigues
font voir ?

Exercice 17BB
1. La chaleur donne l’occasion d’ouvrir la fenêtre. La phrase que « crie » Suzanne
175
(l. 9 à 12) détaille ce qu’elle est en train d’apercevoir : d’abord le Comte puis
Pédrille puis les chiens qu’elle compte, au fur et à mesure qu’ils entrent dans son
champ de vision. Essentielle pour l’intrigue, la réplique donne une réalité tangible
à l’espace que la scène ne peut représenter.
2. En donnant une réalité à l’espace extérieur, en faisant croire que la fenêtre
s’ouvre sur les allées du jardin et non sur les coulisses, Beaumarchais donne aussi
plus de réalité à la chambre représentée sur scène. L’illusion théâtrale est parfaite :
on peut se prendre au jeu. On pourra prolonger cet exercice en proposant aux
élèves de chercher dans Le Mariage de Figaro (ou dans la pièce qu’ils lisent ou
étudient) d’autres passages où l’espace hors-scène est évoqué. Dans le seul acte
II du Mariage, on s’appuiera sur les scènes 14, 15 et 21.

Exercice 18BB
1. Les trois premières répliques font sentir le passage du temps en décrivant à la
seconde près l’inexorable écoulement du temps. On pense au vers de Boileau :
« Le moment où je parle est déjà loin de moi. »
2. Ionesco souligne que son œuvre respecte absolument l’unité de temps puisque
la durée de la présentation coïncide, à la seconde près, à la durée de l’action repré-
sentée. Marguerite et le médecin annoncent ainsi l’inexorable dénouement. Le
temps irréversible mène directement à la mort.
3. Cette parfaite coïncidence permet de jouer sur les mots. Le mot « distraire »,
évoque évidemment l’amusement, le divertissement au sens que lui a donné Pascal:
le théâtre n’en est-il pas une forme essentielle ? Le mot « programme » désigne les
suites d’action qu’on a l’intention d’accomplir mais aussi le petit livret qui décrit
les divers moments d’un spectacle (musical ou théâtral) ou d’une cérémonie. La
« cérémonie » qui commence désigne à la fois la représentation théâtrale et la
mort du roi Bérenger 1er.
Remarque. Les indications, malheureusement trop rapides, données dans les
repères aideront les élèves à étudier le temps au niveau d’une œuvre intégrale.
L’exercice proposé les invite à noter la façon dont les écrivains peuvent faire du
temps un thème de leur création.

Étudier les personnages


Exercice 19BB
1. Scapin est le type du valet rusé ou faussement naïf qui met ses maîtres en dif-
ficulté. Géronte est un avatar du maître âgé que quelque vice rend ridicule :
avarice, amour, pédanterie, etc.
Ils s’opposent par l’âge, la condition sociale, le type de jeu : le barbon se déplace
comme un lourdaud alors que Scapin est souple, agile.
Ils prêtent à rire par la façon dont le valet, par sa ruse (comme ici) ou sa bêtise
(dans d’autres pièces), remet en cause l’autorité du maître, le respect dû à l’âge
ou à la profession. Le renversement des hiérarchies habituelles provoque le rire,
176
un rire qu’excuse ou que permet la sottise, les lubies ou les vices du père ou du
maître.
2. Géronte n’a guère envie de payer la rançon demandée pour son fils. Il cherche
à répondre à l’urgence de la situation par des subterfuges dérisoires, des ques-
tions inutiles qu’il répète en vain : de là le rire déclenché par la fameuse répéti-
tion (l. 12 et 13, l. 20 et 21), des menaces risibles (l. 16 et 17) et une proposition
que Scapin doit trouver bien saugrenue (l. 27 à 30). Le rire est d’autant plus facile
que le public sait qu’il s’agit d’une ruse de Scapin et que le fils de Géronte n’est
nullement en danger. Scapin s’amuse de la ruse qu’il a ourdie ; il connaît l’avarice
de son maître et rit de le voir au supplice. Et quel plaisir pour Scapin d’inventer
une fourberie ! Géronte est amusant puisqu’il est déchiré entre sa pingrerie et l’at-
tachement qu’il éprouve malgré tout pour son fils.
3. Dans les deux mises en scène, Géronte porte une coiffure tandis que le valet
est tête nue.
Dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît, les costumes mettent les deux per-
sonnages dans des situations bien différentes. Géronte a de sombres habits de
voyage tandis que Scapin, en chemise, semble être surpris au saut du lit.
Dans la mise en scène d’Arnaud Denis, c’est Géronte qui porte des vêtements
d’intérieur – bonnet, robe de chambre rapiécée – tandis que Scapin porte une
redingote : ne vient-il pas du dehors pour apporter le message du Turc ?
4. Dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît, Géronte porte des valises. Il est
en effet de retour et c’est pendant son absence que son fils Léandre a séduit la
charmante Zerbinette. L’accessoire attire l’attention sur un thème important de
la comédie. Elle raconte le retour des pères Argante et Géronte : leurs fils, Octave
et Léandre, ont profité de leur absence pour faire de petites folies. C’est pour faire
face à ce retour des pères que les fils font appel à Scapin, qui trompera et les fils
et les pères. Dans la mise en scène d’Arnaud Denis, Géronte porte au cou un trous-
seau de clés. C’est le père qui tient les cordons de la bourse, c’est le père qui com-
mande. De là la révolte des fils, et leurs fourberies, car Scapin est le plus habile
mais il n’est pas le seul à tromper les maîtres.

Exercice 20BBB Vers le commentaire


1. Le Hémon de Sophocle parle au nom des valeurs de la cité. Défendant la
justice, la punition des traîtres, il pense que ceux qui gouvernent doivent écouter
« ce que dit tout le peuple de Thèbes ». Il condamne le chef qui considère sa cité
comme sa propriété. À l’inverse, le Hémon d’Anouilh en appelle au pouvoir de
son père contre celui de la foule qui, selon lui, « n’est rien ». Il refuse et ne com-
prend pas que la loi puisse et doive s’appliquer à celui qui l’a promulguée. Il a
l’impression que son père, en appliquant la loi, le trahit personnellement. Rien
ne compte pour lui que ses relations à son père, à sa fiancée ; dès que le père refuse
de satisfaire son désir, Hémon le rejette dans cette foule qu’il méprise : il passe
alors du « tu » au « vous » qui regroupe tous ces adultes contre lesquels Hémon
se révolte. Le fils selon Sophocle donne à son père une leçon de politique ; le fils
selon Anouilh la reçoit sans l’entendre.
177
2. Sophocle fait de Créon un tyran grisé par son pouvoir. Discuter, négocier, tenir
compte de ce que dit « tout le peuple de Thèbes », c’est mettre en péril le pouvoir
de celui qui gouverne : à quoi servirait d’être chef s’il fallait partager le pouvoir
avec les inférieurs ? On reconnaît le discours du tyran si souvent critiqué par
Socrate. Le Créon d’Anouilh se fait le défenseur de la loi. Une fois qu’elle est
décidée, tous, même les rois doivent s’y soumettre. Son pouvoir n’est pas sans
limite : il est le garant de cette loi qui empêche la cité de sombrer dans la violence.
Mais son discours n’est pas uniquement politique : il invite son fils à accepter ce
qu’il appelle « être un homme ». La formule suggère ici qu’on accepte sa faiblesse :
le père, lui-même, ne protège plus.
3. Les costumes qui pourraient convenir à des époques et des pays très différents
soulignent le caractère universel de l’affrontement entre le père et le fils. On sent
que Créon, interprété par Robert Hossein, cherche à convaincre son fils, dont il
comprend la douleur. Le regard fixe de Julien Mulot, qui interprète Hémon, son
visage fermé, presque douloureux, font sentir son attente et son désespoir : cet
homme qui le pousse à abandonner Antigone, c’était cela son père ?
4. La question posée permet d’opposer deux conceptions de la tragédie. L’une
est directement politique, l’autre est plus individuelle, à moins que l’on préfère
parler de métaphysique puisque dans la pièce d’Anouilh, c’est l’existence humaine,
son enlisement dans la durée toujours ressentie comme une forme de dégrada-
tion insupportable, de compromission coupable, qui est mise en question.
5. La conduite du dialogue est différente chez Sophocle et chez Anouilh. Les deux
personnages antiques parlent (presque) d’égal à égal : le tutoiement et le recours
à la stichomythie placent leurs répliques sur le même plan. Hémon est respec-
tueux, certes, mais il se permet d’être ironique à l’égard de son père (l. 19) et de
le traiter d’enfant (l. 11). Le fils d’Anouilh, lui, se présente comme un enfant qui
vient demander, voire réclamer, secours à son père. À deux reprises, Créon l’ap-
pelle « mon petit » (l. 7 et 21). D’où le passage du « tu » au « vous » ; d’où la trans-
formation de l’enfant qui approfondit en silence son refus pendant que son père
parle : son mouvement de recul, son changement de ton (dernières didascalies)
signalent le refus du dialogue.
La nature du dialogue est également différente. Chez Sophocle, ce sont des argu-
ments politiques qui sont échangés. Chaque réplique est un argument qui défend
une conception du pouvoir. Même si Hémon veut sauver Antigone, même si Créon
défend son pouvoir, leurs discours refusent (au moins dans le bref passage cité)
toute allusion personnelle. Chez Anouilh, en revanche, l’échange est avant tout
d’ordre personnel, et passionnel. Lorsque Créon rappelle la force de la loi (l. 3),
il le fait pour répondre à son fils. Ensuite, il l’encourage, il le console, il essaye
de lui faire sentir sa tendresse. Hémon dit ou crie son refus, sa rage (par laquelle
il retrouve la révolte d’Antigone), mais il ne cherche pas à expliquer ou à justi-
fier sa position. Ces sont des êtres à vif qui s’affrontent, des souffrances qui s’expo-
sent alors que la tragédie antique confronte des arguments, des raisons.
Enfin, les enjeux des deux dialogues sont différents. Celui de Sophocle a une
dimension évidemment politique et le discours du fils défendant la valeur poli-
178
tique du dialogue paraît plus convaincant que celui du père qui conçoit le pouvoir
du chef comme pure manifestation de sa force. Le dialogue d’Anouilh évoque
plutôt la façon dont chacun doit accepter une réalité qui est présentée comme
décevante. Faut-il au nom d’un absolu, d’une exigence de perfection refuser tout
compromis avec l’image idéale qu’on se fait de la vie ? Faut-il accepter que cette
vision idéale se dégrade peu à peu tout au long d’une existence qui semble ne
valoir que par sa durée et son vide ? La révolte d’Hémon qui partage ici l’exi-
gence d’Antigone montre-t-elle le courage d’un être épris d’absolu ? Ou montre-
t-elle seulement la fragilité d’un enfant qui refuse de renoncer à sa toute-puissance
pour devenir « un homme », rien qu’un homme ?

Identifier les genres et les registres


Exercice 21B
Le Pédant joué, comédie de Cyrano de Bergerac (1619-1655) écrite en 1645.
La Mort de Sénèque, tragédie de Tristan l’Hermite (1601-1655) créée en 1636.
La Veuve à la mode, comédie de Donneau de Visé (1638-1710), première en mai
1667.
La Bague de l’oubli, comédie de Jean Rotrou (1609-1650) jouée en 1629 et
publiée en 1635.
La Force du sang, tragi-comédie d’Alexandre Hardy (1572-1632) publiée à la fin
de 1625.

Exercice 22B
Le diminutif, les sonorités amusantes et suggestives font de Lisette, Trapolin et
Durillon des noms de personnages de comédie. Dans la comédie de Dancourt, Les
Agioteurs, jouée en 1710, Monsieur Durillon est le nom d’un procureur. Lisette
est le plus souvent le nom d’une servante alors que le doux prénom d’Angélique
(qui apparaît dans la comédie du Malade imaginaire comme dans les comédies de
Régnard et de Dancourt) convient à la jeune première, l’héroïne de la comédie.
La terminaison latine, le lien à l’histoire et à la mythologie font d’Antiochus, de
Thésée et d’Albin des noms de personnages de tragédie. Mais une surprise est
toujours possible : ainsi, le nom de Nicomède, que Corneille a rendu glorieux, ne
baptise plus dans Le Deuil de Hauteroche (1672) qu’un humble valet de comédie.

Exercice 23B
Extrait 1. Les vers de Jacques Pradon (1644-1698) sont tirés de la tragédie Phèdre
et Hippolyte (1677).
Extrait 2. Les vers de Jean Galbert de Campistron (1656-1723) sont tirés de la
tragédie Tiridate (1691).
Extrait 3. Les vers de Jean-François Régnard (1655-1709) sont tirés de la comédie
Le Joueur (1696).
Extrait 4. Les vers de Paul Scarron (1610-1660) sont tirés de la comédie Jodelet
ou le Maître valet (1643).
179
Les modalités interrogatives et exclamatives participent sans doute à la noblesse
du registre tragique, mais elles se retrouvent évidemment dans la comédie, comme
on le voit (s’il en était besoin) aux vers de Scarron. De même les superlatifs, les
expressions hyperboliques peuvent se retrouver aussi dans la comédie comme le
montre l’emploi de « fureurs nonpareilles ». Ce qui semble être un indice décisif,
c’est le lexique du corps : limitée dans les extraits de tragédie à la synecdoque
« quelles mains », l’évocation du corps est plus précise dans la comédie : « perdra
ses oreilles », « face, profil, jambe, bras ou main ». Mais on se souvient que dans
Phèdre, Racine a écrit : « Ton nom semble offenser ses superbes oreilles. » Le verbe
« guigner » qui, selon Furetière, « se dit aussi de ceux qui regardent quelque chose
assidûment et avec envie de l’obtenir » a peu de chance d’apparaître dans une tra-
gédie. Le registre, le genre, les traits lexicaux et syntaxiques se combinent de façon
complexe : on ne peut définir le genre aux seuls indices linguistiques.

Exercice 24BB
1. On trouve dans ce passage les critères du genre comique indiqués dans le
tableau de la page 178. Les personnages semblent appartenir à la société actuelle ;
la situation évoquée (l’échange de cadeaux un jour de Noël) peut être reconnue
et vécue par tout un chacun. La langue employée est familière et les auteurs cher-
chent à provoquer le rire.
2. La situation évoquée étant connue de tous, elle se prête à la représentation.
La mise à distance, inhérente à l’imitation, à la mimesis, se prête à cette mise en
jeu qui permet à chacun de reconnaître un moment de la vie quotidienne, moment
essentiel (et parfois périlleux) de la vie familiale et sociale : celui de l’échange. Le
spectateur peut se reconnaître tour à tour dans le rôle de celui qui offre et dans
le rôle de celui qui reçoit.
3. La question attire l’attention sur le rôle de l’indispensable accessoire, le gilet,
qui contribue à inscrire la scène dans le registre comique. La chose est au centre
du jeu qui se développe tout au long de la scène : d’abord attendu pendant le
déballage (l. 13), mal identifié (l. 16) puis difficilement enfilé (l. 28, l. 33), le gilet
tricoté est enfin longuement commenté (l. 24 et 25, l. 46).
Outrageusement difforme, apparemment inachevé, d’un coloris prétendument
élégant mais terne, l’accessoire est l’occasion de tous les excès qui provoquent le
rire. Il condense, à la façon d’une caricature, toute la laideur de ce qu’on pour-
rait appeler le « tricoté maison », bonheur de ceux qui font les tricots, malheur
(parfois) de ceux qui les portent.
4. Mortez commence par prendre le gilet pour une serpillière et il doit rapide-
ment effacer sa bévue en multipliant les « bien sûr » (l. 21 et 22). Ensuite, il feint
d’admirer le choix des coloris, mais « la touche de gaieté » (l. 31) résonne comme
une antiphrase. De la même façon, la répétition de « je suis ravi » (l. 34 et 36)
essaie d’étouffer la déception. L’expression « comme ça jamais » (l. 36) qui sou-
ligne pour le spectateur le côté indescriptible de la chose est entendue par Thérèse
comme un compliment : « c’est une chose qui n’est pas courante ». On est au bord
d’un quiproquo. Thérèse ne semble pas comprendre non plus l’ironie désinvolte
180
de Mortez qui veut limiter l’usage du gilet à la descente des poubelles (l. 42 à 44).
C’est Mortez qui doit ensuite rassurer Thérèse légèrement inquiète de ses audaces :
« il n’y a pas de mal » (l. 52) mais l’on sent son soulagement lorsqu’il trouve une
raison pour ne pas enfiler le joli gilet. L’amusement redouble lorsque la scène s’in-
verse et que Mortez entame l’éloge du cadeau qu’il offre à Thérèse.

Exercice 25BBB
1. La question invite à analyser les termes du sujet puisque toute dissertation doit
commencer par là. La plupart des élèves pourront expliquer « idolâtrie » par
« adoration » ou « admiration excessive », « fixés » par « figés » ; le mot « confor-
misme » ne devrait pas poser de difficulté et l’explication portera alors sur le mot
« bourgeois », qui invite à faire de la résistance au conformisme un acte libéra-
teur et révolutionnaire. L’analyse du sujet pourra se poursuivre par l’explication
de « immédiate, directe ».
2. On passe à la deuxième étape de l’analyse du sujet : la recherche des références.
La dissertation peut puiser certes dans les textes du corpus mais on s’attend à ce
que les œuvres étudiées pendant l’année soient évoquées. Cette étape est essen-
tielle et encourageante car elle permet de revenir sur les œuvres étudiées et de
donner confiance aux élèves qui ne voient pas comment utiliser ce qu’ils savent
pour traiter un sujet. Dès cette étape, il faut montrer comment ces références
peuvent éclairer la remarque en jeu. Comme les termes de la citation portent sur
tout chef-d’œuvre, on ne se limite pas forcément aux œuvres littéraires. L’étude
d’un mouvement littéraire et culturel facilitera cette orientation.
Quelques œuvres actuelles qui s’inscrivent dans la définition d’Artaud: Une femme
(Anne Ernaux) ; L’Émission de télévision (Michel Vinaver), Art (Yasmina Réza) ;
Extension du domaine de la lutte (Michel Houellebecq)… Quelques chefs-d’œuvre
du passé : L’Avare (Molière) ; Le Père Goriot (Balzac) ; Les Fleurs du mal
(Baudelaire) ; Madame Bovary (Flaubert) ; Du côté de chez Swann (Marcel
Proust) ; L’Étranger (Albert Camus)…
3. La question invite à réfléchir sur ce pronom « nous » qui semble aller de soi
mais dans lequel chacun n’est pas forcé de se reconnaître. De la même façon, le
mot « actuelles » pourra être mis en question.
On peut évoquer, pour illustrer ces « façons de sentir actuelles », l’œuvre d’Assia
Djebar, qui évoque la mémoire des femmes algériennes, la nostalgie et l’engage-
ment militant (Vaste est la prison, 1985). On peut aussi citer les ouvrages de
Michel Houellebecq qui dressent un bilan de la société contemporaine (Extension
du domaine de la lutte, 1994).
4. La question porte sur « un chef-d’œuvre théâtral » parce qu’il est certain que,
depuis le collège, chacun aura au moins étudié une fois un chef-d’œuvre du passé.
Elle devrait permettre l’expression sincère de réactions personnelles, ce qui devrait
donner un sens à l’exercice de dissertation. Mais on sera attentif à ce que les
termes du sujet soient précisément évoqués. On reconnaîtra, par exemple, que la
question des privilèges de la noblesse telle qu’elle est mise en scène, par exemple
dans Le Mariage de Figaro, est intéressante mais que cette question se pose dif-
181
féremment deux siècles après la Révolution française. L’œuvre de Beaumarchais,
si admirable soit-elle dans son genre, ne nous touche plus de façon « immédiate,
directe ». C’est en s’appuyant sur ces termes que le paragraphe gagnera en perti-
nence et abordera la question de la langue, du style évoquée par la formule
« façons de sentir actuelles ».
5. La question appelle à réfléchir sur la notion de chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre
est une œuvre qui nous (ce fameux « nous » !) parle encore aujourd’hui de façon
« immédiate, directe ». Si l’intérêt que nous portons à telle œuvre est de l’ordre
de la curiosité historique, alors ce n’est pas un chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre,
c’est l’œuvre qui est encore vivante : rien n’est moins « fixé » qu’un chef-d’œuvre
puisqu’il est capable d’être lu et apprécié de mille façons différentes. Ils sont si
peu «fixés» qu’on en voit tous les jours perdre leur statut de chef-d’œuvre, comme
la plupart des poésies de Musset, par exemple. Les chefs-d’œuvre bougent, vivent,
meurent, ressuscitent comme les sociétés qui leur ont donné naissance. Est-ce se
faire des illusions de penser que c’est le propre des œuvres d’art (et de la philo-
sophie) de pouvoir rouler ainsi d’âge en âge jusqu’à nous ?

Exercice 26BB Vers le commentaire


1. La tension dramatique naît de l’opposition entre le fils qui veut sortir et la
mère qui veut le retenir. Le fiancé reste laconique et cherche, par des répliques
brèves, à faire taire la mère, dont les répliques sont de plus en plus longues. La
modalité exclamative (l. 14 et 15, l. 17 à 19) sonne comme une malédiction solen-
nelle que le fils troublé voudrait étouffer.
2. Il rit de sa réponse qui ne trompera personne : il sait bien que le couteau a de
multiples fonctions. Mais s’il baisse la tête, c’est qu’il est troublé par les incan-
tations maternelles condamnant les violences meurtrières qui détruisent l’ordre
pacifique évoqué par le droit de propriété et la légitimité de l’héritage (l. 24).
3. Le départ du fils à la vigne qui n’attend pas le déjeuner proposé par la mère,
l’évocation des vignobles et des olivaies évoquent un pays méditerranéen où la
vie semble agréable, où les hommes vont travailler sur la terre qui leur appar-
tient. Le couteau lui-même pourrait être anodin s’il n’était maudit par la mère.
Celle qui s’inquiétait du repas de son fils devient une sorte d’imprécatrice. Ses
malédictions qui dénoncent le risque de la violence et du meurtre inscrivent la
scène dans un registre tragique. La beauté d’une vie de travail et d’innocence se
voit menacée par une violence mortelle.
4. Les premières répliques du drame de Garcia Lorca, Noces de sang, remplissent
les principales fonctions de l’exposition : amorcer une intrigue qui suscite la curio-
sité du spectateur (ou du lecteur), caractériser les personnages en scène et imposer
un climat qui donne le ton de l’œuvre et touche le public. Une situation ordinaire
devient en quelques répliques une situation inquiétante qui éveille les questions.
Un jeune homme part à la vigne sans prendre le temps de déjeuner et réclame son
couteau à sa mère. S’il rit d’abord devant la méfiance de sa mère, il se trouble bien
vite. La didascalie « baissant la tête » (l. 25) suggère que sa mère a raison et que
ce qu’elle dit lui fait peur puisqu’il la supplie de se taire. À quelles violences la mère
182
fait-elle allusion ? Est-elle au courant de ce qui se trame ? Pourquoi réagit-il ainsi ?
Pourquoi a-t-il réclamé son couteau ? Pourquoi a-t-il refusé de déjeuner ? La curio-
sité du public est d’autant plus vive que les personnages sont dessinés avec beau-
coup de force. D’un côté, un jeune homme, pressé de quitter la maison, refuse le
repas que lui propose sa mère et rit de son inquiétude. De l’autre, une mère veut
savoir où va son fils, veut que son fils mange avant de sortir et s’inquiète de sa pré-
cipitation. La brièveté des répliques, la tension entre les deux personnages contri-
buent à donner de la vie à la scène. Mais ce qui pourrait être un dialogue de la vie
ordinaire prend une dimension tragique lorsque la mère lance entre ses dents ses
imprécations. Les brèves exclamations qui mettent en valeur le mot « couteau »
(l. 14), la reprise anaphorique de « maudits » (l. 14 et 15) font basculer la scène
dans un monde menacé par une violence inéluctable et mortelle. Tout le bonheur
évoqué par l’image du « bel homme, la fleur à la bouche » (l. 22) qui va travailler
sur ses terres est rendu soudain d’une fragilité poignante. La formule « Tout ce qui
peut fendre le corps de l’homme » (l. 21 et 22) fait voir concrètement l’horreur du
coup de couteau, de l’arme qui tue. Alors, le fils rieur, qui ressemble à l’homme
« fleur à la bouche, qui se rend à sa vigne » (l. 22 et 23), prend peur et demande le
silence. En quelques mots – mais quels mots ! acérés, puissants – nous voilà entrés
de plain-pied dans une authentique tragédie.

Exercice 27BB
1. Le récit progresse par étapes qui révèlent peu à peu la gravité de l’accident : le
sauvetage a d’abord l’air naturel (l. 3), puis facile, spontané (l. 8 et 9) et se révèle
enfin périlleux et délicat (l. 12 à 16).
2. Le sauveteur croit que la formule « c’est vous » exprime admiration et recon-
naissance, et il réagit par l’expression d’une noble modestie : « je n’ai fait que mon
devoir ! » (l. 3), « et puis c’est tout, quoi ! » (l. 9). Et c’est sans doute sur le même
ton qu’il dit « et puis on l’a sauvé ! » (l. 15 et 16).
3. La dernière réplique crée la surprise et provoque le rire. La formule « c’est
vous », que le sauveteur avait prise pour des félicitations émerveillées, était en
fait, dans l’esprit du père, l’expression d’un reproche et d’une réclamation.
4. Le caractère dramatique de la scène ne nuit pas au comique puisqu’il donne
toute sa force au quiproquo. Mais il fallait, bien sûr, que l’enfant ait été sauvé.

Exercice 28BB Vers l’oral


1. Le dialogue se développant par un jeu de questions et de réponses crée une
tension qui met en valeur chaque élément du paysage, ou de son vide. La mélodie
suspensive des questions de l’aveugle qui harcèle impatiemment Clov donne à
chaque réponse la force désespérée et désespérante d’une conclusion : « Plus rien »
(l. 2), « Du plomb » (l. 11 et 12), « Néant » (l. 14).
2. Les adverbes négatifs sont nombreux : « Plus rien » (l. 2), « Pas de » (l. 3),
« Rien » (l. 5), « Néant » (l. 14). L’expression « Du plomb » (l. 11 et 12) nie le
mouvement des flots transformés en métal lourd, pesant, inanimé. On entre ainsi
183
dans la tragédie du vide, de l’inexistence. L’aveugle apprend du voyant qu’ici-bas,
il n’y a rien à voir.
3. Pour évaluer la réponse, on se demandera si le mot « tragique » a été défini dès
l’introduction. À partir de cette définition, les remarques pourront être présen-
tées en deux temps :
1. La mise en place du dialogue montre l’impuissance des êtres humains.
2. Le sentiment du vide et l’absurdité de l’existence.
En conclusion, on pourra insister sur ce qui fait la modernité de ce tragique en le
distinguant du tragique d’Antigone (voir exercice 20, page 187) ou de Britannicus
(exo-bac page 191).

Exercice 29BB
1. Les didascalies soulignent la complexité mouvante des rapports entre le fils et
la mère. Le ton « très dur » avec lequel le fils donne des ordres à sa mère semble
d’autant plus impérieux et cassant que la mère obéit « sans un mot ». Mais au fur
et à mesure que la mère s’engage dans sa danse, le ton du fils change, se nuance
de respect comme on le voit à l’apostrophe « madame » (l. 8), bientôt corrigée
cependant par le mot « vieille » (l. 11, 13 et 16). Il finit par rire « aux éclats »
(l. 19). La mère est alors parfaitement accordée au fils puisqu’elle chante avec lui
« en écho » (l. 20) et c’est elle qui lui donne des ordres (l. 22), la mère entraînant
le fils dans le mouvement que le fils avait imposé à la mère. Le bonheur vertigi-
neux de cette danse est souligné par la didascalie où l’auteur note son « élégance ».
Mais toutes les répliques du fils disent aussi son bonheur et son admiration. Les
apostrophes aux palmiers, au vent puis aux cailloux, les modalités impératives qui
marquent ici l’enthousiasme, le désir, l’émerveillement contribuent à faire de la
danse un événement merveilleux, aussi éclatant qu’une révolution.
2. Les éléments évoqués dans la réponse précédente inscrivent la scène dans le
registre lyrique. La fantaisie des souliers, l’énergie déployée, l’élan émerveillé,
l’appel aux forces de la nature participent à cette célébration exaltée qui est le
propre du lyrisme. Un autre aspect de l’existence semble apparaître qui renverse,
comme une révolution, le cours ordinaire de la vie : la marche se transforme en
danse, la parole en musique.

EXO-BAC
(PAGE 191)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. Si l’alexandrin est le mètre obligé de la tragédie, il ne suffit pas à inscrire le
texte dans le genre tragique puisqu’on peut l’employer aussi dans la comédie.
Une étude de détail permettrait sans doute de montrer que le rythme du vers est
184
différent de la tragédie à la comédie. La cadence de l’alexandrin déploie dans les
deux tirades une régularité qui paraît majestueuse : les effets d’enjambements, de
rejet, de contre-rejet ne sont pas impossibles (et Racine sait en tirer des effets dra-
matiques) mais ils sont ici absents. Dans le développement des périodes, chaque
subordonnée emplit tout un vers (v. 7-12 ou v. 4-11). Le niveau de langue appa-
raît comme un indice déterminant : les expressions comme « les faisceaux cou-
ronnés de lauriers », « les volontés de Rome », « mon génie étonné », ou encore
« irritent mon dépit » (v. 5), « ses ennuis » (v. 14), les mots « palais », « Sénat »,
classent ostensiblement les personnages dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Pour susciter « cette tristesse majestueuse qui fait, selon Racine, tout le plaisir de
la tragédie », il faut que les héros soient mis à distance.
Le costume imaginé par Françoise Chevalier contribue à cet effet. On sait que les
acteurs du temps aimaient jouer dans les costumes les plus élégants et les plus
somptueux. Si l’une des caractéristiques de la tragédie est de mettre en scène des
personnages puissants, légendaires, le costume dessiné correspond au genre tra-
gique.
2. Le premier texte, extrait de la première scène, montre que la situation
d’Agrippine a changé. L’antithèse entre « croître » et « tomber » (v. 6), verbes qui
impliquent une transformation, annonce une évolution qui est longuement décrite
ensuite : « Non, non, le temps n’est plus » (v. 7). Le temps où la mère de Néron
avait tous les pouvoirs est évoqué par une série de verbes à l’imparfait. Le second
texte rappelle lui aussi le passé disparu, celui où Néron obéissait sans réserve à sa
mère (v. 7). La «mémoire fidèle» relie encore Néron à son passé mais on sent qu’une
autre attitude s’amorce : le fils voudrait « s’affranchir de cette dépendance ». La
journée qui commence s’annonce difficile.
3. Les perles, les diamants, le luxe des accessoires (éventail or) et du costume sou-
lignent la richesse tapageuse de la reine. Le fard criard, le port majestueux, l’ef-
fronterie du regard suggèrent le caractère impérieux du personnage.

Écriture
Le rapprochement des deux textes montre à quel point les deux personnages sont
proches : même fascination pour le pouvoir, même envie d’étouffer l’autre en le
domestiquant ou en l’écartant, même façon de faire de l’être le plus proche le plus
menaçant rival. La relation qui les noue l’un à l’autre est une relation de pouvoir
qu’exacerbe le rang élevé, le plus élevé possible, qu’ils occupent sur la scène
du monde.
Néron présente sa mère comme une puissance dont il a du mal à s’affranchir. Le
regard maternel le frappe de timidité : « pouvoir » rime ici avec « devoir » (v. 6
et 7) car c’est d’elle qu’il tenait ce qu’il devait faire. Le souvenir de « tant de bien-
faits » lui impose un sentiment de reconnaissance qu’il ressent comme une
contrainte et comme une faiblesse. Il s’efforce de reculer dans le passé ce qui pour-
rait le lier à elle (passé composé de « j’ai lu si longtemps » et « mémoire », v. 7 et
8). Le sentiment dominant est la crainte d’être en sa présence: terrorisé, «étonné»,
il « tremble » devant elle et c’est toujours un malheur que d’être exposé « à sa
185
vue » (v. 5). On comprend son effroi quand on découvre ce qu’il représente pour
sa mère. Le fils qu’elle aime est un fils qui lui renvoie les vœux de la cour. Pur
reflet du pouvoir maternel, il incarne une force dont elle est l’âme. Le fils est,
comme le sénat évoqué au vers 12, ce « grand corps » dont elle est « l’âme toute
puissante ». Elle se réjouit de le voir « mal assuré » : que Néron prenne conscience
de son pouvoir, c’est pour elle « être enivré », être emporté par ce que Littré définit
comme « le trouble produit dans une âme par une passion, par une possession ».
Littré cite Racine qui fait dire à Joas (Athalie, IV, 5) : « De l’absolu pouvoir vous
ignorez l’ivresse » : une ivresse qu’Agrippine n’ignore pas.
Le « dépit » qu’éprouve Agrippine se présente d’abord comme un besoin de
« confiance » (v. 4) mais cette confiance s’analyse en termes politiques. Ce
« crédit » qui tombe désigne la « puissance, l’autorité, les richesses qu’on
acquiert » (Furetière) grâce à la confiance qu’on vous accorde. Ce « crédit » est
la mesure de la « grandeur ». Le bonheur perdu d’Agrippine est celui du pouvoir
qu’elle possédait lorsqu’elle avait le soin de « tout l’État », lorsqu’elle était « l’âme
toute-puissante » du Sénat romain et que son « ordre au palais assemblait le
Sénat ». Ce bonheur du pouvoir se redoublait d’être dissimulé « derrière un
voile » : d’être « invisible » la rendait plus « présente ». Bientôt Néron se cachera
lui aussi pour épier Junie parlant à Britannicus. La tirade de Néron confirme la
position de pouvoir occupée par Agrippine dont il redoute le caractère impé-
rieux et dominateur. En entendant le fils, on voit comment ce qui semble si
naturel à la mère peut être écrasant, terrifiant. Ce qu’il appelle « son devoir »
n’a existé que par le « pouvoir de ces yeux » maternels. La résistance dont elle
se plaint n’est qu’une fuite, la seule façon pour lui de résister à un pouvoir qui
l’étouffe. Les deux personnages s’éclairent ainsi par ces discours qui révèlent la
profondeur de leur relation.

Critères de réussite
• Prise en compte des termes de la question qui invitent à comparer les relations
entre les deux personnages.
• Effort d’organisation de la réponse à partir de deux ou trois paragraphes
clairement délimités.
• Présence de citations brèves mais clairement commentées et intégrées à l’expli-
cation proposée.

186
LES GENRES
CHAPITRE

16 Les genres argumentatifs


(PAGES 192 à 207)

On assiste au long des siècles à une diversité toujours plus grande des
formes de l’argumentation. Cette diversité répond à l’évolution et à l’his-
toire de la littérature, comme à celle de ses supports et des moyens de la
communication, qui correspondent aux enjeux sociaux, politiques et phi-
losophiques de chaque époque.
Mais on mesure également combien persistent le modèle et les principes de
la rhétorique de l’Antiquité, en retrouvant derrière l’évolution des formes
les principaux types de discours qui caractérisaient, à Athènes comme à
Rome, les genres oratoires. Louer ou blâmer, attaquer ou défendre, inciter
à l’action ou déconseiller, mettre en valeur ou tourner en dérision restent
les principaux moteurs de tout discours argumentatif. Le cinéma semble
avoir lui-même retrouvé les vertus de l’ancienne rhétorique : nombreux
sont aujourd’hui les films dont l’action se situe dans un tribunal, où se
joue, – réellement ? métaphoriquement ? – le sort de la société contempo-
raine. Ultime espace où les tensions et les conflits peuvent espérer se régler
à travers le discours.

OBSERVATION
(PAGES 192-193)

Introduction
L’éloge de l’œuvre de Prévert auquel se livre Yann Queffelec trouve son pendant
dans le blâme virulent qui lui fait écho dans le texte de Michel Houellebecq. Deux
conceptions s’affrontent, points de vue diamétralement opposés sur un homme,
sur une œuvre, sur la poésie en général et sur la fonction du critique littéraire.
Lorsque Queffelec rend hommage à Prévert, il s’agit du coup de chapeau d’un
écrivain à un autre, probablement flatté d’avoir à remplir cette mission qui le
place au même rang que son prédécesseur. Lorsque Houellebecq évoque Prévert,
il s’agit clairement de choquer et de provoquer le public en ébranlant ses certi-
tudes. Dans les deux cas, le propos est subjectif, car il ne repose que sur des juge-
ments personnels peu argumentés.
187
Réponses aux questions
I. Les conditions de l’argumentation
1. L’émetteur de l’argumentation mise en place dans le texte A est l’écrivain Yann
Queffelec. L’objet de son discours est l’œuvre de Jacques Prévert, dont il fait
l’éloge. L’émetteur de l’argumentation mise en place dans le texte B est l’écrivain
Michel Houellebecq. L’objet de son discours est l’œuvre de Jacques Prévert, dont
il fait le blâme. Les destinataires de ces deux discours sont les lecteurs du journal
Télérama pour le premier, les lecteurs d’un recueil de conférences pour le second.

II. La construction de l’argumentation


2. Pour Yann Queffelec, la poésie de Prévert est « simple et génial(e) » (l. 1). Le
poète « enchante » (l. 14 et 15). Pour Houellebecq, au contraire, la poésie de
Prévert est avant tout « médiocre » (l. 1). Les deux auteurs défendent donc des
opinions opposées sur le poète.
3. On peut aimer la poésie de Prévert pour sa simplicité, on peut ne pas l’aimer
pour la même raison. Le jugement porté sur une œuvre d’art ne repose pas sur
des critères objectifs mais sur les goûts personnels de celui qui émet un jugement.
Chacun peut donc à sa guise se sentir proche de l’un ou l’autre des deux écrivains.

III. Les stratégies de l’argumentation


4. Selon Yann Queffelec, la première qualité de la poésie de Prévert est la sim-
plicité : « La simplicité mène le jeu des mots et des rythmes » (l. 12-13). Cette sim-
plicité se retrouve dans les thèmes abordés par ses poèmes, puisés dans la vie
quotidienne. Queffelec fait appel à la sensibilité du lecteur en le flattant (« n’im-
porte qui est Prévert à son insu », l. 2). Il utilise également un vocabulaire valo-
risant pour évoquer l’objet de son éloge : « champion du monde à l’envers »
(l. 7), « meilleur de soi-même » (l. 14), « Prévert enchante » (l. 14 et 15).
5. Michel Houellebecq utilise une stratégie diamétralement opposée sur la forme,
similaire sur le fond. Là où Queffelec trouve des qualités, Houellebecq distingue
des défauts, dont le premier est la simplicité de la poésie de Prévert : « sa vision
du monde est plate, superficielle et fausse » (l. 21 et 22) ; « l’œuvre entière semble
le développement d’un gigantesque cliché » (l. 23 et 24). Les thèmes abordés ne
sont donc traités que de manière stéréotypée et le monde de Prévert, selon
Houellebecq, est peuplé de caricatures. Loin de flatter le lecteur de Prévert,
Houellebecq affirme « qu’on éprouve parfois une sorte de honte à (le) lire » (l. 2).
Enfin, le vocabulaire employé est essentiellement dévalorisant : « stupidité sans
bornes » (l. 11), « mauvais poète » (l. 20 et 21), « nullité » (l. 23).

188
EXERCICES
(PAGES 201 à 206)

Analyser la situation d’argumentation


Exercice 1B
1. L’émetteur de l’argumentation est Alphonse de Lamartine. Il s’adresse aux
insurgés de 1848, massés devant l’Hôtel de Ville. L’enjeu de l’argumentation est
le choix d’un drapeau pour la France.
2. Lamartine défend le drapeau tricolore que les révolutionnaires veulent rem-
placer par le drapeau rouge. Il s’appuie pour cela sur les valeurs d’« ordre » (l. 3
et 17), de « liberté » (l. 7), de compassion (l. 14), de « victoire » et « d’humanité »
(l. 17 et 18), qu’il veut faire partager à ses destinataires.

Analyser la thèse développée


Exercice 2B
La thèse défendue est : « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de com-
mander aux autres » (l. 1 et 2).
Les arguments apportés sont les suivants :
– la liberté est un cadeau du ciel (l. 2 et 3) ;
– tout individu qui jouit de ses facultés est en droit d’en bénéficier (l. 3 à 5) ;
– seule l’autorité paternelle est légitime (l. 5 à 9).

Exercice 3BB
1. L’auteur défend la thèse selon laquelle l’urbanisation accrue de notre société
nous conduit à « l’asphyxie » (l. 1 et 2).
2. Ses arguments sont les suivants : les hommes sont privés d’espace et de liberté
(l. 2 à 6) ; l’aménagement de nos espaces de vie complique celle-ci au lieu de la
simplifier. Il prend pour exemples les pannes d’ascenseur ou d’électricité qui sont
vécues comme des catastrophes.

Exercice 4BB
1. L’auteur réfute la thèse de ceux qui reprochent aux scientifiques d’être dan-
gereux pour l’humanité.
2. L’argument apporté est qu’il n’existe proportionnellement pas plus de scien-
tifiques dangereux que dans le reste de l’humanité. Il est illustré par les exemples
des Dr Frankenstein ou Folamour, dont les expériences ont causé moins de dégâts
réels que les raisonnements des gens d’église ou des hommes politiques.

189
Étudier les stratégies d’une argumentation
Exercice 5B
1. Dans le texte A, Voltaire utilise l’attaque (par le biais de l’ironie) pour dénon-
cer la guerre. Dans le texte B, il fait appel aux sentiments du lecteur.
2. Dans le premier passage, Voltaire manie l’arme de l’ironie de manière à tourner
en dérision la guerre en s’appuyant sur la complicité du lecteur. Il utilise pour cela
l’antiphrase (« Le merveilleux de cette entreprise infernale », l. 1), le rapproche-
ment de mots appartenant à des domaines opposés (chaque chef « invoque Dieu
solennellement avant d’aller exterminer son prochain », l. 3 et 4) et la périphrase
satirique (« on chante à quatre parties une chanson assez longue […] dans une
langue inconnue à tous ceux qui ont combattu », l. 10 à 13, pour le Te Deum).
3. Dans le second passage, au contraire, Voltaire fait davantage appel à l’émo-
tion du lecteur. Il commence par mettre en avant les valeurs admises par tous
(« l’humanité, la bienfaisance, la tempérance, la douceur, la sagesse, la pitié », l. 1
à 3) avant d’utiliser un vocabulaire affectif (« tourments inexprimables », l. 6 ;
« mourants », l. 7 ; « détruite », l. 9 ; « cris des femmes et des enfants expirant »,
l. 11 et 12). En variant les stratégies argumentatives, le philosophe donne ainsi
plus de force à son discours.

Exercice 6BB
1. Les stratégies argumentatives mises en œuvre sont les suivantes : texte A :
l’appel aux émotions ; texte B : le discours logique ; texte C : l’humour.
2. Les procédés utilisés sont les suivants :
– texte A : la mise en page du texte (le gras, les polices), l’exclamation (titre,
conclusion), le vocabulaire affectif (« souffrances », l. 2 ; « émouvoir », l. 4 ; « arra-
chés », l. 9…), la présence d’un slogan, l’implication par les pronoms (« nous »,
« nos », « vous ») ;
– texte B : la précision du lexique et les répétitions (« La liberté » l. 1, 7, 12, 17,
19, 20), l’appui sur des faits et des exemples (« le Code de la route » l. 9, « la
Déclaration de 1789 » l. 12), les connecteurs logiques (« mais » l. 2 ; « parce que »
l. 15 ; « donc » l. 22) ;
– texte C : la complicité avec le lecteur pour jouer sur l’humour en utilisant les
questions (« à quoi servent les usagers ? » l. 14, « à quoi servent les voyageurs ? »
l. 14…), le paradoxe (« Il faudrait supprimer les usagers » l. 15), la périphrase
satirique (les usagers servent « à ternir l’image des chemins de fer chaque fois que
se produisent une panne de caténaire, une grève, un accident » l. 19).

Comprendre la logique de la démonstration


Exercice 7BB
1. Sépulvéda défend la thèse selon laquelle les Indiens d’Amérique sont des
« esclaves par nature » (l. 2) car ils possèdent une âme inférieure à celle des
190
Européens, qui autorise ces derniers à les réduire en esclavage. Ses arguments
sont que les Indiens « sont incapables de toute initiative, de toute invention »
(l. 10 et 11) ; ils ne peuvent évoluer que par imitation (l. 13 à 19).
2. Las Casas, au contraire, affirme que les Indiens d’Amérique sont des hommes
à part entière : ils possèdent une âme de même valeur que les Espagnols. Ses
contre-arguments sont puisés dans l’Histoire : « De tout temps, les envahisseurs
[…] ont déclaré les peuples conquis indolents… » (l. 21 à 25) ou copieurs (l. 26
et 27).
3. La dernière phrase de Las Casas justifie que le raisonnement de son adversaire
ne puisse être considéré comme une démonstration : les arguments de son adver-
saire peuvent être réfutés, contrairement à ceux de la démonstration, qui repo-
sent sur une assise scientifique. Sépulvéda défend donc une opinion qui, à ce titre,
peut être combattue.

Étudier l’art de convaincre


Exercice 8BB
1. La thèse défendue par Condorcet est que les principes de la morale obligent à
abolir l’esclavage.
2. Les arguments apportés sont les suivants :
– l’abolition de l’esclavage ne nuirait pas au commerce (l. 4 à 7) ;
– les maîtres n’ont aucun droit sur les esclaves, car ils n’en détiennent pas la pro-
priété (l. 8 à 11) ;
– la loi tolère jusqu’alors un crime qu’elle devrait punir de mort (l. 11 à 14) ;
– le roi ne doit donc aucun dédommagement à ceux qu’il priverait de leurs
esclaves par cette abolition (l. 14 à 18).
3. La comparaison associe le « maître des esclaves » à un « voleur ». Celui-ci a
volé la liberté d’un homme pour en faire un esclave.

Exercice 9BB Vers l’invention


1. Sganarelle défend la thèse selon laquelle le tabac est indispensable à l’honnête
homme. Ses arguments en faveur du tabac sont qu’il « réjouit et purge les cer-
veaux humains » (l. 5 et 6), qu’il « instruit les âmes à la vertu » (l. 6 et 7), qu’il
rend éminemment sociable et généreux (l. 8 à 16).
2. DOM JUAN, refermant violemment la tabatière de Sganarelle. – La peste soit
de votre tabac! Aristote n’était pas si bête lorsqu’il affirmait que le tabac est nocif!
Je connais bien des honnêtes gens qui vivent très bien sans lui et qui s’en félici-
tent. Non seulement le tabac fait tourner la tête de ceux qui en abusent, mais
encore ils seraient capables de commettre un crime pour s’en procurer lorsqu’ils
n’en ont pas. Ne voyez-vous pas que, dès qu’ils en manquent, ils courent à droite
ou à gauche, prêts à s’adresser au premier qui passe afin de quémander une prise
ou deux ? Le tabac rend l’âme vile et captive. Mais c’est assez de ces longs dis-
cours inutiles. Reprenons notre chemin.
191
Analyser les procédés de la persuasion
Exercice 10BB
Le tract présente au premier plan une armée de moutons disciplinés, aux traits
agressifs, tous vêtus d’une casquette de marque Nike. En arrière-plan, les sym-
boles de la marque occupent l’espace : des drapeaux entourent un immeuble qui
figure le siège social de cette entreprise multinationale. Un slogan barre l’image :
« Démarque-toi ».
À travers cette apostrophe à la deuxième personne du singulier, l’association inter-
pelle les jeunes afin de les faire réfléchir sur l’uniformisation des tenues vesti-
mentaires. Le verbe « se démarquer » prend ici un double sens : il s’agit à la fois
d’être différent de tous ceux qui choisissent la même marque, mais aussi de refuser
l’ensemble des grandes marques qui séduisent les jeunes.
Ce second sens est souligné par le second slogan, situé au bas du tract : « Rentrée
sans marque » répète la nécessité d’abandonner aux portes de l’école cette forme
nouvelle de discrimination par les marques vestimentaires.

Exercice 11BB
1. François Mauriac défend la thèse selon laquelle la culture américaine a une
influence croissante sur notre société, au point de la transformer. Il cherche à faire
partager au lecteur le sentiment de rejet qu’il éprouve pour un mode de vie qui
lui paraît étranger à sa propre culture. C’est cette valeur d’identité culturelle qu’il
met en avant pour justifier son point de vue (« notre génie »).
2. Outre les arguments et les exemples apportés (les États-Unis nous ont apporté
leur musique, leur mode de vie, leur cinéma…), Mauriac utilise un certain nombre
de procédés de la persuasion : le vocabulaire dépréciatif (« transformés », l. 6 ;
« imposent », l. 10 ; « stéréotypé », « interchangeable », l. 12 ; « idolâtrie », l. 13 ;
« s’asservit », « folie », l. 15 ; « les moutons de l’Occident », l. 16 et 17), mais aussi
l’implication par les pronoms « me » (l. 3), « je » (l. 4), « nous » (l. 5, 10 et 18) et
« notre » et « nos » (l. 6, 8 et 20).
Remarque. On peut faire établir aux élèves un parallèle entre ce texte et l’image
qui le précède (exercice 10) afin de montrer la continuité du discours et la diver-
sité des techniques argumentatives mises en œuvre.

Exercice 12BBB Vers le commentaire


1. Mirbeau s’élève violemment contre les expositions et les ventes de peinture
qui n’en valent pas la peine.
2. L’argumentation relève de la simple opinion : à aucun moment l’auteur ne
cherche à convaincre le lecteur autrement que par les procédés de la persuasion.
Il peste, gronde, s’exclame, s’emporte sans jamais apporter d’arguments.
3. Dans cette chronique publiée en 1892, Octave Mirbeau fait part au lecteur de
sa mauvaise humeur devant la multiplication des expositions et des ventes de
peinture. Pour persuader son lecteur du bien-fondé de son jugement, il emploie
192
tous les procédés de l’éloquence qui lui permettent d’extérioriser son sentiment
de colère. Le texte commence ainsi par une double exclamation : « Que d’expo-
sitions de peinture ! que de ventes de peintures ! » Le lecteur est d’emblée impli-
qué dans ce discours, qui peut lui paraître paradoxal de la part d’un critique d’art.
L’implication se poursuit et se renforce au moyen des pronoms « nos » (l. 5), puis
« nous » (l. 10 et suivantes), obligeant celui qui lit à partager l’opinion de celui
qui écrit. Et cette opinion se traduit par un vocabulaire dévalorisant : le « flot de
peinture » est « vomi » (l. 7) ; c’est un « cataclysme » (l. 16). Par ailleurs, le lecteur
se trouve comme emporté par la métaphore filée qui parcourt le texte : ce « flot
de peinture » semble démesuré, il « s’enfle, déborde, déferle » (l. 9) en une gra-
dation d’intensité croissante dans laquelle « nous nageons », « nous nous noyons »
(l. 10 et 11)… Le texte s’achève sur une question rhétorique désespérée (l. 14 à
16) : le déluge de peinture semble ainsi inévitable et apocalyptique.
Remarque. Octave Mirbeau est l’un des plus grands critiques d’art de son temps.
Ami de nombreux artistes, il est reconnu pour la qualité de ses jugements. C’est
lui qui, le premier, acheta une toile à Van Gogh (les Tournesols), lui permettant
ainsi de poursuivre son œuvre.

Étudier l’éloge et le blâme


Exercice 13BB
1. L’auteur se livre à un plaidoyer pour le sommeil et fait le réquisitoire de ceux
qui, le fuyant, cherchent ainsi à affirmer leur conscience professionnelle.
2. Il cherche à faire partager l’opinion selon laquelle il ne faut pas avoir honte
de « dormir comme tout le monde » (l. 3-4).
3. L’auteur invoque le droit au sommeil (premier paragraphe) ; la nuit constitue
pour lui « le sommeil du juste », un repos justifié par une journée de travail. Il
invoque également les droits du dormeur face à «l’insomniaque» (l. 31) qui écrase
de sa « fierté » (l. 36) le « gros dormeur » (l. 37).
4. « Éloge du sommeil », « Éloge d’une nuit de repos », « Éloge des gens qui
dorment la nuit », « Éloge du temps perdu à dormir »…

Exercice 14BB
1. Il s’agit bien sûr d’un éloge funèbre.
2. Vallès fait le portrait de Courbet en insistant sur ses qualités d’artiste et sur
ses qualités d’homme. Il s’appuie pour cela sur le vocabulaire laudatif (« Homme
de paix », l. 1 ; « sans arme », l. 2) et apporte des arguments pour réfuter les
reproches faits au peintre (son engagement auprès des communards). Le portrait
s’ornemente de figures de rhétorique qui participent à la forme de l’éloge : l’allé-
gorie, l’anaphore, la métaphore, la métonymie.
3. Vallès invoque et défend à travers cet éloge les valeurs de liberté, d’honnêteté
(l. 13) et de travail (l. 19).
193
Exercice 15BB
1. Dans cette chronique, Guy de Maupassant fait le blâme de la guerre : il s’agit,
au sens large du terme, d’un réquisitoire contre la guerre et les guerriers.
2. Maupassant veut faire partager au lecteur toute l’horreur qu’il éprouve pour
la guerre et ceux qui la font. Il implique le destinataire à travers l’emploi du
pronom « nous » (premier paragraphe) et de la fausse question (second para-
graphe).
3. Le vocabulaire qui désigne les « hommes de guerre » est un vocabulaire déva-
lorisant : ils sont des « brutes » que l’on voit « tuer par plaisir, par terreur, par
bravade, par ostentation » (l. 2 à 4). Maupassant prend position au nom du droit
(l. 4), de la loi (l. 5), de la justice (l. 5), de l’innocence (l. 6) et de l’intelligence
(l. 15).

Exercice 16BB
1. L’émetteur de ce réquisitoire contre le jeu est Jean de La Bruyère. Le destina-
taire est le lecteur des Caractères, et plus particulièrement celui qui s’adonne au
jeu. L’objectif poursuivi par le moraliste est de dénoncer le fléau que constituent,
à ses yeux, les jeux d’argent.
2. L’auteur met en œuvre un certain nombre de procédés rhétoriques :
– l’hyperbole (« Mille gens se ruinent au jeu », l. 1) ;
– l’exclamation (« quelle excuse ! », l. 3) ;
– les questions oratoires (« Y a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse
qu’elle soit, qui ne pût tenir ce même langage ? », l. 3 à 5) ;
– le vocabulaire évaluatif (« effroyable », l. 7 ; la ruine totale », l. 9, etc.) ;
– la gradation d’intensité (« effroyable, continuel, sans retenue, sans bornes », l. 7
et 8).

Exercice 17BBB Vers la dissertation


Pistes de réflexion
Beaumarchais s’inscrit dans le mouvement des Lumières lorsqu’il affirme, par
l’intermédiaire de Figaro que : « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flat-
teur. » Il revendique ainsi la liberté de tout dire pour les écrivains. En effet, le
droit à l’esprit critique constitue pour les philosophes un combat de tous les ins-
tants. La Fontaine et Molière avaient ouvert la voie au siècle précédent.
Montesquieu, Diderot, Voltaire ou Rousseau s’engouffrent dans cette brèche pour
remettre en cause les préjugés et les superstitions, les abus de pouvoir et l’abso-
lutisme. Le blâme des puissants constitue à ce titre l’exercice fondamental de l’es-
prit critique des Lumières. Seule la possibilité de blâmer rend l’éloge sincère, voilà
ce que déclare en substance Figaro, paradoxalement applaudi par ceux à qui il
délivre ce message. La Révolution française n’est pas loin…
Toutefois, est-ce véritablement le rôle des artistes de remettre en cause les fon-
dements de la société ? On peut nuancer l’affirmation de Beaumarchais en consi-
dérant que ni le blâme ni l’éloge ne relèvent de l’exercice de la littérature. La
194
fonction du poète, tels que beaucoup d’écrivains la conçoivent, est de permettre
au lecteur d’accéder à un univers supérieur. Certains mouvements, comme le
Parnasse ou le symbolisme, délaissent volontairement la critique sociale, consi-
dérant qu’elle n’est pas du ressort de l’art. L’écrivain n’est, par conséquent – mais
peut-être cela dépend-il du contexte historique dans lequel s’inscrit son œuvre –,
pas forcément un écrivain engagé…

EXO-BAC
(PAGE 207)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. Victor Hugo dénonce le travail des enfants ; ce travail est nuisible car il prive
les enfants de leur liberté et met en péril leurs qualités physiques et morales.
2. Les valeurs défendues par Hugo sont celles qui sont détruites par le travail : la
famille, l’éducation, la solidarité, la santé physique et mentale… En dénonçant
le travail des enfants, Victor Hugo condamne les excès de la société industrielle,
« Qui produit la richesse en créant la misère,/Qui se sert d’un enfant ainsi que
d’un outil. » On sent le poète profondément révolté par la tristesse et la débilité
(« Rachitisme ! ») de ceux qui sont présentés comme les victimes innocentes d’un
« monstre hideux » : le travail.
3. Les procédés de la persuasion :
– les questions oratoires (vers 1 à 3) conduisent le lecteur à entrer dans l’argumen-
tation en s’interrogeant sur l’identité de « ces enfants dont pas un seul ne rit » ;
elles soulignent l’étonnement feint du poète, sa surprise inquiète devant le spec-
tacle décrit ;
– l’apostrophe (vers 14-15) est adressée par les enfants à Dieu ; cette forme de
prosopopée permet d’émouvoir le lecteur, de susciter un sentiment de pitié par-
tagée, de le mettre face à ses responsabilités morales ;
– les exclamations (vers 16 à 21) mettent en évidence l’indignation du poète, sa
révolte devant le phénomène décrit. Elles visent également à faire partager au
lecteur cette colère.

Écriture
Le poème prend la forme d’un tableau narratif : il commence par la description
des enfants se rendant au travail (vers 1 à 3) ; se poursuit avec celle des condi-
tions dans lesquels ces enfants sont placés (vers 5 à 15) ; se termine avec l’ex-
pression de la thèse défendue par l’auteur (vers 16 à 24). On peut parler d’un
raisonnement inductif : le poète part de l’exposé d’un cas particulier pour aller
progressivement vers l’idée à défendre. Mais parallèlement aux arguments mis
en place (le travail étouffe les enfants, détruit leurs capacités physiques et intel-
195
lectuelles), le poème fait aussi appel aux sentiments du lecteur, à sa pitié, pour
mieux le persuader.
La force de persuasion du poème repose donc également sur l’éloquence de Victor
Hugo. Il utilise pour cela un certain nombre de figures de style : les antithèses :
«cendre»/«joue» (vers 11); les parallélismes: «Ils vont, de l’aube au soir, faire éter-
nellement/Dans la même prison le même mouvement. » (vers 5-6); «D’Apollon un
bossu, de Voltaire un crétin!» (vers 21); les métaphores : « Accroupis sous les dents
d’une machine sombre, etc. » (vers 7-8) ; ou encore la métonymie : « la cendre est
sur leur joue » (vers 11). L’ensemble de ces figures contribuent à émouvoir le
lecteur en lui dressant un tableau très sombre du travail des enfants. Comme les
adresses au destinataire, elles participent à l’argumentation et manifestent l’élo-
quence du poète.

Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés ;
• Analyse de la progression de l’argumentation contenue par le poème ;
• Mise en évidence des procédés qui participent à l’éloquence du poème.

196
PARTIE II

LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC


CHAPITRE

17 Le roman et ses personnages:


visions de l’homme et du monde
(PAGES 208 à 225)

Depuis le Moyen Âge, le roman apparaît comme une forme littéraire pri-
vilégiée de représentation de l’homme et du monde. Tous les registres s’y
retrouvent. Tous les sentiments y sont développés. Toutes les épreuves
auxquelles l’homme est confronté sont représentées par le genre roma-
nesque.
À travers lui, chaque écrivain fait sentir ce qu’il aime, ce qu’il trouve beau
ou laid, admirable ou inquiétant dans l’homme et dans la société. C’est
ainsi que le romancier s’interroge et expose ses doutes par l’intermédiaire
de ses personnages. Il fait alors partager au lecteur sa vision du monde.
Du roman de chevalerie au Nouveau Roman, du conte philosophique au
roman sentimental, du héros invincible à l’anti-héros, le romancier ne se
contente pas d’exprimer les mutations sociales : en défendant ses valeurs,
en explorant les rêves, les désirs et les angoisses profondes de l’homme, il
contribue aussi à faire changer les mentalités.

OBSERVATION
(PAGES 208-209)

Réponses aux questions


L’Éducation sentimentale et la représentation
de l’homme et du monde
Le titre de L’Éducation sentimentale appelle clairement le récit d’une initiation
amoureuse. Comme tous les grands romans d’apprentissage du XIXe siècle, qui
racontent les aventures d’un jeune homme découvrant le monde et y cherchant
sa place, le roman de Flaubert va raconter les succès et les échecs amoureux du
héros, parallèlement à ses tentatives de réussite professionnelle.
197
Déjà l’attitude de Frédéric Moreau sur le bateau, le soupir qu’il pousse en quit-
tant Paris (la ville de toutes les rencontres et de tous les plaisirs) et la rêverie qui
le fait s’impatienter de « passions futures » le montrent prêt à découvrir l’amour.

I. La représentation du monde : l’univers romanesque


1. Dès la première phrase, dès l’incipit du roman, Flaubert indique précisément
le lieu et le moment où commence l’action. Les indications se multiplient ensuite :
c’est Paris qui s’éloigne peu à peu (le quai Saint-Bernard, les berges, les monu-
ments, les deux îles de la capitale) ; c’est le bateau sur lequel s’est embarqué le
personnage ; c’est, d’une manière plus générale (comme d’une vue plus élevée),
le triangle formé entre le lieu où il habite et s’ennuie (Nogent-sur-Seine), la ville
du Havre où réside son oncle, et Paris où se déroulera principalement l’action du
roman.
2. C’est presque une didascalie théâtrale que Flaubert fournit au lecteur dans la
première phrase de L’Éducation sentimentale. Mais l’effet de vie, l’illusion de
réalité est produite par les indications de mouvement, d’animation du bateau
(« partir », « fumait à gros tourbillons »). De même, le narrateur n’a pas écrit « à
six heures du matin », mais « vers six heures du matin », créant ainsi un effet de
complicité avec le lecteur. « Je ne suis pas omniscient, semble-t-il dire, mais mon
récit n’en est que plus réel. »

II. Le personnage de roman : une vision de l’homme


3. Ce qui permet de reconnaître dans un personnage le héros du roman – ce qui
le « qualifie » comme héros – est, dans la grande majorité des cas, le fait qu’il
apparaît le premier dans le texte. C’est le cas ici avec le « jeune homme de dix-
huit ans », nommé ensuite (Frédéric Moreau). C’est lui qui occupe grammatica-
lement la position dominante : il est le plus souvent le sujet de la phrase qui
s’organise donc à partir et autour de lui (« il contemplait… », « il poussa un grand
soupir… », etc.).
Tandis que les matelots et les passagers forment un arrière-fond de figurants indif-
férenciés, un personnage secondaire apparaît dans le texte B : c’est par l’inter-
médiaire du regard de Frédéric qu’il est introduit au lecteur. Le fait que ce dernier
le suive montre que ce personnage revêt une certaine importance (la paysanne
dont il manie la croix ne lui a servi que de faire-valoir). Il est décrit avec une cer-
taine précision. Il n’est pas encore nommé. Mais cela ne saurait tarder (on appren-
dra vite qu’il s’appelle Jacques Arnoux).

III. La construction littéraire du personnage


4. Très vite, en quelques paragraphes, le romancier conduit le lecteur à partager
l’intimité de son personnage. Sa situation familiale (père absent ou décédé, mère
attentionnée, milieu relativement aisé et en espérance d’héritage), sa situation
professionnelle (étudiant à la rentrée prochaine), son âge (18 ans), son apparence
physique (cheveux longs), son attitude sur le bateau (immobile, un album à la
main – c’est-à-dire un cahier pour noter des réflexions, écrire des poésies ou tracer
198
des dessins), ses rêves de vie à Paris, ses goûts artistiques (entre « drame » et
« tableaux ») montrent en lui un jeune homme un peu romantique, vaniteux
(« l’excellence de son âme »), impatient de la vie et curieux (comme en témoigne
son attitude vis-à-vis de l’homme rencontré sur le bateau).
Le héros suscite ainsi chez le lecteur une certaine sympathie : ses défauts ne sont-
ils pas ceux de tous les jeunes gens du même âge ?…
5. L’inconnu apparu dans le bateau a toute l’apparence d’un personnage « haut
en couleurs », qui aime à être le centre de l’attention générale. Très sociable (cf.
ses « clins d’œil », les cigares qu’il offre à la ronde), beau parleur, séducteur (cf.
son attitude à l’égard de la paysanne), généreux, ce pourrait être un représentant
de commerce ou quelqu’un qui vit dans le milieu des artistes. Ses caractéristiques
physiques (« gaillard », « robuste », « cheveux crépus »), son apparence vesti-
mentaire (qualité des tissus, couleurs, bijoux) le font également remarquer.
Au milieu des passagers et des matelots qui l’ennuient rapidement, l’inconnu a
remarqué Frédéric comme quelqu’un, sans doute, avec qui bavarder.

EXERCICES
(PAGES 215 à 222)

Découvrir l’époque, le lieu et les personnages


Exercice 1✢
1. Le roman se déroule à l’époque contemporaine (cf. l’électricité), mais de nom-
breux éléments soulignent le caractère très ancien du bâtiment : classé monument
historique, il n’offre pas le confort des logements modernes. On peut remarquer
également l’opposition entre les détours de l’immeuble (escalier, couloir, murs…)
et le vaste appartement de 200 m2.
Ce dernier est ainsi à l’écart : il est dans le sous-sol, et la lumière n’y arrive que
par quelques soupiraux.
2. La première indication, qui peut être considérée par le lecteur comme l’indice
d’une intrigue à venir, consiste dans l’ancienneté du bâtiment, la mention de la
Renaissance et des sages qui y ont habité, la poussière dans l’appartement lui-
même : il y a là un ancrage historique qui ne demande qu’à prendre un tour mys-
térieux. Les autres indices tiennent principalement à l’absence de lumière :
l’interrupteur qui ne fonctionne pas, la marche dans les ténèbres, les rares sou-
piraux qui éclairent le sous-sol.
De même le personnage a la phobie du noir : dès lors comment pourra-t-il, en cas
de panne d’électricité par exemple, vivre dans un endroit fermé où la lumière de
l’extérieur n’entre pas… ?

Exercice 2✢✢
1. Les souvenirs du héros, Tanguy, remontent à la guerre civile espagnole (juillet
1936-avril 1939) qui oppose les républicains élus aux militaires insurgés, entraî-
199
nés par le général Franco. Ce fort ancrage historique permet au roman de donner
une impression de vérité, même si les souvenirs sont fragmentés.
À travers la confusion de la mémoire, Tanguy se souvient des miliciennes dans
les rues, des sirènes pendant les alertes, de la voix de sa mère à la radio, du jardin
public de Madrid, du passage des enterrements, de sa nurse. Ce sont là des indi-
cations historiques, « objectives », qui donnent l’impression au lecteur d’être
plongé dans une situation bien réelle, au moment où un destin individuel croise
celui d’un peuple.
2. De même, l’univers mis en place par le roman est celui de la guerre, avec son
cortège d’angoisses et de souffrances : longues queues, maisons bombardées,
cadavres dans les rues, soldats en armes, sirènes hurlantes, contrôles de papiers,
enterrements. La première phrase (cf. « le coup de canon », comme les trois coups
au théâtre) souligne cette dimension obsédante de la guerre dans la mémoire du
héros. Les impressions et les émotions de l’enfant – la peur, la faim, l’angoisse, la
tristesse, les pleurs… – donnent un caractère concret aux conséquences, aux effets
de la guerre sur les individus. Le romancier crée ainsi un univers intimiste émou-
vant au milieu du climat de violence général.

Exercice 3✢✢✢
1. Écrit à la première personne, le journal tenu par Mlle Célestine R…, femme
de chambre, multiplie les indications spatio-temporelles : la date (14 septembre),
l’heure (trois heures), l’atmosphère du jour (climat doux et humide). Par ailleurs
il renvoie à une période de deux ans dans la vie du personnage, en soulignant la
multiplication des places occupées : instabilité de la femme de chambre ? Exigences
démesurées ou défauts et vices de ses employeurs ?
L’action en tout cas se déroule vraisemblablement à Paris, puisque tous les lieux
cités renvoient à des quartiers de la capitale, et que Le Figaro a servi de moyen
de contact.
2. Nombreux sont les moyens par lesquels le romancier peut « authentifier » le
récit qu’il livre au lecteur : manuscrit trouvé dans l’armoire d’un grenier, envoyé
anonymement par la poste, transmis sur un lit de mort. Ici, l’écrivain dit avoir
rencontré personnellement l’auteur du texte, et avoir été séduit par elle.
Ce qui donne un caractère de réalité à cette fiction du manuscrit communiqué
tient précisément à la représentation de l’écrivain dans son travail (sollicité pour
« corriger », émettant un jugement sur le texte, refusant d’abord d’intervenir),
comme à celle de la femme de chambre, à la fois jeune et jolie…
3. C’est le propre du roman réaliste que de chercher à donner au lecteur l’im-
pression de la réalité. Il s’agit pour le romancier de «faire vrai», d’effacer la fiction
pour produire un effet de réel. Disciple et ami de Zola, Octave Mirbeau multi-
plie ici les procédés qui créent l’illusion de la réalité. D’abord, son roman est écrit
à la première personne et épouse la forme d’un journal intime : mention de la date
en tête de chaque fragment, alternance des temps du discours (commentaires
actuels) et du récit (événements passés), considérations générales, etc. Il s’agit
alors de donner au personnage de Célestine les traits physiques et psychologiques
200
conformes à son statut de femme de ménage. Mirbeau souligne cette conformité
à travers son langage : « ç’a été tout »… Mais le romancier va plus loin : avant
que l’histoire ne commence, il se présente lui-même pour attester de l’existence
de Célestine, qui lui aurait confié son manuscrit. Ici encore il multiplie les garan-
ties de vérité, ayant d’abord refusé de corriger, avant d’être séduit par la jeune
femme. Tout cela paraît vraisemblable. Mieux: réel. Et le lecteur peut lire le roman
en toute confiance. Il a entre les mains un « document vrai ».

Étudier le héros de roman


Exercice 4✢✢
1. Héros positif, le personnage de Gilliatt créé par Victor Hugo est un être com-
plexe. Chaque indication physique donnée par le romancier est accompagnée d’une
réflexion sur le caractère du personnage. Les deux dimensions, physique et morale,
se mêlent étroitement pour en faire un être attachant. Ici c’est le charme qui est
souligné (délicatesse de l’oreille, rire enfantin, dents blanches), là c’est la force
virile (barbare antique, digne de figurer sur la colonne Trajane à Rome), ailleurs
c’est la profondeur morale qui est mise en valeur (ride, amertume, vieillissement,
noblesse, franchise, sérénité)… Tout montre en Gilliatt un personnage capable se
mesurer aux éléments, capable d’affronter la mer. Le texte souligne tout ce qui en
fait un marin exceptionnel.
Gilliatt incarne ainsi l’homme authentique, naturel, qui ne cherche pas à séduire,
qui n’est pas corrompu par la société. Réservé, sage, digne de confiance, il connaît
les dangers de la mer et a le courage de les affronter.
2. L’héroïne d’Echenoz apparaît comme un personnage négatif. Dès la première
ligne du texte, le lecteur apprend qu’elle a scellé le destin de quelqu’un (machi-
nation ? ruine ? mort ?) qu’elle va « précipiter dans le vide ». Toutes les indications
qui se rapportent à sa tenue ou à son logement (plafond grisâtre, peignoir
informe), tout ce qui a trait à son visage dans le miroir (le maquillage et la sueur),
son attitude elle-même (la violence avec laquelle elle se lave) confirment un per-
sonnage antipathique, dont il faudra certainement craindre les agissements.
3. M. Folantin, le personnage de Huysmans, est un être gris, neutre, sans relief.
Ni positif ni négatif, il représente monsieur tout le monde. On dirait aujourd’hui
qu’il est sujet à la dépression, qu’il a du mal à assumer le quotidien de son exis-
tence. Tout va toujours de travers ; les moyens financiers manquent pour mener
une vie dégagée des soucis matériels ; le climat lui-même est un ennemi. Avec cela,
l’âge n’arrange rien : à quarante ans, Folantin n’a plus guère d’espérances.
Anti-héros, il suscite la sympathie du lecteur, qui mesure le découragement d’un
homme ordinaire et reconnaît dans le personnage romanesque ses propres
moments d’abattement.

Exercice 5✢✢✢ Vers l’écrit d’invention


1. La foule des mineurs est constituée par deux groupes distincts. D’abord appa-
raissent les femmes, qui se décomposent en trois groupes en fonction de leur âge :
201
les mères tenant leur enfant, puis les plus jeunes, enfin les vieilles femmes. De leur
côté les hommes forment un ensemble homogène, caractérisé par la présence de
tous les métiers de la mine.
2. L’image de « l’ouragan » expose immédiatement une idée de fusion et de vio-
lence. Les indications du nombre de grévistes produisent elles aussi un effet de
groupe, les éléments d’une foule : « près d’un millier » pour les femmes, « deux
mille furieux » pour les hommes. Zola multiplie les termes qui soulignent leur
union, en particulier avec l’expression : « une masse compacte qui roulait d’un
seul bloc, serrée, confondue ». On retrouve l’impression d’unité dans « la même
uniformité terreuse ». Par ailleurs, en s’arrêtant à quelques éléments du visage
– « les yeux », « les trous des bouches noires » –, le romancier renforce le senti-
ment d’indistinction des individus fondus dans le groupe.
3. Aux yeux des bourgeois, partagés entre le mépris et la peur, la foule des
mineurs ne présente que des aspects négatifs : pauvreté et saleté (mauvaise odeur
de « la canaille »), laideur et violence (« visages atroces », « ces bandits-là »).
Rappelons que le mot « atroce » signifie étymologiquement : qui a un aspect noir.
4. «Bouchez-vous les oreilles, voilà l’harmonie qui passe», murmura à ses clientes
le pâtissier qui préférait aux manifestations sportives la pêche à la ligne.
Mais sa plaisanterie fut étouffée par la tempête de cris, de chansons et de rires
qui venait de la rue. La foule des supporters avait envahi le centre-ville. Les places,
les rues, les trottoirs étaient occupés par un flux toujours plus grand d’hommes,
de femmes et d’enfants – la plupart juchés sur les épaules de leurs parents – qui
chantaient l’hymne de leur club. Quelques-uns tenaient des drapeaux, d’autres
faisaient tournoyer leur écharpe, d’autres encore soufflaient dans une trompette.
Partout les deux couleurs sang et or pavoisaient la ville qui semblait prise de
vertige, et les chants s’amplifiaient, montaient des gorges tendues, résonnaient
par-dessus les têtes dans une vague continue, tandis qu’un roulement de tambour
faisait vibrer les cœurs, impatients de la victoire.
« Quelle bande de fainéants », balbutia une cliente de la boulangerie.
Le boulanger soupira une nouvelle fois : « Chaque fois, c’est pareil, je ne recon-
nais plus mes concitoyens ! »

Étudier les personnages secondaires


Exercice 6✢
1. Le personnage de Fantômas, criminel endurci, passé maître dans l’art de se
métamorphoser et d’échapper aux poursuites de la police, incarne le « démon du
mal ». Il semble insaisissable et met sur pied des machinations de plus en plus
complexes. C’est pourquoi, plus que l’inspecteur Juve ou le journaliste Fandor
qui cherchent à l’arrêter, il est ici le héros du roman. Héros négatif qui fait fris-
sonner le lecteur, dans l’espoir qu’il sera fait prisonnier, dans l’espoir aussi qu’il
pourra s’échapper pour de nouveaux frissons.
2. Le personnage secondaire, qui incarne le « bien » face au « mal » est l’inspec-
teur Juve (il y a aussi le journaliste Fandor qui n’est pas mentionné dans le
202
résumé). Tous les autres – Lord Beltham, Rambert, Gurn, Lady Beltham – gravi-
tent autour de Fantômas (ce sont, pour la plupart, ses fausses identités) : ils ali-
mentent l’action de ce premier épisode et ne reviendront pas dans la suite des
aventures de Fantômas.

Exercice 7✢
1. En quelques lignes, le texte fait apparaître trois personnages proches de la nar-
ratrice : son mari, sa meilleure amie, sa mère. Le cercle des personnages secon-
daires qui gravitent autour de l’héroïne est constitué.
2. Le roman s’ouvre sur une situation de crise : le mari de la narratrice a disparu.
Il s’agit dès lors de la soutenir par des liens d’amour et d’amitié. La mère, la pre-
mière prévenue, après avoir essayé de réconforter sa fille, fait appel à la meilleure
amie de celle-ci pour continuer ce travail de soutien. On assiste ainsi à la mise en
œuvre d’un réseau de solidarité féminine. Non sans humour : à la discrétion de la
mère (« quelque chose ne tournait pas rond ») fait écho l’entrée en matière brutale
de la meilleure amie : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire, ton mari a disparu ? »
L’enchaînement des faits racontés, l’apparition successive des personnages, les
détails qui ponctuent le récit (« le canapé ») contribuent à donner de la narratrice
l’image d’une personne réelle, que l’on pourrait vraiment rencontrer.

Exercice 8✢✢
1. Dès le titre du roman, Diderot présente les deux héros de l’histoire, Jacques
et son maître. Reprenant une situation fréquente dans le roman et le théâtre clas-
siques, le maître et le valet forment ici le moteur de l’action à travers le pronom
« ils », avant de se différencier par leurs réactions devant les événements.
2. Les personnages d’arrière-plan comprennent les malfaiteurs d’une part (bri-
gands, canaille), les gens de l’auberge avec leurs enfants et leurs valets d’autre
part.
3. Dès les premières lignes, la situation apparaît comme sinistre, puisque les deux
héros traversent un pays marqué par la misère : misère des lieux, des gens, de la
nourriture. Cette misère engendre un climat général d’insécurité, dans le pays
comme dans la chambre qui leur est donnée. Ce sentiment d’insécurité est ren-
forcé par le rire et l’insolence provocatrice des brigands qui, eux, sont parfaite-
ment à l’aise dans cet univers dont l’administration (et la police) semblent absents.
Dans ce climat menaçant, Jacques réagit avec détermination. Son fatalisme – « Il
arrivera ce qui est écrit là-haut» – est l’expression de son courage. Il veut se venger
de l’offense et ne craint pas d’aller affronter le groupe des brigands.
À l’inverse, le maître de Jacques est plus inquiet. La peur le gagne et, dans cet
épisode, c’est bien Jacques le véritable héros, conformément à la leçon donnée
par le roman et le théâtre de l’âge classique. Devant les situations difficiles, c’est
le valet qui montre les plus belles qualités humaines.

Exercice 9✢✢✢ Vers l’oral


1. Angelo, le héros de Giono, appartient à une autre époque, celle des chevaliers
au cœur pur qui traversent le monde, indignés et amusés devant la médiocrité des
203
hommes. Le cavalier qu’il croise incarne les défauts qu’Angelo méprise le plus.
Le portrait mêle constamment l’apparence physique et les traits de caractère du
personnage, et les révèle à travers ses attitudes :
– au physique : corpulent, gros, ridicule… ;
– au moral : prudent, tremblant, habité par la peur (« la terreur la plus abjecte »),
tombant à genoux, horrifié ; mais également hypocrite et calculateur : « un air
sournois »…
2. Le personnage rencontré est un personnage d’arrière-plan car on ne le reverra
plus dans le roman. Il intervient pour permettre à l’action de rebondir et consti-
tuer un épisode supplémentaire dans l’enchaînement des aventures du héros.
Le personnage d’arrière-plan sert ainsi de « faire-valoir » au héros. Ses défauts
mettent en valeur les qualités d’Angelo : d’un côté, gestes lourds et grossiers,
lâcheté et hypocrisie, médiocrité générale ; de l’autre, élégance et hardiesse, gen-
tillesse et bravoure, gestes rapides et sûrs. Angelo est légitimé par la qualité de
son cœur : il peut « emprunter » le cheval pour poursuivre sa mission. Le cheval
lui-même est trop heureux de ce changement de cavalier. Tout au long de son
aventure, Angelo croisera ainsi des personnages médiocres (mais aussi d’autres
pleins de dévouement et d’humanité), à travers lesquels Giono expose sa vision
du monde.

Étudier l’identité et la caractérisation


d’un personnage
Exercice 10✢
1. En quelques lignes, Balzac donne un grand nombre d’informations qui dres-
sent un portrait complet, « haut en couleurs », du personnage de Pierrotin :
Nom Pierrotin
Âge 40 ans
Professions successives Cavalier dans l’armée
Simple cocher
Propriétaire d’une ligne de messagerie (diligence)
Situation de famille Marié à la fille d’un aubergiste, père de famille
Ascendants Père : cocher

2. Le romancier multiplie les indications relatives à l’histoire personnelle, au


caractère et à l’apparence physique du personnage. Il apparaît au physique leste
et rougeaud, le visage marqué par l’exposition au plein air et aux intempéries,
avec une physionomie changeante et souple. Au moral, c’est un « brave garçon »,
qui a les qualités nécessaires à son métier : intelligence, exactitude, esprit de déci-
sion, aisance avec la clientèle, mélange de rudesse (avec les chevaux) et de sou-
plesse (avec les bourgeois), sens des convenances, obéissance à la hiérarchie
sociale, respect envers les femmes…
204
Au total, Pierrotin apparaît comme un être « entier », un personnage plein (sans
contradiction) sur le plan physique, psychologique, social et professionnel.
3. De manière indirecte, Balzac laisse entendre que le personnage a une certaine
corpulence : il est « leste » (malgré son poids… ?) et la description de ses bottes
(« bonnes grosses bottes pesantes ») confirme cette impression. Il est certainement
soucieux de ses vêtements, et peut-être un peu coquet (cf. sa blouse bleue et ses
poignets aux « broderies multicolores »). Tout le passage souligne le profond sens
du commerce de Pierrotin, son habileté dans les rapports humains et, dans le
fond, une certaine raillerie à l’égard des bourgeois et de ses clients considérés
comme des « paquets ».

Analyser la construction d’un portrait


Exercice 11✢✢
1. Philibert Péterat apparaît comme un « original ». André Gide s’amuse à donner
ici le portrait caricatural d’un personnage tourné en ridicule. Son nom lui-même
souligne cette dimension burlesque. Cet extrait ne nous apprend rien sur ses traits
physiques et le lecteur peut l’imaginer à son gré. Sur le plan psychologique, deux
traits dominants apparaissent :
– un personnage possédé par une manie (comme les personnages monomaniaques
de Molière) : celle de son métier, la botanique. Il ne craint pas ainsi de sacrifier
les prénoms de ses filles à cette manie (en particulier le prénom de la troisième),
et oublie Arnica pour ses randonnées solitaires ;
– un personnage aigri par ses déboires conjugaux, qui, tout en vivant avec sa fille,
a l’air d’un homme solitaire, replié sur lui-même, avec ses habitudes endurcies
(cf. les mêmes airs de flûte), qui en oublie Arnica.
2. C’est à travers la botanique (champ lexical : «fleurs », « Véronique », « Margue-
rite », « rabattait », « produit », « botanique », « Arnica », « herboriser », « plan-
tait ») que le père et la fille communiquent : ils partagent le goût des promenades
pour herboriser. De plus, Arnica Péterat est devenue par son mariage madame
Fleurissoire. Le mot « produit » (l. 14) pour désigner l’enfant entre dans la même
série caricaturale.

Exercice 12✢✢ Vers le commentaire


1. Le salon de Mme Verdurin apparaît ici comme un espace encombré d’objets :
les cadeaux inutiles et ridicules (à ses yeux) que ses invités ne cessent de lui offrir.
Il faut ainsi l’imaginer au milieu d’un univers bourgeois, marqué par la richesse,
la vanité et le mauvais goût. C’est là qu’elle trône en recevant ses « fidèles ».
2. Proust souligne l’hypocrisie de Mme Verdurin qui déteste les cadeaux de ses
invités (comme elle déteste d’ailleurs les fleurs et les bonbons), mais est obligée
de les garder pour flatter ces derniers. La réussite de son salon est sa seule pré-
occupation, sa véritable obsession : c’est pour en maintenir la cohésion qu’elle
exclut cruellement les uns et enjôle les autres. Proust s’amuse ainsi à montrer
comment le personnage développe, à partir d’une mâchoire fragile et de ses yeux
205
d’oiseau, toute une mimique pour donner l’impression à ses invités qu’elle meurt
de rire devant leurs plaisanteries. Cette « ruse d’hilarité » mêle ainsi les caracté-
ristiques physiques de Mme Verdurin avec sa vanité sociale.
3. La dernière phrase de cet extrait apparaît comme une conclusion qui rappelle
les principales caractéristiques de Mme Verdurin et témoigne en même temps de
l’art du portrait selon Proust. Toute la phrase est en effet construite autour du
sujet : « Mme Verdurin », sujet grammatical, mais aussi centre de l’attention, maî-
tresse du salon, entourée de ses invités. Elle est ici, si l’on peut dire, entourée par
une série d’adjectifs et de participes passés qui manifestent son bonheur. Les mots
« étourdie », « gaieté », « ivre », « camaraderie » soulignent cette dimension eupho-
rique, renforcée par la répétition du son « i », qui semble l’expansion sonore du
mot « étourdie » ou du mot « ivre ». Mais l’ironie de Proust se manifeste immé-
diatement. D’abord il y a de la « médisance » dans les propos tenus, de l’exagéra-
tion dans l’attitude du personnage (cf. son « anéantissement »). De plus, l’image
de l’oiseau ridiculise Mme Verdurin. La métaphore filée (« juchée », « perchoir »,
«pareille à un oiseau»…) s’achève sur le «vin chaud» qui fait écho au mot «ivre».
Le mot « colifichet » appartient au registre des objets dérisoires. La dernière image
développée par le groupe verbal – qui semble avoir été repoussé jusqu’au dernier
moment – marque une chute : elle est oxymorique et caricaturale. Telle est donc
Mme Verdurin : une perruche pleine de snobisme.

Exercice 13✢✢✢
1. Les éléments du décor sont ceux de la discothèque dans laquelle danse le per-
sonnage : on retrouve ainsi les notations de bruit et de lumière, la musique élec-
tronique et la foule des danseurs. Par ailleurs, le lieu lui-même semble évoluer :
le mot « salle », repris à travers l’expression « la grande salle », s’ouvre magique-
ment sur l’image extérieure et solaire d’une « esplanade » ou d’un « plateau de
pierres ».
2. La danseuse est d’un bout à l’autre « seule au milieu des gens ». Elle est d’abord
vue par le photographe ; puis le cercle des danseurs se fige autour d’elle au fur et
à mesure qu’ils s’arrêtent de danser ; enfin, jusqu’à la dernière ligne, elle est « toute
seule dans le cercle de lumière ». Le romancier met ainsi en valeur Lalla Hawa,
au centre du monde, comme si c’était d’elle qu’émanait la lumière fascinant les
gens qui l’entourent.
3. La lumière est celle des projecteurs de la discothèque. Le mot «lumière» revient
cinq fois dans l’extrait, amplifié dans les expressions : « la lumière les aveugle »
et « la lumière brille », et s’opposant au réseau lexical de l’ombre (« noir »,
« couleur de cuivre », « on ne voit pas », « ombre »). Le thème de la lumière
fusionne avec celui de la danse et du corps pour ne former qu’un seul portrait,
fascinant : celui d’une danseuse éblouissante. Il rappelle symboliquement que l’hé-
roïne est un personnage du Sud, éloignée des pays du soleil dans le monde gris
de la civilisation.
4. Lalla est d’abord vue à travers son corps tout entier, silhouette de danseuse au
milieu de la piste. Puis les plans se rapprochent : sa robe, sa peau, ses cheveux.
206
C’est ensuite son regard qui fixe l’attention. Puis ses pieds nus – longuement
décrits (cf. « la plante de ses pieds et ses talons ») – et enfin, le reste de son corps
souple : ses hanches, ses épaules, ses bras, comparés à des ailes. C’est bien du por-
trait d’une danseuse qu’il s’agit ici : les éléments physiques présents dans l’extrait
se rapportent tous au corps en mouvement. Il est question de ses « pas ». Et si Le
Clézio insiste autant sur les pieds, c’est que tout le génie de la danse repose sur
eux.
5. Le romancier souligne avant tout la solitude du personnage. Le mot « seule »
est présent dès la première ligne, et il est repris à plusieurs reprises dans la der-
nière phrase, dans une sorte de rythme, d’incantation mélancolique où se mêlent
le battement de la danse, le caractère exceptionnel du personnage et la tristesse.

Analyser l’évolution d’un personnage


Exercice 14✢✢
1. et 2. Eugène de Rastignac se définit par deux traits fondamentaux : il n’a pas
de ressources (ni financières ni mondaines), il est cependant orgueilleux et dévoré
d’ambition. Balzac montre combien le personnage souffre de son infériorité sociale
dans le texte A : il est sale parce qu’il a dû marcher (au lieu de prendre un fiacre),
il est méprisé par les domestiques, il mesure la distance de la pauvreté au luxe en
voyant le magnifique cabriolet dans la cour de l’hôtel particulier.
Dans le texte B, les épreuves de la vie ont forgé son caractère. Désormais,
Rastignac abandonne ses dernières illusions de jeune homme. Tout ce qui restait
en lui de « cœur pur » disparaît. C’est maintenant un véritable combat qu’il engage
contre le « beau monde » qui l’a rejeté.
Les images utilisées par Balzac, les circonstances du défi lancé à Paris – les hau-
teurs de la capitale, le cimetière, la tombe, l’humidité du soir – grandissent le per-
sonnage qui, à son tour, prend figure de héros pour un roman futur de La
Comédie humaine.

Étudier la représentation de l’homme et du monde


Exercice 15✢✢✢ Vers la dissertation
1. et 2. Il s’agit ici d’un roman d’analyse. La Princesse de Clèves s’attache à
analyser les sentiments amoureux et leurs conséquences, d’abord dans l’intimité
des sentiments et des émotions vécues, puis dans les attitudes, les gestes et les
décisions prises. L’attitude de M. de Nemours, ses manœuvres pour approcher
celle qu’il aime et lui montrer son amour, de même que le trouble qui agite la
princesse, sont finement analysés et constituent l’intérêt du roman. Le lexique
de l’amour, du trouble et de la confusion est ainsi développé tout au long de
l’extrait : « amoureux », « troublée de sa vue », « plaisir à le voir », « ce charme »,
« le commencement des passions », « haïr », « douleur »…
3. Le XVIIe
siècle se passionne pour l’exploration du sentiment amoureux.
Comment naît une passion ? Est-elle conciliable avec les exigences de la société ?
207
Le roman de Madame de Lafayette explore cet enjeu en exposant les tourments
de la princesse de Clèves, qui, amoureuse du prince de Nemours, veut rester fidèle
à son mari. Le trouble de la passion habite le personnage. Ce caractère intimiste
et passionné du roman est renforcé par l’intérêt du roman historique, puisque
l’action de La Princesse de Clèves se déroule dans le passé, à la cour particuliè-
rement brillante du roi Henri II. La vision du monde qu’offre le roman au lecteur
est celle d’un univers profondément aristocratique, à la fois par le cadre somp-
tueux dans lequel il se déroule et par la « noblesse d’âme » des personnages.

Exercice 16✢✢✢
1. et 2. Texte A : il s’agit ici d’un roman de formation, qui nous montre les débuts
d’un jeune homme dans la vie sociale et son apprentissage de la vie. Julien Sorel
s’arrache à son milieu familial pour entrer dans « la bonne société ». C’est son
premier emploi, et l’on voit naître déjà un conflit qui reviendra tout au long du
roman : comment garder sa fierté dans le monde, comment – lorsque l’on vient
d’un milieu très modeste – ne pas se laisser humilier.
Texte B : il s’agit ici d’un roman de science-fiction ou d’un roman d’anticipation
scientifique. En 1865, Jules Verne mène ainsi une exploration de l’imaginaire et
crée le suspense en envoyant ses personnages dans la Lune à bord d’une fusée.
Le lecteur partage ainsi le danger que comporte cette aventure pleine de risques.
Texte C : le Voyage au bout de la nuit de Céline est un roman très riche qui croise
plusieurs enjeux du texte romanesque. Il apparaît ici comme un roman satirique
qui, sur le ton de l’amertume et de la raillerie, fait la critique de la société, dénonce
les préjugés et montre les inégalités.
Texte D : Malraux est, avec Sartre et Camus, l’un des écrivains du roman engagé.
Son roman développe une réflexion sur l’homme, sur sa place dans le monde, sur
les valeurs qui sont les siennes. Le sacrifice au service de la révolution, la détresse
devant la mort, le temps qu’il faut pour devenir un homme sont autant de ques-
tions soulevées par La Condition humaine.
3. Au-delà de la rédaction d’un ou de deux paragraphes, on peut partir de la
question posée pour mettre en place le plan d’une dissertation sur le roman et la
vision du monde que propose chaque romancier.
Introduction
La vitalité du genre romanesque depuis son origine… les mutations du genre tout
au long de l’histoire en fonction de l’évolution des mentalités, des événements
historiques et des grandes mutations sociales… le développement du nombre des
lecteurs et la diversité de leurs centres d’intérêts… l’originalité des grands écri-
vains qui développent leur propre vision du monde… il y a donc une unité du
genre romanesque ; mais il y a aussi une grande, une étonnante variété de visions
du monde proposées au lecteur ; enfin on n’oubliera pas que le style et les modes
de narration sont eux aussi des façons de « dire l’homme et la société ».
Première partie. L’unité du genre romanesque
Qu’est-ce qui constitue un roman : un contexte spatio-temporel, un héros et des
personnages secondaires variés, une intrigue générale, des péripéties successives,
208
etc. On retrouve tous ces éléments dans chaque extrait ; chaque fois, le lecteur
est amené à s’identifier à une situation de crise devant laquelle réagissent les per-
sonnages : passion amoureuse, conflit familial et problème professionnel, entre-
prises périlleuses, aventures pleines de risques… ; différence de classes sociales
suscitant le dépit, l’envie ou la haine… ; mort d’un personnage provoquant la
colère, le chagrin ou le doute. Le lecteur sait qu’il y aura « un début » et « une
fin » à l’histoire qu’il commence à lire… Il pourrait prétendre que tous les romans
se ressemblent.
Deuxième partie. La diversité des visions du monde
Le roman est un genre très riche qui ne cesse de se diversifier ; les lecteurs ne se
ressemblent pas et les romans sont différents les uns des autres : roman d’analyse,
roman de formation, roman d’aventures, roman satirique, roman engagé pro-
posent chaque fois de nouvelles représentations de l’homme et de la société… Du
roman picaresque au roman policier, du roman de chevalerie au conte philoso-
phique, du roman sentimental au roman de l’absurde, quelle richesse ! quelle
variété de points de vue !… Ici c’est l’intimité des êtres qui compte, là les chan-
gements sociaux, là encore la réflexion sur la vie et la mort… il y a même des
romans où l’on trouve des anti-héros qui bouleversent complètement nos habi-
tudes de lecture…
Conclusion
Le roman change, il est en perpétuelle mutation et, tout en répondant aux attentes
du lecteur, crée de nouvelles images de l’homme et du monde : ce n’est pas seule-
ment parce que le roman suit l’évolution sociale, il peut aussi anticiper sur cette
évolution et contribuer au changement des mentalités … Enfin on néglige trop
souvent le style de l’écrivain qui est lui aussi une façon de dire le monde : le ton
de Céline, par exemple (texte C), mais aussi le Nouveau Roman manifestent
immédiatement cette importance de la langue… Le récit à la première personne,
le roman épistolaire, la diversité des formes de narration participent à ce renou-
veau qui entraîne l’adhésion des lecteurs…

EXO-BAC
(PAGE 223)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. L’apparition du personnage féminin est mis en valeur par l’attente qu’elle
suscite chez les autres personnages. Ce personnage est le centre des conversations,
et demeure en même temps énigmatique : elle est « la mystérieuse jeune fille ».
L’annonce de son arrivée « à voix basse » et la mention de « l’étrange équipage »
dans lequel elle apparaît renforcent cette impression. De même, sa beauté est mise
en valeur par le contraste qu’elle offre avec la vieillesse de la voiture et du cheval.
209
Enfin, le caractère touchant et solennel des affirmations du narrateur quant à sa
beauté achève de faire de la jeune fille une héroïne d’exception.
2. Le narrateur souligne d’abord une impression générale : grâce, gravité, puis
finesse des traits. Le portrait se précise ensuite avec la silhouette accentuée par le
costume, le manteau, puis il glisse de la chevelure au front et au visage. Un gros
plan souligne deux taches de rousseur. Le narrateur revient ensuite à une vision
plus large du visage en indiquant la rougeur qui le gagne tout à coup. Les nota-
tions colorées se succèdent ainsi : manteau marron, chevelure blonde, teint pur,
taches de rousseur, rougeur soudaine…
3. Le thème de la beauté est solennellement affirmé, précédé par une protesta-
tion de sincérité, dès la phrase qui conclut le deuxième paragraphe : « la jeune
fille la plus belle qu’il y ait peut-être jamais eu au monde ». Tout, dans le portrait
de l’héroïne, contribue à justifier ce jugement : de sa chevelure blonde à ses taches
de rousseur, la jeune fille montre grâce, finesse, délicatesse. Cependant, la gravité,
la tristesse, le découragement et la réflexion marquent immédiatement ce visage
pur et la comparaison avec les personnes malades – « comme il arrive chez cer-
tains malades gravement atteints sans qu’on le sache » – fait planer une menace
sur l’héroïne, suscitant la « pitié déchirante » de ceux qui l’admirent…

Écriture
Yvonne de Galais est sans doute l’une des héroïnes les plus troublantes et les
plus attachantes dans l’histoire de la littérature romanesque. C’est que la jeune
fille est d’un bout à l’autre du roman entourée de mystère. Le narrateur et tous
ceux qui tomberont sous son charme soulignent à chacune de ses apparitions la
sorte d’envoûtement qu’elle exerce. Ici, dès sa première rencontre avec elle, le
narrateur manifeste l’émotion qui le saisit à sa vue. Son récit met en valeur cette
apparition presque féerique, mais il souligne aussi tout ce qui, derrière le mystère,
est source d’inquiétude chez cette belle jeune fille.
C’est d’« elle » que l’on parle, c’est « elle » qui est au centre des conversations :
le narrateur prépare habilement l’entrée en scène de celle qui occupe les esprits.
Encore ne sait-on que « peu de choses », et c’est ainsi que se développe le thème
de « la mystérieuse jeune fille ». Le caractère de conspiration (« à voix basse »)
de ceux qui l’attendent, « l’étrange équipage » qui est le sien ajoutent à l’im-
pression de mystère. Ce mystère se teinte de féerie avec l’entrée en scène de la
voiture aux vieilles moulures et le vieux cheval blanc qui paraissent sortis d’un
conte de fées mélancolique, comme une « histoire du temps passé » tout à coup
ressuscitée. La solennité et la franchise naïve avec laquelle le narrateur, utilisant
le superlatif absolu, exalte la beauté de la jeune fille annonce le portrait qui suit.
Il permet de justifier ce jugement. Elle est bien « la jeune fille la plus belle qu’il
y ait peut-être jamais eu au monde », celle qui – de sa chevelure blonde à la déli-
catesse de ses traits – montre grâce et finesse. Le narrateur utilise une image poé-
tique, délicate, pour montrer qu’elle est l’élue de la nature et des hommes – « Sur
son teint très pur, l’été avait posé deux taches de rousseur » –, achevant ainsi le
tableau.
210
Cependant, de manière très rapide, avant même d’avoir pu mieux connaître la
jeune fille, le narrateur multiplie les termes qui font contraste avec la beauté :
« gravité », « tristesse », « découragement », « réflexion » apparaissent sans raison
immédiate, anticipant sur des développements ultérieurs du roman. Ces émotions
marquent immédiatement le visage pur de l’héroïne. Que signifient ces rougeurs
qui la gagnent ? On est loin alors de la beauté touchante et radieuse. C’est une
autre forme de mystère qui se dégage. La comparaison avec des personnes
malades – « comme il arrive chez certains malades gravement atteints sans qu’on
le sache » – fait planer une menace, suscitant la « pitié déchirante » de ceux qui
l’admirent.
À la fin de cette première rencontre, la cousine du narrateur a beau chercher à
dissiper le mystère et la fascination en engageant le dialogue avec la jeune fille,
celle-ci demeure entourée de son secret. Yvonne de Galais gardera jusqu’au bout
sa séduction énigmatique. Non, cette jeune fille n’est pas une jeune fille comme
les autres. Et le destin du grand Meaulnes témoignera de ce charme envoûtant,
qui hante le souvenir de tous les lecteurs du roman d’Alain-Fournier.

SUJET DU BAC
(PAGE 224-225)

I. Questions
1. La Peste de Camus s’inscrit immédiatement, dès l’incipit, dans le genre roma-
nesque. Dès les premières lignes de son récit, le romancier multiplie les indica-
tions de temps et de lieu qui installent le cadre dans lequel se déroule l’action :
« Le matin du 16 avril », « le cabinet », « l’immeuble », la ville. C’est également
par un retour sur la ville d’Oran que se ferme le texte. Le début et la fin du roman
se répondent ainsi parfaitement.
De plus, Camus met très rapidement en scène son héros, dont l’identité est com-
muniquée aussitôt au lecteur et dont le statut de personnage principal est ren-
forcé par la présence de personnages d’arrière-plan, comme le concierge, « le vieux
M. Michel ». C’est le héros qui déclenche l’ensemble des péripéties qui vont
conduire de la découverte du premier rat à la lutte contre la peste. Enfin le texte
B nous montre une autre des composantes essentielles du roman : les dialogues
entre les personnages.
Espace-temps défini, héros et personnages multiples, enchaînement de péripéties,
alternance du récit, des descriptions et des dialogues : à ces composantes essen-
tielles du roman s’ajoute une vraie vision du monde propre au romancier Albert
Camus.
2. On peut rappeler qu’en règle générale – même si l’on trouve des exceptions –,
le personnage que le lecteur découvre aux premières lignes, aux premières pages
du roman, en est généralement le héros. Sa présence au début du texte le quali-
fie comme tel. Dans le cas de La Peste, on voit bien que tout au long des premiers
paragraphes, le lecteur « entre dans l’action » par l’intermédiaire du docteur. C’est
211
lui que l’on retrouve ensuite dans le texte B, livrant sa vision du monde et des
hommes, servant de porte-parole à l’écrivain. C’est lui que l’on retrouve enfin
aux dernières lignes, assurant la clôture du récit, tout en ouvrant la réflexion du
lecteur. On peut ajouter également que son titre (et son métier) de « docteur » le
qualifie plus qu’un autre à incarner le héros dans un roman qui raconte le combat
contre une épidémie de peste.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
Tous les lecteurs connaissent bien les premières lignes du roman de Camus,
L’Étranger : « Aujourd’hui, maman est morte. » Le romancier, tout en revenant
à une narration plus classique, réussit de nouveau à captiver le lecteur dès le début
de La Peste : «Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet
et buta sur un rat mort… » L’art de l’écrivain consiste en effet à créer un nouvel
univers, et à rendre celui-ci familier au lecteur. Mais quels sont les éléments qui
permettent de construire ce monde nouveau ? Par quels moyens le romancier par-
vient-il à intéresser le lecteur ? On verra que, dès les premiers paragraphes, Camus
installe avec soin le cadre du récit et qu’il multiplie les événements qui préparent
l’enchaînement de l’intrigue.
Le premier soin du romancier consiste généralement à fixer le cadre du récit.
C’est bien le cas ici. Camus fixe immédiatement la date et le moment de la
journée où commence le roman : « Le matin du 16 avril… » C’est souvent le cas
chez les écrivains réalistes du XIXe siècle, de Balzac à Zola, et c’est une sorte de
garantie de la réalité de son récit que l’écrivain donne au lecteur. De plus, les
premiers paragraphes multiplient les indications de lieu : on a très vite le senti-
ment de connaître l’immeuble avec ses corridors, la rue, le cabinet du docteur.
Une impression de réalité se dégage ainsi de l’ensemble de ces éléments.
Par ailleurs, les personnages trouvent également leur place : le docteur Rieux, le
premier apparu, est de toute évidence le héros du roman qui commence. C’est lui
qu’on suit dans ses déplacements, dans ses découvertes. La présence du concierge
vient renforcer cette autorité du personnage principal : on voit bien qu’au titre et
au métier de Rieux (« docteur ») s’oppose la désignation familière de « vieux M.
Michel ». Ici, le héros ; là, un personnage d’arrière-plan qui lui sert de faire-valoir,
et qui, cependant, joue un rôle dans la mise en place de l’intrigue.
Dès la première phrase de son roman, Camus lance une énigme au lecteur à
travers la découverte que fait son personnage : un rat mort dans l’escalier d’un
immeuble bien entretenu. Même si la réaction de Rieux atténue le caractère cho-
quant de l’événement (on apprendra très vite que l’action se situe dans une ville
méditerranéenne où ce genre de découvertes peut sembler plus fréquent
qu’ailleurs), il n’en reste pas moins que la découverte du rat mort déclenche chez
Rieux une série de réflexions qui le conduisent à revenir sur ses pas pour en parler
au concierge.
212
Dès lors, tout s’enchaîne, les protestations du concierge aux yeux de qui la pré-
sence du rat mort est « un scandale » dans l’ordre quotidien lancent la réflexion :
s’agit-il bien d’une farce ? Y a-t-il une autre explication possible ? Le second para-
graphe du roman précipite alors l’action. Ce qui commençait de manière anodine,
anecdotique, prend tout à coup un air inquiétant. Non seulement parce qu’un
second rat apparaît dans « le fond obscur du corridor », mais parce que son atti-
tude agressive vis-à-vis du docteur et le sang qu’il rejette par les babines lui
donnent une allure menaçante. Le rythme de la phrase qui multiplie les verbes
au passé simple – « s’arrêta », « sembla chercher », « prit sa course », etc. – traduit
la précipitation des événements. Désormais l’action est nouée. Le lecteur se
demande à quoi peut bien penser le docteur Rieux…
On le voit, le début de La Peste de Camus est particulièrement efficace. Très vite,
en quelques lignes, le romancier réussit d’une part à créer un cadre familier dans
lequel le lecteur trouve ses repères et d’autre part à susciter l’inquiétude au sein
de cet univers. Des questions se posent, et le lecteur va s’identifier peu à peu au
docteur Rieux pour tenter d’y répondre. Que représente au juste ce rat mort sorti
des ténèbres, surgi « du fond obscur » du monde ?

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
Remise en contexte de la citation : Rieux évoque des livres de médecines. Camus
ouvre pourtant bien ici un espace de réflexion par rapport à la joie populaire, qui
peut désigner également le domaine de l’écrivain, l’espace de la littérature.
Comment connaître les hommes et le monde ? Comment approfondir, enrichir
en nous le sens de l’humain ? Si la science ou la philosophie peuvent être des ins-
truments de connaissance, que peut-on « lire dans les livres » quand ces livres sont
des romans ?
On verra d’abord que, dès le Moyen Âge, le genre romanesque se donne pour
objet la représentation de l’homme et l’exploration de ses désirs, de ses émotions,
de ses sentiments : la richesse de l’univers romanesque ouvre le monde au lecteur.
On s’arrêtera ensuite sur une forme plus particulière de roman, en tant qu’elle
assume cette connaissance de la nature humaine, qui est en jeu dans la question :
le roman à la première personne. On soulignera enfin l’originalité du « roman
engagé » au XXe siècle, dont les enjeux sont tournés directement non seulement
vers la connaissance du monde, mais vers l’action qui vise à transformer le monde.
Première partie. La richesse de l’univers romanesque
• Le roman = un genre plus libre qui va directement à la rencontre de l’homme
dans la société. Par rapport aux genres nobles, le théâtre et la poésie, le roman
se donne pour vocation d’explorer directement les rapports des hommes entre
eux, les rapports de l’homme avec la société. Des romans de chevalerie au
Nouveau Roman, du roman d’apprentissage au roman satirique… l’histoire du
roman s’affirme à travers cette volonté de comprendre tout le réel: cf. par exemple
le roman réaliste, avec Balzac qui fait concurrence à l’état civil, Zola qui décrit
l’histoire d’une famille sous le Second Empire en prenant en charge toute la réalité
sociale de l’époque à travers l’exploration de tous les milieux…
213
• Le roman met en jeu tous les registres, du comique au pathétique ; il ne se
contente pas de représenter la réalité, il crée des univers imaginaires, il ouvre sur
le fantastique, il se développe à travers la science-fiction… Il ne cesse de se renou-
veler en restant au plus près des problèmes contemporains propres à chaque
époque. Cf. Rabelais, par exemple, qui fait la satire de la Sorbonne et de l’Église.
Cf. Maupassant et le monde de la presse au XIXe siècle dans Bel-Ami. Cf. les
romans consacrés à la Première Guerre mondiale au XXe siècle… Enfin le roman
d’analyse cherche, avant le discours des psychologues (ou des psychanalystes) à
explorer l’intimité des sentiments secrets, comme le désir, l’amour, la jalousie, et
les frustrations qu’ils peuvent engendrer.
Deuxième partie. Une forme originale de connaissance de l’homme : le récit à la
première personne
• Le roman à la première personne = le roman autobiographique mêle autobio-
graphie et fiction. Il introduit à la connaissance intime d’un auteur qui se livre avec
sincérité tout en se cachant sous des situations fictives. Cf. René de Chateaubriand,
À la recherche du temps perdu de Proust, Mort à Crédit de Céline = romans très
riches par l’investissement personnel de l’auteur = miroir de l’écrivain.
• Le roman à la première personne = autobiographie fictive : Gil Blas de Santillane
de Lesage, par exemple = personnage et situations imaginaires qui permettent au
lecteur de pénétrer dans la conscience intime d’un personnage. L’écrivain peut
aller jusqu’à changer de statut social (Le Paysan parvenu de Marivaux) ou à
changer de sexe (La Vie de Marianne). On apprend à la fois l’état de la société à
une époque donnée, précise, et l’univers intime du personnage. L’écrivain peut
aller jusqu’à donner la parole à un officier nazi pendant la Seconde Guerre mon-
diale, comme dans Les Bienveillantes, de J. Littel, qui a obtenu le prix Goncourt
en 2006.
Troisième partie. Le roman engagé dans le monde
Les romans de Malraux, de Saint-Exupéry, de Camus, de Sartre créent des per-
sonnages qui sont directement confrontés aux problèmes du monde contempo-
rain, à sa violence ou à son absurdité parfois. Il s’agit pour le lecteur de réfléchir
et de prendre position : de comprendre le monde et de le transformer. Le sacri-
fice de soi, le déchirement devant des positions idéologiques opposées, le carac-
tère décourageant du combat, etc. = questions qui représentent l’une des
dimensions les plus ouvertes du roman, en prise directe avec la connaissance du
monde et de l’homme. Cf. La Peste (texte B)… Cf. le titre du roman de Malraux :
La Condition humaine… C’est déjà le cas des contes philosophiques de Voltaire,
et c’est l’un des « honneurs » du genre romanesque.
Conclusion
Le roman = territoire de l’humain = terre des hommes… cela a toujours été le
cas, ça l’est encore aujourd’hui. De Rabelais à Gide (« ce qui me préoccupe, c’est
l’homme »), de La Princesse de Clèves à Désert, sans a priori, sans rejet, mais
avec au contraire la volonté de prendre en compte le monde dans sa totalité et
l’homme au cœur du monde. Le roman modifie la conscience que le lecteur a de
lui-même et des autres. Il participe ainsi à l’évolution de l’humanité.
214
3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
• La situation d’énonciation : « Tu te souviens combien j’ai été déçu par ma der-
nière sortie au cinéma. Vraiment le film était ennuyeux avec un air de déjà-vu
mille et mille fois. Par contre, je viens de terminer le roman de Camus,
La Peste, que j’avais emprunté au CDI. »
• La plaisir de la découverte : « Et là, bonne surprise, moi qui ai toujours un peu
de mal à aller jusqu’au bout de mes lectures, je l’ai lu en quelques jours, com-
plètement captivé. »
• La justification : « D’abord, c’est vraiment un roman bien construit, dès le début,
tu vois, dès le moment où le docteur Rieux trouve un rat mort en sortant de son
cabinet… »
• La persuasion : « Et puis, je t’assure, il y a dans ce bouquin des réflexions, des
discussions, des situations qui posent des questions encore actuelles… »

215
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

18 La poésie
(PAGES 226 à 235)

L’étude des formes poétiques permet de mesurer l’évolution d’un genre


littéraire qui, après s’être imposé à travers l’obéissance à des règles rigou-
reuses, s’est ouvert au cours des siècles à une volonté de liberté et de renou-
veau. Il y a, à travers la diversité des formes, une puissance, une séduction
particulières du texte poétique, considéré longtemps comme le genre noble
par excellence. L’obéissance à la règle devient moteur de l’écriture.
L’écrivain est à la fois inspiré, invoquant l’enthousiasme, l’ivresse, la folie,
et au plus près du souci de la langue. Alcools, dit Apollinaire. Beauté, mon
beau souci, écrit Larbaud.
La répétition sonore, le battement du rythme, la puissance des images
donnent au texte poétique à la fois un charme (au sens où l’entend Paul
Valéry), une force d’inscription (qui le fait rayonner et rester dans la
mémoire) et un effet de surprise, un étonnement (que systématiseront les
écrivains surréalistes) qui donnent à voir le monde autrement. « La poésie,
écrit Saint-Évremont, demande un génie particulier qui ne s’accommode
pas trop avec le bon sens ; tantôt c’est le langage des Dieux, tantôt c’est
celui d’un fou ; rarement celui d’un honnête homme. »

OBSERVATION
(PAGES 226-227)

Introduction
Dans l’histoire de la poésie, le XVIIIe siècle aura eu le mauvais rôle. Nous ne
percevons plus aujourd’hui l’immense intérêt, la passion du XVIIIe pour l’écriture
versifiée.
Tragédies, comédies, ouvrages lyriques, poèmes didactiques, poèmes philoso-
phiques, épigrammes, contes en vers, odes, fables, satires, épopées, éloges, poésies
de circonstances, chansons, bouts rimés : la cour, les théâtres, les salons, les aca-
démies réclament des poèmes. Mais la règle de l’imitation, la maîtrise générali-
sée du code ont, pour ainsi dire, exténué l’inspiration poétique (en dépit de
217
quelques noms : Voltaire, Crébillon, Gresset, J.-B. Rousseau, Parny, Florian, et
surtout Chénier). La réaction romantique se comprend contre cet usage socialisé
de la poésie. « Poésie se prend quelquefois pour le feu de la poésie », écrit le
Dictionnaire de Trévoux (1771) : voilà des vers, mais il n’y a point de poésie.
Le XIXe siècle se veut au contraire au plus près du feu, au plus près du foyer de
l’écriture poétique. De sorte que toutes les formes peuvent désormais s’ouvrir
– poèmes en prose, vers libres, poésie graphique, déconstruction – à l’exigence
de la modernité.

Réponses aux questions


I. Le poème de forme fixe
1. Dans le poème de Ronsard, chaque vers compte douze syllabes (alexandrin).
Les deux premières strophes comportent quatre vers (quatrain) et les deux der-
nières trois vers (tercets). Chaque quatrain est constitué d’une phrase et possède
donc une unité syntaxique. En revanche les deux tercets sont reliés par la syntaxe :
une première phrase occupe les vers 9 à 12 ; une seconde les vers 13 et 14. On
peut en déduire que Ronsard semble obéir à un ensemble de règles strictes qui
déterminent la forme de son poème.
2. Le schéma des rimes du poème : ABBA ABBA CCA DDA.
Les rimes sont embrassées dans les deux quatrains, dont les sonorités se répètent
de manière stricte. On remarque également une alternance de rimes masculines
et de rimes féminines. Les tercets introduisent deux nouvelles rimes dans le poème;
leur schéma est plus complexe et correspond à celui d’un sizain : un distique aux
rimes plates, suivi d’un quatrain aux rimes embrassées.

II. Le poème en prose


3. Le texte de Rimbaud ne possède pas, a priori, la forme d’un poème. Il se pré-
sente comme une suite de trois paragraphes. La phrase que comporte chaque
paragraphe a un rythme différent des autres : on ne retrouve pas, comme pour le
poème de Ronsard, une mesure identique pour chaque ligne du texte. Le texte ne
comporte donc ni vers ni rimes, mais le lecteur attentif remarque un ensemble
d’assonances : le son « or » semble ainsi rythmer le poème (« gradins d’or », l. 1 ;
« cordons », l. 1 ; « pièces d’or », l. 5 ; « supportant », l. 5 ; « énormes », l. 8 ;
« formes », l. 8 ; « fortes », l. 10).
On peut qualifier ce texte de poème en prose car le texte possède à l’évidence une
intention poétique. Il joue sur les sonorités des mots, utilise des images et des
thèmes poétiques (« la foule de jeunes et fortes roses », l. 9). Mais il s’agit aussi
de prose car il ne répond pas aux règles traditionnelles du texte en vers.

III. Le poème en vers libres


4. Le poème de René Char comporte trois strophes de longueur variable : un
tercet, suivi d’un quatrain et d’un distique. La mesure des vers est irrégu-
lière : deux décasyllabes et un alexandrin pour la première strophe ; un décasyl-
218
labe, des vers de 11, 14 puis 11 syllabes pour la deuxième ; un vers de 11 puis un
vers de 5 syllabes pour la troisième. Enfin, les vers ne commencent pas tous par
une majuscule. La strophe ne correspond pas à une unité syntaxique, l’utilisation
de la majuscule semble ne correspondre qu’au passage d’une phrase à l’autre.
Les rimes sont irrégulières : on retrouve une sonorité finale commune aux vers 4
(« vivant »), 6 (« avant ») et 9 (« vent »). Les autres vers sont reliés par quelques
assonances (« visage » / « vivant » / « voile » / « vent »).
Les poèmes de Ronsard et Char possèdent une allure générale et des caractéris-
tiques communes : les vers, les strophes, partiellement la rime… Mais ils diver-
gent sur un grand nombre de points : la mesure des vers, la régularité des strophes,
le schéma des rimes. Le poème de Char est de forme libre car, contrairement au
poème de Ronsard, il ne semble obéir à aucune règle précise.

IV. Le poème ouvert


5. La disposition des vers du poème de Reverdy étonne par son originalité : les
vers ne sont pas alignés à gauche, comme dans un poème classique ; certains sont
centrés, d’autres alignés à droite. Ils semblent n’obéir à aucune autre logique que
celle du poète. Mais ils se présentent comme des vers : tous commencent par une
majuscule et l’absence de ponctuation est compensée par un rythme régulier (8 /
4 / 8 / 4 / 8 / 5 / 3 / 5 / 3 / 3 / 5 / 8).

EXERCICES
(PAGES 230 à 232)

Identifier et étudier un poème de forme fixe


Exercice 1✢
1. Les indications données par le poème sur le rondeau :
– « treize vers, huit en EAU, cinq en ÈME » (l. 4) ;
– « En voilà cinq pourtant en un monceau » (l. 6) ;
– « Et puis mettons par quelque stratagème
MA FOI, C’EST FAIT. » (l. 8-9)
– « Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau. » (l. 10-11) ;
– « En voilà treize ajustés de niveau » (l. 14).
Récapitulation des indications fournies :
– le rondeau comporte treize vers de même mesure ;
– il alterne deux rimes (huit fois la première, cinq fois la seconde) ;
– il se compose de deux strophes de cinq vers et d’une strophe de trois vers ;
– il comporte un refrain qui reprend les premiers mots du poème.
L’auteur fait un jeu de ces règles très strictes (« Cela me met en une peine
extrême ») en se mettant lui-même en scène dans le poème. Il donne au poème un
219
tour narratif, racontant comment un ami l’a mis au défi de composer un rondeau :
chaque strophe devient dès lors le récit de la construction du poème, des diffi-
cultés rencontrées et des solutions imaginées pour les satisfaire. Le refrain met en
évidence l’avancée et la conclusion du poème.
2. Le poème met en évidence les préoccupations de celui qui crée un poème de
forme fixe : le poète doit veiller à respecter les règles fixées par la tradition (le
nombre et la mesure des vers, les rimes, les strophes, le refrain) qui lui fournit le
cadre dans lequel il doit s’exprimer.

Exercice 2✢✢
1. Il s’agit d’une ballade. La ballade « improvisée » par Cyrano respecte les règles
de cette forme fixe :
– trois strophes de huit octosyllabes ;
– un envoi au dédicataire ;
– un refrain situé au dernier vers de chaque strophe ;
– un schéma des rimes ABABBCBC identique pour chacune des trois strophes.
2. Les différentes images utilisées par Cyrano pour désigner son épée :
– « je tire mon espadon » (v. 6) : l’épée est comparée à l’appendice nasal de l’espa-
don ; il s’agit d’une métonymie ;
– « Ma pointe voltige, une mouche ! » (v. 17) : l’épée est cette fois comparée à un
insecte, la mouche, par le sifflement qu’elle fait entendre durant le combat, par
sa vitesse et sa rapidité ;
– « Tiens bien la broche, Laridon ! » (v. 26) : c’est cette fois l’épée de son adver-
saire qui est évoquée par Cyrano ; elle est comparée à la broche d’un rôtisseur,
en une métaphore dévalorisante.
Remarque. On peut étudier la progression des réseaux lexicaux qui traversent le
poème. Le premier est celui du vêtement, qui correspond à la mise en scène du
combat ; le second est constitué par les termes culinaires, qui comparent l’adver-
saire de Cyrano à un cuisinier ; le dernier est celui du vocabulaire technique de
l’escrime et de la poésie, qui permet à Cyrano de décrire à la fois les diverses
phases du combat et les différentes étapes de la construction du poème.

Exercice 3✢✢
1. Les caractéristiques du sonnet :
– quatre strophes réparties en deux quatrains et deux tercets ;
– quatorze vers de même mesure (alexandrins) ;
– un schéma des rimes ABBA / ABBA / CCD / EED.
2. et 3. Le thème développé par chaque strophe :
– strophe 1 : la solitude du poète dans le silence de la nuit ;
– strophe 2 : la mélancolie d’une jeunesse enfuie ;
– strophe 3 : les rêves du poète devant sa page blanche ;
– strophe 4 : le retour à la réalité.
La chute du dernier vers suggère deux interprétations : le poète revient à la réalité
au bruit d’un fiacre, qui traverse la nuit ; on peut égalementinterpréter ce vers
220
comme la comparaison implicite du poète à un « vieux fiacre » dont le « roule-
ment impur » évoquerait les vers… Le « roulement impur » trouve en tout cas des
échos à travers l’harmonie imitative créée par l’allitération en « r » :
« Le roulement impur d’un vieux fiacre attardé. »
Le poète donne ainsi une image négative de lui-même, se dévalorise aux yeux, du
lecteur, regrettant ses maladresses stylistiques et l’époque de sa jeunesse.
D’autres vers participent à la même image : les vers 3 et 4 montrent ainsi le poète
comme un homme empli de « vieux remords », tordant son « coeur pour qu’il
s’égoutte en rimes d’or ».
L’image donnée est celle d’un homme souffrant pour écrire, image renforcée par
des termes aux connotations négatives (« attardé », « bête », « défleurie »…) Mais
le poème contrebalance cette vision en offrant au lecteur de magnifiques images
comme celle du vers 2 : « Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves ».
Remarque. Il y a une mélancolie particulière dans la poésie de Jules Laforgue
(l860-1887), orphelin de mère, lui-même mort très jeune, emporté par la phtisie.
L’écrivain abandonne vite ses rêves d’une poésie philosophique inspirée par
Schopenhauer. Aux gros volumes, il préfère désormais de « menus vers », des
« petites pièces » justes de ton : en mineur.
Lecteur de l’impératrice Augusta en Allemagne, il l’accompagne dans ses villé-
giatures et s’ennuie à Berlin. L’expérience de l’ennui est déterminante, mais cor-
rigée par un humour, une pudeur, une ingénuité pleine de douceur et de malice.
Le jeune écrivain regarde à la fenêtre les pensionnats de jeunes Anglaises qui
passent, il fumotte une petite pipe de tabac, dehors la neige tombe, il pluviotte.
Comme empêtré dans les blessures de l’enfance, Laforgue se berce de la musique
d’un bal, d’un refrain, d’un chien qui aboie au loin, ou du « roulement impur
d’un vieux fiacre attardé ».

Étudier la forme du poème


Exercice 4*** Vers l’oral
1. Le sonnet est habituellement écrit en alexandrins ou en décasyllabes. Cepen-
dant, Paul Valéry choisit le pentasyllabe, un vers impair, de manière à accélérer
et amplifier la musique du vers. Ce choix est en accord avec la thématique du
poème, qui repose sur le caractère éphémère du génie. Les règles traditionnelles
du sonnet imposent l’alternance des rimes masculines et féminines : Paul Valéry
enfreint cette tradition en n’utilisant dans le premier quatrain que des rimes mas-
culines. Il abandonne également l’identité des rimes entre les deux quatrains
(ABBA /ACAC) : le premier quatrain possède les traditionnelles rimes embras-
sées mais le second introduit et utilise des rimes croisées.
2. Les derniers vers respectent la tradition en introduisant une « pointe finale »,
une chute qui crée un effet de surprise : l’apparition d’un « sein nu entre deux che-
mises » est inattendue et soulève la curiosité, voire la perplexité du lecteur.
Remarque. Le sylphe apparaît d’abord dans les traités d’alchimie. Comme il y a
les habitants de l’eau, de la terre, et du feu, le sylphe est l’habitant, le génie de
221
l’air. Il est représenté portant des ailes sur le dos. Très vite, à partir de l’œuvre de
Crébillon fils, Le Sylphe (1730), la littérature, la musique, la danse, la gravure,
ont fait du sylphe un petit personnage important tout au long du XVIIIe siècle. Le
ballet des sylphes – que fait chanter Rameau – est un divertissement obligé à
l’opéra. Les poèmes, les contes, les romans le mettent en scène : il correspond à
ce rêve d’ascension qui caractérise une part du siècle ; il est l’incarnation de la
légèreté. On le trouve ainsi dans les romans libertins, comme l’amant idéal, qui
répond au soupir des marquises alanguies dans la solitude du boudoir. Corps
subtil, vif, et habile à profiter du moment (avant que le romantisme ne le fasse
verser plutôt du côté du féminin : sylphides de Chateaubriand et de l’opéra
au début du XIXe siècle). « Hasard ou génie », c’est de la tradition libertine du
XVIIIe siècle que s’inspire directement Valéry.

Exercice 5✢✢✢
1. La métaphore filée du poème va de la ligne 7 à la ligne 13 ; elle repose sur le
réseau lexical du cheval : « cavalerie », « sabots », « tapent », « escadrons », « trot »,
« piaffe », « rue », « bruit », « ardeur », « combat », « Victoire », « mouvement ».
Le poète compare les idées issues de son imagination à une troupe de chevaux,
dont le bruit et les mouvements, le rythme et l’ardeur lui permettraient d’oublier
pour un temps sa maladie.
2. La métaphore filée procure au poème les sonorités qui imitent le bruit des
chevaux : l’assonance en « a » (« J’écrase mon crâne et l’étale devant moi » ; « les
sabots tapent clair sur ce sol ferme et jaunâtre » ; « et ça piaffe et ça rue ») évoque
ainsi le claquement des sabots sur le sol, tandis que le son «i» qui domine le début
et la fin du poème, suggère les souffrances de « celui qui est cloué au lit ».
3. Les images sont essentielles à la poésie en prose. Elles ouvrent en effet le poème
sur un univers original car personnel et libre de toute contrainte de versification.
C’est ainsi qu’Henri Michaux, se figurant dans son poème retenu au lit par la
maladie, utilise les métaphores, et notamment une longue métaphore filée, pour
rendre compte des souffrances ressenties. Mais celles-ci, par la magie de la poésie,
prennent la forme d’une « cavalerie », d’une horde de chevaux dont les manifes-
tations « enchantent l’âme de celui qui est cloué au lit et ne peut faire un mou-
vement ». C’est en fait le travail même du poète qui est ainsi représenté, un travail
de création verbale qui ouvre au lecteur une porte sur le monde de l’imaginaire.
Poésie et peinture sont intimement liées dans l’œuvre d’Henri Michaux. « Au lit »
propose ainsi un va-et-vient de l’image au texte et du texte à l’image. On ne peut
dire avec précision si la peinture illustre le poème où si le poème est le commen-
taire de la peinture. Mais on peut rapprocher le moment fixé sur la peinture de
la proposition : « je sors ma cavalerie » (l. 7). Les êtres représentés ne ressemblent
nullement aux chevaux évoqués par le poème ; ils seraient plutôt des espèces de
fantômes à la fois silencieux (absence de bouche) et bruyants (« Les sabots tapent
l’air sur ce sol ferme et jaunâtre », l. 7 et 8). Si le poème et la peinture expriment
une même thématique, ils diffèrent donc par la représentation qu’ils en donnent.
La métaphore filée du poème ne se traduit pas par la même image sur le dessin ;
celui-ci emprunte une autre voie, recherche une autre forme d’originalité.
222
Caractériser et étudier le vers libre
Exercice 6✢✢
1. La mesure des vers qui composent le poème d’Apollinaire est très irrégulière ;
mais elle détermine le rythme du poème. C’est cette conception du rythme qui
justifie la suppression de la ponctuation : chaque vers devient une unité ryth-
mique, et leurs variations de longueur équivalent à des variations de rythme.
2. Les répétitions qui rythment le poème :
Répétitions lexicales Répétitions syntaxiques Répétitions sonores
– « les anges les anges » – « L’un est vêtu en – les assonances
(v. 1) ; officier / L’un est vêtu placées à la rime
– « ciel » (v. 1 et 5) ; en cuisinier » (v. 2-3). (« ciel » / « soleil » ;
– « cuisinier » (v. 3 et 9) ; « oies » / « bras » ;
– « d’un beau soleil » « neige » / « n’ai-je »,
(v. 7-8) ; etc.).
– « tombe » (v. 10 et 11),
etc.

3. Le vers 6 est plus long que les autres vers du poème afin de souligner la durée
de l’hiver « longtemps après Noël ». Le poète exprime ainsi la longueur de l’at-
tente qui le sépare des retrouvailles avec sa « bien-aimée » : l’hiver les sépare et il
lui faut attendre le printemps pour la retrouver.

Exercice 7✢✢✢
1. Le poème a une forme libre : les vers sont de mesure différente et commencent
par une minuscule; les rimes sont absentes, parfois remplacées par des assonances;
la ponctuation est supprimée par le poète, de manière à ce que le rythme ne repose
que sur les variations de longueur des vers et sur la répétition de sonorités iden-
tiques ; on remarque également la régularité des strophes, qui se présentent sous
la forme de trois sizains.
L’anaphore a pour fonction de rythmer le poème : elle repose sur la répétition de
« rien » (v. 2, 4, 5 et 6) dans la première strophe, et de « l’eau » (v. 7, 9, 10 et 11)
dans la deuxième.
2. Le thème dominant dans la première strophe, correspondant à la sensation de
chaleur, est celui de la lumière et du feu : « lumière », « flamme », « chaleur »,
«incendie». Il se retrouve avec «éclaire» dans la seconde strophe. L’eau s’y oppose
au feu : « eau », « larmes ». On retrouve également l’ouïe à travers le motif de la
voix : « ta voix », « chante », « chansons », et l’expression de la joie. Ce qui se rap-
porte à la peau et au toucher appelle les mots de la campagne : « sème »,
« champs », « moisson ». Les éléments naturels sont ainsi fortement présents dans
le poème, et la troisième strophe souligne la communion de l’être aimé avec l’uni-
vers tout entier : le ciel et la terre, l’espace sont invoqués, et le temps qui passe
donne à la « ressuscitée » la promesse de l’éternité.
223
3. Les images poétiques peuvent être qualifiées de surréalistes dans le sens où
elles rapprochent des réalités très éloignées l’une de l’autre ; on ne peut détermi-
ner avec précision le point commun qui justifie l’analogie :
– « cette lumière que sèment tes mains » (v. 1) ;
– « ces champs cette moisson sur ta peau » (v. 3) ;
– « cette chaleur de ta voix » (v. 4) ;
– « tu es l’eau qui rêve / et qui persévère / l’eau qui creuse et qui éclaire / l’eau
douce comme l’air / l’eau qui chante » (v. 7-11) ;
– « Solitaire que les chansons poursuivent » (v. 13).

Découvrir la poésie ouverte


Exercice 8✢
1. Les vers sont des octosyllabes. Ils se présentent sous la forme de deux distiques
encadrant un vers isolé. Le second vers de chaque distique commence par une
minuscule. Les vers 1 à 4 présentent des rimes embrassées (« aire » / « passent » /
« espace » / « claire »), tandis que le vers 5 est un vers blanc (non rimé). Le poème
joue donc avec la tradition : il respecte la mesure régulière des vers, utilise le jeu
des rimes et des strophes. Mais le poème se démarque des formes classiques par
sa brièveté, l’absence de ponctuation et la présence d’un vers blanc.
2. Le thème du poème est donné par le titre « Oiseaux ». Le caractère fugitif,
insaisissable des oiseaux est souligné par l’emploi du réseau lexical du mouve-
ment : « flammes », « changeant », « passent », « mouvement », « vision », ainsi
que par les métaphores.

Exercice 9✢
Il s’agit d’un poème concentré, qui joue sur sa densité pour produire un effet poé-
tique. On peut le rapprocher du haïku – même s’il possède quatre vers – car il
décrit un paysage. La brièveté du poème, mais aussi la violence du lexique
(« giflera », « craché ») créent un effet de surprise. Chaque distique est construit
à partir d’une image prenant à rebours les clichés habituels sur l’aube : celle-ci
« gifle » la ville, la « crache ». Le rythme rapide de l’hexamètre s’accorde parfai-
tement à la violence des images ainsi produites.

Exercice 10✢✢✢
1. Les mots mis en valeur par la disposition des vers sont ceux dont l’emplace-
ment inhabituel attire l’œil : vers alignés à droite (« la gare est loin ») ou centrés
(« Tout le chemin est nu »), propositions brèves (« la gare est loin »), répétitions
(« J’attends »).
2. Le thème dominant est la solitude du poète, l’angoisse de « celui qui com-
prend », causée par un univers à l’espace et au temps déréglés : « le fleuve coule
des quais en remontant » (v. 12) ; « Avec le seul mouvement déréglé de l’horloge »
(v. 15). Le poème développe ainsi un univers irrationnel et inquiétant dans lequel
la blancheur et la sécheresse dominent. On peut s’interroger sur l’objet de cette
224
attente : une rencontre ? un train ? la pluie ? Le poème se referme sur cette attente
sans imposer d’interprétation au lecteur.

EXO-BAC
(PAGE 233)

Vers le sujet de commentaire


Lecture
1. Les caractéristiques du sonnet dans le poème de Charles Baudelaire :
– quatorze alexandrins répartis en deux quatrains et un sizain, lui-même décom-
posé en deux tercets ;
– une unité thématique et syntaxique pour les deux quatrains, ainsi que pour le
sizain un schéma des rimes : ABAB / ABAB / CCD / EED ;
– l’effet de surprise du dernier vers (polysémie du mot « noirs », qui fait écho aux
« grands yeux » de la dame créole).
2. Le poème de Blaise Cendrars joue des caractéristiques du vers libre pour exalter
le rythme moderne du train :
– absence de strophes ;
– retour à la ligne, mais aucune régularité dans le nombre des syllabes de chaque
vers (4/9/18/6/4, etc.) ;
– métrique irrégulière : la longueur des vers, croissante (vers 1 à 3) ou décrois-
sante (vers 6 à 9), détermine le rythme du poème ;
– effacement de la rime : en renonçant à la rime, Cendrars renforce le principe
des échos entre les mots, notamment à travers le jeu des répétitions (par exemple
le mot « vie » aux vers 10, 11, 14, 15).
3. La réponse à cette question est bien sûr personnelle. Cependant, on peut en
évaluer la validité à travers un certain nombre de critères précis sur lesquels peut
s’appuyer l’affirmation d’une préférence :
– rythme régulier de l’alexandrin ou rythme heurté du vers libre ;
– construction rigoureuse du sonnet ou plus relâchée du poème en vers libre ;
– évocation des thèmes et des images poétiques développées ;
– affirmation de deux formes de lyrisme autobiographique : lyrisme amoureux
dans le poème de Baudelaire, lyrisme mélancolique dans La Prose… de Cendrars.

Écriture
Le poème de Charles Baudelaire se présente sous la forme d’un sonnet adressé
« À une dame créole » tandis que celui de Blaise Cendrars, bien qu’intitulé Prose
du Transsibérien, est en fait un poème en vers libre. Les deux poèmes évoquent
des souvenirs personnels, des sensations et des émotions intimes qui les inscri-
vent tous deux dans le registre lyrique. Cependant c’est là leur seul point commun.
En effet, le poème de Baudelaire est un poème dont la forme fixe, celle du sonnet,
s’est imposée au fil des siècles comme la forme poétique dominante. Le ton de
225
« À une dame créole » rappelle ainsi celui des poèmes de Ronsard : Baudelaire y
dresse le portrait d’une femme (les deux quatrains), avant de lui adresser direc-
tement une invitation en forme d’éloge (le sizain). Le poème de Cendrars prend
au contraire une forme beaucoup plus moderne, celle d’un long poème en vers
libres qui transcrit un voyage en train effectué par l’auteur à travers la Russie du
début du XXe siècle. Les deux poèmes sont donc de formes radicalement diffé-
rentes, l’un s’appuyant sur les contraintes de la versification pour exprimer l’émo-
tion, l’autre rejetant toute contrainte pour affirmer la modernité d’un monde en
profonde mutation.
Mais si les poèmes ont des formes différentes, on peut affirmer qu’ils expriment
chacun à leur manière une puissance de création et de travail sur le langage. Ainsi,
les deux écrivains jouent du rythme qu’ils impriment à leur poème. Baudelaire
évoque la « paresse » de l’île exotique, les « airs noblement maniérés » ou le
« sourire tranquille » de son hôtesse à travers le rythme majestueux de l’alexan-
drin. Cendrars, reproduit le rythme d’un itinéraire heurté, mais propice à la rêverie
à travers le rythme imprimé par des vers de longueurs différentes, dans lesquels
certains mots sont mis en valeur par des répétitions : c’est ainsi que le mot « vie »
est utilisé à quatre reprises dans les vers 10 à 15. Plus qu’un travail sur la forme,
la poésie est donc d’abord et avant tout un travail sur le langage. Ce qui importe,
c’est l’harmonie créée entre le sens et le rythme des vers, les sentiments exprimés
à travers le choix du lexique et des images, et la vision originale du monde pro-
posée par le poète.
Remarque. La « dame créole » du poème était Mme Autard de Bragard, femme
d’une grande beauté dont on peut consulter la photographie dans l’Album
Baudelaire des éditions de La Pléiade, p. 39. Le manuscrit du poème est en fait
une lettre adressée à M. Autard, son mari, le 20 octobre, 1841. En voici le texte,
tel qu’il a été publié dans La Plume du 15 août 1893 :
« Mon bon monsieur Autard,
Vous m’avez demandé quelques vers à [l’île] Maurice pour votre femme, et
je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et convenable que des vers
adressés à une dame par un jeune homme passent par les mains de son mari avant
d’arriver à elle, c’est à vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez
que si cela vous plaît.
Depuis que je vous ai quitté, j’ai souvent pensé à vous et à vos excellents amis.
Je n’oublierai pas certes les bonnes matinées que vous m’avez données, vous,
Mme Autard, et M. B…
Si je n’aimais et si je ne regrettais pas tant Paris, je resterais le plus longtemps
possible auprès de vous et je vous forcerais à m’aimer et à me trouver un peu
moins baroque que je n’en ai l’air.
Il est peu probable que je retourne à Maurice, à moins que le navire sur lequel
je pars pour Bordeaux (l’Alcide) n’aille chercher des passagers.
Voici mon sonnet. [Suivait le poème étudié]
Donc, je vais vous attendre en France.
Mes compliments bien respectueux à Mme Autard. »
C. Baudelaire
226
Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes structurés et argumentés (idée directrice, illus-
trations, mots de liaisons…).
• Indications précises sur la construction du sonnet et du poème en vers libres ;
sur le registre commun aux deux poèmes et sur le rôle des images poétiques.
• Citation des deux poèmes.

SUJET DU BAC
(PAGES 234-235)

I. Questions
1. C’est d’abord à sa maîtresse, à l’être aimé que s’adresse Baudelaire. Dès le titre,
dès le mot « invitation », un destinataire est visé. Il est présent au premier vers
sous la formule « Mon enfant, ma sœur », qui crée un effet immédiat de douceur
et d’intimité. La deuxième personne du singulier (« te ressemble », « tes traîtres
yeux », « Vois », « Ton moindre désir ») assure cette présence tout au long du
poème. Le lecteur est ainsi le confident de cette invitation au voyage et à l’amour.
Et il peut aussi se laisser griser par cette évocation sensuelle d’un lieu idéal ; il
peut, dans la dernière strophe, s’identifier finalement au destinataire du texte. Le
poème amoureux ne s’offre-t-il pas en partage à tous les amants ?
2. Le poème s’inscrit directement dans le registre lyrique. Lyrisme de la sensa-
tion, lyrisme de la voix qui interpelle l’autre, lyrisme de l’expression intime : la
multiplication des phrases exclamatives, le lexique de la douceur et du secret, le
jeu des personnes (« Mon enfant, ma sœur », « pour mon esprit »), l’impératif
(« songe », « vois »), l’adjectif possessif (« tes traîtres yeux », « ton moindre désir »),
fusionnent avec le mot « ensemble ». La mention « notre chambre » assure l’union
des deux êtres.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
Introduction
Poète de la modernité, Baudelaire exprime dans Les Fleurs du mal l’expérience
amère de l’individu solitaire au cœur des grandes villes. Il manifeste le spleen,
l’ennui, le guignon qui accable désormais le poète. Mais celui-ci trouve égale-
ment refuge dans la rêverie, dans l’évocation chaude et sensuelle de paysages où
dominent les parfums, l’exotisme, la lumière. « L’invitation au voyage » célèbre
ainsi un rêve amoureux qui est aussi un manifeste esthétique. On verra donc
comment, tout au long du poème, Baudelaire développe ce lyrisme amoureux
en l’intégrant indissociablement dans l’évocation d’un univers, d’un décor, d’un
paysage idéal.
227
Première partie. Le lyrisme amoureux
– Le destinataire est sans cesse sollicité tout au long du texte : la maîtresse, l’être
aimé transformé en « Mon enfant, ma sœur », dans un effet enveloppant de
douceur et d’intimité, de tendresse et de sujétion érotique. La deuxième personne
du singulier est ainsi omniprésente à travers les impératifs qui la guident dans le
voyage : « songe », « vois » ; le pronom : « te » et les adjectifs possessifs qui rap-
pellent sa présence : « tes traîtres yeux », « ton moindre désir ». Une certaine image
se forme ainsi d’une femme-enfant, cruelle, hypocrite, fuyante, capricieuse, exo-
tique, exigeante, qu’on retrouve dans plusieurs poèmes des Fleurs du mal. Le
poète se plaît à en souffrir, à se laisser fasciner par elle.
– L’amour lui-même est au cœur du voyage, qui est invitation à aimer (« Aimer
à loisir, /Aimer et mourir ») : le mot « ensemble » et la mention de « notre
chambre» assurent l’union des deux amants réunis. La cérébralité du poète («mon
esprit ») s’abandonne aux charmes sensuels de la femme. La douceur, le charme,
le secret, le sommeil témoignent d’un apaisement, d’une sérénité retrouvée loin
des tumultes et des cruautés de la vie parisienne.
– Le distique qui constitue le refrain est comme une incantation qui calme l’anxiété
du poème par la répétition, le bercement de la chanson amoureuse. Le choix de
vers impairs (cinq/sept syllabes) annonce la poésie mélancolique de Verlaine, de
même que la simplicité du langage et l’ambition du poème de créer la fusion entre
état d’âme et paysage.
Seconde partie. Un décor idéal
– Baudelaire crée un univers original où l’amour pourra s’épanouir. Il s’agit d’un
mouvement vers l’ailleurs, un ailleurs indistinct : « là-bas », qui se définit d’abord
vaguement par l’analogie avec l’être aimé : « qui te ressemble ». La première pré-
cision tient au climat, à l’atmosphère mélancolique : « soleils mouillés », « ciels
brouillés « (cf. le titre d’un poème des Fleurs du mal), associés aux larmes. C’est
le charme des ciels du Nord qui est ici évoqué…
– À cette première dimension s’ajoute, dans la deuxième strophe, la description
d’un intérieur riche et oriental (« meubles luisants », « rares fleurs », « riches pla-
fonds », « miroirs profonds », odeur de l’ambre). On retrouve le poète sensuel des
« Bijoux », l’érotisme puissant qui mêle différents sens (l’odorat, la vue, le toucher)
dans un retour à une origine perdue. La troisième strophe permet l’explication :
l’insistance des « canaux » et des vaisseaux renvoie à un port des Pays-Bas
(Amsterdam ?), qui assure le lien entre l’Occident et l’Orient, la proximité et l’exo-
tisme, la simplicité et la richesse. C’est le lieu de la lumière (cf. la tradition de la
peinture hollandaise, partagée entre les scènes d’intérieur et les paysages lumi-
neux), qui dans un dernier paysage (v. 35-40) assure le triomphe de la « chaude
lumière » d’or du couchant sur les ciels brouillés.
– Le distique peut alors être compris à travers les cinq mots-clés qui condensent
l’idéal esthétique du poète. « Là » désigne un lieu rêvé pour l’amour, mais aussi
le poème lui-même, Les Fleurs du mal comme lieu de l’ordre, de la beauté, du
luxe, du calme et de la volupté. La « douce langue natale » évoquée au vers 26,
n’est-ce pas celle de la poésie elle-même ?
228
Conclusion
La poésie de Baudelaire exprime le déchirement des individus partagés. « Ici »,
l’accablement de l’hiver, le ciel bas et lourd, la foule anonyme, les rencontres sans
lendemain, l’univers de la prostitution, la solitude de l’hôpital, le vain oubli de
l’alcool. « Là-bas », le calme sensuel, la richesse des parfums et des fleurs, l’éro-
tisme oriental, le monde qui s’endort apaisé. Le poème est tour à tour expression
amère du spleen, manifestation de l’angoisse et recherche, conquête d’un lieu
idéal. C’est cet appel, cette tension vers l’ailleurs que retiendront les poètes
symbolistes.

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
Nombreux sont les poètes qui se sont interrogés sur ce que pouvait être l’objet
essentiel, le thème favori de la poésie. Dès l’Antiquité, le mythe d’Orphée laisse
entendre que la poésie est vouée à l’évocation de l’amour perdu. Le Poète a
charmé les dieux et obtenu par son chant d’arracher Eurydice, sa bien-aimée, aux
Enfers. Mais au dernier moment, Orphée se retourne et, si l’on peut dire, le
charme, le contrat est rompu. Dès lors, il est vrai que la poésie semble plus par-
ticulièrement destinée à exprimer l’amour, à entretenir de siècle en siècle l’ex-
pression du lyrisme amoureux, même si celui-ci est souvent associé à la mélancolie
d’une passion blessée. Mais on verra, dans un second temps, que le voyage est
lui aussi l’un des enjeux, l’un des « moteurs » du texte poétique.
Première partie. Amour et mélancolie
– Parmi les multiples thèmes ou situations développés par le texte poétique – l’en-
thousiasme guerrier de l’épopée, les prouesses techniques des rhétoriqueurs, la
dérision burlesque de la satire, la méditation sur le monde, la compassion devant
la souffrance des hommes, les apologues du fabuliste, etc. –, la poésie a très vite
paru privilégier l’expression de l’amour. Des Amours de Ronsard à ceux du sur-
réalisme… Lyrisme amoureux, message dense pour cueillir l’essence de l’amour…
Le cœur s’exprime à travers la répétition et la poésie est répétition…
– Les deux autres objets du texte poétique ont été également la fuite du temps et,
plus généralement, la mélancolie (quelle que soit l’origine de la mélancolie: amour
perdu, patrie éloignée, souffrance du deuil, détresse devant la mort)… La poésie
dit l’expérience de la perte… Regret du pays natal (= tout le contraire du voyage)
chez Du Bellay… Souvenirs de l’enfant mort chez Hugo ou Mallarmé… Spleen
de Baudelaire… On retrouve le mythe d’Orphée et le sens du mystère…
Seconde partie. Poésie du voyage, voyage en poésie
– Poètes du voyage : Heredia qui chante les conquêtes dans Les Trophée, par
exemple. Mais surtout Baudelaire, qui exalte le voyage, le souvenir du voyage
exotique à l’île de la Réunion et le dernier voyage qu’est la mort à la fin des Fleurs
du mal… Mais surtout Rimbaud, qui est le grand « marcheur » sous le ciel étoilé,
associant rythme du vers avec rythme de la marche. Mais surtout Gide avec
ses Nourritures terrestres… Mais surtout Valéry Larbaud, dont les poésies de
A.O. Barnabooth sont celles de la découverte du monde… Mais surtout Blaise
229
Cendrars, qui écrit La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
comme un traité poétique de la poésie moderne, simultanéiste, cubiste…
– La poésie devient alors elle-même voyage, voyage intérieur, imaginaire ou réel,
exploration de nouvelles émotions, d’une langue poétique nouvelle… La poésie
est bateau ivre qui est à fois le moyen et le but du voyage.
Conclusion
« Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, /Lève l’ancre pour une exotique
nature ! » écrit Mallarmé dans « Brise marine », tandis que Michaux multiplie les
voyages tout au long de sa vie. Le voyage est ainsi tension vers l’ailleurs, chant
du départ, quête de soi et du monde, plongée dans l’expérience de l’écriture.
L’exotisme n’est plus ici la recherche du pittoresque ; il ouvre sur le grand voyage,
le grand combat du poète avec lui-même, qui gagne au bout de la nuit une langue
nouvelle.

3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Pour les arguments de la lettre et les exemples d’auteurs et de textes qui consti-
tueront le recueil, voir le corrigé de la dissertation.
On pourra actualiser l’argumentation en évoquant la facilité et la multiplication
des voyages aujourd’hui (train, avion…). Le voyageur contemporain aura plaisir
à lire cette poésie du voyage qui mêle découverte du monde, émotions devant les
paysages neufs et voyage intérieur.

230
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

19 Le théâtre: texte et représentation


(PAGES 236 à 253)

Le problème des rapports entre le texte de théâtre et sa représentation,


puisque tel est l’intitulé de l’objet d’étude consacré au théâtre en classe de
Première, ne date pas d’aujourd’hui, on le sait. Aristote avait réglé la ques-
tion en éliminant de l’analyse la création théâtrale tout ce qui concernait
le spectacle : le texte seul fait du théâtre une activité réellement créatrice.
Aujourd’hui triomphe le metteur en scène qui tantôt donne sa lecture des
textes célèbres, tantôt s’empare de n’importe quel type de texte pour
« montrer » ses spectacles : le texte n’est plus qu’un prétexte, parfois très
mince, aux représentations qui font événement.
À l’heure où les auteurs de théâtre ont tant de mal à se faire jouer ou se
faire éditer, on peut rappeler la remarque souvent citée de Michel Deutsch :
« Je considère d’ailleurs que le meilleur chemin pour venir au théâtre passe
par la lecture. Je crains malheureusement que les autres accès ne soient
hypothéqués par le spectacle. Le spectacle à mes yeux, si j’ose dire, est
précisément la manifestation flagrante de l’adaptation – donc de la sou-
mission – du théâtre à la trivialité de la culture (la non-culture !) de masse,
de la soumission du théâtre à l’idéologie des loisirs. »

OBSERVATION
(PAGES 236-237)

Introduction
La confrontation du texte de Ionesco et des deux photographies qui évoquent
deux mises en scène permettra de poser le problème des rapports entre le texte
de théâtre et la représentation. Le texte de théâtre doit être lu en pensant qu’il est
fait pour être joué mais aucune représentation n’épuise les possibilités de jeu
offertes par le texte. Le chapitre ainsi amorcé se propose de rappeler la diversité
des types de texte pouvant être représentés. Au siècle du cinéma et de la vidéo, le
théâtre reste irremplaçable : c’est que la présence physique des acteurs et du public
permet un échange d’autant plus riche qu’il aura été préparé et suivi de nom-
breuses lectures.
Espérons que ces quelques exercices en donneront le goût aux élèves.
231
Réponses aux questions
I. Un texte écrit pour la représentation
1. Toutes les didascalies s’adressent au metteur en scène qui doit rendre cohé-
rentes et significatives les recherches de tous ceux qui participent à la représen-
tation. Ce qui évoque l’intérieur anglais, avec fauteuil et pendule, s’adresse plus
particulièrement au décorateur tandis que les pantoufles, la moustache, les lunettes
intéressent le costumier. Les didascalies qui indiquent le destinataire de chaque
réplique ou la mimique comme « gracieuse » (l. 8) s’adressent directement aux
acteurs. Mais, bien entendu, toutes les répliques orientent les efforts des uns et
des autres. Surtout, de nombreuses indications ne peuvent être savourées que par
les lecteurs : la répétition de l’adjectif « anglais » ne sera pas audible par les spec-
tateurs. Le décorateur peut certes exhiber un journal anglais, mais un « feu
anglais » ? un « silence anglais » ? Ce sera l’occasion de répéter que le texte théâ-
tral est destiné à la lecture aussi bien qu’à la représentation.

II. Les caractéristiques de la représentation


2. Le décor de la mise en scène de Jean-Luc Lagarce place les personnages à l’ex-
térieur, mais on peut imaginer que les Smith reçoivent les Martin dans leur jardin.
De toute évidence, le gazon semble très anglais, de même que les fenêtres à guillo-
tine. Les petites jardinières soigneusement fleuries, les vêtements des personnages,
leur position, les jambes des dames qui respectent à la perfection les règles du
savoir-vivre sont des indices de la bourgeoisie. Tout en renouvelant la mise en
scène de la création au théâtre de la Huchette, ce dispositif est fidèle aux indica-
tions du texte. La mise en scène de Gabor Tampa reste bien à l’intérieur du logis
mais s’éloigne de l’Angleterre. Il ne reste rien de l’intérieur bourgeois anglais. La
fenêtre surmontée par une aération contemporaine, la lumière blanche, crue, le
gros coffre qui n’a rien de particulièrement anglais oublient délibérément toutes
les indications de Ionesco.
3. Les costumes de la mise en scène de J.-L. Lagarce, complet-cravate pour les
messieurs et petit tailleur avec plusieurs rangs de collier pour les dames, classent
les personnages dans la bourgeoisie contemporaine. En revanche, les costumes
de la mise en scène de G. Tampa instaurent un anachronisme avec le décor. Les
perruques, les maquillages, les vêtements semblent disparates, rappelant le cirque
ou la commedia dell’arte. Un des personnages masculins arbore une magnifique
robe à crinoline. On est très éloigné des indications de Ionesco mais on entre
d’emblée dans le royaume de la farce, avec tout ce qu’elle amène d’éclat, de sur-
prise et de dérision, et l’on retrouve alors, de plein fouet, l’esprit de l’œuvre.

III. Les enjeux de la mise en scène


4. Les photos mettent bien en valeur ce qui fait la cohérence des deux mises en
scène. La rigueur des lignes de la maison anglaise (mise en scène de J.-L. Lagarce)
s’accorde avec la tenue soignée et la rigueur des positions des acteurs. Univers
tiré au cordeau qui va peu à peu exploser : le bel ordre du langage, des rites, des
232
classements va s’effondrer, laissant place au tohu-bohu le plus insensé, le plus
affolant. La blancheur du décor (mise en scène de G. Tampa) met en valeur les
costumes hauts en couleurs des personnages. La reproduction même stylisée d’un
milieu, d’un décor, d’une époque est d’emblée refusée : place au jeu théâtral qui
se déploie librement sans chercher la ressemblance avec ce qu’on reconnaît comme
la réalité du moment.
5. Ionesco s’amuse de nos conversations, rites sociaux qui nous invitent à parler
pour ne rien dire, à mettre en valeur des épisodes insignifiants pour tuer le temps,
maintenir entre les uns et les autres une sorte de contact. Il montre comment la
parole circule, difficilement, de l’un à l’autre. La photographie de la mise en scène
de J.-L. Lagarce est éclairante : on voit Mme Martin tendue dans l’effort de
la parole vers les époux Smith agenouillés, comme suspendus à ses paroles.
M. Martin, lui, tête penchée, connaît l’histoire mais surveille sa femme pour la
corriger au cas où elle raconterait mal la « chose incroyable ». Dans la mise en
scène de G. Tampa, les difficultés de la conversation sont rendues sensibles par
la séparation des deux couples qui ne sont pas tournés l’un vers l’autre mais vers
la salle. Ils sont saisis dans le moment de ces silences embarrassants que l’on ne
sait comment rompre : « vous devriez pourtant avoir des choses intéressantes à
nous raconter ».

EXERCICES
(PAGES 242 à 248)

Analyser les didascalies


Exercice 1✢
1. La conception du jardin, de la maison d’habitation, de l’orangerie concerne
le décorateur. Au costumier de dessiner les vêtements de ces bourgeois qui s’amu-
sent. L’accessoiriste veillera à la présence des palets, de la petite ardoise où ils ins-
crivent leur score. L’éclairagiste devra trouver la lumière qui convient à cette
journée où il fait « joliment chaud ». Aux comédiens de donner vie à ces trois
messieurs. Les deux mises en scène de La Cantatrice chauve évoquées page 237
montrent la diversité des choix possibles.
2. Faut-il que Piget accompagne sa subtile remarque d’un geste explicite comme
s’éponger le front, ouvrir le col de sa chemise ? Quelle doit être l’attitude des
autres joueurs ? La réponse doit se faire en liaison avec les divers choix à opérer
qu’évoquait la question précédente.

Exercice 2✢
1. Dans l’ordre des répliques : Georgette « tombant aux genoux d’Arnolphe »
(v. 6), Alain, « à part » (v. 7), Arnolphe, « à part » (v. 8), « à Georgette et à Alain »
(v. 10), « à Georgette » (v. 11), « à Alain » (v. 12), « Alain et Georgette se lèvent
et veulent encore s’enfuir » (v. 14).
233
2. L’essentiel est de faire sentir aux élèves que les remarques de Georgette et Alain
répondent à des mouvements, des mimiques ou des gestes qui ne sont pas écrits
par Molière et qu’il faut les imaginer. On imagine donc qu’Arnolphe fixe
Georgette avec un regard menaçant, qu’il la mange des yeux et qu’il doit menacer
Alain du geste, voire commencer à le battre. Les maîtres se sentaient le droit de
battre leurs domestiques et Arnolphe est hors de lui.
3. À trois reprises, les domestiques cherchent à s’échapper. Reste à imaginer dans
les trois cas une tentative différente. À petits pas pour le premier, un geste à peine
amorcé pour le second. Si Georgette est à gauche, Alain à droite, la troisième ten-
tative forcera Arnolphe par les deux bras, et voilà le maître écartelé. Il faudra
imaginer non seulement leurs gestes mais aussi la tête qu’ils font.

Exercice 3✢ Vers l’oral


1. Il faudra au moins un lit et un nécessaire de toilette où trônera le pot à eau.
Aux élèves de placer le lit sur la scène, d’en faire une alcôve protégée par un
rideau, de faire régner l’obscurité sur la scène mais de laisser transparaître par
les persiennes ou par une porte entrouverte que le jour est déjà bien avancé : le
rai de lumière pourra éclairer l’œil faussement endormi de Jacqueline.
2. L’important ici est de faire sentir la diversité des réponses possibles. Maître
André peut faire violemment irruption ou entrer de la façon la plus silencieuse
possible, ce qui permettra un crescendo dans son énervement. La première pos-
sibilité semble justifiée par le furieux : « La peste soit de l’endormie », mais la
seconde peut faire sentir un rien d’attendrissement dans : « Comme elle dort ! »
La difficulté sans doute sera de varier les interjections. On peut imaginer Maître
André tournant autour du lit et Jacqueline se tournant dedans de façon à échap-
per à ses efforts. À Jacqueline de feindre le sommeil profond puis le réveil le plus
naturel. C’est la menace du pot à eau qui provoque ses premiers étirements. Ces
étirements doivent aussi être diversifiés et interminables, de façon à irriter le mari
et à faire rire le public.
3. Il s’agit de mettre en application ce qui a été approché par la question précé-
dente. Si l’on veut passer au jeu théâtral, on pourra commencer par des exercices
qui feront inventer et reproduire des gestes avant même de passer à la lecture du
texte. Ces exercices libéreront l’imagination de chacun.

Étudier les éléments du spectacle et le jeu des acteurs


Exercice 4✢✢
1. Le décor d’André Barsacq (photo du bas) reproduit un salon de la haute bour-
geoisie parisienne. La tour Eiffel dit Paris et le mobilier (sans parler du costume
du personnage) situe la scène au XXe siècle. Les toits en pente sur la gauche per-
mettraient presque de savoir à quel étage élevé et coûteux se situe cette pièce.
Cependant, la scène est circonscrite par un jeu savant de velours et de pompons
qui rappelle ostensiblement que nous sommes au théâtre.
234
2. Le décor de Paul Haferung (photo du haut) compose un ensemble complexe
qui ne renvoie pas à un espace réel. Le contraste est impressionnant entre la table
de maître avec des chaises à dossier travaillé et la gigantesque fresque qui la sur-
plombe. On y reconnaît la figure du Christ lors de la cène. Une fresque ou une
tapisserie pourrait décorer le mur d’une salle à manger, mais le décorateur a accen-
tué le contraste pour que la table et le tableau renvoient à deux ordres de réalité.
3. Dans l’un et l’autre décor, les indices de la richesse luxueuse sont faciles à
repérer. Chaises sculptées, lourde nappe, appliques pour la pièce de Bertolt Brecht,
bibliothèque, lustre, applique, canapés, fauteuils pour la pièce de Marcel Achard.
4. Le décor de Paul Haferung introduit dans un univers sombre, qu’on a du mal
à reconnaître : l’image du Christ saisi dans un moment particulièrement tragique
contribue à créer une sorte d’instabilité et de gravité propre au drame ou à la tra-
gédie. Le décor d’André Barsacq fait rêver d’une vie facile et semble se prêter à
la représentation d’une comédie mondaine (ce qui n’exclut pas la cruauté ou
l’amertume) ou fantaisiste. Le premier décor est sombre et appelle au sérieux, le
second se veut léger et appelle au sourire.

Exercice 5✢
1. Dans la mise en scène de Benno Besson, Don Juan porte une perruque, un
chapeau à plumes et un habit enrubanné tandis que Sganarelle se contente d’un
bonnet et d’une ample collerette, mais on cherche en vain les rubans. Dans la
mise en scène de Daniel Mesguich, l’ample pardessus en cuir habille le maître
tandis que Sganarelle porte le costume des petits lutins des publicités Kodak.
2. Le costume que porte Philippe Avron correspond à la description qu’en donne
Sganarelle : on reconnaît la perruque frisée, les plumes du chapeau, l’habit et les
rubans. Seul le maquillage semble outré et nous rappelle qu’il s’agit de théâtre et
non d’une reconstitution historique. Un tel costume fait du personnage de Molière
un jeune aristocrate à la mode, arrogant, refusant toute loi et abusant de ses pri-
vilèges pour se croire tout permis. Mais le personnage de Molière ne risque-t-il
pas d’être limité par cette seule caractérisation ?
3. Dans la mise en scène de B. Besson, le costumier s’est voulu fidèle au texte et
a placé les personnages dans une réalité sociale historiquement située. Dans la
mise en scène de D. Mesguich, le costumier a laissé parler son imagination : allure
sombre (mais le manteau de cuir ne trahit-il pas chez Don Juan une évidente
coquetterie ?) du maître et fantaisie irrésistible de Sganarelle. Le décalage entre
les deux personnages, contraste essentiel à la dramaturgie de l’œuvre puisque
c’est le rire déclenché par Sganarelle qui a fait scandale, est marqué de façon tout
à fait convaincante.

Étudier le rôle du metteur en scène


Exercice 6✢
1. Le metteur en scène veut que le public sente le temps qu’il fait. La première
note insiste sur les bruitages qui créent un climat avant que les personnages entrent
235
en scène, bruitages qui vont justifier les paroles et leur donner le poids du réel. Il
joue aussi sur l’éclairage avec l’usage des lanternes (note 2). Enfin, et peut-être
surtout, le jeu des comédiens doit faire sentir qu’ils sont en plein vent : la note 5
doit inspirer leur façon de se tenir, de se déplacer, de parler.
2. Les pauses mettent en valeur les répliques auxquelles elles donnent le poids
du réel. Ce qui doit être premier, c’est le regard, ce que voient, ce que ressentent
silencieusement les personnages. La parole ne vient qu’ensuite, lourde de cette
inquiétude qui a été d’abord éprouvée dans le silence. Cela aidera les élèves à res-
pirer et à faire respirer le texte quand ils récitent ou qu’ils jouent.
3. Le metteur en scène règle les déplacements des acteurs. La précipitation ini-
tiale de Montano (note 1) le détache des deux autres qui font les mêmes gestes
(note 2) puis Stanislavski distingue le premier gentilhomme, inquiet (note 3) du
second, sûr de la victoire (note 6). Ce faisant, le metteur en scène a rendu audible,
visible, une différence écrite dans le texte.

Exercice 7✢✢
1. La grande cape évoque l’Antiquité grecque et Thésée est un personnage mytho-
logique, mais le justaucorps, les hauts revers de manche, le brassard évoquent le
siècle de Racine et, à l’époque de Racine, les comédiens portaient les costumes
de leur temps sans se soucier de précision archéologique.
2. Les cuissardes, la coiffure, les genouillères de métal font de Thésée un héros
de cinéma ou de manga. En multipliant les références et les époques, le couturier
à su les fondre dans une figure pleine de feu où l’on reconnaît l’arrogance héroïque
du vainqueur du Minotaure. On sent avec quelle violence il va se prendre dans
le piège que vont lui tendre Phèdre et les dieux.
3. La formule que retiendront sans doute les élèves est celle de « sculpture d’êtres
imaginaires », reprise ensuite par « sculpture d’ensemble ». Le critique donne envie
de voir des images de cette mise en scène, mais la formule qui correspond au
dessin reproduit dans le livre fait comprendre la création du célèbre couturier : il
s’agit de rendre au personnage sa dimension mythique. Les acteurs grecs juchés
sur des cothurnes frappaient le public de stupeur. Racine définissait le climat tra-
gique par la formule : « tristesse majestueuse », où les mots « tristesse » et
« majesté » doivent prendre le sens très fort qu’ils avaient au XVIIe siècle. N’est-
ce pas cette majesté, cette grandeur souveraine qui signale l’excellence que l’on
retrouve dans les dessins de Christian Lacroix ?
4. La force du texte racinien (sa profondeur, son élégance) est telle qu’on redoute
tout ce qui relèverait du simple spectacle et qui risquerait de nous détourner de
son chant. Mais du temps même de Racine, les acteurs jouaient dans les costumes
les plus somptueux, dans les décors les plus raffinés : le luxe ne nuit pas à l’élé-
gance (à la simplicité des moyens qu’on appelle « élégance »), surtout quand cette
élégance doit être majestueuse. Pour ceux qui n’ont pu voir le spectacle de la
Comédie-Française, Michel Cournot témoigne de cet accord merveilleusement
tenu entre Christian Lacroix et Jean Racine.
236
Exercice 8✢✢
1. Agrippine se sert d’une canne pour ponctuer le non qu’elle oppose à Burrhus
puis pour lui imposer une conversation « sans feinte ». Cet accessoire sert ainsi
moins à trahir son âge qu’à témoigner d’un reste de puissance.
2. Tout se joue autour de la porte placée au cœur du dispositif scénique. D’une
part, la porte est restée ouverte : Burrhus, dans sa précipitation, a oublié de la
fermer. D’autre part, Agrippine « comme une bombe » y court pour la franchir
mais Burrhus l’arrête. Et c’est sur le coup de canne d’Agrippine que Burrhus la
ferme. La porte qui donne accès à l’empereur, la porte qui reste fermée à sa mère,
est au centre de cet affrontement.
3. Gildas Bourdet montre quelle colère anime Agrippine contre Burrhus qu’elle
avait nommé précepteur de son fils en lui faisant crier « non » au moment où il
cherche à s’échapper en la saluant. L’interruption, le cri, le coup de canne mar-
quent sa fureur. De plus, elle lui parle sans le regarder alors que lui cherche à
éviter la discussion.
4. La mise en scène règle avec beaucoup de rigueur les mouvements des acteurs
afin de mettre en lumière les rapports de force entre les personnages. Car autour
de la porte de Néron s’engage une lutte décisive. Burrhus empêche Agrippine de
passer la porte et à son tour Agrippine empêche Burrhus de quitter l’antichambre.
Les gestes d’Agrippine, vers Burrhus (question précédente), la façon dont elle lui
parle en lui tournant le dos puis celle dont elle se retourne au moment où elle
l’accuse de feindre, son ironie quand elle détache « augustes » et « une fois » la
montrent en train d’exercer sa puissance mais elle a perdu l’essentiel : la possibi-
lité de voir son fils.

Exercice 9✢✢
1. Dans la représentation du théâtre Mouffetard, la rue de Naples est évoquée
par l’esquisse d’une architecture baroque, mais c’est le redoublement par le grand
miroir qui crée un effet proprement baroque. Mais il s’agit sans doute moins
d’évoquer la ville de Naples qu’un des thèmes centraux de la pièce de Musset, la
recherche de soi à travers les images que nous nous créons ou que nous renvoient
les autres. Au théâtre des Bouffes du Nord, on retrouve les pierres noircies des
palais napolitains et les tables de fer sorties dans les rues. L’accompagnement
musical et les bruitages rappelaient aussi la ville italienne.
2. Dans la mise en scène d’Anne Saint Mor, les costumes évoquent plutôt le XVIe
ou le XVIIe siècle. On croit reconnaître Coelio à la couleur sombre de son costume,
à son chapeau tandis que dans la pose allongée du jeune homme tête nue, on
reconnaît la désinvolture d’Octave. Dans la mise en scène de Lambert Wilson,
les costumes sont contemporains. La chemise ouverte et la pose décontractée
d’Octave fumant une cigarette font contraste avec le costume sombre et la cravate
de Coelio.
3. Le décor du théâtre Mouffetard évoque le miroir. Pour Coelio, cette image
lisse que renvoie le miroir esquive les aspérités de la vie : c’est elle qui explique-
rait l’insouciance d’Octave. Coelio souffre d’être incapable de cette légèreté.
237
4. On pourrait dire que, dans la mise en scène du théâtre Mouffetard, Coelio
reste dans l’ombre alors qu’Octave est éclairé. Dans la mise en scène des Bouffes
du Nord, les deux visages sont éclairés de la même façon et se ressemblent. Dans
les deux cas, Coelio et Octave incarnent deux façons d’aimer. Ce déchirement
entre amour exigeant et amour frivole est au cœur de l’œuvre. Musset se sentait
lui-même déchiré entre ces deux aspirations opposées.

Exercice 10✢✢✢ Vers l’écrit d’invention


1. Galilée a-t-il eu raison de se rétracter ? En le faisant, il a sauvé sa vie mais
trahi d’une certaine façon la vérité et les partisans de la vérité, ses amis. Pour
Brecht, le moment n’amorce-t-il pas le mouvement qui conduira la recherche
scientifique à s’écarter tragiquement de la vie politique et sociale ? S’affrontent
ici les partisans de l’héroïsme et de la lutte contre les préjugés et les dogmes offi-
ciels (Andrea et ses collaborateurs) et ceux qui comptent sur une transforma-
tion collective des esprits. Pour ces derniers, représentés ici par Galilée, un martyr
de plus ne permettrait aucun progrès. Mieux vaut que les recherches continuent
à l’écart de la scène publique. C’est ce retrait qui aurait pesé sur le destin des
sociétés occidentales.
2. Le parallélisme des deux condamnations, celle qui condamne l’absence de
héros, celle qui condamne le recours au héros, souligne l’intensité de l’affronte-
ment et l’écart entre les deux positions. La mise en scène pourrait souligner ce
parallélisme en plaçant Andrea puis Galilée tour à tour au centre de l’avant-scène.
On peut aussi placer chaque acteur aux deux extrémités de la scène.
3. Le mur du fond doit être suffisamment austère et impressionnant pour sug-
gérer l’arrogance et la puissance de l’Église qui vient de condamner Galilée (après
avoir torturé et tué Giordano Bruno). La porte par où paraîtra Galilée doit
sembler toute petite par rapport à la masse des pierres et des décorations archi-
tecturales. Seul un rai très fin de lumière oblique éclairera la silhouette de Galilée.
Les effets de lumière accentueront ce sentiment de solitude en soulignant la façon
dont ses anciens amis font masse en s’écartant de lui.
4. Le travail devra être préparé par un exposé sur l’affaire Galilée et la lecture
de larges extraits de la pièce de B. Brecht.
L’exercice évaluera principalement le développement de l’argumentation.
L’ambassadeur florentin condamnera ou/et excusera d’abord la position du pontife
romain. Les travaux de Galilée bouleversaient si profondément la vision habi-
tuelle du monde qu’ils risquaient d’affoler un public ignorant de ces recherches.
Dans un second temps, l’ambassadeur justifiera la position de Galilée. Comme
il s’adresse aux disciples de Galilée qui ont tout sacrifié à la recherche de cette
vérité nouvelle qu’ils ont mise à jour, il insistera sur l’inutilité de la mort de Galilée
et la possibilité de poursuivre les recherches. L’horreur du supplice aurait semé
la crainte dans la communauté des savants et freiné le développement des
recherches. Le reniement de Galilée leur indique de quelle façon il faut continuer
en attendant que les circonstances politiques affaiblissent les effets de la censure.
Ce serait la seule façon de préparer l’avenir, non en affrontant ceux qui ont la
238
force, mais en sachant ruser avec ces pouvoirs aveugles. L’évaluation tiendra
compte de la rédaction : c’est un ambassadeur qui tient la plume mais cela ne doit
pas exclure la clarté et la vivacité !

Exercice 11✢✢
1. On pourrait parler d’un registre réaliste lié au genre de la comédie. Le texte
indique l’éventualité d’un repas et probablement d’une porte. Philippe n’a pas
encore enlevé sa canadienne ni ses gants (l. 26) : il vient du dehors. On peut vrai-
semblablement se trouver dans une cuisine ou une pièce où l’on mange. Le
« regarde » de la ligne 24 invite Philippe à constater que la table est mise, le repas
prêt. Ces indices inscrivent le texte dans le registre réaliste. La simplicité fami-
lière de la langue décelable tant au niveau de la brièveté des phrases que de la
simplicité du vocabulaire rapproche encore du ton de la comédie. Mais le mot
« comédie », bien trop vague en lui-même, ne convient guère, le mot « drame »
non plus. Cette pièce peut être représentée de bien des façons : entre la repro-
duction précise d’un deux-pièces avec porte d’entrée et porte de la chambre, et
un espace où ne serait éclairée que la table où les assiettes sont mises, la marge
est grande. La mise en scène, le décor, le jeu des acteurs peuvent faire passer d’un
registre à l’autre. La difficulté de classement montre les limites de la notion de
genre.
Remarque. La pièce elle-même a été publiée avec Nina, c’est autre chose sous le
titre de Théâtre de chambre. C’est rapprocher ce théâtre, qu’un critique qualifie
de « minimal », de la musique de chambre : « Théâtre de chambre, écrit Vinaver,
parce qu’il est bon de le jouer dans une chambre, spectateurs compris. »
2. La tension entre la mère et le fils peut se lire sur un mode tragique. Le dialogue
paraît difficile entre le fils uniquement préoccupé de ses amis et la mère qui
cherche à se faire entendre. L’actrice peut faire sentir la douleur d’être méprisée,
d’abord par les amis de son fils puis, dans le mouvement même du dialogue, par
son fils lui-même. L’acteur peut montrer l’indifférence, voire l’impatience que
Philippe éprouve à l’égard de sa mère.
Quelques propositions pour une interprétation tragique :
(1) La question est posée de loin, Philippe debout dans la partie non éclairée de
la scène. Le regard dirigé vers Hélène est tendu vers la réponse.
(2) Hélène assise à table, le visage éclairé, sans regarder Philippe. Elle fait silence
avant de détacher la dernière remarque : « Ils ne me disent pas bonjour non plus. »
(3) La nouvelle question montre que la réponse ne l’a pas intéressé : il n’a pas
entendu ce que disait sa mère. Le ton est insistant, comme le regard voulant la
réponse, négligeant l’interlocutrice.
(4) La mère continue sur le même ton que plus haut. Elle refuse de répondre à la
question. Elle parle pour elle-même, sans espoir de se faire entendre.
3. La tension est nécessaire aussi à la comédie, comme l’a remarqué Pascal. Mais
cette tension ne deviendra comique que si l’on accentue ce qu’il peut y avoir de
courant, de quotidien dans la scène. L’actrice pourra faire sentir qu’elle ne croit
pas tout à fait aux reproches qu’elle adresse à son fils et pourra montrer en elle
239
les signes de la mère possessive. L’acteur jouera le fils bougon, mais prêt à céder
à l’invitation maternelle. Rien n’empêche qu’une sorte de gaieté complice sur-
gisse de leur échange.
Quelques propositions pour une interprétation comique :
(1) Les deux personnages sont occupés, Hélène à mettre la table, Philippe à décou-
vrir le courrier posé sur le buffet. La première question est posée d’un ton enjoué :
Philippe est sûr d’obtenir sa réponse.
(2) La mère toujours occupée mais lance la réplique parce qu’elle est sûre que
Philippe l’entendra, même si l’on sent que c’est un discours qui a déjà été pro-
noncé entre eux.
(3) Philippe, habitué à ce genre de discours, sourit en posant sa question, tou-
jours dépliant quelque lettre : on devine qu’il pose la question sans que la réponse
lui paraisse urgente.
(4) La mère est lancée dans son discours contre les amis de Philippe mais elle sait
que Philippe n’est pas comme eux.

EXO-BAC
(PAGE 249)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Le décor, le nom des personnages, leur attitude, le ridicule de Madame
Champbaudet, sa coquetterie, son inconséquence, sa frivolité, l’incompréhension
d’Arsène, le prosaïsme des répliques et des préoccupations, tout cela relève évi-
demment du climat de la comédie. Les notes du dramaturge soulignent la cruauté
du passage qui se moque d’une femme vieillissante, qui minaude de façon déri-
soire : la note 1 souligne même ce qu’il y a de tragique dans la situation du per-
sonnage. Mais la cruauté du portrait n’empêche pas le comique, bien au contraire.
2. L’interprétation que propose Alain Milianti dans les remarques citées souligne
la cruauté du passage. À partir des indications évidemment inexactes de Madame
Champbaudet « tout au plus trente ans », le dramaturge indique d’abord qu’elle
a quarante-cinq ans. La façon dont le personnage tente de se rajeunir à ses propres
yeux est au cœur du passage, Alain Milianti note qu’elle a du mal à se convaincre
elle-même : de là le rythme et les hésitations du discours soulignés à la note 3 et
à la note 4. La reprise de « tout au plus trente ans » va dans le même sens : les
points de suspension marquent l’hésitation et la décision qui balaie l’hésitation :
en parlant, elle cherche à reprendre confiance en elle. La seconde direction indi-
quée souligne la sensualité du personnage. On la déduit du mouvement de coquet-
terie indiqué aux lignes 7 et 8 et en liant ce mouvement à l’âge du personnage, le
dramaturge note une « sensualité un peu lourde ». Le plus important est la ques-
tion de la tenue du personnage « en chemise, bras nus » (remarque 1), a-t-elle
240
achevé sa toilette (remarque 5) ? Enfin, Alain Milianti souligne ce que cette scène
de vaudeville a de cruel en rappelant le thème mis en jeu : « une femme qui ne
veut pas vieillir » et en notant le jeu théâtral mis en œuvre ici « l’écart entre ce
que nous voyons et ce qui est dit ». Cela suppose que l’actrice doit donner à voir
un certain âge, une certaine lourdeur qui contraste avec la jeunesse légère et char-
mante évoquée par les discours et aperçue dans une glace qui paraît trop petite
(remarque 2).
3. Éléments pour la réponse
Les élèves pourront constater comment une lecture précise du texte prépare le
travail du metteur en scène, du costumier, des comédiens. Le dessin de Françoise
Chevalier correspond au registre comique dans la mesure où il accentue le ridi-
cule du personnage : le nez postiche ne prédispose pas à l’élégance et à la séduc-
tion et semble alourdir l’allure du personnage. La belle crinoline relevée de rubans
et de jolis nœuds rappelle les fastes du Second Empire tandis que le décolleté plon-
geant est peut-être un indice de cette sensualité que soulignent les notes du dra-
maturge.

Écriture
Les élèves devront tenir compte de l’indication de la ligne 14 : Justine a été ren-
voyée pour « inconduite ». À eux d’imaginer ce qui a causé la renvoi de la ser-
vante par une maîtresse assez inconséquente pour avoir oublié qu’elle l’avait
renvoyée la veille. On imagine que Justine ne sera pas tendre avec son ancienne
maîtresse. Quant à Arsène, aura-t-il été séduit par l’élégance de Madame
Champbaudet ?

Critères d’évaluation
• Respect du genre (la comédie).
• Présence de didascalies.
• Dialogue qui révèle le caractère des personnages.
• Respect des formes du dialogue théâtral.

SUJET DU BAC
(PAGES 250 à 253)

I. Questions
1. Dans les deux scènes, les bruits – « bruits d’armes et des chuchotements » dans
Caligula, « voix de gardiens et de prisonniers » dans Roberto Zucco – viennent
des coulisses, faisant entendre des personnages qui ne sont pas en scène. Bruits
menaçants pour Caligula, bruits admiratifs pour Zucco, ils font sentir tout le
poids des autres, de tous ceux dont les personnages se sont détachés, par la folie
la plus meurtrière. Seul en scène, le personnage éponyme, fascinant, monstrueux,
est « tout seul, comme les héros ». L’accessoire essentiel dans la pièce de Camus
241
est le miroir dans lequel le tyran s’interroge sur lui-même, indice moins de nar-
cissisme que de réflexion. En le brisant d’un coup de tabouret, il fait de sa mort
un suicide : c’est Caligula qui met fin à son image, et lorsque les autres le tuent,
il peut lancer vers eux une dernière provocation, un hurlement de rire. L’accessoire
dans Roberto Zucco est plutôt un élément de décor : le toit par lequel il s’élance
ailleurs est l’instrument qui fait de son évasion non pas une fuite mais une envolée,
une ascension.
2. Pour éclairer une dernière fois le personnage de Caligula, Camus a recours au
monologue. Il souligne ainsi la solitude extrême dans laquelle s’est enfoncée le
personnage : en dehors de l’esclave Hélicon, absent, et dont l’arrivée sera vaine,
il ne lui reste plus que son image dans le miroir pour donner sens à sa vie, à sa
mort. Ce dédoublement révèle une culpabilité d’autant plus douloureuse que ce
monde est « sans juge », que le mot « innocent » n’a pas de sens, qu’il n’y a pas
de limite au mal. Le jeu avec le miroir – « se pressant contre lui », « revient vers
le miroir », « tend les mains vers le miroir en pleurant », « criant », « s’approche
en soufflant » – marque les divers mouvements qui bouleversent Caligula : la peur
de la mort, mais surtout une dévorante soif d’absolu qui l’a égaré à la recherche
d’une fausse liberté.
Les deux dernières répliques, hurlées, semblent affirmer une dérisoire victoire sur
la mort : est-ce en passant « à l’histoire » que Caligula reste « encore vivant » ?
Passant ainsi des larmes au cri puis à un hurlement qui mêle le rire et le râle, le
tyran est un être humain qui a échoué face à l’absurdité de la condition humaine.
C’est un étrange dialogue qui éclaire le personnage de Roberto Zucco : une mul-
titude de voix interroge celui qui s’est réfugié sur les toits. Le personnage appa-
raît comme l’image d’un mouvement que rien n’arrête, d’une force qui ne connaît
aucune limite, aucune loi, ni physique, ni morale, ni métaphysique.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
La dernière scène d’une pièce de théâtre est importante à plus d’un titre : elle met
un terme à l’œuvre, doit marquer un aboutissement qui donne sens à la création
théâtrale. Ainsi, pour les théoriciens du théâtre classique, le dénouement devait
être complet, clair et rapide. Mais surtout cette dernière scène, qui apporte une
dernière lumière sur ce qui a fait l’objet de l’œuvre, doit marquer la sensibilité et
la mémoire du public. Dans la dernière scène de Roberto Zucco, Bernard-Marie
Koltès se soucie moins d’apporter un dénouement que de proposer un tableau
qui rende frappante la force énigmatique du personnage qui donne son nom à
l’œuvre. S’inspirant d’un épisode qui a marqué la fin du véritable Roberto Succo
(avec un S), l’auteur montre son personnage seul sur les toits répondant à des
voix qui l’interpellent. Nous nous demanderons d’abord quelles fonctions remplit
ce dispositif dramaturgique. Ce dialogue avec les voix fait du criminel évadé une
sorte de héros. Dans quelle mesure cette dernière scène donne-t-elle une image
idéalisée d’un criminel monstrueux ?
242
Les voix dramatisent la scène de l’évasion car elles renforcent tout ce qui sépare
Roberto Zucco du reste des hommes. D’une part, ces voix sont anonymes alors
que le personnage auquel elles s’adressent a un nom qu’elles répètent à plusieurs
reprises. D’autre part, ces voix viennent des coulisses et les hommes dont elles
émanent restent invisibles alors que seul apparaît Zucco. Enfin, ces voix mettent
à la même place les prisonniers et les gardiens de prison. Certes, on peut distin-
guer ces voix et reconnaître d’où elles viennent. Ce sont les gardiens qui disent :
« On a l’air de cons », et ce sont les prisonniers qui leur donnent raison en se
moquant d’eux : « Vous avez l’air de cons, oui. » C’est un gardien qui se console
en remarquant : « Il doit être recroquevillé dans un cagibi, et il tremble. » Et c’est
un prisonnier qui défie les gardiens : « Pourtant ce n’est pas vous qui le faites trem-
bler. » Ce sont les gardiens qui vouvoient le prisonnier : « Descendez », « vous êtes
fichu », tandis que les prisonniers le tutoient : « Comment tu fais ? », « Par où tu
as filé ? » Parfois, cependant, l’origine de la voix reste indécidable. Est-ce un
gardien ou un prisonnier qui dit : « Tout seul » ? Est-ce un gardien ou un prison-
nier qui dit : « C’est impossible. » puis « Strictement impossible » ? Mais toutes
ces voix sont anonymes et invisibles, et comme le dit la didascalie, les voix des
gardiens et des prisonniers sont « mêlées ». Si différentes que soient leurs posi-
tions, ils sont tous, face à Zucco, enfermés dans les murs de la prison. Ainsi, une
des fonctions essentielles des voix est d’isoler la figure de Zucco, de la mettre
seule en scène : de lui seul en effet on voit le corps, on voit les gestes. Lui seul
occupe la scène qui remplit l’espace qui reste vide tant qu’il n’est pas là et c’est
vers lui que s’élèvent toutes les voix, et c’est vers lui que se tournent tous les yeux,
les yeux cachés dans les coulisses et les yeux ouverts dans la salle.
Ces voix, qu’elles émanent des gardiens ou des prisonniers, font de Zucco une
énigme inaccessible, mystérieuse : dans l’étrange dialogue qui s’échange entre le
chœur et Zucco, c’est vers lui que se tournent les questions et c’est lui qui donne
les réponses. Les questions viennent tout autant des gardiens que des prisonniers.
Les gardiens se demandent d’abord où il est passé et comment il a pu s’échapper
d’une prison si moderne. Les questions sont formulées directement : « Qui en avait
la charge ? », ou sous forme d’hypothèses : « Il doit être planqué », « Il doit être
recroquevillé ». Mais quand les gardiens se mettent à affirmer : « Zucco est fichu »,
ils sont immédiatement contredits par Zucco qui leur répond en se promenant
librement sur le toit. Quand ce sont les prisonniers qui interrogent : « Et les gar-
diens ? », « D’où te vient ta force ? », Zucco donne la réponse sans hésiter, sans
trembler : « Les gardiens n’existent pas », « Quand j’avance, je fonce ». Quand les
prisonniers, à leur tour, se mettent à affirmer pour rappeler les interdits essen-
tiels : « Il ne faut pas toucher à ses parents », « on ne tue pas un enfant », Zucco
répond sans se laisser déconcerter. Ainsi, la forme et le développement du dia-
logue font de Zucco celui qui est au cœur d’un secret qui échappe à toutes les
voix qui l’entourent. Les voix mêlées des gardiens et des prisonniers jouent exac-
tement le rôle du chœur dans les tragédies de la Grèce antique. Les choristes
étaient anonymes et commentaient la position du héros. Comme le chœur antique,
les voix disent ce que pense la communauté humaine, ce qu’elle éprouve et
comment elle réagit à celui qui échappe au destin ordinaire du commun des
243
hommes. C’est ce décalage entre les voix et le personnage solitaire qui fait la force
surprenante de ce dialogue. Mais n’est-ce pas donner au personnage de Roberto
Zucco le statut d’un héros ?
Roberto Zucco apparaît d’emblée comme celui qui est parvenu à déjouer seul la
surveillance de tous les gardiens d’une prison ultramoderne. De leur propre aveu,
les gardiens sont ridiculisés et les prisonniers rient de leur impuissance : « Vous
avez l’air de cons, oui.» Cette évasion n’est pas due au hasard: la réplique «encore
une fois » rappelle que Zucco n’en est pas à son premier exploit. Il a réussi à
triompher des techniques sophistiquées censées faire d’une prison moderne un
lieu d’où il est impossible de s’échapper. La répétition du mot « impossible » rend
dérisoires les certitudes des gardiens et font de Zucco celui qui sait déjouer les
pièges élaborés par des techniques inhumaines. Il devient celui qui résiste et met
à jour les faiblesses de l’ordre carcéral. Comme le héros, il ridiculise ceux qui sont
plus puissants que lui et il met ainsi les rieurs de son côté. Celui qui devrait nor-
malement, selon les gardiens, « être planqué », « être recroquevillé » et « trem-
bler » est en fait, comme le dit un prisonnier aux gardiens, en train de « se foutre
de votre gueule ». L’apparition de Zucco au sommet du toit au moment même où
des voix de gardiens le déclarent « fichu » les ridiculise et l’exalte comme on exalte
celui qui sait transformer sa faiblesse en force. Enfin, les gardiens sont nombreux
et Zucco tout seul a réussi à échapper à leur surveillance. Cette solitude que le
chœur anonyme et invisible des voix rend sensible est essentielle à la métamor-
phose de l’assassin fou en héros imprenable. Les voix s’accordent pour le souli-
gner : « Tout seul. (…) Tout seul, comme les héros. » Cette solitude est radicale,
absolue car, comme le remarque une voix : « Zucco se fout de la gueule de tout
le monde. » Si les prisonniers rêvent de ses évasions, il reste éloigné d’eux, il vient
d’ailleurs et il va ailleurs, et cet ailleurs où cette dernière scène fait exister Zucco
contribue à l’idéalisation du meurtrier.
Les questions qu’on lui pose, on l’a vu plus haut, le placent en position de héros,
de détenteur d’une vérité qui échappe à tous et les réponses qu’il donne le confir-
ment dans ce statut. Bien loin d’être « fichu » ou « recroquevillé », il apparaît
comme celui qui sait, comme une force qui affirme, comme une énergie irrésis-
tible. Ses réponses prennent la forme de déclarations catégoriques qui nient tout
ce qui peut s’opposer à sa volonté : « les gardiens n’existent pas » ou « je ne vois
pas les obstacles ». Certes, les prisonniers eux-mêmes, si l’on s’en réfère au tutoie-
ment, lui opposent l’horreur des meurtres qu’il a commis : « Il ne faut pas toucher
à ses parents… on ne tue pas un enfant » et ainsi ce qu’il y a de monstrueux en
lui n’est pas dissimulé. Mais cette monstruosité ne conduit pas à le condamner
et semble le porter encore plus loin, encore plus haut, bien au-dessus de ces
pauvres voix qu’il semble fasciner. Ses réponses éludent cette horreur et semblent,
sinon l’innocenter, du moins priver de tout sens les plus graves accusations.
L’affirmation « Il est normal de tuer ses parents » peut avoir un sens figuré, mais
c’est à la lettre qu’il les a tués. La comparaison avec le rhinocéros fait de lui un
être qui n’a pas à obéir aux règles communes parmi les hommes et c’est l’inno-
cence des bêtes sauvages pour qui la méchanceté n’a pas de sens qu’il revendique
en affirmant : « Je n’ai pas d’ennemi et je n’attaque pas. » En deçà ou au-delà du
244
bien et du mal, il échappe à toutes les prisons, à tous les murs. Sa nudité, « torse
et pied nus », participe à cette célébration du personnage qui est emporté dans
un mouvement ascensionnel « par le haut », élément libéré filant « entre le soleil
et la terre ». Sa façon de nier toute règle, de nier toute réalité fait de lui un être
entièrement à part qui semble faire exister une part des rêves des gardiens et des
prisonniers toujours enfermés dans les murs. Une toute-puissance solaire semble
alors rayonner de lui : effet et justification du lyrisme qui embrase cet épilogue.
La dernière scène de la pièce de B.-M. Koltès retrouve le dispositif des tragé-
dies antiques qui font dialoguer un chœur avec le héros tragique. Ici, des voix
invisibles parlent de Zucco et s’adressent à lui. Ce dispositif, qui frappe l’ima-
gination par un lyrisme d’une grande force, met Zucco en pleine lumière et
contribue à idéaliser un sinistre meurtrier. Mais l’écrivain n’a pas cherché dans
cette scène à faire œuvre de psychologue, de sociologue ou de moraliste et il a
marqué nettement cette intention en changeant le nom du meurtrier Succo en
Zucco. Inspiré par cet homme réel qui échappe à notre compréhension, à nos
raisons, le dramaturge a créé en poète un personnage qui fait rêver parce que,
dans une solitude absolue, il transgresse toutes les lois auxquelles nous sommes
(heureusement !) soumis. Le théâtre explore ainsi ces limites qui séparent le
crime de l’innocence, la raison de la folie, la communauté de la solitude. Il
donne la plus grande force à cette image, à ces voix qui se heurtent au mystère
de notre condition. Ce qui nous serait pénible dans la réalité, dit Aristote, nous
prenons plaisir à le contempler au théâtre. Bernard-Marie Koltès donne dans
cette scène de théâtre le plaisir de la contemplation.

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
Si la méfiance à l’égard des images ne date pas d’aujourd’hui, la profusion des
images que la télévision et la publicité déversent sur nous lui donne de nouvelles
justifications. Les images, s’écartant par nature du réel qu’elles prétendent repro-
duire, sont trompeuses et d’autant plus dangereuses qu’elles sont séduisantes.
C’est au nom de ces analyses qu’on a condamné souvent le théâtre qui donnerait
une image fausse du réel et ne serait qu’un divertissement qui mettrait en péril la
morale et la société. Mais, pour Aristote, de telles critiques méconnaissent ce qui
fait l’intérêt de la représentation : « On se plaît à regarder des images, parce qu’en
les regardant, on peut apprendre et raisonner. » Pour l’auteur de la Poétique, on
apprécie les images parce qu’elles sont distinctes de la réalité à laquelle elles ren-
voient : c’est cet écart qui donne du plaisir et c’est aussi pour cette raison que les
images donnent l’occasion de réfléchir. N’en va-t-il pas de même pour le théâtre
qui rend plaisant et instructif ce qui serait « pénible dans la réalité » ? Pourtant,
le plaisir que donnent les images en nous écartant de la réalité peut fasciner sans
rien apprendre. La représentation théâtrale risque de n’être qu’un divertissement
qui confirme le public dans ses préjugés : le théâtre alors empêche d’apprendre et
de raisonner. La remarque d’Aristote nous permettrait ainsi de mesurer la qualité
d’une œuvre théâtrale : le plaisir qu’elle donne doit permettre d’apprendre et de
raisonner. À quelles conditions le théâtre peut-il remplir cette fonction ?
245
Première partie
Le théâtre donne un plaisir qui permet d’apprendre et de raisonner.
• Ce que le théâtre nous offre est une représentation de la réalité et non la réalité
elle-même. C’est ce décalage qui donne du plaisir pour Aristote. En effet, il rend
supportable ce qui serait insupportable dans la réalité. Affronter un monstre (les
élèves pourront s’appuyer sur Caligula et Succo qui ont inspiré Camus et Koltès)
ou même une personne méchante, tyrannique, impolie, avare (la liste est longue),
n’a rien d’agréable dans la réalité mais cette personne, une fois mise à distance
par la représentation, peut être l’objet d’une observation qui donne du plaisir.
C’est justement parce que cette personne n’est pas réelle que je peux prendre
plaisir à l’observer. Ce détour qui est au cœur du jeu théâtral écarte de la réalité,
en évite l’urgence qui la rend parfois si pénible. Ce n’est pas vrai, ce n’est que
du théâtre, dit-on parfois. Heureusement, car le plaisir ne serait pas le même si
c’était vrai.
• C’est parce que le théâtre prend ses distances par rapport au réel qu’il permet
d’apprendre et de raisonner. Le détour par l’image permet de mieux revenir à la
réalité. Sur les bancs du théâtre, l’avare trouve Harpagon risible, le jaloux s’amuse
d’Arnolphe ou d’Alceste. On découvre d’autres milieux, d’autres langages, d’autres
temps, d’autres mœurs, mais surtout on voit d’un autre œil ce qui est montré sur
scène. On peut alors observer les effets de la calomnie ou les mécanismes des
injustices ou les contradictions de la folie. Giraudoux faisait du théâtre une école
du soir et l’on sait que la naissance du théâtre grec est liée à la naissance de la
démocratie. Le théâtre, qu’il s’agisse de la comédie ou de la tragédie, favorise le
développement de l’esprit critique, et c’est pourquoi il est surveillé de près par
tous les censeurs, moralistes, religieux, politiciens. De Tartuffe aux Paravents, en
passant par Le Mariage de Figaro, les élèves ne manqueront pas d’exemples sur
ce point.

Deuxième partie
Mais le théâtre peut donner seulement le plaisir d’un divertissement
conformiste qui n’apprend rien et qui raisonne peu.
• Le décalage entre le plaisir de la contemplation et le déplaisir pénible que nous
donne la réalité peut engager le théâtre dans le sens d’une fuite. Le détour ins-
tructif dont parle Aristote se transforme alors en divertissement aveugle : pour
donner du plaisir, le théâtre détourne du vrai et produit des images séduisantes
mais fausses d’une réalité qu’il serait trop pénible de regarder en face. Le plaisir
du théâtre se réduit vite au plaisir du travestissement. C’est le déguisement qu’on
aime parce qu’il émousse les aspérités du réel. Bossuet et les jansénistes dénon-
cent le théâtre parce qu’il rend séduisantes les passions les plus mauvaises. Bien
sûr, le théâtre de divertissement, le théâtre de boulevard donnent bien du plaisir
mais donnent-ils, par eux-mêmes, l’envie d’apprendre et de raisonner ? Surtout,
le théâtre le plus sérieux ne risque-t-il pas d’esquiver lui aussi le réel ? Les élèves
pourront de nouveau s’appuyer sur les textes du corpus : en quoi le Caligula de
Camus nous permet-il de raisonner sur le Caligula criminel que peint Suétone ?
En quoi le Zucco aérien de Koltès éclaire-t-il le Succo qui a défrayé la chronique ?
246
• Le théâtre serait limité aussi dans sa recherche de la vérité parce qu’il s’adresse
à un public et qu’il ne peut prendre à contre-pied les valeurs de ce public. Le
théâtre est alors inévitablement une école de conformisme. Le public n’est séduit
que par les vérités couramment admises, les idées reçues, les lieux communs, les
fausses audaces, les petits scandales. Il n’est pas capable de nous faire découvrir
une vérité nouvelle ou un aspect méconnu de la réalité. On reconnaît la critique
que Rousseau adresse à Molière dans la Lettre à d’Alembert : le génie du comique
est obligé, pour faire rire le public de son temps, de ridiculiser ces originaux que
sont un bourgeois qui veut s’instruire, un noble qui veut être sincère. Et les
maximes de Figaro n’étaient pas si révolutionnaires puisqu’elles faisaient rire les
nobles eux-mêmes. Le théâtre donne du plaisir en représentant l’image tronquée
du réel qui correspond aux attentes du public. Mais n’est-ce pas là méconnaître
ce que peut nous apporter l’imitation théâtrale par la lecture ou le spectacle ?

Troisième partie
Alors, à quelles conditions et de quelle manière le théâtre peut-il
nous conduire à « apprendre et raisonner » ?
• On aurait tort de demander au théâtre de nous faire apprendre et raisonner
comme le ferait un livre de logique, d’histoire ou de science. Le théâtre ne peut
nous apprendre quelque chose que par le plaisir qu’il donne. C’est un jeu mais
ce jeu, s’il est bien joué, provoque une émotion, c’est-à-dire un déplacement :
qu’on en rie ou qu’en pleure, ce qui est montré au théâtre nous remue : en dépla-
çant nos points de vue sur les êtres et les situations, l’émotion amène à réfléchir.
La vérité que Camus et Koltès cherchent à mettre à jour n’est pas la vérité d’un
psychologue ou d’un historien, c’est une vérité d’un autre ordre qui donne voix,
qui cherche à donner sens à ce qui nous échappe, le crime le plus fou ; ces figures
remettent alors en question nos certitudes, font vaciller nos préjugés et évitent
tout conformisme. Il y a plus de vérité, disait Aristote, dans l’œuvre théâtrale qui
éclaire une vérité générale que dans les recherches d’historiens qui ne portent que
sur des accidents particuliers. C’est la force de la poésie et du rêve que suscite le
théâtre qui inquiète les moralistes et les censeurs.
• Comme le jeu théâtral repose essentiellement sur le dialogue, il montre sur scène
la confrontation de points de vue qui entrent en conflit : Oreste et Clytemnestre,
Antigone et Créon, Don Juan et le Pauvre, Galilée et Andrea. C’est la mise en
place de ces conflits qui confrontent des valeurs, des attitudes sociales, morales,
religieuses, qui invite le public à apprendre et à raisonner. Molière a confronté la
figure amicale de Philinte à la sincérité brutale d’Alceste, et c’est le développe-
ment de leur dialogue qui amène à réfléchir en dehors de tout préjugé. À chaque
lecteur, à chaque spectateur de prendre conscience de ce qui est en jeu. En mettant
à jour les contradictions qui déchirent les êtres humains, le théâtre nous invite à
raisonner. Que certaines formes de théâtre se contentent d’un accord conven-
tionnel importe peu : ce qui fait la force de Corneille, de Molière, de Shakespeare,
c’est de pousser à l’extrême ces contradictions, de chauffer à blanc les person-
nages pour que le conflit soit éclairant, surtout s’il paraît insoluble. Brecht met
en place ce qu’il appelle la « distanciation », Vinaver joue sur la juxtaposition de
247
séquences qui s’éclairent l’une l’autre, Ionesco donne une présence concrète à ses
cauchemars : c’est toujours une prise de conscience que le véritable auteur de
théâtre cherche à provoquer.
Conclusion
Le théâtre n’est jamais pur divertissement : il compose une image du monde et
des hommes qui orientent nos points de vue et nos partis pris. À tous ceux qui
ne voient là qu’un divertissement facile et sans portée, qui ne sert qu’à confirmer
les préjugés courants, Aristote oppose une conception qui éclaire le fonctionne-
ment du théâtre et nous permet de mesurer et d’apprécier la qualité d’une œuvre
théâtrale. La mise à distance que permet le jeu théâtral doit provoquer une prise
de conscience qui amène à réfléchir. Que cette prise de conscience naisse du rire
que provoque la comédie ou des larmes que provoque la tragédie, elle est ce qui
justifie le théâtre qui n’imite, qui ne reproduit le réel que pour nous permettre de
mieux l’appréhender. Sur ce point essentiel, Brecht ne s’accorderait-il pas avec
cette poétique aristotélicienne dont il voulait s’éloigner ?

III. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
La remarque d’Aristote et les deux textes du corpus devraient orienter le déve-
loppement de ce dialogue qui pourra être amorcé à partir des débats perpétuel-
lement renouvelés sur l’influence des films d’action, sur les chiffres de la
délinquance. Certains se souviendront peut-être que le film consacré à Roberto
Succo a été contesté à sa sortie car il idéalisait le terrible meurtrier. Le théâtre grec
est né en magnifiant des figures monstrueuses et le théâtre a prospéré en multi-
pliant ces personnages qui échappent à toute norme et provoquent aisément la
crainte et la pitié. L’amorce de la conversation devrait donc être facilement
trouvée.
La dénonciation des dangers de l’idéalisation pourra s’appuyer sur les exemples
de Caligula et de Zucco. En faisant de ces personnages des êtres que l’on com-
prend, en justifiant leurs actes les plus insensés, en soulignant leur solitude radi-
cale, on trompe le public : on embellit la réalité et on empêche de la comprendre.
L’idéalisation provoque une fascination et une forme de complaisance à l’égard
de ces meurtriers qui transgressent toutes les lois et peuvent apparaître alors, à
tort, comme des figures libératrices qui remettent en question les murs dans les-
quels l’homme dit « normal » s’est enfermé. L’idéalisation conduit à l’oubli révol-
tant de la victime, qui n’est plus que l’instrument de la glorieuse noirceur du tyran
ou du fou.
L’idéalisation empêche le théâtre de remplir la fonction qu’Aristote attribue à
l’imitation théâtrale : apprendre et raisonner. Les plus grands auteurs masquent
ce que la réalité a de pénible par une poésie éblouissante mais aveuglante : la
mythification n’est qu’une mystification.
La nécessité de l’idéalisation s’appuiera sur les remarques d’Aristote. Ce qui est
imité par le théâtre ne doit pas être confondu avec la réalité. Koltès a insisté sur
cette indispensable distance en modifiant l’initiale du nom du criminel. Le vrai
Succo doit être analysé, éclairé par des psychologues, des sociologues, des témoi-
248
gnages divers. Le personnage de théâtre Zucco relève d’un autre ordre de réalité.
La confusion de la réalité atroce avec le jeu de l’imitation méconnaît ce qui fait
l’essentiel de la création théâtrale.
L’idéalisation du personnage monstrueux, tyran sanguinaire, meurtrier en série,
permet des images par lesquelles on s’interroge sur la tyrannie, la folie, la nais-
sance du mal. C’est parce que le dramaturge prend ses distances avec la réalité
dont il s’inspire que son œuvre peut devenir éclairante. C’est là le jeu de la créa-
tion, de la poésie, théâtrale.
Le théâtre, par le jeu qu’il introduit avec les pires horreurs, permet de regarder
autrement ces figures abominables. Il ne s’agit pas de les absoudre mais d’éclai-
rer ce qui nous semble incompréhensible dans leurs crimes. C’est en frappant
l’imagination que le théâtre mobilise la réflexion. C’est en prenant le risque de
se confronter à ces figures inquiétantes que le théâtre, en mythifiant, démystifie.

249
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

20 L’argumentation:
convaincre, persuader et délibérer
(PAGES 254 à 267)

La fable, le conte philosophique et l’essai sont trois formes privilégiées du


débat et de la réflexion. L’âge classique puis le siècle des Lumières y ont
très largement recours. Le XVIIIe siècle a, par exemple, multiplié les essais
dans tous les domaines : arts, économie, religion, philosophie, politique…
Domaines qu’abordent également, mais de manière indirecte, la fable ou
le conte philosophique.
L’argumentation constitue ainsi un domaine d’étude transversal.
Convaincre et persuader sont les objectifs de toutes les formes d’argu-
mentation. La fable, le conte philosophique et l’essai recherchent en plus
la délibération de ceux auxquels ces formes particulières s’adressent, c’est-
à-dire la réflexion et la prise de conscience que le récit ou le raisonnement
mènent à un enseignement, une vérité, qui permettent la constitution de
son propre jugement.

OBSERVATION
(PAGES 254-255)

Introduction
La fable et le conte philosophique sont des récits à vocation morale et didactique,
et sont tous les deux des formes d’argumentation indirecte. Dès l’Antiquité, l’apo-
logue (apo-, verbe grec, et logos, discours) permet de renouveler l’attention en
recréant, dans le cadre d’un récit, des situations proches ou captivantes, qui per-
mettent aux orateurs de persuader l’auditoire. La Fontaine fait du genre mineur
de la fable (que l’Art poétique de Boileau ne mentionne même pas) un genre à
part entière à travers le chef-d’œuvre de ses livres de Fables. Ses modèles sont
variés : l’anthologie de Nevelet qui rapporte les textes du Grec Ésope, les Latins
Phèdre et Horace, les apologues orientaux. Il nous propose ainsi, à son tour, « une
comédie en cent actes divers ». Voltaire, de son côté, inaugure le genre du conte
philosophique avec Zadig. Suivront Babouc, Micromégas, Candide, La Princesse
de Babylone. Le récit y laisse une place au merveilleux mais s’accompagne d’une
251
réflexion, accessible à tous les lecteurs, sur les questions scientifiques ou poli-
tiques qui bouleversent le XVIIIe siècle. La fable et le conte philosophique se rejoi-
gnent ainsi par leur objectif commun : plaire tout en instruisant.

Réponses aux questions


I. Les enjeux de l’argumentation
1. Le thème commun de réflexion proposé par les deux textes est le thème de la
guerre.
2. La fable de Jean de La Fontaine aboutit à la conclusion qu’« il faut faire aux
méchants guerre continuelle » (v. 25). La conclusion à laquelle aboutit le conte
philosophique de Voltaire est que la guerre est le pire des maux, dont les res-
ponsables (des « barbares sédentaires », l. 23) mériteraient d’être punis.

II. La fable
3. Le premier vers met en place la situation initiale du récit : « Après mille ans et
plus de guerre déclarée », immédiatement suivie d’un élément perturbateur : « Les
Loups firent la paix avecque les Brebis » (v. 2). Dès lors, les péripéties peuvent
s’enchaîner : « on donne des otages » (v. 9) ; les Louvats grandissent et deviennent
Loups à leur tour (v. 13 à 15) et obéissent à leur instinct en étranglant « la moitié
des Agneaux les plus gras » (v. 17). Les chiens donnés en otage par les bergers
sont étranglés à leur tour (v. 21). La morale tient lieu d’élément équilibrant : la
guerre doit recommencer.
4. Le pronom « nous » renvoie au fabuliste et à son lecteur ; par extension, il
renvoie au genre humain dans son ensemble.

III. Le conte philosophique


5. Le philosophe Voltaire prend pour cible les « barbares sédentaires qui du fond
de leur cabinet ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un
million d’hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement » (l. 23
à 25).
6. Micromégas apparaît comme un extraterrestre particulièrement expressif,
comme s’il avait le cœur proportionné à la taille. Il « frémit » (l. 5) au récit qu’on
lui fait des guerres ; il s’écrit lorsqu’on lui en explique les causes, la qualifiant
d’« excès de rage forcenée » (l. 16). Sa colère éclate en fureur destructrice, mais
les philosophes le ramènent à la raison, au point que le géant est, à la fin du
passage, « ému de pitié pour la petite race humaine » (l. 26).

252
EXERCICES
(PAGES 259-264)

Comprendre les enjeux de l’argumentation


Exercice 1✢
1.
Texte A Texte B Texte C

Émetteur François Brune Jean Cluzel Le comte


Almaviva
Destinataire Le lecteur Le lecteur Lui-même
de l’essai de l’essai

2. Le texte A cherche d’abord à convaincre : il apporte des arguments qui font


appel à la raison ; mais il cherche également à persuader par sa mise en page ori-
ginale. Le texte B cherche uniquement à convaincre : Jean Cluzel est sénateur et
son essai sur la télévision est en fait un rapport écrit pour l’Assemblée nationale.
Dans le texte C, le comte Almaviva délibère, pèse le pour et le contre du bien-
fondé de ses actes.

Exercice 2✢
1. L’auteur du texte est André Comte-Sponville, le destinataire est le lecteur de
son essai. La thèse qu’il défend est celle de la supériorité de la lettre sur le télé-
phone.
2. Les arguments :
– « Le téléphone est importun, indiscret, bavard » (l. 7 et 8) ;
– « des choses ne peuvent être dites que par l’écriture » (l. 8 et 9).
Le second paragraphe développe cet argument (« Ce dont on ne peut parler, il
faut l’écrire », l. 18 et 19).

Exercice 3✢✢
1. Le thème commun aux deux textes est le thème de la guerre. Le texte A est
écrit par Albert Camus dans la revue Combat, le 8 août 1945, alors que l’arme
nucléaire est utilisée au Japon. Le texte B est une chanson de Boris Vian écrite en
pleine guerre d’Indochine, revendiquant le droit de refuser d’effectuer ses devoirs
militaires. Le destinataire est, dans les deux cas, l’opinion publique, qui est prise
à témoin.
2. Les arguments utilisés :
– texte A : une ville peut désormais être totalement rasée au moyen d’une seule
bombe (l. 6 à 10) ; une évolution profonde de la guerre (l. 10 à 16) ➞ thèse défen-
due : la civilisation est parvenue à un degré de sauvagerie ultime qui annonce sa
fin (l. 16 à 21) ;
253
– texte B : la troisième strophe apporte un premier argument : « Je ne suis pas sur
terre / Pour tuer des pauvres gens » ; la cinquième en apporte trois autres : « J’ai
vu mourir mon père / J’ai vu partir mes frères / Et pleurer mes enfants » ➞ thèse
implicitement défendue : l’émetteur affirme son droit à ne pas faire la guerre.
3. Albert Camus choisit d’utiliser le vocabulaire évaluatif : « peu de choses »,
« formidable concert », « enthousiastes », « totalement », « élégantes », « dernier
degré de sauvagerie », « suicide collectif ». Boris Vian utilise de son côté le voca-
bulaire affectif : « pauvres gens », « mourir mon père », « partir mes frères »,
« pleurer mes enfants ». Par ailleurs, il met à profit le lyrisme de la chanson pour
rendre son discours plus persuasif.

Exercice 4✢✢
1. Les auteurs abordent le phénomène de la vitesse. Texte A : « Les automobi-
listes aiment à conduire vite… ». Texte B : «… ce plaisir géométrique dans un
virage… ».
2. Le texte A défend le principe de la limitation de vitesse qui « a brutalement
fait baisser le nombre de morts ». Le texte B évoque le plaisir de la vitesse calculé
pour rester dans « l’exacte ligne au-delà de laquelle la voiture deviendrait incon-
trôlable ».
3. Les arguments des partisans de la vitesse :
– « il s’agit là d’un plaisir innocent » (l. 2) ;
– les limitations de vitesse sont « une intolérable brimade » (l. 6) ;
– elles sont également une « atteinte à la liberté individuelle » (l. 14).
Les contre-arguments apportés par l’auteur :
« l’apparition des limitations de vitesse a brutalement fait baisser le nombre de
morts » (l. 8-10) ;
« leur suppression le ferait de nouveau augmenter » (l. 10-11).
Remarque. On peut proposer aux élèves de rédiger une suite possible à l’argu-
mentation : C’est alors que les chantres du 200 kilomètres à l’heure jettent dans
la balance l’argument décisif : l’atteinte à la liberté individuelle. Comment ne
voient-ils pas que la liberté de tous dépend du respect par chacun des règles fixées?
Celui qui roule à 200 kilomètres à l’heure peut certes éprouver du plaisir à mettre
sa vie en danger. Cependant, il constitue dès lors une menace pour la vie des
autres. Il appartient donc à la société d’édicter des règles – et de les faire respec-
ter – pour que la liberté de tous soit sauvegardée. Les limitations de vitesse ne
réduisent donc pas les libertés individuelles ; elles les préservent au contraire.

Exercice 5✢✢
1. Henriette et Armande, deux personnages de la pièce de Molière intitulée Les
Femmes savantes, évoquent le mariage. Henriette défend le mariage en s’appuyant
sur les valeurs de l’amour et de la tendresse. Armande, au contraire, ne voit dans
le mariage qu’un enfermement, en s’appuyant sur les valeurs d’intelligence et de
plaisir de l’esprit.
2. Henriette utilise le vocabulaire affectif (« aime », « soit aimé », tendresse »,
254
« douceurs ») et la question rhétorique. Armande utilise un vocabulaire évalua-
tif (« étage bas », « claquemurer », « idole d’époux », « marmots d’enfants », « gens
grossiers », etc.) et l’exclamation indignée (l. 6 à 11).

Étudier les formes de l’essai


Exercice 6✢✢
1. Zazie dans le métro, pour Frédéric Beigbeder, est un chef-d’œuvre de comique
et de modernité : il utilise toutes les ressources de la langue française (l. 3 à 5),
abandonne le réalisme (l. 5 à 14) pour l’humour (l. 15 à 22).
2. Le texte porte les marques de l’essai :
– l’implication de l’émetteur à travers l’emploi du pronom « on » (l. 11 et 16) ;
– la liberté de ton à travers l’utilisation d’un vocabulaire familier : « version
“ado” » (l. 2), « roulent des mécaniques » (l. 15 et 16), « friment » (l. 16), « rigo-
lade » (l. 27) ;
– l’humour : « parfois un génie doit savoir cacher son génie pour être un vrai
génie » (l. 20 à 22) ;
– la complicité avec le lecteur à travers la fausse question finale et les images far-
felues (l. 15 à 17).

Exercice 7✢✢
1. Les marques de l’essai dans le texte de Montaigne :
– l’implication de l’émetteur : utilisation des pronoms de la première personne ;
– la complicité avec le lecteur à travers les images familières (« je ne m’en ronge
pas les ongles », l. 7 et 8 : « Si j’y prenais racine », l. 10) ;
– la défense d’un point de vue personnel : Montaigne donne son propre point de
vue sur la lecture qui doit être, à ses yeux, d’abord un plaisir.
2. Montaigne fait de lui-même le portrait d’un homme ordinaire. Il ne cherche
pas à apparaître comme un savant toujours plongé dans des livres complexes, mais
la lecture est pour lui d’abord un plaisir. Lire lui apparaît comme un exercice
difficile qui le décourage de manière régulière (l. 7 à 9). Le philosophe refuse de
s’y fatiguer la vue (l. 16) lorsque son esprit l’empêche de comprendre un ouvrage.
Il n’hésite pas à abandonner un livre, quitte à y revenir plus tard (l. 22 à 24).

Analyser une fable


Exercice 8✢✢ Vers l’oral
1. Les différentes étapes du récit de la fable :
– la situation initiale : une jeune poule vaque à ses occupations (v. 1 et 2) ;
– l’événement déclencheur : elle s’égare (v. 3 et 4) ;
– les péripéties : elle rencontre un « vieux renard » (v. 6-9) ; un dialogue s’engage
(v. 11 à 26), durant lequel le renard persuade la poule de le mener au poulailler ;
– l’événement équilibrant : le renard attaque le poulailler (v. 28 à 31) ;
– la situation finale : « tout périt sous ses dents » (v. 32 et 33).
255
2. La poule (« jeune et sans expérience », v. 1 ; « crédule innocente », v. 26) appa-
raît comme un être naïf, peureux et stupide. Le renard (« vieux », v. 6) apparaît
au contraire comme un être patient et rusé, intelligent mais sans pitié.
3. La morale de la fable : Il faut se méfier des beaux discours, même si celui qui
les tient apparaît comme un vieux sage.

Exercice 9✢✢
1. Les couples récit / moralité sont les suivants :
• Le Lièvre et la Tortue ➞ « Trop croire en son mérite est manquer de
cervelle… »
• Le Paon et Junon ➞ « L’un est bien fait… »
• Le Renard et les raisins ➞ « Quand d’une charmante beauté… »
• Le Loup et le Porc-Épic ➞ « Jeunes beautés, chacun vous étourdit… »
2. On peut proposer les reformulations suivantes :
• Le Lièvre et la Tortue ➞ Il ne faut ni surestimer ses capacités, ni avoir trop
confiance en son pouvoir de séduction. Ce serait faire preuve de bêtise. Il faut
donc, lorsqu’on est amoureux, ne pas croire trop vite la partie gagnée et ne pas
délaisser la personne qui nous attire.
• Le Paon et Junon ➞ Les uns se distinguent par leur beauté, les autres par leur
faculté de charmer. Tout le monde a des qualités, mais celles-ci sont partagées.
• Le Renard et les raisins ➞ Lorsqu’un jeune garçon dit d’une jolie fille qu’elle
ne lui plaît pas, il ment forcément : il dirait la vérité s’il avouait qu’elle ne le
regarde pas.
• Le Loup et le Porc-Épic ➞ On dit souvent aux jeunes filles qu’elles devraient
être plus gentilles, moins distantes, que cela les rendrait plus sympathiques et plus
jolies… Elles peuvent le croire, mais sans se faire d’illusion sur les intentions de
celui qui les flatte ainsi.

Exercice 10✢✢✢ Vers le commentaire


1 et 2. Cette fable de La Fontaine est constituée d’un court récit en vers et d’une
morale qui, réunies, proposent au lecteur un enseignement didactique. C’est ainsi
que Le Torrent et la Rivière repose sur une versification efficace et sur une struc-
ture narrative simple qui peut être décomposée en fonction des cinq étapes du
schéma narratif. Mais le récit est imagé : il met en scène une situation et des per-
sonnages symboliques : un voyageur, des voleurs, des obstacles qu’il s’agit de tra-
verser pour fuir… L’apologue élimine les détails superflus qui pourraient affaiblir
l’attention du lecteur et, en vingt-trois vers, La Fontaine envoie son héros
anonyme de vie à trépas. Le lecteur est ainsi amené à réfléchir sur sa propre condi-
tion, d’autant que l’apologue ne laisse aucun doute sur la signification du récit :
«Les gens sans bruit sont dangereux; / Il n’en est pas ainsi des autres.» Autrement
dit, méfions-nous de l’eau qui dort. L’élément naturel n’est ici qu’une métaphore
de l’humain, et la vision pessimiste de la société proposée par la fable la rend,
pour une fois, sombre et inquiétante.
Remarque. On peut rapprocher cette fable de la scène d’exposition du Tartuffe
de Molière, dans laquelle est affirmé qu’il n’est « Pire eau que l’eau qui dort ».
256
Étudier le conte philosophique
Exercice 11✢✢✢
1. Candide ou l’Optimisme est publié en 1759. Le titre lui-même du conte est
ironique : Candide est une œuvre pessimiste, écrite par Voltaire à la suite du trem-
blement de terre de Lisbonne. Le récit commence comme un conte de fées (« Il y
avait… ») et se termine comme une leçon de philosophie : « il faut cultiver notre
jardin ». Voltaire invite ainsi le lecteur à engager une réflexion philosophique sur
le monde et les valeurs de la société.
2. Le conte philosophique permet à Voltaire de diffuser de manière originale et
plaisante les idées des Lumières. En effet, forme d’argumentation indirecte, le
conte philosophique met en scène le récit de la formation d’un personnage.
Candide, un jeune homme naïf, mène la vie la plus agréable qui soit en compa-
gnie de son précepteur, Pangloss, qui lui enseigne que « tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes possibles ». Jusqu’au jour où il est chassé du château
du Baron qui l’héberge pour avoir embrassé la fille de ce dernier, la jolie
Cunégonde. Dès lors, il parcourt le monde et ne cesse de vérifier que celui-ci ne
correspond pas, loin s’en faut, aux enseignements de son maître. La fin du conte
le montre transformé et c’est lui qui donne une leçon au lecteur et à « la petite
société » reconstituée autour de lui : « il faut cultiver notre jardin ».
À travers Candide, Voltaire effectue ainsi une satire virulente de la société du
XVIIIe siècle. Ses cibles sont multiples : les philosophes, l’armée, l’Église, l’escla-
vage, la justice sont tour à tour passés au crible d’un regard qui dénonce les pré-
jugés et l’obscurantisme. Au début du conte, le château de M. le baron de
Thunder-ten-tronckh est à cet égard exemplaire d’un univers appelé à s’écrouler.
Tout y est sclérosé depuis au moins « soixante et onze quartiers » et tous les per-
sonnages qui l’habitent feront tour à tour l’expérience du vaste monde. À la fin
du récit cependant, seul Pangloss semble ne pas avoir retenu les leçons de l’ex-
périence. L’ironie de Voltaire dénonce jusqu’au bout l’optimisme naïf et entêté
de ses contemporains.

EXO-BAC
(PAGE 265)

Vers le sujet d’invention


Lecture
1. Dans ce passage, Robinson délibère sur la situation dans laquelle il se trouve,
en en pesant les avantages (le Bien) et les inconvénients (le Mal).
2. Robinson est partagé entre deux thèses : d’un côté, ses sentiments le poussent
à considérer sa situation comme désespérée ; de l’autre, sa raison l’encourage à
considérer que son « sort n’était pas le pire » (premier paragraphe).
257
3. Le dernier paragraphe du texte a une fonction conclusive : après avoir examiné
la validité des arguments qui s’opposent, Robinson en conclut que « dans le
monde, il n’est point de condition si misérable où il n’y ait quelque chose de positif
ou de négatif dont on doive être reconnaissant ».

Écriture
Faut-il jeter son téléviseur ?
Comme de toutes parts on critique la télévision et ses programmes, j’ai décidé de
faire la part de ses qualités et de ses défauts afin de voir s’il ne me serait pas pro-
fitable de me séparer à jamais de mon téléviseur.

Les défauts Les qualités


– Je perds en moyenne chaque jour trois – Mais je m’ennuie le reste du temps et le
heures de ma vie à regarder s’agiter sur un spectacle d’individus vivant des passions me
écran des êtres qui me sont totalement donne le sentiment d’exister davantage.
étrangers.
– La plupart des deux ou trois cents chaînes – Mais je trouve toujours une ou deux
disponibles sur mon téléviseur m’offrent des chaînes qui satisfont ma curiosité.
programmes qui ne m’intéressent pas.
– Je regarde tant les matchs de football et – Mais mes performances me paraissent tel-
de retransmissions d’événements sportifs lement pitoyables que c’est pour moi une
que j’en oublie parfois de pratiquer moi- bonne façon de me consoler.
même du sport.
– Je ne peux m’empêcher de manger et de – Mais j’en consomme également devant
boire des boissons sucrées en regardant la mon ordinateur ou lors des récréations.
télé.
– La télévision me propose des modes de – Mais je sais au fond de moi que ce dont
vie qui n’ont aucun rapport avec la mienne: la télé me parle n’est qu’une vaste illusion
jamais on n’y voit, par exemple, de per- et que la vraie vie est ailleurs.
sonnages en train de regarder la télé !
– La télévision me donne parfois le senti- – Mais elle me permet d’effectuer des
ment de me replier sur moi-même et de « voyages » que je ne pourrai jamais m’of-
m’empêcher de découvrir le monde. frir.

En somme, il résulte de cette confrontation que la télévision est à la fois un diver-


tissement agréable, une consolation et une fenêtre ouverte sur l’univers. Certes,
elle possède d’innombrables défauts, mais il m’appartient de m’en servir comme
d’un outil, en maîtrisant son utilisation, plutôt que d’en devenir l’esclave.

258
SUJET DU BAC
(PAGES 266-267)

I. Question
Le corpus de textes rassemblés présente les réflexions que trois écrivains profon-
dément différents portent sur le livre et la lecture. Jean-Jacques Rousseau déve-
loppe, comme il le fait souvent, une proposition paradoxale : « Je hais les livres »,
écrit-il dans Émile, alors qu’on s’attendrait au contraire à ce que l’écrivain phi-
losophe en fasse la louange. C’est qu’il y a trop de livres selon lui. Ils nuisent à la
formation de l’esprit humain en apportant un faux savoir. Seuls comptent « les
besoins naturels de l’homme », et seul l’ouvrage qui aiderait l’enfant à prendre
conscience de ces besoins trouverait grâce à ses yeux. De son côté, le romancier
Daniel Pennac cherche à déculpabiliser ceux qui ne lisent pas. Il s’agit de ne pas
se forcer à lire, de ne pas faire de la lecture un devoir imposé par les autres (par
les parents ou par le code social). Alors on pourra recréer un véritable désir de
lire à partir d’une entière liberté. Enfin Philippe Delerm évoque une expérience
de lecteur : lire sur la plage. L’auteur s’attache à cerner une sensation particulière,
à la fois physique et intellectuelle, dont il veut restituer l’intensité et la saveur.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Éléments de réponse
Avec La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Philippe Delerm
offre au lecteur un ensemble de textes brefs qui cherchent à restituer l’intensité
d’un moment vécu : « Un couteau dans la poche », « Le bruit de la dynamo », « La
pétanque des néophytes »… Autant de petits instants de bonheur, de gestes de
tous les jours dont la plénitude et la saveur sont fixées par l’écrivain. C’est ainsi
que « Lire sur la plage » évoque un moment banal. Il s’agit simplement de resti-
tuer l’expérience du lecteur allongé sur une plage au soleil. De quoi est fait cet
instant de plaisir, qui ne va pas sans agacement, à cause du sable ou de la diffi-
culté à trouver la bonne position ? Quel livre convient-il de lire dans cette cir-
constance ? Qu’éprouve-t-on alors ? C’est ainsi qu’avec humour et émotion,
l’écrivain fixe d’abord les circonstances et les caractéristiques de cette expérience
de lecture, avant de se livrer, à travers elles, à l’exploration d’une sensation.
1. Une expérience de lecture particulière
Présence du lieu : la plage est omniprésente dans le texte, avec tous ses éléments
caractéristiques : le soleil, le vent, le sable (« cristaux micacés », « grains de sable »).
Seule la mer est absente, sans doute pour empêcher le lecteur de se distraire en
regardant l’horizon…
Présence du corps : tout au long du texte, il est question du corps du lecteur et
des positions successivement adoptées : « allongé sur le dos », « à bout de bras »,
« au-dessus du visage », coude, main, tempe, etc.
Présence du livre, bien entendu, avec tout ce qui le constitue à travers sa maté-
rialité (pages, reliure, papier des livres de poche et papier des éditions d’origine,
259
« aspérités crémeuses »), comme à travers le texte ; le « sujet du livre », que celui-
ci soit en adéquation avec les circonstances de la lecture (Désert de Le Clézio) ou
en complet contraste avec elles : Oliver Twist…
2. L’exploration d’une sensation
Le texte cherche à définir précisément la sensation éprouvée par le lecteur.
Sensation où fusionnent totalement le corps du lecteur, le livre qu’il lit et la plage
sur laquelle il se trouve.
Au plaisir qu’offre la lecture (« de belles satisfactions ») se mêle la gêne physique
suscitée par l’inconfort du lieu (éblouissement de la lumière, « c’est assez incon-
fortable aussi »). Le lecteur cherche en vain la position idéale. De même, la plage
et le livre échangent leurs attributs : le sable devient « une ponctuation » supplé-
mentaire. Le sujet du livre s’étire à travers les conditions de la lecture : on glisse
de Désert de Le Clézio « dans son propre désert ». De même, le corps et la plage
finissent par se confondre : « la bouche boit la plage ». Les adjectifs et les images
jouent un rôle capital : c’est à travers eux que l’écrivain caractérise la sensation
éprouvée et donne au texte sa dimension charnelle, voluptueuse jusque dans l’in-
confort. En définitive, le lecteur redevient « adolescent », il retourne à l’enfance,
dans une sensation « un rien mélancolique » qui donne au texte tout son charme.
Les plaisirs « minuscules », les situations « banales » évoquées par Philippe Delerm
réclament une langue qui, sous son apparente simplicité, est dense et minutieuse,
pour recréer en quelques lignes la plénitude d’une sensation unique. On pense
aussi à Francis Ponge ou à Gérard Farasse, qui font de leurs textes des « exercices
de rêverie » devant un objet, à l’occasion d’un instant vécu. Philippe Delerm glisse
ainsi de la prose vers une certaine forme d’écriture poétique, plus concrète, plus
charnelle, qui permet au lecteur de goûter chacun de ses textes comme autant de
plaisirs minuscules offerts à sa dégustation.

2. Dissertation
Éléments de réponse et proposition de plan
Nombreux sont les témoignages que les écrivains ont apportés au fil des siècles
sur leur propre conception du livre et de la lecture. De Montaigne à Voltaire, de
Rabelais à Sartre, chacun s’est exprimé, chacun a cherché à définir son rapport au
livre. C’est ainsi que Jean-Jacques Rousseau – qui rapporte dans ses Confessions
comment il fut, très jeune, un dévoreur de livres – confie dans Émile : « Je hais
les livres ; ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas. » Le pédagogue
prend ses distances avec la lecture, avec les livres dont il craint pour son jeune
élève la mauvais influence ou l’inutilité. Il est vrai que si le livre est généralement
considéré comme un instrument indispensable de connaissance, comme un ini-
tiateur privilégié dans la découverte du monde, certains ont pu critiquer l’im-
portance exagérée qu’on lui accorde. Deux points de vue s’opposent. Mais est-il
possible de s’en tenir à cette opposition, tant le rapport que chaque lecteur, que
chaque homme entretient avec le livre est singulier, différent ?
1. Le livre comme médiateur, comme initiation au monde
– Les autobiographies d’écrivains ont insisté sur leur formation par le livre : livres
260
d’aventures, poèmes, livres d’images : ils ont permis la découverte d’univers incon-
nus. Les livres de Jules Verne pour Sartre, Le Rouge et le Noir pour Julien
Gracq… On pourrait multiplier les exemples d’écrivains que la lecture d’un livre,
dans leur jeunesse, a marqués à jamais.
– Les philosophes des Lumières, de Montesquieu à Voltaire, ont insisté sur l’im-
portance de la formation intellectuelle par le livre : c’est une arme dans le combat
contre l’intolérance et les préjugés. L’Encyclopédie diffuse un savoir indispen-
sable à la formation et à la liberté de tout individu.
– Les écrivains permettent aussi de formuler « ce qu’on sait » sans pouvoir l’ex-
primer. Les poètes, particulièrement, trouvent les mots qui correspondent aux
sentiments, aux émotions éprouvés par tous. Ils aident à dire le bonheur, la souf-
france ou la mélancolie.
2. Le livre comme danger, comme refuge et refus du monde
– Dans Comme un roman, Daniel Pennac prend position contre l’insistance avec
laquelle on « force » les enfants à lire. Il dénonce la pression sociale et culturelle
qui pousse à la lecture sans véritable nécessité. On pense au dégoût, au rejet, que
cette « obligation » peut produire chez les enfants. De même, on imagine les dîners
mondains dans lesquels, pour briller, pour « parler », il faut avoir lu tel ou tel
ouvrage. Dans ses Caractères, la Bruyère se moque ainsi de celui qui prétend avoir
tout lu, s’exprime sur tous les sujets, et se trompe sans cesse. Il s’agit dès lors de
déculpabiliser les non-lecteurs, de créer un espace de liberté où chacun est libre
de lire ou non.
– Par ailleurs, André Gide, lecteur passionné, a souligné combien le livre était
pour un lui un compagnon indispensable, toujours présent à chaque moment de
son existence, refuge contre les soucis et les chagrins. La culture par le livre est à
ses yeux un élément essentiel d’épanouissement de l’individu. Et pourtant c’est le
même Gide qui s’écrie dans Les Nourritures terrestres : « Jette mon livre », pour
inviter le lecteur à s’ouvrir aux sensations du monde, pour l’engager à goûter la plé-
nitude de la vie. Dès lors, que faut-il en conclure ?
3. La multitude des rapports au livre
– Bien sûr, Montaigne et Rabelais ont dénoncé eux aussi, avant Rousseau, les
effets néfastes d’un enseignement uniquement fondé sur l’accumulation de savoirs
abstraits, coupés du réel, souvent stériles et ennuyeux qui conduisent à former des
« têtes mal faites ». L’érudition est alors pure vanité, elle est stérile.
– Mais chaque lecteur, chaque individu rencontre le livre d’une manière singu-
lière. La lecture a souvent le rôle d’une révélation, d’un moment privilégié. On ne
saurait dès lors se limiter à la définition restrictive, négative proposée par
Rousseau, qui prend tout son sens dans le contexte de son combat contre des
formes d’éducation et d’enseignement qu’il estime sclérosées.
– Dès lors, livre pour s’évader, livre pour rêver, livre pour réfléchir et s’engager,
livre pour découvrir les réalités du monde, livre de témoignages… chacun a, à sa
manière, une portée éducative. Et qu’on soit lecteur ou non, il appartient à toute
société de permettre, de favoriser, d’encourager – par les bibliothèques par
exemple ou par la modicité du prix du livre – l’accès de tous à la lecture. Chacun
pourra alors se forger sa propre opinion et dire s’il « aime » ou « hait » les livres.
261
On le voit, chaque écrivain mais aussi chaque lecteur, chacun d’entre nous a ren-
contré le livre dans son existence. Pour les uns, cette rencontre a pu être impor-
tante, s’imposer comme une source de découverte et d’épanouissement. Pour les
autres, au contraire, la révélation n’a pas eu lieu, et le livre n’est pas devenu le
compagnon nécessaire et familier. Pour ma part…

III. Écrit d’invention


Éléments de réponse
On pourra se reporter ici aux éléments de réponse apportés dans le corrigé de la
dissertation en demandant à chaque élève d’y inscrire les lectures personnelles
qui l’ont marqué. On pourra insister sur le rôle formateur du livre dans l’épa-
nouissement des individus et le développement des sociétés :
– en rappelant le statut d’exception de l’objet livre (et des objets culturels), parmi
les autres biens de consommation ;
– en soulignant l’importance que tous les organismes internationaux d’aide à
l’épanouissement des pays sous-développés accordent au développement de la
lecture : création de bibliothèques, diffusion des livres.

262
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

21 Un mouvement littéraire et culturel


français et européen du XVIe au XVIIIe siècle
(PAGES 268 à 277)

L’étude du mouvement littéraire obéit à plusieurs objectifs. Elle permet de


fixer des repères déterminants dans l’Histoire, d’assimiler les étapes et les
développements d’une chronologie et d’une culture ; elle rend compte des
évolutions, des ruptures, des différences qui, de mouvement en mouve-
ment, renouvellent les valeurs, les formes d’art, d’expression et de pensée,
dans une approche dynamique des phénomènes culturels à l’échelle de
l’Europe ; elle conduit à la rencontre d’œuvres et d’auteurs nouveaux qui,
bien qu’inscrits dans un ensemble plus vaste, affirment chacun leur
singularité.
Le programme de Première – du XVIe au XVIIIe siècle – installe ainsi les fon-
dements de la culture européenne, et permet de définir les traits dominants
de ce qui, jusqu’à la Révolution française, avant les grandes ruptures du
romantisme et de la modernité, constitue « l’âge classique ».

OBSERVATION
(PAGES 268-269)

Introduction
L’invention de l’imprimerie provoque une mutation culturelle décisive en Occident.
La naissance du monde moderne coïncide avec celle du livre. Depuis la Bible
imprimée par Gutenberg en 1455, l’essor de l’humanisme est lié à la présence de
plus en plus familière du livre. Il permet l’individualisme, la réflexion individuelle
devant les textes, à l’époque où se multiplient les grands voyages (Colomb,
Magellan…) et les grandes découvertes (Copernic et Tycho Brahé ne sont que
deux exemples parmi beaucoup d’autres d’une véritable « révolution » de l’image
de l’homme et du monde, à travers les recherches en astronomie, en médecine,
en géométrie…). La peinture se renouvelle avec l’invention de la perspective et le
génie de grands créateurs, comme Vinci ou Michel-Ange. Plus généralement, tous
les arts connaissent un nouvel essor (cf. la construction du Louvre en architec-
ture, le renouveau de la poésie française avec Ronsard et la Pléiade). De grandes
figures – Érasme, Machiavel, More, Budé – dominent la pensée européenne, qui
263
interroge les valeurs et l’organisation du monde social, ainsi que les formes du
pouvoir politique. Après le règne flamboyant de François Ier, qui retire des guerres
d’Italie la découverte d’un monde élégant et raffiné, les guerres de religion for-
meront la part sombre et angoissante d’une époque par ailleurs si intense et si
riche. Ainsi l’étude des lettres, l’échange de savoirs, de voyages et de recherches,
d’arts et de techniques, qui placent l’homme au centre du monde, permet de voir
dans l’humanisme un formidable mouvement culturel.

Réponses aux questions


I. L’inscription du mouvement dans un contexte
1. L’humanisme est d’abord la découverte, l’étude et la diffusion des Belles Lettres,
c’est à dire des œuvres des Anciens. Il s’agit de répandre et de par-tager, à travers
l’étude, la foi dans le savoir, dans la réflexion, dans les découvertes nouvelles. En
1540, au-delà du premier groupe restreint des savants qui ont inauguré le mou-
vement, le public est beaucoup plus large. L’imprimerie a joué un rôle considé-
rable en permettant de lire les textes ; les érudits, les écrivains et les libraires
s’engagent résolument sans se laisser arrêter par la crainte des bûchers. C’est pour-
quoi l’on peut parler d’un mouvement culturel : l’humanisme repose sur la ren-
contre et l’échange entre écrivains, libraires et savants, au-delà de la diversité de
leurs œuvres et de leurs travaux, au-delà de leur situation géographique.

II. L’unité et le rayonnement du mouvement


2. et 3. Ce qui caractérise l’étude selon Rabelais est la joie et la liberté (« plai-
sante histoire », « si on le jugeait bon », « mille petits amusements »…). C’est dans
cet esprit que Gargantua multiplie les connaissances dans le domaine de l’Histoire,
de l’étude de la Nature (rivalisant avec les médecins) ou de l’arithmétique.
Le tableau de Jacopo de Barbari célèbre le savant, le géomètre, l’homme de science
et de savoir. Tout dans l’attitude de Pacioli, comme dans chacun des objets dont
il est entouré – qui s'ordonnent autour de lui comme des instruments à son
service : instruments pour l’étude de l’arithmétique et de la géométrie, présence
du livre et des objets nécessaires à la lecture et à l’écriture –, témoigne de l’auto-
rité de celui qui, dans son cabinet d’études, dans son « laboratoire », maîtrise le
monde nouveau qui se découvre à l’homme de la Renaissance.
De même, dans leur texte, Duby et Mandrou insistent sur l’enthousiasme avec
lequel se répandent et se lisent les œuvres des historiens modernes et anciens, des
savants et des écrivains (cf. question 1).

III. L’expression du mouvement en littérature


4. Ligne 14, Érasme est à la fois un grand érudit et un important écrivain euro-
péen. Lignes 17 et 18, le texte énumère des poètes : Maurice Scève, Louise Labé,
Ronsard et la Pléiade, mais aussi Montaigne. Ligne 22, il cite la Défense et
Illustration de la langue française de Du Bellay – qui s’impose comme le mani-
feste de la Pléiade – et les célèbres Essais de Montaigne.
264
EXERCICES
(PAGES 272 à 274)

Étudier l’inscription du mouvement


dans un contexte
Exercice 1✢✢
1. Le conflit religieux qui est évoqué par le poème est représenté à travers l'image
biblique du conflit familial qui oppose Caïn et Abel, frères et pourtant ennemis.
2. La construction du poème repose sur l’opposition systématique des deux frères,
notamment à travers l’utilisation des antithèses :
– « L’un offrait un cœur doux, l’autre un cœur endurci » (v. 3) ;
– « L’un fut au gré de Dieu, l’autre non agréable » (v. 4).
Par ailleurs, Abel offre des « Sacrifices à Dieu » tandis que Caïn fait « un sacrifice
à son amer courroux ». Abel est représenté sous les traits d’un « agneau doux » ;
Caïn grince des dents, est « épouvantable ».
3. Le poème d’Agrippa d’Aubigné est représentatif du mouvement baroque : les
images créent un effet de démesure (« Ses cheveux vers le ciel hérissés en furie » ;
« Il avait peur de tout, tout avait peur de lui ») et expriment l’horreur de la guerre
ressentie par l’auteur. Cette horreur apparaît également à travers le choix du
lexique, qui inscrit le poème dans le registre tragique : « sacrifices », « Dieu »,
«cœur», «pâlit», «épouvantable», «massacra», «sacrifice», «courroux», «sang»,
« aveugle », « coup », « pâleur », « furie », « flétrie », « peur » (à trois reprises).

Exercice 2✢✢ Vers l’oral


1. Les bénéfices que la société peut tirer du voyage de Bougainville sont, aux yeux
du philosophe, au nombre de trois :
– une meilleure connaissance du monde et de ceux qui le peuplent (l. 4-5) ;
– une meilleure connaissance des océans et des fonds marins (l. 6-7) ;
– une meilleure connaissance de la géographie et la possibilité d’établir des cartes
plus précises (l. 7-8).
2. Bougainville est caractéristique de l’homme des Lumières. Son portrait le
montre ainsi comme ayant « de la philosophie, du courage, de la véracité » (l. 10
et 11) ; il est curieux, intelligent, vif et patient (l. 11-14) ; il connaît et s’intéresse
à l’ensemble des sciences et techniques de son siècle : le calcul, la mécanique, la
géométrie, l’astronomie, l’histoire naturelle (l. 14-16). Enfin, il possède un style
clair, propre à faire la lumière sur les connaissances nouvelles que ses voyages
apportent à ses contemporains.
3. Le dialogue philosophique instaure une conversation fictive entre deux inter-
locuteurs anonymes : A et B. Diderot place ainsi le lecteur à le fois dans la posi-
tion d’un simple curieux, qui s’intéresse aux découvertes du voyageur, mais aussi
dans celle d’un philosophe, qui réfléchit à voix haute sur les conséquences à tirer
de ce voyage et des découvertes qu’il a permis de faire. Le dialogue philosophique
265
permet ainsi l’expression des idées nouvelles en « collant » à l’actualité, en mettant
en scène les interrogations de chacun, et en offrant au lecteur une réflexion ori-
ginale – celle de Diderot – sur cette actualité.

Analyser les valeurs d’un mouvement


Exercice 3✢✢
1. L’idée défendue par chaque texte est la suivante :
– Texte A : Montaigne déplore que les Français en voyage à l’étranger refusent
d’adopter les manières de vivre de leurs hôtes, qu’ils considèrent comme
« barbares ».
– Texte B : Montaigne dénonce l’attitude des Européens sur le continent améri-
cain, affirmant qu’ils ont massacré les peuples qui y habitaient dans l’unique but
de s’enrichir plus facilement par le commerce.
2. La méditation sur l’homme et sur soi est placée au centre des préoccupations
morales et philosophiques de Montaigne. On retrouve ainsi dans ces deux extra-
its les valeurs fondamentales de l’humanisme : il dénonce la peur de l’autre (texte
A) mais aussi la « trahison, luxure, avarice » des Européens, prêts à tout pour
s’enrichir (texte B). Les valeurs défendues sont donc celles de tolérance et de curio-
sité pour le texte A, de respect d’autrui pour le texte B.

Identifier des règles esthétiques communes


Exercice 4✢✢✢
1. Les indices de l’esthétique baroque du renversement traversent les trois textes,
qui emmènent le lecteur du centre de la terre à la surface de la lune :
– Texte A : Les animaux sortis de leur tanière (les belettes et les renards) font
d’abord tomber cheval et laquais ; puis les morts (« ombre », « esprit », « Charon »)
tirent le poète vers le centre terreux du monde. De là le mouvement régressif du
ruisseau, la confusion du solide et du liquide, des animaux du Nord et du Sud,
l’animal rampant qui prend bec et griffes à l’animal ailé qu’il « déchire ». Toutes
les forces de la nuit aspirent le poète dans ce lieu où se perd le sens du monde :
« Le feu brûle dedans la glace, / Le Soleil est devenu noir, / Je vois la lune qui va
choir » (v. 17-19).
– Texte B : La couverture tendue sert de déclencheur au renversement ; dès lors
les montagnes sont « abaissées au-dessous de moi » (l. 9) ; les vents et les nuées
« dessous mes pieds » (l. 10 et 11) ; le poète découvre « d’une seule vue la moitié
de la terre » (l. 14-15).
– Texte C : La situation proposée inverse notre vision traditionnelle de l’univers :
« Cette terre-ci est la lune que vous voyez de votre globe » (l. 1-2), tandis que « la
lune, votre terre », devient « le seul refuge où [Adam] se pouvait mettre à l’abri
des poursuites de son Créateur. » (l. 12 et 13). La lune devient ainsi le paradis ter-
restre, le lieu originel d’où l’homme a été chassé, et que le narrateur parvient à
atteindre grâce à une machine de son invention.
266
2. Les figures de l’amplification sont caractéristiques de l’esthétique baroque.
On peut relever les figures suivantes :
– Texte A ➞ l’énumération : composé d’une série de propositions indépendantes
juxtaposées sans lien logique, le poème semble se limiter à une énumération dont
le sens échappe à celui qui la profère sans pouvoir amorcer le moindre commen-
taire. L’énumération provoque ainsi une impression de vertige silencieux devant
des énigmes mystérieuses et insolubles : de signe en signe, le poète est conduit par
des puissances ténébreuses et souterraines au centre de la terre d’où il voit le
monde renversé.
➞ l’antithèse : « Le feu brûle dedans la glace » ; « Le soleil est devenu noir » (v. 17
et 18). À travers ces antithèses, l’auteur exprime la confusion des sensations qui
l’animent, la dimension surnaturelle du lieu qu’il découvre, « le centre de la terre »
dans lequel les éléments naturels comme les êtres, animés ou non, donnent à l’uni-
vers la dimension d’une énigme angoissante.
– Texte B ➞ l’hyperbole : « ils me perdaient de vue et m’envoyaient plus haut que
les aigles ne peuvent monter » ; « la couverture me paraissait si petite qu’il me
semblait impossible que je retombasse dedans » : les hyperboles, qui traversent
l’ensemble de l’extrait, exagèrent la réalité au point de lui donner une dimension
féerique. Le narrateur vit un rêve éveillé, volant plus haut que les aigles, au point
de voir sous lui la topographie d’une moitié du globe ! Elles participent également
à la dimension humoristique du texte, en l’inscrivant dans le registre comique
(« jamais personne ne fut si haut que moi », « je ne croyais pas que la fortune me
dût jamais tant élever »).
– Texte C ➞ l’énumération : elle présente les personnes qui sont entrées dans le
Paradis terrestre (lignes 4 et 5).
3. Marqués par les guerres de religion, convaincus de l’incertitude du devenir de
l’homme, les écrivains baroques défendent l’exubérance des formes. C’est ainsi
que Théophile de Viau, Vincent Voiture et Cyrano de Bergerac revendiquent tous
trois la liberté et l’imagination. Ils mettent en scène un monde renversé, dans
lequel les règles habituelles de la logique ne sont pas respectées : le poète se
retrouve au « centre de la terre » ; l’auteur de la lettre au-dessus des vents et des
nuées ; le narrateur du roman sur la lune ! Les genres littéraires et les situations
diffèrent mais présentent une même thématique : celle des métamorphoses du
monde et des êtres.
Le baroque témoigne également de la virtuosité de l’artiste, de sa fantaisie et
de son humour. Les trois textes du corpus se rejoignent ainsi dans l’expression
d’images étonnantes (« Je vois la lune qui va choir ») et, pour les textes B et
C, dans l’affirmation amusée de l’illusion, de l’instabilité de l’univers. Le lecteur
est pris de vertige devant les situations présentées, mais aussi d’un large sourire
devant les calembours (« je ne croyais pas que la fortune me dût jamais tant
élever ») et le glissement vers l’absurde (Adam « considéra la Lune, votre terre,
comme le seul refuge où il se pouvait mettre à l’abri des poursuites de son
Créateur »). En définitive, les trois textes reflètent bien les préoccupations du
baroque, en refusant la codification des genres et en mêlant le sublime et le
grotesque.
267
Étudier le manifeste
et les œuvres dominantes d’un mouvement
Exercice 5✢✢
1. Les chefs de file du mouvement européen des Lumières cités par Condorcet
sont Collins et Bolingbroke pour l’Angleterre, Bayle, Fontenelle, Voltaire et
Montesquieu pour la France.
Remarque. On peut renvoyer les élèves aux pages 466-467 du manuel pour com-
pléter cette liste, ainsi que pour les réponses aux questions 2 et 4.
2. Les valeurs revendiquées par le mouvement des Lumières sont, d’après
Condorcet, celles de « vérité » (l. 4), de « raison » (l. 17), de tolérance (l. 19) et de
liberté (l. 20 à 27).
3. La métaphore filée qui termine l’extrait compare les tyrannies religieuse et
politique à des « arbres funestes » dont les philosophes – qui feignent « n’en
vouloir, qu’à des abus révoltants » en se bornant « à en élaguer quelques branches
égarées » – visent en fait les « racines », c’est-à-dire les fondements mêmes des
deux pouvoirs qu’ils combattent.
4. En évoquant « la compilation la plus savante et la plus vaste », Condorcet
évoque évidemment l’Encyclopédie (1751-1772) de Diderot. On peut citer comme
exemple de roman épistolaire les Lettres persanes (Montesquieu, 1721) ; comme
exemple de conte philosophique Candide (Voltaire, 1759) ; comme exemple de
poème argumentatif le Poème sur le désastre de Lisbonne (Voltaire, 1756) ; enfin,
comme exemple d’essai, on peut citer Du contrat social (Rousseau, 1762).
5. Le mouvement des Lumières est un mouvement culturel européen, qui se déve-
loppe dès le début du XVIIIe siècle et trouve son couronnement avec la Révolution
française. En France, héritiers de Beyle et de Fontenelle qui revendiquent l’exer-
cice de l’esprit critique, Montesquieu et Voltaire s’imposent très vite comme les
représentants d’une exigence nouvelle qui fait de la littérature une arme de
combat : ils défendent dans leurs œuvres l’esprit de tolérance et de liberté à l’en-
contre des préjugés maintenus par l’Église et des abus du pouvoir royal. C’est
ensuite Diderot qui, avec l’Encyclopédie, mais aussi ses propres œuvres (des
Pensées philosophiques au Neveu de Rameau), s’engage pour la défense d’une
philosophie qui suscite un esprit citoyen. Rousseau à son tour partage le même
combat en réfléchissant sur le fondement des sociétés humaines, sur l’origine des
inégalités parmi les hommes. Chacun à sa manière prépare ainsi la Révolution et
contribue à la formation de personnalités engagées à la fois, comme Condorcet,
dans la recherche scientifique et dans l’action politique.

Repérer et étudier les thèmes communs à un mouvement


Exercice 6✢✢✢ Vers l’oral
1. Le lexique et les images opposent l'espace affectif lié à l’enfance à l’espace
antique synonyme de gloire. À la grandeur reconnue de Rome, à son imposante
268
magnificence (« palais », « front audacieux ») s’oppose la simplicité (« séjour »)
d’une construction presque anonyme (« mes aïeux »). La fragile et modeste ardoise
contraste avec la richesse du matériau romain (« marbre dur »). Par ailleurs, le
fleuve « latin » et la rivière « gauloise », la cité impériale (« mont palatin ») et le
village (« Liré ») s’opposent également, tandis que le dernier vers offre une oppo-
sition climatique suggestive qui condense toutes les antithèses du poème. « L’air
marin » (l’air vif, l’aventure et la gloire) est le contraire de « la douceur angevine »
(l’absence d’éclat, la vie cachée, la préférence accordée à un lieu).
2. Dans la seconde strophe, Du Bellay fait référence à des lieux qui tirent leur
valeur de l’affection qu’il leur porte, et non des personnages illustres qui les ont
fréquentés. Les interrogations inquiètes (vers 5 puis vers 7), la multiplicité des
adjectifs possessifs, le choix des détails concrets très évocateurs, le lexique hyper-
bolique du vers 8 (« beaucoup davantage »), constituent les principales manifes-
tations de la nostalgie du pays natal.
3. Les humanistes sont des lecteurs assidus des œuvres de l’Antiquité, et notam-
ment de l’œuvre d’Homère. Ils s’attachent ainsi à l’interprétation morale de
l’Odyssée : le voyage d’Ulysse devient une parabole de la quête de la sagesse et
du bonheur. Chaque péripétie, naufrage ou combat, constitue une épreuve ini-
tiatique. Du Bellay déchiffre dans l’Odyssée la figure de son propre destin. Il mul-
tiplie les comparaisons avec Ulysse (« Heureux qui comme Ulysse… »), établissant
un parallèle entre le héros antique et le poète moderne. La nostalgie de la terre
natale, qui nourrit l’inspiration de Du Bellay, en exprimant des sentiments intimes
et personnels, inscrit ainsi sa poésie dans le registre lyrique.
Mais c’est surtout la richesse du thème du voyage qui donne au poème sa force
suggestive. Nourri de l’Antiquité, le poète fait de l’Odyssée une réflexion, un véri-
table miroir de la vie, une figuration de la destinée humaine. Le voyageur incarne
ainsi la vérité la plus ordinaire de l’existence : la vie est un passage. Le poète
ordonne cette vérité selon les coordonnées temporelles et spatiales de sa propre
vision et met en scène les émotions surgies au cours d’une vie. À la grandeur et à
la gloire, le poète humaniste préfère « la douceur angevine » : si le premier vers
sonne comme un proverbe, établissant une connivence culturelle entre le poète
et son lecteur, la chute du sonnet exprime cependant sans ambiguïté la préférence
accordée à l’identité nationale et revendiquée par les poètes de la Pléiade.

EXO-BAC
(PAGE 275)

Lecture
1. Malherbe loue dans ce poème un certain nombre de qualités esthétiques du
domaine de Fontainebleau, qualités qui sont caractéristiques du classicisme : la
beauté (« Beaux parcs et beaux jardins »), la grandeur (« Beaux et grands bâti-
ments »), la solidité (« éternelle structure »), la diversité (« d’ouvrages divers »),
ou encore le caractère éternel (« en effacer jamais l’agréable peinture »). La forme
269
du sonnet est bien adaptée à cet éloge : grâce à ses règles de construction claires
et rigoureuses, il permet au poète d’atteindre l’idéal d’équilibre et d’honnêteté du
classicisme.
Remarque. C’est à tort qu’on associe « classicisme » et « règles ». Plutôt que des
contraintes, le classicisme revendique la clarté, la rigueur et l’universalité. Ce
passage de la préface au Recueil de poésies chrétiennes et diverses (Port-Royal,
1670) en témoigne :
« Il faut donc s’élever au-dessus des règles qui ont toujours quelque chose de
sombre et de mort. Il faut ne concevoir pas seulement par des raisonnements abs-
traits et métaphysiques en quoi consiste la beauté des vers ; il la faut sentir et com-
prendre tout d’un coup, et en avoir une idée si vive et si forte qu’elle nous fasse
rejeter sans hésiter tout ce qui n’y répond pas.
Cette idée et cette impression vive, qui s’appelle sentiment ou goût, est tout autre-
ment subtile que toutes les règles du monde ; elle fait apercevoir des défauts et
des beautés qui ne sont point marqués dans les livres. C’est ce qui nous élève au-
dessus des règles, qui fait qu’on n’y est point asservi, qu’on en juge, qu’on n’en
abuse point, et qu’on ne les suit pas en ce qu’elles ont de défectueux et de faux.
Enfin, c’est cette idée vive qui s’exprime et se représente dans ce qu’on écrit ; au
lieu que les préceptes demeurent toujours stériles, tant qu’on ne les connaît que
par spéculation et par raisonnement, et que l’esprit n’en est pas pénétré par cette
autre sorte de connaissance. »
2. Les caractéristiques du texte, les valeurs et les règles esthétiques qu’il défend
sont les suivantes :
– « Enfin Malherbe vint… devoir. » (vers 1 à 4) ➞ Boileau rend hommage à son
prédécesseur en qui il voit l’inventeur des règles de la versification classique : la
« juste cadence », nécessaire, le choix méticuleux de la rime (vers 3), et le refus
d’une inspiration toute puissante (« réduisit la Muse aux règles du devoir »).
– « Par ce sage écrivain… enjamber. » (vers 5 à 8) ➞ Boileau évoque l’architec-
ture sonore du poème, la construction des strophes et la nécessaire coïncidence
de la phrase et du vers (« Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber »).
– « Tout reconnut ses lois… imitez la clarté » (vers 9 à 12) ➞ Boileau voit en
Malherbe le chef de file du classicisme, son «guide fidèle» et le «modèle» à suivre.
Il évoque les valeurs essentielles du mouvement, la « pureté » et la « clarté ».
Remarque. On peut citer les Mémoires sur la vie de Malherbe de Racan pour
illustrer le souci de pureté et de clarté qui caractérise Malherbe : « On dit qu’une
heure avant de mourir, après avoir été deux heures à l’agonie, il se réveilla comme
en sursaut pour reprendre son hôtesse qui lui servait de garde, d’un mot qui n’était
pas bien français à son gré. Et comme son confesseur lui en fit réprimande, il lui
dit qu’il ne pouvait s’en empêcher et qu’il voulait jusqu’à la mort maintenir la
pureté de la langue française » (Racan, Mémoires sur la vie de Malherbe, 1651).
3. Le château de Versailles manifeste la gloire de Louis XIV, qui – bien plus
qu’Henri IV embellissant Fontainebleau – reprend et reconstruit complètement
l’ancienne propriété de Louis XIII, comme un témoignage de sa puissance. Le
tableau de Pierre-Denis Martin montre bien le principe d’ordre qui a guidé l’es-
prit des architectes : la construction du château et de ses dépendances, comme
270
celle du jardin et de ses allées, est rigoureuse et parfaitement ordonnée. Le clas-
sicisme est cette volonté de mise en ordre, à travers un art qui impose ses lois dans
la clarté et la rigueur.

Écriture
On peut renvoyer les élèves, pour répondre à cette question, aux pages 466-467
du manuel :
En réaction contre l’exubérance du baroque, le classicisme cherche à créer des
modèles, en fondant chaque genre littéraire, et notamment la poésie, sur des règles
de construction claires et rigoureuses. Dans son sonnet consacré à Fontainebleau,
Malherbe annonce ainsi les qualités esthétiques qui fonderont le classicisme :
« Beaux et grands bâtiments… » La beauté, la grandeur et la rigueur se retrou-
vent dans l’œuvre de Boileau, qui, fait l’éloge de Malherbe en qui il voit le chef
de file du mouvement : « Enfin Malherbe vint ».
Ce passage de l’Art poétique met en évidence une volonté affirmée de respecter
des règles strictes de versification plutôt que de laisser libre cours à l’inspiration :
il s’agit de « réduire la Muse aux règles du devoir » si l’on veut atteindre cet idéal
de « pureté » et de « clarté » qui sont les valeurs revendiquées du classicisme. C’est
cet idéal qu’on retrouve dans le tableau de Pierre-Denis Martin : l’équilibre de la
construction, l’harmonie des formes, les effets de parallélisme et de symétrie sont
en effet les procédés qui font du classicisme, plus qu’un mouvement littéraire, un
mouvement culturel qui influence l’ensemble des arts et de la société.

Critères de réussite
• Indications précises sur le classicisme ;
• Citations des textes du corpus et références au tableau ;
• Construction argumentée du paragraphe ;
• Correction de la langue écrite.

SUJET DU BAC
(PAGES 276-277)

I. Questions de lecture
1. et 2. L’Encyclopédie – qui a subi les assauts de la censure – cherche à répandre
des valeurs nouvelles. Elle oppose ainsi aux hiérarchies sociales issues du monde
féodal la notion d’égalité naturelle, associée à celle de liberté. Le chevalier
de Jaucourt part d’une définition première pour développer une argumentation
(cf. les termes d’articulation logique : « donc », « puisque », « c’est-à-dire ») qui
s’achève sur un impératif moral : « chacun doit estimer et traiter les autres… ». Les
termes soulignant l’égalité se multiplient dans l’article : « entre tous les hommes »,
« commune à tous les hommes », « de la même manière », « la même », « naturelle-
ment égaux »… C’est sur l’idée de nature que reposent l’ensemble des arguments.
Diderot et D’Alembert font de l’Encyclopédie une arme au service des Lumières,
271
invitant les hommes à remettre en cause les cadres de pensée de la société monar-
chique, dominée par le pouvoir de la noblesse et l’autorité de l’Église. Exercice de
la raison critique, combat contre les préjugés et les privilèges : on trouve dans l’ex-
trait de l’article deux des notions fondamentales de la Révolution: liberté et égalité.
Le tableau de Charles Lacroix représente une ordonnance du roi qui symbolise
ici sa toute-puissance dans le contexte de la monarchie absolue. L’effet de trompe-
l’œil met en évidence le « crime de lèse-majesté » qui consiste à déchirer l’ordon-
nance placardée. Défi, refus d’obéissance à celui qui « enjoint » à ses sujets d’obéir
à ses ordres, pour son bon plaisir… On se trouve bien devant un geste d’insur-
rection solidaire des Lumières.
Le texte de Marat dénonce la manipulation de l’opinion publique au service du
despotisme : tous les mots-clés du texte – « ignorance », « usurpations de l’injuste
puissance », « artifices des princes contre la liberté », « soumission aux tyrans »,
etc. – s’inscrivent directement dans l’idéologie générale des Lumières qui cherche
à libérer les hommes des préjugés et à leur transmettre les connaissances propres
à les éclairer. Le dernier paragraphe du texte fait explicitement référence à toutes
les mesures prises par les princes (c’est-à-dire les despotes et leurs représentants)
pour empêcher les progrès des Lumières.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
Introduction
Après s’être illustré dans la publication d’ouvrages scientifiques consacrés à l’élec-
tricité ou aux maladies vénériennes, médecin des gardes du corps du comte
d’Artois, Marat se jette dans la Révolution et devient célèbre en dirigeant L’Ami
du Peuple. Dès 1774, avec Les Chaînes de l’esclavage (première édition française
en 1792), il dénonce la monarchie absolue et toutes les formes de despotisme. Il
reprend ainsi des thèmes et des développements déjà mis en œuvre par les plus
célèbres philosophes des Lumières. On mesure cependant dans cet extrait la puis-
sance rhétorique de Marat qui, pour combattre ceux qui entravent la liberté des
hommes, utilise tous les moyens de l’éloquence.
Première partie. La dénonciation du despotisme
– Marat met en cause la volonté du pouvoir politique de tenir les peuples dans
l’ignorance. Tel est le projet des Lumières : apporter les connaissances nécessaires,
favoriser l’exercice critique de la raison, pour sortir du joug de l’oppression.
L’ignorance et le despotisme s’appuient l’une sur l’autre. Le lexique de la justice
et de la liberté (« les droits », « les progrès », « les progrès des Lumières », « la cause
de la liberté») étouffe sous le rappel des manœuvres du despotisme: «projets ambi-
tieux », « usurpations de l’injuste puissance », « embûches », « pièges », « préceptes
mensongers », « lie les mains », « plie leur tête au joug », « soumettre les hommes ».
Dénonciation de la censure, des entraves à la liberté de circulation, de toutes les
mesures prises par les princes pour empêcher le peuple de penser.
272
– Images de l’aveuglement et de l’assujettissement du peuple, mise au jour de la
volonté délibérée des puissants d’exercer leur domination… On comprend la
défense de la liberté de la lecture par Voltaire et Diderot, le projet de diffusion
des connaissances de l’Encyclopédie, le combat pour le contrat social engagé par
Rousseau. C’est comme si Marat faisait la synthèse de ces différents thèmes à
travers la puissance oratoire du discours.
Seconde partie. L’éloquence à l’œuvre
Le discours argumentatif de Marat est très structuré. Tout commence par l’ex-
position de la thèse, reprise ensuite en conclusion au début du dernier paragraphe.
Cette thèse – « l’ignorance favorise le despotisme » donc « Pour soumettre les
hommes, on travaille d’abord à les aveugler » – est développée à travers une série
d’arguments et d’illustrations. Parmi les nombreux procédés propres à emporter
l’adhésion du lecteur, on peut noter : l’anaphore de « C’est elle qui » et le paral-
lélisme de construction, la répétition (ex. : « les empêche de ») ; le rythme ternaire
(ex. : « connaître… sentir… défendre » ou « prévenir… arrêter… renverser »…) ;
les formules expressives des groupes nominaux comme « les noirs complots »,
« les sourdes menées », qui appartiennent à la mise en garde politique ; les images
filées (ex. : « embûches… pièges » ; ou « lie les mains », « plie leur tête au joug ») ;
la question oratoire (« Que d’obstacles… ? ») ; l’énumération (« les uns… les
autres… d’autres…) et la récapitulation englobante : « tous » ; l’exaltation et l’in-
dignation dans l’évocation finale des sages, opprimés pour leur défense de la
liberté…
Conclusion
À lire cet extrait des Chaînes de l’esclavage, on mesure le rôle joué par tous ceux
qui, s’appuyant sur le rayonnement des philosophes des Lumières, ont à leur tour
« pris leur plume pour défendre la cause de la liberté ». Ce n’est plus la pompe
majestueuse de la langue du XVIIe siècle qui est ici à l’œuvre, mais les accents polé-
miques et la puissance oratoire de ceux qui, quelques années plus tard, s’illus-
treront à la tribune de l’Assemblée nationale.

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
En arrachant le mot « lumières » à sa dimension chrétienne pour en faire leur mot
d’ordre, les écrivains philosophes du XVIIIe siècle engagent le combat. Il s’agit
désormais d’éclairer les hommes par la diffusion des connaissances et le libre exer-
cice de la raison critique. Immense chantier ! À l’âge classique, les cadres de la
pensée sont théologiques, la monarchie absolue préserve son pouvoir, les nobles
et l’Église défendent leurs privilèges. C’est ainsi que les philosophes défient la
censure pour assurer le progrès des esprits et des mœurs. On verra dans un
premier temps quels sont précisément les cibles et les enjeux de ce combat, avant
d’étudier les formes adoptées par cette littérature polémique.
Première partie. Les enjeux du combat
– Arracher le monde à ses aveuglements : combat contre les préjugés, les super-
stitions, les miracles, l’ignorance dans laquelle le peuple est tenu (cf. Bayle,
273
Fontenelle, Voltaire, Marat…). Suppression de la censure, liberté de circulation
des idées et des hommes. Contre l’esclavage…
– Défendre les valeurs nouvelles d’égalité et de liberté, de vérité et de justice, de
tolérance : combat de Voltaire contre toutes les formes d’injustices, les erreurs
judiciaires (cf. l’affaire Calas…). Combat de Diderot en faveur des sociétés natu-
relles… Éloge du « bon sauvage »…
– Combat en faveur de nouvelles formes de gouvernement et de société : la monar-
chie éclairée, le contrat social défendu par Rousseau, le modèle parlementaire
anglais ou hollandais, le rôle de l’économie dans le développement des civili-
sations…
Seconde partie. Les formes de la polémique
– Le regard de l’Autre : Lettres persanes, Lettres chinoises, Lettres juives, Lettres
japonaises : le lecteur découvre ses préjugés à travers le regard qu’un étranger
porte sur la France et ses habitants.
– Le pamphlet voltairien pour tourner l’adversaire en ridicule. Au-delà : discours,
dialogues, récits satiriques, contes philosophiques, essais, lettres privées ou
publiques, romans, pièces de théâtre, chansons = recherche de moyens nouveaux
pour répandre les idées nouvelles. Cf., par exemple, le Dictionnaire philosophique
de Voltaire (= explosion de l’article en formes diverses).
– L’Encyclopédie comme arme de combat dans la diffusion des connaissances et
la critique des fausses opinions. Diderot et ses collaborateurs se servent de l’objec-
tivité de l’ouvrage savant pour mettre en évidence la manipulation de l’opinion
et militer en faveur d’une société fondée sur l’égalité des citoyens. Cf. le scandale
de l’article « Autorité politique ».
– Les deux premiers volumes frappés d’interdiction. Aux yeux de Voltaire =
« Monument de l’esprit humain ».
– Plus généralement, l’ironie est l’arme favorite pour créer la complicité du des-
tinataire au détriment de la cible visée.
Conclusion
Du pamphlet rapidement rédigé pour tourner en ridicule un adversaire, comme
le jésuite Berthier visé par Voltaire, à l’Encyclopédie, qui occupe vingt-quatre ans
de l’existence de Diderot, le combat des philosophes ne cesse pas. Tout au long
du XVIIIe siècle, la littérature polémique occupe une place prépondérante. L’écrivain
s’engage. Il interpelle l’opinion publique qu’il contribue à forger, il dénonce les
formes de l’intolérance et du fanatisme. Chaque fois, ce sont la liberté et l’éga-
lité des hommes qui sont en jeu, au cœur de ce vaste et formidable mouvement
des Lumières qui conduit à la Révolution française et qui, aujourd’hui encore,
devrait inspirer l’humanité dans son cheminement.

3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Arguments possibles :
– le rappel des idéaux des Lumières : cf. la réponse à la dissertation ci-dessus ;
– l’insistance sur l’actualité des Lumières : « Voltaire, au secours ! », « Voltaire,
reviens ! » lus sur les murs des grandes villes françaises ces dernières années : retour
274
de l’intolérance et du fanatisme religieux partout dans le monde… Formes nou-
velles d’aveuglement, absence d’esprit critique, adhésion à des opinions fondées
sur des préjugées… Manipulation de l’opinion publique sous toutes ses formes…
Inégalité politique, sociale, économique partout dans le monde… Les exemples
ne manquent pas qui rendent urgent un retour à l’idéal des Lumières, c’est-à-dire
la volonté de repenser sans préjugé les conditions pour l’épanouissement des indi-
vidus et pour le progrès de la civilisation.

275
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

22 L’autobiographie
(PAGES 278 à 291)

Le terme « autobiographie » apparaît dans la première moitié du XIXe


siècle. Il désigne alors un genre de mémoires, davantage centré sur la vie
personnelle de l’auteur que sur son témoignage sur l’Histoire ou les grands
événements qu’il a vécus. C’est Jean-Jacques Rousseau qui inaugure le
genre autobiographique avec ses Confessions. S’il prend la plume, c’est
pour se justifier, s’expliquer, se raconter à un moment-clé de son existence.
On retrouve ainsi tout se qui constitue le pacte autobiographique : la pre-
mière personne du singulier (l’engagement de l’écrivain) est le premier mot
du texte. Je désigne à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage prin-
cipal du récit qui s’engage à raconter les événements de sa vie (« ce que
j’ai fait ») comme ses pensées et sa personnalité intime (« ce que j’ai pensé,
ce que je fus »). Ce qui compte, c’est en effet autant les événements que
l’intériorité de l’individu. Il s’agit d’être absolument sincère, de montrer
qualités et défauts, grandeurs et misères: c’est ce à quoi s’engage Rousseau.
Les termes utilisés par Jean-Jacques : « mon cœur, mon intérieur », cor-
respondent à ce que le XXe siècle désignera, après les développements de
la psychologie et de la psychanalyse, comme « la personnalité ou le moi
profond du sujet ».

OBSERVATIONS
(PAGES 278-279)

Introduction
Les Confessions ne cessent de nous montrer un sujet conscient de lui-même, de sa
propre valeur, capable de trouver en lui des principes moraux plus authentiques
que toutes les conventions sociales. C’est la société qui est dans l’erreur, dès lors
qu’elle se montre incapable de reconnaître la richesse réelle des individus. La « sen-
sibilité » de Jean-Jacques, thème constant, fil conducteur des Confessions, se dresse
devant le monde comme un défi. Toute la puissance des Confessions est de lier
ainsi l’éveil d’une conscience (à travers ses tribulations, expériences sociales,
sexuelles, amoureuses) aux fondements d’une philosophie.
277
L’ambition d’Amélie Nothomb est différente : elle se définit elle-même comme une
« graphomane » qui ne peut se passer d’inventer des histoires, souvent inspirées
de sa propre expérience. Comme avec Métaphysique des tubes, elle comble ses lec-
teurs en leur livrant des autofictions – qui brisent les frontières entre le récit de vie
et la fiction –, la mettant en scène avec un humour attachant.

Réponses aux questions


I. Les caractéristiques de l’autobiographie
1. Dans les deux textes, auteur, narrateur et personnage principal apparaissent
comme une seule et même personne : l’autobiographie apparaît ainsi comme le
genre littéraire dans lequel l’écrivain s’inspire de sa propre histoire pour écrire
son récit.
2. C’est en son nom propre que l’écrivain raconte son histoire et tente de
convaincre le lecteur de son honnêteté, de justifier le parcours de son existence :
« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature :
et cet homme, ce sera moi » (l. 2 et 3). Il propose au lecteur de juger de ses actes
et de ses pensées et s’engage à être sincère dans son récit : « J’ai dit le bien et le
mal avec la même franchise » (l. 11 et 12). Il promet de montrer son vrai visage :
« Je me suis montré tel que je fus » (l. 16).

II. Les enjeux de l’autobiographie


3. Amélie Nothomb consacre ce passage à sa plus tendre enfance (« À deux ans
et demi », l. 1). Elle y évoque ses premiers pas et ses premiers mots. L’enfance est
importante dans toute autobiographie car cette période apparaît comme le
moment où la personnalité se forge, où un destin personnel se joue.
4. Rousseau voit le lecteur comme un juge (l. 8). Le lecteur est en effet à ses yeux
un de ses « semblables » (l. 19) : « qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémis-
sent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères» (l. 19 à 21). Il lui confesse
ainsi tout ce qu’il a sur le cœur en le prenant à témoin. Le mot « confession » est
également porteur d’une dimension religieuse : les références au « jugement
dernier » (l. 9), au « souverain juge » (l. 10), à l’« Être éternel » (l. 18) ou encore
au bien et au mal (l. 7 et 12) renvoient ainsi au sens premier du terme « confes-
sions » (Littré : « déclaration que l’on fait de ses péchés au prêtre »).

III. Les autres genres autobiographiques


5. Amélie Nothomb prend ses distances avec l’engagement de sincérité et de vérité
de Jean-Jacques Rousseau. Si sa propre enfance constitue le cadre du récit, l’écri-
vain préfère la réinventer avec humour et dérision en mettant en scène de manière
théâtrale ses premières paroles, comme si elle était alors consciente de leur impor-
tance (l. 15 à 26). Le lecteur n’apparaît pas ici comme le juge d’une conscience
en éveil, mais plutôt comme le complice d’un jeu sur la mémoire auquel chacun
aimerait pouvoir se livrer.
278
EXERCICES
(PAGES 283 à 286)

Étudier les caractéristiques de l’autobiographie


Exercice 1✢
Le texte correspond à la définition de l’autobiographie : il est un récit rétrospec-
tif que l’auteur fait de sa vie. On le voit à travers un certain nombre d’indices
comme le titre du roman (Enfance), l’utilisation de la première personne (« Ma »,
l. 4 ; « nous », l. 10), les termes qui font référence au milieu familial (« le grand-
père et l’oncle Mikhail », l. 1 ; « l’oncle Iakov », l. 2 ; « Ma grand-mère », l. 4 ; « le
sacristain de l’église de l’Assomption», l. 15). Gorki fait ainsi du lecteur le témoin
de son enfance, le confident auquel il transmet les souvenirs qui l’ont marqué.
L’auteur choisit de retrouver le point de vue de l’enfant pour raconter ses souve-
nirs : il restitue à travers le regard du narrateur celui qu’il avait au moment où les
événements racontés sont survenus. L’utilisation de l’article défini devant les noms
propres (« le grand-père », « l’oncle Mikhaïl »), les détails naïfs (le dessin qui orne
le fond de la bouteille de vodka, « l’ardente et étrange gaieté » qui anime le petit
cercle) ou encore les comparaisons (« ronde comme une cruche », l. 12 ; « comme
des brochets ou des lottes », l. 17-18 ; « tendant le cou comme une oie », l. 28),
tout cela a pour effet de plonger le lecteur dans l’univers de l’enfance vécue par
Gorki, non pas en simple témoin extérieur à l’histoire, mais en adoptant le regard
d’un petit garçon étonné devant le monde des adultes.

Exercice 2✢✢
1. George Sand respecte l’engagement de sincérité du pacte autobiographique,
dans la lignée des Confessions de Rousseau : « écrire l’histoire de sa propre vie »
(l. 2), mais en choisissant « dans les souvenirs que cette vie a laissés en nous, ceux
qui nous paraissent valoir la peine d’être conservés » (l. 3 à 5). C’est pour elle une
« étude sincère de [sa] propre nature » et « de [sa] propre existence » (l. 17 et 18).
2. Pour George Sand, écrire sa propre autobiographie est un « devoir » (l. 6 et
13) qui lui permet de « se définir et de se résumer en personne » (l. 8).

Exercice 3✢✢ Vers l’oral


1. L’histoire familiale de Jean-Paul Sartre est ici évoquée dans ses grandes lignes :
l’auteur fait remonter ses origines à la rencontre de ses grands-parents paternels
et maternels (l. 1 à 13) ; il évoque ensuite la naissance et la jeunesse de son père
(l. 13 à 22), avant de mettre en scène leur mariage et sa propre conception (l. 22
à 27). C’est seulement à la ligne 26 qu’apparaît la première personne : « il fit la
connaissance d’Anne-Marie Schweitzer, s’empara de cette grande fille délaissée,
l’épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort ».
Ce pronom « moi » apparaît au milieu d’une phrase, comme par inadvertance,
comme un événement insignifiant au sein d’une succession d’autres faits plus
279
importants. L’apparition du « moi » de l’écrivain est également liée à la mort de
son père, comme si elle en était la cause.
2. Le récit de vie s’inscrit dans le registre comique. L’enfant conçu « au galop »
garde le même rythme pour raconter sa naissance. L’histoire semble accélérée,
comme si elle sortait d’un film muet du début du siècle. L’écrivain se régale d’anec-
dotes familiales qui paraissent extraordinaires au lecteur (les quarante années de
mutisme du grand-père paternel, le surnom donné au docteur Sartre par son
épouse) et interprète avec humour les caractères de chacun: «pris entre le mutisme
de l’un et les criailleries de l’autre, il devint bègue » (l. 18 à 20).
3. On peut repérer dans le texte les caractéristiques suivantes qui pourraient
figurer dans la réponse.
– L’identité de l’auteur et du narrateur : « moi », son nom apparait à travers le
« docteur Sartre ».
– Le récit rétrospectif avec l’utilisation des temps du passé, mais il s’agit de l’his-
toire familiale qui explique l’apparition du petit Jean-Paul.

Analyser le témoignage de l’auteur


et le récit de la réalité vécue
Exercice 4✢
L’enjeu souligné par chacun des titres :
– George Sand, Histoire de ma vie ➞ formation d’une personnalité et analyse de
soi.
– Colette, Mes apprentissages ➞ formation d’une personnalité.
– Romain Rolland, Le Voyage intérieur ➞ analyse de soi.
– Michel Leiris, L’Âge d’homme ➞ analyse de soi.
– Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée ➞ témoignage person-
nel sur une époque.
– Nathalie Sarraute, Enfance ➞ formation d’une personnalité.
– Annie Ernaux, Une femme ➞ témoignage personnel sur une époque.
– Alexandre Jardin, Le Roman des Jardin ➞ récit de la réalité vécue et tentation
de la fiction.

Exercice 5✢✢
1. Les caractéristiques de l’autobiographie :
– identité de l’auteur et du narrateur (les pronoms de la première personne) ;
– récit rétrospectif en prose (l’alternance du présent et des temps du passé) ;
– forte présence de l’entourage familial (les parents, le frère).
2. L’auteur évoque dans ce passage sa jeunesse au Maroc. Le milieu dans lequel
il a grandi est associé au début de l’extrait à une « carapace d’ignorance, d’idées
reçues et de fausses valeurs » (l. 1 à 3) qui font de sa mère un « mollusque » replié
sur lui-même. Il dénonce également l’attitude de son père, hostile au fait que sa
femme apprenne à lire (l. 19 à 27), qui profite d’un bonheur égoïste.
280
Exercice 6✢✢
1. Le « je » du narrateur se confond avec celui de l’auteur ; le « nous » renvoie au
groupe formé par la famille de Colette. On remarque également l’alternance du
présent, qui renvoie au moment de la narration, et des temps du passé, qui ren-
voient à la jeunesse de l’auteur.
2. C’est à l’univers familial que Colette renvoie dans chacun de ses romans auto-
biographiques. Le père et la mère de l’écrivain, mais aussi son frère médecin,
constituent les personnages familiers dont elle aime à retracer l’image, à faire
revivre le souvenir. La maison familiale, le jardin, la cuisine où s’active Sido, la
mère chérie, la bibliothèque où le père aimait à se retirer sont les lieux magiques
qui brillent dans la mémoire de Colette. On les retrouve ainsi dans ce passage,
dernière page du roman, à l’occasion d’une révélation capitale.
3. Colette part d’un échec, celui de son père, pour rendre compte de l’obligation
qui a été ainsi créée de prendre le relais, de réaliser un rêve qui avait échoué.
« L’héritage immatériel » est la trace dans le cœur et dans la mémoire de ce pacte
scellé entre le père et la fille qui, en osant écrire sur les pages blanches du père,
réalise ce qui était en attente, répondant à l’appel d’une vocation. Tout le passage
montre une passion de Colette pour tout ce qui touche à l’univers du livre, et
surtout du papier, qui sollicite chacun de ses sens et explique son plaisir quasi
matériel à écrire.

Étudier l’autoportrait
Exercice 7✢✢
Le Triple autoportrait de Norman Rockwell, qui repose sur le procédé de la mise
en abyme, illustre bien les difficultés du genre : le peintre apparaît de dos, assis
devant son chevalet, sur lequel sont attachées les tentatives diverses d’illustres
prédécesseurs pour exécuter le même travail. Derrière la toile en cours de réali-
sation, un miroir dans lequel le peintre s’examine avec attention : le regard qui
s’y reflète est blanc, comme aveugle. Et en effet, l’autoportrait du peintre appa-
raît comme différent de son modèle : la pipe est fièrement dressée, les lunettes ont
disparu, tandis que le regard du personnage fixe le spectateur d’un air interro-
gatif. La signature, apposée au bas de l’autoportrait, semble souligner les doutes
et les certitudes de l’artiste qui veut se représenter. Le spectateur du tableau a ainsi
droit à trois autoportraits différents dont aucun n’apparaît cependant réellement
satisfaisant.

Exercice 8✢✢ Vers l’écrit d’invention


1. L’autoportrait de Montesquieu dresse un inventaire des traits de caractère de
son auteur (« Je n’ai presque jamais eu de chagrin », l. 1 ; « J’ai l’ambition qu’il
faut », l. 7 ; « je suis content », l. 16). Il évoque sa vie quotidienne et son histoire
personnelle : « le poste où la Nature m’a mis », l. 9 et 10 ; « Je passe la nuit sans
m’éveiller », l. 17…
281
2. Le texte se présente comme une série de brefs paragraphes qui commencent
presque tous par le pronom « je ». Chaque paragraphe évoque l’un des traits de
la personnalité de l’auteur, l’associant en général avec un exemple inspiré de sa
propre existence. L’originalité de cet autoportrait est de ne proposer que des consi-
dérations générales, analytiques, alors que la plupart des autoportraits mettent
en scène leur auteur à un moment précis de sa vie. Il est ainsi traversé par le champ
lexical du bonheur et de la joie de vivre.
3. Les critères d’évaluation :
– l’utilisation des pronoms de la première personne ;
– le respect de la construction en paragraphes du texte modèle ;
– l’emploi du présent et du passé composé ;
– la dimension psychologique de l’autoportrait.

Étudier un roman autobiographique


Exercice 9✢✢
1. Les marques du genre autobiographique :
– les pronoms de la première personne : « je » pour l’auteur ; « nous » pour le nar-
rateur enfant et sa grand-mère ;
– la présence de l’univers familial (la grand-mère, le père) ;
– l’évocation d’une vie quotidienne disparue (le cinéma muet, les revues, etc.).
2. Au-delà de sa dimension de témoignage, le récit revendique d’abord une dimen-
sion romanesque. L’enfant, sa grand-mère et leur chien, regardant trois séances
de suite le « Voyage dans la Lune » de Méliès : la scène mêle le vécu (« C’était le
même prix, un franc toutes les places », l. 1 et 2) et l’imaginaire qui embellit (ou
noircit) la réalité. Le récit reproduit ainsi la réalité en l’interprétant avec humour
et parfois ironie : le vocabulaire familier utilisé par Céline contribue à cette dimen-
sion comique du récit (« Elle me les cachait même dans son froc, sous trois épais
jupons », l. 21-23 ; « Les baffes, ça suffit pas tout de même », l. 33) ; mais l’hu-
mour s’exprime aussi à travers l’ironie : « je répondais rien, j’aime pas les ques-
tions intimes » (l. 16 et 17), attribuant à l’enfant les caractéristiques de l’écrivain
devenu adulte.
3. Inventeur de langue, Céline tente de restituer l’émotion à travers la syntaxe et
la ponctuation, dont il renouvelle l’utilisation, recréant l’illusion d’un style oral
populaire, à la fois provocant et émouvant, restituant également le climat de
l’entre-deux-guerres, marqué par une crise économique sans précédent. Cette
langue nouvelle parvient à restaurer l’intimité du narrateur et du lecteur, de la
bouche à l’oreille, en une « petite musique » qui rend le style de Céline immédia-
tement identifiable. Elle est aussi une source constante d’effets comiques, soit
qu’elle souligne et amplifie le ridicule de certaines situations (jusqu’à la satire et
à la parodie), soit qu’elle crée un effet de contraste avec le caractère dramatique
des situations développées.

282
Analyser les mémoires ou le journal d’un écrivain
Exercice 10✢✢
1. Le temps verbal utilisé dans le premier paragraphe est le présent. Il s’agit d’un
présent de narration qui actualise l’événement rapporté afin de le rendre plus
proche du lecteur.
2. La dernière phrase du passage ajoute un commentaire au récit des événements.
Cette intervention correspond au genre des mémoires car elle souligne que l’écri-
vain est un spectateur mais aussi un acteur de l’histoire qu’il raconte (voir la
remarque ci-dessous).
Remarque. Les mémoires permettent à celui qui a été témoin de l’Histoire de faire
la chronique d’une époque tout en y inscrivant son propre destin. Présent à la
prise de la Bastille, Chateaubriand souligne qu’il y assiste comme « spectateur ».
Il donne ainsi un prix inestimable aux Mémoires d’outre-tombe, en étant à la fois
témoin privilégié mais aussi narrateur exceptionnel, capable de recréer à travers
la vivacité de son récit l’intensité épique de l’événement. Le jugement qu’il formule
est celui d’un homme averti dont la situation personnelle (un aristocrate devant
la Révolution) se trouvera bouleversée par les événements auxquels il assiste. Il
ne s’agit plus d’un regard subjectif sur le monde (à la manière de Jean-Jacques
Rousseau), mais, au moins dans ce passage, d’un souci d’objectivité qui donne
au livre toute sa valeur. Il reste à Chateaubriand à rapporter ensuite comment de
spectateur il est devenu également acteur de l’Histoire.

Exercice 11✢✢
1. Le texte est extrait du journal intime d’un écrivain, Pierre Louÿs, adolescent
au moment où il l’écrit. On y retrouve les caractéristiques du journal intime :
l’identité de l’auteur, le « je », renvoie à Pierre Louÿs, le récit rétrospectif auquel
se mêlent les réflexions de l’écrivain : « J’en suis sûr, sans le savoir », la sincérité :
« enfin la paresse, je l’avoue ».
2. L’adolescent apparaît comme un être tourmenté (« Les pensées me brûlent la
plume », l. 2 et 3) par une vocation littéraire qu’il ne parvient pas à réellement
assumer (« des scrupules qui me font délaisser les vers pour les études du bachot »,
l. 11 à 13). Il semble n’avoir qu’un but : « Oh ! je voudrais écrire, écrire… »
(l. 2), mais se rend compte de la difficulté qu’il y a pour lui à l’atteindre.

Exercice 12✢✢
1. Les marques du journal :
– la mention de la date (l. 1) ;
– l’emploi des pronoms de la première personne ;
– l’utilisation des temps du discours, notamment du présent.
2. Edmond et Jules de Goncourt sous-titrent leur journal Mémoires de la vie lit-
téraire. Ce journal constitue à la fois des mémoires – Edmond n’hésite pas à faire
le récit des événements les plus marquants de son temps – mais surtout un témoi-
283
gnage sur cinquante années de vie littéraire. Les deux frères rencontrent en effet
dans leur grenier d’Auteuil tous les écrivains de leur temps, les portraiturant et
recueillant leurs confidences au jour le jour, souvent sans concession. Dans cet
extrait, Émile Zola, Gustave Flaubert, Yvan Tourgueniev et Alphonse Daudet
sont successivement évoqués. Le Journal des Goncourt constitue ainsi un témoi-
gnage précieux sur les écrivains de la seconde moitié du XIXe siècle.
Remarque. Alliant l’exploration du «document humain» et de «l’écriture artiste»,
les frères Goncourt créent une œuvre originale qui inspirera beaucoup Zola dans
son invention du naturalisme. Les deux frères écrivent, jusqu’à la mort de Jules,
à quatre mains. Amis de Gustave Flaubert, d’Alphonse Daudet ou de l’écrivain
russe Ivan Tourgueniev, qu’ils reçoivent dans le « grenier » de leur maison
d’Auteuil, ils tentent de faire la synthèse du réalisme et du style. Esprits curieux,
observateurs passionnés de leur temps (leur Journal de la vie littéraire couvre une
période de près de cinquante ans), Jules et Edmond de Goncourt sont également
passionnés d’art et d’histoire. Les œuvres qu’ils collectionnent – peintures,
meubles, gravures, « japonaiseries » – durant leur existence leur assurent une
fortune considérable qu’Edmond léguera par testament à la future académie qui
porterait leur nom. Hommage à Jules, pied-de-nez à l’Académie française égale-
ment, qui a refusé d’ouvrir ses portes à leurs amis et à eux-mêmes… L’académie
Goncourt voit ainsi le jour, après un long et retentissant procès, en 1903.

EXO-BAC
(PAGE 287)

Lecture
1. Qu’il prenne la forme d’un roman ou d’une autobiographie, le récit auto-
biographique permet à l’auteur de raconter des scènes fondamentales de son
existence. Il met ainsi en jeu sa mémoire, et expose souvent directement, ces méca-
nismes du souvenir dans le texte. Ici, chez Proust comme chez Perec, dans le
roman autobiographique comme dans l’autobiographie, la scène familiale est très
présente: c’est sur les lieux et les personnes de l’enfance (Combray, la tante Léonie,
les rituels du dimanche, d’un côté ; Villars-de-Lans, tante et oncle de l’autre) que
revient le narrateur, à la première personne. Dans les deux textes, le mot « sou-
venir » est très présent, plusieurs fois répété pour bien marquer l’enjeu de toute
entreprise autobiographique.
2. Il y a bien sûr un paradoxe à commencer une autobiographie en indiquant que
l’on n’a pas de souvenir d’enfance, comme le fait Perec dans W ou le Souvenir
d’enfance. Depuis Rousseau, en effet, l’importance de l’enfance est fondamen-
tale dans toute autobiographie. Et puis, tout le monde garde des souvenirs de son
enfance. Mais l’enfance de Perec est marquée par le deuil : sa famille est morte
dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. En
se limitant à quelques indications sèches et informatives, Perec se réfugie dans
l’absence de souvenirs. Il se « protège », explique-t-il, dans une sorte de défi. Il ne
284
veut pas revenir sur les souvenirs qui raviveraient, comme des blessures, des émo-
tions d’une enfance aussi vite, aussi profondément bouleversée par les violences
de l’Histoire.
3. Le jeu de mots sur la hache (l’outil du bûcheron) et la lettre « h » écrite en
majuscule (dans le mot Histoire) met en évidence les désordres, les cruautés, toutes
les douleurs qu’engendrent les grands événements historiques (guerres, révolu-
tions…) qui emportent les individus dans une tourmente qui les dépasse. Il nous
rappelle l’image de la Mort avec sa grande faux, qui revient devant les carnages
de la guerre. On comprend ainsi que Perec applique l’expression aux crimes et aux
atrocités de la Seconde Guerre mondiale.
4. Tout oppose les deux textes dans le traitement de l’autobiographie. Déclenchée
par la saveur (il vient de retrouver par hasard le goût des madeleines mangées
pendant son enfance), la mémoire de Proust s’active. Et l’écrivain s’émerveille
devant ce travail du souvenir qui remonte à la conscience. Il commente ce sur-
gissement de l’enfance de manière précise, méthodique et comme hallucinée.
Il témoigne d’un vrai bonheur. Au contraire, Perec s’interroge sur l’absence de
souvenirs. Il en cherche la raison et revient sur la mort de sa famille, exterminée
pendant la guerre. L’écriture de son autobiographie le conduira ainsi à la recherche
de ces souvenirs perdus.

Écriture
Proust est soucieux de précision dans la description des lieux ou dans
l’expression des sentiments et des émotions. Il privilégie souvent la phrase longue.
Cherchant à mettre en valeur le travail de la mémoire – « l’édifice immense du
souvenir » –, il repousse l’expression à la fin de cette longue période. Déjà la
conjonction « mais » ouvre la phrase en marquant une rupture. Après la subor-
donnée temporelle (« quand… ne subsiste ») et les deux compléments de temps,
c’est l'adjectif « seules » qui est mis en évidence, suivi par cinq adjectifs compa-
ratifs. Tous se rapportent au groupe sujet (« l’odeur et la saveur »). Le noyau de
la proposition principale « l’odeur et la saveur restent encore longtemps » est au
centre de la phrase. À tous les termes négatifs du début (« rien ne subsiste », « la
mort… », « la destruction… ») s’oppose le pouvoir de résistance au temps qui
passe. Quatre verbes à l’infinitif (compléments du verbe « rester à »), ponctués
par une comparaison (« comme des âmes ») et une métaphore (« sur leur goutte-
lette… »), expriment cette puissance du souvenir. Une dernière opposition la sou-
ligne : d’un côté « la ruine de tout le reste », de l’autre « l’édifice immense » qui
demeure. C’est ainsi que le souvenir, sur lequel est fondée toute autobiographie,
est clairement mis en évidence.

Critères de réussite
• Présence d’un paragraphe structuré et argumenté : idée directrice, arguments,
illustrations, phrase conclusive.
• Analyse syntaxique précise et utilisation de termes grammaticaux.
• Correction de la syntaxe et précision du vocabulaire.
285
SUJET DU BAC
(PAGES 288-291)

I. Question
L’autobiographie est le récit rétrospectif d’une vie, dans lequel l’écrivain, le nar-
rateur et le héros ne font qu’un. Il s’agit donc, avant tout, de revenir sur les années
passées, en soulignant les moments importants qui ont marqué une existence ou
en s’attachant au plaisir de ressusciter par l’écriture une époque et des êtres dis-
parus. C’est le cas chez Chateaubriand qui évoque les temps heureux passés avec
sa grand-mère, de même que chez George Sand qui, en parlant de ses parents,
dresse le portrait de l’enfant qu’elle était.
Les récits d’Albert Cohen et d’Olivier Adam s’arrêtent plus particulièrement au
souvenir d’un personnage capital, la mère de l’écrivain. Le récit est alors
hommage, évocation éblouie et mélancolique de l’être passionnément aimé et
trop tôt disparu.
La mère est ainsi à l’origine de l’existence et à l’origine du récit de vie. Le Portrait
de l’artiste avec sa mère de Giorgio de Chirico manifeste cet attachement fonda-
mental. L’autoportrait se développe et prend tout son sens à travers le couple
formé – comme en miroir – entre l’artiste et sa mère.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
Introduction
Depuis Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, nombreux sont les écrivains
qui, à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, font le récit
rétrospectif de leur vie. Le titre choisi par Chateaubriand, Mémoires d’outre-
tombe, souligne immédiatement la nature mélancolique de ce retour sur le passé.
Mais c’est avec joie, avec humour, que George Sand, installée alors dans le
domaine familial de Nohant, revient à son tour sur ses premières années dans
son Histoire de ma vie. Oubliées la jeune romantique qui fait scandale en habit
masculin, la maîtresse passionnée de Musset et de Chopin, c’est la jeune enfant
entourée de sa famille que l’on découvre ici. De sorte qu’on s’attachera d’abord
à mettre en évidence l’importance du milieu familial dans cet extrait, avant de
revenir sur l’autoportrait rétrospectif que livre l’écrivain.
Première partie. La scène familiale
– Bonheur de revenir sur les premières années (le père de G. Sand mourra en
1808), de recréer avec humour les circonstances de la venue au monde de la petite
Aurore Dupin: «mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie robe rose»
(l. 1 et 2) ; « fille légitime » (l. 4) = détournement parodique des mémoires aris-
tocratiques ; amour de la grand-mère ; présence de la tante Lucie. Effet de sim-
plicité et de légèreté de l’écriture (cf. la symétrie, l’assonance et l’allitération dans
la formule citée).
286
– Rappel des réprimandes de la grand-mère et de la mère face à l’enfant qui
manque de souci de soi et de coquetterie. C’est ainsi, en quelques mots, par la
mention des membres de la famille, par l’évocation de quelques circonstances
familières, que l’écrivain ancre fortement son autobiographie dans le milieu fami-
lial, déterminant pour la formation de l’individu, source de consolations au milieu
des tribulations futures de l’existence, « les ennuis de ma vie » (l. 9).
Seconde partie. Le plaisir de l’autoportrait
– Au-delà de la scène familiale, George Sand se livre au plaisir d’un autoportrait
rétrospectif. Ses lecteurs connaissent d’elle l’image d’une femme passionnée, qui
a fait souvent scandale : ici, c’est une enfant sauvage, naturelle, ennemie de toute
contrainte, qui apparaît. Derrière l’autoportrait s’affirme ainsi un plaidoyer fémi-
niste pour libérer la « petite fille » des contraintes sociales qui l’obligent à « vivre
enfin sous une cloche pour n’être ni halée, ni gercée, ni flétrie avant l’âge » (l. 23
et 24). La première phrase du troisième paragraphe épouse le mouvement de la
revendication à travers le rythme de l’énumération (voir aussi l. 16 : « Autant…/
autant… »).
– L’éloge de la vie saine, de la vie au plein air se double de celui de la lecture et
de la rêverie. L’apparente humilité (ne paraître ni belle ni intelligente) se renverse
en revendication d’une nature libre et originale, dressée contre les conventions,
les « mollesses », les apparences. Il y a ici, comme chez Rousseau, une sorte de
revanche de l’écrivain sur ceux qui n’avaient vu dans l’enfant qu’un être disgra-
cieux et grossier.
Conclusion
L’autobiographie constitue un curieux mélange de contrition, d’aveu, d’humilité,
qui se retourne en affirmation de soi, en plaidoyer pour des valeurs nouvelles.
Ici, tout en restituant avec amour le souvenir de sa famille, George Sand dénonce
les leçons de coquetterie imposées aux petites filles. C’est déjà, dans ce portrait
d’enfant, l’écrivain futur qui apparaît : à la fois la romantique rêveuse, passion-
née de lecture nocturne, et l’auteur des romans champêtres dont les personnages
marchent dans « de bons gros sabots » (l. 19 et 20) et courent sous « ce bon soleil
de Dieu » (l. 19).

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
Nombreuses sont les raisons qui peuvent conduire un écrivain à entreprendre son
autobiographie. Il peut y être amené pour se justifier des accusations qu’on lui
lance (comme Rousseau), pour revendiquer un trait de sa personnalité ou de sa
vie sexuelle (comme Gide ou Leiris), pour expliquer son rapport à l’écriture
(comme Sartre), pour restituer une époque historique révolue ou s’interroger sur
les traumatismes de l’Histoire (comme Chateaubriand ou Perec)… Dans tous les
cas, le souvenir d’enfance est au cœur de toute autobiographie et l’écrivain s’in-
terroge sur cette forme particulière de récit qui le fait revenir sur son passé. Au-
delà du plaisir du récit, il questionne les jeux de la mémoire. Il revient
passionnément sur le souvenir des êtres chers, désormais disparus.
287
Première partie. Le bonheur du récit
– Bonheur de restituer le passé, de revenir avec minutie sur les anecdotes, les pre-
mières découvertes, les petits plaisirs vécus au milieu de la scène familiale qui fait
revenir les lieux de l’enfance. Il y a une « naturalité », une évidence du récit rétro-
spectif à laquelle cède l’écrivain. Bonheur de l’écriture. Enchaînement chronolo-
gique des événements, portraits, scènes convenues, etc. Tous, Rousseau, Stendhal,
Chateaubriand, Sand, Dumas, Gide, Sartre… cèdent à ce bonheur. Mélange d’aveu
et de revendication, d’humilité et de plaidoyer, de justification et de règlement de
comptes.
– En même temps se développe le soupçon devant cette facilité narrative. Un
exemple entre plusieurs : celui d’Enfance de Nathalie Sarraute, qui met en scène
l’affrontement de deux narrateurs : l’un se livrant au plaisir « spontané » de racon-
ter, l’autre contestant sans cesse cette prétention à se raconter.
Deuxième partie. Les jeux de la mémoire
C’est ainsi que les jeux de l’écriture et de la mémoire sont au cœur de toute auto-
biographie. Comment être certain de l’authenticité des souvenirs ? Quelles sont
les conditions pour qu’un souvenir revienne (cf. Proust) ? Pourquoi l’effacement
de tout souvenir (cf. Perec) ? L’histoire individuelle et la grande Histoire (avec sa
grande hache, comme l’écrit Perec) se croisent sans cesse et font de l’autobio-
graphie le moyen d’interroger, comme le ferait un psychologue ou un psychana-
lyste, la notion de « mémoire » et l’expérience du « souvenir ».
Troisième partie. L’hommage aux êtres chers
Au-delà de la scène familiale, l’autobiographie se charge d’une grande émotion
quand il s’agit pour l’écrivain de revenir sur les êtres chers et trop tôt disparus.
Profonde mélancolie de l’autobiographie, expression du sentiment de la perte
irréparable, en particulier quand revient le souvenir de la mère. C’est le cas des
textes d’Albert Cohen ou d’Olivier Adam = vibrant hommage à la mère morte et
expression profonde du chagrin.
Conclusion
L’autobiographie est à la fois plénitude et manque. Plénitude dans la restitution
par l’écriture des moments intenses et déterminants de l’enfance. Manque par
l’évocation des êtres qui ont disparu et dont l’absence provoque un infini chagrin.
Le portrait que trace l’écrivain de lui-même prend tout son sens à travers le jeu
entre le passé des scènes évoquées et le présent de l’écrivain qui raconte. Comment
échapper au roman, se demande-t-il sans cesse ? À quelles conditions l’écriture
de soi est-elle vraiment possible ?

3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Les étapes possibles dans le développement de la lettre :
• La manifestation d’admiration pour l’œuvre romanesque du destinataire…
• Le caractère particulier de cette œuvre dans sa dimension confidentielle,
humaine, authentique…

288
• Les intérêts d’entreprendre une autobiographie :
– l’âge, la maturité et la notoriété acquises : le bon moment pour se souvenir,
– l’explication par l’enfance et la scène familiale des décisions prises, des enga-
gements, des choix d’une vie,
– l’analyse par l’autobiographie de certains fantasmes, obsessions ou scènes récur-
rentes dans l’œuvre romanesque,
– le témoignage d’une époque passée, de rencontres importantes (d’autres écri-
vains ou personnalités),
– le défi littéraire : comment écrire une autobiographie originale aujourd’hui… ;
• La conclusion : succès garanti, intérêt certain des lecteurs…

289
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE

23 Les réécritures
(PAGES 292 à 302)

Tous les travaux effectués depuis longtemps sur l’intertextualité ont montré
la solidarité des textes entre eux. L’intertexte souligne les sources anciennes
et le dialogue que tout texte entretient avec les œuvres contemporaines.
La théorie de l’imitation a conduit les écrivains de l’âge classique à s’ins-
pirer des œuvres de l’Antiquité et à les prendre directement pour modèles,
pour rivaliser avec elles. Mais c’est partout, dans la littérature, que l’on
peut trouver des effets d’allusion, de reprise et d’écho d’un texte antérieur,
de variations autour d’un même thème, d’une même situation. D’une cer-
taine manière, le renversement parodique met en évidence ce lien entre les
textes en assumant pleinement la volonté de reprendre un modèle – pour
s’en moquer. C’est l’imitation elle-même qui est ainsi tournée en dérision.
Dès l’Antiquité grecque, les auteurs de parodies reprennent les épopées
d’Homère pour les traiter dans un style comique et familier. Au Moyen
Âge, la parodie s’exerce pendant les fêtes de carnaval sur les textes sacrés.
Et l’on retrouve la volonté parodique dans l’œuvre de Rabelais, comme
dans tous les romans comiques et les œuvres classiques travesties
(Théophile de Viau, Scarron, Sorel, Fougeret de Monbron, Voltaire…).
Cami, Allais, Queneau, Vian, Perec ont poursuivi au XXe siècle cette veine
satirique de la littérature.

OBSERVATION
(PAGES 292-293)

Introduction
Plus qu’aucun autre genre littéraire, la fable se prête immédiatement à la réécri-
ture : non seulement La Fontaine est dans toutes les mémoires, mais les principes
de la fable sont immédiatement identifiables, qu’il s’agisse de la mise en cause
des humains à travers la représentation des animaux, de l’articulation du récit à
la moralité, ou de la forme générale du texte, souvent très court, faisant alterner
rapidement tableau, action et dialogue. Nombreux sont ainsi les recueils de fables
qui prennent au XVIIIe siècle La Fontaine (qui lui-même s’inspirait d’auteurs
anciens) pour modèle. Le genre s’est imposé et s’expose au pastiche ou à la
291
parodie. Né en Bretagne, auteur maudit selon Verlaine, Édouard Joachim Corbière
(1845-1875) est l’un des poètes les plus originaux de la seconde moitié du XIXe
siècle. Ses Amours jaunes (publiées à compte d’auteur en 1873) ne connaissent
aucun succès. Corbière meurt à trente ans, fils d’un capitaine au long cours célèbre
pour ses romans d’aventures. Lui-même n’aura jamais su se fixer, appelant la
mort à travers la mélancolie de ses poèmes ou le choix de son pseudonyme,
Tristan, comme le jeu sur son nom : Corbière, corps destiné au tombeau. Ses
Amours jaunes approchent ainsi la vérité du sentiment à travers la dérision ou
l’émotion décalée, dans l’humour, dans la rature, dans la parodie, comme ici.

Réponses aux questions


I. Le recours aux modèles antiques
1. Dans ses Fables, Ésope met en scène les animaux. Il est (avec les Latins Phèdre
et Horace, mais aussi les apologues orientaux) l’une des sources principales de
La Fontaine. On retrouve ici le principe d’une société animale fort caractérisée,
qui représente la société des hommes. Présence des fourmis et des cigales qu’oppo-
sent leur caractère et leur comportement : épargne et goût du travail, prévoyance
d’un côté, insouciance et distraction de l’autre. Leur rencontre dure le temps d’un
récit bref et dramatisé, qui permet de tirer une leçon.

II. Les effets de reprises et d’échos


2. La Fontaine systématise l’opposition du couple qui structure la fable, en créant
une fourmi confrontée à une cigale, en développant le tableau de cette dernière
marquée par les rigueurs de l’hiver. Cependant il écrit des fables en vers.
3. Dans le contexte d’une actualisation de la fable à la culture du XIXe siècle, c’est
la Muse de la poésie qu’évoque Corbière à deux reprises dans le poème (v. 3
et 18). On peut voir aussi une allusion au monde des fées dans la marraine du
vers 4. Plus de fée penchée sur le berceau et le bureau de la Muse et du poète.

III. Le détournement d’un texte


4. et 5. Corbière s’offre le plaisir de parodier La Fontaine. La fable est célèbre et
dans toutes les mémoires. Et sans doute, en tant que poète, en tant que « cigale »,
Corbière est-il heureux d’en renverser complètement la morale (implicite), trop
austère, trop « conformiste » à ses yeux. Il joue sur l’homophonie entre les vers
de terre et les vers du poème. Il se met ainsi en scène lui-même, tantôt reprenant
strictement quelques vers (exemple : « intérêt et principal »), tantôt montrant une
joyeuse irrévérence à l’égard de son modèle. Il suffit de garder le rythme général
de la fable, le principe du couple, de la demande et de la réponse, qui la structu-
rent, les répliques les plus célèbres, pour permettre le renversement burlesque :
changement de cadre, changement de langue, changement de situation et de per-
sonnages. Changement de registre donc : la volonté moralisatrice de l’apologue
est très présente chez La Fontaine, dont le récit s’inscrit ainsi dans un registre plus
ou moins réaliste (par exemple dans l’évocation de l’hiver). Au sérieux du fabu-
liste s’oppose le registre comique de Corbière.
292
EXERCICES
(PAGES 296 à 298)

Analyser les modèles antiques


Exercice 1✢✢
1. Œdipe est le plus célèbre de tous les héros tragiques. C’est que, malgré toutes
les mesures pour fuir le destin qui lui a été prédit, il ne peut y échapper. Il tue
ainsi son père, Laïus, sans le connaître, et épousera ensuite sa mère. La tragédie
réside dans cette fatalité : les dieux condamnent Œdipe à assumer jusqu’au bout
ce destin, marqué par la mort, le quiproquo et la révélation atroce des crimes
accomplis.
2. Pour Corneille, comme pour tous les auteurs du théâtre classique, Sophocle
représente le modèle qu’il faut suivre. Depuis la Renaissance, la découverte des
auteurs de l’Antiquité conduit les écrivains à s’en inspirer, à les « imiter ». Il ne
s’agit pas de les copier simplement, mais de montrer que la tragédie, dans le siècle
de Louis XIV, est un genre noble qui s’appuie sur des auteurs anciens, et que la
langue française est capable de rivaliser avec eux. Corneille reprend tous les élé-
ments de la pièce de Sophocle (qui lui-même s’inspirait du mythe antique) pour
écrire sa tragédie. On retrouve dans l’extrait du texte C (en écho au texte B)
« l’ordre du ciel », la prédiction fatale (« Mon père à mon épée, et ma mère à mon
lit… ») et l’impossibilité d’échapper à son destin exprimée dans les derniers vers.
C’est aussi le langage de la tragédie sur lequel il faut s’arrêter : le langage soutenu
(« l’ordre du Ciel m’attache… »), le rythme solennel et ample de l’alexandrin, les
constructions symétriques (v. 4), les interjections (« Hélas »), les oppositions
(« fuir » / « plonger plus avant ») donnent au théâtre classique du XVIIe siècle un
rayonnement et une autorité dignes de ceux des Anciens.

Expliquer l’allusion et l’emprunt


Exercice 2✢
1.
Texte de Verlaine Texte de Gainsbourg
– je m’en vais (v. 13) – je m’en vais (l. 1, 4, 9, 11)
– tout suffoquant et blême (v. 7, 8) – tu suffoques, tu blêmis (l. 6)
– quand sonne l’heure (v. 8, 9) – à présent qu’a sonné l’heure (l. 6)
– je me souviens de jours anciens – tu te souviens des jours anciens
et je pleure (v. 10-12) et tu pleures (l. 5)
– les sanglots longs (v. 1) – tes sanglots longs (l. 12)
– au vent mauvais (v. 14) – « au vent mauvais » (l. 3)

2. Le vers 3 du texte de Gainsbourg montre explicitement qu’il fait référence au


poème de Verlaine dont il reprend la moitié des vers : « comme dit si bien Verlaine
“au vent mauvais” ».
293
Exercice 3✢
1. Les ressemblances entre les deux textes sont les suivantes :
– le thème de la servante fidèle et dévouée ;
– l’énumération des tâches effectuées ;
– le caractère des maîtresses qui ne sont ni l’une ni l’autre reconnaissantes (l’une
a les « fantaisies les plus saugrenues », l’autre n’est pas « une personne agréable ») ;
– le terme « fidèle » qui apparaît dans les deux textes et qualifie deux personna-
lités identiques, Nanon et Félicité.
2. Le second texte fait ainsi allusion au premier, auquel il renvoie de manière
implicite en faisant le portrait d’un personnage qui appartient déjà à la culture
du lecteur. Le texte de Flaubert est la reprise consciente du texte de Balzac : il ins-
taure une forme de complicité entre les deux auteurs, la reconnaissance du second
par le premier, l’hommage, à quarante ans de distance, du maître du réalisme
(Gustave Flaubert) à son plus illustre prédécesseur (Honoré de Balzac).

Étudier les variations


Exercice 4✢✢✢ Vers le commentaire
1. Le premier texte est un extrait du roman d’Émile Zola intitulé La Bête humaine
et publié en 1890. Ce récit s’inscrit dans la série de vingt romans consacrés par
l’auteur à son Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire.
Le second texte est l’extrait d’un recueil de poèmes publié en 1891 par le poète
parnassien François Coppée et intitulé « Le coup de tampon ».
Au-delà de leurs dimensions réaliste et tragique, les deux textes s’inscrivent dans
un registre épique : ils représentent tout deux la description d’une catastrophe
ferroviaire et de ses conséquences, en personnifiant les locomotives – qu’il s’agisse
de « la Lison » du roman ou des « deux dragons de fer » du poème – de manière
à donner à la scène une dimension épique que le lecteur découvre à travers le
regard horrifié d’un témoin. C’est pour les auteurs une manière d’inscrire leurs
œuvres dans le contexte de l’épopée industrielle de la fin du XIXe siècle, à une
époque où le chemin de fer fait figure de symbole de modernité.
Pour les thèmes et les procédés de style communs aux deux textes, voir réponse
à la question 2 ci-dessous.
2. Les thèmes communs aux deux textes sont celui du rail et de la violence pro-
duite par le choc. On retrouve ces thèmes développés à travers le lexique choisi
par les auteurs (voir le tableau ci-contre).
Mais on retrouve également dans les deux textes des procédés identiques qui
donnent aux scènes décrites une dimension épique :
– des comparaisons et des métaphores qui ajoutent à l’impression de violence, en
personnifiant les locomotives : « La Lison, éventrée, culbutait à gauche… » / « Les
deux dragons de fer se mordent au poitrail » ;
– des hyperboles, qui contribuent à l’amplification : « le train se dresser debout,
sept wagons monter les uns sur les autres » / « Les deux machines ont une lutte
effrayante » ;
294
Texte A Texte B
Le chemin «la voie», «train», «wagons», « wagons », « machines »,
de fer « toitures », « roues », « vapeur », « flamme »,
« portières », « chaînes », « eau bouillante », «flancs»,
« tampons », « vitre », « dragons de fer »,
« machine », « queue du « voyageurs », « voitures »,
train », « wagons », « rails ». « gare », « lumière ».
La violence « l’épouvante », « béants », « choc », « heurtés
« chose effrayante », violemment », « sinistre »,
«abominable craquement», « craquement », « lutte
« débâcle », « débris », effrayante », « crachant »,
«miettes», «enchevêtrement», « bouillante », « rugit »,
« défoncées », « brisées », «monstrueux», «se mordent»,
« morceaux », « broiement », « terribles », « jetés »,
« écrasement sourd », « cri « hurlement d’effroi »,
d’agonie », « éventrée », « émoi », « frayeur ».
« culbutait », « fendues »,
« éclats », « mine », « roulés »,
« traînés », « tués », « cris »,
« hurlements ».

– des accumulations, des énumérations, qui marquent la profusion : « un enche-


vêtrement de toitures défoncées, de roues brisées, de portières, de chaînes, de
tampons… » ;
– des phrases longues et complexes qui amplifient l’action représentée ;
– la modalité exclamative qui signale les sentiments du narrateur : « Oh ! Quel
choc ! »
On peut donc affirmer que les deux textes constituent une variation autour d’une
même situation, qui s’inscrit comme un mythe dans la mémoire collective du
lecteur. Le registre épique au XIXe siècle présente les grandes forces qui fondent
la civilisation industrielle : le thème de la catastrophe ferroviaire, comme celui de
la mine ou du capital, racontent l’affrontement du bien et du mal, l’arrachement
du monde au chaos, la bravoure de héros qui rivalisent avec Dieu ou encore les
éléments naturels. Émile Zola et François Coppée poursuivent donc à leur manière
la tradition de l’épopée.

Étudier l’adaptation d’un texte


Exercice 5✢✢
La Bruyère choisit de faire le portrait d’un personnage type, Hermippe, qui est
défini comme « l’esclave de ses petites commodités » (l. 1). Derrière Hermippe
se cachent l’ensemble de ceux qui, comme lui, perdent leur temps à chercher des
solutions complexes à de faux problèmes : il tient à la fois du « bricoleur » et du
maniaque. Le texte de Sophie Chevalier s’inspire de La Bruyère pour faire le por-
trait des Ridicules du XX e siècle. À travers « Alex-le-gadget », elle s’attaque à
295
l’ensemble de ceux qui sont toujours à l’affût des dernières nouveautés techno-
logiques, des objets qui encombrent notre quotidien et s’avèrent souvent inutiles.
Elle parodie La Bruyère en transposant quelques portraits de l’auteur classique
à l’époque contemporaine. C’est ainsi qu’Hermippe devient « Alex-le-gadget »,
tout en conservant ses caractéristiques.
Remarque. On peut rapprocher les deux textes sous forme d’un tableau.

Hermippe Alex-le-gadget
– « Imaginez, s’il est possible, – « met un point d’honneur à acquérir
quelques outils qu’il n’ait pas, et les ce qui existe de plus perfectionné »
meilleurs et plus commodes à son gré (l. 1 à 3) ;
que ceux mêmes dont les ouvriers – « La cafetière parlante donne des
se servent » (l. 1 à 4) ; nouvelles du monde en trois idiomes
– « Nul ne peut se comparer à lui pour différents » (l. 17 et 18).
faire en peu de temps et sans peine
un travail fort inutile » (l. 7 à 9).

On peut demander à l’élève de rédiger sa réponse. Le texte suivant peut alors


servir de corrigé.
Sophie Chevalier s’inspire de la tradition de la satire pour faire la critique de ses
contemporains, tourner en dérision leurs défauts et leurs ambitions. C’est ainsi
que, sur le modèle des Caractères de La Bruyère, elle fait le portrait des Ridicules
du XXe siècle. Elle choisit par exemple le personnage d’Hermippe, qui devient
aujourd’hui « Alex-le-gadget ».
Comme son prédécesseur classique, Alex est traité avec rudesse, cruauté même :
« se moque de ses amis qui notent encore leurs adresses et leurs rendez-vous dans
de jolis carnets rechargeables à couverture de cuir. Lui se sert d’un mini-PC qu’il
relie à son ordinateur de table pour transformer ou mettre à jour informations
et agendas. » Ou comment faire simple quand on peut faire compliqué… Mais
surtout, comme dans tout texte satirique, Sophie Chevalier use de l’exagération
pour provoquer le sourire du lecteur, qui reconnaît, au-delà d’Alex-le-gadget, les
défauts qui sont les siens. Qui n’a jamais fait l’acquisition d’objets inutiles en
effet ? Son personnage possède ainsi un paillasson qui « camoufle une alarme à
ultra-sons qui déclenche les aboiements furieux d’un faux pit-bull » (l. 13 à 15),
ou encore un « fer à repasser, un modèle japonais haut de gamme » qui « recolle
instantanément et sans fil les boutons de chemise à moitié décousus » (l. 18 à 21).
En définitive, chacun peut se reconnaître en Alex ou en Hermippe car, derrière
la satire, se cache une observation cruelle mais aiguë des défauts de chacun.

Étudier un pastiche et une parodie


Exercice 6✢
Le texte B reprend chacun des vers de la fable de La Fontaine en le transposant
dans un langage argotique : « Maître corbeau sur un arbre perché » devient ainsi
« Maître Corbeau sur un chêne mastard ». Il s’agit d’une parodie puisque Pierre
296
Perret reprend une œuvre célèbre en en changeant le niveau de langue. Son inten-
tion est de faire sourire l’auditeur.

Exercice 7✢
1. Le slogan de cette publicité pour l’eau Perrier est un jeu de mots : la lettre « o »
du nom de l’artiste Pablo Picasso est remplacé par le nom « eau » qui a la même
sonorité. L’eau de la source Perrier est identifiée à l’artiste : il s’agit donc d’une
eau exceptionnelle. Le plan moyen de la bouteille et du verre imite la manière de
peindre de Picasso dans sa période cubiste : tous les volumes sont éclatés, mis à
plat et disséqués en formes anguleuses et géométriques. Cette publicité a une
dimension ludique : elle crée une complicité avec le spectateur qui reconnaît immé-
diatement la manière de Picasso et sourit du détournement.
2. Cette image est un pastiche puisque le style de Picasso est imité de manière
plaisante, amplifié comme si toute la réalité se pliait à la perception singulière du
peintre. Cet exercice de style publicitaire rend hommage à l’immense talent de
Picasso dont la manière est immédiatement identifiable.

Exercice 8✢
Le texte B reprend dans ses deux premiers vers les mots et la structure du poème
source : « Le soleil prolongeait sur la cime des tentes » devient « Le soleil prolon-
geait sur les Champs-Elysées » puis « Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes »
se transforment en « Ces obliques rayons, ces flèches aiguisées ». Cette fidélité
permet au lecteur de comprendre que l’intention est de détourner le poème de
Vigny. Masson peut ensuite s’éloigner un peu plus du texte source dont il garde
la structure, les thématiques (présentation du décor, apparition d’un personnage)
et quelques expressions : « il se couche » (vers 4), « sur … un long coup d’œil »
(vers 8). Le texte de Masson est une parodie puisqu’il reprend un poème célèbre
en en changeant le registre. Le texte de Vigny s’inscrit dans un registre sérieux
(lexique soutenu pour évoquer la majesté du soleil, nom de personnages bibliques)
tandis que Masson adopte un registre plaisant en évoquant la scène triviale d’un
candidat passant le permis de conduire à Paris. Il cherche à faire sourire aux
dépens d’un poème clairement identifiable.

EXO-BAC
(PAGE 299)

Vers le sujet de dissertation


Lecture
1. Les trois textes sont construits sur le principe du calligramme que l’on trou-
vait déjà dans l’Antiquité et qui fut repris par les rhétoriqueurs du Moyen Âge.
Le texte épouse la forme du « thème » qu’il développe, de l’objet auquel il est
297
consacré. Il s’agit ici de faire l’éloge du vin. Rabelais inscrit son texte dans le
dessin d’une bouteille qui vient rompre la typographie habituelle du roman
Pantagruel ; Panard imite la forme d’un verre ; Apollinaire dessine une bouteille
contemporaine, sans se soucier de couper les mots. L’éloge repose ici sur l’en-
semble des termes valorisants qui mettent en évidence le plaisir de boire et les
effets du vin (« divine liqueur », « le jus qui rend gai, riant, content… », « l’an-
tique nectar »). On retrouve également dans les textes l’apostrophe (« Ô bou-
teille »), les tournures exclamatives (« Quelle douceur il porte au cœur »),
l’interpellation directe de la bouteille ou du verre (« je t’écoute » / « c’est toi »).
2. Les trois poèmes reposent sur le même principe : il s’agit de partir du conte-
nant (bouteille, verre) pour célébrer le contenu (le vin). Chaque fois, les procé-
dés de l’éloge se retrouvent et la mise en forme du calligramme est maintenue.
Très célèbre, le texte de Rabelais peut être considéré comme le texte-source, celui
qui fonde la série. Panard et Apollinaire s’y réfèrent, dans un jeu de reprise et de
complicité. La célébration de Bacchus est fort fréquente, on la retrouve ici : le vin
est « divin », il est de bon conseil, il suscite la joie et le bonheur. À travers la répé-
tition des 6 premiers vers repris à la fin, Rabelais crée un refrain, que l’on retrouve
également dans le texte B qui est vraiment une « chanson à boire ».

Écriture
Les trois poèmes proposés reposent sur un procédé commun : le calligramme. Le
poème reproduit la forme de l’objet auquel il est consacré. Bien qu’ils appar-
tiennent à des époques différentes (XVIe, XVIIIe et XXe siècles), ils font également,
tous les trois, l’éloge du vin, de ses vertus, des effets qu’il provoque. Cependant,
le texte que je préfère est celui de Panard.
L’extrait de Pantagruel me semble, en effet, trop inséré dans la trame du roman,
et la langue de Rabelais (habitée par de nombreuses références à l’Antiquité et à
la Bible) a vieilli. Amusant, le calligramme d’Apollinaire est malheureusement
trop court. En revanche, le poème de Panard restitue de manière très réussie la
forme d’un verre. On passe ainsi progressivement du vers le plus long (un déca-
syllabe) au plus cours (un monosyllabe). Les énumérations de verbes (v. 7 et 8)
ou d’adjectifs (v. 10 et 11) valorisent le vin de manière légère et gaie ; l’effet de
refrain à travers la répétition de « Tôt, Tôt, Tôt, Qu’on m’en donne » donne un
caractère très entraînant au texte. On l’imagine facilement repris en chœur comme
une chanson, dans un banquet ou une fête entre amis. C’est pourquoi à l’œil
comme à l’oreille, pour ainsi dire, ce texte me plaît beaucoup.

Critères de réussite
• Les marques de la première personne ;
• La confrontation argumentée des trois textes ;
• L’expression d’un jugement de valeur.

298
SUJET DU BAC
(PAGES 300-302)

I. Question
Michel Tournier ne se laisse pas simplement « inspirer » par Le Grand Meaulnes
d’Alain-Fournier ; on peut dire qu’il réécrit complètement une des scènes célèbres
du roman : la bataille des élèves dans la cour de récréation.
Il s’agit exactement du même jeu, décrit de manière identique, en soulignant l’in-
tensité des affrontements pour mettre en valeur le couple formé par le narrateur
et son ami. La composition générale du passage est la même : description des
groupes d’enfants d’abord, avec l’expression du « choc » (texte A, l. 7, 9), de la
« lutte » (texte A, l. 12, 18, etc. ; texte B, l. 12) et le champ lexical du combat,
avec l’image du cavalier et de sa monture présente dans les deux extraits (cf., par
exemple, le terme « désarçonner ») ; ensuite, représentation de l’ami du narrateur
qui, ici, « regardait d’abord » et, là, « avait embrassé toute la cour du regard »,
qui d’une part parle « entre ses dents », tandis que de l’autre « prononce quelques
mots qui ne s’adressaient à personne » ; puis formation du groupe des deux amis
qui, à travers la violence de la mêlée, remporte la victoire ; enfin, la scène s’achève
avec la gloire du héros, couronné par sa victoire.
Au-delà de la composition générale de l’épisode, c’est donc en utilisant les mêmes
termes et les mêmes images, en évoquant les mêmes sentiments parmi les prota-
gonistes, en reprenant les mêmes détails que M. Tournier reprend Alain-Fournier.
Pour ne citer qu’un seul de ces détails, dans Le Grand Meaulnes « le jeune garçon
debout » regarde le vainqueur avec « admiration » et dans Le Roi des Aulnes, les
deux héros sont entourés d’« un cercle d’admirateurs » dont se détache « un petit »
qui ramasse les lunettes tombées.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Éléments de réponse
Dans Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier donne aux paysages et aux person-
nages du roman un charme mystérieux et envoûtant, parfois proche du fantas-
tique, qui ouvre sur le monde du rêve et de la féerie. Mais c’est en recréant le
monde de l’enfance qu’il touche d’abord le lecteur. Le succès du roman, au
moment de sa parution comme aujourd’hui encore, tient à cette part de nostal-
gie. On y retrouve le souvenir des parents, la simplicité et la vérité du monde
rural, la complicité des premières amitiés sur les bancs de l’école, la découverte
du sentiment amoureux. Alain-Fournier reproduit l’ambiance chaleureuse de la
« communale », avec ses rivalités, ses jeux, ses rires et ses cris. C’est ainsi qu’ap-
paraît l’épisode du « tournoi de chevaux ». On retrouve dans ce passage toutes
les qualités de l’écrivain qui restitue avec force et précision le combat des enfants
dans la cour de l’école, profitant de cette scène nouvelle pour souligner une fois
de plus l’amitié exceptionnelle qui lie le narrateur avec son ami, son héros,
Augustin Meaulnes.
299
1. Un combat acharné dans la cour de l’école
Le passage est construit autour d’une scène, d’un épisode bien précis : le jeu
nouveau introduit par le « bohémien » (en qui Meaulnes voit un rival). À travers
le lexique et les images, la description du jeu lui-même souligne la transforma-
tion des élèves en chevaux et cavaliers et la transformation de la cour en enclos
d’un tournoi : « chevaux », « cavaliers », « désarçonner », « monture », « comme
un capitaine qui tient le mors de son cheval ». Les cache-nez sont transformés en
« lassos », les bras deviennent des « lances ». L’écrivain met en valeur l’intensité
du jeu et l’animation ainsi créée par les nombreuses indications de mouvements,
qui manifestent la vitesse des affrontements : « ils fondaient », « s’étaler dans la
boue », « roulant sous sa monture », « rattrapait », « regrimpaient », « grimper »,
« couraient et culbutaient », « je sautai », « mêlée »… Le caractère physique du
jeu est mis en valeur par la présence du corps (épaules, jambes, membres, mains,
cuisses…) et le lexique de la lutte : « choc », « acharnés à la lutte », « assommer »,
« groupe acharné », « combattants », « bataille », « violent coup de reins »… Le
lecteur est sensible à ce « tourbillon » au milieu duquel se distingue la figure
héroïque de Meaulnes.
2. Une amitié exceptionnelle.
L’amitié entre le narrateur et Meaulnes est d’abord exceptionnelle par la person-
nalité d’Augustin, qui ne se confond pas avec le reste des élèves. Son attitude le
distingue immédiatement du groupe : « debout sur le seuil de la classe » ; de mau-
vaise humeur, maugréant entre ses dents, méfiant, il se détache ainsi de l’ensemble
comme le fait le héros, et acquiert d’autant plus de poids, de présence, au moment
où il entre dans le jeu. Cela va vite (« en une seconde », « en moins de rien ») ; on
fuit en criant devant le nouveau combattant ; ses adversaires « tombaient dans la
boue ». C’est un véritableinstant de gloire, l’euphorie d’un « triomphe » que repré-
sente la bataille pour le narrateur. Tout au long de l’épisode, il n’aura cessé d’obéir
à son ami, fusionnant avec celui qui mérite une fois de plus d’être appelé «le grand
Meaulnes » (comme on le dit d’un grand chef militaire), ayant vaincu son rival,
« le nouveau chef », et suscité « une immense admiration ».
On comprend le prestige particulier dont jouit Le Grand Meaulnes dans l’esprit
de ses admirateurs. Alain-Fournier sait donner un charme extraordinaire à ces
scènes simples et banales qui ponctuent la vie des élèves de l’école, mais repré-
sentent à leurs yeux un instant magique de bonheur et de révélation. Qui ne garde
au fond de son cœur le souvenir mélancolique ou réjoui de ces moments vécus
avec plénitude ? On comprend le rayonnement, et l’influence, de chacun des épi-
sodes du roman lorsque l’on voit Michel Tournier lui rendre hommage en réécri-
vant, plus de cinquante après la publication du livre d’Alain-Fournier, la scène
du tournoi dans son livre Le Roi des Aulnes.

2. Dissertation
Éléments de réponse
Depuis la redécouverte des écrivains de l’Antiquité au Moyen Âge (et dans
l’Antiquité elle-même), les œuvres littéraires ne cessent de se faire écho l’une à
l’autre. Longtemps on a considéré comme nécessaire le fait pour un auteur de
300
s’inspirer d’une source antique. L’écrivain n’était pas alors « une pie voleuse »,
comme l’écrit Michel Tournier définissant sa propre pratique, puisque le retour
à un texte ancien était une obligation, puisque c’était là, précisément, la condi-
tion pour innover. Il est vrai que les formes de la réécriture sont elles-mêmes si
diverses ! Certaines aboutissent à l’apparition d’un nouveau chef- d’œuvre ;
d’autres, malgré toutes leurs qualités, semblent se limiter à n’être qu’une sorte de
jeu littéraire. On pourra ainsi distinguer dans un premier temps l’importance de
« l’imitation » dans la création d’un nouveau chef-d’œuvre ; puis étudier le cas
particulier du pastiche et de la parodie ; avant de s’interroger enfin sur la singu-
larité de Michel Tournier dont les œuvres romanesques entretiennent systémati-
quement un rapport étrange avec un « texte source ».
1. La création fondée sur l’imitation
À l’âge classique, l’admiration pour les Anciens et le principe de l’imitation enga-
gent à prendre pour modèles les grandes œuvres de l’Antiquité : Corneille et
Racine reprennent les situations et respectent le niveau de langage et le registre
des pièces de Sophocle ou d’Eschyle. De la même manière La Fontaine reprend
les fables des Anciens pour devenir « l’Ésope et le Phèdre français ». Mais il y a
chaque fois transformation, renouvellement profond, véritable création littéraire.
De la même manière, quand les dramaturges du XXe siècle, Giraudoux et Anouilh
par exemple, s’inspirent des auteurs classiques dans La guerre de Troie n’aura
pas lieu ou dans Antigone, ils aboutissent à des œuvres absolument originales où
se mêlent le respect du texte source et l’invention de situations dramatiques répon-
dant aux préoccupations du spectateur contemporain, portées par une langue
originale.
Enfin, nombreux sont les écrivains qui partagent l’exploitation d’un même thème
(la fuite du temps, la mélancolie amoureuse…) ou d’un personnage mythique qui
appartient à la mémoire collective. Combien d’auteurs, après les écrivains espa-
gnols, après Molière, ont consacré une œuvre au personnage de Don Juan ! Mais
c’est, chaque fois, pour prendre la plus grande liberté avec les œuvres auxquelles
ils font écho.
2. L’importance du pastiche et de la parodie
Dès l’Antiquité, des parodies reprennent les genres nobles commel’épopée ou la
tragédie pour les traiter dans le style comique. Cette tradition ne cessera jamais :
parodie des textes sacrés au Moyen Âge, parodie burlesque de la poésie amou-
reuse au début du XVIIe siècle chez Théophile de Viau ou Régnier, parodies sys-
tématiques des œuvres de la Comédie-Française ou de l’Opéra au théâtre de la
Foire, vaudevilles et opérettes d’Offenbach parodiant les thèmes antiques, parodie
de Madame Bovary par Raymond Queneau. C’est ainsi que Scarron a écrit un
Virgile travesti, Marivaux L’Homère travesti ou l’Iliade en vers burlesques. La
parodie est une tradition littéraire, de même que le pastiche qui conduit Marcel
Proust à rendre hommage aux écrivains qu’il admire à travers une série de pas-
tiches éblouissants. Peut-on vraiment parler de création ?
Généralement pastiches et parodies gardent aux yeux du lecteur d’aujourd’hui
un caractère secondaire. On les lit avec plaisir, sans mettre sur le même plan les
œuvres originales et les textes qui les imitent, sans mettre sur le même plan chez
301
un auteur ses œuvres « parodiques » et ses œuvres « sérieuses ». Cependant l’in-
tention parodique peut aboutir à de véritables chefs-d’œuvre, comme par exemple
Le Roman comique de Scarron, écrit en contrepoint des romans précieux et
« romanesques », ou Les Amours jaunes de Tristan Corbière qui, à travers la
reprise parodique, laissent entendre une voix intime et personnelle.
On assiste ainsi à des renversements étranges : pour écrire « L’albatros », Charles
Baudelaire reprend un poème de Polydore Bounin. Mais celui qui lit les deux
textes aujourd’hui a l’impression que c’est Bounin qui parodie Baudelaire !
3. Le cas particulier de Michel Tournier
Michel Tournier montre dans l’écriture de ses romans une stratégie particulière :
il part systématiquement d’une œuvre ancienne. C’est ainsi que Vendredi ou les
Limbes du Pacifique reprend Robinson Crusoé de Daniel Defoe, que Le Roi des
Aulnes s’appuie sur Le Grand Meaulnes, qu’on retrouve dans son œuvre les rois
mages ou encore le personnage de Pierrot, issu de la commedia dell’arte.
Mais c’est chaque fois un rapport particulier entretenu entre les deux textes, qui
conduit jusqu’à un complet renversement : dans Vendredi, c’est la vie sauvage qui
triomphe contre les certitudes du naufragé britannique qui impose son ordre.
Bien sûr, Le Roi des Aulnes rime, si on peut dire, avec Le Grand Meaulnes, de
même que Michel Tournier rime avec Alain-Fournier, mais les deux romans diver-
gent absolument à travers les thèmes et les situations, même quand le point de
départ peut paraître identique ! Michel Tournier se présente comme « une pie
voleuse » ou un « vampire », mais la puissance créatrice du romancier est telle
qu’elle fait absolument oublier ses sources pour imposer de nouveaux chefs-
d’œuvre.
On le voit, les rapports d’un « texte second » par rapport à un « texte source »
peuvent être multiples. La réécriture peut aboutir à des textes secondaires, pour
ainsi dire, mais également à de véritables chefs-d’œuvre, quiapparaissent supé-
rieurs à leur modèle. Il faut alors faire l’éloge de la « pie voleuse », de l’écrivain
qui « ramasse à droite et à gauche » pour construire son œuvre propre, de celui
qui se laisse influencer pour créer finalement une œuvre singulière où se recon-
naît magistralement sa signature.

3. Écrit d’invention
Éléments de réponse
Givenchy,
le 10 mai
Cher monsieur,
C’est avec une grande émotion que je me permets de vous écrire pour vous faire
part de ma profonde admiration à la lecture du Roi des Aulnes… Déjà j’avais lu
passionnément vos autres romans, vos contes, vos essais. En particulier Vendredi
ou les Limbes du pacifique – de même que sa réécriture pour enfants, Vendredi
ou la Vie sauvage – a été pour moi une révélation, où se mêlait le plaisir de lire
avec la réflexion sur la reconnaissance des valeurs de « l’Autre » que défend le
roman…
302
Cependant, puis-je vous l’avouer ? j’ai été d’abord très gêné de retrouver dans
l’une des plus belles pages du Roi des Aulnes la reprise presque terme à terme
d’un épisode du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Même situation, mêmes
termes, mêmes images… J’ai été tout à fait indigné ! Il me semblait que vous aviez
commis un plagiat qui devait être dénoncé, qu’il n’était pas digne d’un écrivain
aussi prestigieux que vous d’aller puiser son butin chez un autre, que c’était mépri-
ser votre lecteur de penser qu’il ne s’apercevraitde rien…
Heureusement cette première impression s’est rapidement dissipée. J’ai pris le
temps de réfléchir et je me suis aperçu que la reprise d’un texte ancien était chez
vous systématique, qu’elle n’empêchait en rien la création d’une œuvre absolu-
ment originale, que celle-ci divergeait très vite de sa source pour aboutir à un
complet renversement de situation et de sens… de sorte que c’est harmonieuse-
ment, si je puis dire, que Le Grand Meaulnes et Le Roi des Aulnes se retrouvent
côte à côte dans ma bibliothèque et que riment en moi les noms de deux roman-
ciers majeurs de la littérature française.
Je vous prie de croire, cher Michel Tournier, à…

303
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE

24 Les questions sur le corpus


(PAGES 303 à 326)

Rappel du Bulletin officiel n° 26 du 28 juin 2001


L’épreuve écrite du baccalauréat prend appui sur un ensemble de textes (corpus)
distribués au candidat, éventuellement accompagnés par un document icono-
graphique si celui-ci contribue à la compréhension ou enrichit la signification de
l’ensemble. Ce corpus pourra également consister en une œuvre intégrale brève
ou un extrait long (n’excédant pas trois pages). Il doit être représentatif d’un ou
de plusieurs objets d’étude du programme de Première imposés dans la série du
candidat, et ne doit pas réclamer à celui-ci un temps de lecture trop long.
Une ou deux questions portant sur le corpus et appelant des réponses rédigées
peuvent être proposées aux candidats. Elles font appel à leurs compétences de
lecture et les invitent à établir des relations entre les différents documents et à en
proposer des interprétations. Ces questions peuvent être conçues de façon à aider
les candidats à élaborer l’autre partie de l’épreuve écrite : la partie principale
consacrée à un travail d’écriture.
Lorsque de telles questions sont proposées, le barème de notation est explicite-
ment indiqué, le nombre de points attribué aux questions n’excède pas 4 points
dans les sujets des séries générales et 6 points dans les sujets des séries technolo-
giques.
L’exemple de corpus proposé pages 304-305 s’appuie sur deux objets d’étude : la
poésie et le biographique. Il s’agit de trois poèmes qu’il faut confronter, trois
formes poétiques issues d’époques diverses et présentant une réflexion de leur
auteur sur un événement capital de leur existence.

305
EXERCICES
(PAGES 310 à 322)

Découvrir les textes du corpus


Exercice 1✢
1. Le thème développé par le corpus est celui de l’amour, de la première rencontre
amoureuse ayant marqué la vie de deux adolescents. C’est à seize ans que
Rimbaud rédige ce poème de jeunesse et les notes qui l’accompagnent. Au
contraire, Le Temps des amours, publié en 1977, trois ans après la mort de son
auteur, constitue le dernier volume de la tétralogie autobiographique de Marcel
Pagnol. Le registre des deux textes diffère : là où Rimbaud exprime son ravisse-
ment de manière lyrique, Pagnol choisit l’ironie que lui procure la distance le
séparant de cet événement qui, d’ailleurs, ne le concerne pas personnellement,
puisque le narrateur évoque dans cet épisode la rupture de son ami Lagneau.
2. Le paratexte fournit les références de l’œuvre : auteur, titre, année de publica-
tion. L’exercice – qui peut paraître trop simple – a pour objectif de familiariser
les élèves avec l’observation du paratexte, trop souvent négligée, et qui apporte
pourtant des indications essentielles à la compréhension des textes du corpus.
3. L’indication « posth. » signifie que l’œuvre a été publiée à titre posthume, c’est-
à-dire après le décès de son auteur. Si les deux textes proposés sont des ouvrages
posthumes, leur nature est différente : le poème de Rimbaud est une œuvre de jeu-
nesse, que le poète n’a pas jugé bon de publier de son vivant, la jugeant probable-
ment mineure ; le roman autobiographique de Pagnol est l’œuvre inachevée d’un
académicien qui a entrepris la rédaction de ses Souvenirs à l’âge de soixante ans et
n’aura pas le temps de mener le projet à son terme. Les dates de naissance et de
décès des deux auteurs, indiquées par le paratexte, justifient la mention « posth. ».

Exercice 2✢✢
1. Le thème commun aux trois documents du corpus est constitué par l’épopée
napoléonienne, et plus précisément à la retraite de Russie (1812), évoquée à
travers un poème de Victor Hugo, un tableau de Weiberzahl et les mémoires de
Chateaubriand. Les réseaux lexicaux du froid et de la souffrance dominent ainsi
dans les deux textes et trouvent de larges échos dans le document iconographique.
2. On peut proposer aux élèves d’analyser le corpus au moyen d’un tableau, dont
la première entrée serait constituée par les références des différents documents :

Texte A Doc. iconographique Texte B


Références – auteur : Hugo – auteur : Weiberzahl – auteur :
– œuvre : – œuvre : Napoléon Chateaubriand
Les Châtiments se retire de la Russie, le – œuvre : Mémoires
– publication : passage de la Bérézina du d’outre-tombe
1853 26 au 28 novembre 1812 – publication :
1849-1850
306
3. Le paratexte fournit un certain nombre d’indications utiles pour comprendre
le contexte historique des événements évoqués par le corpus : l’introduction du
poème en dégage le thème (l’armée de Napoléon) et précise le cadre des événe-
ments qui y sont racontés (l’échec de l’empereur devant Moscou, brûlée volon-
tairement par les Russes afin que l’hiver surprenne la Grande Armée) ; le titre
du tableau donne un cadre historique très précis aux événements dépeints (la
retraite de Russie et le passage du fleuve Bérézina, à la fin du mois de novembre
1812).
4. Le document iconographique est un tableau. Sa présence dans le corpus permet
d’illustrer les événements évoqués dans les textes et d’aider à leur compréhen-
sion.

Rechercher l’unité du corpus


Exercice 3✢
• Corpus 1 : L’autobiographie
• Corpus 2 : Le théâtre : texte et représentation
• Corpus 3 : L’autobiographie
• Corpus 4 : La poésie
Remarque. Le ou les objets d’étude illustrés par le corpus proposé à l’examen
sont indiqués clairement dans le libellé du sujet. Il nous a néanmoins paru inté-
ressant de faire travailler les élèves sur les liens qu’entretiennent entre eux les dif-
férents textes proposés par les sujets d’examen. En effet, les questions de lecture
ou les travaux d’écriture entretiennent un lien étroit avec les objets d’étude ins-
crits au programme de Première et ne peuvent être bien traités que si l’élève a
préalablement réfléchi à ce qui fonde l’unité du corpus. L’exercice permet en outre
d’observer la variété des types de corpus proposés à l’examen : de un à cinq textes,
parfois accompagnés d’un document iconographique ou d’un document annexe,
généralement un écrit théorique qui permet de contextualiser l’un ou l’autre des
textes étudiés.

Exercice 4✢
1. Le corpus est constitué de deux fables (documents A et C) et de l’extrait d’un
conte philosophique : c’est donc l’apologue qui est étudié à travers ces trois textes.
2. Le paratexte fournit un certain nombre d’informations qui peuvent aider à la
contextualisation, à la compréhension et à l’analyse des textes : la liste des textes
du corpus, comme sur les sujets d’examen, indique clairement le nom des auteurs,
leurs dates de naissance et de décès, le titre des œuvres, ainsi que leur date de
publication ; chaque introduction évoque le contexte historique, biographique
ou littéraire de la publication de l’œuvre ; les notes apportent des indications sur
le sens de certains des termes ou des expressions, rares ou vieillis, contenus par
les textes.
307
3. Chacun des apologues présente un court récit accompagné d’une leçon.
– La moralité proposée par le texte A est contenue dans les quatre derniers vers
de la fable : la grenouille sert de comparant à une humanité vaine et ambitieuse ;
la grenouille et le bœuf sont les « comparants » des bourgeois, des petits princes
et des marquis, qui veulent imiter les rois.
– À travers son conte philosophique, Voltaire veut à la fois séduire le lecteur par
la vivacité du récit, tandis que la situation du personnage est l’occasion d’une
réflexion philosophique, d’un enseignement : Candide et ses amis découvrent le
monde, le « bon vieillard » leur donne une leçon de sagesse, loin des tumultes du
monde (lignes 12 à 20). Son mode de vie est, par lui-même, une réponse à toutes
les violences du pouvoir : il annonce la morale finale de Candide (« Cultivons
notre jardin »).
– Dans la fable de Florian, le crocodile symbolise la méchanceté, tandis que l’es-
turgeon est le symbole de la bonté ; la morale délivrée par cette allégorie débouche
sur un constat pessimiste et désabusé. Florian constate que le méchant est sans
scrupules ni remords : le discours moralisateur de l’esturgeon est vain car il ne
parvient pas à changer le cours naturel des choses.

Exercice 5✢
• Le corpus 1 porte d’abord sur l’objet d’étude : Le théâtre : texte et représenta-
tion. Cependant, à travers le choix de textes argumentatifs (deux dialogues et un
essai), il s’inscrit également dans l’objet d’étude : Convaincre, persuader et déli-
bérer : les formes et les fonctions de l’essai, du dialogue et de l’apologue.
• Le corpus 2 comporte trois fables. Il s’inscrit donc dans l’objet d’étude :
Convaincre, persuader et délibérer : les formes et les fonctions de l’essai, du dia-
logue et de l’apologue. La nature des textes permet cependant d’envisager des
questions sur un second objet d’étude : La poésie.

Exercice 6✢✢✢
1. Les marques du roman présentes dans chacun des textes du corpus :
– le texte A est extrait d’un roman de Romain Gary, qui obtint le prix Goncourt
sous le pseudonyme d’Émile Ajar en 1975, La Vie devant soi. Il s’agit d’un roman
écrit à la première personne, qui prend l’apparence d’un récit autobiographique.
Le narrateur évoque dans ce passage son enfance à Belleville ;
– le texte B est extrait du roman d’Albert Camus, La Peste, publié en 1947. Il
s’agit d’un roman écrit à la première personne par un narrateur anonyme. On ne
découvre son identité qu’à la fin du roman : il en est le personnage principal, le
docteur Bernard Rieux. L’extrait évoque le moment où, à Oran, les habitants se
retrouvent peu à peu isolés du reste du monde par la peste ;
– le texte C est extrait du dernier roman de Flaubert, inachevé, Bouvard et
Pécuchet. La lettre fictive qu’il contient se caractérise par une mise en page par-
ticulière ; l’en-tête (« Étude de maître Tardivel, Notaire »), le lieu et la date
(« Savigny-en-Septaine, 14 janvier 1939 »), la formule d’appel (« Monsieur »), la
formule de politesse et la signature donnent au lecteur l’illusion qu’il s’agit d’un
courrier officiel, d’une lettre bien réelle.
308
2. et 3. L’extrait A met en scène un petit garçon, et c’est le regard de cet enfant
que le narrateur adopte pour raconter son histoire. Il ne comprend donc les évé-
nements que de manière limitée.
L’extrait B adopte le point de vue d’un narrateur qui fait la chronique des évé-
nements qu’il a vécus, entraînant ainsi derrière lui le lecteur qui découvre les
progrès de l’épidémie et ses conséquences sur les habitants d’Oran.
L’extrait C adopte le point de vue d’un narrateur totalement neutre, extérieur à
l’histoire racontée : il se contente d’observer les deux personnages, Bouvard et
Pécuchet. C’est ainsi que le lecteur, comme les personnages, peut lire la lettre reçue
du notaire, puis découvrir dans la suite du roman les heurts et malheurs succes-
sifs qu’elle entraînera.

Répondre à une question


sur le genre ou le registre
Exercice 7✢
1. Le texte A est constitué par un récit : il s’agit d’un conte de Maupassant, qui
met en scène une nuit passée à la campagne par le narrateur, en compagnie d’un
groupe de personnes terrorisées dans l’attente d’un revenant qui viendrait se
venger. Le chien du garde contribue à augmenter le sentiment de panique collec-
tive par ses hurlements. L’utilisation de la première personne du singulier, l’usage
de l’imparfait et du passé simple, l’alternance des passages narratifs et descrip-
tifs, le recours au dialogue sont les principales caractéristiques du genre roma-
nesque, qu’on retrouve dans ce passage.
Le texte B est un poème de Jules Laforgue qui évoque, lui aussi, le hurlement d’un
chien qui déclenche une série d’images lugubres et terrifiantes. Le tercet revient
comme un refrain entre les deux quatrains : interjections et plaintes exclamatives
et interrogatives sollicitent le lecteur, rappellent aux vivants qu’ils sont mortels.
L’alexandrin, la disposition en strophes (deux quatrains encadrant un tercet), le
système des rimes sont les principales caractéristiques du genre poétique, qu’on
retrouve dans ce passage.
2. Les deux textes, bien qu’appartenant à des genres littéraires différents, s’ins-
crivent tous les deux dans le registre fantastique : le thème de la peur se développe
d’un bout à l’autre du conte (d’ailleurs intitulé La Peur), à travers l’indication de
ses manifestations physiques : « terreur », « voix égarée », « lugubres hurlements
qui font tressaillir… », « comme hanté d’une vision », « quelque chose d’inconnu,
d’affreux », « livide », « égarées »… Le sentiment de terreur est partagé part tous
les protagonistes, du plus vieux (le garde) aux plus jeunes (les fils), des hommes
à l’animal.
De même, dans le poème, c’est l’angoisse qui domine à partir d’un bruit entendu,
auquel succèdent des sons déchirants : « j’entendrai », « aboiement », « ulule »,
« avez-vous entendu », « cri déchirant », « sifflet aigu ». À ce premier champ lexical
se mêlent immédiatement des images effrayantes, aux vers 2 et 3, comme aux
vers 10 et 11. Le paysage est toujours sombre ou solitaire : « landes sans borne »,
309
« ciel morne », « fosse noire », « nuit lamentable ». Comme « l’averse et la pluie »,
il s’accorde à la tristesse (« pleurer ») et au rappel de la mort.

Exercice 8✢✢✢
1. Le corpus de textes porte sur l’objet d’étude : La poésie. Il permet de vérifier
la richesse et la diversité des formes que prend le texte poétique. On peut carac-
tériser celles-ci au moyen d’un tableau comparatif qui montre que la poésie ne
cesse d’évoluer, en cherchant un langage qui lui soit propre :

Texte A : le poème
Texte B : le poème Texte C : le poème
de forme fixe :
de forme libre en vers libres
le pantoum
D’origine orientale, il Les rimes sont Le poème est plus ouvert
repose sur la répétition irrégulières ; le poème est encore : variété de mesures,
du 2e et du 4e alexandrin cependant composé fausses rimes (en « é », en
de chaque quatrain, de deux strophes « ire », en « er »), à
repris en position de 1er d’octosylabes, comme l’exception du dernier vers ;
de 3e vers du quatrain dans les anciennes la mise en espace du texte
suivant. formes médiévales. (centré) est elle aussi
originale.

2. Tableau rédigé : Le corpus met en évidence l’évolution des formes poétiques


depuis la seconde moitié du XIXe siècle.
Tout le poème de Baudelaire repose sur le jeu des images : comparaisons et méta-
phores se succèdent jusqu’au dernier mot. Le poème est un pantoum : d’origine
orientale, il repose sur la répétition du second et du quatrième alexandrin de
chaque quatrain, repris en position de 1er et 3e vers du quatrain suivant. On pense
au refrain, comme dilué, d’une chanson ou au rythme d’une danse : « Valse mélan-
colique », dit le texte.
Le poème d’Éluard adopte une forme plus libre, dans la longueur des vers, dans
l’absence ou l’irrégularité des rimes. Il est cependant composé de deux strophes
de six octosyllabes, comme dans les anciennes formes médiévales.
« Le jardin » de Prévert est plus ouvert encore : variété de la mesure des vers,
fausses rimes à l’exception du dernier vers (en décalage du ton lyrique), et mise
en espace originale du texte, dont chaque vers est centré sur la page. La poésie
ne cesse ainsi d’évoluer, en cherchant un langage qui lui soit propre.
3. Dans « Harmonie du soir », Baudelaire réserve au dernier vers l’irruption de
deux acteurs du drame intime : la femme aimée et perdue dont le souvenir per-
siste dans le cœur du poète, comme une lumière dans la nuit qui tombe tout au
long du texte : « Ton souvenir en moi. » À l’inverse, Éluard dessine le portrait
d’Elle présente sous ses yeux : « Elle est debout sur mes paupières. » Chaque vers
est l’occasion de tresser des liens entre les deux amants. Dans la première strophe,
le poète est représenté par l’adjectif ou le pronom possessifs ; dans la seconde, il
l’est sous la forme du pronom « me ». Enfin, Prévert condense au milieu de son
poème l’échange d’un baiser (vers 5 et 6), qui unit les amants une seconde d’éter-
310
nité : à travers la répétition, avec échange des pronoms, le texte scelle le baiser
fugitif.

Répondre à une question


sur l’énonciation
Exercice 9✢✢
1. Le corpus de textes représente trois genres théâtraux distincts. Le texte A est
un monologue extrait de la tragédie de Racine, Iphigénie. Le texte B est un dia-
logue extrait de l’exposition de la comédie de Regnard, Le Divorce. Le texte C
est également un dialogue, mais il mêle le comique et le tragique, illustrant ainsi
les conceptions nouvelles du drame romantique, affirmées par Hugo dans sa
Préface de Cromwell (en annexe).
2. Les textes A et B s’inscrivent dans des registres différents, voire opposés, direc-
tement liés au genre théâtral qu’il illustrent.
Le texte A s’inscrit ainsi dans le registre tragique. On le voit notamment à travers
l’étude du lexique : réseaux lexicaux de la mort et de la souffrance (« noyer »,
« abîmes », « criminelle », répétition du mot « sang », etc.), images saisissantes
(« De festons odieux ma fille couronnée/Tend la gorge aux couteaux par son père
apprêtés »), exclamations désespérées (« ô ciel ! ô mère infortunée ! »), apostrophes
(« Barbares, arrêtez ! »).
Le texte B s’inscrit au contraire dans le registre comique. Les situations, les
répliques, les quiproquos appellent le rire du lecteur ou du spectateur : procédés
de l’exagération (« dans deux petites heures, votre affaire sera faite », l. 8-9),
poussée jusqu’à l’absurde (« j’ai bien été trois mois entiers après une barbe, et
tandis que je rasais d’un côté, le poil revenait de l’autre », l. 13-15), comique de
geste proche de la farce (l. 30 à 39).
3. Le registre comique laisse progressivement place au registre tragique dans le
texte C. Le début de la scène place Don Carlos dans une situation ridicule: il doit
entrer, sous l’injonction de Doña Josépha, dans une « armoire étroite ». Il accom-
pagne d’abord à contrecœur cette obligation de répliques teintées d’humour
(« Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure/Le manche de balai qui te sert de
monture ? », vers 11-12), avant de laisser planer des menaces à mesure que la
situation se modifie, avec l’arrivée de Doña Sol. Le dernier vers de l’extrait fait
ainsi basculer la scène dans le tragique : « Si vous dites un mot, duègne, vous êtes
morte. »
Cette présence de plusieurs registres à l’intérieur d’une même pièce, et ici d’une
même scène peut être expliquée au moyen de la Préface rédigée par Victor Hugo
pour sa pièce Cromwell, considérée comme l’acte de naissance du drame roman-
tique. Hugo réclame ainsi un théâtre nouveau, « passant d’une naturelle allure
de la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque » (l. 5-6). Il brise ainsi les
conventions du théâtre classique et dépasse le caractère baroque de la tragi-
comédie en revendiquant par ailleurs un « vers libre » (l. 3), « sachant […] dépla-
cer la césure pour déguiser sa monotonie d’alexandrin » (l. 8-10).
311
Exercice 10✢
1. Les marques de l’énonciation présentes dans le texte :
– les indices personnels : présence des pronoms de la première personne (« nos »,
l. 10 ; « Je », l. 32) et de la deuxième personne (« vous », l. 23) ;
– les temps verbaux : c’est le présent qui domine (« Prenez », l. 1 ; « C’est », l. 3 ;
« nous avons », l. 10 et 11, etc.), mais on trouve également du passé composé,
lorsque l’auteur évoque le passé, et des verbes conjugués au futur simple, dans le
dernier paragraphe, lorsqu’il évoque l’avenir (« seront », l. 33) ;
– les indicateurs de temps et de lieu : « une galère antique » (l. 1), « là » (l. 5),
« jusqu’à nos jours » (l. 10), « sous Louis XIV » (l. 12), « alors » (l. 17), « Dans
l’Antiquité » (l. 23). L’auteur évoque le passé pour le comparer au présent, de
manière à faire l’éloge des progrès scientifiques ;
– les modalisateurs de certitude : « presque » (l. 10, l. 24), « Je suis convaincu »
(l. 32), « toujours » (l. 35), « la plus sûre » (l. 39 et 40) soulignent l’adhésion de
Renan à son propre discours, participent à la force de persuasion de l’argumen-
tation ;
– les indices du sentiment et du jugement peuvent être classés en fonction de leurs
connotations, négatives lorsqu’il s’agit d’évoquer le passé (« enfer », l. 4 ; « cruels »,
l. 8), positives lorsqu’il s’agit d’évoquer le présent (« insignifiante », l. 22) et l’ave-
nir (« libre », « heureuse », « morale », l. 37).
2. Le système énonciatif met en place un échange entre l’émetteur et le destina-
taire de manière à les impliquer tout deux dans l’argumentation. Le texte com-
mence par une apostrophe (« Prenez ») qui s’adresse directement au lecteur.
Celui-ci est ensuite régulièrement sollicité, de manière à relancer son attention :
fausses questions (« Pourquoi ces horreurs ? », l. 16), adresses (« vous avez un
autre travail », l. 23), supplications (« Aimez la science. Respectez-la, croyez-
le… », l. 38 et 39). C’est ainsi qu’une relation de complicité s’instaure peu à peu
entre l’écrivain et son lecteur.

Exercice 11✢✢
1. Le poème de Lamartine s’ouvre sur le retour du poète au lieu d’une intimité
heureuse et partagée. Les trois premières strophes évoquent les circonstances d’un
rendez-vous où la femme attendue est désormais absente. Le poète rapporte alors
le souvenir particulier d’une soirée passée sur le lac et des paroles de Julie Charles.
On peut ainsi distinguer le récit effectué par le poète (strophes 1 à 4) des mots
chéris prononcés par sa maîtresse (strophe 5), qu’il recueille pieusement. Les
marques du récit se retrouvent donc dans les premières strophes (parti-culière-
ment à travers les temps du passé), tandis que les marques du discours caracté-
risent la dernière. De même, la construction de la strophe est différente : dans la
première partie, un hexamètre succède à trois alexandrins; dans la seconde, l’hexa-
mètre alterne avec l’alexandrin de manière continue.
2. Dans les quatre premières strophes, le destinataire est le lac auquel s’adresse
le poète romantique, comme le révèlent le premier vers (« Ô lac ! ») et les pronoms
utilisés (« tu », v. 4, 6 ; « tes ondes », v. 7 ; « Tes flots », vers 12). Dans la dernière
312
strophe, c’est la femme aimée, Julie Charles, « la voix qui m’est chère », qui prend
la parole.
3. Il s’agit pour le poète d’évoquer le souvenir des paroles prononcées par celle
qu’il aimait, ce qu’elle a dit lorsqu’ils étaient ensemble au bord de ce même lac :
la prise directe de la parole ressuscite la présence de la femme aimée et l’adresse
au lac rend plus présent le cadre de ce souvenir intense.

Répondre à une question sur le lexique


Exercice 12✢✢
1. Le réseau lexical de l’altitude – « grandes », « monter », « debout », « élevées »,
« ciel », « à ses pieds », « grandes », « cercles immenses » – peut être interprété de
deux manières : Julien recherche l’altitude afin de s’isoler ; il a donc le regard
tourné vers le haut, puis vers le bas, lorsqu’il se retrouve seul, « debout sur son
grand rocher » (l. 25), au début du second paragraphe. On peut également deviner
que cette ascension effectuée par le héros est symbolique de l’ascension sociale
qu’il est en train de mener.
2. L’épervier incarne l’oiseau de proie, le rapace, symbolise la force et la solitude :
Julien s’en sent donc proche car lui aussi est seul et à la recherche d’une proie
éventuelle. La référence à Napoléon est constante dans le roman : Bonaparte est
le modèle à suivre pour Julien, l’incarnation de la réussite sociale mais aussi
morale qu’il recherche.
3. Dans cet extrait du roman de Stendhal Le Rouge et le Noir, le vocabulaire
reflète par ses connotations les ambitions sociales du héros. Ainsi, le réseau lexical
de l’altitude est omniprésent à travers les termes « grandes » (l. 2), « monter »
(l. 2), « élevées » (l. 9), etc. De plus, les êtres ou les objets évoqués dans cette scène
symbolisent la hauteur, l’ascension sociale et morale à laquelle le héros, Julien
Sorel, aimerait parvenir : un épervier, « décrivant en silence ses cercles immenses »
(l. 32), Napoléon, incarnation humaine de l’oiseau de proie admiré, font rêver
Julien et symbolisent pour lui la destinée qu’il appelle de ses vœux. Le narrateur
résume la situation de son personnage à travers la phrase : « Cette position phy-
sique le fit sourire car elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au
moral » (l. 7 à 9). Le héros romantique est par conséquent un être ambitieux, et
cette ambition est sans cesse rappelée par Stendhal au moyen des connotations
disséminées à travers toute cette scène descriptive.

Répondre à une question sur la phrase et le verbe


Exercice 13✢✢
1. Le réseau lexical dominant du passage est celui du bruit: «bruits» (l. 2), «voix»
(l. 2, 3, 6 et 9), «oreilles» (l. 8), «musique» (l. 10), «chœur» (l. 10), «aboiements»
(l. 11), « miaulements » (l. 11 et 12), « plaintes » (l. 12), « romance », « querelle »
(l. 13), « rumeurs » (l. 14), « grince », (l. 16), « ronronne » (l. 17), « chuintement »
(l. 18).
313
2. Phrase rythmée par une énumération de verbes lignes 1 et 2 : « Ils accourent,
ils s’offrent, ils s’imposent, tous les bruits de la maison » (gradation).
Phrase rythmée par une énumération de groupes nominaux : il y en a plusieurs,
certaines énumérant des noms sans expansions, d’autres des groupes nominaux
plus ou moins importants ; on peut même remarquer que les groupes nominaux
sont de plus en plus étendus, comme dans la dernière phrase de l’extrait.
Phrase dont le mouvement suit une progression en quatre temps : on en trouve
deux exemples, dans les lignes 10-13 ou 19-24.
3. On soulignera plusieurs intentions :
– celle de distinguer les divers bruits qui emplissent brusquement la maison (les
diverses voix par exemple) ;
– celle les ordonner en regroupant ceux de la même famille : les bruits de la
« musique humaine » s’opposent à ceux des machines ;
– celle de les accumuler pour souligner qu’ils se mêlent (voir les phrases men-
tionnées dans la question précédente).

Exercice 14✢
1. Les temps et modes verbaux utilisés :
– l’impératif : « Pardonnez » (l. 1), « N’exigez » (l. 26) ;
– le présent de l’indicatif : « achève » (l. 1), « raconte » (l. 2), etc. ;
– le présent du subjonctif : « porte » (l. 4), « décrive » (l. 26) ;
– le plus-que-parfait : « Nous avions passé » (l. 8) ;
– l’imparfait de l’indicatif : « croyais » (l. 9), « osais » (l. 10), etc. ;
– le passé simple : « aperçus » (l. 12), « sentit » (l. 15), etc.
2. et 3. On distingue dans ce passage l’alternance du discours et du récit, carac-
téristique du roman à la première personne. Le narrateur utilise les temps verbaux
du discours (présent/passé composé) pour s’adresser à son destinataire
(« Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue », lignes 1 à 6, puis
lignes 26 à 31). Il utilise au contraire les temps verbaux du récit (imparfait/passé
simple) pour évoquer son histoire d’amour avec Manon (« Nous avions passé… »,
lignes 8 à 25).

Répondre à une question sur les figures de style


Exercice 15✢✢
1. Il existe de nombreux points communs entre le tableau de Delacroix et le texte
de Victor Hugo, au point qu’on peut parler de réécriture, tant l’influence exercée
par l’œuvre du peintre sur l’écrivain est grande. On reconnaît d’abord le même
thème général. Delacroix représente une barricade que gravit le peuple insurgé
avec ses divers représentants : l’ouvrier, l’étudiant ou l’employé, la République
incarnée par la jeune femme aux seins nus qui porte le drapeau (Marianne), le
gamin des rues. C’est ce dernier personnage que reprend Hugo à travers Gavroche.
On ne voit pas la barricade elle-même dans l’extrait des Misérables, réduit à la
confrontation de Gavroche et des soldats qui le visent. De plus, Gavroche ramasse
314
des cartouches : il n’a pas, comme dans le tableau, un pistolet dans chaque main.
Mais l’impression générale est la même : celle d’un combat sanglant au milieu de
la fumée des armes. La photographie de Guillaume Herbaut s’inspire elle aussi
du tableau de Delacroix, probablement frappé par les similitudes existant entre
la scène qu’il a sous les yeux et La Liberté guidant le peuple.
2. On retrouve l’allégorie de la mort dans le texte de Victor Hugo : « la face
camarde du spectre » (l. 20 et 21), avec laquelle Gavroche semble jouer, rôde
autour de lui avant de s’en emparer. Dans le tableau de Delacroix, c’est l’allégo-
rie de la Liberté qui est représentée sous les traits de Marianne (cf. le titre). Sur
la photographie, on voit le « Triomphe de la République » d’Aimé Jules Dalou :
l’allégorie de la République domine un globe céleste placé sur un char tiré par
deux lions guidés par le Génie de la Liberté. Elle est encadrée par deux figures
du Travail et de la Justice. Les manifestants, regroupés sur la statue, semblent
faire appel à la symbolique de l’œuvre pour exprimer leurs convictions.
3. Delacroix construit son tableau en pyramide, la pointe du triangle étant formée
par la main qui tient le drapeau, la base par les cadavres étendus sur le sol. Le
peintre opère une série de contrastes à travers les différents personnages repré-
sentés (différences d’âge et de sexe, de statut social, de vêtements et de couleurs…).
Mais tous sont unis à travers la dynamique du mouvement et les armes qu’ils
brandissent vers le haut : c’est ce mouvement qui grandit la scène, c’est l’énergie
qui s’en dégage qui inscrit le tableau dans l’épopée plus que dans la tragédie.
L’héroïsme l’emporte sur la mort.
Hugo insiste sur le caractère « épouvantable » (l. 1) du spectacle : la mort est pré-
sente tout au long du texte à travers la « mitraille » (l. 10) et les cadavres que
fouille Gavroche, avant d’être directement évoquée aux dernières lignes ; les insur-
gés derrière la barricade représentent les lecteurs : ils sont « haletants d’anxiété »
(l. 13). Dans ce contexte de la bataille, Gavroche paraît comme un héros d’épo-
pée paradoxal : Hugo joue sur le contraste de l’enfant « charmant » qui « taquine
le feu », le moineau, le gamin fée, le nain invulnérable, qui s’impose cependant
comme le héros de la scène, grandi par sa jeunesse et son agilité (cf. l’énuméra-
tion des lignes 7 à 12), son insouciance qui triomphe – un moment – de la
Camarde. Il représente ainsi le peuple de Paris, capable d’audace et de sacrifice
pour la liberté.
Herbaut renouvelle la thématique dans sa photographie. Le mouvement des lignes
de force, de la gauche vers la droite, traduit le dynamisme du combat, la contre-
plongée exalte la puissance du peuple et de la République.

Exercice 16✢✢
1. Thème commun : la fête.
2. Registre commun : le registre lyrique.

Exercice 17✢✢✢
1. La France est personnifiée par Zola dès le début de sa lettre ouverte. Il s’agit
de prendre la mesure des circonstances dramatiques, exceptionnelles, où la
315
conscience publique est en danger. Au-delà de chaque citoyen, c’est à la nation
que s’adresse Zola. Le ton est solennel : c’est l’écrivain soucieux de vérité qui
parle, l’homme de cœur et de raison. Cette personnification – qui prend le risque
de l’enflure rhétorique – doit interpeller le lecteur, dans un sursaut d’indignation
contre ceux qui, par leurs mensonges, menacent l’intégrité de la patrie.
2. Le premier paragraphe s’achève sur une apostrophe directe, une interpellation
de la France, sous forme d’exclamation, de même à la fin du troisième paragraphe
et au début du quatrième. La fausse question est au milieu du troisième para-
graphe. L’orateur s’interroge et prend la France à témoin de la dérive de son
peuple. Le texte de Zola reprend ainsi les principaux procédés de l’éloquence
antique : phrases longues qui sont de véritables périodes, lexique soutenu opposé
à des termes dévalorisants, emphase dans l’énumération, répétitions, oppositions,
parallélismes, métaphore filée.
3. Le dernier paragraphe pourrait être étudié, tout entier, comme un exemple
d’éloquence. L’orateur se met lui-même en scène dans une position dominante
(« je me penche ») et développe une première métaphore : celle du peuple comparé
à la mer dans la tempête (« mer trouble et démontée », « la tempête qui menace
d’emporter »), à laquelle succède celle de la maladie : « mortelle gravité », « inquié-
tants symptômes ». C’est bien un médecin qui « se penchait » sur le corps malade
de la nation, et qui établit à présent le diagnostic du pays.

Répondre à une question


sur la fonction du titre
Exercice 18✢
Spleen Idéal
« La Muse malade », « Le Guignon », « Élévation », « Les Phares »,
« Une charogne », « Remords posthume », « La Beauté », « L’Idéal »,
« Le Possédé », « Le Poison », « Chant « Hymne à la Beauté »,
d’automne », « Le Revenant », « Tristesses de « Parfum exotique »,
la lune », « Sépulture », « La Cloche fêlée », « L’Aube spirituelle »,
« Le Tonneau de la haine », « Harmonie du soir »,
« Spleen », « Le Goût du néant », « Alchimie « L’Invitation au voyage ».
de la douleur », « L’Horloge ».

Exercice 19✢✢
Chez Verlaine, le paysage est immédiatement lié à l’état d’âme. Les deux termes
qui composent le titre invitent le lecteur à faire le lien entre la promenade et les
sentiments ressentis et exprimés par le poète. On retrouve donc les réseaux lexi-
caux du paysage et des sentiments dans l’ensemble du poème, tous deux chargés
de connotations négatives. C’est la mélancolie qui l’emporte, favorisée par le cou-
chant et le thème de la solitude (« j’errais tout seul »).
316
Répondre à une question
sur les idées dominantes d’un texte
Exercice 20✢✢
1. La thèse est développée dans le premier paragraphe : les progrès techniques ne
sont pas une fin en soi, mais constituent des « outils » qui peuvent permettre à
l’homme d’atteindre le bonheur.
Les arguments et les exemples apparaissent dans le deuxième paragraphe : c’est la
rapidité des progrès techniques sur un court laps de temps qui nous les fait envi-
sager comme néfastes, dangereux. Quand notre psychologie les aura assimilés,
nous n’aurons plus de craintes à leur sujet. Les progrès techniques ont révolutionné
nos modes de vie (« rapports humains », « conditions de travail », « coutumes »,
l. 19 et 20) et l’homme redoute l’apparition des nouvelles techniques car elles bou-
leversent l’ordre établi auquel nous sommes depuis longtemps habitué.
La conclusion (dernier paragraphe) envisage l’avenir de l’homme qui se crée un
ailleurs, une « nouvelle patrie », conquise par la connaissance scientifique.
2. Giono, au contraire de Saint-Exupéry, voit dans les progrès techniques une
menace pour l’homme et pour la nature. Ils nous coupent de notre milieu et nous
font vivre d’une manière « antinaturelle » (l. 3).

Répondre à une question sur les personnages


Exercice 21✢✢
1. Le récit est enchâssé, comme très souvent dans les nouvelles de Mirbeau, dont
les conceptions du récit sont proches de celles de Maupassant. Le premier nar-
rateur est ici celui du récit cadre, un narrateur à la première personne, qui fait la
rencontre de son voisin, Cléophas Ordinaire. Celui-ci, le vin aidant, se met à
raconter ses souvenirs, interrompus par son rire tonitruant, et devient ainsi un
narrateur second, celui des récits enchâssés. Les marques de l’enchâssement sont
constituées par les guillemets, et les interruptions du récit sont justifiées par les
remarques surprises du narrateur premier devant l’attitude et le contenu du récit
de son hôte.
2. Les étapes du récit du narrateur second :
– L’état initial : Cléophas Ordinaire est chef de gare, désormais à la retraite. Aussi
loin qu’il puisse remonter dans son enfance, il ne trouve que des histoires extra-
ordinaires à raconter. Il décide de confier à son invité l’un des « grands » moments
de son adolescence.
– L’événement déclencheur : lorsqu’il avait treize ans, son père et son oncle déci-
dent de l’emmener avec eux à la chasse.
– Les péripéties : le père de Cléophas lui confie son fusil ; Cléophas le charge, afin
d’avoir « l’air plus martial » ; le coup part malencontreusement, tuant les deux
hommes.
– L’événement équilibrant : un paysan apparaît et ramène Cléophas chez lui.
317
– La situation finale : Cléophas Ordinaire s’étrangle de rire en racontant la seule
explication qu’enfant il dit avoir donné à sa mère : « J’ai fait… J’ai fait… un coup
double, donc ! »
3. Cléophas Ordinaire apparaît comme un anti-héros, sans morale et sans scru-
pule, alcoolique et parricide. L’extraordinaire gaieté qui l’anime sans cesse s’ac-
corde avec son physique débonnaire : « Tout son ventre fut secoué d’un rire qui
se prolongea comme la sonnerie dansante, roulante et sursautante d’un réveille-
matin » (l. 20-22). Son rire est bruyant (l. 2), « franc » (l. 3), incessant : chacune
des interventions du narrateur premier sont ainsi justifiées par l’interruption du
récit de Cléophas Ordinaire qui, secoué par le rire, ne peut poursuivre son récit.
Seul le cognac qu’il boit abondamment lui permet de continuer : il « avala un
plein verre de cognac » (l. 23) ; « c’est à peine si deux ou trois verres de cognac,
avalés coup sur coup, purent le remettre en état de poursuivre son récit » (l. 75
à 78). En définitive, Cléophas Ordinaire, comme souvent chez Mirbeau, est un
personnage outrancier et choquant, qui permet à l’auteur d’exprimer l’humour
noir qu’il affectionne. À la fois sympathique (son rire entraîne celui du lecteur)
et antipathique (nul remords devant « l’accident » dont il fut le déclencheur), le
personnage apparaît comme un être véritablement extra-ordinaire, au sens
premier du terme.

Exercice 22✢✢✢
1. Le titre donné par Jean-Jacques Rousseau à son autobiographie Les
Confessions répond à un désir de vérité sur soi, qui met en jeu un sentiment com-
plexe de culpabilité, de désir de se justifier, d’expliquer ou de légitimer telle ou
telle action, tout en exposant regrets et remords. En ce sens, il mène une entre-
prise purement personnelle, de justification vis-à-vis de ses contemporains et de
ses lecteurs futurs.
2. Gide écrit ses confessions « pour des raisons exactement contraires » à celles
de Rousseau. L’expression, éclairée par la dernière phrase de l’extrait, signifie que
l’écrivain désire que le lecteur se retrouve dans le récit autobiographique qu’il
entreprend : « je sais que grand est le nombre de ceux qui s’y reconnaîtront »
(l. 11 et 12).
3. L’avis au lecteur de Montaigne exprime le point de vue de « l’honnêteté ». Les
Essais avancent « au naturel », sans contrainte. Le texte se fait, les idées naissent,
l’image de soi se dessine au jour le jour. L’autoportrait de Montaigne est celui
d’un homme de la Renaissance, plein de foi dans l’homme et dans la nature, pour
qui est possible « une façon simple, naturelle et ordinaire » de vivre et de
s’exprimer.

318
EXO-BAC
(PAGE 323)

Préparation
Le corpus se compose de deux poèmes :
– le premier est extrait des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, recueil publié en
1857, condamné la même année pour « délit d’outrage à la morale publique et
aux bonnes mœurs ». « Chant d’automne » fait partie des trente et un poèmes
nouveaux ajoutés à l’édition de 1861, amputée de six pièces condamnées. Comme
le montre l’exercice 18 de la page 336, le recueil développe deux thèmes essen-
tiels, celui du « Spleen » et celui de « l’Idéal » ;
– le second poème est extrait du Poème des décadences de Milosz, publié en 1899.
Cet écrivain français est né en 1877 en Lituanie, où il grandit avant de rejoindre
la France en 1889. Son premier recueil, Le Poème des décadences, exprime la
vision pessimiste d’un monde où « Dieu est mort », où tout est mensonge et las-
situde. L’objet d’étude illustré par les textes du corpus est ainsi la poésie, une
poésie moderne et sombre, caractéristique d’une évolution qui va du symbolisme
discret des Fleurs du mal jusqu’au nihilisme exacerbé des poètes décadents.

Rédaction
1. « Chant d’automne » apparaît comme un poème de facture classique : quatre
quatrains composés d’alexandrins aux rimes croisées, chaque strophe se carac-
térisant par une unité thématique et syntaxique menant à la chute du dernier vers.
« Chanson d’automne » explore les voix nouvelles du vers libre dont Apollinaire
et Cendrars se feront les chantres quelques années plus tard. Les deux poèmes
du corpus ont en commun un même registre, celui du lyrisme mélancolique, qui
apparaît à travers le jeu des pronoms, les réseaux lexicaux de la tristesse et de la
mort, et le jeu des oppositions entre le présent et le passé.
2. Dans le texte A, le poète implique le lecteur dès la première strophe au moyen
de la première personne du pluriel : « nous » (vers 1), « nos » (vers 2). Les strophes
suivantes évoquent, à travers l’emploi de la première personne du singulier, une
expérience et des états d’âme personnels : « mon être » (vers 5), « Mon cœur »
(vers 8), « Mon esprit » (vers 11). Choisir la première personne du singulier pour
commencer permet de placer immédiatement l’expérience personnelle sous le
signe de l’expérience universelle partagée par tous les êtres humains. C’est ce qui
fait la force de ce lyrisme.
Dans la première strophe du texte B, l’émetteur n’est pas mentionné dans l’énoncé,
comme si la voix se voulait universelle ; et de même, le destinataire n’est pas iden-
tifié, comme si tout lecteur pouvait se sentir concerné. Il faut signaler, à ce propos,
que le lyrisme se doit d’évoquer des sentiments qui peuvent être universellement
partagés. Le poète a recours à la deuxième personne du pluriel à travers le verbe
« Écoutez » (vers 1 et 4). Mais la seconde strophe apprend au lecteur que Milosz
s’adresse en fait à une interlocutrice anonyme : « Toutes vos tristesses, ô ma
Dolente, sont vaines » (vers 8). Dès lors, l’échange se fait intimiste, menant pro-
319
gressivement du « vous » au « nous », qui réunit les deux interlocuteurs dans le
dernier vers : « Écoutons la voix du vent. »
3. Avec l’expression « chocs funèbres » (vers 3), Baudelaire indique une relation
entre le bruit et la mort. L’image est relayée par celle de l’échafaud (vers 10) :
« L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. » L’image du bélier est elle
aussi porteuse de mort, puisque c’est la guerre et que la tour « succombe » (vers
11). On peut donc évoquer une « image auditive », plus frappante qu’une des-
cription visuelle de la réalité, entretenant une métaphore filée qui traverse l’en-
semble du poème, à travers les réseaux lexicaux du bruit et de la mort.
4. Pour Baudelaire, l’automne est la saison du Spleen, qui accable le poète. Il
éprouve alors l’oppression épouvantable de l’ennui, du sentiment du désespoir
et de l’angoisse devant la mort. En donnant pour titre à son poème l’expression
« Chant d’automne », il inscrit d’emblée ses vers dans le registre lyrique, le mot
« chant » renvoyant aux origines de la poésie. Mais il s’agit ici d’un chant funèbre,
d’un requiem dont le dernier vers donne la clé. C’est la mort en effet qui appelle,
symbolisée par l’hiver. Le titre du poème de Milosz fait écho à celui de Baudelaire.
L’aspect de « chanson » est immédiatement visible par le jeu des répétitions qui
rythme chaque strophe et les réunit les unes aux autres. De même, la coupe régu-
lière de chaque vers en son milieu crée un rythme régulier, ce qui donne d’ailleurs
à la dernière strophe un statut particulier où se détruit cette régularité harmo-
nieuse. Le terme de « chanson » est lui-même constamment rappelé par des échos
sonores en « en » (rimes, assonances) qui parcourent tout le poème. La « Chanson
d’automne » est aussi celle de la mort, soufflée par « la voix du vent dans la nuit ».
Comme l’indique le vers 18, la sonatine « a vécu ».

SUJET DU BAC
(PAGES 324 à 326)

I. Questions
1. C’est la Pléiade qui impose en France l’usage du sonnet, importé d’Italie.
Le texte poétique est alors strictement codifié : deux quatrains et deux tercets qui
s’enchaînent, formés d’alexandrins (ou de décasyllabes), faisant alterner rime
féminine et rime masculine, sans enjambement à la rime ou à l’hémistiche, le
dernier vers constituant une chute pour le sens. Ronsard respecte ici ces règles.
Mais la poésie évolue. Après le poème en prose, introduit par Aloysius Bertrand
et suivi par Baudelaire, Rimbaud donne ses Illuminations, textes en prose où
dominent les images poétiques concentrées dans quelques lignes fulgurantes. Le
poème de Benjamin Péret reprend la mise en espace du vers, mais il s’agit de vers
libres : libérés de la contrainte de la mesure et de la rime, sans majuscule au
premier mot, sans ponctuation, procédant par accumulation d’images énigma-
tiques. On le voit, la poésie ne cesse de se métamorphoser de siècle en siècle, pour-
suivant son travail de création.
320
2. Commentaire des images du texte C
Sous le titre d’« Enfance », Rimbaud a réuni cinq petits poèmes, qui correspondent
à l’enjeu esthétique des Illuminations. Des images fulgurantes se juxtaposent selon
une logique nouvelle. Le poème en prose est constitué de notations éclatées, d’une
suite d’affirmations que rythme ici (dans le quatrième poème) l’anaphore « Je
suis ». Il ne s’agit pas de retrouver des souvenirs précis de l’enfance de Rimbaud,
mais de se laisser gagner par la magie des évocations successives, qui sont autant
de métaphores du « je » du poète.
Dans les deux premières lignes, c’est l’image d’un saint, qui développe une impres-
sion de solitude et de spiritualité en se référant à l’univers des Évangiles : « le
saint », « en prière sur la terrasse ». L’image est amplifiée par une comparaison
avec les « bêtes pacifiques » qui souligne la sérénité de l’homme en prière.
C’est ensuite, à travers quelques éléments (« fauteuil sombre », « bibliothèque »),
l’image du savant qui est brièvement développée dans une atmosphère d’orage,
qui contraste avec l’univers chaud et coloré de la Palestine.
Nouveau décor : c’est cette fois celui du marcheur dans le paysage de grandes
routes cher à Rimbaud. La métaphore de la « lessive d’or » du soleil couchant
(l. 7) mêle une impression de beauté et de saisissement avec un mot et une situa-
tion familière (celle de la lessive).
De la ligne 8 à 10, on retrouve l’enfant annoncé dans le titre, dans un double
mouvement qui annonce le surréalisme : image de la « jetée partie à la haute mer »
(qui contraste avec l’univers de la marche sur la terre ferme) ; image de « l’allée
dont le front touche le ciel », qui fait fusionner les 3 éléments : la terre (l’allée),
l’homme (le front), le ciel. Les quatre dernières lignes du poème reviennent à un
univers plus familier : celui de la marche dans les collines, avec cependant une
impression de vide et d’attente qui caractérise tous les poèmes d’« Enfance ».
Commentaires des images du texte D
Poète surréaliste, Péret procède à une série de collages, constitués par des images
toujours plus énigmatiques, qui se succèdent au long du texte. On retrouve ici
cet appel aux images arbitraires qu’avait lancé André Breton dans son Manifeste
du surréalisme. « Rues molles comme des gants », « tentacules » du sable, « poutres
des mers » : autant de comparaisons et de métaphores qui plongent le lecteur dans
un univers onirique et déroutant. Le paysage se trouve ainsi personnifié et se met
en marche : le sable « projette au loin ses tentacules de cristal » (vers 7), « le ciel
s’ouvre comme une huître » (vers 10). Toute logique a disparu de cet univers
nouveau qui reproduit à travers les images surréalistes le travail de l’inconscient.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Éléments de réponse
– Benjamin Péret appartient au mouvement surréaliste. On retrouve ainsi dans
ses poèmes le privilège accordé par le surréalisme aux puissances du rêve et du
hasard. C’est une logique nouvelle qui conduit le texte, comme on le voit dans le
paysage du texte, qui impose la vision d’un univers déroutant.
321
– Le poème de Péret peut se lire d’abord comme une errance ou une promenade :
celle d’un voyageur qui découvrirait une ville au bord de la mer. Il y a les rues et
les gares, les canaux qui mènent aux berges et au sable. Le paysage s’ouvre alors
sur les éléments naturels : le ciel et les nuages, la mer et les huîtres ou les squales,
qui sont eux aussi des voyageurs. Chaque vers contient ainsi une référence sup-
plémentaire au paysage traversé qui évolue sous nos yeux.
– Mais ce paysage est déroutant : chacun des éléments qui le constituent est immé-
diatement transformé par une image énigmatique. Que sont des rues « molles
comme des gants », ou des gares « aux gestes de miroir » ? Comment le sable peut-
il être « gelé comme une pompe », avec des « tentacules de cristal » ? On pourrait
citer tout le texte, avec ses comparaisons et ses métaphores étonnantes et inquié-
tantes : le ciel « s’ouvre comme une huître », les tentacules sont menaçants. Même
les squales contournent les saules, dont une allitération en [s] fait retentir l’aver-
tisseur dans le texte (aux deux derniers vers).
– Le charme du poème de Péret tient précisément à cette absence de logique : il
nous envoûte en nous déconcertant. Le poète a su recréer un univers paradoxal,
transformé (c’est l’un des mots du texte), comme celui de nos rêves.

Critères de réussite
• Construction du commentaire selon un plan rigoureux.
• Utilisation du vocabulaire de l’analyse littéraire.
• Originalité de l’interprétation proposée.

2. Dissertation
À chaque époque, les écrivains ou la critique cherchent à dire le rôle et la fonc-
tion de la poésie. À quoi répond la nécessité, chez le poète, d’écrire des vers ?
Qu’attend le lecteur de ce genre littéraire si particulier, si étranger à sa propre
pratique du langage ? Depuis la fin du XIXe siècle, la poésie traverse une crise, sur
le plan des « formes » comme sur le plan de sa réception dans la société contem-
poraine. C’est ainsi qu’Aragon propose de définir la poésie comme « un miroir
brouillé de notre société, et chaque poète souffle sur ce miroir ». S’agit-il de recon-
naître à la poésie la vocation de représenter le monde social, de fixer une image
de la société à un moment de son histoire ? Mais n’y a-t-il pas aussi d’autres
enjeux, plus intimes, plus personnels, dans l’écriture poétique ?
Nombreux sont, dans l’histoire de la poésie, les œuvres qui offrent au lecteur un
miroir de la société. On pense, par exemple, aux Fleurs du mal de Baudelaire, qui
expriment les mutations de la société industrielle – le vieux Paris, pittoresque et
plein de charme, dans une capitale énorme, bruyante, habitée par une foule indif-
férente. Confronté à cette violence d’un monde brutal et anonyme, le poète
exprime sa mélancolie. Son spleen est l’expression – « brouillée » – d’un déraci-
nement. De même, la poésie surréaliste, en réclamant les puissances du rêve et du
hasard, conteste la société bourgeoise qui n’a pas su éviter les massacres de la
guerre de 1914-1918. Mais certains poètes choisissent aussi de s’engager direc-
tement dans l’Histoire : La Franciade de Ronsard et Les Tragiques d’Agrippa
d’Aubigné, Les Châtiments de Victor Hugo ou les poèmes de la Résistance,
322
pendant la Seconde Guerre mondiale, renvoient directement à une situation de
crise : guerre, coup d’État, occu-pation. Toute la société est alors concernée et
menacée dans ses valeurs. La fonction du poème est de les garder intactes, et de
les rappeler dans l’épreuve.
Cependant, la poésie a semblé souvent destinée à l’expression de sentiments
intimes. Le poème recueille un souvenir, exprime un sentiment amoureux, un
chagrin ou un regret, il s’émerveille devant le monde. C’est un rapport nouveau
qu’il crée ainsi avec son lecteur, à travers le lyrisme d’une voix personnelle. Les
sonnets de Ronsard, pour Marie ou pour Hélène, témoignent ainsi des amours
du poète. « Le coucher de soleil » de Gérard de Nerval ou les « Fleurs » de
Rimbaud dans ses Illuminations paraissent complètement éloignés du souci de
représenter la société : ils manifestent un enthousiasme esthétique, une exaltation
qui ouvre au texte les puissances de l’imagination. De même, la poésie surréaliste
renouvelle notre perception des choses à travers des images déroutantes : « Les
rues molles comme des gants », écrit Benjamin Péret. Le poème transforme le
monde, plus qu’il n’en est « le miroir ».
Ces différentes fonctions de la poésie, pourtant, ne sont pas contradictoires. Le
poète est toujours au centre de sa création, avec la société dans laquelle il est née,
dans laquelle il écrit. Il ne doit pas se soumettre à une idée préconçue de la poésie,
mais ouvrir le texte poétique à sa puissance d’enchantement et de renouvellement
du langage. Il doit rester un « voleur de feu ».

Critères de réussite
• Construction du plan de la dissertation.
• Appui sur des exemples tirés du corpus.
• Originalité des idées développées.

3. Écrit d’invention
Mardi 9 septembre
Voici deux jours que la pluie a cessé. Je peux maintenant reprendre mes chères
promenades dans Paris. J’ai été aujourd’hui me promener le long des quais. Je
me suis arrêté à tous les bouquinistes. Je cherchais un roman, que je n’ai pas
trouvé. J’aurais aimé aussi dénicher une vieille gravure. Tant pis. J’ai pris ensuite
un verre à la terrasse d’un café. Il y avait une foule immense. Chacun se précipi-
tait pour profiter du soleil. J’ai pensé à F. J’aurais bien voulu qu’elle soit là, avec
moi…
Jeudi 11 septembre
Assommé par mille choses à faire : j’ai travaillé toute la journée, je n’ai pas pu
sortir un seul instant. Le soleil semblait me narguer à travers la fenêtre du bureau.
Rayonnant, resplendissant, magnifique. Et moi, comme un forçat, attelé à ma
tâche ! Vivement demain.

323
Vendredi 12 septembre
Quelle belle journée ! D’abord j’ai reçu une lettre de F. qui m’annonce son retour
à Paris dans deux jours. Et puis, et puis j’ai pu sortir ! J’ai passé toute l’après-
midi dans le jardin des Tuileries. Il n’y avait par chance pas beaucoup de monde.
J’avais pris un livre, que j’ai oublié sur un banc. Je suis resté longtemps à me pro-
mener le long de la Grande Allée, avec ses deux pièces d’eau qui rafraîchissaient
l’air. On ne sentait plus la lourde chaleur du jour. La nuit venait et plongeait dou-
cement les choses dans le noir. Le soleil couchant répandait partout une couleur
superbe. C’est alors que j’ai vu tout à coup, au détour d’une allée, le soleil qui
s’encadrait au loin dans l’Arc de triomphe. C’était éblouissant. Et je suis resté
longtemps sans bouger, muet d’admiration.

Critères de réussite
• Respect de la forme du journal intime (présentation, énonciation).
• Appui sur le texte modèle (cadre spatio-temporel, situation du narrateur).
• Maîtrise de la syntaxe et emploi de procédés d’écriture originaux et variés
(images, descriptions, figures de style).

324
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE

25 Le commentaire
(PAGES 327 à 346)

Rappel du Bulletin officiel n° 26 du 28 juin 2001


Le commentaire porte sur un texte littéraire. Il peut être également proposé au
candidat de comparer deux textes. En séries générales, le candidat compose un
devoir qui présente de manière organisée ce qu’il a retenu de sa lecture, et justi-
fie son interprétation et ses jugements personnels. En séries technologiques le
sujet est formulé de manière à guider le candidat dans son travail. Ce commen-
taire est bien entendu orienté par la problématique du corpus ou par celle d’un
texte du corpus. Comme la dissertation, il est noté au minimum sur 16 points
pour les sujets des séries générales et sur 14 points pour les sujets des séries
technologiques quand il est précédé de questions, sur 20 dans toutes les séries
quand il n’y a pas de questions.
Le plan (page 329), qu’il s’agit d’abord de mettre au point, vise à organiser les
éléments de réponse de façon méthodique. Il doit s’attacher à montrer la singu-
larité du ou des textes étudiés. Rédigé à partir de ce plan, le commentaire pro-
gresse de paragraphe en paragraphe. La lecture du commentaire rédigé proposé,
si schématique et scolaire qu’il soit, peut sembler difficile : certains élèves risquent
de se décourager. Pour éviter cette réaction, on peut préparer d’abord le com-
mentaire du texte de Molière par les repérages habituels (champs lexicaux, jeu
des pronoms, construction du discours de Tartuffe). On peut ensuite aborder la
« réponse rédigée » partie par partie en demandant aux élèves de repérer, à partir
du plan, les principales étapes de l’introduction et de la conclusion, les arguments
de chaque paragraphe.

325
EXERCICES
(PAGES 336 à 342)

Identifier les caractéristiques générales du texte


Exercice 1✢
Texte A Texte B
Objet d’étude le biographique le biographique
Genre essai autobiographie
Registre lyrique ironique
Contexte pré-romantisme existentialisme
Thème dominant poésie de la nature interrogation sur soi

Établir l’originalité du texte


Exercice 2✢✢
1. Les caractéristiques générales du poème de Ronsard : le texte appartient à
l’objet d’étude : La poésie, auquel il faut ajouter sa dimension autobiographique ;
il s’agit d’un poème de forme fixe (le sonnet) ; le registre du poème est le registre
pathétique (angoisse devant la mort), voire tragique ; le contexte est celui de la
Renaissance et de la Pléiade ; le thème dominant est celui de la mort.
2. La construction du sonnet :
a) Composition : il s’agit d’un sonnet composé en alexandrins. Il y a évolution
entre les quatrains et les tercets : on peut constater que, dans les deux quatrains
aux rimes embrassées, le poète est seul avec ses pensées ; lorsque les tercets com-
mencent, entrent en scène les amis évoqués par le poète au seuil de la mort.
« Adieu, plaisant soleil ! » marque le début de cette évolution : de la faiblesse liée
à la maladie et à la vieillesse, de la menace de la mort, on passe à l’imminence de
cette dernière. On vient alors rendre visite au poète sur son lit de mort, puis,
curieuse notation, il se voit lui-même sur son lit, témoin de sa propre agonie, « en
essuyant mes yeux par la mort endormis » (vers 12). La chute du dernier vers est
ainsi particulièrement marquée, puisqu’on passe de la tristesse de la mort à l’es-
pérance d’une autre vie.
b) Système énonciatif : le premier mot du poème est un pronom personnel : « Je » ;
dès lors, le sonnet se développe comme un monologue intérieur du poète. Le des-
tinataire apparaît dans les deux derniers vers : « Adieu, chers compagnons ! Adieu,
mes chers amis !/Je m’en vais le premier vous préparer la place. »
c) Réseaux lexicaux : les réseaux lexicaux dominants sont évidemment ceux de
la maladie, de la vieillesse et de la mort. Ils saturent le poème et soulignent l’idée
fixe qui hante le poète devant l’imminence de l’événement.
d) Principales figures de style :
– comparaison : « un squelette je semble » (vers 1) ;
326
– énumération du vers 2 : « Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé » ;
– allégorie : « le trait de la mort… a frappé » (vers 3) ;
– périphrase : « où tout se désassemble » (vers 8) ;
– métonymie : « un œil triste et mouillé » (vers 10) ;
– litote : « mes yeux par la mort endormis » (vers 12).

Dégager des pistes de lecture


Exercice 3✢✢
Les pistes de lecture qui rendent le mieux compte de l’originalité du texte de
Marivaux :
– les caractéristiques d’une scène d’exposition ;
– la mise en place d’une intrigue amoureuse.

Exercice 4✢✢
1. Les caractéristiques générales du texte :
Objet d’étude les formes et les fonctions de l’essai
Genre essai
Registre lyrique
Contexte romantisme
Thème dominant poésie de la nature en Amérique, religion

2. Remarque. Le succès de Génie du christianisme est lié au renouvellement de


l’esprit religieux en ce début de XIXe siècle. À la suite de Rousseau, Chateaubriand
restaure une religion où le sentiment l’emporte sur la raison et la poésie sur les
strictes règles du dogme. C’est ainsi que le christianisme eut son romantisme.
L’écrivain développe une nouvelle façon de peindre la nature et les paysages : ce
qui compte, ce n’est pas la fidélité d’un tableau objectif, mais le retentissement
de la scène sur celui qui l’a vue et qui en parle, les émotions ressenties en présence
de ce paysage.
L’originalité du texte :
– la présence des sensations : la vue est le toucher sont intimement liés (synes-
thésie) dans l’expression : « jour bleuâtre et velouté » (ligne 2) ; dès lors, les sen-
sations se développent dans le texte, notamment celles de la vue : « gerbes de
lumière » (ligne 4), « ténèbres » (ligne 5), « brillante » (ligne 7), etc., puis de l’ouïe,
à partir de la ligne 13 : « vent subit », « gémissement de la hulotte », « on enten-
dait », « sourds mugissements », « expiraient » ;
– la personnification du paysage : la rivière, puis la lune, la brise, les nues, le jour
sont tour à tour personnifiés au moyen des verbes, qui semblent leur donner une
forme d’humanité (la lune « descendait », « poussait », « dormait » ; la rivière « se
perdait », « reparaissait », etc.). Les verbes d’action permettent de rendre la des-
cription très vivante, de ne pas fixer le paysage dans une vision statique ;
– les contrastes entre l’ombre et la lumière contribuent eux aussi à faire vivre le
327
paysage : « poussait des gerbes de lumière jusque dans l’épaisseur des plus pro-
fondes ténèbres » (ligne 3) ; « des îles d’ombres flottantes sur cette mer de lumière »
(ligne 12), etc.
– la présence de Dieu, « créateur du Ciel et de la Terre », et de ces deux éléments :
le ciel semble non seulement se refléter sur la terre, mais la rejoindre dans une sorte
d’union mystique (« le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait par intervalles
des arbres », « la rivière […] reparaissait brillante des constellations », « la clarté
de la lune dormait sans mouvement sur les gazons »). La description de la nature
fait peu à peu surgir l’idée d’un spectacle si grandiose qu’il dépasse l’homme.
L’absence de ce dernier, au sein des paysages d’Amérique (dernier paragraphe du
texte), facilite cette communion de l’âme avec la nature et son créateur.
3. Les pistes de lecture du commentaire :
– Chateaubriand découvre en Amérique un monde vivant et sensuel ;
– l’auteur se sert de ce spectacle grandiose pour affirmer la présence et l’existence
de Dieu.

Construire le plan du commentaire


Exercice 5✢✢
I. La description d’un trio complice
1. Colette opère une « personnification à l’envers » en se comparant à ses
chiennes, compagnes de jeu et de promenade :
– emploi du pronom « nous », qui englobe humain et animaux dans une même
identité ;
– la confusion des caractéristiques (« nos robes », ligne 3 ; « nous avons gratté de
nos dix pattes », ligne 22), la fusion des caractères (« notre joie haletante de chiens
lâchés », ligne 13).
2. L’enfant et ses deux chiennes constituent un trio turbulent qui anime la des-
cription :
– multiplication des verbes d’action (« nous avons couru », ligne 10 ; « nous nous
sommes penchées », ligne 15 ; « nous avons gratté », ligne 22, etc.) ;
– utilisation de la focalisation interne (lignes 14 à 22) qui permet au lecteur de
percevoir la scène à travers les yeux de l’enfant.
II. Le souvenir d’enfance : un instant de bonheur
1. La neige constitue un souvenir enchanteur pour le narrateur qui se penche
sur son enfance :
– les images : « épaulettes blanches » (ligne 3), métaphore filée des lignes 17 à 22 ;
– Paris transfiguré (lignes 7 à 22).
2. Le bonheur des sensations éprouvées dans le passé resurgit grâce à l’écriture :
– le titre : « Rêverie de Nouvel An » ;
– omniprésence des sensations, visuelles, olfactives, auditives, tactiles et gustatives ;
– l’emploi du présent de narration (premier et troisième paragraphes) : le souve-
nir redevient réalité.
328
Exercice 6✢✢
I. Le poète éclaire l’univers
1. En effet : Le poète est éclairé (« Lui seul a le front éclairé », vers 4) au sens du
XVIIe siècle ; il a la connaissance qui s’oppose à l’obscurantisme.
2. C’est pourquoi : Le poète éclaire le monde (« Il rayonne », vers 21) : métaphore
filée de la lumière (vers 22 et suivants).
II. Le poète est un visionnaire
1. D’une part : Le poète « voit » tout (« tout ce qui couvre le monde », vers 16) :
le passé, le présent, l’avenir, la nature, les hommes ; il est ainsi leur intermédiaire
avec Dieu (dernier vers).
2. D’autre part : Le poète est un « voyant » (Les Rayons et les Ombres, titre du
recueil) qui révèle le sens et la poésie de la création.
III. Le poète est un prophète
1. Ainsi : Le poète établit un lien entre Dieu et les hommes ; « rêveur sacré », il
conduit les hommes par la magie du verbe (« Dieu parle à voix basse à son âme »,
vers 9).
2. Cependant : Le chaos, du monde et des sentiments, est au cœur de l’univers
(« les épines », vers 11 ; « L’envie et la dérision », vers 12 ; « vos ruines », vers 13).
3. Par conséquent : Le poème est exhortation (« Peuples ! Écoutez le poète ! »,
vers 1) ; marques de l’énonciation (« votre nuit », vers 3 ; « vos ruines », vers 13 ;
« Car la poésie est l’étoile/Qui mène à Dieu, rois et pasteurs ! »).

Exercice 7✢✢✢
1. Les caractéristiques générales du texte
Objet d’étude le biographique
Genre roman
Registre comique
Contexte(s) – la Belle Époque
– l’univers de La Recherche du temps perdu
Thème dominant – la noblesse, les relations sociales
– la famille

2. Une première lecture de la page met en évidence le registre humoristique dans


lequel s’inscrit le narrateur. Rappelons la définition que le Grand Larousse de la
langue française donne de ce mot (l’humour), dont Valéry dit que les Français
« l’emploient précisément à cause de l’indéterminé qu’ils y mettent » : Forme d’es-
prit qui s’attache à dénoncer, sans appuyer et avec une apparente impassibilité,
les aspects plaisants, insolites ou absurdes de la réalité qui semble la plus normale.
Mais qu’en est-il précisément de cette « normalité » dénoncée ici par Marcel
Proust ? Celle d’un univers régi par des conventions sociales dépassées, d’un autre
temps, dont le jeune héros de La Recherche se fait le témoin amusé.
329
3. On peut donc proposer deux pistes de réflexion pour le plan du commentaire :
– la page évoque une scène de la vie sociale qui aurait pu être vécue comme bles-
sante ;
– le narrateur raconte la scène en la rendant amusante, grâce aux procédés de
l’humour qui permettent de prendre de la distance par rapport à la réalité.
4. Plan possible
La problématique : Comment le narrateur fait-il sourire d’une scène qui pourrait
être blessante ?
I. Une scène de la vie sociale
1. Le choix d’un cadre spatio-temporel
– Un temps : la Belle Époque.
– Des lieux : Deauville, le Jardin d’acclimatation, le bois de Boulogne.
2. Le choix des personnages
– Le jeu sur les contrastes sociaux : une « sphère supérieure à la nôtre »
(l. 8) et le « petit nègre », l. 36.
3. Une scène blessante
– La comparaison avec les animaux : « deux bêtes sympathiques » (l. 13).
– La comparaison de la grand-mère à un « gamin » (l. 38 à 50).
Transition. En accentuant le contraste entre les bonnes intentions de la princesse
et les effets produits, Proust déplace le registre de la page du polémique (la dénon-
ciation de relations sociales archaïques) vers le comique (la distanciation grâce à
l’humour).
II. Une scène rendue amusante par l’humour du narrateur
1. Le décalage entre les bonnes intentions de la princesse et les effets produits :
une bonne volonté soulignée par le narrateur : « désir de ne pas avoir l’air de… »
(l. 7), intention de « nous traiter de la même manière que son amie » (l. 39).
2. Le jeu des regards et des sourires : une mécanique fragile (« erreur de réglage »,
l. 10 ; « elle avait mal calculé la distance », l. 9 ; « l’échelle des êtres », l. 43).
3. Les comparaisons saugrenues mais révélatrices :
– la métaphore de « l’échelle des êtres » : du « bébé avec sa nounou » (l. 7) au
« baby » (l. 50), en passant par le « petit nègre […] qui faisait l’émerveillement de
la plage » (l. 36) ;
– la métaphore filée des « animaux du bois de Boulogne » qui traverse le texte
dans son entier.

Rédiger l’introduction du commentaire


Exercice 8✢
1. La version B indique clairement les références du passage et annonce le plan
mais la page elle-même n’est pas présentée : le plan annoncé apparaît arbitraire.
La version C introduit plus directement la notion de monologue intérieur évoquée
par le libellé de l’exercice mais l’annonce du plan pourrait être plus explicite.
330
2. La première proposition n’indique aucune des références (auteur, titre de
l’œuvre) qui permettraient d’identifier clairement le texte étudié. On rappellera
que le lecteur (le correcteur) n’est pas censé connaître cette page et qu’il faut la
situer clairement. Le démonstratif « cette » dès la première ligne ne renvoie à rien
et on ne peut l’utiliser qu’après avoir présenté la page.
L’annonce du plan paraîtra maladroitement rédigée : lourdeur de « d’abord dans
une première partie », maladresse de « pour ensuite souligner » qui ne détache pas
suffisamment l’idée directrice de la seconde partie. Dans la troisième proposition,
le nom de l’auteur n’est pas signalé et le plan du commentaire n’est pas annoncé.
L’emploi de « cette » dans « cette page » est malheureux puisque la page n’a pas
été présentée : on écrira dans « une page » avant de recourir au démonstratif.
3. Question complémentaire : « Améliorez les introductions proposées ». Pour
améliorer la version A, on peut reprendre les deux premières phrases de la pro-
position C (en terminant par : « dans une page du roman de François Mauriac,
Thérèse Desqueyroux »). Pour améliorer la version B, on insérera la présentation
de la page donnée en A en la modifiant ainsi : « Une page du roman montre la
jeune femme seule dans un train pensant à son passé ; elle semble s’interroger sur
le crime qu’elle a commis mais n’arrive pas à comprendre. » Pour améliorer la
version C, il suffit de remplacer « cette » par « une » et d’annoncer le plan. Pour
cette annonce, on peut utiliser les propositions A et B. On peut les transformer
en questions en les liant à ce qui précède : Comment le romancier a-t-il procédé
pour rendre proche un personnage si étrange ? Mais cette page n’est-elle pas aussi
une méditation sur le mystère de nos destinées ?

Exercice 9✢✢
Remarque. On éliminera de l’introduction les propositions a et d qui, telles quelles,
n’éclairent en rien le poème et ne permettent pas de répondre à la question posée.
L’indication c au contraire est précieuse pour apprécier justement l’odelette.
Proposition d’introduction, à partir de l’indication b)
Le romantisme a mis à la mode le thème du voyage. Stendhal consacre des
ouvrages singuliers à l’Italie, Gautier à l’Espagne, et Nerval publie en 1848 son
Voyage en Orient. Ce n’est pas le charme fascinant de l’Orient que Gérard de
Nerval évoque dans une de ses Odelettes publiées en 1832 mais un événement
dépourvu de tout exotisme : le poète évoque « le relais » où la diligence a pu
changer ou restaurer les chevaux. Cette étape permet au voyageur de se reposer
de l’inconfort de la diligence. Le poème fixe ce moment sans histoire avec une
grande simplicité. Mais l’étape est aussi le moment d’unbonheur profond, d’au-
tant plus précieux qu’il sera de courte durée. Onétudiera comment le poète a
rendu vivante cette brève évocation. Puis on cherchera à voir comment cette évo-
cation est l’occasion d’un bonheur d’autant plus intense qu’il est fragile.
Autre proposition, à partir de l’indication c)
Au début du XIXe siècle, le renouveau de la poésie s’est manifesté par d’amples
compositions comme les Méditations de Lamartine ou les Chants du crépuscule
de Hugo. Le lyrisme personnel qui renouvelle au début du siècle les modalités de
331
l’écriture poétique demandait pour s’épancher de vastes proportions. Mais les
poètes romantiques n’ont pas ignoré les pièces brèves. Ainsi dans les Odelettes,
parues en 1832, Nerval cherche à donner dans des pièces d’une dizaine de vers
« une image gracieuse et fraîche d’où ressort une idée profonde et philosophique ».
Dans l’odelette intitulée « Le relais », il évoque un bref moment de repos au cours
d’un voyage fatigant en diligence. On dirait une vignette illustrant un livre de
voyage. Mais c’est aussi le moment d’une expérience bouleversante : celle d’un
bonheur fragile et profond. On étudiera d’abord la fraîcheur de cette image gra-
cieuse puis on montrera quelle idée elle donne du bonheur.

Rédiger la conclusion
Exercice 10✢
1. C’est la conclusion B qui convient le mieux au commentaire du texte de Nerval.
Elle obéit aux règles énoncées dans la fiche de la page 350, en présentant un bilan
du développement, avant d’envisager une forme d’élargissement.
2. La proposition A signale, de façon à peine caricaturale, une confusion fré-
quente entre commentaire littéraire et développement argumentatif. La conclu-
sion porte ainsi sur le thème au lieu de porter sur le texte. On soulignera l’écart
entre les idées directrices du commentaire, qui placent bien le poème en sujet, et
les deux dernières phrases de conclusion qui oublient le poème pour un élargis-
sement vague et hors-sujet. La conclusion C est bien trop rapide pour être satis-
faisante : la question finale mériterait ainsi une réponse et on peut proposer aux
élèves de l’enrichir de manière à la rendre plus attractive.

Exercice 11✢✢
Introduction. Flaubert est essentiellement « désenchanté ». Au retour de son
voyage en Orient, quand il entreprend la rédaction de Madame Bovary, il a aban-
donné les grandes envolées romantiques, les grands emportements lyriques de ses
premiers écrits. Emma Bovary vit la même expérience du désenchantement.
Cependant, au moment du bal de la Vaubyessard, elle est encore l’héroïne naïve
convaincue qu’elle va trouver aux côtés de Charles le bonheur découvert dans
ses lectures de couvent. L’atmosphère du bal, le « grand monde » qu’elle y ren-
contre, les plaisirs sensuels de la danse et du repas constituent l’éclair fugitif de
bonheur qui marquera sa vie entière, faisant s’évanouir un passé qu’elle voudrait
révolu. Comment la jeune femme vit-elle cet instant de bonheur intense ?
Comment Flaubert nuance-t-il ce bonheur à travers le surgissement brusque du
passé ?
Conclusion : Ce passage constitue l’un des moments clés du roman de Gustave
Flaubert. L’instant magique vécu par l’héroïne y est troublé par l’irruption d’un
monde extérieur qui aurait dû faire prendre conscience à Emma du caractère
factice de son bonheur. Flaubert veut sans doute signifier par là que le roman-
tisme a vécu et que la réalité, même refoulée, revient toujours signifier sa pré-
sence. Loin de ces considérations, Emma préfère « fermer à demi les yeux », sans
332
se rendre compte qu’elle vit là son plus grand moment de bonheur, tandis que
son destin l’attend, patiemment, comme tapi contre les carreaux sur lesquels
s’écrasent les faces des paysans qui la regardent.

Rédiger le développement
Exercice 12✢
L’extrait d’À rebours, de Joris-Karl Huysmans, présente un univers marqué par
la présence de la pluie, qui caractérise chacun des éléments de la description. La
première phrase de l’extrait permet au lecteur de percevoir la scène comme dans
un panoramique, qui laisse découvrir progressivement, à travers les références
spatiales, une ville noyée sous le déluge : le ciel, les toits, les maisons, les murailles,
les gouttières, les pavés, les trottoirs constituent un élargissement progressif du
champ de vision. Mais chacun des éléments de ce paysage est littéralement noyé :
le ciel est « gris », les murailles « ruisselaient du haut en bas », les gouttières
« débordaient », les pavés sont « enduits d’une boue de pain d’épice »… À ce chaos
liquide s’ajoutent les termes négatifs (« s’arrêtaient », « s’aplatissaient ») qui signa-
lent les difficultés rencontrées par les hommes pour s’adapter à cet univers agres-
sif. De la même manière les participes passés, nombreux, soulignent une forme
d’impuissance à lutter : « tassés », « retroussées », « courbées ». Cet effet est ren-
forcé par la syntaxe : le texte se compose ainsi d’une longue phrase accumulative
qui souligne l’invasion de la ville par la pluie.

Exercice 13✢
1. Début de la première partie : la page montre Adrien Deume en pleine action,
puisqu’on le voit garer sa voiture, pénétrer dans le hall, s’arrêter devant le tableau
d’avancement, avant d’emprunter l’ascenseur qui le « conduisait à ses travaux ».
Début de la seconde partie : toute la page est, en vérité, une cruelle satire du fonc-
tionnaire : elle raille sa vanité, son narcissisme, son conformisme. Ainsi, rien ne
montre davantage la vanité du personnage que ce qui lui donne un bonheur
profond.
2. Chaque grande partie va développer trois paragraphes.
Pour la première partie : Pour la seconde partie :
1. La dynamique du portrait. 1. La vanité du personnage.
2. L’originalité de la description. 2. Son narcissisme.
3. L’émotion du personnage. 3. Son conformisme.

Exercice 14✢
La focalisation interne permet de suivre les pensées du personnage avec d’autant
plus de souplesse que la phrase au style indirect libre rend la vivacité de ses réac-
tions. Des constructions sans verbe, très proches du langage oral, font entendre
son plaisir : « Épatante, sa Chrysler », ou encore « Douce mais nerveuse ». Parfois,
la modalité exclamative rend sensible son enthousiasme : « Dans trois jours,
333
membre A ! » Ailleurs, le recours à la modalité interrogative montre le petit dia-
logue qu’il entretient avec lui-même : « Est-ce possible ? Eh oui… ». Les petits
mots qui relèvent selon les linguistes de la fonction phatique, «voilà », « Hein ? »,
ponctuent ce monologue intérieur et contribuent à sa vivacité.

Exercice 15✢
– Ordre du paragraphe : C, D, A, E, B.

Exercice 16✢✢
Rédaction de la première sous-partie
de la première partie du plan du commentaire :
La première impression qu’Adrien Deume offre au lecteur est celle d’un homme
dynamique en mouvement, heureux de se rendre à son travail, possédé par un
esprit de conquête. Ainsi, la succession des verbes dans la deuxième phrase (l. 3
à 6) – « retira », « s’assura », « ferma », « tira », « considéra » – entretient un certain
rythme, alors même qu’il vient de ranger sa voiture, une voiture « aux reprises
foudroyantes » (l. 7). Les verbes et les indications de déplacement sont également
présents tout au long du passage : « il s’en fut d’un pas guilleret » (l. 10), « arrivé
dans le grand hall » (l. 16), « il se dirigea… vers » (l. 16), « l’ascenseur qui le
conduisait à ses travaux » (l. 29-30). Le personnage se voit lui-même dans une
sorte d’apothéose et d’ascension béate qui le conduit au ciel.
Rédaction de la première sous-partie
de la seconde partie du plan du commentaire :
Toute la page est, en vérité, une cruelle satire du fonctionnaire: elle raille sa vanité,
son narcissisme, son conformisme. Ainsi, rien ne montre davantage la vanité du
personnage que ce qui lui donne un bonheur profond : voiture, mallette et pro-
motion renvoient à Adrien Deume une image flatteuse de lui-même, dans laquelle
il peut se contempler, fasciné. La voiture joue évidemment un rôle essentiel dans
l’image qu’il a et se donne de lui-même. C’est pourquoi il a tant de plaisir à s’être
garé « entre les deux Cadillac ». La « mallette de fonctionnaire » qu’Adrien Deume
porte « gravement » renforce son image d’homme sérieux, sûr de lui, de sa valeur
et de son importance. Quant à la promotion qui l’attend, il la vénère comme on
vénère une divinité, une « présence sacrée » (ligne 21). Mais au bout du compte,
comment ne pas considérer ces plaisirs comme prétentieux, communs, médiocres ?

EXO-BAC
(PAGE 343)

Préparation
1. Un certain nombre des caractéristiques du style de Van Gogh sont décrites par
le texte de Mirbeau : « Ces formes se multiplient, s’échevèlent, se tordent » (l. 15
et 16) ; « les astres ivres tournoient » (l. 18) ; « les étoiles s’allongent » (l. 19) ; « une
334
grandeur tragique qui épouvante » (l. 24 et 25) ; « les torches terribles dans les
noirs firmaments » (l. 33 et 34).
2. Le texte d’Octave Mirbeau se présente comme un éloge du peintre et de son
œuvre, qu’il contribua à faire connaître et dont il acheta Les Tournesols alors
qu’il était un parfait inconnu ! Militant des avant-gardes, Mirbeau est un critique
intransigeant. Félix Fénéon dit ainsi de lui : « La propagande d’Octave Mirbeau
en faveur des artistes qui, du fait de leur originalité trop nette, étaient en butte à
l’incompréhension ou à l’hostilité est un des aspects les plus séduisants de l’ac-
tion qu’il exerça sur les idées de son époque. »
Tous les précédés de l’éloge figurent ainsi dans ce passage.
• La construction du texte
Mirbeau commence par l’affirmation de la thèse qu’il défend, dès la première ligne
(«Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre:
le style»). Il apporte ensuite des arguments: on reconnaît les tableaux de ce peintre
au premier coup d’œil (l. 3-9) ; son univers est animé d’une « vie étrange » où l’on
devine sa personnalité, ses sentiments, ses angoisses, sa folie (l. 9-32) ; sa technique
pour reproduire les nuances les plus subtiles de la réalité est incomparable (l. 32-
41).
• Les procédés de la persuasion
Mirbeau manifeste sa conviction en s’impliquant dans le discours, créant un lien
entre lui-même et son lecteur. Si les pronoms de la première personne sont absents
du texte (le critique s’efface derrière l’œuvre évoquée), on retrouve de nombreux
termes modalisateurs qui affichent le degré de conviction de l’émetteur : « à un
degré rare » (l. 1), « qui ne peut être autre » (l. 7), « tout entier » (l. 13), « l’inexpri-
mable fraîcheur» (l. 37). On peut également noter l’emploi systématique des termes
évaluatifs et affectifs, qui soulignent l’admiration de l’écrivain pour le peintre :
« un génie propre » (l. 7), « ce créateur étrange et puissant » (l. 10), « la surpre-
nante sève de son être » (l. 15), « la folie admirable » (l. 17), « ses admirables qua-
lités de peintre » (l. 23), etc. Enfin, les exclamations se multiplient à mesure
qu’approche la conclusion du texte, soulignant l’enthousiasme du critique, de
manière à le faire partager au lecteur : « Ah ! comme il a compris l’âme exquise des
fleurs ! » (l. 32) ; « Et comme il a compris aussi ce qu’il y a de triste, d’inconnu et
de divin dans l’œil des pauvres fous et des malades fraternels ! » (l. 39). Cette der-
nière phrase constitue ainsi la conclusion d’un discours qui repose à la fois sur la
volonté de convaincre et de persuader le lecteur.
3. Plan du commentaire
I. L’exaltation de la personnalité et de l’humanité de Van Gogh
1. Un style immédiatement reconnaissable :
– la thèse défendue (l’originalité du style) : Van Gogh au Panthéon des peintres ;
– l’enthousiasme du critique : termes évaluatifs et exclamations.
2. Un peintre observateur de l’humanité :
– une peinture empreinte de la personnalité de son auteur ;
– le paragraphe conclusif.
335
II. L’originalité d’un style et la dimension fantastique de l’œuvre
1. L’originalité du style :
– la technique novatrice de Van Gogh : l. 9-15 ;
– l’alternance de moments de folie et de moments de calme.
2. La dimension fantastique de l’œuvre :
– la transformation de la réalité : « ces fantastiques fleurs » (l. 21) ;
– le réseau lexical de la folie : « étrange » (l. 11), « folie » (l. 17), « astres ivres » (l.
18), « oiseaux déments » (l. 22), « l’œil des pauvres fous » (l. 40).

Rédaction
Peintre de génie et pourtant méprisé de son vivant, Vincent Van Gogh trouve en
Octave Mirbeau son plus ardent défenseur. C’est ainsi que dans cet article, publié
par L’Écho de Paris en 1891, l’écrivain fait l’éloge de celui qui sera reconnu par
la postérité comme l’un des grands maîtres de son époque. Ainsi, Mirbeau ne se
contente pas d’argumenter en faveur de son protégé, dont il vante le style et la
personnalité, il veut également communiquer son enthousiasme au lecteur en uti-
lisant pour cela tous les procédés du discours argumentatif. Comment le critique
d’art exalte-t-il la personnalité et l’humanité du peintre ? À travers quels procé-
dés souligne-t-il l’originalité du style et le caractère fantastique de la peinture de
Vincent Van Gogh ?
Mirbeau choisit d’affirmer d’emblée la thèse qu’il défend : « Van Gogh a eu, à un
degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre : le style. » En choisis-
sant d’utiliser le terme « homme » (plutôt qu’« artiste » ou peintre), le critique d’art
cherche à mettre d’abord en évidence la personnalité et l’humanité de Van Gogh.
Pour lui, celui-ci est à placer au Panthéon des grands artistes. Il l’intègre ainsi à
une impressionnante galerie de noms célèbres, qui ne peut manquer de frapper le
lecteur : Van Gogh est comparé à Corot, Manet, Degas, Monet, Monticelli ! Par
ailleurs, le critique communique son enthousiasme au lecteur en employant de
nombreux termes évaluatifs ou affectifs qui soulignent l’admiration de l’écrivain
pour le peintre et derrière lesquels apparaissent, invariablement, l’homme : « un
génie propre » (l. 7), «ce créateur étrange et puissant » (l. 10), «la surprenante sève
de son être » (l. 15), « la folie admirable » (l. 17), « ses admirables qualités de
peintre » (l. 23), etc. Enfin, les exclamations, toujours plus nombreuses à mesure
qu’on avance dans le texte, soulignent l’enthousiasme qui semble avoir gagné le
critique, la ferveur qui s’empare de lui à l’évocation d’un tel génie.
C’est que Van Gogh apparaît à Mirbeau comme un observateur profond de l’hu-
manité. La première qualité de sa peinture est d’être empreinte de sa personna-
lité, comme la peinture de tous les grands maîtres : « ils ont un génie propre qui
ne peut être autre, et qui est le style, c’est-à-dire l’affirmation de la personnalité »
(l. 7). Les portraits, les paysages du peintre hollandais sont ainsi animés d’une
« vie étrange […] qui est en lui, et qui est lui » (l. 11). Autrement dit, Van Gogh
se met tout entier dans ses toiles, « qu’il gonfle de la surprenante sève de son être »
(l. 14). La répétition de l’expression « comme il a compris » (l. 32 et 39) souligne
de la même manière combien l’homme est original, parvient à voir et à rendre
sur la toile les détails les plus subtils. C’est le sens du dernier paragraphe, qui sou-
ligne cette originalité inquiétante et tourmentée : « Et comme il a compris aussi
336
ce qu’il y a de triste, d’inconnu et de divin dans l’œil des pauvres fous et des
malades fraternels ! »
En effet, c’est bien dans l’originalité du style de Vincent Van Gogh, souvent à la
limite du registre fantastique, que réside sa gloire future. Mirbeau insiste sur la
technique novatrice du peintre (l. 9 à 15) : en exprimant sa personnalité à travers
les sujets qu’il peint, l’artiste ne donne-t-il pas une dimension autobiographique
à son œuvre ? Pour qui connaît la vie tourmentée de l’homme, cela ne fait aucun
doute. D’ailleurs, Mirbeau ne s’y trompe pas, qui voit dans les différents tableaux
qu’il a pu admirer une alternance de moments de folie et de calme, de sérénité et
de folie. À la « grandeur tragique qui épouvante » (l. 24) s’oppose « l’inexpri-
mable fraîcheur et les grâces infinies » (l. 37). Œuvre surprenante, donc, que le
lecteur a envie de découvrir, de regarder d’un autre œil, désormais averti.
Enfin, l’œuvre de Van Gogh apparaît originale par sa dimension fantastique.
Mirbeau évoque ainsi « ces fantastiques fleurs qui se dressent et se crêtent, sem-
blables à des oiseaux déments » (l. 21-22). On ne peut s’empêcher de songer aux
fameux tournesols, qui représentent aujourd’hui la toile la plus célèbre du peintre.
Fleurs torturées, qui côtoient dans l’œuvre des « astres ivres » (l. 18), des « comètes
débraillées » (l. 20) ou des « oiseaux déments » (l. 22). Mirbeau va plus loin encore
en utilisant paradoxalement le réseau lexical de la folie dans son éloge : « étrange »
(l. 11), « folie » (l. 17), « ivres » (l. 18), « déments » (l. 22), « l’œil des pauvres
fous » (l. 40). Quand on connaît le destin tragique du peintre, qui sombre dans
la démence au point qu’il faut l’interner, on ne peut s’empêcher de penser que
Mirbeau a su « lire » la peinture de l’artiste aussi bien qu’il a su faire partager au
lecteur son enthousiasme…
Tout en exaltant la forte personnalité et l’humanité de Vincent Van Gogh, Octave
Mirbeau fait donc l’éloge de son œuvre, s’appuyant pour cela sur l’ensemble des
procédés de la rhétorique. Le discours du critique d’art repose ainsi sur la volonté
de convaincre et de persuader le lecteur. En définitive, on peut penser que le chro-
niqueur de L’Écho de Paris fait preuve de clairvoyance et d’enthousiasme, un
enthousiasme qu’il réussit à nous faire partager. Mais il parvient également à nous
faire voir autrement une œuvre que nous croyions connaître, en nous montrant
que derrière elle se laisse deviner la folie dans laquelle sombrera son créateur.

SUJET DU BAC
(PAGES 344 à 346)

I. Questions
1. Si le poème de Saint-Amant revendique les plaisirs de la paresse, il rapproche
aussi la paresse d’un sommeil qui pourrait être mortel. La paresse est présentée
comme un repli sur soi qui permet de manifester son indépendance ou son refus
de se soucier des autres. La Rochefoucauld met en évidence la puissance de la
paresse qui est d’autant plus irrésistible qu’elle agit insensiblement, d’autant plus
active que son action est invisible. Henri Michaux montre que la paresse est un
attachement viscéral à soi-même qui a des racines profondes : c’est un mouve-
ment profond où le corps se noue à l’âme. Ce lien au corps est présent dans les
337
trois textes : le mot « charme » au sens fort qu’il avait autrefois se retrouve dans
le poème de Michaux et dans la réflexion de La Rochefoucauld. Ce lien au corps
s’exprime aussi dans le tableau de Baccio Maria Bacci. L’attitude désinvolte du
personnage situé au centre même de l’œuvre agit comme une provocation, une
incitation à l’indolence. L’expression de La Rochefoucauld « un lien secret de
l’âme » est développée dans le poème de Michaux puisque la paresse y est pré-
sentée comme un mouvement profond de l’âme qui donne un plaisir sans fin. Les
trois textes analysent la paresse comme un lien essentiel, secret, mystérieux, de
soi avec soi et l’on retrouve dans les trois textes une complicité avec ce vice qu’ils
contribuent aussi à dénoncer. Le registre seul change : humour burlesque chez
Saint-Amant, rigueur implacable de lucidité, constat tragique de la misère humaine
chez La Rochefoucauld. L’analyse de Michaux est aussi radicale mais, comme la
peinture de Baccio Maria Bacci, elle semble se faire davantage complice de ces
paresseux qui ressemblent tant à des enfants persécutés.
2. Dans le sonnet « Le paresseux », le poète se compare à « un lièvre sans os qui
dort dans un pâté » (v. 3). La comparaison burlesque montre de façon provocante
à quel point le paresseux renonce à toute énergie, à tout signe de vitalité. La com-
paraison avec Don Quichotte (v. 4) suggère que le paresseux vit dans une illusion
trompeuse. En comparant la paresse au petit poisson qu’on nomme « rémora »
(l. 6), La Rochefoucauld souligne la sournoiserie de la paresse, force d’autant
plus invincible qu’elle paraît invisible. La comparaison avec la bonace (l. 7) oppose
l’aspect séduisant de la paresse à la gravité des effets qu’elle produit. Pour définir
la paresse, Michaux la compare à une nage. Il refuse la comparaison avec l’envol
et compare la nage du paresseux à celle des serpents et des anguilles (l. 7-8). Le
poète souligne ainsi le caractère insinuant et insidieux de ce vice si délicieux.

II. Écriture
1. Commentaire
S’il est un défaut unanimement condamné par les parents, les prêtres, les péda-
gogues, c’est bien la paresse dont l’Église catholique a fait un des sept péchés capi-
taux. Mais quand le poète Saint-Amant consacre un sonnet au paresseux, il ne
paraît guère vouloir fustiger la mère de tous les vices. En donnant la parole au
paresseux lui-même, le poète donne une image souriante de l’inactif. Il le montre
enfoncé dans un lit et peinant à écrire un sonnet qu’il adresse à son ami Baudoin,
travailleur infatigable. Le poème s’inscrit ainsi d’emblée dans le registre de la
parodie burlesque. Mais au-delà de cette présentation délibérément fantaisiste,
le sonnet formule une revendication d’indépendance. Par sa paresse, le person-
nage de Saint-Amant s’affranchit des contraintes, des soucis, des ambitions que
nous impose la vie sociale. Pourtant le poète, tout en souriant, tout en affirmant
son désir de liberté, laisse pressentir ce qu’il peut y avoir de dangereux, voire de
maladif dans ce rêve d’inaction.
Pour présenter la paresse, le poète n’hésite pas à se tourner en ridicule : il se met
en scène en train d’écrire quelques vers à son ami Baudoin. Loin d’être inspiré
par des muses qui feraient de lui le messager des dieux, le poète paresseux se
338
montre vautré « dans un lit » : c’est à ce lit que renvoie l’adverbe « là » qui ouvre
le deuxième quatrain et ce sont les draps de ce lit qu’on aperçoit dans le dernier
tercet. Ce n’est pas un de ces lits de cérémonie où les précieuses se présentaient
dignement à la compagnie : on devine une masse emmitouflée dans des draps d’où
ne sort qu’une main. C’est la main qui écrit mais elle n’écrit qu’« à peine ». En
effet, la locution « à peine », mise plaisamment en valeur par le contre-rejet,
reprend ici son sens propre : « avec difficulté », « avec effort ». À voir cette main
en difficulté, on comprend que le « bel hymne » se réduise à un bref sonnet. Le
regard non plus ne donne pas les signes de l’inspiration : les « yeux entr’ouverts »
vont vaciller dans un sommeil qui n’aura rien de visionnaire.
Cette dimension burlesque se retrouve dans la façon dont le poème évoque le
corps du paresseux. Le poète n’hésite pas à employer des expressions familières
comme « fagoté », « bedaine » ou des comparaisons saugrenues. Le mot « fagoté »
évoque quelqu’un qui est mal mis ou mal fait, « ramassé en rond » dit Furetière :
la pose n’est guère avantageuse. La bedaine qu’on voit enfler est rarement un
attribut du poète : ce terme populaire, selon Furetière, désigne « un gros ventre,
la panse d’un goinfre ». Le mouvement qui fait enfler la bedaine, est-ce la diges-
tion d’un repas de rêve, est-ce l’amorce d’un ronflement ? La comparaison sur-
prenante « un lièvre sans os » souligne de façon burlesque la disparition de toute
énergie : ne reste plus qu’un corps flasque, mou, mort. Tout le corps du pares-
seux est ainsi mis en scène : ces indices réalistes sont un trait du registre burlesque
qui refuse tout sérieux. Mais ce poète qui se rend lui-même ridicule exprime, en
vantant « ce plaisir si doux et si charmant », une triple revendication. La paresse
est d’abord refus des soucis politiques et militaires comme le souligne le groupe-
ment ternaire qui évoque les champs de bataille où se conquiert la gloire et le
pouvoir : « sans me soucier des guerres d’Italie,/Du comte Palatin, ni de sa
royauté ». Ces espaces de l’héroïsme chevaleresque ne peuvent rivaliser avec ce
lieu que désigne l’adverbe « là » : le lit où s’épanouit le paresseux. C’est le devoir
qui lie le vassal au suzerain ou le combattant à son chef qui est ainsi récusé. Le
sens même de l’honneur qui bat dans le cœur des héros de Corneille semble sans
valeur aux yeux du paresseux : n’est-ce pas faire ainsi le frondeur ?
Le paresseux refuse aussi de faire le moindre effort pour subvenir aux besoins de
son existence : la seule vue de la « bedaine » qui enfle soit sous l’effet du sommeil
soit sous l’effet d’une digestion digne de la « panse d’un goinfre » lui semble garan-
tir des lendemains heureux qui évitent tout effort. C’est la morale de la bour-
geoisie laborieuse et méritante qui se voit à son tour repoussée.
L’ambition poétique enfin est elle-même récusée. Elle apparaît sous la forme de
ce « bel hymne » que le poète veut consacrer à la paresse. Rien de plus prestigieux
en effet que ces vers composés en l’honneur de la divinité ; en composant son
célèbre recueil, Ronsard a illustré une des plus hautes ambitions de la poésie.
Mais la main qui s’agite « hors des draps » avoue que le poète renonce à de si
hauts projets : le paresseux a déjà bien de la peine apparemment à terminer son
petit sonnet. En se mettant au lit, le poète paresseux fait sécession : il refuse déli-
bérément l’idéal héroïque, le réalisme bourgeois, l’ambition artistique. Ainsi l’hu-
mour de cette présentation estparfaitement provocant : au cœur du paresseux un
anarchiste sommeille qui refuse toutes les contraintes, néglige toutes les lois. Mais
339
précisément le paresseux ne fait que sommeiller et le poème laisse entendre ce
que cetteattitude peut avoir d’insidieusement dangereux.
Ce désir d’oisiveté se dit par les mots de la maladie. La paresse est liée dès le
premier vers à la « mélancolie ». Au XVIIe siècle, le mot « mélancolie » appartient
au vocabulaire médical : des quatre humeurs qui sont dans le corps, c’est, dit
Furetière, la plus pesante et la plus incommode. Il s’agit d’une véritable maladie
« qui cause une rêverie sans fièvre accompagnée d’une frayeur et d’une tristesse
sans cause apparente ». « Rêver » signifie faire des songes extravagants, et parti-
culièrement quand on est « malade », écrit encore Furetière. On dirait aujourd’hui
« délirer ». L’adjectif « morne » qualifie une « humeur triste, sombre et taciturne ».
La comparaison avec la « morne folie » de Don Quichotte fait du paresseux une
sorte de malade mental qui s’est coupé du monde réel et qui s’abandonne à d’illu-
soires délires : « je crois » suggère que les rêves du poète sont pures illusions. Ces
illusions pèsent au point de faire du paresseux un homme « accablé ».
Plus encore, la paresse est associée au monde du sommeil. Le sommeil du pares-
seux est rappelé avec insistance par l’évocation du lit, par la reprise du verbe
« dormir », par les yeux qui se ferment. Ce plaisir « si doux et si harmant » est
d’abord celui du sommeil. Or le sommeil est lié à la mort. Le lièvre « qui dort
dans un pâté » a perdu ses os, mais surtout sa vie, son mouvement. Le mot « ense-
velie » par lequel le paresseux qualifie son « âme », son énergie vitale, évoque
directement le mort qu’on enterre, le mouvement de disparition et d’oubli. Le
mot « langueur » est commun au lexique de la maladie et à celui de la mort puis-
qu’il désigne une maladie lente et souvent mortelle. Certes, le poème n’en devient
pas tragique pour autant et le registre dominant est bien celui de la fantaisie la
plus désinvolte. Il n’en reste pas moins que l’éloge de la paresse passe par le thème
de la folie et de la maladie qui vous éloigne du réel et des autres.
C’est sans doute cet éclat de rire désinvolte qui jette joyeusement aux orties toutes
les obligations sociales, toutes les ambitions (politiques ou poétiques) que valo-
rise la société, qui fait le charme du poème. Cet esprit d’indépendance caractérise
les poètes qu’on dira plus tard baroques comme Tristan l’Hermite, Théophile de
Viau ou Saint-Amant et dont certains étaient dénoncés comme libertins. Mais cette
joie se mêle d’une tristesse mélancolique: cette remise en cause des valeurs admises
est aussi refus de la vie, appel secret d’un sommeil qui peut être mortel. Telle est
la sournoise douceur de la paresse. N’est-ce pas cette fusion du rire et de l’inquié-
tude, de la révolte et de la tristesse qui unit le poète au paresseux ? Sans rappeler
le magnifique « Songe d’un habitant du Mogol » de La Fontaine, on peut penser
que Baudelaire aurait pu se sentir proche du paresseux de Saint-Amant, lui qui
écrivait dans un projet de préface aux Fleurs du mal : « Dormir et encore dormir,
tel est aujourd’hui mon unique vœu. Vœu infâme et dégoûtant, mais sincère. »

Critères de réussite
• Pertinence de la lecture : on valorisera les commentaires qui auront perçu la
double dimension, élogieuse et critique, du sonnet ;
• Construction du commentaire : annonce des idées directrices et des arguments.
• Qualité de la rédaction : précision du vocabulaire, précision des remarques.
340
2. Dissertation
À chaque époque, les poètes renouvellent la fonction de la poésie. À quoi obéit,
chez les écrivains, la nécessité d’écrire des vers ? Qu’attend le lecteur de ce genre
littéraire si particulier ? Depuis la Renaissance, la poésie s’attache à jouer sur le
langage et sur les formes, de manière à séduire et faire rêver. Cependant, comme
tout autre genre littéraire, elle joue aussi un rôle dans l’expression et l’évolution
des idées. Le poète se fait alors le porte-parole du corps social, dénonçant ou
revendiquant, tel Saint-Amant, un autre art de vivre ou même de gouverner.
Quelles sont les différentes fonctions de la poésie ? En quoi celle-ci peut-elle servir
de support à l’expression d’une conscience collective ?
La poésie a souvent semblé d’abord destinée à l’expression de sentiments intimes.
Le poète recueille un souvenir, expose un sentiment amoureux, un chagrin ou un
regret. Il fait part au lecteur de sa mélancolie ou s’émerveille devant le monde.
C’est un rapport nouveau qu’il crée ainsi avec son lecteur, à travers le lyrisme
d’une voix personnelle. Les sonnets de Ronsard pour Marie ou pour Hélène
témoignent ainsi des amours du poète, comme après lui Louise Labé, Alphonse
de Lamartine ou Paul Éluard. Cette voix lyrique qui se fait entendre à chaque
époque nous rappelle que la fonction première de la poésie est l’expression des
sentiments que chacun d’entre nous peine à « mettre en mots ». Le poème consti-
tue dès lors de ce que nous aimerions dire mais ne savons pas exprimer.
C’est pourquoi le monde antique concevait la poésie comme l’art de créer un
langage élevé, différent du langage courant : « poésie » vient du mot grec poiein,
qui signifie « faire », « créer ». Les règles de la versification (la métrique, le vers,
la rime, la strophe) apparaissent dès lors comme autant d’outils qui permettent
au poète d’exprimer toutes les nuances de ce langage au rythme et aux effets
sonores proches de ceux de la musique. Le symbole de la poésie n’est-il pas la
lyre, dont chaque corde agitée fait frémir en nous des sentiments divers ? Langage
musical, donc, langage codé qui émerveille le lecteur et l’entraîne à rêver. Mais
est-ce là son unique fonction ? Le poète n’est-il qu’un doux rêveur détaché du
monde et de la société ?
Le sonnet de Saint-Amant pourrait le laisser croire, en nous présentant le poète
comme un « paresseux » avide de sommeil et de rêverie. Mais ce serait sans
compter le rôle social du poète. Avec la Pléiade en effet, les sonnets ou les odes
de Ronsard et Du Bellay tentent de retrouver la veine antique tout en donnant à
la langue française ses lettres de noblesse. De la même manière, derrière ses fables
apparemment innocentes, La Fontaine ne se prive pas de mettre en évidence les
défauts d’une organisation sociale trop rigide à son goût. Dès lors, le poète se
trouve à l’avant-garde de mouvements profonds, entraînant derrière lui l’ensemble
du corps social.
Quelquefois même, au-delà d’une évolution, c’est à la révolution qu’appelle le
poète. Dès le XVIe siècle, Agrippa d’Aubigné dénonce avec force la violence des
guerres de religion qui coupent la France en deux. Si le XVIIIe siècle est celui des
philosophes, la poésie reprend ses droits avec les romantiques qui, à leur manière,
contribuent à la réorganisation d’une société qui connaît des mutations profondes.
Victor Hugo s’impose comme le défenseur des opprimés : enfants, paysans,
341
ouvriers, tous trouvent en lui un ardent défenseur. Un siècle plus tard, les poètes
de la Résistance utilisent la plume comme une arme efficace pour lutter contre
l’occupant. Loin d’être coupé de la société, le poète prend donc part à ses trans-
formations, notamment lorsque l’injustice ou l’arbitraire dominent.
Ces différentes fonctions de la poésie ne sont pourtant pas contradictoires. Le
poète est toujours au centre de sa création, au cœur de la société dans laquelle il
est né et dans laquelle il vit. Il ne doit se soumettre à aucune idée préconçue de
la poésie, peut défendre la paresse comme le courage, la fantaisie verbale comme
l’expression d’un malaise ou d’une révolte. Le poète ouvre le langage à sa puis-
sance d’enchantement, comme il ouvre les esprits et les consciences à la fronde
ou au rejet.

Critères de réussite
• Construction du plan.
• Appui sur des exemples précis.
• Originalité des idées développées.

3. Écrit d’invention
Mesdames, Messieurs,
Avez-vous lu le sonnet intitulé « Le paresseux », qui fait fureur dans quelques
salons de notre ville ? On en sourit d’abord, on s’en amuse, on veut faire le bel
esprit et on ne se rend pas compte que la plus dangereuse des tentations s’insinue
lentement dans notre âme, qu’elle risque d’affaiblir les plus forts, de pervertir les
plus vertueux, de renforcer les tentations auxquelles sont toujours sensibles les
plus faibles. Comment peut-on composer l’éloge de la paresse ? Comment peut-
on chercher à rendre séduisant un personnage si profondément dangereux ?
Que peut-il y avoir de pire en effet que cette désinvolture à l’égard des devoirs
les plus sacrés d’un gentilhomme ? Comment le paresseux peut-il oser être fier de
son indifférence ? Ne pas se soucier des guerres d’Italie, ne pas soutenir les inté-
rêts de son prince pour rester enfoncé dans son lit, n’est-ce pas se rendre aveugle
aux plus nobles desseins, n’est-ce pas se faire non seulement inutile mais traître
à son pays ? Le paresseux veut faire l’indépendant : belle audace qui mènerait un
royaume à sa perte, qui affaiblirait le plus vaillant des princes, qui conduirait à
l’asservissement des peuples. Le paresseux veut faire l’indépendant mais il s’aban-
donne au sommeil. Dans un royaume de marmottes, on cherche en vain des
hommes libres ! On n’est libre que lorsque l’on fait son devoir, que l’on soutient
l’honneur de son nom, et que l’on défend ardemment l’honneur de son prince et
la force de son royaume.
Que peut-il y avoir de pire que de renoncer au moindre effort, d’attendre que les
biens vous viennent en dormant ? Le paresseux avoue ainsi qu’il n’est qu’un para-
site qui pour vivre ne compte que sur l’effort des autres. C’est le travail qui nous
rend solidaires les uns des autres et le travail bien fait est ce que nous offrons aux
autres et ce que nous recevons d’eux. Ainsi chaque jour se tisse un réseau serré
de relations : du boulanger au médecin, du cultivateur à l’ingénieur, de l’employé
au commerçant s’échangent des produits, des gestes, des services. Mais le pares-
342
seux, se tournant dans ses draps, attend que les oiseaux lui tombent tout cuits du
ciel. Faux bonheur fondé sur l’illusion ! Faux plaisir fondé sur l’égoïsme ! En refu-
sant de travailler, le paresseux refuse de partager, d’échanger, de donner. Avare
de ses efforts, replié sur lui-même, vivant dans la peur d’être dérangé, le pares-
seux se met lui-même en marge de la communauté.
Que peut-il y avoir de pire que celui qui n’est pas même pas fidèle à ses propres
passions ? Voyez, ce poète qui ne voit pas son ridicule : il veut composer des
hymnes, un misérable sonnet suffit à l’épuiser et le voilà fermant les yeux, agitant
la main vainement hors de sa couette et renonçant à ses desseins. Comment peut-
on créer, comment peut-on inventer, comment peut-on innover quand on est si
avare de ses efforts ? Pour écrire, le vrai poète cent fois se remet à l’ouvrage, le
polit, le repolit : il y faut du courage, de l’obstination, de l’énergie. Cette paresse
alanguie ne peut conduire qu’à la perversion du goût. Le paresseux a dû trouver
dans le ruisseau où il se traîne des mots aussi communs que « fagoté », « bedaine ».
Où est la beauté, l’éloquence, la poésie ? La paresse est un continuel renoncement
à soi-même et la seule des passions qu’elle sache entretenir est la passion du
sommeil. Misérable passion ! Misérable paresse !
Que peut-il y avoir de pire que l’absence de tout idéal ? Quelle est donc l’ambi-
tion de ce monsieur qui se croit si drôle de louer la paresse ? Ressembler à un
lièvre ! Un lièvre désossé ! Un lièvre dans un pâté ! Noble ambition, beau désir,
bien digne d’un être humain. Et à quelle occupation ce beau seigneur veut-il
donner son temps ? Regarder enfler ce qu’il appelle lui-même sa bedaine ! Joli
passe-temps, noble activité. Celui qui se voue à la paresse ne peut que sombrer
dans une sorte de vie végétative: un animal au moins cherche sa nourriture, défend
ses petits. Ce serait trop d’effort pour notre paresseux. Ne reconnaît-il pas lui-
même qu’il sombre dans la mélancolie ? Et comment pourrait-il être vraiment
heureux de cette ombre de vie qu’il réduit à l’inertie, au sommeil, au néant ? Vivre,
c’est avoir les yeux ouverts, vivre c’est chercher à donner le meilleur de soi-même,
vivre, c’est sauter du lit et aller vers les autres !
Mesdames, Messieurs, cessez de rire du paresseux. La paresse est trop dangereuse
pour chacun d’entre nous car elle sommeille en nous : la moindre fatigue, la
moindre difficulté lui offre un prétexte dont elle se saisit pour s’emparer de nous.
Elle nous tente irrésistiblement en offrant le repos, la douceur et la paix. Ne cédez
pas à ses mensonges. La paresse engourdit, elle ne crée pas ; la paresse asservit,
elle ne libère pas ; la paresse endort et ne réveille pas. Cessez de rire, chassez-la
de vos cœurs car céder à l’envie égoïste d’un dérisoire confort, n’est-ce pas refuser
ce qui fait la beauté d’une vie humaine : l’énergie déployée, le risque pris, la créa-
tion de soi-même chaque jour renouvelée ?

Critères de réussite
• Références précises au texte de Saint-Amant qui doit avoir été analysé et compris.
• Emploi des figures de l’éloquence : anaphores, appel à l’auditeur ou au lecteur,
énumérations, antithèses, etc.
• Effort de composition : présence d’une introduction et d’une conclusion et de
deux ou trois paragraphes clairement délimités.
343
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE

26 La dissertation
(PAGES 347 à 368)

Le sujet de dissertation « consiste à conduire une réflexion personnelle et argu-


mentée à partir d’une problématique littéraire issue du programme de français.
Pour développer son argumentation, le candidat s’appuie sur les textes dont il
dispose, sur les « objets d’étude » de la classe de Première, ainsi que sur ses lectures
et sa culture personnelle ». (BO n° 26 du 28 juin 2001). L’élève, qui a dû répondre
aux questions de lecture, peut lui consacrer plus de deux heures et demie. Toutefois,
l’analyse du corpus, que ces questions exigent, facilite sa tâche puisque le sujet de
dissertation est ancré sur ce même corpus. L’élève doit avoir pour objectifs :
– l’analyse rigoureuse du sujet de dissertation ;
– la reconnaissance d’une problématique ;
– à partir de cette problématique, la recherche d’idées, d’arguments et d’exemples
à tirer des objets d’étude du programme, des textes du corpus, de la culture per-
sonnelle ;
– la construction d’un plan correspondant à l’une des trois éventualités possibles
(développement, réfutation, discussion d’un point de vue) ;
– le développement et l’enrichissement de ce plan par classification et hiérarchi-
sation rigoureuses des idées, des arguments et des exemples retenus.
Dans la pratique, on conseillera aux élèves d’utiliser autant de feuilles de brouillon
que de grandes parties prévues. Chaque feuille pourra être divisée en trois colonnes
correspondant aux trois grandes sources d’idées, d’arguments et d’exemples :
– le ou les objets d’étude concernés ;
– les textes du corpus ;
– la culture personnelle (lectures, films, émissions de radio ou de télévision,
voyages, observations quotidiennes).
Une fois terminé ce travail de recherche, il faut intégrer dans un plan développé
très détaillé les idées retenues. Il est souhaitable, de temps à autre, de faire tra-
vailler les élèves en panels (3 ou 4 participants) : le dialogue et la somme des
connaissances permettent en général les meilleurs résultats.
Lorsque le plan de la dissertation est cohérent et qu’il fait apparaître la hiérar-
chisation des idées, des arguments et des exemples, il devient possible de rédiger
directement la dissertation, au propre, sans en passer par l’intermédiaire d’un
brouillon. Grâce à cette rédaction directe, le candidat gagne un temps précieux.
345
Par contre, il est conseillé de rédiger au brouillon l’introduction et la conclusion
pour éviter tous les à-peu-près. La première est en effet fondamentale pour la
mise en place de la problématique, et la seconde, au-delà du bilan de l’argumen-
tation, doit se terminer sur une note très personnelle.

EXERCICES
(PAGES 348-353)

Analyser le sujet de la dissertation


Exercice 1✢
1. Les sujets 1 et 2 proposent la confrontation de deux points de vue ; le sujet 3
demande de valider un point de vue ; le sujet 4 consiste en une citation à discu-
ter.
2. Les mots clés des différents sujets proposés
• Sujet 1. Lorsqu’un poète évoque une rencontre amoureuse, s’agit-il seulement,
selon vous, de relater un événement fugitif et personnel ou donne-t-il à cette évo-
cation une portée universelle susceptible de toucher le lecteur ? Vous répondrez
à cette question en vous appuyant sur le corpus et sur les textes poétiques que
vous avez étudiés.
• Sujet 2. Pour convaincre, est-il préférable d’illustrer son point de vue à travers
une histoire ou de présenter directement ses arguments ? Vous répondrez à cette
question en prenant appui sur les textes du corpus ainsi que sur ceux que vous
avez étudiés ou lus.
• Sujet 3. À partir du corpus, de vos lectures et de votre expérience de spectateur,
vous vous demanderez en quoi la mise en scène d’une œuvre théâtrale en consti-
tue, à sa manière, une interprétation.
• Sujet 4. « Mon héroïne est mienne et n’appartient qu’à moi », écrit Milan
Kundera. Pensez-vous que le personnage de roman soit une création uniquement
issue de l’imagination du romancier ?

Reformuler la problématique du sujet


Exercice 2✢✢
1. • Le sujet 1 porte sur l’autobiographie, posant la question du rapport de
l’écriture de soi avec l’entourage, la société, l’histoire, etc. (« tout le reste »).
• Le sujet 2 s’interroge sur le théâtre en tant qu’espace scénique. Ionesco affirme
une forme de supériorité du genre théâtral sur les autres genres littéraires, permise
par l’adaptation sur scène d’un texte.
• Le sujet 3 pose la question de la sincérité de l’œuvre autobiographique : le juge-
ment à discuter affirme qu’elle n’est pas indispensable, et même qu’elle est sou-
haitable, contrairement aux principes généralement affirmés depuis Rousseau.
346
2. • Sujet 1. L’écriture d’une autobiographie s’accompagne-t-elle nécessairement
d’une interrogation sur le monde et la société ?
• Sujet 2. L’écriture et la mise en scène d’un texte théâtral permettent-elles toutes
les audaces ?
• Sujet 3. Est-il souhaitable de travestir la réalité lorsqu’il s’agit d’écrire une œuvre
autobiographique ?

Rechercher des idées :


recourir aux objets d’étude
Exercice 3✢
1. La problématique posée par le sujet : Comment l’apologue permet-il de déve-
lopper efficacement une argumentation ?
2. Les éléments de réponse à la problématique posée par le sujet :
– apologue = « un récit court et plaisant » qui élimine les détails superflus de
manière à captiver le lecteur ;
– apologue = forme d’argumentation indirecte qui fait réfléchir le lecteur sur sa
propre condition ;
– apologue = enseignement moral et didactique pouvant prendre des formes mul-
tiples : fable, parabole, conte (philosophique), utopie ;
– histoire littéraire : la fable. Ésope, Phèdre dénoncent l’oppression des faibles
dans l’Antiquité ; La Fontaine y trouve sa principale source d’inspiration. 1668 :
les Fables font de La Fontaine « l’Ésope et le Phèdre français ». Dénonciation des
flatteurs et des puissants. La morale s’adresse à l’intelligence et au cœur.

Exercice 4✢
Les indications sur la mise en scène d’une pièce de théâtre :
– sous la direction du metteur en scène, les acteurs « prêtent » leur corps, leurs
gestes, leur voix au texte de théâtre, pour le représenter sur scène ;
– le choix d’un lieu pour la représentation (amphithéâtre grec, théâtre à l’ita-
lienne, rue, hangar, etc.) influe sur la perception du texte par le spectateur ;
– le metteur en scène choisit acteurs, costumes, éclairage et décors : c’est ensuite
un travail collectif, celui de la « troupe théâtrale », qui permet une véritable
« recréation » du texte ;
– le texte et sa mise en scène peuvent obéir à plusieurs fonctions : divertir, donner
une réflexion politique ou une critique sociale, mieux connaître l’être humain.
Histoire littéraire. Représentation théâtrale = émotion collective ; « purgation
des passions » selon Aristote (catharsis) pour la tragédie, ou critique sociale
(Molière) pour la comédie ; « instruire et plaire » est le but du théâtre classique ;
aujourd’hui (depuis Brecht), le théâtre veut remplacer la crainte et la pitié par
« l’étonnement et la curiosité » ou (pour Ionesco) « la projection sur scène du
monde du dedans ».

347
Rechercher des idées : exploiter des textes du corpus
Exercice 5✢✢
1. La problématique posée par le sujet : La poésie a-t-elle pour fonction première
de mettre les mots en musique ?
2. Les éléments de réponse apportés par les chapitres 14 et 18 :
– l’évolution des formes poétiques montre une grande diversité : les formes fixes
et régulières issues du Moyen Âge laissent peu à peu place à des formes plus libres
et ouvertes : la poésie en conserve-t-elle sa dimension musicale ?
– l’évolution des genres poétiques, distinction aujourd’hui abandonnée, montre
la place importante de la poésie lyrique (lyre = musique) ;
– sur quoi cette « musicalité » repose-t-elle ? cf. chapitre 14 : règles de la versifi-
cation, importance du rythme, des effets sonores, des répétitions lexicales… Poésie
= art de la répétition.
Histoire littéraire. Le Moyen Âge invente le vers et la rime ; le rythme crée l’har-
monie ; la poésie est proche de la chanson, souvent accompagnée de musique
(troubadour = musicien et poète) ; codification des règles au XVIIe siècle (Art poé-
tique) : la versification crée un langage musical ; l’abandon progressif de ces règles
préserve cependant cette dimension musicale, à travers la répétition.
3. Les passages du corpus pouvant servir d’exemples ou de citations :
– texte A : réseau lexical de la musique, qui déclenche le rêve, l’émotion du poète ;
la forme régulière du poème (odelette = petite ode) ; le titre du poème (« Fan-
taisie ») renvoie à l’univers musical ; le lyrisme personnel ;
– texte B : jeu des répétitions (le refrain, les structures syntaxiques, le lexique) ;
l’expression « à quoi rime » (vers 4) ; les nombreuses allitérations et assonances ;
mais: absence de régularité (rimes irrégulières, vers libres, disparition des strophes,
ponctuation…) ; rythme plus heurté, plus conforme au monde moderne.
4. Le poème de Nerval se présente comme une « odelette ». Sa dimension musi-
cale est donc clairement affirmée, basée sur la répétition : mesure du vers, unité
de la strophe, schéma des rimes, etc. Le thème du poème ramène lui aussi à la
dimension musicale de la poésie (titre, thème des deux premières strophes), et la
première strophe va jusqu’à affirmer la supériorité du langage poétique sur le
langage musical, en même temps qu’elle affirme leur fonction commune (un
« air »). Nerval et Verlaine semblent donc partager une conception commune de
la poésie, présentée comme un langage avant tout musical.
Raymond Queneau exprime lui aussi une forme de « fantaisie ». Mais celle-ci est
plus verbale que celle de Nerval : phrases proches de la langue parlée, jeu sur les
répétitions, refrain. Queneau joue également sur les sons, le poète ne reculant ni
devant les palatales ([ki], [dök]) ni devant les vers monosyllabiques : le refrain
fuit toute harmonie sonore, en accord avec le thème et le titre du poème. Celui-
ci se présente donc comme une chanson pleine de fantaisie qui exprime une forme
d’angoisse devant un monde surprenant, dans lequel l’harmonie est d’une cer-
taine manière absente ou déréglée. Queneau s’inscrit donc résolument dans la
modernité, sans qu’on puisse toutefois affirmer que la définition proposée par
348
Verlaine ne soit plus valable : il s’agit toujours de « musique », mais d’une musique
différente, reflet du monde moderne.

Rechercher des idées :


l’utilisation des connaissances personnelles
Exercice 6✢✢
1. La problématique posée par le sujet est : Quelles évolutions du genre roma-
nesque justifient son succès constant au cours de l’histoire ?
2. Les éléments de réponse :
– la dimension multiforme du genre romanesque : des récits de chevalerie à l’auto-
fiction… ;
– la multiplicité des enjeux du roman : apprentissage de la vie, analyse des senti-
ments, exploration d’univers inconnus, critique de la société, réflexion sur
l’homme et sa place dans le monde ;
– la diversité des modes de narration et des points de vue ;
– la construction de l’intrigue et la diversité des registres ;
– l’identification du lecteur aux personnages ;
– le roman = miroir de l’homme et du monde.

Construire le plan : les types de plan


Exercice 7✢✢
1. Le plan 1 est un plan analytique, dans lequel chaque partie confronte deux
aspects complémentaires de la problématique posée par le sujet ; le plan 2 est un
plan critique, dans lequel les deux parties développent des points de vue diffé-
rents ; le plan 3 est un plan analytique de type thèse/antithèse/synthèse.
2. Les sous-parties manquantes du plan 3 :
I. 2) La poésie amoureuse à travers les siècles (Ex. : Ronsard, Nerval, Char,
Breton).
II. 3) Le jeu sur les registres : le pathétique (Villon), le comique (Queneau,
Prévert…), le réalisme et le fantastique (Verhaeren), le didactique (la fable), etc.
III. 2) Le jeu sur les mots et le langage (la poésie surréaliste).

Exercice 8✢✢
1. La problématique posée par le sujet : L’écriture autobiographique passe-t-elle
nécessairement par une « confession » des erreurs passées de celui qui l’entre-
prend ?
2. Le plan critique de la dissertation :
I. Le genre autobiographique est d’abord un récit de vie
1. L’autobiographie permet de reconstituer une époque à travers le récit de soi
Ex. : Mémoires d’outre-tombe, de Chateaubriand (la Révolution française).
349
2. L’écriture du passé permet de revivre les moments heureux de l’enfance
Ex. : Enfance de Nathalie Sarraute (le jardin du Luxembourg).
3. L’autobiographie est un plaidoyer pour la vérité humaine
Ex. : Si le grain ne meurt de Gide (l’importance de la sexualité).
II. Le pacte autobiographique repose sur la sincérité de son auteur
1. La sincérité de l’autobiographie conduit à donner une image fidèle de soi
Ex. : le « pacte autobiographique » défini par Philippe Lejeune.
2. L’autobiographe est habité par un sentiment de culpabilité qui le conduit à se
confier
Ex. : Les Confessions de Rousseau.
3. La tradition de l’autobiographie suppose l’aveu des fautes
Ex. : Les Confessions de Rousseau (Préface).

Exercice 9✢✢✢
• La problématique posée par le sujet : Tout écrit doit-il nécessairement consti-
tuer un apologue, c’est-à-dire apporter une moralité à son lecteur ?
• Le plan dialectique de la dissertation :
I. La littérature comme apologue
1. La fable : un récit plaisant au service d’un enseignement moral (La Fontaine).
2. Le portrait : une critique des mœurs et de la société (La Bruyère).
3. Le théâtre : une mise en scène des vices et des vertus (Molière).
– En ce sens, la littérature correspond à la conception de La Bruyère. Mais est-ce
là son unique fonction ?
II. Les autres fonctions de la littérature
1. Distraire le lecteur : le roman d’aventures, le roman policier, la science-fiction.
2. Partager des sentiments avec le lecteur : la poésie lyrique.
3. Faire rêver : la poésie surréaliste et l’exploration de l’inconscient.
– La littérature a de multiples autres fonctions que celle d’instruire le lecteur. Mais
toute littérature n’est-elle pas nécessairement apprentissage du monde ?
III. La littérature et l’apprentissage du monde
1. L’écriture de l’œuvre littéraire comme acte de communication : partage d’une
expérience, d’une réflexion entre un auteur et ses lecteurs.
2. Toute littérature comporte une part d’« instruction », même implicite : la farce
ou le vaudeville cachent la critique derrière le rire ; le roman d’aventures est
souvent un roman d’apprentissage ; la poésie fait partager émotions et sentiments.
3. L’apologue est d’abord œuvre d’art, le moraliste est d’abord écrivain : la litté-
rature ne peut instruire que si elle est plaisante (l’humour de La Bruyère).

Exercice 10***
1. Les deux textes et le document iconographique s’inscrivent dans le registre tra-
gique. En effet :
– le texte A analyse la mécanique inéluctable du tragique dans la tragédie, du
petit coup de pouce initial à la mort, la trahison, le désespoir ;
– le texte B présente la mort violente du héros tragique ;
350
– le tableau de Picasso se réfère au bombardement de Guernica, en 1937, pendant
la guerre d’Espagne (situation tragique, beaucoup de victimes, triomphe des avia-
teurs nazis).
2. Le problème est clairement posé dans la question : le registre tragique se limite-
t-il à la tragédie ? Le sujet est du type discussion. La réponse dépendra de l’ana-
lyse du corpus, du recours à l’objet d’étude, le théâtre, et des idées nées des lectures
personnelles.
3. et 4. Les idées, les arguments et les exemples qui éclairent la problématique
sont classés et hiérarchisés dans le plan ci-dessous :
I. La tragédie et le registre tragique sont étroitement liés
1. La condition humaine et le registre tragique
Les sources du tragique sont dans la condition humaine puisqu’aucun être, aucune
société n’échappent à ces deux situations :
– la recherche instinctive de la liberté et du bonheur, à laquelle s’opposent des
forces hostiles (cataclysmes naturels, maladies et mort, guerres, génocides, pou-
voirs totalitaires) ;
– le conflit intime entre les désirs nés dans l’inconscient et les interdits sociaux.
2. Les caractéristiques du registre tragique
Ce registre :
– reflète les deux situations tragiques précitées et les pensées, les actions des per-
sonnages en situation ;
– utilise un ensemble de procédés dramatiques et stylistiques pour traduire le
conflit tragique et les paroles des personnages.
3. La tragédie classique comme modèle du tragique
Souvent, le tragique et la tragédie classique du XVIIe siècle sont étroitement asso-
ciés :
– Exemple 1 : les règles codifiées de la tragédie classique (les trois unités, la méca-
nique dramatique auxquelles Anouilh fait allusion dans le texte 1).
– Exemple 2 : le destin tragique d’Hippolyte dans Phèdre (texte 2).
II. Le registre tragique apparaît dans d’autres genres littéraires
1. Au théâtre :
– dans les miracles médiévaux (mise en scène d’un personnage en danger de se
perdre et sauvé par l’intercession d’un saint ou de la Vierge, alliance du comique
et du tragique…) ;
– dans le drame romantique (coexistence des registres comique et tragique, héros
soumis à la fatalité et au malheur, comme Hernani, Chatterton, Lorenzaccio) ;
– dans le drame contemporain (exemple : les pièces de Beckett).
2. Le tragique est souvent lié à la poésie lyrique, lieu d’expression des sentiments
les plus forts, souvent contrariés (l’amour, l’injustice, la révolte…).
3. Le tragique apparaît dans les récits où, comme au théâtre, sont présents la
mécanique et les héros tragiques (exemple : les « vaincus » dans les romans de
Balzac, les personnages des Misérables, les « héros » de La Peste de Camus).
III. Le registre tragique n’est pas spécifique à la littérature
1. Le registre tragique en peinture : à partir de l’exemple de Guernica.
351
2. Le registre tragique au cinéma et dans les fictions télévisuelles. Choisir deux
ou trois exemples (Au revoir les enfants, de Louis Malle, 1988 ; Tchao Pantin,
de Claude Berri, 1984 ; Jeanne d’Arc, de Luc Besson, 1999).
3. Le registre tragique dans la presse : elle a précisément pour fonction de relater
les événements tragiques.

Rédiger l’introduction
Exercice 11✢
1. On reconnaît les trois étapes habituelles de l’introduction :
– de la ligne 1 à la ligne 6, la perspective générale, fondée sur un objet d’étude
(Convaincre, persuader et délibérer : les formes et les fonctions de l’essai et du
dialogue) ;
– de la ligne 6 à la ligne 9, la citation du jugement et la problématisation ;
– de la ligne 9 à la fin : l’annonce du plan en deux parties.
2. Le sujet de dissertation introduit repose sur une citation du mathématicien
d’Alembert (collaborateur de Diderot pour l’Encyclopédie) qui dénonce la poésie
en portant sur elle un jugement négatif : « Qu’est-ce que cela prouve ? ». La pro-
blématique est clairement posée : la poésie répond-elle aux critères du rationa-
lisme ? A-t-elle besoin d’une quelconque utilité pour exister ?
3. Le plan est annoncé sous la forme de deux questions. On peut reformuler ainsi
l’idée directrice de chaque grande partie :
– justification partielle et développement de l’opinion de d’Alembert : la poésie
est impuissante à démontrer, à argumenter, à prouver ;
– réfutation de cette opinion en montrant que la vérité poétique a peu de points
communs avec la vérité scientifique.

Exercice 12✢✢
L’introduction rédigée
Poésie ou conte, essai ou tragédie, roman ou pamphlet, la littérature met en scène
les réactions des hommes : celles des auteurs et celles de leurs personnages, réels
ou imaginés à partir du réel. Aussi, s’interrogeant dans son roman Mauprat
(1837), sur la fonction de la littérature, George Sand a-t-elle pu écrire qu’elle était
« l’étude des hommes ». Elle a même précisé qu’elle n’était rien d’autre que cela.
Si la première proposition de George Sand peut sembler plausible, la seconde,
péremptoire et paradoxale, peut-elle être acceptée sans réserves ?

Rédiger la conclusion
Exercice 13✢
1. Les deux premières phrases récapitulent les idées directrices du plan développé
dans la dissertation. Les deux dernières élargissent la réflexion en évoquant le
mélange des registres caractéristique du théâtre contemporain.
352
2. Le plan suivi par le candidat est un plan en deux parties :
– les fonctions de la comédie à travers l’histoire littéraire : distraire et faire rire ;
– au-delà du rire : la comédie envisagée comme instrument critique des mœurs et
de la société.

Exercice 14✢✢
Plan rédigé
La défense des idées est l’une des fonctions essentielles de la littérature depuis le
XVIIe siècle. En engageant leur combat pour les Lumières, Montesquieu, Voltaire,
Diderot et Rousseau font entendre une voix nouvelle de plus en plus forte, qui
mènera finalement à la Révolution française. Les philosophes ont ainsi la volonté
de diffuser le savoir pour vaincre l’ignorance. Le meilleur exemple est peut-être
celui de l’Encyclopédie à laquelle Diderot et d’Alembert consacrent une partie de
leur existence, parfois au risque de perdre leur liberté. Mais le combat va plus
loin encore : en s’attaquant à l’Église ou aux puissants, Montesquieu à travers le
roman épistolaire (Lettres persanes), Rousseau à travers l’essai (Du Contrat
social), et surtout Voltaire, à travers tous les combats de son temps (« Écrasons
l’infâme ! »), ces philosophes dénoncent toutes les formes d’oppression, quelles
qu’elles soient, jusqu’à l’apparition d’une société nouvelle, plus juste, qui défend
encore aujourd’hui les valeurs des Lumières.
C’est pour ces mêmes valeurs, sans cesse menacées, que les écrivains s’engagent
dans les siècles suivants. En criant leur indignation devant l’injustice, les écrivains
mobilisent l’opinion publique au service des causes justes. Victor Hugo et les
romantiques défendent ainsi les plus humbles, tandis que Zola, alors qu’il est au
sommet de sa gloire, s’engage au péril de sa vie dans le combat pour la réhabili-
tation de Dreyfus.
Tous deux connaissent l’exil et les menaces, sans que celui-là ni celles-ci ne par-
viennent à les réduire au silence. Au XXe siècle, alors que les conflits et l’injustice
prennent une dimension mondiale, les écrivains sont poussés à s’engager physi-
quement dans le combat, passant de la parole aux actes : André Malraux se bat
ainsi aux côtés des républicains espagnols, publiant L’Espoir pour témoigner des
atrocités dont il a été le témoin ; Vercors, René Char et de nombreux autres s’en-
gagent quelques années plus tard dans la résistance contre l’occupant… « Liberté,
j’écris ton nom », le célèbre poème de Paul Éluard, pourrait ainsi être le mot
d’ordre repris par toute une génération.

EXO-BAC
(PAGE 365)

Préparation
1. La problématique du sujet : la citation de Mallarmé pose le problème de l’écri-
ture poétique : doit-elle être hermétique (un « mystère ») et dépendre de l’inter-
prétation du lecteur (qui «doit chercher la clef»)? ou n’est-elle pas plus simplement
353
la restitution par le langage de sentiments et de sensations que le lecteur ne saurait
exprimer lui-même ?
2. Les poèmes du corpus
• Le poème de Mallarmé (texte A) est caractéristique de la poésie symboliste : le
poème doit traduire à l’aide de symboles les « Idées primordiales » dont les phé-
nomènes concrets ne sont que des manifestations extérieures, superficielles. Le
monde réel est dès lors perçu comme une vision subjective, tandis que le monde
« idéal » est exprimé à travers les symboles, le mystère, la suggestion, l’ésotérisme.
On retrouve, dès le titre, ces caractéristiques dans « Apparition », qui est publié
pour la première fois dans la revue Lutèce en 1883, avant de figurer parmi les
pièces rassemblées par Verlaine dans Les Poètes maudits.
On peut en proposer l’interprétation suivante : « Apparition » raconte un itiné-
raire mental, en deux étapes. Le poème commence au moment où vient d’être
donné un baiser, le fait est signalé au vers 5 : « C’était le jour béni de ton premier
baiser. » Mais paradoxalement, ce baiser n’a pas apporté la félicité à laquelle on
pouvait s’attendre : les premiers vers donnent plutôt l’impression d’un obscur
sentiment de tristesse, comme si une pureté originelle avait été violée, d’où les
pleurs des « séraphins ». Et « l’œil rivé sur le pavé vieilli » semble sonner le glas
de tous les espoirs joyeux. Alors surgit la jeune fille, qui ramène sa légèreté joyeuse
(« en riant ») et dont les splendeurs de la nature sont complices (« avec du soleil
aux cheveux »). Mais le poète ne répond pas à l’appel amoureux. Il va chercher
ailleurs, dans son propre passé, l’image réconfortante : c’est le retour à la mère
qui se penche sur l’enfant. C’est un retour très lointain, qui lui permet de remon-
ter au-delà du premier grand traumatisme, celui de la mort de la mère, alors qu’il
n’avait que cinq ans.
• Le poème de Banville est plus classique. « Dernier des romantiques », Théodore
de Banville est proche du Parnasse. Il attache une grande importance au travail
de la forme car elle est pour lui essentielle dans toute œuvre d’art. Le poème
proposé est une « ode moderne », forme créée par Hugo afin d’y verser « tous les
secrets du cœur, tous les rêves de l’imagination et toutes les sublimités de la phi-
losophie ». L’ode moderne perpétue, dans une variété de forme et d’inspiration
très libre, l’humour et la fantaisie de l’ode anacréontique. Banville, avec ses Odes
funambulesques (1857), devient l’un des maîtres du genre, à travers des acroba-
ties verbales qui lui vaudront l’admiration de Sainte-Beuve.
Dans « Vous en qui je salue… », les alexandrins alternent avec les hexamètres,
soulignant le mélange de fantaisie et de gravité de l’apostrophe : Banville évoque
ainsi ses lecteurs futurs, jeunes poètes ressemblant à ce qu’il a été, mais aussi le
caractère inéluctable de la mort. Seule l’œuvre compte, seul l’art survit au temps.
3. On peut renvoyer les élèves aux chapitres 14 et 18, qui traitent des fonctions
et de l’évolution de la poésie. Les corpus proposés fournissent matière à exemples
pour l’une ou l’autre des deux conceptions évoquées par la problématique du
sujet. Il peut être également utile d’opposer deux mouvements littéraires: la Pléiade
et le symbolisme. Enfin, on peut proposer l’exemple de Rimbaud pour mettre en
évidence la coexistence de ces deux conceptions à l’intérieur d’une même œuvre :
« Sensation » et « Fleurs ».
354
Rédaction
Le plan détaillé de la dissertation

I. La poésie, langage hermétique de l’évocation et du mystère


1. Le poète, intermédiaire entre Dieu et les hommes ;
– dans l’Antiquité : poète = créateur, démiurge (rôle des Muses, de l’inspiration
divine) ;
– pour les romantiques, le poète est un « prophète » ;
– pour Rimbaud, le poète est un « voyant », un « voleur de feu » (ex. : « Fleurs »).
2. La poésie, un jeu sur le langage et les sens :
– poeïen = fabriquer, produire : « art du langage fabriqué » ;
– la poésie, expression de l’irrationnel (le « voyant ») ;
– exploration du monde par l’exploration du langage (des romantiques à Rimbaud).
3. Le poème, un univers musical de la suggestion :
– Orphée et la musicalité : pouvoir du rythme qui « enchante », suggère (ex. : le
symbolisme et « Apparition ») ;
– poésie surréaliste (l’image surréaliste) ou contemporaine (René Char).
[Transition] : Le rôle du lecteur est bien de trouver la clef de ce mystère que consti-
tue la poésie, qui explore un au-delà auquel le commun des mortels n’a pas
accès… Mais est-ce là l’unique rôle de la poésie ?

II. La poésie, langage direct des sentiments et des sensations


1. Le poète, porte-parole des hommes
– poète = artisan d’un langage simple et humain (ex. : Prévert) ;
– le mot « poétique » évoque une perception inhabituelle et touchante du monde
(« vision poétique », « paysage poétique », etc.), des sensations ressenties par
l’homme devant lui (ex. : « Sensation » de Rimbaud).
2. La poésie, un art de la séduction verbale :
– sobriété, mesure, harmonie pour les classiques (adéquation du mot et de l’idée
ou de la chose : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », Boileau) ;
– la poésie lyrique et l’expression de sentiments universels : l’amour, la mélanco-
lie, etc. (ex. : les romantiques, Banville).
3. Le poème, un univers ouvert à tous :
– toucher le plus grand nombre à travers un monde connu et familier (ex. : les
Fables de La Fontaine ; « Le dormeur du val » de Rimbaud ; la poésie de Prévert) ;
– trop d’hermétisme mène le public à l’incompréhension (l’impasse d’une forme
de poésie moderne, trop abstraite).
La dissertation rédigée
La poésie est née avec l’homme, dont elle traduit les peines et les joies, les inquié-
tudes et les espérances, les hésitations et les recherches. Mais traditionnellement,
deux conceptions de la poésie s’opposent et se complètent : la première y perçoit
plutôt l’écho d’un chant, celui qui traduit les sentiments profonds que nous res-
sentons tous devant l’univers, à un moment ou à un autre de notre existence ; la
355
seconde y voit un langage sacré, qui ouvre une porte sur un monde auquel
l’homme n’a pas accès. Ainsi, pour Mallarmé, la poésie « est un mystère dont le
lecteur doit chercher la clef ». Comment comprendre cette définition ? Le poète
symboliste semble revendiquer une forme de secret, que le lecteur doit percer s’il
veut comprendre le poème auquel il est confronté. Que faut-il penser de cette
conception qui fait du langage poétique un langage hermétique ? La poésie n’est-
elle pas d’abord l’expression simple et directe de sentiments et de sensations que
chacun peut comprendre ?
En présentant la poésie comme une forme de langage hermétique, langage de
l’évocation et du mystère, Stéphane Mallarmé explore une vision traditionnelle
du poète. En effet, dès l’Antiquité, celui-ci est considéré comme une sorte de
démiurge, de créateur, qui sert d’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Pour
les Grecs, le poète tient ainsi son inspiration des Muses, qui représentent chacune
un domaine du savoir ou de l’art. Seul le poète est donc capable – avec le philo-
sophe – d’expliquer le monde, c’est-à-dire l’inconnu. Cette conception est aussi,
d’une certaine manière, celle des romantiques, pour lesquels le poète est un pro-
phète (cf. Hugo) qui seul est capable de révéler aux hommes leur destin. Rimbaud,
dans la seconde moitié du XIXe siècle, va plus loin encore : pour lui, le poète est
un « voyant », « un voleur de feu ». On le voit, le « mystère » cher à Mallarmé
hante la poésie, des origines jusqu’à nos jours…
La poésie est ainsi un jeu sur le langage et sur le sens. Elle jongle avec les mots
pour faire découvrir au lecteur les significations cachées du monde. Du grec
poeïen, le mot « poésie » signifie « fabriquer », « produire » : la poésie est donc
l’art du langage fabriqué. Lui seul permet d’explorer, de recréer le monde, un
monde qui, pour Mallarmé, se caractérise par sa dimension irrationnelle. Les
«séraphins», le «Rêve», «la fée au chapeau de clarté» qui hantent «Apparition»,
le poème de Mallarmé, représentent cette autre face de l’univers, cet au-delà aux-
quels le commun des mortels n’a pas accès. Des correspondances sont ainsi entre-
tenues dans le poème entre le monde des objets concrets et le monde des notions
abstraites : le « parfum de tristesse » (vers 7), la « cueillaison d’un Rêve » (vers 9)
symbolisent ces liens qui unissent le réel et l’idéal. On retrouve cette dimension
chez les poètes surréalistes ou encore dans la poésie contemporaine, qui jouent
des images aléatoires et du hasard pour débusquer une vérité inaccessible.
Mais la poésie est également pour Mallarmé un jeu sur le rythme, la musique des
mots et la suggestion : profusion des allitérations (allitération en [R] des trois pre-
miers vers) et des assonances (en [à] dans les vers 3 et 4) qui suggèrent, au-delà
des réseaux lexicaux et au gré de l’inspiration, la tristesse, la colère, la douleur….
Dès l’Antiquité, le mythe d’Orphée souligne ce pouvoir du rythme qui
«enchante», cette proximité de la poésie avec la musique, qu’on retrouve à travers
le symbole de la lyre. Le mouvement symboliste, auquel Mallarmé n’appartient
pas mais qui se revendique de lui, clame ainsi la musicalité essentielle du langage
poétique, par laquelle le lecteur doit se laisser emporter s’il veut comprendre et
accéder au « mystère ».
Le rôle du lecteur pour Mallarmé est ainsi de trouver la clef de ce mystère consti-
tué à ses yeux par la poésie, qui explore un au-delà auquel nous n’avons pas accès,
356
et dont le poème nous donne une vision fugitive… Mais est-ce là l’unique fonc-
tion de la poésie ? La poésie n’est-elle réservée qu’à une minorité capable de com-
prendre toutes les subtilités du langage et de la composition ?
Plus qu’un intermédiaire entre les hommes et les dieux, le poète est d’abord le
porte-parole des siens. Beaucoup le considèrent comme un artisan du langage,
un troubadour qui enchante par son sens de la formule et du rythme. Dans son
sens le plus courant, l’adjectif « poétique » évoque d’ailleurs une perception inha-
bituelle et touchante du monde : on n’hésite pas à parler de « paysage poétique »
pour évoquer les sensations ressenties devant ce qu’on contemple avec émotion.
Dans ce sens, le poète est celui qui sait mettre en mots les sentiments les plus dif-
ficiles à exprimer, qui reproduit par le langage les sensations ressenties par chacun.
C’est ainsi qu’à la lecture des poèmes de jeunesse de Rimbaud, c’est d’abord la
simplicité qui surprend et touche : « Par les soirs bleus d’été, j’irai par les sen-
tiers,/Picoté par les blés, fouler l’herbe menue » (« Sensation »).
La poésie peut donc d’abord se concevoir comme un art de la séduction verbale,
alliant sobriété, mesure et harmonie. C’est cette conception qu’explorent d’ailleurs
les classiques, pour lesquels il doit y avoir adéquation des mots et de la chose :
« ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », nous dit Boileau dans son Art poé-
tique. Pas de place ici pour l’hermétisme, point de mystère ! De même, pour les
romantiques, la poésie est d’abord lyrique. Elle est l’expression de sentiments
universels, auquel chacun peut avoir accès : l’amour, la joie, la tristesse, la mélan-
colie. Banville dit-il autre chose dans son ode, en s’adressant à tous ceux qui,
comme lui, « cœurs tout extasiés », profitent d’un moment de bonheur pour lire
des vers ? Là peut-être est le mystère dont chacun possède la clef.
En définitive, on peut donc concevoir le poème comme un instant de bonheur
offert à tous, une porte ouverte plutôt que fermée, une invitation au voyage et
à la rêverie. C’est pourquoi de nombreux poètes se donnent pour ambition de
toucher le plus grand nombre de lecteurs, à travers une poésie populaire. Des
Fables de La Fontaine, agréables aux enfants les plus jeunes aussi bien qu’aux
plus vieux philosophes, jusqu’à la poésie de Jacques Prévert dont la naïveté n’est
qu’apparente, la poésie peut rester un art de la simplicité et de la transparence.
Trop d’hermétisme, trop de recherche prennent le risque de mener le public à
l’incompréhension et à l’impasse. C’est peut-être ce qui explique la faible
audience rencontrée par les poètes contemporains, avides d’une poésie peut-être
trop abstraite.
La poésie peut donc être conçue et perçue, comme chez Mallarmé, comme l’art
de fabriquer un langage hermétique qui permet au lecteur d’atteindre un monde
idéal de beauté et de pureté. Mais on peut également y voir un l’art de fabriquer
un langage direct des sentiments et des sensations ressentis par chacun. Autrement
dit, les uns voient dans la poésie une manière d’inventer le monde, une interro-
gation du langage sur lui-même, tandis que d’autres y voient plutôt une façon
d’exprimer la complexité de l’univers à travers des mots simples mais forts. Mais
il n’est pas forcément nécessaire de choisir l’un ou l’autre camp : les deux concep-
tions se complètent et le plaisir des mots doit suffire au lecteur qui, avec ou sans
clé, sait se laisser emporter par le chant des poètes.
357
SUJET DU BAC
(PAGES 366 à 368)

I. Questions
1. Dans le poème « La radio », Francis Ponge soutient que la radio nous permet
de nous guérir par la purge de toutes les bêtises variées qu’elle diffuse par des
paroles ou des musiques.
Dans le texte intitulé « La télévision », Christian Bobin affirme que la télévision
donne une image avilissante et confuse de la réalité dont elle prétend rendre
compte.
Pierre Bourdieu explique que les faits divers que multiplient les informations télé-
visées sont conçus pour détourner l’attention des questions qui font vraiment
problème.
2. Pour dénoncer la radio ou la télévision, les trois écrivains utilisent divers pro-
cédés. Francis Ponge et Christian Bobin ont recours à des métaphores dépréciatives.
Les paroles et les musiques diffusées à la radio sont comparées, dans le texte de
Ponge, à un « flot de purin » tandis que la radio est présentée comme une « boîte à
ordures». De la même façon, Christian Bobin lie la télévision et la poubelle puisque
la télévision déverse des « détritus », qu’elle est comparée aux « décharges » et aux
« poubelles ». Pierre Bourdieu joue sur le mot « divers » dans l’expression « fait
divers» pour accuser la télévision de mystification. Son explication s’appuie sur des
séries de négations qui dévalorisent ce genre d’émission : « ne doivent choquer per-
sonne », « sans enjeu », « ne divisent pas », « ne touchent à rien d’important ».
Pierre Bourdieu recourt aussi à la comparaison. Si l’image, « sorte de denrée ali-
mentaire », ne participe pas vraiment à l’argumentation, il n’en est pas de même
de l’analogie avec les prestidigitateurs puisque c’est une façon de souligner que
le public de la télévision est la dupe d’une manipulation grossière et efficace.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
De même que les peintres trouvent dans les objets de la vie quotidienne des motifs
qui les inspirent, de même les poètes ou les écrivains peuvent prendre plaisir à
décrire les objets qui font partie de notre environnement immédiat. Ainsi, admi-
rateur de Chardin, Francis Ponge s’est souvent inspiré des objets les plus ordi-
naires, un galet, un cageot, un morceau de pain ou de savon. Dans « La radio »,
texte écrit en 1946, le poète évoque ces gros appareils qui trônaient à la place
qu’occupe aujourd’hui le poste de télévision. En décrivant l’appareil en train de
fonctionner, il montre quel rôle il joue dans la vie de chacun. C’est ce que nous
étudierons d’abord. Mais tout en louant la nouveauté technique, il s’appuie sur
cette description pour se moquer de cet objet et lui attribuer des fonctions pur-
gatives pour le moins surprenantes. C’est ce que nous verrons dans la seconde
partie du commentaire.
358
La description de la radio est vivante parce que l’auteur ne se contente pas de
décrire l’objet mais il en montre le fonctionnement et le présente dans la relation
que nous entretenons avec lui. Ainsi, l’expression « boîte vernie » indique bien la
forme de l’objet et l’image des « petits gratte-ciel d’aluminium » rend compte du
poste de radio une fois qu’il est allumé : on voit alors ce qui se passe « au-dedans».
Tout un éventail de sensations est mis en jeu pour rendre compte de cet objet :
sensations visuelles qui donnent la forme et la lueur « vernie », « rallument », sen-
sations auditives évidemment évoquées par les « brutales vociférations », mais
aussi sensations tactiles puisque le texte rappelle qu’il y a « un bouton à tourner »
pour que la boîte devienne sonore. Ces précisions nous font imaginer ou recon-
naître l’objet dont parle le poète. Et ce faisant, il nous restitue les relations que
nous entretenons avec lui.
Le texte indique ainsi quelle place la radio occupe dans chaque maison : les deux
notations, « la place d’honneur », « au beau milieu du salon » sont renforcées par
« toutes fenêtres ouvertes » : on devine le contentement des heureux propriétaires
de la radio qui sont fiers de se faire entendre des voisins. On voit aussi la relation
que chacun entretient avec la radio : dans la première phrase, la restriction « ne
que» met en valeur le bouton par lequel on agit sur la «boîte»: c’est par le bouton
en effet que la machine est commandée et l’auteur met en lumière le geste par lequel
on agit sur l’objet : « un bouton à tourner jusqu’au proche déclic ». L’opposition
entre les faibles lueurs et « les brutales vociférations » rappelle le moment où l’on
cherche la station que l’on désire écouter : l’appareil semble échapper à celui qui
le manipule et qui n’obtient d’abord que ces bruits bizarres, plutôt agressifs, comme
le suggèrent les mots « jaillissent », « brutales » et « vociférations ». À ces forces
s’oppose « notre attention », qui peint la concentration de l’auditeur cherchant à
se repérer dans cette cacophonie. Ainsi, ces gestes de tous les jours, Ponge les
arrache au silence mais le poème ne se contente pas d’évoquer le brillant poste de
radio : il le dénonce avec une verve réjouissante.
La critique que Ponge adresse à la radio est d’autant plus forte qu’elle se fonde
sur un éloge qui met en lumière ce que la radio nous apporte : en permettant de
capter des ondes sonores jusque-là inouïes, elle peut être l’instrument d’un véri-
table progrès. À partir du mot technique « sélectivité », l’éloge prend la forme
d’une exclamative qui formule avec force ce que la radio apporte aux possibili-
tés de notre corps : « Ah, comme il est ingénieux de s’être amélioré l’oreille à ce
point ! » Mais cet éloge s’inverse bientôt en son contraire. Le mot « incessam-
ment » s’oppose au mot « sélectivité », qui suggérait un choix, et l’amélioration
de l’oreille se révèle parfaitement dérisoire puisqu’elle ne sert qu’à percevoir « le
flot de purin de la mélodie mondiale ». Par antiphrase, le mot « mélodie » évoque
non seulement les flots de musique (marchande) mais aussi tous les discours
débités sur les ondes à toutes les heures du jour et de la nuit. L’expression choque
d’abord mais qui a écouté la radio pendant plusieurs heures d’affilée a bien
souvent senti « l’outrage des pires grossièretés ». De cette prouesse technique, si
ingénieuse, les hommes n’ont pas su faire le meilleur des usages.
La justesse de l’argument (comme on parle de l’argument d’un ballet ou d’un
opéra) prend une netteté particulière grâce à la verve du poète qui joue en vir-
359
tuose avec les mots. Les mots injurieux, « flot de purin », « fumier », « boîte à
ordures », se fondent et sont liés au paysage qu’évoquent les mots « soleil »,
« toutes fenêtres ouvertes ». Les images frappent par leur justesse : ce qu’il y a de
facile dans tout ce que diffusent les radios, paroles et musiques, trouve son expres-
sion dans le champ lexical du liquide représenté par « flot » puis « inondation ».
Le poème se termine par un effet de surprise, la chute, justifié par le jeu sur le
mot « radieuse ». Les mots « radieuse » et « radio » viennent en effet du même mot
latin radius, « rayon » (lumineux à l’origine, sonore ensuite). L’adjectif « radieuse »
(rayonnante) est aussi lié au soleil évoqué plus haut dans le poème et prend une
valeur amusante car la radio est ici rayonnante de bêtise. L’adjectif « bourdon-
nante » désigne à la fois l’insecte (qui tourne autour des ordures) et l’instrument
de musique, mais l’aspect musical est réduit au bruit que font les insectes. Par un
renversement provocant, c’est une boîte à ordures qui trône « au beau milieu du
salon ». Ce sont tous ces retournements qui font la force de cette charge.
Ainsi, tout en donnant une évocation précise, concrète, vivante de l’ancêtre de
nos transistors, Francis Ponge se moque de cet instrument qui ne diffuse que des
facilités. Il dénonce ainsi avec une verve amusée et amusante l’usage que nous
faisons des plus ingénieuses découvertes. C’est parce que, en quelques lignes, il
ménage des retournements surprenants, parce qu’il joue sur les mots avec un
humour qui frappe par sa justesse, que ce texte en prose relève de la poésie : une
poésie pleine de jubilation qui a la force de la satire sans en avoir l’habituelle
sécheresse. Ainsi, la poésie se fait convaincante car, en jouant sur les mots, elle
nous fait voir d’un autre œil les choses qui nous entourent.
Remarque. L’exercice proposé a été conçu pour les séries technologiques. Nous
nous sommes limités à répondre aux orientations données par le sujet. Le thème
de l’utilité du fumier qu’il faut répandre au soleil pourra être abordé avec les
élèves qui voudront enrichir leurs analyses.

2. Dissertation (proposition de plan)


Première partie. Le recours aux images risque d’affaiblir l’argumentation.
A. La force d’une argumentation vient de ce qu’elle s’adresse à notre capacité de
raisonnement. Pour être rigoureuse, une argumentation doit être fondée sur des
termes clairement définis et des enchaînements logiques qui évitent les contra-
dictions et les ambiguïtés. C’est ainsi que l’on peut trouver un accord avec l’in-
terlocuteur et lui faire adopter librement, en toute connaissance de cause, un point
de vue nouveau.
B. Le recours aux images risque d’affaiblir l’argumentation parce que, au lieu de
s’appuyer sur des enchaînements logiques, les images s’adressent à la sensibilité
dont les réactions ne sont pas explicites. L’image établit entre des domaines dif-
férents des relations qui peuvent être floues ou arbitraires. Si les images frappent
l’esprit, le raisonnement perd de sa rigueur : certains rapprochements sont frap-
pants mais arbitraires. L’image joue sur la polysémie des mots, parfois sur de
simples ressemblances : il est facile de susciter l’enthousiasme ou la répulsion.
C. Le recours aux images permet d’imposer un point de vue nouveau en s’adres-
sant à l’imagination sans s’adresser seulement au raisonnement. Affranchies de
360
la précision des définitions et de la logique des enchaînements, les images peuvent
facilement s’enchaîner sans contrôle : on a du mal à distinguer celles qui sont
trompeuses de celles qui sont réellement éclairantes. L’accord obtenu semble être
le résultat d’une forme de violence : cette douce violence qui persuade alors que
seul un raisonnement explicite provoque la libre conviction.
Deuxième partie. Pourtant, pour faire adopter un point de vue nouveau, pour-
rait-on se passer d’images ? Le recours aux images n’est-il pas nécessaire ?
A. Quand il s’agit de faire partager un point de vue nouveau, le recours au seul
raisonnement ne suffit pas toujours. On se heurte parfois à des conceptions
ancrées dans les habitudes, liées à des intérêts ou des situations qui influencent
les points de vue. Le recours à la seule raison peut s’avérer insuffisant, surtout
que la raison s’enracine dans la sensibilité et qu’il n’est pas facile d’isoler ce qui,
dans un point de vue, relève de la raison et ce qui relève de l’affectivité qui réagit
aux images.
B. Pour comprendre la fonction de l’image dans le développement de l’argu-
mentation, il faut distinguer le domaine de la démonstration du domaine de l’ar-
gumentation. La démonstration propre aux discours scientifiques, et dont le
modèle est le discours mathématique, ne tient compte des particularités ni de celui
qui parle ni de celui qui écoute : rien ne compte que le déroulement d’un raison-
nement dont les articulations logiques sont explicites. Rien de moins personnel
que cette relation. Mais le domaine de l’argumentation est tout autre. Dans le
domaine de la morale, de la justice, de la politique, les interlocuteurs ne sont pas
de purs esprits : c’est alors que le recours à l’image peut s’avérer nécessaire, voire
souhaitable.
C. Que l’image soit approximative explique son utilité. C’est parce que les mots
sont liés à des connotations que les points de vue auxquels nous sommes habi-
tués nous aveuglent, que le recours à l’image est souvent nécessaire. L’analogie
part d’une situation reconnue pour éclairer ce qu’on ignore ou ce qu’on mécon-
naît. C’est elle qui aide le raisonnement. Bien loin de s’exercer comme une vio-
lence, l’image est nécessaire quand elle permet de faire mieux voir, mieux
comprendre. Le recours aux images, loin d’affaiblir l’argumentation, lui permet
d’avoir toute sa force car l’image fait voir ce qu’on ne voyait pas.
Troisième partie. Le recours aux images peut aussi bien affaiblir que renforcer
l’argumentation. Comment doit-on on recourir aux images ?
A. Il faut donc écarter la méfiance à l’égard des images : sans elles, pas de poésie,
pas d’éloquence. Or, l’éloquence n’est-elle pas nécessaire dans les situations les
plus délicates ? Il y a, dans le maniement des images, une rigueur comparable à
celle qui est à l’œuvre dans les raisonnements abstraits.
C’est ce que souligne Baudelaire, et c’est ce qu’éprouve chaque lecteur d’un bon
ou d’un mauvais poème. Il y a des images éclairantes et d’autres qui sont fumeuses
comme certains raisonnements sont lumineux et d’autres obscurs. Le recours aux
images demande donc, s’il veut être pleinement efficace, rigueur et cohérence.
B. Quand une image a permis de faire comprendre une réalité, quand elle fait
voir une réalité ou un aspect de la réalité qu’on ignorait, quand elle permet une
prise de conscience, quand elle fait réfléchir, alors on peut dire qu’elle a pleine-
361
ment joué son rôle dans le développement de l’argumentation. Quand elle essaie
de masquer, quand elle déforme, quand elle cherche à aveugler au lieu d’éclairer,
on peut dire qu’elle affaiblit l’argumentation au même titre qu’un raisonnement
spécieux, un paralogisme ou un sophisme, un exemple mal choisi.
C. Dans le domaine de l’argumentation, on cherche à échapper à la violence, mais
on n’échappe pas à la confrontation, voire au conflit des valeurs, des situations,
des points de vue. Il y a toujours risque de méconnaissance, d’aveuglement et
finalement, on ne réussit pas toujours à écarter la violence. Mais c’est là l’échec
de l’argumentation et on ne peut incriminer les images plus que tous les autres
facteurs qui sont mis en œuvre dans l’effort, toujours difficile, toujours néces-
saire, de l’argumentation.

3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
1. On sera attentif à la prise en compte des termes du sujet :
a. « une lettre adressée à un ami » implique une présentation mais surtout un
certain ton qui saura éviter les grossièretés ;
b. « apprendre quelque chose » renvoie à une découverte d’un événement ou d’une
situation qui était méconnu(e) ou inconnu(e) ;
c. « vraiment réfléchir » doit permettre d’insister sur l’adverbe « vraiment » : on
évoquera une prise de conscience, un changement de point de vue.
2. On valorisera, comme souvent à l’examen, la façon dont on aura utilisé les
textes du corpus. Dans le texte de Christian Bobin, les images de la fenêtre sur le
monde, des « décharges » et des « trésors » pourront inspirer des formules, mais
on répondra à l’accusation de confusion et d’avilissement. Le texte de Pierre
Bourdieu invite à évoquer le traitement de l’information et du fait divers qui ne
fait pas diversion mais qui est présenté de façon à éclairer la réalité sociale ou
politique ou judiciaire.
3. On appréciera ceux qui auront su prendre efficacement le contre-pied des
thèses reformulées dans la question 1 puisque tel est le but du jeu et qui n’hési-
teront pas devant les formules polémiques. Certains auront peut-être l’idée de
montrer comment le fumier fertilise (« parfois ») et montreront comment les émis-
sions les plus discutables peuvent nous apprendre quelque chose et nous faire
réfléchir…

362
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE

27 L’écrit d’invention
(PAGES 369 à 388)

Rappel du Bulletin officiel n° 26 du 28 juin 2001


L’écriture d’invention contribue à tester l’aptitude du candidat à lire et com-
prendre un texte, à en saisir les enjeux, à percevoir les caractères singuliers de son
écriture. Elle permet au candidat de mettre en œuvre d’autres formes d’écriture
que celle de la dissertation ou du commentaire. Il doit écrire un texte, en liaison
avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d’un certain nombre de consignes
rendues explicites par le libellé du sujet.
L’exercice se fonde, comme les deux autres, sur une lecture intelligente et sensible
du corpus, et exige du candidat qu’il se soit approprié la spécificité des textes
dont il dispose (langue, style, pensée), afin d’être capable de les reproduire, de les
prolonger, de s’en démarquer ou de les critiquer.
En aucun cas on ne demande, le jour de l’examen, l’écriture de textes de pure
imagination, libre et sans contrainte. Le document iconographique, s’il est joint
au corpus, ne peut servir que de support. En aucun cas il ne sera demandé d’en
faire une étude pour lui-même.
L’écriture d’invention peut prendre des formes variées. Toutefois, comme elle se
fonde sur les contraintes littéraires des genres inscrits au programme de la classe
de Première, et qu’elle doit se prêter à une évaluation objective des correcteurs,
elle s’inscrit dans les orientations suivantes :
– article (éditorial, article polémique, article critique – éloge ou blâme – droit de
réponse…) ;
– lettre (correspondance avec un destinataire défini dans le libellé du sujet, lettre
destinée au courrier des lecteurs, lettre ouverte, lettre fictive d’un des personnages
présents dans un des textes du corpus…) ;
– monologue délibératif, dialogue (y compris le dialogue théâtral) ;
– discours devant une assemblée ;
– essai ;
– récit à visée argumentative sous forme de fable, d’apologue…
Pour la série littéraire, on ajoutera :
– amplification (écriture dans les marges ou les ellipses du texte), parodie et pas-
tiche.
363
L’exemple appliqué proposé aux pages 386-387 propose ainsi une réflexion sur
le genre poétique. La forme d’écriture demandée par le sujet est celle de la préface :
elle demande donc, outre une argumentation sur l’origine de l’inspiration poé-
tique, de mettre en place une situation de communication spécifique dans laquelle
l’auteur d’une anthologie s’adresse à ses lecteurs, justifiant ses choix et citant des
textes et des auteurs faisant partie de l’histoire littéraire, d’une culture commune
à tous.

EXERCICES
(PAGES 378 à 384)

Analyser le sujet : la lecture des consignes


Exercice 1✢
Sujet A :
• Thème de réflexion et objet d’étude : Le théâtre : texte et représentation.
• Forme de la réponse : lettre argumentative (éloge ou blâme) envoyée au cour-
rier des lecteurs.
• Thèse : ma conception de la représentation théâtrale.
Sujet B :
• Thème de réflexion et objet d’étude : Le récit autobiographique (le biogra-
phique).
• Forme de la réponse : article, essai.
• Thèse : l’autobiographie peut constituer une aide à la compréhension des autres
ou de soi-même.
Sujet C :
• Thème de réflexion et objet d’étude : Les fonctions de la poésie.
• Forme de la réponse : lettre à un ami.
• Thèse : la poésie donne une vision juste de l’univers.

Analyser le sujet : la forme de la réponse


Exercice 2✢
1. A/3 ; B/1 ; C/2.
2. et 3.
• Réponse 1 : l’article comporte un titre (« Éloge de l’autobiographie »). Le début
de la réponse pose une problématique : celle de l’utilité de ce type d’écriture. Le
rédacteur apparaît à travers l’emploi du pronom « je ».
• Réponse 2 : la lettre commence par une formule d’appel (« Cher Philippe »). Les
marques de l’énonciation sont constituées par un nom de lieu et une date
(« Givenchy, le 25 novembre ») ; elles soulignent la proximité entre l’émetteur et
le destinataire au moyen des pronoms de la première et de la deuxième personne
364
du singulier (« je »/« tu »). Le début de la réponse pose la problématique du sujet
en exposant les deux thèses qui s’affrontent.
• Réponse 3 : la lettre commence par une formule d’appel (« Monsieur le rédac-
teur »). Les marques de l’énonciation sont constituées par le lieu et la date
(« Avignon, le 17 juillet ») ; le « je » de l’émetteur s’adresse à un « vous » de poli-
tesse (le rédacteur en chef du journal). Le début de la réponse affirme le choix
d’une pièce (Rhinocéros de Ionesco) et exprime la thèse : « J’ai particulièrement
aimé cette mise en scène originale »).

Définir l’énonciation
Exercice 3✢✢
1. En évoquant Cartouche et Nivet, le texte situe le moment de l’énonciation au
XVIIIe siècle. La date de publication du dialogue confirme cette hypothèse : 1771.
2. Ici, Diderot se met lui-même en scène (« Moi ») dans un entretien avec un
médecin célèbre au XVIIIe siècle : le docteur Bissei. L’originalité réside dans le
passage de la structure théâtrale (alternance Moi/le docteur) au récit. Les paroles
du docteur sont, dans cet extrait, rapportées au discours indirect, de façon à dyna-
miser le texte.
3. Cher Monsieur,
J’ai longuement réfléchi à la question que vous m’avez posée tout à l’heure. Je
suis désormais certain de la réponse à vous apporter : oui, ce malade, qu’il se
nomme Cartouche ou Nivet, je le guérirais sans hésitation. Je m’explique. Je consi-
dère qu’un médecin ne doit pas se préoccuper de l’identité du malade qui se pré-
sente à lui, mais qu’il doit n’avoir d’yeux que pour le mal qui le ronge. C’est en
effet la seule chose qu’il soit permis de connaître lorsqu’on a prêté le serment de
soigner. Imaginez un instant que j’outrepasse cette limite que je me suis fixée.
Jusqu’où me faudrait-il ensuite aller ? Faudrait-il soigner le père qui bat ses
enfants ? Faudrait-il guérir celui qui insulte ses voisins ? Non, croyez-moi. S’il
fallait, avant d’examiner et de soigner la maladie, s’assurer que le malade a eu,
au cours de son existence, une attitude digne et sans reproche, la vie serait alors
à nos yeux d’une bien faible valeur ! Elle ne reposerait plus que sur l’ignorance,
les passions ou les préjugés…
4. On passe du discours indirect au discours direct : le « je » renvoie désormais au
docteur Bissei, tandis que le « Moi » du texte est désigné par le pronom « vous ».
Les marques de l’énonciation de la lettre sont également présentes à travers la
formule d’appel (« Cher docteur »). Les temps verbaux sont ceux du discours
(présent/futur).

Exercice 4✢✢
1. Les indices de l’énonciation présents dans les deux derniers vers :
– « dit-il » : le pronom « il » (récit) renvoie au Lion ;
– « je » : le pronom « je » (discours) renvoie au Lion ;
– le possessif « tes » renvoie à l’Âne.
365
2. Le lion et l’âne seront les deux interlocuteurs du dialogue. Le premier est
« chargé d’ans », ancienne « terreur des forêts », « pleurant son antique prouesse ».
Il possède un statut social élevé, possède des « sujets ». On peut donc lui ima-
giner un niveau de langage soutenu et une forte personnalité. Le second est au
contraire le symbole de la bêtise : il est un vaurien (« voyant l’Âne même… »), le
dernier de ses sujets auxquels le lion aurait songé devoir être confronté.
3. Le début de la réponse
L’Âne cependant, n’écoutant pas, se rua sur l’antique vieillard, ruant des quatre
pieds, poussant des « hi » et des « han » qui emplirent d’un sinistre écho la forêt
entière. Le Lion, qui esquivait tant bien que mal les coups du forcené, attendit la
fin de cet orage pour reprendre :
«Pourquoi t’en prendre à moi, qui ne t’ai jamais nui par le passé? Quels reproches
as-tu donc à m’adresser ?
– Sire, répondit l’Âne, c’est oublier combien, depuis ma naissance, vous avez
négligé de voir en moi autre chose qu’une bête de somme, un forçat auquel on
donnait du bâton, sans jamais le récompenser !… »

Mettre en place un registre


Exercice 5✢
Le registre attendu
• Sujet A : le registre de la réponse n’est pas explicitement indiqué par le sujet. Il
appartient donc au candidat de faire un choix. On peut supposer que ce type
d’écrit s’inscrive dans un registre polémique ou ironique, voire comique.
• Sujet B : le registre attendu pour la réponse est le registre polémique (« violem-
ment attaqué ») ; les procédés demandés sont d’ailleurs caractéristiques de ce
registre.
• Sujet C : le registre attendu est celui de l’humour (« avec amusement »). Mais
on peut imaginer que la réponse exploite également le registre réaliste ou encore
lyrique (il s’agit d’un journal intime), voire alterne ces différents registres en fonc-
tion des passages.

Exercice 6✢✢
1. Le thème du sujet est le tremblement de terre de Lisbonne. La réponse doit
prendre la forme d’une lettre envoyée par Voltaire à un ami philosophe. Les
marques de l’énonciation devront apparaître à travers une date et un nom de lieu,
une formule d’appel et une signature. Le registre attendu est le registre pathétique
(« douleur », « désarroi »).
Remarque. Le tremblement de terre de Lisbonne fit près de trente mille morts à la
fin de l’année 1755. Voltaire n’y assiste pas, mais est profondément marqué par
cette catastrophe naturelle qui lui fait comparer l’humanité à une « fourmilière ».
2. Les procédés du registre pathétique utilisés par Voltaire :
– le lexique et les images chargés de connotations affectives : « malheureux
mortels », « assemblage effroyable », « cendres malheureuses », etc. ;
366
– l’exclamation et l’interrogation : vers 1 à 3, vers 15 à 23 ;
– l’apostrophe : vers 5 (« Accourez, contemplez ces ruines affreuses »).
3. Le début de la lettre de Voltaire :
Genève, ce 24 novembre 1755
Mon cher et respectable ami,
Voilà trois jours que la nouvelle de cet effroyable tremblement de terre de
Lisbonne nous est parvenue, et je ne puis m’empêcher d’y songer avec la plus
grande amertume, le désarroi le plus profond. En effet, ne croiriez-vous pas que
Dieu, dans son infinie bonté, aurait pu nous épargner cette nouvelle catastrophe,
qui ajoute à la folie des hommes celle des éléments ?….

Exercice 7✢✢
Le réquisitoire contre l’esclavage (éléments de réponse)
Vous tous qui, présents dans cette assemblée, êtes les représentants du Peuple,
vous avez comme moi entendu le citoyen Lemaître demander que les grands arma-
teurs puissent à nouveau affréter leurs navires de manière à transporter ces êtres
humains, auxquels on donne le nom de « nègres », vers les lointaines colonies
d’Amérique. Quelle insulte à la Révolution ! Quelle insulte au peuple français
qui, hier encore, était lui-même emprisonné dans les chaînes du despotisme le
plus abject ! Quelle insulte pour l’humanité et les générations futures qui, n’en
doutons pas, jugeront l’esclavage comme une pratique inhumaine et barbare !
(murmures de désapprobation).
Car les esclavagistes, n’en doutons pas, sont les vrais barbares ! Ce sont eux qui,
sans honte aucune, dépeuplent le continent africain, ravagent des villages entiers,
pillent et volent tout un peuple ; ce sont eux qui, sans ciller, achètent pour de la
pacotille des jeunes gens robustes qu’ils envoient à la mort ; ce sont eux qui, sans
pleurer, arrachent les enfants à peine nés des bras de leurs mères suppliantes !
(silence dans l’Assemblée). Oui, je l’affirme haut et fort, les esclavagistes ont un
comportement cruel et inhumain !
Répétons-le haut et fort, tous les hommes naissent libres et égaux en droit, quelle
que soit la couleur de leur peau. Tel est le grand principe de notre Révolution…
(applaudissements). Nous avons ensemble décidé d’instaurer une société plus
juste, rejeté le despotisme pour la liberté, combattu l’injustice pour plus d’éga-
lité, repoussé les privilèges pour la fraternité ! Que dire d’un peuple qui, au nom
de ces grands principes, en soumet un autre ? Que dire d’une nation qui lie les
mains et soumet au joug une autre nation, au prétexte que son apparence est dif-
férente ?
Non, nous ne pouvons accepter la requête du citoyen Lemaître, au nom même
des valeurs de la République ! (la salle manifeste bruyamment son enthousiasme).
Non, nous devons au contraire, au nom de cette même République, supprimer
cet affreux commerce de la chair et du sang humains ! C’est seulement en sup-
primant l’esclavage que nous rendrons le peuple libre et heureux ! Supprimer l’es-
clavage, condamner les esclavagistes donnera l’exemple au monde entier d’une
société plus juste, et donc plus forte. Seule la suppression de cette terrible bar-
barie fera rayonner les valeurs de la République dans le monde entier, éclabous-
367
sera les cinq continents d’un espoir nouveau qui, soyons-en sûrs, entraînera der-
rière lui l’humanité entière vers la démocratie. (la salle, debout, applaudit lon-
guement l’orateur).

Déterminer la stratégie argumentative


Exercice 8✢
• Sujet A : il s’agit de la discussion de deux thèses adverses, de l’opposition de
deux systèmes de valeurs.
• Sujet B : il s’agit pour le personnage de défendre un point de vue argumenté.
• Sujet C : il s’agit pour l’émetteur de la lettre de réfuter la thèse défendue dans
l’un des textes du corpus.
• Sujet D : il s’agit pour l’auteur de la préface de confronter deux points de vue,
de discuter la thèse des classiques dans le but de la réfuter.
• Sujet E : il s’agit d’étayer la thèse défendue dans l’un des textes du corpus.

Défendre une thèse


Exercice 9✢✢
1. Tournier défend la thèse selon laquelle la valeur littéraire d’un livre dépend de
l’adhésion du lecteur, de ce que ce livre apporte à celui qui le lit.
2. L’argument apporté par Tournier est celui de l’identification du lecteur aux
personnages d’un roman : pour l’écrivain, le lecteur doit ressentir les mêmes émo-
tions que les personnages. On peut illustrer cet argument au moyen de nombreux
exemples tirés de la littérature romanesque (Le Rouge et le Noir, Madame Bovary,
Bel Ami, etc.) ou théâtrale (Horace, Dom Juan, Cyrano de Bergerac, etc.).
3. Les arguments supplémentaires à apporter :
– le lecteur doit être séduit par le style de l’écrivain, se laisser emporter par la
beauté des images, le rythme, etc. (ex. : la poésie) ;
– le lecteur doit tirer un enseignement de l’œuvre qu’il lit (ex. : l’apologue, l’essai).

Réfuter une thèse


Exercice 10✢✢
1. La thèse défendue par Léon Daudet est affirmée dans la première phrase du
texte. On peut la reformuler de la manière suivante : les progrès de notre société,
son évolution vers un monde plus juste ne sont qu’une illusion. Il remet en cause
les valeurs de la Révolution française, et notamment les droits de homme.
2. L’argumentation de Léon Daudet relève de la persuasion : elle ne cherche pas
à convaincre au moyen d’arguments, mais à séduire le lecteur par l’ironie.
L’argumentation repose ainsi sur le plaisir du texte, puissance du langage dont il
faut apprendre à se méfier en adoptant un regard critique. L’auteur recherche la
368
complicité du lecteur, en développant un raisonnement qui repose sur l’analogie.
Le XIXe siècle devient ainsi « le siècle du perroquet » et l’évolution, « l’aveugle »
qui soutient « le paralytique » (le progrès). Le texte développe ensuite une longue
métaphore filée, à travers le réseau lexical du psittacisme. Si le style est séduisant,
les arguments développés ont peu de poids et relèvent de l’opinion personnelle,
voire de la mauvaise foi.
3. On peut affirmer qu’en fait le point de vue développé par Léon Daudet n’est
qu’un jugement subjectif et erroné. Il suffit d’évoquer le cours de l’Histoire pour
montrer que les valeurs rejetées par l’auteur sont encore bien vivaces aujourd’hui :
les progrès technologiques ont bien entendu suivi leur cours, tandis que les progrès
sociaux sont réels. Quant aux droits de l’homme, même s’ils ne sont pas respec-
tés de manière stricte, ils demeurent une référence pour un grand nombre d’in-
dividus et de sociétés et semblent devoir s’imposer peu à peu comme une valeur
partagée par le plus grand nombre.

Exercice 11✢✢✢
1. Le schéma argumentatif du texte
– La thèse ➞ La publicité est un moyen d’expression moderne, optimiste et joyeux
qui est à la fois esthétique et spirituel. (1. 1-3).
– Les arguments ➞ a) La publicité témoigne des qualités humaines comme la
force, l’inventivité, la jeunesse, la capacité à inventer et à imaginer ; b) Elle est la
manifestation la plus réussie de la modernité. (1. 4-9).
– Les exemples ➞ a) Les affiches, vitrines, enseignes lumineuses, étiquettes ou
sérigraphies qui ornent les lieux publics, les voies de communication, les objets
de consommation courante et même la nature. (1. 10-20).
– La conclusion ➞ La publicité est un moyen d’expression réellement nouveau,
au point qu’elle mérite qu’on y voie une forme d’art, au plein sens du terme.
(l. 21-23).
2. Le contexte de l’argumentation a changé : le texte a été écrit en 1927. Déjà
provocateur à cette époque, il l’est encore plus aujourd’hui : en effet, la publicité
est désormais omniprésente, fait réellement partie de notre vie quotidienne, est
devenue multiforme et volontiers insidieuse.
3. Les contre-arguments qui permettent de réfuter la thèse de Cendrars :
– la publicité envahit notre vie quotidienne ;
– elle dicte nos goûts, nos envies ;
– elle propose un univers factice ;
– elle provoque l’envie et les frustrations ;
– elle peut être dangereuse, en investissant des champs nouveaux, comme la
culture ou la politique ;
– elle uniformise les goûts et les cultures.
4. La réfutation de la thèse
Contrairement à ce qu’affirme par provocation Blaise Cendrars en 1927, la publi-
cité ne saurait être considérée comme « la fleur de la vie contemporaine ». Elle a
envahi notre vie quotidienne, au point qu’on ne peut plus faire un pas dans la
369
rue, ouvrir un magazine ou regarder un programme télévisé sans que les annon-
ceurs ne cherchent à séduire notre regard de manière à éveiller nos envies.
La publicité impose ainsi au monde une véritable dictature marchande, dictant
aux enfants leurs goûts, orientant les choix de leurs parents, imposant des normes
nouvelles que la société entière se sent obligée de suivre, et cela autant en matière
vestimentaire qu’alimentaire ou culturelle. En proposant un univers factice, dans
lequel le bonheur repose uniquement sur la consommation, elle suscite l’envie et
exaspère les frustrations : il suffit de prendre pour exemple les « marques » dont
les jeunes se sentent obligés de se parer et qu’ils ne peuvent cependant pas tou-
jours acquérir sans mettre en péril l’équilibre financier de leurs familles.
Enfin, la publicité peut être dangereuse pour notre société en investissant des
champs nouveaux, comme la culture ou la politique. À quand l’élection d’un pré-
sident de la République, non plus sur la base d’un programme et de propositions
concrètes, mais uniquement sur celle d’une campagne publicitaire bien menée et
financée par des entreprises dont le but est uniquement de s’assurer des parts de
marché pour leur avenir ?

Discuter une thèse


Exercice 12✢✢✢
1. Le texte A présente un point de vue négatif sur l’école : il met en avant les dif-
ficultés rencontrées lors de l’apprentissage de l’écriture et l’étourderie du maître
devant les efforts produits par son élève. Le texte B au contraire fait l’éloge de
l’école, à travers les odeurs, les couleurs, les matières dont le souvenir déclenche
la nostalgie de l’auteur. Le texte de Péguy envisage donc l’école comme le lieu des
apprentissages fondamentaux – et donc difficiles – et des premiers rapports d’in-
compréhension entre le monde de l’enfance et celui des adultes. Le second texte
envisage au contraire l’école comme un paradis perdu, un espace de jeux et de
rêveries. Le document iconographique mêle les deux visions, en donnant une
image à la fois nostalgique (le noir et blanc) et réaliste (la situation) de l’école.
2. On peut présenter la recherche des arguments sous la forme d’un tableau :
L’école, lieu d’apprentissage et d’efforts L’école, paradis perdu de l’enfance
– des efforts pénibles et pas toujours – un lieu magique à nul autre pareil
récompensés (cf. Péguy) ; (cf. Signol) ;
– des difficultés de communication – un espace de travail dans lequel l’en-
entre les enfants et les adultes (cf. fant est guidé par ses maîtres (ex. : les
Péguy) ; différentes pédagogies) ;
– un lieu de moquerie et d’apprentis- – un espace dans lequel on devient peu
sage de la vie en société (ex. : l’incipit à peu adulte (ex.: Pagnol, Le Temps des
de Madame Bovary) ; secrets) ;
– un espace où l’on se sent seul et – un lieu où l’on apprend la camara-
abandonné par la famille (expérience derie (ex.: Le Grand Meaulnes d’Alain-
personnelle). Fournier).
370
3. La problématique du sujet : les deux textes du corpus nous présentent deux
points de vue opposés sur l’école, perçue différemment par Charles Péguy et
Christian Signol. Dans le premier extrait en effet, Péguy évoque un souvenir
« pénible » de l’époque où il apprenait à écrire. Et chacun garde de l’école un
certain nombre de « mauvais souvenirs » : déception devant une note médiocre,
incompréhension devant le comportement d’un professeur… Le second extrait
au contraire présente une vision idyllique de l’école, espace de jeu, d’odeurs, de
couleurs qui fascinent l’adulte pour lequel l’enfance apparaît comme un paradis
perdu à jamais. L’école est-elle d’abord un lieu de contraintes et de déceptions ?
Ou bien est-elle au contraire un espace magique dans lequel peut s’épanouir la
personnalité de chacun ?

Critères de réussite
• La forme du dialogue est laissée libre : il peut s’agir d’un dialogue théâtral ou
romanesque, voire d’un simple dialogue entre deux personnages anonymes : on
valorisera cependant les réponses s’inscrivant dans un genre littéraire particulier
qui sert de cadre à l’échange de paroles.
• La situation d’énonciation peut mettre en scène deux amis dont les points de
vue s’opposent.
• Le registre est lui aussi laissé libre : il s’agit d’inscrire le discours du personnage
qui évoque une expérience heureuse dans le registre lyrique ; à l’inverse, le dis-
cours de celui qui évoque une expérience malheureuse peut s’inscrire dans le
registre polémique pour exprimer sa colère, voire pathétique pour exprimer une
forme de douleur.
• La progression du dialogue doit mener à l’affirmation d’un point de vue positif
sur l’école : une expérience malheureuse ne saurait remettre en cause un système
qui a fait ses preuves et l’école demeure nécessaire à chacun pour accéder à l’uni-
vers des adultes, à surmonter les épreuves de la vie.

Imiter un texte : l’amplification


Exercice 13✢✢
1. Le texte comporte les caractéristiques immédiatement identifiables du texte
théâtral, dans sa mise en page particulière :
– les indications en majuscules des noms des interlocuteurs ;
– les didascalies en italiques ;
– l’alternance régulière des répliques des deux personnages.
2. II s’agit de l’extrait d’un texte de théâtre contemporain (1989) qui met en scène
deux personnages, le physicien Pierre Curie (qui vécut de 1859 à 1906) et une
serveuse de restaurant prénommée Georgette. L’action se déroule à la fin du siècle
dernier, dans un lieu indéterminé par l’extrait : les indications scéniques peuvent
laisser penser qu’il s’agit d’un bureau ou d’une salle de classe. Les relations entre
les personnages semblent fondées sur un respect réciproque. Pierre est soucieux
de ne pas apparaître comme autoritaire, Georgette confesse son admiration.
371
La scène s’inscrit dans le registre comique à travers un certain nombre de procé-
dés :
– l’allusion anachronique (« Mon nom est Curie, Pierre Curie » évoque imman-
quablement le célèbre « My name is Bond. James Bond. » du cinéma) ;
– le nom du restaurant (Le Petit Glouton) provoque un effet de surprise ;
– les circonstances évoquées de la première rencontre entre les deux personnages
(la soupière de pois cassés sur les jambes, 1. 7) ;
– la maladresse chronique des deux personnages qui provoque le comique de
geste et de situation.
3. PIERRE, touché. – Merci infiniment. La science, quand elle est pure, est en effet
une bien noble tâche.
GEORGETTE (intriguée). – C’est vrai ce qu’on raconte ? Qu’on s’amuse avec des
machins jaunes qui font des PSCHH et des BLOUP-BLOUP dans des burettes ?
PIERRE (riant). – Oui, cela arrive quelquefois ! Mais la science moderne s’inscrit
surtout en équations sur de grands tableaux noirs… Pour ma part, j’aime mieux
laisser les expériences à d’autres : seule la théorie m’intéresse.
GEORGETTE. – Vous voulez dire que vous ne vous préoccupez pas de l’application
qui sera faite de vos découvertes ?
PIERRE (brusquement soucieux). – Je préfère en effet ne pas y penser, Georgette…
Tenez, je travaille actuellement sur la radioactivité ! Qui sait ce que les hommes
feront de mes travaux ? Imaginez qu’ils puissent à la fois aider la science et contri-
buer à la guerre. J’ai bien peur qu’on utilise la seconde possibilité tout autant que
la première. Non, voyez-vous, Georgette, seule la recherche peut passionner. Le
reste nous dépasse. (Il se lève et sort de la pièce, saluant Georgette d’un signe de
la main.)

Exercice 14✢✢
1. Les caractéristiques du journal intime :
– le lieu et la date (« Samedi 10 décembre ») ;
– l’utilisation du pronom « je » ;
– les notations personnelles, les impressions vécues, les réflexions sur la vie, soi-
même et les autres…
2. Le jeune Pierre Louis (« Louÿs » est son pseudonyme littéraire) s’interroge sur
l’éducation et l’école. Les exclamations et les questions soulignent ses interroga-
tions sur le contenu des programmes (déjà !) et les contraintes exercées par le
système éducatif sur les enfants. L’école est qualifiée de « boîte », dans laquelle
sont « coffrés » les enfants, « altérés de poésie », eux qu’un « regard de jeune fille
rend fous pour toute une journée ». Le texte se termine par une apostrophe : l’au-
teur s’adresse au monde des adultes, et plus particulièrement aux enseignants
(«vos pensums»). Il les exhorte à changer leur vision sur ce qui intéresse les jeunes,
étudier Musset plutôt que Boileau, parler d’amour plutôt que de mythologie.
3. On peut proposer le corrigé suivant, suite du texte de Pierre Louÿs :
Vous croyez donc que cela reviendra, et qu’on peut perdre impunément dix ans
de sa vie ? Vous croyez donc que ces malheureux pourront plus tard revivre tout
372
le bonheur que vous leur enlevez ? Vous croyez donc qu’on a deux fois seize ans ?
Et vous, quand vous lisez ces vers admirables :
Quinze ans ! L’âge où la femme au sortir de l’enfance
Sortit des mains de Dieu si blanche d’innocence, etc.
Vous ne sentez donc pas quelque chose qui vous dit : je n’ai pas eu quinze ans,
moi ! Et vous ne sentez donc pas que c’est un crime de faire que ceux que vous
élevez ressentent un jour ce regret atroce, navrant, désespéré, mais inutile, devant
le temps qui passe inexorablement ?
Et surtout ! pourquoi parquer les jeunes gens par sexe ? pourquoi séparer ceux
qui demandent à être réunis ? pourquoi, enfin, forcer les hommes ici-bas à ne
connaître la jeune fille qu’après avoir vu la cocotte ?
Oh ! mon Dieu ! comme le monde était bien fait et comme les hommes l’ont
arrangé ! Dieu avait mis en présence le jeune homme et la jeune fille pour être
toujours ensemble et s’aimer du matin au soir et du soir au matin. Il les avait faits
de telle sorte qu’un regard de l’un des deux fait le bonheur de l’autre, qu’il don-
nerait dix ans de sa vie pour une mèche de cheveux et sa vie tout entière pour un
seul baiser. Cela était si bien, si beau, si idéal ! qu’il semblait qu’il n’y eût qu’à le
laisser ainsi et faire perpétuellement la félicité du genre humain par l’éternel com-
merce de la jeunesse entre elle. Eh bien ! on a éprouvé le besoin de déranger cela.
On a dit : Ces enfants s’aiment, cela ne peut pas durer ainsi. Il faut changer cela.
– Et on les a mis l’un bien loin de l’autre, chacun dans un dortoir malsain et triste,
et on les a faits tous les deux phtisiques, l’un par abus de Boileau, l’autre par abus
de chapelet ou d’Imitation. On n’a laissé à la jeune fille que les livres qui peuvent
lui fausser le jugement ou lui laisser l’esprit vide. On lui retire Musset, on lui retire
Hugo, mais on lui laisse Feuillet et Mme de Ségur, et Mlle de Martignat, et Jules
Girardin. Et c’est seulement quand on l’a mariée à un grand dadais éreinté, qu’elle
n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, qu’on lui dit : Maintenant, lis ce que tu
voudras. Et, naturellement, qu’est-ce qu’elle prend ? Zola et Maupassant. C’est
inévitable.
Et je serais si heureux, mon Dieu, si j’avais une jeune fille de mon âge avec qui
vivre, une jeune fille à adorer, une maîtresse enfin, puisque c’est le mot, mais ce
n’est pas le mot que je voudrais. Celle que je rêve est trop douce, trop aimante
pour ce nom grossier. Je voudrais passer ma vie pendu à son cou, ma tête sur son
sein, mes lèvres sur sa joue, et ses cheveux dans mes yeux. Je voudrais n’avoir
d’autre souci que de l’aimer davantage encore, et de le lui dire encore plus souvent.
Je lirais Ronsard, Musset, Byron, du Bellay. Je ferais des vers, moi aussi. Pourquoi
pas ? Et je les lui lirais. Et je…
Mon Dieu ! Mon Dieu ! que j’ai envie de pleurer !

Imiter un texte : le pastiche


Exercice 15✢
1. Dans cet extrait de Je me souviens, publié en 1978, Georges Perec démontre
que l’originalité peut prendre l’apparence de la plus grande banalité. Le sous-titre
de ce recueil est d’ailleurs intitulé « Les choses communes ». Perec s’inspire d’un
373
auteur américain, Joe Brainard, qui a publié en 1975 un Remember, pour livrer
au lecteur 480 souvenirs, tous très courts, commençant par la formule qui donne
son titre au recueil. Il y explore non des souvenirs intimes mais plutôt des sou-
venirs communs à sa génération, événements petits ou grands des années 1960.
Les pages blanches qui terminent l’ouvrage étaient destinées à être complétées
par le lecteur. Le succès fut aussi immense qu’inattendu… C’est donc à cet exer-
cice réalisé spontanément par les lecteurs que sont invités les élèves dans la ques-
tion qui suit.
2. On peut proposer aux élèves le corrigé suivant, qui prend pour cadre la décen-
nie 1990 :
172
Je me souviens qu’en cette fin d’année 1989, le mur de Berlin tomba en une nuit,
dans un joyeux tintamarre, sans que personne n’ait prévu ce qui allait arriver.
173
Je me souviens que le Paris-Dakar fit étape en Libye, pour la plus grande joie du
colonel Kadhafi.
174
Je me souviens d’un cimetière juif profané à Carpentras.
175
Je me souviens que les troupes irakiennes ont envahi le Koweït, que les troupes
anglo-américano-françaises ont envahi l’Irak, et que l’ONU semblait être devenue
une réalité.
176
Je me souviens que Mme Cresson fut la première femme à devenir Premier
ministre de la France.
177
Je me souviens de la fin de l’URSS et du sourire de Mme Gorbatchev.
178
Je me souviens de la cohabitation et du suicide de Pierre Bérégovoy.
179
Je me souviens que l’OLP et Israël se sont mutuellement reconnus.
180
Je me souviens que les Serbes et les Bosniaques ne se reconnaissaient plus.
181
Je me souviens de l’élection de Nelson Mandela.
182
Je me souviens du Rwanda.
183
Je me souviens de l’affaire VA-OM et des sifflets réservés par le public des stades
pour Jacques Glassmann.
184
Je me souviens que l’équipe de France semblait mal partie pour gagner la Coupe
du monde de football.
374
Exercice 16✢✢
1. À la manière d’un peintre, La Rochefoucauld fait son autoportrait, genre lit-
téraire en vogue depuis la Renaissance. Il s’agit ici d’un portrait physique, qui
part de la silhouette pour détailler ensuite le visage, avant de se terminer sur l’atti-
tude générale du corps. La dernière phrase conclut sur la proximité entre le por-
trait ainsi établi et la réalité.
2. La Rochefoucauld tend à l’objectivité la plus grande. Il suscite les jugements
personnels (« taille médiocre », « bien proportionnée », « sourcils noirs et épais,
mais bien tournés ») et les témoignages d’autrui (« On m’a dit autrefois »). Le por-
trait est très détaillé, tâtonnant à la manière d’une esquisse : « il est plutôt grand
que petit », « je ne sais pas trop bien qu’en juger ». Mais les détails sont nombreux
et toutes les caractéristiques du visage sont passées en revue : le front, les yeux,
les sourcils, le nez, la bouche, les lèvres, les dents, le menton, le tour du visage,
les cheveux, la « mine ».
3. C’est en suivant le même schéma que le pastiche peut s’organiser. Il s’agit
d’abord de repérer les structures syntaxiques des phrases de La Rochefoucauld,
avant de souligner les mots et expressions caractéristiques du XVIIe siècle employés
par l’auteur. On n’hésitera pas à faire utiliser aux élèves les dictionnaires (de syno-
nymes et d’antonymes notamment), et à leur demander de procéder par imita-
tion, en ajustant les termes utilisés à leur propre apparence.

Imiter un texte : la parodie


Exercice 17✢
1. Queneau utilise l’ensemble des procédés de la parodie dans cette première page
des Fleurs bleues :
– imitation grotesque d’un début de roman historique (« Le vingt-cinq septembre
douze cent soixante-quatre, au petit jour ») ;
– reprise des personnages (le duc d’Auge) et de leur situation (le personnage est
sur « le sommet du donjon de son château ») ;
– concentration excessive des références historiques, jeux de mots sur les noms
des différentes tribus gauloises ;
– utilisation de l’anachronisme (« le Gaulois fumait une gitane ») et grossissement
du trait jusqu’à la caricature (« les Normands buvaient du calva »).
2. Proposition de corrigé
Le duc d’Auge contempla ce spectacle d’un œil morne et soupira ; puis il descen-
dit vers les cuisines afin d’y dévorer au passage un ragoût d’alouettes, pour s’ai-
guiser l’appétit. Il entreprit ensuite de faire le tour des remparts, afin de s’assurer
qu’aucun barbare n’avait poussé l’outrecuidance jusqu’à pénétrer dans l’enceinte
du château. Il examina attentivement le chemin de ronde, vide de tout archer,
caressant au passage les bombardes et les catapultes qu’il venait de recevoir par
Colissimo.
« Faudra que je pense à acquérir un bélier, songeait-il tout en marchant, au cas
où l’un de ces satanés vigiles perdrait les clés du pont-levis. »
375
Tout en haut du donjon flottait le célèbre oriflamme de la famille d’Auge : un œuf
d’or sur fond rouge y évoquait la splendeur chaque jour renouvelée d’anciens
paysans devenus châtelains par la grâce d’un gallinacé dont on n’attendait pas
tant. Arrivé dans la cour d’honneur, le duc décida d’inspecter l’intérieur de la tour
de guet, qui permettait également d’accéder aux oubliettes.
« Quel dallage ! » s’exclama-t-il en découvrant le sol jonché de laine. La duchesse
avait en effet pour noble tâche de mettre celle-ci en quenouille. Mais elle traînait
tant, montrait si peu d’ardeur au travail que les moutons eux-mêmes avaient
menacé de quitter la province.
« Dépêchez-vous, ma mie, dépêchez-vous », s’écria le duc d’Auge en faisant moult
signes de croix afin que son vœu se réalise. Mais le son du cor interrompit brus-
quement son inspection : on l’avertissait ainsi qu’un inconnu avait pénétré dans
les douves. Dégainant son épée, le duc se précipita vers l’enceinte afin d’occire le
damné gueux qui s’était permis de pénétrer dans la propriété privée des d’Auge.

Exercice 18✢
1. On retrouve dans l’extrait l’univers du conte à travers la situation des person-
nages : la Fée qui est la « marraine » de Cendrillon, l’héroïne, est à la fois son auxi-
liaire (elle lui offre le moyen de réaliser son rêve) et son opposante (elle fixe des
conditions strictes qui ne sauraient être respectées). Par ailleurs, le conte s’affirme
à travers un certain nombre de mots et expressions caractéristiques (« vilains
habits », « pantoufles de verre les plus jolies du monde », « son carrosse redevien-
drait citrouille, ses chevaux des souris… ») qui le rendent identifiable.
2. La parodie du texte
La Fée dit alors à Cendrillon : « Hé bien, voilà de quoi aller en boîte, ne trouves-
tu pas ça chouette ? – Ouais, trop cooool ! Mais… Je pourrai rentrer, habillée
comme ça, avec mes vieilles fringues ? » Sa marraine ne fit que la toucher avec sa
baguette, et en même temps, ses habits furent changés en robe Chanel, son poignet
orné d’une montre Cartier ; elle lui donna ensuite une paire de baskets Nike, les
plus chères du monde. « Ouais, trop cool ! » répéta stupéfaite la pauvre orpheline.
Quand elle fut ainsi parée, elle monta dans la BMW ; mais sa marraine lui recom-
manda sur toutes choses de ne pas passer minuit, l’avertissant que si elle demeu-
rait dans la discothèque un moment de plus, sa BM redeviendrait citrouille, son
moteur un poivron, son chauffeur une courgette, et qu’il ne lui resterait plus qu’à
se cuisiner une bonne vieille ratatouille.
« Ah ! Pas cool ! » se dit la jeune fille en ouvrant la portière…

Exercice 19✢✢✢
1. Le poème, écrit en décasyllabes, nous raconte la vengeance victorieuse de
Charlemagne après la mort de ses braves et explique la défaite de Roncevaux par
la présence déterminante d’un traître (Ganelon). Il s’agit donc d’une épopée. La
traduction du texte en français moderne conserve l’atmosphère propre à l’uni-
vers du Moyen Âge. De même, les personnages présentent les caractérisations
propres à l’univers du combat épique. L’empereur Charlemagne donne l’ordre
du combat après avoir fait enfermer Ganelon. L’immense masse des soldats,
376
l’armée valeureuse et puissamment équipée forme elle aussi le héros collectif de
l’épopée.
L’intervention du narrateur qui commente l’action, au vers 11, rappelle les condi-
tions dans lesquelles le texte était chanté au Moyen Âge dans la grande salle des
châteaux. Le troubadour semble ainsi accompagner naturellement de ses consi-
dérations – regrets, réflexions, encouragements, admiration – le déroulement de
la fresque épique. Il sert de relais avec l’auditoire en exprimant tout haut ce que
lui-même éprouve devant l’action racontée. Les procédés utilisés sont ceux du
registre épique : l’énumération (vers 3-5) qui renforce par le rythme et l’effet d’ac-
cumulation le sentiment de puissance et de force ; alternance du récit et du dia-
logue, à travers lesquels les personnages révèlent leur valeur ou leur félonie ;
réseaux lexicaux de la guerre, de la lumière, des sentiments…
L’ensemble de ces procédés contribue à l’amplification du récit épique.
2. Proposition de corrigé
Puis l’armée glorieuse se met en route,
Sans deviner la prochaine déroute.
Les uns vont à cheval gaiement,
Les autres boitent en marchant,
Tous savent que l’heure est venue
De combattre l’ennemi inconnu.
Destriers, casques à pointe, oriflammes
Brillent et donnent du cœur à l’âme.
C’est qu’en effet, du pauvre Roland,
Il est nécessaire de quérir maintenant
Et la dépouille et les chaussons
Qui font l’objet de cette chanson.
Ainsi, dans le froid et la neige des Pyrénées
Les pantoufles léguées par l’empereur sont restées.
Mais même les plus valeureux guerriers
Songent alors à un feu de cheminée.
« Ah ! Si je pouvais un court instant
Me réchauffer les pieds et le séant.
Rêvait l’empereur superbe mais voûté
Par la guerre et le poids des années.
Brusquement, ce fut pourtant le combat.
Ô mes amis, si vous aviez vu ça !
La moitié de l’armée franque était en grève ;
Et l’autre demeurait bien trop brève.
En un mot, ce fut une boucherie :
Oriflammes, bannières, tout fut détruit…
Heaumes, armures, cottes de maille,
Boucliers, lances, fléaux, aïe, aïe, aïe !
L’armée de l’empereur connut la déroute,
Et depuis ce temps, l’armée des francs doute. »
3. Titre proposé : Les chaussons de Roland.
377
EXO-BAC
(PAGE 385)

Préparation
1. Le premier vers de l’extrait met en place le dialogue mis en scène par le poème :
la question initiale est prononcée par une voix anonyme, qui semble être celle du
poète lui-même. Elle s’adresse à l’un des insurgés de la Commune (cf. l’intro-
duction au poème) : « Tu viens d’incendier la Bibliothèque ? » Dès lors s’engage
un long monologue argumentatif (vers 5 à 38) dans lequel le poète développe un
éloge des livres et de la connaissance à laquelle ils permettent d’accéder.
2. La thèse défendue par la voix du poète (vers 4-6) peut être reformulée de la
manière suivante : en brûlant la bibliothèque du Louvre, les insurgés de la
Commune commettent un geste suicidaire, un crime contre eux-mêmes et la
société. Les arguments apportés :
– le livre est l’instrument qui libère le peuple (vers 7-11) ;
– le livre permet aux plus humbles d’être les égaux des plus grands (vers 12-17) ;
– le livre permet d’accéder à la connaissance et de combattre les préjugés (vers
18-24) ;
– les connaissances véhiculées par les livres permettent à l’homme d’être libre
(vers 25-36).
3. Les deux derniers vers lèvent toute ambiguïté sur le jugement porté par Hugo
sur ces événements : ce ne sont pas les insurgés qui sont responsables du geste
qu’ils ont commis. En brûlant la bibliothèque du Louvre, ils ont détruit un
symbole du pouvoir – politique et intellectuel – auquel ils n’ont pas accès. Mais
ils ne pouvaient mesurer la portée de leur geste : le dernier vers (« Je ne sais pas
lire. ») met en évidence la responsabilité de ceux qui ont laissé le peuple dans
l’ignorance, sans éducation, sans possibilité de sortir de leur condition par le
savoir.

Rédaction
Proposition de corrigé
Paris, le 26 mai
Mon cher François,
J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à recevoir de tes nouvelles. Je sais bien que tu
n’aimes pas écrire, comme tu me l’as déjà expliqué. Mais avoue qu’une lettre a
bien plus de poids qu’un coup de fil, ne serait-ce parce qu’on ne peut y parler
pour ne rien dire. Dans une lettre, il faut peser ses mots, réfléchir, soigner son
style… Comme je comprends tes réticences, toi qui affirmes dans ta dernière lettre
pouvoir te passer de livres !
Certes, je suis d’accord avec toi lorsque tu affirmes que le livre n’est pas le seul
moyen de communication dont nous disposions aujourd’hui. Oui, tu as raison
de dire qu’Internet, le téléphone, les DVD, la télévision, la radio sont autant de
moyens d’accéder à la connaissance. Oui, tu es dans le vrai lorsque tu me parles
378
de ton petit frère, qui sait utiliser l’ordinateur de ton père avant même de savoir
lire ! Et encore oui, lorsque tu assènes cette formule définitive : « Celui qui se
détourne des nouvelles technologies sera comme un infirme dans le monde de
demain. »
Mais faut-il pour autant brûler les livres ? Faut-il vider les rayonnages des biblio-
thèques ? Faut-il expulser les libraires ? J’exagère ton point de vue, je pousse ton
raisonnement jusqu’à son terme : si le livre n’est plus qu’un accessoire inutile,
pourquoi s’en encombrer ? Faisons comme les communards, ces insurgés qui brû-
lèrent la bibliothèque du Louvre en pensant réduire en cendres un symbole du
pouvoir !
À moins que… À moins que tu veuilles bien écouter les arguments que j’aurais
développés si j’en avais eu l’occasion, devant ce peuple en colère, à la manière de
Lamartine défendant le drapeau tricolore, debout sur une chaise, au milieu des
sifflets. D’abord, le livre reste un outil indispensable pour accéder à la connais-
sance : grâce à quel support as-tu appris à lire ? que manque-t-il à ton petit frère
pour savoir vraiment se servir de son ordinateur ?
Ensuite, tu conviendras que si – une fois la lecture maîtrisée – le livre n’est pas le
seul outil permettant d’étudier, il remplit une autre fonction, tout aussi essen-
tielle : il véhicule une forme d’art à nulle autre pareille. Le roman, la poésie, le
théâtre ne seront jamais remplacés par le cinéma – quoi que tu en dises. Baudelaire
en CD-rom ? Quel intérêt ? Je préfère emmener Les Fleurs du mal sur la plage !
La plus belle invention de l’homme depuis l’imprimerie est pour moi le livre de
poche : partout, je peux lire, partout je peux rêver, partout je peux voyager grâce
aux livres…
En définitive, si je suis d’accord pour affirmer avec toi que le livre n’est plus
aujourd’hui le seul moyen de se constituer une culture, il n’en demeure pas moins
un objet précieux qu’il faut défendre coûte que coûte et léguer aux générations
futures.
Au plaisir de te lire, mon cher François.

SUJET DU BAC
(PAGES 386 à 388)

I. Questions de lecture
On trouve dans le texte de Balzac tous les éléments qui ont contribué à faire du
roman réaliste le genre littéraire dominant au XIXe siècle : le portrait d’un per-
sonnage pourvu d’une identité bien marquée, Monsieur Grandet, fortement carac-
térisé sur le plan psychologique, conduit par la passion dominante et détaillée de
l’argent (qui fait de lui le type du commerçant habile et rusé), ancré dans l’es-
pace-temps très précis de la province française entre la Révolution et l’Empire,
situé par rapport à son âge et à sa situation de famille.
De même, dans l’extrait du roman de Michel Butor, le lecteur suit l’itinéraire d’un
personnage fatigué, perdu dans une ville étrangère et trouvant refuge dans une
379
gare. La représentation des lieux repose sur l’indication des différentes inscrip-
tions sur les portes et sur la description physique (apparence, attitude…) des per-
sonnages épisodiques installés dans la salle d’attente.
Ici et là, le roman se développe à travers la présence d’un personnage ou d’un
narrateur, la représentation d’un espace-temps particulier, dans l’attente des déve-
loppements de l’intrigue, des péripéties à venir.

II. Travail d’écriture


1. Commentaire
Proposition de corrigé
Introduction
Balzac a su, dans La Comédie humaine, créer un univers romanesque dans lequel
les personnages représentés semblent vivre et évoluer sous les yeux du lecteur. Le
réalisme trouve ici l’une ses plus belles, de ses plus fortes expressions. C’est ainsi
que Monsieur Grandet a toutes les apparences d’un personnage bien réel. Cette
illusion de la réalité est l’expression du génie de l’écrivain. Balzac renouvelle ainsi
l’art du portrait. Et l’on pourra analyser, d’une part, les moyens employés pour
caractériser la passion dominante du personnage – au point d’en faire un type
psychologique – ainsi que, d’autre part, les moyens qui permettent au romancier
d’ancrer cette image dans un espace-temps bien particulier.
Première partie. Une passion dominante
• Omniprésence des indications relatives à l’argent dans le texte : mention des
sommes précises (deux mille louis d’or, deux cents doubles louis…), lexique de
la richesse ou des biens : « à son aise », « biens du clergé », « riche marchand »,
« fortune liquide », « dot », « vignobles », « propriétés », « sa maison et ses biens »,
etc.
• Monde des métiers et thème du commerce :
– « maître-tonnelier », « marchand de planches », « membre de l’administration »,
« maire », vigneron avant tout, etc. ;
– « mis en vente », « la vente des biens des domaines nationaux », « il eut pour un
morceau de pain », « commercialement », « il fournit […] et se fit payer en […] »,
etc.
L’itinéraire de Grandet est celui d’un homme qui, par le moyen du commerce,
s’enrichit considérablement. Et le texte donne l’impression d’une passion qui le
domine exclusivement, qui occupe toutes ses pensées : aucune autre indication
psychologique (relative aux sentiments amoureux, à d’autres passions ou inté-
rêts humains) ne vient nuancer cette passion exclusive de l’argent.
Seconde partie. Une analyse sociale et historique
• Omniprésence du contexte historique : 1789-1806, de la Révolution à l’Empire,
la carrière de Grandet est aussi une carrière politique : références multiples au
contexte historique, aux ventes des biens du clergé, aux armées républicaines, au
Consulat, à Napoléon… Le portrait du personnage est aussi le portrait d’un iti-
néraire politique qui culmine avec la croix de la Légion d’honneur.
380
• Omniprésence de la province : dès le début du texte = un tableau provincial pré-
cisément situé (arrondissement, district, habitants de Saumur, etc.) : mœurs des
habitants de Saumur, politiquement, socialement…, langage technique (cf. « la
tête du pays »).
À travers tout, c’est la ruse et l’habileté que Balzac met en évidence : l’ironie de
Balzac est constamment présente dans le texte (ex. : « le farouche républicain »
qui se laisse corrompre ; le père Grandet qui « passa pour un homme hardi », alors
que seul l’intérêt le conduit). Le romancier montre l’aveuglement de tous ceux
que dupe Monsieur Grandet. Et l’extrait s’achève là où s’achève Madame Bovary
de Flaubert, quand le pharmacien, M. Homais, est récompensé de ses mérites.
Conclusion
On retrouve dans cet extrait toutes les caractéristiques du réalisme balzacien.
L’art du portait littéraire est à son comble. Et l’écrivain livre ainsi au lecteur une
explication du monde politique et social. C’est là une des ambitions de La
Comédie humaine : montrer comment la société permet aux uns de s’enrichir,
tandis que les autres sont broyés. Le romancier manifeste ainsi à la fois une sorte
d’enthousiasme devant la force de caractère et l’habileté d’un homme habité par
la passion de l’argent, sans s’aveugler sur les moyens qu’il met en œuvre : ruse,
corruption, égoïsme, indifférence… Celui qui est devenu « Monsieur Grandet »
témoigne de la distance qui existe entre la considération due à la réussite sociale
et à la vraie richesse humaine des êtres.

2. Dissertation (proposition de plan)


Introduction
À plusieurs reprises dans l’histoire du roman, des écrivains ont remis en cause
l’illusion réaliste à laquelle le genre romanesque semble s’être identifié dès son
origine. C’est ainsi, par exemple, que Diderot se moque, dans Jacques le fataliste,
de toutes les conventions imposées au roman : présentation des personnages, ins-
cription du cadre spatio-temporel, vraisemblance du récit, etc. « Qu’il est facile
de faire des contes ! » s’exclame le romancier, qui s’amuse. Mais c’est au XXe siècle
que le roman connaît la crise la plus grave à travers la remise en cause radicale
de l’un de ses éléments fondamentaux : le personnage dans son épaisseur, dans
son identité. Il s’agit donc de s’interroger sur la nature et la portée de cette crise
effectuée au nom du Nouveau Roman, avant de montrer combien la foi du
romancier et du lecteur semble avoir, malgré tout, triomphé.
Première partie. La crise du Nouveau Roman
• Le contexte culturel : ombre de la Seconde Guerre mondiale, de l’horreur des
camps, de la bombe atomique…, critique de la société de consommation…, nom-
breux précurseurs ayant cherché à renouveler l’écriture romanesque : Proust,
Joyce, Kafka, Faulkner ou Camus… Ainsi commence « l’ère du soupçon » qui
jette les jeunes romanciers dans l’aventure du Nouveau Roman : Robbe-Grillet,
Simon, Pinget, Sarraute, Butor… Il s’agit d’en finir avec une certaine tradition
romanesque.
• Le bouleversement des formes romanesques : exploration de la conscience inté-
381
rieure… description minutieuse des objets contre foisonnement de l’intrigue et
épaisseur des personnages… fragmentation des souvenirs… effets de répétition…
C’est la restitution fragile d’un univers intérieur, c’est l’anonymat d’un narrateur
effacé qui dominent : « Nos romans n’ont pour but ni de faire vivre des person-
nages ni de raconter des histoires », écrit Robbe-Grillet.
Seconde partie. Pour le personnage, quand même
• Le retour du romanesque : Michel Tournier connaît un immense succès à la fin
des années 1960 avec Vendredi ou les Limbes du Pacifique et, ensuite, Le Roi des
aulnes… On retrouve dans ces deux romans des personnages très caractérisés,
une intrigue extrêmement romanesque… De même chez Le Clézio ou, plus récem-
ment chez Pascal Quignard ou Amélie Nothomb… Comme si le personnage avait
traversé la crise du Nouveau Roman.
• La diversité des formes : cependant, il ne s’agit pas d’un retour à la tradition
balzacienne dénoncée par Nathalie Sarraute, Robbe-Grillet ou Ricardou, les théo-
riciens du Nouveau Roman. Le roman, genre ouvert, genre libre, explore des
formes nouvelles, propose au lecteur des valeurs nouvelles, prend parfois le risque
du scandale, comme chez Michel Houellebecq, pratique une « écriture blanche »
comme chez Michon ou Echenoz…
Conclusion
Le roman bouge, le roman se diversifie sans cesse. Les crises qu’il semble traver-
ser sont des témoignages de sa vitalité et de sa recherche constante de renouvel-
lement. Si, dans le contexte particulier des années 1950, il a paru balayer le
recours aux personnages tels qu’ils avaient été conçus jusque-là, de belles figures
romanesques ont, depuis, vu le jour : Robinson et Vendredi, Abel Tiffauges,
Monsieur de Sainte-Colombe, bien d’autres encore, devenus chers et familiers
dans le cœur et la mémoire du lecteur.

3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
La lettre peut prendre la forme d’une concession, suivie d’un plaidoyer.
Rappel de quelques arguments possibles
• Concession
– La lassitude compréhensible d’une certaine forme romanesque dominante, fixée
au XIXe siècle… Jusqu’alors : grande diversité du genre romanesque, pas de forme
dominante. Au XIXe siècle, l’immense vague du roman réaliste emporte tout et
impose une certaine image « canonique » du roman dans l’esprit du lecteur…
Cette image fixée du roman contribue à donner la préférence aux œuvres de
Balzac, de Maupassant ou de Zola, lorsqu’il s’agit d’adapter un roman à la télé-
vision, par exemple.
– Par ailleurs, le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a pu conduire, à
travers le sentiment de l’absurde et de l’incommunicabilité des êtres, à remettre
en cause l’illusion réaliste et à dénoncer la pseudo-vérité des personnages roma-
nesques « à la Balzac ». Le monde contemporain ne les reconnaît plus et attend
de la littérature romanesque des formes nouvelles de représentation.
382
• Plaidoyer
– Malgré toutes les crises, le lecteur reste encore et toujours attaché aux person-
nages de romans qui conduisent l’action, portent des valeurs, auxquels le lecteur
peut s’attacher, voire s’identifier. Chez Michel Tournier, Modiano, Le Clézio,
Pascal Quignard ou Amélie Nothomb, on retrouve des personnages très carac-
térisés, une intrigue extrêmement romanesque…
– Dans ce contexte, on peut encore et toujours relire Balzac : ses personnages sont
pleins d’enseignement pour comprendre la société d’aujourd’hui. Le plaisir de la
lecture est toujours aussi vif à travers la richesse des descriptions et la vérité des
intrigues : des Grandet, Goriot, Rastignac, Nucingen existent aujourd’hui, sous
des formes nouvelles certes, mais directement héritées de l’univers balzacien. Tant
que le monde existera, il y aura toujours place pour La Comédie humaine, ses
drames, ses passions, ses plaisirs.

383
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE

28 L’épreuve orale
(PAGES 389 à 405)

Rappel du Bulletin officiel n° 3 du 16 janvier 2003


I. Finalités
L’examen oral a pour but d’évaluer la capacité du candidat à mobiliser ses
connaissances. Il doit lui permettre de manifester ses compétences de lecture,
d’exprimer une sensibilité et une culture personnelles et de manifester sa maîtrise
de l’expression orale ainsi que son aptitude à dialoguer avec l’examinateur.
II. Définition : le déroulement de l’épreuve
L’examen oral se déroule en deux parties de 10 minutes chacune qui s’enchaînent
et sont précédées d’un temps de préparation de 30 minutes. Le temps consacré à
accueillir le candidat et à remplir la fiche d’évaluation est d’environ 10 minutes.
Ainsi il n’est imputé ni sur le temps de préparation ni sur celui consacré à
l’épreuve.
Chacune de ces deux parties est évaluée sur 10 points.
LA PREMIÈRE PARTIE DE L’ÉPREUVE
Dans la première partie de l’épreuve, le candidat rend compte de la lecture qu’il
fait d’un texte choisi par l’examinateur dans le descriptif des lectures et activités.
Cette lecture est orientée par une question initiale à laquelle il doit répondre en
partant de l’observation précise du texte, en menant une analyse simple et en
opérant des choix afin de construire une démonstration. On n’attend donc de lui
ni une étude exhaustive du texte ni la simple récitation d’une étude faite en classe.
• Le choix de l’extrait
En aucun cas le candidat n’est interrogé, pendant cette partie de l’épreuve, sur
les lectures cursives.
L’extrait est tiré d’un des groupements de textes ou d’une des œuvres intégrales
étudiées en lecture analytique figurant sur le descriptif des lectures et activités.
Trois possibilités sont offertes à l’examinateur qui adapte ses attentes et son éva-
luation à la possibilité qu’il a retenue :
– interroger sur un texte ou un extrait de texte figurant dans un des groupements
de textes ;
– interroger sur un extrait ayant fait l’objet d’une explication en classe, tiré d’une
des œuvres intégrales étudiées en lecture analytique ;
385
– interroger sur un extrait – n’ayant pas fait l’objet d’une explication en classe –
tiré d’une des œuvres intégrales étudiées en lecture analytique.
• La longueur de l’extrait
La longueur du texte ou de l’extrait à étudier ne peut être fixée dans l’absolu. Elle
dépend en fait de la question posée et des éléments de réponse à rechercher dans
le texte. On s’en tiendra donc à une limite inférieure (une demi-page, ou moins
dans le cas d’une forme poétique brève…) et à une limite supérieure (une page et
demie, éventuellement deux pages pour un texte théâtral).
• La question
Une question écrite amène le candidat à étudier, en lien avec l’objet d’étude ou
les objets d’étude retenu(s), un aspect essentiel du texte. Elle est formulée avec
clarté et évite toute utilisation abusive de termes techniques susceptibles de mettre
le candidat en difficulté. Elle appelle une interprétation, fondée sur l’observation
précise du texte.
• L’exposé du candidat
Le candidat fait une lecture à haute voix de la totalité ou d’une partie du texte à
étudier, avant son exposé ou au cours de son exposé au choix de l’examinateur.
L’exposé est ordonné. Il prend constamment appui sur le texte proposé mais ne
peut consister en un simple relevé. Il présente, de façon libre mais adaptée, les
éléments d’une réponse organisée à la question posée.
L’examinateur n’intervient que de façon très exceptionnelle :
– pendant la durée de l’exposé, seulement si le propos du candidat tourne court ;
– à la fin de cet exposé, s’il juge indispensable de vérifier la compréhension litté-
rale du texte par le candidat.
LA DEUXIÈME PARTIE DE L’ÉPREUVE
La seconde partie de l’épreuve est un entretien, pendant lequel l’examinateur
s’attache à conduire un dialogue permanent avec le candidat.
• Les objectifs de l’entretien
L’examinateur ne se livre pas à un « corrigé » de la première partie de l’épreuve.
Il veille à ne pas exiger du candidat la récitation pure et simple d’une question de
cours. Il cherche au contraire :
– à ouvrir des perspectives ;
– à approfondir et à élargir la réflexion, en partant du texte qui vient d’être étudié
pour aller vers :
- l’œuvre intégrale ou le groupement d’où ce texte a été extrait ;
- une des lectures cursives proposées en relation avec le texte qui vient d’être
étudié ;
- l’objet d’étude ou les objets d’étude en relation avec le texte qui vient d’être
étudié ;
– à évaluer les connaissances du candidat sur l’œuvre ou l’objet d’étude ;
– à apprécier l’intérêt du candidat pour les textes qu’il a étudiés ouabordés en
lecture cursive ;
– à tirer parti des lectures et activités personnelles du candidat
386
• La conduite de l’entretien
En liaison avec l’objet ou les objets d’étude, l’examinateur cherche à évaluer un
ensemble de connaissances et de compétences issu deslectures de l’année. Il ouvre
le plus possible cet entretien aux lectures et aux activités personnelles du candi-
dat, telles qu’elles sont mentionnées sur le descriptif.
Pour cette raison, l’examinateur s’appuie sur les propos du candidat et conduit
un dialogue ouvert. Il évite les questions pointillistes.

EXERCICES
(PAGES 396 à 404)

Se familiariser avec les objectifs de l’épreuve orale


Exercice 1✢✢
Le descriptif d’activités (BO du 16 janvier 2003) :
En vue de l’examen oral, le professeur rédige pour l’ensemble des élèves de sa
classe un « descriptif des lectures et activités » réalisées pendant l’année.
Ce descriptif des lectures et activités peut s’élaborer progressivement, au cours
de l’année, dans un travail concerté avec les élèves.
Il présente une série d’éléments apportant à l’examinateur les informations néces-
saires sur le travail réalisé par le candidat pendant son année de Première. Il
précise de ce fait le titre et la problématique de chaque séquence ainsi que l’objet
(ou les objets) d’étude qui sont abordé(s). Il indique également les textes (grou-
pement ou œuvre intégrale) étudiés à l’intérieur de chaque séquence et la démarche
retenue pour cette étude (lectures cursives ou analytiques, approches d’ensemble
retenues pour l’étude des œuvres intégrales).
Il mentionne obligatoirement et clairement – afin de faciliter le travail des exa-
minateurs – le manuel utilisé dans la classe, l’édition des œuvres intégrales et les
références très précises des différents textes indiqués : édition, chapitre, page,
début et fin de l’extrait. Il donne, le cas échéant, quelques indications sur les acti-
vités complémentaires – en particulier orales – proposées à la classe et sur le travail
personnel de l’élève.
Le descriptif est signé par le professeur et visé par le chef d’établissement. Un
exemplaire est remis à l’élève.
La mise en page – linéaire ou tabulaire – et la présentation de ces indications sont
laissées à l’appréciation de chaque professeur ou de chaque équipe pédagogique.
Dans tous les cas on veillera à préserver la concision et la lisibilité de ce docu-
ment.
Les candidats individuels ou les candidats issus des établissements scolaires hors
contrat présentent l’épreuve dans les mêmes conditions que les candidats sco-
laires. Le « descriptif des lectures et activités » est alors constitué par le candidat
lui-même en conformité avec les programmes de la classe de Première.
387
Exercice 2✢
1. Le texte étudié a généralement été étudié en classe. Mais il peut également être
extrait d’une « œuvre intégrale étudiée en lecture analytique » : dans ce cas, si
l’œuvre a été étudiée, l’extrait choisi n’a pas forcément fait l’objet d’une expli-
cation de texte. Il appartient à l’élève de maîtriser suffisamment bien l’œuvre inté-
grale pour pouvoir mener son exposé de manière autonome.
2. Le choix des extraits
– Un texte figurant dans l’un des groupements de texte : par exemple, un extrait
de Candide, intégré dans un groupement de textes sur le mouvement des
Lumières.
– Un extrait ayant fait l’objet d’une explication en classe, tiré d’une des œuvres
intégrales étudiées en lecture analytique : par exemple l’incipit de Candide, analysé
en classe lors de l’étude du conte de Voltaire.
– Un extrait n’ayant pas fait l’objet d’une explication en classe, tiré d’une œuvre
intégrale étudiée en classe : par exemple, n’importe quel passage de Candide, si
le conte philosophique fait partie des œuvres intégrales étudiées en classe.
3. L’étude du texte est orientée par la question initiale : c’est celle-ci qui pose la
problématique en invitant le candidat à réfléchir sur un aspect essentiel du texte.
4. Il est nécessaire de bien connaître les objets d’étude car la question initiale est
« en lien avec l’objet d’étude ou les objets d’étude retenu(s) ». C’est cette connais-
sance acquise durant l’année qui permet donc de répondre à la question initiale
et de construire le plan de l’exposé.
5. Le candidat lit généralement le texte au début de l’exposé, après l’avoir briè-
vement introduit. Mais il peut également en lire certains passages au cours de son
exposé. Dans tous les cas, cet aspect de l’exposé est laissé « au choix de l’exami-
nateur ».
6. Le « fil conducteur » de l’exposé oral est la question initiale : chacun des aspects
du texte abordés par le candidat doit contribuer à répondre à cette question, à
en éclairer les différents enjeux.

Comprendre la question initiale


Exercice 3✢
Questions sur le sens Questions sur le genre Questions sur le
du texte ou la composition registre ou les intentions
A; B; F; J C; E; I D; G; H

Exercice 4✢✢
• Exemples de questions sur le sens :
– Comment le « voyage » du poète apparaît-il dans cet extrait ?
– Expliquez le titre choisi par Cendrars pour l’œuvre dont le poème est extrait.
388
• Exemples de questions sur le genre ou la composition :
– Justifiez le titre de l’œuvre dont le texte est extrait.
– En quoi la poésie de Blaise Cendrars apparaît-elle comme moderne ?
– Pourquoi peut-on parler de vers libre ? Que recherche le poète à travers cette
forme d’expression ?
– En quoi le jeu sur les images et les sonorités participe-t-il à la modernité du
poème ?
• Exemples de questions sur le registre ou les intentions :
– Peut-on parler de lyrisme poétique ? Pourquoi ?
– À quelle intention l’originalité du poème correspond-elle selon vous ?

Observer le texte à étudier


Exercice 5✢
1. Les informations utiles du paratexte sont :
– le titre du poème (les deux sœurs sont les filles du poète) ;
– les indications de lieu (La Terrasse, près d’Enghien, à la campagne) et de temps
(juin 1842 : c’est l’été) ;
– le titre de l’œuvre et celui de la première partie (Les Contemplations, « Autre-
fois », 1830-1843).
2. Les connaissances personnelles sur la vie et l’œuvre de Hugo :
– En 1842, la fille aînée de Victor Hugo, Léopoldine, a 18 ans, et sa cadette,
Adèle, en a 12.
– Le poème a été écrit un an avant ce terrible drame : le 4 septembre 1843, la mort
à Villequier, noyés dans la Seine, de Léopoldine Hugo et Charles Vacquerie, qui
s’étaient mariés en février.
– Les Contemplations, définies par Hugo comme « les mémoires d’une âme »,
retracent l’itinéraire spirituel et esthétique du poète de 1830 à 1855. La terrible
date du 4 septembre 1843 sépare les deux volumes. « Autrefois »/« Aujourd’hui ».
– La partie « Autrefois » est elle-même subdivisée en trois parties (« Aurore »,
« L’Âme en fleur », « Les Luttes et les Rêves ») ; elle rassemble les poèmes qui
témoignent d’une époque heureuse.
3. Le poème est descriptif : le lecteur y découvre un tableau familial, celui des
deux filles du poète, assises près d’un bouquet de fleurs entouré de papillons.

Analyser le texte en fonction de la question initiale


Exercice 6✢✢
Les mots clés (soulignés) qui vont guider l’analyse du texte
A. En quoi le récit des lignes 6 à 27 sert-il l’argumentation développée par
Fontenelle ?
B. Quelles sont les valeurs morales défendues par chacun des interlocuteurs de
cette scène du Mariage de Figaro ?
389
C. En quoi cette page remplit-elle les fonctions d’un roman de formation ?
D. Quelles réactions ce pamphlet de Voltaire cherche-t-il à susciter chez le lecteur ?
E. En quoi cet extrait de Phèdre est-il représentatif des exigences du classicisme ?
F. Quels sont les éléments susceptibles de susciter le rire dans cet extrait de L’École
des femmes ?

Exercice 7✢✢
1. A. Les mots importants sont « comment » et « ce que découvre le personnage ».
B. Les mots à expliquer sont « place » et « corps ».
C. Les mots à expliquer sont « suggérée » et « harmonie ».
2. La question A porte sur le problème des indices de la focalisation. La ques-
tion B porte sur la façon dont le personnage-narrateur présente une vision de
l’homme. La question C porte sur la façon dont chaque roman situe l’homme
dans un milieu.

Exercice 8✢✢
A. Les mots « image du poète » doivent être expliqués.
B. C’est le mot « moderne » qui doit être précisé. Comme le mot est vague, on
peut organiser la réponse à partir des diverses valeurs que l’on donne au mot.
C. Il faut introduire le mot « image ».

Exercice 9✢✢
1. Les références du texte sont peu nombreuses : nom de l’auteur, date de publi-
cation, éditeur. On peut cependant remarquer l’absence de références à la scène
et à l’acte dont le texte est extrait : on peut donc en déduire qu’il s’agit d’une pièce
en un acte (un seul décor) et en une scène (pas dechangement de personnage).
2. Les mots clés de la question initiale : « caractérise », « théâtre moderne » ; il
s’agit donc, pour le candidat, de montrer en quoi l’extrait de la pièce de
Marguerite Duras affiche les caractéristiques d’écriture du théâtre moderne, en
quoi il se différencie du théâtre classique.
3. On peut distinguer les didascalies des répliques.
• Éléments de réponse contenus dans les didascalies :
– leur longueur et leur précision font de l’auteur un metteur en scène à part
entière ;
– les indications données sur le bruitage et l’éclairage supposent des moyens tech-
niques (bruit de la mer, brume) ;
– l’écriture même des didascalies se rapproche de l’écriture romanesque : le texte
paraît autant destiné à la lecture qu’à la représentation sur scène (« On peut sup-
poser qu’ils ont… ») ;
– mais le texte insiste également sur la présence des spectateurs : « ils sont très
étrangers au fait de notre présence devant eux » ; enfin, les noms des personnages
les rendent anonymes (« Lui », « Elle »), ne donnant pour toute indication que la
nature de leur sexe.
390
• Éléments de réponse contenus dans les répliques :
– les répliques sont séparées par de nombreux silences, indiqués par les
didascalies (lignes 22, 28, 31, 34, 49, etc.) ; le texte théâtral travaille ainsi le
non-dit, soulignant les difficultés de communication entre les personnages (héri-
tage du théâtre de l’absurde) ;
– l’anonymat des personnages relève de la même influence : l’utilisation des
pronoms personnels peut souligner l’anonymat (qui participe à une sorte de géné-
ralisation des caractères) ou encore l’opposition des sexes ;
– enfin, le contenu des répliques semble indiquer au lecteur/spectateur que les
personnages sont ensemble depuis leur enfance (l’utilisation du pronom person-
nel « vous » créant au contraire un effet d’étrangeté) ; le dialogue pose ainsi la
problématique de l’écoulement du temps, de ses rapports avec l’espace, problé-
matique que l’on retrouve fréquemment dans le théâtre de Ionesco (Le Roi se
meurt) ou de Beckett (En attendant Godot).

Exercice 10✢✢
1. – Les références du texte : il s’agit d’un roman autobiographique contempo-
rain, publié en 1999 aux éditions Albin Michel par l’écrivain belge Amélie
Nothomb, intitulé Stupeur et tremblements ;
– Le contexte de la publication : Amélie Nothomb a grandi au Japon ; elle raconte
dans Stupeur et tremblements son expérience de la vie professionnelle dans ce
pays qui la fascine, les difficultés qu’elle y a rencontrées. Le roman s’inscrit dans
la vogue de l’autofiction, qui mêle la réalité à la fiction, explore la veine auto-
biographique sans souci de vérité ou de sincérité.
– Le sens littéral de l’extrait : l’héroïne passe sa troisième nuit enfermée dans l’im-
mense tour où se trouve son lieu de travail, sans parvenir à accomplir la tâche
qu’on lui a confiée ; la fatigue, l’énervement la font soudain basculer dans une
sorte de délire paranoïaque : elle se prend pour Dieu, se met nue et, après quelques
acrobaties, investit le bureau de sa supérieure directe, cause de ses désagréments,
Mlle Fubuki.
2. Les mots clés de la question initiale : la mise en forme du souvenir.
3. Les éléments du texte qui permettent de répondre à la question posée :
– le choix du mode de narration : utilisation du pronom personnel de la première
personne du singulier ;
– les temps verbaux : emploi des temps du passé (alternance de passé simple nar-
ratif et d’imparfait descriptif) ; irruption du présent dans le dernier
paragraphe (la narratrice intervient dans le récit à travers le discours adressé à
Mlle Fubuki, au moment où elle raconte l’événement) ;
– la mise en forme du récit : on peut retrouver le schéma narratif de l’histoire
racontée ; l’événement déclencheur est constitué par les lignes 5-6 (« Il m’arriva
une chose fabuleuse… »), tandis que l’événement équilibrant est constitué par
l’occupation du siège de Mlle Fubuki.
– une problématique : quelle part le roman autobiographique accorde-t-il à la
vérité ?
391
Exercice 11✢✢
1. – Les références du texte : il s’agit d’une pièce de théâtre du dramaturge fran-
çais Jean-Claude Grumberg intitulée L’Atelier, publiée en 1985 aux éditions Actes
Sud-Papiers.
– Le contexte : la pièce interroge le passé de l’auteur, né à Paris, quelques semaines
avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Son père et son grand-père, juifs,
meurent en déportation. Sa mère et lui sont épargnés « parce que les camions
étaient pleins ». Après la guerre, ils attendent en vain le retour des déportés, qui
hanteront l’œuvre de Grumberg. Apprenti-tailleur à l’âge de quatorze ans, Jean-
Claude Grumberg devient comédien. Il écrit sa première pièce de théâtre en 1968,
Demain une fenêtre sur rue. Mais c’est sa trilogie sur le thème du génocide qui
le fait connaître du public : Dreyfus en 1974, L’Atelier en 1979 et Zone libre en
1990. Parallèlement, il travaille pour le cinéma, avec François Truffaut dans Le
Dernier Métro, ou Costa-Gavras dans La Petite Apocalypse. Les mises en scène
de Gildas Bourdet ou Jean-Michel Ribes consacrent l’œuvre théâtrale de Jean-
Claude Grumberg, qui obtient en 1999 le Molière du meilleur auteur dramatique
pour L’Atelier.
– Le sens littéral de l’extrait : la scène se passe en 1945, dans un atelier de confec-
tion. Deux femmes, Hélène et Simone, y discutent de la guerre qui vient de s’ache-
ver et de leurs situations respectives durant cette période. La fin de l’extrait est
marquée par l’irruption d’un troisième personnage, une femme également, Gisèle.
2. Éléments de réponse :
– le choix d’une époque marquée par l’Histoire, justifiée par la biographie de l’au-
teur (cf. question 1) ;
– un thème annoncé dès la première réplique, celui, tragique, de la déportation
des Français de confession juive pendant l’Occupation (« Ma sœur aussi, ils l’ont
prise en 43… ») ; la tragédie est partagée par les deux femmes et, dans la suite de
la pièce, par l’ensemble des protagonistes ;
– un langage simple, réaliste, tout comme le décor ou les costumes (cf. didasca-
lies) ;
– les caractéristiques d’une scène d’exposition : mise en place d’une atmosphère,
évocation du passé, présentation des personnages.

Élaborer le plan de l’exposé


Exercice 12✢✢
I. Le plan du commentaire
Introduction
Né à Paris en 1939, Jean-Claude Grumberg, qui est lui-même fils de déportés
morts pendant la Seconde Guerre mondiale, développe une partie de son œuvre
théâtrale à partir du génocide. C’est ainsi qu’en 1979, L’Atelier montre les stra-
tégies mises en œuvre par les survivants pour se souvenir ou, au contraire, pour
oublier. Si le dramaturge – qui fut à l’âge de 14 ans apprenti-tailleur – récrée ici
le monde familier d’un atelier de couture, celui-ci demeure d’un bout à l’autre
392
hanté par la mémoire de ceux qui ont disparu. C’est ainsi qu’il crée un univers
singulier, source d’émotions.
Développement : analyse thématique
• Un milieu familier saisi au quotidien : J.-C. Grumberg multiplie dans les dia-
logues et les didascalies les indications qui visent à mettre en scène un cadre réa-
liste : celui d’un atelier de couture, à travers les personnages de la patronne
(Hélène) et ses employées (Simone et Gisèle) ; à travers les objets du décor (cf. par
exemple le portant qui permet au presseur d’accrocher les pièces repassées) et les
rites familiers du travail (comme enfiler la blouse en entrant).
Les dialogues des personnages font eux-mêmes état de préoccupations liées au
métier de la couture (« être à son compte », l. 4 ; « vendre la machine », l. 6 ; « c’est
pour les finitions », l. 32) ou à des considérations générales sur la vie de famille
(cf. l. 17 : « C’est bien comme écart »).
• Le drame du génocide : Dans ce décor simple et familier, qui paraît entièrement
absorbé par le « train-train » des préoccupations quotidiennes, le drame de
l’Histoire est immédiatement présent. Dès la première réplique, le dramaturge
rappelle les rafles et les déportations : on retrouve ainsi tout au long du passage
la Seconde Guerre mondiale, l’occupation allemande (cf. le rationnement du
charbon, l. 11), la division de la France entre zone occupée et zone libre (l. 20),
la réunion de ceux qui ont été séparés (l. 21-23).
Le souvenir de ceux qui sont morts hante ainsi chacun des personnages.
• Un univers singulier : Ce n’est pas dans le registre tragique ou pathétique que
J.-C. Grumberg inscrit sa réflexion sur le souvenir des déportés. Les répliques
s’échangent sur un ton très familier. Un « silence » (l. 3) ponctue l’évocation d’une
jeune femme, la sœur de la patronne, morte à l’âge de 22 ans. De même, pour ce
qui est de Simone, c’est aussi un silence (l. 12) qui marque le souvenir du moment
très douloureux où il lui a fallu se séparer de son outil de travail, la machine.
Plus encore, c’est en riant qu’elle rappelle le moment des retrouvailles avec ses
deux enfants, dont le dernier l’appelle « Madame » (l. 23).
Conclusion
En mélangeant les registres comique et tragique dans un univers réaliste et fami-
lier, J.-C. Grumberg joue des contrastes pour susciter l’émotion du spectateur.
Cette alternance, cette écriture simple et dépouillée, l’humanité profonde de ses
personnages expliquent le succès que rencontre L’Atelier auprès d’un public, qui
découvre – jusque dans les silences du dramaturge – toute l’horreur de l’Histoire.

2. La confrontation
On se reportera à la fiche-méthode de la page 393 pour effectuer la confronta-
tion avec les autres plans proposés.

Exercice 13✢✢
1. Dans la question A, le mot « valeurs » lié au mot « bonheur » doit être expli-
qué dans l’introduction.
Dans la question B, c’est l’expression « visions du monde » qui appelle des pré-
cisions.
393
2. Pour répondre à la question A, on peut organiser ainsi sa réponse :
A. L’éloge du bonheur. Le bonheur est une valeur en soi : a) Le lexique du
bonheur ; b) Les intensités du bonheur : la composition du texte
B. Les valeurs héroïques : a) Le plaisir de briller ; b) Le courage
C. Les valeurs amoureuses : a) La tendresse éperdue ; b) La supériorité de ce
bonheur
3. Pour répondre à la question B, on peut proposer un plan en deux ou trois
points : la dernière partie peut nourrir la conclusion si on découvre qu’on a du
mal à la développer (mais il faut faire son choix avant de se lancer dans l’exposé!).
A. Le monde de l’action et le monde de la contemplation
B. Le monde de la compétition et le monde de la compassion
C. L’illusion héroïque et la vraie tendresse

Exercice 14✢✢✢
1. – La conduite du récit. Le premier tableau, la tristesse du cerf au miroir, s’achève
par la complainte du cerf en style direct. Au cœur du poème, le distique qui oppose
la parole désolée à l’urgence de l’action (et des temps du récit au présent de nar-
ration). Le dernier temps qui évoque la fuite éperdue du cerf se termine par les
malédictions du cerf. Une magnifique ellipse dissimule le dénouement.
– Le respect de la vraisemblance. L’action élimine toute péripétie. Le récit ainsi
réduit à l’essentiel, un cerf surpris par un chien de chasse, assure la vraisemblance:
l’incident est crédible. Mais cette concentration n’est pas sécheresse, elle permet
d’évoquer le douloureux narcissisme du cerf et sa précipitation affolée.
– L’art de la suggestion. Signalons juste quelques effets que les élèves repéreront
facilement : le passage de l’octosyllabe à l’alexandrin (v. 5 et 6) qui suggère l’al-
longement de ses jambes trop fragiles qui désolent le cerf. L’ample développe-
ment de l’alexandrin (v. 9) qui vante la beauté du « front » avec une antéposition
qui met en valeur le superlatif et la plate retombée de l’octosyllabe (v. 10) qui
évoque les « pieds », les pauvres pieds du cerf. Le vers 14 lancé par le pluriel de
« forêts » qui suggère tous les espaces que le cerf parcourt dans sa fuite éperdue
se termine par le verbe « s’emporte » qui indique à la fois un mouvement, un
déplacement et un sentiment : « s’emporter » en effet s’emploie au XVIIe siècle en
parlant d’une personne qui s’abandonne au désespoir, à l’orgueil, à la colère (seul
sens parvenu jusqu’à nous). Dans le quatrain qui suit, les mots « bois » et « pieds »
sont tous deux placés au début du vers, mais l’inversion du sujet et le rejet mettent
en valeur l’élément tant décrié par le Narcisse en fuite. Les trois vers qui évoquent
les bois encombrants s’opposent à la brièveté de la mention des pieds avec cette
terrible relative qui souligne que le cerf risque de mourir.
2. L’ambition des classiques, « plaire et instruire », trouve ici une illustration
exemplaire. C’est parce que le poète a su nous rendre sensibles à l’histoire du cerf,
c’est parce qu’il a montré à la fois son déplaisir et sa panique que nous pouvons
réfléchir à ce qu’enseigne la moralité. Ce qui ne nous touche pas, ce qui nous
laisse froids ne nous apprend rien. C’est par l’émotion que l’art classique atteint
son but, qu’il aiguise notre lucidité.
394
3. La fable récuse toute beauté gratuite, toute ornementation qui ne chercherait
qu’à étonner, toute cette virtuosité qui plaisait tant aux baroques et aux manié-
ristes. Pas un vers, pas un mot qui n’ait ici sa raison. Le discours désolé du cerf
nous fait comprendre son erreur : la beauté ne peut se détacher de ce qui est utile.
Elle n’est alors qu’un vain ornement qui pèse, embarrasse, un narcissisme qui
peut être mortel. Ainsi la fable illustre-t-elle ce respect de ce qui est utile en sou-
mettant le récit à la moralité, que La Fontaine considérait comme l’âme de la
fable, ce qui lui donne vie, ce qui lui donne sens. La fable nous introduit directe-
ment, et magnifiquement, au cœur de l’esthétique classique.

Exercice 15✢✢✢
Plan thématique
A. Le dialogue montre l’accord entre les deux personnages.
a) L’enchaînement des répliques
b) La liaison des thèmes
B. Le dialogue exprime leurs aspirations.
a) Le goût des paysages « romantiques »
b) La soif d’un idéal
C. Le dialogue les montre prisonniers d’images convenues.
a) Les images convenues
b) La pose affectée
Conclusion : Sont-ils ridicules ou/et émouvants ?
Plan progressif
A. Soleils couchants (l. 1 à 17)
a) L’expression de l’enthousiasme
b) Les images romantiques
c) Le réel et le rêve
B. Musique en montagne (l. 18 à la fin)
a) L’exaltation de Léon
b) Les thèmes romantiques
c) La dernière réplique en contrepoint

Introduire la réponse
Exercice 16✢
1. La première proposition ne fait aucune allusion au mot « image », qui n’est
même pas prononcé. La deuxième proposition introduit bien la notion d’images
mais de façon trop rapide. De plus, le mot disparaît dans l’annonce de la seconde
partie. Dans la troisième proposition, le mot « image » apparaît dans la dernière
phrase : il n’est pas expliqué et la question posée n’est pas introduite alors que
c’est la fonction essentielle de l’introduction.
2. C’est la deuxième proposition qui se rapproche le plus de ce qui est attendu,
avec les réserves faites dans la réponse précédente. Dans la première proposition,
la question n’est pas introduite, le plan n’est pas annoncé. Même quand on choisit
395
de suivre le fil du texte, ce qui est parfaitement possible, il faut justifier et analy-
ser au moins la composition du texte. Suivre le fil dans le texte, ce n’est pas impro-
viser, ce n’est pas se lancer dans le vide ! La troisième proposition commence par
une amorce intéressante mais n’introduit pas la question, n’annonce pas le plan
de la réponse.

Exercice 17✢✢
Introduction pour le plan thématique
À la différence du dialogue théâtral, le dialogue romanesque permet des com-
mentaires. Dans un roman, les répliques des interlocuteurs peuvent être com-
mentées, nuancées soit par le narrateur, soit par le discours intérieur d’un des
personnages. Mais Flaubert, lui, se voulait impartial, objectif, ne voulait pas peser
sur les lecteurs par des commentaires explicites. Ainsi, dans le dialogue qu’échan-
gent Emma et Léon, quand les Bovary arrivent à Yonville, le romancier ne donne
à lire que les paroles prononcées par les personnages. Ces paroles sans commen-
taire restent révélatrices de l’idée que Flaubert veut nous donner d’eux. Il veut
montrer d’abord, dans la progression du dialogue, comment les deux êtres cher-
chent à se connaître et à s’accorder. C’est ce que j’étudierai dans la première partie
que j’intitule : « Du dialogue au duo ». Cette entente ou cette découverte se fait à
travers un dialogue où ils se caractérisent tous deux par les mêmes aspirations,
que l’on pourrait qualifier de « romantiques ». J’intitule mon deuxième point :
« Le rêve romantique ». Mais ce dialogue tel qu’il est conduit montre leur façon
de parler, les poses qu’ils adoptent et laisse deviner que ces personnages ne font
que répéter des poncifs à la mode. Le dialogue montre comment ils restent pri-
sonniers de formules toutes faites. J’aurais pu intituler mon troisième point : « Les
poseurs » ou « Les perroquets », mais ne sont-ils pas victimes de leurs rêves ? Je
choisis donc de l’appeler : « Les prisonniers ».
Introduction pour le plan qui suit les mouvements du texte
Le dialogue, qu’il soit théâtral ou romanesque, permet toujours d’éclairer les per-
sonnages qui prennent la parole. La façon dont ils parlent, ce qu’ils disent nous
montre comment ils voient le monde, ce qui les intéresse ou leur déplaît. Les dia-
logues font voir et entendre les caractères principaux des personnages qui parlent.
On le voit bien dans cette page du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary,
où Emma et Léon font connaissance. Ils découvrent au cours de ce dialogue qu’ils
partagent les mêmes goûts. Ce dialogue ne les oppose pas mais les réunit. C’est
pourquoi je vais répondre à la question : « Comment ce dialogue caractérise-t-il
les deux personnages ? », en suivant la progression du dialogue qui commence
par un échange entre Emma et Léon et se poursuit par une jolie tirade de Léon.
Dans le premier temps du dialogue, ils évoquent les promenades dans la cam-
pagne et en mer. J’intitulerai ce premier temps : « Soleils couchants ». La tirade
de Léon évoque la beauté sublime de la montagne que les romantiques avaient
mis à la mode. J’intitule cette seconde partie : « Musique en montagne ». À l’in-
térieur de chaque partie, je montrerai comment le développement de ces thèmes
montre l’enthousiasme et le ridicule des deux personnages.
396
Présenter un exposé oral
Exercice 18✢✢
1. et 2. Le BO n° 3 du 16 janvier 2003 propose une grille d’évaluation de l’ex-
posé oral, que nous reproduisons ici en guise de corrigé :

Exposé
Expression et Lecture correcte et expressive
communication Qualité de l’expression et niveau de langue orale
Qualités de communication et de conviction
Réflexion et analyse Compréhension littérale du texte
Prise en compte de la question
Réponse construite, argumentée et pertinente,
au service d’une interprétation
Références précises au texte
Connaissances Savoirs linguistiques et littéraires
Connaissances culturelles en lien avec le texte

Exercice 19✢✢✢
Pour une réponse thématique
La force théâtrale de ce dialogue vient de la tension du dialogue et de la richesse
de ses thèmes.
A. La mise en place du dialogue
a) Le rôle d’Aurélien
b) Le contraste entre longue tirade et brèves répliques
c) Le registre, les maximes et les formules
B. La vision du monde
a) Les images de la douleur
b) Le bonheur paradoxal
c) La force de l’espoir
Pour une réponse progressive
La force théâtrale du dialogue vient de la richesse des thèmes développés de façon
grave et surprenante. On étudiera la force de ces formulations en étudiant tour
à tour les deux temps essentiels du passage, la tirade de Cendres et le dialogue
avec Aurélien.
A. La beauté du monde : analyse de la tirade de Cendres (l. 2 à 21)
a) Les formes de la douleur
b) L’affirmation de la beauté
B. La force de l’espoir (l. 22 à 31)
a) La définition de la douleur
b) La réplique finale, la « chute » : en quoi est-elle surprenante ? En quoi est-elle
éclairante ?
397
Comprendre les objectifs de l’entretien
Exercice 20✢✢✢
1. et 2. C’est l’examinateur qui mène l’entretien. Il s’agit d’un dialogue car l’exa-
minateur « veille à ne pas exiger du candidat la récitation pure et simple d’une
question de cours ». À travers son questionnement, il cherche au contraire à tisser
des liens entre l’extrait étudié et les connaissances du candidat sur l’œuvre inté-
grale, les lectures effectuées durant l’année, l’objet d’étude, etc.
3. Une bonne connaissance des objets d’étude est indispensable car elle permet
d’élargir la réflexion engagée sur le texte étudié vers d’autres œuvres du même
genre, ou vers d’autres œuvres présentant la même problématique.
4. Il est bien sûr indispensable d’avoir lu les œuvres étudiées en lecture cursives :
l’entretien peut porter sur un passage de l’œuvre étudiée, demander une appré-
ciation personnelle du candidat, un résumé, etc.
5. Le candidat doit manifester à la fois son goût et son esprit critique pour les
œuvres étudiées pendant l’année. Il peut être amené à évoquer une activité per-
sonnelle figurant sur le descriptif (exposé, rencontre, débat, visite dans un musée,
etc.).

Exercice 21✢
a) b) c)
A-B-C-G-I A-C-F B-D-E-H

Se préparer à l’entretien
Exercice 22✢✢
A. La lecture d’une pièce de théâtre est utile quand on ne peut la voir au théâtre,
quand la représentation à laquelle on a assisté est décevante, quand la représen-
tation a été si éblouissante qu’on veut retrouver les émotions ressenties, quand
on veut mettre en scène la pièce. La lecture est indispensable dès que l’œuvre est
d’une telle richesse ou d’une telle complexité ou d’une telle beauté qu’elle mérite
une relecture et que chaque représentation à laquelle on assiste, même la plus
réussie, n’épuise pas ce qu’on peut y découvrir.
B. La composition du film a sa propre logique ; le choix des cadrages, des enchaî-
nements modifient la perception qu’on a de l’œuvre en fonction de l’effet que veut
produire le réalisateur. Ainsi, pour adapter au cinéma Le Mariage de Figaro, Roger
Coggio a-t-il glissé des inserts (la meute du Comte, ses rendez-vous galants, etc.)
et allégé les monologues en usant et abusant de la voix off. L’émission télévisée
fait voir ce qui se passe sur la scène : seuls quelques gros plans éloignent de ce que
voit le spectateur au théâtre – sans parler, bien sûr, de la présence des acteurs, de
l’ambiance de la salle, des circonstances extérieures de la représentation.
C. La règle des trois unités – unité de temps (un seul jour), de lieu (un seul lieu)
et d’action (une seule intrigue) – apparaît au XVIIe siècle (théorisée par Chapelain)
398
afin de rendre crédible la représentation des passions et l’effet de la catharsis.
Strictement respectée à l’époque classique, elle sera peu à peu abandonnée, notam-
ment avec l’apparition du drame romantique.
D. Les caractéristiques du théâtre moderne : les frontières entre les genres sont
effacées afin de rendre compte de la complexité du monde moderne ; le
tragique et le comique se mêlent, notamment dans le théâtre de l’absurde ; la mise
en scène prend une place de plus en plus importante.
E. La sobriété du décor, le jeu des acteurs, l’atmosphère de la salle, etc.
F. La lecture du texte de théâtre constitue un modèle de réception, imposé
par les contraintes du milieu scolaire et du genre théâtral lui-même : les
classiques français sont davantage lus que vus joués sur scène, et c’est le texte qui
est étudié, plus que sa représentation. Mais la pièce de théâtre est d’abord un
spectacle auquel il faut assister pour jouir pleinement du texte théâtral et de l’in-
terprétation qu’en fait le metteur en scène.

Exercice 23✢
– On appelle « roman de formation » un roman qui évoque la formation d’un
personnage qui se forme en découvrant le monde dans lequel il vit. Les illusions
de la jeunesse sont confrontées à la réalité brutale ou mesquine de la société des
adultes. C’est au contact de cette réalité souvent décevante que se forme le per-
sonnage. Cette éducation peut être sentimentale, politique, sociale. La dynamique
romanesque se fonde sur le changement de point de vue qui s’opère au cours des
expériences que raconte le roman. Le Père Goriot, Illusions perdues de Balzac,
Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme de Stendhal, L’Éducation senti-
mentale de Flaubert comptent parmi les grands chefs-d’œuvre du roman de for-
mation à la française.
– Les descriptions peuvent interrompre, ralentir ou retarder le déroulement du
récit, l’enchaînement des aventures, c’est pourquoi on peut parfois les trouver
ennuyeuses. Mais certains écrivains, comme Stendhal ou James, savent les inté-
grer au récit en adoptant la focalisation interne et les descriptions sont parfaite-
ment intégrées au récit. D’autres décrivent avec une telle verve, comme Balzac ou
Flaubert, qu’on prend plaisir à des pages essentielles qui éclairent les personnages,
les montrent dans le milieu où ils vivent, font sentir l’air qu’ils respirent. On per-
drait l’essentiel si on ne lisait pas, par exemple, la description de la pension
Vauquer (ah, la terrible « odeur de pension » !). Et la casquette de Charles,
comment la lire sans fou rire ?
– Bien sûr, on comprend une réponse négative fondée sur les différences d’époque
et de mentalité, mais on aura plus de plaisir à écouter quelqu’un qui expliquerait
précisément qu’il a découvert telle façon de sentir, tel aspect de la société grâce au
roman qu’il a dû étudier cette année. Il faut veiller à ce que la réponse s’appuie sur
des pages précises et parvienne à éviter les formules convenues.
– Le personnage de roman se distingue du personnage de théâtre par la durée,
l’épaisseur de la durée, la durée de son évolution, de ses métamorphoses : on le
sent en comparant, par exemple, Julien Sorel sur son arbre et Julien en prison,
ou Eugène arrivant à Paris et Rastignac filant chez Mme de Nucingen ; le per-
399
sonnage de théâtre se révèle dans une crise (Néron, Alceste). Le personnage de
roman se distingue aussi du personnage de théâtre par la diversité des milieux
qu’il traverse, qu’il découvre et qui le transforment parfois : ici encore, Rastignac
découvrant les divers milieux de Paris, ou Sorel passant de Verrières à Paris par
le séminaire sont des exemples éclairants. Enfin, par le jeu des focalisations, le
lecteur a le sentiment d’une certaine proximité avec le personnage de roman alors
que le personnage de théâtre reste toujours un peu tenu à distance du spectateur
par les feux de la rampe, la double énonciation, le jeu des comédiens.
– La question est difficile car elle demande qu’on sache caractériser le style,
entendu au sens large évidemment, d’un roman, mais on peut s’entraîner à cet
effort à la fin de la séquence. L’étude des registres – épique, fantastique, réaliste,
tragique – pourra orienter la réponse.
– La vision du romancier est différente de la vision de ses personnages et le roman-
cier classe plus ou moins ouvertement ses personnages en fonction de ce qu’il
partage avec tel ou tel d’entre eux. Le narrateur de La Recherche, par exemple,
condamne Swann qui a fétichisé l’œuvre d’art au lieu d’avoir l’énergie et le
courage de la création. Là encore, la réponse dépendra du roman étudié. Mais
Balzac montre les limites de Rastignac en l’opposant à Bianchon et Stendhal sourit
parfois de ses héros, mais c’est un sourire délicieusement complice. Quant à
Flaubert, c’est une autre question !

Exercice 24✢✢
– « Convaincre » et « persuader », deux verbes souvent très proches, distinguent
essentiellement les effets que les discours argumentatifs cherchent à produire sur
leurs destinataires. Convaincre consiste à faire adopter un point de vue par une
démarche réfléchie et raisonnée. Persuader cherche à modifier la croyance en
s’adressant à la sensibilité, à l’imagination. La conviction sera obtenue par des
raisonnements inductifs, déductifs, illustrés alors que la persuasion dépendra des
séductions de la rhétorique qui saura toucher un individu ou un groupe. Il est
rare qu’on cherche seulement à persuader ou à convaincre. Les deux efforts se
conjuguent dans la plupart des textes argumentatifs.
– On parle d’argumentation indirecte quand la thèse est soutenue par un récit.
C’est le principe de la parabole, de la fable ou du conte philosophique. Une argu-
mentation directe peut sembler plus convaincante mais cela dépend de la qualité
des arguments. Un récit bien conduit peut être plus profondément convaincant.
Il suffit de lire La Fontaine pour s’en convaincre.
– Le conte philosophique relève du genre argumentatif parce que le récit est
imaginé et conduit en fonction de la thèse que l’auteur du conte veut faire par-
tager.
– L’argumentation occupe une place essentielle puisque le théâtre est fondé sur
la confrontation de points de vue incarnés par des personnages qui cherchent à
se convaincre. Les tragédies de Corneille, les grandes comédies de Molière sont
fondées ces débats.
– Dans une fable, la morale formule la thèse que l’auteur veut faire partager à
son lecteur. Mais ce n’est pas la moralité qui est convaincante : c’est le récit, la
400
façon dont réagissent les personnages, et il peut arriver que la moralité ne soit
pas directement formulée, comme dans la magnifique fable « Le vieillard et les
trois jeunes hommes ».
– Ce qui fait la valeur argumentative des fables de La Fontaine tient à un art
complexe où comptent la conduite du récit et la réaction des personnages. Ainsi,
le portrait de Perrette et la façon dont elle se laisse emporter par ses rêves mon-
trent le pouvoir de l’imagination avec autant de force que Pascal dans son célèbre
fragment.

EXO-BAC
(PAGE 405)

Vers l’épreuve orale


Préparation
La question posée ne présente pas de difficulté pour quelqu’un qui aura étudié
l’objet d’étude concerné. L’opposition de points de vue entre le rentier et l’ouvrier
est si nettement marquée que la réponse ne devrait pas poser problème. L’exposé
pourra étudier tour à tour la mise en place du dialogue, la question du travail, la
façon dont chaque personnage se fait une image de l’autre.
Première partie. Un dialogue difficile
1. Du « tu » au « vous ». Le flottement entre le « tu » et le « vous » marque la diffi-
culté de trouver une façon de s’adresser à interlocuteur qu’on perçoit comme pro-
fondément différent. « Il y a quelque chose de cassé » révèle la profondeur du
fossé qui les sépare. Le passage par l’indéfini « on ». Le passage à la troisième per-
sonne. Le retour au tutoiement.
2. La gêne d’Aurélien qui a déjà dissimulé son prénom et qui est tenté par le men-
songe. La maladresse du mot « fringué ».
3. Chaque personnage se fait ainsi une image de l’autre ; chacun a conscience de
ce qui les sépare. La discussion autour de « Monsieur ». Est-ce que le retour final
au tutoiement est une tentative pour établir un vrai dialogue ?
Seconde partie. L’opposition entre deux modes de vie
1. La perception des différences sociales : les vêtements, le café, le verre. Toutes
ces différences avaient été oubliées pendant la nage : elles ressurgissent avec plus
de force.
2. La question du travail : le rire nerveux, les réactions de Riquet. Une vie sans
travail lui semble inimaginable.
3. La position du narrateur. Comme le personnage central du roman est Aurélien,
c’est son point de vue qui est finalement adopté. Il reste troublé, gêné, mais enfin,
c’est Riquet qui, pour Aurélien, est un personnage exotique. Aurélien n’est pas
gêné de ce qu’il est, mais simplement d’avoir à discuter avec quelqu’un qui appar-
tient à un milieu inférieur. C’est le seul point qui réunisse les deux personnages :
ils savent exactement l’un et l’autre à quel étage de la société ils se situent.
401
Entretien
– Les mots du texte. En dehors de « désappointé » et de « rente » ou « rentier »,
qui pourront appeler une explication, on pourra demander l’équivalent soutenu
pour « louche », « démordre ».
– La conclusion de l’exposé. C’est souvent un moment sacrifié. L’entretien permet
de revenir sur la façon dont le texte a forcé le lecteur à réagir. Il faut chercher à
gagner en netteté et en précision. Le candidat peut se préparer sur ce point puisque
les textes susceptibles d’être l’objet de l’exposé ont été étudiés très précisément
en lectures analytiques.
– Le genre romanesque. Il faut rappeler ici que le roman a été étudié dans le cadre
d’une séquence qui aborde un objet d’étude précis. C’est en fonction de ce qui a
été étudié en classe que l’entretien pourra être mené. Tout ce qui concerne la pro-
blématique indiquée sur le descriptif doit être connu du candidat.
– Les autres romans lus par le candidat. C’est l’occasion de rappeler que le can-
didat doit avoir gardé des souvenirs précis de ses lectures, en particulier de celles
qui figurent sur le descriptif dans la rubrique des lectures cursives. Combien de
candidats ont du mal à parler d’un livre dont ils ont oublié ou le titre ou le nom
de l’auteur ou les personnages principaux !

402
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

29 Le mot
(PAGES 406-407)

Le lexique reflète les évolutions culturelles, idéologiques et techniques de la société.


Le signe linguistique lie, dans l’esprit des utilisateurs d’une langue, une suite de
sons articulés (les phonèmes) et l’idée ou l’image qui lui correspondent : « Dans
la langue, on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son. »
(Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale)
Le signe linguistique est donc arbitraire, comme le montre la diversité des langues.
Mais la littérature joue sur le signifiant et le signifié des mots, leurs connotations
et les réseaux de sens qu’ils tissent dans le texte. L’étude du lexique d’un texte
consiste donc non seulement à déterminer le sens premier des mots, leur étymo-
logie et leur formation, mais surtout à mettre en évidence la manière avec laquelle
l’auteur joue sur le langage.

Exercice 1
– Philia : philatélie, philosophie, philanthrope
– Phobos : phobie, agoraphobie, xénophobe
– Phyton : phytobiologie, phytophage, phytopharmacie
– Zoon : zoo, zoologue, zoologie
– Psyché : psychologue, psychiatre, psychanalyste
– Thérapeuein : thérapeutique, kinésithérapeute, thalassothérapie
– Pathos : pathologie, pathétique, empathie
– Logos : logicien, logiciel, logorrhée
– Phagein : œsophage, phagociter, nécrophage
– Anthropos : anthropophage, anthropologie, anthropopithèque
– Télé : téléphone, téléviseur, télégraphiste
– Phoné : phonème, euphonie, symphonie
– Graphein : graphique, graphologue, graphiste

Exercice 2
• Exemples de termes contenant un préfixe d’origine grecque :
– apolitique ; apatride ;
– anagramme ; anachronique ;
– antinucléaire, antithèse ;
403
– hypermarché ; hypertrophie ;
– hypothermie ; hypotension ;
– synonyme ; symbiose.
• Exemples de termes contenant un préfixe d’origine latine :
– abjurer ; ablation ;
– adjacent ; adjoint ;
– compagnon ; compatir ;
– injecter ; intoxiquer ;
– incrédule ; inoffensif ;
– subordonné ; subalterne.
Remarque. On signalera que ces préfixes étant déjà en usage dans l’Antiquité, de
nombreux mots français dérivent d’un terme grec ou latin comportant lui-même
un préfixe, sans que le locuteur moderne le perçoive, puisque le radical n’est plus
utilisé sans préfixe. Par exemple, pour le préfixe in- : inique (in + aequus) ; inédit
(in + edere) ; incurie (in + curia).
On profitera de l’utilisation du dictionnaire pour mettre en garde contre les éty-
mologies fantaisistes : ainsi, intégrisme ne comporte pas le préfixe in- (integer en
latin signifie « pur, entier »).

Exercice 3
Exemples d’adjectifs se formant à l’aide des suffixes -able, -âtre, -ien :

-able (possibilité) -âtre (péjoratif) -ien (origine)

mangeable, acceptable, bellâtre, idolâtre, martienne, italien,


formidable, redoutable, rougeâtre, jaunâtre, éthiopien, parisien,
admirable, etc. blanchâtre, etc. chrétien, etc.

Exercice 4
Les noms dérivés ou composés à partir des verbes prendre, dire, mouvoir, porter :

prendre dire mouvoir porter

preneur, indicible, meuble, portable,


surprendre, maudire, immeuble, porte-plume,
comprendre, maudite, mouvant, importation,
prenable, des on-dit, ému, porte-bagages,
imprenable, etc. soi-disant, etc. émouvant, etc. supporter, etc.

Exercice 5
Le slogan joue sur la polysémie du nom « mode » qui désigne à la fois la manière
individuelle de vivre (« un mode de vie ») et les habitudes collectives et passagères
en matière d’habillement («plus qu’une mode »). Le slogan invite ainsi à se confor-
mer à des habitudes collectives en donnant l’impression qu’il s’agit d’un choix
404
individuel. L’image s’appuie sur la polysémie du mot « mannequin » qui désigne
une figure imitant un être humain comme une personne employée par un coutu-
rier pour la présentation publique de ses collections.
Le slogan : L’accroche du
il joue sur lecteur : celle-
la symétrie ci repose sur
« mode/mode » l’écart entre la
présentation
des vêtements
Le message et la plage.
de l’image :
porter les
vêtements La construction :
Armor-Lux, le mannequin
c’est affirmer est situé sur le
une façon point d’équilibre
de concevoir de l’image, c’est-
la vie à-dire sur le
La cible : la famille, celle qui se reconnaît nombre d’or.
(la tradition, dans des habitudes collectives (les vacances)
la simplicité, mais aussi dans un comportement un peu
la famille…). en marge (la plage est vide).

Exercice 6
• Les synonymes des verbes :
– écrire : consigner, noter, relater ;
– marcher : cheminer, trotter, avancer ;
– penser : examiner, raisonner, cogiter.
• Les synonymes des adjectifs :
– triste : mélancolique, abattu, amer ;
– surpris : confondu, émerveillé, abasourdi ;
– méchant : ignoble, antipathique, malintentionné.
• Les synonymes des noms :
– début : commencement, naissance, origine ;
– moquerie : quolibet, sarcasme, persiflage ;
– courage : audace, fermeté, force.

Exercice 7
• Les antonymes des verbes :
– s’endormir : s’éveiller ;
– flatter : blâmer ;
– refuser : accepter.
• Les antonymes des adjectifs :
– robuste : fragile ;
– hésitant : assuré ;
– opportun : inopportun.
405
• Les antonymes des noms :
– repos : veille ;
– désir : répulsion ;
– joie : tristesse.

Exercice 8
1. Le célèbre fragment des Pensées de Pascal est construit sur l’opposition de
termes antinomiques : « crédule, incrédule », « timide, téméraire ».
2. Pascal refuse d’exclure l’un des deux termes, même s’ils sont contradictoires,
mettant ainsi en évidence les contradictions communes à tous les hommes.

Vers le bac
1. Le préfixe dé- présent dans chacun des termes de l’énumération du deuxième
vers signifie « privé de ».
2. Dans ces « Derniers vers », Ronsard, qui a toujours assimilé le vieillissement
à une perte, met en représentation une désagrégation de son propre corps, ins-
crivant le poème dans le registre pathétique. Le « trait de la mort » a remplacé
celui de l’amour.

406
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

30 La dénotation et la connotation
(PAGES 408-409)

L’opposition entre « dénotation » et « connotation » est souvent utile pour rendre


compte du fonctionnement du lexique. Les différents sens que peut prendre un
mot dépendent d’abord et avant tout de son contexte (groupe syntaxique, phrase,
énoncé) qui lève ou entretient la polysémie du terme. Les connotations d’un mot
sont d’abord d’origine socioculturelle. Chaque mot véhicule une histoire qui
témoigne de liens étroits entre le langage et la société. Mais elles sont aussi appré-
ciatives et soulignent les choix, les émotions ou les sentiments du locuteur.

Exercice 1
1. Le sens dénoté des mots :
– « soie » : substance sécrétée sous la forme d’un fil fin et brillant par la chenille
du mûrier (le ver à soie) dont on fait des étoffes ;
– « hérissé » : dressé verticalement, couvert d’objets saillants ;
– « hiver » : la plus froide des quatre saisons de l’année ;
– « printemps » : la première des quatre saisons de l’année, moment du retour de
la vie dans la nature ;
– « bleu » : l’une des couleurs de l’arc-en-ciel ; vêtement de travail ; marque d’un
coup ;
– « Moyen Âge » : période de l’histoire qui s’étend de 394 à 1493.
2. Les connotations des mots :
– « soie » : douceur, luxe, suavité, velouté ;
– « hérissé » : piquant, désagréable, hérisson, ébouriffé ;
– « hiver » : froid, neige, humidité, verglas ;
– « printemps » : verdure, vie, naissance, amour ;
– « bleu » : océan, ciel, froideur, douleur ;
– « Moyen Âge » : chevalerie, peste, courtoisie, cathédrale.

Exercice 2
Les connotations qui s’ajoutent au sens premier :
– « manger » : « avaler » = manger avec avidité ; « becqueter » = manger comme
un oiseau ; « ingurgiter » = engloutir ; « dévorer » = manger avec férocité ;
407
– « étourdi » : « écervelé » = à qui l’on a enlevé la cervelle ; « irréfléchi » = qui se
laisse distraire par un rien ; « évaporé » = dont l’esprit ne parvient à se concen-
trer ; « distrait » = qui a des absences ;
– « maigre » : « décharné » = sans chair ; « mince » = qui possède une silhouette
fine (connotations positives) ; « efflanqué » = dont on voit les flancs ; « filiforme »
= trop mince (connotations négatives) ;
– « étonnant » : « insolite » = qui soulève l’étonnement ; « prodigieux » = qui étonne
et provoque l’admiration ; « troublant » = qui met mal à l’aise.
Exercice 3
• Les connotations évoquées par les noms des personnages :
– Esméralda : mer, chant, orient, féminité, littérature, etc. ;
– Bonnemort : mort, douceur, maladie, vieillesse, etc. ;
– Lancelot du Lac : liquidité, combat, merveilleux, chevalerie, etc. ;
– Bel-Ami : beauté, amitié, bonté, séduction, etc. ;
– Boule-de-Suif : rondeur, graisse, lumière, etc.
• Les connotations évoquées par les noms de lieux :
– Paris : beauté, culture, tour Eiffel, etc. ;
– Waterloo : défaite, combat, plaine, etc. ;
– Venise : beauté, amour, soleil, etc.) ;
– la Corse : beauté, chaleur, île, Napoléon, etc. ;
– Hawaï : mer, surf, tropiques, plage, etc.
• Les connotations évoquées par les titres d’œuvres :
– Germinal : mine, Nord, noir, misère, etc. ;
– Un cœur simple : courage, pauvreté, amour, naïveté, etc. ;
– Le Rivage des Syrtes : mer, Antiquité, Libye, Tunisie, etc. ;
– L’Écume des jours : mer, vagues, temps qui passe, etc.
Remarque. Les connotations varient évidemment en fonction des connaissances
des élèves ; ceux qui ont lu les œuvres auxquelles il est fait référence dans les listes
de termes y verront d’autres connotations que ceux qui ne les connaissent pas.
Les connotations culturelles seront également diversifiées par les différentes adap-
tations qui ont été faites des œuvres littéraires (on pense à Notre-Dame de Paris,
par exemple). On peut d’ailleurs inviter les élèves à une réflexion sur ce qui, parmi
les connotations évoquées, découle de leur subjectivité et ce qui peut raisonna-
blement être attribué au contexte ou aux intentions de l’auteur.

Exercice 4
Vert : couleur qui repose les sens. Le vert est la couleur de la nature et de la vie,
issue de la combinaison du jaune et du bleu. Il est présent dans tous les paysages :
du vert tendre des jeunes pousses au vert plus dur des chênaies, il habille l’hori-
zon d’un uniforme chatoyant. Se mettre au vert permet ainsi de se ressourcer à
ceux que la ville exténue. Le vert est apprécié en décoration et, lorsque le prin-
temps arrive, dans l’habillement.

408
Exercice 5
1. Les termes aux connotations positives: «campagne», «blondes», «blés mûrs»,
« mousseline », « roses ou verts », « bel », « blanches ».
2. L’atmosphère bucolique change dans le second paragraphe : le train commence
à « haleter », le personnage est en « seconde classe », les rideaux du compartiment
son « fanés » et la campagne devient « montueuse ».

Exercice 6
L’image montre un petit soldat pointant son fusil vers la droite. Ce jouet, immé-
diatement identifiable, évoque l’enfance par ses connotations. Le slogan, qui com-
mence par l’exclamation « Pouce ! », fait écho à cette thématique.

Vers le bac
1. Les connotations données par le contexte :
– « nuit » : Þ « fleuve », « étoiles », silence (« sans bruit »), douleur (« se tord »),
amour ;
– « neige » Þ feu (« tisons »), « skis » ;
– « mer » Þ « ouragan », « vagues », « falaises », « soleil », « varechs » ;
– « ciel » Þ « aigle », « vide », « ailes », « mourir » ;
– « vent » Þ « poussière », « dalles », « bouquets de perles », « paupières » fermées.
2. Dans ce poème, Albert Ayguesparse joue avec les connotations des mots pour
créer un univers poétique profondément personnel. Chaque paragraphe s’orga-
nise à partir d’un mot (« nuit », « neige », « mer », etc.) précédé de l’anaphore :
« Je dis » et suivi de deux points. À chaque fois, l’imagination du poète laisse libre
cours au jeu des connotations qui créent des images poétiques surprenantes : « Je
dis : nuit, et le fleuve des étoiles coule sans bruit… » Le poète, dans ce jeu avec le
langage, livre ainsi au lecteur le sens personnel qu’il accorde aux mots.

409
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

31 Les réseaux lexicaux


(PAGES 410-411)

Dès lors qu’il font partie d’un même énoncé et ne sont pas considérés isolément,
les mots entrent en relation les uns avec les autres en se faisant écho. Ils tissent
ainsi des réseaux de signification appelés « réseaux lexicaux ». La notion de réseau
lexical peut faciliter l’étude d’un texte : elle permet d’en déterminer les thèmes
essentiels et d’observer quelles relations ils entretiennent ; elle permet également
de définir les principaux registres. L’entraînement au repérage des réseaux lexi-
caux aide ainsi les élèves à prendre conscience que chaque mot appartient à un
ensemble qui en éclaire la signification.

Exercice 1
– Liste A : réseau lexical du sport (intrus : « repas »).
– Liste B : réseau lexical des catastrophes naturelles (intrus : « bruine »).
– Liste C : réseau lexical du livre (intrus : « producteur »).

Exercice 2
1. et 2. La liste A correspond au réseau lexical de l’odorat (on peut la compléter
par les mots « nez », « parfum », « fleur ») ; la liste B à celui de la navigation (on
peut la compléter par les mots « mer », « boussole », « filet »).
3. Exemple de texte descriptif mêlant les deux réseaux lexicaux.
La terre ne devait plus être bien loin, maintenant. Sur le navire, tout le monde se
préparait à débarquer. Le mousse nettoyait le pont pour la dernière fois, tandis
que la mâture montrait ses voiles étincelantes. Après tant de jours passés en mer,
à travers les tempêtes et les ouragans, l’état du navire ne présentait rien d’alar-
mant. Soudain, des effluves nouveaux se firent sentir : l’odeur du large laissait
place à des arômes oubliés, des parfums disparus que le vent poussait vers les
hommes d’équipage. Le nez des marins ne les trompait pas : quelques secondes
après l’avoir sentie, ils purent apercevoir les couleurs de la terre, et entendre à
nouveau ses bruits.
Remarque. En prolongement au travail sur le lien entre ces deux réseaux lexi-
caux, on peut proposer aux élèves le poème de Baudelaire « Parfum exotique »
(p. 173), dans lequel se mêlent l’évocation du voyage maritime et les parfums, et
l’on montrera alors comment vont se joindre à la sensation olfactive les autres
411
sensations (le lien entre les diverses sensations devient alors synesthésie et l’on
rejoint la théorie des correspondances).

Exercice 3
1. Les termes qui décrivent le personnage : « le géant » (l. 2), « squelette immense »
(l. 6), « forme approximative » (l. 6 et 7), « des os comme des massues » (l. 7),
« taillis des cheveux » (l. 7 et 8), « pif » (l. 8), « comme un arc » (l. 10), « mains
énormes » (l. 12), « préhistoire » (l. 12 et 13).
La plupart des termes renvoient au réseau lexical du gigantisme, reflétant, à travers
une forme d’exagération, la peur du narrateur.
2. Les images utilisées évoquent l’univers de la préhistoire, mais aussi la bruta-
lité du personnage qui n’apparaît pas comme un être civilisé.
3. Un exemple de portrait récrit :
« J’étais en train de me demander où j’avais lu ça quand le pygmée a fait irrup-
tion dans mon bureau. La porte se refermait doucement derrière lui quand je
l’aperçus :
– C’est vous, Malaussène ?
Un squelette minuscule perdu dans ses habits. Des os comme des baguettes et des
cheveux très courts surmontant un tout petit nez.
– Benjamin Malaussène, c’est vous ?
Arc-bouté à ma table de travail, il tentait d’atteindre mon fauteuil, ses petites
mains agiles battant l’air dans la région des accoudoirs. Lilliput en personne. Je
me tordais sur mon dossier, mon cou s’allongeait pour essayer d’approcher le
visiteur et j’étais incapable de dire si je rêvais ou non. Je me demandais seulement
où j’avais lu cette phrase : “La vie est une aventure longiligne”, si c’était de l’an-
glais, du français, une traduction… »

Exercice 4
1. Le réseau lexical dominant du texte est celui de l’ordure, du déchet : « égout »
(l. 3), « stagnait » (l. 3), « engorgée d’ordures » (l. 4), « dépotoir » (l. 5), « salope-
ries » (l. 6), « matières corrompues » (l. 7 et 8), « sacs […] éventrés » (l. 8), « dégo-
billant » (l. 8), « reliefs biscornus » (l. 9), « grouillement d’épluchures » (l. 9 et 10),
« guenilles déchiquetées » (l. 10), « tessons » (l. 11), « favela » (l. 12), « artère
puante » (l. 12 et 13), « boyau » (l. 13).
Ce réseau lexical est lié, par les connotations et les images qu’il développe, à l’élé-
ment liquide.
2. L’auteur crée un univers chaotique (« cataracte de matières corrompues ») dans
lequel ne surnagent que des formes imparfaites ou dégénérées (« reliefs », « gue-
nilles », « tessons »). Il traduit ainsi la misère extrême du paysage décrit.

412
Vers le bac
1. Les réseaux lexicaux développés par le texte.
• Domaines de la nature :
– réseau lexical de la flore : « bois », « feuilles », « champignon », « branches »,
« futaies » ;
– réseau lexical de la faune (oiseaux) : « ailes », « coqs-faisans », « perdrix », « tour-
terelles », « vol », « chevêche ».
• Domaines sensoriels :
– réseau lexical des odeurs : « odeurs », « âcreté », « arôme » ;
– réseau lexical des bruits : « murmures », « froissements », « fracas », « cris »,
« crécelle », « rappels », « piaulements », « grincement ».
2. La construction du passage obéit à un schéma très rigoureux.
La flore évoquée d’abord laisse place progressivement à la faune, en fonction
des « souvenirs » du narrateur. Ces souvenirs sont liés aux sensations éprouvées.
Deux mondes bien distincts se succèdent alors : aucun terme ne désigne la faune
dans la première partie ; aucun terme ne désigne la flore dans la seconde. Et la
progression du passage ne se limite pas à cette répartition. On remarque égale-
ment que les odeurs sont exclusivement liées aux plantes tandis que les bruits
ne concernent que les oiseaux. Là aussi, la séparation est nette. Les souvenirs
sont sélectifs.

413
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

32 La modalité de la phrase
(PAGES 412-413)

Exercice 1
1. La modalité impérative attire l’attention du lecteur car elle adresse une sorte
de défi aux « inventeurs ».
2. La modalité interrogative rappelle la question posée aux abonnés de la revue
et la modalité déclarative de la phrase suivante annonce les résultats du sondage.
La question, qui ne s’adresse pas seulement aux abonnés, est une façon d’inter-
peller le passant et de l’attirer vers la lecture de l’article.
3. La modalité impérative, jouant sur un amusant néologisme, invite à la fête.
On en profitera pour rappeler que l’impératif ne formule pas forcément un ordre
(et que les ordres peuvent être formulés sans recourir à l’impératif).

Exercice 2
1. Les élèves distingueront facilement les modalités exclamative, déclarative,
interrogative et impérative.
Après la didascalie, on revient à la modalité déclarative.
2. La modalité exclamative exprime la stupeur de l’avare qui vient de découvrir
qu’on lui a dérobé sa cassette : surprise, émotion, appel vengeur qui finit par
s’adresser au Ciel lui-même. Les propositions déclaratives expriment le désespoir
du personnage. La série d’interrogatives qui suit montre la perplexité du per-
sonnage mais aussi son envie de réagir : il cherche, il ne se laissera pas faire. Les
deux phrases à l’impératif le montrent en pleine action lorsqu’il croit avoir mis
la main sur son voleur.
Le retour à la modalité déclarative montre le personnage en train d’analyser la situa-
tion. On notera la nuance exclamative de « Ah ! C’est moi » tandis que la phrase
inclut une interrogative indirecte. Mais le ton a changé.

Exercice 3
1. La modalité impérative est exprimée en 1 et en 2 par le recours au subjonctif.
L’exemple 3 juxtapose l’impératif : « ne mentez pas », et l’énoncé sans verbe : « en
voilà assez ».
415
2. En 1 et 3, le destinataire est présent : « Gardes », « vous ». En 2, le destinataire
est désigné par la formule « tous les hommes ».
3. En 1, c’est l’ordre de l’empereur. En 2, c’est la prière que le philosophe des
Lumières adresse à tous ses semblables. En 3, la modalité impérative exprime la
colère et l’impatience.

Exercice 4
1. 1. Chaque civilisation se nourrit de tout ce qui distingue les êtres divers qui la
composent. 2. Le maquillage doit s’afficher pour lui-même sans essayer de paraître
naturel.
2. Dans le texte 1, la question rhétorique prend le lecteur français à témoin d’une
évidence qu’il pourrait lui-même formuler. Dans le texte de Baudelaire, la moda-
lité interrogative met en relief un paradoxe et le rend plus provocant : le polé-
miste hausse le ton.

Vers le bac
1. Voltaire recourt tour à tour à la modalité exclamative (premier paragraphe),
à la modalité interrogative (deuxième paragraphe et première phrase du dernier
paragraphe) et à la modalité déclarative (dernier paragraphe).
2. Voltaire donne une grande vivacité au développement de son argumentation
en variant habilement la modalité des phrases. La modalité exclamative lui permet
de formuler la thèse qu’il combat en faisant sentir toute l’indignation qu’elle pro-
voque en lui. Le redoublement initial de l’exclamation, renforcé par l’allitération
et l’assonance – « Quelle pitié, quelle pauvreté » – condamne d’emblée la posi-
tion des cartésiens. La modalité interrogative donne de la vie et du rythme à l’énu-
mération des exemples et fait du lecteur un témoin qui est forcé de reconnaître
des évidences indéniables. Le jeu des questions est renforcé par l’usage de la
deuxième personne, qui transforme le lecteur en un interlocuteur familier. Le
passage de la modalité interrogative à la modalité interrogative, de « Est-ce parce
que je te parle » à « Eh bien je ne te parle pas », suggère tout un jeu théâtral qui
aboutit plaisamment à la conclusion : « Tu juges… » La diversité des modalités
contribue au tempo du passage : le lecteur est saisi par la vivacité de ces tons : il
est convaincu, sans s’être ennuyé.

416
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

33 La construction de la phrase
(PAGES 414-415)

Exercice 1
1. « Gaieté des jeunes ouvrières et des soldats » : le pivot est un nom.
« Heureux âge mais surtout heureuse classe d’êtres » : le pivot est un adjectif.
« Foule de soldats et d’officiers devant l’auberge » : le pivot est un nom.
2. Jeunes ouvrières et soldats étaient gais.
Le bonheur est propre à cet âge et surtout à cette classe d’êtres.
Une foule de soldats et d’officiers se tenaient devant l’auberge.
3. Le recours aux énoncés sans verbe met en relief le pivot de chaque groupe. On
se rapproche du présent de l’énonciation et l’effet produit n’est pas sans évoquer
celui du présent dit « de narration ». On y gagne aussi la vivacité d’une esquisse,
d’un coup de crayon improvisé.

Exercice 2
1. « Distraite » : adjectif ; « la nuit » : nom.
2. La plupart des phrases verbales sont simples. Seule la phrase « Presque aussi-
tôt (…) du ciel » est dite « complexe ».
3. Dans le passage de Radiguet, l’énoncé sans verbe permet de détacher l’adjec-
tif « distraite » et de relancer le portrait du personnage. Camus obtient un bel
effet de précipitation, renforcé par la multiplication des coupes et le rejet du mot
à la fin de l’énoncé.

Exercice 3
1. Phrase simple : une proposition indépendante.
2. Phrase simple : deux propositions indépendantes juxtaposées suivies d’une
indépendante coordonnée.
3. Phrase complexe : une principale et une subordonnée temporelle.
4. Phrase simple : une proposition indépendante. Le groupe lexicalisé « je ne sais
où » fonctionne comme une locution adverbiale (voir « ici ou là »).
5. Phrase complexe : une principale et une subordonnée relative.
417
Exercice 4
1. Les phrases sont composées de deux propositions indépendantes coordonnées
par « et ». La phrase 5 comprend, elle, quatre propositions.
2. et 3. 1. La conjonction « et » introduit une explication et pourrait être rem-
placée par « parce que ».
2. La conjonction « et » exprime un rapport de concession qui pourrait être
formulé ainsi : « Bien que vous soyez empereur, Seigneur, vous pleurez. »
3. La conjonction « et » introduit une opposition : « J’ai l’habit d’un laquais alors
que vous en avez l’âme. »
4. La conjonction « et » exprime un rapport de concession : « Bien que l’homme
soit né libre, partout il est dans les fers. »
5. La conjonction « et » indique un rapport de succession et suggère aussi
un rapport de conséquence : « Dès qu’il s’arrête, l’on s’arrête. S’il s’arrête, l’on
s’arrête. »
6. La conjonction « et » marque la succession : « Après qu’il eut pénétré dans le
bâtiment, renseigné par le gardien, il s’engagea dans la spirale de l’escalier. »

Vers le bac
1. « Le saule » : groupe nominal / « Une, deux » : adjectif numéral ordinal / « en
avant, de front » : locutions adverbiales / « comme à la guerre » : groupe nominal
prépositionnel / « voilà » : préposition.
2. Les phrases verbales commençant par « si » expriment le souhait que formu-
lent les personnages. Les deux autres phrases, « il est dépassé » et « on est aux
platanes », marquent la progression du groupe, les obstacles dangereusement
franchis.
3. Dans ce passage particulièrement dramatique, le narrateur ne se contente pas
d’adopter le point de vue des personnages. Il disloque le paragraphe, rythme les
phrases pour nous faire partager la tension du moment. La modalité exclamative
suggère ce que ressent le petit groupe menacé par le fusil: palpitation d’un souhait
qui semble fou dans les exclamations lancées par la conjonction « si », soulage-
ment dès qu’un obstacle a été surmonté et que l’on a un peu progressé. Par leur
concision, leur densité, les énoncés sans verbe qui martèlent chaque pas, « une,
deux », ou qui comptent les arbres qui permettent de s’abriter, « puis le deuxième,
le troisième », font sentir la peur des personnages et leur détermination. Chaque
avancée est marquée par le passage à la ligne suivante : chaque seconde dure des
siècles, chaque pas est une victoire. C’est par la construction des phrases, par le
rythme haletant du passage que le romancier réussit à tenir le lecteur en haleine.

418
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

34 Le rythme de la phrase
(PAGES 416-417)

Exercice 1
1. 1, 2, 4 : rythme binaire ; 3 : rythme ternaire.
2. 1. La juxtaposition des deux propositions indépendantes, de longueur équi-
valente, renforce l’expression de la concession.
2. La juxtaposition des deux propositions de six syllabes donne de la densité à
l’opposition entre l’homme et la culture, le négatif « rien » et le positif « tout ».
3. Ces trois propositions indépendantes de même structure et de longueur équi-
valente (7 et 8 syllabes) donnent de l’ampleur à ce regard porté sur le passé enfui.
La dernière proposition introduite par «et» donne un tour définitif à la remarque:
l’accompli souligne l’achèvement de l’action évoquée par le verbe et ne laisse
aucun espoir pour un éventuel futur, d’où la tonalité mélancolique de cette phrase
à trois temps.
4. Ici encore, le rythme binaire permet d’accentuer l’opposition entre « malheu-
reux » et « heureux », comme entre « croire » et « espérer ».

Exercice 2
1. On relèvera facilement les groupements ternaires composés par la juxtaposi-
tion des groupes verbaux de plus en plus en plus longs puis par la juxtaposition
des adjectifs. On peut considérer que « fumait la pipe, aimait le fromage, prenait
régulièrement sa demi-tasse » est une accumulation ainsi que « prisait, ne man-
geait (…) trempait (…) ».
2. Le retour de ces groupements ternaires permet de caractériser avec vivacité et
humour les personnages de ce diptyque.

Exercice 3
1. 1. Le groupe sujet de deux syllabes est séparé du verbe par un groupe cir-
constanciel de 6 syllabes tandis que le groupe verbal se développe sur tout un
alexandrin.
2. Le sujet de 4 syllabes est séparé par une relative de 9 syllabes du groupe verbal
de 15 syllabes.

419
3. Les éléments de la comparaison se distribuent en groupes de 6, 3, 7 et 8
syllabes.
4. On passe d’un groupe de 7 syllabes à un groupe de 6 syllabes pour finir par
un groupe de 10 syllabes.
2. 1. La progression permet d’insister sur la curiosité et surtout la sottise du loup.
2. La partie la plus longue de la phrase démasque les feintes de la modestie.
3. La progression dans la longueur des groupes met en valeur ce que la remarque
a de paradoxal : l’éloquence est réduite à un jeu de mimiques.
4. Le groupe le plus long surprend et déclenche le rire.

Exercice 4
La phrase citée se développe en groupes isolés par des virgules de 6, 5, 11, 29
(décomposable en 9, 7, 12) et 5 syllabes. La succession des groupes orchestre une
lente montée vers le mot « tuer », qui se heurte au brutal contrepoint du groupe
très bref qui termine la phrase.

Exercice 5
La phrase oppose en son centre les deux explications introduites par « ce n’était
pas », « c’était que ». La première explication est amenée par les deux subordon-
nées introduites par « si » comportant chacune deux relatives. La seconde expli-
cation est mise en valeur par l’insertion entre deux tirets d’une relative qui
repousse en fin de phrase l’essentiel de l’explication, mettant en pleine lumière la
force que découvre le narrateur : le « jaillissement de toutes les forces de la vie ».

Exercice 6
La première phrase est le développement du groupe attribut, équilibré par deux
groupes binaires («à toits et à contrevents», «gazon et bruyère») et conclu par une
relative. La seconde phrase oppose trois propositions indépendantes juxtaposées
à une quatrième, coordonnée aux précédentes, enrichie d’une série de relatives,
et qui est trois fois plus longue que les indépendantes initiales.
La seconde phrase comprend trois temps qui correspondent à la découverte d’un
promeneur inscrit dans le texte par l’indéfini « on ». Le lecteur assiste d’abord à
la marche, à la découverte évoquée dans les trois premières propositions ; au sujet
« on » se substitue dans la troisième le mot « sable » qui fait ressentir de façon pit-
toresque la difficulté de la promenade. Vient ensuite, préparée par « tout à coup »,
la description de ce que le promeneur découvre : non pas un tableau subtilement
composé ménageant transitions et lignes de fuite mais une longue accumulation
qui présente la vue comme particulièrement chaotique ainsi que le marquent à
deux reprises les expressions « labyrinthe inextricable » et « étrange architecture ».
Enfin, la phrase débouche sur quatre relatives (dont trois elliptiques) qui évo-
quent le jeu des éléments, des couleurs et des bruits. L’ellipse du verbe donne plus
de force, d’évidence au sentiment de plénitude émerveillée qui s’épanouit dans la
fin de la phrase.

420
Vers le bac
1. On relèvera les tours propres à la langue orale comme « Haut les mains qu’ils
crient » ou les reprises comme « Elle ne parle pas, elle siffle », et le recours à l’ono-
matopée « et toc ». Le détachement de la forme verbale « Sifflent » et celui du par-
ticipe « supprimé » contribuent au rythme singulier du paragraphe. Les effets de
reprise, comme « Non pas elle, les balles », ou la précision de « Un second » assu-
rent l’enchaînement logique et chronologique des propositions.
2. Le narrateur adopte le point de vue du jeune garçon, Jacques, qui s’identifie
à l’un des personnages du western qui est projeté sur l’écran. Le rythme saccadé
des phrases fait sentir la précipitation de l’action qui fascine le jeune spectateur.
La sommation « Haut les mains » est mise en valeur par la construction orale
« qu’ils crient eux aussi », tandis que la modalité exclamative et la dislocation de
la phrase font sentir que l’action fait rage. La double reprise qui corrige « parle »
par « siffle », puis « elle » par « les balles » morcelle la phrase et souligne que la
confusion est à son comble. L’usage du présent actualise chaque moment de la
scène et les adverbes de temps « tout à coup », « déjà » comme l’onomatopée « et
toc » montrent avec quelle rapidité on passe ici de la vie à la mort. Le même effet
est produit par le détachement en fin de phrase du participe « supprimé », déta-
chement d’autant plus saisissant qu’il juxtapose l’action en train de s’accomplir,
« faisant une grimace s’écroule » et ce qui est définitivement accompli : « sup-
primé ». Le passage d’expressions familières comme « lascars », « sur le carreau »,
à des formules plus littéraires comme l’insertion « fantaisie singulière » ou « d’un
plomb agile » contribuent à la vivacité d’un récit qui suggère en souriant comment
l’action, dans l’esprit d’un enfant, peut être la sœur du rêve.

421
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

35 L’emploi des temps


(PAGES 418-419)

Exercice 1
1. Présent itératif. 2. Présent omnitemporel. 3. Présent omnitemporel.
4. Succession de présents momentanés. 5. Présent de vérité générale.

Exercice 2
1. Présent momentané suivi d’un présent actuel. Dans cette phrase à modalité
jussive, le présent coïncide avec le moment de l’énonciation. Prononcée par le
monarque entouré de soldats, la parole se fait acte.
2. Le présent de vérité générale convient à cette maxime.
3. Présent actuel. Le présent très proche du moment de l’énonciation implique ici
une extension vers le futur.

Exercice 3
1. L’imparfait évoque la répétition dans le passé : imparfait dit « d’habitude ».
2. L’imparfait met à distance l’action évoquée : il indique qu’un événement qu’on
avait cru inéluctable, le carnage, ne s’est pas réalisé.
3. L’imparfait se substitue au passé simple logiquement attendu après le complé-
ment de temps « Trois minutes après ». Cet imparfait fait durer l’action passée et
la met en relief.
4. Exemple voisin de la phrase citée en 2, mais celle-ci est très proche d’une phrase
avec « si » : « S’il avait parlé, je lui aurais changé son verre. » L’emploi de l’im-
parfait souligne ce que l’action évoquée, changer le verre, aurait d’immédiat, d’ir-
résistible.

Exercice 4
1. « À moitié chemin de l’avenue, les deux amis trouvèrent sur la souche d’un
arbre abattu le vieillard qui tenait à la main un bâton et s’amusait à tracer des
raies sur le sable. En le regardant attentivement, ils s’aperçurent qu’il venait de
déjeuner ailleurs qu’à l’établissement. »
Les imparfaits marquent que l’action est en cours d’accomplissement. La suc-
cession des passés simples souligne la progression de la découverte de « trouvè-
rent », simple perception à « s’aperçurent », prise de conscience.
423
2. « Comme il frappait très fort, il crut entrevoir, au milieu de l’extrême obscu-
rité, comme une ombre blanche qui traversait la chambre. Enfin, il n’y eut plus
de doute, il vit une ombre qui semblait s’avancer avec une extrême lenteur. Tout
à coup, il vit une joue qui s’appuyait à la vitre contre laquelle était son œil. »
Le passé simple met en relief la progression du regard qui scrute, cherche à
deviner, qui s’assure puis perçoit nettement ce qu’il cherchait à saisir.

Exercice 5
1. On relèvera deux formes au plus-que-parfait : « avait fini », « avait été », qui
présentent les deux actions passées comme accomplies. Le passé composé « avons
parlé » fait référence au moment de la lecture.
2. Le passé simple et l’imparfait se distinguent par la façon dont ils évoquent le
même moment du passé. Tantôt l’action est vue de loin dans sa totalité (aspect
global) : « permit », « reprit ». Tantôt l’action est saisie en plein milieu de son
déroulement (aspect sécant) : « disait », « devait », « surnageait », « était ». Dans
ce passage, ce sont les actions à l’imparfait qui sont mises au premier plan ; les
verbes au passé simple précisent les circonstances de l’action. Les verbes à l’im-
parfait font durer « la douce satisfaction » : ils marquent une sorte de point
d’orgue.

Vers le bac
1. L’alternance des formes du passé simple et de l’imparfait met en relief les verbes
« passa », « éclata » qui, sur fond des descriptions à l’imparfait, se détachent
comme des événements. La périphrase « allait se fermer » marque l’imminence
de l’action (aspect inchoatif). Le plus-que-parfait « s’était formé », comme toutes
les formes composées, marque l’aspect accompli. Il indique ici le point d’achè-
vement d’un processus. Le présent « avance » contribue à la valeur adjective de
la relative.
2. Le jeu des temps contribue à la force évocatrice du tableau car il donne aux
éléments qui le composent un mouvement qui les inscrit dans une durée, une
énergie majestueuse qui fait sourdre la beauté et l’effroi. Les verbes à l’imparfait
font sentir l’imminence d’un phénomène qui se prépare lentement et devient de
plus en plus inéluctable, suggestion que renforce le retour des verbes pronomi-
naux « allait se fermer », « s’était formé », « s’épaississait ». L’imparfait donne aux
actions évoquées la lourdeur d’une durée qui se fait de plus en plus menaçante.
Sur ce fond d’imparfait, se détachent les actions qui font événement : le passé
simple « passa » fonctionne comme un présage mystérieux ; le présent « s’avance »
prend un relief particulier et se rapproche du présent de narration qui fait surgir
dans notre présent ce qui était relégué dans le passé du récit. Le dernier passé
simple « éclata » change d’un coup tout le tableau et laisse place au déchaînement
de l’orage. L’éclat du tonnerre semble tirer sa force de tous ces imparfaits qui l’ont
lentement préparé. Le jeu des temps met ainsi Gilliatt – et le lecteur – face à la
puissance des éléments déchaînés.

424
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

36 La valeur des modes


(PAGES 420-421)

Exercice 1
1. On relèvera les infinitifs « compter », « bâcler » (aspect non accompli) et « avoir
fait » (aspect accompli). Le verbe « falloir » varie en temps (« il fallait », « il faut »)
et en mode, mais non en personne. Dans la dernière phrase, le verbe « suffire »
apparaît dans une tournure impersonnelle.
2. 1. « avait » et « verrait » sont à la troisième personne du singulier.
2. Le verbe « avais mis » est à la première personne du singulier tandis que « auriez
mangées », « répondez », « serez » sont à la deuxième personne du pluriel.
3. Les formes « est », « soit », « saura », « verra », « donnera », « est », « passera »,
« serait » sont à la troisième personne du singulier. Le verbe « pouvez » est à la
deuxième personne du pluriel.
3. 1. « avait d’autorité » : fait réel ; « verrait peut-être » : hypothèse (éventuel).
2. « avait mis », « répondez », « serez » : réel ; « auriez mangées » : hypothèse : irréel
du passé.
3. « saura », « verra », « donnera », « passera » : réel ; « est », « pouvez », « serait »,
« suffirait » : hypothèse (éventuel).

Exercice 2
1. « eusse appelé » : le subjonctif est déclenché par le verbe « s’étonna », qui
exprime un sentiment.
2. « puisse » : exprime un fait possible.
3. « fût » : le subjonctif est déclenché par la forme négative du verbe « croire »,
qui exprime une incertitude.
4. « fasse » : expression d’un souhait.
5. « pleuve » : c’est l’expression de l’appréciation « il vaut mieux » qui déclenche
le subjonctif.

Exercice 3
Voir le tableau page suivante.
On reconnaîtra que la distinction entre « ordre » et « prière » ou « conseil » dépend
de l’interprétation de chacun.
425
Ordre Défense Conseil Prière

« laissez-moi « Ne me faites « Venge-toi », « laisse-nous te


m’en aller » pas, ne m’enfer- « Rentre chez venger »
mez pas » toi », « pense à
ton pays »

Exercice 4
1. Le temps dominant est le conditionnel passé, qui a valeur d’irréel du passé :
Rousseau exprime ici ce qu’il aurait pu être et n’a pas été.
2. Le verbe « anticiper » est au mode impératif. Il sonne comme une prière, une
imploration qui se veut solennelle. Le verbe « occuper » est à l’indicatif et annonce
le retour à une réalité que l’auteur présente avec insistance comme pitoyable. Au
lecteur d’être ou non sensible à ce registre pathétique.

Vers le bac
1. De multiples formes verbales expriment l’hypothèse : « il devait avoir » (éven-
tualité), « elle aurait pu mener, si le hasard l’avait voulu », « se seraient connus »,
« se seraient aimés », « aurait voyagé », « eût recueilli », « n’aurait chanté », « aurait
regardée » (irréel du passé).
2. Le passé simple « saisit », introduit par la conjonction « mais », marque l’ir-
ruption du réel qui s’oppose au développement continu du rêve amorcé par l’im-
parfait « pensait ». L’imparfait « regardait » évoque le plein développement de ce
regard qu’elle croit vraiment tourné vers elle. Le présent « c’est sûr » introduit,
dans ce récit au passé, une nouvelle rupture et fait entendre la voix même
d’Emma.
3. Le développement du rêve qui envahit peu à peu Emma est rendu sensible par
les modulations qu’introduisent les diverses formes verbales. L’imparfait initial
« devait avoir » exprime une hypothèse parfaitement raisonnable pour expliquer
la force expressive qui émane du chanteur. Les temps de l’indicatif, l’imparfait
« s’évanouissaient », le passé simple « tâcha » marquent le passage de la pensée à
l’imagination qui va la conduire à confondre le ténor et le personnage qu’il inter-
prète, puis à s’introduire dans sa vie même. Les formes du conditionnel passé
« aurait pu », « avait voulu » amorcent l’épanchement du rêve, qui se développe
ensuite librement dans une série de formes qui se sont affranchies de l’hypothèse
introduite par « si » : « si le hasard l’avait voulu. » Enfin, le passage du condi-
tionnel passé « aurait regardée » à l’imparfait « regardait » inscrit le triomphe de
l’illusion : le rêve est pris pour le réel et l’indicatif présent surgit avec tout l’éclat
de la réalité : « c’est sûr ! » Le jeu sur les formes verbales fait ainsi sentir avec quelle
fièvre douloureuse Emma se livre à ses songes et s’abandonne à ses désirs.

426
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

37 L’expression de l’aspect
(PAGES 422-423)

Exercice 1
Aspect limitatif Aspect non limitatif Aspect itératif*

(On parle aussi de (On parle aussi de Redire, relire, réutiliser,


verbes perfectifs.) verbes imperfectifs.) reprogrammer,
Fermer, sortir, prendre Vivre, prendre le thé, réaffirmer…
sa veste, se réveiller, habiter, nager, lire…
s’endormir, aller à,
se rendre…

* Rappelons que c’est surtout par les indications données par le contexte que se
marque l’aspect itératif : ce sont les compléments de temps comme « cette année »,
« chaque jour » qui indiquent que l’action exprimée par le verbe se répète (voir
l’exercice 5).

Exercice 2
– 1re phrase : le verbe « ne pas cesser de » fonctionne comme un auxiliaire d’as-
pect : l’action « harceler » est liée à la répétition.
– 2e phrase : le premier « commencer à » a une valeur aspectuelle tandis que le
second « commencer » joue pleinement le rôle de verbe.
– 3e phrase : dans la tournure impersonnelle, « venir » est employé comme verbe.

Exercice 3
1. La forme composée « ai eue » souligne que l’action est accomplie, tandis que
la forme simple du présent « a » exprime une vérité générale toujours effective.
2. Le passé composé « a gelé » indique que l’action qui s’est produite est achevée,
le présent passif « sont fripés » décrit l’état dans lequel sont les fleurs.
3. Le passé composé « est venue », nuancé par l’adverbe « presque », marque l’as-
pect accompli, tandis que les formes simples du présent « est », « luit », « sait »
évoquent des actions en train de se produire.
4. Les formes simples « répond », « traverse », « comprends » évoquent le dérou-
lement du dialogue, tandis que les formes composées « ai perdue », « a suivi »,
427
« est devenue » soulignent l’achèvement d’un processus dont le présent « peuvent »
indique le résultat.

Exercice 4
1. 1. « arrivent » : présent de l’indicatif.
2. « Descend » : présent.
3. « entourait » : imparfait.
2. C’est le complément de temps : « les soirs où il ne pleut pas », « quand nous
respirons », « du temps où tu m’aimais », qui lie le procès (« arriver », « des-
cendre », « entourer ») à la répétition.

Exercice 5
1. Les imparfaits de l’indicatif sont des itératifs, indiquant la répétition de la
même situation.
2. L’auteur emploie ensuite le mode conditionnel : « auraient aimé » (l. 4) est un
conditionnel passé qui indique l’irréel du passé, des actions imaginées mais qui
n’ont pas été réalisées ; « écriraient » (l. 5) et « aimeraient » (l. 6) sont des condi-
tionnels présents qui indiquent une possibilité pour l’avenir. On est donc passé
de l’itératif à l’irréel du passé et au potentiel : l’ensemble donne l’impression de
vies rêvées, enfermées dans un comportement monotone qui ne débouche pas sur
une réalité authentiquement vécue.
Remarque. Une étude de la structure temporelle de l’ensemble du roman peut se
révéler intéressante. Le roman commence au conditionnel, se poursuit au passé et
se termine au futur. Dans son ouvrage intitulé Georges Perec (éditions du Seuil, col-
lection «Les contemporains», 1988), G. Burgelin interprétait ainsi ces changements
du système verbal : «L’histoire des années soixante s’ouvre sur le conditionnel de la
rêverie : elle se poursuit en des séries d’imparfaits, temps de la durée, de la répéti-
tion, que coupent trop peu de passés simples, temps de l’événement. Quand survient
le temps de Sfax, c’est un rendez-vous manqué. Ironiquement, le roman se termine
par un futur : ce qui ne peut manquer d’arriver. Morne futur qui perd toute valeur
exploratoire pour devenir temps d’un destin, celui, même pas tragique, d’un enfer-
mement banalement middle class. »
3. Le conditionnel passé exprime l’irréel du passé : les personnages ressassent ce
qu’ils n’ont pas pu réaliser dans leur vie. Le conditionnel présent, ici, est en fait
le futur dans le passé : il s’agit de quelque chose dont la réalisation n’est pas
acquise. On en conclut que les personnages cultivent le rêve sur ce que ne contient
pas leur vie (ce qui n’a pas pu être et ce qui n’est pas encore).

Vers le bac
1. Les imparfaits indiquant la répétition quotidienne des mêmes actions et des
mêmes réactions les présentent sous leur aspect itératif. Les indices sont les com-
pléments de temps « tous les jours » (l. 1) et « les soirs où » (l. 6), qui expriment
la répétition.
2. Le mot-clé est « l’habitude » (l. 14), terme évidemment lié à la répétition.
428
3. La dernière phrase fait passer de l’aspect itératif à l’aspect non limitatif.
L’introduction de la lanterne magique a échoué et, loin d’apaiser le malaise de
l’enfant, elle ne fait que prolonger indéfiniment la douloureuse angoisse.
4. Dans cet extrait célèbre, le romancier recrée les émotions qui bouleversent
l’enfance du narrateur. L’enfance n’apparaît plus comme ce paradis perdu dont
les adultes se souviennent avec une nostalgie parfois complaisante : il est le temps
d’une angoisse où l’enfant, pourtant aimé et protégé, éprouve douloureusement
sa solitude. C’est en ce sens que le choix des temps contribue à la tonalité du
passage. L’imparfait frappe d’abord par sa valeur itérative : il fait sentir à quel
point ses émotions sont régulières, reviennent tous les jours : c’est cette appré-
hension quotidienne, inéluctable qui est la vraie couleur de l’enfance. Le com-
plément de temps qui donne aux imparfaits leur aspect itératif est longuement
détaillé : « tous les jours » marque d’abord qu’il ne peut échapper à cette angoisse ;
« dès la fin de l’après-midi » souligne que cette angoisse surgit de façon préma-
turée, ce qui est encore précisé par la suite : « longtemps avant le moment où… ».
Angoisse déraisonnable, envahissante, irrésistible. Le plus-que-parfait « on avait
bien inventé » renvoie dans le passé accompli la tentative faite par les parents
attentifs et l’évocation de la tentative n’est précisée que pour en souligner l’inu-
tilité : les temps de la dernière phrase amorcée par « maintenant » ouvrent sur un
avenir sans espoir : la chambre est devenue un lieu étranger où la solitude est res-
sentie plus vivement que jamais. La solitude de l’enfant, notre solitude, pour
« maintenant » et jusqu’à l’heure de notre mort. C’est en ce sens que le choix des
temps contribue à la tonalité tragique de cette analyse.

429
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

38 Les figures de style


(PAGES 424-427)

Les figures de style ne sont pas seulement des procédés d’écriture qui donnent
plus d’expressivité et de richesse au poète ou au romancier. Elles sont également
utilisées dans le langage quotidien, la publicité, le journalisme ou l’argumenta-
tion. L’étude des figures de style ne saurait donc revenir à dresser un catalogue
de noms savants et désuets. Elle doit au contraire permettre d’ouvrir les yeux sur
des procédés qui sont à la fois obscurs et familiers, de manière à les comprendre
et à les utiliser.

Exercice 1
Paul Eluard effectue une anaphore en répétant au début de chaque vers le mot
« Paris ». Cette répétition lancinante insiste sur les souffrances endurées par la
capitale de la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Exercice 2
La répétition anaphorique de l’expression « lui seul », en tête de proposition,
traduit l’admiration affectueuse qu’Octave éprouve pour Cœlio, en énumérant
les qualités de l’ami disparu (l’amitié, le dévouement, l’amour, le courage).
Elle insiste aussi, puisqu’elle contient l’adjectif « seul », sur l’opposition entre les
deux amis, le défunt étant seul capable de ce que le survivant ne sait pas faire.

Exercice 3
– « Va, cours, vole, et nous venge » : gradation d’intensité croissante Þ la phrase
insiste sur l’urgence d’agir.
– « Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre » : gradation d’in-
tensité décroissante Þ le vers souligne la peur du personnage.
– « Pierre marchait au milieu de ces gens, plus perdu, plus séparé d’eux, plus isolé,
plus noyé, dans sa pensée torturante, que si on l’avait jeté à la mer du pont d’un
navire » : gradation d’intensité croissante Þ la gradation isole le personnage au
sein de la foule.
– « Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis
enterré » : gradation d’intensité croissante Þ Ubu pastiche l’avare de Molière à
430 travers cette gradation loufoque (« administré »).
Exercice 4
Les parallélismes créent un effet de symétrie entre les différents groupes de per-
sonnages évoqués ; le premier groupe, ternaire, a ainsi une construction identique
au troisième, tandis que le deuxième est binaire. L’ensemble insiste à la fois sur
la diversité des attitudes et sur leur similitude : la dernière phrase utilise à trois
reprises, sous des formes différentes, les verbes « parler » et « mourir », créant
ainsi un effet comique.

Exercice 5
Chacun des titres d’œuvres de la liste est construit sur une antithèse : les auteurs
mettent ainsi en évidence un contraste, une opposition ou un paradoxe.

Exercice 6
On peut facilement opposer la partie gauche et la partie droite de l’image qui
peut se voir comme une antithèse (à gauche les verticales des bâtiments, à droite
les courbes du visage).

Exercice 7
1. – « Un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit » (Hugo)
– « Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu. » (Valéry)
– « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles. » (Corneille)
– « Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir
versant la lumière et le bonheur. » (Baudelaire)
– « … Porte le Soleil noir de la Mélancolie ».
2. « La clarté sombre des réverbères » (Baudelaire), « définitivement inachevé »
(Duchamp), « hâtez-vous lentement » (Boileau). La joie triste… La lumière noire…
La rapidité de la lenteur, etc.

Exercice 8
– Je suis mort de rire. Þ Hyperbole
– Elle est maigre comme un clou. Þ Hyperbole
– Le courage n’est pas son fort. Þ Euphémisme
– Ils ont tout soldé à un prix hallucinant. Þ Hyperbole
– Il est devenu fou de colère. Þ Hyperbole
– Il a recommencé mille fois avant de réussir. Þ Hyperbole
– Il est mort d’une longue et douloureuse maladie. Þ Euphémisme
– Il n’a pas inventé l’eau tiède. Þ Litote

Exercice 9
– « Il écoutait d’une oreille attentive. » Þ « avec attention »
431
– « Étranger dont la voile a si longtemps longé nos côtes » Þ « le navire »
– « Les cuivres et les bois se déchaînèrent » Þ « L’orchestre »
– « Les gens d’ici sont des mauvaises langues. » Þ « médisants »
– « Le mur est gris, la tuile est rousse… » Þ « le toit »

Exercice 10
1. – « Fils spontané de la pierre fendu » = le lézard
– « Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux » = l’araignée posée
sur sa toile
– « Un grain de tabac à ressort » = la puce
– « Cette goutte de lune dans l’herbe » = le ver luisant
2. – Le lézard est caractérisé par sa vivacité (« spontané ») et son lieu d’habitat
(« la pierre »).
– L’araignée est caractérisée par son aspect (« la main noire et poilue ») et son
habitat (la toile comparée à des cheveux).
– La puce est caractérisée par sa couleur (« tabac »), sa taille (« grain ») et sa viva-
cité (« ressort »).
– Le ver luisant est caractérisé par son aspect (« goutte »), sa luminosité (« lune »)
et son habitat (« l’herbe »).

Exercice 11
– Tu peux être sûr que je vais bien le recevoir ! Þ Je vais lui faire un mauvais
accueil.
– C’est un très bel art que la guerre. Þ L’art de la guerre est effroyable.
– Quel doux bruit de moteur ! Þ Que ce moteur est bruyant !
– Je l’aime beaucoup, ton nouvel ami. Il a vraiment belle allure ! Þ Je n’aime pas
ton nouvel ami.
– Votre exposé était lumineux. Quel éblouissement ! Þ Votre exposé n’était pas
clair. Nous n’y avons rien compris.

Vers le bac
1. et 2. – Les figures d’insistance : l’anaphore est bien sûr présente dans le dis-
cours de Hugo, avec l’expression « Un jour viendra ». Ce procédé permet à Hugo
de mettre l’accent sur sa vision de lendemains meilleurs, participant ainsi à la
force de persuasion du texte, tout en lui imprimant un rythme obsédant, incan-
tatoire.
– Les figures d’opposition : « il n’y aura plus d’autre champ de bataille que les
marchés s’ouvrant au commerce » : les antithèses créent un contraste entre le passé
(le « champ de bataille ») et l’avenir (« les marchés s’ouvrant au commerce ») ;
elles sont préparées par l’anaphore « Un jour viendra ».
– Les figures de substitution : « entre Paris et Londres… » : synecdoque désignant
les pays ou les régions par le nom de leur capitale ; « vous France, vous Russie,
vous Italie… » : métonymie désignant les nations par le nom du territoire qu’elles
occupent.
432
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

39 L’analogie: la comparaison,
la métaphore et la personnification
(PAGES 428-429)

La comparaison et la métaphore sont les figures de style les plus utilisées. En effet,
l’analogie est une composante essentielle du langage : elle oriente l’attention du
destinataire vers une perspective qui s’impose avec force à son esprit ; elle enri-
chit notre vision du monde en faisant découvrir des ressemblances inaperçues ou
parfois simplement oubliées. Plus encore que la comparaison, la métaphore motive
l’imagination du destinataire. Elle occulte en effet le terme de comparaison et
provoque de ce fait une assimilation insolite du comparant au comparé.

Exercice 1
Le comparé Le comparant L’outil Le point
commun
Citation Une personne une fleur ressembler à le caractère
à la mode bleue nuisible

Exercice 2
1. et 2. – Citation 1 : « regagnaient l’ombre en couinant » : les thermomètres sont
comparés à des souris à travers l’utilisation du verbe « couiner » ; il s’agit d’une
forme de personnification.
– Citation 2 : « Miaulements de véhicules et chuchotis de leurs pneumatiques » :
le bruit des voitures les assimile tantôt à des chats (« miaulements »), tantôt à des
humains (« chuchotements »).
– Citation 3 : « Le gouffre de tes yeux » : le regard est comparé à un gouffre, parce
que le gouffre est inquiétant, et semble receler dans ses profondeurs des secrets
inquiétants qu’on ne peut percer. La métaphore insiste aussi sur l’étendue de cet
impénétrable, puisque le gouffre est à la fois profond, par définition, et « plein
d’horribles pensées ».

433
Exercice 3
1. La métaphore filée se situent essentiellement aux lignes 7 à 10 : Flaubert y
compare la foule à un « fleuve refoulé par une marée d’équinoxe ». La métaphore
est préparée, aux lignes précédentes, par les mots « flots » (l. 3) et « impétueuse-
ment » (l. 5). Elle se termine avec le terme « clapotement » (l. 12), qui indique que
le « reflux » est terminé, que la foule, comme la mer, s’est retirée.
2. La dernière phrase produit un effet de surprise. Le « piétinement des souliers »
semble en effet indiquer que la métaphore est terminée, sentiment renforcé par
le passage à la ligne. Mais l’emploi de l’expression « clapotement des voix » vient
rappeler la comparaison au lecteur : le mugissement de la ligne 8 s’est transformé
en un son plus doux, mais l’impression causée par la foule demeure encore dans
l’esprit des deux personnages.

Exercice 4
– Le comparé : les coquelicots / les bleuets.
– Le comparant : une armée de petits soldats / leurs compagnes.
– Points communs : la couleur (l’uniforme était rouge avant 1914), le fusil (les
épis).
– Termes qui développent la personnification : « éclatent », « inoffensifs »,
« courir », « s’attarde ».

Exercice 5
– Le comparé : le Malheur.
– Le comparant : un laboureur.
– Points communs : l’obstination, la ténacité.
– Termes qui développent l’allégorie : « assois », « repose », « reposons », « toi »,
« trouves », « éprouves », « prouves ».
L’allégorie se distingue d’une simple personnification par le caractère abstrait du
comparé. Il s’agit ici du malheur. On reconnaît immédiatement l’allégorie grâce
à la majuscule de son initiale.

Vers le bac
1. et 2. Dans ce poème de Théophile Gautier, intitulé « Fantaisies d’hiver », l’hiver
est comparé à un chef d’orchestre enrhumé. La métaphore filée qui développe la
personnification repose sur le champ lexical du corps humain : « nez rouge »,
«face blême», «voix peu sûre», «pied glacé», «semelle», «perruque», «nuque»,
mais aussi sur celui de la musique : « pupitre », « thème », « quatuor », « chante »,
« voix », « airs vieillots », « mesure », « Haendel », « perruque ». Comparants et
comparé sont ainsi associés de manière à faire de l’Hiver une allégorie comique
qui traverse tout le poème.

434
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

40 Les termes d’articulation logique


(PAGES 428-429)

Le repérage et l’utilisation des termes d’articulation logique sont essentiels à


l’étude aussi bien qu’à l’écriture d’un texte, notamment lorsqu’il s’agit d’une argu-
mentation. Les termes d’articulation logique soulignent la valeur argumentative
de l’énoncé, par exemple pour en souligner la valeur causale ou en signaler la
portée ironique. On peut, le plus souvent, supprimer les termes d’articulation
logique de manière à les rendre implicites : c’est le cas des textes littéraires qui
recherchent une forme de fluidité ; mais on peut également les multiplier de
manière à rendre le texte plus intelligible au lecteur : c’est le cas des discours poli-
tiques, des textes de presse… et des copies d’élèves. En utilisant les termes d’ar-
ticulation logique, l’élève souligne la présence d’un plan, exprime la progression
des idées et vérifie la cohésion de la pensée qu’il exprime. L’étude des termes d’ar-
ticulation logique, si elle peut parfois paraître fastidieuse, n’en est donc pas moins
nécessaire à l’expression des idées.

Exercice 1
La relation logique implicite :
1. Les jours se suivent, ils ne se ressemblent pas. Þ Opposition
2. Il s’est blessé, on a dû l’hospitaliser d’urgence Þ Cause / conséquence
3. Jeanne est très âgée, elle est toujours alerte. Þ Opposition
4. Les idées nous viennent du dehors, les sentiments sont au-dedans de nous.
Þ Opposition
5. La tempête se lève, les bateaux rentrent au port. Þ Cause / conséquence
6. Je m’inquiète pour toi, tu ne me donnes aucune nouvelle. Þ Conséquence /
cause
7. Son geste lui valut de nombreux ennuis : on le poursuivit, il fut condamné, il
connut le déshonneur. Þ Explication

Exercice 2
1. La relation logique explicite :
1. Comme il a beaucoup plu, la saison touristique a été décevante. Þ Cause
2. D’une part, les affiches publicitaires favorisent la consommation ; d’autre part,
elles embellissent les rues. Þ Addition
435
3. Certes, le début est un peu lent, mais ce roman est passionnant. Þ Concession
4. Ce joueur a quitté le terrain parce qu’il prétend à tort que l’arbitrage était
mauvais. Þ Cause
5. La vente des maillots de bain a baissé, mais celle des parapluies a augmenté.
Þ Opposition
6. J’ai adoré les poèmes de ce recueil si bien que j’ai emprunté d’autres livres de
cet auteur. Þ Conséquence
2. Termes d’articulation :
1. C’est parce qu’il a beaucoup plu que la saison touristique a été décevante.
2. D’un côté, les affiches publicitaires favorisent la consommation ; de l’autre,
elles embellissent les rues.
3. Il est vrai que le début est un peu lent, toutefois ce roman est passionnant.
4. Ce joueur a quitté le terrain sous prétexte que l’arbitrage était mauvais.
5. La vente des maillots de bain a baissé. Cependant, celle des parapluies a aug-
menté.
6. J’ai tellement adoré les poèmes de ce recueil que j’ai emprunté d’autres livres
de cet auteur.

Exercice 3
1. Le raisonnement de La Bruyère commence par l’affirmation de la thèse. La
deuxième phrase introduit une concession (« cependant »). La conclusion en tire
une conséquence (les deux-points).
2. Le lien logique « cependant » signale une opposition.
3. Les deux-points signalent un lien logique implicite : il s’agit ici de la consé-
quence (« par conséquent »).

Exercice 4
Victimes de leur succès, de nombreux mots de verlan sont progressivement inté-
grés dans les dictionnaires, perdant ainsi leur caractère marginal. C’est le cas de
ripou, meuf, keuf, et de nombreux autres. Toutefois, cette récupération est béné-
fique car elle oblige le verlan à une créativité sans cesse renouvelée.
Ainsi, créer un mot de verlan est en théorie une chose facile. Mais en théorie seu-
lement ! Car dans la pratique, il existe des règles secrètes que seuls connaissent
les utilisateurs de cette langue de la rue. En effet, personne n’a jamais entendu un
jeune évoquer, par exemple, sa tomo pour désigner sa moto !

Vers le bac
1. Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais (opposition) désavantageux
à ceux qui la disent, parce qu’ils (cause) se font haïr. Or (opposition), ceux qui
vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils
servent ; et ainsi (addition + conséquence), ils n’ont garde de lui procurer un avan-
tage en se nuisant à eux-mêmes.
Ce malheur est sans doute (concession) plus grand et plus ordinaire dans les plus
grandes fortunes ; mais (opposition) les moindres n’en sont pas exemptes, parce
436
qu’il (cause) y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi
(conséquence) la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que
s’entre-tromper et s’entre-flatter.
2. L’expression « sans doute » introduit une concession. Elle souligne que le rai-
sonnement vaut davantage pour les puissants que pour les autres.
3. Dans ses Pensées, Blaise Pascal développe des raisonnements dont la rigueur
est soulignée par l’emploi de nombreux termes d’articulation logique. C’est ainsi
que, dans cette pensée, le raisonnement commence par l’affirmation de la thèse
et de sa conséquence, contradictoire : « Dire la vérité est utile à celui à qui on la
dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. » Le rai-
sonnement se développe ensuite en se généralisant progressivement à tous les
hommes pour déboucher sur la conclusion du moraliste : « Ainsi la vie humaine
n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. »

437
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

41 Le système énonciatif
(PAGES 432-433)

L’énonciation est l’acte de dire ou de lire ; le résultat de cet acte constitue l’énoncé.
La situation d’énonciation est ainsi le cadre, le contexte dans lequel l’énoncé est
produit : émetteur, destinataire, circonstances spatio-temporelles, contexte socio-
historique et textuel. De ce fait, tout énoncé est lié à la situation d’énonciation
qui en a permis la production, et l’on ne peut bien comprendre un énoncé sans
avoir pris conscience de ce lien.
L’étude de l’énonciation permet de disposer d’un certain nombre de repères : les
marques de l’énonciation (ou déictiques) déterminent quels sont les personnes
mises en relation par le discours, les circonstances de l’énonciation, le jugement
ou la distance que l’émetteur prend par rapport à son propre énoncé ; le niveau
de langage témoigne de l’image de soi et d’autrui proposée par l’émetteur ; les dis-
cours rapportés inscrivent la parole d’un tiers dans le récit. L’analyse de l’énon-
ciation consiste ainsi à observer comment l’énoncé traduit à la fois les relations
existant entre l’émetteur et le destinataire, et l’implication de l’émetteur dans son
propre discours.

Exercice 1
1.
Pronoms personnels Adjectifs possessifs Pronoms démonstratifs

« je », « vous », « je », « vos », « son », « ses » « celui-là »


« il », « on »

2. Les pronoms les plus utilisés sont les pronoms de la première personne, pré-
sents dans le récit et dans le discours rapporté.

Exercice 2
1. Les adverbes et les compléments de temps et de lieu qui renseignent sur la situa-
tion d’énonciation :
Le XXe siècle s’est enfin achevé. Il y a eu trop de morts de par le monde: d’hommes,
d’idéologies, d’illusions et de religions. La créatrice de mes jours repose dans un
petit mausolée aux murs blancs, face à l’océan Atlantique. Je m’y suis recueilli
438
récemment et j’ai retrouvé les mots de mon enfance, alors tout était à découvrir,
à espérer et à aimer. J’ai visité la maison familiale où elle m’a donné le jour voici
trois quarts de siècle. Elle est à l’abandon. Je me suis rendu dans tous les lieux de
ma mémoire, au Maroc, en France et ailleurs, partout où j’ai vécu et rêvé. Le soir
tombe ici ou là-bas.
2. Les temps et modes utilisés sont le passé composé et le présent de l’indicatif.
Ils opposent le moment de la narration, l’instant vécu par l’écrivain, à son passé,
son enfance au Maroc.

Exercice 3
1. L’émetteur communique son émotion au moyen de phrases exclamatives. Du
vers 1 au vers 4, il s’agit d’une adresse générale au monde animal, par opposi-
tion au monde des humains. Un autre système énonciatif se met en place ensuite :
l’auteur s’adresse directement au loup, qui devient l’interlocuteur fictif du poète.
Le mot-clé qui résume le poème est le mot « cœur », qui traduit l’émotion trans-
mise par le poète au lecteur.
2. Les termes évaluatifs sont en général mélioratifs lorsqu’ils évoquent les
animaux et péjoratifs lorsqu’ils évoquent les hommes :

Connotations positives Connotations négatives

« grand nom », « sublimes », « hélas », « honte », « débiles »,


« grand », « sauvage » « faiblesse »

Vers le bac
1. Les modalisateurs de certitude :
On peut s’interroger sur le fait que les Français disposant des moyens de com-
muniquer oralement au moyen d’appareils de plus en plus perfectionnés préfè-
rent, au moins occasionnellement, la forme écrite. Les raisons en sont sans doute
pratiques : coût inférieur par rapport à l’appel oral ; temps de lecture limité ; pos-
sibilité de lire un texto lorsqu’on n’est pas en situation d’écouter un message
audio. Mais les motivations véritables sont très certainement plus profondes. Le
SMS est semble-t-il une façon d’exister, de lutter contre la solitude, de rencontrer
des personnes qui ne font pas partie de son environnement social. Il serait
d’ailleurs utilisé dans cet esprit par les médias qui cherchent à créer une interac-
tivité avec leur public.
2. La téléphonie mobile :
Sans doute la téléphonie mobile est-elle promise à un grand avenir. Elle équipe
déjà la plupart des Français. Mais nul ne pourrait prédire avec certitude de quoi
cet avenir sera fait, tant l’évolution des technologies est rapide et surprenante.
Peut-être le téléphone mobile deviendra-t-il un ordinateur. On peut aussi imagi-
ner qu’il servira de porte-monnaie. Il sera probablement équipé d’un écran per-
mettant de voir celui que l’on appelle. Il pourrait même, qui sait, permettre de
matérialiser son interlocuteur…
439
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

42 Les discours rapportés


(PAGES 434-435)

Lorsqu’un locuteur introduit dans son propre énoncé des propos extérieurs à
celui-ci, on parle de « discours rapporté ». L’usage du discours direct et du dis-
cours indirect est répandu dans le roman, mais aussi dans les autres genres litté-
raires. Celui du discours indirect libre s’est répandu dans le roman à partir du
milieu du XIXe siècle. Le discours rapporté se distingue du récit en imitant avec
plus ou moins d’exactitude les paroles prononcées par les personnages. Il permet
aux écrivains de caractériser leurs personnages en leur attribuant un parler par-
ticulier (idiolecte) : on retrouve cette pratique dans les fabliaux du Moyen Âge,
chez Rabelais, dans les comédies… Le roman réaliste poursuit la tradition en
l’amplifiant, parfois jusqu’à la caricature.

Exercice 1
1. et 2. – Citation 1 : discours direct (changement de système énonciatif intro-
duit par le tiret, changement du système des temps verbaux et des pronoms per-
sonnels).
– Citation 2 : discours indirect (verbe de parole suivi de la conjonction « que »).
– Citation 3 : discours indirect libre (association des marques du discours et du
récit dans un même énoncé).

Exercice 2
1. Les marques du discours direct : les tirets, l’utilisation des pronoms de la pre-
mière et de la deuxième personne, temps verbaux (présent de l’indicatif ou du
conditionnel).
2. L’emploi des discours indirect et direct
• Le discours indirect :
– « elle parla de sa vieillesse » (l. 2) : résumé de paroles ;
– « ils eurent ensemble de longues conférences au sujet d’Emma » (l. 12 et 13) :
résumé de paroles.
• Le discours indirect libre :
– « À quoi se résoudre ? Que faire, puisqu’elle se refusait à tout traitement ? »
(l. 14 et 15) : Flaubert introduit, après le discours indirect, des bribes de paroles
prononcées lors des « longues conférences » entre Charles et sa mère. Il le fait au
440
discours indirect libre (« elle refusait ») afin de conserver l’expressivité des propos
tenus.

Exercice 3
1. Le discours indirect et le discours indirect libre :
Dans les couloirs de la maison, Rieux regarda machinalement vers les recoins et
demanda à Grand si les rats avaient totalement disparu de son quartier. L’employé
n’en savait rien. On lui avait parlé en effet de cette histoire, mais il ne prêtait pas
beaucoup d’attention aux bruits du quartier.
2. Le texte réécrit :
Dans les couloirs de la maison, Rieux regarda machinalement vers les recoins et
demanda à Grand : « Les rats ont-ils totalement disparu de votre quartier ? »
L’employé n’en savait rien. « On m’a parlé en effet de cette histoire, mais je ne
prête pas beaucoup d’attention aux bruits du quartier. »

Exercice 4
Un marin les fit lever pour dérouler ses câbles.
« Où vont-ils donc ces bateaux-là ? hasarda Jacques.
Le marin lui répondit que ça dépendait duquel.
– Ce gros-là ?
– À Madagascar.
Jacques demanda si on allait le voir partir.
Le marin lui affirma que celui-là ne partait que le jeudi suivant, mais que s’il
voulait voir un départ, il pouvait venir ce soir-là à cinq heures. L’un des navires,
le La Fayette, partait pour Tunis.

Vers le bac
1. Les deux passages écrits au discours indirect libre :
– « Bon, d’accord, on allait s’y mettre tout de suite. »
– « Ce complet à petits carreaux marron clair faisait vraiment épatant et le veston
dessinait bien la taille. »
Les deux passages ne sont pas introduits par un verbe de parole, mais par un
autre verbe (« il gémit », « il s’y aima ») qui permet au lecteur d’entrer dans le dis-
cours indirect libre.
2. Le discours indirect libre permet de reproduire des propos tenus (« Bon, d’ac-
cord, on allait s’y mettre tout de suite ») mais aussi parfois de suivre le chemine-
ment de la pensée d’un personnage (« Ce complet à petits carreaux marron clair
faisait vraiment épatant et le veston dessinait bien la taille »). Le narrateur omni-
scient cède alors la place à une voix que le lecteur identifie comme étant celle du
personnage, même si elle ne porte pas réellement les marques du discours. C’est
en effet l’imparfait et les pronoms de la troisième personne qui sont utilisés. Ce
procédé a pour avantage de conserver l’expressivité des propos tenus et de mettre
en évidence une caractéristique psychologique de celui qui les tient.

441
LA LANGUE

L’ANALYSE
CHAPITRE

43 Les niveaux de langage


(PAGES 436-437)

Pour un même signifié, ou deux signifiés proches, la langue attribue différents


signifiants qui permettent à ses utilisateurs d’opérer un choix, conscient ou non.
On emploiera ainsi le terme de « masure » ou celui de « bicoque », en fonction de
critères historiques, géographiques ou socioculturels. La syntaxe offre de la même
manière une grande diversité de tournures qui permettent à chacun de s’appro-
prier la langue, de lui donner une expressivité parfois toute personnelle. De cette
combinaison du vocabulaire et de la syntaxe, les linguistes ont forgé la notion de
niveau de langage, qui permet de classer les types d’énoncés. On distingue ainsi
le niveau courant – qui s’apparente à la norme – des niveaux familier ou soutenu,
qui témoignent de situations de communication spécifiques.

Exercice 1
Le dessin de Plantu met en scène un adulte et un jeune placés dans une situation
de communication qui illustre les difficultés rencontrées par les campagnes de
santé contre le tabagisme. L’adulte adapte son langage à la situation de commu-
nication (emploi de la deuxième personne du singulier, élision de la voyelle du
« tu »). La réponse de son interlocuteur utilise, elle aussi, un niveau de langage
familier : « Ouaaah ! Cool ! » Derrière l’ironie du dessinateur, le dialogue illustre
les difficultés à communiquer entre les deux interlocuteurs, qui n’ont ni le même
statut social ni les mêmes préoccupations.

Exercice 2
1. Les caractéristiques du langage familier :
– le choix d’un vocabulaire argotique : « look branché », « à se casser », « le pif »,
« les hublots », « la tronche », « un blousbac », « camelote », « j’ai flashé », « c’est
classe », « me saper » ;
– une syntaxe relâchée : phrases nominales, ellipses, ruptures de constructions… ;
– les images : « tout lui était servi sur un plateau d’argent ».
À travers son discours, le personnage apparaît comme inadapté à la situation de
communication : il s’adresse à une juge. Mais le fait qu’il appelle son interlocu-
trice « madame la Juge » semble montrer qu’il n’y a pas de sa part une volonté
de provoquer l’institution. Pour lui, la façon dont il s’exprime constitue la norme.
442
2. Le texte réécrit en langage courant :
Le motard à la Kawasaki n’était pas vraiment à la mode. Mais il semblait ne pas
avoir de difficultés financières non plus. Ébouriffés, ses longs cheveux masquaient
son regard. Il portait de grosses lunettes. Laissez-moi continuer, madame la Juge,
j’ai besoin de parler car je n’ai pas d’avocat. Son nez et l’ensemble de son visage
étaient laids. Seul son blouson lui donnait de l’allure, madame la Juge.
Quoique… Il s’agissait d’un blouson sans marque, usé par le temps, mais visi-
blement d’assez bonne qualité. Il était noir, ce que personnellement j’aime bien.
Je déteste porter des couleurs vives.

Exercice 3
1. La lettre utilise un niveau de langage inadapté à la situation de communica-
tion. L’émetteur cherche à utiliser un niveau de langage soutenu là où l’on attend
un langage courant.
2. La lettre réécrite :
Véronique ROSE Paris, le 20 juillet
157 boulevard d’Artois
75016 PARIS
Madame la Directrice,
Titulaire d’un baccalauréat STG, je mets à profit les vacances scolaires pour
chercher un emploi dans le secteur du secrétariat. En effet, j’ai très envie de tra-
vailler depuis que j’ai obtenu mon diplôme, en juin dernier.
J’ai découvert l’entreprise Sylvel grâce à M. Dumant, directeur financier, qui
m’a encouragée à faire acte de candidature au cas où un poste correspondant à
mon profil viendrait à se libérer. Passionnée d’informatique, je possède de bonnes
connaissances dans les logiciels de texte.
Dans l’espoir que vous voudrez bien m’accorder un entretien, je vous prie
d’agréer, Madame la Directrice, mes salutations distinguées.
Véronique Rose

Vers le bac
1. Les caractéristiques du niveau de langage :
– exemples de termes rares et recherchés : « insinuante », « heureux », « vertu »,
« affligeant », etc. ;
– un exemple de construction de phrase complexe : « offre-t-il quelque exemple
de générosité, quelque sacrifice, il le fait naître de l’amour, de l’amitié, d’un sen-
timent si simple, si doux pour celui qui l’éprouve, que ce sacrifice même a dû lui
paraître un bonheur. » ;
– un exemple de rythme ternaire : « Mais, s’il écarte en général les idées tristes
d’efforts, de privations, de dévouements, il semble qu’ils cesseraient d’être néces-
saires, et que la société n’en aurait plus besoin. Il ne vous parle que de vous-même
ou pour vous-même. » ;
443
– un exemple de parallélisme : « Ce qui distingue La Fontaine de tous les mora-
listes, c’est la facilité insinuante de sa morale, c’est cette sagesse naturelle… »
2. L’analyse :
Dans son Éloge de La Fontaine, Nicolas Chamfort loue les qualités de celui qu’il
considère comme un maître. Il utilise pour cela un niveau de langue soutenu,
notamment à travers l’emploi de termes rares et recherchés comme « insinuante »,
« heureux » (dans le sens de « bien fait ») ou encore « affligeant ». Mais surtout,
c’est la complexité de la syntaxe qui fait de cet éloge un modèle de discours argu-
mentatif. Chamfort passe ainsi du rythme binaire mis en place par les parallé-
lismes (« Ce qui distingue La Fontaine de tous les moralistes, c’est la facilité
insinuante de sa morale, c’est cette sagesse naturelle… » ; « Rien d’affligeant ; rien
de pénible »), au rythme ternaire de la période. En célébrant La Fontaine,
Chamfort met ainsi en évidence tout le génie de celui qui reste, encore aujour-
d’hui, le maître inégalé de la fable.

444
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

44 Choisir le mot juste


(PAGES 438-439)

Exercice 1
– « première scène » : scène d’exposition
– « premières lignes d’un roman » : incipit
– « roman constitué de lettres » : roman épistolaire
– « ensemble de trois œuvres » : trilogie
– « texte écrit en vers » : texte versifié
– « idée toute faite » : cliché, poncif, stéréotype
– « personnage qui raconte l’histoire » : narrateur
– « discours prononcé au moment de la mort de quelqu’un » : oraison funèbre
– « mot inventé » : néologisme
– « ensemble de mots désignant le même thème » : champ lexical, réseau lexical
– « poème composé de vers de longueur inégale » : poème en vers libre
– « auteur de pièces de théâtre » : dramaturge
– « dernière scène » : dénouement
– « dernières lignes d’un roman » : excipit
– « texte présentant les conceptions d’un mouvement littéraire » : manifeste
– « imitation amusante d’une œuvre » : parodie
– « long poème narratif qui célèbre des exploits guerriers » : épopée
– « vers de huit syllabes » : octosyllabe
– « dernier vers » : chute
– « strophe de dix vers » : dizain
– « poème présenté sous la forme d’un dessin » : calligramme
– « art du discours » : rhétorique, art oratoire
– « indications de mise en scène » : didascalies
– « coupe centrale du vers » : hémistiche

Exercice 2
– Dans ce texte de Jean Giono, la personnification de l’eau passe par les verbes
d’action : « a commencé », « s’est cherché », « les trouve », « entre », « s’écarte »,
etc. L’eau se trouve ainsi dotée d’une intelligence mise au service d’une puissance
destructrice. Giono souligne par ce procédé le combat qui oppose l’homme et la
nature. Il exalte la lutte de l’humanité contre la menace du chaos.
– La correspondance joue un rôle important dans la vie de Voltaire. Ses destina-
taires appartiennent à l’ensemble du corps social. L’étude de ses lettres éclaire la
philosophie des Lumières.
445
– Dans les pièces de Ionesco et Beckett, le lecteur découvre une critique de la
société contemporaine. L’action est supprimée au profit de la répétition de paroles
vides de sens, qui expriment l’impuissance de la parole à entretenir une véritable
communication entre les individus.

Exercice 3
– Le (recueil, ouvrage, œuvre) de Verlaine regroupe ses poèmes de jeunesse.
– L’auteur (exprime, décrit, expose) au lecteur les sentiments qu’il éprouve envers
les (héros, protagonistes, acteurs) de son récit.
– L’écriture (mesurée, classique, austère) de Malherbe contraste avec le style (extra-
vagant, exubérant, désordonné) de Théophile de Viau.
– Le discours de Hugo (s’attaque à, dénonce, fait le réquisitoire de) la peine de
mort.
– Dans ses oraisons funèbres Bossuet (valorise les, magnifie les, exalte les) vertus
des grands de la cour.
– Le dernier vers du poème provoque un effet (surprenant, de surprise, saisis-
sant).

Exercice 4
– Le siècle des Lumières : le XVIIIe siècle
– Le recueil scandaleux de Charles Baudelaire : Les Fleurs du mal
– L’auteur des Trois Mousquetaires : Alexandre Dumas
– L’Ésope et le Phèdre français : La Fontaine
– Le plus ancien des prix littéraires : le Goncourt
– Le chef de file du surréalisme : André Breton
– L’univers magique des planches : la scène, le théâtre
– Ces récits en vers qui font parler les animaux : les fables
– L’inventeur de l’autobiographie moderne : Rousseau

Exercice 5
– Rousseau fait le blâme de la civilisation. Il est convaincu que celle-ci a perverti
les hommes. Il fait l’éloge du «bon sauvage» en condamnant les injustices sociales.
À ses yeux, celles-ci sont nées de la propriété. Voltaire lui reproche ainsi de trahir
les efforts des Lumières pour le développement du progrès, dont il est le plus
ardent défenseur.
– Proust fait revivre les lieux et les personnages de son enfance. Il explore les
moments de bonheur et les chagrins qui l’ont marqué. À travers sa mémoire, c’est
aussi celle de tout un monde disparu dont il cherche à recréer l’atmosphère et la
saveur. Ce sont elles / ces dernières qui donnent un charme particulier à La
Recherche du temps perdu.
– Bossuet, homme d’Église, et Rousseau, philosophe, ont accusé Molière d’être
immoral. Le premier dénonce ses audaces de libre penseur, le second lui reproche
son conformisme conservateur. On oublie alors que Molière n’est ni prêtre ni phi-
losophe, mais homme de théâtre. Il fait rire en montrant la façon dont vivent les
êtres humains.
446
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

45 Améliorer ses phrases


(PAGES 440-441)

Exercice 1
1. L’écrivain prend des notes et construit un plan rigoureux avant de rédiger son
roman.
2. Les brouillons constituent un travail de préparation indispensable.
3. Nous avons étudié en classe les plans de la mine réalisés par Zola pour écrire
son roman Germinal.
4. Le but du romancier est de présenter dans des fiches le physique et le carac-
tère des personnages.
5. Personnellement, je trouve intéressant de lire les manuscrits d’écrivain.
6. Le titre de ce poème me déplaît.
7. J’ai analysé la première phrase.
8. Les corrections sont importantes dans un manuscrit comme dans un devoir.

Exercice 2
1. La comparaison que l’on trouve au vers 2 du poème de Baudelaire développe
l’image de l’incendie avant, dans les vers qui suivent, d’être reprise sous la forme
d’une métaphore filée.
2. Les auteurs de la tragédie intitulée Antigone ont été tour à tour : Sophocle,
Rotrou, Cocteau et Anouilh.
3. L’auteur choisit de faire le portrait de l’héroïne dans la première et la dernière
page du roman.
4. Le personnage remplit son panier de poissons, avant d’être contraint de les
abandonner pour fuir.
5. Le héros de ce conte apparaît comme un vilain personnage, inspiré à l’auteur
d’un mythe de la Grèce antique.

Exercice 3
1. Souvent, la fable donne aux animaux les vices et les vertus des hommes.
2. C’est par le jeu des oppositions et les contrastes violents que le lecteur plonge
peu à peu dans une atmosphère étrange et saisissante.
3. Extravagantes, les tenues choisies par le metteur en scène donnent à la repré-
sentation de cette tragédie des allures comiques.
4. Le caractère des personnages, la beauté de l’héroïne et les rebondissements de
l’intrigue séduisent le lecteur.
447
Exercice 4
1. Les points de vue des orateurs sont identiques.
2. La leçon donnée par les œuvres des philosophes des Lumières est que l’esprit
critique est essentiel pour toute société.
3. Malgré l’ironie de l’auteur, le personnage adopte une attitude intolérable.
4. L’auteur de cet article attaque vivement les préjugés de la société du XVIIIe siècle.
5. Rousseau pense avoir raison lorsqu’il affirme que la propriété privée est à l’ori-
gine des inégalités apparues entre les hommes.

Exercice 5
1. Les formes du discours argumentatif sont très diverses. Cette diversité répond
à l’évolution de la littérature, est rendue possible par la multiplication des moyens
de communication, correspond aux enjeux sociaux, politiques et culturels de
chaque époque.
2. L’argumentation est destinée à louer ou à blâmer, peut vouloir attaquer ou
défendre, inciter à l’action ou déconseiller.
3. Le discours argumentatif conserve la trace des modèles de l’Antiquité, obéit
aux principes de la rhétorique, agit à la fois sur le cœur et sur la raison.
4. L’avocat qui plaide dans l’enceinte du tribunal, le chroniqueur qui défend son
opinion dans les colonnes des journaux, le publicitaire qui séduit en mettant en
valeur les objets de consommation : tous argumentent de manière à convaincre
ou persuader.

448
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

46 Utiliser la ponctuation
(PAGES 442-443)

Exercice 1
les Italiens, une encyclopédie, la Provence, le Panthéon, Louis XVI, le parfum
français, l’Ancien Testament, l’Encyclopédie de Diderot, le Prophète, la Sécurité
sociale, le roi, Jean de La Fontaine, la Fédération française de football, la Révo-
lution de 1789, les Écritures, l’école primaire, le lycée Fénelon, l’Académie des
sciences, le 14 Juillet, comprendre le chinois, la Libération.

Exercice 2
Le mythe d’Orphée est l’un des plus célèbres de l’Antiquité. Orphée est d’abord
l’amoureux qui va jusqu’aux Enfers réclamer aux dieux « une existence d’une
juste mesure » pour celle qu’il aime. C’est par amour pour Eurydice qu’il se
retourne et la regarde, provoquant son retour à la mort. Cette histoire d’un amour
absolu inspire Le Divin Orphée de l’écrivain espagnol Calderon ou l’Eurydice
du Français Jean Anouilh. Depuis la Renaissance, le mythe d’Orphée célèbre aussi
la puissance du chant poétique : c’est cette puissance mystérieuse de l’écriture
qu’évoquent Gérard de Nerval ou Jean Cocteau quand ils reprennent dans leurs
textes la figure d’Orphée.

Exercice 3
La farce met en scène des situations familières, à travers lesquelles domine le
désir de tromper l’autre : bons tours joués aux marchands, moqueries à l’égard
des bourgeois, satires des moines... Le mot « farce » lui-même est dérivé du verbe
« farcer », qui signifie tromper. Le comique de la farce dont s’inspirera la com-
media dell’arte italienne repose sur le quiproquo, sur des gestes violents, sur des
pitreries verbales et des jeux de mots grossiers. Le héros de La Farce de Maître
Pathelin déclare ainsi de Guillaume, marchand avare : « On aurait pu arracher
les dents du vieux sapajou (...) et de son macaque de fils, avant qu’ils vous prêtent
ça ! »

Exercice 4
Le XVIIIe siècle provoque une révolution du regard que la civilisation européenne
porte sur elle–même : l’indigène, le barbare, l’esclave deviennent les juges de
l’Européen.
449
Dans les Lettres persanes de Montesquieu, le voyageur porte un regard neuf, un
regard critique sur les mœurs des Parisiens, leurs vices et leurs vertus. Mieux que
Bougainville, grand voyageur bardé de certitudes, le Tahitien devient l’observa-
teur, le sociologue de ses visiteurs.
Donner la parole à un étranger qui analyse les réalités de notre civilisation, regar-
der sa propre société comme si on la voyait pour la première fois, voilà une
démarche critique, philosophique, à laquelle les Lumières ont recours.

Exercice 5
Né en Russie, Romain Gary est âgé de treize ans lorsqu’il s’installe en France avec
sa mère. Instructeur dans l’armée de l’air, il rejoint le général de Gaulle en juin
1940 et combat durant la guerre aux côtés des forces de la France libre. À la
Libération, il mène de front une carrière d’écrivain et de diplomate, et obtient le
prix Goncourt en 1956 pour Les Racines du ciel ; mais ce succès auprès du public
ne lui suffit pas. Romain Gary, qui a publié un pamphlet contre le Nouveau
Roman, aimerait être reconnu par ses pairs. Il écrit alors, dans un style totale-
ment différent du sien, un roman intitulé La Vie devant soi sous le pseudonyme
d’Émile Ajar, et obtient sous ce nom un second prix Goncourt en 1975. Un court
texte laissé par l’écrivain avant sa mort révèle la supercherie.

Exercice 6
Avec Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry crée un personnage attachant, à
la fois fragile et volontaire. La rencontre de l’adulte avec l’enfant permet la
confrontation de deux univers opposés : celui du rêve et celui de la réalité. Mais,
très vite, des liens d’affection réunissent les deux personnages. L’enfant donne à
l’adulte une leçon de sagesse : « Les yeux sont aveugles, il faut chercher avec le
cœur. » (Le Petit Prince, 1943). Saint-Exupéry, qui meurt durant la Seconde
Guerre mondiale, explore ainsi la richesse intérieure de chacun, en invitant le
lecteur à écouter la voix de l’enfant qui est en lui.

450
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

47 Introduire un exemple
(PAGES 444-445)

Exercice 1
1. Question : À travers quels procédés l’auteur entretient-il une proximité avec
son lecteur ?
– Exemple 1 : Zola emploie le pronom personnel de la deuxième personne du sin-
gulier pour s’adresser à son lecteur, de manière à créer un effet de proximité : « Si
l’idée de justice s’obscurcissait en toi, tu irais à tous les périls » (l. 1-3). Par ce
procédé, le jeune lecteur se sent directement impliqué dans l’argumentation,
concerné par le discours de l’écrivain défendant Dreyfus au nom de la justice.
– Exemple 2 : L’écrivain naturaliste utilise également le procédé de l’apostrophe,
qui consiste à interpeller le lecteur sur le mode impératif : « Jeunesse, jeunesse !
sois toujours avec la justice » (l. 1). Son discours prend ainsi le ton d’une prière
pressante, d’un ordre.
2. Commentaire : Vous ferez le commentaire de ce texte en vous aidant du par-
cours de lecture suivant : montrez comment l’auteur entretient une relation pri-
vilégiée avec son destinataire ; analysez le rôle joué par la concession dans le texte.
– Exemple 1 : Émile Zola entretient dans ce texte une relation privilégiée avec son
destinataire, à travers l’échange qu’il instaure entre les pronoms de la première
et de la deuxième personne du singulier. Au « je » de l’écrivain correspond le « tu »
des jeunes auxquels il s’adresse dans cette lettre ouverte : « Et je ne parle pas de
la justice de nos codes... ». Le pronom « nous » souligne cette proximité de l’émet-
teur et du destinataire.
– Exemple 2 : En choisissant un raisonnement concessif, l’auteur met en valeur
l’idée même de la justice, telle qu’il la conçoit. Évoquant d’abord la justice « de
nos codes », celle qui a condamné un innocent, il concède qu’elle est nécessaire à
la société : « Certes, il faut la respecter » (l. 5). Cependant, Zola ajoute aussitôt,
dans une proposition introduite par la conjonction de coordination « mais »,
qu’« il est une notion plus importante que la justice, celle qui pose en principe
que tout jugement des hommes est faillible » (l. 6). Cela signifie à ses yeux que ce
n’est pas la justice qui est mauvaise, mais le jugement des hommes qui est aveuglé
par les préjugés.
3. Dissertation : Selon vous, appartient-il aux artistes et aux écrivains de défendre
une cause et de s’engager dans les débats de leur temps ?
– Exemple 1 : De nombreuses associations font appel aux artistes et aux écrivains
pour défendre des causes humanitaires. C’est ainsi que chaque année, de nom-
451
breux chanteurs et musiciens s’associent pour produire un disque dont les béné-
fices servent à aider les personnes atteintes du sida. On peut également donner
pour exemple le cas de l’humoriste Coluche qui, avec de nombreux bénévoles, a
créé les « Restos du cœur » dans le but de distribuer de la nourriture aux plus
démunis.
– Exemple 2 : Les artistes s’engagent donc, aujourd’hui encore, dans les débats
de leur temps. Des écrivains comme Bernard-Henri Lévy s’engagent dans des
luttes plus politiques, dénonçant les guerres et les régimes qui ne respectent pas
les droits de l’homme : les dictatures communistes en Europe de l’Est, la guerre
civile yougoslave et l’épuration ethnique qui l’a accompagnée, ou encore la dis-
parition d’un journaliste au Pakistan...

Exercice 2
1. Dans cet extrait de La Peau de chagrin, le personnage de Raphaël éprouve le
sentiment d’être menacé par les convives qui l’entourent. Balzac souligne la
menace qui pèse sur son héros à travers l’emploi du champ lexical de la violence :
« sourde envie », « se courrouce », « rumeurs d’émeute ».
2. Dans ce poème des Fleurs du mal, Baudelaire crée une atmosphère mélanco-
lique à travers un rythme lent et des sonorités très douces. Il utilise par exemple
des voyelles longues et graves et multiplie les nasales. De même, on peut remar-
quer la répétition insistante de la consonne liquide « l ».
3. Le récit chez Céline adopte les marques de l’oralité qui visent à embarquer le
lecteur dans ce qu’il appelle lui-même son « métro émotif », à travers l’usage d’ex-
pressions populaires (« il a été éclaté par un obus ») et des ruptures dans la
construction de la phrase (« Et puis non, le feu est parti » ; « Après ça, rien que du
feu et puis du bruit avec »).

Exercice 3
1. Une autobiographie est une biographie écrite par celui qui en est le sujet,
comme par exemple celle de Rousseau, qu’il intitule Les Confessions.
2. L’argumentation est souvent orale et l’ensemble du corps participe à convaincre
l’auditoire : ainsi, le visage, les mains ou les gestes sont déterminants pour l’ora-
teur qui veut faire partager son enthousiasme à l’auditoire.
3. L’agneau de la fable de La Fontaine prouve son innocence au loup (comme
dans la question « Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ? »), mais c’est insuf-
fisant pour ce dernier.
4. De nombreux poèmes célèbres, comme « Le lac » de Lamartine ou encore
« Demain dès l’aube... » de Victor Hugo, s’inscrivent dans le registre lyrique.
5. Les comédies de Molière font rire mais, le plus souvent, traitent de sujets graves,
comme Tartuffe, Le Misanthrope, ou encore Dom Juan.

Exercice 4
1. Dans une pièce de théâtre, l’exposition présente en quelques scènes les per-
sonnages, donne le ton de l’œuvre et les caractéristiques de l’action. C’est par
452
exemple le cas dans la pièce d’Eugène Labiche intitulée La Station Champbaudet
(voir page 249), dont la première scène plonge d’emblée le spectateur dans l’am-
biance du vaudeville.
2. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les poètes rejettent les règles de la ver-
sification. On peut citer le cas de Rimbaud qui, après avoir multiplié les enjam-
bements dans ses Poésies (avec, par exemple, « Le dormeur du val »), écrit des
poèmes en prose qui se présentent comme autant de récits brefs et étranges.
3. La nouvelle présente une intrigue resserrée qui tient le lecteur en haleine plus
facilement que dans un roman. C’est notamment le cas chez Guy de Maupassant
qui, dans les quelque trois cents contes et nouvelles qu’il a écrits, fait preuve d’une
maîtrise parfaite du récit bref.
4. Le genre de l’éloge traverse les siècles et se retrouve aujourd’hui dans les com-
mentaires de nombreux médias. On le retrouve ainsi dans le discours publicitaire
(les affiches, les spots télévisés), mais aussi dans le discours critique des maga-
zines, qui accompagne la sortie d’un film ou d’un disque.
5. Le registre tragique ne s’exprime pas uniquement au théâtre. On le retrouve
par exemple au cinéma, où il est fortement présent dans certains films comme le
Titanic de James Cameron. On le retrouve aussi dans la littérature romanesque :
quoi de plus tragique que la fin de Paul et Virginie ? On le retrouve encore dans
certains poèmes, et cela dès leur titre parfois, comme pour Les Tragiques
d’Agrippa d’Aubigné.

Exercice 5
Titre Époque Créateur Héros
Paul et Virginie Fin XVIIIe Bernardin de Paul/Virginie
Roman
Saint-Pierre
Théâtre Roméo et Fin XVIe-début William Roméo/Juliette
Juliette XVIIe Shakespeare
« Le lac » Début XIXe Alphonse Lamartine/
Poésie de Lamartine Julie
Charles
Bonnie and Seconde moitié Arthur Penn Bonnie
Cinéma Clyde du XXe (1967) Parker/Clyde
Barrow

2. De tous temps, l’amour a été la principale source d’inspiration des artistes.


Tous les grands genres ont ainsi raconté le destin, souvent tragique, de nombreux
couples célèbres. C’est le cas pour le théâtre qui, avec le Roméo et Juliette du dra-
maturge anglais William Shakespeare, donne naissance à un mythe sans cesse
exploré depuis. C’est ainsi que le roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et
Virginie, connaît un immense succès en racontant lui aussi les amours impossibles
de deux jeunes gens que seule la mort réunira. En poésie, Alphonse de Lamartine
revient sur sa brève mais fulgurante liaison avec Julie Charles dans « Le lac ». Le
cinéma n’est pas en reste : des multiples couples qu’il met en scène, le plus célèbre
453
et le plus violent est peut-être celui formé en 1967 par Bonnie Parker et Clyde
Barrow dans le film d’Arthur Penn, Bonnie and Clyde. On le voit, l’amour a
inspiré toutes les formes d’art, pour le plus grand plaisir des spectateurs et des
lecteurs, qui vivent ainsi par procuration la passion extrême des amants que seule
la mort sépare.

454
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

48 Bien utiliser les citations


(PAGES 446-447)

Exercice 1
1. « (...) je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Je n’ai
pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être
un homme. » (Albert Camus, La Peste)
2. « On déclame sans fin contre les Passions ; on leur impute toutes les peines de
l’homme, et l’on oublie qu’elles sont aussi la source de tous les plaisirs (...) on ne
les regarde jamais que du mauvais côté. » (Denis Diderot, Pensées philosophiques)

Exercice 2
1. « Emma, c’est moi ! » s’exclame Gustave Flaubert, évoquant l’héroïne de son
roman Madame Bovary, publié en 1857.
2. « Pourquoi douter des songes ? La vie, remplie de tant de projets passagers et
vains, est-elle autre chose qu’un songe ? » s’interroge le narrateur du roman de
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788).
3. En 1802, dans Génie du christianisme, Chateaubriand déclare : « L’écrivain
original n’est pas celui qui n’imite personne, mais celui que personne ne peut
imiter. »

Exercice 3
1. a) Dans ses Carnets, publiés en 1957, Henry de Montherlant écrit : « Le temps
use une œuvre littéraire, les chefs-d’œuvre même, quoi qu’on en dise. »
b) Dans ses Carnets, publiés en 1957, Henry de Montherlant écrit que le « temps
use une œuvre littéraire, les chefs-d’œuvre même, quoi qu’on en dise. »
c) « Le temps use une œuvre littéraire », écrit en 1957 Henry de Montherlant dans
ses Carnets, « les chefs-d’œuvre même, quoi qu’on en dise ».
2. a) « Nos prétendues créatures sont formées d’éléments pris au réel (...). Les
héros de roman naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité »,
déclare François Mauriac dans Le Romancier et ses personnages (1933).
b) Dans Le Romancier et ses personnages, publié en 1933, François Mauriac
déclare que « nos prétendues créatures sont formées d’éléments pris au réel (...).
Les héros de roman naissent du mariage que le romancier contracte avec la
réalité ».
c) « Nos prétendues créatures sont formées d’éléments pris au réel », déclare en
1933 François Mauriac dans Le Romancier et ses personnages, ajoutant : « Les
héros de roman naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité. »
455
3. a) Dans la Préface de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883), Ernest
Renan affirme : « On ne doit jamais écrire que de ce qu’on aime. L’oubli et le
silence sont la punition qu’on inflige à ce qu’on a trouvé laid ou commun, dans
la promenade à travers la vie. »
b) Dans la Préface de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, publiés en 1883,
Renan affirme qu’« [on] ne doit jamais écrire que de ce qu’on aime. L’oubli et le
silence sont la punition qu’on inflige à ce qu’on a trouvé laid ou commun, dans
la promenade à travers la vie ».
c) « On ne doit jamais écrire que de ce qu’on aime », affirme Ernest Renan dans
la Préface de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883), ajoutant que « l’oubli
et le silence sont la punition qu’on inflige à ce qu’on a trouvé laid ou commun,
dans la promenade à travers la vie ».

Exercice 4
Le paragraphe rédigé
Dans ses fables Jean de la Fontaine met au service de son humour toutes les res-
sources de la stylistique. Il emploie ainsi de multiples figures de style dont les
Fables nous donnent de nombreux exemples. On peut ainsi citer le parallélisme :
« Entre la Veuve d’une année / Et la Veuve d’une journée / La différence est
grande... » (« La jeune Veuve », livre VI, fable 21). Mais on trouve également des
gradations : « Le Rat devait aussi renvoyer pour bien faire / La belle au chat, le
chat au chien,/Le chien au loup... » (« La Souris métamorphosée en fille », livre
IX, fable 7). Les antithèses sont fréquentes, comme par exemple dans « Le Chat
et le Rat « (livre VIII, fable 22) : « Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,/L’un
plein de désespoir, et l’autre plein de joie. » Quant aux métaphores, elles viennent
naturellement sous la plume du fabuliste avide de surprendre son lecteur : « Le
Réveille-matin eut la gorge coupée. » (« La Vieille et les deux Servantes », livre V,
fable 6).

Exercice 5
1. Rompant avec la tradition, Jean-Jacques Rousseau s’attaque, dans la Lettre à
d’Alembert sur les spectacles (1758), à la tragédie. Il affirme ainsi qu’elle est « si
loin de nous », qu’« elle nous présente des êtres si gigantesques, si boursouflés, si
chimériques que l’exemple de leurs vices n’est guère plus contagieux que celui de
leurs vertus n’est utile ». Le philosophe rejette ainsi l’idée de la catharsis selon
laquelle la représentation théâtrale permettrait au spectateur de se purifier, de se
libérer de toutes les passions dangereuses.
2. Jean-Paul Sartre déclare dans son essai intitulé Qu’est-ce que la littérature ?
(1947) : « Qu’il soit essayiste, pamphlétaire, satiriste ou romancier, qu’il parle
seulement de passions individuelles ou qu’il s’attache au régime de la société,
l’écrivain, l’homme libre, s’adressant à des hommes libres, n’a qu’un seul sujet :
la liberté. » On peut se demander, à la lecture de cette citation, si Sartre fait de
l’écrivain un philosophe plutôt qu’un poète.

456
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

49 Construire un paragraphe
(PAGES 448-449)

Exercice 1
• L’idée directrice : « Traditionnellement, la poésie a une dimension sacrée. »
• Les arguments :
– « Dans l’Antiquité, par la beauté de son chant, le poète est en effet perçu comme
l’intermédiaire entre les hommes et les dieux. »
– « Le Moyen Âge et la Renaissance préservent cette dimension élevée du texte
poétique. »
• Les exemples :
– « Homère chante ainsi dès le VIIIe siècle avant J.-C. la gloire des héros dans
l’Iliade et l’Odyssée. »
– « : Villon, Marot, Ronsard, Malherbe expriment par exemple la beauté de la
femme aimée ou la mélancolie ressentie devant la mort. »
• La phrase conclusive : « La poésie constitue en définitive le genre noble par
excellence, le seul qui soit capable d’exprimer par le langage les sentiments de
l’homme. »

Exercice 2
La reformulation de l’idée directrice : Avec Les Confessions, Jean-Jacques
Rousseau invente l’autobiographie.

Exercice 3
2. Le paragraphe rédigé
Hortensius ne parvient pas à séduire Lisette car celle-ci ne confond pas les pré-
tentions verbales de son compagnon avec l’éloquence véritable. Dans cette scène,
Hortensius tente ainsi de flatter et d’impressionner Lisette au moyen du subjonctif
(« me les rendît ») et de phrases longues (par exemple dans sa dernière réplique).
Au contraire, la jeune servante adopte une attitude moqueuse et ironique, en
faisant semblant d’être séduite par le discours d’Hortensius : « Mais ce que vous
me dites là est merveilleux ; je ne savais pas que mes beaux yeux enseignassent la
rhétorique. » En définitive, Hortensius échoue, non seulement parce qu’il ne maî-
trise pas l’art d’argumenter, mais aussi parce que Lisette n’est pas dupe du pouvoir
du langage, qu’elle maîtrise mieux que son interlocuteur.
457
Exercice 4
Le mouvement des Lumières conduit à la Révolution française. En effet, il se déve-
loppe dans un contexte historique et social favorable : expansion économique,
développement des voyages (comme ceux de l’Anglais Cook et du Français
Bougainville), essor d’une bourgeoisie avide de connaissance, qui se bouscule
pour lire l’Encyclopédie de Diderot, renouvellement des sciences et techniques
(grâce notamment à la révolution industrielle). Par ailleurs, il s’accompagne d’un
formidable développement de l’esprit critique : remise en cause des traditions, des
modes de gouvernement (par exemple, avec De l’esprit des lois, de Montesquieu),
des préjugés et des croyances religieuses (violemment attaqués par les contes phi-
losophiques de Voltaire). Enfin, tandis que le siècle fait preuve d’une grande foi
dans le progrès (cf. Condorcet) et dans la nature (cf. Rousseau), s’exprime éga-
lement une aspiration générale à la liberté, à l’égalité et à la tolérance : ces valeurs
nouvelles seront ainsi incarnées à la veille de la Révolution par le Figaro de
Beaumarchais.

458
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

50 Améliorer son style


(PAGES 450-451)

Exercice 1
1. Le personnage s’évanouit au début de la scène.
2. Le poète emploie de nombreux procédés de l’exagération dans la deuxième
strophe de son sonnet.
3. À travers cette dénonciation du travail des enfants, Hugo éveille les consciences
de ses contemporains, leur montre des conditions de travail trop cruelles.
4. Aujourd’hui, chacun voudrait être une idole, passer à la télé et devenir célèbre.
5. Tous les mouvements littéraires se retrouvent autour d’un chef de file, dont les
écrivains s’inspirent pour produire des œuvres originales.

Exercice 2
1. À travers les paroles du personnage, l’auteur (exprime, manifeste, clame) son
désespoir.
2. Au début de ce chapitre, (se trouve, apparaît, surgit) une description qui met
en place l’atmosphère du récit.
3. Le poète (file, crée, invente) une métaphore qui (présente, expose, introduit
le... dans) au lecteur un univers étrange.

Exercice 3
1. (L’être humain, l’humanité) a toujours eu besoin de l’art pour s’exprimer.
2. Dans ce discours à l’Assemblée, (l’orateur, le locuteur) s’attaque aux lois contre
la presse.
3. (Les spectateurs, le public) qui assistent à une représentation théâtrale ont en
général lu (la pièce, l’œuvre) avant de s’y rendre.

Exercice 4
1. Au XIXe siècle, les poètes rejettent les règles de la versification. C’est par exemple
le cas de Rimbaud et ses poèmes en prose.
2. Il y a mille manières d’écrire une autobiographie (qu’on peut définir comme
le récit de sa propre existence).
3. Dans « L’Auberge », Paul Verlaine utilise un langage simple en rupture avec la
tradition poétique : c’est aussi le cas d’Arthur Rimbaud dans « Le Cabaret-Vert ».

459
Exercice 5
1. Les deux poèmes (développent) le même thème, à partir de registres et de
formes poétiques (différents). Chaque auteur (explore) à sa manière les ressources
de la poésie. Mais l’un comme l’autre (ont) abandonné les contraintes de la ver-
sification (classique).
2. Paul et Virginie (vibrent) à l’unisson dans l’âme de (tous) les hommes, de
(toutes) les femmes et de (tous) les cœurs.
3. Au cœur de l’intrigue (se retrouvent) les procédés qui (déclenchent) chez le
lecteur un sentiment de peur (irrationnel ou irrationnelle), (caractéristique) du
registre fantastique.

Exercice 6
un anachronisme – une anagramme – un aparté – un astérisque – un dilemme –
un éloge – une épigramme – un épilogue – une épitaphe – une épître – une épi-
thète – une équivoque – un exergue – un hémistiche – un mémoire ou la mémoire
– un oxymore – un truisme.

Exercice 7
1. langage
2. bouleversé
3. Quelle que
4. Quant
5. leur

Exercice 8
1. donné
2. travaillé, interrompue
3. menée, conduit
4. menés
5. donnée

460
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

51 Rendre plus vivant


(PAGES 452-453)

Exercice 1
• Sujet 1
– statut des interlocuteurs : un éditeur à un écrivain
– lieu et époque de l’énoncé : aujourd’hui
– intention du message : définir le genre des mémoires, donner des conseils d’écri-
ture
– forme du message : une lettre.
• Sujet 2
– statut des interlocuteurs : un élève à d’autres élèves
– lieu et époque de l’énoncé : le lycée / le printemps
– intention du message : faire l’éloge de la poésie
– forme du message : article / éditorial publié dans le journal du lycée.
• Sujet 3
– statut des interlocuteurs : un écrivain et un animateur de radio
– lieu et époque de l’énoncé : aujourd’hui, dans un studio d’enregistrement
– intention du message : débattre du biographique
– forme du message : dialogue.
• Sujet 4
– statut des interlocuteurs : un auteur à des lecteurs
– lieu et époque de l’énoncé : aujourd’hui
– intention du message : défendre le genre du roman policier
– forme du message : préface à une anthologie.

Exercice 2
1. Je pense qu’il est difficile dans une autobiographie de faire la part entre la vérité
des faits et leur embellissement. Seule la sincérité la plus totale permet à mon avis
d’entraîner l’adhésion du lecteur.
2. Selon moi, il est certain que l’autobiographe ne doit pas chercher à combler
les lacunes de sa mémoire au moyen de récits ou d’événements parfois extrava-
gants car créés de toutes pièces.
3. Le genre des mémoires doit, à mon avis, apporter à la fois des informations
précises sur l’histoire et la société, de même qu’un regard original sur les épisodes
historiques dont le mémorialiste a été le témoin.
461
4. Je pense que pour intéresser et séduire le lecteur, l’auteur de mémoires ne doit
pas négliger de livrer au lecteur une part intime de lui-même, bien au contraire.
5. Il est pour moi particulièrement important d’évoquer, même brièvement, son
enfance, sa famille, les lieux où l’on a vécu, de manière à permettre au lecteur de
s’identifier à l’écrivain.

Exercice 3
Lire la poésie ne vous procure-t-il pas un plaisir intense ? Vous ne pouvez rester
insensible au mouvement solennel de l’alexandrin, comme au rythme plus vif de
l’octosyllabe. Par ailleurs, vous pourrez découvrir dans l’histoire de la poésie des
thèmes profondément humains : l’amour, la mélancolie, le temps qui passe, la
mort ont été chantés par tous les poètes. La poésie vous apportera le miroir dans
lequel vous vous reconnaîtrez, de même qu’un réconfort à vos chagrins et à vos
souffrances. Lisez la poésie et vous en écrirez bientôt vous-mêmes.

Exercice 4
Les arguments :
– L’écrivain n’est pas un personnage public, il ne vit qu’à travers son œuvre.
– Le lecteur en connaît suffisamment de l’écrivain à travers la lecture de son
œuvre.
– La fiction est plus séduisante que la réalité.
– Parler de soi équivaut à entreprendre une autobiographie.

Exercice 5
1. Je vous dirai pourquoi j’ai éprouvé le besoin de raconter ma vie, je vous dirai
pourquoi j’ai eu envie de mettre au jour mes sentiments et mes émotions les plus
intimes, je vous dirai pourquoi j’ai accepté de dévoiler mes secrets, ou encore de
porter un jugement juste et parfois sévère sur mes semblables (anaphore).
2. La mise en scène actuelle du théâtre de Molière me semble en renouveler le
sens, comme le jeu des acteurs contemporains me semble le mettre souvent bien
en valeur (parallélisme).
3. Le véritable plaisir du spectateur au théâtre repose sur la mise en scène d’un
texte qu’il a lu, qu’il connaît bien, qui l’a fait rêver (gradation).
4. L’échange de lettres a été de tout temps un important moyen de communica-
tion. Les écrivains y expriment tous leurs sentiments et y développent toutes leurs
idées. L’exemple de la marquise de Sévigné témoigne ainsi du formidable intérêt
littéraire d’une correspondance au XVIIe siècle (hyperbole).

462
L’ÉCRITURE
CHAPITRE

52 Retenir l’attention du lecteur


(PAGES 454-455)

Exercice 1
1. Né à Paris d’une mère écossaise et d’un père suisse, Blaise Cendrars s’est très
tôt considéré comme citoyen du monde : il mène une vie aventureuse et ses
voyages, réels ou imaginaires, lui inspirent de nombreux poèmes, comme ceux
recueillis dans Feuilles de route en 1924.
2. « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer » : la formule
de Figaro, l’insolent barbier de Séville, résume à elle seule la conception du
comique chez Beaumarchais.
3. Avec l’autobiographie, « l’humanité [trouve] son histoire intime dans chaque
homme », selon le mot de George Sand. La publication des Confessions de Jean-
Jacques Rousseau, de 1782 à 1789, a imposé l’autobiographie comme un genre
littéraire à part entière, dont s’inspireront par la suite des écrivains aussi diffé-
rents que George Sand, André Gide, Jean-Paul Sartre ou Georges Perec.

Exercice 2
1. Cet extrait d’Andromaque nous montre combien Racine met en scène des per-
sonnages qui nous ressemblent. Les personnages éprouvent en effet les passions
qui ont toujours déchiré le cœur humain : l’amour et la haine, l’amitié et la félonie,
la passion et la mélancolie, la tristesse ou la joie... Ainsi, Andromaque, veuve
inconsolée d’Hector, doit-elle épouser un homme qu’elle n’aime pas pour sauver
son enfant.
2. Chez Jean de La Fontaine, les moralités mettent souvent en valeur les rapports
de force, le despotisme ou l’hypocrisie royale. C’est par exemple le cas dans la
fable intitulée « Les Animaux malades de la peste » : « Selon que vous serez puis-
sant ou misérable, / Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. » Que
d’hypocrisie en effet, derrière la justice rendue par les puissants ! Le regard du
fabuliste présente ainsi une vision critique de la société du XVIIe siècle.
3. Monsieur Jourdain. – Ah ! Si vous saviez, mon ami, comme ce cours de philo-
sophie politique me fut profitable ! Il se mouche bruyamment. J’y ai découvert
mille choses toutes plus séduisantes que les autres, comme... comme..., attendez
un peu : j’ai la mémoire qui flanche... Qui diable m’a encore ainsi troublé la
mémoire ? Ne bougez pas, je vais chercher mes notes. Il sort.
Professeur de yoga. – Sacré Jourdain ! Il a autant de mémoire qu’une mule et
moins d’intelligence qu’un âne ! Mais, chut ! le voilà qui revient...
463
Exercice 3
1. La mise en scène d’une pièce est dictée par le texte théâtral
Transition : Il est donc nécessaire de respecter le texte théâtral et les indications
de mise en scène données par l’auteur. Cette interprétation du texte ne laisse-
t-elle cependant une place à la liberté et à l’imagination du metteur en scène ?
2. Le metteur en scène est libre de choisir acteurs, décors et costumes
Transition : On l’a vu, au-delà des dialogues, il existe de nombreuxéléments sur
lesquels le metteur en scène à tout pouvoir d’invention. Or, ce pouvoir est plus
grand encore si l’on considère que la mise en scène du texte théâtral en propose
nécessairement une interprétation personnelle.
3. Le metteur en scène est libre de proposer une interprétation personnelle du
texte

Exercice 4
Conclusion 1 : On le constate donc, la poésie a plusieurs visages. Polysémique
par nature, elle est connaissance des hommes, plaisir sensuel, émotion retrans-
crite, recréation du monde. Mieux encore, comme l’a écrit Éluard, la poésie offre
toujours au lecteur « de grandes marges blanches ». Et chacun peut écrire ou rêver,
dans ces marges, au vers qui prolonge le poème indéfiniment...
Conclusion 2 : Les formes de réécritures sont ainsi multiples. De l’imitation des
œuvres antiques au plagiat pur et simple, de l’allusion discrète à une œuvre célèbre
à son adaptation pour un nouveau public, elles s’inscrivent dans une longue tra-
dition qui, de Ronsard à Michel Tournier, permet de renouveler la littérature.
Chaque écrivain reçoit ainsi en héritage l’immense manuscrit sans cesse réécrit,
corrigé et raturé par la foule de ses prédécesseurs.
Conclusion 3 : En conclusion, il apparaît évident que tout roman reflète la vie,
les passions et les sentiments propres à une époque. Il n’est donc pas étonnant
que le roman se donne pour tâche, depuis ses origines, de dévoiler au lecteur l’in-
timité de ses héros. Cette vision personnelle de l’homme et du monde que nous
offre l’écrivain assure depuis le Moyen Âge le succès du genre romanesque.

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