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PARTIE Croissance, mondialisation

1 et mutations des sociétés


❯ MANUEL PAGES 16-79

Voici un extrait des programmes 2010 : « Le Problématique : dans quelle mesure les muta-
professeur peut articuler les thèmes et les ques- tions économiques et la mondialisation ont-elles
tions dans un ordre différent de celui de leur modifié la géographie des puissances à l’échelle
présentation, à l’exclusion du thème 1 qui planétaire et transformé les populations actives ?
ouvre obligatoirement la mise en œuvre du
programme. » Doc. 1. Des ouvriers au travail dans l’usine
de construction de matériel électrique
Avec ce thème – Croissance économique, de la société Alsthom à Belfort en 1932
mondialisation et mutations des sociétés depuis le Cette photographie de François Kollar illustre le
milieu du XIXe siècle (9-10 heures) –, et comme thème de l’industrialisation, qui fut entre le milieu
pour les précédents programmes, c’est donc l’his- du XIXe siècle et la fin du XXe siècle le moteur
toire économique et sociale qui ouvre l’année de des économies en développement. L’homme est
première. Mais l’angle a changé : le programme quelque peu écrasé par la machine, il semble même
n’est plus centré uniquement sur les pays à fort avalé dans ses rouages, à l’instar d’un Chaplin
niveau de développement (Europe occidentale, dans Les Temps modernes (1936). L’étude de la
Japon, États-Unis), il englobe désormais toutes croissance économique implique une réflexion
les régions du monde. En outre, une approche sur le travail et ses modifications.
dans le long terme est privilégiée (de 1850 à nos
jours) même si cela ne devra pas nous conduire Doc. 2. Le port de Singapour, 2004
à négliger la chronologie et les grandes phases Plus habituelle dans un manuel de géographie,
de l’histoire économique. Autre nouveauté et cette photographie illustre un autre thème majeur
autre intérêt du programme : la mondialisation du programme d’histoire, la mondialisation. Si
cesse d’être un thème abordé uniquement en le phénomène remonte au XIXe siècle, il s’accé-
géographie, il prend une épaisseur historique, son lère aujourd’hui. Les ports (au premier plan) et
étude nous conduisant à remonter au XIXe siècle. les métropoles (à l’arrière-plan) sont les centres
Enfin, l’immigration cesse d’être abordée à la d’impulsion de la mondialisation, et l’Asie est au
marge, elle occupe fort légitimement une place cœur de ce processus.
plus conséquente dans le nouveau programme
(voir chapitre 2). Doc. 3. Ancienne usine textile abandonnée,
France
Les deux questions composant ce thème consti-
tueront les deux premiers chapitres du manuel : Étudier la croissance économique et la mondiali-
sation nous conduit à exercer notre esprit critique :
– question 1/chapitre 1 : Croissance et mondia-
quels sont – en particulier pour les pays dévelop-
lisation
pés comme la France – les implications sociales,
– question 2/chapitre 2 : Mutations des sociétés culturelles, politiques et même environnementales
L’articulation entre les deux implique un change- d’un siècle et demi de capitalisme ? En outre,
ment d’échelle, puisque le chapitre 2 est centré comment poursuivre le développement et assurer
sur la France. la croissance dans des économies tertiarisées ?

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 5•


CHAPITRE
Croissance et mondialisation
1 depuis 1850
❯ MANUEL PAGES 18-49

RAPPEL DU PROGRAMME confèrent une certaine unité organique » (p. 12 de


Civilisation matérielle, économie et capitalisme,
– La croissance économique et ses différentes t. 3 Le temps du monde, Armand Colin, 1979).
phases depuis 1850 Il s’agit en somme d’un vaste espace formant
– Les économies-monde successives (britan- un ensemble économique cohérent parcouru par
nique, américaine, multipolaire) de multiples flux. La Phénicie antique, l’univers
hellénistique, le monde musulman à son apogée,
le monde chinois ou le monde indien déployant
◗ Objectifs et problématique son commerce jusqu’aux côtes orientales de
du chapitre l’Afrique, et bien sûr l’économie-monde britan-
Si le programme indique clairement qu’il faut nique au XIXe siècle sont autant d’exemples d’éco-
commencer l’année par ce thème, c’est bien que nomies-monde.
ses auteurs considèrent que l’histoire économique C’est dans le dictionnaire Robert 1953 qu’ap-
et sociale constitue une trame générale indispen- paraît pour la première fois dans la langue fran-
sable à la compréhension de la période 1850-2011. çaise le mot « mondialisation », pour évoquer
Mais plus qu’une toile de fond, l’histoire écono- la « mondialisation de l’industrie » en cours. Il
mique et sociale est évidemment riche de ques- s’agit d’une traduction du terme anglais globa-
tionnements propres. lization. Dans les années 1980-1990, le mot se
diffuse dans la langue française, il se rapporte au
Le chapitre 1 « Croissance et mondialisation »
fait de devenir mondial, de se répandre. Le terme
présente une double originalité par rapport aux
se rapporte en priorité à l’économie, avec la mise
programmes passés. D’une part, il inscrit la ques-
en place du libre-échange généralisé sur un marché
tion de la croissance dans le temps long et se défait
mondial et dérégulé. Mais le phénomène désigne
du poids – historiographique et pédagogique – de
aussi l’explosion des formes de communication,
l’approche par la révolution industrielle ; d’autre
et simultanément un accroissement de la vitesse
part, le programme n’est plus centré uniquement
de transmission des informations, sur des espaces
sur les pays à fort niveau de développement
considérables. Il revêt donc également une dimen-
(Europe occidentale, Japon, États-Unis) mais
sion culturelle, les idées circulant grâce à la révo-
englobe toutes les régions du monde. C’est là
lution des communications.
l’une des difficultés majeures – et tout l’intérêt
également – de ce premier chapitre : proposer une Bref, mondialisation et économie-monde sont
approche globale, dans le long terme. deux concepts quelque peu différents. On passe
d’une économie-monde à la mondialisation
Économie-monde et mondialisation lorsque le « morceau » de la planète évoqué par
La mise en œuvre du programme invite par ailleurs Braudel devient la planète en somme.
à mobiliser le concept d’économie-monde, qu’il ne Les objectifs de ce chapitre sont d’offrir aux élèves
faut pas confondre avec celui de mondialisation. une vision d’ensemble d’un siècle et demi de crois-
« Économie-monde » est un concept forgé dans sance et d’essor du phénomène de mondialisa-
les années 1970 par Fernand Braudel et Immanuel tion, tout en questionnant la notion de puissance
Wallerstein (ce dernier évoque aussi un système- autour de trois grands moments : le temps de la
monde). Pour Braudel, le concept désigne « un puissance britannique, celui de la puissance améri-
morceau de la planète économiquement autonome, caine, l’avènement enfin d’un monde multipo-
capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même laire. Il faut préférer l’expression « mondialisation
et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs multipolaire » à « économie-monde multipolaire »
•6 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

qui n’a guère de sens au regard des définitions OUVERTURE


proposées plus haut. ❯ MANUEL PAGES 18-19
La problématique de ce chapitre est donc de Ces deux iconographies illustrent deux évolutions
montrer dans quelle mesure la croissance écono- majeures de la période étudiée : on passe d’une
mique et la mondialisation ont modifié les écono- croissance qui est portée par l’industrialisation
mies et renouvelé la géographie des puissances à (doc. 1) à une croissance portée par les échanges
l’échelle planétaire. de capitaux et de services (doc. 2), d’économies
Entre le milieu du XIXe siècle et nos jours, le industrielles à des économies tertiarisées.
monde a connu une croissance économique d’une
Doc. 1. Détroit (États-Unis), ville industrielle
ampleur sans précédent, qui n’a été cependant ni
régulière dans le temps ni homogène dans l’es- Le détail de la fresque de Diego Rivera met en
pace. Les économies et les sociétés ont été boule- scène les travailleurs de l’industrie de Détroit,
versées et l’élévation du niveau de vie des popu- capitale américaine de l’automobile. La première
lations a été spectaculaire. Les métamorphoses voiture produite en série, la Ford T, y fut conçue en
du travail, l’accélération de la mondialisation, les 1908. L’entreprise fourmille d’activités, le travail
rivalités entre les nations ou les écarts de dévelop- des ouvriers, rationnalisé, s’opère dans le bruit
pement ont accompagné cette croissance. sous le regard des actionnaires (et/ou du grand
public) visibles à l’arrière-plan.
◗ Bibliographie Doc. 2. La Bourse de Shanghai
– Jean-Charles Asselain, Histoire économique : La photographie 2 nous présente un haut lieu de
de la révolution industrielle à la Première Guerre l’économie mondialisée ; cette salle des marchés
mondiale, Paris, Dalloz, « Amphithéâtre », 1991 de la Bourse de Shanghai a un caractère asep-
(1985). tisé, presque déshumanisé. Tout n’est qu’ordre
– Jean-Charles Asselain, Histoire économique du et harmonie ; on est loin de la fureur qui semble
XXe siècle, Paris, Dalloz, « Amphithéâtre », 1995, animer la scène peinte par Diego Rivera. Les
2 vol. [I : La Montée de l’État, 1914-1939 ; II : travailleurs n’ont pourtant pas disparu en 2011,
La Réouverture des économies nationales, 1939 mais leurs machines, des ordinateurs, sont plus
aux années 1980]. faciles à manier et à maîtriser que celles de l’in-
dustrie automobile. Le travail des cols blancs a
– R. Bénichi (dir.), Les mutations de l’économie
remplacé celui des cols bleus. Cette photogra-
mondiale du début du XXe siècle aux années 1970,
phie est aussi le symbole de la montée en puis-
Nathan, 2007.
sance de la Chine comme puissance économique
– R. Bénichi, Histoire de la mondialisation, majeure, moteur de la mondialisation. Le passage
Vuibert, 2003. du document 1 au document 2 peut donc être lu
– Jean-François Eck, La France dans la nouvelle sinon comme une passation de pouvoir, du moins
économie mondiale, Paris, PUF, « Major », 2006 comme l’avènement d’une mondialisation multi-
(1994). polaire succédant à l’économie-monde américaine.
– P. Gentelle (dir.), Géopolitique du monde
contemporain, Nathan, 2008.
– E. J. Hobsbawm, L’Âge des Extrêmes. Histoire
REPÈRES
du court XXe siècle, André Versaille éditeur, 2008. Les économies-monde successives
– N. Sougy, P. Verley, La première industrialisa- ❯ MANUEL PAGES 20-21
tion (1750-1880), La Documentation photogra-
Comme le programme invite à le faire, nous
phique n° 8061, 2008.
présentons sous forme de cartes trois moments
– P. Verley, La Révolution industrielle, Paris, clés de l’histoire économique de la période 1850-
Gallimard, « Folio Histoire », 1997. 2011 : le temps de l’économie-monde britannique,
– P. Verley, L’échelle du monde. Essai sur l’in- celui de l’économie-monde américaine, enfin
dustrialisation de l’Occident, Gallimard, 1997. l’avènement de la mondialisation multipolaire.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 7•
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

◗ Document 1 ÉTUDE
1. Comment expliquer la domination Croissance et industrialisation
de l’Europe, du Japon et des États-Unis
sur le monde à la fin du XIXe et au début des années 1850 aux années 1920
du XXe siècle ? ❯ MANUEL PAGES 22-23

La domination européenne s’explique d’une part Cette étude a pour objectif de familiariser les
par son avance dans le processus d’industria- élèves avec trois notions clés de ce programme,
lisation, d’autre part par sa domination sur de croissance, industrialisation et innovation.
vastes Empires. Ces deux phénomènes conjugués
permettent à l’Europe de dominer les échanges ◗ Document 1
mondiaux de capitaux et de marchandises et d’as-
1. Classez ces innovations parmi les grands
seoir sa domination sur les pays en voie d’indus-
domaines suivants : production agricole
trialisation ou en retard dans ce processus. La ou industrielle, transports, communications.
maîtrise des mers et l’avance technologique confè-
rent aussi à l’Europe une force militaire incompa- – Production agricole ou industrielle : convertis-
rable ; rappelons par ailleurs que plus d’un habitant seur Bessemer, dynamite, béton armé, dynamo
de la planète sur quatre est Européen en 1900. Les électrique, caoutchouc synthétique, moissonneuse-
États-Unis et le Japon sont également des pays batteuse.
industrialisés, cette dernière puissance étant aussi – Transports : moteur d’automobile, pneumatique,
en passe de constituer un vaste Empire oriental avion, démarreurs électriques pour automobiles.
au tournant du siècle. – Communications : téléphone, radiotéléphone,
radar.
◗ Documents 2 et 3 2. D’après le classement des brevets,
2. Quelles évolutions se sont produites quels pays se distinguent particulièrement ?
au XXe siècle ? En 1890, les États-Unis déposent à eux seuls
Durant l’entre-deux-guerres, et de manière accé- presque autant de brevets que les trois autres
lérée après 1945, le centre de gravité des rela- puissances réunies. Par la suite, les États-Unis
tions internationales se déplace. La « vieille sont toujours en avance même si l’Allemagne
Europe » perd sa suprématie au profit des États- connaît une croissance forte du nombre de dépôts
Unis (et de l’URSS dans une certaine mesure au de brevets (× 4 entre 1890 et 1910) ; la Grande-
temps de la Guerre froide). L’économie-monde Bretagne et la France sont quelque peu distancées.
britannique laisse place à l’économie-monde Les dépôts de brevets sont un critère de choix
américaine. Les mondes communistes repliés sur pour comparer les puissances car ils permettent
eux-mêmes connaissent une croissance faible, de rendre compte de la capacité d’innovation d’un
contrairement aux pays nés de la décolonisa- pays ; or, hier comme aujourd’hui, les innovations
tion qui entreprennent de rattraper leur retard sont au cœur de la croissance.
de développement.
La fin du XXe et le début du XXIe siècles marquent ◗ Document 2
l’avènement d’un monde multipolaire dans lequel 3. Quels éléments du paysage montrent
les flux d’échanges s’accélèrent et s’intensifient. qu’il s’agit d’un véritable complexe
Les trois pôles de la Triade ne sont plus les seuls industriel ?
moteurs de la mondialisation et ne connaissent
Ce paysage montre des usines et des entrepôts
pas d’aussi fortes croissances que les BRIC et
s’étalant à perte de vue ; les bâtiments de taille et
d’autres pays du Sud. Si le monde est devenu plus
de forme variées abritent tous une activité indus-
complexe, il est toujours marqué par de fortes
trielle. Les cheminées fumantes révèlent la voca-
inégalités de développement, dont témoigne la
tion sidérurgique de ce vaste complexe indus-
légende de la carte 3.
triel. Marteaux pilons, aciéries, fabriques d’armes,
usines de camions ou de chemins de fer font la
richesse de cette entreprise, l’une des plus grande
•8 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

d’Europe tout le long des XIXe et XXe siècles. d’Albert Thomas) à rationaliser les productions
L’entreprise a fusionné en 1997 avec son concur- pour produire plus avec moins de personnels.
rent Thyssen pour former ThyssenKrupp AG.
Les sociétés sont donc conquises par l’automo-
bile comme en témoigne le tableau 4b ; notons
◗ Document 5 toutefois l’avance très nette des États-Unis qui
4. Quels types d’activités le Crédit lyonnais s’affirment très tôt comme le pays de l’auto-
finance-t-il ? mobile, et le retard de l’Allemagne qui ne sera
Cette banque de dépôt fondée à Lyon par Henri comblé que dans les années 1960. C’est d’ailleurs
Germain en 1863 est aussi une banque d’affaires. durant les Trente Glorieuses que l’automobile
Elle finance des activités variées en France ou deviendra en Europe un produit de consomma-
hors de France, qui peuvent être classées en trois tion de masse, avec 2 ou 3 décennies de retard
catégories : sur les États-Unis.
– des activités industrielles : société lyonnaise de
construction mécanique, société égyptienne des ◗ Document 3
travaux publics, etc. ;
– des activités agricoles : voyez dans l’organi- 7. Décrivez l’affiche : quels arguments sont
gramme les cases « crédit foncier » ; mobilisés pour vendre les automobiles Ford ?
– des activités financières ou liées aux assu- Pourquoi peut-on dire que le fabricant
rances : assurances Le Monde, La Paternelle, s’adresse au plus grand nombre ?
Banque hypothécaire de France. Étonnement, le produit à vendre (la voiture) n’est
5. Pourquoi les banques sont-elles pas montré sur cette affiche. C’est le fabricant qui
indispensables à la croissance ? est mis en scène, Henri Ford, à qui l’on doit en
1908 la Ford T, la première automobile de l’his-
Les banques d’affaires et les banques de dépôt (qui
toire produite en série. Le premier argument est
drainent l’épargne des particuliers) sont indispen-
donc un argument d’ordre émotionnel : il faut faire
sables car elles financent les activités qui contri-
confiance à l’illustre patron, qui nous regarde droit
buent à la croissance et au développement. L’es-
dans les yeux et montre – par ses traits tirés, sa
sor des banques date du milieu du XIXe siècle, au
mâchoire carrée, son air décidé et son poing serré
moment où les besoins en financements sont tels
– toute sa détermination. Acheter une Ford c’est
qu’ils dépassent les capacités des cercles familiaux
donc s’en remettre à une personne sûre d’elle-
ou strictement privés. Par ailleurs, les chantiers
même et de la qualité de ses produits. L’argu-
pharaoniques comme les chemins de fer néces-
mentaire exposé sous forme de texte relève d’une
sitent de lourds investissements que de simples
logique économique : en achetant une Ford, on
particuliers – fussent-ils très riches – ne peuvent
fait des économies (« Réduisez vos dépenses !
plus couvrir.
Achetez une Ford »).

◗ Document 4
6. Comment évoluent la production ÉTUDE
et la consommation automobile ?
La croissance de la production automobile est La crise de 1929
spectaculaire entre 1907 et 1927, période qui ❯ MANUEL PAGES 24-25
correspond au passage d’une production artisa-
nale à une production en usine. La croissance La crise de 1929 est un épisode célèbre dans l’his-
est particulièrement forte entre 1913 et 1927 toire de l’économie mondiale. Elle a profondé-
(× 4 au Royaume-Uni, × 5 en Allemagne, × 7 ment heurté ses contemporains et reste aujourd’hui
en France et × 17 aux États-Unis) : la Première encore une crise à laquelle on se réfère volon-
Guerre mondiale a un effet accélérateur en obli- tiers (la crise internationale de 2008 a de nouveau
geant entreprises et gouvernements (leur action été l’occasion de faire des comparaisons ou des
est concertée, comme en France sous la houlette anachronismes malheureux).
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 9•
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

◗ Document 1 dans leur pays après 1929), mais aussi par la forte
assise rurale et artisanale de l’économie.
1. Où et comment la crise est-elle née ?
Comme toutes les crises de l’ère industrielle, celle ◗ Document 3
de 1929 éclate dans la sphère boursière. L’indice
du cours des valeurs connaît un pic de spécu- 5. Montrez que ce document illustre bien
lations en 1929, après quatre années de hausse la détresse des populations.
des valeurs. Mais une bulle spéculative éclate à Les faillites et la rétraction de l’activité écono-
Wall Street le 24 octobre 1929, le fameux « Jeudi mique poussent des millions de personnes au
noir » : les titres s’effondrent, perdent leur valeur, chômage (3 millions en Grande-Bretagne, 6 en
les actionnaires s’en débarrassent. Démoralisation, Allemagne, 12 aux États-Unis). Peu de profes-
peur et manipulation sont les ressorts de cette crise sions sont épargnées. Les marches de la faim
qui se poursuit les 28 et 29 octobre. en Grande-Bretagne illustrent le désarroi des
populations qui s’en remettent à l’État pour sortir
◗ Document 2 leur famille et leur pays des difficultés qui les
submergent.
2. Montrez qu’il s’agit d’une crise mondiale.
Comment se manifeste-elle ?
◗ Document 4
Il s’agit d’une crise mondiale car comme le
montre le document 2 toutes les économies à 6. Quelles solutions sont envisagées
fort niveau de développement sont affectées. pour sortir de la crise ?
La crise se manifeste avant tout par un effon- En 1932, le « New Deal », ou « nouvelle donne »,
drement de la production industrielle (2a), par porte le démocrate Franklin D. Roosevelt à la
la montée du chômage suite aux faillites ou aux présidence des États-Unis. Ce programme
licenciements (2b) mais aussi par la contraction économique ambitieux entend sortir le pays de
du commerce international ou par l’endettement la dépression. Le président Roosevelt critique
des pays touchés par la crise. la logique du capitalisme et la trop grande place
occupée par « les seuls profits mercantiles ».
3. Quelle année apparaît comme la plus Plusieurs solutions sont envisagées pour sortir
difficile ? de la crise :
L’année la plus difficile est l’année 1932 : la – l’État va surveiller les transactions finan-
production industrielle est au plus bas et le cières : « il devra y avoir une stricte surveillance
chômage est à son plus haut niveau. de toutes les activités bancaires, financières et
d’investissement ; il faudra mettre un terme aux
4. Tous les pays connaissent-ils
agissements de ceux qui spéculent avec l’argent
le même parcours dans cette crise ?
des autres » ;
La crise est suivie d’une dépression dont les effets – l’État va devenir employeur et s’impliquer
se font sentir plus ou moins longtemps selon le davantage en économie : « un recrutement direct
pays. La France et les États-Unis ne retrouvent du gouvernement » ;
pas leur niveau de 1929 avant 1939, contrai- – les États-Unis vont mettre en place des barrières
rement à l’Allemagne qui mène une politique douanières fortes : « Nos relations commerciales
autarcique et entame une course aux armements, internationales, en dépit de leur extrême impor-
au Royaume Uni qui dévalue sa monnaie et au tance, ne sont, au regard de la situation actuelle
Japon qui met en place des mesures protection- et des impératifs qu’elle entraîne, que secondaires
nistes drastiques. face à l’établissement d’une politique nationale
Concernant le chômage, la France présente une saine ».
anomalie qui s’explique par l’absence de statis- – l’État va jouer sur la demande, assurer la relance
tiques fiables (ne sont comptabilisés que les par la consommation et l’investissement (c’est
chômeurs secourus par les municipalités, or, l’approche keynésienne) : « accroissant les prix
ces secours n’existaient pas partout ; de plus, de des produits agricoles et, avec eux, le pouvoir
nombreux travailleurs immigrés ont été renvoyés d’achat des agriculteurs ».
• 10 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

◗ Document 5 2. En comparant les régions du monde,


comment caractériser la croissance
7. Qui emploie ces ouvriers ? des Trente Glorieuses ?
C’est la Work Progress Administration, admi- Cette croissance est assez homogène entre les
nistration dépendante de l’État, qui emploie ces différentes régions du monde, même si avec un
ouvriers pour la réalisation de grands travaux. taux de croissance moyen annuel de 6 % par an
l’Asie semble rattraper son retard. En revanche,
◗ Documents 4 et 5 les « autres pays développés (dont États-Unis) »
8. Montrez que la WPA est l’application ont des croissances moins fortes car ils étaient
concrète de grands principes énoncés déjà très développés en 1950 et furent peu affec-
par Roosevelt en 1933. tés par les destructions de la guerre. Il faut atti-
Cette action est l’application du principe énoncé rer l’attention des élèves sur la belle croissance
dans le texte et relevé en question 6 : l’État devient africaine (les pays nouvellement indépendants
employeur pour relancer l’économie et faire recu- entendent rattraper leur retard de développement)
ler le chômage (Roosevelt évoquait « un recrute- et sur celle des pays de l’Est (avant un effondre-
ment direct du gouvernement »). ment dans le dernier tiers du XXe siècle).

9. En quoi les solutions proposées sont-elles ◗ Document 3


une rupture par rapport au libéralisme ?
Le libéralisme qui avait triomphé jusque-là est 3. Relevez les innovations évoquées
dans ce texte. En connaissez-vous d’autres
remis en cause : l’idée selon laquelle l’État ne
qui ont marqué cette période ?
doit pas intervenir en économie n’a pas résisté
à l’épreuve des faits. La crise de 1929 accélère Plusieurs innovations sont citées ici : la télévision
la mise en place de l’État-Providence, qui s’épa- (le 5 juin 1947 a lieu le premier direct depuis
nouira après la Seconde Guerre mondiale. le théâtre des Champs-Élysée à Paris), le Club
Med (créé en 1950), les hypermarchés (le premier
Carrefour ouvre ses portes à Sainte-Geneviève-
ÉTUDE des-Bois en 1963), la pilule (légalisée en France
en 1967), le Concorde (premier vol en 1969),
La croissance des Trente Glorieuses l’énergie nucléaire (en France dès 1951). La vie
(1950-1975) quotidienne des Françaises et des Français s’en est
❯ MANUEL PAGES 28-29 trouvée améliorée, d’où l’expression « génération
La période des Trente Glorieuses étant celle des bénie » employée par Jean Boissonnat.
plus fortes croissances de la période 1850-2011, Autres exemples d’innovations :
il est logique d’y consacrer une double-page.
Bombe atomique
1945
◗ Documents 1 et 3 Premier ordinateur

1. En comparant les Trente Glorieuses 1947 Transistor


aux autres périodes, pourquoi peut-on dire
1950 Télévision couleur
que cette période constitue une « parenthèse
enchantée » ? 1951 Début de l’énergie nucléaire
Dans toutes les aires géographiques présentées par
1956 Conteneur
le graphique 1, la période 1950-1973 est celle des
plus fortes croissances du PIB. Elle se situe égale- 1958 Premier satellite de télécommunication
ment, comme le montre Jean Boissonnat, entre
1960 Laser
deux périodes plus sombres, celle de la guerre
et celle des années 1970, marquée par le désen- Naissance d’Internet
1969
chantement de l’après-68, « révolution manquée » Premiers pas sur la Lune
et la remontée du chômage. Il s’agit enfin d’une
1973 Micro-ordinateur
période d’« abondance ».
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 11 •
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

◗ Document 5 crédit se développe durant les années 1950 et


4. Comment la population active 1960 (la Sofinco par exemple, société de crédit
évolue-t-elle en Europe de l’ouest ? à la consommation, est née en 1951). La Société
Générale propose ici un crédit épargne-logement
La population active des pays d’Europe de l’ouest
pour la construction. Les ressorts publicitaires
est marquée par une forte « décroissance du
sont identiques à ceux utilisés pour la promotion
secteur primaire », qui s’effectue principalement
des autres produits : amener l’acheteur potentiel
au profit du sectaire tertiaire (le secteur secon-
à s’identifier, le faire rêver : « n’en rêvez plus…
daire progresse en France et en Allemagne mais
vous l’aurez ». L’accès à la propriété – incar-
régresse au Royaume-Uni).
née depuis toujours par une maison individuelle
La tertiarisation des économies s’accompagne du entourée d’un charmant jardin – est une priorité
déclin de certains métiers (« métallo », cheminot, pour les classes moyennes et en particulier pour
mineur, agriculteur) tandis que de nouvelles profes- les cadres, dans une France où sévit depuis la
sions apparaissent et se développent dans les secteurs Seconde Guerre mondiale une grave pénurie de
de la santé, du secrétariat, de la vente ou de l’ingé- logements.
nierie par exemple. La figure émergente du cadre
est celle qui caractérise le mieux cette période de
recompositions socio-économiques. « Chercheurs
et ingénieurs », « techniciens de laboratoire » et
plus généralement multiplication des « cols blancs » ÉTUDE
marquent le triomphe de l’économie tertiarisée.
L’économie-monde britannique
◗ Documents 3 et 5 (1815-1914)
5. Montrez que les mutations technologiques ❯ MANUEL PAGES 34-35
et les transformations de la population active
Directif, le programme nous conduit à étudier
sont liées.
« l’économie-monde britannique ». Le Royaume-
Les mutations technologiques sont à la fois les causes Uni a dominé le XIXe siècle par sa puissance
et les reflets des transformations de la société et de la industrielle, financière et commerciale ; la domi-
population active. La « bureaucratisation des entre- nation navale et coloniale ne faisant qu’asseoir
prises et le développement des techniques qui requiè- cette suprématie économique.
rent un encadrement » marquent la tertiarisation de
la population active et l’essor des classes moyennes.
◗ Document 1
◗ Document 2 1. Montrez l’avance industrielle
6. Comment ces documents rendent-ils du Royaume-Uni au XIXe siècle.
comptent du triomphe de la société La houille (une variété de charbon) est un bon
de consommation de masse ? indicateur pour rendre compte de la puissance
Cette sculpture de Duane Hanson et cet article de industrielle d’une nation au XIXe siècle. En effet,
journal illustrent le triomphe de la société de consom- la première industrialisation repose sur le char-
mation qui s’incarne dans un objet « symbole et bon, qui reste encore une source d’énergie très
caricature », le caddy. On ne peut s’empêcher de importante au moment où la seconde industria-
relever l’ironie ou même la satire contenues dans lisation prend son essor (dans les années 1860-
ces deux présentations de l’objet-culte. 1870).
Tout le long du XIXe siècle (jusqu’en 1897)
◗ Document 4 le Royaume-Uni est le premier producteur de
7. Décrivez et expliquez le sens houille au monde, ce qui permet d’affirmer que
de cette affiche. Quelle pratique économique le Royaume-Uni est en avance dans le proces-
encourage les consommateurs à acheter ? sus d’industrialisation. L’étude de la production
Accompagnant et soutenant la mise en place d’acier des principales puissances au XIXe siècle
de la société de consommation, la pratique du nous conduit à la même conclusion :
• 12 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

Production d’acier (en millions de tonnes) à l’occasion), mais aussi des matières premières
à faible coût et offre également des débouchés
1840 1860 1880 1900
aux productions de la métropole. L’Empire est
Royaume-Uni 0.6 1.5 3.7 6
aussi une destination privilégiée des exportations
États-Unis – – 1.2 10
de capitaux britanniques, comme le montre le
Allemagne 0.1 0.3 2 7.3
tableau ci-dessous :
France 0.2 0.5 1.3 1.9
Source : J. P. Rioux, La Révolution industrielle, Le Seuil, 1971. Les émissions de capitaux de la City
(1900-1923)
2. Qu’est-ce qui marque son déclin au début
du XXe siècle ? Quels pays sont ses princi- Total en
paux concurrents ? Empire Étranger Total millions
de livres
Si le terme « déclin » est un peu fort, il correspond
toutefois à une hantise des britanniques au tour- 1900-1914 39.1% 60.9% 100% 137
nant du XXe siècle, celle de perdre leur avance 1919-1923 66.4% 33.6% 100% 93
séculaire. Tous les indicateurs économiques chif-
frés prouvent en effet un rattrapage des autres
grandes nations industrialisées, en tête desquelles
se trouvent les États-Unis (voir les tableaux statis-
◗ Document 5
tiques). 5. Quelles vertus Richard Cobden
prête-t-il au libre-échange ?
◗ Document 3 Homme d’affaires du Lancashire, véritable chantre
3. Décrivez ce document : comment du libéralisme, Richard Cobden était à la tête de
le Crystal Place rend-il compte de l’Anti-Corn Law League, un lobby qui entendait
la modernité de l’économie britannique ? supprimer les lois limitant les importations de
La modernité de l’économie britannique se mani- céréales en Grande-Bretagne. Il défendait une
feste de deux manières. Tout d’abord grâce à une philosophie politique et économique selon laquelle
architecture audacieuse et novatrice pour l’époque, le libre-échange était le meilleur moyen d’assurer
mariage du fer et du verre, deux symboles de la la puissance d’une nation.
puissance économique du pays. Ensuite, ce sont Dans ce discours, Richard Cobden prête au libre-
les nombreuses machines exposées au public qui échange des vertus économiques (il assure la pros-
prouvent l’avance et la supériorité de l’écono- périté, c’est ici implicite), mais aussi politiques
mie britannique : on aperçoit ici de nombreuses (il apporte la paix entre les nations) et morales (il
machines (voitures, trains, machines industrielles « rapprochera les hommes »).
ou agricoles) mues par la vapeur. Notons qu’en bon libéral, Richard Cobden est
hostile à toute entreprise coloniale, il condamne
◗ Documents 2 et 4 en principe l’impérialisme (« […] de telles choses
4. À l’aide des documents et de la carte 1 cesseront d’être nécessaires »). La fin du texte a
page 20, montrez que le Royaume-Uni presque un côté messianique ; persuasion et auto-
fonde sa puissance sur les échanges persuasion sont au cœur de la démarche des libé-
et les investissements. raux nous dit l’économiste Karl Polanyi dans La
Le Royaume-Uni est la première puissance Grande Transformation (ouvrage écrit en 1944).
commerciale du monde au XIXe siècle, elle Entre 1846 et 1860, le britanniques déployèrent
assure en 1870 22 % des exportations mondiales, leurs efforts pour étendre la politique libérale au
contre 12 % pour son dauphin l’Allemagne. La reste du continent européen. Le pays le plus déve-
livre sterling est indexée sur l’or, elle constitue loppé étant le plus libéral, le libéralisme fit son
la monnaie la plus utilisée dans les échanges chemin chez les penseurs du continent. En 1860,
mondiaux. Le premier Empire colonial du monde le traité anglo-français Cobden-Chevalier, traité
conforte la puissance britannique. L’Empire four- de libre-commerce pour une période de 10 ans,
nit non seulement des travailleurs (et des soldats est le fruit de cette politique.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 13 •
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

◗ Document 4 le chewing-gum Hollywood, le jean Levi’s ou les


cigarettes Marlboro ou Camel qui sont introduits sur
6. Comment l’Empire contribue-t-il
à renforcer la puissance britannique ?
le marché français dans les années 1950, véhicule
la culture d’un pays jeune et moderne.
Cette photographie met en scène le travail forcé, très
répandu dans les colonies d’Afrique subsaharienne,
qui permet l’exploitation – le pillage même – des ◗ Document 2
ressources du sous-sol africain, en l’occurrence 3. Quel est l’objectif du plan Marshall ?
ici les diamants sud-africains. L’Empire renforce Montrez que ce plan permet l’affirmation
donc la puissance britannique en lui conférant des de la domination économique et politique
richesses et de la main-d’œuvre à faible coût. des États-Unis.
Le plan Marshall a pour principal objectif de redres-
ser les économies européennes ; il doit en France
ÉTUDE financer « des efforts immédiats et importants » en
vue de « réaliser la stabilisation financière interne
Après 1945, les États-Unis
et pour recréer la confiance dans le franc français ».
dominent l’économie mondiale
❯ MANUEL PAGES 36-37 Ce plan est nourri de l’idée selon laquelle des pays
aux économies prospères ne seront pas tentés par le
Les États-Unis, par leur avance technologique,
communisme. C’est donc dans un contexte de Guerre
leur puissance militaire et diplomatique, le poids
froide qu’il faut replacer cette initiative. Notons que
du dollar, leur capacité d’innovation, leur puis-
cette aide substantielle aura des effets bénéfiques sur
sance industrielle et commerciale, dominent le
l’économie américaine, les pays aidés achetant aux
second XXe siècle.
États-Unis les machines dont ils auront besoin pour
redresser leurs économies. Les États-Unis renforcent
◗ Document 1 aussi leur rôle de créanciers du monde.
1. Qu’est-ce qui permet d’affirmer
que les États-Unis sont la première puissance ◗ Document 4
économique mondiale ?
Comparez leur puissance à celle des pays 4. À l’aide de la carte, expliquez l’expression
d’Europe occidentale. « pilotes de l’économie mondiale ».
Deux critères sont ici retenus pour mesurer les Les États-Unis peuvent être qualifiés de « pilotes de
performances de l’économie américaine, le PIB l’économie mondiale » car ils contrôlent des institu-
exprimé en milliards de dollars et la productivité tions qui sont le moteur de l’économie mondialisée,
horaire du travail. Dans les deux cas la supério- le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque
rité des États-Unis sur l’Europe occidentale est internationale pour la reconstruction et le dévelop-
manifeste. En 1950, le PIB des États-Unis dépasse pement (BIRD). En 1947, lorsque le nouvel ordre
celui de tous les pays d’Europe occidentale ; c’est économique mondial se met en place, ils disposent de
encore le cas en 1998. Par ailleurs, tout le long du 31,5 % des droits de vote au sein de ces institutions,
XXe siècle, les États-Unis sont les champions de ce qui leur confère un pouvoir de décision étendu.
la productivité (notons au passage les excellentes Les accords de Bretton Woods en 1944 (qui assu-
performances françaises dans ce domaine). rent la suprématie du dollar) sont aussi une initiative
américaine, tout comme ceux du GATT qui visent
◗ Document 5 dès 1947 à libéraliser les échanges internationaux.

2. Quelle image des États-Unis


est ici véhiculée ? ◗ Documents 2, 4 et 5
Cette affiche publicitaire vante les mérites d’une 5. À l’aide des documents et de la carte 2
boisson qui est depuis 60 ans un symbole du mode p. 20, montrez que le rayonnement
de vie américain. La marque Coca-cola est associée économique américain est mondial.
à la jeunesse, à la vitalité et à la joie : « tout va bien Grâce au plan Marshall, qui donne naissance à
mieux avec Coca-cola ». Cette marque, tout comme l’Organisation européenne de coopération écono-
• 14 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

mique (OECE) en 1948, les États-Unis participent ◗ Document 1


activement au redressement économique de l’Eu-
1. Quelle évolution connaissent tous les pays
rope et encouragent aussi la construction euro-
entre 1960 et 2002 ?
péenne. Ils contrôlent les leviers de l’économie
mondiale et tentent de généraliser dans le monde L’évolution commune à tous les pays est l’ou-
le libre-échange. De puissantes firmes multinatio- verture croissante de leur économie. Partout, le
nales (FMN) américaines diffusent leurs produc- rapport des exportations sur le PIB progresse,
tions dans le monde entier ; les produits culturels parfois même de manière spectaculaire (ainsi
(produits de consommation courante, disques, chez les Dragons, en Chine ou dans les NPIA).
films etc.) véhiculent le mode de vie américain. La mondialisation, phénomène qui se caractérise
Les États-Unis émettent et reçoivent de nombreux par l’accroissement et l’internationalisation des
flux commerciaux ou financiers. Ils constituent échanges, s’accélère donc.
(avec une partie du Canada) l’un des pôles de la
mondialisation appelé Triade. ◗ Documents 1 à 4
2. À l’aide des documents et de la carte 3
◗ Document 5 p. 21, distinguez les pôles qui dominent
6. Que nous apprend cette affiche sur l’économie mondiale.
l’influence des États-Unis dans le monde ? Certains pôles anciens dominent toujours l’éco-
Cette affiche nous montre que l’influence des nomie mondiale : ceux que l’on groupe sous le
États-Unis est culturelle (voir questions 2 et 5). vocable « Triade » : le pôle États-Unis-Canada,
l’Europe de l’ouest, enfin le Japon.
◗ Document 3 Mais le phénomène le plus spectaculaire des
quarante dernières années, qui nous permet de
7. Pourquoi et comment Neruda critique-t-il
la puissance des FMN ?
parler de monde multipolaire, est l’émergence et
l’affirmation d’autres pôles, qui se situent dans
En tant que citoyen, Pablo Neruda ne supporte pas les pays en développement du Sud : la Chine
la politique des États-Unis en Amérique latine, (qui n’est plus simplement aujourd’hui « l’ate-
considérée comme la « chasse gardée » des intérêts lier du monde », doc 2), le Brésil (qui dispose de
politiques et économiques des États-Unis depuis nombreux atouts, doc 3), d’une manière générale
la doctrine Monroe en 1823. Il met sa plume au ceux que l’on regroupe sous le sigle BRIC (Brésil,
service de sa lutte contre l’impérialisme améri- Russie, Inde, Chine). Ces pays ont fait le choix
cain ; il s’en prend en particulier à la United Fruit, politique et économique d’une ouverture crois-
géant de la banane qui régna durant des décen- sante de leur économie aux marchés mondiaux ;
nies sur des États d’Amérique latine surnommés ils sont devenus des moteurs de la mondialisation.
« Républiques bananières ». Pablo Neruda (il
sera prix Nobel de littérature en 1971) s’insurge 3. Montrez que tous les pays ne s’insèrent
contre le pouvoir de la firme qui « pille » son pays, pas de la même façon dans la mondialisation
il écorche au passage d’autres firmes telles que et ne connaissent pas non plus un même
Coca-Cola ou Ford Motors. développement.
Tous les pays ne s’insèrent pas de la même façon
dans la mondialisation, certains restent en effet en
ÉTUDE marge du processus, ou faiblement intégrés. C’est
le cas de nombreux pays d’Afrique subsaharienne
Une mondialisation multipolaire
(carte et doc 4). N’en concluons pas trop vite toute-
depuis les années 1970 fois que leur faible intégration à la mondialisa-
❯ MANUEL PAGES 38-39 tion explique leur faible développement : s’il y a
La mondialisation multipolaire est un phénomène un lien entre les deux phénomènes, la notion de
connu et étudié au lycée dans les programmes de développement prend en compte certains critères
géographie. Il s’agit ici de mettre ce phénomène qui ne relèvent pas des logiques de la mondiali-
dans une perspective historique. sation : alphabétisation, maîtrise de la fécondité,
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 15 •
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

émancipation des femmes, stabilité politique et 2001, deux autres éditions ont suivi dans la même
démocratisation, etc. ville, en 2002 et 2003. Le FSM réunit des acteurs
politiques et sociaux qui militent et œuvrent pour
◗ Documents 2 et 3 l’altermondialisation. Le FSM veut répondre au
Forum économique mondial réunissant à Davos en
4. De quels atouts la Chine et le Brésil
disposent-t-il pour assurer Suisse des dirigeants économiques et des respon-
leur développement ? sables politiques du monde entier.
La Chine dispose d’une main-d’œuvre nombreuse, Cette caricature de Plantu superpose deux plans.
peu chère et « docile » ; elle dispose aussi d’une En bas sont rassemblés les participants au Forum
main-d’œuvre qualifiée qui peut être mise au social. Les débats semblent équilibrés, puisqu’au
service de productions à forte valeur ajoutée.Le moins huit nations peuvent se faire entendre et
Brésil dispose de ressources du sol et du sous-sol faire des propositions concernant la mondialisa-
importantes qui en font un acteur de premier plan tion. Les participants à ce forum sont africains,
sur le marché mondial des matières premières et arabes, asiatiques, ils forment une assemblée
des productions agricoles ou agro-alimentaires. Sa joyeuse qui semble solidaire.
population nombreuse (180 millions d’habitants) Au-dessus sont représentés les participants au
et l’existence d’industries de pointe (construction Forum économique de Davos et New York. Des
aéronautique) constituent d’autres atouts. hommes d’affaires (le cigare) ou des hommes
politiques (ainsi qu’une femme) écoutent doci-
5. Pourquoi parle-t-on de puissances
lement le représentant de la première puissance
émergentes ?
mondiale, les États-Unis. Ce représentant parle
S’il s’agit depuis des siècles de puissances régio- un langage universel, celui de l’argent (les dollars
nales de premier plan, Brésil et Chine sont des dans le drapeau). Cette assemblée inféodée au
puissances émergentes à l’aune de la mondialisa- dollar américain peine à entendre ce qui se dit « en
tion. Surtout la Chine qui a fait le choix de l’ou- bas », au Sud, dans les pays en développement
verture dans les années 1980, après des décennies ou parmi les altermondialistes : un long cornet
de repli sur soi. L’économie brésilienne, elle, a acoustique ne semble pas suffisant. Le message
toujours été insérée dans les réseaux mondiaux ; de Plantu est clair : les puissants sont à Davos, ils
l’expression puissance émergente désigne la dominent le monde et ont pour leader les États-
hausse du niveau de vie de sa population (malgré Unis et pour ambition l’enrichissement ; les pays
de criantes inégalités) et surtout la volonté du du Sud sont dominés et oubliés. La mondialisation
Brésil de peser dans les relations internationales est donc injuste, fondamentalement.
en tant que puissance politique et diplomatique.

◗ Documents 2 à 4 HISTOIRE DES ARTS


6. Pourquoi peut-on parler d’un monde
Mucha : l’art au service
multipolaire au début du XXIe siècle ?
de la société de consommation
La mondialisation est devenue multipolaire car elle
❯ MANUEL PAGES 42-43
a vu émerger de nouveaux pôles qui sont devenus
des moteurs du phénomène, surtout en Asie ou en ◗ Présenter les œuvres
Amérique latine.
1. Présentez l’artiste et l’ensemble
des documents.
◗ Document 5
Peintre et affichiste, mais aussi sculpteur et déco-
7. Décrivez cette caricature. Comment rateur, Alfons Mucha (1860-1939), artiste emblé-
sont présentés les participants au Forum matique de l’Art Nouveau, a laissé une œuvre
économique de Davos ? féconde dont nous avons un aperçu à travers trois
Et ceux du Forum social ? documents, deux lithographies et une gravure sur
La première édition du Forum social mondial métal. Rappelons que la lithographie et la gravure
(FSM) s’est tenue à Porto Alegre au Brésil en sur métal sont deux procédés anciens qui ont été
• 16 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

renouvelés au temps de l’industrialisation, grâce Couleurs : si la palette est diversifiée, une gamme
aux améliorations apportées à la presse lithogra- rouge-brun-orange-rose semble avoir la préférence
phique notamment. de Mucha. En outre, le procédé lithographique
Ces trois œuvres ont un caractère publicitaire, confère aux couleurs un léger grain, tout à fait
puisqu’il s’agit de deux affiches (pour les cycles caractéristique de ce type de production.
Perfecta et le Champagne Moët et Chandon) et Ornementation : Comme tous les artistes du courant
d’une boîte pour les biscuits LU (Lefèvre Utile) Art Nouveau, Mucha multiplie les motifs décoratifs
datant des dernières années du XIXe siècle, une (les ornementations) qui ont souvent un caractère
période féconde pour l’art publicitaire en général. végétal, c’est le cas dans deux des trois œuvres ici
présentées. Ondulation des formes et arabesques
◗ Analyser les œuvres sont caractéristiques de l’œuvre de Mucha.
2. Repérez les éléments communs
à ces trois documents. ◗ Faire le lien entre art et histoire
Dans les trois cas, c’est une jeune femme qui est
5. Quel est le but de ces affiches ? Quels
représentée pour promouvoir la marque. Élancée, types de produits vantent-elles ? Pourquoi
gracile, celle-ci a les épaules dénudées ; ses cheveux, peut-on dire alors que cet art est au service
ses vêtements ou des formes végétales sont autant de la société de consommation naissante ?
de parures qui mettent en valeur sa beauté.
Ces affiches publicitaires ont pour but de promou-
Autre similitude, l’objet à vendre est mis en voir des produits de consommation très répandus,
scène, de manière directe ou indirecte, par cette qui font partie de l’univers quotidien des occi-
jeune femme : la première monte la bicyclette, dentaux : vélo, vin de Champagne, biscuits. L’art
la seconde pose aux milieux des vignes et des publicitaire auquel Mucha prête son talent marque
grappes qui constituent le vin de Champagne, bien la naissance d’une société de consommation
le troisième tend les mains vers les biscuits LU urbaine, qui prouve l’élévation du niveau de vie
qu’elle s’apprête à savourer. des populations en Occident.
Les gammes de couleur utilisées sont assez
semblables aussi, avec beaucoup de rouge, de
rose, d’ocre ou d’orange. EXERCICES
3. Montrez que l’Art nouveau se veut à la fois Les exportations mondiales
un art de la jeunesse et un art dans la ville. de marchandises, 1953-1993
C’est un art de la jeunesse puisqu’une belle jeune ❯ MANUEL PAGE 45
femme, pleine de vitalité, est mise en scène ; c’est
1. En 1953, quelles zones géographiques sont
aussi un art de la regénérescence de la végétation.
les moteurs de la mondialisation ? Lesquelles
C’est un art urbain dans la mesure où les deux
semblent en retrait ? Comment expliquer
affiches s’étalaient sur les murs des grandes villes. le « retard » de certaines régions ?
Dans sa production et dans sa diffusion, l’art publi-
citaire est essentiellement un art urbain, la ville L’Amérique du Nord (essentiellement les États-
étant le lieu qui réunit le plus grand nombre de Unis), avec pratiquement un quart des exporta-
consommateurs potentiels d’un produit. tions mondiales de marchandises, est en 1953 le
moteur de la mondialisation. Citons aussi l’Eu-
4. Inventivité, rythme, couleurs, rope occidentale, l’Asie (surtout le Japon). Nous
ornementation : justifiez l’emploi de retrouvons là les trois pôles de la Triade auxquels il
ces termes pour qualifier l’art de Mucha. convient d’ajouter l’Amérique latine, exportatrice
Inventivité : elle réside dans le subtil mariage du de matières premières essentiellement.
rythme et des couleurs. En 1953, l’Europe centrale et orientale (dont la
Rythme : Mucha multiplie les lignes courbes et Russie), l’Afrique et le Moyen-Orient sont en
les arrondis qui dessinent la silhouette de la jeune retrait pour différentes raisons. L’Europe centrale
femme, animent sa coiffure et rendent la végéta- et orientale est communiste et fait le choix de limi-
tion omniprésente. ter ou même d’éviter les relations commerciales
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 17 •
Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

avec les nations qui se trouvent en dehors du bloc tout de même des puissances exportatrices de
communiste ; c’est donc une raison idéologique, premier plan. L’Europe centrale et orientale est
dans un contexte de Guerre froide, qui explique en pleine crise en 1993 (voyez la baisse entre 1983
leur retrait. Le Moyen-Orient est composé de pays et 1993) ; elle entame sa transition économique en
neufs en retard de développement (notons aussi se convertissant non sans peine à l’économie de
que ce groupe rassemble peu de pays) et l’Afrique marché. Avec une croissance faible et des retards
est encore colonisée et sous-industrialisée à cette de développement, l’Afrique peine à s’insérer dans
date, ce qui explique sa faible insertion dans les les réseaux de la mondialisation ; la baisse régu-
échanges mondiaux de marchandises. lière de son poids dans les exportations mondiales
entre 1953 et 1993 témoigne de ses nombreuses
2. Quelles évolutions se produisent difficultés. Les performances du Moyen-Orient
entre 1953 et 1993 ? Distinguez pour
sont fluctuantes, elles dépendent essentiellement
cela différents groupes de pays selon leur
importance dans les exportations mondiales.
des cours du baril de pétrole.
Deux groupes peuvent être distingués concer-
nant l’évolution des exportations mondiales de
marchandises de 1953 à 1993 : BAC
– les aires géographiques qui voient leur part Analyse de document :
progresser fortement (groupe a) Europe occiden-
tale, Asie ;
les conquêtes coloniales au service
– les aires géographiques qui voient leur part de l’économie britannique
stagner ou diminuer (groupe b) Amérique du Nord, ❯ MANUEL PAGES 48-49
Amérique latine, Europe centrale et orientale,
1. Présentez le document en insistant
Afrique, Moyen-Orient.
sur son auteur.
3. Comment expliquer vos observations ? Il s’agit d’un discours de Joseph Chamberlain
Groupe a : (1836-1914), alors ministre des Colonies du plus
L’Europe occidentale a consolidé sa place de vaste empire de la planète. Joseph Chamberlain
première puissance commerciale de la planète. fut un défenseur infatigable de l’idéal impérialiste.
D’une part ses principaux pays (Allemagne,
France, Grande-Bretagne, Italie, etc.) ont connu Quelques dates le concernant
une forte croissance, d’autre part la construc- 1873 : cet entrepreneur devient maire de Birmin-
tion européenne (la CEE qui met en place un gham, l’une des premières cités industrielles du
marché commun, puis l’UE qui prévoit en 1992 pays
une monnaie commune) a consolidé la puissance 1876 : élu député au sein du parti libéral
commerciale en renforçant les liens et les échanges
entre les États signataires. 1880 : ministre du Commerce du gouvernement
Gladstone (Premier ministre conservateur, 1880-
La progression de l’Asie est spectaculaire puisque
1885)
son poids dans le commerce mondial de marchan-
dises double en quarante années. Le tableau 1895 : ministre des Colonies du gouvernement
montre que le phénomène s’accélère dans les Salisbury (Premier ministre conservateur, 1895-
années 1980. Une très forte croissance au Japon 1902)
et chez les 4 Dragons reposant sur une industria-
Le contexte en 1896, au moment
lisation rapide, le « réveil » de la Chine également
où ce discours est prononcé
expliquent ces performances spectaculaires pour
une aire géographique en plein développement, Le contexte général est celui de l’apogée de l’Em-
en pleine croissance et qui s’insère de plus en plus pire britannique.
dans les réseaux de la mondialisation. Le contexte plus précis : le Royaume-Uni sort à
Groupe b : peine de la Grande Dépression (1873-1896), la
Les Amériques perdent leur avance et pâtissent course aux colonies s’est accélérée durant cette
de l’essor européen et asiatique, mais elles restent période difficile pour les économies européennes.
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Chapitre 1 – Croissance et mondialisation depuis 1850

Le « scramble for Africa » (la curée) se déroule telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de
après la conférence de Berlin de 1884-1885. tant de rivaux que nous voyons grandir autour
L’auditoire de Joseph Chamberlain est constitué de nous, les uns par les perfectionnements mili-
de commerçants et d’hommes d’affaires acquis à taires ou maritimes, les autres par le développe-
sa cause, fervents défenseurs d’un Empire qui fait ment prodigieux d’une population incessamment
prospérer leurs affaires. croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un
univers ainsi fait, la politique de recueillement
2. Quelle est, d’après l’auteur, la place ou d’abstention, c’est tout simplement le grand
prise par le commerce dans la politique chemin de la décadence ! Les nations, au temps
du gouvernement britannique ? où nous sommes, ne sont grandes que par l’acti-
Pour Chamberlain, le commerce – en particulier vité qu’elles développent ; ce n’est pas « par le
en direction de l’Empire – est une question écono- rayonnement des institutions ».
mique et politique à la fois : « Il n’est pas exagéré
Par ailleurs, en 1896, E.E. Williams publiait son
de dire que le commerce représente la plus impor-
pamphlet Made in Germany qui dénonçait l’in-
tante de toutes les questions politiques ». Selon
vasion du marché britannique et les progrès des
l’auteur, c’est la priorité des grands ministères du
« commis voyageurs allemands » sur les marchés
gouvernement.
extérieurs au détriment des négociants britan-
3. Quel lien l’auteur établit-il entre l’empire niques. En cette années 1896, le commerce était
et la puissance britannique ? donc une véritable obsession pour les britanniques,
Chamberlain considère que l’Empire est le salut qui s’interrogent sur les notions d’Empire, de libé-
de la puissance britannique car il représente un ralisme, de protectionnisme.
« grand marché potentiel au commerce britan-
5. Relevez dans la phrase soulignée en rouge
nique ». Notons que Chamberlain est impérialiste, les signes de l’existence d’une opposition
mais pas libéral : il est partisan du protectionnisme à l’opinion de Chamberlain.
contre le libre-échange (contrairement à ce que
pourrait laisser entendre la dernière ligne de ce Par cette phrase, Chamberlain semble répondre
texte). Il milita même un temps en faveur d’un à des objections, ou plutôt les devancer. Car en
système de préférence impériale, voulant faire de 1896, tous les britanniques ne sont pas partisans de
l’Empire britannique une unité commerciale, avec l’empire, loin s’en faut. Les libéraux y sont même
des barrières douanières communes. en principe opposés, depuis Adam Smith dans
la Richesse des Nations en passant par Ricardo,
4. Expliquez l’évocation par Chamberlain l’homme d’affaires Richard Cobden (voir le texte
des « rivaux commerciaux » du Royaume-Uni. 5 page 35) ou l’économiste John Atkinson Hobson,
Cette évocation est une manière de justifier l’en- auteur en 1902 du brûlot Imperialism, a study.
treprise coloniale. Selon Joseph Chamberlain, la
compétition diplomatique et commerciale entre 6. Quel aspect de la colonisation l’auteur
n’évoque-t-il pas ?
les nations européennes rend la constitution d’un
vaste Empire indispensable : « si nous étions restés L’exploitation et la domination, porteurs d’hu-
passifs, que serait-il arrivé ? ». Ce même argument miliations et de violences, et qui sont pourtant
était avancé à la même époque par les Français, au cœur du fonctionnement de l’Empire, ne sont
ainsi par Jules Ferry devant la Chambre de dépu- pas évoqués ici. Ce discours politique ne laisse
tés le 28 juillet 1885 : « Messieurs, dans l’Europe aucune place à la compassion.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 19 •


CHAPITRE
Mutations des sociétés depuis 1850
2 ❯ MANUEL PAGES 50-79

RAPPEL DU PROGRAMME société à travers deux exemples emblématiques,


les Polonais et les Maghrébins. Ces deux études
– La population active, reflet des bouleverse- peuvent être traitées séparément ou combinées.
ments économiques et sociaux : l’exemple de La première porte sur l’entre-deux-guerres et sur
la France depuis les années 1850 l’immigration européenne caractéristique de cette
– Une étude : l’immigration et la société fran- période. La deuxième permet de changer d’échelle
çaise au XXe siècle et de période, ici les années 1960, caractérisées
par une immigration méditerranéenne. Au-delà des
différences entre ces deux exemples on pourra tirer
parti de ces études pour montrer les permanences
◗ Objectifs et problématique concernant la politique du gouvernement fran-
du chapitre çais et les difficultés d’intégration des migrants
« Mutations des sociétés » est un thème trop à leur arrivée.
vaste pour être appréhendé dans sa totalité et
dans sa complexité dans le cadre du programme ◗ Bibliographie
de première. Aussi le programme nous invite-t-il
à étudier la population active française, dont les – Dominique Barjot (dir.), Le Travail à l’époque
évolutions reflètent les bouleversements écono- contemporaine, Paris, Éditions du CTHS, 2005
miques et sociaux que connaît le pays à partir de – Françoise Battagliola, Histoire du travail des
1850. En outre, une étude est imposée, portant femmes, Paris, La Découverte, 2008.
sur l’immigration au XXe siècle. Ces deux – Anne-Sophie Beaud, Un siècle d’emplois
approches sont relativement nouvelles, les anciens précaires, Paris, Payot, 2004.
programmes n’invitant guère à consacrer beaucoup – Marie-Claude Blanc-Chaléard, Histoire de l’im-
de temps à des questions pourtant passionnantes. migration, Paris, La Découverte, 2001.
– Christophe Charle, Histoire sociale de la France
La population active, reflet
au XIXe siècle, Paris, Seuil, 1991.
des bouleversements économiques
et sociaux : l’exemple de la France
– Alain Dewerpe, Le monde du travail en France,
depuis les années 1850 1800-1945, Paris, Armand Colin, 1989.
– Delphine Gardey, La dactylographe et l’ex-
Il faut absolument éviter de faire un cours clas-
péditionnaire. Histoire des employés de bureau,
sique du type : déclin des aristocrates et des
1890-1930, Paris, Belin, 2002.
paysans, essor de la bourgeoisie, avènement des
– Y. Lequin, Vandecasteele, S. (dir), L’Usine et
classes moyennes, urbanisation de la France…
le bureau. Itinéraires sociaux et professionnels
ces objets d’étude doivent désormais être lus à
dans l’entreprise. XIXe et XXe siècles, Lyon, PUL,
travers le prisme des évolutions de la population
1990.
active. Les modifications affectant le travail sont
en somme la clé de lecture de 150 ans d’histoire – O. Marchand, Thélot, C., Le travail en France,
économique et sociale de la France. On se deman- 1800-2000, Nathan, 1997.
dera donc comment les évolutions de la population – Annie Moulin, Les paysans dans la société
active rendent compte de ces mutations. française, de la Révolution à nos jours, Paris,
Seuil, 1988.
Une étude : l’immigration et la société – Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société
française au XXe siècle française, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 1986.
Il s’agit de mettre en évidence les flux migra- – Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes.
toires que la France a connu au XXe siècle et de Marchés du travail et trajectoires professionnelles
s’interroger sur la place de l’immigration dans la au XXe siècle, Paris, EHESS, 1997.
• 20 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

– Sylvie Schweitzer, Les femmes ont toujours que leurs aïeules, à savoir ramasser les grains ou
travaillé. Une histoire du travail des femmes aux les épis de céréales restés dans le champ après la
XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002. moisson ? Or, au-delà de cette image fixiste, les
– N. Sougy, P. Verley, La première industrialisa- campagnes se modernisent à la faveur de l’indus-
tion (1750-1880), La Documentation photogra- trialisation, certes lentement et de manière inégale
phique n°8061, 2008. selon les pays et les régions. Il n’en reste pas moins
– Eugen Weber, La fin des terroirs. La modernisa- vrai que la France est une puissance essentiellement
tion de la France rurale. 1870-1914, Fayard, 1983. rurale au milieu du XIXe siècle.
– Denis Woronoff, La France industrielle. Gens
des ateliers et des usines (1900-1950), Paris, La Doc. 2. Chaîne de montage dans l’usine
Renault de Flins, 1975
Martinière, 2003.
Le document 2 nous permet d’insister sur le thème
SUR L’IMMIGRATION
de l’immigration, les immigrés constituant, dès le
– Jacqueline Costa-Leroux, Émile Temime (dir.), XIXe siècle, les bras de l’industrialisation française.
Les Algériens en France. Genèse et devenir d’une
L’usine automobile Renault de Flins-sur-Seine est
migration, Publisud, 1985.
un haut lieu de l’histoire industrielle et de l’his-
– Gérard Noiriel, Le creuset français. Histoire
toire de l’immigration. Elle a ouvert ses portes en
de l’immigration XIXe-XXe siècle, Seuil, 1988.
1952 et est toujours en activité aujourd’hui. La
– Janine Ponty, L’immigration par les textes,
main-d’œuvre qui travaille à la chaîne y est très
France, 1789-2002, Belin Sup, 2003.
largement immigrée. On voit bien que les auto-
– Janine Ponty, Polonais méconnus. Histoire des
mobiles suspendues à des câbles vont de poste en
travailleurs immigrés en France dans l’entre-
poste où les attendent des ouvriers spécialisés (OS).
deux-guerres, Publication de la Sorbonne, 1988.
Un travail difficile et mal payé que les travailleurs
– Janine Ponty, Les Polonais du Nord ou la
nationaux ont tendance à refuser.
mémoire des Corons, Autrement, 1995.
– Benjamin Stora, Ils venaient d’Algérie. L’immi-
gration algérienne en France, 1912-1992, Fayard,
REPÈRES
1992.
– Patrick Weil, La France et ses étrangers. La France au travail
L’aventure d’une politique d’immigration de 1938 de 1850 à nos jours
à nos jours, Folio Histoire, Gallimard, 2004. ❯ MANUEL PAGES 52-53

OUVERTURE ◗ Document 1
❯ MANUEL PAGES 50-51 1. Comment la population active
évolue-t-elle depuis 1850 ?
Le choix de ces deux iconographies relève Comparez la situation des hommes
tout d’abord d’une approche diachronique, Les et celle des femmes.
Glaneuses de Millet illustrant une forme de travail
répandue au milieu du XIXe siècle lorsque le La population active ne cesse de progresser entre
programme commence ; la chaîne de montage le milieu du XIXe siècle et nos jours, la pente est
de Flins marque le sommet de la France indus- particulièrement forte lorsque les enfants du baby-
trielle en 1975. Il s’agit de montrer que l’on passe boom entrent sur le marché du travail, à partir des
d’une France majoritairement rurale et paysanne années 1960. La guerre de 1870, celle de 1914-1918
à une France industrielle qui compte 7,5 millions et surtout celle de 1939-1945 sont marquées par
d’ouvriers en 1975. un recul de la population active, lié à la mobilisa-
tion et à la désorganisation de la vie économique
Doc. 1. Les Glaneuses, Millet, 1857 qui accompagne chaque guerre. La faiblesse de la
Ce célèbre tableau de Millet donne des campagnes natalité à la fin du XIXe siècle fait aussi sentir ses
occidentales une image quelque peu figée, semblant effets durant les premières décennies du XXe siècle.
hors de toute modernité. Ces glaneuses n’accom- En 2011 comme en 1851, il y a toujours plus d’ac-
plissent-elles pas en effet la même tâche harassante tifs hommes que d’actifs femmes. Mais l’écart se
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 21 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

réduit considérablement, la pente de la courbe des truction puis pour faire face à la croissance alors
femmes s’accélérant à la fin du XXe siècle, compen- que la guerre a aggravé la dénatalité caractéris-
sant le faible dynamisme de celle des hommes. tique de la France depuis un siècle et la mortalité
Signalons que cet écart hommes-femmes ne signifie masculine. Cette forte immigration, surtout mascu-
pas que les hommes ont toujours plus travaillé que line, est encouragée et encadrée par la signature
les femmes. Comme le dit Sylvie Schweitzer, Les de conventions avec les pays de départ ou la créa-
femmes ont toujours travaillé, mais nombre d’entre- tion d’organismes spécifiques. En période de crise
elles n’étaient pas salariées (dans le monde rural économique la part des immigrés dans la population
surtout). L’essor rapide du salariat féminin est le totale diminue, ce qui est très net après 1931 (plus
phénomène socio-économique le plus marquant de de 6 % en 1931 puis 5 % en 1945) du fait de la
la seconde moitié du XXe siècle. politique du gouvernement de Vichy. Après 1975
la part des immigrés dans la population totale est
◗ Documents 2 et 5 stationnaire à 7 % : les entrées de travailleurs sont
arrêtées mais le regroupement familial possible.
2. Quelles sont les grandes évolutions
du travail ? Montrez notamment
quels métiers reculent fortement ◗ Document 4
et lesquels prennent de l’ampleur.
4. Décrivez cette courbe : à quel moment
Les évolutions marquantes de la période sont d’une la pente s’accélère-t-elle ? Pourquoi ?
part le recul puis la « disparition » de la population La forme de cette courbe – en dents de scie – montre
active du secteur primaire (la fin des agriculteurs que le chômage est un phénomène fluctuant. La
surtout, celle des mineurs aussi) ; d’autre part la croissance des années 1930 marque les difficultés
progression entre 1851 et 1962 du secteur secondaire de l’économie française à l’heure de la dépres-
dans une France qui s’industrialise, puis le recul de sion. Mais la rupture de pente majeure se produit
ce même secteur à la fin du XXe siècle et au début au milieu des années 1960, ce qui est l’occasion
du XXIe siècle à l’heure de la désindustrialisation ; de rappeler aux élèves que la « dépression » qui
enfin, accompagnant les deux phénomènes précé- suivrait les chocs pétroliers a également des racines
dents, l’essor du secteur tertiaire qui n’occupait que plus profondes ; dès les années 1960 l’économie
18 % des actifs en 1851 et qui en emploie 76,6 % française montre des signes d’essoufflement.
en 2008. En simplifiant : on passe au XIXe siècle Pendant quarante années le chômage progresse
d’une société agricole à une société industrielle, puis de manière quasi-ininterrompue, jusqu’à dépasser
au XXe siècle à une économie tertiarisée. le cap des 2 millions de chômeurs. Les mesures des
Les métiers qui ont fortement reculé ou disparu : gouvernements successifs ne permettent pas d’éra-
agriculteurs exploitants, salariés agricoles, domes- diquer ce qui apparaît comme un véritable fléau.
tiques à la personne, petits patrons de l’artisanat.
Les métiers qui sont apparus ou se sont forte-
ment développés : employés (du commerce ou ÉTUDE
de l’industrie), cadres, professions intermédiaires,
Les mutations du monde ouvrier
professions intellectuelles supérieures.
(1850-1939)
❯ MANUEL PAGES 54-55
◗ Document 3
L’essor du monde ouvrier est le fait marquant de
3. Quelles sont les périodes durant lesquelles la période 1850-1939. Il s’agit d’un monde fort
le poids des immigrés progresse le plus vite ? diversifié en perpétuelle recomposition.
Comment peut-on l’expliquer ?
La France a connu deux grandes périodes de forte ◗ Document 1
croissance de la part des immigrés dans la popula-
tion totale depuis 1911: 1921-1937 et 1946-1975. 1. Quand se situe dans cette période
Dans les deux cas il s’agit de périodes de crois- l’apogée du monde ouvrier ?
sance économique consécutives à la guerre. Il y a L’année 1931 marque un apogée aussi bien en
un besoin accru de main-d’œuvre pour la recons- termes d’effectifs que d’importance relative. Signa-
• 22 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

lons toutefois que l’année 1974 marquera un record Avantages pour le travailleur
historique avec 8,3 millions d’ouvriers en France. – Il est libre de gérer son temps de travail.
– Il peut faire travailler ses enfants ou des parents,
◗ Documents 2, 3 et 4 souvent aussi des « compagnons ».
2. Quels sont les lieux de travail ? – Il peut être pluriactif : avoir un autre travail et
Peut-on parler d’un monde ouvrier garder celui-ci pour son temps libre ou pour les
uniforme ? Pourquoi ? mortes saisons.
Les lieux de travail :
Inconvénients pour le travailleur
Doc 2 : usines et manufactures (beaucoup plus – Il doit acheter son métier à tisser ou à filer et
ancienne, la manufacture était souvent un privi- l’entretenir.
lège royal ; on y travaille à la main alors que c’est
– Il est dépendant de l’employeur qui peut se
la machine qui fait l’usine)
passer de ses services de manière arbitraire.
Doc 3 : travail à domicile – Lieu de vie et lieu de travail se confondent, ce
Doc 4 : travail en usine. qui peut poser des problèmes de salubrité.
Le travail à domicile, très répandu au XIXe siècle, – L’isolement social ne favorise guère l’avène-
ne recule pas lorsque s’affirme l’usine (début ment d’une « conscience de classe » et fragilise
XIXe siècle) mais plutôt lorsque s’affirme la grande l’ouvrier ; une exception notable : celle des canuts
usine (fin XIXe siècle). Autant que les lieux, les lyonnais en révolte en 1831 et en 1834.
types de travaux effectués par les ouvriers sont
variés. Travailleurs isolés ou groupés, en ville ou Avantages pour l’employeur
à la campagne, hommes ou femmes, jeunes ou – Inutile d’acheter ou de louer une usine.
personnes âgées… travailleurs dans des branches – Il peut facilement gérer ses besoins en main-
aussi différentes que le textile ou la sidérurgie : le d’œuvre.
monde ouvrier est une véritable mosaïque. Toute- – Il évite les risques de grève ou de mouvement
fois, à l’ère de l’industrialisation, le machinisme se revendicatif de la part d’ouvriers isolés.
répand et uniformise certaines pratiques de travail. – Il impose ses prix.

◗ Document 2 Inconvénients pour l’employeur

3. Comment le texte explique-t-il le travail


– Il doit beaucoup circuler (dans un rayon assez
des enfants ? La législation sur le travail vaste parfois en milieu rural) pour rassembler une
est-elle bien respectée ? production d’inégale qualité.
Le travail des enfants est expliqué par la volonté – Il ne contrôle pas la productivité et ne peut espé-
manifeste des parents d’avoir un revenu supplémen- rer garder un quelconque secret de fabrication.
taire. La loi de 1841, censée protéger les enfants en – Son emprise sur les ouvriers est limitée car ces
interdisant leur travail avant 8 ans, est mal appliquée derniers disposent d’autres sources de revenus.
selon ce rapport du sous-préfet de Lisieux. Il faut dire
que le corps de l’Inspection du travail n’existait pas ◗ Document 4
encore et que les usines restaient largement à l’abri
des regards et des interventions extérieurs, vécus 5. Décrivez cette photographie.
Comment la chaîne transforme-t-elle
par les patrons comme inquisiteurs et illégitimes.
le travail de l’ouvrier ?

◗ Document 3 Cette photographie illustre quelques principes


fondamentaux du travail à la chaîne. L’ouvrier
4. D’après vous, quels sont les avantages est immobile, c’est le travail qui vient à lui, ici à
et les inconvénients du travail à domicile ? l’aide de rails. Les pièces et les outils sont cali-
Ce type de travail offre des avantages et des incon- brés, uniformisés, en nombre réduit. L’usine est
vénients aussi bien pour le travailleur que pour très vaste, aérée, son organisation est visiblement
celui qui lui donne son travail. rationnelle.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 23 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

◗ Document 5 feste le rejet de l’usine taylorisée comme le dit


clairement le slogan : « À bas les cadences infer-
6. Présentez ce document. Sur quels principes
l’OST repose-t-elle ? Pourquoi l’auteur
nales ». Le dessin n’est pas moins éloquent : un
parle-t-il de bagne ? ouvrier robotisé est affublé de six bras et de six
mains, chacune maniant un outil. Pour suivre la
Ce texte est le témoignage de Georges Navel, qui
cadence, avoir deux bras ne suffit donc plus…
travailla comme ouvrier dans de grandes entre-
prises taylorisées durant les premières décennies Doc 3 : Les robots peuvent-ils/vont-ils remplacer
du XXe siècle. Navel fut à la fois acteur et témoin les ouvriers dans les usines ? Assez ancienne, la
du travail à la chaîne. L’OST repose sur les prin- lutte de l’homme contre la machine est réactivée
cipes suivants : démonstration de l’ingénieur, au début des années 1980 au moment où l’auto-
qui occupe la place centrale dans le dispositif matisation s’accélère.
organisationnel de l’entreprise, chronométrage,
travail à la pièce, hiérarchie forte (« gardiens en ◗ Document 5
casquette »). Pour Georges Navel comme pour
2. Quelles modifications affectent le travail
beaucoup d’ouvriers, la grande usine c’est « le ouvrier au tournant du XXIe siècle ?
bagne », car elle contraint les organismes et abrutit
en raison du caractère monotone et répétitif des Le travail ouvrier est de plus en plus qualifié, « les
gestes à appliquer. Un bagne aussi car l’autorité tâches de production ont cédé la place à d’autres,
des chefs est forte. plus qualifiées ». Beaucoup de postes d’ouvriers
se sont ainsi mués en postes d’employés.
7. Quel est le rapport de l’ouvrier
à la machine ? 3. Outre le travail, quels sont les autres
changements qui touchent les ouvriers ?
L’homme est réduit à l’état de machine : « Dans
mes rêves, j’étais machine ». Le travail empiète « La « conscience de classe » s’est beaucoup atté-
sur la vie privée : « Dehors, l’usine me suivait ». nuée » dit cet auteur, ce qui résulte à la fois de
La dernière phrase, « Je tournais avec un engre- la diversification du monde du travail ouvrier,
nage », fait référence au film Les Temps modernes du recul de son poids démographique et de sa
de Charlie Chaplin (1936), qui montre avec qualification croissante. Ceci a pour corollaire
humour l’emprise de la grande industrie sur les une uniformisation des modes de vie : les ouvriers
hommes. n’ont plus guère de pratiques culturelles spéci-
fiques (comme autrefois le bal par exemple).
En somme, les ouvriers seraient devenus des
ÉTUDE travailleurs et des citoyens comme les autres, les
spécificités du groupe s’estompant.
Déclin et transformations
du monde ouvrier ◗ Document 1
depuis les années 1960
❯ MANUEL PAGES 56-57
4. À l’aide de ce tableau et du doc 1 p. 54,
situez l’apogée du monde ouvrier.
Remarque préliminaire L’apogée du monde ouvrier, aussi bien en termes
Des pages 360 à 363, deux doubles pages appor- d’effectifs que de poids relatif, se trouve en 1974.
tent un autre éclairage sur les mondes du travail Après cette date, le recul est très net dans une
ouvrier qui occupent une place de choix dans le France qui se désindustrialise.
programme de première.
5. Pourquoi peut-on parler de déclin du
monde ouvrier à partir des années 1970 ?
◗ Documents 2a et 5 À l’aide du tableau et du doc 2 p. 52,
1. Décrivez et expliquez ces dessins. expliquez ce déclin.
De quelles évolutions rendent-ils compte ? Ce déclin est quantifiable : on passe de 8,3 à
Doc 2 a : Ce dessin, qui avait pour vocation d’être 5,8 millions d’ouvriers entre 1974 et 2008, de
placardé sur les murs de Paris en mai 1968, mani- 38,5 % à 20,1 % de la population active. C’est
• 24 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

la formidable croissance de la population active ÉTUDE


du secteur tertiaire qui explique ce phénomène ;
on passe d’une France industrielle à une France Depuis 1945, la fin des paysans ?
des services. ❯ MANUEL PAGES 58-59
L’agonie précoce du secteur primaire, le lent
◗ Document 2 déclin du secteur secondaire et l’essor des acti-
vités tertiaires s’accompagnent inévitablement
6. Décrivez la caricature et la photographie.
de modifications des catégories socioprofession-
Que nous apprennent-elles
nelles. Les paysans figurent en bonne place parmi
sur les revendications ouvrières en mai 68 ?
les groupes sociaux « victimes » en quelque sorte
Mai 1968 est un grand moment de l’histoire de ce processus : leur poids démographique et leur
sociale et en particulier de l’histoire ouvrière de place symbolique au sein de la société française
notre pays. Le « cycle héroïque » ouvert en 1936 ne cessent de décliner. Ecrit en 1967, l’ouvrage de
continue, écrit Gérard Noiriel dans Les ouvriers Henri Mendras évoque la fin des paysans, phéno-
dans la société française (1986). Cette photogra- mène dont cette double page veut rendre compte.
phie des usines de Billancourt nous rappelle que
les ouvriers ont occupé les usines, parfois même
◗ Documents 1 et 2
séquestré les directions ; au départ spontané, le
mouvement a vite été encadré (ou récupéré !) par 1. Justifiez l’expression d’Henri Mendras
les syndicats, dont on aperçoit ici les banderoles « la fin des paysans ».
(CGT, CFDT, FO). Les principales revendica- La part des paysans dans la population active
tions ouvrières/syndicales portent sur les salaires, recule fortement au XIXe siècle, avant de fondre
les conditions de travail, la représentation syndi- au XXe siècle, pour atteindre 3,3 % de la popula-
cale, autant de thèmes qui seront au cœur de la tion active en 2009. Le recul est tout aussi impres-
négociation de Grenelle à la fin du mois de mai. sionnant en valeurs absolues : on passe de plus de
La défense des immigrés (voyez la banderole de 9 millions d’actifs en 1851 à 800 000 aujourd’hui.
droite) est aussi au cœur du mouvement de mai ; Ce recul accompagne et entraîne celui de la part
rappelons que ces derniers constituaient le gros de la population rurale dans la population totale
des effectifs des OS qui travaillaient à la chaîne. du pays. C’est bien à « la fin des paysans » que
l’on assiste dans la seconde moitié du XXe siècle.
◗ Documents 2 et 7
7. Dans ces deux documents, quels sont les
◗ Document 2
travailleurs mobilisés ? Montrez qu’en 2001 2. Selon Henri Mendras, quels facteurs
les revendications ont changé. Pourquoi ? expliquent le recul de la paysannerie ?
Des ouvriers et certainement aussi des employés Les « exigences nouvelles de l’économie » et du
d’usine sont mobilisés dans les deux cas. Notons la progrès technique constituent le principal facteur
forte féminisation de l’usine Moulinex, qui contraste explicatif : augmenter les productions et amélio-
avec le caractère masculin des usines de construction rer la productivité conduit à agrandir les exploi-
automobile ; la période 1968-2001 a été marquée par tations, ce qui condamne les plus petites. Etre en
une forte féminisation de l’emploi salarié féminin. phase avec le marché, s’adapter aux goûts des
Les revendications du début du XXIe siècle concer- consommateurs sont aussi des défis qui ont été
nent la défense ou la sauvegarde de l’emploi, qui est difficilement relevés par les plus petits exploitants
menacé. La mondialisation, favorisant les délocalisa- ou les plus précaires.
tions, a en effet entraîné de nombreuses fermetures
d’usines dans les pays du Nord. Alors que la plupart ◗ Document 5
des grèves et des manifestations étaient autrefois
offensives (il s’agissait de gagner, d’obtenir quelque 3. Quelles sont les revendications
chose), elles sont devenues défensives au XXIe siècle de ces producteurs de lait ?
(il s’agit de conserver des positions, de défendre des Les producteurs de lait figurent parmi les grands
acquis sociaux). « perdants » des politiques agricoles qui se sont
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 25 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

succédé au niveau européen (dans le cadre de la 7. Par quels procédés cette association
PAC) et au niveau national depuis le début des entend-elle valoriser le métier d’agriculteur ?
années 1960. Leurs revenus ont rétréci comme une « Accueil personnalisé », « agriculture durable
peau de chagrin, si bien qu’ils ne peuvent plus vivre et responsable », « valorisation des produits de
décemment de leur métier. En situation de surpro- l’exploitation et des savoir-faire » : tels sont les
duction, ils doivent respecter des quotas et accepter procédés qui permettent à Bienvenue à la ferme
des prix de vente très/trop bas. Leur colère s’ex- de valoriser le métier d’agriculteur.
plique aussi par les profits importants réalisés par
les distributeurs (voyez la pancarte de droite). C’est
donc un meilleur prix et une plus juste redistribution ÉTUDE
des profits que réclament les producteurs de lait.
Les employés et les cadres
◗ Documents 2 et 3 depuis 1850
❯ MANUEL PAGES 60-61
4. Pourquoi et comment le métier Cadres et employés constituent une véritable
d’agriculteur s’est-il modernisé ? mosaïque de métiers et de qualifications. Le poids
L’industrialisation a modifié le métier d’agricul- démographique et le rôle croissant de ces métiers
teur en introduisant des machines, des outils et des qui sont au cœur de l’économie française justifiait
engrais toujours plus sophistiqués et performants. bien une double page sur ce thème.
Les métiers se sont modernisés comme l’illustre
très bien la photographie 3. ◗ Documents 1, 2 et 4
1. Quelles sont les deux périodes de plus
◗ Document 4 forte croissance pour les employés
et les cadres ? Soyez précis et utilisez
5. Décrivez ces courbes ; quand se produisent
les photographies pour vous justifier.
les plus fortes ruptures ? Comment peut-on
l’expliquer ? Les périodes de plus forte croissance sont les
suivantes : de 1911 à 1931, puis de 1954 à 1975,
Ces deux courbes, pratiquement parallèles,
au cœur des Trente Glorieuses. Ces deux périodes
montrent sans ambiguïté la très forte croissance
correspondant à l’accélération de la tertiarisation,
de la production et des rendements en blé dans
de la salarisation et de la féminisation de l’emploi
la seconde moitié du XXe siècle, avec une multi-
féminin en France. Les employées de bureau –
plication par quinze en 70 années. La rupture de
comme la dactylo (doc 3) ou l’employée de chez
pente la plus forte a lieu dans les années 1970 : les
Air France (doc 4) constituent un groupe tout à
nombreux départs favorisent l’agrandissement des
fait représentatif de cette évolution.
exploitations qui deviennent plus rationnelles, les
engrais chimiques et les tracteurs se démocratisent
(les paysans s’endettent pour les acquérir), les aides ◗ Document 2
ou incitations de la PAC font déjà sentir leurs effets. 2. De quels employés s’agit-il ?
Est-ce nouveau au XIXe siècle ?
◗ Document 6 Les employé(e)s de magasin ont toujours existé,
mais la profession change profondément à partir
6. Qu’est-ce qui peut pousser un paysan
du milieu du XIXe siècle avec l’apparition et l’es-
à diversifier son activité ?
sor des grands magasins (Le Bon Marché ouvre
La recherche de revenus complémentaires, la ses portes en 1852).
volonté de valoriser un métier tout en répondant
à une demande sociale forte (retour à la terre, agri- 3. Montrez la hiérarchie et la diversité
culture biologique ou raisonnée soucieuse de l’en- de ces métiers.
vironnent, développement durable etc..) expliquent La hiérarchie est très forte dans ce grand maga-
pourquoi certains paysans cherchent à diversifier sin : Zola distingue bien le chef de rayon (ou le
leur activité. Un mélange en somme de préoc- cas échéant le chef de comptoir), qui supervise
cupations d’ordre socio-économique et culturel. les seconds (premier et deuxième second), eux-
• 26 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

mêmes en charge des vendeurs et des vendeuses, ◗ Document 2


qui sont classés « en sous-ordre » ; enfin caissiers
7. Qui des hommes ou des femmes sont
(ou caissières) complètent cette armada au service
les plus nombreux au Bon Marché ?
d’une clientèle riche et exigeante. Ont-ils la même place dans la hiérarchie
du magasin ?
◗ Documents 3 et 4 Si les femmes sont les plus nombreuses, les
hommes occupent les meilleurs emplois au
4. Quels sont les métiers représentés ? Bon Marché ; aux femmes les travaux les plus
Comment les employés sont-ils touchés par
précaires, les plus ingrats et les plus mal payés. En
la modernisation du travail au XXe siècle ?
ce sens, il y a de fortes similitudes entre le monde
La dactylo travaillant sur sa machine et l’employée des employés et le monde ouvrier.
d’Air France travaillant sur son ordinateur exer-
cent deux métiers qui se situent à mi-chemin entre ◗ Document 5
les professions dites intellectuelles et celles dites
8. Que dire de la part des femmes
manuelles. En effet, ces travailleuses sont quali-
dans l’emploi des cadres ?
fiées, diplômées, elles sortent d’une école et font
partie de la nébuleuse des cols blancs. Mais par Tandis qu’il y a aujourd’hui plus d’employées
bien des aspects leur métier est proche de celui des que d’employés, il y a plus de cadres hommes
ouvrières : monotone, répétitif, assez mal payé, que de cadres femmes en France. Cette inégalité
soumis à une forte pression de la hiérarchie mascu- montre bien que le marché du travail reste sexiste
line (voyez les travaux de Delphine Gardey, La en quelque sorte.
dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des
employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin,
2002 Gardey). HISTOIRE DES ARTS
Cinéma et monde ouvrier
◗ Document 5 ❯ MANUEL PAGES 66-67

5. Comment la figure du cadre ◗ Présenter les œuvres


se transforme-t-elle à la fin du XXe siècle ?
1. Faites une présentation de l’ensemble
La figure du cadre se renouvelle, essentiellement des documents.
sous l’effet de la certification et de la féminisa- Quatre films – trois fictions et un documentaire
tion. En outre, le cadre n’exerce plus forcément – sont proposés ici. Les fictions sont deux chefs-
des fonctions d’encadrement. En définitive, cadre d’œuvre du cinéma français, À nous la liberté de
renvoie davantage à un statut qu’à un métier au René Clair (1931) et La bête humaine de Jean
début du XXIe siècle. Renoir (1938), ainsi que le plus récent Germi-
nal de Claude Berri (1993). La Dernière journée
◗ Document 1 d’Olivier Bourbeillon est un documentaire datant
de 2005. Ces quatre films ont été choisis car ils
6. Comparez les évolutions des effectifs illustrent différents aspects du travail ouvrier.
masculins et féminins. Qu’en concluez-vous
sur la féminisation de ces métiers ? ◗ Analyser les œuvres
Cadres et employés sont les métiers qui connais- 2. Quelle opposition cette affiche
sent la féminisation la plus spectaculaire au et le thème du film mettent-ils en avant ?
XXe siècle. Alors que ces métiers étaient quasi- Comment l’interpréter dans le contexte
exclusivement masculins au XIXe siècle, les du travail ouvrier des années 1930 ?
femmes sont aujourd’hui bien plus nombreuses Cette affiche montre l’opposition entre un dedans –
que les hommes. Il s’agit là de l’une des évolutions l’usine assimilée ici à un bagne, voyez les barreaux
les plus spectaculaires et les plus significatives de et la couleur gris terne, les travailleurs courbés
150 ans de mutations du travail en France. sous le poids de leur tâche – et un dehors ensoleillé
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 27 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

porteur de promesses. Au début des années 1930, des travailleurs pluriactifs ; mineurs de père en fils
les ouvriers ont soif de liberté et rêvent d’éva- « du berceau à la tombe », ils s’organisent pour
sion, surtout ceux qui travaillent à la chaîne dans défendre leur profession. En face, le patronat jouit
les usines où triomphe le travail taylorisé, usant, encore de la quasi-absence de protection sociale
répétitif et monotone. Renvoyons à cet égard les en France et profite du fait que l’État – par l’in-
élèves aux témoignages de G. Navel et de S. Weil. termédiaire de préfets – est très souvent de leur
côté en cas de conflit, ce qui ne sera plus le cas
3. Quelle image de l’ouvrier est ici mise en en revanche à la fin du XIXe siècle.
scène ? Justifiez votre réponse.
Doc 2 : fin XIXe siècle : essor des chemins de fer
Véritable incarnation du monde ouvrier à l’écran,
en France, et donc essor du nombre de cheminots,
Jean Gabin semble avoir dompté la machine : la
une profession très bien structurée, syndiquée et
locomotive ne peut fonctionner sans lui, il en connaît
revendicative.
tous les rouages et sait régler sa puissance. Mieux,
on peut dire que Jean Gabin, ou plutôt le personnage Doc 1 : l’entre-deux-guerres marque le triomphe de
de Lantier, devient machine. La fusion est suggérée la grande usine dans laquelle le travail est rationna-
par cette photographie qui montre les corps emmê- lisé, taylorisé, ce qui constitue une contrainte pour
lés et les couleurs qui se fondent ; elle est suggérée les ouvriers. L’usine est alors vécue comme un
aussi par le scénario qui veut que Lantier devienne bagne, duquel il est difficile pourtant de s’échap-
un assassin, tour à tour nerveux comme une loco- per : peu d’ouvriers sortent de leur condition.
motive et froid comme une machine. Doc 4 : dans une France qui se désindustrialise,
des usines ferment leurs portes, ce qui provoque
4. Décrivez cette affiche. Identifiez du chômage et la disparition de certains métiers
les personnages de la scène du bas.
et/ou savoir-faire.
Pourquoi s’en prendre à la machine ?
Quel type d’action est ici mis en valeur ? 7. Quel rapport à la machine est suggéré
En quoi est-ce une dénonciation ? pour chaque époque ?
Cette affiche se compose de deux plans disposés Doc 1 : la machine comme contrainte ;
de manière verticale. En haut, un mineur en colère Doc 2 : l’homme devient machine / l’homme
entreprend de briser les armatures constituant le dompte la machine ;
carreau de mine ; en bas une foule ouvrière en Doc 3 : la machine écrase l’homme, elle est donc
colère affronte les forces de l’ordre menaçantes. en retour l’objet de son courroux ;
L’héroïsme ouvrier est ici magnifié. Les ouvriers
Doc 4 : avec la fin de la machine, c’est la fin de
sont en lutte, prêts à risquer leur vie pour défendre
l’usine et donc du monde ouvrier.
non seulement leur travail, mais aussi leur dignité.
8. En quoi ces films illustrent-ils les mutations
5. Comment comprendre le titre du film du travail industriel ?
La Dernière journée ?
Décrivez cette photographie : comment Ces films montrent l’emprise de l’usine (doc 1) et
la machine et l’homme sont-ils présentés ? de la machine (doc 2) et des organisations patro-
Ce film retrace la dernière journée de travail de nales sur les ouvriers (doc 3), mais aussi la fin
trois ouvriers, la dernière journée aussi du fonc- d’un cycle lorsque l’usine ferme ses portes dans
tionnement d’un marteau-pilon plus que cente- une économie qui se tertiarise et dans laquelle
naire. l’emploi industriel ne cesse de reculer.

◗ Faire le lien entre art et histoire ÉTUDE


6. Replacez ces films dans une chronologie
du travail ouvrier. Ne prenez pas en compte la L’immigration polonaise dans
date des films, mais la période qu’ils illustrent. le Nord-pas-de-Calais (1920-1939)
Doc 3 : les mineurs en lutte sous le Second ❯ MANUEL PAGES 68-69
Empire : cette période marque une radicalisation Le cas des Polonais dans le Nord-pas-de-Calais
des luttes ouvrières. Les mineurs cessent d’être est un bon exemple de l’immigration européenne
• 28 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

de l’entre-deux-guerres qui fut nombreuse à un 1919 est une nouveauté (auparavant immigration
moment où la dénatalité et la croissance écono- de proximité, Belge en particulier) et le fait le
mique des années 1920 commandaient une ouver- plus marquant.
ture des frontières, en particulier dans les régions Cette situation démographique en 1918 explique
industrielles comme celle proposée à l’étude. l’inquiétude des pouvoirs publics comme des chefs
Les documents choisis permettent aux élèves de d’entreprise. Ainsi le Comité central des Houillères
prendre la mesure de ce grand flux de population, de France fait pression sur le gouvernement pour
des raisons qui le motivent et du rôle joué par qu’il signe un accord avec le gouvernement polo-
l’État. Ils permettent aussi de mettre en évidence nais en 1919. L’État signe ensuite d’autres conven-
les difficultés d’intégration d’une population qui tions, avec l’Italie, avec la République tchécoslo-
finalement s’est fondue dans la population locale. vaque. Le texte signé avec la Pologne sert de modèle
et définit les principes : garantie de l’égalité des
◗ Document 1 salaires, bénéfice des lois de protection sociale en
1. Quelles sont les périodes de forte usage dans le pays d’accueil, contrats de travail
immigration polonaise en France obligatoires sur lesquels figurent la nature de l’em-
et dans le Nord-pas-de-Calais ? ploi et la rémunération promise. Le recrutement
Le graphique permet de mesurer l’importance des est ensuite pris en charge par la Société Générale
arrivées dans les années 1920 à la fois en France et d’Immigration, entreprise privée contrôlée par le
dans le Nord-pas-de-Calais. Le nombre de Polonais patronat. Théoriquement, l’État contrôle les activi-
en France est allé jusqu’à 500 000 en 1931 dont tés de la SGI à chaque étape du recrutement, mais
200 000 dans la seule région du Nord-pas-de-Calais, en pratique ce contrôle est peu effectif.
première région d’accueil de ces populations.
En effet les Polonais sont 13 000 dans le Nord-Pas- ◗ Document 2
de-Calais en 1921, 90 000 en 1926, soit une popu- 3. Quel est le rôle de la Société Générale
lation multipliée par sept environ en cinq ans. Ils se d’immigration ? 4. Comment, d’après ce récit,
concentrent pour l’essentiel dans le bassin minier les migrants sont-ils traités ?
du Pas-de-Calais, et dans une moindre mesure Cet organisme, créé en 1924 et contrôlé par le
dans celui du Valenciennois et du Douaisis (Nord). Comité central des Houillères de France, est
Cette immigration diminue très nettement après chargé d’organiser le recrutement des travailleurs
1931, tombant à un peu plus de 400 000 pour polonais sous contrat. Il s’agit de paysans ou de
toute la France. Cette forte immigration polonaise mineurs polonais travaillant dans la Ruhr, donc
des années 1920 peut être mise en regard de la d’hommes seuls qui font venir ensuite leur famille.
forte immigration que connaît la France pendant Les candidats sont très nombreux tant la misère
cette période (cours p. 72), le nombre d’étrangers paysanne est grande et parce que l’immigration
passant de 1 million en 1911 à 3 millions en 1931. vers les États-Unis est réduite par la loi des quotas.
En pratique, la SGI a un quasi-monopole sur le
◗ Documents 2 et 3 recrutement en Europe centrale et recrute 450 000
2. Quelles en sont les raisons ? ouvriers entre 1924 et 1930. Elle fait payer ses
Le document 3 renvoie à l’industrialisation et à services aux chefs d’entreprise qui se remboursent
l’exploitation des mines de charbon du nord de par des prélèvements mensuels sur les salaires.
la France alors que la France connaît une crise L’auteur de ce texte, Georges Le Fèvre, s’est rendu
de main-d’œuvre du fait de la dénatalité, dont les en Pologne pour faire son reportage grâce à l’appui
effets ont été aggravés par la surmortalité mascu- du directeur général de la SGI, Jean Duhamel. Il
line pendant la Première Guerre mondiale. Dans décrit les différentes étapes du recrutement collec-
le même temps les besoins pour la reconstruction, tif avec examens professionnels et médicaux expé-
en particulier dans cette région dévastée par la ditifs, le rôle joué par les représentants patronaux
guerre, et ceux générés par la croissance écono- et par l’administration. Le document 2 met en
mique des années 1920 sont considérables. L’im- évidence l’inhumanité de ce recrutement de masse
migration polonaise massive dans la région après qui s’apparente, au moment de la sélection, à la
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 29 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

traite des Noirs ou à l’industrie moderne. L’auteur compagnies houillères du Nord-Pas-de-Calais orga-
n’a aucun mot d’empathie à l’égard des migrants nisent le retour d’étrangers licenciés par manque
réduits à leur seule dimension de travailleurs alors d’emploi. Le jour de sa paye, le mineur reçoit une
que d’autres sources mettent l’accent sur la peur du carte de congé professionnel et un ordre de départ
départ, la rudesse des recruteurs. Au total, le grand sous 48 heures. Un système de convoi collectif
centre de Myslowice que visite l’auteur, ouvert par est organisé. Ces rapatriements familiaux ne sont
la SCI en 1923, vit passer 700 000 Polonais sous motivés que par le marché du travail et s’effectuent
contrat jusqu’à sa fermeture en 1939. dans l’indifférence, alors que les syndicats se mobi-
lisent pour les rapatriements du type du document 6,
◗ Documents 4 et 5 lorsqu’il s’agit d’expulsions de militants.

5. Les Polonais sont-ils intégrés


à la population ? 6. En quoi la photographie
◗ Document 5
illustre-t-elle le texte ? 8. Qu’est ce qui montre, d’après
ce témoignage, que finalement
Les souvenirs de ce témoin, Edouard Fiba, arrivé en
l’intégration a été réussie ?
France en 1925, confirment ce que montre la photo-
graphie, c’est-à-dire le maintien d’une forte identité L’auteur témoigne de l’intégration de la population
polonaise, à la fois nationale et religieuse, au début polonaise dans le Nord-pas-de-Calais puisqu’il
de l’installation des Polonais. Cette forte identité évoque le recul de la polonité, en particulier l’oubli
se manifeste de différentes manières, notamment de la langue. Malgré les difficultés de départ, cette
par le maintien de la langue, par l’intensité de la population, au bout de 50 ans, a été complètement
vie associative, en particulier dans des associa- assimilée. Dans les années 1920 et 1930 la popula-
tions cultuelles, par l’existence de quartiers exclu- tion locale, comme les autorités, les jugeaient inas-
sivement polonais et globalement par un faible similables parce que d’une culture trop différente.
mélange des Polonais avec le reste de la population. Le catholicisme fervent des Polonais par exemple
Ils obtiennent même l’autorisation d’avoir des cours heurtaient les ouvriers français très déchristianisés.
en langue polonaise (accord Sokal-Peyerimhoff Ainsi le préfet du Pas-de-Calais où se trouvaient
1924) ajoutés à l’horaire obligatoire dans les établis- 113 000 Polonais en 1929 soit 25 % du total, chargé
sements publics ou insérés dans les emplois du de rédiger un rapport de synthèse pour le ministère
temps dans les écoles privées des houillères. Cette de l’Intérieur les jugeaient lui aussi inassimilables,
faible intégration s’explique en grande partie par se plaignant de leur repli communautaire. Finale-
la conviction de ces migrants qu’ils pourront assez ment, à la phase d’incompréhension des années
vite rentrer dans leur pays. De ce fait ils sont peu 1930 a succédé une phase d’indifférence à leur
nombreux à demander des naturalisations, pourtant égard durant les Trente Glorieuses. Aujourd’hui,
facilitées par la loi de 1927 (réduction de la durée les troisième et quatrième générations possèdent la
de présence sur le territoire de 10 à 3 ans). nationalité française en vertu du « double droit du
sol » (est Français dès la naissance l’enfant né d’un
père ou d’une mère né en France). Les mariages
◗ Documents 5 et 6
mixtes, exceptionnels dans l’entre-deux-guerres,
7. Quelles sont les raisons qui expliquent encore minoritaires jusque vers 1960, sont devenus
les expulsions des années 1930 ? monnaie courante.
La crise multiforme que connaît la France dans
les années 1930, économique, démographique,
morale, se traduit par une politique de fermeture à ÉTUDE
l’égard des étrangers. Ainsi le chômage qui débute L’immigration maghrébine
en 1931 développe l’idée d’une préférence natio-
nale chez tous les hommes politiques, à l’excep-
en France pendant les Trente
tion des communistes. De 1931 à 1939 le discours Glorieuses
xénophobe qui était l’apanage de l’extrême droite ❯ MANUEL PAGES 70-71
va gagner l’ensemble du monde politique. À partir Les années 1945-1975, de forte croissance écono-
de 1934-1935, sous pression du gouvernement, les mique, sont marquées par un afflux important de
• 30 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

migrants, auxquels l’État français fait appel ou qui les travailleurs musulmans d’Algérie, 1959). Les
arrivent spontanément. Comme dans les années Trente Glorieuses vont alors générer un important
1920 (voir l’étude p. 68), les besoins de la recons- appel de main-d’œuvre avec l’illusion que les immi-
truction, la croissance économique et le manque grés rentreront dans leur pays lorsque la France
de main-d’œuvre expliquent ce recours aux étran- n’aura plus besoin d’eux.
gers. Pendant cette période, leur origine géogra-
phique change. Après avoir connu une immigra- ◗ Document 3
tion européenne (Belges, Italiens, Polonais), la
France accueille une immigration essentiellement 4. Montrez, d’après ce témoignage,
méditerranéenne et de plus en plus maghrébine. l’ancienneté de la venue des Algériens
en France.

◗ Document 1 Les entrées d’Algériens en France ont été massives


après guerre mais ont débuté bien avant. Ainsi le
1. Montrez qu’il y a une forte croissance texte évoque le séjour du père de l’auteur dans les
de la population étrangère en France
mines du Nord, sans doute vers 1914. La période
entre 1946 et 1975.
de l’entre-deux-guerres avaient déjà été marquée
2. Quelle est la part des Maghrébins
par rapport au nombre d’étrangers ? par l’accroissement du nombre d’Algériens en
France, passant de 57 000 en 1918 à 148 000 en
Entre 1946 et 1962, la population étrangère en 1937. Il s’agit principalement d’hommes jeunes,
France connaît une croissance continue, passant de en rotation rapide, comme l’évoque le texte,
1,7 million en 1946 à 2,2 en 1962 et 3,4 millions travaillant à Marseille, Lyon, en région parisienne
en 1975. Cette forte croissance fait suite à une ou dans les mines du Nord. La Seconde Guerre
baisse des arrivées en France dans les années 1930 mondiale marque l’étiage de leurs arrivées. En
et surtout pendant la Seconde Guerre mondiale (cf 1947 la loi accorde aux Algériens le droit de circu-
doc.1 p. 72). En effet à la Libération, la propor- ler librement en métropole, ils passent donc de
tion d’étrangers en France est la plus faible depuis 22 000 à 211 000 en 1954. La guerre d’Algérie
1921. Cette situation s’explique par la politique n’empêche pas les départs, au contraire ; les popu-
d’exclusion et de déportation du gouvernement de lations déplacées par l’armée française, déjà déra-
Vichy, l’arrêt du recrutement de la main-d’œuvre cinées, étaient prêtes à partir. Ainsi les Algériens
étrangère, le départ volontaire des Italiens et celui sont 350 000 en 1962 et le flux s’accélère encore.
vers l’Amérique de Juifs menacés. Ils sont plus de 700 000 en 1975.
Cette nouvelle phase migratoire est majoritaire-
ment méditerranéenne (Espagnols, Portugais et ◗ Documents 3 et 4
Maghrébins). Les Algériens sont très nombreux
dès les années 1960 alors que l’arrivée des Tuni- 5. Pourquoi l’arrivée en France
est-elle difficile ?
siens et des Marocains est plus tardive.
La confrontation des deux documents met en
◗ Documents 1 et 2 évidence l’écart entre l’image magnifiée du pays
et la réalité de leur arrivée. En effet les deux docu-
3. Qu’est ce qui explique l’accélération ments montrent la pauvreté des migrants. Les
de l’immigration entre 1946 et 1975 ? hommes seuls sont logés dans des hôtels garnis
En 1945, face aux besoins de la reconstruction, dont il est peut-être question dans le texte, loge-
le gouvernement français gère lui-même l’immi- ments particulièrement exigus, avec une grande
gration en créant successivement l’ONI (Office promiscuité. Les bidonvilles, qui accueillent les
national d’immigration) en 1945 qui succède à la familles, ont donc proliféré dans les années 1950
Société générale d’Immigration (voir étude précé- à la périphérie des grandes villes comme Paris,
dente), l’OFPRA (office français des réfugiés et Lyon ou Marseille. Le document 4 présente une vue
apatrides, 1954), la Sonacotra (Société nationale de Nanterre qui en comprenait plusieurs, chacun
de construction pour les travailleurs originaires comptant 1 000 à 2 000 personnes ; la population
d’Algérie, 1956 puis élargie à tous les ouvriers y augmente sans cesse jusqu’à compter 75 000
en 1963) et le FAS (Fonds d’Action sociale pour personnes dans des conditions de grande insalu-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 31 •
Chapitre 2 – Mutations des sociétés depuis 1850

brité. Le maintien jusque dans les années 1970 de Elle débute quand triomphe la première industria-
ces bidonvilles s’explique par la crise générale du lisation ; elle finit dans une société qui se désin-
logement urbain et la règle d’attribution des HLM, dustrialise mais dans laquelle l’emploi industriel
qui dessert les immigrés puisque il faut un mini- rassemble tout de même encore 5,8 millions d’ac-
mum de 5 à 10 ans de présence dans la commune. tifs.
– Les bornes spatiales : la France seule est concer-
◗ Documents 2 et 3 née, conformément au programme
6. Quel type de travail est effectué le plus
souvent par les immigrés du Maghreb ? 2. Proposez une définition pour chacun
des termes importants du sujet.
Pendant les Trente Glorieuses la main-d’œuvre
étrangère se trouve principalement employée dans – « Évolutions » : changements, mutations, qui
l’industrie automobile et le bâtiment où les étran- peuvent être brusques à l’occasion d’une loi (par
gers travaillent le plus souvent comme ouvriers exemple celle de 1841 qui interdit le travail des
non qualifiés. Les conditions de travail sont donc enfants de moins de 8 ans) ou d’un mouvement
aussi difficiles. social de grande ampleur (1936, 1968), mais plus
souvent qui s’inscrivent dans le temps long.
◗ Document 5 – « Travail ouvrier » : le travail n’est pas seule-
ment envisagé comme une activité qui s’effectue
7. Quelles sont les conditions posées
au regroupement familial ? en échange d’une rémunération ; le terme est riche
8. Comment l’auteur justifie-t-il la politique aussi d’une épaisseur politique, sociale et cultu-
du gouvernement ? relle : le travail donne en effet naissance à une
sociabilité spécifique, à une culture politique ou
Président de la République de 1974 à 1981, Valery
syndicale… Il faudra insister sur la diversité du
Giscard d’Estaing tente d’arrêter le flux des immi-
travail ouvrier ; il n’y a pas un mais des mondes
grés, d’encourager les retours, mais aussi d’amé-
du travail ouvrier, tout comme il n’existe pas une
liorer le sort de ceux déjà installés en France, d’où
mais des « classes ouvrières » aux intérêts variés
la justification donnée dans le texte à la restriction
et parfois même divergeants.
de l’immigration. Théoriquement, à partir de 1974,
l’immigration de main-d’œuvre est arrêtée mais 3. Quels sont les thèmes abordés
le regroupement familial est possible pour autant dans le chapitre 2 qui ne doivent pas être
que « les familles pourront être convenablement étudiés dans cette composition ?
insérées dans nos villes », restriction qui est faite Le patronat devra être abordé, ainsi que le
au nom de l’égalité et de la justice. Cet arrêt de chômage, mais en revanche pas le travail de la
l’immigration renforce la sédentarisation déjà en terre, le travail des employés et des cadres, ni
cours et le regroupement familial. même celui des fonctionnaires. N’oubliez évidem-
ment pas de faire la part belle aux immigrés.
BAC 4. Expliquez quelle problématique,
parmi celles qui sont proposées,
Composition : les évolutions du vous paraît la plus adaptée au sujet.
travail ouvrier en France du milieu – La plus adaptée est la 1, car elle est riche et
du XIXe siècle à nos jours. laisse déjà entrevoir les pistes à explorer.
❯ MANUEL PAGES 78-79
– La 2 n’est pas fausse, mais elle n’est pas perti-
1. Relevez les bornes chronologiques nente dans la mesure où elle se contente de refor-
et spatiales du sujet. muler le sujet.
– Les bornes chronologiques : la composition – La 3, qui privilégie l’approche comparative,
couvre l’ensemble de la période au programme. conduira à trop de passages hors sujet.

• 32 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote


PARTIE La guerre au XXe siècle
2 ❯ MANUEL PAGES 80-187

Toutes sortes de guerres ont coexisté ou se sont problématisé qui sera mené par le professeur sur
succédé durant le XXe siècle : guerres mondiales, l’expérience combattante, la mobilisation et l’im-
coloniales, de décolonisation, menaces de guerres plication des civils dans des guerres totales et les
nucléaires, guerres limitées ou périphériques, violences qui leur sont faites, ou bien encore sur
nouvelles formes de conflictualité apparues à l’is- les massacres de masse et les génocides parcou-
sue de l’affrontement entre les deux Grands. La rant le siècle, les tentatives de réguler les conflits
nature et les visages de la guerre ont par ailleurs et d’organiser un ordre mondial, etc.
profondément évolué sous l’effet du progrès tech-
nique : il a permis de sauver des vies, il a aussi Document 1 : John Nash, Le chemin
causé la mort de millions d’hommes. des Mules, 1918

Comment, avec la civilisation des mœurs et John Nash, artiste britannique (1893-1977), a
les progrès de l’instruction, l’Habeas Corpus, participé aux combats de la Première Guerre
la Déclaration des droits de l’homme et du mondiale en tant qu’engagé volontaire et fut l’un
citoyen, l’abolition de l’esclavage, les conven- des peintres officiels du conflit. Ses toiles expri-
tions de Genève (la première est signée en 1864) ment la violence de l’affrontement et sa moder-
et le progrès de la science, a-t-on pu aboutir aux nité. La scène se déroule ici dans un paysage de
massacres de la Première puis de la Deuxième désolation et d’explosions ; la plaine est creusée
Guerres mondiales, à ceux des guerres de déco- de cratères causés par les tirs d’obus et les seuls
lonisation et des guerres dites « périphériques » corps vivants semblent être des mules conduites
au temps de la Guerre froide ? par quelques hommes, engagés sur le chemin
cimenté, continuant à avancer malgré les périls
Ces questions sont d’autant plus centrales que qui pèsent sur eux. Effrayées, les mules se cabrent,
le XXe siècle est aussi un temps de recherche de et l’une au moins semble à terre. Sont-elles des
la paix au niveau international : création de la métaphores des soldats ? Une palette dominée
SDN au lendemain du premier conflit mondial, de par les gris et le noir permet de traduire le chaos
l’ONU au terme du second. Comment ces insti- et la mort dans ce monde sans repères. Après la
tutions, tentant de faire prévaloir le droit contre guerre, John Nash peindra surtout des paysages
la force, ont-elles tenté d’établir la paix et de témoignant d’une importante introspection liée
l’organiser ? Alors que la communauté interna- aux traumatismes de la guerre.
tionale semblait assez unie lors de la guerre du
Golfe, premier conflit de l’après Guerre froide, Document 2 : la guerre du Vietnam, 1968
comment la barbarie a-t-elle pu réapparaître sur les Cette photographie prolonge la réflexion sur les
terres de l’ancienne Yougoslavie ou au Rwanda en modalités de la guerre moderne. Au premier plan
1994 ? Quelle lecture faire des attentats islamistes sont assemblés des soldats américains, à demi-
contre le World Trade Center et le Pentagone, le dévêtus en raison de la chaleur, et les deuxième
11 septembre 2001 ? et troisième plans trahissent le chaos dans lequel
Les chapitres que le programme consacre à la la guerre a de nouveau plongé les hommes. Au
guerre – et à la difficile élaboration de la paix – sol, un hélicoptère américain accidenté, sans doute
fournissent donc aux élèves une clé essentielle atteint par les tirs de l’adversaire aussi proche
pour saisir les grands enjeux du monde contem- qu’invisible. Il souligne la place prise par l’avia-
porain. Si l’horaire imparti (14 à 15 heures) inter- tion dans les conflits : celle-ci a profondément
dit toute approche strictement événementielle, le modifié la notion de front. L’appareil gît dans
manuel réinsère quelques éléments de chronolo- une nature hostile : la forêt a été dévastée par les
gie pour mieux soutenir le travail synthétique et bombardements (américains ?). Un autre hélicop-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 33 •
Partie 2 - La guerre au XXe siècle

tère se pose : la guerre fait appel à des technolo- ture du manuel) étaient les plus hautes de New
gies de plus en plus modernes mais désoriente les York (417 et 415 m) et constituaient un élément
hommes qui doivent affronter de longs combats majeur de la skyline de la ville. Construites dans
aux allures inédites. La photographie témoigne une période d’opulence, elles symbolisaient la
ainsi du profond traumatisme qu’a représenté la puissance économique et commerciale des États-
guerre du Vietnam pour les Américains. Guerre Unis. De ces cathédrales de verre inaugurées en
du containment, elle est un échec pour les États- 1970 il ne reste, quelques jours après l’atten-
Unis qui quittent le terrain en 1973 et qui voient tat que des décombres, parmi lesquels l’espoir
le Nord communiste triompher du Sud en 1975, de retrouver des rescapés diminue. La blessure
après une guerre civile de deux ans. La contre- est béante ; les États-Unis, première puissance
culture américaine et le cinéma des années 1970 mondiale, sont frappés en plein cœur par le terro-
et 1980 témoignent des difficultés connues par les risme islamiste : les attentats du 11 septembre ont
combattants du Vietnam et de leur retour dans la causé plus de 3000 morts, ont remis en cause les
société civile américaine. valeurs des États-Unis en attaquant l’un de leurs
symboles. Les images ont été diffusées partout
Document 3 : les ruines du World Trade dans le monde, transformant cet attentat en événe-
Center, septembre 2001
ment planétaire. Les États-Unis ne sont plus une
Le dernier document permet d’introduire la ques- puissance invulnérable dans le monde de l’après
tion des nouvelles formes de conflictualité et du Guerre froide : blessés, ils s’affirment en lutte
terrorisme. Les tours jumelles du World Trade contre le terrorisme islamique et s’engagent mili-
Center (représentées également sur la couver- tairement en Afghanistan puis en Irak.

CHAPITRE
Les guerres mondiales au XXe siècle
3 ❯ MANUEL PAGES 82-127

RAPPEL DU PROGRAMME tous les belligérants. Si l’expérience combattante


diffère de l’une à l’autre, la terreur qui s’abat sur
– La Première Guerre mondiale : l’expérience les civils augmente et les deux conflits mondiaux
combattante dans une guerre totale. sont porteurs de génocides : celui des Arméniens
– La Seconde Guerre mondiale : guerre en 1915, celui des Juifs et des Tziganes durant la
d’anéantissement et génocide des Juifs et des Seconde Guerre mondiale.
Tziganes.
– Les espoirs d’un ordre mondial au lende-
main des conflits : la SDN et l’ONU.
◗ Bibliographie
OUVRAGES GÉNÉRAUX
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Il s’agit de comprendre en quoi les deux guerres la guerre, Paris, Les Belles Lettres, 1990.
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dans l’ère de la guerre totale ; comment elles ont l’Occident, Paris, Fayard, 1988.
entraîné une implication croissante des populations – John Keegan, Histoire de la guerre. Du Néoli-
civiles et une mobilisation totale des économies thique à la Guerre du Golfe, Paris, Ed. Dagorno,
dans une volonté d’anéantissement partagée par 1996.
• 34 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

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L’expérience combattante
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© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 35 •
– C. R. Browning, Politique nazie, travailleurs Quelle que soit la valeur des combattants, ceux-ci
juifs, bourreaux allemands, Les Belles Lettres, peuvent être blessés ou perdre la vie en quelques
Paris, 2002. secondes, devenant une véritable « chair à canon » :
– Ph. Burrin, Hitler et les Juifs. Genèse d’un géno- les vertus morales et physiques des soldats semblent
cide, Le Seuil, coll. Points n°190, Paris, 1989. reléguées à l’arrière-plan alors que la production
– M. R. Marrus, Les Exclus, les réfugiés euro- industrielle des armes au cours de cette guerre
péens au XXe siècle, Paris, Calmann-Levy, 1986. d’usure devient la priorité de chaque belligérant.
– Jacques Sémelin (dir.), « Violences extrêmes »,
Document 2 : Rafle dans le ghetto
numéro spécial, Revue internationale des sciences de Varsovie, 1943
sociales, n° 174, décembre 2002.
Cette photographie célèbre est devenue l’un
– R. Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe,
des symboles de la barbarie nazie. Elle rappelle
Gallimard, Paris, 1992, coll. «Folio Histoire»,
comment l’extermination des Juifs a été mise en
2 tomes.
œuvre par le régime d’Hitler, de l’enfermement
– E. Kogon, L’État SS. Le système des camps de
dans des ghettos à l’extermination des camps. Prise
concentration allemands, Le Seuil, coll. Points
en 1943, elle représente une rafle dans le ghetto
n°158, Paris, 1993 (1ere édition en 1946).
de Varsovie. Celui-ci avait été créé le 12 octobre
– E. Kogon, H. Langbein, A. Rückerl, Les 1940, jour de la fête du Yom Kippour : le centre
chambres à gaz, secret d’État, Le Seuil, coll. fut entouré d’un mur de trois mètres de haut et
Points n° 95, Paris, 1987. de barbelés, et les 380 000 Juifs de la ville ainsi
– M. R. Marrus, L’holocauste dans l’histoire, que les populations juives rurales des alentours
Flammarion, coll. Champs, Paris, 1994. y furent entassés. Si la population était progres-
– A. Wiewiorka, Déportation et génocide. Entre sivement décimée par le manque de nourriture
la mémoire et l’oubli, Plon, Paris, 1992. et les maladies liées aux ignobles conditions de
– A. Wiewiorka, L’ère du témoin, Plon, Paris, vie, des rafles eurent également lieu à partir de
1998. juillet 1942 : 5 000 à 6000 personnes par jour
étaient alors conduites vers la Umschlagplatz
d’où partaient des trains à destination du camp
OUVERTURE de Treblinka. En janvier 1943, alors que 70 000
❯ MANUEL PAGES 82-83 personnes seulement demeuraient dans le ghetto,
Ces deux photographies permettent d’aborder la débuta une insurrection ; les nazis peinant à dépor-
question de l’expérience combattante (la « guerre ter les Juifs déterminés à résister lancèrent une
au ras du sol ») et de la terreur qui s’abat sur les vaste offensive en avril 1943. Le combat, bien
civils. qu’inégal, dura 27 jours avant que les derniers
résistants ne périssent ou ne soient arrêtés. La rafle
Document 1 : Soldats allemands dans photographiée ici a précédé de peu l’insurrection,
une tranchée, France, entre 1914 et 1916 et l’enfant qui s’avance comme les adultes, bras
Des combattants allemands, que l’on peut recon- levés, est l’un des rares survivants du ghetto.
naître grâce à leur uniforme, sont sur le point de
sortir armés de la tranchée alors qu’un tir d’obus
explose tout près d’eux, dans la zone de danger REPÈRES
extrême du No man’s land. Qu’il s’agisse d’un tir
La Première Guerre mondiale
allemand visant à déblayer le terrain ou d’un tir
français cherchant à les atteindre, la photographie (1914-1918)
❯ MANUEL, PAGES 84-85
permet d’introduire très concrètement les condi-
tions matérielles du combat (les tranchées creusées
à même la terre, ici non maçonnées mais proté- ◗ Document 1
gées par des barbelés installés lors des corvées 1. Rappelez quels sont les États composant
nocturnes ; les armes encore simples) et l’idée d’une l’Entente et ceux de l’Alliance.
mort omniprésente sur le champ de bataille. L’as- 2. Quels sont les différents fronts ?
saut est le moment le plus difficile pour les soldats. 3. Comment les États de l’Entente comptent-
• 36 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

ils faire céder les Empire centraux ? matérielles du combat, la seconde (« Tenir »)
4. Montrez que les fronts se sont rapidement pose la question cruciale du consentement et
stabilisés. de la coercition qui ont permis aux hommes de
Alors que l’Entente est principalement composée continuer à se battre pendant quatre ans. Il s’agit
de la France, du Royaume-Uni et de l’Empire de points dont l’historiographie a été puissam-
russe, auxquels il faut ajouter l’Italie à partir de ment renouvelée depuis une vingtaine d’années et
1915, l’Alliance est composée par l’Allemagne qui peuvent faire débat : si une majorité d’histo-
et l’Autriche-Hongrie, bientôt rejointes par l’Em- riens insiste aujourd’hui sur le consentement des
pire ottoman. Les Empires centraux doivent ainsi hommes permis par l’existence d’une « culture de
mener une guerre sur deux fronts que l’on appelle, guerre » puissamment installée (Stéphane Audoin-
par commodité, « front occidental » et « front Rouzeau, Annette Becker), d’autres insistent sur
oriental ». la répression menées dans les armées contre les
La première carte permet de montrer la rapidité rebelles ou les mutins (Rémy Cazals).
avec laquelle les fronts se sont stabilisés : aucun
des belligérants ne parvient à remporter de victoire A. Combattre
décisive et la guerre de mouvement de l’été et du
début de l’automne 1914 se transforme en une ◗ Document 1
guerre de position et d’usure : l’impasse straté-
1. Décrivez le document.
gique conduit les hommes à s’enterrer dans les
Pourquoi les hommes se sont-ils
tranchées. Les états-majors comptent sur une
enterrés dans des tranchées ?
éventuelle bataille décisive pour renouer avec la
guerre de mouvement qui ne réapparaît que quatre Au milieu d’un paysage de la Meuse ravagé par
ans plus tard. les combats se trouvent quatre soldats français
abrités dans une tranchée. Debout, en uniforme,
◗ Document 2 ils portent la barbe, ce qui leur a valu le nom de
« poilus ». La tranchée n’est pas cimentée (c’était
5. Comment les fronts évoluent-ils en 1918 ? plus souvent le cas dans les tranchées allemandes,
6. Comment expliquez-vous ces évolutions? parfois même chauffées et équipées électrique-
La fin de la guerre est marquée par la révolution ment) mais est étayée et tapissée de branchages
russe : si le gouvernement provisoire qui prend le tressés. Afin de limiter les effets des projectiles
pouvoir en février 1917 réaffirme la participation et les tirs d’enfilade, les tranchées sont tracées
de la Russie aux combats de l’Entente, les Bolché- en zigzag.
viques, après avoir pris le pouvoir en novembre
Les origines de la guerre des tranchées rési-
(c’est la « révolution d’octobre ») négocient avec
dent dans la défense improvisée qui est mise en
les Empires centraux et signent la paix à Brest-
œuvre au lendemain de la bataille de la Marne,
Litovsk en mars 1918 : la Russie est alors amputée
en septembre 1914 : épuisés par les combats des
de territoires immenses (toutefois en grande partie
précédentes semaines, les soldats creusent spon-
récupérés à l’issue de la guerre) et les Empires
tanément des « trous de renard » destinés à les
centraux peuvent essayer de concentrer leurs
protéger des projectiles. Progressivement reliés
forces sur le seul front occidental. L’entrée des
entre eux, ces trous forment les premières tran-
États-Unis dans la guerre aux côtés de l’Entente
chées, qui se multiplient alors qu’aucun belligé-
fut alors déterminante : c’est grâce au renfort de
rant ne parvient à s’imposer et que les fronts se
leurs troupes que l’Entente finit par l’emporter.
stabilisent.
Si les tranchées ne sont pas nouvelles (elles ont
ÉTUDE accompagné la guerre de siège depuis l’Anti-
quité), c’est la première fois que l’enterrement
L’expérience combattante de l’infanterie est érigé en système : l’extension
❯ MANUEL PAGES 88-91 de celles-ci et leur sophistication transforme les
L’étude s’organise en deux parties : alors que la modes de l’affrontement. Le système des tran-
première (« Combattre ») décrit les conditions chées exprime une supériorité de la défense sur
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 37 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

l’attaque, caractéristique majeure de la Première Alors que le gaz lacrymogène employé par les
Guerre mondiale. Français dès 1914 (dans des grenades) est relati-
vement bénin et peu concentré, des gaz mortels
◗ Documents 2 et 3 sont employés à partir d’avril 1915 à Ypres par
les Allemands (on compte 1000 morts du côté
2. Quelles sont les armes employées français – dont une proportion importante de
par les combattants ? Précisez, pour soldats africains – et 3000 blessés). L’emploi de
chacune d’elle, l’effet produit. gaz mortels provoque une émotion considérable
Alors que l’extrait du journal des tranchées Le chez les Alliés qui condamnent la barbarie alle-
Filon souligne l’effroi lié à l’apparition des mande et « l’organisation du crime » (R. Poincaré)
premières armes chimiques, l’extrait du roman qui contraint Français et Britanniques à adopter les
Orages d’acier, de l’Allemand Ersnt Jünger, mêmes moyens de lutte qui déshonorent le soldat.
évoque les nouvelles armes employées pour Les industries chimiques alliées sont immédiate-
bombarder les combattants, les mitraillettes, les ment sollicitées et disposent dès septembre 1915
obus et les shrapnells, obus chargés de balles qui de gaz aussi mortels que ceux employés par les
jaillissent lors de l’explosion et se dispersent en Allemands.
déchirant la chair des combattants. La capacité meurtrière de ces gaz, attaquant
Les armes employées par les combattants se les yeux, les poumons et laissant parfois des
renouvellent et connaissent de rapides évolu- séquelles à vie est cependant limitée : seuls
tions : l’arme la plus redoutée est l’obus, un 4 % des morts sont liés à ces armes. Ceci s’ex-
projectile creux en forme de cylindre qui se plique par la production massive de masques,
termine par un cône et qui, rempli d’explosif, progressivement distribués à tous les soldats
produit des blessures souvent mortelles quand pour qu’ils s’en munissent dès qu’ils soupçon-
il n’occasionne pas la mort immédiate. De naient une attaque (par l’odeur ou parce qu’ils
taille variable, il pulvérise les corps et crée de discernaient des effluves verdâtres à un mètre du
nombreux trous dans le terrain, rendant les dépla- sol environ) ; certains toxiques purent d’autre
cements des hommes plus difficiles. Les combat- part être combattus par l’emploi de chiffons
tants connaissent donc des « orages d’acier », humidifiés par de l’eau ou de l’urine (le chlore
leurs oreilles étant souvent soumises à de forts par exemple). Toutes les armées disposant par
bruits d’explosion et à des sifflements récurrents ailleurs de cette arme, l’espoir allemand suscité
sur fond de mitraillage incessant. La guerre est par les gaz s’évanouit et la fréquence des attaques
une guerre d’usure, de sape et de mine ; les temps diminua progressivement à partir de la fin de
de préparation d’artillerie, qui précèdent l’assaut, 1916, ce qui n’empêcha pas la mise au point de
peuvent être longs. nouvelles armes chimiques redoutables par la
suite (ainsi le fameux « gaz moutarde » mis au
La nouveauté vient aussi des gaz : face à l’enlise-
point par les Allemands en 1917, passant à travers
ment des combats qui consterne les états-majors,
les vêtements et le caoutchouc pour attaquer la
il fallait mettre au point une arme technique
peau, les yeux et les muqueuses).
inédite qui permettrait de renouer avec la guerre
de mouvement. Interdits par les conventions de 3. Montrez qu’il s’agit d’une guerre moderne
La Haye en 1899 et en 1907 mais finalement utili- et industrielle.
sés par tous les belligérants, les gaz ont beaucoup
évolué durant la guerre et peuvent s’avérer plus ou La Grande guerre est une guerre moderne et une
moins mortels. Semant l’effroi parmi les Poilus, guerre d’usure : l’utilisation massive de l’artillerie,
ils représentent une arme psychologique : l’extrait comme les bombardements, exigent une produc-
proposé parle du « brouillard persistant » lié à tion industrielle de masse. Celle-ci est rendue
l’emploi des gaz répandus par les Allemands dans possible par l’implication des civils à l’arrière
la tranchée ennemie. L’air devenant irrespirable, (« l’arrière-front ») et par les débuts de la ratio-
les hommes essayaient de quitter la tranchée avant nalisation du travail bientôt appelée OST.
d’être saisis de spasmes et de suffoquer, souvent Les gaz sont nés des progrès de la chimie, celle-ci
aveuglés, la bouche emplie d’un liquide jaunâtre. étant l’un des fers de lance de la seconde indus-
• 38 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

trialisation qui touche l’Europe à partir des années gurer la possibilité d’une mort prochaine. Même
1870. Il n’est à ce titre pas surprenant que l’Alle- si les combats s’arrêtent la nuit, les soldats restent
magne, à la pointe de la recherche dans ce secteur, en activité et leur repos est court : il faut profiter
soit alors l’État qui utilise le premier les gaz les de l’obscurité pour aller chercher morts et blessés
plus puissants sur le champ de bataille. De grandes entre les lignes et pour effectuer, le plus discrète-
entreprises comme BASF, Hoechst ou Bayer colla- ment possible, les travaux d’entretien et d’amé-
borent alors avec l’État allemand avant que les nagement des tranchées et des réseaux de barbe-
industries anglaises et françaises ne se lancent à lés ; les combattants en état d’alerte doivent rester
leur tour dans la production massive de ces gaz. habillés, leur fusil à portée de main.
Il fallait également solliciter les industries de tous
les belligérants, par exemple pour fabriquer des ◗ Documents 2 à 5
millions de masques à gaz en un temps très bref.
6. Quel rapport ces hommes entretiennent-ils
avec la mort ?
◗ Document 4
Les combattants, épuisés, tentent avant tout de
4. Que nous apprend ce texte sur survivre en essayant de s’adapter aux combats.
les conditions matérielles de la vie au front ? La mort est en effet omniprésente et peut surgir
Les conditions de vie et d’hygiène des combattants très brusquement (tir de mitraillette, d’obus,
sont extrêmement pénibles. Bien que des cuisines passage sur une mine, attaque par les gaz). Tous
roulantes existent à l’arrière pour ravitailler les les combattants ont vu mourir des compagnons
soldats, les portions sont souvent congrues, la proches, qu’ils n’ont parfois pas pu enterrer aussi
nourriture froide, y compris en plein hiver. À vite qu’ils l’auraient souhaité (des corps restaient
Verdun, l’intensité de la bataille déclenchée par accrochés aux barbelés ou étendus sur le terrain
les Allemands rend le ravitaillement des premières durant la durée de la bataille). Ceux qui survé-
lignes quasiment impossible : un déluge de feu curent rentrèrent différents chez eux, chargés de
tue les hommes de corvée chargés d’apporter la souvenirs, habités de cauchemars qui ne s’estom-
soupe (parfois agrémentée de vin, de café, ou de pèrent que très lentement. Tous ont eu le sentiment
« gnôle ») et cheminant dans de longs boyaux de vivre une expérience hors du commun, qui les
tortueux, parfois étendus sur deux ou trois kilo- a mis à part et marqués à jamais.
mètres. Les soldats sont amenés à se nourrir de
tout ce qu’ils peuvent trouver dans l’environne-
B. Tenir au front
ment des tranchées, qu’il s’agisse des restes qu’ils
peuvent trouver sur les corps des hommes morts ◗ Documents 6 et 9
au combat (des boules de pain) ou des rats, qu’ils
peinent à manger tant qu’il ne fait pas nuit. C’est 7. Montrez comment de forts liens de
à ce prix qu’ils peuvent survivre dans « l’enfer de camaraderie peuvent naître sur le front.
Verdun » et continuer à combattre dans le froid, L’expérience commune du feu et de la souffrance
les intempéries, la boue. collective qu’il entraîne font naître un très fort
esprit de camaraderie qui explique en partie que
◗ Documents 4 et 5 les hommes aient pu tenir sur le front. Le récit
fait par Noble Lee Sissle (document 6) est à cet
5. Comment se manifeste l’épuisement égard édifiant : alors que les soldats américains et
des combattants ? français ne parlent pas la même langue, il existe
Après de longues semaines de combat, mal ravi- des liens très forts entre les poilus, hommes d’ex-
taillés, profondément éprouvés par le creusement périence, et les nouveaux venus, équipés sembla-
des tranchées et les assauts successifs, les soldats blement aux Français et qui sont mis au contact
sont épuisés et tombent de fatigue, comme l’il- des plus anciens pour être formés au combat
lustre la photographie prise près de Douaumont, (deuxième paragraphe). Des spectacles organi-
haut lieu de la bataille de Verdun : les Poilus sont sés à l’arrière des tranchées (concerts, pièces de
étendus contre la terre de la tranchée, la gourde théâtre) permettent d’autre part aux hommes de se
auprès d’eux ; leur sommeil écrasant semble préfi- côtoyer dans d’autres conditions que dans celles
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 39 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

du front et d’approfondir leur relation amicale au que certaines pièces des Poilus tenaient du
cours de répétitions ou de prestations. « bourrage de crâne », d’autres ont été censu-
rées car jugées dangereuses pour le moral des
◗ Document 7 combattants), il arrivait aussi que des hommes et
des femmes de l’arrière, parfois illustres, vien-
8. Expliquez les objectifs de cette carte nent les soutenir au front. Ainsi Sarah Bernhardt,
postale.
invalide, a-t-elle donné plusieurs représentations
Les cartes postales, par leurs textes comme par théâtrales devant des milliers de soldats venus
leurs images, constituent une source de connais- acclamer la grande vedette (cf. Chantal Meyer-
sance très importante sur la Grande guerre ; les Plantureux (dir.), Le théâtre monte au front,
textes écrits aux Poilus ou par ceux-ci étaient Complexe, 2008)
d’ailleurs très surveillés, de manière à entrete-
nir le moral du front comme celui de l’arrière. Il
◗ Document 8
fallait par ailleurs veiller à ce que des informa-
tions stratégiques ne passent pas à l’ennemi. Si 10. Pourquoi les soldats sont-ils
l’iconographie de ces cartes postales transmet rassemblés en plein milieu de la nuit
majoritairement un message d’amour et d’encou- par leurs supérieurs ? Que reproche-t-on
ragement de l’arrière, elles sont souvent marquées à l’homme qui est mis à mort ?
du sceau du nationalisme, comme c’est ici le cas. Les soldats sont rassemblés à deux heures du matin
Il n’est pas rare que des enfants apparaissent alors pour assister à l’exécution d’un homme qui a déso-
sur les cartes envoyées aux combattants pour les béi en quittant la tranchée et en refusant d’y reve-
soutenir et donner un sens à leur présence sur nir. Les soldats ne savent pas qu’ils vont assister
le front : on rappelle ainsi aux soldats qu’ils se à l’exécution d’un mutin et pensent qu’ils vont
battent pour leurs descendants qui sont encore être passés en revue par le général Joffre : il s’agit
fragiles et pour lesquels ils sont des héros. L’en- pour l’état-major de préserver l’effet de surprise
fant saura se montrer digne d’un tel père. La carte et peut-être de prévenir tout acte de rébellion ou
postale est donc un outil au service de la propa- de solidarité à l’égard du condamné.
gande et du « bourrage de crâne ».
11. Pourquoi cette exécution se déroule-t-elle
devant une telle assistance ?
◗ Document 9
Il faut, pour l’armée, faire un exemple. Comme
9. Décrivez cette photographie.
Marcel Garrigues le signale dans le dernier para-
En quoi ces pratiques soutiennent-elles
graphe de l’extrait de sa lettre, ce mutin n’est
le moral des combattants ?
pas un cas isolé. De nombreux hommes ont
La photographie présente des soldats jouant une désobéi à leurs supérieurs, parfois sous le choc
pièce de théâtre devant d’autres soldats. Une scène de la violence des combats. L’armée doit signi-
a été aménagée dans une salle de fortune, munie fier à tous les hommes que l’obéissance abso-
de bancs. La scène est décorée de rideaux et de lue aux officiers reste la règle, quelle que soit
fanions tricolores, des instruments de musique se la dureté de l’affrontement et la situation des
trouvent sur la scène et à son pied. On peut imagi- soldats. Si le sentiment national et la culture de
ner que le sujet de la pièce est grave ou invite les guerre expliquent que les hommes aient pour-
soldats à penser à leur condition au regard des suivi les combats, il est impossible d’ignorer le
visages des soldats, très pensifs. rôle joué par la répression et la coercition. La
Des spectacles comme celui-ci pouvaient divertir discipline militaire se veut implacable. « Les
les combattants, leur permettant peut-être de se soldats pouvaient s’attendre à tomber sous les
remémorer une partie de la vie civile et d’avoir feux ennemis s’ils avançaient. Et ils pouvaient
aussi d’autres souvenirs que ceux du front. C’est s’attendre à tomber sous ceux de leurs compa-
parce qu’ils avaient ces quelques moments de triotes s’ils n’avançaient pas ». (Léonard V.
liberté qu’ils pouvaient retourner sur le front et Smith in « Refus, mutineries et répressions »,
continuer à combattre. Si les spectacles pouvaient in S. Audoin Rouzeau, J.-J. Becker (dir.), Ency-
être joués par les combattants eux-mêmes (alors clopédie de la Grande guerre, p. 393)
• 40 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

◗ Document 10 des hommes en première ligne fut mieux organi-


sée, les rations mieux fournies et on augmenta le
12. Quels sont les motifs du refus nombre de permissions. Les mutineries contribuè-
de continuer à se battre ? rent finalement à remobiliser les hommes durant
L’année 1917 est sans doute l’année la plus diffi- la période la plus dure de la guerre, alors que
cile de la guerre : toutes les tentatives imagi- les Alliés attendaient le renfort promis par les
nées pour renouer avec la guerre de mouvement Américains.
échouent et les offensives coûteuses en hommes,
pour gagner parfois quelques centaines de mètres
seulement, causent un profond mécontentement ÉTUDE
chez les soldats. Des mutineries apparaissent
alors sur tous les fronts, notamment sur le front Les civils, victimes de guerre
occidental après la catastrophique offensive de ❯ MANUEL PAGES 92-93
Nivelle sur le chemin des Dames en avril 1917 À l’ère des armées de masse et de la guerre indus-
(147 000 morts et 100 000 blessés du côté français trielle, le premier conflit mondial efface pour la
en deux semaines de combat : le site, d’anciennes première fois la frontière entre ceux qui portent
carrières de l’époque moderne, était extrêmement les armes et ceux qui ne les portent pas. Considé-
bien tenu par l’armée allemande et les forces de rés comme partie intégrante de l’effort de guerre
celle-ci sous-estimées par l’état-major français). (les civils forment « l’autre front » aussi appelé
Il ne s’agit plus, comme dans le document 8, d’un le « front de l’arrière »), les populations devien-
cas isolé, mais d’un refus collectif de l’autorité nent de potentielles cibles de violence, victimes
militaire. De nombreuses divisions refusent de d’occupations, de réquisitions, du travail forcé,
monter au front. des bombardements ; c’est également pendant
la Première Guerre mondiale que se déroule
La célèbre chanson de Craonne exprime ce rejet de
le premier génocide du siècle, celui des Armé-
l’autorité militaire par une partie des combattants :
niens. La victoire militaire ne suffit ainsi plus
sacrifiés et condamnés à mourir, les soldats veulent
aux belligérants : la guerre, en devenant totale,
arrêter le combat ; ils en veulent aux hommes de
implique la destruction de l’ennemi. Les trois
l’arrière qui continuent à vivre grassement pendant
textes et les deux documents iconographiques du
qu’eux sont mobilisés sur le front (ce sont les
dossier visent à présenter aux élèves les diffé-
« embusqués », généralement des bourgeois,
rentes violences qui ont pu s’abattre sur les civils
décrits comme « gros » dans la chanson). Des
durant la Première Guerre mondiale, laboratoires
thématiques socialistes apparaissent par ailleurs
de pratiques qui s’étendent durant la Seconde
dans les paroles : la grève est ainsi mentionnée à
Guerre mondiale.
la fin de l’extrait. Il est cependant peu probable
que l’auteur de la chanson ait été influencé par la
révolution soviétique : si celle-ci a commencé, ◗ Documents 1, 2 et 3
la Russie du gouvernement provisoire est encore 1. Répertoriez les différentes violences faites
en guerre et la campagne des Bolchéviques en aux civils. Dans quels contextes militaires
faveur de la paix a peu d’échos sur le front occi- s’exercent-elles ?
dental. La chanson fut interdite et un million de
Le premier document est composé de deux témoi-
francs-or, ainsi que la démobilisation immédiate
gnages d’habitants du Nord de la France, occupé
furent promis à qui dénoncerait son auteur. Elle
par les Allemands. Ils permettent de mettre en
est restée anonyme.
lumière les réquisitions importantes qui sont
Les mutineries, qui ne concernèrent qu’un faible faites sur les populations civiles, entraînant de
nombre d’hommes par rapport au nombre des nombreuses souffrances et la disparition des plus
combattants, furent sévèrement réprimées : il y faibles. En effet, les occupants prélèvent d’impor-
eut 500 exécutions dans les rangs de l’armée fran- tantes quantités de vivres, la population souffre
çaise. Pétain sut néanmoins, après avoir réprimé rapidement de carences alimentaires : le pain,
les mutins, prendre quelques mesures pour préve- base de l’alimentation populaire, est rare et rapi-
nir d’autres soulèvements collectifs : la rotation dement dénaturé. Le témoignage de l’institu-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 41 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

trice lilloise Maria Degrutère nous apprend qu’il ◗ Document 4


est composé d’éléments qui se substituent aux
3. Quels sont les sentiments exprimés par
céréales manquantes. Le récit du commerçant
les personnes fuyant les bombardements ?
roubaisien est également édifiant : le sucre, le Quelle nouvelle forme de violence
lait, la viande, les pâtes, les œufs et le vin vien- illustre-t-elle ?
nent aussi à manquer et l’affaiblissement physique
des populations entraîne une recrudescence de la Cette eau-forte d’Otto Dix révèle la terreur causée
mortalité (le nombre de fossoyeurs a été multiplié par les bombardements aériens. Apparus durant le
par trois à Roubaix). conflit grâce à la multiplication et à la spécialisa-
tion rapide des appareils, ils modifient en profon-
Le document 3 est une photographie prise dans deur la notion de front et frappent les populations
la Serbie occupée par les troupes de l’Alliance : civiles par surprise. Otto Dix insiste sur l’effroi des
les populations civiles, encadrées militairement, civils qui tentent de fuir dans la panique (premier
fournissent une main-d’œuvre gratuite aux belli- et troisième plans), alors que des bombes ont déjà
gérants. Ce sont toujours les plus durs travaux qui détruit des immeubles et tué (des corps sont éten-
leur sont confiés et refuser d’obéir aux occupants dus au second plan). Il s’agit de partir le plus vite
peut conduire à la mort. possible pour fuir la zone de bombardement, les
Le deuxième document montre quant à lui la femmes courent dans les rues après s’être empa-
peur qui envahit les populations civiles à l’ap- rées de leurs enfants qu’elles tiennent sur les
proche des armées ennemies : l’invasion, comme bras (personnage de droite). Par ses effets maté-
le retrait des troupes, constitue l’un des moments riels et moraux, l’anéantissement des villes doit
les plus difficiles pour les civils qui ne sont pas contraindre l’adversaire à la capitulation.
suffisamment protégés contre les exactions des Si l’avion existe avant la Première Guerre mondiale,
militaires, alors que les hommes sont sur le c’est avec ce conflit qu’il devient un élément straté-
front. Dans le témoignage d’Elfriede Elizabeth gique pour les différents belligérants : les bombar-
Sczuska, les populations de Prusse orientale dements constituent l’un des ressorts de la guerre
sont isolées par les Russes (les lignes télégra- totale. Les premiers bombardements sont effectués
phiques sont coupées) avant que les premières par des zeppelins allemands, mais les progrès des
violences (incendies de villages) n’aient lieu ; avions allemands permettent des bombardements
ceux qui le peuvent choisissent souvent de fuir plus rapides à partir de l’automne 1916. Le nord
pour échapper aux violences, préférant abandon- de la France fut en particulier bombardé, comme le
ner leur demeure et leurs biens aux occupants sud de la Grande-Bretagne, par le Gotha de type G,
pour essayer de préserver leur vie. à partir du printemps 1917.

◗ Document 3 ◗ Document 5
2. Qui sont les personnes réquisitionnées ? 4. Quelle est la source du document ?
Montrez qu’elles sont militairement
Le document émane d’une source diploma-
encadrées.
tique : il s’agit des extraits d’une lettre envoyée
Les réquisitionnés sont ici tous les hommes en par Leslie A. Davis, consul des États-Unis, à
âge de travailler, qu’il s’agisse d’adolescents ou Henry Morgenthau, ambassadeur des États-Unis,
d’hommes dans la force de l’âge. Tous sont munis le 30 juin 1915. Plusieurs documents occiden-
des mêmes outils et semblent avancer d’un pas taux officiels, plus ou moins explicites, subsis-
rapide. Un groupement d’hommes pouvant être tent pour attester le processus génocidaire dont
dangereux pour l’occupant, nombreux sont les furent victimes les Arméniens.
militaires (on reconnaît les casques le long des
habitations) qui surveillent le convoi et l’accom- 5. Quels sont les motifs qui permettent
pagnent. Si cette photographie montre une réquisi- la répression des Arméniens dans l’Empire
tion d’hommes, les femmes ont également pu être ottoman ?
utilisées par les armées ennemies pour accomplir Le pouvoir ottoman prétexte avoir découvert un
des travaux forcés. complot révolutionnaire fomenté par des Armé-
• 42 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

niens ; ceux-ci, chrétiens, sont accusés d’avoir des ÉTUDE


sympathies russes et de trahir l’empire en guerre.
Les défaites que subit l’Empire ottoman en 1915 La mobilisation économique
leur sont ainsi toutes imputées : le gouvernement ❯ MANUEL PAGES 96-97
ottoman dit vouloir enrayer le mouvement révo- La guerre totale et l’apparition des armées de masse
lutionnaire. fait de la mobilisation des appareils productifs un
enjeu stratégique majeur. Le travail des civils et son
6. Quelles sont les mesures prises
organisation, notamment dans les industries solli-
par les Ottomans contre les Arméniens ?
citées par la défense, s’avère un facteur primordial
Les Arméniens sont d’abord privés de tous ceux dans la conduite de la guerre : il faut armer, vêtir et
qui pourraient organiser ou mener la résistance : nourri des millions de soldats tout en les rempla-
l’expression « les plus en vue » utilisée par le çant dans les exploitations agricoles, les ateliers, les
fonctionnaire américain désigne tous les membres usines. Le dossier met en avant les modalités mises
de l’intelligentsia arménienne qui sont arrêtés et en place par les États pour répondre aux exigences
assassinés (professeurs, médecins, juristes, jour- de production d’une guerre longue et industrielle.
nalistes). Une fois les cadres de la communauté
arménienne décimés, le pouvoir ottoman s’en ◗ Document 1
est pris aux hommes. Quel que soit leur degré
d’implication politique, ils ont tous été jetés 1. Décrivez l’affiche. Comment les civils
en prison et beaucoup sont morts à la suite de participent-ils à l’effort de guerre ?
tortures. Le consul sait aussi qu’un massacre des Cette affiche américaine de 1918 vise à encoura-
Arméniens est projeté par le pouvoir ottoman : ger la population à acheter des timbres d’épargne
comme pour tous les génocides du XXe siècle, le de guerre : son concepteur en appelle au patrio-
discours génocidaire précède le génocide en lui- tisme et à la conscience de la réalité des combats.
même (cf. Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Ces timbres, multipliés en une longue chaîne, se
Usages politiques des massacres et génocides, transforment en effet en munitions que les soldats
Paris, Le Seuil, 2005). Ce massacre a d’autre part américains peuvent utiliser pour mitrailler l’ad-
commencé : tous les Arméniens sont déportés versaire. La violence des combats est rappelée par
vers les provinces orientales de l’Empire, obli- le rouge qui marque le paysage. Le slogan n’est
geant des vieillards et des enfants à parcourir des pas aisément traduisible : « Aidez-les. Tenez votre
milliers de kilomètres dans des conditions sani- promesse, achetez des timbres de guerre » corres-
taires déplorables, ce qui les conduit bien souvent pond à la teneur du message en anglais.
à la mort. Le consul souligne la cruauté de cette Le War saving stamps était un programme mis en
lente mise à mort de la population ; il semble en place par le ministère américain des finances ; il
revanche ignorer les noyades collectives qui se permettait à chacun de participer, même modes-
déroulèrent dans plusieurs cours d’eau du pays, tement (on voit que les timbres étaient vendus à
dont l’Euphrate. 5 dollars) à l’effort de guerre. Cela n’empêchait
pas la population de participer aux campagnes
7. Montrez qu’il s’agit d’un génocide.
d’emprunt qui étaient par ailleurs menées pour
Le consul ne peut pas employer le mot « géno- financer l’effort de guerre de l’État. Ces timbres
cide » : celui-ci est apparu sous la plume de étaient notamment vendus par les scouts (Every
Raphael Lemkin, professeur de droit américain Scout to Save a Soldier était le slogan utilisé pour
d’origine juive polonaise, en 1944 (dans Axis la vente des timbres).
Rule in Occupied Europe). Le « massacre »
dont il est témoin a néanmoins toutes les appa-
◗ Document 2
rences du génocide puisqu’il s’agit de détruire
méthodiquement tous les Arméniens de l’Empire 2. Quelles conséquences la guerre a-t-elle
ottoman, supposés constituer une menace pour sur la manière de produire ? Sur les produits
le pouvoir. Au final, ce sont les deux tiers des fabriqués ?
Arméniens de l’Empire ottoman qui périssent Les activités des usines sont complètement recon-
en 1915-1916. verties et dirigées en partie par l’État pour les
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 43 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

besoins de la guerre, et Renault est l’une des sous le drapeau ; elle a d’autre part lieu à un
grandes entreprises françaises qui se met au moment important dans les campagnes, quand
service de l’État. Si la production de voitures dimi- l’activité agricole requiert le plus grand nombre
nue considérablement, celle de camions (néces- de bras (moisson, paille, vendanges). Il faut mobi-
saires au transport des hommes et du matériel) liser toute la population pour que la guerre soit
augmente formidablement alors que l’usine se courte et que les Alliés l’emportent. Chaque effort
met à produire des chars d’assaut, des moteurs fourni, aussi infime soit-il, permettra à la patrie de
d’avions (ce sont les nouvelles armes stratégiques l’emporter (« Il n’y a pas dans ces heures graves
qui permettent en partie de renouer avec la guerre de labeur infime : tout est grand qui sert le pays »).
de mouvement) et des obus. Pour cela, l’usine
doit se moderniser en un temps très bref, acheter 6. À qui s’adresse-t-il ?
de nouvelles machines-outils et étendre le champ Il s’adresse à toute la population qui n’est pas
de ses activités (cf. dernier paragraphe du docu- mobilisée mais principalement aux femmes, qui
ment a.). sont, plus que les enfants, aptes à remplacer les
Ce passage à la production de masse est permis hommes pour un grand nombre de tâches. Dans
par la rationalisation du travail et la mise en place les campagnes en particulier, celles-ci, devenues
des principes de l’organisation scientifique du chefs d’exploitations, pourront être secondées
travail (OST). Alors que les réticences ouvrières par les adolescents et les enfants qui doivent se
face au taylorisme étaient nombreuses avant la montrer dignes de leurs pères mobilisés.
guerre (le travail à la chaîne était toujours soup- 7. Montrez que le texte insiste
çonné de produire des objets défectueux), la guerre sur la complémentarité entre l’activité
impose ces nouvelles méthodes de production des femmes et celle des hommes.
pour produire plus vite et avec une main-d’œuvre
René Viviani établit un parallèle entre la mobili-
nouvelle.
sation des hommes sous les drapeaux et la mobi-
lisation des femmes et de leurs enfants dans les
◗ Document 3 campagnes : tous doivent fournir un effort intense
3. Par qui remplace-t-on les hommes appelés pour servir la France dans le combat qui est mené ;
sur le front dans les usines ? les hommes, à leur retour, seront fiers de voir que
4. Que fabrique-t-on dans cette usine ? les travaux ont été accomplis et que les terres culti-
Alors que les ouvriers sont majoritairement au vées n’ont pas été rendues à la friche, minant les
front, l’on fait appel aux femmes – les fameuses exploitations et les biens de la famille.
« munitionnettes », symboles du front de l’inté-
rieur (cf. photographie p. 101) mais aussi à des
travailleurs étrangers (majoritairement européens
mais ces travailleurs peuvent aussi venir d’Afrique ÉTUDE
du Nord, de Madagascar ou d’Asie). L’appel à
cette main-d’œuvre qui n’avait pas nécessaire-
La mobilisation des esprits
❯ MANUEL PAGES P. 98-99
ment travaillé dans les usines auparavant (ou pas
dans les usines d’armement) est permis par les Dans le processus de totalisation de la guerre,
nouvelles machines-outils qui facilitent, ici, la la mobilisation des esprits tient une place déter-
production d’obus. minante. Alors que la guerre est beaucoup plus
longue que prévu, les États belligérants doivent
◗ Document 4 maintenir un consensus autour de la nécessité de
poursuivre l’effort de mobilisation. Le dossier vise
5. Pourquoi le gouvernement lance-t-il à cerner tous les moyens d’action employés par
cet appel à l’été 1914 ? les États pour soutenir tous leurs ressortissants,
C’est un ardent appel au ptariotisme que lance les mobilisés comme ceux de « l’arrière » , dans
René Viviani, Président du Conseil, en 1914. La l’effort de guerre (organisation de la censure et
mobilisation vient de débuter ; elle est massive de la propagande, stigmatisation et déshumanisa-
puisque ce sont 3,6 millions d’hommes qui partent tion de l’adversaire, mobilisation par la foi, par
• 44 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

l’école). Tous, en fonction de leur âge et de leur ici de mort ou de terribles blessures puisque les
sexe, doivent s’investir dans le combat de civili- projectiles tombent mollement à terre tandis
sation qui est mené durant ces longues années. que les balles passent à travers les corps sans
L’encadrement des opinions, en régime démocra- y demeurer et surtout sans les déchirer. Rien
tique comme en régime autoritaire, devient une ne doit inquiéter l’arrière, qui ignore alors tout
méthode de gouvernement. des réalités matérielles du combat mené sur le
front. Le journaliste rédigeant ces lignes n’a-t-il
◗ Document 1a pas également écrit cet article avec une pointe
d’ironie pour satisfaire aux lois tout en infor-
1. Quels sont les objectifs de la circulaire ? mant son lecteur ?
La circulaire du 6 août 1914 organise la
censure en France : si la démocratie continue ◗ Documents 2 à 5
officiellement à exister, l’État, pour assurer la
sécurité des hommes sur le front et la victoire, 4. Comment l’ennemi est-il présenté ?
interdit toute communication sur les éléments
Dans ces trois documents, l’ennemi est stigma-
relatifs à la défense (transport des troupes et du
tisé et représenté comme un barbare : il s’agit
matériel, effectifs, travaux de défense, situa-
d’un monstre symbolisant le mal dans le docu-
tion de l’armement, mouvement des armées).
ment 2 (un dragon), d’un État connaissant « une
De mauvaises nouvelles pourraient par ailleurs
régression à l’état sauvage » (H. Bergson, docu-
démobiliser l’opinion et mener à la défaite. La
ment 3a), de combattants cruels utilisant la plus
presse, très libre sous la IIIe République, doit
grande violence (abondance du sang versé, utili-
donc se montrer discrète. L’orchestration de l’in-
sation des balles dum-dum doc 3 b). L’ennemi est
formation participe donc de la conduite de guerre.
un être féroce (document 4) et sans conscience
2. Qui a voté ces dispositions ? (document 5). Les arguments sont les mêmes qu’il
Dans quel contexte ? s’agisse de qualifier les combattants de l’Alliance
ou ceux de l’Entente ; tous les moyens sont bons
La loi a été votée par les Parlementaires dans le
pour le détruire et c’est au nom de la civilisation
contexte de la déclaration de guerre et de la mobi-
que le combat est mené.
lisation des hommes sous les drapeaux. Elle peut
aussi apparaître comme une réponse aux reproches
faits à la presse au tout début de la IIIe République : ◗ Document 2
Le Temps avait été accusé d’avoir divulgué des
éléments stratégiques ayant causé la défaite de 5. Comment sont présentés les Alliés ?
L’Allemagne ? Quel est l’objectif
la France à Sedan, en 1870.
de cette caricature ?

◗ Document 1b Les Alliés sont représentés par cinq hommes (on


reconnaît chaque nation à son uniforme) s’élançant
3. Pourquoi peut-on parler ici d’un véritable ensemble pour combattre le monstre que l’on peut
« bourrage de crâne » ? identifier comme une allégorie de l’Allemagne et
L’intransigeant est un quotidien fondé par Henri de l’Autriche-Hongrie (les couvre-chefs sur la tête
Rochefort en 1880 ; initialement de gauche, il a de l’animal sont ceux des deux empereurs). La
dérivé vers la droite (son fondateur figurait parmi bête a des griffes terribles, des yeux exorbités, des
les principaux soutiens du Général Boulanger et dents qui ont déjà fait couler le sang ; son corps
le journal était situé dans le camp antidreyfusard détruit tout sur son passage. La bête est comme un
en 1898). L’extrait proposé permet d’illustrer ce dragon, ce qui l’associe immédiatement au Mal,
que fut le « bourrage de crâne », c’est-à-dire la qu’il s’agisse du Mal des légendes médiévales ou
propagande mensongère organisée pour soutenir du Mal chrétien. Les hommes qui combattent la
la population dans l’effort de guerre : dès août bête, beaucoup plus petits qu’elle mais alliés, sont
1914, la presse répond aux inquiétudes de la de nouveaux saint Georges ou saint Michel qui
population sur les armes allemandes et notam- doivent terrasser la créature pour faire triompher
ment sur les redoutables shrapnells. Il n’est pas le Bien, la civilisation.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 45 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

◗ Document 4 l’est de la France). Toutes les disciplines (instruc-


tion civique, histoire, géographie, lettres) sont
6. Décrivez la carte postale.
donc convoquées pour permettre aux plus jeunes
Comment la foi peut-elle aider
à la mobilisation des populations ?
de se sentir concernés par le combat mené par leurs
parents, auquel ils peuvent s’associer.
Au front comme à l’arrière, la Première Guerre
mondiale a pu susciter un renouveau de la foi. La
carte postale met en scène trois combattants en HISTOIRE DES ARTS
prière (ils baissent la tête) devant un prêtre dont
le visage illuminé et tendu vers les cieux, la main L’expérience combattante
bénissante, semblent laisser penser qu’il est en selon Otto Dix
communication avec Dieu. Le prêtre a revêtu ses ❯ MANUEL PAGES 102-103
vêtements liturgiques (est-il près d’un autel ? l’es-
La Guerre est l’une des plus célèbres œuvres
pace est peu lisible et avant tout symbolique) mais
d’Otto Dix (1891-1969), célèbre peintre allemand
laisse paraître ses bottes, il s’agit donc d’un aumô-
qui a traversé plusieurs mouvements artistiques
nier militaire sur le front. La prière peut précéder
de la première moitié du XXe siècle : l’impres-
une attaque ; la légende montre que le Christ est
sionnisme, le cubisme, le dadaïsme, la Nouvelle
invoqué pour causer la défaite allemande ; la foi
Objectivité. Son nom est très souvent rattaché
dans la patrie et la foi religieuse se rejoignent dans
au courant expressionniste, par erreur puisque la
le discours de propagande et la guerre menée est
Nouvelle Objectivité rompt avec l’expression-
quasiment une guerre sainte. Mais alors que certains
nisme pour revenir à la réalité et à la critique
combattants ont besoin de l’Église pour être soute-
sociale. Effectivement, Otto Dix s’en prend régu-
nus, d’autres se détournent de Dieu en voyant les
lièrement à la bourgeoisie, à l’ordre établi et leurs
atrocités commises sur le champ de bataille.
décadences. Il jette sous nos yeux la terreur de la
Alors que les catholiques semblaient parfois exclus vieillesse, de la maladie, de la folie et de la mort.
de la République (le ralliement de ceux-ci à la
République laïque avait été difficile et le combisme Une grande force et une originalité indéniable rési-
avait ravivé l’opposition entre le Saint-Siège et la dent dans son discours et, particulièrement, dans
France), ils se sont battus comme tous les citoyens celui qu’il tient autour de son expérience person-
pour faire triompher la France. 25 000 prêtres fran- nelle de la Grande Guerre. Toutes ses œuvres rela-
çais ont d’autre part été mobilisés en août 1914 tives au conflit, pendant lequel il s’est volontai-
(beaucoup ont obtenu la permission, sans avoir rement engagé, sont autant d’actes d’accusation
le titre d’aumônier, d’exercer leur sacerdoce). La contre l’horreur, l’absurdité et l’inutilité de la
Première Guerre mondiale est donc souvent dési- guerre. Otto Dix est un peintre engagé et c’est
gnée comme la période du « Second Ralliement » ; à ce titre qu’il est mis à l’index par les Nazis
sur le Chemin des Dames, le père Teilhard de Char- (plusieurs de ses œuvres sont exposées en tant
din et l’abbé Bergey sont des figures emblématiques que toiles « dégénérées » en 1938 à Munich puis
de ces « aumôniers poilus ». dans toute l’Allemagne : ses toiles sont jugées
obscènes et refoulées, parfois détruites).
◗ Document 5 Qu’il s’agisse des quelques œuvres faites au front
(il s’est battu sur le front occidental, notamment en
7. Montrez que l’école permet la mobilisation Champagne), de la série de 50 eaux-fortes appelée
des plus jeunes. « La Guerre » (Der Krieg, 1923-1924) ou de ses
Sans modifier les horaires ou les programmes grands retables exposés à Berlin (Flandres) ou à
officiels, les instituteurs sont invités à mobiliser Dresde (La Guerre), sa précision est cruelle, son
leurs élèves en insistant sur les valeurs patrio- vérisme cauchemardesque. Tout son œuvre des
tiques, le devoir militaire, l’œuvre de la France années 1920 et du début des années 1930 traduit
dans l’histoire et dans le monde ; les instituteurs le profond traumatisme des années de guerre. Dans
doivent aussi montrer le péril auquel les troupes les années 1960, Dix avoue : « Il faut avoir vu
sont confrontées face à la barbarie des occupants l’être humain dans cet état de déchaînement, pour
(les Allemands ont occupé le nord et une partie de savoir quelque chose sur l’homme ». Son œuvre
• 46 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

est empli de spectres et de visions d’épouvante. Réalisé sur de grands panneaux de bois et à la pein-
Il n’est pas un témoin indirect mais un soldat qui ture à l’huile à la manière des retables de la fin de
se souvient. Chaque image a l’autorité de l’expé- l’âge gothique, il constitue l’une des plus fortes
rience immédiate : il donne forme visuelle à ce qui dénonciations de la guerre peinte par Otto Dix. Le
est demeuré dans son esprit. Lui-même a présenté peintre a participé aux combats et tente d’exorci-
la série d’eaux-fortes puis son retable La Guerre ser son traumatisme par la peinture, en montrant la
comme un exorcisme nécessaire : « Il fallait que violence et le caractère absurde de la guerre telle
je me débarrasse de tout cela ! ». qu’elle s’est déroulée entre 1914 et 1918.
Si évidente dans sa brutalité et si violente dans
sa réprobation, La Guerre n’est pas pour autant ◗ Analyser les œuvres d’art
une œuvre qui se laisse analyser aisément. Il faut
2. Quelles scènes sont habituellement
avoir à l’esprit les grands retables germaniques
représentées sur des triptyques ?
de la fin du Moyen Âge, les œuvres d’Altdorfer Quel parallèle le peintre souhaite-t-il établir
mais surtout de Grünewald, qui est, ici, la princi- en se servant d’un support principalement
pale source d’inspiration. Comme dans le Retable utilisé à la fin du Moyen Âge ?
d’Issenheim, le bois est tordu, les corps purulents.
Les triptyques sont des panneaux de bois placés
Là où le Christ souffrait sa Passion, ce sont les
sur les autels : ils prenaient donc place dans des
soldats qui tentent de survivre ou qui agonisent ; sur
églises et avaient vocation à instruire les fidèles par
le panneau central, un seul combattant survit, rendu
l’image. Ce sont donc des personnages divins ou
méconnaissable par son masque à gaz (le fameux
des saints qui y sont majoritairement représentés.
« groin de cochon ») : il incarne la figure de celui
L’emploi du triptyque pour représenter les horreurs
qui a survécu à la mort (en parallèle avec le Christ).
de la guerre peut signifier la désillusion de Dix et le
Sur les panneaux latéraux, où sont habituellement
désenchantement du monde. Mais Dix établit aussi
représentés des saints, figurent des soldats gagnant
un parallèle clair entre les souffrances endurées
le front ou essayant d’y survivre. Sous le panneau
par le Christ en croix et celles des combattants,
central où peut résider le Christ mort (la prédelle,
nouveaux martyrs du monde moderne.
image plus particulièrement pensée par le célébrant
qui est devant le retable et voit donc prioritairement 3. Décrivez les scènes représentées
cette image) figurent ici des corps de combattants sur chaque panneau et sur la prédelle.
allongés. Sont-ils au repos dans un abri aux côtés Vous prêterez attention aux personnages,
de leurs camarades? Les planches et leur couleur aux expressions et aux corps, mais aussi
suggèrent davantage un cercueil de fortune qu’un au décor, à la lumière et aux couleurs.
abri. L’horizon n’est pas peuplé d’angelots ou de Le panneau central, où figure habituellement le
créatures miraculeuses, mais il est obscurci par des Christ, représente une scène du front : un seul
nuages de fumée ou des ciels rougeoyants ; les gaz combattant demeure vivant, le visage recouvert
semblent d’autre part envelopper toute la scène. d’un masque à gaz, parcourant un paysage où
Au sommet du panneau central gît un squelette tout a été détruit (maison, nature et végétation).
rappelant l’image traditionnelle du Christ en croix, Il semble errer dans un véritable chaos, tournant
dont le poids déchire un tissu blanc semblable à un son visage vers un charnier où les chairs entas-
linceul : ce ne sont pas les cieux qu’il montre mais sées sont déjà putréfiées. Comme le Christ pour
le sol, index tendu vers les jambes d’un combattant les chrétiens, il a survécu à la mort. Un squelette
infesté de furoncles et de pourriture. Tout espoir de domine la scène, accroché en hauteur. Il semble
transcendance semble voué à l’échec. ployer progressivement jusque vers le sol, dési-
gnant de sa main les corps des victimes.
◗ Présenter l’œuvre Les panneaux latéraux figurent le départ vers le
1. Présentez le triptyque. front (la foule est anonyme, bardés de leur équipe-
Pourquoi s’agit-il d’une œuvre majeure ment et casqués, les combattants semblent évoluer
d’Otto Dix ? dans les gaz) et le retour de deux blessés (celui qui
Ce triptyque, intitulé La Guerre, a été exécuté par est debout et qui sauve son compagnon – les rela-
le peintre allemand Otto Dix entre 1928 et 1931. tions de camaraderie sont fortes au front – ne porte
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

plus l’uniforme). Sur la prédelle, des dormeurs – De 1939 à 1942 les offensives allemandes en
ou plutôt des cadavres ? – sont allongés sous une Europe sont toutes victorieuses. À partir du
toile de tente, dans des coffrages de bois. 28 septembre 1939, l’Allemagne conquiert ainsi
d’abord la Pologne, qu’elle attaque conjointement
◗ Faire le lien entre art et histoire avec l’URSS alors son alliée, puis déferle sur l’Eu-
rope. Elle lance une offensive le 9 avril au nord
4. Comment le triptyque témoigne-t-il de l’Europe contre le Danemark et la Norvège,
de la violence inédite de combats ? puis se tourne le 10 mai 1940 vers l’Europe de
L’entassement des corps souffrants, les plaies l’Ouest : les Pays-Bas sont écrasés en cinq jours
nombreuses, les couleurs menaçantes montrent la et la Belgique capitule le 28 mai 1940. L’offensive
violence inédite des combats : le monde peint par allemande et italienne contre la France lancée le
Otto Dix est un univers entièrement détruit, à feu 5 juin aboutit à la victoire des forces de l’Axe et à
et à sang. L’espoir a disparu. La palette utilisée par la signature par la France d’un armistice le 22 juin
le peintre, faisant appel à de nombreux bruns, gris, 1940. Cependant l’échec de la campagne d’An-
noirs et du rouge (pour le ciel rougeoyant comme gleterre débutée en août 1940 marque un temps
pour les viscères des combattants) souligne égale- d’arrêt. L’Allemagne doit renoncer à envahir le
ment cette violence et la morosité des hommes, Royaume-Uni et entreprend donc le blocus des
spectres évoluant dans un monde qu’ils ont malgré Iles britanniques, c’est le début de la bataille de
eux contribué à faire disparaître. l’Atlantique et le prélude à l’extension du conflit.
Fin 1940 et en 1941 le conflit s’étend en Méditer-
5. Montrez que cette œuvre
est une dénonciation de la guerre. ranée : l’Italie lance une offensive vers l’Égypte
et vers la Grèce, qui échoue. Après avoir occupé
La brutalité et la cruauté des scènes, peintes la Yougoslavie en 1941, les Allemands prennent
avec minutie, prouvent qu’il s’agit bien d’une la Grèce et la Crète. Les territoires d’Afrique du
dénonciation de la guerre. Le peintre ne Nord passent aussi sous leur domination.
compose pas une scène historique classique
Ainsi à la fin de l’année 1940, le Royaume-Uni
où il pourrait mettre en avant les vertus d’une
est le seul pays à ne pas avoir été conquis. À l’ex-
armée contre l’autre ; il peint les ravages, les
ception des États restés neutres dans le conflit,
effets des bombardements et des gaz. C’est un
l’essentiel de l’Europe est passé sous domination
monde de chaos et de destruction où l’homme ne
allemande. Le grand Reich se compose désor-
sème que la mort et le désespoir. L’humanité a
mais de l’Allemagne agrandie de ses annexions
disparu, sauf peut-être sur le panneau de droite,
et occupe militairement l’Europe. Le 22 juin 1941
par ailleurs mieux éclairé que les autres : mais
l’attaque allemande contre l’URSS est victorieuse,
n’est-ce pas un fantôme ou un spectre qui fuit
les territoires baltiques et ukrainiens de l’URSS
ainsi du front ?
sont alors aussi occupés.

REPÈRES ◗ Document 3
4. Jusqu’où les Allemands sont-ils allés
Les phases de la Seconde Guerre sur le front de l’Est ?
mondiale (1939-1945) 5. Quelle bataille marque l’arrêt
❯ MANUEL PAGES 104-105 de leur progression ?
6. Quelle stratégie permet aux Alliés
de faire reculer l’Allemagne?
◗ Document 2
L’offensive lancée à l’Est contre l’Union Sovié-
1. À partir de la carte, reconstituez
les étapes de l’expansion allemande
tique mène l’Allemagne devant Moscou le
et italienne en Europe de 1939 à 1942. 21 décembre 1941. Cependant la pratique de la
2. Quel État européen reste seul à se battre stratégie de terre brûlée et l’hiver russe arrêtent les
contre l’Allemagne à la fin de 1940 ? armées ennemies. Le siège de Stalingrad marque
3. Quels sont les territoires conquis le tournant des armes sur le front de l’Est. La ville
par l’Allemagne nazie en 1941 ? est investie en septembre 1942 par les armées de
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

Von Paulus qui subissent un siège du 2 janvier au la Malaisie, Hong Kong, Singapour, l’Indonésie,
3 février 1943 par les forces soviétiques, qui font la Birmanie) et menace l’Inde et l’Australie.
un demi-million de prisonniers allemands. Cette La bataille de Midway en juin 1942 annonce la
première victoire est confirmée en juillet lors de victoire des Alliés qui ont repris l’initiative dans le
la bataille de Koursk. Désormais le sort des armes Pacifique comme c’est le cas en Europe en 1942.
appartient à l’URSS à l’Est ; cette dernière, ayant Progressant lentement, les Américains entrepren-
repris l’offensive, récupère les territoires conquis nent la reconquête d’archipel en archipel du Paci-
par l’Allemagne et l’Armée Rouge libère progres- fique pour se rapprocher du Japon (Guadalcanal,
sivement toute l’Europe de l’Est. Salomon, Mariannes, Philippines, Iwo Jima en
Ainsi l’Allemagne est affaiblie et isolée parce septembre 1944 et Okinawa en juin 1945) alors
qu’elle doit se battre sur deux fronts alors qu’elle a que sur le continent le Japon occupe l’Indochine
perdu son allié italien dès septembre 1943 (débar- brièvement (1945) mais doit faire face à l’offen-
quement en Sicile des Alliés en juillet et armistice sive terrestre du Royaume-Uni sur la Birmanie.
le 3 septembre 1943). La longue résistance du Japon explique en partie
En effet les Alliés ont débarqué le 6 juin 1944 en le choix des États-Unis de lancer deux bombes
Normandie, en Provence le 15 août et progressent atomiques sur Hiroshima et Nagazaki le 6 et 9
en Europe. Ils franchissent le Rhin en mars 1945. août 1945 alors que l’URSS attaque au nord de
La jonction entre les deux armées se fait à Torgau la Chine et fait sa jonction avec l’armée popu-
sur un affluent de l’Elbe le 26 avril 1945 et le 30 laire communiste chinoise de Mao-Tse-Toung.
avril l’Armée Rouge s’empare de Berlin alors que Le Japon capitule le 2 septembre 1945.
Hitler se suicide. Les 7 et 8 mai 1945 l’Allemagne
capitule sans condition à Reims devant les Alliés
et à Berlin devant les Soviétiques. REPÈRES

◗ Document 1 L’Europe des camps (1933-1945)


❯ MANUEL PAGES 108-109
7. Quels sont les territoires conquis
par le Japon avant 1939 ? 1. À quelle date est décidée l’extermination
8. Quelle est l’étendue maximum des Juifs et des Tziganes ?
des conquêtes du Japon en 1943 ? 2. Quel est le lien entre cette décision
9. Quelles sont les puissances engagées et le déroulement de la guerre ?
dans la reconquête des territoires sous 3. Nommez les camps d’extermination.
contrôle japonais ? Où se trouvent ces camps ?
10. Comment s’effectue la progression 4. Quels sont les pays où l’extermination
des forces américaines dans le Pacifique ? a fait le plus grand nombre de victimes ?
La Seconde Guerre mondiale a commencé en Si la politique raciste et antisémite de l’État nazi
Asie dès 1931 avec l’invasion par le Japon de la débute dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler, ce que
Mandchourie et sa transformation en protectorat montre la chronologie, la décision d’exterminer à
sous le nom de Mandchoukuo. En 1933 le Japon proprement parler les populations juives et tziganes
attaque ensuite le nord de la Chine, puis annexe est assez tardive (fin de l’année 1941). Elle est
les régions côtières jusqu’à la région de Shanghai officialisée lors de la conférence de Wannsee en
en 1937, et Canton en 1938. L’ambition nippone janvier 1942 sous le nom de « solution finale ».
est de faire de cette région une sphère d’expan- Depuis 1933, Hitler a mis en œuvre une politique
sion économique réservée, ce qui les oppose aux qui visait à isoler ces populations du reste de la
États-Unis et explique l’entrée en guerre de ces population allemande et a envisagé diverses possi-
derniers à la suite de l’attaque japonaise sur la base bilités avant guerre, comme leur déportation hors
militaire de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. du territoire allemand, par exemple à Madagascar.
En 1941-1942 le Japon remporte victoire sur C’est la guerre qui radicalise la politique nazie d’ex-
victoire face aux Américains et aux Britanniques, clusion. En effet les conquêtes allemandes entre
annexe des territoires étendus dans le Sud-Est asia- 1939 et 1942 font passer un grand nombre de terri-
tique (les îles de Guam et de Wake, les Philippines, toires, et donc de populations juives et tziganes,
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

sous domination allemande, et en même temps les élèves à réfléchir sur la mise en place des lois
la domination du continent ouvre la perspective antisémites avant guerre puis sur les mesures d’ex-
d’un « nettoyage » à grande échelle. Enfin tous clusion de plus en plus radicales prises à l’égard
les éléments constitutifs de la solution finale sont des populations juives et tziganes, afin de les
mis en place entre septembre et octobre 1941, à un regrouper avant d’organiser leur déportation. Les
moment où la victoire ne paraît plus certaine, s’at- Juifs sont recensés, identifiés puis isolés. La carte
taquer aux Juifs sans retenue permet d’exorciser la pp. 108-109 permet de compléter cette informa-
menace qui pèse sur l’Allemagne. tion en faisant localiser et nommer par les élèves
Ainsi si le premier camp de concentration est les autres grands ghettos existants. Le premier
créé dès 1933 à Dachau, les camps de la mort ghetto est celui de Lodz créé en mai 1940 (150 000
dans lesquels l’extermination de ces popula- personnes) puis Cracovie, Lublin et Varsovie. Ici
tions est organisée à grande échelle ne sont la photo donne un aperçu du ghetto de Varsovie
ouverts qu’à partir de la fin de l’année 1941 (jusqu’à 500 000 personnes) séparé à cet endroit
(Chelmno, Treblinka, Sobibor, Maïdanek, Belzec du reste de la ville par des barbelés.
et Auschwitz). Ils sont tous situés sur le terri-
toire polonais où la population juive était la plus ◗ Document 2
nombreuse et assez loin des théâtres d’opéra-
tions de la guerre. Ainsi c’est la Pologne qui a le 2. Quelle est la décision prise à la conférence
plus grand nombre de victimes juives avec trois de Wannsee ? Qui en est responsable ?
3. Analysez le vocabulaire employé
millions de morts, ce qui représente la quasi-tota-
par Heydrich à l’égard des populations juives.
lité de cette population ; l’action des Einsatzgrup- 4. Comment la décision est-elle justifiée ?
pen qui a suivi l’avancée des troupes allemandes
sur le front de l’Est explique aussi le nombre de Le 20 janvier 1942, Reinhard Heydrich présente
victimes juives en URSS, soit 700 000 personnes. le projet de déportation systématique des popula-
tions juives de toute l’Europe devant une assemblée
de dignitaires nazis ; cette conférence annonce de
ÉTUDE façon officielle la mise en œuvre de la solution
finale. La justification donnée renvoie à la concep-
Le génocide des Juifs tion raciale des Nazis qui voient dans la population
et des Tziganes juive un élément nuisible aux Allemands « de sang
❯ MANUEL PAGES 110-111 pur » et à la volonté de résoudre le problème défini-
Cette étude s’inscrit directement dans l’interroga- tivement dans un contexte particulier qui est celui
tion générale du chapitre qui porte sur la Seconde de la guerre dont l’issue ne paraît plus aussi sûre.
Guerre mondiale en tant que guerre d’extermi- Le texte est très frappant par la terminologie utili-
nation. Elle peut être travaillée avec les élèves sée. En effet le vocabulaire de Heydrich masque la
en complément de la double page « repères » réalité de l’extermination en utilisant un langage
précédente (pp. 108-109) qui pose le cadre codé (« solution finale » et non « extermination »
géographique et chronologique de cette étude. ou « massacre ») pour en garder le secret, tout en
La problématique est celle de la mise en œuvre traitant les Juifs avec une grande distance comme
à grande échelle et sur l’ensemble du territoire s’il ne s’agissait pas d’êtres humains (« résidus »).
européen du massacre des populations juives
et tziganes. Les documents choisis invitent à Le discours de Heydrich officialise une accéléra-
une réflexion sur la prise de décision et sur les tion et une multiplication des massacres durant
responsabilités. l’été 1941 ; d’ailleurs dès le 31 juillet une lettre de
Goering le chargeait de prendre toutes les mesures
préparatoires « pour une solution d’ensemble de la
◗ Documents 1 à 4
question juive ». La phase décisive dans la mise en
1. Quel est l’objectif des mesures pratique du génocide est franchie avec l’agression
de regroupement ? contre l’URSS, qui est conçue dès sa préparation
Ce document vient compléter les informations comme une guerre idéologique (contre le judéo-
données à la page 108. En effet on peut inciter bolchevisme) et d’extermination. Les premiers
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

massacres de masse ont effectivement lieu à l’ar- systématique explique l’organisation rigoureuse
rière du front de l’Est par les Einsatzgruppen SS. dont ils font l’objet (choix du lieu d’exécution,
La solution finale s’impose alors aux dirigeants « méthode » pour tuer efficacement) et explique le
nazis comme un processus inéluctable lié à la nombre de personnes tuées (1,3 million de victimes
guerre totale, elle traduit l’évolution d’un proces- juives par fusillades en dehors des camps). Le tout
sus de violence à la fois voulu par Hitler et de est à mettre en parallèle avec le texte de Heydrich
moins en moins maîtrisé. et les témoignages des nazis lors de leurs procès
après guerre (comme la défense d’Eichmann). L’ex-
◗ Documents 2 et 5 termination est ainsi conçue comme « un travail »
à faire, en application des ordres, en conformité
5. Quelles sont les populations visées ? avec les exigences de la guerre, par solidarité avec
6. Pourquoi peut-on parler d’un génocide ? le groupe qui y est soumis. Le mal ainsi banalisé
Les documents 2 et 5 évoquent le génocide des devient acceptable pour la majorité de exécutants.
Juifs, dont l’extermination a été planifiée et systé- Quelques-uns, quoique peu nombreux, s’y sont
matiquement mise en œuvre dans toute l’Europe. néanmoins opposés. Leur refus montre qu’il était
Il s’agit bien d’un génocide dans la mesure où possible de se soustraire aux ordres donnés. Dans
les 6 millions de personnes massacrées l’ont ce cas, celui qui refusait était écarté mais ne faisait
été pour leur seule appartenance à un groupe pas l’objet de sanction particulière.
ethnique. L’extension des massacres à toute l’Eu-
rope implique alors la coopération des États sous ◗ Document 4
influence allemande.
10. Repérez dans la carte page 109 les deux
◗ Documents 2, 3 et 4 types de camps évoqués dans ce témoignage.

7. Qui sont les exécutants de la solution En 1942 l’extermination des Juifs devient systé-
finale ? matique et s’accomplit dans les camps ouverts à
cette fin : Maïdanek, Belzec, Sobibor, Treblinka,
Cette question incite l’élève à réfléchir aux Auschwitz et Chmelno. La carte page 109 permet
responsabilités. En effet les documents montrent de distinguer les camps de concentration des
que la décision initiale est le fait des dignitaires camps d’extermination construits pour devenir
nazis : Heydrich prend la parole au nom d’Hitler, des usines de mort. Le gazage par camions y
et sans qu’il y ait un ordre écrit de sa part, par commence dès septembre 1941. L’extermination
ses discours et son impulsion il est le premier en chambres à gaz débute à Chmelno (décembre
responsable du génocide. Par ailleurs le docu- 1941) puis est ensuite étendue en 1942 aux autres
ment 3 met en évidence le rôle d’exécutants ordi- camps d’extermination.
naires, comme les membres de ce bataillon de
police et donc pas seulement celui des SS. En
effet sur le front de l’Est les troupes spéciales ◗ Document 5
des Einsatzgruppen SS chargées des massacres
11. De quoi cette image est-elle à jamais
ont été renforcées des unités régulières de l’ar- le symbole ?
mée, de la police et même de bataillons recrutés
parmi les nationalistes anticommunistes locaux La photo de cette fosse commune du camp de
(Ukrainiens ou Baltes). Bergen-Belsen symbolise l’horreur absolue que
fut le génocide du fait de son ampleur, et la mise
en péril de l’humanité elle-même par sa négation
◗ Document 3
dans la mort de masse. Elle donne à voir la barbarie
8. Montrez le caractère systématique née au sein même de la civilisation. Au-delà de la
et organisé de ces exécutions de masse. première réaction qui est de l’ordre de l’émotion,
9. Les exécutants s’opposent-ils à cette on peut aider les élèves à réfléchir à l’image elle-
tâche? Distinguez l’exception du cas général. même : en quoi ce que nous voyons est-il insou-
Il s’agit ici des massacres à grande échelle perpé- tenable ? Empilement de corps, corps nus pour
trés par balles sur le front de l’Est. Leur caractère la plupart ou à demi vêtus dans un désordre de
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

membres, corps sans sépulture dépouillés de leur La décision de développer le camp d’Auschwitz
individualité et réduits à l’état de choses. vient, d’après son commandant Rudolph Höss, du
sommet de l’État puisque l’ordre d’Hitler lui a été
transmis par Himmler, qui dirige la SS. Malgré son
ÉTUDE caractère « monstrueux », souligné par l’auteur
lui-même, la décision d’en faire « le plus grand
Le camp d’Auschwitz, centre de tuerie » n’est pas remise en cause par son
une usine de mort commandant au nom de l’obéissance aux ordres, au
❯ MANUEL PAGES 112-113 nom de la loyauté à l’égard d’Hitler. Cette soumis-
sion absolue aux ordres est typique de ce qui était
Cette étude présente le camp d’Auschwitz parce attendu des SS. Rudolf Höss, officier SS (depuis
qu’il s’agit du plus grand d’extermination du Reich 1934), est un membre de la première heure du parti
(1,3 million de déportés) et à ce titre il est le symbole national-socialiste et un de ses principaux maîtres
même du génocide des Juifs et des Tziganes. Ainsi d’œuvre, il justifie l’exécution de cet ordre par son
cette étude peut être traitée en prolongement des zèle, refoulant ainsi tout doute ou culpabilité.
précédentes qui fixent le cadre général de l’extermi-
nation comme un exemple qui permet d’approfon- Si l’étude précédente n’a pas été travaillée, ce texte
dir la connaissances de la question par les élèves. peut être mis en regard du document 3 p. 111 qui
Elle peut aussi être utilisée isolément et sans faire présente un cas de refus d’obéissance.
les autres. Les textes choisis éclairent la réalité
du camp d’Auschwitz selon des angles différents ◗ Document 1
que l’on peut confronter, témoignage de Rudolf 5. Quels sont les différents types
Höss, commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, de camps qui composent le complexe
et témoignages de victimes, déportés anonymes ou concentrationnaire d’Auschwitz ?
très connus comme Primo Levi.
Auschwitz est composé d’un camp de concen-
tration (Auschwitz I) d’abord destiné aux déte-
◗ Carte p. 109 nus polonais, ouvert en juin 1940. On y tue par
1. Où se trouve le camp d’Auschwitz ? gaz, on y pratique la stérilisation, les injections
mortelles de phénol, des expériences médicales
Le complexe concentrationnaire d’Auschwitz est (Dr Mengele). Auschwitz II-Birkenau a été
près de la ville d’Oswiecim, ville polonaise de construit sur l’emplacement d’un village qui a
Haute-Silésie, annexée au Reich. Son nom a été été rasé. Il devient le plus grand centre d’exter-
transformé en Auschwitz. La création du camp mination par les gaz de toute la guerre. Il est
s’explique initialement par l’augmentation du composé d’un camp des hommes, d’un camp
nombre de détenus polonais. des femmes et d’un camp de quarantaine. Enfin
Auschwitz III comprend plusieurs kommandos
◗ Document 2 de travail dont celui de Buna-Monowitz de l’IG
Farben (usine d’essence et caoutchouc synthé-
2. D’après l’auteur, de qui vient la décision tiques) où travaillent des détenus juifs, des dépor-
de développer ce camp et dans quel but ?
tés de toutes nationalités, des requis du travail,
3. Qui est chargé de l’exécution ?
des prisonniers de guerre britanniques et des
4. Pourquoi la mise en œuvre de
cette décision n’est-elle pas mise en cause ? civils allemands.

Le témoignage du commandant d’Auschwitz a


◗ Documents 3 et 4
été recueilli lors du procès de Nuremberg (qui l’a
condamné à mort) et est unique en son genre en ce 6. Quelles sont les différentes étapes
que sa déposition concerne l’extermination comme du processus de mise à mort?
entreprise industrielle, d’autant que les textes offi- Montrez que ce processus s’apparente
ciels nazis utilisent un langage codé pour parler à un travail à la chaîne.
de l’extermination, alors qu’ici le commandant Le document 3 est extrait de l’album d’Auschwitz,
parle en termes clairs. un album unique considéré comme la seule preuve
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Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

visuelle du processus d’extermination à Auschwitz. autres et exterminé après chaque opération impor-
Il est composé de 200 photos environ d’un convoi tante. Ainsi les seuls témoins sont quelques SS et
venu de Ruthénie dans les Carpates (alors en Tché- ces détenus voués à la mort ensuite. D’ailleurs tout
coslovaquie, aujourd’hui en Ukraine). Elles ont au long de la déportation et jusqu’au seuil de la
été prises à la fin du mois de mai 1944, sans doute chambre à gaz, les consignes sont de ne rien révé-
par le SS Oberscharführer Bernhard Walter et le ler aux déportés quant à leur destination ; les Alle-
SS Unterscharführer Ernst Hoffmann, deux gradés mands parlent de « déportation vers l’Est », puis
nazis dont la mission était de relever l’identification « d’envois aux travaux forcés » puis de « transferts
et les empreintes des déportés, mise à part celle des de populations ». La déportation vers la mort se
Juifs et des Tziganes, directement envoyés dans les fait sous couvert d’une déportation pour le travail
chambres à gaz. et dans le secret le plus absolu quant à l’emploi des
Ce document montre la première étape du proces- gaz pour le génocide.
sus de mise à mort. À la sortie des wagons plom-
bés venus de toute l’Europe a lieu la « sélection », ◗ Documents 3 et 5
les hommes et les femmes sont séparés en deux
8. Quel est le sort des détenus qui ne sont
colonnes sur la rampe par les SS. Ensuite le méde-
pas immédiatement envoyés à la chambre
cin SS sélectionne ceux qui sont aptes au travail. à gaz ?
Ceux qui sont déclarés inaptes sont déshabillés
et envoyés à la chambre à gaz. Une fois gazés, Juif italien, Primo Levi a été arrêté par la milice
les cadavres sont brûlés dans un four crématoire. fasciste de la République de Salo le 13 décembre
À partir de l’hiver 1942-43 l’enterrement des 1943, livré à la SS et interné d’abord au camp de
cadavres ne suffisant plus à faire disparaître les Fossoli. Il est ensuite déporté au camp d’Auschwitz
corps, les fours crématoires sont construits dans où il est sélectionné pour le travail. Cet extrait
la même structure que les chambres à gaz. Ainsi permet de mettre en évidence à la fois la pénibi-
l’extermination est-elle faite avec le maximum lité du travail des détenus dont la vie n’est qu’un
d’efficacité, sans transport et sans déchets. sursis et aussi le processus de déshumanisation
à l’œuvre dès la sélection et qui se poursuit par
Notons à gauche de la photo la file des hommes.
l’immatriculation, les privations et l’affaiblisse-
Devant celle des hommes, la seconde file est
ment extrême de tous les détenus qui perdent leur
composée de femmes, de personnes âgées (une est
identité, car, dans ce système, le travail forcé est
assise par terre). Les SS et des détenus contraints
destiné à la fois à les exploiter et à les exterminer.
à ce travail paraissent procéder à la sélection, un
enfant est emmené sur la gauche (vers la chambre
à gaz ?), une femme assez jeune est emmenée à
droite. Tout paraît se passer dans le calme.
ÉTUDE
Les résistances à la politique
◗ Document 4 d’extermination
7. D’après le texte, qu’est ce qui explique ❯ MANUEL PAGES 114-115
l’absence de résistance des déportés ?
Les études précédentes donnent aux élèves
Le calme apparent de la photographie de la sélec- la mesure du génocide, leur permettent de
tion est confirmé par le témoignage du document 4. comprendre comment ces massacres ont été
L’auteur explique l’absence de résistance des déte- rendus possibles. Cette étude vient compléter les
nus conduits à la chambre à gaz par l’ignorance précédentes en ouvrant la question du point de
dans laquelle ils sont tenus de leur mort imminente. vue inverse, celui des victimes et de leur réac-
Le déshabillage des détenus est justifié par la néces- tion. Ainsi elle donne l’occasion de réfléchir sur
sité de l’épouillage ce qui est rendu crédible pour les les formes de résistance à l’extermination, qui,
détenus par le camouflage de la chambre à gaz en si elles furent peu nombreuses et inefficaces le
salles de douches. Le déshabillage, le remplissage et plus souvent, témoignent du refus, d’autant plus
vidage du four étaient effectués par un kommando notable qu’il est exceptionnel, de quelques indi-
spécial qui devait être tenu étroitement isolé des vidus ou groupes isolés.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 53 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

◗ Documents 1 et 5 l’« Orchestre rouge » constituent deux autres


exemples. Majoritairement, la population n’a
1. Quelle est la situation des révoltés
pas opposé de résistance à la politique nazie
dans les deux cas ?
2. Quel est l’objectif et la nature de la révolte ?
antisémite, puis à l’extermination des Juifs. Ici
Comment se terminent ces actions ? il s’agit d’un tract de l’organisation étudiante
secrète de la Rose blanche, organisation consti-
Portant sur la révolte des Juifs de Varsovie et sur tuée à Munich, en 1942, d’un groupe de cinq
celle des Juifs affectés au four crématoire IV d’Aus- étudiants (Hans scholl, Sophie Scholl et Chris-
chwitz, ces deux documents permettent de corriger toph Probst, Alexander Schmorell, Willi Graf)
l’image donnée dans la précédente étude d’une et du professeur de philosophie Kurt Huber. Il
population juive soumise au sort qui lui est fait. s’agit d’une résistance civile fondée sur la dénon-
Dans les deux cas il s’agit d’une révolte armée ciation du « crime contre la dignité humaine »
désespérée dont l’issue évidente est la mort. Le texte et dont l’objectif est de réveiller les consciences
sur le ghetto de Varsovie témoigne de l’existence des Allemands. Les membres de la Rose blanche
d’une résistance armée juive organisée : l’Organi- ont dans ce but distribué des tracts alertant l’opi-
sation juive de Combat, aidée d’une autre organi- nion allemande et dénonçant le régime hitlé-
sation, l’Union combattante juive. Elles tentent en rien à l’université puis à Munich et dans toute la
vain de s’opposer en janvier 1943 à la liquidation du région. Ils ont finalement été arrêtés et exécutés
ghetto (40 000 personnes) après la déportation de en février 1943.
300 000 Juifs entre juillet et septembre 1942. Les
combattants du ghetto résistèrent un mois.
◗ Documents 3 et 4
David Olère (1923-1985) est un artiste juif né
à Varsovie, arrêté en France en 1943 et déporté 4. Quel est l’objectif du pasteur Trocmé
à Auschwitz. Son témoignage est exception- et de Raoul Wallenberg ?
Quels sont leurs moyens d’action ?
nel parce qu’il a lui-même été affecté dans un
des Sonderkommandos alors que ceux-ci était La tentative de la Rose blanche constitue une
systématiquement exterminés et remplacés : la entreprise de lutte par l’esprit contre la violence
révolte du 7 octobre 1944 a abouti à la fermeture des armes, les deux cas suivants présentent deux
du crématoire IV, mais la plupart des déportés ont autres formes de résistance, celles d’indivi-
été exterminés ensuite (un témoignage écrit rare dus isolés qui décident au nom de leur propre
cf. Schlomo Venezia, « Sonderkommando. Dans conscience de sauver des Juifs de l’extermina-
l’enfer des chambres à gaz », Albin Michel, Paris, tion. C’est le cas de Raoul Wallenberg, premier
2007). Il est aussi exceptionnel par la qualité secrétaire à la légation de Suède en Hongrie en
esthétique et émotionnelle de l’œuvre réalisée dans juillet 1944, qui fournit des passeports de protec-
l’immédiat après-guerre : les déportés, visiblement tion suédois à des Juifs hongrois permettant ainsi
au seuil de la mort (visages émaciés, yeux enfon- à des milliers d’entre eux d’échapper à la dépor-
cés dans les orbites, côtes saillantes) sont pourtant tation. C’est le cas aussi du pasteur Trocmé et de
debout, armes à la main. Cette représentation peut sa femme Magda qui protégèrent des Juifs dans
être mise en regard de la photographie, document 5 leur village de Chambon-sur-Lignon grâce à la
p.111, où les corps nus et entassés évoquent la collaboration qu’ils obtinrent de toute la popula-
déshumanisation. Ici, par la révolte, les dépor- tion pour héberger, cacher puis évacuer en lieu sûr
tés, bien que voués à la mort, reconquièrent leur 5 000 personnes. « Nous ignorons ce qu’est un juif,
humanité en choisissant leur mort. nous ne connaissons que des hommes » a répondu
le pasteur Trocmé au préfet qui lui annonçait un
◗ Document 2 recensement des Juifs sur le plateau du Chambon.
Le sauvetage des Juifs s’impose à eux comme une
3. Au nom de quels principes la Résistance évidence de leur conscience et quels que soient
allemande se manifeste-t-elle et quel est les risques encourus que décrit le pasteur Trocmé.
son but ? Cette « banalité du bien » peut être mise en pers-
La Résistance allemande est elle aussi tout à pective avec « la banalité du mal » dont témoi-
fait exceptionnelle, le « Cercle de Kreisau » et gnent les Nazis.
• 54 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

◗ Document 5 ◗ Document 1
5. Pourquoi peut-on parler d’une résistance Quels sont les différents objectifs
nationale au Danemark ? des bombardements allemands sur Londres ?

La situation au Danemark est remarquable, en effet À la date du document, la situation militaire est
le pays est occupé par l’Allemagne dès 1940 et favorable à l’Allemagne nazie, qui a remporté
paraît durant les deux premiers années disposé à victoire sur victoire en Europe occidentale. Les
collaborer. À partir de 1941 les relations entre les élèves peuvent nommer les pays vaincus puis
Danois et les Allemands se dégradent, émeutes et occupés par l’Allemagne à l’aide de la carte propo-
grèves se multiplient, le roi Christian X se consi- sée en p. 105. En juin 1940 l’Allemagne envisage
dère comme prisonnier dans son palais et l’ar- donc d’attaquer le Royaume-Uni, dernier État de la
mée allemande prend le contrôle du pays. C’est région à conquérir. C’est l’objet du memorandum
dans ce contexte de résistance que Hitler donne cité ici qui prévoit un bombardement de l’Angle-
l’ordre de la déportation des Juifs danois en 1943, terre non seulement pour briser les forces mili-
ordre auquel s’opposent la population danoise, taires du pays et rendre possible un débarquement
son roi et même l’armée allemande. L’essentiel et une occupation mais aussi pour briser le moral
de la population juive (sur 7 800 personnes, seule- anglais (« bombardement de terreur ») afin de
ment 425 sont déportées) est sauvée grâce à l’ac- faciliter l’attaque et limiter les pertes du côté alle-
tion organisée à l’échelle nationale par la popu- mand. Ici les bombardements sont une véritable
lation. En effet presque tous sont emmenés par méthode de combat en direction des civils. Effec-
bateau en Suède, comme le montre la photographie tivement le bombardement de Londres (Blitz) en
proposée. Cette situation exceptionnelle peut être 1940 comme celui de Varsovie l’année précédente
rapprochée du cas français où au contraire la colla- ou de l’Allemagne entre 1942 et 1945 provoquent
boration des autorités françaises à la déportation une forte angoisse des populations civiles trauma-
a abouti à la mort de 28 % de la population juive tisées par la guerre aérienne totale. Malgré l’image
de 1939 ; le cas danois apporte la preuve qu’une héroïque des habitants de Londres restés stoïques
résistance nationale, même dans un pays occupé, pendant le Blitz, là comme ailleurs les attaques
était possible. aériennes à répétition et la hantise d’une nouvelle
alerte ont engendré découragement et révolte.

◗ Document 2
2. Comment peut-on expliquer
ÉTUDE les bombardements alliés sur le territoire
français ?
Les bombardements de guerre, 3. Pourquoi ce résistant les accepte-t-il ?
une stratégie d’anéantissement Il s’agit ici des bombardements alliés en France
❯ MANUEL PAGES 118-119 dont le but était de briser les défenses allemandes,
préparant puis accompagnant le débarquement
Cette étude permet de s’interroger sur le rôle des allié. La réaction du résistant est assez surpre-
bombardements dans une guerre devenue totale nante puisque après avoir décrit les destructions
et dont l’objectif n’est plus seulement de rempor- et drames provoqués par ces bombardements, il
ter la victoire mais d’anéantir complètement les conclut en disant que le moral était pourtant au
forces de l’ennemi. Les bombardements, permis plus haut. Effectivement les bombardements alliés
par les progrès techniques de l’aviation, devien- en France pour préparer la reconquête du territoire
nent un instrument décisif dans cette stratégie, à ont été importants. Avec près de 550 000 tonnes
la fois arme de guerre et arme de terreur du côté de bombes déversées sur son territoire entre 1940
des forces de l’Axe comme du côté des Alliés, en et 1945 (sur les 2,7 millions larguées sur le conti-
particulier dans la deuxième partie de la guerre. nent européen au cours de la même période), la
Les populations civiles sont donc les cibles privi- France est, après l’Allemagne nazie, le pays à
légiées de ces bombardements. avoir le plus souffert des attaques aériennes anglo-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 55 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

américaines. En cinq années de guerre, environ tervenir et de prendre pied dans la région, si bien
75 000 de ses habitants périssent du fait de ces que cette décision d’utiliser la bombe atomique
raids, des dizaines de milliers d’autres sont blessés est tout aussi bien un premier pas dans la lutte
ou traumatisés et des centaines de milliers d’habi- d’influence entre les deux Grands et un indice que
tations ou d’immeubles détruits ou endommagés. la fin de la guerre en Europe a déjà mis à mal la
Ces bombardements de populations amies ont été Grande Alliance.
utilisés par la propagande nazie pour retourner
l’opinion publique française contre les Alliés et ◗ Documents 2 et 3
d’ailleurs certains témoignages vont dans le sens
d’une incompréhension des civils à l’égard de ces 5. Le bombardement de Dresde obéit-il
bombardements. à la même logique que celui des villes
françaises ?
De 1942 à 1945 l’Allemagne est bombardée par
◗ Documents 4 et 6
les Alliés, américains le jour et anglais la nuit.
4. Pourquoi le président Truman a-t-il pris Les Allemands vivent dans les abris alors que les
la décision de lancer une bombe atomique villes sont écrasées sous deux millions de tonnes
sur Hiroshima ? de bombes qui font 400 000 morts et 800 000 bles-
Le président américain utilise plusieurs registres sés, sept millions de sans-abris. L’objectif est de
d’explication ou de justification de l’utilisation de détruire le potentiel industriel et humain allemand.
la bombe atomique contre le Japon. D’abord une Ainsi la ville de Dresde est détruite le 13 février
justification stratégique : obtenir rapidement la 1945 parce qu’elle constitue un important noeud
capitulation du Japon. Effectivement à cette date de communication pour les troupes allemandes
l’Allemagne a capitulé mais le Japon continue à vers le front de l’Est et la septième ville indus-
se battre. Les élèves peuvent reprendre eux-même trielle du Reich. Pendant sept jours les Alliés
le contexte militaire à partir de la carte p. 105 bombardent la ville qui brûlent sous les bombes
(document 1) et voir qu’à la fin 1945 les États- au phosphore, 35 à 40 000 personnes sont tuées.
Unis sont en position de force, ils ont reconquis En écho aux propos de Truman, Churchill avait
l’essentiel des îles du Pacifique et sont sur le point dit : « Nous ferons avaler aux Allemands une dose
d’atteindre le Japon lui-même. D’après la carte plus amère des malheurs qu’ils ont répandu sur
le sort des armes appartient d’ores-et-déjà aux l’humanité. » Ainsi le bombardement de Dresde
États-Unis. Cependant on doit insister sur la lutte obéit à la logique d’anéantissement : terroriser les
acharnée menée par les Japonais dont l’emblème populations et acculer ainsi Hitler à capituler alors
sont les kamikazes, lutte menée par l’empereur que les bombardements en Normandie visaient
lui-même qui refuse la capitulation. des objectifs strictement militaires.
La deuxième explication est d’ordre technique :
empêcher l’ennemi de réaliser la bombe atomique ◗ Document 6
et donc l’utiliser avant ce terme. Or l’Allemagne 6. Que penser de la première phrase
étant déjà vaincue, l’argument est assez peu de ce texte ?
convaincant, le Japon n’ayant pas de programme Hiroshima est désignée comme une base militaire
nucléaire. La justification est ensuite d’ordre par Truman qui dit vouloir ainsi éviter de toucher
moral : le moyen employé est désigné comme à les populations civiles. Cette première phrase du
la hauteur de l’horreur des exactions commises discours est évidemment mensongère, il s’agit de
par le Japon, justification elle aussi surprenante convaincre l’opinion américaine du bien-fondé de
puisqu’elle justifie l’horreur par l’horreur. la décision de son président. En effet Hiroshima
La dernière explication est davantage tournée vers est une ville industrielle de 300 000 habitants.
l’opinion publique américaine puisqu’il s’agit 70 000 personnes sont immédiatement tuées, peut-
d’économiser des vies américaines. On remar- être 140 000 au total avec les personnes irradiées
quera que le président Truman ne dit bien sûr rien mortes ensuite. À Nagazaki, ville de 250 000 habi-
de sa volonté d’obtenir une victoire rapide sur la tants, 40 000 personnes sont tuées lors du bombar-
Japon pour empêcher son allié soviétique d’in- dement du 9 août et 80 000 au total.
• 56 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

◗ Documents 4 et 5 obus est dit « fusant » quand il est équipé d’une


fusée qui le fait exploser en l’air, ce qui permettra
7. Pourquoi ce nouveau type de bombarde-
ment est-il un désastre pour l’humanité ?
aux éclats d’atteindre des éléments protégés par
un mur, une colline… l’obus passant au-dessus
Le texte de Camus permet d’ouvrir une réflexion avant d’éclater. Les obus percutants explosent
sur la signification de l’événement à un niveau plus pour leur part quand ils touchent le sol.
philosophique ; en effet il interroge le lecteur sur
Les soldats essaient de se protéger des bombar-
la capacité de l’humanité à détruire à cette échelle
dements en se réfugiant dans la terre, dans des
et donc à s’autodétruire. L’enthousiasme collec-
trous, comme des animaux apeurés. Si la terre
tif à l’annonce de ce bombardement est déplacé,
les protège, ils peuvent aussi être victimes d’un
même si ce dernier a rendu possible la reddition
éboulement causé par les projectiles ; ils se situent
du Japon : l’empereur capitule effectivement le
donc souvent à la sortie du trou, malgré les diffi-
2 septembre 1945. En effet cette capacité de la
cultés rencontrées pour respirer. Et protègent leur
civilisation a créer les armes pour se détruire elle-
tête avec leurs bras. Il n’y a pas d’autre technique
même est un désastre qui oblige à s’interroger
particulière, pas de répit non plus : les sens (et
sur le progrès scientifique et la validité de notre
notamment l’ouïe) doivent guider leurs réflexes
civilisation.
pour essayer d’échapper à la mort.
3. Quels sont les sentiments éprouvés par
les combattants lors des bombardements ?
Montrez, grâce à différentes citations du
EXERCICES texte, qu’il s’agit d’une expérience éminem-
ment traumatisante pour les hommes.
Les bombardements pendant
Les combattants sont saisis par l’effroi et la
la Première Guerre mondiale peur de perdre la vie en quelques secondes. Si
❯ MANUEL PAGE 123
les modalités de la guerre des tranchées exigent
1. Présentez le document. un « savoir-combattre spécialisé » (S. Audoin-
Le texte proposé à l’étude est un extrait de Rouzeau), tous les soldats peuvent être très grave-
journal de tranchée, La Saucisse, paru en avril ment blessés ou périr lors d’une attaque de ce
1917. Il s’agit donc d’une source très fiable, rela- type, à l’affût des sifflements par lesquels ils
tant l’expérience des bombardements par des pressentent la plus ou moins grande proximité
hommes qui les ont vécu. Le titre du journal du danger. Les combattants sont seuls respon-
joue en revanche sur les sens multiples du terme sables de leur survie et passent d’un compor-
puisque la saucisse est aussi, en ces années, un tement humain (« Il raisonne. Il a une acuité
ballon de forme allongée servant à la protection extraordinaire de jugement ») à un comporte-
ou à l’observation aérienne. C’est précisément en ment animal, privilégiant l’instinct de survie à
avril 1917 qu’est déclenchée la désastreuse offen- la raison. Tous leurs sens sont attaqués, notam-
sive du général Nivelle sur le Chemin des Dames, ment l’ouïe par la violence des sifflements et
causant plus de 300 000 morts et marquant le des explosions, la vue par la terre qui jaillit, les
début d’une vague de mutineries. Cet extrait nous fumées qui intoxiquent et rendent la respiration
permet d’approcher les réalités de l’expérience difficile. C’est une épreuve extrêmement trau-
combattante ainsi que les sentiments des Poilus matisante que celles des bombardements (« Il
lorsque déferle « l’orage d’acier » des bombar- lui semble que son crâne éclate, que sa raison
dements. va chavirer »).

2. Quelles sont les armes ici utilisées


pour bombarder les hommes ? Comment
les soldats essaient-ils de se protéger ?
Les hommes sont bombardés de milliers d’obus.
Ceux-ci sont de différents types ; les obus mention-
nés par l’article sont fusants ou percutants. Un
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 57 •
Chapitre 3 - Les guerres mondiales au XXe siècle

BAC II – Les violences contres les civils


a. Pendant la Première Guerre mondiale,
Composition : les violences de des civils globalement épargnés mais
guerre pendant les deux guerres des exemples de violence
mondiales – L’arrière globalement à l’abri mais
❯ MANUEL PAGES 126-127 des exactions dans les territoires occupés
Avant de travailler sur l’organisation des idées, on pp. 92-93 et p. 95
peut lister les informations à retenir dans le chapitre – Un premier génocide : les Arméniens
pour chacune des deux guerres. Cette liste permet- en 1915 p. 95
tra aux élèves de se rendre compte qu’il y a une
évolution entre les deux guerres dans l’intensité b. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
des violences perpétrées et qu’il doivent distinguer la généralisation des violences contre
entre civils et militaires. On pourra ensuite élaborer les civils
un plan détaillé comme suit. En complément de – La mise en œuvre de la solution finale :
l’exercice proposé, on peut proposer aux élèves le un génocide à l’échelle européenne pp. 116-117
corrigé ci-dessous, à charge pour eux de rechercher – Les civils victimes ciblées
pour chaque idée un ou deux exemples précis dans des bombardements de guerre p. 121
les pages ou documents cités. – Les civils otages de la terreur
I – L’expérience combattante (massacres de Nankin, Oradour...) p. 121
a. Pendant la Première Guerre mondiale,
une violence quotidienne nouvelle et sans trêve III – le bilan humain : de plus en plus
– Les combattants des tranchées : l’expérience traumatisant
d’une violence inédite des combats a. En 1918 : un bilan très lourd
et de la durée de la guerre doc. 1 p. 83, p. 86 : – Bilan humain très lourd mais concernant
la guerre de position surtout les combattants cf bilan p. 87 doc. 3
– Des innovations technologiques :
– Une expérience traumatique pour les civils
gaz par exemple p. 96
comme pour les soldats. Cours p. 96
– Lassitude et désertions, le refus
de la violence doc. 10 p. 94 b. En 1945 : un bilan monstrueux
b. Pendant la Seconde Guerre mondiale, – En nombre de morts mais aussi parce que
des capacités de destruction sans précédent les civils ont été les premiers touchés p. 117 et
– La modernisation des armes (par exemple p. 121
de l’aviation, bombardements conventionnels – Le traumatisme lié à la sortie des camps,
et atomiques) p. 120 à l’utilisation de la bombe atomique,
– Le sort des prisonniers p. 121 aux bombardements.

• 58 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote


CHAPITRE Les espoirs d’un nouvel ordre
4 mondial : SDN et ONU
❯ MANUEL PAGES 128-145

RAPPEL DU PROGRAMME tirer les leçons de l’échec de la SDN. La charte


des Nations unies fait donc du maintien de la paix
Les espoirs d’un ordre mondial au lendemain et de la sécurité son objectif principal, en dotant
des conflits : la SDN et l’ONU l’ONU des moyens qui faisaient défaut à la SDN.
Les espoirs de paix reposent aussi sur la dimension
universelle de l’organisation à laquelle adhèrent
◗ Objectifs et problématique peu à peu tous les États indépendants. En outre,
du chapitre elle poursuit et complète l’œuvre de développe-
ment humain dont la SDN avait posé les bases. La
Ce chapitre s’inscrit dans le thème 2 du programme double page « histoire des arts » témoigne de ces
« La guerre au XXe siècle ». Il doit donc être l’oc- idéaux et des réalisations diverses dans le domaine
casion de montrer comment, dans un siècle marqué de la coopération culturelle. En revanche, à partir
par la conflictualité, les projets anciens d’établir de 1947, le contexte international, en paralysant
une paix durable, de fonder les relations inter- le Conseil de sécurité, marginalise pratiquement
nationales sur le respect du droit aboutissent ; l’ONU dans la régulation de la sécurité collective.
ils donnent naissance à des initiatives diverses,
dont la SDN puis l’ONU. L’ampleur des pertes
humaines et des destructions, les modifications ◗ Bibliographie
territoriales ne sont pas à étudier précisément, mais
leur évocation permet de comprendre dans quel OUVRAGES GÉNÉRAUX
contexte les moyens d’établir un ordre mondial – Bacot-Décriaud Michèle ; Joubert Jean-Paul,
se concrétisent. La sécurité internationale d’un siècle à l’autre,
L’Harmattan, 2002.
L’étude sur la SDN (pp. 132-133) met en évidence
– Duroselle Jean-Baptiste et Kaspi André,
les principes fondamentaux sur lesquels reposent
Histoire des relations internationales, Paris, A.C.
les espoirs de sécurité collective, de paix par le
2009
droit ; il s’agit notamment de la mise en place
– Gaillard Jean-Michel, « Le grand rêve d’un
de mécanismes institutionnels d’arbitrage et de
monde sans guerre », in L’Histoire, n° 267, 2002.
coopération. On peut voir à travers les docu-
– Gerbet Pierre, Le rêve d’un ordre mondial, de
ments, ainsi que par la double page « repères »
la SDN à l’ONU, imprimerie nationale, 1996.
(pp. 130-131) les succès qu’a connus la SDN
dans les années 1920 dans le règlement paci- – Schirmann Sylvain, Quel ordre européen de
fique de tensions territoriales en Europe (mais Versailles à la chute du IIIe Reich ?, Paris, A.C.
aussi ailleurs dans le monde), dans la réconci- 2006.
liation franco-allemande. On pourrait y ajouter – Scheler Max, L’idée de paix et le pacifisme,
les différentes réalisations en matière de progrès Aubier, 1953.
social et de droit humanitaire. L’échec final de – Vaïsse Maurice, La paix au XXe siècle, Belin
la SDN amène à aborder ensuite les faiblesses sup histoire, 2004.
institutionnelles, le manque ou l’inefficacité des SUR LA SDN
moyens d’action, le poids des grandes puissances – Carlier Claude, Soutou Georges-Henri, 1918-
européennes. 1925 : comment faire la paix ? Economica, 2001.
La fondation de l’ONU en 1945 (« repères » – Ghebali Victor-Yves, « La gestion des conflits
pp. 134-135 et « étude » pp. 136-137) permet de internationaux par la SDN », in Etudes interna-
montrer comment cette nouvelle institution, qui tionales, n°4, décembre 2000.
répond aux vœux du président Roosevelt, doit – Marbeau Michel, La SDN, Que sais-je ? 2001.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 59 •
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

– Vaïsse Maurice, « La SDN, les illusions de la L’artiste offre une vision très poétique et allégo-
paix », in L’Histoire, n° 58, 1983. rique de l’action de la SDN. Les rayons du soleil
levant illuminent un paysage pastoral serein dans
SUR L’ONU
lequel se fond le Palais des Nations. Au centre,
– Bertrand Maurice, L’ONU, La Découverte, la Paix s’avance, un rameau d’olivier à la main.
1994. Des personnages vêtus à l’antique semblent lui
– Lewin André, L’ONU pour quoi faire ? Décou- tendre les produits de la terre et de l’esprit (mois-
vertes Gallimard, 1995 son, vigne, livres) ; l’amour, la réconciliation et
– Moreau-Defarges Philippe, « les quatre âges la prospérité peuvent triompher.
de l’ONU », in L’Histoire, n°301, 2005.
– Muracciole Jean-François, L’ONU et la sécurité Achevée en 1937, cette œuvre illustre de façon
collective, Ellipse, 2006. saisissante le contraste entre les ambitions de la
– Smouts, Marie-Claude, L’ONU et la guerre, SDN et les réalités de ses moyens d’action.
Complexe, 1994. Doc. 2. L’arbre des Nations unies,
SITES INTERNET Henri Eveleigh, 1947.
– Sur la SDN : le site de l’ONU-Genève : À la différence d’Othon Friesz, l’affichiste et
www.unog.ch propose des articles thématiques graphiste britannique Henri Eveleigh a voulu
et des liens vers des archives de la Société des sur cette affiche commandée par l’ONU montrer
nations (traités, photos). les valeurs des droits de l’homme sur lesquelles
– Sur l’histoire et les actions de l’ONU : est fondée l’Organisation des Nations unies : la
www.un.org liberté, dont un des emblèmes est l’arbre depuis
la Révolution française ; l’égalité, représentée
– Voir aussi les sites des agences de l’ONU, par les 51 feuilles de taille identique aux couleurs
notamment l’Unesco : www.unesco.org de chacun des 51 États fondateurs ; la solidarité,
– Sur la question de la paix, le site : qui lie les différents États comme les différentes
www.nobel-paix.ch propose des articles, des docu- feuilles de l’arbre. Enfin, la promesse de crois-
ments d’archives et des pistes d’exploitation péda- sance de l’arbre et de ses feuilles nourries par la
gogique. même sève, est à l’image des espoirs de dévelop-
pement. Ces différents principes doivent être une
garantie de la sécurité collective dont cette affiche
OUVERTURE est donc aussi l’illustration.
❯ MANUEL PAGES 128-129

Les documents proposés illustrent les idéaux de REPÈRES


la SDN puis de l’ONU ; ils suggèrent les points
communs (espoirs de réconciliation des nations, de L’Europe aux lendemains
prospérité partagée) et les différences (l’idéalisme de la Première Guerre mondiale
ressort plus nettement du premier document) dans ❯ MANUEL PAGES 130-131
la conception de l’ordre mondial sur laquelle est
1. Quels sont les principaux changements
fondée chacune des deux organisations.
territoriaux en Europe après la Première
Doc. 1. La paix offre aux peuples et aux Guerre mondiale ?
nations les moyens de connaître la joie Cette carte met tout d’abord en évidence les chan-
de vivre, tapisserie d’Othon Friesz, 1937. gements territoriaux qui suivent les bouleverse-
Cette tapisserie a été réalisée par le peintre fran- ments politiques (la disparition des empires alle-
çais Othon Friesz afin de répondre à la demande mand, austro-hongrois, russe et ottoman remplacés
d’Aristide Briand, « le pèlerin de la paix », d’of- par des républiques) et les traités de paix (notam-
frir à la SDN une œuvre de la manufacture des ment de Versailles et de Saint-Germain). En vertu
Gobelins. Réalisée entre 1933 et 1937, la tapis- du principe des nationalités défendu par le prési-
serie n’a en fait rejoint le Palais des Nations à dent Wilson dans ses « 14 points », la dispari-
Genève qu’en 2004. tion des empires permet la création de plusieurs
• 60 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

États en Europe centrale et orientale : les Pays tise cette idée de maintenir la paix par le droit.
baltes, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, Le pacte de la Société des Nations met donc en
la Yougoslavie. L’Allemagne réduite se trouve place les règles de l’action collective fondées sur
coupée en deux par le couloir de Dantzig. Les États la conciliation, la diplomatie, les conférences, la
vainqueurs s’agrandissent, notamment la Rouma- promotion du désarmement. La SDN entreprend
nie. En Orient, la disparition de l’empire ottoman aussi une ambitieuse coopération dans le domaine
amène la création de mandats, territoires admi- humanitaire et social (droit des réfugiés mis en
nistrés sous le contrôle de la SDN par la France œuvre par le Commissariat aux réfugiés, droit du
et la Grande-Bretagne. travail défendu par l’Organisation Internationale
du Travail, assistance médicale, etc.).
2. Les traités de paix signifient-ils la fin
de la guerre en Europe ? Mais le Pacte est un texte de compromis et il
souffre d’insuffisances du fait que son applica-
Des conflits liés aux questions de frontières ou de
tion dépend des États dont les intérêts nationaux
minorités éclatent ; la guerre entre la Pologne et
sont parfois en contradiction avec les objectifs de
la Russie soviétique entre 1920 et 1921 permet à
la SDN. C’est ce que montrent ses échecs dans
la Pologne de s’étendre à l’est au-delà de la ligne
les années 1930.
Curzon fixée par les alliés. En Turquie, l’annexion
de territoires par la Grèce (Traité de Sèvres), est
remise en cause par les nationalistes de Musta- ◗ Document 1
pha Kemal ; après trois ans de guerre, la Grèce
1. Quels sont les objectifs de la SDN ?
renonce, par le traité de Lausanne, aux territoires
À quoi s’engagent les États membres ?
d’Anatolie et d’importants échanges de popu- Quelles sont les sanctions prévues en cas
lations turques et grecques ont lieu. La Turquie de non-respect du pacte de la SDN ?
récupère aussi des territoires arméniens à l’est. 2. Par quels moyens la SDN règle-t-elle
les différends ?
3. Quelles sont les réussites de la SDN
dans les années 1920 ? Le Pacte fondateur, constitué de 26 articles, est
Certains conflits sont cependant réglés par la SDN, lié au règlement de la guerre ; il ouvre le traité de
à laquelle tous les pays d’Europe adhèrent au cours Versailles ainsi que les autres traités. Le préam-
des années 1920. Des référendums sont ainsi orga- bule fixe des objectifs généraux, la coopération,
nisés afin de résoudre les tensions dans des régions la paix et la sureté ; pour cela les pays membres
frontières où vivent des minorités allemandes doivent s’engager à respecter le droit internatio-
(Allenstein, Haute Silésie, Eupen-Malmédy nal, la diplomatie ouverte et le renoncement à la
notamment). Certaines villes où la souveraineté guerre d’agression qui remettrait en cause l’in-
est contestée sont placées sous mandat de la SDN dépendance ou l’intégrité territoriale d’un État.
(Dantzig, Fiume, Memel). En cas de non respect du Pacte, si un État « recourt
à la guerre », les États membres s’engagent à
rompre les relations économiques et financières
ÉTUDE avec l’État en cause. Ils s’engagent aussi à contri-
buer à la constitution d’une force armée selon
La SDN et la sécurité collective les recommandations du Conseil (art. 16). Les
❯ MANUEL PAGES 132-133 sanctions militaires sont donc possibles mais la
L’idée de créer une organisation internatio- Société n’a pas de force armée propre. Il est aussi
nale pour éviter les carnages de la guerre est prévu que le Conseil puisse voter l’exclusion d’un
ancienne ; on la trouve chez les philosophes des membre coupable de violation du Pacte (art. 16).
Lumières comme Kant et plus tard chez des écri- En cas de différends, les États membres s’enga-
vains (Victor Hugo) ou des hommes politiques gent à se soumettre à une procédure d’arbitrage
comme Léon Bourgeois. Après la Première (art. 12). Celle-ci est confiée à une Cour désignée
Guerre mondiale, alors que le pacifisme imprègne par les parties concernées (art. 13) ou au Conseil.
profondément l’opinion publique, la fondation Une cour permanente de justice internationale est
de la SDN par le traité de Versailles concré- aussi prévue par le Pacte ; elle voit le jour en 1922.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 61 •
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

◗ Document 3 minorités nationales, surtout allemandes (Allers-


tein, Schleswig, Eupen Malmédy, Sarre). Certaines
3. Pourquoi les accords de Locarno marquent-
villes où la situation est particulièrement conflic-
ils une étape importante dans les relations
internationales ?
tuelle (Dantzig, Mêmel, Fiume) sont placées sous
mandat de la SDN.
Après les fortes tensions du début des années
1920, liées notamment à la question des répara-
tions (cf l’occupation de la Ruhr par les troupes ◗ Documents 1 et 4
françaises), les hommes politiques européens, 6. Quelles sont les faiblesses majeures
notamment Aristide Briand, « le pèlerin de la de la SDN ?
paix », et le ministre des Affaires étrangères alle-
mand Gustav Stresemann veulent s’appuyer sur L’action de la SDN est exercée par trois institu-
la SDN pour établir la détente grâce « à la conci- tions : l’Assemblée est formée d’un représentant
liation, à l’arbitrage, à la paix ». Ces principes par État membre ; le Conseil, principal organe
fondateurs de la SDN qu’évoque Briand sont de décision, est formé de 4 membres permanents
aussi ceux sur lesquels sont fondés les accords de (Royaume-Uni, France, Italie, japon) et 4 puis 9
Locarno signés en 1925, qui permettent d’établir non-permanents ; ils sont assistés du Secrétariat
la sécurité collective en Europe par la garantie des général. Mais leur action est entravée par la règle
frontières occidentales et par la réintégration de de l’unanimité nécessaire pour toute prise de déci-
l’Allemagne dans le processus de négociations sion. De plus, si l’article 16 prévoit des sanctions
dont elle était exclue depuis 1918. Avec l’ad- économiques, les sanctions militaires résultent de
mission de l’Allemagne à la SDN en 1926, ce « recommandations » du Conseil de la SDN, ce qui
rapprochement franco-allemand est perçu comme en limite l’efficacité. L’action de la SDN repose
la réalisation la plus retentissante de cet « esprit donc en grande partie sur son autorité morale qui
de Genève » qui doit contribuer à assurer la « paix s’est avérée insuffisante, déclinante et fut donc un
universelle ». sujet de dérision.

◗ Document 2 ◗ Document 5
4. À l’aide du graphique et de la carte 7. Quelles sont les critiques d’Hailé Sélassié
p 130-131, citez des réussites de la SDN. contre cette organisation ?
Lors de sa fondation, la SDN compte 42 membres L’Ethiopie est dans l’entre-deux-guerres un des
en Europe, Amérique du Sud et Asie, justifiant seuls États indépendants d’Afrique, épargné par
ainsi les ambitions internationales de l’organi- la colonisation. Après les premières agressions
sation ; mais les États-Unis, l’URSS et les pays italiennes en 1934, les troupes de Mussolini
vaincus n’en font pas alors partie. Dans les occupent puis annexent l’Ethiopie en mai 1936
années 1920 tous les pays d’Europe, y compris à la suite de combats très meurtriers. L’Italie est
l’Autriche et la Bulgarie dès 1920, la Hongrie condamnée par la SDN mais les sanctions écono-
en 1922, l’Allemagne en 1926, sont admis. À la miques prononcées en 1935, dont parle le Négus,
fin des années 1920, le Brésil, qui se voit refu- ne sont pas réellement appliquées par les grandes
ser un siège de membre permanent, et le Costa puissances (France, Grande-Bretagne) préoccu-
Rica se retirent. De nouveaux pays, l’URSS en pées de ménager l’Italie face à l’Allemagne ; en
particulier, adhèrent à l’organisation au début outre les États-Unis, non membres, n’y sont pas
des années 1930, époque où la plupart des États soumis. La SDN apparaît donc marginalisée par
indépendants en sont membres (à l’exception la diplomatie propre des puissances, ses valeurs
toujours des États-Unis, de l’Arabie-saoudite et sont bafouées, comme le constate Hailé Sélassié.
des Philippines). L’appel qu’il lance alors à ces grandes puissances
En outre, la SDN parvient au cours des années met déjà en garde contre les contradictions de
1920 à résoudre différents conflits, notamment en la politique « d’apaisement », contre les risques
Europe ; l’organisation de plébiscites permet en qu’entraînent la faiblesse et le renoncement face
effet de régler les tensions nées des questions de à l’expansionnisme des régimes autoritaires.
• 62 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

◗ Documents 2 et 5 la SDN en tirant les leçons de ses faiblesses, de


faire oublier l’isolationnisme des États-Unis ; ses
8. Quels sont les échecs de la SDN dans
les années 1930 ? Quelle est la seule puissance
conceptions prévalent dans les différentes étapes
à avoir été exclue dans les années 1930 ? de l’élaboration du texte : il veut une organisa-
tion universelle, garante de la paix et des liber-
Dès 1931, la SDN n’a pu empêcher l’invasion
tés fondamentales. Après la mort de Roosevelt le
de la Mandchourie ; en 1933, elle est affaiblie
2 avril 1945, le choix de San Francisco pour la
par le retrait du Japon et de l’Allemagne. Après
conférence de fondation puis de New York comme
l’annexion de l’Ethiopie, elle est accusée d’orga-
siège de l’ONU, confirment le rôle des États-Unis
niser « l’insécurité collective » et définitivement
dans la création de cette institution.
discréditée. Le retrait de nombreux États d’Europe
notamment, devenus des dictatures, marque alors 3. À quels défis doit-elle répondre
la faillite de l’institution, impuissante devant le après 1945 ?
réarmement allemand, la guerre civile espagnole, La carte met en évidence les défis auxquels l’ONU
les annexions nazies. L’URSS est exclue après est confrontée au lendemain de la guerre. Dans
l’invasion de la Finlande en décembre 1939. les colonies, la contestation qui s’est dévelop-
pée dans l’entre-deux-guerres se radicalise ; des
soulèvements et des manifestations ont lieu, le
REPÈRES 8 mai en Algérie, le 2 septembre en Indochine
Le monde en 1945 par exemple. De plus, en Europe et en Asie, la
❯ MANUEL PAGES 134-135 présence des armées occidentales et soviétiques
donne naissance à des rivalités de puissance à
Cette carte fait apparaître les grandes lignes de la
l’origine de la confrontation Est/Ouest.
situation internationale et des rapports de force
après la Seconde Guerre mondiale ; elles forment le
cadre du nouvel ordre mondial qui s’organise alors.
ÉTUDE
1. Qui sont les pays membres
du Conseil de sécurité de l’ONU ?
L’ONU, un nouvel ordre mondial
en 1945
L’idée d’une organisation des nations unies a été
❯ MANUEL PAGES 136-137
esquissée dans la Charte de l’Atlantique en 1941.
Elle est confirmée lors des rencontres suivantes Après la faillite de la SDN, la fondation d’une
entre les Alliés. Lors de la conférence de Dumbar- nouvelle organisation internationale, expression
ton Oaks d’août à octobre 1944, un premier projet du concert des nations basé sur les négociations
est rédigé par une équipe de juristes américains, et le respect du droit, apparaît à nouveau comme
anglais, russes et chinois. En février 1945, à la le principal moyen d’instaurer l’espoir d’un ordre
conférence de Yalta, ce projet est repris et précisé mondial. Selon les vœux du président Roosevelt,
par les trois puissances présentes. Finalement, en elle doit être universelle, avoir à la fois des idéaux
juin 1945, les cinquante pays alliés contre l’Axe de paix et des moyens d’action (documents 1,
se réunissent à San Francisco et élaborent le texte 2, 3 et 4). Elle fixe donc les principes de règle-
définitif de la Charte de l’ONU. Il est signé solen- ment des différends, les opérations à mener en cas
nellement le 26 juin. La question du fonctionne- de menace contre la paix. L’étude du fonction-
ment du Conseil de sécurité a alors été fixée ; nement de l’organisation permet néanmoins de
seuls les cinq membres permanents qui sont les montrer comment elle peut aussi être affaiblie et
grandes puissances victorieuses (Chine, États- marginalisée par les rivalités de puissances, ce qui
Unis, France, Royaume-Uni, URSS) ont un droit permet d’ouvrir sur le thème suivant (documents 1,
de veto. 2 et 5). Elle doit aussi défendre et promouvoir
les libertés fondamentales, reprendre et ampli-
2. Montrez l’implication des États-Unis fier les domaines d’intervention humanitaire,
dans la création de l’ONU. sociale, économique dans lesquels la SDN avait
Franklin Roosevelt est à l’origine de cette nouvelle déjà réalisé une œuvre importante ; les droits de
organisation ; elle répond à ses vœux de remplacer l’homme et le développement apparaissent en effet
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 63 •
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

désormais comme un des moyens de garantir la le texte étant une déclaration, il n’a pas de valeur
paix (documents 2 et 4). juridique contraignante pour les États.
Sont proclamées les libertés publiques fondamen-
◗ Documents 1 et 3 tales : liberté d’expression, de conscience et de
religion (art. 3, 18, 19) ; s’ajoutent les libertés défi-
1. Quels sont les objectifs de l’Organisation
nies par les Alliés pendant la guerre : la liberté de
des Nations Unies ?
vivre à l’abri du besoin et de la peur (art 3, 14, 22).
La Charte, avec ses 111 articles, est le document
Les principes de la démocratie libérale sont énon-
fondateur de l’ONU. Elle a pour base les travaux
cés, l’égalité en droit (art. 1), la liberté d’opinion
des juristes réunis à la conférence de Dumbarton
(art 19) la souveraineté du peuple, le suffrage
Oaks en 1944, modifiés et précisés entre avril et
universel, le vote secret (art. 21).
juin 1945 par les représentants des 50 pays fonda-
teurs. Elle fixe les grands principes des relations La dignité doit être assurée à chacun sans aucune
internationales, notamment l’égalité des États et distinction (art. 2) ; les droits économiques,
l’interdiction d’employer la force armée sauf dans sociaux et culturels sont un aspect de la dignité
l’intérêt commun. Elle crée également les organes humaine (art. 22).
de fonctionnement, définit les procédures d’arbi-
trage et fixe les droits et les obligations des États ◗ Documents 2 et 5
membres.
3. Qui sont les « cinq grands » ? Montrez que
Dans le Préambule sont énoncés les idéaux et les la création de l’ONU est une conséquence
buts communs des peuples dont les Gouverne- directe de la Seconde Guerre mondiale.
ments participent à fondation de l’ONU. L’extrait
On a vu précédemment que les principes fonda-
proposé présente les quatre objectifs énoncés dans
teurs de l’ONU tenaient compte à la fois de la
le préambule : en tout premier lieu, la préservation
faillite de la SDN et de l’héritage de la guerre.
de la paix, puis la défense des droits de l’homme,
En outre, l’action de la SDN ayant été entravée
l’égalité entre les sexes et entre les nations, le
en partie par la règle de l’unanimité dans chacune
respect du droit international, le progrès social.
des instances, les décisions à l’ONU sont prises à
L’affiche souligne les principes fondateurs, l’union la majorité ; seuls cinq États, les « cinq grands »,
des États et l’union des peuples de tous les conti- vainqueurs de la guerre, ont un droit de veto
nents ; elle suggère aussi leur rôle ; ensemble ils au Conseil de sécurité. Ces grandes puissances
soutiennent l’ONU et portent un enfant (l’avenir) s’imposent par leur force armée, leur population,
vers la lumière. leur influence (États-Unis, URSS, Chine) par leur
empire colonial pour la France et le Royaume Uni.
◗ Documents 1 et 4 Les pays vaincus et occupés ne sont admis que
plus tard, en 1973 pour les deux Allemagne, en
2. Quelles sont les libertés et les valeurs 1955 pour l’Italie, en 1956 pour le Japon.
politiques défendues par l’ONU ? Montrez
qu’elle entend assurer la dignité de l’être
humain. ◗ Documents 1 et 2
Le préambule de la Charte fait des droits fonda- 4. Par quels moyens l’ONU peut-elle
mentaux de l’homme, de l’égalité des hommes et préserver la paix ? De quels moyens
des femmes, un principe essentiel des Nations- de contrainte dispose t-elle ?
Unies. La Commission des droits de l’homme, Le maintien de la paix et de la sécurité est la
créée en 1946, dont font partie Eleanor Roose- mission primordiale de l’ONU. Pour cela, la
velt, les Français Stéphane Hessel et René Cassin, Charte oblige les États membres à rechercher la
est alors chargée de la rédaction d’une déclara- solution de leurs différends par la négociation ou
tion ; elle est adoptée par l’Assemblée générale l’arbitrage (art. 33). Le Conseil de sécurité peut
de l’ONU à Paris le 10 décembre 1948. Certains intervenir, proposer un règlement, soumettre le
pays s’abstiennent de voter (l’Afrique du Sud, différend à la Cour internationale de justice. Il
l’Arabie Saoudite et certains pays de l’Est). Mais dispose aussi de moyens de contrainte, gradués,
• 64 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

prévus au chapitre VII « Des actions à mener en blée générale ; mais elles restent autonomes dans
cas de menace contre la paix, d’actes d’agres- leur fonctionnement. Elles participent à la mise en
sion ». Il peut ainsi décider de sanctions, l’inter- œuvre des droits de l’homme tels qu’ils sont défi-
ruption des relations économiques, des commu- nis par la Déclaration universelle. Leurs activités
nications, la rupture des relations diplomatiques couvrent en effet l’éducation, la culture (Unesco),
(art. 41). Si c’est inefficace, les États membres la santé (OMS qui prend la suite d’un organisme de
doivent alors mettre à disposition de l’ONU des la SDN) mais aussi l’agriculture (FAO), le travail
forces armées pour des opérations coercitives (art. (OIT, fondé en 1919), la question des réfugiés
43). Les opérations de maintien de la paix par (HCR, fondé en 1920).
les casques bleus chargés de garantir la sécurité,
l’ordre public, de faire observer un cessez-le-feu,
sans faire usage de la force, ne sont pas mention- HISTOIRE DES ARTS
nées dans la Charte. La première opération de
maintien de la paix de ce type été mise en place par Le siège de l’ONU à New York :
le Conseil de sécurité en 1948 au Proche-Orient. les arts au service de la paix.
❯ MANUEL PAGES 140-141

◗ Documents 2 et 5 Les arts, dans toute leur diversité, sont très bien
représentés au siège de l’ONU dans les différents
5. Quel est le rôle du Conseil de sécurité ? bâtiments et dans le jardin qui borde l’East River ;
Comment prend-il ses décisions ? Expliquer ils sont en effet emblématiques des valeurs et des
alors ce qui pourrait bloquer les possibilités
missions de l’organisation. Ainsi, les artistes,
d’action de l’ONU.
comme les œuvres exposées, représentent les
Bien que mentionné en seconde position dans la différentes nations et régions du monde. Certaines
Charte, après l’Assemblée générale, le Conseil œuvres, comme celles qui sont reproduites ici,
de sécurité est l’organe essentiel de l’ONU, dans sont inspirées par les valeurs de fraternité, de
la mesure où lui revient la tâche de décider des pacifisme, de non-violence, et ont été offertes
mesures à prendre pour préserver la paix et la sécu- par des États ou des artistes. D’autres témoignent
rité. Il est composé de 11 membres en 1945 (15 des espoirs de paix mis dans l’organisation et ont
à partir de 1965), 5 permanents et 6 non perma- été envoyées par des groupes (des enfants améri-
nents élus par l’Assemblée générale pour deux cains, des femmes et des enfants grecs, etc.). Des
ans. Ses décisions, les résolutions, sont prises à monuments rendent hommage à des personnalités
la majorité sans recours au droit de veto pour les de l’ONU (Eleanor Roosevelt, ou Dag Hammars-
questions de procédure. Mais pour les questions kjöld). Enfin la diversité et la richesse des diffé-
de fond (condamnation, exclusion d’un État, vote rentes civilisations, le progrès humain sont aussi
de sanctions, décision concernant une intervention représentés ; la reproduction de la tablette de la
armée ou une opération de maintien de la paix) les paix de Kadesh rappelle le plus ancien traité de
membres permanents disposent d’un droit de veto paix connu (XIIIe siècle avant J.C.) ; une copie
qui peut bloquer ces différents moyens d’action. du code d’Hammourabi (XVIIIe siècle avant J.C.)
évoque le plus ancien texte juridique ; un fragment
◗ Document 2 de pierre de Lune rapporté par le vol Apollo 11
signale les perspectives ouvertes par les progrès
6. Par quelles organisations l’ONU de la science.
met-elle en œuvre l’application
des droits de l’homme ?
◗ Présenter les œuvres
Le Conseil économique et social examine les
questions dans le domaine économique, social, 1. Présentez le bâtiment en insistant sur
culturel et des droits de l’homme. Il peut délé- le contexte de sa création et les architectes.
guer certaines questions aux agences spéciali- Le choix de New York témoigne du rôle de
sées. Celles-ci suivent en effet les recommanda- leadership que les États-Unis jouent au lende-
tions des différents organes de l’ONU, et doivent main de la guerre. Il résulte en effet d’une invi-
rendre compte de leurs activités devant l’Assem- tation votée à l’unanimité par les membres du
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 65 •
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

Congrès américain en décembre 1945, et accep- en commun par Marc Chagall et le personnel des
tée par l’Assemblée générale de l’ONU lors de sa Nations Unies.
première réunion à Londres en février 1946. Un
terrain ayant été offert par John Rockefeller et par ◗ Analyser les œuvres
la ville de New York sur les bords de l’East River,
3. Montrez que le bâtiment répond
une équipe constituée d’architectes internationaux
à l’organisation de l’ONU et qu’il s’intègre
se met alors au travail. L’américain W. Harrison bien dans son environnement.
est nommé architecte en chef ; il est assisté de
La structure des édifices correspond à la structure
10 architectes, dont 4 représentent les grandes
institutionnelle de l’ONU. Seule la Cour inter-
puissances N. G. Bassov (URSS), Le Corbusier
nationale de justice est établie à La Haye. L’im-
(France), Liang Seu-cheng (Chine), H. Robertson
meuble du Secrétariat face à la rivière, domine
(Royaume-Uni).
l’ensemble ; son titulaire est à la fois « le plus
2. Présentez les œuvres. Quels sont les types haut fonctionnaire de l’organisation » (art. 97 de
d’art représentés ? Comment et pourquoi la Charte) et l’incarnation des Nations Unies dans
l’ONU a-t-elle acquis des œuvres d’art ? le monde. Par les matériaux utilisés et la hauteur,
Si tous les arts sont représentés à l’ONU, y cette tour s’intègre à l’architecture new-yorkaise.
compris la musique avec L’hymne aux Nations Elle est reliée au bâtiment des conférences qui
Unies composé par le violoncelliste espagnol abrite le Conseil de sécurité, le Conseil écono-
Pablo Casals, les œuvres proposées ici repré- mique et social, le Conseil de tutelle. Une troi-
sentent la peinture, la mosaïque et la sculpture. sième construction, l’Assemblée générale, est
José Vela Zanetti est un peintre espagnol (1913- reconnaissable à son dôme et à sa forme incur-
1999) dont cette fresque, L’humanité luttant pour vée. Sur le parvis qui borde la 1e Avenue, l’entrée
instaurer la paix est une des œuvres majeures ; du site est annoncée par les drapeaux de toutes
longue de 19 mètres sur 3, elle montre les ravages les nations.
de la guerre, les camps de concentration puis les 4. Que tient le personnage qui surplombe
hommes rassemblés pour reconstruire le monde la scène ? Que font les personnages ? En
dévasté. Elle a été réalisée alors que l’artiste, quoi ce panneau illustre-t-il la reconstruction
fuyant la dictature franquiste, vivait en exil en d’un nouvel ordre mondial après 1945 ?
République Dominicaine. Elle est exposée depuis Quelle place y prend l’ONU ?
1953 dans le hall du Conseil de Sécurité. C’est Le personnage qui surplombe la scène, un géant
donc une des toutes premières œuvres dont l’ONU à plusieurs bras, s’apprête à poser l’emblème
a fait l’acquisition. des Nations Unies au somment de la structure
La gigantesque réplique d’un revolver au canon métallique d’un dôme que des hommes sont en
noué est l’œuvre du Suédois C.F. Reuterswärd. train de construire. Il s’agit donc d’une allégo-
Des reproductions de cette œuvre sont exposées rie de la fondation de l’ONU et de la protection
en Suède et en France, au Mémorial de Caen. qu’elle doit assurer à l’humanité. Cette solidarité
internationale placée sous le signe de l’ONU est
La mosaïque (document 4) a été réalisée par des
à l’image des espoirs de nouvel ordre mondial
verriers vénitiens à partir de l’œuvre de Norman
après 1945.
Rockwell. Intitulé La règle d’or, elle montre la
diversité des peuples et des religions qui partagent 5. Décrivez la sculpture.
tous la même « règle d’or ». Quel est le sens de cette œuvre ?
Les œuvres ont été le plus souvent offertes par des Cette sculpture est une des variantes de l’œuvre
États (cf documents 3 et 4) ; exceptionnellement ce de l’artiste suédois, réalisée après l’assassinat de
sont des commandes de l’ONU, comme la fresque John Lennon pour dénoncer la violence crois-
de la paix (document 1). Il s’agit parfois égale- sante dans le monde. Intitulée Non violence ou
ment de dons d’associations ou d’artistes. Ainsi Le pistolet noué, c’est, selon Kofi Annan « un
La cloche de la paix a été offerte par l’Associa- monument qu’aucun visiteur de l’ONU ne va
tion japonaise pour les Nations Unies. Une autre oublier, un symbole qui résume, en quelques
œuvre célèbre, Le vitrail de la paix, a été offerte courbes simples, la plus grande prière de
• 66 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 4 - Les espoirs d’un nouvel ordre mondial : SDN et ONU

l’homme : celle qui n’implore pas la victoire, rôle primordial de la coopération internationale
mais la paix. » Le révolver est armé, mais le pour faire aboutir les différents objectifs.
canon noué rend l’arme inutilisable.
7. Décrivez les personnages : origines,
âges, sexe. Que veut représenter l’artiste ?
EXERCICES
Expliquez le titre de l’œuvre en vous
Les États membres de la SDN
appuyant sur la phrase inscrite
sur la mosaïque. ❯ MANUEL PAGE 143

Cette œuvre a été offerte pour le 40e anniversaire 2. a. Les pays fondateurs de la SDN sont :
de l’ONU par Nancy Reagan au nom des États- En Europe : la Belgique, le Danemark, l’Es-
Unis. Elle représente la diversité des hommes, de pagne, la France, la Grèce, l’Italie, la Norvège,
leurs coutumes et de leurs religions. Au premier les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal la Roumanie,
plan, les enfants ont une attitude de recueillement, le Royaume-Uni la Suède, la Suisse, la Tchécos-
les mains jointes ou portant des objets cultuels (à lovaquie, la Yougoslavie.
gauche l’enfant juif porte les rouleaux de la Torah, En Amérique : l’Argentine, la Bolivie, le Brésil,
à droite une jeune tibétaine porte un moulin à le Canada, le Chili, la Colombie, Cuba, le Guate-
prières). Au centre de la mosaïque, cinq person- mala, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, le Panama,
nages, représentant différents continents, forment le Paraguay, le Pérou, le Salvador, l’Uruguay, le
une construction pyramidale : un vieil homme Venezuela.
juif, un Européen, deux femmes, l’une occiden- En Asie : l’Inde, le Japon, la Perse, la République
tale, l’autre indienne, portant chacune un enfant, de Chine, le Siam.
et un jeune garçon africain. En Afrique : l’Union de l’Afrique du sud, le Libé-
La règle d’or, que toutes les cultures ont en ria.
partage, est un principe de respect, de tolérance En Océanie : l’Australie, la Nouvelle-Zélande
individuelle et collective qui permet de garantir
l’égalité et la fraternité. b. Les pays ayant adhéré dans les années 1920 :
En Europe : l’Albanie, l’Autriche, la Bulgarie,
◗ Faire le lien entre art et histoire la Finlande, le Luxembourg, les pays Baltes, la
Hongrie, l’Irlande, Allemagne, URSS.
8. Pourquoi avoir confié l’édification
du bâtiment à une équipe d’architectes En Amérique : le Costa Rica, la République domi-
internationale ? nicaine, le Mexique, l’Equateur.
Plutôt que de soumettre le projet à un concours En Afrique : l’Éthiopie, l’Egypte.
dans lequel rivaliseraient des équipes nationales, En Asie : l’Irak, la Turquie, l’Afghanistan.
il a été décidé de faire collaborer des architectes c. Les pays ayant quitté la SDN dans les années
représentant les grands pays fondateurs et en parti- 1930 :
culier les cinq grandes puissances. Ce procédé est En Europe : l’Allemagne (1933), l’Italie (1937),
un des principes de fonctionnement de l’ONU l’Autriche (1938), la Hongrie (1939), la Tché-
dans de nombreux domaines. coslovaquie (1939), l’Albanie (1939), l’Espagne,
9. Montrez que ces œuvres illustrent (1939), l’URSS (1939).
les missions et les valeurs de l’ONU. Ailleurs : le Chili, l’Ethiopie, le Guatemala, le
Ces œuvres illustrent les buts énoncés dans le Honduras, le Japon, le Nicaragua, le Paraguay, le
préambule de la Charte ainsi que les valeurs Pérou, la Perse, le Salvador, le Venezuela.
proclamées par la Déclaration universelle des 3. L’affirmation de la SDN dans les années 1920 :
droits de homme : maintenir la paix, la sécurité, on peut utiliser une couleur foncée pour les pays
promouvoir l’égalité entre les sexes et les nations, fondateurs, plus claire pour ceux qui ont adhéré
favoriser le développement humain et le progrès ensuite. Vers l’échec de la SDN dans les années
social. La fresque de Zanetti rappelle également 1930 : on peut faire une croix noire pour les pays
le contexte dans lequel a été fondée l’ONU et le qui quittent la SDN, une rouge pour le pays exclu.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 67 •


CHAPITRE De la Guerre froide
5 aux nouvelles conflictualités
❯ MANUEL PAGES 146-187

RAPPEL DU PROGRAMME civiles à la fois victimes et actrices des combats


(le Vietnam, l’ex-Yougoslavie), conflit totalement
– La Guerre froide, conflit idéologique, inédit et asymétrique (le 11 septembre et la guerre
conflit de puissances : un lieu (Berlin, 1945- contre le terrorisme).
1989) ; une crise (Cuba, 1962) ; un conflit
armé (la guerre du Vietnam). Le chapitre suit rigoureusement le libellé très
– De nouvelles conflictualités depuis la fin de explicite du programme et se divise en deux
la Guerre froide: un conflit armé (la guerre du parties construites sur le même mode. Celles-ci
Golfe, 1990-1991) ; un lieu (Sarajevo, 1992- s’ordonnent autour d’un groupe de trois études
1995) ; un acte terroriste (le 11 septembre portant sur des conflits représentatifs des deux
2001). périodes, qui est suivi d’une double page de cours
apportant les éléments factuels indispensables
à la compréhension de chacune de ces crises
◗ Objectifs et problématiques – le jour de l’examen, l’élève doit être capable
du chapitre de traiter un sujet sur Berlin ou sur Sarajevo.
Il a semblé utile, en outre, de commencer par
L’objectif de ce long chapitre, qui couvre plus de une étude définissant les caractéristiques de la
60 années, n’est pas de traiter ni même de survoler Guerre froide (ce que l’intitulé du programme
l’histoire des relations internationales depuis 1945. invite à faire : « conflit idéologique, conflit de
Le volume horaire – 8 à 9 heures pour l’ensemble, puissance »), et de compléter l’ensemble de
soit pas plus de 5 heures pour la Guerre froide – trois doubles pages de cours pour replacer ces
ne le permettrait pas. L’objectif est d’abord de conflits dans un contexte global et en faciliter
décrire et de comprendre le système internatio- ainsi l’étude détaillée.
nal – la Guerre froide – qui se met en place au
lendemain de la victoire sur l’Allemagne nazie :
ses caractéristiques, ses évolutions globales, la
◗ Bibliographie
manière dont il prend fin, avec l’effondrement OUVRAGES GÉNÉRAUX
du monde communiste. L’ordre, ou le désordre,
– Pascal Boniface (dir.), Atlas des relations inter-
qui lui succède est en revanche beaucoup plus
nationales, Hatier, Paris, 2008.
complexe et incertain, et l’historien manque du
recul nécessaire pour en identifier clairement les – Jean-Louis Dufour et Maurice Vaïsse, La guerre
traits fondamentaux. La place et le rôle joué par au XXe siècle, Hachette, coll. « Carré », Paris,
les États-Unis dans ce « nouvel ordre mondial » 2003.
continuent d’alimenter les débats. – Pierre Hassner, La violence et la paix. De la
La période est riche en affrontements de toutes bombe atomique au nettoyage ethnique, Le Seuil,
sortes et les exemples retenus par le programme Paris, 2000.
permettent de dresser plusieurs typologies : – Philippe Moreau-Defarges, L’ordre mondial,
conflits localisés (Berlin, Cuba), régionaux (le Armand Colin, coll. « U », Paris, 1998.
Vietnam, l’ex-Yougoslavie), internationaux – Maurice Vaïsse, Les relations internationales
(la guerre du Golfe, la Guerre froide dans son depuis 1945, Armand Colin, coll. « U », Paris,
ensemble) ; simples crises qui se résolvent sans 2008.
déboucher sur une guerre (Cuba, le blocus et le
mur de Berlin), conflits armés classiques et inte- LA GUERRE FROIDE
rétatiques (la guerre du Golfe), à dimensions – René Girault, Robert Frank et Jacques Thobie,
multiples, impliquant directement des populations La loi des géants 1941-1964, Payot, Paris, 2005.
• 68 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

– Pierre Grosser, 1989, l’année où le monde a OUVERTURE


basculé, Perrin, Paris, 2009. ❯ MANUEL PAGES 146-147
– Stanislas Jeannesson, La Guerre froide, La
Découverte, coll. « Repères », Paris, 2008. Les photographies présentées ont été choisies
– Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante parce qu’elles illustrent deux des conflits qui
ans. Les relations Est-Ouest 1943-1990, Fayard, seront traités en détail dans le chapitre, mais
Paris, 2001. aussi en raison de leur portée symbolique. Elles
– Collectif, Le temps de la Guerre froide, Le opposent la Guerre froide, un ordre fondé sur
Seuil, coll. « Points histoire », Paris, 1994 (articles l’équilibre, aux règles tacites mais bien comprises
de la revue L’Histoire). par les deux camps, aux « nouvelles conflictuali-
LE MONDE DE L’APRÈS-GUERRE FROIDE tés » issues de l’effondrement du communisme,
anarchiques et mal maîtrisées, desquelles peine
– Pascal Boniface, Le monde contemporain :
à émerger un nouvel ordre mondial fondé sur
grandes lignes de partage, PUF, coll. « Quadrige »,
le droit.
Paris, 2003.
– Pierre Hassner et Justin Vaïsse, Washington et Document 1. Un navire de guerre américain
le monde. Dilemmes d’une superpuissance, CERI/ empêche un cargo soviétique transportant
Autrement, Paris, 2003. des missiles nucléaires d’atteindre Cuba
– « L’ONU », Pouvoirs, n°109, avril 2004. (octobre 62).
– « Les terrorismes », Questions internationales, La crise de Cuba est emblématique de la Guerre
n°8, juillet-août 2004. froide : elle met les deux Grands face à face, non
REVUES loin du territoire américain, alors qu’ils avaient
– Questions internationales (revue mensuelle, pris l’habitude, comme en Corée, de s’affron-
questions d’actualité replacées dans un contexte ter par alliés interposés aux frontières de leurs
historique). zones d’influence. Elle révèle au monde entier,
– Relations internationales (revue historique, suspendu durant une semaine aux décisions de
trimestrielle, nombreux numéros sur l’après 1945 Kennedy et de Khrouchtchev, les risques réels
et la Guerre froide). liés à l’escalade nucléaire. Elle se résout de
façon pacifique, par la négociation, et ouvre la
SITES INTERNET voie à une période de détente. La raison a le
– Site du Cold War International History Project dernier mot. Cette photographie, sans doute prise
(en anglais, des milliers de documents et d’ar- le 24 octobre, lorsque deux cargos soviétiques
chives, souvent inédits, des études, conférences, portant des missiles dans leurs soutes, le Khemov
débats, etc. : le site de référence sur la Guerre et le Gagarine, parviennent au contact de la flotte
froide) : www.wilsoncenter.org américaine déployée au large de Cuba, illustre la
– Site du mémorial de Caen (visiter les salles nature particulière d’un conflit où les deux prota-
consacrées à l’après 1945, notamment aux crises gonistes s’affrontent, se toisent et rivalisent sans
de la Guerre froide, à l’équilibre de la terreur et jamais en venir directement aux armes : les deux
à Berlin) : www.memorial-caen.fr navires progressent en parallèle et semblent, d’un
– European Navigator (la bibliothèque numé- commun accord, tracer le sillon d’une frontière
rique sur l’histoire de la construction européenne délimitant leur territoire. Il ne faut toutefois pas
– documents, photographies, vidéos, interviews – s’y tromper : c’est bien la menace d’une apoca-
replacée dans un cadre historique élargi ; très utile lypse nucléaire qui plane au dessus de cette scène
pour traiter de Berlin et de la guerre en ex-Yougo- en apparence anodine.
slavie) : www.ena.lu
Document 2. Mosquée détruite
dans le village d’Ahmići, près de Vitez,
en Bosnie centrale (avril 1993).
La tragédie d’Ahmići, en Bosnie-Herzégo-
vine, illustre bien la complexité d’un conflit
– la guerre en ex-Yougoslavie – aux dimen-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 69 •
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

sions multiples : historiques, ethniques, reli- 3. Quelle menace représentent


gieuses, politiques. Au recensement de 1991, les Soviétiques pour les Occidentaux ?
le village était peuplé de 1178 habitants, dont Les origines d’un conflit s’expliquent souvent
592 Croates, 509 Bosniaques et 30 Serbes. plus par la perception des menaces que par leur
Ces simples chiffres montrent l’impossibilité réalité. En relations internationales, les représen-
pratique, lors de la proclamation des indépen- tations – du monde, de soi, de l’autre – sont déter-
dances, de s’entendre sur le tracé des nouvelles minantes pour comprendre les initiatives et les
frontières, tant les populations, notamment en réactions de chacun. La doctrine du containment
Bosnie, étaient imbriquées. Le 16 avril 1993, naît en 1946 chez les Américains de la convic-
les forces croates lancent une attaque program- tion que l’expansionnisme soviétique sera sans
mée dans toute la vallée de la Lašva ; à Ahmići, limite si l’on ne décide pas d’y mettre un terme.
plus d’une centaine de Bosniaques musulmans Le bloc eurasiatique impressionnant constitué
sont massacrés. La photographie montre comme dans les années 1950 par l’URSS, la Chine et
un symbole le minaret de la mosquée renversé leurs satellites, a beau se fissurer, les Occidentaux
éventrant le corps du bâtiment, ainsi qu’un n’en restent pas moins persuadés de la validité
Casque bleu de la FORPRONU constatant l’am- de leur interprétation – que semble d’ailleurs
pleur des dégâts. confirmer l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS
en décembre 1979.
REPÈRES 4. Comment les Soviétiques perçoivent-ils
la menace des États-Unis et de leurs alliés ?
Le monde de la Guerre froide
à la fin des années 1970 À l’inverse, les Soviétiques se voient encerclés
❯ MANUEL PAGES 148-149
par les États-Unis et leurs alliés, ce que la projec-
tion choisie pour la carte met bien en lumière
1. Où se situent les grandes crises – cf l’importance géostratégique de l’Alaska et
de la Guerre froide ? des régions arctiques. Cela explique la politique
La carte représente un monde dominé par la de Khrouchtchev et de ses successeurs, qui vont
Guerre froide, à une date où l’influence sovié- briser le cercle en cherchant à nouer des liens avec
tique atteint son expansion maximale (bien que plusieurs pays du tiers-monde situés au-delà du
plusieurs régimes « se réclamant du marxisme » rideau défensif occidental.
soient en réalité assez éloignés de l’orthodoxie
soviétique). Elle veut montrer que la Guerre
froide, loin de se limiter à un simple affronte- REPÈRES
ment entre deux pays, et même entre deux blocs,
conditionne l’ensemble des relations interna- L’Europe dans la Guerre froide
tionales. ❯ MANUEL PAGES 150-151

Les grandes crises se situent aux périphéries des


zones d’influence, à l’exception notable de Cuba, ◗ Documents 1 et 2
tâche rose bien isolée au cœur d’un continent bleu
1. Que sépare le rideau de fer ?
– ce n’est qu’au début des années 1980 que les
Sandinistes imposent un régime communiste au L’Europe est la première et l’une des principales
Nicaragua. victimes de la Guerre froide. Les cartes veulent
montrer la profondeur et la permanence, tout au
2. Quelles sont les puissances nucléaires ? long de la période, de sa division en deux camps.
Les rapports de force sont largement dominés par Le rideau de fer (qui ne tombe plus jusqu’à Trieste
l’arme nucléaire, dont le Traité de non proliféra- depuis le schisme soviéto-yougoslave de 1948)
tion de 1968 limite officiellement la possession sépare deux mondes que tout oppose : l’idéologie,
aux cinq pays mentionnés sur la carte. À cette date, les alliances militaires, les systèmes économiques.
Israël possédait toutefois déjà la bombe et l’Inde On peut aussi remarquer à quel point la neutra-
effectue ses premiers essais dès 1974. lité est un privilège rare : l’engagement, derrière
• 70 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

les États-Unis ou l’URSS, qu’il soit consenti ou km. Ils permettaient en théorie d’éliminer tous les
forcé, est la règle. moyens de riposte nucléaire de l’OTAN basés en
Europe. Les Occidentaux réagissent en déployant
◗ Document 1 à partir de 1983 les Pershing II et les Cruise. La
carte de la page 151 donne une image concrète, à
2. Localisez les principales crises liées à travers cet épisode, de ce que signifient la course
la Guerre froide dans les années 1945-1960 à l’armement nucléaire et l’équilibre de la terreur
en Europe. Quelles remarques pouvez-vous
pour les populations européennes.
en tirer ?
Les principales crises de la Guerre froide, du coup
de Prague de 1948 à la contestation polonaise de ÉTUDE
1981 (sans omettre le printemps de Prague de
1968, qui ne figure pas sur les cartes) concernent Qu’est-ce que la Guerre froide?
les démocraties populaires. On notera qu’aucune ❯ MANUEL PAGES 152-153
de ces crises ne débouche sur une guerre, l’enjeu Le but de cette double page est d’identifier les
étant tel, en Europe, que les Occidentaux ne prirent principales caractéristiques de la Guerre froide, en
jamais le risque de provoquer un conflit armé : il insistant sur sa double dimension, idéologique et
était acquis depuis 1948 que l’Europe de l’Est géopolitique. Les documents retenus veulent illus-
était intégrée dans la sphère communiste. Seule trer l’extrême diversité des formes et des terrains
exception : la guerre civile grecque, qui débute dès couverts par ce type de conflit.
1946, à un moment où précisément les rapports
de force n’étaient pas encore figés. ◗ Documents 1 et 2
1. Comment chacun de ces textes
◗ Document 2 définit-il les deux camps ?
3. Quels nouveaux pays adhèrent Les deux textes proposés illustrent bien l’interpréta-
à la Communauté européenne tion « officielle » qui prévaut jusqu’à la fin du conflit
dans les années 1970 et 1980 ?
dans chacun des deux camps, où l’on rend systéma-
L’Europe occidentale n’a pas été seulement tiquement l’autre responsable de la dégradation de
victime de la Guerre froide. Elle a su également la situation. Les États-Unis se définissent comme
prendre des initiatives, sinon pour sortir de la le camp de la liberté et de la démocratie (au sens
logique de l’affrontement, du moins pour s’af- libéral du terme) et l’URSS comme celui de la paix
firmer face à l’allié américain. La Communauté et du progrès social. L’« autre » est perçu comme la
européenne, qui naît dans les années 1950, avec négation de soi : l’URSS incarne pour les Améri-
la bénédiction des États-Unis mais en marge de cains une dictature, définie ici par Truman de façon
leurs plans initiaux, présente une forme tout à fait assez classique – « la volonté d’une minorité impo-
originale d’organisation qui s’élargit en 1973 à sée à la majorité » – sans que le président américain
l’Europe du Nord-Ouest (Royaume-Uni, Irlande, semble d’ailleurs bien percevoir la nature totalitaire
Danemark) et dans les années 1980 aux pays du du régime soviétique. Les États-Unis incarnent pour
Sud qui viennent de sortir de longues années de l’URSS un impérialisme économique et politique
dictature (Grèce, Espagne, Portugal). par nature expansionniste et agressif : plus qu’un
pays, c’est une doctrine, le capitalisme et ses consé-
◗ Document 2 quences politiques, qui est ici visée.

4. Que menacent les missiles SS-20 ?


Et les Pershing II et les Cruise ?
◗ Document 1
L’Europe redevient le théâtre principal de la Guerre 2. En quoi consiste la « doctrine Truman » ?
froide à la fin des années 1970 avec la crise des Le 12 mars 1947, Truman tire devant le Congrès
euromissiles. Les missiles SS-20, déployés à partir les premières conséquences du containment défini
de 1977, sont porteurs de trois charges nucléaires par Kennan l’année précédente. « Le moment était
indépendantes pouvant parcourir jusqu’à 4 700 venu, écrit-il dans ses Mémoires, de ranger déli-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 71 •
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

bérément les États-Unis dans le camp et en tête La « démonstration » est simpliste mais efficace :
du monde libre. » L’objectif immédiat est d’obte- en mettant en regard deux chiffres dissymétriques,
nir une aide de 400 millions de dollars pour aider un frêle soldat dubitatif et un massif officier dont le
les gouvernements grec et turc à lutter contre le poing fermé et caché apparaît lourd de menaces, la
communisme. Le ton du discours est volontaire- carte de la petite « Europe libre » et celle de l’im-
ment agressif : il faut dramatiser pour convaincre posant « bloc oriental », tout concourt à rendre la
les sénateurs isolationnistes. L’« assistance écono- réponse évidente. On remarquera que la carte de
mique et financière » dont parle le texte annonce « l’Europe libre » correspond aux pays membres
le plan Marshall du 5 juin, qui décidera les pays de l’OTAN – en vert (la Grèce et la Turquie ont
d’Europe à choisir leur camp – du moins pour ceux adhéré en 1952) –, et que la disposition des deux
qui le pouvaient encore. Il s’agit pour les États-Unis, cartes permet de dédoubler la partie occidentale de
qui tournent définitivement le dos à l’isolation- l’URSS, ce qui donne l’impression d’une « masse
nisme, d’un engagement lourd de conséquences : rouge » encore plus imposante.
ils comprennent que leur puissance, notamment
économique et financière, est telle qu’ils ne peuvent ◗ Document 3
rester à l’écart des affaires politiques mondiales.
5. Comment évoluent les rapports de force
nucléaires entre les deux grands ?
◗ Documents 4, 5 et 6 Pourquoi peut-on parler d’un « équilibre de
3. Quel rôle joue la propagande la terreur » ?
dans la Guerre froide ? Le nucléaire – et la peur qu’il inspire – est indis-
La Guerre froide étant fondamentalement un solublement lié à la Guerre froide. Le graphique
conflit de nature idéologique, la propagande y joue met d’abord en lumière l’extraordinaire supériorité
un rôle prépondérant. Il s’agit moins d’ailleurs de des États-Unis et de l’URSS sur les autres pays
convaincre l’autre du bien-fondé de ses positions détenteurs de la bombe (il faut toutefois noter que
que de consolider les bases de son propre camp. la puissance destructrice de l’arme nucléaire est
On relèvera, dans les thèmes abordés, le double telle que la possession de quelques ogives suffit à
registre de cette propagande – valorisation de soi/ exercer un effet dissuasif). Il permet de distinguer
dévalorisation de l’autre –, le manichéisme du ensuite plusieurs phases dans la compétition que
discours, l’emploi stéréotypé de certains termes et se livrent les deux Grands : une première phase,
expressions (« le camp impérialiste », « les mono- jusqu’au milieu des années 1960, durant laquelle
poles américains », « la tyrannie communiste »), les États-Unis continuent de bénéficier de leur
l’annexion par les deux camps des mêmes valeurs avance de départ ; une deuxième, jusqu’à la fin
et des mêmes mots (la paix dans le doc. 5, la liberté des années 1980, durant laquelle l’URSS comble
dans le doc. 6), ainsi que l’extrême variété des son retard et dépasse son rival (les accords SALT
supports utilisés, dont les documents présentés ne font que limiter le nombre de missiles à longue
ne donnent qu’une faible idée. portée mais n’entraînent aucune réduction des
armements) ; une troisième, depuis la fin de la
Guerre froide et les accords START qui prévoient
◗ Document 5 cette fois une réduction effective des armements.
4. Que cherche à démontrer cette affiche ? L’équilibre de la terreur est atteint au milieu des
Quelle image des États-Unis et de l’URSS années 1950 lorsque les deux Grands ont chacun
donne-t-elle ?
la possibilité matérielle et technique d’atteindre
L’association Paix et liberté est créée en France, et de détruire le territoire de l’adversaire.
en 1950. Bénéficiant du soutien financier des
États-Unis, elle est à l’origine, durant cinq ans, de ◗ Documents 1, 2 et 4
nombreuses et importantes campagnes d’affiches
détournant souvent les thèmes chers à la propagande 6. Montrez que la Guerre froide s’étend
communiste (cf La colombe qui fait Boum !). Cette sur tous les continents.
affiche veut montrer que « le camp de la paix » Les documents 1 et 2 concernent essentiellement
n’est pas du côté de ceux qui disent le représenter. l’Europe, le 4 l’Afrique, tandis que le 5 évoque
• 72 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

l’Asie. L’épicentre de la Guerre froide est d’abord ÉTUDE


situé en Europe, même si l’Extrême-Orient est
également touché dès l’origine du conflit. Il se Berlin, une ville au cœur
déplace ensuite en Asie dès le début des années de la Guerre froide (1945-1989)
1950, avec la guerre de Corée et le traité sino- ❯ MANUEL PAGES 158-161
soviétique, une fois la situation stabilisée et les Ce chapitre consacre une longue étude à Berlin,
frontières gelées en Europe (ce qui ne signifie pas sur deux doubles pages. La première double page
que l’Europe ne soit pas régulièrement victime de porte sur le statut de la ville, le blocus de 1948 et la
crises sporadiques jusqu’à la fin du conflit). Il construction du mur ; la seconde porte tout entière
gagne ensuite le Moyen-Orient, puis l’Amérique sur la chute du mur, ce qui permet au passage de
latine et enfin l’Afrique, plus tardivement, essen- s’attarder sur les causes profondes de l’écroule-
tiellement dans les années 1970 (voir la carte des ment du monde communiste. Au total, l’histoire
pages 148-149). Les tentatives d’échapper à la de Berlin fournit un concentré de l’histoire de la
logique de Guerre froide se soldent le plus souvent Guerre froide en Europe.
par un échec : le mouvement des non-alignés,
fondé dès 1956, ne parvient guère à s’imposer,
par manque d’unité, et les pays du tiers-monde
A. Un enjeu et un symbole
qui accèdent à l’indépendance, courtisés par les de la Guerre froide
deux Grands, basculent peu à peu dans l’un ou
l’autre camp – non sans faire parfois jouer cyni- ◗ Document 2
quement la concurrence. 1. Pourquoi la ville de Berlin est-elle au cœur
de l’affrontement entre les deux blocs ?
◗ Document 6 Le statut de Berlin, dès 1945, reproduit à petite
7. Pourquoi l’espace est-il un enjeu échelle celui de l’Allemagne occupée par les
de la Guerre froide ? quatre puissances victorieuses ; c’est le résultat
du protocole de Londres (12 septembre 1944),
La maîtrise de l’espace est d’abord un enjeu
puis des conférences de Yalta et de Potsdam. La
stratégique – c’est d’ailleurs autant l’affaire des
situation particulière de la ville fait de Berlin-
militaires que des scientifiques. Mais les deux
ouest une enclave capitaliste au cœur du monde
courts extraits du document insistent sur l’aspect
communiste, que Khrouchtchev compare en 1958
symbolique, évidemment le plus spectaculaire. Les
à une « tumeur cancéreuse » dont l’influence
Soviétiques comprennent plus tôt que les Améri-
néfaste risque de gagner l’ensemble de la RDA.
cains à quel point les réussites spatiales peuvent
D’un autre côté, la position stratégique de Berlin-
servir leur propagande : si un État est capable
ouest, isolée et loin de ses bases arrières, en fait
de tenir le premier rang dans le domaine le plus
une proie en apparence facile pour les Sovié-
avancé sur le plan technologique, c’est qu’il est
tiques. À cela s’ajoute l’enjeu symbolique que
capable, comme le suggère Khrouchtchev en un
représente l’ancienne capitale du Reich ; en arri-
raccourci audacieux, de rivaliser dans tous les
vant la première à la course à la libération et
autres domaines de la science, de l’industrie et
en plantant son drapeau au sommet du Reichs-
de l’économie. De même, le programme Apollo,
tag, le 2 mai 1945, l’URSS avait déjà, d’une
dont le coût est très disproportionné au regard de
certaine façon, remporté une première manche.
son intérêt scientifique, ne peut s’expliquer que
Pour toutes ces raisons, Berlin cristallise les riva-
dans le cadre de la Guerre froide – ce que montre
lités et les affrontements.
bien la dernière phrase du discours de Kennedy,
qu’il faut lire comme une réponse, à un mois de
distance, au vol de Gagarine. ◗ Documents 1 et 2
2. Qu’est-ce que le blocus de Berlin ?
Comment les Occidentaux parviennent-ils
à le contrer ?
Le blocus de Berlin peut être considéré comme
une tentative désespérée, de la part de Staline, pour
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 73 •
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

reprendre l’initiative sur une question allemande RDA explique que le mur – on ne parle d’ailleurs
qui lui échappait depuis le début de 1948. Les Occi- pas de mur, mais de simples mesures de contrôle
dentaux s’étaient réunis à plusieurs reprises à trois, – protégera les populations est-allemandes des
sans les Soviétiques, et avaient décidé la fusion de « activités subversives » occidentales, de l’in-
leurs zones et la création d’un État fédéral alle- fluence néfaste de la société capitaliste. Seule la
mand. L’annonce, le 18 juin de l’introduction d’une dernière phrase révèle la réalité et informe les
nouvelle monnaie dans les secteurs occidentaux Berlinois de l’Est qu’ils ne pourront désormais
(y compris ceux de Berlin) précipite la réaction plus se rendre à l’Ouest.
soviétique. Le 24 juin, les voies d’accès terrestres, Le mur construit de 1961 à 1963 est fait de plaques
ferroviaires et fluviales qui reliaient Berlin-ouest de béton empilées ; une route, le long des fortifi-
à l’Allemagne occidentale sont coupées. La note cations, permet la circulation des patrouilles ; des
américaine du 6 juillet 1948 rappelle qu’il s’agit défenses antichars, des blockhaus et des miradors
là d’une violation des accords quadripartites qui renforcent le dispositif (voir l’animation dans le
stipulaient le libre accès à la ville et rendaient les manuel numérique). Du point de vue soviétique,
occupants responsables du ravitaillement normal il remplit parfaitement son but : les passages à
des deux millions de Berlinois. l’Ouest, à partir de 1962, deviennent rarissimes.
Le pont aérien mis en place par les Américains
permet d’acheminer au total 2,5 millions de ◗ Documents 3 et 5
tonnes de marchandises en 275 000 vols. Une
4. Quelle image le mur donne-t-il de la ville ?
centrale électrique est amenée en pièces déta-
Pourquoi, dans le camp occidental, parle-t-on
chées et montée sur place pour permettre aux
de « mur de la honte » ?
habitants d’affronter l’hiver. Dès la fin de l’année,
Staline sait qu’il a perdu la partie ; le blocus n’est Le manuel numérique détaille les étapes de la
levé que le 12 mai 1949. Il s’agit de la première construction du mur et ses différents visages. Le
grande crise de la Guerre froide, qui a permis, de mur détruit en 1989, fait de segments de béton de
façon très empirique, de définir quelques-unes 2,40 m à 3,60 m, datait des années 1970 (mur de
des règles essentielles de cette nouvelle forme la « troisième génération »). L’image qu’il renvoie
d’affrontement : l’escalade reste maîtrisée, les de la RDA est absolument désastreuse : c’est celle
stratégies de contournement sont préférées aux d’un régime policier qui, croyant isoler Berlin-
conflits armés. ouest, emprisonne en réalité sa propre popula-
tion. Les photographies de fugitifs abattus ou
de familles séparées tentant désespérément de
◗ Documents 3 et 4 communiquer par signes de part et d’autre du mur
3. Pourquoi le mur est-il construit en 1961 ? font les délices de la propagande occidentale.
Remplit-il ses objectifs ?
Une note soviétique du 27 novembre 1958, assor- ◗ Document 5
tie d’un ultimatum de six mois, informait que 5. Pour Kennedy, pourquoi le mur est-il
l’URSS était décidée à transférer à la RDA ses un symbole de la Guerre froide ?
responsabilités sur Berlin-est et à faire de Berlin- Pourquoi signifie-t-il « la faillite du système
ouest une ville libre et neutre. C’est le début d’une communiste » ?
épreuve de force diplomatique qui va durer trois 6. Quelle place tient désormais Berlin
ans et qui se clôt, le 12 août 1961, par la décision dans le camp occidental ?
de construire un mur de séparation tout autour Kennedy prononce ce discours célèbre en présence
de Berlin-ouest (et pas seulement le long de la du chancelier Adenauer et du maire de Berlin-
frontière intra-urbaine). La légende du document ouest, Willy Brandt. Il tire avec brio tout le parti de
4 fournit la raison essentielle de cette initiative : la situation et érige Berlin en symbole du monde
mettre un terme définitif à l’exode continu des libre. L’URSS voulait faire de la RDA, et tout
Allemands de l’Est vers l’Ouest. L’élève doit particulièrement de Berlin, la vitrine du système
remarquer que le texte présente les choses de communiste aux yeux du monde entier. Le mur,
façon radicalement inverse : le gouvernement de ultime moyen de lutter contre l’attirance du mode
• 74 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

de vie occidental, est un terrible aveu d’échec. dans le seul mois d’octobre), par des manifesta-
(On peut faire entendre aux élèves le discours de tions de plus en plus nombreuses et imposantes,
Kennedy, entrecoupé des acclamations enthou- à Leipzig, Dresde et Berlin, qui réclament des
siastes de la foule (extraits correspondants à peu élections libres (Freie Wahlen, doc. 7) et des
près à ceux du document 5 sur : http://www.ena. réformes politiques et sociales, et par la création
lu/discours_john_kennedy_ich_bin_ein_berliner_ de mouvements d’opposition, comme le Neues
berlin_26_juin_1963-012600212.html) Forum ou le SDP (Sozialdemokratische Partei
Pour les Occidentaux, Berlin reste un poste avancé fondé le 7 octobre, au lendemain de la visite de
au cœur du monde communiste ; c’est désormais Gorbatchev).
également un symbole de résistance et de liberté,
et la preuve de la supériorité de leur système. ◗ Documents 8 et 9
8. Comment réagissent les Berlinois,
B. La chute du mur à l’Est et à l’Ouest ?

◗ Documents 6, 7 et 10 La décision d’ouvrir la frontière, prise dans la


confusion, surprend tout le monde (y compris
7. Qu’est-ce qui explique la chute du mur le porte-parole du gouvernement qui, lors d’une
de Berlin ? Distinguez les facteurs externes
conférence de presse, le 9 novembre en fin
et les facteurs internes à la RDA.
d’après-midi, découvre visiblement le commu-
Les causes profondes de la chute du mur sont niqué officiel en même temps qu’il le lit : « Les
essentiellement internes. De toutes les démocra- sorties du pays sont possibles par tous les points
ties populaires, la RDA était sans doute l’État le de passage de la RDA vers la RFA comme vers
plus policier – la STASI – et, avec la Roumanie Berlin-ouest »). Durant le week-end, 2 millions
de Ceausescu, le plus hostile à toute évolution d’Allemands de l’Est de rendent à Berlin-ouest :
interne. Erich Honecker, installé par Brejnev au les longues files de Trabant, les scènes de liesse,
moment de l’Ostpolitik, en 1971, incarnait l’im- les premières attaques contre le mur du côté ouest,
mobilisme d’une génération de gérontocrates que à coups de pioches, fournissent aux télévisions du
Gorbatchev, en URSS, avait réussi à supplan- monde entier des images historiques. Le document
ter (doc. 6). Le vent de réformes et de révolte 8 rend bien compte, sur le moment, des senti-
qui souffle sur les pays de l’Est, voisins de la ments dominants : la surprise, la curiosité, l’en-
RDA, comme la Pologne et la Hongrie, est tout thousiasme, l’incrédulité.
aussi déterminant (facteur externe). L’ouverture
de la frontière entre la Hongrie et l’Autriche, le
10 septembre, première brèche ouverte dans le ◗ Document 9
rideau de fer, encourage des milliers d’Allemands 9. Repérez les différents acteurs.
de l’Est à gagner la RFA via ces deux pays. L’at- Quel est le drapeau sur la photographie ?
titude de Gorbatchev, enfin, précipite les choses En quoi cette image est-elle symbolique
(doc. 10) : il désavoue Honecker lors du voyage des événements de 1989-1990 ?
qu’il effectue à Berlin, le 6 octobre, pour assister Il existe plusieurs versions de cette photographie.
aux célébrations du 40e anniversaire de la RDA. La scène est vue du côté ouest (le mur est couvert
Il annonce que l’armée soviétique, contrairement de graffitis et de tags). L’exubérance de la foule
à ce qu’elle avait fait naguère à Budapest ou à contraste avec l’immobilisme des policiers est-
Prague, n’interviendra pas pour mettre un terme à allemands, qui ne savent trop quelle attitude adop-
la contestation (400 000 soldats soviétiques étaient ter. L’aspect symbolique de la scène est évident : le
alors toujours stationnés en RDA). La démission pan de mur abattu laisse apparaître le vrai visage
d’Honecker, le 18 octobre, remplacé par Egon du régime est-allemand. Le drapeau brandi, celui
Krenz, son dauphin désigné, ne suffit pas à enrayer de la RFA, préfigure la réunification. Ce n’est
le mouvement. qu’après le 9 novembre que le thème de la réuni-
La contestation se traduit par un exode massif fication, absent jusque-là des revendications des
(57 000 Allemands de l’Est quittent leur pays manifestants, devient d’actualité.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 75 •
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

◗ Documents 6 et 10 Britanniques, qui estimaient le processus préci-


10. A l’aide de la chronologie, replacez pité et craignaient la nouvelle puissance qu’allait
la chute du mur dans le processus constituer, au cœur du continent européen, une
d’effondrement du communisme en Europe Allemagne de 80 millions d’habitants.
de l’Est. À la suite de la réunification, Berlin redevient la
Les textes de Gorbatchev et de Kohl insistent sur capitale de l’Allemagne. Le transfert de la chan-
le contexte d’effondrement général des régimes cellerie et des ministères, après un vote très serré
communistes d’Europe de l’Est pour expliquer la au Bundestag, s’est réalisé en 1999.
chute du mur et la réunification allemande. Voici
quelques éléments supplémentaires de chrono-
logie : ÉTUDE
4 juin 1989 : premières élections libres en Pologne
La crise de Cuba (1962)
24 août : premier gouvernement non-commu- ❯ MANUEL PAGES 162-163
niste en Pologne
10 septembre : ouverture de la frontière entre la Le but de cette double page est d’abord de four-
Hongrie et l’Autriche nir à l’élève les éléments pour comprendre ce qui
constitue effectivement le paroxysme de la Guerre
7 octobre : dissolution du parti communiste
froide – et ce bien qu’il n’y eut quasiment aucune
hongrois
victime durant la crise. Les documents doivent aussi
10 décembre : premier gouvernement non-
permettre d’étudier le mécanisme et les logiques
communiste en Tchécoslovaquie. Vaclav Havel
d’une crise – origines, étapes, point culminant, réso-
est élu président de la République
lution – ainsi que de la prise de décision. Contraire-
21-25 décembre : révolution en Roumanie. Ceau-
ment à l’étude sur Berlin, qui porte sur presque un
sescu est exécuté
demi-siècle, l’échelle est ici celle du temps court :
18 mars 1990 : élections libres en RDA tout se joue en quelques jours.
25 mars : élections libres en Hongrie
8 juin : élections libres en Tchécoslovaquie
◗ Documents 1 et 2
17 juin : élections libres en Bulgarie
1. Pour quelles raisons les États-Unis
ne peuvent-ils laisser l’URSS installer
◗ Documents 9 et 10 des missiles à Cuba sans réagir ?
11. Quelles sont les conséquences de la chute C’est en avril 1962 que Khrouchtchev impose
du mur pour l’Allemagne ? au Politburo la décision – controversée – d’ins-
La chute du mur ne met pas un terme à l’exode taller des missiles à Cuba ; on sait maintenant
ni aux manifestations. Helmut Kohl, chancelier que les premiers missiles arrivent dans l’île dès
depuis 1982, comprend que la réunification est septembre. Khrouchtchev, qui se sent en position
désormais la suite logique du processus. La RDA, de force depuis la construction du mur de Berlin
création artificielle de la Guerre froide, ne se conce- et les exploits soviétiques dans la course à l’es-
vait que comme alternative communiste à la RFA ; pace, veut profiter du manque d’expérience du
une RDA non communiste n’aurait eu aucun sens. nouveau dirigeant américain, que semble prou-
Le 28 novembre, Kohl prend tout le monde de ver le fiasco de la Baie des Cochons, et décide
court en annonçant un plan en dix points pour une de défier les États-Unis au cœur même de leur
unification accélérée des deux États. Le discours arrière-cour. C’est déjà là l’une des raisons de la
du document 10, prononcé en France en janvier réaction américaine : rester les bras croisés devant
1990, se veut rassurant : Kohl insiste sur l’atta- une telle provocation reviendrait pour les États-
chement de l’Allemagne à l’alliance atlantique et Unis à perdre toute crédibilité aux yeux de leurs
à la construction européenne, sur les conséquences alliés, notamment ceux de l’OTAN et du pacte
positives de la chute du mur pour l’Europe tout de Rio (à portée des fusées). Que ces missiles
entière. La perspective d’une Allemagne réunifiée soient si proches des côtes et menacent direc-
avait en effet soulevé quelques inquiétudes parmi tement plusieurs grandes villes américaines est
les Occidentaux, notamment les Français et les évidemment une autre raison. Non que le danger
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

soit nouveau : comme le dit Kennedy à la fin du sur laquelle est assis l’adversaire – ce qui, on peut
texte 2, que les missiles soient tirés d’URSS ou l’imaginer, provoquera l’explosion de l’autre
de Cuba ne signifie pour les habitants du Texas bombe. Pour le grand public, la crise de Cuba,
que quelques instants de vie en plus ou en moins. haletante et spectaculaire, qui met directement aux
Mais l’installation de fusées à Cuba remettait en prises les deux Grands et se nourrit des peurs et des
cause la logique même de la dissuasion : les objec- fantasmes liés au nucléaire (voir la photographie de
tifs auraient pu être atteints avant même que les la page 146 et son commentaire), fournit une bonne
États-Unis ne puissent déclencher une riposte. image de la Guerre froide – image en réalité très
réductrice et même trompeuse. Le monde entier – le
◗ Document 2 Daily Mail est un journal britannique – a réellement
l’impression, durant quelques jours, d’assister à un
2. Quelles sont les différentes réactions
match à rebondissements et à l’issue incertaine. La
envisagées ?
3. Quels arguments militent en faveur
crise est d’ailleurs soigneusement mise en scène
d’une réponse armée ? par Kennedy (cf le fameux discours télévisé du
Quels arguments s’y opposent ? 22 octobre où il dévoile les photographies prises
4. Quelle est la position de Kennedy ? par les U2) et par Khrouchtchev, qui multiplie les
déclarations alarmistes.
Le texte ne fait état que de deux réactions possibles :
une intervention militaire directe à Cuba ou le
blocus de l’île. Le général LeMay – responsable, ◗ Documents 2, 3 et 5
à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la 6. Pourquoi la crise de Cuba concerne-t-elle
campagne de bombardements stratégiques sur le l’ensemble de la communauté internationale ?
Japon – est persuadé que seule la fermeté fera recu-
ler les Soviétiques ; Kennedy, au contraire, craint Le document 3 montre le Conseil de sécurité de
des représailles et préfère une solution plus diplo- l’ONU examinant les photographies aériennes
matique. On notera que dans les deux cas, et pour prises à haute altitude le 14 octobre par les avions
des raisons opposées, les deux protagonistes crai- espions américains – on remarque que seul l’am-
gnent des conséquences sur Berlin, ce qui montre bassadeur soviétique, auquel ces documents n’ap-
à quel point le traumatisme de la construction du prennent rien, semble se désintéresser de la ques-
mur restait vivace chez les décideurs américains. tion… Ces photos révèlent plusieurs rampes de
lancement installées pouvant recevoir des engins
D’autres solutions étaient envisageables : ne rien balistiques à moyenne portée. Il est clair que l’en-
faire, entrer en contact avec Castro, négocier avec jeu de la crise dépasse très largement la rivalité
Moscou le retrait des fusées de Cuba, bombarder soviéto-américaine. Le 25 octobre, le secrétaire
les installations repérées sur l’île ou les cargos général de l’ONU, le Birman U Thant, fait parve-
soviétiques. Kennedy prend sa décision après nir aux deux K, à la demande de nombreux pays,
plusieurs jours, après avoir écouté les avis de ses un message demandant la suspension de l’ache-
conseillers (dont son frère Robert), des princi- minement des missiles et de la quarantaine. Cette
paux ministres et des chefs militaires. Il choisit tentative de médiation reste sans suite ; la crise
la solution du blocus (il utilise le terme moins est résolue par des conversations directes entre les
guerrier de « quarantaine »), qui allie la prudence deux protagonistes ; le sort du monde est bien entre
à la fermeté, et présente l’avantage de renvoyer la les mains des États-Unis et de l’URSS.
balle dans le camp soviétique : c’est maintenant
à Khrouchtchev de décider s’il veut franchir une
nouvelle étape – cruciale – dans l’escalade.
◗ Document 5
7. Comment se dénoue la crise ?
En quoi inaugure-t-elle une période
◗ Document 4 de Détente entre les deux Grands ?
5. Expliquez la signification de cette carica- La crise se dénoue de façon diplomatique, par la
ture ? Quelles craintes traduisent-elles ? négociation, à la suite d’échanges directs entre les
Cette caricature célèbre montre les deux K prêts à deux dirigeants et de contacts plus secrets entre
appuyer sur le bouton qui fera exploser la bombe Robert Kennedy et l’ambassadeur soviétique à
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

Washington. J.-F. Kennedy, souvent présenté pays où, contrairement à Cuba, ils n’avaient aucun
comme le grand vainqueur de la crise, et qui a intérêt stratégique ou économique à défendre.
su en effet faire preuve de sang-froid et d’habi- C’est en 1950, au lendemain de la victoire du
leté, fait toutefois deux concessions de taille qui communisme en Chine, que les États-Unis font de
permettent à Khrouchtchev de sauver la face : l’Indochine un enjeu du containment – ils incli-
l’assurance que les États-Unis n’envahiront pas naient plutôt jusqu’alors à soutenir Hô Chi Minh
Cuba pour tenter de déloger Castro (ce qui revient dans son combat anticolonialiste contre la France.
à admettre l’existence d’un régime communiste au La théorie des dominos (ou de la « pomme pour-
cœur de l’Amérique centrale) et le démantèlement rie », qui contamine progressivement ses voisines)
des fusées Jupiter stationnées en Turquie – dont les pousse à soutenir au Sud-Vietnam le régime
le remplacement était de toute façon programmé. dictatorial et impopulaire de Ngo Dinh Diem, pour
La résolution de la crise redistribue les cartes et fait éviter que le communisme du Nord-Vietnam, ne
entrer la Guerre froide dans une nouvelle phase. gagne l’ensemble de l’Indochine puis toute l’Asie
Cuba a fait prendre conscience des dangers d’une du Sud-Est – y compris l’Indonésie et les Philip-
politique « au bord du gouffre » qui, sur le moindre pines où les intérêts américains sont cette fois
malentendu, peut mener à une guerre nucléaire – bien réels. La carte renseigne sur l’existence d’une
lorsque par exemple le 27 octobre, sans autorisa- guérilla communiste au Laos et au Cambodge.
tion soviétique, la DCA cubaine abat un U2. « En C’est Kennedy, entre 1961 et 1963, qui lance les
dernière analyse, notre lien commun le plus fonda- États-Unis dans l’engrenage en répondant aux
mental est que nous habitons tous la même petite intrusions du Vietminh et aux appels de Diem par
planète, que nous respirons tous le même air, que l’envoi de plusieurs milliers de « conseillers mili-
nous chérissons tous l’avenir de nos enfants et que taires ». Sans doute voulait-il aussi montrer à ses
nous sommes tous mortels » (discours de Kennedy alliés, après le semi-échec de Cuba, qu’il n’était
à l’université de Washington, le 10 juin 1963). plus disposé à faire d’autre concession. L’incident
du Golfe du Tonkin permet à Johnson de franchir
une nouvelle étape et d’obtenir du Congrès l’au-
ÉTUDE torisation d’envoyer l’armée. Même si l’on sait
qu’il n’y a pas eu le 4 août d’attaque réelle des
La guerre du Vietnam (1964-1973)
torpilleurs nord-vietnamiens, il semble que les
❯ MANUEL PAGES 164-165
destroyers américains aient cru de bonne foi à une
La Guerre froide n’est pas restée froide pour agression. Ces « incidents » ont de toute façon été
tous. En Corée, au Vietnam, en Afghanistan, dans instrumentalisés par l’administration américaine :
plusieurs pays d’Afrique ou d’Amérique latine, le texte de la résolution était prêt plusieurs mois
elle a nourri des conflits armés souvent très meur- avant qu’ils n’aient eu lieu.
triers – guerre civiles ou interétatiques, parfois les
deux –, ce qu’on oublie de dire lorsqu’on la réduit
à un affrontement entre les États-Unis et l’URSS. ◗ Documents 1 et 3
L’objectif est de rappeler cette dimension essen- 3. Quelle est la stratégie de la guérilla
tielle et de comprendre pourquoi le traumatisme communiste ?
provoqué par la guerre est toujours présent dans
la société américaine. Le texte de Giap, ministre de la Défense nord-
vietnamien de 1946 à 1980, vainqueur à Diên
Biên Phû et théoricien reconnu de la guérilla,
◗ Documents 1, 2 et 5 définit parfaitement la stratégie de ces « guerres
1. Pourquoi les États-Unis interviennent-ils irrégulières » (Gérard Chaliand) et asymétriques,
au Vietnam ? expérimentée durant les guerres de décolonisation
2. Comment ce conflit s’insère-t-il puis dans de multiples pays du Tiers-monde. Le
dans la Guerre froide? déséquilibre matériel est compensé par la masse
On peut s’interroger sur les raisons de l’engage- des combattants potentiels et leur esprit de sacri-
ment des États-Unis au Vietnam, dans une guerre fice ; à cela s’ajoute une stratégie de harcèlement
longue, à 13 000 km de leurs frontières, dans un continuel, une guerre d’usure dans laquelle la
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

connaissance du terrain joue un rôle primordial. gissent le cercle des critiques. Les images de la
Le nord-Vietnam a aussi bénéficié de l’aide des guerre diffusées par les médias (presse et télévision)
guérillas laotiennes et cambodgiennes pour ravi- achèvent de faire basculer l’opinion, notamment
tailler les troupes vietcong (piste Hô Chi Minh). après l’offensive Vietcong du Têt, le 30 janvier
Les Américains ont pâti de leur mauvaise connais- 1968. La déchirure ne se fait pas entre les partisans
sance du terrain (à la fois géographique et poli- et les adversaires de la guerre, mais touche l’en-
tique) et ont largement sous-estimé l’opposition semble de la société américaine. Les Américains
communiste vietcong au Sud-Vietnam. découvrent que leurs valeurs et leur mode de vie,
qu’ils croyaient universels, peuvent être contes-
◗ Document 4 tées, que leurs soldats, qui sont censés se battre au
nom du droit et de la liberté, soutiennent un régime
4. Pourquoi cette photographie a-t-elle corrompu et honni de la majorité de la population.
marqué les esprits ? C’est alors tout le consensus de l’opinion sur la
Il s’agit certainement là d’une des plus célèbres politique étrangère américaine qui s’effondre.
photographies de guerre. Elle est prise le 8 juin
1972 par Nick Ut, photographe de l’Associated ◗ Document 5
Press, à la suite d’une attaque au napalm sur le
village de Trang Bang ; la jeune Kim Phuc, alors 6. Quel bilan politique et moral peut-on tirer
âgée de 9 ans, qui hurle de douleur au centre de cette guerre ?
de la photo, emmenée à l’hôpital de Saigon par Kissinger, partisan d’une politique étrangère
Nick Ut lui-même, survivra malgré ses brûlures réaliste, dénonce le discours idéaliste qui, depuis
après 14 mois d’hospitalisation et 17 interven- Wilson, donne aux États-Unis la mission d’étendre
tions chirurgicales. La détresse absolue de ces au monde entier les valeurs démocratiques et libé-
enfants fuyant l’enfer, la fragilité de leurs exis- rales qui ont fait leur fortune. La démocratie, dit-il,
tences plongées dans la guerre, leur nudité contras- ne s’exporte pas et ne s’impose encore moins par la
tant avec le lourd attirail des soldats en uniforme, force. Le bilan de la guerre est désastreux pour les
ont bouleversé les opinions du monde entier. Il États-Unis. Sur le plan politique, c’est une défaite
existe plusieurs photos de cette scène : l’une, en du containment – la véritable défaite a d’ailleurs
plan plus élargi, montre clairement sur la droite lieu en 1975, lorsque le Nord-Vietnam réunifie
le groupe des photographes et des cameramen le pays à son profit. Sur le plan moral, c’est un
accompagnant les soldats. En diffusant des images traumatisme durable qui frappe la société, dont
comme celle-ci, la télévision, pour la première le cinéma rend bien compte dès la fin des années
fois dans l’histoire des guerres, aura joué un rôle 1970. La remise en cause du rôle joué par les
déterminant dans l’évolution du conflit. États-Unis dans la Guerre froide et des fonde-
ments mêmes de leur engagement, est profonde.
◗ Documents 4 et 5
5. Pourquoi l’opinion américaine est-elle HISTOIRE DES ARTS
de plus en plus hostile à la guerre ?
Kissinger date des années 1965-1967 le tournant Docteur Folamour,
qui, d’indifférente ou convaincue, rend l’opinion de Stanley Kubrick (1964)
américaine majoritairement hostile à la guerre. ❯ MANUEL PAGES 168-169
Dans un premier temps, la contestation est surtout
le fait d’intellectuels ou de personnalités du spec-
◗ Présenter l’œuvre
tacle, puis des mouvements pacifistes et antinu-
cléaires ; elle participe d’une remise en cause plus 1. À quel genre cinématographique
fondamentale de la société et du modèle américain. appartient le film de Stanley Kubrick ?
L’engagement de plus en plus massif de l’armée Présentez chaque document en insistant
(plus de 530 000 soldats au Vietnam en 1968), le sur sa nature.
bourbier dans lequel les États-Unis semblent s’être Docteur Folamour est d’abord une comédie – mais
engagés et le nombre croissant des victimes élar- une comédie qui finit mal ; le film relève aussi de
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

la politique-fiction et, sur le mode parodique, du sement la société américaine) ; le très exalté –
film de guerre. Ce mélange des genres a pu dérou- et très machiste – chef d’État-major, le général
ter et explique en partie l’accueil mitigé du public. Turgidson, qui conseille à Muffley, dès lors qu’il
Le dossier présente en réalité 6, voire 7 docu- n’est plus possible de faire marche arrière, de
ments : l’affiche française du film, un commen- profiter de la situation pour lancer une attaque
taire contemporain de l’historien Jacques Portes, massive contre l’URSS et en finir une bonne fois
deux extraits du script, deux images tirées du film. avec les Soviétiques ; le major Kong, comman-
Le document 3 est un montage superposant deux dant l’équipage de l’avion qui par un concours de
scènes : la salle d’opérations (war room) souter- circonstances ne pourra être rappelé, qui obéit aux
raine où se réunissent le président et ses conseillers ordres sans sourciller et, coiffé de son chapeau
civils et militaires, et au premier plan le président texan, chevauche la bombe comme un cheval dans
Muffley (Peter Sellers, à droite) téléphonant à un rodéo (doc. 5). Le seul personnage positif
« Dimitri » (document 4), sous le regard désap- est le flegmatique colonel Mandrake (également
probateur de l’ambassadeur soviétique (à gauche). joué par Peter Sellers), officier britannique (!)
adjoint de Ripper, qui finit par découvrir le code
◗ Analyser l’œuvre secret permettant d’annuler l’ordre de mission
des bombardiers.
2. Quelle scène du film l’affiche illustre-
t-elle ? Identifiez les éléments qui renvoient 4. Comment Kubrick réussit-il à renvoyer
à une situation précise. dos à dos les États-Unis et l’URSS ?
L’affiche renvoie à la scène du dialogue entre les Le système soviétique est également brocardé
deux présidents, illustrée dans le document 3 et à travers la conversation téléphonique du docu-
retranscrite dans le document 4 (le film ne montre ment 4 : les communications passent mal, Muffley
la scène que du côté du président américain et ne doit s’adresser aux renseignements d’Omsk pour
fait donc que suggérer les réponses de son interlo- avoir le numéro du « QG central de la défense du
cuteur), pendant que l’escadrille du général Ripper peuple », son interlocuteur est totalement ivre, etc.
est en route pour bombarder le territoire sovié- On apprendra de plus, par la bouche de l’ambas-
tique. Le globe strictement partagé en deux hémis- sadeur – qui cherche durant tout le film à prendre
phères dominés par les États-Unis et l’URSS est en secret des photos de la War room – que l’URSS
une image de la Guerre froide ; la main – féminine vient de mettre en place un système de dissuasion
– qui s’apprête à appuyer sur le bouton évoque la absolue, baptisé Machine infernale, destinée à
menace nucléaire ; les deux téléphones, de couleur détruire l’ensemble de la planète en cas d’attaque,
rouge, renvoient au téléscripteur, dit « téléphone mais que l’on attendait l’anniversaire de « Dimi-
rouge » (rouge pour signifier qu’il s’agit d’une tri » pour annoncer la nouvelle ! La construction
ligne d’urgence), mis en place le 30 août 1963. symétrique de l’affiche renvoie également dos à
dos les deux Grands (la main qui appuie sur le
3. Quelle image de l’armée et des militaires bouton se situe toutefois du côté soviétique…).
le film veut-il donner ? En quoi s’agit-il On notera enfin que la conversation du document 4
d’une caricature ?
se clôt de façon burlesque sur une joute verbale,
Kubrick se livre à une dénonciation féroce de symbole de la course aux armements que se livrent
l’armée et du complexe militaro-industriel (thème les deux Grands.
qu’il a déjà abordé dans Les sentiers de la gloire
en 1957). Outre le président Muffley, les princi- ◗ Faire le lien entre arts et histoire
paux personnages du film sont des militaires qui
incarnent chacun un type caricatural : le général 5. Dans quel contexte le film sort-il
Jack Ripper (littéralement « Jack l’Eventreur »), sur les écrans ? Quels documents font
anticommuniste maladif, obsédé par la théorie directement référence à ce contexte ?
du complot, qui ne boit plus que du whisky parce Le contexte est évidemment celui de la crise
qu’il est persuadé que « les cocos » ont introduit de Cuba, mais aussi des débuts de la détente
du fluor dans l’eau (doc. 2 : le fluor symbolise (« le téléphone rouge »). L’affiche est sur ce
l’idéologie communiste censée pénétrer insidieu- point très parlante. Plusieurs films contempo-
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

rains à Docteur Folamour abordent des sujets REPÈRES


semblables, notamment Point Limit de Sidney
Lumet (1964, avec Henri Fonda dans le rôle du Un nouvel ordre mondial
président américain), qui traite le même thème ❯ MANUEL PAGES 170-171
de façon beaucoup plus dramatique. Les scènes 1. Dans quelles régions du monde l’ONU
de la War room dans lesquelles Muffley discute est-elle la plus active ?
avec ses conseillers de l’attitude à adopter rappel- La carte de ses interventions correspond-elle
lent les débats qui ont conduit Kennedy à déci- à celle des guerres et des crises ?
der le blocus de Cuba. On pourra rapprocher le La carte principale insiste d’abord sur les
document 2 de la page 162 du dialogue opposant nombreux conflits et crises qui ont frappé le monde
Muffley à Turgidson – dont le personnage a été depuis la fin de la Guerre froide – une carte du
précisément inspiré par le général LeMay (31e « monde actuel » étant par définition dépassée dès
-33e minutes du film). sa parution, nous avons préféré nous limiter à la
période 1990-2010 : la carte ne mentionne donc
6. Pourquoi le film a-t-il été mal accueilli pas les troubles et les révolutions que connaît le
par le public américain ? monde arabe depuis janvier 2011, mais le profes-
Le document 1 donne plusieurs réponses : l’armée, seur ne manquera pas de les rappeler. On remar-
du simple soldat au plus haut gradé, est ridiculi- quera surtout l’extrême variété de ces conflits :
sée ; le président américain, plus raisonnable et guerres ayant provoqué l’intervention de plusieurs
responsable, semble pourtant séduit, à la fin du pays ou de la communauté internationale, guerres
film, par les théories de Folamour ; Folamour lui- civiles, attentats, troubles politiques graves, etc.
même, ancien nazi paralysé dont le bras ne peut On notera aussi que si aucun continent n’est désor-
s’empêcher de se dresser mécaniquement pour mais à l’abri – les États-Unis, la Russie et l’Europe
faire le salut hitlérien, rappelle la façon dont les sont touchés comme les autres – il existe un « arc
États-Unis ont accueilli en 1945 plusieurs savants des crises » qui part de l’Afrique orientale pour
ayant travaillé pour l’Allemagne (dont Werner von gagner l’Asie centrale, en passant par le Moyen-
Braun, père des V2, devenu l’un des principaux Orient et le Caucase.
responsables de la NASA). Le public a également La carte propose ensuite deux lectures antago-
mal réagi au cynisme du film, présent jusque dans nistes du nouvel « ordre » mondial d’après-Guerre
son titre (Dr. Strangelove or : How I Learned to froide. La première privilégie l’existence d’une
Stop Worrying and Love the Bomb). Même si la « communauté internationale » – on s’interrogera
sortie du film, programmée pour novembre 1963, a sur le sens de ce terme – et donc d’un ordre fondé
été retardée en raison de l’assassinat de Kennedy, sur le droit, s’appuyant sur les Nations unies et
la tension liée à la crise de Cuba était encore trop ses organismes affiliés. On compte 18 missions
présente pour qu’un tel sujet puisse être abordé de maintien de la paix mises en place par l’ONU
de cette façon. jusqu’en 1990 et 45 entre 1991 et 2008 (missions
7. Comment le film parvient-il à dénoncer de seconde génération visant également à conso-
les dangers et l’absurdité de la Guerre froide? lider la paix). On en profitera pour bien distin-
Pourquoi Kubrick a-t-il choisi l’humour guer ces missions pacifiques (les Casques bleus)
et la dérision pour y parvenir ? des interventions militaires menées au nom de
Traiter ce sujet par la satire et la parodie permet l’ONU comme lors de la guerre du Golfe. Il sera
d’aller jusqu’au bout de la démonstration : en facile de montrer que l’ONU intervient dans toutes
dédramatisant les situations, en poussant la cari- les zones de conflit sauf lorsque les intérêts des
cature à l’extrême et en ne laissant aucune place grandes puissances sont directement en jeu (Tibet,
à l’espoir, la dénonciation des logiques absurdes Tchetchenie, voire Amérique latine) – et d’en tirer
auxquelles mènent la Guerre froide et la compé- les conséquences.
tition nucléaire n’en a que plus de force. 2. Pourquoi peut-on parler
d’une « hyperpuissance » américaine ?
La seconde lecture défend la thèse de l’« hyper-
puissance » américaine (terme popularisé par
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 81 •
Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert fois, oppose deux États arabes, tous deux membres
Védrine), devenue sans rivale depuis l’éviction de de la Ligue arabe. C’est l’unité du monde arabe,
l’URSS – la tentation de l’unilatéralisme ne naît autant que la question du leadership – Saddam
d’ailleurs pas en 2001 avec George W. Bush, elle Hussein ambitionne de jouer le rôle d’un nouveau
gagne progressivement l’administration améri- Nasser – qui sont en jeu. La dimension écono-
caine durant les années 1990. Les élèves pourront mique est bien évidemment tout autant décisive :
toutefois noter que la carte reste très politique et en annexant le Koweït, l’Irak détiendrait près de
ne donne pas d’indications sur les rivaux écono- 20 % des réserves mondiales de pétrole alors esti-
miques des États-Unis. mées – soit presque autant que l’Arabie Saoudite
– ce qui renforcerait son poids au sein de l’OPEP.
3. Quels pays détiennent l’arme nucléaire ? Or, l’Irak, surendetté après sa « victoire » contre
Suffit-il de la posséder pour être une grande l’Iran, cherche encore en juillet 1990 à augmenter
puissance ?
les prix du pétrole, contre l’avis des monarchies
Pendant longtemps, la possession de l’arme et des émirats du Golfe (document 2).
nucléaire a été considérée comme un moyen rela-
tivement peu coûteux d’accéder au rang de grande ◗ Document 2
puissance. En redistribuant les critères de puis-
sance, la fin de la Guerre froide remet en cause 2. Par quels arguments l’Irak justifie-t-il
l’invasion du Koweït ? À qui s’adressent
cette idée simpliste. On notera, à l’examen de la
ces textes ?
carte 2 que la prolifération verticale de la Guerre
froide (multiplication du nombre d’ogives déte- Le premier texte s’adresse aux dirigeants des
nues par chaque pays) a laissé la place à la proli- États de la Ligue arabe, en particulier les pays
fération horizontale (augmentation du nombre producteurs de pétrole ; le second s’adresse aux
de pays détenteurs de la bombe), au moins aussi Irakiens « à l’intérieur et le long des côtes » (donc
dangereuse que la première. en intégrant le Koweït, annexé le jour même) et à
l’ensemble des peuples arabes. L’argument « offi-
ciel » avancé par l’Irak pour justifier son geste est
ÉTUDE de nature historique : la Grande-Bretagne impose
son protectorat sur l’émirat du Koweït à la fin du
La guerre du Golfe (1990-1991) XIXe siècle, lorsque l’Irak fait encore partie de
❯ MANUEL PAGES 174-175 l’empire ottoman. Quand l’Irak devient à son tour
L’objectif de cette étude est double. Il s’agit d’abord protectorat britannique, en 1919, puis indépendant,
d’expliquer comment l’annexion du Koweït par en 1932, le Koweït reste aux mains de la Grande-
l’Irak a pu provoquer le plus important conflit inter- Bretagne – son indépendance date de 1961 : l’an-
national depuis la Seconde Guerre mondiale ; puis nexion rattache donc à l’Irak une province qui
de comprendre en quoi la guerre du Golfe inau- était sienne avant la colonisation.
gure un type de conflit qui n’aurait pas été possible Les textes évoquent aussi, à mots couverts,
durant la Guerre froide et prétend illustrer un nouvel d’autres arguments bien plus décisifs : la posi-
ordre international. tion stratégique du Koweït, au fond du Golfe
persique, qui donnerait à l’Irak un accès à la mer
◗ Documents 1, 2 et 3 et des installations portuaires en eaux profondes ;
les réserves pétrolières de l’émirat, équivalentes
1. Quels sont les enjeux de la guerre à celle de l’Irak entier ; la volonté de S. Hussein
pour la région du Moyen-Orient ? de s’imposer comme le leader politique du monde
Dans cette région du Moyen-Orient, la plus arabe (cf. l’appel lancé directement aux « Arabes
sensible de la planète, les enjeux sont d’abord qui veillez partout dans le monde », sans passer
politiques. L’Irak sort d’une guerre longue contre par l’intermédiaire de leurs gouvernements).
l’Iran (1980-1988), très meurtrière (environ un De ce point de vue, la guerre aura révélé les
million de morts), dont les origines et les logiques, profondes divisions du monde arabe : l’Egypte,
en grande partie de nature religieuse, échappaient la Syrie, le Maroc et les monarchies pétrolières
déjà largement à la Guerre froide. La guerre, cette participent à la coalition ; la Jordanie et le Liban
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

sont réservés ; l’Algérie, la Tunisie et le Yémen ◗ Documents 1, 3 et 4


s’abstiennent ; la Libye et l’OLP s’opposent à
5. Quelles formes prend ce conflit ?
la guerre.
6. Quelles sont les grandes phases
de la guerre ?
◗ Documents 1 et 5
Il s’agit d’une guerre moderne à grande échelle,
3. Quels sont les enjeux de la guerre très médiatisée, et relativement classique, dans le
pour les États-Unis ? sens où elle met aux prises des armées régulières
Les États-Unis veulent consolider leurs positions et des armements, certes ultra perfectionnés du
dans la région, en soutenant leurs alliés – notam- côté américain, mais traditionnels : aviation et
ment l’Egypte et les monarchies pétrolières – et blindés essentiellement. La première phase de la
en cherchant à se constituer de nouveaux points guerre, jusqu’au 15 janvier 1991, date d’expira-
d’appuis, comme la Syrie. Ils veulent éviter un tion de l’ultimatum des Nations Unies, est prépa-
nouveau choc pétrolier et donc veiller à ce que ratoire et voit l’armée de la coalition se déployer
l’Irak n’impose pas ses choix au sein de l’OPEP. aux frontières de l’Irak (opération « bouclier du
Ils veulent surtout éviter que le conflit n’enflamme désert »). La diplomatie reste active jusqu’au
durablement le Moyen-Orient. Washington fera 29 novembre 1990 (résolution 678) ; au-delà, la
pression sur Israël pour que celle-ci n’intervienne mention d’un ultimatum fait entrer la crise dans
pas et ne réponde pas aux missiles Scud lancés une « logique de guerre ». La seconde phase
par l’Irak sur son territoire – le but de S. Hussein se déroule en deux temps (opération « tempête
était évidemment d’élargir la guerre à Israël pour du désert ») : du 17 janvier au 24 février, une
gagner le soutien du monde arabe. longue phase de pilonnage des objectifs irakiens
par l’aviation – on assiste à une guerre technolo-
gique, dite « propre », malgré les bombardements
◗ Document 3
avérés de populations civiles et d’objectifs vitaux
4. Quel rôle joue l’ONU dans la guerre ? non militaires, points d’eau potable, etc. ; du 24
Pourquoi est-il si important que la coalition au 28 février, une offensive terrestre au cours de
alliée agisse en son nom ? laquelle l’armée irakienne est anéantie.
L’ONU vote durant tout le conflit 12 résolutions
fournissant une base légale à l’intervention. C’est ◗ Document 5
la première fois depuis 1950 que le recours à la
force est légitimé par les Nations Unies (encore 7. En quoi consiste le nouvel ordre mondial
l’intervention en Corée n’avait-elle été rendue décrit par George Bush ?
possible que par la « grève » du représentant sovié- La dernière phrase du texte de G. Bush illustre
tique). L’invasion du Koweït par l’Irak est pour bien l’ambiguité de ce nouvel ordre mondial issu
l’ONU un véritable cas d’école : deux États souve- de la Guerre froide et préfigure les débats futurs
rains, tous deux membres de l’organisation, une sur le multilatéralisme ou l’unilatéralisme de
agression indiscutable, une annexion en bonne et la politique étrangère américaine. La guerre du
due forme : l’ONU ne peut pas ne pas réagir, sous Golfe a été menée au nom de l’ONU, mais pas
peine de perdre définitivement toute crédibilité, par l’ONU : sur les 950 000 soldats de la coali-
à un moment où, avec la fin de la Guerre froide, tion – commandée par les États-Unis –, près de
elle nourrit de nouveaux espoirs. On remarquera 700 000 sont américains. Les États-Unis renfor-
que l’URSS a voté avec les États-Unis et que la cent à la suite de la guerre leur présence mili-
Chine, sur la résolution 678, s’est abstenue – et taire au Moyen-Orient (bases en Arabie Saou-
que Cuba s’est désolidarisé de l’URSS en votant dite) et apparaissent plus que jamais comme les
contre. On rappellera que le Conseil de sécurité gendarmes du monde. Il faut toutefois remarquer
est composé de 15 membres, dont 5 permanents et qu’ils s’en tiennent strictement aux résolutions de
10 élus pour deux ans par l’Assemblée générale, l’ONU et ne cherchent pas à déloger S. Hussein
et qu’une résolution doit recueillir 9 votes positifs, du pouvoir – ce qui va permettre au dictateur
sans qu’il y ait opposition d’un des 5 membres irakien, dans les mois qui suivent, de réprimer le
permanents. soulèvement kurde du nord du pays. La priorité
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

de Washington reste dans cette région la stabi- habitants de la Fédération se définissaient comme
lité des frontières. Yougoslaves en 1981 – les autres se disant serbes,
croates, slovènes, etc.

ÉTUDE ◗ Documents 2, 3 et 5
Sarajevo, le drame yougoslave 2. Quelles formes prend la guerre
(1992-1995) à Sarajevo ? Pourquoi les civils sont-ils
les principales victimes du conflit ?
❯ MANUEL PAGES 176-177
La guerre prend à Sarajevo la forme particuliè-
Ce dossier n’a pas pour ambition de traiter en rement classique, voire anachronique à la fin du
deux pages de la guerre en ex-Yougoslavie. Il veut XXe siècle, d’une guerre de siège. Il s’agit du plus
seulement faire prendre conscience à l’élève de long siège de l’histoire de la guerre moderne (près
l’extrême complexité d’un conflit où se mêlent des de trois ans, du 5 avril 1992 au 29 février 1996).
considérations politiques, historiques, ethniques, C’est là que commence le conflit bosniaque, le
religieuses, voire économiques et sociales. Le siège jour même de la déclaration d’indépendance de
de Sarajevo est un épisode parmi d’autres, parti- la Bosnie, et qu’il s’achève. La topographie de la
culièrement emblématique, d’une guerre civile ville, entourée de collines sur lesquelles pouvait
et militaire qui a pris des formes très diverses. aisément prendre place l’artillerie serbe, se prêtait
à un siège. Dès le début, le blocus de la ville est
◗ Documents 1 et 2 complet : tous les accès menant à Sarajevo sont
fermés, y compris au ravitaillement et aux médi-
1. Quelle était la situation de la Bosnie
caments ; l’eau et l’électricité sont coupées. Les
au temps de la Yougoslavie ?
Nations Unies parvinrent toutefois à rouvrir l’aé-
La Bosnie-Herzégovine était l’une des six répu- roport en juin 1992, ce qui permit à la population
bliques de la Fédération yougoslave mise en de survivre. La ville est soumise à un bombar-
place par Tito au lendemain de la Seconde Guerre dement continu et indistinct : tous les bâtiments
mondiale – avec la Serbie, la Croatie, la Slové- publics, y compris les hôpitaux, seront endomma-
nie, la Macédoine et le Monténégro. Au cœur de gés. Certaines rues sont la proie de tireurs embus-
la Yougoslavie, elle constitue un concentré des qués (serbes ou bosniaques), les snipers, équipés
différences et des antagonismes que présentent de fusils de précision, qui rendent au quotidien la
les diverses nationalités composant la Fédération. circulation extrêmement dangereuse.
Les Bosniens (habitants de Bosnie) étaient en
Les civils sont les principales victimes des guerres
1991 principalement Serbes, Croates et Musul-
modernes. Le texte 3 montre bien que l’objectif
mans (avec un M majuscule : nationalité créée
des attaques n’est pas militaire mais vise d’abord
en 1974 pour désigner les Bosniaques – slaves
à systématiquement terroriser les civils, pris direc-
convertis à l’islam à l’époque ottomane – mais
tement pour cibles – c’est ce qui, en l’occurrence,
aussi d’autres musulmans comme les Albanais).
permet de condamner le général Galic pour crimes
Ces populations étaient trop imbriquées pour que,
contre l’humanité.
comme dans le cas slovène, la partition et le tracé
des frontières se fissent sans conflit durable – la
guerre d’indépendance slovène ne dura qu’une ◗ Document 5
douzaine de jours. 3. Décrivez la photographie.
Le texte d’Edgar Morin rappelle toutefois, avec Que nous apprend-elle sur la nature
raison, mais non sans nostalgie, que ces popu- des combats à Sarajevo ?
lations cohabitaient du temps de la Fédération La photographie montre un groupe de civils – une
et avaient appris depuis des décennies à vivre famille de deux enfants – dans une rue de Sara-
ensemble et à tisser des liens sociaux et culturels. jevo soumise à des bombardements ou des tirs de
On remarque souvent que la Yougoslavie de Tito snipers. Deux Casques bleus de la FORPRONU
présentait une unité qu’elle a perdue à la mort du les protègent ; ils s’abritent derrière un véhicule de
dictateur, en 1980. Il n’empêche que seuls 5 % des l’ONU – deux autres véhicules du même type sont
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

visibles à l’arrière-plan. La rue semble déserte. La 6. Qui intervient finalement pour mettre fin
photographie est un instantané : des tirs viennent au conflit ?
sans doute de se faire entendre ; le père se baisse L’Union européenne, au moment où Maastricht
et tient son plus jeune enfant dans ses bras ; les mettait en place une politique étrangère et de
deux soldats sont aux aguets et tentent de voir si sécurité commune (PESC), avait l’occasion de
la voie est libre. On sent que le danger peut venir montrer ses ambitions politiques et diploma-
de tous côtés, à tout moment. C’est une scène de la tiques. Plusieurs tentatives de médiation menées
vie quotidienne pour les habitants de Sarajevo. La en son nom échouent durant le second semestre
photographie illustre bien le récit du document 3. 1991 – plans de paix rejetés, cessez-le-feu non
respectés. Les Douze sont divisés sur l’attitude à
◗ Document 2 adopter : l’Allemagne soutient les indépendances
croate et slovène, qu’elle est la première à recon-
4. Que représente Sarajevo dans l’histoire
naître en décembre 1991, tandis que la France
de l’Europe ? Expliquez le sens de la dernière
phrase du texte.
souhaite d’abord le maintien d’une fédération
yougoslave. Après avoir longtemps considéré que
Le nom de Sarajevo fait évidemment penser à le conflit était une affaire interne à la Yougos-
l’attentat du 28 juin 1914, généralement consi- lavie, l’ONU décide d’intervenir en dépêchant
déré comme l’élément déclencheur de la Première une Force de Protection de la FORPRONU en
Guerre mondiale, dans laquelle certains ont pu voir février 1992, dont les effectifs atteindront 40 000
après coup une première grande guerre fratricide hommes en 1995. Cette force dite de « maintien
entre Européens. Sarajevo est le symbole, de ce de la paix » devait protéger les civils, veiller à
point de vue, d’une Europe vouée au XXe siècle l’acheminement des vivres et des soins et créer
à la guerre et à l’auto-destruction. On a pu avoir les conditions propres à la négociation d’un
l’impression, durant le conflit yougoslave, que règlement d’ensemble du conflit. Ne pouvant
certains contentieux jamais apaisés – notam- intervenir militairement, les Casques bleus ont
ment entre Serbes et Croates – ressurgissaient de souvent été pris à parti par les belligérants. Le
la Seconde Guerre mondiale, des années 1920- document 3 permet aussi d’évoquer la création
1930, voire du temps des guerres balkaniques d’un tribunal pénal international, chargé de juger
et de l’empire austro-hongrois (sans parler des les violations du droit humanitaire commises
disputes historiques entre Serbes et Albanais du sur tout le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis
Kosovo, qui remontent au Moyen Âge). Dans tous 1991 (résolution 808 du Conseil de sécurité, le
les cas, chaque partie instrumentalise l’histoire 22 février 1993).
pour justifier ses revendications.
C’est finalement l’OTAN qui, au prix d’une redé-
Pour Edgar Morin, Sarajevo était au contraire le finition des ses missions lui permettant d’interve-
symbole d’une Europe multiculturelle qui avait nir « hors-zone » (sommets de Rome en 1991 et
réussi à dépasser ses antagonismes pour vivre de Bruxelles en 1994), met fin à la guerre. Ironie
ensemble et s’enrichir mutuellement de l’apport de l’histoire, c’est une organisation de Guerre
de l’autre (les Jeux olympiques d’hiver s’étaient froide – et largement dominée par les États-Unis
d’ailleurs tenus à Sarajevo en 1984). Le sociolo- – qui permet le règlement d’un conflit européen
gue (auteur de Penser l’Europe, 1987) déplore d’après-Guerre froide.
que les bombardements détruisent cette image
concrète de l’Europe unie au moment même où
les Douze, avec le traité de Maastricht (7 février ÉTUDE
1992) et la mise en place de l’UEM, tentent de
progresser dans la voie de l’intégration. Le choc du 11 septembre 2001
❯ MANUEL PAGES 178-179
◗ Documents 4 et 5 L’objectif de cette étude est d’abord de s’interro-
5. Comment réagissent l’Union européenne ger sur l’impact des attentats du 11 septembre, au
et les Nations unies ? Pourquoi peut-on cœur de la société américaine et dans le monde
parler dans les deux cas d’une impuissance ? entier. Comment expliquer l’immense retentisse-
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

ment de ces événements ? On étudiera ensuite ces du pays). Les États-Unis sont un État comme un
attentats terroristes, dans le cadre de la probléma- autre : leur espace n’est plus un sanctuaire invio-
tique générale du chapitre 5, comme une nouvelle lable (ce qu’il était resté durant toute la Guerre
forme de conflit, totalement inédite. On est là bien froide). Plus largement encore, le traumatisme
loin de la Guerre froide. naît de l’incompréhension d’un geste qui vise
l’ensemble des valeurs américaines ; beaucoup
◗ Documents 1 et 5 d’Américains découvrent soudain qu’ils ont des
ennemis, que leurs valeurs ne sont pas forcément
1. Que recherchent les terroristes partagées de tous ; le choc est comparable, de ce
à travers les attentats du 11 septembre ? point de vue, à celui ressenti au moment de la
Les terroristes cherchent à toucher la puissance guerre du Vietnam.
des États-Unis en son cœur, là où elle semble
La société américaine entre littéralement en guerre
invulnérable. Ce sont trois symboles forts qui
et fait immédiatement bloc autour de son prési-
sont visés : les tours du World Trade Center –
dent, pourtant mal élu et impopulaire, de son
complexe constitué de sept immeubles d’affaires
drapeau et de ses valeurs ; c’est le début d’une
situé à Manhattan et inauguré en 1973 – (puis-
union sacrée et d’une croisade patriotique qui n’ira
sance économique et financière), le Pentagone,
pas sans excès (cf. le USA Patriot Act adopté par
non loin de Washington (puissance militaire),
le Congrès le 25 octobre).
et vraisemblablement le Capitole – ce dernier
détournement ayant échoué (puissance poli-
tique). Les terroristes cherchent aussi à marquer ◗ Document 4
les esprits en choisissant un mode opératoire 3. Que brandissent les manifestants ?
particulièrement spectaculaire – et d’autant plus
parlant qu’il renvoie au scénario de plusieurs L’élève pourra facilement identifier le drapeau
films catastrophes à succès : le détournement américain, hissé à l’envers et brûlé, ainsi qu’au
d’avions de ligne qui vont s’écraser sur leurs second plan, plusieurs portraits d’Oussama ben
objectifs. L’objectif, comme le dit Pascal Boni- Laden.
face, est de montrer au monde entier que nul
ni qu’aucun lieu ne sont à l’abri du terrorisme. ◗ Documents 3 et 4
4. Quelles réactions illustrent
◗ Documents 2, 3 et 5 ces deux documents ? De qui proviennent-
2. Comment s’explique le traumatisme elles ? Comment les expliquer ?
ressenti par les Américains ? La une de Courrier international – qui fournit
Comment se manifeste-t-il ? chaque semaine une revue de presse mondiale
Il est nécessaire de bien prendre la mesure du sur un thème donné – traduit la surprise, le désar-
traumatisme provoqué par les attentats pour roi, l’incompréhension. On pourra la rapprocher
comprendre la réaction américaine (et le discours de l’éditorial du Monde daté du 13 septembre,
de G.W. Bush). Le traumatisme est d’abord dû signé de Jean-Marie Colombani, auquel le texte 5
à la violence de la catastrophe, au nombre des fait allusion, qui insistait sur le sentiment de soli-
victimes – dont les restes, dans les deux tiers des darité : « Dans ce moment tragique où les mots
cas, n’ont pu être identifiés – et à la surmédia- paraissent si pauvres pour dire le choc que l’on
tisation de l’événement, les images repassant ressent, la première chose qui vient à l’esprit est
en boucle jusqu’à créer une sorte de fascination celle-ci : nous sommes tous Américains ! Nous
chez le spectateur impuissant. Les textes 2 et 5 sommes tous New-Yorkais, aussi sûrement que
insistent aussi sur la fin du sentiment d’invulné- John Kennedy se déclarait, en 1963 à Berlin, Berli-
rabilité qui habitait les Américains. G.W. Bush nois. » Le document 4 sera l’occasion d’insister
fait un parallèle avec Pearl Harbour, dernière fois sur le moteur idéologique que peut fournir la reli-
que le territoire des États-Unis a été l’objet d’une gion, instrumentalisée à des fins politiques, et de
attaque (attaque surprise et aérienne comme pour veiller à ce que l’élève ne confonde pas Islam et
le 11 septembre, mais Hawaï n’est pas au cœur islamisme, islamique et islamiste.
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

◗ Documents 1, 2 et 5 152) : on relèvera ce qui change et, malgré les


évolutions profondes du contexte international,
Qu’est-ce qui singularise cette forme les permanences de cette politique étrangère, tant
de terrorisme ? Pourquoi est-il si difficile
dans les objectifs que dans la rhétorique utilisée.
de lutter contre elle ?
Contrairement aux organisations terroristes natio-
nalistes agissant dans le cadre d’un territoire déli- EXERCICES
mité (du type ETA ou IRA, terrorisme tchétchène
ou du Hamas) ou aux groupes relevant d’une idéo- Le 11 septembre 2001,
logie politique identifiée (du type Brigades rouges une date charnière ?
ou Fraction armée rouge), Al-Qaida n’agit pas ❯ MANUEL PAGE 183
dans un cadre précis – géographique, idéologique
ou revendicatif – et recrute dans tous les pays et 1. Montrez que ces deux textes défendent
tous les milieux. Il est d’autant plus difficile, pour des points de vue différents sur la portée
un État disposant des moyens traditionnels de des attentats du 11 septembre 2001.
police et de renseignements, de lutter contre elle Les deux textes proposent une première réflexion
qu’il s’agit d’une nébuleuse transnationale, aux sur la difficile question de la rupture historique.
ramifications multiples, sans hiérarchie structurée, À travers l’exemple du 11 septembre 2001 – et
dont les moyens d’action sont divers et particu- en contrepoint celui du 9 novembre 1989 – on se
lièrement imprévisibles. Les États-Unis sont les contentera de faire prendre conscience à l’élève
principaux visés, en raison de leur politique au du problème et de fournir quelques éléments de
Moyen-Orient, mais plus généralement, en raison jugement. L’exercice peut servir d’introduction
de ce qu’ils sont et de ce qu’ils représentent. à la double page Bac consacrée à la construction
d’un plan chronologique (pages 186-187).
◗ Document 2 Il est facile de voir que les deux textes défendent
des points de vue différents, mais pas totalement
Selon George W. Bush, de quelle nature
opposés : ils se rejoignent lorsqu’ils disent que les
doit être la riposte aux attentats ?
Comment les États-Unis conçoivent-ils
attentats n’ont pas du jour au lendemain brusque-
désormais leur rôle dans le monde ? ment changé le monde. Il faut aussi noter que le
second est écrit quelques années plus tard que le
Pour le président américain, la riposte doit être premier : un minimum de recul est par définition
rapide, globale (« toutes les ressources à notre nécessaire pour juger du caractère « dividing »
disposition ») et totale (« la dislocation et la défaite d’un événement contemporain.
du réseau terroriste mondial »). La première étape
consiste à désigner les attentats comme un acte 2. En quoi ces attentats peuvent-ils être
de guerre – ce qui ne va pas de soi –, à identifier considérés comme un moment décisif
l’ennemi, mobiliser les services secrets, s’atta- de l’histoire mondiale ? Ont-ils la même
quer à ceux qui financent ou à ceux qui protè- importance pour tous les pays et tous
gent Al-Qaida. De ce point de vue, désigner les habitants de la planète ?
l’Afghanistan comme premier objectif a permis Le premier texte insiste sur les répercussions à
aux États-Unis (et à l’ONU) de sortir d’un conflit long terme du 11 septembre et la manière dont les
asymétrique pour s’attaquer à une cible beaucoup attentats remettent en cause la notion traditionnelle
plus identifiable et rassurante. La seconde étape de puissance – un État disposant d’une certaine
consiste à définir le cadre international dans lequel capacité en matière économique, militaire, diplo-
s’effectuera la riposte : multilatéral (avec l’ONU, matique, etc. Ils jouent autant comme révélateur
l’OTAN…), unilatéral, ou en choisissant ses alliés, que comme accélérateur. Le second texte pose
au coup par coup. Sans trop entrer dans les détails d’autres questions importantes : une date qui vaut
des débats de politique étrangère américaine, on incontestablement pour un pays – ici, les États-
pourra rapprocher le texte de la page 178 de celui Unis – vaut-elle forcément pour d’autres, voire
de la page 175 (George Bush en août 1991), voire pour le monde entier ? Une date qui vaut dans un
du discours de Truman du 12 mars 1947 (page domaine – ici, le politique, au sens large – vaut-
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Chapitre 5 – De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités

elle pour l’ensemble des champs couverts par les quant notamment de soigner les transitions pour
relations internationales ? justifier le choix des dates-charnières.
Le plan chronologique est bien adapté à un sujet
3. Pourquoi l’auteur du document 2
considère-t-il la chute du mur de Berlin sur Berlin. L’histoire de la ville reflète et détermine
comme un événement plus important ? tout à la fois les grandes évolutions de la Guerre
froide. Lieu de tensions (le blocus, le mur) et de
Objectivement, la chute du mur de Berlin, en
détentes (l’Ostpolitik, la chute du mur), Berlin
mettant fin à la Guerre froide et en redistribuant
est un concentré de la Guerre froide. Le blocus
les cartes et les critères de la puissance au niveau
de Berlin-ouest, qui se conclut par la création des
international, a des conséquences immédiates plus
deux Allemagnes (1949), et la construction du mur
globales et sans doute plus profondes que le 11
(1961) sont les deux grands événements autour
septembre, mais l’historien manque encore de
desquels on peut construire le plan. La période
recul pour étayer son jugement. On peut s’in-
qui va de 1962 à 1990 est beaucoup plus longue
terroger en revanche sur la date du 9 novembre
que les deux premières, mais elle n’est pas aussi
1989 : en l’occurrence, la chute du mur est avant
intense : le mur fige pour longtemps une situation
tout une date symbolique ; on pourrait tout autant
qui ne se débloque qu’à la fin des années 1980.
dater la fin de la Guerre froide de la réunification
allemande ou de la dissolution de l’URSS. L’enjeu de Berlin, divisé en quatre secteurs
d’occupation, au cœur de la zone soviétique, est
4. Quelles autres dates, depuis 1945, vous d’abord territorial. Il devient idéologique dans
paraissent inaugurer une nouvelle période ? les années 1950, lorsque chaque camp veut faire
Justifiez votre réponse en précisant à chaque de son secteur la preuve de la supériorité de son
fois les éléments qui relèvent de la rupture système sur celui de l’adversaire. La construction
et des continuités. du « mur de la honte » donne à Berlin une dimen-
On pourra proposer 1947 et 1962 comme autres sion symbolique nouvelle et achève d’identifier
dates-charnières de la période étudiée. la ville à la Guerre froide. Sa chute, en 1989, est
l’image qui, pour le monde entier, illustre le mieux
la fin de ce conflit.
PROPOSITION DE PLAN
BAC
Problématique : en quoi l’histoire de Berlin, de
Composition : Berlin, un enjeu 1945 à 1990, est-elle le reflet de celle de la Guerre
de la Guerre froide (1945-1990) froide ?
❯ MANUEL PAGES 186-187
1. Un enjeu d’abord territorial (1945-1949)
Le plan chronologique permet de mettre en valeur a. Berlin au lendemain de la guerre
des évolutions. Il est celui qui convient le mieux b. Le blocus
à la majorité des sujets d’histoire. La principale c. Les conséquences de la crise pour Berlin,
difficulté consiste à trouver des dates-charnières l’Allemagne et les suites de la Guerre froide
autour desquelles vont s’ordonner les parties (et
2. Un enjeu idéologique (1950-1961)
le raisonnement). À chaque partie ne correspon-
a. Une vitrine pour chacun des deux camps
dent pas forcément des périodes d’égale durée :
b. La contestation à Berlin-Est (les émeutes
certaines sont plus riches que d’autres en événe-
de 1953, les passages à l’Ouest)
ments et méritent d’être traitées plus en détail.
c. Le mur, un aveu d’échec pour l’URSS
L’essentiel est que les parties soient équilibrées
et qu’elles s’enchaînent logiquement. Il faut bien 3. De la Détente à la réunification
faire comprendre à l’élève qu’il ne doit pas se (1962-1990)
contenter d’un simple récit chronologique des a. Berlin-ouest, symbole du « monde libre »
événements, même lorsqu’il s’agit d’un sujet de b. L’Ostpolitik, des relations normalisées
cours. Tout sujet demande une problématique, c. La chute du mur, la fin de la Guerre froide.
une réflexion, une progression logique, impli- Berlin capitale de l’Allemagne réunifiée

• 88 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote


PARTIE Le siècle des totalitarismes
3 ❯ MANUEL PAGES 188-261

La première moitié du XXe siècle est marquée par tant permet d’expliquer l’attitude de la foule : le
l’apparition de trois régimes politiques singuliers : rôle et la place du chef dans ce type de régime.
l’URSS de Staline, l’Italie fasciste et l’Allemagne
nazie. Pour les caractériser, les historiens ont créé Doc. 2. L’alliance des totalitarismes
un nouveau concept, celui de totalitarisme, dont la contre les démocraties
définition, l’étendue, voire la validité ont été débat- Cette photographie montrant Hitler et Mussolini a
tues depuis sa création – voir supra les objectifs été prise à l’occasion de la visite de Hitler à Rome
et la problématique du chapitre 6. Les documents en mai 1938. Elle montre l’alliance de ces deux
de cette double page permettent de présenter trois régimes, et son renforcement à la fin des années
des aspects que le programme demande d’étudier : 1930. Analyser ce document demande d’étudier la
les caractéristiques de ces régimes, leur attitude scénographie de cette cérémonie : les deux chefs
face aux démocraties et leur disparition. côte à côte et au premier plan, leur entourage en
uniforme, fascistes et nazis mêlés, la prise de vue
Doc. 1. L’embrigadement des masses en contre-plongée. Pour comprendre pleinement
Cette photographie a été prise en 1938 lors du cette image, il faut s’interroger sur ce qui unit ces
Congrès du parti nazi à Nuremberg. Ces congrès, régimes, en premier lieu leurs idéologies, fondées
ou Reichsparteitag, étaient organisés pour exal- sur une détestation commune de la démocratie et
ter l’idéologie et les réalisations du régime nazi. sur des projets impérialistes. Ce document doit
Cette photographie permet d’aborder différents permettre de faire comprendre aux élèves la néces-
aspects du totalitarisme mis en place par Hitler. sité, pour analyser un document, de maîtriser le
D’abord, l’importance de la propagande : ici, elle contexte dans lequel il est produit : l’alliance des
passe par des manifestations de masse, organisées régimes totalitaires se met en scène au moment
dans un lieu construit à cet effet par Albert Speer, où les menaces qu’ils font peser sur les démocra-
architecte du régime, mais aussi par la diffusion à ties se renforcent.
large échelle d’images de ces manifestations. Ce
document témoigne aussi de l’embrigadement de Doc. 3. La fin de l’URSS
la société : elle passe par l’adoption de gestes et de Ce document permet d’aborder la disparition de
signes communs – le salut nazi, la croix gammée ces régimes totalitaires, par l’exemple de la fin
– et par l’encadrement de la jeunesse – ici, des de l’URSS. La photographie montre une statue
jeunes filles que l’on peut supposer appartenir de Staline abattue, servant de banc à des enfants.
à la Bund Deutscher Mädel, branche féminine Elle permet de comprendre que la sortie des tota-
des Jeunesses hitlériennes. On peut aussi attirer litarismes passe par la destruction des signes mis
l’attention des élèves sur une autre forme d’enca- en avant par ces régimes : occupation de l’espace
drement de la société, que permet le recours à la public par la propagande, culte du chef… Cette
violence. En effet, au premier plan de la photogra- photographie peut alors être mise en relation avec
phie se tiennent des membres de la SS, reconnais- le processus de dénazification mis en œuvre en
sables à leur uniforme. Ici, pourtant, rien ne permet Allemagne dès 1945, par une comparaison avec
de comprendre leur rôle : c’est donc l’occasion le document 1 page 246 qui montre des soldats
de réfléchir avec les élèves sur les démarches à soviétiques déplaçant un emblème nazi dans les
adopter pour analyser un document, dans l’optique ruines de Berlin. C’est alors l’occasion de faire
des nouvelles épreuves du baccalauréat. Dans le s’interroger les élèves sur ce qui distingue ces
même cadre, il peut être intéressant d’étudier ce deux cas de figure : les temporalités différentes
que la photographie ne montre pas, et qui pour- et les acteurs.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 89 •


CHAPITRE
Les régimes totalitaires
6 ❯ MANUEL PAGES 190-223

RAPPEL DU PROGRAMME de ces régimes, s’inscrit donc dans une visée épis-
témologique.
Genèse et affirmation des régimes totalitaires
(soviétique, fasciste et nazi) : les régimes to- Mais, davantage que d’autres concepts, celui de
talitaires dans l’entre-deux-guerres – genèse, totalitarisme demande à être manié avec précau-
points communs et spécificités. tions. Son usage, surtout s’il est exclusif, peut se
révéler insuffisant à décrire le réel qu’il entend
définir. Il faut donc toujours avoir à l’esprit les
limites de ce concept, et s’employer à le défi-
◗ Objectifs et problématique
nir avec rigueur. Dans ce cadre, plusieurs points
du chapitre
majeurs sont à rappeler.
Ce chapitre s’inscrit dans le troisième thème du Tout d’abord, la Première Guerre mondiale peut
programme : « Le siècle des totalitarismes ». Il être perçue comme un élément fondateur dans la
permet de répondre en partie à la première ques- genèse des régimes totalitaires. Par sa violence,
tion de ce thème, « Genèse et affirmation des elle a créé une rupture dans la manière de consi-
régimes totalitaires (soviétique, fasciste et nazi) », dérer le combat et la mort, radicalisant par contre-
en abordant la première mise en œuvre suggé- coup les conflits sociaux et politiques. Ce concept
rée par le programme : l’étude de la genèse, des de brutalisation des sociétés est en particulier
points communs et des spécificités des régimes développé par George Mosse dans De la Grande
totalitaires dans l’entre-deux-guerres. Guerre aux totalitarismes, la brutalisation des
Il s’agit donc, dans ce chapitre, d’étudier trois sociétés européennes (2003). Il faut néanmoins
régimes politiques au travers d’un même concept, nuancer cette analyse, ou du moins la confronter à
celui de totalitarisme, créé par des philosophes d’autres. Ainsi la France, pourtant partie prenante
et des politologues, mais qui a suscité de de cette guerre, n’a pas connu une telle évolu-
nombreuses controverses chez les historiens. tion : la société française ne semble pas avoir été
L’histoire de ses acceptions et de ses usages est autant « brutalisée » que les sociétés russe, alle-
complexe et passionnante, mais n’est pas l’objet mande ou italienne. Il faut par conséquent consi-
de ce chapitre (pour cela, se rapporter à l’ouvrage dérer d’autres facteurs. Ainsi, à l’inverse de la
d’Enzo Traverso, Le totalitarisme, le XXe siècle France, Allemagne et Italie sont, ou se disent, des
en débat, Seuil, 2001). perdants de cette guerre. L’Allemagne s’est vue
imposer le Traité de Versailles, et l’Italie, bien que
En revanche, il est nécessaire de comprendre
dans le camp des vainqueurs, ne se satisfait pas
qu’aborder les régimes soviétique, fasciste et nazi
du règlement de la guerre qui la prive de certains
au travers d’un même concept signifie que l’on
des territoires austro-hongrois qu’elle réclame –
considère leurs points communs suffisamment
les terres irrédentes. De plus, les régimes totali-
nombreux pour les ranger dans la même catégorie.
taires se développent dans des contextes de crises –
Dans le même temps, comme pour tout concept
économiques et sociales en Italie et en Allemagne,
historique, il est fondamental de comprendre
guerre civile et famine en Russie.
que celui de « totalitarisme » ne peut en aucune
manière suffire à définir, à décrire entièrement Autre point fondamental : il ne faut pas faire des
les régimes de Staline, Mussolini et Hitler. Le totalitarismes des régimes contrôlant entièrement
concept de « totalitarisme » permet de comprendre tous les aspects de la vie des sociétés. Il ne s’agit
différents faits en les classant, en les comparant, pas d’un état de fait, mais plutôt d’une visée, d’une
mais ne permet en aucun cas de les confondre, volonté de contrôle, d’un processus que l’on ne
de les assimiler. Le programme, en demandant peut, à aucun moment de son histoire, considérer
d’étudier les points communs et les spécificités comme achevé. L’historiographie récente a permis
• 90 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

de préciser ce propos. En effet, après avoir étudié mentale est particulièrement mise en valeur par
les régimes totalitaires « par le haut », à partir des l’étude de la finalité des systèmes concentration-
discours et des actes des structures de pouvoir et naires. Dans l’URSS de Staline, le goulag doit
de contrôle, les historiens ont davantage consi- permettre à la fois la « rééducation » des hommes
déré ces régimes « par le bas », en évaluant leur et, par leur travail forcé, l’accélération de la mise
impact sur les sociétés. Ils ont ainsi pu mettre en en place d’une société communiste moderne. Dans
évidence, aux côtés de l’enthousiasme, de l’en- ce cadre, la mort n’est pas la finalité du système
rôlement ou de l’acceptation, des espaces d’au- concentrationnaire. En revanche, la volonté d’ex-
tonomie, qui permettent la discussion, la critique, termination des Juifs distingue absolument le
voire la dissidence. système nazi.
Pour permettre cette étude nuancée des régimes
Enfin, le concept de totalitarisme ne permet pas de totalitaires, le manuel propose une série d’études.
rendre la complexité du réel qu’il entend décrire : Les trois premières abordent la genèse de chacun
il gomme les spécificités des différents régimes, et d’entre eux : la Révolution russe, puis l’échec de la
en particulier la singularité du nazisme. En effet, démocratie en Italie et en Allemagne. Le manuel
ce concept se borne à décrire, pour l’essentiel, s’intéresse ensuite à leurs bases idéologiques. Il
des outils et des techniques de domination. Dans traite d’abord de leur projet commun, la création
ce cadre, un totalitarisme peut être défini comme d’une société nouvelle, avant de s’intéresser plus
un régime qui réclame un contrôle entier sur la particulièrement à la volonté exprimée par Staline
société, au nom de la réalisation d’une idéolo- de transformer à la fois l’économie et la société
gie qui doit permettre la création d’un homme soviétiques, et au racisme et à l’antisémitisme
nouveau qui lui soit dévoué. Son chef y détient un nazis. Enfin, trois autres études abordent l’exercice
pouvoir sans partage, qui s’appuie sur une propa- du pouvoir totalitaire par l’angle du culte du chef,
gande mobilisant sans cesse les masses, chargée de de l’encadrement de la jeunesse et, pour l’URSS et
convaincre de la justesse et de la nécessité de l’ac- l’Allemagne, de la mise en œuvre d’une politique
tion du régime. Enfin, cette politisation de tous les de terreur. Chacun de ces groupes de trois études
aspects de la société se double de l’omniprésence est suivi par un cours qui approfondit les éléments
d’un pouvoir policier arbitraire qui transforme en essentiels à leur compréhension. Une double page
opposition tout comportement dissident, faisant Histoire des arts les complète : elle permet d’étu-
régner une terreur sans précédent. Cet angle de dier comment l’architecture et l’urbanisme sont
vue masque d’autres aspects de ces régimes. En mis au service de l’idéologie du régime fasciste.
effet, il ne dit rien de leurs idéologies : leurs objec- Cet ensemble s’accompagne d’une double page
tifs affirmés – et non les réalités de leur mise en Méthode qui présente la manière d’expliquer une
œuvre – sont pourtant différents, et c’est là que affiche de propagande. Enfin, dans l’optique de la
s’inscrit la singularité du nazisme. La question préparation aux nouvelles épreuves du baccalau-
de la terreur permet de la mettre en évidence. réat, une analyse de documents est proposée, dont
Dans l’Italie fasciste, si le recours à la violence l’objectif est d’aborder la manière de confronter
peut être affirmé par le régime comme une néces- deux documents qui se complètent.
sité, les morts sont, comparés aux autres régimes,
peu nombreux. La violence stalinienne, bien plus
importante, touche tous les Soviétiques, membres
◗ Bibliographie
du Parti communiste inclus : tous sont suscep- – La Revue des deux mondes, « Les totalitarismes,
tibles, à un moment ou à un autre, d’être accusés communisme et nazisme dans les années 1930 »,
d’actions ou de sentiments anticommunistes. La Christian-Bourgois, 2010
violence nazie est tout autre. Si elle s’abat sur – Burrin Philippe, Fascisme, nazisme, autorita-
les opposants au régime, elle se concentre essen- risme, Seuil, 2000
tiellement sur un groupe que l’idéologie raciste – De Felice Renzo, Les interprétations du
développée par Hitler désigne comme des ennemis fascisme, Editions des Syrtes, 2000
par nature, par essence de la « race supérieure » – Gentile Emilio La voie italienne du totalita-
des Aryens : les Juifs, dénoncés comme membres risme, le parti et l’État sous le régime fasciste,
d’une « race inférieure ». Cette distinction fonda- Éditions du Rocher, 2004
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 91 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

– Gentile Emilio, Qu’est-ce que le fascisme ?, sont nettement séparés. Devant la tribune où se
Folio Histoire, 2004 tient Mussolini, les membres des organisations
– Grosset Michel, Werth Nicolas, Le règne de fascistes, dont le Parti national fasciste, sont
Staline, Editions du Chêne, 2007 alignés de manière toute militaire. Le parti unique
– Guillot Adelin, Restellini Patrick, L’art nazi, est en effet organisé à l’image d’une armée. Ses
Complexe, 1996 membres portent un uniforme qui donne son nom
– Kershaw Ian, Hitler, tomes 1 et 2, Flammarion à la milice du parti – les Chemises noires. Leur
1998. alignement révèle les principes d’organisation du
– Kershaw Ian, L’opinion allemande sous le parti : l’ordre, l’obéissance et la hiérarchie. Face
nazisme, Bavière 1933-1945, CNRS éditions, 2002 à eux, la tribune où sont prononcés les discours :
– Kershaw Ian, Qu’est-ce que le nazisme ?, Folio par sa structure, par sa position, par les slogans
Histoire, 1992. qu’elle porte, elle expose certains des traits de
– King David, Le commissaire disparaît, la falsi- l’idéologie fasciste. Elle prend la forme d’un
fication des photographies et des œuvres d’art aigle stylisé, qui rappelle un des symboles de
dans la Russie de Staline, Calmann-Lévy, 2005 l’Empire romain : elle dévoile ainsi la référence
– King David, Sous le signe de l’étoile rouge, constante du fascisme à l’Antiquité romaine.
Gallimard, 2009 Mussolini se présente en effet comme l’héritier
– Klemperer Victor, LTI, la langue du IIIe Reich, de la Rome impériale, comme le fondateur d’un
Pocket Agora, 2002 nouvel Empire qui, comme son prédécesseur, a
– Milza Pierre, Les fascismes, Seuil, 1991 vocation à régner sur la Méditerranée. Cet aspect
– Mosse George, De la Grande Guerre au tota- est renforcé par le recours au mot latin Dux, et
litarisme : la brutalisation des sociétés euro- non à son équivalent italien Duce, et par la réfé-
péennes, Hachette, 2003 rence au « fondateur de l’Empire ». La place de
– Richard Lionel, Le nazisme et la culture, Mussolini comme seul chef du régime fasciste
Complexe, 2006 est affirmée par de multiples moyens. Le mot
– Rousso Henri (dir.), Stalinisme et nazisme. Dux, chef, est l’inscription la plus visible. Par
histoire et mémoire comparées, Complexe, 1999. sa position à la tribune, il surplombe la foule à
laquelle il s’adresse, illustrant ainsi le rôle qui
– Traverso Enzo, Le totalitarisme, le XXe siècle
lui est attribué de « guide [du] peuple ». Si l’Ita-
en débat, Seuil, 2001.
lie est toujours une monarchie, et le roi le chef
– Werth Nicolas, Etre communiste en URSS sous
de l’État, les noms de membres de la dynastie
Staline, Gallimard, collection Archives, 1981.
régnante, les Savoie, sont relégués sur un côté
– Werth Nicolas, La Terreur et le désarroi, Staline
de la place. Cet espace est donc traité comme
et son système, Perrin, 2007
une immense scène de théâtre : cette manifesta-
– Werth Nicolas, Les opérations de masse de la
tion met en scène un face-à-face entre le peuple
« Grande Terreur » en URSS (1937-1938), Bulle-
italien, affirmé comme entièrement dévoué au
tin de l’IHTP n° 86, 2006.
fascisme, et son chef, qui le dirige et l’organise.
L’objectif auquel cette organisation du régime
doit mener est également proclamé : faire de
OUVERTURE
l’Italie une puissance impériale. L’encadrement
❯ MANUEL PAGES 190-191 de la société se fait donc, ici, par la propagande
Les deux photographies permettent d’aborder deux et l’enrôlement dans des organisations fascistes.
des aspects qui caractérisent les régimes totali-
taires : l’encadrement de la société par le recours Doc. 2. Prisonniers du camp de concentration
à des manifestations de masse, la répression par de Dachau (Allemagne), 1936
la mise en place d’un système concentrationnaire. Dachau est le premier camp de concentration mis
en place par le régime nazi. Il est ouvert le 31 mars
Doc. 1. Discours de Mussolini à Turin (1939) 1933, deux mois seulement après la nomination de
Cette photographie montre une cérémonie collec- Hitler au poste de chancelier du Reich. Construit
tive à Turin en 1939. Elle est organisée par le sur l’ordre d’Himmler, il est sous la garde des
Parti national fasciste. Les différents espaces SS qu’il dirige, et que l’on voit ici de dos. D’une
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

capacité initiale de 5 000 prisonniers, il est ensuite II d’envisager de réelles réformes libérales, les
agrandi en 1937 et 1939, jusqu’à pouvoir accueillir difficultés militaires de la Russie, les conditions
plus de 40 000 d’entre eux. Il sert d’abord à l’in- de vie désastreuses d’un pays dont l’économie,
ternement des opposants politiques au régime peu moderne, ne permet pas l’approvisionnement
nazi, mais sert aussi à l’emprisonnement de tous d’une société en guerre. À la fin de février, une
ceux que l’idéologie nazie considère comme des grève générale paralyse Petrograd, la capitale, et
ennemis, dont de nombreux Juifs. se transforme en insurrection. Un double pouvoir
Cette mise à l’écart des « ennemis » est mise en est alors mis en place. D’abord, un gouvernement
avant par la propagande nazie. En effet, cette provisoire issu de la Douma, assemblée sans réel
photographie est un détail de la « Une » du Illus- pouvoir convoquée par Nicolas II après la tenta-
trierter Beobachter de décembre 1936, supplé- tive de révolution de 1905. Ensuite, les soviets,
ment illustré du Völkischer Beobachter, propriété assemblées populaires constituées pendant l’insur-
du NSDAP. Dachau y est présenté comme un rection, à l’issue d’élections organisées à la hâte
camp où activités physiques et loisirs sont propo- dans les usines et les casernes. Ces deux pouvoirs
sés aux prisonniers : il s’agit seulement, d’après parviennent, le 2 mars, à un compromis : le soviet
le journal, de préserver l’Allemagne de leur de Petrograd soutient le gouvernement provisoire à
influence. La propagande doit donc convaincre la condition que celui-ci entreprenne des réformes
les lecteurs que le régime écarte tous ceux qu’il démocratiques. Pourtant, rien n’est dit de deux
considère comme responsables des maux de l’Al- questions fondamentales : celle de la poursuite
lemagne. Mais, bien que les très dures conditions de la guerre, et celle des terres, dans un pays aux
de vie dans le camp n’apparaissent pas ici, ce inégalités sociales très profondes.
document peut néanmoins être analysé comme un
premier signe du processus de déshumanisation C’est dans ce contexte que s’inscrivent les « thèses
mis en œuvre par les Nazis : par les uniformes, d’avril », présentées par Lénine dans la Pravda. Il
par les têtes rasées, ils refusent toute identité s’agit du programme de son parti, le parti bolche-
propre aux prisonniers. vique, partisan de l’instauration d’une société
communiste. Lénine refuse en effet la poursuite de
la guerre, qu’il définit comme un conflit impéria-
ÉTUDE liste, aux motivations capitalistes, qui ne concerne
en aucune manière le prolétariat. Il entend s’ap-
La Révolution russe (1917) puyer sur les soviets pour faire appliquer cette
❯ MANUEL PAGES 192-193 politique, et chasser ainsi le gouvernement provi-
Cette étude est la première de trois permettant soire. Celui-ci, dès son établissement, a en effet
d’aborder la genèse des régimes totalitaires. Il assuré ses principaux alliés de la Triple Entente de
s’agit ici de comprendre comment la Russie son intention de continuer le combat à leurs côtés.
tsariste, autocratique, ébranlée par la Première Le document 2 est, à ce titre, révélateur. D’abord,
Guerre mondiale, devient un régime communiste il affirme la volonté de la Russie de rester dans
à l’issue de deux révolutions. la Première Guerre mondiale. Ensuite, il montre
les tentatives du gouvernement de convaincre
◗ Documents 1 et 2 une population majoritairement réticente. Pour
cela, l’affiche tente d’inscrire la guerre dans la
1. À quelle politique du gouvernement Révolution de février, en liant effort de guerre et
provisoire Lénine s’oppose-t-il ? victoire de la révolution : combattre, c’est lutter
Pour répondre à cette question, il est nécessaire pour empêcher « l’ennemi de nous ôter la liberté
de présenter le document avec attention. Cet chèrement acquise ! ». C’est cette affirmation que
article de Lénine, paru dans la Pravda, date du réfute Lénine lorsqu’il écrit « notre attitude […]
7 avril 1917. À cette date, la Russie n’est déjà n’admet aucune concession, si minime soit-elle, à
plus une monarchie – la république sera procla- [l’idée de] «défense nationale révolutionnaire» ».
mée en septembre. Le renversement du régime Enfin, on peut estimer que cette affiche révèle, en
tsariste intervient en février. On peut l’expliquer filigrane, le coût financier de cette guerre et les
par différents facteurs : le refus du tsar Nicolas difficultés économiques de la Russie.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 93 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

◗ Document 1 dans des conditions militaires périlleuses, et les


difficultés économiques et sociales – dégrada-
2. Pourquoi Lénine pense-t-il que
tion de la situation alimentaire, persistance du
la Révolution de février ne doit être
chômage, maintien des très fortes inégalités
qu’une étape ? Quelle politique veut-il
mener ? En faveur de qui ? sociales, en particulier dans les campagnes. À
cet enlisement du gouvernement provisoire répon-
Lénine s’appuie sur les thèses marxistes. Il définit dent les promesses du parti bolchevique qui, bien
la Révolution de février comme une révolution que minoritaire, s’emploie à convaincre la popu-
bourgeoise, dont la direction politique est assumée lation que donner « tout le pouvoir aux soviets »
par la bourgeoisie, arrivée au pouvoir. Cette révo- permettra des changements radicaux.
lution, si elle établit les notions de droit, de liberté,
d’égalité, reste soumise aux intérêts de ceux qui En une journée, celle du 25 octobre, le parti de
la dirigent. Dans ce cadre, elle ne peut remettre Lénine parvient à chasser le gouvernement provi-
en cause le système de domination du prolétariat soire et à instaurer un nouveau pouvoir qu’il attri-
par la bourgeoisie établi par le système capitaliste. bue, sinon aux soviets, du moins à un « gouverne-
C’est pourquoi Lénine considère la Révolution de ment des soviets », le « conseil des commissaires
février comme une simple étape : elle doit être du peuple », qui affirme agir au nom des soviets.
suivie d’une seconde révolution qui « donne le Les deux décrets entendent montrer que les
pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de bolcheviks tiennent leur promesse de réaliser les
la paysannerie ». Il s’agit donc de lutter contre les changements radicaux voulus par une majorité
capitalistes, ceux qui possèdent et confisquent la de la population. Le décret sur la paix appelle
richesse de ceux qui produisent. à une fin immédiate de la guerre, à des négo-
Pour cela, Lénine affirme dans l’extrait proposé ici ciations qui permettent à tous les peuples de se
la nécessité de s’appuyer sur les soviets, composés retirer de la Première Guerre mondiale « sans
de membres du prolétariat, et de mener une poli- annexion et sans contribution ». Le décret sur la
tique de réappropriation de la richesse par ceux qui terre reprend la proposition de Lénine exposée
la produisent. C’est pourquoi il entend mener une dans les « thèses d’avril » : enlever aux capita-
politique de « nationalisation de toutes les terres listes la propriété des terres que d’autres exploitent
dans le pays : les terres sont mises à disposition pour eux. Mais cette décision, dans ses modali-
des soviets locaux ». tés, diffère du programme bolchevique : alors
que Lénine prônait en avril la « nationalisation »
de toutes les terres, le décret sur la terre organise
◗ Documents 1 et 3 en réalité la redistribution aux paysans des terres
3. Montrez que les décisions prises des grands propriétaires. Le programme ne sera
en octobre respectent la politique complètement réalisé que plus d’une décennie
voulue par Lénine. après, par la collectivisation des terres.
4. Expliquez ce qui, d’après vous,
les rend populaires.
◗ Documents 1 et 4
Les décrets présentés ici sont publiés au lende-
main de la Révolution d’octobre, qui porte le parti 5. Montrez que l’affiche illustre la politique
voulue par Lénine.
bolchevique au pouvoir. À l’inverse de celle de
février, la Révolution d’octobre n’est pas le fruit L’affiche de Nicolas Kotcherguine reprend les
d’un mouvement populaire spontané. Il s’agit principaux principes voulus par Lénine, en partie
plutôt d’une insurrection décidée et préparée par exprimés dans les décrets d’octobre. d’abord, la
le parti bolchevique, que Lénine a su convaincre de mise en place d’une démocratie prolétarienne. Au
la nécessité de prendre le pouvoir. Ce mouvement centre, trois personnages symbolisent la société
s’appuie néanmoins sur un mécontentement et nouvelle voulue par le pouvoir bolchevique : deux
une agitation grandissante de la population russe. paysans et un ouvrier, reconnaissables à leurs vête-
Le gouvernement provisoire n’est en effet pas ments et à leurs outils de travail (une faux, une
parvenu à résoudre les problèmes majeurs qui faucille et un marteau). Ils foulent au pied des
préoccupent les Russes : la poursuite de la guerre symboles de l’ancien régime : la couronne impé-
• 94 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

riale et l’aigle à deux têtes de la Russie tsariste, gouvernement décide de frapper fort en instaurant
une jarre renversée d’où s’écoulent des pièces d’or, une politique de terreur et de réquisitions, pour
portant sur sa panse le mot « capital ». Il s’agit nourrir les villes et l’Armée rouge. Ainsi débute
d’affirmer le renversement de la société capita- la guerre civile, au tout début de l’année 1918 :
liste par une société communiste. Ce renverse- en 1921, les bolcheviks sont vainqueurs, mais la
ment est également affiché par l’attitude des trois Russie est ravagée.
personnages centraux : leur posture assurée, leur
regard, leur manière de marcher sur les débris de
l’ancienne Russie désignent les travailleurs, les ÉTUDE
prolétaires comme les principaux bénéficiaires
de cette révolution. Ces personnages et la foule
La démocratie en échec en Italie
❯ MANUEL PAGES 194-195
en marche à l’arrière-plan affirment l’égalité, la
fraternité, la paix comme des fondements de ce Cette étude doit permettre aux élèves de
nouveau régime. La femme est ainsi désignée comprendre comment Mussolini et le mouvement
comme l’égale de l’homme – ou quasiment : plus politique qu’il dirige, le fascisme, sont parvenus
petite, elle les regarde plutôt que de fixer comme au pouvoir et ont renversé la démocratie italienne.
eux l’horizon… L’auteur a pris soin de représen-
ter, à l’arrière-plan, des hommes originaires de ◗ Document 1
toutes les parties du monde. Il s’agit d’affirmer à
1. Quelle est la situation sociale en Italie
la fois l’égalité des hommes et l’objectif interna- au début des années 1920 ?
tionaliste des débuts de la Russie communiste :
voir des révolutions identiques éclater hors de Au début des années 1920, l’Italie connaît de
ses frontières. fortes tensions sociales, qui ont débuté l’année
précédente. Différents facteurs se conjuguent.
L’existence, d’abord, de fortes inégalités en Italie,
◗ Document 5 de conditions de travail difficiles, aussi bien en
6. D’après Lénine, quelle politique ville qu’à la campagne. Ensuite, l’impact de la
doit être menée ? Pourquoi ? fin de la Première Guerre mondiale sur l’écono-
Dans ce texte, Lénine définit la nécessité d’une mie italienne. En effet, comme tout pays belli-
dictature du prolétariat. Pour lui, la révolution ne gérant dans cette guerre totale, l’économie du
peut se maintenir, le communisme ne peut être pays a été transformée en économie de guerre.
mis en place que si les bolcheviks les défendent Le retour de la paix désorganise la production
contre leurs ennemis. Pour lui, les capitalistes, en en modifiant considérablement les débouchés :
refusant l’instauration du communisme, interdi- le marché de la guerre s’est tari. Il faut reconver-
sent aux prolétaires de bénéficier d’une véritable tir nombre d’usines qui, parfois, sont contraintes
démocratie, et tentent par tous les moyens de les à la fermeture. À cela s’ajoutent les difficultés
replacer en position de dominés. Il faut donc, dues à la démobilisation des troupes italiennes :
pour les combattre, leur refuser les droits de la les anciens soldats ne trouvent pas nécessaire-
démocratie. C’est cela que Lénine définit lorsqu’il ment un emploi dès leur retour à la vie civile. Ces
affirme en 1916 : « quiconque reconnaît la lutte difficultés économiques, la montée du chômage,
de classes doit reconnaître la guerre civile, qui le sentiment d’une plus grande précarité sont à
dans toute société de classes représente la conti- l’origine de fortes tensions sociales.
nuation, le développement et l’accentuation natu- Ce contexte de crise est amplifié par les échos de
rels de la guerre de classes. » Cette phrase peut la Révolution russe. La prise du pouvoir par le
sembler, après la Révolution d’octobre, prémo- parti bolchevique, les mesures économiques et
nitoire : dès son instauration, le nouveau gouver- sociales qu’il met en place apparaissent comme
nement communiste voit se dresser contre lui des des solutions possibles aux difficultés de l’Italie.
opposants à sa politique – partisans de la Russie L’agitation sociale qui se développe en 1919-1920,
tsariste, de l’indépendance de régions de l’Em- les occupations de terres, les grèves et occupa-
pire russe… – qui n’hésitent pas à prendre les tions d’usine s’accompagnent parfois de réfé-
armes contre lui. Pour défendre la révolution, le rences directes à la Révolution russe. C’est le cas
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 95 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

de cette occupation d’usine à Turin. La photogra- de cette guerre sont tenus. Il dénonce « les déser-
phie joue sur le modèle bolchevique. Elle reprend teurs amnistiés », les « héros objets de moque-
une pose popularisée par les photographies venues ries, blessés et tués ». Ici, le Parti national fasciste
de Russie : les ouvriers, armés, s’organisent sur cherche à dénoncer l’existence de traîtres à la
le modèle des Gardes rouges, prêts à défendre patrie italienne. Il fait aussi référence, de manière
leurs revendications par la force. Ces mouvements, beaucoup plus voilée, aux luttes violentes qui
soutenus par certains Italiens, sont une source d’in- opposent, au début des années 1920, fascistes et
quiétude pour d’autres : ils voient dans ces grèves communistes. Les « héros » qu’il évoque semblent
et ces occupations les signes avant-coureurs d’une se référer aux anciens soldats devenus membres
révolution de type bolchevique. des Fasci di combattimento. Ce mouvement, créé
par Mussolini en 1919, se constitue en effet autour
◗ Document 2 d’associations d’anciens combattants, et fait le
coup de poing contre tous ceux, et en particulier
2. Quelles sont, pour l’auteur, les communistes, qu’il accuse de mener l’Italie
les différentes caractéristiques à sa perte. En effet, Mussolini, comme le docu-
de la crise que connaît l’Italie ?
ment le montre, explique la crise économique qui
3. À quel groupe politique les fascistes
s’opposent-ils particulièrement ?
secoue l’Italie par l’action des communistes, qui
4. Pourquoi le gouvernement tenteraient ainsi de déstabiliser l’Italie.
démocratique est-il critiqué ? Si le Parti national fasciste, et à travers lui Musso-
Il est important, avant de faire étudier aux élèves le lini, n’accusent pas le gouvernement d’être à
discours tenu par ce document, d’attirer leur atten- l’origine de cette crise, ils le rendent néanmoins
tion sur son auteur et le contexte de son écriture. responsables de n’avoir pas su la régler. C’est une
Il s’agit en effet d’un extrait d’un ouvrage produit manière de légitimer a posteriori l’action violente
par le Parti national fasciste en 1929. À cette date, que les Faisceaux de combat vont déployer en
son chef, Mussolini, a pris le pouvoir. Il a inter- 1920.
dit l’existence de tout autre parti et a instauré en
Italie une dictature. Il faut donc considérer cette ◗ Document 3
description de la situation en Italie au début des
années 1920 comme un exemple du regard des 5. Quel moyen d’action politique est employé
vainqueurs, qui font de cette période le fondement par les fascistes ? Quel en est l’objectif ?
et la justification de leurs actions postérieures. Le moyen d’action politique évoqué par ce docu-
Ainsi, le Parti national fasciste donne de cette ment est l’action violente. L’auteur, Italo Balbo,
période une vision essentiellement politique. est originaire de Ferrare. Ancien combattant, il
L’Italie est présentée comme un pays en butte à adhère au fascisme à la fin de la Première Guerre
l’hostilité de groupes différents, hors et dans le mondiale, et organise dans la région de Ferrare
pays. Tout d’abord, l’Italie est présentée comme un des groupes d’action (squadre d’azione) qui
un vainqueur de la Première Guerre mondiale, se réclament du fascisme sans en être officiel-
mais comme un vainqueur dont la victoire a été lement dépendants. Ces groupes, composés en
volée. Lorsque le texte affirme que « l’Italie n’eut partie d’anciens soldats, se donnent pour but de
point la paix qu’elle méritait », il fait allusion aux lutter contre le communisme et, plus générale-
terres irrédentes. Il s’agit de territoires que l’Ita- ment, contre les mouvements réclamant davantage
lie réclame dès sa constitution en État, dans la d’égalité sociale. Balbo, dans cet extrait, évoque
deuxième moitié du XIXe siècle. Le traité de Saint- « la rouge campagne ferraraise ». Il fait ici allu-
Germain, signé le 10 septembre 1919, accorde à sion au mouvement des journaliers agricoles
l’Italie certains d’entre eux, jusque là sous auto- qui occupent les terres des grands propriétaires
rité austro-hongroise. Mais d’autres lui sont refu- pour obtenir de meilleures conditions de travail.
sés, provoquant rancœur et sentiment de trahison Les squadre s’attaquent aussi aux responsables
chez certains Italiens. Ils dénoncent une « paix politiques et syndicaux de gauche, aux usines en
mutilée ». Autre caractéristique de la crise, selon grève, aux sièges des journaux, aux bourses du
l’auteur : le mépris dans lequel les combattants travail. Ses membres, les squadristi, n’hésitent pas
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

à user de la matraque et de l’huile de ricin, pour député et secrétaire général du parti socialiste
conjuguer violence et humiliation publique. Par italien, Matteotti : lors de la séance du 10 mai
leur action, les fascistes bénéficient, aux yeux du 1924, il dénonce l’action de Mussolini et de ses
patronat et des grands propriétaires, d’une image partisans. Là encore se mêlent apparent respect de
de garants de l’ordre social et de rempart contre la démocratie et pratiques illégales, voire violentes.
le communisme. Matteotti, dans cet extrait, axe son discours sur
L’étude du vocabulaire employé par Balbo permet trois points : le discours du gouvernement qui, s’il
de comprendre l’influence qu’ont eu les combats organise des élections, affirme ne pas se sentir tenu
sur les anciens soldats qui composent en partie les par leur résultat, l’action de « milices armées »
squadre : il est essentiellement militaire. Il exalte à son service et, le jour même des élections, des
le combat et la violence au travers de « réunions, tentatives pour en fausser l’issue. Si Matteotti peut
serments, chansons, rites de guerre », dans le but encore tenir, à l’Assemblée, un tel discours devant
de prendre le pouvoir. On peut voir, dans ce témoi- Mussolini et son gouvernement, son enlèvement
gnage, un exemple de la brutalisation, de l’ensau- le 10 juin montre les risques d’une telle attitude.
vagement des sociétés que définit George Mosse. Son corps est retrouvé le 15 août ; ses assassins,
des partisans du fascisme, sont rapidement arrê-
tés. Ce scandale semble affaiblir Mussolini : en
◗ Documents 4 et 5 fait, il lui permet d’affirmer son pouvoir. Le chef
6. Par quels moyens Mussolini parvient-il du gouvernement affirme en effet que s’il n’a
au pouvoir ? pas ordonné ce meurtre, il en assume la respon-
7. Comment évolue le régime politique sabilité. Mieux, il fait de la violence un recours
une fois les fascistes au pouvoir ? nécessaire, qu’il encourage afin de combattre les
La marche sur Rome permet de comprendre la ennemis du fascisme, qu’il affirme être ceux de
stratégie mise en place par Mussolini pour parvenir l’Italie. Mussolini met ainsi progressivement fin
au pouvoir : au respect apparent de la légalité, elle au système démocratique ; entre 1925 et 1926,
mêle l’action violente, ou tout au moins sa menace. les « lois fascistissimes » concentrent tous les
Le 28 octobre 1922, une grande manifestation de pouvoirs entre ses mains, faisant de l’Italie une
membres du Parti national fasciste marche sur dictature.
Rome. Elle doit montrer la détermination des
fascistes à obtenir le pouvoir, par la force s’il le
faut. Le 29, le roi, Victor-Emmanuel III, propose ÉTUDE
à Mussolini de devenir chef du gouvernement. La démocratie en échec
Le 30, après être entré dans Rome, Mussolini
en Allemagne
se rend auprès du roi pour former un nouveau
❯ MANUEL PAGES 196-197
gouvernement.
Comme les deux études précédentes, celle-ci doit
Cet événement est donc un mélange de légalité
permettre de comprendre la genèse d’un régime
et de force. Légalité, par la manière dont le roi
totalitaire – ici, le régime nazi. Il s’agit donc
propose à Mussolini de devenir chef du gouver-
d’aborder à la fois le contexte dans lequel elle
nement, par son investiture en costume strict et
prend place, les moyens utilisés et les modalités
haut de forme, signe de respect pour le roi, par la
de la prise du pouvoir par Hitler.
transformation, dès 1921, des Faisceaux de combat
en parti politique, le Parti national fasciste. Usage
de la force, car si des membres du PNF siègent au ◗ Document 1
Parlement, ils sont loin d’être majoritaires – et la 1. Qui, selon les parents de l’auteur, est
marche sur Rome est affirmée comme une tenta- responsable de la défaite de l’Allemagne
tive de forcer l’accession de Mussolini au pouvoir. en 1918 ?
Après 1922, Mussolini transforme peu à peu l’Ita- Ce document est extrait d’un ouvrage de souvenirs
lie en dictature – processus achevé en 1926. Le écrits après les faits qu’ils évoquent. Son auteur,
document proposé est un extrait des débats à la Melita Maschmann, est une Allemande qui adhère
chambre des députés de Rome. L’orateur est le dans sa jeunesse à l’idéologie nazie. Elle devient
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

membre de la branche féminine des Jeunesses ◗ Document 1


hitlériennes, la Bund Deutscher Mädel (« Ligue
3. Quels en sont, d’après certains Allemands,
des jeunes filles allemandes ») puis exerce des
les responsables ?
fonctions importantes dans son service de presse.
Pendant la guerre, elle fait partie de l’adminis- Tout d’abord, Melita Maschmann explique que la
tration de la Pologne occupée. Le livre qu’elle crise économique du début des années 1930 n’est
écrit en 1963 montre que, même après la guerre, pas évoquée comme cause de la situation écono-
elle n’a pris conscience que tardivement de la mique et sociale de l’Allemagne. En revanche,
nature du régime nazi. Cet ouvrage est à utiliser certains Allemands en rendent responsables le
avec précaution : bien que s’en défendant, Melita traité de Versailles. Celui-ci, en faisant de l’Alle-
Maschmann cherche à justifier son implication magne le seul responsable du déclenchement de
dans le régime, en mettant en avant sa naïveté, la Première Guerre mondiale, la condamne à l’oc-
le poids de la propagande et son ignorance des cupation de certains de ses territoires, et au paie-
crimes que le nazisme perpétrait alors. ment de réparations. La question des réparations
empoisonne les relations internationales pendant
Dans cet extrait, l’auteur explique la foi de ses toutes les années 1920. L’Allemagne se trouve en
parents dans la théorie du « coup de poignard dans effet incapable de les payer, ou d’effectuer des
le dos ». Il s’agit, pour certains Allemands, d’ex- livraisons suffisantes en nature. Pour les recouvrer,
pliquer la défaite de l’Allemagne en 1918. Pour France et Belgique envahissent la région indus-
eux, les armées allemandes auraient pu être victo- trielle de la Ruhr en 1923, provoquant une grave
rieuses sans la trahison de ceux qui, en novembre crise monétaire. Pour faciliter les conditions de
1918, proclament la république et signent l’armis- paiement, les plans Dawes puis Young réduisent la
tice après avoir chassé l’empereur Guillaume II. dette. Mais la crise économique de 1929 conduit
Il ne s’agit donc pas d’une défaite militaire, mais à la suspension des réparations en 1931. D’autres
d’une décision politique prise pour permettre l’ins- territoires, comme la Sarre ou la Rhénanie, sont
tauration d’une république en Allemagne. Ils justi- occupés par les alliés : ce sont des régions indus-
fient leur théorie par le fait que, au moment de trielles, que l’Allemagne ne recouvre que tardive-
l’armistice, le sol de l’Allemagne n’est pas envahi ment, en 1930 pour la Rhénanie, en 1935 pour la
par les armées ennemies. Sarre. Les vainqueurs de la guerre sont donc, pour
une partie des Allemands, responsables de la crise
économique. Ils en accusent aussi les hommes
◗ Documents 1 et 2 politiques de la république de Weimar : pour eux,
2. Quelle est la situation économique
les partis, attachés à leurs querelles politiciennes,
de l’Allemagne dans les années 1930 ? sont incapables de trouver une solution efficace.
Enfin, Melita Maschmann rapporte aussi la diffu-
L’affiche du NSDAP, réalisée pour les élections sion d’un discours antisémite, qui fait des Juifs
de novembre 1932, met en avant les conséquences des étrangers à l’Allemagne, et les responsables
en Allemagne de la crise économique qui secoue des maux qui l’atteignent.
le monde occidental depuis 1929. Elle montre des
membres du parti nazi, reconnaissables au bras- ◗ Documents 1 et 3
sard que l’un d’entre eux porte au bras, donnant
des outils à une foule de mains tendues. Ce geste, 4. Quels moyens d’action les nazis
doublé d’un slogan simple et percutant, « du travail emploient-ils ?
et du pain », souligne l’importance du chômage Ces deux documents révèlent certains des moyens
et des difficultés quotidiennes d’une partie des que les partisans de Hitler utilisent. Le premier
Allemands. Melita Maschmann reprend la même est la violence. Melita Maschmann évoque l’exis-
idée : elle évoque l’exemple de celui « qui avait tence d’un « combat de rue, entre communistes
perdu son emploi et ne savait plus comment faire et nationaux-socialistes ». Le document 2 montre
vivre sa famille ». Elle montre aussi que cette un défilé de SA (Sturmabteilung, ou « Section
situation économique est la préoccupation majeure d’assaut »). Ces SA, reconnaissables au brassard
des Allemands à cette date. orné de la croix gammée et à l’uniforme qui leur
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

donne leur surnom (« Chemises brunes »), sont italien est donc, à cette date, un modèle pour les
une force paramilitaire au service du parti nazi. dirigeants nazis.
Fondés par Hitler en 1921, les SA sont, comme
les Faisceaux de combat de Mussolini, consti- ◗ Document 2
tués en grande part d’anciens combattants de la
Première Guerre mondiale, de nationalistes ayant 6. Quel argument les nazis utilisent-ils pour
participé à la répression des révolutions socialistes convaincre les électeurs ?
de l’immédiat après-guerre en Allemagne. Ils sont Pour les élections législatives de 1932, les nazis
organisés de manière militaire et, dès le début font de la crise économique qui secoue l’Alle-
des années 1920, font le coup de poing contre magne l’un des pivots de leur propagande. De
les organisations communistes. Interdits en 1923 manière simple, graphique et percutante, cette
pour leur participation au putsch manqué de Hitler affiche lie retour de la prospérité et accession
à Munich, ils sont à nouveau autorisés en 1926. des nazis au pouvoir. Par là, elle suggère que le
Comme les Faisceaux de combat, ils sont utiles NSDAP est au service du peuple allemand – mais,
à Hitler de deux manières. Officiellement service peut-être aussi, par la position des deux groupes
d’ordre du NSDAP, ils permettent de marquer la de bras, que les membres du NSDAP sont supé-
présence du nazisme dans l’espace public, par l’or- rieurs à la masse des Allemands… En revanche,
ganisation de défilés comme celui montré par le rien n’est dit de l’analyse que les nazis font de la
document 2. Ils illustrent la puissance du nazisme, crise, ou des moyens de la surmonter.
sa volonté d’ordre et de discipline, et affirment
l’existence d’un soutien populaire. Ils sont un outil ◗ Document 5
de propagande, qui permet de diffuser les idées
du nazisme. Mais ils sont aussi le bras armé du 7. Montrez que ce décret supprime la démo-
cratie en Allemagne.
parti, par l’organisation d’actions violentes contre
les adversaires politiques des nazis. En Allemagne, ce processus est très rapide. Ce
décret, pris au lendemain de l’incendie du Reichs-
tag – immédiatement attribué aux communistes
◗ Document 4
– est le premier pas dans l’instauration d’une
5. D’après Goebbels, quel est l’objectif dictature. Il intervient moins d’un mois après
de la participation des nazis aux élections ? l’accession de Hitler au poste de chancelier, et
ce de manière légale. En effet, Hitler devient chef
Joseph Goebbels rejoint le NSDAP dès 1922.
du gouvernement allemand le 30 janvier 1933,
Orateur habile et convaincant, il prend en charge
à la demande du président de la république de
la propagande du parti puis du régime nazi. Dans
Weimar, Paul Hindenburg. Comme Mussolini,
cet extrait d’un article tiré du journal nazi Der
Hitler a su se poser en rempart contre l’agita-
Angriff (« L’attaque »), il explique le changement
tion politique et sociale, profitant de la peur que
de stratégie du NSDAP après l’échec du putsch
les communistes, par leur forte progression aux
tenté par Hitler à Munich en 1923. Plutôt que par
élections de novembre 1932, ont suscité dans une
un coup de force, il s’agit de parvenir au pouvoir
part de la société allemande. Fort de nombreux
en participant au jeu démocratique, en présentant
élus au Reichstag, d’un soutien populaire assez
des candidats aux élections législatives régionales
large, il a su obtenir le soutien des conservateurs
et nationales. Mais, dans le même temps, Goebbels
et des milieux d’affaires. L’incendie du Reichstag
réaffirme le rejet par le nazisme de la démocratie
lui apparaît comme une occasion d’affermir son
et de ses valeurs. Il s’agit de profiter du système
pouvoir – même si, à l’inverse de ce que l’on a pu
politique mis en place par la république de Weimar
prétendre, les nazis n’en sont pas responsables.
pour tenter de l’abattre.
L’incendie lui permet de concentrer davantage de
Pour justifier cette stratégie, Goebbels s’appuie sur pouvoirs, tout en montrant sa volonté d’empêcher
l’exemple italien. Il rappelle que Mussolini a suivi tout désordre politique et social. Ici, les libertés
le même chemin : entré au Parlement, cela « ne qui fondent une démocratie sont supprimées –
l’a pas empêché, peu de temps après, de marcher ou plutôt, si l’on suit le texte, des atteintes à ces
sur Rome avec ses chemises noires ». Le régime libertés sont autorisées. La valeur de la loi, comme
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

fondement de l’action politique, est supprimée, Goebbels fait du nazisme « une révolution totale »,
tout comme la séparation des pouvoirs : un décret, qui « a saisi tous les domaines de la vie publique ».
émis par le chef du gouvernement, autorise des Il s’agit de transformer « les rapports des hommes
actes « même au-delà des limites habituellement entre eux, leurs rapports avec l’État et leurs
fixées par la loi ». En quelques mois, ce processus interrogations sur la destinée », au nom « d’une
de démantèlement de la démocratie est achevé : les nouvelle vision du monde » : la prééminence du
élections sont supprimées, les partis autres que le « peuple », c’est-à-dire, pour l’idéologie raciste
NSDAP interdits, et tous les pouvoirs sont réunis des Nazis, la race aryenne.
entre les mains de Hitler.
Enfin, Staline donne au pouvoir soviétique le
même objectif de transformation de l’homme et de
la société : il s’agit d’« éduquer les travailleurs »,
ÉTUDE d’« organiser les masses », de « relever leur culture
Un projet idéologique commun : et leur puissance combative politique ». Ces trans-
formations doivent se faire « dans l’esprit socia-
créer une société nouvelle
liste », « pour le socialisme », « pour la réalisation
❯ MANUEL PAGES 200-201
(…) de l’édification socialiste ».
Dans cette étude, il s’agit pour les élèves d’abor-
der l’un des points communs qui permettent de
◗ Documents 1 et 4
qualifier chacun de ces régimes comme totalitaire.
Ils doivent comprendre que chaque régime défi- 2. Expliquez ce qui doit limiter, d’après
nit son idéologie, quelle qu’elle soit, comme un chaque texte, la liberté de l’homme.
projet que chaque membre de la société doit faire
La liberté individuelle n’est pas, pour les régimes
sien : en créant cet homme nouveau, il s’agit de
totalitaires, une valeur fondamentale. Elle n’a de
bouleverser la société tout entière.
sens pour eux que si elle n’entrave pas la réalisa-
tion du projet idéologique qu’ils définissent : rien
◗ Documents 1, 4 et 5 ne doit pouvoir le remettre en cause.
1. Relevez des citations qui montrent que le Ainsi, Mussolini affirme que le fascisme « exige
fascisme, le nazisme et le stalinisme veulent une discipline, une autorité dominant les esprits
transformer l’homme et la société. pour y régner sans conteste ». Dans ce cadre, les
Chacun de ces textes assigne au régime dont il valeurs démocratiques sont un obstacle, car elles
émane un objectif identique : faire en sorte que donnent à chaque individu une place importante,
chaque individu qui le compose se sente investi au détriment de l’État, cœur de l’idéologie fasciste.
d’une même mission, adhère à la même idéologie. Cette relation entre l’État et l’individu est, pour
Il s’agit donc de le faire se sentir appartenir à la Mussolini, fondamentale : « Le libéralisme met
même communauté, à l’exclusion de toute autre l’État au service de l’individu ; le fascisme réaf-
appartenance : la définition d’un même combat firme l’État comme la véritable réalité de l’indi-
pour chacun doit permettre l’émergence d’une vidu ». La société tout entière doit être au service
société nouvelle, centrée sur un projet idéolo- de l’État : « ni groupements (…) ni individu en
gique commun. dehors de l’État ».
Ainsi, Mussolini affirme que « le fascisme (…) Goebbels affirme la même conception de l’indi-
n’est pas seulement le créateur des lois et le fonda- vidu, ou plutôt de sa soumission à un intérêt supé-
teur des institutions, il est aussi et surtout l’éduca- rieur. Pour le nazisme, il ne s’agit pas de l’État,
teur et le promoteur de la vie intellectuelle. Il veut mais du peuple, de la race aryenne. L’homme,
renouveler (…) l’homme, le caractère, la foi ». avant d’être un individu, est un membre de cette
Il assigne à cet homme nouveau des qualités – race : il doit tout lui sacrifier. C’est ainsi que Goeb-
« un homme actif et donnant à l’action toutes ses bels peut expliquer qu’« aucun individu, quelle
énergies » – permettant d’atteindre le but fixé au que soit sa position, élevée ou modeste, n’a le
fascisme, « réaffirme[r] l’État comme la véritable droit d’user de sa liberté au détriment de la liberté
réalité de l’individu ». de son peuple ».
• 100 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

◗ Documents 1, 2, 3 et 5 totalitaires, dans la mesure où ils s’emploient à


contrôler tous les aspects de la vie d’une société.
3. Quelles doivent être les qualités
C’est ce que montre Goebbels lorsqu’il affirme
de l’homme nouveau ?
que la mise en place du nazisme « a saisi tous les
Au-delà des différences idéologiques, souvent domaines de la vie publique et les a bouleversés
majeures, entre les régimes totalitaires, les mêmes de fond en comble ».
qualités peuvent être assignées à l’homme nouveau
que chacun cherche à créer. Le premier, fondamen- La culture peut être aussi envisagée dans le cadre
tal, est la soumission au projet idéologique : chaque de l’idéologie du régime. Ainsi, le nazisme affirme
régime s’emploie à convaincre de la justesse de ce l’existence d’une race supérieure, la race aryenne,
projet, et de la nécessité à en permettre l’accomplis- et la culture comme l’expression de la spécificité
sement. Dans ce cadre, l’homme nouveau doit être de cette race. Un artiste, s’il est aryen, doit donc,
capable de tout y sacrifier : c’est pourquoi chaque « par nature », produire un art aryen. Enfin, la
totalitarisme exalte l’obéissance, la discipline, le culture peut être vue comme un vecteur de l’idéo-
respect de l’autorité. La réalisation de ce projet est logie, un moyen de montrer à la société son impor-
définie comme un combat : l’homme nouveau doit tance et sa justesse. Staline assigne ainsi au cinéma
donc être fort, actif, prêt à se battre pour la victoire soviétique une valeur éducative, un moyen de
de l’idéologie. Ainsi, Mussolini peut affirmer qu’il mobiliser les Soviétiques autour de l’idéologie
veut l’Italien nouveau « virilement conscient des communiste.
difficultés qui existent et prêt à les affronter », alors
que, pour Staline, il s’agit, en rappelant « aussi ◗ Documents 2 à 5
bien les succès que les difficultés », de mobiliser
les Soviétiques « pour la réalisation (…) de l’édi- 6. Par quels moyens les régimes totalitaires
fication socialiste ». cherchent-ils à diffuser leur idéologie ?
La propagande au service des idéologies des
◗ Document 2 régimes totalitaires se fait par des moyens diffé-
4. Quels sont les moyens visuels utilisés rents. Par la culture, on l’a vu avec le cinéma
pour montrer l’unité et la mobilisation et l’art dans son ensemble. Par l’inscription des
de la population ? œuvres dans l’espace public, également : ainsi, la
Cette affiche est réalisée à l’occasion de « l’Expo- statue d’Arno Breker exaltant à la fois la force,
sition de la révolution fasciste » qui se tient à Rome définie comme un critère de beauté de l’Aryen
en 1933. Elle présente trois personnages aux traits et le rôle du parti nazi est installée dans la cour
identiques, qui expriment tous la même résolution. d’entrée de la nouvelle chancellerie construite
Pour montrer cela, les visages sont simplifiés, dessi- pour Hitler à Berlin (voir également le rôle de
nés à grands traits marqués. Les sourcils sont fron- l’architecture et de l’urbanisme – Histoire des
cés, les bouches résolues, les regards portés dans Arts, pages 216-217 du manuel). La propagande
la même direction. L’alignement strict de ces trois passe aussi par les affiches, largement présentes
visages est renforcé par l’emploi des couleurs de dans l’espace public, qui permettent la diffusion
fond : la limite entre rouge et jaune définit une ligne des mots d’ordre et des idées des régimes (voir la
qui reprend la même direction que les regards. La Méthode, pages 220-221, consacrée aux affiches
conjonction de ces moyens visuels, l’insistance sur de propagande). Le document 2 montre aussi le
l’identique et sur la résolution permettent d’affirmer recours à des événements mis en scène pour exal-
l’unité et la mobilisation de la population. ter et mobiliser : il s’agit ici d’une exposition,
mais l’on peut aussi évoquer les grands rassem-
blements régulièrement organisés dans les régimes
◗ Documents 3, 4 et 5
totalitaires. Enfin, la présence de Goebbels lors de
5. Montrez que, pour les totalitarismes nazi l’ouverture de la Maison de la culture du Reich en
et stalinien, l’idéologie doit aussi s’exprimer 1933 montre l’importance des structures permet-
dans la culture. tant d’encadrer, d’un point de vue idéologique,
L’expression de l’idéologie dans la culture trouve les activités des populations, même lorsqu’elles
sa source d’abord dans la nature même des régimes ne sont pas directement politiques.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 101 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

ÉTUDE d’action. Staline considère en effet que le socia-


lisme en URSS est menacé par les capitalistes, à
L’URSS de Staline : transformer l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Pour lui,
l’économie et la société construire une économie de type socialiste permet
❯ MANUEL PAGES 202-203 à la fois d’extirper le capitalisme dans le pays, de
Cette étude s’attache à expliquer comment Staline, donner les moyens à l’URSS de se développer et
après avoir éliminé ses adversaires au sein du Parti de parvenir à l’autosuffisance, donc de supprimer
Communiste, s’emploie à mettre en œuvre l’idéo- tout dépendance à l’égard de l’étranger capitaliste.
logie communiste en lançant le « Grand Tour-
nant ». Il s’agit d’étudier les moyens utilisés, les ◗ Documents 1 et 2
conséquences sur la production et les réactions 3. Montrez que cette affiche tient
des populations concernées. le même discours que Staline sur les objectifs
de la politique économique.
◗ Documents 1 et 5 Le régime soviétique a fréquemment recours aux
1. Quelles transformations économiques affiches de propagande. Elles sont un moyen d’indi-
l’URSS a-t-elle connues entre 1928 et 1932 ? quer ses projets, de vanter ses réalisations et de mobi-
2. Montrez que les choix de Staline sont liser la population autour de mots d’ordre précis.
inspirés par l’idéologie communiste.
L’affiche présentée ici date de 1929, au début du
Staline entend moderniser l’économie du pays.
« Grand Tournant ». Elle est une vision de ce que
Cela signifie d’abord industrialiser l’URSS. En
doit permettre la mise en œuvre de cette politique,
effet, lorsque les Bolcheviks lancent la Révolution
telle qu’elle est définie par Staline. Elle présente
d’octobre, la Russie est un pays essentiellement
les deux axes du premier plan quinquennal : l’in-
agricole : l’industrie n’est que faiblement déve-
dustrialisation du pays et la modernisation de son
loppée. Le régime tsariste a pu sembler vouloir
agriculture. Pour cela, deux vues sont proposées.
lancer cette industrialisation – c’était le but avoué
La première, en haut de l’affiche, présente des
des emprunts russes proposés à la fin du XIXe
campagnes prospères, couvertes de céréales fraî-
siècle – mais l’industrie russe n’est en aucune
chement moissonnées. La seconde, en bas, décrit
manière capable en 1917 de concurrencer l’in-
une ville affairée, hérissées de cheminées d’usines,
dustrie européenne. Pour financer cette industria-
où des ouvriers construisent des machines agri-
lisation et nourrir les ouvriers, Staline cherche à
coles. Mais l’élément majeur qui donne un sens
accroître la production agricole afin de dégager des
précis à cette affiche est le lien qui unit ces deux
surplus. Pour lui, cela passe par la collectivisation
mondes. Il est symbolisé par les lignes de chemin
des campagnes : l’ensemble des terres agricoles
de fer et les convois qui les empruntent : le premier,
doit passer entre les mains de l’État (sovkhozes)
à gauche, transporte des céréales vers la ville – le
ou des paysans organisés collectivement (kolk-
déchargement des sacs est représenté sur le bord
hozes). Cette nouvelle organisation doit permettre
gauche de l’affiche ; le second convoi, à droite,
une rationalisation de la production par le recours,
transporte vers la campagne des machines agri-
à grande échelle, de machines agricoles, d’intrants
coles – dont on voit le chargement sur un wagon en
chimiques… que doit permettre l’industrialisation
bas et à droite de l’affiche. Il s’agit donc d’exalter
du pays. Pour la propagande stalinienne, agriculture
l’union, la solidarité entre monde ouvrier et monde
et industrie ne peuvent que se développer de pair.
agricole, qui permet le développement simultané
Cette politique est inspirée par l’idéologie commu- de l’agriculture et de l’industrie.
niste, mais doit aussi permettre de la défendre.
En effet, la collectivisation, la nationalisation et
le développement conjoint des outils de produc-
◗ Documents 2, 3 et 5
tion, agricoles comme industriels, ont pour but 4. Quels domaines de la production ont
de supprimer la propriété privée, base du capita- connu un vrai succès ? Au détriment de
lisme, et d’unir ouvriers et paysans. Il s’agit donc quel autre domaine ? Justifiez votre réponse.
à la fois de supprimer les différences de classes L’analyse comparée de ces trois documents montre
sociales et de retirer aux capitalistes tout moyen que si le secteur industriel connaît un véritable
• 102 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

essor à l’issue du premier plan quinquennal, cachent du blé, ce n’est pas pour se nourrir, mais
c’est au détriment de l’agriculture. C’est ce que pour affaiblir ouvriers et soldats, éléments les plus
montrent les chiffres des principales productions précieux du régime. Voilà pourquoi Staline fait
exposés dans le document 5 – chiffres qui restent de ces tentatives des actes de guerre, qu’il faut
souvent des reconstructions par les historiens, le réprimer au plus vite. Pour cela, le GPU organise,
régime soviétique publiant la plupart du temps, sur ordre de Staline, des réquisitions à l’occasion
pour les besoins de la propagande, des résultats de véritables opérations armées : puisqu’il s’agit
flatteurs mais peu fiables. La production annuelle d’un combat pour la survie du pouvoir soviétique,
moyenne, dans le secteur de l’industrie, double la violence est justifiée.
ainsi entre le premier et le second plan quinquen-
nal, alors que la production agricole régresse légè-
rement. Cet écart révèle les priorités du régime ÉTUDE
stalinien : le développement industriel, et plus
particulièrement celui de l’industrie lourde, doit Racisme et antisémitisme nazis
❯ MANUEL PAGES 204-205
passer avant tout.
Cette étude aborde l’idéologie nazie, fondée sur
◗ Documents 3 et 4 une vison raciste du monde. Elle explique la mise
en place de mesures destinées à séparer radica-
5. Comment réagissent les paysans lement ceux que Hitler définit comme membres
d’après les textes ? Pourquoi ? de la race supérieure, les Aryens, des Juifs, qu’il
La collectivisation et la priorité donnée à l’in- considère comme une race inférieure et impure.
dustrialisation provoquent de fortes résistances
dans la population agricole. En effet, les paysans ◗ Document 1
reprochent au pouvoir communiste de ponction-
1. Comment Hitler définit-il les Aryens ?
ner une trop grande partie de leur production
2. Comment définit-il les Juifs ? Pourquoi,
pour nourrir les villes, plus particulièrement les
d’après Hitler, constituent-ils un danger
ouvriers, considérés comme prioritaires pour pour le peuple allemand ?
renforcer l’URSS. En filigrane, on peut aussi
deviner l’effondrement de la production agri- Mein Kampf (« Mon combat ») est un ouvrage
cole due à la désorganisation provoquée par la rédigé par Hitler en 1924, pendant la courte
collectivisation, effectuée à marche forcée. Ces période d’emprisonnement qui suit la tentative
éléments sont pudiquement désignés comme des de putsch organisée à Munich en 1923. Il y fixe
« difficultés alimentaires » par l’auteur du rapport les fondements de l’idéologie qui détermine les
de la GPU. Plus que des difficultés, il s’agit des principaux axes de la politique du régime nazi.
débuts de la famine meurtrière qui, dès 1930, Pour Hitler, les hommes appartiennent à des
ravage l’URSS, et surtout l’Ukraine. Confron- races différentes, entre lesquelles il établit une
tés aux réquisitions, les paysans s’efforcent de hiérarchie. À son sommet, les Aryens : dans cet
cacher une partie de leur production pour leur extrait, ils sont présentés comme le seul peuple
propre usage, situation qu’évoque Cholokhov créateur, à l’origine de tous les progrès humains.
dans la lettre qu’il adresse à Staline. Ils sont donc « destinés » à dominer les autres
hommes. À l’inverse, les Juifs. Pour Hitler, ils sont
◗ Document 4 aussi une race, mais une race incapable de créer,
une race qui ne peut survivre qu’en s’emparant
6. Comment les difficultés économiques des biens des autres. Mein Kampf, et l’idéologie
sont-elles expliquées par le pouvoir qui en découle, développent tout un vocabulaire
communiste ? Comment réagit-il ? déshumanisant destiné à faire des Juifs un objet
Le régime soviétique explique ces difficultés de haine : ils sont des « parasites », incapables de
par l’action des ennemis du communisme. Pour sentiments humains comme le courage ou la frater-
Staline, la collectivisation ne peut être en cause : nité, porteurs d’un virus mortel pour les autres
le principe est bon, sa mise en œuvre perturbée races. En effet, Hitler affirme qu’en vivant au
par des tenants du capitalisme. Si les paysans milieu des Aryens, en se mêlant à eux, ils dégra-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 103 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

dent peu à peu leurs qualités « naturelles ». Hitler, les autorisant à « pavoiser aux couleurs juives »,
dans de longs passages violemment antisémites, les lois de Nuremberg suggère l’existence de deux
fonde la vigueur et la puissance de la race aryenne nations, définies par le sang, dont les membres
sur la pureté de son sang : il s’agit de le préserver ne peuvent en aucun cas se confondre. Les mots
du contact avec celui des races inférieures, pour employés par le régime ont donc un sens parti-
éviter de l’affaiblir. culier : ils véhiculent l’antisémitisme du régime
nazi. Pour une étude approfondie de l’usage de la
◗ Document 2 langue comme outil de propagande dans le régime
nazi, lire l’ouvrage de Victor Klemperer, LTI, la
3. Quelle image de la famille allemande langue du Troisième Reich, carnets d’un philo-
ce calendrier veut-il transmettre ?
logue, 1947.
Neues Volk (« Peuple nouveau ») est un périodique
de propagande édité par le NSDAP. Il est animé par
◗ Documents 3, 4 et 5
l’Office de la politique raciale de ce parti, chargé
dès 1933 de diffuser les idées racistes et antisé- 5. Montrez que les décisions nazies évoquées
mites du nazisme dans la population allemande. par ces documents ont pour but d’exclure
Le document est la première page d’un calendrier les Juifs de la vie économique et sociale de
émis par ce périodique, calendrier dont le tirage l’Allemagne.
a pu atteindre 750 000 exemplaires. Dès l’arrivée de Hitler au pouvoir, le régime nazi
L’image de la famille allemande que cette image met en place des mesures antisémites. Le 1er avril
veut transmettre est conforme à la vision qu’en 1933, le NSDAP organise dans toute l’Allemagne
donne l’idéologie nazie. D’abord, il s’agit d’une une campagne de boycott des commerces juifs.
famille visiblement aryenne : l’image insiste sur Mise en œuvre par la SA, cette campagne vise à
la blondeur des personnages, sur le classicisme désigner les Juifs, à dénoncer leur prétendue domi-
de leur beauté, sur la force physique de l’homme. nation sur la vie économique, et à provoquer la
Ensuite, par la présence d’un enfant dans les bras vindicte des autres Allemands. Elle consiste à placer
de la femme, il s’agit de rappeler l’un des impéra- des affiches et des membres du NSDAP devant
tifs énoncés par Hitler : perpétuer la race. Enfin, les commerces tenus par des Juifs, pour dissua-
par la disposition des personnages, le rôle de der quiconque d’y pénétrer. Cette politique antisé-
chacun est suggéré : l’homme domine et protège, mite prend un tour officiel en septembre 1935. Une
la femme enfante. À droite, la présence d’un aigle, série de lois et de décrets, désignés sous le terme
les ailes déployées, intègre le régime nazi dans commun de lois de Nuremberg, définit par la filia-
cette définition d’une famille aryenne idéale. tion la qualité de Juif. Elles privent les Juifs de la
citoyenneté allemande et des droits qui lui sont atta-
◗ Documents 4 et 5 chés. Elles les excluent de certaines professions, en
particulier celles qui peuvent les mettre en contact
4. D’après ces documents, les Juifs sont-ils avec des Aryens. Enfin, elles interdisent mariages
considérés comme des Allemands ? Justifiez. et relations sexuelles entre Juifs et Aryens. Il s’agit
L’étude du vocabulaire employé par le régime donc de limiter au maximum tout contact entre
permet de comprendre que l’idéologie nazie population juive et population aryenne. C’est ce
cherche à affirmer une différence radicale entre les que montre l’illustration tirée du livre pour enfant
Juifs et les Allemands. Il s’agit de diffuser l’idée écrit par Elvira Bauer en 1936 : le panneau au centre
selon laquelle les Juifs ne peuvent être, en aucune de l’image interdit aux Juifs l’entrée à un espace
manière, des Allemands – car être Allemand ne de loisirs fréquenté par des Aryens. Edictées en
signifie pas, pour Hitler, être citoyen de l’Alle- novembre 1938, au lendemain de la Nuit de Cris-
magne, mais appartenir à la race aryenne. Ainsi, le tal, les ordonnances présentées dans le document 4
document 4 distingue les Juifs des « sujets de sang renforcent cette séparation. Elles veulent priver les
allemand ». Le document 5 reprend cette distinc- Juifs de toute indépendance économique en interdi-
tion, en incitant les Allemands à ne pas acheter sant la possession d’une entreprise. Elles suggèrent
chez les Juifs. De la même manière, en interdisant aussi l’existence de cultures définies par la race,
aux Juifs de hisser le drapeau allemand, mais en en interdisant aux Juifs d’assister à toute activité
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

culturelle allemande – sauf à celles que l’idéologie son action. Ian Kershaw, dans son Hitler, montre
définit comme juives. que l’administration nazie fonde ses décisions sur
une interprétation de ce principe : « travailler en
◗ Documents 2 à 5 direction du Führer », c’est agir en fonction de
ce que l’on pense être la volonté de Hitler, et ce
6. Par quels moyens le régime nazi même si elle n’est pas exprimée.
diffuse-t-il cette idéologie antisémite ?
La propagande antisémite du régime nazi utilise de ◗ Documents 2 et 4
nombreux supports, de la photographie à l’affiche,
du cinéma au livre pour enfant, de l’usage de la 2. Quelles sont les qualités prêtées à Staline ?
langue aux œuvres d’art. Il s’agit, pour le minis- À Mussolini ?
tère de la Propagande dirigé par Joseph Goebbels, Ces deux documents insistent sur la supériorité
de diffuser par tous les moyens possibles les mots de Staline et de Mussolini. Dans ces régimes tota-
d’ordre du régime. L’importance de la propagande litaires, toutes les qualités leur sont prêtées : ils
est affirmée par Hitler dans Mein Kampf : il en sont des chefs victorieux, volontaires, sages, sans
fait un support fondamental de toute action poli- autre ambition que la puissance, le bonheur et
tique, axée davantage sur l’émotion et le sentiment la prospérité de leur peuple. Plus qu’une qualité
que sur une analyse nuancée (« Voici l’essentiel : particulière, la propagande exalte l’évidence de
action sur la grande masse, limitation à quelques leur position : ils sont chefs parce qu’ils ne peuvent
points peu nombreux constamment repris ; emploi que l’être.
d’un texte concis, concentré, su par coeur et procé-
dant par formules affirmatives ; maximum d’opi- ◗ Documents 2, 3 et 4
niâtreté pour répandre l’idée, patience dans l’at-
tente des résultats. ») 3. Quels sont les pouvoirs d’Hitler ?
De Mussolini ? De Staline ?
4. D’après ces documents, quelles
conséquences a l’action du chef sur
ÉTUDE
l’état d’esprit de la population ?
Le culte du chef 5. Quelle doit être l’attitude de
la population envers lui ?
❯ MANUEL PAGES 208-209
Staline, Mussolini et Hitler sont principalement
Il s’agit de comprendre comment et pourquoi
définis comme des chefs, comme ceux qui diri-
chaque régime totalitaire donne du chef l’image
gent, qui guident le peuple. En URSS, Staline
du seul dépositaire de la volonté, des désirs et de
est le « leader de la patrie » : il est à l’origine de
l’amour du peuple.
la prospérité du pays, il est l’initiateur de toutes
ses transformations (« ton nom figure sur chaque
◗ Document 3 usine, sur chaque machine, sur chaque lopin de
1. Comment Hitler définit-il les masses ? terre… »). Hitler se définit lui-même comme un
Qui est le personnage évoqué au début penseur, un « génie », un « pionnier » qui montre
du discours, et comment le définit-il ? aux autres le chemin à suivre. Dans cette optique,
Hitler établit une hiérarchie marquée au sein de il a la haute main sur tous les aspects de la vie en
la population. Il oppose de manière marquée les Allemagne : c’est le sens que l’on peut donner à
masses et le chef. Pour lui, seul le chef possède la notion de Führerstaat. Mussolini, lui, est décrit
les qualités de réflexion et d’action qui permettent comme un sauveur, qui guide avec amour, mais
« tout progrès humain ». À l’inverse, les masses sait « être dur » et agir « sévèrement ».
ne pensent pas : elles doivent être menées et obéir Ces trois documents affirment que l’action du chef
au chef – ce dont, d’après Hitler, les Allemands est accueillie avec joie – voire soulagement – par
sont conscients. Cette idée, profondément antidé- les populations. Pour Hitler, le peuple est heureux
mocratique, est celle du Führerprinzip : le chef a et se sent en sécurité. Le peuple italien, après avoir
pleine autorité, et les masses, reconnaissant son appelé Mussolini à son poste, est « fort, prospère,
« génie », doivent adhérer à ses idées et faciliter grand et libre ». La manière dont ces documents
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 105 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

décrivent l’état d’esprit de la population explique personnages. Hitler est quasiment seul d’un côté
de façon apparemment logique l’attitude qu’elle de la table, face aux membres du NSDAP. Cette
adopte. Il s’agit à la fois d’amour, de reconnais- place à part ne coupe pas le chef de la population.
sance et d’obéissance. Au contraire, une proximité est mise en scène.
Pour compléter l’étude de ces documents, il est Le géant Staline se tient au milieu du peuple
fondamental de rappeler aux élèves leur nature : en armes. Hitler est à portée de mains – mais
il s’agit d’œuvres de propagande. La réalité, telle personne n’ose esquisser un geste. Enfin, cette
que les historiens la reconstruisent, a été bien plus proximité, avec Mussolini, devient une fusion :
complexe. S’il est vrai que les populations de ces il est montré comme la tête d’un corps composé
trois régimes ont pu adhérer à cette mystique du du peuple italien. Cette image du chef est renfor-
chef, cette attitude a pu évoluer, dans le temps cée par les slogans : tous affirment l’adhésion
comme dans l’espace. Par exemple, dans les du peuple.
années 1930, Staline est largement détesté dans Ces images sont toutes une mise en scène minu-
les campagnes en raison des atrocités de la collec- tieuse des rapports entre le chef et la population.
tivisation : son prestige sera bien plus grand après Les affiches soviétique et fasciste mêlent photo-
la Seconde Guerre mondiale. Si la popularité de montages et dessins. La photographie nazie peut
Mussolini ou de Hitler est plus importante, elle sembler plus spontanée : des tasses, des couverts
s’accompagne aussi de commentaires, voire de sur la table soulignent l’idée d’une rencontre
critiques. L’enthousiasme varie aussi selon les impromptue. Pourtant, cette photographie est à
décisions : en Allemagne, le rejet du Traité de l’évidence composée avec soin : les regards tous
Versailles ou le plein emploi sont accueillis avec tournés vers Hitler, la muraille humaine – qui
ferveur, mais les attaques contre les Eglises ou suppose des gradins pour la soutenir – ainsi que le
les tentatives d’élimination des handicapés provo- côté de la table tourné vers le photographe oppor-
quent l’hostilité – et, parfois, le recul momentané tunément vide d’hommes soulignent le caractère
du régime (voir Ian Kershaw, L’opinion allemande posé de la scène.
sous le nazisme, Bavière 1933-1945).

◗ Documents 1 à 6 ÉTUDE
6. Par quels moyens les régimes totalitaires L’encadrement de la jeunesse
diffusent-ils l’image du chef ? ❯ MANUEL PAGES 210-211
Comme pour l’idéologie, toutes les ressources de Il s’agit ici de comprendre comment les régimes
la propagande sont utilisées pour diffuser cette totalitaires s’emploient à encadrer et mobiliser
image du chef. Ici sont présentés des affiches, un les sociétés. Le cas des organisations de jeunesse
article de journal, un discours, une photographie est particulièrement pertinent : gagner les plus
et un ouvrage édité par le parti unique. Le point jeunes à l’idéologie proclamée doit permettre de
commun de tous ces documents est d’avoir été construire, à terme, l’homme nouveau dont rêve
réalisés sous le contrôle minutieux des organes du chacun de ces régimes.
régime : il s’agit de construire une image contrô-
lée, précisément définie pour obtenir l’effet le ◗ Documents 1 à 6
plus important.
1. Quelles sont les organisations de jeunesse
créées par chaque totalitarisme ? Quel est
◗ Documents 1, 5 et 6 l’âge des enfants concernés ?
7. Pour chaque image, expliquez quels sont Chaque régime totalitaire crée un système d’enca-
les moyens visuels utilisés pour mettre en drement de la jeunesse, qui comporte différentes
scène la supériorité du chef et sa relation organisations, définies par l’âge de leurs membres.
à la population. Ainsi, en URSS, les enfants de 10 à 14 ans font
D’abord, le chef occupe une place à part, supé- partie des Pionniers ; après 15 ans, ils rejoignent
rieure. Staline et Mussolini sont représentés hors les Komsomols. Dans l’Italie fasciste, l’Œuvre
d’échelle, beaucoup plus grands que les autres nationale Balilla regroupe les Fils de la Louve de
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Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

4 à 8 ans, puis les Balilla jusqu’à 14 ans, et les ◗ Documents 2, 3 et 5


Avanguardisti jusqu’à 18 ans. Dans l’Allemagne
nazie, les enfants de 10 à 14 ans sont des Jeunes du 4. D’après chacun de ces documents,
peuple, puis deviennent, jusqu’à 18 ans, membres quel doit être l’objectif premier
des organisations de jeunesse ?
de la Jeunesse hitlérienne.
Cet objectif est commun à tous les régimes tota-
Certaines sont obligatoires, comme la Hitlerju-
litaires : permettre une éducation politique, qui
gend à partir de 1938, ou considérées comme n’ac-
entraîne l’adhésion à l’idéologie. Il s’agit donc de
cueillant que les plus engagés, comme celles de
mobiliser dès le plus jeune âge, de soumettre les
l’URSS. Elles concernent les filles comme les
esprits : cela explique l’importance des pratiques
garçons – même si le nom des branches fémi-
qui permettent d’intégrer à une communauté, d’ef-
nines peut être différent : ainsi en Allemagne, la
facer les particularités.
Bund Deutscher Mädel (« Ligue des jeunes filles
allemandes »).
◗ Documents 3 et 4
◗ Documents 1, 3, 4 et 6 5. Quels aspects de l’idéologie du régime
stalinien sont enseignés à la jeunesse
2. Montrez l’importance des activités soviétique ? Par quels moyens ?
et des cérémonies collectives
dans ces organisations de jeunesse. Les membres des Jeunesses communistes sont
considérés comme un fer de lance, une avant-
Une majorité des documents iconographiques garde qui doit permettre de diffuser l’idéolo-
représentant ces organisations de jeunesse les gie du régime parmi la population. Ils doivent
montre participant à des activités collectives. Ici donc maîtriser l’idéologie marxiste-léniniste,
sont présentées une réunion politique, un défilé mais aussi être capables de diriger des groupes
à la gloire du régime et de son chef, une parade d’autres jeunes, d’influer sur leurs pratiques et
militaire. L’aspect collectif est fondamental pour leurs loisirs. Le document 3 insiste sur l’alpha-
ces régimes : créer un homme nouveau, c’est le bétisation et la diffusion de l’athéisme, alors
faire se sentir appartenir à une communauté tour- que le document 4 montre sa participation au
née vers un même objectif, vers un même projet culte du chef.
idéologique.

◗ Documents 1 et 2
◗ Documents 1, 4 et 6
6. Quels aspects de l’idéologie nazie
3. Comment l’appartenance sont enseignés à la jeunesse allemande ?
à un même groupe est-elle affirmée ? Par quels moyens ?
Elle passe d’abord, on l’a vu, par la participation Conformément à l’idéologie nazie, les jeunes Alle-
à des activités communes. Elle est aussi affirmée mands doivent se sentir appartenir à une commu-
par l’adoption d’un uniforme, souvent calqué nauté fondée sur le sang, à une race supérieure.
sur ceux des organisations d’adultes. Ainsi, les Cela passe par un endoctrinement politique : le
Jeunesses hitlériennes portent la chemise brune document 1 montre ainsi une lecture collective du
des SA, les membres de l’Œuvre nationale Balilla Stürmer, journal violemment antisémite fondé et
la chemise noire du Parti national fasciste. Ces dirigé par Julius Streicher. Celui-ci eut aussi une
uniformes sont d’inspiration paramilitaire, et activité éditoriale, parfois tourné vers la jeunesse :
rappellent l’importance de la hiérarchie et de il publia ainsi le livre pour enfants écrit et illus-
l’obéissance. Ils peuvent être accompagnés du tré par Elvira Bauer dont une page est reproduite
symbole du régime. Les Jeunesses communistes dans le document 3 p. 205. L’encadrement des
se distinguent des autres jeunes par le port, à garçons et des jeunes hommes est largement para-
l’école, d’un foulard rouge. Sur le document militaire, fondé sur l’obéissance et l’entraînement
proposé, ils arborent aussi l’étoile rouge à cinq physique – les jeunes filles sont davantage incitées
branches. à apprendre à devenir de bonnes mères de famille.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 107 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

◗ Documents 5 et 6 ◗ Document 1
7. Quels aspects de l’idéologie fasciste 3. Quelles sont les autres catégories de
sont enseignés à la jeunesse italienne ? la population visées par l’Allemagne nazie ?
Par quels moyens ?
Le régime nazi assimile opposition à l’idéologie
Comme pour l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et délinquance. La critique, les « remarques déso-
veut développer les aptitudes physiques et mili- bligeantes » sur le régime, sa politique et ses chefs
taires de sa jeunesse. Il s’agit de former de futurs sont punies, comme les marques d’attachement
soldats, habitués à l’obéissance et au respect de à la démocratie ou au communisme. Dachau sert
la hiérarchie, tout en justifiant cette éducation donc de lieu d’enfermement à tous ceux que le
par le projet fasciste : faire de l’Italie une puis- régime considère comme opposants au nazisme.
sance. Cet aspect est illustré par le document 6, On constate donc l’existence de deux catégories
qui montre des enfants de 4 à 8 ans « jouer » à d’ennemis désignés par le nazisme : ceux qui se
être de parfaits soldats. définissent par leur engagement politique contre
lui, mais aussi ceux qui se définissent par leur exis-
tence même, par le simple fait d’être né, les Juifs.
ÉTUDE
L’URSS de Staline et l’Allemagne ◗ Document 5
nazie : des régimes de terreur 4. Qui est considéré comme un ennemi
❯ MANUEL PAGES 212-213 en URSS ? Pour quelle raison ?
Cette étude doit permettre aux élèves de diffé- En URSS, les ennemis sont définis par leur anti-
rencier l’attitude des régimes totalitaires face à soviétisme supposé. Cette désignation recouvre
la violence, et le but qu’ils lui assignent. Il s’agit des catégories différentes. Les ex-koulaks sont, à
d’abord de comprendre que Mussolini, bien qu’il l’origine, des paysans propriétaires plus ou moins
en exalte l’usage, la pratique en définitive assez aisés. Rapidement, ils sont soupçonnés par le
peu. Il faut surtout mettre en relief la spécificité régime de s’opposer à sa politique économique,
radicale, à cet égard, de la violence nazie. en particulier à la collectivisation. Propriétaires, ils
ne peuvent qu’être attachés au capitalisme et, par
◗ Document 2 là, un danger pour la construction communiste. On
trouve aussi des membres du Parti communiste.
1. Quel est l’ennemi désigné par le nazisme ? Accusés d’être antisoviétiques, ils ont souvent le
Pourquoi, d’après ce document ? tort, aux yeux de Staline, d’être des opposants en
2. Quels sont les moyens utilisés puissance – c’est en particulier le cas des commu-
pour le dénoncer ?
nistes qui, par leur participation à la Révolution
L’ennemi, ici, est celui qui ne considère pas le d’octobre aux côtés de Lénine, ont acquis une légi-
salut de la race supérieure comme un but essen- timité et un prestige dont Staline prend ombrage.
tiel. Il s’agit d’un jeune homme, considéré comme Entre 1936 et 1938, Staline organise ainsi purges
un Aryen, en couple avec une jeune femme juive. et grands procès pour s’en débarrasser, à grands
En poursuivant cette relation, il devient, pour le renforts de propagande.
régime nazi, un traître, un complice des Juifs
que l’idéologie dénonce comme acharnés à la ◗ Document 3
perte de la race aryenne. Un aspect intéressant
de ce document est de montrer que ce type de 5. Qu’est-ce que la Nuit de cristal ? Montrez
relations est dénoncé avant leur interdiction offi- que, pour l’auteur, ces violences ne sont pas
cielle par la promulgation des lois de Nuremberg, spontanées, mais menées par les autorités
en septembre de la même année. Pourtant, ce sont nazies.
deux gendarmes, et non des membres du NSDAP Il s’agit d’un pogrom, appelé ainsi en raison du
qui encadrent le couple. Le « crime » est mis verre jonchant les rues devant les vitrines des
en scène : l’objectif est à la fois l’humiliation et magasins juifs saccagés. Le prétexte en fut l’as-
l’avertissement. sassinat, à Paris, d’un membre de l’ambassade
• 108 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

allemande par un jeune Juif polonais. Si les actes sition au régime. Il s’agit donc de déshumaniser
de la nuit du 8 au 9 novembre ne sont pas directe- les prisonniers, en leur refusant tout libre arbitre
ment ordonnés par Hitler, les discours violemment dans les actes quotidiens.
antisémites, l’inaction de la police poussent les
chefs locaux du NSDAP à attaquer les Juifs et leurs
biens. La violence est extrême : des centaines de
synagogues incendiées ou détruites, des milliers
de commerces et d’appartements ravagés. Les HISTOIRE DES ARTS
Juifs sont violentés, parfois assassinés. Cette nuit
de fureur plus ou moins orchestrée fut immédia- Urbanisme, architecture
tement suivie de mesures décidées par le régime, et totalitarisme en Italie
extrêmement sévères pour les Juifs : déportation
❯ MANUEL PAGES 216-217
de 30 000 d’entre eux, exclusion de la vie écono-
mique et sociale (doc. 4b p. 205). Il s’agit de comprendre, au travers du cas de l’Italie
fasciste, comment les régimes totalitaires mettent
◗ Documents 1, 3, 4 et 5 l’architecture et l’urbanisme au service de leur
idéologie et de leur politique.
6. Quel est le sort réservé à ceux
qui sont définis comme ennemis en URSS ?
Dans l’Allemagne nazie ? ◗ Présenter les œuvres d’art
Tous sont soumis à la violence, voire à la mort.
En URSS, les ennemis du régime sont condamnés 1. Pour chaque document, présentez
au goulag. Ce système concentrationnaire, aux les œuvres architecturales évoquées.
difficiles conditions de vie, doit leur permettre Le premier document est un tableau qui s’ins-
de se rééduquer par le travail et de participer à la crit dans la lignée du futurisme. Il surimpose un
construction du communisme – par la réalisation portrait de Mussolini, coiffé d’un casque d’avia-
de grands travaux. Au plus fort des purges, entre teur, à une vue du centre de Rome. Les œuvres
1936 et 1938, Staline tente d’éliminer ceux qui, architecturales sont donc anciennes : des bâti-
par leur passé de capitaliste, par leurs opinions ments antiques (Colisée, Forum…) ou Renais-
réelles ou supposées, sont soupçonnés d’être un sance (palais de Venise, construit au milieu du
danger pour l’URSS. Dans l’Allemagne nazie, XVe siècle, le dôme de Sainte-Marie-de-Lorette,
outre l’humiliation (document 2) et les explosions à gauche de la place de Venise, érigé au début
de violence (document 3), le régime organise aussi du XVIe siècle). Le monument dédié à Victor-
un système concentrationnaire, dont le premier Emmanuel II, achevé au début du XXe siècle,
camp est Dachau (voir document 2 p. 191). Il est très peu visible, caché par le menton de
faut néanmoins distinguer camps nazis et camps Mussolini.
soviétiques : l’objectif du système concentration-
naire sera, quelques années plus tard, radicalement Le document 3 présente une vue partielle du Foro
différent. Il s’agira alors d’éliminer une population Mussolini (aujourd’hui Foro italico), construit
entière, des plus jeunes aux plus âgés, par une mort au nord de Rome à la fin des années 1920. Son
immédiate ou différée (épuisement au travail). architecture est inspirée de l’Antiquité (colonnes,
statues, niches…) mais traitée de manière moderne
◗ Document 1 (formes géométriques simplifiées, pans de murs
quasi vides, contrastes des matériaux et des
7. Montrez que les prisonniers n’ont aucun couleurs…). Le palais de la Civilisation italienne,
droit. présenté par le document 4, est traité de la même
Dans ce règlement, toute manifestation de volonté, manière : son architecture reprend le motif clas-
tout signe d’indépendance est considéré comme sique de la colonnade et de l’arc en plein cintre,
un crime dont le seul châtiment est la mort : le mais de manière très géométrisée (pas de rupture
refus d’une obéissance absolue et immédiate aux entre la colonne et l’arc, absence de chapiteaux,
SS est plus grave que l’expression d’une oppo- de cannelure…).
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 109 •
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

◗ Analyser les œuvres d’art Mussolini, s’il permet l’entraînement sportif, est
aussi conçu comme un lieu de démonstration : les
2. Quels sont les lieux de la ville de Rome
mis en valeur ?
statues et les gradins qui l’entourent en font un
espace où donner à voir la puissance du fascisme.
Le tableau établit une relation forte entre deux Enfin, l’EUR est construit comme une vitrine du
types de lieux : ceux hérités de l’Antiquité fascisme : il conçu pour une Exposition univer-
romaine, et ceux investis par le régime fasciste. selle prévue pour 1942, date anniversaire de la
Dans le premier cas, il s’agit de bâtiments emblé- marche sur Rome, dont la guerre empêchera la
matiques du centre de Rome : le Colisée, l’arc tenue. Devant le palais s’étend aussi un large
de triomphe de Constantin, le Forum romain, la espace, mi-place, mi-avenue, qui doit permettre
basilique de Maxence et Constantin. Les lieux l’organisation de défilés.
du fascisme sont le Palais de Venise, lieu de rési-
dence de Mussolini, et la place de Venise, où sont 6. Par quels moyens un lien est-il établi
organisées des cérémonies de masse : Mussolini entre le fascisme et l’Antiquité romaine ?
s’adresse à la foule depuis le balcon du palais. La Ce lien est d’abord spatial : la Via dell’Impero
Via dell’Impero est mise en valeur : elle établit un proclame la filiation entre l’Empire et l’Ita-
lien entre le Colisée et la place de Venise, entre lie fasciste. Il est aussi stylistique : le fascisme
l’Antiquité et le fascisme. s’inspire ouvertement des codes architecturaux de
l’Antiquité, jusqu’à s’efforcer de construire, avec
3. Pourquoi peut-on dire que ce bâtiment
l’EUR, une nouvelle Rome. Enfin, le fascisme
fait référence à l’architecture de l’Empire
romain ? affirme s’inspirer des pratiques romaines : c’est
ce que montre l’insistance sur la pratique sportive
Ce palais est, on l’a vu, d’une architecture qui dans un stade entouré de statues d’athlètes nus, à
reprend les codes de l’architecture romaine. l’esthétique classique.
Surtout, il peut être vu comme un nouveau Coli-
sée, interprété d’une manière moderne : il s’agit 7. Montrez que l’urbanisme et l’architecture
d’un espace public, dont les façades sont compo- fascistes correspondent à la définition
sées de colonnades superposées et qui, au lieu que Mussolini donne du fascisme dans
d’être elliptique, est cubique. De la même manière, le document 2.
au lieu d’être offert au peuple par un empereur Cet extrait du journal Il Popolo d’Italia fait du
(Vespasien et Titus pour le Colisée, à la fin du fascisme l’héritier et l’imitateur de la Rome impé-
Ier siècle), il l’est par le Duce. riale : cette référence est constamment rappelée
dans les œuvres et les paysages que les documents
4. À quels types d’activités le Foro Mussolini
présentent. Mais le fascisme n’est pas exclusif. Le
est-il destiné ?
tableau à la gloire de Mussolini n’est pas néoclas-
Il s’agit d’activités de formation, en termes à la sique : il s’inscrit clairement dans la lignée du
fois politiques et physiques. Ces deux activités futurisme. De la même manière, l’architecture
sont fortement liées : selon l’idéologie fasciste, il fasciste peut être moderniste : c’est le cas de la
faut former la jeunesse afin de permettre à l’Italie Casa del Fascio, siège du parti national fasciste
de retrouver la puissance que Rome exerçait sous construit à Côme entre 1932 et 1936.
l’Empire romain. Ce complexe doit donc renfor-
cer le corps et l’esprit dans un seul et même but.
EXERCICE
5. Montrez que l’urbanisme et l’architecture
fascistes permettent l’organisation de Les cérémonies de masse en URSS
manifestations collectives.
et dans l’Allemagne nazie
La construction de la Via dell’Impero donne à ❯ MANUEL PAGE 219
Rome une avenue large et rectiligne : elle permet
l’organisation de défilés et de parades entre deux 1. Localisez ces deux cérémonies :
lieux symboliques, le siège du pouvoir fasciste par quels régimes sont-elle organisées ?
et l’un des bâtiments emblématiques de la Rome La première a lieu à Moscou, sur la place Rouge
impériale. De la même manière, le stade du Foro devant le Kremlin, le 13 juillet 1935 : elle est
• 110 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 6 – Les régimes totalitaires

organisée par le régime soviétique, dirigé par Ces deux documents se complètent en cela
Staline. La seconde a lieu à Berlin en 1938, lors qu’ils permettent d’étudier le rôle du chef, du
d’une cérémonie commémorant le soldat alle- parti unique et de la propagande dans l’exercice
mand inconnu : elle est organisée par le régime du pouvoir. Il s’agit donc, dans la réponse à la
nazi, dirigé par Hitler. consigne, de mettre en valeur les points communs
à ces deux documents. Pour cela, il ne faut pas
2. Décrivez ces cérémonies en insistant traiter d’un document, puis de l’autre : l’analyse
sur leurs caractéristiques communes. doit être fondée sur une confrontation permanente.
Il s’agit dans les deux cas de cérémonies de masse. Ainsi, il faut montrer que ces deux documents
Elles réunissent plusieurs centaines de participants mettent le chef au centre du pouvoir. L’affiche fait
sur de vastes espaces, une place et un stade. La d’Hitler un personnage dominant, par sa taille,
mise en scène est soignée : à chaque participant par son allure déterminée, par sa superposition
a été assignée une place précise, ce qui permet à à une foule conquise. Le texte reprend la même
la foule de former un motif – faucille, marteau idée en faisant de Mussolini le centre de la poli-
et étoile soviétiques, croix gammée nazie. Les tique italienne. Cette analyse doit être expliquée et
vêtements sont des uniformes – tenues de sport justifiée, soutenue par des citations du texte et des
de couleurs différentes en URSS, uniforme du descriptions de l’affiche. Elle doit ensuite porter
NSDAP en Allemagne. sur la manière dont ces documents justifient cette
place du chef. Pour cela, on peut montrer que la
3. Montrez qu’elles poursuivent un objectif
phrase du texte, « place prééminente (…) que lui
idéologique.
confirme le peuple (…) avec dévotion et enthou-
Tout d’abord, les participants forment les symboles siasme » peut servir à décrire la relation mise
adoptés par les régimes. Cette forme particulière en scène par l’affiche entre Hitler et la foule en
d’organisation de la foule a deux buts : montrer arrière-plan.
l’ordre et la capacité à agir en commun, et l’ad- De la même manière, il faut ensuite analyser le
hésion aux idéologies, symbolisées pour l’une par rôle du parti unique dans cet exercice du pouvoir,
l’étoile, la faucille et le marteau, pour l’autre, par et l’emploi de la propagande. C’est l’occasion
la croix gammée. Enfin, le thème de ces cérémo- d’insister, avec les élèves, sur l’importance de la
nies est également idéologique. En URSS, il s’agit présentation des documents et sur la nécessité de
d’exalter le travail et la capacité de se défendre, faire appel à des connaissances personnelles. En
sous l’autorité et la conduite de Staline. Dans l’Al- effet, si le rôle du parti est évoqué dans le texte, il
lemagne nazie, il s’agit de glorifier le sacrifice apparaît surtout dans la production et la diffusion
pour la patrie, passé et à venir. de ces documents, exemples d’œuvres de propa-
gande. Il ne faut alors pas hésiter à montrer que
ces régimes font appel, pour leur propagande, à
BAC d’autres supports, et que la place de chaque parti
Analyse de documents : ne peut se comprendre que dans le cadre d’un
rejet des pratiques démocratiques, en particulier
l’exercice du pouvoir du pluralisme politique.
dans les totalitarismes
Enfin, cette analyse est l’occasion de rappeler l’im-
❯ MANUEL PAGES 222-223
portance de la critique des documents. En effet,
Il s’agit, dans ce sujet, d’analyser l’exercice du ceux présentés ici masquent un aspect important
pouvoir dans les totalitarismes à partir de deux de l’exercice du pouvoir dans les régimes totali-
documents, l’un nazi, l’autre fasciste. taires : le recours à la violence.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 111 •


CHAPITRE
Les totalitarismes face aux démocraties
7 dans les années 1930
❯ MANUEL PAGES 224-239

RAPPEL DU PROGRAMME aux régimes totalitaires, et cèdent parfois à leurs


exigences. Dans ce cadre, le poids des opinions
Genèse et affirmation des régimes totalitaires publiques joue un rôle important : encore trauma-
(soviétique, fasciste et nazi) : les totalitarismes tisées par la Première Guerre mondiale, elles sont
face aux démocraties dans les années 1930. majoritairement pacifistes, et poussent à éviter
tout conflit. Cette faiblesse ne fait que renforcer
le mépris dans lequel les totalitarismes les tien-
nent : ils organisent des campagnes de propagande
◗ Objectifs et problématique contre eux, voire subviennent aux besoins des
du chapitre organisations qui les remettent en cause.
Ce chapitre s’inscrit dans le troisième thème du Il ne faut pas pour autant imaginer sur cette base
programme, « Le siècle des totalitarismes ». Il une alliance des totalitarismes contre les démo-
permet de répondre en partie à la première ques- craties : les régimes nazi et fasciste d’une part,
tion de ce thème, « Genèse et affirmation des le régime soviétique de l’autre sont fondamen-
régimes totalitaires (soviétique, fasciste et nazi) », talement opposés. On l’a vu dans le chapitre 6,
en abordant la seconde mise en œuvre suggérée par nazisme et fascisme se construisent pour une part
le programme : l’étude des « totalitarismes face sur une lutte farouche contre le communisme,
aux démocraties dans les années 1930 ». désigné comme ennemi. Jusqu’en 1933, le parti
communiste allemand a, sous l’autorité du Komin-
Il s’agit de comprendre comment les régimes tota-
tern, renvoyé dos à dos démocrates et nazis. L’ac-
litaires en viennent à constituer une menace pour
cession d’Hitler au pouvoir fait comprendre à
les démocraties européennes dans les années 1930.
Staline que cette politique est inefficace : elle
Cela passe d’abord par une haine commune de ces
ne permet pas aux communistes de s’imposer. Il
régimes pour les valeurs et le fonctionnement des
se rapproche alors des partis démocratiques de
démocraties libérales. Cette hostilité a déjà été
gauche, et fait du fascisme son principal ennemi.
étudiée dans le chapitre précédent : la genèse puis
Dans le même temps, l’alliance entre Hitler et
l’installation des régimes totalitaires passent par
Mussolini n’est pas immédiate. Le Duce s’in-
le refus et la disparition, dans les pays concernés,
quiète d’abord des ambitions du Führer. Il s’op-
de tout processus réellement démocratique, de la
pose ainsi, en juillet 1934, à une première tentative
suppression de la liberté d’expression au rejet des
d’annexion de l’Autriche par l’Allemagne : après
élections libres et multipartites. Cette attitude se
l’assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par
double, à l’échelle de l’Europe, d’un mépris pour
des nazis autrichiens, il masse des troupes sur le
les gouvernements démocratiques. Les régimes
col du Brenner pour prévenir tout Anschluss. La
totalitaires les considèrent à la fois comme
condamnation par les démocraties de la guerre
nuisibles et faibles. Nuisibles, car ils rejettent les
en Éthiopie le fait se rapprocher de Hitler et, dès
idéologies proclamées par les totalitarismes, et
1936, se constitue une alliance dirigée à la fois
peuvent constituer un obstacle à leurs projets :
contre les démocraties et contre l’URSS. Elle
ils s’opposent en majorité au communisme, et
débouche sur des coups de force qui voient les
surtout à l’idée de révolution prolétarienne, et
régimes nazi et fasciste imposer leur volonté aux
n’acceptent pas les politiques expansionnistes de
démocraties.
l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Faibles,
car ces gouvernements parlementaires, et plus Cette situation explique la signature du Pacte
particulièrement ceux du Royaume-Uni et de la germano-soviétique d’août 1939. Si cet accord
France, ne parviennent pas à réellement s’opposer signé entre deux ennemis qui affirment une haine
• 112 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

réciproque peut paraître ahurissant, il n’est en – Churchill Winston, Mémoires de guerre, 1919-
définitive que le témoignage d’une analyse iden- 1941, tome 1, Taillandier, 2009
tique de l’attitude des démocraties. Pour Staline, – Duroselle Jean-Baptiste, Kaspi André, Histoire
un manque de confiance dans leur capacité à s’op- des relations internationales, de 1919 à 1945,
poser aux menées nazies, pour Hitler, l’assurance tome 1, Armand Colin, 2001
de pouvoir s’attaquer à la Pologne sans risquer – Godicheau François, La guerre d’Espagne,
d’intervention de l’URSS et, pour les deux, la Découvertes Gallimard, 2006
possibilité de se partager la Pologne en espérant – Godicheau François, Les mots de la guerre
que, une fois encore, les démocraties se conten- d’Espagne, Presses universitaires du Mirail, 2003
tent de protester. – Milza Pierre, Mussolini, Fayard, 1999.
L’organisation du chapitre doit permettre d’abor- – Wieviorka Olivier et Prochasson Christophe,
der ces différents aspects. L’ouverture du chapitre La France du XXe siècle, documents d’histoire,
(p. 224-225), tout en posant la problématique, « Nouvelle histoire de la France contemporaine »,
montre à travers deux documents comment les Points Seuil, 1994.
totalitarismes peuvent déstabiliser les régimes – Winock Michel, Histoire de l’extrême-droite
démocratiques, par leurs alliances et par l’attrait en France, Points Seuil, 2000
qu’ils peuvent exciter. Les cartes de la double – Winock Michel, Nationalisme, antisémitisme
page Repères (pp. 226-227) permettent d’appré- et fascisme en France, Points Seuil, 2004
hender les alliances et les oppositions, et de mettre
en valeur les lieux privilégiés de la confronta-
tion entre régimes totalitaires et démocraties. La OUVERTURE
première étude (pp. 228-229) présente la guerre
❯ MANUEL PAGES 224-225
d’Espagne : elle expose l’aveuglement et l’inac-
tion des démocraties, opposées à l’intervention Les documents présentés illustrent deux des
des totalitarismes nazi, fasciste et soviétique – éléments qui font des régimes totalitaires une
mais montre aussi la confrontation indirecte entre menace pour les démocraties : l’influence qu’ils
Staline d’un côté, Hitler et Mussolini de l’autre. La exercent et les alliances qu’ils nouent.
double page Histoire des arts (pp. 234-235) montre
Doc. 1. Défilé de membres du francisme
le retentissement de cette guerre en Europe : elle à Paris en 1937
témoigne aussi de l’engagement d’un artiste, Pablo
Picasso, aux côtés de l’Espagne républicaine. La En 1937, le francisme est un parti politique, après
seconde étude (pp. 230-231) traite des accords avoir été une ligue : cette transformation d’un
de Munich : elle montre comment, pour éviter mouvement politique refusant le jeu des élections
toute nouvelle guerre et ainsi se conformer à leurs parlementaires en un parti politique plus tradition-
opinions publiques, les démocraties britannique nel est due aux décisions prises, en janvier puis
et française cèdent aux exigences allemandes. en juin 1936, de dissoudre toute ligue. Le fran-
Elle montre aussi l’échec de cette politique, échec cisme est créé en août 1933 par Marcel Bucard,
pourtant prévu par quelques-uns. L’analyse de qui se réclame officiellement du fascisme italien.
« Unes » de journaux (pp 238-239) permet de Comme lui, il rejette les pratiques démocratiques
renforcer cette analyse. et les valeurs républicaines ; il prône l’ordre, l’au-
toritarisme et l’obéissance au chef. En septembre
1933, Bucard affirme « fonder un mouvement
◗ Bibliographie d’action révolutionnaire dont le but est de conqué-
– Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libéra- rir le pouvoir ». Pour diffuser cette propagande, il
tion, 1938-1944, « Nouvelle histoire de la France dispose d’un journal, Le Franciste, remplacé en
contemporaine », Points Seuil, 2002. novembre 1937 par L’Unitaire français. Les fran-
– Borne Dominique, Dubief Henri, La crise des cistes s’inspirent du mouvement fasciste : vêtus
années 1930, 1929-1938, « Nouvelle histoire de d’un uniforme, ils se nomment les « Chemises
la France contemporaine », Points Seuil, 1989. bleues », saluent à la romaine. En retour, Mussolini
– Chassaigne Philippe, La Grande-Bretagne et le les subventionne par le biais du consulat d’Italie.
monde de 1815 à nos jours, Armand Colin, 2009. Les membres du francisme sont adeptes de l’ac-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 113 •
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

tion spectaculaire, voire violente. C’est ce que REPÈRES


montre la photographie : ce rassemblement, ces
mains levées veulent mettre en scène un mouve- L’Europe à la veille de la Seconde
ment populaire, uni. Le lieu, rue des Pyramides Guerre mondiale
à Paris, n’est pas anodin : à l’arrière-plan, des ❯ MANUEL PAGES 226-227
drapeaux et des décorations surplombent la statue
de Jeanne d’Arc, que la République a faite héroïne 1. Quel type de régime politique
nationale en 1920 en instituant un fête officielle est majoritaire en 1939 ? Était-ce le cas
au mois de mai. Pourtant, l’extrême-droite essaie au début des années 1920 ?
de la monopoliser : la photographie montre sans En 1939, les régimes politiques les plus fréquents
doute la volonté du francisme de s’inscrire dans en Europe sont de type autoritaire. C’est en parti-
cette politique de récupération. Le francisme ne culier le cas des États d’Europe de l’Est. Ces pays
connut jamais un grand succès : ses membres sont sont en majorité issus des anciens Empires d’Au-
quelques milliers dans les années 1930. Bucard, triche-Hongrie, d’Allemagne et de Russie : ils sont
pendant la Seconde Guerre mondiale, participe à nés de la Conférence de la Paix, et des traités signés
la collaboration : condamné à la Libération, il est à Versailles, Trianon et Saint-Germain entre 1919
fusillé le 19 mars 1946. et 1920. À ces États, il faut ajouter les régimes
totalitaires qui, comme les régimes autoritaires,
Doc. 2. Affiche de propagande italienne,
ne respectent pas les pratiques démocratiques. En
1938
1939, les régimes démocratiques sont donc mino-
Cette affiche de propagande italienne date de ritaires : ils ne sont établis qu’en Europe du Nord,
1938 : elle exalte l’alliance entre fascisme et en France et au Royaume-Uni. Ce n’était pourtant
nazisme. Sur un globe terrestre centré à la fois pas le cas en Europe de l’Est au début des années
sur l’Europe et la Méditerranée, un monument hors 1920 : si l’on excepte l’URSS et la Hongrie, tous
d’échelle est entouré de portraits qui proclament ces États connaissaient des régimes démocratiques.
« vive Hitler » et « vive Mussolini » (c’est la signi-
fication du signe placé devant les noms). Surmonté 2. En justifiant votre réponse par
des drapeaux nazi et italien, il combine le symbole des exemples, montrez que les régimes
des deux régimes : la croix gammée et le fais- totalitaires :
ceau de licteurs, hérité de la Rome antique. Sur – étendent ou cherchent à étendre
ce monument, les mots « Pace, Civiltà, Lavoro » leur territoire en Europe ;
(« Paix, Civilisation, Travail ») traduisent l’ob- – interviennent en dehors de leur territoire ;
– s’allient entre eux et avec d’autres pays.
jectif affirmé de l’alliance nouée entre Hitler et
3. Montrez que, à l’inverse, les démocraties
Mussolini en novembre 1936, l’Axe Rome-Berlin. sont isolées en 1939.
Cette même utilisation de la propagande se déploie
lors du premier voyage officiel de Mussolini à Le document 2 permet de comprendre que les
Berlin en septembre 1937, et de celui de Hitler régimes totalitaires étendent, ou cherchent à
à Rome en mai 1938. Chacun reçoit un accueil étendre leur territoire en Europe. Ainsi, l’Alle-
triomphal, ponctué de cérémonies de masse, et magne nazie annexe l’Autriche en mars 1938, la
dont les moindres détails sont largement diffusés. région tchécoslovaque des Sudètes en septembre
Cette alliance, initiée en 1935, trouve sa source 1938, et provoque l’éclatement de la Tchécoslo-
dans la condamnation par les démocraties de l’in- vaquie, en envahissant la Bohême-Moravie en
vasion de l’Ethiopie par les Italiens : Mussolini se mars 1939. L’Italie fasciste, elle, envahit l’Albanie
rapproche alors de Hitler. En 1938, l’Axe Rome- un mois plus tard. Enfin, le pacte germano-sovié-
Berlin permet à Hitler de bénéficier du soutien tique signé en août 1939 prévoit, dans une annexe
de Mussolini d’abord pour annexer l’Autriche alors restée secrète, le partage de la Pologne entre
en mars, puis pour arracher aux démocraties les l’Allemagne et l’URSS.
accords de Munich. Ces régimes interviennent aussi en dehors de
leurs frontières. Le document 1 montre que la
guerre d’Espagne est le territoire privilégié de
ces interventions. Allemagne et Italie soutiennent
• 114 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

les troupes du général Franco, qui combattent le ◗ Document 1


gouvernement républicain démocratiquement élu.
1. Pourquoi, d’après Hitler, l’issue de
Le document 2 donne un exemple de cette aide,
la guerre d’Espagne est-elle importante
tant matérielle que militaire : le 26 avril 1937, la
pour l’Allemagne nazie ?
légion Condor, composée de troupes allemandes,
bombarde la ville basque de Guernica. L’URSS Ces propos d’Hitler, rapporté par son ministre
intervient également, mais du côté républicain. des Affaires étrangères, Joachim von Ribben-
trop, montrent qu’il envisage la guerre d’Espagne
Ces régimes établissent également des pactes entre
dans un cadre plus large, celui de la lutte contre le
eux. Hitler et Mussolini signent le premier d’entre
communisme. Pour Hitler, l’URSS, et plus géné-
eux en novembre 1936 : c’est l’axe Rome-Berlin,
ralement le communisme sont des ennemis « natu-
qui concrétise le rapprochement amorcé en 1935
rels » de l’Allemagne nazie : leurs idéaux sont à
par le refus des démocraties d’accepter l’inva-
l’opposés de ceux prônés par le nazisme, et leur
sion de l’Ethiopie par l’Italie. En novembre 1937,
objectif est la destruction du nouveau Reich. La
Mussolini rejoint le pacte anti-Komintern, signé
crainte dont témoigne ici Hitler est de voir l’Alle-
l’année précédente entre l’Allemagne et le Japon.
magne encerclée par des régimes communistes : à
la Hongrie puis l’Espagne y adhèrent à leur tour
l’est, l’URSS, et à l’ouest, la France et l’Espagne.
en 1939. Enfin, le pacte germano-soviétique de
Cette analyse est fondée sur le changement de
non-agression d’août 1939 proclame le rapproche-
politique voulu par Staline après l’accession au
ment spectaculaire de deux ennemis idéologiques,
pouvoir d’Hitler. Jusque là, le régime soviétique
l’Allemagne nazie et l’URSS communiste.
renvoyait dos à dos fascistes – ou nazis – et démo-
Ces multiples alliances soulignent l’isolement crates : pour lui, il ne s’agissait que deux aspects
des démocraties. Si France et Royaume-Uni sont du même mal, le capitalisme, soutenus tous deux
alliés, la politique d’apaisement que ces régimes par la bourgeoisie. Pour le prolétariat, une seule
privilégient explique leur incapacité à s’opposer voie possible : l’adhésion au communisme et à la
aux appétits des régimes totalitaires : elles n’inter- révolution, et le refus de toute alliance avec un autre
viennent ni pour empêcher la remilitarisation de parti, quel qu’il soit. En Allemagne, cette tactique
la Rhénanie, ni pour aider le gouvernement répu- « classe contre classe » a empêché la constitution
blicain espagnol, pourtant démocratique, ni pour d’un front commun qui aurait permis de barrer
refuser l’annexion de l’Autriche ou de régions aux nazis l’accès au pouvoir. Après 1933, Staline
entières de la Tchécoslovaquie. change donc de stratégie : il permet la constitu-
tion de « fronts populaires ». Il s’agit d’accepter
que les partis communistes européens jouent le
ÉTUDE jeu démocratique et s’allient à d’autres partis de
gauche pour gagner les élections. C’est le cas en
La guerre d’Espagne (1936-1939) Espagne en février 1936, en France en juin de la
❯ MANUEL PAGES 228-229 même année. Pour Hitler, ce changement de stra-
Cette étude permet d’envisager la guerre d’Espagne tégie n’est qu’une ruse : les communistes feignent
comme un lieu d’affrontements entre démocraties l’adhésion à la démocratie pour prendre plus faci-
et totalitarismes, mais aussi comme une guerre lement le pouvoir. En juillet 1936, lutter contre les
indirecte entre l’URSS de Staline d’un côté, et les régimes de « front populaire » est donc une néces-
régimes nazi et fasciste de l’autre. Il s’agit pourtant, sité vitale pour l’Allemagne.
à l’origine, d’une guerre civile, déclenchée par la
révolte d’une partie de l’armée espagnole, sous la ◗ Document 3
direction du général Francisco Franco, contre le
gouvernement républicain démocratiquement élu. 2. Quels sont les arguments utilisés par
Mais elle ne tarde pas à prendre une dimension Léon Blum pour justifier son refus de livrer
des armes au gouvernement républicain ?
internationale : alors que les démocraties refusent
toute implication dans ce conflit, de peur que la Dans ce discours adressé aux militants de la SFIO,
guerre ne s’étende au reste de l’Europe, les régimes le chef du gouvernement du Front populaire fran-
totalitaires décident d’aider l’un ou l’autre camp. çais, Léon Blum, explique pourquoi il est impos-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 115 •
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

sible à la République française d’aider le gouverne- ◗ Document 4


ment légal de l’Espagne. Selon lui, livrer des armes
à l’Espagne républicaine donnerait un prétexte 4. D’après cette caricature, l’Allemagne
et l’Italie reconnaissent-elles officiellement
aux régimes nazi et fasciste – qu’il ne nomme pas
leur intervention ?
–pour à leur tour livrer des armes au gouverne- 5. Montrez qu’elle est pourtant connue
ment rebelle, celui de Franco. Il refuse cette situa- de l’opinion publique britannique.
tion : pour lui, si les pays européens en viennent à
soutenir chacun leur champion en Espagne, cette Cette caricature de David Low montre les diri-
guerre civile risque de se transformer en guerre geants fasciste et nazi, Hitler et Mussolini, dégui-
européenne, indirecte puis directe. Or l’objectif de sés en Espagnols d’opérette, dansant le flamenco
Blum est de préserver la paix. Cette argumentation et jouant de la guitare autour de Franco. L’objectif
repose néanmoins sur un aveu de faiblesse : alors du dessinateur anglais est de montrer qu’Italiens et
que le chef du gouvernement français appelle à la Allemands cherchent à dissimuler, plus ou moins
rédaction d’un accord international interdisant tout habilement, leur présence en Espagne aux côtés
commerce des armes avec l’Espagne, les premières des troupes franquistes. Leur intervention paraît
phrases de l’extrait montrent que « la réalité des d’autant moins discrète que cette caricature est
choses » est éloignée du « terrain strict du droit diffusée en février 1939 : à cette date, cela fait
international » que les démocraties, dont la France, près de trois ans que Franco bénéficie de leur aide,
ne parviennent pas à faire respecter. et que certains événements, comme le bombarde-
ment de Guernica en 1937, l’ont révélée. Plus que
la présence germano-italienne, Low s’emploie à
◗ Documents 2 et 6 dénoncer la passivité des démocraties britannique
et française : dans la caricature, leurs deux diri-
3. Comment l’Allemagne intervient-elle geants, Chamberlain et Daladier, semblent ne pas
en Espagne ? Et l’URSS ? savoir comment réagir aux affirmations de Franco.
L’indécision des démocraties est alors réelle. Elles
Ces deux documents se répondent : il s’agit de
continuent à prôner la non intervention de tous
deux photographies qui illustrent la manière dont
les États européens en Espagne, alors que l’in-
deux régimes totalitaires apportent leur aide aux
tervention fasciste et nazie est connue de tous :
combattants espagnols. Le document 2 montre
la diffusion de cette caricature au Royaume-Uni
des troupes allemandes, membres de la légion
en est une preuve.
Condor, défilant dans une rue de la ville de León
rebaptisée en leur honneur. Ces hommes, des
volontaires de l’armée allemande, sont dès juillet ◗ Document 5
1936 sur place : ils sont environ 6 000, mais 6. Qui s’engage aux côtés du gouvernement
sont régulièrement relevés. L’aide allemande républicain ? Pourquoi ?
est donc militaire, en hommes mais aussi en
matériel moderne. Ainsi, ce sont des avions alle- André Malraux, l’auteur du roman dont est extrait
mands, pilotés par des Allemands qui bombar- ce texte, y donne un témoignage de l’engagement de
dent Guernica le 26 avril 1937. Pour Hitler, ces volontaires venus d’Europe, mais aussi du reste du
interventions sont aussi un moyen d’entraîner monde, pour lutter aux côtés du gouvernement répu-
ses hommes, en prévision de combats futurs. blicain. Lui-même combattit en Espagne : Magnin,
Tout comme l’aide italienne, l’aide allemande l’un des personnages principaux, peut être consi-
n’est pas que militaire : elle est aussi financière. déré comme son double littéraire. Dans cet extrait,
Malraux évoque des Français, des Polonais, des
L’aide soviétique au gouvernement du Frente Italiens, des Anglais, des Allemands, mais aussi des
popular n’est pas aussi complète : elle est davan- Algériens - l’Algérie étant alors une colonie fran-
tage matérielle, même si plusieurs « conseillers » çaise. Ces hommes sont regroupés dans des unités
viennent soutenir l’effort de guerre républicain. militaires, les brigades internationales. La raison
Le document 6 montre ainsi l’arrivée à Barce- de leur engagement est, pour Malraux, la volonté
lone d’un navire soviétique, le Zyrianine, chargé de lutter contre le fascisme, d’empêcher sa diffu-
de nourriture et d’aide matérielle pour les civils. sion en Europe. Dans cet extrait, Malraux paraît
• 116 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

faire une équivalence entre cette lutte et l’adhésion germanophone principalement concentrée dans
aux idées communistes, en parsemant le texte de la région des Sudètes. Après l’annexion de l’Au-
référence à ces idées : « faces têtues de commu- triche en mars 1938, Hitler annonce son intention
nistes », « jeunes à gueules de films soviétiques », de continuer à rassembler tous les germanophones
« organisations ouvrières ». Dans son intégralité, le au sein du Reich, soutenu en cela par une majo-
roman est plus nuancé : s’il fait des communistes rité des Allemands des Sudètes. Il affirme qu’il
les héros de la lutte contre les armées de Franco, annexera cette région le 1er octobre 1938. Or la
il montre aussi sa réticence face au comportement France et le Royaume-Uni sont alliés à la Tchécos-
de certains membres du parti communiste. lovaquie : une telle annexion risque de précipiter
l’Europe dans la guerre. Des négociations sont
◗ Documents 2 et 3 alors menées entre la France, le Royaume-Uni
et l’Allemagne, auxquels se joint l’Italie. Elles
7. À l’aide des documents et de la carte 1 culminent lors de la conférence réunie à Munich le
p. 226, montrez que la guerre d’Espagne
29 septembre 1938. En revanche, le gouvernement
est une défaite des démocraties.
tchécoslovaque n’y participe pas. C’est ce que
Cette guerre est une défaite pour les démocraties, et rappelle Léon Blum, dirigeant de la SFIO, dans
ce à plusieurs titres. Tout d’abord, elles ne parvien- l’article qu’il signe dans le journal de son parti,
nent pas à empêcher l’intervention des régimes tota- et ce que montre la photographie de la conférence
litaires, qui aident l’un ou l’autre camp. Ensuite, la de Munich : seuls Daladier, Chamberlain, Hitler
politique de non-intervention qu’elles poursuivent et Mussolini décident, en son absence, du sort de
conduit à la chute du gouvernement républicain, la Tchécoslovaquie.
légalement élu, et à l’instauration d’une dictature :
au printemps 1939, Franco contrôle toute l’Es-
◗ Documents 1 et 4
pagne. Ce dénouement témoigne de la difficulté
des démocraties à se mobiliser pour défendre les 2. À l’aide des documents et de la carte
valeurs qui les fondent, lorsque celles-ci sont atta- p. 237, indiquez les conséquences
quées dans un autre pays. En 1939, c’est, pour les territoriales de ces accords pour
régimes totalitaires, un signe parmi d’autres de la la Tchécoslovaquie et pour l’Allemagne.
faiblesse des régimes démocratiques, et un motif Avec les accords de Munich, la Tchécoslovaquie
supplémentaire de mépris. voit son territoire amputé de la région des Sudètes,
le long de la frontière avec l’Allemagne - qui a
alors annexé l’Autriche. Comme l’indique Léon
ÉTUDE Blum, la souveraineté de la Tchécoslovaquie est
niée : d’autres nations ont décidé sans elle du sort
L’impuissance des démocraties : d’une partie de son territoire. Les conséquences de
les accords de Munich (1938) ces accords, si elles sont territoriales, ont donc une
❯ MANUEL PAGES 230-231 autre portée. Elles montrent d’abord que les pays
Cette étude vise à montrer comment, à la fin les plus puissants peuvent régler leurs désaccords
des années 1930, les régimes démocratiques ne sans tenir compte de la volonté de nations plus
parviennent pas à résister aux coups de force faibles. Elles témoignent aussi de la faiblesse des
menés par les régimes fasciste et nazi, qui consti- démocraties, prêtes à abandonner leurs alliés pour
tuent alors un front commun contre l’ordre inter- éviter une guerre. Ces accords paraissent vider de
national soutenu par la SDN, dont les démocraties leur substance les alliances que la France ou le
sont les garantes. Royaume-Uni ont pu passer avec d’autres pays.

◗ Documents 1 et 2 ◗ Documents 1 et 3
1. Qui décide du sort de la Tchécoslovaquie ? 3. Quel est l’état de l’opinion en 1938 ?
Qui n’est pas consulté ? Que cherche-t-elle à éviter ?
La crise des Sudètes trouve son origine dans la La photographie montre sans doute l’opinion
présence, en Tchécoslovaquie, d’une minorité d’une majorité de Français à l’annonce de la
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 117 •
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

signature des accords de Munich : une joie réelle. moment de la confrontation, qu’il estime inévi-
Elle montre en effet la foule devant les arrivées table, profite bien davantage au régime nazi qu’aux
de l’aéroport du Bourget, en région parisienne, démocraties. En effet, Hitler a lancé l’Allemagne
venue accueillir Daladier, président du Conseil, à dans un programme de réarmement que Churchill
son retour de Munich. De pareilles scènes eurent estime plus efficace que ceux menés par la France
lieu à Londres : des photographies montrent et le Royaume-Uni. Attendre encore permet donc
l’enthousiasme des Anglais entourant Chamber- à l’Allemagne de se renforcer davantage. Enfin,
lain, Premier ministre britannique, à sa descente et surtout, Churchill estime que Hitler est une
d’avion. Cette joie tient à la paix que les accords de « menace » que les accords de Munich n’ont pas
Munich semblent sauvegarder : fortement marquée écartée. Il compare ainsi les dirigeants nazis à des
par les tueries de la Première Guerre mondiale, une loups, et la Tchécoslovaquie à une proie que les
majorité de Français et de Britanniques veulent à démocraties leur sacrifient en espérant, à tort, les
tout prix éviter une nouvelle guerre. contenter. Pour lui, les revendications de Hitler
La réaction de Léon Blum est plus mesurée : il ne s’éteindront pas avec l’annexion des Sudètes.
affirme être « partagé entre un lâche soulagement
et la honte ». Soulagement face à la promesse de ◗ Document 5
paix, mais honte provoquée par le « lâche » aban-
don de la Tchécoslovaque par le Royaume-Uni 5. Pourquoi peut-on dire que Hitler a trompé
et la France. Pour lui, les accords de Munich ne la France et le Royaume-Uni à Munich ?
sauraient être, comme le souhaitait Chamberlain,
Ce document est un rapport adressé par l’ambas-
un arrangement « honorable et équitable ». Ils sont
sadeur de France en Allemagne au ministre des
plutôt une forme de défaite qui, si elle écarte la
Affaires étrangères. Il est daté du 16 mars 1939 : à
guerre, ne peut provoquer de joie.
cette date, les armées nazies ont envahi l’ouest de
la Tchécoslovaquie et annexé les deux provinces
◗ Document 4 qui la constituent, la Bohême et la Moravie. L’est
4. Expliquez les raisons pour lesquelles, est devenu un État « soi-disant indépendant », la
d’après Churchill, les accords de Munich Slovaquie, dont le gouvernement est inféodé à
ne peuvent apporter la paix. celui de Berlin.
Comme en France, les hommes politiques britan-
Ce second démembrement de la Tchécoslovaquie
niques opposés aux accords de Munich sont peu
par le régime hitlérien est analysé par l’auteur de
nombreux. Winston Churchill est un de ces anti-
ce rapport comme une « perfidie ». Il rappelle en
munichois. Dans un discours tenu devant la
effet qu’au moment des accords de Munich, l’Al-
Chambre des Communes le 21 novembre 1938,
lemagne avait justifié sa politique d’annexion par
il explique les raisons de son choix - qu’il résu-
sa volonté de rassembler tous les « Allemands »,
mera ailleurs dans une phrase devenue célèbre :
c’est-à-dire tous les germanophones, au sein du
« Vous aviez le choix entre le déshonneur et la
Reich. Selon elle, le reste de la Tchécoslovaquie
guerre. Vous avez choisi le déshonneur, vous aurez
ne pouvait l’intéresser, puisque peuplé d’autres
la guerre. » En effet, pour lui, cette « capitulation
peuples non germanophones. Cette nouvelle
totale (…) devant la menace des nazis » ne peut
annexion montre qu’il ne s’agissait que d’un
apporter « ni la paix ni la sécurité ». Il invoque
discours, auquel les démocraties avaient bien
des raisons tactiques. Soumettre la Tchécoslo-
voulu croire. De la même manière, l’ambassadeur
vaquie permet en effet aux Allemands d’élimi-
dénonce le non-respect par les Allemands de leur
ner un allié de la France et du Royaume-Uni à
signature : les accords prévoyaient en effet qu’ils
l’Est du Reich : en cas de guerre, il aurait pu
aident à faire respecter les nouvelles frontières de
l’attaquer à revers, et l’obliger ainsi à disperser
la Tchécoslovaquie.
ses troupes à ses frontières occidentales et orien-
tales. En revanche, après les accords de Munich, De manière générale, ce rapport est une critique
Hitler peut, d’après Churchill, masser davantage cinglante de la politique menée par le gouverne-
de troupes à ses frontières avec la France. De la ment français - et le gouvernement britannique -
même manière, Churchill estime que repousser le « moins de six mois » auparavant. Il affirme ce que
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Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

ces régimes refusaient alors de voir : la volonté rébellion d’une partie de l’armée, sous le comman-
d’expansion, par tous les moyens, du régime nazi. dement du général Franco. Il entend pourtant
maintenir sa participation à l’Exposition inter-
◗ Documents 4 et 5 nationale des arts et techniques qui doit se tenir
à Paris entre mai et novembre 1937. Il estime en
6. Montrez que la politique menée effet que cet événement, de portée internationale,
par le régime nazi en mars 1939 donne raison
peut lui permettre d’attirer l’attention sur la lutte
à l’analyse faite par Churchill en novembre
des républicains espagnols. Il s’agit pour lui d’ob-
1938.
tenir le soutien de l’opinion publique : il espère
En novembre 1938, Churchill analysait les accords inciter par là les gouvernements démocratiques à
de Munich comme un moyen utilisé par les nazis lui apporter leur aide.
pour que la « Tchécoslovaquie soit neutralisée ».
Le gouvernement espagnol fait donc bâtir, comme
Il faisait aussi des dirigeants du régime hitlérien
les autres pays, un pavillon pour le représenter. À
des « loups », qu’une proie comme les Sudètes ne
l’aide de photographies, de panneaux explicatifs et
sauraient satisfaire. La dernière phrase du rapport
d’œuvres d’art, il insiste sur le courage des répu-
envoyé par Robert Coulondre en mars 1939 montre
blicains, la souffrance des populations et l’unité de
la justesse de cette analyse : l’invasion de la Bohême
l’Espagne autour de la République. Pour renfor-
et de la Moravie sont pour lui le signe qu’avec les
cer ce discours, et attirer davantage l’attention,
accords de Munich, les nazis ont pu « désarmer la
le gouvernement fait appel à l’un des Espagnols
Tchécoslovaquie avant de l’annexer. »
alors les plus célèbres, Picasso, pour qu’il crée
une œuvre pour le pavillon. Le peintre accepte
HISTOIRE DES ARTS mais ne trouve pas immédiatement de thème qui
lui convienne. L’annonce du bombardement de la
Guernica : l’engagement de Pablo ville basque de Guernica par la Légion Condor
Picasso dans la guerre d’Espagne modifie brutalement l’approche de Picasso : les
❯ MANUEL PAGES 234-235 premières photos, reçues à Paris le 1er mai, sont
sans doute le point de départ du travail du peintre.
Il s’agit, dans cette double page, de montrer
comment l’un des peintres les plus célèbres du
XXe siècle a mis son talent au service de la cause ◗ Analyser l’œuvre d’art
républicaine pendant la guerre civile espagnole. 2. Quelles sont les couleurs utilisées
L’œuvre qu’il a alors créée est devenue embléma- par Picasso ?
tique non seulement de son art, grâce à ses qualités La palette utilisée par Picasso est très limitée : du
formelles, mais aussi des horreurs de la guerre. noir, du blanc et du gris, mais ces couleurs sont
juxtaposées avec de forts contrastes. Ces contrastes
◗ Présenter l’œuvre d’art servent à structurer l’œuvre, en projetant certaines
formes en avant. Il organisent le tableau en trois
1. Présentez Guernica en insistant
sur le contexte dans lequel cette œuvre parties : la plus grande au centre, les deux autres
a été réalisée. rejetées sur les côtés. Picasso semble avoir été
influencé, dans le choix des couleurs, par les dispo-
Guernica est un tableau, une peinture à l’huile de
sitifs mécaniques de reproduction de l’image qui
grandes dimensions (349,3 x 776,6 cm) réalisée
permettent par exemple l’impression de photos
par Pablo Picasso en mai 1937. À cette époque,
dans la presse quotidienne, ou l’envoi de clichés
Picasso, né en Espagne, habite Paris depuis les
à distance par les journalistes.
premières années du XXe siècle. Dans les années
1930, il est un peintre reconnu, célèbre pour avoir, 3. Montrez qu’il ne cherche pas à créer
avec Georges Braque, initié le mouvement cubiste une œuvre réaliste.
dont l’œuvre fondatrice est Les demoiselles d’Avi- Depuis les premières années du XXe siècle,
gnon (1907). l’œuvre de Picasso est marquée par une recherche
Depuis juillet 1936, le gouvernement républicain constante sur la forme. Tout en revenant sans cesse
espagnol, démocratiquement élu, est confronté à la sur les œuvres des artistes qui l’ont précédé, il
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Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

s’emploie à toujours expérimenter. Il malmène la nica, l’œuvre est créée par Picasso pour, affirme-t-il,
perspective, multiplie les points de vue, déforme, dénoncer Franco et l’armée qui ont « fait sombrer
étire, géométrise : il démantèle, il déconstruit les l’Espagne dans un océan de douleur et de mort ».
formes. Guernica témoigne de ce travail créateur Par ce tableau, Picasso s’engage publiquement aux
mené depuis déjà des années. Le fond est réduit côtés de l’Espagne républicaine, contre la rébellion
à quelques formes géométriques. Les objets et franquiste. Il s’agit là d’un acte rare dans la carrière
les personnages sont presque sans profondeur : artistique de Picasso : les œuvres qui marquent
elle est parfois esquissée par une gradation des l’engagement politique de leur auteur sont très
gris. Les formes sont étirées, déformées - ainsi les peu nombreuses (on peut relever, après la Seconde
membres des trois personnages à droite. Guerre mondiale, le portrait de Staline – 1953 – ou
Massacre en Corée – 1957 – qui marquent son enga-
4. Relevez tous les éléments qui évoquent gement communiste). Picasso fit don de Guernica au
la douleur et la mort. peuple espagnol, mais refusa toujours qu’il rejoigne
Il est difficile, et sans doute vain, d’assigner à chaque l’Espagne avant le retour de la démocratie. Aussi
élément du tableau une fonction ou un sens - Picasso fut-il finalement conservé au Museum of Modern
lui-même s’est toujours refusé à le faire. En revanche, Art de New York avant de rejoindre Madrid en 1981,
les signes de la douleur et de la mort foisonnent, huit ans après la mort du peintre, six ans après celle
même si l’on se contente d’une lecture quasi littérale de Franco, une fois la démocratie réinstaurée.
du tableau : bouches ouvertes sur des cris, femme
pleurant l’enfant abandonné dans ses bras, homme
disloqué sur le sol, poing serrant une épée brisée, EXERCICES
homme dans les flammes levant les bras aux ciel,
cheval blessé hennissant, une lance dans son flanc. L’Allemagne en 1933 et en 1939
Les couleurs participent de cette atmosphère violente ❯ MANUEL PAGE 237
et désolée : le noir, le gris et même le blanc sont les
couleurs traditionnelles du deuil. Le tableau est tout 1. Présentez les deux cartes en insistant
entier consacré aux victimes, à la violence et à la sur le contexte politique allemand
(type de régime, dirigeant…)
barbarie qui les touchent de plein fouet.
Ces deux cartes présentent le territoire allemand
◗ Faire le lien entre arts et histoire en 1933 et en 1939 : janvier 1933 est le moment de
la prise du pouvoir par Hitler, et du début de l’ins-
5. Dans le tableau, Picasso fait-il référence tauration d’un régime totalitaire, alors que 1939
aux circonstances du bombardement est l’année où débute la Seconde Guerre mondiale,
de Guernica ? après les différents coups de force qui ont permis
Aucun élément de Guernica ne se réfère directe- au Führer d’étendre le territoire du Reich.
ment à l’acte qui lui a donné naissance : pas de
lien au contexte historique (guerre civile espa- 2. Quels changements territoriaux
gnole, participation des Allemands de la Légion l’Allemagne a-t-elle connue ?
Comment les expliquer ?
Condor) ni même d’allusion à l’acte en lui-même,
le bombardement aérien. On peut faire du taureau L’Allemagne a vu son territoire augmenter entre
- et du cheval - une référence à l’Espagne, mais la 1933 et 1939 : elle a intégré l’Autriche en mars
corrida, et plus particulièrement le taureau sont des 1938, et des régions tchécoslovaques (les Sudètes
figures qui fascinent Picasso, et que l’on retrouve à la fin de septembre 1938, par les accords de
dans nombre de ses œuvres, notamment sous la Munich, puis la Bohême-Moravie en mars 1939).
forme du minotaure. Seul le titre lie le tableau à Il s’agit d’annexions, puisque le gouvernement
un événement historique précis. allemand se substitue aux gouvernements anté-
rieurs de ces territoires, et que leurs habitants
6. D’après le doc 2, pourquoi Picasso peint-il deviennent allemands. Mais si les habitants
ce tableau ? de l’Autriche et des Sudètes applaudissent ces
Si rien, dans le tableau en lui-même, ne fait réfé- annexions, ceux de Bohême-Moravie doivent
rence aux circonstances du bombardement de Guer- céder à la pression militaire exercée par Hitler.
• 120 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 7 – Les totalitarismes face aux démocraties dans les années 1930

3. Montrez, grâce aux cartes 4. Expliquez grâce à vos connaissances


et à vos connaissances, que l’attitude de comment les annexions sont justifiées
l’Allemagne face au traité de Versailles par le régime nazi.
change entre 1933 et 1939.
L’idéologie raciste du régime nazi justifie l’an-
Entre ces deux dates, l’Allemagne cesse de respec- nexion de l’Autriche et des Sudètes par la néces-
ter les articles de ce traité. Elle se remilitarise, ce sité d’intégrer tous les peuples germanophones,
que montre la disparition de la zone démilitarisée censés appartenir à une supposée race aryenne,
de la Rhénanie. Elle annexe des territoires : même dans un même territoire, celui du Reich. L’an-
si, dans le cas de l’Autriche et des Sudètes, une nexion de la Bohême-Moravie et celle, program-
majorité de la population accueille avec enthou- mée par le pacte germano-soviétique, d’une
siasme la tutelle nazie, le traité de Versailles interdit partie de la Pologne reposent sur la théorie de
de telles extensions du territoire allemand. Enfin, l’espace vital : il s’agit, pour les Nazis, d’assurer
l’invasion de la Bohême-Moravie et celle, proje- aux Aryens un territoire suffisant en conquérant
tée, de la Pologne s’opposent nettement au traité, ceux de peuples qu’ils jugent appartenir à des
qui rejette tout acte de conquête par l’Allemagne. races inférieures.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 121 •


CHAPITRE
La fin des totalitarismes
8 ❯ MANUEL PAGES 240-261

RAPPEL DU PROGRAMME XXe Congrès du Parti communiste de l’URSS en


1956, de ses effets en URSS mais aussi dans les
− La dénazification de l’Allemagne et le pro- démocraties populaires. Cette première étape vers
cès de Nuremberg une sortie du totalitarisme, inaugurée et contrôlée
− La sortie progressive du totalitarisme en par le pouvoir en place, est rapidement interrom-
URSS : Khrouchtchev, la déstalinisation et ses pue par Khrouchtchev, ce que montre en particu-
limites ; Gorbatchev, de la Glasnost à la dispa- lier le cas de la Hongrie comme celui de l’écrivain
rition de l’URSS Boris Pasternak. La deuxième étude sur l’URSS
(pp. 250-251) porte sur la période gorbatchévienne
qui met fin au régime en 1991. L’objectif est de
montrer dans quelles conditions s’effectue cette
◗ Objectifs et problématique sortie du totalitarisme en mettant l’accent sur l’im-
du chapitre possible réforme d’un régime arrivé à un profond
Ce chapitre s’inscrit dans le thème 3 portant sur le immobilisme.
siècle des totalitarismes dont on a étudié, dans le La page Histoire des arts permet au professeur
premier chapitre, la mise en place dans les années d’ouvrir une réflexion sur la figure de l’écrivain
30 et les spécificités. L’objectif de ce chapitre est engagé. L’exemple de l’écrivain Alexandre Solje-
donc d’en étudier la chute, en comparant le cas de nitsyne est emblématique du rôle des intellec-
l’Allemagne et celui de l’URSS. À cet égard la tuels soviétiques et de leur écrits dans la dispa-
frise chronologique rend visible la différence entre rition du régime. Les textes proposés permettent
les deux régimes : l’Allemagne nazie ne survit ainsi de faire une analyse littéraire et en même
pas à la défaite et à la mort d’Hitler, alors que le temps de montrer l’engagement politique de l’au-
totalitarisme stalinien se transforme après la mort teur à travers la littérature. Cet exemple peut être
de Staline en 1953 et devient un totalitarisme de complété par celui de Varlam Chalamov, moins
parti, si bien que la sortie du totalitarisme, lente connu du grand public (p. 257).
et progressive, ne s’achève qu’en 1991 avec la
disparition de l’URSS elle-même. ◗ Bibliographie
Les deux premières études portent sur le cas de
l’Allemagne. La première (pp. 242-243) permet SUR LA FIN DU NAZISME
d’apprécier la façon dont la dénazification s’est – Dagerman Stig, L’automne allemand, Actes
mise en place en 1945 en mettant l’accent sur le Sud, 1980.
rôle joué par les grandes puissances victorieuses, – Kessel Joseph, Jugements derniers, les procès
eu égard à l’état de désorganisation du pays à Pétain, de Nuremberg et Eichmann, Texto, Tallan-
cette date. Elle permet aussi de s’interroger sur ses dier, 2007.
limites. La deuxième étude (pp. 244-245) concerne – Vincent Marie-Dominique, La dénazification,
le procès de Nuremberg qui met en place une Tempus, Perrin, 2008.
justice internationale chargée de juger les crimi- – Wahl Alfred, La seconde histoire du nazisme
nels de guerre nazis et permet d’apprécier l’im- dans l’Allemagne fédérale depuis 1945, Colin,
portance historique de ce procès. 2006.
Les deux études suivantes analysent l’évolution
du régime totalitaire soviétique après la chute de SUR LA FIN DU TOTALITARISME EN URSS
Staline. La première étude (pp. 248-249) porte sur – Applebaum Anne, Goulag, une histoire, folio
la déstalinisation sous Khrouchtchev à partir du histoire, 2003.
• 122 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

– Carrère-d’Encausse Hélène, La Déstalinisation OUVERTURE


commence, Complexe, Bruxelles,1984. ❯ MANUEL PAGES 240-241
– Chalamov Varlam, Récits de Kolyma, La Décou-
verte/ Fayard, 1986. Doc. 1. Le tribunal de Nuremberg (1945-1946)
– coll, L’aujourd’hui blessé, Verdier, 1989. Le chapitre s’ouvre sur la mise en regard de
– Grossman Vassili, Tout passe, Julliard, 1984. deux images : celle de la salle d’audience du
– Khrouchtchev Nikita, Souvenirs, R. Laffont, procès de Nuremberg et celle d’une statue de
Paris, 1971 Staline. L’aménagement de la salle d’audience
– Lazitch Branco, Le rapport Khrouchtchev et met en évidence le caractère particulier de la fin
son histoire, Point Seuil, 1976. du nazisme en Allemagne, processus voulu par
– Soljenitsyne Alexandre, Une journée d’Ivan les vainqueurs et résultant de la défaite de l’Al-
Denissovitch, 10/18, 2004. lemagne nazie. Ce tribunal s’oppose, en respec-
– Soljenitsyne Alexandre, L’archipel du Goulag, tant la légalité (avocats de la défense, volonté de
Fayard, 1978. fournir des preuves y compris filmées, appel des
– Werth Nicolas, Histoire de l’Union Soviétique : témoins) et en rendant les débats publics (procès
De l’empire russe à la communauté des États filmé, présence des journalistes et observateurs),
indépendants 1900-1991, Thémis, PUF, 2008. à la barbarie nazie, inscrivant le jugement des
– Werth Nicolas, La terreur et le désarroi, Staline criminels de guerre nazis dans une retour à la
et son système, Tempus, Perrin, 2007. civilisation.
ARTICLES DE LA REVUE L’HISTOIRE
Doc. 2. Statue de Staline à Moscou,
– « Tchernobyl : enquête sur une catastrophe 8 septembre 1991
annoncée », par Nicolas Werth, n° 308 – 04/2006 En vis-à-vis du document 1, la statue, les yeux
– « Les illusions perdues d’un historien sovié- bandés, de Staline, offre un exemple de la réaction
tique », par Mikhaïl Narinski, n° 257 – 09/2001 des Soviétiques à la chute du régime. Le professeur
– « Les crimes du communisme – Révélations peut inviter les élèves à rappeler l’importance du
sur le rapport Khrouchtchev » par Nicolas Werth culte de la personnalité et de ses manifestations,
n° 305 – 01/2006 notamment la présence obsédante de statues de
– « La deuxième mort du camarade Staline » Staline dans l’espace public. Mais si Staline a les
par Krzysztof Pomian, n° 273, dossier Staline - yeux bandés, les Russes recouvrent leur liberté ;
02/2003 cette statue devient donc la métaphore de la libé-
– « Budapest, 1956 : la révolution confisquée » ration de l’URSS.
par Michel Winock, n° 314 – 11/2006
– « Le cas Soljenitsyne » par Georges Nivat,
n° 344 spécial Russie – 07/2009
SITES INTERNET
ÉTUDE
– Le site du musée de Nuremberg : La dénazification de l’Allemagne
http//www.museen.nuremberg./ après 1945
– Le site de la bibliothèque numérique Euro- ❯ MANUEL PAGES 242-243
pean Navigator (ENA) : http//www.ena.lu
La dénazification de l’Allemagne après 1945 est
– Un article sur la naissance de la CEI :
une entreprise menée par les vainqueurs de la
http://www.diploweb.com/p7hell1.htm
guerre qui occupent le territoire après la capitu-
– Le site de la Fédération nationale des dépor-
lation en mai 1945. L’étude permet de montrer
tés et internés, résistants et patriotes :
comment ce processus se met en place et dans
http://www.fndirp.asso.fr
quel but mais aussi les limites de cette entreprise.
Ainsi l’extrait de la conférence de Potsdam met
en évidence les buts poursuivis par les Alliés alors
que les autres documents donnent une évaluation
de cette tentative d’épuration en Allemagne de
l’Ouest comme dans la zone soviétique.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 123 •
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

◗ Document 1 ◗ Document 3
1. Quelles sont les grandes décisions prises 4. Quand la fresque a-t-elle été créée ?
par les Alliés à la conférence de Potsdam Transformée ? Pourquoi et comment
concernant l’Allemagne vaincue ? a-t-elle été modifiée ?
2. En quoi ces décisions visent-elles aussi à La fresque a été réalisée en 1937 par le peintre Adolf
préparer l’avenir? Riedlin (1892-1969) pour l’entreprise de gaz de
La conférence de Potsdam réunit du 17 juillet Friboug-en- Brisgau ; elle est exposée dans la salle
au 2 août 1945 les grandes puissances victo- commune. Cette fresque représente une colonne
rieuses de la guerre, les États-Unis (H. Truman), d’ouvriers allant au travail. Le premier, en tête du
le Royaume-Uni (W. Churchill puis C. Attlee) et groupe, adresse un salut hitlérien à un homme assis,
l’URSS (Staline). Comme lors de la conférence un chômeur, qui lui rend son salut et auprès de qui
de Yalta tenue au mois de février, la question de se tient debout un autre homme. Il s’agit d’une
l’Allemagne est au centre des débats ; question œuvre de propagande dans laquelle les travailleurs
qui révèle déjà les difficultés des États-Unis et incitent les deux hommes à rejoindre la « commu-
de l’URSS pour s’entendre et annonce la Guerre nauté des travailleurs ». Dès 1945 la municipalité,
froide. On peut demander aux élèves de rappe- sensible au caractère pro-nazi de l’œuvre, s’efforce
ler le contexte au moment de la conférence en de retrouver le peintre pour lui faire modifier la toile
leur faisant remarquer que si la guerre est finie en mais en vain. Elle est ensuite en partie recouverte
Europe, elle ne l’est pas en Asie, ce qui explique de peinture noire puis modifiée en 1948, le salut
malgré tout que les Alliés arrivent à se mettre hitlérien ayant été transformé en geste d’accueil.
d’accord sur un certain nombre de points. L’Alle- Extrait de : Bilder, die lügen (Images trompeuses),
magne doit être occupée et gérée par un conseil éditions Bouvier, Bonn, 1998
de contrôle interallié. Elle doit être dénazifiée,
c’est-à-dire que le parti national-socialiste, les lois ◗ Document 2
nazies doivent être supprimés, l’éducation alle-
mande comme le système judiciaire doivent être 5. Dans quelle zone la dénazification
a-t-elle été la plus poussée par les tribunaux
épurés de l’idéologie nazie fondée sur la discri-
militaires ?
mination raciale, les responsables nazis jugés.
L’objectif est donc à la fois d’effacer de la société Dans la zone soviétique, l’activité des tribunaux
le nazisme mais aussi de rendre sa réapparition militaires a été plus importante que dans les
impossible et enfin de rendre possible la renais- zones occidentales puisqu’ils ont jugé plus de
sance de la démocratie allemande. 13 000 personnes alors que dans les zones occi-
dentales les chiffres sont bien inférieurs, entre
1 000 et 2 000 personnes. Par contre, le nombre
◗ Documents 1, 2, 4 et 5 de condamnations à mort est proportionnellement
3. Qui sont les acteurs de la dénazification ? plus élevé dans les zones américaine et britan-
nique alors qu’il est faible dans la zone française
La dénazification est d’abord menée par les Alliés
comme dans la zone soviétique (de l’ordre de
chacun dans leur zone et selon des critères assez
20 % contre 3 à 4 %). Finalement, la dénazifica-
différents. Il s’agit donc de tribunaux militaires
tion dans le secteur soviétique est plus poussée en
chargés d’éradiquer le nazisme. À l’Ouest elle est
nombre de personnes jugées comme en nombre
ensuite confiée à des tribunaux allemands char-
de condamnations à mort.
gés de juger les responsables nazis alors qu’elle
est arrêtée dans la zone soviétique. La loi dite
« pour la libération du national-socialisme et du
◗ Documents 2 et 4
militarisme » votée dans la zone américaine est 6. Dans quelle zone la dénazification
étendue aux autres secteurs occidentaux : tous les a-t-elle été la plus limitée ?
Allemands de plus de 18 ans doivent, à partir de 7. Quelle est la spécificité de la dénazification
1946, remplir un questionnaire les classant en cinq dans la zone soviétique ?
catégories et permettant de vérifier leurs activités La dénazification est peu poussée dans le secteur
politiques pendant la période national-socialiste. français que ce soit celle menée par les tribunaux
• 124 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

militaires ou celle menée par les tribunaux civils juger et la difficulté de prouver la responsabilité
après 1946. En effet le nombre de condamnations des Allemands, ces chambres ont surtout servi
à mort (104) y est plus faible que dans les autres à blanchir la population et ont été ridiculisées
zones (il y en eut trois fois plus dans le secteur dans l’opinion sous le nom de « lessiveuse ». Par
américain) ; de même les tribunaux civils ont traité ailleurs les juges qui participaient à ces chambres
moins de cas dans la zone française et suspendu n’avaient pas toujours été eux-mêmes épurés.
pourtant la moitié des procédures.
Globalement, la dénazification en Allemagne de
l’Ouest a rapidement été abandonnée du fait des ÉTUDE
premières tensions de la Guerre froide. Très vite Le procès de Nuremberg
en effet elle n’a plus été une priorité. Dès 1949
le Bundestag adopte une loi d’amnistie sur les
(1945-1946)
❯ MANUEL PAGES 244-245
délits passibles de 6 mois d’emprisonnement, sur
les délits économiques commis au marché noir Dès 1942, les gouvernements des puissances
et sur les « illégaux », c’est à dire les Allemands alliées annoncent leur détermination à punir les
qui s’étaient fait passer pour morts pour changer criminels de guerre nazis. Le 17 décembre 1942,
d’identité. En 1954, une nouvelle loi d’amnistie les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union
est votée, elle porte sur les délits passibles de 3 ans soviétique publient la première déclaration
de prison maximum. conjointe mentionnant officiellement l’extermi-
Dans la zone soviétique, la dénazification prend nation en masse des Juifs européens et décidant de
une forme particulière liée à l’interprétation sovié- poursuivre en justice les responsables de violences
tique du national-socialisme considéré comme une à l’encontre de populations civiles. Le 8 août 1945
conséquence du capitalisme ; ainsi les Soviétiques ils décident par les accords de Londres la mise en
veulent non seulement épurer la société allemande place d’un tribunal militaire international.
mais aussi substituer aux structures existantes une Ce tribunal militaire international (du 20 novembre
organisation communiste de la société est-alle- 1945 au 1er octobre 1946) se tient de façon très
mande. Cette volonté de créer un État communiste symbolique à Nuremberg, dans la ville des grands
explique l’importance de l’épuration mais aussi rassemblements nazis. Il s’agit d’un procès pour
sa rapidité face à la situation de Guerre froide l’Histoire parce qu’il a pour but de juger le nazisme
dès 1946-47. et d’éduquer les générations futures. Il est aussi
un procès historique parce qu’il est le premier
◗ Document 5 procès à dimension internationale, et à ce titre la
première étape vers la mise en place d’une justice
8. A quelle difficulté se heurte internationale. Le dossier documentaire permet
la dénazification d’après ce témoignage ? d’analyser ces deux dimensions tout en montrant
Stig Dagerman est un journaliste et écrivain les limites de cette nouvelle justice.
suédois anarchiste chargé de faire un reportage Sous l’égide de ce tribunal, les tribunaux mili-
en Allemagne dans l’immédiat après-guerre. Il taires américains menèrent aussi, à Nuremberg,
est particulièrement intéressant parce que le jour- douze autres procès, ceux d’officiers supérieurs
naliste s’efforce de faire une analyse objective allemands, des membres de la Gestapo, des SS,
de la situation allemande en 1946. Les différents ainsi que des industriels allemands.
articles de son reportage ont été publiés sous le
titre « L’automne allemand ». Bien que n’ayant ◗ Documents 1 et 2
aucune sympathie idéologique pour le nazisme,
l’auteur n’hésite pas à dire la pitié qu’il ressent 1. Quels sont les responsabilités des accusés
face aux souffrances des Allemands, et apporte et les chefs d’accusation ?
aussi un témoignage sans concession sur la déna- 2. Selon vous, pourquoi ces nouvelles notions
zification. Ici il rend compte de façon très critique ont-elles été créées ?
du fonctionnement des « chambres de jugement ». Le procès de Nuremberg devait juger 24 hauts
En effet étant donné le nombre de personnes à dignitaires du régime nazi ; finalement 22 sont
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 125 •
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

jugés à Nuremberg et 21 seulement sont présents velt et Staline dans la déclaration de Moscou qui
sur la photo, Martin Bormann ayant été jugé par stipulait qu’après l’armistice, les individus jugés
contumace. Même si Hitler, Goebbels et Himmler responsables de crimes de guerre seraient extra-
se sont suicidés, ce procès est bien celui des prin- dés dans les pays où les actes avaient été commis,
cipaux responsables du IIIe Reich : parmi eux il y a et jugés d’après les lois de la nation concernée.
des proches d’Hitler, des hommes politiques et des Les grands criminels de guerre, dont les crimes
militaires. Ont été aussi inculpées comme organi- n’étaient pas circonscrits à un lieu géographique
sations criminelles les SS et SD, SA, la Gestapo, précis, seraient passibles de peines infligées
l’état-major général et le Haut Commandement conjointement par les gouvernements alliés.
des Forces Armées. Dans son verdict, le tribunal Les huit juges du tribunal de Nuremberg repré-
prononça trois acquittements, quatre condamna- sentent les quatre pays vainqueurs et composent
tions à des peines de 10 à 20 ans de prison, trois la cour. Le président du tribunal est britannique.
emprisonnements à vie ; tous les autres inculpés Les pays neutres n’ont pas été invités. Il s’agit donc
furent condamnés à être pendus. d’abord d’une justice des vainqueurs, dans laquelle
Les accusés sont jugés au titre de quatre chefs les Américains ont joué un rôle majeur. Nurem-
d’accusation dont trois cités ici : préparation de berg est l’ébauche d’une justice internationale qui
guerre d’agression, crimes contre la paix, crimes naît après-guerre mais est bloquée ensuite par la
de guerre et crimes contre l’humanité. On peut Guerre froide. Elle s’est exprimée depuis dans deux
insister sur ce dernier chef d’accusation. En effet instances : le tribunal pénal international de La
les crimes commis au titre d’une vision raciale Haye pour juger les crimes de guerre commis dans
du monde pendant la Seconde Guerre mondiale l’ex-Yougoslavie, créé en 1993 ; le tribunal pénal
exigeaient pour en comprendre la spécificité de international pour le Rwanda chargé de juger les
créer un nouveau chef d’accusation qui permette instigateurs du génocide rwandais, créé en 1995.
de les juger. Le crime contre l’humanité renvoie
donc à l’idée de génocide. Il a d’ailleurs fait l’objet ◗ Document 3
de critique puisque les Alliés ont créé un chef d’ac-
4. À l’aide de la phrase soulignée dans
cusation après les crimes, or la justice d’un État
le texte et du document 1 p. 238, expliquez
de droit est fondée sur la non-rétroactivité de la la présences des caméras et des journalistes.
loi, qui garantit de ne pouvoir être poursuivi qu’en
vertu d’une loi existante au moment des faits. Les Alliés ont voulu donner une grande publicité à ce
procès, ce qui explique la présence des journalistes
Tous les criminels nazis n’ont pas été jugés à dans la salle d’audience ; ils ont souhaité mettre en
Nuremberg mais la législation mise en place scène ce retour à la justice et donc à la légalité face à
ensuite a permis la poursuite de cette justice inter- un régime qui avait bafoué les règles de la démocra-
nationale, ainsi en 1948, l’Assemblée générale de tie et les principes de la justice. Le procès s’adresse
l’ONU a adopté une convention pour prévenir et aussi aux générations futures, comme le souligne
punir le crime de génocide et en 1964, les crimes le texte. Ainsi en effet le procureur américain à
contre l’humanité ont été décrétés imprescriptibles. l’idée que les faits étant si incroyables il faut des
preuves tangibles pour le rendre crédible, y compris
◗ Documents 1 à 3 pour les générations à venir (d’où la présence des
caméras pour filmer le procès). À l’occasion de
3. Pourquoi était-il nécessaire de mettre
cette question, on peut s’interroger avec les élèves
en place une justice internationale?
sur la question de la mémoire du génocide et sur
Les crimes commis par le IIIe Reich concerne sa négation par le révisionnisme.
des populations originaires de toute l’Europe et
ont eu lieu sur plusieurs États, ils ne pouvaient ◗ Documents 3 et 4
donc pas être jugés par la justice nationale d’un
seul État. La spécificité du génocide des Juifs et 5. À quels types de preuves les juges
Tziganes commandait donc la mise en place de ont-ils dû avoir recours ?
cette justice internationale. Le principe en a été Les juges ont dû examiner une très abondante
adopté dès octobre 1943 par Churchill, Roose- documentation qui avait été collectée pour le
• 126 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

procès mais ils ont aussi eu recours aux témoi- ◗ Document 1


gnages des déportés.
1. Quels aspects du totalitarisme stalinien
L’équipe américaine a été chargée de préparer sont dénoncés dans le « rapport secret » ?
l’Acte d’accusation et elle a donc pris connais-
sance des rapports officiels ou confidentiels rédi- Lors du XXe Congrès du PCUS (14 février 1956),
gés entre 1939 et 1945, des principaux faits surve- Nikita Khrouchtchev confirme l’évolution que le
nus permettant la mise en accusation des criminels régime a connu depuis la mort de Staline et qui est
nazis. Cependant il manquait des preuves, d’où marquée par une détente du régime comme par
le recours à des films que suggère la présence une pause dans la Guerre froide. Après le congrès,
de l’écran. lors d’une réunion secrète, Nikita Khrouchtchev
lit un rapport confidentiel aux seuls délégués du
PCUS. Ce rapport dénonce les crimes commis par
◗ Document 5
Staline et de façon générale le régime de terreur
6. Pourquoi les crimes soviétiques qu’il a mis en place, il dénonce aussi le culte de
n’ont-ils pas été jugés à Nuremberg ? la personnalité et pour appuyer ses dires il rend
7. De quelle façon la question du génocide public le « testament de Lénine » dans lequel ce
juif a-t-elle été traitée à Nuremberg ?
dernier analysait la personnalité de ses successeurs
Le document 5 permet de mettre l’accent sur éventuels, se méfiant de la brutalité de Staline. La
les imperfections du procès de Nuremberg. En dénonciation des crimes du stalinisme ne remet
effet la Grande Alliance entre les États-Unis, le pas du tout en cause la nature même du régime, au
Royaume-Uni et l’URSS rendait impossible de contraire, puisque tous les crimes du communisme
juger les crimes commis par les Soviétiques, sont présentés comme le résultat d’un dévoiement
notamment à Katyn, ni même les bombarde- de la pensée léniniste et un abandon des prin-
ments américains sur Hiroshima et Nagazaki. cipes fondamentaux de l’État soviétique. Ainsi la
Par ailleurs ce procès, alors même qu’il avait déstalinisation est-elle aussi pour Khrouchtchev
les moyens juridiques (crime contre l’humanité), le moyen de fonder sa légitimité en se présentant
les preuves et témoignages du génocide juif, ne comme le successeur de Lénine et en écartant du
le traite pas en tant que tel. Il faut attendre le pouvoir les Staliniens du régime.
procès Eichmann en 1961 pour que la spécifi-
cité du génocide juif soit reconnue. Le procès de
Nuremberg permet donc une prise de conscience
◗ Documents 1 et 2
des crimes du nazisme mais demeure une justice 2. Expliquez ce que sont les réhabilitations
des vainqueurs. et montrez qu’elles sont les conséquences
du « rapport secret ».
3. Pourquoi peut-on dire que ce type de
décision marque la sortie du totalitarisme
stalinien ?
ÉTUDE En 1953, la mort de Staline a rendu possible la
libération de prisonniers du goulag. Dès le mois
Khrouchtchev, la déstalinisation de mars, Béria demande la libération d’une bonne
et ses limites en URSS partie des déportés et obtient une amnistie qui
❯ MANUEL PAGES 248-249 concerne les femmes, les enfants, les plus vieux
Cette étude montre les enjeux et les limites de et les détenus purgeant une peine de 5 ans ou
la déstalinisation. Mouvement initié au sommet moins, mais le nombre des libérés reste modeste.
de l’État par Nikita Khrouchtchev, il consacre le Après le XXe Congrès les libérations s’accélèrent :
« dégel » que connaît le régime totalitaire depuis plusieurs millions de personnes sont libérées en
la mort de Staline. Il vise aussi à assoir le pour- 1956. Cependant, une simple libération ne garantit
voir du nouveau leader, qui peut ainsi écarter les pas au détenu le retour à une vie normale. Pour ne
héritiers de Staline. Cet objectif politique explique pas rester suspects, les détenus politiques doivent
le peu d’ampleur du phénomène qui a très vite obtenir les documents attestant une authentique
été interrompu. réhabilitation, c’est-à-dire une annulation de la
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 127 •
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

condamnation initiale. La réhabilitation est un tique pour rétablir l’ordre. Cette première inter-
long processus et beaucoup, au plus haut niveau vention soviétique est très ponctuelle et suivie de
de l’État, y sont opposés car la réhabilitation concessions, en particulier le retour d’Imre Nagy
est l’aveu par l’administration des erreurs de la comme Premier ministre et la nomination de Janos
période stalinienne. Si les réhabilitations étaient Kadar comme premier secrétaire du Parti, mais le
trop nombreuses ou trop rapides, il deviendrait mouvement populaire, anticommuniste et antiso-
évident que le régime, et pas seulement le totali- viétique déborde le gouvernement Nagy.
tarisme stalinien, perdrait toute légitimité. Ainsi la
réhabilitation totale (avec rétablissement complet
de ses droits, appartement, travail et pension) ◗ Document 5
demeure rare. 5. Sur le plan culturel, quelle est
Enfin le retour des détenus, qui pour beaucoup la conséquence de la déstalinisation ?
étaient tenus pour morts, est un choc pour l’opi-
Le témoignage de Jacqueline de Proyart montre
nion ; en effet le retour des anciens des camps est
l’ouverture culturelle provoquée par la déstalinisa-
la preuve vivante de la terreur stalinienne dénon-
tion en URSS même. Effectivement, outre la libé-
cée dans le « rapport secret ».
ration des camps, les intellectuels soviétiques ont
bénéficié d’une « éclaircie » qui a permis la publi-
◗ Document 3 cation d’œuvres jusqu’alors interdites. Le dégel
4. Quels effets la déstalinisation culturel a même précédé le dégel politique, marqué
entraîne-t-elle en Hongrie ? notamment par la publication du roman au titre
annonciateur : Le dégel d’I.Ehrenbourg ou de celui
La déstalinisation en URSS provoque une crise
de M. Doudintsev, L’homme ne vit pas seulement
grave en Europe de l’Est, la plus sérieuse que
de pain ou par quelques réhabilitations littéraires
le camp socialiste ait connu depuis le début de
comme celle de Boulgakov. Ainsi des romans sur
son existence. En effet elle provoque un climat
le goulag ou sur le retour du goulag sont publiés :
d’incertitude dans les démocraties populaires car
le roman de V. Grossman Tout passe est publié en
la plupart des dirigeants en place doivent leur
1956 et celui de Soljenitsyne Une journée d’Ivan
pouvoir à Staline. La crise éclate en Pologne,
Denissovitch a pu être publié en 1962.
puis en Hongrie. En Pologne, l’opposition des
intellectuels et les grèves des ouvriers de Poznan
réprimées par la police aboutissent à la fin des ◗ Documents 3 et 4
pratiques staliniennes et du modèle soviétique
mais sans intervention soviétique ; l’URSS se 6. Quelle est la réaction de l’URSS
contente d’une solution d’apaisement en plaçant face à la démocratisation en Hongrie ?
au pouvoir Wladyslaw Gomulka, un ancien oppo- Le 30 octobre, alors que l’URSS cherche à tempo-
sant à Staline. riser en Hongrie par des gestes d’apaisement en
La situation est différente en Hongrie. En juillet se déclarant disposé à revoir les relations avec les
1953 le réformateur Imre Nagy a obtenu le poste démocraties populaires sur la base d’une pleine
de Premier ministre et a pris des mesures de libé- égalité, le gouvernement d’Imre Nagy se rend
ralisation. Cependant, il est écarté du pouvoir et le aux exigences des comités révolutionnaires ;
processus de libéralisation est interrompu au grand il annonce le rétablissement de la pluralité des
mécontentement de la population et des milieux partis, puis le retrait de la Hongrie du pacte de
intellectuels. L’impatience populaire est stimulée Varsovie et la proclamation de sa neutralité. Le
par les événements polonais. Du 22 au 24 octobre 4 novembre 1956 commence alors la seconde
1956 des manifestations ont lieu à Budapest, récla- intervention militaire soviétique qui met fin à
mant l’instauration de la démocratie et le retrait l’insurrection hongroise et fait 20 000 morts. La
des Soviétiques. Les Hongrois se soulèvent contre tragédie hongroise provoque peu de réactions des
leur gouvernement et réclament donc une démo- puissances occidentales absorbées par la crise de
cratisation du régime. Les autorités hongroises Suez mais fournit des arguments aux adversaires
demandent alors l’intervention de l’armée sovié- de la déstalinisation en URSS.
• 128 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

◗ Document 5 prendre connaissance des mesures entreprises et


de comprendre comment elles ont abouti à la fin
7. Pourquoi Pasternak est-il finalement
du totalitarisme soviétique.
interdit de publication en URSS ?
« L’affaire Pasternak » éclaire de façon exemplaire
◗ Document 1
les limites de la liberté octroyée aux intellectuels
1. Quels sont les différents axes
par Khrouchtchev et les limites de la déstalini-
de la politique de perestroïka ?
sation. En effet le contenu du roman qui porte
2. Quel est l’objectif de Gorbatchev ? Veut-il
une vision du monde opposée à celle que le Parti en finir avec le communisme en URSS ?
veut imposer, interdit sa publication en URSS
malgré le dégel. Le roman paraît donc à l’étranger L’objectif fondamental de la Perestroïka était
et son succès immédiat aggrave les tensions avec la relance économique. Effectivement l’URSS
le pouvoir en place. Boris Pasternak reçoit le prix a atteint dans les années 1980 une situation de
Nobel de littérature en 1958, ce qui pousse la crise blocage économique qui s’explique par les dysfonc-
à son maximum : Pasternak est obligé de renoncer tionnement du système lui-même et par le coût de la
au prix et pour ne pas être expulsé d’URSS, il est course aux armement imposé par la Guerre froide
contraint de publier dans la Pravda (5 novembre avec les États-Unis. À ce blocage économique
1958) un texte dicté par le pouvoir dans lequel il s’ajoute un mécontentement croissant de la popu-
justifie son refus du prix en accusant l’Occident lation qui aspire à la fois à plus de liberté et à une
de vouloir exploiter politiquement son œuvre. amélioration de son niveau de vie. Ainsi les mesures
proposées par M. Gorbatchev ont pour objectif la
croissance économique, le développement social et
◗ Documents 4 et 5 la démocratie. Cependant, s’il cherche à contenter
8. La déstalinisation signifie-t-elle la population, il n’entend pas pour autant sortir du
la fin du système totalitaire soviétique ? système communiste dont il réaffirme la validité.
Les deux exemples, de la Hongrie et de Boris
Pasternak, montrent nettement que la déstalinisa- ◗ Document 3
tion n’est pas la fin du totalitarisme en URSS. En 3. Quels sont les différents aspects
effet le dégel politique et culturel est limité puisqu’il de la politique de transparence
interdit toute tentative de sortie des démocraties mise en place par Gorbatchev ?
populaires de l’orbite soviétique comme une libé- L’article du Monde met l’accent sur la libération
ralisation du régime lui-même. Il est aussi de courte de la parole permise par la glasnost (« transpa-
durée, dès 1964 la période bréjnevienne ouvre une rence ») en Union Soviétique, dont l’objectif était
retour à des pratiques totalitaires. de rétablir une certaine liberté de discussion pour
sortir le peuple de sa léthargie et l’associer aux
réformes. Visible à partir de 1986, cette nouvelle
ÉTUDE liberté d’expression a été le mot d’ordre lancé par
Gorbatchev pour moderniser un discours idéolo-
Gorbatchev, de la Glasnost
gique qui avait perdu tout crédibilité. Elle libère
à la disparition de l’URSS rapidement des forces longtemps contenues et qui
❯ MANUEL PAGES 250-251 depuis une dizaine d’années visaient à conqué-
En 1985, Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire rir des espaces de liberté. Elle fait remonter à la
général du Parti communiste de l’Union soviétique surface des courants sous-jacents, ce qui vu de
au moment où le pays se trouve dans une situa- l’Occident se traduit par l’émergence d’une vérité
tion intérieure critique marqué par des difficultés non contrôlée par le pouvoir en place. Une fois
économiques et par un fort immobilisme politique lancée, elle devient difficile à canaliser : révéla-
depuis vingt ans. Face à cette situation, il tente de tions sur le passé caché, sur les faits présents, sur
réformer le régime pour assurer sa pérennité, ce des institutions ou des structures qui font scandale.
mouvement de réformes aboutit à l’effet inverse, Ainsi la parole du pouvoir n’est plus l’expression
puisqu’il accélère la chute de l’URSS qui dispa- d’une vérité irréfutable. En particulier, le Parti
raît en 1991. Le dossier documentaire permet de cesse d’être le dépositaire de la vérité et il devient
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 129 •
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

possible d’avoir raison contre lui, si bien que la dont le fer de lance est le président de la fédéra-
glasnost, qui devait révéler les insuffisances du tion de Russie Boris Eltsine qui s’oppose aussi à
socialisme sans en détruire les valeurs, porte un Gorbatchev jugeant le mouvement de démocra-
coup décisif à la légitimité du pouvoir du Parti. tisation insuffisant.

◗ Documents 1 à 3 ◗ Document 5
4. En quoi cette politique est-elle une rupture 7. D’après ce texte, qu’est ce qui explique
décisive ? l’échec de Gorbatchev ?
5. Montrez qu’elle met fin au totalitarisme. 8. Montrez que la sortie du totalitarisme
Au final, étant donné l’ampleur des réformes, il s’effectue pacifiquement.
s’agit bien d’une rupture décisive, illustrée par le
La chute de Gorbatchev et son échec pour sauver
document 2 qui met en évidence la rupture idéolo-
le régime s’expliquent en grande partie par l’im-
gique introduite par Gorbatchev par rapport à ses
plosion de l’URSS. En effet la glasnost a rendu
prédécesseurs. La Perestroïka est en effet une véri-
possible le réveil des nationalismes maintenus
table révolution visant une « restructuration » de
jusqu’alors sous le joug soviétique. Les nationali-
l’URSS dans l’ensemble de ses aspects politiques
tés ont été réprimées brutalement sous Staline et
économiques, culturels, sociaux et idéologiques.
pendant la période brejnévienne le pouvoir s’est
Ainsi les réformes économiques portent sur le
appuyé sur des mafias régionales pour ne pas avoir
développement d’une autonomie des entreprises
à régler la question nationale. La démocratisation en
d’État et sur l’élargissement de la sphère d’ini-
cours ravive les tensions accumulées et les forces
tiative privée ; politiquement elles se traduisent
centrifuges. Ainsi la Lituanie est la première RSS à
par un changement du personnel politique. Après
déclarer son indépendance, le 11 mars 1991. L’Es-
deux décennies de stabilité et de vieillissement des
tonie et la Lettonie font de même respectivement le
cadres, les dirigeants sont massivement renouve-
20 et le 21 août, lors du putsch de Moscou. Dans le
lés et rajeunis à tous les niveaux de la hiérarchie,
Caucase, la Géorgie est la première à déclarer son
tandis que Gorbatchev tente de mettre en place
indépendance le 9 avril 1991, suivie de l’Azerbaïd-
un État de droit et le pluralisme politique. Ainsi
jan le 30 août 1991 et de l’Arménie le 23 septembre
il rend leur pouvoir aux institutions dépossédées
1991. À tour de rôle, les entités fédérées de l’Union
de leur prérogatives par le Parti. Il met donc en
soviétique déclarent leur indépendance : l’Ukraine
place un système représentatif (le Congrès des
le 24 août 1991, la Biélorussie le 25 août, la Molda-
députés du peuple et le Soviet Suprême) et crée
vie le 27 août, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan le
la fonction présidentielle, dotée de pouvoirs éten-
31 août, le Tadjikistan le 9 septembre, le Turkmé-
dus. Le rôle dirigeant du Parti communiste est
nistan le 27 octobre et finalement le Kazakhstan le
abandonné en 1990.
16 décembre. La sécession effective de l’Ukraine
(1er décembre 1991) et son refus de signer le traité
◗ Document 4 d’union signent l’arrêt de mort de l’Union sovié-
6. Quelle nouvelle force politique apparaît ? tique.
La glasnost libère la contestation de l’ordre exis- La sortie du totalitarisme en URSS s’effectue
tant à travers le mouvement écologiste, dans l’in- donc pacifiquement, par une lente agonie du
telligentsia, dans la classe ouvrière sur un arrière- régime entre la fin du bloc soviétique en 1989 et
fond de détérioration des conditions de vie et de la démission de M. Gorbatchev le 25 décembre
crise économique. Elle libère aussi les dissidences 1991. L’échec des réformes de ce dernier et l’écla-
nationalistes. Elle accélère la politisation des tement de l’URSS l’affaiblissent face aux conser-
Soviétiques, qui s’expriment lors de manifesta- vateurs qui tentent un putsch en août 1991, et
tions comme celle de septembre 1990. face aux réformateurs dirigés par Boris Eltsine
Le bilan économique des réformes de Gorbat- dont la popularité est grandissante et qui l’écarte
chev étant médiocre, une double opposition naît du pouvoir. Transition graduelle et pacifique, la
au sein du pouvoir : celle des conservateurs qui chute du totalitarisme soviétique n’est pas non plus
s’opposent à la Perestroïka et celle des libéraux suivie de jugement sur les crimes du communisme.
• 130 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

HISTOIRE DES ARTS Dès 1958 il commence à travailler à L’archipel


du goulag qui constitue une œuvre majeure dans
Littérature et dissidence en URSS : la dénonciation du système concentrationnaire.
Alexandre Soljenitsyne À partir de 1964, Soljenitsyne fait l’objet d’une
❯ MANUEL PAGES 252-253 campagne de dénigrement, son roman Le pavillon
La vie et l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne sont des cancéreux est interdit et il ne peut recevoir
emblématiques de la dissidence littéraire sovié- la prix Nobel de littérature en 1970 par crainte
tique qui s’est développée dès la fin des années de mesures de rétorsion. Écrire devient alors un
1950, alors que le bref dégel culturel des années véritable combat contre le pouvoir. En septembre
1953-56 s’achève. En effet si son roman Une jour- 1965, une partie de ses archives est saisie chez un
née d’Yvan Denissovitch est publié en 1962, l’au- de ses amis et il manque d’être assassiné en août
teur subit ensuite la censure du pouvoir soviétique 1971. En décembre 1973, paraît à Paris (en version
sous Brejnev. Pendant cette période les écrits des russe) L’Archipel du Goulag. Il a été écrit entre1958
opposants au régime circulent secrètement sous et 1967 sur de minuscules feuilles de papier enter-
forme de samizdat, parfois passés en Occident et rées une à une dans des jardins, une copie avait été
publiés à l’étranger et entretiennent une opposition envoyée en Occident pour échapper à la censure.
clandestine. Ainsi entre 1968 et 1972 (date de leur Il décide sa publication après qu’une de ses aides
arrestation) des auteurs dissidents réussissent à est retrouvée pendue : elle avait avoué au KGB la
éditer clandestinement tous les deux à trois mois la cachette où se trouvait un exemplaire de l’œuvre.
« Chronique des événements courants » qui signale Accusé de « trahison et apologie du fascisme »,
toutes les atteintes aux libertés. À la fin des années Soljenitsyne est arrêté le 12 février 1974, privé de sa
1960, les principaux courants de la dissidence se nationalité soviétique et expulsé le lendemain vers
regroupent en un « Mouvement démocratique » l’Allemagne fédérale. Il s’installe d’abord en Suisse,
aux structures lâches qui regroupe une centaine puis émigre aux États-Unis où il continue à écrire.
de personnes représentants des différentes oppo- L’archipel du goulag paraît finalement en 1989
sitions. La force de cette dissidence se révèle au dans le revue Novy Mir. Soljenitsyne retrouve la
moment de la perestroïka et explique en partie que nationalité soviétique en 1990 et rentre en Russie
la glasnost ait rapidement glissé de la critique du en 1994 où il meurt en 2008.
régime stalinien à celle du régime communiste lui-
même. Alexandre Soljenitsyne a été le symbole de
la résistance intellectuelle à l’oppression soviétique.
◗ Analyser l’œuvre
3. Qualifiez le niveau de langue utilisé par
◗ Présenter les œuvres Soljenitsyne. Dans quel but fait-il ce choix
stylistique ?
1. Présentez l’auteur de ces textes.
Soljenitsyne utilise ici un style proche du langage
2. Dans quelles conditions ont-ils été rédigés
et publiés ?
des « zek » dans un souci de réalisme. On peut
faire relever par les élèves les expressions tout
Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) est arrêté droit sorties de la langue orale. Ce choix corres-
en février 1945 pour avoir critiqué Staline alors pond au projet de l’auteur qui voulait retracer la
qu’il est mobilisé depuis 1941, et il est envoyé au journée d’un détenu ordinaire du goulag et faire
goulag. Il passe quatre ans dans une prison-labo- parler le goulag. Il correspond à sa volonté d’être
ratoire puis trois ans au nord du Kazakhstan dans le porte-parole des détenus des camps dont l’exis-
un goulag. Il est libéré en mars 1953, au moment tence est jusqu’alors tabou. Il fait entrer ainsi la
de la mort de Staline, et relégué en Asie centrale réalité des camps en littérature.
jusqu’en 1956. Après sa réhabilitation, il s’installe
à Riazan (200 km de Moscou) où il enseigne. C’est 4. En quoi met-il en cause le pouvoir
le roman Une journée d’Yvan Denissovitch écrit soviétique ?
en 1958 et publié en 1962 dans la revue Novy Mir 5. Montrez que la critique est plus radicale
avec l’autorisation de Khrouchtchev qui lui donne dans L’Archipel du goulag.
une renommée internationale. Dans ce récit, il Décrivant l’univers des camps, mettant en évidence
met en scène la journée d’un détenu du goulag. le mensonge érigé en système de pouvoir, Solje-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 131 •
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

nitsyne met en cause le pouvoir soviétique. Dans Enfin il met en cause Staline mais aussi Lénine
ces deux extraits il montre la folie du système dans dont la responsabilité avait été épargnée dans la
lequel l’idéologie remplace la pensée (le soleil déstalinisation menée par N. Khrouchtchev. Ainsi
obéit au décret soviétique) et met en évidence le totalitarisme n’est plus un accident de l’histoire
la terreur devenue un mode de gouvernement ou un dévoiement du léninisme mais l’essence
qui suppose, jusqu’à l’absurde, la désignation même d’un régime fondé sur l’idéologie.
des ennemis du régime (les soldats soviétiques
prionniers et évadés sont accusés d’espionnage). 7. Par quel biais l’œuvre de Soljenitsyne
Pourtant ce texte a été autorisé par Khrouchtchev, a-t-elle eu un retentissement international ?
en effet il sert les intérêts du premier secrétaire À l’intérieur du pays, la dissidence était isolée et
général de l’URSS qui depuis 1956 dénonce le marginalisée sous Brejnev mais l’action remar-
culte de la personnalité. En 1961 a lieu le XXIIe quée d’A. Soljenitsyne et d’A. Sakharov permit
Congrès où Khrouchtchev veut aller plus loin dans à la dissidence de se faire connaître à l’étranger.
la déstalinisation mais doit faire face aux conserva- L’œuvre de Soljenitsyne comme celle de beaucoup
teurs du régime. Pour contourner ces résistances, de dissidents soviétiques n’a pas été publiée en
il s’appuie sur l’intelligentsia et autorise donc la URSS de façon officielle. Par contre elle l’a été en
publication de cet ancien zek. Occident, ce qui lui a permis d’avoir un retentisse-
La critique formulée dans L’Archipel du goulag va ment international hors de son pays confirmé par
beaucoup plus loin. D’abord parce qu’il ne s’agit le prix Nobel de littérature obtenu en 1970 et reçu
plus d’une œuvre d’imagination, d’un roman, en 1974 après son exil. Après son départ d’URSS,
mais d’un récit-témoignage alimenté par l’ex- Soljenitsyne a pu s’exprimer librement, faisant
périence de l’auteur et de tous les détenus qu’il l’objet de nombreuses interviews et gagnant un
a connu. Le projet est aussi plus ambitieux. Il immense auditoire télévisuel en Occident.
ne se contente plus seulement de dénoncer une Ainsi en quelques années la question des droits
réalité longtemps cachée, de mettre des mots et de l’homme en URSS est devenue une question
une voix sur le sort de millions de détenus inno- internationale qui a ternie l’image de l’URSS dans
cents du goulag et par là de dénoncer les crimes le monde. Dans le même temps le KGB poursui-
de Staline. Il décrit avec précision le système vait la répression de l’opposition (arrestations,
concentrationnaire à partir de 1918 et dénonce le enfermements dans des hôpitaux psychiatriques,
régime lui-même ainsi que l’idéologie sur laquelle assignation à résidence, exil forcé).
il est fondé. Ainsi, il expose le système concentra-
tionnaire soviétique du Goulag, qu’il a vécu de
l’intérieur, et dénonce aussi la nature totalitaire EXERCICES
du régime communiste.
L’écrivain dissident
◗ Faire le lien entre art et histoire Varlam Chalamov
❯ MANUEL PAGE 257
6. Quel est le rôle de l’idéologie
dans l’Histoire selon l’auteur ? Comment Varlam Chalamov (1907-1982) a passé 17 ans
analyse-t-il l’action de Staline en URSS ? dans les camps de Sibérie. Arrêté la première fois
Montrez comment Soljenitsyne s’oppose en 1929 pour avoir diffusé Le Testament de Lénine,
ainsi au pouvoir en place. il purge sa première peine dans un camp de travail
L’auteur s’oppose radicalement au pouvoir en d’où il est libéré en 1932. En 1937 il est condamné
place et le met en cause dans son fondement à une peine de cinq ans selon l’article 58, sigle
même, l’idéologie. En effet Soljenitsyne dénonce KRTD (activité contre-révolutionnaire trotskiste)
l’idéologie communiste comme le prétexte des à l’extrême est de la Sibérie dans la presqu’île
crimes commis en URSS depuis sa création. Son de la Kolyma. À ce moment-là les camps de la
analyse particulièrement iconoclaste à ce moment- Kolyma deviennent des camps d’extermination.
là lui permet de rapprocher la situation soviétique Chalamov survit avec peine à la faim et au travail
de l’Allemagne nazie mais aussi de l’Inquisition, dans les gisements aurifères. En décembre 1938 il
de la colonisation ou du jacobinisme. se retrouve à Magadane après avoir été sauvé in
• 132 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 8 – La fin des totalitarismes

extremis d’une condamnation à mort. Il est ensuite La publication des Récits dela Kolyma à Paris en
transféré dans une prospection géologique, puis 1981 et le rassemblement de groupes de jeunes
sur un gisement aurifère. En 1942, sa peine est autour de Chalamov décident les autorités à le
prorogée jusqu’à la fin de la guerre. transférer secrètement de l’hospice de vieillards
Pour non-réalisation systématique de la norme, il où il se trouve dans un hôpital psychiatrique ce
est envoyé au camp disciplinaire de Djelgala où qui précipite sa mort en janvier 1982.
en 1943 un nouveau procès lui est intenté pour
avoir dit que Bounine était un grand écrivain russe. Les Récits de la Kolyma
Il est condamné à 10 ans mais dans son dossier Ce recueil de textes a été écrit après le retour de
le sigle meurtrier KRTD est remplacé par l’ali- Varlam Chalamov de déportation. Il dresse un
néa 10 (propagande anti-soviétique) bien moins véritable monument à la mémoire des détenus des
grave et qui lui permet plus tard d’accéder aux camps dont il a fait partie. Ces textes souvent assez
cours d’aide-médecin créés à Magadane, ce qui le courts et poétiques sans véritable héros ni ordre
sauve en fait. Libéré en 1951, Chalamov doit rester chronologique relèvent à la fois de la fiction et
en qualité d’aide-médecin à l’Hôpital Central de du document. Chalamov fait disparaître la limite
Debine, sur la rive gauche de la Kolyma. Il est entre les deux genres, donc ni témoignage histo-
autorisé à quitter la Kolyma en novembre 1953 rique brut, ni œuvre littéraire exclusivement, ils
mais pas à habiter Moscou et s’installe dans la procèdent d’une recréation qui en font un matériau
région de Kalinine, non loin de la capitale. très particulier pour l’historien. À partir d’un vécu
La publication de son manuscrit Récits de la immédiat puis d’une mémoire de plus en plus loin-
Kolyma est bloquée en URSS pendant 7 ans puis taine des événements puisque écrits dans les vingt
refusée définitivement. Par contre il paraît en partie années suivantes, ces textes sont parfois proches
en Occident puis est publié intégralement en 1978 du conte, récits et mémoire de détenus morts
à Londres. « Mes œuvres ne font pas partie des mais aussi parfois de sa propre histoire transfi-
belles lettres. Il s’agit d’un témoignage, d’un acte gurée. Souvent les personnages mis en en scène
d’accusation, d’un réquisitoire » dit-il à une amie. sont des doubles de l’auteur. Ainsi, dans le récit
Les Récits de Kolyma ont commencé à circuler en « Tâche individuelle » (1955), le détenu Dougaïev
samizdat au début des années 1960 et sont alors est fusillé pour n’avoir pas réalisé la norme. Mais
considérés dans les milieux dissidents de Moscou dans un autre récit, « Oraison funèbre » (1960),
comme un classique sans égal, ce qui explique c’est Chalamov lui-même qui vit l’épisode, dont
que Chalamov ait reçu des visites jusqu’à sa mort. il réchappe.

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 133 •


PARTIE Colonisation
4 et décolonisation
❯ MANUEL PAGES 262-309

Cette quatrième partie du programme couvre une sants vecteurs de la propagande coloniale, véhi-
période qui va de la fin du XIXe siècle à la seconde culant des slogans tels que « Nul ne peut penser
moitié du XXe siècle. Elle doit être traitée en 7 à national sans penser colonial ». Sur le planisphère
8 h et s’articule en deux parties : une première central les possessions françaises sont classique-
consacrée au temps des dominations coloniales et ment représentées en rouge (« L’empire mondial
une seconde à la décolonisation. Ces deux phéno- de la France ») de même que les principales
mènes historiques majeurs ne sont pas à étudier voies commerciales qui les relient à la métro-
de façon exhaustive. pole. L’accent est mis sur l’ampleur de l’empire
La question coloniale se décline en deux moments (superficie, population), le deuxième après l’em-
qui correspondent à la fin de la conquête et aux années pire britannique. C’est l’intérêt économique des
1930 marquées par la préoccupation de la gestion colonies que le document cherche à mettre en
des empires. Elle est abordée à deux échelles : celle valeur (« Les colonies apportent leurs ressources
du continent africain puis celle de l’empire français. à la mère patrie », « commerce total des colonies
Le processus de décolonisation est lui appréhendé françaises avec l’extérieur :17 milliards ») ainsi
à travers deux études : la fin de l’empire des Indes que les réalisations françaises outre-mer.
et la guerre d’Algérie, qui appartiennent aux deux
Doc. 3. L’indépendance de l’Algérie en 1962
temps de la grande vague de décolonisation amorcée
juste après la Seconde Guerre mondiale. Le 3 juillet 1962, à l’issue de huit années de
guerre, les Algériens fêtent leur indépendance.
Doc. 1. Les Européens à la conquête Cette dernière vient d’être approuvée par 99,72 %
de l’Afrique des votants au référendum proposé par de Gaulle.
La conquête européenne de l’Afrique s’est heurtée Pour la France, ce jour marque la fin de la présence
à des résistances beaucoup plus acharnées que la française en Afrique du nord et de leur domina-
littérature coloniale ne le laisse souvent supposer, tion sur une Algérie longtemps considérée comme
ces dernières revêtant des formes diverses. Les Alle- partie intégrante du territoire français. À Alger,
mands, tardivement entrés dans la course aux colo- les Algériens investissent le centre de la ville
nies, entendent ne pas rester en retrait. Bismarck fait européenne qui depuis plusieurs semaines s’est
appel à l’ancien explorateur, Gustav Nachtigal, pour vidé de sa population. La foule défile ici à pieds.
permettre à l’Allemagne de s’installer au Togo et au Certains brandissent un drapeau algérien, interdit
Cameroun. En 1884, prenant de vitesse Britanniques sous la colonisation. Imaginé en 1933 pour l’Étoile
et Français, il signe avec certains chefs Doualas une nord-africaine, première organisation indépen-
série de traités de protectorat. Installés sur la côte, dantiste, il a été popularisé par son successeur, le
les Allemands entreprennent alors la colonisation du Parti du peuple algérien, après les manifestations
pays. Mais la brutalité de leurs méthodes et la confis- du 8 mai 1945. Il veut symboliser une identité
cation des terres agricoles suscitent une vive résis- très marquée par l’islam, représenté par le vert,
tance. Cette lithographie illustre l’affrontement entre l’étoile et le croissant. Le blanc est la couleur de
les Allemands et les Doualas en décembre 1884, la pureté et le rouge celle du sang des martyrs.
soulignant le déséquilibre des forces en présence L’Algérie se dote aussi d’une fête de l’indépen-
et l’altérité des deux peuples. dance, le 5 juillet. C’est en effet le 5 juillet 1830
qu’a officiellement débuté la colonisation, par une
Doc. 2. L’empire colonial français convention entre les Français et le dey d’Alger.
à son apogée Si les festivités de l’indépendance ne dégénèrent
La Ligue maritime et coloniale française consti- pas à Alger, il n’en va pas de même à Oran où, le
tue, jusqu’aux années 1950, l’un des plus puis- 5 juillet 1962 est marqué par des fusillades et des
• 134 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Partie 4 – Colonisation et décolonisation

violences, faisant une centaine de morts dont une FLN, et il faut attendre le 25 septembre 1962 pour
vingtaine d’Européens. Dans le même temps, les que soit instaurée la République démocratique et
affrontements font rage au sein des dirigeants du populaire d’Algérie.

CHAPITRE
Le temps des dominations coloniales
9 ❯ MANUEL PAGES 264-289

RAPPEL DU PROGRAMME partage de ces territoires. La domination euro-


péenne sur l’Afrique est à son apogée à la fin du
– Le partage colonial de l’Afrique à la fin du XIXe siècle, mais elle n’est pas absolue, comme
XIXe siècle. le montre la victoire des Abyssins sur les Italiens
– L’empire français au moment de l’exposi- à Adoua en mars 1896.
tion coloniale de 1931, réalités, représenta-
tions et contestations. L’empire français est étudié dans les années
1930, au moment de son développement maxi-
mum, après la conquête. Se pose alors la question
de l’administration ; à l’exception de l’Algérie,
◗ Objectifs et problématique seule colonie de peuplement, le système colonial
du chapitre se limite à la présence de coloniaux, essentiel-
Pionnière de la révolution industrielle, l’Europe lement des fonctionnaires et des militaires, qui
puise dans son avancée technologique, sa puis- administrent les territoires. Le cours et les études
sance économique et financière, sa vitalité démo- permettent d’aborder les différentes facettes de la
graphique, les atouts qui lui permettent de s’impo- domination coloniale française et la contestation
ser dans le monde par un impérialisme dont l’une qui se fait jour sous de multiples formes, à l’heure
des manifestations majeures est la constitution des où la propagande coloniale connaît son apogée en
empires coloniaux. Le chapitre se propose d’ana- métropole. Les études consacrées à l’Algérie et à
lyser à la fois les méthodes de conquête, d’admi- l’Indochine abordent, à partir de deux cas concrets,
nistration et de mise en valeur des territoires mais les trois mots clés du programme : « réalités, repré-
aussi de comprendre les ressorts de l’expansion, sentations et contestations ». L’étude consacrée
l’idéologie qui accompagne la colonisation et la à l’Exposition coloniale de 1931 et les pages
légitime, les résistances et les premières contes- Histoire des Arts sur la chanson coloniale permet-
tations qu’elle suscite. tent d’approfondir la question de la propagande
coloniale et des représentations.
Le programme invite à décliner la question colo-
niale en deux moments historiques qui correspon-
dent à la fin de la conquête et aux années 1930, ◗ Bibliographie
marquées par la préoccupation de la gestion des OUVRAGES GÉNÉRAUX ET PÉRIODIQUES
empires. Les thèmes à étudier permettent une – Michel M., « La colonisation européenne »,
vision à deux échelles différentes : celle d’un La Documentation photographique, n° 7042, La
continent, l’Afrique, puis celle d’un empire, l’em- Documentation française, août 1997.
pire français, qui s’étend sur plusieurs continents – Wesseling H., Les empires coloniaux européens
(Repères pages 266-267). 1815-1919, Folio histoire, Gallimard, Paris, 2009.
Le partage de l’Afrique est abordé à travers deux – « Le Temps des colonies », Les Collections de
études (pages 268 à 271) qui traitent des conditions L’Histoire, avril 2001.
et des motivations de la pénétration européenne – « La colonisation en procès », L’Histoire,
ainsi que des rivalités qui s’exacerbent autour du n° spécial, n° 302, octobre 2005.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 135 •
Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

SUR L’EMPIRE FRANÇAIS OUVERTURE


– Bancel N., Blanchard P., Verges F., La Répu-
❯ MANUEL PAGES 264-265
blique coloniale, Essai d’une utopie, Albin Michel,
coll. « Bibliothèque Albin Michel Idées », Paris, Les deux images permettent de confronter la
2003. propagande coloniale véhiculée en métropole
– Blanchard P., Lemaire S. (dir.), Culture colo- aux réalités de la domination française.
niale. La France conquise par son empire, 1871-
Doc. 1. La propagande coloniale
1931, coll. « Mémoires », Autrement, 2003.
– Bouche D., Histoire de la colonisation fran- Ce document est un exemple des œuvres de propa-
çaise, tome 2 (1815-1962), Fayard, 1991. gande présentées à l’Exposition coloniale inter-
– Deroo E., L’Illusion coloniale, Taillandier, nationale de Vincennes en 1931 (étude pages
Paris, 2006. 274-275). Henri Milleret réalise à cette occasion
– Girardet R., L’idée coloniale en France de 1871 plusieurs peintures monumentales aux textes
à 1962, Pluriel, Paris, 1972. éloquents, comme ici, ou sur un autre tableau :
– Hodeir C. et Pierre M., 1931. L’Exposition colo- « Les colonies ravagées par l’esclavage, la mala-
niale, Complexe, Bruxelles, 1991. die, les luttes intestines sont délivrées par les Fran-
– Liauzu C. (dir.), Colonisation : droit d’inven- çais ». Ici, la France, cerclée de bleu-blanc-rouge,
taire, Armand Colin, Paris, 2004. est représentée comme le phare et la lumière du
– Liauzu C. (dir.), Dictionnaire de la colonisation monde. Elle éclaire ses possessions de faisceaux
française, Larousse, Paris, 2007. rayonnant sur tous les continents, y apportant la
– Liauzu C. et J., Quand on chantait les colonies, lumière de la civilisation. L’hexagone est surdi-
ed. Syllepse, Paris, 2002. mensionné par rapport au reste de l’Europe. Les
– Meyer J., Thobie J., Coquery-Vidrovitch C. et cinq principales composantes de l’empire fran-
Ageron C.-R., Histoire de la France coloniale, çais sont figurées par un personnage stéréotypé
3 tomes, A. Colin, 1991 (existe aussi en poche, (Algérie, AOF, AEF, Madagascar, Indochine). Le
coll. « Agora-Pocket »). planisphère est centré sur l’Afrique, qui occupe
– Pervillé G., De l’Empire français à la décolo- une place prépondérante dans l’empire français.
nisation, Hachette, Paris 1991. La légende exalte de façon explicite la « mission
– Rioux J.-P. (dir.), Dictionnaire de la France civilisatrice » de la France grâce à son administra-
coloniale, Flammarion, Paris, 2007. tion coloniale (« 76 900 hommes »). Le rayonne-
ment de la France apparaît aussi à travers le tracé
SUR LE MAGHREB ET L’AFRIQUE NOIRE
des grandes routes maritimes. On notera la repré-
– D’Almeida-Topor H., L’Afrique au XXe siècle, sentation de la statue de la Liberté (offerte par la
A. Colin, 1993. France aux États-Unis), vers laquelle se dirige un
– Katan Bensamoun Y., Le Maghreb, de l’em- navire français, incarnation des valeurs dont se
pire ottoman à la fin de la colonisation française, réclament les Occidentaux, sûrs de la supériorité
Belin, Paris, 2007. de leur civilisation (document 1 p. 272).
– Rivet D., Le Maghreb à l’épreuve de la colo-
nisation, Hachette, 2001. Doc. 2. Le travail forcé en Afrique noire
– Stora B., Histoire de l’Algérie coloniale (1830- Cette photographie illustre l’une des réalités de la
1954). La Découverte, 1991. domination coloniale : le travail forcé. Il apparaît
SITES INTERNET sur le continent africain à partir des années 1880.
– Le site de la CNHI Dans certains cas, il s’agit de travaux considé-
www.histoire-immigration.fr rés d’utilité publique : construire des routes, des
– Le site www.étudescoloniales.canalblog.com voies ferrées, porter les bagages des troupes et
– Le site du musée du Quai Branly à Paris des administrations coloniales. À mesure que la
www.quaibranly.fr colonisation avance, on réquisitionne des hommes
en privilégiant les plus vigoureux ; ceux qui refu-
sent sont sévèrement châtiés. À cela s’ajoute le
travail forcé organisé par les compagnies conces-
sionnaires. À partir du XXe siècle, l’économie de
• 136 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

traite contraint une main-d’œuvre récalcitrante des conquêtes coloniales qui vont amener à l’as-
à travailler dans les plantations et les mines. Si, sujettissement quasi-total du continent africain.
juridiquement, travail forcé et esclavage ont des
statuts différents, dans les faits, les travailleurs ◗ Documents 1 et 2
sont maintenus au travail sous la contrainte. Ils
ne touchent aucun salaire et doivent être nourris 2. Où l’expansion coloniale a-t-elle été
par les populations des villages qu’ils traversent. particulièrement l’objet de rivalités
Il existe quelques formes de compensation comme entre Européens ? 3. Qui en sont les acteurs ?
la distribution de sel ou de tissu, mais ces rétribu- C’est sur le continent africain que la concurrence
tions restent largement en dessous de la valeur du entre puissances européennes est la plus forte. La
travail fourni. Enfin, ces travailleurs forcés sont « course au clocher » exacerbe les rivalités. La
encadrés par des forces de l’ordre, principalement volonté française de construire un « empire afri-
des milices africaines recrutées sur le territoire cain allant de Dakar à Djibouti » est contrariée
même, et commandées par des Européens. Dans par le souhait britannique de mettre en place un
beaucoup de régions, le travail forcé est resté en axe Sud-Nord « du Cap au Caire ». L’incident
place jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Bien de Fachoda, en 1898, traduit ces heurts. L’en-
qu’aboli, il a pu subsister de fait dans d’autres trée tardive de l’Italie et de l’Allemagne dans la
(ex : Oubangui-Chari, Gabon, Congo). course aux colonies nourrit également les tensions.
L’Italie refuse de reconnaître le protectorat fran-
çais sur la Tunisie jusqu’en 1896. En 1905 puis
REPÈRES en 1911, France et Allemagne s’opposent pour la
domination du Maroc. Les Boers, descendants des
Les empires coloniaux (1860-1939) Hollandais, se voient contraints d’accepter l’im-
❯ MANUEL PAGES 266-267 plantation des Britanniques d’où des tensions qui
mènent à la guerre entre 1899 et 1902.
◗ Document 1
1. Quelles sont les zones colonisées ◗ Document 2
vers 1860 ?
4. Quelles sont les deux principales
Vers 1860, il existe deux ensembles de territoires puissances coloniales en 1914 ?
coloniaux. Le premier est composé des vestiges de
la première expansion européenne ; le second est En 1914, le partage du monde est quasiment
conquis dans une nouvelle phase née de la révo- achevé ; le Royaume-Uni dispose de l’empire
lution industrielle et des transports. À la première le plus vaste (33 millions de km2 et 450 millions
catégorie appartiennent les possessions espagnoles d’habitants), puis vient la France (10 millions de
et portugaises. L’Espagne domine essentiellement km2 et 48 millions d’habitants).
Cuba et les Philippines et possède quelques points
d’ancrage en Afrique. Le Portugal étend sa souve- ◗ Document 3
raineté essentiellement en Afrique. Mais ces deux
puissances semblent alors hors d’état d’étendre 5. Décrivez l’empire français
dans les années 1930.
leurs possessions voire de les conserver. Les Pays-
Bas contrôlent surtout les Indes néerlandaises. La Dans les années 1930, l’empire français connaît
France et la Grande-Bretagne ont en revanche, au son extension maximum (12 millions de km2 et
long du XIXe siècle, poursuivi l’acquisition de 70 millions d’habitants). Aux anciennes colo-
nouvelles colonies. Côté français, la conquête de nies comme la Guadeloupe, la Martinique ou la
l’Algérie, entamée en 1830, se poursuit et l’ins- Réunion se sont ajoutés, à partir du XIXe siècle,
tallation en Afrique noire progresse, ainsi qu’en un important domaine africain, en Algérie, en
Asie dans la péninsule indochinoise. L’extension Tunisie et au Maroc, à Madagascar, et en Afrique
la plus importante reste celle du Royaume-Uni et subsaharienne, la péninsule indochinoise et des
ce sur tous les continents. Mais il faut attendre territoires insulaires en Océanie. En 1922, la SDN
les années 1880 pour assister à l’intensification confie à la France, sous forme de mandat, d’an-
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

ciennes possessions allemandes (Togo et Came- ria et l’Abyssinie (grâce à la victoire du négus à
roun) et ottomanes (Liban et Syrie). Adoua sur les Italiens en 1896).

6. Où se situent les principales zones


de contestation de la domination française ? ◗ Documents 3 et 4
L’apogée colonial en France est concomitant de 3. Comment les Européens pénètrent-ils en
l’affirmation d’un nationalisme « indigène ». La Afrique et y imposent-ils leur domination ?
contestation se développe d’abord en Indochine, 4. Quelles sont leurs motivations ?
en Afrique du Nord, en Syrie et au Liban, elle 5. Comment réagissent les populations
reste limitée en Afrique noire où l’opposition au locales ?
colonialisme se structure différemment. Les reven- « On peut rattacher le système [d’expansion colo-
dications des élites portent principalement sur les niale] à trois ordres d’idées : à des idées écono-
réformes à mettre en œuvre et sur la justice sociale. miques, à des idées de civilisation, à des idées
En France, la contestation intellectuelle « noire », d’ordres politique et patriotique » (Raoul Girar-
inspirée par des Antillais et de jeunes Africains det). Ce sont les deux premières motivations qui
prend corps. Des revues vont y donner naissance à apparaissent dans le doc 3. Le poète ghanéen
une prise de conscience nationaliste et identitaire évoque d’abord l’arrivée des missionnaires qui
de la diaspora noire. Dans le prolongement, Aimé entendent mener une action humanitaire, dénon-
Césaire et Léopold Sédar Senghor font émerger çant l’esclavage, l’animisme et la polygamie,
le thème de la « négritude ». remettant en cause l’autorité souvent brutale des
chefs traditionnels. Ils viennent prêcher la bonne
parole (« des propos tendres et suaves »), ouvrant
ÉTUDE la voie d’une présence européenne beaucoup plus
brutale. Leur arrivée s’accompagne de celle de
Le partage de l’Afrique : marchands qui viennent commercer, introduisent
conquêtes et rivalités des besoins nouveaux, par une politique de « petits
❯ MANUEL PAGES 268-269 cadeaux » (pacotille et armes). Le ton change
quand le temps des explorations s’achève et que
◗ Document 1 le continent africain devient la proie des ambitions
des puissances. Le poème permet de comprendre
1. Comparez les territoires colonisés
avant 1865 et en 1914.
que les Européens ont d’abord été accueillis favo-
2. Quelles puissances européennes rablement avant que la réalité de leur politique
se sont installées en Afrique ? d’oppression n’apparaisse évidente.
À l’exception de l’Algérie dont la conquête s’opère La conquête des territoires africains revêt des
depuis 1830, les implantations européennes en formes diverses : mise sous dépendance à partir
Afrique sont ponctuelles et limitées vers 1865. de questions financières comme en Tunisie ou en
L’intérieur du continent, à la différence des régions Égypte ou encore au Maroc (étude pages 270-271),
littorales, n’est pas entièrement connu des Euro- traités de protectorat, souvent ambigus en Afrique
péens bien que de nombreuses missions d’explo- intertropicale, mais aussi conquête militaire et
ration ont eu lieu dans le courant du XIXe siècle. même véritables guerres coloniales, là où les
Africains n’acceptent pas la perte de leur indé-
On voit sur la carte que la pénétration européenne
pendance. Les exemples de résistance sont en
s’est considérablement intensifiée en 1914 et que
effet légions : résistance des Wolof au Sénégal
de nouveaux protagonistes comme l’Allemagne et
de 1864 à 1886, résistance du roi Béhanzin au
l’Italie se sont implantés sur le continent. Ainsi,
Dahomey (doc 1 p. 282) en 1890 puis en 1892-
dans les premières années du XXe siècle, l’Afrique
1894, guerres qui opposent les Ashantis et les
est presque entièrement conquise par quelques
Zoulous aux Britanniques.
puissances européennes. Les nations colonisa-
trices, qui possédaient 11 % du continent africain Le document 4 illustre la résistance des Hereros,
en 1875, en contrôlent 90 % en 1902. Il ne reste en Afrique du Sud-ouest (actuelle Namibie) qui se
en 1914 que deux États indépendants : le Libe- révoltent en 1904 contre la domination allemande.
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

L’illustration du Petit Journal représente l’affronte- et en Europe. Mais les gouvernements préfèrent
ment entre l’armée allemande, obéissant aux ordres négocier plutôt que de parvenir à des conflits,
de l’officier debout au second plan, et les guerriers comme en témoigne la succession de conférences
Hereros, dirigés par leurs chefs, reconnaissables internationales et de rencontres entre diplomates
à leur coiffe et costume rouge vif. On mesure ici et dirigeants de pays concurrents pour aboutir à
l’infériorité technologique des Hereros qui, comme une entente, sans jamais tenir compte de l’avis des
souvent dans ces guerres coloniales, condamne les populations locales. Dans les années qui suivent
insurgés à l’échec. Les Allemands utilisent l’arme la Conférence de Berlin, de nombreux traités bila-
à feu, avancent en rang serré, devancés par des tirs téraux sont signés entre les pays engagés dans la
d’artillerie ; leur action est coordonnée tandis que conquête, qui délimitent les zones d’influence
l’assaut des guerriers hereros semble désordonné. respectives et les frontières. Le document 5 en
fournit un exemple. Madagascar a été un terri-
◗ Document 2 toire très disputé entre Français et Britanniques.
Par l’accord de 1890, le Royaume-Uni reconnaît
6. Quel problème cette conférence le protectorat français et une ligne de partage est
entend-elle régler ? fixée entre les zones française et britannique dans
Ce texte est un extrait de l’acte final de la confé- la région du Niger.
rence de Berlin, tenue de novembre 1884 à
février 1885 à l’initiative de l’Allemagne et de ◗ Documents 1 et 6
la France. Trois questions majeures sont envisa-
gées : celle du commerce, pour éviter conflits et 9. Présentez la crise de Fachoda.
monopoles et la nécessité de permettre une libre Quel risque fait-elle courir ?
navigation sur les deux grands fleuves africains 10. Montrez que la rivalité
franco-britannique dépasse le seul cas
(Congo et Niger), permettant ainsi aux pays sans
de Fachoda.
façade maritime un libre accès à l’océan Atlan-
tique. La question des frontières est posée, en vue Le lobby colonial français, qui a mal accepté
des prochaines conquêtes, de façon à éviter les l’installation des Britanniques en Égypte et leurs
litiges. Enfin, les puissances européennes s’en- ambitions sur le Soudan, a tout mis en œuvre pour
gagent solennellement à pourvoir au bien-être contrecarrer cette avancée. Les routes des deux
des populations colonisées. Ainsi la conférence empires se croisent en effet : celle des Britanniques
s’engage-t-elle à assurer la fin de l’esclavage et cherchant à constituer un axe Nord/Sud, celle des
de la traite. La conférence de Berlin ne procède Français un axe Atlantique/Mer rouge. En 1895, le
donc pas au partage de l’Afrique, comme on l’a capitaine Jean-Baptiste Marchand se voit confier la
trop souvent affirmé. À travers ce texte est esquis- mission de remonter le Congo et l’Oubangui pour
sée une ligne de conduite pour les Européens en atteindre le Nil blanc à Fachoda, sans tenir compte
Afrique. Elle a été peu respectée, tant du point de des protestations du Foreign Office qui stipule que
vue du sort réservé aux indigènes que de la ques- toute expédition française vers le Nil sera considé-
tion des frontières, comme l’attestent les différents rée comme un « acte inamical ». Partie en 1896,
litiges opposant les puissances coloniales jusqu’en l’expédition est confrontée à des actes de rébellion
1914. Cette conférence est néanmoins représen- anti-français que le capitaine réprime durement.
tative d’un esprit nouveau de concertation inter- Le 10 juillet 1898, la mission atteint Fachoda. Au
nationale qui se développe dans les années 1880. début de l’année 1898, le général anglais Kitche-
ner commence sa remontée du Nil à la tête d’une
imposante armée anglo-égyptienne avec laquelle
◗ Documents 1 et 5
il arrive aux portes de Fachoda le 19 septembre.
7. En quoi consiste l’accord Un combat serait très inégal, la mission Marchand
entre la France et le Royaume-Uni ? comptant 150 hommes là où celle de Kitchener en
8. Pourquoi peut-on parler d’un partage réunit 20 000, et le gouvernement français ne tient
de l’Afrique ? pas à s’engager dans une guerre coloniale contre le
De la « course au clocher » résultent des tensions Royaume-Uni. Le 3 novembre 1898, le gouverne-
entre nations rivales à la fois sur le sol africain ment français prend la décision d’évacuer Fachoda.
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

Le document 6 est un texte extrait d’une lettre ◗ Documents 1 et 2


adressée au secrétaire d’État aux Affaires étran-
2. Quels sont les intérêts de la France
gères de l’Empire allemand. Elle est écrite par le
au Maroc ?
comte Metternich, diplomate allemand, qui expose
3. Au-delà du Maroc, quel est l’enjeu
la position britannique sur la crise de Fachoda, de ce conflit ? Pourquoi la France est-elle
d’après des renseignements venus de Londres. Ici si attachée à ne rien céder à l’Allemagne
sont reproduits les propos teintés de militarisme au Maroc ?
tenus par Joseph Chamberlain, ministre britannique
Le Maroc est un territoire riche en ressources natu-
des Colonies entre 1895 et 1903, farouche parti-
relles, agricoles et minières. Il suscite la convoi-
san de l’extension de la domination britannique au
tise des Européens : Britanniques pour lesquels
monde entier. Le texte montre que la rivalité franco-
le Maroc constitue un marché important, Français
britannique ne se limite pas à la crise de Fachoda
(pour la France le Maroc est le prolongement de
et que les tensions sont fortes entre les deux puis-
l’Algérie et les colons oranais sont les plus ardents
sances rivales. Il faut attendre la Convention du
partisans de l’établissement d’un protectorat),
8 avril 1904 pour que Français et Britanniques
Espagnols qui y forment le groupe étranger le plus
règlent leur contentieux afin de sceller l’Entente
nombreux et disposent des présides de Ceuta et
cordiale : en Afrique, les îles de Los (au large de
Melilla et Allemands, tard venus, mais qui y réali-
la Guinée) sont données à la France en échange de
sent depuis 1890 une percée économique certaine
sa renonciation à Terre-Neuve. Des rectifications
et entendent faire du Maroc une pièce dans le jeu
de frontière entre le Sénégal et la Guinée, ainsi que
diplomatique contre la France. La France profite,
dans le nord du Dahomey sont également décidées.
au tournant du XXe siècle, de la crise politique et
La France reconnaît le protectorat britannique sur
financière que traverse l’empire chérifien pour y
l’Égypte et obtient l’assurance que les Britanniques
établir de fortes positions. Deux emprunts, en 1902
la soutiendront dans ses ambitions sur le Maroc.
et 1904, contractés dans des conditions onéreuses,
S’y ajoutent des déclarations mutuelles de Paris et
donnent aux banques françaises une place privi-
de Londres à propos du Siam, de Madagascar et
légiée au Maroc. Dès lors sont mises en place
des Nouvelles-Hébrides.
les conditions d’une domination française sur le
Maroc, avec le contrôle des finances et des douanes
et l’occupation militaire des régions limitrophes.
Grâce à des accords bilatéraux, la France s’assure
ÉTUDE le soutien des puissances susceptibles de s’opposer
à elle au Maroc. Les Italiens obtiennent un statut
Conquête et partage de l’Afrique : privilégié en Tunisie et la France accepte en 1902
les revendications italiennes sur la Tripolitaine.
l’exemple du Maroc Les Français promettent aux Espagnols une part
❯ MANUEL PAGES 270-271 du territoire (1904) et surtout règlent leurs diffé-
rends avec les Britanniques, inquiets des progrès
L’exemple du Maroc, un des seuls territoires afri-
d’une Allemagne devenue la deuxième puissance
cains encore indépendant à l’orée du XXe siècle,
industrielle, rivale dangereuse, y compris dans ses
est emblématique du partage de l’Afrique.
ambitions maritimes. C’est l’Entente cordiale, en
1904, qui laisse les mains libres au Royaume-Uni
◗ Document 1 en Égypte en échange de son soutien au Maroc.
Le document 2 illustre les craintes des nationa-
1. Quelles sont les puissances européennes listes français face aux prétentions allemandes et
en compétition pour le contrôle du Maroc ? italiennes en Afrique du nord, vues comme un
Il s’agit de la France, symbolisée par le coq, et « danger commercial et militaire ».
l’Allemagne, arrivée tardivement dans la course Une première crise éclate entre la France et l’Al-
aux colonies, symbolisée par l’aigle. Leur attitude lemagne au lendemain d’un discours prononcé
hostile traduit bien ici la convoitise des deux puis- par Guillaume II à Tanger, le 31 mars 1905. Le
sances et les tensions qui les opposent. Kaiser y prend nettement position contre la France
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

et pose le Reich comme le protecteur de la souve- rappelant, dans un contexte international tendu,
raineté marocaine. Une conférence internationale que l’empire est là pour renforcer la puissance
s’ouvre à Algésiras en 1906. La France obtient une militaire française.
prépondérance de fait mais sans avoir une totale
liberté d’action. En 1909 est conclu un accord avec ◗ Document 5
l’Allemagne reconnaissant une place privilégiée à
la France au Maroc en échange d’avantages écono- 8. Quels moyens sont utilisés
pour pénétrer au Maroc ?
miques. Mais la question n’est pas réglée et une
9. Sur quels relais locaux Lyautey entend-il
seconde crise éclate en juillet 1911 à Agadir, qui fonder la domination française ?
fait craindre un conflit entre les deux puissances.
À la nouvelle de la création du protectorat, le
Maroc se soulève ; il reste alors aux Français à le
◗ Document 3 conquérir. Lyautey est nommé Résident général
4. Comment se règle la question marocaine ? du Maroc, le 28 avril 1912. Il entreprend alors
5. Pourquoi peut-on parler d’un partage de d’organiser le protectorat en même temps qu’il
l’Afrique ? fait la conquête du territoire par l’emploi combiné
Par l’accord du 4 novembre 1911, l’Allemagne de l’action politique et de la force militaire. Il
accepte de renoncer à ses ambitions au Maroc et encourage les Français à faire bénéficier les Maro-
reconnaît le droit à la France d’imposer son protec- cains d’une assistance médicale et à privilégier
torat. En échange, elle reçoit une vaste région les achats sur place pour « faire bénéficier les
située entre le Cameroun et le Congo belge avec populations de notre présence et associer leurs
un accès à l’océan Atlantique et deux points de intérêts aux nôtres ». On voit dans ce texte qu’il
contact sur la rive du Congo et de l’Oubangui ; entend s’appuyer sur la « coopération des autorités
elle acquiert également au sud du Tchad un petit indigènes ». En effet, à l’administration directe,
territoire, le « bec de canard ». La domination alle- Lyautey opposait sa conception du protectorat
mande est ainsi consolidée en Afrique centrale. « qui est celui d’un pays gardant ses institutions,
La convention de Fès, le 30 mars 1912, établit le son gouvernement et s’administrant lui-même
protectorat français sur le Maroc. L’Espagne se avec ses organes propres sous le contrôle d’une
voit confirmer la possession de la zone du Rif. puissance européenne ».
Tanger devient une ville internationale dont le
statut sera fixé en 1923.
ÉTUDE
◗ Document 4 L’Exposition coloniale
6. Décrivez cette image en identifiant internationale de Vincennes
les personnages et les symboles représentés. en 1931
7. Quelle image la presse veut-elle donner ❯ MANUEL PAGES 274-275
de la présence française au Maroc ? Bien avant 1931, des manifestations régulières,
Cette « Une » célèbre les accords franco-alle- telles que les expositions universelles, évoquent les
mands du 4 novembre 1911, qui ouvrent la voie possessions d’outre-mer. Naît alors l’idée de leur
au protectorat français sur le Maroc. Marianne, consacrer des expositions spécifiques, comme en
allégorie de la République, domine la scène et témoignent les expositions coloniales nationales
débarque triomphante, vêtue d’une armure rappe- organisées à Marseille en 1906 et 1922. Le projet
lant Athéna, couronnée de lauriers et d’un halo d’une exposition internationale semble remonter
lumineux. Elle apporte aux Marocains la prospé- à 1910. Retardé par la guerre, ce projet ne prendra
rité (corne d’abondance), la paix et la civilisation véritablement tournure qu’en 1927, sous l’égide du
(livre en bas à droite). La population locale est maréchal Lyautey, nommé commissaire général. Ce
empressée, reconnaissante et soumise. Les person- dernier, rallié à l’idée d’un rapprochement euro-
nages sont plus petits que Marianne (perspective péen, entend organiser une exposition réellement
hiérarchique). À l’arrière-plan, un officier français internationale. Mais au total, cinq pays européens
commande un détachement militaire marocain, seulement construisent des pavillons nationaux et
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 141 •
Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

coloniaux : le Danemark, la Belgique, l’Italie, les elle est conçue en partie comme une manifestation
Pays-Bas et le Portugal. L’Allemagne, l’Espagne et exotique et artistique. On multiplie les spectacles :
surtout le Royaume-Uni sont les grands absents de cérémonies religieuses dans la pagode du Laos,
la manifestation. Les Etats-Unis sont présents : leur reconstitution du cortège du roi Béhanzin, musi-
reconstitution du cottage de George Washington ciens africains et malgaches, danseurs de tous les
rappelle l’ancien statut des treize colonies tout en continents. Chaque soir ont lieu des spectacles
proposant des expositions sur Hawaï, Porto-Rico, son et lumière au théâtre d’eau, embrasant le lac
l’Alaska, Panama… Daumesnil. On organise même des courses de
chameaux, des promenades en pirogues. On invite
◗ Document 1 les visiteurs à déguster des spécialités locales, à
visiter des expositions d’objets d’art « primitifs »,
1. À quoi l’Exposition invite-t-elle le parc zoologique. Les reconstitutions architectu-
le visiteur ? rales, ici le long de l’avenue des colonies, visent à
2. Comment est-ce figuré transporter le visiteur dans le monde colonial. On
sur le marque-page ?
peut voir sur le cliché, au premier plan, le pavillon
L’Exposition est présentée comme une invitation de l’AOF, puis des deux côtés l’imposante section
au voyage dans le monde colonial : on propose de l’Indochine avec à gauche la reconstitution
aux visiteurs de « venir faire le tour du monde du temple d’Angkor Vat, qui occupe 5000 m2 et
en un jour » (on peut ainsi glisser d’une colonie dépasse 55 m de haut. On aperçoit à l’arrière-plan
à une autre, d’une hutte congolaise au temple de le pavillon des Missions puis, au loin, la Cité des
Mendhoët de l’île de Java, d’un palais marocain au informations où se tiennent les multiples congrès
temple d’Angkor Vat). Des affiches publicitaires qui accompagnent l’exposition. À la demande de
disent même « Pourquoi aller en Tunisie quand Lyautey, l’exposition vise aussi à montrer les réali-
vous pouvez la visiter aux portes de Paris ? ». sations de la politique coloniale (progrès écono-
Le marque-page reprend une célèbre affiche de miques, réalisations sociales, progrès de l’hygiène
Paul Desmeures. On y voit quatre représentants et de la santé publique) mais les salles qui attirent
du monde tel qu’il peut être parcouru en quelques le plus grand nombre ne sont pas ces dernières
heures par les visiteurs. Ces figures sont réduites mais celles qui présentent les arts décoratifs. Ainsi,
à des stéréotypes facilement identifiables : la si la mission civilisatrice de la colonisation est
figure de l’Asiatique en bas, celle du Maghré- affirmée de façon didactique, ce n’est pas ce qui
bin en haut et enfin celles de l’Indien d’Amé- intéresse le plus les visiteurs. Cela contribue à
rique et de l’Africain. Leurs traits paraissent se montrer que le degré d’adhésion des Français à
fondre dans la couleur de leur peau. Derrière ces l’idée coloniale est alors surestimé.
personnages, on peut voir le temple d’Angkor Vat à
droite, reconstitution qui constitue le clou de l’ex- ◗ Documents 1, 2 et 3
position et souligne l’action de la France pour la
réhabilitation d’une grande civilisation disparue. 5. Quelle image ces documents donnent-ils
À gauche on peut apercevoir la silhouette d’un des populations colonisées ?
minaret surmonté du drapeau tricolore. À l’Exposition de Vincennes, les populations
d’outre-mer semblent quitter le monde de la
◗ Documents 1 et 3 sauvagerie pour être instrumentalisés comme
acteurs de l’entreprise coloniale. On fait venir de
3. Décrivez ces photographies. tout l’empire des « figurants » : artisans, musi-
Pourquoi peut-on parler d’une mise ciens, danseurs, piroguiers, chameliers, soldats
en scène de l’empire ? « indigènes ». Comparativement aux exhibitions
4. Quel en est le but ? d’indigènes de la fin du XIXe siècle, l’Exposition
L’Exposition de Vincennes tente de promouvoir coloniale de 1931 témoigne d’une transformation
l’image d’une France impériale à l’apogée de sa dans la mise en scène des colonisés. À l’exhibi-
puissance. Afin de développer l’intérêt des Fran- tion statique des indigènes exposés aux regards
çais pour leurs colonies et de renforcer l’adhésion des visiteurs a succédé une mise en scène qui les
de la population française à l’entreprise coloniale, présente en action et met en valeur leurs capacités
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

artistiques, sous les deux formes de l’art appliqué nale. Les colonies sont alors surtout vouées à la
et de la danse. L’accent est mis sur le caractère production de matières premières pour la métro-
pacifique de leurs activités sous le contrôle bien- pole (riz, café, cacao, oléagineux, caoutchouc), ce
veillant de la France. L’utilisation des indigènes qui en fait des espaces économiquement dépen-
eux-mêmes dans la mise en scène de la « sauvage- dants. Pour l’essentiel des productions aucune
rie » a disparu. Lyautey a opposé son refus à des transformation n’a lieu sur place, les seules indus-
impresarios voulant présenter des femmes quali- tries concernent surtout les produits alimentaires
fiées de « négresses à plateaux » et des pygmées, (vinification, rhumerie, huileries et conserveries).
attractions spectaculaires qui ont connu un grand Paul Reynaud insiste aussi sur l’intérêt financier
succès au Jardin d’acclimatation en 1929. C’est des colonies. Elle constituent un terrain d’inves-
donc dans le bois de Boulogne et non dans l’en- tissement pour les capitaux de la métropole qui
ceinte officielle de l’Exposition coloniale qu’a lieu peuvent y trouver « une merveilleuse fécondité »,
l’exhibition des Kanaks de Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire des profits.
dans des conditions qui, elles, se rapprochent du
zoo humain. Ces Kanaks, arrivés à Paris, sont mis Le ministre des Colonies souligne aussi l’idéal
en scène en archétypes du sauvage : les canni- qui sous-tend l’action de la France dans les colo-
bales. Sur le marque-page, le drapeau français nies : apporter plus de civilisation et de richesse
flotte sur des populations pacifiées même si en à un plus grand nombre d’hommes. Le thème de
réalité, de l’Indochine au Maghreb, gronde déjà l’action civilisatrice et humanitaire de la France
un mouvement nationaliste qui s’épanouira 15 ans est développé dans le doc 2, dans lequel on vante
après. L’extrait du Guide de l’Exposition célèbre les bienfaits de la France dans la lutte contre l’es-
l’action civilisatrice de la France qui a permis à clavage, la famine et la maladie, son action en
ces êtres de sortir de la sauvagerie pour en faire faveur du progrès économique et de la paix. Ces
des « gens aisés, libres et heureux ». documents, ne mettant en avant que les traits posi-
tifs de la colonisation, font clairement œuvre de
propagande, dissimulant une situation beaucoup
◗ Documents 2 et 4 moins riante (travail forcé, Code de l’indigénat,
6. Quelle est la nature de chacun destructuration des économies et des sociétés
de ces documents et le public visé ? locales). Ils sont emblématiques du sentiment
7. Quels aspects de la colonisation de supériorité de l’homme blanc et d’une bonne
y sont vantés ? Dans quel but ? conscience coloniale qui connaît son apogée dans
Ces deux extraits sont issus de documents officiels les années 1930.
rédigés à l’occasion de l’Exposition de Vincennes.
Le premier est tiré du Guide de l’exposition colo- ◗ Document 4
niale, ici à destination du jeune public, le second,
de la préface du Livre d’or de l’exposition, paru 8. Quel bilan l’auteur dresse-t-il
de l’Exposition de 1931 ?
dès octobre 1931. Cette préface est rédigée par le
ministre des Colonies, Paul Reynaud. Il y expose à Pour Paul Reynaud, l’Exposition est un succès :
ses concitoyens tout l’intérêt de cette exposition et 33 millions de tickets vendus et 8 millions de
de leur empire. Il y souligne l’intérêt économique visiteurs. Pour lui, l’objectif est atteint : l’esprit
des colonies qui servent de débouchés pour l’in- colonial a pénétré les masses populaires, le Fran-
dustrie comme celle des tissus de coton. Si, jusqu’à çais a découvert son empire. Mais les militants
la Première Guerre mondiale, la part des colo- de la cause coloniale sont alors moins satisfaits,
nies dans le commerce extérieur des métropoles regrettant qu’on ait trop sacrifié au pittoresque et
reste modeste, elle augmente sensiblement dans le que l’exposition n’ait pas été assez éducative. Le
contexte des difficultés économiques des années secrétaire général de la plus puissante des associa-
1930. Ces dernières amènent les Européens à se tions coloniales privées, l’Union coloniale, affirme
replier sur leurs empires pour écouler les produits en 1932 que « l’Exposition coloniale avec toutes
fabriqués (ex : huile d’arachide, sucres raffinés, ses merveilles qui reflétaient l’existence réelle de
tissus de coton, ciment, machines et mécaniques, nos richesses d’outre-mer a frappé l’imagination.
automobiles) et ainsi absorber la production natio- Elle n’a point fixé dans les esprits l’importance
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

capitale de notre Empire. La colonisation reste la politique assimilatrice de la France visant à


incomprise. » Telles sont aussi les conclusions civiliser, moderniser et intégrer. La place de l’Al-
du maréchal Lyautey : « Si l’Exposition a produit gérie dans l’empire français est alors singulière.
son maximum d’effet et atteint ses buts d’éduca- Unique colonie de peuplement, elle est divisée en
tion vis-à-vis des masses et surtout de la jeunesse, trois départements (français) et considérée comme
elle n’a en rien modifié la mentalité des cerveaux partie intégrante de la métropole. Dès le milieu du
adultes, ou ceux des gens en place qui n’étaient siècle, l’Algérie attire des milliers de colons à qui
pas par avance convaincus ». Les historiens s’ac- le gouvernement français octroie des terres (confis-
cordent à dire que Paul Reynaud a surestimé le quées aux populations autochtones), en particulier
degré d’adhésion des Français à l’idée coloniale ; dans la régions fertile du nord du pays, la Mitidja.
si elle a conquis les milieux politiques, elle n’a En 1930, quelques 900 000 Européens vivent en
qu’à demi-séduit une opinion publique encore Algérie, essentiellement en ville ; mais la population
grandement indifférente ; l’Exposition n’a pas algérienne musulmane est fortement majoritaire.
imprégné durablement la mémoire collective ou
L’affiche entend illustrer les différents aspects de la
l’imaginaire social des Français.
mission civilisatrice de la France. Dans le groupe
L’Exposition coloniale est aussi l’occasion pour à gauche de l’image, la figure centrale autour
les anticolonialistes de se manifester : à l’initiative de laquelle se placent les autres personnages est
d’Aragon et du groupe des surréalistes, proches Marianne, l’allégorie de la République française.
du PCF, des tracts hostiles à la manifestation sont Elle trône, bienveillante, avec la main gauche
distribués et une « contre-exposition », intitulée La ouverte et tendue vers les habitants de cette colonie,
Vérité sur les colonies est organisée. Mais le petit apportant la paix, comme le montre le rameau d’oli-
nombre de visiteurs (5000 en 6 mois) témoigne du vier et la couronne d’olivier de son bonnet phry-
caractère alors minoritaire de l’anticolonialisme. gien. Au premier plan, aux pieds de Marianne, deux
enfants lisant un alphabet symbolisent la mission
scolaire de la République. La représentation de
ÉTUDE ces enfants vise aussi à montrer l’apprentissage
de la coopération et de l’entente entre les deux
L’Algérie française vers 1930
communautés, car c’est la petite fille européenne au
❯ MANUEL PAGES 276-277
chignon qui aide sa compagne musulmane qui a la
Cette étude vise à montrer, à travers l’exemple de tête recouverte d’un foulard à apprendre la langue
l’Algérie, quelles sont les représentations mais française. Les deux fillettes s’appuient sur le pilier
aussi les réalités et les contestations de la domi- de la justice ; un parchemin tenu par un juge renvoie
nation coloniale française. à l’idéologie de l’assimilation. Ce juge symbolise
« le droit, la loi, la justice ». L’infirmière, avec
◗ Document 1 un bébé dans les bras, glorifie l’œuvre sanitaire et
médicale de la France. Derrière Marianne, c’est un
1. Présentez et décrivez le document
en identifiant les différents personnages
soldat algérien qui porte le drapeau français. Il est
et symboles. le symbole de « la plus grande France ». À la droite
2. Montrez qu’il s’agit d’une illustration de l’image, un colon français tenant une charrue et
à la gloire de l’œuvre de la France en Algérie. un fellah algérien musulman se serrent la main sous
l’œil attendri et protecteur de Marianne. L’affiche
L’affiche commémorant le centenaire de la
insiste ici encore sur l’entente et la collaboration
conquête de l’Algérie s’inscrit dans un contexte
entre les deux communautés.
de célébrations triomphales qui émaillent l’année
1930. Ces manifestations sont l’occasion de diffu- D’autres éléments de l’image vantent la dimension
ser une propagande destinée à populariser le fait économique de la mission civilisatrice. L’engrenage
colonial. La France dispose alors d’un empire de au premier plan suggère l’apport de nouvelles tech-
12 millions de km2 et de 70 millions d’habitants. nologies, la charrue, une agriculture plus moderne.
Cette affiche donne une vision officielle, celle des Les belles grappes de raisin, aux pieds de Marianne,
pouvoirs publics français, qui présentent en image expriment l’idée d’abondance. L’image d’un essor
la colonisation de l’Algérie comme un modèle de économique est accentuée par la présence à l’ar-
• 144 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

rière-plan d’un port dynamique avec de nombreux Si les Européens vivant en Algérie (Français mais
navires où s’activent des personnages qui débar- aussi Espagnols et Italiens) sont convaincus des
quent ou embarquent des marchandises. bienfaits de leurs actions, ils sont aussi convaincus
Cette affiche glorifie donc l’œuvre coloniale de leur supériorité. La cohabitation est moins idyl-
française en Algérie, entretenant le mythe de la lique qu’il n’y paraît sur l’affiche. Si les Algériens
« mission civilisatrice de l’homme blanc » qui sont majoritaires (doc 3), ils sont aussi majoritaire-
apporte l’harmonie, le progrès et la prospérité à ment dominés et privés de droits politiques. L’as-
l’Algérie. similation vantée par l’affiche est contredite par
l’existence du Code de l’indigénat. Quant à l’œuvre
scolaire mise en avant sur l’affiche, la réalité est
◗ Document 2 bien différente. La scolarisation des Européens est
3. Pourquoi peut-on dire que le Code bien plus importante que celle des Algériens musul-
de l’indigénat est injuste et abusif ? mans. Si au niveau de l’enseignement primaire le
Le Code de l’indigénat est « un ensemble juridique rapport entre population européenne et musulmane
et réglementaire répressif à l’encontre des seuls n’est que de 2,8 (mais l’écart est bien plus impor-
indigènes, appliqué par l’administration en viola- tant si l’on rapporte cela à la masse de la population
tion du principe fondamental de séparation des algérienne), les inégalités se creusent dans l’ensei-
pouvoirs » (Dictionnaire de la colonisation fran- gnement secondaire et surtout supérieur.
çaise, dir. C. Liauzu, Larousse à présent, 2007).
Sur le plan économique, la réalité est aussi différente
Gustave de Molinari, économiste libéral hostile à de ce que montre l’affiche. Concernant la propriété
la colonisation dénonce ici ce Code de l’indigénat agricole, on constate également une inégalité entre
qui repose sur un régime d’exception conférant Algériens musulmans et Européens. Si les premiers
au gouverneur général un pouvoir sans limites. disposent des trois quarts des terres, les exploitations
C’est aussi un moyen de répression de « proxi- détenues par les Européens sont en moyenne six fois
mité » et de « simple police », placé entre les mains plus importantes en terme de superficie. En Algérie,
d’agents subalternes de l’administration. L’auteur la propriété des colons s’accroît de façon substan-
le dénonce comme un « système répressif exor- tielle à la fin du XIXe siècle. Se développe alors une
bitant du droit commun » qui « frappe l’indigène classe de paysans européens représentant plus du
dans sa liberté, dans sa fortune, dans ses droits les tiers de la population européenne totale. Les colons
plus essentiels ». Les indigènes sont ainsi passibles enrichis agrandissent alors leurs domaines par l’achat
de peines allant de l’amende à l’emprisonnement de terres nouvelles. Néanmoins la concentration des
en passant par la confiscation des biens. La loi du terres n’a profité qu’à quelques milliers de familles
28 juin 1881 fixe les infractions « spéciales aux et non à la masse des petits colons. Les exploitations
indigènes » comme le retard dans le paiement agricoles européennes sont non seulement plus vastes
des impôts, le défaut de laisser-passer, la tenue de mais aussi plus modernes que celles des fellahs qui
réunions non-autorisées, les « tapages, scandales doivent se contenter des terres les moins fertiles et
et autres actes de violence », les « propos contre de petites exploitations dans lesquelles ils pratiquent
la France et le gouvernement ». une agriculture largement traditionnelle. La popula-
Le Code de l’indigénat instaure donc un régime tion musulmane subit alors un net appauvrissement
judicaire et répressif spécifique aux colonisés ; avec la ruine de petits paysans contraints de se faire
un système discriminatoire qui montre bien les embaucher pour des salaires très bas sur les terres
limites de l’assimilation prônée par la France et des colons ou de partir vers les villes pour tenter
qui ouvre la voie à l’arbitraire et à tous les abus. de trouver un hypothétique emploi. L’examen des
salaires (tailleur de vigne, jardinier) atteste d’un écart
◗ Documents 1, 2 et 3 significatif entre les deux communautés. La logique
de la mise en valeur du territoire algérien reste domi-
4. Critiquez la vision officielle proposée dans née par les intérêts des Européens et les besoins de la
le document 1 à l’aide des documents 2 et 3. métropole. La viticulture à laquelle l’affiche fait allu-
L’affiche présente une vision officielle bien irréelle sion est un exemple parlant d’une agriculture qui ne
au regard des documents 2 et 3. répond pas aux besoins de la population musulmane.
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

◗ Document 4 ◗ Document 5
5. Décrivez les « deux villes ». 7. Présentez le texte.
Comment la présence française se reflète- Que dénonce Messali Hadj ?
t-elle dans l’organisation de la ville ? 8. Quelles sont les revendications
du mouvement de l’Étoile nord-africaine ?
Fondée au Xe siècle, la ville prend le nom d’al-
Djaza’ir (« les îles ») en raison des îlots qui bordent Messali Hadj est le fils d’un artisan de Tlemcen.
sa baie. Alger est une ville composite, à la fois Il participe à la Première Guerre mondiale, reste
musulmane et européenne. En 1930, les Européens en France comme ouvrier et fonde, à l’instigation
y sont majoritaires : 220 000 sur 337 000 habitants. de l’Internationale communiste, l’Étoile nord-afri-
À côté de la ville ancienne, la Casbah, une ville caine, en 1926. Mais le parti s’émancipe rapidement
européenne a été édifiée par des colons soucieux de la tutelle du PCF. Le discours de Messali Hadj,
de conserver le confort et l’équipement de la métro- en 1927, à Bruxelles dénonce l’impérialisme fran-
pole et d’affirmer leur puissance et leur domina- çais et l’exploitation que subissent les Algériens :
tion. Les bâtisseurs du nouvel Alger ont appliqué expropriations foncières et paupérisation des petits
d’abord les principes de l’urbanisme métropolitain ; paysans, exode vers les villes, « oppression systé-
le style haussmannien s’est imposé entre 1860 et matique et brutale » qui se manifeste notamment par
1900. On a tracé de larges avenues qui essaient de le Code de l’indigénat. Il y dénonce les limites de
se couper à angle droit chaque fois que le permet l’assimilation avec un système électoral qui assure
la disposition du lieu étagé vers la mer. la prépondérance des Français. Face à cela, la reven-
dication essentielle de l’Étoile nord-africaine est
La photographie nous montre une partie de la
clairement devenue celle de l’indépendance.
baie et de la ville. On voit au premier plan le port
des Courriers, la gare maritime et la gare ferro-
viaire d’où part la voie ferrée qui longe ensuite
ÉTUDE
le port, et les rampes qui permettent de le relier
à la ville. Derrière s’étend un quartier européen L’Indochine coloniale française
avec une vaste artère bordée d’immeubles d’ins- ❯ MANUEL PAGES 278-279
piration haussmannienne et de grandes voûtes
destinées à accueillir magasins et restaurants. ◗ Document 1
Le tramway y circule. Cette avenue mène à la
place du Gouvernement, cœur de l’Alger euro- 1. Quelles sont les principales ressources
péenne, sur laquelle se dresse la statue équestre développées et exploitées par les Français ?
du duc d’Orléans. S’y élève encore la mosquée Les flux d’investissements métropolitains conver-
de la Djenina. À cet espace ouvert et moderne gent essentiellement vers les mines, les planta-
que constitue le quartier européen, s’oppose la tions d’hévéas, de thé et de café. Délaissées par
Casbah (« la forteresse », « le palais »), la ville les Français dans un premier temps, la production
arabe, à l’arrière plan, sur les hauteurs. Édifiée et les exportations de riz s’accroissent considé-
sur une pente escarpée, elle se distingue par ses rablement, passant de 130 000 tonnes en 1870 à
ruelles tortueuses et ses innombrables escaliers. 1 million en 1933, plaçant l’Indochine au 2e rang
Dans l’entre-deux-guerres, la Casbah se dégrade et des exportateurs mondiaux et représentant 60 %
se paupérise, devenant le lieu d’afflux des ruraux des revenus du commerce extérieur. Quant aux
chassés des campagnes. plantations d’hévéas, qui s’étendent en 1908 sur
200 hectares, elles en couvrent 120 000 en 1940.
◗ Document 2 L’extraction du charbon et des métaux non ferreux
connaît la même ascension : en 1939, l’Indochine
6. Quelles sont, d’après l’auteur, occupe le 2e rang des exportateurs asiatiques de
les conséquences du Code de l’indigénat ?
charbon, 1 716 000 tonnes sur 2 615 000 produites.
Pour l’auteur, ce système ne fait que nourrir les
rancœurs indigènes, creuser le fossé entre colo- 2. Où sont-elles localisées et pourquoi ?
nisateurs et colonisés et alimenter par là-même le Le développement économique de l’Indochine
sentiment nationaliste. s’est opéré essentiellement sur le littoral. L’impor-
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

tante façade favorise en effet les relations commer- en 1875, qui contrôle de fait l’économie indochi-
ciales maritimes et dans les innombrables arroyos noise. De toutes les possessions françaises, mise à
des deltas, les communications fluviales. Les part l’Algérie, c’est l’Indochine qui reçoit le plus
conditions de relief et de sol rendent au contraire d’investissements.
difficile l’aménagement des voies terrestres. Ainsi, L’Indochine offre différentes ressources à la France
le Cambodge et le Laos, quoi que n’étant pas comme la riziculture, les mines de charbon et l’ex-
dépourvus de richesses, notamment minières et ploitation de l’hévéa. Les premières grandes exploi-
forestières, restent en marge. Le développement tations apparaissent au début du XXe siècle, mais
des infrastructures de transport contingente donc la c’est dans les années 1920 que les plantations indus-
mise en valeur des territoires. La construction des trielles capitalistes prennent leur essor, concentrées
lignes de chemin de fer est relativement tardive. entre les mains de grandes sociétés. La métropole
En 1939, à l’exception de la liaison Phnom Penh- investit également dans certaines industries de
Saigon, le programme ferroviaire initié en 1898 est transformation comme les textiles, les brasseries,
achevé. Deux grands ports, Haiphong et Saigon les cigarettes, les distilleries, le ciment.
assurent les relations lointaines.
Pour faciliter l’exploitation économique de la
3. Quelles sont les caractéristiques péninsule indochinoise, l’État français promul-
du commerce indochinois ? gue une législation concernant le sous-sol, le sol
Le commerce indochinois est caractérisé par des et les forêts. Une réglementation du travail est
exportations de matières premières et l’importa- élaborée afin de simplifier le recrutement de la
tion de produits manufacturés, auxquels s’ajoutent main-d’œuvre. Dès le début du siècle, le gouver-
le pétrole et le blé en provenance des Etats-Unis. nement s’emploie à organiser une « production
L’économie indochinoise est ainsi coloniale au plus intensive et rationnelle » tandis qu’un effort
sens où elle produit des matières premières desti- tout particulier est consacré aux transports et aux
nées à l’exportation. Ces dernières ne sont cepen- voies de communication, essentiels à l’expansion
dant pas réservées exclusivement à la France. En de l’économie coloniale.
effet, le Japon et la Chine demeurent les princi-
paux acheteurs de charbon et de riz ; tandis que ◗ Documents 2 et 3
le caoutchouc est acheminé également vers les
Etats-Unis. Avec la crise des années 1930, les 5. Quelles sont les réalisations françaises
vantées dans ces documents ?
échanges avec la métropole prennent le dessus
sur les échanges régionaux. À côté des réalisations urbaines (question
suivante), le document 2, extrait d’un manuel
◗ Documents 1 et 2 scolaire, vante les progrès réalisés en matière
économique avec le développement d’infras-
4. Pourquoi l’Indochine est-elle tructures de transport, l’introduction de cultures
une colonie d’exploitation ? nouvelles, la mise en valeur des mines et les
L’Indochine française est typiquement une colonie progrès industriels (question 4). Le document
d’exploitation et non de peuplement. Les Français y 3 est une brochure éditée à l’occasion de l’Ex-
sont en nombre restreint (34 000 sur une population position coloniale de 1931 par le gouvernement
totale de 22,6 millions d’habitants). La mise en valeur général de l’Indochine. Distribuée à des milliers
des ressources du pays débute dès la conquête. Albert d’exemplaires dans les allées de l’Exposition, elle
Sarraut, gouverneur général de 1911 à 1914, puis de vante les mérites de l’assistance médicale en Indo-
1916 à 1919, ministre des Colonies à partir de 1919, chine, livrant des statistiques impressionnantes :
s’en fait le promoteur. Il crée l’Agence économique 1 900 000 vaccinations en 1909, 7 500 000 en
de l’Indochine pour la propagande en direction des 1929, 280 000 malades soignés en 1906, 2 900 000
milieux d’affaires. Il élabore un plan d’équipement en 1929. Dès la fin du XIXe siècle débutent en effet
de la péninsule (1921). L’État et les sociétés capita- en Indochine des campagnes de vaccination et de
listes jouent des rôles complémentaires dans cette lutte contre le paludisme, notamment sur les plan-
œuvre d’exploitation économique. À cela s’ajoute tations d’hévéas, afin de disposer d’ouvriers sains
le rôle de la puissante Banque d’Indochine, fondée et robustes. L’Institut Pasteur s’y implante pour
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

mettre au point un vaccin contre la peste. Mais Le mouvement est décimé mais survit dans l’exil
si l’action sanitaire est particulièrement dévelop- chinois, tandis que le parti communiste indochi-
pée en Cochinchine et dans les zones urbaines, nois, créé en 1930 et dirigé par Nguyên Ai Quoc,
ailleurs, la situation est celle du retard et du dénue- dit Hô Chi Minh (biographie p. 281) encadre des
ment. La croissance démographique accélère la révoltes paysannes qui fondent des soviets dans
paupérisation des campagnes et l’exode vers les le Nord Annam. On notera sur l’illustration le
villes, tout cela favorisant le développement des recours à des troupes indigènes pour mater les
mouvements nationalistes. rebelles, dirigées par des officiers français, ainsi
que la présence d’un missionnaire, venu donner
6. Comment se traduit la présence française les derniers sacrements à des populations que
dans le paysage urbain ? l’on entend acculturer.
Partout une ville européenne surgit à côté de
l’ancienne ville indigène quand elle n’est pas ◗ Document 4
créée ex nihilo (Saigon). Dans un style européen,
avec parfois une pointe d’exotisme appropriée 8. Comment expliquer les frustrations
de ces jeunes vietnamiens ?
à chaque colonie, les colonisateurs entendent
9. Quels sont la nature et l’objectif
montrer leur puissance (résidence et palais du de ce texte ?
gouverneur), leur rôle missionnaire (cathédrale
et église), et civilisateur (hôpital, lycée, gare, Andrée Viollis (1879-1950) est une journaliste
poste). La ville européenne se veut le lieu de la féministe, grand reporter au Petit Parisien. En
modernité et du divertissement (tramway, éclai- 1932, elle accompagne le ministre des Colonies,
rage des rues, travaux d’assainissement et d’ad- Paul Reynaud, lors d’une tournée en Indochine.
duction d’eau, cafés, théâtres et cinémas). Le Cette année-là, pour la deuxième année consécu-
document 2 évoque ces transformations urbaines tive, la famine affecte la population en raison de
qui ont donné naissance à de nouveaux quartiers mauvaises récoltes, tandis que la crise de 1929 se
qui présentent « un air tout européen », percés traduit par un effondrement du prix des matières
de « voies nouvelles, larges et droites, assainies, premières et surtout du caoutchouc. C’est dans ce
éclairées à l’électricité, bien entretenues ». Voir contexte qu’Andrée Viollis découvre l’Indochine.
aussi le texte page 286. Faisant partie du cortège officiel, elle tente de
multiplier les contacts et de découvrir par elle-
même l’envers du décor, malgré les pressions. À
◗ Document 5 son retour, elle publie « Quelques notes sur l’In-
7. Décrivez cette « Une ». Que nous dochine » dans la revue Esprit, puis, chez Galli-
apprend-elle sur la contestation de mard, en 1935, son ouvrage Indochine SOS dans
la domination française en Indochine ? lequel elle dénonce les méthodes de la colonisa-
Dans la nuit du 9 au 10 février 1930, vers deux tion française.
heures du matin, à Yen Bay, en plein cœur du Dans cet extrait, elle explique comment les enfants
Tonkin, deux cents tirailleurs tonkinois en garni- de la bourgeoisie lettrée vietnamienne, partis
son, appuyés par une soixantaine d’insurgés étudier en France, subissent à leur retour l’humi-
venus de l’extérieur, s’emparent des armes, assas- liation de se voir privés des postes à responsabi-
sinent cinq officiers et sous-officiers français et lité en raison de leurs origines indigènes. C’est
en blessent six autres. Le 10 février, à 20h30, pour eux d’autant plus insupportable qu’ils ont été
des hommes à bicyclette lancent des bombes nourris en France par les valeurs de la République
dans différents endroits de Hanoi. Les auteurs et les principes de 1789. L’égalité et la fraternité
de la mutinerie et des attentats de Hanoi sont sont de vains mots quand, de retour, ils se heur-
membres d’un groupe nationaliste révolution- tent quotidiennement au mépris, au racisme et à
naire dirigé par Nguyên Thai Hoc. La répression, l’exclusion. Ce n’est pas un hasard si nombre de
dont cette Une se fait l’écho, est implacable : ces jeunes intellectuels, à laquelle l’administration
les avions bombardent Cô Am, faisant trente française refuse la liberté et la reconnaissance,
morts le 16 février, la peine capitale est appli- rejoignent les mouvements nationalistes, à l’image
quée aux conjurés, des villages sont incendiés. de Hô Chi Minh.
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

HISTOIRE DES ARTS Document 3 : c’est dans les années 1910 que
le soldat indigène fait une apparition remarquée
Quand on chantait les colonies dans la propagande coloniale. Tandis qu’affiches,
❯ MANUEL PAGES 282-283 cartes postales, photographies, publicités (le soldat
« Y’a bon » de Banania) le montrent sous toutes
◗ Présenter les œuvres ses coutures, toujours souriant, plutôt content de
son sort, brave soldat placide, prêt à mourir pour la
1. Dans quel contexte ces chansons ont-elles
France, sauvage domestiqué ; il devient une figure
été écrites ? Quel est le public visé ?
attachante, drôle et exotique qui séduit aussi les
Les deux premières chansons ont été écrites dans auteurs de chansons. Les soldats « indigènes » sont
le contexte de la course aux colonies qui débute présentés comme un atout dans le conflit franco-
en Afrique dans les années 1880. Les Français se allemand, « bons enfants », « braves soldats »,
heurtent à l’opposition du royaume d’Abomey venant à la rescousse. Ces « chansons nègres »
(Dahomey), gouverné par Béhanzin depuis 1889. servent plus que jamais la propagande patriotique.
Entouré de ses guerriers et de ses « amazones », Non seulement elles proposent l’exaltation du
il livre aux Français une lutte acharnée en 1890 sacrifice et du courage mais elles le font souvent
puis entre 1892 et 1894. Le contexte du docu- sur un mode enlevé et humoristique comme ici.
ment 2 est celui de la rivalité franco-britannique La chanson convoque le vocabulaire colonial à la
qui s’exprime à Fachoda en 1898. La troisième mode (« bezef », « kif kif ») ; le langage « petit
chanson est consacrée à la figure du soldat « indi- nègre » autorise toutes les onomatopées, une dose
gène » (spahi, tirailleur sénégalais, turco, tabor, d’infantilisme et les allusions grivoises.
goumier) qui entre dans l’imaginaire français à
l’occasion de la Grande Guerre. Le recrutement de 3. En quoi cette chanson illustre-t-elle
troupes coloniales, entamé dès le XIXe siècle s’in- l’entreprise de légitimation de la colonisation
tensifie en 1910 devant la montée des tensions en à la fin du XIXe siècle ?
Europe et pour compenser le déséquilibre démo- Le fait de présenter les chefs africains comme des
graphique entre la France et l’Allemagne. Dès août « roitelets sanguinaires », en occultant le fait qu’ils
1914, les premiers contingents venus d’Afrique du aient pu combattre pour sauvegarder leur indépen-
Nord puis du Sénégal débarquent dans les ports dance permet alors de considérer les Français, non
du sud de la France. À partir de 1915, les auto- comme des occupants, mais comme des libéra-
rités françaises ont recours au recrutement forcé teurs. Ainsi, les guerres coloniales sont justifiées
en Afrique. Au total, la contribution coloniale au non seulement comme inhérentes au développe-
conflit s’élève à quelques 600 000 hommes. 78 000 ment de l’empire, mais encore comme des actes
d’entre eux tombent pour la France. Réservés à humanitaires menés contre des tyrans.
l’assaut, ils sont souvent tués en première ligne
et sont jetés dans toutes les offensives. 4. Pourquoi cette chanson est-elle qualifiée
de « chanson patriotique » ? Sur quel air
Ces trois chansons sont destinées au public métro-
est-elle chantée et pourquoi ?
politain.
Cette chanson illustre la veine héroïque et patrio-
◗ Analyser les œuvres tique omniprésente dans les chansons de la phase
de conquête des territoires outre-mer. Les chan-
2. Quelle image chacune de ces chansons sons vantent alors les exploits de l’armée, exaltent
donne-t-elle des populations « indigènes » ? la vaillance et le courage des soldats partis à l’as-
Document 1 : dans cette chanson, le roi Béhanzin saut des contrées sauvages. Cette chanson affirme
incarne l’image du souverain féroce et sanguinaire. clairement son caractère patriotique, car elle se
La figure des amazones, qui constituent sa garde présente comme telle et est dédiée aux « héros »
rapprochée, mêle érotisme et répulsion. Les Daho- de la crise de Fachoda. Elle est chantée sur l’air
méens sont vus comme un « peuple sauvage », de « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine »
« primitif », cruel. L’accent est mis sur l’altérité, mais ce ne sont pas les Allemands mais les Britan-
poussée à l’extrême, et l’étrangeté des coutumes niques qui font ici les frais du chauvinisme fran-
et des costumes. çais. L’humiliation française vécue à Fachoda
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Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

nourrit en effet une propagande nationaliste qui nisés (en Afrique noire française : Congo et Côte-
fait de Marchand l’un des grands héros populaires d’Ivoire) et ses conséquences sur les populations.
français, fils du peuple, héros de la République.
2. Quels sont leurs auteurs ?
5. Quel est le ton et l’objectif
de cette chanson ? Le document 1 est extrait du supplément illus-
Cette chanson adopte un ton humoristique, en tré du Petit Journal. Ce supplément hebdoma-
utilisant la figure du soldat « indigène » comme daire de 8 pages est lancé en 1884 et diffusé vers
un artifice plaisant. Elle ne saurait apporter la 1890 à plus d’un million d’exemplaires. Il doit
preuve d’une reconnaissance à l’égard des colo- son succès à la qualité de son illustration, comme
nisés morts pour la France mais contribue à son aux mythes populaires qu’il véhicule : l’exaltation
niveau à la propagande patriotique. de la patrie et de son expansion sont en bonne
place comme le montrent les principales Unes
consultables sur Internet (http://cent.ans.free.fr/
◗ Faire le lien entre art et histoire
menu.htm). L’auteur du document 2 est le Fran-
6. Pourquoi la chanson coloniale est-elle çais Albert Londres, alors reporter au Petit Pari-
une source intéressante pour un historien sien. En 1928, il débarque à Dakar et voyage du
étudiant les rapports des Français Sénégal au Congo. Son reportage paraît d’abord
à la colonisation ? en feuilleton puis chez Albin Michel, sous le titre
La chanson fournit un éclairage irremplaçable des Terre d’ébène. Les derniers chapitres, les plus
représentations et des mentalités. Elle véhicule une terribles, présentent les conditions de travail sur
idéologie dans l’air du temps. Mais elle n’est pas les chantiers de la Société Batignolles, chargée
qu’un reflet de l’opinion, elle agit sur elle et a été de la construction du chemin de fer devant relier
largement utilisée pour véhiculer le discours colo- Brazzaville et Pointe-Noire. Le document 3 est
nial. Comme l’écrit Alain Ruscio, un des spécia- une pétition adressée par des réfugiés de Côte-
listes de la question : « la chanson coloniale et d’Ivoire, possession française, au gouverneur de
exotique a bercé plusieurs générations de Français, la Gold Coast (actuel Ghana) britannique.
imprégnant les esprits de clichés réducteurs, alter-
nant les genres : du comique pas toujours délicat au 3. Quelle image chacun de ces documents
romantisme des tropiques, en passant par la veine donne-t-il de la domination française ?
héroïque, « sabre clair face aux hordes sauvages » ».
Document 1 : La volonté de « mettre en valeur »
L’impact de la chanson tient au fait qu’elle cumule
les colonies porte les Européens à la construc-
le poids des mots et celui de la mélodie : tout le
tion d’infrastructures de transport afin de drainer
monde peut fredonner certains airs connus ; dans
les produits locaux vers les ports d’exportation.
une chanson il faut dire l’essentiel en quelques
Ces chantiers exigent à la fois des capitaux, des
phrases, et pour le plus grand nombre. La chanson
techniciens et une abondante main-d’œuvre. La
permet de suivre des évolutions, de l’hostilité des
construction de la ligne de chemin de fer, connue
débuts à un ralliement progressif à l’idée coloniale
sous le nom de Congo-Océan, destinée à relier
qui s’affirme surtout à partir des années 1880.
la gare de Brazzaville au port de Pointe Noire,
illustre l’ampleur et le coût financier et humain
de certaines de ces réalisations. La concrétisa-
EXERCICES tion de ce projet, formé en 1886, est lente, pour
des raisons techniques et financières. Les travaux
Cerner le sens général et l’intérêt ne commencent qu’en 1921, pour se terminer en
d’un corpus documentaire 1934. On pourra fournir aux élèves la légende de
❯ MANUEL PAGE 285 l’illustration : « Sous le soleil équatorial. Notre
effort de pénétration par le chemin de fer se pour-
1. Quel est le thème commun suit à travers l’Afrique. C’est ainsi que la ligne de
à ces trois documents ? Brazzaville à la mer va intensifier l’exploitation
Le thème commun à ces trois documents est la du Congo. Mais combien d’obstacles – nature
« mise en valeur » économique des territoires colo- du terrain, climat humide et chaud, difficultés de
• 150 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 9 – Le temps des dominations coloniales

main-d’œuvre – les ingénieurs ne rencontrent-ils cultures d’exportation en Côte-d’Ivoire, y compris


pas pour mener à bien cette œuvre civilisatrice ! ». sous la contrainte. Le cacao y est introduit comme
Cette « Une » date des premières années de la culture forcée par le gouverneur Angoulvant entre
construction de la ligne. La légende insiste sur 1908 et 1916.
la dimension civilisatrice de l’ouvrage. Le climat 4. Quel intérêt présente la confrontation
« humide et chaud » n’est pas propice au labeur de ces documents ?
des ouvriers. Le relief accidenté nécessite la percée
La confrontation de ces documents est intéres-
de douze tunnels. Les ouvriers sont africains et
sante car elle permet de croiser plusieurs points
les Européens sont représentés par binôme : vrai-
de vue. Le premier est véhiculé par la presse et
semblablement un ingénieur accompagné d’un
les partisans de la domination coloniale. Il met
contremaître. Les différentes tâches des ouvriers
l’accent sur la mise en valeur des colonies et son
sont recensées : transport de la terre et des maté-
caractère civilisateur (le doc. 2 fait d’ailleurs réfé-
riaux, aménagement du relief, pose des rails.
rence à cette vision quand il emploie la formule
Document 2 : Le document 2 traite du même « chemin de fer libérateur » ou quand, s’adressant
thème, mais le regard porté sur les travaux du au ministre des Colonies, Albert Londres écrit :
Congo-Océan est différent. La main-d’œuvre est « j’ai pris à votre intentions quelques photogra-
difficile à recruter, elle se dérobe, fuyant des condi- phies, vous ne les trouverez pas dans les films de
tions de travail déplorables assorties de salaires propagande »). Le second est celui d’un journaliste
dérisoires et de mauvais traitements. Le recrute- français qui, s’étend rendu sur place, a vu la réalité
ment est autoritaire ; on peut parler de travail forcé. des choses (d’autres français comme André Gide
La faillite du ravitaillement régional et les insuffi- ou P. Mille dénoncent eux aussi ce qu’ils consi-
sances du contrôle sanitaire rendent la contrainte dèrent comme un scandale ; mais ces voix restent
insupportable. Près de 20 000 hommes paient de alors fort minoritaires en métropole). Le dernier
leur vie la construction de la ligne. Ce lourd tribut point de vue est celui des colonisés eux-mêmes,
humain amène le journaliste Albert Londres à dénonçant l’exploitation dont ils sont victimes et
parler du « drame du Congo-océan ». qui les a poussée à fuir leur territoire.
Document 3 : Le texte fait état à la fois du pillage
économique et de l’exploitation humaine dont est
victime la Côte-d’Ivoire. La pétition dénonce la BAC
spoliation des terres et des ressources par le colo-
nisateur français, en dépit des accords passés à Composition : La France et ses
l’origine. Il est fait état des mines d’or qui « ont colonies dans les années 1930
été données à des étrangers sans indemnité pour ❯ MANUEL PAGES 288-289
nous ». Les terres en effet sont données en conces- PROPOSITION DE PLAN :
sions à des sociétés européennes essentiellement I. L’apogée de la bonne conscience coloniale
(1/3 seulement des concessionnaires sont des
1. La « plus grande France »
Africains) et les indigènes soumis à de « lourdes
2. Le triomphe de l’idéologie coloniale
taxes ». Les Ivoiriens se plaignent également du
3. Mythe et réalités de l’« œuvre civilisatrice »
travail forcé, notamment sur les grands chantiers
(routiers, hydrauliques mais aussi ferroviaires II. Les manifestations de la domination fran-
et portuaires, grands consommateurs de main- çaise
d’œuvre, voir le commentaire du doc. 2 p. 265). 1. Une domination politique
La première conséquence en est l’état sani- 2. Une domination économique
taire lamentable des populations (l’examen des 3. L’acculturation des peuples colonisés
conscrits permet de le cerner : en 1915, à Lahou III. Une domination contestée
en Côte-d’Ivoire, 6 % seulement des recrues sont 1. Un anticolonialisme métropolitain largement
acceptées). S’y ajoutent les mauvais traitements et minoritaire
une justice arbitraire (dernière phrase). La métro- 2. L’émergence des nationalismes indigènes
pole, dans le même temps, entend développer les 3. Les premiers craquements de l’empire

© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 151 •


CHAPITRE
La décolonisation
10 ❯ MANUEL PAGES 290-309

RAPPEL DU PROGRAMME consacrées au personnage de Gandhi, photographié


par l’américaine Margaret Bourke-White, en 1946.
Deux études
Une étude de quatre pages traite de la guerre
– La fin de l’empire des Indes d’Algérie (pp. 298-301), s’attachant à montrer
– La guerre d’Algérie toutes les facettes de ce conflit (guerre franco-
algérienne, franco-française et algéro-algérienne ;
toutes porteuses d’une rare violence), ses acteurs,
◗ Objectifs et problématique ses victimes et ses différentes étapes.
du chapitre On pourra, avant d’étudier la guerre d’Algérie,
Ce chapitre permet d’aborder l’un des phéno- renvoyer les élèves aux pages consacrées à l’Al-
mènes historiques majeurs de la seconde moitié gérie coloniale dans le chapitre 9 (pages 276-277).
du XXe siècle, la décolonisation. Pour faire L’étude pourra être complétée par l’exercice de
comprendre aux élèves ce processus, deux études la page 307 qui touche à la politique d’autodéter-
doivent être menées : l’indépendance des Indes mination de de Gaulle. Les pages méthode (pp.
britanniques et la guerre d’Algérie. 308-309) proposent un document d’archives illus-
trant le recours de l’armée à la torture et la réaction
Ces deux exemples ont chacun leurs caractères des autorités françaises face à cette pratique ainsi
propres mais leur analyse fait apparaître des points qu’un document illustrant la propagande anti-FLN
communs, comme celui d’une extrême violence. de l’armée française en Algérie.
Il convient donc de nuancer la classique opposi-
tion entre le Royaume-Uni qui aurait réussi une
décolonisation pacifique à la France à qui l’indé- ◗ Bibliographie
pendance aurait été arrachée.
OUVRAGES GÉNÉRAUX
Le cours pages 294-295, ainsi que les pages Repères – Droz B., Histoire de la décolonisation au XXe s,
(pp. 292-293) permettent de mettre en contexte Le Seuil, Paris, 2006.
ces deux études. Les pages cours 302 et 303 sont
– Droz B., La décolonisation, Documentation
spécifiquement consacrées à la fin de l’empire des
photographique, mars-avril 2008
Indes et à la guerre d’Algérie et font suite, dans un
– Les collections de l’Histoire, « La fin des
esprit inductif, aux deux études consacrées à ces
empires coloniaux de Jefferson à Mandela »,
sujets sous la forme de dossiers documentaires.
n° 49, octobre 2010.
Une première étude (pages 296-297) est donc
SUR LES INDES BRITANNIQUES
consacrée à la fin de l’empire des Indes britan-
niques, cas complexe d’un sous-continent constitué – Bolvin M., Histoire de l’Inde, PUF, coll. « Que
d’une mosaïque de peuples. La décolonisation, en sais-je ? », 2005.
général présentée comme l’exemple d’une indé- – Butalia U., Les Voix de la partition, Actes Sud,
pendance négociée de la part des Britanniques, 2002 (recueil de témoignages sur la partition de
y est le théâtre de violents affrontements entre l’Inde)
hindous et musulmans. Cela est la conséquence à – Deliège R., Gandhi, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
la fois du caractère improvisé de la partition et du 1999.
divorce qui s’est instauré entre les deux commu- – Markovits C., Histoire de l’Inde moderne, 1480-
nautés, notamment par l’importance prise par les 1950, Fayard, Paris, 1994.
fondamentalistes depuis les années 1929-1930. – Gandhi M. K., Résistance non violente, Buchet/
Les pages « Histoire des arts » (pp. 304-305) sont Chastel, Genève, 1986.
• 152 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 10 – La décolonisation

– Pouchepadass J., Dictionnaire de l’Inde, – Site du British Empire and Commonwealth


Larousse, Paris, 2009. Museum
http://www.empiremuseum.co.uk/
SUR L’ALGÉRIE
– Branche R. et Thénault S., La guerre d’Algérie,
Documentation photographique, août 2001. OUVERTURE
– Pervillé G. et Marin C., Atlas de la guerre d’Al-
❯ MANUEL PAGES 290-291
gérie, de la conquête à l’indépendance, Paris,
Autrement, 2003 (réédition à paraître prochaine- Ces photographies renvoient respectivement aux
ment). deux études illustrant le processus de décoloni-
– Stora B., Histoire de la guerre d’Algérie 1954- sation.
1962, La Découverte, Collection Repères, Paris,
Document 1 : Britanniques et Indiens
2006. à la table des négociations en 1947
– Stora B. et Quemeneur T., Algérie, 1954-1962,
Les Arènes, 2010. En 1945, les Britanniques reconnaissent que l’in-
– Dossier « les archives du Monde 2 » n°241 du dépendance indienne est inéluctable. Ils envisa-
27 septembre 2008, Les harkis, oubliés de l’his- gent alors une solution unitaire puis fédérale, mais
toire. la Ligue musulmane de Jinnah, qui souhaite la
création d’un Pakistan indépendant s’y oppose
FILMS SUR L’INDÉPENDANCE INDIENNE farouchement. Des heurts sanglants éclatent entre
– Gandhi, de Richard Attenborough, 1982 hindous et musulmans. Le Royaume-Uni entend
(malgré une tendance marquée à l’hagiographie) se débarrasser au plus tôt de ce fardeau et annonce
– Partition de Vic Savrin, 2007 (sur la partition qu’il évacuera l’Inde en juin 1948 (doc 4 p. 297).
de l’Inde) Le nouveau vice-roi, Lord Mountbatten, qui béné-
ficie de ses récentes victoires en Asie du Sud-Est,
FILMS SUR LA GUERRE D’ALGÉRIE
arrive en mars 1947 dans une Inde au bord du
– Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier, chaos avec la difficile mission de mettre fin à la
1972. présence britannique. Ayant tenté en vain de fléchir
– La bataille d’Alger de Gilles Pontecorvo, 1965. la position de Jinnah, et les heurts se multipliant,
– Cartouches gauloises de Mehdi Charef, 2007. Mountbatten est vite convaincu de l’inévitable
– Chronique des années de braise de Mohamed partition à laquelle, de guerre lasse, Nehru et le
Lakhdar Hamina, 1975. Congrès finissent par se rallier. Il y aura deux
– Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, 2010. États, l’Union indienne et le Pakistan.
SITES INTERNET Cette photographie a été prise à la conférence de
– Site de l’historien Guy Pervillé, contenant ses New Delhi en juin 1947, lors de laquelle le plan de
publications sur la colonisation et la décolonisa- partition de l’Inde est accepté par les différentes
tion de l’empire colonial français, et tout parti- parties ; le plan de transfert du pouvoir à deux
culièrement celle de l’Algérie. nouveaux dominions indépendants est annoncé
http://guy.perville.free.fr le 3 juin. Lord Mountbatten est assis au centre
– Site de l’INA, nombreuses vidéos dans les entre Nehru, représentant du parti du Congrès à
rubriques « Histoire et conflits » et « Politique » sa droite et Jinnah, leader de la Ligue musulmane
http://www.ina.fr à sa gauche ; le personnage en retrait est le chef
– Site de l’INRP consacré à l’histoire-géogra- de cabinet du vice-roi, Lord Ismay.
phie : dans la rubrique « enjeux de mémoire », une Si cette photographie illustre une indépen-
présentation explicative des différents sites Inter- dance négociée, cette dernière est marquée par
net qui permettent de s’informer et de construire un contexte de violence et une mise en œuvre à
un cours sur l’histoire de la guerre d’Algérie. marche forcée, largement improvisée : le tracé des
http://ecehg.inrp.fr/ECHG/ frontières entre les deux nouveaux États, établi à
– Site de la Société française d’histoire d’outre- la hâte par une commission présidée par le juge
mer, qui offre de nombreux liens et articles Radcliffe, n’est annoncé que le 17 août, deux jours
http://www.sfhom.com/ après la partition ; rien n’est alors prévu pour faire
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 153 •
Chapitre 10 – La décolonisation

face aux violences et aux déplacements de popu- colonialisme européen, qui s’accompagne d’une
lation qui ne sont pas anticipés. promotion des élites nationalistes autochtones.
Dans ce contexte, la Charte de l’Atlantique, qui
Document 2 : Suspects arrêtés dans la région réaffirme le droit à la souveraineté et à l’autodé-
d’Oran, décembre 1956
termination des peuples, signée le 14 août 1941,
Cette photographie illustre un des aspects essen- revêt une portée importante et suscite l’espoir.
tiels de la guerre d’Algérie ; à savoir, la guerre qui
Dans la nouvelle configuration mondiale de
se joue sur le territoire algérien entre les forces
l’après-guerre, deux réalités majeures se déga-
du FLN et l’armée française (même si le terme de
gent et vont favoriser les décolonisations : la
« guerre » n’est jamais utilisé). En 1956, le vote
bipolarité Est-Ouest et l’ONU. L’effacement sur
des pouvoirs spéciaux par l’Assemblée nationale
le plan international des puissances coloniales
permet de doubler les effectifs militaires en Algé-
européennes va de pair avec la promotion des
rie pour écraser ce que les Français considèrent
deux grands vainqueurs de la guerre, favorables
comme une rébellion. Au début de la guerre, la
l’un et l’autre à la décolonisation. Fondée sur les
stratégie de l’armée française vise à encercler un
principes du maintien de la paix et de la libéra-
vaste espace puis à le « ratisser », en procédant
tion des peuples, l’ONU a également épaulé la
à son exploration dans le but de débusquer des
décolonisation (ex : investissement dès 1948 dans
formations ennemies. Lors de ce type d’opération,
l’indépendance de l’Indonésie, création en 1960
mobilisant de nombreux effectifs, des ennemis,
d’un comité de décolonisation) et a constitué, à
supposés ou réels, sont arrêtés par les troupes
l’occasion de la session annuelle de son assemblée
françaises et faits prisonniers. Peu efficace, ce
générale, une véritable tribune, un lieu de contacts
dispositif est progressivement abandonné.
et de tractations en faveur des indépendances.

3. Dans quels pays la décolonisation


REPÈRES a-t-elle été la plus violente ? En vous aidant
de vos connaissances et de la carte
La décolonisation (1945-1991) p. 266-267, indiquez à quelle métropole
❯ MANUEL PAGES 292-293
appartient chacun de ces territoires.
1. Sur quelles régions s’étendent La carte permet de distinguer les différentes phases
les possessions coloniales européennes de la décolonisation et de montrer en quoi elle a
en 1945 ? pu prendre parfois un caractère violent. C’est le
En 1945, les possessions européennes s’étendent cas en Asie, dans les Indes néerlandaises ou encore
essentiellement sur le continent africain (à l’ex- en Indochine française et en Malaisie (possession
ception du Libéria, de l’Éthiopie et de l’Égypte) britannique), deux exemples où la décolonisation
et sur l’Asie (mandats au Proche-Orient et posses- s’insère dans le contexte de la Guerre froide.
sions en Asie du Sud et du Sud-Est). Sur le continent africain, des conflits se font jour
2. Quels facteurs ont favorisé essentiellement en Algérie (sujet d’étude) mais
la décolonisation ? aussi dans les possessions portugaises que sont
La Seconde Guerre mondiale entraîne une radica- l’Angola et le Mozambique ou encore en Namibie.
lisation de la contestation de la domination colo-
niale. La guerre a en effet affaibli les puissances
coloniales européennes ; le prestige de la France, ÉTUDE
des Pays-Bas et de la Belgique a été atteint par la La fin de l’empire
défaite rapide subie face aux troupes allemandes
en 1940. Ce discrédit est aggravé par l’occupation
des Indes britanniques
❯ MANUEL PAGES 296-297
des colonies européennes d’Asie du Sud-Est par
l’armée japonaise. Les colonisés comprennent que Cette étude vise à comprendre les modalités de
les colonisateurs ne sont pas invincibles, y compris l’indépendance des Indes britanniques, que l’on
face à des troupes non européennes. Les Japonais ne saurait résumer à une simple décolonisation
déploient une propagande tenace discréditant le négociée et consentie par le Royaume-Uni.
• 154 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 10 – La décolonisation

◗ Document 1 contraire à sa vision d’une communauté multireli-


gieuse fondée sur la tolérance. Mais ces entretiens
1. Que veulent les membres du parti
du Congrès ? Quels sont leurs arguments ?
ne donnent aucun résultat, marquant le fossé qui
s’est creusé entre le parti du Congrès et la Ligue
La déclaration de l’entrée en guerre de l’Inde musulmane (doc. 2). De son côté, à l’été 1945,
aux côtés de la métropole, sans avoir consulté Londres reprend le contact en vue de nouvelles
les Indiens, provoque un réveil des nationalismes négociations.
et conduit le parti du Congrès à refuser son soutien
au gouvernement britannique à moins d’une
reconnaissance de l’Inde comme partenaire. Cela ◗ Document 2
implique donc l’indépendance. Mais la métropole 2. Quel est le parti qui s’oppose au parti
réplique par un refus se réfugiant derrière le motif du Congrès ? Quels sont leurs facteurs
de l’état de guerre. Très rapidement l’Inde joue d’unité et de division ?
un rôle essentiel dans le conflit : l’équivalent de À partir du moment où les Britanniques mettent
4 milliards de dollars sont fournis à la métropole en œuvre des institutions électives, il se produit
et à partir de 1942, l’Inde se retrouve en première un clivage politique : d’un côté les premiers natio-
ligne du front allié en Asie. Le danger japonais nalistes indiens, en majorité hindous mais parmi
grandissant, la métropole assouplit ses positions et lesquels se trouvent aussi de nombreux musul-
envoie une « mission de Bons Offices » dirigée par mans, qui se regroupent dans le parti du Congrès
sir Stafford Cripps, connu pour ses prises de posi- fondé en 1885 ; de l’autre une élite musulmane
tions anti-impérialistes. Cette mission est un échec qui fonde en 1906 la Ligue musulmane. Jusqu’en
face à l’intransigeance de la Ligue musulmane qui 1937, la Ligue reste un parti mineur. L’India Act de
réclame la reconnaissance d’un Pakistan musul- 1935 accorde aux provinces un régime d’autono-
man et celle du Congrès qui réclame un transfert mie politique avec des assemblées élues habilitées
immédiat de pouvoir à une Inde unitaire. L’an- à mettre en place des gouvernements locaux. Après
née 1942 voit ainsi se jouer une crise sans précé- les élections provinciales de 1937, le Congrès refuse
dent entre Indiens et Britanniques. Gandhi inspire de faire une place à la Ligue dans les nouveaux
au Congrès la Quit India Resolution, adoptée le gouvernements provinciaux, entraînant un raidis-
8 août 1942. Les nationalistes y réclament la fin de sement de cette dernière alors dirigée par Muham-
la domination britannique. Outre la condamnation mad Ali Jinnah. Ce riche avocat, entré tôt en poli-
du colonialisme et de ses effets désastreux sur le tique comme nationaliste modéré dans le cadre du
pays, le Congrès rappelle les principes de liberté Congrès, puis de la Ligue musulmane, a essayé
défendus par les Alliés et place le Royaume-Uni de lier les deux partis pour la défense des intérêts
face à ses contradictions ; il affirme que la liberté musulmans. En conflit avec Gandhi après 1920,
de l’Inde sera le meilleur gage de sa contribution il s’est exilé à Londres dont il est revenu en 1935
à la victoire alliée. Les chefs nationalistes sont pour prendre la tête de la Ligue musulmane. La
immédiatement appréhendés ; de graves troubles, Ligue prétend être considérée par les Britanniques
durement réprimés, submergent alors l’Inde ; comme l’unique représentante de l’ensemble, pour-
100 000 arrestations sont opérées. Les partisans tant très diversifié, de l’islam indien. Ni Gandhi,
du terrorisme mettent à profit les circonstances ni le parti du Congrès ne peuvent accepter cette
pour réapparaître, malgré les appels à la raison exigence puisqu’ils ont toujours soutenu qu’eux
de Gandhi. Dans l’immédiat, Quit India paraît seuls représentent le mouvement national et le
un échec. Mais cet épisode a accéléré la cause peuple indien dans son entier, au-delà des parti-
de l’indépendance, d’une part en contribuant à la cularismes religieux. Jinnah décide de faire de la
popularité du parti du Congrès et d’autre part en Ligue musulmane un parti de masse pour défendre
révélant l’impossibilité pour le Royaume-Uni de efficacement les intérêts des musulmans et en radi-
maintenir durablement sa domination par la force. calise les positions. Dès le congrès de Lahore, en
Gandhi, libéré en 1944, annonce la fin de la déso- 1940, la demande d’un État séparé est inscrite dans
béissance civile, et entreprend des conversations son programme, ce que Gandhi considère comme
avec le leader de la Ligue musulmane ; son combat une « invitation à la vivisection de l’Inde ». Jinnah
est désormais d’empêcher la partition de l’Inde, soutient la théorie des « deux nations », une hindoue
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 155 •
Chapitre 10 – La décolonisation

et une musulmane, comme deux entités histori- tent obtenir certaines garanties (unité du pays,
quement et culturellement différentes. Les diri- droits des minorités, accord de sécurité) et un
geants du Congrès comme Nehru prônent, eux, calendrier qui ne précipiterait pas les événements
un « nationalisme composite » selon lequel toutes vers le chaos. En particulier, ils souhaitent assu-
les personnes vivant sur le sol de l’Inde, quelle que rer à l’Inde des institutions stables, capables de
soit leur religion, forment une seule nation. Mais la maintenir la cohésion du pays avant l’indépen-
Ligue musulmane comme le Congrès proclament dance. Sur tous ces points, la politique britannique
tous deux leur volonté d’indépendance. enregistre une succession d’échecs. Le projet
présenté à la conférence de Simla en juin-juillet
◗ Document 4 1945 consiste en la création d’un conseil exécu-
tif intérimaire formé d’Indiens, sur la base d’une
3. Que décident les Britanniques en 1947 ? égale représentation des hindous et des musul-
4. Est-ce selon eux une rupture
mans, auquel la plupart des compétences d’État
dans leur politique indienne ?
devaient être transférées. La conférence échoue
Dès la fin de 1946, le désir des Britanniques d’en presque immédiatement à cause des exigences
finir au plus vite avec leur empire des Indes l’em- de Jinnah qui réclame le droit de nommer tous
porte. Le Royaume-Uni ne contrôle plus la situation. les représentants musulmans dans le nouveau
Les piliers du régime colonial, l’administration, l’ar- gouvernement. Cet échec marque en fait celui
mée et la police donnent des signes de faiblesse et d’une solution unitaire.
d’insoumission de plus en plus nombreux ; les fonc-
tionnaires britanniques souhaitent rentrer, tandis que Les Britanniques envisagent alors une solution
l’opinion métropolitaine est lasse et que la majorité fédérale, mais elle est là encore mise en échec
au Parlement, et même nombre de conservateurs, par les positions radicalement opposées du parti
ainsi que le gouvernement, souhaitent se débar- du Congrès, qui n’admet pas l’idée d’un Pakistan
rasser au plus vite du fardeau indien. C’est dans et de la Ligue musulmane, soulignant l’incompa-
ce contexte qu’Attlee déclare devant la Chambre tibilité fondamentale des deux sociétés à coha-
des communes, à Londres, le 20 février 1947, que biter dans un même ensemble. Ce plan prévoit
les Britanniques évacueront l’Inde au plus tard en la création d’une Union indienne, ouverte aux
juin 1948 et que le gouvernement de l’Inde sera États princiers et dotée d’un gouvernement fédé-
transféré « à des autorités établies par une Consti- ral, mais partageant ses prérogatives avec les
tution approuvée par toutes les parties de l’Inde ». provinces (y compris un Pakistan) et les groupes
de provinces. Afin de réaliser ce projet, un gouver-
Attlee, soucieux de ne pas réduire sa décision à
nement intérimaire devait être formé et l’élection
un aveu d’impuissance, prend soin de la présenter
d’une assemblée constituante organisée au plus tôt.
comme un aboutissement de la politique britan-
La deuxième conférence de Simla, en juin-juillet
nique de self-government. Dans l’idéal, ce proces-
1946, ne permet pas de trouver un terrain d’en-
sus gradualiste doit pouvoir aboutir au transfert du
tente. Dans une déclaration provocatrice, Nehru
pouvoir à des partenaires préparés, en diffusant le
affirme alors que le Congrès n’accepte que la parti-
modèle britannique de la démocratie parlementaire.
cipation à une assemblée constituante souveraine,
Dans cet extrait, il est fait ainsi allusion à l’Au- qui ne sera liée par aucun plan préalable ; autre-
gust Offer, en 1940 et à la proposition faite par la ment dit la future Constitution sera dictée par la
mission menée par Sir Stafford Cripps en 1942 de majorité congressiste de l’assemblée, et sera donc
créer une Union indienne, dotée d’autonomie, à défavorable aux minorités.
laquelle chaque État ou province pourrait adhérer
librement au lendemain de la guerre. Les antagonismes religieux atteignent le point
de rupture lorsqu’en réponse Jinnah appelle à
un National Action Day qui dégénère à Calcutta
◗ Documents 2, 3 et 4 du 16 au 18 août 1946, faisant plusieurs milliers
5. Expliquez le passage souligné de victimes (doc 3). Le vice-roi tente alors un
du document 4. dernier effort en suscitant au moins la forma-
Les Britanniques se rendent à l’évidence que l’in- tion du gouvernement intérimaire prévu, avec le
dépendance indienne est inéluctable mais souhai- Congrès seul. Nehru accepte d’en prendre la tête,
• 156 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 10 – La décolonisation

mais les tensions ne cessent de s’aggraver. Des ÉTUDE


heurts sanglants entre communautés se multi-
plient à Bombay, Ahmedabad, au Bihar au Bengale La guerre d’Algérie (1954-1962)
et au Pendjab. Lorsque l’assemblée constituante ❯ MANUEL PAGES 298-301
se réunit en décembre, les députés musulmans Cette étude vise à dégager à la fois les étapes, les
refusent d’y prendre part. C’est cette situation acteurs, les violences et les multiples facettes de
de violences et d’impasse qui inspire la phrase la guerre d’Algérie.
d’Attlee. Il semble désormais évident que la parti-
tion est inévitable. A. Déroulement et acteurs
d’une guerre d’indépendance
◗ Document 5
◗ Document 1
6. Que signifie l’expression « partition
des Indes » ? 1. Dans quel contexte la proclamation du FLN
7. Sur quels critères est-elle réalisée ? a-t-elle lieu ?
Avec quelles conséquences ?
Dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 1954,
Le nouveau vice-roi, Lord Mountbatten, brûle les trente attentats presque simultanés contre des
étapes, dans un pays plongé dans la guerre civile objectifs militaires ou de police sont perpétrés. Ils
(doc 1 p. 290). Il est finalement décidé qu’il sera font sept morts. C’est la première action du FLN
procédé à une partition du pays. Les 14 et 15 août, dont le nom dit clairement le projet indépendan-
les indépendances sont effectives. Voient alors tiste, précisé par des tracts diffusés cette nuit-là.
le jour deux dominions indépendants : l’Union
La situation à la veille de la Toussaint 1954
indienne à majorité hindoue dont Nehru devient le
est critique. En effet, l’opposition des Français
Premier ministre et le Pakistan à majorité musul-
d’Algérie a fait échouer les projets de réformes.
mane dont Jinnah devient le lieutenant général.
L’écart économique et social qui ne cesse de s’ac-
Le Pakistan est lui-même divisé en deux zones
croître entre les communautés et l’attitude des
séparées par 1700 km de territoire indien. Les
Européens vis-à-vis des Algériens musulmans
frontières sont établies par une commission qui
accentuent leurs frustrations, particulièrement
se trouve confrontée à une situation très délicate.
celles des musulmans qui sont passés par l’école
Les nouvelles frontières coupent en effet, dans
française, dispensatrice des idées d’égalité et de
de nombreux cas, des districts, des villages, des
fraternité, dont ils ne voient aucune application
familles voisines depuis des siècles. Le Pendjab et
dans la réalité.
le Bengale sont divisés en deux : le Bengale orien-
tal devient la partie est du Pakistan (il gagnera son Les neuf millions d’Algériens musulmans sont
indépendance et deviendra Bangladesh en 1971). de faux citoyens d’une République qui se veut
Les Etats princiers se rallient à l’un ou à l’autre assimilationniste : ils votent dans un collège
des deux nouveaux Etats, à l’exception provisoire séparé de celui des Européens depuis 1947. le
de trois d’entre eux (Cachemire, Hyderabad et principe d’égalité, « un homme, une voix », n’est
Junagadh), dans lesquels la population est divisée pas respecté. L’idée d’indépendance, partagée
sur le plan religieux et où le souverain pratique par une proportion croissante d’Algériens, appa-
une religion différente de celle de la majorité de raît alors comme la seule façon de dénouer cette
ses sujets. L’indépendance est célébrée dans la contradiction.
joie, mais dès le lendemain, des régions entières À cela s’ajoute la perte de prestige des colonisa-
sombrent à nouveau dans la guerre civile. Les teurs après leur échec en Indochine et l’affaiblis-
partages territoriaux en sont la première raison. sement de leurs forces sous les coups des révoltes
Des masses d’hindous et de musulmans abandon- du Maroc et de la Tunisie.
nent alors leurs maisons pour se réfugier en Inde
ou au Pakistan. On estime que la partition a causé 2. Quel est l’objectif du FLN ?
300 000 à 500 000 de morts et 10 à 15 millions Comment compte-t-il y parvenir ?
de personnes déplacées de part et d’autre de la Les fondateurs du FLN ont une trentaine d’an-
frontière. nées. Issus des classes moyennes, ils ont fréquenté
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 157 •
Chapitre 10 – La décolonisation

l’école française, sans être des intellectuels. Tous dans sa volonté répressive. Le 5 novembre, le
sont issus d’une organisation, le Mouvement pour MTLD, suspecté d’être à l’origine des atten-
le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), tats est dissout, ses responsables arrêtés, des
qui compte dans ses rangs plus de 20 000 militants. centaines de militants plongent dans la clan-
Ce parti est déchiré depuis 1953 par des dissen- destinité. Des renforts militaires sont achemi-
sions qui pour les membres fondateurs du FLN ont nés vers l’Algérie, qui portent les effectifs à
plongé le mouvement national dans « l’impasse ». 83 000 hommes. La France se lance alors dans
Les fondateurs du FLN ne croient plus à l’action une politique de « pacification » qui se double
politique (grèves, pétitions, manifestations) et de tentatives de réformes administratives, écono-
préconisent le recours à la lutte armée pour sortir miques et sociales, tendant à faire de l’Algérie
de la domination coloniale. une province à la personnalité originale, mais de
La proclamation du FLN expose les motifs de la plus en plus française. Tandis que les réformes
guerre puis définit les buts et les moyens de la n’arrivent pas à convaincre, la France augmente
lutte. Elle fait fonction de véritable déclaration de sans cesse sa présence militaire et donne à l’ar-
guerre et encourage la réalisation de l’union de mée des pouvoirs de plus en plus étendus. De
tous les Algériens dans et par la lutte armée contre 100 000 hommes sur le terrain en juin 1955,
le « colonialisme ». Le but du FLN est formulé l’effectif atteint 381 000 en août 1956. En mai
clairement dans la partie médiane du texte. Si le 1955, des réservistes français d’Algérie sont
rejet de la souveraineté française au profit d’une rappelés sous les drapeaux. Après l’offensive
souveraineté algérienne absolue est très clair, on sanglante lancée par l’ALN dans le Constanti-
ne peut pas en dire autant des principes d’orga- nois le 20 août 1955, cette mesure est étendue
nisation interne du nouvel État. Il paraît en effet aux rappelés métropolitains de la classe 53-2 qui
contradictoire de « restaurer » l’État « algérien » avaient fini leurs 18 mois de service et que l’on
de 1830 (accaparé par une oligarchie turque) en mobilise pour une durée de six mois. En 1956,
le qualifiant de « démocratique et social » ; de le gouvernement Guy Mollet rappelle les réser-
même, une autre contradiction apparaît entre les vistes des classes plus anciennes, soit 88 000
« principes islamiques » et l’absence de distinction hommes. En fait, le gros des forces en Algérie,
entre les confessions religieuses. Les « moyens de plus de 80 % des effectifs, est composé d’appelés.
lutte » sont résumés en une phrase, extrêmement 4. Quelle image F. Mitterrand donne-t-il
laconique. On peut en déduire que les « principes des nationalistes du FLN ?
révolutionnaires » consistent en un pragmatisme
Pour évoquer les attentats de la Toussaint,
absolu, faisant de l’efficacité le seul critère du
F. Mitterrand emploie le terme de « terrorisme
choix des moyens.
individuel », refusant ainsi d’y voir les prémices
d’un combat organisé pour l’indépendance. Tout
◗ Documents 2 et 3 au long de la guerre, d’ailleurs, les Français choi-
3. Quelle est la réaction des autorités
sissent de parler d’ « événements » ou d’« opéra-
françaises aux attentats de la Toussaint ? tions de maintien de l’ordre », affirmant qu’il n’y a
Comment est-elle justifiée ? à leurs yeux pas de guerre en Algérie, c’est-à-dire
pas de conflit impliquant une remise en cause de
L’attitude de la France à l’égard de l’Algérie est la souveraineté française sur le territoire algérien.
l’intransigeance, au titre que « l’Algérie, c’est la Tout au plus, ils vont considérer les nationalistes
France ». Il n’est pas question de reconnaître un algériens comme des « rebelles », des « hors-la-
quelconque état de guerre. François Mitterrand, loi », en révolte contre l’ordre, identifié à la loi
ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès- française. La dimension politique de cette « rébel-
France proclame devant l’Assemblée nationale lion » est ainsi absente des mots. Les individus
sa volonté de maintenir à tout prix l’unité de la qui y participent sont renvoyés exclusivement à
République française. leurs actions : « terroristes » ou « fellagha »(=
Très vite, il met à disposition du gouvernement « coupeurs de route ») ou « bandits de grand
général de l’Algérie plusieurs compagnies de chemin » (doc p. 309). De leur côté, les Algé-
CRS et le gouvernement se montre très ferme riens musulmans emploient d’autres termes aux
• 158 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 10 – La décolonisation

connotations politiques et militaires : « djoundi » signifie pour les Français d’Algérie que les voies
(= « combattants », « maquisards »), les hommes vers l’indépendance sont désormais ouvertes. Les
de l’Armée de Libération nationale (ALN) sont chefs militaires pensent qu’ils sont trahis. Des
présentés comme de vrais soldats. Les terroristes contacts s’engagent avec les activistes d’Alger. Le
et autres membres du FLN ne sont pas distin- général Massu confie à un journaliste allemand :
gués : ce sont des militants, qui peuvent deve- « l’armée fera intervenir sa force si la situation le
nir des « martyrs » (« chouhada »). La conno- demande. Nous ne comprenons plus la politique
tation religieuse n’est pas absente du lexique du du président de Gaulle ». Son limogeage, peu
FLN comme en témoigne l’emploi des termes après, mobilise les groupes d’opposition. À leur
« moudjahid » (combattant de la foi) ou « djihâd » appel, les partisans de l’Algérie française élèvent
(guerre sainte). des barricades dans le centre d’Alger au soir du
dimanche 24 janvier. L’épisode prend le nom de
◗ Document 4 « semaine des barricades » (jusqu’au 1er février
1960).
5. Comment de Gaulle justifie-t-il le change-
ment de politique de la France en Algérie ? Le cliché montre la rue Charles Péguy, alors
Le 16 septembre 1959, de Gaulle invite les Algé- barrée par quatre séries de double barricades.
riens à s’autodéterminer. Trois options sont propo- Elles sont édifiées à l’aide de pavés enlevés sur
sées : la sécession, la francisation ou bien l’asso- la chaussée, de planches provenant d’un chantier.
ciation, cette dernière ayant la faveur du chef de Elles sont rehaussées par des sacs de sable pour
l’Etat (texte p. 307). améliorer la protection en cas d’assaut et attei-
gnent près de 1,80 mètre. Des drapeaux flottent
Le 26 décembre 1959, après une discussion
sur les barricades et une banderole « vive l’Algé-
mouvementée avec un membre de son cabinet
rie française » est accrochée à un balcon. À l’in-
militaire, le général de Gaulle consigne les raisons
térieur, on procède chaque jour aux cérémonies
de sa politique. Il fait le constat de l’échec de
de lever et de descente des couleurs. Les hauts-
la politique coercitive de la France qui s’avère
parleurs (sur le balcon de l’immeuble) diffusent
impuissante (malgré l’« écrasante supériorité mili-
en permanence de la musique militaire. Le camp
taire ») à faire taire les aspirations des Algériens à
est peuplé d’une garnison permanente. L’utili-
l’indépendance et à les rallier à la cause de l’Al-
sation de la barricade est intéressante. Elle déli-
gérie française. Pour lui, le processus de décolo-
mite l’espace dans lequel s’enferment symbo-
nisation est un phénomène inéluctable, quels que
liquement les défenseurs d’une cause, ici celle
soient les territoires concernés. Peut-être peut-on
de l’Algérie française. Cette séparation volon-
voir également derrière ses propos le poids de la
taire constitue un appel au reste de la collecti-
condamnation onusienne qui pèse sur la France
vité nationale et à l’Etat à qui l’on demande de
concernant les événements algériens.
renoncer à la politique amorcée dans le discours
Le tournant de l’autodétermination est fonda- du 16 septembre.
mental car l’indépendance est désormais envisa-
geable. À partir de 1960, de Gaulle use d’ailleurs 7. À l’aide de la chronologie, expliquez
de formules confortant cette idée : « Algérie algé- comment se termine le conflit.
rienne » en mars, « République algérienne » en
novembre et même, en avril 1961, « État algérien Les premiers pourparlers entre le FLN et le
souverain ». gouvernement français s’ouvrent à Melun le
25 juin 1960. C’est un échec, mais le virage
est confirmé par le discours de de Gaulle du
◗ Document 5 4 novembre 1960 qui affirme que « l’Algérie
6. Comment les partisans de l’Algérie aura son gouvernement, ses institutions et ses
française manifestent-ils leur mécontente- lois ». Il annonce un référendum sur le principe
ment face à la politique d’autodétermination de l’autodétermination en Algérie qui a lieu le
proposée par de Gaulle ? 8 janvier 1961. Le « oui » obtient 72,25 % des
En Algérie, la politique d’autodétermination propo- suffrages en métropole, 69,09 % en Algérie, où
sée par de Gaulle provoque la stupeur tant elle le « non » l’emporte seulement dans les centres
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 159 •
Chapitre 10 – La décolonisation

urbains européens. Le succès de ce référendum B. Une guerre, des guerres ?


démontre aux jusqu’au-boutistes de l’Algérie
française qu’il faut réagir rapidement alors que ❯ MANUEL PAGES 300-301
la France annonce l’ouverture de nouvelles négo-
ciations. Ils créent alors l’OAS. Le 11 avril, le
chef de l’État confirme sa nouvelle orientation : ◗ Documents 6, 8, 9 et 11
« la décolonisation est notre intérêt, et par consé-
quent notre politique ». Chez les militaires, le 8. Montrez que la guerre d’Algérie n’a pas
mécontentement grandit et aboutit au putsch des seulement vu s’opposer les militaires français
généraux le 22 avril 1961. Le putsch échoue et aux nationalistes du FLN.
l’OAS prend la relève. Elle sème la terreur pour
casser le mécanisme des négociations engagées le L’une des spécificités de la guerre d’Algérie dans
20 mai 1961 à Évian. S’ouvre alors une période le processus global des décolonisations est qu’elle
de tous les dangers. Le FLN, qui veut aborder n’a pas simplement vu s’opposer les militaires
la négociation en position de force multiplie les français aux forces nationalistes. La guerre a aussi
actions, causant 133 morts entre le 21 mai et vu les Algériens musulmans s’opposer entre eux
le 8 juin alors que l’OAS enchaîne les actions (docs 6 et 11). Le doc 6 illustre l’affrontement
terroristes. très dur des courants nationalistes algériens du
FLN et du MNA (Mouvement national algérien),
À la fin de l’année 1961, les négociations buttent
fondé par Messali Hadj. Ces deux mouvements,
sur la question saharienne et doivent être suspen-
qui partagent le même objectif final, l’indépen-
dues ; le climat de violence s’exacerbe.
dance, sont condamnés à l’affrontement dès lors
Quand s’ouvre la nouvelle conférence d’Évian, le que chacun affirme être le représentant exclusif
7 mars 1962, les commandos de l’OAS renché- de cette aspiration. L’élimination physique de
rissent de violence. Un accord de cessez-le-feu, l’organisation rivale devient donc un impératif,
prenant effet le 19 mars à 12 h est signé à Évian, tant en Algérie que dans l’immigration algérienne
le 18 mars 1962, entre les représentants français en métropole.
et les émissaires du GPRA. Mais la signature des
accords d’Évian ne marque pas la fin de la guerre En outre, pour détacher les populations musul-
d’Algérie. L’OAS entame alors une politique de manes de l’emprise française et obtenir leur assis-
la « terre brûlée », tandis que les Européens d’Al- tance ou pour punir ceux qui contreviennent à
gérie fuient le pays. leurs ordres, le FLN et son bras armé, l’ALN,
utilisent souvent la force sous forme d’assassinats
Le 1er juillet, le référendum en Algérie donne
ou de mutilations « pour l’exemple ». Dans ses
99,7 % de « oui » pour l’indépendance, recon-
rangs, le FLN a recours à l’élimination physique
nue par la Ve République deux jours plus tard. La
et à la torture contre les traîtres réels ou suppo-
proclamation de l’indépendance donne lieu dans
sés. Le document 11 permet d’aborder la ques-
tout le pays à des explosions de joie. Mais à Oran,
tion des harkis, ces Algériens musulmans engagés
le 5 juillet 1962 est marqué par des fusillades
comme supplétifs dans l’armée française. Devenus
et des violences tournées contre les Européens,
victimes de représailles allant parfois jusqu’au
faisant environ cent morts dont une vingtaine
massacre, environ 25 000 d’entre eux se réfugient
d’Européens et 161 blessés. L’été 1962 est aussi
en France entre juin 1962 et juillet 1963.
celui des règlements de comptes dont sont notam-
ment victimes ceux qui ont pris les armes au nom
Les violences opposent également les membres
de la France, anciens combattants musulmans et
de l’OAS aux Algériens musulmans (doc. 8) ;
harkis.
tandis que les actes terroristes du FLN touchent
Après la proclamation de l’indépendance le également les populations civiles européennes
3 juillet, les tensions idéologiques internes au (doc. 11). Les documents témoignent aussi des
FLN laissent la place à une course pour le pouvoir violences exercées par les forces de police métro-
et il faut attendre septembre 1962 pour que l’Al- politaines sur les Algériens immigrés, suspectés
gérie se dote d’institutions propres. de connivence avec le FLN.
• 160 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 10 – La décolonisation

◗ Documents 6 à 9 çais musulmans d’Algérie » sont alors soumis à


un couvre-feu que le FLN appelle à boycotter le
9. Quelles sont les différentes formes
soir du 17 octobre 1961. Les 20 000 manifestants,
de violence dont la guerre d’Algérie
a été le théâtre ?
qu’ils aient suivi ou non le « mot d’ordre du FLN »,
10. Se sont-elles seulement déroulées éventuellement sous la contrainte, protestent aussi
sur le sol algérien ? Justifiez. contre la situation qui est la leur depuis que la lutte
contre le FLN s’est intensifiée à la fin de l’été et
Le document 7 illustre la pratique de la torture.
s’est traduite par une « chasse à l’Arabe » se décli-
Albert Nallet, jeune ouvrier, s’engage en faveur
nant en contrôles de papiers, arrestations et gardes
des mouvements pour la paix en Algérie dès 1954.
à vue abusives, accompagnées de brimades ou de
Il est pourtant appelé en Grande Kabylie du 3
coups. Avant même le 17 octobre, le nombre d’Al-
mai 1957 au 6 août 1959 et tient quotidienne-
gériens victimes d’homicides, retrouvés sur la voie
ment son journal pour témoigner et dire la vérité.
publique ou dans la Seine, s’élève anormalement.
La torture est d’abord utilisée par la police, puis
Ils sont souvent imputés au FLN mais les policiers,
massivement par l’armée. Ceux qui la justifient
agissant en dehors de leur service, en sont aussi
mettent en avant la recherche d’informations sur
responsables.
les troupes armées ou sur les réseaux de soutien
aux nationalistes dans la population. Les coups, Enfin, le document 8 témoigne des actes terroristes
les décharges électriques, les étouffements, l’eau perpétrés par l’OAS, née en 1961. L’organisation
injectée de force dans la bouche sont autant de terroriste à deux modes d’action : les explosions
méthodes utilisées fréquemment, de même que la au plastic et les assassinats individuels. Les plas-
pendaison par les pieds et les poings. Accomplies ticages ponctuent le quotidien des habitants des
par des militaires de carrière ou du contingent, villes algériennes pendant plus d’un an. En métro-
les tortures sont parfois l’occasion de défoule- pole, les attentats culminent en janvier et février
ments ; la vengeance, la peur de l’ennemi ou le 1962. L’approche du cessez-le-feu puis celle de
racisme (« avec ces gens, c’est comme cela qu’il l’indépendance intensifie la violence : l’OAS opte
faut y aller ») y trouvent un terrain d’expression pour une politique de la « terre brûlée » qui prétend
propice. Mais la torture est aussi pratiquée sans rendre l’Algérie aux Algériens dans l’état de 1830.
haine particulière, par des soldats persuadés d’ac-
complir ainsi leur mission qui est de gagner la
guerre. Le texte montre qu’elle perturbe certains
◗ Document 10
militaires qui parfois s’en ouvrent à leurs proches, 11. Comment se termine la guerre
à leur journal ; mais la plupart se taisent. Officiel- pour les Européens d’Algérie ?
lement, la torture n’existe pas.
Depuis 1959, près de 100 000 personnes sont
Le document 9 permet d’aborder la question des
progressivement arrivées en France. Elles sont
violences policières à l’encontre des Algériens
865 000 à débarquer dans les quatre ports médi-
musulmans en métropole. La guerre y est portée
terranéens de Marseille, Sète, Toulon et Nice entre
par la fédération de France du FLN, qui assure son
avril et septembre 1962, prises entre le déchaîne-
pouvoir sur l’immigration. En riposte aux attentats
ment de violence de l’OAS et l’imminence d’une
contre la police, Maurice Papon couvre le massacre
indépendance inquiétante, convaincues de n’avoir
du 17 octobre 1961. Les morts se comptent par
le choix qu’entre « la valise et le cercueil ».
dizaines et les blessés, par centaines. Les arres-
tations sont massives : 11 538, soit la moitié des L’exil de 1962 est un événement tragique pour tous
manifestants. Les violences sont alors commises à ceux qui l’ont vécu, tant la perte de la terre natale
froid et s’expliquent par l’état d’esprit de la police, est ressentie comme un profond déracinement.
travaillée par l’extrême-droite. Cette dernière profite La détresse qui l’accompagne est le fruit d’une
de l’exaspération des policiers face à la multipli- très longue période de tensions ; elle s’amplifie
cation, depuis septembre, des attentats dont ils encore avec la découverte d’un pays dont ils sont
sont victimes de la part des groupes de choc du certes citoyens, mais qu’ils ne connaissent guère,
FLN. Leurs représentants réclament à leur préfet, d’où d’ailleurs l’étrangeté du qualificatif « rapa-
M. Papon, des mesures de protection. Les « Fran- trié » appliqué aux Européens d’Algérie, le plus
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 161 •
Chapitre 10 – La décolonisation

souvent nés en Algérie, parfois de parents ou de ◗ Analyser les œuvres


grands-parents eux-mêmes nés là-bas.
2. Distinguez les différents plans
L’administration est prise de court par cette arrivée de la photographie.
massive, mais les situations se régularisent peu à 3. Décrivez le décor et la tenue de Gandhi.
peu ; les rapatriés reçoivent des subventions et Qu’est-il en train de faire ? Semble-t-il se
on leur accorde des prêts spécifiques pour faci- préoccuper de la photographe ? Que nous
liter leur insertion en métropole. Ils s’installent apprend tout cela sur le personnage ?
alors dans la société et l’économie françaises, en 4. Qu’est-ce que la photographie met ici
particulier dans les régions du sud de la France. en valeur ?
Dans le contexte du boycott des produits anglais
◗ Document 11 du début des années 1920 (question 6), Gandhi
décide de ne plus utiliser que le khadi (tissu obtenu
12. Quelles sont les principales victimes
de la guerre ? en filant à la main le coton de production locale).
Sa nouvelle tenue, le dhoti (linge noué autour des
Officiellement, la guerre d’Algérie a tué près de hanches formant comme des pantalons courts),
25 000 soldats français, 4 500 soldats algériens assorti d’une sorte de drap couvrant ses épaules,
engagés aux côtés des forces françaises et 4 500 tous les deux blancs, accompagne désormais son
civils européens. image dans le monde entier. L’élégant avocat vêtu
Les chiffres sont beaucoup plus imprécis à propos à l’occidentale des années londoniennes est bien
des victimes algériennes tuées par les forces de loin. En 1921, il fait le vœu de filer quotidienne-
l’ordre françaises. Le FLN revendique un million ment du coton à la main, pour donner l’exemple
de « martyrs » tandis que les autorités françaises et répandre cet usage parmi ses compatriotes.
estiment les pertes militaires de l’ALN autour de Le vieux rouet traditionnel, le charkha, devient
150 000 personnes et les pertes civiles autour de l’emblème du drapeau du Congrès et au-delà le
20 000, en y incluant les victimes algériennes de symbole de l’indépendance. En effet, pour Gandhi,
l’OAS mais sans tenir compte des plus de 13 000 produire ses propres tissus est un des moyens de
disparus recensés au 19 mars 1962. Il faudrait égale- se libérer de la tutelle britannique.
ment ajouter à ces chiffres les Algériens victimes
C’est ce symbole que la photographe vedette
de règlements de compte entre partis nationalistes.
du magazine Life veut immortaliser lorsqu’elle
Ainsi, le bilan des morts algériens est difficile à
pénètre dans l’ashram de Gandhi à Poona le
établir avec précision mais les historiens propo-
15 juillet 1946. Après les péripéties relatées
sent une fourchette située entre 200 et 400 000
page 304, elle réussit son cliché, mais Gandhi,
morts. Ces pertes, rapportées à la population de
qu’elle souhaitait photographier en train de filer
l’Algérie pendant la guerre (près de dix millions
s’est installé en retrait pour lire sa revue de presse.
de personnes), sont donc, quel qu’en soit le total
Il est assis en tailleur, sur un tapis traditionnel,
exact, particulièrement élevées. Quant aux harkis,
dans une petite pièce au caractère dépouillé qui
tués pendant la guerre ou après l’indépendance,
renvoie bien à l’ascétisme du personnage. Silen-
les estimations s’échelonnent de 30 000 à 150 000.
cieux et concentré sur sa lecture, il semble complè-
tement indifférent à la présence de la photographe,
fort peu préoccupé de se présenter sous un jour
HISTOIRE DES ARTS
avantageux. Au premier plan, le rouet occupe la
Margaret Bourke-White majeure partie de l’espace, omniprésent, immor-
photographie Gandhi (1946) talisé comme symbole de l’action gandhienne.
❯ MANUEL PAGES 304-305
5. Quelle impression se dégage
de cette image ?
◗ Présenter les œuvres
La photographie représente Gandhi, soutenu par
1. Présentez ces deux photographies, Abba et Manu, ses deux petites-nièces orphelines,
leur contexte et leur auteur. élevées auprès de lui. Elles l’accompagnent dans
Utiliser « l’essentiel sur » p. 304. tous ses déplacements de décembre 1946 à sa
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Chapitre 10 – La décolonisation

mort. Le groupe est vêtu de khadi blanc, à l’in- À la fin de 1929, le Congrès vote un texte qui
dienne, réuni dans une marche silencieuse autour déclare ouverte la lutte pour l’indépendance totale.
du Mahatma (« la grande âme ») amaigri par ses Gandhi organise alors la « marche du sel » et s’en
jeûnes successifs (on y voit ici l’homme dans sa va collecter lui-même le sel aux marais salants
fragilité mais aussi sa force). Se dégage de cette de Dandi, en violation du monopole britannique.
photographie une impression de recueillement, Des foules considérables font alors le siège des
de simplicité et d’humilité, en adéquation avec la dépôts de sel et se laissent matraquer par la police
pensée gandhienne. Ce groupe en marche rappelle sans riposter. Gandhi est à nouveau arrêté, mais
les combats de Gandhi, entouré de ses compa- le mouvement de désobéissance civile se pour-
gnons. suit avec une force croissante. Dans toute l’Inde,
on procède à des bûchers de tissus britanniques,
◗ Faire le lien entre art et histoire des dizaines de milliers de petits fonctionnaires
préfèrent démissionner plutôt que de continuer à
6. À l’aide de la photographie servir le gouvernement britannique.
et du document 1, montrez quelle est
l’originalité des méthodes de Gandhi 7. Montrez que ces photographies font de
contre la domination britannique. Gandhi un personnage exceptionnel.
La doctrine de la non-violence, même si elle est en Ces photographies de Margaret Bourke-White
partie contredite par les faits, confère à l’exemple immortalisent une des grandes figures de l’in-
indien une originalité dans les luttes de libération. dépendance de l’Inde, considérée encore par ses
C’est en 1906 que Gandhi élabore une théorie et une concitoyens comme le père de la nation. Inter-
méthode de lutte qu’il baptise satyagraha (« force rogée sur la photographie de Gandhi au rouet,
de vie »). Il écrit alors « En appliquant le satya- sa petite-fille, Ila Gandhi, évoque sa dimension
graha, j’ai découvert dès les premiers moments symbolique : « elle est le symbole de l’antico-
que la recherche de la vérité n’admet pas que l’on lonialisme, le colonialisme signifie exporter les
utilise la violence contre l’adversaire, mais que matières premières des pays colonisés pour fabri-
celui-ci doit être détourné de l’erreur grâce à la quer des produits finis dans les pays colonisateurs
patience et à la compréhension ». Dans cet esprit, il et les revendre aux populations d’origine en faisant
lance en 1919 le hartal, qui consiste en une suspen- du profit ». Que l’Inde ne se soit pas émancipée
sion totale de l’activité dans toutes les Indes. Une du joug colonial grâce à la seule action gand-
grande partie du territoire est le théâtre de grèves, hienne fait peu de doute ; en revanche, le mouve-
les magasins sont fermés, ainsi que les écoles ; ment de libération nationale n’aurait sans doute
cortèges et manifestations se multiplient, lors jamais acquis une telle ampleur sans le charisme
desquels on diffuse la parole de Gandhi. En dépit de Gandhi et le pouvoir de mobilisation de son
des vœux de Gandhi, certaines régions connaissent discours.
des violences. En 1920, il lance le mot d’ordre de
la non-coopération : pour ruiner l’Empire, il suffit
de le boycotter (ne plus fréquenter les écoles britan- EXERCICES
niques, ne plus accepter leurs emplois, boycotter les
produits anglais, notamment les tissus). Les Britan-
De Gaulle propose
niques réagissent en multipliant les arrestations. l’autodétermination
Au début de 1922, la campagne monte en puis- aux Algériens
sance avec la « désobéissance totale », y compris ❯ MANUEL PAGE 307
le refus de payer les impôts. Des violences éclatant
1. Lisez le texte et expliquez les mots
à nouveau, Gandhi met fin au mouvement. Il est
soulignés.
arrêté et emprisonné. Libéré en 1924, il se consacre
pendant plusieurs années à la promotion du khadi Pacification : terme employé durant la guerre
(voir questions sur le doc 3), reliant l’autonomisa- d’Algérie par les autorités françaises, qui se refu-
tion du peuple indien par rapport au colonisateur sent à parler de guerre.
britannique à une libération du système industriel Suffrage vraiment universel : en septembre
importé d’Occident. 1947, le Parlement français adopte une loi qui
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 163 •
Chapitre 10 – La décolonisation

crée une Assemblée algérienne. Mais les Algériens loin, mais elle entre pour la première fois dans le
musulmans, représentant les 9/10e de la popula- domaine du possible.
tion, votent dans un collège séparé de celui des
Européens. Le principe d’égalité, « un homme, une 3. Que propose de Gaulle aux Algériens
au début du texte ?
voix », n’est pas respecté. Les Algériennes musul-
manes ne votent pas. De plus, les pires moyens Dans le premier paragraphe, de Gaulle énonce le
sont employés pour obtenir des urnes les résultats principe fondamental de sa politique algérienne :
escomptés : perquisitions chez les nationalistes, l’autodétermination, « la seule voie qui vaille »
saisie de journaux, arrestations, occupation mili- selon lui pour résoudre le conflit algérien. Il définit
taire des bureaux de vote, absence d’isoloir et alors ce principe en ces termes : « le libre choix
truquage des suffrages. que les Algériens eux-mêmes voudront faire de
leur avenir ».
Autodétermination : renvoie au principe du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ici, désigne 4. Quelles sont les « trois solutions
le droit pour les population d’Algérie de choisir concevables » qu’il envisage de soumettre
librement leur destin par le suffrage universel. aux Algériens ? Les présente-t-il toutes de
façon neutre ?
Sécession : désigne ici l’accès à l’indépendance.
Les trois solutions envisagées par de Gaulle sont
Francisation : synonyme d’intégration, stade les suivantes : la sécession, soit l’indépendance ;
ultime de la politique assimilationniste française. la francisation, soit l’intégration pleine et entière à
la métropole et l’association, accordant une large
2. Présentez le document (auteur, nature,
contexte). autonomie interne au pays qui préserverait les liens
étroits avec la France. Il est hostile à la première :
En 1959, la « pacification » militaire se pour- « je suis pour ma part convaincu qu’un tel abou-
suit en Algérie. La mise en œuvre du plan de tissement serait invraisemblable et désastreux ».
développement économique et social, défini le Ne croyant plus à cette date à la deuxième qui
3 octobre 1959 à Constantine par le président de semble bien peu réaliste, il préfère la solution de
la République, Charles de Gaulle, s’opère sous l’association.
l’impulsion de Paul Delouvrier, Délégué général
du gouvernement en Algérie. Mais aucun progrès 5. À l’aide du travail qui vient d’être fait,
n’a été accompli dans l’ordre d’une solution poli- résumez en quelques phrases les idées
tique, la majorité des Européens d’Algérie récla- essentielles de ce texte.
mant l’« intégration », alors que les chefs de De Gaulle énonce le principe de l’autodétermina-
l’insurrection revendiquent l’indépendance. Le tion qui pour lui est le meilleur moyen de résoudre
16 septembre 1959, à 20 heures, dans un discours la crise algérienne. Il en expose ensuite les condi-
radiotélévisé de vingt-trois minutes, alors que tions, tout en soulignant l’œuvre déjà accomplie
l’Algérie est à feu et à sang depuis cinq ans déjà, par la France en ce sens : pacification et arrêt des
l’homme qui est revenu au pouvoir à la faveur de combats, mise en place d’un véritable suffrage
la crise algérienne lâche le mot « autodétermina- universel, progrès économique et social. Il expose
tion ». Il lève alors l’ambiguïté grandissante de ensuite les trois solutions envisageables qui seront
son attitude face au conflit et ouvre, certes sans le soumises à consultation : la sécession, la franci-
dire tout de suite, la porte aux tenants de « l’Al- sation et l’association ; cette dernière semblant à
gérie algérienne ». L’indépendance est encore ses yeux la meilleure.

• 164 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote


PARTIE Les Français et la République
5 ❯ MANUEL PAGES 310-387

Cette cinquième partie, consacrée au thème du s’exprime à travers la place accordée à l’armée
programme « les Français et la République » est dans les cérémonies officielles.
organisée, selon les consignes du programme,
autour de deux orientations ; l’une traite de l’his- Document 2. La République et le progrès
social : le Front populaire
toire politique et institutionnelle des années 1880
à 1962 (chapitre 11), l’autre permet d’aborder les Le 14 juillet 1936 est l’occasion d’une impor-
évolutions sociales (chapitre 12). Chacun de ces tante fête nationale où l’on célèbre aussi la Répu-
chapitres doit être étudié en 7 ou 8 heures. Il s’agit blique sociale que promet le Front populaire. Le
donc, à partir des sujets d’études proposés par le cortège qui défile de la Bastille à la Nation arbore
programme, de montrer tout d’abord comment les le drapeau tricolore, mais également le bonnet
valeurs républicaines, essentiellement héritées de phrygien, plus radical et révolutionnaire ; le point
la Révolution française, sont parvenues à s’impo- levé, opposé au bras tendu des fascistes, est devenu
ser et à surpasser leurs adversaires. Elles ont aussi dans les années 1930 un rituel des manifestations
favorisé le progrès social, en particulier sous le de la gauche. Hommes, femmes et enfants défilent
Front populaire et à la Libération. Les valeurs et joyeusement et le mélange des casquettes et des
les pratiques républicaines se sont alors enrichies chapeaux rappelle l’alliance des ouvriers et des
de nouvelles réflexions et de nouveaux principes, classes moyennes sous le Front populaire.
pour répondre aux évolutions et aux attentes de Cette photo de Willy Ronis permet donc d’évo-
la société française. quer à la fois une des victoires des Républicains
sur leurs adversaires et un moment clé du progrès
Document 1. La célébration de la République social et des conquêtes ouvrières étudiées dans le
démocratique et patriotique
chapitre 12.
À partir de 1879, les républicains s’imposent défi-
nitivement dans toutes les institutions politiques. Document 3. La République retrouvée, 1944
Dès lors, les symboles de la République envahis- Le 26 août 1944, la foule envahit les Champs-
sent l’espace public et contribuent de façon inédite Élysées et acclame le général de Gaulle qui écrit
à l’affirmation du régime et à son enracinement dans ses Mémoires de guerre, « Ah ! C’est la mer !
populaire. Les municipalités font ériger des statues Une foule immense est massée de part et d’autre de
de Marianne, emblème de la République depuis la chaussée. Peut-être deux millions d’âmes. Les
1792, comme ici à Paris en 1883. Ces monuments toits aussi sont noirs de monde. À toutes les fenêtres
font de la Révolution française la principale source s’entassent des groupes compacts, pêle-mêle avec
des valeurs républicaines. La Marianne de Charles des drapeaux. (…) Il se passe, en ce moment, un de
et Léopold Morice édifiée place de la République ces miracles de la conscience nationale, un de ces
est coiffée du bonnet phrygien mais se distingue gestes de la France, qui parfois, au long des siècles,
des effigies plus radicales par sa posture immo- viennent illuminer notre Histoire. » Ce spectacle
bile et calme, son rameau d’olivier symbole de de l’unité et de la fierté retrouvées, illustre le troi-
paix. Sur le socle, les allégories de la liberté, sième temps fort du programme, celui de la Libé-
de l’égalité, de la fraternité rappellent la devise ration après les épreuves de la guerre et de Vichy,
républicaine. Partout l’inauguration d’une statue mais aussi celui de la refondation républicaine à
est l’occasion d’une grande fête populaire, avec partir des projets et des valeurs élaborés dans la
drapeaux, guirlandes et lampions. La présence des Résistance. L’enthousiasme qui s’exprime autour
bataillons scolaires (qui ont existé entre 1882 et du chef de la France libre rappelle le rôle que joue
1892), rappelle un autre héritage révolutionnaire, alors de Gaulle dans la vie politique et dans l’évo-
le patriotisme, ravivé par la défaite de 1870, et qui lution des institutions.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 165 •
CHAPITRE
La République, trois républiques
11 ❯ MANUEL PAGES 312-357

RAPPEL DU PROGRAMME deux doubles pages « La résistance intérieure » et


« la France libre », mettent en évidence les acteurs,
– L’enracinement de la culture républicaine les formes d’engagement mais aussi les valeurs
(les décennies 1880 et1890) politiques et sociales qui fondent l’unité de la
– Les combats de la Résistance (contre l’oc- Résistance et permettent de préparer la Libération.
cupant nazi et le régime de Vichy) et la refon-
dation républicaine. La restauration du régime républicain (étude
– 1958-1962, une nouvelle République pp. 340-341) est alors marquée par d’impor-
tantes réformes sociales et politiques mais aussi
par d’intenses débats institutionnels dont la crise
de mai 1958 (étude pp. 344-345) semble l’épilo-
◗ Objectifs et problématique gue. Les deux études sur « Les institutions de la
du chapitre Ve République » puis « Le rôle du président de la
Cette partie du programme s’attache tout d’abord République » évoquent l’originalité du nouveau
à étudier les différents moyens institutionnels, système institutionnel et des pratiques politiques.
politiques et symboliques qui ont créé les condi- Elles achèvent ainsi l’analyse de la problématique
tions d’un enracinement de la culture républi- formulée en tête du chapitre « Comment le projet
caine, une fois que les républicains ont contrôlé républicain se transforme t-il entre 1870 et 1962 ».
les différents rouages de l’État. La première étude
proposée porte donc sur la culture politique sous ◗ Bibliographie
la IIIe République à travers les institutions, les
grandes libertés et l’échec du boulangisme. Avec SUR L’HISTOIRE POLITIQUE DE LA IIIe RÉPUBLIQUE
l’Affaire Dreyfus il est possible de montrer aux – Adoumié Vincent, Histoire de France, de 1918
élèves comment les républicains affrontent une à 1944, Carré histoire, 2005.
opposition idéologique radicale, qu’ils parvien- – Agulhon Maurice, Marianne au pouvoir, Flam-
nent à surmonter mais qui s’inscrit durablement marion, 1989.
dans le paysage politique français. L’étude de – Agulhon, Maurice, Marianne, les visages de la
l’école est un thème presque incontournable de République, Découvertes Gallimard, 2003
ce chapitre ; devenu, selon un projet politique – Birnbaum Pierre, L’affaire Dreyfus, Décou-
cohérent, un grand service public, l’école a en vertes Gallimard, 1994.
effet contribué à créer l’unité nationale ; elle a – Leduc Jean, L’enracinement de la République,
diffusé des références culturelles communes et les Carré histoire, 1991.
principes de la démocratie libérale, de la laïcité et – Tillier Bertrand, Les artistes et l’Affaire Dreyfus,
du patriotisme ; elle a aussi largement participé Champ Vallon, 2009.
au progrès social. La « pédagogie républicaine »
SUR L’ÉCOLE
apparaît aussi dans la partie « histoire des arts »
consacrée à l’œuvre de Jules Dalou, Le triomphe – Albertini Pierre, L’école en France, Carré
de la République ; par ses symboles, elle est une histoire, 2006.
image de la République démocratique et sociale, – Compagnon Béatrice, L’école et la société fran-
pleine de vitalité ; par son inauguration, pendant çaise, Éditions Complexe, 1999.
l’Affaire Dreyfus, elle incarne une victoire poli- – L’école en France XVIIe-XXIes, Textes et docu-
tique sur les adversaires du régime. ments pour la classe, n° 986, décembre 2009.
Le second ensemble de sujets d’étude portent sur SUR LA PÉRIODE DE LA GUERRE
le régime de Vichy, l’effondrement de la Répu- ET DE LA LIBÉRATION
blique qu’il représente et les complicités avec un – Copernik Pierre, Abécédaire de la Résistance,
régime totalitaire dont il s’est rendu coupable. Puis Flammarion, 2001.
• 166 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

– Levisse-Touzé Christine, Paris libéré, Paris suscite une ferveur exceptionnelle, dont témoi-
retrouvé, Découvertes Gallimard, 2004. gnent les images de la place de la Concorde et
– Rousso Henry, Les années noires, découvertes de la Bastille (vignettes 5 et 6). Elle inspire à
Gallimard, 2007. Claude Monet deux tableaux où la profusion des
– « Les drames de l’été 1945 », Les collections drapeaux envahit l’espace : La rue Montorgueil
de L’Histoire n° 28, 2005. et La rue Saint-Denis.
SUR LES IVe ET Ve RÉPUBLIQUES Cette Exposition universelle, la troisième à Paris
– Ardant Philippe, Les institutions de la Ve
Répu- depuis 1855, est l’occasion de célébrer le rayon-
blique, Hachette, 2010. nement de la France et de sa capitale (dont les
– Berstein Serge, Le gaullisme, doc photo, emblèmes figurent au-dessus de Marianne), mais
n° 8050, 2006. aussi le progrès technique et économique, réunis
– Jansen Sabine, Les pouvoirs et le citoyen, dans le slogan « paix et travail ». Elle est marquée
IV-Ve républiques, doc photo n° 8017, 2000. par la construction du Palais du Trocadéro et de
– Jansen Sabine, La IVe République, doc photo, ses jardins (image 1) en face du Champ-de-Mars
n° 7013, 1992. où sont édifiées les galeries de l’Exposition ; de
– Vaïsse Maurice, De Gaulle et la Libération, multiples attractions comme le ballon captif dans
Éditions Complexe, 2004. le jardin des Tuileries (image 4) ou la tête de la
– Winock Michel, 1958, Découvertes Gallimard, statue de la Liberté de Bartholdi exposée dans les
2008. jardins du Champ-de-Mars, font la renommée de
cet événement.

Document 2. Affiche pour le « oui »


à la Constitution de la Ve République, 1958
OUVERTURE
❯ MANUEL PAGES 312-313
Cette affiche gaulliste pour le référendum sur la
Constitution évoque à la fois les débats institu-
Les documents proposés illustrent deux temps tionnels et le contexte politique et social de 1958.
forts de la République ; celui de la fondation Au centre, Marianne, dans un drapé tricolore,
véritable du régime, quand, plusieurs années a brisé ses chaînes, s’est « libérée du système »,
après sa proclamation le 4 septembre 1870, les c’est-à-dire du parlementarisme accusé par de
républicains s’imposent dans les institutions de Gaulle depuis 1946 de paralyser le régime et
l’État : ils contrôlent alors les Chambres, la prési- de provoquer son enlisement dans la guerre
dence de la République étant acquise en 1879. d’Algérie. Mais dans l’ombre de Marianne se
Le second document évoque le passage de la IVe profile de Gaulle, en uniforme, faisant le « V »
à la Ve République, la crise institutionnelle et de la victoire ; l’affiche rappelle ainsi la Libé-
politique. Dans l’iconographie, Marianne incarne ration, le rôle du général dans la restauration de
à la fois la République et, de plus en plus, la la République et donc son envergure historique
France elle-même. particulière.
Document 1. Affiche pour l’Exposition En outre, depuis la Constitution de 1946, la Répu-
universelle de 1878 blique est « démocratique, laïque et sociale ».
Sur cette affiche de l’Exposition de 1878, Dans le cadre de l’État-providence dont de Gaulle
les symboles et allégories occupent la place a été l’un des artisans, les progrès sociaux et
centrale ; ils associent la République, ses économiques sont devenus des aspects importants
valeurs (Marianne, les effigies des philosophes de la politique des gouvernements et restent des
de Lumières, l’urne du suffrage universel) et arguments de campagne électorale. Enfin, dans le
la nation (drapeaux tricolores, faisceaux) ; les contexte de la décolonisation, la nouvelle Consti-
rameaux et les couronnes végétales (chêne, tution propose de faire évoluer les liens entre la
olivier, laurier) célèbrent la paix et le triomphe France et les peuples qui lui sont associés vers
du régime. Le 30 juin 1878, la fête « de la paix une structure fédérale afin de donner satisfac-
et du progrès » organisée par le gouvernement tion aux revendications de liberté, d’égalité et
est vécue comme une véritable fête nationale et d’autonomie.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 167 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

ÉTUDE des opinions, la multiplication des journaux et


favorise la structuration du mouvement ouvrier,
L’enracinement de la culture des partis politiques et de leurs revendications.
politique républicaine Elles favorisent la confrontation d’idées dans l’es-
❯ MANUEL PAGES 314-315 pace public, un aspect fondamental de la pratique
Proclamée le 4 septembre 1870, la République démocratique.
paraît d’abord incertaine, en raison du poids des
monarchistes encore majoritaires aux élections ◗ Documents 1 et 3
législatives de 1871 et bien décidés à rétablir la
2. Qui vote ? Comment se déroule
royauté. Ils sont cependant paralysés par leurs divi-
une élection ?
sions internes, alors que les républicains progres-
sent dans les élections partielles organisées entre Les élections et les campagnes électorales ryth-
1871 et 1875. Cette situation permet finalement, en ment la vie politique. Le suffrage est dit univer-
1875, l’adoption des lois constitutionnelles répu- sel depuis 1848 car il exclut toute condition de
blicaines (doc. 1). En 1879, après la démission de cens. Les hommes âgés de plus de 21 ans peuvent
Mac Mahon, un président de la République ouver- donc voter et le tableau met en scène des élec-
tement monarchiste, les républicains, devenus teurs de différentes catégories sociales, dans une
majoritaires dans les deux chambres du Parlement, pièce dépouillée qui met en relief la solennité du
s’imposent aussi à la présidence de la République processus électoral, sous les auspices de Marianne
avec l’élection de Jules Grévy. Ils peuvent dès et du drapeau. Mais les femmes en sont exclues,
lors entreprendre l’enracinement des valeurs de malgré quelques propositions comme celle d’Al-
progrès, de liberté (doc. 2) mais aussi de patrio- bert Thomas en 1910. En outre, le scrutin n’est
tisme, et combattre l’influence jugée excessive pas encore secret ; la liberté du vote n’est garantie
de l’Église. Ce cadre légal dans lequel le suffrage qu’à partir de juillet 1913, lorsqu’une loi instaure
universel libre s’exerce régulièrement (doc. 3) l’isoloir.
permet l’émergence d’une opinion publique et
consolide une culture politique démocratique, ◗ Document 1
libérale, qui surmonte la crise boulangiste (docs. 4
3. Quels sont les pouvoirs de l’Assemblée ?
et 5). Quels sont les pouvoirs du président
de la République ?
◗ Document 2 4. Expliquez pourquoi ce régime est qualifié
de « parlementaire ».
1. En quoi ces lois favorisent-elles
l’enracinement de la démocratie ? En 1875, c’est l’amendement Wallon (député
Les lois constitutionnelles votées en 1875 ne du centre-droit) qui permet de fonder les insti-
sont accompagnées d’aucune déclaration des tutions républicaines ; il est formulé ainsi : « Le
droits et libertés publiques. Une fois au pouvoir, pouvoir législatif s’exerce par deux assemblées,
les républicains s’attachent donc à les définir et la Chambre et le Sénat. Le Président de la Répu-
à mettre fin au régime de censure qui a prévalu blique est élu à la majorité des suffrages par le
durant les années de l’ordre moral. En 1881 une loi Sénat et la Chambre des députés réunis en une
très libérale sur la presse, l’affichage, la librairie Assemblée nationale. Il est rééligible ». Cet article,
est adoptée ; elle prévoit une simple déclaration acceptable par les conservateurs, est voté à une
pour fonder un journal mais maintient des incri- voix de majorité car selon Daniel Halévy, « non
minations précises (la diffamation, l’injure, les proclamée, simplement constatée, la République
provocations au crime, les outrages au président [reste] liée au titre présidentiel ».
de la République). De même, les réunions sont L’Assemblée et le Sénat votent les lois dont ils
déclarées libres en 1881. En 1884, la loi recon- partagent l’initiative avec le président de la Répu-
nait la liberté syndicale. Le droit d’association blique. Le droit de renverser le gouvernement
n’est cependant acquis qu’en 1901 en raison de la fonde le caractère parlementaire du régime. Seule
méfiance à l’égard des congrégations religieuses. l’Assemblée est élue au suffrage universel direct,
Ces lois permettent l’expression de la diversité ce qui lui donne une prééminence de fait. En outre
• 168 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

la crise de 1877 renforce le parlementarisme : ger (il vient d’être élu député) à la Chambre le
lorsque le président monarchiste Mac Mahon 4 juin 1888.
décide de dissoudre la Chambre où les républi-
cains sont devenus majoritaires, il est désavoué ◗ Document 5
par les électeurs qui élisent à nouveau une majo-
rité de républicains. Il se soumet et démissionne. 6. Quels sont les arguments des républicains
contre Boulanger ?
Le rôle du président devient dès lors plus effacé
et le droit de dissolution n’est plus utilisé sous la Face à la montée du boulangisme, les défenseurs
IIIe République. Le président conserve cependant de la république parlementaire sont divisés.
des pouvoirs importants : il dispose de la force Clemenceau les pousse cependant à s’organiser,
armée, nomme à tous les emplois civils et mili- propose la création d’une « société des droits de
taires et exerce le droit de grâce. l’homme et du citoyen » et choisit de répondre aux
boulangistes sur leur propre terrain, celui du fonc-
tionnement des institutions. Il répond à l’agitation
◗ Document 4
entretenue par les boulangistes et par Boulanger
5. Quelles critiques les boulangistes font-ils lui-même à la Chambre, par une défense du débat
du régime républicain ? Quelles réformes contradictoire, approfondi et laborieux qui impose
proposent-ils ? Comment qualifier le régime des solutions de compromis, mais constitue le
qu’ils veulent instaurer ? socle de la démocratie et de la République.
À partir de 1885, avec la chute de Jules Ferry,
s’ouvre une période de difficultés marquée par
la montée des oppositions qui semblent, avec ÉTUDE
le boulangisme, menacer la république parle-
mentaire. En effet, la politique des républicains
L’Affaire Dreyfus
❯ MANUEL PAGES 316-317
modérés (anticléricalisme, expéditions coloniales,
timidité des réformes sociales) suscite de vives L’Affaire Dreyfus, qui éclate en 1894, devient
critiques à droite comme à gauche. En outre, une affaire politique en 1898 ; c’est la plus grave
l’instabilité ministérielle puis les scandales poli- crise que traverse la République. Elle met en effet
tico-financiers fragilisent les gouvernements et en jeu les principes fondamentaux de la justice
provoquent une vague d’antiparlementarisme. Le et des droits de l’homme sur lesquels reposent le
général Boulanger, nommé ministre de la Guerre, régime et la société française (documents 1 et 4).
se rend alors très populaire par les réformes démo- Mais elle met aussi en cause la place de l’armée
cratiques qu’il introduit dans l’armée et par un (documents 1 et 4), la question de la définition de
patriotisme intransigeant et même belliciste vis-à- la nation (document 2). Elle met finalement en
vis de l’Allemagne. Ecarté du pouvoir, il rassemble lumière la persistance de fractures idéologiques
un courant hétéroclite de mécontents du régime, radicales qui s’inscrivent durablement dans la vie
venus de la droite (ligues nationalistes, bonapar- politique (documents 2, 3 et 4).
tistes, royalistes) comme de la gauche (ceux qui La chronologie rappelle sommairement les événe-
refusent « les promesses toujours faites, jamais ments et en suggère la complexité ; il ne s’agit
tenues » et « l’affaiblissement et l’avilissement cependant pas ici de raconter l’Affaire, mais de
de la patrie » selon L’Intransigeant du 22 avril faire comprendre aux élèves comment elle met
1888). Tous rejettent le régime parlementaire, en cause les valeurs politiques et sociales et dans
réclament un pouvoir présidentiel fort (le gouver- quelle mesure elle constitue un moment clé de
nement ne serait plus responsable que devant le l’enracinement de la République.
président) et voient dans l’appel à la souveraineté
populaire (instauration du référendum) le moyen ◗ Documents 1 et 2
de contourner les débats, facteurs d’atermoiement
et de faiblesse. Ils aspirent à une république auto- 1. Qui sont les adversaires de Dreyfus ? Quelles
ritaire garante selon eux de fierté nationale, de idéologies et institutions défendent-ils ?
stabilité et d’ordre. Ce sont les bases du projet de L’affaire Dreyfus éclate dans un contexte où la
réforme de la Constitution que présente Boulan- crainte de l’espionnage au profit de l’Allemagne
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 169 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

est omniprésente dans l’armée, et où l’antisémi- Péguy, Gide, Proust…), des hommes politiques
tisme se développe : le succès de La France juive (Briand et Jaurès notamment) sont de plus en plus
de Drumont en 1886 montre l’émergence d’un nombreux. Ces « intellectuels » selon le mot de
nouvel antisémitisme. Il fait la synthèse de l’an- Barrès, fondent en 1898 « la Ligue des droits de
tijudaïsme chrétien traditionnel et de l’hostilité l’homme et du citoyen » qui essaime en province et
contre ceux qui sont dénoncés comme symboles permet de développer, de structurer le mouvement
du capitalisme ; il y ajoute des considérations dreyfusard qui multiplie les appels à la mobilisa-
raciales qu’on retrouve chez Barrès. tion et aux manifestations.
Quand une affaire d’espionnage est découverte en
1894, c’est vers le seul officier juif de l’état-major ◗ Documents 1, 3 et 4
que se portent les accusations. Alfred Dreyfus,
3. Quand et pourquoi l’Affaire devient-elle
un brillant officier originaire de Mulhouse, poly- une crise politique ?
technicien, est en effet entré en 1892 dans cette
institution où les monarchistes catholiques sont L’article de Zola fait de l’Affaire un sujet de débat
encore nombreux. Jugé à huis-clos sur la base d’un public à l’échelle nationale, comme le montre le
« dossier secret » dont l’existence est révélée plus dessin de Caran-d’Ache (lui-même antidreyfu-
tard à la famille Dreyfus, il est jugé coupable à sard), « Un dîner en famille », publié dans Le
l’unanimité en décembre 1894. Il a contre lui l’ar- Figaro en février1898. L’aveu puis le suicide du
mée qui l’a condamné, l’Église, par antijudaïsme colonel Henry en août 1898 marquent une nouvelle
et solidarité avec « l’arche sainte » où elle a de étape ; les antidreyfusards, à travers la Ligue de
nombreux partisans, et les Ligues nationalistes la patrie française, appellent à se « serrer autour
et antisémites fondées durant le boulangisme. du drapeau » contre « l’anti-France » des francs-
La plus grande partie de la presse est alors aussi maçons, des Juifs, des intellectuels qui « déshono-
antidreyfusarde, non seulement La Libre parole rent » l’armée. Quand, en juin 1899, le jugement
de Drumont ou La Cocarde de Barrès mais égale- de 1894 est cassé, et un second procès annoncé, les
ment des journaux républicains comme L’écho de manifestations se multiplient. Le procès de Rennes
Paris ou L’Éclair. se déroule en août et septembre dans un climat
de tensions exacerbées. Ce sont clairement deux
conceptions idéologiques qui s’affrontent : d’un
◗ Documents 1 et 4
coté les partisans de la République laïque fondée
2. Comment les dreyfusards s’engagent-ils sur les droits de l’homme, de l’autre les partisans
dans l’Affaire ? Dans quel but Zola publie-t-il de la raison d’État, les défenseurs des hiérarchies
« J’accuse » ? d’Ancien régime (l’armée et l’Église) auxquels
Très rapidement après le procès, la famille Dreyfus s’ajoutent les partisans d’un nationalisme racial.
se mobilise et entame des démarches officielles.
Un sénateur alsacien, Scheurer-Kestner, informé ◗ Documents 2 et 3
des doutes sur la culpabilité de Dreyfus, demande
publiquement en 1897 une révision du procès, 4. Comment ces documents traduisent-ils
d’autant que des soupçons très sérieux se portent la violence politique à l’époque de l’Affaire ?
sur un autre officier, Esterhazy, qui est finalement Si le parti-pris antidreyfusard de la presse amène
acquitté par un conseil de guerre. Devant ce déni dès 1894 des campagnes calomnieuses dont Zola
de justice, Zola, qui est alors au faîte de sa popu- dénonce la violence dans son article, les violences
larité, publie aussitôt un article dans L’Aurore, politiques se multiplient à partir de 1898. Violence
le journal de Clemenceau, un partisan de la révi- verbales, insinuations, diffamation, insultes, dont
sion du procès. Il y dénonce nominalement les témoignent les différentes publications ayant trait à
officiers, l’iniquité justifiée par la raison d’État. l’Affaire, mais aussi violences physiques simulées
Il sait qu’il tombe ainsi sous le coup de la loi sur ou réelles. En 1898, l’effigie de Mathieu Dreyfus
la diffamation, mais il relance ainsi l’Affaire en est brûlée lors d’une manifestation à Paris ; en
la mettant en place publique lors de son propre 1899, après l’annonce du second procès, le prési-
procès. Les partisans de la révision, des norma- dent de la République Emile Loubet est conspué ;
liens (Lavisse, Langevin…), des écrivains (France, à Rennes, l’un des avocats de Dreyfus, maître
• 170 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

Labori, est victime d’une tentative d’attentat. Entre ◗ Documents 1, 2 et 4


1898 et 1902, encouragées par certains journaux,
7. Quelles sont les valeurs républicaines
les manifestations antisémites, rassemblant parfois mises en péril par l’Affaire ?
plusieurs milliers de personnes, se multiplient dans
toute la France, aux cris de « mort aux Juifs », « À Dans l’article « J’accuse », Zola place son combat
bas Zola », « la France aux Français » et s’ac- dans l’histoire de la lutte contre l’oppression :
compagnant de violences contre des personnes, « Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au
de destructions de biens appartenant à des Juifs. nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a
Lorsque les cendres de Zola sont transférées au droit au bonheur », écrit-il. Sont mises en cause
Panthéon en 1908, un partisan de l’Action fran- dans l’Affaire les valeurs issues de la Révolution
çaise blesse Alfred Dreyfus d’un coup de feu. française, des droits de l’homme ; le droit à une
justice équitable et impartiale, les libertés de
conscience et de religion, l’égalité de tous notam-
◗ Document 1 ment dans l’accès aux emplois publics, sans autre
distinction que celle du mérite. Les républicains
5. Quelles sont les accusations formulées
par Zola ? À qui s’adressent-elles ? défendent aussi les principes de la démocratie
laïque et une définition de la nation conçue
Les accusations sont portées contre deux ministres comme une communauté politique de citoyens.
de la Guerre : le général Mercier, et le général La loi de séparation de 1905 est d’ailleurs une
Billot qui a fait muter le colonel Picqart en Tuni- des conséquences de l’Affaire.
sie ; contre des membres de l’état-major et des
bureaux de la guerre (les différents services du
ministère de la Guerre) ; et contre les magistrats
des conseils de guerre. Les accusations sont de
ÉTUDE
nature juridique, dénis de justice (dans le procès
Dreyfus puis dans le procès Esterhazy), compli- L’école de la République
cité, recel de preuves, violation du droit, diffusion ❯ MANUEL PAGES 320-321
d’informations calomnieuses dans la presse ; elles La création d’un enseignement public et laïc
sont aussi morales, par les accusations d’aveu- est un des fondements du programme républi-
glement, de faiblesse d’esprit, de corporatisme. cain. Elle est vigoureusement encouragée par
la Ligue de l’enseignement créée en 1866 par
◗ Document 2 Jean Macé ; cette association a lancé en 1872
une pétition en faveur de l’école obligatoire,
6. Pourquoi Dreyfus est-il coupable laïque et gratuite qui a rencontré un très grand
selon Barrès ?
succès et trouvé de nombreux appuis parmi les
L’antisémitisme raciste a déjà été formulé par hommes politiques, Gambetta, Ferry, Ferdinand
Renan qui évoquait en 1855 « la race sémitique, Buisson ou Goblet notamment. Les lois votées
combinaison inférieure de la nature humaine » ; en 1881-1882 (document 1) achèvent l’orga-
il est repris et popularisé dans les années 1880 et nisation d’un système scolaire déjà ébauché
1890 par Drumont qui oppose « le Sémite mercan- au cours du XIXe siècle (loi Guizot en 1833,
tile, cupide, intrigant, subtil, rusé » et « l’Aryen, création obligatoire d’écoles de filles en 1850,
enthousiaste, héroïque, chevaleresque, désinté- réformes de Victor Duruy sous le Second empire
ressé ». Maurice Barrès, admirateur de Drumont, créant un enseignement primaire supérieur). Par
dénonce dans son journal La Cocarde fondé en la laïcité et la neutralité (documents 1 et 3), par
1894 le rôle politique des Juifs, « l’État juif dans la diffusion de l’esprit critique et de la rationalité
l’État français », et appelle à un « nettoyage natio- (document 5), l’école doit former des citoyens,
nal ». L’Affaire Dreyfus galvanise son nationa- rendre possible l’enracinement de la République
lisme et son antisémitisme ; il est un des porte- et de la démocratie. Les salles de classes sont
parole de l’antidreyfusisme et du nationalisme d’ailleurs le plus souvent mitoyennes de la
racial quand il déduit la culpabilité du capitaine mairie et font une large place aux symboles
de « sa race ». républicains (documents 2 et 4).
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 171 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

◗ Document 1 L’éducation des filles est assurée par des institu-


trices. Si les femmes n’ont pas le droit de vote,
1. Quel niveau d’école est concerné par
ces lois ? En quoi la gratuité, l’obligation
leur instruction laïque doit permettre d’écarter
et la diversité des enseignements primaires l’influence de l’Église et leur permettre aussi
sont-elles des facteurs de progrès social ? de bénéficier du progrès social dans la mesure
où la plupart des femmes des classes populaires
Les républicains voient dans les lois scolaires une
travaille.
importante réforme en faveur de la promotion
sociale. Rendue d’abord gratuite et donc acces-
sible aux enfants pauvres, l’école primaire est ◗ Document 4
obligatoire à partir de 1882 pour tous les enfants, 4. Identifiez les bâtiments sur la carte
garçons et filles de 6 à 13 ans ; chacun peut donc postale. Montrez qu’elle illustre la place
désormais apprendre à lire, écrire, compter mais centrale de l’école dans le projet républicain.
aussi développer ses capacités dans des domaines Chaque commune doit construire une école de
très variés dont certains ont clairement un prolon- filles et une école de garçons. De plus, la loi
gement pratique (avec « applications à l’agricul- municipale de 1884 impose d’avoir une « maison
ture, aux arts industriels, travaux manuels et usage commune », l’Hôtel-de-ville. De nombreuses
des outils des principaux métiers »). Les enfants communes construisent donc des mairies-écoles
peuvent ainsi bénéficier du progrès social, parfois modestes où les classes constituent deux ailes
échapper à la misère ou accéder à de nouveaux symétriques de part et d’autre de l’Hôtel-de-
emplois, en particulier ceux des services, des ville avec les deux cours séparées à l’arrière du
administrations, des chemins de fer qui ne cessent bâtiment. En général, la devise républicaine, le
de se développer. Si les lois scolaires n’ont pas drapeau figurent sur la façade de la mairie et le
toujours reçu une application immédiate, en 1900, buste de Marianne est exposé à l’intérieur.
selon Roger Thabault « il devenait honteux d’être
Cette carte illustre le lien mairie-école ; l’une
illettré ».
forme les futurs citoyens, qui reviennent plus
tard exercer leurs droits civils et politiques dans
◗ Document 2 l’autre. Elles combinent leur action pour enraciner
2. Comment l’organisation matérielle de la république, notamment dans les régions rurales.
la classe favorise t-elle l’apprentissage ? « C’est par l’une et par l’autre (…) que l’idée
Quels genres de documents sont fixés républicaine, d’abord accueillie avec réserves,
au mur ? et même avec hostilité, est devenue familière, et
3. Pourquoi l’obligation scolaire pour les filles que la vie laïque a pu rayonner dans un pays aux
est-elle un enjeu pour les républicains ?
si fortes traditions catholiques » est-il écrit en
Les classes construites pour accueillir les nouveaux 1918 dans la Revue de l’enseignement primaire
élèves doivent respecter des règles particulières et primaire supérieur.
(instructions de 1887) destinées à faciliter l’ap-
prentissage : elles doivent être claires et aérées ◗ Documents 1 et 5
par de grandes fenêtres latérales et une hauteur
sous plafond de 5 m ; des tables avec bancs dispo- 5. Comment se manifeste la volonté
sées en rangées doivent laisser une allée afin de de fonder une école laïque ?
permettre la circulation. Chaque élève doit dispo- La laïcisation de l’école se traduit par la disparition
ser d’au moins 1,25 m². Divers éléments du mobi- de l’enseignement religieux, remplacé par l’édu-
lier et de l’aménagement de la classe traduisent cation morale et civique. Les membres du clergé
des préoccupations pédagogiques : deux tableaux, sont exclus de l’enseignement public après la loi
une armoire où l’on distingue un globe et qui peut Goblet de 1886. L’école élémentaire est désormais
contenir des manuels scolaires dont l’usage se contrôlée uniquement par l’État. La laïcisation
diffuse, des cartes murales de la France et de sa passe aussi par la diffusion de l’esprit des Lumières,
frontière nord-est, des documents sous verre, dont l’apprentissage de l’esprit critique et de la ratio-
l’un est sans doute la déclaration des droits de nalité. Ces mesures paraissent indispensables pour
l’homme, des photos. soustraire la population à l’influence de l’Église ou
• 172 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

des notables et familiariser les futurs électeurs avec retrouve Marianne, jeune femme coiffée d’un
l’idée d’opinion personnelle et de choix politique. bonnet phrygien, sur les pièces, les timbres, dans
les mairies, aux façades des monuments et sur
◗ Document 5 les places publiques. Symbole de la République
depuis la Révolution française, elle est identifiée à
6. Quelles sont, pour l’auteur, les différences un idéal de liberté, d’égalité, de progrès, qui sont
entre la formation d’un républicain et celle
les valeurs fondatrices du régime. La banalisation
d’un catholique ?
de ces effigies (quelques cinq cents statues sont
Ferdinand Buisson (1841-1932), agrégé de philo- érigées dans les villes et les villages après 1880)
sophie, est un pédagogue influent de la IIIe Répu- souvent enrichies de différents attributs, voire inté-
blique, président de la Ligue de l’enseignement, grées à un ensemble statuaire, contribue de façon
inspecteur général, collaborateur de Jules Ferry inédite à l’affirmation du régime et à son enraci-
avec lequel il prépare les lois de 1881-1882 ; il est nement populaire. Leur inauguration est d’ailleurs
aussi le maître d’œuvre d’un monumental Diction- un événement, parfois exceptionnel comme le 19
naire de la pédagogie (1887). Dreyfusard, fonda- novembre 1899 lors de la cérémonie en l’honneur
teur de la Ligue des droits de l’homme, il est élu du Triomphe de la République de Dalou, à Paris.
député radical à Paris en 1902. Il reçoit le prix
Nobel de la paix en 1927.
◗ Présenter l’œuvre
Ce discours traduit à la fois ses préoccupations
pédagogiques et ses engagements politiques répu- 1. Présentez cette œuvre (auteur, contexte).
blicains et humanistes ; il distingue l’enseigne- Jules Dalou (1838-1902) est un sculpteur répu-
ment religieux qui repose sur la transmission de blicain engagé qui a participé à la Commune de
dogmes et l’enseignement républicain qui repose Paris ; après plusieurs années d’exil à Londres, il
sur le raisonnement, fondement de la liberté et de rentre en France après l’amnistie des Communards
la dignité humaine. en 1879. Ses œuvres sont alors marquées par son
idéal républicain ; il réalise une « fraternité des
◗ Documents 1, 3 et 5 peuples », un bas-relief en hommage à Mirabeau,
un grand paysan, et il laisse à l’état d’esquisse un
7. Montrez que l’école et ses enseignements monument aux travailleurs. Il se consacre aussi
doivent transmettre les valeurs
à la réalisation d’un grand nombre de bustes et
de la République.
monuments funéraires (Auguste Blanqui, Victor
L’enseignement de l’éducation civique, mais aussi Noir, Delacroix…). Le Triomphe de la République
l’histoire et la géographie, sont propres à trans- est le projet proposé par Dalou pour le concours
mettre les valeurs de liberté, d’égalité, de démo- organisé par la municipalité parisienne en 1879.
cratie et de laïcité. Les exercices militaires contri- L’œuvre n’est pas sélectionnée pour la place de la
buent aussi la diffusion du sentiment patriotique. République mais elle est achetée par la ville. Une
Jules Ferry demande explicitement aux institu- première version est inaugurée place de la Nation
teurs de « faire aimer la Révolution et la Répu- en 1889 pour le centenaire de la Révolution, puis
blique » qui ont apporté la citoyenneté et la laïcité. une seconde en bronze en 1899, quelques semaines
Mais la neutralité politique de l’enseignement est après la grâce de Dreyfus et la constitution du
indispensable à la liberté d’opinion que garantit gouvernement de « défense républicaine ».
la République.
◗ Analyser l’œuvre
HISTOIRE DES ARTS 2. Quels sont les symboles républicains
représentés ?
Le triomphe de la République Marianne, incarnation de la République, domine
de Jules Dalou l’ensemble ; la Liberté est représentée à la fois par
❯ MANUEL PAGES 322-323 le bonnet phrygien et par le flambeau que porte le
Avec l’instauration de la République, les allé- génie. L’unité et la force du peuple apparaissent
gories se multiplient dans l’espace public. On dans les faisceaux qui tient Marianne et dans les
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 173 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

deux lions. La Justice est représentée par une main 7. Comment le cortège ouvrier participe-t-il
de justice et par une balance tenue par un enfant. à l’inauguration ?
L’idéal de progrès social par l’instruction et le Quelles valeurs de la République célèbre t-il ?
travail, cher aux républicains, est incarné par un Alors que Dreyfus a été condamné « avec circons-
forgeron et un enfant portant un livre. tances atténuantes » à Rennes puis gracié le 19
septembre par le président de la République,
3. Comment expliquer que le lion soit l’inauguration de la statue de Dalou prend une
l’emblème du peuple ? Quelle est sa place dimension politique particulière, celle du triomphe
dans le monument ? Quel sens cela a t-il ? des dreyfusards, dont rend compte Charles Péguy.
Les deux lions sont des symboles de la force popu- La manifestation est le témoignage populaire de
laire ; dans la statue de Dalou, ils tirent le char de cette victoire de la République sur ses adversaires
la République, car la souveraineté nationale qui antidreyfusards, cléricaux et nationalistes. L’inau-
s’exprime par le suffrage universel est la base du guration officielle par le gouvernement est en effet
pouvoir politique. accompagnée d’une manifestation de rue autori-
sée, avant les festivités et les bals traditionnels.
4. Comment sont représentés le Travail Mais le cortège populaire montre l’influence crois-
et la Justice ? sante du mouvement ouvrier ; on ne chante pas la
républicaine Marseillaise récupérée par les natio-
Le Travail est représenté par un solide forgeron nalistes pendant l’Affaire ; et la Carmagnole est
au visage volontaire, un artisan présent dans les remplacée progressivement par l’Internationale
villes comme dans les villages ; le livre que porte (créée en 1887). Si la présence du drapeau rouge
l’enfant représente le travail intellectuel. La Justice n’est pas réprimée, elle amène les personnali-
conserve la main héritée de l’Ancien Régime et tés officielles à quitter la tribune avant la fin de
la balance, symbole d’équité. la cérémonie. Arrivés devant la statue de Dalou,
les cris d’adhésion à la République s’imposent
◗ Faire le lien entre art et histoire néanmoins car cette Marianne de Dalou est une
figure radicale, révolutionnaire, elle peut incarner
5. Quelle image de la République est donnée « la République sociale » chère aux mouvements
par cette statue féminine ? ouvriers et socialistes.
Cette statue donne de la République l’image d’un
régime en mouvement, avançant sur le globe ;
REPÈRES
le sein nu et le bonnet phrygien bien visible de
Marianne (non pas caché par une couronne de La France dans la guerre
laurier) en font une représentation plus audacieuse, (1939-1945)
conquérante, révolutionnaire que celle de la place
❯ MANUEL PAGES 326-327
de la République, immobile, solide, pacifique.

6. Pourquoi associer, à la fin du XIXe siècle, ◗ Document 1


République et travail ? République et 1. Montrez la rapidité de la défaite française
justice ? de 1940
L’idéal de progrès social et de justice fait partie La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940,
du programme républicain tel que l’a présenté lorsqu’est lancée l’offensive allemande ; suivant
Gambetta lors du discours de Grenoble en 1872. la stratégie du plan Manstein, l’armée allemande
Il est rendu possible par les lois scolaires, la liberté envahit les Pays-Bas et la Belgique. La percée à
syndicale, mais la législation sociale reste néan- travers les Ardennes lui permet ensuite de prendre
moins modeste jusqu’en 1914. En 1899, l’union les Alliés à revers ; la contre-offensive alliée a
des radicaux et des socialistes dans le gouverne- échoué devant la blitzkrieg, en six semaines la
ment de défense républicaine a pour justification moitié du territoire français est occupée. Cette
la défense de la justice, des droits de l’homme et avancée fulgurante provoque l’exode de millions
de la laïcité contre la droite nationaliste. de français terrorisés. Dans le Sud-Est, les troupes
• 174 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

italiennes, entrées en guerre le 10 juin, avancent déclenche des émeutes urbaines et dont les maqui-
dans les Alpes. sards harcèlent les troupes allemandes. Les FFI
libèrent seuls le Sud-Ouest, les Alpes, le Jura,
◗ Documents 1 et 2 malgré les représailles (à Oradour, à Tulle contre
des civils, au Mont-Mouchet, aux Glières, dans
2. Quelles sont les conséquences le Vercors contre des maquisards). L’ensemble du
de la défaite et de l’armistice pour territoire est libéré en décembre 1944.
le territoire français.
Après l’armistice, la France apparaît éclatée.
L’Alsace-Moselle est annexée, deux camps ÉTUDE
de concentration y sont organisés. Les régions
du Nord-Est, rattachées au gouvernement de Vichy, un régime antirépublicain,
Bruxelles, « interdites » ou « réservées », sont 1940-1944
destinées à une annexion future à l’Allemagne. ❯ MANUEL PAGES 328-329
Une zone interdite de quelques kilomètres sur le Après la signature de l’armistice, sur un territoire
littoral est prévue pour l’édification du mur de amputé, désarmé, soumis à des indemnités exorbi-
l’Atlantique. Au sud de la ligne de démarcation, tantes, comptant un million et demi de prisonniers
la zone « libre » jusqu’en novembre 1942 compte et des millions de réfugiés, le gouvernement de
de nombreux camps, certains créés en 1938 pour Vichy maintient les apparences d’un État indépen-
les « étrangers indésirables », et où sont internés dant mais saborde la République. Dans un climat
les Juifs à partir de 1940. sans précédent de confusion, de désarroi, favorable
aux intrigues et aux manœuvres, le 10 juillet 1940
◗ Document 4 le régime républicain et démocratique est remplacé
par une dictature (document 1) qui met fin aux
3. Quels sont les territoires acquis à la France
valeurs humanistes des droits de l’homme ; le
libre en 1940 ? en 1943 ?
régime de Vichy veut instaurer en effet un « ordre
L’empire colonial joue un rôle majeur dans la moral » hérité de l’Ancien régime (document 2) et
guerre à laquelle participent de nombreuses met en place une législation inspirée par l’extrême
troupes coloniales en 1939-1940 puis lors des droite nationaliste et antisémite (documents 3 et
débarquements en Italie, en Corse, en Norman- 4). En outre, la politique de collaboration avec
die, en Provence. Il est donc un élément essentiel l’Allemagne, sollicitée par l’État français en 1940
dans la fondation puis dans la consolidation de rend possible la complicité de l’État français dans
la France libre. Si les gouverneurs d’Afrique du les crimes contre l’humanité (documents 5 et 6).
Nord, de Madagascar, du Levant, de l’AOF restent
d’abord fidèles à Vichy, Felix Eboué en AEF est ◗ Document 1
un des premiers à se ranger du coté du général de
Gaulle. Après le débarquement allié en Afrique 1. En quoi ce texte met-il fin au régime
du Nord, toutes les régions de l’empire rallient la républicain ?
France libre, à l’exception de l’Indochine occupée Le gouvernement dirigé par Pétain s’installe
par les Japonais. à Vichy le 1er juillet. À l’instigation de Pierre
Laval, le 2 juillet les Chambres sont convoquées.
◗ Document 3 Dans un climat d’intimidation, le 10 juillet seuls
80 députés (12% des votants, sans compter les
4. Comment s’effectue la libération députés communistes déchus de leur mandat et
du territoire français ? 177 députés absents) s’opposent au texte qui
La libération commence avec les deux débarque- donne légalement tous les pouvoirs au gouver-
ments, en Normandie puis en Provence. Les dates nement « pour promulguer une nouvelle Consti-
suggèrent l’âpreté des combats et les capacités de tution de l’État français ». En quelques jours
résistance de l’armée allemande, en Normandie plusieurs « Actes constitutionnels » sont promul-
notamment. La carte montre le rôle conjoint des gués, par lesquels le chef de l’État concentre
alliés, des FFL et de la résistance intérieure qui tous les pouvoirs et les Assemblées sont « ajour-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 175 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

nées » ; Pétain désigne aussi officiellement son ◗ Documents 1 et 2


successeur, Pierre Laval. Les fonctionnaires
4. Sur quelles valeurs le régime est-il établi ?
doivent prêter serment de fidélité au maréchal.
Il ne reste rien de la IIIe République et du régime La dictature instaurée par les Actes constitution-
parlementaire. nels repose sur la reconnaissance des hiérarchies
sociales, sur la nécessité d’obéir et de servir. La
◗ Document 2 liberté n’est conçue que dans le respect de l’au-
torité ; elle n’est plus un droit naturel.
2. Quelles valeurs républicaines disparaissent ?
Dans quel sens l’organisation du travail
est-elle réformée ?
◗ Document 3
Pour Pétain, la défaite militaire est un échec poli- 5. Quelle est la devise de l’État français ?
tique et moral, un châtiment, dû aux « tares de Sur quels « piliers » est-il construit ?
Quelle activité économique en est absente ?
l’ancien régime » ; « on a voulu épargner l’effort,
on rencontre aujourd’hui le malheur » a-t-il dit Cette affiche de propagande illustre de façon
le 20 juin. L’influence des milieux conservateurs simple et manichéenne les dogmes de la Révolu-
catholiques et de l’extrême droite maurrassienne tion nationale. La France de Vichy, qui conserve
se retrouve dans le programme de la « révolution le drapeau tricolore, est établie sur une devise,
nationale » ; le principe d’égalité naturelle est nié, des principes, des forces sociales. Les valeurs de
et la liberté est qualifiée de « licence » ; ces valeurs la devise républicaine sont remplacées par des
sont remplacées par les règles d’obéissance, de réalités concrètes. Le travail, sous ses formes
service et de soumission à l’autorité hiérarchique ; préindustrielles de l’artisanat et de l’agricul-
elles doivent rétablir l’harmonie, la concorde ture, est constamment exalté (« la terre ne
sociale supposée brisées par la Révolution, l’in- ment pas ») ; dans tous les secteurs il est réor-
dustrialisation et l’urbanisation. Elles s’accompa- ganisé selon les principes du corporatisme, dont
gnent donc de la négation des conflits sociaux dans ne profitent que les patrons. La famille est célé-
le travail, de l’interdiction des syndicats remplacés brée comme base de la réorganisation sociale et
par des corporations auxquels adhèrent ouvriers comme moyen de lutte contre l’individualisme ;
et patrons sous l’arbitrage de l’État. la mère au foyer est fêtée, la jeunesse est prise
en main dans les écoles épurées de leurs maîtres
◗ Documents 2 et 3 trop républicains ; les Compagnons de France,
les chantiers de jeunesse et les écoles de cadres
3. Quel régime, quelles idées, doivent former les nouvelles élites. Enfin l’ar-
quelles personnes sont rendus mistice ayant imposé le désarmement, Vichy
responsables de la défaite ? crée la Légion française des combattants qui
La Révolution nationale dénonce toutes les idéolo- réunit les associations d’anciens combattants et
gies nées après la Révolution française (la démo- doit diffuser la Révolution nationale, expression
cratie, le libéralisme, le capitalisme, le commu- nouvelle du patriotisme.
nisme…). En particulier, le régime de Vichy
stigmatise la République et ses responsables ◗ Document 4
politiques communistes, socialistes et radicaux
dont certains sont emprisonnés dès l’été 1940 6. Pourquoi peut-on parler
(Léon Blum, Edouard Daladier, Pierre Mendès d’un antisémitisme d’État ?
France, Jean Zay…). Quelques-uns sont jugés à L’antisémitisme s’est diffusé en France depuis
Riom en 1942. De plus, conformément à l’idéo- l’affaire Dreyfus. De nombreux hommes poli-
logie xénophobe, nationaliste et antisémite de tiques présents à Vichy accusent les Juifs d’avoir
l’extrême droite dont s’inspire aussi le régime, la un pouvoir économique et politique excessif et
franc-maçonnerie (interdite en juillet 1940) et les une lourde responsabilité dans la défaite ; ils sont
Juifs (victimes de mesures d’exclusion dès octobre les principales victimes des « dénaturalisations »
1940) sont désignés comme responsables de la de juillet 1940. Puis le statut d’octobre 1940 les
défaite. exclut de la fonction publique et des professions
• 176 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

impliquant une influence sociale (magistrature, ÉTUDE


banque, culture, média) ; l’université leur est en
partie fermée. Le second statut de 1941 permet La Résistance intérieure
la confiscation de leurs biens et il est demandé ❯ MANUEL PAGES 330-331
aux Juifs de se faire recenser. Un commissariat Cette double page doit permettre de montrer les
aux questions juives, créé en mars 1941, veille à formes d’organisation prises par la Résistance
l’application de ces lois. En zone nord, les Juifs intérieure (documents 1, 2 et 3), les formes d’ac-
sont en outre frappés par les mesures de stigma- tion (documents 1, 2, 3, 4 et 5), la diversité des
tisation prises par l’occupant. motivations, patriotiques (documents 1, 2 et 3),
idéologiques (documents 2 et 5), humanistes
◗ Document 5 (document 4) ; si hommes et femmes de divers
7. Qu’est-ce que la collaboration ?
milieux sociaux, politiques et professionnels ont
participé à la Résistance, le poids de l’occupation
L’entrevue de Montoire le 24 octobre officia- et la collaboration poussent aussi des catégories
lise par une poignée de main la collaboration sociales spécifiques à s’engager en plus grand
sollicitée par le gouvernement français. Celui-ci nombre, les jeunes (document 3), les étrangers
mise sur une victoire de l’Allemagne et pense (document 5) notamment.
ainsi donner à la France une place favorable dans
l’Europe nouvelle ; il s’engage à aider l’Alle-
magne dans la lutte contre les Anglais et les ◗ Documents 1, 2 et 4
gaullistes. Mais il n’obtient aucune réduction 1. Contre qui se battent ces résistants ?
des frais d’occupation ni le retour des prison- Les premiers actes spontanés et isolés de résis-
niers. Pétain présente cependant cette rencontre tance accomplis dès l’été 1940 sont dirigés contre
comme une « invitation du Führer », et le début l’occupant. Quand les mouvements politiques et
d’une entente entre les deux pays, dont il aurait les réseaux de renseignement s’organisent dans la
« accepté le principe » ; elle met en fait la France clandestinité, ils poursuivent cet objectif patrio-
au service des nazis. tique ; mais, comme le montrent les documents 1
et 2, ils sont aussi anti-vichystes, surtout à partir de
◗ Document 6 1942 avec le retour de Laval qui déclare « souhai-
8. De quel crime l’État français se rend-il ter la victoire de l’Allemagne ». La lettre de Mgr
complice ? De quelle façon ? Saliège dénonce la soumission idéologique à l’Al-
Dès octobre 1940 les préfets peuvent interner dans lemagne et les rafles organisées durant l’été 1942
des camps « les étrangers de race juive » sous la dans les deux zones à la suite des accords Oberg-
surveillance de la police française. Avec le second Bousquet. Ces rafles provoquent un retournement
statut, les Juifs français peuvent être internés s’ils de l’opinion et des réactions de solidarité ; des voix
ne sont pas recensés. À partir de l’été 1942, les autorisées comme celles de certains archevêques
accords Oberg-Bousquet organisent la collabo- sortent du silence.
ration policière et mettent la police française des
deux zones au service des Allemands qui ont ◗ Document 1
annoncé leur intention de déporter 100 000 Juifs 2. De quand date cette « une » ?
de France. Les autorités françaises participent Que montre-t-elle sur l’organisation
donc désormais, notamment par les rafles qu’elles des mouvements de Résistance et le rôle
opèrent, à la mise en œuvre de l’extermination. reconnu au général de Gaulle ?
Depuis les camps de la zone libre, les Juifs sont En 1941, Emmanuel d’Astier fonde avec des
transférés vers Drancy puis vers les camps de la personnalités de gauche, notamment Raymond
mort. Parmi les 76 000 Juifs déportés de France, et Lucie Aubrac, le journal et le mouvement Libé-
50 000 étaient des Juifs étrangers, 16 000 des ration. Progressivement leur action s’étend et se
naturalisés. diversifie (faux papiers, aide aux évadés, action
militaire à partir de 1942). Contacté par de Gaulle
début 1942, il participe, à l’instigation de Jean
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 177 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

Moulin, à la fusion des trois grands mouvements se mesure à la violence de la répression menée
de la zone Sud dans le MUR (Mouvement uni de par l’armée allemande aux Glières au printemps
la Résistance) ; liés à la France Libre, les groupes 1944 ou au Mont-Mouchet en juin 1944.
armées du MUR forment l’Armée secrète. Le 1er
mai étant devenu officiellement en 1941 la fête du ◗ Documents 1, 2 et 4
Travail, mais détournée de son sens revendicatif
et social originel, le journal appelle à marquer 5. Quelles sont les formes de résistance
l’événement en multipliant les sabotages contre civile ?
« l’ennemi et les traîtres ». La rédaction de journaux clandestins, la collecte
de renseignements, l’organisation de grèves, la
◗ Document 2 production de faux papiers sont les formes de
résistance civile mises en œuvre par les groupes
3. À quel mouvement appartient cette structurés comme Libération, Combat, le PCF,
résistante ? Quelles sont ses motivations ? etc. Des personnalités religieuses ont aussi usé
Le parti communiste, désorienté par le pacte de leur autorité morale pour protester (comme
germano-soviétique d’août 1939 puis interdit par l’archevêque de Toulouse ou celui de Lyon) et
le gouvernement à l’automne 1939 survit dans la des communautés de chrétiens ont participé à la
clandestinité. Avec l’entrée en guerre de l’Union résistance civile (cf l’accueil d’enfants juifs au
soviétique en juin 1941 les militants entrent Chambon-sur-Lignon ou l’action de la Cimade).
massivement dans la Résistance et lui apportent Il y a aussi d’innombrables actes de résistance
un savoir-faire incontestable en matière de propa- civile individuels ou collectifs, parfois peu specta-
gande, d’organisation et d’action clandestine. culaires mais indispensables à l’action des mouve-
Leurs formes d’action sont très diverses ; elles ments et des réseaux. Ils impliquent des anonymes,
répondent à des motivations patriotiques et idéolo- de plus en plus nombreux à se détourner de Vichy
giques contre les ennemis allemands et vichystes. à partir de 1942. Ainsi, lire la presse clandestine,
Avec la création au début 1942 des FTP, groupes soutenir les combattants de la Résistance ou les
armés placés sous la direction de Charles Tillon, protéger par le silence, prévenir des voisins d’une
les attentats spectaculaires se multiplient. Ils font rafle, participer à des grèves, travailler au ralenti
des communistes, objets d’une haine idéologique ou protester contre les pénuries, cacher des Juifs
implacable, les cibles particulières de la répression ou des évadés, sont autant d’actes d’opposition à
allemande et vichyste. l’occupation et à la collaboration.

◗ Document 3 ◗ Documents 2, 3 et 5
4. Comment expliquer la mobilisation 6. Quelles sont les formes de résistance
particulière des jeunes dans les maquis ? armée ?
Apparus en 1942 dans différentes régions (Alpes, L’« armée des ombres » mène les actions les plus
Massif-Central, Jura, mais aussi Bretagne, spectaculaires et les plus risquées ; elle ne concerne
Normandie), les maquis prennent de l’ampleur cependant qu’une très faible minorité de la popu-
en 1943 (certains comptent en 1944 plusieurs lation. Les attentats, les sabotages et l’entraîne-
milliers de combattants) quand la création du STO ment militaire sont les formes de résistance armée
pousse de nombreux jeunes à se cacher. En outre, évoqués par les documents 2, 3 et 5. Les FTP
l’occupation de la zone Sud, la collaboration à organisés par le parti communiste ont ainsi mené
outrance prônée par Laval, les revers militaires une véritable guérilla dans les villes et commis des
de l’Allemagne, favorisent les engagements dans dizaines d’attentats, dont l’assassinat de plusieurs
la Résistance. Liés aux principales organisations officiers allemands ; parmi eux, le groupe de la
armées (Armée secrète, FTP) qui les structurent, Main-d’Œuvre Immigrée constitue une force
ils sont approvisionnés par les Alliés, et bénéficient particulièrement importante et active. La législa-
du soutien plus ou moins actif de la population tion xénophobe et antisémite de Vichy pousse en
rurale. Formés au combat de guérilla, ils sont en effet de nombreux étrangers espagnols, polonais,
1944 intégrés aux FFI. L’efficacité de leur action italiens et juifs à s’engager dans la Résistance.
• 178 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

◗ Document 5 (documents 1, 2, 5 et carte p. 327) ; mais dès 1940


de Gaulle donne aussi à son combat une dimension
7. Quels sont les risques encourus par les
politique avec l’objectif de rétablir la République
résistants ? Comment ces derniers sont-ils
qualifiés par l’occupant ?
et ses valeurs ; il crée des institutions, entreprend
l’unification des résistances qui se dotent d’un
L’Affiche rouge évoque le groupe communiste des programme politique commun (documents 3, 4
FTP-Main-d’Œuvre Immigrée de la région pari- et 5). Il acquiert ainsi une légitimité incontestable
sienne, dirigé par Missak Manouchian et dont font auprès des alliés et de l’opinion française.
partie par exemple Henri Krasucki et Artur London.
En 1943, la victoire de Stalingrad, les avancées
alliées en Méditerranée, mais aussi la répression
◗ Document 1
de plus en plus féroce notamment contre les Juifs, 1. Quelles sont selon de Gaulle, les causes
poussent ces militants étrangers à intensifier leur de la défaite ?
action. Les attentats (l’assassinat du responsable 2. À qui s’adresse-t-il ? Pourquoi peut-on
allemand du STO en septembre 1943), les déraille- dire qu’il appelle à l’insoumission
ments de trains qu’ils réalisent amènent les polices vis-à-vis de Vichy ?
française et allemande à les traquer sans relâche ; les Avec l’accord de Churchill, de Gaulle utilise la BBC
arrestations, les interrogatoires, les tortures puis la pour lancer un appel aux Français, et en particu-
déportation déciment alors le groupe. En novembre lier aux officiers, aux soldats, aux spécialistes de
1943, 68 membres, dont Manouchian, sont arrê- l’armement afin de poursuivre le combat depuis
tés ; 45 sont déportés aussitôt en Allemagne, 23 la Grande-Bretagne. Il s’agit alors d’un acte d’in-
autres sont jugés par un tribunal organisé par les soumission puisque le 17 juin, Pétain a demandé
Allemands à des fins de propagande. L’affiche, l’armistice et a appelé à cesser les combats. Alors
placardée sur les murs de France, annonce le juge- que le maréchal fait déjà une analyse politique et
ment. Une multitude d’autres brochures et affiches morale de la défaite, de Gaulle l’explique par des
allemandes et vichystes tentent d’accréditer les raisons militaires (la force mécanique, la tactique
arguments xénophobes et antisémites contre ces des Allemands) et met en cause les responsables
résistants. Jugés le 19 février 1944, « les étrangers militaires français (« ont surpris nos chefs au point
criminels » sont tous condamnés à mort puis fusillés de les amener là où ils en sont aujourd’hui »). Il
au Mont-Valérien le 21 février 1944. Aragon leur mise alors sur les ressources humaines et matérielles
rend hommage dans son poème Strophes pour se de l’empire colonial et sur les moyens d’une guerre
souvenir. mondiale (même si alors seule la Grande-Bretagne
est encore en guerre contre l’Allemagne). Son appel
est peu entendu et l’espoir de rallier de nombreuses
ÉTUDE personnalités de premier plan est vite déçu. Fin
juillet, le mouvement dispose de 7000 combattants.
La France libre
❯ MANUEL PAGES 334-335
◗ Documents 1, 2 et 5
Charles de Gaulle est au début de la guerre un
officier encore peu connu en dehors d’un cercle 3. Qui sont les combattants de la France
de responsables militaires et politiques ; nommé libre ? Où combattent-ils ?
général en mai 1940 pour son action à la tête Après quelques personnalités publiques comme
d’une unité de blindés lors de l’offensive alle- René Cassin, le Général Catroux, Maurice Schu-
mande, il est appelé le 6 juin par Paul Reynaud mann ou Jacques Soustelle, les premiers à rejoindre
pour occuper le poste de sous-secrétaire d’État à la France libre sont les marins de l’île de Sein,
la Défense nationale ; mais, refusant l’armistice il à l’été 1940. De Gaulle compte alors surtout sur
gagne Londres le 17 juin. Il s’agit de montrer dans le ralliement des gouverneurs des colonies. Mais
cette étude comment, après l’appel fondateur à les territoires coloniaux (Afrique du Nord, AOF,
Londres, l’essor de la France libre s’appuie sur une Antilles, Guyane) restent alors fidèles à Vichy et
action militaire qui commence outre-mer à partir s’engagent dans la répression contre les Alliés et
de l’empire colonial avant de s’étendre à l’Europe les gaullistes. Les engagements individuels sont
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 179 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

cependant nombreux ; ainsi des dissidents antillais de défense de l’empire », ébauche de gouver-
rejoignent la France libre via les Antilles anglaises nement. Celui-ci devient en septembre 1941 le
et participent ainsi à tous les combats de la Résis- Comité national français composé de commis-
tance. De plus en Afrique équatoriale, le gouver- saires (sur la photo de gauche à droite : André
neur du Tchad, Félix Eboué, se déclare dès juin Diethelm à l’Intérieur et au Travail, l’amiral
1940 partisan de la France libre et reçoit du géné- Muselier aux forces navales et aériennes, René
ral de Gaulle le titre de gouverneur de l’AEF. Ce Cassin à la Justice et l’Education, René Pleven
ralliement permet de constituer fin 1940 une armée aux Finances). Ce Comité montre donc la volonté
de 40 000 hommes qui combattent aux cotés des de préparer et d’assurer la relève institutionnelle
Alliés en Syrie et en Libye sous le commandement et politique à la libération. L’autorité politique
de Leclerc et de Koenig. À partir de 1942 et surtout du général de Gaulle s’impose définitivement au
après le débarquement allié au Maroc et en Algérie, cours de l’année 1943 ; il est en effet rejoint par
l’Afrique du Nord se rallie. Africains, Maghrébins, des personnalités politiques et des combattants
Antillais forment donc une partie importante des de plus en plus nombreux, il réussit l’unification
FFL qui participent aux débarquements en Italie, des résistances extérieure et intérieure et, après
en Provence, en Normandie. En réponse à cet enga- s’être installé à Alger, il fonde le Comité français
gement, le Comité de libération nationale promet de Libération nationale dont il parvient à éliminer
des réformes du statut des colonies à la Libération. Giraud, son rival à la tête de la Résistance. Il est
désormais le seul chef de la France libre reconnu
◗ Documents 4 et 5 par tous les Alliés.
4. Quels sont les valeurs et les symboles
républicains que défend la Résistance ?
Quelles réformes de Gaulle annonce-t-il
pour la Libération ?
Le combat de la France libre est aussi un combat
ÉTUDE
politique et une guerre de l’information. Afin de
Libération et épuration
contrer la propagande anti-gaulliste de Vichy, les
résistants multiplient les affiches, les articles qui ❯ MANUEL PAGES 338-339
exposent les valeurs et les principes pour lesquels Commencée en Corse en septembre 1943, la Libé-
ils combattent. On y retrouve le bonnet phrygien, le ration se poursuit avec les débarquements alliés
drapeau tricolore, Marianne aussi, auxquels s’ajoute auxquels participent les FFL en Normandie et en
la croix de Lorraine, symbole de la France libre Provence (carte p. 327). Le 24 août les troupes du
depuis 1940. Dans son discours du 23 juin 1942, général Leclerc entrent dans Paris (document 1).
également diffusé dans la presse clandestine des Alors que le gouvernement de Vichy se désa-
deux zones, de Gaulle, qui a alors entrepris d’uni- grège et que ses membres commencent à fuir vers
fier et de structurer les mouvements de résistance, Sigmaringen, de Gaulle entreprend dès juin 1944
énonce les objectifs sur lesquels se fait l’unité poli- de faire reconnaître l’autorité de la France libre
tique : le rétablissement de la souveraineté natio- sur les régions libérées, de restaurer la République
nale, du parlementarisme, des libertés, de l’égalité. par l’abolition des lois de Vichy (document 2) et
Il annonce aussi « un profond renouvellement inté- la formation d’un nouveau gouvernement compre-
rieur » avec la reconnaissance du droit de vote des nant des résistants de l’extérieur et de métropole.
femmes, la sécurité sociale, l’égalité des chances. Le retour à la paix passe aussi par l’épuration ; elle
commence de façon spontanée dans l’atmosphère
◗ Document 3 troublée de l’été 1944 alors que les combats ne
6. En quoi le Comité national français sont pas terminés ; elle donne lieu à des règle-
apparaît-il comme un quasi-gouvernement ? ments de compte, des dérives inacceptables dont
Quelles ambitions de la France libre les femmes ont été parmi les principales victimes
la création du CNL traduit-elle ? (documents 4 et 5). L’épuration légale permet
À Londres, de Gaulle marque son autorité poli- cependant de juger les responsables de Vichy et
tique en créant dès octobre 1940 « un Conseil leurs partisans (documents 3 et 6).
• 180 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

◗ Document 1 ◗ Document 4
2. Comment et par qui Paris a-t-il été libéré ? 5. Qu’est-ce que l’épuration spontanée ?
Quels combats faut-il encore mener à l’été Pourquoi l’État doit-il y mettre fin ?
1944 ? Quelle place ces combats donnent-ils L’épuration spontanée, extrajudiciaire, commence
à la France dans la guerre mondiale ? au début de l’été 1944, alors que l’armée alle-
Le 25 août Paris est libéré après plusieurs jours mande et la milice font toujours régner la terreur.
de combats, par l’action conjuguée des troupes de Des résistants organisent des « tribunaux popu-
Leclerc et de la résistance intérieure. Dans l’après- laires », des cours martiales dans lesquels des
midi Leclerc reçoit la capitulation du commandant jurys improvisés, au mépris du droit, prononcent
allemand Von Choltitz. De Gaulle fait alors son des jugements souvent sévères, des peines de mort
entrée dans Paris, il se rend notamment à l’Hôtel de (environ 10 000), des peines humiliantes et infa-
ville où l’attendent, devant une foule enthousiaste, mantes. Si des collaborateurs, des délateurs, des
le Comité Parisien de Libération et le CNR présidé trafiquants sont ainsi arrêtés, les règlements de
par Georges Bidault. Dans son discours radiodif- compte sont aussi nombreux. Les femmes paient
fusé, saisissant d’émotion et de lyrisme, il évoque un lourd tribut avec environ 20 000 femmes
l’unité nationale, indispensable à la libération du tondues en place publique durant l’été 1944 ; mais
territoire et à la participation de la France dans la ce châtiment, censé punir une trahison, apparaît
défaite de l’Allemagne. La France pourra ainsi rapidement comme un défoulement irrespon-
retrouver son rang et faire partie des puissances sable et suscite un malaise grandissant pour sa
victorieuses. Cette unité nationale, alors hypothé- violence arbitraire, inutile et qui détourne des
tique, est une des conditions aussi de la stabilisation vrais coupables. En septembre 1944, les pouvoirs
politique. C’est lors de cette cérémonie à l’Hôtel de publics dénoncent ces agissements et cherchent à
ville que de Gaulle refuse, comme le lui demandait les empêcher, d’autant plus que l’épuration spon-
G. Bidault, de proclamer la République. tanée dans son ensemble est une négation de l’État
de droit républicain qu’il faut restaurer.
◗ Document 2
◗ Documents 2, 3 et 6
3. Pourquoi la République n’est-elle pas
proclamée en 1944 ? 6. Quelles sont les décisions politiques
4. Qui l’a incarnée pendant la guerre ? et judiciaires qui marquent la Libération ?
7. En quoi permettent-elles le retour
À Alger, le gouvernement provisoire formé le 3 à la République ?
juin 1944 prépare le rétablissement de l’État répu- La restauration de la République et de ses valeurs
blicain par la reprise en main juridique et institu- commencent par l’abolition des lois de Vichy qui
tionnelle ; de Gaulle craint en effet les manœuvres instauraient la dictature (les actes constitutionnels
encore possibles des Américains (qui envisagent de juillet 1940), la répression (par les mesures
une occupation anglo-saxonne de la France) ou du judiciaires et les organisations paramilitaires) et
parti communiste, après la déroute du gouverne- la discrimination à l’égard des Juifs. Elle passe
ment de Vichy. Par l’ordonnance du 9 août 1944 aussi par le jugement et la sanction de ceux qui
le GPRF rétablit la légalité existant avant 1940 et ont collaboré avec l’occupant, soutenu les exac-
impose donc le principe que « la République en tions et la répression.
droit n’a pas cessé d’exister ». Pour de Gaulle elle
s’est maintenue, incarnée par les combats et les
institutions de la France libre. On peut rappeler que
◗ Documents 3 et 6
dès le 19 juin 1940, de Gaulle a déclaré « parler 8. Comment est organisée l’épuration
au nom de la France ». L’ordonnance annule tous légale ? Que doit-elle permettre ?
les actes constitutionnels de juillet 1940, toutes les 9. Quelle est la principale peine prononcée ?
juridictions d’exception, le statut des Juifs, et inter- Le gouvernement provisoire établit de nouvelles
dit toutes les organisations liées à Vichy (la légion, juridictions pour répondre aux attentes de justice.
la milice…). Cette loi doit être appliquée au fur et Les Cours de justice départementales créées en
à mesure de la libération du territoire. septembre 1944 jugent les crimes qui relèvent du
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 181 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

code pénal de 1939, c’est-à-dire les crimes d’intel- années (plus dures en 1945-46 qu’en 1949, année
ligence avec l’ennemi et d’attentat contre la sûreté des derniers procès). Et dès 1951 une loi d’amnis-
de l’État ; elles peuvent condamner à mort. La tie accorde des remises de peine, des restitutions
justice y est rendue par un magistrat et quatre jurés de droits civiques.
populaires tirés au sort, les droits de la défense
étant garantis. Les chambres civiques, créées sur le
modèle des cours de justice, doivent juger les cas
non prévus par le code pénal ; une peine nouvelle ÉTUDE
d’indignité nationale est donc créée ; elle sanc-
tionne les crimes moraux contre les valeurs répu- La IVe République : nouveau
blicaines, comme l’appartenance à une organisa- projet, nouvelle République
tion vichyste, des propos favorables à l’ennemi, ❯ MANUEL PAGES 340-341
la participation à la mise en œuvre de la politique
antisémite. L’indignité nationale entraîne la perte L’étude précédente a permis de montrer comment
des droits civiques et de nombreuses interdictions les valeurs démocratiques, républicaines avaient
professionnelles. De très nombreux dossiers (envi- été restaurées à la Libération. Il s’agit ici de
ron 40 %) sont cependant classés faute d’informa- montrer comment le projet de réformes annoncé
tions. La dégradation nationale est la peine la plus dès 23 juin 1942 par de Gaulle, repris et précisé
souvent prononcée, par l’une ou l’autre juridiction, par le programme du CNR (document 1) fonde
et parfois suivie d’une peine de prison. Tous les une nouvelle République. Les réformes de grande
milieux sont touchés, le personnel politique, les ampleur adoptées par le gouvernement provisoire
journalistes (Brasillach est fusillé), les intellectuels dès 1944-1945 portent à la fois sur les structures
(Céline est condamné à l’indignité), les acteurs économiques et sur l’organisation sociale (docu-
économiques (Renault est nationalisé, des jour- ments 1, 2 et 3). Plusieurs scrutins sont organisés
naux parus sous l’occupation sont interdits). Dans auxquels participent désormais les femmes ; de
l’administration, une épuration est aussi organi- nouvelles institutions sont créées et surtout une
sée, mais les sanctions sont limitées. Enfin, pour nouvelle Constitution est adoptée après de diffi-
juger 108 membres du gouvernement de Vichy, la ciles débats (documents 4 et 5).
Haute Cour est créée en novembre 1944 ; elle est
composée de magistrats et de membres désignés ◗ Document 1
par l’Assemblée consultative. Les procès les plus
attendus sont ceux de Pétain et de Laval. Sur les 1. Résumez les grandes orientations
des réformes économiques et sociales
108, trois inculpés sont exécutés, Joseph Darnand,
annoncées ici.
Pierre Laval, Marcel Bucard.
Créé en 1943 à l’initiative de Jean Moulin, le
◗ Document 5 Conseil national de la Résistance rassemble les
courants politiques divers présents dans la Résis-
10. Pour quelles raisons Camus critique t-il tance, partis comme syndicats ; les gaullistes et
le processus d’épuration ? les communistes y sont très influents. En mars
Les polémiques sur l’épuration surgissent rapi- 1944 le CNR s’est donné un programme à mettre
dement. Les procès de Pétain et Laval n’ont en œuvre à la Libération. Après la faillite de la
pas répondu aux attentes des justiciables, les République et de ses élites en 1940, devant les
audiences ayant été consacrées à l’armistice, et besoins énormes de la reconstruction, il s’agit de
très peu à la politique de déportation et de répres- créer les conditions d’un renouveau économique et
sion. Nombreux sont ceux, au parti communiste social. Pour cela, le programme du CNR propose
notamment, qui dénoncent les insuffisances, la des mesures dirigistes et des réformes de structure
lenteur de l’épuration. D’autres au contraire, fusti- qui donnent naissance à une économie mixte où
gent, comme Camus en 1945 (dans une volte-face l’État intervient de façon volontariste ; elles se
significative des interrogations de l’époque), les traduisent par la planification, des nationalisations
excès et l’esprit de vengeance. De fait, les peines dans les secteurs clés, la participation ouvrière à
ont été inégales selon les professions et selon les la gestion des entreprises.
• 182 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

◗ Documents 1 et 2 national de libération le 21 avril 1944. Elle fonde


un régime parlementaire assez proche de la IIIe
2. Quelles orientations du programme
République ; l’Assemblée vote seule les lois et
de la Résistance sont inscrites dans
le préambule de la Constitution ? elle investit, par un vote à la majorité absolue, le
président du Conseil choisi par le président de la
La Constitution adoptée par référendum en octobre République ; elle peut renverser le gouvernement,
1946 s’ouvre par un préambule qui fixe les principes soit par le vote d’une motion de censure, soit à
fondateurs de la République. Il proclame comme la suite du vote sur une question de confiance
« inaliénables et sacrés » les Droits de l’Homme posée par le gouvernement. Ce contrôle étendu
de 1789, reconnus « sans distinction de race, de de l’Assemblée sur l’exécutif peut théoriquement
religion ou de croyance ». Il inscrit aussi dans la être contrebalancé par le pouvoir de dissolution
Constitution de nouveaux droits politiques, sociaux, dont dispose le président de la République. Mais
économiques, notamment ceux annoncés dans le la procédure est complexe et en limite l’usage
programme du CNR et déjà mis en œuvre par les (l’Assemblée est dissoute une fois en décembre
réformes de 1945 : la participation des travailleurs 1955). Le Conseil de la République donne des avis
à la gestion des entreprises, la nationalisation des mais n’a pas le droit de vote des lois. Du fait de
entreprises ayant « les caractères d’un service public la puissance de l’Assemblée et des pratiques qui
national ». se sont imposées, la vie politique de la IVe Répu-
blique est rapidement marquée par l’instabilité
◗ Documents 2 et 3 ministérielle.
3. Quels sont les droits économiques
et sociaux reconnus ? ◗ Documents 4 et 5
4. En quoi la Sécurité sociale répond-elle
aux ambitions du préambule ? 6. Pourquoi de Gaulle souhaite-t-il que
le pouvoir exécutif soit indépendant
Le préambule crée des principes nouveaux, l’éga-
du pouvoir législatif ? Comment garantir
lité homme-femme, le droit d’obtenir un emploi ;
cette indépendance ? En quoi sa conception
il met aussi au rang de droit constitutionnel le droit s’oppose-t-elle à la Constitution de
syndical, le droit de grève, la protection sociale (en la IVe République ?
particulier pour les plus vulnérables) et le droit aux
loisirs. Il fonde donc les bases de l’État-providence, L’adoption de la Constitution fait suite à d’intenses
que la Sécurité sociale créée en 1945, contribue à débats politiques et nécessite la rédaction de deux
mettre en œuvre. Cette institution doit en priorité projets par deux Assemblées constituantes succes-
« lutter contre la misère », par la protection contre sives ; le premier, qui prévoyait une Chambre
les aléas de la vie, la maladie (création de l’assu- unique toute-puissante et un pouvoir exécutif
rance maladie), la vieillesse (création d’un régime faible, est rejeté par référendum en mai 1946.
général de retraites) ; la Sécurité sociale doit aussi, Le discours du général de Gaulle intervient donc
par les allocations familiales « assurer à la famille pendant les discussions sur le second projet. Il a
les conditions de son développement ». Afin de choisi, pour cette première déclaration après sa
mettre en œuvre les droits énoncés par le préam- démission, la ville de Bayeux, étape initiale de son
bule et accroître la justice sociale, elle a aussi mis retour en France en juin 1944. Il se prononce dans
en place progressivement une politique d’aide aux ce discours pour une nette séparation des pouvoirs
loisirs, en particulier pour les enfants, et d’amélio- législatif et exécutif qui doivent se faire équilibre.
ration des conditions de logement. Un gouvernement soumis au contrôle de l’Assem-
blée et à ses différents partis serait, selon lui, affai-
bli et rendrait la direction du pays « impuissante
◗ Document 5
et disqualifiée ». Pour garantir l’indépendance de
5. À qui appartient désormais la souveraineté l’exécutif, il propose de donner au président de
nationale ? Quels sont les pouvoirs de la République, élu par un collège étendu au-delà
l’Assemblée ? des Chambres, un rôle de clef-de-voûte, garant
La Constitution de 1946 intègre le droit de vote de l’intérêt général et de la continuité, « arbitre
reconnu aux femmes par l’ordonnance du Comité au-dessus des contingences politiques ». Pour cela
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 183 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

le président doit recevoir le pouvoir de nommer très hostile à l’idée d’indépendance. En février
tous les ministres, de participer aux Conseils du 1958, au lendemain de l’attaque désastreuse sur
gouvernement et d’y exercer une influence. De le village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef, le
Gaulle se montre donc très vigoureusement hostile gouvernement est à nouveau mis en faiblesse
au parlementarisme que souhaitent les députés et, selon Robert Buron, le risque d’une dictature
constituants. militaire est une réelle menace. Elle ne peut alors,
selon lui, être évitée que par un gouvernement
fort, capable d’imposer une solution libérale,
ÉTUDE ou par une réforme des institutions confiée à de
Gaulle, opposant intransigeant à la Constitution
Mai 1958 : d’une République de la IVe République et qui s’est retiré de la vie
à l’autre politique depuis 1946.
❯ MANUEL PAGES 344-345
Durant les douze ans de son existence, la IVe Répu- ◗ Document 2
blique connaît certaines réussites, l’entrée dans les
2. Pourquoi peut-on dire que les événements
Trente glorieuses, la mise en œuvre de l’État-provi-
d’Alger défient le gouvernement républicain ?
dence, les débuts de la construction européenne. En
revanche, confrontée dès 1946 à la décolonisation, À Alger, les Pieds-noirs craignent que le nouveau
elle s’enlise dans une politique de répression en gouvernement à Paris n’engage des négociations
Indochine puis en Algérie à partir de 1954. Face en vue de l’indépendance. Le 13 mai, la manifes-
aux divisions de l’opinion en métropole, à la radi- tation organisée par des activistes qui proclament
calisation des Européens d’Algérie, l’instabilité ouvertement des idées antiparlementaires et anti-
ministérielle rend les gouvernements impuissants républicaines dégénère en insurrection ; les bâti-
(documents 1 et 2). Le 13 mai commence à Alger ments du gouvernement général sont mis à sac ;
une série de manifestations insurrectionnelles qui un comité de salut public formé de militaires et
portent la crise politique à son comble et présente de civils est constitué. À Alger comme à Paris, les
de Gaulle comme le seul rempart contre la guerre gaullistes utilisent cette insurrection, manœuvrent
civile (documents 2 et 3). Appelé par le président pour orienter les manifestants, les militaires, les
de la République à la tête d’un nouveau gouver- hommes politiques vers « une solution gaulliste »
nement, il engage une réforme constitutionnelle qui permettrait de mettre fin à la IVe République.
conforme à ses opinions et met fin à la IVe Répu- Ainsi, le 15 mai, le général Salan, qui a pris la
blique (documents 4 et 5). tête du comité de salut public, acclame de Gaulle
devant la foule rassemblée sur le Forum et dont
◗ Document 1 les banderoles sont sans équivoque ; le soir même
de Gaulle publie un communiqué de presse dans
1. À quelles faiblesses la IVe République lequel il se dit « prêt à assumer les pouvoirs de
est-elle confrontée ? Quelles sont les deux la République » sans condamner l’insurrection.
issues possibles à cette crise selon l’auteur ? Pour la plupart des hommes politiques, la collu-
L’instabilité ministérielle inhérente au fonction- sion entre de Gaulle et les insurgés est donc claire
nement de la IVe République depuis ses débuts et le coup de force imminent.
rend impossible une action volontariste à long
terme. Les crises, les périodes de vacance minis- ◗ Documents 3 et 4
térielle discréditent aussi l’action politique. Sur
la question de la guerre d’Algérie, où Guy Mollet 3. Comment René Coty et Charles de Gaulle
a envoyé le contingent en 1956, et où la bataille qualifient-ils la situation ?
d’Alger en 1957 a marqué une exacerbation de la Fin mai, pour le président Coty comme pour de
répression, les partis politiques eux-mêmes (mis Gaulle, la France est au bord de la guerre civile. Le
à part le parti communiste) sont divisés entre les 24 mai, en effet, des troupes venues d’Algérie ont
partisans d’une solution politique et ceux qui été parachutées en Corse et ont pris le contrôle de
comptent sur une victoire militaire. En Algé- l’île ; la rumeur d’une offensive militaire de grande
rie, les activistes peuvent compter sur l’armée, ampleur sur la métropole, l’opération « Résur-
• 184 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

rection », provoque l’affolement et précipite les ◗ Document 5


événements. De Gaulle, qui s’emploie depuis sa
6. Quel lien cette affiche établit-elle
conférence de presse du 19 mai à rassurer les
entre le projet de Constitution et la situation
hommes politiques et l’opinion publique sur son de l’année 1958 ?
attachement à la démocratie et à la République,
rencontre le président du Conseil. Le 29 mai, le La nouvelle constitution est élaborée en quelque
président de la République prend l’initiative d’un mois par le gouvernement et non par une assem-
message au Parlement dans lequel il annonce son blée constituante. Comme il a été prévu lors du
appel « au plus illustre des Français » et met sa vote des pleins pouvoirs, elle doit être ratifiée par
démission en jeu. référendum. Une intense campagne de mobilisa-
tion de l’opinion commence donc après la présen-
tation officielle du texte le 4 septembre 1958 place
◗ Documents 3 et 4 de la République. Cette campagne oppose les
4. Quels arguments sont évoqués pour partisans du « non », les communistes mais aussi
justifier le recours au général de Gaulle ? tous ceux à droite comme à gauche qui la jugent
Quelles expressions montrent qu’il revient anti-démocratique, et les partisans du « oui » qui
au pouvoir de façon légale ? mettent en avant les périls que vient de traverser
Le recours à de Gaulle est justifié par la gravité le pays et l’impuissance de la IVe République. Les
de la situation et par l’impasse dans laquelle se formules utilisées sur cette affiche rappellent les
trouve le gouvernement. Son rôle historique incon- menaces de guerre auxquelles la France a échappé,
testable dans la restauration de la République et elle suggère aussi la réconciliation nationale et la
de la démocratie en 1944 est l’argument qui doit fraternité qui doit prévaloir avec les populations
convaincre les plus réticents. La légalité du proces- colonisées désormais « associées » et bénéficiant
sus résulte de la déclaration de René Coty, de son de nouveaux droits.
appel à de Gaulle pour former « un gouverne-
ment de salut national » ; l’intervention du géné-
ral de Gaulle devant l’Assemblée, dans laquelle ÉTUDE
il demande l’investiture, respecte la procédure
Les institutions de
constitutionnelle régulière.
la Ve République (1958-1962)
❯ MANUEL PAGES 346-347
◗ Document 4
La Constitution est élaborée par le gouverne-
5. Quelles sont les mesures annoncées pour ment assisté d’un comité d’experts, de juristes.
mettre fin à la crise ? Pourquoi de Gaulle Le gaulliste Michel Debré, mais aussi Guy Mollet
veut-il élaborer une nouvelle constitution ? et Pierre Pflimlin jouent un rôle important dans
Le retour du général de Gaulle a désamorcé la la rédaction du projet. Un comité formé de parle-
tentative de coup de force de l’armée française mentaires et le Conseil d’État donnent également
d’Algérie. Mais pour le nouveau président du leur avis. Le texte est adopté le 3 septembre en
Conseil, la crise qui menace l’unité nationale vient Conseil des ministres puis il est présenté par de
fondamentalement des institutions adoptées en Gaulle place de la République le 4 septembre, jour
1946. Il demande donc les pleins pouvoirs pour anniversaire de la proclamation de la République
six mois, d’abord pour rétablir l’ordre, reprendre en 1870. Il est ensuite soumis au référendum le
en main la situation en Algérie, puis pour élabo- 28 septembre et approuvé triomphalement avec
rer une nouvelle constitution. Son gouvernement, 79,2 % de « oui ». Le texte présente tout d’abord
formé de quelques gaullistes et d’anciens ministres les pouvoirs du président de la République dont
issus des différents partis (Guy Mollet, Antoine certains sont inédits et qui consacrent sa préé-
Pinay, Pierre Pflimlin, Houphouët Boigny) est minence (documents 1, 2 et 4). En conformité
investi le 1er juin à une large majorité. Le 2 juin avec les engagements pris lors du vote des pleins
il obtient les pleins pouvoirs demandés et peut pouvoirs le 2 juin, la responsabilité du gouverne-
donc désormais légiférer par ordonnances sans ment devant le Parlement est maintenue et se crée
passer par l’Assemblée. ainsi un régime original, parlementaire et prési-
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 185 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

dentiel à la fois (document 2). Néanmoins, les jamais abouti, malgré le recours assez fréquent à
circonstances de la décolonisation et la pratique cette procédure. En effet, sous la Ve République, le
du pouvoir qu’instaure de Gaulle renforcent la scrutin uninominal majoritaire à deux tours adopté
présidentialisation du régime (documents 3 et en 1958 pour les élections législatives, donne
4). En 1962, cette évolution est accentuée par la des majorités claires à l’Assemblée ; comme le
réforme constitutionnelle qui prévoit l’élection gouvernement est issu de cette majorité, les risques
du président au suffrage universel. de confrontation sont limités.

◗ Document 1 ◗ Documents 1 et 4
1. Quelles sont les fonctions qui font du 3. Quels pouvoirs l’article 16 donne-t-il
président le chef du pouvoir exécutif ? au président ? Selon quelle procédure ?
Quels sont les pouvoirs qui lui permettent Pourquoi de Gaulle l’utilise-t-il en avril 1961 ?
d’intervenir dans les orientations et débats L’article 16 donne des « pouvoirs exception-
politiques ? nels » au président. Afin d’éviter les risques de
Le président de la République est chef de l’exé- dérive autoritaire, l’attribution de ces pouvoirs
cutif ; comme ses prédécesseurs de la IIIe et de doit cependant respecter des procédures particu-
la IVe République il est garant de la continuité de lières, le président doit prendre l’avis du Premier
l’État, du respect de la Constitution, il est chef des ministre, des présidents des Assemblées, du
armées, il promulgue les lois, préside le Conseil Conseil constitutionnel et en informer la nation
des ministres ; mais il a aussi le pouvoir de nommer par un message ; pendant l’application de l’article
le Premier ministre et les ministres sans investi- 16, le Parlement se réunit de plein droit et l’As-
ture parlementaire ; des moyens d’action élargis semblée ne peut pas être dissoute.
lui sont reconnus : il peut dissoudre l’Assemblée En Algérie, où de Gaulle s’est décidé à mettre en
après avis du Premier ministre et des présidents œuvre une solution politique, des généraux (dont
des Assemblées, il peut soumettre au référendum deux chefs de l’OAS) s’estimant trahis, tentent
les questions d’organisation des pouvoirs publics ; un coup de force le 22 avril 1961 ; ils s’emparent
enfin, en cas de « menace grave et immédiate », il des points stratégiques à Alger et arrêtent les prin-
peut prendre « les mesures exigées par les circons- cipaux représentants de l’État. L’inquiétude en
tances », et disposer de « pouvoirs exception- métropole est à son comble. Le 23, de Gaulle inter-
nels ». La conjonction de ces différents pouvoirs vient en uniforme à la télévision ; il dénonce une
lui permet de jouer un rôle de premier plan dans menace sur la République, interdit à tout soldat
la vie politique, et en particulier dans l’action du d’obéir aux officiers factieux, informe les Français
gouvernement. du recours à l’article 16 ; il termine par un appel
alarmant. La tentative de putsch échoue cependant
◗ Document 2 en quelques jours, le contingent et l’essentiel de
l’armée refusant de suivre les insurgés. Le 26 avril,
2. Pourquoi peut-on dire que le régime
reste parlementaire ?
les généraux putschistes sont arrêtés ou en fuite.

Le pouvoir de contrôle de l’Assemblée natio-


◗ Documents 1 et 5
nale sur le gouvernement donne au régime son
caractère parlementaire. Si l’investiture disparaît, 4. Selon quelle procédure la Constitution
l’Assemblée peut, selon l’article 49, par le vote est-elle réformée en 1962 ? Quelles sont
d’une motion de censure à la majorité absolue, désormais les institutions élues au suffrage
contraindre le gouvernement à démissionner ; cette universel ?
procédure n’a abouti qu’une seule fois, en octobre La Constitution peut être révisée par un vote
1962, contre le gouvernement de Georges Pompi- des deux Chambres réunies en congrès ; mais
dou. L’Assemblée peut aussi voter une motion la Constitution prévoit que « le président de la
de censure lorsque le gouvernement engage sa République, sur proposition du gouvernement (…)
responsabilité sur un projet de loi afin de le faire peut soumettre au référendum tout projet de loi
adopter sans vote (article 49.3). Ce pouvoir n’a portant sur l’organisation des pouvoirs publics ».
• 186 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 11 – La République, trois républiques

En vertu de cet article, et malgré l’opposition de dent par la Constitution (documents 1, 2 et 3).
nombreuses personnalités politiques et de juristes Les usages, les pratiques que le nouveau prési-
qui y voient une interprétation abusive de la consti- dent impose à la vie politique, les interprétations
tution, de Gaulle décide d’organiser un référen- qu’il fait de la Constitution suscitent de très fortes
dum sur la réforme constitutionnelle. Les débats oppositions (document 4). La présidentialisation
soulevés à l’Assemblée par ce projet provoquent du régime, la place laissée au parlement et aux
le renversement du gouvernement Pompidou, partis politiques amènent aussi des débats sur
puis une dissolution de l’Assemblée. Le projet le fonctionnement et la nature de la démocratie
est néanmoins adopté avec 62 % de « oui » mais (documents 5 et 6).
23 % d’abstention. Les députés et le président de
la République sont désormais les deux institutions ◗ Document 1
élues au suffrage universel.
1. Pourquoi le général de Gaulle apparaît-il
ici comme la seule solution ?
◗ Documents 3 et 5
Les hommes politiques de la IVe République appa-
5. Montrez que l’usage des bains de foule raissent dans ce texte, comme dans celui de Robert
renforce la présidentialisation. Buron (doc. 1 p. 344), discrédités par l’impuis-
6. En quoi l’élection au suffrage universel
sance gouvernementale. De Gaulle, au contraire,
consolide-t-elle l’autorité du président ?
bénéficie d’un prestige historique intact auprès
Sous de Gaulle, la fonction présidentielle se d’une large partie de l’opinion et peut créer « un
renforce de façon inédite. Cette évolution s’ex- choc psychologique ». En outre, par son retrait de
plique par les menaces de coup de force en Algérie, la vie politique depuis janvier 1946 et son hosti-
attestées par la semaine des barricades en 1960 lité indéfectible au régime de la IVe République, il
puis par la tentative de putsch d’avril 1961 ; elle apparaît comme le seul à pouvoir proposer « une
s’explique aussi par les ambitions du général en voie nouvelle ». S’il vit retiré, il n’en reste pas
matière de politique étrangère et par son autorité moins en contact avec les hommes politiques et
personnelle. Pour cela, il utilise tous les moyens les gaullistes, membres du RPF fondé en 1947,
donnés par la Constitution ; il prend aussi l’habi- attendent l’occasion de préparer son retour aux
tude de s’adresser directement aux Français lors affaires.
de ses voyages en province et lors des bains de
foule qu’il affectionne, soit indirectement par les
◗ Document 2
allocutions à la radio et la télévision. Ses discours,
servis par un talent oratoire indéniable, exposent 2. Que veut à l’inverse signifier ce dessin ?
les orientations de la vie politique. Le président Ce dessin paraît dans le journal L’Express, fondé
devient donc un personnage politique de premier par Françoise Giroux et Jean-Jacques Servan-
plan. Après le référendum de 1962, le président Schreiber, très lié à Pierre Mendès-France. Publié
de la République bénéficie de la légitimité parti- en septembre 1958, il est l’œuvre de Jean Effel, un
culière que donne le suffrage universel d’autant dessinateur communiste. Il illustre donc le point
qu’il est la seule personnalité politique élue par de vue des adversaires les plus intransigeants au
consultation de l’ensemble du corps électoral. retour du général de Gaulle, perçu comme une
manœuvre appuyée sur l’insurrection en Algé-
rie avec la complicité de députés socialistes et
ÉTUDE radicaux. Voter « oui » au référendum revient à
accepter un régime né d’un coup de force militaire.
1958-1962 : le rôle du président
de la République en débat
❯ MANUEL PAGES 348-349
◗ Document 3
Les controverses au sujet des nouvelles institutions 3. Pour quelles raisons le parti communiste
adoptées en 1958 sont intenses, elles touchent est-il hostile à la nouvelle Constitution ?
particulièrement les conditions du retour de Gaulle Le parti communiste est partisan d’un pouvoir
et l’importance des pouvoirs accordés au prési- parlementaire prédominant, expression de la
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 187 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

souveraineté populaire et de la démocratie. Il Reynaud mène alors l’offensive qui renverse le


fustige les évolutions prévues par la nouvelle gouvernement Pompidou et, avec Mendès-France,
Constitution qui créent un « pouvoir personnel » il forme le « cartel des non » lors du référendum.
à tendance bonapartiste contraire aux valeurs répu-
blicaines et à la liberté symbolisées par le bonnet ◗ Document 5
phrygien. La nouvelle loi électorale fait d’ailleurs
6. Quels risques présente l’élection
perdre au parti communiste de nombreux députés
du président au suffrage universel ?
aux élections de novembre 1958. Quelle conséquence cela peut-il avoir
sur la vie politique ?
◗ Documents 2 à 4 Selon Mendès-France, l’élection du président au
4. Quelle dérive du pouvoir ces documents suffrage universel risque de porter au pouvoir
dénoncent-ils ? un aventurier, élu non sur des idées mais sur sa
personnalité et ses promesses ; cela accroît les
Le document 2 dénonce la légitimité douteuse du
risques de pouvoir personnel et d’atteintes aux
général de Gaulle en 1958. Le document 3 remet
libertés publiques. En outre, la personnalisation de
en cause les pouvoirs excessifs donnés au prési-
l’élection peut entraîner un renoncement au débat
dent par la Constitution. Dans son intervention,
politique de fond que permet la confrontation des
document 4, Paul Reynaud, rallié pourtant aux
partis. Il prend en exemple les élections améri-
idées du général de Gaulle en 1958 et conseiller
caines et le rôle de « machines électorales » qu’y
lors de la rédaction du projet de Constitution, s’in-
ont les partis politiques. Pour lui, cette réforme
digne des pratiques qui ont été introduites dans la
constitutionnelle peut mener aussi à une dépoli-
vie politique ; elles font, selon lui, du chef de l’État
tisation de la société.
un chef du gouvernement. Dès 1958, le président
assume en effet un certain nombre de compétences
dans les « domaines réservés » (Affaires étran- ◗ Document 6
gères, décolonisation), et il impose son autorité 7. Quels sont les arguments de Georges
aux ministres. Cette personnalisation du pouvoir Pompidou en faveur de l’élection au suffrage
semble ne laisser à l’Assemblée et aux partis qu’un universel ?
rôle secondaire dans le débat politique. Pour les gaullistes, les présidents doivent non
seulement être respectés mais aussi avoir une
◗ Documents 4 et 5 forte légitimité pour être à-même de surmonter
les crises graves ; de Gaulle a l’autorité que lui
5. Selon Paul Reynaud et Pierre Mendès-
donne « son équation personnelle » ; ses succes-
France, quel doit être le rôle de l’Assemblée
et des partis politiques ?
seurs, qui ne bénéficieront pas de cette autorité, ne
peuvent avoir « la force et le courage de remplir
Paul Reynaud et Pierre Mendès-France ont été leur lourde tâche » que s’ils sont portés au pouvoir
des personnalités éminentes de la IIIe et de la par la souveraineté nationale, et s’ils sont, selon
IVe Républiques, comme députés et ministres la formule du général de Gaulle « l’homme de la
dans des régimes parlementaires (Paul Reynaud nation ». En outre, pour Georges Pompidou, les
a été notamment président du Conseil du 22 mars élections présidentielles, loin de tarir la vitalité du
au 17 juin 1940, Pierre Mendès-France a dirigé le débat démocratique, peuvent être pour les partis
gouvernement qui a reconnu l’indépendance de « une chance de se renouveler et de se préciser ».
l’Indochine, et négocié celle de la Tunisie et du
Maroc). Ils sont donc attachés au rôle du Parle-
ment, investi de la légitimité nationale, institution-
clé de la démocratie où les débats sont animés
par les députés au nom de partis et de doctrines
connues. Ils dénoncent le recours au référendum
utilisé pour contourner le pouvoir légitime de l’As-
semblée ; les gaullistes le présentent au contraire
comme une forme de démocratie directe. Paul
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Chapitre 11 – La République, trois républiques

RÉVISIONS BAC
Exercice B2i : Les étrangers en Composition :
France durant la Seconde Guerre la culture républiciane
mondiale et son enracinement
❯ MANUEL PAGE 353 ❯ MANUEL PAGES 356-357

1. Insérer le paragraphe
Étape 3. Quels sont les types de documents
dans un développement
proposés ?
Il est essentiel de montrer que la composition
Le dossier sur le thème « 1940, des coloniaux dans
propose un raisonnement, et d’établir donc des
l’armée régulière et dans la Résistance » montre
liens entre les différents arguments. Les phrases
des documents relatifs à différents acteurs : une
de transition entre les deux ou trois grandes parties
affiche officielle qui appelle à s’engager, des repro-
sont donc les éléments charnières du dévelop-
ductions du Miroir de décembre 1939 montrant
pement.
des tirailleurs marocains, puis une photo d’ou-
vriers indochinois dans une usine d’obus, et celle Ici on peut envisager les transitions suivantes :
d’un Africain maquisard. La page sur le thème Entre les parties I et II :
« Les travailleurs indochinois pendant la Seconde « La fondation d’une république parlementaire
Guerre mondiale », est signée et les documents et libérale suscite néanmoins des oppositions qui
sont issus de la collection particulière de l’auteur ; semblent entre 1885 et 1900 mettre en péril la
ce sont des photos individuelles ou collectives sur République. »
le travail, le patriotisme et les revendications en Entre les parties II et III :
1945. Le sujet sur « l’Affiche rouge » propose « La victoire sur les adversaires de la République
des photos de résistants et celle de Manouchian, a aussi été rendue possible par la diffusion de
ainsi que deux affiches, l’une de la propagande pratiques qui permettent un attachement de plus
allemande qui justifie l’arrestation et l’exécution en plus profond à la culture républicaine. »
des résistants et l’autre d’hommage aux combat-
tants étrangers ; elle s’achève par le poème Strophe 2. Expliquer les arguments
pour se souvenir écrit par Louis Aragon en 1955. Pour chaque partie, il convient de faire le point sur
Ces trois dossiers et les documents proposés les connaissances qui s’y rapportent sans oublier
montrent l’importance des étrangers et des soldats les notions-clés de vocabulaire, les principales
coloniaux dans les combats de l939 puis dans ceux dates, les noms propres incontournables.
de la France libre et de la Résistance. Ainsi dans la première partie sur les valeurs poli-
tiques :
Étape 4. Rédigez une note de synthèse – on évoque d’abord les institutions, le régime
sur l’Affiche rouge. parlementaire fondé par les lois de 1875 et les
L’Affiche rouge et le tract qui l’accompagne sont hommes politiques qui y jouent un rôle impor-
une opération de propagande allemande. Le 21 tant : Gambetta, Ferry, Clemenceau ;
février 1944, 23 résistants étrangers condamnés – ce système politique est indissociable des liber-
par une cour martiale allemande sont exécutés tés publiques fondamentales qui lui donnent vie,
après plusieurs mois de détention et de torture. hérités de la Déclaration des droits de l’homme :
L’objectif est de discréditer la Résistance et en la liberté de la presse de 1881 mais aussi le droit
particulier les résistants communistes des FTP- de réunion (1881), de syndicats, puis d’associa-
MOI en les présentant comme des criminels et en tion (1901), et la laïcité (1905) ;
jouant sur les thèmes xénophobes et antisémites. - en revanche, les réformes sociales semblent trop
Mais cette affiche a surtout soulevé l’indignation timides aux ouvriers et aux syndicats ; les lois sur
contre les nazis et leurs complices collaborateurs. le repos hebdomadaire obligatoire (1906), sur
Avec le poème de Louis Aragon, elle est devenue les accidents du travail ou la première loi sur les
un symbole poignant de l’engagement des étran- retraites de 1910 ne répondent pas à la précarité
gers dans la Libération. du monde ouvrier.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 189 •
Chapitre 11 – La République, trois républiques

3. Justifier les arguments I. Les débuts de la Résistance intérieure et de la


Exemple pour un des arguments de la partie III : France libre
La culture républicaine se diffuse par les pratiques II. L’unification de la Résistance autour d’objec-
politiques auxquelles participent l’ensemble des tifs militaires et politiques communs
citoyens, notamment l’exercice du droit de vote. III. La participation à la Libération
En effet si le suffrage universel masculin a été 1945-1946 : la refondation républicaine
proclamé en 1848, les élections, faussées sous le
I. Un programme, un projet nés dans la Résistance
Second Empire par la candidature officielle, ne
II. Les grandes réformes d’une République qui
redeviennent libres qu’après 1870 ; à partir de
se veut sociale
1913, elles se déroulent au scrutin secret. De plus,
III. La Constitution de 1946, la fondation d’un
les libertés publiques, de presse, de réunion, d’as-
régime parlementaire
sociation favorisent la vitalité des débats démo-
cratiques et la formation de l’opinion publique. 1958-1962 : une nouvelle République
Ainsi, au niveau local comme au niveau national, I. Un régime né d’une crise politique
les élections constituent un temps fort de la vie II. La nouvelle Constitution, un régime semi-
politique républicaine. présidentiel
AUTRES SUJETS III. Une République en débat
Les résistances à l’occupation nazie
et au régime de Vichy (1940-1944)
Afin de traiter le sujet dans l’esprit du programme
sur « la République » on peut envisager le plan
suivant :

• 190 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote


CHAPITRE
La République et les évolutions
12 de la société française
❯ MANUEL PAGES 358-387

RAPPEL DU PROGRAMME – Schor Ralph, Histoire de la société française


au XXe siècle, Paris, Belin Sup, 2004.
– La République et la question ouvrière : le
– Sirinelli Jean-François (dir.), La France de 1914
Front populaire.
à nos jours, PUF, 1993.
– La République, les religions et la laïcité de-
puis les années 1880. Et, dans les volumes de la Nouvelle histoire de
– Les femmes dans la vie politique et sociale la France contemporaine parus aux éditions du
de la France au XXe siècle. Seuil, entre 1975 et 2002 :
– Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération,
1938-1944
– Becker Jean-Jacques, Serge Berstein, Victoires
◗ Objectifs et problématique et frustrations, 1914-1929
du chapitre – Becker Jean-Jacques, Crises et alternances,
Le programme propose trois prismes pour cerner 1974-2000
les grandes évolutions de la société française sous – Berstein Serge, La France de l’expansion, 1958-
la République : celui des ouvriers au temps du 1969
Front Populaire, celui des femmes dans la vie poli- – Berstein Serge, Jean-Pierre Rioux, La France
tique et sociale, celui de la religion et de la laïcité. de l’expansion,1969-1974
Il s’agit donc de comprendre comment la Répu-
– Dubief Henri, Le déclin de la République, 1929-
blique répond aux questions sociales qui lui sont
1938
posées, fait évoluer ses lois, tente de répondre aux
problèmes les plus saillants. En d’autres termes, il – Rebérioux Madeleine, La République radicale ?
s’agit de comprendre comment les ouvriers et les – Rioux Jean-Pierre, La France de la Quatrième
femmes ont été intégrés par la République (quelles République, 1944-1958, 2 vol.
lois sociales, quels droits politiques) et comment
SUR LA QUESTION OUVRIÈRE
la laïcité a été conçue et appliquée en France,
ET LE FRONT POPULAIRE
suscitant nombre de débats (qui portent princi-
palement sur la question scolaire) tout au long – Billiard Isabelle, Santé mentale et travail.
du XXe siècle et posant la question des nouvelles L’émergence de la psychopathologie du travail,
religiosités en fin de période (et notamment de Paris, La Dispute, 2001.
la question du voile ou du port d’autres insignes – Castel Robert, Les métamorphoses de la ques-
religieux ostensibles). tion sociale. Une chronique du salariat, Paris,
Fayard, 1995 (une approche sociologique dont
◗ Bibliographie l’historien peut tirer bénéfice).
– Chevandier Christian, Cheminots en grève, ou
SUR LES GRANDES ÉVOLUTIONS POLITIQUES la construction d’une identité (1848-2001), Paris,
ET SOCIALES DE LA FRANCE Maisonneuve et Larose, 2002.
– Gueslin André, L’État, l’économie et la société – Cooper-Richet Diana, Le peuple de la nuit.
française, XIXe-XXe s., Paris, Hachette, 1992 Mines et mineurs en France XIXe-XXe siècles,
– Guillaume Pierre, Histoire sociale de la France Paris, Perrin, 2002.
au XXe siècle, Paris, Masson, 1993. – Fridenson Patrick et Reynaud Bénédicte, La
– Lequin Yves, Histoire des Français, XIXe- France et le temps de travail (1814-2004), Paris,
XXe s., 3 vol., Paris, Colin, 1983-1984. Odile Jacob, 2004.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 191 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

– Fridenson Patrick, Histoire des usines Renault. – Lequin Yves, Les ouvriers de la région lyon-
1. Naissance de la grande entreprise, 1898-1939, naise (1848-1914), Lyon, Presses universitaires
Paris, Le Seuil, 1972. de Lyon, 1974 (2 tomes).
– Fridenson Patrick, « Le conflit social », in André – Trempé Rolande, Les mineurs de Carmaux
Burguière et Jacques Revel, dir., Histoire de la (1848-1914), Paris, Éditions ouvrières, 1971
France, volume 3, dirigé par Jacques Julliard, (2 tomes).
L’État et les conflits, Paris, Le Seuil, 1990, pp.
SUR LES RELIGIONS ET LA LAÏCITÉ
351-453.
DEPUIS LES ANNÉES 1880
– Girault Jacques (dir.), Ouvriers en banlieue,
XIXe-XXe siècle, Paris, Éditions de l’Atelier, 1998. – Altschull Elizabeth, Le voile contre l’école,
Seuil, 1995
– Lee Downs Laura, L’inégalité à la chaîne. La
division sexuée du travail dans l’industrie métal- – Baubérot Jean, Vers un nouveau pacte laïque ?,
lurgique en France et Angleterre, 1914-1939, Le Seuil, 1990.
Paris, Albin Michel, 2002. – Baubérot Jean, « La laïcité », Duclert Vincent,
– Marchand Olivier et Thélot Claude, Le Travail Prochasson Christophe (dir.), Dictionnaire critique
en France 1800-2000, Paris, Nathan, 1997 de la République, Flammarion, 2002, p. 202-209
(première publication en 1991, sous le titre Deux – Bencheikh Soheib, Marianne et le prophète.
siècles de travail en France, dans la collection L’Islam dans la France laïque, Grasset, 1999.
« INSEE Etudes »). – Costa-Lascoux Jacqueline, Les trois âges de la
– Dewerpe Alain, Le monde du travail en France, laïcité, Hachette, 1996.
1800-1945, « Cursus », Paris, Armand Colin, – Cholvy Gérard, La religion en France, de la fin
1989. du XVIIIe siècle à nos jours, Hachette, 1991.
– Noiriel Gérard, Les ouvriers dans la société – Cholvy Gérard, Hilaire Yves-Marie, Histoire
française, XIXe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 1986. religieuse de la France contemporaine, Privat,
– Perrot Michelle, Les ouvriers en grève en 1985-1988, 3 vol.
France (1871-1890), Paris/La Haye, Mouton, – Gauchet Marcel, La religion dans la démocra-
1974 (2 tomes). tie, Gallimard, 1998.
– Schweitzer Sylvie, Des engrenages à la chaîne. – Le Goff Jacques, Rémond René (dir.), Histoire
Les usines Citroën 1915-1935, Lyon, Presses de la France religieuse, Le Seuil, 1988-1992,
universitaires de Lyon, 1982. 4 vol.
– Sirot Stéphane, La grève en France, une histoire – de Montclos Xavier, Histoire religieuse de la
sociale (XIXe-XXe siècles), Odile Jacob, 2002. France, PUF, « Que sais-je ? », 1997.
– Topalov Christian, Naissance du chômeur, – Nicolet Claude, L’idée républicaine en France,
1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994. Gallimard, 1982.
– Woronoff Denis, Histoire de l’industrie en – Ozouf Mona, L’école de la France, Gallimard,
France du XVIIIe siècle à nos jours, 1994. 1984.
MONOGRAPHIES RÉGIONALES – Pena-Ruiz Henri, Qu’est-ce que la laïcité ?,
Folio, 2003.
– Barzman John, Dockers, metallos, ménagères.
Mouvements sociaux et cultures militantes au – Pena-Ruiz Henri, La laïcité, Garnier-Flamma-
Havre 1912-1923, Rouen, PUR, 1997. rion, 2003 (anthologie de textes commentés)
– Burdy Jean-Paul, Le Soleil noir. Un quartier de – Pena-Ruiz Henri, Histoire de la laïcité. Genèse
Saint-Etienne, 1840-1940, Lyon, Presses univer- d’un idéal, ed. Gallimard découvertes, 2005.
sitaires de Lyon, 1989. – Poulat Emile, Liberté-laïcité : la guerre des
– Gueslin André (dir.), Michelin, les hommes du deux France. Le principe de modernité, Éditions
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• 192 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

SUR LES FEMMES DANS LA VIE POLITIQUE OUVERTURE


ET SOCIALE DE LA FRANCE AU XXe SIÈCLE
❯ MANUEL PAGES 358-359
– Bard Christine, Les femmes dans la société
française au XXe siècle, Colin, 2001. Ces deux photographies permettent d’aborder la
– Bard Christine, Les filles de Marianne, histoire question des attentes sociales des Français et des
des féminismes 1914-1940, Fayard, 1995. solutions qui sont proposées par l’État.
– Bard Christine, Les garçonnes. Modes et Doc. 1 : Occupation d’usine, 4 juin 1936
fantasmes des années folles, Flammarion, 1998.
– Bard Christine, Un siècle d’antiféminisme, Les « grèves de la joie » constituent un moment
Fayard, 1999. crucial pour la question ouvrière. Elles surgissent
après la victoire du Front populaire en mai 1936.
– Bard Christine, L’histoire politique du panta-
Spontanées, ces grèves – qui ont commencé le
lon, Le Seuil, 2010.
11 mai aux usines Bréguet du Havre avant de
– Baudelot Christian, Establet Christian, Allez se multiplier sur tout le territoire – marquent un
les filles !, Le Seuil, 1992. temps de fête et d’espoir pour les travailleurs.
– Battagliola Françoise, Histoire du travail des Elles sont aussi appelées des « grèves sur le tas » :
femmes, Paris, La Découverte, 2000. les deux millions de grévistes occupent les lieux,
– Chaperon Sylvie, Les années Beauvoir, 1945- sont rejoints par leur famille, chantent, jouent aux
1970, Fayard, 2000. cartes, font de la musique, souvent de l’accor-
– Cova Anne, Maternité et droits des femmes en déon, très populaire chez les ouvriers (cf. premier
France XIXe-XXe siècles), Anthropos, 1997. plan de la photographie), parfois dansent comme
– Delbourg-Delphis Marylène, Le chic et le look. ces ouvrières de la région parisienne. Le patronat
Histoire de la mode féminine et des mœurs de 1850 n’ose pas utiliser la force pour briser ces grèves
à nos jours, 1981. qui n’ont pas de caractère insurrectionnel et qui
– Deslandres Yvonne, Muller Florence, Histoire perdurent jusqu’aux accords Matignon (et même
de la mode au XXe siècle, Somogy, 1986. quelques jours après), Cette explosion de joie
– Duby Georges, Perrot Michelle (dir.), Histoire traduit l’immense espoir mis dans l’alliance du
des femmes en Occident, vol. V, Le XXe siècle, Front populaire ; elle traduit aussi la profondeur
dirigé par Françoise Thébaud, Plon, 1992. de la crise connue par le monde ouvrier depuis
de nombreuses années. Après des décennies de
– Fourcaut Annie, Femmes à l’usine. Ouvrières
combat, les ouvriers attendent une reconnaissance
et surintendantes dans les entreprises françaises
de la République, une dignité qui passe aussi par
dans l’entre-deux-guerres, Paris, Maspero, 1981.
un certain nombre de mesures fortes.
– Jaspard Maryse, La Sexualité en France, La
Découverte, 1997 Doc. 2 : Simone Veil défendant l’interruption
– Lelièvre Françoise et Claude, Histoire de la volontaire de grossesse à la tribune de
scolarisation des filles, Nathan, 1991. l’Assemblée nationale (26 novembre 1974)
– Montreynaud Florence, Le XXe siècle des Simone Veil (née en 1927), lorsqu’elle monte à la
femmes, Nathan, 1999. tribune de l’Assemblée nationale pour défendre
– Picq Françoise, Libération des femmes. Les l’avortement, est ministre de la Santé. Son combat
années-mouvement, Le Seuil, 1993. fut déterminant pour la libération de la femme et
– Schweitzer Sylvie, Les femmes ont toujours son discours (doc. 4 p. 377), expliquant les raisons
travaillé. Une histoire du travail des femmes aux qui lui semblent justifier une loi, est accueilli par
XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 2002. des sifflets et des quolibets d’une partie de l’hé-
– Virgili Fabrice, La France « virile ». Des micycle (par les députés de droite notamment).
femmes tondues à la Libération, Payot, 2000. Quand la loi est votée en 1975, le débat sur l’in-
terruption volontaire de grossesse existe depuis
de nombreuses années ; l’avortement avait déjà
été autorisé en 1955 pour raisons thérapeutiques
mais il n’était pas dépénalisé. Il n’était donc pas
rare que les femmes désireuses d’interrompre leur
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 193 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

grossesse avant le terme du processus de gesta- 2. Pourquoi ce système est-il particulièrement


tion perdent la vie en s’adressant à des « faiseuses oppressant pour les ouvriers ?
d’anges » ; les plus aisées pouvaient en revanche Les ouvriers n’ont plus aucune liberté de mouve-
interrompre leur grossesse à l’étranger, alors que ment ; les cadences sont rapides et le travail est
certains médecins pratiquaient l’avortement dans harassant car éminemment répétitif. Les ouvriers
le secret. sont d’autre part surveillés par un contremaître qui
peut décider de les congédier s’ils ne produisent
pas les quantités attendues. L’ouvrier profession-
ÉTUDE nel (OP) a pour sa part un peu plus de liberté,
ayant un savoir-faire qui ne le contraint pas à se
Le Front populaire, la République faire embaucher comme OS, maîtrisant différentes
et les ouvriers étapes de la production et non une seule (il est
❯ MANUEL PAGES 360-363 aussi mieux rémunéré).
Pour mieux mettre en valeur l’indéniable rupture
que constitue le Front populaire, le dossier a été ◗ Document 2
organisé en deux parties. La première montre les 3. Comment la crise de 1929 se répercute-
conditions de vie et de travail du monde ouvrier t-elle sur les ouvriers ?
au début des années 1930 et doit permettre d’ame- La crise se manifeste par une baisse de la production
ner les élèves à réfléchir sur les effets de la crise industrielle et donc une augmentation du chômage
économique et, plus largement, sur la question à partir de 1931 (452 000). Cette célèbre affiche
sociale. La seconde partie se concentre pour sa de Lecture pour tous montre un ouvrier (en bleu,
part sur les semaines qui ont suivi la victoire du comme sa tenue de travail : les ouvriers sont « les cols
Front populaire aux législatives d’avril-mai 1936. bleus ») regardant une usine – celle où il travaille ? –
Comme le titre de ces pages l’indique, la Répu- fermée à cause de la crise économique. La France est
blique n’agit plus en ignorant les difficultés et effectivement le pays industriel le plus tardivement
les revendications des ouvriers mais en accom- mais aussi le plus profondément touché par la crise.
pagnant cette partie de la population longtemps
La France, au début de 1930, apparaissait comme
marginalisée, souvent méprisée.
un îlot de prospérité et c’est en douceur que la crise
s’est installée, s’accélérant avec la dévaluation de
A. Le monde ouvrier la livre Sterling en 1931. La chute de la monnaie
au début des années 1930 britannique a en effet relancé la crise dans les pays
non dévaluateurs. La reprise amorcée en France
❯ MANUEL PAGES 360-361
au début de 1933 a par ailleurs été brisée par la
◗ Document 1 dévaluation du dollar en avril 1933.
1. Comment le travail est-il organisé ?
◗ Document 3
Avec la mise en place du taylorisme et du
fordisme, l’ouvrier perd toute liberté d’organi- 4. Montrez que les conditions de vie
sation dans son travail. L’organisation scienti- des ouvriers à Paris s’améliorent lentement.
fique du travail, pour améliorer la productivité L’analyse de ce budget ouvrier montre que les
des ouvriers, les oblige à effectuer toujours les conditions de vie des ouvriers se sont nettement
mêmes gestes à des cadences chronométrées. améliorées entre 1906 et 1937. Les postes qui
Les ouvriers sont comme des outils reproduisant dévoraient le budget ouvrier – ceux qui sont desti-
toute la journée exactement les mêmes mouve- nés à satisfaire les besoins élémentaires : nour-
ments, ici compter cinquante pièces, les placer riture, logement, chauffage-éclairage – occupent
précisément, manier un levier, ôter la pièce puis une part moindre du budget, laissant plus de possi-
recommencer. L’ouvrier spécialisé (OS) a un bilités aux familles ouvrières pour acheter des
nombre précis de pièces à produire toutes les vêtements, se soigner, les transports, les loisirs et
heures (ici 800, alors que Simone Weil n’arrive quelques autres postes de dépense qui adoucissent
à en produire que la moitié). la vie de l’ouvrier (presse, livres mais aussi tabac).
• 194 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

5. Cette vie est-elle pour autant, en 1937, B. Le Front populaire :


facile ? Justifiez. la République du côté des ouvriers
Si les conditions de vie s’améliorent, la part du
❯ MANUEL PAGES 362-363
budget accordée au besoins élémentaires reste
largement majoritaire : la nourriture représente
encore un peu plus de la moitié du budget ouvrier. ◗ Documents 6 et 7
Il n’est par ailleurs pas certain que cette amélio- 8. Dans quelle ambiance se déroule la victoire
ration des conditions de vie ait été perçue par les du Front populaire ?
ouvriers, préoccupés par le chômage mais aussi
par l’aliénation au travail quand ils sont OS. La victoire du Front populaire aux législatives
d’avril-mai 1936 déclenche une immense vague
d’espoir chez les travailleurs, qui manifestent dans
◗ Document 4 d’immenses cortèges aux couleurs de la gauche.
6. Pourquoi revendiquer la semaine Sur le document 6 figure un portrait de Léon Blum
des 40 heures ? et le symbole de la SFIO ; les banderoles sont
Les ouvriers revendiquent la semaine de quarante nombreuses (on voit que l’une provient d’étudiants
heures (et souvent la journée de huit heures) pour au fond) et l’on défile aussi poing levé en signe de
pouvoir bénéficier de plus de temps pour leur repos combat. Dès l’annonce de la victoire, au-delà des
et leurs loisirs. Leur travail est pénible et ils le rassemblements et des défilés, éclatent des grèves
quittent très fatigués : travailler moins longtemps spontanées, des grèves sur le tas avec occupation
leur permettrait d’avoir une vie familiale et sociale d’usines. Elles sont souvent appelées « grève de
moins difficile (l’ouvrier qui quitte sa famille pour la joie » car l’atmosphère y est joyeuse.
rejoindre son usine est souriant). La CGT reven-
dique aussi la semaine de 40 heures pour créer ◗ Documents 7 et 8
plus d’emplois et ainsi faire diminuer le chômage
9. Comment les ouvriers espèrent-ils faire
(passé de 452 000 en 1931 à 860 000 en mars
entendre leurs demandes ? Quelle est
1936) : le slogan de l’affiche souligne l’inquié- la particularité des actions de 1936 ?
tude et la misère, cette dernière étant notamment
dûe au chômage qui a donc fortement augmenté Les ouvriers comptent faire entendre leurs
depuis l’entrée de la France dans la crise. demandes au moyen des grèves qui paralysent
la production et l’activité économique du pays.
Parties des usines du Havre, spontanées, ces
◗ Document 5
« grèves sur le tas » ou « grèves de la joie » se sont
7. Quelles sont les revendications de étendues à toute la France. C’est un temps d’es-
ces ouvriers ? Montrez que le contexte poir et d’allégresse comme nous le montre Simone
de la victoire du Front populaire est propice Weil dans le document 7 : la philosophe retourne
aux espoirs. dans l’usine où elle a tant peiné et y retrouve un
Les revendications de ces mineurs, multiples, monde complètement métamorphosé, sorte de
traduisent l’ampleur du malaise ouvrier. Si ceux- parenthèse enchantée. Le patronat n’est pas en
ci réclament une augmentation des salaires, des mesure d’utiliser la répression car les manifes-
congés payés (ils existent déjà mais la plupart tants sont nombreux et leur espoir important ; le
du temps pour des cols blancs), des conven- gouvernement est d’autre part du côté des ouvriers.
tions collectives et une diminution du temps de Ceux-ci réinvestissement donc l’espace de l’usine
travail sans diminution de salaire, ils demandent (ils peuvent la parcourir, s’y balader, leur famille
aussi à ce que le travail au fond de la mine soit ou leurs amis les visitent : ils s’approprient leur
mieux organisé et qu’ils soient mieux traités et espace de production), ils créent un nouvel espace
considérés par les ingénieurs de la mine (ils ne sonore (les machines sont arrêtées, ils rient, jouent
veulent plus d’amendes, d’insultes, de coups, ce de la musique, chantent ). Les ouvriers savent que
qui signifie qu’ils étaient habituels, témoignant ce temps est compté et ils profitent donc de cette
de la violence des rapports sociaux sur le lieu parenthèse. Les ouvriers ont conscience de vivre
de travail). un temps d’exception qui leur fournira de beaux
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 195 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

souvenirs pour rompre avec la « contrainte » et cuteurs entre l’ouvrier et le patron dès lors que
la « soumission du temps ordinaire » de l’usine. l’établissement emploie plus de dix ouvriers. Ils
Sur le document 8 sont assemblés des travailleurs ne seront pas, par ailleurs, sanctionnés pour avoir
des abattoirs en région parisienne. À la craie sur organisé une grève, quelle que soit la longueur de
la porte d’entrée, devant les bouchers, il est écrit celle-ci : la victoire des ouvriers est réelle. Les
« Grève générale ». Ceux-ci, qui occupent l’abat- mesures permirent de faire refluer le nombre de
toir, sont aussi visités par leur famille (la femme et grévistes dans la première moitié du mois de juin.
l’enfant à droite, qui semblent rapporter quelque 12. Pourquoi ces accords constituent-ils
chose : des vivres ou des vêtements ?). Il est inté- une victoire pour les ouvriers ?
ressant de noter que les bouchers conservent une
Les accords de Matignon constituent une grande
tenue professionnelle malgré l’arrêt du travail :
victoire car les ouvriers ont obtenu beaucoup grâce
ils n’ont certainement pas beaucoup de vêtements
à la victoire du Front populaire et à la suite de leurs
mais l’on peut aussi expliquer cela par la force de
grèves spontanées. C’est un temps de joie après
leurs revendications : c’est en tant que travailleurs
des décennies de luttes et de combats, un temps
qu’ils expriment leurs espoirs.
de reconnaissance, le temps de l’intégration dans
la République.
◗ Document 7
10. Quels sont, d’après Simone Weil, ◗ Documents 10 et 11
les sentiments des ouvriers ?
13. Quelles sont les autres réformes sociales
Le temps est à l’euphorie et à la joie (premier du Front populaire ?
paragraphe) ; les ouvriers éprouvent une liberté
Les ouvriers obtiennent par ailleurs la loi des
qu’ils n’ont jamais connue sur le lieu de travail.
40 heures de travail par semaine : celle-ci consti-
Ils sont heureux de se retrouver tous ensemble,
tue, d’après Léon Blum (doc. 11), un rééquilibrage,
sans contrainte et sans cadence à tenir ; ils sont
une juste rétribution après des années de labeur,
détendus tout en étant résolus à faire entendre leurs
des « arrhes », la part légitime des ouvriers dans
revendications. C’est un temps de douce revanche
l’histoire. Les ouvriers bénéficient également de
contre le patronat, contre les ingénieurs – tout en
quinze jours de congés payés : la photographie de
restant un temps de lutte.
Robert Doisneau (doc. 10) montre la joie de ceux-
ci se dirigeant vers le cours d’eau (La Seine ?).
◗ Document 9 Bien que l’on distingue des plongeurs et des
11. Quelles sont les principales mesures baigneurs, l’on voit que les nouveaux vacanciers
des accords de Matignon ? ont un matériel encore très réduit ; les hommes
Les accords de Matignon (7 juin 1936 ; du nom gardent la casquette ou revêtent le chapeau du
de l’hôtel du président du Conseil) constituent dimanche ; certains retirent leurs chaussures pour
une grande avancée pour le droit des travailleurs. avoir le bonheur de profiter du gazon. Le bonheur,
Après les grèves massives nées de la victoire du c’est le repos et le jeu à l’air libre.
Front populaire, le patronat accepte de reconnaître Les congés payés existaient déjà en France
des contrats collectifs de travail (qui règlent à mais ils bénéficiaient surtout aux employés. Ils
chaque fois les conditions d’emploi et octroient ne figuraient pas dans le programme du Front
quelques garanties sociales), reconnaît le droit populaire et leur annonce est accueillie dans le
d’opinion tout en s’engageant à ne pas inquié- plus grand enthousiasme. Les ouvriers ne sont en
ter les ouvriers syndiqués (ceux-ci peinaient à revanche pas tous allés vers la mer, comme on le
retrouver un travail quand ils étaient congédiés dit souvent : les billets de train étaient coûteux et
ou étaient souvent bloqués dans leur carrières, si ils n’avaient pas assez d’économies pour partir
mince soit l’espoir d’avoir une progression dans s’ils habitaient loin des rivages. Ce qui explique
celle-ci). Les ouvriers obtiennent aussi une hausse l’attrait de la campagne (ils peuvent partir avec
des salaires de 7 à 15 % (ce qui peut occasionner un vélo et une tente) et des cours d’eau pour se
une politique de relance keynésienne), l’institu- baigner. La découverte de la mer aura donc plus
tion de délégués du personnel, véritables interlo- souvent lieu en 1937 qu’en 1936. C’est aussi à
• 196 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

partir de ce moment que commence à s’imposer tement de deux d’entre eux. En mars 1903, les
la mode du bronzage (cf. Pascal Ory, L’invention deux chambres rejettent toutes les demandes
du bronzage, Ed. Complexe, 2008) d’autorisation déposées par les congrégations
d’hommes, à l’exception de cinq d’entre elles en
raison de leur vocation contemplative et chari-
ÉTUDE table. Nombre d’établissements scolaires sont
fermés. L’expulsion des religieux de la grande
La séparation des Églises Chartreuse, très populaires car installés depuis
et de l’État (1905-1906) 1084 sur le site et faisant la charité dans la région
❯ MANUEL PAGES 366-367 grenobloise grâce à l’argent que leur procure la
La loi de 1905 est l’une des étapes majeures dans vente de leur alcool, nécessite des troupes. En juin
l’histoire de la construction de la République en 1903, les chambres prennent les mêmes disposi-
France ; avant de permettre un certain apaisement tions pour les congrégations féminines. Cette fois,
politique, elle a créé de fortes dissensions entre les la moitié des députés de l’alliance démocratique
Français. Il s’agit donc d’expliquer aux élèves les font défection. P.Waldeck-Rousseau reproche à
dispositions de cette loi déterminante dans l’his- Emile Combes d’avoir transformé une « loi de
toire de la République, mais aussi ses objectifs, contrôle » en « loi d’exclusion ». Une véritable
ainsi que le contexte dans lequel elle a été votée. passion anticléricale s’empare alors de la France
et les incidents se multiplient : lors des ferme-
Le débat sur la laïcisation de la France existe
tures d’écoles religieuses mais aussi parce que
depuis un quart de siècle quand la loi de 1905
des processions catholiques sont perturbées, des
est votée : la loi de Séparation apparaît comme
croix brisées.
le dernier degré d’une politique de laïcisation
en marche depuis 1880. Celle-ci, évoquée par le Voté en décembre 1905, le texte du socialiste Aris-
discours de Belleville de Gambetta dès 1869 ou tide Briand doit donc mettre un terme à vingt-cinq
par le programme de la Commune en mars 1871, ans de tensions entre la République et l’Église
tarde en effet à être menée à bien par les républi- catholique ; mais il doit aussi éviter les excès du
cains, qui craignent le réveil de vifs contentieux combisme. Derrière cette loi se profile en effet
que la République tente d’apaiser. Ceux-ci opèrent une question majeure, celle du magistère moral
donc progressivement : les Opportunistes s’atta- sur la société française. Elle s’applique aux quatre
quent dans les années 1880 à l’enseignement (lois confessions qui sont alors représentées en France
Ferry, loi Goblet cf. chapitre 11). Mais l’Église (le catholicisme, le luthéranisme, le calvinisme,
reste puissante et le ralliement des catholiques le judaïsme) et souhaite être une loi sans excès ;
à la République ne s’opère que difficilement à elle divise néanmoins la société française, heurtant
la fin du XIXe siècle (le toast d’Alger du cardi- une partie des catholiques soutenus moralement
nal Lavigerie est mal accueilli en 1890 ; l’ency- par le pape Pie X.
clique Rerum novarum ne persuade pas tous les
catholiques d’accepter la République). Lors de ◗ Document 1
l’Affaire Dreyfus, les catholiques ont rarement
fait le choix du camp dreyfusard, ce qui confirme 1. Quelles sont les relations entre l’Église
les progressistes dans leur méfiance à l’égard de et la République d’après ce document ?
Rome : le meilleur moyen d’affaiblir l’opposition Les relations entre la République et le Saint-
au régime est de séparer les cultes de l’État, le Siège sont extrêmement tendues. Le ralliement à
principal perdant devant être l’Église catholique. la République n’a pas bien fonctionné : nombre
C’est dans ce contexte que la France mène, à partir de catholiques restent monarchistes. D’autre part,
de 1901, une politique hostile aux congrégations. la France mène depuis 1901 une politique hostile
Dès juillet 1902, les établissements scolaires aux congrégations. Symbolisée par une Marianne
non-autorisés des congrégations autorisées sont de bronze, allégorie de la Justice tenant un puis-
fermés. Cette mesure donne lieu à de nombreux sant glaive, la France républicaine est une figure
incidents et 74 évêques signent une protestation. d’autorité. De multiples petites figures de religieux
Le gouvernement réplique en suspendant le trai- catholiques (des évêques que l’on reconnaît à leur
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 197 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

mitre, des moines que l’on reconnaît à la tonsure, au refus d’admettre l’utilité sociale de la religion et
un prêtre) attaquent cette grande statue, exhortés érige la sécularisation en règle absolue. Des agents
par le pape (en bas, à droite, près de l’échelle : de l’administration doivent mener des inventaires
il porte la tiare pontificale et la crosse), montrant (art. 3) pour savoir ce qui revient à l’État et ce qui
de la main cette Marianne laurée (la couronne reste dans l’Église ; les biens seront transférés à
de lauriers sise au-dessus du bonnet phrygien des associations cultuelles à former.
la montre victorieuse). La scène se déroule sur
le Champ-de-Mars, devant une tour de fer qui ◗ Documents 2 et 3
rappelle la Tour Eiffel surmontée du drapeau trico-
lore (tour qui symbolise, pour les Républicains, 3. Pourquoi est-elle, pour son rapporteur
la croyance dans le progrès). Aristide Briand, une loi « de liberté
et de loyauté » ?
Pour Aristide Briand, rapporteur de la loi, les
◗ Document 2
dispositions prises par le texte doivent viser à
2. Expliquez le contexte, les objectifs et la « pacification des esprits » et ne doivent pas
les principales dispositions de la loi de 1905. conduire à de nouveaux excès ou à un nouveau
« déchaînement des passions religieuses ». Si la
Si le concordat de 1801 était devenu « un discor-
loi de 1905 doit permettre d’affermir le régime et
dat » (G. Clemenceau), les Républicains n’étaient
de cantonner l’action de l’Église, il ne s’agit pas
pas tous convaincus qu’il faille y mettre un terme :
d’une loi anti-catholique ; les républicains doivent
l’accord conclu à l’époque napoléonienne permet-
pouvoir répondre aux prêtres qui ne manqueront
tait en effet de contrôler le clergé français par
pas, selon A. Briand, de monter les paysans contre
le biais de la nomination des évêques (Emile
la loi. L’objectif est de forger une loi acceptée « de
Combes, ancien séminariste devenu anti-cléri-
bonne grâce » par les Catholiques, permettant
cal, hésitait lui-même sur la conduite à tenir). La
enfin le ralliement de ceux-ci à la République.
victoire électorale obtenue par les Radicaux en
1902 conforte cependant les partisans de la Sépa-
ration. En juin 1903, la majorité des députés consi- ◗ Document 4
dère qu’il y a lieu d’en débattre à l’Assemblée et 4. Pourquoi la loi est-elle condamnée
constitue donc une commission à cet effet. Aristide par le pape Pie X ?
Briand en est le rapporteur.
Le pape condamne la loi sur laquelle il n’a pas
On ne pourrait par ailleurs comprendre le contexte été consulté : selon l’encyclique Vehementer Nos,
sans faire référence à la politique du Saint-Siège. la loi de 1905 viole le concordat, ne reconnaît
Léon XIII, qui pouvait apparaître comme un pape plus le catholicisme et renie officiellement Dieu ;
conciliant, est mort en juillet 1903 ; le nouveau il s’élève aussi contre les inventaires qui doivent
pontife, Pie X, se montre beaucoup plus intransi- être menés, qui risquent de spolier l’Église dans
geant, renouant avec le ton de Pie IX (1846-1878). ses biens acquis de longue date (les associations
Les incidents se multiplient donc entre le Saint- cultuelles qui doivent se former pour gérer les biens
Siège et la France républicaine : depuis que Rome des communautés sont, pour la pape, contraires à
est devenue capitale du royaume d’Italie, la papauté l’esprit du catholicisme). Si l’émotion populaire
a déclaré qu’aucun chef d’un État catholique ne est considérable à la lecture de cette encyclique le
saurait y venir sans se rendre complice de la spolia- dimanche dans les églises, une partie non négli-
tion de 1870. Quand Émile Loubet, président, visite geable des évêques catholiques français pense
Victor-Emmanuel III en 1904, l’ambassadeur de néanmoins qu’il est souhaitable d’appliquer la loi.
France auprès du Saint-Siège est mis en congé (mai
1904) ; les relations diplomatiques sont ensuite ◗ Documents 2 et 5
rompues. L’heure est à l’affrontement, le temps
de la Séparation semble venu. La loi reconnaît la 5. Quelle conséquence cette position
liberté de conscience et garantit le libre exercice des va-t-elle avoir en France ?
cultes (art. 1) ; mais elle ne reconnaît, ne salarie ni C’est avec les inventaires, qui débutent en 1906,
ne subventionne aucun culte (art. 2). Ceci équivaut que la situation dégénère. L’instruction demandant
• 198 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

« l’ouverture des tabernacles » (où sont conser- de loi permettant de réaliser l’une des proposi-
vées les hosties consacrées) est perçue comme tions du candidat Mitterrand, la « constitution
une profanation. Si l’Action française se livre d’un grand service public unifié et laïque d’édu-
à une vaste propagande tentant de soulever le cation ». Il s’agit donc de mettre un terme à
pays, son action demeure assez limitée et c’est la coexistence de deux systèmes scolaires en
en milieu rural que l’émotion est la plus vive France. À la suite de gigantesques manifesta-
(dans les régions les plus catholiques comme ici tions, Alain Savary doit présenter sa démission
à Yssingeaux, en Haute-Loire). Les communautés et le projet est abandonné. François Bayrou, à
catholiques paysannes, bien plus que les commu- l’inverse, propose de faciliter le financement de
nautés urbaines parfois plus récentes, continuaient l’enseignement privé par les collectivités terri-
à entretenir la mémoire des réquisitions de la toriales. Le projet du ministre de l’Éducation
Révolution française (objets liturgiques en argent, nationale (il a été nommé à ce poste en 1993,
cloches ). Dans ce contexte, certaines communau- dans le gouvernement de cohabitation d’Edouard
tés appellent à la résistance ; les premiers incidents Balladur) soulève un vaste mouvement de protes-
ont lieu dès le 26 janvier ; les fidèles barrica- tation de la part des défenseurs de la laïcité : la
dent l’église pour empêcher une intervention des disposition est abandonnée.
agents de l’administration. Les forces de l’ordre
doivent alors employer la force, ici par exemple ◗ Documents 3 et 5
un bélier pour enfoncer les portes de l’église et
permettre l’entrée des agents. Le 6 mars, il y eut 2. Quel problème nouveau est posé
un mort dans le Nord, à Boescheppe, autre terre à l’école publique ?
très catholique : l’évènement déclencha la démis- C’est avec l’affaire du voile de Creil, en 1989,
sion du gouvernement et Clemenceau, nouveau qu’est apparu le problème des insignes religieux
ministre de l’Intérieur, fit suspendre les opérations, dans le cadre scolaire. Le réveil du sentiment reli-
qui ne reprennent qu’en 1907, alors que Rome a gieux (souvent lié à une mauvaise intégration par
condamné les associations cultuelles. la République) s’est en effet parfois traduit par le
port de signes ostentatoires dans le cadre de l’école
publique. Si la liberté religieuse de chacun doit
ÉTUDE pouvoir continuer à exister, ils sont contraires à
l’esprit de laïcité qui empêche toute manifesta-
Ecole et laïcité depuis les années tion religieuse qui peut conduire au prosélytisme
1980 (doc. 5 a). Le port de ces insignes religieux qui
❯ MANUEL PAGES 368-369 se sont ponctuellement multipliés au début des
Si nombre de débats scolaires ont porté, dans la années 2000 (le voile mais aussi la kippa ou des
seconde moitié du XXe siècle, sur la question de la pendentifs imposants avec insignes religieux –
dualité du système scolaire français qui voit coexis- qu’il s’agisse de croix, étoile, croissant) a néces-
ter public et privé (lois Marie et Barangé en 1951, sité le vote d’une loi en 2004. Tout élève portant
loi Debré en 1959), c’est à partir des années 1980 une tenue et des symboles par lesquels il mani-
que la laïcité retrouve une place centrale dans les feste clairement ses opinions religieuses est donc
débats : le centenaire de la loi Ferry (1882), les sommé de les abandonner (phase de dialogue)
promesses du candidat Mitterrand (les « 110 propo- avant de risquer une exclusion de l’établissement.
sitions pour la France ») et l’apparition de nouvelles
3. Est-ce le signe religieux en lui-même
religiosités font régulièrement rebondir la question.
qui pose problème ?
Non : le signe religieux n’est pas incompatible
◗ Documents 2 et 4
avec la laïcité car il est « liberté d’expression et de
1. Quels sont les enjeux des réformes portées manifestation de croyance religieuse » (doc. 5a).
par les ministres Alain Savary et François Il est en revanche impossible de le conserver s’il
Bayrou ? peut être interprété comme un signe de prosély-
Alain Savary, ministre de l’Éducation de François tisme (donc seuls des signes religieux discrets
Mitterrand depuis mai 1981, propose un projet sont permis).
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 199 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

◗ Documents 1 et 4 et refusait la République. L’école privée n’endoc-


trine pas les enfants qui lui sont confiés contre la
4. Pour les défenseurs de l’école laïque,
Ve République.
quel est le rapport entre école laïque
et République ?
L’école laïque est l’école de la République : elle ÉTUDE
doit accueillir tous les enfants et adolescents,
garantissant l’égalité de tous à l’école, quelle que Les femmes et le travail
soit leur confession. Elle est l’école qui a permis au XXe siècle
au régime républicain de s’enraciner à la fin du ❯ MANUEL PAGES 372-373
XIXe siècle, notamment grâce aux principales lois Le travail féminin salarié est un phénomène
de Jules Ferry (la petite Marianne du document 1 ancien : les femmes ont toujours constitué, depuis
porte ainsi un gâteau célébrant le centenaire des deux siècles, au moins un tiers de la popula-
lois Ferry sur l’école). tion active (leur nombre est sous-évalué par les
recensements du XIXe siècle qui n’évaluent que
5. Pourquoi se mobilisent-ils alors en 1994 ?
l’activité du chef de famille). L’augmentation
Les défenseurs de la laïcité se mobilisent parce que du nombre de femmes sur le marché du travail,
le projet de François Bayrou favoriserait l’école sensible à partir des années 1970 (de plus de 8
privée (souvent confessionnelle), en facilitant millions de femmes actives en 1975, on est passé
son financement, au détriment de l’école laïque, à plus de 12 millions en 1999) ne doit pas faire
ouverte à tous les enfants. oublier que la place occupée par les femmes a
longtemps été subordonnée à celle des hommes.
◗ Document 2 Si les écarts se sont réduits, les inégalités n’ont
pas disparu, qu’il s’agisse des conditions d’em-
6. Au nom de quoi l’Église s’oppose-t-elle
ploi ou des différents types de postes proposés à
au projet de 1984 ?
la moitié du genre humain. Le dossier vise donc
L’Église, en la personne de l’archevêque de Paris, à étudier l’évolution de l’emploi féminin tout au
s’oppose au projet d’Alain Savary qui doit unifier long du XXe siècle et questionne les inégalités qui
le système scolaire français en créant un vaste peuvent, malgré la législation en vigueur, atteindre
service public d’éducation (qui signifierait donc les femmes au travail.
la fin de l’école privée). Pour Jean-Marie Lustiger,
l’idée qui guide le projet de loi n’est pas fondée ◗ Documents 1 à 4
puisque l’Église n’endoctrine pas les enfants ;
l’État en revanche ne doit pas se substituer aux 1. Comparez les secteurs d’emploi
familles ; l’enfant est un « don de dieu » et l’en- des femmes en 1900 et en 1990.
seignement privé catholique veille à « dévelop- Alors que l’agriculture emploie l’essentiel des
per toutes les dimensions de la conscience, donc femmes en 1900 (43 %), les femmes sont déjà
la liberté par quoi seule l’homme est l’homme 30 % à travailler dans le secteur secondaire
et peut atteindre Dieu ». L’archevêque de Paris, (notamment dans le textile, cf. doc. 1) et 28 %
très médiatique et aimé des Français, appelle à dans le secteur tertiaire : celles qui bénéficient
l’abandon du projet de loi qui soulève une partie d’une formation suffisante pour travailler dans
de l’opinion publique. les bureaux constituent encore une minorité de
femmes, alors employées par les usines ou conti-
7. Pourquoi l’auteur estime-t-il que le conflit nuant à travailler les champs comme elles le font
entre la République et l’Église est dépassé ? depuis des millénaires. En 1990, les données ont
Pour l’archevêque de Paris, il est évident que considérablement évolué : 2 % seulement des
l’Église ne cherche plus, à la fin du XXe siècle, à emplois féminins sont assurés par l’agriculture,
reconquérir « un pouvoir politique, même indi- 16 % par le secondaire, 80 % par les services. Dans
rect, en France. » Le contexte n’est plus celui de ce dernier secteur, les emplois s’avèrent particu-
la fin du XIXe siècle, quand une partie des catho- lièrement diversifiés et plus ou moins qualifiés :
liques espérait encore le retour de la monarchie les femmes fournissent à la fin du XXe siècle l’es-
• 200 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

sentiel de ce que l’on appelait au début du siècle pool de sténo-dactylos ?) alors que la dernière
les « cols blancs » (doc. 2, employées de bureau, photographie représente des médecins du CHU de
certainement formées à la sténo-dactylographie ; Limoges (elles sont trois ; des radiographies sont
les employés de bureau étaient plutôt des hommes exposées : sont-elles radiologues ? L’une semble
au XIXe siècle) et peuvent occuper des professions lire un rapport fait sur un patient).
pour lesquelles elles ont fait de longues études et
ont des postes à responsabilité (cf. doc 3, femmes 4. Quels types de travail sont ici
représentés ? Caractérisez en particulier
médecins de Limoges).
le rapport à la machine.
2. Comment expliquer ces évolutions ? Bien que toutes les femmes à la fin du XXe siècle
Ces évolutions se comprennent par les grandes n’aient pas un niveau de formation suffisant pour
mutations économiques connues par la France être médecins ou même employées de bureau, ces
au XXe siècle (agriculture mécanisée, indus- photographies illustrent bien les bouleversements
trie de plus en plus moderne qui nécessite une connus par l’emploi des femmes au XXe siècle.
main-d’œuvre abondante avant de connaître un Alors qu’une majorité d’entre elles disposent au
premier recul au début des années 1970 ; essor début du siècle d’un emploi non qualifié dans l’in-
des services). Il faut également tenir compte des dustrie qui les exploite (les salaires sont modestes
progrès en matière de scolarisation et des muta- et la discipline stricte), elles sont de plus en plus
tions de l’appareil industriel (la rationalisation du nombreuses à s’employer dans les bureaux ou
travail a permis une entrée massive des femmes à occuper des professions de cadres supérieurs.
sur le marché du travail) ainsi que des évolutions
sociologiques majeures. Nombre de femmes choi- ◗ Document 5
sissent en effet, à partir des années 1960-1970, 5. Qu’est-ce que la loi Roudy ?
d’entrer sur le marché du travail : ce choix est Que nous apprennent les mesures
fait par nécessité mais peut aussi procéder d’une de cette loi sur le travail salarié féminin
volonté de voir le pouvoir d’achat de la famille au début des années 1980 ?
augmenter (en des années où la société de consom- Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme de
mation impose des normes). Ce fut aussi parfois mai 1981 à juillet 1984, a marqué par cette loi le
un choix idéologique émancipateur : les femmes premier septennat de François Mitterrand : l’ob-
qui travaillent sont plus facilement indépendantes, jectif est de promouvoir une stricte égalité entre les
sortent du foyer, sont autonomes et ne dépendent hommes et les femmes au travail, et donc d’éviter
plus d’un père ou d’un mari. par des mesures législatives que se poursuive la
discrimination dont les femmes étaient victimes
◗ Documents 1 à 3 au travail. Les femmes subissaient (et subissent
parfois encore !) de nombreuses discriminations :
3. Décrivez ces photographies, les femmes
et les activités représentées (nombre, type
à l’embauche – si elles ont des enfants ou parce
d’environnement, machines) qu’elles peuvent en avoir – mais aussi au fil de
leurs carrières – on craint qu’elles soient moins
Alors que la première photographie repré- disponibles que des hommes pour les mêmes
sente trois ouvrières (elles fabriquent des tapis raisons et ont, dans le secteur privé, des rémunéra-
sur d’énormes métiers ; portent un tablier par tions moins élevées que les hommes à travail égal.
dessus leurs robes, un chignon pour empêcher
que les cheveux ne se prennent dans les énormes
métiers, la mode veut qu’on le porte haut alors),
◗ Document 6
la deuxième photographie représente des secré- 6. Les carrières des femmes sont-elles
taires – sept – des années 1970 (elles ont écourté comparables aux carrières des hommes
leurs cheveux, on aperçoit des machines à écrire, à la fin du XXe siècle en France ?
des appareils à calculer, elles sont assises et s’af- Malgré la loi Roudy, les femmes subissent
fairent à leur travail, certainement dans une entre- toujours des discriminations au travail : une
prise de bonne taille puisqu’elles disposent d’un série de barrières invisibles – qui constituent le
grand bureau qu’elles partagent – s’agit-il d’un fameux « plafond de verre » (glass ceiling) –
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 201 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

entravent leurs carrières, si bien qu’elles sont peu hommes et les femmes reste donc un objectif prio-
nombreuses à la tête des entreprises ou des insti- ritaire de ce début du XXIe siècle.
tutions publiques. L’article précise qu’elles repré-
sentent en 2008 46 % de la population active mais
seulement 17 % occupent des postes de direction. ÉTUDE
Par ailleurs, plus elles évoluent dans leur carrière
plus la différence avec les salaires masculins sont Les femmes et la politique
marqués (dans l’industrie, à poste égal, une femme au XXe siècle
touche 37,2 % de moins qu’un homme ; 42,2 % ❯ MANUEL PAGES 372-373
dans le commerce et dans les services 66,3 %). Il a fallu attendre l’ordonnance du 21 avril 1944
L’égalité entre les hommes et les femmes au travail pour que les femmes soient reconnues comme des
est donc loin d’être obtenue et les discriminations citoyennes à part entière, dotées du droit de vote
perdurent malgré les lois. et éligibles. Ce droit était réclamé par nombre
d’entre elles depuis Olympe de Gouges en 1791.
◗ Document 7 Enfin citoyennes de plein droit, les femmes sont
néanmoins largement sous-représentées dans
7. Comment évolue le rapport entre la seconde moitié du XXe siècle et la loi sur la
le chômage des femmes et le chômage parité, votée en l’an 2000, a fait naître nombre
des hommes ? de débats. Il s’agit donc de montrer aux élèves
Si le chômage tend à augmenter pour les hommes comment les femmes ont acquis le droit de vote
comme pour les femmes, il augmente beaucoup puis de comprendre comment leur représentation
plus fortement pour les femmes, allant parfois a évolué sur la seconde moitié du XXe et le début
d’un rapport qui va presque du simple au double du XXIe siècle.
(ainsi en 1982, 5,4 % des hommes sont touchés
par le chômage, ce qui est beaucoup moins que ◗ Document 1
les femmes dont le chiffre du chômage s’élève 1. Quels sont les arguments utilisés
à 9,2 %). contre le vote des femmes ?
Les arguments employés par le sénateur Alexandre
◗ Documents 5 à 7 Bérard relèvent d’une vision archaïque de la
femme : celle-ci n’est pas faite pour la sphère
8. Précisez les difficultés et les obstacles
publique et encore moins pour la chose politique et
rencontrés par les femmes au cours
de leur vie professionnelle. ce ne sont pas elles qui demandent à y être mêlées.
Les femmes seraient donc conçues pour la mater-
Les femmes, si elles sont majoritairement rentrées nité et gagnent à rester cantonner au foyer, lais-
sur le marché du travail au cours du XXe siècle sont sant le vote aux hommes, empêchant qu’elles ne
encore frappées par de nombreuses inégalités avec votent ainsi n’importe comment (un parallèle est
les hommes. Moins bien formées que ceux-ci, elles fait avec l’adoption du suffrage universel mascu-
occupent souvent des postes plus précaires (temps lin en 1848).
partiel, intérim), ce qui les expose beaucoup plus
au chômage (la présence d’enfants, l’âge ou la ◗ Document 2
formation insuffisante de celles-ci contribuent
en grande partie à expliquer cette inégalité face à 2. Comment les suffragettes luttent-elles
l’emploi et l’interruption de leur carrière : on pour- pour diffuser leur combat ?
rait presque parler d’une « carrière à éclipses » Les suffragettes (le terme est apparu en 1903 au
quand les enfants naissent). Moins payées que les Royaume-Uni) militent pour l’obtention du droit
hommes pour un poste à niveau égal dans le privé de vote et font campagne dans l’espace public
(cf. chiffres du doc. 6), elles sont aussi victimes pour expliquer leur démarche et convaincre du
du « plafond de verre » qui les empêche d’occu- bien-fondé de leur cause. Si les photographies sur
per les plus hautes fonctions des entreprises ou lesquelles elles brûlent chaînes et cadenas allégo-
des administrations. Construire l’égalité entre les riques pour réclamer leurs droits politiques sont
• 202 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

célèbres – il s’agit d’attirer l’attention de la presse est reconnue depuis 1944, les femmes élues sont
– elles distribuent plus communément des tracts restées très peu nombreuses (95 % des élus sont
ou des journaux. Louise Weiss (1893-1983), qui des hommes).
fut aussi une militante européenne, fut l’une des
figures majeures du mouvement en France. Jour- ◗ Documents 4 et 5
naliste, elle est la fondatrice de l’association « la
Femme nouvelle » qui fut l’un des fers de lance du 6. Quels sont les objectifs de la loi
mouvement féministe dans l’entre-deux-guerres. sur la parité ?
L’idée de la loi est de faire en sorte qu’il existe une
◗ Document 3 même proportion d’hommes et de femmes élus –
qu’il s’agisse des assemblées territoriales ou de
3. Dans quel contexte les femmes ont-elles
l’Assemblée nationale. Pour qu’elle soit respectée,
enfin obtenu le droit de vote en France ?
le non-respect de la loi sur la parité peut donner
L’Assemblée consultative d’Alger a commencé lieu à des amendes aux partis qui continueront à
à débattre de la future organisation des pouvoirs présenter plus d’hommes que de femmes.
publics en France à la fin de janvier 1944. La ques-
tion du vote des femmes a été posée dès ce moment
par le délégué communiste Fernand Grenier. Se ◗ Document 6
référant aux déclarations du général de Gaulle, 7. Comment évolue la représentation
Fernand Grenier souhaitait que l’Assemblée politique des femmes à la suite du vote
consultative affirme que la femme est électrice de la loi sur la parité ?
et éligible « afin que nous lui manifestions notre Si les femmes restent encore largement sous-repré-
solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en sentées dans la vie politique française, leur nombre
mineure, en inférieure ». C’est le 21 avril 1944, à a néanmoins fortement augmenté, en particulier
l’issue de la Seconde Guerre mondiale, alors que la lorsqu’elles sont élues aux scrutins de liste (la
Résistance a compté de nombreuses femmes dans parité est presque atteinte pour les conseillères
ses rangs et que la France est l’un des derniers régionales, ce qui est loin d’être le cas pour les
pays européens à ne pas avoir accordé le droit de sénatrices, les députées ou même les conseillères
vote aux femmes, que les Françaises obtiennent municipales). Seules 11 % des maires en France
ce droit politique majeur reconnu à l’ensemble sont des femmes en revanche. La question de la
des citoyens en 1848. Dotées du droit de vote et parité demeure donc à l’ordre du jour.
éligibles, elles votent pour la première fois le 29
avril 1945 pour les municipales puis en octobre
1945 (cf. photographie) pour élire la Constituante.
ÉTUDE
◗ Document 4 Les années 1970,
4. Quel est le constat fait par les auteurs la décennie féministe
en 1992 ? ❯ MANUEL PAGES 376-377

En 1992, alors que les femmes ont obtenu l’inté- Les années 1970 constituent une décennie de lutte
gralité des droits politiques qui ont été de longue et d’émancipation pour les femmes. De plus en
date reconnus aux hommes (droit de vote et éligi- plus nombreux après mai 68, influencés par le
bilité), elles ne forment encore que 5 % de la classe Women’s lib naissant aux États-Unis, parfois par le
politique française. Les auteurs appellent donc les marxisme, les groupes féministes s’élèvent contre
pouvoirs publics à adopter une loi sur la parité. le patriarcat, qu’il faut renverser pour le remplacer
par de nouvelles valeurs et de nouveaux rapports
5. Définissez ce qu’est la parité. entre les sexes. L’heure est à la revendication de
La parité est un terme pouvant constituer un syno- l’égalité entre les hommes et les femmes, alors
nyme d’égalité. En France, il signifie l’égalité que toutes les formes d’oppression et de misogy-
entre les hommes et les femmes en matière de nie sont combattues : les femmes ne doivent plus
représentation politique : si l’égalité des droits être les subordonnées des hommes.
© Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote 203 •
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

Pour les élèves, il s’agit de comprendre quels ont avoir subi un avortement, ce qui pouvait alors les
été les combats visant à émanciper les femmes et exposer à des poursuites pénales allant jusqu’à
pourquoi les années 1970 apparaissent comme l’emprisonnement (deux ans pour l’avortée – et
des années déterminantes dans l’histoire du fémi- jusqu’à dix ans pour ceux aidant à l’avortement ;
nisme. Aussi le dossier porte-t-il sur des aspects même si les condamnations diminuaient, elles
très différents de la question, qu’il s’agisse de la étaient encore 588 en 1965). Ces femmes appellent
création du MLF, de la loi sur l’autorité parentale donc à la dépénalisation de l’avortement : malgré
ou bien encore du combat mené pour la dépéna- son interdiction, celui-ci est largement pratiqué
lisation de l’avortement. dans le secret, occasionnant de grands dangers
pour les femmes prêtes à tous les risques pour ne
◗ Documents 2, 3 et 5 pas avoir d’enfant (selon le chiffre avancé par le
manifeste, ce sont 5 000 femmes qui en meurent
1. Expliquez les combats menés et un million de femmes qui avortent chaque année
par les femmes dans les années 1970. en France.) Si les privilégiées allaient en Grande-
Les combats menés par les femmes sont multiples : Bretagne ou en Hollande pour pouvoir bénéficier
les femmes se battent pour être égales aux hommes d’un avortement médicalisé, la plupart des femmes
en matière d’autorité parentale, réclament pour tentaient d’avorter seules ou avec une aide (« une
partie d’entre elles la dépénalisation de l’avor- faiseuse d’ange »), devenant parfois stériles ou
tement – qui, non médicalisé, pouvait s’avérer plus ou moins traumatisées par cet acte. Il en va
extrêmement dangereux – et, plus généralement, de la liberté et de l’indépendance des femmes – et
contre les préjugés les confinant dans un statut parfois de leur vie (« pourtant notre ventre nous
inférieur à celui des hommes. appartient ») ; la société – et les hommes qui la
gouvernent en grande majorité – ne peuvent déci-
◗ Documents 1, 3 et 5 der pour elles d’enfanter.

2. Quelles sont les modalités d’action La manifeste a eu un écho très important : il a


des féministes ? suscité une déclaration de 331 médecins décla-
rant avoir aidé des femmes à avorter (1973) et a
Les féministes, pour diffuser leur message et
contribué, en ouvrant un vaste débat national, à
convaincre du bien-fondé de leurs combats, agis-
l’adoption de la loi Veil dépénalisant l’avortement
sent en essayant d’attirer l’attention de la presse
en 1974-1975.
et du plus grand nombre : la naissance du MLF
est ainsi marquée par le dépôt d’une gerbe à la
femme du soldat inconnu (« Il y a plus inconnu ◗ Document 2
que le soldat inconnu : sa femme »), déclenchant
4. Montrez que cette loi constitue
l’intervention immédiate des forces de l’ordre
une avancée pour le droit des femmes.
qui viennent les arrêter. Les féministes organi-
sent aussi des manifestations (doc. 5) avec de Grâce à cette loi du 4 juin 1970, l’autorité paren-
nombreux panneaux, des pétitions rédigées par tale est enfin partagée dans la famille. Celle-ci
de grandes plumes partageant leur cause (Simone appartenant autrefois au seul père, les mères
de Beauvoir, doc. 3). pouvaient se sentir contestées, leur autorité appa-
raissant comme juridiquement subalterne à celle
◗ Document 3 du père détenant la toute-puissance paternelle.
Si la loi permet une mise en œuvre plus juste et
3. Quels sont les objectifs et les arguments plus humaine de la réalité familiale, elle consti-
de ce manifeste ? tue surtout une avancée pour les couples mariés.
Le manifeste des 343 est une pétition parue dans En effet, lorsque le couple est divorcé, même si
les pages du Nouvel Observateur le 5 avril 1971 : la mère a la garde de l’enfant, le père reste seul
rédigé essentiellement par Simone de Beauvoir, fer maître des décisions. La situation est aussi absurde
de lance du féminisme en France, 343 célébrités pour les enfants naturels puisque seule la mère
(des femmes de lettres, des actrices, des cinéastes ) naturelle exerce l’autorité parentale (même si le
ont signé cet appel à la désobéissance, affirmant père naturel a reconnu l’enfant). Cette loi a donc
• 204 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote
Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

constitué une avancée, mais uniquement pour pondre aux attentes des hommes sans jamais
les couples mariés, au sein desquels le père et la leur déplaire ni empiéter sur leurs attributions et
mère doivent maintenant partager un droit et un leur pouvoir, les femmes veulent dorénavant être
devoir de garde, de surveillance et d’éducation. considérées comme des êtres égaux aux hommes.
Au cours des années 1980, l’inadaptation ce cette Elles ne sont pas des jouets à la convenance des
loi devient flagrante : l’augmentation du nombre hommes, pouvant être habillées ou déshabillées
de divorces, le développement du concubinage, le sans broncher, étant parfois réduites à leur dimen-
nombre croissant d’enfants naturels le prouvent : sion sexuelle. Les femmes sont capables d’être
la législation évolue pour tenter de s’adapter aux libres et de prendre des décisions ; elles ont les
différentes situations pouvant exister (notamment mêmes facultés intellectuelles que les hommes et
la loi du 22 juillet 1987). ne doivent plus leur être soumises.

◗ Document 4
HISTOIRE DES ARTS
5. Relevez les principaux arguments
de Simone Veil. La mode, reflet de l’émancipation
Simone Veil, pour défendre la dépénalisation féminine
de l’avortement insiste sur le fait que la loi est ❯ MANUEL PAGES 380-381
bafouée quotidiennement, et de plus en plus publi-
quement : par des médecins mais aussi par des ◗ Présenter les œuvres
femmes qui ont les moyens de subir un avorte- 1. Présentez ces différents vêtements
ment médicalisé à l’étranger. Simone Veil souligne en précisant durant quelle période
aussi que cette situation est créatrice de fortes ils ont été élaborés.
discriminations entre les femmes les plus riches – Gabrielle Chanel (1883-1971) a révolutionné
– qui ont les moyens d’avorter médicalement – et la mode féminine. Libérant comme Paul Poiret
celles qui, ne disposant pas des mêmes moyens (1879-1944) la femme du corset, cette ancienne
financiers, risquent d’avoir des séquelles à vie, modiste est devenue la référence de l’élégance
ou risquent même la mort. Il s’agit de mettre un féminine française. Créant des tenues plus courtes
terme au désordre. et pratiques, des silhouettes décalées (elle peut
6. Pourquoi est-il question d’injustice apparaître en polo et en jodhpur), elle a aussi
à la dernière ligne du discours ? utilisé de nouveaux matériaux, comme le jersey,
pendant la Première Guerre mondiale, alors que
L’avortement créant de fortes inégalités entre les
le tissu manquait (le jersey était utilisé pour les
femmes aisées et les femmes plus modestes, il
sous-vêtements masculins). Coco est l’un des
est juste de légiférer pour que les femmes qui ne
prototypes de la « garçonne », femme émancipée
disposent pas des moyens nécessaires pour se faire
fumant et buvant, choquant la bonne bourgeoisie
avorter à l’étranger ne voient pas leur existence
par ses allures libérées.
menacée par cette pratique en France. La dépé-
nalisation permettra de mettre toutes les femmes – Christian Dior est un couturier français (1905-
à l’abri d’avortements non médicalisés ou mal 1957). S’il fait ses premières armes à la fin des
pratiqués par une aide à l’avortée. années 1930, c’est en 1947 qu’a lieu son premier
défilé. Il est particulièrement célébré pour son
style New Look, désireux de rendre à la femme
◗ Document 5 une silhouette plus féminine : la taille est ceintrée
7. Montrez que l’avortement et haute, la poitrine est ronde, les épaules étroites,
et la contraception ne sont pas les seuls la jupe s’arrête à 40 cm du sol.
combats féministes. – Si c’est au Royaume-Uni qu’est apparue la mini-
Dans les années 1970, les femmes luttent égale- jupe (c’est une création de Mary Quant), c’est
ment pour leur image et leur intégrité : longtemps André Courrèges (né en 1923) qui l’a introduite
considérées comme des poupées soumises à la en France en 1965. Utilisant de nouveaux maté-
puissance masculine machiste, devant corres- riaux industriels (PVC, vynil), ses modèles sont
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Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

aussi ludiques qu’avant-gardistes (c’est la collec- – Le tailleur-pantalon Yves-Saint Laurent est un


tion Space Age, lancée en 1964) : le couturier joue tailleur de laine, orné de fines rayures tennis ;
beaucoup sur le blanc et les couleurs contrastées, il est passé sur une chemise à jabots, des escar-
proposant aussi des tenues de sport véhiculant pins et une chapka donnant un air très masculin
l’esprit et les couleurs qu’il affectionne, dans un à ce mannequin, beaucoup plus maigre que les
esprit toujours très féminin. précédentes.
– Yves Saint-Laurent (1936-2008) est l’un des 3. Trouvez pour chaque photographie
plus grands couturiers français du XXe siècle. Sa trois adjectifs pour décrire l’allure globale
maison, fondée en 1961, a lancé de nombreux du modèle. Montrez comment les vêtements
vêtements devenus des pièces emblématiques de la photographiés transforment
marque : le blouson noir, les sahariennes, le caban, progressivement la silhouette féminine.
les pantalons à taille haute, les smokings pour Doc. 1 : chic – décontractée – libérée. Les vête-
femme, les cuissardes L’une de ses plus célèbres ments de Gabrielle Chanel n’épousent plus les
réalisations est le tailleur-pantalon, témoignant de courbes des femmes et ne contraignent plus
sa volonté de transgresser la barrière des sexes. le corps ; la femme est libérée du corset qui la
comprimait.
◗ Analyser les œuvres Doc. 2 : sophistiquée – sculpturale – mondaine.
2. Décrivez pour chaque silhouette la nature La mode étant faite d’allers-retours, Christian
des tissus, les couleurs ou les motifs Dior réintroduit la taille, donnant une allure plus
employés ; notez les accessoires représentés, féminine à ses modèles.
ainsi que les poses des modèles. Doc. 3 : jeune – ludique – contrastée. La mode
– Coco Chanel, debout en extérieur sur un esca- d’André Courrèges illustre la joie de vivre des
lier, porte un tailleur de tweed léger et un pull années yé-yé, la collection Space Age fait appel à
jersey à manches courtes ; la silhouette joue sur de nouveaux matériaux et à de nouvelles longueurs
le choc des motifs (des losanges sur le tailleur, qui libèrent les jambes de la femme.
des rayures irrégulières pour le haut du corps ; la Doc. 4 : longiligne – austère – androgyne. Yves
tenue est accessoirisée avec des boucles d’oreilles Saint-Laurent transgresse les tabous interdisant
et des sautoirs en perles ; les cheveux sont courts : le port des pantalons aux femmes : il invente un
l’époque est celle de la garçonne. tailleur pantalon qui renouvelle le tailleur masculin
– Le mannequin de Christian Dior porte des gants tout en restant fort inspiré par celui-ci, cherchant
noirs assortis à sa robe (ornée d’un ruban lui enser- à accentuer le caractère androgyne du mannequin.
rant le cou) ; le petit chapeau, rond et bas sur le
front, est rouge vif, jouant le contraste avec la ◗ Faire le lien entre art et histoire
robe ; les escarpins sont noirs. La pose du modèle
4. Comment ces différents vêtements
est celle d’une professionnelle, arrêtant de marcher participent-ils à la libération du corps
durant le défilé pour permettre aux photographes de la femme ?
de prendre ses habits.
Ces différents vêtements libèrent le corps de la
– Les six mannequins d’André Courrèges portent femme en l’émancipant du corset, en raccourcis-
des modèles de sa collection Space Age : alors que sant les longueurs, en dénudant certains parties du
cinq sont en mini-jupe (ou en mini-robe), l’une corps auparavant cachées (les jambes, les bras), en
porte un pantalon. Les matériaux employés sont très portant des pantalons qui permettent par exemple
divers (coton, popeline, vynil, PVC) et tous utili- de conduire plus facilement, de marcher aussi plus
sent les contrastes entre le blanc, qu’affectionne le rapidement, d’affirmer aussi sa volonté d’éman-
couturier, et le rouge, très dynamisant. Les coiffures cipation.
sont jeunes, très à la mode dans les années 1960
puisque l’on porte des couettes et des queues de 5. De quelles évolutions sociales et culturelles
cheval ; toutes portent des bottes blanches, symbole majeures témoignent-ils ?
de la libération féminine, et des gants blancs en plus Ils témoignent de la révolution connue par les
d’un foulard pour certaines d’entre elles. modes de vie féminins : la femme du XXe siècle
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Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

n’est plus engoncée dans des vêtements qui la qui lui interdisent d’aller plus loin dans la poli-
dissimulent et rendent ses mouvements pesants et tique sociale initiée au printemps 1936 ou d’aug-
peu rapides. Elle se déplace plus rapidement, peut menter de nouveau les salaires pour répondre à
porter des tenues voyantes, se dénude en partie, l’augmentation de l’inflation. Une fuite des capi-
porte aussi des tenues lui permettant de conduire taux (« le mur de l’argent ») s’est opérée depuis
une voiture ou de faire facilement du sport. la dévaluation du franc (1er octobre 1936) et de
larges mouvements sociaux réapparaissent (le 30
décembre 1936, 40 000 métallurgistes manifes-
EXERCICES tent à Paris pour le réajustement de leur salaire,
rogné par l’inflation). Si la France est tardivement
Le Front Populaire touchée par la crise de 1929, elle est en effet aussi
❯ MANUEL PAGE 383 la plus lente à s’en extraire.
1. Qu’est-ce que le Front populaire ? 4. À quelle période met fin cette « pause » ?
Rappelez comment il est arrivé au pouvoir. Nommez-la. Pourquoi le Front Populaire
Le « Front populaire » désigne l’alliance conclue marque-t-il une rupture dans l’histoire
entre les radicaux, les socialistes et les commu- de la France au XXe s. ?
nistes – donc les trois principaux partis de gauche Ces quelques mois correspondent à ceux du
français – pour les élections législatives d’avril- premier gouvernement du Front Populaire. Malgré
mai 1936. L’alliance s’est constituée à la suite des ses fragilités, l’épisode a durablement marqué les
émeutes du 6 février 1934 qui peuvent alors laisser Français qui voient leur quotidien s’améliorer
penser qu’il existe une menace fasciste en France. (congés payés, semaine de 40h...), leurs attentes
prises en considération. Si la question sociale ne
2. Quelles sont les différentes mesures
disparaît pas, le Front populaire marque un temps
adoptées par le gouvernement
de Léon Blum ? d’espoir, une rupture décisive dans l’histoire poli-
tique et sociale de la France contemporaine. Il
Les mesures adoptées par le gouvernement du permet en effet l’intégration des ouvriers dans la
Front populaire sont nombreuses. Par les accords République, au sens où les attentes de ceux-ci sont
de Matignon du 7 juin 1936, les patrons s’en- entendues, les grèves ne sont pas réprimées, les
gagent à respecter la liberté syndicale de leurs efforts du gouvernement s’avèrent réels.
salariés, permettent la création de délégués du
personnel pour mieux représenter et défendre les
salariés. Les salaires sont par ailleurs augmentés BAC
de manière sensible (entre 7 et 15 %). En juin,
le Front populaire fait adopter la loi permettant La loi de séparation des Églises
la généralisation des congés payés (qui durent et de l’État (1905)
alors quinze jours ; si certains employés pouvaient ❯ MANUEL PAGES 386-387
déjà en bénéficier, ce n’était quasiment jamais le
La loi de séparation des Églises et de l’État, votée
cas des ouvriers), la semaine de 40 heures et les
le 9 décembre 1905, pose les fondements de la
conventions collectives qui permettent de régle-
laïcité en France. Visant à consolider le régime
menter les conditions de travail et de rémunéra-
républicain décrié par une partie des catholiques,
tion des salariés.
elle abroge le concordat de 1801 et suscite de vifs
3. Comment Léon Blum justifie-t-il débats en France. Loin d’avoir été votée dans la
la « pause » opérée par le gouvernement précipitation, la loi fait partie des projets républi-
du Front populaire ? Quelles sont cains depuis la fin du Second Empire (Gambetta,
les difficultés rencontrées par celui-ci ? programme de Belleville, 1869) et fait régulière-
Appuyez-vous sur le texte mais aussi ment l’objet de discussions entre les Républicains
sur la chronologie pour répondre. depuis 1870, longtemps divisés sur l’opportunité
Dans son allocution du 13 février 1937, Léon de faire adopter une loi de séparation. La loi est
Blum évoque les difficultés économiques du votée aux lendemains de l’affaire Dreyfus, alors
pays, la conjoncture de crise : ce sont celles-ci que l’Église a souvent manifesté son hostilité à
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Chapitre 12 – La République et les évolutions de la société française

la IIIe République et que le Bloc des gauches est s’opposant aux agents de la République, les chré-
élu sur un programme très anticlérical. Elle vient tiens peuvent faire figure de nouveau martyres
parfaire la laïcisation de l’État, qui a débuté dans (pour Jean Baubérot le pape cherche à « susci-
les années 1880 avec les grandes lois scolaires des ter une persécution ») et peut-être redonner un
Opportunistes (lois Ferry de 1881-1882 notam- nouveau souffle au catholicisme (ce n’est néan-
ment). moins qu’une opinion de Jean Baubérot)
La loi est une incontestable victoire pour la Répu-
Autre sujet : la place des femmes en France
blique : elle permet d’émanciper le régime de dans les années 1920
toute influence religieuse (en l’occurrence, celle
de l’Église catholique, seule capable de peser Le texte, écrit par Simone de Beauvoir (1908-
véritablement sur la vie politique). La loi ne doit 1986), figure majeure parmi les intellectuels fran-
en revanche pas faire naître d’hostilité de la part çais au XXe siècle, est un extrait des Mémoires
des catholiques ; selon son rapporteur, Aristide d’une jeune fille rangée, récit autobiographique
Briand, c’est une loi « de liberté et de loyauté » paru en 1958. A cette date, Simone de Beauvoir est
qui ne doit pas diviser les Français : loin de faire déjà connue : compagne de Sartre, elle a publié le
naître un combat contre la religion, elle ne fait que deuxième sexe en 1949 et dénonce la torture utili-
« privatiser la religion », pour reprendre les termes sée durant la guerre d’Algérie avant de vouer ses
de Jean Baubérot. La loi n’est pas une attaque en derniers combats à la cause des femmes.
règle contre l’enracinement chrétien de la France Née dans une famille bourgeoise désargentée,
(deux fêtes religieuses sont même ajoutées avec Simone de Beauvoir s’élève dès son adolescence
le lundi de Pâques et celui de la Pentecôte) et la contre l’éducation donnée aux filles dans son
hiérarchie catholique traditionnelle est maintenue. milieu : si ces adolescentes sont instruites, elles
Le document proposé à l’étude n’est pas une le sont avant tout pour paraître en société (dans les
source du début du XXe siècle mais une analyse salons, lors des réceptions), avoir une conversation
beaucoup plus récente de la loi telle qu’elle a agréable – douce, légère, pleine d’esprit... mais
été adoptée. Ecrit par Jean Baubérot, historien jamais grave – et aussi trouver un bon mari afin de
et sociologue, il s’agit d’un extrait d’interview tenir leur rang et de faire honneur à leurs parents.
accordée au journal Le Monde le 4 janvier 1991. Ce n’est pas aux mêmes fins que souhaite parvenir
Le texte permet de mieux comprendre les objec- la jeune Simone de Beauvoir qui s’intéresse plus
tifs des républicains et les résistances rencontrées aux études qu’aux bienséances de la vie mondaine.
lors du vote de la loi ; il permet ainsi d’éclairer Elle a accès à la culture classique (elle fait du latin
les principaux enjeux de la loi de 1905 dans le et apprend le grec) tout en travaillant la littéra-
contexte où elle a été élaborée. ture et les mathématiques en les investissant non
Les résistances furent néanmoins nombreuses : pas seulement comme un moyen (de paraître, d’avoir)
du côté des protestants ou des juifs qui accueillent mais aussi comme une fin. Alors que ses cama-
favorablement la loi mais du côté des catholiques. rades étudient en dilettante, elle approfondit ses
Le pape Pie X condamne fermement le texte qui connaissances qui lui permettent ensuite de rompre
fait de la France un État reniant Dieu (encyclique avec les codes bourgeois dans lesquels elle a été
Vehementer nos) et encourage la résistance des éduquée (« elles travaillaient en amateurs tandis
catholiques. Ceux-ci sont notamment appelés à que j’avais passé professionnelle ».) L’instruction
s’opposer à la menée des inventaires qui doivent est un facteur de l’émancipation de cette jeune
être pratiqués en 1906 pour déterminer ce qui intellectuelle dont le destin aurait pu sembler tout
appartient à l’Église et ce qui revient à l’État. En tracé dans le cadre d’une famille bourgeoise.

• 208 © Nathan 2011, Histoire 1re coll. Sébastien Cote

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