DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT EN HAUTE-SAÔNE, LE COLLÈGE SANS PORTABLES

Gilets jaunes : les mutations d’un mouvement

▶ Depuis le 17 novem- ▶ Certains manifestants ▶ « Le Monde » a enquêté ▶ Alors que le grand débat ▶ Pour Loïc Blondiaux,
bre 2018 et la première l’ont quitté, d’autres sont sur la façon dont une par- national est lancé, Emma- professeur de science
des dix journées de restés mobilisés, en tie de l’ultradroite profite nuel Macron s’est rendu politique à Paris, le grand
contestation nationales, se radicalisant ou en chan- de la situation pour diffu- dans le Lot, vendredi débat pourrait permettre
la nature du mouvement geant de stratégie afin ser des thèses complotistes 18 janvier, à la rencontre de sortir de la crise
a fortement évolué de mieux se structurer teintées d’antisémitisme de 600 maires P. 6 À 8 , DÉBATS – P. 2 4 - 2 5 , ÉCO – P. 6 - 7

Terrorisme LES DIAGNOSTICS RÉALISTES DE LA PRÉSIDENTE DE LA CDU Afrique du Sud

Attentats de ▶ A la tête de la droite allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer prépare l’après-Merkel Terres blanches,
2015 : un procès ▶ L’attitude du président Trump la « trouble », la situation française l’« inquiète ». Entretien espoirs noirs
attendu en 2020
INTERNATIONAL –PAGE 2

A l’approche des élections

Quatorze personnes soup- générales de mai, la ques-
çonnées d’avoir participé, tion de la redistribution
à des degrés divers, aux des terres agricoles est au
attentats contre « Charlie cœur du débat politique
Hebdo » et l’Hyper Cacher et risque de raviver
à Paris, en 2015, sont ren- les tensions raciales
voyées aux assises. Leur GÉOPOLITIQUE – PAGE S 1 4 À 1 7
procès pourrait avoir lieu
en 2020, devant une cour
spécialement composée
PAGE 5
Italie
Un revenu de
Politique citoyenneté en
La gauche peau de chagrin
divisée avant Engagement-phare du
les européennes Mouvement 5 étoiles,
mais décrié par la Ligue,
Le scrutin du 26 mai de- le revenu de citoyenneté
vrait voir une multiplicité sera mis en œuvre dès
de listes de gauche. Des avril. Mais il se réduit à
Verts à La France insou- une indemnité modique,
Le 15 janvier, dans son bureau limitée dans le temps et
mise en passant par le PS, au siège de l’Union chrétienne-
le paysage paraît plus soumise à des conditions
démocrate, à Berlin.
fragmenté que jamais ANNETTE HAUSCHILD/OSTKREUZ POUR « LE MONDE »
très restrictives
PAGE 8 CAHIER ÉCO – PAGE 4

Enquête « DAU », l’art au risque de choquer Audiovisuel BUROV ■ DUVIVIER ■ LEOLUX ■ STEINER ■ NEOLOGY
Roch-Olivier

OFFRES
Maistre en route
pour le CSA
CAHIER ÉCO – PAGE 8
EXCEPTIONNELLES
sur les plus grandes marques de canapés
jusqu’au 31 janvier
Planète
Trafic de guépards
A Kharkiv
(Ukraine),
vers les pays
durant du Golfe
le tournage
PAGE 1 2
des films
présentés
dans le cadre
du projet Rencontre
« DAU ».
JÖRG GRUBER
Yolande Moreau,
actrice atypique
PAGE 2 3

les théâtres parisiens du Châ-
telet et de la Ville ainsi que le Cen-
tre Pompidou accueillent, du
24 janvier au 17 février, un specta-
cle sans doute appelé à faire polé-
mique et baptisé DAU. Au fil d’un
parcours interdit aux moins de
18 ans, le spectateur est invité à vi-
sionner des films, à assister à des
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
performances d’artistes, voire à
participer à des expérimentations
scientifiques et « sensorielles ». Le
principe est d’être comme en im-
mersion, durant une période plus
ou moins longue, dans un univers
totalitaire rappelant l’URSS.
Le Monde a enquêté sur la ge-
nèse et les coulisses de ce projet
démesuré, porté depuis 2005 par
un cinéaste russe et financé par
un oligarque. Alors que DAU
bénéficie du soutien de la Mairie
de Paris, la violence de certaines
scènes, concernant notamment
des femmes, suscite déjà de vives
critiques.
PAGE S 1 8 À 2 0
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INTERNATIONAL
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

« Ce qui se passe en France m’inquiète »

L’Allemande Annegret Kramp-Karrenbauer, la nouvelle présidente de la CDU, se démarque d’Angela Merkel

ENTRETIEN
berlin - correspondant

A
nnegret Kramp-Kar-
renbauer, 56 ans, a suc-
cédé à Angela Merkel,
le 7 décembre 2018, à la
tête de l’Union chrétienne-démo-
crate (CDU). Ancienne ministre-
présidente de la Sarre (2011-2018),
celle que Mme Merkel avait nom-
mée dix mois plus tôt secrétaire
générale de la CDU est aujourd’hui
en position de force pour être, le
jour venu, la candidate des conser-
vateurs allemands (CDU-CSU) à la
chancellerie. Classée plus à gau-
che que Mme Merkel sur le terrain
social mais réputée plus conserva-
trice sur les sujets de société,
« AKK » a reçu Le Monde dans son
nouveau bureau décoré de quel-
ques toiles contemporaines abs-
traites, au siège de la CDU à Berlin.

Cinquante-six ans après

le traité de l’Elysée, Angela
Merkel et Emmanuel Macron
signeront, mardi 22 janvier,
un nouveau traité entre la
France et l’Allemagne. Ce texte
est-il assez ambitieux ?
D’abord, je suis très heureuse des
avancées que contient ce nouveau
traité en matière de coopération
transfrontalière. Comme an-
cienne ministre-présidente de la
Sarre, c’est un domaine qui me
tient particulièrement à cœur.
Plus généralement, ce texte rap-
pelle combien l’amitié entre la
France et l’Allemagne est essen-
tielle, et j’espère qu’il va permettre
à nos deux pays de travailler en-
core plus étroitement ensemble,
notamment en matière de sécu-
rité et de défense. Donc, oui, je
pense qu’il est assez ambitieux.
L’Allemagne n’a-t-elle pas
répondu trop timidement au
discours d’Emmanuel Macron
à la Sorbonne, en faveur d’une
« refondation » de l’Europe ?
Le président Macron a fait ses
propositions à un moment politi-
quement compliqué : les élec-
tions venaient d’avoir lieu en Al-
lemagne et la formation d’un
nouvelle coalition a requis plus de
temps que prévu. La conséquence
est que nous avons été absorbés
par les enjeux de politique inté-
rieure et que nous avons un peu
négligé le reste. Mais depuis, les
choses ont changé : il y a eu l’ac-
cord de Meseberg, en juin 2018,
puis ce nouveau traité, mardi pro-
chain. Nous avançons à nouveau,
et je m’en félicite.
L’accord de Meseberg prévoit
un budget de la zone euro, mais
on est loin des ambitions ini-
tiales du président français…
Un accord de ce type est forcé-
ment le fruit d’un compromis. La
France et l’Allemagne ont des ap-
proches différentes sur la zone
euro, tout le monde le sait. Le fait
que la chancelière allemande et le
président français aient quand
même réussi à se mettre d’accord
sur le principe d’un budget de la
zone euro, dans le contexte actuel
de division de l’Europe, est un pre-
mier pas très positif.
Que pensez-vous du mouve-
ment des « gilets jaunes » ?
Ce qui se passe en France m’in-
quiète. Pour moi, la violence n’a
pas sa place dans le débat politi-
que. Et voir que la revendication
principale de beaucoup de « gilets
jaunes » est le départ du prési-
dent Macron n’a rien à voir, selon
moi, avec le débat politique, qui
doit chercher à apporter des amé-
liorations concrètes.
Les « gilets jaunes » sont-ils
possibles en Allemagne, ou cel-
le-ci est-elle immunisée contre
un tel mouvement de colère ?
Une société n’est jamais immu-
nisée contre quoi que ce soit, mais
Annegret Kramp-Karrenbauer, à Berlin, le 15 janvier. ANNETTE HAUSCHILD/OSTKREUZ POUR « LE MONDE »
force est de le constater : jusqu’à
maintenant, les populistes de
droite et de gauche qui, chez nous
en Allemagne, ont essayé d’im-
porter le mouvement des « gilets
jaunes » ont échoué.
Pourquoi ?
Je pense que deux facteurs se
combinent. D’abord, notre écono-
mie va très bien, même si la ques-
tion des inégalités entre riches et
pauvres se pose aussi en Allema-
gne. Et nos traditions politiques ne
sont pas les mêmes : la manifesta-
tion a une place autrement plus
importante dans la culture politi-
que française que dans la nôtre.
Que proposez-vous pour faire
face aux difficultés annoncées
par les économistes ?
Notre puissance économique
repose en grande partie sur nos
exportations. Il est donc essen-
tiel d’éviter toute guerre com-
merciale, en particulier avec les
Etats-Unis ou la Chine. Pour cela,
nous devons être unis, en Europe,
afin de conclure de bons accords
de libre-échange, comme celui
que nous avons scellé récem-
ment avec le Japon. Ensuite, sur le
plan intérieur, nous devons sou-
tenir nos entreprises, en particu-
lier avec des baisses d’impôts, et
miser en priorité sur les secteurs
où nous sommes déjà forts,
comme l’automobile.
Après le rejet par les députés
britanniques de l’accord de
sortie de l’Union européenne,
quelle est la meilleure
solution pour le Brexit ?
Je suis vraiment désolée que la
Chambre des communes ait rejeté
l’accord avec une claire majorité.
Un Brexit désordonné sans tran-
saction est la pire des solutions.
Londres doit maintenant faire des
suggestions constructives sur la
manière de procéder. Nous ne blo-
querons pas la voie pour que le
Royaume-Uni reste dans l’UE.
Comment envisagez-vous la
campagne des européennes ?
Considérez-vous, à l’instar
d’Emmanuel Macron, que ce
scrutin opposera les demander si c’était une bonne tant lancé ce débat, l’a reconnu ré-
« nationalistes », comme
« Notre législation chose ou non de laisser les fron- cemment : l’enjeu, c’est qu’il y ait,
l’Italien Matteo Salvini, [migratoire] tières ouvertes en 2015. Mais je en Allemagne, un islam compati-
aux « progressistes » ? pense que l’important n’est pas ble avec nos valeurs qui sont cel-
Je ne pense pas qu’il faille faire
a évolué depuis de ressasser le passé, mais de se les d’une société ouverte. C’est un
une campagne négative, fondée 2015 vers une plus demander ce qu’il faut faire con- défi qui concerne toute l’Europe,
sur le ciblage de tel ou tel adver- crètement aujourd’hui et de- et c’est une question trop sérieuse
saire. Ce qu’il faut, c’est dire con-
grande fermeté. main. C’est pour cela que j’ai sou- pour être traitée à coups de phra-
crètement quelle Europe nous Problème : les haité qu’un débat interne ait lieu ses toutes simples.
voulons, pour ma part une Europe car c’est un sujet qui a beaucoup
qui défend la liberté, la paix et qui
actes ne suivent agité notre parti, il faut donc ap- Vous avez dit : « Un candidat
se veut économiquement forte. pas toujours » porter des réponses. à la présidence de la CDU doit
se sentir capable d’être chance-
La CDU est divisée, comme l’a Une autre question a divisé lier. » Avez-vous pour ambition
montré le faible score (50,7 %) Faut-il changer de cap votre famille politique : le fait d’être chancelière ?
avec lequel vous avez été élue en matière migratoire ? de savoir si l’islam « appar- La question se posera à l’appro-
à sa tête. Comment comptez- Depuis la crise des réfugiés de tient » ou non à l’Allemagne… che des prochaines législatives,
vous rassembler le parti ? 2015, notre politique a beaucoup Nous avons plus de 6 millions qui, si tout se passe comme
Si la CDU était si divisée, il y évolué, notre législation a de musulmans en Allemagne. prévu, auront lieu en 2021. Il fau-
aurait eu des départs depuis mon changé dans le sens d’une plus Toutes les situations existent. dra que nous discutions entre
élection, ce qui n’est pas le cas. grande fermeté. Le problème, Certains sont totalement sécula- nous du calendrier et de la procé-
Mais cela ne m’empêche pas d’être c’est que les actes ne suivent pas risés, d’autres sont très religieux. dure. Mais par tradition, il re-
consciente de l’important travail toujours. Ce qui me semble pri- On ne peut pas faire comme s’il vient au président − en l’occur-
que nous avons à faire collective- mordial, c’est avant tout que les s’agissait d’un bloc monolithique rence à la présidente – de la CDU
ment pour nous mettre d’accord lois soient appliquées, par exem- et du coup répondre par oui ou de proposer le nom du candidat
sur ce qui nous unit afin de bâtir ple en matière de reconduites à par non à une telle question. du parti à la chancellerie. p
un nouveau programme d’ici aux la frontière. Evidemment, cha- Même notre ministre de l’inté- propos recueillis par
prochaines élections législatives. cun a le droit de continuer à se rieur, Horst Seehofer, qui a pour- thomas wieder
Avec Angela Merkel, « nous avons des histoires différentes »
Vous vous êtes agacée, ces derniers « Le départ d’Angela Merkel de la prési- ceux qui ne votent plus et à ceux qui vo-
mois, quand la presse vous a qualifiée dence de la CDU nous donne la chance taient pour nous et qui votent aujourd’hui
de « mini-Merkel ». Qu’est-ce qui vous de nous réinventer », avez-vous dit. pour d’autres partis, comme l’AfD mais
différencie ? Dans quel sens ? aussi les Verts. Cela nous oblige à proposer
Nous avons des histoires différentes. J’ai Jusqu’à présent, il était d’usage, quand la une offre politique complète qui donne
grandi à l’Ouest, elle a grandi à l’Est. D’une CDU dirigeait le gouvernement, que le des réponses à des questions très diverses,
certaine façon, ma socialisation au sein de chancelier préside aussi le parti. Or, ces der- en matière de sécurité évidemment, mais
la CDU est plus classique que la sienne : j’ai nières années, Angela Merkel a été absor- aussi sur le réchauffement climatique.
grandi dans la CDU d’Helmut Kohl, et j’ai bée par sa tâche de chancelière. Elle a dû
été marquée par cet héritage. Je suis peut- faire face à de multiples crises – de la crise Avec vous à la tête du parti, est-il
être plus sensible à la dimension émotion- financière de 2008 à la crise des réfugiés de concevable que la CDU gouverne
nelle des choses, au fait qu’il est important 2015 – qui ont inévitablement mis un peu le ou fasse alliance avec l’AfD ?
de constamment rappeler pour quelles va- parti de côté. Désormais, les deux fonctions Lors de notre dernier congrès, nous avons
leurs fondamentales nous nous battons. sont déconnectées l’une de l’autre. Le fait exclu toute coopération avec l’AfD, et sur ce
C’est quelque chose qui me fascinait que je sois présidente de la CDU sans être point les choses sont parfaitement claires.
chez Kohl : sa capacité à donner du sens à ministre me donne donc une forme d’auto-
n’importe quelle décision concrète en nomie vis-à-vis du gouvernement. Cela va Etes-vous sûre qu’Angela Merkel
l’inscrivant dans l’histoire. Il est d’autant me permettre de me concentrer pleine- pourra rester chancelière jusqu’à
plus nécessaire aujourd’hui de justifier ment sur la tâche consistant à nous prépa- la fin de la législature ?
nos choix que beaucoup de nos repères rer aux prochaines échéances électorales. Angela Merkel a dit qu’elle le souhaitait.
volent en éclats. Un seul exemple : les re- A titre personnel, je pense que c’est aussi
lations transatlantiques. Pour la CDU, Dans les sondages, la CDU n’est qu’à dans notre intérêt d’avoir un gouverne-
l’amitié entre l’Allemagne et les Etats- 30 %. Jamais elle n’a été aussi bas. Com- ment au travail dirigé par une chancelière
Unis a toujours été quelque chose d’es- ment reconquérir les électeurs perdus expérimentée, compte tenu de toutes les
sentiel. Voilà pourquoi l’attitude actuelle au profit du parti d’extrême droite AfD ? incertitudes qui sont devant nous, notam-
du président américain trouble si profon- Mon objectif est bien sûr de regagner des ment dans le contexte du Brexit. p
dément nos membres. électeurs, à la fois en nous adressant à propos recueillis par th. w.

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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Le Mexique tend la main aux migrants honduriens
Le nouveau président de gauche propose, sans grand succès, d’accueillir la caravane en route vers les Etats-Unis
mexico - correspondance
U
ne caravane de plus de
2 000 migrants, en
route vers les Etats-
Unis, met à l’épreuve le
gouvernement mexicain. Des cen-
taines de Centraméricains sont
entrés illégalement, vendredi
18 janvier, au Mexique, défiant le
changement radical de politique
migratoire du nouveau président,
Andres Manuel Lopez Obrador,
qui leur propose un « accueil hu-
manitaire » et des « emplois ».
Vendredi à l’aube, une marée hu-
maine a forcé le passage sur le
pont surplombant le fleuve Su-
chiate entre le Guatemala et le
Mexique. Aucun gaz lacrymogène
n’a été lancé pour stopper son
avancée. La colonne de migrants,
la plupart honduriens, a poursuivi
son chemin avant de faire halte à
Tapachula, la capitale de l’Etat du
Chiapas dans le sud du Mexique.
La veille, 969 d’entre eux, dont
145 enfants, avaient pourtant été
enregistrés de manière régulière
par l’Institut mexicain de la mi-
gration (INM). Ses agents leur ont
remis un bracelet en vue de l’ob-
tention dans cinq jours d’une
« carte de visiteurs pour raisons
humanitaires » d’un an renouve-
lable, à condition d’une « entrée
ordonnée » au Mexique. « Depuis,
le calme est revenu, assure Ana
Laura Martinez, directrice du con-
trôle migratoire de l’INM. Nous
continuons d’enregistrer des mi-
grants. Les autres, entrés illégale-
ment, risquent une expulsion. »
Ces candidats au rêve américain
emboîtent le pas des deux précé-
2 737
enfants migrants séparés de leurs parents aux Etats-Unis
Au moins 2 737 mineurs ont été séparés de leurs parents après être
entrés aux Etats-Unis, selon un rapport de l’agence chargée de réunir
les familles, publié le 18 janvier à Washington. Ann Maxwell, inspectrice
adjointe de l’agence, a estimé par ailleurs que le nombre d’enfants
touchés par cette politique un temps défendue par Donald Trump res-
tait « inconnu », et que des milliers d’autres pourraient être concernés.
Trump et Kim se retrouveront fin février
Le sommet doit permettre de progresser dans les négociations sur le nucléaire nord-coréen
washington, tokyo -
correspondants
L a chorégraphie est en passe
de devenir rituelle. Après un
entretien avec le secrétaire
d’Etat Mike Pompeo, à Washing-
ton, un émissaire nord-coréen,
Kim Yong-chol, s’est rendu, ven-
dredi 18 janvier, à la Maison Blan-
che pour s’entretenir avec le prési-
dent Donald Trump. Au terme de
cette entrevue, un deuxième som-
met avec le dirigeant Kim Jong-un
a été annoncé, après celui, histori-
que, de Singapour, en juin 2018. Il
devrait se tenir fin février, même
si la date exacte et l’endroit n’ont
pas été précisés. Les quatre lieux
en lice pour accueillir l’événement
sont le Vietnam, la Thaïlande,
Hawaï et Singapour.
La perspective de ce nouveau
rendez-vous témoigne des pro-
grès accomplis au cours des der-
nières semaines et que les diri-
geants américain et nord-coréen
sont désireux de mettre fin à l’im-
mobilisme qui avait suivi leur
première rencontre. La porte-pa-
role de la Maison Blanche, Sarah
Sanders, a d’ailleurs salué « des
pas en avant faits de bonne foi par
les Coréens du Nord » tout en pré-
cisant que les Etats-Unis « main-
tiendront les sanctions jusqu’à la
dénucléarisation totale et véri-
fiée » de la République populaire
démocratique de Corée (RPDC).
Des migrants honduriens, à Ciudad Hidalgo (Mexique), à la frontière avec le Guatemala, le 17 janvier.
dentes caravanes parties, en octo-
bre 2018, de San Pedro Sula,
deuxième ville du Honduras. A
l’époque, l’ancien gouvernement
mexicain avait, avant l’alternance
politique, fermé la frontière. Les
milliers de migrants avaient af-
L’administration américaine
avait multiplié les signaux au
cours des dernières semaines.
L’émissaire pour la Corée du Nord,
Stephen Biegun, avait indiqué, le
19 décembre, que les Etats-Unis
étudiaient la levée de l’interdic-
tion de se rendre à Pyongyang
pour les ressortissants américains
imposée en 2018 et qui complique
le travail d’organisations humani-
taires. Le 24 décembre, M. Trump
avait publié sur son compte Twit-
ter une photo de lui à son bureau
avec des conseillers, dont Stephen
Biegun, accompagnée de la lé-
gende suivante : « Briefing de la
veille de Noël avec mon équipe tra-
vaillant sur la Corée du Nord - Des
progrès sont accomplis. Dans l’at-
tente de mon prochain sommet
avec le président Kim ! »
Pour l’instant, aucune précision
n’a été donnée sur les compromis
nécessaires de part et d’autre
pour que ce deuxième sommet
ait des résultats plus concrets que
celui de Singapour. Ce dernier
En signe de bonne
volonté, les Etats-
Unis pourraient
ouvrir un bureau
de liaison
à Pyongyang
fronté l’important dispositif poli-
cier et militaire, avant de parcou-
rir 3 950 km jusqu’à Tijuana, ville
frontalière avec les Etats-Unis.
« Finie la répression »
Mais l’arrivée au pouvoir, le 1er dé-
cembre 2018, de M. Lopez Obrador
change la donne pour la nouvelle
caravane qui a quitté, le 15 janvier,
San Pedro Sula, avant d’être re-
jointe en chemin par environ 200
Salvadoriens. « Finie la répression,
martèle le président de gauche,
surnommé « AMLO » (ses initia-
les). Notre politique se base sur le
respect des droits humains et le dé-
veloppement économique. »
Le gouvernement n’a pas dé-
ployé de policiers à la frontière. En
revanche, 400 agents de l’INM
avait néanmoins permis de faire
retomber la tension dans la pé-
ninsule et d’amorcer un dialogue
suivi entre Etats-Unis et RPDC.
En signe de bonne volonté, les
Etats-Unis pourraient ouvrir un
bureau de liaison à Pyongyang.
Une déclaration mettant fin for-
mellement à l’état de guerre entre
les deux pays (les hostilités ont
été suspendues par un simple ar-
mistice en 1953), déjà évoquée
avant Singapour, pourrait aussi
être envisagée. Pyongyang pour-
rait de son côté s’engager formel-
lement à ne pas développer plus
d’armes et à démanteler la cen-
trale de Yongbyon, comme Kim
Jong-un a annoncé en septembre
qu’il était prêt à le faire.
Déclarations optimistes
La principale inconnue est la posi-
tion qu’adoptera Washington sur
la question qui a jusqu’ici bloqué
les négociations : la dénucléarisa-
tion unilatérale « complète, irréver-
sible et vérifiable » de la RPDC qui
est inacceptable pour Pyongyang.
Toute avancée dans les pourpar-
lers suppose des concessions amé-
ricaines, sous une forme ou une
autre, sur cette question.
Comme en témoignent ses mul-
tiples déclarations optimistes,
Donald Trump semble attaché à
la perspective d’un accord avec la
RPDC qui conforterait sa stature,
en dépit des controverses susci-
ont été mobilisés pour proposer
aux migrants de travailler au
Mexique et de bénéficier de servi-
ces sociaux (santé, éducation, as-
sistance légale…). Pour absorber
cette main-d’œuvre, AMLO mise
sur son programme de grands
travaux. Avec en tête la construc-
tion du « train maya », voie ferrée
de 1 500 km qui a été lancée, mi-
décembre 2018, au Chiapas.
« Le Mexique est le premier pays à
appliquer le Pacte mondial sur les
migrations sûres, ordonnées et ré-
gulières des Nations unies », s’est
félicité, en décembre, le ministre
mexicain des affaires étrangères,
Marcelo Ebrard. Ce pacte non con-
traignant a été ratifié, le 19 décem-
bre, par 152 pays. Il a été rejeté par
le président américain, Donald
tées par son action. Il pourrait
être prêt à faire des gestes signifi-
catifs en levant partiellement les
sanctions : la dénucléarisation
resterait l’objectif final, mais plus
une condition préalable à l’ouver-
ture de négociations.
Depuis la fin 2018, Washington
semble assouplir sa position sur
un autre préalable à l’avancée dans
les négociations : la fourniture par
la RPDC d’un inventaire de son ar-
senal nucléaire (de 20 à 60 armes
selon les estimations américaines)
et sa localisation ainsi que la liste
des sites de lancement des missi-
les. Pyongyang refuse, faisant va-
loir que dévoiler son arsenal et sa
localisation reviendrait pour la
RPDC à être à la merci d’une atta-
que préventive des Etats-Unis.
En novembre, le vice-président
Mike Pence a déclaré à NBC News
que M. Trump ne faisait plus de la
fourniture de l’inventaire une con-
dition pour un deuxième sommet
avec M. Kim, mais que la question
y serait à l’ordre du jour. S’expri-
mant devant des ambassadeurs
américains rassemblés au dépar-
tement d’Etat, le 16 janvier, Mike
Pence s’est montré plus réservé
que Donald Trump : il a assuré tou-
jours attendre « que la Corée du
Nord prenne des mesures concrètes
pour démanteler les armes nucléai-
res qui menacent notre peuple et
nos alliés dans la région ». p
gilles paris et philippe pons
international | 3
ALEJANDRO MELENDEZ/AFP
Trump, qui dénonce « une crise » à
la frontière sud des Etats-Unis.
« Une autre grande caravane
vient vers nous. Très dur de l’arrêter
sans un mur ! », a tweeté, vendredi,
le locataire de la Maison Blanche
au 28e jour du shutdown (ferme-
ture partielle de l’administration
fédérale), après le refus du finan-
cement de son projet de mur fron-
talier par les députés démocrates.
En décembre, le gouvernement
mexicain a accepté d’accueillir les
candidats à l’asile aux Etats-Unis
le temps que la justice américaine
traite leurs demandes. En retour,
M. Trump a débloqué 4,8 mil-
liards de dollars (4,2 milliards
d’euros) pour développer le sud
du Mexique et 5,8 milliards de
dollars destinés au Guatemala, au
PRÉSENTE
18 JANVIER - 18 FÉVR IER
9E ÉDITION - 30 JOURS - 28 FILMS
DA N S L E M O N D E E N T I E R - 11 L A N G U E S
GRATUIT DANS DE NOMBREUX PAYS
ÉTATS-UNIS
Golfe
du Mexique
MEXIQUE
Mexico
San
Chiapas Pedro Sula
Tapachula HONDURAS
OCÉAN GUATEMALA
PACIFIQUE 500 km
Honduras et au Salvador. « Il faut
s’attaquer aux causes de ces exo-
des, dont la pauvreté et la violence,
répète AMLO. En attendant, les
migrants sont libres de continuer
leur route vers les Etats-Unis ou de
rester travailler au Mexique. »
Des centaines d’entre eux ont
pourtant opté, vendredi, pour l’il-
légalité. « C’est le manque d’infor-
mation et la méfiance envers le
gouvernement qui a poussé cer-
tains migrants à refuser d’obtenir
leur visa humanitaire », déplore
Margarita Nunez, bénévole mexi-
caine qui accompagne la caravane.
« Difficile pour le gouvernement
de passer du discours aux actes »,
commente Celia Gonzalez, spé-
cialiste des migrations à l’Institut
technologique de Monterrey qui
déplore « le désordre au sein de
l’Institut mexicain de la migra-
tion ». D’autant que de nombreux
migrants des précédentes carava-
nes sont toujours bloqués à Ti-
juana par les longs délais de de-
mande d’asile aux Etats-Unis.
Vendredi soir, le gouvernement a
annoncé que 2 373 adultes et 431
mineurs ont été enregistrés par
l’INM depuis deux jours.
Une rencontre entre M. Ebrard
et son homologue américain,
Mike Pompeo, est prévue, fin jan-
vier, pour accélérer le finance-
ment du plan de développement
pour le sud du Mexique et les
pays d’Amérique centrale. Pour
Mme Gonzalez, « le temps presse,
au risque d’une crise humanitaire
sur le sol mexicain ». p
frédéric saliba
4 | international
L’Algérie prépare la
réélection de Bouteflika
Le président sortant, âgé de 81 ans, devrait
obtenir un cinquième mandat le 18 avril
alger - correspondance
U n communiqué de la pré-
sidence algérienne a mis
fin, vendredi 18 janvier,
aux spéculations entretenues
dans les médias sur un éventuel
report de l’élection présidentielle :
elle aura lieu selon le calendrier
prévu, le 18 avril. La convocation
du scrutin est le signe que le prési-
dent Abdelaziz Bouteflika, 81 ans,
malade et incapable de s’adresser
aux Algériens, devrait être candi-
dat à un cinquième mandat.
Le président n’a encore rien an-
noncé formellement, mais les
multiples appels qui lui sont
adressés par les partis dit de « l’al-
légeance » (FLN, RND…), l’organisa-
tion patronale FCE et le syndicat
UGTA à « continuer son œuvre » ne
laissent guère de place au doute.
L’idée d’un report des élections,
lancée par Abderrazak Makri, chef
du Mouvement de la société pour
la paix (MSP, islamiste), était une
tentative de contourner la Consti-
tution pour maintenir Abdelaziz
Bouteflika en poste sans passer
par les urnes. La démarche aurait
évité d’avoir, comme en 2014, une
campagne électorale surréaliste
menée par procuration au nom
d’un candidat absent.
Abderrazak Makri a rencontré le
frère du président, Saïd Bouteflika,
qui aurait, selon lui, manifesté un
intérêt pour la démarche. La pro-
position, intenable sur le plan du
droit constitutionnel qui ne pré-
voit de report de l’échéance qu’en
cas de guerre, a agité la scène mé-
diatique algérienne pendant quel-
ques semaines, mais sa faisabilité
était improbable.
Abderrazak Makri a expliqué
dans un document interne à son
parti, publié par le journal El Kha-
bar, que ce sont les hauts com-
mandements de l’armée, les ser-
vices de renseignement et cer-
tains courants politiques qui ont
fait avorter l’initiative d’un re-
port. Le chef du MSP a avancé
l’idée que le cinquième mandat
de M. Bouteflika ne faisait pas
l’unanimité au sein du régime en
La « révolution » à distance des exilés soudanais à Paris
Les manifestations contre Omar Al-Bachir font l’unanimité parmi les opposants et les réfugiés résidant en France
U n café parisien de la place
Clichy réunissant quel-
ques jeunes Soudanais,
dimanche 13 janvier. Autour de la
table flotte un mélange d’excita-
tion née de la certitude de parta-
ger un événement exceptionnel
et de frustration à force de le vivre
par procuration, à 5 000 kilomè-
tres du théâtre de cette contesta-
tion populaire inédite contre le
régime du président Omar Al-Ba-
chir. Alors, pour se donner l’illu-
sion d’abolir la distance, les télé-
phones portables passent de
main en main ; on y voit défiler
les images de ces manifestations
qui n’ont pas cessé depuis la mi-
décembre 2018. Un mois, du ja-
mais-vu au Soudan.
Les premières vidéos sont arri-
vées de la ville ouvrière d’Atbara
où des milliers de personnes pro-
testaient spontanément contre le
triplement du prix du pain. Puis
le mouvement s’est propagé à la
capitale et à une vingtaine de vil-
les à mesure qu’il changeait de na-
ture. Noraldin Altayeb Ahmed Os-
man compile toutes les images.
Celles où l’on voit les forces de sé-
curité pénétrer et tirer à l’inté-
rieur même d’un hôpital, baston-
ner avec acharnement de jeunes
manifestants…
« Notre contribution, ici, c’est
d’informer le reste du monde en
raison de la dégradation de son
état de santé. En réalité, un cin-
quième mandat n’était pas con-
testé, seule la santé du président
pouvait changer la donne. Un re-
port des élections était plus diffi-
cile à justifier qu’un cinquième
mandat, même si nombre d’Algé-
riens en sont mortifiés. Le souci
des formes légales reste de mise.
Le général Ahmed Gaïd Salah,
chef d’état-major de l’armée, ins-
titution dont le rôle a toujours été
déterminant en Algérie, a ainsi vi-
vement pris à partie, à trois repri-
ses, un général à la retraite, Ali
Ghediri, qui a mis en garde contre
un cinquième mandat et appelé le
chef de l’armée à assumer sa « res-
ponsabilité historique ». Pour cer-
tains observateurs, la virulence
du propos du chef de l’armée vise
surtout à dissuader une éven-
tuelle candidature d’Ali Ghediri,
dont la présence dans les médias
alimente les spéculations.
Figuration
Selon la loi électorale, les préten-
dants ont désormais quarante-
cinq jours pour faire acte de candi-
dature, mais on ne s’attend guère à
ce que des personnalités de poids
s’engagent dans une course où, se-
lon la formule consacrée dans la
presse algérienne, elles seront
confinées au rôle de « lièvre ».
La convocation du corps électo-
ral est pour les observateurs le si-
gne que l’on se dirige vers une élec-
tion « fermée ». Cette année, aucun
candidat ayant l’expérience d’Ali
Benflis, ex-premier ministre qui
s’était présenté à la présidentielle
de 2014, n’est dans la course pour
pimenter un peu l’élection. Les
candidats annoncés, Fethi Gher-
ras, chef du Mouvement démocra-
tique et social, Nacer Boudiaf, fils
de l’ex-président assassiné Moha-
med Boudiaf, Tahar Missoum, un
ex-député connu pour ses sorties
satiriques, et Abdelaziz Belaïd,
chef du Front El-Moustakbal, fe-
ront de toute évidence de la figura-
tion face à la machine pour la réé-
lection d’Abdelaziz Bouteflika. p
amir akef
diffusant ces vidéos, parce que sur
place, Internet est surveillé ou
coupé. Des gens sont emprison-
nés pour avoir publié des images
de la révolution sur les réseaux.
Nous avons donc lancé une inti-
fada électronique », s’enthou-
siasme le jeune homme.
« Ce n’est pas la balle qui tue, c’est
le silence », ajoute-t-il en repre-
nant l’un des slogans de la rue.
Pour Shawgi Ahmed, cela montre
qu’« on est passé à autre chose, au
début c’était à cause du pain,
maintenant c’est une révolution
populaire ». « Le régime est incapa-
ble de redresser la barre économi-
que, ce que l’on veut : qu’il dégage !
Trente ans, ça suffit ! », ajoute-t-il
en référence au temps écoulé de-
puis le coup d’Etat qui permit au
colonel Omar Al-Bachir de s’em-
parer du pouvoir.
Cette « révolution », dont ils se
gardent bien de pronostiquer l’is-
sue, ces jeunes Soudanais en ont
rêvé sur les bancs de l’université.
Puis, la croyant inaccessible, ils
ont fini par prendre le chemin
contraint de l’exil. Ils appartien-
nent à cette dernière génération
de réfugiés arrivés en France.
Pour Shawgi Ahmed, cela fait seu-
lement sept mois. Agé de 26 ans,
le jeune homme travaillait pour
une association humanitaire pré-
sente dans le Darfour, une région
La police chinoise traque
les utilisateurs de Twitter
Depuis trois mois, des centaines de détracteurs du régime ont été
inquiétés et contraints de supprimer leurs messages sur le réseau social
shanghaï - correspondance
Q
uand la police lui
rend visite, le 27 no-
vembre 2018, Cui
Haoxin s’attend à
passer un mauvais
moment : au lieu de prendre un
thé chez lui, comme cela arrive de
temps en temps à cet écrivain, les
agents l’embarquent pour un in-
terrogatoire au commissariat. Le
motif, une phrase qu’il a publiée
la veille sur Twitter : « Les religions
chinoises et la culture tradition-
nelle ont été détruites pendant la
Révolution culturelle. Ensuite, la
moralité a disparu. Maintenant,
les communistes s’attaquent de
nouveau aux religions. »
Les policiers de Jinan, la capitale
de la province du Shandong, dans
l’est de la Chine, où vit ce poète de
la minorité musulmane hui, lui
demandent alors de supprimer ce
Tweet et quelques autres, qu’ils
considèrent comme antichinois.
Comme lui, depuis l’automne,
ils sont des centaines d’utilisa-
teurs de Twitter à avoir été inter-
rogés par la police chinoise, qui
leur a demandé de ne plus s’expri-
mer sur ce réseau social, pourtant
bloqué en Chine. Fin novembre,
déjà, l’ONG Human Rights Watch
dénonçait cette campagne d’inti-
midation en faisant remarquer
que « l’attention récente portée par
le gouvernement à Twitter – en
l’absence de toute manifestation
ou mouvement social organisé via
Twitter – signale une montée de la
répression de la liberté d’expres-
sion sous la férule répressive du
président Xi Jinping ».
Depuis fin 2018, les autorités
semblent avoir encore augmenté
la pression sur les Chinois qui uti-
lisent Twitter : de plus en plus d’ar-
restations ont été signalées. Le
schéma est toujours le même : les
personnes concernées se voient
présenter par la police une liste
des Tweet qui déplaisent au gou-
qui a chèrement payé sa rébellion
contre la dictature d’Omar Al-Ba-
chir, et a d’ailleurs valu à ce der-
nier d’être inculpé de génocide
par la Cour pénale internationale.
« J’ai tout d’abord subi des pres-
sions des autorités pour minimiser
la situation sur place dans mes rap-
ports. Puis j’ai été arrêté, détenu
vingt et un jours dans une prison
secrète où… il s’est passé des cho-
ses », raconte-t-il pudiquement. Le
passage par la case prison, Shawgi
Ahmed l’avait déjà connu pendant
ses études d’ingénieur, en marge
de la campagne contre l’excision,
par exemple. « Deux ou trois jours,
on prenait quelques coups et on
nous relâchait », se rappelle-t-il.
Mais en 2018, il ne résiste plus et
quitte le Soudan.
Aujourd’hui, les événements au
pays, qui ont fait au moins qua-
rante morts, ont resserré les liens
d’une communauté soudanaise
« Au début, c’était
à cause du pain,
maintenant c’est
une révolution
populaire »
SHAWGI AHMED
Soudanais exilé en France
vernement. On leur demande de
les supprimer et de signer une dé-
claration par laquelle ils promet-
tent de ne pas publier de « com-
mentaires inappropriés sur le gou-
vernement », et de ne plus utiliser
ni Twitter ni leur VPN (réseau
privé virtuel), les logiciels permet-
tant de contourner la censure.
Les médias chinois sont soumis
à une étroite censure, et de nom-
breux sites étrangers comme
Twitter, Facebook et Google, sont
bloqués dans le pays. Pour y accé-
der, il faut donc recourir à des
VPN. Or la Chine s’est dotée
en 2017 de nouvelles réglementa-
tions interdisant le recours à des
VPN chinois non autorisés. Et cer-
tains utilisateurs de logiciels télé-
chargeables sur des sites étrangers
ont commencé à être sanctionnés.
Entre 2017 et 2018, l’enchaîne-
ment du 19e congrès du Parti
communiste, qui avait vu Xi
Jinping reconduit au pouvoir
pour cinq ans, et de l’Assemblée
nationale du peuple, lors de la-
quelle fut abrogée la limite des
deux mandats pour le président
chinois, avait été le prétexte à une
vaste opération de censure.
« J’ai activé@Tweet_delete »
Mais, passé ces événements, le cli-
mat ne s’est pas détendu : lors de la
dernière campagne de « net-
toyage » du Web, en mai 2018,
4 000 sites et 147 000 « informa-
tions dangereuses » auraient été
supprimés, d’après l’Office natio-
nal chinois contre les publications
pornographiques et illégales, cité
par l’agence Chine nouvelle.
Face au renforcement de la cen-
sure, davantage de Chinois libé-
raux ont migré vers Twitter, ex-
plique Patrick Poon, porte-parole
d’Amnesty International à Hon-
gkong : « Il y a environ dix ans,
beaucoup d’activistes utilisaient
Twitter. Puis ils sont passés sur des
plates-formes chinoises comme
Weibo et Wechat, parce que c’était
de France pas très nombreuse (en-
viron 30 000 personnes) et habi-
tuellement divisée. Autant que
l’était le Soudan avant les derniers
événements.
En ce dimanche, Shawgi Ahmed
retrouve Ameer Mahla, qu’il ne
connaissait pas il y a encore un
mois. Militant politique antiré-
gime, lui est arrivé en 2016 après
un long et dangereux périple au
travers de la Libye, puis la Médi-
terranée, l’Italie et enfin Paris. Il y
a aussi là Tarig Ali, au périple com-
parable. Tous ont connu les mani-
festations de septembre 2013
dans leur pays d’origine. Surtout
animées par des étudiants et des
lycéens, elles ne durèrent que
quelques jours, avant d’être
noyées dans le sang. L’organisa-
tion humanitaire Human Rights
Watch avait déploré « au moins
170 morts, des détentions arbitrai-
res, des mauvais traitements et des
tortures de prisonniers ».
« Nous sommes avec le peuple »
Le mouvement d’aujourd’hui
donne une impression d’union,
comme le symbolise un cri
poussé début janvier dans les
rues de Khartoum. « Tout le pays
est le Darfour ! », en réaction à une
vague d’arrestations dans les mi-
lieux étudiants darfouris de la ca-
pitale. Ils n’étaient pourtant pas
Tous les Tweet de
Wu Gan, pourtant
en prison, ont été
effacés, ce qui
suggère que
des pirates ont
pris le contrôle
de son compte
plus facile que d’utiliser un VPN.
Mais, depuis un an à peu près, de
plus en plus d’activistes reviennent
sur Twitter, sans doute parce qu’ils
sont las de la censure sur les mé-
dias sociaux chinois. Malheureu-
sement, cela a attiré l’attention
des autorités, qui s’en prennent dé-
sormais à eux. »
La police politique a fait passer
des avertissements aussi bien à
des personnalités en vue, comme
l’historien indépendant et criti-
que du régime Zhang Lifan ou le
militant pro-démocratie canto-
nais Wang Aizhong, qu’à des in-
connus qui ne comptent parfois
que quelques centaines d’abon-
nés sur Twitter.
La campagne a même touché des
personnes inactives depuis des
années, comme Wu Gan, un dissi-
dent qui purge une peine de huit
ans de prison depuis 2015 pour
« subversion du pouvoir de l’Etat »,
pour avoir dénoncé le système ju-
diciaire chinois en organisant des
manifestations devant des tribu-
naux. Le 9 novembre, son compte
Twitter a brièvement affiché le
message « j’ai activé@Tweet_de-
lete sur mon compte », avant que
ses 30 277 Tweet disparaissent. Cet
épisode suggère que des pirates au
service du gouvernement ont pris
le contrôle de son compte.
Huang Chengcheng, critique du
gouvernement chinois habitant
Chongqing, dans le centre de la
Chine, a, lui, subi huit heures d’in-
nombreux à le proclamer au plus
fort des massacres du début des
années 2000 commis par les for-
ces du régime et ses milices. Ala-
min Abdrhman feint de ne pas
être surpris par cette subite soli-
darité : « La population est arrivée
au même constat que nous. Ce
n’est pas une question économi-
que mais de régime. »
Contrairement aux manifes-
tants pacifiques d’aujourd’hui,
Alamin Abdrhman présente un
CV fourni d’ancien combattant
au sein d’un des groupes armés
du Darfour, le Mouvement pour
la justice et la liberté (JEM) dont il
dirige la représentation en
France. « On a pris les armes pen-
dant vingt ans et on n’a rien
changé, aujourd’hui nous som-
mes avec le peuple », reconnaît-il,
tout en niant courir derrière un
mouvement populaire large-
ment inorganisé, hors du con-
trôle des syndicats et des partis
traditionnels.
« Pour le moment, nous sommes
tous unis derrière la même cause,
tempère le responsable des rela-
tions extérieures du JEM en
France, Yosif Fatihelrhman, mais
si le régime tombe, la concurrence
pour le pouvoir recommencera.
Nous n’en sommes pas là. Que Ba-
chir dégage, d’abord ! » p
christophe châtelot
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
terrogatoire pieds et poings liés
sur une chaise en métal, le 4 jan-
vier. « Au bout de huit heures, c’est
très difficile à supporter », explique
M. Huang, qui a passé deux ans en
camp de rééducation par le travail
en 2010, avant d’être réhabilité.
« Ils m’ont demandé comment je
“sautais le mur” [en référence à la
« grande muraille numérique »,
nom donné au système qui ver-
rouille le Web chinois]. Ensuite, ils
m’ont montré une liste de Tweet et
m’ont demandé si c’était bien moi
qui les avais écrits », raconte-t-il.
M. Huang a finalement dû pro-
mettre par écrit de ne plus utili-
ser de VPN ni de critiquer le gou-
vernement chinois.
Sermon patriotique
Les bases juridiques de ces procé-
dures sont douteuses. Huang
Chengcheng s’est vu accuser en
vertu d’une loi sur Internet da-
tant de 1996. Sur le récépissé qu’il
a exigé de la police et que Le
Monde a pu lire, il est écrit qu’il a
« ouvert et utilisé sans autorisa-
tion un canal pour se connecter au
réseau international ».
Quand Wang Jiansong, profes-
seur à l’Institut des relations du
travail de Pékin, a demandé à la
police quelle loi il avait violée en
s’exprimant sur Twitter, il a eu
droit à un long sermon sur son
manque de patriotisme et on le
menaça de lui retirer sa pension
de retraite. Mais il n’obtint pas de
justification juridique.
Pan Xidian, employé d’une en-
treprise de construction, arrêté
pour avoir republié sur Twitter
une caricature de Xi Jinping, a été
envoyé en détention deux semai-
nes pour avoir « troublé l’ordre pu-
blic ». « Ce sont des excuses, ils n’ont
pas d’accusations claires, explique-
t-il. Leur méthode consiste à arrêter
les gens pour les mettre sous pres-
sion, leur faire peur, pour qu’ils fas-
sent attention à ce qu’ils disent. » p
simon leplâtre
COLOMBI E
Les pourparlers avec
l’ELN stoppés après
l’attentat de Bogota
Le président colombien, Ivan
Duque, a mis un terme, ven-
dredi 18 janvier, au dialogue
de paix avec l’Armée de libé-
ration nationale (ELN), un
groupe rebelle marxiste, en
réactivant les mandats d’ar-
rêt visant les négociateurs de
la guérilla, le lendemain de
l’attentat meurtrier de Bo-
gota qui lui a été attribué.
L’attaque à la voiture piégée
contre une école de police de
la capitale a fait 20 morts et
68 blessés. Ivan Duque de-
mande à Cuba de procéder à
l’arrestation de dix comman-
dants de l’ELN qui se trou-
vent à La Havane pour des
pourparlers de paix. – (AFP.)
T HAÏ L AN D E
Deux moines
bouddhistes tués
dans une attaque
Des hommes armés ont pris
d’assaut, vendredi 18 janvier,
un temple bouddhiste dans le
sud de la Thaïlande, tuant
deux moines et blessant deux
autres. L’attaque est survenue
dans la province de Nara-
thiwat à majorité musulmane.
La région, ravagée depuis
2004 par une insurrection sé-
paratiste qui a causé la mort
d’environ 7 000 personnes,
subit une vague de violence
en dépit des pourparlers entre
le gouvernement et certains
groupes d’insurgés. – (AP.)

0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
« Charlie Hebdo » : les assises pour 14 personnes
Cette décision conclut une enquête qui aura duré quatre ans. Le procès pourrait avoir lieu en 2020
L
a décision était attendue.
Elle est tombée, sym-
boliquement, vendredi
18 janvier, presque quatre
ans jour pour jour après les atten-
tats de Charlie Hebdo et de l’Hyper
Cacher, à Paris, le 7 et le 9 jan-
vier 2015, qui avaient causé la
mort de 17 personnes. La justice
antiterroriste a décidé, vendredi,
conformément aux réquisitions
du parquet, de renvoyer aux assi-
ses 14 personnes soupçonnées à
des degrés divers d’avoir participé
à la réalisation de ces attaques qui
ont amorcé la plus importante va-
gue d’attentats djihadistes en
France depuis les années 1990. Le
procès pourrait avoir lieu
en 2020.
Même si les accusés peuvent en-
core faire appel de ce renvoi, les
271 pages de l’ordonnance de mise
en accusation, datée du 17 janvier,
que Le Monde a pu consulter,
viennent clôturer quatre ans d’in-
vestigations colossales. Au-delà
des principaux faits déjà connus,
la lecture de cette ordonnance
permet de comprendre en détail
comment Amedy Coulibaly,
auteur de l’attentat contre l’Hy-
per Cacher, et les frères Kouachi,
assaillants de Charlie Hebdo, ont
minutieusement coordonné
leurs attaques. Ce document judi-
ciaire permet aussi de mettre en
relief un certain nombre d’élé-
ments passés inaperçus ou restés
obscurs qu’à présent.
Les juges d’instruction ont par
exemple acquis la conviction
|5
FRANCE
« que les frères Kouachi avaient au 90, rue Gabriel-Péri, à Mon- nelle ». Celui qui risque la peine la quants de la région parisienne,
d’autres projets criminels », en trouge (Hauts-de-Seine). Mais plus lourde s’appelle Ali Riza
Il est établi que d’autres des individus plus expé-
plus de l’attaque de l’hebdoma- c’est finalement la policière Cla- Polat. Ce Franco-Turc de 33 ans est c’est Chérif rimentés, gravitant autour de
daire satirique, le 7 janvier 2015. rissa Jean-Philippe qui a été tuée à accusé d’avoir eu un rôle majeur garages en Belgique ou à Charle-
Des affaires de survie, de l’es- proximité, le 8 janvier 2015, alors dans la fourniture d’armes à la
Kouachi qui a tué ville-Mézières, où habitait Saïd
sence, une arme et des munitions qu’elle gérait la circulation liée à fois pour Amedy Coulibaly et le policier Ahmed Kouachi. La justice a considéré
ont en effet été retrouvées dans le un accident. Le terroriste ne réap- pour les frères Kouachi. Il est donc que quel que soit leur degré d’im-
véhicule avec lequel ils se sont paraîtra que le lendemain, à le seul renvoyé pour « compli-
Merabet en plication, ils ne pouvaient ignorer
rendus sur les lieux du drame. Le l’Hyper Cacher, où il sera égale- cité » dans les deux attaques. Il sortant de la radicalisation des frères Koua-
fait que les terroristes aient été ment abattu. Entre-temps, la jus- aurait notamment été associé chi ou d’Amedy Coulibaly. Pour
contraints d’abandonner cette tice estime que c’est à lui qu’il faut très en amont aux préparatifs. « Il
« Charlie Hebdo » deux d’entre eux, leur ADN a été
Citroën C3 après un accident dans aussi attribuer l’explosion specta- connaissait et partageait l’adhé- retrouvé sur les armes du tueur
Paris les a sans doute empêchés culaire d’une voiture, à Villejuif sion des auteurs principaux à de l’Hyper Cacher. Trois autres
de poursuivre leurs projets maca- (Val-de-Marne). Des expertises l’idéologie du djihad armé », écri- tumace sont l’épouse religieuse suspects un temps mis en exa-
bres et a rendu difficile leur cavale ont permis d’établir des similitu- vent en outre les juges. d’Amedy Coulibaly, Hayat Bou- men et incarcérés, bénéficient
jusqu’à Dammartin-en-Goële des avec les explosifs saisis dans Trois autres individus sont éga- meddiene, 30 ans, et le frère cadet toutefois d’un non-lieu.
(Seine-et-Marne), où ils ont été l’épicerie juive. lement renvoyés devant la cour de Mohamed Belhoucine, Medhi, Concernant le ou les comman-
abattus par le GIGN. Il est aussi d’assises avec des charges lourdes. 27 ans. La jeune femme est no- ditaires des attentats, revendi-
établi que c’est Chérif Kouachi qui Mentor religieux Mais ils ne seront vraisemblable- tamment poursuivie pour « fi- qués d’un côté par Al-Qaida dans
a tué le policier Ahmed Merabet Les quatorze personnes ren- ment pas présents sur le banc des nancement du terrorisme ». Se- la péninsule arabique (AQPA)
en sortant de Charlie Hebdo. voyées aux assises dans ce dos- accusés lors du procès car présu- lon la justice, elle aurait participé pour Charlie Hebdo, et par l’orga-
Du côté d’Amedy Coulibaly, les sier, sont, pour leur part, soup- més morts ou toujours dans la à des escroqueries aux véhicules nisation Etat islamique pour
juges d’instruction estiment çonnées d’implications variées zone irako-syrienne. Le premier afin de financer les projets de son l’Hyper Cacher, la justice n’a pas
aujourd’hui « très vraisemblable » dans ces attentats. Mais toutes – est Mohamed Belhoucine. Ren- compagnon. Elle était en outre au pu trancher. Le mystère plane
que le djihadiste avait initiale- sauf une – sont renvoyées au mi- voyé pour « complicité » dans l’at- courant de ses projets terroristes. toujours.
ment l’intention de s’en prendre à nimum pour « association de tentat de l’Hyper Cacher, cet an- Mehdi Belhoucine est pour sa L’arrestation surprise, le 16 dé-
l’école juive Yaguel Yaacov, située malfaiteurs terroriste crimi- cien élève ingénieur a joué le rôle part renvoyé pour son aide appor- cembre 2018, à Djibouti, de Peter
de mentor religieux auprès tée à l’exfiltration d’Hayat Bou- Cherif, ce djihadiste français en
d’Amedy Coulibaly. C’est à lui que meddiene vers la Turquie, puis la cavale au Yémen depuis 2011,
Un avocat mis en examen des expertises graphologiques at- Syrie, début janvier 2015. Même si membre actif d’AQPA, et soup-
tribuent ainsi la rédaction du ser- ce dernier est présumé mort çonné tout au long de l’enquête
L’avocat Bruno Vinay, défenseur de plusieurs djihadistes partis ment d’allégeance à l’organisa- comme son aîné, il fait l’objet d’avoir eu un rôle-clé auprès des
dans la zone irako-syrienne, a été mis en examen, jeudi 17 jan- tion Etat islamique, lu par le djiha- d’un mandat d’arrêt. frères Kouachi, a toutefois relancé
vier, pour « financement du terrorisme ». Un fait rarissime. diste dans sa vidéo de revendica- les espoirs d’en savoir plus. Alors
Il a été laissé libre sous contrôle judiciaire. La justice reproche tion. C’est aussi lui qui aurait ADN sur des armes qu’il a depuis été extradé vers la
à l’avocat d’avoir fait parvenir, par le biais d’un intermédiaire, fourni toutes « les adresses de Les dix accusés restants, âgés de France, les juges d’instruction ont
la somme de 20 000 euros à un djihadiste qui souhaitait rentrer messagerie électronique destinées 28 à 48 ans, sont soupçonnés donc ordonné des « investigations
en France. Mais, selon son conseil, Me Emmanuel Daoud, à des contacts opérationnels » avec d’avoir apporté leur soutien logis- complémentaires » sur le séjour
Me Vinay souhaitait seulement « organiser la reddition officielle le donneur d’ordre – resté non tique à différents niveaux : du au Yémen d’un des frères Koua-
[de son client] aux autorités irakiennes et françaises » afin qu’il identifié –, détaillent les juges. transport de véhicule à l’acquisi- chi, en 2011. Ces investigations
soit jugé, et, au passage, « sauver la vie » de sa femme et de ses Les deux autres personnes qui tion d’arme ou de gilets pare-bal- ont été disjointes. p
quatre enfants, qui se trouvaient à Mossoul sous les bombes. seront sans doute jugées par con- les. Certains sont des petits délin- élise vincent
6 | france
CONFLIT SOCIAL
Les « gilets jaunes »,
terrain d’influence
pour la nébuleuse
complotiste
Des figures conspirationnistes
de l’ultradroite se servent du
mouvement pour faire infuser leurs idées,
notamment sur les réseaux sociaux
E
ncore un complot
pour éviter de parler
des “gilets jaunes”. »
Sur les réseaux so-
ciaux, samedi 12 jan-
vier, des internautes
crient à la « manipulation » et au
« comme par hasard » alors
qu’une explosion de gaz vient de
coûter la vie à quatre personnes à
Paris. Un accident en plein
« acte IX » des « gilets jaunes », qui
ne serait – à les lire – qu’une
manœuvre du pouvoir visant à
« détourner l’attention ». Comme
après l’attentat de Strasbourg, dé-
but décembre 2018, certains n’hé-
sitent pas à aller jusqu’à mettre
en cause le président de la Répu-
blique lui-même. Et à assortir leur
« il n’y a pas de hasard » de propos
ouvertement antisémites.
En se servant du mouvement né
le 17 novembre pour démultiplier
leur influence, les complotistes et
antisémites liés à l’extrême droite
gagnent en visibilité depuis plu-
sieurs semaines. Et ce qui ne sem-
blait être porté que par un milieu
confidentiel caché derrière l’ano-
nymat du Web se répand
aujourd’hui dans les rues, à visage
découvert. « Le contre-récit a pris
de plus en plus de terrain et com-
mence à avoir des effets dans le
réel, résume la spécialiste du com-
plotisme Marie Peltier, auteure
d’Obsession. Dans les coulisses du
récit complotiste (éditions Inculte,
2018). Cette colère contre les insti-
tutions démocratiques a évidem-
ment des explications sociales
réelles, mais aussi des ressorts
Dans le Lot, l’opération reconquête d’Emmanuel Macron
Avant de débattre avec 600 maires, le président s’est attardé auprès des habitants de Saint-Sozy, montrant ainsi qu’il n’était pas reclus à l’Elysée
REPORTAGE
souillac (lot) - envoyée spéciale
J e vais vous régler ça. » Emma-
nuel Macron parle à un re-
traité qui ne comprend pas
que sa pension ait baissé de
100 euros entre décembre 2017 et
janvier 2018 quand la hausse de la
CSG aurait dû lui coûter 27 euros.
Le président prend son temps, re-
fait les calculs, reconnaît qu’il y a
là « un truc qui ne va pas ». De toute
façon, lui explique-t-il, sa situa-
tion va s’améliorer puisque le
gouvernement a pris des mesures
à hauteur de 10 milliards d’euros
pour apaiser la colère des « gilets
jaunes », dont l’exonération de la
hausse de la CSG pour les retraités
touchant moins de 2 000 euros.
La scène se déroule devant
l’école de Saint-Sozy (Lot), où Em-
manuel Macron s’est rendu de
manière impromptue, vendredi
18 janvier, dans la matinée. Une
vingtaine de personnes l’atten-
dent, plutôt bienveillantes. C’est la
première fois que le chef de l’Etat
va au contact de ses concitoyens
depuis ce 4 décembre 2018, quand
idéologiques mis en œuvre depuis
plus de quinze ans sur Internet.
C’est aussi le résultat de toute une
entreprise idéologique. »
De fait, les dérapages se sont
multipliés depuis le début du
mouvement. Comme ce chant de
La Quenelle – du nom du geste in-
venté par le sulfureux polémiste
Dieudonné, et devenu symbole
antisémite – entonné par quel-
ques « gilets jaunes » sur le parvis
du Sacré-Cœur de Montmartre,
lors de l’« acte VI ». Ou cette intox
largement répandue en ligne sur
des « CRS étrangers embauchés
par le gouvernement », relayée
face caméra par une manifes-
tante, lors du déplacement du mi-
nistre chargé des collectivités ter-
ritoriales, Sébastien Lecornu,
dans les Hautes-Alpes, le 10 jan-
vier. Ou encore ces obsessions
complotisto-antisémites autour
d’Emmanuel Macron et de la ban-
que Rothschild, s’affichant désor-
mais dans les cortèges. « On le
voyait sur le Net pendant la cam-
pagne présidentielle, mais là, c’est
dans la rue, c’est un basculement »,
observe Marie Peltier, qui invite à
« tirer la sonnette d’alarme ».
ARGUMENTS TRONQUÉS
Sur Internet, les fausses nouvelles
prolifèrent également : la ratifica-
tion du « pacte de Marrakech » sur
les migrations revient, pour la fa-
chosphère, à « vendre la France à
l’ONU » ; quant au traité franco-al-
lemand qu’Emmanuel Macron et
Angela Merkel doivent signer le
22 janvier à Aix-la-Chapelle – nou-
le cortège présidentiel avait quitté
la préfecture du Puy-en-Velay,
sans s’arrêter, alors qu’il était
violemment interpellé par des
« gilets jaunes ».
M. Macron a décidé de partir à la
reconquête des Français, avec qui
le dialogue était devenu impossi-
ble en fin d’année. Vendredi, dans
ce même souci de se montrer à
l’écoute, il s’est rendu au Palais des
congrès de Souillac pour y
échanger avec 600 maires d’Occi-
tanie, comme il l’avait fait une
première fois, le 15 janvier, à
Grand Bourgtheroulde (Eure), du-
rant près de sept heures. « Même
Fidel Castro n’en avait pas fait
autant », s’est amusé le maire de
Marsan, Aymeri de Montesquiou.
Le président
veut profiter
du grand débat
pour renouer
avec l’esprit
de sa campagne
Un « gilet jaune » faisant
une « quenelle », à Paris,
le 12 janvier. LAFARGUE RAPHAËL/ABACA
velle cible de la nébuleuse d’ex-
trême droite –, il aurait cette fois
pour objectif de « vendre » l’Alsace
à l’Allemagne… Des arguments
tronqués repris par le parti souve-
rainiste de Nicolas Dupont-
Aignan ou par le Rassemblement
national de Marine Le Pen.
Les observateurs s’accordent
sur ce constat : l’ensemble des
« gilets jaunes » est loin de parta-
ger ces théories conspirationnis-
tes ou de tenir un discours antisé-
mite. Le 12 janvier, un groupe d’in-
dividus autoproclamés « judéo-
phobes » rugissant leurs espoirs
de voir « Dieudonné président » se
sont fait expulser par d’autres
manifestants, près de l’Arc de
triomphe. Devant la caméra, un
« gilet jaune » a même tenu à se
désolidariser de ces « ultras » :
« On peut pas laisser des personnes
tenir des propos antijuifs, c’est pas
à l’image des “gilets jaunes” ! »
Trois jours plus tard, en marge
du lancement du grand débat par
Emmanuel Macron, à Grand-
Le chef de l’Etat connaît les lieux.
Candidat à l’élection présiden-
tielle, il y était venu le 17 fé-
vrier 2017, pour fêter le 200 000e
adhérent à En marche !. Flanqué
d’Alexandre Benalla, notamment
chargé de sa sécurité, il était alors
en pleine ascension. Près de deux
ans plus tard, l’ambiance est
moins euphorique. M. Macron est
hautement impopulaire, même si
les dernières enquêtes d’opinion
montrent une légère améliora-
tion. Les « gilets jaunes » sont ve-
nus l’attendre aux cris de « Ma-
cron, démission », la ville est sous
haute sécurité. Et il a dû se débar-
rasser de son ex-collaborateur,
filmé en train de frapper un mani-
festant le 1er mai 2018 et qui, ha-
sard du calendrier, a été mis en
examen ce vendredi, dans l’affaire
des passeports diplomatiques.
Emmanuel Macron l’avait dit, il
voulait un « débat sans tabou ».
Les édiles l’ont entendu et ne l’ont
pas ménagé pendant ce deuxième
débat. « Il y a eu Sarkozy, avec le
“casse-toi pauv’ con”, Hollande
avec les “sans-dents”. Et vous main-
tenant », a ainsi lancé Christian
« Cette colère
contre les
institutions
démocratiques
est le résultat
d’une entreprise
idéologique »
MARIE PELTIER
spécialiste du complotisme
Bourgtheroulde (Eure), un
homme hurlant « Tu la vois, la
grosse “quenelle” ! » s’est lui aussi
fait corriger par deux autres « gi-
lets jaunes » : « Non mais tu sais ce
que ça veut dire ça ? C’est antisé-
mite ! C’est Dieudonné qui dit ça ! »
Et les deux mêmes de soupirer :
« Les gens ne se rendent pas
compte de la portée de ces mots… »
Car certains manifestants en
jaune reprennent parfois sans en
avoir pleinement conscience le
Venries. Après avoir cité ses peti-
tes phrases sur les « illettrées de
Gad », « ceux qui ne sont rien », ou
encore les « fainéants », le maire
de Saint-Cirgues a exhorté le pré-
sident à « arrêter de stigmatiser,
d’opposer, de mépriser parce que
cela ne peut que générer de l’in-
compréhension et de la violence ».
L’élu a également appelé le chef de
l’Etat à éviter de faire de cet exer-
cice « un grand bluff » ou un « dis-
cours de drague ».
Sur le fond, de nombreux élus
l’ont pris à partie sur la justice fis-
cale, l’impôt de solidarité sur la
fortune (ISF), la limitation de la vi-
tesse à 80 km/h sur les routes se-
condaires, la fracture numérique,
la ruralité… « Nous avons besoin
d’actes forts », a renchéri le maire
de Cahors, Jean-Marc Vayssouze-
Faure, en lui remettant les cahiers
de doléances de ses administrés.
Dans ce face à face qu’il affec-
tionne, Emmanuel Macron a ré-
pondu à chacun. En ouvrant la
porte à quelques concessions, sur
la nouvelle limitation de vitesse,
l’anticipation du reste à charge
zéro sur les lunettes, les appareils
logiciel complotiste qui irrigue
leurs pages Facebook, la mobilisa-
tion des « gilets jaunes » étant
devenue un terrain de jeu pour
les acteurs de la mouvance cons-
pirationniste d’extrême droite.
Ainsi, Egalité et Réconciliation, le
site du polémiste antisémite
Alain Soral condamné à plusieurs
reprises (dernièrement, jeudi
17 janvier, à un an de prison ferme
pour injure et provocation à la
haine raciale), est dorénavant
quasi exclusivement consacré au
mouvement.
De son côté, l’ancien soralien
Vincent Lapierre a gagné en visi-
bilité avec des reportages mili-
tants, très populaires chez les ma-
nifestants. Proche de Dieudonné
– lequel multiplie les provoca-
tions, jusqu’à vendre sur Internet
sa version customisée du gilet
jaune –, Vincent Lapierre a même
été adoubé par l’une des figures
controversées du mouvement,
Eric Drouet, qui l’a contacté à la
veille de l’« acte VI ».
auditifs et les prothèses dentaires,
ou encore une nouvelle étape
dans la décentralisation. Pour le
reste, le président a défendu sa po-
litique de l’offre et rappelé quel
était son principal combat : « La
vraie injustice, ce n’est pas que l’un
gagne plus que l’autre » mais qu’on
n’ait « pas la même chance de réus-
site dans des familles ou des lieux
différents. Ce n’est pas en rétablis-
sant l’ISF ou en faisant le RIC [réfé-
rendum d’initiative citoyenne]
qu’on réglera le problème du chô-
mage de masse ».
« Nouveau contrat de la nation »
Sous pression depuis le début du
mouvement des « gilets jaunes »,
M. Macron veut profiter du grand
débat – qui doit se tenir jusqu’au
15 mars – pour renouer avec l’es-
prit de sa campagne, qui l’a porté
à l’Elysée. A l’image de la grande
marche imaginée pour construire
son programme, cette consulta-
tion doit permettre au chef de
l’Etat de bâtir « le nouveau contrat
de la nation » avec les Français. Et
d’orienter son action pour la
seconde partie de son mandat.
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Boris Le Lay, ultranationaliste
breton exilé au Japon, condamné
à de multiples reprises notam-
ment pour incitation à la haine ra-
ciale et menaces de mort, et fai-
sant l’objet d’une dizaine de man-
dats de recherche, d’une notice
rouge d’Interpol et d’une fiche
« S », s’attelle à récupérer des vi-
déos publiées par d’autres et à les
rediffuser sur l’une de ses pages
consacrée à la mobilisation, multi-
pliant ainsi le nombre de vues. Re-
lancé après un premier blocage
par la justice française, le site ra-
ciste, antisémite et homophobe
Démocratie participative, dont
Boris Le Lay est soupçonné d’être
le principal administrateur, consa-
cre désormais de nombreuses pu-
blications aux « gilets jaunes ».
Celles-ci combinent antisémi-
tisme et haine des médias.
Samedi 19 janvier, jour de
l’« acte X », des figures complotis-
tes, antisémites et d’extrême
droite se sont finalement donné
rendez-vous pour une « réunion
« On ne peut plus décider comme
avant, et je parle pour moi-même
et le gouvernement », a lancé
M. Macron, à qui il a été souvent
reproché d’avoir oublié sa pro-
messe de transversalité depuis le
début de son quinquennat pour
lui préférer un exercice très verti-
cal du pouvoir. Il faut « rechercher
de la délibération et du consen-
sus », a poursuivi le président.
Dans son entourage, on réfléchit
déjà à une manière de poursuivre
l’expérience, après la fin de la con-
sultation. Et on assure que l’exécu-
tif engagera des discussions avec
les partenaires sociaux, une fois le
grand débat achevé, pour mieux
en tirer les enseignements.
Comme d’autres, vendredi, le
maire de Castillon-en-Couserans,
Patrick Timbart, a exprimé quel-
ques réserves sur l’issue du grand
débat. « Mais vous vous y engagez
physiquement, a-t-il toutefois
concédé. Nous sommes sur une
terre de rugby, et ça a du sens. »
Saluant ainsi la performance d’un
président, après six heures qua-
rante d’échanges. p
virginie malingre
 france | 7
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

▶▶▶

La contestation faiblit mais se structure

Après l’évacuation de nombreux ronds-points, de nouvelles stratégies sont élaborées par des « gilets jaunes »

A la veille de l’ « acte X » des

publique » sur le thème « Gilets
jaunes ou la révolution qui vient ».
A l’affiche : Alain Soral, Yvan
Benedetti, ex-leader de l’Œuvre
française, groupuscule d’extrême
droite dissout après la mort de Clé-
« gilets jaunes », samedi
19 janvier, le mouvement
est désormais moins visible lors-
que l’on arpente les routes de
France et rassemble moins de
monde qu’à ses débuts. Mais,
alors que beaucoup prédisaient
qu’il ne passerait pas les fêtes de
Noël – période au cours de la-
quelle il a effectivement marqué
le pas –, il a repris, début janvier,
sous une forme différente, sou-
vent loin des ronds-points, dont
les manifestants ont été délogés.
Le 17 novembre 2018, première
journée de manifestation natio-
nale, les « gilets jaunes » étaient
plus de 280 000 à travers la
France. La semaine suivante, ils
bloquaient routes et péages. Pour
résister au froid, les premiers bra-
seros sont apparus, puis, début
décembre, de vrais campements
se sont installés sur nombre de
ronds-points, devenus des agoras
à ciel ouvert et le cœur battant du
mouvement. Devenus trop impo-
pulaires, les blocages ont été
abandonnés.
Les annonces du président de la
République, le 10 décembre, ont
marqué une nouvelle étape. Cer-
tains ont alors quitté le mouve-
ment, satisfaits par les mesures.
De leur côté, les préfets ont durci
le ton, prenant des arrêtés pour
interdire rassemblements et ma-
nifestations, délogeant les « gilets
jaunes » et détruisant les campe-
ments de fortune.
se structurer. Certains tentent no-
tamment de mettre sur pied un
« cadre de réflexion et d’organisa-
tion » au niveau national. Des
délégations venant de toute la
France sont ainsi attendues à
Commercy (Meuse), les 26 et
27 janvier.
Le second temps fort a lieu le sa-
medi, lors des manifestations.
Depuis que la mobilisation ne se
fait plus aux ronds-points de Ber-
nay (Eure), Muriel a ainsi été ma-
nifester pour la première fois à
Evreux, la grande ville près de
chez elle, début janvier. Pour faire
masse et contrer l’idée d’un es-
soufflement du mouvement, les
« gilets jaunes » appliquent désor-
mais une nouvelle stratégie : ils se
coordonnent avec d’autres dépar-
tements afin de converger tous
ensemble vers une grande ville,
Paris, Rouen ou Bordeaux…
PORTES OUVERTES
DU 18 AU 21 JANVIER**
Depuis le début du mouvement,
de nombreux manifestants ont
raccroché leur gilet jaune. Si
l’« acte IX » a connu un regain, ils
n’étaient cependant plus que
84 000, selon les chiffres du mi-
nistère de l’intérieur, contestés
par les « gilets jaunes ». Les rai-
sons de cet essoufflement peu-
vent être multiples : l’usure, les
désaccords sur les revendications,
la désapprobation devant les vio-
lences commises par des « gilets
jaunes », la peur face à la répres-
sion des forces de l’ordre, l’im-
pression que se mobiliser ne sert
plus à rien, la satisfaction après
les annonces gouvernementales,
mais aussi le travail et les impéra-
tifs de la vie quotidienne.
Des guerres d’ego ou de chefs
ont aussi contribué à la démobili-
sation. Elles ont éclos au sein des
microsociétés qui s’étaient for-
mées sur les ronds-points, pous-
sant certains à quitter la « fa-
mille » qu’ils disaient s’être trou-
vée. Delphine, mobilisée près de
Sens (Yonne) et devenue une réfé-
rente au sein de son groupe de
« gilets jaunes », est ainsi rentrée
chez elle, agacée par l’attitude ju-
gée autoritaire d’un autre mem-
bre. Cette mère au foyer ne parti-
cipe plus qu’aux manifestations
du samedi. La bande soudée à la-
quelle elle appartenait et qui te-
nait le « rond-point des Gaulois »,
s’est délitée. Ne restent plus que
cinq ou six personnes.
Les klaxons des voitures affi-
chant leur solidarité se sont aussi
fait plus rares. Ceux qui restent
engagés dans le mouvement, aux
opinions et profils encore divers,
mais dont certains sont des sym-
pathisants du Rassemblement
national (ex-FN) ou de La France
insoumise, jurent toutefois qu’ils
ne « lâcheront rien », comme ils le
clament régulièrement.
Reste à savoir si le grand débat,
proposé par le gouvernement,
permettra de sortir définitive-
ment de la crise. Certains affi-
chent leur scepticisme. D’autres
sont tentés d’y croire et ont dé-
cidé de se prêter à l’exercice. Ainsi,
des dizaines de « gilets jaunes »
étaient présents dans les premiè-
res réunions, lancées depuis
mardi. « On n’a aucune visibilité
sur la manière dont vont être trai-
tées les contributions, mais on y
participera, explique Florian,
28 ans, intermittent du spectacle,
mobilisé à Vernon (Eure). On nous
ouvre une voie démocratique, il
faut la prendre. Personne ne l’a fait
depuis longtemps. » p
aline leclerc
et faustine vincent

Deux temps forts par semaine

ment Méric, le directeur du jour-
nal d’extrême droite Rivarol, Jé-
rôme Bourbon, condamné pour
contestation de crime contre l’hu-
manité et provocation à la haine
pour des Tweet antisémites et né-
gationnistes… ou le militant d’ex-
trême droite Hervé Ryssen.
« TOUT BÉNÉFICE POUR EUX »
Condamné lui aussi pour des pro-
pos antisémites, ce dernier s’est
pourtant retrouvé début décem-
bre, drapeau français à la main, en
« une » de Paris Match. L’hebdo-
madaire a expliqué a posteriori
n’avoir pas eu connaissance de
l’identité de l’intéressé. « Les anti-
sémites et les négationnistes jubi-
lent grâce à la visibilité que vous
leur offrez ainsi ! », s’est indignée
la Ligue internationale contre le
racisme et l’antisémitisme. « C’est
tout bénéfice pour eux. On sort du
domaine du virtuel pour aller dans
la vie réelle », souligne le directeur
de l’Observatoire des radicalités
politiques à la Fondation Jean-
Jaurès, Jean-Yves Camus.
Ces théories du complot infu-
sent d’autant plus facilement que
la plupart des « gilets jaunes » dé-
butent politiquement et que le
mouvement s’est lancé, s’organise
et dialogue sur Facebook. Or, la
mécanique même des réseaux so-
ciaux tend à radicaliser les dis-
cours, comme l’analyse le journa-
liste Roman Bornstein dans son
« immersion numérique avec les
“gilets jaunes” » menée pour la
Fondation Jean-Jaurès : « Parce que
ce sont eux qui attirent le plus l’at-
tention et attisent les émotions, ce
sont les messages les plus virulents,
les articles aux titres les plus specta-
culaires, les commentaires les plus
indignés, qui suscitent le plus de
réactions. C’est donc ce type de con-
tenu qui va s’afficher en premier
lorsqu’un “gilet jaune” se connecte
sur un groupe pour suivre son ac-
tualité. Mécaniquement, les mem-
bres les plus extrémistes des grou-
pes Facebook parviennent ainsi à
imposer leurs thèmes et à définir les
termes d’un débat qu’ils finissent
donc par contrôler. » Un phéno-
mène accentué par la colonisation
active menée depuis des années
par l’extrême droite sur le Web. p
lucie soullier
Le SUV
Ces contraintes ont poussé les
manifestants à s’organiser autre-
ment. Les plus déterminés ten-
tent encore d’occuper « leurs »
ronds-points, qu’ils considèrent
en classe confort.
comme la place forte de leur lutte,
même s’ils en sont régulièrement
chassés par les forces de l’ordre.
Les cas de figure varient toutefois
d’une ville à l’autre, selon les rela-
tions que les manifestants ont
réussi à tisser, ou non, avec leur
maire. Certains ont eu l’autorisa-
tion de s’installer sur un bout de
terrain à côté du carrefour gira-
toire qu’ils occupaient. D’autres
n’ont rien obtenu, ce qui a parfois
porté un coup sévère à leur mobi-
lisation. Ainsi, à Bernay, dans
l’Eure, aucun des trois « noyaux »
de rassemblement n’a tenu. Des
manifestantes qui avaient sym-
pathisé autour de leur rond-point
tentent malgré tout de maintenir
le lien en se retrouvant « de mai-
son en maison », comme l’expli-
que Muriel, retraitée de 63 ans.
Pour beaucoup de « gilets jau-
nes », la semaine se résume doré-
navant à deux temps forts.
NOUVEAU SUV
D’abord, une réunion hebdoma-
daire organisée par leur groupe CITROËN C5 AIRCROSS
local dans des salles prêtées par
les mairies. L’objectif est de débat-
tre, d’organiser des actions et de
Suspensions avec Butées Hydrauliques Progressives® À PARTIR DE
La justice suspend
des interdictions
3 sièges arrière indépendants et de même largeur
Volume de coffre record jusqu’à 720 L* 249 € / MOIS (1)
APRÈS UN 1ER LOYER DE 3 700 €
Grip Control avec Hill Assist Descent*
de manifester Boîte de vitesses automatique EAT8* SANS CONDITION, LLD 36 MOIS/30 000 KM
Saisi par des « gilets jaunes » Sièges Advanced Comfort* 3 ANS : ENTRETIEN, GARANTIE
et la Ligue des droits de
20 aides à la conduite* ÉLIGIBLE À LA PRIME À LA CONVERSION GOUVERNEMENTALE
l’homme, le juge des référés
du tribunal administratif de
Rouen a suspendu, le 15 jan-
vier, des arrêtés interdisant de
manifester et de se rassembler
dans 21 communes de l’Eure,
y voyant une atteinte grave
au droit fondamental de
Modèle présenté : Nouveau SUV Citroën C5 Aircross PureTech 130 S&S BVM6 Shine avec options Jantes alliage 19’’ ART
manifester, disproportionnée Diamantées, Pack Park Assist, teinte Blanc Nacré et Pack Color Red Anodisé (390 €/mois après un 1er loyer de 3 700 € selon les conditions de l’offre
au regard des faits reprochés détaillée ci-après). (1) Exemple pour la Location Longue Durée sur 36 mois et 30 000 km d’un Nouveau SUV Citroën C5 Aircross PureTech 130 S&S BVM6
(entraves à la circulation). Start neuf, hors option ; soit un 1er loyer de 3 700 € puis 35 loyers de 249 € incluant l’assistance, l’extension de garantie et l’entretien au prix de 23€/mois
pour 36 mois et 30 000 km (au 1er des deux termes échu). Montants exprimés TTC et hors prestations facultatives. Offre non cumulable, valable jusqu’au
Jeudi, le préfet de l’Eure a pris 31/01/19, réservée aux particuliers, dans le réseau Citroën participant et sous réserve d’acceptation du dossier par CREDIPAR/PSA Finance France, locataire
de nouveaux arrêtés limités gérant de CLV, SA au capital de 138 517 008 €, RCS Nanterre n° 317 425 981, 9 rue Henri Barbusse CS 20061 92623 Gennevilliers Cedex. Citroën C5
Aircross est éligible à la prime à la conversion gouvernementale (conditions sur www.service-public.fr sous réserve de publication du décret pour l’année
à certains ronds-points dans 2019). *Équipement de série, en option ou non disponible selon version. **Selon autorisation préfectorale.
19 communes. Les contreve- CONSOMMATIONS MIXTES ET ÉMISSIONS DE CO2 DE NOUVEAU SUV CITROËN C5 AIRCROSS : DE 4,1 À
nants s’exposent à six mois 5,8 L/100 KM ET DE 106 À 132 G/KM.
d’emprisonnement et
7 500 euros d’amende. De nou-
veaux recours sont à l’étude.
8 | france
CONFLIT SOCIAL
« Tout ce qui a été dit,
c’est l’inverse de
ce que Macron fait »
A Grigny, une centaine de participants, dont
des « gilets jaunes » ont pris part au débat
REPORTAGE
grigny (rhône) - envoyée spéciale
I l faut que tout le monde fasse
un effort pour réduire les pri-
ses de parole ! » Le grand débat
national a commencé depuis près
d’une heure à Grigny (Rhône),
jeudi 17 janvier, et le député Jean-
Luc Fugit rappelle les règles. Le
micro passe de main en main, les
interventions sont parfois lon-
gues et l’heure tourne. Face à l’élu
La République en marche, une
centaine de personnes sont ins-
tallées en cercle, entre les murs
jaunes de la salle du centre Bre-
not. « La couleur, c’est le fruit du
hasard », plaisante le maire de la
commune. Au premier rang, une
nuée de participants portent le gi-
let fluorescent emblématique du
combat qui les a menés jusqu’ici.
En France, des « gilets jaunes »
ont choisi de boycotter la grande
concertation nationale, inaugu-
rée mardi dans l’Eure par Emma-
nuel Macron. Pas ici. A Grigny,
loin de bouder le rendez-vous, les
mains ne cessent de se lever pour
demander la parole. Ils sont une
petite trentaine, venus de Givors
ou de Lyon, à 25 kilomètres au
nord de cette commune fronta-
lière de l’Isère. L’échange va durer
trois heures, portant successive-
ment sur la fiscalité, la transition
écologique et la démocratie. « Il
faut qu’on avance. Ceux qui veu-
lent développer des contributions
pourront les publier sur mon
blog », propose le député.
Si le chef de l’Etat a demandé
aux maires d’organiser le grand
débat au niveau local, certains
parlementaires de la majorité
souhaitent avoir leur part de con-
certation. M. Fugit, qui a déjà pro-
grammé cinq rendez-vous, n’avait
pas attendu le coup d’envoi offi-
ciel. Un premier échange a déjà eu
lieu le 17 décembre. La présence
des élus est délicate : la Commis-
sion nationale du débat public,
qui a préparé l’événement, avait
suggéré qu’ils ne soient pas en
première ligne pour ne pas don-
ner l’impression d’un processus
biaisé. A Grigny, ce sont donc les
collaborateurs du député qui
jouent les animateurs « totale-
ment neutres », a promis M. Fugit.
Deux citoyens participent à la ré-
daction du compte-rendu avec
l’équipe parlementaire. « Et il sera
mis en ligne, indique le député.
Vous pourrez vérifier s’il est fidèle. »
« Baissez tous vos salaires »
Dans la salle, chacun y va de sa
proposition. Sur la fiscalité,
« nous, on n’a pas de souci avec le
fait de payer des impôts si c’est
pour nos enfants ou nos retraités,
commence Kalil, 38 ans, « gilet
jaune » du « péage de Téo » à Calui-
re-et-Cuire au nord de Lyon. Ce qui
nous pose problème c’est de payer
les hauts fonctionnaires. Baissez
tous vos salaires ! » « J’aimerais
bien qu’on m’impose hors taxes,
comme les entreprises », embraie
Virginie, 43 ans, initiatrice du
mouvement à Givors.
Au moment d’aborder la transi-
tion écologique, tous les partici-
pants au débat se rangent derrière
ceux qui préconisent, comme Syl-
vie, de « favoriser l’économie circu-
laire ». Ou comme Fabrice, « gilet
jaune » de 47 ans, qui veut que
l’« on privilégie l’agriculture lo-
cale ». « Le premier pollueur c’est le
gouvernement. Il ferme des kilo-
Les revendications
des « gilets
jaunes » ont été
omniprésentes.
Le député regrette
le silence d’une
grande partie
des participants
mètres de lignes de train », s’indi-
gne Daniel, 64 ans qui porte éga-
lement un gilet fluorescent. Sur
ces questions, le député, ensei-
gnant-chercheur en chimie, et
spécialiste de la pollution de l’air,
est « d’accord avec 80 % de ce qui
est dit », affirme-t-il.
Le débat se poursuit, poliment,
sans brouhaha. Les femmes pré-
sentes – une trentaine seule-
ment – restent discrètes malgré
les tentatives de distribuer la pa-
role équitablement. Quand vient
la question des institutions, les
« gilets jaunes » réclament que le
micro soit passé à un trentenaire
assis au dernier rang : « Là, là, il y a
un jeune qui veut parler. » Mais le
« jeune » s’interroge : « Réduire le
nombre de parlementaires, mais
pourquoi ? » Bronca chez les « gi-
lets jaunes » qui rétorquent :
« Parce qu’ils ne servent à rien ! »
Les chaises se sont peu à peu vi-
dées. Gérard, 73 ans s’est échappé
avant la fin. Il n’a pas pris la pa-
role, parce qu’il n’est « pas directe-
ment impliqué dans le mouve-
ment ». Mais il trouve « intéres-
sant que les gens disent ce qu’ils
ont à dire, il y a beaucoup de cho-
ses à faire sur le mode de scrutin ou
la justice fiscale ». A l’intérieur du
centre Brenot, Kalil, un gros man-
teau sous son gilet fluo, s’agace :
« C’est en train de marcher ce que
vous faites, vous avez choisi les
thèmes, on a débattu, vous êtes
contents, mais ça ne servira à
rien ! », prévient celui qui aurait
voulu que les violences policières
soient abordées.
Au fond de la pièce, Guy Joguet,
67 ans, s’étonne. Il juge le débat
« tout compte fait très intéres-
sant ». « C’est agréable de voir
qu’on n’est pas seuls à penser tou-
tes ces choses, observe le retraité.
D’ailleurs ça va être un souci pour
Macron parce que tout ce qui a été
dit, c’est l’inverse de ce qu’il fait. » A
la fin du débat, les « gilets jau-
nes », arrivés sur la défensive, ont
trouvé le député « à l’écoute ».
« Maintenant il faut qu’il ait une
aura nationale », plaide Virginie
de Givors. « C’est beaucoup de bla-
bla, ils savent déjà tout ça », balaie
une femme affublée d’un gilet
jaune en quittant la salle.
Sur le chemin du retour, Jean-
Luc Fugit refuse, lui, de « dessiner
la fin du match avant d’avoir été
au bout ». Ce soir, les revendica-
tions des « gilets jaunes » ont été
omniprésentes. Le député re-
grette le silence d’une grande par-
tie des participants. « Certains ne
sont pas à l’aise ou pensent que ça
ne servirait à rien », concède-t-il.
En décembre, le premier débat
était « plus équilibré, estime-
t-il. J’ai besoin d’en faire plusieurs,
de voir plusieurs types de person-
nes pour voir si les idées qui
remontent sont partagées ». Au
seuil de ces trois mois de concer-
tation, il reste « optimiste ». p
manon rescan
La gauche plus divisée que jamais
à cinq mois des européennes
Le scrutin, qui doit se dérouler le dimanche 26 mai, devrait voir fleurir
une multiplicité de listes de gauche
A
un peu plus de cinq
mois des élections
européennes, un para-
doxe persiste à gau-
che : tous prônent l’unité, mais
tous la refusent dès qu’elle sem-
ble possible. Le scrutin qui aura
lieu le 26 mai devrait donc voir
une multiplicité de listes de gau-
che. Du PS à Lutte ouvrière, cha-
cun voudra profiter de cette élec-
tion à la proportionnelle pour se
compter. Tour d’horizon d’un
paysage fragmenté.
Le pari des Verts Le pari est ris-
qué. Parti seul cet été, refusant
l’alliance avec Benoît Hamon
puis avec Ségolène Royal, Yannick
Jadot, député européen sortant,
veut avancer coûte que coûte et
ne pas se mêler des palabres in-
terminables sur la recomposition
de la gauche. « On n’a pas d’autre
choix que d’y aller seuls car les
autres ne se posent pas les ques-
tions essentielles, estime la porte-
parole Sandra Regol. On continue
à discuter avec le reste de la gau-
che, y compris les insoumis. » Da-
vid Belliard, président du groupe
écologiste au Conseil de Paris,
abonde : « Il faut une offre écolo-
giste, on n’est pas raccord avec le
PS ou le PCF. Et nous n’avons rien à
gagner à aller avec Génération.s.
Nous avons un projet spécifique,
une matrice idéologique. »
Les sondages sont assez fluc-
tuants pour la liste « 100 % écolo »
qui oscille entre 6,5 % et 13 % des
intentions de vote. Un socle pro-
metteur malgré l’épisode des « gi-
lets jaunes » qui, en apparence, ne
semblait pas favorables aux
Verts. Ces derniers répondent par
le succès de la pétition de « L’Af-
faire du siècle » qui entend atta-
quer l’Etat pour inaction climati-
que, preuve selon eux que la so-
ciété a adopté leurs thématiques
et leurs combats.
La France insoumise : seule et
en zones de turbulences Tout
avait bien commencé pour Jean-
Luc Mélenchon. La France insou-
mise (LFI) caracolait en tête des
sondages comme principal oppo-
sant de gauche au gouvernement.
La liste « insoumise » enregistrait
Au PS, un nouveau siège mais toujours pas d’alliés
Le premier secrétaire, Olivier Faure, a présenté ses vœux dans les nouveaux locaux du parti
L es lieux sont tout beaux,
tout neufs. Et les cartons
pas tous déballés. On senti-
rait presque la peinture en train
de sécher sur les murs… Le Parti
socialiste a présenté, vendredi
18 janvier, ses vœux à la presse, le
premier événement organisé
dans le nouveau siège d’Ivry-sur-
Seine (Val-de-Marne), un an après
la vente de l’hôtel particulier du
7e arrondissement de Paris qu’il
occupait depuis plus de trente
ans. « Nous avons fait le choix de
réintégrer un quartier qui est plus
proche de ce que nous portons, a
commenté le premier secrétaire
du PS, Olivier Faure. Pour qui nous
battons-nous ? Pour qui fait-on de
la politique ? Evidemment pas
pour ceux qui vivaient autour de la
rue de Solferino. » Reste désor-
mais à convaincre ceux qui habi-
tent près de ce bâtiment aux bu-
reaux vitrés et aux grandes ver-
rières laissant entrer la lumière,
« cette France que l’on dit parfois
périphérique » vers qui le PS veut
se tourner.
Ces vœux font acte d’inaugura-
tion du siège, l’idée d’un événe-
des ralliements − l’ancien socia-
liste Emmanuel Maurel et la tête
de liste Manon Aubry, ancienne
cadre de l’ONG Oxfam −, et le mot
d’ordre était connu : faire des
européennes un « référendum
anti-Macron ». Mais mi-octobre,
l’épisode des perquisitions au
cours duquel Jean-Luc Mélen-
chon avait laissé éclater sa colère,
devant les caméras, est passé par
là, écornant durablement son
image et celle de son mouve-
ment. « Cela nous a coupé net
dans notre élan », reconnaît un
membre du petit cercle mélen-
choniste.
Par ailleurs, Mme Aubry, encore
inconnue du grand public, a en-
core du mal à incarner la liste.
S’ajoutent de mauvais sondages,
des bisbilles internes, des départs
tonitruants et des remises en
cause de l’organisation.
L’inconnue Place publique Le
mouvement Place publique
− lancé par l’essayiste Raphaël
Glucksmann, l’économiste Tho-
mas Porcher et la militante écolo
Claire Nouvian − continue de
discuter avec tout le monde. Leur
idée : servir de catalyseur à une
liste d’union de la gauche. « Nous
sommes dans une stratégie
coopérative », résume M. Porcher.
Pour l’instant, l’on reste au stade
du round d’observation.
Ceux qui semblent le plus en-
thousiaste sont les socialistes.
Mais s’unir seulement avec le PS
serait un échec pour Place publi-
que, qui cherche donc d’autres
partenaires.
La question est de savoir si Place
publique se lance dans la bataille
au risque d’ajouter une liste en
plus ou si le mouvement se
contente d’un rôle de think tank.
Les avis sont partagés parmi les
fondateurs. La consultation des
20 000 adhérents courant janvier
pourrait apporter des éléments
de réponse.
Le PS sans Royal Le Parti socia-
liste, qui caressait l’idée de soute-
nir une liste autour de Ségolène
Royal, va devoir revoir ses plans.
Après trois mois de discussions,
l’ancienne ministre de l’environ-
ment en tant que tel ayant été
abandonnée, après avoir été re-
poussée plusieurs fois pour cause
de crise des « gilets jaunes ». Et, en
ce début d’année, l’heure n’est
toujours pas à la fête. Le PS jette
en ce moment toute son énergie
dans l’idée de plus en plus hypo-
thétique d’un rassemblement à
gauche en vue des européennes.
Le temps est compté
Alors que le spectre d’une gauche
effritée au sein de six ou sept lis-
tes se dessine, M. Faure a appelé
Benoît Hamon et Yannick Jadot,
candidats respectivement pour
Génération.s et Europe Ecologie-
Les Verts (EELV), à faire preuve de
responsabilité et de constance.
« Ça fait des mois et des mois que
je me retrouve à signer des tribu-
nes communes avec Jadot, avec
Hamon, sur la question écologi-
que, sur la question migratoire
(…). Et, là, pour l’échéance euro-
péenne, on va se dire que ce n’est
pas possible ? »
Il a particulièrement ciblé son
ancien camarade Benoît Hamon,
qui ne cesse de faire état de ses di-
Le Parti
socialiste,
qui caressait
l’idée de soutenir
une liste autour
de Ségolène
Royal, va devoir
revoir ses plans
nement a annoncé le 11 janvier
qu’elle ne serait pas candidate,
faute d’avoir réussi à fédérer au
sein d’une même liste des écolo-
gistes, des socialistes et des per-
sonnalités de la société civile.
Depuis, le Parti socialiste, qui est
toujours en discussions avec
Place publique, continue à appe-
ler une union de ses vœux. Pro-
blème : la formation est désor-
mais bien seule à gauche à cher-
cher ce rassemblement. Elle pour-
rait donc être contrainte de
monter sa propre liste… et de s’ex-
poser à un faible score – pour
l’heure, les sondages les plus opti-
mistes ne placent pas le PS au-
dessus de 7 %. Si les tentatives de
rassemblement échouent, « je
prendrai ma responsabilité, je ne
me déroberai pas, et j’irai au com-
bat », a déclaré le premier secré-
taire, Olivier Faure, vendredi, à
l’occasion de ses vœux à la presse.
Quoi qu’il en soit, des réponses
seront apportées le 2 février, date
à laquelle le PS doit révéler sa stra-
tégie pour les européennes.
Génération.s veut y aller
seule… ou accompagnée Benoît
Hamon l’a dit clairement dans un
entretien au Monde, début dé-
cembre 2018 : « Je serai candidat
pour mener le combat en première
ligne, à la tête d’une alliance ci-
toyenne. » L’ancien candidat à la
présidentielle veut donc mener la
liste de son mouvement qui ne
décolle pas dans les sondages.
« On la fera, notre liste !, jure Pas-
cal Cherki, proche de Benoît Ha-
mon. Les appareils politiques sont
repliés sur eux-mêmes. L’unité est
un moyen mais il faut un renou-
vellement, notre liste sera très
vergences stratégiques avec le PS
avec qui il refuse de s’allier tant
que ce dernier est membre du
Parti socialiste européen (PSE).
M. Hamon « a trois députés euro-
péens, ils siègent où, à votre avis ?
Au groupe PSE ! », a lâché M. Faure,
visiblement exaspéré. Il a conti-
nué en prenant à témoin les « hé-
ros de Benoît Hamon en Europe » :
le Portugais Antonio Costa, « il est
où ? Au PSE ! Il est quoi ? Socia-
liste ! » ; le Britannique Jeremy
Corbyn, « il est où ? Au PSE ! ».
« Quelle est la victoire de celui qui
pourra dire : “J’ai fait 4 %, il a fait
3 %, je suis devant, il est derrière” ?
Ces vœux
font acte
d’inauguration
du siège, à Ivry,
l’idée ayant été
abandonnée pour
cause de crise des
« gilets jaunes »
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
ouverte vers la société civile. » Les
hamonistes se veulent confiants :
la campagne n’est pas commen-
cée, la dynamique arrivera tard,
assurent-ils. Reste que Généra-
tion.s défend des positions très
proches de celles de Place publi-
que. MM. Glucksmann et Hamon
sont amis, le premier ayant con-
seillé le second lors de la prési-
dentielle. Tout serait donc réuni
pour faire une liste commune…
sauf que Génération.s ne veut pas
aller avec le PS et Place publique
« ne veut se ranger derrière per-
sonne », ni Benoît Hamon, ni Sé-
golène Royal.
Le PCF cherche des alliés Il est
une question traditionnelle chez
les communistes : « Que faire ? »
Une interrogation qui est plus
que jamais d’actualité pour eux.
Le congrès, fin novembre 2018, a
décidé que le PCF devrait avoir
« une liste de large rassemble-
ment » conduite par Ian Brossat.
D’ores et déjà, le trentenaire a sou-
haité que des « gilets jaunes »
soient présents sur sa liste. Pro-
blème, le PCF a également de très
mauvais sondages. L’idéal serait
donc de trouver des alliés pour
créer une dynamique.
Fin décembre 2018, M. Brossat
s’est dit favorable à une « union la
plus large » possible à gauche
mais a exclu une alliance avec une
Ségolène Royal tête de liste PS : « Si
du jour au lendemain, des gens fa-
vorables à cette Europe libérale se
mettaient d’accord avec des gens
qui ont toujours dit le contraire, ce
ne serait pas cohérent ». M. Bros-
sat a fait état de « discussions »
avec Benoît Hamon. Des commu-
nistes devraient rencontrer Jean-
Luc Mélenchon et Place publique.
L’extrême gauche divisée Pen-
dant un temps, une liste com-
mune entre Lutte ouvrière (LO) et
le Nouveau parti anticapitaliste
(NPA) était envisagée par les deux
organisations trotskistes. Mais LO
a finalement décidé de partir
seule lors de son congrès annuel.
Le NPA, quant à lui, prendra sa dé-
cision en janvier. p
abel mestre
et enora ollivier
Est-ce que c’est cela se mettre à la
hauteur de l’enjeu ? », a ques-
tionné, « avec émotion et colère »,
le patron des socialistes.
Le temps est compté. Le PS a dé-
cidé de dévoiler le 2 février sa stra-
tégie pour l’élection, à savoir sou-
tenir une liste de rassemblement
ou, à défaut, se lancer de façon
autonome. Dans l’intervalle, la
formation poursuit ses discus-
sions avec le mouvement Place
publique, pour dresser une liste
de « 10, 15 ou 20 combats com-
muns » et proposer à d’éventuels
partenaires une union sur cette
base. En cas d’échec de cet ultime
round de travail, M. Faure n’ex-
clut pas de mener lui-même la
liste du PS.
Brandissant la menace d’un « ef-
facement de la gauche », le pre-
mier secrétaire a estimé encore
qu’« il y a une responsabilité pour
cette nouvelle génération, qui peut
être celle de la renaissance de la
gauche » ou « celle qui éteint la lu-
mière ». Au moment où les socia-
listes investissent un nouveau
lieu, ce serait dommage. p
e. o.
  
 
    



    
       

      


  



 





 

 


  
  


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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

Prostitution : deux camps irréconciliables

Le Conseil constitutionnel va examiner, mardi 22 janvier, la loi de 2016 qui pénalise les clients

D
eux camps opposés se
feront face, mardi
22 janvier, dans une
salle du Conseil cons-
titutionnel. Les juges sont appelés
à examiner ce jour-là une ques-
tion prioritaire de constitution-
nalité (QPC) portant sur la pénali-
sation des clients de prostituées,
disposition phare de la loi pro-
mulguée le 13 avril 2016, après des
années de débats. Depuis son en-
trée en vigueur, « l’achat d’actes
sexuels » peut désormais être
sanctionné par une contraven-
tion allant jusqu’à 3 750 euros en
cas de récidive.
Cinq travailleurs du sexe et neuf
associations, parmi lesquelles
Médecins du monde et le Syndi-
cat du travail sexuel (Strass) sont à
l’origine de la procédure. Le 12 no-
vembre 2018, c’est au nom de la
non-conformité du texte avec le
droit au respect à la vie privée, à la
liberté d’entreprendre et au
principe de nécessité et de pro-
portionnalité des peines qu’ils
avaient saisi le Conseil d’Etat. Le-
quel a décidé de transmettre la
QPC au Conseil constitutionnel,
qui a le pouvoir d’abroger le texte,
s’il estime qu’il ne respecte pas la
Constitution.
« Le seul filet de sécurité »
Depuis cette date, les défenseurs
de la loi se mobilisent. Treize asso-
ciations se sont portées parties in-
tervenantes en défense des dispo-
sitions de la loi. Plusieurs tribunes
sont parues dans les journaux,
notamment signées par d’an-
ciens ministres comme Jean-
Marc Ayrault, Najat Vallaud-Belk-
acem ou Laurence Rossignol.
Jeudi 17 janvier, c’est devant les
grilles du square Louise-Michel,
dans le 18e arrondissement de
Paris, qu’une quinzaine de mili-
tants associatifs, féministes et
abolitionnistes, et d’anciennes
prostituées se sont retrouvés lors
d’un bref « happening » destiné à
défendre le texte. « Ce n’est pas la
loi qui tue, ce sont les clients », ont
scandé quatre anciennes prosti-
tuées après avoir chacune lu un
texte devant une banderole blan-
che sur laquelle était écrit : « Pros-
titution = violence ».
« La pénalisation des clients est
un garde-fou, ne faisons pas ma-
chine arrière ! Cela reviendrait à
anéantir des années de lutte, et à
accepter que les prostituées soient
de nouveau traitées comme des
objets. Pour la majorité d’entre
elles, qui se trouvent victimes de la
traite, cela briserait le seul filet de
sécurité », soutient Anne Darbes,
qui a raconté ses années de prosti-
tution dans le livre Le Visage de
l’autre (Encre rouge, 2018). A ses
côtés, Rosen Hirchen, cofonda-
trice du mouvement des Survi-
vantes de la prostitution : « J’ai
passé vingt-deux ans dans la pros-
titution. Je me disais que c’était un
choix, mais ce n’en était pas un, je
l’ai compris au bout de dix ans de
travail sur moi-même. J’ai rencon-
tré de nombreuses femmes en si-
tuation de prostitution, aucune ne
Le Conseil d’Etat
a décidé de
transmettre la
QPC au Conseil
constitutionnel,
qui a le pouvoir
d’abroger le texte
l’envisage comme un avenir », sou-
tient cette figure de la lutte pour la
loi de 2016, qui remarque qu’« on
parle toujours de clients des prosti-
tuées, alors que ce sont les clients
des proxénètes en réalité ». Selon
les chiffres disponibles sur le site
du secrétariat d’Etat chargé l’éga-
lité entre les femmes et les hom-
mes (datant de 2015), plus de
30 000 femmes sont actuelle-
ment prostituées en France.
Pour le Mouvement du Nid, la
principale association abolition-
niste française, « la loi actuelle
protège le plus grand nombre et
les plus vulnérables », en propo-
sant désormais des parcours de
sortie à celles qui en font la de-
mande. « C’est un formidable es-
poir parce que rien de tel n’existait
avant, appuie la porte-parole de
l’association, Claire Quidet. Ce
qu’il faut aujourd’hui, ce n’est sû-
rement pas abroger la loi mais
bien une volonté politique d’im-
pulser sa réelle mise en applica-
tion sur l’ensemble du territoire. »
Concernant les parcours de sor-
tie, qui prévoient d’octroyer aux
femmes qui s’engagent à cesser
de se prostituer une aide finan-
cière, assortie d’un logement et
d’un titre de séjour provisoire,
le camp des requérants de la
QPC se montre très critique.
« On leur propose 330 euros, c’est
de l’enfumage social, estime
Mylène Juste, secrétaire générale
du Syndicat du travail sexuel
(Strass), fondé en 2009. La réalité,
c’est que l’objectif de la loi est de
créer une prohibition. Mais quand
on nous enlève les clients, ça a des
conséquences sur la précarité, la
hausse des violences et des IST [in-
fections sexuellement transmis-
sibles]. »
tate en revanche que la pénalisa-
tion du client a clairement durci le
rapport de force en leur défaveur.
Quand elles exercent dans la rue,
les prostituées n’ont plus le temps
de négocier, parce que les clients les
pressent, de peur d’être repérés et
sanctionnés. Elles se retrouvent
donc contraintes d’exercer dans
des recoins plus reculés. Cela a pour
conséquence que nous n’avons
plus accès à elles, et donc qu’elles
n’ont plus accès aux soins. »
L’ONG constate également une
baisse du nombre de personnes
rencontrées dans ses program-
mes, et s’inquiète de l’invisibilisa-
tion d’un certain nombre de pros-
tituées, en s’interrogeant sur leur
sort. Pour celles toujours en acti-
vité dans la rue, « on constate une
hausse des violences depuis la loi.
Les clients qui continuent de venir
sont davantage des agresseurs »,
constate Médecins du monde, qui
s’appuie sur une étude réalisée en
avril 2018 et comportant 70 en-
tretiens menés par deux cher-
cheurs. L’acceptation de pratiques
effectuées sous la contrainte,
comme le sexe sans protection,
ou des passes gratuites, est un
autre effet pervers de la pénalisa-
tion que l’association dénonce.

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« Hausse des violences »
Loin de mieux protéger les prosti-
tuées, la pénalisation des clients
les a au contraire davantage mises
en danger, soutient aussi Méde-
cins du monde. « Notre objet à
nous n’est pas de se prononcer
Viol tarifé contre travail sexuel,
lutte contre le système prostitu-
teur contre abolition de la prohi-
bition… Le choix des mots tra-
duit bien deux visions opposées
de la prostitution, qui s’étaient
d’ailleurs déjà exprimées avant

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pour ou contre la prostitution, on
ne se place pas sur le terrain moral,
tient d’emblée à dire Irène Abou-
daram, coordinatrice générale de
Médecins du monde. En tant
qu’association de santé, on cons-
la loi de 2016. Le Conseil constitu-
tionnel, dont la décision est at-
tendue le 1er février, aura la
lourde responsabilité de rouvrir
ou non les débats. p
solène cordier

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)
A Marseille, le squat qui gêne
le département et le diocèse




"6%*5&634
2605*%*&/4 N oëlle accueille deux mineurs africains qui ont passé la

nuit précédente dehors, à la gare Saint-Charles de Mar-
seille. L’un d’eux, 16 ans, arrive du Mali. La jeune
femme leur explique les règles de vie du squat : la fermeture de
la porte à 21 heures, le calendrier des activités, la cuisine collec-
tive. Au 59, avenue de Saint-Just, avec 70 mineurs non accompa-
gnés et une quarantaine de familles avec enfants en demande
d’asile, l’espace est saturé mais les jeunes étrangers de moins de
18 ans qui se présentent sont toujours accueillis.
Ce squat n’est pas tout à fait comme les autres. Le collectif a de
nouveau jeté son dévolu sur un bâtiment appartenant au dio-
cèse. Un ancien couvent, qui était inoccupé. Le diocèse a porté
plainte contre cette occupation illé-
gale, commencée en décembre. Mais,
DE SON BUREAU, en même temps, devoir d’accueil
oblige, l’archevêque de Marseille,
LA PRÉSIDENTE DES Mgr Georges Pontier, a aussitôt repris
BOUCHES-DU-RHÔNE chauffer les contrats d’électricité et de gaz pour
les lieux. Il appelle le conseil
PEUT VOIR LA départemental et l’Etat à assumer
leurs obligations, l’un de prise en
BANDEROLE « MARTINE charge des mineurs étrangers, l’autre
VASSAL HORS-LA-LOI » àaux fournir un hébergement d’urgence
familles en demande d’asile.
Ironie de la situation – ou talent des
membres du collectif pour interpeller les pouvoirs publics –, le
conseil départemental se trouve de l’autre côté de la rue. Aux fe-
nêtres du couvent, une banderole est accrochée : « Mineur.e.s
isolé.e.s, Martine Vassal hors-la-loi. » De son bureau, la présidente
(LR) des Bouches-du-Rhône peut la voir. Brigitte Devesa, con-
seillère départementale renvoie la responsabilité à « l’Etat qui
doit prendre à bras-le-corps ce flux migratoire ». De l’autre côté de
la rue, ce flux a le visage d’un jeune Malien tout juste arrivé au
squat, qui confie son souhait : « J’aimerais bien étudier, apprendre
un métier, n’importe lequel, il n’y a pas de sot métier. » p
luc leroux (à marseille)

J UST I C E ment justificatif d’une qualité

Alexandre Benalla mis
en examen pour l’usage
abusif de ses passeports
Alexandre Benalla a été mis en
examen, vendredi 18 janvier,
pour l’usage abusif de ses passe-
ports diplomatiques après son
limogeage de l’Elysée cet été. Il
est poursuivi pour « usage pu-
blic et sans droit d’un docu-
professionnelle ». L’ex-conseiller
de l’Elysée fait l’objet d’une
information judiciaire ouverte
aussi pour « abus de confiance »,
« faux et usage de faux docu-
ment administratif » et « obten-
tion indue de document
administratif ». Pour ces trois
qualifications, il a été placé sous
le statut de témoin assisté.

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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Procès du « viol
du 36 » : une
journée d’éloges
pour les accusés
Deux policiers sont jugés pour
l’agression d’une touriste en 2014
A
près le récit détaillé des
accusations sordides
qui les visent, ou l’ana-
lyse de la moindre ta-
che sur leur caleçon dont les ex-
perts en ADN ont gratifié la cour,
ce fut une journée presque apai-
sante pour eux. Une journée, au
moins, qui ne leur fera pas de tort
au moment où les jurés se retire-
ront pour élaborer un verdict,
dans deux semaines. Le temps
d’une audience, vendredi 18 jan-
vier, Nicolas R. et Antoine Q. ont
cessé d’être de présumés violeurs
de touriste éméchée, ils ont dé-
laissé ce « costume d’horreur dont
on [les] a affublés depuis cinq ans »
pour enfiler celui du conjoint
aimant, du bon père de famille, et
du flic de haut vol.
Au cinquième jour d’un procès
au calendrier étonnant – les mis
en cause n’ont toujours pas été en-
tendus sur les faits –, la cour d’assi-
ses de Paris se penchait sur la per-
sonnalité des deux anciens agents
de la brigade de recherche et d’in-
tervention (BRI) qu’Emily Span-
ton, une Canadienne de 39 ans, ac-
cuse de l’avoir violée dans les lo-
caux de la police judiciaire, au
36 quai des Orfèvres, après une
soirée d’ivresse il y a cinq ans.
Les témoignages de proches, de
collègues et d’experts psychiatres
– qui n’ont décelé chez eux « aucun
trait de fonctionnement pathologi-
que au niveau mental ou sexuel » –
ont dessiné le portrait et le par-
cours de deux hommes sans his-
toires, ou presque, jusqu’à la nuit
du 22 au 23 avril 2014. Et redoré un
peu leur blason terni par le crime
Les reculs du gouvernement sur la réforme de la justice Une formation pour
Nicole Belloubet est notamment revenue sur les délais de saisine d’un juge par une victime les opérateurs du SAMU
V écue avec une lassitude
certaine par la chancelle-
rie et les députés, de
moins en moins nombreux à sui-
vre les débats, la seconde lecture
du projet de loi de programmation
et de réforme pour la justice s’est
achevée dans la nuit du jeudi 17 au
vendredi 18 janvier à 3 heures.
Alors que Nicole Belloubet, garde
des sceaux, était parvenue à impo-
ser jusqu’ici à la majorité parle-
mentaire de rester très proche du
texte initial, elle a accepté, dans
cette dernière ligne droite, des mo-
difications inattendues. Plusieurs
des dispositions concernant la
procédure pénale avaient cristal-
lisé depuis le printemps une oppo-
sition des avocats et du Syndicat
de la magistrature d’autant plus
forte que la chancellerie n’avait
pas montré de volonté de négocier
ce volet. Sur d’autres pans de cette
réforme, un dialogue avec les ma-
gistrats et les avocats avait existé.
C’est ainsi, par une volte-face,
que le gouvernement a accepté au
petit matin, vendredi, de renoncer
à étendre le champ de la composi-
tion pénale. Elle permet au procu-
reur, ou à l’un de ses représentants
(policier ou gendarme), de propo-
ser une amende en échange de
l’abandon des poursuites contre
une personne qui reconnaît les
faits. Cécile Untermaier, députée
socialiste de Saône-et-Loire, venait
pourtant de se plaindre du man-
C’est « un homme
très galant,
très élégant dans
sa manière d’être.
Il a été élevé
dans le respect
des femmes »
qu’ils nient avoir commis, qui leur
a coûté leur carrière à la BRI, et
pour lequel ils encourent vingt
ans de réclusion.
Antoine Q. est « un homme très
galant, très élégant dans sa ma-
nière d’être. Il a été élevé dans le res-
pect des femmes ». C’est en tout cas
ainsi que sa compagne l’a décrit à
l’enquêtrice de personnalité.
« C’est une femme hypercoura-
geuse, la preuve, on est encore en-
semble, et elle me soutient à mort »,
murmure, ému, l’accusé de 40 ans,
« pas machiste pour un sou » selon
les mots d’un ami. Le couple s’est
formé il y a dix-neuf ans, un gar-
çon est né en 2012. Antoine Q. est
un « papa poule, dévoué à 100 % à
sa famille », assure-t-elle.
« Cette profession, c’est ma vie »
Bon père, et bon policier. A la BRI
– « le Graal au sein de la police » –
qu’il avait intégrée en 2010, il
marchait dans les pas de son père
et de son frère, tous deux passés
par la prestigieuse unité où l’ac-
cusé était chargé des interven-
tions en milieux contaminés
– nucléaire, bactériologique, chi-
que d’écoute de la majorité : « Nous
n’en pouvons plus d’être dans une
situation d’Alzheimer, à répéter des
amendements sans aucune évolu-
tion possible. » L’amendement
qu’elle a présenté et ceux identi-
ques défendus par Jean-Philippe
Nilor (Parti communiste) et l’ex-
magistrate Laurence Vichnievsky
(MoDem), ont été votés pour sup-
primer l’extension à tous les délits
de cette alternative aux poursui-
tes. La composition pénale restera
donc une option de procédure ré-
servée aux délits punis d’une
peine inférieure ou égale à cinq
ans de prison. Mme Belloubet sou-
haitait l’étendre jusqu’aux infrac-
tions punies de dix ans de prison
« dans un souci de souplesse pour
les juridictions ». « Une justice dé-
gradée pour faire du rendement », a
rétorqué M. Nilor.
Mme Vichnievsky a fait notam-
ment remarquer que cette procé-
L’Assemblée
nationale devra
se prononcer
sur le projet
de loi lors d’un
vote solennel,
mercredi
23 janvier
Emily Spanton, la plaignante, au Palais de justice, à Paris, lundi 14 janvier. FRANCOIS MORI/AP
mique. Son supérieur hiérarchi-
que souligne son « investissement
sans faille », un collègue le décrit
comme « travailleur, volontaire,
réfléchi ». Antoine Q. rappelle lui-
même le compliment d’un supé-
rieur à ses débuts, dans le 16e ar-
rondissement de Paris : « Il m’a dit
que j’étais doté d’un sens policier
rare. Cette profession, c’est moi,
c’est ma vie. »
C’est aussi celle de Nicolas R.,
père divorcé de deux enfants
– « C’est un très bon père, et un très
bon ex-mari », dit son ex-femme –,
âgé de 49 ans, dont douze de BRI,
« l’élite de l’élite », entre 2002 et
2014. « C’est quelqu’un d’extrême-
ment engagé, il a grandement
servi la BRI, et participé à élever le
niveau de cette unité », est venu
dire à la barre son ancien chef,
avant d’évoquer deux missions
marquantes : l’arrestation et le ra-
patriement depuis la Côte d’Ivoire
de Youssouf Fofana, le leader du
« gang des barbares » coupable de
l’enlèvement et de l’assassinat
d’Ilan Halimi en 2006 ; en 2012, la
neutralisation, grâce à un tir de
dure sans audience et sans publi-
cité aurait empêché le public d’être
informé d’infractions graves. La
ministre de la justice avait fait la
sourde oreille à ces arguments en
demandant aux députés de voter
contre ces amendements en com-
mission des lois, en novembre,
puis dans l’Hémicycle en décem-
bre, en première lecture, et de nou-
veau en commission en janvier…
avant d’estimer finalement qu’il
était « sage » de les entendre.
Compromis
Autre mesure qui a concentré les
critiques, le délai de saisine d’un
juge d’instruction. Actuellement,
si le parquet ne donne pas suite
dans un délai de trois mois à une
plainte simple déposée par une
victime, celle-ci peut saisir un juge
d’instruction au moyen d’une
plainte avec constitution de partie
civile. Le projet de loi faisait passer
ce délai incompressible à six mois,
officiellement pour « laisser aux
enquêteurs le temps de terminer les
éventuelles investigations enga-
gées » avant que le procureur dé-
cide de classer une affaire ou d’en-
gager des poursuites. Un allonge-
ment des délais dans lequel beau-
coup dénonçaient un recul du
droit des victimes. La ministre de
la justice s’est finalement dite
« très favorable » au compromis,
proposé par le rapporteur Didier
Paris et les députés La République
précision à 25 mètres – sa spécia-
lité –, de l’un des deux frères Las-
car, retranchés dans un pavillon
de la banlieue parisienne truffé
d’armes, qui auraient pu faire un
carnage au sein de la BRI. « Ce
jour-là, Nicolas R. nous a sauvés »,
assure son ancien supérieur.
Accroc majeur
Le forcené, touché à la main,
s’était suicidé dans le bâtiment,
un traumatisme pour Nicolas R.,
qui estime avoir ensuite été mal
suivi sur le plan psychologique, et
a sombré dans une forme de dé-
pression entrecoupée de soirées
trop alcoolisées ayant mené à un
accroc majeur dans son parcours :
en 2012, ivre, recalé d’une boîte de
nuit avec un collègue, il s’en
prend au videur. Le président de
la cour lit sobrement les mots que
l’accusé avait alors prononcés,
tandis que son collègue, ivre éga-
lement, exhibait carrément son
arme : « T’es qu’une merde, tu sais
pas qui on est, on est de l’antigang,
on va vous allumer, on vous al-
lume quand on veut, on revien-
en marche, qui maintient le délai
actuel de trois mois, mais permet
au procureur de demander au juge
d’instruction un délai supplémen-
taire de trois mois afin de pouvoir
finaliser une enquête engagée.
Quant à la justice civile, la majo-
rité et la ministre ont cherché à
rassurer sur le rôle des directeurs
de caisse d’allocations familiales
dans la révision des pensions ali-
mentaires de couples divorcés.
Sans revenir sur cette expérimen-
tation décriée, un amendement
est venu préciser que cet interve-
nant privé n’aura pas de marge
d’appréciation, celle-ci restant une
prérogative du juge aux affaires fa-
miliales, pour réviser en fonction
de l’évolution d’une situation fi-
nancière le montant de la pension
fixée dans le jugement de divorce.
Le but de cette expérience est d’al-
ler plus vite dans la révision des
pensions et de « sortir de la diffi-
culté des femmes confrontées à des
délais qui ne sont pas dignes, ac-
tuellement de six mois en
moyenne », a justifié Erwan Bala-
nant (MoDem).
L’Assemblée nationale devra se
prononcer sur le projet de loi lors
d’un vote solennel, mercredi
23 janvier. Il sera examiné en se-
conde lecture au Sénat à partir du
12 février avant de revenir au Pa-
lais-Bourbon pour l’adoption
d’une version définitive. p
jean-baptiste jacquin
dra. » Un mois avec sursis pour
« menaces de mort » : « J’ai merdé,
j’ai fait le coq. »
Antoine Q. aussi a droit à son
mauvais quart d’heure à la barre,
lorsque le président dévoile sa re-
lation adultérine avec une poli-
cière, qui a abouti, par deux fois, à
des relations sexuelles nocturnes
à la BRI, à l’endroit même où se se-
raient déroulés les faits dont il est
aujourd’hui accusé. L’instant est
gênant, l’intéressé expliquant que
sa femme n’est pas au courant de
cette affaire, et l’avocat général se
montrant particulièrement insis-
tant et sévère, à deux doigts de la
leçon de morale : « En principe, un
bureau, c’est pour travailler. »
En 2012, ivre,
recalé d’une
boîte de nuit avec
un collègue,
Nicolas R. s’en
prend au videur
Cette mesure intervient près d’un an après
la mort de Naomi Musenga, à Strasbourg
U ne formation diplô-
mante obligatoire d’un
an sera mise en place, à
partir du 1er septembre, pour les
futurs assistants de régulation
médicale du SAMU, les premiers
interlocuteurs de toute personne
composant le 15 ou le 112. La me-
sure, comprenant plus de
1 400 heures de cours théoriques
et pratiques, devrait concerner
environ deux cents personnes
chaque année, a été annoncée par
la ministre de la santé, Agnès
Buzyn, vendredi 18 janvier, plus
d’un an après la mort de Naomi
Musenga. Le 29 décembre 2017, la
jeune femme de 22 ans avait dû
faire face à un refus inadapté et
irrespectueux de prise en charge
par le SAMU du Bas-Rhin.
Le non-respect de la procédure,
« à deux reprises », par l’opératrice
avait conduit à un retard de prise
en charge de deux heures dix-
neuf minutes, a estimé l’inspec-
tion générale des affaires sociales
dans une enquête publiée en
juin 2018. La question de la quali-
fication pour exercer ce métier
crucial, accessible avec un simple
bac et quasi sans formation spéci-
fique, avait alors été posée. Cette
fonction est « bien souvent » assu-
rée « par des personnes manquant
france | 11
Ce bureau n’est plus le sien de-
puis sa suspension, au tout début
de l’affaire, vécue comme « un ca-
taclysme », « une torture perma-
nente pendant deux ans et demi ».
Depuis juillet 2017, Antoine Q. est
affecté à la brigade d’exécution
des décisions de justice, autre-
ment appelée « brigade des fugi-
tifs », où il procède à la recherche
et à l’interpellation des condam-
nés qui se soustraient aux déci-
sions judiciaires. Sa supérieure ac-
tuelle loue ses qualités : « rigou-
reux », « mordant », « efficace ». Les
compliments le laissent froid. Il a
perdu son « Graal », et se montre
lucide sur ses chances de réinté-
grer la BRI : « Je n’en aurai plus. »
Quant à Nicolas R., dont « [les]
qualités professionnelles font dé-
faut au service », selon son ancien
chef à la BRI, il a intégré la brigade
de répression de la délinquance
astucieuse. Cette unité traque les
auteurs d’escroquerie en tout
genre (Forex, Bitcoin, faux or,
etc.). Nicolas R. l’a décrite en un
mot : « Un placard. » p
henri seckel
d’expérience, quand ce n’est tout
simplement pas d’une formation
initiale », relevait un rapport du
Sénat de septembre 2017.
« Harmoniser les procédures »
Si les organisations syndicales,
comme SAMU-Urgences de
France, se sont dites « satisfaites »
de la mise en place d’une forma-
tion « demandée depuis plusieurs
années », certaines ont toutefois
regretté le format retenu par la mi-
nistre. « Ce qui est proposé est une
formation au rabais qui ne corres-
pond pas aux enjeux », déplore
Christophe Prudhomme, porte-
parole de l’Association des méde-
cins urgentistes de France et re-
présentant CGT Santé, qui plaide
pour une formation sur deux ans,
dans une structure publique, avec
des modules communs à d’autres
formations médicales.
Agnès Buzyn a également an-
noncé, vendredi, avoir demandé à
tous les SAMU de France « d’har-
moniser leurs procédures pour le
traitement des appels » d’urgence
et a confirmé « travailler » sur la
mise en place d’« un numéro d’ap-
pel simplifié », sans, pour l’instant,
prendre une décision sur la ques-
tion d’un « numéro unique ». p
françois béguin
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La mode des félins de compagnie tue les guépards

Les animaux braconnés en Afrique sont vendus jusqu’à 15 000 dollars dans le Golfe. L’espèce est en péril

ENQUÊTE

S
ur les photos, une femme
est allongée dans son lit
sous les couvertures, ac-
compagnée d’un couple
de guépards. Un homme tient
nonchalamment son félin en
laisse, joue avec lui sur son sofa
ou dans son jardin. Un autre atta-
che le véloce prédateur sur le
siège passager de son 4 × 4, avant
de l’emmener faire un peu d’exer-
cice dans les dunes.
Ces clichés délirants provien- Une jeune
nent tous des pays du Golfe. Aux Koweïtienne
Emirats, au Qatar, au Koweït, à et ses deux
Bahreïn ou en Arabie saoudite, guépards, Mark
des guépards capturés en Afrique et Shahod,
sont utilisés illégalement comme en janvier 2017.
animaux de compagnie, résultat SEBASTIAN CASTELIER
d’un vaste trafic qui menace la
survie de l’espèce.
Chaque année, selon des ex-
perts, autour de 300 félins se-
raient arrachés à la savane pour fi-
nir dans des appartements de
Riyad ou d’Abou Dhabi – soit 1 200
à 1 500 guépards sur les cinq der-
nières années. « Ces chiffres peu-
vent sembler modestes, comparés
aux dizaines de milliers d’élé-
phants abattus tous les ans, mais
ils sont en réalité dramatiques »,
selon William Crosmary, direc-
teur de programme pour Traffic,
un réseau de surveillance du
commerce de faune sauvage en
Afrique de l’Est.
La population du félin, connu
pour ses sprints à 120 km/h, s’est
effondrée, passant de 100 000 in-
dividus au début du XXe siècle à
seulement 7 100 aujourd’hui, avec proie à la guerre ou à la famine », n’est pas rare de voir un guépard
une accélération brutale ces vingt poursuit M. Crosmary. Autant se promener dans la rue ou sortir
Le budget
dernières années. Autrefois pré- d’endroits où un « gros chat » Koweït Bahreïn la tête par la vitre ouverte d’une du ministère de
sent du bassin du Congo jusqu’à passe facilement inaperçu, et Qatar Emirats voiture », explique un bon con-
l’est de l’Inde, il est maintenant peut rapporter gros : jusqu’à naisseur du dossier travaillant
l’environnement
Arabie arabes unis
confiné sur à peine 9 % de son ter- 15 000 dollars pour un guépard saoudite
dans la région. « C’est l’extermina- somali est de
ritoire originel, essentiellement vendu dans le Golfe. tion d’une espèce par le “like”, se
en Afrique australe et orientale, désole Patricia Tricorache. Tout
30 000 dollars.
Yémen
avec des groupes fragmentés ne « Extermination par le “like” »
Somaliland
ça pour une question de mode, A peu près le prix
comptant souvent plus que quel- Mais encore faut-il qu’il survive à d’ego et de statut social ! »
ques dizaines d’individus. la traversée : les ONG estiment que Le commerce du guépard, ani-
d’un orphelinat
« La route du guépard, on la con- plus de la moitié voire les deux Présence du guépard mal inscrit à l’annexe I de la Con- pour guépards
naît bien », enchaîne M. Cros- tiers des animaux meurent en vention de Washington sur le
Avérée
mary. Les félins, braconnés dans route, faute de soins. Une fois à commerce des espèces menacées
Possible
la Corne de l’Afrique, dans le nord destination, l’hécatombe conti- (Cites), est pourtant interdit. Mais A défaut, les efforts des ONG se
du Kenya et en Ethiopie, « traver- nue. Les guépards, retenus dans Pays où la demande le sujet ne s’est imposé comme concentrent aujourd’hui sur le So-
sent le golfe d’Aden dans des des maisons ou des appartements en guépards est forte une priorité que tardivement, vers maliland. Le pays, avec son grand
boutres vers le Yémen, avant d’être – parfois des salles de bains –, 2015. Depuis, la Cites a adopté des port de Berbera, est considéré
remis aux commerçants de la pé- nourris de pâtée pour chat ou de Zone de transit du trafic recommandations et a com- comme la plaque tournante du
ninsule, qui transportent ensuite sucreries, tombent vite malades mencé l’élaboration d’un kit d’in- trafic. Là, plusieurs progrès ont été
l’animal vers l’Arabie saoudite » ou et trépassent souvent en quelques SOURCE : UICN formation à destination des doua- enregistrés : en 2018, une quin-
le « redistribuent » chez les diffé- mois ou en une poignée d’années. niers. Sous la pression, plusieurs zaine de guépards ont été confis-
rents clients de la région, souvent « Un guépard prélevé dans la na- pays du Golfe ont durci leur légis- qués et deux trafiquants arrêtés,
par voie aérienne. « Le trafic passe ture est un guépard mort », résume sur le seul réseau Instagram, en son guépard et une voiture de lation. La loi la plus coercitive est condamnés chacun à 300 dollars
par beaucoup de zones grises, en Patricia Tricorache, pionnière de majorité depuis l’Arabie saoudite. sport ou un sac Louis Vuitton, en entrée en vigueur début 2017 aux d’amende et trois ans de prison.
la lutte contre le trafic au Fonds de Nul ne se cache : les comptes sont djellaba ou en manteau de… four- Emirats, punissant la possession Mais tout cela reste embryon-
conservation du guépard (CCF) et publics. Sur ces plates-formes en rure, sur fond de drapeau natio- d’animaux dits « dangereux » de naire. Le Somaliland, indépen-
auteure de nombreux rapports ligne, les trafiquants postent sans nal ou de versets du Coran. Chic 2 300 à 167 000 euros d’amende et dant depuis 1991, non reconnu par
On pose sur le sujet. Le plus récent, publié crainte photos, vidéos et prix des ou viriliste, pieuse ou patriotique, jusqu’à six mois de prison. la communauté internationale,
fièrement sur en septembre 2018, souligne le guépards à vendre, mais aussi la mise en scène varie. Mais le but est l’un des Etats les plus pauvres
poids écrasant des réseaux so- leur numéro de téléphone ou leur est le même : avoir le plus de « Ennemi du troupeau » de la planète. Le pays ne dispose ni
Instagram avec ciaux dans le braconnage du félin : localisation. Parfois même leur « likes » et de commentaires. « Le guépard n’est plus un pro- de vétérinaires ni d’infrastructu-
son animal et un « Entre 2012 et 2017, j’ai recensé nom et un selfie. Aux Emirats ou au Koweït, avoir blème pour nous », soutient She- res adaptées. Et plus de la moitié
1 367 guépards “offerts” à la vente Les acheteurs ne sont pas plus un guépard est devenu tendance, reefa Al-Salem, haute responsable des guépards enlevés aux trafi-
sac de luxe, sur dans le Golfe, soit l’équivalent de discrets, commentant les annon- et même populaire. La domesti- à l’Autorité publique de l’environ- quants par les ONG meurent en-
fond de drapeau 20 % des guépards vivant à l’état ces et négociant les prix. Une fois cation du félin, pratiquée depuis nement du Koweït. L’accès aux ré- core dans les semaines suivantes.
sauvage », résume la chercheuse. livrée, la bête est aussi exhibée des siècles dans le Golfe pour la seaux sociaux est désormais li- La contrebande de guépards est
national ou de Plus des trois quarts des 906 an- sans retenue sur ces mêmes ré- chasse à la gazelle, n’est plus un mité pour les trafiquants, et un bon moyen de survie pour plu-
versets du Coran nonces recensées ont été publiées seaux. On pose fièrement avec luxe réservé à l’aristocratie. « Il « avoir un guépard chez soi n’est sieurs clans locaux, très impliqués
plus quelque chose de populaire ». dans le trafic. « Les Somalis sont des
On s’étonne, faisant remarquer pastoralistes, sans compassion
Quand lions et serpents remplacent chiens et chats domestiques qu’un simple coup d’œil sur les
réseaux sociaux permet de déni-
pour la vie sauvage. Le guépard est
encore vu comme un ennemi du
cher des Koweïtiens propriétaires troupeau », s’attriste Shukri Ismail
« tortues, serpents, oiseaux de proie, Le nombre de ces animaux, parfois rete- tout sourire sur les réseaux sociaux avec de félins. « Envoyez-moi les liens, Bandare, ministre de l’environne-
autruches, gazelles, hyènes… On voit pas- nus dans de véritables petits zoos privés, des petits tigreaux lors de voyages à Du- je transmettrai à la justice », de- ment du jeune Etat, grand comme
ser toutes les espèces imaginables », est inconnu. Mais une certitude demeure : baï, ont soulevé l’indignation des ONG. En mande Mme Al-Salem, avant la Grèce. D’ailleurs, « nos ressour-
s’étrangle Günther Wirth, de l’agence de le Golfe est devenu l’une des grandes France, de plus en plus de particuliers d’avouer ne « pas savoir » com- ces sont limitées, ajoute-t-elle. Mon
coopération allemande GIZ. Ce dernier plaques tournantes du commerce illégal sont interpellés pour possession illégale bien de guépards sont présents ministère a un budget de
lutte depuis le Somaliland contre le com- d’espèces sauvages (mortes ou vivantes), de grands fauves. A l’automne 2018, plu- au Koweït ni si des condamna- 30 000 dollars ». C’est à peu près le
merce illégal d’espèces sauvages venant un trafic qui pèserait de 7 milliards à sieurs lionceaux ont ainsi été saisis en Ile- tions ont déjà été prononcées coût de construction d’un orpheli-
d’Afrique. « Les guépards sont les plus con- 23 milliards de dollars au niveau mondial. de-France et à Marseille, dont un retrouvé pour possession illégale. nat pour guépards.
cernés par le trafic, poursuit-il, mais ils sur la banquette d’une Lamborghini aux Les lois sont-elles appliquées ? De Le temps presse. « Le guépard
sont loin d’être la seule espèce sauvage à Sur la banquette d’une Lamborghini Champs-Elysées. l’aveu même des autorités, aucune pourrait disparaître de régions en-
être braconnée pour servir d’animaux de En août 2018, un rapport signé notamment Dans le Golfe, cette abondance de fauves, confiscation de guépard n’a eu lieu tières en Afrique orientale. Les trafi-
compagnie dans le Golfe. » par l’ONG Traffic et plusieurs institutions indomptables et négligemment surveillés, depuis 2015 dans le Golfe. « Cer- quants pourraient ensuite le captu-
A Dubaï ou à Riyad, nul ne songe à se publiques, pointait le rôle des Emirats et de n’est pas sans poser problème. Il n’est pas tains pays, comme les Emirats, sont rer plus au sud, en Afrique australe,
contenter d’un chat ou d’un vulgaire ca- ses aéroports, dont Dubaï, où transitent rare de voir un prédateur de 200 ou 300 kg devenus sensibles à leur réputation encore préservée du braconnage »,
bot. On pourrait allonger sa liste sans dif- 90 millions de passagers par an. La fédéra- errer sur les autoroutes ou sur les plages de et font des efforts. Mais les autres ne s’alarme Patricia Tricorache. Glo-
ficulté, avec lions, léopards, chimpanzés, tion serait devenue en une décennie le Doha ou Dubaï. Les attaques sont récurren- sont pas très impliqués. L’Arabie balement, le nombre de guépards
gibbons, mais aussi loups, jaguars d’Ama- troisième « hub » du trafic, après la Chine et tes, parfois graves. En 2014, une femme de saoudite, au cœur du trafic, a un pourrait chuter de moitié dans les
zonie, orangs-outans de Sumatra, tigres juste derrière la Thaïlande. ménage philippine avait succombé à ses système opaque et communique quinze prochaines années, selon
du Bengale ou de Sibérie… Sur les réseaux La mode du félin de compagnie com- blessures au Koweït après avoir été quasi- très peu d’informations. C’est une les scénarios. Avec à ce rythme,
sociaux, les vendeurs sont souvent les mence à se diffuser au-delà des pays du ment dévorée par un lion de compagnie. Le attitude très inquiétante », relève pour le guépard, une fin de course
mêmes que pour les guépards, ce qui per- Golfe. Les clichés du rappeur M. Pokora ou félin s’était échappé de sa cage. p Colman O’Criodain, expert au possible dès le milieu du siècle. p
met de douteux « achats groupés ». du footballeur Karim Benzema, posant b. me. Fonds mondial pour la nature. bruno meyerfeld
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019 carnet | 13
Alain-Nathanaël Bariou, Les associés Corentin et Florian, Vierzon (Cher).
Annabelle Rattanabandith, Et l’ensemble des équipes ses enfants,
ses enfants, du groupe Grant Thornton, Les familles Cottin et Lautier, Anne-Solange et Richard Livet,
/H &DUQHW Jean et Madeleine Bariou, Odile et Jean-Francois Tassin,
en vente ont la douleur de faire part du décès de
son frère et sa belle-sœur ont la douleur de faire part du décès de Jean-Marie et Sylvie Willemet,
actuellement 9RV JUDQGV pYpQHPHQWV et leurs enfants M. Michel DUPIN, Gilles et Marylène Willemet,
Et toute la famille, associé, Mme Martine LAUTIER, Laurent Willemet,
née COTTIN, ses enfants,
K En kiosque 1DLVVDQFHV EDSWrPHV ont la tristesse de faire part du décès de survenu le 12 janvier 2019, Ses petits-enfants
ILDQoDLOOHV PDULDJHV à l’âge de soixante-trois ans. survenu le 15 janvier 2019. Et ses arrière-petits-enfants,
0123 ÉDITION 2019

DQQLYHUVDLUHV GH QDLVVDQFH M. Michel BARIOU,

La cérémonie religieuse sera célébrée Françoise Guillou, née Willemet,
H O R S - S É R I E

LE BILAN maître de conférence honoraire La cérémonie d’adieu aura lieu

DQQLYHUVDLUHV GH PDULDJH
▶ GÉOPOLITIQUE

le lundi 21 janvier, à 10 heures, en l’église

▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE

DU MONDE au département d’anglais le jeudi 24 janvier, à 16 h 30,

+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 9 PAG E S D E D É B AT S :
Saint-Nicolas, 2, place d’Armes, à Saint- ont la tristesse de faire part du décès de
de l’université de Rennes 2, Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). au crématorium du cimetière du Père-
$YLV GH GpFqV
C AT H E R I N E D E N E U V E , TO N Y B LA I R ,

Lachaise, 71, rue des Rondeaux,

YANN ARTHUS-BERTRAND, ROBERTO SAVIANO…

UHPHUFLHPHQWV PHVVHV
FRQGROpDQFHV
KRPPDJHV
DQQLYHUVDLUHV GH GpFqV
VRXYHQLUV
Hors-série en vente dès le 17 janvier &ROORTXHV FRQIpUHQFHV
VpPLQDLUHV WDEOHVURQGHV
HORS �S É R I E
survenu à Paris, le 13 janvier 2019.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mardi 22 janvier, à 14 h 30, en l’église
Saint-Herlé, à Ploaré, suivie de
l’inhumation au cimetière de Douarnenez.
Marie-Odile Dugert,
sa compagne,
Ses enfants,
leurs conjoints
C’est en pensée et en prière que nous Paris 20e. Bernard WILLEMET
partageons la tristesse de sa famille. docteur vétérinaire honoraire,
63, passage du Bureau, croix de guerre 1939-1945,
Nous regrettons un ami. Au-delà de 75011 Paris.
son grand professionnalisme, nous survenu le 15 janvier 2019, à Vierzon,
retiendrons sa simplicité, sa bonne humeur,
sa grande écoute et son talent à fédérer Condrieu.
dans sa centième année.
les énergies.
Mme Montcharmont Raymonde, La cérémonie religieuse sera célébrée
son épouse, en l’église Saint-Jean-Baptiste, à Vierzon,
Les collègues et les amis de
L’Association psychanalytique de France Hélène et Jean, le jeudi 24 janvier, à 14 h 30.
du sa fille et son gendre,

SRUWHVRXYHUWHV IRUXPV
Et ses petits-enfants, François et Jocelyne, Ni fleurs ni couronnes.
MRXUQpHV G·pWXGHV FRQJUqV Michel Boyon, professeur son fils et sa belle-fille,
SURMHFWLRQVGpEDWV François GANTHERET,
L’ATLAS QRPLQDWLRQV
son frère,
Rodolphe Weinmann,
ont eu la grande tristesse d’apprendre son
Claire, Alexandre, Ivan, Pierre
et Celia,
William Jean de Wismes,
son fils,
DES son beau-frère, ses petits-enfants
DVVHPEOpHV JpQpUDOHV
6000 ANS 200

décès, survenu le 25 décembre 2018.

D’HISTOIRE CARTES

Sa nièce et ses neveux,

EMPIR ES Ses parents,
Et toute sa famille, a la tristesse d’annoncer la disparition de
Membre formateur de l’APF, président
6RXWHQDQFHV GH PpPRLUH Ses amis de celle-ci (1987-1988), François ont la tristesse de faire part du décès de
WKqVHV +'5 Et proches collaborateurs, Gantheret a marqué l’Association de sa Brigitte de WISMES,
DITION 2019
voix singulière et exigeante. L’auteur de architecte DPLG.
GLVWLQFWLRQV IpOLFLWDWLRQV Gabriel MONTCHARMONT,
OÙ EST LE POUVOIR AUJOURD’HUI ?

ont l’immense tristesse de faire part Fins de moi difficiles (Gallimard, 2015) a ancien maire de Condrieu,
Hors-série en vente dès le 17 janvier « choisi » le jour de Noël pour mourir,
du décès de ancien député du Rhône, Une cérémonie religieuse aura lieu
([SRVLWLRQV YHUQLVVDJHV comme un ultime trait d’esprit dont le 22 janvier 2019, à 14 heures, en la
il n’était pas avare. Il laisse une œuvre ancien conseiller général du Rhône,
VLJQDWXUHV GpGLFDFHV
Collections OHFWXUHV M. Jacques BOYON,
puissante, de l’Incertitude d’Éros
(Gallimard, 1984) aux Corps perdus
ancien conseiller
régional de Rhône-Alpes,
chapelle du cimetière du Père-Lachaise,
Paris 20e, suivie de la crémation en la salle
FRPPXQLFDWLRQV GLYHUVHV officier de la Légion d’honneur, (Gallimard, 2004), de l’écrit de la Coupole.
ancien ministre, psychanalytique au roman. Sa contribution survenu le 15 janvier 2019,
LES GRANDS PERSONNAGES
ancien président de la Commission à la Nouvelle revue de Psychanalyse, aux à l’âge de soixante-dix-huit ans.
DE L’HISTOIRE EN BANDES DESSINÉES
3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW  de la Défense nationale et des Forces côtés de J-B. Pontalis, l’empreinte de son Prix
     armées de l’Assemblée nationale, enseignement universitaire, aux côtés de
Sa crémation se fera dans l’intimité
Jean Laplanche, sont à la mesure d’un
     ancien député-maire
homme qui a toujours tenu pour familiale.
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU de Pont-d’Ain inséparables la réflexion sans concession
et président du Conseil général de l’Ain, et l’amitié. Don à la Ligue contre le cancer.
ancien conseiller-maître honoraire
à la Cour des comptes, 10, côte Châtillon,
AU CARNET DU «MONDE» De Cefalù à Irkoutsk, de Basse-Terre
au Caire, il aura voyagé de par le monde 69420 Condrieu. L’Assemblée nationale
et semé beaucoup de bonheur. décerne
survenu le 15 janvier 2019,
Naissance dans sa quatre-vingt-cinquième année. Isabelle Doré-Rivé, un prix de thèse en droit parlementaire
Jean-Pierre GENESTE son épouse, et un prix de thèse en histoire
Pleine de vie et de sérénité est née Stanislas et Emilie, de l’institution parlementaire.
Actuellement en kiosque, Une cérémonie aura lieu dans l’intimité nous a quittés, le mardi 15 janvier 2019.
le 17 octobre 2018, ses enfants,
le volume n° 1 BONAPARTE au crématorium de Clamart (Hauts-de-
Seine). Nos pensées l’accompagnent. Ses parents, Pour encourager et promouvoir
chez Sa famille, la recherche dans des domaines
Elsa PAILLARD et François LAFOND, Ses collègues de Fontenay Ses amis,
ATLAS DU Ni fleurs ni couronnes. intéressant directement
Et tous ses amis.
COSMOS Constance.
Un hommage public lui sera rendu dans ont la tristesse de faire part du décès de
le Parlement français,
l’Assemblée nationale décerne
l’Ain, à une date ultérieure. Paris. Thouars. Airvault. Moncontour. deux prix de thèse,
Pour la plus grande joie de Philippe RIVÉ,
Michèle GILBERT, destinés à distinguer :
directeur du Mémorial de la prison
Sendoa et Alanéo, Cécile, Geneviève et Henriette Brune, née le 8 octobre 1937, de Montluc, • d’une part, une thèse en droit
ses cousins ses nièces professeur chevalier de l’ordre national du Mérite, parlementaire français,
Et tous ses amis, de lettres classiques, • d’autre part, une thèse en histoire
et des familles survenu le 15 janvier 2019, parlementaire depuis
CREISSEN, LAFOND, LONGÉ, font part du décès du nous a quittés le 16 janvier 2019.
à l’âge de soixante ans. la Révolution française.
PAILLARD.
gilbert.lm-m@orange.fr
père François BRUNE, Les obsèques seront célébrées ce samedi Peuvent être présentées les thèses rédigées
prêtre orthodoxe, 19 janvier, à 15 heures, en l’église de la en langue française et soutenues entre le
Décès théologien, Lulue,
Dès mercredi 16 janvier, son épouse (†), Guérinière, sur l’île de Noirmoutier. 1er janvier 2017
Mme Béatrice Akar, Marianne et Michel, et le 31 décembre 2018.
le volume n° 4 LE SOLEIL sa fille, Ses obsèques auront lieu le lundi ses enfants Anne-Marie Eyssartel-Théry,
Les familles Bué, Kullmann, Lattès, 21 janvier 2019, à 11 heures, en la et leurs conjoints, Jean-Marc Beylot sa mère, Ces prix de thèse ouvrent chacun droit
cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité, et Hélène Druvert,
Nathanaël et Eléonore, à une aide à la publication versée
LES CONCERTS MYTHIQUES DE

ont la grande tristesse de faire part du 1, quai Branly, Paris 1er. Elzelina, Esther, Marin,
ses enfants directement à l’éditeur.
présente

décès de ses petits-enfants,

Mme Huguette AKAR,
née KULLMANN,
avocat honoraire à la cour de Paris,
chevalier de la Légion d’honneur,
croix de guerre 1939-1945,
médaille de la Résistance,
survenu le 15 janvier 2019,
dans sa cent unième année.
Dès jeudi 17 janvier, Selon ses vœux, elle sera incinérée.
le livre + le CD n° 8 MAXIME
La cérémonie aura lieu le mercredi
LE FORESTIER OLYMPIA FÉVRIER 1973
23 janvier, à 16 heures, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue
des Rondeaux, Paris 20e.
Ses cendres reposeront ultérieurement
dans le caveau familial, au cimetière du
Montparnasse, Paris14e.
Orbec (Calvados).
Guillaume et Zaïna Diderich,
Stéphanie et Vincent Jamard-Diderich,
ses enfants,
Gabriel Diderich,
Aïdan Jamard-Diderich,
ses petits-enfants
Ainsi que toute la famille
Actuellement en kiosque,
Et ses amis,
le volume n° 16
L’ÉVOLUTION DU CERVEAU ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Odile
Nos services BEAUTRAIS-DIDERICH,
Nathalie, Pascal, Djamila, Jean-Marc,
Françoise Desvergnes, ses neveux et ses nièces,
son épouse, Agnès, Lola, Milan, Théo,
Julien et Sofia, ses petits-neveux et ses petites-nièces,
Aurélien et Katarina,
Les familles Attali, Beylot, Biber, Biu,
ses enfants, Blanchet, Bocquet-Appel, Broca, Caubet,
Alexandre, Matisse, Ana Julia, Cinqualbres, Druvert, Feldman, Lagrave,
Lambert, Lepresle, Mesplou, Rodrigues,
et Manoel,
ses petits-enfants, Rousseau, Singer, Tristan
Et ses ami(e)s,
Jean Desvergnes,
son père,
ont la tristesse de faire part du décès de
Gisèle Demonchy,
sa tante,
Sa famille, Jacques-Marie JAKOBI,
Ses amis, « Mara »,
psycho-sociologue,
ont l’immense tristesse d’annoncer
survenu le 14 janvier 2019, à Paris.
le décès de
Il a survécu à l’horreur, vécu l’amour
total, connu le bonheur universitaire. Pour
Pierre DESVERGNES, tous, il était le don même et le charme
limpide. Il était la fleur de sel de la terre.
Une cérémonie d’hommage se déroulera
survenu le 10 janvier 2019,
à l’âge de soixante-huit ans. le jeudi 24 janvier, à 14 heures, au
funérarium des Batignolles, 21, boulevard
du Bois-le-Prêtre, Paris 17e.
La cérémonie civile se déroulera
le mardi 22 janvier, à 10 h 30, sous L’inhumation aura lieu le samedi
la Coupole du crématorium du cimetière 26 janvier, à 10 heures, au cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e. Accès au 71, d’Arette (Pyrénées-Atlantiques).
rue des Rondeaux.
Gémissons, Gémissons, Gémissons...
Ceux qui le souhaitent peuvent faire Espérons...
un don aux Restos du Cœur ou à la
Fondation Lilian Thuram. Ariane Lantz,
son épouse,
Olivier Lantz et Michèle Cyna,
desvergnesfp@gmail.com
Eric Lantz et Michèle Viard,
ses enfants et belle-filles,
et leur mère, Aurélia Smotriez,
Clément Théry et Benedetta Bodini,
Les étudiants intéressés peuvent
son frère et sa compagne,
se procurer le formulaire de candidature
leurs enfants, Enrico et Bianca,
à l’adresse suivante :
Les familles Théry,
oncles, tantes, enfants et petits-enfants, Division des Archives
La famille Eyssartel, Service de la Bibliothèque
oncle, tante et enfant,
et des Archives
Assemblée nationale,
ont le profond chargrin de faire part
126, rue de l’Université,
du décès de
75355 Paris Cedex 07 SP
Thomas THERY,
ou par courrier électronique à :
survenu le 25 décembre 2018, prixdethese@assemblee-nationale.fr
à l’âge de quarante-deux ans.
Le dossier de candidature
est téléchargeable sur le site Internet
Un hommage lui sera rendu lors d’une
cérémonie civile célébrée le 22 janvier de l’Assemblée nationale :
2019, à 13 h 30, en la salle de la Coupole http://www2.assemblee-nationale.fr/
d u c r ém at o ri u m d u c im et iè re d u
informations-pratiques/bibliotheque-
Père-Lachaise, entrée place Gambetta, et-archives#node_8065
Paris 20e.
Les candidats devront faire parvenir
Ni plaques ni couronnes ni rubans. leur thèse
Du mimosa.
à l’adresse électronique indiquée,
au format PDF,
Ces cendres seront dispersées, en Corse
leur impression étant assurée
dans le cimetière familial, aux côtés de
par l’Assemblée nationale.
celles de sont père,
Ils doivent bien indiquer
Olivier THERY pour quel prix ils concourent.
et de ses grands-parents. Les dates limites de dépôt
des candidatures
65, avenue de la Bourdonnais, aux deux prix de thèse sont fixées au
75007 Paris. vendredi 1er février 2019, à 17 heures.

survenu à Orbec, le 15 janvier 2019,
Lecteurs à l’âge de soixante-trois ans.
K Abonnements
Ses obsèques religieuses seront
célébrées le mercredi 23 janvier, à 14 h 30,
en l’église Notre-Dame d’Orbec, suivies
de l’inhumation au cimetière local.
www.lemonde.fr/abojournal
K Boutique du Monde Condoléances sur registres.
www.lemonde.fr/boutique
La famille remercie par avance toutes
les personnes qui s’associeront à sa peine.
K Le Carnet du Monde
Tél. : 01-57-28-28-28
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
39, rue Grande,
14290 Orbec.
L’association Arts et Vie,
Son conseil d’administration
Et les membres
de l’équipe de direction,
ont la tristesse de faire part du décès
de leur vice-président,
M. Pierre DESVERGNES,
survenu le 10 janvier 2019, à Paris.
Les obsèques seront célébrées le mardi
22 janvier, à 10 h 30, dans la salle de la
coupole du crématorium du cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e.
Elise, Nicolas, Barbara, Gabriel,
Jeanne,
ses petits-enfants,
Hugo, Emmanuel, Maxime,
ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Pierre LANTZ,
survenu le 17 janvier 2019, à Paris,
L’hommage aura lieu le 25 janvier,
à 10 heures, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e et sera suivi
de l’inhumation.
La famille tient à remercier l’ensemble
des services de chirurgie et d’oncologie
de l’hôpital Saint-Antoine.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
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Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur
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Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
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GÉOPOLITIQUE
Vue aérienne de la plus grand exploitation de canne à sucre d’Afrique du Sud, près de Mkuze (province du Kwazulu-Natal). PHOTOS : JEROME DELAY/AP POUR « LE MONDE »
A l’approche des élections du mois de mai,
la question de la redistribution des terres
est au cœur du débat politique.
Le président Cyril Ramaphosa défend
un projet d’expropriations sans
compensations pour corriger des inégalités
héritées de l’apartheid, au risque de
déclencher de nouvelles violences raciales
jean-philippe rémy
coligny, tzaneen, nelspruit, mokopane,
white river, mkuze (afrique du sud) -
envoyé spécial
P
eu après la petite ville de Coligny,
au milieu des champs, l’asphalte
de la route est encombré par les
restes d’une émeute qui n’a pris
fin qu’à l’aube. Du pneu brûlé,
des pierres, des tessons de verre,
quelques bâtons encombrent la chaussée. Les
restes habituels des manifestations à travers
l’Afrique du Sud, lorsque les plus pauvres s’ef-
forcent d’attirer l’attention sur leur désarroi,
ou tâchent d’obtenir de municipalités cor-
rompues le rétablissement de services de
base. Cette fois-ci, la colère a éclaté près d’un
bidonville dont les baraques de métal cabossé
ceinturent Coligny, dans la province du Nord-
Ouest, à 200 kilomètres de Johannesburg.
C’est ici la région agricole du veld. Partout, la
campagne plate et sèche se déploie à perte de
vue, avec des silos fatigués comme rare relief.
Des champs si grands qu’on n’en distingue pas
la fin. Lorsque les cultures auront poussé, il y
aura là des étendues vertes dont la taille
donne le vertige. Tout aussi vertigineux est le
contraste entre ces riches et vastes domaines
et les microscopiques parcelles des habitants
des bidonvilles. Ces disparités sont peut-être à
l’orée d’un important bouleversement. Une
réforme de la terre, incluant la possibilité de
recourir à des expropriations sans compensa-
tion, est en cours d’élaboration. Et cela enthou-
siasme et effraie, tout à la fois, l’Afrique du Sud.
Il faut encore passer une bonne demi-heure
sur des routes désertes pour arriver chez
Afrique du Sud
Terres blanches,
espoirs noirs
John Rankin, fermier à Gerdau, un minuscule
hameau. « J’avais peur que vous ne puissiez
pas passer à cause des violences, dit-il, mais
c’est comme ça tout le temps, désormais. Je ne
sais pas où cela nous mène. »
Plus tard, il explique sa théorie : des agita-
teurs parcourent les townships ou les infor-
mal settlements (bidonvilles) dans les petites
agglomérations rurales et poussent à
l’émeute. Comme un échauffement des es-
prits, en prélude à des troubles plus graves. Ils
appartiendraient à la formation des Combat-
tants pour la liberté économique (Economic
Freedom Fighters, EFF) de Julius Malema,
l’homme qui a appelé à corriger les inégalités
sud-africaines en brandissant l’étendard
d’une « révolution » et parfois, aussi, en men-
tionnant la possibilité de violences raciales. Il
est surtout le premier à avoir milité pour une
redistribution à la population noire de terres
possédées par les Blancs, de manière radicale
au besoin. Julius Malema appelle déjà à des
« invasions de terres » à travers le pays.
RÉSOLUTION SURPRISE
L’homme ne parle pas dans le vide. Voyant
approcher les élections générales de mai et la
perspective de perdre une majorité acquise
depuis le premier scrutin multiracial de 1994,
le parti au pouvoir, le Congrès national afri-
cain (ANC), a adopté, lors de sa conférence na-
tionale de décembre 2017, une résolution sur-
prise : un projet de réforme agraire fondé sur
l’idée qu’était venu le temps des réparations
historiques, et prévoyant de recourir à des
expropriations sans compensation.
Les termes, à ce stade, restent vagues. Des
indications ont été distillées sur les cibles de
cette réforme aux contours encore flous : elles
concerneraient uniquement des terrains
inoccupés, ou inemployés, notamment par
les sociétés minières qui en possèdent d’énor-
mes surfaces à travers le pays. La compagnie
Anglo American a promis de faire une
annonce en ce sens, prélude peut-être à une
redistribution encadrée par ses soins.
Mais ce processus ne réglera pas le pro-
blème de fond. La dépossession dont ont été
victimes celles et ceux dont les terres ont été
confisquées par des Blancs, notamment à la
suite de la loi de 1913 qui avait refoulé l’en-
semble des Noirs sur 7 % du territoire natio-
nal (chiffre qui sera ensuite étendu à 13,6 %),
n’a ainsi pas pu être effacée par les mesures
prises après la fin de l’apartheid. Place, dé-
sormais, à une nouvelle approche : celle des
expropriations.
Pour tempérer le choc, il était stipulé que
cette mesure devrait être mise en place à con-
dition qu’elle permette un décollage de l’éco-
nomie sud-africaine, en difficulté croissante.
Le taux de chômage (27 % officiellement, près
de 50 % chez les jeunes Noirs) y est l’un des
plus importants au monde, plus élevé même
qu’aux Etats-Unis pendant la Grande Dépres-
sion. Les exploitations agricoles y sont très
endettées, à hauteur de 160 milliards de
rands (plus de 10 milliards d’euros). En cas de
transmission de propriétés dans le cadre de la
réforme, il est établi que la dette liée à une
terre serait perdue pour les créanciers. L’im-
pact d’une expropriation sur le système fi-
nancier serait donc sérieux, affectant
d’autres secteurs de l’économie.
L’ANC s’est fixé un plan prévoyant de créer
1 million d’emplois dans l’agriculture d’ici à
2030 en donnant naissance à une armée de
petits paysans. Mais les petites exploitations
seront-elles viables, si aucun appui n’est
fourni aux nouveaux propriétaires ? Une pre-
mière réforme, fondée sur le volontariat et
mise en place après 1994, avait échoué en
partie par défaut d’aides de ce type, mais
aussi en raison de la corruption parmi les ac-
teurs des réformes sur le terrain. Au total, en-
viron 800 millions d’euros ont été dépensés
par l’Etat, et 4,9 millions d’hectares achetés
pour être redistribués. Mais la corruption a
entaché le processus. Au fil des années, les
transactions ont diminué. A ce train, rien
n’allait jamais changer.
A-t-on manqué une occasion historique de
réparer le passé ? Un des plus gros fermiers
(blancs) du pays, qui possède 100 000 hecta-
res et emploie 10 000 personnes – mais a
souhaité ne pas voir son nom cité –, le pense :
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
« Le texte de la première réforme [après 1994
et la fin du pouvoir blanc] était l’un des
meilleurs au monde. Malheureusement, la
mise en œuvre a été un désastre. A côté de chez
moi, il y a une belle ferme de 1 500 hectares qui
a été “redistribuée” en 2001. En plus de quinze
ans, ils n’ont pas produit une tomate. » Il ra-
conte avoir vu des cas de corruption impli-
quant à la fois des agents de l’Etat et des fer-
miers blancs, s’accordant pour surévaluer les
fermes « à trois fois le prix du marché », afin de
récupérer des pots-de-vin.
« L’EXPROPRIATION, C’EST LE VOL »
La nouvelle réforme, par comparaison, lui
semble plus dangereuse : « On est désormais
dans le populisme. On ne peut plus avoir un dé-
bat rationnel. Il n’y aura pas de réforme à la
carte, avec des expropriations dans certains
secteurs, et pas dans d’autres. Toute forme de
propriété pourra être convoitée par des respon-
sables politiques, et saisie. » Retournant invo-
lontairement l’expression de l’anarchiste
Proudhon (1809-1865), il résume sa pensée :
« L’expropriation, c’est le vol. » Avant de con-
clure sombrement : « Je ne vois aucun compro-
L’ANC S’EST FIXÉ mis à l’horizon. Lorsque les saisies vont com-
mencer, tout sera touché, et pas seulement les
UN PLAN fermes. » Un avis partagé par Terence Corrigan,
PRÉVOYANT DE de l’Institut sud-africain des relations raciales
(SAIRR), qui affirme : « C’est un coup à ruiner
CRÉER 1 MILLION l’économie, non seulement le secteur de l’agri-
culture, mais tous les autres. Il n’y aura pas un
D’EMPLOIS DANS investisseur qui voudra mettre 1 dollar dans ce
L’AGRICULTURE pays, qui en a pourtant bien besoin, s’il est établi
que votre propriété peut être saisie. »
D’ICI À 2030 De leur côté, les tenants de la réforme affir-
ment qu’au contraire c’est sauver le pays et
EN DONNANT son économie que de briser son piège racial,
hérité de l’apartheid. La terre est devenue le
NAISSANCE pivot autour duquel la « réinvention » du pays
À UNE ARMÉE pourrait s’effectuer. Aussitôt devenu prési-
dent, en février 2018, Cyril Ramaphosa a défini
DE PETITS PAYSANS ce qui, pour lui, résume le mieux la question
de la terre en Afrique du Sud : il s’agit du « pé-
ché originel » de la domination des colons.
Longtemps, les chiffres sur la possession par
les groupes raciaux des terres d’Afrique du Sud
sont demeurés l’objet de spéculation. En fé-
vrier 2018, un audit du ministère du dévelop-
pement rural et de la réforme agraire a donné
des précisions : les Blancs possèdent 72 % des
terres dont la propriété est individuelle. Ce
type de propriété concerne 39 % de la superfi-
cie des terres, le reste étant réparti entre l’Etat,
les sociétés et compagnies diverses, les com-
munautés locales et les trusts. Ingonyama,

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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Ntombikayese Mauis Nkosi, 56 ans, et son mari, George Johannes Manzini, 78 ans, sur la parcelle qu’ils cultivent avec l’aide d’un syndicat agricole, à Salubindza (province de Mpumalanga).
l’un de ces trusts, est dirigé par le roi de la
nation zouloue, Goodwill Zwelithini, qui con-
trôle 28 000 kilomètres carrés (un territoire
plus grand que le Rwanda, par exemple), soit
30 % de la province du Kwazulu-Natal. Il a
menacé de déclencher une « guerre » contre
ceux qui voudraient toucher à ce domaine, et
d’appeler à voter contre l’ANC en 2019.
Il n’est pas le seul à agiter la menace de vio-
lences. « Si les expropriations commencent, ce
sera la guerre civile, dit calmement John
Rankin. On ne va pas laisser les choses arriver
gentiment comme ils ont fait au Zimbabwe.
Nous, on n’a nulle part où aller. » Aujourd’hui,
John Rankin est détendu, souriant, mais il
porte à la hanche une arme de poing qui ne le
quitte jamais. C’est désormais la consigne
parmi les fermiers blancs de la région, entre
les villes de Coligny et de Lichtenburg. A
cause des attaques de fermes. « Ils [les as-
saillants] veulent des armes, des voitures et
des télés, dit-il. Le reste ne les intéresse pas. » Il
n’y a plus d’argent liquide dans les fermes, ou
si peu. Les petits fermiers sont ruinés. Les
plus gros ont des cartes de crédit.
Partout, des clôtures, des fermes, des bak-
kies (le pick-up typique de la campagne sud-
africaine). La nuit, on illumine les façades des
maisons avec des spots pour dissuader les vo-
leurs. Dans ce monde, John Rankin fait figure
de modèle. A travers lui, c’est la quatrième
génération qui exploite cette terre, et il a fait
croître et embellir le domaine familial. Il a
l’expérience de l’agriculture, une solide for-
mation économique, pas mal de flair pour
acheter les bonnes terres, et des banques
fidèles derrière lui : la clé du succès. Il possède
désormais 2 000 hectares.
Ce matin, il regarde attentivement ses trac-
teurs Landini bleus pulvériser de l’herbicide
dans un champ qui s’étend à perte de vue. Il
faudrait déjà planter le maïs transgénique de
Monsanto, mais les pluies ont tardé. La séche-
resse est désormais constante, et l’exploita-
tion s’est adaptée avec des techniques, des
semences, du matériel nouveaux. On ne la-
boure plus. Le rendement sera bon. John
Rankin peut dire avec exactitude combien
coûte chaque hectare et combien il rappor-
tera. Il peut aussi se projeter à six mois, un an,
dix ans. Il a en tête des courbes de prévisions
pour tout ce qui concerne la culture des céréa-
les, notamment le maïs, mais aussi le soja,
dans toute la province du Nord-Ouest. Il prédit
même : « D’ici dix ou quinze ans, nos exploita-
tions seront trop petites pour être viables. Nous,
les fermiers, on sera obligés de mettre nos terres
ensemble et de les confier à de grosses sociétés
agro-industrielles. On recevra juste nos dividen-
des… Enfin, tout ça, c’est dans le cas où on sera
toujours propriétaires, bien entendu… »
Le vent rabat les effluves chimiques sur le
veld. Historiquement, cette région était une
république boer (« fermier », nom autrefois
de la population afrikaner). Jusqu’à la fin de
l’apartheid, les fermiers étaient blancs, et les
employés noirs. Un quart de siècle plus tard,
le changement ne saute pas aux yeux. John
Rankin n’a rien d’un extrémiste, mais l’idée
de devoir lâcher la terre lui semble une héré-
sie, une bombe pour le pays. « Il faudrait un
grand débat national pour repenser l’écono-
mie, explique-t-il, et la répartition des terres
fait partie des questions à débattre. Je n’ai rien
contre une réforme agraire bien menée, mais
nous ne sommes pas sur la bonne voie, surtout
si on espère régler les inégalités en Afrique du
Sud. Il y a peut-être trois mille fermiers [blancs]
et dix millions de pauvres dans ce pays. Ce n’est
pas avec cette réforme qu’on va amener tout le
monde à la prospérité. » Et de reprendre ses
chiffres, ceux avec lesquels il jongle en per-
manence. « Aujourd’hui, il faut 1 600 hectares
« SI LES pour vivre bien, là où 800 suffisaient il y a dix
ans. Avec une centaine d’hectares, un fermier
EXPROPRIATIONS ne peut même pas s’acheter une voiture. Nos
COMMENCENT, rendements sont trop faibles. Nous n’avons
CE SERA LA GUERRE
aucune subvention. »
Lorsqu’il n’est pas sur sa ferme, John Rankin
travaille pour Cofco, une compagnie d’agro-
CIVILE. ON NE VA business chinoise qui exporte une grande
PAS LAISSER LES partie des céréales de la région. Le plus gros
des récoltes s’en va vers l’Asie, surtout le Viet-
CHOSES ARRIVER nam. Le maïs jaune part au Mexique, le maïs
blanc au Japon. Lorsqu’il parle des pays d’Afri-
GENTIMENT COMME que et de leur potentiel agricole, John Rankin
dit qu’ils sont du « bon côté » (sur la façade
AU ZIMBABWE » orientale, le long de l’océan Indien), ou « du
JOHN RANKIN mauvais côté » (sur l’Atlantique). Le « fermier
fermier blanc à Gerdau commercial » (en opposition aux « petits fer-
miers ») n’a pas que des chiffres en tête : il
connaît aussi la globalisation sur le bout des
doigts. Il maîtrise les nouvelles semences, les
espèces, les cours des matières premières. Il
pourrait être dans le même champ, avec les
mêmes variables, le même maïs transgéni-
que, sur d’autres continents.
A cette différence que, lorsque vient la nuit,
les fermiers de la région de Coligny saisissent
leurs armes et vont patrouiller autour de
leurs fermes. Ces groupes sont une forme de
résurrection des anciens « commandos », ces
structures d’autodéfense de fermiers dé-
ployées dans la campagne sud-africaine jus-
LE CONTEXTE
ÉLECTIONS
Le président sud-africain, Cyril
Ramaphosa, a déjà lancé son
parti, le Congrès national afri-
cain (ANC), dans la course aux
élections générales qui doivent
se tenir en mai. Au pouvoir de-
puis la fin du régime de l’apar-
theid, il y a vingt-cinq ans, la for-
mation de Nelson Mandela fait
figure de grand favori du scrutin,
malgré le recul de sa popularité.
L’ANC a vu son image sérieuse-
ment écornée sous la prési-
dence calamiteuse de Jacob
Zuma, poussé vers la sortie
en février 2018 par une série
de scandales de corruption.
PROMESSES
M. Ramaphosa a promis de cor-
riger les « erreurs du passé » et
de doubler les créations d’em-
plois. Il a également répété
sa détermination à « accélérer
la réforme foncière qui, là où
c’est approprié, autorisera les
expropriations sans compensa-
tion ». Très populaire chez les
sans-terre noirs, cette mesure
inquiète les milieux d’affaires
et la minorité blanche.
géopolitique | 15
qu’aux années 1990. Quand on lui demande
s’il s’agit là d’une résurgence du passé, l’ami
de John Rankin avec lequel il patrouille cette
nuit-là préfère en rire : « Mais non, les com-
mandos, c’était du grand n’importe quoi ! Les
gars avaient la gâchette facile. »
Ils enfilent des gilets pare-balles munis de
plaques de protection efficaces contre des
munitions de kalachnikovs (ils ont testé), al-
lument la radio reliée à un quartier général
de Coligny, sous contrôle de la police. Désor-
mais, ils font office d’auxiliaires de la force
publique. Tout cela est aussi légal qu’inquié-
tant. Il y a quelques jours, ils ont mis en fuite
un groupe d’hommes équipés de systèmes de
vision nocturne. Ils se cotisent pour essayer
d’acheter un gros drone avec capteur thermi-
que pour suivre les véhicules en cas d’atta-
que. John finit par en rigoler : « Je ne suis pas
dans la sécurité. Je suis fermier, quand même. »
« TOUT BRÛLER »
Ailleurs dans le pays, dans le monde des
fermes blanches, la tension monte, mais c’est
la réforme qui agite les esprits. Dans le Mpu-
malanga, plus à l’est, non loin du Swaziland,
dans une réserve naturelle, le propriétaire a
demandé qu’on se prépare à « tout brûler » si
la réforme est mise en place. Dans son bureau
du Syndicat agricole du Transvaal (TAU), près
de Pretoria, Bennie Van Zyl s’alarme du cli-
mat qui règne parmi les membres de son or-
ganisation : « J’arrive encore à les retenir, je
leur dis qu’il faut être patient, qu’on peut discu-
ter. Mais il suffirait d’une étincelle ou d’une
annonce qu’on commence à saisir des terres, et
ce sera la guerre. »
Des fermiers blancs parlent d’émigrer. Ben-
nie Van Zyl a exploré la Géorgie. D’autres ten-
tent leur chance ailleurs, au Mozambique ou
en Zambie. Certains ont vendu leurs posses-
sions, chargé leur bakkie et fait la route en
convoi jusqu’au nord du Congo-Brazzaville,
ou jusqu’au Nigeria, comme au temps du
Grand Trek, au XIXe siècle, lorsque les fer-
miers boers du Cap décidèrent de quitter
cette région pour échapper à la domination
anglaise. Seuls certains gros propriétaires
parviennent à conserver leur calme : « Vous
savez, je peux continuer à exploiter des terres
sans les posséder », dit l’un d’eux. Un autre
assure avoir « plus de trente voitures, et cha-
cune d’entre elles est enregistrée auprès d’une
société différente. Pour prouver qu’elles sont à
moi et me les prendre, bon courage ! »
lire la suite page 16
16 | géopolitique
A Gerdau, la « laerskool »
(école primaire en
afrikaans) est surtout
fréquentée par
les enfants de fermiers
blancs. Les élèves noirs
ne sont acceptés que
s’ils suivent les cours
en afrikaans.
L’établissement
est sécurisé par une
clôture électrifiée.
PHOTOS : JEROME DELAY/AP
POUR « LE MONDE »
suite de la page 15
La vérité est qu’une partie du monde rural,
ici comme ailleurs sur la planète, est en dé-
clin. Dans les campagnes sud-africaines, les
petites exploitations à l’ancienne se meu-
rent. Chez les Blancs, de plus en plus de fer-
miers, en vieillissant, découvrent que leurs
enfants préfèrent vivre à la ville. Ou s’en aller.
« Nous sommes une espèce en voie de dispari-
tion », résume Susan Wessels, directrice de la
laerskool (école primaire en langue afri-
kaans) de Gerdau, où vont les enfants de John
Rankin et qui menace de fermer bientôt.
« NOTRE ÂME DOIT ÊTRE RÉPARÉE »
Pourtant, certains responsables des syndicats
agricoles, notamment le syndicat de gros fer-
miers Agri South Africa (AgriSA), ont adopté
un ton plus optimiste, s’efforçant de faire par-
tie de la solution plutôt que de s’opposer fron-
talement au changement, et pariant surtout
sur une réforme plus douce. Conscients que
le pays ne peut continuer à vivre éternelle-
ment avec des inégalités sociales et raciales
exacerbées. Annelize Crosby, responsable du
dossier terres à AgriSA, le dit sans hésiter :
« Nous n’avons pas le choix. Si nous restons
dans la situation actuelle, tout va mal se termi-
ner et on finira rejetés à la mer [expression
imagée en usage en Afrique du Sud pour par-
ler de l’idée de l’expulsion des Blancs]. »
Un courant en faveur de la réforme a
émergé dans l’opinion publique. Ce n’est pas
seulement parce que Julius Malema, dans ses
discours enflammés, promet des terres pour
tout le monde. Plus en profondeur, l’Afrique
du Sud réalise que cette question est au cen-
tre du renouvellement de son contrat natio-
nal. « Il est évident que cette réforme est indis-
pensable, parce que c’est notre âme qui doit
être réparée en retrouvant les terres arrachées
à nos parents », résume Ithateng Mokgoro, ar-
chitecte, ancien organisateur des conféren-
ces en ligne TEDx Soweto, en train d’opérer sa
propre reconversion – justement dans l’agri-
culture, après avoir consacré l’une de ses con-
férences à cette question.
Un panel présidentiel a été nommé en sep-
tembre 2018, avec la mission de définir les ter-
mes de la réforme. Ses dix membres ont tous
des compétences dans ce secteur. Ils sont diri-
gés par Vuyokazi Mahlati, qui est aussi la prési-
dente du principal syndicat de fermiers noirs
d’Afrique du Sud (African Farmers Association
of South Africa, Afasa). A leur dernier congrès,
le 19 septembre, dans une banlieue de Johan-
nesburg, Jessie Duarte, secrétaire générale ad-
jointe de l’ANC, racontait avoir récemment
survolé la campagne du Cap-Oriental, et pris
conscience du contraste entre les grandes ex-
ploitations, d’un côté, et les microlopins des
ex-bantoustans, de l’autre.
Les bantoustans, ou homelands, étaient les
réserves dans lesquelles avaient été déplacés
les Noirs auxquels les terres avaient été arra-
chées. Aujourd’hui encore, les conditions de
vie y demeurent difficiles. Pour dire son
désarroi face à cette manifestation géogra-
phique de la perpétuation d’un Etat de fait
créé dans la violence, Jessie Duarte cherchait
ses mots, puis concluait : « C’est un crime, c’est
un crime contre notre humanité. » Elle recon-
naissait aussi : « Cette question a de fortes di-
mensions émotionnelles… »
Pour « Dr Vuyo », comme on appelle Mme Ma-
hlati, il faut donc retrouver un peu de sang-
froid. Devant 300 fermiers noirs, elle donnait
ce jour-là des pistes pour le futur : sélectionner
des agriculteurs capables de gérer des terres,
mettre au point un système d’aide financière
et d’appui technique aux nouveaux arrivants
« LA RÉPARTITION dans ce secteur. Des listes de fermes à saisir cir-
culent déjà. Elles ne sont peut-être pas authen-
MASSIVEMENT tiques. Bien authentique, en revanche, est la
liste de 300 000 personnes qui ont déjà com-
INÉGALE DE mencé à remplir des dossiers auprès de l’Afasa
pour être incluses dans le système de redistri-
LA TERRE N’EST PAS bution. Ce chiffre augmente chaque jour.
SEULEMENT « Nous allons fournir des listes de personnes
compétentes », assure « Dr Vuyo », ajoutant :
UN HÉRITAGE « On présente les Noirs comme des gens qui ne
veulent pas cultiver et qui ne convoitent la terre
REGRETTABLE DE que pour la vendre, mais c’est faux. »
L’APARTHEID, C’EST Un homme absent ce jour-là, parce que trop
occupé sur sa ferme pour courir les conféren-
UNE CONTINUATION ces, aurait pu servir de modèle à Vuyokazi Ma-
hlati. Jimmy Botha, malgré son nom à conso-
INACCEPTABLE nance afrikaner, est noir. Il fait figure de « néo-
DE L’APARTHEID » rural », un homme des villes passé à la campa-
gne. Il est l’un de ces nouveaux fermiers noirs
CYRIL RAMAPHOSA dont les vocations se multiplient dans ce pays
président sud-africain qu’on disait trop urbanisé pour générer ce
genre d’aspirations. Jimmy Botha produit des
herbes aromatiques, des salades, des épinards,
avec, comme principal client, la chaîne de
supermarchés haut de gamme Woolworths.
Il avait ce « vieux rêve » de devenir agricul-
teur, de « voir pousser ses récoltes », alors qu’il
travaillait dans le secteur des télécoms. Une
faillite, une série de rencontres l’ont amené à
franchir le pas. Il contemple son domaine à
Randfontein, dans la région du Magaliesberg,
à l’ouest de Johannesburg. Des serres au plasti-
que déchiré par la dernière grêle, qu’il n’a pas
les moyens de réparer. Aux alentours, d’autres
L’agriculteur John Rankin,
chez lui, à Gerdau (Nord-
Ouest). Chaque nuit,
il patrouille avec les fermiers
de la région pour surveiller
leurs terres. Propriétaire de
2 000 ha, il vend la majeure
partie de ses récoltes,
conservées dans d’immenses
silos, à l’industrie
agroalimentaire asiatique.
serres, à perte de vue. Jimmy est le seul Noir de
la région à être à la tête d’une exploitation. Et
son récit tranche avec toutes les idées reçues.
« Lorsque je me suis installé, raconte-t-il, il me
manquait l’expérience pour savoir comment
travailler la terre. Je suis simplement allé voir
mes voisins, et je leur ai parlé franchement, en
leur proposant de venir les voir travailler pour
m’imprégner de leur savoir. Et ils ont accepté.
Moi qui ai grandi dans un township, je décou-
vrais un monde que je ne connaissais pas et que
j’imaginais hostile. J’ai reçu une aide incroyable.
Une véritable solidarité. »
Grain SA, le syndicat des gros céréaliers, a, de
son côté, lancé un programme pour fournir
un appui à 10 000 fermiers noirs. Dans le vil-
lage d’un ancien bantoustan, à Salubindza,
dans la province du Mpumalanga, collée au
parc Kruger, on attend la pluie. Les agricul-
teurs ont déjà planté le maïs, et de petites
pousses rachitiques sortent de terre. Toutes ne
vont pas survivre. Jerry Mthombothi, de Grain
SA, est venu faire une présentation sur les
techniques de culture. Le syndicat fournit aux
participants des kits d’intrants à prix cassés,
avec des engrais, des semences, etc. « Certains
sont passés de rendements d’une tonne par an
à près de huit tonnes », se félicite Jerry Mthom-
bothi, qui est également fermier noir et en-
tend bien que cette catégorie se développe.
LE « CALCUL » DU NOUVEAU PRÉSIDENT
Mais ici les terres sont « communales », c’est-
à-dire placées sous l’autorité d’un chef
traditionnel ; les lopins sont minuscules ;
personne ne dispose d’un document prou-
vant l’usage de son champ. Nul ne peut, en
conséquence, emprunter de l’argent en se
servant de la terre comme caution. « S’ils
avaient à la fois des terres et des papiers, ils fe-
raient des miracles », glisse Jerry. Au hasard
des rencontres dans les champs, alors que
tombe enfin un peu de pluie du haut d’un ciel
zébré d’éclairs, les fermiers disent leurs es-
poirs concernant la réforme : ils sont plus que
raisonnables. « Une dizaine d’hectares, ce
serait très bien, car au-delà il faut un tracteur,
et je n’en ai pas », confie un homme.
Pour ces millions de petits fermiers, la ré-
forme ouvre donc des perspectives importan-
tes. Est-ce pour cette raison que l’ANC, déjà, re-
monte dans les sondages ? Les politologues
sud-africains ont eu vite fait d’expliquer le
« calcul » du nouveau président, Cyril Rama-
phosa. Coincé sur son aile gauche par les pro-
messes du parti de Julius Malema, qui a pro-
mis la terre aux millions de déshérités d’Afri-
que du Sud – ou plus exactement, comme il le
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dit : « à notre peuple », et donc aux Noirs –, le
président du parti centenaire aurait décidé de
récupérer les idées et les voix de Malema.
Il serait trompeur de se figurer que Cyril Ra-
maphosa ne poursuit qu’un but électoraliste.
Déjà, en 1993, alors secrétaire général de l’ANC,
il avait exposé ses idées lors d’une conférence
sur la redistribution des terres qui avait eu lieu
à Johannesburg : « La répartition massivement
inégale de la terre n’est pas seulement un héri-
tage regrettable de l’apartheid, c’est une conti-
nuation inacceptable de l’apartheid. » Depuis, il
a repris le fil de ses pensées, annonçant que le
vol des terres par les colons blancs était « le pé-
ché originel » de l’apartheid, et de la domina-
tion blanche. La réparation, dans cette pers-
pective, s’impose pour permettre à une nation
de retrouver son âme, les liens avec son passé,
ses ancêtres, ses parents, ses souvenirs.
A Polokwane, dans la province du Limpopo,
Motlanalo Lebepe, de l’organisation de dé-
fense des paysans sans terre Nkuzi, ne mâche
pas ses mots à ce sujet. Autour de la ville, les
maisons poussent à toute vitesse. On défri-
che, on clôture, on monte des murs avec une
évidente précipitation. C’était là un territoire
d’un ancien bantoustan. Peu à peu, ceux qui
n’avaient que des lopins s’en voient chassés.
« Depuis 1998, je me bats pour aider les com-
munautés à monter les dossiers de réclama-
tion de terres ancestrales. On a tellement de
gens sans terre, il y en a de toutes les sortes, no-
tamment des employés vivant sur des fermes
et n’ayant rien : ni terres ni droits. »
Avec le recul, Mme Lebepe juge sévèrement
les résultats de la première réforme : « Ceux qui
ont eu accès à des terres n’avaient aucune aide
pour se mettre à les cultiver. Pas la moindre. Il
en résulte que la plupart ont échoué. Ils ont re-
loué leur terre à des fermiers blancs. Certains
ont reçu de l’argent et, à la fin, ils restent sans
terre, mais c’est plus simple et facile pour le gou-
vernement. » Elle cite le cas d’un fermier de
Tzaneen, dans le Limpopo, tué par son propre
fils en 2017, car celui-ci convoitait le pécule
versé par un locataire pour cultiver sa propre
terre. « Il y a tellement de propriétaires [blancs]
qui ont beaucoup plus de terres qu’ils n’en ont
besoin en réalité. Ils transforment des terres cul-
tivables en fermes à gibier. Nous, on n’a pas la
moindre intention de vivre avec des lions. » Et
d’ajouter : « Pour que la réforme puisse avoir
lieu, il faut que des occupations aient lieu. Il faut
tout lancer au même moment. » Et de con-
clure : « Je peux même vous le dire : pour moi, il y
a une bonne solution pour les Blancs. C’est qu’ils
soient rejetés à la mer. » p
jean-philippe rémy
 géopolitique | 17
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

L’enjeu crucial
des terres
sud-africaines
Depuis la première réforme de 1994,
la redistribution des terrains
aux Noirs qui en avaient été expropriés
se heurte aux problèmes
de corruption et à l’opposition
des chefs traditionnels
18 |
CULTURE
T H É ÂT R E I M M E R S I F
A Paris,
« DAU » sème
le trouble
et les roubles
Les Théâtres du Châtelet et de la Ville
ainsi que le Centre Pompidou
accueillent le projet hors norme
du cinéaste russe Ilya Khrzhanovsky.
Une expérience immersive sulfureuse
ENQUÊTE
londres - envoyés spéciaux
U
ne petite rue der-
rière le Théâtre
du Châtelet, à Pa-
ris. Une façade vi-
trée, noire. Vous
poussez la porte,
et découvrez le Shitty Hole, un bar-
restaurant avec une foison de vod-
kas, de la nourriture géorgienne
servie dans de la vaisselle soviéti-
que et, au sous-sol, un couloir rose
en forme de vagin. La nuit est déjà
bien avancée. A une table, le réali-
sateur russe Ilya Khrzhanovsky, sa
mère et son père, célèbre auteur de
films d’animation. A une autre, un
chaman asiatique et une pro-
ductrice canadienne, Martine
d’Anglejan-Chatillon. Plus loin, un
pianiste de renom, Mikhail Rudy,
l’ex-footballeur Eric Cantona, un
ancien général des services secrets
israéliens, qui se fait appeler Israel
Schmitt…
Que font-ils tous là ? La réponse
tient en trois lettres majuscules :
DAU – prononcer « da-o » –, un
projet ahurissant. Du 24 janvier au
17 février, les Théâtres du Châtelet
et de la Ville seront ouverts
24 heures sur 24, et sept jours sur
sept. Pour y entrer, il faudra se
munir d’un « visa » à durée varia-
ble – six heures, vingt-quatre heu-
res ou illimitée (de 20 à 150 euros).
Pour les deux dernières catégo-
ries, on devra se soumettre sur In-
ternet à un entretien psychologi-
que dont les données seront trai-
tées par un algorithme. Selon les
résultats, un itinéraire personnel
sera proposé aux participants, qui
se retrouveront dans les loges, les
bureaux et les couloirs des théâ-
tres maquillés aux couleurs de
l’Union soviétique.
Alors commencera le voyage
dans DAU, qu’on ne comprend que
si on sait que DAU est la contrac-
tion de Lev Landau (1908-1968),
Prix Nobel de physique, connu
pour ses travaux sur le comporte-
ment de la matière à très basse
température. Khrzhanovsky se
passionne pour ce génie qui a di-
rigé l’Institut physico-technique
d’Ukraine, à Kharkiv. C’est dans le
décor reconstitué de cet institut
que le réalisateur de 43 ans a
tourné DAU – quinze films, le plus
long dure neuf heures – qui s’an-
nonce comme une immersion
dans un monde clos et totalitaire.
Quelle liberté s’y créer ?
A chacun de trouver les répon-
ses, au cours d’un parcours – inter-
dit aux moins de 18 ans – qui ré-
serve sa part de mystère. Le specta-
teur est prié de laisser son portable
à l’entrée, et est libre de sortir dès
qu’il le souhaite ; il est muni d’un
« Dau-phone » qui le guide. L’appa-
reil commence par lui proposer de
voir un des quinze films dans une
cabine. Puis, selon ses réponses au
questionnaire, le Dau-phone peut
lui proposer de s’entretenir avec
un prêtre, un pope, un rabbin, un
imam ou un chaman. Il peut tout
aussi bien l’inviter à suivre une
conférence. Ou à participer à une
expérimentation scientifique
– par exemple, se munir d’un cas-
que délivrant des stimuli psychi-
ques ou sexuels. Ou encore à dé-
couvrir une performance inopi-
née du metteur en scène Romeo
Castellucci, de l’artiste Marina
Abramovic, du plasticien Philippe
Parreno, du chef d’orchestre Teo-
dor Currentzis… Entre-temps, le
Dau phone l’aura sûrement incité
à boire et à se restaurer dans l’un
des bars, sur un fond sonore signé
Brian Eno. Partout, ce spectateur
sera filmé.
« UNE EXPÉRIENCE INÉDITE »
« C’est quoi DAU ? Du cinéma ? Non.
Du théâtre ? Non. De l’art ? Non.
C’est une expérience unique et iné-
dite », s’enflamme Ruth Macken-
zie, la directrice du Châtelet. C’est
en effet la première fois que l’on
assiste à une telle expérience à
Paris. Mais le principe, en soi, n’est
pas nouveau : c’est celui du théâtre
immersif, qui gagne partout du
terrain. Même si Ilya Khrzhano-
vsky n’apprécie pas la comparai-
son, DAU s’inspire des produc-
tions de la compagnie britannique
Punchdrunk, dont Sleep No More,
créée à Londres en 2003, triomphe
maintenant à New York. Avec des
règles similaires : prendre part à
l’expérience seul – même si l’on
vient accompagné –, se délester de
son smartphone, se perdre dans
un dédale de décors.
A ce concept, DAU ajoute une
géographie éminemment symbo-
lique. Plutôt qu’en Russie, où il
passerait difficilement l’épreuve
de la censure, le projet devrait être
présenté dans trois capitales
européennes, Berlin, Paris et
Londres. Auxquelles Khrzha-
novsky associe une devise trilin-
gue, éminemment symbolique :
« Freiheit, Egalité, Brotherhood ».
Quand on enquête sur DAU, c’est
un autre triptyque qui vient à
l’esprit : « démesure, violence,
confusion ».
Démesure
Un projet… trop ambitieux ?
T out, ou presque, dans le
projet sort des normes. A
commencer par son dé-
miurge, Ilya Khrzhanovsky. Voilà
un homme aux joues rondes, qui
sourit derrière ses lunettes arty et
se coiffe comme un adolescent
bien né qui jouerait au punk : ras
derrière, touffu sur le haut. « Un
enfant démesuré », dit Emmanuel
Demarcy-Mota, directeur du
Théâtre de la Ville. Le cinéaste
n’aime pas les interviews, mais
parle volontiers, à condition qu’on
« oublie » de prendre des notes. Il
ne refuse pas le débat, mais peut
se montrer cinglant. Et il sait sé-
duire et imposer sa loi.
Avant de créer DAU, il avait
tourné un film, 4, salué à partir de
2004 dans des festivals pour son
originalité, mais dont le format
n’avait rien de révolutionnaire. Il a
ensuite caressé l’idée d’adapter La
Peau de chagrin, de Balzac, ou Le
Jardin d’Eden, d’Hemingway ; la
lecture des Mémoires de l’épouse
de Lev Landau, inédites en France,
a tout changé. Ce qui l’a fasciné,
dit-il, c’est « le décalage entre la
stature publique de cette figure du
soviétisme et la liberté qu’il s’est ac-
cordée dans sa vie privée ».
Le projet d’un biopic germe au
Festival de Rotterdam, en 2005,
lors d’une discussion arrosée avec
le producteur français Philippe
Bober, qui a soutenu les cinéastes
Lars von Trier, Lou Ye ou Ulrich
Seidl. Des financements sont
trouvés auprès de partenaires,
dont Arte, le Conseil de l’Europe et
le ministère de la culture russe ; les
ateliers de la Cinéfondation du
Festival de Cannes aident même
Khrzhanovsky à vendre son pro-
jet, en 2006, sur la Croisette.
L’auteur russe Vladimir Sorokine
planche sur le scénario et, en
avril 2008, les premières scènes
sont tournées entre Saint-Péters-
bourg et Moscou. Puis, Khrzhano-
vsky prend la tangente, direction
Kharkiv, en Ukraine, où « tout est
beaucoup moins cher ». Une
aubaine quand on sait que le bud-
get prévisionnel (5,9 millions
d’euros) était dépassé « avant
même le début du tournage », se-
lon Philippe Bober.
Très vite, le projet change de di-
mension. Khrzhanovsky installe
ses bureaux sur la monumentale
place de la Liberté, au centre de
cette ville de 1,5 million d’habi-
tants, où Lev Landau a passé la
moitié de sa vie. Le réalisateur se
prend d’une idée folle : reconsti-
tuer l’institut, tel qu’il était à la pé-
riode soviétique. Il jette son dé-
volu sur une piscine désaffectée.
A charge pour les décorateurs et
les costumiers de restituer le
passé dans sa grandiloquence ar-
chitecturale comme dans ses
moindres détails : le bruit des
chasses d’eau, les sous-vêtements
d’époque…
Exit le scénario de Sorokine : il
ne s’agit plus de tourner un film,
mais d’observer la comédie hu-
maine qui se déploie dans cet en-
vironnement fermé. Car Ilya
Khrzhanovsky veut que l’institut
fonctionne à temps plein, qu’on y
vive jour et nuit, qu’on y travaille,
qu’on s’y aime, s’y dénonce… A
l’ombre d’un génie, sous la coupe
d’une idéologie. Et avec l’argent
d’un entrepreneur richissime, Ser-
geï Adoniev, à qui Philippe Bober
cède l’essentiel des droits.
Le casting atteint des dimen-
sions dantesques. Des gens sont
auditionnés par dizaines de mil-
liers, pour fournir tous les postes.
Khrzhanovsky fait jouer ses ré-
seaux. Par son vieil ami Dmitry
Falkovich, un surdoué en maths
et physique reconverti dans les af-
faires, il rencontre le physicien
Nikita Nekrasov, auteur d’une
thèse à Princeton, supervisée par
le Prix Nobel David Gross. Tous
deux séjournent à Kharkiv. Effet
domino : dans leur sillage arri-
vent une vingtaine de scientifi-
ques, et pas des moindres – le Chi-
nois Shing-Tung Yau, Médaille
Fields en 1982, ou l’Italien Carlo
Rovelli, spécialiste de la gravité
quantique à boucles.
UNE FAILLE TEMPORELLE
La même mécanique opère avec
les artistes. Le chef d’orchestre
Teodor Currentzis, auquel revient
le rôle de Lev Landau, retrouve en
Ukraine d’autres ténors, dont Pe-
ter Sellars, Romeo Castellucci,
Dmitri Tcherniakov, Marina Abra-
movic ou Anatoli Vassiliev. Des
politiciens locaux de tout bord,
dont le maire de Kharkiv, visitent
l’Institut. Le rabbin israélien Adin
Steinsaltz côtoie l’higoumène
moscovite Danil Ichmatov et le
chaman péruvien Guillermo Aré-
valo. Dans DAU, tout ce monde co-
habite avec les gardiens, cuisi-
niers, serveurs, balayeurs… Jus-
qu’à répliquer la hiérarchie sociale
soviétique : en haut, la nomenkla-
tura ; en bas, le prolétariat.
Quelle que soit la durée de son
séjour, chaque participant laisse
ses effets à l’entrée de l’institut et
plonge dans une faille temporelle.
Ici, on vit au rythme des années
soviétiques, de 1938 à 1968, mais
on ne cherche pas à reproduire
l’histoire : chacun dispose d’une
relative liberté. Les scientifiques
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Le réalisateur se
prend d’une idée
folle : reconstituer
l’institut
scientifique de Lev
Landau, tel qu’il
était à la période
soviétique
peuvent continuer comme ils l’en-
tendent leurs travaux en cours,
mais eux aussi doivent se soumet-
tre aux règles édictées par le réali-
sateur. Par exemple, une amende
sanctionne l’emploi d’un vocabu-
laire anachronique, à régler en
roubles d’époque. Cette monnaie,
éditée par la production, est la
seule autorisée pour les salaires et
les dépenses de la communauté.
Sur elle veille, non pas l’œil de
Moscou, mais celui de Jürgen
Jürges, le chef opérateur légen-
daire de Fassbinder, Wenders et
Haneke. C’est à lui et à ses assis-
tants qu’il incombe de filmer,
quand Khrzhanovsky le demande.
« Cette expérience m’a bouleversé
comme nulle autre », confie l’Alle-
mand de 78 ans, dont le père, offi-
cier de la Wehrmacht, a combattu
à Kharkiv. Jürgen Jürges a vécu,
quasi trois ans durant, au sein de
l’institut. Mais sa caméra n’a
tourné qu’une centaine de jours.
Car Ilya Khrzhanovsky, qui avait
fait installer des micros dans tous
les recoins, n’entendait capter que
les moments les plus forts. Soit
700 heures de rushes – un record
pour de la pellicule 35 millimètres
– qui ont fourni la matière des
quinze longs-métrages.
Cela suffit à faire passer Apoca-
lypse Now pour La croisière
s’amuse, mais la folie DAU ne s’ar-
rête pas avec le clap de fin, en no-
vembre 2011. Elle se poursuit avec
 culture | 19
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

Sur le tournage de « DAU »,

à Kharkiv, au sein de l’institut,
▶▶▶
trois participants dont Vladimir
Azhippo, ancien lieutenant-
colonel du KGB (de dos).
OLYMPIA ORLOVA

tionnaire, ajoute Hanna Schygulla.

Violence Dans quelle mesure Ilya a-t-il pris

du plaisir à reproduire ce type de ré-
gime ? Il devra s’interroger. »
« J’ai dit que je ne
voulais pas
travailler sept
Sexe, sévices et vidéos Le réalisateur devra peut-être
aussi répondre aux attaques sur jours sur sept
ses méthodes de travail. Durant le
tournage, la presse, russe notam-
pour un pervers »
ment, a mis l’accent sur la diffé- « LAURA »

U n autre aspect de DAU

risque de poser pro-
blème : la violence. Dans
les films, d’abord. Actrice fétiche
de Fassbinder, Hanna Schygulla,
rendu compte qu’on m’avait incité
à boire plus que de raison. C’est
ainsi qu’Ilya opérait. Il n’y avait pas
de scénario, mais de subtiles orien-
tations. Des mises en situation. Des
rence de traitement entre le « pro-
létariat » et la « nomenklatura ».
Les « petites gens », volontiers ru-
doyées, étaient mal rémunérées.
A l’inverse, les « grands noms »,
qui a alerté le collectif
féministe Nous toutes

le montage, à Londres. Une ébau-
PRATIQUE
« DAU »
A Paris, du 24 janvier
au 17 février, au
Théâtre du Châtelet,
au Théâtre de la Ville
et au Centre Pompi-
dou, à Paris.
Les deux théâtres se-
ront, pour l’occasion,
ouverts 24 heures
sur 24 et 7 jours sur 7.
Prix des « visas »
de 20 euros à
150 euros en fonction
du nombre d’heures.
Réservation
Dau.com
temps vécu. Au regard de l’histoire,
pourtant enthousiasmée par le
projet, est sortie de la projection
du film Natasha : « Je ne voulais
pas voir cette femme, Natasha, tor-
turée par le KGB. » On voit l’hé-
roïne nue, assise sur une chaise, et
forcée d’introduire une bouteille
en verre dans son vagin. Cette sé-
quence, une comédienne fran-
çaise connue ne l’a pas supportée.
Au point de refuser de prêter sa
voix au doublage de Natasha. « Je
ne peux pas cautionner ça. C’est la
femme qui souffre, pas l’actrice ! »,
s’émeut-elle auprès du réalisateur.
« On s’en fout ! C’est une prostituée,
je l’ai trouvée dans un bordel sado-
masochiste ! », lui a-t-il répondu.
Le tortionnaire s’appelle
Vladimir Azhippo. Ex-lieutenant-
colonel du KGB, il a servi dans des
camps de détention, en Sibérie, et
dirigé la prison de Kharkiv, avant
d’interpréter plusieurs rôles dans
DAU. Aux dires de l’équipe, cette
expérience a été cathartique :
« Après le tournage, il a témoigné
contre la torture pour Amnesty In-
ternational », affirme Philippe Bo-
ber. Azhippo ne peut plus témoi-
gner : il est mort à Londres, le
24 juin 2017, à 60 ans, officielle-
ment d’une crise cardiaque.
Un autre homme à la carrure im-
posante sème l’effroi dans l’insti-
tut : Maxim Martsinkevich. On le
voit décapiter un cochon, sur le-
quel est dessinée une étoile de Da-
vid et écrit « Dégénérés ». La scène
se passe dans un appartement
communautaire, devant une di-
zaine de savants en état de sidéra-
tion. C’est lui qui mène la bande de
néonazis qui vont ensuite détruire
des pans entiers de l’institut. Cette
pentes, sur lesquelles il nous entraî-
nait. » Le fondateur de L’Univer-
sité des passages ne regrette pas
du tout : « Voir le film fut déran-
geant, mais j’aime me confronter
aux limites. DAU m’a libéré de lour-
deurs, d’émotions figées. »
Pendant le tournage, le réalisa-
teur quittait rarement sa cabine de
contrôle. La maquilleuse russe Je-
katerina Oertel, qui fut de l’aven-
ture à Kharkiv et a monté une de-
mi-douzaine de films, assure que
le moniteur de Khrzhanovsky
était éteint à chaque rapport
sexuel. Et que les participants, li-
bres de quitter l’institut à tout mo-
ment, disposaient de garde-fous
en toutes circonstances : s’extraire
du champ de la caméra, la regarder
pour interrompre la scène, se con-
fier à ceux que la jeune femme ap-
pelle des « amis ». « J’ai joué ce rôle
de confidente, souligne-t-elle. Cer-
tes, il y a des scènes dures, mais fil-
mer le bonheur ne fait pas avancer.
DAU montre, entre autres, cette fa-
culté qu’ont les femmes à survivre
dans un univers qu’elles ne peuvent
contrôler. » « Ce qui m’a intéressée,
c’est la résistance de la nature hu-
maine dans un univers concentra-
MARTHE KELLER
choyés, voyaient leurs exigences
financières satisfaites, dès lors
qu’ils en faisaient la demande.
« Pour ma part, je n’ai pas touché
d’argent, dit le neurobiologiste
américain James Fallon, l’un des
plus illustres participants de DAU.
Quand je suis arrivé à l’institut, je
me suis retrouvé au milieu d’une
partie de strip-poker, Ilya criait
dans tous les sens, je ne compre-
nais rien, toute cette folie m’a grisé.
Il m’évoque Casanova, c’est un
aimable psychopathe. »
Ce modus operandi, le cinéaste
l’exportera partout où il travaille.
Le site anglo-saxon Glassdoor, qui
permet à tout employé d’évaluer
anonymement ses conditions de
travail, publie des témoignages
tranchés : si certains saluent la
« créativité » qui règne chez Phe-
nomen Films, d’autres dénoncent
une « culture de l’intimidation et
du harcèlement ». A Paris, Laura (le
prénom a été modifié), qui tra-
vaille dans le cinéma, a passé qua-
tre entretiens d’embauche pour
un poste dont la nature n’a jamais
été claire. Elle a vomi à la sortie du
dernier rendez-vous. C’était fin
2018, au Châtelet, dans une salle
Z O A
JÉRÉMIE RENIER
ZITA HANROT
reproduisant un sex-shop. La
femme qui menait l’entretien lui a
demandé, entre autres questions
dérangeantes : « Est-ce que vous
avez déjà touché un mort ? » « On
voudrait faire participer au projet
des personnes en fin de vie et des
prostituées, est-ce que cela vous dé-
rangerait d’en recruter ? » Le réali-
sateur apparaît brièvement. « Il
m’a regardée de la tête au pied », se
souvient Laura. Quelques minu-
tes plus tard, on lui propose avec
insistance de devenir l’assistante
de Khrzhanovsky. « J’ai dit que je
ne voulais pas travailler sept jours
sur sept pour un pervers », pour-
suit Laura, qui a alerté le collectif
féministe Nous toutes.
« Nous ne comprenons pas com-
ment des institutions publiques
peuvent s’associer à un projet où
des femmes, et notamment des
prostituées, sont violentées, alcoo-
lisées », s’insurge Madeline Da
Silva, maire adjointe des Lilas (Sei-
ne-Saint-Denis), qui suit le dossier
pour le collectif, mais n’a pas vu
les films. Dans DAU, Natasha
soûle et frappe sa collègue ser-
lire la suite page 20

DES ACTEURS FORMIDABLES

che est présentée aux program-
mateurs du Festival de Cannes,
en 2014 : « C’était prometteur et
hallucinant, mais je n’ai jamais su
ce que le film est devenu », se sou-
vient le délégué général, Thierry
Frémaux. Si Khrzhanovsky a
laissé ce dernier sans nouvelles,
c’est qu’il ne voulait pas d’une dif-
fusion traditionnelle : la rencon-
tre avec Ruth Mackenzie, pro-
grammatrice joueuse et intrépide,
et de Martine d’Anglejan-Cha-
tillon, collaboratrice du plasticien
Steve McQueen, coïncide avec sa
décision de faire de DAU bien plus
qu’un film de cinéma.
Phenomen Films, sa société de
production, s’installe dans un im-
meuble en face de Buckingham
Palace, et le transforme en bloc-
khaus soviétique. Nous l’avons vi-
sité. Les entrées sont filtrées par
des gardes sévères, à l’anglais ap-
proximatif ; dans chaque pièce, on
bute sur des sosies des personna-
ges de DAU : des mannequins en
silicone, dans des positions par-
fois macabres ou scabreuses.
C’est dans ce décor qu’ont été re-
çues la plupart des stars appro-
chées pour assurer les doublages
en français, anglais et allemand :
Hanna Schygulla, Willem Defoe,
Gérard Depardieu, Isabelle Adjani,
Fanny Ardant, Isabelle Huppert ou
Monica Bellucci se sont prêtés au
jeu. Et c’est dans cet immeuble, au
100 Piccadilly, que DAU devrait
être présenté, courant 2019, après
Paris. La première mondiale aurait
dû se tenir à Berlin, en septembre.
Khrzhanovsky avait fait construire
en secret une réplique du Mur,
qu’il voulait installer sur Unter
den Linden, dans l’ex-Berlin-Est. La
en tant que juif et russe, je pensais
que j’avais toute la légitimité. »
Paris non plus ne se présente pas
comme un lit de roses. Certes, la
maire, Anne Hidalgo, a tweeté son
enthousiasme. « C’est un projet à
la démesure de Paris », s’exclame
son adjoint à la culture,
Christophe Girard. Même embal-
lement du côté de la Fondation Pi-
nault, qui, par l’intermédiaire de
sa conseillère Caroline Bourgeois,
a mis le Centre Pompidou dans la
boucle : « Le projet m’a subjugué,
dit le directeur du Musée national
d’art moderne, Bernard Blistène.
Nous prêtons une vingtaine de ta-
bleaux des avant-gardes soviéti-
ques. Ils seront accrochés dans les
théâtres. Et une salle de 92 m2, au
quatrième étage du centre, sera
transformée en appartement com-
munautaire, dans lequel vivront et
travailleront des scientifiques de
DAU. Les visiteurs les observeront à
travers des miroirs sans tain. »
Tous les Parisiens devraient, eux,
voir dans le ciel nocturne un trian-
gle rouge lumineux réunissant les
deux théâtres et le Centre Pompi-
dou, de la tombée de la nuit à
l’aube. A condition que la Préfec-
ture valide cet hommage à une fi-
gure géométrique chère aux
avant-gardes russes. Car elle a déjà
opposé un niet catégorique au pro-
jet de Khrzhanovsky d’édifier une
passerelle pour relier les Théâtres
de la Ville et du Châtelet, de part et
d’autre de la place du même nom.
Et la RATP n’a toujours pas donné
suite à la privatisation d’un tunnel
qui traverse la place et que pour-
raient emprunter les spectateurs
de DAU. Le réalisateur aurait aimé
de surcroît obtenir un haut patro-
barbarie signe la fin du tournage,
en novembre 2011. « Une telle vio-
lence était nécessaire, explique un
TÉLÉRAMA
des piliers du projet, le philosophe
russe Ilya Permyakov, qui a monté
trois des longs-métrages. DAU
aurait dû se finir sur un passage de
témoin entre deux générations de
UN RÉCIT INTIME BOULEVERSANT
PREMIÈRE HHHH
scientifiques. Mais les jeunes ont eu
peur de prendre le pouvoir. C’est
pour ça qu’Ilya Khrzhanovsky s’est
tourné vers l’extrême bord opposé : ANTÉ MA A INE
les néonazis. Eux n’ont pas peur. »
UN CRIMINEL RÉCIDIVISTE
Surnommé « Machette », Maxim Festival de Locarno
Martsinkevich, 34 ans, purge une Piazza Grande
peine de dix ans dans une colonie
pénitentiaire pour agressions. Cri-
minel récidiviste, il a animé divers
groupuscules xénophobes et ho-
mophobes. Durant le tournage, le
Moscovite a convié des jeunes
gens partageant son idéologie. Il a
aussi croisé le chemin d’Andrew
Ondrejcak. Ce performeur améri-
cain, proche de Marina Abramo-
vic, invité à jouer le rôle d’un pro-
fesseur de psychologie, devient la
proie de Maxim et de sa bande. A UN FILM DE DAVID
AV ROUX
OUX
plusieurs reprises, ils le molestent
au prétexte qu’il serait « une ta-
pette ». Joint par Le Monde, l’ar-
tiste new-yorkais s’est dit « trop
traumatisé pour témoigner ». « An-
drew est venu dans l’idée de mani- LE 23 JANVIER
puler les néonazis, indique le ci-
néaste. Mais c’est lui qui s’est fait
manipuler par eux. »
Dans DAU, qui manipule qui, et
comment ? L’astrologue français
Luc Bigé tient un rôle central dans
Natasha. « Dès que j’ai rencontré
Natasha, déclare-t-il, j’ai ressenti
une attraction authentique. » En-
tre les travaux scientifiques, il y
©2018 - PYRAMIDE - LOUISE MATAS

presse allemande s’en est émue,
jusqu’à précipiter sa chute. « Cette
annulation fut l’épreuve la plus
dure pour moi, avoue Khrzhano-
vsky, qui espère toujours présen-
ter le projet à Berlin, où il a long-
nage de l’Elysée. Mais, là aussi, la
prudence règne : « On soutient le
projet, déclare-t-on au cabinet
d’Emmanuel Macron. Mais pas de
haut patronage tant que la sécurité
n’est pas assurée. »
avait du temps libre. Une nuit de
fête et d’ivresse, on le voit longue-
ment faire l’amour avec Natasha :
« Le lendemain, je me suis réveillé
nu comme un vers, sans me souve-
nir de rien. Après coup, je me suis
20 | culture
suite de la page 19
veuse, la Sibérienne Olga Shka-
barnya, une ancienne actrice de
porno. Cette dernière participera
à l’installation du Centre Pompi-
dou, avec son compagnon, le ma-
thématicien Dmitry Kaledin,
qu’elle a rencontré sur le tour-
nage. Dans un autre film, le direc-
teur de l’institut, interprété par
l’ex-agent de Teodor Currentzis,
Alexeï Trifonov, cherche lourde-
ment à obtenir les faveurs sexuel-
les de sa secrétaire, Kristina, qui re-
fuse. Le KGB finira par l’expulser
de l’institut pour « harcèlement
sexuel » : « Kristina, comme tous les
participants, n’a tourné aucune
scène contre son gré, précise Ilya
Permakov. Par ailleurs, c’est une an-
cienne escort-girl. »
Adèle (prénom modifié) se sou-
vient d’une offre d’emploi publiée,
en 2018, sur le site Profil Culture :
« Le producteur exécutif recherche
une personne (…) capable d’antici-
per les besoins du producteur et d’y
répondre avec douceur et effica-
cité. » En 2017, Adèle n’avait pas
donné suite, au terme de cinq en-
tretiens « foireux » pour un poste
lié aux doublages. « Les questions
étaient floues, parfois intimes. Ça
s’est fini par un bref rendez-vous
avec Ilya, dehors, dans le froid. Il
était agité, ne m’écoutait pas. Lors
des rendez-vous, j’ai croisé des gens
jeunes, frais, beaux. J’ai senti un em-
brigadement psychologique, pas si
éloigné d’une secte. »
De gauche à droite : le néo-nazi Maxim Martsinkevich participe à une expérience scientifique dans l’institut. ALEXANDER ZAKUTSKY
Le réalisateur russe Ilya Khrzhanovsky, en 2010, à Kharkiv. SERGEY MAXIMISHIN/FOCUS/COSMOS
Confusion
Cinéma, théâtre ou société secrète ?
A Piccadilly, Ilya Permyakov
reçoit dans un bureau em-
pli de livres d’histoire sur
l’art, l’anarchie ou l’espionnage. Il
a un chignon de samouraï, des
manières délicates et bienveillan-
tes. C’est un érudit, auteur d’une
thèse sur la notion de « vérité va-
cillante » chez Heidegger et Paul
Celan. « DAU n’est pas une secte. Je
préfère le terme de “cryptocommu-
nauté”, comme pouvaient l’être
l’Académie de Platon ou la cour de
Rodolphe II. » Outre sa casquette
de monteur, il coordonne des con-
férences organisées à Londres,
Berlin et Paris, en secret. Le lien
avec le projet ? « DAU ne s’arrête à
la présentation des films, poursuit
Permyakov. C’est un organisme vi-
vant, il essaime. Ces colloques en
sont l’un des prolongements. »
Des symposiums inspirés par un
principe bien connu des diploma-
tes : la règle dite « de la Chatham
House », qui permet de garantir
l’anonymat des participants. Ce
principe, certains ont accepté de
l’enfreindre pour nous donner un
aperçu du contenu. Comme à
Kharkiv, le casting des séminaires
DAU a grande allure, et les décors
sont grandioses. En 2017, à Lon-
dres, la Chambre des communes,
la Royal Society ou les universités
d’Oxford et de Cambridge abritent
des débats sur l’extrémisme, ou
sur l’équilibre entre la démocratie
et la sécurité. Parmi les orateurs,
on trouve d’anciens chefs d’Etat
(Leonid Kravtchouk, président
ukrainien de 1990 à 1994), des di-
plomates (Andreas Meyer-Lan-
drut, deux fois ambassadeur de la
RFA en URSS), des militaires de
haut rang (le colonel Jack Pryor,
qui dirigea la lutte contre le narco-
trafic en Amérique du Sud pour
l’US Army), d’ex-terroristes (le Bri-
tannique Adam Deen, djihadiste
repenti), une foule d’avocats,
d’universitaires, d’experts… Mais
aussi plusieurs personnages de
DAU, dont Vladimir Azhippo.
C’est lors d’une de ces conféren-
ces que l’ex-agent du KGB se lie
d’amitié avec un autre interve-
nant, Israel Schmitt. Retraité du
Shin Bet, l’agence de renseigne-
ment intérieur israélienne, cet
homme nous confiera : « J’ai dé-
buté dans le mime, puis j’ai passé
trente-cinq ans au Shin Bet, où ma
vie ressemblait à un film. Avec DAU,
je boucle la boucle. » M. Schmitt se
dit « bouleversé » par le projet. Au
point de donner une autre confé-
rence confidentielle pour DAU, au
Schiller Theater de Berlin. En intro-
duction, il relate l’assassinat de
Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995,
dont il affirme avoir été un témoin
direct. Au Châtelet, il devrait tenir
une table ronde. « Je donnerai aussi
un coup de main pour la sécurité,
comme à Berlin », confie-t-il, sans
plus de précision.
Officiellement, c’est la société Al-
taïr, prestataire habituel des Théâ-
tres du Châtelet et de la Ville, qui
est chargée de cette mission.
Deux institutions en travaux,
ouvertes jour et nuit, dans un con-
texte social tendu : « Nous serons
vigilants, notamment sur l’alcoo-
lisme, dit Martine d’Anglejan-Cha-
tillon. Des gardiens veilleront cons-
tamment sur les spectateurs – pas
plus de 2 000 en même temps. »
Pas un mot en revanche sur le
budget global de DAU. Tout juste
sait-on que le Centre Pompidou et
le Théâtre de la Ville ne contri-
buent pas ; le Châtelet, lui, investit
150 000 euros. Il recevra une part,
proportionnelle à ce montant, sur
les recettes, reversées, donc, pour
l’essentiel, à Phenomen Films.
Voilà qui ouvre une autre boîte
de Pandore. Le principal mécène,
Sergeï Adoniev, est à lui seul une
machine à fantasmes. Des photos
le montrent au côté de Vladimir
Poutine et de l’oligarque Sergueï
Tchemezov. L’homme d’affaires,
classé 124e fortune russe par Forbes
en mai 2017, a des intérêts impor-
tants dans la téléphonie, de la Rus-
sie au Venezuela, et dans l’extrac-
tion de minéraux, en Ouganda no-
tamment. Dans les années 1990, il
a été incarcéré un an à Los Angeles,
pour fraude, à l’époque où il tra-
vaillait dans la culture et l’impor-
tation de denrées alimentaires.
DE LA COMPLAISANCE
D’un autre côté, Sergeï Adoniev a
financé, en 2018, la campagne
d’une opposante à Poutine, Ksenia
Sobtchak. Il donne des fonds à No-
vaïa Gazeta, le principal journal
d’opposition. Sans Adoniev, le Sta-
nislavsky Electrotheatre de Mos-
cou n’existerait pas. Le lieu a
ouvert en 2015 et jouit d’une
bonne réputation. « Il n’a rien d’un
oligarque ordinaire », soutient Phi-
lippe Bober, qui insiste sur « la
transparence et l’honnêteté » avec
lesquelles les contrats de DAU ont
été négociés, de mars 2010 à fin
2013. Ilya Khrzhanovsky l’a ren-
contré au cours d’une fête, à Mos-
cou : « Sergeï parlait avec enthou-
siasme de mon film 4 à un des mes
amis, je me suis présenté à lui :
“C’est moi le réalisateur !” » A Khar-
kiv, quand l’argent s’est mis à man-
quer, le cinéaste a pris cinq avions
pour rejoindre la Sardaigne, où se
trouvait Adoniev. « A son retour,
Ilya nous a dit : “C’est bon !” », se
souvient Jürgen Jürges. Chez DAU,
tous soulignent l’entière liberté ac-
cordée par leur philanthrope :
« Sergeï n’est venu que deux fois sur
le tournage », certifie le réalisateur.
Tout DAU est à l’image de cet am-
bigu personnage. Des séminaires
secrets n’auraient-ils pas dû avoir
lieu, à Paris, en novembre 2018, en
marge de la visite officielle de Vla-
dimir Poutine ? Ils ont été annulés
au dernier moment, pour cause,
regrettent les équipes de DAU, de
« problème cardiaque » d’un des
intervenants ukrainiens.
Lorsque, à la suite du scandale
sur l’exploitation politique des
données de millions d’utilisateurs
de Facebook, Cambridge Analytica
fait faillite, au printemps 2018, la
justice américaine recense toutes
les entreprises à qui cette société
doit de l’argent : parmi elles figure
Phenomen Films. « Nous avions
besoin d’experts en profilage psy-
chométrique, pour la gestion des
données des visiteurs de DAU, et
nous avons fait appel à eux, recon-
naît en souriant Ilya Khrzhano-
vsky. Mais leurs services étaient
médiocres et trop chers. Nous tra-
vaillons désormais avec l’agence
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Le principal
mécène, Sergeï
Adoniev, est à lui
seul une machine
à fantasmes
Truth. » Si elle appartient à la hol-
ding britannique RYVL, Truth
Agency dispose de quatre centres
techniques en Ukraine.
« Ilya aime s’entourer de person-
nages borderline », avoue Chris
Dercon, le directeur de la Réunion
des musées nationaux à Paris.
Quand il dirigeait le théâtre de la
Volksbühne, qui figurait parmi les
partenaires berlinois de DAU, le
Flamand recevait des courriels
comminatoires à chaque fois qu’il
rompait la clause de confidentia-
lité à laquelle sont soumis tous les
collaborateurs de DAU. Les messa-
ges étaient signés Anthony Julius.
Cet avocat britannique s’est fait un
nom en défendant Lady Diana
lors de son divorce. Auteur
d’ouvrages sur la transgression
dans l’art et sur l’antisémitisme, il
préside Phenomen Trust, l’une
des nombreuses sociétés liées à
Sergeï Adoniev. Joint par courriel,
l’avocat élude avec panache les
points les plus sensibles de DAU,
et préfère vanter sa « qualité da-
daïste, ou plutôt “daudaiste” ».
Il est ardu, du reste, d’encenser
ou de condamner en bloc un pro-
jet aussi labyrinthique. Pour avoir
vu plus d’une dizaine de films, on
reste partagé : des décors et des
personnages d’une vérité impres-
sionnante ; une complaisance aux
scènes de sexe et de violence ; une
crudité dans les rapports hu-
mains, qui n’exclut pas la ten-
dresse ; une concentration vertigi-
neuse d’époques ; des questionne-
ments passionnants sur la liberté
et le contrôle, sur le matérialisme
et la spiritualité.
« Ilya n’est pas un metteur en
scène, plutôt un maître de cérémo-
nie », estime Hanna Schygulla.
« Quand on était à Kharkiv, renché-
rit Carlo Rovelli, je n’aurais pas été
étonné si on nous avait dit que, fi-
nalement, il n’y aurait pas de
films. » Des articles scientifiques,
en revanche, sont bien nés en
Ukraine. En 2011, le Journal of Phy-
sics publie une contribution de
l’Italien sur la gravité quantique.
En annexe, Ilya Khrzhanovsky et
l’Institut de Kharkiv sont remer-
ciés « pour leur hospitalité, en octo-
bre 1942 » : « Les passionnantes con-
versations durant ma visite ont ins-
piré cet article », est-il écrit.
Même jeu d’ombres et de lumiè-
res, place du Châtelet. Cinq agences
de communication œuvrent à en-
tretenir le mystère. A leur tête,
Martine d’Anglejan-Chatillon dis-
tille au compte-gouttes les infor-
mations. « Le liquide visqueux de la
véracité, c’est là qu’est la beauté de
DAU », lâche-t-elle. En octobre 1962,
Lev Landau recevait le prix Nobel
pour ses travaux sur l’absence de
viscosité de l’hélium. p
brigitte salino
et aureliano tonet
 culture | 21
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

L’emballant Ballet de Lorraine PLUS DE

La compagnie, née en 1968, présente, au Théâtre national de Chaillot,
à Paris, « Plaisirs inconnus ». Un feu d’artifice
700 000
tionaux (CCN) présents sur le terri- Cinq pièces ont sous le nom de Ballet-Théâtre
DANSE
SPECTATEURS
toire depuis 1985, le Ballet de Lor- français de Nancy, elle bascule

O
n y plonge à l’aveugle
en pensant jouer aux
devinettes. On en res-
sort épaté en oubliant
raine a une histoire complexe et été créées par dans le classique sous les direc-
composite. Tatoué par l’esprit in- autant d’artistes tions de Patrick Dupond, en 1988,
surrectionnel de Mai 68, puis ti- puis de Pierre Lacotte, en 1991,
raillé entre classique et contempo- anonymes, avant un retour aux sources

– presque – de demander les
noms des chorégraphes qui ont
signé la soirée. Le menu Plaisirs
inconnus, proposé par le Ballet de
Lorraine, à l’affiche jusqu’au
25 janvier du Théâtre national de
rain, il déménagera deux fois,
changera de nom et d’identité
sans jamais se briser. « C’est
d’abord le premier ballet décentra-
lisé en France, précise Didier Des-
champs, directeur du Théâtre na-
ONT DÉJÀ
sur des musiques en 2000. « Le BTC est la période
fondatrice pour nous et occupe
et dans des une place majeure dans notre his-
scénographies toire, dit Petter Jacobsson. Nous
poursuivons ce retour à la mission
dont les auteurs première de la compagnie qui était

Chaillot, à Paris, a l’air d’un gag. Il
décline cinq pièces créées par
autant d’artistes anonymes sur
des musiques et dans des scéno-
graphies dont les auteurs restent
tional de Chaillot, qui en a tenu les
rênes entre 2000 et 2011. Il fut aussi
le premier centre chorégraphique
national et donc un pionnier qui
donnera l’impulsion de ce que se-
restent secrets
de la scène artistique – chorégra-
phes, plasticiens et musiciens
ADOPTÉ
la création contemporaine. Nous
sommes plus que jamais reliés à
ces débuts. Nous faisons appel à
des artistes de notre époque, qui vi-
vent dans notre époque, et pensent

secrets. Pincez-vous, vous ne rê-
vez pas, et le mystère restera en-
tier : aucun document avec la dis-
tribution n’est donné au public à
la fin du spectacle.
Plaisirs inconnus est plus qu’une
pochette-surprise ou un bel objet
marketing censé envoyer valser
les noms pour rafraîchir la vision
d’une œuvre. C’est une superbe
soirée, articulant un rituel circu-
laire minimaliste, une bouffée ro-
mantique autour du couple, un
exercice de style classique, un Bo-
léro ventre en avant, le tout piqué
d’inserts joyeusement bizarres.
Ce feu d’artifice conclut la tournée
anniversaire des 50 ans de cette
troupe historique, née en 1968 « et
toujours prête, quoi qu’il arrive, à
défendre la liberté de l’expérimen-
tation », selon Petter Jacobsson,
son directeur depuis 2011.
Incroyable trajectoire que celle
de cette compagnie, composée
aujourd’hui de vingt-six danseurs.
Appartenant au réseau des dix-
neuf centres chorégraphiques na-
A L B U M S
ront, dans les années 1980, la nou-
velle danse française et cette aven-
ture unique que sont les CCN. »
Chantier de création
En plein boum de 1968, le Ballet
théâtre contemporain (BTC),
appellation originelle de la
troupe, naît à Amiens, déversant
dans les rues de la ville une horde
de trente danseurs tout feu, tout
fous. Sous la direction de Jean-Al-
bert Cartier (1930-2015) et de la
bouillonnante Françoise Adret
(1920-2018), maîtresse de ballet et
chorégraphe, l’effervescence est
maximale à la maison de la
culture : une plaque commémo-
rative de cet épisode historique a
été accrochée dans le hall, en oc-
tobre 2018. Les chiffres explo-
sent : plus de vingt créations,
125 représentations annuelles,
60 000 kilomètres parcourus
autour du monde, pour un bilan
annuel de 150 000 spectateurs.
Le BTC est un énorme chantier
de création, convoquant le gratin
branchés sur la même prise. Ces
« mariages à trois », selon la for-
mule de Cartier, font un tabac. Mi-
chel Descombey, Carolyn Brown,
Viola Farber croisent les peintres
et sculpteurs Sonia Delaunay,
Alexander Calder, César, tandis
que les compositeurs s’appellent
Pierre Boulez et Karlheinz Stoc-
khausen. En 1969, Xenakis lui-
même vient faire travailler les in-
terprètes pour le spectacle Eonta.
« C’est l’idée d’un ballet avec des
œuvres contemporaines qui avait
excité le monde de la danse, com-
mentait Françoise Adret. Comme
je savais qu’il n’y aurait pas de spec-
tacle d’ensemble type Le Lac des cy-
gnes, la personnalité des danseurs
nous intéressait plus fort que leur
technique. » Parmi eux, Domini-
que Mercy et Malou Airaudo, qui
rejoindront les rangs du Tanzthea-
ter Wuppertal de Pina Bausch.
Aussi courte soit la parenthèse
amiénoise, elle a marqué l’iden-
tité de la troupe. Installée à An-
gers de 1972 à 1978, puis à Nancy
CETTE FAMILLE !
pour notre époque. »
Le Ballet de Lorraine a fêté son
50e anniversaire avec le pro-
gramme 1968-2018, toujours en
tournée. Le somptueux RainFo-
rest (1968) de Merce Cunningham
planant au milieu des coussins ar-
gentés d’Andy Warhol, a dialogué
avec les ballons multicolores ba-
lancés dans This Concerns All of
Us, chorégraphié par Miguel Gu-
tierrez. « Même lorsqu’il s’agit de
faire entrer des pièces de répertoire
comme celle de Cunningham, c’est
pour mieux comprendre l’actua-
lité, précise Petter Jacobsson.
Nous ne cherchons pas à être un
musée rétrospectif, mais plutôt,
comme le Palais de Tokyo, un mu-
sée contemporain. » p
rosita boisseau
Plaisirs inconnus, Ballet de
Lorraine. Théâtre de Chaillot,
jusqu’au 25 janvier. Tél. : 01-53-
65-30-00. De 8 € à 37 €. En
tournée : 1968-2018. Maison de
la danse de Lyon, les 8 et 9 avril.

N OVUS QUART ET tent des mélodies d’origine pour de

Berg – Schubert
Le rapprochement de ces deux monuments
du quatuor à cordes peut se justifier par la
nationalité (autrichienne, pour ne pas dire
viennoise) de leurs compositeurs et par la
distance d’un siècle (ou plus exactement
cent un ans) qui sépare leurs premières exé-
cutions. 1826 pour La Jeune Fille et la Mort,
le 14e quatuor à cordes de Franz Schubert, et
1927 pour la Suite lyrique, composée par
S É L E C T I O N
belles transformations, tout cela permet aux thèmes de vivre
sans le support des images. Parmi les réussites de ce disque, La
Chanson d’Hélène, texte de Jean-Loup Dabadie et musique de
Francis Lai, écrite pour Les Choses de la vie de Claude Sautet
(1970), où les caresses du bugle, de la clarinette et de la voix se
mêlent harmonieusement. p sylvain siclier
1 CD Cristal Records/Sony Music.
D EER HU N T ER
Why Hasn’t Everything Already Disappeared ?

Alban Berg. Plus édifiante est leur communauté d’expression,
au-delà des différences de langage, basée sur la dualité exalta-
tion-abattement. D’une virtuosité collective hallucinante,
le Novus Quartet offre la plénitude de la partition de Berg à tous
les niveaux. Mouvements (mobilité permanente, unité latente),
états (du delirando au desolato), instants (entre cris et soupirs).
Les jeunes Coréens se montrent moins à l’aise avec Schubert,
dont ils servent bien la qualité prismatique mais peinent parfois
à restituer la densité idéale. p pierre gervasoni
1 CD Aparté.
HU GO WOLF
Italienisches Liederbuch
Jonas Kaufmann (ténor), Diana Damrau (so-
prano), Helmut Deutsch (piano).
Tour à tour coquin, chagrin, enflammé,
vétilleux, exalté ou carrément grivois, l’Ita-
lienisches Liederbuch d’Hugo Wolf a accom-
pagné la tournée européenne (dont Paris et
sa Philharmonie) du tandem d’exception
que forment Jonas Kaufmann et Diana
Depuis le milieu des années 2000,
Deerhunter occupe une place à part dans
la galaxie indie rock américaine. Mené
par un meurtri magnifique, le chanteur
Bradford Cox, esquinté depuis son enfance
par une maladie osseuse, ce groupe d’At-
lanta (Géorgie) a modulé distorsions, climat
cotonneux et harmonies pop au rythme
d’une instabilité à fleur de peau. Neuf ans
après l’album Halcyon Digest, leur chef-d’œuvre, un huitième
opus, Why Hasn’t Everything Already Disappeared ?, s’écorche
à nouveau magnifiquement. Si, à l’instar du titre du disque
(« Pourquoi tout n’a-t-il pas encore disparu ? »), les chansons
expriment un sombre fatalisme, leurs mélodies et instrumenta-
tions – préférant cette fois clavecin, synthétiseurs, piano et
marimba aux guitares – n’ont jamais été aussi lumineuses et
enlevées. Souvent d’une attachante douceur, capable aussi de
malice charmeuse (Element, Futurism) et de rêverie exaltée
(Plains, en hommage aux derniers jours de James Dean), la voix
de Bradford Cox – rescapé en 2014 d’un grave accident de la
route – finit quand même, dans le chant morcelé de Nocturne,

UNE AFFAIRE
Damrau. Les deux grands chanteurs alle- par anticiper sa disparition. p stéphane davet
mands y livrent la quintessence d’un art élégant et raffiné, où le 1 CD 4AD/Beggars.
timbre sombre et envoûtant du ténor répond au charme vocal de
la soprano. Diction impeccable, souplesse de la ligne, graves pro-

fonds, aigus solaires ou arachnéens, chacun des 46 Lieder témoi-
gne de l’engagement théâtral des interprètes (l’homme séducteur
et fanfaron, la femme fine mouche armée de coquetterie). L’enrô-
lement du piano d’Helmut Deutsch, sans doute l’un des maîtres
du clavier en la matière, n’est pas le moindre atout de cet album
en tous points remarquable. p marie-aude roux
1 CD Erato.
LI GN E SU D T R I O
Musiques de films & jazz
Pour son troisième album, le Ligne Sud Trio, mené par le pianiste
Christian Gaubert, a convié quelques invi-
tés. Avec le bassiste Diego Imbert et le bat-
teur André Ceccarelli, l’on entend dans ce
recueil de musiques composées pour des
films le guitariste Julien Gaubert, le saxo-
phoniste et clarinettiste Thomas Savy, le
trompettiste et bugliste Christophe Leloil
et la chanteuse Karine Michel. Michel Le-
grand, Vladimir Cosma, Francis Lai, Philippe Sarde, John Williams
ou Gaubert lui-même y sont évoqués. L’interprétation, la qualité
du jeu d’ensemble, l’écriture subtile des arrangements qui par-
DE FAMILLE
SHAR ON VAN ET T EN
Remind Me Tomorrow
Sharon Van Etten a connu tardivement
le succès avec son troisième album, le ma-
gistral Tramp (2012), enregistré avec les
membres du groupe The National. La na-
tive du New Jersey, âgée de 37 ans, à la voix
UN FILM DE KORE-EDA HIROKAZU
puissante et affectée, posée sur des com-
plaintes tenant lieu d’exutoire à une rela-
tion amoureuse toxique et abusive, est dé-
sormais une figure féminine du rock
indépendant. Après une pause de cinq années, consacrée à des
ACTUELLEMENT
études de psychologie et à son fils, né en 2017, ce cinquième al-
bum la présente sous un jour moins cérébral. Sous la houlette du
producteur John Congleton (Anna Calvi), Remind Me Tomorrow
s’éloigne du registre folk-rock pour une pop synthétique habile-
ment ciselée. Si on note de spectaculaires emportements à la Ar-
cade Fire sur Comeback Kid et Seventeen (chronique émouvante
de son adolescence new-yorkaise), la chanteuse conserve parfois
quelques vifs traits de noirceur sur l’atmosphérique Jupiter 4.
A la différence près que la lumière parvient désormais à filtrer
remarquablement. p franck colombani
1 CD Jagjaguwar/PIAS.
22 | télévision
De la fragilité des corps et des âmes
Grand Corps Malade et Mehdi Idir racontent avec sensibilité le quotidien de jeunes hospitalisés après un traumatisme
CINE + CLUB
LUNDI 21 - 20 H 50
FILM
D
ans la catégorie stars
improbables du
cinéma français, le
système de santé s’est
tranquillement imposé, de Méde-
cin de campagne à Réparer les
vivants en passant par La Fille de
Brest. Comme son titre l’indique,
Patients, premier film cosigné par
Grand Corps Malade et Mehdi
Idir, offre un contrechamp bien-
venu aux films précédents. Les
soignants, leur science et leurs
technologies passent au second
plan pour laisser la place à ceux
sans qui il n’y aurait pas de méde-
cine : les malades.
Largement autobiographique
(le film est tiré du récit éponyme,
que Grand Corps Malade a signé,
en 2015, chez Don Quichotte),
Patients s’étire sur plusieurs sai-
sons dans le confinement d’un
centre de rééducation.
Très simplement, en égrenant
les incidents, ces cinéastes débu-
tants parviennent à mettre en
scène l’ennui, l’effort, le découra-
gement, les victoires – définitives
ou éphémères – d’une poignée de
jeunes gens gravement traumati-
sés. Sans éprouver la patience du
spectateur, ils évoquent la souf-
france physique, l’inconfort, l’en-
nui, la routine – la vie d’un patient
Russes blancs, destins français
Un beau documentaire sur les trajectoires de Russes exilés en France dans les années 1920
FRANCE 5
DIMANCHE 20 - 22 H 45
DOCUMENTAIRE
I ls sont des dizaines de milliers
de Russes à avoir trouvé re-
fuge en France dans les an-
nées 1920. On les estime à
400 000 environ, dont 150 000 en
région parisienne. Fuyant la révo-
lution bolchevique, aristocrates,
bourgeois, soldats, artistes en tout
genre se retrouvent en France, le
plus souvent sans le sou, prêts à
commencer une nouvelle vie
avec, en tête, le rêve de revenir un
GRILLE N° 19 - 017
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V tail. Met les poussins à l’abri du re-
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 19 - 016
HORIZONTALEMENT I. Chevillettes. II. Légation. Mot. III. Eloges. Chêne.
IV. Pi. Imitées. V. Tors. Brisera. VI. Omissions. Es. VII. Mama. Luteras.
VIII. Aran. Ive. Age. IX. Ni. Tête. Vian. X. Entêteraient.
VERTICALEMENT 1. Cleptomane. 2. Héliomarin. 3. Ego. Rima. 4. Vagis-
sante. 5. Item. Et. 6. Lisibilité. 7. Lô. Trouver. 8. Enceinte. 9. Hesse. Vi.
10. Tmèse. Raie. 11. Eon. Reagan. 12. Stérassent.
Pablo Pauly (à gauche) et Yannick Renier. JESSICA FORDE/MANDARIN PRODUCTION
hospitalisé. Ben (Pablo Pauly), l’al-
ter ego de Grand Corps Malade,
arrive à peine conscient dans ce
centre de rééducation après
qu’un plongeon imprudent dans
une piscine à moitié pleine l’a
laissé « tétraplégique incomplet ».
Pour dire la paralysie, la cons-
cience incomplète, le film em-
prunte les clignements de caméra
à Julian Schnabel (Le Scaphandre
et le Papillon), mais ce petit larcin
coule de source chez des cinéastes
jour au pays. La nostalgie d’un pa-
radis perdu n’est pas facile à vivre,
même sous les toits de Paris…
Cet émouvant documentaire, ri-
che en archives filmées, en expli-
cations d’historiens et en témoi-
gnages (Macha Méril, née prin-
cesse Maria-Magdalena Gagarina,
ou Marina Vlady, née Catherine
Maria de Poliakoff, pour ne citer
qu’elles), revient en détail sur la
vie quotidienne de ces exilés.
La culture populaire française a
retenu l’image de l’aristocrate
russe devenu chauffeur de taxi, et
ce cas de figure n’est pas éludé.
7 8 9 10 11 12
pétris de culture hip-hop et donc
d’échantillonnage. L’important
est ailleurs, dans l’attention ex-
trême accordée à l’agencement
des personnages tel que le génère
la vie en hôpital.
Un sens aigu de la satire
Ces garçons n’auraient peut-être
pas été amis. Ben l’athlète, Farid
(Soufiane Guerrab), hémiplégi-
que dès son plus jeune âge, Tous-
saint (Moussa Mansaly), dont la
Mais, dans une France en manque
de main-d’œuvre, les Russes exi-
lés ont également investi en
masse les usines automobiles (à
Renault, on habitait Boulogne-
Billankoursk !), les cabarets, les
restaurants, les plateaux de tour-
nage. Et qu’une ancienne com-
tesse de Saint-Pétersbourg se re-
trouve dame pipi dans un cabaret
parisien n’étonne guère (Mémoi-
res du prince Youssoupov, 2005).
Pour les nombreux artistes ve-
nus de Russie, la vie est dure, par-
fois exaltante. Pendant que Sta-
line fait brûler les icônes, certains
HORIZONTALEMENT
I. S’arrange pour qu’il reste toujours
quelque chose. II. Recouvre au
sommet. Excellent dans son do-
maine. III. Installas au bon endroit.
Passage sur parcours du croquet.
IV. Pas toujours aussi sages que l’on
pense. Creusés par les infiltrations.
V. Vérifièrent le terrain. Bien situé.
VI. Note. Cassier judicieux. Terminent
la journée. VII. Couche à refaire très
souvent. Poids lourds au combat.
VIII. Posture du yoga. Dans la plus
grande simplicité. IX. Reprise en dé-
nard. X. Se donnent en spectacles de-
puis l’Antiquité.
VERTICALEMENT
1. Le premier à tout lâcher. 2. Prépa-
rer une cuisine goûteuse. 3. Fît grand
tort. Emprunta à un copain. 4. Leur
vie tient à l’échange. Sur une carte
asiatique. 5. Plus jolie au jardin que
dans la vie. Plein de bons mots. 6. Né-
gation. Se mettent à cinq pour nous
diriger. En station. 7. Conviendra. Pas
très malin. 8. Renouvelât l’environne-
ment. Changer d’enveloppe. 9. Lettres
d’introduction. A tout le monde
quand il n’est pas propre. 10. Acces-
soires sous la Coupole. Fait tout à
moitié. 11. Déploie ses ailes colorées
à Madagascar. Prête à croquer. 12. Les
unes volent, d’autres nagent, les troi-
sièmes ne font que sauter.
vie s’est écroulée au moment où il
était enfin parvenu à la cons-
truire, Steve (Franck Falise), qui
n’arrive pas à l’âge adulte, ne sont
réunis que par le sort – et le sys-
tème de soins français. Ils tentent
de reconstituer la hiérarchie ordi-
naire d’un groupe de jeunes mâ-
les, mais leurs corps infidèles les
en empêchent. Tout comme ils
empêcheront l’idylle entre Ben et
Samia (Nailia Harzoune, récem-
ment vue dans Chouf).
Russes blancs redoublent de fer-
veur religieuse dans un Paris où
l’Eglise orthodoxe fait figure de
lien social. Pauvreté totale pour
beaucoup, mais pauvreté gran-
diose pour certains, comme l’an-
nonce le commentaire ?
Dans le monde de la haute cou-
ture, les belles aristocrates trou-
vent du boulot. Chez les prosti-
tuées, certaines se présentent
comme nièces du tsar, très chic
pour le client. Le cinéma français
sera le terrain de jeu de beaucoup
de techniciens russes de haut ni-
veau. On danse russe, on chante
SUDOKU
N°19-017
1 2
4 3
2 9
8 3
7 6 3 8 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
HORS -S É R I E
L’ATLAS
6000 ANS
D’HISTOIRE DES
EMPIR ES
DITION 2019
OÙ EST LE POUVOIR AUJOURD’HUI ?
Privés d’une bonne partie des
instruments qui permettent à un
acteur de s’exprimer, les comé-
diens parviennent, sans même
donner l’impression d’essayer, à
construire des personnages qui
aspirent à la banalité de leur âge,
que la souffrance force à vieillir.
Le personnel soignant est traité
avec un sens aigu de la satire. Il
n’est pas besoin d’avoir séjourné
longtemps à l’hôpital pour recon-
naître l’aide-soignante mala-
droite (Anne Benoît) ou son collè-
gue à l’enthousiasme vite insup-
portable (Alban Ivanov), ou en-
core la médecin-chef pète-sec,
mais compréhensive (Dominique
Blanc, qui se fait ces temps-ci une
spécialité des rôles d’autorité).
Comme le prouve l’existence
même de ce film, l’histoire de
Grand Corps Malade ne s’est pas
trop mal terminée. Il prend pour-
tant garde de faire de son film
une « leçon de courage », un vade-
mecum de l’hospitalisé. S’il est
un enseignement à tirer de Pa-
tients, c’est la fragilité du corps,
l’ingéniosité et l’énergie qu’il
faut pour le remettre en état de
marche, sans que jamais le suc-
cès soit garanti. p
thomas sotinel
Patients, de Grand Corps Malade
(Fabien Marsaud) et Mehdi Idir.
Avec Pablo Pauly, Soufiane
Guerrab (Fr., 2016, 105 min).
russe, on compose russe. Jusqu’à
la crise de 1929, qui verra les « sales
russkofs », comme la plupart des
autres immigrés en France, victi-
mes d’une violente vague de xéno-
phobie. « L’âme russe ? C’est être ca-
pable d’absorber l’autre ! », résume
joliment Macha Méril, dans les al-
lées du cimetière russe de Sainte-
Geneviève-des-Bois (Essonne), où
reposent notamment Serge Lifar
et Rudolf Noureev. p
alain constant
Des Russes blancs, d’Yves Riou
(Fr., 2017, 52 min).
6 5 3 1 7 4
1 2 9 3 6 8
7 4 8 9 2 5
1 2 4 3 7 4 5 1 9 6
2 8 6 7 4 3
8 3 5 9 1 6 8 2
9 3 7 4 5 1
8 6 5 2 3 7
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
0123
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
D IM AN CH E 20 JAN VIE R
TF1
21.00 Money Monster
Film de Jodie Foster.
Avec George Clooney, Julia Roberts
(EU, 2016, 120 min).
France 2
21.05 Inglorious Basterds
Film de Quentin Tarantino.
Avec Brad Pitt, Christoph Waltz
(EU/All., 2009, 150 min).
France 3
21.00 Inspecteur Barnaby
Série. Avec Nick Hendricks,
Fiona Dolman (GB, 2018).
Canal+
21.00 Football
AS Saint-Etienne-Olympique
lyonnais.
France 5
20.55 Mollo sur le cabillaud ?
Documentaire de Julie Lotz
(Fr., 2018).
Arte
20.55 Eclair de lune
Film de Norman Jewison.
Avec Nicolas Cage, Cher,
Danny Aiello (EU, 1987, 100 min).
M6
21.00 Zone interdite
Magazine présenté
par Ophélie Meunier.
LUN D I 21 JAN VIE R
TF1
21.00 Infidèle
Série. Avec Mylène Demongeot,
Claire Keim, Jonathan Zaccaï
(Fr., 2018).
France 2
21.10 The Detail
Série. Avec Shenae Grimes-Beech,
Angela Griffin (Can., 2018).
France 3
21.00 Le Discours d’un roi
Film de Tom Hooper.
Avec Colin Firth, Helena Bonham
Carter (GB, 2010, 125 min).
Canal+
21.00 Babylon Berlin
Série. Avec Volker Bruch, Liv Lisa
Fries, Peter Kurth (All., 2018).
France 5
20.50 La Nourrice
Téléfilm de Renaud Bertrand.
Avec Sophie Quinton, Marthe Keller
(Fr., 2004, 95 min).
Arte
20.55 Conte d’été
Film d’Eric Rohmer.
Avec Melvil Poupaud, Amanda
Langlet (Fr., 1996, 110 min).
M6
21.00 Cauchemar en cuisine
Télé-réalité.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
compter du 15 décembre 2000.
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
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Montpellier (« Midi Libre »)
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Yolande Moreau
« J’ai eu envie de
raconter les gens »
C omédienne et réalisatrice, récompen-
sée de trois Césars, Yolande Moreau
est de retour sur scène. Au côté de
Christian Olivier, la Bruxelloise de 65 ans rend
hommage à Jacques Prévert dans un spectacle
musical au Théâtre du Rond-Point, à Paris.
Je ne serais pas arrivée là si…
… Si je n’avais pas eu mal au monde.
C’est-à-dire ?
Si je n’avais pas eu envie de raconter le
monde dans lequel on vit. Le besoin d’être
comédienne part de là, de l’envie de raconter
les gens. Le mal au monde se retrouve dans
l’univers des pièces de Jérôme Deschamps
avec lequel j’ai longtemps collaboré, dans les
films que je choisis, c’est un fil rouge en
quelque sorte. Il rejoint aussi mon besoin de
vivre proche de la nature.
Vous êtes née en Belgique, votre père était
marchand de bois, votre mère femme
au foyer. Quels souvenirs gardez-vous
de votre enfance ?
Je viens d’un milieu middle class. Mon père
s’est fait par lui-même. On n’a manqué de
rien et on partait en vacances en camping. Je
garde à la fois des souvenirs joyeux et doulou-
reux. A l’école, je vivais une forme d’inadapta-
tion. J’étais quelqu’un de très timide, je me
sentais en dehors. C’était déjà le mal au
monde… De là vient cette envie d’être aimée
en faisant du théâtre. Il y a une phrase de Ro-
ger Blin [metteur en scène, 1907-1984] que
j’aime beaucoup : « Si j’avais eu les mains cou-
pées, j’aurais joué du piano. » J’ai tenté de faire
de ma timidité, de ma gaucherie, un atout,
une force. Mais j’étais persuadée que ce mé-
tier n’était pas pour moi. J’ai toujours eu un
sentiment d’usurpation, d’illégitimité.
Pendant votre enfance, vous avez été
pieuse. Etait-ce un refuge ?
J’étais dans une école catholique, aux Dames
de Marie. Je lisais la Bible à la récréation. Mais
si j’avais pu jouer avec les autres à l’élastique,
si j’avais su bien sauter, ça se serait peut-être
passé différemment. Vers 12-13 ans, j’étais une
grenouille de bénitier. Mais, dès 14 ans, c’était
fini. Je ne pouvais pas sortir alors, dans ma
chambre, je lisais de la poésie dans les Bordas
et je peignais.
Vous ne pouviez pas sortir parce que
vous étiez une fille ?
Mes parents voulaient qu’on ait une bonne
éducation, la jupe bleu marine, l’uniforme, et
que l’on apprenne le tennis. C’étaient des en-
vies, tout à fait louables, de bien faire. Mais
rien de tout cela n’est arrivé ! Nous étions
quatre filles, et j’étais celle qui ne foutait rien à
l’école, celle pour laquelle mes parents se fai-
saient du souci. J’étais rebelle et à la fois mal
dans ma peau. Je cherchais qui j’étais. Aux
Dames de Marie, j’étouffais. J’ai pété un câble à
18 ans et je me suis retrouvée enceinte !
Et vous avez eu votre période hippie ?
J’ai eu un premier déclic en étant attirée par
le mouvement contestataire Provo. Je décou-
vrais qu’il existait des gens qui vivaient diffé-
remment, avec trois fois rien. Quand j’allais
faire les courses avec ma mère, je voyais
qu’ils dessinaient par terre des choses psy-
chédéliques, c’était merveilleux. Tout cela
me tentait. Et puis, les hippies m’ont beau-
coup marquée. Dans les années 1969-1970, je
rêvais d’un retour à la nature, de vivre en
communauté, d’être autonome. Ce souhait
m’est resté. Je vis aujourd’hui à la campagne,
je fais de la permaculture, j’ai des moutons.
J’essaie toujours de rejoindre mes rêves
d’adolescente.
Racontez-moi cette communauté dans les
Ardennes, que vous découvrez à 18 ans…
Par hasard, je rencontre des gens qui
avaient fondé une communauté dans les
bois, et vivaient dans des tipis en plastique. Je
n’ai pas vécu dans ces cabanes, mais j’allais
les voir. A l’époque, j’étais passionnée par les
livres de Jack London, par les gens qui avaient
vécu la « vraie vie ». Je ne connaissais pas les
garçons, je sortais de l’école catholique, et
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI…
Le « Monde » interroge une
personnalité en partant d’un
moment décisif de son existence.
Cette semaine, la comédienne
évoque son « mal au monde »
d’une éducation assez serrée. J’ai rencontré
là-bas le père de mes enfants, qui en avait déjà
deux. J’ai été maman très jeune à 19, puis à
20 ans. Très vite, je me suis séparée. En deve-
nant mère, je suis rapidement descendue à
une autre réalité. Je ne savais pas faire une
soupe, j’ai dû apprendre et trouver des petits
boulots comme femme de ménage. Je cher-
chais des idées pour gagner un peu d’argent.
J’ai voulu faire un élevage de lapins. Mais ça
copule, faut des cages ! Cette idée, je l’ai vite
abandonnée !
Et vous avez poussé la porte d’un théâtre
à Bruxelles ?
J’ai un parcours très marginal. A l’école, je
suivais des cours de déclamation parce que
j’aimais les textes. Dans mon adolescence, j’ai
fait du théâtre expérimental à Bruxelles en
travaillant avec Martine Wijckaert. Par la
suite, j’ai pris des cours du soir de théâtre. Je
suis revenue à la scène grâce au théâtre pour
enfants. J’y ai travaillé pendant trois ans, cela
m’a permis de normaliser un peu ma vie, de
mieux assumer financièrement mes enfants.
Et puis j’ai découvert les spectacles de l’hu-
moriste Zouc. Cela m’a donné envie de venir à
Paris pour faire une école de clown.
Qu’aimiez-vous chez Zouc ?
Zouc a suscité chez moi un grand boulever-
sement. Tout d’un coup, j’entendais des préoc-
cupations que je pouvais avoir, une manière
non classique de faire du théâtre. Zouc, c’est
comme des touches de couleur, comme de la
peinture abstraite. Le second bouleverse-
ment, c’est la rencontre avec Philippe Gaulier,
à Paris. C’était un professeur de l’Ecole Jacques
Lecoq. Toute cette mouvance théâtrale diffé-
rente, basée sur le mouvement, m’intéressait.
Le travail avec Jérôme Deschamps et Macha
Makeïeff en a été la prolongation.
Pour pousser la porte de la compagnie
Deschamps & Makeïeff, il fallait quand
même avoir du culot !
J’avais créé mon premier spectacle, Sale af-
faire, du sexe et du crime, un solo tragi-comi-
que qui avait plutôt bien marché. Je voulais
continuer, mais ne plus être seule sur scène.
En lisant un entretien de Jérôme Deschamps
dans Libération, qui regrettait qu’on gomme
les défauts d’une personne dans les cours
d’acteur, je me suis dit : « Ce mec-là, j’ai envie
de le rencontrer. » A la même période, j’étais
sur le tournage de Sans toit ni loi, d’Agnès
Varda (1985), qui m’avait découverte grâce à
¶ comme ça, tu vas un peu d’habituer ! »
Sur scène
« Prévert », spectacle
musical au Théâtre
du Rond-Point, à Paris,
jusqu’au 10 février
Au cinéma
– « Les Estivants »,
de Valeria Bruni Tedeschi,
sortie en salle le 30 janvier
– « Rebelles », d’Allan
Mauduit, sortie
en salle le 13 mars
rencontre | 23
mon spectacle. Son assistant, Jacques Des-
champs, me recommande de rencontrer son
oncle. J’ai alors écrit pour demander un stage.
Je voulais voir comment Jérôme Deschamps
travaillait. Ce stage était en réalité un casting
déguisé. Jérôme me demande de travailler
avec lui. Ce ne devait être que pour quelques
mois, finalement je suis restée douze ans
dans la compagnie !
Comment qualifieriez-vous cette période ?
Lapin chasseur, C’est magnifique, etc., j’ai
adoré ce que racontaient ces spectacles : la vio-
lence de la vie, toujours sauvée par une poé-
sie, par une élévation de l’âme. On n’était pas
dans le sketch. Mais, au début, c’était un peu
douloureux, j’avais du mal à être dans un
groupe, à trouver ma place, parce que je suis ti-
mide. A Paris, j’avais l’impression d’être dans
une ville trop grande où il fallait prendre sa
place au couteau. Je n’osais pas parler, par peur
que ma voix ne sorte pas juste. J’ai dû me faire
violence, je suis très pudique. Je me souviens
d’un moment très fort : le premier jour des ré-
pétitions de C’est magnifique, Jérôme Des-
champs prend deux chaises, les met au mi-
lieu, s’installe à côté de moi et me dit : « Voilà,
Mais vous, la timide, acceptez de jouer
dans « Les Deschiens » à la télévision…
Jouer devant une caméra est plus facile que
si, par exemple, on me prend en photo. Parce
que je pense à mon jeu, à mon rôle. « Les Des-
chiens », c’était un programme très subversif.
Je me demande si on pourrait le refaire
aujourd’hui. On évoquait la grande violence
de la vie, mais sans se moquer des gens.
L’aventure a duré sept ans, de 1995 à 2002. Il
fallait savoir s’arrêter. Avec Bruno Lochet,
Philippe Duquesne, François Morel, nous
avons construit de belles amitiés.
Qu’avez-vous appris au sein
de cette troupe ?
A faire confiance aux petites choses, à la
capacité du public à regarder. Un jour, je devais
tirer sur scène une grosse bassine avec une ser-
viette de toilette. Je dis à Jérôme Deschamps :
« Mais je ne fais rien ! » Il me répond : « Quand
tu marches, ça raconte une vie. »
Quel a été l’impact des « Deschiens » ?
Il a été indéniable, et il m’a apporté une re-
connaissance de la profession. J’ai été davan-
tage appelée pour des films. Mais beaucoup
de réalisateurs avaient peur – à cause de
l’image des Deschiens – que je fasse rire. Moi,
je n’y pensais jamais. Parce que je me sens co-
médienne. Je n’ai pas fait de plan de carrière.
Au cinéma, je me considère comme une dé-
butante, car j’ai commencé tard. En 2002,
lorsque j’ai réalisé Quand la mer monte, j’ai
gagné le César de la meilleure actrice. Je ne
crois pas que ce soit par hasard. Les gens ne
s’attendaient pas à ce que je puisse jouer
sérieusement. Je n’en suis pas surprise ! Par la
suite, un des rôles qui a le plus compté dans
ma vie est celui de Séraphine, dans le film de
Martin Provost (2008).
A Paris,
le 14 janvier.
GIOVANNI CITTADINI
CESI
Vous dites que vous avez un style
« artisanal ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Qu’il n’y a jamais de certitude, qu’il faut tou-
jours s’adapter. En vieillissant, on devient
moins maladroit, ce qui est dommage, car
j’aime beaucoup la maladresse. Mais on a
moins peur, ce qui est pas mal.
On dit souvent que vous êtes
une « actrice atypique »…
Je ne sais pas si je suis atypique, mais cela ne
me déplaît pas. J’ai le sentiment de ressembler
à plein de gens et, en même temps, physique-
ment, je ne suis pas Fanny Ardant ou Isabelle
Huppert. Mais ce qu’il y a de bien au cinéma,
c’est de représenter beaucoup de corps diffé-
rents, pour raconter des vies différentes.
Quand vous ne jouez pas, vous jardinez.
D’où vient votre amour de la terre ?
Le jardin, c’est comme le cinéma, une fois
qu’on est dedans, on voit l’étendue des choses
que l’on ne connaît pas. Ma mère m’a trans-
mis la passion du jardin. J’aime prendre la
terre dans mes mains, regarder s’il y a des clo-
portes, des vers, de quoi elle est faite. Derniè-
rement, sur le tournage de Rebelles, j’ai
échangé des semis de tomate avec le copain
de Cécile de France. Je les faisais pousser dans
ma chambre d’hôtel !
Il y a quelques années, j’ai eu un cancer du
sein. Je suis agnostique, mais ce qui me rassu-
rait, m’apaisait, c’était de sentir au plus pro-
fond de mes entrailles, à travers des exercices
de relaxation, de sophrologie, à quel point on
est relié à la terre.
En 2016, vous avez réalisé un documen-
taire pour Arte, « Nulle part en France »,
sur le drame des migrants à Calais
et Grande-Synthe. Pourquoi ce choix ?
C’est probablement lié à mon mal au
monde. Arte m’a donné carte blanche. Je me
suis dit : « Sois modeste et prends-la ! » On a
tellement la peur de l’autre que j’ai voulu
montrer à quel point ces personnes sont pro-
ches de nous. Elles pourraient être un fils, un
frère, un ami. Mais aussi parler de leur par-
cours si difficile : il faut être très courageux
pour quitter son pays. Grâce au texte magnifi-
que de Laurent Gaudé, ce documentaire a per-
mis de parler de notre monde différemment.
Quel regard portez-vous
sur le mouvement des « gilets jaunes » ?
La colère, la révolte populaire, je les com-
prends. Parce qu’il y a des gens de plus en plus
pauvres pendant que d’autres sont de plus en
plus riches. Il est très utile d’entendre enfin
ces gens, jusqu’ici méprisés. Certaines voix,
comme celle de l’écrivain Edouard Louis, en
parlent très bien. Sur ces ronds-points, il doit
se passer de belles choses humainement. Des
gens retrouvent une vie, un échange. Mais, à
l’heure où, un peu partout en Europe, des
mouvements d’extrême droite progressent,
j’ai très peur de la récupération politique et
du populisme.
Votre « mal au monde » est-il atténué ?
Oui. Mais il me donne aussi la possibilité de
m’exprimer. Maintenant, mes colères sont
parfois plus ciblées. Quand j’étais jeune,
j’étais persuadée qu’on allait changer le
monde. Les années 1970 étaient porteuses
d’espoir, tout semblait possible. Après, cela a
été moins drôle. Je ferais bien de fermer ma
gueule parce que, désormais, j’ai le cul dans le
beurre. Mais je ne l’ai pas toujours eu. J’ai
vécu avec trois fois rien, j’ai mis je ne sais
combien de fois ma guitare au clou pour avoir
10 francs belges. Aujourd’hui, on vit dans une
société de surconsommation qui devient une
aberration.
Pourquoi revenir sur scène avec
un spectacle consacré à Jacques Prévert ?
Ses textes ont une telle musicalité et sont
tellement actuels ! Jacques Prévert était
contre toute forme de pouvoir et défendait
les petites gens. Je suis heureuse de revenir
sur scène. J’aime retrouver cette espèce de
puits sans fond pour capter une vérité. p
propos recueillis par
sandrine blanchard
24 |
DÉBATS & ANALYSES
G R A N D D É B AT N AT I O N A L
« Il faut inventer
d’autres modes
de consultation »
Le grand débat national est un outil stratégique pour gagner
du temps, selon Loïc Blondiaux, professeur de science
politique, mais aussi une possibilité de sortir de cette crise.
Et, au-delà, inspirer à l’avenir l’organisation de participations
citoyennes avant des choix d’importance
Entretien
L oïc Blondiaux est professeur de
science politique à l’université Paris-
I-Panthéon-Sorbonne et spécialiste
des théories de la représentation. Il a parti-
cipé à l’ouvrage collectif Inventer la démo-
cratie du XXIe siècle. L’Assemblée citoyenne
du futur (Les liens qui libèrent, 2017).
Pensez-vous que le grand débat national
lancé par Emmanuel Macron,
le 15 janvier, soit un outil démocratique
susceptible d’apporter de réelles
solutions aux revendications des
« gilets jaunes », ou une stratégie
politique pour mettre fin à la crise ?
Les deux. C’est d’abord une stratégie poli-
tique relativement classique de la part d’un
gouvernement qui est confronté à des mo-
bilisations importantes. En science politi-
que, on désigne par le terme « concession
procédurale » un type de réponse politique
qui ne porte pas sur le fond des demandes
des citoyens mais leur donne la possibilité
de s’exprimer. Mais le grand débat vise
aussi à prendre en compte une demande
fondamentale du mouvement des « gilets
jaunes » : celle de participer et d’influer sur
la représentation. Donc oui, le débat natio-
nal est un outil stratégique pour gagner du
temps et donner le sentiment d’une ré-
ponse, mais il peut être aussi une possibi-
lité de sortie de cette crise. Il est clair que la
défiance à l’égard des institutions repré-
sentatives a atteint un niveau tel qu’il est
nécessaire d’inventer de nouveaux modes
de participation citoyenne. Un débat natio-
nal qui associerait à la fois les citoyens ordi-
naires, les corps intermédiaires et les pou-
voirs politiques pourrait être de nature à
répondre en partie à cette défiance.
Par le grand débat, le gouvernement
institue-t-il une forme de consultation
inédite ?
Oui, dans la mesure où cette consultation
porte à la fois sur des thèmes divers et ap-
pelle à la participation de toute la popula-
tion. Depuis les Etats généraux de 1789,
nous n’avons pas eu de dispositifs qui
visaient à faire remonter de la part des ci-
toyens des doléances ou des idées pour
gouverner le pays. Il y a certes eu des
consultations d’une certaine ampleur dans
le passé : la consultation nationale sur
l’école de 2003, la consultation de décem-
bre 2015 sur la loi pour une République nu-
mérique ou encore la consultation sur la ré-
forme des retraites en 2018 ; mais celles-ci
ne portaient que sur un secteur de l’action
publique. La France n’est pas un pays où la
culture et la pratique de la participation
citoyenne sont répandues. Cela fait une
vingtaine d’années que la thématique de la
démocratie participative s’est instaurée
dans les discours et dans les pratiques poli-
tiques, mais les expériences qui sont me-
nées tant à l’échelle locale que nationale
ne sont ni très ambitieuses ni toujours
convaincantes. A quelques exceptions près,
qui sont la plupart du temps locales, notre
système de gouvernement ne fait pas véri-
tablement place à la participation ou à la
consultation citoyenne. Ce grand débat ap-
paraît comme la greffe d’une conception
participative de la démocratie dans un pays
qui ne la pratique pas beaucoup.
S’agit-il d’une avancée en matière
de démocratie participative ?
Si le débat est improvisé, instrumentalisé
et à la fin ne donne aucune piste véritable
de transformation, le risque est de tuer
l’idée même de démocratie participative.
Le pire scénario serait que les citoyens se
prennent au jeu, se mobilisent, et qu’à la fin
le gouvernement ne tienne pas compte des
propositions formulées lors du débat. Il
faut démontrer que la participation peut
avoir des effets, autrement, le risque serait
que les citoyens s’en détournent et n’accep-
tent plus à l’avenir de prendre part à ce type
d’exercice démocratique.
Quels pourraient être les écueils
de ce nouveau mode de consultation ?
La consultation directe des citoyens ordi-
naires ne peut pas être un moyen pour le
gouvernement de court-circuiter les corps
intermédiaires. Le recours aux plates-for-
mes numériques fait partie désormais des
techniques les plus utilisées par les gouver-
nements. Or, il ne me semble pas que cette
collecte numérique d’opinions, s’apparen-
tant parfois à un simple sondage, puisse se
substituer aux autres formes de représenta-
tion de la société civile, aux associations,
aux partis, aux syndicats. De plus, le grand
débat national devrait être un moment de
politisation et de délibération, durant les-
quels les citoyens se rencontrent et confron-
tent leurs opinions. Or, les plates-formes
numériques ne sont pas toujours le lieu
d’une délibération de qualité entre les ci-
toyens eux-mêmes. Enfin, il faudra être at-
tentif à la façon dont se fera la synthèse de
ces discussions. Pour que le débat puisse
être crédible, il faut qu’il y ait une transpa-
rence de l’organisation et en particulier du
processus d’agrégation et d’analyse de tou-
tes les contributions. Comment va-t-on
aboutir à des conclusions et qui va mener ce
travail de synthèse des discussions ? Le re-
gret que l’on peut avoir au regard du fait que
la CNDP (Commission nationale du débat
public) ne soit plus le maître d’œuvre de ce
débat, c’est justement ça : qui peut garantir
aujourd’hui que le gouvernement mènera
un processus absolument transparent de
synthèse ? Les garants désignés, qui ne sont
pas pour la plupart des spécialistes des dé-
marches de participation, seront-ils suffi-
samment crédibles et outillés pour garantir
la transparence et éviter l’instrumentalisa-
tion politique des résultats ?
Le grand débat, dans son mode
opératoire actuel, peut-il devenir une
pratique démocratique dans l’avenir ?
A cette échelle et avec cette ambition de
toucher tous les Français, il est difficile de
faire de ce débat une modalité permanente
de participation. Mais l’on peut s’en inspirer
pour organiser une véritable consultation
citoyenne avant des choix importants. Cela
pourrait passer par l’introduction d’un véri-
table référendum d’initiative citoyenne ou
par la systématisation du recours à des jurys
ou assemblées de citoyens tirés au sort.
Reste à discuter des modalités, mais il est
clair qu’il faut désormais faire preuve d’ima-
gination institutionnelle pour répondre à la
crise démocratique. Il faut saisir l’occasion
des « gilets jaunes » pour introduire la possi-
bilité que les citoyens puissent s’exprimer
dans l’intervalle entre les élections. C’est
toute l’architecture de notre République
qu’il faut changer. Dans une Ve République
dominée à ce point par l’institution prési-
dentielle et à défaut d’une réforme constitu-
tionnelle majeure, il faut désormais que les
citoyens puissent être mieux associés au
processus de décision. Si ce n’est pas le cas, le
sentiment largement diffusé au sein des
« gilets jaunes » et partagé par une partie
croissante de la population, selon lequel les
citoyens ne sont pas représentés, risque de
s’intensifier jusqu’à la rupture. p
propos recueillis par
mathilde lamy
Ce que le recours aux
cahiers de doléances
dit de notre époque
Aussi multiples que soient les différences
entre la période révolutionnaire
et aujourd’hui, une vision commune
du monde semble traverser le temps,
souligne l’historien Guillaume Mazeau
Par GUILLAUME MAZEAU
P uisque l’opinion publique
est favorable à ce grand
Parlement national, orga-
nisez-le, prenez l’initiative, très vite.
Vous êtes le meilleur allié de la
population, c’est ça que vous devez
arriver à lui faire comprendre » :
ainsi Joël Pommerat fait-il parler
le premier ministre à l’oreille de
Louis XVI. Jouée depuis 2015, la
pièce Ça Ira (1). Fin de Louis, nous
rappelle que l’histoire n’est jamais
qu’un tombeau ouvert. Même
recouverte de son lourd linceul de
poussière, la Révolution française
possède en effet cette faculté de
s’engouffrer dans les anfractuosi-
tés de l’ordre présent.
Parmi toutes les références qui
aident les « gilets jaunes » à se
forger une nouvelle conscience
politique, elle revient en effet avec
un peu plus de force et d’insis-
tance. Ainsi, les cahiers de doléan-
ces rappellent ceux qui, pendant
l’automne et l’hiver 1788-1789,
avaient été rédigés, puis confiés
aux députés des trois ordres, en
vue des Etats généraux. Et pour-
tant, à l’heure d’Internet, de sim-
ples cahiers peuvent-ils jouer le
même rôle politique qu’il y a plus
de deux siècles ? Peuvent-ils être
autre chose que des accessoires
du roman national, cette fiction
sans cesse rejouée et dont certains
aiment à nous bercer dès que les
horizons s’assombrissent ?
Les différences abondent. Nous
ne sommes plus en monarchie
absolue, et les privilèges de nais-
sance ont été abolis. La liberté
d’expression, les progrès de la
scolarisation et la médiatisation
de masse ont donné aux « gilets
jaunes » des moyens autrement
plus puissants pour s’exprimer.
Rédigés à partir d’assemblées
collectives partout réunies dans
le royaume, les 60 000 cahiers de
1789 étaient d’autre part attendus
comme un événement excep-
tionnel, gonflé d’espérances : les
Etats généraux n’avaient pas été
réunis depuis 1614. L’occasion
de s’exprimer à l’échelle de la
France entière n’avait tout sim-
plement jamais existé.
Bien moins nombreux relative-
ment à la population, les cahiers
d’aujourd’hui relèvent d’une
démarche plus volontaire, indivi-
duelle et marquée par la longue
expérience de l’instrumentalisa-
tion de la parole populaire. C’est
une différence notable : les clas-
ses populaires de 1789 n’étaient
pas naïves, mais, après tout, elles
n’avaient jamais activement
participé au gouvernement des
hommes. Celles d’aujourd’hui
portent les cicatrices d’une déses-
pérance démocratique.
PATRIMOINE COMMUN
Et pourtant, par-delà le vernis des
mots, une vision commune du
monde semble traverser le temps.
Comme en 1789, le mouvement
de protestation n’exprime pas
principalement les doléances des
grandes villes ni de Paris, mais
des campagnes périphériques.
Rétablissement de l’ISF, augmen-
tation du smic et des retraites,
droit à la consommation, réduc-
tion des inégalités salariales et
fiscales, taxation des GAFA : bien
avant la lutte contre l’immi-
gration, la justice fiscale et la jus-
tice sociale viennent toujours en
tête des revendications. Comme
en 1789, la critique du luxe, des
abus des puissants et de la corrup-
tion politique rappellent que
l’exercice du pouvoir s’accompa-
gne de contreparties politiques et
morales sans lesquelles le peuple
est en droit de reprendre la souve-
raineté qui lui appartient.
Plus de deux siècles après les
demandes du retour aux « usa-
ges » et au respect des « coutu-
mes », les « gilets jaunes » ne pré-
tendent pas non plus faire la
révolution, mais réclament de
« rentrer dans leurs droits »,
dont ils s’estiment dépossédés.
Car, contrairement au mépris qui
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
ne cesse de la disqualifier, cette
parole venue d’en bas exprime
une réelle intelligence politique.
A la différence de 1789, le contrat
qui est rompu n’est aujourd’hui
pas tacite ni juste moral, il ne s’ap-
puie pas uniquement sur des
« traditions » : il est fort de droits
démocratiques et sociaux chère-
ment acquis depuis la fin du
XVIIIe siècle. Considérés, avec rai-
son, comme les bases du bien
commun, ceux-ci subissent les
assauts du capitalisme libéral et
conservateur, quant à lui martelé
comme le seul futur possible.
Et pourtant, comme en 1789,
cette parole politique qui choisit
le cadre du passé pour se donner
du courage, pour se parer aussi de
la légitimité du patrimoine com-
mun, court le risque de la mani-
pulation. Recueillie et « traduite »
par ceux qui savaient écrire, la
colère paysanne de 1789 avait
totalement débordé le cadre
étroit de la fiscalité imposé par
Louis XVI, mais elle avait ensuite
subi de multiples filtrages avant
d’arriver jusqu’à Versailles. Créés
à l’initiative de l’Association des
maires ruraux de France, destinés
à être synthétisés dans un grand
débat national organisé en toute
hâte depuis le sommet de l’Etat,
qui, lui, évite la référence
aux Etats généraux, les cahiers
d’aujourd’hui risquent aussi de
servir une forme de canalisation,
de neutralisation, voire de tra-
hison de la parole populaire.
En 1789, cette stratégie avait
entraîné une révolution. Si le
contexte de 2019 est très différent,
le recours aux cahiers témoigne
en tout cas de la volonté des sans-
voix de mettre le pied dans la
porte de l’histoire. p
¶
Guillaume Mazeau est maître de
conférences en histoire à l’université
Paris-I-Panthéon-Sorbonne, Institut
d’histoire de la Révolution française.
Son prochain ouvrage, « La Concier-
gerie sous la Révolution » paraîtra
en mai aux éditions du Patrimoine

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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Du rond-point
à la place publique
Ni l’espace des ronds-points
ni celui du grand débat
national ne semblent
remplir les conditions
d’un débat démocratique
libre de toute contrainte
extérieure, estime
la philosophe Joëlle Zask
Par JOËLLE ZASK
A vec la crise des « gilets jaunes »,
« prendre la parole », exprimer
sa « colère » ou ses « doléances »,
faire des posts sur les réseaux sociaux,
débattre ou organiser « un grand débat
public » se retrouvent sur le devant de
la scène. La France est un pays où l’on
exige de sortir du silence. Il semble qu’on
y discute beaucoup. Cela étant, de quoi
discutons-nous ? Comment discute-t-on ?
Quelle forme prennent ou devraient
prendre nos échanges ?
La redécouverte des bienfaits de l’acti-
vité langagière ne date pas des « gilets
jaunes ». Depuis une quinzaine d’années,
un large éventail de mouvements ci-
toyens occupés à identifier des problè-
mes publics (et pas seulement à critiquer
ceux qui le font), puis les mouvements
des places, en particulier Nuit debout, ont
renoué avec la méthode du débat démo-
cratique. Beaucoup ont revendiqué le
droit de dire pour agir, et pas seulement
pour réagir aux décisions prises au
sommet. Le grand débat public ne date
donc pas d’aujourd’hui. Il a clairement
(re)commencé il y a plusieurs années,
quand les individus ont (re)découvert
que faire des choses ensemble et pren-
dre des initiatives, bref, participer, sup-
pose de se parler, et que se parler permet
de ne pas s’entre-tuer.
Cela étant, l’usage de la parole en public
ne mène pas nécessairement à une pa-
role publique. Pour qu’elle le soit, il faut
des conditions spécifiques, dont des lieux
dédiés. En raison de notre conception
dominante d’une citoyenneté hors sol,
nous avons tendance à négliger les varia-
bles architecturales de nos espaces de
rencontre, dont, pourtant, l’importance
est telle qu’elle peut conduire à des résul-
tats diamétralement opposés. Deman-
dons-nous en particulier ce qu’implique
de passer de la place au rond-point.
L’ESPACE DES BANDES ET DES FOULES
Dans les faits, il existe une franche
contradiction entre la place publique dé-
mocratique, alors réputée une agora, et le
rond-point. La liberté, l’égalité, la tolé-
rance, la libre association, la pluralité hu-
maine, de même que l’individualité, bref,
toutes les valeurs que nous associons aux
modes de vie démocratique ne peuvent
s’accommoder d’un dispositif giratoire et
centré. Au contraire (et telle était l’agora
d’Athènes jusqu’au Ve siècle avant J.-C.), la
place démocratique est une place multi-
centrée, adaptative, polyvalente, végétali-
sée, accueillante. Le rond-point (et la plu-
part de nos places urbaines, qu’elles aient
été conçues par des rois, des empereurs
ou des fascistes, en sont la plupart du
temps) ne présente aucune des caracté-
ristiques morphologiques des espaces
démocratiques.
Il en va de même des discours : sur
la place, la parole est proposée, tandis que
L’USAGE
DE LA PAROLE
EN PUBLIC
NE MÈNE PAS
NÉCESSAIREMENT
À UNE PAROLE
PUBLIQUE
sur le rond-point, elle est prise. C’est une
grande différence. La communication
dont ont besoin les citoyens afin de
s’autogouverner et de définir leurs inté-
rêts communs est une communication
libre, non seulement d’une contrainte
hiérarchique extérieure, mais aussi des
excès que sont les vociférations, la vio-
lence verbale, l’insulte, le dogme, l’accla-
mation, le consensus a priori. Le rond-
point est l’espace des bandes et des foules.
A l’opposé, la parole proposée est faite
pour être écoutée, relayée, amendée,
complétée. Elle « circule » parce qu’elle
questionne. Il n’y a rien de mystérieux
dans ce type de communication. Qu’elle
soit sociale, politique, spécialisée, quoti-
dienne, elle est « non violente ». Elle s’ap-
pelle « conversation ». Gabriel Tarde, qu’il
faut relire à ce sujet, en avait fait le pilier
de l’opinion véritablement publique,
c’est-à-dire partagée au terme d’un pro-
cessus de réciprocité, ainsi que de toutes
les libertés. Il n’est pas difficile, préci-
sait-il, de régner sans partage : il suffit
d’instaurer le « mutisme universel ». Sur
les ronds-points, la tendance a été dans
un premier temps non à l’échange ac-
cueillant et tolérant, mais à la vindicte et à
la vitupération ; hurler pour se faire en-
tendre, exprimer sa colère, menacer les
opposants, casser et brûler.
ERREUR STRATÉGIQUE
Reste qu’en séjournant sur les ronds-
points (et cela inclut aussi les participants
de Nuit debout, qui ont élu domicile sur
des places-carrefours parfaitement ina-
daptées), les gens découvrent les plaisirs
de la compagnie d’autrui, l’efficacité de
se parler, de s’écouter mutuellement, et
le pouvoir de refaire le monde. Vient alors
le moment de neutraliser le rond-point
en y créant, avec les moyens du bord,
une petite place démocratique. Se parler
est profondément éducatif. C’est l’exer-
cice de citoyenneté par excellence, celui
qui dispose aux civilités, au civisme, à la
connaissance objective, au sens du réel et
au sens commun.
Il en naît une méthode dont la générali-
sation ne devrait connaître aucun frein.
Elle se heurte pourtant à deux écueils :
le premier, qui va du système du référen-
dum aux réseaux sociaux, incarne l’im-
possibilité de discuter. De même qu’un
référendum repose sur le décompte
d’opinions individuelles préformées, les
réseaux sociaux, et ce en dépit de tous les
services qu’ils peuvent rendre par
ailleurs, ne sont pas des lieux où l’on
discute, mais des lieux qui isolent, ex-
cluent les arguments contradictoires,
atrophient les idées dont les auteurs re-
cherchent la propagation contagieuse et
le plébiscite automatisé. Pour discuter,
comme on le faisait dans les salons,
au café, dans la rue, il faut être face à face,
disponible et attentif. La résolution
des conflits les plus insurmontables et la
sociabilité la plus ordinaire reposent sur
les mêmes moyens.
Quant à l’autre écueil, c’est l’idée d’un
grand débat public. A moins que nous la
remettions à sa place, c’est-à-dire que
nous y voyions, de la part de notre gou-
vernement, une simple proposition à un
débat qui a commencé avant lui et sans
lui, cette idée ne pourra que se révéler une
prise de parole, avec l’inutilité, la violence,
l’absence d’écoute qui lui sont propres. Le
fait que la lettre du président aux Fran-
çais, coup d’envoi de ce fameux grand dé-
bat, ait prescrit une liste des sujets dont
débattre, suivant un « kit » méthodologi-
que bien précis, est une erreur à la fois
stratégique et démocratique. Elle est à la
libre parole publique ce que le rond-point
est à la place démocratique. p
¶ RÉCITS TENDUS ET PRÉCIS
Joëlle Zask est philosophe.
Elle est l’auteure de « Participer.
Essai sur les formes démocratiques
de la participation » (Le Bord de l’eau,
2011) et « Quand la place devient
publique » (Le Bord de l’eau, 2018)
débats & analyses | 25
Une coalition acrobatique en Suède
Analyse
anne-françoise hivert
malmö (suède) - correspondante régionale
T
out, sauf accorder la moindre
influence à l’extrême droite. C’est
le message qu’ont défendu au Par-
lement les leaders de cinq forma-
tions, vendredi 18 janvier, juste
avant l’élection de Stefan Löfven
au poste de premier ministre. C’est aussi l’ob-
jectif de l’accord, adopté au terme de quatre
mois et demi de tractations par les centristes,
les libéraux, les sociaux-démocrates et les
Verts, et toléré par le Parti de la gauche, qui a
permis de sortir de la crise institutionnelle
dans laquelle se trouvait le royaume depuis le
scrutin du 9 septembre 2018.
Quelques minutes après son élection, Stefan
Löfven exprimait sa satisfaction : « Autour de
nous, l’influence de l’extrême droite augmente.
De plus en plus de gouvernements sont dépen-
dants de partis avec un agenda antidémocrati-
que. Avant les élections de 2018, nous faisions
face à une menace similaire (…). La Suède choisit
une autre voie. » De fait, l’ancien leader syndical
APRÈS QUATRE
MOIS ET DEMI
DE TRACTATIONS,
est parvenu à induire en erreur tous ceux qui
prédisaient à son pays un sort similaire à celui
de ses voisins nordiques, où les partis sociaux-
démocrates ont été renvoyés dans l’opposition
par des alliances entre la droite traditionnelle et
LES LEADERS DE les partis nationalistes anti-immigration.
CINQ FORMATIONS En Suède, le cordon sanitaire, au niveau natio-
nal en tout cas, tient toujours. Mais se rallier
POLITIQUES ONT contre un ennemi commun est-il suffisant pour
gouverner ? Pour espérer endiguer la progres-
RECONDUIT STEFAN sion d’un parti, les Démocrates de Suède (SD),
qui double ses scores à chaque élection ? Ou
LÖFVEN AU POSTE bien cela pourrait-il avoir l’effet opposé ?
DE PREMIER Car, à bien y regarder, qui sont les vrais ga-
gnants de cet accord ? Stefan Löfven, sans doute,
MINISTRE dont on annonçait la fin de parcours, après des
élections catastrophiques, mais qui parvient à
garder le pouvoir. Un tour de force d’autant plus
important, assure le politologue Tommy Möller,
que, « si les quatre partis de droite avaient formé
un gouvernement, avec le soutien même passif
des SD, la majorité aurait disposé d’environ 60 %
des voix, condamnant les sociaux-démocrates à
l’opposition pour des années ». Or, le parti « ne se
porte jamais aussi bien que lorsqu’il gouverne »,
ajoute M. Möller. Historiquement, il s’est déjà
allié avec le Parti agraire, prédécesseur du Parti
du centre. « D’aucuns diraient même que cette
alliance fut extrêmement fructueuse pour la
Suède, puisqu’elle a assuré une période de stabi-
lité et délivré des réformes majeures », constate
Jonas Hinnförs, professeur de sciences poli-
tiques à l’université de Göteborg.
Sauf que, cette fois, le Parti social-démocrate a
dû accepter des compromis majeurs et avaler
autant de couleuvres que ses électeurs seront for-
cés de le faire si Stefan Löfven souhaite rester à la
tête du gouvernement. Car centristes et libéraux
En Corse, des juges face à la mafia
Le livre
A
u sein de la magistrature française, ils
sont peu nombreux à croire à l’exis-
tence d’une mafia en Corse. La majo-
rité estime que cette île n’a pas à faire
l’objet d’un traitement judiciaire spécifique, car il
risquerait de porter atteinte à l’unité du droit sur
le territoire. Pour quelques-uns, en revanche,
cette idée revient à abandonner la population in-
sulaire à son sort. Face au fléau mafieux, l’Etat
doit, selon eux, élever le niveau de sa réponse
pour faire reculer l’emprise du crime organisé,
qui a pris en otage une société tout entière.
C’est la grande leçon, utile, d’un recueil de neuf
JUGES EN CORSE témoignages de magistrats qui ont décidé
Sous la direction d’alerter l’opinion sur un phénomène de vio-
de Jean-Michel Verne, lence unique en France. Ils le font en relatant les
Robert Laffont, difficultés qu’ils ont connues en travaillant sur
296 pages, 20,50 euros les affaires corses. Trois juges et six procureurs,
de grade différent, ayant exercé à Bastia, à Ajac-
cio et à Marseille, à des époques s’étalant de 1991
à 2017, confient ce que fut leur quotidien, mon-
trant que la Corse reste une zone frontière où
l’Etat n’est pas tout à fait chez lui.
Tous ces témoignages n’ont pas la même force.
Ceux des anciens chefs du ministère public sur
l’île, à la fin des années 1990 jusqu’au début des
années 2000, Bernard Legras, ancien procu-
reur général, et Jacques Dallest, ex-procureur à
Ajaccio, sont les plus structurés. Ils posent,
ont monnayé cher leur soutien. Avec la promesse
d’une suppression de l’impôt sur les revenus les
plus élevés, de la libéralisation du marché locatif,
ou encore d’une réforme des critères de licencie-
ment, la centriste Annie Lööf et le libéral Jan
Björklund ont remporté une sérieuse victoire.
Mais eux aussi jouent gros. Accusés de « trahi-
son » par leurs anciens alliés conservateurs et
chrétiens-démocrates, dont neuf sur dix des
électeurs seraient favorables à une collabora-
tion avec les SD sur les sujets d’accord, ils sont
donnés pour responsables de l’implosion de la
droite. Cela suffira-t-il à accélérer le rapproche-
ment et la création d’un « bloc conservateur » ?
« Tout dépend du degré de réalisation des réfor-
mes promises », estime Jonas Hinnförs. Or, 33
des 73 mesures déclinées dans l’accord seront
soumises à une enquête parlementaire avant
d’arriver sur le bureau des députés. Les électeurs
pourraient manifester leur impatience par des
mouvements d’opinion, accroissant l’instabilité
dans un contexte déjà volatil.
Leurs anciens alliés accusent centristes et libé-
raux d’avoir renié une de leurs principales pro-
messes en donnant de l’influence à la gauche ra-
dicale. Tenu à l’écart des négociations, le Parti de
gauche s’est retrouvé, vendredi, dans le rôle du
faiseur de roi – une position jusque-là clamée
par les SD –, seul habilité à empêcher que Stefan
Löfven ne chute.
PROGRAMME LIBÉRAL
En votant blanc, cependant, ses députés ont per-
mis l’élection d’un chef de gouvernement, élu
sur la promesse d’un des programmes les plus
libéraux de ces dernières décennies. Leur pa-
tron, Jonas Sjöstedt, a assuré qu’il n’hésiterait
pas à déclencher un vote de défiance contre le
gouvernement au moindre dérapage libéral.
Osera-t-il, pour ce faire, s’allier avec les conser-
vateurs, les chrétiens-démocrates et les SD ?
A l’issue du scrutin du 9 septembre, Jimmie
Akesson, le leader de l’extrême droite, rêvait
d’une normalisation de son parti. Dans plusieurs
communes, dans le sud du royaume, elle est en
cours, grâce à des rapprochements avec la droite.
Mais, sur la scène nationale, aucun des leaders
des sept autres formations parlementaires n’a ac-
cepté de le rencontrer. Alors que les négociations
s’intensifiaient pendant la trêve des confiseurs,
Jimmie Akesson s’est envolé pour la Thaïlande.
De retour à Stockholm, il s’est réjoui, vendredi, de
l’émergence d’un « bloc conservateur », où son
parti, il en est convaincu, a toute sa place, aux cô-
tés des conservateurs et chrétiens-démocrates,
qui finiront bien par l’accepter, selon M. Akesson.
En attendant, le « marchandage » entre centris-
tes, libéraux, sociaux-démocrates et Verts,
dénoncé par le patron des conservateurs, Ulf
Kristersson, risque de renforcer le discours anti-
establishment des SD, constate la spécialiste de
l’extrême droite Anna-Lena Lodenius : « Certains
électeurs y verront un arrangement entre partis
d’establishment pour neutraliser SD. » Ce qu’il
pourrait être si Stefan Löfven ne parvient pas à
fournir les réformes attendues par les Suédois. p
notamment, la question de la bonne distance à
trouver pour être capable de saisir les enjeux
locaux sans subir la pression d’une société qui
sait profiter d’un maillage social serré pour
contrecarrer le cours de la justice. Au cœur
d’une période marquée par l’assassinat, le
6 février 1998, du préfet Claude Erignac et
l’incarcération de son successeur, Bernard
Bonnet, en 1999, dans l’affaire des paillotes, ils
appellent les politiques à laisser les magistrats
faire leur travail et invitent à ne pas tomber
dans la stigmatisation des Corses.
Les récits tendus et précis de Philippe Tocca-
nier et de Patrice Cambérou, qui furent substitut
et juge d’instruction à Ajaccio, offrent une des-
cription saisissante de l’exercice du métier de
magistrat et mêlent les pressions du bandi-
tisme, du nationalisme, mais aussi celles de gen-
darmes et d’un préfet qui tentent, en vain,
d’étouffer l’affaire dite « des paillotes ».
Cette incarnation du travail de la justice sur
cette île est salutaire. Elle sert avant tout les Cor-
ses, qui sont les principales victimes de la mafia
insulaire. On reste, néanmoins, un peu circons-
pect de trouver dans les témoignages de Claude
Choquet et de Guillaume Cotelle, juges d’ins-
truction pourtant aguerris, des imprudences et
des approximations auxquelles ils ne nous ont
pas habitués dans leurs procédures : atteintes à
la présomption d’innocence, attributions erro-
nées d’actes criminels et imputations fondées
sur la rumeur. On ne sait si cela est de leur fait ou
de la légèreté de celui qui a recueilli leurs propos,
mais l’effet est dommageable. p
jacques follorou
26 | 0123 0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

PLANÈTE | CHRONIQUE ALSTOM-

SIEMENS,
par sté p hane fo ucart
concurrence signifierait que les Européens les Européeens, l’argument de l’abus de

OU L’EUROPE paieraient plus, pour moins de choix et position dominante paraît bien court. Les
Pesticides : la fin FRILEUSE
moins de produits innovants », soulignait
Mme Vestager dans un discours prononcé,
exemples de l’aéronautique et du nu-
cléaire sont là pour nous rappeler que

de l’opacité ? le 9 janvier, à Berlin. Cinq autorités natio-

nales de la concurrence (Allemagne, Gran-
de-Bretagne, Espagne, Pays-Bas, Belgique)
sont sur la même longueur d’onde, crai-
gnant que le nouvel ensemble n’abuse de
sa position dominante.
l’avance européenne n’a rien d’éternel.
Ces dernières années, on a reproché à
l’Union européenne d’être l’idiot utile du
village mondial, ouvert aux quatre vents
d’une concurrence internationale plus ou
moins déloyale. Le continent ne peut rester

M LES TROIS QUARTS

ercredi 16 janvier, le
Parlement euro-
péen a adopté à une
forte majorité le
rapport de la Commission parle-
mentaire spéciale sur les pestici-
des, dite « commission PEST »,
créée voilà un an, dans la foulée
des révélations du Monde sur les
« Monsanto Papers » (ces docu-
ments secrets dévoilant les straté-
gies mises en œuvre par la firme
pour défendre son produit-phare,
le glyphosate). Plus des trois
quarts des parlementaires euro-
péens ont voté le rapport, qui de-
mande des améliorations du sys-
tème d’évaluation et d’homolo-
gation des pesticides de l’UE. Une
bataille d’amendements a bien
eu lieu en séance plénière – une
part de l’extrême droite ayant ré-
percuté les arguments des indus-
triels de l’agrochimie –, mais ce
sont au final 77 % des eurodépu-
tés qui ont voté le rapport pré-
senté par la commission PEST.
Pour son président, l’eurodéputé
Eric Andrieu (Socialistes et démo-
crates), ce vote consacre avant tout
« une victoire démocratique », ob-
tenue grâce à une alliance large et
DES PARLEMENTAIRES
EUROPÉENS
ONT VOTÉ LE RAPPORT
QUI DEMANDE
DES AMÉLIORATIONS
DU SYSTÈME
D’HOMOLOGATION
la vigilance des autorités sanitai-
res. Si ces données avaient été pu-
bliques, il ne fait aucun doute que
cette négligence aurait été repérée
plus tôt. En l’occurrence, il a fallu
attendre deux décennies, et des
dégâts sanitaires probablement
importants, pour lancer l’alerte.
De même, d’autres travaux tout
juste publiés indiquent qu’envi-
ron 99 % des études réglementai-
res confidentielles utilisées par les
autorités américaines pour rééva-
luer le glyphosate ou les produits à
base de glyphosate, ne leur trou-
vent aucun effet génotoxique,
alors que près de 70 % des études
L e projet Railbus va-t-il rester en gare ?
A l’approche de la décision de la
Commission européenne sur la fu-
sion entre le français Alstom et l’allemand
Siemens pour donner naissance à un géant
mondial du ferroviaire, le feu vert de
Bruxelles semble de plus en plus compro-
mis. Les concessions exigées par les servi-
ces de la commissaire à la concurrence, la
Danoise Margrethe Vestager, semblent
« insurmontables » aux yeux des protago-
nistes, qui, face à cette inflexibilité, sont
prêts à renoncer à cet « Airbus du rail ».
La Commission européenne, qui doit se
prononcer au plus tard le 18 février, estime
qu’on ne peut pas faire émerger de nou-
veaux champions européens en s’asseyant
sur le droit de la concurrence. « Moins de
Ces dernières années, on ne peut pas re-
procher à la Commission d’avoir bloqué
systématiquement la constitution de
champions européens. Près de 70 % des
mariages qui lui ont été soumis, d’Essilor-
Luxottica à Alcatel-Lucent en passant par
Peugeot-Opel, ont été validés par Bruxel-
les. Dans ce contexte, on a du mal à com-
prendre pourquoi Alstom-Siemens ferait
figure d’exception.
Plusieurs raisons plaident en faveur de
l’opération. Le marché ferroviaire est mon-
dial. Détenir une part de marché signi-
ficative permet de réduire les coûts de fa-
brication et de gagner en compétitivité.
Surtout, le secteur est en plein bouleverse-
ment depuis 2015, avec la fusion des deux
principaux constructeurs publics de trains
chinois pour constituer CRRC. Ce masto-
donte est déjà deux fois plus gros que l’en-
semble Alstom-Siemens et comble son re-
tard technologique à une vitesse fulgu-
rante. Face à de tels concurrents, qui ne
s’embarrassent pas des mêmes règles que
les bras ballants, face à l’accélération de la
désindustrialisation et au décrochage dans
les nouvelles technologies.
Pour se justifier, Mme Vestager souligne
que l’Europe met en place des mesures de
contrôle des investissements étrangers et
cherche à imposer des règles strictes en ma-
tière d’appel d’offres. Mieux vaut tard que
jamais. Les Etats-Unis et la Chine l’avaient
compris bien avant nous, en faisant passer
l’emploi avant le consommateur.
Si, comme c’est probable, l’échec de ce pro-
jet de fusion se confirme, ce sera un mau-
vais signal envoyé aux opinions publiques à
quelques mois des élections européennes.
L’Europe a plus que jamais besoin de se dé-
fendre face à des partenaires commerciaux
qui ne jouent pas avec nos règles. L’excès de
zèle qui consisterait à les appliquer à la let-
tre, quand les Etats-unis de Donald Trump et
la Chine des « nouvelles routes de la soie »
s’en affranchissent allègrement, fragiliserait
une fois de plus les deux entreprises et
l’emploi européen. p

LA GRANDE ŒUVRE
inattendue, allant du Parti popu- sur le sujet publiées dans la littéra-
laire européen (PPE) aux Verts. ture scientifique indiquent, au
Mais l’ampleur de cette alliance si- contraire, de tels effets…

gnale aussi, en creux, la profon-
deur et la gravité des problèmes
qui minent la confiance dans le
système actuel d’homologation
des pesticides. Car, que l’on soit de
droite ou de gauche, écologiste ra-
dical ou transhumaniste, crois-
sant ou décroissant, agriculteur
ou « écolo-bio-bobo », il est diffi-
POLITIQUE
Qui peut croire que, sur une
question aussi précise, 70 % des
études publiées se trompent ? Qui
peut faire plus confiance à des étu-
des anonymes financées par l’in-
dustrie, et que nul n’a le droit de
consulter, qu’à des travaux con-
duits par des chercheurs d’orga-
nismes de recherche publics, pu-

cile d’adhérer honnêtement à
l’idée que l’entreprise demandant
l’autorisation d’un agrotoxique
puisse choisir l’Etat membre qui
sera chargé de son évaluation pré-
liminaire – dans le cas du glypho-
sate, Monsanto avait choisi l’Alle-
magne. Dans quel autre système
l’évalué choisit-il son évaluateur ?
A la vérité, c’est indéfendable
De même, où que l’on se situe sur
l’échiquier politique, on ne peut
que s’étonner du fait que les étu-
des réglementaires fondant la dé-
cision d’autoriser une substance
– qui finira dans les assiettes de
500 millions de personnes –,
soient non seulement réalisées et/
ou financées par les industriels,
mais qu’elles doivent en sus de-
meurer confidentielles. A la vérité,
c’est indéfendable et c’est pour-
tant aujourd’hui le cas.
Les historiens des sciences spé-
cialistes de la régulation des subs-
tances toxiques ont, dans leurs
manuels, de nombreuses situa-
tions montrant les dangers consi-
dérables d’une telle opacité. L’his-
toire fourmille d’exemples, l’ac-
tualité aussi. Récemment, trois
chercheurs ont forcé l’accès aux
tests réglementaires fournis par
l’agrochimiste Dow Agrosciences
à la fin des années 1990, en vue de
l’homologation d’un insecticide,
le chlorpyrifos. Ils ont pour cela dû
utiliser la loi suédoise sur la trans-
parence des documents adminis-
tratifs et ont bataillé ferme pour
obtenir les données en question.
En les réanalysant minutieuse-
ment, ils ont démontré que les ef-
fets toxiques de ce produit pour
le développement du cerveau
étaient demeurés sous le radar de
QUI PEUT CROIRE
QUE, SUR UNE
QUESTION AUSSI
PRÉCISE, 70 % DES
ÉTUDES PUBLIÉES
SE TROMPENT ?
DU MOMENT.
bliés dans la littérature savante
après revue par les pairs ? Ré-
ponse : les régulateurs européens.
C’est ce qu’indique une enquête
menée par des chasseurs de pla-
giat, mandatés par trois eurodépu-
tés, dont l’un des rapporteurs de la
commission PEST, Bart Staes
(Vert). Dans leur rapport d’évalua-
tion du glyphosate, les experts al- David Caviglioli, L’Obs
lemands ont copié-collé, depuis le
dossier soumis par Monsanto, la
plus grande part des sections dé-
volues à l’analyse de la littérature
indépendante… Sans surprise,
presque toutes les études publiées «Drôle, piquant, et
dans les revues savantes ont été ju-
gées non fiables. visionnaire. Suite haletante
Inscrite de longue date dans la au prochain numéro!»
réglementation, l’opacité du sys- Jérôme Garcin, La Provence
tème d’homologation des pestici-
des aurait pu demeurer encore «Cet observateur goguenard,
longtemps dans le marbre de la
loi. En ces temps de défiance à
d’un mot, d’un adjectif, d’une
l’égard des corps intermédiaires, il phrase, assassine ses proies.»
n’est pas inutile de le rappeler : il a Jean-Claude Raspiengas, La Croix
fallu des journalistes pour révéler
le scandale des « Monsanto Pa- «Infiniment cruel et savoureux,
pers », des ONG pour organiser quand il n’est pas tout
une initiative citoyenne euro-
péenne qui a rassemblé 1,3 million simplement désopilant.»
de signatures et l’engagement des Jean-René Van der Plaetsen,
parlementaires de la commission Le Figaro Magazine
PEST pour contraindre Bruxelles à
rouvrir le dossier et à refondre le «Patrick Rambaud se joue
système ; le processus est en cours des époques et des symboles.»
et la bataille loin d’être achevée. p
Olivia Gesbert, France Culture
P. S. Voilà deux semaines, dans
ces mêmes colonnes, 34 députés
Les Républicains (LR) étaient «On attendait ce premier
épinglés pour cause de double épisode de la chronique
discours. Leurs signatures se re- du règne d’Emmanuel
trouvaient dans une tribune alar- Le Magnifique. À lire!»
mante appelant à un plan d’ur-
gence pour sauver les abeilles et
Francis Letellier, France 3
aussi au pied d’amendements au
projet de loi EGalim visant à affai-
blir les mesures destinées à limi-
ter l’usage des pesticides. Sans re- DEJA UN IMMENSE
mettre en cause nos informa- SUCCES EN LIBRAIRIE
tions, Martial Saddier, député
(LR) de Haute-Savoie, fait valoir
un engagement ancien sur le su-
jet et précise qu’il a par le passé
pris des positions opposées à son
camp politique, en faveur de la
préservation des butineuses. Vé-
rifications faites, c’est exact ; il est www.grasset.fr www.facebook.com/editionsgrasset www.twitter.com/editionsgrasset Grasset
juste de le préciser.

Tirage du Monde daté samedi 19 janvier : 201 575 exemplaires

La grande distribution choisit
d’investir les centres-villes
▶ Un magasin Ikea en plein
Paris, des « drives piéton »
qui fleurissent… Les ensei-
gnes de la grande distribu-
tion changent de format
MATIÈRES PREMIÈRES
LE MÉTAL JAUNE
EST EN FUSION
Pour quelque 10 milliards de son pouvoir symbolique reste
▶ Paris, Lyon ou encore ▶ Les consommateurs des dollars de plus… C’est le prix à intact, en particulier lors des
payer pour décrocher la mé- mariages, le sous-continent
Lille voient se multiplier centres urbains, à plus fort daille d’or dans la course à la compte ses sous et réduit ses
en leur centre des pouvoir d’achat, attirent taille des groupes miniers ex- emplettes. Or l’Inde représente
tracteurs de métal jaune. Sur la un quart de la demande mon-
enseignes autrefois tous les distributeurs plus haute marche du podium diale de la bijouterie.
implantées en périphérie PAGE 3 trône désormais l’américain Quant aux tensions géopoli-
Newmont Mining Corporation. tiques, pourtant fort nom-
Pour atteindre le Graal supposé breuses depuis l’arrivée au
de cette ruée vers l’or, il a at- pouvoir du président améri-
trapé au lasso son concurrent cain Donald Trump, elles n’en-

Xavier Bertrand vent debout IDÉES canadien Goldcorp. Une acqui- flamment pas le cours du mé-
sition dévoilée lundi 14 janvier. tal jaune. Début 2019, pour-

LE DÉBAT SUR
A l’issue de cette opération, la tant, l’once d’or semblait

contre les éoliennes

nouvelle société sera baptisée soudain sur le chemin des
Newmont Goldcorp. L’améri- 1 300 dollars, du fait des incer-
LA FISCALITÉ cain rafle ainsi la mise à un
autre canadien, Barrick Gold.
titudes sur l’état de santé de
l’économie chinoise. « Go sur
Le président de la région Hauts-de-France, la mieux pourvue en éoliennes,
milite contre cette énergie renouvelable et plaide pour le nucléaire P A GE 4 ESCAMOTÉ Ephémère numéro un mon-
dial après l’acquisition, en 2017,
le lingot ! », lançaient les te-
nants d’une prochaine mon-
du britannique Randgold, avec tée du métal jaune, entonnant
Les impôts sont à l’ordre à la clé un chèque de 6 mil- ce refrain depuis près de deux
liards de dollars (5,2 milliards ans. Pour l’heure, le seuil n’a
du jour de la grande expli- d’euros). Pour faire miroiter sa pas encore été franchi.
cation qu’Emmanuel Ma- suprématie, Newmont sort le L’or perd d’autant plus de son
cron souhaite avoir avec trébuchet. Ou plutôt la balance éclat que le palladium lui fait
les Français. Mais pas tous de Roberval. Voire le pont-bas- de l’ombre. Dans le monde des
les impôts… Au risque cule. Et affirme que, en faisant métaux précieux, le métal
bourse commune avec Gold- gris l’a détrôné. Et le métal
de rater l’occasion corp, ils ont extrait 7,9 millions jaune fait grise mine. Empor-
d’une véritable réforme d’onces d’or en 2017. A compa- tée par la fièvre spéculative,
PAGE S 6 - 7 rer aux 6,6 millions d’onces l’once de palladium dépasse
du leader déchu. les 1 400 dollars. La perspective
d’un marché déficitaire,
« Go sur le lingot ! » alors que les constructeurs
AUDIOVISUEL L’or est donc en fusion. Et cer-
tains de s’interroger sur les
automobiles ont besoin de ce
métal pour filtrer les émis-

ROCH-OLIVIER motivations de ces grandes

manœuvres. La pression des
sions des moteurs à essence,
fait flamber les cours.

MAISTRE DEVRAIT
investisseurs monte sur ces Reste que l’or attise toujours
groupes miniers. La valeur les convoitises. Pour financer
boursière de Goldcorp avait sa mégafusion, Newmont a
PRÉSIDER LE CSA d’ailleurs fondu à l’automne
2018, après un avertissement
annoncé qu’il allait céder des
mines. Il espère récolter
sur ses résultats. De quoi en 1,5 milliard de dollars. Gary
Ancien conseiller culturel faire une proie de choix. L’en- Goldberg, le patron de New-
du président Chirac, ce haut jeu, selon ces géants, est de ré- mont, affirme que son télé-
fonctionnaire proche duire les coûts en travaillant à phone sonne déjà… Quant au
d’Alain Juppé a été choisi toujours plus grande échelle. PDG de Goldcorp, David Garo-
par l’Elysée pour succéder La pression est d’autant plus falo, il s’apprête à partir avec
forte que l’or roupille, bercé par 6,9 millions de dollars en po-
à Olivier Schrameck la mollesse du marché indien, che. Parachute doré oblige… p
Le parc éolien de Fruges (Pas-de-Calais), le 17 octobre 2013. PHOTOPQR/« LA VOIX DU NORD » PAGE 8 plombé par sa roupie. Même si laurence girard

RECHERCHES | CHRONIQUE PAR PIERRE-CYRILLE HAUTCŒUR

Les libéraux n’ont pas toujours négligé les perdants La science
du bien-être NOUVELLE

Q uelle que soit la variété

des revendications et
des situations des « gi-
lets jaunes », il est diffi-
cile de ne pas interpréter leur
des inscrits. Or l’expérience de la
mondialisation de la fin du
XIXe siècle montre que l’interven-
tion de l’Etat ne fut pas un frein,
mais bien une condition d’accep-
plus grand bastion syndical du
monde, se multiplient les campa-
gnes nationalistes de rejet des
étrangers et de leurs produits
(« Buy British »).
Mais, avec le temps – et notam-
ment l’inflexion imposée par
Margaret Thatcher et jamais vrai-
ment remise en cause –, la conver-
gence sociale a été abandonnée
FORMULE

mouvement comme relevant des tation des transformations radi- au profit du seul grand marché, L A S C I E N C E D U B I E N - Ê T R E # 10 - HIVER 2019

inquiétudes et des difficultés pro- cales qui frappèrent alors l’écono- Une complémentarité oubliée au sein duquel la concurrence, no-
voquées par les rapides transfor- mie et la société. Dans un livre hélas non traduit en tamment fiscale, l’a souvent em-
mations de la société et de l’écono- L’Europe connaît à cette époque français (Odd Couple : Internatio- porté sur l’harmonisation et la CAHIER NEUROSCIENCES

mie qui ont conduit au pouvoir,
dans d’autres pays, des gouverne-
ments souvent qualifiés de popu-
listes. Deux chocs majeurs sont à
l’origine de ces transformations :
un accroissement rapide des im-
portations en provenance des
pays « neufs » (les Amériques, en
premier lieu), qui provoque une
crise grave de l’agriculture. Nom-
nal Trade and Labor Standards in
History, Yale University Press,
2012), Michael Huberman a mon-
tré que ce sont souvent des gou-
vernements libéraux qui intro-
coordination. Cette divergence
L’A L C H I M I E D U PA R D O N
AV EC NOTRE PROGR A MME
GRE ATER GOOD SCIENCE
Ne laissez pas
explique aisément l’impopularité
le stress
D E L’ U N I V E R S I T É
BERKELE Y EN CALIFORNIE
de l’Union aujourd’hui.
On ne pourra sortir de la crise
actuelle qu’à deux conditions. La
CAHIER NUTRITION

un choc technologique et la mon-
dialisation. De fait, le mouvement
bre d’industries, notamment ru-
rales, sont ruinées par la mécani-
Q U O I D E NE U F
SUR LE MICROBIOTE ?
vous rendre
duisent alors des réglementa- première est que les dirigeants D IÉ T É T I Q U E
C HIN O I S E A U R Y T HM E
malade
tions du marché du travail et des politiques et économiques accep- DES SAISONS

social actuel est largement con-
centré dans des territoires où ces
deux chocs ont conduit à la res-
tructuration, voire à la disparition,
d’industries entières, débouchant
sur une crise de sens pour leurs
travailleurs et leurs habitants.
Le président et le gouverne-
ment abordent le grand débat en
espérant maintenir mondialisa-
tion et changement technologi-
que (voire les accélérer), tout en
réduisant les impôts, et donc les
dépenses publiques, dans la con-
tinuité du programme libéral qui
a été soutenu au premier tour de
l’élection présidentielle par 18 %
sation et le développement de
l’usine. Le chômage apparaît et
l’exode rural s’accélère, d’autant
plus difficile à supporter pour
ceux qui y sont forcés qu’ils se
trouvent souvent en concurrence
sur le marché du travail avec des
immigrés, qui acceptent des salai-
res plus faibles et que les partis
nationalistes leur présentent
comme des ennemis naturels.
Partout en Europe, les syndicats
se développent pour contester les
effets sociaux de ces transforma-
tions et revendiquer la protection
de l’Etat. Même dans la très libé-
rale Angleterre, qui est aussi le
mesures sociales pour protéger
les salariés et rendre supportables
les effets de la mondialisation. Ils
renforcent la régulation publique
du marché du travail et les assu-
rances sociales, mais introduisent
aussi ces sujets dans les discus-
sions diplomatiques, échangeant
accès au marché (ou circulation
des travailleurs) contre rappro-
chement des régulations sociales.
Lors de la création de la Commu-
nauté économique européenne,
la complémentarité entre ouver-
ture des marchés et contreparties
sociales a été parfaitement com-
prise et inscrite dans les textes.
tent que de nouvelles formes de CULTIVEZ LE POSITIF
JUSQUE DANS VOS GÈNES
revendication complètent ou se
substituent à des syndicats affai- LES BONS RITUELS
DOUCEUR
blis de l’intérieur et de l’extérieur,
et reconnaissent que le choix de RELAXATION ET
COHÉRENCE CARDIAQUE
la vitesse du changement et des
contreparties à y apporter relève
de manière ultime de la décision
démocratique. La seconde est
d’étendre ce débat au niveau Marion Cotillard
européen, seul capable de cons- « Prendre soin de soi et de la planète, c’est vital »
truire la protection sociale de de-
main à l’échelle nécessaire. p
Pierre-Cyrille Hautcœur est
directeur d’études à l’Ecole des EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
hautes études en sciences sociales

Cahier du « Monde » No 23025 daté Dimanche 20 - Lundi 21 janvier 2019 - Ne peut être vendu séparément
2 | plein cadre 0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

johannesburg (afrique du sud) - correspondance

S
a signature est sur tous les docu-
ments compromettants, et son
nom est, depuis le début, syno-
nyme du fiasco de la dette cachée
mozambicaine : Manuel Chang,
ministre des finances du Mozam-
bique de 2005 à 2015, a été arrêté le 29 dé-
cembre, en Afrique du Sud, visé par un man-
dat d’arrêt américain. Vendredi 18 janvier, il
est brièvement apparu devant un tribunal de
Johannesburg, qui doit prochainement sta-
tuer sur son extradition aux Etats-Unis, où
l’ex-ministre est poursuivi pour fraude et
blanchiment d’argent.
Cette arrestation surprise – l’ex-ministre
était à l’aéroport de Johannesburg, en transit
vers Dubaï – est une première réponse d’en-
vergure au scandale dit « des dettes ca-
chées ». Maputo a dissimulé plus de 2 mil-
liards de dollars (environ 1,7 milliard d’euros)
d’endettement, contracté en 2013 et 2014
pour financer un coûteux programme de Manuel Chang,
protection côtière. Affaire aux multiples ra- l’ex-ministre
mifications internationales, jusqu’en France, des finances
où une partie des équipements ont été cons- du Mozambique,
truits, le scandale a plongé le Mozambique au tribunal
dans une crise financière sans précédent de Johannesburg,
lorsque les bailleurs de fonds ont décidé de en Afrique du Sud,
geler leur aide lors de la découverte du pot le 8 janvier. STAFF/REUTERS
aux roses, en avril 2016.
Alors que l’enquête au Mozambique, lancée
il y a trois ans, piétine, c’est finalement la jus-
tice américaine qui, la première, lance les
hostilités. Quatre jours après l’arrestation de

Mozambique : la justice
l’ex-ministre, trois anciens banquiers du Cre-
dit Suisse, Andrew Pearse, Surjan Singh et
Detelina Subeva, qui auraient arrangé les
trois emprunts problématiques, ont été in-
terpellés à Londres. Au même moment, Jean

américaine sur le pont

Boustani, négociant en chef du groupe de
construction navale Privinvest, était arrêté
aux Etats-Unis. Les cinq coprévenus sont te-
nus de comparaître le 22 janvier, à New York,
pour une première audition.
D’après l’acte d’accusation diffusé par le
ministère de la justice américain, ils sont
poursuivis pour avoir « conspiré pour escro-
quer les investisseurs par de nombreuses falsi-
fications et des omissions portant notam-
ment sur l’utilisation de l’argent emprunté,
sur le versement de pots-de-vin et de rétro-
commissions à des responsables mozambi-
cains et aux banquiers, et sur la capacité du
Mozambique et son intention à rembourser
ses investisseurs ». Sur le document, trois
noms ont été noircis – deux Mozambicains
et un salarié de Privinvest –, ce qui laisse pré-
sager de nouvelles arrestations.
« FOLLOW THE MONEY »
En 2017, sous la pression du Fonds monétaire
international (FMI) et des bailleurs de fonds, le
gouvernement de Maputo avait commandé
un audit indépendant au cabinet américain
Kroll. Le rapport final concluait qu’un quart
des sommes levées, soit 500 millions de dol-
lars, étaient introuvables et que les équipe-
ments fournis (bateaux de pêche et de sur-
veillance, chantiers navals, radars) avaient
été surfacturés pour un montant d’environ
700 millions de dollars. Estimant que la coo-
pération du Mozambique n’a pas été totale, le
FMI attend toujours des éclaircissements de la
part des autorités pour reprendre un pro-
gramme d’aide. Le pays, l’un des dix plus pau-
vres au monde, et en défaut sur ses dettes de-
puis 2017, en a cruellement besoin.
L’acte d’accusation de quarante-sept pages
apporte un certain nombre de réponses aux
zones d’ombre évoquées par le rapport Kroll.
A commencer par la première des interroga-
tions : où est passé ce 1,2 million de dollars
faisant l’objet de toutes les spéculations ? Les
enquêteurs américains ont eu accès aux e-
mails des principaux protagonistes, repro-
duits en partie dans l’acte d’accusation, mais
aussi aux informations bancaires concer-
nant les transferts d’argent. Parce qu’ils sont
libellés en dollars et ont transité par les Etats-
Unis, la justice américaine a pu s’en saisir.
Appliquant tout bonnement le précepte
follow the money, ils révèlent ainsi que le par-
cours suivi par les sommes en question est
plutôt simple : la totalité de l’argent des em-
prunts levé auprès d’investisseurs essentiel-
lement européens et américains est arrivée,
sans même transiter par le Mozambique, di-
rectement aux Emirats arabes unis chez le
fournisseur des équipements. L’employé de
ce dernier aurait ensuite orchestré la distri-
Les Etats-Unis ont demandé l’extradition
de l’ancien ministre des finances Manuel Chang,
poursuivi pour fraude et blanchiment d’argent
dans le cadre de l’affaire dite des « dettes cachées »
bution de pots-de-vin et de rétrocommis-
sions entre les différents protagonistes, en
général sur des comptes ouverts à Abou
Dhabi. « Les coconspirateurs n’ont alloué
qu’une portion des emprunts aux projets ma-
ritimes. Privinvest a facturé des prix gonflés
pour les équipements et services fournis, qui
ont ensuite été utilisés pour verser des rétro-
commissions », affirme l’acte d’accusation.
Surtout, le document permet pour la pre-
mière fois de retracer la genèse et la chronolo-
gie de ce qui y est qualifié de « montage frau-
duleux ». Au centre se dessine le rôle joué par
le coaccusé, Jean Boustani, de Privinvest. Basé
aux Emirats et au Liban, ce groupe, fondé par
le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, MAPUTO
détient – outre le magazine Valeurs actuelles –
plusieurs chantiers navals en Allemagne, au
A DISSIMULÉ PLUS
Moyen-Orient et en France, dont les Cons- DE 2 MILLIARDS
tructions mécaniques de Normandie.
En septembre 2013, c’est justement l’an- DE DOLLARS
nonce, à Cherbourg, d’une commande re-
cord de trente embarcations par le Mozam-
D’ENDETTEMENT,
bique qui a été le point de départ de l’affaire : CONTRACTÉ
personne, à Maputo, n’avait jamais entendu
parler d’Ematum, la compagnie parapubli- EN 2013 ET 2014
que de pêche au thon tout juste créée, qui
avait levé 850 millions de dollars en secret POUR FINANCER
sur le marché des euro-obligations en viola- UN COÛTEUX
tion des lois mozambicaines. En 2016, les ré-
vélations portant sur l’existence de deux PROGRAMME
autres sociétés – Proindicus et Mozambique
Asset Management – et de deux autres em- DE PROTECTION
prunts, de 622 millions et de 525 millions de
dollars, ont démultiplié l’ampleur du scan-
CÔTIÈRE
dale et provoqué l’ire des bailleurs de fonds.
L’acte d’accusation affirme ainsi que les
trois sociétés, aujourd’hui en faillite,
auraient été pensées par les coaccusés
comme des « façades pour lever de l’argent et
s’enrichir en détournant intentionnellement
une partie des emprunts pour verser au
moins 200 millions de dollars en commis-
sions occultes », peut-on y lire.
En réalité, donc, c’est en 2011 que tout se se-
rait décidé, à l’initiative de Privinvest. A cette
date, Jean Boustani, présenté par l’acte d’ac-
cusation comme le négociant en chef du
groupe de construction navale, aurait « cher-
ché à persuader les représentants mozambi-
cains de mettre en place un système de protec-
tion côtière par un contrat avec Privinvest »,
estime le document. Presque immédiate-
ment, M. Boustani et un responsable mo-
zambicain, dont le nom est pour l’instant
tenu secret, auraient « négocié la première
tournée de pots-de-vin et de rétrocommis-
sions que Privinvest aurait à verser aux repré-
sentants mozambicains pour que le projet soit
approuvé », lit-on dans le document.
L’acte retranscrit ensuite un e-mail de no-
vembre 2011, envoyé par un responsable
mozambicain à Jean Boustani : « Pour s’assu-
rer que le projet reçoive le feu vert du chef de
l’Etat [à l’époque, Armando Guebuza], on
doit d’abord se mettre d’accord sur un paie-
ment. » Et, plus tard, lorsque le négociant re-
quiert un chiffre, le même responsable ré-
pond, de manière très imagée : « O.K. mon
frère. J’ai consulté, merci de mettre 50 mil-
lions de poulets. Peu importe le nombre de
volailles que tu mets, j’ajouterai 50 millions
de mon propre élevage. »
CREDIT SUISSE PRÊT À COOPÉRER
L’année suivante, Jean Boustani aurait « re-
cruté » le Credit Suisse pour le financement
dudit projet. La suite des échanges montre
ses interactions avec les coaccusés, Andrew
Pearse, Surjan Singh et Detelina Subeva, qui
occupaient des postes de direction au sein de
la banque. Egalement en attente d’extradi-
tion vers les Etats-Unis, ils auraient à eux
trois empoché près de 50 millions de dollars
de rétrocommissions. Plus édifiant encore, à
partir de 2013, Andrew Pearse et Detelina Su-
beva auraient quitté le Credit Suisse pour se
mettre « au service de Privinvest », selon l’acte
d’accusation, et continuer à négocier les em-
prunts, cette fois pour le compte du fournis-
seur des équipements.
Pour sa part, le Credit Suisse a annoncé être
prêt à coopérer avec la justice américaine,
mais note qu’« aucune action n’a été entre-
prise directement à l’encontre du Credit Suisse.
L’acte d’accusation allègue que ces anciens
employés ont œuvré pour contourner les pro-
cédures de contrôle interne de la banque, mo-
tivés par leur profit personnel ».
Du côté de Privinvest, le groupe « se préoc-
cupe de la situation de l’un de ses collabora-
teurs, M. Jean Boustani, et suit avec attention
les informations le concernant », déclare au
Monde Me Jacqueline Laffont, l’avocate fran-
çaise de Privinvest. « Le groupe relève simple-
ment que ni Privinvest ni M. Iskandar Safa ne
sont poursuivis dans cette procédure », sur la-
quelle « le groupe n’a pas à faire d’autres com-
mentaires en l’état », ajoute-t-elle. Enfin, Jean
Boustani, par la voix de ses avocats, nie en
bloc les accusations portées contre lui.
En revanche, ces révélations secouent le
Mozambique, alors que l’étau se resserre
autour d’Armando Guebuza, au pouvoir de
2005 à 2015, même s’il n’apparaît que margi-
nalement dans l’acte d’accusation. Sur-
nommé « Guebusiness » pour sa propension
à faire fructifier ses affaires alors qu’il était
au pouvoir, il reste, pour l’opinion mozambi-
caine, perçu comme le premier bénéficiaire
des dettes cachées. Sur les réseaux sociaux,
le pays suit avec attention les déboires judi-
ciaires de son ex-ministre en Afrique du Sud,
qui aurait personnellement empoché
12 millions de dollars. « Il y a trois moments
dans notre histoire où le Mozambique a vrai-
ment vibré de joie avec l’espoir de jours
meilleurs : l’indépendance nationale, la fin de
la guerre civile et la détention de Manuel
Chang », a résumé, sur Facebook, la députée
d’opposition Ivone Soares. p
adrien barbier
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019 économie & entreprise | 3

La grande distribution réinvestit les centres-villes

Un magasin Ikea en plein Paris, des « drive piéton » qui fleurissent… Les enseignes multiplient les formats

C
lientèle à plus fort pou- « En centre-ville, les consomma-
voir d’achat, les consom- teurs sont plus sur les produits
mateurs des grands cen- haut de gamme, et il y a davan-
tres urbains font l’objet tage de seniors et de jeunes. Ce ne
de toutes les convoitises. Paris, sont pas les mêmes besoins »,
Lyon ou encore Lille commencent poursuit M. Nobile. Les enseignes
à voir fleurir en leur centre des se sont aussi adaptées à la rareté
enseignes autrefois implantées du foncier dans les grands cen-
en périphérie – ce qui impliquait tres-villes avec des formats de
pour leurs habitants de parcourir magasin plus petits (city, ex-
plusieurs kilomètres en voiture, press…), en compensant la perte
voire d’y passer la journée. de surface commerciale par l’uti-
Après le distributeur de meu- lisation des nouvelles technolo-
bles BUT avec ses magasins BUT gies (bornes tactiles en magasin Dans
City, puis la chaîne de sport De- et/ou tablettes numériques entre le « drive
cathlon avec Decathlon City, Le- les mains des vendeurs) pour pré- piéton »
roy-Merlin s’est installé dans plu- senter sur écran leur assortiment Leclerc
sieurs arrondissements de Paris, complet. du centre-
et a rejoint la place de la Made- ville de Lille.
leine en juin 2018. Cette place ac- Un saut dans l’inconnu FRANCK CRUSIAUX/REA
cueillera avant l’été le premier Pour Ikea, habitué à gérer des ma-
Ikea de la capitale. gasins de plus de 20 000 à
Selon Philippe Nobile, directeur 25 000 mètres carrés, occuper un
chargé de la distribution et du nu- magasin cinq fois plus petit re-
mérique au Boston Consulting présente un véritable saut dans
Group, ces enseignes se sont l’inconnu. Le géant de l’ameuble-
rendu compte qu’« il existait toute ment a même fait appel aux dé-
une frange de la population qu’el- tenteurs parisiens de sa carte de
les ne touchaient pas avec des ma- fidélité, entre mars et mai 2018,
gasins de périphérie ». Selon une pour proposer leurs idées, sur
étude OpinionWay pour Asterop une plate-forme collaborative
de mai 2018, les Français décla- Fanvoice.
rent parcourir en moyenne envi- Le questionnaire, intitulé « Ikea
ron 2 km à Paris et dans sa région s’installe en centre-ville : quelles
contre 12,2 km en zone rurale sont vos idées pour construire ce
pour se rendre dans n’importe magasin inédit ? », a recueilli près
quel type de commerce. D’ailleurs de 2 000 commentaires et idées, Les grandes surfaces alimen- mandées et payées sur Internet. « drive piéton ». Le consomma-
les demandes d’autorisation de aussi concrets que lors d’une réu- taires qui ont fortement déve- Un concept qui s’inspire du teur a accès à un choix de pro-
« Il existe toute
création de surfaces commercia- nion de « brainstorming » : « Insis- loppé ces dernières années leur « drive », que ces mêmes distribu- duits plus large que dans un petit une frange de
les diminuent. En 2018, 4,22 mil- ter sur tout ce qui permet le gain de présence dans les centres urbains teurs ont développé en région. magasin, en évitant le coût d’une
lions de mètres carrés ont été place dans les petits appartements avec des magasins de proximité Testé depuis 2014 par Auchan livraison à domicile et l’obligation
la population que
autorisés, contre 5,48 millions parisiens. Notamment toute la sont, de leur côté, déjà passées à dans le 15e arrondissement pari- d’être présent sur un créneau ho- ces enseignes
en 2017, un minimum historique partie accessoires, cuisine… », l’étape suivante. Elles commen- sien, inauguré par Leclerc en raire fixé à l’avance. Et pour les en-
selon la fédération du commerce « proposer un espace retrait en cent à développer des points de avril 2017 en plein centre de Lille, seignes, c’est un moyen moins
ne touchent pas
spécialisé Procos. magasin pour les petits articles retrait plutôt que des magasins et développé de manière quasi in- onéreux pour s’implanter en cen- avec des
Pour réaliser ce changement de achetés sur Internet », offrir « une pour que cette clientèle pressée dustrielle par Carrefour dans le tre-ville, tant du point de vue de
cap, les enseignes ont été con- réduction ou carte-cadeau en rap- aux horaires étendus puisse venir cadre de son plan de transforma- l’emprise foncière que des frais de
magasins
traintes de repenser leur offre. portant son ancien meuble ». à pied récupérer ses courses com- tion, le concept a été baptisé personnels. de périphérie »
Intermarché a installé son
PHILIPPE NOBILE
premier « drive piéton » dans Pa-
Boston Consulting Group
Ikea à Paris, un défi pour le géant de l’ameublement ris en octobre 2018 et prévoit un
déploiement en 2019 dans
d’autres centres-villes. Tandis que
l’arrivée d’Ikea dans Paris se précise. Le thique imposé aux clients, mais une pré- gasins de plus de 20 000 m² situés en péri- E.Leclerc a inauguré le sien, consommateurs ont augmenté la
géant suédois de l’ameublement envisage sentation des produits « sous forme de so- phérie, Ikea avait annoncé que la transfor- baptisé E.Leclerc Relais, en ce fréquence de leurs achats alimen-
pour le moment d’ouvrir son magasin en lutions d’aménagement pour des petits es- mation des métiers en interne pourrait mois de janvier. Son objectif est taires au profit de paniers
juin, sur 5 371 m² d’espace de vente autour paces », précise M. Kadnar. aboutir à la suppression de 7 500 postes d’en avoir environ 80 dans la capi- moyens moins importants.
de la place de la Madeleine dans le 8e arron- dans le monde d’ici 2020. M. Kadnar assure tale d’ici quatre ans. Carrefour, D’autres enseignes de distribu-
dissement de Paris, selon nos informa- Virage stratégique qu’il n’existe « aucun projet de licenciement qui s’est lancé dans l’aventure de- tion alimentaire ont adapté leur
tions. « Il ouvrira avant l’été », se borne à dé- Objectif affiché : que ce magasin permette en France ». puis avril 2018, comptabilisera fin mode de fonctionnement aux ha-
clarer Walter Kadnar, PDG d’Ikea France. à la fois de faire ses emplettes, de comman- Dans son magasin parisien, M. Kadnar janvier 42 « drives piéton », dont bitudes des consommateurs ur-
Fin 2014, l’entreprise avait annoncé son der des produits plus volumineux et serve s’attend à « 3 millions de visiteurs par an, 31 à Paris et 11 dans la région bains, avec certains magasins
intention de s’implanter dans la capitale de point de retrait. « Les commandes des comme nos grands magasins franciliens ». lyonnaise. ouverts 24 heures sur 24, comme
« pour faciliter l’accès à son offre aux person- clients à Madeleine seront traitées par trois En un an (de septembre 2017 à août 2018), « Le marché alimentaire urbain, chez Franprix, ou des achats ré-
nes vivant dans le centre-ville », une clientèle de nos sept magasins en Ile-de-France et un 58,2 millions de personnes ont fréquenté c’est 14 milliards d’euros de chiffre glés directement avec son télé-
dont près de 70 % n’ont pas de véhicule et entrepôt que nous ouvrirons à Gennevilliers les 33 magasins français du groupe. « A Pa- d’affaires potentiel, dont 7 à Pa- phone sans passer en caisse pour
30 % n’ont pas le permis de conduire. [Hauts-de-Seine] en février. Nous allons ris, le panier moyen devrait être plus petit ris », évaluait Thierry Cotillard, des petits achats, comme chez
Au rez-de-chaussée, l’enseigne installera aussi développer les points de retrait, qui sur le lieu d’achat mais les visites plus fré- président d’Intermarché en octo- Monoprix. L’engagement des en-
un restaurant. Il n’y aura pas de mobilier à passeront de 25 à 100 à fin août », explique quentes », poursuit-il. Reste à savoir quelles bre 2018. Une étude de l’Observa- seignes en direction des grands
emporter car le magasin n’aura pas de M. Kadnar. seront les répercussions sur les magasins toire société et consommation centres-villes plus rentables com-
grande réserve de stockage, seuls les petits Cette nouvelle implantation illustre le vi- de proche banlieue, qui réalisent pour (L’ObSoCo) sur le rapport des porte un risque : accentuer la fer-
objets (textiles, bougies, serviettes, acces- rage pris par le groupe en novembre 2018 certains le quart de leur activité avec la Français aux formats commer- meture de certains magasins
soires…) pourront être achetés sur place. Il vers le commerce en ligne et les centres- clientèle parisienne. p ciaux alimentaires, publiée jeudi dans les zones périphériques. p
n’y aura pas non plus de parcours labyrin- villes. Jusqu’alors habituée à gérer des ma- c. pme 17 janvier, montre que 32 % des cécile prudhomme

La fièvre porcine à la frontière franco-belge inquiète les éleveurs

A la suite de la confirmation de deux nouveaux cas de peste africaine en Belgique, le gouvernement français renforce ses mesures de protection

S us aux sangliers ! Le gou-

vernement français se met
en ordre de bataille pour
éradiquer les suidés sauvages
dans une zone délimitée de 80 ki-
lomètres carrés, située essentiel-
lement dans le département de la
Meuse et surtout proche de la
frontière belge. C’est en effet à
1 kilomètre de là, en Belgique, que
deux sangliers atteints de fièvre
porcine africaine ont été signalés,
le 8 janvier.
« Une étape supplémentaire a
été franchie le 8 janvier avec la
détection de deux cas positifs à
proximité immédiate de la fron-
tière française, et ce n’est guère
rassurant », a estimé, vendredi
18 janvier, Loïc Gouello, inspec-
teur général de la santé publique
vétérinaire et nommé directeur
de la cellule de crise nationale, le
14 janvier. Ce jour-là, éleveurs,
chasseurs, responsables fores-
tiers et autorités sanitaires
avaient été conviés au ministère
de l’agriculture pour se mobiliser
contre un péril qui n’a jamais été
aussi proche.
Une nouvelle clôture
La première alerte lancée par la
Belgique date du 13 septem-
bre 2018. Le « plat pays » se décou-
vrait touché à son tour par la
peste porcine africaine. Cette fiè-
vre hémorragique animale ne
présente pas de danger pour
l’homme mais est mortelle pour
le porc ou le sanglier contaminé.
Surtout, on ne dispose pas
aujourd’hui de vaccin pour la
combattre.
Elle a fait son apparition en
Europe de l’Est en 2014. Les pre-
miers foyers ont été découverts
en Pologne et dans les pays Bal-
tes. Puis, le virus s’est propagé à la
Roumanie, la République tchè-
que, la Hongrie, la Bulgarie avant
d’atteindre la Belgique. Il a frappé
également la Chine.
Avec la découverte de cas en Bel-
gique, la France a commencé à
s’inquiéter. D’autant que, depuis
septembre 2018, les autorités bel-
ges ont comptabilisé 345 sangliers
affectés par la maladie non loin de
la frontière franco-belge. Le
gouvernement belge a entrepris
d’installer des clôtures pour endi-
guer le phénomène. Les travaux
devraient se terminer dans une
semaine. Mais les deux cas déce-
lés en janvier l’ont été hors de ce
périmètre soi-disant sécurisé.
D’où la décision du ministère de
l’agriculture français de construire
une nouvelle clôture en France à
6 kilomètres environ de la fron-
tière belge. Avec une première
étape : l’encerclement de la zone
blanche. Ce devrait être chose faite
d’ici huit à dix jours, selon
M. Gouello. Puis la clôture, d’une
hauteur de 1,5 mètre et enfoncée
de 50 centimètres dans le sol, de-
vrait se prolonger sur 16,7 km au
nord et 57,6 km au sud-est.
Eradiquer les sangliers
L’investissement se chiffrerait à
« plusieurs millions d’euros », af-
firme M. Gouello, tout en recon-
naissant que cette barrière n’est
pas étanche puisqu’elle s’arrête à
l’entrée des villages.
En parallèle, les chasseurs et les
brigades anti-loup sont sollicités
pour éradiquer les sangliers dans
la zone blanche. Les chasseurs
devraient toucher 100 euros par
bête abattue et amenée à
l’équarrissage. Sachant que les
animaux ainsi tués ne seront pas
testés pour savoir s’ils sont por-
teurs du virus.
« Avec ce pare-feu », explique
Loïc Evain, directeur général
adjoint de la Direction générale
de l’alimentation (DGAL), la
France cherche à préserver le sta-
tut qui permet aux éleveurs por-
cins d’exporter hors du périmè-
tre européen. La France, avec ses
7 700 sites d’élevage et ses 23 mil-
lions de porcs produits par an, se
classe au troisième rang euro-
péen. Elle exporte 35 % de ses vo-
lumes, soit 700 000 tonnes, dont
246 000 tonnes hors de l’Europe.
« En Belgique, alors qu’aucun
élevage de porcs n’a été touché par
la fièvre porcine africaine, cer-
tains marchés exports se sont fer-
més », souligne M. Evain. Le sujet
est donc sensible.
De nombreuses questions
restent en suspens. Comment le
virus a-t-il été introduit en Belgi-
que ? La piste d’importations frau-
duleuses de sangliers originaires
de pays de l’Est pour la chasse a
été évoquée. Mais aussi la conta-
mination par un déchet qui aurait
été transporté depuis les pays de
l’Est. « Nous n’aurons peut-être
jamais la réponse », estime
M. Evain. Et la propagation ?
« Chez les sangliers, elle se fait de
groin à groin, au gré des glan-
dées », explique M. Gouello. Les
élevages porcins, eux, sont proté-
gés par des mesures de biosécu-
rité renforcées pour éviter toute
contamination externe. p
laurence girard
4 | économie & entreprise
La campagne anti-éolien
de Xavier Bertrand
Grand pourfendeur de cette énergie renouvelable, le président
de la région Hauts-de-France souhaite plutôt un nouvel EPR
lille - correspondance
C’
était il y a vingt
ans. Sous l’impul-
sion de sa prési-
dente verte, Marie-
Christine Blandin, la région Nord-
Pas-de-Calais s’engageait pour
créer une filière économique
régionale autour de l’éolien.
En 1996, la première ferme éo-
lienne française voyait le jour à
Dunkerque. Avec sa façade litto-
rale et ses plateaux intérieurs ex-
posés au vent, le Nord-Pas-de-Ca-
lais, pionnier dans le domaine,
avait alors choisi d’exploiter son
important potentiel et, pour cela,
la région injectait plusieurs mil-
lions de francs dans la promotion
de cette énergie renouvelable.
Depuis, le vent a tourné. Dès
2015, lors de la campagne des ré-
gionales, Xavier Bertrand a an-
noncé son intention de mettre un
coup d’arrêt à cette énergie re-
nouvelable. Son discours est de-
puis inchangé. « Je suis contre la
saturation de l’éolien ! Cela crée
des nuisances pour les riverains, ça
défigure nos paysages. Et où sont
tous les emplois créés par l’éolien ?
Dans notre région, nous remplis-
sons déjà les objectifs de dévelop-
pement de l’éolien fixés pour 2020,
nous avons dépassé la limite du
supportable. »
Avec 1 500 mâts sortis de terre,
800 autorisés mais pas encore
construits, et 767 en cours d’ins-
truction, les Hauts-de-France est la
région la mieux pourvue en éo-
liennes. « Un record dont je me pas-
« A l’heure
où les voyants
climatiques
sont au rouge,
c’est une folie
de s’opposer
aux énergies
renouvelables »
GIL METTAI
secrétaire EELV Picardie
L’Italie opte pour une version amendée du revenu universel
Les décrets d’application des mesures-phares de la coalition populiste – le revenu de citoyenneté, la réforme des retraites – sont adoptés
rome - correspondant
L a scène, qui n’a duré que
quelques instants, est
comme un parfait résumé
du fonctionnement du gouverne-
ment italien. Jeudi 17 janvier au
soir, dans la salle de presse du Pa-
lais Chigi, alors que venait d’être
annoncée l’adoption des décrets
fixant les modalités des deux me-
sures phare du programme politi-
que de la coalition, le revenu de ci-
toyenneté et la « quota 100 » (ré-
forme des retraites), le président
du Conseil Giuseppe Conte est ap-
paru, flanqué de ses deux vice-
premiers ministres, Matteo Sal-
vini (Ligue, extrême droite) et
Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoi-
les, anti-système).
Pour les photographes, les trois
hommes ont brandi chacun une
affichette, sur fond bleu. Sur celles
de Luigi Di Maio et Giuseppe
Conte, on pouvait lire le nom des
deux mesures. Sur celle de Matteo
Salvini, aucune trace du revenu de
citoyenneté : il n’est écrit que
« quota 100 ». Notoirement op-
posé à un dispositif voulu depuis
serais bien », regrette le président
du conseil régional. Selon lui, le
fait que 70 % des projets d’implan-
tation soient contestés devant les
tribunaux illustre bien la révolte
qui gronde. « Je ne propose pas de
scier les mâts des éoliennes, mais
j’ai ce rôle de lanceur d’alerte, car je
crains des affrontements lors d’ins-
tallations futures. » A ce sujet, il dé-
nonce un « scandale d’Etat » à ve-
nir : « Je viens de découvrir qu’à titre
expérimental, dans les Hauts-de-
France et en Bretagne, les enquêtes
publiques en matière environne-
mentale vont être remplacées par
une participation du public par
voie électronique. Si ça, ce n’est pas
une provocation ! »
« Un cul-de-sac »
Les promoteurs de l’éolien ont,
eux, fort peu apprécié la méthode
du président de région. En
juin 2018, il a créé un Observatoire
de l’éolien, qui cartographie les
installations et organise des réu-
nions d’information dans les
communes concernées. « Cet ob-
servatoire, c’est un réquisitoire, pas
de l’information », dénonce Pau-
line Le Bertre, déléguée générale
de France Energie éolienne. Cette
association, qui représente les in-
térêts des professionnels de la fi-
lière, regrette de ne pouvoir enta-
mer de dialogue « apaisé » avec
l’ancien ministre Bertrand. « On
ne peut pas le laisser dénigrer une
filière professionnelle qui compte
1 759 emplois sur son territoire, c’est
irresponsable », ajoute-t-elle.
Lundi 14 janvier, dans la petite
ville de Vermelles, dans le Pas-de-
Calais, le conseiller régional Si-
mon Jombart est venu présenter
l’observatoire et rappeler aux ha-
bitants que M. Bertrand était à
leurs côtés dans leur combat con-
tre trois éoliennes. Ce soir-là, le
maire boit du petit-lait en écou-
tant le conseiller régional annon-
cer que « l’éolien n’est pas réelle-
ment source d’emplois sur le terri-
toire », que « l’on ne sait pas recycler
les pales », qu’il « y a déjà eu des ac-
cidents » et que « les élus veulent
lutter contre ces implantations » au
profit du solaire et de la méthani-
sation (la production de gaz à par-
l’origine par les « 5 étoiles »,
l’homme fort de la Ligue affiche
ostensiblement son opposition à
cette mesure, qu’il vient pourtant
d’adopter. Et cela ne l’empêche pas
de sourire de bon cœur, comme
les autres, devant les objectifs.
1 million de postes libérés
Après des mois de fausses pistes et
de ballons d’essai, de crises de
nerfs et de menaces de rupture, le
gouvernement italien est donc
parvenu à s’entendre. Dans les
prochaines semaines devrait ainsi
entrer en vigueur le « revenu de ci-
toyenneté », engagement de tou-
jours des « 5 étoiles ». « C’est un
rêve qui se réalise », a aussitôt
triomphé le chef politique du
mouvement, Luigi Di Maio, sans
trop s’attarder sur les multiples
amendements apportés à un pro-
jet qui n’a plus grand-chose à voir
avec l’idée originale. Initialement
voulu par le fondateur du mouve-
ment, Beppe Grillo, comme la pre-
mière étape vers le revenu univer-
sel, le revenu de citoyenneté se
présentera comme une indem-
nité temporaire (pas plus de 18
« Je ne propose
pas de scier
les mâts des
éoliennes, mais
j’ai ce rôle de
lanceur d’alerte »
XAVIER BERTRAND
tir de déchets agricoles). Depuis le
début du mandat, le conseil régio-
nal a ainsi engagé 14 millions
d’euros dans les projets de métha-
nisation et « s’engage à mettre en
place un mix énergétique ».
Dans la salle municipale de Ver-
melles, la méthanisation ne cris-
tallise pas les tensions comme les
éoliennes. Et qu’importe si les
trois mâts peuvent apporter cha-
cun près de 5 000 euros par an à la
commune de 4 700 habitants. Le
maire annonce fièrement qu’il
préfère « aller dans le sens de la
population » et refuser l’enve-
loppe « alléchante » que rapporte-
rait le projet de la société Inno-
vent. « Rassurez-vous, annonce-
t-il aux 80 personnes présentes
dans la salle, je ne vendrai pas
mon âme au diable. »
Un « diable » qui s’étrangle face à
de telles réunions. « C’est choquant
de voir la région, censée être neutre,
organiser cela, estime Camille Ve-
rhaeghe, chef de projet chez Inno-
vent. Et on aimerait être invité à ces
débats. C’est ça, la démocratie. »
Dans cette entreprise installée à
Villeneuve-d’Ascq (Nord), chaque
projet prend environ dix ans avant
de sortir de terre. Les restrictions
et réglementations sont nom-
breuses, mais si 70 % des dossiers
sont contestés, près de 95 % abou-
tissent. Les professionnels du sec-
teur sont habitués aux recours,
mais aucune autre région ne s’op-
pose aussi fortement que les
Hauts-de-France.
Chez Europe Ecologie-Les Verts
(EELV), on s’indigne également
contre « la propagande diffusée à
travers cet observatoire ». Le cose-
crétaire de EELV Nord-Pas-de-Ca-
lais Yannick Brohard précise être
mois, renouvelables une fois),
obligatoirement associée à la re-
cherche d’un emploi.
Pour la percevoir, il faudra avoir
résidé plus de dix ans en Italie
(dont les deux dernières années),
et déclarer moins de 9 360 euros
annuels de revenus – 780 euros
par mois, le seuil statistique de
pauvreté en Italie. Son montant
sera calculé par cellule familiale, et
pourra aller jusqu’à 780 euros par
mois (500 + 280 d’aide au loge-
ment) pour une personne seule,
1 330 euros pour une famille. Et il
sera assorti de nombreuses déco-
tes : selon ses concepteurs, 5 mil-
lions de personnes sont concer-
nées, pour un effort total de 7 mil-
liards d’euros par la communauté,
ce qui revient à dire que le mon-
tant moyen de l’aide se montera à
un peu plus de 100 euros par per-
sonne et par mois.
De plus, la personne recevant
cette aide devra accepter toute of-
fre sérieuse de travail qui lui sera
faite à moins de 100 kilomètres de
chez elle. Au fil du temps, le rayon
géographique s’étendra, jusqu’à
atteindre 250 kilomètres au bout
« favorable aux réunions d’infor-
mation, mais là, ils ne font que tirer
à boulets rouges contre l’éolien ! ».
Gil Mettai, secrétaire régional de
EELV Picardie, s’interroge : « A
l’heure où les voyants climatiques
sont au rouge, où les citoyens se
mobilisent pour défendre la pla-
nète, où les scientifiques du monde
entier alertent d’un réchauffement
qui atteindra bientôt un point de
non-retour, c’est une folie de s’oppo-
ser aux énergies renouvelables. »
Pire, écrit-il : « Xavier Bertrand mi-
lite pour la construction d’un réac-
teur nucléaire EPR dans la région.
Quand on sait l’énormité des coûts,
les défaillances de construction et
les risques technologiques, cette
voie vers laquelle il nous emmène
est un cul-de-sac. »
Le président de la région con-
firme qu’il demande sur le site de
la centrale de Gravelines la cons-
truction d’un nouvel EPR. Une dé-
cision qui est loin d’être prise par
les pouvoirs publics. « C’est impor-
tant en termes d’indépendance
énergétique pour une région de
tradition nucléaire comme la nô-
tre. » Avec Gravelines, les Hauts-
de-France sont dotés de la plus
grande centrale nucléaire d’Eu-
rope de l’Ouest. Elle alimente à
elle seule 70 % des besoins électri-
ques de la région. En mars 2018,
M. Bertrand et Jean-Bernard Levy,
le PDG d’EDF, ont signé un nou-
veau parrainage pour renforcer la
filière localement.
Même si la région rend un avis
défavorable à de nouvelles instal-
lations lors des enquêtes publi-
ques, la décision finale revient à
l’Etat et au préfet. « Je suis président
des Hauts-de-France, pas de la
France, je n’ai hélas pas le pouvoir
de refuser les éoliennes », reconnaît
M. Bertrand. Or la feuille de route
énergétique de la France, présen-
tée en novembre 2018 par Emma-
nuel Macron, prévoit de tripler
l’installation des éoliennes terres-
tres en France à l’horizon 2030. Et
un autre projet important doit
voir le jour dans la région dans les
années à venir : un très grand
champ d’éoliennes en mer est en
projet au large de Dunkerque. p
laurie moniez
d’un an et demi, voire l’ensemble
du territoire national dans les der-
niers mois. Enfin, pour répondre
aux accusations de favoriser l’as-
sistanat et le travail au noir, le gou-
vernement a assorti cette aide de
nombreuses interdictions : ainsi,
pour être éligible, il ne faudra pas
avoir acheté une voiture neuve
dans les six derniers mois, ni pos-
séder une grosse cylindrée ou un
bateau de trop grande taille. Par
ailleurs, les éventuels fraudeurs
seront punis avec la plus grande
Pour être éligible,
il ne faudra pas
avoir acheté
une voiture
neuve dans les
six derniers mois,
ni posséder
une grosse
cylindrée ou un
trop gros bateau
Commerce: l’Europe
veut gagner du temps
face aux Etats-Unis
Bruxelles publie son plan de négociation d’un
accord de libre-échange avec Washington
bruxelles - bureau européen
L a Commission européenne
a rendu public, vendredi
18 janvier, son mandat de
négociation d’un accord de libre-
échange avec les Etats-Unis. Ce
dernier devra être limité aux
droits de douane sur les produits
industriels, y compris ceux du
secteur automobile, mais exclure
explicitement l’agriculture. « Ce
secteur a été mis de côté », a insisté
Cecilia Malmström, la commis-
saire européenne au commerce.
Même si la Suédoise a pris
grand soin de minimiser l’ambi-
tion de ce mandat (une proposi-
tion « limitée », a-t-elle précisé), il
fait quand même penser à un
mini « TTIP », ce traité de libre-
échange que Bruxelles avait com-
mencé à discuter avec l’adminis-
tration de Barack Obama entre
2013 et 2017, et qui avait suscité, à
l’époque, de très fortes réticences
dans les opinions publiques des
Etats membres.
A la Commission, on a bien
conscience du caractère sensible
de ce sujet, présenté, qui plus est,
à un moment politique délicat
pour l’Union, à quelques mois des
élections européennes de mai, et
alors que la défiance des citoyens
à l’égard des politiques de libre-
échange ne cesse de croître. Mais
l’Europe n’aurait pas le choix, à en
croire des sources bruxelloises.
La menace de taxes
Pour éviter que le président amé-
ricain, Donald Trump, ne mette sa
menace à exécution et ne taxe les
exportations européennes de
voitures aux Etats-Unis, Jean-
Claude Juncker, le président de la
Commission, a promis, le
25 juillet, à la Maison Blanche, de
relancer des discussions com-
merciales avec Washington. De-
puis, l’Union joue un peu la mon-
tre, n’ayant aucune envie de se
lancer dans des tractations aussi
délicates qu’impopulaires (du
moins, en France).
Mais la menace plane toujours
autant, et, à Washington, l’admi-
nistration Trump insiste de plus
en plus pour discuter des baisses
de taxes sur ses exportations de
sévérité : ils pourraient encourir
« jusqu’à » six années de prison.
Comparée a cette mesure in-
croyablement complexe, suppo-
sant l’existence dans tout le pays
de centres d’aide à l’emploi dignes
de ce nom, la réforme des retraites
annoncée au même moment en
conseil des ministres est d’une
simplicité biblique. Selon le dis-
positif « quota 100 », toute per-
sonne âgée de plus de 62 ans et
ayant cotisé trente-huit années
pourra partir à la retraite dans les
prochains mois. Pour le gouver-
nement, la mesure devrait con-
cerner 1 million de travailleurs, et
libérerait instantanément 1 mil-
lion de postes de travail, aussitôt
pourvus, et elle ne coûtera pas
plus de 4 milliards d’euros cette
année – un chiffre considéré
comme très inférieur à la réalité
par de nombreux experts.
Attaché à démontrer aux mar-
chés que ces mesures n’entraîne-
ront pas une explosion des défi-
cits, Giuseppe Conte a assuré que
la mise en place de ces dispositifs
ne nécessiterait pas de loi de fi-
nances rectificative. Pourtant rien
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
produits agricoles, un interdit ab-
solu pour Paris. Début janvier, le
bureau du représentant améri-
cain au commerce a publié un
projet de mandat de négociation
élargi à l’agriculture.
C’est pour couper l’herbe sous
les pieds des Américains, tout en
honorant leur promesse de l’été
2018, que les Européens sont sor-
tis du bois, vendredi. Rendre pu-
blic leur mandat, outre qu’il sécu-
rise l’exclusion de l’agriculture
des discussions, « force les Etats
membres à l’unité », assure un di-
plomate européen.
Les arguments tactiques em-
ployés vendredi par la commis-
saire n’ont pas convaincu tout le
monde, à Paris. « Il n’est pas ques-
tion de s’approcher d’un TTIP,
même light et même en restrei-
gnant le mandat aux tarifs indus-
triels, sa publication est prématu-
rée et pas du tout justifiée au re-
gard de l’attitude américaine », as-
sure une source française.
Il est vrai que les Etats-Unis ont
finalement décidé d’imposer
les exportations européennes
d’acier à 25 % au printemps 2018,
une mesure unilatérale dénon-
cée avec véhémence par l’Union.
Elle a répliqué en imposant des
taxes supplémentaires sur des
importations américaines, et en
saisissant l’Organisation mon-
diale du commerce.
La Commission dispose d’une
compétence exclusive en matière
commerciale : c’est elle qui négo-
cie les accords de libre-échange
au nom de l’Union. Pour que les
discussions puissent officielle-
ment démarrer, le mandat des
Européens doit être validé par le
Conseil européen. La majorité
qualifiée suffit, mais, pour ce
type de dossier sensible, Bruxel-
les recherche en général un con-
sensus des capitales.
Quand ces dernières se pronon-
ceront-elles sur le mandat ? Le
prochain conseil des ministres
européens consacré au com-
merce n’a pas lieu avant la fin fé-
vrier, et il n’est qu’informel.
« Nous ne sommes pas vraiment
pressés de commencer les discus-
sions », fait valoir un diplomate. p
cécile ducourtieux
n’est moins sûr, alors que le bud-
get italien est sous la surveillance
de Bruxelles et que la conjoncture
italienne s’est, ces derniers mois,
dégradée de façon spectaculaire.
Alors que le pays semble techni-
quement entré en récession (le
troisième trimestre de 2018 a été
négatif et les estimations pour la
fin de l’année sont très pessimis-
tes), le 1 % de progression du PIB
prévu en 2019 semble hors de por-
tée. Vendredi, la banque d’Italie a
révisé à la baisse ses prévisions de
croissance, estimées désormais à
0,6 %. Cette annonce a fait bondir
Luigi Di Maio, qui a aussitôt dé-
noncé les « estimations apocalyp-
tiques » d’une institution « qui se
trompe depuis des années ».
Le ministre du travail et du déve-
loppement économique a
d’autant moins intérêt à tenir
compte des avertissements de
l’institution que pour eux, l’essen-
tiel est ailleurs : le revenu de ci-
toyenneté doit entrer en vigueur,
coûte que coûte, en avril. Pour
qu’il puisse commencer à être
perçu avant les européennes. p
jérôme gautheret
 économie & entreprise | 5
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

La restauration des films anciens tourne au vinaigre

Les détenteurs des gros catalogues de droits des films critiquent le recours au mécénat prôné par le CNC

R
ififi et embrouillamini
dans la restauration ci-
nématographique. Le
Centre national du ci-
néma et de l’image animée (CNC)
se voit contraint, pour des raisons
budgétaires, de réduire drasti-
quement les aides qu’il accordait,
depuis 2012, à la numérisation
des films de « patrimoine », ceux
dont la sortie en salle est anté-
rieure à dix ans. L’établissement
public espérait que sa solution
pour atténuer ce manque à ga-
gner – un recours au mécénat
avec la bénédiction de Bercy – al-
lait séduire. Or, il n’en n’est rien.
Vendredi 18 janvier, le CNC a dû
reporter sine die l’annonce, ini-
tialement prévue mi-janvier, puis
le 31, de son projet critiqué sévère-
ment par les détenteurs des plus
gros catalogues de droits des
films. La concertation continue.
Dans toute la filière, chacun se
désole évidemment du tarisse-
ment de la manne des 64,5 mil-
lions d’euros qui a permis, entre
2012 et fin 2018, de numériser
1 123 films. Les aides, qui étaient
de 9 millions d’euros en 2018,
vont tomber à 2,8 millions par an
jusqu’en 2021.
Le CNC était d’autant plus fier de
déplore un des participants aux
réunions musclées qui se succè-
dent depuis le début du mois de
janvier. Les plus critiques souli-
gnent que « les recettes de mécé-
nat ne sont en rien pérennes » et
que « la restauration des films fait
partie des missions du CNC ». Le
centre compte aussi choisir les
mécènes, ce qui gêne les proprié-
taires des films.
La direction du CNC a fait un pre-
mier pas en proposant à tous les
détenteurs de catalogues de lui
soumettre, avant mercredi 16 jan-
vier, leur propre liste de cinq
films. Les plus gros « cataloguis-
tes » ont refusé de le faire.
Effet domino
Sophie Seydoux, présidente de la
Fondation Jérôme Seydoux et
vice-présidente de Pathé, expli-
que : « Nous sommes en position
d’attente, tout qui est fait pour
sauver des films est positif, mais
nous sommes nous-mêmes mécè-
nes de la Cinémathèque française,
de l’Ecole de l’image Gobelins… Je
n’imagine pas que Pathé désire
trouver un mécène pour ses pro-
pres films. » Elle ajoute : « Nous
souhaitons pouvoir continuer à
restaurer avec nos propres critères
mer, de Jacques Rivette ou de
« Le CNC nous Marguerite Duras. « Un film n’est
impose une vivant que s’il est vu, rappelle-t-
elle. Je crois au patrimoine, c’est
décision comme si, en littérature, Balzac
politique et non n’était plus édité aujourd’hui. »
Les aides du CNC permettaient
pas culturelle », de financer plus de la moitié de la
déplore un des restauration, en subventions ou
en avances remboursables sur
participants aux vingt ans. Des « trous » dans le ci-
réunions qui se néma des années 1980 et au-delà
pourraient se faire jour. Déjà, une
succèdent depuis salle de cinéma d’art et essai qui
début janvier veut programmer une intégrale
des films de Rohmer ne peut pas
diffuser L’Anglaise et le Duc ni Les
seul film d’Alain Cuny. La filière Amours d’Astrée et de Céladon, qui
s’était adaptée à l’abondance. « La ne sont pas numérisés, explique
France est très en pointE. Depuis Frédéric Bonnaud.
2013, nous avons numérisé les Par effet domino, les éditeurs de
soixante longs-métrages de notre DVD seront pénalisés. Vincent
catalogue », témoigne Régine Vial, Paul-Boncour, directeur de Car-
directrice de la distribution des lotta, souligne « les incertitudes »
Films du Losange. Elle a fait appel, liées à un financement par mécé-
dans la mesure du possible, aux nat « dans un contexte économi-
chefs opérateurs qui avaient tra- que loin d’être évident ». Le marché
vaillé sur les œuvres d’Eric Roh- de la vidéo de films de patrimoine
COLLECTIONNEZ LES VOITURES DE
reste minuscule. La splendide
version restaurée de La Dame de
Shanghaï, d’Orson Welles, n’est
éditée qu’à 3 000 exemplaires par
Carlotta. Dans les salles, les adep-
tes des films de patrimoine res-
tent rares : en 2018, la resortie de
La Religieuse, de Jacques Rivette, a
fédéré 2 808 spectateurs et le plus
grand succès, L’une chante, l’autre
pas, d’Agnès Varda, n’a rassemblé
que 4 029 personnes.
Dur pour les laboratoires
Les conséquences les plus épineu-
ses concernent les laboratoires.
« Cela pose un gros problème, con-
firme Jean-Yves Mirski, délégué
général de la Fédération des indus-
tries du cinéma, de l’audiovisuel
et du multimédia. La réduction vo-
lumétrique des restaurations im-
pactera cette filière déjà fragilisée. »
Filiale d’Ymagis, Eclair Cinéma a
été placé en redressement judi-
ciaire par le tribunal de commerce
de Nanterre, le 20 novembre 2018.
Ce laboratoire doit mener à bien
un grand chantier : la restauration
des sept heures de Napoléon,
d’Abel Gance, pour le compte de la
Cinémathèque française.
Benjamin Alimi, directeur com-
mercial du groupe de prestations
techniques Hiventy, espère que
« ses activités de postproduction
amortiront la chute des comman-
des dans la numérisation ». Il parie
aussi sur « les 10 % de réalisateurs
qui continuent de tourner en pelli-
cule, comme Louis Garrel, Olivier
Assayas, Guillaume Nicloux ou
Jean-François Richet ».
Les autres laboratoires, comme
L’Image retrouvée (la succur-
sale française du célèbre labora-
toire italien L’Immagine Ritro-
vata), TitraFilm, Neyrac, sont
dans le viseur. Selon Serge
Bromberg, fondateur de Lobster
Films, qui produit, édite et res-
taure des films, « la mutation ter-
rible liée à l’abandon des tirages
des copies a déjà été difficile ». Là
c’est pire encore. p
nicole vulser

sa proposition que l’obtention
d’un feu vert du ministère de
l’économie et des finances pour
créer une nouvelle niche fiscale
constitue une réelle prouesse en
ces temps de réductions budgé-
taires. La restauration des films
permettra aux entreprises de dé-
fiscaliser 60 % de leur don (pla-
fonné à 0,5 % du chiffre d’affaires)
et aux particuliers 66 % (dans la
limite de 20 % de leur revenu
imposable).
Baptisant initialement cette
opération « Adopte un film ! »
– nom qui ne devrait pas rester –,
le CNC a établi une première liste
de cent longs-métrages à numéri-
ser, qui correspondent aux critè-
res imposés par Bercy. Des
œuvres pas forcément connues,
TINTIN
de qualité, en nous référant le plus
possible aux archives et au scéna-
rio. » Le groupe a reçu 3,6 millions
d’euros d’aides depuis 2012 pour
restaurer 97 films, dont La Roue,
d’Abel Gance, ou encore Boudu
sauvé des eaux, de Jean Renoir.
Certes, quelques films ont déjà
été restaurés ou numérisés grâce à
des mécènes. Chanel a financé
L’Année dernière à Marienbad,
d’Alain Resnais, et le film fétiche
à l’échelle 1/24e
de Karl Lagerfeld, Les Dames du
bois de Boulogne, de Robert Bres- DÉCOUVREZ LES VOITURES MYTHIQUES DES AVENTURES DE TINTIN
son. Saint Laurent (Kering) a ap-
porté son écot à Belle de Jour, de DANS UNE COLLECTION INÉDITE DE MODÈLES EN GRAND FORMAT
Luis Buñuel. Entre 1987 et 2013, la
Fondation Gan et la Fondation AUX FINITIONS EXCEPTIONNELLES!
Technicolor avaient restauré une
trentaine de films.
Le recours au mécénat ne fâche
LE
N°1 Le livret + Le Bolide rouge

dont le potentiel commercial en
salle n’est pas prouvé. Cet inven-
taire à la Prévert a d’autant plus
agacé les grands détenteurs de
droits – Gaumont (12 000 films),
Pathé (10 000 films), Studio Canal
(5 500 films), mais aussi TF1 –
qu’ils n’avaient pas été consultés.
Le CNC assure toutefois « ne rien
pouvoir imposer sans l’accord des
ayants droit ».
Contraint par Bercy de lancer un
appel d’offres dans le cadre de ce
mécénat, le CNC comptait répar-
tir ces films entre quatre labora-
toires, faisant fi des habitudes des
« cataloguistes » qui travaillent,
en fonction du degré de sophisti-
cation de chaque restauration et
des conditions commerciales,
avec le prestataire technique de
leur choix. C’est à ce sujet que les
frictions sont les plus fortes. « Le
CNC nous impose une décision
politique et non pas culturelle »,
9,99
pas toute la filière. Les petits dé-
tenteurs de catalogues ont en- OFFRE DE LANCEMENT
voyé leur liste de films au CNC.
des Cigares du Pharaon
Les efforts consentis jusqu’à fin
2018 par les pouvoirs publics « ont
été une bénédiction », rappelle
€
Frédéric Bonnaud, directeur de la
Cinémathèque française. Il a pu
ainsi restaurer une dizaine de SEULEMENT
films. De façon non négligeable,
la Cinémathèque recourt déjà à
de nombreux mécènes comme
Agnès b, L’Oréal, CGR, Kodak, Pa-
thé, Francis Kurkdjian ou Chris-
tian Louboutin, pour financer ses
restaurations. A Lyon, l’Institut
Lumière aussi doit lever des fonds
privés (150 000 euros) pour bou-
cler la restauration de trois cents
petits films des frères Lumière.
« Couper les vivres alors qu’il reste
des millions de films à restaurer est
malheureux », soupire Nils Boua-
ziz, directeur de Potemkine, qui
restaure L’Annonce faite à Marie, le
LA TORPEDO DU DOCTEUR FINNEY
Les Cigares
Cigar du Pharaon

LA JEEP BLEUE LA FORD T

Objectif Lune Tintin au Congo
L’AMILCAR DES SOVIETS
SOC I AL J EUX Tintin au pays des Soviets

Des VTC menacent de La valorisation de

bloquer le périphérique
parisien
L’association VTC de France
lance « un appel au secours »
pour sa profession, et me-
nace de bloquer le périphéri-
que parisien le 25 janvier. Elle
réclame d’être reçue à Mati-
gnon et au ministère de l’in-
térieur, a-t-elle annoncé,
vendredi 18 janvier.
LA 2CV DES DUPONDT
l’inventeur de L’Affaire Tournesol
« Pokémon Go » s’envole
L’éditeur américain de jeux
vidéo sur mobile Niantic, spé-
cialisé dans la réalité augmen-
tée, a annoncé, le 18 janvier,
avoir réalisé une levée de
LA JEEP ROUGE
fonds de 245 millions de dol- LE TAXI DE NEW DELHI Tintin au pays de l’or noir
LE BOLIDE ROUGE LA DÉCAPOTABLE DE HADDOCK
Tintin au Tibet Les 7 Boules de cristal
lars (215 millions d’euros) por- Les Cigares du Pharaon
tant sa capitalisation à 4 mil-
liards de dollars. – (AFP.)

Tesla va supprimer
7 % de ses effectifs
Le constructeur automobile
Tesla va supprimer 7 % de ses
effectifs pour faire des écono-
mies, car « l’avenir s’annonce
compliqué », a expliqué le
cofondateur de la société,
Elon Musk, dans une lettre
publiée, vendredi 18 janvier,
sur son site Internet. – (AFP.)
F I SC ALI T É Une création Moulinsart diffusée par Hachette Collections - Visuels non contractuels. Objet de collection pour adultes. Ne convient pas aux enfants de moins de 14 ans.
© HERGÉ  MOULINSART 2019  Hachette Collections - 58 rue Jean Bleuzen - 92178 Vanves Cedex
L’Espagne adopte
une taxe sur les GAFA
Le gouvernement espagnol
du socialiste Pedro Sanchez
a adopté, vendredi 18 janvier,
En vente le 17 janvier chez votre marchand de journaux,
un projet de loi pour créer
une taxe de 3 % sur les OU DÈS MAINTENANT SUR www.voitures-tintin.com
revenus générés par certai-
nes activités des géants du
Net. – (AFP.)
6 | idées 0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

La fiscalité est à l’ordre du jour du « grand débat national ». Mais pas

toute la fiscalité… Au risque de rater l’occasion d’une véritable réforme

Impôt : trop de tabous tuent le débat

Il faut changer la base des
prélèvements obligatoires
L’économiste Alain Trannoy contraintes ou plus généralement des
propose de calibrer l’impôt sur dépenses incontournables.
Les dépenses contraintes regrou-
le revenu de chacun en fonction pent communément le logement, les
de ses dépenses incontournables, assurances, les abonnements d’élec-
tricité, de gaz et de téléphone, les
ce qui concilierait efficacité mutuelles, la cantine scolaire, etc. Les
et lutte contre la pauvreté « gilets jaunes » ont focalisé l’atten-
tion de l’opinion sur les dépenses de
transport pour se rendre au travail,
aller chez le médecin ou accéder phy-
Par ALAIN TRANNOY siquement aux services publics de
proximité. En les intégrant au total,
ces dépenses représentent en

L es « gilets jaunes » ont fait irrup-

tion sur la scène politique natio-
nale en portant le thème de l’in-
justice fiscale, qui apparaît prioritaire
dans les doléances déposées dans les
mairies. Ce thème va clairement sur-
plomber le grand débat national. La
focalisation du débat sur le rétablis-
sement de l’impôt sur la fortune (ISF),
pour compréhensible qu’elle soit, tra-
duit un manque d’information. Le
manque à gagner (3,5 milliards d’euros)
ne représente que 5 % des sommes pré-
levées au titre de l’impôt sur le revenu,
qui reste l’outil principal en matière de
progressivité. L’institution du prélè-
vement à la source représente une
avancée majeure, car elle rend l’impôt
contemporain. Toutefois, le mode de
calcul de l’impôt sur le revenu reste
inchangé. Le grand débat national
fournit l’occasion unique de le revoir, à
la lumière de la colère exprimée sur les
ronds-points à l’encontre des dépenses
LE DÉBAT SE POURSUIT
SUR LEMONDE.FR
WWW.LEMONDE.FR/IDEES
« Des citoyens volontaires, tirés au sort,
pour contrôler l’action publique »,
par Fabien Tastet, président de l’Association
des administrateurs territoriaux de France.
« Une première étape vers un impôt
proportionnel », par Manon Laporte,
avocate fiscaliste et conseillère régionale
(Alliance centriste) d’Ile-de-France.
moyenne plus de 33 % du revenu des
ménages et peuvent atteindre plus de
60 % du revenu des ménages modes-
tes. D’autres dépenses sont également
incontournables, par exemple les
dépenses alimentaires, d’éducation et
de santé au sein de la famille.
CONNAISSANCE DU TERRAIN
Selon une étude du Crédoc, ces dépen-
ses incontournables représentaient,
en 2009, plus de 87 % du revenu des
ménages pauvres. Toute augmenta-
tion des prix des biens et services
consommés à ce titre sous l’effet des
taxes indirectes ne peut être ressentie
que durement sur le « reste-à-vivre »,
c’est-à-dire sur quoi les personnes ont
l’impression d’exercer encore un
choix. Cette notion de dépenses
incontournables est au cœur d’une
mesure de la pauvreté. La personne
pauvre est, par définition, celle qui a du
mal à faire face à ces dépenses
incontournables avec ses propres
moyens. Elle doit, dès lors, pouvoir
compter sur la solidarité nationale.
Mais ce reste-à-vivre ne correspond-il
pas aussi à la capacité contributive
inscrite dans la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen au titre de
l’article 13, qui énonce que l’impôt « doit
être réparti entre les citoyens en raison
de leurs facultés » ? Au-dessous d’un cer-
tain reste-à-vivre, la société doit venir à
votre secours ; au-dessus d’un certain
reste-à-vivre, vous pouvez contribuer
aux charges communes. La notion de
reste-à-vivre doit être le pivot de toute
la politique redistributive, soit pour per-
cevoir l’impôt négatif, soit pour acquit-
ter l’impôt progressif.
Si l’on suit ce raisonnement, le quo-
tient familial doit céder la place à ce
reste-à-vivre comme base d’imposi-
tion au titre de l’impôt sur le revenu.
On ne peut calculer exactement ce res-
te-à-vivre pour chaque ménage, mais
on peut essayer de s’en approcher. La
base imposable devient le revenu
imposable diminué d’un abattement.
Celui-ci essaie d’approcher en
moyenne ces dépenses incontour-
nables sur une base forfaitaire dépen-
dant de critères objectifs décrivant la
situation du foyer : le nombre de per-
sonnes du foyer fiscal, la distance entre
le lieu de travail et le domicile pour
chaque personne en emploi, le loyer du
mètre carré dans la zone d’emploi, etc.
Cet abattement serait en revanche
indépendant du revenu. Pour chaque
type de dépense, l’abattement devrait
correspondre au minimum de dépen-
ses qu’il faut consentir, compte tenu de
la localisation et de la composition du
ménage, pour assouvir un besoin pre-
mier. Le calcul de l’abattement néces-
site une connaissance du terrain qui
pourrait prendre appui à la fois sur les
acteurs sociaux et sur les études écono-
miques et sociologiques, nombreuses
en la matière. Il requiert également un
certain nombre de choix éthiques qui
devront être arbitrés par le Parlement.
ÉQUITÉ HOMMES-FEMMES
A partir de là, deux choix sont possi-
bles : maintenir le calcul de l’impôt sur
la base du foyer, ou opter pour une logi-
que individuelle. Dans la seconde
option, on impose séparément les
adultes du foyer. Dans le cas d’un cou-
ple, l’abattement serait scindé en deux,
un abattement pour le foyer qui tient
compte des charges communes, et des
abattements individualisés qui tien-
nent compte des frais liés au travail de
chacun, des charges parentales en cas
de familles recomposées, etc. L’abatte-
ment du foyer peut être réparti au pro-
rata des ressources apportées par cha-
cun, de sorte que l’abattement person-
nalisé détermine un reste-à-vivre indi-
vidualisé imposé à un barème unique.
Cette solution permettrait de remédier
à une injustice décriée depuis long-
temps, à savoir que les femmes subis-
sent avec le quotient conjugal un taux
marginal d’imposition plus élevé que
STÉPHANE KIEHL
celui de leurs compagnons. Ainsi,
l’offre de travail des femmes serait
également encouragée. Equité et effi-
cacité vont ici de pair.
La réforme esquissée permettrait
d’annihiler instantanément les consé-
quences redistributives d’un relève-
ment de la taxe carbone. La hausse des
prix de l’essence se traduirait automa-
tiquement par une diminution du res-
te-à-vivre. S’ensuivrait une hausse de
l’impôt négatif pour les ménages pau-
vres, et une baisse de l’impôt sur les
revenus des ménages modestes. Une
telle réforme répondrait à l’objectif de
sortir par le haut de la crise politique
suscitée par les « gilets jaunes », en ren-
dant plus effective notre lutte contre la
pauvreté sans sacrifier l’efficacité. p
¶
Alain Trannoy est directeur d’étu-
des à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales et membre de
l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille

Les réformes fiscales doivent d’abord profiter à l’emploi

La diminution des prélèvements obligatoires
ne doit pas sacrifier la création d’emplois à la lutte contre prime d’activité et la suppression des
derniers points de cotisations patrona-
les inégalités, plaide l’économiste Etienne Lehmann les au niveau du smic me semblent
donc être un bon moyen d’éviter que
la lutte contre les inégalités ne pèse
Par ÉTIENNE LEHMANN taires en France permettraient à la fois sur les incitations pour les entreprises
d’augmenter les recettes publiques et à créer de l’emploi.
de réduire les dépenses, notamment Une deuxième priorité serait la
raient à terme se retrouver dans la
masse salariale à travers des hausses de
salaires. Enfin, à notre taux d’IS dissua-
sif s’ajoutent toute une série d’impôts à
la production qui pèsent également sur
les entreprises déficitaires. Il ne faudrait
surtout pas ralentir la baisse program-
mée du taux d’IS français vers la
Enfin, on peut regretter la réforme ac-
tuellement engagée de la taxe d’habita-
tion, qui, elle, représente une vingtaine
de milliards d’euros par an. La taxe d’ha-
bitation repose en effet sur une base re-
lativement insensible à l’activité écono-
mique, si bien qu’il s’agit de l’un des pré-
lèvements les moins nocifs pour l’em-

I l est probable que le paradoxe d’un

pays qui subit à la fois la pression
fiscale la plus lourde, l’un des
déficits publics les plus importants
de l’OCDE et des services publics
en allocations-chômage et en pensions
de retraite. Augmenter l’emploi est
donc la clé pour pouvoir en même
temps maintenir la qualité de nos ser-
vices publics et de notre protection so-
réduction du taux d’impôt sur les
sociétés (IS). La France continue d’affi-
cher un taux d’IS de 31 %, parmi les plus
élevés dans le monde, alors que, en
proportion de son PIB, l’IS français
moyenne européenne de 25 %.

L’ERREUR DE LA TAXE D’HABITATION

qui doivent fermer pour des raisons
budgétaires ait été un facteur détermi-
nant dans le déclenchement de la crise
des « gilets jaunes ».
Ce paradoxe s’explique par le fait que
ce sont les prestations sociales, et non
le fonctionnement des administra-
tions publiques, qui sont particulière-
ment coûteuses dans notre pays. Or, si
les prestations sont aussi coûteuses,
c’est parce que notre pays souffre d’un
déficit d’emplois. En France, seule une
personne sur deux occupe un emploi,
là où ce ratio dépasse 58 % au Dane-
mark et en Allemagne, 60 % en Grande-
Bretagne et aux Pays-Bas, et atteint
même 67 % en Suède et en Norvège !
Trois millions d’emplois supplémen-
ciale, tout en baissant le poids des pré-
lèvements obligatoires.
Il me semble donc essentiel d’exami-
ner les différentes réformes envisagées
par le pouvoir ou exigées par les « gilets
jaunes » sous l’angle de leurs effets à
long terme sur l’emploi. Même s’il faut
prendre le résultat des études économi-
ques davantage comme des faisceaux
de présomptions que comme des certi-
tudes, quatre remarques me semblent
pouvoir être formulées à l’occasion du
grand débat national.
Premièrement, les impôts les plus
nocifs à l’emploi me semblent être
d’une part les prélèvements sur les bas
salaires et d’autre part les impôts sur
les sociétés. La revalorisation de la
rapporte moins que l’IS néerlandais, an-
glais ou irlandais ! Ce paradoxe illustre
la grande sensibilité de la localisation
des entreprises et de leurs bénéfices au
taux d’imposition. En attendant que les
gouvernements de l’Union européenne
se mettent enfin d’accord sur la défini-
tion d’une assiette commune consoli-
dée pour l’impôt des sociétés, mainte-
nir un taux d’IS au-dessus de nos voi-
sins me semble particulièrement né-
faste pour l’attractivité qu’exerce notre
pays sur les investisseurs.
Or l’investissement crée aussi de la
masse salariale : deux études récentes
sur les IS locaux aux Etats-Unis et en Al-
lemagne suggèrent ainsi qu’entre un
tiers et la moitié des baisses d’IS pour-
Troisièmement, dans un monde où les
entreprises seraient plus mobiles que
les ménages, il me semble préférable de
lutter contre la concentration des patri-
moines en taxant les ménages aisés plu-
tôt que les entreprises. Or là encore, cer-
tains instruments peuvent apparaître
plus symboliques que réellement effica-
ces. Par exemple, la création de l’impôt
sur la fortune immobilière, qui, grosso
modo, applique le barème de l’ISF au
seul patrimoine immobilier, est une
mesure d’ampleur limitée, avec un coût
d’environ 3 milliards d’euros par an. Le
renforcement de la progressivité de la
taxation des héritages me semble en
particulier plus efficace, notamment si
le montant des transmissions est
déclaré par les notaires et non par les
contribuables eux-mêmes.
ploi. De plus, l’absence de revalorisation
des bases cadastrales et l’insuffisance de
péréquations entre les communes, qui
sont les principales raisons expliquant
pourquoi la taxe d’habitation apparaît
aussi injuste, continueront demain de
s’appliquer à la taxe foncière, que les col-
lectivités locales risquent d’augmenter
en compensation de la suppression de
la taxe d’habitation. Le pouvoir s’est
donc engagé dans une réforme extrê-
mement coûteuse qui risque de ne pas
répondre aux difficultés territoriales,
bien réelles ! C’est pourquoi la réforme
de la taxe d’habitation est à mes yeux la
plus grosse erreur du gouvernement en
matière de politique fiscale. p
¶
Etienne Lehmann est professeur
d’économie à l’université
Paris-II-Panthéon-Assas

0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019
Aux Etats-Unis, les riches
ont eu la peau de l’impôt
L’historien Romain Huret explique comment la révolte
fiscale a d’abord prospéré chez les Américains les plus aisés,
avant de devenir un dogme largement partagé
Par ROMAIN HURET
P endant la seconde guerre mon-
diale, aux Etats-Unis, une riche
femme d’affaires, Vivien Kellems,
fait parler d’elle en refusant la mise en
œuvre du prélèvement à la source. Dans
une lettre envoyée au département du Tré-
sor, elle conteste la forte progressivité de
l’impôt sur le revenu et trouve inadmissi-
ble la demande faite aux entreprises de
s’occuper de cette tâche administrative. Le
coup d’éclat est un échec, mais annonce
des combats ultérieurs, à la fois plus dis-
crets et plus efficaces.
A l’heure où la France a les yeux tournés
vers une révolte populaire qui remet en
question le pacte fiscal, il ne faut pas
oublier que l’impôt sur le revenu a été
d’abord contesté par les citoyens les plus
fortunés. Cette résistance prend des
formes juridiques et institutionnelles,
plus adaptées au capital financier,
politique et culturel des élites. Et il ne fait
aucun doute qu’elle a été suffisamment
efficace au cours des dernières décennies
DEPUIS TRENTE ANS,
AUCUN PRÉSIDENT
N’A OSÉ REMETTRE
EN CAUSE LE DOGME
D’ARTHUR LAFFER,
SELON LEQUEL « TROP
D’IMPÔT TUE L’IMPÔT »
La taxe d’habitation, à qui perd gagne ?
Le fiscaliste Michel Klopfer montre que l’Etat n’a cessé,
depuis deux décennies, d’assécher les ressources
financières des collectivités locales
Par MICHEL KLOPFER
E n 2017, dernière année pleine avant
la mise en œuvre de l’élimination
progressive de la taxe d’habitation,
cet impôt local a rapporté 22,3 milliards
d’euros aux collectivités locales, auxquels
s’ajoutent 1,6 milliard de compensations
d’exonérations versées par l’Etat, soit au to-
tal quelque 24 milliards de recettes appor-
tées pour 68 % aux communes, et pour
32 % aux intercommunalités. De plus, entre
la revalorisation annuelle des valeurs ca-
dastrales par le Parlement, la construction
de nouveaux logements et l’amélioration
de l’habitat, le produit taxable s’est revalo-
risé en moyenne de 2,4 % par an entre 2012
et 2017, sans compter les éventuels effets
des augmentations de taux d’imposition.
Les maires tiennent d’autant plus à la
taxe d’habitation qu’il s’agissait du dernier
impôt local à large échelle, puisque,
en 2017, il était payé (au moins partielle-
ment) par près de 90 % des foyers fiscaux,
permettant ainsi de mettre en relief, aux
yeux du citoyen, la valeur du service pu-
blic apporté par la commune et le coût de
ce service. Un ressenti d’ailleurs plutôt po-
sitif, puisque, de tous les élus de la Répu-
blique, le maire est, auprès de ses adminis-
trés, le moins touché par l’impopularité.
C’est loin d’être la première fois que l’Etat
central, sous des gouvernements de droite
ou de gauche, fait des cadeaux aux contri-
buables avec l’argent des collectivités loca-
les : pour ne prendre que deux exemples
dans les vingt dernières années, en 2000,
le gouvernement Jospin a tiré un trait sur
la vignette des départements, tandis que,
en 2010, le gouvernement Fillon a sup-
primé la taxe professionnelle qui alimen-
pour imposer des réductions massives…
en leur faveur.
Au lendemain de la guerre, les lois fisca-
les américaines confirment l’importance
de l’impôt sur le revenu comme fonde-
ment du système de redistribution, avec
des taux d’imposition particulièrement
élevés, allant jusqu’à 91 % pour les très
hauts revenus. Jusqu’au début des années
1970, tout le monde consent à l’impôt
dans le pays, y compris les plus riches. La
crise économique fracture ce consensus
fiscal. Sous la houlette d’intellectuels
comme Jude Wanniski, responsable des
pages « Débats » dans le Wall Street
Journal, et d’universitaires comme l’éco-
nomiste Arthur Laffer, l’idée se répand
que « trop d’impôt tue l’impôt ». Les
milieux économiques financent égale-
ment des études pour démontrer les
conséquences désastreuses de la fiscalité
pour les entreprises et leur compétitivité.
« ÉCONOMIE VAUDOUE »
Mais, à cette date, les élites politiques sont
encore très sceptiques sur la pertinence
d’une remise en question des dogmes
keynésiens. George Bush senior parle
d’« économie vaudoue » pour désigner de
telles propositions fiscales. C’est un jeune
loup du Parti républicain, Ronald Reagan,
qui transforme ces propositions magiques
en programme politique. A la fin des
années 1970, la mobilisation de classes
moyennes supérieures contre les taxes
foncières, dans son Etat de Californie, l’a
convaincu de l’impopularité de l’impôt
dans le pays. Son accession à la présidence,
en 1980, annonce un cycle – inachevé – de
baisse massive des taux des impôts sur le
revenu, les successions et les profits.
tait les budgets de toutes les catégories de
collectivités territoriales.
Même ceux des élus locaux qui, à un mo-
ment donné, sont de la même sensibilité
politique que le gouvernement, redoutent
d’autant plus ce type de décision souve-
raine de l’Etat qu’ils sont immanquable-
ment perdants à terme. Certes, au départ,
les impôts locaux ainsi gommés sont com-
pensés « à l’euro, l’euro » (sic), mais la cigale
ne chante que pendant un petit nombre
d’étés, et les compensations versées par
l’Etat deviennent très rapidement des « va-
riables d’ajustement » progressivement la-
minées, parfois jusqu’à extinction totale. A
titre d’exemple, les compensations qui
avaient été mises en place en 2011 en fa-
veur des collectivités perdantes du fait de
la disparition de la taxe professionnelle
n’ont été respectées que jusqu’en 2016
pour les régions et départements, et 2018
pour les autres collectivités.
REVIREMENT APPARENT
C’est la raison pour laquelle, lors de l’an-
nonce gouvernementale, en 2017, de l’exo-
nération à venir de la taxe d’habitation
pour 80 % des contribuables, les associa-
tions d’élus ont réclamé et obtenu du pré-
sident de la République l’assurance que
l’indemnisation des recettes fiscales per-
dues se ferait par « dégrèvement » et non
par « compensation ». Sous ces vocables
techniques, cela signifiait que les recettes
seraient « sanctuarisées » puisque l’impôt
demeurerait sur le papier, le Trésor se
substituant purement et simplement au
contribuable local. Mais la décision du
Conseil constitutionnel de décembre 2017
de ne valider l’exonération de la taxe d’ha-
bitation pour 80 % des contribuables que
comme une première étape à son élimina-
En quelques années, le lobby des entre-
prises et des plus riches a permis au
dogme d’Arthur Laffer de devenir hégé-
monique dans le pays. En ce sens, la cam-
pagne, financée par des associations de
contribuables, pour faire baisser les
droits de succession est révélatrice. Alors
que seulement 2 % des Américains les
payent encore au début des années 2000
en raison des seuils élevés (600 000 dol-
lars), des spots publicitaires évoquent la
fin du rêve américain et de la petite entre-
prise individuelle, pourtant bien peu con-
cernée par de tels impôts. L’administra-
tion de George Bush junior réussira à
faire baisser ces taux d’imposition au
nom de l’intérêt général.
Les baisses atteignent de telles propor-
tions que des voix s’élèvent, parmi les
plus riches, pour en dénoncer l’injustice
profonde ! Warren Buffett s’étonne d’ap-
prendre qu’il paie moins d’impôts que sa
secrétaire. En 2012, l’écrivain Stephen King
écrit même un texte demandant aux élus
du Congrès, avec sa verve habituelle, de
l’« imposer davantage, bordel de merde ! »
Mais, depuis trente ans, aucun président
n’a osé s’attaquer au dogme de Laffer. Un
moment tenté, Barack Obama a rapide-
ment renoncé.
A tel point qu’aujourd’hui c’est un résis-
tant notoire à l’impôt, Donald Trump, qui
occupe la Maison Blanche. Pour la pre-
mière fois dans l’histoire des campagnes
électorales, le candidat Trump a refusé de
dévoiler sa déclaration fiscale. Au cours
des débats, il a même défendu que l’idée
d’une résistance à l’impôt est aussi améri-
caine que « la tarte aux pommes ». Cette
hégémonie culturelle de l’antifiscalisme
des plus riches en dit long sur le chemin
parcouru depuis la seconde guerre mon-
diale aux Etats-Unis et la remise en ques-
tion du pacte fiscal conclu alors entre
tous les citoyens. p
¶ bénéficié d’une jurisprudence
Romain Huret est historien des
Etats-Unis, directeur d’études à l’Ecole
des hautes études en sciences sociales.
Il a écrit « American Tax Resisters »
(Harvard University Press, 2014)
tion totale est d’autant plus inquiétante
pour les élus locaux qu’on ne voit pas
comment maintenir un « dégrèvement »
au lieu d’une « compensation » sur un im-
pôt qui ne serait plus calculé du tout par
les services de Bercy.
En réintroduisant dans le grand débat
national la question du maintien de la
taxe d’habitation pour les 20 % de contri-
buables les plus aisés – ce qui au passage
nécessiterait un infléchissement de la po-
sition exprimée il y a un an par le Conseil
constitutionnel –, le gouvernement sem-
ble aller dans le sens des souhaits des élus
locaux. Le fondement de ce revirement
apparent est plus prosaïque. La suppres-
sion totale de la taxe d’habitation repré-
senterait 8 milliards d’euros annuels de
plus que ce qui avait été annoncé dans le
cadre de la loi de programmation des fi-
nances publiques 2018-2022 promulguée
il y a tout juste un an. Or, les gestes faits
en décembre 2018 en faveur des « gilets
jaunes » ont déjà fait dériver le déficit du
budget 2019 de 98,7 à 108 milliards, ce qui
conduit au déséquilibre budgétaire de
l’Etat le plus élevé depuis 2011, même en
éliminant l’effet exceptionnel du crédit
d’impôt pour la compétitivité et l’emploi
(CICE) – en 2019 se chevauchent excep-
tionnellement la dernière année du CICE
(20 milliards) et les nouvelles baisses de
cotisations sociales. Si la vox populi issue
du grand débat national permettait de ré-
cupérer 8 milliards d’euros qui ne sont pas
aujourd’hui financés, cela ne contrarierait
pas forcément le gouvernement… p
¶ que procurait le service du cour-
Michel Klopfer est consultant
en finances locales, auteur de « Gestion
financière des collectivités territoriales »
(éditions du Moniteur, 8e édition, 2018)
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
Quand le concierge
n’est plus dans l’escalier
J anvier est traditionnellement
le mois où les copropriétai-
res offrent des étrennes à
leur concierge pour le remer-
cier des services rendus – récu-
pérer leurs colis ou ouvrir
la porte de leur appartement
aux employés du gaz, de l’électri-
cité ou du chauffage en leur
absence. Certains regrettent
toutefois de ne plus pouvoir
le faire, du fait que le poste
de concierge a été… supprimé.
Ce sont surtout les coproprié-
taires les plus âgés qui tiennent
à la présence permanente
d’un gardien, en considérant
qu’il contribue à la sécurité
des lieux. Les plus jeunes, en
revanche, préfèrent s’en passer
et recourir à des prestataires
extérieurs pour le nettoyage
des parties communes, afin
de faire des économies ; ils
souhaitent aussi récupérer
la loge pour y mettre
des poussettes, des vélos ou
des trottinettes.
La question de la suppression
du poste, qui se pose surtout
dans les petites copropriétés,
suscite donc souvent des
frictions, qui se doublent
de désaccords sur la manière
de voter. La loi du 10 juillet 1965
sur la copropriété étant restée
muette sur le sujet, ceux qui
voulaient maintenir le poste
de concierge ont longtemps
favorable : une majorité des juges
ont considéré que, lorsque
le poste de gardien était prévu
au règlement de copropriété,
il fallait l’unanimité des voix
pour le supprimer. Ils ont annulé
des résolutions qui s’étaient
contentées d’une majorité
qualifiée (majorité des membres
du syndicat représentant au
moins les deux tiers des voix).
« HABITATION BOURGEOISE »
Mais la loi Boutin, adoptée le
25 mars 2009, puis la loi ALUR,
adoptée le 24 mars 2014, ont
limité les exigences de cette
jurisprudence. Elles précisent
qu’il suffit d’une majorité
qualifiée, à condition toutefois
que la suppression du poste
ne porte pas atteinte « à la
destination de l’immeuble » (son
standing) ou « aux modalités de
jouissance des parties privatives »
– dans le cas contraire, il faut
l’unanimité. Les juges
considèrent que la destination
de l’immeuble ou la jouissance
des parties privatives ne sont
« pas atteintes » si les solutions
de substitution mises en place
par la copropriété offrent
des avantages « strictement
équivalents » à ceux que propo-
sait le service de conciergerie.
Les tribunaux apprécient
au cas par cas. C’est ainsi que
la cour d’appel de Paris annule,
le 15 février 2017, la résolution,
prise à la majorité qualifiée, par
l’assemblée générale des copro-
priétaires du 241, rue de Tolbiac
(13e arrondissement), de suppri-
mer le poste de concierge.
Elle juge qu’elle aurait dû être vo-
tée à l’unanimité, du fait que les
solutions de substitution n’of-
frent pas d’avantages « équiva-
lents » à ceux qui étaient décrits
par le règlement de copropriété
de cet « immeuble de standing ».
La cour observe ainsi que
« l’installation de boîtes aux
lettres dans le hall de l’immeuble
n’offre pas aux copropriétaires
un service équivalent à celui
rier porté à chaque appartement
par le concierge », mais aussi que
« les tâches de liaison avec
le syndic et les entreprises
idées | 7
LA QUESTION DE
LA SUPPRESSION
DU POSTE DE GARDIEN
SUSCITE SOUVENT DES
FRICTIONS, DOUBLÉES
DE DÉSACCORDS SUR
LA MANIÈRE DE VOTER
de maintenance amenées à
intervenir dans la copropriété (…)
ne seront plus assurées ».
Elle ajoute que « la présence
physique d’un gardien logé sur
place participe à la sécurité de
l’immeuble, (…) même si ce
dernier est doté d’un Digicode et
d’un Interphone, puisqu’un code
finit par être connu, à plus ou
moins brève échéance, de person-
nes extérieures à l’immeuble ».
Elle note encore que « l’existence
d’un poste de concierge contribue
au standing de cet immeuble
“bourgeois”, étant précisé que la
notion d’habitation “bourgeoise”
est rappelée dans le règlement,
qui met l’accent sur “la bonne
tenue de la maison” ».
DROIT DU TRAVAIL
La cour d’appel d’Aix-en-Pro-
vence, en revanche, refuse
de juger, le 8 janvier 2015,
que la suppression d’un poste
de concierge « modifiera
le standing » de l’immeuble du
2, rue Florac, à Marseille, bien
que certains copropriétaires
aient produit des attestations
d’agents immobiliers assurant
que la valeur de leur apparte-
ment en sera diminuée « de 5 %
à 8 % ». Elle considère que les
attestations sont « purement
théoriques et ne reposent pas sur
une appréciation in situ (…)
du standing de l’immeuble ».
Les copropriétaires qui tien-
nent à garder leur concierge peu-
vent compter sur le droit du tra-
vail, qui protège ces derniers de
tout licenciement abusif, comme
l’explique Me Laurence Guégan-
Gélinet, dans la revue Adminis-
trer. Pour une majorité de juges,
le syndicat de copropriétaires se
doit, comme une entreprise pri-
vée, d’appliquer les règles du
code du travail, et notamment
l’article L. 1233-3, selon lequel le
licenciement économique doit
être consécutif à « des difficultés
économiques ». La Cour de cassa-
tion l’a d’ailleurs affirmé dans
un arrêt du 20 janvier 2010.
Les juges considèrent en outre
que les « difficultés économi-
ques » ne peuvent se limiter à
la simple volonté de réduire
les charges. Ils octroient donc
d’importants dommages et inté-
rêts aux concierges qui, licenciés
après la suppression de leur
poste, les saisissent – nous en
avons donné plusieurs exemples
sur notre blog « SOS conso ».
Me Guégan-Gélinet précise
qu’il faut prendre avec précaution
l’arrêt de la Cour de cassation,
en date du 1er février 2017, qui, à
l’inverse de toute la jurisprudence
précédente, considère que le
syndicat des copropriétaires n’est
pas une entreprise, que le licen-
ciement du concierge n’est pas
soumis aux dispositions du code
du travail et que la décision de
supprimer le poste de concierge
constituerait une cause réelle et
sérieuse de rupture du contrat
de travail. Les copropriétaires qui
tiennent absolument à se passer
des services du concierge auront
plutôt intérêt à attendre le départ
à la retraite de celui-ci. p
rafaële rivais
8 | MÉDIAS&PIXELS 0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 JANVIER 2019

Roch-Olivier Maistre proposé pour diriger le CSA

L’Elysée a choisi un proche d’Alain Juppé issu de la Cour des comptes pour succéder à Olivier Schrameck

A
u Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA), l’al-
ternance se fait en-
tre représentants des
grands corps de l’Etat : le président
de la République, Emmanuel Ma-
cron, « envisage », selon les termes
du communiqué diffusé vendredi
18 janvier, de nommer à sa tête
Roch-Olivier Maistre, président
de chambre à la Cour des comptes,
en remplacement d’Olivier Schra-
meck, issu du Conseil d’Etat. Agé
de 63 ans, M. Maistre est un grand
connaisseur du milieu de la cul-
ture, mais moins de celui de
l’audiovisuel. Ce proche de Jac-
ques Chirac, dont il a été le con-
seiller culturel à l’Elysée entre
2000 et 2005, et d’Alain Juppé – il
supervisait le groupe culture du
candidat pendant la primaire de la
droite en 2016 – prendra ses fonc-
tions le 24 janvier, une fois sa can-
didature approuvée par les com-
missions des affaires culturelles
du Sénat et de l’Assemblée natio-
nale, ce qui ne fait guère de doute.
M. Maistre va se retrouver à la
tête du CSA au moment où le
gouvernement souhaite réfor-
mer la loi sur l’audiovisuel de
1986. Une loi qu’il a aidée à con-
fectionner, alors qu’il était « jeune
conseiller » au cabinet du ministre
de la culture et de la communica-
tion de l’époque, François Léo-
tard, comme il l’a raconté, en
mars 2018, lors de son audition
par la mission d’information con-
sacrée à la régulation de la com-
munication audiovisuelle.
En pleine transformation
Devant cette mission, s’expri-
mant « à titre personnel » au côté
de Marc Tessier, ancien président
de France Télévisions de 1999 à
2005, il avait fait part de sa vision
de la régulation à l’heure du
chambardement numérique,
alors que les opérateurs natio-
naux traditionnels font face à la
concurrence de géants étrangers
qui ne sont pas soumis aux mê-
mes règles : il s’était déclaré en fa-
veur d’un « droit souple », avec qu’on souhaite voir respectées par transformation que devra donc Pour M. Tessier, M. Maistre, qui
une « moindre réglementation et les acteurs ». « L’avenir sera vrai- présider M. Maistre. Tout d’abord, a aussi dirigé la Comédie-Fran-
plus de régulation ». semblablement plus dans cette comme l’a souhaité M. Macron, le çaise de 1993 à 1995 et a été admi-
Il faut, avait-il expliqué, « entrer voie que dans la seule approche CSA se verra retirer la désignation nistrateur du Théâtre national de
dans une approche de la régula- normative », avait-il ajouté. Une des dirigeants de l’audiovisuel l’Odéon et du Festival de Cannes,
tion (…) qui repose davantage, il position qui rejoint celle que pré- public à l’occasion de la nouvelle « est un très bon choix ». « Il con-
faudra mettre l’accent là-dessus, conise M. Schrameck, selon lequel loi, qui pourrait être adoptée naît bien les dossiers. Parmi ses
sur des engagements volontaires « l’avenir de la régulation, c’est un en 2020 – peu avant la fin du man- atouts, il a une pensée synthétique
pris par les acteurs, sur des princi- schéma où les plates-formes s’en- dat de Delphine Ernotte à la tête très affûtée », souligne l’ancien
pes de convention d’une approche gageraient à supprimer certains de France Télévisions. président de France Télévisions,
contractuelle entre le régulateur et contenus, dans un certain délai, Ce sera aussi l’occasion de trans- qui a travaillé avec lui au sein du
les acteurs, sur des chartes sur des sous la surveillance du CSA ». C’est crire dans le droit français la direc- comité action publique 2022, mis
thématiques d’intérêt général un organe de régulation en pleine tive européenne sur le « service en place en octobre 2017 par le
des médias audiovisuels », qui pré- gouvernement pour proposer
voit de réguler les plates-formes des pistes de réforme de l’Etat et
Marie-Laure Denis pourrait présider la CNIL comme Netflix, YouTube ou Face- de baisse de la dépense publique.
book en matière de protection des Par ailleurs, « c’est l’homme des
Emmanuel Macron propose la nomination de Marie-Laure Denis à mineurs, de lutte contre l’incita- missions et des rapports », souli-
la tête de la Commission nationale de l’informatique et des tion à la haine et contre l’apologie gne un observateur. Il a en effet
libertés (CNIL), a annoncé, vendredi 18 janvier, l’Elysée. Les du terrorisme. Une tâche qui re- travaillé, à la demande des autori-
commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent viendra au CSA. Ce dernier s’est tés, sur la médiation entre auteurs
encore se prononcer sur ce choix pour remplacer Isabelle également vu confier, dans le ca- et producteurs ou sur les aides à la
Falque-Pierrotin. Née en 1967, Mme Denis, conseillère d’Etat, a été dre de la toute nouvelle loi sur la presse. En 2017, le dernier rapport
membre de l’Autorité de régulation des communications électro- manipulation de l’information, la qu’il s’était vu confier par l’ex-mi-
niques et des postes, de 2011 à 2016, après avoir été membre du mission de veiller à ce que ces nistre de la culture Françoise Nys-
Conseil supérieur de l’audiovisuel, de 2004 à 2010. Elle a exercé grandes plates-formes respectent sen était consacré à la « maison
des responsabilités dans des cabinets de ministres de droite, le « devoir de coopération » imposé commune de la musique ». p
notamment dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. aux réseaux sociaux. françois bougon

Telecom Italia chahuté

à la Bourse de Milan
Après une année 2018 éprouvante, TIM ne
s’attend pas à un bon premier semestre 2019

L es déboires financiers de Te-

lecom Italia (TIM) se pour-
suivent, alors que la bataille
qui fait rage entre ses actionnaires,
depuis plusieurs mois, continue
Les difficultés
seraient dues,
selon l’opérateur,
de peser sur l’avenir du groupe. à la concurrence
Jeudi 17 janvier, l’opérateur télé-
coms italien a lancé un avertisse-
accrue sur
ment sur ses résultats 2018, à l’is- le marché
sue d’une réunion de son conseil
italien depuis 220 PAGES

d’administration, à Rome.
Le groupe de téléphonie a pré-
cisé, lors de la publication de ses
résultats annuels préliminaires
de 2018, s’attendre notamment à
une baisse de l’excédent brut d’ex-
ploitation (ebitda) organique du
groupe, qui devrait tomber à envi-
ron 8,1 milliards d’euros pour l’an-
née passée, et à ce que le premier
semestre 2019 soit dans une
veine similaire.
Une baisse principalement due,
selon l’opérateur, à la concur-
rence accrue sur le marché italien
depuis l’arrivée d’Iliad. « La pré-
sence d’un nouvel [acteur] a mis
les opérateurs sous pression : pour
y faire face, chacun a lancé sa mar-
que low cost et les prix ont baissé.
Jusqu’à présent, Telecom Italia
était un peu dans le déni, assurant
qu’il ne souffrait pas comme ses
autres concurrents Wind Tre et Vo-
dafone », explique Alexandre Ia-
trides, analyste chez Oddo. « Le
nouveau conseil d’administration
cherche à retrouver la confiance
du marché », estime M. Iatrides,
qui voit dans l’annonce de jeudi
une volonté nouvelle de « trans-
parence » de la part de l’opérateur.
Tensions entre actionnaires
A la concurrence exacerbée sur le
marché domestique s’ajoute le
montant déboursé par TIM
(2,4 milliards d’euros) lors de la
vente aux enchères des fréquen-
ces 5G en Italie en 2018, qui pèse
lourdement sur ses finances.
Ces mauvais résultats, auxquels
se greffent les perspectives finan-
cières peu réjouissantes du
groupe télécoms pour le début de
2019, n’ont guère rassuré les mar-
chés. A la Bourse de Milan, le
cours de l’action de Telecom Italia
était sévèrement sanctionné,
vendredi 18 janvier. Durant
l’après-midi, le titre perdait jus-
qu’à plus de 8 % dans un marché
italien pourtant en hausse.
De quoi raviver les tensions en-
tre les actionnaires du groupe ita-
12 €
l’arrivée d’Iliad
lien, qui se disputent âprement la
gouvernance de l’opérateur de-
puis plusieurs mois. Contacté par
Le Monde, Vivendi, premier ac-
tionnaire de Telecom Italia, avec
24 % du capital, se disait une nou-
velle fois « très inquiet » de ces
mauvaises performances finan-
cières. « Depuis qu[e le fonds d’in-
vestissement américain] Elliott
[qui possède 9 % des titres] a pris
le contrôle, le 4 mai [2018], il n’y a
pas de plan, et l’action de Telecom
Italia a chuté de plus de 45 % », ob-
serve un porte-parole du groupe
français de médias, qui assure
tout mettre en œuvre pour sortir
l’opérateur de cette situation. « Vu
qu’Elliott est protégé contre une
baisse du cours de l’action, cela
leur est égal que le cours chute.
Mais nous, nous sommes là pour le
long terme, et Vivendi continuera
à se battre », poursuit-il. Le fran-
çais se dit prêt à demander la con-
vocation d’une nouvelle assem-
blée générale cet été si les résul-
tats ne s’améliorent pas de ma-
nière significative.
Les deux actionnaires sont pris
dans une véritable guerre
ouverte, depuis la prise de con- UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du monde, PLANÈTE Alors que la fréquence et les coûts des catastrophes
trôle du conseil d’administration les chiffres-clés (population, PIB, part du commerce avec la naturelles ont battu des records en 2018, les Etats ne sont pas
de l’opérateur par Elliott. Ils ne
Chine et les Etats-Unis...), une carte et une analyse politique parvenus à s’accorder, à la COP24, sur les mesures à prendre.
cessent de s’opposer sur la gou-
vernance du groupe et la straté- et économique de l’année par les correspondants du Monde.
FRANCE Emmanuel Macron, tout à ses réformes, n’a pas pris
gie à mener pour relancer la
UN PORTFOLIO 16 pages des meilleures photos d’actualité la mesure de l’écart entre « les premiers de cordée » et
croissance de l’ancien fleuron ita-
lien. Parmi les points de désac- de l’année, sélectionnées par le service photo du Monde. « les invisibles » : la révolte des « gilets jaunes » signe le retour
cord figure notamment la ges- de la question sociale.
INTERNATIONAL Le recul des démocraties face aux régimes
tion du réseau fibre.
Les résultats financiers défini- autoritaires et à la montée de l’extrême droite dans le monde ; IDÉES Catherine Deneuve, Roberto Saviano, Tony Blair, Yann
tifs pour l’année 2018 seront pro- les guerres commerciales de Trump ; Mohammed Ben Salman Arthus-Bertrand, Laurent Gaudé.., les textes publiés dans
chainement présentés. Le con- en échec face à l’Iran ; le jeu de dupes du Brexit. Le Monde qui ont marqué l’année 2018.
seil d’administration de Telecom
Italia doit se réunir le 21 février
pour les examiner, en même
temps que le plan stratégique du
nouveau patron de l’opérateur,
Luigi Gubitosi. p
zeliha chaffin
 0123
Le
collège
Un an avant
l’interdiction des
sans
fil
portables au collège,
un principal
de Haute-Saône a
déscotché ses élèves
de l’écran maudit.
Les ados lui disent
merci

2 E N QUÊ TE

4E ÉDITION PRÉSIDÉE
PAR OLIVIER ARCHAMBEAU

5 EN R ÈGL ES

Tempête sur
les tampons
Accusées de nombreux maux,
ces protections hygiéniques
sont de plus en plus boudées
par les consommatrices.
Les marques contre-attaquent
25, 26 ET 27 JANVIER 2019 / LE CENTQUATRE - PARIS
6 B AL ADE RÉSERVATIONS SUR WWW.TERDAV.COM/FESTIVAL-OBJECTIF-AVENTURE
LIN DELPIERRE POUR « LE MONDE »

Niort j’adore
Archimoche, selon Houellebecq,
la cité des Deux-Sèvres vaut bien
le détour. Pour qui aime Simenon,
la brume et l’angélique

DIMAN C H E 20 - LU N DI 2 1 JAN V IE R 201 9 C AHI ER DU « M O N DE » N O 23025 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T

2 0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 JA N VIER 20 1 9
ENQUÊTE
« On ne savait rien faire sans
portable. Maintenant, on se parle »
Depuis 2017, un collège
de Haute-Saône a proscrit les
portables entre ses murs. Retour
sur une expérience pionnière
Par Pascale Krémer
D
es adolescents privés de
portable qui ne se sentent
pas punis, mais « libérés ».
Qui se reconnaissent, en
souriant, « capables de
vivre sans ». « Large ! »,
même. Et aucune sonnerie de réveil pour
interrompre ce doux rêve parental. On
ne dort pas, ces collégiens existent, il
faut simplement aller jusqu’à Fauco-
gney-et-la-Mer pour les rencontrer, au
fond d’une vallée de Haute-Saône, sur le
plateau dit des Mille Etangs.
« Au bout du bout du département
le plus rural. C’est un peu le Ushuaia fran-
çais, ici », plaisante Rudy Cara devant le
collège qu’il dirige. Un gros Rubik’s Cube
tacheté d’orange, de bleu et de jaune,
posé au cœur d’un bourg de 500 habi-
tants, avec vue sur l’entrepôt SEB, sur le
Trésor qui a fermé et la gendarmerie qui
s’apprête à le faire. En Terre de feu
franc-comtoise, le principal du collège
Duplessis-Deville est un pionnier : dès
novembre 2017, il a bouté les smartpho-
nes hors de son établissement. Un peu
plus d’un an avant que la loi (3 août 2018)
n’impose l’interdiction dans tous les col-
lèges et écoles de France.
Pourquoi avoir devancé l’appel ?
Face aux élèves qui investissent bruyam-
ment la cour – c’est la récré de 14 h 50 –, le
principal convoque ses souvenirs. Il y a
un an, ces mêmes collégiens squattaient,
par grappes, les bancs et les tables de
Ce que dit
la loi
La loi du 3 août 2018 interdit
aux élèves l’utilisation du télé-
phone portable (des tablettes
et montres connectées) dans
les écoles maternelles, élémen-
taires et collèges. Y compris
durant les activités scolaires à
l’extérieur de l’établissement.
> Les exceptions
En classe, des « usages pédago-
giques » du portable demeu-
rent possibles. Le règlement
intérieur peut autoriser l’usage
du portable dans certains lieux
(comme la vie scolaire). Les élè-
ves handicapés ou malades
ont toujours le droit d’utiliser
des dispositifs médicaux asso-
ciés à un équipement de com-
munication.
> La sanction
Confiscation de l’appareil, le
règlement intérieur fixant les
modalités de restitution.
> Au lycée
Les lycées n’étant pas concer-
nés par la loi, le choix leur re-
vient d’interdire ou non.
ping-pong, regard fixé sur le portable. Ils
s’envoyaient des SMS pour se demander
« T ou ? », tandis que la réponse s’écrivait
en silence sur le banc d’en face. Le centre
de la cour, lui, demeurait désert. « Regar-
dez ! Ils ont relevé la tête, observe le princi-
pal. Ils se regardent à nouveau. Et ils nous
ont redemandé des ballons ! »
Ça discute, ça court, ça se bous-
cule, ça hurle, dans l’éternel rectangle
bitumé que ceignent des bancs et domi-
nent trois arbres plantés sur une butte
herbeuse. Une récré banale, en somme,
savourée pourtant comme une victoire
par les adultes qui la surveillent. « Les
petits sixièmes ont de nouveau des panta-
lons troués et plein de terre quand ils arri-
vent au gymnase », s’attendrit Mathieu
Jeannin, professeur de sport. Tout
comme l’assistant d’éducation, Alain
Simonet : « Ils sont vivants ! »
L’interdiction de l’usage des télé-
phones portables ne visait pas simple-
ment à réinventer la cour de récré du
XXe siècle. C’est tout le collège qu’il fallait
sauver. Quelque 150 élèves, répartis dans
huit classes, pas même de conseiller
principal d’éducation, et 14 des 20 profs à
temps partagé : cela sentait le sapin pour
ce minuscule établissement des Vosges
saônoises. Lorsqu’il débarque, en 2014,
pour diriger son cinquième collège, Rudy
Cara, ex-prof d’histoire en banlieue
lyonnaise, tente un coup de poker éduca-
tif : « Pour accroître notre attractivité
auprès des familles, il fallait penser l’école
autrement, offrir une autre manière de
vivre. Une école où l’on se passe de télé-
phone pour échanger. »
Pas plus que les autres, le collège
de Faucogney n’était épargné par les pro-
blèmes de concentration, de triche,
d’addiction, de conflits, harcèlements et
rackets entre élèves, observés depuis que
les portables prolongent la main des
ados – 30 % à 40 % des sanctions sont
liées à leur usage, selon le syndicat de
chefs d’établissement SNPDEN-UNSA.
Bannir les smartphones ? Pas une siné-
cure quand les élèves grimpent dans le
car de ramassage scolaire dès l’aube, le
reprennent en sens inverse à la nuit tom-
bante, pour parfois ne trouver personne
au retour chez eux – nombre de parents
occupent des emplois ouvriers à horaires
décalés. « Certains ont le portable greffé à
la main depuis qu’ils ont 7 ans car leur
« On sort nos
téléphones dans
les toilettes
pendant la récré.
Des fois, on est
quatre dans
une cabine »
Marceau, élève de 3e
famille cherche un contact permanent »,
explique Alain Simonet.
Première étape : convaincre une
petite poignée de géniteurs réticents. Ces
parents plus prompts à venir récupérer
le portable de l’enfant confisqué qu’à
répondre aux sollicitations du prof de
maths… « Il a fallu un peu de temps,
admet M. Cara, pour expliquer que la rela-
tion avec leur enfant ne passait pas par le
téléphone, qu’on leur apportait un soutien
éducatif. C’est cette génération de parents
qui achètent un portable au gamin pour
qu’il ne soit pas isolé, y compris parmi ses
camarades, mais qui ensuite ont besoin
d’aide pour poser des limites. »
Les douze parents élus au conseil
d’administration, eux, n’ont pas bargui-
gné. Et un peu plus d’un an après le
démarrage de l’opération « zéro porta-
ble », ils se déplacent volontiers jusqu’au
collège pour témoigner de leur soulage-
ment. Autant de convertis prêchant la
bonne parole. Catherine Barczynski,
mère d’une jeune fille en 3e et ensei-
gnante : « Je ne suis pas contre les écrans
mais leur utilisation doit être régulée.
Nos enfants n’ont pas besoin du portable
au collège. Ils doivent apprendre à s’insé-
rer dans un groupe, le respect de l’autre,
ça vaut le coup d’interdire. » Edwige
Grillot, carré blond, pull parme, a un fils
en 5e et de la compassion « pour les profs
dont ça pollue les cours » : « Les règles
soulagent aussi les enfants de la pression
du groupe pour avoir un portable. Et de
plus en plus tôt. Mais c’est leur donner un
 0123
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 JA N VIER 20 1 9 3

Le dilemme des parents

La pratique est courante : quand
l’enfant entre au collège, et qu’il
est en âge de faire des trajets seul,
ses parents consentent à lui offrir
un portable. Il s’agit de se rassurer,
on peut savoir à tout moment où
il se trouve, mais le smartphone
se transforme le plus souvent
en source inépuisable de conflits
et d’angoisse. Pourquoi tu passes
autant de temps dessus ? Pour-
quoi tu ne m’as pas répondu ?
Il y a quelques années, le philoso-
phe italien Maurizio Ferraris s’est
intéressé aux transformations du
lien social induites par cet objet
dans T’es où ? Ontologie du télé-
phone portable (Albin Michel,
2006) et Mobilisation totale.
L’appel du portable (PUF, 2013).
L’inquiétude des adultes face à la
sollicitation permanente dont
font l’objet leurs enfants – et dont
ils sont responsables, puisque ce
sont eux qui ont mis l’appareil en-
tre leurs mains – lui paraît banale.
Au collège Duplessis-Deville, à Faucogney-et-la-Mer (Haute-Saône), le 16 janvier. LIN DELPIERRE POUR « LE MONDE »
Le smartphone, à l’adolescence,
« est un outil d’émancipation,
de sortie du contrôle, de création
d’une société alternative ». « En
même temps, observe-t-il, c’est
la soumission à des autorités
autres que celle de la famille
– les lois du groupe, par exemple.
On admet très bien que l’autorité
familiale ne soit pas la seule.
Mais le problème de la société
alternative du portable, c’est
qu’elle est, pour ainsi dire, une
société secrète. Cela se passe tou-
jours ainsi chez les enfants, mais
avec le portable c’est plus simple,
donc assez dangereux. »
On peut s’en remettre à un tiers
(un logiciel de contrôle paren-
tal) pour maîtriser l’usage qu’en
fait l’enfant : on peut contrôler
son temps passé et son activité
sur Internet, bloquer des appli-
cations, le géolocaliser. Mais
alors, l’angoisse n’en est que
redoublée et tout devient sujet à
dilemmes. C’est ce que traverse
le journaliste Xavier de la Porte.
Il a raconté, sur France Inter,
vivre un « paradoxe extraordi-
naire » depuis qu’il a offert un

R
achel Panckhurst est enseignante-cher- portable à sa fille de 12 ans. En
DES CO U R S I N T ER A CT I F S
cheuse en linguistique-informatique à
l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Elle la « surfliquant » grâce à des logi-
est également membre du laboratoire Praxiling
(CNRS, université de Montpellier). « L’interdiction est inutile » ciels, il s’aperçoit qu’il fait avec
elle ce qu’il déteste que l’Etat
fasse dans le cadre de la lutte
Quel regard portez-vous
sur l’interdiction du téléphone antiterroriste, c’est-à-dire sur-
portable au collège, par la loi Quelles expériences avez-vous repérées ? blit la communication entre élèves, enseignants, veiller les agissements des
du 3 août 2018 ? Au collège, s’il y a une sortie, et que la personne administration et parents, qui héberge le journal internautes de façon intrusive.
Arrêtons de diaboliser le portable, c’est un formi- rencontrée est d’accord, les élèves peuvent pren- de classe, qui permet la préservation interactive
dable outil d’apprentissage ! Cette loi est inutile, dre des notes, enregistrer, photographier, filmer, des cours, la création de parcours individualisés, « Il y a peut-être une vertu péda-
les collèges pouvaient déjà l’inscrire au règle- puis préparer un compte rendu restitué en classe. le travail collaboratif… Du coup, certains établis- gogique dans tout ça, y compris
ment. Tout cela est politique, fondé sur des idées Un enseignant d’histoire-géographie peut faire sements qui avaient interdit le portable sont pour l’enfant. Il est habitué très
reçues, comme le fait qu’on ne saurait plus écrire manier en cours les applis géolocalisées pour revenus sur cette interdiction.
à cause des SMS. Nos travaux ont montré que les montrer l’empreinte numérique que l’on laisse. Il vite à l’idée que sa vie numérique
élèves sont pluricompétents, qu’ils différencient y a aussi les Twictées, cette compétition de dic- A l’université, vos étudiants utilisent-ils est scrutée, explique-t-il. Pour
leur façon d’écrire selon l’interlocuteur, que les tées faites en groupe, grâce au réseau social que leur smartphone en amphi ? autant, dois-je souhaiter que ma
SMS sont très créatifs et ne font pas chuter le les élèves connaissent bien. Oui, j’utilise l’appli Wooclap afin que le cours soit
fille apprenne au plus vite à
niveau initial en orthographe. plus interactif. Je pose une question aux étudiants,
Les parents, c’est normal, s’inquiètent D’autres exemples ? et leur réponse (oui/non) envoyée gratuitement déjouer Google, et donc à échap-
des problèmes de harcèlement. Sauf que là, au Je pense à cet outil collaboratif canado-améri- par SMS apparaît en temps réel sur l’écran de mon per à ma surveillance ? »
lieu d’accompagner les pratiques, on interdit cain, Classcraft. On applique les principes du jeu ordinateur projeté au mur. Ils peuvent aussi ré- Quand, un soir, Google
donc on évite tout travail éducatif. Il faut prépa- (règles, niveaux, avatars, progressions…) à la salle pondre à une question ouverte et, là, un nuage de
rer les élèves à une utilisation raisonnée. Et de classe, pour faciliter l’apprentissage de la phy- mots se forme. Les étudiants se sentent plus im- l’informe que sa fille a télé-
pour les enseignants, c’est important de rendre sique par exemple. En Belgique, dans la partie fla- pliqués. En amphi, sinon, personne n’ose jamais chargé une appli de jeu à minuit
le cours un peu plus ludique pour favoriser les mande, neuf collèges sur dix utilisent la plate- parler. Et l’attention disparaît en dix minutes. et qu’il lui fait observer le lende-
apprentissages. forme numérique scolaire Smartschool qui éta- Propos recueillis par P. Kr.
main qu’on n’utilise pas son
smartphone au milieu de la
nuit, elle lui assure qu’elle dor-
mait profondément et qu’elle
outil de grande personne alors qu’ils sont vant. » Bon, pas franchement « éteint au vaches. Marceau, en 3e, chevelure pétard de travail ». « Certains élèves ne savent pas n’a rien téléchargé du tout. « Qui
encore des enfants ! » fond du sac », plutôt « en veille dans la et franchise détonante, sort encore son surfer sur le Net. » Lui qui apporte dictées croire ? Le programme informati-
Le plus remonté, c’est Frédéric poche du manteau ». « Mais je n’y pense smartphone en physique « parce qu’il y a et cours sur smartphone apprécie la que – dont je ne sais pas exacte-
Coste-Sarguet, un artisan-boucher à plus du tout, à part quand je regarde les tables de labo avec une petite planche concentration retrouvée, depuis un an.
barbe grise, dont le fils fréquente la l’heure. » Certains de ses camarades ont devant », et « pendant les interros, si je « Auparavant, se souvient-il, on ment s’il fonctionne en temps
classe de 3e et « les écrans trois heures par redécouvert l’intérêt de la montre. m’énerve à pas trouver un truc », et encore entendait sans arrêt des petits signaux réel – ou mon enfant ? (…) Dois-je
jour ». « Les gamins, on essaie de les tenir D’autres, celui de se parler. « dans les toilettes en récré ». « Des fois, on sonores. Certains faisaient des blagues troquer la croyance en l’humain
mais ça ne dure jamais très longtemps. Nathan, le fils du boucher, un est trois ou quatre dans une cabine. En aux autres, leur envoyaient des SMS
Les écrans, c’est une obsession, c’est hyp- sportif gaillard et élégant, était franche- plus, y a le radiateur… » exprès pour que leur portable soit confis- pour la croyance en la machine ? »
notique. Il faut leur inculquer qu’ils peu- ment « contre l’interdiction » qu’il jugeait On ne « caftera » pas, évidem- qué. On entendait même des sonneries ! Nouveau dilemme.
vent appuyer sur “off” de temps en temps, « agaçante ». Désormais, il s’entend dire : ment, mais le principal n’est pas dupe. Il Et quand je voyais les mains d’un élève Maurizio Ferraris n’a pas de
et que ça va très bien se passer. » « On s’habitue. On va voir les gens. C’est s’amuse, d’ailleurs, des temps qui chan- s’attarder dans son sac posé sur la table,
solution. « Les adolescents ont
Le débranchement s’est opéré en pas qu’on se porte mieux mais on se tape gent, des téléphones remplaçant la ciga- je savais qu’il jouait. » Son collègue de
douceur. Après la modification du règle- des barres entre potes. Le téléphone, c’est rette, dans les toilettes. Car globalement, SVT, Stéphane Boudinot, ne regrette pas un droit au secret, et la tentative
ment du collège, en novembre 2017, il a un mur entre les êtres. » Etrange. On croi- observe-t-il, les frustrations sont pas- non plus « l’agitation au retour de la d’être trop près d’eux les éloigne
été convenu que les portables demeure- rait entendre leurs parents. Et le phéno- sées, les limites acceptées, les confisca- récré où des conflits étaient nés parce d’autant plus, et rend plus
raient « éteints, au fond du sac », sous mène se reproduit à la sortie de toutes les tions devenues rares. « Le problème est qu’ils s’envoyaient en permanence des
peine de confiscation temporaire. Mais classes. Nina, 13 ans, en sweat étoilé : derrière nous. » Devant, il y a la solution : messages, des insultes, et que les uns difficile leur accès à l’âge adulte. »
les captifs du smartphone ont d’abord « Ceux qui n’avaient pas le téléphone, une palette d’activités susceptibles prenaient les autres, qui ne le voulaient Pour le philosophe, il s’agit
bénéficié d’une « période probatoire » c’étaient les gros boloss… On ne savait rien d’occuper le temps de cerveau soudain pas, en photo… » autant de résister à la tentation
jusqu’au mois de janvier. « Je m’amusais faire sans nos téléphones. Maintenant disponible. Le collège de Faucogney-et- Mais l’idée n’est pas de jeter le
à leur envoyer des SMS pour voir s’ils me c’est plus convivial, on se parle plus, on ne la-Mer mobilise à tour de bras, parents, smartphone avec l’eau du bain. « On de vouloir tout savoir de ses
répondaient, raconte le principal. Et on fait pas que se montrer des photos. » grands-parents et autres bénévoles, pour repart de zéro, on enseigne les moments enfants que de leur enseigner
rendait dans la journée les portables Elève de 4e, Agathe opine de la initier au judo, aux échecs, à la peinture, où s’en servir ou non, on recrée un cadre l’importance de protéger leur
confisqués. Les premiers temps, on a un queue-de-cheval. « De base, l’interdiction, à la vidéo, au ping-pong, au handball, protecteur contre la violence des réseaux
propre vie privée. Car en réalité,
peu joué au chat et à la souris… » j’étais pour. Quand la sonnerie arrivait, aux activités de pleine nature – pêche, sociaux. Bref, on fait notre devoir d’éduca-
Il faut dire que les souris fai- on avait encore la tête dans la vidéo qu’on confection de nichoirs à oiseaux, tion », assume le principal. Sans nier tou- cet objet, le plus intime qui soit,
saient de la résistance. Les délégués de regardait. Et il y avait des imbéciles qui cueillette de champignons… tefois que l’outil puisse être précieux aux « est moins aisément accessible
classe avaient majoritairement voté prenaient des photos gênantes. Ça gâ- L’ambiance n’est ni à la prohibi- plus introvertis. Et qu’à peine franchie la aux parents qu’à d’autres contrô-
contre cette atteinte à leurs droits fonda- chait les années collège. Maintenant c’est tion ni à la nostalgie. Le téléphone peut grille de l’établissement, tous les élèves
mentaux d’adolescents. Le sentiment mieux, l’ambiance. On se raconte ce qu’on être utilisé à la vie scolaire, en cas de be- replongent encore plus goulûment dans leurs ». Légitimes ou pas.
d’injustice, pourtant, s’est tassé plus vite fait, les classes se mélangent à la récré, on soin. Les cyclistes l’ont en poche à chaque leur portable. Rudy Cara, lui, savoure un Zineb Dryef
qu’ils ne l’avaient eux-mêmes imaginé. s’amuse comme au primaire. » sortie. Et les enseignants ne renoncent autre petit plaisir : « Quand on confisque
Maeva, 14 ans et de longs cheveux bruns, La conversation s’éternisant, fu- pas à s’en servir en cours. Professeur de un téléphone, maintenant, les parents me
en témoigne : « Au début, on n’était pas sent les premiers « Je vous dis pas qu’on français, Frédéric Simon fait lire Le Horla, disent : “Mais gardez-le toute la semaine,
trop d’accord, ça nous saoulait. Mainte- n’est jamais dessus ». Les « Y en a toujours de Maupassant, sur portable, et « tente de je compte sur vous pour lui apprendre à
nant, mon téléphone, je le range en arri- qui transgressent, dont moi », un peu bra- montrer qu’on peut l’utiliser comme outil ne pas s’en servir !” »
4 0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 JA N VIER 20 1 9

LE BLOC-NOTES
PARENTOLOGIE
L’éducation est une science (moyennement) exacte. Cette semaine, Nicolas Santolaria
s’interroge sur le choix du prénom. Des fruits, des stars, des jeux de mot…
Désormais tout est permis. Mais qui va sauver les enfants ?
TU VAS
R É P ON DR E ,
OU I ?
Et si on l’appelait Kinoah ?
L’APPLI REPLYASAP oblige les enfants à
repondre aux SMS de leurs parents, faute
de quoi, leur téléphone est muselé. Et pas la
peine de plaider la bonne foi ou le portable
éteint : l’envoyeur reçoit une confirmation
de réception. C’est un Américain, Nick
Herbert, agacé par les silences de son fils,
qui en a eu l’idée. Ça marche aussi dans
l’autre sens, précise-t-il. Créée en 2017, l’appli
a été téléchargée plus de 75 000 fois.

– 52 °C LASSE RUSSE

C’est la température

GARDE-À-VOUS
Une dizaine d’écoles
chinoises ont fourni
à leurs élèves
des « uniformes
intelligents », dotés
de puces GPS, pour
éviter l’absentéisme.
Une alarme retentit
dès qu’ils sortent de
leur salle de classe ou
de l’établissement sans
autorisation, ou encore
lorsqu’ils s’endorment
en cours. Un système
de reconnaissance
faciale à l’entrée
de l’école garantit
que chaque uniforme
est porté par son
propriétaire.
leur club à recruter un grand
(15 buts en 20 matchs) et leur
LE MOT DE LA SEMA I N E
par laquelle s’est déroulé
un « marathon de l’extrême »
en Sibérie, le 5 janvier.
Les seize coureurs, âgés de
21 à 71 ans, se sont élancés
du village le plus froid
du monde, Oïmiakon,
pour des distances allant
de 5 à 39 kilomètres
– personne n’est arrivé à 42.
Le thermomètre est
monté jusqu’à − 48 °C
pendant la course.
CAGNOTTE
À CRAMPONS
Las de voir leur équipe inca-
pable d’empiler les buts, les
supporteurs de l’OGC Nice
ont ouvert une cagnotte
sur le site Leetchi pour aider
attaquant. Le club azuréen
a la plus mauvaise attaque
du championnat de France
avant-centre italien, Mario
Balotelli, l’un des joueurs les
mieux payés de France, n’a
pas marqué une seule fois.
Q
uand vient le moment crucial de décider comment
son enfant va s’appeler, on se met généralement à
transpirer à grosses gouttes et on multiplie les visi-
tes anxieuses sur le site Signification-prenom.com.
Il faut dire que l’enjeu est de taille. Comme l’ont
montré les travaux du sociologue Baptiste Coul-
mont, en 2018, 5 % des Anthony ont obtenu la mention « Très bien »
au bac, contre 20 % des Juliette.
Sans sombrer dans une approche déterministe, il faut com-
prendre que le choix d’un prénom est porteur d’un ensemble de
signaux socioculturels qui sont loin d’être neutres. Telle la cuirasse
d’un char Leclerc, le prénom doit, en premier lieu, permettre à
l’enfant de survivre sur ce champ de bataille qu’est la cour d’école. Là,
chaque détail compte. Si vous vous appelez monsieur et madame
« Decocault » et que vous avez eu l’idée saugre-
nue de prénommer votre fils « Benoît », celui-ci
risque de se voir durablement assimilé à un
fruit tropical velu.
Si vous vous
Parfois, une intention qui semble loua-
ble au premier abord peut comporter un dou-
appelez M. et
ble fond problématique, qui ne se révèlera M Decocault
me
qu’en rapport à un contexte précis. Mes enfants
et que vous vient
m’ont ainsi plusieurs fois raconté que leur ami
Shaun (un prénom très certainement choisi
dans le but de faire américain) se trouvait régu- l’idée saugrenue
lièrement associé au personnage en pâte à
modeler de la série d’animation Shaun le Mou-
de prénommer
ton (on ne reviendra pas, ici, sur la calvaire por-
cin subi par les « Peggy »).
votre fils Benoît,
Pour éviter à ma progéniture ce type de il risque de se voir
désagréments, j’ai opté pour la politique du
« stigmate minimum ». Pas question que mes durablement
enfants se trimballent avec le prénom d’un
dictateur sud-américain disparu ou d’un has- assimilé à un fruit
been de la télé-réalité. Encore plus horripilante
est la stratégie consistant à se faire mousser en
tropical velu
transformant la vie de son petit dernier en une
interminable mise au point orthographique : « Oui, mes parents
m’ont appelé Dammien, mais avec deux “m”. Ils trouvaient ça beau-
coup plus original. » En accord avec ma compagne, j’ai donc opté
de l’enfant), on trouve, comme le relate l’Anti-guide des prénoms
(éditions First, 2016), des « Aboubacar-Jacky » ou des « Jean-Bryan »,
voisinant avec des « Euthanasia », « Merdive », « Retcharles », « Hute-
rin », « Jessico » ou encore « Didro », hommage au célèbre encyclo-
pédiste. Toutes ces trouvailles semblent surréalistes mais ont été re-
censées par la Ligue des officiers d’état civil.
Car oui, à côté des explorateurs timorés de la dénomina-
tion émerge une nouvelle catégorie de parents qui agite à la face
du monde le prénom-étendard de leur descendant, sans que l’on
sache très bien s’il s’agit là d’un simple geste de fierté créative ou
d’un doigt d’honneur.
Customisé à grand renfort de « y », de « k » et d’apostrophes,
le prénom improbable a pour fonction d’envoyer un message fort
– et bien souvent indéchiffrable – à la face du monde : imaginés pour
vous en coller plein la vue, « Crissolorio »,
« K’Pucine » ou « Dayvertson » sont aussi
ronflants qu’une 205 GTI avec jantes alu.
Dans le domaine exploratoire du tuning
de prénoms, on trouve plusieurs grandes
familles, décomposées en innombrables
micro-tribus. Chez les rebelles de l’ortho-
graphe, c’est au sous-groupe des fans des
prénoms composés que l’on doit les
magnifiques « Kill-Yann » ou encore « Zac-
Harry ». Econome en ressources alphabé-
tiques, une autre branche s’enorgueillit
d’avoir donné naissance à des compres-
sions telles que « Nzo » ou « Mrick » (sortes
d’armures anti-diminutifs).
Si je n’ai rien contre l’originalité, je
me dis que l’enfant est aussi un inconnu
que l’on se doit d’accueillir dignement,
sans lui infliger dès le berceau le poids de
choix trop stigmatisants. Révélateur des
passions forcément passagères des pa-
rents, le prénom peut en effet se transfor-
mer en fardeau. « Djihad », par exemple,
n’est pas super facile à porter par les temps qui courent, mais conti-
nue à être attribué. Quant à « Griezmann Mbappé », récemment
choisi par un couple de Brive, il pourrait s’avérer un prénom contre-

Confiance tout d’abord pour le prénom d’un vieux camarade de classe que
j’aimais bien (tropisme nostalgique), puis pour celui d’un acteur
pagnolesque (tropisme solaire).
productif si l’enfant décide plus tard de faire carrière dans le basket.
Et que dire de cette nouvelle mode venue d’outre-Atlantique
consistant à donner à ses enfants des noms d’aliments sains, tels
N. fém. Cette forme de retenue m’inscrit dans la tendance majoritaire que « Kiwi » ou « Kale » (chou frisé, pour les intimes) ? Cette nouvelle
qui voit les parents préférer l’option passe-partout au moment de sta- lubie aux relents anthropophages tend à réduire sa progéniture à
tuer sur un assortiment de consonnes et de voyelles. Si l’on en croit les un support militant et pourrait déboucher, à terme, sur une forme
« Espérance ferme, assurance prévisions de l’Officiel des prénoms, la tendance pour 2019 sera, à peu
de chose près, la même que l’année précédente : Gabriel et Louis
de ségrégation par le prénom, suscitant des remarques parentales
aussi surréalistes que : « Kinoah [un vrai prénom], je t’interdis d’aller
de celui, celle qui se fie domineront chez les garçons, Emma et Louise chez les filles. Prenant
à rebours cette inclination précautionneuse, un ami à moi avait un
dîner chez Curly [aussi un vrai prénom], je trouve que ce garçon n’est
pas très sain. Je préfèrerais que tu fréquentes Taufoou [encore un vrai
à quelqu’un. » (Le Robert). jour décidé de prénommer son fils « Saturnin Mouloud ». Je n’avais
pas bien saisi, sur le moment, à quel point ce type était un pionnier.
prénom], qui plaît beaucoup à ta mère et à moi. »

Mot choisi par Emmanuel Depuis que l’officier d’état civil ne peut plus s’opposer au
choix des parents lors d’une naissance (mais simplement avertir le
Macron pour clore sa « lettre procureur de la République s’il estime que le prénom nuit à l’intérêt

aux Français », dans l’espérance

ferme de voir remonter sa cote,
de confiance justement.
LES MO T S DU SEXE
Le frein et la couronne Wikipédia, « les individus se

GENTLEMEN ONLY constituant les parties les plus battent, utilisant des pénis

C’est, semble-t-il, la nouvelle devise

d’un restaurant de Madison Avenue,
qui a demandé à l’une de ses
clientes de ne plus s’asseoir seule
au bar pour dîner, comme elle
en avait pris l’habitude lors de ses
fréquents séjours à New York.
Installée seule à une table,
la Britannique Clementine Crawford
a pu constater que ce traitement ne
s’appliquait pas aux hommes seuls.
Comme elle s’enquérait des
motivations de l’établissement,
on lui a fait comprendre, selon
le récit de sa mésaventure publié
sur Drugstoreculture.com,
qu’il s’agissait là d’une sorte
de chasse aux escort girls.
Le frot
Par Maïa Mazaurette
Qu’est-ce que le « vrai » sexe ?
Encore aujourd’hui, nous
établissons une différence
artificielle entre les pratiques
sans ou avec pénétration (les
premières étant supposément
moins « graves » que les
secondes). Un système de
pensée pratique, mais qui
restreint ou rend invisibles des
territoires entiers de
l’érotisme. Ainsi, quand on
pense au sexe entre hommes,
c’est toujours la sodomie qui
vient à l’esprit. Au risque
d’oublier la masturbation
partagée, le coït intercrural
(entre les cuisses), mais aussi le
frot, qui consiste à frotter les
pénis l’un contre l’autre
(attention à ne pas confondre
avec le frottage, qui désigne
n’importe quel frottement
sensuel).
sensibles de la verge, on
comprend l’intérêt : le frot
est agréable, à peu près safe,
et, cerise sur le popol,
complètement égalitaire
(pas de symbolique de
domination, pas d’angoisses
identitaires de type « qui fait
la femme ? »).
Le frot n’est par ailleurs pas
strictement réservé aux
humains. Chez les bonobos
mâles ou certaines baleines,
on parle de « combat » de
pénis. Lequel peut constituer,
chez des espèces de vers
hermaphrodites, une stratégie
de reproduction ! Selon
blancs et pointus similaires à
des dagues… Chacun des
deux partenaires essaye de
percer la peau de l’autre avec
son pénis. L’un d’entre eux
inséminera l’autre. La bataille
peut durer une heure ».
Effrayant ? Pas plus que la
pratique bien humaine
consistant à considérer son
pénis comme une arme
(#masculinitétoxique). Pour
rappel, quand vous parlez de
votre sémillant
« braquemard », il s’agit d’un
couteau court et large,
destiné à hacher et désherber.
Faites le frot, pas la guerre ?
 0123
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 JA N VIER 20 1 9 5
La série « Moi(s), »
(2015) de la
photographe Julie
Balagué, regroupe
des portraits de
femmes et de leurs
tampons usagés,
mais aussi des
interviews de
chacune parlant
de ses règles.
JULIE BALAGUÉ

SUPER NANA

A
l’ère du tout-na-
turel, du rejet des
processus indus-
triels, à l’ère où
même nos chaus-
settes sont bio, il
y avait là quelque chose d’ana-
chronique. Le tampon hygiéni-
que, objet intime par excellence,
échappait à la défiance générali-
sée qui emporte, un à un, tous les
objets de notre quotidien : pilule
contraceptive, aliments transfor-
més, biberons en plastique, im-
plants médicaux… Ce n’est désor-
mais plus le cas : ces deux derniè-
res années, les ventes de tampons
s’érodent en France (− 3 % depuis
janvier 2017, selon les fabricants).
Un nombre croissant de
femmes renoncent à utiliser la
protection popularisée par Tam-
pax, par souci écologique ou par
peur des risques. Elles affirment
que le tampon ne passera plus par
elles et infléchissent le marché en
faisant des choix
alternatifs.
Les distri-
Mauvais sang
Néfaste pour l’environnement,
contenant des substances chimiques
« préoccupantes », le tampon hygiénique
n’échappe pas à la défiance généralisée
Juliette Garnier
syndrome du choc toxique (mala-
die infectieuse aigüe qui peut
concerner les femmes porteuses
d’une forme de staphylocoque
doré, lors de l’utilisation prolon-
gée d’un tampon), a été large-
ment médiatisé.
Peu après, Mélanie Doer-
flinger, une jeune femme de
21 ans, lance une pétition sur
Internet pour exiger que Tampax
inscrive sur les éti-
ÉQ U I TAT I O N , N ATAT I O N , J U DO… quettes la
composition de ses
dre de coton et cellulose a consti-
tué un outil extraordinaire
d’émancipation. « Le tampon,
c’était faire tout ce que je souhaitais
faire ces jours-là ! Parce que les ser-
viettes hygiéniques, franchement,
c’était un enfer », se souvient Mu-
rielle. Inventé en 1929 par le méde-
cin américain Earle Cleveland
Haas, qui fonde Tampax en 1934, le
produit est lancé en 1951 en France
et s’impose rapidement.
Il suit la même trajectoire
que la pilule : défendu par les
féministes (on se souvient de la
fille, Camille, 15 ans, sur les ris- lutte autour de la « taxe tampon »,
ques d’utiliser un modèle trop visant à diminuer le taux de TVA
absorbant et de le conserver plus sur ce produit, en 2015), le voici
de quatre heures. vilipendé par ses utilisatrices, qui
En juillet 2018, l’Agence n’hésitent pas, elles aussi, à se
nationale de sécurité sanitaire de placer sur un registre militant.
l’alimentation, de l’environne- Certaines s’affranchissent des
ment et du travail (Anses) dresse produits jetables parce qu’elles
la liste des composants chimiques « veulent savoir ce qu’elles mettent
« préoccupants » présents dans les dans leur vagin », avance Capucine
protections intimes. Y figurent Mercier, fondatrice de la marque
notamment des traces de lindane Plim, qui fabrique des protège-
UNE IDÉE
et de quintozène, deux pesticides slips lavables et vend des coupes
dont l’usage est interdit en Eu- menstruelles. « Beaucoup de nos
> UN FONDS POUR

11000
buteurs, dont Mo- produits. Plus de rope depuis 2000. L’Anses conclut clientes veulent aussi réduire leurs
LES RÈGLES
noprix ou 300 000 personnes cependant à « l’absence de risque déchets », juge-t-elle. Des femmes
Du 14 au 17 janvier,
Franprix, ont réagi la signeront. « Le su- sanitaire » de ces produits. Les envisagent ainsi d’enfiler une
l’université de Lille, qui
en ouvrant leurs jet a depuis été repris tampons peuvent aussi contenir, culotte menstruelle, lavable, im-
compte 67 000 étu-
rayons d’hygiène à par plusieurs asso- à faible dose, des dioxines ou perméable, fabriquée sans « pro-
diants, a distribué
d’autres marques ciations. J’ai fait le phtalates, qui, selon plusieurs étu- duits toxiques » et « zéro déchet ».
que Tampax, lea- C’est le nombre moyen job », explique-t- des médicales, auraient un im-
30 000 kits de protec-
tions hygiéniques à ses
D’autres utilisent une éponge de
der du marché. elle. Depuis fin pact sur la fertilité féminine. mer à insérer dans le vagin – pro-
Sur le Net, de nou- de tampons utilisés par 2016, la marque Sur les réseaux sociaux,
étudiantes, pour un bud-
get de 50 000 euros,
duit naturel et lavable, mais dont
veaux acteurs américaine, filiale les mises en garde se multiplient, l’innocuité n’a pas été démontrée.
sont apparus. une femme dans sa vie du géant Procter avec des informations plus ou
à l’initiative de Sandrine
Rousseau, ancienne élue
Sophie, architecte de 32 ans,
Parmi eux, Jho. La & Gamble, assure moins vérifiées. Des bloggeuses s’est, elle, convertie à la « cup » en
écologiste, professeure
marque de tampons bio, vendus détailler la composition de ses influentes font la guerre au tam- s’ouvrant à des « modes de consom-
d’économie et vice-prési-
sur abonnement, créée par Do- tampons, en ligne et dans ses pon. Des jeunes filles s’en détour- mation écologiques ». Alternative
dente à la vie étudiante
rothée Barth et Coline Mazeyrat, boîtes. nent, sous le regard perplexe de au tampon, cette coupe en silicone
et à l’égalité femme-
rencontre un vif succès. Depuis Mais les déboires ne font leurs aînées. « Pour moi, le tam- médical se plie en corolle pour être
homme. Elle s’est inspirée
son lancement en avril 2018, Jho que commencer. En avril 2017, le pon hygiénique a été une libéra- placé dans le vagin et recueillir le
d’une décision du gouver-
a conquis huit mille clientes, à la documentaire Tampon, mon en- tion, raconte Patricia, 47 ans, diri- flux menstruel. « C’est un coup de
nement écossais, qui a
grande surprise des fondatrices. nemi intime, d’Audrey Gloaguen, geante. Pour mes filles, c’est une main. Pas difficile. » Son utilisa-
décidé de fournir gratui-
Tout est fabriqué dans une usine est diffusé sur France 5. La jour- bombe à retardement. Elles refu- tion exige une « petite organisa-
tement des protections
espagnole, à partir de coton bio naliste y détaille les risques de ce sent d’en mettre, sauf le temps tion logistique », explique-t-elle
hygiéniques aux
certifié. Le nom de la marque produit d’hygiène fabriqué par d’une baignade. L’été dernier, la avec un certain art de la litote. La
395 000 élèves et étu-
– Jho pour « juste et honnête » – les multinationales Procter plus jeune, Violette, 14 ans, a choisi contrainte résiderait surtout dans
diantes de la région.
s’adresse à celles qui en « ont & Gamble et Kimberly-Clark, sa la date de sa colonie de vacances l’accès à des toilettes équipées d’un
Un fonds de 5,2 millions
marre qu’on se foute de leur mise sur le marché sans autorisa- en fonction de son cycle, pour évi- lavabo pour y oter sa cup, la vider,
de livres (environ 6 mil-
gueule », explique Mme Barth. A tion médicale (le produit n’est ter d’avoir à mettre des tampons. la rincer et, à l’abri des regards, se
lions d’euros) y a été créé
en croire cette jeune entrepre- pas réglementé) en France, et la C’est trop dangereux à ses yeux. » laver les mains. Malgré cela, cette
pour lutter contre la
neuse installée à Nantes, « les méconnaissance des femmes sur Patricia a bien tenté d’en discuter méthode de protection gagne de
« précarité menstruelle ».
femmes reprennent le pouvoir ». son mode d’utilisation. « Le len- avec elles, de nuancer les risques nouvelles adeptes. A tel point que
Les premiers signes de demain de la diffusion du film, j’en ou de leur en rappeler l’utilité. Tampax prépare le lancement
cette désaffection remontent à ai parlé avec des copines, les mères Peine perdue : « La parole d’une d’une coupe menstruelle en
2015. Le cas de la mannequin Lau- des amis de mes enfants », se sou- mère pèse moins que celle d’une France. La marque commercialise
ren Wasser, jeune Américaine vient Murielle, dentiste pari- influenceuse. » un modèle aux Etats-Unis et au
dont une jambe a été amputée, sienne de 49 ans. Toutes sont ef- Pourtant, pour une géné- Canada, en vente depuis octo-
après qu’elle a contracté un farées. Murielle alerte alors sa ration de femmes, ce petit cylin- bre 2018 sur Amazon.
6 0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 JA N VIER 20 1 9

A gauche, le Vieux pont.

A droite, chantier du Port Boinot, à Niort.
CLAUDE PAUQUET/AGENCE VU POUR « LE MONDE »

L’origine
du mal
Si Niort souffre encore des effets
de la saillie romanesque fort peu
amène de Michel Houellebecq
dans Sérotonine (Flammarion,
352 p., 22 €), il n’est pas impossible
que la préfecture des Deux-Sèvres
soit victime d’un coup bas dont elle
n’était pas la cible. C’est Sylvain
Bourmeau, journaliste et profes-
seur associé à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales, qui, le
premier, a évoqué cette piste, sur
Facebook, le 4 janvier : « Ce que ne
savent pas les élus et citoyens nior-
TOURISME

tais, c’est que leur ville fait sans

doute, au détour d’une phrase as-
sez comique de Sérotonine, les
frais d’un contentieux ancien op-

Vous aimez
posant Houellebecq à la Société
perpendiculaire, [groupe d’intel-
lectuels] fondé en 1985 par (entre
autres) Christophe Duchatelet et
Nicolas Bourriaud. »

Houellebecq…
Houellebecq a appartenu à cette
« entreprise de fiction », qui éleva,
selon ses fondateurs « l’idiotie, le
ratage, le kitsch pavillonnaire, ou
encore la culture d’entreprise au
rang d’objets d’études et d’explora-

vous aimerez Niort

tions ». Mais dans une tribune au
Monde, intitulée « Houellebecq et
l’ère du flou » (10 octobre 1998), les
Perpendiculaires prennent leurs
distances avec « un écrivain per-
Michel Dalloni suadé que la science détient la
vérité, que les valeurs de l’Occident
catholique se perdent, que le
racisme n’est pas un problème,

O
n rêvait du
brouillard, il y en
avait. Parce que
débarquer à Niort
(Deux-Sèvres), par
un matin de jan-
vier, sous un ciel plus bleu que le
bleu des yeux de Michel Houelle-
becq, ça jette un froid. D’ailleurs, il
faisait 1 °C. On avait fait le déplace-
ment pour éprouver la laideur des
lieux (« Niort est l’une des villes les
plus laides qu’il m’ait été donné de
voir », écrit-il dans Sérotonine).
V’là-t’y pas qu’à peine sorti du
TGV 8371, en provenance de Poi-
tiers (Vienne), on se croyait rendu
dans une de ces cités de la vallée
du Rhône – Valence, Montélimar,
Avignon : azur, soleil, palmiers du
genre Trachycarpus fortunei, tuiles
rondes, pierre blonde, volets
battants persiennés. Mais glagla
quand même.
En descendant la rue de la
gare vers on ne savait pas encore où,
on était ainsi à peine étonné de croi-
ser un hôtel de la Marmotte (aucun
rapport avec le restaurant La Mar-
mite de Marmotte, au 14 de l’avenue
des Martyrs-de-la-Résistance) puis
un conseiller en gestion et organisa-
tion à l’enseigne d’Himalaya Patri-
V U E PA R SI MEN O N
« Je m’attendais à une ville triste,
rébarbative, non pas noire, mais
glauque, une de ces villes sans vie
personnelle, sans vibration, comme on
en voit sur les cartes postales bon marché.
Or, dès la gare (…), j’apercevais des maisons
claires, beaucoup peintes en blanc
ou en jaune, de larges avenues, des arbres
et surtout un ciel plus haut, plus
dégagé et plus vaste que le ciel
de Normandie »
« Le Passage de la ligne », de Georges Simenon (1958)
moine avant de buter au pied des
ruines des établissements Boinot
(1881-1996), experts en chamoisage,
tannage local opéré par des chamoi-
seurs, dans des chamoiseries d’où
sortaient des chamoisines. Rapport
avec le chamois ? La peau. De quoi
devenir chèvre.
Ces références alpines
n’avaient d’autre but que de nous
égarer. Renseignements pris, Niort
culmine à 77 m. Et même s’il a fait
– 16 °C le 17 janvier 1987, il n’y neige,
en moyenne, que huit jours par an.
« La ville est plutôt tournée vers la
mer, rectifie Laurent Garcia, 54 ans,
patron du Bar du Marché bientôt
transformé en Boisson rouge, ob-
servatoire autochtone planté face
aux halles. Jusqu’à la fin du XIXe siè-
cle, elle a vécu de ses activités por-
tuaires. Les berges de la Sèvre nior-
taise, le fleuve côtier qui la traverse,
accueillaient un trafic important. »
Un fleuve, donc. Tout à
l’heure, tandis qu’on rôdait aux
abords de la friche Boinot, on
l’avait pris pour une rivière… At-
tention à ne pas froisser un peu
plus les Niortais déjà fâchés par
« l’affaire Sérotonine ».
Qu’ils se rassurent, les quais
de la Préfecture et de la Regratterie,
rive gauche, accentuent le charme
tranquille, nostalgique, presque
paresseux, de leur cité et lui don-
nent, cette fois, des airs qu’on jure-
rait empruntés à Narbonne ou
Béziers. Dommage que les immeu-
bles qui les bordent ne soient pas
mieux entretenus. Sur une île
proche, le Moulin du Roc, repaire
culturel labellisé « Scène natio-
nale ». Un gros bâtiment aveugle
qu’on dirait posé là par obligation.
En France, les villes moyennes
ont un problème avec leurs prome-
nades fluviales. Blois et Nevers
ignorent presque la Loire, tout
comme Saumur. Châtellerault
néglige la Vienne. Moulins oublie
l’Allier. Et que dire de Rochefort et
de la Charente ?
C’est quand même là, quai
Maurice-Métayer, qu’Eric Surmont,
46 ans, directeur artistique des
festivals 4e mur (fresques urbai-
nes) et Nouvelle(s) scène(s) (musi-
que), aime se perdre : « On suit le
cours de la Sèvre jusqu’au Marais
poitevin. On quitte la ville peu à
peu, presque sans s’en apercevoir. Il
y a de moins en moins de maisons
et de plus en plus d’arbres. Magnifi-
que, surtout au printemps. On tra-
verse un grand silence. »
On peut aussi, de l’autre
côté, gravir le coteau du Jardin des
plantes. C’est joli, bien vert et orné
de « rocaille », ce béton auquel les
maçons italiens donnaient les allu-
res du bois ou de la roche. Les But-
tes-Chaumont en plus respirable.
Du sommet, occupé par l’ancienne
caserne Du Guesclin, ce héros
national qui bouta l’Anglois hors
des murs niortais en 1373, la vue est
bucolique. Ne restait qu’à dévaler le
dédale de rues de la vieille ville qui
forme cette colline Saint-André.
Elles sont étroites. Obscu-
res. Rue Mère-Dieu. Rue du Petit-
Paradis. Rue Vieille-Rose. Rue
Saint-Gelais. Les trottoirs sont em-
pierrés de galets. On s’y déplace
avec les précautions d’un estivant
sur une plage niçoise. Parfois,
comme à Rome, il n’y a même pas
de trottoir. Le vernaculaire avoisine
le Grand Siècle. L’ensemble est élé-
gamment délabré. On pourrait être
chez Jean Giono mais on déambule
comme Henri Calet et on finit par
se perdre, aussi timide et hésitant
que Patrick Modiano.
La nuit, c’est plus inquié-
tant. Ambiance Maigret. Coïnci-
dence, Georges Simenon a séjourné
dans le coin et Jean Richard, incar-
nation du célèbre commissaire, a
vu le jour à six kilomètres de là, à
Bessines. Atmosphère Clouzot.
C’est que notre Henri-Georges est
né plus bas, au 22 de la rue Victor-
Hugo. Une plaque l’atteste.
A Niort, tous les chemins
mènent à la place de la Brèche. Ce
jour-là, on l’a rejointe après un
détour par l’étonnant pavillon des
halles (type Baltard, 1865, monu-
ment historique) sur lequel veillent
l’hôtel de ville, qui se la pète un peu,
l’église Notre-Dame (gothique flam-
boyant) et le donjon médiéval
(panorama), suivi de la traversée de
l’inévitable zone piétonne heureu-
sement saupoudrée d’admirables
façades Art nouveau et Art déco.
En bas de la Brèche, comme
on l’abrège ici, cafés et restaurants
sont alignés à l’ombre de platanes
considérables avec vue sur les
pelouses. Halte. Un établissement
proposait d’offrir un saucisson
pour deux bières consommées. On
a préféré un tartare de parthenaise
(vache indigène), on a écarté la pos-
sibilité d’une île flottante.
On devait encore affronter
les faubourgs, balisés par les sièges
furieusement années 1980 des
cadors de la mutualité française.
Car Niort est la capitale du mutua-
lisme en tout genre – assurances,
banques, services – au point qu’elle
est, dit-on, la quatrième place
financière du pays, derrière Paris,
Lyon et Lille, et qu’on s’y couche tôt
parce qu’on n’y finit pas tard.
Au milieu de cet entrelacs,
une drôle d’oasis héberge, avenue
Sevreau, la spécialité exclusive du
cru : l’angélique. Herbacée bisan-
nuelle. Famille des apiacées. Om-
béllifère géante censée prévenir la
peste et conjurer les envoûtements.
Cultivée par Pierre Thonnard. Décli-
née en liqueur, crème, confiture,
coulis, bonbons ou fruits confits.
Couleur verte. Différentes nuances.
Quel goût ? « Impossible à dire, ré-
pond la malicieuse Elisabeth Deliry,
derrière la caisse de Mogettes et Cie,
son magasin de produits locaux. Ça
évoque beaucoup de saveurs mais
c’est incomparable. On aime ou on
déteste. C’est tout Niort. »
qu’il faut organiser politiquement
le désir ». Et, illico, l’expulsent de
leurs colonnes.
MAI S O N L A PO RTE RO UGE Une cham-
bre d’hôtes fort élégante façon maison bourgeoise
du XIXe siècle. Sept chambres. Salle de sport.
Piscine. Jardin. Réception de 17 à 20 heures. A partir
de 110 euros la chambre double.
68, avenue de La Rochelle. Maisonlaporterouge.com
L E P ’ TI T RO UQ UI N La table bistronomique
de Niort. Rideaux de cretonne. Produits locaux.
Vins naturels. Service chaleureux. Ambiance
décontractée. Vient d’obtenir un des trois
Bib gourmand décernés par Le Guide Michelin.
Entrée, plat, dessert : 27 euros.
92, rue de la Gare. Leptitrouquin.com
L E B AR DU MARCH É Vue imprenable
sur les halles et la vie niortaise. A fréquenter
notamment lors des grands marchés, les jeudis,
samedis et dimanches. Esprit bistrot, vins naturels,
cuisine iodée bientôt à l’ardoise.
9, place des Halles
L A DES PER ADA Bouquiniste expert
en polars, romans populaires, BD et ouvrages
régionalistes. Le dernier du genre dans le départe-
ment. Un monument de truculence.
34, rue Gambetta
MO GETTES ET CI E Des produits locaux
comme s’il en pleuvait. Angélique, évidemment,
bières de micro-brasseries, jus de pommes de
Secondigny, lentilles et mogettes (haricots blancs
secs) de Vouillé, mousse de boudin et, si vous
demandez poliment, du pâté de ragondin. La
maison a composé le panier gourmand municipal
récemment offert à Michel Houellebecq.
19, rue Sainte-Marthe. Mogettesetcie.com
S LÓ Sélection pointue de vêtements,
de chaussures, d’accessoires, de bijoux et d’objets
de décoration. Coin vintage. Espace galerie.
Ateliers créatifs.
5, rue Mathurin-Berthomé.
Facebook.com/sloboutique
 0123
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 JA N VIER 20 1 9 7

CUISINE
Pulled pork
— pour 6 personnes —

Cocotte Achetez 2 kg d’échine

de porc non désossée

d’abondance (ou un mélange

d’échine et de palette).
Préparez la marinade
en mélangeant 10 cl
de ketchup, 3 cuil. à s.

Alors que les plats mijotés reviennent

de concentré de
tomate, 5 cl de crème

fièrement sur les tables des bistrots,

(ou velours) balsami-
que, 2 cuil. à soupe

faisons de même à la maison…

de sauce soja fumée,
1 cuil. à café de paprika

Grâce à cet ustensile increvable,

fumé, 2 cuil. à soupe de
graines de coriandre
concassées, une pin-
qui permet, même aux novices cée de sel et plusieurs
tours de bon poivre
et aux maladroits, de briller à table fraîchement moulu.
Enduisez le porc de
Stéphanie Noblet cette marinade avec
un pinceau et, si vous
en avez le temps,

L
e plus souvent, l’interrogation « qu’est-ce qu’il mijote ? » ne placez-le au frais
présage rien de bon. « Il mijote une daube » : l’ambiguïté 3 heures au moins.
demeure. Avec « qu’est-ce qu’il nous mijote ? », l’objectif culi- Epluchez et émincez
naire se dessine, on est intrigués, alléchés, presque en 2 gros oignons. Dans
confiance déjà, même si la précision « de bon » aurait achevé une cocotte légère-
de nous détendre. « Il nous mijote une daube », mieux « une ment huilée, dressez un
petite daube » (pouce et index collés), voire « une petite daube des lit d’oignons, 2 bran-
familles » : nous voici rassurés, calons-nous dans un fauteuil et atten- ches de thym puis dis-
dons que le sage mijotage produise ses effets. posez le porc. Couvrez
Car les cuissons lentes à feu doux sont le fait des patients, de et faites cuire 5 heures
ceux qui savent prendre le temps, qui préfèrent l’endurance au sprint, le au four à 130 °C, en
pianissimo au presto, les voyages au long cours aux traversées express. retournant la viande
Elles ne requièrent qu’une qualité majeure, l’anticipation, et résolvent à mi-cuisson et en
bien des tourments chez les cuisiniers stressés, novices ou maladroits, CHANGKI-CHUNG POUR « LE MONDE » ajoutant un peu d’eau
davantage mis à l’épreuve par les cuissons courtes ou pratiquées à la si nécessaire. Servez
dernière minute. De prime abord, le temps de préparation des recettes le porc bien chaud :
mijotées peut sembler décourageant ; mais en réalité, il sollicite la double paroi d’acier, qui assure une température constante et une il va s’effilocher à la
machine bien plus longuement que l’homme, par un passage de relais cuisson tout en douceur et en précision. fourchette.
paisible et rassurant, complice et confiant. La bonne nouvelle, c’est que si l’ustensile est cher à l’achat, il per- Proposez des légumes
Pour que cette délégation des pouvoirs s’opère sans incident, met de confectionner de petits plats sublimes avec des pièces de viande rôtis, une purée ou une
encore faut-il être équipé du bon instrument. Or la reine de la popote tout à fait abordables : les fameuses « viandes à mijoter », aussi appelées salade de chou rouge
qui mijote, c’est sans hésitation la cocotte. Héritier de la braisière rec- pièces de deuxième et troisième catégories, qui deviennent tendres et en accompagnement,
tangulaire qui remplissait autrefois le même office au sein des braises, particulièrement savoureuses au fil d’une cuisson lente dans un liquide ainsi que des pickles.
cet ustensile apparu au début du XIXe siècle est rond ou ovale, doté de (eau, bouillon, vin…) : épaule, poitrine, jarret, paleron, gîte, macreuse, etc. Utilisez les restes
deux poignées et d’un couvercle parfaitement ajusté. Il se distingue Autre avantage, cet ustensile tout-en-un permet à la fois de com- de viande pour
par ses parois épaisses conçues en un matériau bon conducteur, pour mencer par saisir et colorer une viande dans un corps gras sur feu vif, garnir des sandwiches
emmagasiner et répartir la chaleur : de la fonte principalement, désor- puis de la faire cuire à couvert sur feu doux et lentement à court ou des burgers.
mais émaillée le plus souvent. mouillement (avec du liquide à hauteur), flanquée d’une
La cocotte, c’est du lourd, de l’increvable, du patrimonial et du S’ÉQUIPER garniture aromatique et de légumes choisis : c’est la tech-
généreux. Ça passe de mère en fille (et parfois en fils), avec les recettes nique des viandes braisées, qui donnent les meilleurs
qui vont avec, ça résiste aux chocs, aux engueulades, aux modes, aux > LE CREUSET plats conviviaux, aux arômes concentrés et chaleureux
régimes, aux lavages et aux oublis sur le feu. Bref, c’est de l’infiniment www.lecreuset.fr (bourguignon, osso-buco…). Puis la cocotte passe digne-
durable, retour sur investissement garanti, même s’il faut mettre le Ø 26cm, 289 euros ment du feu à la table, et réchauffe sans rechigner… tant
prix – un conseil de circonstance : pensez-y (aussi) pendant les sol- qu’il reste quelque chose à réchauffer. Une employée mo-
des. Deux marques françaises de qualité se partagent le marché : la > STAUB dèle, en résumé, qui ne compte pas ses heures de service
presque centenaire Le Creuset, créée dans l’Aisne en 1925, et l’Alsa- www.staub-online.com (de 1 à 3 selon les recettes, jusqu’à 7 heures pour les viandes
cienne Staub, dont la fringante cocotte vient de passer le cap des Ø 26cm, 249 euros confites), ne nécessite qu’une surveillance intermittente
40 ans. Si la couleur orange volcanique de la première a marqué nos (remuer, ajouter un peu d’eau si besoin) et accueille volon-
mémoires, les cocottes arborent aujourd’hui une multitude de colo- > TIGER tiers la nouveauté (plats veggie ou exotiques, pains en co-
ris et de formats (y compris individuel), mates ou brillantes, joliment www.maho-nabe.com cotte…). Elle n’attache pas, c’est une qualité, mais on risque
carrossées, belles comme des camions. Un détail intéressant distin- Ø 23cm, 395 euros fort de s’y attacher. Durablement.
gue les modèles de Staub : leurs couvercles sont recouverts, sur leur
surface interne, de petits picots qui assurent, par la condensation, un
arrosage continu de la préparation. Parmi les dernières innovations,
signalons enfin un petit bijou de technologie et de design venu du
Japon : Maho Nabé, de la marque Tiger, dissimule un vide d’air sous sa

L’ A PPLI CA T I O N DE LA SEMA I N E

RecipeTank, les recettes du succès

Marlène Duretz

A l’oreille, son nom sonne comme une arme de guerre, ou celui
d’une opération militaire. A l’œil, la douceur de son interface épu-
rée et la rondeur de ses pictogrammes sont une invitation à se lan-
cer dans de nouvelles batailles culinaires. Couplée à une intelli-
gence artificielle, RecipeTank (« réservoir à recettes ») permet de
réunir ses recettes favorites, dénichées aux quatre coins du Web,
de sa bibliothèque ou des tiroirs de la cuisine. Une fois ajoutée ou
téléchargée, chaque recette est analysée selon plus de trente
critères afin que l’utilisateur en tire désormais le meilleur parti.
RecipeTank est un allié de choix aux fourneaux, à table et jus-
qu’aux allées du (super)marché.
Les avantages
> Une recette issue d’un carnet de recettes de famille, de livres
de cuisine, de sites Internet ou de blogs culinaires ? Si elle est
tapuscrite, une photo et le tour est joué : la voilà convertie en une
« version smart ». La recette manuscrite sera, quant à elle, inté-
grée sous la dictée ou du bout de l’index.
> Les algorithmes analysent la recette et vont ainsi déterminer
son bilan nutritionnel ou le temps nécessaire à sa préparation,
identifier tous les ingrédients et leur quantité ou encore définir
sa saisonnalité. Autant de critères qui permettront de mieux cir-
culer dans ce cahier de recettes intelligent. Par ailleurs, l’appli
permet de programmer ses menus à l’échelle d’une semaine et
génère automatiquement la liste de courses afférente.
> Cet assistant culinaire est un limier hors pair. Grâce à ce décorti-
cage méticuleux, il peut dégoter de quoi sustenter ses convives,
quels que soient leur régime alimentaire ou leurs allergies, selon
des apports nutritionnels variés (faible en glucides, hyperpro-
téiné, riche en fibres…), un budget défini, l’achalandage ou la
désertification avancée de son frigo et de ses placards, ou
encore selon les goûts de chacun, le temps et les équipements
dont on dispose.
Les inconvénients
> Il faut parfois s’armer de patience pour intégrer les recettes du
cahier séculaire de Mère-Grand. L’intelligence artificielle, si elle
contribue pour beaucoup à faciliter la tâche, n’est pas infaillible.
Sous la dictée ou par le biais d’une photo sous-exposée ou floue,
certaines recettes deviennent fantaisistes, remplaçant les len-
tilles par des fraises (qu’on viendrait à sucrer). Ou encore, ces
2 147 483 648 œufs nécessaires à la recette des gougères façon
Claude Troisgros en place des 3 requis : la faute à vos plus belles
pattes de mouche que vous vous êtes échiné à lui faire avaler.
Une relecture s’impose pour réajuster le tir et évincer les éven-
tuels, mais rares, intrus.
> Les recettes partagées par ses contacts inscrits sur RecipeTank
restent cantonnées à la section « Recommandées » et ne peu-
vent rejoindre l’onglet « Mes recettes ». A moins de recréer la
recette de toutes pièces, le « mortel » Creusois de Tatie Julie ne
côtoiera pas l’indétrônable tajine de l’amie Hafsa. En cuisine,
fort heureusement, si.
Appli gratuite, disponible sous iOS. Recipe-tank.com
8 0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 JA N VIER 20 1 9
UN APÉRO AVEC…
MICHEL-ÉDOUARD LECLERC
Chaque semaine « L’Epoque » paie son coup. Le taulier de la grande distribution
collectionne les chemises cartonnées et les boîtes de sardines.
Et n’a pas renoncé à défendre ses idées
Au Lutetia, le 19 novembre 2018, à Paris. WILLIAM BEAUCARDET POUR « LE MONDE »
« J’ai été cobaye
chez Elkabbach »
Par Laurent Telo
B
ien sûr, ingurgiter une pleine cargaison de cacahuètes
fourrées à la truffe n’a rien arrangé à l’affaire. L’al-
liance de deux matières premières comestibles
beaucoup trop riches secrète inévitablement une
soirée plutôt empesée, puis une nuit difficilement
digeste. Mais question trop-plein, il y avait aussi no-
tre invité, troisième matière première, non comesti-
ble celle-ci mais tout aussi nourrissante que les deux
premières, à cause, cette fois, d’un temps de parole
inextinguible et d’un phrasé foisonnant. Reprenons.
Depuis le début. Donc, il y a les cacahuètes à la truffe,
en-cas original et fort goûtu qui ne semble pas, il faut
le préciser, provenir d’un quelconque supermarché,
posées sur la table de l’apéritif du jour au bar du Luté-
tia, dans le 6e arrondissement de Paris.
Devant cette table et les cacahuètes, est posé
« MEL ». « Posé » est un bien grand mot parce que
« MEL » (c’est son surnom dans le milieu, sinon c’est
Michel-Edouard Leclerc) ne tient pas en place plus
d’une question, demande la permission d’enlever sa
veste, tutoie direct, envoie une vanne – « Vous êtes en train de
me dire que je ne suis pas sexy. J’accepte » – au photographe
qui avait réussi, il y a quelques années, à lui faire faire du
PLAYLIST crawl sur une moquette pour une séance photo, reprend le
vouvoiement, farfouille dans sa sacoche, enlève sa veste, sort
> DERNIER FILM VU – de la sacoche – des dossiers en pagaille, présente Marie-
« Leto », Josée, son attachée de presse, qui a fait le déplacement mais
de Kirill Serebrennikov qui n’en placera pas une, tout en débitant des phrases à tiroir,
d’une longueur proustienne, chevauchant des sujets aussi
> DERNIER ARTISTE divers que très variés, donnant l’impression de passer direc-
ÉCOUTÉ tement du rayon surgelés aux croquettes pour chien sans
Nolwenn Leroy passer par le stand yaourts – notre préféré.
Ouf ! Un peu d’ordre dans le cheminement consom-
> DERNIER LIVRE LU mateur des rayons, que diable ! On n’est pas chez Ikea mais
« Sérotonine » (Flamma- quand même ! C’est le service minimum du marketing ! Cet
rion), de Michel Houelle- apéro est donc un vrai fourre-tout sans le moindre fil rouge,
becq. « Je n’ai lu que si ce n’est celui de ce verre de faugères 2016, « tanique,
le passage sur le centre râpeux, avec beaucoup d’astringence », selon le serveur, à
Leclerc de Coutances qui on n’avait rien demandé tellement on essayait de sui-
où l’écrivain achète vre, ou de ne pas perdre, MEL. Et encore, nous étions lundi,
de l’alcool. » MEL tenait une petite forme, il avait commencé sa journée
très tôt et ne l’avait pas du tout terminée. Il lui restait à rem-
> DERNIER CONCERT plir son blog « De quoi je me mel », à recevoir tous les diri-
Tim Dup geants de toutes les coopératives du groupe Leclerc, qui
montent tous les lundis à Ivry-sur-Seine pour faire un point
> DERNIÈRE SÉRIE sur tout. « Voilà, je suis à vous. Et j’ai du temps… »
« La Casa de Papel », L’ironie du sort fut que notre premier sujet de
sur Netflix. « Je suis conversation porta sur ces dossiers qui débordaient de sa
tombé amoureux des sacoche et à propos desquels on s’interrogeait. « En tout, j’ai
deux bad girls. » 150 chemises cartonnées de couleur dans lesquelles je classe
les articles de journaux que je découpe, je fais des collages…
C’est Michel Serres qui m’a appris ça. J’ai des catégories et je
remplis. Pochette verte, le développement durable. Rouge, le
commercial. Bleu, l’institutionnel, l’Europe, la politique. Gris :
art, littérature, peinture, les artistes… Ça me permet de n’être
jamais vide sur un sujet. Le glyphosate, je ne savais pas ce que
c’était il y a trois ans. Depuis, j’ai rempli mes chemises. Il ne
s’agit pas de briller mais on attend de moi des réponses. Que
ce soit dans les médias ou en interne. » Hmmm…
MEL est donc quelqu’un de bien rangé et de très
organisé…. A sa décharge, MEL est un sacré personnage, très
sympathique, il faut bien l’avouer, médiatique surtout, qui a
fait accomplir un sacré bond à la personnalisation de la
grande distribution. Qui connaît la ou le patron de Carrefour
(Alexandre Bompard) ? Celle ou celui de Système U (Domini-
que Schelcher) ? En revanche, tout le monde connaît le tau-
lier des Leclerc. C’est même marqué dessus. « Les journalistes
retiennent que je suis un bon communicant. Ça m’amuse
mais ça m’irrite un peu aussi parce que, au fond, on ne me
crédite pas de grand-chose d’autre. Or, il y a quand même
120 000 salariés sous l’enseigne Leclerc. Et c’est pas à coups de
com que les emplois ont été créés. » Leclerc est aussi le pre-
mier voyagiste de France, le premier bijoutier de France.
« Les médias sont un moyen de faire avancer les idées. J’ai été
cobaye chez Elkabbach, Mamère, Dechavanne, Ruquier.
J’étais le seul chef d’entreprise à aller chez Christophe au risque
d’attraper des claques. Mais en même temps, c’est le public
que je voulais convaincre. Ce n’est pas en parlant dans un col-
loque du Medef qu’on va valoriser vraiment notre travail sur
la culture ou sur la parapharmacie. »
Oui, mais malheureusement, c’est comme ça, MEL
est un animal médiatique qui s’est lui-même ajusté un col-
lier de forçat des plateaux télé. « La presse caricature un MEL
qui parle de tout. Mais, en réalité, on m’interroge sur tout. Sur
tout. Par exemple, ce matin, un élu voulait savoir ce que je
pensais de l’idée de taxer les colis livrés par Amazon parce que
ça concurrence le commerce de proximité. Il faut leur expli-
quer que c’est eux, les maires, qui ont créé les zones industriel-
les et commerciales en dehors des villes et c’est bizarre qu’ils
découvrent ça juste maintenant que les centres-villes sont
morts. Mon métier est un formidable observatoire. » A ce titre,
on lui a soumis une épreuve. Donner son avis sur les « gilets
jaunes ». En une phrase. Une seule. Un challenge. « Une ré-
volte que je comprends et qui vient de loin, des demandes légi-
times : reconnaissance, salaires, pouvoir d’achat ! Mais si le
dégagisme devient la revendication ultime et que toute orga-
nisation perd sa légitimité, que restera-t-il pour organiser les
solutions ? Ça craint. » Comme quoi, quand il veut…
Puis, on a parlé un peu de bandes dessinées, sa
grande passion à côté des pochettes couleur. Bilal, Moe-
bius… Il a une jolie collection de planches qu’il prête aux
musées qui les lui demandent. Il a même créé, en 2008, le
prix Landerneau, qui a récompensé, fin 2018, Cyril Pedrosa
et Roxanne Moreil pour L’Age d’or (Dupuis, collec. « Aire
libre »). A la fin, il a voulu nous détailler sa collection de
conserves de sardines, 700 à 800 pièces. « Cette collection ne
m’a pas coûté très cher. Josiane, la Belle Iloise… » Mais en fait,
non… Les sardines aux herbes ou à la moutarde, on adore.
Mais pas cette fois. C’est juste que les cacahuètes à la truffe
commençaient leurs œuvres.
PEN DA N T CE T EMPS- LÀ …
À SA I N T - PI ER R E- DES- CO R PS
Un prophète
qui fait
des miracles
Frédéric Potet
A Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire),
coincée entre un garage auto et un
revendeur de climatiseurs, une petite
église évangélique aux allures de
hangar propose quatre offices par
semaine. « Etude biblique » le mercredi,
« intercession et délivrance » le ven-
dredi… L’endroit est le fief d’un « pro-
phète » (autoproclamé) en chair et en
os, Cyrile Noudou, un ancien footbal-
leur du Tours FC, originaire du Came-
roun. Converti au christianisme
en 2008, celui-ci dit avoir été « choisi »
par Dieu afin de propager sa parole
sur Terre. La Communauté missionnaire
de l’alliance éternelle (Comidale) com-
prendrait entre 100 et 200 fidèles,
d’après son fondateur-prédicateur.
Issus majoritairement de la
diaspora africaine de l’agglomération,
70 d’entre eux sont présents ce diman-
che de carême dans le local industriel
transformé en lieu de culte. Des fleurs en
plastique ont été accrochées aux murs,
une corbeille de fruits orne l’estrade où
trois jeunes musiciens et quatre choris-
tes s’apprêtent à lancer l’office. L’idée
est de chauffer la salle dans l’attente du
boss. Des chants – en anglais et en
français – font les louanges de Dieu, ap-
pelé « Papa ». Un appareil de rétropro-
jection permet de suivre les paroles en
mode karaoké. Des enfants endiman-
chés galopent entre les rangs.
Arrive le prophète, sapé comme
un milord, cravate bleu roi sur chemise
saumon, pochette assortie. Son épouse,
Michelle, est également de la partie
pour une brève exhortation dans la-
quelle elle mettra notamment en garde
contre l’oisiveté et son corollaire : le « ris-
que de devenir gras ». Les marmots sont
invités à rejoindre une petite pièce.
Micro à la main, Cyrile Noudou est parti
pour une heure trente de prêche sur le
thème de « l’esprit de sainteté ». Le pas-
teur est en joie : il a vu, dans la salle, « plu-
sieurs personnes ivres de Saint-Esprit,
saoules, saoules de Saint-Esprit ! »
Tout l’exercice, pour lui, va alors
consister à mêler la lecture commentée
de plusieurs épîtres du Nouveau Testa-
ment (Ephésiens, Colossiens, Hébreux…)
à la communication de ses propres
visions prophétiques. Et Cyrile Noudou
de rappeler qu’il avait prédit la révolte
des « gilets jaunes » (des « gens poussés
par un esprit ») ou la blessure de Rafael
Nadal. Avant cela, il aurait pareille-
ment pronostiqué les attentats terroris-
tes de 2015 et l’accession à l’Elysée de
« Son Excellence François Hollande »
alors que celui-ci n’était pas encore
candidat à la primaire socialiste. Pour
la présidentielle de 2017, le devin s’est
planté en revanche en misant sur Alain
Juppé, à qui il avait même écrit pour lui
faire quelques recommandations, mais
celui-ci ne lui avait pas répondu.
Orateur né, Cyrile Noudou pos-
sède aussi des dons de guérisseur, les-
quels, assure-t-il, auraient permis de
soigner définitivement une malade
souffrant d’asthme ou de faire en sorte
qu’une future maman accouche en évi-
tant la césarienne que lui promettait la
science. Sur une vidéo postée sur You-
Tube, intitulée « Miracle avec le pro-
phète Cyrile Noudou », on voit une
adepte retrouver l’usage de sa jambe
invalide, sur laquelle le thaumaturge a
apposé ses mains.
Alors que deux urnes destinées
aux offrandes se remplissent de billets,
la séance bascule maintenant dans
une autre dimension. Le prophète s’est
oint les mains d’huile alimentaire et
passe dans l’assistance pour agripper
celles de ses ouailles. Plusieurs sœurs
tombent dans les pommes à son
contact – sous l’effet aussi de la fringale
et de la forte chaleur pulsée par un
poêle électrique. Cyrile Noudou s’ap-
proche de nous ; impossible d’échap-
per au rituel. « Vous avez besoin de
l’aide de Dieu pour écrire comme il
faut », exhorte-t-il. « Offre éco », a-t-on
le temps de lire sur la bouteille d’huile
d’olive, tenue par son épouse.