Faculté de médecine, Université Henri-Poin- caré-Nancy 1, 9, avenue de la Forêt-de- Haye, BP 184, 54505 Vandœuvre-lès- Nancy Cedex, France.
ans l’enthousiasme de la humain. » Mais, il n’y a pas de bonne
« La santé pour tous en l’an
D paix retrouvée, les trente médecins qui, en 1945 et 1946, à Paris, puis à New York, définissent les mis- sions de la future Organisation Mon- diale de la Santé (OMS), revendi- quent des objectifs plus qu’ambitieux. santé possible dans la pauvreté et l’indignité des conditions de vie. Quand l’OMS et l’UNICEF (United Nations Children’s Found) rassem- blent en 1986 la première Confé- rence internationale sur la promotion de la santé, le texte final, dit « Charte 2000… » Lorsque cet appel Si nous ne sommes pas idéalistes d’Ottawa », formule les « conditions mobilisateur a été lancé en 1977 aujourd’hui, disent-ils, quand le sera- préalables à la santé ». On mesure par l’Assemblée Mondiale de la t-on ? On a beau jeu, aujourd’hui, de alors la distance qui sépare les prin- Santé, il s’agissait, non pas de critiquer cet optimisme : pouvait-il en cipes de 1946 et les réalités de la fin l’« état de complet bien-être être autrement ? Parmi les trois pion- du siècle. « Les conditions fondamen- niers qui, en 1945 à San Francisco, tales de la santé sont la paix, un abri, physique, mental et social » dans les coulisses de l’Organisation l’éducation, la nourriture, un revenu, évoqué en 1946, mais d’« un des Nations Unies (ONU) naissante, un écosystème stable, des ressources niveau de santé… permettant… avaient eu l’idée de l’OMS, l’un était durables, la justice sociale et l’équité. de mener une vie socialement et brésilien, l’autre chinois [1]. La L’amélioration de la santé exige conférence de San Francisco va d’être solidement ancrée sur ces pré- économiquement productive ». En adopter à l’unanimité une motion requis fondamentaux. » l’an 2000, l’objectif est aussi sino-brésilienne permettant, en 1946, Cette proclamation rappelle et lointain – sinon plus – qu’il y a la signature de la charte de l’OMS. explique la persistance de l’inégalité vingt ans. L’état de santé reste Ainsi, deux géants du « tiers- sociale de santé dans les pays indus- monde » sont acteurs, à ses origines, trialisés. Elle éclaire aussi violemment catastrophique dans les pays les de la grande aventure internationale l’inégalité de santé entre les pays plus pauvres. Les services de de la santé publique moderne. riches et les pays pauvres : quel pays santé ne sont pas accessibles à la du tiers-monde garantit à la majorité majorité de leurs citoyens et, là De Paris à Ottawa, de ses habitants, trois des « conditions 1946-1986 : préalables à la santé » ? où ils existent, leur qualité est Dès lors, quels sont les enjeux de souvent médiocre. Des décennies les impossibles prérequis de la santé santé publique pour les pays en déve- d’efforts véritables, d’erreurs et de loppement ? Les politiques de santé réalisations dérisoires, de projets « La possession du meilleur état de doivent-elles attendre que les condi- généreux et de discours ambigus santé qu’il est capable d’atteindre, dit tions préalables à leur efficacité la Constitution de l’OMS, est un des soient assurées pour la plus grande ont abouti à un cuisant échec. droits fondamentaux de l’être part de leur population ? Ou bien
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doivent-elles prendre à leur compte lande un taux de 35 pour 1 000. Les peuvent les acheter). Les centres de ces prérequis et en faire leurs objec- pays d’Europe centrale et orientale santé de base fonctionnent au ralenti ; tifs au-delà de leurs missions tradi- ayant la meilleure espérance de vie à les personnels de santé n’y sont pré- tionnelles ? Le constat actuel, les la naissance sont ceux où les inégali- sents que 2 à 3 heures par jour ; faute échecs observés, appellent des straté- tés de revenu sont les plus faibles [3]. d’y être accueillis, et sachant qu’ils gies nouvelles. Dans les pays les plus pauvres, en n’y trouveront pas de médicaments, Afrique sous-saharienne, en Asie du les gens ne viennent pas. Au Laos, en L’état de santé Sud, en Amérique latine, le tableau 1999, des centres de santé étaient dans les pays reste dramatique. Le rapport 1999 de considérés comme fonctionnant bien en développement l’OMS sur la santé dans le monde s’ils recevaient au moins 7 patients rappelle que « plus d’un milliard de par jour. De grands progrès ont été faits au personnes vont aborder le XXIe siècle Les politiques du médicament sont cours de la seconde moitié du sans avoir profité de la révolution peu efficaces. Les pays sont très XXe siècle. L’espérance de vie a plus sanitaire : leur vie demeure brève et dépendants des groupes pharmaceu- augmenté que dans les quatre millé- marquée par la maladie » [2]. tiques internationaux : ceux-ci ont naires précédents. Les politiques de La « transition épidémiologique » du tout fait pour les empêcher de créer vaccinations ont eu un effet incontes- tiers-monde constitue pour les pays une industrie locale qui aurait pu table. La variole a été éradiquée. Le concernés un « double fardeau ». fabriquer, à bas prix, des médica- programme élargi de vaccinations Alors que les maladies infectieuses, ments génériques en se limitant aux entrepris par l’OMS et l’UNICEF a les carences nutritionnelles et les médicaments dits essentiels, et de permis une considérable régression complications de la grossesse et de valoriser les thérapeutiques tradition- de la poliomyélite, du tétanos néona- l’accouchement sont loin d’avoir dis- nelles. L’industrie occidentale n’a pas tal, de la rougeole. Certaines endé- paru, les affections dégénératives, les assez développé la fabrication de mies tropicales comme la dracuncu- cancers et les accidents constituent molécules ou de vaccins actifs sur les lose et l’onchocercose ont vu une cause croissante de maladies et maladies tropicales, en raison de la diminuer leur incidence et leur préva- de décès. Le terme de transition n’est non-solvabilité des populations lence grâce à des politiques préven- pas approprié pour les pays les plus concernées ; elle s’est contentée de tives ou curatives efficaces. vulnérables ; il serait plus opportun commercialiser les produits déjà mis Deux éléments nuancent ce constat de parler d’une addition de deux sur le marché des pays riches. globalement favorable. Ces progrès situations épidémiologiques. Les Localement le stockage et la distribu- ont essentiellement concerné les pays maladies non transmissibles consti- tion des médicaments laissent beau- économiquement les plus avancés et tuent déjà 40 % des années de vie coup à désirer. L’usage de médica- ces indicateurs globaux masquent les perdues, corrigées de l’incapacité, ments « anonymes », sortis de leur inégalités d’état de santé d’un pays à dans les pays les plus pauvres [2]. conditionnement, périmés, et de l’autre et à l’intérieur des pays. Des A ce double fardeau s’ajoutent main- contrefaçons, est fréquent. Des médi- maladies accessibles aux soins pré- tenant l’infection par le VIH, dont on caments distribués dans les hôpitaux ventifs et curatifs gardent une fré- sait la tragédie qu’elle représente ou envoyés de pays occidentaux par quence considérable : la tuberculose notamment en Afrique et en Asie du des émigrés sont vendus sur la plu- reste responsable de près de 2 mil- Sud-Est, et le tabagisme, dont on part des marchés locaux. lions de décès annuels. Le paludisme, estime qu’il tuera près de 500 mil- dont l’éradication avait été program- lions de personnes, soit près de 10 % L’échec du modèle mée pour 1970, provoque chaque de la population mondiale. Les pays à biomédical année 300 millions de cas cliniques haut revenu, pour la plupart, se et un million de décès [2]. dotent de politiques de lutte contre Les pays en développement, au En résumant, l’état de santé du l’usage du tabac, qui commencent à moins ceux qui ont été colonisés, monde a fait des progrès mais l’écart porter leurs fruits. Les industriels ont montrent la caricature des insuffi- entre les pays riches et les pays reporté leur effort de marketing dans sances d’une organisation des ser- pauvres s’est accru. Cependant, les l’immense marché que constituent les vices de santé fondés sur une logique pays pauvres sont loin d’être homo- deux milliards de jeunes vivant dans biomédicale. Ils rendent plus évident gènes. Le Sri Lanka, avec un PIB (pro- les pays pauvres ; une véritable héca- ce qu’un examen approfondi met duit intérieur brut) de 700 dollars par tombe est délibérément planifiée. aussi en lumière dans les pays indus- habitant, a une mortalité infantile de Enfin, il faut évoquer l’inefficacité et trialisés. Les conséquences en sont 16 pour 1 000, inférieure à celle de la mauvaise qualité de la plupart des cependant différentes. Ici les progrès l’Argentine (22 pour 1 000, PIB/h = systèmes de santé. L’hygiène de la économiques et sociaux ont permis 8 030 dollars) et identique à celle des plupart des hôpitaux du tiers-monde une élévation du niveau de santé telle Émirats Arabes Unis (16 pour 1 000, est déplorable, les soins n’y sont sou- que les systèmes de soins, en jouant à PIB/h = 17 400 dollars). Le Costa Rica vent qu’une caricature de médecine, la marge, ont apporté une valeur a un taux de mortalité infantile de 13 mettant en péril la santé des soignés ajoutée non négligeable malgré leurs pour 1 000 ; avec un PIB/h proche du et des soignants (par exemple, ceux- défauts. Là, l’insuffisance de l’amélio- sien (2 600 dollars), le Panama voisin ci ne disposent pas de gants leur per- ration des conditions de vie a laissé a un taux de 23 pour 1 000, le Pérou mettant d’éviter les accidents d’expo- aux seuls services de santé la respon- un taux de 48 pour 1 000, la Thaï- sition au sang lorsque les usagers ne sabilité des progrès de l’état sanitaire.
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La tâche était titanesque : il aurait de soins comportant un niveau tiel des services de santé par les usa- fallu s’y essayer avec des méthodes secondaire – celui des districts – et un gers est alors apparue comme une originales, spécifiquement étudiées niveau tertiaire – celui des grandes idée légitime, à condition qu’elle soit pour répondre à cette situation, et villes et des régions – ; les soins de assortie de mesures d’accès aux soins non pas décalquer le modèle occi- santé de base n’étaient acceptables pour les personnes les plus dému- dental d’organisation des soins et de que si ceux qui avaient une maladie nies, et que la qualité des services formation des professionnels de grave pouvaient accéder aux autres soit améliorée. santé. niveaux, et cela n’était pas possible si La réunion à Bamako en 1987, sous Aucune analyse préalable des besoins les citadins et les personnes aisées l’égide de l’UNICEF et de l’OMS, des et des demandes de la population n’a recouraient directement à ceux-ci. ministres africains de la Santé, allait été menée. Il aurait fallu la synergie L’existence de ces trois niveaux de dans ce sens. Il s’agissait de répondre de l’épidémiologie et des sciences soins exigeait une vision d’ensemble, à la dégradation des services de santé humaines pour explorer non seule- une circulation des compétences et des pays en développement, de res- ment l’état sanitaire, mais aussi les des informations de l’un à l’autre. taurer la confiance des usagers, de représentations, la part de la santé D’autre part, les soins de santé pri- relancer la politique des soins de dans l’expression des cultures, le maires, par définition globaux et santé primaires. poids de l’organisation sociale, le rôle transversaux, ont vite été transformés, « L’initiative de Bamako » représentait de l’affectivité et des structures fami- dans la tradition du modèle biomédi- un ensemble cohérent de mesures de liales. cal, en une série de programmes ver- réforme du secteur de la santé, arti- A quelques exceptions près, rien de ticaux placés les uns à côté des culé en huit principes : l’engagement tout cela n’a été fait. Du temps des autres, chacun avec ses finance- des États à développer ce secteur, et colonies, et après l’accès à l’indépen- ments, ses structures et ses person- en particulier à assurer des services dance, on a bâti de grands hôpitaux nels : programme élargi de vaccina- disponibles à tous, la mise en œuvre dans les villes importantes. Si la tions, programmes de lutte contre les d’une politique de médicaments construction était souvent financée diarrhées ou les infections respira- essentiels, la décentralisation des pro- par les pays occidentaux, les coûts de toires aiguës, programme de « santé cédures décisionnelles vers les dis- fonctionnement étaient d’emblée reproductive », lutte contre la malnu- tricts, la gestion décentralisée et com- insupportables pour les pays rece- trition, etc. munautaire des structures de base, la veurs. Ces structures rencontraient Une logique trop exclusivement fon- participation des communautés (en certes les demandes des classes diri- dée sur le modèle médical occidental fait des usagers) au paiement des geantes, formées dans des écoles a aussi freiné la mise en œuvre de soins, donc à l’approvisionnement en occidentales. A tant consommer pour mécanismes de participation commu- médicaments et au salaire du person- les grands centres hospitaliers, il res- nautaire, qui auraient permis la ges- nel, le soutien financier public aux tait peu pour les services de base et tion des structures de base par des soins de santé primaires, les mesures les services intermédiaires. « Les sys- instances locales. L’émergence de spécifiques d’accès aux soins pour les tèmes de santé des pays en dévelop- celles-ci se heurtait à l’insuffisance plus pauvres et la fixation d’objectifs pement souffrent d’inadaptation et en d’une culture de démocratie, ainsi intermédiaires et de critères d’évalua- particulier de surdéveloppement des qu’à l’indigence des salaires, qui tion. structures hospitalières face à une encourageait les professionnels de Initialement limitée aux pays pathologie qui relève avant tout santé à s’approprier une grande part d’Afrique subsaharienne, l’initiative d’actions extra-hospitalières », disait des recettes engendrées par cette ges- de Bamako a été étendue quelques dans les années 1980 Michel tion. années plus tard à des pays d’Asie Aurillac, ministre français de la (Yemen, Myanmar, Cambodge, Viet- Coopération (cité dans [4]). En dehors Les grandes réformes nam), d’Amérique latine (Pérou). Elle des églises et des organisations carita- des années 1980 a reçu un large appui des organisa- tives, les pays développés se sont peu tions internationales et des instances intéressés à ces niveaux de soins. Les Il était devenu évident, dans les de coopération gouvernementales et réseaux des dispensaires et des années 1970, que les États n’étaient non gouvernementales. centres de santé, réduits à la portion pas en mesure de financer, en Certains résultats sont encourageants, congrue par l’indigence des finances volume et en structure, les services concernant notamment la couverture publiques et la part prise par les hôpi- publics qui constituaient l’essentiel vaccinale et les soins prénatals. Des taux, ont rarement bien fonctionné. de leurs systèmes de santé. Les poli- services de santé de base se sont Le personnel de santé, formé en occi- tiques d’ajustement structurel impo- développés et ont vu leur fréquenta- dent ou à l’occidentale n’était pas sées aux pays en développement par tion s’accroître ; des centrales d’achat préparé à exercer dans des structures la Banque mondiale et le Fonds et de distribution des médicaments de base ; il faisait tout pour ne pas y monétaire international pour leur essentiels génériques (MEG) ont vu le être affecté ou ne pas y rester. permettre de rembourser leur dette jour ; du fait d’une meilleure gestion De ce point de vue, la Déclaration en diminuant leurs dépenses du prix du médicament, les dépenses d’Alma Ata, en 1978, a été mal com- publiques, ont contraint les pays de santé des familles ont pu dimi- prise. D’une part, elle mettait l’accent pauvres à diminuer encore les res- nuer, dans quelques pays, en dépit du sur les soins de santé primaires sources qu’ils affectaient à la santé et paiement des consultations. Pourtant, comme éléments de base de systèmes à l’éducation. L’autofinancement par- tous les espoirs ne sont pas satisfaits.
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L’utilisation des MEG se heurte à de quences sur l’économie des pays en voix dans les instances internatio- grandes résistances et à des pressions développement des politiques néo- nales, avantages culturels (francopho- des firmes pharmaceutiques ; la libérales dans lesquelles s’inscrit l’ini- nie…). notion d’indigence, qui devait fonder tiative de Bamako. Les programmes de coopération sont la gratuité des soins, n’est pas claire ; la plupart du temps imposés aux pays souvent ignorée, elle rend inéquitable La santé receveurs, sans possibilité pour eux l’utilisation des ressources. et l’aide publique de les négocier ou de les infléchir. Les plus grands obstacles concernent au développement ; Les programmes nationaux de lutte l’organisation communautaire et la coopération sanitaire contre le sida des pays africains sont l’attitude des personnels de santé. La internationale un exemple démonstratif d’importa- gestion des services de base par des tion de politiques de santé, non pen- structures communautaires se heurte Le terme de « coopération » a été créé sés avec les responsables des pays à l’absence de statut juridique et au lors de la période de décolonisation, bénéficiaires, par l’OMS et la Coopé- manque d’habitude du fonctionne- pour désigner des actions décidées et ration française [5]. ment démocratique : les pouvoirs menées en commun par des pays du Beaucoup de programmes de coopé- centraux et locaux n’y sont pas tou- nord et du sud, devant se substituer ration internationale, multilatérale ou jours favorables, la gestion financière aux opérations décidées par les seuls bilatérale, n’ont pas su aider à la mise s’accompagne d’abus de biens pays colonisateurs. Le terme était en œuvre d’une véritable politique de sociaux ou d’autres malversations ; la d’emblée irréaliste. Il aurait été plus santé, adaptée aux spécificités des lourdeur des contrôles administratifs conforme à la réalité de garder le pays en développement et ancrée est considérable. On appelle fausse- vocable « assistance technique ». dans la lutte contre la pauvreté. Le ment « financement communau- L’aide publique au développement cas de la Coopération française est taire » ce qui n’est que le paiement (APD) reste faible. En 1964, la confé- bien illustré par les rapports succes- individuel des prestations, et la rence des Nations Unies pour le sifs de l’Observatoire permanent de la réforme de Bamako apparaît pensée développement (CNUCED) deman- Coopération française [6] et dans en fonction de structures rurales tradi- dait que l’APD représente 1 % du PIB l’analyse que fait cet organisme du tionnelles alors que la majorité de la des pays développés, chiffre ramené rapport parlementaire élaboré par le population des pays en développe- ensuite à 0,7 % : ce taux n’est atteint député Y. Tavernier en 1998. La ment vit maintenant dans les villes et aujourd’hui que par quatre pays Coopération française n’a pas for- leurs banlieues. Enfin, l’absence de (Danemark, Norvège, Pays-Bas, mulé d’objectifs explicites en matière systèmes publics de protection Suède). La France consacre 0,45 % de santé ; 4 % seulement de l’APD sociale reste choquante [4]. seulement de son PIB à l’APD, les française va aux priorités du dévelop- Le problème des professionnels de États-Unis moins de 0,1 % (mais en pement humain, dont rend compte santé prend l’allure d’une véritable volume, leur part reste considérable). un indicateur synthétique combinant crise. La formation initiale n’est pas Les destinataires ne sont pas toujours l’espérance de vie à la naissance, le adaptée, la formation continue les pays les plus pauvres (un tiers de taux d’alphabétisation et le revenu absente ; il n’existe pas de collabora- l’APD française va aux DOM-TOM et moyen par habitant [7] (parmi les tions entre les personnels de districts le pays le plus aidé par les États-Unis 25 pays les moins bien classés par et ceux des structures les plus péri- est Israël). Dans l’après Seconde l’indicateur de développement phériques, et ces dernières ne bénéfi- Guerre mondiale, le plan Marshall humain – IDH – figurent 23 pays cient d’aucune supervision ; la partie pour la reconstruction de l’Europe d’Afrique subsaharienne largement des salaires versée par le service représentait 5 à 10 fois le volume de « aidés » par la Coopération française public est indigente, et servie avec la coopération mondiale des années depuis des décennies). Dès lors les retard ; le complément de ressources 1990, pour une population 5 à 10 fois priorités affichées concernent les ser- permis par le paiement des usagers ne moindre. Si l’on considère que les vices de santé ; elles ne sont pas fon- suffit pas à combler ces manques ; programmes de santé représentent dées sur l’analyse des besoins de finalement, et surtout, le manque de 10 % de l’APD, on mesure la modi- santé des populations et envisagent motivation et l’absence de conscience cité de la coopération sanitaire inter- d’emblée les réponses. D. Kerouedan d’un devoir éthique ne permettent pas nationale, même si l’on y ajoute le et J. Brunet-Jailly font remarquer que l’amélioration espérée des perfor- secteur privé des organisations non la Coopération française ne s’est pas mances. gouvernementales. servie de l’expertise accumulée par Malgré des améliorations encoura- La coopération comporte d’autres ses assistants techniques [4]. Les poli- geantes dans quelques pays (Burkina limites. Elle donne une priorité offi- tiques de coopération fondées sur la Faso, Guinée, Mali, Malawi, Maurita- cielle (« aide liée ») ou officieuse aux réforme des services font l’impasse nie, Nigeria, Sénégal), les réformes intérêts des pays prestataires : soutien sur les autres déterminants de la entamées à la fin des années 1980 ne aux entreprises et aux exportations de santé, économiques et sociaux. Elles suffisent pas à engager la « révolution biens et de services (matériel médi- singularisent la coopération sanitaire sanitaire » appelée par l’OMS, encore cal, médicaments, construction au lieu de l’intégrer dans une véri- moins à compenser les effets négatifs d’hôpitaux, utilisation des compa- table politique d’aide au développe- des politiques d’ajustement structurel gnies aériennes…), conditions avan- ment. Les vrais enjeux de la santé sur le niveau des dépenses publiques tageuses d’exploitation de ressources dans le tiers-monde sont en amont sociales et d’éducation, ou les consé- naturelles, pressions pour disposer de des services de santé.
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Les priorités Toute politique de santé dans le tiers- raît de plus en plus dérisoire. Il faut se de l’amélioration monde doit d’abord se fondre dans garder, lorsque l’on soumet le déve- de la santé une politique plus globale répondant loppement des politiques de santé à aux impératifs de développement la condition d’une amélioration du dans le tiers-monde humain définis par le Programme des revenu des personnes, de conclure Les conditions préalables… Nations Unies pour le Développe- que la croissance économique est le ment : augmentation du revenu et préalable à toute amélioration du La première priorité est d’arrêter de réduction des inégalités sociales, aug- bien-être. La croissance économique, mettre la charrue avant les bœufs. Le mentation du niveau de scolarisation, mesurée à l’aune des agrégats natio- discours de la Banque Mondiale est en particulier pour les filles et les naux, n’est pas le développement, erroné, qui répète à l’envi que « de jeunes femmes, mesures générales de mais sa conséquence. bonnes pratiques de santé, de nutri- politique économique allégeant la Sur un autre plan, il est illusoire tion et de contrôle de la fertilité, et dette, fournissant aux pays en déve- d’attendre une efficacité significative des services de santé efficaces sont loppement une aide juridique pour des politiques sanitaires sans change- les chaînons vulnérables dans la suc- leur permettre d’avoir plus de poids à ments structurels. Des alternatives cession des événements qui permet l’Organisation Mondiale du Com- commencent à se manifester. Face à aux nations de sortir du cercle infer- merce (OMC). Il faut sans cesse insis- l’uniformisation actuelle des modèles, nal de la pauvreté, de la fécondité ter sur la nécessaire cohérence du elles ne peuvent résider que dans la excessive, de la mauvaise santé et de développement : ce sont les mêmes diversité, les réalisations à petite la faible croissance économique, en qui doivent plaider et agir pour plus échelle, au niveau de groupes philo- lui substituant un cercle vertueux de de justice économique et pour des sophiques, religieux, socioprofession- productivité plus forte, de faible ferti- programmes de santé efficaces. nels, de communautés locales, de lité, de meilleure santé et d’augmen- L’environnement constitue une autre mouvements de défense de l’environ- tation des revenus » [8]. priorité à l’amélioration de la santé. nement, d’engagements féministes ou Il faut cesser de vouloir obtenir des La pénurie croissante d’eau douce, la pour l’égalité des sexes. Ce n’est pas personnes des « bonnes pratiques de pollution d’origine industrielle et agri- le lieu ici d’en faire l’inventaire. Il santé » ; au risque de paraître excessif, cole, la surexploitation forestière et faut seulement insister sur le fait que il faudrait aujourd’hui ne plus entre- des ressources minières appellent des les responsables sociaux, les déci- prendre de programmes d’« éducation systèmes de contrôle international deurs des politiques de coopération sanitaire » : ceux-ci, en mettant pour faire diminuer leurs causes et internationale, les responsables de l’accent sur le changement des com- des solutions technologiques coû- santé publique ne peuvent les igno- portements individuels, font implici- teuses pour atténuer leurs consé- rer. Il est encourageant de voir les tement peser sur les personnes la res- quences. La gestion des villes, et plus rapports récents de la Banque Mon- ponsabilité des problèmes de santé, particulièrement des mégalopoles du diale ou de l’OMS tenir des discours alors que les populations, écrasées tiers-monde est un enjeu capital dont dans ce sens : il faut exercer une véri- par la pauvreté et la non-satisfaction les solutions relèvent encore pour table veille auprès de ces organismes de leurs besoins de base, n’ont pas la une part de la recherche technolo- pour vérifier la conformité des dis- liberté de choisir leurs comporte- gique et en sciences humaines. Les cours et des pratiques, témoigner et ments. La scolarisation des filles a appels à un développement plaider dans les réunions et les dis- beaucoup plus d’effets sur le recours « durable » (il est dommage de ne pas cussions, à quelque niveau qu’elles à la contraception, sur la fréquence avoir traduit littéralement par « soute- se tiennent… Garder le « pouvoir de des malnutritions ou la gravité des nable ») ont, depuis 1972 et en parti- s’indigner » est, dans le domaine diarrhées, et finalement sur la morta- culier durant les années 1980, mis social, l’un des moyens de prévention lité infantile, que la masse des pro- l’accent sur l’estimation du coût de des violences institutionnelles : on grammes verticaux d’éducation à la l’altération de l’environnement liée à peut transposer cet objectif à l’échelle santé imposés à des populations qui l’exploitation des matières premières, mondiale ; le sous-développement est n’ont même pas la possibilité de s’y sur la nécessité de préserver le droit une violence sociale et institution- soustraire. L’amélioration de la qua- des générations futures à recevoir un nelle. Cessons de vouloir le résoudre, lité des soins prénatals et des soins patrimoine identique à celui que les avec générosité et naïveté, par des obstétricaux, et donc de la motivation précédentes ont trouvé, sur la réparti- programmes sectoriels ne remettant et des compétences des personnels tion équitable des fruits du dévelop- pas en cause les mécanismes qui le concernés, réduit plus sûrement la pement. Tout cela n’a guère dépassé provoquent, l’entretiennent ou mortalité maternelle que l’informa- le niveau des discours et n’a pas l’aggravent. tion incantatoire des femmes sur la modifié les modèles et les méca- nécessité de la surveillance prénatale nismes décisionnels de l’économie Les politiques de santé [9] à laquelle elles se soumettraient mondiale. spontanément si elles étaient bien Le dénominateur commun à ces pro- La recherche sur les systèmes de accueillies dans des services propres, blématiques relève pour une bonne santé, appliquée aux pays en déve- bien équipés, animés par des profes- part de la dérégulation économique loppement, est pauvre en France, par sionnels bien formés. et de la concentration des moyens comparaison avec les pays de langue La mise en œuvre de la charte industriels à une dimension vis-à-vis anglaise ; elle n’est pas considérée d’Ottawa apparaît incontournable. de laquelle le pouvoir des États appa- comme une priorité ou, pire, elle est
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parfois vue comme un luxe inutile très médicocentrées, non accessibles des structures intermédiaires ne peut dans un contexte où la gravité des aux personnels du terrain. Des moda- être, malgré les difficultés, autre que problèmes rendrait l’action d’urgence lités alternatives sont à trouver, par communautaire. Mais il faut cesser nécessaire. Seuls, en France, les tra- exemple des formations à distance, les incantations à la « santé commu- vaux d’économistes de la santé et les sur support traditionnel ou par Inter- nautaire » : il ne peut y avoir de programmes récents de l’Institut de net, tel que cela est actuellement démarche communautaire de santé recherche pour le développement essayé au Maroc, sur la base de hors d’un processus de développe- (IRD, ex-ORSTOM) échappent à cette l’expérience acquise par l’École de ment social communautaire. Une faiblesse. On peut sans doute consi- santé publique de Nancy. nouvelle génération de mouvements dérer que de celle-ci procède, par L’éthique professionnelle constitue un communautaires émerge, plus réa- exemple, l’absence ou l’insuffisance élément qu’il serait urgent d’inclure listes que dans les années 1970. Par des systèmes d’information sanitaire. dans les programmes de formation. exemple, les mutuelles du Mali, à Pour des indicateurs aussi fondamen- La médecine occidentale procède de propos desquelles un dirigeant taux que la mortalité infantile, l’OMS valeurs codifiées depuis plus de deux malien disait en 1993 que « l’émer- est obligée – sur la base de travaux millénaires, complétées par des réfé- gence de structures communautaires anglo-américains de modélisation – rences judéo-chrétiennes et constam- de soins semble la seule option de de recourir à des manœuvres de ment actualisées. Il n’existe pas une développement actuellement envisa- redressement des chiffres fournis par telle base culturelle pour la médecine geable » (revue dans [14, 15]). Bien les pays [2]. Des travaux récents des pays en développement, où les que plus exclusivement centrées sur montrent l’intérêt d’approches nou- valeurs inscrites dans les médecines la santé, les formations sanitaires velles de l’information sanitaire, par traditionnelles ne suffisent pas à fon- urbaines à base communautaire exemple en Équateur [10]. Les sys- der une éthique et une déontologie (FSU.com) en Côte d’Ivoire ont l’inté- tèmes à base épidémiologique, pour adaptées à la médecine moderne rêt d’adapter au contexte urbain ce indispensables qu’ils soient, ne peu- (mais elles peuvent y contribuer). qui a été pensé initialement pour les vent suffire à l’étude des besoins de Une autre forme d’éthique est à déve- campagnes. santé des populations. Le recours aux lopper ; elle concerne les dirigeants Un autre enjeu, pour conclure, est de sciences humaines est incontour- des pays du tiers-monde et les indus- considérer que les stratégies mises en nable ; si l’ethnologie de la santé s’est triels qui y font commerce. Il s’agit de œuvre au sud serviront aussi au nord. bien épanouie dans les pays en déve- définir des règles de bonne conduite Les pays industrialisés ont beaucoup loppement – et ici les travaux français commerciale à propos des produits à apprendre des pays en développe- font autorité – le savoir qu’elle a créé ayant une influence sur la santé. ment… ■ a été peu utilisé de façon opération- L’OMS et l’UNICEF ont pu faire nelle. La psychologie de la santé est accepter un code de commercialisa- pratiquement inconnue, alors que des tion des aliments infantiles ; ce code Remerciements travaux récemment publiés montrent est encore loin d’être appliqué, mais L’auteur remercie pour leurs précieuses infor- le rôle capital des facteurs affectifs, il existe. Les industriels du médica- mations et remarques les Docteurs Hadissa par exemple dans la survenue des ment et du tabac sont directement Tapsoba, Dominique Kerouedan, Françoise et malnutritions [11-13]. concernés. Dans le contexte politico- Michel Marquis, et le Professeur Jean-Claude Un second enjeu concerne la forma- économique mondial du moment, Fritz. Il exprime aussi sa reconnaissance, pour leur lecture critique et leurs conseils, aux Pro- tion des professionnels de santé. Là cela relève sans doute de l’utopie. Il fesseurs Anne-Marie Moulin et Gérard de Pou- encore, on manque d’études sur les serait alors souhaitable qu’au moins vourville. profils de compétences et les besoins soit mis en place par les pays – asso- de formations spécifiques au tiers- ciés pour la circonstance – des sys- monde. Les mécanismes actuels de tèmes de contrôle efficace, et que des sélection et de formation des ensei- réformes des procédures décision- gnants rendent inéluctable la repro- nelles des institutions de Bretton duction des schémas de formation Wood et de l’OMC donnent plus de des pays du nord. Pour ce qui poids aux pays en développement. RÉFÉRENCES concerne les médecins, les facultés Autre enjeu fondamental, l’organisa- « orientées vers la communauté » sont tion des services de santé doit être 1. Deschamps JP. De Paris (1946) à Ottawa (1986) : 40 ans de promotion de la santé. La encore rares ; l’exemple du Centre recentrée sur le niveau géopolitique Santé de l’Homme 1996 ; 325 : VI-X. universitaire de formation des profes- essentiel que constitue le district (ou sionnels de santé, à Ho Chi Minh- son équivalent). Vouloir développer 2. Smith GD, Egger M. Understand it all Ville (Vietnam), reste peu suivi. La les services de santé de base sans health, meta-theories, and mortality trends. Br Med J 1996 ; 313 : 1584-5. formation continue reste à créer. Elle asseoir des structures de référence pourrait être un moyen précieux de serait irréaliste ; ces dernières ne peu- 3. Organisation Sociale de la Santé. Pour un correction des erreurs de la formation vent être les grands hôpitaux alors réel changement : rapport sur la santé dans le monde 1999. Genève : OMS, 1999. initiale, à condition qu’elle ne soit que le niveau intermédiaire peut, pas confiée, pour l’instant, aux sans négliger les relations avec elles, 4. Kerouedan D, Brunet-Jailly J. La France a- mêmes institutions. Là où elle existe, être proche des soins de santé pri- t-elle une stratégie de coopération en matière de santé avec l’Afrique et Madagas- elle est souvent limitée à de brèves maires, et leur donner tout son sens. car. Paris, Observatoire permanent de la sessions, organisées dans la capitale, La gestion des structures de base et Coopération française, 2000 (sous presse).
1216 n° 11, vol. 16, novembre 2000
11. Geber M. L’enfant africain dans un RÉFÉRENCES monde en changement. Les champs de la santé. Paris : PUF, 1998. 5. Kerouedan D, Eboko F. Politiques Summary publiques du sida en Afrique. Centre 12. Geber M. L’abandonnisme en Afrique sud-saharienne. Les champs de la santé. Public health stake d’Étude d’Afrique Noire. Travaux et docu- ments. Paris : CNRS, 1999 ; 61-62 : 73 p. Paris : PUF, 1999. in developing countries 13. Roger-Petitjean M. Soins et nutrition des «Health for all in the year 2000!» 6. Floury B. Le discours de la coopération enfants en milieu urbain africain. Paroles de française en matière de santé depuis les When the World Health Assembly mères. Paris : L’Harmattan, 1999. indépendances. Observatoire permanent de issued this rallying cry in 1977 it did la Coopération française, rapport 1998. 14. Unger JP. Des solutions de rechange not mean the « state of complete Paris : Karthala, 1998 : 161-79. existent en Afrique. Le Monde Diploma- physical, mental and social well- tique, novembre 1993 : 24-5. being» evoked in 1946 but «a level 7. Observatoire permanent de la Coopéra- of health… permitting a socially and tion française. Aide publique au développe- 15. Thomazeau AM. La voie de la mutualité. ment : la réforme esquivée. Paris : Observa- Le Monde Diplomatique, novembre 1993 : economically productive life». In the toire permanent de la Coopération française, 24-5. year 2000 the objective is as remote 1999, document dactylographié, 5 p. as it was twenty years ago – if not still more so. The health status of the 8. Banque Mondiale. Health, nutrition and poorest nations remains catastrophic. population. Washington : The World Bank Group, 1997. Health services are inaccessible to the majority of citizens and where 9. Prual A. Grossesse et accouchement en they do exist their quality is often Afrique de l’Ouest. Santé Publique 1999 ; mediocre. Decades of real effort, of 11 : 155-91. errors and derisory outcomes, of generous projects and ambiguous 10. Briand S. Changement de paradigme statements have terminated in pain- dans l’évaluation des systèmes de sur- TIRÉS À PART veillance épidémiologique. Ruptures (Mont- ful failure. réal) 2000 (sous presse). J.P. Deschamps.