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BARBARA ABEL
LE BONHEUR SUR
ORDONNANCE
Fleuve Noir
Agnès s’en est tirée à bon compte. Il faut dire que ses parents
ont visiblement d’autres chats à fouetter en ce moment, et elle
ne parle pas du retour de Petit-Pull qui semble les laisser
perplexes. Elle l’a bien vu, maman n’était pas franchement ravie
de voir réapparaître ce… Ce quoi encore ? Ah oui : ce sac de
viande qui passe son temps à répandre ses poils sur son tapis, à
se pendre à ses rideaux et à déchiqueter ses fauteuils… Tu parles
qu’elle devait râler sec en le découvrant de nouveau dans la
place, à se faire tripoter par un gamin geignard et une
adolescente hystérique…
L’adolescente hystérique en question n’a rien oublié des
propos blessants hurlés par sa mère… Si ça se trouve, c’est
peut-être même elle qui a laissé filer le chat, espérant le perdre à
jamais. Rancunière, Agnès lui en veut pour ses crises de fureur
dont, franchement, les causes ne valent pas tant de cris. Alors,
quand elle prend sa tête de gentille maman responsable qui
souhaite rétablir le dialogue, ça la fait bien marrer. Comme si on
pouvait torturer quelqu’un pour ensuite exiger sa confiance !
— Comprends-nous, ma chérie, personne ne t’accuse de quoi
que ce soit. Mais avoue aussi que nous avons des raisons de
nous inquiéter quand papa te découvre habillée et maquillée
— Tu me charries, là…
— Je ne vois pas ce qu’il y a d’inconcevable.
— Méline, enfin…
— Tu n’en as pas envie ?
— Le problème n’est pas là.
— Il est où, le problème ?
— Méline ! Qu’est-ce qui te prend ?
— J’ai envie d’un enfant.
— Tu en as déjà deux.
— J’en veux un troisième.
— Tu as quarante et un ans !
— Et alors ?
Vincent est pris de court. Devant un tel aplomb, et parce qu’il
n’a pas tout à fait tort, du moins parce qu’elle comprend son
point de vue, Méline s’accroche maintenant à son objectif. Ça
n’a aucun sens – à part peut-être celui de lui sauver la vie –,
c’est totalement irréfléchi, c’est instinctif, presque vital, comme
si la simple absence d’évidence suffisait à justifier les hostilités
qui s’annoncent. Et plus le refus s’obstine, plus l’idée se fixe.
— Et si je n’en veux pas, moi ?
— Je ne comprends pas pourquoi tu refuses ne fût-ce que
20 h 30. Les enfants sont au lit. Tout s’est déroulé sans heurt :
première partie de soirée exemplaire, tâches partagées dans la
bonne humeur, parents détendus, Oscar adorable, Agnès… un
peu taciturne. Bon. Les dommages collatéraux de l’adolescence
sévissent déjà, il faut se faire une raison. Méline a bien tenté
quelques questions, le geste maternel et l’attitude complice.
Agnès a grogné quelques réponses, l’agacement prononcé et la
réaction hostile. Méline n’a pas insisté. L’avantage, c’est qu’elle
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