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ÉDITORIAL

Le Courage de la vérité est le dernier cours prononcé par Foucault au


Collège de France durant l’année 19841. Celui-ci ne détermine pas le sens
ultime de l’œuvre du philosophe pas plus qu’il ne déploie une totalisation
unifiée de son parcours théorique. La parrêsia – le dire vrai ou le franc-
parler – en est le fil conducteur et l’occasion de reprendre et déplacer, une
fois encore, la question des rapports entre politique et vérité, de repenser
une « politique de la vérité ».
Dans un cours antérieur, Foucault avait déjà esquissé la perspective
d’une éthique du soi comme « tâche urgente, fondamentale, politiquement
indispensable  », tant il est vrai écrivait-il «  qu’il n’y a pas d’autre point,
premier et ultime, de résistance au pouvoir politique que dans le rapport de
soi à soi2 ». L’exigence éthique du parrésiaste, celui qui dit vrai au mépris
des convenances, participe d’un souci de soi dont les effets sont directe-
ment politiques dans la mesure où ses paroles manifestent une vérité autre,
une vérité qui n’est pas celle du pouvoir et qui le met en crise3. Il n’est ni un
prophète qui délivre aux hommes une vérité énigmatique venue d’ailleurs et
leur fait entendre une voix qui n’est pas la sienne, ni un sage à la recherche
d’une vérité qu’il ignore. Celui qui dit vrai fait preuve d’une vive attention
au présent associée au courage de ne pas plier face à des instances gouver-
nementales, quelles qu’en soient les formes. Foucault met d’ailleurs en
exergue les tensions inhérentes à l’exercice d’une parrêsia démocratique4.
Dans la leçon du 8 février 1984, il commente le chapitre des Politiques5
dans lequel Aristote parvient à l’idée que l’on ne peut soumettre à l’ostra-
cisme un citoyen qui serait éminemment vertueux, que les autres citoyens
doivent au contraire se soumettre à lui de bonne grâce. Foucault conclut :
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« S’il y a vraiment quelqu’un de vertueux, que la démocratie disparaisse et


que les hommes […] lui obéissent comme à un roi. »
Cette intensité politique distingue la parrêsia d’autres pratiques de
véridiction qui ont émergé au cours de l’histoire : celle du pénitent et de
son confesseur, du dirigé et du directeur de conscience ou encore celle du
malade et du psychiatre. Loin d’être une obligation de dire vrai sur soi-
même, la parrêsia s’apparente à une «  indocilité réfléchie  », à un art de
« l’inservitude volontaire », à cette attitude critique dont l’exposition est
CAHIERS PHILOSOPHIQUES

■ 1. Le Courage de la vérité (Le gouvernement de soi et des autres II), cours au Collège de France, 1983-
1984, Paris, Seuil-Gallimard, 2009.
■ 2. L’Herméneutique du sujet, cours au Collège de France, 1981-1982, Paris, Seuil-Gallimard, p. 240.
■ 3. Cf. F. Rambeau, « La critique, un dire vrai », notamment p. 34.
■ 4. Cf. J. Terrel, « De la critique de la volonté de vérité au courage de la vérité », p. 25 sq.
■ 5. Aristote, Les Politiques, III, 13, 1284b, GF.
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reprise par Foucault en 1984 dans « Qu’est-ce que les Lumières6 ? » et qui
consiste en un rapport à soi dont la finalité est d’interroger sans relâche les
principes et les raisons de l’obéissance à des instances de gouvernement.
La critique se définit comme « le désassujettissement dans le jeu de ce que
l’on pourrait appeler, d’un mot, la politique de la vérité7. »
Dans L’Ordre du discours, leçon inaugurale au Collège de France
prononcée en décembre 1970, la volonté de vérité était présentée comme
ce qui ordonne toute volonté de savoir et elle était identifiée à une « formi-
dable machinerie destinée à exclure ». Dans les deux dernières années de
sa vie, Foucault revient sur ces propositions, pour affirmer la continuité de
son travail en même temps qu’il rend compte de déplacements significa-
tifs8. Ceux-ci n’ont pas le sens d’une réorientation d’ensemble, ils consistent
plutôt en des reprises à partir d’éclairages différents, de découpages plus
fins, qui ouvrent à des problématisations nouvelles. C’est ainsi que dans le
cours de 1973 sur le pouvoir psychiatrique, Foucault revient sur l’Histoire
de la folie parue en 1961. Il s’adresse le reproche d’y avoir trop souvent usé
de la notion de « violence » sans interroger l’opposition implicite qu’elle
suppose entre un pouvoir violent et un pouvoir qui ne le serait pas, et
d’être passé à côté de la caractéristique physique essentielle à tout pouvoir.
De ce retour réflexif naîtra une nouvelle approche des corps au sein d’une
«  microphysique du pouvoir9  ». De la même manière, la perspective du
« courage de la vérité » ne contredit pas celle de la « volonté de la vérité »,
elles participent toutes deux à cette entreprise aux multiples facettes, d’une
«  histoire de la pensée en tant qu’elle est pensée de la vérité10.  » Dans
Le Courage de la vérité, la figure d’un Socrate non sage mais parrésiaste,
donne corps à l’idée que nous devons transformer notre existence pour
accéder au vrai, transformation qui nous engage à constamment vivre et
penser autrement. Le souci de soi, pratique d’une «  vie vraie  », ne nous
entraîne pas hors de ce monde mais vers l’horizon d’une vie qui soit autre
que celle qu’on mène, d’une vie définie par sa dimension d’incertitude11.
Pourquoi parler avec la parrêsia d’une « politique de la vérité » ? On
pourrait considérer qu’on se trouve bien davantage sur le terrain éthique.
C’est cette opposition même que Foucault conteste lorsqu’il insiste sur les
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trois éléments fondamentaux impliqués dans toute expérience : un jeu de


vérité, des relations de pouvoir, des formes de rapport à soi12. Ce sont aussi
les trois pôles irréductibles et inséparables  de son travail philosophique,
dans une dimension à la fois théorique et pratique. Dans un entretien de
1983, traduit sous le titre de « Politique et éthique13 », Foucault évoque « le
peu de lien “analytique” qu’il y a entre une conception philosophique et
l’attitude politique concrète de celui qui s’en réclame ». Les « meilleures »
théories, ajoute-t-il « ne constituent pas une protection bien efficace contre
CAHIERS PHILOSOPHIQUES

■ 6. Dits et Écrits, II, Gallimard Quarto, p. 1391. Voir p. 10 et p. 32 de ce numéro.
■ 7. Cf. J.-C. Vuillemin, « Réflexions sur l’épistémè foucaldienne », p. 48.
■ 8. Cf. J. Terrel, « De la critique de la volonté de vérité au courage de la vérité », p. 7-28.
■ 9. Cf. M. Potte-Bonneville, « Les corps de Foucault », p. 82.
■ 10. Dits et Écrits, II, Gallimard Quarto, p. 1361, cité p. 10.
■ 11. Cf. « La vraie vie », entretien avec M. Potte-Bonneville, in Cahiers philosophiques n° 120.
■ 12. Dits et Écrits, II, Gallimard Quarto, p. 1415, cité p. 34.
■ 13. Ibid., p. 1404.
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des choix politiques désastreux  ». La clé de l’attitude politique person-


nelle d’un philosophe ne se trouve pas dans ses idées, comme s’il y avait
une déduction possible de l’une à l’autre, mais dans sa philosophie comme
vie, son êthos. La parrêsia, dont un des critères est l’accord des paroles et
des actes, participe d’une vie philosophique aux engagements politiques
multiples et imprévus. « Il m’a toujours importé de lier, d’une façon aussi
serrée que possible, l’analyse historique et théorique des relations de
pouvoir, des institutions et des connaissances avec les mouvements, les
critiques et les expériences qui les mettent en question dans la réalité. »
Faut-il mettre sur le compte d’une telle attitude la série de textes que
Foucault écrit au sujet de la révolution iranienne  en 1978-1979, textes
qui ont suscité de vives polémiques14 ? Dans le dernier article qu’il publie
avant de se taire définitivement sur ce sujet, Foucault revendique son statut
d’intellectuel et une « morale antistratégique » au nom de laquelle il affirme
respecter «  toute singularité qui se soulève  » et faire preuve d’intransi-
geance dès que « le pouvoir enfreint l’universel15 ». C’est le soulèvement
de 1978 contre le régime du chah, l’« énigme du soulèvement », qui retient
l’attention de Foucault, à un moment où le devenir de cette insurrection
n’est pas scellé. Pour rendre compte de cette série d’événements, singuliè-
rement de la tentative du peuple iranien « pour ouvrir dans le politique une
dimension spirituelle », il cherche à se frayer un chemin entre deux para-
digmes qu’il rejette, celui du fondamentalisme théologico-politique et celui
de l’idéologie et déploie à cette fin une notion de « spiritualité politique16 ».
Cette inventivité conceptuelle à l’épreuve de l’événement est emblé-
matique de la démarche foucaldienne, réfractaire à toute philosophie
qui se contenterait d’appliquer des schémas déjà donnés pour «  dire la
vérité » d’une situation. Le philosophe peut être parrésiaste en ceci qu’il se
distingue d’un prophète, d’un sage, mais aussi d’un savant. Le dire vrai ne
consiste pas à exprimer une vérité que l’on aurait déjà atteinte par quelques
moyens que ce soit, mais à en expérimenter une nouvelle, aux prises avec
ce qui est en train d’advenir.

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CAHIERS PHILOSOPHIQUES

■ 14. Cf. J. Cavagnis, « Michel Foucault et le soulèvement iranien de 1978 : retour sur la notion de “spiritualité
politique” », p. 51.
■ 15. « Inutile de se soulever ? » in Dits et Écrits, II, Gallimard Quarto, p. 794.
■ 16. Cf. J. Cavagnis, art. cit., p. 55.
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