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L’EXPÉRIENCE DE LA MORT

«L'au-delà, c'est un au dedans. C'est parce que


la vie est inconnue que la mort est pour nous
un abîme»
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MAURICE ZUNDEL,
théologien

Revue «CHOISIR» N° 36 - Octobre 1962 genève


Conférence redonnée à Dar El Salam, du Caire, du printemps
1963.

L'EXPÉRIENCE DE LA MORT
Cette méditation veut préparer celle qui nous accompagnera au début de Novembre,
près de la tombe de nos défunts.
Quelqu'un disait dernièrement :
«Quel immense mystère que la mort !»
A quoi je répondais :
«Quel immense mystère est la vie !».
Car nous savons aussi peu de l'une que de l'autre et c'est précisément parce que la
vie est inconnue que la mort est pour nous un abîme.
Qu'est-ce que nous faisons de notre vie ?
Nous nous cherchons, nous nous fuyons, nous nous rencontrons par intermittence et
nous n'arrivons jamais à boucler la boucle, à nous définir nous-mêmes, à savoir qui
nous sommes. A plus forte raison ne connaissons-nous pas les autres. Les autres,
nos plus intimes.
Vos enfants, vos femmes, vos maris, qui sont-ils à côté de vous ? Que savez-vous des
pensées secrètes du coeur de votre enfant ? Que savez-vous du mystère dernier de
votre femme ou de votre mari ?
On n'a pas le temps, la vie passe si vite, on est occupé par les soucis matériels ou par
les divertissements... et finalement la mort arrive, et c'est devant la mort que l'on
prend conscience que la vie aurait pu être quelque chose d'immense, de prodigieux,
de créateur...
Mais, c'est trop tard... et la vie ne prend tout son relief que dans l'immense regret
d'une chose inaccomplie. Et les survivants sont là à pleurer ceux qui ne sont plus, qui
n'ont rien fait jaillir de leur existence et à la réalisation desquels les vivants ont si
peu collaboré.
C'est alors que la mort, justement parce que la vie a été inaccomplie, apparaît
comme un gouffre, comme un mystère insondable qui fait renaître constamment
l'objection :
«Mais après tout, aucun des morts n'est jamais revenu pour témoigner de ce
qui se passe au-delà».
Bien sûr, aucun des morts n'est jamais revenu pour témoigner de ce qu'il aurait vu,
et cela ne servirait d'ailleurs de rien.
Ce que nous allons tenter, aussi bien, ne sera pas de postuler ou d'inventer des
choses que nous supposerons exister après la mort, mais de situer le problème de la
mort dans le mystère même de notre personnalité, à partir de notre vocation de
sujet, d'origine et de créateur.

UN ÉCHEC RÉVÉLATEUR.
Si l'expérience de la vie échoue, je veux dire si, souvent, la vie des êtres les plus
aimés nous laisse le regret d'une chose inaccomplie - que nous n'avons pas
suffisamment comprise, à la réalisation de laquelle nous n'avons pas suffisamment
collaboré - c'est que, justement, la connaissance d'un sujet, d'une intimité, suppose
l'enracinement de notre intimité dans celle d'autrui, une communauté d'âme, un
échange si profond qu'il faut constamment jeter du lest, constamment se dépasser
pour être un espace assez grand pour l'accueillir.
Si nous ne connaissons pas davantage les autres, c'est parce que nous ne devenons
pas autrui, parce que nous sommes enfermés en nous-mêmes, parce que nous ne
savons pas nous dépasser. Alors l'autre se banalise, il prend cette figure sociale qui
répond à sa fonction, au personnage qu'il s'est forgé, au masque qu'il est contraint
de porter. Nous n'allons pas au-delà, nous ne découvrons pas la source qu'il est
appelé à devenir, nous n'atteignons pas son unicité, parce que nous ne sommes
dignes ni de la connaître, ni de la susciter.
Et toutes les difficultés de connaître un autre, toutes les difficultés de connaître son
propre enfant, d'être en communication avec le fond de son âme, toutes les
difficultés pour les époux de savoir qui ils sont, de dépasser la chair et d'aller
jusqu'au centre de l'âme, toutes ces difficultés resurgissent devant la mort. C'est le
même problème. Comme la vie est impénétrable à qui ne devient pas une source, un
créateur, une personne, une origine, une liberté : la mort lui est pareillement
impénétrable.

IMPLANTATION DE LA SURVIE.
Il ne s'agit pas, en effet, de connaître le lieu où nous irons après la mort, il ne s'agit
aucunement d'un après dans le temps ou dans l'espace, il s'agit d'un au-delà qui est
au-dedans . Cela veut dire qu'il s'agit de vaincre la mort ici-bas, dès aujourd'hui,
tellement que le vrai problème n'est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais
si nous serons vivants avant la mort.
Si nous étions vivants avant la mort, en effet, s'il y avait en nous cette grandeur,
cette puissance de rayonnement où s'atteste une valeur, s'il y avait en nous une
source jaillissante, si notre vie portait partout la lumière, si elle était un dialogue
avec l'Éternel, si nos actions n'étaient pas limitées, si elles avaient toute l'ampleur et
toute la portée que l'amour leur peut conférer, la mort serait progressivement
vaincue, le temps en nous s'éterniserait et nous multiplierions ces heures étoilées
dont parle ZWEIG, ces heures où toute la durée se concentre en une Présence qui
suscite un présent capable de renaître sans jamais s'épuiser. Aussi bien, chaque fois
qu'un chef-d'oeuvre nous replonge au coeur du silence, chaque fois que nous
retrouvons le sens de l'émerveillement et de l'admiration, toutes ces heures
créatrices s'additionnent, deviennent toujours plus denses, constituent une lumière
de plus en plus saturée et pénétrante : et c'est par là, justement, que notre être
réalise son unité.
Il y a, en vérité, en nous, des heures qui ne meurent pas, des heures qui dessinent
l'identité de notre être profond, des heures où déjà nous pressentons ce que peut
signifier l'immortalité.
Nous avons, en effet, à nous éterniser à travers le temps, qui n'est que la distance de
nous-même à nous-même. Le temps, autrement dit, doit s'intérioriser pour nous en
une durée qui ne passe pas et tout notre être doit peu à peu se récupérer sur la
biologie dont la spontanéité instinctive constitue notre premier capital énergétique.
Au départ de notre vie, en effet, dès notre conception dans le sein maternel, nous
recevons gratuitement, c'est-à-dire sans aucune intervention de notre part, un
certain quantum d'énergie cosmique qui nous est donné une fois pour toutes. Et c'est
ce quantum d'énergie qui nous permet de nous insérer dans le monde, d'y jouer
notre rôle et de le dépasser.
Mais ce prêt qui ne se renouvellera pas constitue un certain potentiel - il a une
certaine hauteur ou puissance de chute - et puis, comme toutes les réalités de la
nature qui sont soumises à l'entropie, il subit une espèce de nivellement : nos
énergies s'usent, elles s'épuisent avec l'âge et puis, finalement, elles deviennent
étales et c'est la mort, la mort physique.
Cette mort physique ne peut représenter tout l'événement de la mort, s'il est vrai
que notre vocation est de devenir sujet, source, et origine de notre être authentique,
c'est-à-dire de faire travailler ces énergies, de les transformer, de les élever à un
autre niveau, de les immortaliser et, finalement, de créer, dans leur dimension
humaine, notre corps autant que notre esprit. Et nous pouvons déjà remarquer, à ce
propos, que la vision extrêmement primitive et sommaire d'une mort qui est un
retour à la poussière ne répond absolument pas à l'expérience profonde de la mort.
Le cadavre n'est pas le corps, mais un conglomérat physico-chimique d'éléments
hétérogènes qui n'a plus aucun rapport avec le corps. Et nous verrons aussi bien, que
le corps peut survivre à la mort – le vrai corps - encore faut-il le découvrir en prenant
la peine de le créer.

L'ADAPTATION INDÉFINIE.
De toute manière, pour nous en tenir à une donnée irrécusable, nous sommes insérés
dans l'univers, l'univers nous prête un certain quantum d'énergie.
Nous avons à administrer cette énergie. Nous pouvons l'administrer sagement, nous
pouvons en hâter, au contraire, la destruction : comme nous pouvons en prolonger la
durée par une prudente économie. Dans cette perspective, notre corps apparaît,
d'abord, comme une sorte de cordon ombilical qui nous met en prise sur l'univers :
sur cet univers bien déterminé dans lequel nous avons à nous mouvoir
naturellement. C'est pourquoi notre corps est d'abord relatif à notre habitat
terrestre.
Si nous habitions la lune, nous ne pourrions pas y vivre aisément avec le corps que
nous avons. Notre corps sur la lune serait trop léger, parce que la puissance
d'attraction de la lune, étant donné que sa masse est moindre que celle de la terre,
est aussi moins forte. Si nous vivions sur le soleil, à supposer que cela fût possible,
nous serions beaucoup trop lourds, étant donné l'immense puissance gravitique du
soleil, en raison de l'énormité de sa masse par rapport à celle de la terre. Notre corps
est relatif à notre habitat et aux actions utiles que nous avons à y exercer.
Nous ne percevons qu'une gamme très étroite de radiations, celles qui vont du violet
au rouge. Mais il y a les radiations ultraviolettes, les radiations infrarouges, les
rayons X, les rayons gamma, les rayons cosmiques et une foule d'autres radiations
que nous ne percevons aucunement et qui n'en sont pas moins réelles - comme sont
réels les ultrasons qui échappent également à notre perception naturelle - parce que
nous n'avons biologiquement, à leur égard, aucun rôle utile à jouer.
Puis que donc notre corps est relatif à notre habitat, il faudrait qu'il fût différent pour
exister sur une autre planète. Nous le savons, d'ailleurs, par le fait que les navires
cosmiques doivent emporter les conditions terrestres pour que l'animal ou l'homme
qui les habite puisse subsister. Il y faut constamment rétablir ou adapter les
conditions terrestres pour que la vie ne soit pas gênée et mise en péril, en
échappant, à la fois, à la pesanteur et à l'atmosphère propres à notre planète.
Malgré toutes ces limitations, il y a en nous une puissance de dépassement qui nous
permet, justement, de compenser l'absence des conditions terrestres, c'est-à-dire de
les réaliser en des conditions qui sont naturellement impossibles. C'est un
dépassement analogue, d'ailleurs, que nous avons accompli depuis que la science
existe, puisque nous avons créé, pour connaître le monde, des instruments devenus
indispensables, tellement que, aujourd'hui, la science est définie précisément par ses
conditions instrumentales.
Le savant n'observe plus par ses sens, il observe par ses instruments qui sont eux-
mêmes le fruit de ses calculs, et, à chaque instant, le monde change d'échelle, bien
que notre biologie reste la même.
C'est pourquoi nous pouvons engager notre corps - nous le pourrons de plus en plus
- en des conditions naturellement impossibles : par ce jeu de compensation qui nous
permet de rétablir, en des situations extraterrestres, les conditions de notre vie ici-
bas.

LE CORPS, CLAVIER DE L'ESPRIT.


Mais, ce qui est beaucoup plus remarquable encore, c'est que, non seulement nous
pouvons échapper à la pesanteur, non seulement nous pouvons vivre en dehors de
notre atmosphère, non seulement nous pouvons découvrir toutes les radiations qui
échappent à notre perception sensorielle, mais notre corps est lui-même un
carrefour de symboles, un noeud de significations où les plus hautes réalités se
peuvent faire jour.
Il y a là quelque chose qui nous intéresse au premier chef et que MERLEAU PONTY,
entre autres, a profondément scruté.
Vous vous rappelez cette danseuse admirable qui s'appelait ISADORA DUNCAN, qui
était l'amie des SAKAROFF et qui dansait devant eux une danse qu'elle improvisait à
l'intention de ses amis. Et les SAKAROFF pantois d'admiration, l'applaudissaient de
toute leur amitié, quand elle leur cria soudain :
«Ce n'est pas moi, c'est l'Idée !».
Elle était parfaitement consciente, en effet, que son corps, à ce moment, exprimait
quelque chose d'intérieur et de sacré, comme les SAKAROFF le voulaient eux-mêmes
dans leurs danses, parce qu'ils avaient le sens du sacré à un degré si profond qu'ils
ne pouvaient envisager la danse autrement que comme la manifestation d'une réalité
infinie.
Notre corps est un carrefour de symboles et un noeud de significations qui peuvent
servir de clavier à l'esprit, alors que, souvent, ce que nous appelons l'idée peut être
simplement le véhicule d'une passion brutale.
Dans ce temps de lavage de cerveau où l'on fait une si grande consommation de
pseudo-idées que l'on martèle dans la sensibilité pour en faire autant d'instruments
d'aveuglement et d'asservissement, nous constatons, en effet, que souvent le monde
des idées est, en réalité un monde passionnel et que, en prétendant former la pensée
on peut établir la plus épouvantable servitude : alors que, au contraire, le corps dans
la parole, le corps dans la musique, le corps dans la danse, le corps dans la couleur
peut atteindre et exprimer le plus intime de nous-même. Au point qu'on peut dire
que l'éducation la plus efficace est une éducation à base de musique
- comme PLATON l'avait déjà pressenti - qui ordonne et harmonise notre Physiologie
et jusqu'à nos rythmes physico-chimiques, en faisant de tout notre être une
musique.
Par là s'établit une espèce de silence profond et admirable qui nous rend disponible à
la contemplation et aux rencontres privilégiées où la vie de l'esprit atteint au
sommet. Or, la parole, la musique, la couleur, sont des vibrations matérielles,
matériellement enregistrables, qui passent par le corps comme elles sont elles-
mêmes corps et, cependant, elles peuvent nous délivrer du poids de la chair et du
sang, des impulsions de la brute et des servitudes de la tribu.
N'est-ce pas la musique, en effet, qui éveille en nous le sens le plus délicat de la
liberté, de l'admiration, de la tendresse ?
N'y a-t-il pas des pianistes dont les mains sont des mains de lumière ?
Tandis que les pseudo-idées d'un ROSENBERG ou d'un HITLER, ne sont que les
marteaux-pilons d'une tyrannie démentielle.
Notre corps est donc un corps ouvert, comme l'est notre biologie, un corps
transformable, un corps éducable, un corps qui peut devenir musique, un corps qui
peut être libéré, un corps qui peut exprimer le plus intime de nous-mêmes. Notre
corps, autrement dit, peut revêtir une dimension humaine et il est appelé à le faire.
Nous avons à créer notre corps sous cet aspect comme nous avons à créer notre
personnalité.
Et au fond nous le sentons bien, dès que nous refusons d'être objet. Si nous sommes
si profondément blessés dès qu'on nous traite en chose et que l'on souligne
malignement nos déficiences corporelles, c'est, justement, que nous avons le
sentiment de n'être pas simplement «une chose au milieu du monde» nous sommes
appelés, en effet, à décoller de notre environnement cosmique et à le transformer :
au point de ne devoir rien accepter sans d'abord le peser, sans d'abord scruter sa
valeur et sans décider du pour et du contre, selon le mot si juste de CAMUS :
«L'homme est la seule créature qui refuse d'accepter d'être ce qu'elle est»

CORPS ET ÂME.
Nous ne devons accepter, aussi bien, tels quels, ni notre corps, ni notre esprit. Nous
avons à recréer l'un et l'autre en nous libérant, finalement, de ce moi possessif, de ce
moi biologique, de ce moi pesanteur, de ce moi cosmique qui nous empêche de nous
réaliser, en nous imposant des idées ou des options préfabriquées. Car c'est dans la
mesure où nous échappons à l'envoûtement de ce moi propriétaire et possessif que
nous devenons vraiment nous-mêmes. Et non pas seulement nous-même, dans notre
pensée, mais nous-même aussi dans notre corps.
D'ailleurs, cette dichotomie, cette opposition abrupte du corps et de l'esprit, est
absurde, meurtrière et dangereuse : rien ne la cautionne. Il y a en nous,
constamment, un mouvement du dehors au dedans et du dedans au dehors. Notre
corps ne donne toute sa joie, toute sa beauté, tout son rayonnement et il n'atteint à
son unité, comme il ne prend une expression humaine, que s'il est traversé par le
courant de la vie intérieure.
Et cette vie intérieure est elle-même impossible si elle ne s'exprime à travers le
corps, si elle ne rayonne à travers un sourire.
Le véritable itinéraire va, en réalité, non à sens uniquendu corps à l'âme - pour nous
évader du corps - mais du moi biologique, du moi servitude, du moi préfabriqué, du
moi qui m'est tombé dessus comme un colis jeté sur un quai de gare, - du moi que je
ne suis pas, en un mot - au moi qui est universel, au moi qui est don , enfin, et que
nous percevons dans la lumière et la transparence de l'amour.
Ce passage, ce changement d'étage, cette libération s'annonce et retentit
nécessairement dans tout notre être. C'est tout notre être, corps et âme, qui devient
personne, origine, source et valeur.
Bien entendu, cela suppose que nous accomplissons notre métier d'homme et que
nous acceptons vraiment de nous faine et de nous créer, en refusant de subir ce que
nous sommes, selon la consigne de CAMUS.

ROUTE DE L'IMMORTALITÉ.
La plupart des vies, malheureusement, sont des cadavres d'humanité, remorqués par
les énergies physiques données à la naissance : c'est-à-dire que la plupart des
hommes sont portés par leur biologie au lieu de la porter. Ils meurent avant de vivre.
Et c'est précisément cela la vraie mort : celle qui se situe avant la mort dans cette
identification passive avec la biologie. On en a tellement le sentiment devant ces vies
toutes faites qui obéissent à un schéma préfabriqué, devant ces vies copies-
conformes, devant ces visages «types Hollywood» que l'on retrouve un peu partout :
anonymes et superficiels. On n'y reconnaît pas l'homme avec toute sa puissance de
dépassement. On n'y rencontre pas cette création dont la vocation est au coeur de
notre être.
C'est pourquoi le vrai problème, encore une fois, n'est pas de savoir si nous serons
vivants après la mort, mais bien si nous serons vivants avant la mort. Car il n'est pas
question de réclamer l'immortalité pour notre biologie, prise comme telle, qui ne
vaut pas plus que celle des punaises ou des chacals. L'immortalité n'est pas une
rallonge mise à notre vie biologique dans la crainte de crever. Ce n'est pas du tout
cela.
L'immortalité est une valeur, une dignité, une vocation, une exigence : comme la
personnalité et comme la liberté. C'est pourquoi nous sommes des candidats à notre
immortalité. Elle ne peut nous être donnée toute faite, pas plus que notre
personnalité, pas plus que notre liberté.
Elle est, en nous, d'abord l'appel à cette transformation créatrice où l'homme atteint
à une sorte d'aséité en devenant vraiment la source de sa vie : dans le dialogue
silencieux où sa personnalité se réalise, dans l'échange avec la Présence infinie qui
est, comme disait AUGUSTIN, la Vie de notre vie.
Il est clair que si nous ne pouvons demeurer objet, nous avons à nous faire sujet.
Devenus sujets, nous ne pouvons plus être simplement un grumeau cosmique, un
accident, une dépendance de l'univers physico-chimique. Il est impossible, en effet,
que la valeur à laquelle nous avons à nous consacrer ou plutôt, la valeur que nous
avons à devenir et qui tient à nous-mênes, subsiste en se détachant de nous. Le
génie d'un homme, la lumière qu'il est, la vertu dont il rayonne, la bonté dont il nous
apporte le soleil, tout cela ne sont pas des choses séparables de lui S'il périt tout
entier, toute valeur périt avec lui et toute sa vie se réduit finalement à un objet.
L'homme alors n'est pas réellement un sujet, il n'est pas réellement créateur, il n'a
pas réellement une dignité inviolable. Il passe comme tout le reste, et toutes ses
valeurs prétendues ne sont que poussière.
Mais, bien sûr, si l'on en admet l'exigence, cette qualité de sujet ne peut s'affirmer et
se révéler que par une ascension, une montée continuelle.
Si nous n'accomplissons pas cette ascension, si nous ne nous libérons pas de nos
adhérences possessives, si nous nous laissons porter par le courant, si nous nous
ensevelissons dans notre biologie, nous sommes déjà morts, car nous nous livrons
nous-mêmes à la mort en nous immergeant dans ces énergies physiques limitées dès
le départ, qui se nivellent sans cesse jusqu'au niveau étale de la mort.
Il y a donc une promotion humaine à réaliser. Il faut que le niveau de la vie
constamment s'élève. Il faut que les énergies physico-chimiques se transforment. Il
faut que la biologie s'éternise. Il faut que toutes les fibres de notre être se libèrent et
expriment notre pouvoir créateur, en laissant deviner et en communiquant cette
source de nous est appelé à être.
C'est pourquoi l'au-delà n'est pas à situer après la mort, il est d'abord un au-delà de
la biologie et il est en réalité un au-dedans.
Rigoureusement parlant, en effet, on ne peut parler d'après la mort, parceque le
disque du temps tourne autour d'un centre immobile, parce que la vie devenue
valeur est une vie intemporelle, une vie supra-temporelle, ou, comme disait
MOUNIER : «une survie», non au sens d'une vie «après», mais au sens d'une vie qui,
dès maintenant, se dépasse, d'une vie qui se transforme et se transfigure, d'une vie
qui s'éternise et s'universalise, en faisant de chacun, un bien commun, c'est-à-dire
un être unique que toute l'humanité est intéressée à défendre, parce qu'il est pour
tous un ferment de libération irremplaçable.

REFONTE DU MOI.
Il est clair qu'une telle transformation est inconcevable si elle n'atteint pas le tout de
nous-mêmes. 0n ne peut imaginer, en effet, un être en état de générosité, un être
qui devient vraiment lui-même, qui atteint réellement à son moi-valeur, sans que sa
chair tout entière se transfigure, s'allège de sa pesanteur et échappe à la convoitise
qui la subordonnerait aux énergies cosmiques. Il est normal, au contraire, qu'elle
irradie dans l'univers cette paix intérieure qui eurythmise toute chose, qui répand
son harmonie autour d'elle et qui peut, comme SAINT-FRANÇOIS, se diffuser jusque
dans la conversation avec les animaux, en réalisant l'unité de toute la création dans
le coeur du Premier Amour.
C'est dans ce sens que l'on peut comprendre le mot de VALÉRY disant, par boutade
sans doute et peut-être pour paraître plus cynique qu'il ne l'était vraiment :
«Ce que j'ai de plus profond : ma peau !».
Oui, dans un sens , la peau c'est quelque chose d'infiniment précieux. La peau
respire et on meurt si la peau cesse de respirer. La peau perçoit, la peau connaît et
c'est admirable ce qu'elle peut discerner dans l'univers.
C'est à travers la peau que passe le sourire et toute la lumière de la tendresse. Oui,
la peau ... A condition que ce soit la peau revêtue de sa dimension humaine et
promue à la dignité de sujet, la peau devenue visage et sacrement de ce moi-
nouveau , issu de la nouvelle naissance, qui consume le moi possessif et préfabriqué
dont nous ne cessons d'être encombrés.
C'est évidemment à partir de là que le problème de la mort à la fois se pose et se
résout. Rien n'est plus étonnant, cependant, que ce fait : que l'immense majorité des
hommes ne remettent pas en question leur moi. Ils prennent leur moi pour argent
comptant. Ils ont dit «Je» et «Moi» depuis l'âge de deux ou trois ans avant d'avoir
rien choisi, et c'est toujours sur ce «Je» et «Moi» préfabriqués qu'ils posent les
fondations de leur vie. C'est toujours autour de ce moi infantile que se nouent leurs
revendications et ils défendent avec le bec et les ongles un «moi» qui leur est tombé
dessus, dont ils ne sont nullement les auteurs et qui est, au contraire, la limite de
leur croissance et l'obstacle essentiel à la constitution de leur personnalité.
C'est précisément à partir d'une refonte radicale de ce moi-objet que doivent
s'accomplir la transfiguration et la transmutation qui nous arrachent à la mort et
préludent à notre résurrection.
Rien ne rend plus sensible cette transmutation que la mort de SAINT-FRANÇOIS.
Dans la mort du POVERELLO, en effet, nous sentons le merveilleux accord d'une chair
tendue elle-même vers la rencontre avec la Présence dont elle vit - car c'est une
chair consacrée, une chair stigmatisée, une chair presque déjà glorifiée - nous
sentons, dis-je, le merveilleux accord entre cet élan d'une chair transfigurée avec le
regard intérieur que va combler le face-à-face avec la divine Lumière. Quest-ce qui
va mourir en lui ? Oui, en FRANÇOIS, qu'est-ce qui peut mourir encore ?
Les dernières traces d'une biologie qui n'est pas encore totalement purifiée ?
Car il n'y a que la mort qui meure. Seul peut mourir, en effet, ce qui est déjà mort.
Seule donc meurt la mort, encore une fois : ce qui a déjà cessé ou n'est plus capable
de vivre.
Est-ce alors qu'il y aurait en lui, à cette heure, quelque vestige d'une inclination
encore insuffisamment éternisée ? 0u bien, n'est-ce pas plutôt la dernière attache
qui le relie à ce monde et pour vivre en lui qui va se rompre, parce qu'il est devenu
pleinement source et origine, qu'il n'a plus rien à emprunter au monde et qu'une
rampe de lancement n'est même plus nécessaire à son élan.

VERS LA RÉSURRECTION.
Aussi bien, si notre corps est d'abord le cordon ombilical qui nous enracine dans le
monde physique pour y vivre, il est plus que cela, et rien ne prouve, s'il est vraiment
humanisé, qu'il ne puisse subsister, sous un aspect d'ailleurs impossible à imaginer,
pour vivre, non plus dans la dépendance de ce monde, mais dans une entière
libération de lui.
Je répète que le cadavre n'est plus le corps, n'est aucunement le corps, mais un
conglomérat d'éléments sans liens organiques, en voie de dissolution. Cela permet
de poser la question : si notre corps en tant que conditionné par notre habitat
terrestre, prend une forme relative à lui, quelle forme peut-il prendre quand il a
cessé d'en dépendre ?
L'embryon dans le sein maternel n'a-t-il pas toutes les promesses de la vie, comme
les nucléons, c'est-à-dire les éléments infimes du noyau atomique qui sont, dans la
matière, le réservoir de toutes les énergies ?
Ne peut-on concevoir analogiquement, dans cette perspective, que le corps réduit à
son essence, à sa longueur d'onde caractéristique, demeure en dépit du cadavre,
comme un germe de résurrection ?
Ne peut-on penser qu'au-delà de la mort - s'il a conquis son unité personnelle tout au
moins - l'être humain est de quelque manière, capable de subsister tout entier : sous
une forme qui échappe à toute manifestation sensible ? Je suis porté à le croire.
Quand on lit dans l'Évangile, les apparitions de JÉSUS après la Résurrection, on est
inévitablement frappé par une sorte d'ambiguïté.
Son corps est un corps qui peut se manifester dans le monde sensible, mais qui n'en
dépend plus. Et c'est pourquoi il a revêtu un mode d'existence qui déconcerte les
Apôtres et qui les remplit, à la fois, d'effroi et d'admiration.
C'est dans cette direction que nous cherchons l'image d'une survivance intégrale de
l'homme, en la considérant par hypothèse comme possible et en nous demandant
une fois encore : ne peut-on croire qu'un être comme SAINT-FRANÇOIS, qui s'est
tout entier transformé en lumière et en amour, qui s'est totalement libéré de sa
biologie, dont toutes les fibres sont vivantes de DIEU, ne porte plus rien en soi que la
mort puisse encore purifier, car il n'y a plus rien en lui à émonder. Tout est clair à
cette heure, tout est devenu transparent.
Cette défroque qu'il va laisser à la terre comme un placenta désormais inutile, ce
sont les éléments du monde qui ne sont plus susceptibles de vivre, mais ses disciples
perçoivent en lui la transfiguration, la transmutation de sa biologie, elle-même
éternisée. Ne peut-on penser qu'il en subsiste quelque chose - comme le noyau
atomique ou la particule la plus infime de ce noyau, comme l'embryon à son premier
commencement, pour donner une image intelligible dans notre monde - qui constitue
justement le germe de la résurrection ?
Et si cela est vrai proportionnellement pour chacun, peut-on aller plus loin et
admettre que la résurrection, le plein épanouissement du corps de gloire, puisse
s'accomplir pour chacun, aussitôt que se réalise ce que HEGEL, dans un tout autre
contexte, appelait :
«La parfaite adéquation du dehors au dedans»,
quand il devient définitivement source et origine, quitte à reconnaître que cette
résurrection ne se manifestera à tous et pour tous, qu'à la consommation de
l'Histoire ?

VOCATION EXALTANTE.
Si la biologie a été vraiment surmontée, si elle a été personnifiée, si elle a été
valorisée, si elle a été éternisée – s'il est admis, d'ailleurs, que le cadavre n'est pas le
corps - il m'est difficile de croire qu'il n'en subsiste quelque chose comme le germe
de la résurrection. Pour donner au corps toute sa valeur humaine et nous inculquer
cette vocation de créateur qui est la nôtre, il ne servirait de rien, en effet, de nous
engager de vaincre la mort, si nous ne pouvions transformer notre biologie, si nous
ne pouvions recueillir et éterniser le temps, si nous ne pouvions décoller peu à peu
des dépendances cosmiques : de manière à pouvoir vivre intégralement, sans
aucunement relever d'un emprunt à cet univers qui nous mettrait dans sa
dépendance et nous enfermerait dans ses limites.
Il y a en nous un appel urgent et qui est tout à fait conforme au sens même de
l'INCARNATION - où DIEU précisément, se fait chair, se manifeste dans le monde
visible - il y a en nous une vocation intérieure de glorifier notre corps, c'est-à-dire
d'en faire vraiment l'expression d'une vie créatrice et le sacrement de la Présence
divine. Si nous ne sommes pas tout entier dignité, personne, source et origine, nous
retombons dans une espèce de manichéisme extrêmement périlleux et nous risquons
d'être engagés dans une guerre absurde et destructrice du corps contre l'esprit ou de
l'esprit contre le corps.
Il me semble, au contraire, que l'harmonie de la Nouvelle Alliance et la splendeur de
l'INCARNATION, c'est de nous appeler à cette unité parfaite où le monde visible est
le Sacrement du monde invisible, où le temps se convertit en éternité, où la terre
devient le Royaume de DIEU et où l'Évangile Éternel s'exprime dans le rayonnement
de l'humaine bonté.
C'est cela qui peut seul constituer pour nous un horizon assez grand pour solliciter
notre enthousiasme et nous engager à une persévérante ascension. Quoi de plus
exaltant, en effet, que d'avoir sans cesse à nous recréer nous-même tout entier, pour
recréer du même coup, l'univers qui nous a fait d'abord une avance d'énergies ; en
lui retournant ces énergies, mais transfigurées dans le rayonnement de l'amour,
comme le fait SAINT-FRANÇOIS D'ASSISE quand il chante le «CANTIQUE DU
SOLEIL»

MORT OÙ EST TA VICTOIRE ?


C'est par cette voie, je pense, que nous ferons l'expérience non pas d'une mort subie,
mais d'une mort peu à peu vaincue, d'une mort don nous triompherons à mesure que
nous progresserons dans cet univers personnel qui coïncide avec notre libération, et
qui transparaît, parfois, dans le sommeil heureux d'un petit enfant : devant lequel
nous sommes tentés de nous agenouiller, parce que nous devinons, dans son
émouvante gravité, tous les possibles, encore intacts, qui pourront devenir en lui, la
manifestation de la grandeur créatrice de l'homme.
Est-il téméraire de déduire de ces réflexions que s'interroger sur ce qui se passera
après la mort est un problème mal posé et que le vrai problème, pour nous, est ce
qui se passera avant la mort : ce que nous déciderons de faire pour la vaincre ?
Un certain jour se lève en nous, quand nous nous perdons de vue dans
l'émerveillement de toute rencontre où transparaît la Présence unique, toujours
reconnue, parce que nous l'éprouvons comme un don qui suscite le nôtre. Nous ne
tentons pas de la définir. Elle s'atteste par sa propre clarté. En elle nous passons des
ténèbres à la lumière, de la servitude des instincts à la liberté des vertus, de la
dispersion où nous jettent l'inquiétude et l'ennui à l'unité du moi oblatif où nous
atteignons enfin à nous-même.
Nous découvrons alors qu'il n'y a pas d'autre chemin vers une existence dont la
plénitude se révèle indivisiblement comme fin et comme origine : que ce passage,
sous son aimantation, du dehors au dedans, où nous émergeons de notre nuit. On ne
voit rien ! mais on voit, et tout s'éclaire dans cette connaissance où l'on naît à soi
dans un Autre. Ici, vraiment, connaître, c'est être ou, tout au moins, devenir plus
être dans une vie qui s'éternise.
On conçoit mal quel supplément de vérité pourrait nous apporter ici une
manifestation sensible des trépassés. Les signes qu'ils nous pourraient donner
s'inscriraient inévitablement dans les limites dont nous avons précisément à nous
affranchir, et nous détourneraient d'un au-delà qui est au-dedans.
Ce n'est pas du dehors que l'expérience s'en peut induire en nous. Il nous faut
devenir cette «survie» pour en percevoir la réalité et y découvrir la Vie de notre vie.
La vraie mort est de n'y point atteindre et non la mort physique, dont nous pouvons
faire un acte de vie par une progressive libération qui obtient en elle sa suprême
maturité.
Une telle libération engage nécessairement tout notre être, aliéné à soi tant qu'il
n'est pas devenu source et origine en s'identifiant avec la Générosité mystérieuse qui
nous fait passer du dehors au dedans.
Notre vie mentale, plus encore que notre vie charnelle, a besoin de cette radicale
intériorisation. Mais la chair autant que l'esprit y trouve sa joie et sa lumière dans la
transparence où elle respire : dès qu'elle se recueille dans la «Musique silencieuse»
qui est un autre nom de DIEU.
C'est pourquoi SAINT-PAUL, qui se mouvait avec une parfaite aisance dans un corps
affranchi de toute convoitise, nous a donné cette consigne qui scelle notre unité dans
la dimension divine où la chair et l'esprit s'échangent et s'identifient dans une
indissoluble offrande :
«Portez et glorifiez Dieu, dans votre corps»

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