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Lautier Bruno. Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail. In: Tiers-Monde, tome 39, n°154, 1998. Les transformations
du travail (Amérique latine, Asie) pp. 251-279;
doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1998.5238
https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_1998_num_39_154_5238
1 . Tout le champ de réflexion sur la relation entre automation, libération du travail, loisir et progrès
social semble avoir disparu de la littérature. Il a été remplacé par le thème de la « fin du travail » dans les
pays industrialisés, à laquelle il faut se résigner (J. Rifkin) ou dont il faudrait profiter pour « désenchanter le
travail » (titre du dernier chapitre de l'ouvrage de Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de
disparition. Éd. Aubier, 1995). Notons que cet ouvrage ne consacre pas une seule ligne aux Sociétés du Sud, se
référant toujours à « nos sociétés modernes » (implicitement : l'Europe et les États-Unis). Certes, on peut se
donner comme programme de « désenchanter le travail » de l'ouvrière philippine ou du coupeur de canne
brésilien, mais la tâche sera rude.
254 Bruno Lautier
1 . Débat pourtant parfois évacué au profit d'affirmations lapidaires comme celle-ci : « Dans tous les
pays en voie de développement, les machines remplacent les travailleurs » (J. Rifkin, La fin du travail. Éd. La
Découverte, 1997, p. 277. Ce best-seller ne consacre que 4 pages, très anecdotiques, au « Tiers Monde »).
2. Dans sa présentation du numéro spécial de World Development consacré à l'organisation de la
production (Industrial organization and manufacturing competitiveness in developing countries, World
Development, vol. 23, n° 1, Pergamon Press, janvier 1995, p. 5), John Humphrey écrit : « De nombreux articles de
ce numéro mettent l'accent sur les difficultés qu'il y a à adapter le "juste à temps" et la "gestion de la qualité
totale" au contexte des pays en développement. »
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 255
1 . Alain Lipietz, parlant de l'Amérique latine et de la Corée dans les années 1960, écrivait : « On peut
parler à leur égard d'un "sous-fordisme", c'est-à-dire d'une caricature de fordisme, une tentative
d'industrialisation selon la technologie et le modèle de consommation fordiens, mais sans les conditions sociales, ni du
côté du procès de travail, ni du côté de la norme de consommation de masse » (A. Lipietz, Industries et
métropoles dans le Tiers Monde, in Les Annales de la recherche urbaine, n° 29, janvier 1986, p. 16).
2. Pour la France, cf. les 24 numéros de la revue Travail et pratiques sociales en milieu urbain de
l'ORSTOM, ainsi que les ouvrages collectifs, M. Agier, J. Copans. A. Morice (dir.). Classes ouvrières
d'Afrique noire, Éd. Karthala, 1987 ; R. Cabanes, J. Copans et M. Sélim (dir.), Salariés et entreprises dans les
pays du Sud, Éd. Karthala, 1995 ; R. Cabanes et B. Lautier (dir.), Profils d'entreprises au Sud, Éd. Karthala,
1996.
256 Bruno Lautier
tion est présente. Il est évidemment tentant de voir dans ces formes non
- ou partiellement - salariales de mise au travail l'effet du caractère de
plus en plus capitalistique de la production : la mondialisation s'accom-
pagnant d'un besoin de main-d'œuvre de plus en plus restreint, ces
formes de mise au travail intéresseraient alors surtout les laissés-pour-
compte de la mondialisation.
Ce point de vue résiste cependant mal à l'analyse ; le paternalisme au
Brésil, par exemple, est loin de caractériser seulement les formes de
production les plus éloignées de la circulation mondiale, et on le retrouve
dans des banques, des industries automobiles, etc.1. Autre exemple: le
travail des enfants, dans des formes de mise au travail très proches de la
servitude (salaire monétaire nul, «vente d'enfants» en règlement de
dettes des parents, etc.) n'a non seulement pas disparu, mais semble en
extension. Il intéresse des dizaines de millions d'enfants,
particulièrement en Asie, et on les retrouve à la fois dans la production de
marchandises destinées au marché intérieur et d'autres destinées à l'exportation2.
Et la multiplication de travaux sur la sous-traitance, en Amérique latine
ou en Asie orientale, montre bien qu'il est difficile de limiter l'analyse de
la relation mondialisation - procès de travail à l'entreprise « en bout de
chaîne », la seule qui apparaisse sur le marché mondial.
S'il ne fait nul doute que l'ouverture commerciale, en particulier via
la contrainte à l'adoption des normes de qualité (comme les
normes ISO 9000) a produit une homogénéisation des processus
opératoires3 dans certaines branches, cela ne vaut que pour une partie des
branches exportatrices (automobile ou chimie, par exemple) et presque
jamais pour les branches produisant pour le marché intérieur
(ameublement, tuileries, etc.). Et, surtout, un même processus opératoire
(transféré ou non de l'étranger) apparaît de plus en plus clairement comme
compatible avec des formes très diverses de mise au travail, des types de
main-d'œuvre et de constitution des collectifs de travail variés.
Cependant, ces constats empiriques ne permettent pas de répondre
de façon tranchée à la question posée plus haut, à savoir si
l'hétérogénéité des processus de travail (dans leurs trois composantes) est le fait
d'une inégale rapidité dans l'élimination des archaïsmes (tenant à
l'inégal degré d'ouverture commerciale ou à la diversité du poids des
traditions) ; ou si, au contraire, la mondialisation est non seulement compa-
1. Cf. Ch. Geffray, Chroniques de la servitude en Amazonie brésilienne, Karthala, 1995; L'oppression
paternaliste au Brésil, in Lusotopie, 1996, Paris, Karthala ; B. Lautier, Le Phénix paternaliste, ou la
modernité de la servitude, in Revue Tiers Monde, n° 150, PUF-IEDES, 1997.
2. Cf. la trentaine de monographies regroupées dans B. Schlemmer (dir.), L'enfant exploité. Éd.
Karthala, 1996. Voir les analyses bibliographiques dans ce numéro, p. 475.
3. Cf. à ce propos les textes de M. Leite et S. R. Martins, et de A. S. Guimaraês dans R. Cabanes et
B. Lautier (dir.), 1996, op. cit.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 257
tible avec une forte hétérogénéité des processus de travail (au sein d'une
même branche comme d'une branche à l'autre), mais renforce ou même
produit une telle hétérogénéité.
Au plan théorique, force est de constater que le seul corpus
disciplinaire qui ait réellement abordé cette question est celui de l'économie ; et
encore ne Га-t-elle guère fait de façon frontale: d'un côté les
économistes « orthodoxes », quand ils constatent une hétérogénéité des façons
de produire une même marchandise, y voient ou bien la conséquence
normale d'une diversité du coût relatif des facteurs, ou bien le résultat
d'imperfections du marché. Comme en général leurs positions
analytiques se doublent de positions normatives, l'hétérogénéité du processus
de production est censée devoir se résorber à terme. Mais dans tout cela
les procès de travail n'ont pas été en eux-mêmes objets d'étude. De
l'autre côté, les économistes «hétérodoxes» et critiques portent
beaucoup plus leur attention sur les conséquences de la mondialisation sur le
travail1 ; mais ce qui retient leur attention est davantage la question du
volume de l'emploi, de sa précarité, et celle du niveau des salaires, que
celle des rapports sociaux au sein du travail proprement dit.
Hors de l'économie, la littérature sur l'évolution du travail dans le
monde est très abondante, émanant de sociologues, de géographes,
d'ingénieurs de production et d'anthropologues. L'idée de tendance à
l'homogénéisation des procès de travail y est beaucoup moins présente
qu'en économie, ne serait-ce que parce que la dominante descriptive de
ces études permet, par simple juxtaposition de recherches existantes, de
faire un constat de forte hétérogénéité ; par exemple, l'idée commune de
généralisation de la sous-traitance dans l'automobile doit
immédiatement être assortie de la mention de l'extrême diversité des formes de
cette sous-traitance2, de même que la soi-disant universalité du « modèle
japonais » avait fait place à la constatation de la singularité de chacune
de ses mises en œuvre3. Mais le constat de cette diversité ne suffît pas à
répondre à la question posée plus haut. La raison en est, à mon sens, le
manque d'outillage théorique de ces sciences sociales pour argumenter
dans un sens ou un autre (ce qui laisse le champ libre à l'économie qui,
comme on l'a vu, tend dans sa partie dominante à conclure à une
tendance à l'homogénéisation des processus de travail).
Les seconde, troisième et quatrième parties de ce texte, partant de cette
hypothèse d'une défaillance de l'outillage théorique, tentent de proposer
trois instruments pour éclaircir le dilemme homogénéisation/hétérogénéi-
1 . La rente foncière urbaine apparaît au moins aussi permanente que la rente agricole (ni plus ni
moins : la propriété d'un immeuble au centre de Rio est assimilable à celle d'un terrain agricole qui se
désertifie). La rente minière est elle-même précaire, soit du fait de l'épuisement des réserves, soit de celui de
l'évolution des prix relatifs (par ex. charbon/atome pour la production d'électricité), soit de celui de l'apparition
de nouvelles techniques, etc.
260 Bruno Lautier
1 . Près d'un siècle dans le cas français, plus d'un demi-siècle dans celui de Paulista - Pernambuco,
analysé par J. S. Leite Lopes, A tecelagem dos conflitos de classe na cidade dos chaminés. Éd. Marco Zero /
Editorial da UnB, 1988.
2. La rente d'exploitation est de ce point de vue analogue à celle qui est issue des activités illicites,
particulièrement le narcotrafic. Dans ce cas, soit les éléments de monopole se reproduisent au fur et à mesure
qu'ils s'épuisent (regain de violence, élargissement des réseaux...), soit ils s'appuient sur des « privilèges »
concédés de fait par des agents de l'État - y compris au plus haut niveau - en échange d'une rétrocession
d'une partie de la rente via la corruption.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 265
1. Ces exonérations, qu'on a vu apparaître de façon timide en Europe durant les années 1990, sont
généralisées au Japon depuis le début des années 1960 pour les employés - selon les cas - à moins de trois
quarts de temps ou moins de vingt-deux heures hebdomadaires (cf. M. Osawa, Politiques publiques et
emploi féminin au Japon, in H. Hirata et D. Senotier (dir.), Femmes et partage du travail, Éd. Syros, 1996,
p. 207 sq.). Qui dit absence de cotisation patronale dit évidemment absence de droits sociaux (retraites,
maladie, chômage). Le travail à temps partiel au Japon concernait en 1992 16% des salariés, dont 94,5 %
de femmes.
2. Ce qui implique de considérer la force de travail comme une « ressource naturelle » du point de vue
de l'économiste (et sans doute des entrepreneurs) comme l'avaient déjà remarqué B. Guibert, Economie et
démographie, ou comment le concept de rente permet à l'économie de penser la reproduction de la
marchandise force de travail, in Recherches économiques et sociales. Commissariat général au plan, n° 2, 1982, et
M. De Vroey, La théorie de la valeur de Marx: une réinterprétation, in Cahiers d'économie politique.
Éd. Anthropos, n° 9, 1984.
3. La plus grande partie de la propriété foncière, même si elle repose historiquement sur
l'appropriation violente et la collusion avec le pouvoir politique, est entérinée par le droit, et donc ne suppose pas le
recours continu à la corruption. Néanmoins, si on admet que les hausses de rentes foncières les plus notables
dérivent de transformations du statut du sol (modifications du plan d'occupation des sols, autorisations
d'établir des hypermarchés, etc.), qui forment une des principales bases de la corruption dans le monde, ce
type de rente n'est guère différent des autres de ce point de vue.
266 Bruno Lautier
1 . Cf. Cl. Meillassoux, Économie et travail des enfants, in B. Schlemmer (dir.), op. cit., p. 54-66.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 267
1 . Notons que le Code du travail ne définit ni le salariat, ni le contrat de travail. Ces définitions sont le
fait de la jurisprudence, pour qui le contrat de travail est « la convention par laquelle une personne s'engage
à mettre son activité à la disposition d'une autre sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant
rémunération » (G. H. Camerlynk, Le contrat de travail, Dalloz, 2e éd., 1982).
2. Cf. les nM 1 14 et 1 15 de Actes de la recherche en sciences sociales: « Les nouvelles formes de
domination dans le travail », I et II, 1996.
3. « Domination: action de dominer; autorité souveraine» est la première définition donnée par Le
Robert.
268 Bruno Lautier
1 . Dans son ouvrage consacré à la souveraineté de l'État, Olivier Beaud caractérise la souveraineté
moderne par la détention du monopole d'édiction du droit positif (cf. O. Beaud, La puissance de l'État, PUF,
1994, p. 130). En ce sens, le chef d'entreprise, qui combine règles privées et droit étatique dans l'espace de
l'entreprise, exerce paradoxalement une souveraineté « prémoderne », proche de la souveraineté domestique.
Pour plus de développements, cf. ma contribution ( « L'entreprise brésilienne : une dépolitisation
impossible » ) à R. Cabanes et B. Lautier (dir.), 1996, op. cit., p. 287 sq.
2. Édité seulement en 1997 sous le titre II faut défendre la société. Éd. Gallimard/Seuil, coll. « Hautes
Études ».
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 269
pulls sont créées dans la Zone franche de l'île Maurice, c'est bien d'une
tactique multiforme, de diversification des relations de pouvoir, d'une
« guerre » au sens de Foucault qu'il s'agit.
Dans la période de recherche tâtonnante de nouveaux modes
d'organisation du travail qui succède à la « crise du fordisme », la
diversification des modes de domination est encore plus évidente. Un premier
domaine qui illustre ceci est celui de l'étude de la flexibilisation. Le
terme suggère qu'il y a, dans la relation entre capital et travail, un excès
de rigidités, dont l'origine est double: le corporatisme syndical et le
Droit (étatique et conventionnel). Cet excès de rigidités aurait pour
conséquence d'une part de ne pas permettre de s'adapter rapidement
aux variations de la demande, d'autre part de renchérir les produits,
enfin de bloquer la mise en œuvre de nouvelles techniques. On passe
alors au plaidoyer en faveur de la « déréglementation » pour éliminer ces
rigidités. Or, le mouvement réel est tout autre que celui d'une
déréglementation ; il s'agirait plutôt d'une surréglementation. Dans le monde
entier on invente de nouveaux statuts, de nouvelles catégories : multiples
types de CDD ou de stagiaires comme en France ou en Argentine1,
développement du « temps partiel » à 20, 25, 30 heures (les différentes
catégories coexistant dans la même entreprise) comme au Royaume-Uni.
On voit apparaître à la fin des années 1980 de multiples formes d'exter-
nalisation avec constitution de micro-entreprises pseudo-indépendantes
sous-traitantes, comme en Espagne2 et au Brésil où ce mouvement est
appelé terceirizaçâo (le fait de faire exécuter par un tiers). La forme
ultime de cette dernière est sans doute celle de certains condominios
industrials ou consorcios modulares, qu'on rencontre dans certains des
plus récents établissements de montage d'automobiles3 : ce sont des
coopératives ouvrières de production installées dans l'usine - qui n'a
plus aucun ouvrier relevant de la firme propriétaire des équipements -,
rémunérées collectivement et, bien sûr, ne relevant pas de la convention
collective de la branche4.
Cette flexibilisation ne peut pas être analysée comme l'établissement
d'une souveraineté homogène et sans faille, bien au contraire ; elle relève
plutôt de la diversification et de la mise en forme des « réseaux » où se
passe la « guerre » dont il était question plus haut. Mais - si l'on suit
1 . Cf. pour cette dernière : Adrian Goldin, El trabajo y los mercados - sobre las relaciones laborales en
la Argentina, Buenos Aires, Éd. Eudeba, 1997, particulièrement le chapitre 6.
2. Cf. Juan José Castillo, Reestructuracion productiva y organizacion del trabajo, in M. Miguelez et
C. Prieto (org.), Las relaciones laborales en Espaňa, Siglo XXI de Espaňa (éd.), 1991, p. 23 sq.
3. Cf. l'article de Mario Salerno dans ce numéro.
4. Cf. Jorge E. L. Mattoso et José F. Siqueira Neto, О trabalho em regime de subcontrataçâo no Brasil,
BIT, Santiago, janvier 1997. L'ironie veut que ce type de coopératives ait été créé par la loi pour défendre les
paysans sans terre, et ait été à ce titre exonéré de charges sociales.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 271
Foucault - il n'est sans doute pas pertinent d'y voir le signe global d'un
recul du mouvement ouvrier, car c'est bien cette multiplicité qui permet
que coexistent avancées et reculs, victoires et défaites.
Un second domaine permettant d'illustrer la diversification des
modes de domination est l'étude du paternalisme. La littérature
anthropologique, particulièrement à propos du Brésil, a remis à
l'honneur la discussion sur ce thème. Trois questions théoriques émergent
de ce débat :
— La première question est de savoir si on peut accorder au
paternalisme un statut théorique analogue à celui du salariat contractuel. La
réponse de Christian Geffray1 est clairement positive : dans les deux cas,
il y a extorsion « réelle » de surplus, mais d'un côté on a un imaginaire
qui repose sur l'inégalité des sujets et un transfert (de travail ou de
produit) toujours insuffisant, qui renouvelle sans cesse une dette
inextinguible et un système des faveurs ; alors que, de l'autre, on a un
imaginaire fondé sur l'égalité des échangistes et de l'objet échangé. Les deux
modèles ont le même degré de généralité potentielle, et fonctionnent
d'une façon symétrique (immobilisation de la main-d'œuvre ici, mobilité
là, travail régi par des codes privés d'un côté, des codes publics de
l'autre, etc.). Si on se rallie à cette position, le problème se situe alors à
un autre niveau : pourquoi, de deux modèles ayant le même degré
théorique de généralité, l'un semble (empiriquement) constamment
dominant ? Ce qui ramène aux questions suivantes.
— La seconde question est de savoir si paternalisme et salariat
peuvent coexister durablement en tant que modes de domination sur le
travail, ou tout au moins être chacun des modes de domination permettant
la production des mêmes marchandises, circulant sur un unique marché.
La réponse semble globalement positive : ce sont non seulement les noix
du Brésil et l'hévéa2, mais aussi des automobiles dont la production
repose sur des relations paternalistes. De nombreux analystes du
« modèle japonais » y voient - au moins pour la partie des entreprises
japonaises où l'emploi est garanti - une concrétisation contemporaine
du paternalisme3. Par ailleurs, l'essentiel de l'apprentissage sur lequel
repose une grande partie de l'organisation du travail dans les micro-
1 . Cf. Ch. Geffray, 1995, op. cit., p. 131 sq. Notons cependant que Christian Geffray oppose
«paternalisme » et « capitalisme », ce qui est sans doute impropre, puisque les marchandises produites dans le cadre
paternaliste qu'il décrit circulent bien sur le marché « capitaliste ». L'expression de « salariat contractuel »,
préférée par Alain Morice (Les paternalistes hors la loi : spécialité brésilienne ou réalité universelle ?, in Luso-
topie, 1996, op. cit., p. 404) semble plus pertinente.
2. Deux des exemples développés par Ch. Geffray ; Lusotopie (op. cit.. 1996) en présente de multiples
autres, généralement situés dans l'agriculture ou « l'extractivisme », mais dans certains cas dans l'industrie.
3 . Cf. H. Hirata (dir.), op. cit., 1992, et Le Mouvement social : « Paternalismes d'hier et d'aujourd'hui »,
n° 144, 1988, particulièrement l'article de H. Hirata et K. Sugita, « Politique paternaliste et division sexuelle
du travail : le cas de l'industrie japonaise ».
272 Bruno Lautier
1 . Cf. A. Morice A., Ceux qui travaillent gratuitement : un salaire confisqué, in M. Agier, J. Copans,
A. Morice (dir.), op. cit., 1987, et A. Morice, Le paternalisme, rapport de domination adapté à l'exploitation
des enfants, in B. Schlemmer (dir.), op. cit., 1996. Dans son article déjà mentionné de Lusotopie (1996), Alain
Morice ajoute : « C'est donc admettre que le capitalisme "n'interdit" pas (...) l'usage de la métaphore
paternelle, et admettre ainsi que le paternalisme n'éloigne pas de l'ordre salarial contractuel, puisque parfois il en
est à l'origine (...) Ainsi, on peut faire l'hypothèse que les ordres symbolique et imaginaire du paternalisme
et du salariat contractuel entretiennent, en un lieu et un moment donnés, des relations complexes qui ne sont
pas d'exclusivité mais de concurrence et d'articulation » (p. 404 et 405).
2. F. Ewald, L'État-providence, Grasset, 1986, p. 132.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 21 Ъ
1. Cf. M. Agier, J. Copans et A. Morice (dir.), op. cit., 1987, et Cahiers des sciences humaines,
ORSTOM, vol. 23, 1987, n™ 1 et 2.
2. Cf. A. Morice, art. cité, 1987.
3. Comme celle qui est décrite dans l'article de Michel Agier et Thierry Lulle (in Cahiers des sciences
humaines, vol. 23, 1987, n° 1), qui analyse les travailleurs d'une brasserie à Lomé.
4. Cf. M. Sélim, L'aventure d'une multinationale au Bangladesh, L'Harmattan, 1991, chap. 3.
5. Une anecdote illustre ce point : lors de ses enquêtes sur les chantiers du bâtiment à Joâo Pessoa
(Paraiba, Brésil), Alain Morice a observé un ouvrier chargé de la bétonnière, classé « manœuvre », qui
refusait toutes les possibilités de passage à la catégorie de maçon qualifié. En fait, cet ouvrier tenait un tripot hors
de ses heures de travail, et le poste clé qu'il occupait (tous les ouvriers du chantier ou presque ayant à venir
chercher du béton) lui permettait de reconstituer quotidiennement sa clientèle, ce qu'il n'aurait pu faire à un
autre poste.
276 Bruno Lautier
1 . Comme le journalier à statut précaire du bassin minier de Dhanbad (Bihar, Inde) qui répond à
Gérard Heuzé qui lui demande de parler de son travail : « Je ne travaille pas. Je vais tous les jours décharger
des wagons pour le compte du marchand d'hommes », G. Heuzé commente : « Pour l'ouvrier en question,
comme pour la majorité des gens, la peine n'est pas le travail (...) Le travail précaire n'a pas assez de
substance pour qualifier un homme ; il peut seulement en signifier l'abaissement » (G. Heuzé, Ouvriers d'un autre
monde. L'exemple des travailleurs de la mine en Inde contemporaine, Paris, Éd. de la MSH, 1989, p. 123-124).
2. Comme de nombreuses domestiques latino-américaines, cf. à ce sujet : B. Lautier et J. Marques-
Pereira, Le rôle des représentations dans la constitution du marché du travail. Employées domestiques et
ouvriers du bâtiment en Amérique latine, in Cahiers des sciences humaines, ORSTOM, vol. 30, n° 1-2,
avril 1994.
3. Pour un exposé en français de la thèse, cf. H. Lopez-Castaflo, Secteur informel et société moderne :
l'expérience colombienne, Revue Tiers Monde, vol. XXVIII, n° 110, avril-juin 1987, et, pour la polémique
autour de la thèse : F. Roubaud, L'économie informelle au Mexique, Éd. Karthala, 1994; B. Lautier, Cycles
de vie, trajectoires professionnelles et stratégies familiales. Quelques réflexions méthodologiques à partir de
travaux latino-américains, in R. Cabanes, J. Copans et M. Selim (dir.), op. cit., 1995, et P. Huyette, Mobilité
et informalité : des nouvelles formes aux régulations modernes de l'emploi en Colombie, Revue Tiers Monde,
vol. XXXVIII, n° 152, octobre-décembre 1997.
Pour une sociologie de l'hétérogénéité du travail 277
1 . Ce que Pierre Huyette (art. cité, p. 769) résume en écrivant : « La partie stabilisée du salariat est non
seulement réduite, mais n'est en outre que très faiblement accessible par voie de mobilité ; la majorité des
travailleurs stabilisés sont en fait des travailleurs dont c'est le premier et unique emploi (...). (Pour les autres
salariés) la mobilité est générale, et n'est que peu soumise à des critères d'affiliation (à la Sécurité sociale) ou
de taille d'entreprise, de formalité ou d'informalité. »
2. Cette diversité est beaucoup plus forte que celle qu'a connue l'Europe, l'intégration dans le salariat
industriel des non-salariés européens ayant concerné des catégories peu diversifiées (petits paysans et petits
artisans) et ayant connu une histoire « simple » (une seule mobilité entre non-salariat et salariat).
278 Bruno Lautier
CONCLUSION