CAYPTOGRAPHIE. — SOCIETES SECRETES. — BEAUX ARTS.
LA PREFACE DE POLIPHILE
Pan M. Guaumts POPELIN
I
Comme couronnement d'une carridre aussi brillante que
bien remplic, M, Claudius Popelin vient de s‘élever unde ces
monuments que lui enviera tout letiré doublé d'un artiste et
tout artiste douhlé Wun lettwé, J'ctablis cette distinction parce
qu'elle n'est pas oiseuse, L'enseigne de eo monument est
modeste; il s‘intitule tout simplement : /etroduction d la
lecture de Chypnérotomachie de Poliphile. Mais cette intro-
duction forme 4 elle seule un fort volume, dans lequel sont
résumées toutes les recherches faites par J'auteur pour mener
i bien une muvre d'érudition colossale ; ct je ne crois pas
quwilexiste nulle part d'histoire plus compléte de l'art italien,
depuis sa naissance jusqu’a la fin du seizitme sitele. J'aurais
voulu que M, Popelin fit une part plus large & l'influence
francaise, dont les Italiens eux-mémes reconnaissent la pré-
dominance dans Ja formation de leur littérature et de leur art
national, Mais Jes effurts que j'ai tontés pour |'établir n'ont pas
encore abouti 4 des résultats assez indiscutales pour 4tre ac-
ceptés les yeux fermés par un esprit aussi académique que
celui de M'élégant traducteur du Songe de Poliphile. Je crois
cependant qu'aprés avoir lu cet article, ses convictions s'en
trouveront fortement ébranides,48 DA PREFACE DE POLIPINLE
La voie que je suis n'est pas seulement hiérissée (obstacles
de toute sorte; elle aen grande partic été effacée par le temps,
et surtout par le grand cataclysme do ta lin du dernier sitcle,
I] m'est done souvent arrivé dans mes essais préeédents de
perdre la piste et de m'égarer dans de faux sentiors ; cepen-
dant je n'ai jamais cessé d’entrovoir le but que je me propo-
sais, et cette fois je erois l'avoir atteint.
Gest un sujet que M. Popelin wapas osé aborder; il a
préféré renvoyer le lecteur dla Revue Britannigue du mois
de juin (881, Je n’avais alors fait qu’entrevoir [a vérité ;
je puis affirmer aujourd'hui haut la main que fe Songe de
Poliphile vest pas autre chose qu'un traité de grimaire ma-
conmique, c'est-i-dire de grimoire appliqué & architecture,
ne différant des traités plus modernes de ce genre que par
la richesse ct la noblesse incomparables de ses compositions.
A cette époque, je ne possédais qu'une seule des clefs de cetle
écriture mystérieuse, celle qui suffit pour interpréter l'art
grec; depuis, je me suis apercu qu'il en existait une autre
particulitre & l'art moderne, dont on ne trouve pas de trace
dans le gree.
En effet, la /angue des dieux, puisque tel est le nom que
Platon donne I'écriture secrdte de son temps, a été condensée
sous une forme hidratique, dune époque peut-dtre antérieure
a Valphabet phdénicien, dans le syllabaire chypriote, qui, con-
tvairement aux syllabaires égyptiens et cunéiformes, ne com-
porte pas de caractéres po/yphones, c'est-’-dire jouant tantét
le rdle d'iddogrammes, tantét celui de phonogrammes.
Le grimoire moderne, 4 la différence du gree ot a la res-
semblance de I'égyptien et du chaldéen, procade 4 la fois par
phonogrammes, qui sont des rébus, et par tdéogrammes, qui
sont des ¢harades, Ainsi un soulier, une sandale, une botte,
indépendamment de leur valeur phondtique, peuvent indiquer
celui qui les fabrique, c'est-A-dire un robelinewr ; un masque se
lit comedie; une dpde, guerre; une balance, marchanl ;
une fiole, verre; un poisson, mer; une béle fauve, vene, ele.
Crest la déterminatiun exacte de ces termes de metier qui
fait la plus grande difficulté du grimoire moderie, parceLa PREFACE DE POLIPHILE 49
qwils ont changé & la suite des temps, Jamais je n'surais
trouvé fa signification des chaussures en grimoire, s'il ne m'é-
tait Lombé entre les mains un dictionnaire des arts et métiors
du siéele dernier, mentionnant la corporation trés illustre des
savetiers-robedinenrs, qui semblent avoir joué un rdle consi-
dérable dans lunion des syndicats de corps et métiers for-
mant l'ancienne frane-magonnerie parisienne. On trouve les
traces de ce voeable dans une foule de noms propres francais,
tels que Aoditlot, Robilened, Robslin, Rabedais, ete., et il sert
en grimaire 4 derire le mat ribald, Le rot des ribandds était,
comme on sait, un des hauts personnages de la trvanderia,
On trouve. dans Marot le motréh/ew, avec le méme sens que
celui de vidardd. 1 semblerait que son étymologie vienne de
rhabiller les vieilles chaussures,
Mais le grimoire moderne n'entreméle pas la charade-et lo
rébus, comme le faisaitlhidroglyphie égyptienne. La charade,
ainsi nommée parce que les personnages qui la jouaient étaient
montés la plupart du temps sur des chars, servait A composer
des mascarades satiriques dans lesquelles chaque personnage
était un couplet ou ritournelle | cause du retour régulier
duneé consonance en Lau huititme et dernier pied de chaque
vers, destiné A aider les spectateurs 4 le déchiffrer.\
Voici comment les experts tailleurs composatent ces per-
solnages, car, A velle dpoque, ils dtaient en méme temps
podtes; et, comme le fait remarquer le P. Ménestrier, ils
ont fourni au A/aion Aéraleigrve la plupart de ses termes.
Un homme portant une épée et une dadance était un guer-
rié marchan, ot sil y joignait un dijo queleonque, ¢'était
un joailié ajoutez-v wn pete, emblime naturel du pannetie,
vous lirer guerre-marchan-joatllé-pain. Ce genre d'éeriture
n‘élant possible qu’a la condition de ne pas tenir compte des
voyelles, on devra traduire grimoire saint Gilpin, ca qui
est aussi la véritable traduction d'hypndrotomachie (gree,
anvour songe if poi). Nos pbres pronongaient grec ard,
toutes les fois qu'on trouve en grimoire des mats derits duns
une langue dtranghre, i!s doivent (tre traduits on mefpaire,
e'est-A-dire en frangais héraldiqne, en faisant précdder la tras