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Les climatosceptiques évoquent souvent les doutes persistant quant à la
science, et l’absence de consensus qui en découle. La climatologie, comme n’importe
quelle autre discipline scientifique, comporte nécessairement de l’incertitude: elle
progresse en posant des hypothèses sur les phénomènes qu’on observe, en faisant des
prédictions à partir de ces hypothèses, puis en vérifiant si l’expérience les contredit.
Plus l’expérience échoue à infirmer une théorie, plus on accepte cette dernière. Or, en
sciences naturelles, on ne peut jamais prouver strictement qu’une théorie soit vraie,
seulement qu’elle est fausse. N’importe quel scientifique honnête reconnaîtra cette
incertitude, qui est d’autant plus présente lorsqu’on traite d’un sujet aussi complexe
que le climat, sujet qu’on ne peut pas reproduire fidèlement en laboratoire pour
soumettre une quelconque théorie sur sa dynamique d’ensemble à de véritables
contrôles expérimentaux.
Avant qu’une théorie soit acceptée par tous, particulièrement dans un domaine
aussi complexe que le climat, il est donc normal que des sceptiques continuent à
souligner tout doute qui persiste et à avancer des hypothèses contradictoires pour
expliquer ce qu’on observe empiriquement. En science climatique, une poignée
“d’irréductibles” continue ainsi de souligner des incertitudes quant aux conclusions
majoritaires des scientifiques, en plus d’évoquer certains autres arguments (auxquels
nous reviendrons), et certains en concluent qu’il vaut mieux rejeter en bloc les
scénarios catastrophiques évoqués par l’ONU.
Je ne sortirai pas ici le fameux “97% des scientifiques disent que...” (un
argument fallacieux, puisque les foules peuvent se tromper). Cependant, le fait qu’il y
ait deux camps opposés, qui avancent des versions mutuellement incompatibles de la
réalité, veut dire qu’il y en a forcément au moins un qui se trompe.
À moins d’être disposé à étudier soi-même la vaste quantité de données et de
théories ayant mené aux différentes théories actuelles, force est d’admettre que nos
opinions se basent sur celles d’experts, qui nous fournissent des résumés de la science
actuelle. Ces experts n’étant que des humains, il sont évidemment susceptibles d’être
corrompus ou incompétents. Nous devons donc décider de façons raisonnables
d’évaluer leur fiabilité, puis d’évaluer la crédibilité de leurs théories en tant que telles.
On ne peut évidemment pas lire les pensées de ceux dont on doit évaluer les
motifs, mais certains outils épistémologiques (l’épistémologie est l’étude de la
connaissance) peuvent fournir un cadre utile pour cette analyse. Un premier outil, fort
utile pour évaluer le potentiel que des motifs égoïstes biaisent l’avis d’une personne
qu’on doit décider de croire ou non, est la question “cui bono?”: à qui ça profiterait,
si cette version était en réalité fausse mais que la société l’acceptait quand même?
En gros, chaque condition dont dépend une hypothèse réduit la probabilité que
l’hypothèse soit vraie, de façon inversement proportionnelle à la probabilité que
toutes les conditions soient vérifiées. En d’autre mots, plus il y a de conditions pour
qu’une théorie soit vraie, et plus les conditions sont improbables, moins la théorie a
de chances d’être vraie. Attention! Ce raisonnement ne prétend pas pouvoir mener à
la certitude. Toutefois, il propose un prisme utile pour considérer l’incertitude, et pour
minimiser nos chances de nous tromper.
Nous reviendrons sur les conditions pour que la thèse convaincue puisse être
vraie, touchant en même temps à certains arguments sceptiques. Par contre, voyons
d’abord celles qui sont nécessaires pour que la thèse sceptique soit vraie.
Tout d’abord, l’ONU est le forum où les dirigeants de (presque) tous les pays
du monde se rassemblent pour avancer diplomatiquement leurs propres intérêts, et
tenter de collaborer pour améliorer le sort de l’humanité en général. L’ONU
représente particulièrement les intérêts des plus grandes puissances géopolitiques de
la planète, à savoir les membres permanents du Conseil de sécurité. Discréditer
comme sciemment trompeuses les conclusions émises par un groupe de travail
mandaté par l'ONU, malgré la rigueur apparente de l’effort ayant mené à ces
conclusions, implique que de telles conclusions serviraient les intérêts des décideurs
les plus puissants de l’ONU, et que la tromperie ait l’accord tacite des autres, ou au
minimum que les plus puissants eussent réussi à faire taire les dissidents.
On ne peut évidemment pas exclure cette possibilité, mais elle semble plutôt
extravagante, considérant la réticence que semblent avoir les grandes puissances face
à l’action climatique: ça fait depuis les années 90 qu’elles font des conférences sur le
sujet, et ce n’est que récemment qu’on a commencé à y voir des engagements sérieux
de la part des grandes puissances (et encore!). Il serait bien étrange que des
chercheurs mandatés par l’ONU pour résumer les connaissances actuelles sur le sujet
publient des conclusions frauduleuses aussi incommodantes!
Notons aussi qu’en plus des médias, d’autres organisations possédant les
ressources et les motifs pour s’informer adéquatement sur le sujet et le considérer
froidement dans leur planification, comme l’armée américaineiv et les compagnies
d’assurance,v considèrent les changements climatiques comme un enjeu réel. Bien
que l’intérêt de ces organisations se limite surtout aux adaptations que ces
changements rendront nécessaires, plutôt qu’à l’attribution de leur causalité, leur
considération des changements climatiques comme un risque sérieux à gérer rajoute,
au minimum, de la crédibilité à l’idée qu’il s’agisse d’un vrai problème (même si ça
ne nous dit rien sur qui ou quoi en serait responsable).
Il nous reste donc la deuxième possibilité, qu’il existe une force cachée qui
oblige les scientifiques à taire la vérité malgré leur conscience. Puisque qu’il est à peu
près impossible de démontrer qu’une théorie de conspiration soit fausse, nous ne nous
attarderons pas longtemps sur cet angle. Par contre, abordons brièvement une
possibilité qu’évoquent parfois les climatosceptiques: que toutes ces histoires de
changements climatiques ne soient qu’une charade pour obtenir du financement
scientifique. Cette explication repose sur trois piliers douteux, qui sont tous
nécessaires pour qu’elle soit vraie: (1) que la majorité des scientifiques soient moins
intéressés par le développement de la connaissance que par les conforts matériels que
peuvent leur fournir des fonds de recherche leur payant un salaire pour faire des
recherches vides de sens (et qu’importe qu’elles soient vides de sens), (2) que ces
scientifiques ne puissent pas imaginer d’autres sujets de recherche plus utiles dans
lesquels s’investir, et (3) que ceux qui décident du financement à la science soient
ignorants de la vacuité de ce sujet de recherche ou bien s’en foutent éperdument.
Nous avons encore là des conditions pas impossibles, strictement parlant, mais quand
même assez extravagantes.
Passons maintenant aux conditions pour que la thèse convaincue puisse être
vraie. Encore une fois, nous nous intéresserons surtout aux filtres qui existent entre la
connaissance scientifique et nous-mêmes, plutôt qu’à la science comme telle. En
d’autres mots, comment expliquer que les changements climatiques soient un vrai
problème, et qu’ils soient causés en grande partie par l’activité humaine, si certains
spécialistes continuent encore et toujours à affirmer précisément le contraire?
Il existe une réponse plutôt simple à cette question, qui est en apparence très
plausible: des acteurs aux poches profondes, dont les intérêts financiers se trouvent
menacés par la perspective d’un public réclamant des actions sérieuses pour
s’attaquer aux changements climatiques, pourraient avoir financé des porte-parole
peu scrupuleux, se présentant comme des scientifiques, afin de semer le doute dans
l’opinion publique. Ces doutes peuvent ensuite avoir trouvé une audience réceptive
chez les esprits préoccupés par le coût potentiel de s’attaquer aux changements
climatiques, puis avoir été amplifiés par certains “bugs” de la psychologie humaine et
par la dynamique tribale de la politique moderne.
Pourquoi donc? Une explication plausible résiderait dans les biais cognitifs,
les “bugs” qui existent dans la façon dont le cerveau humain traite l'information. En
effet, l'humain est souvent bien moins rationnel qu'il le pense, dû au fait que nos
cerveaux ont évolué prioritairement pour favoriser notre survie et notre reproduction,
objectifs qui ne s’alignent pas nécessairement avec celui d’avoir le plus souvent
possible raison. Il s'en suit que le raisonnement et le comportement humain est loin
d'être toujours ce que dicterait la rationalité parfaite. Cet écart (dont souffrent même
les plus intelligents parmi nous) a été abondamment documenté empiriquement dans
les dernières décennies, notamment par les psychologues israéliens Amos Tversky et
Daniel Kahneman. Certains de ces “bugs” pourraient avoir été exploités par ceux qui
cherchaient à propager des doutes excessifs au sujet de la science climatique.
1. “La concentration de CO2 dans l’atmosphère (environ 0,035%) est trop faible pour
avoir un impact sur la rétention thermique de l’atmosphère”: Cet argument présume
qu’un composé chimique dont la concentration est très faible (“très faible” étant une
notion arbitraire, d’ailleurs) ne peut avoir d’impact substantiel sur la solution dans
laquelle il est dilué. Prenons comme exemple le polonium 210, utilisé pour assassiner
l’ancien espion russe Alexander Litvinenko. Cette substance est tellement toxique
qu’une dose d’un seul microgramme est fatale,ix ce qui représente environ
0,00000000125% de la masse d’un homme adulte moyen au Canada.x Il en découle
donc qu’il n’y a rien d’absurde à ce qu’une très faible concentration de CO2 dans
l’atmosphère puisse avoir un effet considérable.
2. “Le CO2 est essentiel à la vie et nourrit les plantes. Nous assistons d’ailleurs à un
verdissement de la planète.”: Cet argument implique que toute chose est soit
entièrement mauvaise, soit entièrement bonne. Or, une chose peut être nécessaire à la
vie tout en étant nocive dans l’excès: le sel, par exemple, est essentiel à la vie, mais
un humain ne pourrait pas survivre en buvant exclusivement de l'eau de mer! Que le
CO2 soit nécessaire à la vie n’implique donc pas qu’il ne puisse pas causer de torts
importants s’il est présent en quantités excessives (il est même mortel pour les
humains au-delà d'une certaine concentrationxi); le fait qu’une concentration accrue de
CO2 dans l’air puisse augmenter la productivité agricole (en facilitant la
photosynthèse) ne veut pas dire que sa présence excessive dans l’atmosphère ne
puisse pas causer d’autres problèmes, pouvant compenser la plus grande facilité de la
photosynthèse, par exemple en augmentant la variance météorologique. De plus, il est
entièrement possible qu’en chemin vers des scénarios futurs défavorables, nous
passions à travers une période qui profite aux plantes. En ce sens, nous pourrions
faire un parallèle avec la politique fiscale: lorsque l’État s’engouffre dans le déficit à
travers des coupures d’impôts et/ou augmentations de dépenses excessives,
l’économie peut en profiter à court-terme. Cependant, un déficit excessif ne peut pas
durer éternellement, et lorsqu’on arrive aux inévitables contractions fiscales, non
seulement on se retrouve avec l’inverse d’un stimulus, mais tout le système
économique est fragilisé par un plus grand endettement.
4. “Quoi qu'il en soit, une taxe sur le carbone ne changera rien”: Cette question est
indépendante de savoir s'il y a ou non un problème à régler. On peut très bien
affirmer que telle ou telle solution ne fonctionnera pas, tout en étant d'accord qu'il y a
un problème auquel il faut trouver une solution. Il se trouve qu'une taxe sur le
carbone, dont toutes les recettes seraient redistribuées parmi la population (une taxe
“revenue-neutral” comme on dit), serait probablement la meilleure solution pour
gérer efficacement le risque climatique. Cependant, il s'agit là d'un débat distinct, qui
sort de la portée de cet essai.
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