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ABSOLUS
Roberto Camagni
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territoriale apparaît théoriquement solide, non seulement à cause du rôle que le territoire
joue en fournissant aux entreprises individuelles des instruments compétitifs relevant du
milieu, mais surtout à cause du rôle qu’il joue dans les processus de construction des
connaissances, des codes interprétatifs, des modèles de coopération et de décision
sur lesquels se fondent les parcours innovateurs des entreprises. En outre, certaines lois
gouvernant l’économie des échanges internationaux et qui se réfèrent au principe ricar-
dien d’avantage comparatif, n’agissent pas au niveau intra-national, ce qui ajoute à l’im-
portance de la compétitivité territoriale. Ainsi, à un niveau territorial plus détaillé, et donc
dans des économies ouvertes non seulement aux échanges mais aussi aux mouve-
ments des facteurs, si un certain niveau ou un certain taux de croissance de la compé-
titivité n’est pas assuré, cette économie peut être destinée à la crise, au dépeuplement,
à la désertification.
Mots clés – compétitivité territoriale, mobilité factorielle, milieu, apprentissage collectif.
* Politecnico di Milano.
disaggregated territorial level, and thus for a more opened economy, not only with re-
gard to trade but also factor mobility, if a certain level or a certain growth rate of com-
petitiveness is not ensured, this economy can be subject to crisis, depopulation, and
desertification.
Key words–– territorial competitiveness, factor mobility, milieu, collective learning.
Keywords
1 INTRODUCTION
La notion de compétitivité est aujourd’hui une notion fort courue dans le débat sur
D’une part, il faut considérer que, si les termes sont relativement nouveaux
pour le débat public, les concepts qu’ils sous-tendent sont anciens, bien ancrés
dans la théorisation des sciences régionales. En fait, à y regarder de près, que sont
les réflexions sur les districts industriels sinon une conceptualisation des sources de
compétitivité d’un système de PME locales ? Que sont les effets de polarisation de
Perroux sinon une théorisation des effets d’attraction locale d’activités complémen-
taires ? Et à propos de la théorie de la localisation développée dans les soixante-dix
premières années du XXe siècle : n’est-elle pas une analyse sur les forces de déve-
loppement d’activités locales et d’attraction d’activités mobiles, à la recherche des
meilleures conditions de production ?
D’autre part, la notion de compétitivité, considérée au niveau national, a été
vivement contestée par un spécialiste bien connu d’économie internationale, Paul
Krugman (1998). Ses considérations, sceptiques et polémiques, ont suscité une
certaine perplexité parmi les spécialistes d’économie territoriale quant à leur validité
dans des contextes plus restreints que le contexte national, mais n’ont jamais fait
l’objet d’une analyse critique explicite, ce qui permet d’affirmer que la question de
la légitimité théorique de cette notion demeure à l’heure actuelle toujours ouverte.
Nous nous proposons d’affronter directement ce thème, en nous attachant en
particulier à deux aspects subordonnés : la solidité de la notion de compétitivité
territoriale elle-même, en termes de théorie économique, et les nouvelles assises
sur lesquelles s’appuie cette compétitivité, selon une approche de type cognitif-
évolutif.
Selon la thèse que nous avançons ici, la notion de compétitivité territoriale est
théoriquement solide non seulement à cause du rôle que le territoire joue en four-
nissant aux entreprises individuelles des instruments compétitifs relevant du milieu,
mais surtout à cause du rôle qu’il joue dans les processus de construction des con-
naissances, des codes interprétatifs, des modèles de coopération et de décision
sur lesquels se fondent les parcours innovateurs des entreprises. En particulier,
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
cela met en exergue les processus que nous définissons comme étant ceux de
l’apprentissage collectif (Camagni, 1991a ; Favereau, 1994 ; Capello, 1999 ; Keeble
& Wilkinson, 1999), et qui réalisent une croissance « socialisée » des connaissan-
ces, en s’intégrant non seulement à la culture interne des entreprises individuelles
mais aussi et surtout au marché local du travail (ou, comme l’on disait jadis, à l’at-
mosphère industrielle locale).
Ce résultat est étayé par les différentes dimensions du concept économique
de « territoire ». Celui-ci désigne en effet, à la fois :
– un système d’externalités technologiques localisées, c’est-à-dire un ensemble
de facteurs aussi bien matériels qu’immatériels, qui, grâce à l’élément de la
proximité et à la réduction des coûts de transaction qu’elle comporte, peuvent
devenir aussi des externalités patrimoniales ;
La deuxième thèse que je me propose d’expliciter est que certaines lois gouvernant
l’économie des échanges internationaux n’agissent pas au niveau intra-national, ce
qui ajoute à l’importance de la compétitivité territoriale. Je me réfère en particulier
au principe ricardien d’avantage comparatif, qui assigne à chaque pays son rôle
dans la division internationale du travail, quel que soit le niveau d’efficacité et de
compétitivité de tous ses secteurs productifs. Je soutiens au contraire que, à un
niveau territorial plus détaillé, et donc dans des économies ouvertes non seulement
aux échanges mais aussi aux mouvements des facteurs, si un certain niveau ou un
certain taux de croissance de la compétitivité n’est pas assuré, cette économie
peut être destinée à la crise, au dépeuplement, à la désertification.
Il n’est donc pas risqué d’affirmer que les territoires sont en compétition entre
eux, aussi bien dans l’attraction d’investissements directs étrangers (ou extérieurs)
que dans la définition de leur rôle productif, qui n’est ni automatique ni garanti, à l’in-
térieur de la division spatiale du travail. L’attraction et la compétitivité locale dépen-
dent de facteurs largement semblables et communs, qui ne résident pas seulement
dans des externalités physiques, l’accessibilité ou les qualités d’environnement,
mais aussi dans le capital relationnel et dans la capacité d’apprentissage associée
au territoire.
97
ROBERTO CAMAGNI
de l’information (Scott, 2001). Certes, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, car
souvent au cours du siècle dernier il a atteint des niveaux comparables aux niveaux
actuels, et, surtout, il ne s’est pas manifesté de façon soudaine et catastrophique,
comme la brusque fortune de ce mot pourrait le suggérer. Ce qui est nouveau, pour-
tant, c’est l’accélération simultanée de tant de processus d’intégration à long terme,
qui s’interpénètrent et se renforcent réciproquement.
Si l’on observe les processus de globalisation ne considérant que les rapports
fonctionnels et de marché, on en pourrait déduire un jugement de neutralité territo-
riale : opportunités et défis pourraient apparaître équivalents et spéculaires. Mais le
jugement change radicalement lorsque l’on considère certains aspects qualitatifs
nouveaux du cadre international actuel : l’importance croissante du facteur connais-
sance et des éléments immatériels liés à la culture, aux compétences, à la capacité
innovatrice (Amin & Wilkinson, 1999 ; Keeble & Wilkinson, 2000).
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
que la littérature définit comme districts industriels ou milieux innovateurs, tireront les
avantages les plus grands de la globalisation ; de l’autre, tous ces territoires, mais
surtout les premiers, rivaliseront directement pour attirer les grands flux de capital
mobile au niveau international, que nous avons cité.
3 LA COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE :
« HANTISE » OU SOUCI LÉGITIME ?
loppement ?
Dans les dix dernières années, un débat important s’est développé sur ce su-
jet, à la suite des positions polémiques de Paul Krugman. Limité d’abord au niveau
national, le débat s’est récemment élargi au niveau régional et territorial qui nous
intéresse ici 1. L’hétérogénéité inhérente à la formation scientifique, à la logique et
au langage des participants (économistes internationaux, spécialistes d’économie
d’entreprise, géographes et économistes régionaux), explique à mon sens les ré-
sultats peu concluants du débat où les différents arguments, plutôt que s’opposer,
se sont souvent additionnés et juxtaposés, et les différents niveaux territoriaux ont
toujours été mélangés, comme si les mêmes « lois » économiques étaient égale-
ment applicables aux villes, aux régions et aux nations 2. Très souvent on a abouti
à des conclusions contradictoires, du type : « cette proposition est vraie, mais la
proposition contraire l’est aussi ».
Le problème dont il s’agit n’est ni abstrait ni éloigné des préoccupations opé-
rationnelles concernant le développement territorial : de la réponse qu’on donne
aux questions qui précèdent dépend la justification théorique des politiques de dé-
veloppement local, visant le renforcement de la compétitivité et du pouvoir d’attrac-
tion des territoires et leur capacité de répondre aux besoins des citoyens et aux
nécessités des entreprises en termes de bien-être et d’efficacité collective. Je crois
donc qu’il est nécessaire d’approfondir ce sujet en déterminant ce qu’il y a de vala-
ble dans les différentes positions et en envisageant toute cette thématique de façon
unitaire, cohérente et scientifiquement solide.
1. Le débat a été hébergé par la International Regional Science Review, n° 1-2, 1996 et par Urban
Studies, n° 5-6, 1999. Krugman a réuni ses interventions sur ce sujet (Krugman, 1998).
2. Les éditeurs du numéro spécial de Urban Studies affirment dans leur présentation : « Comme on
le verra, les auteurs qui contribuent à ce numéro de la revue croient en général que les villes et les
territoires rivalisent les uns avec les autres. […] Les conséquences pour les économies régionales
restent incertaines » (Lever & Turok, 1999, p. 792 ; nous traduisons).
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ROBERTO CAMAGNI
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
sont très importants pour les partenaires commerciaux individuels. Augmenter l’effi-
cacité des secteurs d’exportation, c’est être en mesure d’importer la même quantité
de biens en utilisant une quantité inférieure de ressources ou de facteurs productifs
locaux (c’est le cas des innovations de procédé), ou être en mesure d’importer une
quantité plus grande de biens avec la même utilisation de facteurs locaux (c’est le
cas des innovations de produit ou de la différenciation des produits, qui permettent
d’augmenter le prix des produits sans que la demande se réduise).
L’efficacité des secteurs d’exportation, ou leur compétitivité, garde donc une
certaine importance. S’agit-il d’une attitude mercantiliste ? Oui, dans le sens histo-
rique – et le meilleur – du mot. Est-ce que cela implique un jeu à somme nulle ? Non,
parce que, en ligne générale, l’avantage d’un partenaire n’implique pas une réduc-
tion de l’avantage de l’autre car une partie de l’accroissement d’efficacité intérieure
peut déterminer une réduction des prix à l’exportation, proportionnelle au degré
de compétition en vigueur dans le secteur, en profitant ainsi aux autres partenai-
res commerciaux.
2) Krugman nous rappelle avec raison que l’un des éléments les plus impor-
tants du bien-être local est représenté par l’efficacité du secteur non exposé à la
concurrence internationale, producteur de biens et de services pour le seul marché
intérieur. Cela est particulièrement vrai dans un pays comme les États-Unis, où les
exportations représentent seulement 10 % du produit intérieur, et où donc, sur la
base d’un calcul empirique, la quantité de biens et de services qu’on peut acheter
avec un certain revenu monétaire dépend principalement de la productivité inté-
rieure, non de la compétitivité extérieure.
Et pourtant l’importance de la productivité intérieure pour le bien-être local dé-
pend de façon cruciale de la taille du pays et de son degré d’ouverture ; si l’on con-
sidère l’exemple d’un petit pays, d’une région minuscule, voire d’une île spécialisée
seulement dans la pêche ou dans le tourisme, la compétitivité de ces deux secteurs
d’exportation déterminera l’emploi, le revenu et le montant de la consommation
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ROBERTO CAMAGNI
intérieure réelle, presque totalement tributaire des importations 3. Les pays euro-
péens sont trois à six fois plus ouverts au commerce international que les États-
Unis ; la plupart des entreprises vendent aussi bien sur le marché intérieur que sur
les marchés étrangers ; beaucoup de secteurs apparemment « domestiques »
comme le commerce ou le secteur hôtelier, vendent leurs services sur le marché
touristique international ; voilà pourquoi dans ces pays les deux notions de pro-
ductivité intérieure et de compétitivité extérieure apparaissent bien plus sembla-
bles qu’aux États-Unis.
3) Krugman nous met en garde contre une acceptation trop facile des implica-
tions de politique industrielle de la strategic trade theory, à laquelle il a lui-même
fourni d’importantes contributions. Dans un monde caractérisé par des rendements
croissants (au niveau des entreprises comme à celui du milieu local), où l’histoire, le
hasard et les interventions de politique structurelle expliquent mieux la spécialisation
3. Cette affirmation est analogue à celle exprimée par Thirlwall dans un article bien connu (Thirlwall,
1980, p. 422), lorsqu’il soutient que « la demande d’exportations est un élément vital de la deman-
de régionale, nécessaire pour compenser l’appétit régional d’importations (a region’s appetite for
imports) faute d’autres composantes compensatoires de dépense ».
4. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, la décision politique explicite de retarder
l’introduction en Italie de la télévision en couleurs a produit, pour l’industrie électronique nationale,
un désavantage compétitif important, que par la suite elle n’a jamais réussi à surmonter à cause
justement de l’existence de positive feed-back, qui récompensent les premiers venus. De même,
dans des années plus récentes, l’introduction précoce dans beaucoup de pays de regulations
concernant l’environnement a amené le développement anticipé d’une industrie de technologies
d’environnement, prête à se répandre sur les marchés étrangers dès que les réglementations ini-
tiales s’élargiraient à d’autres pays.
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
ne devraient jamais être limités par quelque forme que ce soit de résistance sociale
au changement. David Ricardo, qui est avec Robert Torrens le père du principe
de l’avantage comparatif, tout en étant convaincu que la technologie exerce un ef-
fet destructeur sur le travail, affirme dans le chapitre célèbre On machinery des
Principles : « L’utilisation des machines ne saurait jamais être découragée sans
préjudice dans un État, puisque si l’on ne permet pas au capital d’y tirer le profit
net le plus grand consenti par l’utilisation des machines, il prendra la route de
l’étranger, ce qui comporterait une réduction de la demande de travail bien plus
grave que l’utilisation la plus étendue des machines » (Ricardo, 1817, p. 388 de
l’édition du 1971) 5. Si l’on abandonne l’hypothèse de l’immobilité des capitaux, qui
caractérise le modèle abstrait de commerce international, et si l’on adopte une
perspective dynamique, l’importance du problème de la compétitivité et de l’effica-
cité des secteurs productifs locaux par rapport aux autres pays apparaît de façon
indiscutable.
5. Ce point pourrait également être accepté par Krugman, qui affirme en effet : « Il est très important
d’assurer un taux de croissance élevé en ce qui concerne la productivité et le progrès technique ;
mais c’est important en soi, et non pas pour faire front à la concurrence internationale » (Krugman,
1998, p. 101). À notre avis, ils sont nécessaires aussi pour la compétitivité des exportations et pour
l’attraction des investissements extérieurs, réels et financiers.
103
ROBERTO CAMAGNI
Ricardo, selon lequel les pays tirent tous les deux un avantage de la spécialisation
et de l’échange.
Et pourtant, du point de vue positif, sommes-nous bien sûrs que l’échange a
vraiment lieu ? En effet, l’échange est normalement effectué par des opérateurs qui
comparent des prix absolus, non des prix relatifs (c’est-à-dire le prix du même bien
dans les deux pays, exprimé en devise commune) 6, et donc des valeurs où le coût
de production (en heures de travail) est multiplié par un salaire monétaire et par un
taux d’échange. Dans le cas de deux pays séparés, qui passent, au sens logique,
d’une condition d’autarcie à une condition de commerce international, on peut sup-
poser que chaque pays montre dans un des deux biens un avantage absolu, au-
delà du seul avantage comparatif. Grâce au fait qu’une productivité éventuellement
inférieure dans un pays sera parfaitement contrebalancée, en moyenne, par des sa-
laires réels moins élevés, ce pays montrera vraisemblablement un avantage absolu
dans un des deux biens, celui notamment où la productivité interne est plus élevée
que la productivité moyenne, c’est-à-dire celui où il existe un avantage comparatif.
Après l’échange, le taux d’échange sera en mesure de garantir un équilibre de la ba-
lance commerciale.
Dans le cas des pays, donc, l’échange aurait effectivement lieu ; mais que se
passerait-il si une perturbation faisait augmenter les salaires ou le taux d’échange
d’un pays ? À court terme l’avantage absolu pourrait disparaître, et donc le pays
n’exporterait plus de biens et les importerait tous, en engendrant un chômage de
masse. À plus long terme, pourtant, l’équilibre se rétablirait grâce à deux mouve-
ments alternatifs : i) un mécanisme « classique » de flexibilité vers le bas des salaires
réels et des prix, déclenché par le déséquilibre du marché du travail et par la réduc-
tion de l’offre intérieur de monnaie (déterminée par la sortie d’or, destinée à payer les
6. Ricardo lui-même le rappelle : « Toute transaction dans le commerce est une transaction indépen-
dante » (Ricardo, 1971, p. 157) ; « les conditions monétaires de l’échange sont un décalage dans
les coûts absolus » (Onida, 1984, p. 81).
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
Les effets théoriques de ces trois conditions ne sont pas négligeables (nos exempli-
fications se réfèrent au cas des régions faibles) :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 160.176.35.84 - 11/04/2019 06h56. © De Boeck Supérieur
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ROBERTO CAMAGNI
b”. il est évident qu’à la longue une situation comme celle qu’on a ébauchée au
point précédent n’est pas soutenable ; mais, dans un contexte de mobilité des fac-
teurs, l’ajustement se produirait de façon bien plus rapide et réaliste à travers l’émi-
gration et le dépeuplement plutôt qu’à travers la chute des salaires réels 7. Aussi bien
le capital que le travail, s’ils recevaient dans une région des rémunérations moins
élevées que les rémunérations nationales par effet de conditions de production inef-
ficaces, émigreraient rapidement à la recherche de conditions d’emploi meilleures,
une fois cessé le support des territoires extérieurs ou du gouvernement national à
travers prêts, aides et transferts de revenu. L’immobilité des facteurs est donc cru-
ciale pour la validité du principe des coûts comparatifs 8 ;
c’. le taux d’échange national, en admettant qu’il soit lié seulement aux mou-
vements commerciaux (et que par conséquent la balance des capitaux soit en
équilibre au niveau national), est défini par une moyenne pondérée des balances
7. On ne veut pas soutenir qu’il n’y a pas d’effet « salaires réels », mais que, étant donné les condi-
tions d’ouverture au commerce extérieur (prix « internationaux » des biens importés) et à la mobilité
des facteurs, cet effet ne serait ni suffisant ni dominant.
8. En commentant le théorème de Ricardo, Mark Blaug affirme en effet : « L’analyse de Ricardo se
propose de montrer que les conditions rendant possible le commerce international sont très diffé-
rentes de celles qui permettent le commerce intérieur. Si l’Angleterre et le Portugal étaient deux
régions du même pays [et que la première était moins efficace dans les deux biens], tout le capital
et le travail émigreraient vers le Portugal et les deux biens seraient produits dans la région.
À l’intérieur d’une même nation, le commerce entre deux localités exige une différence absolue des
coûts ; pour qu’il y ait commerce international, en revanche, il suffit une différence des coûts
comparatifs » (Blaug, 1997, p. 120 ; nous soulignons).
9. Du point de vue de la comptabilité macro-économique, les régions fortes présentent généralement
un surplus commercial vis-à-vis d’impôts plus considérables, transferts publics inférieurs, taux
d’épargne plus considérables, et une balance des mouvements des capitaux passive (ceux que
Kindleberger appelait de « mûrs créanciers ») ; les régions faibles se comportent généralement de
la façon opposée.
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
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ROBERTO CAMAGNI
avantages spécifiques créés d’une façon sélective et stratégique par les entreprises
individuelles, les capacités de coopération et de synergie renforcées par une admi-
nistration publique pro-active, les externalités fournies par les gouvernements lo-
caux et nationaux, certaines spécificités produites pendant l’histoire par une culture
territoriale 14. Dans ce dernier cas, qui nous intéresse surtout, il s’agit évidemment
d’avantages artificiels, créés par l’action volontaire des communautés locales et de
leurs administrations.
ii. Les entreprises exigent, de plus en plus, non seulement des externalités gé-
nériques, mais des « ressources spécifiques » et sélectives (en termes de compé-
tences et de services, par exemple), qu’il peut être difficile ou trop lent d’acquérir à
travers le marché. Pour cette raison, elles s’engagent de plus en plus dans des ac-
tions de coopération avec d’autres entreprises, avec des acteurs collectifs locaux et
avec les administrations publiques en vue de la conception, réalisation et production
de ces ressources (Maillat et al., 1993 ; Colletis & Pecqueur, 1995 ; Dupuy & Gilly,
1995 ; Cooke & Morgan, 1998).
iii. Des conditions territoriales particulières, caractérisées par une richesse
particulière d’interactions entre entreprises, peuvent faciliter la coopération entre
12. La notion d’« avantage compétitif » de Porter, élaborée en dehors du contexte de la théorie des
échanges internationaux, se rapproche de la notion d’avantage absolu et peut être utilisée avec
profit, comme le fait l’auteur (Porter, 1990, 2001), pour réfléchir sur la compétitivité territoriale.
13. Pour une revue des contributions récentes, cf. Catin & Ghio, 2000.
14. Porter affirme : « Les moteurs de la prospérité évoluent de plus en plus [du niveau macro-
économique] vers le niveau micro-économique : les capacités et les comportements d’unités
sous-jacents l’économie dans son ensemble, comme les individus, les entreprises, les industries
et les clusters. […] On reconnaît de plus en plus que le succès des entreprises doit beaucoup à
des éléments qui sont situés à leur extérieur », comme les relations avec les fournisseurs, le parte-
nariat et d’autres ressources territoriales et sociales (Porter, 2001, p. 140). Voir aussi les nom-
breuses contributions au numéro spécial, cité ci-dessus, de International Regional Science Review
(1996) et de la Revue d’Économie Régionale et Urbaine (Bellet et al., 1993).
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
not, 1994 ; Arrighetti & Serravalli, 1999 ; Dupuy & Torre, 2000). Cette fonction
est facilitée par la confiance entre acteurs locaux et par les dispositifs d’ex-
clusion/sanction (sociale) qui frappent les comportements transgressifs ou
opportunistes ;
• l’apprentissage collectif, qui trouve dans le milieu local, et en particulier dans le
marché du travail local, le substrat permanent auquel s’incorporer (Capello,
1999) 17.
Ces effets sont pour partie spontanés lorsqu’il existe, entre les acteurs locaux, une
proximité géographique et une proximité culturelle. Ils représentent alors la base
des rendements croissants au niveau local. Ils sont aussi pour partie dépendants
d’une coopération explicite entre acteurs locaux, qui exigent quelque forme de
gouvernance locale. Dans les deux cas, les éléments d’avantage compétitif rési-
dent à l’extérieur de l’entreprise individuelle plutôt qu’à l’intérieur de celle-ci, dans
le milieu local plutôt que dans les entreprises individuelles localisées dans son es-
pace géographique.
15. Le milieu innovateur se définit comme un ensemble de relations qui insistent sur un espace limité
et qui amènent à l’unité un système local de production, une culture productive, un ensemble
d’acteurs et de représentations, en déclenchant un processus localisé d’apprentissage collectif
(Camagni, 1991a).
16. L’école française de la « proximité » (Bellet et al., 1993 ; Rallet & Torre, 1995 ; Dupuy & Gilly, 1995 ;
Gilly & Torre, 2000) parvient, à travers des pistes parallèles à celles du Gremi, à des résultats tout
à fait similaires et comparables.
17. Dans la grande entreprise, les processus d’apprentissage se produisent à son intérieur et s’incor-
porent à une culture d’entreprise. Dans les petites entreprises, ces processus d’apprentissage,
fondamentaux pour l’innovation, ne peuvent pas se produire à cause de la complexité réduite des
structures et à cause de leur instabilité excessive. Mais ces processus se produisent de façon
socialisée et collective à l’extérieur des entreprises individuelles à travers la mobilité du travail spé-
cialisé et les synergies locales, en s’incorporant à la culture productive et au milieu local.
109
ROBERTO CAMAGNI
iv. Territoires et milieux rivalisent et coopèrent entre eux, en bâtissant leur avan-
tage compétitif. Et cela profite à l’économie tout entière, si l’on partage une vision
« générative » du développement économique en tant que processus qui évolue
« par le bas », et non pas en tant que processus défini du point de vue quantitatif au
niveau macro-économique et attribué ensuite par parts aux territoires individuels
dans une vision « compétitive ». Seulement dans ce dernier cas, les actions réalisées
par les territoires individuels aboutiraient à un jeu à somme nulle.
Les villes, en particulier, étant donné leur nature de concentrations d’externa-
lités et de déclencheurs d’interaction et de synergie, et à cause de la responsabi-
lisation et de la représentativité de leurs élus vis-à-vis des collectivités résidentes,
peuvent être considérées, à juste titre, comme des milieux et des acteurs en com-
pétition sur la scène internationale (Lacour, 1998 ; Camagni, 1999).
v. Finalement, s’il est vrai que les entreprises utilisent de plus en plus la localisa-
tives et par des sujets (économiques, au sens large) qui agissent dans leur propre
intérêt en cherchant à retenir ou à attirer des activités économiques : travailleurs,
entreprises travaillant en sous-traitance, fournisseurs d’inputs intermédiaires, de
services et de facteurs productifs immobiles comme les terrains, les bâtiments et
les infrastructures. Ces sujets ou acteurs territoriaux peuvent atteindre leur but non
seulement au travers d’une compétition en prix/salaires, mais surtout par une qua-
lification croissante des services fournis, qui exige l’intervention directe ou indirecte
de l’administration publique. On pourrait dire que les localisations font l’objet d’un
marché global où s’affrontent une demande (de la part des entreprises) et une offre
(de la part des collectivités locales).
En résumant, la globalisation favorise sans aucun doute le climat de compéti-
tion où agissent les entreprises. Pour maîtriser cette situation et le niveau d’incerti-
tude croissant qui en découle, les entreprises misent de plus en plus sur un capital
humain de niveau élevé, sur l’accessibilité à l’information, sur des dispositifs collec-
tifs d’évaluation et de transcodage de l’information, sur des formes de coordination-
coopération. En outre, elles favorisent les territoires qui fournissent les nouveaux
facteurs relationnels à travers des décisions explicites de localisation (Rallet, 1993).
Mais si les entreprises individuelles et les individus s’engagent dans des actions
collectives, productrices de – et favorisées par – la confiance et le capital social local,
et si leurs interactions multiples donnent lieu à des synergies cognitives considéra-
bles, manifestes dans le milieu local, et si finalement ces actions et ces processus
gagnent une vitalité supplémentaire de la coopération avec les administrations pu-
bliques locales, il semble permis de dépasser l’individualisme méthodologique qui
considère l’action et la compétition d’entreprises individuelles, et de supposer la va-
lidité d’une notion collective comme celle de territoire, en affirmant que les territoires
rivalisent entre eux (par l’élaboration de stratégies collectives).
110
COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
6 CONCLUSIONS ET SUGGESTIONS
POUR LES POLITIQUES PUBLIQUES
Dans une économie en voie de globalisation, les territoires et non seulement
les entreprises rivalisent entre eux d’une façon de plus en plus directe. En effet, à
la différence des pays, les régions et les villes rivalisent, sur le marché international
des biens et des facteurs productifs, sur la base d’un principe d’avantage absolu et
non d’avantage comparatif ; cela signifie qu’il n’existe aucun mécanisme automa-
tique efficace en mesure d’assurer à chaque territoire un rôle dans la division spa-
tiale du travail, quelle que soit sa performance relative.
Pour cette raison, les territoires à développement retardé, faibles en termes de
compétitivité du tissu productif, d’accessibilité, de qualité du capital humain et de
l’environnement, de capacité d’apprentissage collectif, risquent davantage l’exclu-
111
ROBERTO CAMAGNI
Société, Recherche,
Haute Science et
formation
Téchnologie
et Culture
Orientation des
Économie et Système efficace
entreprises à la
science et politiques Entrepreneuriat de transcodage et
du capital humain transfert technologique
En fait, au lieu – ou avant – d’intervenir directement sur les entreprises ou sur les
centres de recherche avec des incitations financières, il faut construire une attitude
positive de la société par rapport à l’objectif majeur d’un développement basé sur la
connaissance ; développer une capacité accrue des firmes et des entrepreneurs à
manager les résultats de la recherche scientifique, et surtout mettre en place un sys-
tème de transcodage et de transfert de la connaissance scientifique au service de la
société et de l’économie.
Deux concepts sont centraux à cet égard, celui d’accessibilité et celui d’ap-
prentissage collectif. L’accessibilité est fonction de l’existence de réseaux de com-
munication et transport, mais doit tenir compte de la distance cognitive entre les
nœuds, et demande des dispositifs organisationnels et institutionnels pour la rédui-
re. L’apprentissage collectif se manifeste à travers l’interaction entre acteurs ; est
liée à l’existence de codes et des langages communs et d’attitudes de confiance et
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COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE : LA RECHERCHE D’AVANTAGES ABSOLUS
RÉFÉRENCES
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ROBERTO CAMAGNI
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