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monde
Les Etats-Unis entre hyperpuissance et hyperhégémonie
Un dispositif global de
sécurité
Une autre leçon de l’après-
11 septembre, c’est que la
mondialisation continue et s’affirme
comme la principale caractéristique
du monde contemporain. Mais la
crise actuelle a révélé sa vulnérabilité.
C’est pourquoi les Etats-Unis
soutiennent qu’il est urgent de mettre
en place ce qu’on pourrait appeler
l’appareil de sécurité de la
mondialisation. Avec le ralliement de
la Russie, l’entrée de la Chine dans
l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) et le prétexte de la lutte
mondiale contre le terrorisme, qui
permet partout de réduire les libertés
et le périmètre de la démocratie (13),
les conditions paraissent désormais
réunies pour que ce dispositif global
de sécurité soit rapidement en place
et confié sans doute à la nouvelle
OTAN (14).
Mais des voix aussi se font entendre
qui rendent la mondialisation libérale
en partie responsable des événements
du 11 septembre. D’une part, parce
qu’elle a aggravé les injustices, les
inégalités et la pauvreté à l’échelle
planétaire (15). Et renforcé ainsi le
désespoir et la rancœur de millions de
personnes désormais prêtes à se
révolter ou, dans le monde arabo-
musulman, à se rallier aux groupes
islamistes radicaux - dont Al-Qaida -
qui font appel à la violence extrême.
En affaiblissant les Etats, en
dévaluant la politique et en
démantelant les réglementations, la
mondialisation a favorisé l’essor
d’organisations aux structures molles,
non hiérarchiques, non verticales,
réticulaires. Aussi bien les firmes
globales que les ONG, par exemple,
ont profité de cette nouvelle donne et
se sont multipliées. Mais des
organisations parasites ont également
proliféré dans les mêmes conditions,
profitant de manière chaotique des
espaces ainsi dégagés : mafias,
réseaux délinquants, criminalités de
toutes sortes, sectes et groupes
terroristes (16).
Al-Qaida, à cet égard, est une
organisation parfaitement adaptée à
l’âge de la mondialisation avec ses
ramifications multinationales, ses
réseaux financiers, ses connexions
médiatiques et communicationnelles,
ses filières d’approvisionnement, ses
pôles humanitaires, ses relais de
propagande, ses filiales et sous-
filiales...
Le monde a connu, au cours de
l’histoire, des villes-Etat (Athènes,
Venise), des régions-Etat (à l’époque
féodale) et des nations-Etat (au cours
des XIXe et XXe siècles), mais, avec la
mondialisation, on voit maintenant
apparaître le réseau-Etat, voire même
l’individu-Etat dont M. Ben Laden est
le premier exemple évident. Même si,
pour l’instant, ce dernier a encore
besoin - comme un bernard-l’hermite
a besoin d’une coquille vide - d’un
Etat vide (la Somalie hier,
l’Afghanistan aujourd’hui) pour
l’investir et le mettre tout entier au
service de ses ambitions.
La mondialisation favorise cela,
comme elle encouragera demain
l’apparition d’entreprises-Etat qui, à
la manière de M. Ben Laden,
investiront un Etat creux, vide,
déstructuré, en proie au désordre
endémique, pour l’utiliser à leur
guise. A cet égard aussi, M. Ben Laden
aura été en quelque sorte un terrifiant
précurseur.
Ignacio Ramonet
Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.