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David NAVARO
ENTRETIEN – « Le sens de la République » FAIRE UN DON
avec Patrick Weil (1/2)
[lundi 05 décembre 2016] MOTS-CLÉ ASSOCIÉS

république politique idées


A l’occasion de la réédition en poche du Sens de la République, l’historien Patrick Weil poursuit
sa réflexion sur ce qui lie les Français et ce qui fonde leur identité commune. nation laïcité

Dans Le sens de la République, livre d’entretien avec le journaliste Nicolas Truong, Patrick Weil
livre une réflexion dense et claire sur la question de l’identité française, de son rapport à la
SUIVEZ-NOUS
Nation et à la République. Dans cet ouvrage salutaire, loin des passions et des fantasmes qui
entourent généralement les questions migratoires, il prône une vision équilibrée de ces
phénomènes tout en décryptant avec rigueur leurs effets sur la société française.

Directeur de recherche au CNRS  , spécialiste des questions de citoyenneté, d’immigration et de


laïcité, il a accordé à Nonfiction un long entretien que nous publions en deux parties. La première CRITIQUES ARTISTIQUE
est consacrée aux éléments de l’histoire récente qui contribuent à expliquer le sentiment de
désaffiliation vis-à-vis de la communauté nationale – qui se manifeste aussi bien dans le LITTÉRATURE
radicalisme musulman que dans le repli identitaire dont bénéficie le FN.
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polonais au Moyen Âge

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fourmi d’Isidore

Actuel Moyen Âge - Robin des Bois


Nonfiction : Une étude récente de l’Institut Montaigne intitulée «Un Islam français est possible» (2018) : retour vers le futur
pointe l’hétérogénéité de la communauté musulmane. Une communauté divisée en plusieurs
tendances et dont on a surtout retenu les 28% de sécessionnistes qui mettent la loi religieuse Toutes nos chroniques >>
au-dessus des principes républicains. Qu’en pensez-vous ?

Patrick Weil : Cette étude confirme ce que l’on savait déjà, la grande diversité du rapport à l’Islam
GRANDS ENTRETIENS
chez ceux qui peuvent y être rattachés. Mais, pour le reste, cette étude ne peut que susciter de
Puisque l’époque est juridique, il fau
sérieuses réserves. Patrick Simon a déjà dit en quoi les questions étaient ambigües et auraient comprendre ce qu’est le Droit
dû porter plus sur les pratiques que sur les opinions : par exemple au lieu de demander aux
La romanisation dans l'Empire roma
femmes si elles portent le voile, ou aux hommes si leurs conjointes ou les femmes de leur
famille le portent, on demande «pensez-vous qu’une femme doit porter le voile». 12 000 ans de changements climati
50 ans de réchauffement global
Mais il y a plus. D’abord, dans le questionnaire, il y a des erreurs qui ne sont pas des détails. Par
exemple : une fois qu’une personne a répondu qu’elle était française, on lui demande : «être vous Entretien - L'épuration lors de la Sec
Guerre mondiale
français de naissance ou par naturalisation ?». On peut s’interroger sur le fait de poser la
question, car quand on est français, on l’est sans distinction. Mais surtout, la question comporte Quatorze siècles d’histoire de l’arm
française avec Hervé Drévillon
une omission : les jeunes nés en France de parents étrangers sont le plus souvent français ni à
la naissance, ni par naturalisation, mais par simple déclaration dans leur adolescence ; ils n’ont Actuel Moyen Âge - Entretien avec
Faustine Harang
donc pas de place dans ce questionnaire.
Prenons ensuite la première question posée sur la religion: «êtes-vous chrétien, juif, musulman, Entretien avec Elise Petit à propos d
Musique et politique »
autre religion, sans religion ?». Pas d’option offerte sur l’agnosticisme qui représente 30% de la
Entretien avec Jérôme Baschet :
population française, pas non plus de possibilité de combiner: aujourd’hui beaucoup de gens se
«Défaire la tyrannie du présent»
ressentent chrétien, juif ou musulman et agnostique ou athée. Les questions sur le port du voile
Â
ou sur le financement des mosquées sont biaisées, à chaque fois, elles incitent à choisir les Actuel Moyen Âge – Entretien avec
Sylvain Piron
options qui vont être le plus en rupture avec la laïcité libérale.
Bref, on termine la lecture de ce questionnaire avec le sentiment qu’il contribue à enfermer nos Retour sur le totalitarisme fasciste,
Marie-Anne Matard-Bonucci
compatriotes ayant un lien avec l’Islam, dans une identité religieuse pour le moins forcée. Ce
sentiment devient constatation quand on lit le texte sur «l’histoire» des musulmans de France qui Tous nos entretiens >>
accompagne l’étude. La colonisation est bien évoquée mais dans une totale confusion des
statuts et des droits. Le mot «guerre» apparait 14 fois: Première, seconde guerre mondiale,
guerre civile algérienne, guerre contre Daesch. Mais la Guerre d’Algérie jamais. Il n’y a d’ailleurs DOSSIERS
dans le questionnaire soumis aux sondés aucune question sur l’histoire de France. Mai 68 : retrouver l’événement

Les Français de culture musulmane ne sont placés dans l’histoire de France que dans un rapport 1917-2017 : cent ans après la
à l’histoire de l’hexagone, du territoire central et européen de la France. De l’histoire des Révolution d'Octobre

territoires de l’empire français, il n’est pas fait mention. Ces compatriotes font pleinement partie DOSSIER – Faurisson, Irving, Jalkh
de l’histoire de France, mais ils sont absents de celle qui est contée ici. Ils sont donc traités dans l’éternel retour du négationnisme

cette étude à l’inverse des autres Français: ceux-ci sont sans conteste citoyens de leur pays, et DOSSIER – LA FRANCE A L'HEURE D
L'ITALIE (philo, histoire, lettres...)
font pleinement partie de l’histoire de France qui est spontanément leur histoire.
Hypothétiquement, ils peuvent aussi être rattachés à une religion, c’est leur choix individuel. Les DOSSIER – Le travail en débat
compatriotes de culture musulmane interrogés dans cette étude sont d’abord musulmans ou
dans un lien à la religion. Leur nationalité française est incertaine et leur présence dans l’histoire Tous nos dossiers >>

de France déplacée ou évacuée.


Cette enquête est donc défaillante méthodologiquement, et c’est dommage car il est tout à fait
légitime et même nécessaire d’évaluer et d’analyser les pratiques et les attitudes religieuses, et
d’appréhender le fondamentalisme. Mais elle est défaillante plus encore, du point de vue des
représentations et de l’idéologie qui la sous-tend. C’est grave, car ce mauvais travail aggrave
ainsi le principal problème auquel, en tant que Français, nous avons à faire face ensemble.

Quel est le principal problème dont vous parlez?

Le principal problème auquel aujourd’hui les Français sont confrontés, est qu’ils ne se sentent
pas assez compatriotes. D’un côté, une partie d’entre eux se disent «je ne reconnais plus le pays
dans lequel j’ai grandi» et sont souvent tentés par le vote Front national. D’un autre côté, une
partie se dit, «je suis français, mais je ne suis pas reconnu comme tel par mes compatriotes».
Comment donc expliquer ce phénomène?
La France est le plus vieux pays d’immigration d’Europe. Mais à la fin du XIXème siècle et dans la
première moitié du XXe siècle, la plupart des immigrés venaient de pays étrangers,
principalement d’Europe. Ils étaient conscients qu’ils venaient de l’étranger; eux-mêmes ou leurs
enfants apprenaient notre langue et acquéraient la nationalité française.
Les migrants qui sont arrivés dans l’hexagone dans la seconde moitié du XXème siècle sont
venus en majorité de territoires français. Ils étaient le plus souvent déjà français et parlaient
français. Pourtant, ils ont souvent ressenti et continuent de ressentir qu’on ne les a pas reconnus
comme compatriotes. Et cette non-reconnaissance, elle a aussi été ressentie par nos
compatriotes venus des départements d’outre-mer qui restent partie prenante de la nation
française.
Elle vient en grande partie d’une méconnaissance de l’histoire de France qui peut même être
celle des plus grands historiens du pays. Après le vote de la loi Taubira en 2001, plusieurs
historiens français emmenés par Pierre Nora et Françoise Chandernagor, signent un texte intitulé
«Liberté pour l’Histoire» en soutien à l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, poursuivi pour avoir
contesté dans un entretien accordé au Journal du dimanche le caractère de crime contre
l’Humanité appliqué à l’esclavage.
Mes collègues réclament pour lui la liberté de penser, de parler et d’écrire, et bien sûr je les suis
sur ce point. Ils soutiennent sur le fond l’idée que la reconnaissance de l’esclavage comme crime
contre l’humanité est anachronique, cette notion n’ayant été reconnue en droit qu’au XXème
siècle par le tribunal de Nuremberg qui jugeait les criminels nazis. Et là, selon moi, ils se
trompent. Le concept de crime contre l’Humanité a, en réalité, été créé en droit français et puni
en tant que tel par la Convention au moment de la première abolition de l’esclavage en 1794. Il
réapparait dans le décret d’abolition de 1848 qui abolit définitivement l’esclavage, après que
Napoléon l’eut rétabli en 1803, et le déclare «crime de lèse-humanité».
La pratique de la traite ou l’achat de nouveaux esclaves est puni de la déchéance de la
nationalité. S’exprimant au nom du gouvernement, Victor Schœlcher déclare alors : «La qualité
de maître devient incompatible avec le titre de citoyen français: c’est renier son pays que d’en
renier le dogme fondamental». C’est un moment important de l’histoire de France et même du
monde dont tous les Français pourraient être fiers. Pourtant, il reste le plus souvent méconnu.
Une histoire, plus difficile à écrire encore, est celle de la colonisation. Car si personne ne
conteste aujourd’hui l’horreur et l’immoralité de l’esclavage, la colonisation fait, quant à elle,
l’objet de vives querelles d’interprétation.
Cette histoire-là, il faut pourtant l’enseigner. Elle fait partie de l’histoire de France et il faut que
chacun la connaisse au même titre qu’il apprend à connaître l’histoire de la France d’Europe. La
majorité des républicains – il y a des exceptions comme Clemenceau- voyaient en la
colonisation l’inverse de l’esclavage, puisque les colonisés étaient traités en être humains à
civiliser. Mais la colonisation ce fut, les massacres, les violences et les discriminations
institutionnelles. Les valeurs de la République étaient bafouées, mais elles ont contribué à
inspirer les combats et la décolonisation.
C’est donc bien une histoire de progrès que l’on peut ici raconter comme telle sans pour autant
écrire un roman: sous les Rois de France, se pratiquaient l’esclavage et la colonisation. La
République a aboli l’esclavage mais elle a continué de coloniser. Puis la décolonisation est venue
fruit du combat anticolonial d’abord menés par les colonisés, soutenu aussi en métropole. C’est
en connaissant mieux et en partageant cette histoire commune que nous pourrons mieux
nous considérer compatriotes. C’est la thèse centrale de mon livre.

Vous avez mentionné la Guerre d’Algérie, pourquoi est-ce si important?

La colonisation a été plurielle, différente au Sénégal, au Vietnam ou au Maroc. L’Algérie est un


cas très particulier car c’est le sommet de nos contradictions. C’est un territoire qui a été
pleinement intégré à la République en 1848. C’était la France avant même Nice et la Savoie.
C’était la république et pourtant jusqu’à l’indépendance, les principes de notre république –
l’Egalite, la laïcité, la liberté - ne s’appliquaient pas à la majorité des habitants de ce territoire. Ils
avaient un statut spécial, rattaché à leur religion, on les appelait les musulmans d’Algérie. Ils
étaient français et pourtant on ne leur reconnaissait qu’une seule identité: la religion.
Cette affectation à la seule identification religieuse qui s’appliquait en Algérie est réapparue, de
nos jours, au centre de notre vocabulaire courant. Pourquoi applique-t-on à certains Français une
dénomination religieuse que l’on n’applique pas aux autres? Chacun peut dire ou non cette
appartenance éventuelle. Mais on ne se désigne pas entre Français - catholiques, protestants,
juifs dans la vie courante. Les distinctions spontanées se font par lieu, ville ou par pays, région
d’origine - l’Alsace ou la Bretagne, et on pourrait donc aussi dire d’Afrique ou d’Afrique du Nord...
Mais l’Algérie, c’est aussi la guerre qui a laissé des blessures profondes qui réapparaissent
aujourd’hui. Au moins quatre catégories de Français ont laissé une partie de leur cœur en
Algérie: les juifs - présents avant la conquête arabe, les pieds noirs, les harkis et, enfin, ceux qui
ont combattus pour l’indépendance qui sont devenus algériens avant de redevenir français. Tous
sont sortis de cette guerre avec le sentiment d’avoir été abandonnés ou trahis: les trois premiers
groupes par de Gaulle, le dernier par leur propre gouvernement issu du FLN.
Pour bien comprendre ce qui se joue ici, permettez-moi de faire un détour par un autre moment
important de notre histoire. Celui de la seconde guerre mondiale et de la persécution des Juifs.
Dans un livre Vichy, un passé qui ne passe pas, publié en 1994, Henri Rousso et Eric Conan
analysaient le rapport névrosé d’un certain nombre de Français juifs au régime de Vichy le
qualifiant d’«obsessionnel». L’histoire de ce régime a été déjà faite et refaite, les archives sont
ouvertes, et pourtant elles sont dénoncées comme cachées ou inaccessibles; on exige et on
obtient de commémorer de plus en plus, pas toujours de façon cohérente, en confondant
souvent persécutions nazie et vichyssoise et en négligeant la Résistance intérieure jusqu’à ne
voir dans Vichy que la persécution des juifs. Et les auteurs d’inciter à cesser cette obsession et
de regarder vers l’avenir. Ma question est la suivante: si l’obsession est le bon diagnostic, en a-t-
on tiré les bonnes conclusions ?
Si vous allez voir un psychanalyste parce que vous êtes obsédé par une personne ou un
événement, il ou elle va s’efforcer de trouver la vraie cause de l’obsession. Pour Freud en effet,
l’objet de l’obsession –ici Vichy- n’est pas l’objet réel vraiment pénible que l’individu s’efforce
d’oublier. Si des juifs français souffrent donc individuellement ou collectivement d’une obsession
de Vichy, c’est que Vichy n’est pas la cause du problème.
Selon moi, la cause réelle de cette obsession est une blessure infligée aux juifs de France,
quelques mois après la guerre des Six-Jours, par le général de Gaulle, lorsqu’au cours d’une
conférence de presse, il a évoqué un «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur». Les Juifs
ont été profondément heurtés par cette déclaration. Ce n’était pas une attaque venue de
l’extrême droite antisémite, comme ils en avaient tant subie.
Le coup symbolique qui les ramenait à la période de Vichy avait été porté par le libérateur du
pays et héros de la Résistance, le père protecteur de la nation et les avait d’autant plus meurtris.
Mais De Gaulle jouissait d’un statut d’intouchable, d’inattaquable, les Juifs de France solidaires
d’Israël étaient soupçonnés de double allégeance. Ils reportèrent en obsession, leur colère sur
Vichy, sur qui on peut cogner sans être contesté, faute de pouvoir l’exprimer contre de Gaulle.
Voilà donc que 50 ans après l’indépendance, ces quatre catégories de Français, Les Pieds Noirs,
les Juifs, les Harkis et les Algériens redevenus français ont l’impression de vivre la même
situation qu’avant l’indépendance: les uns se voient envahis, bientôt remplacés par des Arabes
de plus en plus religieux et violents; les autres retournés au statut de juifs du décret Crémieux,
persécutés comme tels et soumis à un antisémitisme effréné. Les autres discriminés au
quotidien, pas vraiment Français, en tous cas pas reconnus comme tels.
Et cette crainte de reproduction du passé, ils nous l’expriment jusqu’à nous l’imposer comme
schéma d’interprétation de ce qui nous arrive aujourd’hui en tant que pays. Mais beaucoup de ce
sentiment vient du fait que l’on n’a pas réussi à affronter – ensemble- ce passé commun; chaque
groupe reste enfermé dans une mémoire cloisonnée qu’il faudrait pouvoir discuter et vérifier. Là
encore revient la figure de De Gaulle. Il fut un très grand héros de l’histoire mondiale, on lui est
redevable d’avoir mené à terme la décolonisation, mais c’est aussi un homme qui a pu faire des
erreurs. Tout préoccupé qu’il était de stratégie et de grandeur de la France, il ne prêtait pas assez
attention à la sensibilité de ses compatriotes et nous a légué de multiples blessures collectives
que nous n’avons pas encore pansées. Pour beaucoup, il reste intouchable. Pour d’autres, c’est le
FLN.

On assiste à l’émergence dans une part de plus en plus grande de la population de nouvelles
craintes liées à l’immigration. On a vu fleurir dans l’espace public des expressions comme
«Grand Remplacement» ou «remigration». Comment interprétez-vous cette angoisse de voir
son identité noyée dans un métissage destructeur ? Si l’étude scientifique révèle que
l’intégration se passe mieux qu’on ne le dit, que répondre à ceux qui ressentent le contraire
dans leur vie quotidienne ?

A la fin du XIXème siècle, l’Action Française développait déjà le thème du Grand remplacement,


principalement à l’encontre des quelques milliers de Juifs de France en voie de naturalisation. Et
puis à nouveau, après la loi du 10 août 1927 sur la nationalité. Le directeur du Figaro de l’époque,
François Coty écrivait alors: «Trois millions de français vigoureux, sains honnêtes, ont été
poussés à l’abattoir pour qu’on pût leur substituer la vermine du monde. Le gouvernement
occulte des Trois Cents, qui constitue une véritable internationale, a essayé de remplacer la race
française en France par l’introduction d’une autre race; elle a réglé d’abord la destruction des
vrais Français».
Tout y était déjà, nihil novi sub sole. Renaud Camus n’a rien inventé, il n’a fait que recopier. Il n’y a
pas de remplacement, seulement des additions. Mais si ce discours prend parfois, c’est en
raison des fantasmes sur l’immigration et du refus de regarder là encore l’histoire en face.
Il n’y a eu ni complot «immigrationniste» ou à l’inverse «antimusulman». Le regroupement
familial n’a pas commencé en 1976, il remonte aux origines de l’immigration en France et il a
plutôt baissé après 1976. Aujourd’hui, l’immigration vers la France est plutôt bien régulée quand
on la compare avec d’autres pays. La France est riche de la diversité qui la compose.
Dans 20 ans, elle sera le premier pays d’Europe par sa population. Contrairement à ce qu’on
entend à longueur de journée, l’intégration se fait, et ce malgré les immenses obstacles posés
par l’existence d’un chômage structurel depuis 1974, qui touche en priorité les immigrés et leurs
enfants. Malgré ce terrible frein, 70% des immigrés ont un emploi. C’est insuffisant, trop
nombreux sont ceux qui n’en ont pas mais cela permet également de nuancer le phénomène de
délitement de l’école républicaine.

La République est aujourd’hui un marqueur partagé par la majorité des Français. C’est une
référence absolue de moins en moins remise en question et constitutive de notre identité
politique. Mais c’est surtout un mot dont le sens a été dévoyé et dont les traductions sont
flottantes et soumises à des interprétations antagonistes. En effet, il existe aujourd’hui un
tropisme fort qui oppose ceux qui veulent une République forte et intransigeante, à ceux qui la
somment de se réformer en appelant à des accommodements raisonnables. De quelle
République parlez-vous ?

Avant toute chose, une définition des termes s’impose. La République est d’abord un régime
politique fondé sur la souveraineté de citoyens égaux devant la loi. Longtemps être républicain
c’était s’opposer à la monarchie ou à l’empire; pour faire prévaloir ce régime, ce fut d’une longue
bataille politique. Mais en République, les citoyens ne tiennent ensemble, non par l’attachement
à la couronne – à la Reine ou au Roi – comme sous une monarchie, mais par la définition et la
redéfinition d’un bien commun, qui lui donne sens; se contenter d’un simple «vivre ensemble»
c’est dévitaliser la république, la vider de sa substance.
Ce bien commun s’inscrit dans des valeurs construites par l’histoire. J’identifie à ce titre quatre
piliers de l’identité nationale républicaine: le principe d’égalité, la mémoire de la Révolution
française, la langue française et la laïcité.
Le premier est l’égalité devant la loi et nous vient du catholicisme dans le cadre duquel tous les
croyants sont égaux devant l’Eglise. Il a été étatisé, laïcisé sous les Rois de France, amplifié
pendant la Révolution avec par exemple l’abolition des privilèges. Plus tard, le code civil, pour la
première fois en Europe, a proclamé l’égalité dans l’héritage de tous les enfants, mâles ou
femelles. Le principe d’égalité proclamé n’est jamais abouti mais il continue de travailler en force
la société française et d’inspirer des réformes fondamentales comme le mariage pour tous.
La langue, instrument de puissance du royaume puis d’unification de la république, et de l’école
pour tous a, en France, un statut particulier. Elle donne à l’intellectuel une place sans pareille et
rayonne dans le monde. La mémoire -le plus souvent positive- de la Révolution, a des
conséquences jusqu’à aujourd’hui sur le mode d’expression politique des Français même de
droite: le peuple français s’exprime souvent dans la rue, et il est connu pour cela dans le monde
entier. Enfin, il y a la laïcité fondée sur la liberté de conscience.
Notre République s’est construite à travers ces piliers qui nous unissent et nous distinguent,
nous Français, des autres pays. Connectés les uns aux autres, ces quatre piliers donnent sens à
ce que nous sommes et tracent les contours de notre destin commun. Ils se conjuguent ainsi
sans contradiction avec un très grand respect de la diversité des Français. L’opposition entre
fermeté et accommodement est donc artificielle, elle révèle une méconnaissance de ces
principes et de notre histoire. Prenons l’exemple de la laïcité.
C’est d’abord du droit: la loi de 1905- est fondée sur la liberté de conscience, d’où découlent la
séparation des Eglises et de l’Etat, et le respect de toutes les options spirituelles ou religieuses.
Mais il existe souvent une grande différence entre le droit et les croyances sociales. Aux Etats-
Unis par exemple on peut blasphémer, brûler la bible ou le coran, c’est légal. Mais si vous
émettez le moindre doute sur l’existence de Dieu, vous n’avez aucune chance d’être élu dans une
élection. Une partie importante des Américains ne font pas confiance aux non croyants. Chez
nous, le droit est assez proche du droit américain, mais la majorité des Français sont athées ou
agnostiques. Et c’est quand on est croyant que l’on ressent qu’une partie de ses compatriotes ne
vous font pas confiance car ils tiennent parfois même la foi pour une forme d’arriération.
La laïcité est d’abord un régime juridique fondé sur la liberté de conscience y compris la liberté
de croire. On peut être croyant et adhérer totalement à la laïcité dès lors que cette croyance
s’exerce sans pression. L’article 31 de la loi de 1905 punit d’ailleurs pénalement toutes les
pressions exercées soit pour forcer soit pour empêcher d’exercer un culte. Pour mieux l’assurer,
cette liberté de conscience s’organise différemment selon les espaces et selon les publics. Dans
une école publique par exemple, les règles communes de neutralité s’imposent qui ne sont pas
les mêmes sur une plage !
Alors, si on est rationaliste ou athée, on peut se désespérer d’un retour du religieux chez certains
de nos compatriotes. S’il est librement consenti c’est leur droit le plus absolu. Et si l’on veut le
réduire, alors il faut offrir à chacun des perspectives vers d’autres façons de penser que la
religion. Je pense notamment aux programmes d’histoire et aux bibliothèques, par excellence
lieux de savoir, de curiosité et d’ouverture d’esprit. Des lieux qui en France plus qu’ailleurs ont des
horaires très limités alors qu’y accéder devrait être un droit quasi permanent et gratuit; car les
bibliothèques sont au fondement de la lutte contre les inégalités d’accès aux savoirs et à
l’information et tant elles sont les phares de la laïcité.

                                                        * Propos recueillis par David Navaro.

A lire également sur Nonfiction :

La seconde partie de ce long entretien avec Patrick Weil

Toutes nos critiques des livres de Patrick Weil.

5 commentaires

François Carmignola 05/12/16 22:04

"Dans cet ouvrage salutaire, loin des passions et des fantasmes qui entourent
généralement les questions migratoires, il prône une vision équilibrée de ces
phénomènes tout en décryptant avec rigueur leurs effets sur la société
française."

Il s'agit bien sur de faire le contraire, l'ampleur de la provocation menée par


Patrick Weil dans cet article dépassant tout ce qu'on peut imaginer.
L'insulte graveleuse caractérisée au sujet de l'affaire Pétré Grenouilleau est
insupportable, sans parler de l'assimilation des remplacements: le juif des
années trente valant le musulman des années 70 (facteur cent entre les deux,
même si ce cela ne fait toujours pas le compte) et bien sur du crime de De
Gaulle contre les juifs, bien au delà de Vichy et inversion caractérisée, mieux:
folie manifeste.
Patrick Weil est parti à l'ouest, hors de la vie et du réel des jugements
partagés.

L'immigration en voie d'intégration est deux fois plus au chômage, et le


visionnaire isolé se plaint des horaires des bibliothèques quand l'internet est
partout. Plus que quelques mois avant que l'insupportable oppression de ces
cuistres ne cesse.

Pierre 07/12/16 09:56

Mon dieu, mais quels propos niais, creux et irénique. Il ne suffit pas de
prendre le contrepied de Finkielkraut pour avoir raison. S'en prendre à
l'excellente étude de l'institut Montaigne, dont on peut toujours discuter les
détails et les méthodes bien sûr, est calamiteux - étude dont il faut rappeler
qu'elle est le fruit d'une réflexion au sein de l'élite de culture arabo-
musulmane, bien placée pour mesurer la difficulté des questions. Weil et ses
( )
semblables (à Médiapart probablement...) sont un élément du problème, pas
la solution.

Pierre 07/12/16 10:01

A relire l'entretien, on se rend compte qu'il dit n'importe quoi sur le plan
historique, avec un mélange maladroit de références communes. Ce qui fait
penser dans un genre différent, mais en moins délirant, aux élucubrations de
Todd sur les manifestations de 2015, et la France Zombie.

Vince 13/12/16 19:15

Je suis d'accord pour dire que les références historiques posent problème: il
est juste de parler du rôle de la guerre d'Algérie mais je ne vois pas en quoi
cela invalide l'étude de 'lInstitut Montaigne - au contraire, la guerre d'Algérie a
inscrit le Musulman comme une catégorie en droit français (vue comme
étrangère au peuple français après l'indépendance de l'Algérie - cf le livre de
Tod Shepard qui l'explique bien).
Ensuite la référence à De Gaulle est délirante - l'obsession de Vichy renvoie à
un imaginaire collectif de la nation ethnique (largement refoulé et pourtant
bien présent) et de Gaulle est plutôt allé à l'encontre (avec toutes les réserves
qu'on pourrait émettre sur la décolonisation - fondée sur une domination au
moins implicite de la métropole, voir la Françafrique et la suite...)

Jean B 14/12/16 18:02

Franchement, on comprend rien à ce texte, en tout cas avant la toute fin de


cette partie d'entretien, et encore. Suffit-il de mobiliser l'histoire pour être
éclairant ? Ne pourrait-on donner au lecteur quelques repères avant de
l'entraîner dans de pareils méandres ?

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