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Sharon Teixeira
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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All content following this page was uploaded by Sharon Teixeira on 24 November 2017.
Sharon TEIXEIRA
Ecrire ce mémoire de fin de Master 1 a été une aventure à la fois à travers la découverte
du monde de la recherche et du terrain, mais aussi à travers l’apprentissage de l’autonomie
pour ce premier travail de longue haleine. Ce projet de recherche m’a permis d’adopter
une démarche réflexive et de faire évoluer ma pensée au fur et à mesure de l’avancement
de la recherche et des révélations du terrain.
Je souhaite exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire Géraud
Magrin pour le temps qu’il a accordé à mon travail, tant par ses relectures que par ses
conseils avisés.
La disponibilité dès mon arrivée sur le terrain et les conseils de Marthe Koffi Didia,
maître de Géographie à l'Université Félix Houphouet Boigny, sont vivement remerciés.
J’adresse mes sincères remerciements à ceux qui ont contribué à l'élaboration de mon
mémoire. Je suis reconnaissante envers Fatoumata Toro du PRICI qui a été d’une
disponibilité et d’une gentillesse sans égal pour me donner accès à de précieuses
informations et répondre à mes interrogations. Je remercie également Agède Huguette
Ruzibiza, architecte et membre de l’association J’aime ma Lagune, qui a su m’accorder du
temps et le privilège de discussions enrichissantes pour mon mémoire. Un grand merci
également au « doyen » Kopieu Gouganou qui m’a été d’une grande aide.
Pour l’accueil, l’aide et les sincères discussions que nous avons pu avoir, je remercie les
notables et le chef de Cocody Village et ainsi que ceux de Blockhaus.
Un grand merci à Alphonse Akplogan qui m’a épaulé et accompagné à de nombreux
rendez-vous.
Je tiens tout particulièrement à remercier ma famille et mes amis qui m’ont apporté un
soutien sans faille et plus particulièrement ma mère de croire en moi et de me soutenir
indéfectiblement.
2
Table des matières
INTRODUCTION.............................................................................................................................6
PARTIE 1 : La ville pensée, entre échecs passés et renouveau teinté de mondialisation :
quelle traduction sur le territoire ?................................................................................................ 20
1. Dynamiques spatiales de la ville d’Abidjan ...................................................................................... 21
A. Evolution de la morphologie urbaine de la ville coloniale à la métropole post-conflit .................... 21
B. Evolution de la prise en compte du statut du front lagunaire pour les aménageurs : entre non
considération et ressource à mettre en valeur................................................................................................... 26
C. L’urbanisation et la métropolisation : vecteurs de la dégradation du système lagunaire .................. 31
2. Le projet de réhabilitation de la baie de Cocody ........................................................................ 37
A. Présentation de la zone d’étude : un emplacement stratégique .............................................................. 37
B. La coopération Cote d’Ivoire/Maroc: quelles formes et quels acteurs ? .............................................. 44
C. La médiatisation de ce projet........................................................................................................................... 49
3. Discuter le modèle de ce projet: quelles influences? ...................................................................... 55
A. Circulation de modèles étrangers pour un projet local : quelle est l’identité de ce territoire en
construction .............................................................................................................................................................. 55
B. Comparaison de projets de la Baie de Cocody : conception ivoirienne vs conception marocaine 59
PARTIE 2 : Sur le terrain, échelles, pratiques et représentations des citadins .................. 64
1. Les pratiques à l’échelle locale de la BDC ........................................................................................ 65
A. Avant le projet : la BDC comme micro-bassin d’emploi ......................................................................... 65
B. Métamorphoses du territoire à la mise en place du projet ....................................................................... 69
2. Le rapport de la ville à son plan d’eau à travers les représentations citadines ......................... 77
A. Le rapport eau/ville perçu par les abidjanais .............................................................................................. 77
B. Le territoire en projet : lecture par les représentations et imaginaires des citadins ............................ 82
C. La justice socio-spatiale remise en cause par le projet ? ........................................................................... 87
PARTIE 3 : Le projet de la BDC inséré dans les dynamiques d’aménagement du Nord
d’Abidjan ; remise en question du développement durable.................................................... 93
1. Le volet environnemental: entre inadaptation et incertitudes ................................................. 94
A. L’état actuel des choses................................................................................................................................ 94
B. Les aménagements en chantier, quelle gestion, quelle efficacité ? ......................................................... 97
C. En amont, projet conjoint conduit par la BAD : quelle efficacité ? .............................................. 100
2. Un environnement en chantier: Abidjan Nord comme territoire du développement urbain
104
A. Le corridor qui lie la BDC au Banco ..................................................................................................... 105
B. Le projet du « Quatrième pont » ............................................................................................................ 109
C. Le développement du transport lagunaire ........................................................................................... 112
3. Peut-on parler d’un projet de développement durable?..........................................................115
A. La place du concept sur notre terrain ........................................................................................................ 115
B. Discuter les enjeux du DD, incompatibilités avec le modèle urbain ? ............................................... 116
C. Espoirs nourris par des aménagements similaires ................................................................................... 119
Conclusion ...................................................................................................................................... 122
Bibliographie .................................................................................................................................. 127
Tables .............................................................................................................................................. 133
Annexes ........................................................................................................................................... 136
3
4
« Africa’s larger cities seem to be entering a new era of change, driven by the continent’s
own economic growth and emerging middle class as well as an international property
development and finance sector in search of new markets. The urban visions and plans
that this confluence of interests has produced stand in dramatic contrast to the lived
reality of most urbanites, and while their impacts are likely to be complex and
contradictory, what seems most likely is that the majority of urban populations will find
1 Traduction : Les grandes villes africaines semblent entrer dans une nouvelle ère de changement, axée sur la
croissance économique du continent et la classe moyenne émergente, ainsi qu'un secteur international du
développement immobilier et de la finance à la recherche de nouveaux marchés. Les visions urbaines et les plans que
cette confluence d'intérêts a suscités contrastent radicalement avec la réalité vécue de la plupart des citadins et, bien
que leurs impacts risquent d'être complexes et contradictoires, il semble que la majorité des populations urbaines se
trouvent plus défavorisés et marginalisés
5
INTRODUCTION
« Marchica : le rêve que le Maroc exporte à Abidjan » c’est l’intitulé que choisit Jeune
Afrique en Juin 2016 pour présenter la collaboration ivoiro-marocaine dans le cadre du
projet d’aménagement de la Baie de Cocody. Bien qu’Abidjan soit une ville baignée par
l’un des plus vastes plans d’eau lagunaire au monde, la relation entre la capitale
économique ivoirienne et sa lagune a été jusque là distante. Aujourd’hui, « faire la ville au
bord de l’eau2 » est devenu l’ambition de la métropole abidjanaise, les urbanistes tentant
de reconstruire le rapport de l’eau à la ville avec l’exploitation de la baie de Cocody
comme premier front d’eau urbain en gestation, dont les travaux ont été lancés en janvier
2016. Ce chantier se place en étendard d’une coopération ivoiro-marocaine, le waterfront
development étant aussi une pratique inscrite dans le cadre de la mondialisation et de la
mise en compétition des villes. Pourquoi Abidjan convoite t-elle son front lagunaire,
qu’elle avait pourtant délaissé jusqu’ici ?
Le projet d’aménagement urbain que nous allons étudier est localisé dans la Baie de
Cocody, au Nord d’Abidjan et englobe une surface de 170 hectares. Les déguerpissements
ont eu lieu en 2013. Les travaux ont commencé en janvier 2016 et la première phase qui
concerne la dépollution et la protection des berges était sensée prendre fin en avril 2017,
mais se poursuit encore actuellement (juin 2017).
2 Citation du titre de la thèse « faire la ville au bord de l’eau – les lacs de Tunis : des marges urbaines à des sites de très grands
projets d’aménagement » P.A Barthel, 2003
6
1. Un recul historique d’Abidjan nécessaire
« Comme ailleurs en Afrique, les influences urbaines qui se sont succédées ont à chaque fois laissé leur
trace. Qui plus est ces héritages cumulés ont à chaque fois donné lieu à des syncrétismes, à la génèse d’une
nouvelle culture urbaine faite de la rencontre et des interrelations entre l’ancien et le nouveau ».
(Coquery Vidrovitch 2009)
C’est après l’attrait de Grand-Bassam3 pour les Français entre 1842 et 1899, qu’Abidjan
est convoité dès 1903, avec l’édification de son premier lotissement permettant
rapidement la construction de services administratifs primaires. La proclamation
d’Abidjan comme chef-lieu remplaçant Bingerville est décidée le 28 novembre 1920. Elle
s’accompagne d’une nouvelle phase de développement dans les années 1930 (édifices
publics, administratifs, religieux, sociaux). La période coloniale est marquée par le
tournant décisif du 23 juillet 1950 avec la mise en eau du canal de Vridi reliant la lagune à
l’océan, permettant une installation portuaire importante. Puis, la ligne de chemin de fer
Abidjan-Ouagadougou est lancée en 1955. Cependant, la ségrégation socio-spatiale est de
mise dans l’organisation de la ville, avec le dessin d’une ville blanche séparée à la ville
noire.
Abidjan l’indépendante (de 1960 à 1980) prospère avec une stratégie de développement
du pays appellée le “modèle ivoirien”. Le projet urbain est un projet de modernisation qui
est piloté par l’Etat aménageur mais “la colonie avait laissé aux autochtones une ville dont
les politiques urbaines oeuvraient exclusivement au benefice d’une minorité européenne
et un peu africaine” (Chenal, 2009). Malgré une croissance importante et un modèle basé
sur l’exportation de produits agricoles qui se révèle être un succès, la reproduction du
modèle colonial se prolonge à travers la politique urbaine stricte et volontariste de l’Etat.
La planification urbaine est portée par des plans d’urbanisme et des études de
développement mais le savoir urbain occidental basé sur des normes contraignantes
continue de prévaloir (ibid). La ville réussit quand même à se construire, avec la
multiplication d’infrastructures, et l’industrialisation qui commence dès les années 1960.
Le début des années 1980 qui sonne la fin du “miracle ivoirien”, l’Etat étant incapable de
financer son projet d’urbanisme global, doit subir les politiques d’ajustements struturels.
Puis, cette période de crise économique se poursuit jusqu’en 2011, par une période socio-
politique sombre. En effet, en 1999 le coup d’Etat débouche sur une période de troubles
7
qui affaiblissent le pays pendant plusieurs années, alors que les autres métropoles
africaines, au même moment, connaissent des dynamiques positives. En effet, en Côte
d'Ivoire, il y a un phénomène de contre-urbanisation visible (Potts, 2009). En 2002, les
différents clans politiques instrumentalisent la religion pour diviser le pays en deux. De
2002 en 2007, le conflit armé ravage le pays. Après une acalmie éphémère, les élections de
2010 sont le théâtre d’un nouveau conflit. Finalement, Ouattara devient président et
Gbagbo est fait prisonnier en 2011.
Depuis 2011, le pays tente de renaître. Le bilan est lourd, avec une économie fortement
affectée par la guerre, une dégradation des infrastructures, et une population touchée.
Les répercussions de cette crise multiforme sur la capitale économique sont importantes,
notamment du côté de la planification et de la gestion urbaine entièrement laissées pour
compte. Les échecs des plans sont aujourd’hui représentés dans les lacunes d’un
développement urbain uniquement sur un axe Nord-Sud, qui tend à étendre la ville, l’axe
Est-Ouest (lagunaire) ayant été laissé de côté.
Schéma 1 - Chronologie des faits marquants de l'Histoire ivoirienne de l'époque coloniale à aujourd’hui
Source : Sharon Teixeira
La présente étude se situe au coeur du contexte post-2011 que nous venons de décrire
succintement. A l’échelle urbaine d’Abidjan, le projet de réhabilitation de Cocody consiste
au développement du front d’eau lagunaire par une série d’aménagements étalés sur
8
quatre ans. Il s’agit d’un projet multifacette qui se compose de la construction d’une
corniche, d’ un viaduc reliant le quartier de Cocody (est) à l’autre rive, côté Plateau
(ouest). De plus, un port de plaisance, des espaces de loisirs et des installations
commerciales sont prévus.
Il est légitime de se demander si le projet de réhabilitation de la BDC, par les usagers qu’il
cible, va dans le sens d’un renforcement de la cohésion sociale. Dans le cadre de
transformations urbaines dans d’autres villes du Sud à travers des projets similaires à celui
que nous étudions, on note qu’ils s’accompagnent d’opérations de déplacements de
populations qui traduisent des rapports de forces inégaux (Blot, Spire 2014). Le cas d’Ho
Chí Minh Ville avec son histoire foncière complexe, caractérisée par un recours à
l’occupation informelle de terrains, a accueilli des projets urbains récents avec leur lot de
déplacements. “Ces procédures ne manquent pas de creuser les inégalités entre citadins et
nourrissent un fort sentiment d’iniquité, tant il reste de différences en matière d’éviction
et d’indemnisation d’une opération à l’autre” (Gibert 2014). Dans un autre registre,
l’exemple de Rio de Janeiro est aussi traité dans de nombreux documents traitant des
megaprojets qui sont sortis de terre pour accueillir des évenements mondiaux. En effet, à
l’approche de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016, la
planification urbaine pour abriter ces méga-évènements a entrainé des déplacements
forcés touchant majoritairement les catégories les plus pauvres (Ninnin 2014). L’auteure
parle aussi des effets indirects de cette revitalisation urbaine; ce sont notamment la
spéculation immobilière et à la hausse globale du coût de la vie. Enfin, on peut citer le
processus de restructuration de l’espace librevillois qui s’accompagne de
déguerpissements avec des répercussions négatives et l’aggravation des conditions de vie
des déplacés avec une réorganisation de la ville (Rano-Michel Nguema 2014).
Dans le contexte d’un pays classé au 172ème rang sur 188 en 2014 dans l’indice de
développement humain calculé par l’ONU, les inégalités entre les franges de la population
sont très creusées. On peut alors légitimement se demander si le projet de réhabilitation
de la baie de Cocody, conçu comme une opération à forte plus-value dans son caractère
de vitrine de modernité, à usage des entreprises et acteurs mondialisés les plus favorisés,
ne va t-il pas à l’encontre de l’enjeu de retrouver la cohésion et résorber la fracture
sociale ?
Dans la course à la métropolisation qui anime les villes des Suds, les relations entre
développement et territoire sont centrées sur l’édification d’infrastructures de transport
comme leviers, mariés à des politiques de réhabilitation ou de rénovation urbaine dans les
quartiers centraux. Cet enjeu global de « renaissance » visible aussi bien au Nord qu’au
Sud est caractérisé par une reconquête socio-spatiale des quartiers populaires dans les
centres-villes (Smith, 2003). Ainsi à l’échelle locale, la question du développement
9
englobe celles des infrastructures, mais aussi la qualité de l’environnement urbain, la prise
en compte des modes de vie, et la vitalité des activités culturelles (Ghorra-Gobin 2013).
« L’urbanisme est désormais devenu un enjeu majeur de l’attractivité et de la capacité à se
positionner dans la hiérarchie mondiale » (ibid).
Abidjan, au même titre que de nombreuses métropoles africaines, est inscrite dans cette
mise en œuvre de grands projets publics dont le but est de conférer un nouveau
rayonnement dépassant les frontières nationales, en requalifiant durablement le paysage
urbain. Mais la métropolisation induit des effets socio-spatiaux sur l’urbain que l’on peut
résumer par la notion de fragmentation. Gervais Lambony parle d’effets comme « le
fractionnement spatial de la ville, disparition du lien social citadin, division économique
de la ville, séparation politique de territoires, replis communautaires, renfermement des
plus riches dans des cités fermées, mise à l’écart spatiale des plus pauvres » (Gervais
Lambony, 2004). Dans une métropole pauvre et post-conflit, comment se traduisent les
effets de cette métropolisation ? Le travail de recherche dans lequel nous nous lançons a
l’ambition de sonder les réalités concrètes d’une opération de rénovation urbaine à
Abidjan avec le cas de l’aménagement d’une baie, en l’étudiant dans le contexte urbain
post-conflit, d’un point de vue à la fois politique, opérationnel, et des représentations.
10
développement a changé d’apparence car certains pays en développement ont pris le
statut de donateurs.
Ce changement de tendance en matière d’aide est appelé « Coopération Sud-Sud ». Selon
la FAO, l’échange de connaissances Sud-Sud entre des pays confrontés à des difficultés
comparables est de plus en plus convainquant comme outil efficace pour faciliter le
renforcement des capacités et l’innovation. D’après la FAO, la CSS est « le partage mutuel
et l’échange de solutions de développement stratégiques – connaissances, expériences et
bonnes pratiques, politiques, technologies, savoir-faire et ressources – entre pays du Sud.4
» Depuis des décennies, la plupart des études réalisées sur la coopération Sud-Sud en
Afrique mettent en lumière le partenariat de l’un des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine)
avec un pays africain. C’est le cas de la Chine-Afrique ou de l’Inde-Afrique, ou encore du
Brésil comme force africaine 5. De nombreux travaux ont abordé la géopolitique de la
Chine (Aurégan 2016). Bien que les origines de l'investissement Sud-Sud remontent à des
décennies - et cela dépend de la façon dont on définit les Suds – un rapport de l’OCDE
datant de 20066 indique que ce n'est que récemment que ces flux ont augmenté de façon
significative, au point qu'ils constituent à peu près 20% de l'ensemble des flux d'IDE
destinés aux pays en développement.
Les études ont commencé à émerger sur certains aspects de ce vaste champ
d’investigation, mais il reste de nombreuses cases à remplir. Le poids des flux d’IDE Sud-
Sud et leurs conséquences en matière de développement est une thématique qui mérite
d’être explorée sur le terrain. Autrement dit, « quand les entreprises du Sud investissent au
Sud » (Magrin et al 2015), c’est souvent l’Etat qui contrôle les flux d’IDE, par le biais des
firmes du secteur public qui s’internationalisent ou, indirectement, par le biais de son
autorisation. Ce sont donc les autorités publiques qui développent des stratégies avec
leurs firmes (Aykut, Goldstein, 2006). L’article de Magrin et al (2015) permet de distinguer
trois configurations d’investissement Sud-Sud. La première correspond aux relations
basées sur la proximité géographique, sans dépendre nécessairement des liens forgés entre
les États. Le deuxième modèle enregistre des flux investissements qui proviennent
d’acteurs de pays éloignés géographiquement et culturellement des territoires hôtes.
Enfin, le troisième modèle allie à la fois régionalisation et stratégies d’échelle globale des
émergents, mais aussi proximités culturelles héritées de l’histoire coloniale.
Sur notre terrain d’étude ces trois configurations cohabitent. Premièrement, des acteurs
privés régionaux investissent à Abidjan. C’est l’exemple du groupe malien l’Aiglon qui fut
le coeur d’un éphémère empire agro-industriel ouest-africain édifié à partir
d’investissements en Côte d’Ivoire (Magrin et al 2015). Deuxièmement, la Chine-Afrique
s’illustre dans les IDE chinois qui arrivent à Abidjan chaque année, avec notamment un
11
volume de 920 milliards de FCFA d’investissements en 2015. Finalement, le cas de la
coopération Maroc-Côte d’Ivoire entre dans une configuration d’éloignement
géographique relatif mais les discours politiques médiatisés évoquent une proximité
culturelle. Celle-ci est justifiée d’une part, au nom de l’appartenance au continent africain -
puisque la demande d’adhésion déposée par le Maroc à la CEDEAO va dans ce sens - et,
d’autre part, en raison de la volonté de faire ressortir la proximité culturelle qui s’illustre à
travers le lancement des travaux de construction de la mosquée « Mohammed VI » à
Abidjan (Treichville) en mars dernier.
7Rapport « Lions on the moove 2.0 the continuing progress of Africa’s economies » de McKinsey » présenté Au World
Economic Forum (WEF) qui s’est déroulé à Kigali, au Rwanda, du 11 au 13 mai 2016
8 Fahd Iraqi, « Maroc Afrique Acte II », (p.51) Jeune Afrique n° 2931, dimanche 12 mars 2017
9 Le Maroc s’est retiré de cette organisation en 1984 pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie
12
assurances, des télécommunications, de l’immobilier. On note aussi une orientation de
l’investisseur marocain dans de nouveaux secteurs d’activités tels que l’industrie et l’aérien.
Pour atteindre une attractivité sur la scène internationale, la ville en travaux passe par une
normalisation spatiale qui revêt des formes standardisées d’aménagement. Certains grands
projets métropolitains ont un caractère exemplaire, à l’instar de ceux de grandes villes
européennes. Le modèle de « La « belle » ville, la ville « moderne » étant la ville planifiée,
projetée» (Berry-Chikhaoui 2007) pose le problème de la généralisation de modèles qui
efface quelque peu l’identité locale. En somme, la ville est vue comme une machine, et
non envisagée selon son caractère qualitatif. Plusieurs ouvrages revendiquent une prise en
compte d’un aspect plus qualitatif de la ville 10 , avec des réflexions qui remettent en
question toute tentative de traiter et de comprendre la ville d'en haut, comme une totalité
10 Liste non exhaustive : David Harvey, Manuel Castells, Kevin Lynch, Michael J. Dear
13
unie et un système fermé.
En outre, ce projet peut être caractérisé en tant que projet complexe car il s’agit de traiter
l’enjeu double de gestion et d’aménagement intégrés de l’écosystème lagunaire et de ses
berges en milieu urbain. Cet espace est fragile, cumulant à la fois les dégradations
environnementales de ces écosystèmes perturbés et les problèmes d’urbanisation
spontanée. Comme l’énonce Barthel, nous assistons à « la double logique de sauvetage de
l’environnement et de régulation de l’expansion urbaine » (Barthel, 2003). Pour autant, ce
11La lagune de la capitale est communément appelée « lac de Tunis» par les Tunisiens.
12Joining Nature and Cities a développé une expérience de projet à l’international en Europe, mais aussi en Afrique, Amérique et
Asie
14
volet environnemental pose la question de la pérénité du mode de gestion du plan d’eau
que présente ce dossier. La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est reconnue
pour prôner une coordination transversale entre les secteurs, les applications, les groupes
sociaux, avec une réflexion à l’échelle du bassin versant. La réhabilitation de la Baie peut-
elle remplir l’objectif ambitieux d’éradiquer la pollution, tout en ayant un périmètre
d’intervention restreint?
Cette étude souhaite explorer les points d’intérêts soulevés par l’aménagement de la Baie
de Cocody au sein de la métropole d’Abidjan. L’analyse se veut multiscalaire pour
autoriser une compréhension la plus exacte possible, à travers une lecture aux échelles
intra-urbaine, du quartier, de la rue, et à différents degrés de proximité par rapport au
projet. N’étant encore qu’en phase de construction, c’est par le biais de l’observation du
terrain, de l’étude des discours et représentations des différents acteurs que nous allons
tenter de répondre à nos questionnements.
15
logiques globales qui sont celles de la métropolisation et le contexte spécifique
d’un projet politico-urbain marocain.
Les hyptohèses secondaires sont d’abord que l’aménagement est en décalage avec les
besoins et les imaginaires locaux. Ensuite, ce projet qui se dit à visée environnementale,
ne peut parvenir à régler totalement les problèmes de pollution de l’écosystème lagunaire.
Méthodologie du mémoire
Avant tout, il faut dire que notre démarche est assez complexe et risquée, car l’étude est
portée sur un projet d’aménagement en cours. Ce mémoire est tributaire de l’avancement
concret du projet, mais aussi du niveau d’informations filtré donné par les acteurs
institutionnels sur celui ci. L’identité spatiale du lieu est en pleine mutation, l’objet de
recherche est donc dynamique. Malgré les risques d’une recherche sur un projet non
réalisé, nous avons pris le parti de soutirer tout ce que nous avons pu sur ce premier front
d’eau en gestation de la métropole abidjanaise en nous basant sur les discours des acteurs,
sur la médiatisation du projet, sur les représentations et les appropriations du projet, mais
également des études et des impacts de ce genre de projet initié dans des conditions
comparables à celles de notre terrain. Les analyses pourront paraître conjoncturelles mais
elles restent des analyses véridiques dans un espace temporel réduit. Elles pourront
également servir de comparaison avec les différentes étapes d’avancement du projet, ainsi
que dans son exploitation future.
16
De plus, nous assistons à travers ce projet, à une dialectique naissante entre l’identité
passée de la BDC vue comme une marge urbaine, à la création d’une nouvelle identité
d’un espace convoité par les aménageurs. Plus globalement, nous pensons que cette
dialectique peut s’appliquer dans un futur proche à une dialectique entre espace à
contrainte naturelle et potentiel de développement, la lagune coupant la métropole en
deux.
L’analyse développée dans cet article est d’une part basée sur l’actualité de ce projet et
notre curiosité sur les rouages d’une coopération ivoiro-marocaine. De plus, le contexte
post-conflit de la métropole abidjanaise dans lequel se développe le projet étudié, et bien
d’autres métamorphoses de l’espace urbain nous a paru intéressant. D’autre part, elle est
le résultat d’une recherche documentaire approfondie effectuée d’une part avant d’aller
sur le terrain et d’autre part lors de ma présence sur le terrain. Cette recherche
documentaire a permis de comprendre les enjeux globaux de l’étude, ainsi que le contexte
socio-économique, politique et environnemental dans laquelle elle s’inscrivait. Elle a
également encadré ce présent travail par les apprentissages issus de travaux effectués
précédemment par d’autres d’auteurs travaillant sur des thématiques enrichissantes au sein
de villes du Sud. Ainsi, c’est en privilégiant l’entrée thématique dans les recherches
bibliographiques que les résultats ont été féconds, présentant de nombreux articles et
ouvrages avec lesquels il a été possible de créer un parallèle avec la présente étude.
Cependant, il faut noter que les recherches concernant le projet de réhabilitation de la
BDC ont été peu fructueuses, entre articles de presse d’actualité ayant peu de valeur, et
fausses données sur les acteurs du projet (Koffi & Diabaté Architectes étant présentés
comme maître d’œuvre sur Internet, alors que ce n’est plus le cas avec la reprise du
dossier par le Maroc).
17
Concernant la méthode de mes entretiens, j’ai opté pour une grille d’entretien avec les
points principaux à aborder, sans pour autant diriger avec une série de questions
prélablement définie. Cela m’a permis, dans la majorité des cas, d’en apprendre plus que
ce que j’étais venue chercher. De plus, les personnes interrogées ont pu appuyer certains
sujets dont ils voulaient parler.
Le travail de terrain a également permis de retrouver les anciens occupants de la BDC, qui
ont été déplacés avec la mise en travaux du site dès janvier 2016. Des données
importantes qui ont été récoltées en faisant des entretiens avec les déplacés pour
connaitre notamment sur le procédé de déplacement, l’indemnisation, mais aussi le
parcours des déplacés au sein de la ville.
Enfin, la mise en place d’un questionnaire sur les représentations qu’ont les Abidjanais de
la lagune a permis d’une part de sonder les différentes perceptions et d’autre part
d’évaluer le rapport eau/ville dans une métropole qui compte parmi les plus grands plans
d’eau au monde. En plus, ce questionnaire a permis d’établir le niveau de connaissance
d’un échantillon d’abidjanais sur le projet de la baie en cours. Les limites de ce
questionnaire sont multiples avec un échantillon de 35 enquêtés que nous avons
rencontré tout au long de l’enquête de terrain, limité à cause d’un calendrier court, mais
également sur l’homogénéité des profils interrogés qui sont pour la plupart des employés
de niveau cadre. Au début lorsque nous avons testé mon questionnaire, nous nous
sommes rendu compte que malgré l’effort dans l’écriture de questions simples, certains
interrogés ne comprenaient pas.
A une échelle plus réduite, un questionnaire express a été lancé par le biai du réseau social
Facebook, limitant directement la portée des répondants à mon cercle de connaissances.
Cependant, le questionnaire rempli par 90 personnes résidantes à Abidjan représente une
base de données intéressante à analyser car les questions sont ouvertes, et les réponses
qualitatives ont permis de faire ressortir les avis du panel.
La première partie est intitulée « La ville pensée, entre échecs passés et renouveau
teinté de mondialisation : quelle traduction du projet de la BDC sur le territoire ? »
est consacrée à l’évolution des dynamiques spatiales d’Abidjan, en lien avec son plan
18
lagunaire, ainsi qu’à la présentation du projet de la BDC inséré dans l’espace Nord
d’Abidjan et à son identité empreinte d’influences étrangères.
Enfin la dernière partie appelée « Le projet de la BDC inséré dans les dynamiques
d’aménagement du Nord d’Abidjan ; remise en question du développement
durable » analyse le projet d’un point de vue environnemental, et le remet dans le
contexte de la fabrique de la ville au Nord d’Abidjan avec des projets qui sont
interdépendants entre eux. Enfin, le concept de « durabilité » prôné dans l’ensemble de la
production urbaine est discuté.
19
PARTIE 1 : La ville pensée, entre échecs passés et
renouveau teinté de mondialisation : quelle traduction sur
le territoire ?
Cette partie traite de l’évolution de la planification de la métropole abidjanaise pour faire
ressortir le caractère nouveau de la planification actuelle de la ville, qui fait intervenir de
nouveaux acteurs. A l’échelle de l’aménagement de la BDC, le but est de comprendre le
système décisionnel du projet avec une multiplication du nombre d’acteurs impliqués dans
la conduite du projet. L’enjeu est de comprendre le montage institutionnel de ce
partenariat public-privé en travaillant sur le jeu d’acteurs et le rôle de l’Etat. Nous allons
également expliquer pourquoi ce projet est politico-urbain mais aussi symbolique, à
travers la communication et le marketing urbain. La cible de cette production de récits de
promotion de la ville est surtout l’élite mondiale qui reconnait les codes normalisés de ce
projet qui est assimilé à d’autres réalisations similaires autour du globe. Peut-on parler
d’une polarisation de l’urbanisme ?
20
1. Dynamiques spatiales de la ville d’Abidjan
Un retour sur l’évolution de la fabrique de la ville abidjanaise est important pour replacer
notre cas d’étude dans un contexte historique bien particulier. La relation entre la ville et
son plan lagunaire est également importante à cerner pour marquer toute la nouveauté de
la gestation de ce nouveau front d’eau urbain à vocation d’espace public.
Abidjan se révèle être un terrain approprié pour étudier les mutations urbaines dans une
métropole post-conflit. D’une part, les modèles d’urbanisation successifs qui l’ont
façonnée soulèvent des enjeux et contradictions communs avec certaines politiques
urbaines menées dans des pays en développement depuis les cinq dernières décennies.
D’autre part, l’intérêt de l’étude passe par la singularité de l’évolution de la métropole
abidjanaise au moment où ses consœurs, autres métropoles africaines allaient dans des
dynamiques inverses. En effet, Abidjan s’impose comme un cas d’étude intéressant, en
raison du contraste violent entre une période faste, le miracle ivoirien, et une période de
grandes difficultés (entre chute du prix des matières agricoles, PAS, et troubles politiques).
« La particularité du site d’Abidjan est d’être située au bord d’un large plan d’eau (800 ha
et 10m de profondeur en lagune Ebrié) protégé au sud de l’océan Atlantique par un
cordon littoral sableux. L’espace aquatique est bordée au nord par un plateau sédimentaire
argilo-sableux et gréseux dominant la lagune de 30m échancré par de grandes baies »
(Dubresson et coll., 1987:27).Comme nous l’indique la carte ci-dessous, la croissance
spatiale d’Abidjan s’exprime en trois grandes périodes (Haeringer 1977) :
Puis, à partir des années 1950, la ville prend son essor économique avec notamment
l’ouverture du canal de Vridi. L’aménagement du port se développe et connait un essor
jusqu’en 1970 : c’est le temps de la ville portuaire. Les nouveaux quartiers comme Cocody
et Marcory sont créés, accentuant la ségrégation socio-spatiale mise en place au temps de
la ville coloniale. Les nouvelles zones d’habitat sont localisées au nord de la ville et les
zones industrielles au sud, le plateau accueillant les fonctions commerciales et
administratives. Cette distribution des fonctions urbaines engendre de graves
déséquilibres dans la répartition de la population et des bassins d’emplois, qui entrainent
une intensification des déplacements quotidiens (A. Dubresson et coll., 1987).
Enfin, on distingue le nouveau périmètre (de 1970 à aujourd’hui), résultat d’une forte
croissance démographique. Des nouveaux quartiers (Yopougon, Abobo) appelés « villes
nouvelles » par Haeringer, sortent de terre. L’agglomération s’étend alors dans un rayon
de 12 km à partir du Plateau en 1970 contre 4 km en 1955. Au tournant des années 1990,
Abidjan passe un seuil quantitatif d’habitant et devient une mégapole.
Aujourd’hui l’espace urbain abidjanais n’est pas facilement lisible. Haeringer (2000) parle
d’un quatrième critère qui s’ajoute ajourd’hui pour observer l’espace urbain, il s’agit de
l’illisibilité. Selon lui, cette illisibilité est caractéristique d’un paysage répétitif propre à une
mégapole, ainsi que d’une complexité qui brouille les messages (ibid). C’est pourquoi, afin
de comprendre comment Abidjan a été planifiée depuis son heure de capitale coloniale
jusqu’à aujourd’hui, une analyse succincte des plans d’aménagement est nécessaire.
22
Schéma 2 : Chronologie des plans d'aménagement à Abidjan de l'indépendance à
aujourd'hui Source : réalisé par l’auteure
Abidjan la coloniale est construite suivant les instructions du plan Badani (1952) qui
s’accompagne d’un changement de la ville au départ administrative et résidentielle, qui
devient portuaire et industrielle. Le percement du canal de Vridi structure cette
conversion, complété par l’utilisation 31 kilomètres des berges lagunaires à destination des
activités portuaires et industrielles. La limite de ce développement autocentré sur le port
et les industries est l’incapacité à répondre au besoin de zones d’habitat.
Schéma 3 : Evolution de la morphologie d'Abidjan des indépendances aux effets dûs plan des années 1960
Source : Notre Abidjan, Diabaté et Kodjo, 1991 (p. 85, 86, 87)
Entre 1969 et 1974, le plan de développement est pensé par le BNETD nouvellement
créé. Il préconise comme le plan précédent de contrecarrer le développement de la ville
selon l’axe Nord-Sud au profit d’un axe Est-Ouest. Il planifie des zones de logements
notamment sur le plateau du Banco et celui d’Abobo. Les limites de ce plan sont sa forme
en plan de zonage, délimitant à chaque territoire sa fonction.
23
les revers de vingt-cinq ans d’aménagements et extensions au départ planifiés sur l’axe de
développement Est-Ouest, mais finalement non aboutis. Cette période marque l’époque
l’échec du modèle ivoirien, accentué par la crise et les PAS.
En 2000 le Schéma Directeur ASDA est créé avec la volonté de comprendre les
mécanismes qui ont fait évoluer l’agglomération. De plus, il faut noter le partenariat de
l’Etat et de BM dans l’élaboration de nouvelles priorités dans le « PDU III » ou plan de
développement urbain 3. Cependant, le contexte de conflits qui durera une décénnie
empêche de faire aboutir les idées principales du plan.
Abidjan est le résultat de cette planification mal maitrisée, organisée dans la continuité de
la vision coloniale, et ne mettant pas fin à la ségrégation socio-spatiale avec notamment la
plupart de la population logée au Nord, dans les bassins d’habitations les moins onéreux.
Ainsi, « les différents plans d’urbanisme (…) ont perdu de vue qu’Abidjan est une ville
africaine dont les habitudes culturelles sont différentes de celles de l’Europe choisie
comme modèle et que les revenus des Ivoiriens sont extrêmement limités. » (Diabaté,
Kodjo 1991). De plus, l’échec du modèle ivoirien dû à de mauvaises prévisions, à des
normes trop élevées, au blocage de l’essor économique, mais aussi au système de
financement qui a profité majoritairement à une population aisée. Plus largement, la
volonté visible de rassembler fonction résidentielle et bassin d’emploi s’est révélée entre
un échec, entrainant l’étalement de la métropole.
Depuis 2013, le SDUGA (Schéma Directeur d’Urbanisme du Grand Abidjan) réalisé avec
l’appui de la JICA (Agence japonaise de coopération internationale) a repris des projets du
plan précédent tout en initiant une nouvelle approche du développement urbain fondé sur
un modèle durable. Il porte l’ambition d’enrayer les problèmes non résolus par les plans
précédents et aggravés par la pression de la population et l’extension urbaine. Ces deux
facteurs créent une urbanisation sauvage, imagée ci-dessous avec la multiplication
d’installations informelles.
Schéma 4 : Pression de la population et étalement urbain : deux grands défis de la planification urbaine
d'Abidjan Source : Rapport Final SDUGA Volume 1 JICA, mars 2015 p.8
24
« La vision pour le Grand Abidjan est fondée sur les principes de développement durable
et est destinée à contribuer au renforcement de l'économie de la Côte d'Ivoire par
l'amélioration de l'infrastructure économique et l'enrichissement de la qualité de vie dans
le Grand Abidjan grâce à la mise en place d’infrastructures sociales et équipements
urbains adéquats. Il s'agit d'une initiative de développement majeure pour la croissance
économique nationale afin de soutenir la réalisation de la Côte d'Ivoire en tant qu’une «
économie émergente », comme énoncé dans le Plan National de Développement (PND).
L’objectif est de « permettre au Grand Abidjan de devenir à nouveau le premier centre
économique de l’Afrique de l'Ouest. »13 Cette citation indique le caractère nouveau à la
fois d’un vocabulaire autour du développement durable, de l’émergence mais aussi de la
coopération entre la JICA et le gouvernement ivoirien sur l’urbanisation du Grand
Abidjan. La prise en compte de l’environnement est importante au sein de l’étude qui fait
notamment le constat d’une dégradation de la qualité de l’environnement comme
conséquence de l’expansion urbaine (Photos ci-dessous).
Afin de ne pas refaire les mêmes erreurs dues au décalage entre prévision et réalité, six
Scénarios de croissance spatiale pour le Grand Abidjan ont été élaborés et évalués pour
atteindre les objectifs du plan. Issus de l’analyse comparative des avantages et
inconvénients de chaque scénario, un scénario optimisé a été créé pour la ville. En
découle une stratégie spatiale d’aménagement urbain pour le Grand Abidjan à horizon
2030.
La vision du futur proche d’Abidjan (carte ci-dessous) est celle d’une densification urbaine
des fonctions à travers la « ville compacte », avec une expansion territoriale contrôlée dans
25
laquelle seront inclues des zones touristiques, et une ville satellite littorale (Jacqueville)
ainsi que deux villes satellites intérieures au Nord et à l’Est. D’autre part, la composante
des transports est mise en avant avec la volonté de créer une ville compacte, avec une
mobilité réduite. Le développement des axes de transports passe par le développement du
transport lagunaire au travers d’infrastructures.
Cette partie permet de démontrer que l’intérêt pour le développement du front lagunaire
dans la ville d’Abidjan a varié au cours de son aménagement. L’étude des différentes
périodes historiques permet de rendre compte du statut du front lagunaire pour l’Etat
26
aménageur sous les différents plans d’aménagement. Si l’on reprend la chronologie des
faits marquants, on peut découper l’évolution de l’intérêt porté au front lagunaire en six
périodes.
Avant l’édification d’Abidjan comme capitale, l’aménageur francais trouve une première
utilité à la lagune après l’échec du percement du canal en 1903. En 1912, l’ingénieur
hydrographe Renaud trouve une alternative qui consiste à relier la lagune à la mer par un
canal qui aurait la capacité d’accueillir le passage de navires à fort tonnage. Cependant, la
Première Guerre mondiale entraine la suspension les travaux. Le canal de Vridi ouvre
finalement le 23 juillet 1950 et le port d’Abidjan est inauguré six mois plus tard, le 1 er
janvier 1951. La conséquence est le développement d’activités portuaires, rendant donc la
viabilisation de Treichville (zone portuaire) nécessaire. En 1952, un plan d’assainissement
engage l’édification d’un réseau pluvial, et du remblaiement de la zone inondable
environnante.
Puis, vient le plan Badani qui n’édite aucun objectif directement lié à l’aménagement et à
la mise en valeur de la lagune. Cependant, suit le plan SETAP qui est fondé sur des idées
simples, dont le premier objectif est l’occupation maximale du site d’Abidjan en tirant le
meilleur parti du plan d’eau lagunaire.
Photo 4 : Un pont va chasser l'autre ; le pont flottant démonté côte à côte au pont Houphouët-
Boigny, 1958 Source : Notre Abidjan Diabate et Kodjo, p.108 et site de l’ecpad
Une réorganisation de la circulation est aussi prévue, avec la volonté de mettre en place
un vaste réseau routier, notamment par la réalisation de quatre ponts : rue 38-Plateau,
Marcory-Cocody, Banco-Plateau, et Cocody-Plateau. Le pont Houpouët Boigny,
inauguré le 15 mars 1958 (long de 372 m et large de 23 m) constitue à l’époque la seule
liaison Abidjan-Plateau/ile de Petit-Bassam. Dans sa continuité, le deuxième pont
d’Abidjan, le pont De-Gaulle, est érigé en trois ans par le groupe Bouygues Construction
entre 1964 et 1967. Mesurant 11 mètres de largeur pour 592 mètres de longueur, il relie
alors le Plateau avec Treichville/Marcory.
27
Ensuite, le premier plan d’urbanisme de la Côte d’Ivoire indépendante ou SETAP, qui
date de 1969 fait clairement une place au front lagunaire urbain. « Le gouvernement
ivoirien fait connaître sa préférence pour l’extension lagunaire de la ville, en raison du
développement futur du port en lagune vers l’ouest, de la difficulté d’assainir et
d’alimenter en eau l’extrême nord de la ville, du reste très mal ventilé, et de la vocation
touristique d’Abidjan » (Diabate, Kodjo 1991). Celui-ci est accompagné de nombreuses
études relatives à l’assainissement notamment, dans lesquelles un programme à court
terme est pensé pour des zones dites prioritaires qui sont ciblées en fonction de la gravité
de leur situation sanitaire ou de la prévision de constructions neuves. A une échelle de
temps plus longue, un programme à long terme se donne pour objectif l’élaboration d’un
plan directeur d’assainissement pour l’agglomération contenant une réflexion sur la
pollution lagunaire ainsi que sur le traitement des ordures.
Carte 4 : Plan d’aménagement de la ville d’Abidjan de 1969 Source : Notre Abidjan p. 121
Au cours de la décennie 1979–1988 visée par les plans des “perspectives décennales”, les
aménageurs ont pour objectif de limiter le coût des déplacements domicile/travail et se
28
rendent compte que sa réalisation requiert à la fois la construction d’un pont qui
supplante la baie du Banco, mais aussi le doublement du pont Houphouet-Boigny.
Cependant, la réalité de la crise économique conjointement à l’absence de financements
ne permet pas de remplir l’objectif. Néanmoins, à la fin des années 1970, le grand axe
allant du pont Houphouët-Boigny à Port-Bouët et à l'aéroport via l’île de Petit-Bassam est
aménagé. Pour sa réalisation, la partie orientale de la baie de Biétri est séparée de la baie
de Koumassi par un endiguement large et continu.
Puis la période de trouble qui dure plus d’une décennie empêche généralement la
planification de la ville et par conséquent l’aménagement du front lagunaire abidjanais.
Cependant les années 1990/2000 sont celles d’un regain d’intérêt en ce qui concerne
l’assainissement de la ville. En effet, des études se multiplient dans ce domaine14 avec
notamment le rapport du BNETD actualise le plan directeur d’assainissement et de
drainage d’Abidjan en 2000. D’autre part, les études sur le niveaux de pollution de la
lagune sont nombreuses et alarmantes. Le BURGEAP, bureau d’études en
environnement, est mandaté par la SODECI pour produire en 2002 une étude d’impact
environnemental de la mauvaise gestion des déchets sur la lagune Ebrié à Abidjan. Les
études décrivent une lagune fortement polluée, l’Etat aménageur change donc sa vision
du front lagunaire et commence à voir l’urgence des aménagements pour assainir.
En 2011, avec le retour de la paix, la ville se remet de nouveau sur les rails de son
développement, considérant à nouveau le front lagunaire comme un levier d’action pour
résoudre les problèmes d’ordre urbain.
14 Liste non exhaustive : ARFI et al (1993, 1994), DUFOUR (1979, 1981, 1984), HASKONING (1999), KOUASSI (1993, 1995),
PINEUR SA (1999), Rapports de la SODECI (1998) Voir bibliographie
29
« renaissance » ivoirienne. Les conséquences positives de la construction du pont Henri-
Konan-Bédié ont amené le gouvernement ivoirien à annoncer la construction d’autres
ponts. Le projet en partenariat avec la BAD pour le pont reliant Adjamé à Yopougon
a été conclu le 29 décembre 2016. Cette dernière estime le coût annuel des
dysfonctionnements du système de transport à Abidjan (accidents, congestion, pollution
atmosphérique, effets de serre, bruit) à 8 % du PIB national. L’objectif premier est donc
de fluidifier la circulation vers une commune où vivent et transitent des millions de
personnes.
Au cours de cette partie, nous avons souhaité montré la place et la fonction du front
lagunaire à travers l’évolution de l’aménagement de la ville. Ainsi, plusieurs points sont à
retenir:
- Dans les années 1960, le plan d’urbanisme souhaite favoriser l’extension lagunaire
de la ville avec des efforts concentrés à la fois sur la circulation lagunaire, sur
l’assainissement car les aménageurs entrevoient la lagune comme un espace à
vocation touristique. Cependant, aucun aménagement n’est réalisé.
- Dans les perspectives décennales des années 1970-1990, la lagune est vue par les
urbanistes comme un obstacle à dépasser afin de réduire le temps et le coût des
30
déplacements domicile/travail, par l’intermédiaire de la construction d’un pont,
finalement empêchée par la crise.
Il est à présent important de montrer quelle a été l’évolution du plan lagunaire en termes
d’écosystème au sein de la ville abidjanaise. L’urbanisation importante de la capitale
économique n'est pas sans conséquences pour l'environnement lagunaire. En effet,
l'espace lagunaire et la circulation des eaux sont modifiés par les grands travaux urbains; la
qualité des eaux est très directement concernée par les rejets industriels et les apports
d'eaux usées. Dans cette partie, nous souhaitons retracer l’évolution de la lagune, à l’aide
de rapports mais également de visuels, afin de comprendre la situation actuelle du plan
lagunaire.
31
i. Evolution du fonctionnement du système lagunaire Ebrié
Avant tout, il faut savoir que l'impact des activités humaines a été très modéré jusqu'au
début des années cinquante. Durand et Chantraine (1982) attribuent la profonde
modification du régime de la lagune Ébrié à l’ouverture du canal de Vridi en 1950, couple
à la création du port d'Abidjan. Si l’on souhaite caractériser l’évolution de la lagune Ebrié
dans la ville, il faut d’abord différencier la période avant le percement du canal de Vridi de
la période post-aménagement.
Basé sur les explications d’Aka Marcel Kouassi 15 , ce tableau ci-dessous permet de
comprendre les modifications apportées par le percement du canal de Vridi mais surtout
le mécanisme de fonctionnement actuel de la lagune Ebrié aujourd’hui. Il s’agit d’un
milieu stratifié presque toute l’année, avec cependant deux mois de « déstratification ». De
décembre à mars, la période de déstratification est caractérisée par le retrait des eaux
douces dû à l’étiage et à la décrue des fleuves. Le manque d’eau est comblé par la mer, et
on n’observe plus de stratification. Les eaux du fond remontent et colonisent la colonne
d’eau. Le reste de l’année, la stratification prévaut avec une eau douce plus légère en
surface qui va se jeter dans la mer, et une eau salée en profondeur qui va en direction de la
lagune. Monsieur Kouassi différencie la « lagune bleue » mouvementée de la « lagune
32
marron» d’août à octobre caractérisée par la pénétration du fleuve Comoé en crue en
lagune. Le régime pluviométrique joue un rôle épurateur selon lui, car les eaux pluviales
permettent le charriage des déchets vers la mer.
L’entretien organisé le 20 mars 2017 avec Monsieur Aka Marcel Kouassi du Centre de
Recherche Océanologique (CRO) d’Abidjan, a permis de faire ressortir plusieurs points.
Son premier constat est celui d’une métropole abidjanaise a connu une une croissance
démographique dès les années 1960, s’accompagnant d’une intensification des activités
portuaires et industrielles. Cependant, il explique que celle-ci n’est pas corrélée avec la
mise en place de structures d’assainissement efficientes. Par conséquent, les eaux usées
domestiques et industrielles sont rejetées directement dans la lagune Ebrié. A la question
« Selon vous, quelle évolution a connu la lagune Ebrié ? », l’enquêté répond :
« Elle s’est dégradée au fil du temps. Quand j’étais plus jeune, les gens faisaient du ski nautique
sur la lagune. Aujourd’hui, la lagune est très polluée, avec une pollution organique dominante.
La pollution est ciblée au niveau des baies surtout. Les plus touchées sont celles de Cocody,
Marcory, du Banco. Les passants disent que la lagune est pourrie à cause du dégagement de
sulfure d’hydrogène (qui marque la 1ère étape de la mort d’un écosystème). »
Son deuxième constat signe une urbanisation accélérée et non maitrisée qui a entrainé une
occupation anarchique sur des zones non adaptées à l’habitation (bas fonds et bords de
33
lagune). Ces quartiers marginaux causent une forte pression sur les ressources naturelles
en polluant les eaux et en dégradant la lagune. Les aménagements et structures pour
l'assainissement et le traitement des déchets demeurent insuffisants, de l’ordre de 50% en
2001. Il s’agit d’un haut risque pour la santé publique et l'environnement (Adingra,
Kouassi 2011).
Or, le rôle important de cette lagune dans l’économie ivoirienne, non seulement au niveau
de la pêche mais aussi des transports a poussé le gouvernement dans les années 1980 à
axer une politique pour la protection et la mise en valeur du système lagunaire Ebrié.
Cette volonté s’accompagne d’une multiplication des études sur l’assainissement et les
niveaux de pollutions de la lagune Ebrié 17 . En 1981, la décision de créer un Réseau
National d’observation de la qualité des eaux marines et lagunaires a été prise par le
Ministère de l’Environnement. (Marchand, Martin 1985). Cependant, en 1980, 72 rejets
existants en lagune, petits et grands, sont répertoriés sur l’agglomération d’Abidjan
(Peschet). La gestion des eaux usées et l’assainissement d’Abidjan deviennent un sujet de
recherche prisée et de nombreuses études sont publiées18.
Durand rappelle que “le projet initial avait l'ambition de structurer un réseau de collecte
couvrant Abidjan qui rassemble les eaux usées dans une station d’épuration puis les
transporte en mer suffisamment loin profondément pour qu’elles finissent par s’épurer et
se diluent sans risque de retour a la cote ou en lagune. Ce projet n’a pu aboutir et l’on s’est
arrêté à mi-chemin : d’une part, une bonne partie des eaux usées du nord ne bénéficie pas
du réseau de collecte général et rejoint donc directement la lagune, d’autre part, les eaux
usées collectées ne font qu’une partie du chemin et se retrouvent déversées après une
épuration plus ou moins efficace - en baie de Biétri, qui a donc la particularité d’être tout
la fois un réceptacle privilégié - eaux usées, pollutions industrielles - et de plus en plus
confiné. »
16
Notamment les études de Marchani et Martin 1985
17
(COLCANAP, DUFOUR 1982), (DUFOUR 1982), (DURAND et SKUBICH 1982), (MARCHAND, MARTIN 1983)
(MARCHANI, MARTIN 1985) LANUSSE (1971)
18 Comme celle D’Almeida datant de 1994 sur la gestion des eaux usées à Abidjan, ou encore celles du spécialiste Phillipe Dufour
(1979, 1981, 1982, 1984) qui écrit sur les conséquences de la pollution anthropique sur la lagune Ebrié.
34
En 2000, le BNETD présente un rapport préliminaire pour l’actualisation du plan
directeur d’assainissement et de drainage de la ville d’Abidjan. Cependant la période
trouble ne permet pas d’agir dans le secteur de l’assainissement. A la suite des années de
conflit, un nouveau cadre institutionnel de Gestion Intégrée des Ressources en Eau
(GIRE) a été mis en oeuvre en 2011. La Gestion des Ressources en Eau en Côte d’Ivoire,
a souffert de la crise politique et de son caractère transversal, incluant de multiples acteurs
partenaires et provocant une désorganisation dans un cadre mal délimité. Selon un
document du gouvernement ivoirien sur la thématique “eau et assainissement en Côte
d’Ivoire” datant de 2013, le District d’Abidjan détient un patrimoine d’assainissement et
de drainage constitué de « 2010 km de réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales dont 810
km de canalisation d’eaux usées, 150 km de canalisation unitaire, 650 km de canalisation
d’eaux pluviales, 400 km de canaux en béton à ciel ouvert, 54 stations de refoulement, de
relevage et de dégrillage, 1 station de prétraitement et de refoulement, 1 cheminée
d’équilibre et 1 émissaire en mer de 1270 m. Le taux de raccordement actuel des usagers
au réseau d’eaux usées dans le District d’Abidjan n’est que de 40%. » 19 Cependant, la
vétusté du patrimoine d’assainissement et la mauvaise gouvernance pendant plusieurs
années révèlent un défi majeur. Le gouvernement a donc affiché 14 missions pour
remédier au problème majeur de l’assainissement urbain avec entre autre la réhabilitation
du réseau existant, et la réalisation de nouveaux ouvrages. Dans le secteur de
l’assainissement en milieu industriel, 7 missions sont annoncées pour réduire les rejets
polluants, promouvoir de nouvelles technologies innovantes à la gestion des déchets et
surtout ce qui intéresse notre étude, c’est à dire réaliser les « aménagements des baies
lagunaires à des fins écologiques20 »
Depuis 2013, l’AFD travaille avec le gouvernement sur le plan de financement pour
l’actualisation du schéma directeur d’assainissement liquide et de drainage d’Abidjan.
Celui-ci doit définir, jusqu’à l’horizon 2030, un programme d’investissements pour
l’assainissement et la prévention des inondations. Afin d’éviter que les eaux usées
d’Abidjan ne soient rejetées dans la lagune sans traitement, il est prévu de financer des
travaux d’urgence pour remettre en service l’émissaire en mer de Port Bouët.
Aujourd’hui, d'après les normes de l’OMS, l'ensemble des eaux de la lagune au niveau
d'Abidjan s’avère impropre à toute activité balnéaire. Cependant, il ne faut pas oublier que
le degré de pollution des sites d'études est fonction à la fois de leurs caractéristiques
hydrologiques et de leur proximité des points de rejets (voir carte ci-dessous). Alors que
19 p.2 Document de présentation de la thématique « eau et assainissement en Côte d’Ivoire », Gouvernement ivoirien site :
environnement.gouv.ci, 2013
20 p.6 Document de présentation de la thématique « eau et assainissement en Côte d’Ivoire », Gouvernement ivoirien site :
environnement.gouv.ci, 2013
35
les eaux les plus estuariennes dévoilent un degré de contamination plus faible et se
définissent par une grande variabilité, les baies qui sont directement soumises aux apports
polluants, présentent une forte pollution toute l’année. Cela est dû à l’hydrodynamisme
différent qu’il s’agisse de baies ou de zones estuariennes.
Dans les baies qui sont des sites confinés, l’hydrodynamisme est réduit, avec des courants
faibles et de type circulaire. En d’autres termes, la circulation horizontale et les échanges
verticaux y sont ralentis par rapport aux zones estuariennes. Plusieurs facteurs se
conjuguent alors dans les baies : l’effet eutrophisant des polluants, l’accumulation de
sédiments. Les risques sont les crises dystrophes localisées et risques sanitaires pour la
population. Les particularités des baies sont importantes à définir dans le cadre de notre
étude, qui a pour zone la baie de Cocody.
La carte ci-dessus montre à l’aide de flèches les principaux rejets urbains et industriels
dans la ville d’Abidjan. Premièrement, on se rend compte que la lagune a un veritable rôle
de dépotoir pour la ville, avec des rejets de déchets de toutes les communes vers leur
ravage lagunaire. De plus, on voit qu’il y a une prédominance des rejets au niveaux des
baies.
36
à l’urbanisation qui a perturbé et menacé l’écosystème de la baie, mêlé à une volonté
d’exploiter le front lagunaire dans une quête de modernisation de la ville.
i. Le projet
La baie de Cocody, d’une surface de 58,2 hectares, est située dans la partie Nord de la
zone urbaine d’Abidjan. Son extrémité est l’embouchure du thalweg séparant le Plateau et
Cocody. Actuellement, la première phase du projet est finalisée. Le contexte du projet est
celui de la baie comme réceptacle de tous types de pollutions liquides et solides.
L’accumulation de ces déchets et l’apport en eaux pluviales lors des périodes de crues
entraine des inondations au niveau de carrefour de l’Indénié. Les travaux de la première
phase de la baie de Cocody ont donc pour objectif de favoriser l’écoulement des eaux et
d’améliorer l’aspect paysager de la baie.
Les missions affichées de cette première phase sont le dragage du fond lagunaire et
l’ouverture d'un chenal artificiel depuis le carrefour de l’indenié jusqu’à la Baie de Cocody.
Puis, la réalisation d'un remblaiement hydraulique des berges de la baie avec du sable
propre. Il faut rappeler que cette réduction de l’étendue spatiale initiale de la baie a un
caractère définitif des abords de la baie. En plus, la réalisation des cavaliers de protection
des berges a été prévue, avec le remblaiement des terre-pleins. Enfin, le drainage des eaux
usées et pluviales et le déplacement de réseaux qui gênent les travaux a été réalisé. Cette
phase a coûté onze milliards un million neuf cent quatre-vint-dix-neuf mille sept cent
(11 001 999 700) franc CFA.
La date d’achèvement était prévue pour le 30 avril 2017 mais la première phase n’est pas
encore achevée. La photointerprétation ci-dessous des travaux déjà réalisés sur une partie
de la BDC montre l’état d’avancement avec le remblaiement effectué et la création de
digues de protection.
37
Schéma 5 : Photointerprétation de l’état d'avancement de la baie de Cocody (juin 2017) Source : Photo
aérienne partielle de la baie par drône à 35m d'altitude de la cathédrale du Plateau (prise par l’auteure le
07/06/2017)
La BDC (Baie de Cocody) se situe à cheval sur les communes du Plateau et de Cocody. Il
s’agit d’un emplacement stratégique car ces deux communes sont des hauts lieux de la
ville, d’où l’intérêt porté à cette zone qui a d’une part une visibilité importante et qui
d’autre part peut établir une continuité entre deux territoires dont elle faisait jusque là la
discontinuité.
Le Plateau qui s’étend sur 4,26 km2, est la moins étendue et la moins peuplée des 13
communes du District d'Abidjan (0,3% de la population du DAA). Principal centre des
affaires du District d'Abidjan, la commune du Plateau reçoit en moyenne plus de deux
millions de personnes par jour. Elle a une densité forte avec plus de 2000 habitants au
Km2 contre 1475 pour l'ensemble du District.
Entre 1998 et 2013, le nombre d’habitants a été multiplié par 1,1 seulement, passant de 10
365 à 11 435 habitants, le Plateau étant déjà entièrement urbanisé avec une absence de
terrains non aménagés. La commune fait partie de la Zone Centrale d’Abidjan du
SDUGA qui comprend les communes d'Adjamé, d’Attécoubé et du Plateau.
Il s’agit est le point de départ d’un urbanisme colonial qui s’est largement développé des
années 1920 à l’indépendance. En effet, comme la plupart des villes coloniales françaises,
Abidjan a pour noyau le Plateau, c'est-à-dire la ville européenne, qui est construite sur une
presqu'île dominant la lagune Ebrié. Depuis 1980, Plateau est devenue une commune
autonome gérée administrativement et politiquement par un conseil municipal élu au
suffrage universel. Il s’agit de l'hyper-centre concentrant à la fois fonctions
38
administratives, Central Business District avec une architecture vertical, fonctions de
commandement avec la présidence et commerciales.
Sa trame est celle d’un plan en damier, le projet urbain métropolitain ayant eu pour
référence Manhattan. Cependant, le site a entretenu et consolidé le zoning colonial hérité,
avec une séparation fonctionnelle. Ainsi, le quartier administratif, le quartier des affaires,
le quartier commercial ancien sont nettement séparés.
Le Plateau est limitrophe à Cocody, mais la relation des deux communes remonte au
temps de la ville portuaire (1950-1970), lorsque le Plateau se dédouble en déléguant sa
fonction résidentielle sur la presqu'île voisine, Cocody.
Cocody est une commune de 132 km2 qui fait partie de l’Unité urbaine Est du SDUGA,
qui comprend aussi Bingerville. Entre 1998 et 2013, le nombre d’habitants de la
commune a été multiplié par 1,6 en passant de 252 000 à 413 000 habitants. Au moment
de l’Indépendance, le quartier résidentiel de Cocody sort tout juste de terre et abrite des
hauts cadres. “Cet espace mythique qui abritait, par ailleurs, l'élite blanche aussi bien que
la première nomenklatura ivoirienne, président compris.” (Haeringer, 2000) Entre 1992 et
2002, 65% des logements construits à Abidjan par les sociétés immobilières se situent à
Cocody selon le Ministère de la Construction et de l’Urbanisme. La commune s’étend
rapidement, étant aujourd’hui urbanisée à 85%. Il s’agit d’une commune cosmopolite,
peuplée par les autochtones Ebrié et les ethnies nationales mais aussi par les étrangers
africains, européens, asiatiques. Autrefois commune résidentielle, Cocody est aujourd'hui
la deuxième cité administrative du District d'Abidjan, après la commune du Plateau.
Sa trame est composée de bâtiments à dominante résidentielle. Il s’agit d’ailleurs du
principal bloc de départ de véhicules privés pour les transits dans le noyau central
d'Abidjan et Petit-Bassam. L'achèvement du troisième pont a permis de fluidifier le trafic
39
tout en renforçant l’attractivité de la commune comme lieu de résidence. La trame
d’habitation est divisée entre villas de hauts standing parfois organisées en gated
communities 21 , villages Ebrié (Cocody Village, Blockosso), et extensions composes de
lotissements de banlieues. Elle est également dotée d’infrastructures de santé et
d’éducation tel que le CHU de Cocody, l’Université FHB ou encore le lycée classique de
Cocody.
On comprend ainsi que les deux communes qui encerclent la BDC sont des hauts lieux
urbains. Selon les travaux de Cristina d’Alessandro et Valerio Bini, il s’agit des “bâtiments
à la valeur symbolique forte, expression du pouvoir politique et géopolitique mondialisé
des dirigeants, pour lesquels la composante financière est fondamentale : cette
prépondérance se traduit dans le bâti. Leur architecture exceptionnelle et remarquable fait
parler d’eux autant que les mécanismes internationaux souvent complexes de leur
financement.
Leur localisation dans l’espace urbain produit des transformations des environs, qui font
de leurs quartiers de nouveaux centres, en lien avec la naissance de nouvelles zones
résidentielles, souvent à proximité relative, mais parfois même éloignées de ces hauts
lieux. La finalité de ces icônes spatiales n’est pas seulement d’exprimer et localiser dans
l’espace la concentration des dirigeants, en diffusant aussi éventuellement d’autres
messages selon les souhaits de ceux qui ont pensé et voulu le haut lieu, mais aussi d’attirer
l’attention sur la capitale, de faire parler d’elle, d’accroître sa renommée, son aura de ville
qui se veut ou se dit mondiale.”
Nous prennons la liberté d’agrandir les limites de cette définition, en parlant des deux
communes comme hauts lieux à l’échelle urbaine. Selon nos recherches et notre pratique
21 Définition de l’encyclopédie en ligne Hypergéo Communauté fermée (gated community) : terme qui dérive littéralement de
l’anglo-américain gated communities, et recouvre, non sans une certaine ambiguïté sémantique sur le sens de « communauté », des
formes variées d’enclosure résidentielle soumise à des règles contractuelles de gouvernance territoriale privée.
40
du terrain, le Plateau est le haut lieu originel de la capitale abidjanaise, ayant transformé
l’espace urbain proche dans les années 1950-1970 en y implantant de nouvelles zones
résidentielles, la commune de Cocody. L’urbanisme cocodyen dont parle Haeringer a été
remarqué à l’époque, et reste connu, à travers notamment des chansons populaires
d’artistes ivoiriens connus à l’international22. En ce qui concerne le Plateau, appelé aussi le
“Petit Manhattan” par tous les voisins africains, cultive l’image du haut lieu avec son
architecture verticale remarquable et la concentrations des fonctions hautes de la capitale.
La BDC est donc un emplacement stratégique pour faire sortir de terre un nouveau “haut
lieu”, icône paysagère et esthétique destinée à embellir et rendre la ville plus attrayante. A
travers ce projet, c’est le modèle de ville-vitrine mondialisée qui prévaut. Cette baie qui
était une marge, est à présent vue par les concepteurs du projet comme une marche, un
trait d’union entre deux communes vitrines d’Abidjan. Sa planification est focalisée sur la
promotion d’une conception « mondiale » de la modernité et du bâti, destinée à attirer les
investissements internationaux (Watson, 2014). Ici, la transformation de cette baie est
financée par des fonds arabes. De manière générale, les investissements étrangers sont
très présents dans ce secteur de transformation d’espace urbain africain pour la
renaissance africaine (d’Alessandro, Bini 2015). Nous allons étudier ce partenariat Côte
d’Ivoire/Maroc pour en comprendre les clauses, et l’organisation des acteurs.
41
Carte 7 : La Baie de Cocody dans l’environnement Nord-Abidjanais : un emplacement stratégique pour un
projet politico-urbain vitrine Source : Réalisé par l’auteure sur Photoshop
42
43
B. La coopération Cote d’Ivoire/Maroc: quelles formes et quels acteurs ?
La dimension politique est une composante inhérente à la notion de projet. Celle-ci est
identifiable à l'acteur étatique, mais se compose aussi de l'ensemble des relations entre les
acteurs. La valorisation de cette baie est présentée comme un exemple de coopération
Sud-Sud et marque la politique volontariste marocaine en Afrique. Nous allons aborder
l’origine des relations ivoiro-marocaines, puis entrer dans la complexité du jeu d’acteurs
qui sont à la base du projet de la BDC. Enfin, nous allons tenter de voir les répercussions
que cette alliance ivoiro-marocaine dans le cadre du projet entraine sur le territoire
abidjanais en termes d’implantation économique et commercial du partenaire marocain.
La présence économique marocaine en Afrique Subsaharienne repose sur les liens hérités
de l’histoire (islamisation, commerce transsaharien, movement des indépendances,
francophonie), avec une proximité plus importante aux pays francophones. La
coopération entre le Maroc et ses partenaires africains a connu plusieurs temps forts23.
Les relations marocaines-ivoiriennes datent de l'établissement de relations diplomatiques
en 1962. D’abord celui de la coopération militaire, puis celui de la coopération politique,
avant d’entrer dans l’ère de la coopération économique depuis la fin des années 1990. La
stratégie de « relais » longtemps utilisée par le Maroc, consistant à s’appuyer sur des pays «
amis » membres de l’UA, pour influencer ou orienter les décisions de l’organisation s’est
révélée être un échec. Dès lors, le roi Mohammed VI met en place une nouvelle
cooperation Maroc-Afrique qui se matérialise en avril 2000 au Caire lors du premier
Sommet Afrique-Europe, par l’annulation des dettes de nombreux pays africains vis-à-vis
du Royaume, et l’ouverture des frontières marocaines aux produits d’exportation de ces
pays.
C’est donc sous le règne de Mohammed VI que les relations ivoiro-marocaines se sont
renforcées et sont actuellement en pleine expansion. En témoigne la chronologie des
accords et conventions signés par les deux pays entre la fin des années 1990 et 2015.24
23 La « Charte de Casablanca » en janvier 1961 a rassemblé les pères fondateurs de l’Unité Africaine. Elle appelait à la
mise en place d’institutions africaines communes, à la consolidation de l’indépendance des « Etat africains libérés » et
à l’organisation de la coopération entre les Etats africains dans les domaines politique, économique, social, culturel et
militaire
44
Graphique 1 : Chronologie des accords et conventions entre Côte d’Ivoire et Maroc de 1999 à 2015
Source : réalisé avec excel par l’auteur avec des données de maroc.ma
La figure ci-dessus permet de visualiser le lien entre les deux pays à travers le nombre
d’accords et conventions passés sur presque deux décennies. Malgré une baisse du
nombre d’accords entre 2006 et 2013 due aux instabilités politico-économiques de la Côte
d’Ivoire, on observe qu’entre 2013 et 2015 les relations bilatérales se sont intensifies. La
nature de ces accords très diversifiée est également à prendre en compte. L’échange
d'expériences et de renforcement de la coopération bilatérale s’est fait progressivement
dans une multitude de domaines tels que le commerce, l’éducation, l’agriculture, la pêche
et l’aquaculture, le tourisme, l’habitat, la finance, le pétrole, la formation et l’accès à
l’emploi, la culture… Ce rapprochement ces dernières années est aussi visible dans
l’oganisations d’évenements pour faciliter le partenariat, comme c’est le cas du Forum
économique ivoiromarocain organisé en février 2014 à Abidjan, ou encore la Foire
internationale d’Abidjan en avril-mai 2015 où le Maroc a tenu deux pavillons de 500 m2
regroupant plus d’une quarantaine d’entreprises.
Ces dernières années, le renforcement des relations économiques se fait aussi à travers
l’implantation de plusieurs grands groupes et privés marocains qui s’installent à Abidjan
(exemple parlant de la stratégie de la RAM, compagnie aérienne marocaine).
45
Schéma 6 : Montage institutionnel des acteurs issus de la coopération ivoiro-marocaine pour le projet de la
BDC Source : réalisé par l’auteure
Les principaux acteurs sont résumés dans la figure ci-dessus. Concernant la maîtrise
d’ouvrage, le Ministère des Infrastructures Economiques qui est le promotteur du projet a
chargé le PRICI de maître d’ouvrage délégué car l’organisme ivoirien a de l’expérience en
termes de projet urbain. Du côté marocain, MarchicaMed épaule le PRICI en tant
qu’assistant à maître d’ouvrage. On voit que la maîtrise d’ouvrage est finalement partagé
entre le Maroc et la Côte d’Ivoire. Il en est de même pour la maîtrise d’oeuvre qui est
paratagée par le groupement BNETD/CID, des bureaux d’études ivoiro-marocains.
Enfin dans les contractants, on retrouve encore une fois des acteurs provenant à la fois de
la Côte d’Ivoire et du Maroc avec les entreprises de travaux ENSBTP (ivoirien) et SGTM
(marocain). Le cabinet d’architecte qui a conçu les plans de la future baie est quant à lui
marocain, il s’agit de SYNAPS Consulting.
Le gouvernement ivoirien est associé à des acteurs marocains des secteurs à la fois public
et privé. Mais plus qu’une cooperation bilatérale, il s’agit d’une coopération tripartite avec
des bailleurs de fonds internationaux notamment, la Banque islamique de développement,
et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique. Le levier de cette
stratégie est la constitution d'un solide réseau de banques islamiques. Le partenaire
marocain a réussit à drainer les capitaux du Golfe pour investir dans le projet.
46
Montage financier du projet de
la BDC
20%
80%
Graphique 2 : Montage financier du projet de la Baie de Cocody Source : Réalisé par l’auteure sur Excel
Le montage financier (figure ci-dessus) est composé des investissements d’une part des
bailleurs de fonds arabes qui rassemblent Fonds saoudien, kowetien, de l’OPEP, d’Abu
Dhabi, la BID, la BADEA à hauteur 80% sous forme d’emprunt concessionnel 25 au
gouvernement. D’autre part, le Gouvernement ivoirien finance à hauteur de 20% par un
crédit-relais généré à la Société Ivoirienne des Banques (SIB) filiale d’Attijariwafa Bank.
Pour l’instant, le coût du projet est fixé à 450 millions de dollars pour une livraison prévue
horizon 2020.
25 prêts non assortis des conditions traditionnellement exigées par les banques commerciales et autres prêteurs à
l'égard de l'emprunteur en matière de garanties. Ces prêts offrent un certain nombre d'avantages à l'emprunteur au
niveau soit des garanties soit des taux d'intérêt. L'une des conditions d'un tel prêt peut être un taux d'intérêt faible
voire nul.
47
La diplomatie royale est tournée vers le Sud, avec une politique dite de coopération, de
business et de co-développement avec les pays de la zone subsaharienne. La stratégie du
Maroc s’appuie sur des pilliers solides:
Premièremement, dans une logique sectorielle, elle exporte ses entreprises. Dans le
secteur bancaire, les trois champions nationaux (Attijariwafa Bank, BMCE Bank of
Africa, Banque populaire) sont actifs sur le reste du continent, se rendant compétitifs face
aux acteurs français par exemple. En zone francophone, ces trois banques détiennent près
du tiers des agences27. D’autre part, Saham qui compte 37 filières dans 20 pays, est le
premier assureur du continent hormis l’Afrique du Sud. L’assureur marocain est leader
dans le domaine en Cote d’Ivoire. Il existe près de 480 accords concernant la non-double
imposition et les protection des investisseurs et des investissements du Maroc.
Deuxièmement, concernant les IDE, l’axe d’approche porte sur l’encouragement des
investissements marocains en Afrique subsaharienne. Ainsi, des opérateurs de secteurs à
forts potentiel se lancent dans des prises de participation au capital d’entreprises locales
ou dans des creations de filiales locales d’enseignes marocaines. En conséquence, le
Maroc est aujourd’hui le deuxième pays africain investisseur en Afrique Subsaharienne
avec une part variant entre 70 et 90% du total de ses investissements extérieurs. En plus,
le royaume s’engage dans des projets urbains de rénovation, ou de construction de
nouveaux lieux attractifs dans les capitales subsahariennes. C’est le cas sur notre terrain
d’étude, mais on peut également citer Dakar qui se voit construire un waterfront sur la
grande corniche à côté du marché de Soumbédioune.
En somme, il s’agit d’une vision globale et intégrée, c’est à dire composée du triptyque
institutionnels-gouvernement-secteur privé. D’ailleurs, les tournées royales en Afrique
sont accompagnées par le secteur privé marocain greffé à la délégation officielle. Elle se
base sur des politiques d’investissement et non sur le seul commerce de produits agricoles
et manufacturiers. La concurrence est multiforme avec celle des émergents comme la
Chine, l’Inde, le Brésil ou la Turquie; celle des pays du Golfe; celle des anciens
colonisateurs notamment la France. Contrairement à ses concurrents directs, l’avantage
du Maroc est qu’il n’est pas considéré par les pays africains comme un conquérant mais
plutôt comme un partenaire au développement.
Dans ce partenariat Maroc-Afrique, la Côte d’Ivoire tient une place de plus en plus
importante. L’institut Amadeus, a publié le rapport “Maroc-Afrique, la voie royale” en
2015 dans lequel la Côte d’Ivoire est classée avec l’étiquette de marché
d’approfondissement à court et/ou moyen terme, avec une économie qualifiée
concurentielle mais toutefois rigide, avec la présence d’un pouvoir d’achat intermédiaire,
et l’urbanisation en marche.
48
L’attractivité économique de la Côte d’Ivoire aux yeux du Maroc a augmenté depuis 2014,
de nombreuses visites royales ou de délégations marocaines à Abidjan en 2015 qui se sont
soldées par la signature de nombreux contrats et nouveaux projets de coopération.
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2011 2012 2013 2014 2015
Graphique 2 : Une hausse importante des visites diplomatiques marocaines en Côte
d’Ivoire Souree : réalisé par l’auteure avec données de maroc.ma
L’implantation de fleurons marocains à Abidjan sont un signal fort de l’état des relations
diplomatiques des deux pays. Maroc Telecoms a racheté l’opérateur Moov en janvier
2015, s’inscrivant comme le premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire pour cette
même année.
De plus cette intensification des relations ivoiromarocaines est visible dans les
exportations. Entre 2013 et 2014, les exportations marocaines en Côte d’Ivoire
augmentent de 25,9%. Il s’agit, avec le Sénégal et le Nigéria des trois clients les plus
importants du Maroc.
C. La médiatisation de ce projet
i. Formes et supports
Ces relations ivoiro-marocaines sont très médiatisées, notamment dans le cadre du projet
de réhabilitation de la BDC qui présente une mise en scène particulière. Mais si l’on
49
replace cette nouvelle dynamique de cooperation ivoiro-marocaine, il faut faire une
lecture à trois échelles différentes;
Photo 5 : Les premières de couvertures récentes de Jeune Afrique : Marocafrique à l’honneur Source :
Jeunafrique.fr
50
Photo 6 : Panneaux d'informations longeant le site de construction de la Mosquée Mohammed IV à
Treichville Source : Photo prise par l’auteur le 11 avril 2017, Avenue Gabriel Dadié
Les canaux utilisés pour faire circuler l’information sont variés. La diffusion de supports
iconographiques dans la conception de ce projet est un élément clé. Le développement
des techniques innovantes de représentation de l’espace est aussi utilisé. La technique
de rendering (« ce qui est rendu ») est appliquée par les architectes et les dessinateurs, à
l’aide de logiciels de graphisme, pour produire des images de synthèse en 3D. De plus, les
outils de diffusion et de communication (presse locale, sites internet, réseaux sociaux)
favorisent le recours quasi-systématique à l’image comme support du discours sur l’espace
en projet.
Des images de synthèse sont développées, et imprimées sur de grands panneaux
entourant le site. Ce type d’images présente des avantages car elles ont la capacité de
rendre lisible le projet et en même temps permettent de valoriser l’espace futur. Pour
compléter cette communication, des panneaux de publicité prônent l’amitié maroco-
africaine au travers de la filière de Attijariwafa Bank (planche photo ci-dessous).
51
Photo 7 : Au niveau de la commune du Plateau, communication visuelle du projet
Pour la venue du Roi à Abidjan en février 2017, le nouveau mensuel “Les Horizons” a
édité un numéro special, qui a été distribute gratuitement, avec un contenu qui promeut
les relations ivoiro-marocaines, chantant la bonne entente et le co-développement durable
qui doit en resulter. La baie de Cocody se situe en premiere et en quatrième de
couverture.
Photo 8 : Magazine distribué lors du passage à Abidjan du roi Marocain en février 2017 52
Source : Exemplaire provenant de Monsieur Kopieu
Lors de mon entretien avec les notables de la chefferie du village de Blockauss situé à
proximité du projet, l’un des enquêté m’a dit avoir eu vent du projet à la television en
regardant RTI (chaine nationale). Cette dernière a également un compte Youtube sur
lequel elle a relayé des vidéos présentant le projet futur, ainsi que certaines rencontres
entre le president Ouattara et son homologue marocain. Le gouvernement ivoirien lui
aussi communique à travers les réseaux sociaux. Les nouvelles technologies de
l’information et de la communication, le recours à des outils comme Internet est
aujourd’hui généralisé et largement utilisé par les planificateurs (figure ci-dessous).
Le marketing urbain définit l’ensemble des moyens mis en œuvre pour promouvoir
l’image de la ville. L’idéologie de la durabilité est à l’origine du « Nord » et des bailleurs de
fonds internationaux depuis le rapport Brundtland publié dans les années 1980. Le
concept a depuis largement circulé et est repris depuis les années 2000 par les pays du
Sud. Malgré l’impératif de la “ville durable” qui est importee et parfois considéré comme
une nouvelle contrainte, le changement vers le durable est une nécessité pour Abidjan,
ville littorale et lagunaire, dont la perturbation du climat et les éléments naturels peut avoir
de grandes conséquences sur l’économie (le secteur primaire étant large) et la santé. De
plus, les questions de l’environnement urbain (gestion des déchets, transports ou espaces
verts) sont désormais prises au sérieux par les concepteurs de la métropole, car l’échec des
politiques menées en faveur de cet environnement urbain a mené aux problèmes actuels
(pollutions, innondations, reléguation des espaces agricoles).
La volonté affichée par les autorités de prendre en compte le durable à travers l’action
urbaine est inscrite dans les documents de planifications notamment le SDUGA. Le
projet de réhabilitation de la BDC a l’ambition de se placer sous ce label durable. Il faut
rappeler cependant que cet urbanisme durable est encore très minoritaire au sein de
l’ensemble de la production urbaine à Abidjan.
53
Un projet « innovant », « intégré », « visionnaire », « écologique ». On peut lire ces
qualificatifs sur des grands panneaux qui balisent une partie du pourtour du site. En effet,
la référence aux critères du développement durable et au modèle des smart cities28 est un
élément constant dans la construction des nouveaux hauts lieux urbains. Cette idée de
« ville écologique » contraste avec l’image traditionnelle des capitales africaines asphyxiées
par la pollution et devient une partie intégrante de la stratégie de commercialisation de ces
espaces (Watson, 2014). Ici, on voit que l’image du développement durable accompagne
celle du projet urbain devenant un argument central. Les codes sont les mêmes pour les
projets urbains dans les pays du Nord. Cette étiquette de “villes durable” assure à Abidjan
une image valorisée tout en l’inscrivant dans une logique mondialisée. Un espace public
saint, vert, de qualité est promis par ce projet. Cependant, la ville durable ne doit pas être
réduite à la dimension environnementale. La question de la durabilité sociale se pose dans
ce projet, bien que le marketing ne vend aucune mixité sociale sur les supports de
communication.
Premièrement, elle n’est que très ciblée, au niveau du boulevard lagunaire à proximité
directe du site en projet, ou encore très ponctuelle à la venue du roi avec la distribution
d’un magazine spécial. La conséquence est la non-prise en compte de l’ensemble des
citoyens dans le processus de mise à disposition de l’information.
Troisièmement, plusieurs médias internet ont relayé un projet de la baie antécédent à celui
des marocains, celui de l’agence d’architecture ivoirienne Koffi & Diabaté. L’accès à
l’information est donc biaisé sur de nombreuses pages web.
28 Une ville intelligente est une ville qui utilise les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) pour
améliorer la qualité des services urbains et permettre de réduire leurs coûts ». Pour compléter cette définition communément
utilisée, Sophie Meritet, professeur affilié à Sciences Po Paris explique que « ce sont des villes modernes et connectées qui
permettent de mettre en œuvre des infrastructures communicantes et durables pour améliorer le confort des citoyens tout étant
plus efficaces et en respectant l'environnement
54
Autre point, les photographies sur les panneaux qui entourent le site en projet ne sont pas
réalistes. On peut y voir des voiliers, qui en réalité ne peuvent pas passer sous les ponts. Il
s’agit donc d’images de synthèse très distanciées de la réalité du terrain.
Enfin, le choix des mots pour communiquer sur le projet n’est pas fait au hasard. Le mot
« restauration » ou « réhabilitation » sont utilisés par les différents acteurs du projet, mais
ils ne sont pas neutres car ils donnent l'idée d'un retour à la normale. Si l’on prend en
compte les modalités de l'intervention sur la BDC, il ne s’agit en rien d’un retour à la
normale, mais d’un changement morphologique de la baie sans retour en arrière possible.
Le projet peut être discuté sur son modèle exporté. En effet il faut le replacer dans la
continuité de projets similaires de pays nord-africains dont il s’inspire directement. De
plus, ce chantier signe d’une coopération ivoiro-marocaine, a déjà été pensé auparavant.
Le parti pris est celui de comparer le projet conçu par des aménageurs ivoiriens, et celui
d’actualité propose par les marocains. Enfin, on peut questionner cette “polarisation de
l’urbanisme” et les changements provoqués dans la morphologie du site et de ses
environs.
55
Carte 8 : Plan du projet de réhabilitation de la baie de Cocody Source : PRICI
Si l’on fait une lecture à l’échelle locale de ce projet, on se rend compte que la gestation de
ce nouveau front d’eau abidjanais s’inscrit dans la continuité de projets similaires qui
servent de modèles. Nous nous sommes appuyés sur deux projets similaires dont les
caractéristiques sont semblables à celles qui dessinent le projet que nous étudions.
D’une part il s’agit des projets d’aménagement des lacs de Tunis29, appelé « Sama Dubai ».
D’autre part, plus récemment en 2008, la lagune de Marchica à Nador dont la dernière
étape doit s’achever en 2025. « Marchica: le rêve que le Maroc exporte à Abidjan » titre
Jeune Afrique en juin 201630. En effet, le grand chantier qui transforme le littoral de
Nador a exporté son modèle pour l’aménagement de la baie de Cocody.
29 La lagune de la capitale est communément appelée « Lac de Tunis» par les Tunisiens
30 IRAQI F., « Marchica : le rêve que le Maroc exporte à Abidjan », Jeune Afrique, 27 juin 2016
56
Tout d’abord les trois sites sont
des sites lagunaires, qui s’étaient
dégradés, connaissant des crises
écologiques d’eutrophisation,
avant les opérations de
réhabilitation.
57
Dans le cas marocain, le projet
d’aménagement du site de la lagune de
Marchica est présenté comme un projet
d’envergure internationale (montant
estimé 4,1 milliards d’euros), qui a débuté
en 2009 et doit s’étendre jusqu’en 2025.
Comme la lagune Ebrié, et le lac de Tunis,
la lagune de Marchica subissait une
agression anthropique considérable par
les eaux usées. La première phase de
projet de Marchica a permis la mise en
place d’infrastructures permettant la
dépollution de la lagune. En juin 2010,
une passe large et profonde, reliant la mer
méditerranée à la lagune de Marchica a été
réalisée, permettant le renouvellement de
l’eau de la lagune dans tout le bassin.
Concernant première phase du projet du
Lac de Tunis, elle a aussi consisté en
l’aménagement et l’assainissement du lac,
essentiellement en vue de la
transformation du port de commerce en
port de plaisance.
Les projections des trois fronts d’eau
présentent des paysages similaires, malgré
les contextes géographiques, culturels, qui
diffèrent. Ces illustrations posent la
question de l’aspect paysager et
architectural similaire qui appartient au
Photo 11 : Les images de synthèse des trois projets
registre moderne.
L’imaginaire du front d’eau tunisien se
construit à partir du registre « local » conjointement à des référentiels mondialisés
(enseignes nommées Miami Beach, Laguna). “À la lisière de la ville, la corniche est bien le
support spatial de la mise en scène d’une forme d’urbanité construit en référence à un
réseau universel de façons d’être et de paraître. Le lieu est également significatif d’une
évolution du rapport des usagers au Lac de Tunis, ancienne lagune eutrophisée, assainie et
redevenue attractive” (Barthel, 2006).
Autour de la lagune de Marchica, les habitants font part de leur déception: « On nous a
promis de faire de Marchica la future Dubaï. Mais on n’a encore rien vu », s’insurge
58
Ahmed Soultana31. On se rend compte que l’urbanisme est très marqué par le modèle
dubaïote dans les projets marocain comme tunisien, qui s’appelle d’ailleurs « Sama
Dubaï ». On peut légitimement se demander si ce modèle dubaïote est cohérent dans
l’environnement abidjanais, mais l’état actuel de ce projet ne permet pas encore de
répondre à ce questionnement.
Malgré les ressemblances pointées entre les projets, on peut relever deux différences qui
ont toute leur importance. Premièrement, on parle de conception de méga-projets dans
les cas de Marchica et de Tunis. En effet, la lagune de Marchica a une superficie de 115
km2, c’est la plus grande lagune au Sud de la Méditerranée. Dans le cas de Tunis,
l’assainissement du plan d’eau et le lotissement des berges représentent près de 2500 ha
après les travaux (Barthel, 2003). Le District d’Abidjan est cerné par le plan d’eau qui
correspond à 15% de sa superficie, soit 317 km2. Cependant, la baie de Cocody avec une
superficie de 1,7 km2, soit 0,5% du plan d’eau abidjanais. Autant dire qu’il ne s’agit pas de
la même envergure.
De plus, ce sont des méga projets à horizon temporel long. Alors que le projet du lac de
Tunis a commencé en 1990 et doit s’étendre jusqu’en 2030-2050, celui de Marchica prévu
initialement sur la période 2008-2025 a été redéployé dans le cadre d'un plan septennal
2014-2020. La revalorisation de la BDC a débuté en 2016, et doit s’étendre à 2019, date de
livraison prévue du projet. Il s’agit dans notre cas d’un projet plutôt localisé, non élargi à
l’ensemble des berges de la métropole abidjanaise, comme c’est le cas pour ces méga
projets. Nous allons donc tenter de comparer ce projet de la BDC insuflé par l’exemple
marocain, avec le projet qui prévalait avant, issu d’une conception ivoirienne. L’analyse
permettra de savoir si une planification made in Cote d’Ivoire aurait apporté un autre
modèle urbanistique, plus local.
Avant que les marocains ne soient engagés dans ce projet, le District d’Abidjan avait
mandaté un cabinet d’architectes ivoirien pour concevoir un projet de réhabilitation de la
BDC. Nous souhaitons comparer les deux projets pour savoir si une « patte ivoirienne »
aurait produit un projet différent de celui qui se construit aujourd’hui dans la métropole
abidjanaise. Le tableau comparative ci-dessous permet de mettre en parralèle les différents
59
choix, conceptions, organisations des deux projets afin d’analyser les points communs et
les differences.
KOFFI & DIABATE MARCHICA MED
ARCHITECTES
Date Début 2015 Lancement : 18 janvier 2016
Idées fortes -travaux d’assainissement et de -Réalisation d’ouvrage de drainage et de
réhabilitation de la baie avec système travaux d’assainissement
de drainage sain et durable -Construction de digues de protection
-aménagement d’une zone pédestre -Création de quais de promenade
autour de la berge lagunaire -Création d’un parc urbain avec centre
-développement d’une « smart city » d’accueil et équipements dédiés
-Construction d’une marina/base
nautique
-Aménagement d’une esplanade au droit
du stade FHB
-Création d’ouvrage de franchissement
paysager (piéton, cycliste) entre le parc et
la marina
Phases 1ère phase : travaux de 1ère phase: dragage et le confortement
réhabilitation de la baie et sur la des berges de la baie de Cocody
création de la zone pédestre 2ème phase (commencée en mars
2ème phase : surface de 50 hectares 2017): développement de la baie et sa
de foncier : création d’un écoquartier mise en valeur (valorisation de la Rive
(bâtiments administratifs, centre Plateau, de la Coulée verte du Banco et
commercial, maisons de ville, du Parc Urbain de Cocody)
immeubles de logements, hôtel,
auditorium, lycée et espaces de culte)
Implication NON, n’implique pas les usagers, Réunions d’informations
des citoyens mais plutôt les autorités locales, à En date : Réunion au District d’Abidjan
savoir le District d’Abidjan et les le jeudi 9 février 2017 à 10h (villages
dans le Ebrié invités)
Ministères techniques
processus de
projet
Forme du bâti “espaces alliant fonctionnalité, Pas d’indication, mais sur les images de
esthétique et modernité” synthèse : architecture moderne, épurée,
-architecture bioclimatique plutôt de style minimaliste. Edification
incorporant des principes de maisons thématiques : la ‘’Maison du
environnementaux tels que la Cacao’’, la ‘’Maison du Café’’, la ‘’Maison
ventilation naturelle et l’usage de du Tissage’’, la ‘’Maison aux Bijoux’’, la
matériaux basse consommation ‘’Maison aux Fleurs’’ et la ‘’Maison du
espace piétonnier : création Bois’ : aucune information sur
d’espaces verts et d’agoras pour l’architecture.
renouer avec les activités en
extérieur
« nouveau modèle d’urbanisme,
spécifique la ville d’Abidjan»
60
Fiche Maître d’ouvrage : District Maître d’ouvrage : PRICI,
technique d’Abidjan MARCHICA MED
Maître d’œuvre : Koffi & Diabaté Maître d’œuvre : BNETD/CID
Architectes Guillaume KOFFI & Superficie du terrain : non renseigné
Issa DIABATE
Superficie du terrain :58,2 hectares Surface bâtie : Non renseigné
Surface bâtie :199 469 m2
Coût global de la réalisation Coût global de la réalisation
(estimatif) : 400 Milliards de F CFA (estimatif) : 450 millions de $
Date de démarrage des travaux : Date de démarrage des travaux :
Début 2015 Début 2016
Livraison : Phase 1, en 2020 Phase Livraison : Phase 1 bientôt terminée
2, en 2025 (délais de mars 2017 dépassés)
Tableau 2 : Comparaison du projet ivoirien et du projet marocain Source : réalisé par l’auteure
Cependant, le projet marocain se distingue par la volonté d’un projet annexe dont le
concept est de developer un corridor reliant la BDC à la forêt du Banco, tandis que le
projet ivoirien avait pour objectif d’utiliser les berges de la baie pour faire un parcous
pédestre jusqu’aux villages autochtones.
Autre distinction, on note que le projet ivoirien défendait la conception d’un écoquartier,
donc d’un espace de vie privé, avec habitations et équipements. Il y a ici une différence
car le projet actuel va faire de la baie un espace plutôt récréatif et touristique tandis que
l’ancien projet prévoyait à la fois cette vocation touristique mais aussi d’espace de vie
privé. Si l’on compare le vocabulaire utilisé par les deux projets, on peut faire un parallèle
car les mots utilisés sont issus du concept de durabilité (évoqué plus haut). Concernant la
forme du bâti, on peut clairement voir une ressemlance à la vue des images de synthèse
sur le caractère moderne des deux architectures proposées. N’ayant pas d’information sur
les caractéristiques du bâti du projet actuel, nous pouvons juste remarquer que l’ancien
projet de conception ivoirienne prévoyait une architecture adaptée au climat ivoirien et
61
des matériaux peu polluants. Par rapport à l’implication des citoyens dans le processus de
projet, l’ancien projet n’impliquait pas les usagers tandis que le projet actuel tente
d’informer les usagers à proximité tels que les villages autochtones qui ont été conviés à
une réunion d’information en février 2017. Pour autant, on ne peut pas parler
d’urbanisme participatif, ces réunions restants des accès très restreints à l’information de
fond.
Les deux plans mis côte à côte permettent de prendre la mesure de l’ampleur des deux
projets et de faire ressortir des remarques:
-L’ancien projet prévoyait un parcours pédestre suivant le tracé de toute la baie, jusqu’aux
villages de Blockauss et Cocody Village, alors que le nouveau projet est plus limité
-L’ancien projet remblayait une partie en fond de baie tandis que le nouveau projet
remblaie les rives mais laisse un canal de transport
-Les deux projets prévoient des espaces verts et une marina, avec le développement du
transport lagunaire
En somme, l’ancien projet de conception ivoirienne n’avait pas d’étiquette “made in Cote
d’Ivoire” mais se basait sur des référentiels mondialisés avec un aspect architectural et
paysager relativement similaire à celui proprosé par le Maroc aujourd’hui. On peut donc
affirmer que l’image de la métropole moderne est aujourd’hui la meme pour tous, avec
des codes et des caractéristiques uniformisés où que l’on se trouve dans le monde.
62
Ce premier chapitre aura permis de poser les bases de l’aménagement et de la planification
organisée par le gouvernement depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours. Elle aura
apporté les réponses sur l’origine de la morphologie de la ville d’Abidjan, sur les choix et
les acteurs qui l’ont conçue. Nous avons tenté d’insérer notre terrain d’étude dans toute la
complexité de l’espace urbain, de ces acteurs planificateurs. L’analyse multiscalaire nous a
permis une lecture plus complete et globale de l’environnement dans lequel s’inscrit le
projet de la BDC. A une échelle internationale, il s’agit d’une coopération entre divers
acteurs (Gouvernement ivoirien, bailleurs de fonds arabes, partenaire Marocain, Instances
financières internationals et regionales que sont la BM et la BAD) qui ont chacun un
intérêt à prendre part à ce projet. A l’échelle regionale, nous avons pu observer un
nouveau type de coopération Sud-Sud, avec le MarocAfrique et toute l’offensive et les
enjeux marocains sur le continent. A l’échelle d’Abidjan, nous avons brossé le portrait
d’une métropole du Sud post-conflit en chantier, avec un urbanisme de projet marqué. A
l’échelle locale de la BDC, nous avons détecté la position stratégique de cette baie
“vitrine”, entre deux communes de haut standing. Ce projet va alors permettre un trait
d’union entre ces deux communes et consolider un haut lieu de la métropole. D’autre
part, nous avons tenté faire ressortir le jeu complexe des acteurs, avec une absence de
participation citoyenne dans le processus de projet. Nous avons également questionné
l’ancien projet concu localement, et avons conclu qu’il s’agissait d’un projet relativement
équivalent à l’actuel, répondant aux mêmes codes de modernité dans ce contexte de
mondialisation et de métropolisation.
La seconde partie va opposer cette ville planifiée que nous avons décrite à la ville
pratiquée. Notre hypothèse est celle d’une ville à deux vitesses, avec deux rythmes
différents au sein de la ville. Nous allons sonder les habitants, leurs pratiques, leur
représentations. Nous allons également nous attarder sur les pratiques autour du site en
projet. Quelle est la réponse des citoyens? Quel est le degré d’appropriation de ce projet
par la population? Quelles sont leurs représentations? Peut-on parler d’une ville à deux
vitesses?
63
PARTIE 2 : Sur le terrain, échelles, pratiques et
représentations des citadins
Dans cette deuxième partie, une approche par les pratiques et les mobilités est privilégiée.
Elle résume notre recherche fondée sur l’expérience du terrain, une approche dite « par le
bas », c’est-à-dire en prenant en compte les pratiques et les représentations des acteurs
concernés, tels les habitants ou les usagers. D’une part, à l’échelle de la Baie, nous
souhaitons questionner les pratiques d’avant-projet et celles qui prévalent durant sa
réalisation. S’agissant auparavant d’un micro-bassin d’emploi pour quelque uns, nous
apportons une analyse sur ces profils qui travaillaient sur place. La question des
revendications locales d’autochtonie se pose également avec les deux villages qui se
trouvent à la sortie de la baie de Cocody (Rive Cocody). Quel est leur pouvoir face au
projet ? Sont-ils mêlés au processus de projet ? Ont-ils des revendications ?
D’autre part, l’approche par le bas souhaite analyser les représentations de ce lieu pour les
abidjanais. Qu’est-ce que ce projet leur évoque ? Est-il en adéquation avec leurs
imaginaires ? Premièrement, ce projet qui inclue le volet « recasement » ou à moindre
mesure le dédommagement des déplacés. Un travail important sur le terrain nous a
permis de retrouver des anciens déplacés et de les interroger sur les conditions de leur
déplacement, ainsi que les modalités d’un quelconque dédommagement.
Enfin, nous souhaitons travailler autour du concept de justice socio-spatiale et de la place
de la citoyenneté urbaine dans l’urbanisme de projet. Quelle est la place effective du
citoyen dans ce projet de réhabilitation ? L’objectif est également d’éclairer sur l’existence
ou l’absence de revendications sociales suite à ce projet et d’en expliquer les raisons.
64
1. Les pratiques à l’échelle locale de la BDC
Cette partie souhaite interrogr les pratiques au niveau de la BDC, avant le projet et
pendant la phase de travaux. Il s’agit de répertorier les profils des différents usagers et de
noter les modifications des pratiques dues à la mise en chantier de la baie.
Au plan agricole, Cocody se particularise par une pratique importante de la culture des
fleurs. Celle-ci se développait principalement aux alentours de la baie lagunaire et aux
abords des principales voies intercommunales. Cette activité, pratiquée par plus d'une
centaine de chefs de ménage dans la commune32, est directement impacté par le projet.
Les travaux d'aménagement de la Baie lagunaire ont eu une incidence négative sur
l’activité des horticulteurs. Autrement dit, le projet a provoqué la baisse ou la cessation
des activités des fleuristes ayant donc un impact sur les revenus des horticulteurs
occupant la zone d'impact directe du projet. Il se pratique également une petite agriculture
maraîchère, les producteurs étant situés dans les environs de la baie lagunaire, leurs
activités ont été impactées négativement (cessation des activités, baisse des revenus, etc.) à
cause de la phase actuelle de mise en oeuvre de ce projet d'aménagement.
Concernant l’activité halieutique, elle formait autrefois l'activité principale des populations
autochtones Ebrié en général et de celles de Cocody en particulier. Cependant, l'état de
pollution avancée de la baie lagunaire (lieu de déversement des eaux usées et autres divers
déchets de la ville d'Abidjan) a eu pour conséquence l'appauvrissement de la lagune Ebrié
en poissons et la quasi cessation de l'activité de pêche dans la zone de la baie. Au niveau
de Cocody Village, cette situation a amené une trentaine de pêcheurs à arrêter leur activité
depuis l'année 2000. Dans les eaux profondes de la lagune Ebrié, il se pratique toujours
une pêche artisanale à l'aide de pirogues et de filets. Elle est tenue essentiellement par les
pêcheurs étrangers d'origine ghanéenne, togolaise et béninoise. Même si l’activité a cessé
avant l’établissement du projet, il s’agit d’une zone d'impact du projet.
65
Dans le domaine des transports, au
niveau de la BDC, le transport fluvial
était déjà inexistant du fait de la
pollution, de l'ensablement de la Baie
et de la présence des végétaux
aquatiques. Mais à une échelle plus
élargie, au niveau de Cocody Village
et de Blockhaus, le transport fluvial
sert de moyen de transport de
marchandises (Attiéké, poissons, etc.)
des femmes. En effet, les trajets en
bateaux bus ou des pinasses
permettent d’allier les usagers des
communes de Treichville et Plateau à
Cocody. La phase 1 ne perturbe pas
le transport mais les phases qui
suivent vont sans doute avoir des
impacts dessus.
Les 52 occupants étaient exclusivement des hommes. Sur le total des occupants, 38
d’entre eux (76,92%) du site du Projet avaient un âge compris entre 31 ans et 50 ans. Le
recensement a révélé que 50 occupants étaient des burkinabés, tandis qu’il y a un
camerounais et un ivoirien. Le travail d’Olahan vient appuyer le fait que les agriculteurs
urbains à Abidjan sont en grande partie Burkinabés (Ohalan 2010 :4) avec une agriculture
urbaine plus généralement aux mains des non-nationaux qui représentent 60,5%.
Si l’on s’intéresse au niveau d’instruction de ces hommes, l'étude a relevé trois niveaux en
ce qui concerne les caractéristiques socio-éducatives des occupants physiques du site du
projet (aucun, primaire, secondaire). Les chiffres indiquent que plus de la moitié des
occupants du site du projet ne sont jamais allés à l’école, et ne savent ni lire ni écrire.
Concernant le profil matrimonial, 90% des occupants étaient mariés au moins
coutumièrement. Il s’agissait de chefs de ménage qui ont à leur charge 7 personnes en
moyenne.
L’étude détermine aussi l’année d’installation des occupants. On peut observer que la
période 2001-2012 a connu le plus d'occupation sur le site du projet avec 21 installations.
Le profil des occupants du site avant le projet a été renseigné. Nous allons à présent nous
intéresser à leur activité sur le site. Cependant, il faut d’abord indiquer que juridiquement
parlant, le site est en 2012 une zone classée « non constructible ». Les occupants s'y
étaient installés de manière informelle, tout en acceptant de verser des redevances
forfaitaires à la chefferie ébrié de Cocody-village 33 . Ainsi, sur les 52 occupants, 46
personnes avaient une activité agricole, et spécifiquement horticole avec la production et
la commercialisation de fleurs. D’autre part, le site abritait 4 artisans (un potier, un
menuisier, un tapissier, et un sculpteur). Les autres activités étaient menées par le
complexe restauration-hôtellerie-casino-bar « Le café de Rome ». Toujours dans l’étude
des impacts socio-économiques, il est avancé que la totalité des occupants tiraient leur
principale source de revenus dans les activités menées au niveau de la BDC. Les recettes
moyennes mensuelles issues de la vente des biens et services générés sur le site du Projet
varient entre 25 000 FCFA (horticulteurs et artisans) à 4 000 000 pour le complexe du
café de Rome.
33 Confirmé par les propos recueillis lors de l’entretien avec Souleymane (horticulteur) le 09/06/2017
67
Pour les anciens occupants qui étaient quasi-systématiquement des horticulteurs, deux
facteurs avaient justifié leur installation sur le site du projet. D’une part, la proximité d'une
source d'eau permanente sur toute l'année et d’autre part l'accès aux clients d'une
catégorie sociale aisée habitant à Cocody.
En 2012, lors de l’étude d’impact socio-économique, les occupants avaient demandé une
indemnisation de déguerpissement. Dans ces conditions, ils envisageraient de trouver eux-
mêmes des alternatives de réinsertion.
Les populations riveraines avaient à leur tour émis différents souhaits. Premièrement,
Cocody-village a émis sa requête. Au plan coutumier, la BDC (zone d'impact du projet)
fait partie de la zone d'extension naturelle de Cocody-village. Les populations avaient
donc souhaité que la berge lagunaire située dans la zone d'extension du village soit
aménagée au profit de Cocody-village. Par ailleurs le village avait demandé à l’époque :
• la construction de trois nouvelles classes pour l'école primaire du village
• la réalisation d'ouvrage de drainage des eaux usées dans le village
• la réalisation de logements pour les instituteurs
• la construction d'un foyer polyvalent comprenant une bibliothèque, une salle
informatique et une salle de couture
• et un bureau pour la chefferie
Le projet n’avait pas abouti et de nouvelles doléances ont été faites au concepteur du
projet actuel.
Adjamé-village était aussi concerné car le bassin versant du Gourou fait partie du
patrimoine culturel des autochtones Ebrié de Cocody et Adjamé. Cette zone d'impact du
projet comprend historiquement plusieurs sources d'eau dont le « Gougou », le « Toko »,
le « Gougouto » et « l'Assanouan». Le « Gougou » qui était entièrement recouvert par le
sable est considérée comme une eau sacrée pour les populations d'Adjamé-village. Il
semble d'ailleurs que le nom bassin du « Gourou » soit une déformation de « Gougou ».
Selon la chefferie villageoise, les génies des lieux ont une part de responsabilité dans
l'ensablement de la baie. Dans cette optique, pour garantir le succès des travaux
d'aménagement, la chefferie avait recommandé à l’époque aux promoteurs du projet
d'effectuer des rituels conformément aux pratiques coutumières.
Ainsi, cette étude qui nous a servi de base de données a tout de même été réalisée pour un
projet antérieur au projet actuel que nous étudions. C’est pourquoi nous avons trouvé
intéressant de retrouver les anciens occupants de la baie afin de les interroger sur les
modalités de déguerpissement et de dédommagement qui ont prévalu, et sur leur nouveau
site d’exploitation. Ainsi, dans un spectre plus large, il s’agira d’étudier le site actuel des
travaux afin de voir comment il s’organise, et s’il comporte toujours des occupants.
68
B. Métamorphoses du territoire à la mise en place du projet
Le travail de terrain et le recueil d’entretien ont été privilégiés pour traiter des
reconfigurations à l’œuvre pendant la phase actuelle de travaux de la Baie. Premièrement,
il a fallu retrouver les horticulteurs qui étaient présents avant le lancement du projet de
réhabilitation. Nous nous sommes rendus dans les alentours de la baie, en suivant les axes
principaux vers Cocody. Nous avons repéré des activités d’horticulture et avons d’abord
questionné deux différents vendeurs qui n’avaient pas occupé la baie de Cocody avant de
pouvoir rencontrer un ancien occupant de la baie.
Nom : Cissé
Nationalité : Burkinabé
Situation matrimoniale : Marié, 6 enfants
Période d’occupation de la baie de Cocody : entre 1996 et 2009
Lieu actuel : Avenue Joseph Blohorn, à quelques mètres de la baie
Remarque : N’est pas installé avec des anciens occupants de la baie
Nous avons demandé à Cissé s’il connaissait des gens de la BCD étaient sur le même site
d’exploitation que lui. Il a répondu négativement mais nous a donné quatre noms
d’anciens occupants de la baie ; Norbert, Savadogo, Ouattara et Benjamin. (C’est grâce à
ces noms que nous avons continué notre quête de terrain.) Nous lui avons demandé quel
avait été le sort des déguerpis. Il nous a indiqué qu’il y avait eu des « réunions au plateau avec
le blanc », et aussi à la rue des Jardins selon ses souvenirs. D’après lui, un camerounais a été
dédommagé. Dans son cas, étant partis au Burkina entre 2009 et 2014, il n’était pas
présent lors du recensement, mais il a tenté à son retour de se faire recenser « Dossier qu’on
a fait au plateau, ils sont venus mélanger tout, il m’a saboté ». Il n’a donc pas été dédommagé.
Nous avons également interrogé Basie Jean, et lui avons demandé quel avait été le sort
des déguerpis. Jean nous a indiqué lui aussi qu’il y avait eu beaucoup de réunions.
Malheureusement il n’est pas allé à la dernière réunion. Il nous a expliqué qu’en avril
dernier, les recensés ont été appelé et indemnisés au service technique de mairie de
69
Cocody. Etant « retardataire » comme beaucoup selon lui, Jean a dit qu’il devait se rendre
à la mairie de Cocody mais qu’il n’avait pas vraiment espoir.
Nom : Souleymane
Nationalité : Burkinabé
Situation matrimoniale : Marié avec enfants
Période d’occupation de la baie de Cocody : plusieurs années
jusqu’en 2013 (déguerpissement)
Lieu actuel : Boulevard de France
70
Nous l’interrogeons sur le devenir des autres horticulteurs de la baie avec le projet, ils
nous dit que « il y en a qui ont voyagé. Il y a beaucoup même qui n’ont pas de jardins, donc ils font
entretien »
Carte 9 : Déplacement de Souleymane l’horticulteur à proximité de la BDC Source : réalisé par l’auteure (base
Googlemap)
Grâce aux trois anciens horticulteurs de la BDC retrouvés, nous avons pu observer que
ceux qui ont pu se réinstaller dans un rayon proche de la baie l’ont fait en prenant d’assaut
les abords des routes dans un rayon proche de la baie, tandis que d’autres ont abandonné
leur métier pour trouver du travail dans l’entretien. Actuellement, la baie est balisée par
des travaux et aucun usager ne peut y pénétrer. Il n’y a donc aucun usage autour de la
baie. Il est intéressant de voir si les activités qui existaient sur les rives proches du projet
ont été impactées par sa mise en œuvre.
Nous nous sommes rendus dans les deux villages bordant la baie sur la rive de la
commune de Cocody pour savoir si les travaux de la baie avaient impacté certaines
pratiques. Nous avons pu avoir un rendez-vous avec les notables de Cocody village et de
Blockhaus. Cet entretien collectif a permis de faire ressortir plusieurs vérités :
Les travaux de la BDC situés à proximité des villages n’impactent pourtant pas
encore les activités proches du cours d’eau. Rappelons que nous en sommes à la
phase 1 des travaux.
Il n’y a aucune recomposition territoriale engagée par les deux villages, qui ne sont
pas impliqués dans le processus de projet.
Premièrement, nous abordons le cas de Cocody Village, qui est dans la continuité directe
du projet.
71
Encadré :
La photo montre :
-au 1er plan un terrain
vague pollué en bordure
de lagune
-au 2nd plan, la lagune
Ebrié avec une
installation de fortune en
bois pour la pêche
-au 3ème plan, à droite
(Est) la tour de l’hôtel
Ivoire ainsi que des
habitations et à gauche
(Ouest), les tours du
CBD du Plateau
Nous avons pu nous entretenir avec le chef de Cocody village dans sa propriété,
accompagné de quelques notables le 18 mai 2017. D’après cet entretien, il nous a été dit
que la BDC appartenait au village, et que les fleuristes présents avant le projet reversaient
une taxe d’occupation mensuelle au village. Avec les travaux de la baie, le village n’a plus
de revenus compensatoires pour cette
Encadré :
ancienne taxe perçue. La question foncière
La carte ci-contre nous permet de
a été abordée.
retracer l’évolution de la localisation de
ces quatre villages. On observe ainsi
qu’avant 1904 (début du déplacement),
les villages étaient situés majoritairement
sur les rives du plateau (Villages de
Cocody, Locodjro, et Anoumabo), alors
que le village Santé était situé dans une
baie. Si l’on s’intéresse aux déplacements
effectués, les villages ont été excentrés, le
mouvement de déplacement rendant
visible l’éparpillement, qui remplace la
concentration d’origine. Troisième
remarque, les villages, malgré la distance
entre leur premier site occupé et leur site
actuel, sont toujours situés sur les rives de
la lagune Ebrié. Cela montre le caractère
Carte 10 : Le déplacement des villages tchamans au début central de l’accès à la lagune pour ces
du XXème siècle
Source : Notre Abidjan (1991 :65) villages.
72
Historiquement, selon le chef du village et appuyé par le livre « Notre Abidjan » (Diabate,
Kodjo 1991), le village de Cocody a connu trois délocalisations. Premièrement, il était
situé à l’île Boulay et a été déplacé au Plateau (au niveau de l’immeuble Attai et du
monument aux morts). Le deuxième déplacement a été effectué du Plateau jusqu’à
l’emplacement actuel de la Pisam. En fin de compte, le troisième déplacement a été celui
de la Pisam au périmètre actuel du village. Ce projet a donc réduit le territoire de rente de
Cocody Village, en réduisant sa zone d’influence et de gains. Concernant le foncier du
village, le chef s’exprime : « on n’a pas vendu nos terres, elles ont été réquisitionnées, partagées comme
des gâteaux ».
Concernant les modifications des activités du village par les travaux, le chef du village
nous a indiqué que le nombre de pêcheurs avait diminué pour des raisons indépendantes
du projet, principalement à cause de la pollution lagunaire et de la disparition des végétaux
bloquant les poissons (palétuviers, mangrove). Il a également fait allusion à une
interdiction du Génie protecteur d’aller pêcher les jours sacrés qui avait été violée, causant
des épisodes malheureux et douloureux. Par ailleurs, le développement actuel et avec le
projet futur du développement transport lagunaire « ne dérange pas du tout » selon le chef du
village, citant les gares lagunaires nouvelles de Blockhaus, Treichville, M’Pouto.
Le sujet de la participation du projet est également abordé avec le chef et les notables. Un
des notables s’exprime avec énervement en disant qu’une lettre a été adressée à Blockhaus
et Adjamé Village mais non à Cocody. « C’est Adjamé Village qui nous a appelé en disant que
Blockhaus avait reçu une lettre du BNETD, alors que nous n’avions rien reçu. J’ai donc suggéré aux
autres notables de nous rendre immédiatement au BNETD. Nous avons été accueillis au BNETD et ils
ne savaient pas que nous existions apparemment. Ils ont présenté des excuses». Apparemment,
Cocody Village est méconnue de l’administration. A la suite de cet entretien, Cocody
Village a produit avec leur village frère Ebrié Adjamé village, et un cabinet expert, un
document comportant leurs doléances courant avril. Ils sont dans l’attente d’un retour du
BNETD.
Dans le cas de Blockhaus, l’activité qui domine sur les rives du village est l’activité
principale qui est la production d’attiéké par les femmes. Ce qui est frappant lors de notre
observation, c’est que les activités de production d’attiéké sont directement pratiquées en
bord de la lagune mais les femmes donnent dos au cours d’eau. Comme nous l’a dit
Habib, un architecte ivoirien interrogé34, « l’urbain donne dos à la lagune ». C’est exactement
ce qui est observé dans le cas de Blockhaus. Il existe également des maquis sur les
bordures de la lagune.
34 Issu de l’entretien avec Habib, architecte dans son bureau le 4 mai 2017
73
Photo 13 : L’attiéké qui sèche au soleil face à la lagune à Blockhaus Source : Adège, J’aime ma lagune
Lors de la rencontre avec Monsieur Aké nous avons abordé plusieurs sujets autour du
projet de la baie et de ses effets sur le village pendant les travaux et sur ses présumés
effets futurs lors de l’exploitation du site. Les thématiques des usages au contact de la
lagune, des transformations du territoire du village face au projet, du foncier, et de la
participation au projet ont été abordées.
Les activités en bordure de lagune sont la production et le commerce d’attieké qui est la
principale source de revenus du village, la présence de maquis, et « la pêche qui n’est pas
comme avant »35. Il nous a informés tout de même de l’existence d’une coopérative de pêche
qui s’est créée. D’autre part, la lagune fait également usage de dépotoir. En effet, « au
niveau de la collection des saletés, il n y a pas d’endroit approprié » dit Monsieur Aké. Il rajoute que
malheureusement, les gens font sortir les poubelles avant le passage du véhicule. Par
moment, au lieu d’attendre le véhicule qui n’est pas régulier, les poubelles sont jetées dans
la lagune par les habitants.
Concernant les transformations du territoire du village face au projet, Monsieur Aké n’en
note aucune pour l’instant. Pour lui, le projet n’a pas encore modifié les usages en bord de
lagune. Il nous a montré tout de même un courrier datant du 21 mars 2017 du PRICI (
maître d’ouvrage délégué du projet de la baie) qui est venu réaliser des sondages
géotechniques près du cimetière en bordure de lagune.
La thématique du foncier a été mise sur la table. D’abord, il s’agit d’un village phagocyté
par l’urbanisation, avec pour conséquence l’obligation de construire des étages pour les
habitations. A chaque étage des immeubles est logée une famille pour économiser l’espace
(Kouadio Oura, 2012). Par rapport au projet et ses prétendues retombées sur le foncier
du village, « ce qui peut arranger Blockhaus (dans ce projet) c’est au niveau des loyers », selon
Monsieur Aké. Il nous explique que le projet de valorisation va permettre d’augmenter les
loyers. « Avec un tel projet, une belle lagune bien propre, bien accessible, agréable les loyers vont
augmenter » nous dit-il. Quand nous demandons s’il ne craint pas que des terrains soient
74
rachetés avec la future mise en valeur de la baie, il nous répond clairement que « n’importe
qui ne peut pas venir acheter un terrain ». Il sous-entend que le foncier n’est pas mis en vente
au sein du village.
Enfin, nous avons tenté de savoir si Blockhaus avait été inclus dans le processus de
projet. Nous étions en présence de trois notables du village dont Monsieur Aké. Ils ont
tous les trois indiqué avoir eu vent de ce projet de manière officieuse mais aucune
approche officielle n’a été faite selon eux. Après avoir insisté car le BNETD nous avait
donné l’information de la tenue d’une réunion d’information, l’un des notables a
recherché dans son cahier et a retrouvé la trace de cette réunion. Le courrier a été reçu le
7 février et la réunion a eu lieu le 9 février à 10h au District d’Abidjan. Un des notables
s’est finalement souvenu avoir représenté le village mais n’a pas été capable de nous en
raconter plus. Depuis, le village n’a pas eu de retour de la part des planificateurs.
Cette partie souhaite porter la lumière sur les dynamiques plus générales qui opèrent dans
la ville d’Abidjan avec la mise en place de plusieurs fronts d’eau. En conséquence, on peut
observer des recompositions du territoire urbain.
Nous allons prendre l’exemple frappant d’une corniche lagunaire importante au niveau de
la métropole, il s’agit du Boulevard de Marseille, situé à Marcory. Le projet est celui
d’élargir le boulevard en 2X3 voies et reconnecter la ville à son plan d’eau, au moins
visuellement. Toute la bordure de lagune était jonchée de bâtiments, et encore une fois on
pouvait parler d’une ville qui donne dos à la lagune. Les opérations de déguerpissement et
de destruction ont eu lieu en fin 2015. La bordure de la lagune est depuis visible au
regard. La majorité des entreprises, des parking auto, des restaurants, des ferronneries, des
supermarchés ont été démolis par quatre bulldozers en août 2015. Aujourd’hui, le projet
est en stand-by ce qui laisse un énorme terrain vague libre pour des utilisations
informelles. On observe de nouveaux usages informels sur ce territoire. Il est désormais
parsemé de nouveaux utilisateurs; les parcs auto, les artisans (menuisiers, ferroniers…), les
vendeurs ambulants se côtoient. Une marina improvisée s’est également constituée, avec
un garage à bateau (photos ci-dessous).
75
Photo 14 : Sur le boulevard de Marseille, les nouvelles utilisations du territoire en
projet Source : Prise par l’auteur le 7 mars 2017
Pour identifier ces représentations, d’une part nous avons procédé comme Ledrut (1973)
dans « les Images de la ville », par un court questionnaire d’après photographies (réalisé en
ligne) auprès d’Abidjanais. D’autre part, nous avons posé un questionnaire davantage lié à
l’expérience urbaine des Abidjanais et à leur perception du projet, ancrée dans un
environnement qu’une grande partie des répondants connait ; la BDC.
A travers les yeux des Abidjanais, nous allons tenter de caractériser la place de la lagune
dans la ville, puis plus localement les perceptions autour du territoire en projet.
Le long questionnaire a été posé à 35 personnes (voir annexe) dont les profils rassemblent
13 femmes et 22 hommes qui font partie de la vie active et qui habitent à Abidjan,
77
provenant de différentes communes (Yopougon, Treichville, Marcory, Cocody, Riviera,
Port Bouët, Plateau, Koumassi).
Ce questionnaire composé de 31 questions qui traitent des représentations, des pratiques
et du niveau de connaissance du projet de la BDC, permet de rendre compte des
représentations que le panel de citoyens interrogé se fait de la lagune. A la question, « pour
vous, quel paysage rend Abidjan spécial ? », 66% des répondants, soit 23 personnes sur les 35
répondent que c’est la lagune tandis que 23% répondent que c’est la présence de la
végétation dans la ville. On peut en conclure que la lagune est un élément remarqué, et
qui se démarque dans le paysage urbain abidjanais. La silhouette urbaine d’Abidjan est
dessinée par la lagune. « La perle des lagunes » est d’ailleurs un surnom donné à Abidjan,
il tient tout son sens ici.
Lorsqu’il est demandé si la lagune est plutôt un atout ou une contrainte pour la ville, 32
répondants sur les 35 soit 91% répondent qu’elle est un atout. Seulement, malgré cette
réponse, 10 sur les 32 personnes pensent que la lagune est un lieu dangereux/risqué, alors
que les 22 autres arguent que ce n’est pas le cas. Ici, l’analyse pousse à voir que l’image de
la lagune est globalement bonne, étant vue comme un atout pour la ville, et un espace
sans danger par la plupart.
Graphique 5 : Les qualificatifs attribués à la lagune par les 31 enquêtés Source : réalisé par l’auteure sur Excel
78
Cette question ouverte a permis des réponses libres des enquêtés. Cette figure nous
apporte plusieurs réponses sur la perception de la lagune par les enquêtés.
Premièrement, elle indique que le qualificatif qui revient le plus de fois (vingt fois) est le
caractère « sale », « pollué », et « insalubre » de la lagune. Cela signifie que dans les citadins
associent la lagune à un espace sale. Ce constat est appuyé par les adjectifs qui
caractérisent l’odeur putride de la lagune, avec au total neuf adjectifs utilisés tels que
« odorante », « malodorante », « puante », « nauséabonde ».
Malgré cette image négative d’une lagune polluée et puante ancrée dans les consciences,
dix adjectifs qualifient la lagune de « belle », et même de « majestueuse », « magique ». On
peut en déduire que le paysage lagunaire est apprécié. C’est l’état actuel de la lagune qui
vient apporter une ombre à la perception que les citadins ont d’elle.
Ensuite, huit adjectifs décrivent l’aspect « pratique », « utile », de la lagune vue comme un
« potentiel », et une « ressource ». En d’autres termes, la lagune sert à quelque chose, elle
n’est pas inutile. Deux personnes parlent aussi de la lagune en termes de « transport », ce
qui corrobore l’utilité de la lagune.
Enfin, la lagune est vue comme une ressource « non exploitée », comme un « gâchis »
dans 3 mots qualificatifs utilisés. Trois personnes estiment qu’elle est « dangereuse ».
24% Pêche
21%
Autre
La majorité des réponses, soit 29% pointent une utilisation de la lagune à travers le
transport lagunaire. En effet, les bateaux bus et les pinasses structurent l’espace lagunaire
Ebrié à Abidjan. L’exploitation de la lagune Ebrié à des fins commerciales est assurée par
79
les pinassiers 36 et la SOTRA, rejointe par deux nouveaux concurrents. Le réseau de la
SOTRA s’organise autour de 3 lignes, 6 circuits et 4 gares dont 2 intermodales qui
assurent des correspondances par autobus (Abobo-Doumé et Blockhaus). Les nœuds
majeurs sont situés à Treichville et au Plateau, sont liés par un axe de trafic important
avec la gare lagunaire du Plateau par laquelle transitent toutes les lignes aller/retour. En
moyenne, 12 bateaux-bus assurent la circulation entre 4 gares mais la donne change avec
les deux sociétés qui exploitent nouvellement le plan lagunaire, permettant
l’agrandissement de l’offre. En termes d’effectifs, les pinassiers sont les premiers acteurs
du transport lagunaire. Le fichier du service du trafic fluvio-lagunaire répertorie 69
pinasses dans la ville d’Abidjan en 2008 soit 6,3 millions de passagers transportés
annuellement. (Kablan, N’guessan 2010). Les transporteurs lagunaires de personnes et les
pêcheurs artisans se partagent le plan d’eau lagunaire et sont parfois confrontés à des
conflits d’usage.
Suivent l’usage des berges pour se promener à hauteur de 24%. Le transport routier sur
les berges lagunaires concerne 21% des réponses. Enfin, la pêche est pratiquée,
concernant 10% des réponses.
Lors de nos observations, nous avons constaté que les différentes berges lagunaires de la
métropole ont chacune une identité paysagère qui lui est propre (végétation, habitation,
infrastructures routières, ateliers d’artisans…), avec des usages et des fonctions
spécifiques en lien avec le tissu urbain avec lequel elle est connectée.
La limite de ce questionnaire réside dans l’absence de l’usage de la lagune comme dépotoir
des déchets urbains et industriels.
« J’aime ma lagune » est une association dont l’objectif est d’explorer la relation entre la
ville d’Abidjan et son plan d’eau lagunaire. En effet, il est nécessaire de « réconcilier, relier,
reconnecter les abidjanais avec leur lagune via une appropriation collective de ses
berges 37». L’idée du projet est née en 2015, avec des acteurs qui sont à la fois architectes,
designers, photographe, et experts des médias sociaux tous ivoiriens.
80
Pour appuyer ses objectifs, l’association a effectué des ateliers avec des écoles, a fait une
campagne de communication lors du MASA (Marché des Arts du Spectacle Africain) en
mars 2016 à Abidjan, et a alimenté des débats autour d’évènements locaux. De toutes les
actions, c’est celle du MASA qui trouve un écho particulier pour l’association. Organisé
sur un terrain bordant la lagune Ebrié, l’association a utilisé un grand pan de mur où elle a
inscrit « J’aime ma lagune » accompagné d’une frise chronologique imagée de l’évolution
de l’utilisation de la lagune à Abidjan. De plus, elle a organisé des ateliers dont l’un
consistait en ce que chaque participant projette ce qu’il aimerait pour sa lagune.
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B. Le territoire en projet : lecture par les représentations et imaginaires des
citadins
Une autre lecture de la ville et plus spécifiquement de la BDC peut être utilisée pour
caractériser cet espace, il s’agit de la lecture par les représentations. La question des
réactions citadines en réponse aux rhétoriques élaborées par les concepteurs du projet est
importante à analyser. Assiste-t-on à une appropriation par les citadins des discours
médiatisés sur le projet ?
Nous nous sommes appuyés sur un rapide questionnaire réalisé en ligne, à caractère semi-
ouvert et contenant des questions imagées, pour faire état des connaissances relatives au
projet du panel d’Abidjanais enquêté (90 répondants).
Plateau
Graphique 7 : Le niveau de connaissance de la baie par rapport à un visuel (d’après le questionnaire court)
Source : réalisé par l’auteure sur Excel
La première question fait référence à l’image ci-dessus et interroge sur la connaissance du
lieu représenté. 74% du panel répond « oui » sans donner de réponse précise alors que le
reste du panel décrit explicitement l’emplacement que montre la photo. 10% répond qu’il
s’agit du boulevard lagunaire, tandis que 10% indiquent qu’il s’agit de la BDC. Ces
réponses sont difficiles à interpréter car on ne peut pas affirmer que les ¾ des répondants
qui disent reconnaitre l’endroit sur la photo ne sachent vraiment. Cependant, nous
prenons le parti de constater que l’endroit a été globalement reconnu par le panel, au vu
des réponses aux questions suivantes.
Savez-vous ce qui s'y passe Pas de réponse
actuellement?
Aménagement
2% 1% 1% 1%
3%
Réhabilitation
7% Graphique 8 : Le niveau de connaissance du projet
Marina Source : réalisé par l’auteure sur Excel
37%
10% Projet, travaux
Nous avons ensuite demandé avec une image à l’appui si les interrogés avaient déjà vu
une image de synthèse de la future BDC, 82% ont répondu positivement. La question du
support sur lequel ces images (figure ci-dessous) ont été vues permet de faire ressortir la
diversité des outils de communications utilisés et révéler leur efficacité.
83
ii. La perception et les avis sur le projet
Mise en valeur/embelissement
Graphique 11 : Les justifications des avis sur le projet de la BDC Source : réalisé par l’auteure sur Excel
84
Le premier constat est celui du manque d’informations concernant le projet dénoncé par
32% du panel. Que l’avis soit positif ou négatif sur le projet, le panel pointe l’insuffisance
les informations fournies par les aménageurs.
Ensuite, 18% du panel insiste sur la mise en valeur et l’embellissement qu’apporte ce
projet avec des réponses du type « embellir le centre-ville », « mise en valeur de ce côté de la
lagune », « Amélioration du paysage urbain ».
13% font référence à l’attraction que va susciter la future baie pour les touristes mais
aussi pour les locaux. L’extrait de certaines réponses évoque de « Nouveaux aménagements
pour les abidjanais et les touristes », le« bien être des abidjanais et attrait touristique énorme ».
10% pointent la nécessité d’assainir cette baie qui faisait face à des problèmes de
pollutions, à travers ce genre de réponse « assainir l'eau polluée de la lagune » ou « lagune
impropre et laisse des mauvaises odeurs. Ce projet permettrait de rétablir la salubrité ».
10% sont contre le projet qui est jugé non-prioritaire par rapport à des problèmes qu’ils
estiment plus importants. Avec ce genre de réponse « Avant de faire un tel projet il faut d'abord
réhabiliter certains quartiers d'Abidjan tels que Koumassi où la population est inondée à la moindre pluie
et souffre en permanence de coupures d'eau et d'électricité » ou encore « il y a des choses plus importantes
comme les hôpitaux », « avec tout cet argent on pourrait déjà commencer par réparer les routes ».
Une faible part des interrogés fait référence à la baie d’antan, ou encore au projet comme
vecteur de l’ « émergence ».
Les réponses font apparaitre une hétérogénéité dans les avis, bien que cet espace en
construction soit bien vu par la plupart des Abidjanais. Nous allons nous placer du point
de vue des villages situés en fin de baie pour visualiser ce territoire en projet.
Les deux villages dans l’emprise du projet de réhabilitation de la baie, Cocody Village et
Blockhaus, en ont une représentation positive.
Monsieur Aké, le notable du village de Blockhaus interrogé, voit le projet comme une
aubaine. "Le village recherche le développement. Au temps des parents, la rive était
plantée, l'endroit (sous-entendu les berges) était très agréable à tout habitant de
Blockhaus".
En ce qui concerne sa perception de l’évolution de la lagune, le notable nous explique :
85
« La lagune était en train de tarir. Il faut accuser l'Etat qui n'a pas vite pris en main ce
problème. La baie de Cocody était le bassin d'évacuation d'un abattoir. A partir des années
1980, les gens déversaient les saletés, c'était négligé. Les cocotiers ont été abattus. Les femmes et
les maquis sont venus utiliser les berges. Maintenant, la bordure de lagune abrite des ordures de
partout ».
Cette citation met en lumière une mémoire positive et nostalgique d'un bord de lagune
d'antan agréable à tous qui s’oppose à la dégradation du lieu et crée une perception
négative de ce qu'il est devenu aujourd'hui.
Le projet est bien vu, « avec un tel projet, on aura une belle lagune bien propre, bien
accessible et agréable ». Quand nous demandons quelles dont les réactions du village face
au projet, le notable nous avoue qu'il faudrait « convoquer le village pour faire un compte
rendu aux habitants et parler des avantages et des conséquences ». Il dit aussi qu' « il faut
préparer les mentalités, c'est à dire sensibiliser le quartier sur l'environnement pour aspirer
à une belle cité ».
Du côté de Cocody village, la réunion avec le chef et les notables a permis de faire
ressortir leur perception sur ce projet. Deux remarques importantes peuvent être faites
sur les représentations. Premièrement, le succès de la médiatisation du projet est légitimé
par le discours réapproprié du chef du village. Deuxièmement, l'incompréhension de ne
pas être pris en compte ni informé dans le processus de projet est mise en lumière par les
témoignages.
Le projet est bien accueilli par le chef du village qui signifie que « l'aménagement de la baie, si
elle est bien pensée, apportera beaucoup de visiteurs. Les photographies que nous voyons sont
prometteuses ». Il est certain que le projet aura des « retombées positives » pour le village.
Par rapport au niveau de connaissance du projet, le chef nous exprime à regret qu'ils n'ont
eu aucune information liée au chantier. C'est lorsque les machines sont arrivées dans la
baie qu'ils ont compris que les travaux débutaient. De plus, revendiquant la BDC comme
étant leur terre, les notables disent qu' « on ne rentre pas dans la terre de quelqu'un faire ce qu'on
veut ». De cette déception du manque d'information, découle une forme de résignation
mais aussi une rébellion grandissante des jeunes.
« Nous regardons faire, les gens ne respectent pas la culture Atchan c'est une population qu'on
peut brimer sans conséquences […] on nous façonne comme des jouets, nous sommes habitués »
86
Ils font également référence à la force électorale que constitue le village qui serait un
manque à gagner pour l'élu qui ne fait rien en leur faveur :
« Vous allez prendre votre voie jusqu'à Cocody, ici on ne va pas vous voter, ni vous recevoir, on
va les refouler ».
Ainsi, les deux villages accueillent positivement le projet mais pointent du doigt l’absence
de leur prise en compte dans le processus de projet et par conséquent l’absence
d’informations.
Valable pour le cas que nous étudions, « la légitimation de ces investissements publics
massifs, très concentrés dans l’espace et ciblant les espaces déjà favorisés repose sur la
volonté de promouvoir la croissance économique, censée bénéficier à long terme à
l’ensemble de la population métropolitaine » (Benit, Gervais-Lambony, 2003). En d’autres
termes, l’urbanisme de projet qui favorise ici la sortie de terre d’une nouvelle vitrine de la
ville a des conséquences sur les espaces défavorisés, à différents degrés selon leur
localisation proche ou éloignée du projet. Cette observation fait intervenir le concept de
justice spatiale, rendu populaire par le spatial turn qui s’est alors accompagné de la
spatialisation des théories sur la justice et les Droits de l'Homme. C’est vérifiable
également avec le regain de popularité de la notion du droit à la ville développée par
Lefebvre et reprise dans de nombreuses etudes urbaines. Par ailleurs, « perçus comme
porteurs de désordre urbain, les citadins ne sont que très rarement associés par les
institutions à la conception des politiques urbaines ou à la mise en œuvre des opérations
urbanistiques. Cela est vrai y compris pour des politiques visant à l’amélioration des
conditions de vie en ville, les politiques de restructuration» (Berry-Chikhaoui, Deboulet
2002). Par ailleurs, cette justice spatiale est elle remise en cause par le projet?
Nous choisissons d’utiliser la vision de Bernard le Bret: “La notion de justice spatiale ne
doit pas être entendue comme une justice entre les lieux, mais comme la dimension
spatiale de la justice entre les hommes. Parce que les sociétés organisent l'espace qu'elles
habitent, les territoires reflètent les rapports sociaux. Parler de la justice spatiale, c'est
donc parler du socio-spatial: action du social sur le spatial et rétroaction du spatial sur le
social.”39 Dans notre cas, nous sommes face à des citadins qui n’ont pas le même droit à la
ville. Ces inégalités constituent des injustices?
87
Nous nous basons sur les travaux d’Iris Marion Young (1990), qui renonce à une théorie
générale de la justice, et identifie les injustices dont sont victimes certains groupes dans
nos sociétés. Elle distingue cinq formes d’oppression qui peuvent se combiner.
Dans notre cas d’étude, nous estimons que les anciens occupants de la baie de Cocody
combinent plusieurs formes d’injustices. Premièrement l’ « exploitation », et la
« marginalisation » car, de par leur statut d’étrangers (ils sont burkinabés) et d’occupants
illégaux, ils sont exclus des processus de prise de décisions. On peut aussi citer « l’absence
de pouvoir », car n’étant pas formellement en droit de travailler aux abords de la baie, ils
n’ont pas eu le pouvoir de se résigner contre les pouvoirs publics lors de leur éviction. Si
d’autres formes d’oppression leur sont faites, elles n’ont pas été visibles lors de l’enquête
de terrain. Si l’on se place du point de vue de Young, on peut alors parler d’injustices. Ces
injustices peuvent être qualifiées de spatiales de par le lien entre social et spatial.
Autrement dit, les injustices sociales se traduisent dans l’espace, mais réciproquement.
Nous allons maintenant étudier cette traduction dans l’espace, à travers la pratique de
déguerpissement.
Dans un autre registre, nous questionnons la justice spatiale au prisme des territoires
villageois qui ne sont pas reconnus et par consequent utilisés comme reserve foncière par
l’Etat. La Baie de Cocody, qui fait partie des terres revendiquées par Cocody Village, est
cependant exploitée par l’Etat sans aucune discussion préalable pour informer le village.
Quelle est la place des villageois dans la ville d’Abidjan? Peut-on faire intervenir le
concept de justice spatiale?
88
puissance de la corruption et de l’économie parallèle – les deux phénomènes sont
étroitement imbriqués – a largement contribué à encombrer illégalement tous les lieux
apparemment vides” (Bouquet, Kassi-Djodjo 2014). En effet, on peut observer que tous
les espaces vacants de la ville sont utilisés. A l’échelle de la rue, l’utilisation des trottoirs et
l’extension sur la voie des vendeurs informels est visible. Il en est de même aux abords
des carrefours, des marches. Les profils des commerçants mêlent vendeurs ambulants et
sédentaires.
Le cas des déplacements forcés attenant au projet de la baie de Cocody reste un cas
particulier à l’échelle d’Abidjan. D’abord ce projet s’inscrit dans la dynamique plus globale
de l’opération « Pays Propre » initiée par le ministère de la Salubrité publique depuis 2011.
Cette nouvelle politique urbaine consiste à redonner à la «Perle des lagunes» son lustre
d’antan. L’objectif est de donner une image moderne à la ville inspirant confiance aux
investisseurs, mais aussi d’insufler un nouveau marketing urbain.
Premièrement, le déplacement forcé des usagers a été fait dans le cadre de l’élaboration
d’un projet de réhabilitation. La zone de projet est un bas fond qui n’était pas
constructible sur le précédent schema aménageur. Autrement dit, si il n’y avait pas eu de
projet, les horticulteurs n’auraient pas été déplacés, car la zone n’avait aucune utilité et
aucune valeur. L’occupation de cette baie par les horticulteurs n’était pas en compétition
avec d’autres occupations ni fonctions que peut avoir un espace public. A Abidjan, ce
sont en général “le commerce, la restauration de rue, les transports populaires, les ateliers
en tous genres et bien d’autres petits métiers (qui) se sont multipliés sur les espaces
publics, posant de nombreux problèmes de circulation, notamment par l’encombrement
des trottoirs, des carrefours, ou par le rétrécissement de facto de la chaussée”(ibid).
89
Un extrait du témoignage de Souleymane, un horticulteur déguerpi nous explique les
modalités du déguerpissement : “c’est vers 2013, ça fait quatre ans qu on nous a enlevé. Ceux qui
sont venus nous resencer ont dit qu’ils devaient faire un travail sur la lagune. Cest pour ca quils nous ont
rescencé pour savoir ce qu’ils veulent faire. Donc ils ne peuvent pas nous faire quitter comme ça sans nous
prévenir d'abord. Ils ont dit que ils sont pas encore prêts. Quand ils sont prêts ils vont nous donner le ok.
Le ok nous on n’a pas eu. Un jour le soir vers 16h-18h comme ça, les machines sont venues nous
chasser.”
De plus avant d’être déguerpis, les horticulteurs reversaient une somme à la chefferie de
Cocody Village ainsi qu’à la mairie. Souleymane nous dit que les taxes qu’il payait quand il
était installé au niveau de la BDC étaient moins chères que celles qu’il paye aujourd’hui à
la mairie de Cocody maintenant qu’il est installé sur un troittoir.
Ce déplacement forcé est un cas isolé dans le contexte des espaces généralement
déguerpis au sein de la ville. Depuis la décennie 2000, le désordre urbain s’étant accentué
à cause de la faiblesse de l’Etat en temps de crise, la conséquence a été la multiplication
des occupations informelles de l’espace public. Aujourd’hui, c’est ce phénomène que tente
d’endiguer l’Etat avec les opérations de déguerpissement. Contrairement à ce type
déplacement forcé, dans le cas de la baie, il n y a eu aucune revendication de la part des
occupants qui ont déguerpi “sans trop réfléchir” (Bouquet, Kassi Djodjo 2014). Cela est
prouvé par nos enquêtes de terrain. En effet, concernant le dédommagement selon
Souleymane, cela fait 4 mois qu'ils ont repris les dossiers et appelé les anciens occupants
rescencés de la BDC. "Il y a deux mois ils nous ont appelé pour faire des réunions. Le service
technique a appelé pour donner un peu un peu. Si c’est moi j’ai eu un peu. ». Lorsque nous lui
demandons s’il est satisfait :« Bon. C’est leur choix on peut pas forcer, on n’a pas de solution », il
exprime bien son impuissance due à son statut précaire de « squatteur » et à une certaine
fatalité d’accepter ce qu’on lui propose.
On a pour habitude de lire que dans le cas ivoirien, « le processus de cession de droits
fonciers, même dans les zones urbaines, obéit presque toujours aux usages coutumiers
plutôt qu’à la loi » (USAID 2013) ou encore que “même si l’État ne reconnaît et ne
soutient que les codes légaux, les formes traditionnelles ou coutumières de droits fonciers
sont largement invoquées dans les pratiques de gestion foncière” (Crook et al. 2007;
USAID 2013). Pourtant sur notre terrain d’étude qu’est la BDC, l’Etat a débuté les
travaux sans aucune consultation tenue avec Cocody Village. Il est commun que l’Etat
ivoirien verse une indemnité aux détenteurs de droits fonciers villageois, bien qu’elle soit
sous-évaluée et non-compensatoire (Rapport BM Une urbanisation diversifiée: 64). Ici on
est loin.
90
L’entretien avec le chef du village et les notables de Cocody Village a fait ressortir une
vérité: l’invisibilité de ce village aux yeux des institutions publiques mais également des
Abidjanais en général. En effet comme il a été dit précédemment, le témoignage d’un des
notables nous a appris que le BNETD ne leur avait pas envoyé de lettre car ils ne savaient
pas que le village existait. Ce constat est appuyé par la méconnaissance des citoyens
abidjanais quant à l’existence de ce village. Avant de se rendre à Cocody Village, nous
avons dit autour de nous que nous nous y rendions, ayant comme réponse « Ah tu veux
dire Blockauss ». Le conducteur qui nous a accompagnés ne savait pas non plus que
Cocody Village était une entité différente de Blockauss. Cela s’explique par un
agrandissement du village de Blockauss, face à un rétrécissement de Cocody Village. A
titre d’anecdote révélatrice, les bus de la Sotra inscrivent l’arrêt « Blockauss », tandis que
les rues non praticables de Cocody Village n’accueillent pas les transports en communs.
Dans l’imaginaire des habitants, cela marque une visibilité de Blockauss au détriment de
Cocody Village, pourtant présent avant. Botti et Diby (1999) qui étudient les stratégies
d’intégration des villages Ebrié dont fait partie Cocody Village à la métropole abidjanaise
constatent que qu’ils sont mal acceptés par la ville. A travers leur étude de cas des villages
Ebrié de Cocody, ils retracent l’évolution de la commune qui est passée de 300 hectares
urbanisés en 1960 à 8000 aujourd’hui, pris sur les territoires revendiqués par les
autochtones. L’entretien avec le chef du village confirme leur étude « Blockhaus est dans
Cocody Village, le village a tout donné à Abidjan » dit le chef du village.
« Tout se passe comme si l’Etat avait décrété contre les villages urbains un principe
d’extra-territorialité qui les exclut de l’aménagement urbain. En effet ils ne sont pas
planifiés, leurs lotissements sont des plateformes d’extension villageoise, leurs
équipements ont un statut rural, leurs populations sont exemptées du permis de
construire, de l’impôt foncier » (Botti, Diby 1999). C’est exactement la description que
l’on peut faire de Cocody Village. Le chef du village nous apprend que lorsque le maire de
la commune de Cocody a du répartir sur son territoire 54 km de routes, le village s’est
inscrit sur la liste pour qu’on lui attribue 4km de route. Cela ne s’est toujours pas fait, et le
village attend toujours. Le village est sous-équipé par rapport au reste de la commune.
Cette invisibilité peut être couplée au questionnement sur “droit à la ville de fait” évoqué
par les travaux du collectifs de chercheurs DALVAA. Celui-ci interroge la notion de
visibilité dans ses relations ambivalentes à la ville, « quel sens et rôle attribué à l’invisibilité
de certains groupes citadins ? Est-ce une ressource ou une contrainte, une forme
d’assignation ? Peut-on défendre un droit à être invisible en ville ? ». La conservation des
localités Ebrié au sein du tissu urbain depuis 1970 s’est accompagnée d’une politique
d’aménagement et de développement inexistante à l’égard des villages. Cette façon de
gérer le problème d’autochtonie par l’Etat a entrainé la création de « ghettos à l’origine de
la réprobation des Ebrié, qui estiment que leur autochtonie est un droit à la ville » (ibid).
Ces rapports de l’urbain face au village Ebrié se soldent par des tensions. Pour Cocody
Village ainsi que ses consœurs Ebrié, la volonté de ne pas se fondre dans le maillage
91
urbain et de ne pas être absorbé culturellement n’a pas été exaucée puisque la ville a
quelque peu effacé son identité, la rendant invisible/méconnue pour de nombreux
Abidjanais.
Il faut aussi aborder cette logique d’expropriation des terres sous l’angle de la perte de
lieux sacrés pour les villageois. Encore une fois, l’entretien avec le chef de Cocody Village
et ses notables transmet cette importance des lieux sacrés touchés par les opérations de
réhabilitation de la BDC. En témoignent les deux épisodes qui nous ont été racontés :
« Il y a certaines zones avec des génies protecteurs. (…) Un jour nous avons vu des engins dans la
baie. D’ailleurs, un des engins s’est embourbé mais malgré les moyens nombreux employés, une
force retenait cet engin dans le sol. C’est là qu’ils sont venus nous trouver pour nous demander de
venir les aider en faisant une libation 40 . (…) AGEROUTE et le BNETD réalisaient un
canal vers le carrefour de la vie et jusqu’à la lagune, sans venir nous consulter. Un beau jour, une
dame de plus de 35 mètres leur est apparue, et dit en bon français « laissez-moi me reposer, vos
machine font du bruit ». Le lendemain ils se sont précipités ici… »
On peut parler d’une difficile intégration des villages à la métropole d’Abidjan. La gestion
et le contrôle de l’espace d’Abidjan s’établit sans réelle participation des villages. Le projet
étudié ne fait pas exception. Les revendications des villageois sont données sous formes
de doléances, surtout financières.
Dans cette partie, nous avons pu constater l’écart important entre la ville vue d’en haut
par les planificateurs et la ville telle qu’elle est pratiquée par des activités informelles qui
s’établissent sur le lieu du projet et dans les environs. De plus nous avons pu cerner les
représentations des citoyens sur le projet de la BDC. Ils se sont réappropriés les
informations communiquées par les concepteurs du projet, et globalement nous pouvons
dire que ce projet est accueilli positivement. Cependant, pour les groupes sociaux dans
l’emprise du projet qui sont les horticulteurs et les deux villages, nous nous sommes
questionnés sur le droit à la ville par le biai du concept de justice spatiale. La méthode du
déguerpissement a été analysée dans notre cas d’étude, se caractérisant par sa brutalité.
Les dédommagements ont cependant réalisé avec plusieurs années de retard. Concernant
les villages autochtones, les témoignages ont permis de faire ressortir une certaine
invisibilité de ce groupe dans la ville. Les deux groupes sociaux n’ont pas participé au
processus du projet et en subissent la mise en place.
40 Libation : offrande rituelle à une divinité (ici un génie protecteur), d’un liquide que l’on répand sur le sol ou sur un autel
92
PARTIE 3 : Le projet de la BDC inséré dans les
dynamiques d’aménagement du Nord d’Abidjan ;
remise en question du développement durable
Cette partie souhaite questionner la durabilité de ce projet, qui n’est que la partie visible et
médiatisée d’une série de projets qui concernent Abidjan Nord et vont transformer cette
partie de la ville. Le projet étudié n’est qu’à la première phase, la deuxième phase prévoit
une coulée verte reliant la baie à la forêt du Banco. De plus, le projet est combiné à un
projet d’assainissement du bassin du Gourou. Dans le contexte des villes africaines, on
voit se développer une volonté de planification urbaine durable. Le projet « Porto Novo
Ville Verte » lancé en 2015 a des parallèles avec notre terrain. Porto Novo, capitale du
Bénin et ville lagunaire de 300 000 habitants, dont le développement rapide a et continue
de causer des dégradations environnementales et une vulnérabilité à l’élévation du niveau
de la mer. Le projet est une coopération décentralisée41 qui met au cœur de la stratégie de
développement durable la lagune à travers une planification de la ville et un projet pilote
d’aménagement de la berge Est de la lagune avec une coulée verte. En somme la tendance
de planification urbaine est celle d’une connexion de la ville à son site naturel, en incluant
des préceptes de développement durable et en valorisant un retour au vert.
Qu’en est t-il dans notre cas d’étude ? Peut-on penser que le projet de la BDC associé aux
projets connexes dans la zone Nord d’Abidjan peut-être lé témoin d’une nouvelle
stratégie de penser la ville durablement ?
41Projet de coopération décentralisée qui a bénéficié d’un financement de près de 6 milliards de FCFA de l’Agence
Française de Développement, du Fonds Français pour l’Environnement Mondial, de l’agglomération de Cergy-
Pontoise, du Grand Lyon et de la ville de Porto-Novo
93
1. Le volet environnemental: entre inadaptation et incertitudes
La volonté enracinée dans la communication du projet d’assainir le site et de le
« réhabiliter » est clairement affichée. Elle s’inscrit dans un mouvement de politiques
urbaines qui transforme les capitales africaines quasi-mondiales en villes vertes du
continent (Watson 2013). Qu’en est t-il du volet environnemental du projet ?
i. Situation de la baie
Avant le début des travaux, la BDC était une des zones lagunaires critiques, recevant cinq
exutoires provenant des rejets urbains d’Adjamé, de certains quartiers de Cocody, de
Blockhaus et d’une manière épisodique des eaux de ruissellement d’Abidjan Nord. Le
dysfonctionnement des ouvrages hydrauliques en amont causait pendant la saison des
pluies des épisodes de débordements, des inondations récurrentes (notamment au
carrefour de l’Indénié) et une perturbation du trafic routier par les eaux de ruissellement
provocant aussi l’érosion de la voirie.
La baie était sujette à un ensablement important qui était devenu avec le temps le support
d’une végétation. On pouvait noter l’envasement de l’exutoire des principaux collecteurs
de la baie de Cocody. Cela représentait 225 000 m2 de surface occupées par la terre au
détriment de l’eau en 2011 (Etude PIUIR Juin 2011).
Concernant la pollution des eaux usées urbaines déversées en lagune, l’étude du PIUIR de
juin 2011 a constaté qu’elle variait de l’amont vers l’aval du canal d’évacuation. En amont,
la nature des eaux était influencée par rejets agricoles voire industriels et en aval par les
rejets domestiques. De plus, la qualité des eaux avant rejet en lagune ne respectait pas les
normes internationales de rejet dans les eaux de surface, notamment les normes
européennes. Leur rejet en lagune concoure à la dégradation des eaux lagunaires et à leur
eutrophisation progressive. Au stade de pollution de la baie en 2011, la qualité des eaux
lagunaire était impropre à la baignade au regard des normes de l’OMS. Par extension, les
eaux des puits des berges étaient impropres à la boisson sans traitement préalable, faisant
courir des risques sanitaires aux populations qui les utilisaient.
L’assainissement est un enjeu clé des métropoles africaines, qui n’arrivent pas à gérer leur
réseau face à l’augmentation importante du nombre de citadins. Selon le rapport sur
l’Indice de Développement Humain du PNUD, 2,1 millions de personnes en Côte
d’Ivoire n’ont pas accès à un assainissement de base et par la même occasion encourage
les gouvernements à investir dans le secteur de l’assainissement afin d’atteindre l’Objectif
du Millénaire en matière de Développement (PNUD, 2007-2008).
94
A Abidjan, le développement des équipements d’assainissement pluvial s’est conformé
aux plans directeurs d’assainissement de 1970 et de 1981 qui prévoyaient d’une part un
système en réseau séparatif constitué de collecteurs primaires selon une orientation Nord-
Sud pour les eaux usées, avec un émissaire de rejet en mer après prétraitement pour la
partie centrale de la ville, et des collecteurs secondaires à l’est dans les quartiers de
Cocody et à l’Ouest pour Yopougon. D’autre part pour les eaux pluviales, la construction
de collecteurs souterrains ou à ciel ouvert rejetant dans les exutoires naturels les plus
proches, la création de bassins d’orage et la construction de barrages d’écrêtement de
crues. Sur sept phases de travaux que prévoyait le schéma directeur d’assainissement
initial, seulement trois ont été réalisées correspondant à 43% des besoins (Marc et al,
1999).
Les infrastructures mises en place dans le temps se sont dégradées dans leur ensemble.
Aussi, l’aménagement très partiel des bassins d’orage provoque de graves problèmes
d’inondations récurrentes dans les communes comme Abobo, Cocody et Yopougon. De
plus, les exutoires en lagune de la plupart des réseaux d’eaux usées risquent de contaminer
la nappe souterraine par leurs infiltrations. Ce sont 4,4 millions de m3 de rejets résiduaires
des industries et des ménages sont déversés dans la lagune Ebrié chaque année à Abidjan
(Koné, 2008).
Concernant la BDC, l’insuffisance des ouvrages de stockage temporaire et le manque
d’entretien des canaux (manque de curage régulier qui limite la capacité des ouvrages) et
des dalots situés en amont de la baie ont pour conséquences des inondations répétitives
au carrefour de l’Indenié depuis les années 2000. Les effets collatéraux sont la
dégradation de la voirie du fait d’un mauvais drainage, la perturbation des trafics urbains
par les eaux de ruissellement, et l’ensablement de la BDC. D’ailleurs dans notre long
questionnaire soumis à 35 personnes, 47% soit 16 interrogés ont répondu avoir déjà vécu
un évènement d’inondation du boulevard lagunaire.
La carte ci-dessous est inspirée et simplifiée d’une carte produite par le BURGEAP dans
une étude réalisée sur la BDC avant les travaux. On peut y voir que la baie est la fin de
parcours du collecteur principal d’eaux de pluies. On observe également le collecteur
principal des eaux usées, qui est adjacent à celui des eaux de pluies. Le BURGEAP
identifie à l’époque les dysfonctionnements des installations d’assainissement, nombreux
dans la commune populaire d’Adjamé.
95
Carte 12 : Les dysfonctionnements observés dans le bassin versant de la baie de Cocody avant les travaux
Source : Réalisé par l’auteur sur la base de l’étude BURGEAP
Selon Dibi Kouakou (2013), il existe trois principaux groupes d’acteurs qui inter-
réagissent pour le maintien d’un cadre de vie sain pour la population. Il s’agit des
institutions républicaines conduites par les pouvoirs publics, des institutions privées et de
la population. C’est la population qui se situe en amont au niveau du bassin versant qui
nous intéresse ici, car il s’agit d’un des agents polluant des cours d’eau avec les rejets des
déchets ménagers.
En nous basant sur le rapport provisoire d’une enquête réalisée par le BNETD auprès de
250 ménages datant de février 2002 dans 5 quartiers d’Abidjan, nous avons pu en
apprendre sur leurs comportements. Cette enquête a également été l’appui d’une
campagne de sensibilisation avec notamment des recommandations de la SODECI. Les
techniques d’enquêtes pour réaliser ce travail ont été le questionnaire et le guide
d’entretien.
96
Les points importants que renseigne cette enquête sont la connaissance en termes de
réseau d’assainissement, de gestion des déchets et de connexion au réseau
d’assainissement.
Premièrement, les ménages doivent dire s’ils savent ce qu’est un réseau d’assainissement.
Environ 57% des répondants prétendent connaitre le terme réseau d’assainissement.
Cependant, il y a une corrélation entre le niveau de standing et la connaissance du terme.
En effet, le pourcentage des chefs de ménages connaissant ce terme décroit en fonction
du standing de l’habitat (73% pour les ménages de haut standing contre 37% pour ceux
de petit standing). L’enquête exprime donc la recommandation d’une sensibilisation visant
les habitats de petit standing en utilisant un vocabulaire familier afin que ce soit
compréhensible.
Deuxièmement concernant la gestion des déchets, l’enquête recense que les ménages
moyen et petit standing utilisent majoritairement les fosses sceptiques pour les eaux usées.
Une faible part jette les eaux usées dans la rue. Il y a donc une mauvaise gestion de ces
eaux usées des ménages moyen et petit standing.
Troisièmement la connexion au réseau est un indicateur du problème d’assainissement. A
la question « Quel est le type de réseau sur lequel est raccordé votre habitation ? », 24%
des répondants ne savent pas. 42% des ménages petit standing sont raccordés à des fosses
sceptiques, souvent parce qu’ils ne sont pas raccordés au collecteur principal des eaux
usées.
Enfin, les usagers se sont vus demander quel était l’impact selon eux de la mauvaise
gestion des déchets liquides. Ils ont répondu en grande majorité (83%) que la santé était la
première conséquence négative d’une mauvaise gestion, suivie par le cadre de vie.
« Le maître d'œuvre (ici groupement BNETD/CID) est l'entité retenue par le maître
d'ouvrage (ici PRICI et Marchica Med) pour réaliser l'ouvrage, dans les conditions de
délais, de qualité et de coût fixées par ce dernier conformément à un contrat. La maîtrise
d'œuvre est donc responsable des choix techniques inhérents à la réalisation de l'ouvrage
conformément aux exigences de la maîtrise d'ouvrage.42 »
L’émergence d’une maîtrise d’ouvrage urbaine complexe est un trait distinctif de ce genre
d’opérations (Barthel, 2006). Le PRICI est le maître d’ouvrage délégué du projet, et nous
pouvons légitimement nous interroger sur ses capacités. Il a été créé en Juin 2012, pour
une durée initiale de quatre ans, conjointement par le Gouvernement ivoirien et la Banque
Mondiale, avec pour cible cinq secteurs d’intervention. Il s’agit des infrastructures
routières urbaine et rurale, de l’eau potable, de l’assainissement urbain, de l’éclairage
42D’après une définition de l’Encyclopédie CCM en ligne url : http://www.commentcamarche.net/contents/983-maitrise-d-
ouvrage-maitrise-d-oeuvre
97
public, et de la réhabilitation d'infrastructures scolaires et sanitaires. Rappelons que le
PRICI est placé sous la tutelle du Ministère des Infrastructures Economiques. Ce qui
nous frappe est alors la position du Maroc à travers sa succursale Marchica Med qui est
l’assistant à maître d’ouvrage aux côtés du Gouvernement ivoirien. Lorsque le maitre
d’ouvrage (ici le Gouvernement ivoirien) ne possède pas l’expérience métier nécessaire au
projet, il fait appel à une maîtrise d’ouvrage déléguée (PRICI) et un assistant à maîtrise
d’ouvrage (Marchica Med). Marchica Med est donc l’interface entre le Gouvernement et
le PRICI, en aider le Gouvernement à définir clairement ses besoins et en vérifiant auprès
du PRICI si l’objectif est techniquement réalisable.
Pour le projet d’envergure que nous étudions le groupement BNETD/CID est maître
d’œuvre. Or, dans le cadre de projets de réhabilitations de fronts d’eau urbains,
notamment l’exemple marocain, ce sont généralement des maîtres d’œuvre internationaux
qui sont choisis « pour leur approche méthodologique en matière de projet urbain, leur
expérience et leur savoir-faire dans la gestion de la complexité ainsi que leur capacité à
donner une image concrète de la modernité» (Mouloudi 2015). En plus de leurs
compétences générales ils sont appréciés pour leur capacité à prendre en compte les
dimensions environnementales et de développement durable. Ici, d’une part il y a une
implication directe du gouvernement ivoirien à travers le BNETD. Ce constat revêt une
rupture relative dans le contexte de l’urbanisation ivoirienne, puisque la majorité des
documents d’urbanisme ou études stratégiques ivoiriens ont été conçus par des bureaux
d’étude étrangers. C’est l’exemple récent du SDUGA réalisé avec le JICA. D’autre part,
on peut se demander si les marocains qui font appel à des maîtres d’œuvres
internationaux considérés plus compétents dans leur projets locaux, sont à même de
réaliser ce projet. Ce constat-ci marque également une rupture avec les autres politiques
d’aménagement des fronts d’eau en Afrique, notamment pratiquées dans l’ensemble des
pays du Maghreb et du sud de la Méditerranée, qui font appel à des maîtres d’œuvre
étrangers (Barthel 2008, Mouloudi 2015). Nous avons des raisons de penser que le maitre
d’œuvre manque d’efficacité dans le registre des diagnostics en amont du projet. Nous
nous sommes rendus au BNETD qui joue un a de coordonner le projet et d’appuyer les
phases par des études car elle est responsable des résultats. Nous avons demandé si les
enquêtes d’impacts social, économique et environnemental d’avant-projet avaient été
réalisées. Il se trouve que c’est depuis le début de 2017 que le BNETD s’active à faire ces
études, qui auraient dû être produites en amont du chantier. Bien qu’il existe des bilans
antérieurs au projet et actuels faits par le PRICI en ce qui concerne le milieu physique
(géomorphologie, climat, sols, etc.), nous n’avons pas été renseignés sur les bilans
indiquant la situation économique (activités, emplois, etc.) ou sociale (population,
scolarisation, etc.). Pourtant depuis quelques années, un bilan-diagnostic de
l’environnement doit nécessairement être joint avant le commencement d’un projet
d’envergure (Mouloudi, 2015). L’arrêté n°00972 du 14 novembre 2007 dicté par le
Ministère de l’Environnement des eaux et des forêts ivoirien détermine les règles et
98
procédures applicables aux études relatives à l’impact environnemental des projets de
développement. La liste de documents à produire pour l’opérateur d’un projet de
développement n’est pas remplie pour le projet de la baie, ou alors, leur existence nous a
été cachée. Ensuite, c’est sur la base de ces bilans que les problèmes et besoins sont
identifiés, pour que des projections en termes d’habitat, d’équipement ou de zone à
protéger puissent être réalisées.
De plus concernant les contractants, les commandes passées dans le cadre des projets
d’aménagement des fronts d’eau marocains notamment de Rabat ont été adressées à des
cabinets d’architectes et à des bureaux d’études étrangers sans implication directe des
professionnels marocains (ibid). Ici le contrat a été attribué à Synaps Consulting, un
bureau d’architecte basé à Rabat spécialisé en urbanisme, en programmation urbaine et en
assistance à maîtrise d’ouvrage pour la réalisation de projets d’urbanisme et
d’infrastructure.
Pour faciliter le transfert des déchets urbains vers le large, une opération de fusion des
canaux a été entreprise par le PRICI avant le projet actuel. En effet, deux différents
canaux déversaient les déchets urbains dans la BDC. En effet, le carrefour de l’Indénié,
situé à l’intersection de trois communes d’Abidjan (qui sont le Plateau, Cocody, et
Adjamé) referme plusieurs ouvrages de drainages des eaux de ruissellement dont le canal à
ciel ouvert du côté de Cocody (C1) et celui du côté d’Adjamé (C2). L’opération datant de
2013 a été de fusionner ces deux canaux pour n’en faire qu’un. Cette idée avait été pensée
depuis le début des années, notamment dans son étude d’impact environnemental de
février 2002, où le CRO proposait cette solution. Les observations de cette enquête
avaient fait ressortir la nécessité d’un assainissement en baie de Cocody d’une part à
travers la restitution du fond lagunaire par un curage de la zone distale (fond de baie)
victime d’un fort envasement. D’autre part, il avait été question d’un « système (de
préférence souterrain) devant canaliser tous les apports de déchets pour les rejeter dans le
chenal central de la lagune pour leur évacuation en mer » (BURGEAP 2002 :54).
L’entretien avec Monsieur Kouassi nous a permis de comprendre que cette fusion des
canaux a permis de centraliser les rejets en un seul flux de rejet en fin de baie pour
rejoindre le courant central du chenal qui s’écoule vers la mer (Canal de Vridi). Cette
fusion des canaux a donc été une opération positive mais on peut se demander si la
réduction du plan d’eau lagunaire de la BDC par remblaiement ne va pas impacter
négativement la force du courant circulaire propre aux baies, et faire stagner les rejets.
99
Schéma 7 : Croquis explicatif de la fusion des canaux par Aka Marcel Kouassi (CRO)
100
Carte 13 : L'emprise du Bassin Versant du Gourou Source : PRICI
Il s’agit de la première phase de ce projet qui se veut globale et durable pour une meilleure
gestion du Bassin versant du Gourou. La BAD réalise actuellement une étude globale et
un document de planification pour remédier aux problèmes du bassin versant.
Le projet couvre les quatre communes d’Adjamé, d’Abobo, de Cocody et du Plateau, soit
une population totale de 2 800 000 personnes dont 495 000 personnes directement
touchées par ses résultats, selon l’ancienne étude impact de la BM. Outre la réduction des
inondations, le projet est sensé avoir un impact positif sur l’incidence des maladies liées à
l’eau entrainant indirectement la diminution des dépenses de santé des populations cible
et une meilleure gestion de l’environnement et des déchets solides.
101
réduction de l’insécurité́ des
populations riveraines et
amélioration du cadre de vie
des pop
102
porté sur la méthode superficielle de CAQUOT qui surestime des débits de crue à
évacuer. Cependant, l’étude a montré que les réseaux de canalisation et les bassins de
retenue améliorés et entretenus étaient capables d’évacuer les eaux pluviales et se posaient
en rempart contre les ensablements, les déchets solides les eaux usées, etc.
Les études menées par Kakadie (2009) ont montré qu’un cadre institutionnel fort, stable,
et doté de moyens financiers réguliers était nécessaire afin de construire et d’exploiter les
installations d’assainissement. L’auteur insiste en expliquant que ce cadre institutionnel
devait permettre une nouvelle autonomie de gestion et de mobilisation des ressources
financières et humaines pour redynamiser le secteur de l’assainissement.
Ainsi, on comprend à travers différents travaux que tout l’enjeu est celui de l’entretien des
ouvrages d’assainissement et du financement dont sont dotés les acteurs publics de
l’assainissement. Pour que le chantier de la BDC soit un succès, il faut que l’entretien du
bassin du Gourou en amont soit régulier et fasse l’objet d’évaluation et d’améliorations
continues.
iii. Manque de vision globale : pollutions des villages environnants
Bien que l’on remarque que la complémentarité en amont du projet du bassin versant du
Gourou est nécessaire à la réussite de celui étudié de la BDC en aval, une troisième partie
de l’équation manque à l’analyse
des acteurs : il s’agit des rejets au
niveau des villages situés en fin de
BDC.
Pour les populations riveraines, la lagune et ses abords sont la solution naturelle à la
gestion de leurs déchets tant solides que liquides. L’état des rivages expriment le niveau
d’atteinte de la lagune ébrié. En effet, les bordures sont parsemées de déchets tels que les
excrétas humains ou d’animaux, les restes d'aliments, de détergents et de produits
chimiques d'origine domestique. (Koffi, 2009)
Aucun projet ni aucune étude ne mesure cette pollution et ses effets qui vont
certainement entacher les objectifs de durabilité du chantier de réhabilitation de la baie.
Après la visite de Blockhaus et de Cocody Village, les deux villages à la sortie de la BDC,
103
nous pouvons constater que les villages environnants le projet de la baie n’ont pas fait
l’objet d’études concernant la gestion de leurs déchets.
Bien que les rejets se situent en fin de baie, donc ne circulant pas dans le sens de la baie,
leur gestion est nécessaire pour atteindre un développement durable de celle-ci. De plus,
les rejets étant liquides mais aussi solides, l’absence d’une nouvelle gestion plus
responsable à l’échelle des villages entrainerait des conséquences sur les berges lagunaires
en les polluant. L’entretien en curage devrait alors être plus important.
1. Projet d’aménagement de
la BDC
2. Projet d’aménagement de
la Coulée verte
3. Projet d’aménagement du
Bassin Versant du Gourou
4. Projet du Pont Yopougon-
Plateau
Cette carte permet d’introduire cette partie en montrant l’emprise des travaux qui ont lieu
actuellement à Abidjan Nord. Le territoire est en plein chantier avec 4 projets d’envergure
importante, qui touchent les communes de Cocody, d’Adjamé, d’Abobo, du Plateau, de
Yopougon. Il nous a semblé important de caractériser l’environnement dynamique dans
lequel le projet de la BDC s’insère. Nous allons aborder ces différents projets au prisme
de leurs acteurs, de leur emprise sur le territoire et de leur imbrication les uns avec les
autres.
104
A. Le corridor qui lie la BDC au Banco
Tableau 3 : L’explosion de l’utilisation du concept « corridor » ces dernières années Source : Arrif, Blanc et
Clergeau 2011
105
Dans leur étude comparée des corridors écologiques de l’Oued El Harrach (Alger) et du
Ruisseau des Aygalades (Marseille), Mohamed Srir et Ewa Berezowska-Azzag postulent
que les corridors écologiques forment des éléments structurants d’une approche de
régénération urbaine basée sur la nature. Cependant, ils se posent la question de
l’opérationnalité de cette approche et des pratiques effectives d’aménagement.
106
composantes qui sont la liaison verte entre la forêt et la baie, et la bande programmatique
du Banco.
La liaison entre la forêt et la baie est une opération de plantation massive, en essences
forestières, de tous les espaces interstitiels entre la forêt du Banco et le futur parc urbain
de la baie de de Cocody et ce, sur une superficie prioritaire de près de 150 hectares qui n’a
pas encore été identifiée. Cette opération concerne aussi la plantation des abords des
barrages de retenue en essences appropriées.
La carte ci-contre délimite la structure
verte, découpée en quatre types
d’espaces. Le reboisement et le parc
urbain représentent plus de 50% de la
structure verte, soit 80 ha.
L’encadrement des lignes d’eau et
l’encadrement de l’autoroute y
figurent respectivement pour 20% de
la structure soit 30 ha. Enfin, les
zones appelées « accès au centre-
ville » situées aux extrémités du projet
comptabilisent 7% de la surface, soit
10ha.
Ces plantations ont pour fonction de
stabiliser les sols dans le bassin du
Gourou, et améliorer
l’environnement dans le secteur de la
Carte 15 : La structure verte Source : PPT de Présentation du projet coulée verte.
107
Carte 16 : La bande programmatique du Banco Source : PPT de Présentation du projet
ci-contre) sont présentées comme promotrices des métiers de Côte d’ivoire et du
patrimoine culturel du pays, en disposant de lieux d’exposition et de vente de produits
ainsi qu’un équipement de restauration.
Bien que le SDUGA préconise des « couloirs d'espaces verts » dans la Zone urbaine Est
(Cocody Bingerville), on peut se demander si cette idée de coulée verte ne provient pas du
partenaire marocain, décidément tourné vers un nouveau modèle de développement
urbain. En effet, le Royaume a conçu depuis 2009 un projet de ville verte à Benguerir ; la
ville Mohammed VI. Afin d’assurer la jonction et l’intégration entre cette ville verte et la
ville existante de Benguerir, un cordon vert long dit Coulée verte de 4 km a été conçu
accompagné de la plantation de 50 000 arbres sur une superficie de 80 hectares. Cette
coulée est un marqueur identitaire de la ville verte Mohammed VI, souhaitant la
possibilité de conquérir le milieu aride par la réhabilitation écologique. Dans notre cas,
cette mise au vert est-elle en phase avec les attentes des citoyens ?
« Ces espaces de naturalité doivent permettre les flux d’espèces animales et végétales.
Cette définition d’ordre écologique est une nouvelle conception de l’aménagement du
territoire qui correspond à une prise en considération des attentes d’une société civile en
matière écologique et de développement durable» (Arrif, Blanc, Clergeau 2011) sous-
entendu de sauvegarder et de favoriser la biodiversité, d’améliorer la qualité
environnementale et sociale de ces lieux. Autrement dit, la coulée verte est une solution
face aux attentes d’une société. Pourtant dans le cas de notre étude, la société n’est pas en
attente de tels aménagements, et considère souvent qu’ils sont loin d’être une priorité.
Dans le questionnaire en ligne que nous avons soumis, nous avons pu nous rendre
compte lorsque nous avons demandé une justification par rapport au jugement du
répondant sur projet de la BDC, que 10% des personnes interrogées pensait que ce projet
n’est pas prioritaire pour la ville. « Comme d’habitude, c’est un projet pour les riches et le reste de la
population ne peut même pas se nourrir le soir » ou encore « avec tout cet argent on pourrait déjà
commencer par réparer les routes », « budget excessif pour quelque chose qui ne me paraît pas nécessaire »,
« autres priorités », « il y a des choses plus importantes comme les hôpitaux ». Cette série de réponses
va à l’encontre du projet de la baie, mais pourrait largement être élargie à ce projet de
coulée verte.
Lorsque nous avons interrogé le village de Cocody, nous avons demandé si le projet de
planter des palétuviers et autres végétations favorables à l’habitat de poisson pouvait les
contenter. Un des notables a clairement répondu « on s’en fout des palétuviers ! On veut des
routes goudronnées, du travail pour nos jeunes ». En clair, cette réaction prouve elle aussi que
d’autres considérations sont prioritaires pour la population, qui est en déphasage avec les
dogmes écologiques et de développement durable.
108
Ce projet de coulée verte souhaite en parallèle «la prise de conscience des habitants du
bassin du Gourou de la fragilité de leur environnement et de la répercussion de leurs actes
sur l’amélioration ou la détérioration » en lançant « une campagne de sensibilisation et de
communication devra être entreprise avec les familles et les écoles pour que les habitants
du bassin puissent s’approprier le projet». Cela prouve bien qu’il existe un décalage entre
ce projet de corridor écologique et la population du site. Ces derniers ne sont pas
sensibilisés en amont, alors que le projet de la baie en aval est déjà en route, les activités
de dépollution étant en marche. Il existe une ambivalence entre cette volonté de
dépolluer, et les attentes et sensibilités de la population.
Le projet du quatrième pont d’Abidjan est celui d’un ouvrage de près de 1400 mètres, qui
doit enjamber un bras de la lagune Ebrié pour permettre de connecter les communes du
Plateau et d’Adjamé à celle de Youpougon. « Le pont et les voies d’accès qui lui sont
associés faciliteront les déplacements quotidiens de centaines de milliers d’Abidjanais et
participeront à désengorger les voies existantes. On estime qu’il sera emprunté
quotidiennement par plus de 70 000 véhicules » a annoncé, l’ingénieur des Transport en
charge de la coordination du projet au sein de la BAD, Jean Noël Ilboudo. Cet ouvrage
doit permettre la facilitation de la circulation des marchandises entre le Sud de la ville où
sont implantées la zone portuaire et la zone industrielle de Vridi et les zones ouest et
nord, où de nouvelles zones industrielles se développent rapidement.
D’un coût total de 134 milliards de francs CFA, il est cofinancé par la BAD, le Fonds
pour l’Environnement Mondial, la JICA et l’Etat ivoirien. Le projet est sensé s’étendre de
mars 2017 à décembre 2021. Ce projet est la première opération du Schéma Directeur des
Transports Urbains du Grand Abidjan (SDTUGA). La BAD qui supporte celui-ci
souhaite affirmer son leadership dans le secteur du développement urbain en Côte
d’Ivoire.
Avec une population estimée à près de deux millions d’habitants, Youpougon est la
commune la plus peuplée de l’agglomération abidjanaise, et également un centre industriel
important. Les communes d’Adjamé est du Plateau sont quant à elles les principaux pôles
d’affaires et d’administration du pays.
L’approche participative a été privilégiée comme dans tous les projets de la BAD. Dans la
phase de préparation du projet, les séances plénières ont accueilli 600 personnes avec la
109
participation de principaux acteurs ainsi que des différents groupes de bénéficiaires du
projet.
Ces séances de travail préparatoires au projet ont permis entre autre de « mieux
comprendre les réalités socio-économiques des femmes dans les quartiers pauvres des
communes d’Abidjan et de convenir avec elles de types d’actions à financer dans le cadre
de ce projet ». La consultation régulière des parties prenantes tout au long de la période
d’exécution du projet est prônée par la Banque, à travers le comité de pilotage du projet,
les campagnes de sensibilisation et les réunions préalables à l’indemnisation des personnes
affectées par le projet.
Le Groupe de la BAD a depuis 1967, contribué au financement de 22 opérations dans le
secteur des transports en Côte d’Ivoire. Les opérations sont achevées parmi lesquelles, le
projet de pont à péage Henri Konan Bédié (HKB) réalisé à Abidjan. Les projets achevés
ont contribué significativement à renforcer la contribution du secteur transport à
l’économie du pays en améliorant la mobilité, l’accès aux opportunités socioéconomiques
et en reliant les zones rurales aux centres urbains. En se basant sur l’expérience issue des
autres projets, il est prévu qu’au moins 100 000 h/jrs d’emplois directs seront créés (dont
35% pour les jeunes de moins de 35 ans et 15% pour les femmes). En plus de ces emplois
inhérents aux travaux, le projet prévoit des actions d’appuis en matière d’employabilité
des jeunes chômeurs. Il y a donc une politique qui favorise l’emploi des jeunes et des
femmes, ce qui représente une opportunité intéressante pour ces groupes.
Selon la BAD, le projet affecte au moins 76 445 personnes situées dans l’emprise des
travaux de réalisation des différentes infrastructures routières. Un plan d’indemnisation et
de réinstallation complet (PCR) a été élaboré par le gouvernement ivoirien et doit faire
l’objet d’une réactualisation avant sa mise en œuvre. Le déplacement des personnes
affectées est sensé intervenir après leur indemnisation et réinstallation, et ce avant le début
effectif des travaux. Les personnes affectées auront le choix entre une compensation
nature et une en espèces.
Tableau 4 : La construction du 4ème pont : La composante « libération des emprises » à la charge de l’Etat
Source : Rapport BAD 4ème pont
Les coûts relatifs à la libération des emprises des travaux qui seront à la charge du
Gouvernement ivoirien. Ils comprennent le financement du plan de réinstallation et le
déplacement des réseaux (électricité, eau, téléphone). On peut se demander légitimement
si ces promesses seront tenues, compte tenu du travail de Alex Kadjomou sur les oubliés
110
du 3ème pont 43 . En effet, il explique qu’en dehors de l’indemnisation, la procédure de
réinstallation des frippiers orchestrée par l’Etat a échoué. Les vraies raisons de cet échec
sont liées à la gestion même du plan de recasement selon l’auteur.
Pour le 4ème pont, la problématique se situe au niveau des caniveaux d’évacuation des eaux
de pluies qui sont parfois totalement obstrués, provoquant des inondations en saisons des
pluies.
43 Alex Kadjomou, M1 « Reconfigurations socio-spatiales dans une métropole post-conflit : Les oubliés du 3ème pont »
111
bulldozers et de ne savoir où mettre leurs biens44 », a-t-il prévenu. Du côté de Yopougon Toits-
Rouge, plusieurs maisons ont été marquées au quartier Jean-Paul-2, en mai 2016. Aussi,
les sous-quartiers “Gbamanan“, “Doukouré“, Yao Séhi font partie des lieux à raser pour
faire place au boulevard de deux fois trois voies. Malgré ce fait, les habitants n’ont pas
bougé et certains ont inscrit leurs enfants dans les mêmes établissements que l’année
dernière alors qu’ils seront amenés à quitter leurs quartiers.
Les réactions face à ce pont sont plutôt positives, mais les revendications de
dédommagement sont aussi au rendez-vous. Oumar Sidibe, un citoyen a commenté le 23
avril 2017 en réponse à l’article sur l’emprise du 4ème pont « Je travaille juste à la nouvelle gare
d 'Attecoubé (près de Sebroko). Bonne nouvelle ! La construction de ce pont ne sera rien qu'un grand
signe de développement durable. Seulement que la seule chose que nous nous craignons ici est seulement de
réussir à nous dédommager. Car... Même si vous voulez déplacer votre mouton, il va falloir retrouver un
autre coin pour eux. Merci et que le tout-puissant veille »
Carte 17: Transport Lagunaire prévu par le SDUGA Source : Powerpoint des cartes du SDUGA (BNETD)
La Sotra est présente sur ce segment des transports urbains, mais montre des limites du
fait de l’insuffisance des bateaux-bus pour satisfaire la demande de mobilité des
112
populations. Additionné aux pinasses (bateaux de fortune fabriqués artisanalement), ce
sont seulement 100 000 passagers en moyenne qui sont transportés sur la lagune par
mois. Pour agrandir la palette de l’offre, l’Etat a autorisé deux nouveaux acteurs à
exploiter le plan d’eau lagunaire.
Sur les 35 personnes interrogées lors du questionnaire sur les pratiques et représentations
des habitants sur la baie de Cocody, à la question « Quelle(s) utilisation(s) faites-vous de a
lagune et ses berges ? », 11 personnes ont répondu qu’elles utilisaient le transport
lagunaire, soit plus de 30% des répondants. De plus, 89% du panel pense que la lagune
dans la ville est un atout. La vision de la lagune est donc positive pour une majorité des
répondants.
Lorsque nous demandons de caractériser la lagune en trois mots, seulement 5% du panel
soit 2 personnes évoquent le transport. 3 personnes sur les 35 interrogés répondent que la
lagune n’est pas exploitée. On peut alors penser que sa mise en valeur par l’augmentation
de l’offre de transports lagunaires et la multiplication des gares lagunaires va entrainer
d’une part une plus grande utilisation de la lagune comme voie de transport, et va être
bénéfique à la mobilité des citoyens. D’autre part, cette exploitation va entrainer une
amélioration de l’état des berges.
113
iii. Une nouveauté : pas d’études d’impact sur l’écosystème lagunaire
Dans l’ « étude comparée des stratégies d’exploitation des plans d’eau lagunaire de Côte-
d’Ivoire » d’Anoh, le système le plus répandu est la gestion exclusive de l’accès à l’eau par
la chefferie villageoise en lagune Ebrié. Aujourd’hui, avec la compétition des trois sociétés
évoquées pour le transport lagunaire, cette étude n’est plus d’actualité. Nous avons tenté
de rencontrer les trois entreprises, au travers d’appels suivis de lettres officialisant notre
demande, sans réponse aucune. Nous avons tenté de rechercher sur internet des études
d’impacts qui auraient été faites dans le cadre de cette nouvelles exploitation lagunaire
pour le transport de passagers sans pour autant trouver un document officiel qui traite du
sujet.
De plus, nous avons tenté de retrouver une étude sur l’impact des activités de transport
lagunaire dans d’autres villes africaines ou du sud, sans succès. Il y a là un domaine
d’étude que les chercheurs n’ont pas abordé, selon nos résultats nuls.
Selon N’Guessan et Kablan (2010), les risques naturels sociaux et sanitaires sont les
principaux freins au développement des transports lagunaires sur la lagune Ebrié à
Abidjan. L’exploitation des eaux de surface par les transporteurs entraine le déversement
d’huile et d’autres déchets solides. Parfois, l’immobilisation des bateaux s’explique par la
situation de pollution lagunaire qui cause des pannes de moteurs.
Du fait du caractère récent des deux nouvelles entreprises exploitant le plan d’eau
lagunaire, nous ne pouvons pas à notre échelle de temps sur le terrain, observer d’impact
sur l’écosystème.
Cependant, on peut prendre le cas des projets des lacs Tchad étudié par Barthel qui peut
être comparé à notre étude car il s’agit d’un aménagement du front d’eau similaire.
D’après Barthel, aucun débat ni aucune étude d’impact sur l’environnement n’avaient été
faits en amont des travaux au moment de la définition des modalités de l’intervention sur
le milieu. Mais dans les faits, les effets immédiats et à court terme des travaux réalisés sont
considérables selon l’auteur. Bien que la réhabilitation des deux parties de la lagune a eu
des impacts positifs immédiats sur le milieu, des impacts négatifs ont été dans un même
temps soulignés dans certaines études internes, soumises à aucun débat public.
Premièrement, la diminution de la surface des deux parties de la lagune a été une perte
sèche. Concernant le Lac Sud, la disparition des salines a privé la faune d’une réserve
nourricière très abondante. Deuxièmement, l’amélioration des conditions
hydrodynamiques dans les deux parties de la lagune a été la justification d’une nécessaire
simplification de la forme des deux lacs au risque de la banalisation. La biodiversité en a
été appauvrie. L’auteur avance que la lagune est avant tout perçue par les acteurs
politiques et les aménageurs comme un élément à exploiter. Basé sur ce constat, les
fonctions urbaines adossées à l’espace lagunaire motivent le mode d’intervention
technique. « L’aménagement est plus technologique qu’écologique, afin de garantir les
opérations foncières et immobilières qui vont suivre. » (Barthel, 2003)
114
Le transport privé par les pinassiers est décrié car les embarcations sont délabrées, faites
de matériaux de récupération et accostent dans des environnements insalubres. Les gares
sont des installations fragiles. Question sécurité, il n y a qu’une seule bouée de sauvetage
disponible pour l’ensemble des passagers.
i. Définition
Le concept de développement durable a été inventé il y a une trentaine d’années lors de la
Conférence Mondiale sur l’Environnement et le Développement de 1987, et par la suite a
été profusément médiatisé pour devenir incontournable dans les discours de tous les
acteurs qui plaident pour une action à long terme.
Le développement urbain durable est un système articulant des éléments des trois sphères
économique, sociale et environnementale, sur un principe d’interdépendance. Selon
Béatrice Bochet et Antonio Cunha (2002) de l’Observatoire Universitaire de la Ville et du
Développement Durable, « l’approche durabiliste établit […] les politiques publiques
permettant d’articuler le développement socio-économique et l’aménagement spatial des
agglomérations avec une gestion prudente de l’environnement ». On parle alors d’un type
de développement par une approche intégrée, permettant de répondre efficacement aux
problèmes urbains tels que l’étalement des villes, la dégradation des paysages, la nuisance
des flux de transport ou les mauvaises conditions d’habitat.
Dans l’application, on peut citer plusieurs principes pouvant s’appliquer à la ville pour
tendre vers un développement urbain durable. Par exemple la nécessité d’augmenter les
densités de population afin de limiter l’étalement urbain tout en encourageant la vie locale,
l’importance de favoriser la reconversion des friches industrielles et des terrains à
l’abandon pour préserver les terrains encore vierges et garder ainsi des possibilités de «
115
respiration » pour la ville. De plus, la réduction de la dépendance à la voiture au profit de
l’utilisation du vélo et de la marche à pied – parce que c’est devenu possible – sont des
éléments essentiels du développement urbain durable (Metzger Couret 2002).
ii. La pertinence d’une analyse à l’échelle plus fine que l’échelle urbaine
Replacée dans une temporalité longue, si l'on part du constat que la ville durable est une
ville compacte, Abidjan peut être analysée comme une ville non durable. C'est en effet
une ville dont l'étalement se poursuit, dynamique qui a un fort coût environnemental,
contradictoire avec l'idée de durabilité.
Certains chercheurs ont prôné qu’une démarche de développement durable était plus
pertinente à l’échelle d’un quartier car il incarne souvent une entité plus homogène que la
ville. De plus, l’étude à cette dimension offre une plus grande facilité de concertation
entre les différents acteurs. La vie citoyenne est d’ailleurs plus développée à cette échelle,
les habitants et les usagers ont tendance à davantage s’impliquer dans des projets qui les
touchent de près, ce qui contribue à créer des liens de solidarité.
Nous avons repris cette idée d’analyser à une échelle plus fine le développement durable,
et avons choisi de réfléchir à la traduction de ce concept sur le territoire Nord d’Abidjan,
avec différents projets aux ambitions durables qui s’entremêlent.
i. Aspect social
Selon Diby Kouakou, l’organisation de l’espace à Abidjan n’a pas changé depuis la
période coloniale. Il met en avant le maintien de la division tripartite de l’espace. Cet
agencement spatial va de pair avec le regroupement social sur le territoire d’Abidjan.
L’auteur parle d’une partition avec « d’un côté les ressortissants des pays riches du nord
assumant des tâches de conception et touchant de hauts salaires ; - de l’autre les
originaires des pays pauvres voisins de la Côte d’Ivoire et les classes de populations
pauvres ivoiriennes qui résument la majeure partie de la main d’œuvre bon marché ; - au
milieu, la classe moyenne formée par les Ivoiriens» (Diby Kouakou, 2013). Cette
disposition est source d’inégalités socio-spatiales. Par exemple 50% des logements de haut
standing et de moyen standing qui entretiennent le marché spéculatif, représentant moins
de 10% du parc immobilier d’Abidjan, étaient gratuitement occupés. Quant aux
logements économiques largement subventionnés par l’Etat, ils accueillent 20% des
ménages. Tandis qu’à l’inverse, l’habitat en concession et l’habitat spontané bâtis sur
fonds privés s’adresse à plus de 70% des ménages (Diabate, Kodjo 1991).
Les efforts de planification affichés pour maîtriser l’urbanisation se révèlent encore une
fois vains puisque l’habitat spontané auquel le plan devait lutter et éradiquer a vu
116
augmenter sa superficie passant de 405 hectares à 932 hectares (Diby Kouakou 2013). Sa
distribution spatiale est inscrite dans le tableau suivant.
Tableau 5 : Distribution spatiale des quartiers précaires d'Abidjan en 1998 Source : Diby Kouakou 2013
La plupart de ces habitats précaires s’édifient dans les espaces interstitiels et les zones
dites de servitude (lotissements non viabilisés, terrains menacés) où aucune construction
n’a été entreprise. Si l’on choisit de lire à une échelle plus fine que l’échelle urbaine, on
voit à travers le tableau que les communes touchées par le projet de la BDC, et plus
largement du bassin versant du Gourou, ont une superficie de quartiers précaires
importante. Cocody détient 250 hectares de quartiers précaires en son sein. Par exemple
90% du territoire communal d’Abobo (au Nord du bassin versant) est très mal assaini, les
conséquences tant sur les habitants que sur leur cadre de vie sont visibles. Les impacts
agissent sur la précarité des logements, le niveau de promiscuité (nombre de personnes
par pièce), la destruction de l’environnement et l’exclusion sociale.
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement constitue un bon indicateur du niveau de
développement d’un pays. On comprend alors le parti pris de miser sur l’assainissement
comme clé de voute des projets urbains à Abidjan ainsi que dans d’autres villes en
développement, car l’amélioration de l’assainissement équivaut à un pas vers un modèle
de ville plus durable, avec une amélioration des conditions de vie des habitants. On peut
légitimement penser que les projets conjoints de gestion intégrée du bassin versant du
Gourou et de l’aménagement en aval de la BDC vont améliorer les conditions de vie des
habitants.
Nous avons observé la relégation des fleuristes dans un périmètre proche de la baie,
cependant on peut se demander si au terme des chantiers, ces fleuristes ne vont pas être
déguerpis des environs directs de ce nouvel espace vitrine.
En outre, la phase future du projet de réhabilitation de la baie qui consiste à créer une
coulée verte la reliant à la forêt du Banco pose la question des personnes touchées par
l’emprise du projet, qui n’a pas été abordée dans le document de présentation que l’on a
reçu.
117
ii. Aspect économique
118
Dans le cas de notre étude, on se questionne sur la durabilité écologique du projet de la
baie. Si nous comparons à l’exemple de l’aménagement des lacs de Tunis, Barthel explique
que la durabilité écologique pose un problème car « les actions réalisées pour assainir les
deux parties de la lagune ne sont que des succès à court terme qui cachent un divorce
profond entre le discours qui véhicule l'idée d'une absolue plasticité des lacs et la réalité
qui est leur faible résilience» (Barthel 2003). Il se demande d’ailleurs si les choix faits au
sujet du devenir des lacs ne seront-ils pas obsolètes dans dix ou vingt ans, quand la
perception et la culture de la nature auront évolué vers une meilleure prise en compte de
la richesse écologique des milieux aquatiques et des demandes sociales.
Dans notre cas, le projet de Gestion Intégrée du bassin versant qui vient se placer en
amont du projet de la baie, marque une différence avec les observations de Barthel. Il y a
une volonté claire de solutionner durablement les problèmes écologiques de la baie.
Cependant, comme l’énonce l’auteur dans le cas des lacs de Tunis comme sur notre
terrain, la gestion de ces sites est devenue une priorité plus pour les investissements
engagés que pour la gestion écologique.
La question de la globalité et de la cohérence urbaine est importante à poser. Encore une
fois si l’on compare avec le projet des lacs de Tunis, il n’y a pas d’articulation entre les
différentes phases de projet, qui créent de nouveaux morceaux de ville qui fonctionnent
plus ou moins comme une enceinte fermée, dans une logique de clôture et d'autonomie.
Dans notre cas, les acteurs aménageurs des différents projets sont en contact régulier et
organisent des réunions, comme nous avons pu l’observer lorsque nous nous sommes
rendus au PRICI. En outre, il existe une articulation entre les différents projets, et donc
en un sens on peut parler d’une logique globalisante des différents sites en projets.
Nous nous risquons à comparer l’espace public en devenir de la baie de Cocody, avec la
corniche des lacs de Tunis, seul espace public situé au bord de la lagune. La comparaison
s’y prête, l’aménagement des lacs de Tunis ayant été un exemple pour le projet actuel de la
baie.
Selon la description de Barthel, la corniche des lacs de Tunis est une digue sur remblai,
aménagée en une promenade pavée longue de 665 mètres, et dotée d’un mobilier assez
simple et élégant qui allie le végétal (des palmiers de taille adulte) et l’utilitaire (des
lampadaires et des poubelles).
Il s’agit d’un espace partagé qui allie nouvelles pratiques et nouveaux usagers au bord du
lac. Toujours selon les travaux de Barthel, la corniche est analysée comme étant devenue
un lieu très important pour les Tunisois. Ce nouvel espace au bord de l’eau intrigue et
attire également les Tunisiens de passage et même certains étrangers, du Maghreb ou
d’ailleurs.
119
Ce lieu est visité par des profils sociaux très différents, plus particulièrement, par trois
catégories principales de personnes : les familles, les groupes de jeunes et les couples
d’amoureux, appartenant essentiellement aux classes moyennes et populaires. La corniche
est fréquentée différemment selon la temporalité. Ainsi, le midi est la plage horaire d’une
majorité de femmes et d’hommes d’affaires. Dans l’après-midi, des étudiants, des couples
d’amoureux s’approprient le lieu. Enfin le soir, il y a une très forte mixité sociale avec
aussi bien des familles avec leurs enfants que des groupes de jeunes.
« La corniche est bien le support spatial de la mise en scène d’une forme d’urbanité
construit en référence à un réseau universel de façons d’être et de paraître. Le lieu est
également significatif d’une évolution du rapport des usagers au Lac de Tunis, ancienne
lagune eutrophisée, assainie et redevenue attractive» (Barthel, 2006). Cette citation fait
apparaitre le succès de la corniche en tant qu’espace public dans un référentiel mondial
qui accueille des pratiques et des usages que l’on peut retrouver partout dans le monde.
De plus, le rapport positif des usagers à la lagune est complètement nouveau, effaçant la
mémoire d’un lieu qui était perçu comme un dépotoir. On peut se risquer à penser que
des effets similaires pourraient être observables lorsque la BDC réouvrira.
Barthel se sert des discours des usagers pour montrer les changements des valeurs
données à la lagune. Ces discours donnent à voir une opposition stricte entre la mémoire
de la lagune et les nouvelles images utilisées pour évoquer cet espace. Les souvenirs sont
ceux d’un « lieu pourri », réputé pour ses mauvaises odeurs, sont tenaces. En même
temps, le lac assaini est devenu le support de nouvelles représentations positives. Les
utilisateurs de cet espace évoquent la propreté du plan d’eau, son esthétique. « Le Lac est
perçu comme un facteur d’amélioration de la qualité de la vie pour les habitants de la
capitale » (ibid). A la suite de l’enquête menée sur les perceptions de la baie par des
citoyens, on a également pu observer les représentations négatives associées à cette baie
« polluée », « malodorante ». On peut donc assimiler ces deux espaces, et penser que
l’espace public qui sera mis en place dans la BDC aura des retombées positives dans les
perceptions des citoyens, entrainant un nouveau tropisme de la lagune, et de nouveaux
rapports institués avec elle.
Enfin, dans le cas de la corniche des Lacs de Tunis, l’auteur fait état d’un lieu qui institue
un double lien, d’une part entre des groupes sociaux plus ou moins hétérogènes qui se
rencontrent le temps d’une promenade alors qu’ils vivent en général dans des espaces
assez cloisonnés et, d’autre part entre ces citoyens et le lac lui-même, avec un espace
naturel longtemps ignoré mais qui est actuellement découvert ou redécouvert. A l’aune de
ces observations, on peut faire un parallèle avec notre cas d’étude et en venir aux mêmes
conclusions positives sur cet espace public futur pour les abidjanais.
« La ville durable est une ville compacte, citoyenne, solidaire, éco-gérée autour d'outils
tels que les PDU (Plans de déplacement urbain), les chartes pour l'environnement, les
Agendas 21 locaux, les programmes d'action pour un XXIème siècle placé sous le signe
120
du développement durable » (Barnter et Tucoulet, 1999). Le modèle de ville durable est
donc celui d’une ville compacte, et le SDUGA en fait son objectif premier.
A juste titre, on peut penser que le développement de l’axe est-ouest par l’exploitation du
plan lagunaire pour le transport des passagers pourrait permettre de réduire l’axe de
développement Nord-Sud sur lequel s’étend la ville. En d’autres termes, si le transport
lagunaire se démocratise réellement, la lagune ne sera plus un rempart séparant la partie
nord de la ville face à celle du sud, mais agira comme une aménité permettant de gagner
du temps dans les mobilités quotidiennes, en empruntant les voies navigables au lieu des
voies routières.
Cette partie a questionné la durabilité de ce projet, et de tous ceux qui sont à l’œuvre dans
la zone nord d’Abidjan. P. Metzget et D. Couret ont constaté des multiples difficultés
auxquelles les nouvelles politiques et pratiques urbaines dans les villes en développement
doivent faire face, ainsi que les différents défis propres à leurs contextes. « Dans les villes
du Sud, les concepts de développement durable et de ville durable interviennent dans des
contextes où le modèle de développement lui-même est en crise» (Metzger, Couret 2002).
Ces concepts sont surtout utilisés comme outils pour aborder à travers une nouvelle
vision les nuisances et les problèmes environnementaux causés par les choix économiques
et urbanistiques imposés par le modèle occidental de développement depuis les années
60-70 (ibid). Nous validons ces constats dans le cadre de notre étude, avec des projets qui
règlent les problèmes environnementaux sur la base de concepts importés auxquels la
population n’est pas sensible.
121
Conclusion
La problématique principale posée au début de ce travail questionnait les enjeux de ce
chantier métropolitain dans un contexte post-conflit et qui plus est le fruit d’une
coopération ivoiro-marocaine. « [Le projet d’aménagement est] un objet complexe, très
riche, qui est à la fois une idéologie, une figuration nourrie de représentations et une
pratique d'intervention et d'action sur l'espace qui fait converger des acteurs aux fonctions
complémentaires » (Barthel, 2003). Cette citation de Barthel va nous permettre de
répondre en plusieurs temps. Nous avons décelé les dimensions que fait intervenir ce
projet. Il recouvre un enjeu politique et idéologique, un enjeu des représentations, un
enjeu socio-spatial et un enjeu environnemental. Ces différentes tensions gravitent autour
de la production de ce nouvel espace au sein de la ville d’Abidjan.
Premièrement, l’analyse de l’évolution de la manière de faire la ville a permis de faire
ressortir la nouveauté de cet urbanisme de projet qui prévaut dans le SDUGA ainsi que
dans l’aménagement de la BDC, en rupture avec les modes de planification appliqués
jusque-là. L’analyse de la face cachée de l’entreprise de réhabilitation de cette baie a fait
ressortir une combinaison d’acteurs inclus dans le pilotage et le montage institutionnel. La
division du comité de pilotage entre les acteurs ivoirien et marocain reflète la coopération
des deux pays mais surtout fait intervenir la dimension politique du projet avec un rapport
de force entre les différents acteurs. D’une part, de ce rapport de force découlent les
orientations quant à la fabrique du nouvel espace marqué par des formes dessinées par le
cabinet d’architecte marocain Synaps Consulting. Le modèle de cette nouvelle baie est
résolument importé, représentant symboliquement la modernité par une architecture
épurée mondialisée. De plus, le chantier est financé par un consortium de bailleurs de
fonds arabes. Grâce au caractère comparatif de ce projet avec ses homologues marocains
ou tunisiens, on peut parler de l’importation du modèle arabe d’urbanisme. Notre analyse
n’a décelé aucun caractère local dans la conception de ce nouvel espace qui tente avant
tout de séduire à l’international selon des normes bien spécifiques. La comparaison de la
conception ivoiro-marocaine actuelle pour la BDC avec l’ancien projet ivoirien a fait
ressortir une ressemblance urbanistique et architecturale, mais aussi dans le zoning
d’activités prévu. D’autre part, une dimension politique de ce projet est révélée par la
communication qui est faite sur celui-ci avec la mise en avant de l’acteur marocain. La
multiplication des visites royales, l’intervention marocaine dans d’autres projets urbains au
sein de la métropole permet de jauger l’intensité des relations tissées entre les deux pays.
La mise en scène exacerbée de cette coopération est visible sur la trentaine de panneaux
d’informations entourant le périmètre du projet, ainsi que sur tous les médias ; la presse
locale comme internationale, le web, la télévision et la radio locales. Cette communication
122
du projet fonctionne très bien car les enquêtes de terrain et les questionnaires ont fait
ressortir l’appropriation par la population des ouvrages phares les plus représentés sur les
images de synthèse comme la marina, mais également par le mimétisme du vocabulaire
des aménageurs réutilisé par les citoyens pour parler du projet. Le succès de la
communication est visible dans les réponses au questionnaire par les citoyens qui sont
persuadés que le Maroc finance le projet, alors qu’il a seulement aidé à boucler le montage
financier en faisant appel aux bailleurs de fonds arabes. Le gouvernement ivoirien y
trouve l’intérêt politique de participer à la construction d’un espace public de
« réconciliation» pour le peuple.
L’enjeu socio-spatial est inhérent à tout projet d’aménagement urbain. Cependant dans le
contexte post-conflit que connait la métropole, il faut marquer le caractère inédit de la
gestation d’un front d’eau à des fins d’espace public récréatif. Mais, la question de la
production de cet espace pour les élites est légitime car l’ancienne baie délaissée et polluée
jouit d’une localisation de vitrine de la modernité entre le Plateau (centre des affaires) et
Cocody la commune huppée. Cette ancienne marge en proie à devenir une marche va
connecter ces deux communes considérées comme des hauts lieux. A l’échelle de la baie,
le choix d’une approche par les pratiques et les mobilités des anciens occupants a fait
ressortir que le front lagunaire était un micro-bassin d’emplois pour une cinquantaine
d’horticulteurs principalement. La volonté de libérer le terrain occupé a causé un
déguerpissement brutal et l’éclatement de ces horticulteurs avec d’une part une
reinstallation dans un rayon proche le long des axes routiers pour continuer leur activités,
et d’autre part une exclusion définitive de la zone environnante faute de place vacante.
Les dédommagements ont eu lieu, sans aucune politique de relocalisation. Ces squatteurs
qui sont en majorité des étrangers subissent plusieurs forms d’oppression à cause de leur
statut. Leur droit à la ville est remis en cause alors qu’ils payent des redevances à la mairie
et/ou à la chefferie proche de leur lieu d’installation. Le cas des villages autochtones situés
en fin de baie de Cocody fait ressortir un groupe social mis de côté, ignoré et rendu
invisible par la machine urbaine. Bien qu’ils soient dans la zone de projet, ils ne font pas
partie du processus de projet. La phase 1 étudiée ne permet pas de parler de
recompositions socio-spatiales dans les villages car il s’agit pour l’instant des opérations
d’assainissement et de remblaiement de la baie. A une echelle plus large, le projet s’inscrit
sur un territoire qui est le socle d’autres grands projets d’envergure. Abidjan Nord est en
pleine mutation avec d’une part le projet du corridor vert qui va relier la Baie de Cocody à
la forêt du Banco, le projet d’aménagement du bassin versant du Gourou, et le projet de
quatrième pont reliant Yopougon au Plateau. Selon Watson (2013) le résultat le plus
probable de ce type de projet est une aggravation constante de la marginalisation et les
inégalités qui affligent déjà les villes africaines. Même si au premier abord ce projet
présente tous les signes d'un nouvel espace favorisé, fait par et pour les élites, il nous est
impossible d'en conclure qu'il contribue à la fragmentation socio-spatiale urbaine.
123
utilisée pour légitimer le projet. Encore une fois, nous rejoignons Cattedra (2001) qui
pense que les images de publicité du projet peuvent être saisies et interprétées comme un
« dispositif politique de légitimation sociale du projet » (ibid). Deuxièmement, cet enjeu
des représentations est analysé au prisme des réactions des citadins face au projet. Nous
nous sommes rendu compte que le discours officiel de promotion du chantier a été très
efficace, les enquêtes auprès des citadins montrant un niveau de connaissance
relativement important, avec une réutilisation du vocabulaire officiel de communication.
Enfin au cours d’enquêtes qualitatives nous avons pu recueillir les avis sur le projet, que
l’on peut regrouper en deux catégories. La première est composée de ceux qui ont
assimilé le discours du projet et ses bienfaits, et la deuxième est celle qui est contre ce
projet jugée comme un chantier non prioritaire face à des problématiques de transport,
d’habitat, d’assainissement citées. A ce stade, il n y a pas d’unanimité totale autour de ce
projet, avec notamment des interrogés qui ne se sentent pas ciblés par ce futur espace
reservé à la « haute classe ».
L’enjeu environnemental est mis en avant dans la nouvelle planification de la ville
(SDUGA). Le souci de la durabilité pour l’élite dirigeante et les acteurs internationaux se
traduit par la volonté de l’inclure dans les politiques urbaines et dans l’urbanisme de la
ville, complémentaire à la pratique d’une vitrinisation du fragment urbain qu’est la baie de
Cocody. Le concept de durabilité est ici affiché, mais surtout nécessaire pour la réalisation
d’un tel projet qui s’attaque à une baie polluée. Nous avons tenté de savoir si on pouvait
parler d’un développement durable pour l’environnement dans le cadre de la baie mais
aussi des projets voisins d’Abidjan Nord. Nous avons constaté que ces projets recèlent de
solutions pour soigner l’environnement mais que les populations touchées ne sont pas
sensiblisés à cet enjeu environnemental. Selon nous, cela annule tout caractère de
durabilité si la population n’est pas en adéquation avec les logiques prônées par les
aménageurs.
En défitive, la mondialisation a plusieurs impacts sur le projet de la Baie de Cocody.
Ceux-ci entrent en tension avec les pratiques et les représentations locales.
Plusieurs aspects intéressants ont été abordés dans ce travail mais compte tenu du stade
de première phase du projet. Premièrement on peut se demander si dans la phase de
construction, le projet ne va pas finir par être décrié et rejeté par la population, d’autant
plus que la Côte d’Ivoire est depuis quelques mois dans une crise conjoncturelle
économique (les prix du cacao ont chuté) et politique (conflits entre le pouvoir en place et
les mutins, et certains fonctionnaires).
Ensuite, nous n’avons pas pu approfondir la question de vitrinisation urbaine qui est
abordable à la phase d’exploitation. De même, avec l’avancée des travaux, le projet invite
à questionner les effets territoriaux, et la réelle inscription spatiale du nouvel espace en
rupture ou en continuité avec les deux communes de Cocody et du Plateau.
Lors de la phase d’exploitation, un travail autour du profil des usagers de la future baie,
mais aussi des temporalités et pratiques des différents groupes sociaux en ce lieu, peut être
enrichissant, surtout s’il est comparé à celui des projets maghrébins analogues. Le travail
de Barthel pourrait service de référentiel à une analyse comparative de ce futur front d’eau
abidjanais face à celui des lacs de Tunis. Ainsi, malgré le contexte économique, social,
politique, géographique et culturel, la question serait de savoir si on assiste à une
124
normalisation d’un certain type de pratiques dans des temporalités bien précises
effectuées par des groupes sociaux différenciés. En d’autres termes, est ce que
l’observation de la future baie de Cocody pourrait être assimilée à n’importe quel espace
similaire localisé au Nord comme au Sud. Une autre interrogation mérite de faire l’objet
d’un futur travail. Il s’agit de l’analyse de la baie en tant qu’espace public des abidjanais. La
mixité sociale sera-t-elle de mise ? Pourra t-on parler d’un espace de réconciliation et de
cohésion sociale ?
125
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BURGEAP
Rapport final, Octobre 2012 « Projet d’aménagement de la baie de Cocody – Renforcement des ouvrages
de drainages au carrefour de l’Indénié et de l’aménagement des berges de la baie de Cocody. Etude
d’impact environnemental et social : rapport d’étude socio-économique » Burgeap
130
Rapport final, Février 2013 « Projet d’aménagement de la baie de Cocody – Renforcement des ouvrages
de drainages au carrefour de l’Indénié et de l’aménagement des berges de la baie de Cocody. Etude
d’impact environnemental et social plan de gestion environnementale et sociale » BURGEAP
Rapport final, Mai 2013 « Projet d’aménagement de la baie de Cocody – Renforcement des ouvrages de
drainages au carrefour de l’Indénié et de l’aménagement des berges de la baie de Cocody. Etude d’impact
environnemental et social » BURGEAP
Rapport final 2014 « Plan de Gestion Environnementale Et Sociale Chantier (PGESC), travaux de
renforcement des ouvrages de drainage du carrefour de l’Indenie » PRICI
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Paris Diderot
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Tables
BM : Banque Mondiale
UA : Union Africaine
133
Index des illustrations
Tableaux
Tableau 2 : Points simplifiés de l'évolution du fonctionnement de la lagune Ebrié Source : par l’auteur sur la
base de l’entretien du 20/03 avec Monsieur Kouassi (CRO)
Tableau 2 : Comparaison du projet ivoirien et du projet marocain Source : réalisé par l’auteure
Tableau 3 : L’explosion de l’utilisation du concept « corridor » ces dernières années Source : Arrif, Blanc et
Clergeau 2011
Tableau 4 : La construction du 4ème pont : La composante « libération des emprises » à la charge de l’Etat
Source : Rapport BAD 4ème pont
Tableau 5 : Distribution spatiale des quartiers précaires d'Abidjan en 1998 Source : Diby Kouakou 2013
Cartes
Carte 1 : Localisation du projet étudié au sein de la ville d’Abidjan Source : réalisé par l’auteure sur la base
d’une photo aérienne
Carte 2 : La croissance spatiale d'Abidjan depuis 1912
Source : http://vertigo.revues.org/12966 ; DOI : 10.4000/vertigo.12966
Carte 3 : Scénario de croissance optimisé pour le Grand Abidjan Source : Rapport Final SDUGA Volume 1 JICA,
mars
Carte 4 : Plan d’aménagement de la ville d’Abidjan de 1969 Source : Notre Abidjan p. 121
Carte 5 : L'écosystème lagunaire Ebrié Source : Adingra, Kouassi 2011
Carte 6 : Prédominance de l’emplacement des rejets domestiques et industriels au niveau des baies Source :
Marchand, Martin 1985 (p.27)
Carte 9 : Déplacement de Souleymane l’horticulteur à proximité de la BDC Source : réalisé par l’auteure (base
Googlemap)
Carte 10 : Le déplacement des villages tchamans au début du XXème siècle Source : Notre Abidjan
(1991 :65)
Carte 31 : Les zones desservies par les transporteurs lagunaires en lagune Ebrié à Abidjan Source : Réalisé par
l’auteur sur le travail de Bidi, Fodouop (2008)
Carte 12 : Les dysfonctionnements observés dans le bassin versant de la baie de Cocody avant les travaux
Source : Réalisé par l’auteur sur la base de l’étude BURGEAP
134
Carte 17: Transport Lagunaire prévu par le SDUGA Source : Powerpoint des cartes du SDUGA donné par le
BNETD
Schémas
Schéma 1 : Chronologie des faits marquants de l'Histoire ivoirienne de l'époque coloniale à aujourd’hui
Source : Sharon Teixeira
Schéma 2 : Chronologie des plans d'aménagement à Abidjan de l'indépendance à aujourd'hui Source : réalisé
par l’auteure
Schéma 3 : Evolution de la morphologie d'Abidjan des indépendances aux effets dûs plan des années 1960
Source : Notre Abidjan, Diabaté et Kodjo, 1991 (p. 85, 86, 87)
Schéma 4 : Pression de la population et étalement urbain : deux grands défis de la planification urbaine
d'Abidjan Source : Rapport Final SDUGA Volume 1 JICA, mars 2015 p.8
Schéma 5 : Photointerprétation de l’état d'avancement de la baie de Cocody (juin 2017) Source : Photo
aérienne partielle de la baie par drône à 35m d'altitude de la cathédrale du Plateau (prise par l’auteure le
07/06/2017)
Schéma 6 : Montage institutionnel des acteurs issus de la coopération ivoiro-marocaine pour le projet de la
BDC Source : réalisé par l’auteure
Schéma 7 : Confrontation des deux plans de la baie de Cocody projet ivoirien (à g) et marocain (à d.) Source :
Afrikarchi et PRICI
Schéma 8 : Les impacts positifs du projet d’assainissement du Bassin du Gourou Source : Réalisé par l’auteure
sur la base du rapport de la BM
Graphiques
Graphique 1 : Chronologie des accords et conventions entre Côte d’Ivoire et Maroc de 1999 à 2015 Source :
réalisé avec excel par l’auteur avec des données de maroc.ma
Graphique 2 : Montage financier du projet de la Baie de Cocody Source : Réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 4 : Une hausse importante des visites diplomatiques marocaines en Côte d’Ivoire Souree : réalisé
par l’auteure avec données de maroc.ma
Graphique 4 : Profil des anciens occupants de la BDC Source : réalisé par l'auteure
Graphique 5 : Les qualificatifs attribués à la lagune par les 31 enquêtés Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 6 : Les usages de la lagune (d'après le questionnaire long) Source : réalisé par l'auteure avec Excel
Graphique 7 : Le niveau de connaissance de la baie par rapport à un visuel (d’après le questionnaire court)
Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 8 : Le niveau de connaissance du projet Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 9 : Les supports d’informations du projet Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 10 : Les avis sur le projet de la BDC Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Graphique 11 : Les justifications des avis sur le projet de la BDC Source : réalisé par l’auteure sur Excel
Photos
Photo 1 : L’état d’avancement des travaux en juin 2017 Source : Telquel.ma
135
Photo 2 : Pression de la population et étalement urbain : deux grands défis de la planification urbaine
d'Abidjan Source : Rapport Final SDUGA Volume 1 JICA, mars 2015 p.8
Photo 4 : Un pont va chasser l'autre ; le pont flottant démonté côte à côte au pont Houphouët-Boigny, 1958
Source : Notre Abidjan Diabate et Kodjo, p.108 et site de l’ecpad
Photo 5 : Les premières de couvertures récentes de Jeune Afrique : Marocafrique à l’honneur Source :
Jeunafrique.fr
Photo 8 : Magazine distribué lors du passage à Abidjan du roi Marocain en février 2017
Source : Exemplaire provenant de Monsieur Kopieu
Photo 9 : Capture d’écran d’une publication sur Twitter de la présidence de Côte d’Ivoire communiquant sur
le projet de la baie de Cocody Source : Compte twitter @Presidenceci
Photo 13 : L’attiéké qui sèche au soleil face à la lagune à Blockhaus Source : Adège, J’aime ma lagune
Photo 14 : Sur le boulevard de Marseille, les nouvelles utilisations du territoire en projet Source : Prise par
l’auteur le 7 mars 2017
Photo 15 : Lors du MASA, à droite l’atelier de la lagune rêvée, en haut la frise chronologique de l’exploitation
de la lagune observée par des visiteurs nocturnes Source : J’aime ma lagune fournies par Huguette Ruzibiza
Photo 46 : Rives polluées de Cocody Village, en fin de baie de Cocody, face au Plateau Source : prise par
l’auteure le 08/05/2017 à 10h30
Annexes
136
Questionnaire court en ligne (90 répondants)
137
Questionnaire long 35 répondants
.Sexe :
Homme
Femme
. Tranche d’âge
18-25 ans
25-40 ans
40-60 ans
Plus de 60 ans
11. Savez vous qu’est ce qui se passe au niveau de la baie de Cocody en ce moment ?
Oui
Non (passer à la question 18)
139
Oui ……………………………………………………...
Non
16. Pourquoi ?
……………………………………………….……………………………………………….……………………………………………….…………
…………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………
140
faiblement
moyennement
fortement
23. Sur une échelle de 0 à 3, à quel point le paysage vous parait il menacé ?
0 pas de menace
1 faible menace
2 moyenne menace
3 menace forte
26. Pensez vous que les aménagements actuels de la baie sont efficaces contre les inondations?
Oui
Non
Ne sait pas
27. Savez vous quels seront les aménagements dans la baie de Cocody ?
Oui
Non
141
Acteurs rencontrés
142
Issa Diabaté idiabate@koffi-diabate.com Architecte à Koffi & Boulevard des Martyrs, 10/02/2017
Diabaté Abidjan Abidjan, Côte d'Ivoire
Mohamed El 46.35.40.68 Marchica Med Boulevard Lagunaire 20/02/2017
Houari Charles De Gaulle,
Immeuble N’Zarama, 6ème
étage, Plateau
BNETD +22501040429 Secrétaire Général du BNETD - Bd Hassan II - 17/02/2017
Josiane BNETD Cocody, 04 bp 945
Adoubi Abidjan 04 - Côte d'Ivoire 20/02/2017
Directeur du Tél: (225) 22 48 34 00 -
Vincent Département Fax: (225) 22 44 56 66 - Mars 2017
Badie Urbanisme chez contact@bnetd.ci
BNETD
Assouyouti (+225) 20 26 27 53. M : Senior Climate Change BAD, Plateau 23/02/2017 à 15h
Mahamat (+225) 54 42 21 62 Officer
m.assouyouti@afdb.org GEF Coordination Unit
Environment and
Climate Change
Division
African Development
Bank Group
Assistante du directeur
Directeur général du
PRICI
Mlle Isabelle
+22522409097
Pierre
DIMBA
Assistant du
coordonateur
Madame
Bassa +22501021978 Professeur de
Géographie à
Monsieur l’Université des
Gberi +22579141386 collectivités
Monsieur
BOKA +22549526543
143
Université Abomey-
Calavi (Bénin)
UMR PRODIG
Madame Tel : +22541457330 CRO, 29 rue des Pêcheurs 20/03/2017 à 11h
Amalachy Zone 3 Treichville
Abidjan BP V18
Aka Marcel Sous directeur du CRO CRO, 29 rue des Pêcheurs 20/03/2017 à 12h
Kouassi Zone 3 Treichville
Abidjan BP V18
Guy Robert Tel : +22508426493 Notable de Blockhaus Chefferie de Blockhaus 08/05/2017
Aké
Adège Tel : +22506831955 Membre de J’aime ma Immeuble Kasai, 04/05/2017
Rubizibiza Lagune et architecte Appartement 308 Riviera
Golf
ANOH Tel : +22557729699 Architecte à Architectes Immeuble Kasai, 04/05/2017
Ahissan 21 Appartement 308 Riviera
Louis Habib Golf
Aby Blegue Tel : +22548033735 Chef du village de Maison du chef du village 09/06/2017
Lean Cocody Village
Adjoint au chef
Gbedje
François Notable
Yao François
Tel : +22545293351
Souleymane Horticulteurs anciens 09/06/2017
occupants de la BDC
Cissé 08/05/2017
144