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Claude ZlLBERBERG
Groupe de Recherches Sémio-linguistiques
Paris
RELATION ET RATIONALITÉ
ACTUALITÉ DE BR0NDAL
Les mots font partie de nous plus que les nerfs. Nous ne con-
naissons notre cerveau que par ouï-dire.
Paul Valéry
Cette figure détonne si Ion accepte de voir dans Le Mémoire sur le système primi-
tif des voyelles dans les langues indo-européennes lacte fondateur de la linguistique
structurale au même titre au moins, sinon plus haut encore, que le Cours de linguisti-
que générale . Et son génial auteur, âgé de vingt ans ! en soumettant les « valeurs
phoniques » (substantielles) aux « valeurs algébriques » (formelles et fonctionnelles)
selon Hjelmslev, accomplissait et déplaçait le travail accompli sur les langues indo-
européennes.
Et cest encore aux linguistes danois que Ion doit d'avoir montré que l'effort de
Saussure, tout novateur qu'il fût, s'inscrivait dans une continuité irréfragable. Si l'un
des apports majeurs, peut-être la « constante concentrique », de la pensée saussu-
rienne, consiste dans la dualité forme/substance, Hjelmslev a souligné le fait que
cette hypothèse était déjà présente chez Humboldt, mais surtout dans le surgissement
de l'écriture à condition d'accepter de voir en elle non une « articulation de l'expres-
sion », mais une « articulation de la langue » 1.
(1) L. Hjelmslev, Nouveaux essais , Paria, Presses Universitaires de France, 1985, p. 154-
155.
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Dans les limites de cette étude, nous aimerions souligner la valeur de la contribu-
tion de Br0ndal, mais dans une perspective qui surprendra peut-être : il s agit d éta-
blir que le type d'approche retenu par Br0ndal, mais peut-être également certaines
prudences, certaines préventions ont affaibli ou voilé la valeur heuristique de cette
contribution. En un mot, que son « être » est supérieur à son « paraître ».
La conception du linguiste danois se caractérise par une double ambition : elle vise
non seulement à décrire les diverses possibilités d'organisation, jusques et y compris
celle de l'amorphe 5, mais encore les devenirs possibles d'un système.
(2) Cf., par exemple, Cl. Lévi-Strauss, La pensée sauvage , Paris, Pion, 1962, p. 246 et
p. 267.
(3) A. J. Greimas, Sémantique structurale , Paris, Larousse, 1966, p. 121-122.
(4) Ibid ., p. 23 & suiv., p. 111-112, p. 170.
(5) V. Br0ndal, Essais de linguistique générale , Copenhague, E. Munksgaard, 1943, p. 96.
(6) A. J. Greimas & J. Courtes, Sémiotiquef Paris, Hachette, 1979, p. 181-182 & p. 219-220.
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Il suffit d embrasser cette seconde présentation pour se persuader qu'un système
- nous nous abstenons pour l'instant de préciser davantage - est ici à l'œuvre. Cette
saisie relève d'une approche autre que celle de la simple recension ;
• une approche déductive recourant à deux couples de caractéristiques dont les
« intersections » (Hjelmslev) constituent l'assiette relationnelle (ou figurale) des gran-
deurs retenues. Dans sa mise en place, Br0ndal fait appel tour à tour au caractère
isolé ou solidaire
et en second lieu au caractère
conjonctif ou disjonctif.
En désignant le terme B comme contrariété d'une part, les termes indiqués en D
comme dominances d'autre part, nous rendons à la relation sa prérogative consti-
tuante et sommes en mesure de proposer le modèle génératif suivant :
¡ i
• solidaire ¡ isolé
Nous n'envisageons pas ici les termes, mais les relations constituantes. Ou plutôt
c'est aux définitions que nous nous intéressons et non aux dénominations qui les
subsument : que le terme neutre soit recouvert par une seule grandeur ou par plu-
sieurs comme dans le sonnet de Verlaine : « ... ni tout à fait la même ni tout à fait
une autre y ... », peu importe ; la problématique porte sur les figures (Hjelmslev) et
non sur les signes.
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- la double caractéristique de la théorie, à savoir qu elle doit être à la fois arbi-
traire et adéquate, apparaît également sous la plume de Br0ndal, à cette nuance près
que l'adéquation a le pas sur l'arbitraire : * Ici une vaste vérification ou confrontation
avec les faits simpóse . Par ce travail certainement fécond la théorie qui est rigide ,
pourrait être réfutée , ou bien confirmée . » {ELG, p. 18).
Les présupposés de la structure (solidaire/isolé, disjonctif/conjonctif) doivent, pour
autant qu'ils prédiquent leurs présupposants 7, être interrogés à leur tour :
constituent-ils les limites de la diction où sont-ils susceptibles dune définition-
analyse ? Nous différons cet examen.
Pour que cette interdépendance entre économie et dynamique soit atteinte, il con-
vient d'établir :
La réflexion de Br0ndal, sur ce point délicat et décisif, note plutôt des résultats
d'ensemble que les procédures qui les prennent en charge. Deux « tendances » sont
reconnues :
(7) Sur les rapports entre structuration et prédication, cf. Cl. Zilberberg, « Conversion et
réversion » in Exigences et perspectives de la sémiotique , tome 1, Amsterdam, Benjamins, 1985,
p. 349-379.
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- sur la dimension de la jonction, la position « disjonctive » apparaît également
comme attractive ;
- enfin la substitution indiquée d'un système AC à un système AB signifierait
que la dimension de la dépendance l'emporte sur celle de la jonction.
Ces directions et ces rapports de force peuvent être mis en évidence de la façon
suivante :
j ABSTRACTION^
iwlé C t ~~~
solidaire
OMPLEXITÉ
conjonctif disjonction
Nous aimerions, dans les lignes qui suivent, montrer que les vues de Br0ndal, pri-
ses telles quelles, méritent respect et confortent une tradition. Et inversement
qu'elles tirent de la continuité de la réflexion linguistique leur force et leur actualité.
(8) Cf. A. J. Greimas & J. Courtés, Sémiotique , Paris, Hachette, 1979, p. 29-33.
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2. Un consensus ignoré ?
Les noms de Br0ndal et de Hjelmslev sont par la force des choses associés mais
ordinairement pour soutenir le contraste de deux idiosyncrasies puissantes et imagina-
tives. Cependant, puisque nous sommes désormais en face des monuments en quoi se
changent leurs œuvres, la proximité des préoccupations de même que la similitude des
solutions devraient prévaloir.
Au vrai, une seule contrainte est rappelée à intervalles : * Une opposition précise
joue toujours a l'intérieur d'une même catégorie. » (ELG, p. 42). Les oppositions sont
« réalisées à l'intérieur d'une même catégorie » (ELG, p. 43) 9. Il convient de souligner
que ce « jeu » n'est pas extérieur au système, advenant comme un signal, un témoin de
sa désagrégation, mais situé au cœur même du réseau. Sans qu'on en discerne parfaite-
ment le motif, il semble bien qu'un système, du point de vue de la forme, ne puisse avoir
lieu sans faire intervenir deux catégories, dont une au moins sera une catégorie modale.
Tel est bien le cas ici : la catégorie de la dépendance, discriminée selon
« solidaire »/« isolé », est, par définition, modale tandis que celle de la jonction, discri-
minée selon « conjonctif »/ « disjonctif » ne l'est pas.
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Ces préoccupations sont également centrales dans la réflexion de Hjelmslev. C est
ainsi qu'il écrit : « La fameuse maxime selon laquelle tout se tient dans le système
ďune langue a été souvent appliquée d'une façon trop rìgide, trop mécanique et trop
absolue. Il convient de bien garder les proportions . Il importe de reconnaître que tout se
tient , mais que tout ne se tient pas dans la même mesure , (...) Le système linguistique
est d'une souplesse plus délicate que la maxime précitée , prise au pied de la lettre , ne le
fait supposer » 10. Le fondateur de la glossématique introduit même le concept assez
étrange de « fonction facultative » : « Les fonctions sont de diverses espèces. Sans vou-
loir aborder encore la classification complète des fonctions complètes , signalons la dis-
tinction évidente entre les fonctions facultatives et les fonctions obligatoires (...)» n.
Enfin les Prolégomènes désignent comme « constellation » la relation entre deux varia-
bles.
Surtout, la parenté est sans doute plus grande que la littéralité même des textes cités
le laisse entendre, peut-être parce que les voies de la réflexion sont, selon une nécessité à
rechercher, parallèles. Nous avons vu plus haut que les catégories dont les intersections
généraient les termes étaient, pour Br0ndal, la dépendance et la jonction. On sait que
Hjelmslev fait ouvertement appel à la dépendance pour définir la structure : « entité
autonome de dépendances internes » 12. Eu égard à la catégorie de la jonction, elle est
aussi requise par Hjelmslev, mais peut-être moins bien rattachée à l'édifice conceptuel
quelle ne lest chez Br0ndal : « Une autre distinction , essentielle pour la théorie du lan-
gage , est celle qui existe entre la fonction «et... et » ou conjonction », et la fonction
« ou... ou » ou « disjonction » 13.
Nous rechercherons plus loin pour quelles raisons Br0ndal et Hjelmslev sont, malgré
eux..., plus ou moins condamnés à s'entendre.
Abordons le second point. Br0ndal partage encore avec Hjelmslev le souci de déta-
cher le binarisme de ce que nous aimerions appeler 1'« antithétisme primaire ». Rappe-
lons succinctement - en utilisant les conventions graphiques proposées par Hjelmslev
- comment se présentent, pour chacun des deux penseurs, les « structures élémentai-
res » de la signification :
• pour Br0ndal, si nous laissons de côté les complexes positif et négatif, deux cou-
ples apparaissent : le couple A/B et le couple A/C que Ion peut visualiser ainsi :
(10) L. Hjelmslev, Essais linguistiques, Paris, Les Éditions de Minuit, 1971, p. 123.
(11) Ib., p. 163.
(12) Ib., p. 28.
(13) L. Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, Pans, Les Editions de Minuit,
1968, p. 52. L'intersection des catégories de la dépendance et de Injonction ne se présente pas de la
même façon chez les deux linguistes : pour Br0ndal, la catégorie de la dépendance est articulée
selon degré plein /degré zéro, tandis que pour Hjelmslev elle est articulée selon constante (détermi-
née )/variable (déterminante). Ce qui complique encore les choses, c'est que dans les Prolégomè-
nes, le procès qui saisit les rapports conjonctifs détermine le système, qui organise les rapports dis-
jonctifs, mais dans un article de 1939 intitulé La. notion de rection, Hjelmslev envi-
sage une réciprocité : « Le paradigmatique même détermine le syntagmatique , puisque d'une
façon générale et en principe on peut concevoir une coexistence sans alternance correspondante,
mais non inversement. C'est par cette fonction entre le paradigmatique et le syntagmatique que
s'explique leur fonctionnement réciproque. » ( Essais linguistiques, op. cité, p. 159.)
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1. le couple A/B ,
a c d
A I jj^ I neutre
positif
B -
négatif
2. le couple A/C
A I "1 neutre
complexe
• pour Hjelmslev, en suivant l'exposé de la Catégorie des cas 14, trois couples sont
mis en place :
1. le couple a/B intensif- -extensif
a 1 I intensif
HIHHHIIHHHHHHHHIHHHH extensif
2. le couple ß/B contraire
ß 1 I intensif
B 1 1 extensif 15
2. le couple ß/T contradictoire
WÊÊÊÊÊÊËÊÊtZZZIZIIIJÊÊÊÊÊËÊÊÊÊË intensif
r I I extensif 15
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Sous cette condition - la précédence de données tensives - la comparaison entre les
deux conceptualisations s'établit ainsi :
i Br0ndal ¡ Hjelmslev
i i !
i positif ]
contensif ! et i intensif
; négatif I
• i
¡ ¡
détensif ; complexe j extensif
Nous examinerons plus loin les conditions de cette mise en relation de données tensi-
ves avec les catégories mêmes qui informent la signification.
La référence est bien sûr obligée pour tout structuraliste, mais de « quel » Saus-
sure se réclamer ? Nous avons proposé ailleurs 19 de distinguer au moins « trois »
Saussure, sommation qui conduit à relativiser, sur plusieurs points, l'importance du
Cours.
Dans la mesure où notre étude est consacrée à la notion de système dans l'œuvre
de V. Brindai, il est clair que c'est le Mémoire 20 qu'il convient d'interroger. Eu
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égard au point qui nous retient, deux constatations, bien sûr hâtives, peuvent être fai-
tes :
C est, nous semble-t-il, une des forces de la réflexion de Br0ndal que de mettre
systématiquement en œuvre ce principe de saisie. Nous nous limiterons à deux men-
tions. A propos du « principe de compensation », il écrit : « Le principe (...) trouvera
son application (...) dans les systèmes où deux formes polaires sopposent non seule-
ment entre elles, mais en même temps à une forme complexe ou synthétique (...)
(ELG, p. 107). La seconde mention concerne un thème de réflexion cher à Br0ndal :
les prépositions. Dans le même article, il écrit : « C est ainsi que, parmi les préposi-
tions françaises, a forme avec en un couple à part, se détachant à la fois de de , forme
neutre et donc isolée, et des divers groupes des autres prépositions, toutes de nature
(21) Dans l'Essai d'une théorie des morphèmes , Hjelmslev modère également la coupure
entre forme et substance : « Entre forme et substance , il n'y a aucun lien nécessaire , le signe lin-
guistique reste arbitraire ; cela n empêche pas d'autre part qu'il puisse y avoir un lien possible. »
(Essais linguistiques , op. cité , p. 170.)
(22) Ce filtre, ce préalable par lequel la signification doit passer, nous avons proposé de le
dénommer modalités thémiques et de l'organiser de la façon suivante :
même autre
identique différent
(Cl. Zilberberg, Essai sur les modalités tensives, Amsterdam, Benjamins, 1981, p. 45 Sl suiv. ;
p. 122). On se souviendra que la problématique de l'identité occupe une place centrale dans le
Mémoire et le Cours. La raison de cette contrainte, de cette inquiétude ? probablement la ten-
sion entre ce que Hjelmslev appelle les « valeurs algébriques » (« fonctionnelles ») et les
« valeurs phoniques » (« substantielles »), les premières ayant le pouvoir de dénier les secondes,
c'est-à-dire de changer le même substantiel en différence fonctionnelle d'une part, de changer
l'altèri té substantielle en identité fonctionnelle d'autre part.
(23) Mémoire , op. cité , p. 121.
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plus concrètes que les trois sommités si originales de ce système si intéressant. Le cou-
ple à-en occupe non seulement un niveau particulier (entre de , sommet absolu, et les
autres, plus bas) ; elles se définissent aussi de façon essentiellement différente de tout
autre élément, de tout autre couple de l'ensemble ; ni isolées (comme de ), ni groupées
en séries (comme le reste), elles se déterminent - à part la perspective générale, assez
importante ici - exclusivement par leur rapport mutuel ; elles définissent en somme
deux aspects complémentaires d'un monde (spatial, temporel, etc.) qu elles partagent
entre elles - aspects inexpressibles soit par de, trop abstrait, soit par les autres, trop
concrètes. » (ELG, p. 113.)
Cette mise en place appelle un certain nombre de remarques. Tout d'abord on ne
peut qu'approuver l'effort de systématisation qui vise à mettre en place le type AB
selon :
A B
i i
i i
de à-en
I ¡ complexe j
j rétensif i ou ! détensif
i i neutre j
!
' • 1
valeurs 1
! à•
j de 1
i en
-
phoriques j potentiel j complexe | réalisant
1 • 1
valeurs ¡ de j en j à
scalaires ¡ discontinu ; continu ! discontinu
* ; i
i (inchoatif) ! (neutre) i (terminatif)
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Et dans la mesure où notre propos est l'établissement des indices décelant un con-
sensus, notons que pour Brindai et Hjelmslev, la relation de contrariété - le système
B pour Brindai - se fonde pour eux, à la différence du binarisme ordinaire, sur
l'expulsion du terme neutre. Ajoutons que pour Hjelmslev l'inclusion ou l'expulsion
du terme neutre vaut comme pertinence pour démêler la contrariété et la contradic-
tion, même si la rigueur est obtenue aux dépens de la clarté : « Déf 75 : Une corréla-
tion est dite CONTRAIRE (symbole :a : b) si elle est contractée entre deux corrélats dont
chacun est défini comme « tout ce qui (à l'intérieur de ce paradigme de corrélats) n'est
pas l'autre corrélat, à l'exception de tout ce qui (à l'intérieur de ce paradigme) n'est ni
le premier ni l'autre corrélat » (...) Déf. 75 : Une corrélation est dite CONTRADIC-
TOIRE (symbole :ab : c) si elle est contractée entre deux corrélats dont chacun est
défini comme « tout ce qui (sans exception à l'intérieur de ce paradigme de corrélats)
n'est pas l'autre corrélat » 24 (...).
Si Brindai et Hjelmslev sont ¡ci les héritiers du Mémoire , c'est dans la mesure où
Saussure a posé, avec le principe indiqué, un minimum épistémique en deçà duquel
il semble impossible de « descendre ». Ce principe pourrait s'énoncer ainsi : la catégo-
rie ne doit pas seulement être présupposée, elle doit être également être posée :
• pour Saussure, elle l'est par la solidarité de « destin » : ou les deux termes se
maintiennent ensemble ou ils disparaissent ensemble ;
• pour Br0ndal, le minimum épistémique est rendu par le système A-B, visible-
ment préférentiel ; dans cette configuration, le terme neutre vaudrait comme terme-
zéro, ou terme « vide » (comme l'on parle d'ensemble vide) de la catégorie ;
• pour Hjelmslev, le minimum épistémique est attesté par le système a-A, à l'inté-
rieur duquel le terme A, extensif, vaut comme terme complexe, plein de la catégorie.
Si cette convergence est reçue, les relations logiques entrent dans la dépendance
de :
- valeurs topologiques : concentré/étendu, après Hjelmslev ;
- valeurs tensives : rétensif/détensif 25
valeurs qu'elles impliquent et composent.
Dans la Catégorie des cas, Hjelmslev remarquait : « C'est dire que non seulement
le terme de neutre, mais également le terme de complexe est susceptible de deux accep-
tations différentes : il y a une complexité concentrée, comme dans l'instrumental de
Wiillner, et il y a une complexité expansive, comme dans le nominatif » 26.
L'intersection de la dimension tensive et de la dimension topologique aboutit à un
réseau de réalisables élémentaires interdéfinis :
détensif contensif
neutre neutre
neutre a b
détensif contensif
complexe complexe
complexe c d
détensif contensif
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Évoquons brièvement chacune de ces intersections :
- dans le neutre détensif (a), nous reconnaissons aisément le neutre cher à
V. Br0ndal ;
- dans le neutre contensif (b), qui incontestablement est d'un maniement déli-
cat, nous aurions, à titre de réalisable, ce que le poète R. Char pointe comme une
« identité antagoniste » 27 ;
- dans le complexe détensif (c), nous identifions sans peine le terme extensif sur
lequel Hjelmslev a tant insisté ;
- dans le complexe contensif ( d ), nous lisons la définition de ce terme complexe
réclamé par A. Hénault 28.
Comme la poésie selon Voltaire, la théorie est faite de « beaux détails » : la doc-
trine saussurienne se caractérise non seulement par l'ampleur des perspectives tracées,
mais également par sa maîtrise du détail et les figures de Br0ndal et de Hjelmslev
satisfont aussi à cette double exigence.
Il paraît difficile de s'interroger sur l'actualité de Br0ndal sans envisager les rela-
tions de compatibilité entre les thèses qu'il a défendues avec constance et les proposi-
tions de René Thom, dont l'une des ambitions est de fonder la sémiologie à partir de
modèles topologiques 29.
Nous n'avons pas ici la prétention de défendre une « conclusion », mais de légiti-
mer une interrogation en en déterminant les limites. A notre sens, deux séries de con-
sidérations, d'ailleurs complémentaires, soutiennent cette interrogation : la précellence
du point de vue dynamique d'une part, l'intuition de l'importance de la notion de
« stabilité structurelle ».
Pour Br0ndal, si la morphologie est l'étude des formes et des systèmes qui les régis-
sent, la syntaxe est du côté de la proposition et se préoccupe du « rythme » 30 et de
1'« intention » qui la gouvernent. Enfin, on l'a vu plus haut, la connaissance de la
configuration d'un système est au service, introduit à l'intelligibilité de son devenir 31 .
(27) René Char écrit : «r Au-dessus des contradictions partielles sont apparues les identités
antagonistes qui , elles , mettent fin. (...) in La nuit talismanique , Paris, Flammarion, coll.
Champs, 1972, p. 36-37.
(28) A. Henault, Perplexités à propos du terme complexe in Exigences et perspectives de la
sémiotique , recueil d "hommages pour A. J. Greimas, Amsterdam, Benjamins, 1985, p. 241-248.
(29) <r Or une discipline qui cherche à préciser le rapport entre une situation dynamique glo-
bale (le «r signifié »), et la morphologie locale en laquelle elle se manifeste (le «r signifiant »),
n'est-elle pas précisément une « sémiologie » ? » {Modèles mathématiques de la morphogenèse ,
Paris, Ch. Bourgois, 1980, p. 169.)
(30) ELG, p. 122.
(31) ELG , p. 55.
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Or ce8 préoccupations semblent également partagées par R. Thom : « (...) ma tenta-
tive, qui consiste à essayer de décrire les modèles dynamiques compatibles avec une
morphologie empiriquement donnée, est un premier pas dans l'édification de cette
'Théorie générale des Modèles* qu'il faudra bien construire un jour » 32 .
En second lieu, Br0ndal a noté « en passant » que les systèmes étaient plus ou
moins stables : « Ici il faut remarquer que, parmi les groupes qui peuvent faire partie
d un système morphologique, tous ne sont pas également stables : à l'intérieur d'un
groupe à deux termes - termes forcément polaires et par conséquent solidaires - il y
aura toujours une force de cohérence inconnue aux groupes à un seul terme. » ( ELG ,
p. 23.) Enfin, pour les deux penseurs, une connivence certaine associe complexité et
instabilité, d'une part, stabilité et simplicité d'autre part 33 .
endoderme (intestin)
La force, ou l'attrait, d'une part, les objections, ou les réticences d'autre part, en face
de cette vision cosmogonique s'avancent d'elles-mêmes. Négligeons le fait que Thom
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désigne comme « syntaxiques » des relations que le consensus des linguistes dénomme
« morphologiques » : la remarque est vénielle. Nous n'envisagerons pas davantage la
question de savoir si cet isomorphisme surmonte l'aporie entre « méthode immanente »
et « méthode transcendante » indiquée par Hjelmslev 38 , ou bien si cet effort relève de la
méthode transcendante, à savoir que R. Thom projette, ou retrouve, sur un autre plan
les catégories de l'indo-européen - reproche déjà adressé à Aristote : « Indubitable-
ment, la logique ď Aristote (Heinrich Maier la montré) est, dans une large mesure,
d'inspiration linguistique ; cest parmi les phrases grecques que, pour les besoins de sa
théorie, le Stagirite a choisi certains types, par lui considérés comme fondamentaux, et
cest par l'analyse de mots grecs qu'il est arrivé à certains prédicaments, conçus comme
catégories essentielles » ( ELG , p. 50).
À dire vrai, il est difficile de trancher tant les objections sont intriquées, impli-
quées, dans les arguments et le « bon sens » de Brandal peut nous aider à voir clair dans
cette « ténébreuse affaire ». Plaident en faveur des hypothèses de R. Thom ce
que Brandal appelle 1'« autonomie » et la « monotonie » de la syntaxe. Envisageant
les relations entre morphologie et syntaxe, il insiste sur leur « indépendance » {ELG,
p. 9) ; plus loin il évoque la nécessité d'« épurer les définitions syntaxiques de tout
mélange morphologique » (ELG, p. 13).
En second lieu, les données syntaxiques se caractérisent par leur « extrême mono-
tonie » (ELG, p. 12). Le fait linguistique, si l'on définit un fait par sa constance, sa
permanence, semble résider en ce chiasme entre morphologie et syntaxe : « Ce qui
doit amener encore à condamner toute définition syntaxique d'un mot en tant que
mot, c'est l'extrême variabilité des systèmes de mots en regard de la grande constance,
déjà constatée, des éléments de la phrase » (ELG, p. 10).
Cette variabilité signale une des difficultés internes des hypothèses de R. Thom :
en effet ni l'invariance ni la centralité, le rôle de pivot, du verbe ne sont établies :
« Le verbe au sens propre manque à la plupart des langues du monde (au chinois
aussi bien qu'aux langues américaines par exemple) » (ELG, p. 12) et un peu plus
loin : « Quoi qu'en disent la plupart des grammaires, le verbe n'est pas suffisamment
caractérisé par sa position centrale ou fonction prédicative dans la phrase ; et malgré
l'affinité évidente entre les termes traditionnels sujet et substantif (cf. vTrox^tfißvov),
épithète et adjectif (adjectif traduit précisément ZmdZrov), un substantif n'est nulle-
ment en soi un mot-sujet, un adjectif nullement un mot-épithète » (ELG, p. 10) 39.
Quoi qu'il en soit en définitive, il est clair que l'identification entre les catégories
syntaxiques et les logoï est sans doute universelle mais non générale (Hjelmslev).
C'est la raison pour laquelle une voie d'approche différente peut être retenue en envi-
sageant non plus le niveau des structures sémio-narratives de surface, mais le niveau
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profond des mêmes structures qui est encore celui des structures élémentaires de la
signification dans la perspective greimassienne 4°.
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puis du groupe C, enfin du groupe A apparaît solidaire des « variables de contrôle » à
une condition près 44 :
vjy^y
S < 0 6 = 0 8 > 0
I II HI
groupe B groupe B
groupe A groupe C
groupe C groupe D
(44) Ces représentations sont, bien entendu, empruntées à R. Thom, Modèles mathématiques
de la morphogenèse , op. cit., p. 53.
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La conséquence, quelque peu inattendue, est quìi faudrait recevoir deux types de
groupes B :
- un groupe B1, solidaire de la « catastrophe de bifurcation » et
- un groupe B2, attaché à la « catastrophe de conflit » 45.
Ces groupes seraients distincts à un double titre :
- dans le groupe B1 les valences des termes seraient différentes ; d autre part, le
destin possible s'inscrirait dans la suite de transformations :
B - C - A
- dans le groupe B2, les valences seraient (ou pourraient être) égales et le destin
du groupe enchaînerait :
B - C - D.
3. Regrets
(45) Le même effort accompli pour les configurations proposées par Hjelmslev dans La caté-
gorie des cas aboutit à une répartition différente :
catastrophe catastrophe
de bifurcation de conflit
a/A ß/B
y/r
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les « genres purement relatifs » et les « genres purement descriptifs ». Non qu'il faille
exiger de tout linguiste d'envergure qu'il s'engage, ou se perde, dans un « système de
définitions à outrance » à l'image de celui poursuivi obstinément par Hjelmslev, mais
à l'inverse il n'est pas sûr que l'affirmation suivante : « Or ce sont justement ces deux
espèces de catégories - relationnelles et génériques - qui semblent nécessaires et suf-
fisantes à une définition complète des concepts fondamentaux de la morphologie
grammaticale : les relations constituant le contenu ou signification des mots, les genres
en formant les cadres ou classes » ( ELG , p. 34) soit utilisable.
avril 1986
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