Un appelé s’en va-t-en

guerre . Verdun, souvenir douloureux

des braves tombés en 14-18.

Chaque régiment obtient sa

destination : nous, le 18ème R.I.
partons en direction de la

J
Moselle et fin septembre
e suis de la classe 38 et j’ai
prenons position entre la ligne
été incorporé en qualité
Maginot et la ligne
d’appelé le 4 novembre 1938.
A la déclaration de la guerre, le 2
septembre 1939, j’avais dix mois
d’armée !
Siegfried. C’est d’ailleurs dans
Certes, nous avions terminé
cette région, à une vingtaine de
les classes, mais je dois dire que
kilomètres de la frontière
nous n’étions pas prêts à nous
allemande, au nord-est de
battre pour autant !
Thionville, que nous allons vivre
J’appartenais au 3ème
l’amère expérience du
bataillon d’infanterie cantonné à
baptême du feu. Nous voyons
Bayonne, et le 7 ou le 8
tomber des camarades :
septembre, nous sommes partis
quelques blessés mais surtout
par le train, direction l’Est et
trois tués : deux landais et un
plus exactement la gare de triage
basque que nous enterrons au
près de Le Chemin, un village
cimetière de Kirschnaumen.
situé à treize kilomètres au sud
de Ste Menehould
Ces trois premiers tués
Deux autres bataillons partirent
nous marquent terriblement,
en même temps que nous de Pau,
parce que toute mort est, d’une
pour se rendre directement à Ste
certaine manière, absurde et
Menehould.
parce que nous réalisons à ce
moment que nous ne sommes pas
Nous resterons à Le
venus là pour rire mais que nous
Chemin une huitaine de jours.
risquons vraiment notre vie.
Notre encadrement est constitué
C’est ainsi qu’a commencé
d’un grand nombre d’officiers de
« la drôle de guerre ». Le moral
réserve, et ces derniers, des
est bon, les journées plutôt
classes 33 et 34 ont besoin d’un
calmes. Nous essuyons quelques
peu de temps pour se remettre
tirs de canons la nuit provenant
« dans le bain ». Ils mettent à
des patrouilles ennemies. Les
profit cette semaine pour revoir
Allemands nous font comprendre
leurs connaissances militaires.
qu’ils sont là et bien
Puis nous nous
là et nous nous
mettons en route et
organisons en
traversons le
conséquence pour
département de la
les surveillances de
Marne puis celui de
nuit.
la Meuse et nous
nous retrouvons aux
Certains diront
alentours de Verdun
qu’ils n’ont jamais
en compagnie des
eu peur. Pour ce qui
autres unités de la
me concerne, j’ai
36éme division. Nous attendons
toujours eu peur : à chaque
alors les ordres de destination.
déclenchement d’artillerie ou de
tir de mitrailleuses, pendant les
Le premier choc est
cinq premières minutes, j’étais
d’abord de voir toutes ces
pris de tremblements et je ne
croix aux alentours de De retour pouvais rien faire. J’étais agent
après le de liaison, mon chef de section
baptème du
feu.

1
 aurait pu me commander
n’importe quoi, dans l’immédiat,
j’étais incapable d’obéir aux
ordres : j’étais couché
sur le sol, paralysé. Puis, le
malaise disparaissait et je
redevenais maître de moi-même,
la situation m’apparaissait claire
et je partais partout où il le
fallait.
Mon rôle d’agent de liaison
n’est pas toujours drôle : je porte
les ordres au P.C. de la
compagnie, toujours en première
ligne, encore qu’à ce moment les
combats ne sont pas méchants.
besoin de manger, le système D
fonctionne plutôt bien !
Les tranchées creusées,
nous redescendons plus près de
Thionville, à Villerupt, Inglange,
Rivelange etc.. Nous sommes
remis en ligne plus haut
qu’Inglange.
C’est alors que le froid
s’installe ainsi que la neige et
le verglas. Nous qui venons de
régions au climat clément, nous
devons supporter un hiver très
rigoureux. Le jour, nous ne
souffrons pas trop, la tenue kaki
nous convient. Nous revenons Aux environs de

F
in octobre, début vers Etain, plus à l’ouest. Une Villerupt.
novembre 1939, nous partie du régiment y reste et
sommes alors relevés et la 9ème Compagnie dont je fais
nous nous mettons en marche partie est envoyée à cinq
vers Etain d’abord puis kilomètres de là, à Fromezey.
Thionville. Nous montons même Nous ne posons jamais de
jusqu’à Sierck-les-Bains, à la questions, nous ne savons jamais
frontière avec le Luxembourg, pourquoi nous bougeons, nous
entre les fortins de la ligne avons très peu de nouvelles des
Maginot. C’est à cet endroit que autres régiments, nous obéissons
cesse sa continuité et la aux ordres et c’est tout.
communication entre les

L
différents fortins, nous nous e temps passe, nous
trouvons à l’extrémité Est de la sommes alors à la mi-
France. Nous passons une décembre et nous avons
quinzaine de jours à creuser des connu de nouveau une période
tranchées et préparer le terrain. très calme. Lorsque Noël arrive
Nous nous attendons à être nous nous trouvons toujours à
attaqués à chaque instant, mais Fromezey et pour passer le
en fait c’est une période calme, réveillon dans une ambiance un
puisque rien ne se produit. peu chaleureuse, nous décidons
Lorsque nous avons fini de de nous rendre à Etain pour
creuser, comme il y a des lièvres trouver un restaurant où nous
en pagaille et bien que ce soit pourrons déguster de la dinde,
interdit, nous partons à la chasse ce qui nous demande un peu de
afin d’améliorer l’ordinaire. Nous patience, non pas dans la
les portons aux cuisines et nous recherche d’une auberge car la
pouvons enfin manger une région en est bien pourvue mais
nourriture convenable. Il faut parce que les hommes d’un autre
dire que les roulantes datent de régiment posté non loin de là,
la 1ère Guerre Mondiale et que le ont eu également la même idée :
matériel est complètement il y a donc pas mal de monde et
rouillé, ce qui n’aide nous devons attendre
pas à rendre la cuisine notre tour avant de
appétissante. A nous installer à table.
chaque fois que cela Nous sommes une
nous est possible, dizaine et nous
nous trouvons soit passons ainsi les fêtes
dans les endroits non de fin d’année d’une
évacués, soit dans la manière assez agréable,
nature, de quoi nous compte tenu de
restaurer un peu l’époque. Le jour de
mieux. l’An se déroule de la
Comme nous même manière, tout est
marchons beaucoup et calme.
qu’à vingt ans on a

2
 Il faut dire aussi que nous
avions reculé d’une distance
assez importante, l’ennemi était
loin, nous ne percevions aucun
mouvement de troupe, aucun
passage d’avions, rien. Nous
n’avions aucune nouvelle des
affrontements, nous ne savions
rien au sujet des autres
bataillons postés dans les
villages environnants. Je pense
que les officiers restaient en
liaison, puisque lorsqu’il y avait
ordre de mouvement, les autres
bataillons bougeaient également
dans un ordre bien précis.
Le seul souci, pour l’instant,
est le froid, toujours aussi vif
et les problèmes que cela
occasionne : nos déplacements
à pied, devenus périlleux avec
le verglas , à
cause de nos
chaussures à chevaux
clous qui
accentuent
encore le
glissement.
Comme
d’habitude, nous
supportons le
froid assez bien
le jour, mais les nuits demeurent
difficiles. Nous trouvons souvent
des granges pour nous abriter et
nous dormons sous une épaisse
couche de paille, mais cela ne
suffit pas. Il est arrivé qu’ayant
retiré nos chaussures avant de
nous endormir, nous ne puissions
plus les enfiler le matin tellement
elles étaient raidies par le gel, il
fallait alors les chauffer pour leur
rendre un semblant de
souplesse. Par la suite, nous
avons résolu le problème en les
gardant aux pieds pour dormir.
Nous ne pouvons même pas nous
réchauffer avec de la soupe bien
chaude puisque celle-ci refroidit
à peine versée dans les gamelles
glacées et nous devons casser le
pain pour pouvoir le manger.
Nous sommes tous logés à la
même enseigne, c’est pour
cette raison que nous
supportons tout cela plutôt
bien. Nous avons droit
également aux biscuits du soldat,
mais on nous conseille toujours
de les garder le plus possible
comme réserve au cas où le
ravitaillement n’arriverait pas.
Les roulantes sont
journalières et desservent
plusieurs détachements. Plus
tard, lorsqu’il y eut des combats,
nous ne pouvions pas toujours
aller chercher nos repas et il ne
nous restait que les biscuits.
P
uis l’ordre est venu de nous
déplacer encore, cette fois
en direction de Audun-le-
roman, à 35 km au nord, non
loin de Thionville. Il y a tellement
de verglas que les hommes
doivent relever les chevaux qui
ne tiennent pas sur leurs pattes
et pousser les voitures.
Lors de chaque déplacement, la
compagnie hors rang ferme la
marche, elle est composée du
maréchal-ferrant, des
menuisiers etc..
Normalement, les
devraient être
équipés de fers à
clous pour
accrocher sur le
verglas, mais
nous n’avons pas
le nécessaire.
Nous parvenons
ème ème
La 4La 4 tout de même à Audun-le-Roman,
Section
Section dede lala température est toujours aussi
la 9ème9ème basse, nous avons supporté,
Compagnie.
Compagnie.
pendant cet hiver jusqu’à –29° et
50 cm de neige.
D’ailleurs les effectifs
diminuent à cette époque, non
pas à cause des combats, mais à
cause de l’hiver : nombre de mes
camarades souffrent de
refroidissements, de bronchites,
de pieds gelés et doivent être
évacués.
Nous avons été placés dans
la 4ème Section de la 9ème
Compagnie et nous occupons un
moulin à grain dans lequel se
trouve un énorme poêle, ce qui
nous permet de nous chauffer.
Malgré nos déplacements,
je reçois le courrier que m’envoie
ma famille. La procédure est
simple : je suis sur le secteur 95
et ceux qui désirent m’écrire
adressent leur courrier « secteur
95 ». Il faut parfois un peu de
temps pour que le service des
postes nous situe exactement car
ce secteur, par exemple, s’étend
3
jusqu’à la frontière allemande,
mais je finis toujours par
recevoir les lettres qui me sont
destinées des mains du
vaguemestre.
Je suis resté à Audun-le-
roman jusqu’au 12 janvier, date
de ma première permission puis
j’ai quitté la ville pour rejoindre
Bayonne.
P
endant le voyage de retour,
dans le train, je suis pris
d’un violent mal d’oreille.
A mon arrivée, je n’en ai pas
envie mais je dois consulter un
médecin militaire qui m’envoie
immédiatement à l’hôpital car je
souffre d’une otite à réaction
mastoïdienne et l’abcès qui se
trouve à l’intérieur de mon
oreille risque d’ éclater à tout
moment et alors mon compte est
bon !
J’obéis, j’abandonne mon vélo et
je suis transporté d’urgence au
casino Bellevue à Biarritz,
transformé pour la cause en
hôpital.
Arrivé là-bas, le médecin
m’a à peine ausculté que l’abcès
perce. Je resterai dix jours à
l’hôpital puis encore dix jours en
convalescence. Ce problème de
santé est la conséquence du froid
que nous avons supporté.
Remis sur pied, je rejoins
mes camarades qui ont quitté
Audun-le-Roman pour Villerupt
de nouveau, plus au nord.
Nous y restons assez longtemps,
le mois de mars arrive et nous
recevons une bonne nouvelle :
l’ordre est donné de quitter la
région et de rejoindre Mailly- le-
Camp pour un mois et demi. Le
bilan n’est pas terrible, les
effectifs ont beaucoup diminué.
Nous devons être emmenés en
camion puisque la distance est
importante et on nous avertit que
notre transfert servira, entre
autres, à nous changer notre
matériel. A la place du Lebel et
du Mousqueton, nous devons
percevoir des Mas 36, armes
beaucoup plus légères, sans
recul et qui emploient les mêmes
cartouches que les fusils
mitrailleurs.
Ce n’est pas un luxe !
Malheureusement, nous
attendons les camions qui
4
n’arriveront jamais, nous
sommes donc contraints de
partir à pied.
Le déplacement est très
éprouvant, nous arrivons
complètement vidés à Mailly.
Sur place, on nous explique que
nous avons besoin de nous
réorganiser, que les renforts vont
arriver, tant en hommes qu’en
matériel : armement mais aussi
vêtements, enfin ! nous avons
besoin de beaucoup de choses.
Certains partent en
permission. Ils ne parviendront
malheureusement jamais chez
eux, car trois jours après, les
troupes allemandes entrent en
Belgique et au Luxembourg.
L
e premier régiment à partir
au combat est le 36ème R.I.,
les permissionnaires sont
récupérés en route, les
permissions bien sûr annulées.
Cette fois, les camions sont au
rendez-vous pour nous prendre ,
mais nous n’avons reçu aucun
renfort, aucun matériel, seules
les chaussures sont changées car
un magasin suit le régiment qui
nous fournit aussi en vêtements
de première nécessité, des
cartouches, nous n’en manquons
jamais, nous avons également
quelques grenades.
Nous remontons vers les
Ardennes, les allemands étant
arrivés à Sedan.
Notre départ a lieu vers 22-23
heures et nous parvenons à
destination le lendemain matin
un peu avant Rethel. La ville est
évacuée, nous la traversons à
pied pour nous rendre à Attigny,
à une vingtaine de kilomètres de
là.
Nous nous arrêtons à
l’entrée d’Attigny, au petit jour.
Tous les officiers de chaque
section partent prendre les
ordres et connaître les futures
positions auprès du capitaine.
Ils reviennent, quelques temps
après, nous avertir que nous
devons encore bouger et nous
rendre à Vouziers, quinze
kilomètres environ plus loin.
Entre Rethel et Vouziers,
nous traversons une zone plate
donc dégagée. Il nous faut
avancer en tirailleur, de chaque
côté du fossé et à dix mètres les
uns des autres car nous sommes
escortés par un avion allemand
qui prend beaucoup de plaisir à
nous tirer dessus. Nous ne
possédons aucune arme anti-
aérienne, ce qui fait qu’il n’a
aucun souci à se faire. Certains
tentent bien de lui tirer dessus
au fusil mais sans aucun résultat.
Il ne nous reste qu’à plonger
dans les fossés, sac par dessus
tête, attendre que l’avion
s’éloigne, nous ressortons,
avançons un peu, l’avion revient,
nous replongeons dans les
fossés, nous attendons que le tir
cesse, comme cela jusqu’à
l’entrée de Vouziers.
Heureusement pour nous, nous
l’entendons parfaitement arriver,
ce qui fait que nous ne subissons
aucune perte en hommes, ni
même aucun blessé.
Par contre, pendant ce
déplacement, nous croisons
beaucoup de civils qui fuient
leurs maisons. Ces pauvres gens
sont très chargés, accompagnés
de quelques animaux de ferme
sur le dos desquels ils ont
entassé ce qu’ils peuvent
emporter. Ce qui fait d’eux des
cibles idéales pour l’avion qui
mitraille la route, c’est alors
un véritable massacre, nous
devons revenir sur nos pas et en
fait prendre position à Attigny.
Un réel mouvement de grogne et
de mécontentement se fait alors
sentir dans les rangs.
Nous nous relevons tout de
même, reprenons notre
chargement et repartons par la
même route pour rejoindre
Attigny, toujours escorté par
notre « ami » aviateur allemand
qui continue à nous tourner
autour et à nous prendre comme
cible.
De retour à Attigny, nous
trouvons une commune aux
maisons intactes mais vide de
ses habitants.
Nous avons alors
confirmation que notre position
est bien celle-ci et que nous n’en
bougerons plus. Nous, la 9ème
Compagnie, prenons poste dans
la ville, en bordure du canal des
Ardennes. Je fais partie de la 4 ème
Section, nous avons été placés de
part et d’autre du pont, sur la
voie menant à Sedan et à
Charleville-Mézières.
Nous passons la nuit à terminer
les tranchées déjà commencées.
Le 13 mai, nous sommes
installés.
J e suis donc observateur et
homme de liaison,
transporte, en plus de mon
je

ne pouvons rien faire pour Lebel, un périscope qui sert à

eux, beaucoup n’ont pas le observer sans sortir la tête à
temps de plonger dans les l’extérieur des tranchées, et le
fossés et meurent là sur la pistolet signaleur que j’utilise en
route, ce ne sont que pleurs, cas d’attaque, pour envoyer des
hurlements et gémissements fusées et demander les renforts
mais nous avons des ordres, de l’artillerie. Tout cet
continuer et avancer vers équipement est réparti autour de
Vouziers. la ceinture, j’ai mon compte !
Cet épisode nous marquera Le pistolet signaleur n’est utilisé
beaucoup, c’est épouvantable ! qu’à la dernière extrémité,
lorsque nous sommes encerclés

N
ous sommes au mois de par l’ennemi et que nous ne
mai, le 12 exactement et pouvons plus nous tirer d’affaire
je me souviens qu’à seuls, le lieutenant me donne
l’entrée de Vouziers, nous nous alors l’ordre d’appeler l’artillerie.
arrêtons dans un verger A chaque fois, cela fonctionne
magnifique. Pendant ces parfaitement, les renforts
quelques instants de repos où les arrivent très vite.
officiers sont partis se De leur côté, eux aussi sont en
renseigner, nous nous possession des mêmes fusées et
demandons vraiment où nous nous avertissent lorsqu’ils sont
allons terminer notre périple. prévenus que nous risquons de
Nos supérieurs reviennent et subir une attaque.
nous avertissent que nous

5
 Au petit matin, nous
voyons arriver des chevaux, des
canons, des fantassins, le tout en
désordre. Nous apprenons alors
qu’il s’agit de soldats français
qui n’ont pu se mettre en ligne à
Sedan -sont-ils arrivés trop tôt ou
trop tard, je l’ignore- et qui
reculent. Ces mouvements
dureront quatre ou cinq jours.
Nous sentons ces hommes
fébriles, pressés de s’éloigner le
plus possible. Nous ne saurons
jamais où ils se sont repliés.
Nous les regardons passer. Nos
officiers et nous également
trouvons curieux que personne
parmi ceux qui dirigent le 36 ème
R.I. ne tentent rien pour les
arrêter, les questionner et
surtout leur demander de rester
à nos côtés pour grossir nos
rangs et offrir une résistance
digne de ce nom lorsque les
Allemands arriveront.
Le temps est magnifique.
Soudain, nous percevons au loin
des bruits de moteur d’avion qui
se rapprochent. Nous sommes
fous de joie, nous disant qu’enfin
les Français attaquent.
Arrivés à la verticale
d’Attigny, ces Français qui
sont en fait des aviateurs
allemands et qui composent
deux escadrilles, lâchent leurs
bombes sur le bourg.
Nous n’avons que le temps de
nous abriter dans les tranchées,
nous n’avons toujours rien pour
riposter. Plus de la moitié de la
petite ville sera démolie.
D’un côté se trouve le canal
des Ardennes et l’Aisne en
parallèle, de l’autre côté part une
grande avenue qui mène à la
gare, située à six cents mètres
environ de la ville. Nous
attendons, les journées sont
calmes, hormis l’avion qui tourne
toujours au-dessus de nous jour
et nuit. Peut-être sont ils
plusieurs à se relayer, mais nous
n’en verrons toujours qu’un seul
à la fois.
L
e 17 ou le 18 mai, on nous
annonce qu’une attaque se
prépare, un tir de barrage.
Nous nous trouvons sur le pont.
Les directives sont les suivantes :
la 9ème doit se grouper au bout du
6
pont. Le tir doit commencer à
12h50 et se terminer à 13
heures. Nous en reconnaîtrons la
fin par l’explosion de deux
fusants.
A 12h40, nous sommes en place,
anxieux, les nerfs à vif car c’est
notre première véritable attaque.
12h50 : rien.
12h55 : les hostilités
commencent à une cadence
précipitée.
13h : le commandant donne
l’ordre au lieutenant Dubourdieu
de la 1ère Section de se mettre en
avant.
Le lieutenant : « Mais, mon
commandant, je ne peux pas
partir, je dois attendre les deux
fusants ! »
Le commandant : « J’ai
l’information qu’à 13 heures les
tirs cesseront, il est 13 heures, je
vous ordonne d’avancer ! »
Le lieutenant et ses hommes
se mettent en marche mais à
leur arrivée de l’autre côté,
les deux fusants éclatent sur
eux .
Le lieutenant a la jambe
sectionnée à hauteur de la
cuisse, son sergent est coupé en
deux, le bas du corps sur la
route, le haut collé à la maison à
côté, un autre se tient l’abdomen
en hurlant « je perds le ventre,
venez me chercher ! » dans un
flot de sang, il y a d’autres
blessés encore.
Le sergent adjoint prend le
commandement du reste de la
1ère Section.
Ils sont déjà peu nombreux, il
leur manque maintenant quinze
hommes blessés ou morts.
Dans la 4ème Section, nous
sommes les plus nombreux, nous
sommes donc envoyés au
« nettoyage » des maisons :
passer chaque habitation au
peigne fin pour s’assurer qu’il n’y
ait ni armes ni soldats ennemis
cachés.
Nous ne trouverons qu’une
mitraillette qui a dû être
abandonnée avant le
bombardement.
A
rrivés à l’extrémité de la
ville, nous n’avons trouvé
personne, nous
poursuivons notre avance. Nous
laissons la route de Charleville-
Mézières et nous nous installons
le long du petit canal à six cents
mètres de la gare, ce qui
représente environ une distance
d’un kilomètre depuis notre
dernier stationnement.
Dans l’après-midi, nous
prenons position. La 4ème Section
est en tête le long du ruisseau
en deux groupes répartis de part
et d’autre.
Nous pensons que le reste du
bataillon suit alors que nous
sommes seuls. Le reste de la
journée est très calme.
La nuit, nous entendons du
bruit, c’est une patrouille qui
arrive sur nous. Nous devons
jouer des armes et elle se replie
très vite. Il est deux heures du
matin, par un beau clair de lune.
La journée suivante est très
calme, la seconde nuit, les
Allemands reviennent
exactement à la même heure.
Cette fois ils surgissent en
hurlant d’une petite clairière, ce
qui a comme effet de nous
paralyser quelques instants. Je
reconnais cette manière de
procéder dans les récits que
nous ont faits les anciens de 14-
18.
Il sont cette fois très nombreux,
arrivent d’abord en face, nous
ripostons et sommes assez vite
encerclés, les mitraillettes tirent
des deux côtés. Au bout d’un
moment, les tirs se rapprochant,
ordre est donné à la 4ème Section
et aux autres de se replier vers le
canal.
Nous galopons ainsi
jusqu’à la gare, l’ennemi à notre
poursuite. Nous rejoignons
ensuite le pont où on nous
demande le mot de passe, nous
nous avançons et nous plaçons
en position, les Allemands à cent
mètres derrière nous, pas plus. Il
y a là une Section toute entière.
Le jeune officier qui la
commande s’avance et crie
« Kamarade !» Notre capitaine
donne alors l’ordre de tirer et
toute la Section est tuée, là sur
le pont.
Au matin, nous ramassons
tous ces morts. Nous
reconnaissons alors le jeune
lieutenant, un S.S., qui ne devait
pas avoir plus de trente ans.
7
Une fois encore, nous
prendrons conscience de
l’absurdité de la guerre.
P
uis, nous reprenons notre
position le long de l’Aisne.
La 9ème Compagnie est en
ligne ainsi que la 10ème, la 11ème a
été placée en réserve. En cas
d’attaque, nous pouvons faire
appel à une ou deux Sections de
la Compagnie de réserve. Nous
sommes donc placés en arrière
pendant trois ou quatre jours.
Le 25 mai, nous nous
postons à Rilly-aux-Oies, devenu
maintenant Rilly-sur-Aisne. Nous
prenons position entre le pont de
fer et l’écluse.
Chaque soir, nous sommes
attaqués. Nous, les Français,
n’avons à notre disposition ni
avions, ni chars ou si peu tandis
que les Allemands en sont
formidablement équipés plus des
camions. Le jour, seuls les
guetteurs ennemis observent,
mais dès qu’arrive la nuit, les
camions commencent leurs va et
vient, déposant renforts et
ravitaillement. Ils apportent
aussi des radeaux pour préparer
la traversée de l’Aisne. Nous les
apercevons car les bombes ont
décimé les arbres au bord de
l’eau. Ils profitent des
bombardements pour continuer à
les acheminer.
Ce qui marque le plus, c’
est la différence d’effectif
entre les deux camps. Côté
ennemi, il en arrive toujours et
de notre côté, pauvres de nous
qui nous battons du mieux
possible, nous voulons tenir, et
par là, sauver notre peau.
Parfois, nous sommes avertis
qu’ils vont pilonner, mais pas
toujours.
La situation est simple :
c’est eux ou nous !
La peur du début passée, nous
sommes pris dans le feu de
l’action et plus rien ne compte
que de nous défendre.
A ce moment, nous demandons
des tirs de barrage. Nous nous
attendons, un jour prochain, à
faire face à de sérieux
affrontements.
 Nous sommes prévenus
qu’un régiment de tirailleurs
Sénégalais doit arriver en
renfort. Nous sommes très
contents car il ne se passe pas un
seul jour sans que nous ayons
des blessés ; nos effectifs
diminuent considérablement.
Le 6 juin, les renforts ne
sont pas arrivés et nous sommes
sérieusement mis à l’épreuve par
des bombardements répétés, très
peu d’attaques aériennes,
toujours par l’artillerie.
Nous sommes
complètement ignorants de ce
qui se passe sur l’ensemble du
conflit, nous sommes seulement
au courant des mouvements qui
s’effectuent sur notre ligne.
Simplement, un jour, nous avons
été avertis que les Anglais et les
Français reculaient sur
Dunkerque et que les Allemands
avançaient sur Paris. Ce qui nous
inquiète beaucoup, car s’ils
parviennent à atteindre Paris,
nous risquons fort d’être pris en
étau un jour ou l’autre.
Nous n’avons pas le
sentiment que tous ces combats,
toutes ces pertes en hommes,
sont utiles puisque nous sommes
tellement isolés, rien ni personne
ne vient renforcer nos actions.
Et les bombardements
continuent toujours.
L
a nuit du 8 au 9 juin est
calme, trop calme. Nous
sommes tous inquiets de
n’entendre aucun bruit, sans
doute cela ne présage-t-il rien
de bon.
Soudain, à trois heures du
matin, les tirs débutent à une
cadence infernale.
Il pleut des obus. Le cauchemar
durera deux heures. Nous
sommes attaqués par l’artillerie
lourde et légère : des percutants
et des incendiaires. Nous
sommes au fond des tranchées
nous disant que si l’un de ces
engins nous tombe dessus, notre
compte est bon.
En fait les obus tombent de part
et d’autre, nous recevons de la
terre et des éclats d’obus
incendiaires.
A cinq heures, l’ennemi tire
des obus fumigènes et nous
sommes alors plongés dans un
8
épais brouillard puis les tirs
s’allongent : les ordres sont
donnés et nous en profitons pour
sortir de nos abris.
Nous nous trouvons avec un
des deux groupes de la 4ème
Section : l’un est posté vers le
pont du chemin de fer, l’autre
vers l’écluse.
Il est décidé que nous serons
deux à nous rendre dans chaque
groupe et à ramener chaque chef
de groupe pour faire le point.
Nous partons donc en éclaireur
mais le spectacle qui se déroule
sous nos yeux est horrible. Il ne
reste que quelques hommes en
vie. Nous les ramenons avec
nous et il faut se réorganiser.
Les Allemands vont continuer
leur avance, ils profitent du
brouillard pour amener leurs
radeaux et ainsi passer de l’autre
côté du canal puisque le pont a
sauté.
Le lieutenant m’envoie au
P.C. expliquer la situation et
chercher du renfort. En
attendant il replace les hommes :
là où se trouvaient quatre
hommes, il n’y en a plus que
deux.
Le capitaine part à l’arrière
repérer les lieux afin de trouver
une solution de repli.
Je reviens du P.C. avec un
unique message : il n’y a
personne pour nous secourir,
nous devons tenir coûte que
coûte.
Nous résistons du mieux
que nous pouvons toute la
matinée, les tirs continuent sans
relâche, l’ennemi avance.
J’envoie alors trois ou quatre
fusées pour réclamer l’artillerie.
Personne ne vient. Nous
apprendrons, beaucoup plus tard
que notre artillerie a été
décimée.
Nous n’avons plus qu’une
seule chose à faire : ramasser les
blessés qui hurlent, les
transporter comme nous le
pouvons jusqu’au P.C. Là, les
brancardiers les emmènent, nous
laissons les morts sur place.
Pour finir, nous retournons
sur les lieux des combats et nous
restons à quatre pour faire
diversion pendant le repli des
autres. Nous tirons à
 l’aveuglette avec nos fusils
mitrailleurs, il s’agit surtout de
faire du bruit.
P
uis nous nous sauvons, nous sautons
sur la voie que nous avons suivie et
nous profitons du dénivellement
du terrain pour parvenir jusqu’au
P.C.
Il faut alors évacuer en direction
de la compagnie de mitrailleuses
qui tient encore une partie du
bois. Nous sommes obligés
d’abandonner quelques blessés,
bien à contre-cœur. Et nous
montons à travers Rilly, je
connais le chemin, jusqu’à un
verger.
En face, dans une grande
prairie, nous retrouvons la
compagnie mitrailleuse. A auprès d’un médecin qui me
l’entrée se trouve un
transformateur. Des rafales de
mitrailleuses nous obligent à
nous coucher sur le sol. Pour
nous sauver, il faudra sauter d’un
trou à un autre, ce que font tous
les hommes restants. Je fais
partie des trois derniers sur le
terrain.
Arrivés à l’avant dernier
trou, mes deux autres camarades
sautent, moi aussi. Je m’élance
alors pour sauter dans le dernier
trou. C’est alors que je suis
touché au visage par un tir : une
balle l’a traversé de part et
d’autre de ma bouche. Je me
traîne comme je peux jusqu’au
poste de secours.
Un infirmier me bande le
visage et m’agrafe une feuille
avec la notification « Première
Urgence ». Il est 17 heures.
Les tirs continuent comme
cela jusqu’à 22-23 heures. A ce
moment se produit une accalmie,
ce qui nous permet de partir à
pied jusqu’à Roche, à 5
kilomètres environ. Nous
sommes tout un groupe de
blessés. Nous remarquons deux
fusées éclairantes lancées par les
Allemands.
C’est dans ces moments
très particuliers où la mort
est tout près que l’on se rend
compte que l’instinct de
survie existe : on se bat et on
s’accroche pour tenir bon.
Pendant les combats, une autre
pensée ne nous quittait jamais et
9
ce, depuis l’automne, jour de
notre précédent baptème du feu
lorsque nos trois premiers
camarades avaient été tués : qui
sera le prochain ?
Personne n’en parle jamais,
mais nous nous regardons, et
dans leurs yeux je sais que mes
camarades pensent la même
chose.
N
ous arrivons au poste
de secours de Roche à
23 heures. Ce poste a
été installé dans un ancien
blockhaus de la guerre 14-18. Il
est immense, rempli de blessés
qui crient, gémissent dans tous
les coins.
Un infirmier me conduit
refait mon pansement et
m’envoie dans une ambulance
prête à partir. Je quitte le poste à
23 heures 30.
J’ai revu plus tard mon infirmier,
un séminariste qui m’a alors
appris que j’avais été le dernier à
être évacué, aussitôt après les
Allemands sont arrivés et ont fait
prisonnier tout le monde.
Le lendemain à 8 heures,
j’arrive à Ste Menehould après
un voyage sous les tirs ennemis.
Pendant mon transport, je croise
le régiment de tirailleurs
Sénégalais que nous avions tant
attendu et qui finira par
rejoindre les bataillons du 18 ème
R.I. Les pauvres hommes ont eux
aussi vécu l’enfer, un grand
nombre a péri, ceux qui restent
arrivent très affaiblis.
En ce qui me concerne, les
combats sont terminés. A Ste
Menehould, on m’a fait une
piqûre antitétanique, puis une
autre ambulance m’a conduit à
Bar-le-duc dans un hôpital de
fortune sous un chapiteau où
l’on me désinfectera les plaies.
Puis, pendant deux heures, je
suis recousu à vif. La nuit
suivante, alors que j’attends
d’être ramené sur Bordeaux, un
infirmier me découvre en train
de m’étouffer, j’ai du sang plein
les poumons. Il me veille alors le
reste de la nuit. Le lendemain, je
pars pour Chaumont ou je
resterai trois ou quatre jours. Je
me sens de plus en plus mal. Le
soir du troisième jour, on nous
signale que les Allemands
arrivent et que tous ceux qui
peuvent tenir sur leurs jambes
doivent se mettre en route.
Nous partons pour la gare,
située à cent mètres de l’hôpital,
escortés par un major. Arrivés
sur le quai, il nous demande
d’attendre qu’il se renseigne sur
les trains en partance. Il ne
reviendra jamais. Nous sommes
trois, nous nous allongeons alors
sur le quai.
A 6 heures, le lendemain,
nous montons dans un train
sanitaire rempli de soldats du
génie de Besançon qui évacuent.
Le train est bondé, les hommes
étalés sur les brancards. Aucun
ne bougera pour nous faire de la
place, alors qu’aucun d’entre eux
n’est blessé.
Vers 10 heures, un
capitaine qui passait dans le
wagon nous demande ce que
nous faisons là. Après avoir
écouté nos explications, il fait
déloger les soldats des brancards
et nous nous installons plus
confortablement. Aussitôt,
certains nous donnent même à
manger et m’aident à ingurgiter
quelque nourriture à l’aide d’un
« bec de canard ». Avant Lyon, le
train stoppe soudain. On nous
avertit que les Allemands
occupent la ville et tous les
soldats sont invités à déguerpir.
Seuls les blessés restent et le
train repart.
Puis un major arrive,
regarde ma blessure qui sent
très mauvais ; il me demande
depuis quand je suis blessé. Je
réponds comme le peut ma
bouche cousue. Il appelle une
infirmière et je les entends parler
de gangrène, ce qui m’effraie
beaucoup. Il me fait une piqûre,
puis une autre. Il revient une
heure plus tard après m’avoir
assuré qu’il n’abandonnera en
aucun cas ses blessés, Allemands
autour ou pas. Il me refait deux
piqûres.
A Lyon, les Allemands
montent dans le train, ils passent
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dans les wagons, nous toisant de
cet air supérieur et dédaigneux
que leur donne déjà une victoire
toute proche.
On nous avertit ensuite que
nous partons vers Marseille.
Je suis envoyé à l’hôpital mixte
d’Avignon dans le service
maxillo-facial. J’y resterai deux
mois et demi, jusqu’en octobre.
Ma blessure me fait beaucoup
souffrir car j’ai des esquilles.
’ai enfin droit à un mois de
convalescence et je rentre
chez moi. Mon voyage
s’arrêta à Pau où je rencontrai un
homme qui retournait dans la
même direction que moi en vélo
et qui me proposa de me faire
passer d’une zone à l’autre.
A Amous, nous nous nous
sommes séparés et je suis rentré
sur Bayonne.
A la gare, les Allemands étaient
là, je passai à côté d’eux, très
calme, la tête haute et je
retrouvai les miens.
En 1941, j’ai passé le
Conseil de Réforme et j’ai été
démobilisé.
De ces débuts de la guerre,
je suis conscient de n’avoir
connu l’horreur que très peu de
temps.
Mes pensées sont souvent
allées vers mes camarades et
surtout vers ceux qui ont
supporté des conditions de vie
épouvantables et qui se sont
battus vaillamment quatre
longues années durant parmi les
poux, les rats et la boue.
Aujourd’hui, je suis
favorable à l’Europe dans un
seul espoir : que ce que j’ai
vécu ne se reproduise jamais.
Gilbert Dartiguenave.
Par Marie-Dominique DEPREZ,
Ecrivain Privé
Mémoiries