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Revue belge de philologie et

d'histoire

Les écoles liégeoises du IXe au XIIe siècle : grandes lignes de leur


évolution
Christine Renardy

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Renardy Christine. Les écoles liégeoises du IXe au XIIe siècle : grandes lignes de leur évolution. In: Revue belge de philologie
et d'histoire, tome 57, fasc. 2, 1979. Histoire (depuis l'Antiquité) - Geschiedenis (sedert de Oudheid) pp. 309-328;

doi : https://doi.org/10.3406/rbph.1979.3237

https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1979_num_57_2_3237

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LES ÉCOLES LIÉGEOISES
DU IXe AU XIIe SIÈCLE :
GRANDES LIGNES DE LEUR ÉVOLUTION

A. Liège aux xe et xie siècles :


UN «STUDIUM» DE TOUT PREMIER PLAN

«Denique ipsa flos Galliae tripartitae et altera Athenae nobiliter liberalium


disciplinarum floret studiis».
Gozechin de Mayence, Epistola ad Walcherum scolasti-
cum (Mabillon, Vetera Analecta, Paris, 1723, p. 439).
«Nam ut alios ante nostra tempora venientes, nobisque vultu incognitos taceam,
quando Leodiensis Ecclesiae memoria apud Cluniacum perire potent, quae
Hezelonem, Tezelinum, Algerum, canonicos magnosque suiis temporibus magis-
tros, humilitatis discipulos et, ut ipsi qui vidimus, attestamur, veros monachos
fecit ?».
Pierre le Vénérable, Epistola ad Alberonem episcopum
Leodiensem (G. Constable, The Letters of Peter the
Venerable, Cambridge (Mass.), 1 967, t. 1 , p. 229, ep. 89).

Cette question a déjà fait l'objet de nombreuses études de valeur. Je me


contenterai donc d'exposer rapidement, à l'aide des conclusions de mes
devanciers 0), l'histoire des écoles liégeoises du ixe au xiie siècle, afin d'analyser ensuite

(1) II convient de citer en premier lieu la synthèse de G. Kurth (Notger de Liège et la


civilisation au Xe siècle, t. 1-2, Paris-Bruxelles-Liège, 1905), ainsi que les ouvrages de E.
Lesne (Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. 5, Les écoles de la fin du VIIIe s.
à la fin du XIIe, Lille, 1940) et de Ph. Schmitz (Histoire de l'ordre de saint Benoit, t. 2.
Oeuvre civilisatrice jusqu'au XIIe siècle, Maredsous, 1942). L'histoire des écoles liégeoises
à partir du Xe siècle a fait l'objet des recherches de Jacques Stiennon, L 'étude des centres
intellectuels de la Basse-Lotharingie de la fin du Xe au début du XIIe siècle. Problèmes et
Méthodes, dans Annales Féd. archéol. hist. Belgique. 33e session. Tournai, 1949, t. II,
1951, pp. 124-145 ; Id., Les écoles de Liège aux XIe et XIIe siècles. Exposition de
manuscrits et d'oeuvres d'art, 5-24 novembre 1967, Liège, 1967. Ajoutons que Le milieu
liégeois aux XIe et XIIe siècles a servi de thème de recherches à la section d'histoire du
moyen âge de la 33e session de la Fédération archéologique et historique de Belgique
réunie à Tournai en 1 949 ; l'édition des différentes communications se trouve dans le
volume cité supra, pp. 73-213. Pour l'analyse détaillée des œuvres historiques et
310 CH. RENARDY

une question qui me paraît primordiale : comment expliquer le déclin des centres
intellectuels liégeois, déclin qui se situe, on le sait, à l'époque même où certaines
institutions étrangères vont devenir des studia generalia, des Universités ?
La région de Liège, où se trouvaient les domaines patrimoniaux de la dynastie
des Pippinides, occupe sans nul doute aux vme et ixe siècles, une situation
privilégiée. Elle est en fait le cœur de l'empire et participe évidemment à ce qu'il
est convenu d'appeler la Renaissance carolingienne. Sédulius Scottus(2), lettré
venu d'Irlande en 848, s'est installé à Liège auprès des évêques Hartgar et
Francon ; il y composa diverses pièces en vers au «vocabulaire clinquant» (3). À la
même époque, l'abbaye de Stavelot abrite une personnalité non moins
remarquable : Christian. Ce moine d'origine bourguignonne dirige l'école claustrale
tout en rédigeant des travaux d'érudition. On lui doit notamment un intéressant
commentaire de saint Matthieu, que les spécialistes de ces questions considèrent
comme une pièce maîtresse de l'exégèse carolingienne (4).
Cependant, les détériorations de la situation politique et surtout les invasions
normandes (882) portèrent un coup fatal à la vie intellectuelle dans le pays de
Liège. Il faut attendre un siècle environ, pour voir renaître une certaine activité

littéraires, il convient de consulter S. Bai au. Les sources de l'histoire de Liège au Moyen
Age. Étude critique. Bruxelles, 1903; E. R. Curtius, Europäische Literatur und
lateinisches Mittelalter, 7e éd., Berne-Munich, 1969; M. Mamtius, Geschichte der
lateinischen Literatur des Mittelalters, t. 1-3. Munich, 1911-1931 ; J. De Gheiiinck,
Littérature latine au moyen âge. t. 1-2, Paris, 1939; H. Sproemberg. Niederlothringen,
Flandern und Friesland, dans Wattfnbach-Hoi tzmann-Schmai e, Deutschlands
Geschichtsquellen im Mittelalter. Cologne-Graz, 1967, t. 1, pp. 124-152 ; t. 2. pp. 715-750 et
F. J. Schmaif, Köln, dans Wattfnbach-Schmai-E, Deutschlands Geschichtsquellen im
Mittelalter. Darmstadt. 1976, t. 1, pp. 359-386 : M. Hfiin, La littérature latine au moyen
âge. 2e éd. revue, Paris. 1972.
(2) H. Pirenne, Sédulius de Liège, Bruxelles, 1882 (Mémoires in-8° de l'Académie
Royale de Belgique, t. 33); Mamtius. 1, pp. 315-323.
(3) Hfiin, p. 26.
(4) Sigebert DF GtMBioux, Catalogus . ., éd Wirrt, p. 73; D. D. Brouwers, Christian
Druthmar, écolâtre du IXe siècle à l'abbaye de Stavelot. dans Bulletin Société verviétoise
d'Archéologie et d'Histoire, t. 10, 1898, pp. 81-1 17 ; C. Spicq, Esquisse d'une histoire de
l'exégèse latine au moyen âge latin. Paris, 1 944. p. 42 ; E. Duemmi fr, Ueber Christian von
Stavelot und seine Auslegung zum Matthacus, dans Sitzungsberichte der Preiissischen
Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Philos, hist. Klasse, t. 37, 1890, pp. 935-952 ; M.
L. W. Laistner. A IXth Century Commentator on the Gospel according to Matthew, dans
Harvard Theological Review, t. 20. 1927. pp. 129-149; B. Smaiiey, The Bible in the
Middle Ages. Oxford, 1952. pp. 74 et sv. ; H. De Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre
sens de l'Écriture. Paris, 1959. t. 1/1, pp. 55-57, 148. 205, 228.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 311

intellectuelle ; ce renouveau apparaît grâce à Rathier, dès la seconde moitié du xe


siècle, à l'abbaye de Lobbes. Né près de Liège, mais formé dans cette abbaye où il
fut d'abord moine, Rathier connut une carrière mouvementée. Il fut, en effet,
évèque de Vérone (931-934, 946-948, 962-968) et de Liège (953-955) ; il vécut
aussi longtemps en prison ou en exil. Mais Lobbes est resté tout au long de son
existence son lieu de résidence privilégié, même lorsqu'il occupait un siège
episcopal en Italie. C'est là qu'il termina son ouvrage principal, les Praeloquiorum
libri sex, qui sont, en fait, un guide de conscience pour les chrétiens de toutes
conditions (5). Rathier est le meilleur, sinon le seul, théologien du xe siècle (6).
D'autres figures illustrent l'abbaye sambrienne qui, à cette époque, sert
littéralement de relais (7) entre les grands centres intellectuels français, — Paris (8),
Reims C), Chartres 0°) - et Liège, où l'enseignement s'organise peu à peu, à partir

(5) Cette personnalité exceptionnelle a été l'objet de nombreuses publications. Citons A.


Vogei , Ratherius von Verona und das Zehnte Jahrhundert, Iéna, 1854 ; G. Monticeijj,
Raterio, vescovo di Verona (890-974). Milan, 1938 ; Mamtius, 2, pp. 34-52. Un colloque
international a consacré ses travaux à Rathier ; en attendant la publication des actes de
cette réunion, voir le résumé des communications qui a paru dans la Rivista Storica
Italiana, t. 82, 1970, pp. 264-266. Les lettres de cet évêque ont fait l'objet d'une édition
remarquable : F. Whgi e. Die Briefe des Bischofs Rather von Verona, dans M. G. H., Die
Briefe der Deutschen Kaiserzeit, t. 1 , Weimar, 1 949. Quant à P. L. Reid, il vient d'assurer
l'édition des oeuvres mineures de Rathier (Turnhout, 1976).
(6) A. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. 3, Leipzig, 1896, pp. 285-287.
(7) Lobbes est située dans le diocèse de Cambrai, donc dans la province ecclésiastique
de Reims, mais dépend au temporel de l'église de Liège.
(8) C'est à l'école dépendant de l'abbaye Sainte-Geneviève de Paris qu'un jeune clerc de
Notger, Hubald, va se perfectionner ; il y fera d'ailleurs une brillante carrière d'enseignant
(Ansfi me, Gesta episcoporum .... éd. Koepke, dans M. G. H., SS., t. 7, 1846, p. 205, c. 29 ;
voir au sujet de ce passage : Kurth. pp. 110, 297-298).
(9) Le maître le plus connu du xe siècle est Gerber, ancien moine d'Aurillac qui
enseignait à Reims, avant de devenir pape sous le nom de Silvestre IL en 999 : F. Picavet,
Gerbert, un pape philosophe, d'après l'histoire et d'après la légende, Paris, 1896 ; M.
Uhiirz, Untersuchungen über Inhalt und Datierung der Briefe Gerberts von Aurillac,
Gottingen, 1957 ; F. Wfigi.e, Die Briefsammlung Gerberts von Reims, dans M. G. H., Die
Briefe der Deutschen Kaiserzeit, t. 2, Berlin-Zurich-Dublin, 1966.
(10) C'est un élève de Gerbert d'Aurillac, l'évêque Fulbert (1008-1028) qui fit de
Chartres un centre d'études littéraires et philosophiques : A. Ci frvai.. Les Écoles de
Chartres au Moyen Age du Ve au XVIe siècle, Paris, 1895 : L. C. Mac Kinney, Bishop
Fulbert and Education in the School of Chartres, Notre-Dame (Indiana), 1957. Voir aussi
au sujet de Fulbert, l'introduction de l'édition de ses poèmes et lettres par F. Behrend,
Oxford, 1976, pp. xiii-xmi. Ce maître fut célébré par Adelman, écolâtre liégeois et futur
évêque de Brescia (t 1061) dans son Rhythmi alphabetici de viris illustribus sui temporis
(éd. A. Ci ervai.. Les écoles de Chartres au Moyen Age ..., pp. 59-61) ; cf. à ce sujet H.
Siivestre. Notice sur Adelman de Liège, évèque de Brescia, dans Revue d'Histoire
312 CH. RENARDY

de 980 environ, sous l'égide de l'évêque Éracle, un disciple de Rathier ("). Citons
pour mémoire : Folcuin, abbé de Lobbes de 965 à 990, auteur des Gesta abbatum
Lobbiensium C2) ; d'un genre nouveau, cette «chronique régionale est fondée sur
des sources sérieuses, spécialement sur les documents d'archives» (13). Hériger,
secrétaire de l'évêque Notger, mathématicien de renom, chroniqueur de talent,
«véritable encyclopédiste», est le maître de toutes les grandes figures de l'histoire
littéraire en Lotharingie au xie siècle» (14). C'est peut-être parmi les membres de
cette école que Notger choisit le jeune Wazon ; ce dernier vint dans la cité
épiscopale pour occuper tout d'abord la charge de chapelain episcopal, puis celle
d'écolâtre de Saint-Lambert, avant de devenir un des successeurs de son
protecteur à la tête de l'évêché en 1042 (I5). Mais venons-en à l'œuvre importante
qu'accomplit Wazon, lorsqu'il dirigeait l'école cathédrale ; celle-ci sera, en effet,
bientôt fréquentée par nombre d'élèves étrangers. Au xie siècle, les centres
intellectuels liégeois exercent, en effet, un rayonnement exceptionnel. La liste des

ecclésiastique , t. 65, 1961, pp. 855-871 et Behrends, op. cit., pp. xxxni-xxxvi, xc, 228-229.
Dans une récente étude, R. W. Southern (Medieval Humanism and other Studies, Oxford,
1970, pp. 61-85) a démontré que le déclin de Chartres au point de vue intellectuel devait
être situé aux environs de 1 1 00.
(11) Sur les relations de Rathier et d'Éracle, voir H. Sii.vestre, Comment on rédigeait
une lettre au Xe siècle. L 'épitre d'Éracle de Liège à Rathier de Vérone, dans Le Moyen Age,
t. 58, 1952, pp. 1-30 et spécialement pp. 6-7, 9, 17.
(12) Sigebert de Gembioux, Catalogus ..., éd. Witte, p. 90 ; O. Hoi der-Egger, Zu
Folcuin von S. Bertin, dans Neues Archiv, t. 6, 1881, pp. 417-432 ; Bai.au, pp. 102-1 14 ;
Wattenbach-Hoi.tzmann-Schmai e, 1, pp. 109-110, 136-140.
(13) L. Gemcot, Les lignes de faite du moyen âge, 5e éd.. Tournai. 1966, p. 172.
(14) Ph. Schmitz, (op. cit., p. 119) cite, parmi ses élèves, Hugues, abbé de Lobbes,
Thierry, abbé de Saint-Hubert, Olbert, abbé de Gembioux et de Saint-Jacques, Adalbold,
évêque d'Utrecht, et enfin les évêques Burchard de Worms et Wazon de Liège. Cette
filiation intellectuelle est cependant loin d'être prouvée par les deux derniers prélats. En
effet. A. Boutemy (En lisant Sigebert de Gembioux, dans R.B.P.H., t. 15, 1936, pp. 987 et
sv.) et à sa suite V. Bubenheimer (Der Aufenthalt Burchards ' von Worms im Kloster Lobbes
als Erfindung des Johannes Trithemius, dans Zeitschrift für Rechtsgeschichte, Kan. Abt.,
t. 89, 1972, pp. 320-337) ont bien montré que c'est Jean Trithème qui, à la fin du xve
siècle, a accrédité la légende d'un séjour à Lobbes du jeune Burchard. Pour ce qui regarde
Wazon, on sait simplement qu'il fut le condisciple d'Olbert de Gembioux qui fréquenta de
nombreux studia [cf. Gesta abbatum Gemblacensium (cap. 44) de Sigebert, dans M. G. H.,
SS., t. 8, 1 85 1 , p. 541] Voir à ce sujet la thèse de J. L. Küpper, Liège et l'Église impériale,
XIe -XIIe siècles, à paraître dans la Bibl. Fac. Phil. Let. de l'Univ. de Liège.
(15) Sur Wazon, voir A. Bittnfr, Wazo und die Schulen von Lüttich, Breslau, 1879 ; R.
Huymans, Wazo van Luik in den Ideénstrijd zijner dagen, Nimègue, 1932 ; Kurth,
pp. 266-298.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 313

maîtres liégeois et de leurs disciples du xie et du début du xiie siècle est fastidieuse ;
il est pratiquement impossible d'être exhaustif C6). Parmi les disciples qui, parfois
eux aussi, enseignèrent à travers tout l'Occident, je citerai Durand, qui fut écolâtre
de Bamberg, avant de monter sur le siège episcopal de Liège en 1021 ; Adalbold,
évêque d'Utrecht de 1010 à 1027 ; Günther, évêque de Salzbourg de 1024 à 1027 ;
Léofric (n), évêque d'Exeter de 1046 à 1072 et chapelain-chancelier d'Edouard le
Confesseur ; le pape Etienne IX qui, lorsqu'il étudiait à Liège, portait encore le
nom de Frédéric ; Adelman C8) qui abandonna l'écolâtrie de Saint-Lambert pour
devenir évêque de Brescia en 1055/57 ; Maurilius, archevêque de Rouen de 1055
à 1067 ; et enfin Cosme, doyen du chapitre cathedral de Prague de 1 1 00 à 1 1 23, le
premier chroniqueur de l'histoire bohémienne (19).
Mais quels étaient, en réalité, les thèmes de recherche favoris des maîtres des
centres intellectuels du pays mosan ? Dans quelles branches du savoir l'Église de
Liège formait-elle des spécialistes (20) ?
Aucune des disciplines du trivium - grammaire, rhétorique et dialectique — et
du quadrivium - arithmétique, géométrie, astronomie et musique - n'était
évidemment négligée à Liège ; G. Kurth a exposé comment les sept arts libéraux
étaient enseignés au temps de Notger (21). Cependant, lorsqu'on passe en revue les

( 1 6) Voir à ce sujet. J. Stiennon. Pologne et pays mosan au moyen âge, dans Cahiers de
Civilisation médiévale, t. 4, 1961, pp. 457-473 ; Id., Les écoles liégeoises au moyen âge,
dans Liège, un passé prestigueux d'enseignement et de culture, dans Bulletin de
l'Association des Amis de l'Université de Liège, 1967, fasc. 1, p. 16 ; L. Genicot, Entre
l'Empire et la France, dans Histoire de la Wallonie, Toulouse, 1973, pp. 174-175.
(17) II a pris l'initiative de faire composer un recueil, connu sous le nom de Liber
Exoniensis, qui s'inspire très nettement du Fecunda Ratis d'Egbert de Liège. Ce livre a été
édité par G. Ph. Krapp et E. Van Kirk Dobbie. The Exeter Book, New York, 1936. C'est
Léofric qui, vers 1050, introduisit en Angleterre les usages liturgiques et la discipline
canoniale en honneur dans le diocèse de Liège ; cf. Ch. Dereine, Les chanoines
réguliers ... avant saint Norbert, p. 42.
(18) Cf. note 10.
(19) Pour la critique de sa Chronique (éd. R. Koepke, dans M. G. H., SS., t. 9, 1851,
pp. 1-1 32), voir B. Bretholz, Die Chronik der Böhmen des Cosmas von Prag, Berlin, 1 923.
(20) II est évident qu'avant d'accéder à l'étude des arts libéraux, les étudiants devaient
posséder une connaissance suffisante de la langue latine. On a heureusement conservé un
manuel liégeois du début du xie siècle, qui servait à l'enseignement du latin ; il s'agit du
célèbre Fecunda Ratis d'Egbert. Voir E. Voigt, Egberts von Lüttich Fecunda Ratis, Halle,
1889 ; M. Heijn. op. cit., pp. 52-53; Lesne, pp. 351-355.
(21) Kurth, Notger .... pp. 272-287. Je ne puis traiter ici de toutes les composantes du
milieu culturel mosan ; parmi celles-ci, les disciplines artistiques et l'architecture ont
occupé des places de choix (cf. Rhin et Meuse. Art et civilisation, 800-1400, Cologne-
Bruxelles, 1972 ; L. F. Gemcot, Les Églises mosanes du XIe siècle, t. 1, Architecture et
société, Louvain, 1972).
314 CH. RENARDY

travaux des maîtres célèbres des xie et xne siècles, on constate que certaines
spécialités semblent avoir plus particulièrement mobilisé les esprits liégeois. Je
pense bien sûr aux disciplines mathématiques, au droit canon et à la théologie. Les
premières font partie du septivium antique, les autres apparaissent en fait comme
le couronnement de la formation des clercs.
Je m'intéresserai d'abord au quadrhium (22). La Lotharingie est, au xie siècle, un
centre remarquable d'influence des disciplines scientifiques car, dès avant l'an mil,
quelques intellectuels lorrains ont été en contact avec la culture arabe. Deux
moines bénédictins furent célèbres au xie siècle (23) pour leurs connaissances
musicales : Lambert, abbé de Saint-Laurent (24) et Helbert, moine de Saint-
Hubert (25). C'est surtout en astronomie, en arithmétique et en géométrie que les
Liégeois se distinguèrent, à la suite d'Hériger de Lobbes(26) et de Wazon lui-

(22) Pour l'évolution générale des sciences exactes aux xie et xne siècles, on peut se
référer à A. C. Crombie, Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée (400-1650), trad.
J. d'Hfrmies, t. 1 . Paris, 1958 et à G. Sarton. Introduction to the History of Science, t. 1-2,
Washington-Baltimore, 1 927- 1931. Le même problème a été traité pour nos régions dans
deux articles particulièrement intéressants : J. W. Thompson, The Introduction of Arabic
Science into Lorraine in the lOth Century, dans Isis, t. 12, 1929, pp. 184-194 et M. C.
Wfi born, Lotharingia as a center of Arabie and Scientific Influence in the llth Century,
dans/s/s., t. 16, 1931, pp. 188-198 ; P. L. Butzfr, Die Mathematiker des Aachen-Lütticher
Raumes von der Karolingischen bis zur spätottonischen Epoche, dans Annalen des
Historischen Vereins für die Geschichte des Niederrheins, t. 178, 1976, pp. 7-30; par
contre, l'étude de C. Lf. Paige, Notes pour servir à l'histoire des mathématiques dans
l'ancien Pays de Liège, dans B.I.A.L.. t. 21, 1888, pp. 457-554 est aujourd'hui totalement
dépassée en ce qui concerne la partie médiévale. Quant à la contribution de R. Hai i eux,
L 'apport scientifique jusqu 'au XVe siècle au t. 1 de La Wallonie. Lettres, Arts et Culture,
Bruxelles, 1977, pp. 489 et sv., elle est déparée par de nombreuses lacunes
bibliographiques.
(23) Dès le xe siècle, on s'est intéressé à la musique à Liège, cf. à ce sujet A. Auda,
L'école musicale liégeoise au Xe siècle, Etienne de Liège. Bruxelles, 1923. et surtout
l'introduction de F. Masai et L. Gn issfn à la reproduction du Lectionarum Sancti
Lamberti Leodiensis tempore Stephani episcopi paratum (901-920), Amsterdam, 1963,
spécialement pp. v, xxiv-xxvin.
(24) Rfnifr de Saint-Laurent. De ineptiis cujusdam idiotae, éd. W. Arndt, dans M. G.
H., SS.. t. 20, 1868, p. 593 : Quin etiam musice quaedam de ipso compostât, in versibus
quoque faciendis clarofretus ingenio. Voir U. Beri iere, dans Monasticon Belge, t. 2, 1 928,
p. 36 ; A. Auda, La musique et les musiciens au pays de Liège .... Bruxelles-Paris-Liège,
1930, pp. 28-29.
(25) La chronique de Saint-Hubert, dite Cantatorium, éd. K. Hanquet. Bruxelles,
C.R.H., 1909, p. 25. c. 8 : Helbertum Leodiensem in abaco et musica triumphantem. Cf.
Auda, op. cit., p. 36.
(26) Hériger était, par l'intermédiaire de Notger, en relation avec Gerbert d'Aurillac (cf.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 315

mème(27). Citons Adalbold (t 1027), qui fut écolâtre dans le diocèse avant de
devenir évêque d'Utrecht en 1010 ; Raoul, écolâtre de Liège (t peu après 1048) ;
Francon. écolâtre de Liège également (t 1083).
Adalbold doit la célébrité à ses écrits mathématiques (28) ; il s'est interrogé sur le
volume de la sphère. On lui doit un ouvrage sur ce sujet intitulé Libellus de ratione
inveniendi crassitudinem spherae (29), ainsi qu'un commentaire sur un passage de
Boèce traitant d'arithmétique (30). Entre 1010 et 1027, Raimbaud, grand-écolâtre
de Cologne, et Raoul, écolâtre de Liège, deux disciples de Wazon qui avaient été
parfaire leur formation mathématique à Chartres auprès du célèbre Fulbert,
entretiennent des relations épistolaires particulièrement intéressantes ; on
conserve huit lettres où ces deux mathématiciens font étalage de leurs connaissances
des anciens, de Boèce notamment, et où ils se font part du résultat de leurs
recherches personnelles, principalement en géométrie, mais sans que
l'arithmétique et l'astronomie ne soient négligées (3I). Raoul semble avoir été le premier
utilisateur de l'astrolabe dans nos contrées (32).

F. Weigi f, op. cit., ep. 30, 39, 42, 43, 49, 65, 66, 1 93). Il a rédigé un Regulae numerorum
super abacum Gerberti (cf. Bai au, pp. 162-172 ; Mamtius, 2, p. 742).
(27) Wazon a étudié, tout comme Francon, la quadrature du cercle ; ce dernier lui rend
hommage dans la préface de son traité (éd. A. J. E. M. Smeur, De verhandeling over de
cirkelkwadratur van Franco van Luik van omstreeks 1050, dans Mededel. Konink. VI. Ac.
Wet. Letteren Sch. Kunsten, Kl. Wet., t. 30/1 1, 1968, p. 42).
(28) II a rédigé en ouvre une vie de l'empereur Henri II et probablement une vie de
sainte Walburge (cf.. Wattenbach-Hoitzmann-Schmaie, 1, pp. 101-103; W. Mon.,
Adelbold, bischop van Utrecht, Groningue. 1862; U. Beriifre, Adelbold, dans
Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, t. 1, 1912, coll. 524-525 ; Lesne,
pp. 351-352 ; Mamtius, 2, pp. 743-748 ; Sigebfrt de Gembioux, Catalogus ..., éd. Witte,
p. 91).
(29) Qu'il a été dédié à Gerbert d'Aurillac-Silvestre II (éd. Pez, Thesaurus anecdoiorum
novissimus, Augsbourg, 1721, t. 3/2, coll. 87-92 et N. Bubnov, Gerberti opera
mathematica, Berlin, 1 899. pp. 300-309. Voir au sujet de cette œuvre A. Bertheix)t. Note sur
une collection d'écrits mathématiques du Moyen Age, d'après deux manuscrits du Vatican,
dans Mélanges d'archéologie et d'histoire, t. 5, 1885, pp. 181-197 ; Mamtius, 2, p. 747.
(30) Mamtius, 2, p. 747.
(31) P. Tannery et A. Ciervai , Une correspondance d'écolàtres du XIe siècle, dans
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. 36/2, Paris, 1901,
pp. 514-538. Pour la critique de cette correspondance, voir Mamtius. 2, pp. 778-781.
(32) H. Michei , Traité sur l'astrolabe, Paris, 1947, pp. 10, 176. Au sujet des astrolabes
utilisés dans nos contrées au moyen âge, voir R. T. Günther, The Astrolabs of the World,
t. 2, Oxford, 1 932, pp. 339-575 et J. W. Thompson. The Introduction of Arabie Science ...,
pp. 184-194.
316 CH. RENARDY

Enfin, Francon, écolâtre de Liège de 1047 à 1083, rédigea un traité intitulé De


quadratura circuit (") ; il travaillait en collaboration avec Falcalin (34X moine de
Saint-Laurent. A. Smeur a remarquablement analysé l'étude de l'écolâtre liégeois
qu'il date des environs de 1 050. Contrairement à P. Tannery (35), le dernier éditeur
du traité considère Francon comme un esprit éclairé résolvant scientifiquement les
différents problèmes liés à sa recherche principale grâce à l'outillage
mathématique peu développé du xie siècle. Dans un passage du livre 6 de son traité (36),
l'écolâtre expose très intelligemment une théorie sur l'irrationnabilité des racines
carrées. A. Clerval (37) attribuait en plus à Francon de Liège deux ouvrages très
élaborés d'harmonie et de chant (38), mais ceux-ci furent en réalité rédigés à la fin
du xme siècle par Francon de Cologne (39). L'écolâtre de Saint-Lambert a
néanmoins signé des Questiones in musica, premier d'une longue série de traités de
musique mosans.
Le milieu intellectuel liégeois produisit donc dans les disciplines du quadrivium
plusieurs spécialistes éminents qui formèrent une école remarquable. Celle-ci,
malgré le rayonnement qu'elle exerça à la fin du xe et surtout durant le xie siècle,
ne survivra pas à Francon, le dernier écolâtre de Saint-Lambert qui ait fait des
mathématiques l'objet de ses recherches.
La science des canonistes liégeois a certainement contribué aussi à établir la
renommée des centres intellectuels mosans. Ch. Dereine a esquissé l'histoire de
cette «école», qui se caractérise «par la valeur de sa production et la cohésion de sa

(33) Ed. Smeur, op. cit., pp. 41-85. Son œuvre De iuiunio quatuor temporum et
ordinationibus ... est perdue, cf. A. C. Fraeijs de Veubeke, Un catalogue des manuscrits de
la collégiale Saint-Paul à Liège au milieu du XVe siècle, dans Revue d'histoire des textes,
t. 4, 1974, p. 374, n° 21.
(34) Renier de Saint-Laurent, De ineptiis cujusdam idiotae, éd. W. Arndt, dans M. G.
H., SS.,t. 20, 1868, p. 594.
(35) P. Tannery, Mémoires scientifiques, publiés par J. L. Heiberg, Sciences exactes au
Moyen Age (1877-1921), Toulouse-Paris, 1922, p. 86 : «ceci n'est pas un chapitre de
l'histoire de la science, c'est une étude sur l'ignorance».
(36) Ed. Smeur, pp. 75-85 ; cf. à ce sujet l'introduction de cette édition, pp. 30-37.
(37) Les écoles de Chartres au moyen âge, du Ve au XVIe siècle, Paris, 1895, pp. 128-
129.
(38) Ars cantus mensurabilis et Compendium discantus, cf. P. Glorieux, La faculté des
arts et ses maîtres au XIIIe siècle, Paris, 1971, p. 137. Notons que Sigebert de Gembloux
(Catalogus ..., éd. Witte, p. 101) ne signale pas d'oeuvre musicale rédigée par Francon.
(39) H. Bessei.er, Franco von Köln, dans Die Musik in Geschichte und Gegenwart, t. 4,
Cassel-Bâle. 1955, coll. 688-698; H. Riemann, Musik- Lexikon. Personenteil Α-K,
Mayence, 1959, pp. 542-543 ; J. Chaiixey, Histoire musicale du Moyen Age, 2e éd., Paris,
1969, p. 223.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 3 I7

doctrine» (40). On sait que le principal collaborateur de Burchard de Worms, - qui


avait étudié à Coblence, - pour la rédaction du Décret fut Olbert, abbé de
Gembloux(41) et disciple d'Hériger (42). Le législateur de l'Église impériale a
manifestement pris la structure ecclésiastique liégeoise comme modèle pour
définir l'équilibre à réaliser entre les pouvoirs temporel et spirituel (43).
Contrairement à ce que certains, - Cauchie (44X Fliehe (45) et Amann (46), - ont tenté de
démontrer, Ch. Dereine a prouvé que «l'activité de Wazon reste orientée dans la
ligne tracée par Burchard» (47). En matière de discipline canoniale, cet évèque de
Liège se fait le défenseur de la règle d'Aix contre les promoteurs de la vita
apostolica (48).
Sigebert de Gembloux (t 1112) fut l'interprète autorisé du clergé resté fidèle à
l'évêque Otbert et à l'empereur Henri IV. Ses œuvres apologétiques (49) rendent

(40) L'école canonique liégeoise et la réforme grégorienne, dans Annales de la


Fédération archéol. et hist, de Belgique, 33e session .· Tournai, 1949, t. 1 . 1 952, pp. 79-94 ;
ici, p. 93.
(41) Olbert a étudié à Lobbes sous la direction d'Hériger. Il fut abbé de Gembloux et de
Saint-Jacques de Liège : J. Stiennon, Étude sur le chartrier et le domaine de l'abbaye de
Saint-Jacques de Liège (1015-1209), Paris-Liège, 1951, pp. 356-363.
(42) Sigebfrt de Gfmbi oux, Gesta abbatum Gemblacensium (éd. G. H. Pfrtz, dans
M.G.H., SS.. t. 8. p. 536) ; Chronographia (éd. L. C. Bfthuann, dans M.G.H., SS., t. 6,
p. 306) ; Catalogus de vins illustribus (éd. R. Witte, p. 92).
(43) P. Fourmer. Le décret de Burchard de Worms, ses caractères, son influence, dans
R.H.E., t. 12. 1911, pp. 451-473, 670-671 ; Id., et G. Lf Bras. Histoire des collections
canoniques en Occident .... Paris, 1 93 1 , t. 1 , pp. 365-43 1 ; M. Kerner, Studien zum Dekret
des Bischofs Burchard von Worms, t. 1-2, Mayence-Aix, 1971.
(44) A. Cauchie, La querelle des investitures dans les diocèses de Liège et de Cambrai.
Louvain. 1890, t. 1, pp. i-iix, ixxv-ixxxvm.
(45) A Fiiche, La Réforme grégorienne, Louvain, 1924, t. 1, pp. 1 13-128.
(46) E. Amann, Wazon, dans Dictionnaire de théologie catholique, t. 15/2, 1949, coll.
3520-2520. et spécialement col. 3522.
(47) L'école canonique .... p. 87. Sigebert de Gembloux s'appuyera d'ailleurs sur
Wazon pour reprocher à Pascal II d'avoir poussé le comte de Flandre à la guerre contre
Liège (op. cit., p. 89).
(48) Voir à ce sujet, sa lettre au prévôt Jean qu'Anselme a reproduit dans ses Gesta
episcoporum ... Leodiensium (éd. R. Kofpkf, dans M.G.H.. SS . t. 7, 1846. p. 21 1) : Ch.
Dereine, Clercs et moines au diocèse de Liège du Xe au XIIe siècles, dans A.S.A.N., t. 45,
1949-1950, pp. 183-203 ; Id., Les chanoines réguliers ... avant saint Norbert, Bruxelles,
1952, pp. 11. 37.41-42.
(49) Voir les Dicta cuiusdam de discordia papae et regis (éd. K. Franke, dans M.G.H.,
Libelli de Lite, t. 1, pp. 454-460), Epistola cuiusdam adversus laïcorum in presbyteros
conjugates calumniam (éd. E. Sackur. dans M. G. H., Libelli de Lite, t. 2, pp. 437-448) et
Epistola Leodiensium adversus Pascalem papam (éd. E. Sackur. op. cit., pp. 451-464).
Signalons en outre son Catalogus de vins illustribus qui est une source de premier ordre
318 CH. RENARDY

parfaitement compte de l'opposition entre les thèses impérialistes et les projets


grégoriens de réforme de l'Église. Cette défense des traditions canoniques
liégeoises prône évidemment le principe modéré d'équilibre entre les deux
pouvoirs qu'avaient élaboré, depuis un siècle, Olbert de Gembloux, Burchard de
Worms et Wazon de Liège.
Alger de Liège (50), secrétaire de l'évêque Otbert, appartient à la génération
suivante, celle qui s'est imprégnée davantage de textes canoniques d'origine
pontificale. Son De misericordia et iustitia témoigne du progrès très lent des idées
grégoriennes à Liège (5I). Un de ses collègues, Raimbaud, doyen de Saint-Lambert
de 1141 à 11 49. a traité du problème des rapports entre les chanoines séculiers et
réguliers. Son De vita canonica (52) reconnaît la perfection atteinte par les
chanoines de Saint Augustin, mais ne condamne nullement la discipline d'Aix, si
chère aux canonistes liégeois.
Sans compter les deux écrits canoniques d'Alger et de Raimbaud qu'elle a
directement suscités, la querelle des Investitures a eu une double influence sur
l'activité intellectuelle du diocèse de Liège. Ce conflit politique a, d'une part,
inspiré la production d'œuvres historiques. Citons, parmi d'autres, le Cantato-
riumi53) de Saint-Hubert (54), dont l'auteur est sans doute le moine Lambert le

pour l'étude du milieu intellectuel liégeois des \e-\ie siècles (éd. R. Wïttf. Berne-
Francfort-sur-Main. 1974. particulièrement pp. 90-93). ainsi que l'étude de J. Bfumann,
Sigebert von Gembloux und der Traktat «De investura episcoporum». Sigmaringen. 1976.
(50) Jusqu'en 1101. il est écolâtre de Saint-Barthélémy. Il est ensuite cité comme
chanoine de Saint-Lambert jusqu'en 1 121. date de son entrée à l'abbaye de Cluny. Notons
qu'il quitte le diocese de Liège peu après le décès d'Otbert (î 1 1 19) à qui il servait de
secretaire. On lui doit aussi un traité sur la dignité de l'église de Liège, dont une partie fut
retrouvée dans le Liber offieiorum ecclesiae Leodiensis (éd. S. Bormans et E. Schooi -
MFFSTFRS. dans B.C.R.H . 5e sér.. t 6. 1896, pp. 445-520). Voir aussi infra les notes 60-61,
66.
(51) M. Grabmaw. Die Geschichte der scholastischen Methode, t. 2. 191 1, pp. 135, 216-
217; U. Bfriikre. Alger de Liège, dans Dictionnaire d'histoire et de géographie
ecclésiastique, t. 2. 1914, coll. 423-424 : Mamtils. 3. pp. 100-105 ; G. Lf Bras. Le «De
misericordia et iustitia» d'Alger de Liège, dans Revue d'histoire du droit français et
étranger, t 45. 1 92 1 . pp 80-1 1 8 ; Id , Alger de Liège et Gratiën, dans Revue des sciences
philos et théol . 1931. pp. 5-26.
(52) Reimbaldi Leodiensis opera omnia, éd. Ch. De Ci frcq, dans Corpus Christiano-
rum. Continuatio Medievalis, t. 4. 1966, pp. 9-33. L'analyse de cette œuvre a été présentée
par l'éditeur. Le «De Vita Canonica» de Raimbaud de Liège, dans Archivum Latinitatis
Medii Aetatis. t. 32. 1962. pp. 60-89.
(53) La Chronique de Saint-Hubert, dite Cantatorium, éd. K. Hanquet, Bruxelles.
C.R.H.. 1906.
(54) Cette abbaye fut la première du diocèse à combattre la politique impérialiste des
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 319

Jeune, la Chronographia (55) de Sigebert de Gembloux qui connut un succès


considérable, le Chronicon rythmicum Leodiense qui est attribué au doyen
Raimbaud (56). Durant le déroulement de cette querelle, on constate, d'autre part,
un subtil changement d'orientation dans les préoccupations intellectuelles des
ecclésiastiques liégeois : les écrits théologiques et les méditations spirituelles
prennent peu à peu le pas sur les traités de droit canon. Notons qu'auparavant, la
théologie avait déjà été à l'honneur dans le diocèse avec Rathier au xe siècle,
Adelman (") et Gozechin (58) au xie siècle.
D'abord moine de Saint-Laurent, puis abbé de Deutz, Rupert (t 1 1 29) a rédigé
de nombreux commentaires de la Bible et cherché à expliquer les dogmes par la
littérature sacrée. Il apparaît comme un des fondateurs de la mystique spéculative
médiévale, qui a ouvert la voie à l'école de Saint-Victor, et comme un adversaire
tenace de la dialectique, mise à l'honneur par Abélard surtout (59). Alger de Liège,

évêques de Liège durant la seconde moitié du xie siècle ; la chronique de Lambert le Jeune
rapporte tous les détails de cette opposition hubertine.
(55) Ed. L. C. Bfthmann, dans M.G.H., SS., t. 6, 1844. pp. 268-374.
(56) Reimbaldi Leodiensis . ., éd. C. De Ci frcq. pp. 124-140.
(57) II fut écolâtre de Liège de 1031 à 1044, puis évèque de Brescia de 1055/57 à 1061
(cf. note 10).
(58) Gozechin, qui fut écolâtre de Saint-Barthélémy au milieu du xie siècle, avant d'aller
enseigner à Mayence, s'est rendu célèbre par son opposition à la théorie de Berenger de
Tours sur l'Eucharistie (Kurth, op. cit., p. 288 ; G. Dfspy, Les chartes de l'abbaye de
Wautsort. Etude diplomatique et édition critique, t. 1, Bruxelles, 1957, pp. 93-96. 270-
271 ; O. Hoi der-Egger, Goswin und Gozechin, Dotnscholaster zu Mainz, dans Neues
Archiv, t. 13, 1888, pp. 1 1-21). On a conservé de lui une description de la ville de Liège
(éd. Mign'E, P.L., 143, coll. 885-908, d'après Mabiiion, Vetera Analecta, t. 1, Paris, 1723,
pp. 437-446).
(59) Voir au sujet de la spiritualité traditionnelle de Rupert, J. Lfci frcq. F. Van-
denbroucke et L. BouYFR. La spiritualité du Moyen Age, Paris, 1961, pp. 213-215. Ses
oeuvres font actuellement l'objet d'éditions critiques. Citons notamment celles de Rh.
Haackf dans le Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis. t. 7, 21-24, 26. Turnhout,
1969-1974 et dans M. G. H., Quellen zur Geistesgeschichte, t. 5, 1970, ainsi que celles de I.
Gribomont et E. De Soi ms, dans les Sources chrétiennes, t. 131, Série des textes
monastiques, XXXI, Paris, 1967. Pour les œuvres non encore rééditées, il faut encore
momentanément se reporter à Migne, P.L., t. 167-170. Pour la critique des traités
d'exégèse et de théologie, voir Rh. Haacke, Die V eberlieferung der Schriften Ruperts von
Deutz, dans Deutsches Archiv, t. 16, 1960, pp. 397-436 : Mamtius. 3, pp. 53-54, 127-144,
365-366 : E. Beitz. Rupertus von Deutz. Seine Werke und die bildende Kunst, Cologne,
1 930 ; H. H. With er. Die Erlösung und ihre Zuwendung nach der Lehre des Abtes Rupert
von Deutz, Dusseldorf, 1 940 ; H. Sii.vfstre, Du nouveau sur Rupert de Deutz, dans Revue
d'histoire ecclésiastique, t. 63, 1968. pp 54-58. Au sujet de l'école de Saint- Victor, voir J.
Chatuion. La culture de l'école de Saint-Victor au XIIe siècle, dans Entretiens sur la
320 CH. RENARDY

qui mourut à Cluny en 1131, fut également un philosophe de talent. Il a rédigé un


traité intitulé De sacrificio missaei60), qui lui valut l'admiration de Pierre le
Vénérable (61) et qui marque l'apogée de la théologie eucharistique au moyen âge.

B. Les causes du deci in au dfbut du xne sièci e

«En ce temps, donc, le monachisme apparemment triomphant à Cluny, comme


à Saint-Denis, comme à Clairvaux, capable de venir à bout de Pierre Abélard et de
le récupérer, est en réalité, une structure du passé. Face à Abélard, si moderne,
trop moderne sans doute, on a bien vu à quel point Pierre le Vénérable était
conservateur, rétrograde, tournait le dos à la modernité, et tentait de rester
immobile devant l'énorme élan qui entraînait vers l'avant l'économie, les formes
du pouvoir et les exigences religieuses».
G. Duby, dans Pierre Abélard ; Pierre le Vénérable. Les
courants philosophiques, littéraires et artistiques en
Occident au milieu du XIIe siècle, Paris, 1975, p. 93.

Les écoles liégeoises ont exercé, à la fin du xe et surtout au xie siècle, un


rayonnement que l'on peut qualifier d'exceptionnel. Dans le courant du siècle
suivant, le pays mosan cesse brusquement de briller dans le domaine de
l'enseignement, alors qu'au même moment, quelques centres privilégiés, - ceux-là
mêmes qui, aux environs de 1130. s'organiseront en studia generalia, -
continuent à jouer un rôle attractif. Comment peut-on expliquer cette complète
décadence des écoles liégeoises ?

1. Causes internes
Durant les xc et \ie siècles, la région mosane connut, en plus de la pénétration
des coutumes de Cluny et de Gorze. des tentatives parallèles de réforme
monastique qui furent l'œuvre de personnalités telles que Poppon de Stavelot,

Renaissance du XIIe siècle. Paris-La Haye, 1968, pp 147-178 ; J. Ehiers. Hugo von St.
Viktor, Studien zum Geschichtsdenken und zur Geschichtsschreibung des 12.
Jahrhunderts, Wiesbaden, 1973, spécialement aux pp. 67, 156-159.
(60) Ou De sacramento corporis et sanguinis Domini. Voir à ce sujet la lettre de Pierre le
Vénérable à Albéron II de Liège (éd. G. Constabie, The Letters of Peter the Vénérable.
Cambridge, Mass.. 1967. t 1. p. 230. ep. 89).
(61) On ne possède pas d'édition critique de ce traité (Migne, P.L., 180, coll. 853-856).
Pour l'analyse de cette œuvre, voir L. Brigue, Alger de Liège, un théologien de
l'Eucharistie au début du XIIe siècle, Paris, 1936.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 321

Gérard de Brogne, Olbert de Gembloux, Richard de Saint- Vannes ("). J. Stiennon


affirme que «c'est le brassage continuel, l'échange incessant de moines, d'idées,
d'influences entre les monastères de la Basse-Lotharingie, qui contribue à assurer
au visage spirituel de cette région sa concordance, son unité» (63).
Le milieu culturel liégeois de 950 à 1 150 apparaît comme dominé par le fait
monastique, et cela, bien que la cathédrale de Liège ait certainement joué un rôle
primordial, au xie siècle, dans le rayonnement des centres intellectuels mosans.
Les essais littéraires et historiques de cette époque sont pratiquement tous l'œuvre
de moines. À ce propos, je noterai une exception de taille : Anselme, chanoine de
Saint-Lambert, continuateur d'Hériger de Lobbes, auteur des Gesta episcopo-
nim ... Leodiensium, où figure d'ailleurs le tableau (64) le plus complet de
l'organisation de l'école cathédrale et de l'enseignement liégeois aux \e et au début du
xie siècle (65).
Certes, l'école théologico-canonique de Liège comprend presque autant de
personnalités issues des milieux séculiers que réguliers ; mais Alger, qui fut le
dernier défenseur des traditions mosanes d'organisation ecclésiastique et
probablement le meilleur théoricien médiéval du problème eucharistique, abandonna,
en 1 1 2 1 , le chapitre de Saint-Lambert pour entrer à l'abbaye de Cluny (66). Il est
plus remarquable encore de noter qu'il ne s'agit nullement d'une action isolée ;
Ch. Dereine s'est intéressé aux problèmes suscités à l'époque par les vocations
monastiques (67) de clercs séculiers. Celles-ci étaient fréquentes, car les cloîtres
bénédictins (68) exerçaient «une forte attraction sur les chanoines liégeois».

(62) J. Stifnnon, L'étude des centres intellectuels .... pp. 14-15 ; Id., Cluny et Suint-
Trond au XIIe siècle, dans Anciens Pays et Assemblées d'États, t. 8, 1955, pp. 55-86 ;
J. Lejeune. La Principauté de Liège, Liège. 1948, pp. 37-40.
(63) J. Stiennon, L'étude .... p. 18.
(64) Ed. Koepkf, dans M.G.H.. SS., t. 7, 1846. pp. 189-234.
(65) À Liège, seule l'école cathédrale dispensait un enseignement supérieur, à l'époque
de Notger ; les autres écoles cléricales ne retiennent pas leurs élèves au-delà de la
quinzième année. Les deux abbayes bénédictines de Saint-Jacques et de Saint-Laurent,
fondées au xie siècle, joueront un rôle culturel certain, mais il n'est pas toujours possible
de déterminer quelle part réelle elles assureront dans l'enseignement.
(66) G. Constabi ε. The Letters of Peter the Venerable, t. 1, p. 229, ep. 89. Voir à ce
sujet J. Stiennon. Hézelon de Liège, architecte de Cluny III, dans Mélanges offerts à René
Crozet, Poitiers, 1966, pp. 346-347 ; Constabi e. op. cit.. t. 2. pp. 157-158.
(67) Clercs et moines . . pp. 183-203. et spécial. 199-200 ; Les chanoines réguliers ...
avant saint Norbert, pp. 42. 50-51.
(68) Les cloîtres suscitaient aussi déjeunes vocations quand les moines n'avaient pas été
offerts dès leur plus tendre enfance. Ainsi, un exemple parmi d'autres, Raoul, né dans la
familia du chapitre de Moustier-sur-Sambre, vint s'instruire à Liège, à l'école cathédrale
sans doute, jusqu'à l'âge de 18 ans, avant d'embrasser l'état monastique à Burtscheid. Il
322 CH. RENARDY

Au xie siècle déjà, en effet, des ecclésiastiques attirés par la brillante abbaye
bourguignonne avaient quitté les bords de la Meuse. Hézelon (69), moine à Cluny
dès avant 1088 et architecte de l'abbatiale Cluny III (70), est lui aussi un ancien
chanoine liégeois (71). Ce mathématicien, probablement formé par l'écolâtre
Francon et héritier sans aucun doute des traditions scientifiques de l'école
cathérale de Saint-Lambert, a donc préféré la discipline monastique et la vie à
Cluny à une carrière d'enseignant à Liège (72).
Le départ d'Alger et d'Hézelon, deux personnalités illustrant parfaitement les
«écoles» liégeoises qui furent réellement novatrices, - l'une théologico-canonique,
l'autre scientifique, - est symptomatique de l'influence prépondérante que les
institutions régulières exerçaient sur la civilisation liégeoise. Cette influence est, à
mon avis, une des causes du déclin des centres intellectuels mosans, et cela pour
deux raisons : premièrement, parce que les milieux monastiques s'opposèrent, au
xnc siècle, à l'introduction dans les programmes d'enseignement d'un nouvel art
du raisonnement, la dialectique ; deuxièmement, parce que les mouvements
monastiques à tendance réformiste furent, à la même époque, hostiles à toute
mission d'enseignement.
H. Silvestre (73) a très bien montré l'hostilité des moines bénédictins liégeois à
l'égard de la dialectique. Ces conceptions du raisonnement, véritablement
révolutionnaires, bouleversaient entièrement les méthodes et les programmes qui
avaient fait, durant deux siècles, la célébrité des intellectuels mosans. Leur
position de repli, la mystique, se trouve à l'opposé de la réflexion logique, de
l'inclination rationaliste. Les écrits du bénédictin Rupert de Deutz illustrent
parfaitement, je l'ai dit, ce refus de la dialectique, dont la méthode logique
s'apparente à celle des mathématiques. Ce phénomène n'est pas particulier à

quittera assez rapidement son monastère de profession pour celui de Saint-Trond où il


occupera la charge de prieur jusqu'en 1 108. À cette date, il devient abbé et le restera
jusqu'à son décès en 1 136 (cf C. Df- Borman, Chronique de l'abbaye de Saint-Trond. t. 1,
Liège, 1872, pp. 119-122
(69) Le troisième chanoine liégeois qui fit profession a Cluny est un certain Tezelin : on
sait qu'il mourut à Vezelay entre 1 106 et 1 128. Cf. E. Constabie, op. cit., t. 2. p. 158.
(70) C'est Urbain II qui a consacre cette église, le 25 octobre 1095.
(71) J. Stif\non, op. cit., pp. 345-358.
(72) Je ne puis évidemment pas affirmer que Hézelon est justement la personnalité qui
aurait pu conserver à l'école cathédrale de Liège le dynamisme dont elle avait fait preuve
durant la première moitié du xie siècle.
(73) H. Siivfstrk Renier de Saint-Laurent et le déclin des écoles liégeoises au XIIe
siècle, dans Annales de la Fédération archéol. et histor. de Belgique (33e session. Tournai,
1949), t. 2, pp. 112-123.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 323

Liège, mais général (74). Partout, dans les cloîtres monastiques, les enseignants ont
choisi de conserver strictement leurs programmes traditionnels, plutôt que de
rénover leurs méthodes.
Les réformateurs des xie et xiie siècles se montrèrent hostiles aux écoles (75),
notamment parce que la présence d'enfants dans les cloîtres empêchait
l'application d'une discipline stricte. Cluny et ses filiales n'eurent jamais d'école
accessible à la jeunesse laïque. Pierre Damien est totalement opposé à la culture
pour les canonici reguläres. Saint Bernard est à peine moins sectaire, car il répète
volontiers que monachi non est docere sed Ingère (76). «Pour l'opinion commune
dans le monde monastique du xne siècle, la fonction professorale est incompatible
avec l'état monastique» (77). L'exemple célèbre du renoncement des moines à la
mission d'enseignement est celui de l'abbaye de Lobbes, qui avait pourtant joué au
xe siècle le rôle essentiel de premier centre intellectuel du pays mosan. Les faits se
déroulent en 1 137, sous l'abbatiat de Léonius, qui avait découvert les coutumes
clunisiennes à Anchin. L'école intérieure est supprimée, tandis que l'abbé confie à
un séculier la direction de l'école extérieure, au grand regret d'ailleurs du
continuateur des Gesta abbatum Lobbiensium (78). La première conséquence de cet
état d'esprit fut le déclin des écoles intérieures ; celles qui eurent la chance de
subsister se contentèrent d'enseigner aux jeunes moines quelques notions de
liturgie et de chant (79). On recula dans les monastères l'âge d'admission des
novices, de manière à ne plus recevoir que des candidats ayant déjà reçu ailleurs

(74) À ce sujet, voir D. E. Luscovibe, The School of Peter Abélard. The Influence of
Abelard's Thought in the Early Scholastic Period, Cambridge, 1969.
(75) Ce problème a déjà fait l'objet d'études de valeur-, je citerai Ph. Dfihayk
L'organisation scolaire au XIIe siècle, dans Tradilio, t. 5, 1947, pp. 211-268 et
spécialement pp. 225-234 ; Schmitz, 2, pp. 53-64 et 5, pp. 110-111 ·, U. Beri ifrf. Les écoles
claustrales au moyen âge, dans Bulletin de l'Acad. royale de Belgique, Cl. des Lettres, t. 7.
1 921 , pp. 550-572 ; P. Riche, L 'enfant dans la société monastique, dans Pierre Abélard -
Pierre le Vénérable. Les courants philosophiques, littéraires et artistiques en Occident au
milieu du XIIe siècle (Cluny, 1972), Paris, 1975. pp. 689-701 ; Y. Conger. Modèle
monastique et modèle sacerdotal en Occident, de Grégoire VII à Innocent III, dans
Mélanges E. R. Labande. Études de civilisation médiévale, Poitiers, 1975, pp. 153-160.
(76) Migm-, P.L., 182, coll. 218, 221.
(77) Ph. DtiHAYE, op. cit.. p. 228.
(78) Ed. W. Arndt, dans M. G H., SS., t. 21, 1869, p. 327. On sait également qu'en
1055, il existait une école intérieure et une école extérieure à Saint-Hubert (Cantatorium.
éd. Hanquet, p. 21, c. 8).
(79) Ce déclin n'épargne pas des écoles aussi célèbres que celle du Mont-Cassin, du Bec
et de Fulda, cf. Ch. H. Haski\s, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge.
(Massachusetts), 1927. pp. 33-37.
324 CH. RENARDY

un enseignement de base, sûrs de leur vocation, et non plus des enfants en bas âge
offerts par les familles nobles. La deuxième conséquence fut la fermeture de
certaines écoles extérieures ; celles qui résisteront ne furent plus dirigées par des
moines (80).
Toute différence va être l'attitude des chanoines fidèles a la règle d'Aix, qui vont
profiter de l'inadaptation des moines à l'enseignement dans les écoles urbaines (81)
et à la méthode dialectique (82). Les centres d'enseignement cléricaux, installés
dans les villes, nouveaux foyers de la vie sociale, vont dorénavant instruire les
clercs et les laïcs que les monastères refusent d'admettre (83). Dans le diocèse de
Liège, ce sont les écoles collégiales (84), et surtout celle de la cathédrale, qui
continuent à assurer à tous un enseignement de base (85). Les ecclésiastiques qui
désirent poursuivre des études supérieures sont donc, dès la deuxième moitié du
xiie siècle, obligés d'aller en terra aliéna, à l'étranger. Les universités du xme siècle
sont nées de certaines écoles capitulaires qui ont su conserver leur attrait et
continuer à recruter des élèves à l'étranger (86). La caractéristique de ces studia

(80) Lesne, op. cit., p. 437.


(81) L. K. Litti E (dans un article intitulé Intellectual Training and Attitudes toward
Reform, 1075-1150 et qui a paru dans Pierre Abélard-Pierre le Vénérable ..., Paris, 1975,
pp. 235-254) démontre l'importance de la formation acquise par les réformateurs radicaux
dans des écoles urbaines ; tout au contraire, il ressort de l'analyse prosopographique des
défenseurs de l'ancien régime monastique que tous avaient été éduqués dans des écoles
claustrales.
(82) Y. Congar, op. cit., p. 157.
(83) Les écoles des chanoines réguliers, notamment celles des Victorins près de Paris,
joueront un rôle important au xne siècle.
(84) Sur l'organisation de l'enseignement dans une église collégiale, voir le chapitre 1,
Β : Un problème de terminologie, pp. 87-90, de mon livre : Paris, Les Belles Lettres, 1979.
(85) Déjà au temps de Notger, des laïcs étaient instruits dans une école dépendant de la
cathédrale (Ansei mf, Gesta .... éd. Koepke. dans M.G.H., SS., t. 7, 1846, p. 206, c. 30).
L'exemple célèbre d'un fils de marchand étudiant dans une école capitulaire est celui du
bienheureux Abbon de Huy, qui fréquenta l'école de la collégiale Notre-Dame de cette
ville. Jugeant l'enseignement prodigué à son fils trop orienté vers la spiritualité, alors qu'il
désirait le faire travailler à la tenue des livres de compte de son négoce, le père d'Abbon
l'envoya ensuite étudier au Neufmoustier, où les cours avaient sans doute un caractère
plus pratique. Voir à ce sujet A. Joris, La Ville de Huy au Moyen Age, pp. 393-394. Sur
l'enseignement prodigué aux laïcs à cette époque, voir H. Pirenne, L'instruction des
marchands au moyen age, art. réimpr. dans Histoire économique de l'Occident médiéval.
Bruges, 1951. pp. 551-570 et P. Riche, Recherches sur l'instruction des laies du XIe au
XIIe siècle, dans Cahiers de Civilisation médiévale, t. 5, 1962, pp 175-182.
(86) C'est A. B. Cobban dans The medieval universities .· their development and
organization, 2e éd., Londres, 1975, pp. 3-36) qui a fourni la meilleure étude de cette
mutation.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 325

generalia est d'avoir organisé l'enseignement supérieur, d'avoir en réalité fait


sauter le cadre contraignant du septivium antique, qui n'est plus considéré que
comme une préparation à des études plus poussées, afin de proposer aux étudiants
trois «nouvelles» spécialités : la théologie, les sciences de la nature /médecine et le
droit (87).
Envisageons donc l'attitude des intellectuels liégeois, qui sont fortement
influencés par le monde monastique, face à ces trois sciences. Comme je l'ai déjà
dit, les bénédictins mosans s'étaient opposés à l'utilisation de la logique, de la
dialectique comme méthode d'investigation théologique ; dès 1 1 50. ils furent donc
totalement dépassés pour tout ce qui regardait les études philosophiques.
À partir de 1 125 environ, les intellectuels de l'Occident latin ont pu, grâce aux
traductions de plus en plus courantes (88), prendre connaissance des Éléments
d'Euclide, de la théorie des coniques d'Apollone, de la trigonométrie arabe, des
œuvres d'Aristote, de Ptolémée et des astronomes arabes, ainsi que des traités
médicaux de Galien, d'Hippocrate et d'Avicenne. La découverte de ces «trésors»
intellectuels provoqua un essor prodigieux des recherches mathématiques,
philosophiques et naturelles (89X Λ Liège, cette renaissance des sciences n'a
provoqué aucune réaction intellectuelle. L'école cathédrale, qui avait durant tout
le xie siècle, cultivé avec beaucoup de brio les disciplines mathématiques, n'a
produit aucun scientifique digne de ce nom après Francon. Jusqu'aux environs de
1 100, les monastères bénédictins avaient étudié la médecine de manière théorique,
mais personne, dans les milieux séculiers et réguliers liégeois, ne s'est intéressé
durant le xne siècle, à la rénovation de l'enseignement de la physica (90).

(87) Certaines universités seront parfois célèbres en raison d'une faculté particulière
(ainsi, on allait à Montpellier pour étudier la médecine, à Paris pour étudier la théologie, à
Bologne le droit, mais cela ne signifie pas nécessairement que les autres facultés
n'existaient pas dans ces institutions).
(88) G. Sarton, Introduction to the History of Science, t. 2/1, Baltimore, 1931, pp. 167
et sv., 338 et sv.
(89) Ce phénomène intellectuel a étudié par nombre d'auteurs, je renverrai à deux
synthèses, celle de Ch. H. Haskins. The Renaissance of the Twelfth Century, pp 278-367
qui est loin d'être dépassée et celle toute récente de N. Daniel, The Arabs and Medieval
Europe, Londres-Beyrouth. 1975, spécialement pp. 263-298, qui est remarquable à plus
d'un point de vue.
(90) V. L. BuiiouGH, The De\elopment of médecine as a profession, Bâle-New York,
1966. pp. 36-45 ; Ph. Schmitz, op. cit., 2. pp. 193-199. Ce désintérêt ne fut certainement
pas provoqué par l'interdiction faite aux clercs de pratiquer la médecine, car celle-ci ne fut
promulguée qu'en 1215, au quatrième concile de Latran. Cf. Conciliorum oecumenicorum
décréta, Fribourg, 1962, p. 220. Ce canon fut évidemment intégré au Corpus Iuris
Canonici, dans le titulus : Ne clerici vel monachi saecularibus negotiis se imtnisceanl (éd.
326 CH. RENARDY

Reste le droit. C'est, à mon avis, des événements politiques que l'on doit, dans le
cas de cette spécialité, mettre en avant pour expliquer le déclin mosan. D'Olbert de
Gembloux à Raimbaud de Saint- Lambert, l'école canonique liégeoise s'est
attachée à défendre la structure politico-ecclésiastique de l'Église impériale et
l'organisation canoniale découlant de la règle d'Aix de 816. Il fut mis fin à la
querelle des Investitures par le concordat de Worms, qui est un compromis entre
les thèses pontificale et impériale (9l). À partir du deuxième quart du xne siècle, les
canonistes liégeois n'ont plus à disserter sur le bon droit des théories du parti
impérial : leur opposition au grégorianisme est dépassée. Les grandes écoles
italiennes de droit civil, — Pavie et surtout Bologne depuis le début du siècle, -
fournissent les juristes nécessaires de la direction de l'Empire (92). Dans le même
temps, les formes «augustiniennes» de vie canoniale gagnent du terrain dans le
diocèse, grâce aux fondations, entre 1092 et 1115, de Flône, Saint-Gilles,
Neufmoustier et Rolduc(93). La dizaine d'autres institutions des chanoines
réguliers qui sont fondées avant 1 150 prouve suffisamment la vitalité que cette
réforme a connue, même dans un diocèse d'Empire, pour qu'il ne soit pas utile
d'insister davantage sur l'effacement de l'école canonique qui avait fait, de la
défense de la règle carolingienne, une de ses préoccupations principales.

2. Causes externes

Certains faits politiques, économiques et sociaux ont-ils aussi influencé le déclin


intellectuel mosan ?

Frifdberg, t. 2, Leipzig. 1879, lib. III. tit. 50, cap. 9). Cette interdiction n'empêchera
d'ailleurs pas l'attribution de bénéfices ecclésiastiques à des physici, car c'est la pratique, et
non les études théoriques, qui est proscrite. Voir à titre d'exemple, le rotulus de
l'Université de Paris, daté du 17 juillet 1342 (éd. C.U.P. 2. pp. 528-529 n° 1062).
(91) E. Df Morfau. Les derniers de la querelle des Investitures dans le diocèse de
Liège .... dans B.C.R.H.. t. 100, 1936, pp. 301-348 ; P. Bonfnfant, La Basse- Lotharingie
avant et après le Concordat de Worms .... dans Ann. Fed. archèol. et Itistor., 32e session .·
Anvers, 1947, t. 2. 1950. pp. 95-104.
(92) Voir à ce sujet B. Par\disi, Storia dell diritto italiano .... Naples, 1961, pp. 215-
235, 31 1-339, 406-471 ; H. Kohppifr, Frederick Barbarossa and the Schools of Bologna,
dans The English Historical Review, t. 54, 1939, pp. 577-607. Un bel exemple de
l'attirance exercée par les écoles juridiques italiennes est celui de Wibald de Stavelot qui
fréquenta le studium de Bologne, après avoir reçu un enseignement de base à Liège, voir à
ce sujet A. Joris, Wibald de Stavelot et le droit romain, dans Économies et sociétés au
Moyen Age. Melanges offerts a É. Perroy, Paris, 1973, pp. 601-607.
(93) Ch. Dereine, Les chanoines réguliers ... avant saint Norbert.
LES ÉCOLES LIÉGEOISES DU IXe AU XIIe SIÈCLE 327

D'après F. Rousseau (94X le déclin du milieu culturel mosan devait avoir été
provoqué par des faits économiques. On ne peut nier, en effet, que le
développement culturel d'une région soit lié aux conditions économiques et sociales.
La création, à la fin du xie siècle, de la route Cologne - Bruges par Maastricht et
Louvain avait, croyait-on, entraîné la décadence du pays mosan. Des travaux
récents d'histoire économique, ceux d'A. Joris (95) notamment, prouvent la
prospérité de cette région qui connaissait encore, durant le xne siècle, une vie
industrielle et commerciale. Par conséquent, la vallée de la Meuse a, certes, connu
un certain recul par rapport à d'autres régions plus favorisées à cette époque, mais
non une véritable décadence.
Sous l'épiscopat d'Henri de Leez, la principauté de Liège est devenue la
principale «puissance» politique de la Meuse moyenne (96). Cet évêque s'est
appuyé sur une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie (97), pour assurer son
pouvoir en Lotharingie. On sait également que l'affaiblissement du pouvoir
impérial dans cette contrée fut lent et progressif. Durant tout le règne de Frédéric
Barberousse ( 1 152-1 190), la principauté de Liège participe encore activement à la
vie de l'Empire. Les influences pontificale et française n'y auront une réelle
importance politique qu'au xme siècle. Henri de Leez et Raoul de Zähringen
furent, sans qu'aucun doute ne puisse subsister à ce sujet, des collaborateurs de
l'empereur, fidèles et dévoués.
Rien dans la situation économique ou politique du pays mosan aux environs de
1 1 50 ne permet d'expliquer entièrement la brusque décadence qu'y ont connue les
disciplines intellectuelles (98).

3. Conclusion
C'est donc pour des causes inhérentes à l'enseignement qu'elles prodiguaient
que les écoles liégeoises ont décliné au xiie siècle ("). Elles n'étaient pas en mesure

(94) F. Rousseau, La Meuse et le Pays Mosan en Belgique. Leur importance historique


avant le XIIIe siècle, dans A.S.A.N., t. XXXIX, 1930, pp. 1-248.
(95) A. Joris, Der Handel der Maasstädte im Mittelalter, dans Hansische
Geschichtsblätter . t. 79. 1961, pp. 23, 28.
(96) J. L. Kupper, Raoul de Zähringen, évéque de Liège, 1 167-1191 ..., Bruxelles,
1974. pp. 6-9.
(97) F. Vercauteren. Marchands et bourgeois dans le pays mosan aux XIe et XIIe
siècles, dans Mélanges F. Rousseau, Bruxelles, 1 958, pp. 655-672 et spécialement pp. 666-
668.
(98) Son rayonnement artistique se maintiendra, par contre, jusqu'au début du xme
siècle.
(99) Le déclin des écoles de Chartres se situe également durant la seconde moitié du xie
328 CH. RENARDY

de former des maîtres dans les disciplines qui couronnaient alors la formation des
intellectuels. Elles se contenteront bientôt de ne plus préparer les meilleurs
éléments qu'à un séjour d'études à l'étranger. Dès lors, il est impossible d'imaginer
que les centres intellectuels mosans aient pu encore exercer un attrait quelconque
sur les étudiants originaires d'autres contrées et donner naissance à un studium
generale.
On considère habituellement qu'au xne siècle, un studium generale est un centre
d'études qui se caractérise par l'enseignement de disciplines supérieures
(médecine, droit, théologie), par l'universalité de son auditoire et par le privilège exclusif
de conférer des grades valables pour tous pays (jus hic ubique terrarum docendi).
Avant 1 200, trois institutions seulement possèdent ces qualités, il s'agit de Salerne,
Bologne et Paris (10°).

Ch. Renardy.

siècle, voir à ce sujet le remarquable article de R. W. Southern, Humanism and the School
of Chartes (dans Medieval Humanism and other Studies, Oxford, 1970, pp. 61-85) qui
remet en question les théories de A. Clerval (op. cit.) et de J. M. Parent (La doctrine de la
Création dans l'école de Chartres, 1938).
(100) G. Ermini, // concetto di «studium generale», dans Archivio giuridico, sér. V,
t. 127, 1942. pp. 3-24 ; H. Rashdail, F. M. Powicke et A. B. Emden, The Universities of
Europe in the Middle Ages, Oxford, 1936, t. 1, pp. 6-24 ; Ch. H. Haskins, The University of
Oxford and the jus ubique docendi, dans English Historical Review, t. 46, 1941, pp. 281-
283 ; G. M. Monti, Studium generale, dans Scritti in onore di C. Ferrini, Milan, t. 2, 1 947,
pp. 150-159 ; A. B. Cobban, The Medieval Universities ..., pp. 23-36. Notons qu'au cours
du xme siècle, la notion de studium generale se transforme à tel point qu'il devient
impossible de définir cette institution vers 1 300.

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